, >> , ia PL bi” FN < ak ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR SCEAUX, — IMPRIMERIE CHARAIRE ET FILS. ANNALEN DE L'INSTITUT PASTEUR (JOURNAL DE MICROBIOLOGIE) PUBLIÉES SOUS LE PATRONAGE DE M. PASTEUR PAR E. DUCLAUX MEMBRE DE L'INSTITUT PROFESSEUR A LA SORBONNE Et un Comité de rédaction composé de MM. CHAMBERLAND, chef de service à l'Institut Pasteur. D: GRANCHER, professeur à la Faculté de médecine. NOCARD, directeur de l'école vétérinaire d’Alfort. D' ROUX, chef de service à l'Institut Pasteur. Dr STRAUS, professeur à la Faculté de médecine. DEUXIÈME ANNÉE 1888 PARIS G. MASSON, ÉDITEUR LIBRAIRE DE L'ACADÉMIE DE MÉDECINE 420. BOULEVARD SAINT-GERMAIN EN FACE DE L'ÉCOLE DE MÉDECINE 1888 Laisser oem < me" nn, INAUGURATION DE L'INSTITUT PASTEUR INAUGURATION DE L'INSTITUT PASTEUR LE 14 NOVEMBRE 1888 EN PRÉSENCE DE È M. LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE. COMPTE RENDU SCEAUX CHARAIRE ET FILS, IMPRIMEURS DES ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 1888 or Ne LI tn NE INAUGURATION DE LENSEEUR PASSÉE Le 14 novembre 1888 a eu lieu l'inauguration de l’Institut Pas- teur, situé rue Dutot. Les maisons voisines s'étaient pavoisées comme pour une fête nationale. Des trophées de drapeaux ornaient la façade de l'Institut Pasteur, bâti en briques et en pierres, dans le style Louis XIIL. On lit sur le fronton : « Souscription publique 1888.» Touten étant monumental, l'aspect de l’édifice est simple, sans ornementation et sans sculpture. On accède au bâtiment principal, qu'une grille et un terre-plein de gazon séparent de la rue, par dix marches qui condui- sent à une grande porte d'entrée. Une galerie intérieure relie ce bâti- ment aux deux ailes où seront installés le service du traitement de la rage etlous les laboratoires d'enseignement, de recherches et d'études. Dès midi, les portes étaient ouvertes. M. Pasteur, qui avait à ses côlés son fils, secrétaire de l’ambassade de France auprès du Quirinal, et son gendre, M. Vallery-Radot, se tenait sur le seuil de la salle d'inauguration, située à gauche du perron, et recevait les invités. L'illustre savant portait le grand cordon de la Légion d'honneur et la plaque de grand-croix de Sainte-Anne de Russie. La salle, décorée de drapeaux tricolores, pouvait contenir six cents personnes. Dans le fond, se dressait une large estrade dominée par le buste de la République. À droite et à gauche s’élevaient les bustes de deux grands souscripteurs : le tsar et l'empereur du Brésil, puis entre les fenêtres, les bustes de M. le baron de Rothschild et de M"° Boucicaut. Deux socles étaient réservés pour les bustes de M. le comte de Laubespin et de M°* Furtado- Heine. A une heure et demie, M. le Président de la République, accom- pagné du général Brugère et de deux officiers d'ordonnance, arrivait en landau devant le perron. Il était salué par l'hymne national exécuté par la musique de la Garde républicaine. M. Pasteur, après avoir descendu les marches pour aller au devant de M. le Président de Ô INAUGURATION DE L'INSTITUT PASTEUR. la République, le conduisit dans un salon d'attente où s'était réuni le cortège ofüiciel composé de: M. Méline, président de la Chambre des députés ; M. Floquet, président du Conseil des ministres; M. Lockroy, ministre de l'instruction publique; M. Peytral, ministre des finances ; M. Pierre Legrand, ministre du commerce; M. Viette, ministre de l’agriculture ; M. Bourgeois, sous-secrétaire d'Etat du ministère de l'intérieur; M. Poubelle, préfet de la Seine; M. Lozé, préfet de police. Le comité de l'Institut Pasteur était représenté par M. Bertrand, président, secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences, membre de l'Académie française, MM. Camille Doucet, JulesSimon, 4. Wallon, Dela- borde, le baron A. de Rothschild, Christophle et le docteur Grancher. Ainsi formé, le cortège fit son entrée dans la salle et monta sur l’estrade où des places avaient été réservées aux sénateurs et aux députés, parmi lesquels on remarquait : MM. Léon Say, Berthelot, de Marcère, le comte de Laubespin, Devès, Jules Ferry, Henri Brisson, Spuller, Lévèque, Ribot. Venaient ensuite : MM. Le Guay, sous- gouverneur du Crédit Foncier de France ; Jourde, directeur du Siècle : Patinot, directeur du Journal des Débats: Reinach, directeur de la République Française ; Liard, directeur de l’enseignement supérieur ; Monod, Lavisse, Peyron, Collin, Dujardin-Beaumetz, directeur général du service de santé des armées, E. Tisserand, directeur de l’agriculture. Au premier rang des invités, et face à l’estrade, avaient pris place M. le général Menabrea, ambassadeur d'Italie; M. l'ambassadeur de Turquie; M. le ministre du Brésil; M. Kotzebue, conseiller de l’ambas- sade de Russie. Puis immédiatement après, parmi les membres de l'Académie française : MM. Legouvé, Duruy, le duc de Brogjlie, Rousse, John Lemoinne, Gaston Boissier, Mézières, François Coppée ; les membres de l’Académie des sciences : MM. Hébert, Chauveau, Bouchard, Verneuil, Troost, Friedel, Mascart, Schlæsing, Janssen, Tisserand, Wolf, Gaudry, Cailletet, Grandidier ; parmi les membres des autres sections de l'Institut de France : MM. Guillaume, Delaunay, Perrot, Alex. Bertrand, Beaussire; parmi les membres de l’Académie de médecine : MM. Hérard, président, Bergeron, Proust, Ricord, Trélat, Guéneau de Mussy, Dujardin-Beaumetz, Villemin, Gavarret, Lannelon- gue, le bon Larrey, Rochard, Alphonse Guérin, Hayem, Mathias Duval, Roger, Péan, A, Gautier, Féréol, Laboulbène, Laborde, Worms, Buc- quoy, Labbé; parmi les médecins étrangers spécialement délégués pour cette séance d’inauguration : MM. Metchnikoff, Gamaleïa, Bujwid, Kraïouchkine, Helman. Debout, au pied de l’estrade, une députation des étudiants de Paris, leur drapeau déployé, formait comme une garde d'honneur de la jeunesse et du travail. INAUGURATION DE L'INSTITUT PASTEUR. 7 Plusieurs pages ne suffiraient pas à énumérer tous ceux qui, parmi les hommes de science et les publicistes, les anciens élèves de M. Pasteur, MM. Raulin, Gayon, Maillot, et ses disciples actuels, les souscripteurs importants, s'étaient placés plus ou moins facilement dans cette salle devenue trop petite. À la porte et jusque dans la galerie se tenaient debout les hommes les plus connus, les plus célèbres, ne pouvant entrer dans la salle et ne s’en étonnant pas. La séance s'ouvrit et M. Bertrand prononça le discours suivant: DISCOURS DE M. BERTRAND. Messieurs, La tâche qui m'est échue est plus douce que facile. Je n’ai rien à vous apprendre et les paroles me manquent pour remer- cier dignement le chef de l’État, la réunion imposante et les savantsillustres qui par leur bienveillance, leur protection et leur concours empressé hâteront nos progrès aujourd'hui certains. Nos espérances sont grandes : je n’ai pas à les dire aujour- d'hui. Laissons à l'avenir sa part de joies et de triomphes, le pré- sent nous suffit; le ngm de Pasteur, pour égaler les plus illus- tres, n'a pas besoin de grandir encore. Depuis quarante ans, mon cher Pasteur, vous laissez venir la gloire sans la poursuivre. Entre tant de routes où souvent on la cherche, vous n’en connaissez qu’une, celle de la vérité. Là comme ailleurs on peut la rencontrer, votre renommée en est la preuve. La date du 14 novembre 1888 restera immortelle dans l’his- toire de la médecine. Permettez-moi, pour toute contribulion à cette belle journée, de me reporter un instant vers le temps déjà ancien de vos premiers succès. L’éclat de vos débuts ne pouvait frapper que les savants. Quelques-uns seulement vous ont deviné et compris. Leurs noms, célèbres ou illustres, recevront un éclat nouveau du patronage empressé, spontanément offert à votre gloire nais- sante. En rappelant dans cette fête le souvenir de Biot, de Sénar- mont, de Claude Bernard, de Balard et de J.-B. Dumas, je réponds, j'en suis sûr, à vos sentiments les plus chers. 8 INAUGURATION DE L'INSTITUT PASTEUR. Je ne céderai pas à la tentation de passer en revue le long enchainement des travaux admirés par de si grands juges. On vous rencontre sur toutes les voies de la science. Je m'écarterais du but de cette réunion en y cherchant à votre suite la trace ineffaçable de votre empreinte. Vos condisciples, longtemps avant vos maîtres, avaient beaucoup auguré de vous. Dans un rapide voyage sur les bords du Rhin, c'était en 1847, j'avais eu la bonne fortune de rencontrer et d'associer à mes excursions un des plus brillants élèves de l'École dont vous êtes la gloire. Curieux de toute science, savant dans l’his- toire de l'ésprit humain, Émile Verdet savait tout comprendre. Jugeant de haut lesgloires du passé, il portait sur l'avenir de clairvoyants regards. Pendant une belle soirée d'été, sur les confins de la Forèl- Noire, nous abordâmes les plus difficiles problèmes. Encouragés par une confiance mutuelle, nous laissions ce jour-là, quoique sceptiques tout deux, libre carrière à nos espérances. Nous nous demandions quels seraient parmi nos amis jeunes encore, les mieux armés pour réaliser nos ambitieuses rèveries. Beaucoup de noms furent prononcés, plus d’une célébrité latente alors, fut prédite par Verdet qui ne se trompa guère; 1l me parla de son ami Pasteur. Je vous connaissais à peine. Je n’eus pas l’occasion de vous dire au retour les pronostics de ce penseur judicieux et sévère. Votre modestie, aujourd'hui mieux aguerrie, en aurait cer- tainement souffert. Verdet cependant faisait sur chacun des réserves. Sur vous comme sur les autres, il conservait des doutes. « Pasteur, me dit-il, ne connaît pas les limites de la science. Je crains pour lui de stériles efforts! ?/ aime les problèmes insolubles. » Pouvait-on, je vous le demande, messieurs, se tromper avec plus de perspicacité ? Les problèmes qui, depuis un demi-siècle, tourmentent sans repos votre esprit, ne sont plus insolubles aujourd'hui. C’est pour vous en remercier au nom de la science, pour nous en réjouir au nom de l'humanité, pour nous en glorifier tous ensemble au nom de la France, que nous sommes réunis aujourd'hui. INAUGURATION DE L'INSTITUT PASTEUR. g IL était impossible de mieux résumer l’état des esprits et de dire plus simplement de si grandes choses. M. le docteur Grancher prit ensuite la parole et, dans un discours que nous donnons ?n ertenso, rendit compte des résultats de la vacci- nalion antirabique non seulement en France, mais dans le monde entier, Au cours de cet exposé lumineux se trouve une page historique des luttes soutenues :, DISCOURS DE M. LE PROFESSEUR GRANCHER. Monsieur le Président de la République, Messieurs, La communication que M. Pasteur fit à l’Académie des sciences, le 26 octobre 1885, dans laquelle il annonçait que le jeune Meister avait subi avec succès l’inoculation antirabique, causa dans le monde scientifique un émoi profond. C'était, en effet, la première application à l’homme d'une méthode générale de traitement des maladies virulentes et contagieuses, et l’on comprend aisément l’enthousiasme et les espérances des uns, le scepticisme, l'hostilité même des autres. Après Meister et Jupille, les blessés affluèrent en si grand nombre, que M. Pasteur et ses collaborateurs, pris au dépourvu, durent improviser une organisation sommaire de tous les ser- vices accessoires de la vaccination antirabique : inscription des malades, pansement des plaies, correspondance, etc., etc., de sorte que l’année 1886 fut absorbée tout entière dans l'énorme labeur exigé par la vaccination de 2,682 personnes francaises ou étrangères, chaque personne recevant, en moyenne, quinze à vingt inoculations. M. Pasteur sentait dès ce moment le besoin impérieux d’un journal ou d’une revue, organe officiel du labo- ratoire, qui publierait mensuellement la statistique des vacci- nations; malheureusement, sa santé, sérieusement ébranlée par les fatigues et les émotions, le força à quitter Paris avant la fin de 1886, et les Annales de l'Institut Pasteur, fondées par M. Du- claux, professeur de chimie biologique à la Sorbonne, ne paru- rent qu’en janvier 1887. Cependant, les adversaires de la méthode de M. Pasteur ne 10 INAUGURATION DE L'INSTITUT PASTEUR. manquaient pas de tirer parti de notre silence, et, profitant de quelques insuccès survenus dans le cours et à la fin de 1886, ils racontaient çà et là que le laboratoire cachaït ses morts, dont le nombre était légion. Ils allaient même jusqu’à dire que la nouvelle méthode donnait la rage au lieu de la guérir. Au commencement de janvier 1887, l’Académie de médecine fut saisie de la question, et nous pûmes enfin combattre par des faits et par des chiffres ces bruits calomnieux qui troublaient l'opinion publique et risquaient de jeter l’effroi parmi nos malades. En même temps. les Sociétés savantes de Naples, de Vienne et de Saint-Pétershourg retentissaient du bruit de la querelle des Pas- toriens et des Antipastoriens. Dans ces discussions scientifiques où l'attaque et la défense furent également ardentes, tout a été dit pour et contre la méthode des vaccinations antirabiques ; les adversaires soutenant que la méthode est inefficace ou dangereuse, selon les cas, les partisans proclamant, au contraire, que la vaccination antirabique est inof- fensive et merveilleusement efficace. La bataille, suspendue pendant plusieurs mois, fut reprise en juillet, en présence de M. Pasteur, qui répondit à ses contradic- teurs avec sa vaillance accoutumée. Elle avait été provoquée par le rapport de la Commission anglaise que M. Pasteur présentait à l'Académie. Cette Commission officielle, composée des savants les plus célèbres de l'Angleterre, avec un jeune et habile physiologiste, M. V. Horsley, pour rapporteur, était arrivée à Paris fort incré- dule. Après uue enquête approfondie des faits, elle revint en Angleterre et répéta les expériences de M. Pasteur ; son contrôle expérimental dura plus d’une année. La conclusion de la Com- mission, au grand désappointement de nos adversaires, fut, je cite textuellement : que M. Pasteur avait découvert une méthode préventive de la rage comparable à celle de la vaccination contre la variole. La discussion académique fut close enfin par les paroles sui- vantes de M. Charcot : € Oui, l'inventeur de la vaccination antirabique peut, aujour- d’hui plus que jamais, marcher la tête haute et poursuivre désor- mais l’accomplissement de sa tâche glorieuse sans s’en laisser détourner un seul instant par les clameurs de la contradiction INAUGURATION DE L'INSTITUT PASTEUR. 11 systématique ou par les murmures insidieux du dénigrement. » Cette parole si autorisée fut entendue de tous et l’année 1888 s’est écoulée pacifiquement. Messieurs, avant de vous présenter nos statistiques, Je vou- drais vous dire quelles sont, à mon avis, les causes de cette hostilité que la vaccination antirabique a rencontrée si pas- sionnée. Vous savez que M. Pasteur est un novateur, que son imagi- nation créatrice, réglée par l'observation rigoureuse des faits, a renversé bien des erreurs et édifié à leur place toute une science nouvelle. Ses découvertes sur les ferments, sur la génération des infiniment petits, sur les microbes causes des maladies con- tagieuses, et sur la vaccination contre ces maladies, ont été pour la chimie biologique, pour l’art vétérinaire et pour la médecine, non pas un progrès régulier, mais une révolution radicale. Or, les révolutions, même celles qu'impose la démonstration scientifique, laissent partout où elles passent des vaincus quine pardonnent pas aisément. M. Pasteur à donc, de par le monde, beaucoup d’adversaires, sans compter ces Français d'Athènes qui n'aiment pas que le même homme soit toujours juste ou toujours heureux. Et, comme si ses adversaires n'étaient pas encore assez nom- breux, M. Pasteur s’en fait d’autres par la rigueur implacable de sa dialectique et par la forme absolue qu'il donne quelquefois à sa pensée. Cette forme peut être dangereuse, surtout dans les choses de la médecine, où rien n’est absolu, et où les exceptions à la règle sont toujours nombreuses. Or, M. Pasteur. par habitude d'’es- prit, néglige volontiers ces faits contingents qui ne sauraient. il est vrai, prévaloir contre la loi, mais qui, lorsqu'il s’agit d’une médication appliquée à l'espèce humaine, méritent d'être com- ptés. Il a donc purement et simplement proclamé l'efficacité de sa méthode de traitement de la rage, sans faire ses réserves sur la possibilité d'échecs partiels, tandis que, s’il eüt été médecin, il eût instinctivement pris ses précautions en prévoyant la possi- bilité d’insuccès. Il n’en fit rien et s’exposa ainsi aux coups de la médecine traditionnelle. Or, pour comprendre la résistance de la médecine aux décou- 42 INAUGURATION DE L'INSTITUT PASTEUR. vertes de M. Pasteur, il suffit de jeter un regard sur les mouve-. ments qui l’agitent depuis quinze ans. Nous savions à peine que, dans certaines maladies, le sang, les humeurs et les tissus sont occupés par des êtres infiniment petits, lorsque M. Pasteur, conduit par ses travaux sur les fer- ments, s’est jeté dans cette voie, nouvelle pour lui et pour nous. Et quelles découvertes il y fait coup sur coup! Il nous éclaire; ce n’est pas assez dire, il éblouit nos yeux habitués au demi-jour de la médecine hippocratique. Voyez M. Pasteur en face de la bactéridie charbonneuse. Non seulement il en fait la biologie, non seulement 1l nous prouve qu’elle est la cause unique du charbon, mais il éduque, il disci- pline cet infiniment petit et lui apprend à servir contre soi-même et à devenir son propre vaccin. L'expérience de Pouilly-le-Fort, longuement préparée par les travaux de laboratoire de MM. Pas- teur, Chamberland et Roux, est célèbre dans le monde entier. Lorsque, au Congrès de Londres, en 1881, M. Pasteur annonça cette grande découverte de l’atténuation des virus et de la vaccination du choléra des poules et du charbon, un des hommes les plus compétents en microbie, M. Koch, aurait dit : « C’est trop beau pour être vrai! » et, trois mois après, dans le premier numéro des Mittheilungen de Berlin, il prenait résolu- ment parti contre M. Pasteur. Depuis, M. Koch a concédé que l'atténuation et la vaccination sont des faits exacts et d’une grande portée scientifique, mais il nie peut-être encore aujour- d'hui la valeur pratique de ces vaccinations. Et cependant le vaccin charbonneux se répand partout où le charbon existe : en France, en Italie, en Hongrie, en Espagne, aux Indes, en Australie. Quelle meilleure preuve de sa valeur scientifique et pratique | Cette opposition ne troublait pas M. Pasteur qui nous disait : « Eh bien! qu'ils nient l’atténuation des virus et la vacei- nation, nous aurons sur eux dix ans d'avance! » Et le charbon est à peine achevé que M. Pasteur s'attaque à larage. Là, pendant plusieurs années, avec l’aide de M. Roux, il fait expériences sur expériences et arrive à des résultats plus merveilleux encore. Le microbe de la rage a échappé jusqu'ici à tous les regards, mais il existe assurément. Eh bien! sans le connaître autrement que par ses effets, M. Pasteur a trouvé le INAUGURATION DE L'INSTITUT PASTEUR. 15 moyen de l'utiliser comme matière vaccinale. Et surtout, M. Pasteur a osé proposer la vaccination après morsure, c'est-à- dire après infection. Or, les médecins ont toujours vécu sur ce dogme qu'un virus, quel qu’il soit, qui a pénétré dans le corps humain est désormais inattaquable et doit y produire ses effets. La résistance des médecins à tant de nouveautés subver- sives est done bien compréhensible. Pour reconnaître qu’on a appris d’abord, puis enseigné des erreurs, il faut, outre l'étude personnelle et impartiale des faits nouveaux, une certaine lar- geur d'esprit qu'on ne rencontre pas toujours, même chez les hommes les plus distingués. M. Pasteur, heureusement pour lui et peut-être même pour nous, n’est pas médecin. Expérimentateur sans idées préconçues et sans préjugés d'école, ila créé, à côté de la médecine tradi- tionnelle qu'il ignore, une médecine nouvelle que ses contradic- teurs ignorent à leur tour. Cette médecine est fondée sur cette idée que la spontanéité morbide n’existe pas pour les maladies infectieuses, et que les lois de la pathologie générale sont com- munes aux hommes et aux animaux. Combien de médecins, cependant, ont été élevés à croire le contraire ! Cela étant, com- ment s'étonner de leur opposition et de leur révolte? Je trouve, pour ma part, leur scepticisme fort excusable, puisqu'il procède des idées traditionnelles, c’est-à-dire de l'esprit de conservation. Il ne faut pas oublier toutefois, et M. Pasteur n'oublie pas, qu'à l'heure critique, il s’est trouvé, pour défendre la vaccina- tion antirabique, une élite de médecins, hommes de science et d'avant-garde, dont l'autorité, universellement reconnue, a fait pencher le plateau de la balance du bon côté. Au premier rang. Vulpian, qui non seulement avait suivi M. Pasteur, mais l'avait poussé à la vaccination antirabique, Vulpian combattit et mourut sur la brèche en défendant avec une éloquence enflammée la méthode nouvelle. A côté de Vulpian, les Brouardel, les Charcot, les Verneuil, les Chauveau, les Villemin se sont honorés en soutenant la cause du progrès eten préparant son triomphe. M. Pasteur eut ainsi la bonne fortune de trouver, même à l'heure des défaillances et des défections, un double point d'appui, d'une part dans la foule des malades qui n’hésita jamais, d’autre part, dans la parole respectée de nos maîtres les plus éminents. 14 INAUGURATION DE L'INSTITUT PASTEUR. Beaucoup d’autres médecins partageaient la foi'scientifique de M. Pasteur; je ne les nomme ni ne les connais tous, mais ils se taisaient, et nos adversaires menaient un tel bruit dans toutes les presses el les Académies qu’à les entendre, la vaccination antirabique était morte. îlle vit, Messieurs, et elle prospère, car il existe aujour- d'hui, en comptant celui de Paris, plus de vingt instituts antira- biques disséminés dans le monde entier. 11 y en a sept en iussie : à Odessa, Saint-Pétersbourg, Moscou, Varsovie, Charkow, Samara ef Tiflis; cinq en Italie : à Naples, Milan, Turin, Palerme, Bo’ogne, ces deux derniers créés récemment et dotés par le roi. Un à Vienne, un à Constantinople, un à Bar- celone, un à Bucarest, un à Rio de Janeiro, un à la Havane, un à Buenos-Ayres; enfin à Chicago et à Malte, deux nouveaux laboratoires sont en voie d'organisation. L'Institut antirabique de Paris est en relation suivie avec ces laboratoires dont les chefs sont tous venus, sauf deux, étudier ici la méthode de M. Pasteur pour l'appliquer à leurs malades avec ses perfectionnements progressifs. Dès l’origine, nous avons classé nos malades en trois tableaux A, B et C. Le tableau A contient toutes les personnes mordues par des animaux reconnus enragés par preuve expéri- mentale absolue. Dans le tableau B sont inscrites toutes les personnes mordues par des animaux déclarés enragés par cerli- ficats de vétérinaires; c'est le tableau le plus chargé. Enfin, le tableau C contient toutes les personnes mordues par des ani- maux suspects de rage. La suspicion résulte ici des circonstances même de la morsure. Un chien inconnu traversant un village y mord plusieurs enfants et des animaux, chiens, moutons, puis disparaît. Si les personnes mordues se présentent au laboratoire, nous les inscrivons dans le tableau C. En fait, ce tableau est de plus en plus restreint, car notre sélection est de plus en plus sévère, de telle sorte que je crois pouvoir affirmer que 98 °/ des personnes admises à la vaccination ont été mordues par des ani- maux enragés. Notre statistique générale comprend donc trois tableaux A, B et C, réunis en un seul. Elle se subdivise en statistique parti- culière à chacun des tableaux A, B et C et en statistiques spé- INAUGURATION DE L'INSTITUT PASTEUR. 15 ciales pour les morsures de la tête et de la face, des mains, des membres et du tronc. Pour ne point fatiguer inutilement votre attention, je ne prendrai que quelques chiffres. Les Annales de l’Institut Pasteur qui publient les tableaux mensuels donneront les tableaux com- plets. Le nombre des personnes traitées à Paris pendant les années 1886-1887 et la première moitié de 1888 s'élève à 5,374. En 1886, où l’affluence des étrangers était considérable, nous avons inoculé2,682 personnes, 1,778 en 1887 et 914 jusqu'au 1° juillet 1888. Le taux de la mortalité, en comptant tous les morts, même ceux pris de rage le lendemain du traitement, est, pour 1886, de 1,34 0/,, pour 1887 de 1,12, et pour 1888 de 0,77!. Mais il convient d’écarter des tables de la mortalité les personnes qui succombent à la rage dans les quinze jours qui suivent le traitement, car la vaccination pour être efficace doit être achevée avant que l’incubation du virus du chien mordeur ait commencé dans les centres nerveux. Or, le virus de la rage commune, porté directement à la surface du cerveau d’un chien, y incube pendant quinze ou dix-huit jours avant d'y produire ses effets. Chez les malades qui succombent à la rage dans la quinzaine qui suit le traitement, celui-ci a été inutile, parce qu'il a été trop tardif, mais il n’a pas été mis en échec, parce que les conditions de son efficacité n'étaient point réalisées. En opérant cette défalcation, que pas un médecin ne saurait nous refuser, le taux de la mortalité, malgré le traitement, tombe pour 1886 à 0,93 °/,, pour 1887 à 0,67 °/,, et pour 1888 à 05510). Ces chiffres sont sensiblement plus faibles que les premiers, puisque la mortalité reste toujours au-dessous de 1 °/,. Mais les uns et les autres donnent une mortalité progressivement décroissante alors que notre choix des personnes admises au traitement est de plus en plus sévère. Messieurs, cette décroissance dans la mortalité tient aux 1. Tous les chiffres de la statistique de 1888 ont été relevés sur nos registres à la date du 31 octobre. 16 INAUGURATION DE L'INSTITUT PASTEUR, perfectionnements progressifs apportés à la première formule de traitement. Nous faisons un traitement plus énergique, plus prolongé, plus intensif, pour prendre le mot de M. Pasteur qui a fait tant de bruit, et le traitement reste inoffensif. Cette effi- cacité différente de la vaccination antirabique selon telle ou telle formule, est la preuve la plus certaine de sa valeur théra- peutique. Les savants russes qui combattaient la vaccination antirabique à Odessa et à Saint-Pétersbourg le jugèrent ainsi, et cessèrent toute opposition lorsque M. Gamaleïa leur eut montré deux tables de mortalité fort différentes selon la méthode employée. À Odessa, le traitement simple appliqué à 136 personnes a donné une mortalité de 5,88 °/,, tandis que le traitement intensif appliqué à 997 personnes a donné une mortalité de 0,80 °/,. M. le D' Bujwid, chef du Laboratoire de Varsovie, a fait de son côté les mêmes observations. M. Bujwid, qui assiste à cetle séance, ne me contredira pas si je dis que quand il vint à Paris y étudier la vaccination antirabique, il était fort sceptique. Élève de Koch, et déjà très habile technicien en microbie, il travailla avec nous plusieurs mois, puis, dans son laboratoire privé à Varsovie, il pratiqua les inoculations antirabiques. M. Bujwid étudia le traitement simple, en s’arrètant à la moelle de six jours. 195 personnes vaccinées donnèrent une mortalité de 4,1 °/,. Au contraire, le traitement intensif appliqué à des malades choisis sévèrement parmi ceux dont la morsure était réellement dangereuse (30 étaient mordus au visage, dont 4 par des loups enragés) a donné les résultats les meilleurs : sur 370 personnes vaccinées jusqu’au 1° septembre, il n’y a pas eu de mort, de sorte que M. Bujwid est devenu un partisan très convaincu de la méthode. Nos statistiques particulières, dressées pour chaque tableau À, Bet C, conduisent aux mêmes conclusions. La mortalité, dans le tableau À qui ne contient que des personnes dont la morsure était sûrement virulente, ne diffère pas sensiblement de la mortalité du tableau C, qui comprend les personnes mordues par des animaux simplement suspects. Pour les trois années 1886-87-88, la mortalité dans le tableau A est de 1,36 °/, en comptant tous les morts, et de 1,09 en ne comptant que les morts survenues 15 jours après le traitement. Dans le tableau INAUGURATION DE L'INSTITUT PASTEUR. 17 C, cette mortalité est de 1,30 ?/, ou de 0,54!°/,. Cette similitude dans le chiffre de la mortalité pour deux tableaux en apparence si différents, prouve deux choses : 1° que le très grand nombre des animaux mordeurs, dits suspects, étaient bel et bien atteints de rage ; 2° qu’il y a lieu de traiter avec la mème sévérité les personnes des tableaux A et C. Les statistiques spéciales, dressées séparément pour les morsures du visage, des mains ou des membres, témoignent à leur façon de l'efficacité de la vaccination antirabique. On sait que dans les anciennes statistiques, la mortalité moyenne de toutes morsures était évaluée à 10, 15 ou 20 ?‘/,, selon les observateurs, et que la mortalité par morsure faite à la tête ou au visage s'élevait à 80 et 88 °/,. Dans nos tableaux, la mortalité après morsure à la tête ou au visage est de 3,84°/, si on compte tous les morts ; elle est en réalité de 1,82 ‘/,, si on écarte les morts survenues dans la quinzaine qui a suivi le traitement. Ainsi, dans ce genre de morsure, la moitié des morts survient dans les quinze premiers jours après le traitement, ce qui est une nouvelle preuve de leur gravité exceptionnelle. Mais, cette période dangereuse passée, le traitement est presque aussi effi- cace pour elles que pour les morsures communes. Nous nous expliquons ce résultat par la vaccination particulièrement éner- gique donnée aux personnes mordues à la tête ou au visage. L'écart du chiffre réel de notre statistique : 1,82 °/,, et des chiffres des statistiques classiques : 80 et 88 ?/,, est tellement considérable qu’il est impossible de méconnaitre l'intervention bienfaisante du vaccin antirabique. Les statistiques étrangères concordent avec les nôtres : À Saint-Pétersbourg, le laboratoire fondé par Son Altesse Impériale le Prince Alexandre d'Oldenbourg, et entretenu à ses frais, a vacciné, depuis le 13 juillet 1886 jusqu’au 13 septembre 1888, 484 personnes. La mortalité moyenne a été de 2,68 °/. Des renseignements fournis par M. le D' Kraïouchkine, médecin de la station antirabique, il résulle que la mortalité, un peu plus élevée que la nôtre, de cette statistique, s’explique par la gravité extrême des morsures. À Odessa, dans le laboratoire dirigé par M. le professeur Metchnikoff, M. le D'Gamaleïa a vacciné : 18 IJNAUGURATION DE L'INSTITUT PASTEUR. En 1886, 324 personnes par divers traitements simples. Mortalité : 3,39°/,. En 1887, 345 personnes par le traitement intensif. Morta- hié 4045827; En 1888, 364 personnes par le traitement intensif. Morta- lité : 0,64 °/,. Pendant ces trois années, 1,135 personnes ont subi le trai- tement antirabique avec une mortalité moyenne de 1,41 ?/. A Moscou, à l'Institut antirabique fondé sous les auspices du prince Dolgoroukow, M. le D' Gwozdelf à vacciné : in 1886, 107 personnes par le traitement simple. Mortalité : 8,40 0). En 1887, 280 personnes par le traitement intensif. Morta- lité : 4,27 0/0. En 1888, 246 personnes par le traitement intensif. Morta- lité : 1,60 °/o. À Varsovie, M. Bujwid a inoculé : 297 personnes par divers traitements simples. La mortalité moyenne a été de 3 0/,. 310 personnes avec la méthode intensive. La mortalité, jusqu'ici, est nulle. (Déjà, 16 mois se sont écoulés depuis le commencement de l'application de cette méthode et deux mois depuis le traitement du dernier malade.) À Samara, le D' Parchenski a vacciné 53 personnes, dont 4 mordues par des loups. La mortalité, ici fort élevée : 5,67 °/, s'explique par le traitement insuffisamment énergique et insuf- fisamment prolongé, ainsi qu'il résulte des renseignements fournis par une lettre du D' Parchenski. À Charkow, el probablement pour les mêmes raisons, mais nous manquons de renseignements précis, M. le D' Protopopoff a vacciné 233 personnes avec une mortalité de 3,80 °/,. A Turin, M. Bordoui Uffreduzzi a vacciné en 1886-87 et 88 502 personnes appartenant au tableau A. Mortalité 2.50 °/4. 221 appartiennent au tableau B. Mortalité 1.30 ‘/5. 43 appartiennent au tableau C. Mortalité nulle. A Milan, M. le D' Baratieri a vacciné 335 personnes, 2 sont mortes malgré le traitement : mortalité 0,60 °/,. À Palerme, M. le prof. A. Celli a vacciné, du 1% mars au 30 septembre 1888, 109 personnes sans insuccès. INAUGURATION DE L'INSTITUT PASTEUR. 19 À Naples, M. le prof. Cantani, assisté de MM. les D Vestea et Zagari a dù fermer son laboratoire, faute de subsides de la municipalité, de janvier à août 1888. Dans cette ville les adversaires de M. Pasteur, très nom- breux, avaient réussi, malgré un vote de confiance et d'encou- ragement de l’Académie de Naples, à ébranler l'opinion publique et à indisposer la junte municipale contre la méthode de M. Pas- teur. Mais, pendant cette période d'interruption de sept mois, 9 morts par rage étant survenues à Naples, la municipalité a pro- mis un subside, le gouvernement etla province de Naples en ont promis d’autres, et le laboratoire a été ouvert de nouveau. Il est aujourd'hui en plein fonctionnement. 246 personnes ont été vaccinées à Naples, 199 depuis le jour de l'ouverture du laboratoire (22 septembre 1886) jusqu'à janvier 1888 et 34 depuis la réouverture. La mortalité après vac- cination est de 4,5 ‘/o. A Constantinople, M. le général docteur Zoëros-Pacha a vacciné 34 personnes, mortalité 0. — Cet institut a été fondé par ordre et sous les auspices de Sa Majesté le Sultan. A la Havane, dans l’Institut antirabique de M. le Dr Santos Fernandez, M. le D' Tamayo a inoculé 170 personnes, parmi lesquelles cinquante mordues par des animaux dont la rage _fut prouvée expérimentalement. La mortalité est de 0,60 °/;. A Rio de Janeiro, dans la station vaccinale due à l'initiative de Sa Majesté l’empereur du Brésil, M. le D' Ferreira dos Santos a vacciné 66 personnes. Jusqu'à présent il n’a pas d'insuccès ‘. Messieurs, je ne puis passer sous silence la statistique du département de la Seine qui, chaque année, est l’objet d'un rapport spécial au conseil d'hygiène et desalubrité. Le rapport pour 1887 a été fait par M. le D' Dujardin-Beaumetz qui a pris ses docu- ments à la Préfecture de police, et, pour ce qui concerne les personnes vaccinées, au laboratoire de M. Pasteur. Or, en 1887, le nombre des personnes mordues et vaccinées s'élève à 306 sur 4. Le laboratoire de Constantinople n'a pas été cité dans le rapport lu par M. Grancher, le 14 novembre, parce que nous manquions à cette date de rensei- gnements précis. Il en est de même pour la statistique de Turin. Pour l'Institut de Rio de Janeiro, nous avions donné le chiffre de 53 personnes inoculées. Ce chiffre était exact à l’époque où nous avons reçu le rapport de M. Ferreira dos Santos ; il s'élève aujourd’hui à 66. 20 INAUGURATION DE L'INSTITUT PASTEUR. lesquelles deux sont mortes ‘: mortalité 0,76 °/; d'autre part, sept cas de mort par rage sont survenus parmi les 44 personnes qui figurent sur les listes administratives comme n'ayant pas subi la vaccination antirabique. Dans ce groupe la mortalité atteint 15,90 »/,, chiffre que M. Leblanc avait donné et que MM. Pasteur et Brouardel avaient accepté comme représentant la mortalité moyenne avant la vaccination. Et M. Dujardin-Beaumetz conclut: « Je ne connais pas de témoignage plus éclatant à invoquer à l'appui de la méthode des inoculations. » Le rapport de M. Beaumetz contient une autre conclusion non moins intéressante, c’est que la rage est une maladie qu'on peut combattre par mesures sanitaires administratives. Il a rap- pelé qu'en Allemagne la rage a presque disparu, grâce à une prophylaxie intelligente. En effet, la rage n’est jamais spontanée, elle est toujours transmise par inoculation d’un animal à un autre, et de tous les animaux le chien est de beaucoup le plus susceptible. Or, la surveillance des chiens est facile à exercer quand l'autorité est vigilante et la population disciplinée. Nous avons fait tracer un graphique qui donne la preuve écla- tante du bon et prompt effet des mesures de police sanitaire. A voir cette courbe rapidement décroissante, à partir de mai 1888, époque de l'arrêté du préfet de police au sujet des chiens errants, ne semble-t-il pas certain qu'avec un peu de persévérance de la part des pouvoirs publics, et un peu de bonne volontéde la part de la population, on réussirait à réduire la rage à un petit nombre de cas, en France comme en Allemagne? Vous savez, Messieurs, que l'Institut Pasteur a été fondé non seulement pour le traitement de la rage, mais aussi pour l'étude scientifique des moyens de combattre pratiquement les maladies qui déciment l'espèce humaine: la diphtérie, la fièvre typhoïde, la phthisie, etc. Les vastes laboratoires qui vont s'ouvrir aux médecins français et étrangers seront ainsi pour l'humanité une source de bienfaits, et un puissant moyen de diffusion et d’expor- talion de la science française. 1. Ces chiffres sont ceux du rapport de M. Beaumetz. Depuis que ce rapport a été fait une troisième personne vaccinée a succombé à la rage, ce qui élève la mortalité à 0,97 0/;. INAUGURATION DE L'INSTITUT PASTEUR. 21 2 }° FE RARES / Courbe indiquant par mois le nombre de personnes mordues dans le département de la Seine et traitées à l'Institut Pasteur. M.Christophle, gouverneur du Crédit Foncier de France, le trésorier de la souscription, lut un rapport sur l’exposé financier qui provoqua dès les premiers mots les applaudissements, DISCOURS DE M. CHRISTOPHLE. Monsieur le Président de la République, Messieurs, ' Le rapport de votre trésorier pourrait commencer comme un conte de fées : Il était une fois, dans un coin de Paris, mais un 22 INAUGURATION DE L'INSTITUT PASTEUR. coin si peu connu des Parisiens qu'aujourd'hui encore il faut des indications spéciales pour le découvrir, un vaste terrain qui appartenait depuis cent cinquante ans à une famille de marai- chers. Les rares promeneurs qui s’égaraient dans ce quartier pouvaient se donner le plaisir d’embrasser d’un coup d’æil onze mille mètres de légumes. Chaque jour, depuis le lever du soleil jusqu’à la tombée de la nuit, on voyait passer et repasser dans cet enclos des braves gens qui avaient la philosophie de Candide, sans l’avoir lu. et répétaient comme lui : «€ Il faut cultiver son jardin. » Or, un jour, à la fin de mai 1887, ainsi que l’on voit dans Cendrillon une citrouille changée en carrosse doré, tous ces pieds de laitue si correctement alignés semblèrent être frappés par un coup de baguette et changés en tombereaux. Des centaines d'ouvriers se précipitèrent sur cet hectare de salades. En un tour de main, tout fut arraché, bouleversé. On creusa en toute hâte, à d'énormes profondeurs, pour établir les bases d’un monument que l’on voulait indestructible. S'il n’y avait pas eu à régler la question du payement aux propriétaires du sol — ce qui nous fait rentrer un peu dans la réalité — tout dans cette histoire serait extraordinaire. Les architectes, M. Petit et M. Brébant, déclaraient, avant de commencer leurs plans, qu'ils n’accepteraient aucun honoraire et, ce qui est plus surprenant encore, qu'ils ne dépasseraient pas les devis; les entrepreneurs apportaient des comptes fantastiques par leur simplicité; les maçons parlaient de travailler le lundi. Quelle était done, Messieurs, la fée assez puissante pour ren- verser ainsi toutes les habitudes de la vie, toutes les notions connues ? C'était la fée Enthousiaste qui s'était invitée elle-même dès le jour où elle avait entendu parler de l'Institut Pasteur. Comme il s'agissait de combattre contre de mauvais génies que M. Pasteur pouvait emprisonner dans des flacons de verre, etnon seulement réduire à l'impuissance, mais encore transformer en génies protecteurs, cette fée, accompagnée de sa sœur la Généro- sité, se mit en campagne. Toutes deux parcoururent les com- munes de France et même de l'étranger, en annonçant la bonne nouvelle dans les palais, dans les châteaux et dans les chau- mières. Comme toujours, et pour ne pas faire mentir le conte, elles INAUGURATION DE L'INSTITUT PASTEUR. 23 rencontrèrent parfois sur leur route des fées plus ou moins redoutables qui, soit isolées, soit en conseil, essayèrent de leur jeter un sort en prononçant des paroles dont personne ne se souvient aujourd'hui. Ainsi d’ailleurs que les choses se passent dans les contes qui finissent bien, les bonnes fées triomphèrent et tous leurs souhaits furent les plus beaux du monde. Nous avons essayé de les mettre en pratique. C’est à la Banque de France et au Crédit Foncier, Messieurs, que toutes les sommes ont été centralisées. Les deux registres qui sont là, sous vos yeux, contiennent la liste des souscripteurs. En entendant le rapport de M. Grancher, vous pouviez vous dire que les chiffres ont leur éloquence; j'oserai dire, en parlant des nôtres, qu'il ont leur émotion. Les sommes prodigieuses et les offrandes minimes, tout est inscrit — avec les noms en regard — dans ce livre d'or dont les pages feront un jour un des chapitres les plus touchants et les plus glorieux de l'histoire de cette maison. Je conseillerais à ceux qui ne voient l'humanité que sous un vilain jour, qui vont répétant que tout est pour le pire ici-bas, qu'il n'y a dans le monde ni désintéressement ni dévouement, de jeter un coup d’æœil sur les documents humains de l'Institut Pas- teur. Ils apprendront là, pour commencer par le commencement, que l’on rencontre dans les Académies des confrères que non seulement la gloire d’un autre n’offense pas, mais qui trouvent leur bonheur et mettent leur fierté dans cette gloire; que les hommes politiques et les journalistes ont souvent la passion du vrai et du bien; que jamais à aucune époque les Français n’ont mieux aimé leurs grands hommes, qu'ils leur rendent justice dès ce monde — ce qui est encore la meilleure manière — que nous avons acclamé la fète de Victor Hugo, le centenaire de Chevreul et l'inauguration de l’Institut Pasteur. « Quand un Français dit du mal de lui, disait un jour un des confrères de M. Pasteur, ne le croyez pas : il se vante. » A l’inverse d'une phrase célèbre et pessimiste, on pourrait dire que, dans cette souscription, toutes les vertus se perdent dans le dévouement comme les fleuves se perdent dans la mer. Que d'exemples je pourrais citer, si les plus généreux dona- teurs n'avaient demandé que l’on ne prononçât pas leur nom! Mais si je ne puis parler des souscriptions isolées, vous me per- 24 INAUGURATION DE L'INSTITUT PASTEUR. PA mettrez, Messieurs, derappeler quelques souscriptions collectives, depuis les dotations offertes par l’admirable festival du Trocadéro où, comme le disait M. Pasteur, « les grands charmeurs de l’hu- manilé heureuse apportèrent leur glorieux concours à ceux qui veulent servir l'humanité souffrante, » jusqu'aux fêtes de petites villes et de villages où l’on se cotisait pour offrir « le cadeau de la misère ». Un jour, des ouvriers de la verrerie d'Aumale de- mandèrent au poète des humbles, à M. François Coppée, des vers pour mieux honorer le génie de M. Pasteur et envelopper leur obole. En les envoyant à M. Pasteur, M. Coppée finissait ainsi : Ils ont le compliment rimé qui leur manquait Et peuvent te l’offrir, Pasteur, comme un bouquet Au patron, le jour de sa fête. Il y eut une souscription plus louchante encore. Ce fut celle de 43,000 francs qu'apportèrent les Alsaciens-Lorrains. C’est d'Alsace qu'était venu le petit Joseph Meister, qui fut le premier inoculé, et qui est reslé en correspondance avec « son cher M. Pasteur », comme il l'appelle toujours. Ces lettres intimes, ces pièces à l'appui, je les ai demandées à M. Pasteur. Mais il n’a pas voulu me les donner. Jamais rapporteur n’a été moins secondé que moi. Heureusement, j'ai les chiffres de la souscrip- tion. Hlles'esl levée de PT re 2,586,680 Dans ce chiffre, il faut compren- dre les 200,000 francs votés par les Chambres et le don offert par M. le Président du Conseil. Les dépenses s'élèvent à ce LOU A ee MR TR PE ART ne AE ete 2, LOU Nous avons encore à payer aux en- HMÉDRBROUTE 2 de nie eo. 240,000 L'achat des instruments des labora- LOIS VERID ER. en Ur Les, 100,000 Les dépenses totales s’élèveront ES En NE CR NE RERO ET RENE 1,563,786 Ce qui laissera un solde disponible, qui formera la dotation de l’Institut Pas- teur des SENTE Eee OT 1,022,894 INAUGURATION DE L'INSTITUT PASTEUR. 25 Si on veut connaître la nature de ces dépenses, on voit qu’elles se décomposent ainsi : Achat du terrain et droits. . . . . . . . . Fr. 441,475 Terrassements et constructions. . : . : . .. 947,577 nSstruments de laboratomes Re CRE 100,000 Frais de circulaires, imprimés, bulletins de SAUSCHPHONS EÉCÉHISSÉS 70. M Cu. 12,421 Prat actes notariés RU UN EE 416 Entretien des laboratoires pendant trois ans. 941,897 DR RUN MES PS ETTE ET On remarquera que cette souscription, qui à produit 2,586,680 francs. et qui, après toutes les dépenses payées, laissera à l’Institut Pasteur un capital disponible de 1,022,894 francs, n'aura coûté que 12,421 francs de frais. Si je ne craignais de commettre uue indiscrétion, je rappellerais que, dans une séance du comité, M. l'amiral Jurien de la Gravière, dont nous regret- tons vivement l'absence dans cette fête, avait proposé de consa- crer une somme de 6,000 francs à la publicité. Mais le concours si bienveillant de la presse nous a permis d'économiser cette somme. Il me reste, Messieurs, à vous faire connaître un dernier donateur qui abandonne à l'Institut les bénéfices de la vente, en France, des vaccins découverts dans le laboratoire. MM. Cham- berland et Roux ont suivi leur maître dans sa générosité. Après avoir provoqué celte grande œuvre, M. Pasteur aura été un des plus grands souscripteurs. C'est ainsi, Monsieur (car mon incompétence scientifique bien plus encore que ma modestie naturelle me défend de vous dire : illustre maître, et je n’ose d'autre part, usant de la fami- liarité naïve du jeune Meister, vous appeler: mon chermonsieur Pasteur), c'est ainsi, Monsieur, que la générosité publique, le concours du gouvernement, votre désintéressement, enfin, ont fondé et consolidé l'établissement que nous inaugurons aujour- d'hui. C'est ainsi qu'a été assuré à votre œuvre ce pain quotidien qui fait parfois défaut aux plus ardentes prières et auquel l'avenir ajoutera, je l'espère, pour ce qui vous concerne, les douceurs 26 INAUGURATION DE L'INSTITUT PASTEUR. complémentaires, presque aussi nécessaires que le pain de chaque jour. La sollicitude publique qui a entouré cette œuvre à son berceau ne lui fera pas défaut. L’élan des cœurs généreux ne s'est pas ralenti : demain nous apportera ce qui fait défaut aujourd'hui, et vos collaborateurs, vos élèves et vos successeurs pourront poursuivre avec sécurité et avec confiance le cours de leurs travaux. Certes, c'est pour vous, Monsieur, un bonheur rare et presque inespéré. Qu'il vous console des luttes passionnées, des émotions poignantes, des crises parfois terribles que vous avez traversées! Quand je songe à ce passé si plein de troubles et de dangers, je songe aussi malgré moi à l'ironie de ces phrases toutes faites qui parlent de la sérénité de la science et de la paix des laboratoires. Mais je m'écarte, Monsieur, et je vous en demande pardon, de l’objet précis de ma mission. C'est votre faute, après tout. Vous nous avez mis dans la maison. Vous avez cru obligeam- ment que nous serions hons à quelque chose, ne füt-ce qu’à maintenir l’ordre dans la comptabilité, la régularité dans la gestion de ce trésor qui était bien le vôtre et avec lequel vous avez conslitué une puissante réserve pour la science, en vue des découvertes de l'avenir. Vous ne nous avez pas défendu d'ajouter au zèle que vous attendiez de nous notre respect et notre affection. C'est votre faute, encore une fois. On ne peut vous entendre sans vous admirer. On ne peut vivre à côté de vous sans vous aimer. M. Pasteur, ne pouvant maîtriser son émotion, dut charger son fils de lire son discours : DISCOURS DE M. PASTEUR. Monsieur le Président, Messieurs, Celui qui, dans vingt ans, écrira notre histoire contempo- raine et recherchera quelles ont été, à travers les luttes des | INAUGURATION DE L'INSTITUT PASTEUR. 2 parüs, les pensées intimes de la France, pourra dire avec fierté qu'elle a placé au premier rang de ses préoccupations l’ensei- gnement à tous les degrés. Depuis les écoles de village jusqu'aux laboratoires des hautes études. tout a été soit fondé, soit renou- velé. Élève ou professeur, chacun a eu sa part. Les grands maîtres de l'Université, soutenus par les pou- voirs publics, ont compris que, s’il fallait faire couler comme de larges fleuves l’enseignement primaire et l’enseignement secondaire, il fallait aussi s'inquiéter des sources, c’est-à-dire de l’enseignement supérieur. Ils ont fait à cet enseignement la place qui lui est due. Une telle instruction ne sera jamais réser- vée qu'à un petit nombre ; mais c'est de ce petit nombre et de son élite que dépendent la prospérité, la gloire et, en dernière analyse, la suprématie d’un peuple. x Voilà ce qui sera dit et ce qui fera l'honneur de ceux qui ont provoqué et secondé ce grand mouvement. Pour moi, Messieurs, si j'ai eu la joie d'aller, dans quelques-unes de mes recherches, jusqu'à la connaissance de principes que le temps a consacrés et rendus féconds, c’est que rien de ce qui a été nécessaire à mes travaux ne m'a été refusé. Et le jour où, pressentant l'avenir qui allait s'ouvrir devant la découverte de l’atténuation des virus, je me suis adressé direc- tementà mon pays pour qu’il nous permit, par la force et l’élan d'initiatives privées, d'élever des laboratoires qui non seulement s'appliqueraient à la méthode de prophylaxie de la rage, mais encore à l'étude des maladies virulentes et contagieuses, ce jour-là la France nous a donné à pleines mains Souscriptions collectives, libéralités privées, dons magni- fiques dus à des fortunes qui sèment les bienfaits comme le laboureur sème le blé, elle a tout apporté, jusqu à l’épargne prélevée par l’ouvrier sur le salaire de sa rude journée. Pendant que se faisait celte œuvre de concentration fran- çaise, trois souverains nous donnaient un témoignage de sym- pathie effective. Sa Majesté le sultan voulait être un de nos souscripteurs ; l’empereur du Brésil, cet empereur homme de science, inscrivait son nom avec la joie d'un confrère, disait-l, et le tsar saluait le retour des Russes que nous avions traités par un don vraiment impérial. Devant les médecins russes qui travailleront dans nos labo- 28 INAUGURATION DE L'INSTITUT PASTEUR. raloires et sont déjà présents parmi nous, j'adresse au (sar l'hom- mage de notre respectueuse gratitude. Comment toutes ces sommes ont été centralisées au Crédit Foncier de France et l'usage qui en a été fait, vous venez de l’ap- prendre, Messieurs. Mais ce que M. Christophle ne vous a pas dit, c'est avec quel souci il a géré ce bien national. Avant la pose de la première pierre, le comité de patronage de la souscription a décidé, malgré moi, que cet Institut porte- rait mon nom. Mes objections persistent contre un titre qui réserve à un homme l'hommage dû à une doctrine. Maïs, si je suis troublé par un tel excès d'honneur, ma reconnaissance n'en est que plus vive et plus profonde. Jamais un Français s'adressant à d’autres Français n'aura été plus ému que je ne le suis en ce moment. La voilà donc bâtie, cette grande maison dont on pourrait dire qu'il n’y a pas une pierre qui ne soit le signe matériel d’une généreuse pensée. Toutes les vertus se sont cotisées pour élever celte demeure du travail. Hélas! j'ai la poignante mélancolie d'y entrer comme un homme « vaincu du temps », qui n’a plus autour de lui aucun de ses maîtres, ni même aucun de ses compagnons de lutte, ni Dumas, ni Bouley, ni Paul Bert, ni Vulpian qui, après avoir été avec vous, mon cher Grancher, le conseiller de la première heure, a été le défenseur le plus convaincu et le plus énergique de la méthode ! Toutefois, si j'ai la douleur de me dire : {ls ne sont plus, après avoir pris vaillamment leur part des discussions que je n'ai jamais provoquées, mais que j'ai dù subir; s'ils ne peuvent m'entendre proclamer ce que je dois à leurs conseils et à leur appui; sije me sens aussi triste de leur absence qu'au lende- main de leur mort, j'ai du moins la consolation de penser que tout ce que nous avons défendu ensemble ne périra pas. Notre foi scientifique, les collaborateurs et les disciples qui sont ici la partagent. Le service du traitement de la rage sera dirigé par M. le pro- fesseur Grancher, avec la collaboration des docteurs Chante- messe, Charrin et Terrillon. M. le ministre de l'instruction publique a autorisé M. Du- claux, le plus ancien de mes élèves et collaborateurs, aujourd'hui INAUGURATION DE L’INSTITUT PASTEUR. 29 professeur à la Faculté des sciences, à transporter ici le cours de chimie biologique qu'il fait à la Sorbonne. Il dirigera le labo- ratoire de microbie générale. M. Chamberland sera chargé de la microbie dans ses rap- ports avec l'hygiène ; M. le docteur Roux enseignera les méthodes microbiennes dans leurs applications à la médecine. Deux savants russes, les docteurs Metchnikoff et Gamaleïa, veulent bien nous prêter leur concours. La morphologie des organismes inférieurs et la microbie comparée seront de leur domaine. Vots connaissez, Messieurs, les espérances que nous don- nent les travaux du docteur Gamaleïa. C’est à dessein que je me sers du mot espérances. L'application à l’homme est loin d'être faite en ce moment; mais la plus rude étape est franchie. Constitué comme je viens de le dire, notre Institut sera à la fois un dispensaire pour le traitement de la rage, un centre de recherches pour les maladies infectieuses el un centre d’ensei- gnement pour les études qui relèvent de la microbie. Née d'hier, mais née tout armée, cette science puise une telle force dans ses victoires récentes qu’elle entraîne tous les esprits. Cet enthousiasme que vous avez eu dès la première heure, gardez-le, mes chers collaborateurs, mais donnez-lui pour com- pagnon inséparable un sévère contrôle. N’avancez rien qui ne puisse être prouvé d’une façon simple et décisive. Ayez le culte de l'esprit critique. Réduit à lui seul, il n’est ni un éveilleur d'idées, ni un stimulant de grandes choses. Sans lui, tout est caduc. Il a toujours le dernier mot. Ce que je vous demande Jà et ce que vous demanderez à votre tour aux disciples que vous formerez, est ce qu'il y a de plus difficile à l'inventeur. Croire que l’on a trouvé un fait scientifique important, avoir la fièvre de l’annoncer, et se contraindre des journées, des semaines, parfois des années à se combattre soi-même, à s’ef- forcer de ruiner ses propres expériences, et ne proclamer sa découverte que lorsqu'on a épuisé toutes les hypothèses con- traires, oui, c'est une tâche ardue. Mais quand, après tant d'efforts, on est enfin arrivé à la certitude, on éprouve une des plus grandes joies que puisse res- sentir l'âme humaine, et la pensée que l’oa contribuera à l'hon- neur de son pays rend cette joie plus profonde encore. Si la science n’a pas de patrie, l’homme de science doit en 30 INAUGURATION DE L'INSTITUT PASTEUR. avoir une, et c'est à elle qu’il doit reporter l'influence que ses travaux peuvent avoir dans le monde. S'il m'était permis, Monsieur le Président, de terminer par une réflexion philosophique provoquée en moi par votre présence dans cette salle de travail, je dirais que deux lois contraires semblent aujourd’hui en lutte : une loi de sang et de mort qui, en imaginant chaque jour de nouveaux moyens de combats, oblige les peuples à être toujours prêts pour le champ de bataille, et une loi de paix, de travail, de salut, qui ne songe qu’à déli- vrer l’homme des fléaux qui l’assiègent. . L'une ne cherche que les conquêtes violentes, l’autre que le soulagement de l'humanité. Celle-ci met une vie humaine au- dessus de toutes les victoires ; celle-là sacrifierait des centaines de mille existences à l’ambition d'un seul. La loi dont nous sommes les instruments cherche même à travers le carnage à guérir les maux sanglants de cette loi de guerre. Les pansements inspirés par nos méthodes antiseptiques peuvent préserver des milliers de soldats. Laquelle de ces deux lois l’emportera sur l’autre ? Dieu seul le sait. Mais ce que nous pouvons assurer, c’est que la science française se sera efforcée, en obéissant à cette loi d’hu- manité, de reculer Les frontières de la vie. Les applaudissements, qui avaient éclaté à chaque paragraphe de ce discours, reprirent enthousiastes, à cette dernière page. Dans cette assemblée composée d'éléments si divers, il n’y eut plus qu’une âme commune, l'âme de tout un peuple qui vibrait avec l’âme de cet homme de labeur, de patriotisme et d'humanité. Ce fut une minute inoubliable d'émotion haute et généreuse. M. le Président de la République, après avoir serré la main de M. Pasteur, se leva et dil : « M. Pasteur n’a voulu d'autre récompense que celle que nous pouvons donner à ses collaborateurs : M. Grancher et M. Duclaux sont nommés officiers de la Légion d'honneur, M. Chantemesse est nommé chevalier de la Légion d'honneur. Les palmes d'officier d’Académie sont décernées à M. Brébant, architecte de l’Institut Pasteur. » APPENDICE Dans les journées des 13, 14 et 45 novembre, M. Pasteur a reçu de l'é- tranger un grand nombre de télégrammes de félicitations, justifiant une fois de plus la pensée rappelée dans son discours que la science n’a pas de patrie. Profondément touché des vœux formés pour sa personne et la prospérité de l'établissement qui vient d'être inauguré, M. Pasteur prie les sociétés savantes et les personnes dont les noms suivent de vouloir bien agréer ici l'expression de sa vive reconnaissance : La Société entomologique du midi de la Russie, à Odessa; La Société impériale des Amis de la nature, à Moscou; La Société des naturalistes d'Odessa; La Station bactériologique d'Odessa; L'Académie impériale de médecine de Saint-Pétersbourg; La Société de médecine d'Odessa ; Les médecins de l'hôpital de la ville d'Odessa; La Société des pharmaciens d'Odessa; La Régence provinciale de Bessarabie ; Le Comité des Congrès des médecins russes, à Saint-Pétersbourg ; Les étudiants de l'Université d’Odessa ; Le Conseil médical russe, à Saint-Pétersbourg; La Conférence des médecins de l'hôpital militaire de Moscou; La Société de chirurgie de Moscou, Le Congrès des médecins et des représentants du gouvernement de Cherson ; La Société des médecins praticiens de Saint-Pétersbourg ; La Société des sciences médicales de Lisbonne; S. A. le prince Alexandre d'Oldenbourg, en son nom et au nom de la Station antirabique de Saint-Pétersbourg; Le professeur Protopopoff, de Karkoff; Le professeur Hueppe, de Wiesbaden; Le professeur sir James Paget, de Londres; Le professeur Poehl, de Saint-Pétersbourg; Le directeur du journal de la Société agricole impériale d'Odessa; Le professeur Cantani, de Naples; La famille de Herz, de Bucarest; La famille Retzius, de Stockholm ; Jose Julio Rodriguez, de l'École polytechnique de Lisbonne ; Le docteur E. Ullmann, de Vienne; Le professeur Anrep, de Saint-Pétersbaurg ; Le docteur Burnay, de Lisbonne. SCEAUX. — IMPRIMERIE CHARAIRE. vie ss Ge VE re 9me ANNÉE. JANVIER 1888. N°1 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR SUR LA DESTRUCTION DES LAPINS EN AUSTRALIE ET DANS LA NOUVELLE-ZÉLANDE, Par M. PASTEUR. M. Pasteur a adressé à MM. les agents généraux des posses- sions de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande la communication que voici : Paris, le 5 Janvier 1888. La Revue des Deux-Môondes à publié, dans son numéro du 15 août 1887, un article de M. C. de Varigny, dont j’extrais les passages suivants : Enrichis subitement par la guerre de Sécession aux États-Unis, qui fit hausser le prix des laines, en arrêtant la production américaine, les colons de l'Australie se trouvèrent tout à coup disposer de revenus considé- rables.… Imitateurs zélés des coutumes anglaises, ils se prirent de passion pour la chasse, et fondèrent en Australie et à la Nouvelle-Zélande des sociétés d'acclimatation pour importer d'Europe des lièvres et des lapins. Ce fut une véritable rage, un vent de folie qui souffla sur la colonie... Tout grand propriétaire n'eut plus qu'une idée : se créer une chasse réservée. Le sol et le climat convenaient si merveilleusement aux lapins, qui en Angleterre ont de quatre à six portées par an, de trois à quatre petits, qu'en Australie ils eurent jusqu'à dix portées par an, de huit à dix petits chacune. Vainement on tenta d’enclore les terrains de treillis, ils creusaient par- dessous et gagnaient le large, au grand désespoir des propriétaires qui 1 2 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. redoublaient d'efforts et de soins pour en accroître le nombre. Ils ont si bien réussi que, aujourd’hui, cette peste désole la Nouvelle-Zélande et l'Australie. Les jardins maraïchers sont dévastés; les terrains qui produi- saient, il y a quelques années, 130 boisseaux d'orge et de 75 à 80 de blé à l'hectare, durent être abandonnés, toute culture, dans certains districts, étant devenue impossible. M. Crawford cite l'exemple d’un grand propriétaire qui, après avoir dépensé 40,000 livres sterling ({ million de francs) pour se débarrasser de ce fléau d’un nouveau genre, fut obligé d'y renoncer. Sur certaines fermes, on évalue leur nombre à des centaines de mille, et, chaque année, leur taille augmente avec leur nombre. D'une voracité extraordinaire, ils mangent l'herbe jusqu’à la racine et convertissent d'immenses pâturages, qui nourrissaient vingt-cinq à trente moutons à l’hectare, en terrains dénu- dés et poussiéreux. Les vignobles ont été ruinés, et, jusqu'ici, les moyens employés pour détruire ces animaux n'ont abouti à aucun résultat appré- ciable, On les chasse, on les tue, on les empoisonne, et ils fourmillent. M. Williamson dépose que, dans une excursion qu'il fit avec un délégué du gouvernement, ils reconnurent que dans tout le district l'herbe avait disparu. Des bandes d'énormes lapins parcouraient le pays, s’écartant à peine pour faire place à leur voiture. Le sol, raviné de terriers, ne permettait d'avancer qu'avec précaution : « Partout des lapins, dit-il, sur la route et dans la plaine ; ils gambadent en troupes, se poursuivent dans les sables; on les voit assis par centaines à l'entrée de leurs terriers.. Traqués sur un point, ils se réfugient sur un autre, et ils se multiplient avec une rapidité telle qu'un cataclysme de la nature pourra seul en avoir raison. » La publication suivante vint donner récemment une confir- mation aux récits qui précèdent. Le 9 novembre et le 2 décembre 1887, le journal le Zemps, de Paris, publiait l'avis officiel suivant, émané du gouvernement de la Nouvelle-Galles du Sud : Direction des Mines. Sydney, le 31 août 1887. Îl est donné avis, par la présente, que le gouvernement de la Nouvelle- Galles du Sud payera la somme de 625,000 francs (£ 25,000) à quiconque fera connaître et démontrera, à ses frais, une méthode ou un procédé encore inconnu dans la colonie, pour exterminer d’une manière efficace les lapins, procédé assujetti aux conditions suivantes : 1° Que cette méthode ou ce procédé recevra, après un essai d’une année, l'approbation d’une Commission nommée à cet effet par le gouvernement, avec l'avis du Conseil exécutif. 20 Que telle méthode ou tel procédé sera, d’après l'opinion de ladite Commission, inoffensif pour Les chevaux, moutons, chameaux, chèvres, porcs DESTRUCTION DES LAPINS EN AUSTRALIE. 3 et chiens, et ne présentera pas l'emploi de matières ou substances qui pourraient leur nuire. 30 La Commission sera tenue de ne pas divulguer les détails de ces méthodes ou de ces procédés, à moins que cette Commission ne décide d'expérimenter ladite méthode ou ledit procédé. Toutes les communications relatives à ce qui précède doivent être adressées à the Honourable F. Abigail, Secretary for Mines Abigail. Sydney Très peu de jours avant que cette nouvelle fût publiée par le journal le Temps, j'avais reçu d’un habitant de la Nouvelle- Zélande le récit des désastres que les lapins occasionnent égale- ment dans cette île. Le 27 novembre 1887, j'écrivis au journal le Zemps la lettre suivante, qui fut insérée le 29 novembre : A Monsieur le Directeur du Temwes. Votre journal annonçait, il y a peu de jours, que le gouvernement de la Nouvelle-Galles du Sud était tellement impuissant à lutter contre un fléau d'un genre particulier — la pullulation des lapins — qu'il proposait un prix de 625,000 francs pour la découverte d'un procédé destiné à leur extermi- nation. Des portions considérables de la Nouvelle-Zélande, non moins ravagées que l'Australie, sont abandonnées par les fermiers, qui renoncent à l'élevage des moutons par l'impossibilité de les nourrir. Chaque hiver on tue les lapins par millions, sans que ce carnage paraisse en diminuer le nombre. Voulez-vous me permettre de faire parvenir dans ces lointains pays, par l'organe du Temps, certaines idées dont l’application pourrait peut-être avoir quelque succès ? On a employé jusqu’à présent, pour la destruction de ce fléau, des substances minérales,notamment des combinaisons phosphorées. En s’adres- sant à de tels moyens, n’a-t-on pas fait fausse route? Pour détruire des êtres qui se propagent selon les lois d’une progression de vie effrayante, que peuvent de tels poisons minéraux? Ceux-ci tuent sur place, là où on les dépose; mais, en vérité, pour atteindre des êtres vivants, ne faut-il pas plutôt, si j'ose le dire, un poison comme eux doué de vie, et, comme eux, pouvant se multiplier avec une surprenante fécondité? Je voudrais donc que l’on cherchât à porter la mort dans les terriers de la Nouvelle-Galles du Sud et de la Nouvelle-Zélande, en essayant de commu. niquer aux lapins une maladie pouvant devenir épidémique. Il en existe une que l’on désigne sous le nom de choléra des poules et qui à fait l’objet d'études très suivies dans mon laboratoire. Cette maladie est également propré aux lapins. Or, parmi les expériences que j'avais instituées, se trouve celle-ci : je rassemblais dans un espace limité un certain nombre de poules, et, en leur donnant une nourriture souillée par 4 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. le microbe qui est la cause du choléra des poules, elles ne tardaient pas à périr. Les basses-cours sont, quelquefois, ravagées par de véritables épi- démies de ce mal, dont la propagation est due, sans nul doute, aux déjections des premières poules malades qui souillent le sol et les ali- ments. J'imagine que la même chose arriverait pour les lapins, et que, rentrant dans leurs terriers pour y mourir, ils communiqueraient la maladie à d'autres qui pourraient la propager à leur tour. Mais comment faire pour que les premiers lapins ingèrent dans leur corps le mal destructeur? Rien n'est plus facile. Autour d'un terrier, je placerais une barrière volante entourant un certain espace où les lapins viendraient chercher leur nourriture. Des expé- riences nous ont appris qu'il est facile de cultiver, en état de pureté parfaite et sur une échelle aussi grande qu’on peut le désirer, le microbe du choléra des poules, dans des bouillons de viandes quelconques. De ces liquides pleins de microbes, on arroserait la nourriture des lapins qui, bientôt, iraient périr ici et là et répandre le mal partout. J'ajoute que le parasite de la maladie dont je viens de parler est inof- fensif pour les animaux des fermes, excepté, bien entendu, pour les poules, mais celles-ci n’ont pas besoin de vivre en pleine campagne. Je ne doute pas qu'il n'y ait, dans les pays infestés, des personnes toutes prêtes à appliquer le moyen que je propose, moyen très simple, qui, en tous cas, vaut la peine d'être tenté. Veuillez, etc. Aussitôt après l'envoi de cette lettre, j'eus la curiosité de faire des expériences directes sur les lapins. Je me rappelais que le choléra des poules se communique facilement aux lapins ; mais je n'avais pas fait d'étude suivie sur ces rongeurs; souvent j'avais vu mourir des lapins qui avaient été placés dans des cages non désinfectées où des poules avaient succombhé du choléra. C’est une question de savoir, question résolue aflirmativement par plusieurs, si le choléra des poules n’est pas simplement la septicémie des lapins, étudiée autrefois par le Dr Davaine. Je fus bientôt assuré de la facilité avec laquelle le moindre repas donné aux lapins, après avoir souillé la nourriture par une culture du microbe du choléra des poules, entraîne rapide- ment la mort de ces rongeurs. Voici quelques-unes des expériences que j'ai fait faire à M. Loir, étudiant en médecine attaché à mon laboratoire. Le 27 novembre, on place dans une caisse cinq lapins; ils y restent jusqu'à 6 heures du soir sans prendre de nourriture; à 6 heures, on met dans une petite cuvette 100 d'une culture DESTRUCTION DES LAPINS EN AUSTRALIE. bn) virulente du choléra des poules, où l’on trempe les feuilles d'un chou. On laisse égoutter ces feuilles, puis on les donne à man- ger aux cinq lapins qui, après quelques minutes, ont achevé leur repas. On place avec eux, à minuit, trois lapins neufs non contaminés. Le 28 novembre, à 8 heures du matin, les cinq lapins conta- gionnés paraissent malades. A 11 heures, deux sont morts, dix-sept heures après le début du repas. Les trois autres meu- rent à 3 heures de l'après-midi, vingt heures après leur repas. Le 28 novembre, à 7 heures du soir, on trouve mortun des lapins mis la veille, à minuit, avec ceux qui ont mangé le repas infectieux. Les deux autres lapins ne sont pas devenus malades. Le samedi 3 décembre, à 5 heures du soir, on donne à man- ger à quatre lapins des feuilles de chou sur lesquelles ont été répandus 10° de culture virulente de choléra des poules, étendus de 100 d’eau stérilisée. A minuit, tout le repas a disparu depuis plusieurs heures; on place avec eux quatre lapins neufs. Le 4 décembre, à 8 heures du matin, deux lapins semblent tristes. À 11 heures, il y a un mort ; à 2 heures, deux autres morts; à 4 heures meurt le dernier de ceux qui ont mangé. On laisse les cadavres avec les lapins neufs mis la veille, à minuit, dans la caisse. Le 5 décembre, on trouve un de ces lapins mort; le 6 décem- bre, un autre; le 7, un troisième; enfin le quatrième meurt le 9 décembre. Les lapins précédents étaient des lapins domestiques. Le 17 décembre, on donne à un lapin de garenne 10e de culture de choléra des poules, également sur une feuille de chou. Le 18 décembre, il meurt. Dans tous Les cas précédents, on a vérifié que la mort était bien due au microbe du choléra des poules. Le 3 décembre et jours d’après, on fait des expériences sur les animaux suivants : porcs, chiens, chèvres, moutons, rats, chevaux, ânes, toujours par contamination des repas. Aucun de ces animaux n’a été malade. Il y a plus : l’action sur les lapins est si rapide, il est si peu besoin de multiplier les repas que je suis persuadé, en me reportant à mes anciennes expériénces sur les poules, que celles-ci même ne mourraient pas si on les laissait sur le sol que 6 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. les repas des lapins auraient pu souiller en partie; elles ont, pour la maladie, beaucoup moins de réceptivité que les lapins. Au contact de l'air, le microbe du choléra des poules meurt assez promptement. Il perd sa virulence à 51° C., température quelquefois atteinte, dit-on, en Australie pendant l'été, mais 1l ne serait jamais nécessaire de s'occuper des lapins, au milieu du jour, en pleine chaleur. La conservation du microbe du choléra des poules est facile, au contraire, à l’abri de l'air et pendant plusieurs années : on pourra donc toujours se procurer de la semence très virulente. Mes expériences d'autrefois communiquées à l’Académie des Sciences en sont la preuve. Les cultures du choléra des poules peuvent être faites dans les bouillons les plus divers d'animaux quelconques. Un des plus économiques serait sans doute celui qu'on pourra préparer avec la chair des lapins. Il résulte des expériences qui précèdent que, non seulement les lapins qui ont ingéré une nourriture souillée par le microbe meurent très rapidement, en moins de vingt-quatre heures, mais que les lapins associés à ces derniers, qui n’ont point eu d'aliments contaminés, meurent également en grand nombre. Je réserve la question du mode de contagion. C’est un point que j'examinerai plus tard. Est-il vrai que les lapins d’un terrier ne se mêlent pas à ceux des terriers voisins ? On peut envisager, sans appréhension pour la réussite du procédé, le cas où les lapins d’un terrier ne frayeraient pas avec ceux des terriers voisins et n’y porteraient pas la contagion après qu'ils auraient été contaminés. La maladie se communique si facilement par les repas que, alors même que la contagion n’existerait pas des lapins infectés aux autres non infectés, la destruction de ces animaux n'en serait pas moins facile. Je parle, dans ma lettre au journal le Temps, de barrières volantes placées autour des terriers. Cette complication serait inutile. Je me représente l'épreuve en grand de la manière suivante : autour d’un ou plusieurs terriers, je ferais faucher une certaine quantité d'herbe qui serait ramenée ensuite avec des râteaux à DESTRUCTION DES LAPINS EN AUSTRALIE. 7 la portée des lapins, avant leur sortie du soir. Cette herbe, souillée de la culture du microbe, serait mangée par les lapins dès qu'ils la rencontreraient sur leur passage. Une barrière serait inutile pour les arrêter et les forcer à manger. On aurait ainsi, en quelque sorte, la répétition de l'expérience de Reims, dont je vais parler. Il était bien désirable qu’une expérience püût avoir lieu sur une grande échelle. Le hasard vint bientôt me l’offrir dans les conditions les plus favorables. M°e V'° Pommery, de Reims, propriétaire de la grande maiï- son de vins de Champagne qui porte son nom. m'adressa la lettre suivante, après avoir lu ma note insérée dans le Temps : Reims, le 3 décembre 1887. MOonsSIEUR, Je possède à Reims, au-dessus de mes caves, un clos de huit hectares, totalement entouré de murs. J'ai eu la fâcheuse idée d'y mettre des lapins pour procurer une chasse, en ville, à mes petits-enfants. Ces bêtes ont tellement pullulé et minent le sol à un tel point que je désire les détruire. Les furets sont impuissants à les faire sortir de tas énormes de craie où ils se réfugient. S'il pouvait vous être agréable d’expérimenter le procédé que vous préco- nisez pour la destruction de ces animaux, en Australie, j'offre de vous en faciliter le moyen. Recevez, etc. Signé : V'° Pommery. Bientôt après, j’appris de mon intelligente correspondante que, dans la crainte de voir les lapins de son clos, poussés par la faim, prolonger outre mesure leurs galeries souterraines et compromettre la solidité des voûtes des caves, on avait eu depuis longtemps l’idée de les retenir dans leurs terriers, non loin de la surface du sol, en leur servant, chaque jour, un repas de luzerne ou de foin distribué autour des terriers. On comprend dès lors aisément combien ilétait facile de tenter la destruction des lapins du clos de M"° Pommery. Le vendredi, 23 décembre, j’envoyai à Reims M. Loir arroser le repas du jour d'une culture récente du microbe de choléra des poules. Comme à l'ordinaire, la nourriture fut consommée dans 8 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. l'intervalle de quelques minutes. Le résultat en fut pour ainsi dire surprenant. Mre Pommery m'écrivit, le 26 décembre : Samedi matin (par conséquent dès le lendemain du repas mortel), on compta dix-neuf morts en dehors des terriers. Le dimanche, le clos ne fut pas visité. Le lundi matin, on compta encore treize morts, et depuis samedi on n’a pas vu un seul lapin vivant courir sur le sol. En outre, comme il était tombé un peu de neige pendant la nuit, on ne vit nulle trace de pattes de lapins autour des tas de craie. En général, les lapins meurent dans leurs terriers. Les trente-deux cadavres trouvés sur le sol du clos devaient done représenter une très faible minorité parmi les morts, ainsi qu’on le verra tout à l’heure. Dans une autre lettre du mardi 27, M"° Pommery m'écrit : La luzerne (luzerne déposée autour des terriers le lundi soir) n'a pas été touchée et de nouveau on n'a vu nulle trace de pattes imprimées sur la neige. Tout est mort. Et Me Pommery, faisant allusion à des journaux anglais ui avaient beaucoup critiqué le procédé que j'avais proposé. . I É journaux qu’elle avait eu l'obligeance de m'adresser, ajoute : Que deviennent les attaques anglaises en présence d’un tel résultat ? Un clos de 8 hectares fourmillant de lapins, devenu un champ de mort. M. Pasteur empoisonne un repas ordinaire de ces lapins, et les jours suivants rien ne remue; tout est fini, tout est mort. Combien de lapins sont morts dans les terriers? Il est diffi- cile de le savoir exactement. Cependant M" Pommery m'in- forme, par une lettre que je viens de recevoir, aujourd'hui 5 jan- vier, « que les ouvriers estiment 4 beaucoup plus d'un mille le nombre des lapins qui venaient manger chaque jour les huit grosses bottes de foin qu’on distribuait autour de leurs terriers ». D'autre part, ajoute M° Pommery, partout où l'on découvre un peu les monceaux de craie, demeure habituelle des lapins, on voit des tas de cadavres de deux, trois, quatre et cinq lapins. NOUVELLES RECHERCHES SUR LA RAGE Par le D' BARDACH, Sous-directeur à l’Institut bactériologique d'Odeasa, ÏJ. INOCULATIONS SOUS-CUTANÉES. Dans le premier numéro des Annales, M. Pasteur émet l'opinion que peut-être on pourrait obtenir l’immunité par lino- eulation préventive de moelles longuement desséchées, et conte- nant par suite une quantité de virus assez pelite pour ne plus provoquer la rage chez les lapins inoculés sous la dure-mère. J'ai fait à cet égard l'expérience suivante sur six chiens. Aux dates des 2, 4 et 6 février, six chiens furent inoculés sous la peau, chacun par trois seringues pleines de moelles dé- layées et âgées de sept jours — du 26, 28 et 31 janvier. Ces émulsions furent inoculées en même temps à des lapins, Celui du 2 février mourut le 22, le lapin de passage, inoculé avec son bulbe, a résisté; celui du # février mourut le 4% mars, le lapin de passage eut une période d'inoculation de sept jours; le troi- sième lapin du 6 février, resté indemne, fut employé pour d’au- tres expériences après un mois et demi, terme complètement suffisant pour la manifestation de la rage. Le 12 février, les six chiens, plus un septième de contrôle, et deux lapins furent inoculés par trépanation avec du virus de rage des rues (2° passage, incubation de 13 jours). Le 22 février un des chiens fut pris de rage furieuse et mou- rut le 24. Un second tomba malade le 24 et mourut le 26. Le 26, ce furent le chien témoin, le troisième des chiens inoculés, et un des lapins qui tombèrent malades; le chien de contrôle et le lapin moururent le 28, et le troisième chien le 29. Le second lapin de contrôle et le quatrième des chiens tombèrent malades le 28 février et moururent le 1°’ mars. Les deux autres chiens supportèrent la trépanationet sontencore aujourd'hui dans notre chenil. 10 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Cette expérience sert ainsi d'appui à l'opinion de M. Pasteur, d’après laquelle les moelles à faible virulence peuvent à elles seules rendre l'organisme réfractaire. L'immunité se développe en raison de l'adaptation des phagocytes à digérer le virus vivant, comme l’a exposé M. Gamaléia dans le 5° numéro des Annales. La preuve que c’est justement le virus vivant, inoculé sous la peau, qui développe l’immunité dans l'organisme, ressort des principales expériences que M. Pasteur fit sur les chiens : il leur inocula jusqu’à la moelle d’un jour et ne fit qu’ensuite l’o- pération du trépan; tous les chiens survécurent. J'ai fait des expériences analogues : six chiens inoculés de cette même manière supportèrent impunément une inoculation sous la dure-mère. D'un autre côté je fis des inoculations préventives à trois chiens, en commençant par une moelle de 14 jours et termi- nant par celle de 4 jours. Le 11 novembre, les chiens furent ino- culés de la rage des rues. Le 26 novembre, un d'eux fut pris de rage paralytique, et le 8 février, c’est-à-dire après 87 jours, le second mourut de rage furieuse. Le troisième chien avait acquis un état réfractaire. La durée inusitée de l'incubation — 87 jours — du second chien s'explique peut-être par une vaccination, nommée « partielle » par M. Pasteur. Ainsi, dès qu’on réduit l’inoculation à des moelles de viru- lence faible, en supprimant celles d'un, de deux et de trois jours, la préservation, au lieu d’être absolue, ne devient que relative : elle se réduit à la minorité des cas, un sur trois. L'inoculation préventive du second chien n’a fait que pro- longer la période d’incubation. Mes expériences d’inoculations sous-cutanées de virus de pas- sage servent de preuve encore plus convaincante que ce sont principalement les moelles les plus virulentes qui élaborent l’immunité. Le 22 novembre, sept chiens furent inoculés sous la peau du flanc, chacun par une pleine seringue de virus de 138° passage. Le 19 décembre, l’un d'eux fut pris de rage paralytique et mou- rut le 21. Les six autres survécurent et furent trépanés le 197 fé- vrier ainsi que deux lapins, à l’aide d’une moelle de rage des rues (3° passage, 13 jours d’incubation). RECHERCHES SUR LA RAGE. 11 Le 13 février, deux des chiens et un lapin furent pris de rage paralytique et succombèrent le 15 et le 16. Un autre lapin et le troisième chien tombèrent malades de rage paralytique le 15 fé- vrier et moururent le 17. Les lapins, inoculés avec une émulsion du bulbe des chiens succombés eurent la période d’incubation de la rage des rues, c'est-à-dire de 14 (dans deux cas) et de 45 jours(dans le troisième). Les autres sont encore aujourd’hui en bonne santé. Ils furent de nouveau inoculés le 8 mai avec le bulbe d’un chien enragé et résistèrent, tandis que le chien témoin tomba malade le 13 mai etsuccomba à la rage paralytique le 15. Ainsiuneinoculation sous-cutanée, même d’uneseule seringue de virus de passage, a rendu l'organisme assez réfractaire (dans trois cas sur six) pour résister à des trépanations réitérées. M. Pasteur a prouvé, comme l’on sait, qu’il y a des cas où le virus de passage, inoculé sous la peau, ne provoque point la rage et quelquefois même rend l'organisme réfractaire à des inocula- tions subséquentes sous la dure-mère. L'expérience ci-dessus, et celles qui vont suivre servent d'appui à cette conclusion. Le 8 février, on inocula trois chiens, très grands, par cinq seringues de virus du 150° passage sous la peau de la tête ; ils survécurent tous. Après trois mois, le 8 mai, ils furent inoculés (en même temps que les chiens de l'expérience précédente), avec le bulbe d’un chien enragé. L'un des chiens tomba malade le 25 mai et mourut le 27; les deux autres restèrent vivants. Le lapin de passage eut une incubation de 14 jours. Le 13 février, on inocula deux chiens par deux seringues de bulbe du 23° passage ‘incubation de 8 jours); ils survécurenttousles deux. Le 8 mai, ils furent trépanés avec les précédents et tom- bèrent malades tous les deux le 24 mai, ils moururent le 26. Le lapin de passage eut une incubation de 13 jours. A partir du 24 et du 25 mai, j'ai inoculé cinq chiens, journaliè- rement, pendant dix jours, par une seringue de virus de passage chacun, et cinq autres par une seringue de virus de la rage des rues '. Pas un de ces chiens ne tomba malade. Le 8 et le 12 novembre, tous les dix furent trépanés. 4. Le bulbe du chien enragé était conservé dans la glycérine et à la glacière. Un lapin, inoculé dix jours après, le 3 juin, fut pris de rage le 18 juin, ce qui prouve que la moelle était encore virulente. 12 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Tous les chiens inoculés par virus de la rage des rues suc- combèrent aux dates des 20, 21 et 26 novembre: deux d'entre eux de rage furieuse et trois de rage paralytique. Des cinq chiens inoculés avec le virus de passage, un seul mourut le 24 novembre de rage paralytique. (Le lapin de passage eut une incubation de 14 jours.) ‘ On peut déduire deux conclusions de ces expériences : 10 On peut quelquefois obtenir l’immunité par l'introduction sous la peau d’une seule seringue de virus fixe, et cette possibilité s'accroît avec la quantité du virus de passage introduit; ainsi sur six chiens inoculés par une RU pleine, trois devinrent réfractaires ; sur trois, Inoculés avec 5 seringues pleines, deux le devinrent; sur 5, inoculés avec 10 seringues pleines, quatre le devinrent. En tout, 9 sur 1% obtinrent l'immunité, tandis que ceux qui furent inoculés avec une seringue de moelle de passage (23°) de lapin et avec 10 seringues de moelle à rage des rues suc- combèrent tous à une nouvelle inoculation sur la dure-mère. Ainsi, au moins d'après mes expériences, ce n’est que le virus de passage qui peut contribuer au développement de l’immunité ; le virus des rues, renforcé ou en recrudescence (23° passage) n'y contribue point. On peut faire la supposition suivante à cet égard : peut- ètre le virus rabique, ayant passé par plusieurs générations de lapins et étant devenu fixe, a acquis la faculté d'élaborer, en se cultivant dans le système nerveux d’autres animaux, de certains produits, résultant de son activité vitale, qui accroissent l’énergie des phagocytes à digérer les microbes rabiques et donnent ainsi une immunité durable. J'espère pouvoir confirmer cette hypothèse par des expériences ultérieures. 2° L’inoculation sous-cutanée de bulbes à virus fixe, ainsi que celle de la rage des rues, paraît être défavorable à la culture et à la propagation du microbe Cour ainsi, des 22 chiens inoculés sous la peau, il n’y en a eu qu’un pris de rage. II. INOCULATION DANS LE TISSU NERVEUX. En présence des résultats précédents, on se pose la question suivante : quel milieu dans notre corps est le plus favorable à la transmission du virus au système nerveux central? Letissu nerveux RECHERCHES SUR LA RAGE. 13 étant le meilleur milieu pour la culture et la propagation de ce virus, il est naturel de supposer que la transmission s'opère par voie du système nerveux périphérique. Les expériences, entre prises par moi à cet égard, donnèrent les résultats suivants. Le 1% juin, j'introduis très graduellement sous le névrilème du nerf radial droit, dégaïné dans le tiers supérieur de l'épaule d'un chien, une demi-seringue de virus fixe (79° passage). Le lapin inoculé en mème temps, par trépanation, tomba malade le 8 et mourut le 10. Le 3 juin, je fais la même expérience avec un chien et un lapin. Ce dernier tomba malade le 10 et suc- comba le 11. Le 5 juin, même expérience avec un chien et un lapin. Celui- ci tomba malade le 12 juin et mourut le 14. Le 6 juin, mème expérience sur 4 chiens et 2 lapins. Ceux-ci tombèrent malades le 13 et moururent le 15. Le 13 juin, le chien inoculé dans le nerf radial droit, à la date du 3, cessa de manger, commença à avoir des envies de mordre, sa démarche devint chancelante, son aboiement hurlant, ses mouvements incoordonnés, etil succomba le lendemain àune paralysie complète. Les inoculations de premier et deuxième passages, faites avec le bulbe de ce chien, donnèrent une incubation de 7 jours et la mort après 9 jours. Le 20 juin, ce fut le chien inoculé le 6 qui tomba malade. Il cessa de manger, sa voix devint rabique, il s’affaissait du côté droit en voulant se relever, le train de derrière fut paralysé, il eut des crampes chroniques à la jambe gauche, la sensibilité et les réflexes excités, et il succomba le lendemain à une paralysie complète. À l’aide de son bulbe, on fit deux passages de lapin à lapin, qui furent pris de rage après 7 jours et succombèrent après 9 et 10 jours. En outre, des lapins inoculés à l’aide des deux nerfs radiaux tombèrent malades au bout de 9 jours et succom- bèrent le 11° jour. Les 5 autres chiens résistèrent. Il n’en résulte pas moins que le virus rabique, mis en contact immédiat avec le système nerveux périphérique, trouve en lui quelquefois un milieu favorable à sa propagation, et alors la durée de l’incubation est de 10 à 14 jours. ILest possible que la résistance de la majorité des chiens soit 14 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. due à ce que le nerf radial est entouré dans sa partie antérieure d’un réseau de menus vaisseaux. Il est facile de s’en assurer en injectant une solution saturée de couleur quelconque, par exemple de violet de gentiane, qui fait alors voir un réseau de belle cou- leur bleue de profonds vaisseaux lymphatiques, débouchant dans le conduit brachial. La tension des vaisseaux produite par l’in- jection fait peut-être émigrer des phagocytes, qui englobent et digèrent les microbes rabiques et, par cela même, rendent l’or- ganisme réfractaire. Cette explication est appuyée parles résultats des injections subséquentes sous la dure-mère de ces mêmes chiens. Le 13 septembre, les 5 chiens qui avaient résisté furent ino- culés par la moelle de 7° passage de la rage de loup (incubation de 12 jours); en même temps on inocula 2 lapins, qui tombèrent malades le 26 septembre et moururent le 29. Le 27, 2 des chiens furent pris de rage paralytique et mouru- rent le 29. Le virus de passage donna une incubation de 12 jours. Le troisième chien fut pris de rage paralytique le 29 et mou- rut le 30. Le virus de passage donna une incubation de 12 jours. Les 2 autres chiens sont encore aujourd'hui vivants. Cela fait que des 5 chiens ayant résisté à l’inoculation du virus dans le nerf, — 2 avaient acquis l’immunité. Il est ainsi hors de doute que les nerfs périphériques peuvent servir quelquefois à la transmission et à la propagation du virus rabique. Les faits cliniques suivants s'accordent complète- ment avec cette conclusion. S. L... a reçu le 25 mars quatre profondes plaies par morsure de loup dans le lieu de ramification du nerf radial gauche. Il fut pris de rage le 25 avril et mourut le 27. L'infection suivit au début le cours du nerf : pendant que S. 1... mangeait, buvait el avait encore une température normale, il se développa une tumeur dans la région de ramification du nerf radial droit ; le malade eut une sensation comme s’il maniait de la fourrure, et des sensations d’engourdissement, de fourmillement. Ces symp- tômes m'engagèrent à porter mes expériences de nécropsie sur le quart inférieur du tronc du nerf radial; je m'en servis pour faire l'opération du trépan à deux lapins. Les premiers symptômes de la maladie se manifestèrent chez eux le 15 avril, et la mort survint le 47. Je fis encore trois passages de lapin à lapin, qui RECHERCHES SUR EA RAGE. 15 donnèrent une période d'incubation de 14 à 16 jours etle tableau complet de la rage du lapin. Le nerf radial gauche du malade ne fut malheureusement pas expérimenté, de sorte que la question de savoir si ce nerf non endommagé contenait du virus ne put point être résolue. Le cas suivant est par suite beaucoup plus démonstratif. G. M..., attaqué par un loup enragé, s’efforça de l’étrangler de la main droite, en lui bouchant en mème temps la gueule de la main gauche ; celle-ci y resta prise près d’une demi-heure et ne fut retirée que lorsqu'on trancha la mâchoire supérieure du loup. De nombreuses blessures étaient concentrées dans la région du nerf médian et du cubital. Les premiers symptômes de la maladie se manifestèrent par un exsudation sérosanguine dans le lieu des morsures, par des douleurs et une sensation de pesanteur dans le bras gauche jusqu’à l'articulation de l'épaule. Ces phénomènes n’eurent pas lieu du côté droit. Les troncs des nerfs médian et cubital, droit et gauche, furent pris et la trépanation, faite à leur aide, donna les résultats sui- vants. Le 29 mai, on inocula deux lapins avec une émulsion du nerf médian; ils tombèrent malades le 12 et le 13 juin et moururent le 14. Le 29 mai, on inocula deux lapins avec une émulsion du nerf cubital ; ils tombèrent malades le 13 et le 14 juin, et moururent le 15 et le 16. Les cinq passages de lapin à lapin eurent une incubation de 12 à 16 jours, et la maladie présenta les symptômes ordinaires. Les lapins de contrôle, inoculés avec les nerfs médian et cubital droits, résistèrent. Ainsi, dans les deux cas de maladie, le développement du virus se faisait par la voie du système nerveux; les expériences autant que les observations cliniques donnent ainsi à croire que les nerfs sont une des voies par lesquelles le virus se dirige vers le cerveau. ILI. DU VIRUS RABIQUE DANS LA SALIVE HUMAINE. La question de la présence du virus rabique dans la salive, ou, ce qui est la même chose, dans les glandes salivaires des per- 16 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. sonnes enragées n'a pas été résolue jusqu'à présent. Je vais exposer ici les résultats que j'ai obtenus à cet égard. Dans tous les cas suivants, on fit des inoculations par l’opéra- tion du trépan à des chiens et à des lapins, à l’aide d’émulsions des glandes salivaires, retirées de 12 à 24 heures après la mort. Huit de nos rabiques nous étaient arrivés déjà malades, et n'avaient ainsi point subi d'inoculations préventives. Parallèlement à ces inoculations, on en faisaittoujours d’au- tres, aussi à des chiens et à des lapins, à l’aide d'une émulsion du bulbe de ces mêmes malades. Tous les animaux ainsi traités mouraient toujours après 14 à 20 jours. Le 3 juillet, 1886 on trépane deux lapins à l’aide d’une émulsion de la glande salivaire de G., mordu par un chien enragé. Tous les deux tombè- rent malades le 26 juillet et moururent le 28. Incubation de 23 jours. Le 10 juillet, on trépane deux lapins (J. J.., mordu par un loup); ils furent pris de rage le 29 juillet et moururent le 30. Incubation de 19 jours. Le 12 octobre, on trépane trois lapins (Ch.…., mordu par un chien enragé). Tous les trois tombèrent malades le 26 octobre et moururent le 98. Incubation de 14 jours. Le 43 octobre, on trépane deux lapins à l’aide de la glande salivaire de K..., mordu par un chien enragé. L'un fut pris de rage le 29 octobre, l’autre le 30, et ils moururent le {tr et le 2 novembre. Incubation de 16 jours. Le premier lapin de passage eut une incubation de 44 jours. Le 15 décembre, on trépane deux lapins (glande salivaire de V. $., mordu par un loup). Ils tombèrent malades le 30 décembre et moururent le 4% janvier. Incubation de 15 jours. Le 17 décembre, on trépane deuxlapins (glande salivaire de V..., mordu par un loup). Ils furent pris de rage les 7 et 8 janvier, et moururent le 40. Incubation de 21-22 jours. Le 18 décembre, on trépane deux lapins (G..., mordu par un loup); ils tombèrent malades le 4 janvier et moururent le 5. Incubation de 17 jours. Le 21 décembre, on trépane deux lapins (M.…, mordu par un loup); ils tombèrent malades le 8 janvier et moururent le 9 et le 10. Incubation de 18 jours. Le 3 janvier 1887, on trépane deux lapins (P..., mordu par un chien); ils tombèrent malades le 20 janvier et moururent le 22. Incubation de 17 jours. Le 16 janvier, on trépane deux lapins (B..., mordu par un loup); ilstom- bèrent malades le 31 et moururent le 2 février. Incubation de 45 jours. Le 20 janvier, on trépane deuxlapins (B..., mordu par un loup); ilstombè- rent malades le 13-14 février et moururent le 15. Incubation de 24-95 jours. Le 22 février, on trépane un chien (D..., mordu par un chien); il fut pris de rage furieuse le 2 avril et mourut le 5, Incubation de 40 jours. Le 95 février, on trépane deux lapins (S..., mordu par un loup); ils tombè- RECHERCHES SUR LA RAGE. 17 rent malades le 47 avril et moururent le 18. Incubation de 20 jours. Un chien, trépané à l’aide de la même émulsion, fut pris de rage furieuse le 25 avril et mourut le 27. Incubation de 98 jours. Le 28 mars, on trépane deux lapins (J..., mordu par un loup); ils tombèrent malades le 43 et le 45 avril, et moururent le 45 et le 16. Incubation de 16 et 18 jours. Un chien, trépané avec la même émulsion, fut pris de rage furieuse le 43 mai et mourut le 17. Incubation de 45 jours. Le lapin de pas- sage eut une période d'incubation de 14 jours. Le 11 mai, on trépane deux lapins (J..., mordu par un chien), qui tombè- rent malades le 26 mai et moururent le 98. Incubation de 45 jours. Un chien trépané avec l'aide de la même émulsion fut pris de rage paralytique le 29 mai, et mourut le 30. Incubation de 48 jours. Le 29 mai, on trépane deux lapins (M..., mordu par un loup); ils tombèe- rent malades le 45 juin, et moururent le 16 et le 17. Incubation de 16 jours. Deux chiens furent trépanés avec l’aide de la même émulsion. L'un fut pris de rage paralytique le 27 juin, et mourut le 30. Incubation de 28 jours. L'autre, après 51 jours, manifesta une légère parésie des extrémités posté- rieures, une démarche chancelante ; le 22 juillet, la parésie des extrémités progressa ; le jour suivant, par contre, il n’y eut qu'une légère incoordination des mouvements qui disparut le 24 juillet. Le chien est encore aujourd'hui bien portant. Le 20 juillet, on trépane deux lapins (P..., mordu par unloup); ils tom- bèrent malades le 4 août et moururent le 5. Incubation de 45 jours. Le 22 juillet, on trépane deux lapins (P.... mordu par un loup); ils tom- bèrent malades le 3 août et moururent le 5 et le 6. Incubation de 12 jours. Le 12 août, on trépane un lapin (glande salivaire de Ka..); il tomba malade le 25 août et mourut le 27. Incubation de 43 jours. Le 12 août, on trépane un lapin (glande salivaire de Kr..); il tomba malade le 27 août et mourut le 28. Incubation de 16 Jours. Le 16 août, ont répane un lapin avec l’aide de la glande salivaire de E... ; il tomba malade le 4 septembre et mourut le 3. Incubation de 16 jours. Le 21 août, on trépane un lapin avec l’aide de la glande salivaire de A... ; il tomba malade le 3 septembre et mourut le 5. Incubation de 14 jours. Ainsi, dans 22 cas, tous leslapins succombèrent à la rage, avec une période d'incubation de 18 jours, et, sur six chiens, cinq succombèrent avec une période d’incubation de 32 jours. La prolongation de l’incubation est, sans doute, due dans la majorité des cas à la petite quantité de virus contenue dans la glande salivaire ; mais néanmoins sa présence doit être reconnue comme indubitable. Par conséquent l'opinion émise par M. Pas- teur, d’après laquelle la rage pourrait être transmise par mor- sure humaine, est appuyée expérimentalement. NOTES DE LABORATOIRE SUR LA PRÉSENCE DU VIRUS RABIQUE DANS LES NERFS, Par E. ROUX. Par quelle voie le virus rabique va-t-il de la morsure aux centres nerveux ? par quelle voie se rend-il aux glandessalivaires ? ce sont là des questions d’un grand intérêt dans l’étude de larage. Les expériences faites au laboratoire de M. Pasteur ‘ ont mon- tré que le virus rabique pouvait arriver au cerveau et à la moelle par la voie sanguine. D’un autre côté les démangeaisons, les dou- leurs partant de la blessure, que l’on observe si souvent chez les personnes mordues, ont fait croire depuis longtemps que le virus rabique se propageait le long des nerfs. M. Duboué, de Pau, a soutenu que c'élait toujours par les nerfs que le virus rabique atteignait les centres nerveux. Le récent mémoire de MM. Ves- tea et Zagari, qui a été analysé page 92 de la première année de ces Annales, a de nouveau appelé l'attention sur cet intéressant sujet. Dans ce numéro même, M. Bardach consacre à cette question une partie de son travail. Nous avons donc pensé que le moment était bien choisi pour exposer quelques-unes des expériences faites au laboratoire de M. Pasteur sur la présence du virus rabi- que dans les nerfs. Dans une note présentée en 1884 à l’Académie des Sciences, MM. Pasteur, Chamberland et Roux * ont annoncé qu'ils avaient donné la rage à des animaux par l’inoculation des nerfs pneumogastriques et sciatiques d’un chien enragé. La matière nerveuse avait été inoculée par trépanation, et la durée de l'incubation de la maladie avait été beaucoup plus longue que lorsqu'on inocule de la même façon la substance du cerveau ou À. Pasteur, Chamberland, Roux et Thuillier, Comptes rendus. Acad. des sc. t. XCW, p- 4187, 1882. 4. Comptes rendus Acad. des sc., p. 457, t. XCVIII. VIRUS RABIQUE DANS LES NERFS. 19 de la moelle, comme si le virus rabique était très peu abondant dans le tissu des nerfs. Dans une expérience, on a inoculé à trois chiens le nerf pneumogastrique, divisé en trois tronçons : chaque animal reçut sous la dure-mère le liquide obtenu en broyant séparément un de ces tronçons dans un liquide stérilisé. Les animaux qui avaient reçu le bout supérieur et le bout infé- rieur du pneumogastrique prirent la rage, celui qui avait été inoculé avec le bout intermédiaire resta bien portant. Il semble donc que le virus rabique est peu abondant dans les nerfs, et il faudra, pour le mettre en évidence, inoculer une quantité aussi grande que possible de la matière du nerf qne l’on veut étu- dier. Si le virus rabique se propage le long des nerfs, on aura quelques chances de le rencontrer dans les cordons nerveux qui partent de la blessure. Nous avons pu inoculer les nerfs du mem- bre mordu de plusieurs personnes ayant succombé à la rage. Nous allons citer quelques-unes de ces expériences. Le 6 novembre 1883, nous faisons, à l'Hôpital des enfants, l’autopsie d’un enfant de sept ans mordu au bras droit à travers ses vêtements, 55 jours auparavant. L'enfant avait succombé, le 5 novembre, à une rage caracté- ristique. Dès le 24 octobre, il avait éprouvé un malaise général, et de temps à autre une gêne dans le bras mordu. Le 3 et le 4 novembre, la cicatrice de la morsure est douloureuse, et l'enfant accuse dans le bras une douleur qui remonte jusqu'à l’aisselle. A l’autopsie, on trouva les ganglions de l’aisselle rouges, très augmentés de volume et succulents; les nerfs du bras avaient leur aspect normal. On enlève, avec pureté, tout le paquet nerveux de l’aisselle sur une étendue de trois centimètres environ, on broye les nerfs dans du bouillon stérilisé. L'émulsion est passée sur une toile de platine fine préalablement chauffée au rouge, et avec le liquide ainsi obtenu, on inocule, par trépanation, un chien neuf et un lapin. Le 26 novembre, le lapin est pris de rage (20 jours d’incubation). Le 4 décembre, le chien est devenu mordeur, il a la voix rabique. Le 5, il est extrêmement furieux ; il meurt le 6 décembre (28 jours d’incubation). Deux lapins inoculés avec le bulbe de cet enfant avaient été pris de rage : l'un le 16 novembre (incubation 10 jours), l’autre le 23 novembre (incubation 17 jours). Dans ce cas, les nerfs du bras mordu contenaient le virus rabique, mais on peut se demander si le virus venait du point d’inoculation ou s’ils’était propagé de la moelle épinière dans les nerfs, comme cela a lieu évidemment chez les animaux inoculés 20 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. de la rage par trépanation, et dont les nerfs sont souvent viru- lents. Dans les expériences qui suivent nous avons inoculé, par comparaison, les nerfs du membre mordu et les nerfs du mem- bre sain. CL... Eugène est mordu le 7 août 1886 par son chien à l’avant-bras droit nu, qui porte trois morsures profondes. Il est traité à l'Institut Pasteur du 11 août au 93 août. Le 12 octobre, Cl... éprouve des fourmillements dans le bras droit, et comme un engourdissement dans le petit doigt et dans l’annulaire de la main droite. La douleur se fait sentir jusque dans l'épaule. Le 45 octobre, les symptômes rabiques sont caractéristiques, impossibilité d'avaler, aérophobie, etc. — Cl... succombe à l'hôpital Tenon dans la nuit. du 17 au 18 octobre. L'autopsie est faite le 49 octobre au matin : on enlève séparément et avec pureté, le nerf cubital, lenerf radial et le nerf médian du bras mordu, sur une longueur de 15 centimètres environ à partir des cicatrices : on extrait de même les nerfs cubital, radial et médian du côté sain. Chaque nerf est broyé séparément, et l’émulsion, obtenue avec chacun d'eux, est inoculée par trépanation à un lapin : on a soin d’injecter une assez grande quantité de liquide dans la cavité arachnoïdienne. Aucun des animaux inoculés avec les nerfs, soit ceux de côté sain. soit ceux du côté malade, n’a pris la rage. Ils ont, cependant, été conservés en observation pendant plus de sept mois. Les sensations d’engourdissement et de fourmillements éprouvées dans le petit doigt et l’annulaire, trois jours avant que larage fût déclarée, semblaient indiquer que le virus rabique avait suivi le trajet du nerf cubital, et cependant celui-ci n’a rien donné à l'inoculation. Peut-être le virus rabique était-il en quantité insuffisante dans les nerfs pour communiquer la rage aux lapins. On peut aussi supposer qu'il s'était cultivé silen- cieusement dans les nerfs pendant l’incubation de la maladie et qu’il n'y existait plus au moment de l’autopsie. Les lapins inoculés avec le bulbe furent pris de rage le 14e jour, ainsi que ceux quiavaient reçu la moelle ; ceux inoculés avec la substance d'une circonvolution frontale droite et d’une circonvolution frontale gauche étaient enragés le 16° jour. Le 10 avril 1887 mourait de la rage, à l'Hôpital des enfants, une petite fille mordue au poignet droit. Il fut impossible de savoir si l'enfant avait éprouvé des douleurs dans le bras mordu pendant les jours précédents. Elle ne s’était pas plainte, et la cicatrice de sa morsure ne paraissait nulle- VIRUS RABIQUE DANS LES NEREFS. 21 ment douloureuse. On prend tout le paquet nerveux à la partie supérieure du bras mordu et du bras sain. On broie ensemble les divers nerfs du bras mordu, et on inocule l'émulsion par trépanation à deux lapins. On fait la même chose pour les nerfs du bras sain, qui sont inoculés également par trépanation à deux lapins. - Deux lapins inoculés avec le bulbe furent pris de rage le 26 avril (incu= bation : 45 jours). Les lapins inoculés par le paquet nerveux du bras mordu furent pris de rage le 4 mai (incubation : 34 jours). Les lapins inoculés par le paquet nerveux du bras sain furent pris de rage le 14 juin (incubation : 65 jours). Il semble que dans ce cas les nerfs du bras mordu étaient plus riches en virus rabique que ceux du bras sain. Le 30 mai 1887, H... est mordu par un chien enragé au pouce droit : 1° sur l’ongle qui a été traversé; 2 sur le dos de la première phalange: 30 dans la pulpe du pouce; 4 sur le bord interne du pouce. Toutes ces blessures sont profondes et ont bien saigné. H... est traité à l’Institut Pasteur. Bien portant, en apparence, jusqu'au 30 juin, il a, cependant, souffert du mal de tête le 27 juin. Le {er juillet, douleurs dans le pouce droit et le bras droit, et aussi douleurs passagères dans la jambe droite. L'hydrophobie se montre dans la journée du 4e juillet. H... est transporté, le 2 juillet, à l'hôpital Saint-Antoine. Il meurt dans la nuit du 3 au 4 dans le service de M. le D'Hayem. Le 5 juillet, on enlève avec pureté le paquet nerveux du bras mordu, et le paquet nerveux du bras sain au niveau des aisselles. Avec les nerfs du bras mordu, broyés dans du bouillon stérilisé, on inocule par trépanation un lapin. Tout ce qui reste de l’émulsion est injecté sous la peau d’un autre lapin. Le liquide, obtenu par le broyage des nerfs du bras sain dans du bouillon, sert à inoculer sous la dure-mère un lapin, et ce qui reste est injecté sous la peau d'un autre lapin. Enfin un cinquième lapin est inoculé sous la peau avec la matière du bulbe. Le lapin inoculé par le bulbe sous la peau est pris de rage le 2 septembre (28 jours d'incubation). Le lapin trépané, inoculé par les nerfs du bras mordu, est pris de rage le 24 août (50 jours d’incubation). Le lapin inoculé sous la peau par les nerfs du bras mordu est pris de rage le 5 août (30 jours d'incubation). Le lapin trépané, inoculé avec les nerfs du bras Ne est pris de rage le 7 octobre (94 jours d'incubation). Le lapin inoculé sous la peau avec les nerfs du bras sain est pris de rage le 5 août (30 jours d'incubation). Dans les expériences que nous venons de rapporter les nerfs du côté mordu et du côté sain contenaient le virus rabique. On 22 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. remarquera que les lapins qui ont été pris de rage les premiers ne sont pas ceux qui ontété trépanés, mais ceux qui ont été ino- culés sous la peau. Cela lient à ce que la quantité de matière inoculée sous la peau était beaucoup plus considérable que celle déposée à la surface du cerveau. Les expériences précédentes nous ont montré que les nerfs contiennent toujours peu de virus rabique : il peut alors arriver que les quelques gouttes injectées dans la cavité arachnoïdienne ne contiennent pas de virus rabique ou en renferment trop peu pour donner la rage. Il con- vient donc, quand on recherche le virus rabique dans les nerfs, d'inoculer une quantité notable de matière nerveuse, et alors il faut avoir recours, soit à l'injection intra-veineuse, soit à l’ino- culation sous-cutanée. La présence du virus rabique dans les nerfs du côté mordu et dans ceux du côté sain ne prouve pas du tout que le virus soit arrivé aux nerfs en partant de l’axe nerveux dans lequel il aurait pullulé tout d’abord. Car il se pourrait aussi qu'après avoir suivi les nerfs du bras mordu, il se soit cultivé dans la moelle à leur point d'origine, et qu'il soit passé ensuite dans les nerfs du bras opposé :. Pour surprendre cette propagation du virus de la plaieaux centres nerveux, par les nerfs qui partent du point d'ino- culation, il faudrait expérimenter sur ceux-ci pendant la durée même de l’incubation. L'expérience directe sur les animaux pourra donner des résultats plus nets que ceux que nous venons de rapporter. L'inoculation pratiquée directement dans un tronc nerveux donne la rage, souvent avec une période d’incubation assez courte, surtout si on emploie le « virus de passage ». Mais, dans les conditions ordinaires des morsures, l’inoculation directe dans un tronc nerveux se rencontre rarement. Nous avons inoculé, à l'extrémité de la queue, des chiens avec du virus rabique, etnous avons soigneusement observé chez eux l’apparition des pre- miers signes de la rage. Si le virus suit la voie nerveuse, le début de la rage devra se manifester par des symptômes qui relève- ront de la moelle inférieure, et cette portion de l’axe spinal 1. Des fragments de nerfs du bras mordu ont été examinés au point de vue des lesions histologiques en même temps que les nerfs du bras sain. M. Vaillard, qui a une compétence spéciale, a bien voulu se charger de cet examen. Il n’a trouvé dans ces nerfs aucune lésion apréciable. VIRUS RABIQUE DANS LES NERFS. 23 devra contenir le virus rabique avant la moelle supérieure et le bulbe : Le 24 avril 4886, nous inoculons, avee M. Nocard, cinq chiens au bout de la queue avec quatre gouttes d’une émulsion de la moelle de 70° passage. Ces chiens sont attentivement surveillés plusieurs fois par jour, pendant tout le temps de l'expérience. Le 49 mai, au matin, un de ces chiens à des allures bizarres, le regard est changé, et vers onze heures du matin il se met à hurler, la voix est modifiée. Pas de faiblesse musculaire, il reconnaît très bien les personnes qui l’appellent, et essaye de lécher la main qu'on lui tend. Il lèche avec fureur un chien que l’on met avec lui, puis se précipite sur lui pour le mordre. Bref, ce 19 mai au matin (25 jours après l'inocu- lation), ce chien présente les sympiômes typiques d’une rage furieuse au début sans le moindre prodrôme de paralysie. A deux heures de l’après- midi, on le sacrifie par strangulation, on l'ouvre, on prélève aussitôt des segments du bulbe de la moelle lombaire et de la moelle dorsale, ainsi que les glandes sous-maxillaires droite et gauche. Un lapin est inoculé par trépanation avec la substance du bulbe. A un autre lapin, on injecte dans les veines un centimètre cube de l'émulsion du bulbe, Un lapin est inoculé par trépauation avec la matière de la moelle dorsale. A un autre lapin, on injecte dans les veines un centimètre cube de l'émulsion de la moelle dorsale. Un lapin est inoculé par trépanation avec la substance de la moelle lombaire. A un autre lapin on injecte dans les veines un centimètre cube de l'émulsion de la moelle lombaire. Enfin un lapin est inoculé par trépanation avec la substance des glandes maxillaires droite et gauche broyées ensemble, Un autre recoit dans une veine un centimètre cube du liquide de broyage des glandes. On a eu soin de prélever dans chacune des régions bulbaire, dorsale et lombaire, des segments assez volumineux intéressant toute l'épaisseur de la moelle, pour être bien sûr de mettre en évidence le virus rabique alors même qu'il serait localisé dans un point de l’axe spinal, dans un des cordons latéraux ou postérieurs par exemple. Le lapin inoculé par trépanation avec le bulbe est pris de rage le 9 juin (20 jours d'incubation). Le lapin inoculé dans les veines avec le bulbe est pris de rage le 98 juillet (T0 jours d'incubation). Le lapin inoculé par trépanation avec la moelle dorsale est pris de rage le 40 juin (22 jours d'incubation). Le lapin inoculé dans les veines avec la moelle dorsale n'a pas pris la rage. Le lapin inoculé par trépanation avec la moelle lombaire est pris de rage le 7 juin {19 jours d'incubation). 24 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Le lapin inoculé dans les veines par moelle lombaire est pris de rage le 29 août (95 jours d'incubation). Le lapin inoculé par trépanation avec les glandes salivaires est pris de rage le 10 juin (21 jours d'inceubation). Les premières manifestations de la rage chez ce chien pouvaient faire croire que les régions du système nerveux atteintes tout d’abord par le virus rabique étaient le bulbe et les circonvolutions cérébrales; comme l’inoculation avait été faite à la queue, il ne semblait pas que le virus eût suivi la voie nerveuse qui l'aurait d’abord conduit à la partie inférieure de la moelle. Or on n’a observé aucun affaiblissement dans le train pos- térieur. Cependant lesinoculationsfaites au lapin ont montré quele virus rabique existait dans la moelle lombaire et dans la moelle dorsale aussi bien que dans le bulbe, et qu’il était présent dans la moelle épinière sans avoir donné lieu à aucun symptôme spécial qui pût y faire soupçonner sa présence. Cette expérience, qui au premier abord semble contraire à l'idée de la propagation par les nerfs, ne prouve en réalité rien contre elle. Elle montre que le virus a pu suivre silencieusement le cordon médullaire comme il chemine dans un nerf. La culture ne s’est pas géné- ralisée; elle s’est faite dans quelques faisceaux nerveux que le virus à suivis comme un conducteur jusqu'aux cellules du bulbe. En sacrifiant l’animal quelques jours avant l'apparition de la rage, peut-être aurait-on surpris le virus dans la moelle avant que le bulbe soit atteint. Nous avons ainsi été conduit à recher- cher le virus rabique dans la moelle avant l'apparition d'aucun symptôme rabique. Avant d'exposer ces essais, il convient d’in- sister, sur ce fait, que, chez le chien dont nous venons de parler les glandes salivaires contenaient le virus dès le début de la rage, bien que l’inoculation ait été pratiquée à la queue. Il y était sans doute déjà présent avant le jour où l’animal a été sacrifié, alors qu'il paraissait en parfaite santé. I] faut donc se garder de déclarer inoffensives les morsures faites par des animaux enragés dans les jours qui ont immédiatement précédé l’explo- sion de la maladie. Il serait fort intéressant de faire des expériences systématiques pour savoir à quel moment le virus rabique apparaît dans la salive. Mais continuons l'exposé des résultats de notre expérience. VIRUS RABIQUE DANS LES NERFS. 25 Un second chien de cette série parut un peu triste le 30 mai au soir. Le 31 mai, les jambes postérieures sont fléchissantes, l'animal a manifestement de la paraplégie. Il ébauche fréquemment des mouvements de coit. Il présente un type de rage médullaire au début. À 10 heures du matin, il est sacrifié. On prélève des segments de moelle lombaire et de bulbe; les segments comprennent toute l'épaisseur de la moelle sur une étendue de deux centi- mètres. Avec chacun d'eux, broyé à part dans du bouillon stérilisé, on inocule un lapin à la surface du cerveau, un lapin dans les veines : ce dernier lapin recoit une forte dose de substance nerveuse. Le lapin inoculé par trépanation avec le bulbe est pris de rage le 84 jour. Celui injecté dans les veines est resté bien portant, Le lapin inoculé par trépanation et celui injecté dans les veines avee la moelle dorsale n’ont pas pris la rage. Le lapin inoculé par trépanation avec la moelle lombaire est pris de rage le 17e jour, et celui inoculé dans les veines avec la même moelle est pris de rage le 28e jour. Ces deux chiens inoculés en même temps à l'extrémité de la queue ont présenté l'un une rage furieuse cérébrale et bulbaire, l’autre une rage paralytique, une rage médullaire type. Le résultat des inoculations dans le second cas montre que le virus a abordé la moelle par la partie inférieure dans la région d’origine des nerfs qui viennent du lieu de l'inoculation. Au- dessus du renflement lombaire le virus est peu abondant, la culture ne fait que commencer. La moelle dorsale n’a pas donné la rage, et le bulbe ne l’a donnée qu’au bout d’un temps très long. Les trois autres chiens de cette série sont restés bien portants. Le virus rabique s’est déjà cultivé dans les centres nerveux avant l'apparition de tout symptôme derage, et on peut le mettre en évidence chez les animaux, alors qu’en apparence ils sont en parfaite santé . Le 18 juin 1886, on inocule, par trépanation, quatre lapins neufs avec 1/10° de centimètre cube du liquide obtenu en broyant un peu du bulbe d’un lapin enragé de 70e passage, dans environ dix fois son volume de bouillon stérilisé. On sait, par de nombreux essais, que ce virus de 70° passage donne aux lapins auxquels on l'inocule par trépanation, une rage dont l'incubation est exactement de huit jours. Cinq jours après l’inoculation, on sacrifie, par strangulation, un de ces lapins qui paraît en pleine santé, et on puise, au milieu du bulbe, un peu de matière nerveuse qui sert à inoculer deux lapins neufs, à la surface du cerveau. Le lendemain 26 juin, on sacrifie un autre lapin et son bulbe est inoculé 1. Voir les expériences de MM. Vestea et Zagari sur le même sujet dans ces Annales, p. 493, 1 Vol. 26 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. à deux lapins neufs par trépanation. Le 27 juin, on sacrifie un troisième lapin dont le bulbe est aussi inoculé à deux lapins neufs. Le 3 juillet, les lapins inoculés avec le bulbe du lapin sacrifié le 5e jour après l’inoculation sont pris de rage (incubation : 8 Jours). Le 4 juillet, les lapins inoculés avec le bulbe du lapin sacrifié le 6e jour sont pris de rage (incubation : 8 jours). Le 5 juillet, les lapins inoculés avec le bulbe du lapin sacrifié le 7° jour sont pris de rage (incubation : 8 jours). La durée totale de l’incubation de la rage causée par le virus de 70 passage est de huit jours, et dès le 5° jour après l'inocu- lation, par trépanation, le virus rabique s’est cultivé dans le bulbe sans qu'aucun symptôme ait manifesté sa présence. Dans une autre expérience, on a recherché le virus rabique pendant la période d’incubation non dans le bulbe, mais dans un point plus éloigné du lieu de la trépanation, dans la moelle inférieure. Le 8 juillet 1887, on inocule, par trépanation, six lapins avec le bulbe d'un lapin de T# passage. À partir du 11 juillet, on sacrifie chaque jour un de ces lapins, et on inocule des fragments de sa moelle inférieureet de son bulbe (pris dans le centre du cordon médullaire) à deux lapins. Le bulbe et la moelle lombaire du lapin sacrifié le 3 jour n’ont pas donné la rage. Il en est de même pour le bulbe et la moelle lombaire du lapin sacrifié le 4e jour. Le bulbe du lapin sacrifié le 5° jour a donné la rage en 8 jours. La moelle lombaire n’a rien donné. La moelle lombaire du lapin sacrifié le 6° jour donne la rage en 10 jours. : | Les deux lapins non sacrifiés sont pris régulièrement de rage le Se Jour. Donc, deux jours avant qu'aucun symptôme rabique se soit manifesté, la moelle inférieure contenait le virus rabique qui s'était déjà cultivé dans le bulbe un jour auparavant. Il existe donc une période de culture latente du virus rabique dans les centres nerveux. Dans son étude sur la pathogénie de la rage publiée dans le tome le"de ces Annales, M. Gamaleïa avait déjà conclu à l'existence de cette période de culture latente. Nous avons entrepris, M. Nocard et moi, quelques expériences VIRUS RABIQUE DANS LES NERFS. 27 pour rechercher comment le virus rabique se propage dans les nerfs et avec quelle rapidité. Pour cela nous avons inoculé un âne dans le nerf plantaire externe au niveau du canon. La grosseur de ce nerf chez l'âne permet de faire facile- ment l’inoculation dans le tissu nerveux; de plus, sa longueur le désignait particulièrement pour l'expérience que nous nous proposions. Le virus employé était du virus de 144e passage; huit jours après l'animal était sacrifié et le nerf enlevé jusqu'à l’épaule. Le point d’inoculation est marqué par une zone rouge. Le nerf est divisé en huit fragments qui sont broyés à part. Avec chaque tronçon, on inocule par trépanation un lapin et on injecte sous la peau d’un autre ce qui reste de l’émulsion. Seize animaux reçoivent donc ainsi la substance de ce nerf; aucun d'eux n’est tombé malade, Ils ont été conservés depuis le mois de mars 1887 jusqu’au mois d'octobre de la même année. Le 22 mai l'expérience est répétée sur le nerf plantaire externe d’un cheval, avec cette différence que l’on inocule du virus de la rage des rues. Le 7 juin le cheval est sacrifié, et le nerf, divisé en cinq tronçons à partir du point d'inoculation, est inoculé à des lapins. Chaque segment sert à inoculer un lapin par trépanation, un lapin sous la peau avec une grande quantité de matière, etun lapin dans les veines avec deux centimètres cubes du liquide d'inoculation. Aucun de ces animaux n’a pris la rage; ils sont encore tous en bonne santé, même ceux qui avaient recu la portion du nerf où on avait pratiqué l’inoculation. Dans ces deux essais, le virus employé était virulent, puisqu'un chevreau et des lapins inoculés dans l'œil succombaient à la rage en 14 jours. Il faut se demander si ce cheval et cet âne auraient contracté la rage, s'ils avaient été conservés? Il semble que non seule- ment le virus ne s'était pas cultivé, mais même qu’il avait dis- paru au point où on l'avait inséré. Le 20 mars 1887, nous avons inoculé avec du virus fixe deux moutons dans le nerf collatéral du canon de la patte postérieure ; ces deux animaux conservés pendant neuf mois n’ont pas pris la rage, tandis que le même virus inoculé dans l'œil à un autre mouton le faisait périr de rage 45 jours après. On voit donc que l’inoculation dans les nerfs ne donne pas toujours la rage, et qu’elle ne présente point la sécurité de l'inoculation par trépanation ni même celle de l’inoculation dans l'œil. DE LA CULTURE SUR POMME DE TERRE Par EE ROUX, L'aspect caractéristique que prennent les colonies de certains microbes lorsqu'ils croissent sur la pomme de terre rend très précieux pour les bactériologistes ce mode de culture. De plus, la pomme de terre permet les cultures à haute température que l'on ne peut pas faire avec la gélatine. La technique de la culture sur pomme de terre, telle qu’elle a été fixée par M. Koch, est assez compliquée, elle prescrit des lavages préalables de la pomme de terre, la stérilisation de sa surface dans une solution de sublimé de façon à la débarrasser des germes qu’elle apporte avec elle, et qui résistent à une température supérieure à celle employée pour sa cuisson. Enfin il est difficile de conserver longtemps des cultures pures sur pomme de terre, surtout après que l’on a fait des prises dans les colonies. L'emploi des boîtes en verre munies d'une ouverture latérale fermée par un tampon de coton, semblables à celles que nous avons décrites, M. Nocard et moi, dans notre note sur la culture de la tuberculose, permet d'éviter presque sûrement les germes qui tombent sur la pomme de terre lorsqu'on fait les ensemencements ou les prises d'essai. Depuis plus d’une année‘ nous faisons la culture sur pomme de terre dans des tubes à essai dans les conditions suivantes : on taille la pomme de terre en tranches, sans aucune précau- tion de lavage antiseptique, de façon que les tranches puissent entrer dans un tube à essai de deux centimètres et demi de diamètre environ, figure 1. Ce tube porte vers le quart inférieur un étranglement qui empêche la tranche de pomme de terre de tomber au fond; dans la partie inférieure se rassemblera le liquide qui sort de la pomme de terre après la cuisson. Il n’est pas nécessaire que le tube soit stérilisé à l'avance. Lorsque la 1. Ce procédé est enseigné depuis plusieurs mois dans le cours de technique bactériologique que M. Chautemesse fait à l'École de médecine de Paris. DE LA CULTURE SUR POMME DE TERRE. 29 pomme de terre est introduite dans le tube, on ferme celui-ci par un tampon de coton, et on le porte dans l’autoclave où on le chauffe jusqu'à 115° : on le maintient à cette température pen- dant 45 minutes. Les tranches doivent être assez épaisses pour ne pas s’affaisser après la cuisson. À la sortie de l’autoclave, la surface de la pomme de terre est un peu humide, il suffit de Fig. 1. Fig. 2. placer les tubes verticalement pendant quelques heures à l’étuve pour que l’eau s’égoutte et que sa surface se sèche, elle est alors prête pour l'emploi. Les avantages de ce procédé sont faciles à saisir, il permet de préparer en très peu de temps autant de tranches de pomme de terre que l’on voudra, et qu'il est facile de conserver en recouvrant le tube à essai d’un capuchon de caoutchouc. Il évite les lavages aux antiseptiques et l'emploi de vases de verre encombrants. Il donne aux cultures sur pomme de terre la précision, la commodité et toute la sécurité des cultures sur gélose. Mais son principal avantage est dans la 30 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. stérilisation de la pomme de terre à 115°, qui assure en un temps très court sa stérilisation parfaite. En modifiant légèrement le tube que nous venons de décrire, il est facile d’obtenir des cultures d’anaérobies sur la pomme de terre. Pour cela on soude au tube à essai au-dessous de l’étran- glement un tube latéral, étiré en a (fig. 2, A), etmuni d’un tampon de coton, comme le montre la figure. Après avoir introduit la tranche de pomme de terre dans le tube, on stérilise le tout à l’autoclave comme il a été dit plus haut, puis, quand la surface de la pomme de terre est égouttée, ou sème l'organisme anaérobie que l’on veut cultiver, et on ferme à la lampe lapartie supérieure du tube comme on le voit (fig. 2, B). La tubulure latérale est reliée à la pompe à mercure et ou fait soigneusement le vide. La tranche de pomme de terre est maintenue pendant quelques instants sous le vide de la machine pour que l'air qu’elle contient s'échappe, puis avec un trait de chalumeau porté en 4, on détache le tube. Il est facile de suivre à travers la paroi du verre le progrès de la culture. Nous avons ainsi obtenu de belles cultures du vibrion septique qui creusent un sillon dans la pomme de terre. Au lieu de faire le vide, on pourrait, après avoir étiré la partie supérieure du tube, faire passer un courant de gaz privé d'oxygène, et fermer ensuite à la lampe le tube en haut et en bas. NOTE SUR LA RÉACTION CHIMIQUE DES BACILLES DU CHOLÉRA, Par M. ODO BUJVID, ne Varsovie. Dans untravail, résumé page 507 du tome [° de ces Annales, M. Ali-Cohen dit que la réaction chimique des bacilles du choléra qu'on produit au moyen des acides chlorhydrique et sulfurique, n’est pas caractéristique pour ces bacilles, qu’elle s’observe également avec ceux de Finkler, de Miller, de Deneke, et qu’elle dépend de la présence de l’acide azoteux dans ls acides employés. Il y a du vrai et du faux dans cette affirmation. On peut, RÉACTION CHIMIQUE DES BACILLES DU CHOLÉRA. 31 d'abord, obtenir la réaction avec un acide qui ne peut pas apporter d'acide azoteux, par exemple, l’acide oxalique, qu'on peut préparer dans un grand état de pureté. Il suffit d'en mettre quelques cristaux dans une culture de bacille du choléra faite dans un bouillon légèrement alcalin, à 2 0/0 de peptone, et additionné de 0,5 0/0 de sel marin, pour observer le même résultat qu'avec les acides sulfurique ou chlorhydrique. Avec les autres bacilles, l’acide oxalique ne donne rien. Avec l'acide chlorhydrique pur et ne renfermant pas d'acide azoteux, on n'obtient de même la réaction d’un rouge violet foncé qu'avec les bacilles du choléra, et c’est pour cela que j'ai recommandé l'emploi de cet acide de préférence à l’acide sulfurique. Ce dernier renferme, en effet, ordinairement de l'acide azoteux, et il donne alors la même réaction avec les bacilles de Miller, de Deneke, d'Emmerich, les bactéries fécales, et le bacillus pyogenes fœtidus qu'avec le bacille du choléra. Elle est seulement beaucoup plus intense avec ce dernier. Seul, le bacille de Finkler, après 4 jours de culture à 37°, donne avec l'acide chlorhydrique une réaction qui se rapproche de celle des bacilles du choléra. Mais avec ces derniers, elle est beaucoup plus prompte et s’observe quelques heures seulement après l’ensemencement. Salkowski explique cette réaction, en disant qu'ellen’estautre que celle de l’indol sur l’acide azoteux. Ce qui caractérise la cul- ture du bacille de Koch, c’est la production simultanée et rapide d’indol et d’un azotite qui, décomposé par un acide, donne le rouge observé. Les autres bactéries donnent de l’indol, mais pas d'acide azoteux. D'après ce que nous avons dit plus haut, le bacille de Finkler diffère des autres bacilles étudiés en ce qu’il donne aussi de l’indol et un nitrite, comme les bacilles de Koch, mais en un temps beaucoup plus long. La réaction que j'ai signalée, appliquée dans les condilions que j'ai indiquées, reste donc caractéristique du bacille-virgule. REVUES ET ANALYSES SUR L'ABSORPTION PAR INHALATION DES GERMES MORBIDER. REVUE CRITIQUE. Bucaxer. Sur les conditions du passage des microbes dans l'air et sur leur inhalation. Aertxt. Intelligenxbl, n°5 19, 43 et 14, 1880. — Frucce. Les microorganismes, 2° éd. 4886, p. 605. — Arno». Recherches sur l'inha- lation et la métastase des poussières. Leipzig 1885. — MuskarBLutTx. Nou- velles recherches sur l'infection par les poumons, Centralbl. f. Bact., 1. I, p.321, 1887. — Kocn, Mittheilungen, etc., 1884. — CaDeac ET MALLET, Comptes rendus, t. CV, p. 1190. — Bucaxer. Nouvelles recherches sur l'inha- lation des spores charbonneuses, Munch. med. Wochens., 1887, p. 1027. Par quelles voies une affection microbienne passe-t-elle de l'individu malade sur l'individu sain ? C’est là une question longtemps discutée, sur laquelle nous commencons seulement à avoir quelques renseignements précis. La loi générale de notre organisation, telle qu’elle résulte des mémo- rables expériences de M. Pasteur, est que l’intérieur de notre corps est d’or- dinaire fermé aux germes des microbes. Par où passent ceux qui réussissent à y pénétrer? Profitent-ils pour cela d’une porte antérieurement ouverte, d'une lésion, d’une effraction quelconque de la peau ou d'une muqueuse ? Ou peuvent-ils franchir d'eux-mêmes ces obstacles, en vertu d'une loi de leur physiologie ? Tel est le problème; on voit qu'il n’en est guère de plus impor- tant en théorie et en pratique. N'est-il pas surprenant que l’on ignore encore, par exemple, si le virus du chancre mou peut se développer lors- qu'il est déposé sur une muqueuse saine, ou s’il a besoin d'une érosion préexistante ? Je laisserai pourtant de côté, dans cette revue, tout ce qui se rapporte aux modes de pénétration des microbes par la peau ou la muqueuse intesti- nale. Là, il y aurait trop à dire, si on voulait creuser la question, et trop peu, si on voulait résumer à son sujet l'état actuel de la science. Nous sommes un peu mieux renseignés sur l'absorption pulmonaire, qui, pouvant se produire sur une surface considérable, au travers d’un épithélium très fin, a été tout naturellement mise en cause des premières pour expliquer l'extension épidémique de certaines maladies. C'est ainsi que Pettenkofer, même pour des maladies comme le {yphus et le choléra, admettait que les germes de ces affections étaient absorbés par le poumon, passaient de là dans le sang, et ensuite dans l'intestin pour y subir leur évolution carac- téristique. REVUES ET ANALYSES. 33 Toutefois, à cette mise en suspicion de l’absorption pulmonaire, on pou- vait répondre par quelques arguments. S'il y avait là une voie ouverte ou à peu près ouverte, on ne comprendrait pas que l’intérieur du corps fût, comme nous l'avonsrappelé plus haut, fermé d'ordinaire aux germes patho- gènes que nous sommes si souvent exposés à rencontrer autour de nous. On ne comprendrait guère aussi l'absence des germes non pathogènes, s’il est vrai, comme l'a montré M. Wyssokowitsch (V. ces Annales, t. T, p. 45), que beaucoup de bactéries vulgaires, comme le B. subtilis, peuvent résister et vivre longtemps dans le sang, quand elles y ont pénétré. Cette conséquence avait sans doute frappé M. Wyssokowitsch quand il s'est mis à étudier, dans le laboratoire de M. Flügge, la perméabilité du poumon, et aussi celle de la peau, pour les germes des microbes. Dans les deux cas, il a constaté que tant que l’épiderme ou la muqueuse étaient intacts, il n’y avait aucune pénétration des bactéries dans le sang. Pour le poumon en particulier, il a soumis ses animaux d’expériences à des inha- lations de poussières sèches de cultures du bacille de la fièvre typhoïde, de staphylococeus ou d'autres microbes. Il leur a fait respirer les liquides de culture eux-mêmes après les avoir pulvérisés, ou encore les leur a injectés dans la trachée. Il n'a jamais pu constater l’arrivée des microbes dans le sang, alors même « que l'injection avait déterminé dans le poumon les manifestations maladives les plus accentuées ». Ces résultats étaient d'accord avec ceux que Arnold avait obtenus aupa- ravant en soumettant ses animaux à l'inhalation de poudres colorées, qu’on pouvait retrouver anatomiquement dans les tissus. Ni le noir de fumée, ni l’outremer, ni l'émeri n’ont pu être décelés dans le sang ni dans les organes profonds. On les retrouvait tout au plus dans les ganglions bronchiques. Arnold a montré aussi que le poumon de l’homme se comporte à cet égard comme celui des animaux. Le noir de fumée n’y pénètre jamais que par des voies anormales. Voilà des conclusions bien nettes. Sans doute, faites pour des matières mortes, elles ne s'étendent pas nécessairement aux microbes, et Arnold lui- même fait des réserves à ce sujet, mais, unies à celles de Wyssokowitsch, elles témoignent d’une sorte d’imperméabilité de la muqueuse pulmonaire. Faut-il maintenant envisager cette imperméabilité comme absolue? On aurait bien tort, car l'histoire de la tuberculose nous montre nettement qu’au moins pour cette maladie il peut y avoir pénétration pulmonaire directe. On sait que la croyance à la contagiosité de la tuberculose, si bien établie au siècle dernier, n’a pas été déracinée partout par les efforts du corps médical, et qu'elle existe encore à l’état vivant dans beaucoup de campagnes, Mais c’est M. Villemin, qui, dans son heureuse et féconde tentative de réaction contre les idées de son temps, lui a donné le premier une consécration expérimentale, en prouvant que des animaux, soumis à une inhalation de poussières d'organes tuberculeux, devenaient tuberculeux. M. Koch a recommencé depuis ces expériences, en leur donnant le cachet de précision et de netteté que permettait sa belle découverte du bacille de la tuberculose. En soumettant des animaux à l’inhalation, sous la forme d’eau pulvérisée, de cultures pures de ce bacille, il a vu devenir tuberculeux tous ceux qui 3 34 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. appartenaient à des espèces très accessibles à cette maladie, les cobayes, les lapins, les souris des champs etles chats. Les espèces plus résistantes, chiens, rats, et souris blanches, finissent aussi par succomber à l'infection par de grandes quantités de cultures pures. M. Koch opérait d'ordinaire en diluant dans l’eau une culture du bacille, jusqu'à obtenir un liquide presque clair, et en soumettant les animaux, pendant 3 jours de suite, à une demi-heure d'inhalation pendant laquelle on pulvérisait, dans la caisse d'expérience, environ 50cc de ce liquide. En recommençant ces essais pour juger de la réceptivité de l'appareil respira- toire pour les bacilles de la tuberculose, MM. Cadéac et Mallet ont constaté, comme M. Koch, que l'inhalation de liquides tuberculeux pulvérisés, ou l'injection intra-trachéale de matières tuberculeuses, rendaient tubercu- leux tous les animaux d'expérience. Mais ils sont aussi arrivés à ce résultat imprévu que l’inhalation des poussières tuberculeuses sèches était presque toujours inoffensive. Quelques détails sont nécessaires pour apprécier la valeur de ce résultat. MM. Cadéac et Mallet dessèchent à l’étuve de 30 à 35° des crachats de phtisiques, ou laissent se dessécher à l'air de tout petits morceaux de pou- mons de vaches tuberculeuses, pulvérisent ensuite dans un mortier, et pas- sent le tout au moulin à poivre; puis, à l'aide de petits soufflets pour poudres insecticides, ou d’autres moyens mécaniques, ils disséminent, en lesfraction- nant, «un ou plusieurs litres de poussières tuberculeuses dans l'atmosphère de caisses hermétiquement fermées oùon place journellement, pendant plu- sieurs heures, un certain nombre d'animaux ». Relevons seulement, pour le moment, dans ce court exposé, deux points sur lesquels nous aurons à re- venir tout à l'heure: le premier est que ces poussières paraissent, au moins à première vue, n'avoir été ni très sèches ni très fines; en second lieu les animaux en expérience étaient soumis à des inhalations multipliées (une demi-heure par jour pendant plusieurs jours consécutifs) dans un air qui doit avoir été très riche en poussière, car on a dans une expérience injecté 2 litres de poussières, en 3 semaines, dans une caisse d’un mètre cube de capacité, et qui renfermait 8 lapins et 8 cobayes. Nous verrons bientôt que le mode opératoire n’est pas indifférent. On peut dire toutefois, au sujet de toutes ces expériences, que, très inté- ressantes au point de vue de la tuberculose, elles se rapportent uniquement à un être qui trouve dans le poumon un milieu d'élection, s’y cultive facile- ment et y amène, avec la maladie qu’il produit, des désordres qui favori- sent sa pénétration dans les organes profonds et la généralisation de la maladie. Elles ne nous renseignent pas sur le mode de pénétration des microbes qui ne deviennent pathogènes que dans les organes profonds, et pour lesquels le poumon n’est qu’un lieu de passage. Comment ces derniers s'ouvrent-ils cette porte ? Pour résoudre cette question, Buchner s’est adressé à la bactéridie char- bonneuse. Celle-ci a un défaut. Sitôt qu'elle a pénétré dans le sang, elle devient rapidement mortelle, et la mort de l'animal interrompt brusque- ment la période de transition qui est le point capital de l'étude. Peut-être Buchner et les savants qui l'ont suivi dans cette voie auraient-ils trouvé interêt REVUES ET ANALYSES. 39 et profit à se servir d’une bactéridie déjà atténuée, ou à opérer sur des ani- maux vaccinés. Mais ils n’en sont pas moins arrivés à quelques résultats, très intéressants, et que nous allons résumer. Dans ses premières expériences, Buchner avait mélangé de spores char- bonneuses des poudres fines et bien sèches de charbon de bois ou de tale, qu'il avait répandues en nuage dans une caisse renfermant les animaux d'expérience. Il avait vu ces animaux, qui étaient des souris blanches, mourir du charbon quelques jours après l’inhalation. On pouvait dire que l'infection avait tout aussi bien pu se produire par des érosions à la surface de la peau ou par le canal intestinal que par voie pulmonaire; mais Buchner avait répondu à cette objection en saupoudrant d'autres animaux avec des poussières infectieuses, ou en les leur faisant avaler, et n'avait vu aucun d’eux mourir charbonneux. Par voie d'exclusion, il mettait donc directement en cause l'absorption pulmonaire. Mais si ces expériences prouvaient que la pénétration était possible, elles ne disaient pas comment elle se faisait, C’est le point qu'a étudié M. Muskat- bluth. Il a employé pour cela deux méthodes différentes. Dans la première, il injectait dans la trachée de lapins de petites quan- tités (0,2 à 0,3 cc.) d’un liquide très riche en bacilles du charbon. Puis, comme il y avait alors à redouter l'infection locale de la blessure, il sacrifiait les animaux environ 16 heures après l'opération, avant que cette infection locale n'ait pu venir troubler les résultats. Il retrouvait alors les bacilles injectés sur les parois des alvéoles, enveloppés dans des cellules que leur forme et leur position doivent faire considérercomme desdébris del’épithélium alvéolaire, les cellules à poussière (Staubzellen); ces cellules sont bondées de bacilles et contiennent fréquemment aussi de longs fils enroulés. On trouvait aussi des bacilles dans les ganglions bronchiques, mais seulement dans les lymphatiques du ganglion, et pas du tout dans les vaisseaux sanguins. Cependant, les bacilles avaient déjà pénétré dans la circulation, car sur un lapin tué 17 heures après l'injection on a trouvé, parla méthode des cultures, des bacilles charbonneux dans le foie et dans la rate. Dans un second procédé opératoire, M. Muskatbluth trachéotomisait d'abord ses lapins, et ne faisait l'injection, et encore au travers de la canule, que lorsque la plaie était entièrement fermée et cicatrisée. Assuré ainsi contre toute infection locale, il pouvait attendre la mort de l'animal, qui survenait au bout de 40 ou 48 heures, pour faire l'examen microscopique des poumons. Le tableau était alors exactement l'inverse de tout à l'heure. On ne trouvait plus de bacilles que dans les vaisseaux sanguins du poumon, les cellules à poussière étaient presque toutes vides de microbes, et dans les ganglions bronchiques toutes les bactéridies avaient disparu des vais- seaux lymphatiques. Ces expériences permettent de conclure : 4° que le poumon est perméable pour les bacilles charbonneux; 2° que les voies de pénétration sont les Iym- phatiques, les ganglions et le tronc lymphatique, d’où les bacilles passent dans les vaisseaux sanguins. Le seul point un peu obscur dans ces études, est le rôle des cellules à poussière; sont-elles des agents d'expulsion ou des agents de pénétration des 36 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. microbes. En les voyant remplies de bacilles, on est tenté d'en faire des phagocytes. Mais on n’aperçoit aucune trace de dégénérescence chez les ba- cilles qui les habitent, et qui continuent à se colorer très bien. Elles ne laissent pourtant pas que d’avoir un rôle protecteur. Beaucoup sont élimi- nées avec les secrétions bronchiques, et éliminent ainsi les bacilles qui les contiennent. Or, l'intensité de la sécrétion dépend de l'intensité de l’inflam- mation pulmonaire ; elle augmente avec l'énergie de la desquamation et de l'infiltration cellulaire, de sorte que s’il survient une pneumonie, une partie des bacilles étant éliminée par voie mécanique, une autre se trouvant - noyée dans des liquides d'infiltration qui remplissent les bronches ou les alvéoles, et privée ainsi, sinon de nourriture, au moins d'air, l’évolution du charbon peut se (trouver arrêtée par la maladie intercurrente provoquée par l'inflammation pulmonaire. M. Muskatbluth en cite un exemple, et nousallons en trouver d’autres dans les dernières expériences de Buchner. Mais nous n'avons pas besoin d'attendre pour conclure que l’inhalation de poussières infectieuses ou non infectieuses met peut-être en jeu un mécanisme de résistance dont il importe de tenir compte dans le dispositif des expériences et dans l'interprétation des résultats. Sans qu'on sache encore grand'chose sur ce mécanisme, on a le droit de penser que, pour réussir une inoculation tuberculeuse, il faudra d'abord arriver jusqu'aux alvéoles, ce qui exigera l’'émploi d'une poudre très fine et très sèche, puis tacher de réduire au minimum l'inflammation pulmonaire, puisqu'on ne peut l’éviter totalement, et pour cela opérer avec une faible quantité de poussière aussi infectieuse que possible. Toutes les expériences dans lesquelles ces conditions ne sont pas réunies risquent d'être troublées par la cause d'erreur ou d’insuccès que nous relevions tout à l'heure, et c’est ainsi peut- être qu'on s'explique comment MM. Cadéac et Mallet n’ont pas trouvé infec- tieuses par voie pulmonaire des poussières tuberculeuses sèches qui, insérées sous la peau, donnaient la tuberculose aux animaux inoculés. Dans ses dernières expériences sur le charbon, Buchner à retrouvé le suceès des premières, en réunissant les conditions que nous venons de signaler. Comme substance pulvérulente, il emploie les spores de Lyco- perdon giganteum, dont le diamètre n'atteint pas la moitié du diamètre d'un globule du sang humain, dont la légèreté est très grande, et qui, bien sphériques, échappent au reproche qu’on peut faire aux poudres minérales de présenter quelquefois des arêtes à bords tranchants qui peuvent léser la muqueuse si délicate du poumon. Il imbibe largement cette poudre d’une culture de bactéridies où il n’y a que des spores, la déssèche bien sur le chlorure de calcium, et la transforme en nuage dans une chambre close où respirent les animaux. La quantité de poudre mise en suspension dans l'air est très faible, elle n’est que de 0,25 gr. dans une chambre de litres environ de capacité, renfermant cinq souris blanches, du double dans une chambre de 44 litres, renfermant deux cobayes. L'inhalation ne dure que de 10 à 45 minutes, et les animaux n’y sont exposés qu'une fois. On voit que nous sommes loin des conditions des expériences de MM. Cadéac et Mallet. Il est vrai qu'il ne s’agit plus de tuberculose, mais les résultats sont très nets. Les Souris succombent au charbon en moyenne REVUES ET ANALYSES. 37 x après 60 heures, et les cobayes du 3° au 5° jour. Sur 43 souris soumises à l'expérience, il y en a eu 36 mortes par le charbon, 5 par pneumonie, et 2 restées vivantes. Sur 18 cobayes, 13 sont morts du charbon, 5 ont survécu. Les cas de pneumonie nous rappellent notre observation de tout à l'heure. Ici aussi, le microbe de la pneumonie, présent par hasard ou à la suite d'une affection antérieure, et favorisé dans son développement par l'inflammation pulmonaire résultant de l'inhalation, avait si bien arrêté l’évolution du bacille qu'il a été impossible d'en retrouver dans les poumons des animaux pneumoniques, ni au microscope, ni par voie d'ensemencement. Nous avons aussi le droit de rappeler ici l'insuccès des expériences de Wyssokowitsch que nous avons résumées plus haut, et dans lesquelles l’in- jection répétée de petites quantités de culture de bacilles dans la trachée s'était montrée inoffensive, « même lorsque le poumon montrait les mani- festations maladives les plus accentuées ». Comme le font remarquer MM. Muskatbluth et Buchner ce n’est pas mème, c'est parce que qu'il aurait fallu dire sans doute. C'est parce que le poumon était devenu le siège d'une congestion ou d'une affection à marche rapide que l’évolution du mierobe inhalé avait été arrêtée. Quoi qu'il en soit, on voit tout le danger de l'inhalation des pous- sières charbonneuses. M. Buchner a cherché à pousser plus loin sa démons- tration en apportant la preuve directe de la pénétration de la bactéridie par les poumons. Les nombreuses tentatives qu’il a faites à ce sujet peuvent se résumer dans l'expérience suivante, qui rappelle celles de M. Muskatbluth. Une souris, tuée par le chloroforme 20 heures après l’inhalation, et dans un état apparent de santé parfaite, a été soumise à un examen microsco- pique soigneux. Dans ses poumons, on a trouvé, en deux points, des amas de bacilles charbonneux dans les diverses couches de la paroi alvéolaire. Comme l’inhalation avait porté uniquement sur des spores, il fallait bien qu'il y eût eu végétation. Cette végétation ne résultait pas à son tour d'un retour dans le peumon de bacilles ayant pullulé à l'intérieur du corps, car d'abord, la rate, étudiée par la méthode des cultures, ne contenait aucun bacille, puis on ne trouvait aucun bacille dans le réseau capillaire des pou- mons, ce qui eût été nécessairement le cas si les microbes avaient été transportés par le sang dans les poumons. Enfin, comme dernière preuve, au milieu d’un des amas de bacilles révélés par le microscope, on a trouvé, adhérent à la paroi alvéolaire, le fragment inhalé de poudre de charbon qui avait apporté le germe. M. Buchner estime donc avoir le droit de tirer la conclusion suivante qui résume ses expériences et celles de ses prédécesseurs: « Les spores charbonneuses ou les bacilles qui enproviennent ont le pou- voir de traverser la surface du poumon en dehors de toute lésion mécanique, de passer dans les voies lymphatiques, et d'aller ainsi végéter dans les organes profonds. Des phénomènes d’inflammation dans le tissu du poumon ne sont nullement nécessaires pour tout cela, et constituent au contraire un obstacle à la pénétration des bacilles. » Dx. 38 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Max Vorzscn. — Contribution à la question de la résistance des bacilles tuberculeux. Beitr. x. path. Anat., t. II, 1887. Le Mémoire de M. Voelsch est consacré à l'étude de quelques points très controversés de l'histoire biologique du bacille tuberculeux, c’est-à-dire de sa résistance à la putréfaction, à la chaleur, à la dessiccation. Sur le premier point, les savants sont divisés en deux camps. Dans l'un, nous trouvons Baumgarten!, Fischer? et Falk *, qui, les deux premiérs pour la tuberculose transmise par les voies digestives, le dernier, pour la tuber- culose d’inoculation, prouvent qu'après quelques jours de putréfaction, les matières tuberculeuses perdent tout pouvoir infectieux. De Toma‘ est tout récemment arrivé à des conclusions analogues pour la putréfaction des cra- chats tuberculeux. Mais en face de ces affirmations se dressent les résultats contradictoires obtenus dans le laboratoire de M. Koch par Schill et Fischer, qui ont pu inoculer avec succès un erachat tuberculeux en putré- faction depuis trois jours. M. Koch$ a confirmé ces résultats, et Wesener ne les a pas contredits. L'incertitude n'est pas moins grande sur d’autres points, pourtant très importants, l’action de la chaleur, par exemple. L'ébullition peut-elle rendre inoffensif un lait tuberculeux ? Schill et Fischer répondent qu'après deux minutes d’ébullition un crachat tuberculeux n’a pas perdu sa viru- lence, mais qu'il l'a perdue après cinq minutes. Wesener ajoute que l’ébul- lition détruit plus sûrement les bacilles sans spores que les spores. Mais Falk n’est d'accord ni avec eux ni avec de Toma sur l'influence d'une longue conservation à haute température. Enfin, au sujet de l'influence de la dessiccation, nous avons encore à choisir entre des affirmations qui ne sont plus, il est vrai, aussi contradic- toires, mais qui prêtent à l'embarras par leur manque de précision. Ce sont ces incertitudes que M. Voelsch a essayé de faire disparaître. Il s'est demandé si elles ne tenaient pas en partie à ce que les savants cités plus haut avaient opéré tantôt sur des bacilles tuberculeux sans spores, tantôt sur des bacilles sporifères peut-être plus résistants. Il à donc porté son attention de ce côté, et s’est servi de semences tuberculeuses provenant de trois sources. Une culture artificielle lui donnait des bacilles à peu près privés de spores ; un crachat tuberculeux des bacilles très riches en spores, et enfin un tissu tuberculeux jeune lui fournissait un mélange de bacilles à spores et de bacilles sans spores. Avec chacune de ces semences, il a fait l'étude de l'influence de la putré- faction, de la dessiccation à basse et à haute température, d’un simple et d'un double chauffage à 100°. C'était beaucoup entreprendre. Ajoutons tout 4. Centralbl. f. Klin. Med., 1884, no 9. 9, Arch. f. exp. Path. u. Pharmuk., t. XX, 3. Arch. f. path. Anat. und Physiol., t. XCIIT. 4. Annali univ. di medic. chirurg., 1886. 5. Mittheil. d. k. Gesund., t. 11, p. 543. 6..Id:, p.18. REVUES ET ANALYSES. 39 de suite que vingt-neuf lapins lui ont suffi pour étudier toutes ces questions. Ajoutons encore que, faute de temps, ces lapins ont été tués une quinzaine de jours après l'inoculation, avant toute évolution possible d’une tubercu- lose généralisée, et qu'on a jugé du degré d’affaiblissement subi par la semence par le degré de développement du tubereule local produit au point d'inoculation. Ajoutons enfin que le point capital qu'on pouvait essayer de viser dans ce dispositif expérimental, à savoir la comparaison entre les effets des divers traitements sur les bacilles sans spores de la culture artificielle et les bacilles à spores du crachat tuberculeux, s'est entièrement dérobé à l'expérience, par suite de l'intervention fortuite, dans l'une des séries d'essai, d’une septicémie du lapin, dont les germes existaient sans doute dans le crachat tuberculeux auquel on a emprunté la semence, et qui a pris le pas sur la tuberculose. Il suffit de cette courte esquisse de la phy- sionomie du Mémoire de M. Voelsch pour comprendre qu’il n’ait pu avan- cer beaucoup les questions dont il a entrepris l'étude. Ce qu'il trouve est un peu vague et difficile à résumer. Le point le plus net est relatif à l'influence d’un simple et d’un double chauffage à 100°. La semence en sort affaiblie, mais non morte. Mais le résultat n’a rien de bien nouveau. Il avait été trouvé par quelques-uns des savants cités plus haut, s'il avait été contesté par d’autres. Ce qui nous intéresserait, ce n’est pas de savoir dans quel camp M. Voelsch se place, ni s’il a jugé plus juste de se tenir entre les deux, ce serait d'apprendre de lui pourquoi, sur une question, en apparence si simple, la science est divisée en deux camps, pourquoi des savants ont trouvé inoffensive l’inoculation d’un bacille tuberculeux chauffé, pourquoi d’autres savants, également habiles et autorisés, l'ont trouvée virulente. Y avait-il une influence, restée inaperçue des uns ou des autres, de la prédisposition individuelle ou de la race des animaux inoculés, ou de la nature de la semence, ou de la réaction acide ou alcaline du milieu qui les contenait, ou du mode de chauffage, ou de la température atteinte, ou du mode d’échauffement ou de refroidissement, qui prolonge plus ou moins l'action des températures voisines de la température mortelle? Un seul de ces points, convenablement élucidé dans le mémoire de M. Voelsch, lui aurait donné une autre valeur que celle que lui donne son vaste pro- gramme, resté à l’état d’ébauche, Nous pourrions en dire autant au sujet de la putréfaction. M. Voelsch trouve qu'elle affaiblit aussi la virulence, mais ne la fait pas disparaître. Il se place ainsi à côté de son maître, M. Baumgarten, de Falk, de Fischer, ete. Mais ces questions ne sont pas des questions de majorité. Pourquoi la putréfaction s’est-elle montrée active à Berlin, inactive à Kænigsberg? et d’abord, de quelle putréfaction s'agit-il? M. Voelsch,comme ses prédécesseurs, parle de la putréfaction comme d'un phénomène simple. Mais il y a certainement plusieurs centaines de putréfactions diverses, ame- nées par des microbes qui sécrètent des diastases différentes, donnent lieu aux produits vitaux les plus variés, communiquent au liquide putride une réaction tantôt acide, tantôt alcaline, et ne peuvent se ressembler dans leur action sur les bacillestuberculeux. Le moindrerenseignement sur ce sujet eût singulièrement diminué notreembarras à choisirentre des affirmationsrivales, 40 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Enfin, au sujet de l'influence dela dessiccation, M. Voelsch constate que la virulence décroît lentement par une longue conservation à la température ordinaire, et plus rapidement à l'étuve. Sur ce point, pas plus que sur les autres, « il ne s’est révélé de différence bien sensible entre les bacilles spo- rifères et non sporifères, ce qui revient à dire que la ténacité des bacilles tubereuleux non sporifères est assez grande ». Ce serait le cas de faire ici quelques réserves sur ce qu'on appelle spores dans le bacille tuberculeux, mais comme cette question, dans le Mémoire de M. Voelsch, est plutôt visée que traitée, nous attendrons une autre occasion pour l’étudier avee le soin qu'elle mérite. Dr Tu. Kirr. — Recherches sur le rouget des pores et son inoculation. Centralbl. Bacteriol. u. Purasit., t. I, 1887, p. 693. Le Mémoire de M. Kitt, résumé d’autres Mémoires plus étendus, publiés dans d'autres recueils ‘, touche à une foule de points. Nous ne parlerons . que de ceux qui sont d'un intérêt général et sur lesquels M. Kitt apporte des notions nouvelles. Ce sont surtout les questions d'atténuation qu'il a étudiées, et sur les- quelles il se trouve en contradiction avec ce qu’on croyait savoir déjà. M. Pasteur avait montré que, par des passages successifs au travers du pigeon, la virulence du bacille du rouget s'exalte vis-à-vis du pore, qu'elle s'atténue, au contraire, par des passages successifs au travers du lapin. M. Kitt n'a pas pu observer ces variations de virulence, et se demande comment on à pu les observer ailleurs. La durée de l’incubation et celle de la maladie étant très courtes avec les petits animaux, chez lui, souris, pigeons et lapins périssent également vite, qu'on les inocule avec le premier vaccin Pasteur contre le rouget, qui doit ne renfermer que des bacilles atténués, avec le second vaccin ou avec du rougetde pore. Les souris meurent entre 4 et 4 jours, les pigeons entre 8 et 6 jours. Il y a pourtant là une marge assez notable pour metire en évidence des effels d'atténuation. I n'a pas été plus heureux dans l'étude de l'atténuation par des ino- culations en série. Avec les souris, il n’a pu resserrer entre des limites plus précises que celles de 1 à 3 jours les durées d'évolution du microbe 4. Nous profitons de l'analyse du travail de M. Kitt sur le rouget pour donner la bibliographie complète du sujet, depuis la découverte du bacille : Pasteur et Thuillier, sur le rouget ou mal rouge des porcs, C.-Rendus, 1883, t. XCXV; Bull. de l’Ac. de med., 1883, n°0 48. Loeffler. Recherches expérimentales sur le rouget. Arb. a. d. k. R. G. A. 1885. t. I. Schutz. Arch. f. wiss. und prakt. Thierheilk. Berlin, 1885, t. XI; et 1886, t, XII; et Arbeiten a. d. k. R. G. A., 1885-86. Lydtin et Schottelius. Le rouget des porcs. Weisbaden, 1885. Cornevin. Première étude sur le rouget du porc. Paris, 1885. Baillet. Recherches sur le rouget. Recueil de méd. vet., 1884. T. Kitt. Recherches sur le rouget des porcs et son inoculation. Jahresbericht d. bayer. Thierzarzneisch, 1886. — Oesterreich. Revue f. Thierheilk., 1886. REVUES ET ANALYSES. 41 inoculé. Avec les pigeons, les résultats de l'inoculation en série ont été plus réguliers : la mort survenait d'ordinaire au bout de 3-4 jours. L'ino- eulation se faisait à chaque fois à la lancette, trempée dans le sang du pigeon qui venait de mourir, et avait lieu sous la peau du grand pectoral. La quantité de virus inoculé était ainsi très faible, et la mort eût sûrement été plus rapide si on en avait inoculé davantage. Mais s'il y avait eu une diminution de virulence, elle aurait dû apparaître, pense M. Kitt, dans la série de 30 pigeons inoeulés, et on n'en trouvait trace, ni dans la durée d'évolution de la maladie, ni dans les résultats de l'inoculation de ces virus de passage du pigeon à la souris ou au lapin, qui mouraient aussi vite que lorsqu'on les inoculait avec du rouget de pore. Avec les lapins, la contradiction est encore plus marquée et plus curieuse. M. Pasteur a montré, comme on sait, que dans le passage au travers du lapin, la virulence du bacille du rouget déeroît vis-à-vis du pore, mais eroit vis-à-vis de cet animal qui, dans des inoculationsen séries, périt de plus en plus vite. M. Cornevin a trouvé le même résultat. M. Kitt con- firme la décroissance de la virulence vis-à-vis du porc par le passage au travers du lapin, et a même réussi à conférer l’immunité à un pore par l'inoculation d’un bacille ayant traversé une seule fois l'organisme d'un lapin; mais il trouve, chose plus imprévue, que le transport du bacille de lapin à lapin ne peut se faire au delà de deux fois de suite, et que d'ordinaire, après une première génération « sa virulence est tellement affaiblie qu'une nouvelle inoculation sur le lapin est impossible ». L'impossibilité rencontrée par M. Kitt tient peut-être à son mode opéra- toire. Le sang des lapins contient très peu de microbes, et l'insuccès des transplantations successives à la pointe de la lancette tient peut-être à cette circonstance. M. Kitt eût sans doute obtenu d’autres résultats s'il avait inoculé ses animaux en série avec un fragment de rate broyée. Chercher, comme il le fait tant sur ce sujet que sur d'autres, l'expliea- tion des différences entre ses résultats et ceux des savants qui l'ont précédé, dans l’impureté possible des cultures en milieux liquides en usage au labo- ratoire de M. Pasteur, c’est porter contre ce mode de culture une accusation sans preuves. Comment admettre que, depuis 1882, on conserve au labora- toire de M. Pasteur des cultures de rouget, donnant l’immunité aux pores auxquels on les inocule, si ces cultures étaient impures à l'origine. N'est-il pas évident que, dans cette longue série de cultures en milieux liquides, cette impureté aurait fini par disparaître ou dominer, et que ces cultures auraient en ce moment des propriétés toutes différentes de celles qu'elles possédaient autrefois? La condition de perpétuité dans les cultures et de la préparation indéfinie des vaccins est précisément leur pureté absolue. Ce n'est pas d’ailleurs la première fois, et ce ne sera sans doute pas la dernière qu'on trouvera exprimée, dans des Mémoires étrangers, la pensée que la culture en milieux liquides n'assure pas la pureté autant que la cul- ture sur milieux solides. Ainsi M. Pasteur n'aurait jamais connu, à l'état pur, les ferments alcooliques et le ferment lactique ; Raulin, l’Aspergillus niger ; Van Tieghem, le ferment de l’urée, pour ne parler que des premiers qui ont suivi M. Pasteur dans les voies nouvelles qu'il avait Dre GC A CA L SYLe a > #p 42 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. culture sur milieux solides à été un grand progrès, mais dédaigner tout ce qui ne vient pas d'elle est ou une prévention, contre laquelle l'expérience proteste, où une prétention, amusante comme toutes les prétentions, et qu’il faut laisser passer, en la saluant d’un sourire. Pour le microbe du rouget, en particulier, la figure la plus exacte qui en ait été tracée est une pho- tographie du D' Roux, que tout le monde à pu voir, en 1884, au labora- toire de M. Pasteur, qui a été présentée, en 1885, à la Société de Biologie, et publiée dans le premier volume des Annales. Le Mémoire de M. Kitt contient, en outre, le résultat de ses études sur le mode de propagation du rouget. Il trouve queles excréments des animaux souffrant de cette maladie (souris, pigeons, porcs) sont extrêmement infec- tieux, qu'une putréfaction de quelques jours leur laisse leur virulence, mais qu'ils la perdent assez vite par la dessiccation. On n’est pas encore bien fixé sur les espèces domestiques qui peuvent contracter le rouget. M. Pasteur dit que les moutons sont dans ce cas, et Lydtin dit la même chose, avec réserve, il est vrai, pour les bœufs. MM. Cor- nevin et Herbet contredisent ces deux assertions. M. Cornevin a constaté aussi l’état réfractaire du mulet, de l'âne, du chien, du chat et du cobaye, de la poule, de l’oie et du canard. M. Kitt confirme quelques-unes de ces conclusions, mais il y ajoute que le mulot (Waldmaus) est aussi indemne, ce qui est un argument à ajouter à ceux qu'ont avancés MM. Loeffler et Schutz, pour établir l'identité entre le microbe du rouget et celui de la sep- ticémie de la souris, qui, pathogène pour la souris blanche et la souris grise, ne l’est pas pour la souris des champs. Cette question d'identité ne nous parait pas aussi démontrée que le pense M. Kitt. Mais ce n’est pas le moment d'aborder cette question. px J. Porzs. Les microcoques du coryza contagiosa des chevaux. Fortschritte d. Medicin, t. VI, 1888, p. 4. M. Poels désigne sous le nom de glande (Druse), une affection conta- gieuse du cheval, identique sans doute à ce que nous nommons gourmes en France, et qui se caractérise par une hypersécrétion de la muqueuse respi- ratoire, souvent suivie d'un gonflement et d'une formation secondaire d’ab- cès dans les ganglions lymphatiques de la région. L'inflammation est d'ordinaire bornée aux narines et à l’arrière-gorge, mais elle peut aussi gagner le larynx, les voies respiratoires, les sinus maxillaires et frontaux. C'est une maladie très redoutée, parce que, dès qu'elle à pénétré dans une écurie, elle s'étend sur presque tous les chevaux, tuant les jeunes, et arrêtant les animaux de travail. Quelle que soit la forme affectée par cette maladie, M. Poels a toujours trouvé, dans le mucus nasal ou le pus des glandes des chevaux qu'il a étudiés, un micrococeus, tantôt en articles isolés, tantôt en paires, tantôt en chaînettes de 3, 4 ou 5 articles. Les chaînes ne sont jamais très longues. REVUES ET ANALYSES. 43 Ce coccus est rond où un peu allongé, et dans ce cas il montre, quand il est en voie de division, deux pôles plus fortement colorés, en forme de demi-sphère, en contact par leur surface plane. C'est là le début de la multiplication. Les deux motiés du coceus s’arrondissent ensuite, s’allon- gent à nouveau et se multiplient ainsi. La plupart de ces coccus sont entourés d'une enveloppe non colorable, mais ils ne l'emportent pas avec eux dans tous les milieux de culture. Sur la gélatine ou la gélose, on n’observe aucun développement super- ficiel. Sur la gélatine, il ne se forme sur la piqûre que des colonies isolées. Dans le bouillon, il n’y a qu'un trouble léger au-dessus d’un abondant dépôt de fond. C'est sur le sérum du sang de cheval que le coccus se développe le mieux, à la condition que ce sérum ne soit pas trop fortement coagulé. Quand il est encore à moitié gélatineux, il s’y forme des colonies mu- queuses, demi-transparentes, qui ressemblent à de petites gouttelettes d’eau superficielles. Quand on les touche avec un fil de platine, on s’apercoit qu'elles sont un peu visqueuses, mais cela ne les empêche pas de couler le long de la surface si on incline le tube de sérum qui les nourrit. Le coccus y pousse aussi dans la profondeur. Dans ce milieu, il montre, lorsqu'on le traite par une solution de violet de gentiane, une belle capsule colorée, et quelques-unes de ces enveloppes ressemblent beaucoup à celles du microbe de Friedlaender. On les trouve non seulement autour des articles isolés, mais entourant aussi les chaînettes. « On trouve quelquefois des capsules dans lesquelles on ne voit aucun coceus, et qui apparaissent alors parfaitement homogènes, ou présentent à la place que devraient occuper les coceus des parties brillantes qui ont tout à fait la forme de coccus. » Il ne s’agit sans doute, dans cette description, que d’un effet de mise au point. Si l'enveloppe et ce coceus sont inégalement réfringents, on doit, suivant les cas, voir le coccus clair sur un fond gris ou le coceus noir sur un fond elair. Sur la gélatine, la gélose et le bouillon, les capsules disparaissent pour reparaître si on reporte la culture sur le sérum de sang. Ce coccus est pathogène pour la souris, le lapin et le cobaye. Son inocu- lation sous-cutanée à la souris provoque un gonflement et une infiltration séreuse du tissu conjonctif. Parfois, ce gonflement et cette infiltration gagnent de proche en proche, et sont suivis d’une infection générale qui amène la mort à bref délai. On retrouve le coccus non seulement dans l’in- filtration séreuse du tissu conjonctif, mais encore dans le foie et la rate de la souris morte. Mais ces cas aigus sont rares. D'ordinaire il se forme au point d'injection des foyers purulents, avec métastases dans le foie et ail- leurs, qui gardent longtemps le microbe à l’état vivant. Ce qui est plus important que ces inoculations sur la souris, c'est que M. Poels à pu infecter à l’aide de son coccus deux chevaux bien portants. Sur l’un on a injecté dans le larynx une culture de 5° génération du coccus dans du bouillon. L'animal a eu l’inflammation de l’arrière-bouche et le gonflement des ganglions supérieurs. Sur un poulain âgé de 30 mois, on a injecté dans les cavités nasales, 44 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. après y avoir fait quelques piqûres, une culture de 6e génération sur du sérum de sang de cheval, mélangée à 10 grammes de bouillon. En même temps, on inclinait la tête de l'animal, de façon à amener en contact le liquide d’inoculation avec la muqueuse du nez et de l’arrière-bouche. Ce poulain présenta le coryza caractéristique avec gonflement et formation d’abcès dans les ganglions du cou. Dans le mucus nasal et le pus des gan- glions on retrouvait le eoccus. Il semble donc qu’il n’y ait pas de doute à avoir sur la question de cause, Dx. J. Japassonx. Sur la connaissance du rouge de choléra. Breslauer Aert:l. Zeitschr, nos 10 et 17, 1887. L'article de M. Bujwid, qu'on trouvera dans les Mémoires originaux de ce numéro des Annales, résume bien l’état actuel de la science au sujet du choléra-roth ou rouge de choléra. Ce rouge est une combinaison d'indol et d'acide azoteux que l’on obtient plus hâtive etplusabondante avec le bacille du choléra qu'avec d’autres bacilles très analogues à celui du choléra pour leurs formes ou leurs propriétés, parce que le premier développe à la fois, dans les cultures, l’indol et l'acide azoteux nécessaires à la formation du choléra- roth. Il y à des bacilles qui ne produisent que de l'indol, et qui ne donnent, dès lors, la réaction rouge qu'avec un acide souillé de produits nitreux. Le bacille de Finkler-Prior donne à la fois de l'indol et un nitrite, et pourrait être confondu avec le bacille du choléra s’il n'était toujours, sous ce point de vue, beaucoupen retard sur lui. Le bacille du choléra est donc jusqu'ici le seul qui puisse, dès les premières heures après l'ensemencement, donner la réaction du choléra-roth, qui se trouve être ainsi caractéristique pour lui, à la condition de faire intervenir la question de temps. En dehors de sa valeur pratique, cette réaction a une importante géné- rale ; elle peut servir à caractériser la présence de l'indol, c'est-à-dire d'une substance qui, comme le scatol, le glycocolle, la leucine, la tyrosine, est un des produits de dislocation de la matière azotée dont se nourrissent certains microbes. Nous ne savons pas encore grand’chose sur la forma- tion de ces substances, dont le rôle nous apparaît pourtant de plus en plus comme capital dans l'histoire des relations d'un microbe avec l'animal envahi. On avait été conduit peu à peu à attribuer à ces produits d'éli- mination du microbe quelques-uns des symptômes de la maladie ou de la mort à laquelle il préside. Le remarquable travail de M. Roux, inséré dans le dernier numéro de ces Annales, nous les montre en action dans les questions de vaccination ou d’immunité. Il n'est donc pas inutile d'insister un peu sur cette réaction du choléra-roth, et nous allons profiter pour cela d'un Mémoire fait par M. Jadassohn à l'instigation de M. Neisser, et dans lequel nous trouvons, en outre de la confirmation de faits antérieurement connus, quelques nouveaux résultats appartenant à l’auteur. Il débute par un court historique de la question. C'est Poehl qui a découvert en 1886 ! la coloration rouge des cultures de bacilles du choléra sous l’in- 1. Bar. d. d. chem. Gesell.,t. XIX, p. 1162. REVUES ET ANALYSES. 45 fluence des acides. Cette réaction, oubliée, fut retrouvée l'année suivante par O. Bujwid !, et étudiée : par Brieger? d’abord, qui l'envisagea surtout au point de vue chimique, puis par Dunham # qui a surtout recherché les con- ditions dans lesquelles elle se produit. Ce sont ces conditions que nous allons résumer en prenant pour base le travail de Dunham et celui de M. Jadassohn qui le complète à divers égards. Ces conditions peuvent se résumer sous les chefs suivants : a. Nature de l'acide. — L'acide nitrique, l'acide chlorhydrique recom- mandé à juste titre par Bujwid, et l'acide sulfurique employé par Dunham et Brieger ne sont pas les seuls à pouvoir donner la réaction On l'obtient aussi en traitant la culture de bacilles du choléra par les acides bromhy- drique, phosphorique, tartrique, lactique, oxalique, mais non par les acides acétique et formique. Ce sont les trois premiers acides qui valent pourtant le mieux, et parmi eux l'acide chlorhydrique qui ne jaunit pas la préparation comme le fait l'acide azotique, ou ne la noireit pas comme le fait quelquefois l'acide sulfurique. À b. Nature du milieu. — Dunham avait trouvé que la réaction était beau- coup plus prompte et plus belle quand le milieu nutritif contenait de la pep- tone. D'après Jadassohn, on l'obtient encore, mais dans un temps un peu plus long, et avec une intensité un peu plus faible, avec des milieux albumineux ne contenant pas de peptone, tels que ceux qu'on obtient en stérilisant à la chaleur une solution très étendue d’albumine d'œuf, ou bien encore en se servant de sérum de sang. Avec le lait ou le bouillon de veau, les bacilles se développent très bien, mais la réaction ne réussit plus. IT en est de même avec des cultures dans l’eau ou dans l’eau gélatinisée, qui se font assez bien, comme on sait, mais ne se colorent pas par l'acide chlor- hydrique. Avec une culture de gélatine-peptone ou de gélose-peptone, au contraire, huit à dix heures après l’ensemencement, on peut, en versant de l'acide chlorhydrique à la surface, voir une teinte rouge qui, d'abord confi- née dans les couches supérieures occupées par les microbes, descend peu à peu jusqu'au bas du tube, dans la portion qu'ils n'ont pas encore envahie, La matière qui donne cette couleur est done une substance diffu- sible. L'ensemble de ces résultats est assez d'accord avec ce qu'on aurait pu prévoir d'avance, en sachant que l’indol est nécessaire à la réaction. Cet indol est un dérivé encore assez compliqué de la matière albuminoïde. On comprend done que les bacilles du choléra en fabriquent aux dépens de l’al- bumine ou des peptones qui en sont très voisines, mais n’en fournissent pas avec les matériaux du bouillon ou les matières organiques qu'ils trouvent dans l'eau. On comprend aussi qu’ils mettent plus de temps à arriver x cet indol avec l'albumine d'œuf qu'avec les peptones beaucoup plus assimilables. 1. Une réaction chimique des bacilles du choléra. Zeitschr. f. Hyg., 1887, p. 52. 2. Sur le tétanos traumatique, avec des remarques sur le rouge de choléra Deuts. med. Wochenschr, 1878, nes 15 et 22. 3. Sur la réaction chimique des bactéries du choléra. Zeitschr. f. Hyg., 1887, t. II, p. 337. 46 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. c. Présence de l'oxygène.— Le bacille du choléra n’a pas un besoin absolu d'oxygène. Quand on lui ménage l'air, il pousse seulement un peu plus lentement. Il se multiplie par exemple assez bien dans un milieu nutritif recouvert d'une couche d'huile, mais même après plusieurs semaines, il ne donne aucune réaction de choléra-roth. Ceci est plus inexplicable. La for- mation d'un nitrite, nécessaire pour cette réaction, ne peut s’accomplir que dans un milieu réducteur, et, 4 priori, il semblerait au contraire que c’est quand le bacille est privé d'air qu'il doit donner la réaction la plus intense. d. Pureté des cultures. — Quel effet peut produire le mélange dans une culture du bacille du choléra avec une espèce différente ? Pour étudier cette question complexe et délicate, M. Jadassohn emploie l'ingénieux procédé suivant. Il stérilise une culture de bacille du choléra donnant la couleur rouge avec les acides, y ensemence un autre mierobe, et constate après deux ou trois jours que ces cultures ne se colorent plus avec les acides chlorhy- drique et sulfurique, mais prennent leur ancienne teinte avec l’acide nitrique. Il a pu faire cette constatation avec plusieurs microbes qui, eux-mêmes, en cultures isolées, ne se colorent pas par l'acide nitrique. On obtient le même résultat en faisant des cultures simultanées de bacille du choléra et d'autres microbes. L'auteur semble vouloir conclure que la coloration par l'acide nitrique ne peut pas être assimilée à celles que donnent les acides sulfurique et chlorhydrique. Mais on peut aussi s’expli- quer ces résultats en admettant que le microbe ensemencé avec le bacille ou après le bacille détruit les nitrites qui rendent possible la réaction par les acides chlorhydrique et sulfurique, et que réintroduit l'acide nitrique ajouté, A cette question de la pureté des cultures vient se rattacher celle de savoir si le choléra-roth est, ou non, caractéristique des bacilles du cho- léra. Sur ce point, M. Jadassohn est d'accord avec M. Bujwid, au travail duquel nous renvoyons. Quant à savoir s’il y a beaucoup d'espèces capables de communiquer à leurs milieux de culture la propriété de rougir sous l'influence de l’acide nitrique ou d'un mélange d’acide nitrique et d’un autre acide fixe, c’est une question qui est encore trop peu élucidée pour que nous croyions devoir l’aborder ici. Dx. A. CeLui. Quelques-unes des propriétés du virus rabique, Bull. d. R. Acc. med. di Roma, fasc. 8, 1886-1887. La municipalité de Palerme a récemment créé une station de vaccina- tion antirabique dans laquelle A. Celli a étudié le degré de résistance du virus rabique vis à-vis de certains agents. Ses expériences confirment quelques-uns des résultats déjà connus depuis les classiques travaux de M. Pasteur (insensibilité au froid, sensibilité à la lumière) et en ajoutent d’autres dont voici le résumé : La virulence d’une émulsion de moelle rabique disparaît après une heure passée à 500 et après 24 heures à 450. Elle résiste à un froid de — 160 à — 20° pendant environ 30 heures, à 60 heures de séjour dans de l'air comprimé REVUES ET ANALYSES. 47 à 7 ou 8 atmosphères, tandis qu'elle est détruite après une exposition de 14 heures à la lumière, la température maximum de l'air au voisinage ayant été de 37, et après une exposition de 24 heures, mais dans laquelle l’éprou- velte contenant l'émulsion de moelle était contenue dans un vase plein d'eau qui à atteint la température maxima de 350. Pour essayer l'efficacité de certains agents chimiques, on à renoncé à l'inoculation sous la dure-mère, trop rapidement mortelle, et on a choisi la voie intrapéritoncale, après avoir constaté que 10 lapins, inoculés par cette voie, sont tous morts de rage paralytique après une période d’incubation qui, pour neuf d’entre eux, a été de 10 à 20 jours, et de 35 pour le dernier. On à ainsi constaté l'inactivité complète de l'émulsion de moelle dans une solution de sublimé à 1 p. 1000, injectée aussitôt faite, de l'émulsion dans une solution d'hypermanganate de potasse à 2,5 p. 1000 et d'alcool à 50 et à 90 degrés, injectées après 24 heures. L'émulsion dans de l'alcool à 250, inoculée après 24 heures et après 3 jours, donne la rage après des périodes d'incubation qui sont respectivement de 8et de 10 jours; inoculée après > jours, elle s'est montrée inactive. L'alcool à 45 degrés n’a pas altéré la virulence après un contact de 7 jours. Enfin une émulsion rendue nettement acide aux papiers réactifs à l’aide de 1 ou 2 gouttes d'acide acétique, ou nettement alcaline avec un petit cristal de carbonate de soude, s’est montrée inoffensive, bien qu'inoculée en volume de 5“ dans la cavité abdominale de deux lapins. Dx, INSTITUT PASTEUR RENSEIGNEMENTS STATISTIQUES SUR LES PERSONNES TRAITÉES DU À AU 31 DÉCEMBRE 1887. Personnes traitées mortes de maladies non déterminées. VazrA, Claude, 35 ans, de Salettes, commune de Sainte-Foy, Haute-Loire, mordu le 8 novembre par son chien, reconnu enragé par M. Gire, vétérinaire. Trois morsures, l’une sur le bord interne de la main, près du petit doigt, les deux autres à la paume de la main. Toutes ont saigné et ont été cautérisées superficiellement au fer rouge. Traité du 13 au 27 novembre. Le 17 décembre, Valla, après avoir beaucoup travaillé dehors par un temps très froid, a été pris du mal de gorge avec difficulté d’avaler, il souffrait d’une dyspnée très forte. Ces symptômes disparurent complètement après l’application de sinapismes. Le lendemain Valla paraissait remis, lorsqu'il tomba en syncope et mourut subitement, le 20 décembre. Valla n’a été vu par aucun médecin, les renseignements précédents ont été fournis par le maire du Chambon. 48 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. INSTITUT PASTEUR STATISTIQUE ! DU TRAITEMENT PRÉVENTIF DE LA RAGE. — DÉCEMBRE 1887 , A B C | | ve Morsures à la tête ( simples ..... »| 4] | 3, _|>| 3) ñ et à la figure multiples....| »| » 2 )] A Life Cautérisations efficaces............ » 126 2 PI » »| » |» = inefi CACES EEE [| » » Il » » 11 » Pas"de-CAutérisation ee ee 6 loyal » lolo 1 . simples......| »|[Ku »| LG »| 4 Morsures aux mains] bless LS 12125 $ 22 3S|, G 10 Cuutérisations efficaces. ........... ART ER RS » dIESSER — inefNCaCeEs NE 8! » | » [18] » » | 6|[ » | » Pas de CAUérISANON. ere core 13| » | » 149 » » DORE Morsures aux mem-{ simples ..... JR EE cd 23)’ ba bres et au tronc } multiples....| »| %\ »| 16G »1 2 Cuutérisations efficaces ............ LS 0 AS re ». | 452 — INCNCUCES EEE EE 2156 ESS » 2119) Pas de cuutémisation: 5-60 D| » | » [14 » SA EU SA Habits déchirés eee era sel S| » 20 » » 4 » » MOTS UNESALENU ee CR re et D ee M) » » »| » » Morsures multiples en divers points AUSCODS +2. SNA Er ae. »| E| |» di gl > 2e Cautérisations efficaces............ » 0 » RSR — INEINCACES TE UE UE » LE CRAN) Pas de cautérisation......... rer Lo Der » » RS HTOUS ÉCRIT CS ERA TR ER D RN DL À |: 5 12 » » 11e NP MOTSURES ADN AN ER RME ENAEIEETE HSAMsSn 7 » » JE { Français et Algériens..|.. 35,9 ..| 64 s32l: 113000 DIRES ("Etrangers 07-002 ER EE LE ° ci | A B C To ©" mm MOTALAGÉNERAT Ce PET be Le 4. Pour l'interprétation des termes et la signification des diverses colonnes du tableau, se reporter aux statistiques précédentes, p. 95, 143 et 207, t. I. Les animaux mordeurs ont été : Chiens, 126 fois ; chats, 6 fois. Le Gérant : G. Massox. Sceaux. — Imprimerie Charaire et fiis. 19 2me ANNÉE. FÉVRIER 1888. N° ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR INMUNITÉ CONTRE LE CHARBON SYMPTOMATIQUE CONFÉRÉE PAR DES SUBSTANCES SOLUBLEN, PARLE ER OGU Dans le numéro de décembre 1887 de ces Annales, nous avons montré, M. Chamberland etmoi, qu'ilest possible de donner aux cobayes l’immunité contre la septicémie aiguë en leur injec- tant des quantités suffisantes de sérosité septique ou de culture de vibrion septique, complètement dépourvues d'organismes vivants. Après avoir fait cette preuve pour lasepticémie, il était naturel de la tenter pour le charbon symptomatique. Ces deux maladies sont en effet très voisines ; les microbes qui les causent sont tous deux anaérobies, et les lésions qu'ils produisent dans les muscles et le tissu cellulaire des animaux sont très analogues. MM. Arloing, Cornevin et Thomas, auxquels nous devons presque toutes nos connaissances sur le charbon symptomatique, ont montré que cette affection ne récidive pas d'ordinaire, et que l’on peut conférer l’immunité contre elle par des inoculations préventives de virus atténués ‘. De plus, le charbonsymptomatique est inoculable aux cobayes, ce qui fait qu'il est facile d'expéri- menter sur cette maladie. Les savants expérimentateurs de Lyon ont découvert que le 1. Voir le Charbon symptomatique du bœuf, par MM. Arloing, Côrnevin et Thomas, 2° édition, 1887. rS 50 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. charbon symptomatiqne est causé par un microbe spécial bien différent de celui de la fièvre charbonneuse, et auquel ils ont douné le nom de Bacterium Chauvaæi. Cet organisme micros- copique se rencontre surtout dans les tumeurs musculaires qui caractérisent cette espèce de charbon, et dans l’œdème qui les entoure. Il s'y trouve sous forme de bâtonnets mobiles, souvent munis d'une spore à une des extrémités. Les bacilles sporulés ont parfois la forme d'un battant de cloche : ces apparences rappellent celles du vibrion septique, mais le Bacterium Chauvæi se distingue nettement par son action sur les animaux. Il est inoffensif pour le lapin, les poules, le cheval, le porc, qui sont tués par le vibrion de la septicémie. Le microbe du charbon symptomatique se cultive à l’abri de l'air dans le bouillon de poule et de veau légèrement alcalins *. Ses germes périssent lorsqu'on les maintient pendant 10 minutes à une température humide de 1002. Le bœuf et le mouton sont les animaux qui prennent le plus facilement le charbon bactérien; le cobaye présente plus de résistance à la maladie ; il ne meurt pas toujours à la suite des inoculations faites avec la pulpe de tumeur charbonneuse. MM. Arloing, Cornevin et Thomas ont fait connaître un mode d'inoculation qui amène toujours la mort des cobayes. Pour obtenir ce résultat, il suffit de délayer le virus dans une solution d'acide lactique au 1/5°. Avec ce moyen d’épreuve, on n’a pas à craindre de soumettre les animaux à des inoculations inefficaces et de voir résister les cobayes de contrôle. Lorsqu'on injecte dans la cuisse d'un cobaye le virus du charbon bactérien délayé dans la solution lactique, le membre ne tarde pas à gonfler, à devenir chaud et douloureux. Il ne peut servir d'appui à l’animal, qui devient triste, hérissé, et meurt souvent en moins de 24 heures. A l’autopsie le muscle dans le- quel on a fait l'injection est rouge, gonflé, friable, les fais- ceaux musculaires sont dissociés par des gaz et des épanchements sanguins ; un œdème rougeâtre s'étend dans le tissu cellulaire sous-cutané. Le Bacterium Chauvæi se trouve en abondance dans le muscle, l'æœdème, la sérosité du péritoine ?. 1. Voir, pour ce qui concerne les caractères et la physiologie du Bacterium Chauvæiï, le remarquable travail de MM. Arloing, Cornevin et Thomas. 2, Voir Arloing, Cornevin et Thomas, Loc. cit. CHARBON SYMPTOMATIQUE. d1 La marche suivie dans celte étude est la même que celle qui a étéexposée dans le Mémoire que nous avons publié en commun avec M. Chamberland sur le vibrion septique. Pour donner aux cobayes l’immunité pour le charbon symptomatique, nous leur injectons, dans le péritoine, de grandes quantités de culture du Bacterium Chauvæi, après avoir tué dans le liquide tout élément vivant par le chauffage à 1159, ou encore après avoir séparé tous les microbes par la filtration sur porcelaine. Toute expérience dans laquelle on n’a pas la certitude absolue qu'aucun élément vivant n’a pu intervenir pour produire l'immu- nité ne saurait avoir de valeur pour la démonstration qui nous occupe. C’est pourquoi nouspratiquonsla stérilisation des liquides de culture à 115° dans l’autoclave. Ce procédé est assurément brutal et peut faire perdre aux substances vaccinales leur activité ; aussi, avons-nous choisi, pour établir la possibilité de la vaccina- tion par produits solubles, des maladies comme la septicémie pour laquelle la matière vaccinale est résistante à la chaleur. Les cultures du charbon symptomatique dans le bouillon de veau sont chauffées, après 15 jours de séjour à l’étuve, dans l’au- toclave à 115°. Le liquide ainsi stérilisé est injecté dans la cavité péritonéale des cobayes à la dose de 40 cent. cubes, comme nous l'avons décrit dans le n° 12 de ces Annales (1°° année). Ces injec- tions sont répétées trois fois, à deux jours d'intervalle. Les ani- maux ainsi préparés résistent, le plus souvent, à l’inoculation, faite dans les muscles de la cuisse, avec 1/5 de centimètre cube de virus du charbon symptomatique délayé dans l'acide lactique au 4/5°; tandis que les animaux témoins inoculés en même temps succombeunt quelquefois en moins de 24 heures. Nous citerons ici, à titre de renseignements, une de nos expériences. EXPÉRIENCE. — À 4 cobayes on injecte en 3 fois dans la cavité péritonéale 120 cent. cubes d’une culture du charbon symptomatique stérilisée à 1150 ; à 4 autres cobayes on injecte, dansle péritoine, en 3 fois, 120 cent. cubes de bouil- lon pur. Trois jours après l'injection, tous ces cobayes sont inoculés dans la cuisseavec 1/5° decent. cube du liquide obtenu en délayant de la poudre viru- lente ! de charbon symptomatique dans la solution d'acide lactique au 1/5, 24 heures après, 3 des cobayes qui ont recu le bouillon pur sont morts, 1. Voir le livre de MM. Arloing, Cornevin et Thomas, pour la préparation de la poudre de charbon symptomatique. d2 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. le quatrième succombe 30 heures après l'inoculation. Les cobayes préparés ont eu un petit gonflement de la cuisse qui s’est rapidement dissipé, ils sont restés en bonne santé. Dans cette expérience, les cobayes de contrôle avaient reçu dans le péritoine un volume de bouillon pur égal au volume de culture stérilisée employée pourla vaccination des autres cobayes. Il nous a paru nécessaire de nous assurer que le bouillon n'avait pas par lui-même d'action préservatrice. Parmi les substances que l’eau extrait des muscles, :l pourrait s’en trouver d’ana- logues à celles produites par l’action des microbes, et qui seraient, elles aussi, capables de donner aux animaux un certain degré d’immunité. Dans l’état d'ignorance où nous sommes sur la nature de ces substances vaccinales, il n’est pas déraisonnable de faire une semblable supposition. Il est évident que la quantité de culture injectée, nécessaire pour produire l’immunité, varie avec les animaux et surtout avec les cultures, qui peuvent être plus ou moins actives. Aussi, dans ces expériences, esl-il préférable de préparer en une fois de grandes quantités de cultures, pour ne pas avoir à déterminer à chaque nouvel essai l’activité des liquides que l’on emploie. Comme nous l’avens vu pour les cultures de vibrion septique, la température de 115° paraît aussi modifier les subtances actives des cultures de charbon symptomatique. Les liquides filtrés sur porcelaine paraissent mieux agir que ceux qui ont été chauffés. Il est à remarquer que les cobayes auxquels on injecte les cul- tures stérilisées de charbon bactérien sont moins affectés que ceux qui reçoivent les cultures de vibrion septique privées de microbes, comme si les premières ne contenaient pas des pro- duits aussi toxiques pour eux que les secondes. Cette différence est encore plus marquée quand on emploie la sérosité du charbon symptomatique comparée à la sérosité septique ‘. La sérosité septique filtrée, injectée à la dose de 20°* dans le péritoine d’un cobaye, le fait mourir rapidement; 1. Pour préparer cette sérosité, nous enlevons sur les cobayes qui sont morts du charbon symptomatique les muscles et le tissu cellulaire œdématié où Île microbe s'est développé. Ces parties sont divisées dans une petite machine à hacher, macérées dans la moitié de leur poids d’eau et pressées. Le liquide qui s'écoule est filtré sur porcelaine. On obtient ainsi une sérosité rougeûtre, alcaline, albumineuse, qui peut se conserver sans altération. CHARBON SYMPTOMATIQUE. D3 une semblable quantité de sérosité de charbon symptomatique, privée de microbes, rend le cobaye malade, mais ne le tue pas. Il est facile de rendre les cobayes réfractaires au charbon bactérien en leur injectant chaque jour, sous la peau, un centi- mètre cube de sérosité filtrée. Au bout de dix à douze injections, l'immunité est acquise, On voit que la sérosité de l'œdème du charbon de Chabert se comporte absolument comm: la sérosité septique. (V. ces Annales, n° 12,t. I.) EXPÉRIENCE. — 4 cobayes recoivent chaque jour, sous la peau, { cent. cube de sérosité de charbon symptomatique pendant 12 jours; 3 jours après, on les inocule dans le muscle de la cuisse avec de la poudre virulente délayée dans la solution lactique au 1/5°, en même temps que 3 cobayes neufs. 26 heures après, les 3 cobayes témoins ont succombé. Les cobayes qui ont recu la sérosité sont bien portants, leurs cuisses sont un peu tuméfiées. Le gonfle- ment disparaît les jours suivants. Ce nouvel exemple de vaccination par l'injection desubstances solubles présente d'autant plus d'intérêt qu'il se rapporte à une maladie qui se rencontre chez les animaux domestiques. Il serait d'un très grand intérêt de répéter ces essais de vaccination sur le moulon et le bœuf. Le moment de les entreprendre sera venu lorsqu'on saura préparer les matières solubles vaccinales à l’élat de pureté. Les ressemblances qui existent entre le vibrion septique et le Bacterium Chauvæi nous ont conduit à chercher si les cobayes qui ont l’immunité pour la seplicémie l’ont aussi pour le charbon symptomatique, et inversement si ceux qui ne prennent plus le charbon bactérien résistent à la septicémie. Les cobayes vaccinés pour la seplicémie succombent au charbon symptoma- tique. Mais ceux qui ont été rendus réfractaires à cette seconde maladie résistent souvent à l’inoculation du vibrion septique. Cette vaccination d’une maladie par une autre nous paraît un point intéressant sur lequel nous reviendrons dans un pro- chain mémoire. DE L'IMMUNITÉ CONTRE LE VIRUS DE LA FIÈVRE TYPHOIDE CONFÉRÉE PAR DES SUBSTANCES SOLUBLES Par MM. A. CHANTEMESSE Er FERNAND WIDAÏI. L'immunité contre une maladie virulente, conférée par les substances chimiques qui tirent leur origine des microbes, n’est pas une idée tout à fait neuve, mais à cette idée 11 manquait jus- qu'ici le fait nécessaire et suffisant : une démonstration expéri- mentale. Pour la première fois, dans le Mémoire de M. Pasteur sur le choléra des poules, cette idée se trouve nettement exprimée. M. Toussaint crut à tort qu'il tenait la démonstration de la vac- cination par des produits solubles, car le sang charbonneux chauffé à 55°, s’il donnait quelquefois l’immunité, contenait des bactéridies vivantes. M. Chauveau attribua l’immunité des fœtus de brebis charbonneuses à des substances chimiques, et non à la pénétration des bactéridies dans leur sang. Les recherches de Straus et Chamberland, confirmées par celles de Koubassoff et d’autres savants, qui découvrirent la bactéridie vivante dans le sang des fœtus de bêtes charbonneuses, enlevèrent aux expé- riences de M. Chauveau les qualités d’une preuve irréfutable. En 1886, Salmon rendit réfractaires au choléra Hog des pigeons qu'il avait inoculés avec des cultures stérilisées du microbe de celte maladie. L'expérience était peu concluante, parce que le pigeon est doué d’une faible réceptivité pour ce virus, et que le procédé de vaccination appliqué aux pores et aux autres mammifères échouait complètement. Récemment M. Charrin fit voir que les lapins qui avaient reçu des cultures stérilisées du bacille de la pyocyanine de Gessard, sans contracter l’immunité, étaient plus résistants que les lapins non inoculés. IMMUNITÉ CONTRE LA FIÈVRE TYPHOIDE. DD Il manquait une expérience inattaquable qui montrât l’im- munité donnée à une espèce animale très sensible à un virus, au moyen des substances solubles sécrétées par ce virus. Cette expérience et cette démonstration se trouvent dans le Mémoire que MM. Roux et Chamberland ont publié au mois de décembre 1887, dans les Annales de l'Institut Pasteur, sur l'im- munité contre la septicémie, Ce travail inaugure une ère nouvelle en bactériologie. Dans la médecine humaine, quel rôle jouent les substances solubles produites par les microbes pathogènes ? Des travaux dans ce sens ont été publiés en France pour le choléra par M. Bouchard, en Allemagne pour la fièvre typhoïde par Brieger, Sirotinin, Beumer et Peiper. Aucun auteur, à notre connaissance, n’a étudié expérimentale- ment, dans un but de vaccination, le rôle des substances solubles produites par le bacille typhique et séparées du virus vivant. Depuis plusieurs mois nous avons entrepris cette étude et nous en avions annoncé les résultats, en mai dernier, aux méde- cins qui suivent les cours pratiques du laboratoire de M. Cornil. Nous avions été amenés à cette recherche par un fait que nous avons mentionné dans notre Mémoire publié dans les Archives de physiologie au mois d'avril 1887. La culture du microbe d’'Eberth, ensemencé par strie sur un tube de gélatine incliné, reste assez étroitement limitée aux points d'inoculation. Si au bout de quelques jours on enlève, sur un espace de 2 centimètres, les colonies qui se sont développées, et que l’on sème sur cette place mise à nu du bacille typhique très vivace, ce dernier ne s’y développe pas. La première culture a modifié au-dessous d’elle le milieu nutritif d'une façon assez puis- sante pour qu’il soit incapable de nourrir de nouveaux microbes de la même espèce. La gélatine semble en ce point « vaccinée ». Nous avons tenté de répéter l'observation en faisant l'expé- rience sur des animaux. 19 Les souris sont sensibles au virus typhique Expérience. Trente souris blanches sont inoculées dans le péritoine avec 4 gouttes d’un bouillon peptonisé ensemencé depuis 3 jours avec du bacille typhique virulent pris sur une rate 06 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. humaine, et laissé à l'étuve à 37°. Au bout de 36 heures, toutes les souris étaient mortes. L’intestin était rempli de diarrhée liquide, les plaques de Peyer un peu tuméfiées, la rate grosse. La rate et la moelle des os contenaient des bacilles typhiques. Cette expérience est semblable comme résultats à celles qui ont été publiées par Fränkel et Simmonds, Seitz, Sirotinin, Beumer et Peiper, etc., et nous-mêmes. Tous les auteurs s’accor- dent sur ce point; le seul débat est le suivant : à quoi ont suc- combé ces souris? ont-elles péri par infection typhique ou par intoxication due à la ptomaïne produite par les bacilles dans le bouillon ? Les uns admettent l'infection, les autres la rejettent. lis disent qu'il est impossible d'assimiler cette maladie à celle de la fièvre typhoïde de l'homme. Sa marche est trop rapide. Nous croyons avec Fränkel et Simmonds, Seitz, K. Kilcher, qu'il s’agit bien d’une infection. Tout d’abord, en pathologie comparée, on ne peut demander une similitude complète entre les symplômes présentés par l’homme et par les animaux atteints de la même maladie. Qui songe à exiger que le cobaye ait une pustule maligne quand il contracte le charbon de l’homme ? En second lieu, les produits solubles fournis par les bacilles qui vivent dans un bouillon sont, il est vrai, capables de faire périr les souris avec des symptômes, une période de maladie, et des lésions sensiblement pareilles aux précédentes, mais il faut pour cela iuoculer une dose de bouillon 5 ou 6 fois plus forte. A dose égale, minime, une culture stérilisée ne tue pas et une cullure vivante tue. La cause immédiate de la mort, nous le concédons volontiers, ce sont les substances chimiques élaborées par le bacille, mais la dose de poison contenue dans deux gouttes de bouillon n'est suffisante qu'à condition que le microbe continue à vivre quelque temps dans le corps de l'animal pour y fabriquer l’appoint de la substance toxique nécessaire pour donner la mort. Or si le bacille vit dans le corps de la souris et y élabore des poisons, cela suffit pour dire qu'il y a infection. 29 Les souris qui ont été préalablemeut inoculées avec du bouillon privé de bacilles, mais dans lequel ont vécu des colonies typhiques, résistent au virus virulent. Expérience 1. — Le 20 mai 1887, 12 souris blanches re- çoivent dans le péritoine un demi-centimètre cube d’un bouillon IMMUNITÉ CONTRE LA FIÈVRE TYPHOIDE, 57 ensemencé depuis 3 jours avec du bacille typhique virulent, et laissé à 370. Avant l'inoculation, le bouillon a été stérilisé à l'autoclave à 120° pendant dix minutes, et il est privé de tout germe vivant, ainsi qu'on s'en assure en semant un tube vierge. Le 21 mai, les animaux reçoivent une même quantité de culture vieille de 5 jours et stérilisée. Les 22, 23, 24 et 25 mai, l’inoculation intra-péritonéale de culture stérilisée est faite avec un 1/3 de cent. cube de bouillon ensemencé depuis 6, 7, 8 et , jours. Pendant le cours de ce traitement précipité, et difficile à sup- porter par des animaux de petite taille, 4 succombent. 8 souris, après avoir présenté des signes de malaise plus ou moins grands, reviennent à la santé. Le 30 mai, ces 8 souris traitées et 4 souris neuves sont in- jectées dans le péritoine avec un demi-centimètre cube de culture virulente développée depuis 3 jours à l’éluve et non stérilisée. Le 2 juin, les 4 souris neuves étaient mortes et présentaient à l’autopsie les lésions ordinaires. Les 8 souris vaccinées étaient toutes vivantes et paraissaient un peu malades. Une a succombé le 7 juin, une seconde le 29 juin. Leurs organes ne renfermaient plus de bacilles vivants. Plusieurs de ces animaux vivaient encore à la fin de décembre. ExpérieNcE I. — 5 souris blanches sont inoculées avec 1/4 de cent. cube de bouillon de culture typhique vieille de 3 jours, et stérilisée. Elles résistent toutes. 5 autres souris sont inocu- lées pour la première fois avec une culture de même origine, vieille de 9 jours et stérilisée. Vingt-quatre heures après, 3 souris avaient succombé sur les à. Par conséquent la toxicité d’une culture typhique s'accroît avec la durée de cette culture pendant les premiers jours. Expérience INT. — Le 20 juin, 12 souris blanches recoivent 1/4 de cent. cube d’une culture stérilisée vieille de 3 jours. Le 22, une même dose de culture vieille de 5 jours. Le 24, une mème dose de culture vieille de 7 jours, et enfin, le 26, elles sont inoculées avec une culture vieille de 9 Jours. Trois ont succombé pendant la durée du traitement. Le 1% juillet, les 9 souris traitées et 4 souris neuves sont inoculées dans le péritoine avec un 1/4 de cent. cube de culture typhique vieille de 3 jours, non stérilisée. 58 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Le 3 juillet, toutes les souris témoins avaient succombé ; une seule des souris traitées était morte. Deux autres moururent le 12 et le 20 juillet. Les survivantes restèrent bien portantes pendant plusieurs mois. ExPéreNce IV. — Le 5 janvier 1888, dix souris blanches recoivent dans le péritoine 1/4 de cent. cube d’une culture typhique vicille de 3 jours et stérilisée à l’autoclave. Le 6 janvier, une souris était morte Le 8 janvier les 9 survivantes reçoivent 1/4 de cent. cube d'une culture stérilisée vieille de 6 jours. Le 12, une des souris mourut. Le 23, 5 des souris traitées et 5 souris neuves recoivent dans le péritoine deux gouttes d'une culture virulente vieille de 6 jours. Le 24, toutes les souris témoins étaient mortes. Le 25, une des souris vaccinées succombe. Les 4 autres con- tinuent à se bien porter. Des expériences précédentes il découle quelques faits. Les souris neuves résistentexceptionnellement à une dose déterminée de culture typhique virulente. Les souris traitées préventivement résistent dans la grande majorité des cas à la même inoculation. Elles doivent cette immunité à la seule pénétration dans leur organisme de principes chimiques solubles élaborés par les bacilles typhiques. La quantité de substance soluble contenue dans une culture croît avec l’âge de celle-ci. L'immunité n'appartient pas aux animaux pour quelques heures ; elle est susceptible de persister pendant un assez long temps, encore indéterminé (Expér. IV). Quelle est dans nos expériences la dose suffisante de poison pour donner l’immunité à une souris, sans dépasser la résistance de celle-ci au poison? Quelle est aussi cette substance soluble ? Nous avons étudié l’action physiologique de cette substance sans la connaître complètement, et nous n'avons pas déterminé le rôle d'un alcaloïde isolé dans les cultures typhiques par Brie- ger, sous le nom de Typhotoxine. Ce que nous pouvons dire cependant, c’est que la substance contenue dans les cultures, qui donne une notable immunité contre le microbe virulent, paraît bien être de celles que les bacilles fabriquent dans l'intérieur d’un IMMUNITÉ CONTRE LA FIÈVRE TYPHOIDE. D9 organisme vivant. On peut en effet donner aux souris un degré d'immunité sensiblement égal au précédent, en les inoculant avec des doses extrêmement faibles d’abord, puis progressi- vement plus grandes d’un virus virulent. La vie du bacille dans leur organisme a peu à peu fabriqué la dose de poison qui suffit à donner l'état réfractaire. Mais dans la fièvre typhoïde comme dans toute autre maladie infectieuse, l'état réfractaire n’est presque jamais absolu. On peut bien théoriquement supposer une condition chimique de l'organisme qui rende impossible le début d’une culture d'un microbe, l’imprégnation par des produits solubles jouant cons- tamment le rôle d’un antiseptique. Reste à savoir si une pareille dose de substance toxique permettrait la vie normale des cel- lules. Mais d'ordinaire, l’immunité n’est pas absolue et doit être mesurée par un coefficient. Elle se compose en effet de deux facteurs d'importance variable suivant les cas : 1° la résistance des cellules ; 2° l'imprégnation par les produits de la vie d’un microbe; on conçoit que si l’un quelconque de ces facteurs vient à faiblir, les causes qui empêchaient le début d’une culture disparaissent, et l'immunité fait place à la maladie. Les substances qu'on injecte à des animaux aussi fragiles que des souris, sont pour elles des poisons violents, et nous ne pouvons qu'approximativement indiquer les doses utiles et celles qui dépassent le but. De plus, notre méthode d’inocula- tion intra-péritonéale d'une quantité de liquide relativement considérable, est quelque peu brutale et dangereuse. Toutes ces raisons font comprendre que le chiffre des animaux qui survivent où qui succombent peut être un peu variable, suivant la virulence des cultures et la main de l’expérimentateur. Mais ce qui ne change pas, c’est le sens général du phénomène que nous avons constaté : une dose de culture typhique qui tue invariablement des souris saines, ne tue pas dans la grande majorité des cas les souris qui ont absorbé préventivement des produits solubles non vivants élaborés par le bacille typhique. Celles-ci ont acquis l’immunité. DE L'ACTION DE QUELQUES ANTISEPTIQUES ET DE LA CHALEUR SUR LE BACILLE DE LA TUBERCULOSE, Par M. A. YERSIN. Chaque microbe se comportant d’une façon qui lui est parti- culière en présence d'un antiseptique donné, le pouvoir antisep- tique d’une substance chimique doit être étudié à part sur chacun d'eux. L'action des antisepliques sur les bactéries pathogènes est surlout intéressante à connaître parce qu’elle nous fournit des moyens de détruire les matières virulentes, et aussi parce qu'elle peut nous donner des indications thérapeutiques. Il faut donc, dans l'étude de l’action d'un antiseptique sur un microbe, rechercher : 4° Quelle est la quantité. d’antiseptique nécessaire pour faire périr le microbe dans un temps donné; 20 quelle est la quantité qu'il faut ajouter à un milieu nutriuf déterminé pour empêcher le développement du microbe. Dans cette note, nous ferons connaître l’action de quelques antiseptiques sur le bacille de la tuberculose ; nous ne traiterons que le premier des points dont nou$ parlions plus haut, à savoir: déterminer quelles sont les doses d’antiseptiques qui tuent le bacille tuberculeux dans un temps donné. Parmi les travaux qui ont été faits sur ce sujet, le plus im- portant est celui de MM. Shill et Fischer (Ueber die Desinfection des Auswurfs des Phthisiker) paru en 1884, dans le deuxième vo- lume des Mittheilungen ‘. La matière virulente employée par MM. Shill et Fischer était des crachats tuberculeux qu'ils ino- culaient à des cobayes après leur avoir fait subir l’action de l'an- tiseplique étudié. Cette méthode répondait parfaitement au but que s'étaient proposé les auteurs et leur a donné des résultats importants dont l'hygiène a fait son profit. Cependant elie ne permet pas une grande précision scientifique. Rien n'est plus variable, en effet, que le nombre des bacilles contenus dans les 4. Miltheilungen aus dem Kaiserlichen Gesundheitsamte (2° vol. 1884). BACILLE DE LA TUBERCULOSE. 61 crachats tuberculeux, et par conséquent rien n’est plus variable aussi que la quantité de virus inoculée aux animaux. La résis- tance des bacilles aux antiseptiques varie aussi suivant les con- ditions dans lesquelles s’est faite leur culture, selon qu'ils sont jeunes ou vieux, qu’ils renferment des spores ou qu'ils en sont privés. De plus, la réaction des sels métalliques sur les crachats est complexe, une partie de la substance active se combine à la matière organique et n’agit pas sur les bacilles. Enfin, l’inocu- lation aux cobayes nous fait bien connaître si les bacilles sont capables de donner, après l’action de l’antiseptique, la tubercu- lose à ces animaux, mais lorsque ceux-ci restent en bonne santé, elle ne nous permet pas d'affirmer que tous les bacilles inoculés avaient été tués. Sans parler de la réceptivité pour la tuberculose qui n’est pas la même chez tous les cobayes, il faut remarquer que les bacilles modifiés dans leur vitalité, par l'action passagère d'un antiseptique, peuvent se montrer inoffensifs pour un animal, sans avoir perdu pour cela le pouvoir de se cultiver de nouveau dans un milieu approprié où ils reprendront peut-être leur virulence. Outre les bacilles de la tuberculose, les crachats ren- ferment d'autres organismes microscopiques qui peuvent, s'ils n’ont pas succombé à l’action de l’antiseptique, rendre incertain le résultat des inoculations. Nous avons täché d'éviter toutes ces causes d'incertitude. | Pour que toutes nos expériences soient aussi comparables que possible entre elles, nous avons faitagir les antiseptiques sur des bacilles cultivés de même âge et de même virulence. Après leur contact avec l’antiseptique, nous éprouvions la vitalité des bacilles, non plus en les inoculant à des cobayes, mais en ies semant sur un milieu nutritif favorable. Les perfectionnements que MM. Roux et Nocard ont apportés dans la culture du bacille de la tuberculose ont rendu ces expériences faciles; elles peuvent être multipliées et donnent des résultats très constants. Voici la technique que nous avons suivie : avec une eflilure de verre, nous prélevons une petite parcelle de la couche blan- châtre formée par les bacilles à la surface d’un tube de gélose glycérinée ensemencé 15 jours auparavant‘. L'effilure chargée 1. Les bacilles de ces cultures présentent déjà des spores. Une parcelle de cette couche blanchâtre, uniquement composée de bacilles, portée sur du papier de tournesol, donne une réaction légèrement alcaline. 62 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. de bacilles est plongée dans un lube à essai qui contient la solution antiseptique. Après un temps déterminé, on fait une prise dans le dépôt au moyen d'un tube effilé, et on la fait tomber dans un tube à essai plein d’eau distillée, stérilisée. Quelques heures après on puise de nouveau cette semence bien lavée pour la porter dans un flacon de bouillon de veau peptonisé glycériné, que l’on met à l’étuve à 39°. En opérant ainsi, les bacilles sont seuls soumis à l’action de l'antiseptique, pendant des temps variables, sans qu'il y ait d'action secondaire de l’antiseptique sur les milieux de culture. Il serait fastidieux pour le lecteur de rapporter ici tous les chiffres relevés dans les nombreuses expériences que nous avons faites. Le tableau suivant résume les résultats obtenus avec les antiseptiques les plus employés. Les proportions indiquées dans la seconde colonne le sont en millièmes en volumes pour les liquides, en millièmes en poids pour les solides. La troisième colonne, marquée A, donne les durées de contact du microbe et de l'antiseptique pour les- quelles fous les germes ne sont pas tués; la colonne B les durées d'actions suffisantes pour tuer tous les germes. ANTISEPTIQUES. Millièmes, A. B Acide phénique . . .. 0 — 30 secondes — HONTE 10 SEE 1 minute Alcoolabsolu 40e 1000 _ Div 14; Ether iodoformé. . . .| 10 = D PSE ÉTRErA LNARS Ress 1000 5 minutes 1014: Bichlorure de mercure. 1 Due 10 id. TAPMOI- EE EURE 3 9 heures 2 heures Eau sat. de créosote. .| — 1 heure ra id. naphtolf.| — init: FE Acide salicylique. . .. 2,9 ds id: 6 heures Acide borique . . . .. 40 12 heures FA Les bacilles qui ont subi l’action de l’antiseptique se cul- tivent d'autant plus lentement que l’antiseptique est plus éner- gique, et que son action a été plus prolongée. BACILLE DE LA TUBERCULOSE. 63 IT Dans une autre série d'expériences, nous avons déterminé la température à laquelle sont tués les bacilles de la tuberculose. Nous avons étudié la résistance à la chaleur des bacilles tuber- culeux sans spores et des bacilles sporulés ‘. Pour avoir des bacilles tuberculeux privés de spores, nous avons pris de la pulpe de la rate de lapin mort à la suite d’une injection intraveineuse de culture de tuberculose sur gélose glycérinée. MM. Roux et Nocard ont montré que lorsqu'on in- jecte ainsi dans les veines des lapins des bacilles cultivés par leur méthode, les animaux succombent très rapidement (15 à 20 jours) à une tuberculose infectieuse généralisée. La rate est très augmentée de volume, et elle contient une quantité énorme de bacilles qui sont aussi en grand nombre dans la moelle des os. Cependant dans aucun organe on ne voit de tubercules appréciables à l’œil; la marche de Ja maladie a été si rapide que les tubercules proprement dits n’ont pas eu le temps de se former. Dans ces formes de tuberculose infectieuse, les bacilles sont très homogènes, se colorent également dans toutes leurs parties, et ne présentent pas l'aspect granuleux des bacilles des crachats. On aspire dans des tubes effilés un peu de la pulpe d’une rate très riche en bacilles, et, après avoir fermé ces tubes à la lampe, on les plonge dans un bain-marie dont la température est bien réglée. Après chauffage pendant un temps déterminé, on sème la pulpe dans un bouillon glycériné. La quantité de matière chauf- fée est ainsi très petite, et comme elle est contenue dans une effilure de moins de un demi-millimètre de diamètre, elle prend rapidement la température du bain-marie et est chaulflée égale- ment dans tous les points. Voici les résultats que nous avons obtenus : Les flacons en- 1, Nos connaissances sur les spores de la tuberculose sont encore fori incom- plètes. Les spores, dans les bacilles qui ont servi à nos expériences, apparaissaient non pas comme des granulations plus ou moins irrégulières et prenant fortement la matière colorante, mais bien comme des spores véritables à contours nets, au nombre de une ou deux par bacille, trois au plus. Ces spores sont particulière- ment nettes dans les cullures sur gélose glycérinée âgées de quelques semaines, et aussi dans les cultures d'nn bouillon glycériné albuminé, 64 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. semencés avec les bacilles chauffés à 55° pendant 10 minutes ont donné une culture après 15 jours. Ceux ensemencés avec les bacilles portés à 60° pendant 10 minutes se sont peuplés après 37 jours. Enfin les bacilles chauffés à 70° pendant 10 minutes n'ont pas donné de culture. Les bacilles sporulés qui ont servi à la seconde série d’expé- riences venaient d’une vieille culture dans bouillon glycériné légèrement alcalin. Beaucoup d’entre eux présentaient des spores très nettes; nous les avons chauffés dans un tube eflilé, pendant 10 minutes, aux températures de : 550, 60°, 65°, 700, 75°, 80°, 85°, 90°, 100° 4 Au bout de 10 jours, les bacilles chauffés à 55° avaient donné une culture dans le bouillon glycériné; ceux chauffés à 60° ont poussé après 22 jours; les bacilles chauffés au-dessus de 70° n'ont donné aucun développement. Celte expérience, répétée un grand nombre de fois, nous a toujours fourni les mêmes résultats. Les bacilles de la tuberculose résistent donc pendant 10 mi- nutes à une température de 609, et il est à remarquer que la résistance des spores à la chaleur ne paraît pas supérieure à celle des bacilles eux-mêmes. Ces résultats sont en désaccord avec ceux qui ont déjà été publiés sur la résistance des bacilles de la tuberculose à la cha- leur. Ainsi MM. Shill et Fischer ont donné, dans un cas, la tuberculose à deux cobayes avec des crachats restés pendant 15 minutes dans la vapeur d’eau à 100°. Dans d’autres expé- riences, faites dans les mêmes conditions, les résultats ont été négatifs. Les crachats, en nature ou additionnés d’eau, portés à l'ébullition,se sont loujours montrés stériles, lorsque l’ébullition a duré plus de 2 minutes. Dans un travail récent, M. Vælsh ‘ dit qu'après un chauffage simple ou répété à 100°, la semence tuberculeuse est affaiblie, mais non morte. 1l faut remarquer que les résultats que nousavons obtenus en chauffant des bacilles de cultures dans des conditions bien déterminées sont très constants, tandis qu'il n’en est pas de même dnns les expé- riences où l'on a employé les crachats. Dans ce dernier cas, 1. Vœlsch. Contribution à la question de la résistance des bacilles tuberculeux. Beilr. z. path. Anat., t. II, 1887. V. ces Annales, janvier 1888, p. 38. BACILLE DE LA TUBERCULOSE. 65 l'acidité ou l’alcalinité de la matière chauffée a une grande in- fluence sur la résistance des bacilles. Il en est de même du mode de chauffage, il est évident que si l’on chauffe les crachats dans un tube à essai, ils prendront moins rapidement la température du bain-marie que s'ils sont chauffés par très petites quantités dans une effilure très Lénue. En tenant compte des expériences des auteurs que nous venons de citer, il semble que les bacilles des cultures que nous avons employées soient moins résistants à la chaleur que ceux que l’on trouve dans les crachats. - Nous avons, sur les conseils de M. Roux, essayé d'appliquer les données fournies par les essais précédents à l'isolement des bacilles des crachats tuberculeux. La plupart des organismes microscopiques qui accompagnent le bacille de Koch dans les crachats sont tués à une température inférieure à 60°; en chaut- fant à cette température des crachats riches en bacilles, et en les semant ensuite dans du bouillon glycériné, on pouvait espérer avoir des cultures pures de bacilles. MM. Roux et Nocard et nous-même nous avons réussi à oblenir des cultures pures de bacilles tuberculeux par cette méthode. Cependant, nous devons dire qu’elle n'est pas à conseiller, parce qu’elle ne réussit que rarement et seulement avec des crachats très riches en bacilles. De plus la culture, lorsqu'on en obtient une, est si longue à se produire qu'il est beaucoup plus court d'avoir recours aux mé- thodes ordinaires pour se procurer des cultures de bacilles. 66 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. SUR LE MÉCANISHE DE L'IMNUMITÉ Par M. A. CHAUVEAU. Il y a longtemps que cette importante question me préoccupe. Les travaux dont elle a été l’objet de ma part, depuis plus de huit ans, sont connus ‘. On sait comment j'ai cherché à y expli- quer la création de l’immunité acquise, c’est-à-dire la résistance de l'organisme aux microbes infectieux qui s’y sont développés une première fois : celte résistance serait le fait de l'imprégnation des différents milieux organiques par le poison soluble ou toute autre matière dissoute résiduelle, provenant de la première évolution microbienne. La démonstration de ce mécanisme repose, dans mesrecherches, sur deux faits principaux: 1° l’aggra- vation ou l’atténuation des effets produits par cerlains agents infectieux, suivant qu'on les inocule en grande ou en petite quan- 4. Consulter : 19 Comptes rendus des séances de l’Académie des sciences. — Des causes qui peuvent faire varier les résultats de l’inoculation charbonneuse sur les moutons algériens. — Influence de la quantité des agents infectants. — Appli- cations à la théorie de l'immunité. Tome XC, 28 juin 1850. Du renforcement de l’immunité des moutons algériens à l'égard du sang de rate, par les inoculations préventives. — Influence de l’inoculation de la mère sur la réceptivité du fœtus. Tome XCI, 19 juillet 1880. Sur la résistance des animaux de l'espèce bovine au sang de rate et sur la pré- servation de ces animaux par les inoculations préventives. Tome XCI, 18 octobre 1880. Étude expérimentale de l’action exercée sur l'agent infectieux par l'organisme des moutons plus ou moins réfractaires au sang de rate; ce qu'il advient des microbes spécifiques introduits directement dans le torrent circulatoire par transfusions massives de sang charbonneux. Tome XCI, 26 octobre 1880. De l'atténuation des effets des inoculations virulentes par l'emploi de très petites quantités de virus. Tome XCII, 4 avril 1881. Sur le mécanisme de l’immunité. Tome CXVI, 6 février 1888. 20 Revue scientifique. — L'inoculation préventive du choléra. 1885. Tome 1, page 558. 30 Revue mensuelle de médecine et de chirurgie. — De la prédisposition et de limmunité pathologiques. 1878. Tome III, page 868 et 869. 49 Revue de médecine. — Sur la théorie des inoculations préventives, Mars 1887. Tome VIT, page 177. Ce dernier travail rappelle la plupart de mes autres tra- vaux, et donne la formule synthétique de leur signification, SUR LE MÉCANISME DE L'IMMUNITÉ. 67 tiLé et qu'ils se présentent ainsi dans des conditions plus ou moins favorables pour vaincre la résistance de l’organisme ; 2° l’acquisi- tion constante de l’'immunité par les jeunes sujets nés de mères inoculées du sang de rate dans les dernières semaines de la gestation, et appartenant à une espèce qui ne se prèle que très exceptionnellement au passage du bacille du sang de la mère dans celui du fœtus. Mes expériences sur l'influence du nombre des microbes infectieux ont porté principalement sur le virus du sang de rale. J'ai montré que ce virus, inoculé à l’état de virus fort sur des moutons doués de l’immunité naturelle, ou rendus plus ou moins réfractaires par des inoculations préventives, a bien plus de chances d’infecter et de tuer ces animaux, quand le virus est abondant, que s'il est introduit en quantité très minime. Plus tard, ce fait a été absolument confirmé par le résultat de mes expériences sur deux autres virus beaucoup plus faciles à manier : ceux du charbon emphysémateux et de la septicémie gangréneuse. J'étais autorisé, par ces expériences, à conclure qu'un microbe infectieux, s'étant une première fois multiplié dans son milieu naturel de culture, et l'ayant ainsi rendu rebelle à une culture ultérieure, exerce cette action, non pas en épuisant le terrain, en le privant de toutes les substances nécessaires au développe- ment du microbe, mais bien en y laissant des substances nui- sibles, plomaïnes ou autres matières solubles, qui imprègnent ce milieu de culture et lui font subir certaines modifications incon- nues d’où résulte sa stérilisation plus ou moins complète. Aujourd'hui ces expériences ne sont plus contestées. On en accepte les résultats et la conséquence doctrinale que j'en ai tirée. Je ne veux done pas en parler de nouveau, malgré l'intérêt que présentent un certain nombre de ces expériences qui n'ont jamais été publiées. Mais les expériences sur les agneaux qui acquièrent l'immu- nité dans le ventre de la mère ont besoin d'être rappelées. J'y ai toujours attaché une grande importance, car elles donnent une démonstration directe du mécanisme de l’immunité qui se déduit de mes recherches sur l'influence du nombre des agents infectants. 68 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. L'idée directrice de ces expériences est bien simple. Dans les cas courants d’immunilé acquise, l'organisme qui est devenu plus ou moins réfractaire, à la suite d’inoculations préventives, a été soumis à l’action simultanée des microbes pathogènes et des produits solubles que ceux-ci engendrent. Je me suis dit que, s’il était possible de conférer l'immunité, contre le sang de rate, à un organisme dans lequel il ne pourrait pénétrer que ces pro- duits solubles, la démonstration du mécanisme de l'immunité ne laisserait rien à désirer. Or, d’après les recherches de Brauëll, chez les brebis pleines atteintes du saug de rate, les bacilles fourmillant dans le sang de la mère ne passent point dans le sang du fœtus. Le placenta les intercepte, comme il arrête les autres éléments figurés. I] n’y a que les matières solubles du sang qui puissent traverser le placenta, envahir les humeurs et im- prégner les lissus du fœtus. Si donc ces humeurs et ces tissus devenaient inaptes à la prolifération du bacille charbonneux, il faudrait bien admettre que la résistance qu'ils acquièrent est due à l’action des matières solubles qui, du sang de la mère, sont passées dans celui du jeune sujet. L'expérience m'a enseigné qu'il en est ainsi ; il a été démontré par mes recherches que les agneaux nés de mères inoculées du sang de rate, pendant la gestation, deviennent fous plus ou moins réfractaires à l’action du virus charbonneux. La preuve directe cherchée a donc été faite. Il est vrai qu'on en a contesté la valeur. Mais c’est faute d'avoir tenu compte des conditions toutes spéciales dans lesquelles mes expériences ont été faites. J'en suis peut-être aussi un peu coupable. Comme je ne m'étais pas imaginé qu’on pourrait appliquer à ces expériences les conclusions d’autres expériences faites dans des conditions toutes différentes, je n'ai pas cru devoir soutenir mes propres conclusions — qui me semblaient absolument inattaquables — en donnantdes détails circonstanciés sur la manière dont mes recherches avaient été conduites et les précautions dont elles avaient été entourées. Le moment est venu d’en dire ici quelques mots. Mes expériences ont été commencées au milieu de l’année 1879 et se sont continuées presque sans interruption jusqu’à la lin de l’année 1886. L’explication que j'en aï tirée, pour le mécanisme de l’immunité acquise, a été publiée en 1880 (Comptes SUR LE MÉCANISME DE L'IMMUNITÉ. 69 rendus, 19 juillet) après mes premières expériences. Toutes mes expériences ultérieures ayant confirmé celles-ci d'une manière éclatante, j'ai, dès 1884 (Revue scientifique, tome IT, page 358), maintenu l'exactitude absolue des faits que j'avais fait connaître plus de quatre ans auparavant, et qui élablissaient l'acquisition de l’immunité par l’action de matières solubles empruntées par le jeune sujet à la mère pendant la vie fœtale. J'ai réitéré cette affirmation en 1887 (Revue de médecine, tome VIT, page 186). Il me reste à montrer que j'y suis parfaitement autorisé. Le faisceau de preuves accumulées, pendant ce laps de sept années, comprend un nombre considérable d'expériences, dont quarante au moins ont été consacrées à la démonstration de la vaccination intra-utérine de l’agneau contre le sang de rate. Voici dans quelles conditions ces expériences ont été faites. Celles de 1879, 1880 et 1881, exécutées presque toutes sur des brebis pleines algériennes, ont été exclusivement consacrées à l'étude spéciale pour laquelle elles étaient instituées. Les autres, datant de 1882 à 1886, ont été faites pour ainsi dire accessoirement, au cours d'expériences inslituées dans un tout autre but. Des sujets indigènes de l'espèce ovine étaient alors entretenus constamment dans mon laboratoire, pour l'essai de virus charbonneux alténués par diverses méthodes. Bon nombre de ces animaux se sont trouvés être des brebis pleines arrivées aux dernières semaines de la gestation. Elles subissaient, comme les autres sujets, les inoculalions préventives, souvent réitérées et toujours suivies de l'épreuve avec le virus fort. Quelques-unes mouraient du sang de rate. On verra plus loin comment elles étaient utilisées. Le plus grand nombre échappaient etdonnaient bientôt naissance à des agneaux parfaitement bien portants. On n'a compté en tout que deux avortements. Comment se sont comportés, à l'épreuve de l’inoculation avec du virus fort, les agneaux nés dans ces conditions? Pour s'en bien rendre compte, il faut savoir ce qui arrive des agneaux pro- venant de mères non inoculées pendant la gestation. Si les jeunes sujets appartiennent à nos races indigènes, ils se montrent, comme on le sait, encore plus impressionnables que les adultes et meurent presque tous avec une grande rapidité. Ceux qui proviennent de mères algériennes se comportent à peu près comme les adultes. Il y en a qui succombent; c’est la petite 70 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. minorité. D'autres, en beaucoup plus grand nombre, présentent des malaises évidents. Enfin quelques-uns ne paraissent pas du tout malades. Mais chez ces derniers, comme dans les autres, l'infection se manifeste par des signes évidents, plus ou moins marqués, qui ne manquent jamais : un signe général, l'élévation de la température; un signe local, la tuméfaction du ou des ganglions lymphatiques les plus proches du point d’inoculation. Comme j'ai toujours fait mes inoculations à l'oreille, par piqüres sous-épidermiques ou par injection sous-cutanée d’une petite quantité de virus, cesontles ganglions parotidien etpré-scapulaire quiontprésenté, dans mes expériences, les signes de tuméfaction. Or voici ce qui est arrivé, quand il s’est agi de l’acquisition intra-utérine de l’immunité. Tous les agneaux nés de mères algé- riennes ont complètement échappé à l'infection; aucun n'est mort; aucun n’a éprouvé de malaises ; aucun n’a présenté d’une manière sensible l'élévation de la température ou la tuméfaction ganglionnaire. Chose plus remarquable encore, parmi lesagneaux indigènes, plus nombreux que les algériens, il n’y en a pas un qui ait succombé. La plupart, il est vrai, ont éprouvé des malaises passagers, plus ou moins forts ; mais, en cela, ils se sont com- portés comme les adultes inoculés préventivement et soumis ensuite à l'épreuve du virus fort. J'ai dit plus haut que le nombre des agneaux ainsi éprouvés est de quarante, au moins. Si je n’en puis donner le chiffre absolument précis, c’est qu'on avait fini par ne plus recueillir les observations, tant était éclatante et nette la signification du nombre considérable de faits enregistrés pendant les cinq pre- mières années. Il est étonnant, en eftet, qu'aucun cas de mort ue soit survenu à l'épreuve de l’inoculation avec du virus fort. On n’est pas toujours aussi heureux quand on éprouve les adultes vaccinés. Certes, j'aurais eu quelque cas de mort, sur mes agneaux, que la preuve cherchée dans mes expériences n'en aurait pas été amoindrie. Mais cet accident prévu ne m'est pas même arrivé. Ainsi donc, tous les agneaux nés de mères inoculées du sang de rate pendantles dernières semaines de la gestation acquièrent l’immunité. Par quel mécanisme? Est-ce bien celui dont j'avais la vérification en vue en instituant mes expériences? L’immunité résulte-t-elle de l’imprégnation du fœtus par des matières so- SUR LE MÉCANISME DE L'IMMUNITÉ. 71 lubles puisées dans le sang de la mère ? Incontestablement, s'il est vrai que les bacilles de celles-ci ne passent jamais ou ne pas- sent qu'exceptionnellement dans le sang du fœtus. Examinons ce point, rendu tout particulièrement intéressant et délicat par les recherches de MM. Straus et Chamberland sur la loi Brauëll-Davaine. Quand j'ai commencé mes expériences sur le présent sujet, je ne doutais pas du tout de l'exactitude de cette loi; elle m'était garantie par le talent d'observateur de Davaine, si universel- lement connu et apprécié. Aussi me suis-je borné à vérifier, sans prendre aucune précaution particulière, le fait constaté par Brauëll, sur la brebis pleine qui meurt du sang de rate, à savoir que le sang du fœtus n’est pas inoculable, tandis que celui de la mère communique toujours la maladie quand on l’inocule. Mais mes premières expériences étaient à peine publiées que j'étais amené à me demander, bien avant MM. Straus et Chamberland, si l'arrèt du bacille charbonneux par le placenta est aussi absolu que l'avait proclamé Davaine; et cela, sans penser que la constatation de quelques exceptions püt affaiblirla valeur de la démonstration que javais demandée à mes expériences. Voici dans quelles circonstances j'ai été entrainé à cette recherche. Toussaint s'était appuyé sur la vaccination intra- utérine de l'agneau, prouvant l'existence d'une matière vaccinale soluble, pour imaginer sa retentissante expérience de vaccination préventive du mouton contre le sang de rate. En fait, il avait réussi à vacciner des moutons avec du sang dans lequel il croyait avoir tué tous les bacilles par le chauffage. Quoique ce mémorable résultat eùt été obtenu par une application de la notion que je venais d'introduire dans la science, la vaccination intra-utérine des agneaux par une matière vaccinale soluble, je n’acceptai pas l'interprétation de Toussaint. Il venait de s'installer pour plu- sieurs semaines dans mon laboratoire. Nous discutâmes cette interprétation. Je la rejetai, en raison de la petite quantité de matière vaccinale que Toussaint avait employée sur ses moutons, et parce que je ne pouvais admetire a priori que cette matière fût capable de se reproduire, de se multiplier par elle-même. Pour moi, c'était un produit de la vie bacillaire, etil aurait fallu, pour l’introduire en quantité efficace dans l'organisme des mou- tons à vacciner, injecter de grandes masses de sangcharbonneux 72 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. chauffé. Je soutins à Toussaint que le beau et important résultat qu'il venait d'obtenir devait être attribué à la persistance d’un certain degré de vitalité dans les bacilles soumis à l’action des- tructive de lachaleur. Effectivement, M. Pasteur donnait, quelque peu de temps après, la preuve éclatante de l'exactitude de cette interprétation. Mais celui-ci ne se rendit pas à mes objections. Il persista à essayer de préserver les moutons avec de pelites quantités de matière vaccinale soluble, prise non plus dans le sang des adultes, mais bien dans celui des fœtus trouvés sur les brebis ayant suc- combé au charbon. De cette manière il agirait, croyait-il, avec du sang privé de tout bacille et pourvu seulement de la matière vaccinale soluble, tout à fait naturelle, n'ayant pas subi les atteintes possibles du chauffage. C’est alors que je lui fis une nouvelle objection, qui a été l’origine des recherches que j'ai entreprises pour contrôler sérieusement les expériences de Brauëll et de Davaine. J’arguai de la possibilité de la présence, dans le sang du fœtus, de quelques bacilles erratiques, qui auraient pu exceptionnellementtraverserle placenta. J’engageai Toussaint à faire d’abord des recherches dans le but de s’éclairer sur ce point préalable. Justement les circonstances étaient très favora- bles à ces recherches. Les animaux de l'espèce ovine qui étaient alors soumis, dans mon laboratoire, à des essais d’inoculations charbonneuses capables d'entraîner la mort se trouvaient être, en assez grand nombre, des brebis pleines arrivées à une période avancée de la gestation. Toussaint eut bientôt plusieurs occasions d'essayer sur le cobaye, en employant une notable quantité de matière, le sang de fœtus de brebis ayant succombé au sang de rate. Quels furent les résultats de ces expériences ? Il arriva juste- ment que le sujet de la première expérience mourut du sang de rate. Mais les sujets des troisexpériences subséquentes résistèrent parfaitement. Aussi Toussaint, qui avait quelques raisons légitimes de soupçonner que la première expérience n'avait pas étéfaite dans des conditions de sécurité absolue, contreles chances de contamination accidentelle par le sang du placenta maternel, resta-t-il convaincu qu'il y avait lieu de donner suite à son pro- jet. I ne le poursuivit pourtant pas, parce que, sur les entrefaites, survint labrillante démonstration de M. Pasteur, sur le rôle,joué, SUR LE MÉCANISME DE L'IMMUNITÉ. 13 dans l'expérience fondamentale de Toussaint, par les bacilles du sang chauffé. L'idée de Toussaint n'en restait pas moins légitime au fond; mais elle était en avance sur les faits et sur l’époque. Je continuai toutefois, seul, les recherches propres à m'éclairer sur la virulence du sang des fœtus de brebis mortes du sang de rate à une période avancée de la gestation. Sept expériences furent ajoutées à celles que j'avais fait faire à Toussaint. Cette fois, ce furent des moutons qui servirent de sujets d’épreuve pour la virulence du sang fœtal, la taille des animaux permettant alors d'injecter sous la peau de plus grandes quantités de sang : un centimètre cube. Or, un seul de ces animaux mourut du sang de rate. Les autres ne devinrent pas malades. Ainsi, en additionnant tous les cas d’essai du sang fœtal qui ont été recueillis dans mou laboraloire, on en compte onze en tout, et, sur ce nombre, le sang ne s’est montré virulent que deux fois au plus. Qu'on rapproche cette proportion de celle des agneaux qui acquièrent l'immunité dans le ventre de la mère (40 sur 40), et l’on jugera si l’immunité conférée par la mère au fœtus résulte de la contamination directe de l'organisme fœtal par le bacillus anthracis, comme le pensent MM. Straus et Chamberland. Si l’on s’en rapportait aux chiffres cilés ci-dessus, 7, au plus, de ces 40 sujets qui ont acquis l’immunité pendant la vie intra-utérine, auraient été exposés à être pénétrés — et encore en quantlé presque inappréciable — par les bacilles du sang de la mère. Je suis disposé à trouver celte proportion encore trop forte. Il est probable, sinon absolument certain, que l’immunité a été créée chez {ous ces agneaux sans qu’un seul bacille de la mère ait pénétré dans le sang d'aucun d'eux. Et en effet, quand l'évolution du virus charbonneux, fort ou atténué, sur les brebis pleines, n’entraîne ni la mort, ni l'avortement, il y a les plus grandes chances pour que le bacille, si rare, parfois même tout à fait absent dans le sang de la mère, ne se trouve, ex aucun cas, dans celui de fœtus. Je n’ai jamais réussi à en déceler l'existence sur les fœtus de brebis inoculées du sang de rate, dans des con- diions assurant la survie, et Luées au moment où l’on jugeait arrivée la fin de la période aiguë de l'infection. Je désire faire une dernière observation. Nous connaissons des maladies infectieuses qui, chez la brebis pleine, se trans- mettent au fœtus avec la plus grande facilité, avec tous leurs 74 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. caractères anatomo-pathologiques : par exemple, le charbon symptomatique. Or, a-t-on jamais observé les lésions du charbon ordinaire chez les fœtus de brebis mortes de cette maladie? En ce qui me concerne, je n’en ai point rencontré, pas même sur les fœtus dont le sang cardiaque a été trouvé virulent. On sait que la lésion principale réside dans la rate, d'où le nom de sang de rate (splenic fever des Anglais) par lequel on désigne le plus communémentla maladie. Or, jamais, dans les nombreuses obser- vations que j'ai été à même de faire, je n’ai rencontré la moindre altération de la rate des fœtus. Cet organe était parfaitement sain. J'en puis dire autant de tous les autres organes et en par- ticulier des ganglions lymphatiques. C'estdoncune exagération de prétendre que les jeunes peuvent prendre le sang de rate dans le ventre de la mère. Ils ne contractent même pas la maladie rudi- mentaire qui succède aux inoculations préventives avec des virus atténués, chez les sujets qui vivent de leur vie propre. En sorte que je me sens entraîné à considérer les rares agents infectieux qui rendent quelquefois virulent le sang du fœtus comme des bacilles erratiques, venus tous de la mère, et incapables ou peu capables de se multiplier dans le jeune sujet. Il ne serait pas impossible, en effet, que celui-ci fût imprégné par la matière vaccinale, empruntée à la mère, avant que la multiplication des bacilles, qui est toujours tardive, fût assez avancée pour créer des chances de pénétration trans-placentaire. Dans tout ce que je viens de dire, il n’y a rien qui tende à iufirmer la valeur des expériences faites par MM. Straus et Cham- berland, sur le même sujet, mais dans des conditions différentes de celles où j'ai opéré moi-même. Je n'ai plus qu’à tirer la conclusion de ce travail : mes expé- riences sur la vaccination intra-utérine des agneaux ont bien la signification que je leur ai donnée; elles démontrent que l'im- munité acquise par ces agneaux, dans le ventre de la mère, est le fait de la matière vaccinale soluble que celle-ci a cédée à son produit. Si j'en avais eu le temps, j'aurais ajouté quelques considé- rations relatives aux expériences que j'ai faites en 1884 avec M. Arloing sur la maladie du vibrion seplique. Ce sera pour une autre fois. VARIATIONS DE FORME CHEZ LES BACTÉRIES, Par EE. WASSERZUG. Les caractères morphologiques servent de base à toutes les classifications en histoire naturelle, et, comme les êtres supé- rieurs, les bactéries sont classées surtout d’après leur forme. Or pour qu’un caractère puisse servir utilement dans une clas- sification, il faut que les indications qu’on en peut tirer soient toujours comparables entre elles. On ne pourra donc faire pré- dominer les caractères morphologiques que si ces caractères restent invariables. Le problème de l’invariabilité de la forme, qui a été soulevé d’une façon générale pour tous les êtres vivants, s’est surtout posé pour les infiniment petits, dont les dimensions rendent l'observation difficile, et dont la structure très simple prête davantage à la confusion. Chez les bactéries, ce problème a reçu deux solutions très différentes Pour Ferd. Cohn, qui essaya le premier, en 1872, de donner une classification systématique des bactéries, la constance de la forme ne faisait aucun doute. Il y avait lieu d'établir, chez ces organismes, des espèces morphologiquement distinctes et aussi nettement délimilées que chez les êtres supérieurs. Ces espèces furent rangées dans quatre groupes différents, caractérisés chacun par une forme spéciale : microcoque, bactérium, bacille et spirille. La classification de Cohn avait à peine paru, que Ray Lan- kaster observa un microbe coloré, le Clathrocystis roseopersicina, qui présentait dans les différents stades de son développement les quatre formes établies par Cohn et regardées par lui comme absolument distinctes. D’autres observations de Billroth, War- miog, Klebs, ete., donnèrent lieu à une théorie toute différente de celle de Cohn, qui fut soutenue et développée surtout par Nægeli. 76 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Pour Nægeli, la forme est éminemment variable chez les bac- téries. Chaque espèce peut, suivant les conditions du milieu, prendre toutes les formes, depuis celle de microcoque jusqu'à celle de spirille. L'espèce n'existe donc pas comme l'avait dé- finie Ferd. Cohn. D'ailleurs, la fonction spécifique n'existe pas davantage : forme et fonction varient également suivant les conditions extérieures. Une mème bactérie transplantée dans des milieux différents « peut successivement, dans le cours de ses généralions, produire ici l'acidité du lait ou la fermentation butyrique, ou l’altération des vins, ou la putréfaction des matières albuminoïdes, ou la destruction de l’urée. et là engendrer la diphtérie, ou le typhus, ou la fièvre récurrente, ou le choléra‘... » Ces conclusions, inspirées visiblement par les idées darwi- niennes, ne s'appuyaient malheureusement pas sur une expéri- mentalion rigoureuse. [Il ne fut pas difficile aux partisans de Cohn de montrer que les expériences fondamentales de leurs adversaires étaient le plus souvent entachées d'erreurs. Aucun d'eux, en effet, n'opérait ni même ne se souciait d'opérer avec des cultures pures. Nægeli déclare d’ailleurs « qu’il est impos- sible de faire sûrement des cultures pures avec les bactéries, tant à cause de leur petitesse extrême que de leur dissémination générale dans l'air et dans l’eau » *. Seul Lankaster avait opéré, semble-t-il avec pureté; le choix qu'il avait fait d’une espèce colorée rendait d'ailleurs le contrôle plus facile ; mais ii s'était adressé à un organisme plus voisin des Nostocacées que des Bactéries proprement dites, el il avait eu le tort d'appliquer d'une façon générale à toutes les bactéries un fait qu’il n'avait observé que sur une seule espèce d'organisme, et que, d’ailleurs, il n'avait jamais pu reproduire chez une bactérie vulgaire. Les erreurs d'expérience, dans lesquelles Nægeliet ses parti- sans étaient le plus souvent tombés, contribuèrent pour beau- coup à éloigner les esprits de la théorie qu’ils voulaient établir. Toutefois les idées de Cohn sortirent un peu modifiées de ces attaques. Si la plupart des auteurs admettent aujourd’hui, en principe, la constance de la forme enseignée par Cohn, ils recon- naissent cependant qu'une espèce peut parfois, dans des condi- tions données, acquérir temporairement des formes anormales 4. NæGeur. Die niederen Pilze, ete. Munich, 1877. 2. Nxceur. Das Mikroskop, 2° édition, 1877, p. 644. VARIATIONS DE FORME CHEZ LES BACTÉRIES. 41 (Involutions-formen). Ces formes anormales s'écartent d’ailleurs très peu d’une forme constante et définitive qui finit toujours par prédominer et qui sert à caractériser l'espèce. Au lieu des quatre groupes établis primitivement, on n’en reconnaît plus que trois: celui des microcoques, des bacilles et des spirilles. Ces trois groupes sont du reste aussi nettement séparés les uns des autres que l’étaient les anciens, et M. Gaffky déclare textuel- lement à ce sujet !: « Il n’est personne qui puisse dire avoir vu un spirille ou un spirochète provenir d’un organisme de forme bacillaire ni un bacille d'un microcoque. » Bien que chaque bactérie soit classée d’une façon exclusive dans l’un des trois groupes qui vienent d'être indiqués, l’exis- tence des formes d’involution élargit forcément les limites entre lesquelles l'espèce peut se mouvoir. Ces formes d'involution apparaissent d'ordinaire dans les cultures âgées ou en présence des antiseptiques; autrement dit, elles surviennent à la suite de modifications apportées dans le milieu primitif, soit par la vie même du microbe, soit par l’adjonction préalable de certaines substances étrangères. Jusqu'à quel point ces changements de forme dépendent-ils des modifications du milieu, et dans quelles limites peuvent-ils se produire ? D'une façon plus générale, quels sont les changements apportés dans la vie d’un microbe par les variations du milieu ? Pour aborder sérieusement ce problème, il est de toute nécessité d’expérimenter avec des cultures dont la pureté soit absolue. Afin d’avoir un contrôle plus facile de cette pureté, nous avons choisi, pour faire cette étude, les microbes colorés, qui se distinguent aisément par la coloration qu'ils donnent à certains milieux. Nous avons d'abord étudié parmi eux le bacille du pus bleu et nous avons montré récem- ment * les variations que peut subir la fonction chromogène de ce bacille sous l'influence des changements du milieu. Ces variations ne sont du reste pas spéciales au Bacillus pyocyaneus et il est facile de les reproduire avecd’autres microbes colorés. Considérons en particulier un organisme bien connu, le Micrococcus prodigiosus, nettement caractérisé tant par sa forme que par sa coloration. Cohn, Schrotter, Gaffky et la plupart des 1. Miltheilungen aus d, k. Ges. amt., &. , p. 116. 2, Voir le n° 11, tome l'‘ de ces Annales. 18 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. auteurs le considèrent comme le type des microcoques !, el le décrivent comme formé de cellules isolées, sphériques, mesurant 0,4 à 0,62 de diamètre. D’après Flugge, ces cellules sont mobiles et légèrement elliptiques quand on les observe à un très fort grossissement, ce qui leur donne l'aspect d’un très court bacté- rium qui du reste n’atteint pas 1v de long. Cet organisme est surtout remarquable par la belle colora- tion rouge caractéristique qu'il donne aux milieux solides sur lesquels on le cultive d'ordinaire, pomme de terre, gélose, etc. Avec la gélatine, qui est rapidement liquéfiée, cette coloration n'apparait qu'assez tardivement. La matière colorante se forme d'abord dans les couches superficielles exposées à l’action de l'air, et ne gagne qu'au bout d'un temps plus ou moins long les parties profondes. Mais cette coloration, si vive et si accusée avec les milieux solides, disparait complètement quand on cultive l'organisme dans les liquides neutres ou alcalins qui servent d'ordinaire à la culture des microbes. Tout au plus voit-on par- fois un léger cercle rosé se former sur la paroi intérieure du ballon de culture un peu au-dessus de la surface du liquide. Les générations successives dans ces mêmes milieux restent indéfi- niment incolores. Cette absence de coloration s’observe surtout quand la semence originelle provient d’une culture faite pendant de nombreuses générations sur un milieu solide. On peut obtenir toutefois des cultures colorées dans les liquides; il suffit pour cela de faire une ou plusieurs cultures dans un liquide très légèrement acide. Il importe peu dans ce cas que l’on parte d’ane semence prise sur un milieu solide ou dans l'un des liquides restés primitivement incolores. On finit toujours par obtenir des liquides légèrement colorés en rose, et la coloration se conserve alors quelle que soit la réaction du liquide employé pour les cultures ultérieures. Il semble, d'après ce qui précède, que les cultures successives faites sur les milieux solides, en présence d'un excès d'oxygène, aient rendu les cel- lules incapables de produire leur matière colorante dans d’autres conditions, quand on les transporte par exemple dans un milieu liquide où l'air est en moindre abondance, L'action plus ou moins prolongée d’un acide, à dose très faible, suffit pour leur rendre cette propriété colorante. Nous avons observé un fait 1. Voir Scaroren, Kryptogamenflora von Schlesien, LI, 2. VARIATIONS DE FORME CHEZ LES BACTÉRIES. 19 analogue chez le bacille du pus bleu, dont la couleur est bien plus accusée quand on le cullive en présence d’un acide. Cette action des acides s’observe encore avec d’autres microbes colo- rés, en particulier avec le bacille du lait bleu. Je possède de cet organisme une culture sur gélose parfaitement colorée et con- servée sur le même milieu depuis de nombreuses générations. Ensemencé dans du lait, le bacille de cette culture s’y développe très bien, mais sans donner la moindre trace de la coloration bleue qui le caractérise habituellement. Il n’a pas fallu moins de dix cultures successives dans un liquide acide pour lui rendre dans le lait sa coloration bleue. En s’en tenant, pour le Micrococcus prodigiosus, aux milieux solides sur lesquels il produit très nettement sa matière colorante, on peut éludier, comme nous l’avons fait pour le Bacillus pyo- cyaneus, les variations de la fonction chromogène dans ces milieux. L'emploi des mèmes procédés amène mème plus rapi- dement que pour ce dernier organisme l'abolition durable de celte fonction. Il est très facile de suivre pas à pas toutes les phases du phénomène. Contrairement à ce qui se passe avec le Bacille du pus bleu, la matière colorante du Micrococeus prodi- giosus ne se répand pas, dans les cultures sur gélose, en dehors des colonies formées, qui restent seules colorées. On peut donc toujours déterminer sans peine combien il existe, dans une cul- ture quelconque du microcoque, de cellules capables de repro- duire la matière colorante. Il suffit d’ensemencer un certain nombre de ces cellules à la surface d’un peu de gélose, contenue par exemple dans un tube à essai, et de compter le nombre des colonies colorées qui se sont formées. On peut s'assurer ainsi que, dans une même colonie parfaitement rouge, venue sur pomme de terre ou sur gélose, toutes les cellules ne sont pas aptes à reproduire des colonies colorées. Le nombre des colonies incolores est bien plus grand quand on s'adresse à des cultures faites dans des liquides, surtout dans des liquides alcalins. En choisissant de préférence les colonies incolores, et en faisant alternativement des cultures sur gélose et dans des liquides alcalins, on arrive à avoir très rapidement des cultures qui ont perdu d’une façon durable leur fonction chromogène, tant sur pomme de terre que sur gélose. Comme on le voit, l'emploi des antiseptiques n’est même pas nécessaire pour arriver à ce résultat 80 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. que nous avons déjà obtenu précédemment avec le Bacillus pyo- cyaneus. Tout ce que nous venons de dire n’est d’ailleurs que la confirmation des faits que nous avons rencontrés chez ce der- nier Organisme. M. Schottelius est arrivé naguère à oblenir des cultures in- colores avec le Micrococcus prodigiosus. I a employé pour cela des cultures successives longtemps prolongées à 37° sur la pomme de terre. Nous venons de voir qu’on peut les obtenir beaucoup plus rapidement avec des milieux liquides : on peut alors rester à des températures inférieures à 37°, qui conviennent beaucoup mieux à la vie du microbe. Comme la plupart des Bactéries, le #. prodigiosus possède des formes d'involution. Ces formes anormales se produisent souvent dans les cultures âgées, sur pomme deterre par exemple. Quelques cellules grossissent beaucoup, se renflent tout en reslant sphériques; et atteignent alors de 1 à 24 de diamètre, ou bien s’allongent et prennent soit l'aspect de gros bâtonnets soit l’aspect de levures, d’après l'expression de M. Schottelius qui les a décrites". Mais les cultures récentes, tant sur les milieux solides que dans les liquides neutres et alcalins. ne présentent que la forme sphérique ou elliptique qui sert d'ordinaire à carac- tériser cet organisme. | Mais on peut aisément obtenir d'emblée des formes s’écar- lant très notablement des formes normales; l'emploi des milieux antiseptisés conduit rapidement à ce résultat et nous retrou- verons ici les changements morphologiques que nous avons déjà signalés avec le bacille du pus bleu ?. 1. Dans ses Recherches biologiques sur le M. prodigiosus (Leipzig 1887), M. Schottelius compare un instant cet organisme aux levures et déclare (p.8) que « son pouvoir de transformer le sucre en alcool et acide carbonique est vrai- ment considérable ». II ne m'a pas été possible de vérifier ce pouvoir ferment avec l'organisme que j'ai étudié; Je n'ai jamais pu constater la moindre trace d'alcool dans les liquides sucrés où il avait vécu soit en présence du glucose soit en présence du saccharose. Ce serait, Je crois, la première bactérie connue qui donnât avec le glucose une vraie fermentation alcoolique comparable à celle de la levure de bière. Du reste le microcoque que j'ai étudié ne donnait pas d'in vertine avec le saccharose. 2. MM. Guignard et Charrin ont signalé chez le Bacille du pus bleu (Comptes rendus, 12 décembre 1887) ces changements de forme se produisant sous l'influence du naphtol, de l'acide borique et du bichromate de potasse, pour des doses déter- minées de ces substances. Comme nous l'avons déjà fait remarquer dans notre étude sur le Bacillus pyocyaneus, ces variations de forme peuvent être obtenues non VARIATIONS DE FORME CHEZ LES BACTÉRIES. 81 Prenons, par exemple, du bouillon de veau auquel on a ajouté une quantité d'acide tartrique relativement considérable pour le M. prodigiosus, une dose de 4 à 5 décigrammes d’acide par litre. Ensemençons-le avec une trace d'une culture prove- nant d’une colonie bien colorée sur gélose. Au lieu de se faire en abondance dans les 24 heures, le développement est alors retardé de 3 à 5 jours, et, quandil s’est produit, l'examen micros- copique montre un changement très considérable dans la forme des cellules. Au lieu des microcoques isolés et sphériques, on ne trouve plus que des bâtonnets de grandeur très diverse. Les uns sont isolés, épais et ont de 2à 54 de long; le plus sou- vent ils sont réunis en un filament qui peut être composé de 2 à 20 articles et davantage, séparés les uns des autres par un espace clair dù à la présence d’une matière gélatineuse qui entoure abondamment chacun des bacilles; ailleurs cette matière gélatineuse disparait presque complètement, et les bacilles s’allongent beaucoup de manière à se toucher et même à former un très long filament continu qui s’enroule plusieurs fois sur lui-même. Toutes les formes de passage existent entre ce fila- ment très allongé et Le bacille court isolé. Les bacilles sont presque toujours mobiles, qu'ils soient isolés ou réunis, et il n’est pas rare de voir un filament de 30à40& de long traverser avec de lentes ondulations le champ du mi- croscope. Quand les filaments sont composés d'articles séparés, ces mouvements leur donnent souvent l’aspect de spirilles. Ces différentes formes ne s’observent bien qu'au début du dévelop- pement, et dès le second ou le troisième jour les longs filaments disparaissent peu à peu. Les articles bacillaires se raccourcissent jusqu’à prendre la forme sphérique, et, quand ils restent réunis, l’on obtient la forme décrite sous le nom de Staphylocoque. Bientôt les articles se séparent et l’on revient à la forme micro- seulement avec les substances que nous venons d'indiquer, mais avec un très grand nombre d'antiseptiques. D'une façon générale il existe toujours, pour un antisep- tique donné, une dose inférieure à la dose toxique et capable de produire des varia- tions morphologiques. Mais comme la dose toxique varie, nous l'avons vu, pour chaque antiseptique, avec la qualité de la semence employée, il en est de même de la dose qui amène les changements de forme dont nous parlons. De plus ces changements morphologiques sont tout à fait transitoires, et, quand on aandonne la culture à elle-même, la forme primitive ne tarde pas à prédominer de nou- veau. nu 6 82 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. coque proprement dite, qui semble être ainsi la forme définitive de l'organisme. A ce moment la réaction du liquide varie et, probablement par suite de la formation de sels ammoniacaux dus à la vie du microbe, le liquide cesse d’être acide et devient même légèrement alcalin. Qu'arriverait-1l si le développement se faisait dans un milieu qui resterait constamment acide? Pour obtenir ce résultat, au lieu d'abandonner la culture à elle-même, prélevons-en une semence dès le premier ou le second jour du développement, et portons-en une quantité très pelite dans un second milieu acide identique au premier. Renouvelons ensuite ces ensemencements dans les mêmes conditions, pendant un grand nombre de géné- rations, de manière que le milieu de cullure reste continuelle- ment acide. En prenant ces précautions, on ne tarde pas à voir que les formes filamenteuses sont de plus en plus nombreuses à mesure que les cultures se continuent, et que ces formes per- sistent plus longtemps. Îl arrive enfin un moment où elles ne disparaissent plus, même quand la culture est abandonnée à elle- même et que le milieu a perdu sa réaction acide. On n’a plus alors que des formes nettement bacillaires qui se conservent in- définiment et ne se transforment plus en microcoques. Voici done un moyen de fixer, dans un milieu donné, une forme différente de la forme considérée comme normale; les microco- ques ont fait place à des bacilles et à des filaments. En partant d'une colonie rouge sur gélose, il m'a fallu quinze générations successives pour arriver à ce résultat; il n’est pas douteux qu'en continuant les cultures- — INCNCUCES ee Enr AS] 5 ENS eo Pas de CuulériSANONs pe eee 9% 4652129) %» » | 4! » | » Morsures aux mem-{ simples......| »| ®) | »| 4%) | »| 2) _ : t ( bres et au tronc } multiples....| »| Æ\ » 8) » Cautérisations efficaces............ 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Sceaux. — Imprimerie Charaire et fils. 9me ANNÉE. MARS 1888. N° 3 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR LETTRE DE M. PASTEUR A M. DUCLAUX Mon cher Duclaux, Le Dr Gamaleïa, directeur de la clinique de la rage au Labo- ratoire microbiologique de M. Metchnikoff, à Odessa, et le Dr Bujwid, directeur du laboratoire antirabique de Varsovie, me font part de résultats très dignes d’être publiés. Je laisse d’abord la parole au docteur Gamaleïa : .… Pendant l’année 1887 nous avons vacciné 389 personnes, dont 38 avaient été mordues par des loups enragés, 348 autres par des chiens, des chats, chevaux, ânes, porcs ; 3 n'avaient pas été mordues, mais travail- lant au laboratoire, elles ont tenu à se garantir contre la possibilité d'une infection rabique. Vous vous rappellerez qu'en 1856, 14 personnes, non mordues, occupées au laboratoire, s'étaient également fait vacciner. Des 38 personnes mordues par des loups enragés, 30 seulement ont pu terminer leur traitement. De ces 30, une seule est morte de rage quelques jours après la fin de ses inoculations. Les 8 autres, arrivées tardivement au laboratoire et présentant des plaies extraordinairement graves, sont mortes avant la fin de leur traitement — Pas moins de 15 personnes n'ont pu arri- ver que 18 jours après l’accident. De celles-ci, 3 sont encore mortes pen- dant leur vaccination. Restent 345 personnes dont la vaccination à été com- plète et sur ce nombre nous n’avons eu qu’un seul cas de mort. C'était une fille du nom de Korobtcherko, pour laquelle la méthode intensive n’a pas été employée vu les froids de l'hiver. (Voir mon article des Annales de M. Duclaux : Sur les vaccinations, p. 230, note 1rc.) La méthode intensive n’a donc pas eu d’insuecès sur plus de 300 eas, si 8 118 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. . on ne compte pas les plaies trop graves qui ne laissent pas aux vaccinations le temps nécessaire pour donner l’immunité. Cette méthode a été la seule employée ici depuisle mois de février 1887 !. Voici maintenant la lettre du docteur Bujwid : … J'ai obtenu du traitement intensif quelques succès que je désire yous communiquer. Ainsi que vous le savez, j'ai voulu d’abord constater si le traitement simple est suffisant et dans quels cas. Chez plus de 200 personnes mordues aux membres, j'ai obtenu des résultats qui me semblent très bons. Cependant j'ai eu deux morts. Dès le commencement du mois de février jusqu'au mois de juin 1887, j'ai recu 6 personnes grièvement mordues aux membres et au visage. Je leur ai appliqué également le traitement simple en bornant les inoculations à la moelle de 6 jours. Toutes, malgré le traitement, sont mortes de rage. Le 21 juillet on m'a adressé deux paysans mordus très grièvement au visage et à la tête par un loup enragé. J'ai poussé les inoculations jusqu’à la moelle de 3 et2 jourset je les ai répétées deux fois. Un mois après on m'a envoyé deux autres personnes mordues par un loup enragé, dans le même district : morsures également profondes, nom- breuses à la tête et au visage. Le traitement a été aussi intensif que dans les deux cas précédents. La rage des deux loups a été confirmée chaque fois par trépanation de leur cerveau à des lapins qui ont pris la rage en 15 ou 16 jours. Jusqu'ici, c'est-à-dire depuis 8 à 9 mois déjà depuis leurs morsures, ces quatre personnes sont en bonne santé. Maintenant, chez nous, à Varsovie, la méthode Pasteur est de plus en plus considérée comme la seule et unique méthode capable de sauver la vie des personnes, mordues par des animaux enragés, même dans les cas les plus désespérés.… Jusqu'ici j'ai traité 400 personnes, avec 8 morts. Par l'application du iraitement intensif, j'ai traité 140 personnes, dont 7 mordues au visageet à la tête et 4 par des loups enragés, sans aucun accident... 4. Je dois ajouter un détail intéressant de la lettre du D' Gamaleïa, relatif-au charbon. {Fièvre charbonneuse.) : °« J'ai préparé, dit-il, les vaccins charbonneux dans l'été de 1887, et j'en ai fait l'épreuve en grand sur cent moutons. Ces cent moutons ont reçu le premier vaccin le 9 décembre et le deuxième vaccin le 95 décembre. Pas un seul n’est mort. Tous vont bien. Le 3 janvier, quatorze jours après le deuxième vaccin, dix de ces moutons vaccinés ont été inoculés par le virus charbonneux virulent. Pas un des dix n’est mort, n’a pas eu même la plus légère élévation de la température, qui a élé prise deux fois par jour. Le même virus virulent a été inoculé à trois moutons non vaccinés: deux sont morts du charbon, les 8e et 4e jour après l'infection ; le troisième mouton a été gravement malade pendant 8 jours, avec une température reclale qui a atteint 410,9; mais ce mouton a fini par se rétablir. » / LETTRE DE M. PASTEUR A M. DUCLAUX. 419 Je voudrais, mon cher Duclaux, ajouter quelques remarques au sujet des virus et de leurs vaccins. L'an dernier, dans la lettre que je vous ai adressée de Bor- dighera sur la rage, et qui a paru dans le premier numéro de ces Annales, le 25 janvier 1887, je constatais que la durée d’incuba- tion de la rage chez nos lapins de passage, durée dont le terme est fixé pour nous au début des premiers symptômes de para- lysie, étail encore de sept jours comme au temps du petit Meister (le premier inoculé), mais avec tendance à descendre à six jours. Nous étions alors au 133° passage; présentement nous avons at- teint le 178°, et l’incubation habituelle, depuis une année environ, est de six jours, mêlée encore à celle de 7 jours, une fois sur trois environ. On peut considérer que le virus de passage par lapins est arrivé à sa fixité. Pour en arriver là, quelle longueur de temps écoulé! Il n’a pas fallu moins de 4 à 5 années sans interruption dans les passages successifs. Le virus des chiens des rues se propageant par morsures de chien à chien depuis des milliers d'années, doit ètre considéré également comme fixé. Entre ces deux virus, celui du lapin et celui du chien, la différence est certainement très grande, tant pour la durée d’incubation que par les symptômes eux-mêmes de la maladie. La différence peut rappeler celle que l’on observe entre le cow-pox et la variole. Aussi je ne crois pas qu’on ait de motifs sérieux de considérer ces deux dernières maladies comme distinctes l’une de l’autre. Pour être éclairé sur la commune origine de ces aftections, ce n'est pas un ou deux passages du virus varioleux humain à la vache, comme l'a fait en 1865, la commission de Lyon, qui pourrait suffire à accuser une possibilité de transformation de la variole en cow-pox. Il faudrait peut-être des centaines de passages par la vache, pour obtenir un cow-pox propre à se conserver ensuite de bras à bras avec des caractères spécifiques, si tant est que la chose soit possible par ce moyen. Je dois faire observer, d'autre part, que l’état initial d’un virus qu'on fait passer à plusieurs reprises par une autre espèce que celle d’où il provient, peut conserver pendant de nombreux passages successifs les particularités de sa nature propre. Je m'explique : Dans les inoculations préventives de l’homme, nous nous servons encore de la série des lapins de passage employés jadis pour Meister. Dans la crainte que par un motif quelconque, 120 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. cette série füt perdue, ou düt être abandonnée, j'ai fait mettre en train depuis bien longtemps une autre série de passages de lapin à lapin. Or, il n’y a pas eu parallélisme entre cette nouvelle série et celle de Meister, quoiqu’on constate sur elle également le fait général de l’augmentation de la virulence par les passages, virulence mesurée par la diminution progressive de la durée de l’incubation de la rage chez les lapins. Dans une autre circonstance, dans une série de passages de lapin à lapin, dont le virus de début provenait d’un singe, virus qui, lui-même, provenait d’un chien des rues, l'accroissement de la virulence par l'augmentation du nombre des passages a été des plus lents, si bien qu'il fallut renoncer à conduire ce virus à sa fixité, par la crainte d’avoir à y employer un trop grand nombre d'années ‘. L. Pasreur. Paris, le 8 mars 1888. 1. Je reçois au dernier moment le compte rendu suivant des vaccinations faites au Laboratoire histo-bactériologique de la Havane, dirigé par M. le D' Tamayo. J'extrais ce qui suit de la lettre adressée à M. le Prof. Grancher : « Le total des vaccinés, à la fin de décembre, était de 83. Il ne s’est produit chez eux aucun cas de rage, bien que beaucoup d’entre eux eussent été mordus par des animaux certainement enragés, comme on l’a démontré par des inoculations à des lapins. C'est une preuve de plus en faveur du traitement de M. Pasteur. « Notre journal, la Cronica medico-quirurgica, a publié, au mois d'août de l'an dernier, et au mois de janvier 1888, nos statistiques avec des notes explicatives. » SUR LA TRANNMINNION INTRAPLACENTAIRE DES MICROORGANISMEN, Par E. MALVOZ, ex-préparateur à l’Université de Liége 1. Nous avons entrepris une série d'expériences pour recher- cher par quel mécanisme s’effectue le passage des bactéries de la mère au fœtus. Ces recherches nous conduisent à émettre l'opinion que les microorganismes ne franchissent la barrière placentaire, pour atteindre l’embryon, que dans les cas où le placenta présente des altérations histologiques des villosités choriales, lésions généralement dues à l’action pathogène des éléments parasitaires eux-mêmes. Nous renvoyons à un mémoire que nous avons déjà publié sur ce sujet ?, et que le présent travail est destiné à compléter, pour l'exposé de l’historique de la question, tant au point de vue clinique et anatomique que sous le rapport expérimental. Rappelons seulement que, de toutes les maladies infectieuses et vraisemblablement microbiennes, dont on a décrit des manifesta- tions anatomiques chez le fœtus, la variole occupe, certainement, après la syphilis, la première place. Vient ensuite Ja tubercu- lose congénitale, dont Jouxe a rapporté le plus beau spécimen, avec constatation des bacilles de Koch dans le foie d’un jeune veau, exemple à côté duquel se placent les cas de Lyprix, SCHWANEFELD, etc., chez les animaux, et de Merkez et Cnarrin dans l'espèce humaine *. 4. Travail du laboratoire du professeur Firker, à Liège, et de MM. Cornir et CHANTEMESSE, à Paris. 2. Ces recherches ont cté publiées par les soins du Ministère de l'instruction publique de Belgique : Sur le mécanisme du passage des bactéries de la mère au fœlus, par le docteur E. Mazvoz. Mémoire présenté au concours pour la collation des bourses de voyage et agrée par le jury. Bruxelles, 4887. 3. Lanpouzy et Queyrar ont aussi tuberculisé des animaux par l’inoculation de fragments d'organes provenant de fœtus de mères tuberculeuses. 122 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. La rougeoie, la scarlatine, la morve (Lorrrcer, Capéac et Mazcer), la pneumonie croupale (Taorner), la fièvre récurrente (Azsrecur, Srirz), l’érysipèle, etc., constitueraient autant d’af- fections susceplibles de passer parfois de la mère à l'enfant. Srrrz aurait même retrouvé les spirilles de la fièvre récurrente et Lepeperr les cocci de l’érysipèle dans les lésions présentées par l'embryon. SaxGazzt et MarcHanp ont aussi décrit le passage du bacillus anthracis chez des fœtus humains dontles mères avaient succombé à l'infection charbonneuse. Citons enfin, pour être complet, la constatation du bacille de Gaffky dans la rate d’un embryon dont la mère était atteinte de typhus abdominal (Neu- HAUss), et la présence du bacille-virgule de Kocu chez un fœtus humain, signalée par Tizzont et CarTrant. Ces nombreux faits cliniques et anatomiques, relevés par tant d'auteurs différents, ont soulevé depuis longtemps le pro- blème du mode de passage des microorganismes à travers le placenta, et bien des recherches expérimentales ont été déjà en- treprises dans cette direction. Tandis que, pour le charbon, on admit longtemps, sur la foi de BrauEeLL, Davainxe, BoLuiNGER, que le placenta se comportait comme un filtre parfait, protégeant le fœtus contre l'invasion bacillaire, les travaux de Srraus et CHam- BERLAND, de PErRoNcIro, démontrent au contraire le passage pos- sible du bacille à l'embryon. Dans ces derniers temps, Wor, ayant repris ces recherches, n’obtint que des résultats négatifs chez le lapin, tandis que Kourassor, chez le cobaye, arrivait au contraire à retrouver les bacilles charbonneux chez l'embryon par le seul examen microscopique, alors que les autres obser- vateurs n'avaient jamais constalé le passage que par les cul- tures. On observa aussi expérimentalement la transmission au fœ- tus du microbe du charbon symptomatique (ARLoING, CORNEVIN et Taomas), du choléra des poules inoculé au lapin {CHAMBRELENT), de la septicémie des lapins (Kroxer), du streptococcus de la pyémie (SIMoNE), du rouget et même du bacille tuberculeux(Kou- BASSOF). C’est en présence des résultats mal concordants obtenus par 1. L'expérience sur laquelle se base Kourassor pour affirmer le passage du ba- cille tuberculeux à Pembryon nous semble trop mal instituée pour qu'on puisse en tirer une conclusion définitive (V. Comptes rendus, 1885). TRANSMISSION PLACENTAIRE DES MICROBES. 123 les divers expérimentateurs qui ont étudié le passage du char- bon au fœtus que nous avons repris ces recherches. Nous nous sommes entouré des conditions d’expérimentation les plus rigou- reuses. Nous avons eu recours non seulement à l'examen micros- copique, mais encore à la méthode plus sûre des cultures et des inoculations à d’autres animaux. Toujours, nous avons fait des cultures comparatives des organes maternels et fœtaux. Les fæœ- tus étaient lavés soigneusement au sublimé, puis à l'alcool ab- solu et à l’eau stérilisée, avant leur ouverture. C'est le foie fœtal qui a surtout servi à nos ensemencements : en effet, le sang de la veine ombilicale se rend directement à l'organe hépatique. Nous avons aussi cultivé le sang du cœur droit, car on sait qu'une partie du sang de la veine ombilicale se rend à la veine cave inférieure et au cœur droit par le conduit veineux d’Aran- tius. C’est d’ailleurs dans le foie qu’on a constaté de préférence les altérations congénitales, rares il est vrai, de la tuberculose et de la syphilis. Nous avons inoculé le charbon à plusieurs lapines pleines : toutes ont succombé. Sur les cent soixante-trois tubes ou pla- ques * de cultures, ensemencés avec des fragments d'organes ? provenant de trente-deux fœtus, quatre tubes seulement ont montré la poussée caractéristique du bacillus anthracis. Dans les nombreuses coupes des organes fœtaux que nous avons faites, nous n'avons pu, par la méthode de Gram, retrouver des bacilles charbonneux. Nous avons aussi réussi à faire mourirun lapin en lui injectant un centimètre cube d’eau salée stérilisée, dans laquelle nous avions broyé un foie fœtal tout entier. Mais, dans les mêmes conditions, 3 autres lapins n’ont pas succombé. Ces résultats démontrent que si le bacille charbonneux, chez le lapin, peut passer au fœtus, ce n’est qu’en très faible quantité et dans la minorité des cas. Tels étaient les résultats auxquels nous arrivions, résultats assez semblables à ceux de Srraus et CHAMBERLAND, quoique 1. Nous ne nous sommes pas contenté d'ensemencer des tubes de gélatine nutritive, nous avons fait également un très grand nombre de cultures sur plaques, parce que nous voulions éventuellement comparer le nombre des colo- nies données par les organes maternels et fætaux. 2. Nous avons ensemencé de petits fragments d'organes, du foie surtout, et non le sang obtenu par aspiration, parce que Kousassor dit avoir observé les ba- cilles hors des vaisseaux. 124 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. moins positifs, mais entièrement différents de ceux qu'avait observés Kourassor, qui considère le passage du charbon au fœtus comme un fait à peu près constant, normal. Nous avons aussi inoculé le choléra des poules au lapin, comme l'avait déjà fait CrampreLenr. Aïnsi que ce dernier, nous avons obtenu des résultats entièrement positifs, c'est-à-dire que les cultures des foies fœtaux ont toutes donné un développement des organismes de cette affection : nous avons remarqué cepen- dant que la poussée des colonies sur gélatine était bien moins riche dans les cultures provenant des embryons que dans les tubes ensemencés avec les organes maternels. Il s'agissait d’interprèter les résultats contradictoires obtenus par les divers auteurs à propos du charbon. Le travail très im- portant de Wyssoxowirscx attira vivement notre attention. Ses recherches, qui ont été résumées dans ces Annales, démontrent qu'à l’état normal les membranes dites fi/frantes (reins, mu- queuse intestinale, etc.), ne sont pas perméables pour les bac- téries ; que ce n’est qu'exceptionnellement que le sang se débar- rasse au dehors des éléments étrangers qui ont pu l’envahir, et seulement dans les cas où il existe des lésions (hémorragies, in- farctus, petits abeès, etc.) des organes excréteurs. Ces résultats sur le sort des microorganismes en circulation dans le sang avaient d’ailleurs été observés autrefois par Ponrick, HormanN et LanGerHans, etc., dans des expériences d’inoculations de parti- cules inertes insolubles (cinabre, indigo, etc.). WyssorowirscH constate que si l'on introduit dans la circu- lation les bactéries les plus diverses, pathogènes ou non, tou- jours le sang s'en débarrasse rapidement, et les microbes, tout comme les particules inorganiques, vont se localiser dans cer- tains organes de prédilection, qui sont le foie, la rate, la moelle osseuse. Les microorganismes sont-ils pathogènes pour l'animal en expé:ience ? Dans ce cas, il se produira au point où ils se sont primitivement fixés, dans un des organes susnommés, une multiplication sur place des parasites, et ceux-ci se déverseront de là dans l'organisme. Dans le cas contraire, ils seront véritable- ment digérés, après absorption par les cellules endothéliales, et peu à peu, ils disparaîtront, c'est-à-dire que les ensemence- ments de ces organes seront dès lors stériles. TRANSMISSION PLACENTAIRE DES MICROBES. 125 Mais Wyssorowirsen n'avait pas étudié comment se com- porte, à ce point de vue, l’organe placentaire. Celui-ci est très vascularisé, la circulation y est lente. Ne peut-il pas, lui aussi, constituer un terrain de prédilection pour la fixation des élé- ments étrangers entraînés par le sang, au même titre que le foie, par exemple ? S'il en est ainsi, il est clair que cette propriété constituera une circonstance favorable à l'atteinte du fœtus par les bactéries; dans le cas contraire, l'embryon jouira déjà d’une sorte de protection, faible peut-être, mais réelle, contre l’en- vahissement parasitaire. D'autre part. le placenta ne pouvait-il pas être assimilé aux organes rénaux, au point de vue de la filtration des microor- ganismes, et, de la même façon que les bacilles du charbon ne se retrouvent dans l'urine qu’à la suite d’hémorragies ou d’au- tres lésions rénales, ainsi ils n’atteindraient le fœtus qu'après avoir altéré les villosités placentaires ? Tels sont les deux points que nous avons essayé de mettre en lumière. En inoculant le charbon à des lapines pleines, et en ense- mençant des plaques de gélatine avec des fragments sensible- ment de même volume du foie maternel et des placentas, nous avons toujours constaté que le nombre des colonies était bien plus abondant sur les plaques fournies par le foie. Tandis qu'on ne pouvait pour ainsi dire pas compter les colonies dans ce der- nier Cas, on en trouvait en moyenne de 13 à 20 par centimètre carré quand il s'agissait des cultures placentaires. De même, la liquéfaction est plus rapide dans les tubes ensemencés avec le foie que dans les tubes du placenta. Si nous introduisions dans le système veineux de lapines en gestation des microbes non pathogènes, comme le micrococcus prodiqgiosus, le micrococcus tetragenus, et qu'après quinze à vingt heures nous pratiquions l’autopsie de l'animal sacrifié, tandis que les cultures du foie, de la rate nous montraient des colonies très nombreuses, les placentas, ou bien n’en fournissaient pas, ou ne nous donnaient qu’un développement bien moins abondant. Enfin, en injectant à cinq lapines pleines, dans la veine delo- reille, de l'encre de Chine broyée dans l’eau, nous avons retrouvé, le plus nettement possible, les particules noires microscopiques localisées dans le foie, la rate, la moelle des os, tandis que nous 126 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. ne retrouvions que difficilement quelques granulations perdues dans les sinus placentaires. Nous avons cru pouvoir conclure, en présence de ces résul- tats, que le placenta ne constitue pas un organe de prédilection pour la fixation des éléments étrangers en circulation dans le sany. Ce fait acquis, par quel mécanisme les bactéries passent-elles éventuellement au fœtus? Ne s'agit-il là que d’une simple f/tra- tion ? Dans nos inoculations de particules inertes d'encre de Chine, nous n'avons jamais pu les retrouver ni dans la veine ombilicale ni dans les organes fœtaux, résultats qui concordent d’ailleurs avec les expériences de J'assivsky, HorFMANX, AHLFELD, Feuuiwe, etc. Les microbes non pathogènes (microc. prodigiosus: macr. tetragenus) se comportent de la même façon; les cullures des organes fœtaux, dans nos expériences, sont restées stériles !. Les éléments indifférents, particules inorganiques ou micro- pes inertes, ne passent donc pas au fœtus. Il semble dès lors qu'on soit autorisé à admettre que si des microorganismes pa- thogènes (bacillus anthracis, ete.), pénètrent, dans certains cas, presque dans le sang fœtal, ce n’est pas le fait d’une filtration à travers le placenta intact, mais seulement à la faveur des altérations produites dans cet organe. Et en effet, un examen attentif des placentas provenant de nos inoculations de choléra des poules au lapin nous montra des hémorragies, reconnaissables même nacroscopiquement, et sié- geant notamment dans la partie du placenta la plus rapprochée de l’amnios. D'ailleurs, le choléra des poules inoculé au lapin constitue précisément une des septicémies où les lésions hémor- ragiques sont les plus communes (ecchymosestrachéennes, etc.). Les placentas de nos lapines charbonneuses ne présentaient pas de lésions du même genre : or, on se souviendra que nos ensemencements fœtaux étaient le plus souvent stériles. La loi générale de Wyssoxowi:rscx semblait donc se vérifier aussi pour le placenta, au même titre que pour les organes rénaux : le passage des microorganismes au fœtus semblait devoir êtrelié à des lésions anatomiques. ? 1. Krukemberg (Arch. fur Gynek.) a obtenu les mêmes résultats négatifs avec le M. prodigiosus, chez les lapines pleines. TRANSMISSION PLACENTAIRE DES MICROBES. 127 C'est alors que nous nous sommes demandé si ce mécanisme du passage des bactéries à l'embryon, tel que nous le concevions, ne pouvait pas expliquer précisément pourquoi Srraus et CHAMBER- LAND avaient obtenu des résultats en général plus positifs que les nôtres, bien qu'ils ne fussent pas toujours constants. Nous avions pris des lapins pour pratiquer nos inoculations charbonneuses ; Srraus et CHAMBERLAND avaient expérimenté sur des cobayes. Rien n’empêchait d'admettre que la constitution différente du placenta d’un animal à l’autre, la fragilité plus grande des villo- sités, la prédisposition plus prononcée des tissus du cobaye aux altérations des éléments, ou toute autre cause analogue, pou- vaient peut-être rendre compte de la différence des résultats. Nous avons fait quelques expériences sur le cobaye : nos résultats confirment bien ceux de Srraus et CHAMBERLAND. Le bacille charbonneux, inoculé au cobaye, passe bien plus régulièrement au fœtus que chez le lapin; la mortié de nos ense- mencements, environ, ont montré la poussée de colonies du char- bon. Les résultats les plus positifs nous ont été donnés, encore une fois, par les cultures de fragments de foies fætaux. Mais 1l est à remarquer que la liquéfaction de la gélatine était obtenue bien plus tardivement dans ces tubes que dans les cultures cor- respondantes des organes maternels; de plus, les colonies étaient beaucoup plus clairsemées le long de la ligne de piqüre : ce qui démontre que si les bacilles passent au fœtus, ce n’est qu'en très petite quantité. Et, en effet, les coupes des foies fœtaux, traitées par la nouvelle méthode de coloration de WeiGerT ‘, ne nous ont montré que quelques rares bacilles, et seulement dans quelques coupes ; la plupart n’en présentaient pas. Ces résultats bien positifs que nous donnaient nos cultures, devaient coïncider, si notre conception était exacte, avec des lésions placentaires ; c’est ce que l'examen des placentas a pleine- ment confirmé. Ces placentas mesuraient environ 4 centimètres dans leur plus long diamètre et 12 mm. d'épaisseur; nous en avons pratiqué de grandes coupes comprenant toute la section de l'organe. A l'œil nu, mais mieux encore à la loupe, on distingue nette- ment dans le placenta du cobaye des cloisonnements assez épais 1. Coloration au méthyl-violet, puis iode, et différenciation par l'huile d'aniline, au lieu d'alcool absolu. 128 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. qui parlent de la caduque utérine, et vont directement, à peu près en ligne droite, jusqu’au voisinage du chorion, traversant ainsi le placenta de part en part : ce sont les sep{a placentaires divisant l'organe en cinq ou six cotylédons, mesurant chacun à peu près 7 à 8 mm. d'épaisseur. A un faible grossissement, on trouve dans ces septa la coupe de nombreuses veines, dépendant des veines utérines et par conséquent en rapport avec la circulation maternelle. Au centre de chaque cotylédon, dans l’axe de celui-ci, le plus loin possible des veines précédentes, on aperçoit la coupe de deux ou trois vaisseaux assez larges, constituant des dépen- dances de la veine ombilicale, qui, on le sait, fournit une bran- che à chaque cotylédon. De ces vaisseaux centraux partent un grand nombre de ramifications, se divisant et se subdivisant à l'infini, comme les villosités choriales elles-mêmes, et se termi nant en fins capillaires, dont on aperçoit la coupe dans les der- nières expansions du chorion. De Ja même façon, les grands septa intercotylédonaires en- voient des cloisons qui vont s'insinuer entreles ramificalions de; villosités, pour constituer un enchevètrement très serré, telle- ment qu'il est bien difficile, dans le tissu qui constitue la masse principale du cotylédon, de distinguer nettement ce qui dépend de la circulation fœtale de ce qui appartient au réseau maternel. Il n’y a guère qu'au centre du cotylédon qu’on voit très bien la coupe de deux ou trois vaisseaux dépendant certainement de la veine ombilicale : on peut être sûr que le sang qu'ils contiennent appartient au fœtus. A l’œil nu, mais mieux à la loupe, on peut distinguer, parti- culièrement au voisinage du point de pénétration des septa intercotylédonaires, de petits points hémorragiques très nom- breux, assez serrés les uns contre les autres; mais ils apparais- sent surtout quand on examine les coupes avec un faible grossis- sement. Nous n'avions pas trouvé, dans les placentas de nos lapines en gestation, des foyers du même genre. Dans les mêmes coupes, traitées par la méthode de Wercerr pour faire apparaitre les microorganismes, on trouve une dis- position très curieuse et très intéressante des bacilles charbon- neux, disposition qui mérite d’être signalée parce que nous n'avons lu nulle part cette description. TRANSMISSION PLACENTAIRE DES MICROBES. 129 Dans la lumière des veines situées à l’intérieur des septa coty- lédonaires, par conséquent dans des vaisseaux dépendant de la circulation maternelle, les bacilles existent presque toujours en grand nombre, pressés les uns contre les autres. A partir de ces septa, des trainées bacillaires rayonnent en suivant la direction des cloisons secondaires qui en partent, et en se dirigeant vers la veine centrale du cotylédon, qu’on sait être une division de la veine ombilicale. Mais, tandis que les traînées de bacilles sont fort serrées au voisinage des cloisons intercotylédonaires, les bactéridies deviennent de plus en plus clairsemées au fur et à mesure qu’on se rapproche de l’axe central du cotylédon, et, si dans les deux ou trois grands vaisseaux qui existent en ce point on peut distinguer quelques bacilles, ils sont bien moins nom- breux que dans la lumière des veines maternelles : le contraste est très net, très frâppant et visible dans presque toutes nos coupes. C’est bien là la preuve que Zes bacilles passent dans le sang [œtal, mais seulement en très petite quantité. Dans les petits foyers hémorragiques très nombreux déjà signalés, on voit souvent des bacilles, dont la disposition en chai- nettes semble indiquer que ces éléments parasitaires se sont mullipliés au sein même de la lésion. Tout le monde admet aujourd’hui qu'il n’y a pas de commu- nications directes entre le sang maternel et le sang fœtal. Ces hémorragies rendent très bien compte de la facon dont le passage des bacilles au fœtus s'effectue : il suflit qu'en quelques points il se développe de petits foyers destructifs pour mettre en rapport immédiat et le sinus placentaire charriant le sang maternel et le capillaire d’une villosité choriale. De la sorte, les bacilles pénètrent, par une véritable effraction, peut-on dire, et non par filtration, jusque dans le sang fœtal. Nous pensons que ces recherches démontrent, le mieux pos- siblé, que le passage des microorganismes au fœtus est lié à des lésions anatomiques; dès lors, on ne peut admettre, avec Kourassor, que cette transmission soit un fait constant : elle sera aussi variable et aussi inconstante que les propriétés des éléments parasitaires eux-mêmes. Certes, il est toujours difficile 130 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. de critiquer des recherches qu'ou n’a pas suivies, et dont on ne possède qu’un exposé sommaire. Cependant, le fait que Kourassor ait pu, seul jusqu’à maintenant, observer aussi fréquemment le passage des bactéries au fœtus, et par le seul examen microsco- pique, la facon dont 1l a expérimenté avec le bacille tuberculeux pour démontrer la transmission de celui-ci à l'embryon, ces rai- sons nous autorisent à faire nos réserves sur les résultats qu’il a publiés. Ajoutons que nos considérations sur le mécanisme du passage intra-utérin des microorganismes sont précisément le contrepied d’une des conclusions de Kousassor; celui-ci, en effet, se basant sur une seule expérience, mal instituée, conclut que les altérations placentaires empêchent au contraire le passage. Si notre opinion est la vraie, on comprend de suite qu'il faudra toujours tenir compte, dans l’appréciation de la possibilité de l'atteinte du fœtus par uu parasite déterminé, de diverses circonstances : degré de virulence, atténuation plus ou moins grande, action plus ou moins destructive sur les cellules et les tissus, temps écoulé entre le moment de l’inoculation et la mort, texture différente du placenta d’un animal à l’autre, et notamment épaisseur très variable, suivant les espèces, de l’épithélium des villosités, ete., etc. Les altérations placentaires, inconstantes dans le charbon et variables d'une espèce animale à l’autre (et ainsi s'expliquent les résultats en apparence contradictoires obtenus par les divers expérimentateurs), seraient au contraire la règle dans des mala- dies comme le charbon symptomatique et surtout le choléra des poules, affections où la transmission du microbe au fœtus a été bien plus régulièrement constatée. Si on applique ces données à des maladies comme la variole, le tuberculose, la pyémie, etc., on comprendra que le fœtus sera menacé chaque fois qu'il se . sera produit une altération susceptible de rompre les barrières cellulaires du placenta : point hémorragique dans la variole, ramollissement d'une nodosité dans la tuberculose, foyer d’ab- cession dans la pyémie. Et précisément, on a remarqué de tout temps que la variole, chez la femme enceinte, se présentait sou- vent sous la forme hémorragique, circonstance qui explique très bien les lésions placentaires et les cas, déjà nombreux, de transmission de variole au fœtus :. 1. Nous avons supposé, dans tout cet exposé, le fœtus menacé par des bactéries TRANSMISSION PLACENTAIRE DES MICROBES. 131 A côté de son intérêt pratique, la question du passage des bactéries au fœtus touche encore à différents problèmes d'une haute importance scientifique. Pendant longtemps on admit, comme une vérité classique, que le placenta se comportait comme un filtre parfait à l'égard des bactéries; ce fut même un argument puissant dont se servirent ceux qui soutenaient alors, comme on l’admet généralement aujourd’hui, que l'infection est directement liée à la présence des parasites, puisque les inocu- lations de sang fœtal, libre de microorganismes, ne donnaient pas le charbon. 11 y a quelques jours à peine que Crauveau, à l'Académie des sciences, vient d'invoquer de nouveau l'opinion ancienne pour démontrer que l’immunité dans les maladies infectieuses doit être attribuée à la présence d’une substance soluble laissée dansle corps par le passage du microbe pathogène. Caauveau a observé que chez les brebis pleines qui meurent du charbon, les bacilles fourmillent dans le sang de la mère et ne passent point dans le sang du fœtus; or, les agneaux nés de mère inoculée du sang de rate pendant la gestation deviennent tous réfractaires à l’action du virus charbonneux. C’est du moins ce que CHauveau a noté depuis longtemps. Donc la vaccination congénitale ne peut être due qu’au passage d'une substance soluble à l'embryon. Caauveau démontre le non passage du microbe par l'examen microscopique et par l’inoculation du sang du cœur à d’autres animaux. Or, l'examen microscopique, nous l'avons montré, après Srraus et CHAmBERLAND, est insuffisant. Quant aux ensemence- ments du sang du cœur, ils restent bien souvent stériles, alors que ceux du foie fœtal donnent un développement de colonies ; c'est en effet au foie que la plus grande masse des bactéries est apportée par la veine ombilicale. Enfin, il est difficile, nous semble-t-il, d'affirmer, sur la foi en circulation dans le sang maternel. Le fait constaté que des affections comme la rage, l’érysipéle, dont le microbe ne semble pas envahir le sang, seraient parfois susceptibles de se transmettre à l'embryon, conduit à penser qu'il s'établit peut- être dans certains cas des relations entre le fœtus et la mère par d’autres voies que la voie sanguine. LEBEDEFF a même cru pouvoir expliquer le passage du coccus de FEuLEsEN à l'embryon par les lymphatiques du cordon. C’est là tout un nou- veau côté de la question, que nous ne faisons qu'indiquer en passant. 132 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. de quelques expériences négatives, que, dans tous les cas d’in- fection maternelle, le fœtus est resté indemne, parce que rien n'est plus variable et plus inconstant que les altérations histo- logiques provoquées par les microorganismes, notamment dans le placenta, et auxquelles il faut rapporter, nous croyons du moins l'avoir démontré, la cause du passage à l'embryon. Le problème serait évidemment bien plus facile à résoudre s’il ne s'agissait pas d’une simple filtration; dans ce cas, il suffirait de quelques expériences pour se rendre compte si, oui ou non, les bactéries franchissent le placenta. Enfin, il est à remarquer que l'infection charbonneuse chez la brebis dispose précisément à des lésions hémorragiques, sou- vent très prononcées. Nous pensons donc qu'il y aurait lieu de soumettre à quelques expériences nouvelles la question du pas- sage du charbon au fœtus chez la brebis, avant de pouvoir décla- rer définitives les conclusions du savant professeur du Muséum. LE VIRUS RABIQUE DES CHIENS DES RUES DANS NES PASSAGES DE LAPIN A LAPIN, Par M. ANDRÉ HOGYES, Professeur à l'Université de Budapest. Je résume dans ce travail les observations, que j'ai faites depuis deux ans, à propos de mes recherches sur le traitement antirabique pastorien. Je m'y étais proposé, d’abord d'obtenir un virus fixe d’une pureté parfaite, puis d'étudier les changements que subissent les propriétés du virus rabique des chiens de rue lorsqu'on le fait passer successivement de lapin à lapin. Ces observations s'accordent en général avec celles de M. Pasteur, et peut-être suflirait-il de n’en donner qu’un court résumé. Si je les développe davantage, c'est d’abord que, à ma connaissance, cette partie des expériences de M. Pasteur n’a pas encore été répétée sur une aussi large échelle, et n’a pas été encore publiée avec les détails nécessaires, puis parce je crois pouvoir ajouter quelques détails nouveaux, qui nous permettent de nous orienter plus aisément dans l'appréciation de l’état de virulence du virus rabique ; et enfin parce que ces expériences forment la base d’un prochain Mémoire sur la pathologie et la thérapeutique expérimentales du traitement antirabique pasto- rien. Dans la série d'expériences dont je vais parler, c’est la moelle d'un chien enragé, provenu de l’École vétérinaire de Budapest, qui m'a servi de point de départ. J'ai fait les inoculations suc- cessives sous la dure-mère, ce qui, je m'en suis convaincu par des expériences préliminaires, est le plus sûr moyen de provoquer la rage. Cette méthode est plus sûre que même l'inoculation directe sur le plancher du quatrième ventricule. 134 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Au lieu du bouillon stérilisé, j'ai délayé la moelle dans une solution stérilisée de sel marin à raison de sept pour mille. Au lieu du trépan ordinaire, je me sers du dental engine de White avec lequel on peut scier ou forer, vite et facilement, une petite ouverture dans le crâne du lapin ou du chien. Nos races de lapins diffèrent un peu des races françaises. Nos animaux sont en général plus petits. Lorsqu'ils ont atteint toute leur croissance, leur poids variede 1,000 à 2,500 grammes ; mais on peut les employer mème dans leur jeunesse, lorsque leur poids est de 700 à 1,000 grammes. J'ai fait une certaine sélection entre les lapins pour mes ino- culationssuccessives. Dans les premiers passages, je n’aiemployé que de jeunes lapins, espérant par là arriver plus vite à un virus slable. Je m'appuyais sur l'expérience de M. Pasteur que l'incubation de la rage chez les jeunes animaux est plus courte que chez les vieux. De plus, comme à chaque passage j'inocu- lais toujours plusieurs lapins, j'ai toujours pris le virus, pour le transporter au passage suivant, sur l’animal qui mourait le pre- mier. L'expérience a répondu à mon attente, et je suis ainsi arrivé assez vite à fixer la virulence, ainsi que je le prouverai plus loin, Le nombre des inoculations faites dans les 77 passages que j'ai atteints jusqu'ici a déjà dépassé mille. Le nombre des inocu- lations faites seulement pour la conservation du virus est à peu près de 476, ce qui est suffisant pour juger des changements de nature de la rage des chiens de rue pendant les inoculations successives. Comme nous ne connaissons pas encore les microbes de la rage, ni les changements chimiques que subit le système nerveux devenu virulent, nous ne pouvons juger de ces changements de nature du virus rabique que par les effets physiologiques qu'il amène sur les fonctions des animaux infectés. On sait que ces effets consistent dans l'apparition de certains symptômes nerveux après une période plus ou moins longue d'incubation. Ces symptômes nerveux sont en général très va- riables. Ils se traduisent soit par un état de surexcitation (rage furieuse) qui passe avant la mort à un état d'épuisement, soit par l’apparilion d'emblée de phénomènes de paralysie des extrémités postérieures ou antérieures, qui s'étendent successi_ LE VIRUS RABIQUE DES CHIENS DES RUES, ETC. 135 vement sur le corps tout entier et ne finissent que par la mort (rage paralytique). Mais il y a encore des cas mixtes où les symp- tômes de l'irritation et de la paralysie apparaissent à peu près simultanément. Les animaux ne peuvent par exemple pas remuer leurs extrémités postérieures et malgré cela leur tête et leurs extrémités antérieures sont dans un état de surexcitation. Il arrive aussi, quoique rarement, que l'animal inoculé périt sans aucun symptôme nerveux, dans les délais normaux, et que l'ino- culation seule de sa moelle prouve qu'il est mort de rage. Si on veut faire une statistique sur les inoculations succes- sives, il faut, je crois, établir pour ces cas une troisième caté- gorie, la catégorie des cas mixtes. Les phénomènes nerveux finissent par la mort, qui vient le 2°, 3° ou 4° jour après leur première apparition: celte périodeestla durée de la rage, et la comparaison des dates de l’inoculation sous la dure-mère, de la première apparition des symptômes nerveux, et de celle de la mort, offre une base suffisante pour juger des changements du virus pendant la longue série des inocula- tions successives de lapin à lapin. Voici la statistique de mes résultats. J’ai fait 77 passages suc- cessifs, dans lesquels j'ai inoculé 476 animaux; 167 ont été alteints de rage furieuse, 165 de rage paralytique, et 144 de la rage à symplômes mixtes. Quant à l’histoire résumée de chacun des passages, on la trouvera dans le tableau ci-après, dans lequel les gros chiffres de la colonne horizontale P représentent les numéros des passages 1 à 77, à dater du 27 février 1886 jusqu'à la fin février 1888. Les petits chiffres de la colonne N sont les ombres des lapins ino- culés dans chaque passage. Au-dessous du chiffre de chaque passage sont notés en #2 la durée en jours de la survie après l'inoculation, en 2 la durée de l’incubation, comptée du jour de l'inoculation jusqu’à la première apparition des symptômes ner- veux. La différence entre ces deux chiffres donne la durée de la période de rage déclarée. Ils servent tous à apprécier la virulence du virus employé. Leur signification apparaît mieux si on les représente dans un graphique dont les ordonnées, correspondant à chacun des passages, présentent, en trait fin, la période d’incubation, et en trait plus gros la période de rage déclarée pour chaque passage, 136 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Tableau statistique du résultat des 77 inoculations successives de lapin à lapin du virus rabique des chiens des rues. | | P 1 2 3 4 5 6 1266 9 10 N p) 2 8 9 8 (à 8 TES 5 m | 21,0 | 17,5 | 44,5 | 44,4 112,51 40,8 11414 | 142,5 | 142,54 14,8 | 480 | 440 | 4255 | 425 | 400 | 9.3 | 140 | 9,8 | 10,4 | 81 P 11 12 13 14 45 16 47 18 19 | 20 N | 16 10 20 11 A 5 6 6 5 6 m°110,62110.3. 199 ot ST SSI 04160 eee i 8,8 8,4 8,3 755 1-0) 1P6EARECS STRESS 1 8,27) P 21 22 23 24 25 | 26 tee Res) 29 | 30 N 7 7 6 8 ÿ 6 10 8 pl 15 m 7,9 7,9 8,3 8.3 S:818:0 2282 1108 8,8 | 8,2 ie re V6 260 70 pol PET NRA Ne P 31 32 33 34 35 13647937 38 39 | 40 N 7 6 fl 8 9 8 3 4 7 5 ml 81! 84! 80| 821) 85| 88|400! 9,6! 90) 95 i 6,7 HA 6,5 6,7 6,9 1e 0 TES 8,0 6,7 7,4 p A A2 43 44 45 46 47 48 A9 50 N 5) 9 8 6 6 6 8 5 5 4 ni 8,8 8,8 8,8 9,0 Le OR EE A RL sv AD à 9,1 8,2 dure Dali ne naine ner 6e Le OER P 51 52 53 54 55*1"56 511498 59 60 N 3 6 6 6 D ) 7 fl 7 / ml 96) 02/82) 86 | s861/86|-88| 90/0012 De OO EE 667 °6 61 66: 666 LINE P 61 62 63 64 65 66 | 67 68 | 69 70 N 7 6 4 il 2 nr 3 5 \ 5 ni 9,0 8,3 8,5 8,0 Sp 40; 9141:-8:815:19,0 17024 el 268) 68.176717 | 60 | 601 65 ré e ete IRee p 11 72 73 74 15 76 vil N ) 4 2 dl 5 4 3 mil 8,8 140,0 | 88180 76 |" 9.0! “90 alomoNeneur6 16 0hible le Tele Les chiffres du tableau et du graphique de la page 137 sont des nombres moyens, calculés en partant des chiffres individuels de chacun des lapins inoculés à chaque passage. Le nombre de ces lapins n’est pas toujours le même, mais celte circonstance n'influe pas trop sur les valeurs moyennes et n'empêche pas de se faire une idée générale des résultats. LE VIRUS RABIQUE DES CHIENS DES RUES, ETC. 137 LEE RE 2689 us RER QE PUS AU ETES ÈE= FREE SRE PAR EREE PEER PRE IDÉES nms secoue == se pe pe one FRERE SA cesse ESEPRERRER ER EEE SRE RARE. SDS-=SSms-=------nSe, - | fe HIIE | F TELE OT Î. — Fluctuations de la virulence du virus rabique. 138 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Si nous envisageons d’abord la durée de l’incubation, nous voyons qu'elle a d’abord été de 19 jours, en moyenne, dans la première inoculation du virus rabique d’un chien des rues à deux lapins. Je suis tombé à peu près sur le même chiffre moyen dans d’autres cas, où j'ai inoculé le virus rabique d’un chien des rues ou celui d’un homme enragé. On voit ensuite que dans cette série, où je n’ai employé, comme je l’ai dit, pour les inoculalions successives, que de jeunes lapins d’un poids de 800 à 1,000 grammes, la durée moyenne de l'incubation décroît rapidement dès les premiers passages. Elle est déjà tombée à 7 jours dès le 16° passage, cinq mois environ après le commencement des inoculations succes- sives, et se maintient à ce niveau, oscillant entre 7 et 8 jours et demi à travers tous les passages ultérieurs, pendant une année et demie environ. On trouve les mêmes résultats quand on considère la durée moyenne de la survie. Elle descend aussi rapidement dès les premiers passages, tout à fait parallèlement avec la diminution de la durée moyenne de l’incubation, et reste, à quelques petites fluctuations près, fixée de 8 et demi à 10 jours pendant la lon- gue série des inoculations. La durée moyenne de la rage déclarée ne change guère non plus dans la série des inoculations successives. Après avoir été quelquefois de 3 à 4 jours, à l’origine, elle n’est plus à la fin que de 1 à 3 jours et reste à ce niveau. On ne relève pas non plus de grandes différences dans la nature des symptômes nerveux dans la série des passages. Toutefois, quand on examine une à une, à chaque passage, les durées de l’incubation et de la survie des animaux inoculés, on trouve une certaine fluctuation d'un à plusieurs jours, plus grande dans les premiers passages que pendant les passages ul- térieurs. Cette fluctuation provient des différences dans le poids et l’âge des animaux employés. Les jeunes animaux d’un poids inférieur sont atteints de la rage plus vite, et après une incubation moins longue, que les animaux vieux et plus pesants. Comme je viens de le dire plus haut, dans les 21 premiers pas- sages de cette série, je n’ai employé pour les inoculations succes- sives que de jeunes lapins d’un poids de 800 à 1,000 grammes. Je crois que c’est à cela qu'est due la diminution rapide de la LE VIRUS RABIQUE DES CHIENS DES RUES, ETC. 139 durée de l’incubation et de la survie, diminution qui m'a mis enmesure d'obtenir la fixité du virus rabique en six mois envi- ron, période proportionnellement très courte, comparée à celle qui résulle des expériences de M. Pasteur. Dans une autre série que j'avais entamée parallèlement, mais où j'avais employédes lapins d’âges el de poids supérieurs, je n’ai pas réussi à réduire si vite la durée de la survie, qui au bout du 15° passage n'était pas encore tombée au-dessous de 15 jours. Peut-on maintenant considérer comme fixé le virus rabique de mes expériences? Je crois que oui, si le mot « virus fire » est pris dans son sens habituel. Il n’y a pas une différence considé- rable dans ses effets pendant les derniers 56 passages, qui com- prennent une période d’une année et demie. De plus, son degré de fixité est à peu près égal à celui du virus rabique du laboratoire de M. Pasteur, ce que nous allons démontrer par la comparaison suivante. IL J'ai fait deux fois cette comparaison. Une première fois, aux mois d'octobre et de décembre 1886, j'ai comparé les 10 passages 21 à 30 de ma série, avec 10 passages du virus fixe de Paris conservé par M. Babes dans son laboratoire par des inoculations successives de lapin à lapin. Une seconde fois, après un an, de la fin d'août 1887 àla fin de février 1888, j'ai comparé les 21 pas- sages 57 à 17 de ma série avec 21 passages de ce mème virus fixe de Paris, mais conservé dans mon laboratoire par des inoculations successives. On peut voir dans le tableau graphique de la page 137 les résul- tats de cette comparaison. Les passages 21-30 et 57-17 de ma série surmontés de deux petits cadres où sont indiqués les résultats sont des inoculations successives avec le virus fixe de Paris. Le pre- mier petit cadre n° IT donne la durée moyenne de la survie des lapins des 10 premiers passages ; le second n° III donne la durée moyenne de l’incubation et de la survie dans la seconde com- paraison. En comparant avec les passages correspondants du grand tableau graphique n° I, on peut voir que dans le premier cas, la Le durée moyenne de la survie a été de 7,5 à 8,3 jours avec mon 140 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. virus, et de 7,2 à 8,3 jours avec le virus de Paris. Dans le second, les durées d'incubation ont été de 6 à 7,6 jours avec mon virus, de 5,5 à 8 jours pour celui de Paris. Les durées de survie ont été de 8 à 9,4 jours avec mon virus, de 8,3 à 11 jours avec le virus de Paris. Il est évident, d’après cela, que la virulence du virus rabique de Budapest dans les passages 21-530 était déjà presque aussi grande que celle du virus de Paris, qui pouvait déjà être à ce moment à son 130° passage, et cette parité ne semble pas s'être modifiée après un an. Tous deux avaient done à peu près la même sta- bilité. 11 Nous avons encore à étudier deux autres effets du virus rabique : l'élévation de la température et la diminution du poids du corps; tous les deux sont assez intéressants pour qu'on sur- veille leur apparition au courant de l'infection et pendant les inoculations successives. ; Tous les deux devancent dans la plupart des cas l’apparition des symptômes nerveux, et sont pour ainsi dire les premiers symptômes de la rage. Ce sont eux qui indiquent la fin de l’in- cubation et le commencement de la maladie. Le D' Lôüte, mon assistant et mon collaborateur, a étudié avec grande assiduité dans mon laboratoire les circonstances de leur apparition, et les résul- tats de son étude ont été communiqués par moi à l’Académie hongroise des sciences dans sa séance du 15 novembre 1886 :. Il a relevé avec grand soin, et jour par jour, depuis celui de l’ino- culation jusqu'à celui de la mort, le poids de 60 de nos lapins inoculés dans les passages 5 à 15. Le commencement de la diminution de poids coïncide en général avec l'apparition des symptômes nerveux, la précède rarement, et ne la suit que dans la minorité des cas. La perte, une fois commencée, va continuant jusqu'à la mort, et peut s'élever jusqu'au 1/4 du poids originel. Elle dépasse rarement celte limite : elle se montre presque sans exception dans tous les cas de rage, que l’incubation soit courte vu longue, et même dans les cas mixtes dont nous avons parlé plus haut. 4. Lore, Orvosi hetilap. 1887. LE VIRUS RABIQUE DES CHIENS DES RUES, ETC. 141 Il n’est pas moins intéressant de suivre les observations que M. Lüte a faites à l'égard de la thermométrie de cette mala- die, avec toutes les précautions que j'ai reconnues nécessaires pour la thermométrie chez les lapins t. Les conclusions principales à tirer de ces études sur la tem- pérature de nos lapins sont qu'on peut distinguer chez eux, à partir du jour de l’inoculation jusqu’à la mort, trois grandes périod:s. La première période est l'état afébrile, troublé quelquefois seulement par une petite élévation de la tempéra- ture passagère qui survient le lendemain de la trépanation, et qu'on peut prévenir par une soigneuse désinfection. La seconde phase est la période fébrile, suivie de la troisième phase, la période de l’abaissement rapide de la température, qui aboutit à la mort. On peut se faire une idée de la durée de ces différentes phases par les chiffres suivants calculés pour la première ligne avec 12 cas et pour la seconde ligne avec 7 cas examinés : t Durée totale : * période. 2 période. 3° période. de la vie. 1" période période > période I. 8—9 jours.|4 jours 7 heures.|2 jours 10 heures.[1 jour 6 heures. I. 7-8 — 13 —. 20 — 12 —. 14 — |1 — — La période fébrile commence généralement du quatrième au sixième jour, après l’inoculation du virus de passage. L’élé- vation de la température au-dessus de la température moyenne de la période afébrile varie entre 1 et 2°. Elle est en moyenne de 1°,6. La durée de l’incubation n’a pas d'influence sur la durée de la période fébrile. De l’acmé de la fièvre, la température élevée descend géné- ralement en 12 heures environ, quelquefois tout d’un coup, d’au- tres fois plus ou moins lentement, àla température normale, puis, de là sans interruption jusqu’à la mort, où elle tombe presque au niveau de la température ambiante. Voilà ce qu'on observe presque sans exception chez les 1. Hocyes. Remarques sur la méthode de mesure de la température rectale chez les animaux. Orvosi hetilap. 1880, e& Arch. fur exp. Pathologie et Pharmalkologie, Bd. XIII. 142 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. lapins infectés avec le virus fixe, inoculé par trépanalion. En l'inoculant sous la peau, ou en inoculant sous la dure-mère un virus atténué, on retrouve ces mêmes caractères de la marche de la température. Il n'y a que la période afébrile qui soit plus longue, correspondant à une plus longue durée de l’incu- balion. On ne trouve pourtant pas toujours cette régularité dans la marche de la température après l’inoculation intracrânienne du virus rabique des chiens des rues. Chez 5 lapins ainsi inoculés avec la moelle d’une femme morte de la rage, et qui succom- bèrent 15 à 21 jours après l’inoculation, il n'y a eu que dans un seul cas une période fébrile, tandis que les autres symptômes ont évolué régulièrement. Sur 15 lapins inoculés sous la dure-mère avec la moelle rabique de chiens des rues, 5 n’ont pas eu la période fébrile qui caractérise l'effet du virus fixe, tandis que les autres symptômes ont apparu comme à l'ordinaire. Dans les cas de rage avec longue incubation, on peut trouver quelquefois, pendant la période afébrile, dans la marche de la température, une petite élévation d’une durée de 12 à 24 heures, qui, dans 5 de nos lapins, sur 12 inoculés avec le virus de chien de rues, a été de 0,3 à 1 degré. Dans les cas de longue incubation après inoculation du virus atténué, nous n'avons même pas trouvé ces petites oscillations. Je ne crois pas devoir attri- buer une importance quelconque à ces petites élévations de tem- pérature, bien que M. Babès ! y voie un symptôme prémonitoire de la rage, d’abord parce qu'elles ne sont pas constantes, puis, parce qu’on en observe souvent de pareilles avec des lapins en pleine santé, comme on peut le voir dans les tableaux de M. Lüte publiés dans son Mémoire susdit. Quant à l’ordre chronologique des phénomènes prineipaux de la rage expérimentale après l’inoculation du virus, voici ce qui résulte de l'examen soigneux de 25 cas de rage. L’élévation de température a toujours été le premier symplôme et a toujours devancé l'apparition des symptômes nerveux; même, dans 6 cas, la diminution de la température avait commencé avant que la rage eût éclaté, Celte diminution de la température a coïncidé 13 fois avec l'apparition des symplômes nerveux et n’est sur- venue après eux que dans six cas seulement. 4, Virchow’s Arehiv, A887, p. 562. LE VIRUS RABIQUE DES CHIENS DES RUES, ETC. 143 La diminulion du poids du corps a devancé dans 13 de ces 25 cas l'apparition de la rage, l'a accompagnée dans 10 cas, et ne lui a succédé que deux fois. Dans 15 de ces 25 cas, elle a aussi précédé la diminution de température, et l’a accompagnée dans 9 cas; enfin, dans 7 cas, on a vu apparaître simultanément les symplômes de la rage, l'abaissement de température et la dimi- nulion de poids. Il y a encore un symptôme à mentionner dans le cours de la rage, que M. Lôte a étudié avec soin chez 7 lapins infec- tés. C’est la polyurie qui s’est montrée dans chacur des cas examinés après l'apparition de la fièvre. Les animaux qui jus- que-là n'urinaient, comme à l'ordinaire, qu’une fois tous les deux ou trois jours, urinent plusieurs fois par jour jusqu'à la mort. Cette polyurie a devancé, 5 fois sur les 7 cas examinés, le commencement de la diminution définitive du poids, et la quan- tité de l'urine excrétée équivalait à peu près à la perte du poids du corps. Il faut, par conséquent, attribuer en partie à la polyurie la perte rapide du poids du corps pendant le cours de la rage déjà déclarée. Si nous cherchons maintenaut à résumer les faits que nous avons trouvés relativement au cours des phénomènes principaux de la rage expérimentale, nous arrivons à formuler les conclu- sions suivantes : Les phénomènes produits par l'inoculalion intracränienne du virus fixe se déroulent, chez le lapin, dans un ordre très régu- lier du jour de l'infection jusqu’à la mort. I n’y a d’abord aucun changement dans l'état des animaux. Ils mangent et boi- vent comme à l'ordinaire, leur poids même peut s'accroître. C’est la période de l'incubation. Puis, après 4-6 jours, apparaît la période fébrile : la température monte subitement. Les animaux ne semblent pas encore atteints, mais bientôt ils perdent l'appétit, ils ne mangent ni ne boivent plus, et la diminution de poids s'accuse. Cet état fébrile fait place plus tard à la période de la rage proprement dite, dans laquelle les symptômes de surexci- tation ou de paralysie coïncident avec le commencement de l'abaissement définitif de la température, et qui dure jusqu’à la mort. 144 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. IV De la nature et de l’ordre d'apparition des divers symptômes de la rage, on peut déduire quelque idée de leurs corrélations patho-physiologiques. L'agent infectieux de la rage, quel qu’il soit, microbe ou produits microbiens, porte d’abord son action sur les parties du système nerveux central (moelle allongée), qui dirigent la régularisation de la température; et celte action peut être comparée à celle de certains alcaloïdes toxiques. Elle amène d'abord de la surexcitation (fièvre) puis un épuisement, (abaissement de température), etc. On peut regarder aussi la polyurie comme un signe de l'affection de la moelle allongée, vraisemblablement comme un trouble des centres du système vasomoleur. lea. | Les troubles des autres centres nerveux de la moelle et du cerveau ne viennent que plus tard, après un certain progrès des altérations matérielles dans les tissus nerveux. Ces troubles se manifestent aussi d'abord par de la surexcitation, puis par de la paralysie. Les deux phases se montrent dans la plupart des cas de rage. Dans d’autres cas, la période de surexcitation est à peine perceplüible. Ce sont les paralysies qui prévalent dès le début comme dans les effets de certains alcaloïdes, où une dose faible produit d'abord une exaltation puis une paralysie des fonctions des centres nerveux affectés, taudis qu'une forte dose amène d'emblée la paralysie. Toute la scène de la sürexeitation et de la paralysie se déroule uniquement dans les centres nerveux. La preuve, c'est que les nerfs périphériques conservent encore quel- que temps leur irritabilité même après l'extinction de la: cireu- lation et de la respiration; en excitant électriquement le nerf sciatique par exemple, ses extrémités postérieures tombent en convulsion, bien qu'il ait déjà paru totalement paralytique du vivant de l'animal. V ._ En possession des données expérimentales susdites, 1l me semble intéressant de les faire entrer dans ma comparaison entre le virus fixe de Paris et celui de Budapest. J'ai fait deux fois cette comparaison, une première fois vers LE VIRUS RABIQUE DES CHIENS DES RUES, ETC. 145 la mi-décembre 1886, puis, une année après, au courant du mois de décembre 1887. Pour la première comparaison, j'ai pris 12 lapins ; dont 6 ont reçu par trépanalion du virus fixe de Paris provenant d’un lapin mort en 7 jours 18 heures, et les 6 autres, du virus rabique du 29° passage provenant d’un lapin mort en 8 jours. Voici les obser- vations pour un lapin de chaque série de ces inoculations paral- lèles : LAPIN N° 643. VIRUS DU LABORATOIRE DE M. PASTEUR = = S + RG OBSERVATIONS E|mls|m 45 dé 16° |38,9138,9/1100/1100 16 » {17° 38,9139,9/1100/1050 Inoculé entre midi et 1 heure. REINE 15° |40,0/40,2/1080/1060 18 » [IL |18° |39,1/39,311120/1100 19 » [lit Ji |38:8139:5/1070/1080 20 » [IV |18° |40,0/40,3/1070 | 1080 21 » [V |19° |40,0/40,5/1050/1050 22 » [VI |17° |40,2/40,8/1040/1030 93 » [VII 1162 139,9 39,5 1020/1000 se PR Niquer se heurte aux meu- , r - e RS > les. 5h s. trébuche. 24 VIII Dee 31,0 39,5 1000 930 10h ». Parésie du train ant'. 5h s. couché, 29 » [IX 13,5 18,5 — JOIE ne peut lever la tête et se meurt à midi précis. Perte totale, 120 gr. LAPIN N° 69). VIRUS DE MON LABORATOIRE 48 fév. [19° | —- [89,2] — 11350 19 » 18° 139,5 41,0 1350114320 |Inoculé à midi 17. 20111 18° 139,7139,611300/1300 21 » |II |19° |39,4139,61132011300 22 _» [III |17° |39,0140,11132011270 23 » [IV |16° |40,3/40,71124011250 PRO PRE 24, » [NV [7° 44,2 40,8 1293011200 E matin, inquiet; le ous DORE 2. » de 14° 40,3 39,8 1170111460 Fenune me meubles, bondit en courant, 20 4 IL 15 37,9 35,8 1170/1110 Paralysie du train antérieur. Le soir, couché, 27 » |VIIL 140 117 OA OI ne peut lever la tête. Trouvé mort le matin. Perte totale, 250 gr. On voit que l’évolution du virus a été dans les deux cas à peu près la même et a suivi la marche signalée plus haut. Pour mieux faire ressortir ces ressemblances, j'ai résumé dans le tableau suivant les résultats des expériences sur mes deux séries de 6 lapins : 140 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. A. VIRUS FIXÉ DE PARIS (130° passage). JOURS APRÈS L'INOCULATION Perte de poids. 2000 ur. |: 1570 |270 1490 280 1050 120 800 120 1000 B. VIRUS [250 LR 250 F, commencement de la fièvre, f, fin de la fièvre et commencement de la perte de température. p, commencement de la perte de poids. R, com- mencement des symptômes nerveux de la rage. m, moment dela mort. En regardant ces tableaux synoptiques, ou voit que dans les 12 cas c’est la fièvre qui apparaît la première et dans le même temps à peu près. On peul y voir aussi que l'ordre d'apparition des symptômes principaux est le même dans tous les 12 cas : fièvre, diminution de poids, apparition des premiers symptômes nerveux, abaissement de température et en8r la mort. 147 ( DES CHIENS DES:RUES, ETC. 1 À À 1 ù VIRUS RABI 4 4 LE ir 4 apins à par Voici la marche de la température chez les 12 1 ‘à Ja mort. Ion jusqu de l’infect | 8-G6 |6-L6 |8-66 | €-0%18-0% | c-171L-0% | £-0%11.07 | 0.66 19.68 | F.6£19.6£ V-L6 16-66 |8-0% | Z-0%,6-0% | 8.016 0% | 0-0F G.68 | £.6L/S.68 | 1.62/7.6£ EST 8-07 | 7-17Y18-0% | L-0718-68 | £.0 G-GL | L.6L10.68 | S-6L12.68 6-96 [8-16 |7-0%1G-0%/C-7% | S-1#10-7Y | 9-071S.6£ | 7.621£.68 | #.6610-:6£ 6-60 |L.96 | €-0%/7-7% | 8-0%16-0% | 7-07 /S-68 | £-6£ 1-68 | £.GLIL.6£ G:66)6-L6 10 66 |£-0% | 6-051%-75 | 9-7%/6-0% | z-07 9.68 | L.6£18.68 | z.6el9.07 *ISHAVONT HE HAXM SOUIA (9) 6-66 19-7616 861 6-6610-F7 | 6-07 18-07 | 7-07 1.0% | 0-0716.68 | 1-621C.66 | 7.G£1e.6e 6-66 | 1-6610-F% | Y-0%12-0% | 7-0717-07 | 7-661G.68 | 0.6816-8£ | L-8L|G.8£ GRTIG-GE | O-LE!C.GE | 6-6€18 0% | &-0Y7 16.07 | r 071£:0% | 0-07/c-68 | s8-se1e.6e | 1.6£18.07% 6-76/8-L6 | 6.6€)6-07 | 0-F710-F7 | L-07L.0% | L-07|£-0% | 7.621868 | 1-6£10 6£ | L-8£/0.07 GeG6 | G-96|L.6€ | 0-07)L-0% | £-07/G-0% | 7-071L-07 | £.0718-6£ | c.c£le.ce | e.GelL.Ge LOG|T-L6 | 9 LE|C.6€ | 7-0717-07 | L.07|S-0% | 8-0716.68 | Z.6£1£-68 | 1-6£16-8£ | G-8£Ie.6e 100 S ut S Lo S L006 S Loos S 1206 S Lo S UI S ENT ‘CTITA ‘ITA RTA SOA ‘[ ‘AI Tin LIT 6-66 76€ 6-86 VAS 6-66 ‘SIUVd HA HAXIX SAUIA (») il re èv] riode de fi » à Les chiffres en caractère gras sont ceux de la pé ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 148 ds du corps à i lation du po jusqu’à la mort sont 1 Jusq Les données détaillées de la var es suivantes Ion 0 lat le l’inocu 1H EC part “15108Yrl087r orer|oger 008 0€6 OTCY|07CT 00€T 510497|029F OLOT (AI OFF 078 1068 0£6 |0007 0987|00€7 OYETIOFYF OELTIOELT 00FT|OZFT 0925/0087 RAIDE 0YFF|0GTr 0c9 0955|02Fr 00€1|0cer 0gz |044 OFGT|0YCT 089 |089 0097|06GY C0Zr|0gcr cegrlog£r 008 logs 00€7/00€7 084 |07L 0297/0975 0811/0011 0GGY|0Ycr 00Y7I0YYT OIS |OCS O0YT]007T (92 1092 OZGYIOGET OGYT|097T 078 |OLS OYYTIOSYT 008$ |008 OCLTIO9L1 LSHAVONT HT HAXLAI SAUIA (9) 016 006 ! 089 |00Z 0007/0207 O£ETIOZET O£7T|08YT, OZLY|008Y 0£6 |0G6 O€L |0SZ OSOTI0YOT OLET|06€T 00S7|02CT OS8T|0Z87 S ul Ji S ut 0007100017 OGZ |0ZL OGOT|OLOT 0661 OFF] 06710097 0867|0€6F OTOTI0YOT 008 |06L OSOTIOLON OGYT|0LY] 09710091 OSGF|0C6] O£OT N08 OSOT OLYT 0691 OZGY 0007 008 OLOY OGYT OG9T O6] O0GF|0GET OLYV|0971 006 1006 OOGTIOZFT 008 1008 O6LVIOZLLI 0co1 001! 068 |008 O07TI0GIT 097FI0GYI 09970791 OZ67]0961 OO&TI00€T|0GET OSYT109? 006 P'OSYT 076 |076 OO$TI06YT|00€17 008 |008 OES OSLY]OLLY|O6LY if 0GOT|0£O0T 008 1008 090T|080T 09YT|00€T OY9T|0G91 08670008 JITA ie ITA T JA Rx ‘SIUVd HG AXIA SAUIA (») 0007 008 O&0T OGYT OLSY 0006 il sont ceux de la période de rage gras « en caractere hiffres (Be Les déclarée, LE VIRUS RABIQUE DES CHIENS DES RUES, ETC. 149 La ressemblance des variations de la température et du poids du corps dans les infections avec ces deux sortes de virus est inscrite pour un cas de chaque série dans les graphiques sui- vanis : a Virus de Paris. b. Virus de Budapest. L'astérique indique la première apparition des symptômes rabiques, la croix le moment de la mort; la courbe supérieure est celle des températures, la courbe inférieure est celle des poids. En comparant toutes ces données expérimentales, on peut voir qu'il y a identité dans les effets de ces deux sortes de virus rabique, tant pour leur degré de virulence que pour la nature et le mode d'apparition des symptômes qu'ils produisent. La seconde comparaison, après une année environ, m'a donné desrésultats analogues et je la passerai sous silence. Je crois donc pouvoir conclure de cette double série d'expériences que les deux sortes de virus sont restés identiques même après une année, à l'égard de leur virulence et de leurs autres effets, dans les limites des fluctuations individuelles. 10 150 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. VI Quelle interprétation peut-on donner de ce grand fait de l’aug- mentation successive du virus rabique pendant les inoculations de lapin à lapin? Comment peut-on expliquer ce phénomène que la durée de l’incubation devient sucessivement plus courte quand on avance de passage à passage, tandis que la quantité de moelle inoculée reste toujours à peu près la même? Plusieurs pensées s'offrent à l'esprit pour rendre compte de ce phénomène particulier. On peut imaginer que l'agent infectieux de la rage (un microbe encore inconnu) subit pendant le cours des inoculations successives un certain changement dans sa qualité. Il devient individuellement de plus en plus fort à mesure qu'il s'adapte successivement à son nouveau milieu. En conséquence de cette énergie plus exaltée, le changement qu’il peut produire d’une ma- nière ou d’une autre dans la moelle devient plus intensif, et les altérations du système nerveux, premiers symptômes de la rage, peuvent apparaître après une durée plus courte d’incubation. Ce serait donc par la qualité, la vigueurindividuellement augmentée, que la même quantité de virus agit plus énergiquement dans les passages plus avancés. D'autre côté, on peut imaginer que c’est la quantité de l'agent infectieux de la rage qui subit an changement pendant les ino- culations successives. Sa puissance de reproduction augmente, et dès lors la même quantité d’une moelle rabique des passages avancés contient plus d'agents infectieux que celle d'une moelle rabique des premiers passages. Ce serait la quantité, la reproduc- tivité exagérée qui agirait pour l’augmentation de la virulence, sans aucun changement individuel de l’agent infectieux. On peut enfin supposer que l’agentinfectieux de la rage subit à la fois ces deux modifications, et dès lors, dans les passages de hautrang, la moelle inoculée contient plus d'agents infectieux fortifiés à la fois quantitativement et qualitativement. L'expérience suivante nous porte à croire à l'existence d’un changement quantitatif. Si on porte sous la dure-mère le virus rabique dérivé de n'importe quel passage, en état plus dilué qu’a l'ordinaire, le lapin meurt après une incubation prolongée; LE VIRUS RABIQUE DES CHIENS DES RUES, ETC. 151 on peut même alleindre un tel degré de dilution que le virus fixé lui-même n'a plus d'effet sur l'animal; de sorte qu'on est forcé de croire que c’est par le nombre que l’agent infectieux de la rage doit produire ses effets. En faveur de celte explica- lion, on peut aussi citer l'expérience que j'ai faite, c’est qu'on peut rendre aisément les chiens réfractaires à la rage, en leur inocu- lant sous la peau le virus fixe de la rage à des degrés différents de dilution, en commençant par la plus faible et continuant successivement jusqu'à la plus forte’, D'autre côté, il faut regarder comme une preuve pour l’exis- tence d’un changement qualitatif une observation de M. Pasteur que j'ai aussi faite dans mes expériences. Un lapin inoculé par trépanation avec du virus fixe succombe, comme nous le savons, après une incubation de 7 ou8 jours. La mème moelle inoculée sous la dure-mère après 7 ou 8 jours de dessiccation ne tue le la- pin qu'après une plus longue incubation, de 15 ou 20 jours par exemple. Mais si on fait servir ce lapin à une inoculation nou- velle sous la dure-mère, on voit reparaître l’incubation courte du virus qui a servi de point de départ. Le retard du cas intermédiaire est l'effet de l’appauvrissement quantitatif du virus rabique dans la moelle séchée, et la récupération rapide de la durée de l’incubation dans le cas ultérieur est due sans doute à ce que la qualité de l’agent infectieux rabique est restée invariable dans la moelle desséchée. Les effets de la culture du virus rabique ont une grande res- semblance avec ceux qu’on obtient en agriculture avec des soins culturaux, combinés avec une intelligente méthode de sé- lection?. C’est ainsi qu'Hallett, en choisissant comme semencesles plus beaux grains et les plus beaux épis d’une variété de blé quelconque, a réussi àaugmenteret à maintenir de plusassezcons- tants, dans les limites des variations saisonnières, d’abord le rendement à l’épi, c’est-à-dire le degré de fécondité de la graine, puis la qualité individuelle du grain, qui devenait plus lourd et plus dense. On peut donc augmenter ainsi non seulement la quantité mais aussi la qualité des produits dans le mème sol et avec la V. Akadémiai ertesito d'octobre 1887. V. aussi ces Annales, t. If, p. 94. dE 4. De A. Novacki. Getreideban, 1886, p. 177, 179. 152 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. mème fumure, non seulement la quantité de la récolte par hec- tare, mais aussi le poids du blé par hectolitre. En inoculant de lapin à lapin, c’est-à-dire en ensemencçant régulièrement dans le même terrain le virus rabique, on le voit aussi se fortifier dans sa vigueur individuelle et sa repro- ductibilité jusqu’à un certain maximum où, à quelques fluctuations près, les propriétés se fixent si les conditions de la culture res- tent les mêmes. La ressemblance entre les microbes et les végé- taux d’une organisation plus complète et plus élevée paraît done à ce point de vue être tout à fait parfaite. VARIATIONS DURABLES DE LA FORME ET DE LA FONCTION CHEZ LES BACTÉRIES Par EE. WASSERZU SG. Lorsqu'on cultive les bactéries à l’état de pureté, chacune d'elles prend une forme qui reste assez constante dans les divers milieux nutritifs qu'on lui offre, et amène dans ces milieux des transformations, variables naturellement de l’un à l’autre, mais qui se reproduisent avec constance, quand les conditions de culture se retrouvent les mêmes. De cette observation. tant de fois répétée, . est sorti le principe de la constance de la forme et de la fonction chez les microbes, principe qui est le fond de nos connaissances actuelles, et a servi de base à toutes les classifications qui ont été proposées. Ce n’est pas qu'il soitabsolu. Du côté dela morphologie, ilest atteint par l'existence des formes d'involution, formes anormales ou pathologiques, qu’on voit apparaître dans les cultures vieillies, lorsque le milieu nutritif est épuisé de ses éléments assimilables ou altéré par les sécrétions des microbes qui y ont vécu, qu’on peut voir apparaître aussi dans les premiers temps de la culture, lorsqu'elle se fait dans des milieux peu favorables, par exemple en présence des antiseptiques. Mais dans les milieux antiseptisés, ces formes anormales n'apparaissent qu'au début des cultures, elles sont transitoires, et la forme considérée comme normale ne tarde pas à prédominer. D'un autre côté, on peut faire dis- paraître tout à fait les formes de vieillesse ou au moins en diminuer beaucoup le nombre: il suffit pour cela de faire des ensemencements répétés, à de courts intervalles, dans des milieux favorables. On obtient ainsi des générations chez lesquelles les formes de début se conservent, quels que soient la durée et l’état des cultures. Du côté de la persistance de la fonction, les mêmes objections 154 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. provoquent les mêmes réponses. Toutes les cellules d’une même masse de levure n’ont pas le mème pouvoir ferment; tous les bacilles ou toutes les svores d’une même culture de bactéridie charbonneuse ne sont pas également pathogènes; tous les articles d'une culture du microbe du pus bleu ne sont pas également aptes à reproduire la matière colorante. Mais on peut toujours, et j'ai montré comment on pouvait y arriver pour le Bacillus pyocyaneus, obtenir des cultures tout à fait homogènes au point de vue de la forme et de la fonction, c’est-à-dire chez lesquelles tous les éléments possèdent les mêmes caractères taxonomiques. Les exceptions à la loi de la constance de la forme et de la fonction semblent donc avoir un caractère transitoire qui con- firme le principe, au lieu de l’infirmer. Mais l'importance de ces faits exceptionnels serait autre si on leur communiquait un caractère permanent, et si on montrait par suite que la forme et la fonction ne sont nullement indépendantes, comme on le pro- fesse d'ordinaire, des modifications du milieu. C’est là ce que j’ai essayé de faire. J'ai montré en effet, pour Le bacille du pus bleu et le Micrococcus prodigiosus, que l’on pouvait abolir d'une façon permanente chez ces êtres la fonction productrice de matière colorante dans des milieux pour lesquels cetLe fonction était normale et faisait partie de la définition donnée au microbe étudié. La forme est tout aussi variable, et à l’aide de quelques traitements très simples, on peut la modifier assez profondément pour que l'être vivant, rapporté dans son milieu originel, y prenne et y conserve une forme dif- férente de la forme primitive. Ces deux espèces de modifications ontété obtenuesenemployant d’abord l’action des antiseptiques, puis les cultures prolongées dans des milieux acides, remplaçant les milieux alcalins dont on se sert d'ordinaire. Maisil y a d’autres procédés pouvant donner les mêmes résultats et d’autres microbes capables de présenter les mêmes phénomènes. Il est non seulement intéressant, mais encore nécessaire de multiplier les exemples en faveur de cette thèse nouvelle, eten voici qu’on peut joindre à ceux que j'ai déjà cités. Reprenons le Micrococcus prodigiosus que nous avons déjà étudié, et considérons-en une culture dans un bouillon de veau légèrement alcalin, où les cellules prennent nettement la forme FONCTION CHEZ LES BACTÉRIES. : 155 microcoque. Soumettons celte culture, le premier ou le second jour de développement, pendant cinq minutes environ, à la tem- pérature de 50° ‘. Prélevons, après refroidissement, une petite quantité de semence que nous porterons dans un milieu sem- blable au premier : le développement se fait très abondamment dans ces conditions. Traitons cette seconde culture comme nous avons fait de la première, et répétons ces chauffages à 50° pour toutes les cultures successives. On constate ainsi, au bout de quelques cultures, que la forme microcoque disparaît et fait place à une forme très nettement bacillaire qui se conserve d’autant mieux dans la suite des géné- rations que les chauffages ont été plus nombreux. Nous obtenons donc, en employant l’action répétée de la chaleur, les résultats déjà trouvés sous l'influence des antiseptiques ou des milieux acides. Ajoutons de suite que ces résultats s’obtiennent encore plus rapidement quand, à l’action de la chaleur, on superpose l’action du milieu acide ?. Cette action combinée de la chaleur et des milieux acides permet de produire des variations durables de la forme avec d’autres microbes que ceux que nous avons déjà étudiés, en particulier avec un bacille vert trouvé dans l’eau. Cet organisme se présente, dans les cultures originelles, comme un petit bacille relativement grèle et très court, au point d’avoir presque l'aspect d'un microcoque. Il donne, surtout dans les milieux acides, une belle couleur verte. J’ai pu l'obtenir d’une façon permanente, au moyen de chauffages à 50° et de cultures en milieux acides, à l'état de bacille allongé, mesurant jusqu’à 5 et 8 & de long. On obtient les mêmes résultats avec le bacille du lait bleu; mais cet organisme est surtout intéressant, nous l'avons déjà indiqué, par les variations de sa fonction chromogène. Quand on le cultive longtemps sur un milieu solide, de la gélatine alcaline par exemple ou de la gélose, il y conserve sa coloration, mais, reporté dans les milieux liquides, notamment dans le lait, il se montre incapable de les colorer; j'ai pu lui rendre sa fonction 1. Le Micrococcus prodigiosus ne périt dans ces conditions qu'entre 55 et 56o. 2. Comme précédemment, nous avons fait nos expériences avec l’acide tartrique à la dose de 1 à 6 décigrammes par litre. Les cultures sur gélatine acide donnent des résultats analogues; comme la gélatine se liquéfie rapidement, l’em- ploi des milieux liquides proprement dits est beaucoup plus commode. 156 . ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. chromogène par une culture prolongée dans un milieu acide‘. Nous pouvons encore citer un autre organisme chez qui cette action de la chaleur et des acides amène rapidement des chan- gements morphologiques: c’est la bactéridie charbonneuse. La bactéridie se présente, on le sait, dans le sang des animaux et dans les milieux de culture, sous deux formes très différentes : dans le sang, elle est composée de bacilles courts et séparés ; dans les milieux artificiels, les bacilles sont réunis en longs filaments enroulés el pouvant contenir des spores. On peut facilement reproduire, dans les cultures, la forme courte que l’on rencontre dans le sang : il suffit de faire quelques cultures successives dans les milieux acides qui nous ont servi pour les microbes colorés. On arrive à obtenir ainsi des formes très courtes, pouvant même atteindre les dimensions des bactériums. Le nombre des cultures nécessaires pour arriver à ce résultat est moins considé- rable quand on a le soin de ne semer chaque fois que des spores, c’est-à-dire de tuer préalablement les bacilles adultes par un chauffage entre 60 et 70°. En partant d’une culture faite avec une goutte de sang charbonneux, on peut avoir ainsi une série de cultures successives dans un milieu acide. Les spores de ces cultures successives ensemencées au même moment dans une série de bouillons identiques donneront naissance à des généra- tions de formes très différentes, depuis la forme baciilaire très courte jusqu’à la forme ordinaire de longs filaments; les bacilles seront d'autant plus courts qu'il proviendront d’une culture en milieu acide de rang plus élevé. Nous n'insisterons pas davantage sur les changements mor- phologiques que l’on peut obtenir, avec les procédés que nous avons indiqués, chezles organismes bacillaires. Ces changements sont surtout intéressants à constater chez les microbes à qui l’on reconnaît nettement la forme microcoque, comme le M. pro- digiosus, puisqu'on peut arriver à combler ainsi l'intervalle qui sépare, pour la plupart des auteurs, le groupe des microcoques du groupe des bacilles. 1. Voir Hueppe : Surles altérations du lait par les microorganismes. Arbeit. aus dem kais. Ges. amt., Il, 1884, p. 355. Cette action des acides sur la fonction chromo- gène de ce bacille avait déja été observée : on avait remarqué que la coloration bleue du lait n'apparaissait souvent que si ce liquide avait subi au préalable la fer- mentation lactique. FONCTION CHEZ LES BACTÉRIES. 157 L'étude que nous venons de faire nous permet en outre de nous expliquer la véritable signification des formes d’involution. Nous avons vu d’une part que ces formes se produisent dans les cultures âgées, et qu’on peut les faire disparaître en soumettant l'organisme à des cultures prolongées faites àde courts intervalles dans certains milieux favorables. Nous avons constaté d'autre part que ces formes peuvent prédominer au contraire et rem- placer la forme primitive, considérée comme normale, au point que celle-ci puisse être regardée à son tour comme une forme d'involution. En réalité nous voyons intervenir ici les lois de l’hérédité, qui tiennent une si grande place dans la vie des orga- nismes. Quand une forme est une fois acquise dans un milieu donné, elle arrive à s’y fixer d’une façon permanente, et, quand on modifie le milieu, la forme ne varie pas ou commence par varier très peu : le retour à la forme fixée est d'autant plus rapide que l’action du milieu primitif a été plus prolongée. Toutefois, à mesure que l'influence du milieu nouveau se prolonge à son tour, le changement morphologique s’accentue davantage, et setrans- met de génération en génération jusqu’au moment où le retour à la forme antérieure ne peut plus s'effectuer. Ges résultats s’ap- pliquent à la fonction aussi bien qu’à la forme. Il va sans dire que les mêmes modifications du milieu n’influeront pas au même degré sur la forme etla fonction, et que l’étude de ces deux sortes de modifications devra d'ordinaire être faite séparément. Mais, en envisageant les résultats de notre étude, il nous paraît qu'il sera toujours possible de déterminer des variations durables de la forme et de la fonction avec les infiniment petits, gràce au nombre très considérable de générations que l’on peut soumettre, dans un temps relativement court, à l'influence d'un milieu déterminé. REVUES ET ANALYSES A. C. Core et prof. Horscey. — Rapports sur une épidémie de rage parmi les daims du parc de Richmond pendant les années 1886-1887, Londres 1888. Le premier de ces rapports est dû à M. Cope; il contient l’histoire de l'épidémie de Richmond ; le second renferme les observations et les expé- riences que M. Horsley a faites sur les daims enragés. Avant d'exposer ce qu'il a observé à Richmond, M. Cope a recherché si on avait recueilli en France ou en Allemagne des renseignements sur la rage des daims. D'après M. Cagny, on n’a jamais signalé en France d'épidémie de rage sur les daims. | M. Muller de Berlin a fait connaître à M. Cope que la rage a été observée en Allemagne sur des daims mordus par des renards ou des chiens enragés, mais que la maladie n’a jamais régné sous forme d’épidémie, sans doute à cause des conditions de liberté dans lesquelles les daims vivent en Allema- gne, et surtout, croit M. Muller, parce que la rage ne se transmet pas d’her- bivore à herbivore, ces animaux ne faisant pas de morsures. L'épidémie de Richmond n’est pas la première observée en Angleterre, où on entretient des daims en grande quantité dans beaucoup de pares. Ainsi, en 1795 et en 1798 les daims de Grove Park, de Windsor Park, de Cas- siobury Park périrent en grand nombre. Si on se reporte aux symptômes signalés pendant ces épidémies, on reconnaît que des animaux ont suc- combé à la rage. Dans le pare d'Eaton Hall en 1872, la rage a sévi sur les daims, et en 1880 elle s’est montrée avec les mêmes symptômes dansle parc de Swythamley. Toutes ces épidémies ont été vraisemblablement causées par des mor- sures de chiens. Celle de Richmond, qui fait le sujet du rapport de M. Cope, a suivi une épi- démie de rage observée sur les chiens à Londres et autour de cette ville. Le pare de Richmond a une étendue de 2,300 acres et contient 1,200 daims. Il est ouvert au publictoute la journée, les portes sont ferméesle soir, de sorte qu'un chien peut y pénétrer et en sortir sans être vu. Les daims y vi- vent en troupeaux de 100 à 200 têtes, restant sur les mêmes pâturages; aussi la maladie demeure-t-elle confinée dans le troupeau où elle s'est montrée. Le premier cas a été observé à la fin de septembre 1886, dans le troupeau qui pâturait près de la porte d'East Sheen. Quelques jours après d'autres animaux tombèrent malades, On crut à un empoisonnement, et M. Lupton, vétérinaire, fit évacuer le troupeau sur un autre pâturage. Mais la maladie continua. Un mâle et un faon malades furent envoyés au collège REVUES ET ANALYSES. 159 royal des vétérinaires. La maladie fut ainsi observée dans tous ses détails. Après la mort, la moelle épinière des animaux fut inoculée par M. Horsley à des lapins et à un chien qui moururent de la rage la mieux caractérisée. { n'y avait done plus aucun doute sur la nature de l'affection qui faisait périr les daims de Richmond. Au mois de Juin, un troupeau qui paissait dans le voisinage de la harde infectée fut atteint à son tour et perdit beaucoup de bêtes. L'épidémie a duré jusqu’au 24 septembre et a fait périr 264 animaux. M. Cope décrit ainsi les symptômes de la rage chez le daim. Au début de la maladie, les animaux portent la tête en arrière sur les épaules, le museau en l'air, ils ont des tressaillements subits et partent au galop droit devant eux. Bientôt ils s’élancent contre leurs compagnons, se jetant tête baissée sur les poteaux, les arbres et les obstacles qu'ils voient, et avec tant de vio- lence qu'ils brisent leurs cornes et s’arrachent des lambeaux de peau. De timides qu'ils sont, d'ordinaire, ils deviennent agressifs et mettent le désor- dre dans le troupeau. Séparés et enfermés dans un endroit clos, ils se pré- cipitent sur les objets et sur les personnes qui se présentent. A celte période de la maladie, on voit des faons poursuivre audacieusement et mordre de vieux daims. Après quelques jours, des animaux meurent dans une crise ou après avoir montré de la paralysie des membres. L'observation la plus intéressante qui ait été faite au cours de cctte épidémie est celle de la transmission de la rage du daim à un autre animal de même espèce, et cela par morsure. Ces morsures ne font pas ordinaire- ment de véritables plaies pénétrantes de la peau; la pression des dents pro- duit des meurtrissures qui restent souillées de bave. L'animal mordu lèche la partie blessée comme pour soulager la douleur qu'il ressent. Cependant ces morsures suffisent pour inoculer la maladie. Un daim enragé fut isolé et enfermé avec un animal sain; le daim enragé s’élança comme un chien furieux sur son compagnon et le mordit aux oreilles et au cou. Le daim mordu fut isolé et conservé; 19 jours après, il présentait les symptômes caractéristiques de la rage. L'opinion longtemps admise que les herbivores ne transmeltent pas la rage par morsure est donc controuvée. L'absence d'incisives supérieures chez ces animaux rend leurs morsures moins dan- gereuses que celles des chiens, mais l'expérience prouve qu'elles sont encore capables de donner la-rage. Ce fait était déjà rendu très probable par la persistance de la maladie dans les troupeaux de daims sévèrement isolés depuis plus de six mois. Les herbivores ne prennent point la rage en paissant l'herbe sur laquelle ont vécu des animaux enragés, mais bien par morsure comme les autres espèces. Le rapport de M. Horsley fait suite à celui de M. Cope; il renferme les observations faites sur les daïms enragés conduits à la « Brown Institution », et les résultats des expériences entreprises avec la moelle épinière de ces animaux. Les lésions trouvées à l'autopsie sont une congestion du pharynx, du larynx et de la trachée. L’estomac est rouge, l'intestin est vide d'aliments, 160 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. la vessie contenait de l'urine, les centres nerveux étaient congestionnés. La moelle épinière de deux daims, qui ont succombé au laboratoire de M. Horsley, a été inoculée par trépanation à des lapins. La rage a éclaté chez ces animaux après une incubation de 10 à 16 jours. Un chien inoculé dans les mêmes conditions est devenu enragé après {2 jours. On voit que chez le daim les caractères de la rage sont semblables à ceux que l’on observe dans la rage des autres herbivores. Un daim enragé amené à la « Brown Institution » était une femelle pleine. M. Horsley a profité de cette circonstance pour rechercher si le virus rabique passait de la mère au fœtus. Deux lapins furent inoculés avec de la moelle épinière du fœtus. L'un d'eux mourut de septicémie, l'autre resta bien portant et ne manifesta aucune immunité lorsqu'il fut inoculé avec du virus rabique plusieurs mois après. La rage des daims est done une maladie désormais bien connue, ce résultat est dû aux rapports de MM. Cope et Horsley, qui ont en outre démontré que les herbivores peuvent transmettre la rage par morsure. E. Roux. O. Luparscn. Sur l’atténuation du bacille charbonneux dans le corps de la crenouille (Fortschritte der Medizin, n° 4, 1855, p. 121). Les faits sur lesquels s'appuie la théorie des phagocytes de M. Metch- nikoff ne sont plus guère contestés aujourd'hui. Mais si l’on admet l'exis- tence de la lutte que les cellules de l'organisme soutiennent contre les microbes venus du dehors, on ne connaît pas les causes qui déterminent l'issue de cette lutte et la victoire ou la défaite de l’un des deux partis. On ne sait même pas d’une facon précise à quel état les microbes pénètrent dans les cellules, si c'est comme des assaillants qui y entrent de vive force et con- tinuent à s'y développer comme dans un milieu favorable, ou s'ils sont englobés par les leucocytes après avoir été détruits en dehors d'eux par une substance soluble. Les bacilles tuberculeux peuvent, on le sait, vivre à l'inté- rieur des cellules. En est-il de même des bactéridies charbonneuses ? C’est cette dernière question que s’est posée M. Lubarsch. En essayant de la résoudre, il a été amené incidemment à étudier les variations que peut subir la bactéridie en passant par l'organisme de la grenouille. « Si les bacilles charbonneux, se disait-il, meurent avant de péné- trer dans les leucocytes, on pourra trouver un moment où les baeilles encore vivants, même parmi ceux qui sont en dehors des cellules, seront devenus très rares. En essayant de les cultiver, on n’obtiendra que des cultures très tardives ou, dans tous les cas, beaucoup moins abondantes. » Pour avoir quelque chance de pouvoir vérifier cette hypothèse, il fallait choisir un animal chez qui la bactéridie trouvàt un mauvais terrain de eul- ture et chez qui la phagocytose jouât rapidement un rôle très considérable. La grenouille remplit parfaitement ces conditions : c’est d’ailleurs chez elle que le rôle des phagocytes avait été démontré d’une façon très concluante par M. Metchnikoff. Un certain nombre de grenouilles recurent dans leur sac lymphatique REVUES ET ANALYSES. 161 dorsal de petites parcelles de poumons ou de rates prises à des souris ayant succombé au charbon. C'est le mode d'inoculation indiqué par M. Metchnikoff, Les grenouilles étaient conservées à une température de 13 à 490, et à partir du lendemain de l'inoculation on en sacrifia chaque jour quelques-unes ; des ensemencements furent faits dans des milieux favorables, avec la sérosité lymphatique et les parcelles charbonneuses qui avaient séjourné un temps plus ou moins long sous la peau de l'animal. Deux gre- nouilles moururent au bout de un jour et de 2 jours et demi : la première périt avec une hémorrhagie capillaire de la bouche et des yeux, et le liquide sanguinolent qui s'écoulait renfermait un grand nombre de bactéridies. Chez la 2 orenouille, les bactéridies se montrèrent réparties dans tous les organes. Dans ces 2 cas, la mort survenue malgré la température relativement basse à laquelle les animaux étaient conservés, l'examen microscopique ne révéla aucune trace de bacilles intracellullaires, bien qu'ils fussent très abondants dans les divers organes, ce qui n'a pas lieu d'ordinaire chez la grenouille. Chez tous les autres animaux n'ayant pas succombé au charbon, les parcelles d'inoculation étaient entourées d’une masse abondante de leucocytes dont quelques-uns seulementcontenaientdes baeïlles : danstousces cas, à l'exception d’un seul, les bacilles se montrèrent parfaitement vivants et donnèrent sur la gélose de très belles cultures. M. Lubarsch ne nous dit pas comment étaient faits les ensemencements et quelles précautions il prenait pour ne semer qu'un nombre très petit de bacilles et pour rendre ses ensemencements com- parables entre eux. Son attention fut, du reste, attirée par un fait très intéressant et assez inattendu : & A partir du troisième jour les bacilles avaient en totalité ou en partie perdu leur virulence..; au 6° jour, aucune des cultures n’avait tué les souris; vers le 3° ou 5° jour, le résultat n'est pas constant. Piusieurs cultures tuaient, il est vrai, des souris au bout de 20 à 56 heures, mais jamais des lapins ou des cobayes, et même quelques-unes des cultures ne parvenaient pas à tuer des souris. » Devant ces résultats, M. Lubarsch s’est demandé tout d'abord s'ils n'étaient pas dus à une erreur d'expérimentation, à une impureté survenue dans ces cultures, ou à tout autre cause du même genre. Après vérification, il s'est assuré qu'il n’en était rien, et il arrive à cette conclusion que le passage à travers l'organisme de la grenouille suffit pour atténuer la bactéridie charbonneuse. . Ce résultat est trop important pour qu'on ne cherche pas à se rendre compte ayec soin des conditions dans lesquelles M. Lubarsch a opéré. Il part, nous l’avons vu, de la rate d’une souris morte du charbon, qu’il introduit sous la peau de la grenouille, et qu'il y laisse pendant 1 à 10 jours à une tem pérature moyenne de 45°, La parcelle de rate est ensuite retirée et sert à inoculer, directement ou après une culture sur gélose, des souris, des lapins et des cobayes. Parfois les souris meurent; d’autres fois elles résistent; les lapins et les cobayes résistent aussi. Y a-t-il vraiment là une variation de virulence due au passage à travers la grenouille? et l’atténuation constatée ne pourrait-elle s’expliquer autrement? M. Lubarsch oublie de nous dire quelétait le degré de virulence du bacille dont il est parti. Dans le cas où il eût été déjà très atténué et n’eût tué que la souris, on ne devrait pas s'étonner qu’un 162 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. séjour prolongé à basse température, dans des conditions peu favorables, eût amené de petites différences dans la virulence, différences qu'on aurait pu obtenir en dehors même de la grenouille. Malgré cette lacune regrettable sur l’état de la virulence primitive, qui jette quelque doute sur les conclusions auxquelles arrive M. Lubarsch, on voit qu'elles peuvent être comparées à celles qu'a données M. Metchnikoff dans une étude analogue faite sur les moutons réfractaires au charbon (voir le tome [° de ces Annales). Dans ce travail, M. Metchnikoff est arrivé le premier à montrer d’une façon non douteuse l’atténuation de la bacté- ridie par son passage à travers un animal réfractaire. M. Lubarseh n'avait d’ailleurs pas eu connaissance de ce travail en entreprenant le sien, qui lui donne, on le voit, des conclusions analogues. Il a de plus constaté, comme M. Metchnikoff, que l’atténuation de la bactéridie était passagère et que, par suite, les animaux qui reçoivent les cultures atténuées ne résistent pas « à l’inoculation d’un charbon fortement virulent ». Autrement dit, l’atténuation ne confère pas à la bactéridie la propriété d’être un vaccin. Du reste, cette atténuation semble être particulière au mode d'inoculation sous la peau de la grenouille de parcelles d'organes charbonneux. Quand, au lieu de faire l’inoculation sous-cutanée, on injecte dans la veine abdominale de la grenouille « une culture de charbon » (quel charbon ?), les baëilles se trou- vent presque exclusivement cantonnés, au bout de 6 à 17 heures, dans les cellules de la rate, du foie et dans le sang. Il semble donc que l’on soit dans les meilleures conditions possibles, pour que l’action des leucocytes puisse être constatée facilement par une diminution dans la virulence de la baec- téridie. Il n’en est rien, et le sang aussi bien que les divers organes donnent, sur gélose, d’abondantes cultures qui, inoculées à des souris, les tuent en 20, 26 à 54 heures. Dans ce cas, il n’y à pas d'atténuation sensible. Cette expérience fournit un nouvel argument aux réserves que nous for- mulions tout à l'heure sur les causes véritables de latténuation. Dans l’inté- rieur d'un morceau d'organe charbonneux introduit sous la peau, les bactéridies se développent mal, et la température de 45°, jointe à ces mauvaises conditions de culture, suffit pour expliquer les différences très petites que l’on constate dans la virulence. Cette question demande donc à être reprise avec soin, et, siles résultats obtenus par M. Metchnikoff sur les moutons réfractaires permettent de croire qu'ils pourront être étendus à d’au- tres animaux réfractaires au charbon, on voitcependantqueles conclusions de M. Lubarsch ne s'appuient pas sur des expériences tout à fait convaincantes. Du moins cette dernière expérience de M. Lubarsch nous permet de tirer une autre conclusion : c’est que les bacilles sont encore vivants dans l’inté- rieur des cellules, puisque les cellules de la rate, par exemple, donnent des cultures aussi abondantes que si l’on semait du sang charbonneux de lapin. Une autre expérience prouve du reste que les bacilles n’ont pas besoin d’être tués pour être mieux englobés par les leucocytes. Quand on injecte dans la veine abdominale d’une grenouille une culture de charbon stérilisée par le chauffage, les leucocytes n’en contiennent qu’un nombre très restreint, même au bout de 2% heures, tandis qu’ils en sont bourrés dès la 6° heure avec une culture de bactéridies vivantes. Il y a donc une action directe de la bactéridie INSTITUT PASTEUR. 163 qui amène une augmentation dans l’activité des cellules de l'organisme et leur permet de résister dans leur lutte contre les microbes. M. Lubarsch a essayé de répéter avec le micrococcus tetragenus et le bacille de la septicémie des souris les expériences qu'il a faites avec le charbon. Elles ne l’ont conduit à aucun résultat positif. Mais il se promet de ne pas les abandonner, et nous espérons qu’il fera connaître à bref délai les résultats qu'ils aura obtenus dans cette étude si intéressante de l’atté- nualion des microbes. E, W. >= —— INSTITUT PASTEUR RENSEIGNEMENTS STATISTIQUES SUR LES PERSONNES TRAITÉES PENDANT LE MOIS DE FÉVRIER 1888. Personnes mortes de rage pendant le cours du traitement. Me Delpéche, née Marie Wagner, 52 ans, concierge à Paris, mordue le 23 janvier par un chien errant, inconnu, qui a été tué par un sergent de ville après avoir mordu 3 autres personnes el 5 chiens. Mne Delpéche a été mordue : 4° dans la pulpe du pouce droit, une morsure ; 2° sur le dos du poignet droit, 8 morsures. Ces blessures ont presque toutes saigné. La première est profonde. Cautérisation à l’acide azotique quelques instants après la mor- sure. Mise en traitement le 28 janvier, M"° Delpéche ne s’est pas présentée à l’Institut Pasteur le 13 février, bien que le trai- tement ne füt pas achevé. Elle est tombé malade le jour même et a succombé le 17 février. MneDelpéche, n'ayant pas subi Le traitement complet, n’est pas comptée dans la statistique de janvier. 164 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. INSTITUT PASTEUR STATISTIQUE ! DU TRAITEMENT PRÉVENTIF DE LA RAGE. — FEVRIER 1888 A | B FREE.) Morsures à la tête ( simples ..... nr Sie >, et à la figure {| multiples....| »| 2! » 4) Cautérisations efficaces. ........... »| » | » | » » — INbINCACES RUE Di AT » Pas delcautérisalion: TEE A ES PRE DEC 3 HOSIples:-. |) 8) »| 24) Morsures aux mains) multiples... | » ss" »| 33 Cuutérisations effiraces............ Dana | — INCICACES ES. er 6| |» 49h. Pas de CuutéMisSaton..- RSC PRO AISS IS Morsures aux mem-({ simples......| »| æ) s|? 9 bres et au tronc | multiples....| »| 4 »| 24 Cautérisations efficaces ......:...... PILE nai EE DE — TRENNEUCES RE TRE 4\:5 1» M8" Pas decuutérisahon. 1.25 ee LE 4 TEA » HODIES = DéChITES MATE ART re AU FER MOTSUTES NUE Le ee EE ES LUZ 9 ES Morsures multiples en divers points COEDS ER ASE RE »| 1| |» 4 Cautérisations efficaces 2e COURT » {> 1 » — INCINCACES A DR EEUIE FRE Ve LA » Pas de cuutérisation........ est LME 1 AE ER » HAbRiS QD ÉCRATÉS EAN EE ERA A PRE EEE SR LE À RER MONSUTES BUENU SERIE RER RER loteries Françai Algériens..|..| 33 1 TOtAUe , çais et Algériens 33) 103),93 l'ÉtTANGOrS PES TNT 3 2 4 A B ————————————— EE — — TOTAD GENERATE STE RP URRSE 165% 4. Pour l'interprétation des termes et la signification des diverses colonnes du tableau, se reporter aux statistiques précédentes, p. 95, 148 et 207, &. I. Les animaux mordeurs ont été : Chiens, 154 fois ; chats, 7 fois; mulet, 1 fois; cheval, 1 fois: porc, 1 fois; mouton, 1 fois. Le Gérant : G. Masson. Sceaux. — Imprimerie Charaire et fils. Annales de l'Institut Pasteur TA. sul 0/1 Il h + \: d Doct: Roux. Photo ë SEA AP 1e AS arr à V 30 28 25) Do = di cf 4 É\ ) 00 0°! ox o® | 4.76 Je e) © : / (4) 1 A KO (© # “'o1o | FX 4 J'Y oi LA oO)" 07 Fe ARS > Co SE. Héliolypi À Quinsac 4 GBagquié, Paris. Pasteuria ramosa 9me ANNÉE. AVRIL 1888. N° à ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR PASTEURIA RAMOSA UN REPRÉSENTANT DES BACTÉRIES A DIVISION LONGITUDINALE Par M. ÊLIE METCHNIKOFF, Pour se faire une idée suffisante sur les relations taxono- miques des bactéries, groupe devenu si important sous tant de rapports, il convient de ne pas se borner aux formes les plus habituelles et à cause de cela les mieux connues ; il faut diriger les recherches sur des bactéries particulières, capables de donner quelques aperçus nouveaux sur la question de la morphologie du groupe en général. Les Daphnies d’eau douce constituent un terrain très favo- rable à ce genre d’investigations. Pendant mes recherches sur les maladies infectieuses des animaux inférieurs, recherches entreprises à un tout autre point de vue, j’ai été souvent frappé de la richesse des formes nouvelles et remarquables appartenant à des groupes de sporozoaires et de bactéries. Aïnsi j'ai ren- contré chez les Daphnies un bacille parasitique se transformant en microcoques, et un autre bacille, donnant des spirilles en boucle, qui peut servir de modèle du pléomorphisme chez les bactéries. En remettant la description de ces formes à une autre occasion, je veux insister dans cet article sur un type nouveau de bactéries parasitiques, que je me permets d'introduire dans la science sous un nom dédié à notre illustre et vénéré maître, qui, en découvrant les organismes provoquant la fermentation lactique et butyrique, créa une ère nouvelle dans la science en 11 + 166 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. général et dans la microbiologie en particulier. Quoique les bactéries soient connues depuis le xvu* siècle, néanmoins leur rôle dans la nature n’a été démontré que par M. Pasteur lui- même ou par ceux qui ont suivi la voie ouverte par lui. Pasteuria ramosa (nov. gen., nov. sp.) est une bactérie para- sitaire qui s’introduit dans la cavité générale du corps des Daphnia pulez et D. magna, et provoque chez ces animaux une maladie toujours mortelle. Dans son état de développement le plus primitif que j'ai observé, ce parasite se présente sous forme de colonies plus ou moins arrondies, à surface anfractueuse (fig. 1). En observant ces colonies avec de plus forts grossisse- ments, on reconnaît aisément qu’elles se composent de corps en forme de choux-fleurs : on aperçoit un tronc central qui se ramifie en rameaux secondaires, tertiaires, etc., et donne finale- ment des articles terminaux arrondis à leur surface extérieure (fig. 2). Pendant l’évolution de la Pasteuria, ses ramifications se détachent les unes des autres, et il se produit une dissolution gra- duelle de tous les membres de la colonie primitive. C’est d’abord le tronc principal qui se divise, de sorte qu’il apparaît plusieurs colonies-filles, composées chacune d’une série de ramifications. Ce procédé de scission, se répétant plusieurs fois, aboutit à la formation d’un nombre considérable de petites colonies (fig. 3-8 et photogrammes I et Il), dont les membres se trouvent ratta- chés par un lien qui devient de plus en plus mince. Pendant ce travail incessant de subdivision, les membres de la colonie grandissent à vue d'œil, et, partant de l’état de pointe arrondie à peine appréciable, ils deviennent bientôt des corps rappelant par leur forme des grains de raisin. Dans un état encore plus avancé, les individus de la Pasteuriane se montrent plus que réunis par quatre (fig. 9, 10) et plus souvent par deux (fig. 11, 42 et photogramme 3); leur point de réunion apparait aussi de plus en plus fin, de sorte qu'ils se détachent très faci- lement l’un de l’autre. Il se produit alors une grande quantité de bactéries isolées (fig. 13, 17) qui rappellent quelque peu les bacilles du genre Clostridium ou d’autres formes analogues. Dans les individus adultes de Pasteuria, on reconnaît néanmoins un pôle large et arrondi et un autre pointu en bec, le pôle infé- rieur, qui était le point de liaison avec un autre individu. Toutes ces formes sont le résultat de divisions successives dans PASTEURIA RAMOSA. 167 le sens longitudinal; mais ce procédé de multiplication, au lieu de se poursuivre jusqu’au bout, s’arrète à un certain point, ce qui amène la production de colonies d'individus réunis par leur partie inférieure. Ce n'est que dans une période plus avancée de l'évolution que la division longitudinale est poussée à bout et provoque une véritable dissolution de la colonie en individus isolés. Les figures 3, 4, 8 nous montrent qu’un article de Pas- teuria peut subir en même temps plusieurs (jusqu’à cinq) divi- sions, ce qui donne des formes en éventail très caractéristiques. Si dans ce mode de reproduction et dans la forme extraor- dinaire des colonies de Pasteuria, on voulait voir une objection contre son admission dans le groupe des bactéries, l'inspection de l'individu isolé pourrait déjà dissiper le doute. Du reste il ne faut pas oublier que la division longitudinale n’est pas com- plètement étrangère à ce groupe. Quoique le plus grandnombre de bactériens se divise toujours uniquement dans le sens trans- versal, il existe néanmoins des genres, comme la Sarcina, où la division s'opère dans les trois plans perpendiculaires de l’espace, dont l’un doit être considéré comme longitudinal. La particula- rité de la Pasteuria se réduit donc à sa faculté de se diviser en un seul sens, le sens longitudinal. En supposant que les bac- téries les plus primitives possédaient la faculté de scission en trois directions différentes, on peut facilement admettre que dans la plupart des formes dérivées, c'est la division transver- sale qui s’est conservée, landis que dans la minorité des cas c'est la division longitudinale qui a pris le dessus. * La preuve la plus irrécusable de la nature bactérienne de la Pasteuria nous est donnée par le mode de sporulation qui, sous tous les rapports, se rattache à la production d’endospores, si répandue parmi les bactéries les plus authentiques. Ce ne sont que les individus isolés qui possèdent la faculté de produire les spores. En observant les cellules vivantes, on peut distinguer dans leur portion antérieure des espaces ronds, remplis d’une substance plus transparente que le protoplasme (fig. 18); chez les individus plus adultes (fig. 19) on aperçoit au milieu de cette espèce de vacuole un point réfringent à peine perceptible. Deve- nant de plus en plus grand (fig. 20, 21), ce petit corps se trans- forme en spore sphérique entourée par une couche de substance transparente (fig. 22) et finit par remplir la partie antérieure de 168 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. la cellule, devenue plus grande et surtout beaucoup plus large (fig. 23 et photogramme IV). Pour mieux apprécier certains détails de la sporulation, il convient d’observer les Pasteuria colorées avec le bleu de méthylène. On peut bien voir alors que les cellules qui paraissent d'abord complètement homogènes sont composées de trois parties distinctes, dont l’une forme le segment antérieur, l’autre, plus grande, le segment moyen, et la troisième la pointe effilée qui servait de point de jonction avec les autres membres de la colonie (fig. 24). C’est le segment an- térieur qui est le siège de la production des spores. Il y appa- raît d’abord une vacuole transparente, qui, sur des préparations desséchées et colorées, semble beaucoup moins grande que sur le vivant ; elle se remplit d’une spore arrondie qui devient plus considérable à mesure de l'accroissement de la cellule entière. Longtemps encore la spore en voie de formation se colore faci- lement par le bleu de méthylène ; mais, arrivée à son état défi- nitif, elle perd cette faculté et reste incolore et fortement réfrin- gente. Pour arriver à la colorer, il faut recourir au procédé de la double coloration, usité pour les bacilles de la tuberculose et les endospores d’autres bactéries. On parvient alors à colorer les spores en rouge de fuchsine et le reste du contenu en bleu de méthylène. Avec cette méthode, on arrive facilement à dis- tinguer la membrane de la cellule {fig. 26, 27), tandis qu'en observant les Pasteuria vivantes (fig. 23), on peut se faire une idée erronée sur la position des spores, qui paraissent être tout à fait découvertes dans leur partie antérieure. Dans les Daphnies mortes à la suite du parasitisme de cette bactérie, on rencontre une grande quantité de spores enveloppées par le reste dela cellule, et qui se dispersent plus tard surle fond du vase. Quoique j'y aie fait grande attention, je ne suis néan- moins jamais parvenu à observer le mode d'infection par les spores, pas plus que leur germination et la production des pre- mières colonies. Je ne suis pas non plus parvenu à obtenir des cultures de ces bactéries sur la gélatine ou la gélose glycérinée, milieux nutritifs que j'avais avec moi à la campagne (dans le gouvernement de Kieff en Russie), où je fis la découverte de la Pasteuria. Pour la première fois je la vis dans l’été de 1884, dans un petit étang peuplé par des milliers de Daphnia pulez ; depuis lors je l’ai perdue de vue jusqu'à l'été de 1887, où je la rencontrai PASTEURIA RAMOSA. 169 de nouveau dans une mare habitée par les Daphnia magna. Ii paraît donc que notre bactérie est assez rare, d'autant plus que parmi les parasites des Daphnies mentionnés par Leydig, Claus, Weismann et Moniez, il ne s'en trouve aucun qu'on pourrait prendre pour la Pasteuria ramosa ou une bactérie voisine. En observant les différents stades du développement de la Pasteuria à l'état vivant, à travers les parois de la Daphnie, on remarque d'abord que les colonies, aussi bien que les individus isolés, sont complètement privées de mouvements actifs ; ce n’est qu'à l’aide des courants sanguins qu'ils sont transportés d’un endroit à l’autre. Les parasites, suspendus dans le liquide san- guin, restent à quelques exceptions près tout à fait libres au milieu d’une multitude de leucocytes, ce qui semble démontrer que les premiers sécrètent une substance quelconque qui les protège contre l'agression des phagocytes. Ce fait confirme donc la règle d'après laquelle le parasite, évité par les phago- cyles, se propage sans obstacles et finit par tuer l'animal. Cepen- dant, dans des cas très rares, j'ai pu observer que les leucocytes dévoraient l’agresseur, mais seulement dans son état de spore (Hg. 28, 30); c’est ce que j'ai également constaté pour la pébrine des Daphnies, et tout cela confirme l'opinion que les états végé- tatifs sont doués d’une faculté spéciale de résistance à l’action des phagocytes, faculté absente dans l’état mür du parasite. Puisque je suis amené à parler de cette théorie des phago- cytes, je voudrais m'arrêler en terminant sur une objection récemment exprimée par MM. Roux et Chamberland (Noir : An- nales, n° 12, 1887) dans leur remarquable travail sur l’immunité obtenue par l'injection des substances chimiques. Ces auteurs expliquent le fait d'une pareille immunité, bien constatée par eux, par l'existence d'une matière antiseptique qui rend l’orga- nisme impropre à la culture des bactéries infectieuses. Mais on pourrait supposer aussi bien l'adaptation des cellules de l'or- ganisme, et notamment des phagocytes, à l'influence nuisible de substances sécrétées par les parasites, conformément à l'o- pinion de M. Hesse, exprimée dans son mémoire publié dans les Archives de Virchow (T. CIX, p. 385). Pour résoudre la question d’une manière précise, il serait intéressant de recher- cher si le vibrion septique serait apte à végéter pendant un certain temps, à l’abri des phagocytes, dans l'humeur aqueuse 170 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. de l'œil des cobayes réfractaires, comme c’est le cas pour d'autres exemples d'immunité naturelle ou acquise. Ainsi le premier vaccin du charbon se cultive parfaitement dans la cham- bre antérieure de l'œil des moutons devenus réfractaires à des doses considérables du virus fort. De même le bacille du rouget des pores, qui disparaît en peu d'heures après l’inoculalion sous la peau des chiens, croît dans la chambre antérieure et produit un hypopyon chez les mêmes animaux ; j'ai observé les mêmes phénomènes après l’inoculation du premier vaccin du rouget des pores sous la peau et dans l'œil des lapins. EXPLICATION DE LA PLANCHE Î. Les dessins ont été faits par moi à l’aide de la chambre claire de M. Nachet, et je dois les photographies à l’obligeance de M. Roux. Les fig, 1, 28, 29 et 30, ont été dessinées avec le grossissement fourni par l'Oc. 4 et l’obj. 9 de Hartnack, les autres figures avec l’Oe. 4 et le sys- tème à l'huile 1/18 de Zeiss. Fig. 1. Quatre colonies de Pasteuria ramosa de l'intérieur d'une seconde antenne de Daphnia pulex. Dessiné d’après le vivant. Fig. 2. Coupe optique d’une colonie de la même espèce. Dessiné d’après le vivant. Fig. 3 à 8. Différents états de division longitudinale des petites colonies de Pasteuria ramosa. Fig. 9 et 10. Colonies composées chacune de quatre individus. Fig. A et 12. Colonies constituées chacune par deux individus. Les fig. 3 à 12 ont été dessinées d’après des préparations colorées par la fuchsine. Fig. 13. Un individu isolé, dessiné d'après le vivant. Fig. 14 à 17. Individus isolés, dessinés d’après des préparations colorées par la fuchsine. Fig. 18 à 23. Six états du développement de la spore, dessinés d'après le vivant, Fig. 24 à 27. Quatre états de sporulation, d'après des préparations à coloration double (fuchsine-aniline et bleu de méthylène). Fig. 28. Un leucocyte de! Daphnia pulex rempli d'individus sporifères de Pasteuria, dessiné d’après le vivant. Fig. 29. Le même leucocyte, pris dix minutes plus tard. Fig. 30. Un autre leucocyte du même animal. Pour les photogrammes I à IV, voir le texte. SUR UN PROCÉDÉ PBRFRCTIONNÉ D'ANALYSE BACTÉRIOLOGIQUE DE L'AIR, Par MM, I STRAUS ET KR, WURTZ. Il Les procédés employés pour la détermination et la numéra- tion des germes de l'air sont déjà très nombreux ; leur multi- plicité même montre qu'aucun d’eux n’est irréprochable. L’ex- posé de tous ces procédés nous entraiînerait trop loin; nous indiquerons seulement les plus importants, renvoyant pour les détails à la monographie remarquable de M. Miquel : et au récent mémoire de M. Petri *, où l'historique de la question est traité avec soin. Les méthodes actuellement employées peuvent, en somme, èlre ramenées à deux types fondamentaux, selon que l’on a recours aux milieux de culture liquides ou aux milieux solides. Les premières recherches précises sur les organismes de l'air sont dues à M. Pasteur ; elles sont consignées dans son mémoire célèbre «sur les corpuscules organisés qui existent dans Patmo- sphère » #, M. Pasteur faisait passer, à l’aide d’un aspirateur, de l'air à travers des bourres de coton nitrique ; ces bourres étaient ensuite dissoutes dans un mélange d’alcoolet d'éther et donnaient un collodion laissant déposer, par décantation, les poussières atmosphériques arrêtées au passage. Ce sédiment était examiné au microscope et révélait la présence de spores de champi- gnons. En outre, en introduisant ces bourres dans un bouillon nutritif dûment stérilisé, M. Pasteur y constata le développement 1. Des organismes vivants de l'atmosphère, Paris, 1883; voy. aussi la série des mémoires du même auteur publiés dans l'Annuaire de Montsouris. 9. Nouvelle méthode de recherche et de numération des bactéries et des spores de moisissures de l'air (Zeïitschr. f. Hygiene, 1887, t. III, p. 1-146). 3. Pasreur. Mémoire sur les corpuscules organisés qui existent dans l’atmosphere (Annales de chimie et de phys., t. LXIV, 1862, p. 1-110, et Comptes rendus, 1865, t. LVI, passim). 172 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. de bactéries et de moisissures. Plus tard, il imagina une mé- thode plus parfaite, consistant à faire arriver dans un certain nombre de ballons renfermant du bouillon stérilisé. et dont on cassait la pointe au moment de l’expérience, un volume déter- miné d'air; d’après la proportion des ballons qui se troublaient et de ceux qui restaient stériles, on concluait au nombre de germes contenus dans l’air. C'est de celle méthode que dérivent celles qui ont été employées par M. Miquel dans les patientes recherches qu'il poursuit depuis longtemps à l'observatoire de Montsouris. Sans entrer dans le détail des perfectionnements successifs que M. Miquel lui a fait subir, sa méthode revient, en dernière analyse, à faire barbotter à travers des ballons à deux tubulures une quantité déterminée d'air. Le nombre des ballons pour chaque essai d'air est d'environ une trentaine; et il importe de faire passer, à travers chacun de ces ballons, une quantité d’air telle que, sur la totalité de ces ballons placés ensuite à l’étuve, la moitié seulement se trouble. On suppose que chacun des ballons troublés n’a reçu qu’un seul germe, et du nombre des ballons qui se sont troublés on déduit le nombre des germes que renferme le volume d’air ayant traversé tous les ballons. Ce procédé qui, entre les mains de M. Miquel, a donné des résultats dont on ne saurait méconnaître l'importance, présente de sérieux inconvénients. Il nécessite, pour chaque expérience, des manipulations et un outillage compliqués, l'emploi d'un grand nombre de ballons et d’une notable quantité de bouillon. On suppose en outre, sans en fournir la démonstration, que lorsqu'un ballon se trouble, ce trouble n’est dû qu’à l’'ensemen- cement d'un seul germe; or l'expérience tend au contraire à montrer que les germes des bactéries existent dans l'air, non pas par unités, mais par agglomération de plusieurs germes. Les résultats obtenus par cette méthode peuvent donc être très ins- tructifs en fournissant des chiffres comparables entre eux, mais on ne peut guère attribuer à ces chiffres une valeur absolue. Dès que M. Koch eut imaginé la culture sur milieux solides, il l'appliqua à l'analyse bactériologique de l’air. Une capsule de verre renfermant de la gélatine stérilisée et ayant fait prise, es exposée, pendant un temps déterminé, à l'air ; puis on laisse aux colonies le temps de se développer, on les compte et on les ANALYSE BACTÉRIOLOGIQUE DE L'AIR. 173 examine. Utile comme moyen d'orientation, ce procédé ne peut servir à une détermination précise du nombre des microbes de l'air. Le procédé de M. Hesse !, dérivé de celui de M. Koch, cons- liltue un progrès notable. Il consiste, comme l’on sait, à faire cheminer une quantité d'air déterminée, à l’intérieur d’un tube de verre, sur la paroi interne duquel à été étalée et a fait prise une mince couche de gélatine nutritive. L'air doit progresser assez lentement à l’intérieur du tube, et celui-ci doit avoir une longueur suffisante pour que tous les germes aient le temps de se déposer. Les numérations faites par M. Hesse et après lui par plusieurs observateurs qui eurent recours à sa méthode, par M. Fischer notamment, ont donné des résultats intéressants. Ils nous ont appris, entre autres particularités, que les spores des moisissures sont plus légères que les germes des schizomycètes (les colonies de moisissures se développent généralement plus loin du point d'entrée de l’air dans le tube que les colonies de bactéries). Mais la méthode de Hesse comporte, elle aussi, plusieurs inconvé- nients. L'appareil est encombrant, difficile à stériliser. Les sermes, au lieu d'être incorporés à la gélatine, sont simplement déposés à sa surface, qui peut être plus ou moins sèche et raccornie : d'où la possibilité qu’un certain nombre d’entre eux n'arrivent pas à développement. L'examen microscopique des colonies est très difficile, vu le gros diamètre du tube; il en est de même de la cueillelte des colonies à l’aide du fil de platine. Enfin, la plus grave des objections que nous faisons à cette méthode est la lenteur que demande la prise d'air. La vitesse maxima avec laquelle l'air peut cheminer dans le tube étant d'un litre en trois minutes, l'examen ne peut porter que sur de pelits volumes d’air : circonstance très fâcheuse, puisque en ramenant les résultats au mètre cube d'air, le multiplicateur devient très grand et les erreurs se trouvent elles-mêmes multpliées par un gros chiffre. La longue durée de chaque expérience est aussi un inconvénient, à cause de la perte de temps, et surtout parce que les conditions atmosphériques que l'on veut étudier peuvent varier elles-mêmes pendant la durée de l'expérience. {. Sur la détermination quantilative des micro-organismes contenus dans l'air (Mittheil. a. d, k, Gesundheitsamte. Bd. I, p- 182). 174 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Les défectuosités de cette méthode en ont fait naître d’au- tres : parmi celles-ci nous mentionnerons seulement celle de M. Frankland et celle de M. Petri ; toutes deux sont basées sur le principe suivant : employer une bourre filtrante et incorporer ensuite celte bourre à du bouillon gélatinisé. M. Frankland emploie une bourre de coton de verre, el fait faire prise à la géla- tine sur la paroi intérieure d’un ballon de verre, à la façon d'un tube d'Esmarch'. Son procédé offre aussi des désavantages; la division parfaite de la bourre de coton de verre est difficile à obtenir, etson mélange avec la gélatine forme une couche laiteuse au milieu de laquelle les colonies sont difficiles à apercevoir. M. Petri, au lieu d’une bourre de coton de verre, emploie un double filtre formé de sable fin emprisonné entre deux culots de toile de cuivre à mailles très fines, le tout engagé dans un tube de verre. L'air, aspiré par une trompe ou une pompe à main, est obligé de traverser le filtre de sable, et s’y dépouille de tous ses germes. Le sable ainsi que les culots de toile de cuivre sont ensuite répartis dans des godets de verre et arrosés de gélatine nutritive; on compte les colonies qui se développent, comme pour une culture sur plaques. On trouvera dans le travail très complet de M. Petri la description minutieuse de son procédé et la comparaison qu’il en fait avec les procédés antérieurement employés. Nous l'avons nous-mêmes employé et nous lui avons aussi reconnu quelques inconvénients : le dispositif de l'appareil ne laisse pas que d’être compliqué, les culots de toile de cuivre devant être minutieusement calibrés et ajustés, pour ne pas permettre la fuite du sable. Mais l’objection principale que l’on peut faire à cette méthode est la suivante : le passage de l’air à travers deux filtres de sable fin de 3 centimètres de hauteur chacun nécessite, pour avoir une vitesse convenable, une ‘aspiration puissante, d'où l'impossibilité de recourir à un simple aspirateur et la nécessité de recourir à la pompe à main ou à une trompe. Il La méthode que nous avons employée consiste, en dernière x analyse, à faire barbotter un volume déterminé d'air à travers 4. FRANKLAND (Percy). Proceedings of the R. Soc. Vol. XI, p. 443; voir l'analyse de ce travail dans ces Annales (t. I, p. 315); voir en outre Zeitschr. [. Hyg., A887, t. ILL, ANALYSE BACTÉRIOLOGIQUE DE L'AIR. 179 de la gélaline nutrilive. L'idée de recourir à un procédé analogue avait déjà été plusieurs fois émise; il existe même des essais tentés dans cette direction, notamment par M. von Sehlen, dans ses recherches sur l’air des régions palustres en Italie ‘. Mais les résultats ainsi obtenus ont été peu satisfaisants, pour plusieurs raisons qui seront développées plus loin, et les procédés basés sur la méthode du barbottage à travers la gélatine nutritive ont été presque universellement délaissés. Notre appareil à barbottage se compose d’un tube de verre A, avec un fort renflement cylindrique à sa partie moyenne, et mesurant 15 millimètres de diamètre à ses deux extrémités. Ce tube reçoit la gélatine nutritive. Au fond de ce tube plonge un second tube B, de petit calibre, dont l'extrémité inférieure est finement effilée ; à la partie supérieure, il porte un renflement rodé, G, qui ferme hermétiquement le tube A. Celui-ci porte latéralement une tubulure de dégagement D, munie d’un étran- glement pour maintenir les bourres. 1. Etudes sur la Malaria (Fortschritte der Med., 1884, n° 18, p. 583). 176 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Pour se servir de l'appareil, on garnit d’ouate l’orifice supé- rieur (e) du tube B, ainsi que la tubulure de dégagement D, de chaque côté de l’étranglement, et on stérilise l'appareil par la chaleur sèche. Après avoir retiré lé tube intérieur B, on versedans le tube À 10 centimètres cubes de bouillon gélatiné, à 10 0/0, liquéfié à une douce chaleur. On a soin d'ajouter à la gélatine une goutte d'huile stérilisée. Cette dernière précaution est absolu- ment indispensable; elle empêche la gélatine de mousser pen- dant le barbottage et de sortir par le tube de dégagement. Le tout est stérilisé à l’autoclave à 115° pendant un quart d'heure, et l'appareil est dès lors prêt à servir. On tient, pendant toute la durée de l'opération, l'appareil à la main, pour que la chaleur de celle-ci empêche la gélatine de se solidifier. Par un tube de caoutchouc, on relie le tube latéral D à un aspirateur; puis on enlève la bourre qui ferme l'extrémité e. On fait alors fonctionner l'aspirateur à la vitesse voulue, eton fait barbotter à travers la gélatine un nombre déterminé de litres d'air. Grâce à la présence de l'huile, les bulles formées par le passage de l'air à travers leliquide sont très fines et la mousse très peu accusée, quelle que soit la vitesse de ce passage. I en résulte que l’on peut ainsi faire barbotter un volume notable d'air pen- dant un temps relativement court (50 litres en un quart d'heure). L'opération terminée, on replace la bourre en e, puis, en souf- flant par la tubulure latérale D, on fait monter, à diverses reprises, la gélatine à l'intérieur du tube A, pour entrainer les germes qui ont pu y rester adhérents. Cela fait, on retire la bourre de sûreté /, et à l'aide d’un fil de platine stérilisé on pousse à l'in- térieur du tube A la bourre g. On replace la bourre de sûreté et on agite doucement et à diverses reprises l'appareil, pour répar- tir dans la gélatine les germes qui, ayant échappé au barbottage, ont été retenus par la bourre g*. On peut alors procéder de deux façons, selon que l’on veut employer la méthode de culture sur plaques, d’après M. Koch, ou que l’on veut utiliser le tube A à la façon d'un tube d'Esmarch. Dans le premier cas on aspire par le tube B, gradué à cet effet, 2 centimètres cubes de gélatine que l’on étale sur une plaque; la gélatine totale donne ainsi cinq plaques. On laisse les 1. L'appareil a été construit sur nos indications, par M. Leune, 31, rue des Deux-Ponts. 3 ANALYSE BACTÉRIOLOGIQUE DE L'AIR. 114 colonies se développer et on procède à leur numération, absolu- ment comme cela se fait pour l'analyse de l’eau. En addition- nant les colonies développées au bout de 4 à 5 jours sur les 5 plaques, on a le nombre de germes de schizomycètes et de moisissures (susceplibles de se développer sur la gélatine) que renferme le volume d'air ayant traversé l'appareil‘. L'autre procédé est plus expéditif et a l'avantage de mettre à l'abri de toute contamination ultérieure par les germes de l’air. Il consiste à répandre la gélatine, après le barbottage, à la face interne du tube A et à la faire prendre rapidement en plaçant l'appareil horizontalement, et en le faisant tourner sous le jet d’un robinet d’eau froide. — C’est alors une variante du tube d'Esmarch ; mais nous donnons la préférence à la méthode des plaques qui permet mieux l'examen des colonies. Pour ne pas trop allonger ce travail, nous ne relaterons que quelques-unes des nombreuses expériences comparatives que nous avons faites dans les salles de l'hôpital Saint-Antoine et dans le laboratoire de pathologie de la Faculté. EXPÉRIENCE x1. 1887, salle Roux, hôpital de Saint-Antoine. T, 46°. H. 759, (Méthode de Hesse.) 10 litres d'air passent en 30 minutes à travers un tube de Hesse de 4 centimètres de diamètre et de 75 centimètres de long. Au bout de 4 jours, on compte 53 colonies de bactéries et 4 de moisissures. Expérience comparative avec la méthode de barbottage. On fait passer, dans la même salle, au même moment, dans l'appareil à barbottage placé à côté du tube de Hesse, 10 litres d'air. L'expérience a duré 9 minutes. Au bout de # jours, les plaques donnent 335 colonies de bactéries et 15 de moisissures. EXPÉRIENCE x11. Hôpital Saint-Antoine, salle Marjolin. T. 190. H. 757. (Méthode de Hesse.) 10 litres d'air passent en 30 minutes à travers le tube de Hesse. Au bout de 4 jours, on compte 85 colonies de bactéries et 20 moisissures. (Méthode de barbottage.) 10 litres d'air barbottent en 10 minutes à travers l'appareil. La numération sur les plaques donne au bout de 4 jours 355 co- lonies de bactéries et 4 moisissures. EXPÉRIENCE xx. Hôpital Saint-Antoine, salle Roux. T. 190. H. 758. (Méthode de Hesse.) 10 litres d'air passent en 30 minutes à travers un tube de 3,5 centimètres de diamètre et 75 centimètres de longueur. Au bout de 4 jours, on note le développement de 100 colonies bactériennes et de à moisissures. 1. Pour que la numération soit absolument rigoureuse, il faut avoir soin de laisser la très petite quantité de gélatine qui reste dans l'appareil faire prise et compter les quelques colonies qui peuvent encore s’y développer. On ajoutera ce chiffre à celui qui est fourni par les plaques. 178 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. (Méthode de burbottage.) Les plaques montrent, au-bout de 4 jours, 531 colonies bactériennes et 8 moisissures. Expérience xvu. 145 février 1888, laboratoire de la Faculté !. T. 440. H. 764. (Méthode de Frankland.) 50 litres d’air passent en 15 minutes à travers les bourres de coton de verre; l'aspiration se fait au moyen de la trompe à eau. Les ballons de gélatine où les bourres ont été semées ont donné, au bout de 4 jours, 95 colonies bactériennes et 20 de moisissures. (Méthode de barbottage.) 50 litres d'air passent au même moment, et également en 45 minutes, à travers l'appareil à barbottage. Les plaques donnent au bout de #4 jours 141 colonies bactériennes et 15 moisissures. ExPÉRIENCE xvux. 46 février 1888, laboratoire de la Faculté de médecine. 12420-H00101 (Méthode de Frankland.) 50 litres d'air passent en 13 minutes sur les bourres en coton de verre; celles-ci, noyées dans deux ballons contenant de la gélatine, donnent, au bout de #4 jours, 80 colonies bactériennes et 39 moisissures. (Méthode de burbottage.) En même temps, et également en 43 minutes, 50 litres d'air barbottent dans notre appareil. Les plaques donnent au bout de 4 jours 125 colonies bactériennes et 29 moisissures. ExPÉRIENCE xx. 49 février 1888, laboratoire de la Faculté. T. 12. (Méthode de Petri.) 50 litres d'air passent en 12 minutes à travers les filtres en sable, à l’aide de la trompe d’Alvergniat. Des godets de gélatine ensemencés avec le sable chargé de germes montrent, au bout de 3 jours, 91 colonies de bactéries et 95 moisissures (la fenêtre de la pièce était ouverte pendant la durée de l'expérience, de là sans doute le grand nom- bre de moisissures). (Méthode de burbottage.) Simultanément et pendant le même espace de temps, on fait barbotter 50 litres d'air à travers notre appareil; les plaques, au bout de 3 jours, donnent 485 colonies de bactéries et 91 moisissures. ExPÉRIENCE xx. 21 février 1888, laboratoire de la Faculté. T. 130. (Méthode de Petri.) 50 litres d'air passent en 14 minutes à travers l’ap- pareil de Petri; l'aspiration est faite par la trompe d'Alvergniat. Les godets à gélatine donnent au bout de 4 jours 88 colonies bactériennes et 65 moi- sissures. (Méthode de barbottage.) 50 litres barbottent en 1% minutes à travers notre appareil, au même moment que se fait l'expérience précédente. Les plaques, au bout de 4 jours, donnent 179 colonies bactériennes et 43 moi- sissures. ExPÉRIENCE xxIV. 24 février 1888, laboratoire de la Faculté. T. 43, H. 753. (Méthode de Petri.) On fait passer, à l’aide de la trompe, 50 litres d'air à travers le filtre de sable; les godets ensemencés avec le sable chargé des 1. La pièce du laboratoire où ces expériences ont été faites est humide, froide et peu fréquéntée. — Les volumes d'air ont été mesurés à l'aide d'un compteur à gaz. ANALYSE BACTÉRIOLOGIQUE DE L'AIR. 179 germes ont donné, au bout de 4 jours, 40 colonies bactériennes et 9 moi- à issures. (Méthode de barbottage.) Au même moment et pendant le même temps 50 litres d’air barbottent à travers notre appareil; les plaques au bout de = 4 jours ont donné 8% colonies bactériennes et T moisissures, III Dans le procédé qui vient d’être exposé, se trouvent écartés la plupart des inconvénients qui ont fait rejeter jusqu'ici l’em- ploi de procédés analogues. Le plus grave de ces inconvénients tient à ce que l’air, en barbottant à travers un liquide albumi- neux, y forme des bulles très volumineuses, qui remplissent rapidement et débordent l'appareil, d’où l'impossibilité de faire barbotter des quantités notables d'air avec une vitesse suffi- sante. Grâce à l’artifice employé par nous, de l'addition d’une goutte d'huile, nous avons supprimé complètement cet obstacle. L'émulsion très fine que l'huile forme avec le liquide lui donne, il est vrai, un aspect opalescent ; mais c'est là, pour les cultures sur plaques surtout, un inconvénient négligeable, rien n'étant plus facile que de distinguer au microscope les gouttelettes d'huile d'avec les colonies naissantes. La bourre de coton placée à l’intérieur de la tubulure de sortie de l'air retient les germes qui ont pu échapper au barbottage et donne à celui-ci toute la sécurité nécessaire. Du reste nous avons pu nous assurer, en semant ces bourres à part dans de la gélatine stérilisée, qu’elles ne donnent en général naissance, même quand de grandes quantités d’air ont barbotté rapidement à travers le liquide, qu’à quelques colonies de bac- téries ou de moisissures. Le barbottage retient donc la grande majorité des germes de l'air. On a aussi exprimé la crainte, formulée surtout par M. Flügge, que pendant la durée du barbottage les germes déposés dans le liquide nutritif n'aient déjà le temps de se mul- tiplier, ce qui fausserait nécessairement les résultats de l'expé- rience. On pourrait être tenté d'expliquer ainsi les chiffres plus élevés que nous avons obtenus avec notre procédé, comparative- ment aux autres. Il n’en est rien. Nous nous sommes assurés qu’alors même que le barbottage dure près d’une heure, le nom- bre des organismes n’augmente pas sensiblement dans le liquide. Si l'expérience devait se prolonger davantage, on pourrait aisé- 180 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. ment obvier à ce danger. Le barbottage, au lieu de s’effectuer dans du bouillon gélatiné, qui pour rester liquide doit être main- tenu à une température de 25°, peut se faire dans du simple bouillon que l’on maintient à 0°, en plaçant l'appareil dans la glace. Le barbottage terminé, on ajoute à ce bouillon un vo- lume égal de gélatine nutritive stérilisée, on mélange et on fait les plaques. | La méthode employée par nous présente sur celles qui ont été suivies jusqu'ici plusieurs avantages. L'appareil est très simple et facilement maniable. Il permet de recueillir tous les germes d'un volume considérable d'air, dans un temps relative- ment court, condition éminemment favorable pour les recherches météorologiques. L'opération peut s'effectuer sur de l’air animé des vitesses les plus différentes et à l’aide des pressions les plus variables. Enfin, la méthode est d’une sensibilité plus grande que les autres, c'est-à-dire qu’elle permet de déceler, toutes choses égales d’ailleurs, un plus grand nombre de colonies bacté- riennes que celui que l’on obtient par les autres procédés‘. Cela tient sans doute à ce que les germes des bactéries ne se trou- vent pas dans l’air à l’état d'individus isolés, mais sous forme d'agrégats de plusieurs individus. Dans les procédés de M. Hesse, M. Petri et M. Frankland, ces agrégats ne sont pas dissociés ou le sont insuffisamment; ce résultat est obtenu avec beaucoup plus de sûreté, grâce au barbottage très intime auquel l'air est soumis dans notre procédé; de là sans doute les chiffres plus considérables auxquels nous sommes arrivés dans les expé- riences comparatives. La méthode employée par nous, ainsi que celle de nos pré- décesseurs, ne saurait avoir la prétention de déceler tous les germes vivants répandus dans l’atmosphère. Beaucoup d’entre eux, qu'il s'agisse de spores de moisissures ou de germes de bactéries, n'arrivent sans doute pas à développement parce que le milieu de culture qui leur est ainsi offert ne leur est pas con- venable. Les organismes exclusivement anaérobies notamment demandent, pour être mis en évidence, de tout autres procédés ; nous aurons à revenir sur ce point dans un travail ultérieur. 1. Cela est vrai pour les colonies bactériennes seulement et non pour les moi- sissures, pour lesquelles cette méthode ne saurait revendiquer de supériorité. Cela tient à çe que, très probablement, les spores des moisissures flottent isolées dans l'air. SUR L'ABSENCE DE MICROBES DANS L'AIR EXPIRE Par MT STE AUS: Lister, le premier, fut frappé de ce fait remarquable que, dans les fractures simples des côtes, avec pénétration du poumon par l’un des fragments osseux, le sang épanché dans la cavité pleurale, quoique librement mélangé à l’air, ne subit pas de décomposition et ne donne pas naissance à l’'empyème. Il arrive même quelquefois, dans cette variété de pneumo-thorax, que l’air s’infiltre sous la plèvre pariétale, envahit les médiastins et distend le tissu cellulaire du corps tout entier, sans que cepen- dant cet accident inquiète sérieusement le chirurgien. Lorsqu'au contraire l’air pénètre dans la plèvre par une plaie extérieure, une plaie pénétrante de la poitrine, l'empyème est la règle avec toutes ses conséquences redoutables. « La raison pour laquelle, dit Lister, l'air introduit dans la cavité pleurale, quoique à travers un poumon blessé, produit des effets tout différents de l'air pénétrant directement par une blessure, fut pour moi un mystère, jusqu'à ce que, grâce à la théorie des germes, je com- pris qu'il est naturel que l'air füt filtré par les bronches, dont un des offices est d'arrêter les particules de poussière inhalées et de les empêcher d'entrer dans les vésicules pulmonaires. » Tyndall s'appliqua à établir expérimentalement l'exactitude de l'explication de Lister ; il eut recours, pour cela, au pro- cédé imaginé par lui pour démontrer que les gaz privés de par- licules solides sont incapables de disperser la lumière. Il s'as- sura que l’air expiré (ou plus exactement les dernières portions d’air provenant de l'expiration) est opfiquement pur, c'est-à- dire que cet air, traversé par un faisceau lumineux, ne manifeste pas de traînée lumineuse dans une chambre noire. « Projetant, dit-il, dans une chambre sombre et dans de l'air chargé de ses 12 182 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. poussières, un puissant rayon lumineux, et respirant à l’aide d'un tube de verre (le tube employé fut un verre de lampe, chauffé pour prévenir la condensation de l’haleine) à travers le foyer, j'observai d'abord une diminution de la lumière disper- sée; mais, vers la fin de l'expiration, la trace blanche du rayon fut brisée par une brèche parfaitement noire, dont la teinte tranchée était due à l’absence totale, dans l’air expiré, de ma- tières quelconques capables de disperser la lumière. Les portions plus profondes des poumons se montrèrent ainsi être remplies d’air optiquement pur’. » Récemment, M. W. Dubreuil et moi, nous avons cherché à appliquer à cette recherche des microbes dans l'air expiré les méthodes bactériologiques, bien autrement délicates que le moyen d'investigation physique auquel avait eu recours Tyndall. Pour cela nous nous sommes servis de flacons à deux tubulures, remplis de bouillon alcalinisé et stérilisé. L'un des tubes, par lequel arrivait l’air expiré, était effilé à son extrémité inférieure qui plongeait au fond du liquide; l'air expiré barbottait ainsi, en bulles très fines, à travers une couche épaisse de bouillon. Les séances d'expiration élaient d'environ une demi-heure pour chaque flacon; les flacons étaient ensuite mis pendant plusieurs jours à l’étuve à 35°. Le plus grand nombre de ces flacons demeu- rèrent stériles ; quelques-uns seulement se troublèrent par des micro-organismes ou laissèrent se développer des moisissures. Une partie, sans doute, de ces cas exceptionnels étaient attri- buables à des fautes de manipulation (projection d'un peu de salive, expiralion trop brusque, ete.) ?. Depuis la publication de cette note, nous avons eu connais- sance d'un travail de M. Gunning (d'Amsterdam)*, datant de 1882 et publié dans un journal d'oculistique. Dans ce travail, M. Gunning relate des expériences instituées à peu près de la même façon que les nôtres, et qui lui ont donné les mêmes résul- tats : il arrive à cette conclusion que « l'air expiré ne contient pas de micro-organismes capables de provoquer la putréfaction des liquides stériles à travers lesquels on le fait passer ». 1. Tyxpai. Les Microbes, trad. française par Dollo, Paris, 1882, p. 52. 2, Srraus et W. Dusreutr. Sur l'absence de microbes dans l'air expire (C. KR de l'Acad. des sciences, 1887, séance du 5 décembre). 3. Guxxixc. Werden mit der Expirationsluft Bacterien aus dem Kôrper ent- hufrt? (Klin. Monatsblatter F. Augenheilkunde, 1822, p. 1.) ABSENCE DE MICROBES DANS L'AIR EXPIRÉ. 183 Ces expériences, on le voit, tendent à établir que l’air prove- nant de l'expiration est à peu près complètement privé de germes ; toutefois, elles comportent un certain nombre d’objec- tions qui en diminuent la valeur : le barbottage, tel que M. Gunning et nous l'avons employé, n'arrête pas avec cerlitude toutes les particules solides que l'air peut charrier; nous avons négligé l'emploi d’une bourre de coton placée sur le trajet de sortie de l'air, destiné à recueillir ces particules, bourre qu'on devait ensuite plonger dans le bouillon de culture. Enfin, le milieu de culture liquide auquel nous avions recours ne permettait pas la numération exacte des germes que l'air expiré pouvait contenir. Toutes ces lacunes ont pu être remplies, grâce à l’empioi du procédé de numération des germes de l'air exposé dans le mémoire précédent. Je renvoie le lecteur à ce mémoire pour la description du procédé emplové, et je donne immédiatement les résultats que j'ai obtenus en pratiquant par ce procédé l'analyse bactériologique de l'air expiré. Les expériences ont été faites dans des salles de l’hôpital Tenon dont l'air était chargé de germes. Chaque expérience comprenait deux recherches. On déterminait la richesse en germes d'un volume déterminé d'air, qui barbottait à travers l'appareil à l'aide d'un aspirateur. Au même moment, l'expéri- mentateur placé tout à côté du premier appareil faisait passer à travers un deuxième appareil, identique au premier, le même volume d'air sortant de ses poumons et mesuré, après sa sortie de l'appareil, à l’aide d’un compteur à gaz. Le barbottage fini, on avait soin d’aspirer, à différentes reprises, la gélatine à l’in- térieur du tube B, de façon à balayer les germes qui auraient pu se fixer à sa paroi. Toutes les précautions étaient prises pour que la bouche de l'expérimentateur n’envoyât pas de salive par l'orifice d'entrée de l'air. Cette entrée s’effectuait par le tube B de l'appareil, légèrement recourbé à cet effet. La tubulure de sortie de l'air était munie d’un tampon d’ouate destiné à retenir les germes qui auraient pu échapper au barbottage. Ce tampon était repoussé et agité dans la gélatine, à la fin de l'expérience. L’expiration se faisait naturellement et sans effort, et la fotalité de l'air expiré barbottait à travers la gélatine, L'expérience terminée, la gélatine des appareils était répandue 184 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. sur des plaques et les colonies comptées au bout de trois ou quatre jours. Voici les résultats ainsi obtenus. Expérrexce 1. Hôpital Tenon, salle Béhier, le 8 décembre 1887. T. 140. a. On fait passer en 28 minutes 50 litres d’air, à l’aide d’un aspirateur. Au bout de 4 jours, les plaques donnent 1,035 colonies, dont 34 moisissures. b. En même temps, on expire à travers un second appareil placé à côté du premier, 30 litres d'air. Les plaques ont donné au bout de 4 jours 2 colonies (pas de moisissures). Expérience 11. Salle CI. Bernard, le 9 décembre. T. 150. a. On fait passer en 23 minutes 50 litres d'air; au bout de 3 jours, les plaques donnent 765 colonies dont 28 moisissures. b. On expire, au même moment, 50 litres d'air, qui barbottent à travers un appareil placé à côté du premier. Les plaques, au bout de trois jours, donnent 2 colonies (pas de moisissures). ExPÉRIENCE ut. Salle Béhier, 11 décembre. T, 130. a. On fait passer à l’aide d’un aspirateur, en 30 minutes, 50 litres d'air. Les plaques, au bout de 4 jours, donnent 975 colonies, dont{23 moisissures. b. En même temps, on fait passer à travers un deuxième appareil, 50 litres d'air expiré. Les plaques révèlent au bout de 4 jours 1 colonie. ExPÉRIENCE 1V. Parloir des malades, 15 décembre 1887. T. 46°. a. En 17 minutes, on fait barbotter à travers l'appareil 50 litres d'air. Les plaques donnent au bout de 3 jours, 880 colonies, dont 18 moisissures. b. 50 litres expirés au même moment, à travers un autre appareil, donnent au bout de 3 jours, 1 colonie, ExPÉRIENCE v. Salle CI. Bernard, 16 décembre. T. 140. On a fait balayer la salle pendant toute la durée de l'expérience, et battre les rideaux et les édredons des lits, de facon à soulever beaucoup de poussière, a. 50 litres d'air ont passé en 27 minutes; au bout de 4 jours, les plaques donnent 11,690 colonies, dont 325 moisissures. b. Au même moment, 50 litres d'air sont expirés à travers un appareil voisin du premier. Les plaques donnent 26 colonies au bout de 4 jours. ExPÉRIENCE vi. 48 décembre, salle C1. Bernard, T. 45°, On soulève la poussière comme dans l'expérience précédente, après avoir fait gratter les fentes du parquet. a. 50litres d'air de la salle, ainsi chargé d'un véritable nuage de poussière, ont passé à travers l'appareil en 22 minutes. Au bout de 3 jours, les plaques donnent 23,305 colonies, dont 833 moisissures. b. 50 litres d'air inspirés dans ce milieu si chargé de poussière, sont expirés dans un deuxième appareil; les plaques montrent 59 colonies au bout de 3 jours. EXPÉRIENCE vi. Salle Béhier, 149 décembre. T, 16°. a. 50 litres d'air barbottent à travers un appareil en 23 minutes; les plaques donnent, au bout de 4 jours, 1,470 colonies, dont 67 moisissures. b. 50 litres d'air expirés au même moment dans un autre appareil donnent sur les plaques, au bout de 4 jours, 2 colonies. ABSENCE DE MICROBES DANS L’AIR EXPIRÉ. 185 EXPÉRIENCE Vin. Dans un couloir de l'hôpital, le 20 décembre. T. 140. a. 50 litres d'air barbottent pendant 20 minutes à travers notre appareil: Les plaques, après 4 jours, donnent 1,330 colonies, dont 42 moisissures. b. 50 litres d'air expiré, au même temps, à travers un deuxième appareil, donnent sur les plaques, après 4 jours, 2 colonies. Voici an tableau qui résume les résultats de ces numérations comparalives ramenés au mètre cube Œar. GERMES CONTENUS DANS UN MÈTRE CUBE D’AIR AIR AMBIANT AIR EXPIRÉ RAPPORT 20.700 40 SA UE 15.300 40 302 : 19.500 20 975 : 17.600 20 880 : 233.800 220 449 : 466.100 (!) 1.180 390 : 24.400 40 610 : 26.600 40 665 : = me me pie Me mie pie pe On voit donc qu'en moyenne, sur 609 germes de bactéries ou spores de moisissures qui pénètrent dans les poumons avec l'air inspiré, 1 seul germe en ressort avec l'air expiré. Je ferai remarquer que mes expériences ont porté sur la totalité de l'air qui sort des poumons à chaque expiration et non pas, comme dans l'expérience de Tyndall, sur les dernières portions de chaque expiration seulement. D'autre part, malgré toutes les précau- tions prises, il est certain que toutes les causes de contamina- uon de l'air expiré, pendant la durée du barbottage et lors de l'établissement des plaques, n’ont pu être écartées, ce qui a dù nécessairement forcer un peu le chiffre des colonies obtenues sur les plaques. Ces expériences démontrent donc nettement que l'air expiré est presque complètement privé de germes. Le poumon joue donc réellement, pour ces germes, le rôle de filtre que Lister lui attribue. L'air en cheminant, pendant l'inspiration et pendant l'expiration, dans des canaux d’une étroitesse croissante et tapissés par un épithélium humide, se dépouille de la presque totalité des particules solides qu'il avait entraînées avec lui. Les voies respiratoires supérieures, les parois humides de l’isthme 186 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. du gosier, de la bouche, et les anfractuosités sinueuses des fosses nasales y contribuent aussi pour leur part. Il en résulte que l’air quitte les poumons optiquement pur, comme l’a montré Tyndall, et aussi bactériologiquement pur. Il ne faut donc plus s'étonner que les recherches ayant pour but de retrouver dans l'air expiré par les malades des microbes pathogènes aient toujours donné des résultats négatifs. M. Gran- cher notamment a fait un grand nombre d'expériences sur l’air expiré par les phtisiques; jamais il n’a pu y déceler la présence du bacille de Koch ou de ses spores. MM. Charrin et Karth, MM. Cadéac et Mallet ont fait des recherches analogues, sans plus de résultats. De l’ensemble de ces faits, il faut tirer la conclusion que les hommes ou les animaux, réunis dans un espace confiné, loin de souiller l'air par leur respiration, tendent au contraire à le purifier, en ce qui concerne les microbes. I doit nécessairement en être ainsi, puisque l'air, à sa sortie des poumons, renferme infi- niment moins de germes qu’à son entrée (plus de six cents fois moins, d'après mes numérations). Cette donnée n'infirme en rien le fait constaté depuis longtemps par tous les bactériologues, à savoir que les germes des microbes sont très abondants dans l'air des locaux encombrés (salles d'hôpital, casernes, etc.). L'acte de la respiration n’est pour rien dans ce phénomène; ce n’est pas par l'air qu'ils expirent, par leur haleine, que les hommes agelomérés chargent l'air ambiant de microbes ; c'est par leurs vêtements, par les poussières que leurs mouvements soulèvent, par leur expectoration désséchée sur le plancher et disséminée plus tard sous forme pulvérulente, que s'effectue la souillure de l'air par les microbes. La respiration des hommes ou des animaux apporte, dans un espace clos, son contingent de gaz nuisibles ; mais elle tend à purifier l'air des microbes qu'il contient. CONTRIBUTION À L'ÉTUDE NÉMÉTOLOGIQUE ET PATHOGÉNIQUE DE LA RAGE Par le Dr G. FERRÉ Professeur agrégé à la Faculté de médecine de Bordeaux. On sait que la rage peut se présenter sous deux formes bien distinctes : la rage des rues ou forme violente, et la rage paraly- tique. La première, affectant surtout l'homme, le chien, le pore, le cobaye, parcourt généralement trois périodes : 1° une période de tristesse ; 2° une période d’excitation, la plus longue, débu- tant par des accidents bulbaires ; 3° une période de paralysie, beaucoup plus courte que la précédente, quelquefois même com- plètement nulle, Dans la rage paralytique, affectant, dans certains cas, l'homme et le chien, mais dont le type est la rage du lapin et des oiseaux, la période dominante est la période paralytique. Pour un œil exercé, la période de tristesse y est visible ; il n’en est pas de même de la période d’excitation, qui peut passer inaperçue. Dans la rage paralytique de l'homme, cette dernière période a pu, il est vrai, être aisément constatée (voir thèse Ygouf, Paris 1887). Chez le lapin lui-même, elle est quelquefois très appa- rente; sur deux cents animaux inoculés par moi, j'ai vu deux lapins agités, essayant de mordre; mais la plupart du temps l'envahissement paralytique semble suivre immédiatement la période de tristesse. L'évolution de la rage paralytique se produit avec une régu- larité parfaite chez les lapins inoculés, après trépanation crà- nienne, par des passages successifs. C'est précisément chez ces animaux que l'examen de la respiration nous a révélé, parmi quelques faits intéressants, l'existence d’une accélération, compa- rable, au point de vue de la séméiologie générale, à la période d'excitation de la rage des rues. La comparaison est d’autant 183 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. plus plausible, que cette accélération précède immédiatement, nous le verrons, la phase paralytique, et qu’elle coïncide avec le début de la virulence dans les parties du bulbe tenant la respi- ration sous leur dépendance. Disons, toutefois, avant d'aller plus loin, que les analogies signalées ne le sont qu'entre la rage des rues et la rage paralytique donnée au lapin par trépanation. Des expériences en cours d'exécution nous apprendront si elles doivent être maintenues pour la rage paralytique du lapin ino- culé sous la peau. Les recherches dont nous donnons actuellement le résultat, ont été faites dans le laboratoire de MM. Jolyet, Oré et Viault, auxquels nous adressons tous nos remerciments pour leur gra- cieux accueil. Elles ont porté sur 24 séries de lapins allant du 16° au 39 passage d’un virus primitif de rage des rues. Elles ont été, en partie, déjà communiquées à la Société d'anatomie de Bordeaux, et notre première communication à cette Société date du 26 juillet 1887. 1. — RESPIRATION DU LAPIN RABIQUE INOCULÉ PAR TRÉPANATION, Nous l'avons déjà dit ; c'est l'examen de la respiration qui nous a permis de retrouver dans la rage paralytique typique et régulière l'équivalent de la période d’excitation de la rage des rues. Si l’on prend, en effet, régulièrement et jour par jour, les tracés respiratoires des lapins inoculés par trépanation, on peut constater chez ces animaux, à la suite d’une période d’incubation qui ne présente, comme nous le verrons plus loin, rien de bien caractéristique, l'apparition de deux phases très nettes dont la première élait restée inaperçue, et la seconde était plutôt soupçon- née que connue : 1° une phase d'accélération respiratoire, cor- respondant à la période d’excitation de la rage furieuse, et la représentant seule la plupart du temps ; 2° une phase de ralen- tissement respiratoire continu, aboutissant à la mort. Ralentissement respiratoire final. — Nous l'avons constaté dès le début de nos recherches. Nous l'avons souvent retrouvé depuis, et nous pouvons affirmer sa constance presque absolue. En effet, sar 28 animaux examinés à ce point de vue, iln’a man- ÉTUDE SÉMÉIOL OGIQUE ET PATHOGÉNIQUE D E LA RAGE. 189 qué qu'une seule fois. Il coïncide toujours avec la paralysie des membres. 11 laisse à la respiration sa régularité. (V. fig. 1.) Fig. 4. — Tracés respiratoires du lapin a'$. Dans tout ce mémoire, chaque lapin est désigné par une lettre italique marquant son rang d'inoculation dans la série ou le passage dont le numéro figure en exposant. I. — Tracé respiratoire avant l’inorulation. II. — Même tracé pris au commencement du Te jour. Début du ralentisse- ment final. Ce _— ntissement, continu et progressif, comme on peut le voir par les tracés, LIT, IV, V et VI, a débuté avant l'apparition des phénomènes paralytique s qui se sont montrés au commencement du 8° jour. Continu et progressif dans la plupart de nos séries et notam- ment dans les premières (voir fig. 1, 2,3, 5 et 6), il est seulement continu dans d’autres. La respiration est donc — ralentie dans cette période paralytique de la rage : on dirait que le virus agit sur l’appareil respiraloire, comme sur l'appareil locomoteur, d'une façon continue, progressive et régulière, et on est ainsi conduit à attribuer ces troubles à une suspension progressive et continue de l’action du pneumogastrique. Nous verrons. plus loin, que cette idée est loin d’être inacceptable, car à cette période, les centres bulbaires de la respiration, tout au moins, sont viru- lents. 190 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Ce ralentissement final une fois constaté, il était important de rechercher à quel momentil débutait. Nous avons vu qu'il pré- cédait l'apparition de tout accident paralytique du côté des mem- Fig. 2. — Tracés respiratoires du lapin « ?f. I. — Tracé normal. IT. — Tracé respiratoire pris trois jours après l’inoculation. Un premier ralentissement commence à se produire. III. — Quatre jours après l'inoculation. Maximum du premier ralentis- sement. 1V. — Cinq jours après l’inoculation. Diminution du premier ralentisse- ment. VF. — Six jours après l'inoculation. Accélération intermédiaire. VI. — Sept jours après l’inoculation. Début du ralentissement définitif. VII. VIIT et IX. — Ces tracés ont été pris les huitième, neuvième et onzième jours après l'inoculation. Les accidents paralytiques ont débuté à la fin du huitième jour, ÉTUDE SÉMÉIOLOGIQUE ET PATHOGÉNIQUE DE LA RAGE. 194 bres, et qu'en moyenne il débutait un jour avant l'apparition des accidents paralytiques. Les exceptions à cette règle sont très rares. Sur 15 animaux, un seul n’y a pas obéi. Ces faits peuvent ètre constatés sur les figures 1, 2, 3, 5 et 6. Nous pourrions déjà conclure que, dans la rage paralytique régulière, les trou- bles somatiques semblent être précédés, comme dans la rage des rues, par des troubles d’origine centrale, mais nous allons voir cette conclusion s'affirmer davantage en étudiant la période qui précède ce ralentissement final. Troubles respiratoires précédant le ralentissement final. — En recherchant le début du ralentissement final, nous avons été amenés à prendre le tracé de nos animaux pendant toute l’évo- lution rabique. Ces tracés ne manifestent rien de constant dans les jours qui suivent la trépanation. Ils témoignent d'ordinaire (17 fois sur 30 dans nos expériences) d’un ralentissement de la 20 F. 3. — Tracés respiratoires du lapin b°?. 1. — Tracé normal. 2, 3, 4 et 5. — Tracés pris au commencement des 2, 3, 4 et 5e Jour, c’est-à-dire période d’incubation. La respiration est à peu près normale. 6. — Accélération. Commencement du 6e jour. 1. — Début du ralentissement final. respiration (fig. 2 et 6). Dans d’autres cas il y a accélération (fig. 5). Dans d’autres cas, maintien du rythme (fig. 6). 192 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Nous avions cru d’abord pouvoir attribuer le ralentissement que nous observions au début à un envahissementmomentané des centres respiratoires, par analogie avec ce qui se produit pendant la période paralytique. Mais des lapins, inoculés par trépanation avec du bulbe sain, peuvent présenter ce ralentissement dès les premiers jours de l’incubation (fig. 4). Nous l'avons observé d’au- Fig. 4. — Tracés d'un lapin inoculé par trépanation avec un bulbe sain. {. — Tracé normal. 2 à 10. — Tracés pris au commencement du 2 au 10 jour. tre part chez un animal inocuié à blanc, mais atteint d’une syno- vite aiguë causée par une constriction trop forte des liens qui le maintenaient. Nous sommes donc tentés d'attribuer la produc- tion de ce ralentissement primordial aux suites de l’opération. Du reste, au moment où il a lieu, le bulbe n’est pas virulent, pas plus que le pneumogastrique, comme nous le verrons plus loin. Nous laissons donc de côté pour le moment cette période d'in- cubation. Le point important est qu’elle se termine presque tou- ÉTUDE SÉMÉIOLOGIQUE ET PATHOGÉNIQUE DE LA RAGE. 193 jours par une période d'accélération respiratoire précédant immé- diatement le ralentissement final. La durée de cette période d'accélération varie : elle est géné- ralement assez courte et peut passer inaperçue. Sur 29 animaux, nous l'avons retrouvée 23 fois. Dans la majorité des cas, elle se produit dans le courant du cinquième jour de l’incubation (47 fois sur 23). On peut l’observer dans le courant du 4e jour (5 sur 23). Nous l’avons observée une seule fois dans le courant du 6e, mais tout à fait au début de nos inoculations. Dans cette phase, l’accé- lération est telle que la respiration tend à revenir vers la normale lorsqu'elle avait été précédée d’un ralentissement primordial bien marqué (voir fig. 2); mais lorsque la respiration est restée à peu près normale jusqu'à cette phase accélérée, les mouvements du thorax deviennent plus nombreux qu'à l’état normal. (Voir fig. 5, 6, 8.) Fig. 5. — Tracés respiratoires du lapin q#. 1. — Tracé normal. 2. — Accélération. Commencement du # jour. 3. — Commencement du 5° jour. 4. — Commencement du 6e jour. Phase d'accélération. 5, 6, 7. — Période de ralentissement final. L'animal a suceombé au com- mencement du 8° jour. L'existence de cette phase d'accélération est, croyons-nous, très importante au point de vue de la pathogénie eomparée de la rage. C'est elle qui caractérise la période d’excitation de la è ] F 194 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. rage paralytique régulière. Elle n’est pas d'observation facile, puisqu'on est obligé d'employer les appareils enregistreurs pour la déceler : c’est ce qui explique qu’elle ait pu passer inaperçue ; on a vu plus haut qu'elle nous a échappé dans quelques cas. Elle manque tout naturellement (fig. 4) dans les lapins inoculés à blanc. Fig. 6. — Traces respiraloires du lapin b °°. A Tracéemormal. 9 3, 4. — Pcriode d'incubation, 5. — Phase d'accélération. Début du 5e Jour. 6, 7. — Début du ralentissement final. Commencement des 6° et Te jours. La raideur a apparu le T° jour, Nous pouvons donc dire que chez le lapin inoculé par trépa- nation, l'évolution des symptômes rabiques comprend deux phases respiratoires distinctes. 1° Vers le 5° jour de l’inoculation, après une période de troubles variables attribuables aux suites de l'opération, appa- raît une accélération, constituant une phase équivalente à la période d’excitation de la rage des rues. 2° Après cette accélération, la respiration se ralentit tout en restant régulière, d'une façon continue el progressive jusqu’à la mort dans la plupart des cas, d'une façon continue dans d’autres. Ce ralentissement final débute au moins un jour avant l’appari- tion des phénomènes paralytiques. ÉTUDE SÉMÉIOLOGIQUE ET PATHOGÉNIQUE DE LA RAGE. 195 Ces faits étant bien constatés, nous avons recherché s'ils pouvaient êlre attribués à des troubles causés par le virus dans les régions qui tiennent la respiration sous leur dépendance. Et, d'abord, y avait-il des troubles cardiaques concomitants, pouvant mettre en cause le système du pneumogastrique? Pour le savoir, nous n'avons pu que rechercher les variations du nombre des battements du cœur : il était, en effet, impossible d'étudier les variations de la pression sanguine chez des ani- maux devant servir à une prise continue de tracés. Nous avons compté ces battements directement avec le doigt, dans la région précordiale. Nous avons pu vérifier que le nombre des battements du cœur était l'inverse de celui des mouvements respiratoires. _ JOURS depuis L'INOCULATION. GODONONE SEE HE 40 Lt | MP NET TA SÉRIE SHÉreRRant ) Fig. 7. — Nombre des battements du cœur du lapin 4°, en un quart de minute. C'est ce que montre la figure 7 qui, comparée au tracé respira- toire (fig. 2) appartenant au même animal, montre qu'à chaque ralentissement respiratoire marqué par les lettres R, et R:, cor- respond une accélération marquée du cœur. La coexistence de ces troubles respiratoires et cardiaques, nous a tout naturellement amené à essayer ce que donnait linoculation du tronc du pneumogastrique et de la partie infé- rieure du plancher du quatrième ventricule. C’est le résultat de ce second ordre de recherches qu'il nous reste maintenant à exposer. 196 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Il INOCULATION DU TRONC DU PNEUMOGASTRIQUE ET DES CENTRES BULBAIRES RESPIRATOIRES. Sur des lapins inoculés par trépanalion, et sacrifiés par transfixion du cœur à diverses époques de l’incubation, nous prenions le tronc du nerf pneumogastrique dans une longueur de 7 ou 8 centimètres dès son origine crânienne. Après l'avoir disséqué et broyé, nous l'avons inoculé à des lapins sains. Une première inoculation, faite avec le pieumogastrique d'un lapin 4? sacrifié au commencement du 4° jour de l’évolution rabique, le 8 octobre 1887, est restée sans résultat. L'animal ino- culé par trépanation avec ce nerf est encore vivant. Il en est de même pour un autre lapin inoculé le 25 octobre 1887, avec le pneu- mogastrique d'un lapin &*° sacrifié au commencement du T° jour de l’évolution rabique. À ce moment, fait très important, la respiration était entrée dans sa période de ralentissement final et l'animal ne présentait encore aucune trace de raideur. La même expérience a été faite une troisième fois avec le preumogastrique de l'animal 4°, sacrifié dans les derniers moments de la période paralytique, au 9 jour de l'évolution rabique. L’auimal inoculé n’est mort de la rage qu’au bout de 18 jours, après une période d'incubation de 15 jours. Si peu nombreux que soient ces essais, 1ls montrent pourtant que le tronc du pneumogastriquene semble pas être virulent au momentoùse produisent l'accélération symptomatique et le début du ralentissement final. En revanche, il semble l'être dans les dernières périodes de la phase paralytique. Il eût été souhai- table de pouvoir inoculer les origines réelles de ce nerf et de préciser ainsi le moment où il est virulent. Comme cela est impossible, nous avons dù nous contenter d’inoculer la partie inférieure du 4° ventricule qui contient, on le sait, les centres de la respiration chez le lapiu ; on la coupait avec un scalpel flambé, on la lavait dans certains cas, avec de l’eau stérilisée, de manière à éliminer le liquide céphalo-rachidien. Cette précaution n’a rien changé aux résultats. Enfin, après avoir broyé, on inoculait par trépanation à des lapins sains. ÉTUDE SÉMÉIOLOGIQUE ET PATHOGÉNIQUE DE LA RAGE. 197 Nous avons cherché d’abord une limite inférieure, et nous avons choisi le commencement du 4e jour de l’évolution, en sacri- liant à ce moment précis, Loujours par trausfixion du cœur, un lapin 42°. Nous avons inoculé avec ses centres nerveux, le 11 oc- tobre 1887, un lapin qui est encore vivant. Par conséquent, au commencement du 4° jour, les centres respiratoires pas plus que le tronc du pneumogastrique ne sont virulents. Comme le lapin sacrifié était à ce moment dans une période de ralentissement marqué de la respiration, on voit en outre que ce ralentissement est sans relation avec l’état du bulbe qui, à ce moment n’est pas virulent. Au contraire, au début de la période de ralentisse- ment final, les centres respiratoires sont virulents. Nous avons fait l'expérience deux fois, sur les lapins 4? et 4°?7, sacrifiés au commencement du 7° jour. Les animaux inoculés sont morts de la rage. On a donc le droit d'attribuer le ralentissement final à une action du virus sur le bulbe, action qui semble se traduire par une suspension progressive et continue de l'influence du nerf preumogastrique. Nous ferons remarquer, de même, que dans la période paralytique de la rage du lapin inoculé par trépanation, des troubles que l’on peut considérer comme d’origine bulbaire, précèdent les troubles somatiques, puisque le début du ralentis- sement respiratoire précède la paralysie des membres. Ayant, par les deux séries d’inoculations précédentes, une limite inférieure et une limite supérieure de l'apparition de la virulence, nous avons cherché à resserrer ces limites, en inocu- lant les centres respiratoires entre le commencement du 4 jour et le commencement du 7°. Les centres des lapins «°°, «°° et 4°", pris au commencement du 6° jour de l’évolution rabique, inoculés à des animaux sains, ont produit la rage. Nous ferons remarquer, à propos de cette série d’'inoculations, que le lapin a°° (voir fig. 8) a élé sacrilié en pleine période d'accélération. Il en a été de même du lapin 4?* : ce fait peut nous faire pré- voir, ce que nous vérifierons plus loin d’une façon plus complète, qu'à ce moment-là, le bulbe est déjà virulent. En resserrant davantage nos limites, nous avons inoculé les centres respiratoires des lapins &°° et 4° pris au milieu du cin- quième jour de l’évolution : ils ont produit la rage. Puis, nous avors inoculé les centres respiratoires des lapins 15 198 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. bp, a, aït, e**, a, pris au commencement du 5° jour. Ces inoculations ont donné les résultats suivants : L'animal inoculé avec le bulbe de 4°° est mort des suites de l’opéralion. Celui qui a été inoculé avec le bulbe de «°°, le 18 décembre 1887, est encore vivant. Les lapins inoculés avec les centres de a°°, «°°, e**, sont morts de la rage. Fig. 8. — Tracés respiratoires du lapin 4°°. {. — Tracé normal. 2, 8, 4 et 5. — Tracés pris au commencement du 2, 8e, 4 et 5e jour. Ralentissement au 4. 6. — Phase d'accélération. — Le bulbe de l'animal, sacrifié après la prise du tracé, a produit la rage. Les centres respiratoires se montrent donc d'ordinaire viru- lents au début du cinquième jour, dans nos séries actuelles : il ne nous restait pour rejoindre notre limite inférieure qu'à tenter l’inoculation dans le courant du quatrième jour. Nous avons inoculé les bulbes des animaux «°°, le 3 février dernier, et c°° le 10 du même mois. Ces bulbes ont été pris au milieu du qua- trième jour de l’évolution. Les animaux inoculés sont encore vivants, et en tout cas, s'ils doivent mourir de la rage, le virus qu'ils possèdent est certainement trèsfaible, puisque les périodes d'incubation dépassent déja deux mois. Il résulte de ces diverses séries d’inoculation que, dans Pétat actuel de nos séries, la virulence des centres bulbaires qui üen- ÉTUDE SÉMÉIOLOGIQUE ET PATHOGÉNIQUE DE LA RAGE. 199 nent la respiration sous leur dépendance apparaît entre le milieu du #° jour et le commencement du 5°. Il pourrait se faire que dans des séries d'ordre plus élevé, la virulence débutât à une période moins avancée de l’évolution. Avant de clore momentanément nos recherches à ce sujet, nous avons voulu faire une expérience de récapitulation: Nous avons inoculé le 6 février dernier 4 lapins.4°", c°”, d°°, e°°, avec le balbe de l'animal 4**. Le bulbe de d’° sacrifié au milieu du 3° jour, n'a pas en- core produit la rage; il en est de mème de celui du lapin 4° sacrifié au commencement du 4° jour. Le bulbe de c*" sacrifié au milieu du 4° jour n'a pas davantage produit la rage. Mais le bulbe de e°° sacrifié au commencement du 5° jour l’a pro- duite. Cette expérience montre bien que la virulence de la partie inférieure du plancher du 4° ventricule apparaît comme nous l'avons dit plus haut, entre le milieu du # jour et le commen- cement du 5°. En présence de ces résultats, si nous nous rappelons que l'ac- célération intermédiaire se produit généralement dans le cou- rant du ÿ° jour, on voit qu'elle coïneide avec l'apparition de la virulence dans les centres respiratoires. Si nous considérons, de plus, cette accélération comme l'équivalent de la période d’exci- lation de la rage violente, on voit qu’elle peut être attribuée comme cette dernière, à des troubles d’origine bulbaire. En nous bornant pour le moment aux faits expérimentaux que nous venons d'exposer, nous conelurons donc : 1° Que la rage des rues et la rage paralytique donnée au lapin par trépanation présentent, d’une facon générale, les mêmes phases ; 2° Que la période d’excitation dans cette forme de rage para- lytique se traduit, le plus souvent, par une accélération de la respiration ; 3° Que cette accélération parait devoir être attribuée à l’en- vahissement par le virus des centres qui tiennent cette fonction sous leur dépendance, puisque cet envahissement coïncide avec cette accélération ; 1° Que les deux formes de rage comparées plus haut, présen- tent des caractères de similitude au point de vue pathogénique, puisque l’une et l’autre débutent par des accidents bulbaires. DE L'ANTAGONINME DES BACTÉRIES ET DE L'IMMUMTÉ QUIL CONFÈRE AUX MILIEUX DE CULTURE Par E. DE FREUDENREICH. L’analogie entre l’organisme vivant dans lequel se développe le microbe d'une maladie virulente et le milieu de culture dans lequel vit un micro-organisme est frappante à beaucoup d’égards. Aussi n’a-t-on pas manqué, en particulier pour expliquer le mécanisme de l’immunité que confère à l'organisme une première atteinte de certaines malacies virulentes, de comparer les chan- gements qui surviennent dans le corps et produisent l’état réfractaire, aux modifications d'ordre chimique provoquées par les microbes dans les milieux de culture. De même que l’on voyait un microbe, semé dans du bouillon ou sur de la gélatine, se développer pendant un certain temps, puis s’arrèter dans sa croissance, soit en raison de l'épuisement du milieu nutritif, soit par suite dela production, par le microbe lui-même, de substances (ptomaines) qui entravent sa multiplication ultérieure, ainsi, pensait-on, une première atteinte de la maladie confère l’im- munité subséquente soit parce que le microbe, cause de cette maladie, avait après un certain temps de culture dans lor- ganisme, consommé les principes nécessaires à sa vie, soit parce qu'il l'avait saturé de substances incompatibles avec son développement ultérieur. Cette dernière théorie de l’immunité, restée jusqu'ici à l’état de simple hypothèse, vient de recevoir un appui expérimental considérable par les expériences de MM. Roux et Chamberland, pubhées iei même, sur l’immunité produite à l'égard de la sep- ticémie et du charbon symptomatique par des substances solu- bles formées dans les cultures des microbes de ces maladies, expériences auxquelles il faut ajouter celles de MM. Chantemesse et Widal sur l’immunité conférée de la même manière aux souris contre le bacille typhique :. 1. Annales de l’Institut Pasleur, détembre 1887 et février 1888. ANTAGONISME DES BACTÉRIES. 201 * Ces résultats déjà si importants, joints à ceux obtenus par Emmerich et Paulowsky ‘, qui paraissent avoir produit chez des animaux un élat réfractaire au charbon par linoculation de microbes différents de celui qui cause celte maladie (streptococcus de l'érysipèle et pneumocoque de Friedlaender), donnent lieu d'espérer que l’on arrivera à vacciner, non seulement comme dans les expériences de MM. Roux et Chamberland, au moyen des produits élaborés par le microbe qui a causé la maladie, mais aussi par ceux élaborés. par d’autres microbes, parfaitement inoffensifs peut-être. On est d'autant plus fondé à espérer un tel résultat que M. Pasteur, dans ses expériences sur le choléra des poules, était déjà parvenu à donner l'immunité charbon- neuse à ces animaux en les vaccinant contre le choléra des poules. Il est bon dè rappeler ici cette expérience qui constitue, croyons-nous, le premier essai de bactériothérapie {Comptes rendus de l’Académie des sciences, 1880, IT, p. 315). La solution du problème de l’immunité ne pourra donc, pensons-nous, qu'être puissamment aidée par l'étude complète et méthodique de ce que l’on peut appeler l’antagonisme des bactéries, c'est-à-dire le pouvoir que peuvent avoir certains microbes de rendre les milieux de culture dans lesquels ils ont vécu, impropres à la vie d’autres micro-organismes. C'est encore M. Pasteur qui a le premier mis en évidence quelques faits de cette nature. C’est ainsi qu'il avait constaté que la culture du microbe du choléra des poules devenait promptement difficile et impossible dans un bouillon où ce microbe avait déjà pullulé, fait qui concorde, comme on le verra, parfaitement avec les résultats que nous avons obtenus. C’est également après avoir constalé un développement pénible du bacille charbonneux dans un bouillon de culture du microbe du choléra des poules, qu'il fit l'expérience dont il a été parlé plus haut. Ces faits semblaient presque oubliés lorsque Garré, de Bâle, commu- niqua dans une conférence faite il y a un an à la Société de mt- decine suisse ?, avant la publication des expériences de MM. Roux et Chamberland, quelques intéressants résultats sur l'immunité conférée aux terrains de culture par l'inoculation antérieure 1. Evmericu. Heilung des Milzbrandes, Archiv für Hygiene, VI, 1887 et Pau- Lowsky : Heilungdes Milzhrandes durch Bacterien, Vérchow’s Archiv. Bd. CVILT, 1887. 2. Correspondenzblatt für Schweizer Aerzte, 1887, n° 13. Voir ce n°, p. 244. 0 202 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. d’un autre microbe, et attira l'attention sur l'importance de ces faits pour l'explication du phénomène de l’immunité. On ne peut qu'espérer que ce savant nous communiquera plus tard la suite des recherches qu'il a si bien inaugurées sur cette matière. Dans ses expériences, Garré inoculait des tubes de gélatine nutritive avec différents microbes; au bout de quelque temps il excisait la culture et semait d’autres microbes sur cette géla- line après l'avoir, le cas échéant, stérilisée à nouveau. Ce mode de procéder ne peut naturellement s'appliquer aux espèces microbiennes qui liquéfient la gélatine. Pour celles-ci, Garré les cultivait dans du bouillon, stérilisait les cultures par filtration, et rajoutait de la gélatine pour obtenir un milieu solide qui servait alors aux essais de culture. J'ai trouvé préférable de me servir à peu près exclusivement de cultures liquides. On ensemence les espèces microbiennes dont on veut étudier l’antagonisme à l'égard d’autres bactéries dans des ballons contenant 200 à 300 grammes de bouillon de bœuf bien neutralisé, salé à 1/2 0/0. Ces cultures sont filtrées plus tard, après leur entier développement, sur un filtre Cham- berland et réparties dans de petits ballons de culture. Les bouil- lons que l’on obtient ainsi sont alors parfaitement limpides et permettent de constater le plus faible développement de bac- téries. Seules quelques espèces chromogènes donnent au bouillon une teinte assez prononcée ; ainsi par exemple, le bacillus pyo- cyaneus qui lui donne une couleur verdâtre. Après que l’on s’est assuré par un séjour suffisant à l’étuve que ces bouillons sont bien débarrassés des microbes à la culture desquels ils ont servi, on y sème alors au moyen d’un fil de platine, à l'état de pureté, les différents microbes dont on veut étudier le développement dans ces milieux de culture altérés. Le temps pendant lequel on abandonne les cultures, avant de les filtrer, à l’action altérante des microbes, n’est pas indifférent. Ainsi nous avons remarqué, dans le cours de nos expériences, que les bouillons filirés au bout de 8 jours entravaient, en général, beaucoup moins le développement des microbes qui y étaient semés dans la suite, que ceux filtrés au bout de #à 6 semaines seulement. C’est donc cette dernière limite que nous avons adoptée comme règle dans nos expériences. Il serait intéressant, toutefois, de noter si des ANTAGONISME DES BACTÉRIES, 204 bouillons beaucoup plus vieux, d'un an, par exemple, jouissent de propriétés plus nocives encore. L'emploi du bouillon permet aussi d'exposer les cultures à une température plus favorable et j'ai, du reste, pu me con- vaincre que la diffusion des substances sécrélées se fait plus facilement dans les liquides. Ainsi l’on verra que dans du bouillon qui a servi de milieu de culture au microbe du choléra des poules, le bacille typhique ne croit que très mal; il se déve- loppe bien, par contre, sur de la gélatine ensemencée cinq semaines auparavant avec le même microbe du choléra des poules. J'ai quelquefois aussi fait les cultures dans des tubes de gélose; après quelque temps on stérilise à l’autoclave à 110, la culture tombe au fond pendant que la gélose est encore liquide, et l’on obtient après refroidissement une belle surface sur laquelle on implante les autres espèces. Bien que l’on s'expose à détruire par cette chaleur les ptomaines formées, ce procédé pourra servir quand il s'agira d'étudier des microbes, croissant mieux sur ce milieu que dans le bouillon, et exigeant l'emploi d'une température incompatible avec l'usage de la gélatine. Le tableau qui suit ne demande pas de longue explication. La première colonne donne la liste des espèces microbiennes dont on a étudié le développement dans des bouillons ayant préalablement servi à la cullure d’autres microbes. Elles sont au nombre de 21 et pour la plupart bien connues. Je puis donc me dispenser de les décrire. Disons seulement que le bacille de la strumite est un petit bâtonnet, long de 1-1,54, etlarge de 0,4-0,54, que le D' Tavel ! a trouvé dans 2 cas de strumite. Il est patho- gène pour les souris et les lapins, et ses cultures donnent lieu, inoculées par piqure dans la gélose, à un développement de gaz. Le bacterium phosphoresens à été décrit ici-même (p. 491 du premier volume des Annales). Le micrococcus roseus est décrit par Flügge dans son ouvrage sur les micro-organismes. Il forme des colonies roses sur la gélatine, qu'il ne liquéfie pas, et se trouve dans l'air. Les colonnes suivantes donnent Îles résultats des ensemencements de ces microbes dans les bouil- lons de culture dont la provenance est indiquée au haut de chaque colonne. Ce sont les bouillons de culture du s/aphylo- 1. N° 10 du Correspondenzblalt für Scloeizer Aerzte pour 1887. ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. BOUILLONS DE CULTURE DU FH E ER +H++RHEHHEeRHEHE tte LE appurde = —— “OI 9 oprrds +HHHE+HHHES +++E + +HHEE 19 BTTHBEP oppuids £e++e+t++e+e à “onbreise vrooyo np appurrds *Su99s9104dsoqd Nti19084 onbosownou,] ie +HHH+HHHHESR+EHEHREERHEE UIDIOUD Np 24OHIN ‘UOŒAILO Up +H+++++++HEO +++ ++++ +++ CITTELE ue HHHHEHHHHE HHRHE EEE HT are -snaur490\d SDITOUE “Snprjoy souo8oÂd Lire HT RATES Sn290904qdes -snqpe sou930\d Fi PS Pete Sn29090[4qde]s “JAPU9LIPAUT 2P | EE So LAURE -snaint sou9830Âd SArLerEe LS sn29090[Aqdes s poules. escens. de Friedlaender. aureus. albus.. citreus. . fœtidus . tragenus . A de la morve. de pyog. prodigiosus. . roseus . du lait bleu . ENSEMENCEMENTS Le pyocyaneus . — typhique. . du charbon . de la strumite. . megaterium. du chol. de Miller de Deneke. . PRATIQUES Spirille du chol. asiat Bact. phosphor Spir. de Finkler Slaphyl. Pneumoc. Microc. Bac. Mic. ANTAGONISME DES BACTÉRIES. 205 coccus pyogenes aureus, du staphylococcus pyogenes albus, du staphylococcus pyogenes fœwtidus, du bacillus pyocyaneus (bacille du pus bleu), des bacilles du typhus et du charbon, du microbe du choléra des poules, du pneumocoque de Friedlaender, du bacterium phosphorescens et des spirilles du choléra asiatique, de Finkler, de Miller et de Deneke, 13 espèces en tout. Pour rendre ce tableau aussi bref que possible, nous avons indiqué le degré de croissance par les signes suivants : — signifie une croissance normale. F signilie une croissance faible. FF signifie une croissance très faible. R signifie un retard dans le début de la culture. 0 signifie une croissance absolument nulle. Un simple coup d'œil jelé sur ce tableau en dira plus long au lecteur que tous les commentaires. I serait, du reste, hasardé dans une matière si neuve, de tirer d'un nombre de faits aussi limité encore des conclusions trop absolues. Nous nous borne- rons donc à indiquer celles qui nous paraissent le mieux établies. Il résulte de mes expériences qu’un certain nombre de mi- crobes exercent à l'égard des autres un pouvoir bien réellement nocif. C’est ainsi que le bacillus pyocyaneus, par exemple, et le bacterium phosphorescens entravent dans une notable mesure, s'ils ne l’empèchent pas complètement, la croissance des microbes que l’on implante dans les milieux où ils ont vécu; d’autres, au contraire, comme le bacille typhique, le bacille du charbon, le microbe du choléra des poules, le spirille de Deneke, semblent exercer une Influence très faible sur le pouvoir nutritif du bouil- lon dans lequel ils ont cru. Cependant, tout en ne génaut nulle- ment la plupart des autres microbes, leur antagonisme s'accuse nettement à l'égard de certains d'entre eux. Ainsi le staphylo- coccus pyogenes fætidus entrave la croissance du spirille du cho- léra asialique, du #ricrococcus roseus et du tetragenus, sans qu'il soit pour cela l'ennemi de la plupart des autres bactéries mises en expérience. D'autre part, nous voyons qu'un certain nombre de microbes sont peu difliciles dans le choix de leur nourriture. Le bacille du charbon surtout, le bacillus pyocyaneus, le micrococcus prodigiosus et, en général, les espèces saprophytes, s'accommodent assez bien 206 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. de tous les bouillons qu'on leur offre. Par contre le microbe du choléra des poules, le bacille typhique, celui de la morve, le tetragenus, sont plus délicats et résistent moins bien à une alté- ration de leur milieu de culture. ; Il faudra donc, avant de conclure à un antagonisme réel, bien examiner si le manque de croissance ne provient pas sim- plementde ce que l’on a affaire à un microbe très sensible à la com- position de son milieu de culture. Aïnsi, si l’on voyait, par exemple, le bacille de la tuberculose, si lent à croître même dans les milieux les plus favorables, ne pas pousser dans un bouillon alteré, l’on ne serait pas encore pour cela fondé à supposer un véritable antagonisme. Au contraire, quand on verra un microbe croissant en général bien dans tous les bouillons possibles, être fortement entravé dans sa croissance par l'influence d’une autre bactérie, on sera alors en droit de conclure à un antagonisme formel. Une chose est encore à noter. Le microbe du choléra des poules, le bacille typhique et le spirille du choléra asiatique ne se cultivent pas très facilement dans leurs propres bouillons de culture; ceci présente quelque ressemblance avec ce que nous savons de l’état plus ou moins réfractaire que crée dans l’orga- nisme vivant unepremière atteinte des maladies dont ces microbes sont la cause. Par contre, fait déjà noté par M. Pasteur, le bacille du char- bon se cultive avec la plus grande facilité dans le bouillon qui a déjà servi à sa propre culture, ce qui tient peut-être à ce que ce bacille ne forme pas dans le bouillon employé les mêmes pto- maines que dans l'organisme vivant ou dans d’autres milieux de culture. Nous savons, en effet, par les expériences de Hoffa ‘, que si l'on cultive le bacille charbonneux sur de la viande hachée et réduite en bouillie, on peut en extraire une ptomaine très active que l’on ne retrouve pas dans les cultures faites avec du bouil- lon. Ce fait montre la nécessité, pour étudier la question de l’im- munilé des milieux de culture, d'en varier la composition. En général on ne saurait trop multiplier et répéter les expériences avant de formuler des lois dans cette matière. 1, Horra, Die Natur des Milzbrandagiftes, RECHERCHES MORPHOLOGIQUES ET PHYSIOLOGIQUES SUR UN HYPHOMYCÈTE, Par EE. WASSERZUG!. J'ai eu l'occasion d'étudier récemment un champignon infé- rieur venu spontanément sur des feuilles de violettes qui étaient restées quelque temps à macérer dans un peu d'eau au fond d’un bocal largement ouvert. Après avoir apparu par places en différents points de l'une des feuilles, il s’étendit bientôt de proche en proche sur toutes les autres, qu'il recouvrit uniformé- ment d'un fin mycélium d’un blanc de neige, à filaments courts el dressés. Au microscope, ces filaments se montrèrent cloison- nés, larges de 2 à 4 & au plus, abondamment ramifiés; les rameaux secondaires portaient à leur extrémité une conidie (fig. 4, 4, 6) { e. 092,01 80 ÿ0 A Sal _ 4 KP Fig. 4. — Première forme conidienne. @, b, ec montrent les diverses variations que présentent ces conidies. &, conidies développées dans un milieu peu nitritif, liquide Raulin, ete., b et c, conidies développées sur la pomme de terre et la gélatine sucrée acide, etc. 1. Nous ne voulons pas nous séparer de notre ami Wasserzug, emporté par une scarlatine huit-jours après avoir écrit ce mémoire, sans lui adresser un cordial souvenir au nom de ces Annales dont il a été un des premiers collaborateurs. Nos lecteurs ont pu apprécier, par les mémoires qu'il a fait passer sous leurs yeux, quelles idées fécondes il a remué dans sa courte carrière de savant, el quelles espérances on était en droit de fonder sur lui. Si, comme cela nous semble certain, l'avenir donne une consécration définitive à cette notion que la forme n’est pas plus stable chez un microbe que la fonction, il ne pourra, sans injustice, oublier de compter Wasserzug au nombre des premiers savants qui auront donné à cette idée une base expérimentale sérieuse. ND AIR 208 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. incolore comme le filament mycélien, longue de 10 à 15 x sur 2 à 3 uv de large, légèrement fusiforme, et portant deux à trois cloisons transversales. Un grand nombre de ces conidies se trouvaient à la surface du mycélium, et c’est à ces conidies déta- chées que se rapporte surtout la description que nous venons de donner. L'existence d’un mycélium incolore, la forme et la grandeur des conidies septées permettent de rapprocher cette espèce soit des Fusarium soit des Fusoma, d'aprèsla description que Saccardo donnede ces2 genres dans son Sylloge Fungorum (vol. IV). Comme chez les Fusoma, le mycélium est bas et court et uniformément étendu sur le substratum. ies rameaux conidifères ne sont qu’ex- Fig. 2, — Germination des conidies précédentes. ceplionnellement verticillés ; ils semblent toutefois, comme chez les Fusartum, se grouper en grand nombre par places, et former comme des buissons fertiles dont chaque branche porterait une grande quantité de conidies. Mais cela n'arrive, nous le verrons, que dans certaines conditions de milieu, et n’ajamais été observé sur la forme spontanée venue sur les feuilles de violette’. Pour cette raison, nous rapprocherons cette espèce des Fusoma, soil du F, glandarium Corda soit du F. tomentiforme, tout en faisant remarquer que la distinction établie entre les Fusarium et les Fusoma est peut-être tout à fait artificielle. Pour faire de cet organisme une étude plus approfondie, j'ai 1 L'espèce que nous étudions en ce moment a été provisoirement désignée par nous sous le nom de Fusarium dans une étude que nous avons faite précédemment sur la formation de l’invertine chez quelques espèces de champignons (voir Îles Annales de l’Institut Pasteur, &. Ier, n° 41). REÉCHERCHES MORPHOLOGIQUES ET PHYSIOLOGIQUES. 209 essayé de le cultiver, à l’état de pureté absolue. dans des milieux arlificiels ; j'y suis arrivé très facilement. Qu'il me soit permis, à ce propos, d'indiquer brièvement quelques-uns des procédés que l’on peut employer pour cultiver certains champignons infé- rieurs et pour suivre commodément leur évolution. Il existe, d’une façon générale, deux espèces de milieux de culture : les milieux liquides et les milieux solides. Les meilleurs milieux liquides sont l’eau de levure, l’eau de carottes, l’eau de pruneaux, elc., qui sont en général légèrement acides, au lieu d’être alcalines comme pour les cultures des bactéries. IT faut toujours les obtenir à l’état de limpidité aussi grande que pos- sible pour faciliter l'observation. Maïs un très grand nombre de champignons ne se développent pas dans les milieux liquides, et les milieux solides leur conviennent mieux d'ordinaire : outre la gélatine, et la gélose nutritives dont on use en bactériologie, on peut se servir de tranches de pommes de terre, de carottes, de raves, etc., qui forment le plus souvent un milieu de culture excellent. On les cuit et on les stérilise au préalable : pour cela, au lieu de la méthode due à M. Koch, dont la complication ne met pas toujours les cultures à l’abri des impuretés, on pourra se servir du procédé suivant. Sans cuire d'avance la pomme de terre entière et préalablement lavée au sublimé corrosif, on la coupera crue en tranches convenables?, que l’on introduira dans un cristallisoir, ou dans un tube à essai, ou dans le vase qui doit servir plus tard aux cultures. On passe ensuite le tout à l'autoclave à 115° pendant 15 minutes, el l'on oblient ainsi d'em- blée et à coup sûr à la fois la cuisson et la stérilisation de la pomme de terre. Contrairement à ce qui se passe pour la plupart des champi- gnons, le Fusoma se développe également bien dans les milieux les plus divers, liquides ou solides, sur lesquels on l’ensemence. Rien n’a donc été plus facile, en partant de la semence originelle venue spontanément sur les feuilles de violettes, que d'en obtenir des cultures parfaitement pures et provenant mème d'une seule 1. La gélatine, qui est pourtant très commode, est souvent liquéfiée par les champignons et l'avantage du milieu solide est rapidement perdu. 2. Si cela est nécessaire, on pourra d'avance arroser la pomme de terre avec une solution acide, dans le cas où l'organisme à étudier ne se cultiverait que dans les milieux acides. 210 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. conidie primitive. Ce sont ces cultures pures faites en grand qui m'ont servi dans mon étude. Elles sont préférables, même pour l'étude morphologique, aux cultures sur porte-objets qui sont constamment employées en mycologie, pour suivre le développe- ment d’un champignon. Toutefois j'ai fait très souvent usage de ces cultures en cellules pour contrôler les résultats obtenus par d’autres procédés; dans ce cas, j’ai trouvé très commode de remplacer le liquide nutritif que l’on met ordinairement sur la pelite lamelle où se fait la culture, par un milieu gélatinisé, qui se solidifie rapidement, ce qui maintient les filaments à la place où ils se sont formés et facilite ainsi l'observation de l’or- ganisme aux phases diverses de son développement‘. Nous avons dit que le Fusoma possède des filaments relative- mentgrèles, très ramiliés et des conidées septées, fusiformes (fie. 6 1,4,cetfig. 3) à protoplasma granuleux et à membrane incolore Fig... — Appareil conidien. 4 et b, conidies encore fixées sur leur support et non cloisonnées. comme celle des filaments mycéliens. Ces conidies se forment à l'extrémité de filaments secondaires, qui s’insèrent normalement sur un filament plus âgé. L’extrémité du filementconidifère grossit 1. Au lieu de cultures en cellules, on peut suivre en grand le développement du champignon en faisent la culture sur gélatine dans un très petit cristallisoir à fond plat et très mince, sur lequel on verse une mince couche de gélatine. Le cris- tallisoir est fermé à l'aide d'une plaque en verre à rainure rodée, et il porte sur le côté un petit trou bouché à l'aide d'un peu de ouate qui sert au passage de l'air et permet de faire l'ensemencement sans lever le couvercle. On peut suivre direc- ement le développement au microscope par la face inférieure. RECHERCHES MORPHOLOGIQUES ET PHYSIOLOGIQUES. 211 légèrement, s'allonge et se sépare par une cloison du reste du fila- ment qui continue à croitre, en repoussant la conidie terminale qui se détache et tombe : elle se trouve remplacée par une deuxième conidie, repoussée à son tour par une troisième, el ainsi de suite. Les conidies anicellulaires ainsi produites tombent au fur et à mesure de leur formation et peuvent être considérées comme formant un capitule dissocié (fig. #). Cette production de Fie. 4, — Germination d'une chlamydospore bicellulaire d reproduisant le premier appareil conidien. nombreuses conidies sur un même filament se constate aisément dans une culture en cellule sur gélatine, où les conidies restent groupées tout près du filament qui leur a donné naissance. Dans les milieux qui sont pauvres en éléments nutritifs, l’eau légèrement sucrée par exemple, les filaments conidifères sont isolés ou peu ramifiés ; dans un milieu très nutritif, en parlicu- lier sur la pomme de terre, les filaments conidifères sont rassem- blés en un corymbe composé parfois de 10 à 20 rameaux fertiles. D'ailleurs la forme du champignon éprouve des changements très notables suivant les milieux. Ces changements portent tant sur les filaments mycéliens que sur les conidies. Les filaments sont ordinairement formés de cellules allongées et relativement grêles. Quand il y a du sucre interverti dans le milieu, ces cellules végétalives deviennent courtes et grossis- 212 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. sent beaucoup dans un liquide, elles prennent souvent dans les parlies immergées une forme sphérique qui rappelle tout à fait celle des cellules-ferments qui se produisent chez les mucors dans les mèmes conditions (fig. 5). Elles peuvent s’isoler à cet état et atteignent jusqu'à 12 à 15 w de diamètre : ces cellules sphériques Fig. 5. — Cellules ferments se développant dans un milieu contenant du sucre interverti. proviennent du cloisonnement de cellules d’abord plus allon- gées, à contours sinueux, ayant 30 à 40 y de long sur 8 à 10 de large, et qui sont remplies d'un protoplasma homogène sans vacuoles, ni gouttelettes d'huile. Dans les milieux non sucrés, mais riches en éléments nutritifs, les filaments un peu âgés sont lécèrement renflés de distance en distance, aux points où se font les cloisonnements. Les conidies septées et fusiformes varient beaucoup d'aspect, de grandeur et de nombre suivant les divers milieux. Toutefois on peut dire, d’une façon générale, qu’à un milieu donné cor- respond une forme déterminée de conidies. Leurs dimensions peuvent varier entre 4 à 304 de long parfois davantage, sur 2 à 8z de large. Dans un milieu peu nutritif, dans un milieu miné- ral alcalin, par exemple, plus ou moins analogue à un liquide Raulin ou Cohn-Maver, elles restent pelites et unicellulaires, ova- les et presque rondes (fig. 1, 4). C’est d’ailleurs la forme qu'elles affectent sur le filament conidifère dans toutes les conditions, et elles ne grossissent etn’acquièrent de cloisons transversales qu’a- près être devenues libres. Sur la pomme de terre elles ont jusqu’à 184 de long sur le filament conidifère, et peuvent en avoir jus- RECHERCHES MORPHOLOGIQUES ET PHYSIOLOGIQUES. 9213 qu'à 35 après qu'elles se sont détachées. Elles arrivent presque à ces dimensions sur de la gélatine sucrée et légèrement acide. Dans les liquides, elles se forment également bien dans l’inté- rieur même du liquide, sur les filaments immergés et sur les filaments aériens qui se dressent à la surface. Toutefois les co- nidies internes paraissent plus petites et moins cloisonnées que les conidies aériennes. Il semble qu'il y ait une certaine diffé- rence physiologique dans la production de ces deux espèces de conidies : en faisant les cultures dans des milieux minéraux alcalins et à température un peu élevée, à 35°, on peut empècher les conidies aériennes de se former : les filaments mycéliens n'émergent pas à la surface du liquide. En continuant les cul- tures à 37° dans des milieux minéraux alcalins non sucrés, on peut mème aller plus loin et empêcher complètement la forma- tion des conidies : les filaments mycéliens existent seuls dans ces conditions, au bout de quelques cultures. En effet le Fusoma ne pousse bien qu’à des températures inférieures ; son optimum de température est à 25° environ ; dans ces conditions et en pré- sence d'un milieu sucré par exemple, il se développe avec rapi- dité, et forme ses conidies au bout de 24 heures. La pomme de terre est un milieu très favorable à la vie du champignon; au bout de 24 heures, le mycélium a envahi toute la surface, el quelques heures après les conidies apparaissent en grand nombre : les rameaux conidifères se groupent en certains points, et les amas de conidies qui y prennent naissance forment des taches grisâtres visibles à l’œil nu. Ces taches se produisent également dans d’autres conditions, quand on fait les cultures en liquides alcalins, sucrés avec du glucose : mais elles n’appa- raissent que très tardivement, six semaines ou deux mois après l'ensemencement, lorsque la surface du liquide est absolument couverte par une épaisse couche de filaments mycéliens anasto- mosés. Quand on conserve les cultures encore plus longtemps, on peut constater que les taches d’abord grisätres deviennent plus sombres, et forment enfin de légères protubérances dont la couleur varie du brun au vert foncé. Cette coloration est due à l'existence en nombre considérable de cellules isolées, rondes ou ovales, à membrane épaisse souvent ornementée, remplies de granulations huileuses, et qui constituent une seconde espèce de conidies très différentes des premières (fig. 6). 14 214 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Ces conidies ont deux origines différentes : elles prennent généralement naissance à l'extrémité de filaments mycéliens Fig. 6. — Deuxième forme conidienne : Chlamydospores aériennes. ä. Chl. unicellulaires lisses ou échinulées. très grêles ; cette extrémité se renfle, grossit et forme une conidie unicellulaire et sphérique ou bi-cellulaire et ovale, à membrane épaisse, et qui s'enchâsse sur le filament conidifère comme un gland de chêne dans sa cupule (fig. 5). Elles peuvent aussi (fig. 7) naître directement des conidies septées auxquelles elles se relient par un très court pédoncule qui souvent est absent, et c’est alors qu’elles forment les taches sombres dont nous avons parlé. Il existe enfin une troisième espèce de spores qui se produi- sent en même temps que les conidies dont nous venons de parler. Les filaments mycéliens se renflent de distance en distance ; ces renflements s’isolent par des cloisons, deviennent sphériques, leur membrane s’épaissit tandis que les autres parties du thalle se résorbent (fig. 8). Ce sont des kystes analogues à ceux que l'on RECHERCHES MORPHOLOGIQUES ET PHYSIOLOGIQUES. 215 rencontre chez diverses mucorinées et que l’on désigne sous le nom de chlamydospores. On en trouve aussi chez plusieurs Asco- Fig. 7. — Chlamydospores aériennes. Deuxième mode de formation, quand elles naissent directement des conidies septées fusiformes «a et b. En c, conidies septées ayant produit une chlamydospore aérienne qui commence à germer. mycètes et M. Van Tieghem en a signalé récemment chez un genre nouveau, l’'Oleina. Il semble du reste assez probable que Fig. 8. — Chlamydospores formées à l’intérieur du liquide. les conidies dont nous venons de parler tout à l'heure peuvent être considérées comme des chlamydospores terminales. En 216 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. effet, il existe, morphologiquement, tous les intermédiaires entre ces deux espèces de formation, Toutefois je ferai remarquer qu'elles sont différentes au point de vue physiologique, les chla- mydospores terminales ne se formant qu'à l'extrémité des fila- ments aériens ou sur les conidies septées aériennes, tandis que les chlamydospores mycéliennes se produisent dans l'intérieur du liquide. De plus ces chlamydospores ne se rencontrent jamais dans les milieux acides ni dans les liquides ne contenant que du saccharose. C’est surlout en présence du saccharose que l'étude physio- logique du Fusoma est des plus instructives. Faisons un ense- mencement dans un liquide nutritif neutre contenant du saccha- rose : le Fusoma pousse rapidement et, au bout de 24 heures, ses filaments mycéliens ont apparu en grand nombre. A ce moment la liqueur de Fehling n’est pas réduite par le liquide de culture, et il en est souvent de même le lendemain et les jours suivants. On peut donc admettre que le Fusoma doit être classé parmi les champignons qui ne produisent pas d’inversion, comme certains Mucors étudiés par M. Gayon. En effet les champignons qui intervertissent le sucre candi, l’Aspergillus niger, le Peni- cillium glaucum et bien d’autres, donnent de l’inversion au début même de leur développement; le Fusoma ne peut donc leur être assimilé. Mais si l’on poursuit pendant plusieurs jours l'examen du liquide, on constate que le 4° ou le 5° jour, parfois plus tard, l'inversion du sucre, qui ne s’élait pas produite jusque-là, se manifeste brusquement, et la quantité de sucre interverti va en augmentant à partir de ce moment jusqu’au moment où le sac- charose finit par disparaître complètement !. Si, en même temps, on à suivi avec soin l’état du développement de la plante, on constate que le moment où l’inversion du sucre apparaît coïn- cide précisément avec celui où les premières conidies se montrent dans les liquides. Ainsi la fructification du Fusoma correspond à un change- ment physiologique dans la vie de l'organisme, changement qui 4. À partir du moment où le saccharose est interverti apparaît la mise en train d’une fermentation alcoolique très nette. Mais la quantité d'alcool ne dépasse guère 4, 5 °/,. Dans les liquides sucrés avec du glucose, cette fermentation alcoo- lique se produit également. C'est à ce moment aussi qu'apparaissent les cellules sphériques, les cellules ferments dont nous avons parlé plus haut, RECHERCHES MORPHOLOGIQUES ET PHYSIOLOGIQUES, 217 se manifeste par une propriété nouvelle acquise par la plante. Si la sécrétion de l’invertine correspond bien réellement au changement morphologique, il sera facile de la retarder en retar- dant l'apparition des conidies. C’est ce qui arrive en effet. On peut démontrer tout aussi aisément que l'apparition de la diastase ne dépend pas de la ‘quantité de cellules végétatives formées ‘; l'invertine n'existe qu'à partir du moment où les filaments végé- tatifs sont devenus nettement conidifères. On trouve d’ailleurs des résultats analogues avec l’amidon. La betterave et la canne à sucre présentent des faits que l’on peut rapprocher jusqu'à un certain point de celui que nous venons d'indiquer. Ces plantes ne produisent de l'invertine qu'à un moment donné de leur développement, pour consommer les réserves de saccharose qu’elles avaient accumulées antérieure- ment. Mais c'est, je crois, la première fois que l’on signale chez les champignons l'apparition d'une faculté nouvelle au moment de la fructification. 4. Voir pour plus de détails sur ces expériences l'article déjà cité « sur la pro- duction de l’invertine chez quelques champignons » (Annales de l'Institut Pasteur). REVUES ET ANALYSES D' GaRRÉ. Sur les antagonismes entre les bactéries. Correspondenx-Blatt f. Sch. Aertxte, 1887. Les questions d'antagonisme entre les microbes ont frappé tous ceux qui se sont livrés à l'étude de ces petits êtres. Mais le mot antagonisme n’a pas toujours eu la même signification, et il est curieux de noter la série de sens divers par où il a passé. A l’origine, il correspondait à cette notion, fournie par l'étude des végétaux supérieurs, que chaque espèce microscopique a son terrain de prédilection, sur lequel elle se défend mieux que sur tous les autres. C’est à cette loi qu'on à eu recours, tant que n’a pas été inventée la méthode de culture sur milieux solides, pour isoler les diverses espèces microscopiques entrant dans un mélange. Entre temps, le travail de Raulin sur l'Aspergillus niger est venu montrer combien était à la fois délicat et sûr le mécanisme qu'on faisait fonctionner. Il nous à appris d'un côté que quand on connaît bien le milieu de culture d'une espèce déterminée, on peut renoncer pour elle au luxe de précautions dont on entoure d'ordinaire la culture des microbes, et la cultiver à l'air libre, et même dans un liquide et un vase non stérilisés, avec autant de sécurité, et même plus, que celle d'un maraïcher opérant sur un carré de son jardin. D'un autre côté, ce même mémoire nous apportait pour la pre- mière fois, dans un exemple qui mérite de rester classique, la vision nette des deux causes qui peuvent empêcher une espèce microscopique de se développer sur un liquide déterminé : c'est, ou bien qu'elle n’y trouve pas un élément dont elle à besoin, ou bien qu'il y manque une substance capable de protéger la plante contre une de ses sécrétions. Quand on en est arrivé à étudier l’immunité naturelle vis-à-vis de cer- taines affections, ou l’immunité acquise que confère une première atteinte d’une maladie virulente, on n’a eu qu'à transporter sur le terrain de l'être vivant les notions fournies par l'étude du liquide Raulin. De là, les deux théories de l’immunité récemment discutées dans ces Annales. De Ià aussi, comme un rameau détaché de la même tige, les tentatives de bactério- thérapie inaugurées par M. Pasteur, et qui, reprises par M. Cantani, ont depuis tant frappé l'attention. C'est que dans l'intervalle les savants s'étaient fait une idée plus nette du mécanisme de l'action et de la réaction de deux espèces vivantes, ense- mencées et poussant côte à côte dans le même liquide. Si ces espèces ont des besoins différents ou même opposés, si par exemple l’une demande le contact de l'air pendant que l’autre le redoute, elles s'arrangent de façon à REVUES ET ANALYSES. 219 se trouver bien de leur contact et elles s'entr'aident. Si elles ont les mêmes besoins et d'abondants moyens de les satisfaire, si elles ne se gênent pas par leurs sécrétions, elles pourront vivre en communauté, sans se nuire, au moins au début; c'est ce qui arrive en général dans toutes les infusions qu’on abandonne à elles-mêmes et qui, pour peu qu’elles soient riches en matière alimentaire, se peuplent tout d'abord d’une foule d'êtres divers. Mais le cas le plus intéressant, celui auquel s'attache M. Garré, c’est l’action réciproque de deux microbes dont l'un laisse son milieu de culture dans un état défa- vorable au développement de l’autre, ce qui crée entre les deux un état d'antagonisme. Pour étudier ce sujet, il sème à la surface d'un tube de gélatine une espèce qui ne liquéfie pas cette substance, racle la culture quand elle est assez développée, stérilise à nouveau la gélatine si cela est nécessaire, et y ensemence une autre espèce qui pousse mal, médiocrement, ou bien, suivant la nature des modifications amenées dans le milieu par la première culture. Il est bien entendu qu'on s’est assuré à l'avance que ce milieu, lorsqu'il est intact, nourrit bien la seconde espèce. Quand on à affaire à une espèce liquéfiant la gélatine, il faut modifier le procédé. On fait alors une abondante culture dans du bouillon qu'on filtre ensuite sur de la porcelaine, et qu'on additionne alors de gélatine pour en faire un nouveau milieu sur lequel on porte divers microbes. Comme on le voit, ce procédé ne permet guère de savoir à quoi est due la stérilité du second ensemencement. Est-ce parce que le premier a enlevé au milieu une substance utile? Est-ce parce qu'il y a déposé une substance nuisible? M. Garré penche en faveur de cette seconde interprétation, mais ne la démontre pas. Il à opéré avec un grand nombre d'espèces, mais il a surtout étudié le bacillus fluorescens putidus décrit par Flügge. C'est un petit bâtonnet mobile, arrondi à ses deux extrémités, aérobie, se développant en surface, donnant à la gélatine une couleur jaune d’urane et une fluorescence verte très belle. Cette fluorescence exige le contact de l'air, et « est très vraisem- blablement produite par l'oxydation d'une matière très diffusible sécrétée par le bacille ». La gélatine devient alcaline et sent la triméthylamine. En enlevant à sa surface la culture qui y a poussé, et en ensemençant à la place le staphylococcus pyogenes aureus, le bacille de la fièvre typhoïde, le bacille de la pneumonie de Friedlaender, la levure rose, ete., on n'observe aucun développement. Le bacille du choléra asiatique, le bacillus mycoïdes se multiplient péniblement, le bacillus anthracis et le bacille de Finkler- Prior ont, au contraire, un développement abondant. Très instructives sont les inoculations sur plaques de gélatine « J'inocule au même moment sur la plaque refroidie, et en lignes parallèles alternantes, le bacille fluorescent et le staphylococcus pyogenes, en augmentant peu à peu la distance de mes lignes, de facon à l’amener de 3 à 15 millim. environ. Le bacille fluorescent croît le plus vite. Les produits d'élimination se diffu- sent dans le voisinage des lignes et sont un obstacle parfait au développe- ment des semences de staphylococcus, quand celles-ci sont très voisines. Quand la distance entre les lignes augmente, le développement du staphy- 2920 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. lococeus peut commencer et atteindre même un certain niveau, avant que le poison du microbe antagoniste commence à exercer son action. Les lignes extérieures de staphylococcus, qui ne sont flanquées que d’un côté par l'espèce antagoniste, ont un développement presque normal. » L'expérience est comme on voit intéressante et faite d’une facon ingé- nieuse, mais pas plus que celles que nous avons résumées plus haut, elle ne témoigne que la stérilité des lignes de staphylococeus soit plutôt due à une substance sécrétée qu'à une substance absorbée par le bacille fluorescent. Quoi qu'il en soit du mode d'interprétation, on peut vérifier de même que le bacille fluorescent est un antagoniste du coccus du pus, des bacilles de la pneumonie et de la fièvre typhoiïde; mais l'inverse n’est pas toujours vrai, et l’antagonisme n’est pas toujours réciproque. Il l'est pour le bacille du typhus, c'est-à-dire que « sur un sol de typhus », le bacille fluorescent ne peut pas germer, mais de la gélatine qui a nourri le staphylococcus et le bacille de la pneumonie reste un bon terrain pour une culture de bacille fluorescent. Examinant ensuite le rôle naturel de ces actions d'antagonisme, M. Garré montre que le bacille du choléra peut être arrêté dans son déve- loppement et même détruit au bout de peu de jours par les microbes de la putréfaction. Il rapproche aussi de ces phénomènes une observation curieuse de Billroth sur un cancer de la poitrine qui répandait une odeur insuppor- table et faisait de la malade un objet de répulsion, même pour sa famille. « Un jour, dit Billroth, la malade vint me consulter au sujet d’un mode de traitement des plaies cancéreuses odorantes, qui consistait dans l'emploi de figues sèches, cuites dans du lait, et renouvelées deux ou trois fois par jour. Bien que convaincu que ces applications n'auraient d'autre effet que de rendre l'odeur encore plus insupportable, je ne voulus pas m'’opposer au désir de la malade, et je ne fus pas peu surpris en constatant, 2 à 3 jours après, que l’odeur avait non seulement diminué, mais à peu près disparu. La plaie était couverte d’une couche légèrement coagulée, ayant une faible odeur de lait aigri. » « Cette observation, continue Billroth, a fait sur moi une telle impression qu® je ne l’ai jamais oubliée. » Elle mériterait plus, elle vaudrait d'être reprise et étudiée à la lumière nouvelle apportée par les notions que nous possédons aujourd’hui au sujet de l’antagonisme des bactéries. px Dr, Seyper. Gangrène septique suraiguë après une lésion sous-cutanée. Münch. med. Wochens., 1888, p. 41. Il s'agit ici d'un cas de cette affection appelée gangrène foudroyante par Maisonneuve, gangrène méphitique par Pirogoff, emphysème putride par d'autres chirurgiens, et qui, rare en temps de paix, se rencontre assez fré- quemment dans la chirurgie d'armée, et toujours avec un pronostic redou- table. Un homme, très fort et très gras, âgé de 40 ans, s'était démis le pied en tombant de voiture, L'astragale avait subi une demi-luxation sur l'arti- REVUES ET ANALYSES. 221 eulation avee la jambe, une luxation complète sur l'articulation astragalo- tarsienne. Il n'y avait pas de fracture, et la peau semblait intacte, mais elle était fortement tendue sur les os. La réduction se fit sans peine. Le traitement consista dans l'application d’attelles, d’un bandage, d'une vessie pleine de glace, et tout allait très bien, lorsque le treizième jour du traitement apparaît la fièvre. On découvre alors sur les côtés du pied et sur les mal- léoles des phlyetènes noirâtres, grandes comme une pièce de 50 centimes. On les ouvre avec des précautions antiseptiques; il en sort une sanie noirâtre et mousseuse. Les jours suivants, malgré un traitement antiseptique éner- gique, la peau devient emphysémateuse au voisinage des pustules, et on y sent un léger erépitement. On multiplie les soins, on fait des incisions, on enlève chaque jour les portions gangrenées, mais tout cela n'arrête nil’em- physème de la peau ni l'infiltration du tissu musculaire. Quand le D' Seydel est appelé, il trouve la plaie très étendue, et le malade présente tous les caractères d’une intoxication avancée : somnolence, couleur jaunâtre de la peau, sueur froide sur le front, le regard affaissé, le pouls misérable, la peau brûlante, Dans une nuit, la gangrène avait progressé de la largeur d'une main. On essaie d'une amputation faite avec des précautions et des soins antiseptiques multipliés. Après l’amputation, l’état du malade semble meilleur, mais le lendemain la gangrène reparaïît, etle malade meurt avec les symptômes septiques les plus accusés. On comprend combien l'étude bactériologique de ce cas eût été intéres- sante. MM. Chauveau et Arloing, Brieger et Ehrlich ont identifié la gangrène foudroyante des chirurgiens avec la septicémie produite par le vibrion septique de M. Pasteur, laquelle est la même que l'œdème malin de la souris, du cochon d'Inde et du lapin. Mais si ces deux dernières affections sont identiques, et si on a par suite le droit de considérer les mots Bacillus ædematis maligni comme synonymes de vibrion seplique, nous sommes moins assurés de l'identité avec la gangrène foudroyante, parce que, faute d'entente, ces mots sont sûrement appliqués à des maladies très diverses. J'ai vu, dans le service de M. le prof. Fournier, une gangrène fou- droyante de la verge qui s’est étendue rapidement sur la presque totalité du serotum, et qui, malgré son caractère gangreneux accusé, malgré son caractère foudroyant, n'avait pourtant aucune ressemblance avec la gangrène foudroyante des chirurgiens d'armée. Les tissus étaient sphacélés, mais nullement sanieux ni purulents, au moins au début, et surtout il n’y avait pas ces dégagements gazeux que nous venons de rencontrer dans la des- cription de M. Seydel. J'ai trouvé, comme agent actif dans ce cas, un Ccoc- eus, que M. Fournier a mentionné dans la description qu’il a donnée de la maladie, et qui était totalement différent du vibrion septique. Dans le même ordre d'idées, le coceus que j'ai décrit sous le nom de microbe du clou de Biskra peut aussi donner naissance à des nécroses à évolution très rapide. Il eût donc été très intéressant de savoir si on retrouvait, dans le cas de M. Seydel, le vibrion septique ou un autre microbce. Il n’y a dans le mémoire que deux lignes consacrées à cet examen bactériologique. On y lit que le liquide purulent des articulations, soumis à l'examen de M. le D° Buchner, ne lui a fourni que des streptococcus et des staphylococçus en quantités énormes, 222 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Des coceus peuvent produire la gangrène, nous en avons tout vu à l'heure des exemples, mais je ne connais pas de cas où ils donnent des dégagements gazeux comparables à ceux que nous avons signalés plus haut. L'existence de ces gaz plaide au contraire en faveur de la présence du vibrion septique ou au moins d'un mierobe anaérobie. Le mémoire ne dit pas com- ment M. Buchner a opéré. S'il s'est borné à un examen microscopique, le bacille peut lui avoir échappé; s'il s'est contenté, comme on le fait trop souvent en Allemagne, d'une simple culture sur gélatine, il y a grandes chances pour que ce mitrobe anaérobie ait refusé de se développer, et que M. Buchner soit tombé sur un des innombrables staphylococeus pyogenes aureus et même citreus qui constellent le ciel de la microbiologie. On n’a donc pas le droit de prendre au pied de la lettre les conclusions de M. le D' Buch- ner, ni d'y voir une infirmation de la coexistence du vibrion septique et de celte espèce de gangrène foudroyante. Il est sûr qu'il y avait des coccus dans les tissus de son malade puisqu'il en a trouvé, mais on ne sera sûr qu'il n'y avait pas de vibrion septique que quand il nous dira comment il l’a cherché sans le rencontrer. Dx. Noxewirsea. Les microorganismes d’une inflammation enzootique du foie chez les porcelets (Hepatis enzootica porcellorum). Ceatralbl. f. Bakt. u. Purasit., t. IT. p. 233, 1888. M. Nonewitsch a eu à examiner en 1887, à l'Institut vétérinaire de Dor- pat, trois maladies différentes du pore, à savoir : 5 cas de ce que nous appelons en France, avec MM. Cornil et Chantemesse, pneumo-entérite du pore, et qui porte en Allemagne le nom de Schweine seuche : ? cas de rouget, et 4 cas d’une maladie moins connue qui sévit, surtout en Russie, sur les porcelets, et qu'on a nommée hépatite enzootique. Dans la première de ces maladies, il a retrouvé les bactéries ovales et courtes décrites par Schutz, qui se cultivent bien sur des milieux liquides et gélatineux, et dont l'inoculation au porc, au lapin, au cobaye, au rat et à la souris, donne toujours des résultats positifs. La ressemblance avec le microbe étudié par Loeffler et par Schutz serait complète, si celui de M. Nonewitsch ne liquéfiait pas la gélatine au bout de 6 à 8 jours. De cette petite différence, M. Loeffler conclut, dans une note ajoutée au travail que nous analysons, que les deux microbes sont tout à fait différents. Cela est possible, mais la liquéfaction de la gélatine nous semble une base bien étroite pour asseoir un pareil jugement. La sécrétion de la diastase liquéfiant la gélatine est sans doute, comme toutes les sécrétions de diastases, un phénomène contingent, sur lequel il est, dès lors, imprudent de tabler d'une facon absolue. Ce sont surtout les ressemblances anatomo-physiologiques de l'affection dans la série des animaux inoculés qu'il faut consulter, et sur ce point, nous sommes obligés de nous en rapporter, jusqu'à plus ample informé, à l'affirmation de M. Nonewitsch. Dans les cas de rouget qu'il a eus à examiner, M. Nonewilsch a retrouvé le bacille ordinaire de cette affection. C’est sur l'hépatite des porcelets qu'il REVUES ET ANALYSES. 223 apporte les documents les plus nouveaux. Elle frappe surtout les jeunes animaux, et les morts surviennent surtont entre 2 et 4 mois après la naïs- sance. A l’aulopsie, on trouve des taches d’un rouge intense sur la peau; le foie grossi, parsemé de taches rouges, bosselé sur sa surface, porte parfois de grosses saillies gangliformes, formées d'un tissu hypertrophique. La coupe du foie est couleur de noix muscade, avec des parties jaune grisà- tre et brun rouge. Les cellules du foie sont gonflées et troubles, sans avoir pourtant subi la dégénéresrence graisseuse. L'épithélium des canalicules urinaires est trouble aussi, et l'urine albumineuse. Dans le foie, la rate et le sang, on trouve de gros coceus visibles sans coloration, et ayant environ le quart ou le cinquième du diamètre d'un elobule sanguin. Semés sur la gélatine, ils donnent au bout de deux jours des colonies rondes et brillantes de la grosseur d’une tête d’épingle. Dans le bouillon, il y à un trouble suivi d'un dépôt grisâtre. On voit au micro- scope, dans les cultures, des coccus isolés, par paires ou en glæas, qui se colorent bien avec les couleurs d'aniline; au troisième jour du développe- ment, la gélatine commence à se liquéfier et l’est complètement vers le dixième jour. On a inoculé, avec les cultures de ce micrococcus, 6 porcelets, 13 cobayes, 3 lapins et 4 rats. Il est mort 3 porcelets, 6 cobayes, 2 lapins et 2 rats, les porcelets en T ou 8 semaines, les cobayes 4 à 10 jours après l’inoculation, les lapins en 3 ou 4 semaines, et les rats au bout de 3 à 17 jours. On a retrouvé chez les porcelets les lésions anatomo-pathologiques du foie relevées dans la maladie naturelle. Les changements du foie étaient moins marqués chez les autres animaux. Mais chez tous on retrouvait dans le sang et les tissus le microcoque ensemencé. La longueur de la période d'incubation chez le porcelet fait penser que les animaux qui meurent après leur naissance ont été infectés dès les pre- miers jours, sans doute par la voie ombilicale. Dx. AxEL Hossr. Un cas de carcinome du sein (récidive), traité par une inocu- lation d’érysipèle. Centralbl. f. Bakt., t. I, p. 593, 1888. La malade était une femme solide d'environ 40 ans, qui, après avoir subi au printemps de 1887 une ablation du sein droit pour carcinome, avait vu reparaître quelques mois après un nouveau nodule sur la cicatrice, auquel avait suceédé l'évolution rapide d'un cancer de la peau, si bien qu'en août 1887, toute la partie droite de la poitrine était une plaie bourgeon- nante irrégulière, saignant facilement, fortement infiltrée, et bordée de groupes de nodules eancéreux sous-cutanés, dont la grosseur variait de celle d'un noyau de cerise à celle d’une grosse noix. Malgré tout, l'état général était resté bon, l'appétit et les forces normales, et l'aspect florissant. En désespoir de cause, les médecins engagent la malade à se soumettre à une inoculation d'érysipèle, ce qu'elle accepte sans hésitation. Une pre- mière tentative resta sans succès. Elle avait été faite avec une semence dont la virulence sembla avoir diminué par une trop longue série de eul- 224 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. tures successives sur gélatine nutritive. On refit l'inoculation avec une nou- velle culture fournie par M. le D' Fehleisen, et en faisant au scalpel de petites incisions à la fois sur la plaie et sur son pourtour. Vingt et une heures après, survient un fort frisson qui se renouvelle deux fois dans la journée. Trois heures après le frisson, on aperçoit sur les bords extérieurs de la plaie une rougeur érysipélateuse qui s'étend peu à peu sur le bras droit, et revêt les caractères d’un érysipèle typique. En même temps, toute la surface de la plaie devient plus rouge et plus cuisante qu’à l'ordinaire. Peu à peu la rougeur s'étend à la partie gauche de la poi- trine et au dos. Puis on l’observe autour des bords supérieurs et inférieurs de la plaie. Le mode d'extension des rougeurs sur les bords de la plaie sembla n'avoir aucune relation avec les scarifications qu’on y avait faites. Tout parut au contraire se passer comme si l’érysipèle avait passé des bords dans la plaie. Au frisson initial avait succédé une forte fièvre, pendant laquelle s'é- taient formées sur le bras des bulles de diverses grosseurs. Le septième jour au malin, la fièvre tomba subitement. Ceci démontre, comme l'avait du reste prouvé Fehleisen, que le strepto- coccus de l’érysipèle peut déterminer sur l’homme un érysipèle typique. Mais ce qui est plus nouveau, c’est l'effet produit sur la malade sur laquelle on avait essayé ce moyen curatif. Voici son état 4 mois et demi après l'inoculation : L'effet sur le cancer a done d’abord semblé bon. < Environ un mois et demi après l'inoculation la plaie tout entière sembla diminuer par voie de rétraction. » Le bras droit restait pourtant gonflé : mais deux mois et demi après, l'amélioration avait disparu. Les portions qui s'étaient recouvertes d'une couche épider- mique recommencaient à s’ulcérer. On est revenu à l’état initial. Puis de nouveaux nodules cancéreux ont apparu sur la partie interne du bras, celle qui appuie contre la plaie. Enfin d’autres nodules, qui paraissent suivre la marche de l’extension de l'érysipèle, ont apparu jusque sur le carpe. L'érysipèle n'a en effet pas disparu. Il est devenu en quelque sorte chronique, ct de temps en temps on voit apparaître sur le bras des rougeurs comme au lendemain de l’inoculation. « Les éruptions noduleuses qui l’'accompagnent ressemblent tout à fait aux proliférations carcinomateuses qu'on observe sur les bords de la plaie », mais peut-être, en l'absence de toute étude microscopique, faut-il ne pas trop insister sur ce fait. En tout cas, l'appétit s’est amoindri, les forces ont déeliné, et l’état général a empiré en apparence beaucoup plus vite que si le carcinome avait été abandonné à lui-même. Cette expérience fâcheuse de bactériothérapie doit être rap- prochée d'un cas rapporté par Neelsen (Centralbl. f. chir., 44, 1884), où une augmentation dans la rapidité d'évolution d’un cancer coïncide avec l’ap- parition fortuite d’un érysipèle, Dx. REVUES ET ANALYSES. 295 J. Maximmoviron. Des propriétés antiseptiques du naphtol x. — Comptes rendus Académie des sciences, 30 janvier 1888. M. Maximovitch a d'abord établi que le naphtol ; est insoluble dans l'eau froide, soluble à 0,44 pour 1000 dans l'eau à 70°, à 1 pour 100 dans l'eau alcoolisée à 40 pour 100. Il a étudié ensuite sa toxicité. Pour provoquer la mort, il faut en faire ingérer à un lapin 9 grammes par kilogramme, ou en injecter sous la peau 3 vr. 3 en solution alcoolique, ou bien encore en injecter dansles veines 0,13 par kilogramme. M. Maximoviteh s'est assuré que les accidents (secousses musculaires), produits par l'introduction du naphtol dans les veines, n'étaient pas attribuables à l'alcool. Le pouvoir antiseptique a été établi en cultivant quatorze microbes dif- férents, dans divers milieux nutritifs (bouillon de bœuf, gélose, gélatine), additionnés de naphtol à doses variées. Dans le bouillon de bœuf, le naphtol à la proportion de 0.10 pour 1000 empêche complètement le développement des microbes de la morve, de la mammite des brebis, du choléra, des poules, du charbon bactéridien, de la pneumonie, du clou de Biskra, de la fièvre typhoïde, de la diphtérie des pigeons, du staphylococcus albus, du staphylococcus aureus, du tetragenus. A la dose de 0,25 pour 1000, il arrête le développement du bacille de la tuberculose ; à 0,40 pour 1000, dans les milieux solides, il empêche le déve- loppement du bacille de la pyocyanine et d’un bacille donnant naissance à une matière verte chromogène. Les doses nécessaires pour empêcher ces développements varient avec les milieux employés. Il faut en général les élever un peu pour obtenir dans la gélose les mêmes résultats que dans les bouillons. On peut ajouter que d’autres causes, telles que la quantité de semence, la vitalité des microbes semés, la température, ete., sont également capables d’influencer ces doses. L'urine agitée avec le naphtol en poudre ne fermente pas; dans des bouillons additionnés de 0,12 pour 1000 de naphtol, la matière fécale hu- maine ne fait apparaître qu'un léger louche. Il résulte de l'intéressant travail de M. Maximovitch que le corps qu'il a étudié paraît réunir les qualités voulues pour être classé avec honneur parmi les antiseptiques de l'intestin. Il empêche ou retarde, à quantités minimes, le développement d’un bon nombre de bactéries, de celles des matières fécales en particulier. Il est insoluble dans l’eau pure, fort peu soluble dans l’eau alcoolisée. IL peut être ingéré sans accident à doses considérables. Les doses administrées par fractionnement, à inter- valles rapprochés, introduiront des quantités successives de naphtol. En raison du peu de toxicité, on pourra renouveler les doses un grand nombre de fois, de telle sorte que l'antiseptique employé tapissera, dans la mesure du possible, la surface du tube digestif d'une extrémité à l'autre. Son manque de solubilité ne lui permettra pas de s'échapper et de passer dans la circulation générale. Il agira localement et par contact sur une grande étendue. Or, ce sont là précisément les conditions indiquées par M. Bou- 226 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. chard comme nécessaires pour réaliser l’antisepsie intestinale. Le travail de M. Maximovich ne nous dit rien des effets du naphtol introduit dans d'autres cavités, dans les séreuses par exemple, dont les lésions infec- tieuses devront aussi bénéficier de l’action des antiseptiques insolubles. Le naphtol « placé dans le tube digestif est fort peu toxique, mais cela ne nous autorise pas à conclure qu'il en serait-de même si on le déposait sur une surface séreuse. Un corps tout voisin, le naphtol 6, peut être, sans danger, mélangé à l'alimentation du lapin à la dose de 8 gr. 60 par kilo- gramme; injecté même à doses moindres dans les séreuses, dans la plèvre, dans le péritoine, il provoque des accidents se terminant par la mort. Le naphtol «, étant insoluble, constituerait un antiseptique général médiocre, On ne peut l'introduire dans le sang qu’en le dissolvant à l’aide de l'alcool, et si on l’injecte dans la circulation, sa toxicité est relativement élevée, CHARRIN. INSTITUT PASTEUR RENSEIGNEMENTS STATISTIQUES SUR LES PERSONNES TRAITÉES A L'INSTITUT PASTEUR DU 1°* AU 31 MARS 1888. Personnes traitées mortes de rage. Srôgcer (Henri), 54 ans, maréchal ferrant, rue des Carrières, Paris. Mordu, le 8 novembre 1887, au pouce droit par un chien reconnu enragé à l’École d’Alfort. Deux morsures au pouce droit au niveau de l'articulation de la première et de la deuxième phalanges, une sur la face dorsale, l’autre sur la face palmaire. Ces morsures pénétrantes ont donné beaucoup de sang. Stôbler a mis sur les plaies de l'essence de térébenthine qu'il a allumée. Les blessures ne présentent aucune trace de cautérisation le 19, lorsque Stübler se présente à l’Institut Pasteur. Traité du 10 au 24 novembre, Stôbler a été pris de rage confirmée le 31 mars. Il a succombé le 2 avril au matin. Plus d’un mois avant l’accès de rage, Stôbler avait présenté de grands changements dans son caractère. Il était devenu iras- cible et nerveux et montrait à certaines personnes une affection véritablement maladive. Son appétit était devenu exagéré et le sommeil était fréquemment interrompu par de véritables hallu- INSTITUT PASTEUR. 297 cinations. Le 19 mars, Stôbler s’est foulé le pouce en travail- lant. Les douleurs dans le doigt ont persisté et, le 30 mars, elles se sont étendues au bras et à l’épaule, avec impotence du membre. Ces douleurs ont disparu dans la nuit du 31 mars au D avril. Marior (Alphonse), 23 ans, soldat au 129% de ligne. Mordu à Paris, le 15 février par un chien reconnu enragé : 1° au pouce droit, morsure très forte, contuse, intéressant l'extrémité du pouce; 2° à la base du pouce droit, cinq morsures; 3° une morsure à la face palmaire et sur l’éminence thénar; 4° une morsure ayant traversé l’ongle de l'index et pénétré dans la pulpe du doigt; 5° une très forte plaie à la deuxième phalange du médius ; 6° une morsure à la deuxième phalange de l’annulaire. De plus, des plaies pénétrantes sous les ongles du médius et de l'annulaire. Les blessures de Marinot sont très fortes, contuses; presque toutes sont faites par arrachement; il y a perte de substance sur plusieurs points. Cautérisé au fer rouge un quart d'heure après la morsure. La cautérisation est tout à fait superficielle et insuffisante. Plu- sieurs plaies n'ont pas été cautérisées. Traité du 15 février au 3 mars. Quelques jours après la fin du traitement, Marinot a ressenti des douleurs très vives dans la main mordue. Ces douleurs ont envahi le bras, qui était comme engourdi. Marinot ne pouvait presque plus se servir du bras droit. Ces douleurs d’impotence du membre ont diminué dans la suite. Ces détails n’ont été connus que le 30 mars, où Marinot est entré à l'hôpital du Val-de-Gräce avec la rage confirmée. Mort le 1% avril. Cosre (Denis), 28 ans, coutelier à Thiers (Puy-de-Dôme). Mordu le 6 mars dans la pulpe de la troisième phalange de l’in- dex droit, une morsure profonde, lavée aussitôt chez un phar- macien avec une eau (?). Coste a élé mordu par son chien, re- connu enragé par M. Guimbal. Le bulbe du chien, remis au laboratoire et inoculé à des cobayes, leur a donné la rage. Traité du 9 au 20 mars 1888. Pris de rage paralytique le 8 avril, mort le 10. (Renseignements fournis par le D° Guille- mot, de Thiers.) 228 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. INSTITUT PASTEUR STATISTIQUE ! DU TRAITEMENT PRÉVENTIF DE LA RAGE. — Mars 1888 Morsures à la tête ( simples .....| » 1 Sn 4 »| » : et à la figure multiples....| v| æi ®|»| »\ 5) Cautérisations efficaces. ........ Re A RES PE 121 NE] TO) »'. [> >| pe == inef| ACCES Er IE 2| » » il » » 4! » » Pas Te CHULETISAUONRE. EE ES 3| » | » | 4| » » | »] » | » PR . _ { simples......| [#8], »| SL) ol | 6 Morsures aux mains] multiples... .| » 20) é 2 5?2| | 915 Cuutérisations efficaces............ 19240) 11] 21e == inefficuces Ste alelale ere 40 { ) » » 25 » » 19 » » Pas dercuuténsanon 2e eee pme rs » | olmalE Morsures aux mem-( simples......| »| …} sl ”| 19 »| 5) 9 bres et au tronc | multiples....| »| 2j ‘|»| 14 84, ,| 4 Cautérisations efficaces ............ A fs AE 5 » +2 308 — TRE NCACES NL (OUPS EE EC RG »y | 4] » | » PusideCHRlCNSQUOR OR RER ee 11» |» [11 » D 20) M 5 Habtisidéchirési 20. SIA T| »:| » [29] » HA ET DS EE MOTSUTES GENE. 1 à. 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N° 5 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR SUR LA DESTRUCTION DES MICROBES DANS LES ORGANISMES FÉBRICITANTS, Par MN GAMALÉIA: Toute fièvre intense et prolongée est le plus souvent liée à la présence des microbes pathogènes dans l’organisme malade. Cette coexistence de la fièvre avec les microbes peut être diverse- ment expliquée. On peut penser d'abord que la fièvre traduit une augmen- tation de la métamorphose régressive des tissus et résulte directement de l’action fermentative des bactéries. Les bactéries dédoublent, comme on sait, très énergiquement les substances organiques, et la désassimilation fébrile pourrait être produite par ce dédoublement. Cette idée cependant n’est pas confirmée par l'examen atten- lif des faits. Les observateurs ont été souvent étonnés en cons- tatant que dans diverses maladies infectieuses (entre autres dans la mieux étudiée, le charbon), le développement des bactéries dans le corps n’est pas en rapport apparent avec la gravité de l'affection pendant la vie, tandis qu’on retrouve les microbes en quantités énormes sur le cadavre. Les recherches systématiques que j'ai faites dans cette direc- tion. sur la fièvre vaccinale charbonneuse chez les moutons, 15 230 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. m'ont montré que souvent, dans ces cas, on ne trouve pas une seule bactérie vivante, n1 dans le sang, ni dans les organes inté- rieurs des animaux sacrifiés pendant la fièvre, qui peut pourtant s'élever jusqu'à 41° et au delà. D'un autre côté la fièvre peut être provoquée aussi par les bactéries mortes. Je citerai les expériences suivantes EXPERIENCE [. — 4 novembre 1887, 9 h. m. Un lapin est inoculé dans la veine de l'oreille par 4°° d’une émulsion de culture du bacille de la morve sur la gélose de Roux, tué par la chaleur de 120° pendant 20 minutes. A 10 h., on répète cette injection. A 9 h. m. avant l’inoculation. T—3908 AS A DONS SEEN PSE 4002 ACTE OMhÉSS PETER IE RENE 4055 A 5 h. m. le 5 novembre . 20c9 AO Ne: 1003 ExPÉRIENCE IL — 13 février 1888, 9 h. Un lapin est inoculé dans la veine de l'oreille par 2°° d'une émulsion stérilisée de la culture de bacillus pro- digiosus sur la gélose. À 9h. m. avant l'inoculation. T = 39° A A0 PER NT ENS RE RE 40°9 AMOR air ete 4106 AL ARS SRE MT TASER 440 AS LE PRE SRE Te | 400 AMONT ER ARR STATE 419 AT SRE A A CDS 4009 ExPÉRIENCE HE — 1% mars, S h. m. Un lapin est inoculé par 1,5 d'une émulsion stérilisée de D. prodigiosus. S h. m. avant l'inoculation. T = 400 DADÉMND ASE TERRES 3 C5) DRE PP RER LORIE 4407 FOR PRE NE EE nr 1109 10 LR DER SANTE 12 HA fbi AO SERRE + PE Ar On voit ainsi que les bactéries mortes peuvent amener une fièvre intense, quoiqu'elles soient, comme de raison. inaptes à toute action fermentative. On ne peut pas attribuer non plus le rèle pyrogène aux dias- tases ou enzymes produits pendant leur vie par les bactéries qui ont été injectées mortes : ces diastases sont détruites par la tem- pérature de 120° supportée par les cultures avant leur injection. DESTRUCTION DES MICROBES DANS LA FIÈVRE. 231 Enfin, il faut aussi mettre hors de cause les produits de l'activité vitale des microbes, tels par exemple que les ptomaïnes qu'ils sont certainement capables de sécréter, et dont la nature variable est sûrement en relation avec la virulence spéci- fique des bactéries, mais qui, nous allons le voir, n’ont rien à faire dans la production de la fièvre. On peut, en effet. établir d'abord comme un principe général qu'une augmentation dans la virulence des bactéries diminue à la fois le degré et la durée de la fièvre qu’elles provoquent. Pour le charbon et la pneumonie, on peut le démontrer par des expériences directes. Î. — INDÉPENDANCE DE LA FIÈVRE ET DES PRODUITS DE SÉCRÉTION DES MICROBES, Une infection des lapins par les bactéries du charbon amène déjà en quelques heures un accroissement de la température jusqu’à 41° et 41°,5, qui persiste environ 24 heures et tombe rapidement au-dessous de l'état normal. L’abaissement de la température s'accompagne d’un affaiblissement musculaire et d'un état somnolent menant immédiatement à la mort. Une inoculation des lapins par des bactéries plus atténuées prolonge au contraire considérablement la durée de la fièvre. ExPÉRIENCE IV. — Ainsi le 10 décembre, on fait à un lapin une injection sous-cutan'e d’une culture affaiblie de charbon (2° vaccin). Le lendemain matin, il présente une température de #1, et cet état fébrile persiste trois jours, jusqu au 14 décembre. Le soir, le lapin succombe au charbon avee une rate considérablement hypérémiée, ExPÉRIENCE Ÿ. — Le 10 décembre, une émulsion de sang pris dans le cœur d'un lapin charbonneux est injectée (0,2:°) dans le sang d’un lapin à 10 h. du matin. A 5 h.s. T — 59%8. Il a la fièvre durant la nuit, A 10h. m. le 14, la température est encore 4065, 1 meurt à 3 neures, Infecte-t-on au contraire non par le sang charbonneux, mais par une émulsion faite avec l'œdème inflammätoire qui s'est formé à l'endroit de l'inoculation chez l'animal mort de charbon, œædème où les bactéries, en pleine évolution, doivent, suivant toute apparence, produire de grandes quantités de leurs pto- maïnes, la fièvre n’apparaît plus du lLout. Ainsi : 232 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. ExPérience VI. — Le 11 novembre, à 9 h. 30’ m., un lapin est inoculé dans le sang par une émulsion de l’œdème d'un lapin charbonneux. LP LR Ten A Hotaiel— 00 A0 RS SUR EE E RERTRRSRERE 39°9 12 MALE MEET ER EE SAIS 398 L'HILADE M PE NOR 3805 DRE EPA SANTE OS 5 3809 Paralysie. On sacrifie l'animal. A l’autopsie, rate anémique et non agrandie. Grand nombre de bactéries dans le sang et dans les organes intérieurs. ExPÉRIENCE VIL — Le même jour, à 10 h. du matin, on a inoculé un autre lapin, avec la même émulsion. 10 h. 30° im. avant l'inoculation. T—3809 ADR ra ne cie Per 3904 AEREREER ER R NE eieEEe 38°2 DS RE OT ri PT Us mais 3906 Paralysie. Vers 5 h. l'animal meurt et, à l’autopsie, on constate les mêmes faits que chez le lapin précédent. Donc, les bactéries très virulentes qui donnent la mort dans un délai de 5 à 8 heures, ne provoquent plus la fièvre. La pneumonie présente les mêmes phénomènes. Tandis que les bactéries pneumoniques de virulence moyenne amènent chez le lapin, comme l’ont déjà montré M. Pasteur et ensuite M. Fræn- kel, une température montant jusqu'à 4295 et ne tombant que deux heures avant la mort, les mèmes bactéries, accrues de virulence grâce au passage par les lapins, tuent avec une fièvre peu intense. Les expériences suivantes parlent dans le mème sens. EXPERIENCE VIII, — Le 19 mars 1888, un lapin partiellement vacciné est inoculé sous la peau par 1/10 de cent. cube du sang virulent, pris dans le cœur d'un lapin mort de pneumonie infectieuse. C0 SN AT ete à PURE T = 4409 CREER LE NOR BPeGe 490 DRE MAIRE: LE Se =: 4105 RON ce Re AREA 4197 L'animal succomba le 12. DESTRUCTION DES MICROBES DANS LA FIÈVRE. 233 Des microbes plus virulents donnent la mort beaucoup plus vite et avec une fièvre moins intense. Ainsi : EXPÉRIENCE IX. — Le 91 janvier, 9 h. m. Inoculé un lapin de 14° passage. Température avant l'inoculation. T—39°2 UMR TOR RSS OU MERE SRTR 3904 PLAN 1 PATES PERRET 40°6 LA DS MS TRS TRE RO 4194 En ER ERNEST ADS 3905 À 5 h. 30° le lapin succombe. Rate anémiée, non grossie. EXPERIENCE X. — Le 14 février, à 8 h. 30° m., est inoculé un lapin de , acc 3 40° passage. Avant l’inoculation T = 3905 lONh 30 eme 3908 ERA EURE 40°9 DENMAUEENSE 40°9 HANOVRE ES 388 » h. 30’, l'animal périt. ExPÉRIENCE XI. — Le 45 février, à 9 h. du matin, on inocule dans le sang un lapin de 42° passage. Ans = 3004 Ath 4002 Ale hiee 40°8 Ensuite la température commença à tomber, et à 2 h. 30’ de l’après- midi l'animal périt. C'est ainsi que, lorsque les bactéries pneumoniques tuent les lapins dans un délai de plusieurs jours après l’inoculation, elles donnent une fièvre montant à 42%, et sur le cadavre on retrouve la rate cramoisie, hypertrophiée. Lorsque ces mêmes bactéries tuent dans un intervalle de 7 heures et demie, la température ne monte que jusqu'à 41°4 et 40°9. Quand la mort vient au bout de 5 heures et demie, la température ne dépasse pas 4008. Dans les derniers cas, la rate ne présente ni hyperémie ni hyper- trophie. Il résulte de ces expériences qu'avec l'accroissement de la virulence des bactéries disparaissent, et la fièvre, et aussi son phénomène satellite, l’hypertrophie et l’hyperémie de Ja rate. 234 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Ceci peut ètre considéré comme élabli au moins pour deux maladies : le charbon et la pneumonie. Mais, pourrait-on objecter, les mêmes ptomaïnes, qui, accu- mulées en grande quantité, produisent la paralysie et le coma, ne provoqueraient en quantités moindres que la fièvre. Les expériences directes de Hoffa' qui a isolé à l'état de pureté un alcaloïde des bactéries charbonneuses, démontrent pourtant que cet alcaloïde, même à des doses non mortelles, provoque, non pas la fièvre, mais tout à fait comme dans les cas précédents, un état somnolent et le coma succédant à une élévation minime de la température. Ainsi donc les expériences directes nous démontrent que ni l’action fermentative des bac- téries, ni les ptomaïnes qu'elles produisent, n'expliquent l’ap- parition de la fièvre. Done, si la fièvre ne dépend pas directement des bactéries, elle ne peut apparaître que comme une réaction de l'organisme contre leur présence. En quoi consiste donc ce rôle actif de l’or- ganisme ? RER MODE DE RÉACTION DE L'ORGANISME FÉBRICITANT. La réponse à cette question nous est donnée par l’examen direct des organes des animaux fébricitants. Il esi facile de s'assurer tout d’abord que, dans le charbon, les animaux mis à mort pendant que leur température est élevée, présentent une hyperémie des organes intérieurs, c'est-à-dire des reins, du foie, de la moelle des os et de la rate. Celle-ci peut subir un accroissement énorme de volume, et changer sa couleur rose en cramoisi foncé, quand elle est hyperémiée. Que celte hyperémie des organes internes soit due à des phéno- mènes de réaction, et ne soit pas provoquée par les influences chimiques ou mécaniques des bactéries, c’est ce que prouvent les expériences précitées, dans lesquelles, quand la virulence des bactéries devient plus grande. on voit disparaître non seule- ment la fièvre, mais aussi le gonflement de la rate. Il est à remarquer que ce gontlement réactionnel de la rate qui accompagne la fièvre n’est pas une propriété exclusive du 1. Die Natur des Milzhrandgiftes, 1836, 7 DESTRUCTION DES MICROBES DANS LA FIÈVRE. 239 charbon virulent chez le lapin : on peut l’observer en inoculant le virus fort aux autres animaux sujets au charbon, ainsi qu'aux animaux réfractaires; je lai trouvé aussi expérimentalemeni avec les vaccins charbonneux. Enfin, il s’observe aussi pen- dant l'acmé de la fièvre dans d’autres infections mortelles, telles que la pneumonie, la tuberculose, le rouget; il est accompagné d'un accroissement de température dans les cas d'infection avec des bactéries inoffensives, par exemple avec les bac. subtilis, megaterium et prodigiosus, de mème que dans les cas d'infections avec des cultures stérilisées de bac. mallei, tuberculosis el prodi- giosus. Elle se manifeste aussi pendant l’accroissement de tem- pérature qui suit chez les lapins l’injection dans les veines de sang de pigeon et de lait stérilisé. Non seulement ce gonflement et cette hyperémie de la rate accompagnent l'élévation de la température, mais même ils la précèdent, Ainsi le premier vaccin charbonneux provoque, quand on en injecte 50 €. c. dans le sang du lapin, une élévation de tem- pérature qui a lieu après 6 à 7 heures. Ainsi : ExpÉRIENCE XIL — Le 6 novembre, à 10 h. m., le premier vaccin a été inoculé à deux lapins. A midi la température est 3% et 3903 LAON te EE PR RAA 40°5 AA ERNANE DR NCAA 4495 2 QE D FO EE ARR A 28920 Gi LA Tandis que l’hyperémie de la rate survient déjà après deux heures, comme dans le cas suivant. Expérience XII — 12 décembre. Premier vaccin inoculé à un lapin à la température 38°9. Deux heures plus tard, elle monta à 3995. On sacrifie l'animal. Rate agrandie, eramoisie: hyperémie de la couche corticale du rein. La signification de ces changements dans la distribution du sang est fournie par l'examen microscopique des organes pris à l’'acmé de la fièvre. On reconnait alors que pendant la fièvre a lieu une lutte active avec les bactéries, lutte dont il est facile de suivre toutes les phases avec le Bac. anthracis que sa grandeur rend très commode pour cette étude. La bactéridie charbonneuse subit dans les organes intérieurs, 236 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. et principalement dans la moelle des os et dans la rate gonflée des animaux fébricitants, des changements morphologiques con- sidérables, qui se font dans les deux directions que voici : Premièrement, il se produit un gonflement et une segmen- tation des bactéries en petits articles courts qui s’arrondissent en prenant la forme de coccus, pàlissent, et refusent ensuite de se colorer par les couleurs alcalines d’aniline. Parfois la seg- mentation va encore plus loin, et à la place des petits segments il ne reste que de minces fragments, sous forme de tronçons prismatiques conservant parfois leur groupement de bacilles. Dans les coupes, on ne réussit presque jamais à donner à ces fragments la coloration typique bactéridienne, de sorte qu'ils ont l'aspect et la forme des grains de pigment. Ce phénomène de désorganisation des bactéries correspond complètement à la digestion intracellulaire indiquée par M. Æ. Metchnikoff et confirmée depuis par d’autres auteurs (Pavloffsky, Hesse). La seconde forme de l’influence de la rate fébrile sur les bac- téries est la suivante. Les bactéries conservent leur aspect de baguettes à bouts nettement tranchés, elles se rétrécissent cepen- dant en dimensions, s’amincissent, se raccourcissent de sorte que leur grandeur peut se réduire notablement. J'ai nommé afténua- tion celte transformation des bactéries, puisqu'elle est parfaite- ment analogue à la formation des vaccins du charbon, qui sont plus minces que les formes virulentes et qui s’obtiennent par un développement des bactéries dans des conditions chimiques défa- vorables. Dans ces deux cas de défiguration bactéridienne, on remarque quelquefois, autour des bactéries déformées, de grands sacs les enveloppant coume le fourreau d'un sabre. J’ai réussi à reproduire ces formes en soumettant les bactéridies à l'influence du suc gastrique naturel ou artificiel ‘. Ainsi nous voyons que dans la période fébrile, dès le début du mal, ilse fait dans les organes intérieurs et principalement dans la rate hyperémiée, une déformation et une atténuation des bactéries. Je veux citer à ce sujet quelques expériences. ExPÉRIENCE XIV. — Le 6 novembre, à 9 h. m., une culture de charbon a'été injectée, en vol. de 4%, à trois lapins. Chez le premier d’entre eux, 4. J'ai reproduit aussi toutes les formes décrites au moyen d'une substance formée par l’organisme vacciné contre le charbon. Je reviendrai prochainement sur ce fait. DESTRUCTION DES MICROBES DANS LA FIÈVRE. 237 la température ordinaire de 39°7 monte 5 heures plus tard jusqu'à 40c4. L'ani- mal est sacrifié; la rate est hyperémiée et grossie; une investigation mi- croscopique révèle un grand nombre de formes digérées ou atténuées. Les bacilles intacts ne se retrouvent que dans les reins. ExPÉRIENCE XV, — Un autre lapin présente le lendemain matin, 26 heures après l'inoculation, une température de 4092. IL est tué; les organes inté- rieurs et surtout la rate sont hypérémiés. Dans la rate, on retrouve toutes les formes possibles de désorganisation et d'atténuation des bactéries char- bonneuses. Ces mêmes formes se retrouvent aussi dans les autres organes intérieurs, de même que dans les muscles, l'œdème sous-cutané, les intes- tins, etc. EXPÉRIENCE XVI. — Le 10 décembre, à 9 h. m., on injecte du sang d'un lapin mort du charbon, dans la circulation générale de deux lapins. Un lapin noir recoit 8ce; un lapin blane 4°, A { h.la température du lapin noir est de 40°3; du blanc : 3909. À 4 h. la température du lapin noir est de 41°2; du blanc : 398. Le noir est tué à 4 h. On lui trouve la rate très agrandie e{ cramoisie, le foie et les reins hyperémiés. Une investigation microscopique révèle, dans la rate, les formes les plus diverses atténuées ou détruites; on les trouve aussi dans le foie, les poumons, les reins et l'urine. Une culture du sang et du foie donna, en même temps que des colonies de bactéries très virulentes, d'autres colonies des formes atténuées (minces baguettes à bouts arrondis) qui se reproduisirent avec les mêmes caractères dans des cultures ultérieures. Le second des lapins inoculés le 10 décembre fébricitait le lendemain, et succomba vers le soir au charbon. Mais je ne veux pas énumérer en détail toutes mesexpériences : je me contente d'indiquer à grands traits leurs résultats com- muns. Cette destruction des bactéries charbonneuses s'observe pendant la fièvre, non seulement après l'infection des lapins par le sang, mais encore après l'inoculation sous-cutanée. Elle à lieu aussi dans les cas d'infection des moutons par le charbon. Et puisqu'on l’observe chez des animaux excessivement suscep- tibles comme lapins et moutons, elle doit d'autant plus se mani- fester chez des animaux plus résistants. En effet, j'ai trouvé les deux genres de déformation des bacilles aussi bien chez les animaux peu susceptibles au charbon, comme le pigeon et le rat blanc, que chez les réfractaires. comme le chien, la poule et le lapin (au moins, pour ce dernier 238 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Ù animal, avec le premier vaccin, vis-à-vis duquel le lapin peut être considéré comme un animal réfractaire). Il faut ajouter que cette destruction des bactéries n'est nul- lement bornée à la rate. Je l’ai aussi observée sous la peau à l'endroit de l’inoculation, ainsi que dans les glandes lyÿmpha- tiques et la moelle. Je citerai seulement l'exemple suivant : EXPÉRIENCE XVI — Le 26 février, à 6 h. s., un lapin est inoculé avec une émulsion du sang du cœur d'un lapin mort du charbon. Vers 8 h. du matin, le lendemain, le lapin était mort. Daus la moelle du fémur prise peu de temps après sa mort, on trouve avee des bactéries saines, intactes, les deux formes de leur décomposition, et une culture sur plaque, faite avec ce tissu. donna aussi bien des formes saines du charbon que des formes affaiblies. Donc, chez tous les animaux, les bactéries charbonneuses subissent pendant la fièvre les deux genres de déformation décrits, les menant à leur destruction. Quant à la détermination du lieu précis de ces procès de destruction, je ne puis que con- firmer les observations de M. Metchnikoff qui trouva que les macrophages de la rate ont, même chez les animaux susceptibles, la faculté de dévorer et de digérer les bactéries. C’est ainsi que dans toutes mes expériences avec la rate, j'ob- servai de mon côté une décomposition des bactéries dans les cellules de la pulpe de la rate, munies d’un seul gros noyau arrondi. Avec ces cellules il est possible de poursuivre sur des coupes toutes les phases de la digestion des bactéridies, en commençant par les baguettes grosses et saines, et finissant par des fragments prismatiques ou en boulettes. On voit aussi qu'une baguette normale cernée par la cellule donne un rejeton mince et raccourci. Il devient donc évident que la fièvre charbonneuse s’accom- pagne d'une destruction des bactéridies. Chez des animaux réfractaires, tels que rat, poule, pigeon, chien, cette destruc- tion mène à un triomphe complet de l'animal. Quand le mal est provoqué par un virus charbonneux atténué, tel que le pre- mier et le second vaccin de Pasteur avec les lapins et les moutons, cette destruction amène aussi la guérison, et en outre, elle procure l’immunité par rapport au virus mortel. Au contraire dans les cas aboutissant à la mort, ies macrophages ne réus- sissent pas à détruire toutes les bactéries nouvellement nées DESTRUCTION DES MICROBES DANS LA FIÈVRE, 239 qui, peu à peu, infectent l’organisme de leurs plomaïnes, abaisseni la température et tuent. Donc, l'élévation fébrile de la température s'accompagne, pour le charbon chez tous les animaux, d'une activité des macro- phages digérant les bactéries. Il est naturel de se demander maintenant si cette corrélation entre la destruction des bactéries et la fièvre est générale, et si elle se laisse observer également aussi dans d’autres maladies infectieuses ? Mes expériences avec les diverses bactéries pathogènes et inoffensives. vivantes et mortes, me conduisent à répondre à cette question par l’affirmative. Dans tous les cas, à l’acmé de la fièvre, j'ai vu les bactéries introduites dans l'organisme, encore vivantes ou déjà détruites dans les macrophages. D'autre part je n’ai pu trouver de connexité entre la fièvre et l’acti- vité d’autres cellules, par exemple les leucocytes polynucléaires. EXPÉRIENCE X VII. — Ainsi, le 6 décembre, à 9 h. m., on injecte 50 & de vaccin charbonneux dans le sang d’un lapin, qui est tué 2 heures plus tard avec une température de 3905, La rate, très agrandie, de couleur cramoisi foncé, ainsi que le foie, contiennent un grand nombre de bacilles au dedans des leucocytes polynueléaires, ExPERIENCE XIX. — Le 11 décembre, à 9h. m., on injecte à deux lapins 4% de culture tubereuleuse dans le sang. Le premier présente à 9 h. m. une température de 3993; à 10 h. : 40°. Sacrifié. Rate et reins hyperémiés, Dans le sang du cœur et principalement celui du foie, les bacilles tuber- culeux se trouvent en dedans des leucocytes. La rate en contient beaucoup moins. EXPÉRIENCE XX. — Le second lapin: 9 h. m. T—39°3 40h) ns 11 h. | = {2%h;: 46°2 1e he 40°6 4h: 4028 On le tue à ce moment. Rate hyperémiée dans laquelle les leucocytes, avec les bacilles tuberculeux, se trouvent dans les macrophages. Donc on a le droit de penser qu’il existe une relation entre l'élévation de la température et la destruction des bactéries dans les macrophages. Le phénomène pathologique de la fièvre dans les maladies infectieuses se laisse donc considérer comme 240 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. l'ensemble des changements dans les appareils de la circulation ainsi que dans les systèmes glandulaires, à l'aide desquels s'opère la destruction et l'élimination des bactéries. MÉCANISME DE L'ÉLÉVATION DE LA TEMPÉRATURE. Nous avons jusqu'à présent laissé tout à fait de côté l'étude des causes plus intimes de l'élévation de la température. Et, en premier lieu, qu'est-ce qui apparaît d’abord, la destruction des bactéries ou l'élévation de la température ? Afin de résoudre ce problème, j'ai eu recours à une maladie typique des moutons, accompagnée d’une forte fièvre et ne menant jamais à la mort. C’est la fièvre vaccinale charbonneuse, donnée par le premier ainsi que par le second vaccin; elle apparaît le surlendemain de l’inoculation, dépasse parfois à son acmé 41°, et ne dure ordinairement pas plus de 24 heures. L'examen des organes intérieurs de ces moutons vaccinés et sacrifiés à différentes périodes de la fièvre vaccinale, montre qu'il se passe ici, de même, un phénomène extrémement accentué de destruction des bactéries. EXPÉRIENCE XXI. — Le 12 août, on inocule à un mouton le second vaccin : Le 12 la température est de 393 le matin. de 3994 le soir De MAS CES ce NE Cr LEE Da rem es vi0P AIG SDIE Meta US EL 4 40007 40° le soir On sacrifie l'animal. Foie et reins fortement hyperémiés, rate hyperé- miée. Celle-ci ne contient pas de bactéries, tandis que dans le foie et sur- tout dans les reins on retrouve beaucoup de bactéries détruites. Le foie et les reins servent à l’inoculation de lapins qui restent vivants ‘. EXPÉRIENCE XXI. — Le 12 octobre, on sacrifie un mouton pendant l'abaissement de température qui a suivi la fièvre provoquée par le second vaccin inoculé le 10 octobre. Reins et rate hyperémiés. Tous les organes, mais principalement le foieet les reins, sont remplis de bactéridies charbon- neuses détruites. Avec tous les organes on f&it des ensemencements dans des milieux nutritifs qui sont restés tous stériles. ExPÉRIENCE XXIIT. — Le 14 octobre, à midi, un mouton est vacciné du deuxième vaccin. Le lendemain, à 7 h. m., sa température est de 4191, et à 9 h. de 4192. On le tue. Là rate est fortement hyperémiée. Les reins de même dans la couche 4 Notre race de lapins ne résiste jamais à l'inoculation par le deuxième vaccin. DESTRUCTION DES MICROBES DANS LA FIÈVRE. 241 corticale. Les reins et les poumons présentent une masse de bactéries char- bonneuses détruites, les autres organes en contiennent peu. Pas un seul de ces organes n'a donné de culture, Une émulsion des poumons fut injectée à une souris qui resta vivant(e. ExPÉRIENCE XXIV. — Le 93 octobre, on sacrifie un mouton inoculé le 14: la température des cinq derniers jours était normale. Dans le foie et les reins on trouva une quantité de bactéries charbonneuses déformées en coceus. La culture n’a été possible avec aucun des organes, EXPÉRIENCE XXV. — Le 11 octobre, un mouton, inoculé la veille par le second vaccin, est mis à mort pendant l'élévation de la température à 4401, La rate est agrandie et hyperémiée, les reins hyperémiés, Dans la rate, on trouva une masse de bactéries charbonneuses déformées. Dans le sang du cœur on en trouve d’intactes. Pourtant un lapin, infecté avec le sang, resta vivant. EXPERIENCE XX VI — Le 30 octobre, le matin, on sacrifie un mouton inoculé la veille au soir. La température reste encore normale. Dans tous les organes, et surtout dans la rate, on trouve en grandes quantités des bactéridies normales et toutes sortes de formes de leur destruction. Des émulsions du foie et de la rate sont inoculées à deux lapins, qui restent vivants. Dans des cultures ensemencées avec la rate et le foie poussèrent les bacilles du second vaccin. Avec les reins, rien. EXPÉRIENCE XXVII. — Le 2 novembre, à 9 h. s., le second vaccin est inoculé à une brebis, Le lendemain matin, à 7 h., la température est de 39°4, et à 9 h. de 40%. On sacrifie l'animal. Dans la rate, le foie et les museles, J'ai trouvé beaucoup de bacilles intacts et en voie de démembre- ment; dans les reins, il y en avait beaucoup moins. Le sens général de ces expérinces est évident. Dans la période de l’abaissement de la température, les bactéries détrui- tes se trouvent principalement dans les reins ; la rate n’en con- tient pas. Pendant l’acmé, on peut observer dans la rate les diffé- rentes phases de destruction des bactéries du deuxième vaccin. Les ensemencements restent pourtant inféconds. Dans la période enfin où la température monte, les bactéries intactes, donnant des cultures, existent déjà dans la rate, le sang du cœur, et d’au- tres organes intérieurs. Outre cela il y a déjà dans la rate les différentes phases de leur décomposition. J'ai des expériences toutes pareilles faites avec le premier vacein sur des moutons frais, et avec du virus fort chez des mou- tons partiellement réfractaires. Dans tous ces cas le phénomène de la destruction des bactéries apparaît comme complètement terminé vers l'époque de l’abaissement dé la température etmême 249 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. déjà pendant l’acmé ; et au contraire ce phénomène est en pleine marche pendant la période de l'élévation de la température. Ainsi, me fondant sur les expériences avec les vaccins char- bouneux ‘, je crois pouvoir conclure que l'élévation de la tempé- rature fait suite à l’activité des macrophages et à la destruction des bactéries, et ne se présente donc que comme un phénomène secondaire. Cette conclusion résultait déjà des relations observées entre la température et l’état de la rate fébrile, dont l'hyperémie, ainsi que celle d’autres organes intérieurs, précède l'élévation de la lempérature, ce qui revient à dire que le fonctionnement des macrophages devance la fièvre. Tirons maintenant les conclusions. La période fébrile des maladies infectieuses accompagne la destruction des bactéries dans l'organisme fébricitant, c’est ce que prouvent denombreuses expériences pour le charbon. et c’est ce qui a été trouvé aussi pour la pneumonie et autres infections. Le procès fébrile n’est donc pas le résultat de l’action des bactéries ; 1l traduit, au con- traire, une réaction de l'organisme contre leur présence, et consiste en leur destruction et leur éloignement. ILE. -— RELATION ENTRE L'ACTIVITÉ DES MACROPHAGES ET L ÉLÉVATION ULTÉRIEURE DE LA TEMPÉRATURE. Ici se présente la question : quelle sorte de connexité existe-t-il entre ces deux phénomènes, l'activité des macro- phages et l'élévation de la température qui le suit? Peut-on admettre entre eux un lien purement physique et expliquer l'excédent thermique par l’afflux plus rapide du sang dans les organes intérieurs? Il faut répondre non à cette question. L’assimilation par les macrophages de 50 c.c. de lait introduit dans les veines, ce qui équivaut à la moitié de la quantité du sang de l'animal, ne porte point la température du lapin à 41°; une digestion par les macrophages de 50 c.c. de culture du premier vaccin ne fait monter la température à 41l°5 que pendant deux heures tout au plus ; tandis que 2 c.c. de culture stérilisée du bac. pro- 1. Les résultats concernant l'acquisition de l’immunité fercnt l'objet d'un autre article. DESTRUCTION DES MICROBES DANS LA FIÈVRE. 243 digiosus provoque pendant 8 à 10 heures de suite une tempéra- ture de 41°. Évidemment, l'intensité de la fièvre est en rapport avec la composition chimique des substances à digérer. Ilse peut que pendant cette digestion, quoiqu'elle soit intracellulaire, il s'élimine, quand mème, au dehors des cellules, une diastase produisant une destruction des matières organiques, et par conséquent, un élèvement de température. En faveur de cette dernière idée, je peux citer plusieurs expériences. Dans la rate de différents animaux sacrifiés pen- dant la fièvre, j'ai pu trouver une substance qui, injectée dans le sang des lapins, leur donnait un considérable et typique élève- ment de température. On procédait de la manière suivante : on versail sur la rate fraichement hachée de l'alcool absolu qu'on séparait après 2 heures par simple filtration : le résidu était alors pulvérisé et mélangé avec de l’eau. Cette masse était filtrée sur le filtre Chamberland, et ce liquide filtré injecté dans la veine de l'oreille de lapins en quantité de 4 c.c. Voici quelques expériences : EXPÉRIENCE XX VII. — Le 27 février, à 6 h. s., on injecte ns la veine de l'oreille d'un lapin 4° du liquide obtenu par filtration de la rate d'un mouton sacrifié après l'infection par le deuxième vaccin. Avant lPNIeCton Can NS ER UREMe T—=3908 Après l'injection, à 6 h. 30° . . . . .. 10 — _ AAA NES 7 0e 4107 — — à 8 h. MNT 2007 ExpERIENCE XXIX, — Le 98 février, un autre lapin recoit la même dose du même liquide à 3 h. de l'après-midi. Avant l'injection, 81 3h us ep h=:5 Ja Après l'injection, à 3 h. 30° . . . . . . AA —— — à 4 h. + ANS AI — — HR LE A FE 1005 _ — à 6 h. NES AE 1005 Expérience XXX. — Le 29 février, un autre lapin reçoit la même dose du mème liquide, rendu alcalin par la potasse caustique Avantiliniections a Jehe se. © T —3968 Après l'injection, à 2 h. 30’ AIS — —- à 8h 4lo ® —Æ De AN ce 0 Ee 4197 = = EPA ne FM 1001 244 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. ExPÉRIENCE XXXI. — Le 1% mars, un liquide filtré, préparé de la même manière avec la rate d’un mouton infecté par le premier vaccin charbonneux. est injecté en quantité de 4 dans la veine d’un lapin : Avant'l'injechon; à 6 /h2s rte T = 39% Après l'injection, à 6 h. 40 ,..... 4002 — — PRET eg LPS SRE A 4109 — — des A0 ET ER à 4007 On voit d'après ces expériences qu'on peut extraire des rates une substance qui a une action pyrogène très prononcée. Nous croyons intéressant de faire remarquer que cette action pyrogène est immédiate : elle apparaît déjà 30 minutes après l'injection et atteint son maximum au bout d'une heure. Avec cette subs- tance on n’a pas cette période latente de 5-12-24 heures que l’on voyait dans nos précédentes expériences avec l'infection bacté- rienne. Cette période latente serait très bien expliquée par la durée nécessaire à la multiplication des bactéries inoculées, à l'hyperémie des organes intérieurs et au passage de la sub- stance pyrogène dans le sang. Nous laissons ouverte la question sur la nature de cette substance qui pourrait ètre identique avec l'hystozyme que M. Schmiedeberg * avait éludiée et à laquelle il a attribué la désassimilation physiologique. Ainsi, on peut envisager la fièvre infectieuse comme une réaction organique contre l'invasion des microbes, où, par suite de l’action digestive des macrophages, serait produite une sub- stance pyrogène. A ce point de vue, l’action des antipyrétiques qui agissent non pas directement contre les microbes, mais contre la fièvre en modifiant la répartition du courant sanguin, paraît extrème- ment douteuse, vu que, détournant le sang des organes inté- rieurs, ils ne peuvent que retarder le procès de la guérison. D'un autre côté, le phénomène pathologique de la fièvre, considéré comme une activité digestive des macrophages, serait, au contraire, salutaire et même désirable, dans certains cas de faible réaction contre les microbes. Cet ordre d'idées sera du reste discuté dans un travail prochain. 1. Archiv. f. esp. Pathologie vu. Pharmacol. Bd XIIE. ETUDE SUR LE DEVELOPPEMENT DU TUBERCULE EXPÉRIMENTAL, Par M. À. YERSIN. FE: Il n'y a pas de sujet sur lequel les anatomo-pathologistes se soient plus exercés que sur la tuberculose. Avant que l’on ne connüt son étiologie, on distinguait plusieurs maladies : scrofu- lose, pneumonie caséeuse, lupus, coxalgie, etc., dont chacune avait son anatomie pathologique et avait été l'objet de nombreux travaux. Depuis, les découvertes de M. Villemin et surtout de M. Koch ont permis d'attribuer ces diverses affections à une seule et même cause, le bacille de la tuberculose, et des lors, l'obscurité cesse, et la maladie est définie par sa cause même. Aussi les travaux antérieurs, quel qu'ait été du reste leur mérite, perdent un peu de leur importance; ce n’est pas que ceux qui étaient bons aient cessé d’être bons, c’est que le point de vue a changé. Il faut aujourd'hui refaire l'anatomie pathologique de la tuberculose en prenant pour élément essentiel le bacille. Com- ment pénètre-t-il dans les tissus? Comment autour de lui se déve- loppe le tubercule? Par quel mécanisme se produisent la maladie et la mort? Ainsi envisagée, l'anatomie pathologique prend un intérêt tout particulier, Il ne suffit plus d'étudier les lésions sur ie cadavre : il faut, pour bien suivre toutes les phases de la maladie, associer la pathologie expérimentale à l’ancienne anatomie pathologique. M. Koch, le premier, est entré dans cette voie, et dans son beau mémoire Die Aetioloqie der Tuberkulose ‘ , nous a donné une description du tubercule et de ses rapports avec les bacilles. Pour lui, un bacille qui pénètre dans l'organisme est bientôt {. Mittheilungen ans dem kaiserlichen Gesundheitsamte, vol. IL. 16 946 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. englobé par une cellule migratrice ; celle-ci le transporte dans un organe, dans un ganglion par exemple. Le bacille prolifère, et sous l’action d’une substance chimique qu’il sécrète, la cel- lule migratrice prend un aspect spécial qui lui a fait donner le nom de cellule épithéhoïde. Le tubercule est formé par un groupe de ces cellules épithélioïdes. Les cellules géantes ne sont que des cellules épithélioïdes dont le noyau seul s’est multiplié. La caséi- fication du tubercule résulte d’une nécrose des cellules; elle a lieu du centre à la périphérie, et est accompagnée d’une dimi- nution dans le nombre des bacilles. M. Baumgarten ‘, peu après, publia à son tour un important travail sur le mode de développement du tubercule. Il employa le procédé élégant de l’inoculation dans la chambre antérieure de l'œil du lapin. Il sacrifiait ses animaux à des époques variables, et il a pu ainsi observer des faits très intéressants. M. Baumgarten relègue tout à fait au deuxième plan l’action des leucocytes dans la formation du tubercule, et par contre, il fait jouer aux cellules fixes du tissu un rôle prépondérant. En résumé, voici comment il décrit la formation du tubercule. On inocule dans la chambre antérieure de l'œil du lapin un fragment d’organe tuberculeux. La cicatrisation de la plaie se fait rapidement sans amener aucune réaction. Pendant les 3 ou 4pre- miers jours, les bacilles prolifèrent silencieusement dans le fragment d’organe lui-même; puis, dès le cinquième jour, ils commencent à s'étendre dans le Lissu avoisinant immédiatement leur premier point de culture. On les voit, soit libres entre lés fibrilles connectives, soit contenus dans l’intérieur des cellules fixes du issu conjonctif, jamais dans les leucocytes. Dès le 6° jour, on observe qu'un certain nombre de cellules fixes du Ussu con- jonctif sont en voie de division indirecte. Le plus souvent, ces cellules contiennent de un à trois bacilles; elles prennent un aspect épithélioïde; ce sont elles et non pas des cellules migra- trices qui vont former le jeune tubercule. Plus tard, lorsque les bacilles sont devenus très nombreux, les figures karyokinétiques deviennent de plus en plus rares. On voit alors dans le centre du tubercule les cellules épithélioïdes grossir de plus en plus, et leur noyau se multiplier sans division du protoplasma cellulaire ; 1. Ueber Tuberke! und Tuberkulose. Zeitschr, f. klin. Med., Bd. IX et X, 1885. DÉVELOPPEMENT DU TUBERCULE EXPÉRIMENTAL. 247 ainsi se forment les cellules géantes. Dès le 10° jour seulement, on observe une dilatation des vaisseaux qui entourent le tuber- cule, et une émigration de leucocytes qui viennent se mêler aux cellules épithélioïdes. La caséification résulte de la désagrégation des cellules et commence au centre du tubercule. M. Baumgarten, en étudiant la tuberculose pulmonaire, ganglionnaire, hépatique, splénique, intestinale, rénale, arrive toujours au même résultat : le tubercule est formé par la multi- plication karyokinétique des éléments épithéliaux, de l’endo- thélium des vaisseaux, des cellules hépatiques, spléniques, et des éléments fixes du tissu conjonctif. Le rôle joué par les leuco- cytes reste toujours très secondaire. L'auteur fait cependant remarquer que dans les formes de tuberculose à marche très rapide, l’infiltration lymphoïde du tubercule a lieu beaucoup plus vite que dans les formes chroniques. Les travaux qui ont été faits dans ces derniers temps sur l'anatomie pathologique de la tuberculose sont si nombreux que nous renonçons à les citer. Aussi bien, pour la plupart, ne se rapportent-ils pas à notre sujet, qui est étroitement limité à l'étude du développement d’un tubercule expérimental. Dernièrement, M. le professeur Cornil a fait à ce sujet une intéressante lecon à la Faculté de médecine ‘. Il avait inoculé dans les veines d'un lapin une culture pure de bacilles de la tuberculose, et avait sacrifié l'animal au bout de huit jours. A l’autopsie, on voyait déjà une hypertrophie considérable du foie et de la rate, mais aucune granulation n'était encore visible à l’œil nu. Dans les coupes du foie, on trouvait les petites veines altérées, thrombosées par places, et contenant dans la partie thrombosée et dilatée une quantité énorme de bacilles, avec des globules blancs accumulés, et une cellule géante déjà formée dans le milieu du jeune tuereule. Dans les vaisseaux mêmes, on observait de nombreux éléments lymphatiques en karyokinèse, une inflammation de l’endothélium vasculaire et du tissu hépatique avoisinant. Dans ces mêmes expériences, la rate est devenue, comme le foie, le siège d'une accumulation considérable de bacilles de la tuberculose dans ses vaisseaux. 1. Elle a été publiée dans le Journal des connaissances médicales, 1888, n°$ 4, 5, 6, 248 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. On en trouve en particulier des amas dans les veines de la pulpe, soit libres, soit contenus dans les cellules lymphatiques. Au milieu de ces veines, il existe, comme dans celles du foie, des oblitérations vasculaires causées par de la fibrine, des cellules lymphatiques et des cellules géantes. Pour M. Cornil, les cellules géantes semblent débuter dans ces vaisseaux « par des accumulalions d’une substance granu- leuse ou réfringente qui se fond avec les cellules lymphatiques voisines, ou bien par Îa prolifération par karyokinèse des cellules lymphatiques. On trouve souvent en effet dans la rate des cellules intravasculaires présentant les figures de la karyokinèse ». Si l’on suit la marche ultérieure de la tuberculose expéri- mentale de M. Cornil, on trouve que les tubercules deviennent visibles au bout de 15 jours. et apparaissent alors comme un fin semis blanchätre des organes. « Les nodules tuberculeux sont formés ; au centre sont les cellules géantes, à leur périphérie une zone d'éléments embryonnaires provenant des globules blancs extravasés el des cellules conjonctives ou hépatiques proliférées ; les parois des vaisseaux qui étaient primilivement le siège de cette lésion ne sont plus reconnaissables, car ils ont été entourés d’une zone proliférante formée par le tissu voisin. Les lésions s’accentuent et se généralisent rapidement, et au bout d’un mois environ, les animaux meurent. » Dans cette étude, nous nous bornerons à étudier le dévelop- pement de cette forme curieuse de tuberculose que l’on obtient en injectaut daus les veines de lapins une certaine quantité d’une culture du bacille de la tuberculose, faite sur un milieu glycé- riné, d’après la méthode de MM. Roux et Nocard. Cette forme de tuberculose diffère considérablement de la forme ordinaire si bien décrite par MM. Koch, Baumgarten et Cornil; aussi on ne sera pas élonné si, sur plus d’un point, nous paraissons en désaccord avec ces savants, ce qui s'explique peut-être par une différence dans la virulence des cultures que nous avons employées. DÉVELOPPEMENT DU TUBERCULE EXPÉRIMENTAL. 249 i12 Lorsqu'on inocule à des lapins, par injection intraveineuse, de une à 10 gouttes d’une culture de tuberculose dans le milieu glycériné ‘,les animaux succombentrapidement avec des lésions caractéristiques. La durée moyenne de la maladie est (pour une série de 32 lapins) de 17 à 18 jours. Les limites extrèmes auxquelles on a observé la mort ont été le 12 et le 27° jour. Les animaux ont constamment maigri, jusqu’à perdre le quart ou le tiers de leur poids. Cet amaigrissement est surtout marqué pendant les derniers jours, où les animaux restent couchés, tristes et refusant toute nourriture. La température des lapins subit une élévation notable dès la fin de la première semaine, et monte rapidement pendant les derniers jours. La mort arrive à la suite d'une faiblesse croissante. Elle est plus hâtive lorsque la température extérieure est basse. A l’autopsie, on ne trouve comme lésions macroscopiques qu'une rate très hypertrophiée, souvent énorme, et un gros foie. Nulle part, aucun tubercule apparent. Quelquefois, on observe de plus un peu de péritonite séro-fibrineuse, de la dégénéres- cence graisseuse desmuseles adducteurs de la cuisse ; mais c’est l'exception. Nous donnons ci-joint l'histoire d’un lapin, qui, mort le 27° jour seulement, offrait à l’autopsie les lésions ordinaires dans toute leur netteté. Le 9 décembre 1886, on inocule dans les veines de 2 lapins, à chacun 2/10 de centimètre cube d’une culture de tuberculose dans bouillon glycériné. Le lapin A pèse 2 kilog. 820. Le lapin B pèse 2 kilog. 485. Le 29 décembre (20e jour), le lapin A meurt après avoir maigri de 340 grammes, 1/8 de son poids. Le 5 janvier 1887 (27° jour), le lapin B meurt. Il a maigri de 840 grammes, soit de 1/3 de son poids. A l’autopsie de ce dernier, on trouve la paroi musculaire de 4. Culture sur sérum ou gélose glycérinés, diluée dans un peu d’eau, de façon à ce que le liquide d'inoculation soit légèrement trouble. Nous avons aussi employé des cultures dans le bouillon glycériné. 250 "ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. l'abdomen amincie. On voit par transparence la vessie dilatée et remontant jusqu’au niveau de l’ombilic. Elle renferme une urine acide avec de gros flocons de mucus. Il n’y a ni albumine ni sucre. On n'y trouve également pas de bacilles sur des pré- parations colorées. La surface du péritoine pariétal et viscéral présente de petits dépôts fibrineux simulant des tubercules. 11 y a de plus un peu de liquide trouble épanché dans le péritoine. On fait des préparations colorées avec ce liquide, et on trouve qu'il contient des bacilles en petit nombre, soit libres, soit dans les cellules. La paroi de la vessie et celle du gros intestin sont hypérémiées et ecchymosées. De plus, la paroi de l'intestin est œdématiée. La rate est rendue adhérente au bord inférieur du foie par un dépôt fibrineux. Elle est molle, friable, très hypertrophiée. Ses dimensions sont de : 10, 5 centimètres en longueur ; 2,5 centi- mètres en largeur. Elle pèse 12 grammes”. Des préparations colo- rées faites avec sa pulpe montrent une quantité énorme de bacilles soit libres, soit surtout dans les cellules. L’aorte abdominale, la veine cave inférieure ont leurs parois œædématiées. Les veines mésentériques sont dilatées; la veine rénale, en particulier, l’est extraordinairement : elle est grosse comme un tuyau de plume. Les reins sont jaunâtres, pâles. Le foie est gros, brunâtre. Son tissu est ferme. Les poumons, de couleur rosée, paraissentparfaitement sains. Les muscles adducteurs des cuisses ont une couleur blan- châtre et présentent une striation dans la direction des fibres. A l’examen histologique, on constate qu’ils présentent un haut degré de dégénérescence graisseuse *. Les autres muscles paraissent normaux. En ouvrant le crâne et les vertèbres, on remarque que la substance osseuse est très fragile, friable, comme raréfiée. Des préparations colorées faites avec la substance médullaire des ver- tèbres montrent une grande quantité de bacilles disposés comme dans la rate. Les os longs présentent les mêmes particularités : ils sont 1. Une rate ordinaire de lapin pèse 1 gramme. 2. Pendant les 8 derniers jours de sa vie, le lapin présentait une curieuse atti- tude, ne pouvant plus rapprocher ses cuisses l’une de l’autre. DÉVELOPPEMENT DU TUBERCULE EXPÉRIMENTAL. 9251 friables, leur moelle est congestionnée et contient beaucoup de bacilles. | Les ganglions lymphatiques, bien que de volume normal, renferment des cellules remplies de bacilles. Dans le sang, il n'y en a pas, ou tout au moins nous n’en avons pas trouvé en faisant plusieurs préparations. On n’en trouve pas non plus dans la substance nerveuse de la moelle épinière. EH: Nous avons fait des coupes des organes de ce lapin (rate, foie. poumons, reins) et nous avons coloré les bacilles en violet par le violet de gentiane, et le tissu en rouge et jaune au moyen du picrocarmin de Orth. Rate. — La rate, examinée à un faible grossissement (70 dia- mètres), présente déjà des altérations très apparentes. Les corpus- cules de Malpighi sont’heaucoup plus écartés entre eux qu'ils ne le sont normalement; ils sont infiltrés et présentent une hyper- trophie, plus apparente que réelle, et provenant de la dissémi- nation de leurs éléments. Leurs limites sont mal tranchées. Dans leur intérieur, on remarque de nombreux nodules hyalins. La pulpe splénique, elle-mème, a un aspect délayé, infiltré, à cause de la présence d’une très grande quantité de petits nodules hyalins qui sont placés entre les éléments lymphatiques. Les trabécules connectifs sont visibles, mais paraissaientamincis, comme étirés. A un plus fort grossissement (300 diamètres), on constate que les nodules hyalins observés dans les corpuscules de Malpi- ghi et dans la substance splénique sont formés par des cellules épithélioïdes avec un ou plusieurs noyaux. Elles paraissent con- tenir de nombreux bacilles. Ces nodules sont très serrés, si ser- rés que leurs limites en deviennent peu nettes. Ce sont les jeunes tubercules. Les trabécules connectives sont comme dissociées ; leurs noyaux ne se colorent plus bien. (PI. VI, fig. 18.) A'un fort grossissement (Immersion + — 500 diamètres), il devient difficile de bien différencier les nodules tuberculeux dans la pulpe splénique, tant ils sont serrés les uns contre les autres. Les bacilles sont contenus en grand nombre dans les leucocytes et les cellules géantes; ils sont souvent disposés dans ces der- nières comme les rayons d'une roue. On trouve également des 202 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR, bacilles libres peu nombreux. Ün certain nombre de cellules géantes paraissent ne pas contenir de bacilles. Nous n’en avons vu aucuu dans les trabécules connectives. (PI. VI, fig. 19.) Foie. — Le foie, comme la rate, paraît, à un grossissement de 70 diamètres, infiltré par une masse énorme de petits nodules arrondis ou de forme irrégulière qui sont assez uniformément dis- séminés dans la substance hépatique. La structure de l'organe est tellement altérée par cette sorte d'infiltration, que les lobules hépatiques deviennent très difficiles à distinguer. Les gros vais- seaux sont plus écartés entre eux que dans l'état normal, ce qui s'explique facilement par l’hypertrophie du foie. On n'’observe aucune formation nouvelle de tissu conjonctif dans les espaces porte. A 300 diamètres, les capillaires paraissent très dilatés. Par places, ils sont obstrués par un gros nodule arrondi ou allongé, cylindrique, formé par des cellulles épithélioïdes, des leucocytes et des cellules géantes avec une masse énorme de bacilles. (PI. IV, fig. 10.) Avec l'immersion (7 — 500 diamètres) on constate que les bacilles pullulent dans les nodules tuberculeux. Ils sont disposés en colonies, soit librement dans la fibrine, soit dans les cellules épithélioïdes, les leucocyteset les cellules géantes. (PI. IV, fig. 14.) Dans les cellules hépatiques mêmes, il n'y à pas de bacilles. Leurs noyaux se colorent bien et leur protoplasma paraît nor- mal. La délimitation des tubercules est en général assez nette. On voit bien que par leur développement ils ont écarté les cellules hépatiques en dissociant ainsi les lobules. Les noyaux des capillaires sont partout très visibles et gon- flés; on constate de plus la présence de beaucoup de leucocytes libres dans les vaisseaux. Les reins ne présentent aucune altération. Les glomérules sont de grosseur normale ; l’épithélium des tubuli est conservé. Il n’y a nulle part de nodules tuberculeux n1 de cellules migra- trices. Il faut bien chercher pour trouver dans les capillaires de quelques glomérules deux ou trois bacilles contenus dans l’in- térieur d’un leucocyte. Les poumons sont également normaux. Nulle part on ne note d’exsudat : ni dans les alvéoles ni entre elles. Aucune desqua- die RQ PTS ae DÉVELOPPEMENT DU TUBERCULE EXPÉRIMENTAL. 953 mation épithéliale. Cà et là, dans les fins capillaires, on voit un leucocyte porteur d’un ou deux bacilles. Dans un seul cas, sur 32 lapins inoculés dans les veines, nous avons observé sur les poumons un semis de petites taches ecchy- motiques qui, sur des coupes, paraissaient être de nombreux tubercules à tous les stades de développement, depuis la simple accumulation de leucocytes obstruant un capillaire dilaté, jus- qu'au tubercule bien formé avec centre caséeux, cellules géantes et épithélioïdes à la périphérie. Nous avons choisi pour notre étude cette forme particulière de tuberculose à cause de la régularité de son évolution : les animaux meurent toujours en un temps relativement court et avec les mêmes lésions. Il est donc facile de suivre pour ainsi dire pas à pas toutes les phases de la maladie avec un nombre res- treint d'animaux qu'on inocule la même jour, avec la même cul- ture, et qui, pendant l’évolution de la maladie, restent toujours à peu près comparables. Enfin l'injection intra-veineuse de cul- tures pures nous met à l'abri de toute action microbienne secon- daire, comme cela peut avoir lieu lorsqu'on expérimente par exemple avec des crachats tuberculeux. IV. Dans le but de suivre jour par jour le développement des lésions que nous venons de décrire, nous avons inoculé en une fois une série de 9 lapins; puis, tous les 2 jours, nous avons sacrifié un animal; le dernier, resté comme témoin, est mort le 21° jour. - La culture employée pour cette expérience avait pour origine une tuberculose de veau inoculée à un cobaye, qui lui-même était mort en 6 semaines avec d'énormes lésions tuberculeuses. Avec la rate de ce cobaye, on avait ensemencé des tubes de sérum glycériné. En 15 jours, le développement des colonies était devenu manifeste. Deux lapins inoculés dans les veines avec celte première cullure étaient morts au bout de 20 et 23 jours avec les lésions décrites ci-dessus, tandis que un lapin inoculé dans les veines directement, avec la rate du cobaye, mourut au bout de 41 jours avec une belle granulie de tous les organes. Nous avons fait des générations successives sur gélose glycé- 254 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. rinée avec cette première culture; celle que nous avons employée pour notre série était une 6° génération ensemencée depuis un mois. Chaque lapin a reçu, dans une veine de l'oreille, un demi- centimètre cube d'eau distillée dans laquelle on avait délayé une petite quantité de la couche blanchâtre de bacilles qui s'était développée sur la surface nutritive ensemencée. Chaque jour, on a pris la température et le poids des animaux. et voici le résumé de leurs histoires individuelles. LAPIN A. — [L'inoculation des lapins ayant eu lieu le 6 décembre 1887, on en sacrifie un (A) par le chloroforme le 8 décembre, soit 2 jours après l'inoculation. Ses variations de poids et de température sont inscrites dans le tableau ci-dessous. La température et le poids sont restés normaux. Les organes paraissent également sains. On fait des coupes de la rate, du foie, des poumons et des reins. La rate, à uu faible grossissement, ne présente rien à noter. Les corpuscules de Malpighi sont bien limités; la pulpe splé- nique est homogène. Les noyaux des tractus fibreux se colorent bien. (PI. V, fig. 12.) Avec un objectif à immersion, on aperçoit çà et là, entre les cellules, jamais dans leur intérieur, un bacille isolé, quelque- fois deux. Il est difficile de dire si ces bacilles sont contenus dans les capillaires, à cause du peu de netteté de ces vaisseaux dans la rate. Mèmes remarques pour le foie. Ici, seulement, on constate DÉVELOPPEMENT DU TUBERCULE EXPÉRIMENTAL. 9255 très nettement que les rares bacilles que l’on rencontre sont bien situés dans les capillaires. Il se sont arrètés en général très près des espaces porte, et sont accolés à la paroi du capillaire par un petit dépôt de fibrine. (PL. IE, fig. 2.) Rien à noter dans le rein et le poumon. LAPIN 8. — Le 10 décembre (5° jour) on sacrifie le lapin B. Température et poids réguliers. (Fig. 2.) Comme chez A, rien à noter à l’autopsie. Les coupes des organes ne présentent à un faible grossisse- ment aucune lésion apparente. [ D BEF AÈNEE BC SNBREER . A l’immersion, on constate dans la rate et dans le foie que les bacilles sont en prolifération active. Dans les capillaires du foie, en particulier, on les voit souvent former dans leur sup- port de fibrine de petites colonies en croissant. (PI. IE, fig. 5.) Nulle part on ne trouve de bacilles dans les leucocytes, ni de leucocytes en excès dans les vaisseaux. Lapin c. — Le 3° lapin est sacrifié le 12 décembre (T° jour). Pas d’élévation de température (fig. 3), ce qui est une excep- tion, car chez tous les autres lapins, on a noté un peu de fièvre depuis le 5° jour. L'animal a un peu maigri. Les organes ne présentent aucune lésion macroscopique apparente. A un faible grossissement, on ne voit rien encore d’anormal. À l'immersion, les colonies et groupes de bacilles sont plus 256 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. denses et plus nombreux, mais n amènent toujours aucune réac- tion apparente dans les tissus. LAPIN D, — Le 4° lapin est sacrifié le 14 décembre (9° jour). La température s’est élevée depuis le 6° jour; l’animal a maigri. (Fig. 4.) en BDAHOOES 2A\ CAR PS. nue ne 520 SESSSees EE EREREE 2100 EEE M EE 2002 STE] - ni a 2 1900 B 7] SIT Aucune lésion macroscopique à l’autopsie. Les coupes colorées de la rate et du foie sont très instructives. Dans la rate, à un faible grossissement, on aperçoit entre les corpuscules de Malpighi, dans la pulpe splénique, de nombreux petits groupes de cellules fortement colorées. (PI. V, fig. 13.) A un fort grossissement, on constate tout d’abord que ces nodu- les ne contiennent aucun bacille, mais qu'ils sont formés par des DÉVELOPPEMENT DU TUBERCULE EXPÉRIMENTAL. 257 cellules spléniques en prolifération active. On voit des figures de karyokinèse parmi elles. (PI. V. fig. 14.) Les bacilles forment des colonies de plus en plus nombreuses el denses. Il est difficile de déterminer si autour de ces colonies il y a ou non accumulation de leucocytes; on n’observe en tous cas pas de cellules en division karyokinétique auprès d'elles. En certains points, on voit des cellules migratrices renfermant un ou plusieurs bacilles. Dans le foie, on trouve, à un faible grossissement, de nombreux petits nodules groupés surtout le long des espaces porte, et qui paraissent formés par une accumulation de leu- cocytes dans les fins capillaires; ceux-ci sont en ces points-là dilatés en ampoule. Souvent au milieu du nodule on aperçoitun espace plus clair. (PI. IL fig. 4.) A l'immersion, on remarque de nombreuses cellules migra- trices dans les capillaires, dont les parois sont enflammées, car les noyaux deleur endothélium paraissent gonfléset ils se colorent fortement. Elles sont arrondies, en croissant, en bâtonnets. On en voit un grand nombre en division karyokinétique. Quelques- unes sont remplies de bacilles et entourées d’une petite coque fibrineuse à limites mal tranchées. (PI. IL fig. 5.) En certains points, elles se sont accumulées autour des colonies de bacilles, toujours dans leur support de fibrine. En ces points-là, le capillaire est dilaté par ce petit nodule qui formera le tubercule. Les bacilles qu'il contient sont en partie libres, en partie dans les leucocytes. On peut parfois surprendre un bacille pénétrant dans un leucocyte. La lutte est donc enga- gée entre les microbes et les phagocytes de M. Metchnikoff. Dans les coupes du rein et du poumon, il y a dans les vais- seaux beaucoup de leucocytes, mais pas de bacilles. Il est curieux de remarquer combien longtemps les bacilles ont pu se multiplier librement sans causer aucune réaction appa- rente du côté de l'organisme. Pendant 6 jours au moins, leurs colonies se développent sans que l’on observe la moindre inflam- mation autour d'elles. Il est probable, d’après cela, que la sub- stance chimique qu’ils sécrètent est bien peu active ou peu abondante avec ce mode d’inoculation. Observons de plus que le processus tuberculeux semble rester limité aux vaisseaux. Nulle part, nous n'avons pu trouver 258 ... ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. de cellules hépatiques en karyokinèse ou en dégénérescence, et cela chez tous les animaux de notre série. Lapix E. — Le 5° lapin est sacrifié le 16 décembre (11° jour). L'élévation de température a eu lieu dès le 7 jour, et l’ani- mal a beaucoup maigri. (Fig. 5.) À l’autopsie, on ne note rien d’anormal. La rate est petite; elle pèse un gramme comme celle des quatre premiers lapins. Femp PF hessha SN 1er 18 0 AMP POS le Fete i | EE IE LEE 40 °0 39°0 [ 2200 i 2100 | 2000 ne : 1900 Dec © | 6 | 7 | 8 | 9 | 10 | 11 | 12 | 13 | M | 15 | 16 | Gramm. Fig. 5. Les coupes de la rate et du foie ne diflèrent guère de celles du lapin précédent. On trouve cependant beaucoup moins de bacilleslibres. Leplus grand nombre sont contenus dans les leuco- cytes, où ils pullulent au point que l'on a souvent de la peine à reconnaître la forme de la cellule qui les porte ‘. (PI. V, fig. 15.) Ici donc, en adoptant l'interprétation de M. Metchnikoff, le phagocyte sert de nourriture aux bacilles. Lapix r. — Le 13e jour (18 décembre), on sacrifie un nou- veau lapin. La température a monté depuis le 7° jour, et l'animal a perdu 200 grammes de son poids. (Fig. 6.) A l’autopsie,on trouve que la rate commence manifestement à s'hypertrophier. Elle pèse 2 grammes. Le foie paraît un peu grossi. Il saigne moins à la coupe que chez les lapins précédents. La moelle des os est un peu congestionnée. 1. On trouve également quelques bacilles dans les noyaux des cellules endo- théliales des capillaires. DÉVELOPPEMENT DU TUBERCULE EXPÉRIMENTAL. 259 Dans les coupes de la rate, on voit toujours les petits nodules de prolifération décrits plus haut, mais les tubercules com- mencent aussi à se former. Ils sont encore très peu nets et ne consistent guère que dans des groupes de cellules remplies de bacilles avec un peu de fibrine entre elles. La prolifération des bacilles dans les phagocytes a été telle en certains points qu'on ne voit plus le phagocyte, et qu'il ne reste que la colonie de [T#1] [Ter BNBRD CE ATH RANRRRENNEN TX \ HE CITTTETT ET LA | CUTETTTTTT Ie DITIITITTI D CUTTTEN MEEINDES CITTTITUN [TTTTE BEURECHRERBEBRENNE CETTOIPTTTTTITIN A | | bacilles comme moulée sur son intérieur. Les cellules géantes n’existent pas encore. On voit cependant çà et là, autour de ces détritus de leucocytes dans lesquels les bacilles continuent à pulluler, un certain nombre de nouveaux leucocytes qui se groupent à la périphérie en demi-cercle ou en croissant, serrés les uns contre les autres : c'est le commencement de la formation des cellules géantes. Dans le foie, ou a toujours des nodules tuberculeux formés de leucocytes disposés en couches concentriques, et qui con- tiennent pour la plupart des bacilles. Il est très intéressant de noter qu'autour de ces leucocytes on voit la fibrine se rétracter, en sorte que ceux-ci sont entourés d’une zone encore mal limitée ressemblant au protoplasma d'une cellule épithéliale. C'est là le début de la formation des cellules épithélioïdes qui plus tard constitueront le tubercule. On voit toujours, cà et là dans les capillaires, des cellules migratrices libres chargées de bacilles. Lapix 6, — Le 20 décembre (15° jour) on sacrifie le 7° lapin. 260 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Dans sa courbe de température (fig. 7) l'élévation du 5° jour est peu nette, mais dès le 12° jour, on a une hausse rapide. L'amaigrissement est peu considérable. L'autopsie nous montre uneratehypertrophiée, de 3 grammes; un foie d'une couleur plus brune que rouge, d’une consistance ferme, et ne saignant presque plus à la coupe au moment où on sacrifie l'animal. Dans les coupes de la rate, les tubercules deviennent plus nets quoique encore irès pelits ; ils sont constitués surtout par des cellules épithélioïides qui se sont formées, ainsi que nous Æ -E EE [rl x | SARA HE ASS 2e En EX EE ER QE Es Pr I 1] [1 PES ES a ES nl EE | (ES ESA EEE [_] Ez MARS En [1 SRE REIE ENREE ESS 4 2 ES FE ES \ ue ST L Lel 1 ets EX IE CLR gET Ne | LT] RS pd els) 2 Es El ELA EG El ES 1 De eu SET EE BEN EP 06 EN EN D 4 EN ES REA TU F2 ce PE ES fo PE ER FSI (SE [En fn ee EN (es en EI ESS ES mises] RE RRE mes ces ER ES ES 54 it SNS Bees SDÉRSROTe Dee mme Cefrete popnpiepapuepefe ff eno Fig. 7 venons de le décrire à propos du foie du lapin F, par rétraction de la fibrine autour des leucocytes porteurs de bacilles. (PI. VE fig. 16.) Les cellules géantes sont maintenant bien formées, grâce à la rétraction et à la délimitation nette du détritus homogène autour duquel étaient groupés en demi-couronne les leucocytes. Les cellules spléniques s’espacent de plus en plus à cause de l'infiltration de l'organe. Les noyaux des trabécules fibreuses ne prennent plus bien la matière colorante. Dans le foie, les tubercules grossissent. Ceux qui sont rap- prochés commencent à se confondre entre eux. Ils sont toujours disposés en majorité au pourtour des lobules hépatiques, près des espaces porte. Comme dans la rate, on observe avec une grande netteté la formation des premières cellules géantes au centre des nodules tuberculeux, là où les bacilles, par leur multi- plication incessante, ont réduit leurs phagocyles en un détritus Do Te > LES \o/ #8)7° ss 1% A, F th À Ksrmansk Chromoli 1 \ #5 © O7. ski del. Morax et Karman Arnales de l'institut Pasteur. PLAIN À Karmanski chromolith Imp.Lemercier etC'° Pans. Morax et Karmanski del. PE. V. nnalës dé lnstututPasteur FA À . { ie s rl à 1 1 sk chromointf ar mar vs K ie À et Karmansk del le Mo SEIS, OPEL EE ï DIN RSI M | NE TP LX LA . D. L Morax et Karmanski del 9 Lemercrer 4 UE farrs À Karmanskt Olu omolin DÉVELOPPEMENT DU TUBKRCULE EXPERIMENTAL. 961 homogène. Les cellules épithélioides se limitent de mieux en mieux. (PL. IIT. fig. 6.) LAPIN H. — Le 8° lapin est sacrilié le 22 décembre (13° jour). La courbe de température (fig. 8) nous montre la première élévation au 6° jour, et la deuxième depuis le 14° jour. L’amai- grissement n’est pas encore bien marqué. | d 7] SEC EU 0 2 00 SNA ratatetARe Vr tetes tee] ane CAPE, a) as 0e NE EE an frere] En ee Tr one [5 fa ete lo] In mate tetes lets] EE] Eu] melaperechalz tele SES DE La fe | pr fe fe | BANSSESRESES ESSSSENS EAN EE Sense 2 es En DE VI Len Ho BRÉRÉÉrE ete SE GE SEL GES SE RT 1] ele] SRE OS CUS M DRE ae CHEN: En? 4 CNE EE — A Dana ense rare meteo ee IN Ti ele sels lee Mes es EM SSSR Eee LE Œts ESS BA Bel 2 ES FE obtetepeppepepenife DEEE GODODE À l’autopsie, on trouve une rate de 4 grammes, un foie éga- lement grossi et ne donnant plus que quelques gouttes de sang à la coupe, au moment où l'animal est sacrifié. Dans les coupes de la rate, on voit que les tubercules sont bien formés avec leurs cellules épithélioïdes, leurs cellules géantes et leurs bacilles. (PL. VI. fig. 17.) Dans le foie, les tubercules sont très nombreux ; ils com- mencent même à devenir confluents. Il y a beaucoup de cellules géantes ; les bacilles qu’elles contiennent se colorent tous bien ; ils ne sont pas granuleux: il n’y en a que peu qui soient con- tenus dans les noyaux leucocytaires. (PI. [V, fig. 8 et 9.) Les cellules épithélioïides sont très nettes; leur corps cellulaire, qui, nous l’avons vu, nest que de la fibrine rétractée, a ses contours bien limites. 17 262 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. LAPIN 1. — Le dernier lapin, enfin, meurt spontanément le 26 décembre (21° jour). Dans sa courbe de température (fig. 9) on note les deux éléva- tions, le 4° et le 13° jour, et un refroidissement rapide le dernier jour. On peut voir comme l’amaigrissement est considérable pendant les derniers jours. ESEURIES nn . HAN D RE EE [ES EL (| [= RSI PS ON NS RS A EN ES ES En, JET ÉCLLITE UT pate Etes 26 k Eniannns Efinaaianannans 5 E L’autopsie nous montre les lésions déjà décrites plus haut (p. 251). La rate pèse 5 grammes, le foie est hypertrophié, la moelle des os est très congestionnée. Nous ne reviendrons pas sur l’examen des coupes des organes, que nous avons déjà fait plus haut. (PI. TV, fig. 10 et 11 “et pl. VL fig. 18 et 19.) | Signalons seulement ici ce fait'curieux que dans la moelle des os, dont nous avons fait des préparations colorées avec tous nos lapins sacrifiés, ce n’est que chez ce dernier animal que DÉVELOPPEMENT DU TUBERCULE EXPÉRIMENTAL. 263 nous avons pu constater un grand nombre de bacilles. Chez tous les autres, il fallait beaucoup chercher pour en trouver 2 ou 3 par lamelle. Il semble donc que la généralisation de la tuberculose dans la moelle des os ne se fait que tout à fait dans les der- niers jours de la maladie. NE Ainsi, nous donnors à nos lapins, par l'injection intravei- neuse de cultures sur milieux glycérinés, une forme de tubercu- lose toute particulière dans sa marche, sa durée et ses lésions. Les bacilles inoculés s'arrêtent surtout dans les capillaires de la rate et du foie (près des espaces porte). Là, ils déterminent la formation d’un petit coagulum de fibrine, dans lequel ils se multiplient jusqu'au 5°-7° jour, saus qu'il paraisse y avoir de réaction du côté de l’organisme infecté, ni élévation de tempé- rature, ni émigration de cellules. Dès la fin de la première semaine, on observe une proliféra- tion active des cellules de la rate et des leucocytes libres dars les vaisseaux, concordant avec une élévation de la température des animaux. Dans le foie, les colonies de bacilles sont alors entourées par des cellules migratrices, les phagocytes de M. Metchnikoff; on observe ainsi la formation de petits nodules qui dilatent les capillaires aux points où ils se trouvent. Çà et là, on voit des cellules migratrices remplies de bacilles, libres dans les capillaires. À aucun moment, on n’observe une multiplication karyokinétique ou une dégénérescence des cellules hépatiques. Vers le milieu de la deuxième semaine, presque tous les bacilles sont contenus dans les cellules où ils continuent à pro- liférer activement. Sous l’action très probable d'une diastase qu'ils sécrètent, on voit les leucocytes qui les portent s’entourer d'une petite coque de fibrine qui se rétracte autour d'eux en leur donnant l'aspect de cellules épithéliales (formation des cellules épithélioïdes). Bientôt un certain nombre de leucocytes sont entièrement détruits par les bacilles, en sorte que ceux-ci devien- nent de nouveau libres. C’est alors que les phagocytes reviennent à la charge, mais celte fois en plus grand nombre et comme avec une nouvelle tactique : ils se massent en demi-cercle auprès de la colonie de bacilles et provoquent la rétraction de la fibrine et la délimitation 264 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. nette du détritus granuleux dans lequel se trouve la colonie; en un mot, la cellule géante est formée. Ce phénomène a lieu à la fin de la deuxième semaine et au commencement de la troisième; il est accompagné d’une nouvelle et forte élévation de la température. Mais les animaux sont épuisés et meurent toujours avant que le tubercule ait commencé à se caséifier. A l’autopsie, nous le répétons, aucun tubercule apparent, mais seulement une rate énorme et un foie très hypertrophié. VL. La méthode que nous avous suivie dans cette étude nous a permis d’éclaireir plusieurs points encore controversés dans la formation du tubercule, notamment en ce qui concerne le rôle des leucocytes et la formation des cellules épithélioïdes. S'il est en elfet souvent fort difficile d'interpréter des lésions anatomi- ques achevées, il en est autrement lorsqu'on les voit se développer dans toutes leurs phases et cela dans les divers organes. Ces conditions favorables, réalisées dans nos observa- tions, nous permettent d'affirmer, contrairement à l'opinion de M. Baumgarten, le rôle important que jouent les leucocytes dans la formation des tubercules. De plus, dans nos examens en série, nous avons suivi, de la facon la plus nette, la transformation des leucocytes en cellules épithélioïdes : les phases de cette transfor- mation, ainsi que celles de la production des cellules géantes, peuvent se lire sur les figures jointes à ce mémoire. Nous pou- vons ainsi confirmer l’opinion avancée par MM. Koch et Cornil à ce sujet. Les conclusions que nous avons tirées de l'étude anatomique qui précède ne se rapportent rigoureusement qu'à l’évolution du lubercule dans les conditions où nous nous sommes placé; c’est-à-dire dans le cas de l'injection intraveineuse de bacilles d'une virulence donnée et que nous avons définie pour le lapin. Elles nous paraissent cependant pouvoir s'étendre aux tubercu- loses généralisées qui suivent l'inoculation sous-cutanée ou intra- péritonéale de matière tuberculeuse. Les bacilles se multiplient d'abord au point d'inoculation. Ils pénètrent ensuite dans les slobules blanes qui les transportent dans les divers organes par DÉVELOPPEMENT DU TUBERCULE EXPÉRIMENTAL. 265 les voies lymphatique et sanguine. Là où s'arrêtent ces leucocytes commence le processus que nous avons décrit et qui aboutit à la formation du tubercule typique. EXPLICATION DES PLANCHES. PI. IL. Fig. 4. — Foie du lapin A. sacrifié 2 jours après une imoculation intravei- neuse d'une culture de tuberculose (G — 125). «. veine hépatique; — b. espace périportal avec les vaisseaux porte, hépa- tique et biliaires. Fig. 2. — Foie du même lapin à un grossissement de 660. a, capillaire: — b, cellule hépatique; — €. bacilles arrêtés sur la paroi du capillaire par un petit coagulum de fibrine. Fig. 3. — Foie du lapin B, sacrifié le 5° jour {G — 660). a, capillaire; — b, cellule hépatique; — ce, colonies de bacilles dans un petit coagulum fibrineux. Fig. 4. — Foie du lapin D, sacrifié le 9% jour (G — 200). a, veine hépatique; — bb. accumulation de leucocytes, etleucocytes libres dans les capillaires. PL. EII. Fig. 5. — Foie du lapin D. sacrifié le 9 jour (G — 660). a, accumulation de leucocytes autour des bacilles dans un capillaire dilaté : — bb, leucocytes libres contenant des bacilles: — ce, leucocytes libres sans baecilles. Fig. 6. — Foie du lapin G, sacrifié le 15° jour (G — 660). a a, capillaires; — bb, leucocytes avec leur coque fibrineuse. déjà bien formée: — c, colonie de bacilles qui a détruit un leucocyte et qui est entourée de nouvelles cellules migratrices. Fig. 7. — Foie du lapin H, sacrifié le 172 jour (G — 200). æ. veine hépatique; — b,b, tubercules confluents. PL. EV, Fig. 8. — Foie du lapin H. sacrifié le 47e jour (G. — 660). au, capillaires; — b, détritus fibrinoïde granuleux avec bacilles; — c, groupe de cellules migratrices agglomérées à aspect souvent épithélioïde. Fig. 9 — Foie du même lapin H (G = 660). au, capillaires avec de nombreuses cellules migratrices libres à aspect souvent épithélioïde; — b, cellule géante bien limitée avec ses bacilles; — €, un des noyaux leucocytaires de la cellule géante b. 266 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Fig. 40. — Foie du lapin], mort spontanément le 21e jour (G = 200). aa, tubercules confluents; — b, capillaires avec de nombreux leucocytes libres; — c, cellules hépatiques. Fig. 11.— Foie du même lapin J, à un grossissement de 340. u, capillaire dilaté avec cellules épithélioïdes et bacilles; — b, cellules hépatiques; — cc, cellules géantes. PI. V. Fig. 42. — Rate du lapin A, sacrifié le 8° jour (G — 150). a, capsule de la rate; — b, corpuscule de Malpighi: — c, vaisseau central du corpuscule de Malpighi:; — d, pulpe splénique. Fig. 13. — Rate du lapin D, sacrifié le 9: jour (G — 125). a, corpuseule de Malpighi; — b, vaisseau central du corpuscule de Mal- pighi; —ce, nodules de prolifération dans la pulpe splénique; — 4, pulpe splénique. Fig. 44. — Rate du même lapin D, à un grossissement de 660. a, nodule de la prolifération dans la bulbe splénique ; — bcdefqh, cellules spléniques en karyokinèse; — 1, capillaire. Fig. 45. — Rate du lapin E, sacrifié le 11° jour (G — 660). au, cellules spléniques; — b, bacilles libres; — cc, leucocytes avec des bacilles. PI. VI. Fig. 16. — Rate du lapin G, sacrifié le 15° jour {G — 200). aa, cellules spléniques déjà assez espacées; — bb, nodules de proliféra- tion; — cc, tubercules naïissants, Fig. 17. — Rate du lapin H, sacrifié le 17° jour (G — 195). a, corpuscule de Malphighi; — bb, tubereules; — c, cellules spléniques espacées. Fig. 18. — Rate du lapin I, mort spontanément le 21e jour (G — 200). aa, tubercules avec bacilles; — b, pulpe splénique. Fig, 19. — Rate du même lapin I, à un grossissement de 660. a, Capillaire avec leucocytes épithélioïdes et bacilles libres: — b, tuber- cule; — ce, cellules géantes. LÀ INFLUENCE DEN VAPEURN D'ACIDE BLUORHYDRIQUE SUR LES BACILLEN TUBERCULEUX, Par MM. J. GRANCHER et P. CHAUTARD. Nous avons étudié : 1° L'influence de l'absorption de vapeurs d’acide fluorhydri- que par les voies respiratoires sur l’évolution de la tuberculose conférée aux lapins par inoculation intra-veineuse. 2 L'action de l'acide fluorhydrique sur les cultures de tuberculose, 2x vitro. L'exposé de nos recherches comprend donc naturellement deux chapitres, subdivisés en trois parties consacrées : la pre- mière à la description des dispositions expérimentales, la deuxième à la relation des expériences, la troisième aux conclu- sions. Ï. — INFLUENCE DE L'ABSORPTION DE L'ACIDE FLUORHYDRIQUE PAR LES VOIES RESPIRATOIRES, Dispositions expérimentales. — Pour soumettre nos animaux à des inhalations méthodiques de mélanges titrés d'air et de vapeur d'acide fluorhydrique, nous avons fait choix des dispo- sitions suivantes : Le lapin en expérience est placé, dans sa cage, sous une grande cloche de verre rodée et bitubulée de 70 litres de capacité. Cette cloche est rendue parfaitement adhérente au plan de verre sur lequel elle repose par l’interposition d’un peu de graisse, de sorte que l’accès de l’air dans la cloche et sa sortie ne peuvent se faire que par les tubulures. L'une de ces tubulures (A) est en communication avec un aspirateur qui détermine un appel d'air de vitesse constante. Pour obtenir ce résultat, nous avons légèrement modifié la trompe de Bunsen, comme l'indique la figure 1. L'eau arrive dans le réservoir R par Le tube T et elle prend, dans ce réservoir, Le niveau du trop-plein T’. Quelles que soient les variations de la pression dans les conduites, ce niveau reste le même, et, par 268 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. suite, l'aspiration est toujours produite par une même colonne d’eau HH, limitée en haut par le niveau de l’eau dans le réser- voir, et, en bas, par l’orifice du tube de déversement. La chute d’eau étant constante, l'appel d’air l’est aussi. Fig. 4. On peut à volonté diminuer ou augmenter cet appel d'air en ouvrant ou fermant le robinet V qui règle le débit de l’eau dans la trompe. Le volume d'air qui passe dans l'appareil est mesuré au moyen d’un compteur à expériences. Dans nos recher- ches, il donnait le plus souvent 60 à 70 litres à l'heure. La deuxième tubulure B est en communication avec un flacon laveur dans lequel l’air barbotte, avant son entrée dans la cloche, dans la disolution d'acide fluorhydrique qu'on veut expérimenter. Ce flacon a été enduit, au préalable, d’une mince couche de paraffine qui préserve ses parois de l’action de l'acide fluorhydrique. Expérience’ Lf— Le 6 janvier 1888,isix lapins reçoivent dans la veine de l'oreille 1° de bouillon de veau stérilisé contenant en ACIDE FLUORHYDRIQUE ET TUBERCULOSE. 269 suspension une culture pure de tuberculose ensemencée le 28 décembre 1887. | Deux de ces animaux sont réservés comme témoins; les quatre autres ont respiré, dans l'appareil ci-dessus décrit, pendant deux heures chaque jour, de l'air qui avait traversé une dilution à 10 °/, d'acide fluorhydrique du commerce *. Les deux témoins sont morts le même jour, le 29 janvier. Deux des lapins soumis aux inhalations de vapeurs d’acide fluorhydrique sont morts le 27 janvier. Le troisième est mort le 29 et le quatrième le 30 janvier. Tous ces animaux étaient porteurs des mêmes lésions : Rate tuméfiée. foie décoloré, muscade, poumons congestionnés. Pas de tubercules apparents. Mais l'examen microscopique fait voir que le foie, la rate, le poumon, le foie surtout, contiennent une grande quantité de bacilles tuberculeux, et de nombreux tuber- cules élémentaires disposés à la périphérie du lobule hépatique. Tous les lapins avaient perdu dans les derniers jours de leur vie une grande quantité de leur poids, variable de 250 à 515 grammes. Conclusion. — Dans cette expérience, l’action des vapeurs d'acide fluorhydrique a été nulle. Mais on pouvait attribuer cet insuccès à la trop forte dilution de l'acide employé, nous avons donc fait une nouvelle expérience. Expérience 11. — Le 30 janvier, six lapins reçoivent, chacun, dans la veine de l'oreille 1e de culture de tuberculose ense- mencée le 6 janvier, et mise en suspension dans du bouillon stérilisé. Deux de ces animaux sont conservés comme témoins. Les quatre autres respirent, chaque jour pendant deux heures, l’air de la cloche mélangé de vapeurs d'acide fluorhydrique. Le titre de la dilution employée était de 40 °/, pour les deux premiers lapins et de 60 °/, pour les deux derniers. Les lapins témoins sont morts le 14 février. Les deux lapins qui ont respiré les vapeurs d'acide fluorhy- drique à 40 °/, sont morts l’un le 12, l’autre le 14 février. Les deux lapins qui ont respiré les vapeurs d'acide fluorhy- drique à 60 °/, sont morts l’un le 13, l’autre le 14 février. 1. L'acide fluorhydrique du commerce dont nous nous sommes servis contien 44 9/0 d’'H F1 gazeux pur. t9 70 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Les lésions trouvées à l’autopsie sont les mêmes chez les témoins et les animaux traités. C’est le tubercule microscopique du foie, de la rate et du poumon. Conclusion. — Dans cette seconde expérience l'action des , Ç Ê , . ; vapeurs d'acide fluorhydrique sur l'évolution de la tuberculose expi- rimentale a été nulle. IT, — ACTION DE L’ACIDE FLUORHYDRIQUE SUR LES CULTURES DU BACILLE TUBERCULEUX. On peut objecter à ces premières expériences que le mode d’inoculation choisi (linoculation intra-veineuse) est, de tous, le moins favorable à l’action utile de vapeurs médicamenteuses ; car l'infection directe du sang, qui retentit d’abord sur le foie et la rate, et secondairement sur le poumon, semble «& priori peu justiciable d’une thérapeutique dont l'effort principal porte sur la surface des voies respiratoires. Nous avons donc recherché si les vapeurs d’acide fluorhy- drique, mises en contact direct avec une culture pure de tuber- culose, étaient capables de tuer les bacilles de cette culture. Dispositions expérimentales. — Un fragment de culture pure de tuberculose sur peptone gélosée et glycérinée est délayé dans 106 d’eau stérilisée, et introduit dans une pipette Pasteur modi- liée par l’adjonction de deux tubes plongeants (fig. 2). La pipette Fig. 2. est alors réunie d’une part à l'aspirateur déjà décrit, d’autre part à un flacon laveur dans lequel vient barbotter l’air qui doit la tra- verser. Dans ce flacon b, on verse 50° d’une dissolution aqueuse d’acide fluorhydrique au titre que l’on se propose d’expérimenter. ACIDE FLUORHYDRIQUE ET TUBERCULOSE. 271 Ainsi que le représente la figure 2, l’aspiration se fait en 4, et l’air entré en b se charge de vapeurs d’acide fluorhydrique et barbotte dans la pipette c, qui contient la culture tuberculeuse diluée. Il suffit de régler avec soin le débit de la trompe pour éviter la mousse et le mouillage du tampon de coton qui ferme le tube de la pipette. Expérience I. — Dans quatre pipettes disposées ainsi, nous faisons passer pendant une heure et demie un courant d'air, réglé à 50 litres à l'heure environ, et traversant au préalable des flacons laveurs qui contiennent des dilutions d'acide fluorhydri- que du commerce aux titres : 10 °/, 20°/,, 40°), (5 M Pa Ceci fait, nous prélevons dans chaque pipette 1° de son con- tenu, et nous l’injectons dans la veine de l'oreille d’un lapin. Un second lapin /émoin recoit la mème quantité de la même culture, ou mieux, de la même dilution, qui n’a pas été soumise à l’action des vapeurs d'acide fluorhydrique. Ainsi, 8 animaux ont été inoculés, 4, servant de témoins, avec une culture pure diluée dans l’eau stérilisée, et 4 avec la même culture après action des vapeurs d'acide fluorhydrique. Les inoculations ont été faites le 10 février. PREMIÈRE SÉRIE. Vapeurs d'acide fluorhydrique, Le témoin meurt le 27 février, titré à 40 0/,. Le lapin d'essai meurt le 2 mars. DEUXIÈME SÉRIE. Vapeurs d’acide fluorhydrique, | Le témoin meurt le 4° mars. titré à 20 ?/,. | Le lapin d'essai meurt le 4 mars. TROISIÈME SÉRIE. Vapeurs d’acide fluorhydrique, (| Le témoin meurt le 2 mars. titré à 40 0}. | Le lapin d'essai meurt le 3 mars. QUATRIÈME SÉRIE. Vapeurs d'acide fluorhydrique, { Le témoin meurt le 29 février. titré à 60 9/5. Le lapin d'essai meurt le 4 mars. L Conclusion. — De cette première série d'expériences on peut conclure que l'action directe des vapeurs d’acide fluorhydrique sur le bacille tuberculeux est réelle, puisque les animaux d’essai sonttous morts un, trois et quatre jours après les témoins, nas que cette action est faible, puisque la survie a été très courte. 272 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Les huit animaux autOpsiés portaient toujours les mêmes lésions microscopiques qu'on ATOS constamment dans ce mode d’inoculation. Expérience II. — Comme on pourrait attribuer l’insuccès de ces expériences à une trop grande dilution de l'acide fluorhy- drique et à une trop faible durée d'action de ses vapeurs sur la culture du tubercule, nous avons refait la même expérience dans les conditions suivantes : Les dilutions d'acide fluorhydrique introduites dans les fla- cons laveurs ont été de 40 °/,, 60 ?/,, 80 ‘/,, et enfin l'acide pur du commerce ‘ De plus, nous avons prolongé le barbottage pendant quatre heures et demie. Puis, le 7 mars, nous avons procédé à l’inocuiation de six lapins, deux servant de témoins, chacun des quatre autres rece- vant dans la veine de l'oreille 1°° de culture traitée par les va- peurs de l'acide fluorhydrique aux titres sus-indiqués. Les deux témoins meurent, l’un le 20, l’autre le 24 mars: Le lapin d'essai à 40 °/, meurt le 2 avril; Le lapin d'essai à 60 °/, meurt le 3 avril; Le lapin d'essai à 80 ‘/, meurt le 16 avril; Le lapin d'essai à l’acide pur est sacrifié le 3 mai. Il est en- core vivant ce jour-là, mais est très maigre et pèse 1,6506° au lieu de 2,100%, son poids initial. Sa rate contient quelques tu- bercules miliaires apparents, son foie est muscade, son poumon contient de nombreux groupes de tubercules miliaires. Tous les autres animaux ont succombé avec la lésion de la tuberculose microscopique. Conclusion. — De cette seconde série d'expériences, on peut conclure que l’action directe et prolongée des vapeurs d'acide fluorhydrique sur le bacille tuberculeux diminue sa virulence, mais ne le tue pas. 1. La culture dans laquelle a passé, pendant 4 heures et demie, un courant d'air barbottant dans 50“ d'acide fluorhydrique du commerce dilué à 40 0/5, a retenu 0gr,041 d’acide gazeux pur, soit 1,6 p. 1000. La culture traitée par la dilution à 60 °/, en a retenu 0°,107, soit 4,3 p. 4000. La culture traitée par la dilution à 80 °/, en a retenu 0,213, soit 8,5 p. 1000. La culture traitée par l'acide concentré du commerce a retenu 0,903 d’acide, soit 36 p. 1000. ACIDE FLUORHYDRIQUE ET TUBERCULOSE. 273 Dans cette expérience, l’action des vapeurs d'acide fluorhy- driquea été proportionnelle à la concentration de l'acide employé. Plus cette concentration a été grande, et plus les animaux ont résisté. Le lapin inoculé après action des vapeurs d'acide fluor- hydrique pur a survécu deux mois environ, et aurait peut-être vécu encore une ou deux semaines. Cependant, il était tuber- culeux à l’autopsie. Les vapeurs d’acide fluorhydrique pur, mises pendant plus de quatre heures en contact direct avec une culture de tuberculose, n’ont donc pas réussi à luer tous les bacilles de cette culture. Or, ces vapeurs, malgré la paraffine protectrice, avaient attaqué le verre de la pipette Pasteur, qui contenait la culture essayée, et formé une grande quantité d'acide hydro- fluosilicique, et c’est un liquide trouble, blanchi par cet acide, que nous avons injecté dans l'oreille de notre quatrième lapin. La résistance des bacilles tuberculeux aux vapeurs d’acide fluorhydrique est donc bien plus grande qu'on ne pouvait le supposer, d’après les expériences de M. H. Marün, qui a vu qu'une trace presque impondérable, ww, ww d'acide fluorhy- drique du commerce, ajoutée à un milieu ensemencé de tuber- cules, empêche le développement de la culture. Il semble aussi que ces expériences n’autorisent pas toutes les espérances qu'a fait naître l'observation de cas favorables dans l’espèce humaine, à moins que, par une action indirecte sur les sécrétions et sur la nutrition. les vapeurs d’acide fluor- hydrique n’influencent favorablement la marche de la tubercu- lose. Nous ne croyons pas qu'on puisse légitimement espérer atteindre et détruire, au plus profond de l’économie, par les vapeurs de l'acide fluorhydrique, le bacille tuberculeux, que ces mêmes vapeurs atténuent, mais ne tuent pas in vitro, après un contact prolongé pendant plus de quatre heures. Mais toutes les tentatives sont légitimes pour combattre l’agent de la phtisie pulmonaire, et les vapeurs d’acide fluorhydrique, qui sont très bien supportées par la plupart des malades, sont, en somme, un moyen d'atténuation, sinon de destruction du bacille tuber- culeux. C’est déjà quelque chose. ÉTUDE SUR LES FORMES FURIEUSE ET PARALYTIQUE DE LA RAGE CHEZ LE LAPIN, Par M. HELMAN. Dans son zèle éclairé pour les recherches scientifiques qui. comme celles de M. Pasteur, sont fécondes pour le bien de l’hu- manité, S. À. Mgr le prince d'Oldenbourg a créé, à ses frais, un Institut antirabique à Saint-Pétersbourg, et l’a doté de façon à y permettre l'étude de beaucoup de problèmes. J'en ai abordé quelques-uns, à la solution desquels j'aiconsacré jusqu'icienviron 2,500 animaux (chiens, lapins, singes, chats, cobayes, rats, loups, chevaux, chèvres, pigeons, canards). Je ne parlerai pour aujourd'hui que du problème des relations entre les deux formes typiques de la rage chez les lapins, la forme furieuse et la forme paralytique. On connaît depuis longtemps les deux formes chez le chien. On sait aussi, par les travaux de M. Pasteur et de ses collabora- teurs, que l’on peut passer par inoculation de l’une de ces formes à l’autre, et qu’il faut dès lors les considérer comme produites par un seul et même virus. Toutefois, de faibles doses de virus, introduites par trépanation ou par injections sous-cutanées, donnent le plus souvent la rage furieuse ; de fortes doses, sur- tout quand elles sont introduites par injections sous-cutanées ou intraveineuses, donnent de préférence la forme paralytique. On est donc conduit à croire que les symptômes: rabiques dépendent, non du virus lui-même, mais de la nature des points du système nerveux où 1l se localise et se cultive. Sur les lapins, on est arrivé depuis longtemps, au labora- toire de M. Pasteur, à une forme paralytique régulière. La rage furieuse n ÿ apparaît plus qu'exceptionnellement, après avoir été plus fréquente dans les premiers passages. Cette stabilité ne üendrait-elle pas à ce qu’une longue série de cultures, faites tou- jours dans les mêmes conditions et dans le même sens, en prenant RAGE FURIEUSE DES LAPINS. 275 toujours pour point de départ des moelles de lapin mort de rage paralytique, ont donné des allures constantes à une ou plusieurs des qualités du virus, sans aller pourtant jusqu à en changer la nature. C’est avec cette idée que cadrent le mieux et s'inter- prètent le plus nettement les faits qu’il me reste à exposer. Le 20 novembre 1885, j'inoculai par trépanation, à trois lapins, la moelle d’un chien incontestablement enragé d’après son autopsie, et qui avait mordu son maître, un officier qui depuis a subi avec succès le traitement préventif. Un de ces lapins mourut d'une maladie probablement étrangère à la rage, le 7° jour après l’inoculation. Les deux autres moururent de la rage furieuse qui éclata chez l’un après 11 jours, chez l’autre après 26 jours, et les emporta le 13e et le 28° jour après l’inoculation. Le 4 décembre, j'inoculai par trépanation à un autre lapin la moelle de celui qui avait eu une inoculation de 11 jours. Le lapin du second passage fut atteint le 11° jour et mourut le 12. Ainsi se trouvait commencée une série que j'ai poussée aujour- P 1 2 3 4 5 6 7 8 9° 40 I 11 {1 93 12 4 | 43 Qu A0 10 8 M | 43 12 31 6 ete AA 15242 20 Y t t Î t t t { iF {F CSC PR ta anne Fat 45. "16 717-2817 20" "20 I 10 14 | JA 11 15 |. 14 8 | 142 9 9 M | 43 16 23 | 43 16 (32 Mol 19 1 il \ t 1 s( ST { it? { { t { t p |-24:.) 292) 99341v041/:96:L96:127|,9281-929.}.30 I 17 (1 11 12 12 9 9 10 | 40 11 M | 49 13 14 12 43 1 40-| 41 EE 12743 \' { (h { t t { { ( { { pile 32 [532083241951 301l'aenrle ssl is" I 11 11 17 29 12 | 16 9 TIRE M | 13 12 19 31 414 {9 | 42 11 12 16 V t { im ? { { Î ( t t ( PA ant as es Part a6 47 ds | 49 |'50 Ï 13 10 12 15 11 m1 9 10 9 11 M | 44 13 13 16 LE en NA 19 | A | 4 1! t t ( € Ÿ t ( { ( t L P 61 |:52-| 53 | 54 | 55) 56 | 57 | 58 | 59 | 60 I {1 il 10 9 8 | 10 10 : ee il Mio eat À | 41-48) 43 | 19 | 43 | 421) V { t t t | nt | t | { t 1. 0,4, — 2, A, — 5. 07,8. — 4. Dans l'humeur aqueuse. — 5, Dans Ja queue. 276 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. d'hui au 60° passage, et dont l’histoire abrégée se trouve contenue dans le tableau précédent, dans lequel les gros chiffres de la ligne horizontale P sont les numéros des passages. La ligne | donne les durées d’incubation, la ligne M la durée de la survie après l’inoculation. Les modes d'inoculation sont indiqués en abrégé dans la ligne V, où { signifie trépanalion, sc, sous-cutanée, it etim intratrachéale et intramusculaire. J'ai, comme on peut le voir sur ce tableau, employé les modes d'inoculation les plus divers. J'ai fait varier les doses, et suis mème allé jusqu'à inoculer par trépanation 06,25 et par injection sous-cutanée 3° de moelle délayée dans du bouillon stérilisé. J’ai pris mes virus tour à tour dans le bulbe et la moelle épinière, et j'ai fait varier l’âge et la race de mes lapins. J’ai eu beau modifier de toutes les facons possibles les conditions de l’inoculation. tous ces lapins sont morts sans exception de la rage furieuse, et le transport de ce virus sur le chien ou le cobaye n’a rien changé à la nature deson action. Voici, en regard de ce fait, une autre série de résultats. Le 20 mai, j'ai inoculé un lapin par injection sous-cutanée et 2 autres lapins par injection sous-cutanée et par trépanation, avec le bulbe d’un lapin du 12° passage, inoculé le % mai sous la peau, qui avait eu la rage furieuse, mais avait présenté avant la mort un état paralytique prolongé. Les deux lapins trépanés furent atteints les 30 et 31 mai d’une forme rabique mixte. Ils avaient de l'agitation, et leur train de devant était resté actif pendant que le train de derrière était paralysé. Le 51 mai, avec la moelle d’un de ces lapins, j'en inoculai par trépanation deux autres qui succombèrent tous deux à la rage paralytique avec des durées d’incubation de 8 à 11 jours. J’arrivai ainsi à embrancher sur la série principale une autre série, allant du 11° au 20° passage de la première, et dont le tableau suivant résume l'histoire : P 12 13 14 9 I 14 40 8 11 9 11 9 9 8 M 16 41 9 < 49 4 V se t t Dans cette serie, le 12° passage avait, comme nous venons : RAGE FURIEUSE DES LAPINS. 274 de le voir, présenté la rage furieuse ; le 13° la rage mixte; fous les autres ont été des cas de rage paralytique, sans aucun cas de rage furieuse. On peut même remarquer en même temps que les durées d'incubation de cette forme paralytique sont devenues plus régulières que dans la série précédente et oscillent entre 8 et { jours. Les deux séries semblent donc rester très distinctes, et le point de bifurcation est aussi très net. C’est en effet le 3° lapin inoculé le 20 mai sous la peau, en même temps que les deux animaux qui ont servi à constituer la série paralytique, qui a servi à con- tinuer la série de la rage furieuse, et qui figure au 13° passage du grand tableau de la p.275. Ce lapin mourut de rage furieuse, et sa moelle servit à trépaner un autre lapin du 14° passage qui mourut aussi de la rage furieuse. Pour ne plus sortir de cette forme je n'ai eu que deux précautions à prendre : 1° éliminer avec soin tous les lapins qui se trouvaient accidentellement atteints de la forme mixte dont j'ai parlé plus haut, et n’employer comme lapins de passage que ceux qui avaient la rage furieuse bien caractérisée: 2° quand les deux lapins qu’on inoculait d'ordinaire à chaque passage étaient tous deux atteints de la rage à forme mixte, continuer la série de la rage furieuse avec des lapins inoculés à part avec des doses très faibles de virus, ayant dès lors une incubation très longue, mais qui, dans ces conditions, ont tous invariablement la forme furieuse. L'incubation, chez les lapins ainsi inoculés, a parfois une durée très longue. En 1886, j'ai communiqué à M. Pasteur l'histoire de deux cas dans lesquels elle avait été de 3 et 6 mois. Plus tard, j'ai vu un lapin du 8° passage, inoculé par trépana- tion le 16 mars 1886, tomber malade le 6 janvier 1887, après 9 mois et 20 jours, et mourir le 8 janvier avec tous les caractères de la rage furieuse. L'animal est inquiet, ses oreilles sont frémis- santes, 1l gratte le sol avec ses pattes, se jette sur les parois de sa cage ou sur ses compagnons, tombe, crie, se relève, mani- feste une vive excitation sexuelle, fait des bonds désordonnés pour sortir de sa cage, et ces périodes d’agitation alternent avec des périodes de tranquillité relative jusqu'à la mort, qui a lieu généralement le 2° ou 3° jour après l'apparition des premiers symptômes rabiques. La raideur cadavérique suit d'ordinaire immédiatement la mort. 18 278 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. Quant à l’origine de cette forme furieuse que j'ai réussi à conserver pure, il faut la chercher dans la forme de la rage du chien qui avait servi de point de départ. Cet animal, incontes : tablement atteint de rage furieuse, était mort le 18 novembre, dans une crampe, brusquement, et sans avoir présenté aucune paralysie du train de derrière. Cette paralysie est d'ordinaire comptée comme un des symptômes terminaux de la rage furieuse. Depuis qu'il existe ici un Institut antirabique où on conduit presque tous les chiens ayant mordu quelqu'un, j'ai eu souvent l'occasion d'observer des cas de rage furieuse. J'ai toujours vu la mort arriver sans paralysie préalable du train de derrière, soit pendant un accès, le chien ayant encore dans la gueule un des barreaux de sa cage, soit dans une période de calme succé- dant à une période d’excitation violente. La durée de la maladie est courte, 2 à # jours, et la raideur cadavérique suit immédia- tement la mort. Les lapins inoculés avec le virus de ces chiens ont presque tous la forme furieuse, tandis qu'il n'y a que 5 0/0 environ de rages furieuses chez ceux qu'on inocule avec le virus ordinaire de la rage des rues. La forme furieuse peut être, dans certains cas, donnée au lapin par inoculation de la bave, dans d’autres par la morsure d’un chien enragé. Les propriétés du virus fixe de la rage furieuse sont, d’ail- leurs, les mêmes que celles du virus fixe de la rage paralytique. La virulence des moelles disparait en 24 heures, quand on les dessèche à 35-40°; elle persiste de 3 à 4 jours à 23-25°. Ces moelles ne donnent non plus aucun développement dans les bouillons de culture. On peut conférer l’immunité aux chiens en leur injec- tant sous la peau les moelles virulentes de la forme furieuse, comme celles de la forme paralytique. Les deux virus semblent, en résumé, aussi peu distincts chez le lapin, qu’ils le sont chez le chien, mais il n’en est pas moins possible de cultiver, à part et en série, la forme furieuse et la forme paralytique. M. Pasteur, qui cherchait à obtenir un virus renforcé, à période d'incubation très courie, est arrivé exclusivement à la forme paralytique, dont l’évolution est, en effet, en moyenne plus rapide que celle de l’autre. Par un autre mode de sélection, je suis arrivé, de mon côté, à conserver la forme furieuse. ABSENCE DE GERMES VIVANTS DANS LES CONSERVES. 279 En songeant que, dans les inoculations faites à l'extrémité d'un membre, la paralysie apparaît d'ordinaire, tout d’abord, sur le membre inoculé, on est conduit à penser que le virus de la forme paralytique se développe plus rapidement dans les nerfs moteurs, tandis que le virus de la forme furieuse préfère la substance des nerfs sensitifs. C’est une idée en faveur de laquelle on pourrait invoquer d’autres considérations, mais que je me borne à mentionner. DE L'ABSENCE DE GERMES VIVANTS DANS LES CONSERVES, Par M. A. FERNBACH, Préparateur à la Sorbonne. Dans un travail sur l'action toxique des conserves, présenté récemment à la Société de médecine publique (25 janvier 1888), et publié dans la Revue d'hygiène (t. X, p.107), M. Poincaré dit avoir trouvé dans des boîtes de conserves alimentaires, à leur ouverture, une quantité considérable de microbes vivants (p. 114, ligne 22). Le fait aurait une grande importance, s’il était général. Il y aurait lieu, en effet, de se demander à quoi est due la con- servation non douteuse des matières contenues dans ces boîtes. Elles sont un excellent aliment pour les microbes, ainsi qu’en témoigne leur rapide altération lorsqu'elles arrivent à l'air; sitôt envahies, elles changent tellement de goût, qu’on ne sau- rait admettre qu’elles aient été, en boites closes, la proie des microbes. Comment ceux que M. Poincaré dit y avoir rencontrés auraient-ils pu se maintenir vivants sans agir? Il faudrait, pour expliquer ce fait, revenir aux anciennes idées d’Appert et de Gay-Lussac, et invoquer l'absence d'oxygène dans les boîtes; mais cet argument, dont M. Chamberland nous a appris tout récemment à préciser la valeur, ne s'applique qu'aux aérobies, et n’explique nullement l'absence de dévelop- pement et d’action des anaérobies. Les germes de ces derniers 280 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. sont certainement tués, puisqu'ils ne se développent pas ; mais la question est plus douteuse pour les aérobies, et il y avait lieu, à leur sujet, de se demander tout d'abord si l’assertion de M. Poin- caré était toujours vérifiée. Mes expériences ont porté sur 28 boîtes de conserves de légumes et sur 10 boîtes de conserves de viande. Ces boîtes avaient les origines les plus diverses, et avaient évidemment, au moment de leur ouverture, les âges les plus variés. Il est inutile d'indiquer ici les noms des fabricants ; je me contente de dire que je me suis adressé à quelques-unes des marques citées par M. Poincaré dans son travail. Les conserves de viande étaient, avant l'ouverture, chauffées au bain-marie pendant 10 minutes, à 30-359, afin de réunir en une seule masse, au fond des boîtes, les portions aqueuses qu'elles renferment. Une portion de la surface de la boîte, maintenue à plat, étant stéri- lisée au moyen de la flamme d'un bec de gaz renversé, j'y prati- quais une petite ouverture, en y enfonçant brusquement un poinçon également flambé et encore très chaud. Avec une pipette flambée, d'une capacité de 2° au moins, je puisais le liquide de la conserve, et j’ensemençais deux matras Pasteur, renfermant l’un du bouillon de veau neutre, et l’autre de l’eau de navets sucrée. Mes expériences comportent donc 56 ensemencements, d’au moins 4e chacun. Tous mes ballons, sans exception, sont restés stériles. Il en résulte qu'il faut conclure à l'absence des microbes dans les 28 boîtes que j'ai étudiées. En présence de cette uniformité de résultats, j'ai jugé inu- tile de pousser cette étude plus loin, et je crois pouvoir affirmer que, dans ies boîtes de conserves bien faites, il ny a pas de germes vivants. C’est évidemment la chaleur qui les à tués, et l’interprétation qu’on donne des procédés d’Appert est bien exacte. REVUES ET ANALYSES H. Bucuxer. Sur la preuve expérimentale de l'absorption des microbes infectieux par les voies respiratoires, Munch. med. Wochenschr.. p. 263 et 287, 1858. Nous avons déjà traité ce sujet il y a quelques mois. (V. T. II, p. 32). Si nous y revenons aujourd'hui, c'est d'abord qu'il s'y est produit des docu- ments nouveaux, c’est aussi que l'attention est en ce moment fixée sur lui. On sait où en étaient, il n’y a pas encore bien longtemps, nos connaissances au sujet des dangers d'infection par l'air, les liquides et les solides avee lesquels nous sommes journellement en contact. Après avoir constaté que l'air était relativement très pauvre en germes vivants, après avoir remarqué aussi que, cliniquement, la contagion semblait avoir des voies plus sûres et plus régulières, on avait fini par négliger à peu près complètement les dangers d'infection qui pouvaient provenir de cette voie, et dernièrement, M. Lucas-Championnière a pu dire, et démontrer par son expérience person- nelle, que le milieu est indifférent et que c’est le soin du patient qui est tout. Cela est beaucoup plus vrai qu'on ne le suppose d'ordinaire, et M. Lucas- Championnière a donné un grand exemple en montrant que l’antisepsie et l'hygiène ne sont pas tant des questions d'architecte et de constructeur que des questions de médecin ou de chirurgien. Mais si soigneuses que soient les pratiques antiseptiques, elles ne vont pas encore à se précautionner contre l'air qu'on respire, et la question est précisément de savoir si cette source d'infection est aussi négligeable qu'on l'a supposé jusqu'ici. On à, pour la mettre en suspicion, un certain nombre de faits cliniques démontrant que le iransfert de certaines maladies contagieuses peut se faire par cette voie. Mais il y a toujours profit à substituer aux faits d’obser- vation pure une bonne expérience, dont on fait et dont on surveille bien les conditions. En l'espèce, cette expérience était particulièrement nécessaire. L'air chargé de germes nuisibles ne pénètre pas seulement dans les poumons, il arrive aussi dans la bouche et par elle dans les cavités diges- lives, si bien que dans les cas de maladie et même de mort suivie d’au- topsie, il estsouvent très difficile, sinon impossible, de connaître la voie par laquelle a pénétré le germe contagieux. L'expérience seule peut nous conduire à ce résultat. On connaît celles qui ont été faites par M. Pasteur et ses collaborateurs, par M. Koch, sur la trans- mission du charbon par les voies digestives. Elles ont abouti à cette conelu- sion générale que l'infection est d'autant plus sûre et plus fréquente que l'on multiplie davantage les chances d’érosion de la muqueuse du canal digestif. 282 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Au sujet du poumon, les résultats avaient été plus contradictoires, et on trouvera dans l’article signalé plus haut le résumé des travaux faits et des conclusions trouvées dans cette voie. Elles se résument en ceci. Pour la tuberculose, la transmission par le poumon n'est pas chose douteuse. Elle résulte des expériences de Villemin, Koch, Cadéac et Mallet, etc. Mais la tuberculose est une maladie spéciale, dont le point de départ par le poumon n'a pas lieu d’étonner. Il serait bien plus intéressant d'être renseigné sur le mode de pénétration d’un de ces microbes qui, comme la bactéridie charbonneuse, ne deviennent d’ordi- naire pathogènes que dans les organes profonds, et pour lesquels le poumon n’est, en quelque sorte, qu'un lieu de passage. Comment le microbe du charbon, celui de la morve, celui de la septicémie, celui du choléra des poules peuvent-ils franchir ce passage? Nous avons relaté sur ce point les conclusions de M. Buchner et de M. Muskatbluth, en contradiction avec celles de M. Wyssokowitch et de M.Ar- nold, mais qui n'en démontrent pas moins que des spores charbonneuses, amenées dans le poumon à l’état de poussières sèches, peuvent franchir la paroi alvéolaire et arriver par les ganglions et le tronc lymphatique jusque dans le sang. C'est sur ces résultats que M. Buchner insiste aujourd’hui. La méthode de l'inhalation des poussières sèches avait quelques inconvénients. D'abord, elle ne s’appliquait pas aux microbes qui ne supportent pas la dessiccation sans périr. Puis, des poussières sèches semblent, au premier abord, devoir pénétrer moins facilement dans les alvéoles que de fines gouttelettes liquides tenant des germes de microbes en suspension. M. Buchner est donc revenu à l’inhalation des liquides pulvérisés, mais en évitant quelques-uns des inconvénients ordinaires de cette pratique. Le jet pulvérisé est formé de gouttelettes très fines et. de gouttes relativement grosses. Ces dernières, obéissant rapidement aux lois de la pesanteur, sont inaptes en conséquence à pénétrer très avant dans les ramifications bron- chiques, ont l'inconvénient de mouiller les animaux en expérience, et chan- gent les conditions de leur respiration, en humectant outre mesure leurs fosses nasales. Il y a tout avantage à les séparer des fines gouttelettes auxquelles M. Buchner attribue, on ne sait pourquoi, la qualité. de vésicules creuses, car il leur suffit d'être très petites pour pouvoir rester longtemps en suspension dans l’air, à la facon des poussières organiques et minérales qu'un rayon de soleil nous y fait constamment apercevoir. M. Buchner arrive à ce résultat en amenant le jet de liquide pulvérisé dans un flacon de 3 litres dans lequel plonge un tube recourbé vers le haut, et par lequel sort la partie la plus fine du jet. Elle a la forme d’un léger brouil- lard ou d’une légère fumée de cigare, visible seulement quand on l’éclaire . fortement, et assez émulsionnée avec l'air pour pouvoir traverser intégrale- ment des tubes de plusieurs mètres de longueur. C'est ce nuage qu'on dirige pendant un quart d'heure ou une demi-heure dans une caisse de fer-blanc .de 50 litres dans laquelle une toile de fil de fer soutient les animaux d’expé- rience. Pour plus de sûreté, l'air qui sort de la caisse traverse une couche d'ouate qui arrête les germes au passage. Le REVUES ET . ANALYSES. 283 M. Buchner a étudié ainsi les effets de l’inhalation de liquides contenant des microbes du charbon, du choléra des poules, de la septicémie, du rouget et de la morve. Pour le charbon, il a essayé à part les liquides chargés de spores et céux qui ne contenaient que des bacilles adultes. Avec les spores, il a opéré sur 22 cobayes et un lapin. A l'exception de 3, tous ces animaux sont morts du charbon dans un intervalle de 48 à 60 heures après l'inhalation. Dans un cas seulement, où la quantité de spores avait été très faible, la mort n’est survenue, chez deux animaux, qu'après 71 et 80 heures. C’est en somme une mortalité de 87 0/0, tandis que la mortalité après mhalation de poussières sèches ne s'était élevée qu'a 80 0/0. Mais M. Buchner a soin de faire remarquer lui-même que ces nombres n'ont qu'une valeur restreinte. En diminuant la quantité de spores inhalées, on diminue naturellement la mortalité, on l’augmente au contraire en char- geant davantage de spores le liquide pulvérisé. Voilà donc une preuve nouvelle du danger de l’inhalation de microbes virulents. Mais avant de pousser plus avant l'étude théorique de cette ques- tion, nous avons à nous préoccuper de son côté pratique. Devons-nous, en présence de ces résultats, renoncer à l'idée que l'air est une source de con- tagion en somme peu dangereuse ? Faut-il au contraire admettre, comme le font encore beaucoup de médecins et de chirurgiens, que les questions de milieu ambiant jouent un grand rôle ? Pour étudier cette question d’un peu près, il faut faire intervenir la notion de doses, sur laquelle nous n'avons encorerien dit. On peut à la rigueur savoir approximativement ce que contient de micro- bes le liquide pulvérisé. De ce liquide, une petite partie seulement passe à l'état de nuage dans la chambre à respiration. M. Buchner l’évalue à 0, 5 0/0 environ du volume total, ce qui représente de 2 à 3 gouttes pour la pulvé- risation de 20 à 60cc de liquide virulent. Il serait très difficile de dire quelle est la proportion de cette masse nuageuse, arrivée dans la chambre, qui pénètre dans les voies respiratoires de l'animal soumis à l'expérience. Mais nous avons heureusement le droit de ne pas nous en préoccuper au point de vue pratique. L'intérêt pour nous est de savoir approximativement la richesse en germes d’un air dont la respiration se montre aussi dange- reuse, M. Buchner a calculé que dans une de ses expériences, 5 millions de spores du charbon, environ, avaient pénétré dans la chambre à respiration. Il trouve cette quantité faible, surtout « quand on la compare aux grandes quantités de bactéries qu'on inocule d'ordinaire dans les expériences avec des microbes infectieux ». Mais là n’est pas la question. Au point de vue pratique, elle est tout entière en ceci : est-on exposé à rencontrer autour de soi, en dehors de circonstances tout à fait exceptionnelles, de l'air si chargé de spores ? A cette question, on ne peut répondre que par des comparaisons. Nous voyons, dans le dernier travail de M. Straus (V. ces Annales, p. 155) que nous choisissons parce que c’est celui qui donne les évaluations les plus élevées, que l’on trouve moins de 500,000 germes par mètre cube dans l’air d’une salle d'hôpital qu'on s’est attaché à charger le plus possible de pous- 284 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. sières flottantes, et qu’il n° y en a guère en moyenne plus de 10 ou 15,000 dans un air ordinaire. Or, dans les expériences de Buchner, il y en a 100 millions. Il semble que ces chiffres donnent une idée assez nette des réalités, et qu’on ait le droit de conclure en disant que si l'air n’est plus un facteur de contagion aussi négligeable qu'on s'était jusqu'ici plu à le croire ou à l'espérer, il n’est pourtant pas devenu, même après les expériences de M. Buchner, cet ennemi redoutable que ce savant cherche à nous dépeindre en nous parlant de mortalité de 100 0/0, et en nous présentant « l'inha- lation comme plus dangereuse que l’inoculation sous-cutanée ». Il y a pourtant un sens dans lequel cette affirmation est exacte, mais pour la trouver telle, il faut quitter le terrain de la pratique, et arriver à comparer le nombre de microbes qui pénètrent dans les alvéoles et amènent une mort rapide, au nombre beaucoup plus grand de microbes mis en œuvre dans une injection sous-cutanée pour amener la mort au bout du même temps. Ceci nous amène à l'étude du mécanisme de la mort parinha- lation de spores charbonneuses. Disons d’abord, pour déblayer le terrain, que pas plus ici qu'à propos de l'inhalation des poussières sèches, il n’y a à accuser la pénétration du char- bon par les voies digestives. Das expériences directes ont montré que la contagion par ces voies exige beaucoup plus de spores (environ 3,000 fois plus. d’après M. Buchner), n'amène la mort qu'au bout de 4 ou 5 jours, au lieu de 48 ou 60 heures, et s'accompagne de lésions toutes différentes. C'est par le poumon que sont atteints les animaux soumis à l’inhalation. On le montre en recherchant, par la méthode des ensemencements, la pré- sence et le nombre des bacilles charbonneux dans les organes des ani- maux sacrifiés à divers moments après l’inhalation. On constate ainsi qu'ils existent, en nombres croissants, dans le poumon, alors qu'il n'y en à pas encore dans la rate. Ce n’est que dans les dernières heures de la vie qu’on en trouve partout. À l'examen microscopique, on trouve dans le poumon de véritables colonies de bacilles. Mais ici se présente un fait curieux. Dans les morts par inhalation de spores charbonneuses en suspension dans un liquide, les poumons, dans leur ensemble, semblent parfaitement intacts. Ils sont pâles, gorgés d'air, et n'ont un aspect anormal que là où il y a des vaisseaux sanguins remplis de bacilles. Quand on a fait inhaler aux ani- maux des bacilles adultes, la mort est plus rapide. Sur 5 cobayes soumis à cette épreuve, 3 sont morts en 36 heures, les deux autres en moins de 54 heures, et leurs poumons avaient un aspect tout différent des précédents. Is étaient d'une couleur rouge sombre, volumineux, hepatisés, et leurs fragments allaient au fond de l'eau. Au microscope, on y voyait les alvéoles partiellement ou totalement remplies de corpuscules rouges, de leucocytes, de cellules épithéliales détachées ou de fins coagulums fibrineux: au milieu de ces masses, on voit, en unités ou en groupes, des bacilles, mais unique- ment dans les alvéoles, jamais dans la paroi ni dans les vaisseaux san- guins. Le contraste est complet avec le poumon des animaux morts par inhalation de spores. Voilà un nouvel exemple, et non des moins curieux, de la variété des genres de mort que peut produire sur le même animal le même miecrobe REVUES ET ANALYSES. 285 pathogène. Que devient en pareil cas la question symptôme ? N'est-elle pas plutôt faite pour égarer que pour guider vers la vérité? Les poumons de ces lapins, soumis à la diagnose anatomique si autorisée de M. le professeur Bollinger, ont été rapportés par lui à une pneumonie séro-fibrineuse hémorrhagique. Il est vrai qu'il a avec beaucoup de flair rapproché cette pneumonie de celle qu'amène la pustule maligne, mais il n’en est pas moins vrai que c’est le bacille seul qui crée un trait d'union entre les deux maladies, extérieurement si différentes, qui suivent l’inhalation des spores ou des bacilles charbonneux. Quant à l'explication de ces différences, il faut évidem ment la chercher dans ce fait que dans le cas de l’inhalation des spores, celles-ci, à raison de la lenteur de leur premier développement dans le poumon, n'ont pas encore amené dans cet organe de graves désordres au moment où elles pénètrent dans ce sang, où leur multiplication rapide les rend tout de suite mortelles. Dans l’inhalation de bacilles, ceux-ci se développent de suite dans les alvéoles, y amènent soit par eux-mêmes, soit par leurs sécrétions, les désordres que nous avons constatés, et l'animal meurt par le poumon, alors que dans le premier cas, il mourait par le sang, sans qu'on pût trouver traces du passage de la bactéridie dans le poumon, qui pourtant lui avait servi de porte. On retrouve les mêmes résultats avec d’autres microbes. L'inhalation de celui du choléra des poules à tué un lapin en 60 heures et 4 souris sur 7 en 36 à 60 heures. Les quantités inhalées étaient trop faibles pour qu'on puisse accuser la pénétration par les voies digestives, même chezle lapin, si sensible pourtant à l'action de ce microbe. [ci encore on retrouvait des foyers pneumoniques, tout à fait analogues à ceux dont nous parlions tout à l'heure. Ici encore, les alvéoles contenaient des exsudats fibrineux. De plus on trou- vait des microbes non seulement dans leur intérieur, mais dans l’épais- seur de leurs parois. Même résultat encore avec la septicémie. Ainsi, le poumon est perméable à certains microbes, mais comment l'est-il? A ce sujet, M. Buchner n'accepte pas complètement l'opinion de M. Muskatbluth, qui concorde sur ce point, comme on pourra le voir dansle résumé critique que nous avons publié, avec celle de M. Arnold. Pour lui, la pénétration peut avoir lieu par les ymphatiques, les ganglions bronchiques et le tronc lymphatique, mais elle peut aussi se faire par pénétration directe dans les capillaires du poumon. Il reconnaît qu'il n'en apporte pas de preuves précises, mais il fait remarquer que lorsque l'examen microscopi- que des coupes conduit à admettre ce mode de pénétration, il n’y à vraiment aucune raison théorique de s’y refuser. Les poussières colorées que M. Ar- nold à fait inhaler à ces animaux ne vont pas, il est vrai, plus loin que les wanglions bronchiques, mais des bacilles pouvant se développer dans le sang ne sont pas assimilables à des poussières inertes, « leur pénétration est un procès actif », et s'ils peuvent dépasser, comme l'expérience le montre, les ganglions bronchiques, ils doivent évidemment pouvoir traverser aussi la paroi du capillaire, non pas en y faisant un trou, mais en profitant des lacunes qu'amène dans la paroi du vaisseau l'irritation morbide que produit le microbe lorsqu'il est pathogène. 286 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. On ne voit pas bien comment M. Buchner concilie cette opinion avec ce fait, démontré par ses expériences antérieures, que plus ‘l’irritation est grande dans le tissu du poumon, moins est facile le passage des micro- bes. Il entre probablement en jeu, dans ce cas, une action nouvelle qui vient contrarier la première. Mais de l’ensemble de ces faits n’en résulte pas moins la conclusion importante que le poumon peut servir quelquefois de porte d'entrée à des microbes pathogènes, et cela, sans qu'il y reste de traces microscopiques du passage. On n’est donc nullement autorisé à nier, sur la foi d'une autopsie, la pénétration par le poumon d’une maladie contagieuse. En reprenant à ce point de vue les notions admises pour le charbon, la fièvre récurrente, la malaria, la tuberculose, la morve, l’érysipèle et même le typhus et le choléra, M. Buchner montre que tout n'est pas dit sur le mode de pénétration de ces maladies dans un animal. Mais là, ses idées, quoi- que très suggestives, restent trop théoriques pour qu'il soit utile d'en pous- ser plus loin l'exposé. Nous les retrouverons quand il les’aura soumises au Critérium de l'expérience, car le sujet est trop important pour qu'il l’aban- donne. Dx. D'. FERRAN. Sur l'incubation de la rage par trépanation, et sur un moyen nouveau, de produire cette maladie chez les lapins. Gaceta médica cata- luna, t. XI, p. 65. M. le, D' Ferran paraît avoir rencontré, dans ses opérations de trépana- tion des lapins, des difficultés qui tiennent peut-être à des questions de race des animaux inoculés, peut-être à des questions de mode opératoire, mais que l’on n’a, à ma connaissance, rencontrées nulle part ailleurs, au moins à ce degré d'intensité. C'est ainsi qu'il meurt presque autant de lapins tre- panés du premier au septième jour après la frépanation et du onzième au vingt-septième, que dans la période du huitième au dixième jour qui est la période normale d'évolution du virus de passage. Le chloroforme ou les moyens de l’'administrer ont une part considérable dans cette mortalité. « Les morts dues au chloroforme représentent 60 0/0 des décès enregistrés dans les cinq premiers jours, et il convient de noter que le chloroforme ordinaire du commerce nous donnait moins de morts que celui de Dunckham, considéré comme pur. » Pour éviter les ennuis et l'absence de sécurité que rencontre alors la préparation des vaccins antirabiques, M. Ferran a eu l’idée de revenir à la pratique bien connue de l’inoculation de la rage dans la chambre antérieure de l'œil, On a abandonné, cette méthode, au laboratoire de M. Pasteur, pour la préparation des moelles vaccinales, parce qu'avec elle les périodes d’incubation sont beaucoup moins régulières qu'avec la méthode par trépa- nation. 11 y a des cas de retard dans l'apparition des premiers symptô- mes, par conséquent des irrégularités d'évolution très gênantes pour le service de vaccination. D’après: les renseignements particuliers que M. te D'Ferran a bien voulu me fournir, dans une lettre datée du 14 mai, il rencontre aussi quelques REVUES ET ANALYSES. 287 irrégularités du même ordre, mais il n’en reste pas moins très satisfait de sa méthode. Il peut même se horner à de simples érosions dans la cornée, avant ou après instillation d’une goutte d'émulsion de virus rabique. Dans cette même lettre. M. Ferran nous dit que le. nombre de ses mala- des, traités par sa méthode supra-intensive, qui était en décembre de 85, est aujourd'hui de 187, sans qu'il y ait aucun accident. Nous lui donnons avec plaisir acte de ces affirmations très intéressantes, Dx. P. BaumGarTex. Sur la question de la formation des spores dans le bacille de la morve. Centralbl. f. Bakt., t. IL. p. 397, 1888. Au sujet de la formation des spores dans les bacilles de la morve, on en était resté aux résultats de Loeffler qui n’avait pas réussi à l'observer, et l'avait même considérée comme peu probable, Mais il n'avait comme unique argument que l’insuccès des méthodes de coloration employées d'ordinaire à déceler les spores, Sous l'impulsion de M. Baumgarten, M. Rosenthal s’est appliqué à l'étude de cette question, et il est arrivé à montrer que de vieilles cultures du bacille de la morve sur la pomme de terre, traitées par la méthode de coloration de Neisser (contact d’une heure à 400° dans la vapeur d’eau, ou a 1500 à l’étuve sèche, avec la solution de fuchsine d'Ehrlich; décoloration dans l’alcool chargé d'acide chlorhydrique. puis recoloration au bleu de méthylène), donnent les mêmes apparences que les bacilles du charbon ou les autres bacilles à spores endogènes. Les bacilles se colorent en bleu, et les spores, tantôt libres. tantôt contenues à l’intérieur du bacille. sont d'un rouge foncé. « D’après ce critérium, généralement considéré comme sûr, il faut done attribuer aux bacilles de la morve la faculté de former des spores. Il reste à voir si cela a toujours lieu, ou seulement dans certaines circonstances. » Dx. Dr pa Camara MELLo-CaBraz et pa RocxA. Recherche du bacille typhique dans les eaux potables de Coïmbre. Rapport à M. le gouverneur civil du district. Coiïmbre, 1888. A la suite d'une épidémie de fièvre typhoïde qui avait atteint, dans les premiers mois de l'année 1887, la partie haute de la ville de Coimbre (Portugal), et y avait attaqué environ 2 et demi pour cent de la population, les Dr da Camara Mello Cabral et A. da Rocha ont reçu la mission de rechercher si on pouvait retrouver le bacille de la fièvre typhoïde dans une ou plusieurs des eaux potables qui alimentent la ville. Ils y ont réussi. Dans les eaux d’une source à laquelle s’alimentaient les rues les plus éprouvées de la ville, ils ont trouvé le bacille typhique, et en quantités assez grandes, car six gouttes de l’eau de cette source ne leur ont pas fourni moins de 45 co- lonies du bacille, présentant les caractères ordinaires, Ils n'en ont pas trouvé dans les autres eaux de la ville. Ce qui ajoute à l'intérêt de cette constatation, c’est que les deux auteurs opons — inENCACES RTS 2 MC AUS » | oi BASE CAULENS ALLONS RER HS » 6 » » »| » » à eISIMpless-e »| S »| 23 »| 4 Morsures aux mains) es PAS 12,29 : zS 61! 10 14 Cuutérisations efficaces............ 4| » | » | 31 °° » | D IE INnCIRCACESI RENTE 6! » | » [LS ) » |-SAINS Pas de cuulénisaton RER 10! » | » |40| » » 1 Dlrostie Morsures aux mem-{ simples......| »| %) al”| 161. | 2 bres et au tronc } multiples....| »| …#\ »| 8S| 34| | 4 6 Cuutérisations efficaces .…........... 7 EN PE PE » 1 > ee ineffica CEST RESTE 2 » » 120 » » 3 » » Pus dercautérisahon te RER Al» |.» | 9[ » DS AD CE Hubs déchiré REP SE A PET À 2 RE » AD RIRES MOTSUrES GINU NS CAN Re Cu D) | NES » » 1 Pr 0) Morsures multiples en divers points AUCORPER. RTL ES Peer »| ®| 2|» 4 4| »| |» Cautérisations efficaces. ........... » » | » » a || = inefficaces DORÉ NOIR D] » » 9 » ) » D] » Pas de cautérisation......... MORE A NE) DEN EP NO ETS NE Habits a0échines SRE REA DRE re FETE) » | » |» MORSUTESS ANUS RSS INR ARE RE E 2 D Alpes » »[ » |» { Français et Algériens..|..| 26) .. [400 on M pérangers A 30 RM red Pi Maps TOFTAL. GENÉRADE ES ET AAC 156 1. Pour l'interprétation des termes et la signification des diverses colonnes du tableau, se reporter aux statistiques précédentes, p. 95, 443 et 207, t. I. Les animaux mordeurs ont été : Chiens, 145 fois; chats, 10 fois; cheval, 1 fois. Le Gerant : G. Masson. Sceaux. — Imprimerie Charaire et fils, Annales de l'Institut Pasteur PI VI " Fig. 3 Fig. 2 _ 4 Ro ux pholo Couzin del llotypu À Quensac &C LPoquie PI VI Annales de l'Institut Fasteur Fig 9 — cite = roms TS 0 Re Fig 2 9me ANNÉE. JUIN 1888. N° 6 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR NOTE SUR LA MALADIE DES BŒUFS DE LA GUADELOUPE CONNUE SOUS LE NOM DE FARCIN, Par M. E. NOCARD. Les anciens auteurs, Hurtrel d'Arboval‘, Gellé?, Cruzel®, ont décrit, sous le nom de /arcin du bœuf, une maladie chro- nique caractérisée par l’inflammation suppurative des vaisseaux et des ganglions lymphatiques superficiels, entraînant rarement la mort, mais se traduisant à la longue par l’amaigrissement et « par des symptômes de phtisie tuberculeuse » (Cruzel). Cette affection, jadis fréquente, si l’on en juge par les obser- vations assez nombreuses que renferment les premiers volumes du Recueil de médecine vétérinaire, paraît être devenue très rare aujourd’hui, au moins en France. En effet, Zundel, dans sa réédition d'Hurtrel d'Arboval‘, Peuch, dans celle du livre de Cruzel Ÿ, n’en font plus mention. Elle existerait cependant encore dans la Bresse et dans le nord de la France, d’après ce que m'ont dit plusieurs confrères; elle existe certainement à la Guadeloupe où, d’après M. Couzin:, elle est très fréquente et, 4. Dictionnaire, 2° édition, 1838. . Pathologie bovine, 1846. . Trailé des maladies de l'espèce bovine, 1" édition, 1869. . Dictionnaire, nouvelle édition, 1876. 3. 2° édition, 1883. . Revue vétérinaire de Toulouse, 1879. D oc # O2 09 > 19 294 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. malgré son évolution toujours lente, — (elle dure ordinairement plusieurs années), — beaucoup plus grave qu’en France; la mort, à plus ou moins longue échéance, en serait la terminaison fatale. Le farcin du bœuf, il serait superflu d'insister sur ce point, n’a rien de commun avec le farcin morveux des équidés; les expériences déjà anciennes de Renault, celles plus récentes de MM. Cadéac et Malet ont démontré d’une façon péremptoire que le bœuf est absolument réfractaire à l’inoculation du virus morveux. Mais s’il est certain que le farcin du bœuf est autre chose qu'une manifestation de la morve, on n’avait jusqu'ici aucune donnée certaine sur sa véritable nature ; dans l’article Maladies des lymphatiques du dictionnaire de M. H. Bouley, j'ai émis l'hypothèse, — basée sur la description qu’en ont donnée les auteurs, car pour ma part je n’ai jamais eu l’occasion de l’obser- ver, — quil s'agissait vraisemblablement d’une lymphangite tuberculeuse; c'était aussi l’avis de M. Couzin qui a vu beau- coup de malades, et fait de nombreuses autopsies. C'était une erreur : M. Couzin ayant bien voulu m'envoyer du pus recueilli purement et des fragments de tissus malades, j'ai pu m'assurer que le farcin du bœuf est une maladie micro- bienne très différente de la tuberculose. I. — Symptômes, marche et lésions de la maladie. La description suivante, que j’emprunte à Cruzel, donnera une bonne idée des symptômes et de la marche de l'affection : « Le farcin du bœuf a son siège ordinaire aux membres et sous le ventre en suivant le trajetdes sous-cutanées. Il se présente sous la forme de tumeurs circonscrites et de cordes; et chez le même animal, lorsque le farcin existe sur deux membres, on remarque parfois les deux formes différentes. Les cordes ou tumeurs (boutons) sont indolentes, quelquefois très dures, d’autres fois légèrement fluctuantes; on les trouve aux deux faces du canon, à l’avant-bras et à la face interne de la cuisse; elles se dirigent toujours vers les ganglions lymphatiques, qui sont ordinairement engorgés. « Lorsque des cordes ou des boutons de farein existent au canon ou aux avant-bras, il est rare que les ganglions lymphatiques placés en avant de l'épaule ne soient pas plus ou moins engorgés, et il est également rare que des symptômes de phtisie tuberculeuse ne se manifestent pas lorsqu'il y a du LE FARCIN DU BOEUF À LA GUADELOUPE. 295 farcin aux membres et que l'engorgement ganglionnaire dont je parle est ap- parent. On rencontre sur le trajet des cordes des abcès circonserits qui se dessinent parfaitement, ce qui n'empêche pas que, dans bien des cas, ces cordes soient empâtées et fluctuantes. « Les abcès farcineux s'ouvrent quelquefois, mais surtout au pli du genou ou du jarret. En incisant les cordes ou les tumeurs, on fait sortir par l'ouverture pratiquée, en comprimant la tumeur ou la corde à sa base, une matière blanchâtre, ressemblant assez à de la crème épaisse. Cette matière est inodore. « Le farcin se développe insensiblement chez le bœuf, et sa durée par conséquent est très longue. J'ai vu des bœufs qui portaient des tumeurs farcineuses depuis plusieurs années sans que jamais aucun autre symptôme morbide se fût manifesté chez ces animaux. Ils avaient travaillé, ils s’en- graissaient et ils arrivaient à l’abattoir tout aussi bien que s'ils n’eussent pas été atteints du farcin. « Les tumeurs farcineuses ne se terminent point par la résolution chez le bœuf, et la suppuration est un état permanent qui ne se modifie que par l'induration. » Le tableau symptomatique qui précède concorde bien avec les observations recueillies en France. Toutefois, au point de vue du pronostic, il paraît un peu bien optimiste; d’après Maillet', en effet, « les malades engraisseraient très difficile- ment; aussi les propriétaires finissent-ils par s’en défaire tôt ou tard, lorsqu'ils s’apercoivent que la maiïgreur persiste, malgré les soins qu'ils prennent pour faire cesser cet état ». D'ailleurs, s’il est vrai, comme le dit Cruzel, qu’ « à la longue les malades finissent par présenter des symptômes de phtisie tuberculeuse », il est difficile d'admettre avec lui qu'ils puissent « travailler, engraisser et arriver à l’abattoir tout aussi bien que s'ils n'étaient pas atteints de farcin ». M. Couzin a observé sur les bœufs de la Guadeloupe des sym- ptômes plus accusés. L’affection semble débuter par l’inflam- mation d’un ganglion lymphatique; les ganglions brachiaux, pré-scapulaires, pré-pectoraux sont les premiers et le plus fréquemment atteints; le ganglion tuméfié, chaud, douloureux, œædémateux, augmente lentement de volume et finit par offrir les caractères d’un abcès froid induré; la ponction donne issue à un pus épais, crémeux, parfois caséeux et grumeleux. La paroi de l’abcès est extrêmement épaisse (8, 10, 12 centimètres), indurée, lardacée, eriant sous le tranchant du bistouri, et sa face interne 4. Recueil de medecine vétérinaire, 1837. 296 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. est tomenteuse, douce au toucher, bourgeonneuse. Après la ponction, le sujet semble revenir à la santé ; mais à une échéance plus ou moins éloignée, parfois 6 mois, d’autres tumeurs apparaissent, parcourant les mêmes phases que la première (Voy. fig. 1, pl. VID); l'animal meurt dans le marasme. Il est intéressant de noter qu'aucun des vétérinaires français qui ont écrit sur le farcin du bœuf ne paraît avoir eu l’oécasion de pratiquer l’autopsie d’un malade. M. Couzin a été plus heu- reux ; dans toutes les autopsies qu'il a faites, outre les collections purulentes qui s'étaient développées dans les ganglions des membres et du tronc, il a trouvé les poumons, le foie, la rate et les ganglions farcis de pseudo-tubercules, dont la partie centrale avait subi la tranformation caséeuse ou purulente, suivant le volume de la tumeur {communication inédite). II. — Étude microbiologique de la maladie. Comme je l’ai dit plus haut, M. Couzin a bien voulu me procurer du pus et des fragments d'organes recueillis à l’au- topsie d’un bœuf farcineux depuis deux ans. Le pus avait été aspiré purement dans des tubes effilés, stérilisés et fermés à la lampe; les pièces étaient conservées en petits fragments dans l'alcool fort. L'examen du pus pratiqué suivant le procédé d’Ehrlich, avec double coloration au bleu de méthylène ou au brun de Bismark, permet tout d’abord d'éliminer l'hypothèse d’une lésion tuber- culeuse : le bacille de Koch y fait défaut, et l’on n’y observe aucun autre microbe ayantfixé la couleur secondaire. Le procédé de Gram donne le même résultat négatif, lorsqu'on pousse à fond la décoloration par l'alcool; mais si l’on décolore par l'huile d’aniline, suivant les indications de Weigert, on obtient un tout autre résultat: au milieu des globules de pus, colorés en rose par l’éosine ou le carmin, apparaît en quantité considérable un microbe spécial différent de tous ceux décrits jusqu'ici. C'est un fin et long bacille se présentant sous forme de petits amas, enchevèêtrés d’une façon inextricable, la partie centrale figurant un noyau opaque, d'où rayonnent à la périphérie une myriade de fins prolongements, dont la plupart semblent ramifiés; on dirait une tête de choux-fleurs, un fagot épineux ou encore une semence de bardane. (Fig. 2, pl. VIL.) LE FARCIN DU BOEUF A LA GUADELOUPE. 297 Sous le rapport des dimensions, ce bacille peut être comparé à celui du rouget du pore. L'examen des tissus malades (poumons, foie, rate, gan- glions) les montre farcis de nodules tuberculiformes dont la partie centrale, purulente plutôt que caséeuse, présente en grande quantité les mêmes amas bacillaires en forme de brous- sailles. La culture de ce microbe se fait aisément dans tous Îles milieux liquides ou solides, maintenus au contact de l'air, à une température variant entre 30 et 40°. Les tubes de gélatine peptone ensemencés ne donnent pas trace de culture, à la tempé- rature de la chambre; si on les met à l’étuve, la semence y pul- lule en quelques jours. Le pus recueilli purement au centre d'un abcès ou d’un pseudo-tubercule convient à merveille pour l'ensemencement: il ne renferme pas d’autre microbe que le bacille décrit plus haut. Sur la gélose, le microbe se développe en petits amas irré- gulièrement arrondis, saillants, opaques, plus épais sur les bords, d’une teinte blanc jee à surface mamelonnée, terne et comme poussiéreuse (fig. 4, 5 et 6, pl. VITE); à la longue, ces plaques, d’aspect lhéncide se réunissent et se confondent, donnant à l’ensemble de la culture l'apparence d’une membrane épaisse et grossièrement plissée (Fig. 5). Sur la pomme de terre, la culture se fait rapidement sous forme de petites plaques écailleuses, très saïllantes, très sèches, de couleur jaune pâle, dont les bords, comme taillés à pic, sem- blent se soulever au-dessus du niveau du substratum (Fig. 7). Sur le sérum gélatinisé, la culture est moins rapide; mais elle a le même aspect que sur la gélose, à cela près qu'elle est plus humide. Dans les différents bouillons, c'est encore sous forme d’amas irréguliers que se multiplie le bacille ; amas blanchâtres, dont la plupart tombent au fond du ballon, dont quelques-uns restent flottants à la surface, où ils s'étalent en une sorte de pellicule arrondie, lenticulaire, de couleur gris sale, avec un reflet ver- dâtre, d'aspect poussiéreux, qui ne se laisse pas mouiller par le liquide. C’est surtout dans les bouillons additionnés de glycé- rine et de peptone que la culture revêt cet aspect; on dirait alors des feuilles de nénuphar s'élalant à la surface d'un étang, ou 298 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. mieux encore du bouillon gras dont les yeux se seraient figés par le refroidissement. La culture réussit encore, moins abondante et moins rapide, dans les milieux dont la réaction est légèrement acide; elle ne parait pas modifier la réaction des bouillons neutres ou alca- lins, alors même qu’on y a ajouté du sucre. Ensemencé dans du lait, le microbe s’y développe avec les mêmes caractères sans en provoquer la coagulation, sans en modifier la réaction. L'organisme est exclusivement aérobie ; toutes les tentatives de culture dans le vide ou en présence de l'acide carbonique ont échoué. Quel que soit le milieu de culture, l'examen microscopique montre que le microbe s’y est reproduit en affectant la même disposition qu'il présente dans les tissus vivants; ce sont tou- jours les mêmes amas filamenteux, enchevètrés d’une façon inextricable, dont la nature bacillaire n’est appréciable que sur les bords, où les irradiations ont encore l'aspect rameux que je signalais plus haut (fig. 3, pl. VI). Cette ramilication est plus apparente que réelle; l'étude attentive des colonies récentes montre que le développement des filaments se fait par élongation; lorsque le bacille a acquis le double de sa longueur primitive, il se segmente et l’article nouvellement formé s’infléchit, le plus souvent à angle droit, sur le segment ancien qui continue à croître en droite ligne; en somme, il s’agit là d’une fausse dichotomisation analogue à ce que l’on observe chez les Cladothrix; mais l'étude en est ren- due plus difficile par les très petites dimensions du microbe et son inaptitude à fixer la plupart des couleurs d’aniline. Du reste, la coloration par le procédé de Gram est grossière, et peu favorable à la définition des particularités morphologiques des microbes. Les colonies anciennes paraissent riches en spores, celles surtout qui se sont développées à la surface des liquides glycé- rinés ; les spores, extrêmement petites, résistent à l’imprégnation par les matières colorantes: elles apparaissent sous forme de lacunes ovoïdes incolores, à l'extrémité des segments bacillaires, au niveau des points où semble s’opérer la dichotomisation. Les cultures conservent longtemps leur virulence et leur LE FARCIN DU BOEUF A LA GUADELOUPE. 299 végétabilité ; après 4 mois de séjour à l’étuve à 40°, elles poussent avec la même vigueur dans les différents milieux, etlescobayes qu'elles servent à inoculer meurent aussi rapidement qu’au début. Le chauffage ne m'a paru tuer le bacille qu'à la condition d'être poussé jusqu'au-dessus de 65°. À 659, une vieille culture chauffée pendant 15 minutes a donné de nouvelles cultures, et tué les cobayes inoculés par injection intrapéritonéale; 10 mi- nutes de chauffage à 70° ont détruit la virulence et la végéta- bilité du microbe. TL. — Action pathogène du microbe. Le bacille du farcin du bœuf est inoculable : mais les résultats de l’inoculation sont très différents suivant l’espèce de l’animal auquel on a eu recours et surtout-:suivant le procédé d’inocula- tion mis en œuvre. En thèse générale, c’est au cobaye qu'il faut s'adresser de pré- férence; puis viennent le bœuf et le mouton. Le lapin, le chien, le chat, le cheval et l’âne peuvent être considérés comme réfrac- taires. L'injection intra-péritonéale et l'injection intra-veineuse provoquent constamment chez le cobaye, dans un délai variable de 9 à 20 jours, des lésions qui simulent à s’y méprendre celles de la tuberculose miliaire. A l'ouverture des cobayes inoculés par le péritoine, la séreuse se montre littéralement farcie de nodules tuberculifor- mes, au centre desquels a pullulé le microbe quise présente tou- jours sous l’aspect d’amas bacillaires en forme de broussailles ; ces nodules sont surtout confluents dans l’épiploon qui est trans- formé en une sorte de boudin volumineux mamelonné ; la pres- sion en fait sourdre quelques gouttelettes de matière puriforme, épaisse, difficile à dissocier, où l'examen microscopique montre une quantité considérable d’amas bacillaires. Les viscères de la cavité abdominale (foie, rate, reins, intes- tins), paraissent également farcis de pseudo-tubercules ; mais un examen attentif permet de s’assurer que leur enveloppe péri- tonéale est seule atteinte; leur parenchyme est tout à fait intact. Les organes de la cavité thoracique ne sont jamais envahis. 300 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Les lésions consécutives à l'injection intra-veineuse simulent mieux encore la tuberculose miliaire généralisée ; à l’autopsie du sujet d'expérience, on trouve tous les viscères, mais surtout le poumon, le foie et la rate, infiltrés d'un nombre considérable de petits nodules tuberculiformes au centre desquels l'examen microscopique, après coloration par la méthode Gram-Weigert, montre une ou plusieurs touffes de bacilles. Que l’on ait injecté du pus ou du liquide de culture, peu importe; le résultat est toujours le même : les lésions sont iden- tiques ; la mort survient toujours également vite. Chez la vache et chez le mouton, l'injection intra-veineuse provoque des lésions analogues, également généralisées à lous les parenchymes ; mais les animaux résistent si longtemps que je ne puis dire encore si la mort peut en être la conséquence. Deux vieilles vaches et deux moutons bretons ont été inoculés le 26 mars 1888, par injection dans la jugulaire d’une dilution de pus prélevé sur un cobaye. L'une des vaches a dü être sacrifiée le 11 avril, pour servir aux exercices de médecine opératoire; à l’autopsie, les poumons ont montré un nombre considérable de granulations miliaires, grisâtres, semi-transparentes, abondantes surtout dans les couches superficielles, dont chacune avait pour centre une grosse touffe de bacilles enchevèêtrés. Le foie et la rate présen- taient des lésions semblables, mais en petit nombre. L'un des moutons, sacrifié le 22 avril, avait des lésions iden- tiques, mais beaucoup plus accusées. Les deux autres sujets sont encore vivants ; ils n’ont pas cessé de se bien porter. Chez le lapin, le chien, le chat, le cheval et l’âne, les injec- tions intra-vasculaires ou intra-péritonéales ne provoquent aucun accident ; à quelque date que l’on sacrifie les sujets d'expérience après l’inoculation, quelle que soit la dose du produit injecté, pus ou culture, on ne retrouve pas trace du microbe. L'inoculation hypodermique réalise à peu près les conditions de l'infection naturelle, en ce sens que, même chez le cobaye, la lésion provoquée marche avec une extrême lenteur. . Au point d’inoculation, il se forme constamment, chez tous les sujets, un abcès dont le pus est très riche en microbes; mais tandis que cet abcès reste peu volumineux, s'ouvre, se vide et se LE FARCIN DU BOEUF A LA GUADELOUPE. 301 cicatrise rapidement chez les animaux spécifiquement réfrac- taires (lapin, chien, cheval, âne), il persiste chez les autres; chez le mouton et chez la vache, il reste peu volumineux, s'ulcère de temps à autre, s’indure, puis semble disparaître; mais plu- sieurs semaines, plusieurs mois après, un nouvel abcès se montre au voisinage, en un point plus rapproché du centre, qui se com- porte comme le premier; il faudrait sans doute de longs mois et peut-être plusieurs années pour que le microbe, toujours présent dans le pus, gagnât les viscères et s’y généralisät. Chez le cobaye, les lésions provoquées par l’inoculation hypo- dermique sont plus graves et plus rapides. L’abeès qui se forme au point d'inoculation est toujours volumineux ; en quelques joursles vaisseaux etles ganglionslymphatiques dela région s’en- gorgent, s'indurent,etdeviennentle siège d’un énorme phlegmon dont l’ulcération verse au dehors plusieurs centimètres cubes de pus ; à ce moment, l'animal, très amaigri, semble devoir bientôt succomber; mais au contraire il revient peu à peu à son état normal, il engraisse et ne conserve plus, dela lésion si grave qu'il avait présentée, qu'une induration des lymphatiques et des gan- glions primitivement atteints. Sur 16 cobayes inoculés sous la peau, 1 seul est mort le 54° jour, avec une pseudo-tuberculose miliaire, généralisée à tous les viscères ; tous les autres ont résisté; leur état général est excellent, et ceux que j'ai sacrifiés 1, 2, 3 el mois après l'ino- culation n'avaient pas d’autres lésions que celles des ganglions et des vaisseaux qui collectent la lymphe de la région inoculée : petits foyers purulents, riches en amas bacillaires, qui ont con- servé leur virulence, entourés d'une induration considérable. C’est pourquoi je suis tenté de croire que chez le cobaye, où l’inoculation sous-cutanée a provoqué des légions généralisées, une veine a dû être perforée et recevoir une petite quantité du liquide inoculé. En somme, l’expérimentation confirme pleinement les don- nées de la clinique. Le ba cille du farcin du bœuf, injecté dans les veines ou dans le péritoine, tue le cobaye en quelques jours ; au contraire, inoculé sous la peau du même animal, il reste pen- dant de longs mois confiné dans les vaisseaux ou les ganglions lymphatiques du voisinage, sans modifier l’état général du sujet, sans ralentir son engraissoment. 302 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. On comprend dès lors que les bœufs farcineux puissent con- tinuer leurs services aussi longtemps que le bacille n'a pas franchi les ganglions et pullulé dans les viscères. EXPLICATION DES FIGURES. Planche VIE. Fig. 4. Bœuf indigène de la Guadeloupe, farcineux depuis 2 ans, encore très vigoureux; n'a pas cessé de travailler. Dessiné d'après nature par M. Couzin. Fig. 2. Très petit amas bacillaire en forme de broussailles, du pus gan- glionnaire d'un cobaye inoculé par injection hypodermique d’une goutte de culture dans le bouillon de poule. G. = 850. Pus coloré au Gram-Weigert, sans double coloration. Les filaments montrent nettement la fausse dichotomisation qui caractérise le microbe. Fig. 3. Amas bacillaire provenant d'une culture dans le bouillon de poule après un séjour de 4 jours à 37°. G. = 850. Dissociation par écrasement entre 2 lamelles. Coloration simple au Gram-Weigert, Planche VEEX. Fig. 4. Culture sur gélose (5° passage), après 8 jours de séjour à 370. Aspect lichénoïde très accusé. Fig. 5. Culture sur gélose après 20 jours de séjour à l'étuve (37°). On a ensemencé largement le contenu d’un pseudo-tubercule de l’épiploon d’un cabaye mort 44 jours après l’inoculation intrapéritonéale d’une goutte de culture sur gélose. Les colonies, d’abord isolées. et confluentes, se sont rapidement confon- dues pour former une seule plaque sèche, mince, écailleuse, plissée. Fig. 6. Culture sur une épaisse couche de gélose glycérinée, contenue dans un iarge vase à fond plat, ensemencée avec une trace de pus gan- glionnaire de cobaye inoculé sous la peau. 20 jours de séjour à l’étuve à 37°. Fig. 7. Culture sur pomme de terre après 15 jours de séjour à l’étuve. On a ensemencé une trace de pus qu'on a soigneusement étalée sur la tranche de pomme de terre. Les colonies, d’abord isolées et confluentes, se sont promptement réunies pour former une plaque très mince, très sèche, à surface écailleuse, à bords tranchants et nettement soulevés. Lorsqu'on ensemence une très petite quantité de matière, la culture revêt l'aspect lichénoïde si accusé sur la figure 4. Les cultures sur betteraves ont le même aspect; elles sont cependant moins sèches, plus succulentes. CULTURE DES BACILLES DE LA TUBERCULOSE SUR LA POMME DE TERRE, Par le Dr A.-D. PAWLOWSKY, de Saint-Pétersbourg. La question du développement des bacilles tuberculeux en dehors de l'organisme humain et sur les milieux d’origine végétale est, d’après Koch, intéressante pour l’étiologie et la prophylaxie de la tuberculose. Aussi Koch a-t-il essayé de cul- tiver ces bacilles sur la pomme de terre, mais ses tentatives échouèrent. Après une série d'expériences ! « qui ne donnèrent aucun résultat positif », Koch déclare que les bacilles de la tuberculose ne se laissent pas cultiver sur la pomme de terre, ne se développent que sur des substances animales et dans l’orga- nisme de l'homme et desanimaux, etne se transmettent à l'homme que par l'homme ou par les produits des animaux. Ce sont de « véritables parasites » qui, en déhors des organismes animaux et de leurs produits, ne trouvent nulle part les conditions indis- pensables à leur développement et à leur transmission directe à l’homme par les substances végétales. Ces conclusions conservent toute leur valeur en ce qui con- cerne la transmission de la tuberculose. Elles sont trop absolues lorsqu'elles nient la possibilité de cultiver le bacille tuberculeux sur des milieux d’origine végétale. En effet, dans des recherches sur la tuberculose locale chi- rurgicale, faites au laboratoire de M. Pasteur et qui seront pu- bliées prochainement, j'ai réussi à obtenir des cultures du bacille de la tuberculose sur la pomme de terre. Le procédé employé était le suivant : On coupe avec un couteau d'argent des tranches de pommes de terre qu’on introduit ensuite, sans stérilisation préalable, dans des tubes à essai étranglés dans leur tiers inférieur, semblables 1. Kocn, Die Aetiologie des Tuberculose. Mittheilungen aus dem Kaiserl. Gesund- heitsamte, &. IT, p. 57 et 76-82. Berlin, 1884. 304 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. à ceux qui ont été proposés dans ce but par M. Roux. (V. ce vol. p. 28). Les tranches sont poussées jusqu’à la partie rétrécie qui “les empêche de tomber au fond du tube. Les tubes et leur contenu sont stérilisés dans l’autoclave pendant 25 à 30 minutes à une température de 115°, et placés ensuite quelques heures dans l’étuve à 30°. La surface des tranches de pomme de terre s’é- goutte, et l’eau tombe au fond du tube. Les surfaces des tranches ainsi préparées sont ensemencées, soit avec des cultures pures des bacilles de la tuberculose, soit avec des tissus tuberculeux. On fait pénétrer la semence dans la substance de la pomme de terre par des frictions avec uñe spa- tule en platine. Quant aux tissus tuberculeux (tubercules isolés des articulations ou moelle tuberculeuse des os), on les triture entre la spatule de platine et un bistouri stérilisés, et on les fait également pénétrer par friction dans la substance de la pomme de terre. On peut aussi les broyer, au moyen d’une baguette de verre, dans un tube en verre fermé à l’un de ses bouts et sté- rilisé. On procède ensuite à l’ensemencement au moyen de la spatule. Les tubes ensemencés avec des cultures pures et des tissus tuberculeux sont fermés à la lampe à leurs parties supé- rieures, et placés dans l’étuve à une température de 39°. 1° Cultures sur la pomme de terre, issues de cultures pures sur gélose pepto-glycérinée. — Quand on emprunte la semence à des cultures faites sur gélose glycérinée. on ne remarque rien de particulier pendant les premiers dix jours qui suivent l’ense- mencement. Au douzième jour, on peut déjà constater sur la tranche de la pomme de terre des parties grisâtres dont l'aspect est plus secque le reste de la surface. Une parcelle de cet enduit montre au microscope une culture assez abondante des bacilles de la tuberculose. Au vingtième ou vingt et unième jour, les cul- tures deviennent tout à fait caractéristiques. La surface ense- mencéeestsèche, blanchâtre, lisse, moins consistante, et se laisse facilement enlever par le raclage avec la spatule. Par sa couleur blanchâtre et sa sécheresse, elle se distingue nettement des par- ties non ensemencées de la pomme de terre, qui sont jaunes. plus fermes, grenues et humides. La multiplication des bacilles se fait dans les couches superticielles. La culture ne s'élève que peu au-dessus de la surface de la pomme de terre. Après un mois, les cultures sont plus abondantes, elles sont très manifestes BACILLE DE LA TUBERCULOSE. 305 même dans les tubes ensemencés avec des aiguilles de platine. Au bout de cinq à six semaines, elles se présentent comme un enduit blanchâtre qui, dans quelques tubes, prend l'aspect de granules blanc grisätres, de la dimension d’une tête d’épin- gle. Ces granules s’observent surtout au tiers inférieur de la pomme de terre. Dans les ensemencements consécutifs, cette première génération donne lieu, au bout de deux à trois semaines, au développement, dans tousles tubes, de nouvelles générations qui présentent les mêmes particularités que la première. 2 Cultures sur la pomme de terre des bacilles tuberculeux de la moelle des os des lapins. — À l’occasion d’un autre genre de recherches, j'ai introduit, dans la moelle du fémur du lapin, des cultures tuberculeuses provenant de gélose pepto-glycérinée, et délayées dans du bouillon. En dix semaines, les animaux suc- combaient à la tuberculose généralisée. La moelle du fémur, mise à découvert avec des instruments bien stérilisés, était préparée au moyen des procédés déjà mentionnés, et ensemencée sur la pomme de terre. En même temps la moelle des os était aussi semée sur du sérum glycériné et peptonisé. Au bout de deux semaines, on pouvait constater, dans la moitié des tubes ensemencés, l'apparition d’une strie blanchâtre, lisse, sèche, absolument caractéristique. Une semaine plus tard, l'examen microscopique décelait dans les tubes en question une culture abondante des bacilles de la tuberculose, tandis que sur le sérum sanguin pepto-glycériné, les ensemencements restèrent stériles. En observant pendant trois à six semaines les cultures de la moelle des os sur la pomme de terre, on y remarque les mêmes particularités caractéristiques que celles des cultures sur la pomme de terre provenant de la gélose. Aprèstrois semaines, les surfaces de cultures sont sèches et blanchätres. Au bout de cinq à six semaines, on voits’éleverdes granules gris blanchâtres de la grosseur d’une tête d’épingle. Comme dans les expériences pré- cédentes, l’examen microscopique décèle aussi des cultures abondantes, se laissant facilement enlever avec la spatule. En partant de cette première génération de cultures de la moelle des os sur la pomme de terre, on obtient, par ensemence- ments successifs sur le même milieu, dans un délai de deux à trois semaines, une deuxième et une troisième génération de bacilles. J'ai aussi fait des ensemencements sur la pomme de terre 306 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. glycérinée. Je me servais de glycérine à 5 pour cent, stérilisée à l’autoclave à 115°. Les tranches de pomme de terre, arro- sées de quelques gouttes de liquide glycériné, étaient placées dans l’étuve afin d'obtenir l’imbibition de la pomme de terre par la glycérine, et l’égouttage des surfaces de culture. Les bacilles de la tuberculose se développent sur la pomme de terre glycérinée un peu plus rapidement que sur la pomme de terre pure. Ainsi, dans deux expériences avec la pomme de terre glycérinée (deuxième génération provenant de la moelle des os), j'ai obtenu des cultures abondantes déjà au huitième el au douzième jour. D’autres fois je n'ai remarqué aucune différence entre les deux milieux relativement à la rapidité du développement des cultures. La réaction des tranches de pomme de terre sur lesquelles on culüive le bacille de la tuberculose, et celle de l’eau accumulée au fond du tube sont faiblement alcalines. Au point de vue morphologique, les cultures de la tubercu- lose sur la pomme de terre présentent quelques particularités intéressantes. Dans les cultures datant de huit à douze jours, les bacilles, vus au microscope, sont homogènes, ne contiennent pas de spores, se colorent facilement par le procédé d'Ehrlich, et sont beaucoup plus larges que les bacilles provenant du sérum pur, des crachats, ou des cultures de Koch (que j'ai eu l’occasion d'examiner au laboratoire même de M. Koch). Au bout de trois semaines, les cultures se laissent toujours bien colorer par la méthode d'Ebrlich. D'une manière générale, la structure des bacilles est homogène. A côté des exemplaires pour ainsi dire ordinaires, on en voit d'autres beaucoup plus longs et plus larges, avec des spores bien apparentes, en forme de corpuscules un peu ovales, clairs, non colorés. Il est facile de se convaincre que ce sont de véritablesspores et non des «granulations ». Dans quelques bacilles on trouve jusqu’à quatre spores. Les bacilles sporifères sontrares. Dans les cultures anciennes (six semaines), on aperçoitaussi, à côté des bacilles à spores claires, non colorées, des corpuscules ronds, fortement colorés, libres, tantôt ronds, tantôt ovales ou allongés en bâtonnets de longueur variable, allant jusqu'aux dimensions d’un bacille adulte type. Nous voyons donc que la croissance des spores se fait par allonge- ment ou, autrement dit, que le développement des bacilles a lieu dans la direction du plus grand diamètre de la spore. BACILLE DE LA TUBERCULOSE. 307 Expériences. — Les cultures des bacilles de la tuberculose sur la pomme deterre {deuxième génération sur la pomme de terre de la culture sur gélose glycérinée primitive, ettroisième généra- tion sur la pomme deterre de la semence empruntée à lamoelle des os du lapin) ont été injectées dans une veine de l'oreille des lapins. Les animaux moururent 18 jours après l'injection. A l’autopsie on constata une tuberculose miliaire des poumons, la présence des bacilles dans la moelle des os, et une rate très volumineuse et tuméfiée, dont la pulpe était remplie de bacilles, tandis que sa capsule présentait des groupes de tubercules miliaires gris. Ces expériences démontrent que les bacilles de latuberculose, cultivés sur la pomme de terre, ont une virulence égale à celle qu'ils ont dans les cultures sur gélose glycérinée. Il a été en effet constaté par MM. Nocard, Roux, Yersin, qu'après une injection dans le sang des bacilles de ces cultures, les animaux meurent en 18 jours environ, de tuberculose généralisée sans tubercules apparents, et présentent constamment une rate très volumineuse dont la pulpe est remplie de bacilles. Nous voyons donc que les bactlles de la tuberculose se déve- loppent très bien sur les milieux nourriciers végétaux, en con- servant leurs particularités morphologiques et leur virulence. Si jusqu'ici on n’a pas obtenu des cultures sur la pomme de terre, la faute en est à l’imperfection de la méthode employée (cultures dans de grandes cloches de verre) qui ne prévient pas les impuretés et la dessiccation de la substance nourricière. Dans les tubes fermés à la flamme, les tranches de pommes de terre se trouvent dans des conditions exceptionnellement favorables, c'est-à-dire dans une atmosphère invariablement chaude et humide. L'importance de cette dernière condition m'est apparue nettement dans plusieurs de mes expériences. Dans quelques cas, après la fermeture du tube à la flamme, il s'était produit des fis- sures très fines dans le verre. Dans les tubes de ce genre les eul- tures ne se développèrent pas; les tranches de pommes de terre noircirent et se desséchèrent au bout de deux à trois semaines. Il suffit donc de la moindre fissure, passée souvent inaperçue pendant la fermeture du tube, pour arrêter le développement des cultures, par suite de l’évaporation continue de l’eau et de la dessiccation du milieu. Mes résultats positifs m’amènent à cette conclusion que la 308 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. pomme de terre peut être employée en qualité de milieu nourri- cier pour obtenir, par ensemencement des tissus tuberculeux, des cultures pures de bacilles de la tuberculose, el qu’elle peut remplacer avec avantage le sérum du sang. La préparation des tranches et leur stérilisation sont plus faciles que celles du sérum gélatinisé. La pénétration par friction des bacilles des tissus tuberculeux dans la substance nourricière, conditio sine qua non du succès, est aussi plus facile avec la pomme de terre. Il faut remarquer toutefois que dans les essais que nous venons de rapporter, les ensemencements sur pomme de terre ont été faits, soit avec des cultures sur gélose glycérinée, soit avec la moelle des os d'un lapin inoculé lui-mème avec des bacilles cultivés sur gélose glycérinée. Or, on sait, par les expériences de MM. Nocard et Roux, que les bacilles qui ont poussé sur un milieu glycériné se développent ensuite plus facilement, si on les porte sur d’autres milieux moins favorables. Obtiendrions-nous aussi facilement des cultures sur pomme de terre, si nous prenions, comme semence, de la tuberculose humaine ou des tubercules d'animaux morts à la suite d’inocu- lations de crachats tuberculeux? Tous ceux qui ont étudié la tuberculose savent la difficulté qu’on rencontre à obtenir une première culture dans ces conditions. Dans deux cas, nous n'avons obtenu aucune culture, ni sur la pomme de terre (12 tubes), ni sur milieux glycérinés (24 tubes), en ensemençant les fongosités d’une synovite tuberculeuse développée chez un lapin, à la suite de l'injection, dans une articulation, du pus d’un abcès froid. Des expériences comparatives ont montré que le développe- ment des cultures de la tuberculose sur le sérum pepto-glycé- riné est plus abondant que sur la pomme de terre, mais il n’en est pas moins prouvé, par nos expériences, que les bacilles de la tuberculose se développent très bien sur les substrats végétaux (pomme de terre) et peuvent par conséquent trouver les condi- tions nécessaires à leur développement en dehors du corps des animaux et des substances qui en dérivent. l'institut Pasteur mr 1INp SUR L'OXYDATION DU GLUCOSE PAR LES MICROBES, Par M. L. BOUTROUX. En 1880, j'ai montré que plusieurs espèces de mycoderme du vinaigre sont capables d’oxyder d’autres corps que l'alcool ; j'ai particulièrement étudié l’action d’un mycoderme, que j'ai nommé Micrococcus oblonqus, sur le glucose. Si l’on sème ce Micrococcus dans une solution aqueuse de glucose additionnée de substances nutritives, à mesure que le ferment se développe, la liqueur devient acide. L’acidité mettrait bientôt un terme au développement du Micrococcus. Si, par un excès de carbonate de chaux, ajouté d'avance à la liqueur, on fait en sorte que celle-ci reste presque neutre, le glucose est bientôt totalement remplacé par un acide ayant pour formule C° H'° 0”. Cette formule est celle de l'acide gluconique, obtenu pour la première fois par MM. Hlasiwetzet Habermann dans l'oxydation du glucose par le chlore. L'’acide que j'obtenais différait de l'acide gluconique, tel que l'avaient décrit les auteurs de sa découverte, sur un point important, c’est qu’il ne réduisait pas la liqueur de Fehling, tandis que, d’après MM. Hlasiwetz et Habermann, « l'acide gluconique la réduisait comme le glu- cose! ». Je donnai donc, au moins provisoirement, le nom d'acide zymogluconique à celui que je préparais par fermentation. Depuis cette époque, M. Heinrich Kiliani perfectionna la prépa- ration de l'acide gluconique , obtint cet acide plus pur et démontra qu'il ne réduisait pas la liqueur de Fehling. Je n'avais plus de raison pour supposer que mon acide zymogluconique en füt distinct. Je préparai l'acide gluconiqne par le pro- cédé Kiliani et je constatai qu'il était identique avec celui que j'obtenais par fermentation. Ainsi donc, par l'intermédiaire d'un Micrococcus capable de transformer l'alcool en acide acétique, on peut fixer aussi O sur C° H:? 05 pour former l'acide gluconique C° H:? O7, 4. Liebig's Annalen, CLV, 193. 310 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. Ce fait a été vérifié depuis par un chimiste anglais, M. A.- J. Brown ‘. Ce savant n’a eu connaissance que des notes que j'ai publiées dans les Comptes Rendus de l’Académie des sciences. Désirant savoir si l'acide gluconique était le seul produit de cette fermentation, 1l se borne, après avoir trouvé le gluconate de chaux dans la liqueur, à examiner le résidu insoluble et à cons- tater qu'il n’y trouve pas autre chose que du carbonate de chaux et des cellules de ferments. La conclusion qu'il en tire ressort avec plus de rigueur des expériences que j'ai décrites dans mon mémoire complet, publié dans les Annules de l'École normale supérieure, 2, série, t. X, p. 67 (1881). J'y établis expérimentale ment la formule complète de la réaction. Je fais une fermenta- tion en vase clos, sans craie, et, mesurant les poids du glucose détruit et de l’acide gluconique formé, faisant l'analyse du gaz avant et après fermentation, je démontre que chaque équivalent de glucose absorbe deux équivalents d'oxygène et produit un équivalent d'acide gluconique. En réalité, il y a absorption d’un petit excès d'oxygène et prodaction d’une petite quantité d’acide carbonique, ce qui s'explique parles fonctions vitales du ferment lui-même. Le premier degré d'oxydation du glucose se fait donc par l'intermédiaire d’un ferment d'une manière parfaitement nette ; c’est là un agent spécial d’oxydation, beaucoup plus délicat que les agents purement chimiques, tels que l'acide nitrique, l’acide chromique, le chlore, etc... J'ai obtenu, par l'intermédiaire d’un second ferment, un second degré d’oxydation. Ce ferment est encore un Micrococeus, indiscernable morphologiquement du premier. Comme celui-ci, il est en petits grains à l’état jeune, et peut s’allonger en longs filaments contournés comme des poils en vieillissant?. Il a même des actions chimiques communes avec le premier; mais il possède aussi des actions spéciales. Il est capable d'acétifier l'alcool, mais beaucoup plus lente- ment que le M. oblongus dans les mêmes conditions. Étudions son action sur le glucose. 4. Journ. of chem. Soc. 1886, p. 172. 2. J'emprunte à mon mémoire déjà cité des figures qui montrent cette varia- bilité de forme. Le grossissement est d'environ 400 diamètres. La figure 1 repré- SUR L'OXYDATION DU GLUCOSE PAR LES MICROBES. 341 Semons ce microorganisme dans une solution de glucose additionnée de bouillon de levure comme substance nutritive. La liqueur devient acide, et bientôt cette acidité même met fin à la fermentation. Analysons la liqueur : nous y trouvons encore, et uniquement, l’acide gluconique. Jusqu'ici rien de nouveau. sente le M. oblongus très jeune, se développant dans les conditions les plus favo- rables. II est encore mieux figuré dans la partie gauche de la PI, IX, G— 500. La partie droite donne l'aspect de la fermentation quand elle est terminée, avec les cristaux de gluconate de chaux. © SSS La figure 2 le représente vieilli dans un milieu neutre, plusieurs mois après la fin de la fermentation. } La figure 5 montre le rajeunissement des cellules en filaments de la figure 2, semées dans un milieu favorable au développement. Les figures 4e 5 montrent des cellules de forme anormale quoique jeunes, provenant du développement d'une semence normale dans un milieu de culture défectueux. Ces faits de déformations imprimées à un micrococcus soit par le vieillissement dans un milieu où il a produit une fermentation, soit par la culture dans un milieu mal approprié à son développement, étaient nouveaux en 1880. Il convient . de les rapprocher des faits analogues signalés par M. Wasserzug dans ces Annales, présent volume, p. 75. 312 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Mais semons le même microorganisme dans un milieu com- posé de la même manière, sauf qu'on y a ajouté du carbonate de chaux en excès. La fermentation engendre d'abord du gluconate de chaux; quelquefois elle ne va pas plus loin. Mais si la forme du vase est convenable, le gluconate de chaux, à son tour, est transformé en un sel de chaux insoluble, qui cristallise en croûtes superficielles et en dépôts le long des parois du vase. Si le même Micrococcus est semé dans une solution de glu- conate de chaux additionnée de bouillon de levure, les mêmes cristaux de sel insoluble se forment à mesure que le ferment se développe. J’ai appelé l'acide formé ainsi acide oxygluconique. Nous reviendrons tout à l'heure sur sa composition et ses pro- priétés. Voici done un microbe qui, à lui seul, peut produire une échelle d’oxydation. Il était nécessaire de m’assurer que la semence employée ne comprenait qu'une seule espèce, pour pouvoir affirmer que ce rôle multiple appartenait à un seul et même être. J’en ai eu la certitude par les deux preuves suivantes : D'abord, j'ai traité la semence, qui paraissait déjà pure, comme un mélange, et j'ai cherché à faire l'analyse de ce mélange supposé, par la méthode de dilution, en opérant à peu près comme fait M. Miquel pour le dénombrement des bactéries des eaux. Le Micrococeus, ainsi isolé, avait les propriétés qui viennent d'être décrites. En second lieu, comme il importait surtout de savoir si la semence n’était pas mélangée de M. oblongus, j'ai semé dans un même milieu, composé d'oxygluconate de potasse et de bouillon de levure, d’une part la semence à éprouver, d'autre part du M. oblongus pur. Ce dernier a acquis un développement bien visible à l'œil, tandis que l’autre semence ne s’est pas développée du tout dans ce milieu. Les deux semences étaient donc bien distinctes : l'acide oxygluconique, produit de sécrétion de l’une d'elles, était pour celle-ci un antiseptique, tandis qu’il pouvait servir à l’autre de milieu de culture. D'après cela, quand j’obtenais de l’acide gluconique au moyen du Micrococcus nouveau, ce n’était pas par une action étrangère due à l'intervention accidentelle du M. oblongus. = Étudions maintenant l'acide oxygluconique. La fermentation le donne à l’état de sel de chaux. Ce sel est presque insolubl, SUR L’OXYDATION DU GLUCOSE PAR LES MICROBES. 313 dans l’eau froide. Pour en tirer l’acide, on le transforme en sel de cadmium : on dissout le sel de chaux dans l’acide chlorhydrique, on ajoute une solution de sulfate de cadmium en quantité équi- valente à la chaux du sel, puis de l’alcool. Le sulfate de chaux qui précipite est éliminé par filtration, puis la liqueur est exac- tement neutralisée par l’ammoniaque. L’oxygluconate de cad- mium cristallise. Ce sel, convenablement purifié, est ensuite décomposé par l'hydrogène sulfuré. L'acide oxygluconique obtenu, desséché dans le vide sec, est un sirop presque incolore, d’une saveur très acide, très soluble dans l’eau et dans l’alcool, peu soluble dans l’éther. Il dévie à gauche le plan de polarisa- tion de la lumière, et son pouvoir rotatoire, calculé en admettant la formule C°H'° 0’, est{al, — — 149,5 pour des solutions con- tenant environ 2 grammes d'acide dans 100 de solution. Il est extrêmement altérable. La moindre élévation de température le fait brunir. On ne peut même pas le dessécher à froid, dans l'air sec, au-dessus de l’acide sulfurique : dans ces conditions, il perd indéfiniment de son poids en devenant de plus en plus brun. Le moindre excès de base l’altère. L’ammoniaque le fait noireir rapidement. Il est fortement réducteur. Ses sels réduisent le nitrate d'argent lentement à froid, instantanément à l’ébullition. Avec le nitrate d'argent ammoniacal, ils donnent un beau mi- roir. Ils réduisent la liqueur de Fehling bouillante. Ils font noircir, à l’ébullition, le sous-nitrate de bismuth en présence de la soude. Ils donnent à l’ébullition un précipité noir avec le nitrate mercureux. Ils ne donnent rien à froid avec le chlorure mercurique; mais à l’ébullition, ils forment avec ce sel un pré- cipité blanc qui peu à peu devient gris. Il fallait déterminer la formule de cet acide. On ne peut guère se servir de l’acide libre pour résoudre ce problème, parce que sa grande altérabilité ne permet pas de l'obtenir assez pur. J'ai analysé les sels de chaux, de strontiane, de cadmium et de plomb. Voici les résultats : Sel de chaux (combustion par le chromate de plomb mélangé de bichromate de potasse dans l'oxygène libre). Observé. Calculé pour Différence, C12 H24 CaO17, DE LR 29,76 °/, 30,00 °/, —_ 0,2% % HT 5.24 5.00 + 0,2% Cars 62 11,67 — 0,05 314 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Sel de strontiane (mème procédé de combustion). Observé. Calculé pour Différence. C'2 H?24 SrO17, Gr ft OT 27,29 0/, + 0,36 HS MNT 4,33 + 0,22 Sr0 24004808 19,63 004 Sel de plomb (combustion par l'oxygène et oxyde de cuivre). Observé. Calculé pour Différence. C22"H222Ph016° CE ASE 2079 200 22,690, — 0,60 Here 3,63 3,0 + 0,43 ÉDOUF EN 85; 20 35.40 0, 00 Sel de cadmium. Observé. Calculé pour Différence. C1? H22 CdO16. CA MOOD 076 2091007: + 0,03 De plus, j'ai fait une dissolution avec un poids connu d'acide libre, desséché à froid dans le vide, et un dosage de l’acidité par les liqueurs titrées a indiqué pour l'équivalent le poids 230, qui s’accorderait avec la formule C° H'* 0°. : En considérant comme anhydres ceux des composés analy- sés qui contiennent le moins d'hydrogène, c’est-à-dire les sels de plomb et de cadmium, y déduit de ces analyses, pour la for- mule de l'acide, C° H ‘*O*. Ce n’est là qu’une formule purement empirique, établie en dehors de toute hypothèse relative à la constitution. En donnant cette formule (Comptes rendus. Ac. Sc. 1886, CIF, p. 924) j'ai fait remarquer qu’elle était celle d’un acide signalé par M. Maumené, sous le nom d'acide hexépique. J'ai cherché à préparer l’acide hexépique de M. Maumené au moyen des méthodes indiquées par lui. Je n'ai pas réussi à obte- nir ainsi un acide qui possédàt des propriétés semblables à celles de l'acide que j'obtenais par fermentation. Je ne puis pas tran- cher la question de l'identité ou de la différence de ces deux acides, parce que je n'ai jamais pu avoir entre les mains l’acide hexépique. D'ailleurs cette question est, à mes yeux, secondaire. Que l'acide oxygluconique soit nouveau ou non, l'intérêt est ici, je crois, surtout dans son mode de production. De plus la for- “mule Cf H° Of n’est qu’une formule brute, pouvant renfermer x de l’eau étrangère, et ne se prêtant à aucune interprétation SUR L’OXYDATION DU GLUCOSE PAR LES MICROBES. 315 rationnelle, La grande altérabilité de l’acide oxygluconique au contact des alcalis, son pouvoir réducteur énergique conduisent à lui attribuer la double fonction d’acide monvobasique et d’aldé- hyde. J'ai d’ailleurs constaté qu'il donne avec le chlorhydrate de phénylhydrazine, en présence de l’acétate de soude, un composé cristallisé en lamelles jaunes. Je n’en ai pas fait l'analyse parce que je ne l’ai pas obtenu assez pur. Mais le seul fait de sa forma- tion est un argument de plus pour attribuer à cet acide la fonc- tion aldéhyde. Dès lors, il serait naturel d'admettre qu'il dérive de l’acide gluconique (acide alcool) par la suppression de H°, et que sa formule est C° H°'° 07. Les corps analysés prennent ainsi les formules suivantes : Acide oxygluconique desséché dans lende AÉEDId: ME mL CSH1007 + 2H°0 Oxygluconate de chaux . . . . .. (CSH°07)?Ca+ 3H20 — de strontiane . . . . (C5 H° 07) ?Sr +3 H°0 — dCPplOINDe. RAR (C6 H° 07) ?Pb + 2H°0 — de cadmium . . . .. (CSH2 07) ?Cd+ 2H°0 Or la formule C° H*° O7 appartient à un acide connu, l'acide glycuronique, découvert par MM. Schmiedeberg et Meyer (Zeit. für phys. Chemie, TT, 422). Des dérivés de cet acide prennent naissance dans l’organisme des animaux à qui l’on a ingéré diverses substances : camphre, bornéol, menthol, divers phé- nols, chloral. Au point de vue des propriétés chimiques, il a été étudié surtout par M. Thierfelder. Ce chimiste lui attribue la formule de constitution CO®H (CHOH): COH qui est précisément celle que je donnerais aussi à mon acide oxygluconique. Ces deux acides sont cependant bien distincts, comme le montre la comparaison de leurs propriétés : 1° L'ucide glycuronique, en solution aqueuse, donne, quand on l’évapore par l’action de la chaleur, un anhydride en grands cristaux brillants, fusibles à 167°. — L'’acide oxygluconique, évaporé au bain-marie, ne fournit qu'un sirop brun, devenant de plus en plus noir. 2° L'acide glycuronique est dextrogyre : — l'acide oxygluco- nique est lévogyre. 316 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 3° L’acide glycuronique est insoluble dans l'alcool, — l’acide oxygluconique y est très soluble. 4° M. Thierfelder a obtenu les glycuronates de potasse et de soude cristallisés, et n'a pu faire cristalliser ceux de cadmium et de chaux. — Au contraire, je n'ai pas pu faire cristalliser les oxygluconates de potasse et de soude, tandis que ceux de cad- mium et de chaux cristallisent très facilement. On obtient par exemple des cristaux très nets d’oxygluconate de chaux, quant à une solution d'oxygluconate de potasse on ajoute une solution de chlorure de calcium. L'acide oxygluconique est donc distinct de l’acide glycuro- nique, bien que ses propriétés conduisent à lui attribuer la for- mule qui a déjà été donnée à ce dernier acide. Je ne saurais dire lequel des deux a le plus de droits à la conserver. En résumé, le nouveau Micrococcus que j'ai étudié a la pro- priété d’oxyder le glucose en deux temps : Premier temps : conversion de la fonction aldéhyde en fonc- tion acide, d'où résulte l’acide gluconique; cette réaction a lieu seule et est définitive quand le milieu de culture peut devenir de plus en plus acide. Deuxième temps : conversion d'une fonction alcool de l’acide gluconique en fonction aldéhyde, d'où résulte l'acide oxygluco- nique; cette réaction peut se faire en prenant pour point de départ soit le gluconate de chaux, soit le glucose ; dans ce second cas, elle exige la présence d’un excès de carbonate de chaux et elle ne se produit qu'après la transformation du glucose en glu- conate de chaux. Dans l'étude de la fermentation gluconique du glucose, je montrais qu'un même ferment peut produire des fermentations distinctes quand on le fait agir sur diverses matières fermentes- cibles. Maintenant je fais voir, d’une part, qu’une même trans- formation chimique (conversion du glucose en acide gluconique) peut être produite par deux microbes différents, ce qui n’est plus un fait nouveau; et d'autre part, qu'un même ferment peut produire, dans un même milieu, deux réactions chimiques suc- cessives, REVUES ET ANALYSES Max Wozrr. — Sur la transmission par hérédité des maladies infectieuses. Virchow’s Archiv, 1888, t. CXIT. Le placenta oppose-t-il, oui ou non, une barrière infranchissable aux éléments microbiens? Cette question de la transmission des bactéries à l'embryon n’a pas seulement une grande importance au point de vue pra- tique; elle présente encore un extrême intérêt par les problèmes scienti- fiques auxquels elle est intimement rattachée : aussi son étude a sollicité depuis longtemps l'attention des expérimentateurs. Mais, dans le monde des infiniment petits plus qu'ailleurs encore, les problèmes en apparence les plus simples sont souvent si compliqués, tant de facteurs entrent en jeu dans l'appréciation des faits que ce n’est qu'après bien des tâtonnements, bien des essais souvent infructueux que la vérité finit enfin par se dégager. C'est ce qui explique comment il se fait que cette question du passage des microorganismes au fœtus, tant étudiée déjà, est loin d'être complètement élucidée encore. Le sujet est toujours à l’ordre du jour, et tandis que le numéro d'avril de ces Annales publiait quelques recherches que nous avons faites sur ce sujet, les Archives de Virchow inséraient presque en même temps un important travail du prof. Wolff, de Berlin : Ueber Vererbung von Infectionskrankheiten. C'est au bacille charbonneux, l'agent parasitaire par excellence, qu'on a demandé depuis longtemps une réponse à la question qui nous occupe. On se souvient que les premières expériences de Brauell, Davuine, Bollinger tendaient à faire admettre comme un fait classique l’imperméabilité des villosités placentaires pour les bactéridies. Ce furent les expériences bien connues de Sfraus et Chamberland qui, les premières, ébranlèrent fortement cette doctrine : il fut démontré que « le placenta ne constitue pas une barrière infranchissable pour la bactéridie charbonneuse. Dans bon nombre de cas, le sang des fœtus des mères charbonneuses renferme des bactéridies et est virulent. » C'était la méthode des cultures dans les milieux liquides qui, appliquée pour la première fois à ces recherches, renversait la loi de Brauell-Davaine. Il convient d’ailleurs de remarquer que Straus et Cham- berland se sont bien gardés de traduire en loi générale ces faits positifs : un certain nombre de cultures fætales restaient stériles. Aussi ne prétendent- ils nullement considérer le passage des microorganismes au fœtus comme un fait absolument normal. Le professeur Chauveau, au contraire, n’a jamais pu démontrer le passage du bacille charbonneux au fœtus, chez la brebis pleine; il n’y a guère que Koubassof qui soit arrivé à des résultats extraordinairement positifs. Sans 318 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. même recourir à la méthode des cultures, par le seul examen de coupes fœtales colorées pas la méthode de Gram, Koubassof constata, ce qui Jamais n'avait été vu avant lui, le passage constant au fœtus non seule- ment du bacille charbonneux, mais du vibrion septique, du rouget, et même du bacille tuberculeux! C'est là, on le voit, le renversement complet de l'ancienne doctrine. On comprend que l'apparition du travail de Koubassof ait fait naître bien des réflexions; il y avait une opposition si frappante entre les premiers résultats et ceux éommuniqués par ce dernier observateur qu'une nouvelle étude de la question s'imposait véritablement. C’est ce qui explique sans doute l'apparition presque simultanée du travail de Wolf et du nôtre. Nous allons analyser brièvement les expériences fort bien conduites du professeur de Berlin; on nous permettra de les mettre en regard de nos propres recherches et de tirer de cette comparaison quelques réflexions qu'elles nous ont suggérées. La technique suivie par Wolff et nous est, au fond, la même. Les fœtus enlevés de l'utérus étaient portés quelque temps dans le sublimé à 1/1000 : puis, pour enlever l’antiseptique, on les plongeait dans l'alcool et enfin dans l'eau stérilisée. Les instruments dont on se servait étaient toujours soigneusement flambés. La cavité abdominale une fois ouverte, on pratiquait dans l'organe à ensemencer une incision; les bords de celle-ei étaient écartés par les deux branches d’une pince, tandis que dans la profondeur de l'incision, on détachait un petit fragment de tissu de la grosseur d'un pois. Ce fragment était agité de suite dans la gélatine nutritive liquéfiée et celte dernière étendue sur plaque de verre, dans le but de compter éven- tuellement les colonies charbonneuses qui s’y seraient développées. On n'a pas, comme Straus et Chamberland l'ont fait, aspiré le sang des organes au moyen d'une pipette, en raison d’un passage du travail de Koubassof qui dit avoir observé les bactéridies, dans les organes fœtaux, ex dehors des vaisseaux, Wolff a inoculé le charbon à neuf femelles pleines (huit cobayes, une lapine), portant ensemble vingt-neuf fœtus. La mort est arrivée après un temps variable entre 36 heures et 3 jours. Pas une seule fois, il n’a retrouvé les bacilles dans les organes du fœtus, traités par la méthode de Gram, mal- gré les nombreux examens auxquels il s’est livré : voilà déjà un premier résul- tat bien différent des faits constatés per Koubassof! Quant aux placentas, ceux-ci montraient des bacilles charbonneux dans la partie maternelle de l'organe; jamais Wolff ne les a vus dans les villosités choriales. Des organes fœtaux, foie, rate, reins, poumons, Wolff à pratiqué en tout cent cinquante-six cultures; six seulement ont montré la poussée de colonies charbonneuses, et, chose curieuse, nous remarquons que ces quelques résultats positifs sont fournis par deux animaux seulement, les cobayes des expériences VII et IX. Enfin, sur vingt-neuf inocuiations faites au moyen de fragments d'organes fœtaux à treize cobayes et seize souris blanches, trois animaux seulement ont succombé (deux cobayes, une souris). Tels sont les résultats auxquels est arrivé l’expérimentateur de Berlin. REVUES ET ANALYSES. 319 Wolff revendique pour ces expériences, et à très juste titre, une supériorité incontestable sur celles des observateurs précédents; en effet, pour chaque examen, les trois moyens de contrôle, étude microscopique, cultures, inoculations aux animaux, ont été combinés et utilisés avec un soin extrême, C'est, du reste, ce qui distingue ces nouvelles recherches et leur assure une grande importance, car l'application à chaque cas des trois modes d'examen est loin d’avoir toujours été faite par les autres expéri- mentateurs : Koubassof s’est contenté de l'examen microscopique, Straus et Chamberland ont surtout fait des cultures, Chauveau à eu recours parti- culièrement à l'inoculation de sang fœtal à d'autres animaux ; aucun n’a combiné, aussi heureusement que Wolff, les trois moyens de contrôle, Il s'agit maintenant d'interpréter ces quelques résultats positifs : Wolff émet, à ce sujet, deux hypothèses. Les ensemencements féconds sont tellement minimes à côté du grand nombre de cultures et d’inoculations restées stériles que Wolff se demande s'il n'y a pas lieu de les attribuer à une contamination accidentelle. Il est bien vrai que la technique qu'il a suivie a été adoptée comme offrant le maximum de garanties; il est bien vrai que les précautions les plus minu- tieuses ont été prises dans tous les cas pour éviter toute souillure. Mais, malgré cela, dit Wolff, une infection accidentelle est toujours possible, et il ne serait pas improbable que les quelques cultures positives obtenues ne fussent le résultat d’une contamination par des bacilles venus de la mère, Nous ne partageons pas cette manière de voir de Wolff et nous avons meil- leure opinion que lui de son habileté opératoire; nous pensons que la bactériologie est actuellement assez maîtresse de ses méthodes, assez sûre de ses procédés pour que, en présence d'un cas à étudier, on puisse, en toute sécurité, décider la part qui doit être faite à lintervention du hasard. Comment d’ailleurs comprendre, en acceptant cette idée d’une cause d'erreur pour expliquer les résultats positifs, que Wolff n'ait obtenu de ces résultats que dans ses deux dernières expériences, celles qui ont dû être les mieux faites ? Cette hypothèse d’une contamination accidentelle a tellementséduit Wolff qu'il est bien près de ne pas accorder aux expériences de Straus et Cham- berland la valeur qu'on leur à toujours reconnue. Certes, le professeur de Berlin, travaillant dans les conditions les plus heureuses, a dû se trouver frappé du très petit nombre d’ensemencements positifs obtenus par lui, à côté des cultures généralement bien plus fécondes observées par Straus et Chamberland. Mais d’abord, Straus et Chamberland faisaient leurs ense- mencements dans des bouillons nutritifs, et Wolf employait des cultures sur plaque de verre. Il y a peut-être là de quoi expliquer ce désaccord entre les résultats. Puis ce désaccord, à lui seul, n’est vraiment pas une raison suffisante pour admettre que l'observation des auteurs français ne correspond pas à la réalité des faits. Wolff dit que la technique adoptée par Straus et Chamberland ne présentait pas toute garantie, et qu’elle n'était pas assez rigoureuse pour empêcher une infection maternelle. Nous pensons qu'en soumettant les fœtus à l’action de l’eau bouillante, en les ouvrant ensuite au thermo-cautère, et en puisant le sang des organes par 320 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. une pipette stérilisée, les observateurs français se sont placés dans des conditions très suffisantes pour qu’on puisse accorder toute confiance à leurs expériences. Aussi attribuons-nous beaucoup plus d'importance à la seconde hypo- thèse émise par Wolff, celle qui explique le passage des bactéries au fœtus, si le fait d'une contamination accidentelle peut être écarté, par des al- térations de l'organe placentaire. Wolff se livre à ce propos à des considéra- tions théoriques fort bien présentées, pour démontrer que la transmission des bactéries à l'embryon, si elle à lieu, est liée à des localisations morbi- des sur le’ placenta. C'est là précisément la manière de voir que nous avons soutenue à la suite d’un certain nombre d'expériences ‘. Nouscroyons avoir démontré que les microorganismes sont susceptibles de pénétrer dans le sang fœtal à la faveur des lésions qui ont pu se produire dans le pla- centa. Si, chez le lapin, nous avons observé, comme Wolff chez le cobaye, que le bacille charbonneux ne passait que rarement et en petite quantité à l'embryon, chez le cobaye, au contraire, nous avons vu, comme Straus et Chamberland, contrairement à Wolff, et cependant par la même techni- que que ce dernier, qu'un bon nombre d’ensemencements des organes fœætaux étaientféconds. Mais, dansle placenta du cobaye, nous avons retrouvé de très nombreux petits foyers hémorragiques, siégeant dans la pulpe même des cotylédons de l’organe; nous avons vu les bacilles s’insinuer par une véritable effraction jusque dans le sang fœtal lui-même, c'est-à-dire jusque dans les veines dépendant de la veine ombilicale. Et c’est très vraisembla- blement à la faveur de ces lésions rompant les barrières cellulaires entre le sang maternel et le sang fœtal, que les bacilles ont pu pénétrer dans celui-ci. En effet, dans des expériences d’inoculations de microbes non pathogènes, de particules inertes d'encre de Chine, nous n'avons jamais pu retrouver ces éléments dans le sang du fœtus. Si le passage des corps étrangers microscopiques à l'embryon se faisait par simple fütration, les résultats eussent évidemment été tout différents. Ajoutons enfin que dans le placenta du lapin charbonneux, nous n’avons pas vu ces lésions hémor- ragiques : or chez le lapin, la plupart de nos ensemencements sont restés stériles. Au contraire, dansle choléra des poules inoculé à la lapine pleine, toutes nos cultures fœtales ent été positives, comme Chambrelent l'a observé égale- ment, et dans les placentas, nous avons vu des lésions hémorragiques. La grande loi générale si bien mise en lumière par Wyssokowitsch se vérifiait donc encore une fois pour l'organe étudié à cet égard, pour le placenta : de même que les bactéries en circulation dans le sang ne s'éliminent par les voies excrétrices, reins, muqueuse intestinale, ete., qu'à la faveur de pro- ductions morbides dans ces organes (hémorragies, infarctus, abeès etc), de même elles n’atteignent l'embryon qu'après avoir lésé les villosités pla- centaires. Ce mécanisme du passage des bactéries au fœtus, que nous croyons avoir 1. Sur la transmission intraplacentaire des microorganismes, par E. Malvoz. — Annales de l'Institut Pasteur. Avril 1888. REVUES ET ‘ANALYSES. 321 démontré expérimentalement, a encore l'avantage d'expliquer parfaitement les contradictions, plus apparentes que réelles, entre les travaux des divers expérimentateurs. En effet, si dans certaines infections, quelques lésions sont à peu près constantes, comme par exemple les hémorragies de la tra- chée dans la septicémie des lapins, dans d'autres maladies ces altérations morbides sont très variables d'intensité et de fréquence. C’est ainsi que Wyssokowitsch n’a vu que dans quelques cas l'urine contenir des bacilles charbonneux à la suite d'hémorragies rénales. On n'a pas déterminé les conditions de ce fait, pas plus qu’on ne sait pourquoi, à la suite de l'ino- culation du staphylococcus aureus, il n'y a que dans quelques cas de petits abcès dans les reins, et à leur suite, des microbes dans l'urine. I] est done actuellement très difficile de déterminer, a priori, dans quelles conditions ces lésions sont susceptibles de se manifester. Pour ce qui concerne le placenta, les conditions de leur production ne sont pas connues. Mais, en tout cas, si Wolff n’a vu que très rarement les bacilles charbonneux passer à l'embryon, c'est que vraisemblablement, dans les conditions où il s’est placé et avec le virus dont il s’est servi, les barrières placentaires n'ont pas été lésées. Au contraire, dans les expé- riences de Straus et Chamberland, peut-être aussi dans celles de Koubassof, dans les nôtres en tout cas, chez le cobaye, les hémorragies placentaires ont vraisemblablement permis aux bacilles d'atteindre le sang fœtal. La question se pose done un peu différemment d'autrefois : il ne s'agit plus de savoir si les bactéries passent dans certains cas au fœtus : le fait paraît certain. Le problème à résoudre consiste à déterminer dans quelles circonstances, sous quelles influences, le fait est susceptible de se produire, Pour le moment, les données sont trop incomplètes pour trancher la question. Il faudra notamment établir, beaucoup mieux qu’on ne l’a fait jusqu'à présent, jusqu’à quel point la virulence de l'élément joue un rôle à cet égard. Nous inclinons à croire que les altérations placentaires doivent dépendre en partie de l’énergie du virus. Précisément, on remarquera que les deux expériences qui ont donné à Wolff quelques résultats positifs ont été faites plus d’une année après les autres inoculations : peut-être Wolff s'est-il servi de cultures charbonneuses plus virulentes. D'autres facteurs entrent encore en jeu, très vraisemblablement : c’est en les étudiant successivement qu'on arrivera à connaître à fond tout ce qui se rattache au problème capital de la transmission héréditaire des maladies, E. Mazvoz. S. Winocrapsky. — Sur les bactéries ferrugineuses. Bot. Zeily, 1888, On connaît, depuis Ehrenberg, des bactéries filamenteuses enfermées dans une espèce de gaine gélatineuse colorée par des dépôts ocreux d’oxyde de fer hydraté. Quelle est la signification de ces dépôts? Dans quelles conditions se forment-ils? quelle relation ont-ils avec la physiologie de la cellule? ce sont là autant de questions restées jusqu'ici sans solution. Cohn, qui a étudié à ce point de vue une bactérie très répandue, le Crenothrix polyspora, assimile les dépôts d'oxyde de fer dans l'enveloppe 322 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. gélatineuse du filament aux dépôts de silice dans les diatomées, ou de car- bonate de chaux dans la membrane cellulaire des Mélobésiacées : c’est poser autrement la question, ce n’est pas la résoudre. Zopf admet, de son côté, que ce dépôt d'ocre se forme par une action purement mécanique, analogue à celles qui commandent aux phénomènes de teinture. Mais d’abord la teinture ne dépend nullement d'actions mécaniques. De plus, comme M. Winogradsky le fait remarquer avec raison, le fer est en solution dans l’eau à l'état de protoxyde, et non à l'état de sesquioxyde, et le dépôt d’ocre est par suite nécessairement beaucoup plus compliqué qu'un dépôt de matière colorante. M. Winogradsky revient sur ce problème à l'aide des méthodes que nous lui avons vu employer dans son travail sur les bactéries des eaux sulfureuses (V. ces Annales, t. 1, p. 548), c'est-à-dire au moyen de cultures faites sur la platine du microscope. D'une manière générale, cette méthode ne vaut évidemment pas celle des cultures pures dans des milieux stérilisés. Mais quand elle est mise en œuvre avec délicatesse, par un observateur soigneux, attentif et prudent, elle peut rendre de bons services, et même se montrer, sur certains points, supérieure à toutes les autres. On connaît les bons résultats qu'en ont tirés par exemple MM. Van Tieghem et Lemonnier. M. Winogradsky ne l’a pas trouvée moins féconde. L'espèce qu'il a étudiée est surtout le Leptothrir ochracea, Kutz., qui est très caractéristique, et qui, contrairement aux assertions de Zopf, n’a aucune relation génétique avec le Cladothrix dichotoma. I la cultive facilement dans des éprouvettes, au fond desquelles il met une poignée de foin macéré et cuit dans beaucoup d’eau, et qu’il remplit ensuite d’eau de source conte- nant en suspension de l'oxyde de fer récemment précipité. Aussitôt qu'un dégagement gazeux commence à se produire, on voit se former, à la surface de l’eau et sur les parois du vase, des flocons colorés qui, en 8 ou 10 jours, recouvrent tout, et qui sont formés surtout de Leptothrix ochracea mélangé d'autres espèces analogues. Toutes ces espèces se retrouvent dans les eaux ferrugineuses naturelles, où le fer est à l’état de sel de protoxyde, et dans les eaux marécageuses, où le fer, comme dans la culture artificielle ci-dessus, est à l’état d'ocre, mais où il est au préalable réduit à l'aide d’une fermen- tation anaëérobie et à dégagements gazeux, par exemple par une fermenta- tion de la cellulose. C'est après cette réduction qu'il subit une oxydation nouvelle en se déposant autour du filament. Ce qui prouve qu'il en est bien ainsi,.et que l’ocre qu’on retrouve autour de la bactérie ne provient pas d'un simple dépôt de l’ocre mis en suspension dans le liquide, c’est que si on fait vivre, sous le microscope, des filaments incolores de Leptothrix en présence d’une eau renfermant de fines granula- tions d'oxyde de fer, ilsrestent incolores, tandis qu'ils se colorent très vite, en 10 ou 15 heures, si on les baigne avec une eau naturelle ou artificielle, renfermant du carbonate de protoxyde de fer. Pour pousser plus loin notre étude, nous avons besoin de quelques notions sur la morphologie de ces êtres. Ce sont des bâtonnets très fins, entourés d'une gaine gélatineuse plus ou moins épaisse. La chaîne d'articles ou de bâtonnets qui constitue le filament est fixée par une REVUES ET ANALYSES. 323 extrémité sur la paroi du vase, et s'accroît par l’autre qui est libre. Elle a donc une base et un sommet. A la base, la gaine est très épaisse et atteint jusqu’à % fois le diamètre du filament; elle s'effile à mesure qu'on se rapproche du sommet, si bien que les 2 à 10 derniers articles n’en ont pas. La croissance de la gaine ne marche pas du même pas que celle du bacille. Au contraire, à mesure que la gaine s’épaissit et s'infiltre, le bacille s'en débarrasse. Ou bien il la quitte complètement, ou bien il lui reste adhérent après en être sorti, et, se mettant à pousser de nouveau, simule des fausses bifurcations qui ont fait donner au Cladothrix dichotoma le nom qu’il porte. Le bâtonnet reste toujours incolore; c’est la gaine seule qui se remplit d'ocre, et à voir ainsi cette substance se déposer dans la partie la moins vivante du végétal, et en dehors de sa paroi cellulaire, on pourrait croire qu'il ne s’agit, en effet, que d'une action mécanique ou chimique. On sait, en effet, que les dissolutions des sels de protoxyde de fer se couvrent d’une couche ocreuse à leur surface et sur les parois des vases ou on les conserve : dans les cultures sous le microscope, il se forme de même une couche ocreuse sur le pourtour de la lamelle, aux points où le liquide est au contact de l'oxygène de l'air. Mais, fait observer finement M. Winogradsky, cette couche ne s'étend pas à plus de un demi-millimètre du bord dans l’inté- rieur du liquide, et au delà de cette marge, on ne voit se former le dépôt ocreux que dans la gaine qui enveloppe les filaments. Il y a plus : si on lave, avec de l’eau chargée d'acide carbonique, des gaines peu colorées, elles peuvent redevenir incolores, à la fois dans les régions où elles ont retenu le bâtonnet intérieur et dans les régions d’où il s’est échappé. Si, alors, on alimente de nouveau avec de l’eau chargée de carbonate de fer, on voit la gaine se colorer de nouveau en brun, mais seulement dans les points où elle contient des cellules vivantes. Le dépôt d’ocre doit donc être con- sidéré comme un acte vital. Ajoutons enfin, comme preuve dernière, que les filaments de Leptothrix ne poussent pas si on ne leur donne pas d’eau renfermant un peu de proto- xyde de fer. Une eau nutritive qui a séjourné quelques jours à l'air et s’y est oxydée devient inerte; on a beau la renouveler, les filaments restent stationnaires, et ne croissent de nouveau que si on ajoute du carbonate de fer. ;; Les sels de fer font donc partie du mélange alimentaire du Leptothrix ochracea, comme les sulfures de celui des bactéries sulfureuses, M. Wino- sradsky cherche à pousser sa démonstration plus loin, et à prouver que le sesquioxyde de fer de la gaine est le résultat de l'oxydation, dans le proto- plasma de la cellule, du sel de protoxyde de fer consommé. Il en résulterait la formation d’un sel de sesquioxyde qui, retenu par la matière gélatineuse de la gaine, en vertu de son caractère colloïdal, s'y décomposerait par un mécanisme quelconque. Mais tout ceci nous semble fort problématique. Le mot oxydation a, quand il s’agit d’un protoplasma vivant, un sens fort mal défini. On peut dire que dans tout protoplasma, il y a, mélangés et superposés, un phénomène de réduction qui crée de nouveaux éléments protoplasmiques, un phénomène d’oxydation qui détruit à la fois ceux dont le rôle est terminé, et la matière alimentaire constamment consommée. 324 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Dans ce phénomène d'oxydation lui-même, il faut faire des distinctions entre la partie de l’action due à l’intervention de l'oxygène de l'air, c'est-à-dire à des combustions extérieures, et la partie due à des combustions intérieures. L’acide carbonique d'une fermentation alcoolique est un produit d’oxydation qui ne résulte pas d’une action oxydante, mais plutôt d’une action réduc- trice. De même un sel organique de protoxyde de fer peut donner du ses- quioxyde par une action réductrice. Notons que le microbe de M. Wyssoko- witch possède cette action réductrice, puisqu'on réussit à nettoyer de leurs dépôts d'ocre les gaines colorées, à la condition d'employer de l’eau chargée d'acide carbonique. Il faut bien, avant, réduire lesesquioxyde, et il n’y a quele microbe qui puisse s’en charger. Mais ce n’est pas le moment d'insister sur ces points délicats que nous aborderons dans une prochaine Revue critique sur la respiration de la cellule. Nous n'avons voulu que relever les principaux résultats de M. Winogradsky, et mettre en lumière l'élégance de quelques- unes de ses démonstrations. Dx. G. Banri. — Sur la destruction des bactéries dans l'organisme, Archivio p. L scienxe mediche, t. XII, n° 9, 1888. Par quelles voies les microbes s'introduisent-ils dans l'organisme, et qu'y deviennent-ils lorsqu'ils y ont pénétré? c’est une question que nous avons déjà souvent abordée, et sur laquelle nous ne nous lasserons pas de revenir, tant que nous rencontrerons sur elle des documents dignes d'attention. De cet ordre est le mémoire dans lequel M. G. Banti à résumé toutes ses études antérieures sur ce sort des bactéries injectées par les trois voies des bronches, de ia cavité péritonéale, et des veines. Au sujet du poumon, nous avons déjà résumé les travaux de Arnold, Wyssokowitsch, Muskatbluth et Buchner, en contradiction sur beaucoup de points. Ils ont pourtant ceci de commun qu'ils nient la possibilité de la pénétration par les bronches et les alvéoles pulmonaires dans leur état physiologique et normal. Ce n’est que lorsque des cultures sur place ont produit de l'inflammation, de la desquammation épithéliale, un foyer pneumonique plus ou moins accusé, que le microbe peut pénétrer. Il semble aussi, mais ici les opinions sont moins unanimes, que lorsque l’infiltration preumonique est très marquée, elle serve de protection en obstruant les ouvertures, ou en détruisant sur place, dans un véritable procès de réaction locale, les microbes inoculés. M. Banti s’est surtout proposé d'étudier ce procédé de destruction, et d’en rechercher le mécanisme sur les divers points où il peut se mani- fester. Il a pour cela inoculé à des lapins des microbes pathogènes et non pathogènes, empruntés à une culture sur gélose, et mis en suspension dans de l’eau salée jusqu’à en faire un liquide assez opaque, dont il injectait des quantités variables de 1/4 à 6 centimètres cubes. Parmi les microbes non pathogènes, il a surtout employé le bacille de Finkler et Prior, le bacillus subtilis, le mic. telragenus. Après les avoir injectés dans la trachée, on tuait l'animal de 2 à 72 heures après l’opéra- tion, et on soumettait ses organes à une étude soigneuse, REVUES ET ANALYSES. 325 Macroscopiquement, on voit qu'il se forme ainsi dans les premières heures une congestion plus ou moins intense, qui, suivant les cas, suivant la nature et la quantité du liquide inoculé, suivant aussi la force de l'animal, peut disparaître sans laisser de traces, ou aboutir au contraire à de véri- tables foyers pneumoniques, occupant quelquefois la plus grande partie d'un lobe. En allant chercher dans le tissu pulmonaire, mis à nu et ouvert avec toutes les précautions antiseptiques, une goutte de liquide au moyen d'une anse de platine qu'on portait ensuite dans de la gélatine liquéfiée, on pouvait, en faisant des cultures sur plaques, se faire une idée de la dissémi- nation dans le poumon du microbe injecté. On trouve ainsi, et ici M. Banti est d'accord avec M. Wyssokowitsch, que le nombre des colonies capables de se développer dans la gélatine va en diminuant à mesure que le tempsaugmente, et finit par être nul. Le temps nécessaire à la disparition des microbes est naturellement variable avec leur nombre et leur nature : quelquefois il ne faut que de 4 à 6 heures, quelquefois il en faut 20, 40, ou davantage. Que deviennent les microbes qu'on voit ainsi disparaître du poumon? Ils ne passent pas dans la circulation, on ne les rencontre à aucun moment dans le sang extrait de l'oreille et employé comme semence. Ils sont donc détruits sur place dans les bronches et les alvéoles, sans entrer dans la circulation générale. Pour étudier le mode de disparition, il n'y à qu'à faire des coupes et des préparations colorées. On peut ainsi, sur des animaux sacrifiés à diverses époques, étudierle mode de développement des lésions histologiques du poumon. Elles commencent par une forte injection des alvéoles, dans lesquelles on trouve des bactéries libres, de rares leucocytes, des globules rouges parfois assez abondants. Les cellules épithéliales sont gonflées et en partie en voie de desquamation. Rapidement, celle injection s'aggrave, la desquamation devient plus abondante, les leucocytes apparaissent en plus grand nombre. Une partie des bactéries est encore libre, une autre est enfermée dans le protoplasma des cellules épithéliales et plus rarement dans les leucocytes, mais a encore conservé sa forme, son aspect et sa puissance de coloration. Puis on voit les microbes inclus dans les cellules se déformer et se transformer en fragments irréguliers et amorphes, pendant que les cellules qui composent l'exsudat présentent des phénomènes de métamorphose régressive. A la fin, en tuant les lapins de 48 à 72 heures après l'injection, on peut quelquefois trouver des foyers de pneumonie en voie de régression, dans lesquels on ne réussit par aucun moyen à démontrer la présenee des bactéries, et qu'on aurait le droit d'attribuer à toute autre chose qu'à une infection microbienne, si l’on n'avait pas suivi pas à pas leur développement régulier. On peut donc dire que la destruction des microbes non pathogènes se fait sur place. Pour les microbes pathogènes, le procès doit évidemment être différent et plus variable, et, à ce propos, on peut même remarquer que cette distinction entre les microbes pathogènes et non pathogènes est tout à fait artificielle, puisque des bactéries inoffensives comme le bac. subilis ne peuvent disparaître qu’au prix d’une réaction locale qui est une véritable 21 926 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. maladie, qu'il suffirait sans doute d'étendre à tout le poumon en augmen- tant la quantité de microbes injectés pour la rendre mortelle, qu’on pourrait aussi sûrement rendre plus grave, sans augmenter la dose de l'injection, en relevant la virulence du microbe, c’est-à-dire son aptitude à résister aux ennemis et aux causes chimiques de destruction qu'il rencontre dans l'organisme. Quoi qu'il en soit, M. Banti a surtout étudié, parmi les microbes patho- uènes, le coteus de la pneumonie de Fränkel et la bactéridie charbonneuse. Il prenait toutes les précautions nécessaires pour éviter la contamination par la blessure faite à la trachée, et il a vu, comme M. Muskatbluth, tous ses animaux succomber à la septicémie salivaire ou au charbon. Les deux microbes étudiés passent donc dans le sang, non pas de suite, mais après avoir déterminé dans les alvéoles des lésions en grande partie identiques à celles que nous avons signalées plus haut pour les bactéries non pathogènes. Comme plus haut, une partie des microbes est absorbée par les cellules épithéliales ou par les leucocytes, et y subit des modifications régressives; mais il en reste toujours de libres. Quels sont ceux qui portent l'infection dans tout l'organisme, et par quelle voie pénètrent-ils dans le sang, c’est ce que M. Banti ne nous dit pas nettement. À côté de l'opinion de M. Muskat- bluth, qui admet le passage par les lymphatiques, il émet celle de la péné- tration directe par les capillaires sanguins demeurés à nu, et dont les parois ont aussi certainement subi les altérations propres à la phlogose. « J'identifie le mode de pénétration à celui qu’on observe pour les substances pulvérulentes, et aussi, comme nous allons le voir, pour les bactéries injectées dans la cavité abdominale; cette pénétration aurait lieu à travers les interstices des cellules endothéliales, ou, comme d’autres l'ont pré- tendu, à travers les endothéliums eux-mêmes ». Notons, avant de quitter ce sujet, que M. Banti, après Flugve et Muskat- bluth, a vu un lapin, inoculé dans la trachée avec 4° d’une culture très virulente du bac. anthracis, succomber après 10 jours, non au charbon, mais à une pneumonie catarrhale étendue. Voilà donc encore un cas où la réaction locale a servi de protection contre le microbe inoculé, ou au moins contre sa diffusion dans l'organisme, si bien que des cultures faites avec le sue splénique ou le sang de ce lapin sont restées stériles. Nous arrivons maintenant à l'injection dans la cavité péritonéale. Dans un travail important, Grawitz a démontré que d'ordinaire, même l'injec- tion dans le péritoine de bactéries pyogènes n’amène pas de péritonite. Ces bactéries sont absorbées, mais Grawitz n’a pas cherché par quelles voies. Dansses recherches, M. Banti s’est surtout servi des mic. tetragenus etpyogenes aureus, et du bacille de Finkler et Prior, mis en suspension dans de l’eau salée, et injectés, en volumes de 2 à 4ce et au moyen d’un trocart, dans la cavité abdominale de lapins. En sacrifiant les animaux à des intervalles divers, de 30 minutes à 48 heures après l'injection, on trouve, comme l'avait vu Grawitz, que le liquide est rapidement absorbé. En faisant des cultures sur plaques avec ce qui en reste, on trouve que les bactéries disparaissent aussi, moins vite que le liquide qui les tient en suspension. Avec un lapin qui avait recu 4e d’une REVUES ET ANALYSES. 327 injection très opaque de staphylococcus aureus, M. Banti a trouvé après 40 mi nutes, comme moyenne de quatre cultures, faites chaeune avec une goutte du contenu péritonéal, 480 colonies, La durée de la disparition totale est naturellement variable suivant le nombre et la nature des bactéries injec- tées. Mais jusqu'à la fin, on les trouve libres, ef jamais contenues dans les leucocytes ou dans l’endothélium de la séreuse. Que deviennent done ces bactéries? On constate assez facilement, par la méthode des cultures, qu'elles passent dans le sang, où on les retrouve déjà dix minutes après l’injection. Mais elles y sont toujours relativement rares. Par exemple, dans le lapin signalé plus haut, et qui, tué après 40 minutes, ne donnait que 180 colonies par goutte de liquide péritonéal, on a trouvé, comme moyenne de 6 essais, 62 colonies par goutte du sang du cœur,etdes chiffres très voisins pour les cultures faites par la méthode de Wysso- kowitch avec le tissu du foie, de la raté et la moelle osseuse. Dans le sang, iles microbes sont toujours libres, aussi bien que dans le liquide péritonéal, C'est par les lymphatiques que se fait la pénétration, et surtout par ceux du centre phrénique. Sur de jeunes lapins, cette portion du péritoine est assez transparente pour permettre, après durcissement à l'alcool et colo- ration, l'examen avec un fort objectif, et on y voit, dans les lymphatiques, de grands amas de microbes tantôt libres, tantôt contenus dans des leuco- cytes. Il n’y en a pas dans les endothéliums des lymphatiques. Il sem- ble par suite que les bacilles aient pénétré à l’état libre dans les vaisseaux. Si c’étaient des leucocytes qui étaient chargés d'aller les prendre dans le suc péritonéal, on y en retrouverait quelques-uns. Ce n’est qu'après avoir pénétré à travers l’endothélium, ou mieux à travers la couche de ciment in- tracellulaire, que les microbes sont absorbés par les globules blancs qui, par places, se montrent tellement chargés qu'il ne reste plus de microbes libres. Quel est le sort de ceux qui sont ainsi engloutis? C'est ce que M. Banti ne peut encore dire. Il a une tendance à croire que c’est dans les lymphatiques eux-mêmes que les bactéries sont détruites par les cellules blanches, et il se base pour cela surtout sur ce que le nombre des bactéries qu’on trouve dans le sang est toujours petit, nous l’avons dit plus haut, par rapport au nombre des bactéries injectées dans le péritoine. Maïs quand les bactéries ont pénétré dans le sang et ont été promenées par lui dans tousles organes, elles ont subi une énorme dilution dont on ne voit nulle part que M. Banti ait cherché à tenir compte dans ses comparaisons, et ceci suffit à enlever à son raisonnement toute valeur probante. En arrivant maintenant aux injections dans le sang, nous avons à rap- peler le travail de Traube et Gscheidlen, qui ont constaté en 1874 la rapide disparition des bactéries de la putréfaction injectées dans le sang des chiens ou des lapins, et ont attribué ce résultat à l’action de l'ozone colporté par les globules rouges. Plus tard, en 1879, M. Watson Cheyne à retrouvé le même fait, et lui a cherché des causes plus physiologiques. Enfin, Wyssoko_ witsch, dont nous avons analysé le travail dans le 4€ numéro deers Annales, a démontré que la disparition rapide des bactéries non pathogènes injectées dans le sang n’était pas due à une élimination physiologique par le rein, 328 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Fintestin ou les glandes mammaires, mais que ces microbes se réunissent dans certains organes, surtout dans le foie, la rate et la moelle osseuse, où ils sont absorbés par les cellules endothéliales des capillaires sanguins. C'est sur ce dernier point que M. Banti n’est point d'accord avec M. Wys- sokowitsch, dont il attribue l'erreur à ce qu'il a tué ses animaux trop tard après l'injection. Il y a, pour faire l'étude, un moment propice, variable avec la nature et la quantité de bactéries inoculées, et qui, pour le mic. tetragenus, est de 2 à 4 heures après l'injection de 3 à 4 centimètres cubes d'un liquide assez fortement chargé de microbes. L'organe qui se prête le mieux à la recherche est le foie, tant à cause de la netteté qu'y présentent les capil- laires que de ce que le mic. tetragenus y persiste beaucoup plus longtemps que dans la rate ou la moelle. On voit ainsi, en sacrifiant des animaux à divers intervalles, les microbes, d’abord libres dans le sang, quitter la circu- lation générale pour s’accumuler dans les capillaires dans lesquels on les trouve d’abord libres, mais où, à mesure que le temps s’avance, on les voit, en proportion de plus en plus grande, absorbés par les leucocytes. « Dans certains capillaires, on trouve adossées à la paroi, des cellules fusiformes, ressemblant aux cellules endothéliales, seulement un peu plus gonflées et tuméfiées qu’elles, et qui contiennent des bactéries. Mais ces éléments cellulaires ne sont pas nombreux, et il y en a beaucoup moins que de leucocytes contenant des bactéries. » C'est là la contradiction relevée avec M. Wyssokowitsch. Ce seraient donc surtout, d’après M. Banti, les leucocytes qui joueraient le rôle de phagocytes, et qu'on voit en effet déformer peu à peu le microbe jusqu’à le faire disparaître. Mais arrivés là, nous ne pouvons que constater le phénomène qui se passe sous nos yeux, sans pouvoir, au moins jusqu'ici, en pénétrer le mécanisme avec sûreté. Le microbe est-il en réalité mort ou malade, tout en conservant son aspect normal, avant son absorption par le phagocyte, qui alors agirait sur lui comme un corps inerte ? ou bien est-il absorbé à l’état vivant et tué dans le phagocyte, par digestion intracellulaire ou autrement ? Quel est le rôle que jouent dans le phénomène les diastases que peut sécréter le microbe, s'il est vivant au moment de la pénétration, ou qui peuvent lui survivre, s’il est mort ? Quel est le rôle de ses produits de sécrétion, parmi lesquels il y a des substances morbigènes et vaccinales? Quelle importance faut-il attribuer aux phénomènes de coloration, à ces actions de teinture qui, dans l’industrie nous apparaissent trop contingentes pour que nous ayons le droit de leur refuser, sous le microscope, un peu de la confiance qu'on leur attribue trop généreusement? Autant de questions délicates, non encore tout à fait résolues, mais qui ne tarderont pas à l'être, étant donné le nombre et la valeur des savants qui s’en occupent. Dx. BIBLIOGRAPHIE DU SUJET. TRAUBE ET GSCHEIDLEN. — Sifungsber. d. Sachs. Gesell. f. vaterland. Cultur. 1874. WATsoN-CHeyNE. — Transac. of the pathol. Soc. of London, 1879, t. XXX. GRrawirz. — Sur là théorie de la vaccination (Virchow’s Archir, 1884, t. LXXXIV). REVUES ET ANALYSES. 329 MercaniKorr. — Recherches sur la digestion cellulaire chez les inver- tébrés (Arb. d. z0olog. Institut zu Wien, 1883, t. V). — Sur une maladie des Daphnies (Virchow's Archiv., 4883., t. 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Les questions de concurrence vitale entre les microbes ont le mérite d'être intéressantes, et le défaut d’être difficiles à résoudre. IL est assez gé- néralement admis qu’on les simplifie en prenant pour terrain d’études, non pas un être vivant, dont là réaction introduit un élément nouveau difficile à apprécier, mais un milieu inerte de culture. Cette opinion semble diseu- table. À passer de l'animal aux cultures in vitro, on gagne d’un certain côté, mais on perd de l'autre. On gagne de supprimer toute la partie de la réaction qu’on peut appeler vivante, partie dont il ne faut pas s'exagérer l'importance, car elle paraît dépendre d'un mécanisme qui, s’il est d’ordi- naire sûr, est aussi très délicat. On y perd cette égalité dans les conditions de milieu et de température que l’on rencontre dans les êtres d'une même race, qu'on ne réalise au même degré, dans les eultures artificielles, qu’au prix de soins infinis, qu’on est dès lors conduit à négliger, et dont l'aban- don enlève toute sécurité aux conclusions d'un travail quelquefois long et consciencieux. Quelques mots suffisent à prouver ce que j'avance. Quand il s'est agi d'étudier l’antagonisme de certains microbes dans les milieux inertes, deux méthodes ont surtout été employées jusqu'ici. La première en date, dont le travail de M. Pavone nous fournit un nouvel exemple, est de faire vivre côte à côte les deux microbes dans le même milieu, en les maintenant séparés, si l’on veut etsi l’on peut, sur les milieux solides, ou en les laissant se mélan- ser dans les bouillons. Dans ce cas, l’un d’eux est d'ordinaire écrasé par l’autre. La question d’antagonisme semble ainsi résolue, alors qu’elle est loin de l'être, car le résultat pourrait sûrement être rendu inverse en changeant les conditions de milieu, de température, et même quelquefois seulement les proportions relatives des deux microbes ensemencés. Je ne parle que pour mémoire des changements qui peuvent survenir, pendant la culture, dans les relations du liquide avec l'oxygène, dans sa composition, dans sa réac- tion acide ou alcaline. On voit de quel mélange complexe d'influences peut résulter la suprématie d’un microbe l'un sur Pautre. Pour éviter ces actions mutuelles des deux espèces de cellules vivantes, on a eu recours à une autre méthode, dont le travail de M. Freudenreich, dans l'avant-dernier numéro de ces Annules, a fourni un fort bon exemple, celle de l’ensemencement d’un mierobe dans un bouillon qui en a nourri un autre, et qui en a été débarrassé par une stérilisation. Ici, l’action nocive, anti- septique ou vaccinale de la première culture sur la seconde se manifeste mieux. Mais l'interprétation et surtout la généralisation des résultats n’en restent pas moins périlleuses. Le non développemeut du second microbe peut REVUES ET ANALYSES. 331 être attribué, soit à cequele premier a fait disparaître du milieu une substance utile, soit à ce qu'il y a déposé une substance nuisible, etrien ne prouve que dans un autre milieu, ou dans le même milieu plus dilué ou plus concentré, les résultats eussent été les mêmes. Quand on s'adresse surtout, comme M. de Freudenreich l'a remarqué lui-même, à des bacilles difficiles sur leur milieu de culture, la plus légère modification apportée par un premier microbe peut transformer pour eux en terrain stérile un milieu dont ils se contentaient auparavant, sans qu'il y ait, à proprement parler, d’antago- nisme mis en jeu. C’est ainsi qu'un courant d'air qui éteint une lampe mourante fait vivre une lampe qui fonctionne bien. On peut, pour éviter une partie de ces objections, employer une troisième méthode. On cherche d’abord, pour les microbes a et b dont on veut étudier l'antagonisme, les meilleurs milieux de culture À et B, qui, quand ils ont nourri le microbé, sont modifiés et deviennent A’ et B’. On stérilise ces derniers, soit par la chaleur, soit au filtre Chamberland, et on les mélange en proportions variables, par moitié, par exemple, avec les liquides primi- tifs, de façon à avoir des mélanges AA’, AB’., BA’ et BB’ Dans les deux premiers, on sème le microbe a, et dans les deux derniers le microbé b. La comparaison des cultures montre bien si pour l’un quelconque de ces microbes, les produits de la culture de l’autre sont plus nocifs que ceux qui résultent de la sienne, et si par conséquent, l’un quelconque d’entre eux perd ou gagne à être rapproché de l’autre. Les résultats obtenus par cette mé- thode sont moins contingents que ceux que fournissent les autres, mais ils n'ont encore à aucun degré le caractère absolu, car la nature de substances sécrétées variant avec la nature du liquide, rien ne dit que l’antagonisme - observé ne se résoudrait pas d’une tout autre facon dans d’autres milieux. Je passe brièvement sur ces considérations, qu'il serait facile et peut- être utile d'envisager de plus près, parce que j'ai moins pour objet d'établir les conditions d’une étude précise que de montrer que cette étude est difficile, et qu'il ne faut pas s'étonner qu'elle ne soit pas encore faite. Ici, - comme à propos des antiseptiques, nous sommes condamnés, peut-être pour longtemps encore, au régime des tâtonnements. Tous les travaux bien faits dans cet ordre d'idées sont les bienvenus, parce qu'ils concourent à l'avancement de la science, mais à la condition d'être considérés comme des travaux de tâtonnement, visant plutôt à définir la question qu'à la résoudre. C'est avec cette lumière que nous avons à envisager le travail dé M. Pa- vone, intéressant en ce qu'il fait intervenir dans cette question de lutte entre les microbes l'examen d’un degré intermédiaire qui n'avait pas encore été si soigneusement envisagé, celui qui correspond, non à la destruc- tion complète de l’un des microbes, mais à son affaiblissement et à sa diminution de virulence. M. Pavone a mis en concurrence le bacille de la fièvre typhoide et la bactéridie charbonneuse, « qui aiment tous les deux les terrains alcalins, qui sont tous deux aérobies, qui ont ainsi un certain nombre de besoins com- muns. Mais le premier végète bien à des températures élevées (35°, 40°) qui sont moins favoräbles à la bactéridie charbonneuse, Le premier a un 332 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. développement plus précoce que la seconde. Le premier est mobile et peut aller chercher à distance des aliments nouveaux, l’autre non. Si ces deux bactéries sont obligées de vivre sur un terrain commun, la conséquence devra être un développement précoce et prépondérant de la bactérie du typhus aux dépens du bacille charbonneux. » Ces quelques lignes, que nous empruntons au mémoire de M. Pavone, en résument assez bien la première partie. Peut-être pourrait-on leur reprocher une forme un peu trop dogmatique. Ce n'est pas seulement pour les raisons énoncées que le bacille du typhus l'emporte sur son concurrent. La nature du terrain de eulture y est certainement pour quelque chose. M. Pavone a, il est vrai, beaucoup multiplié ses milieux de culture et ses modes d’ensemencement. Il a semé ses microbes en lignes parallèles sur une plaque de gélatine, il en à mélangé les semences dans un tube de gélatine et les a coulés sur une plaque comme pour les cultures d'isolement; il les a inoculés tous deux dans une même piqûre faite dans un tube de gélatine, il les a mélangés dans une goutte pendante, et les a cultivés ensemble dans du bouillon peptonisé. Partout et toujours, il a vu que les deux bacilles pouvaient vivre côte à côte ; celui de la fièvre typhoïde paraissait prendre le dessus, au point d'arriver quelquefois, avec le temps, à faire disparaître l'autre. Mais il sait bien lui-même que ce résultat est contingent, et ne se retrouverait pas nécessairement le même avec d’autres milieux de culture. Peut-être serait-il intéressant d'essayer à ce point de vue l'urine, dans laquelle la bactéridie charbonneuse se développe bien. M. Pavone a fait plus, il a porté la bactérie de la fièvre typhoiïde dans une culture pure de bactéridie charbonneuse dans du bouillon peptonisé, et a vu alors cette dernière subir, dans la majorité des cas, une destruction progressive, plus rapide à température élevée qu'à température basse, tandis qu'il n’a jamais vu la bactéridie charbonneuse se développer dans une culture de bacille du typhus maintenue à 37°. À 200, il y a quelquefois développement. Dans ce eas, il y a lutte entre les cellules, et non entre leurs produits d'élimination, car le bacille du charbon se développe généralement assez bien dans des cultures de typhus stérilisées par la chaleur, quel que soit l’âge de ces cultures. Il se développe un peu moins bien à des températures basses. On voit apparaître partout, dans ces énoncés, le caractère contingent des résultats de ces expériences, qui paraissent pourtant avoir été nombreuses et bien faites. Mais, à mon avis, leur véritable intérêt, n'est pas là, il est dans la mise en lumière de ce fait que la bactéridie charbonneuse soit parfois atténuée de cette lutte contre le bacille de la fièvre typhoide. « Le bacille du charbon, obligé de vivre en présence de la bactérie du typhus dans le même bouillon nutritif, montre d'ordinaire, tant qu'on réussit à en constater la présence dans la culture mixte, et qu'il n’a pas été écrasé par l’autre, une atténuation plus ou moins notable dans sa virulence. Avec les rats, j'ai eu jusqu'à cinq jours de retard dans l'époque de la mort; avec les cobayes, de trois à quatre jours. L'atténuation est en général pro- portionnelle à l’âge de la culture mixte... et peut aller dans certains cas Jus- qu'à l'abolition de la virulence : il semble que le degré d'atténuation atteint REVUES ET ANALYSES. 333 sur un terrain déterminé persiste dans le passage sur les terrains nutritifs ordinaires, et dans les passages d'un animal à un autre.Je ne peux pas dire si c'est indéfiniment. » M. Pavone aurait eu, je crois, grand avantage à porter sur cette question tout l'effort de son travail et de son mémoire, et à donner à ces conclu- sions une base solide. Il faut dire qu'elles en manquent encore un peu. Une diminution de virulence qui n'est prouvée que par des retards plus ou moins longs dans la mort des animaux auxquels on inocule une culture im- pure de bactéridie charbonneuse, ne peut être considérée comme un phéno- mène démontré ef acquis à la science. M. Pavone en a bien conscience. Il pose, en effet, comme second témoignage en faveur de la diminution de la virulence, la condition que le sang de l’animal mort du charbon avec un retard, inoculé aussitôt à un autre animal, le tue aussi avec un retard. Le passage au travers du corps d’un animal est une cause de variation sur laquelle on sait encore trop peu de chose pour qu'il soit sûr de compter sur cette preuve. Il aurait peut-être mieux valu isoler la bactéridie de cette culture mixte, et l'inoculer à l'état pur, par comparaison avec une bactéridie qui n'aurait pas passé par le contact du bacille typhique. Quoi qu'il en soit, M. Pavone retrouve ces effets d'atténuation dans les cultures de bactéridies que l’on souille, à un moment donné, en y portant une semence de bacille typhique, comme nous l'avons dit plus haut, et même dans les cultures de bactéridies faites dans un milieu où le bacille ty- phique a vécu et a été tué par la chaleur. Il semble donc qu’il y ait là une loi générale, qui sort du domaine des faits contingents, et que M. Pavone s’attachera sûrement à mettre en lumière. Il promet de faire dans un autre mémoire une étude plus attentive de la concurrence vitale de ses deux mi- crobes portés sur un même être vivant. La meilleure préface à cette étude est évidemment la démonstration nette d’une diminution de virulence chez celui des deux microb?s qui se met en retard et finit par être écrasé par l’autre. Dx. C. FRAENKEL. — Sur la culture des microbes anaérobies, Centrabl f. Bakt., t. IL, p. 735 et 763. Les questions de technique sont de celles qui intéressent toujours les bactériologistes, parce qu'il n’y a guère de science où le plus petit perfec- tionnement apporté aux méthodes, aux procédés opératoires ou aux appareils, puisse se montrer plus fécond. En ce qui concerne la culture des êtres aérobies, nous sommes arrivés à une sorte de perfection relative, et les deux méthodes qui se résument dans les noms de Koch et de Pasteur n’ont rien à s'envier l’une à l’autre pour la commodité et la sécurité des opérations. Nous les pratiquons toutes deux en France, en demandant à chacune ce qu’elle peut donner : à la méthode des cultures sur gélatine ou gélose, un incomparable moyen de séparation et d'isolement des microbes, et les renseignements parfois très intéressants que fournissent l'aspect et l'examen des colonies ; à la culture dans des milieux liquides, nous deman- dons non seulement des renseignements sur la morphologie du microbe, 3934 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. qu'elle peut nous donner à l’égal de la précédente, mais surtout des notions sur sa biologie, la nature des aliments qu'il préfère, des transformations qu'il leur fait subir, etc, toutes choses que la méthode de culture sur milieux solides ne nous révèle que d’une façon insuffisante. C'est surtout quand il s’agit des microbes anaérobies que les différences entre.les deux méthodes apparaissent. Avec les milieux liquides, il n'y à qu'à modifier la forme des vases, à prendre par exemplele tube à deux bran- ches, si souvent employé par M. Pasteur et ses élèves, pour retrouver la faci- lité et la sûreté opératoires présentées par l'emploi des matras Pasteur pour les aérobies. Il est vrai que pour cela, une pompe à mercure est indispensable, et M. Frænkel y voit un inconvénient, car « il n'y a d'ordinaire de pompe à air que dans les grands laboratoires ». Nous voulons croire que M. Frænkel exagère la pauvreté des laboratoires allemands. S'ils n’ont pas encore de pompe à air, c’est qu'ils n’ont pas senti le besoin d'en avoir, les savants allemands, si féconds par ailleurs, étant restés jusqu'à ces derniers temps très froids au sujet de la culture des anaérobies. La raison en est qu’elle se fait difficilement dans les milieux solides auxquels ils sont habitués. Ils avaient pourtant, sans le savoir, un auxiliaire dans la gélatine elle-même dont ils se servaient. Quand, suivant l'indication donnée par Koch, ils recouvraient d'une lame de mica une couche mince de gélatine nutritive, ou quand, à la suite de Hesse ! et de Liborius ?, ils faisaient leurs ensemencements dans les couches inférieures d’un tube à essai rempli de gélatine, ils avaient recours, pour éliminer l'air, à des pra- tiques qui n'eussent absolument rien donné si le milieu nutritif avait été différent, Rien n'égale la rapidité avec laquelle l'air pénètre dans un liquide désaéré exposé à l'air même sur une étroite surface, lorsqu'il n'est pas arrêté au passage, dans les couches successives qu'il aborde, par des phénomènes d'oxydation. Mais s’il est absorbé, sa pénétration est au con- faire très pénible et très lente, et telest le cas pour la gélatine, ainsi que je l’ai fait remarquer (v. ces Annales, t. 1, p. 410), à propos d'un travail de M. Spina. La gélatine emploie à des oxydations intérieures l'oxygène de l'air dissous, et si alors on la couvre d’une plaque de mica, ou si on la verse en épaisseur dans un tube, les couches éloignées de la surface aérée peuvent se trouver à l’abri de l'oxygène. Voilà pourquoi on peut y faire des cultures d'êtres anaérobies, et pourquoi, comme le dit M. Frænkel en énumérant les avantages de la méthode Liborius de culture dans des tubes à essai remplis de gélatine, on peut en quelque sorte, en ensemencant dans ces tubes un mélange d'espèces diverses, voir s’échelonner les anaérobies au bas du tube, les aérobies purs à la surface, et entre les deux les êtres facultativement anaérobies ou aérobies. En revanche, cette méthode présente l'inconvénient de se prêter très mal à l'examen, à l'étude et à la réinoculation des colonies formées, qu'il faut aller péniblement chercher, après avoir cassé le tube, au milieu de la masse gélatineuse qui les contient. On peut, ilest vrai, essayer de la combiner avec 1. Deutsch. med. Wochenschr., 1885. 2. Zeüschr. f. Hyg., t. L V. aussi ces Annales.,t. 1, p. 311. REVUES ET ANALYSES. BbD) la méthode Esmarch, et faire rouler sur la paroi intérieure du tube la gélatine ensemencée jusqu'à ce qu’elle y fasse prise, laissant ainsi un vide central qu'on remplit avec de la gélatine stérile. [ei le mécanisme invoqué plus haut intervient encore pour protéger les couches profondes, mais il ne pro- tège que ces couches. Les microbes anaérobies que l’enrobage de la gélaline a amenés près de la surface ont le contact de l'oxygène, et, à l'usage, cette pratique s’est montrée inférieure à ce qu'on en attendait. Grüber!, sans se laisser arrêter par les scrupules que nous signalions tout à l'heure chez M. C. Frænkel, est alors courageusement revenu à l’em- ploi de la pompe à air. Il effile un tube à essai à environ 15 centimètres du fond, le bouche avec de la ouate, le stérilise, et y fait arriver au moyen d'un entonnoir capillaire un peu de gélatine nutritive, après quoi il stérilise de nouveau. Il ensemence, en enlevant le tampon de ouate, au moyen d'un fil de platine, fait le vide en portant la gélatine de 30 à 35° de facon à la faire bouillir, ferme à la lampe, et roule la gélatine en manchon, suivant Fa méthode d'Esmarch. Il est alors très facile d'examiner les colonies dans le tube clos, et de les manipuler en ouvrant l'extrémité fermée à la lampe. D’autres méthodes, plus ou moins semblables à celle-là, étaient depuis longtemps en usage au laboratoire de M. Pasteur, quand M. Roux les a publiées dans ces Annales, t. I, p. 49 et t. II, p. 28. MM. Vignal?, Nencki, Rosenbach*, Hufnerÿ, Buchnerf, ont proposé d’autres procédés, dont quel- ques-uns basés sur le remplacement de l’air par un gaz inerte. Liborius avait déjà fait un pas dans cette voie en faisant barboter de l'hydrogène dans le milieu nutritif, contenu dans un tube muni d’une tubu- lure latérale, et cela jusqu’à élimination des dernières traces d'air. On ferme alors le tout à la lampe et on applique la méthode d'Esmarch. M. Frænkel reproche à cette méthode d'exiger l'emploi d'un tube de verre fait exprès et coûteux. Il trouve aussi que rien n’est plus difficile que de bien régler le cou- rant d'hydrogène, S'il va trop vite, il y a de la gélatine emportée dans le tube abducteur qui se bouche. S'il va trop lentement, l'opération est très longue. M. Frænkel s'est donc proposé de trouver une méthode qui réunisse les avantages de celles de Grüber et de Liborius, sans en présenter les inconvé- nients, et qui n'exige en même temps l'emploi d'aucun appareil coûteux ou difficile à remplacer. A ce point de vue, on peut dire qu'il a bien réussi. Il se sert en effet d’un simple tube à essai fermé par un bouchon de caoutchouc par lequel passent deux tubes coudés, un tube d'arrivée qui s’en- fonce jusqu’au fond du tube et d'un tube de sortie qui commence au-dessous du bouchon. Ces deux tubes sont au préalable effilés dans leur partie extérieure et fermés avec des tampons de ouate. Le tube à essai et le milieu nutritif ayant été stérilisés convenablement, on fait passer un courant d'hydrogène, obtenu avec du zine pur et de l'acide sulfurique pur, et lavé, de façon à le 4. Centralbl., &. I, p. 307. 2. Annales de l'Institut Pasteur, t. I, p. 358. 3. Archiv. f. gesammte Physiol., t. XXXIIL. 4. Deutsche Zeülschr. f. Chir., t. XVL. 5. Journal f. prakt. Chem., t. XII. 6, Arch. f. Hyg., t. AI, 336 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. débarrasser des produits sulfurés, arsenicaux, et de la petite quantité d’oxy- scène qu'il pourrait encore contenir. Quand l'air est tout à fait chassé, on ferme à la lampe, en leurs effilures, d’abord le tube de sortie, puis le tube d'entrée, et on étend le liquide gélatinisé sur les parois du tube. Une précaution essentielle à prendre est de stériliser avec soin le bou- chon de caoutchouc et les tubes de verre. On laisse séjourner le bouchon pendant une heure dans une solution de sublimé à 1/,600, puis pendant 3/, d'heure dans la vapeur d’eau bouillante. Les tubes, une fois recourbés et munis de leur tampon d'ouate, sont stérilisés à sec, et enfoncés dans les bou- chons avec les mains lavées dans une solution de sublimé à 1/,,,,. On relie avec un court tube de caoutchouc le tube d'arrivée de l'hydrogène, et on les effile tous deux. On chauffe enfin le long tube à la flamme avant de l'enfoncer dans le tube à essai. Il nous semble qu'on pourrait arriver plus vite et plus sûrement au même résultat par l'emploi judicieux de l'étuve db: Une autre cause d'erreur est la diffusibilité de l'hydrogène qu’on est tou- jours exposé à voir remplacer par de l’air. Pour éviter cet inconvénient, grave dans l'espèce, M. Frænkel recommande de couvrir le bouchon et l'extrémité du tube d’une couche de paraffine. Peut-être y aurait-il avantage à remplacer l'hydrogène par de l'azote qu'on isole facilement de l'air au moyen de l'hydrosulfite de soude. Quoi qu'il en soit, la disparition de l'air est très prompte, au dire de M. Frænkel. Il ne faut pour cela que 1,5 à 2 minutes avec le bouillon, lors- que le courant est énergique; que 3 à 4 minutes avec un milieu à 5°/, de sélatine additionné de 1 p. 100 de glucose, et maintenu à 87°. Avec la gélose il ne faut pas dépasser 2 ©/,, et encore, comme de la gélose à ce titre se prend déjà en masse au-dessous de 40°, il faut aller très vite et ne faire passer le gaz que 2 à 3 minutes. Il faut féliciter M. Frænkel de ces simplifications. Il a raison de tenir à l'emploi d'appareils usuels, commodes à se procurer, et bon marché. Mais, en diminuant l'outillage, on complique presque toujours la manipulation et on augmente les difficultés. C'est à la pratique, et à elle seule, à nous dire dans quelle mesure les avantages de la nouvelle méthode sont balancés par ces inconvénients inévitables. Dx. EBERTH ET SCHIMMELBUSCH. — Bactérie du furet. Fortschr. d. Medicin. 1888 11.0Nh 2 p1295: Une épidémie sur les furets, que l’on emploie aux environs de Halle à la chasse des nombreux lapins de la contrée, a fourni à M. le prof. Eberth et à M. le D' Schimmelbusch le sujet du présent travail. Sur deux animaux examinés très peu de temps après leur mort, ils ont trouvé comme symp- tômes généraux une pneumonie qui, chez l’un, était restée lobulaire, qui chez l’autre avait amemé l’hépatisation de toute une moitié des poumons. II y avait aussi gonflement de la rate. L'étude microscopique du poumon, coloré par le violet de gentiane, le REVUES ET ANALYSES. 337 violet de méthyle, ou le bleu de méthylène de Lôffler, permit d'y voir de nombreux bacilles, en amas de 5 à 30 individus isolés, contenus tantôt dans le tissu du poumon, tantôt dans l’exsudat séreux qui remplit l’alvéole. La réaction sur le tissu environnant est faible et se borne à une infiltration de grosses cellules épithéliales et de leucocytes dans l’alvéole, et à une prolifération abondante des noyaux dans le tissu intersticiel. Dans les autres organes, on ne relève rien d’anormal, alors pourtant que le microscope y montre des bacilles. Ceux-ci sont en effet répandus un peu partout. On a ensemencé dans un cas, le tissu du poumon et le sang du cœur, dans l’autre, on a ense- mencé, en outre, le tissu du foie et de la rate. Partout on à obtenu des cultures pures du même bacille, que sa ressemblance avec quelques microbes pathogènes, décrits dans ces temps derniers, nous oblige à éludier avec quelques détails. Sur la gélose, à 37°, il donne après 24 heures, le long de la ligne d'inoculation, des traînées blanches, brillantes, qui prennent au bout de 2 à 3 jours une largeur de 3 à 5 millim; puis s'arrêtent dans leur dévelop- pement. Dans les cultures en piqûre sur gélatine, ilse forme, le long de la piqûre, un léger voile gris qui finit par se résoudre en colonies rondes, distinctes, d'un aspect blanchâtre, et dont quelques-unes, au bout de deux mois, peuvent atteindre 4 a 2 millimètres de diamètre. La croissance est beaucoup plus rapide à la surface, où se forme, en 8 jours environ, un petit bouton plat, brillant, d'environ 2 millim. de diamètre, qui, au bout de quelques semaines est devenu un amas blanchâtre, à bords saillants et à contours inégaux. La gélatine n’est pas liquifiée, même à la surface. Le développement est très rapide sur la pomme de terre, et donne en 24% ou 36 heures à 370, et en 5 jours à la température ordinaire, des masses gris-blanchâtres à bords saillants. Dans le bouillon de veau, qui entre péniblement dans les habitudes allemandes, mais qui finit pourtant par y pénétrer, il survient, au bout de 1 à 2 jours, un trouble diffus, même à la température ordinaire, et le bouillon devient et reste alcalin. Les bacilles s’y montrent mobiles. Ces bacilles sont arrondis à leurs extrémités, environ deux fois aussilongs que larges, environ plus longs de moitié que les globules rouges du sang du furet, environ de un tiers plus petits que les bacilles du typhus. Mais ils donnent quelquefois, dans les cultures aussi bien que dans les organes, des formes plus petites, ovoïdes, et plus rarement des filaments ayant de 3 à 5 fois la longueur des bacilles isolés. Dans les préparations durcies à l'alcool, ou fixées à la chaleur, et colorées aux couleurs d’aniline, on voit fréquemment, et moins souvent dans les bacilles empruntés à des cultures, des noyaux protoplasmiques, plus fortement colorés que le reste, tantôt au nombre de 3 par bacille, tantôt de 2, placés chacun à l’une des extrémités. À un faible grossissement, on croirait quelquefois voir des chaînes de coccus. Les couleurs à l'eau que les bacilles prennent le mieux sont le bleu de gentiane et le bleu de méthylène en solution légèrement alealine. Le violet 338 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. de méthyle, la fuchsine et le brun Bismarck donnent aussi de bons résultats. La méthode de Gram ne réussit pas. Pour les préparations colorées, on les laisse une demi-heure dans une solution aqueuse de bleu de gentiane ou de bleu de Lôffler, et on les nettoie par l’eau acidulée avec l'acide acétique. Etudié au point de vue de ses propriétés pathogènes, ce bacille se montre très toxique sur le moineau, que la plus légère inoculation dans les muscles pectoraux tue en 24-36 heures, et dont le sang contient alors beaucoup de bacilles. Les pigeons résistent plus longtemps et échappent quelquefois; quand ils meurent, on y relève des collections purulentes autour du point d'inoculation, de la péricardite, de la pleurésie et de l'hypérémie de l'intestin. Les poules semblent réfractaires, les lapins aussi, et encore plus les cobayes. Comme on le voit, l'étude de ce microbe au point de vue pathologique n'est pas encore complète, mais ce qu'on en sait suffit pour le distinguer d'autres microbes avec lesquels on pourrait le confondre. La mobilité du bacille, et son innocuité sur les poules le différencie complètement des microbes du choléra des poules, de la septicémie des lapins et de la peste porcine, microbes que quelques savants ont été, comme on sait, tentés de confondre. En revanche le bacille du furet se rapproche par sa mobilité d'un bacille trouvé par Selander dans des cas de peste porcine observés en Suède et dans le Danemark. Mais ce dernier bacille est sans action sur les pigeons et tue les lapins, au contraire de celui du bacille du furet. Telles sont au moins les raisons données par MM. Eberth et Schimmelbusch, mais il est difficile de les trouver coneluantes, parce qu’elles ne tiennent aucun compte des variations de virulence que peut amener dans un miecrobe le change- ment dans les conditions de culture ou d’inoculation. Toute cette histoire compliquée des maladies étudiés sousle nom de peste porcine, Schweineseuche, Wildseuche, Schweinepest, a besoin d'être reprise à ce point de vue, et on ne peut que souhaiter de trouver des éclaircissements à ce sujet dans les nouvelles recherches que MM. Eberth et Schimmelbusch annoncent en terminant. Dx. INSTITUT PASTEUR RENSEIGNEMENTS STATISTIQUES SUR LES PERSONNES TRAITÉES À L'INSTITUT PASTEUR DO 1°" AU 31 Mar 1888. Personnes traitées mortes de rage. Pourer (Jean-Baptiste), garcon coiffeur, 20 ans. Mordu le 6 décembre 1887, à 10 heures du soir, au Pecq (Seine-et-Oise); 1° une plaie horizontale intéressant la paupière inférieure droite sur toute son étendue; 2° une plaie allant de l’angle interne de INSTITUT PASTEUR, 339 l'œil droit à la commissure droite des lèvres; 3° une plaie par- tant de la commissure droite des lèvres et se dirigeant en bas déchire la lèvre inférieure : ces trois plaies sont confondues et ont soulevé un énorme lambeau de la joue; 4° sur le premier, le troisième et le quatrième doigt de la main gauche, une mor- sure siégant à la face dorsale; 5° une forte morsure à l’avant- bras droit ; 6° une forte morsure au bras droit : les habits ont été déchirés; 7° aux fesses, près de la marge de l’anus, trois fortes morsures ayant saigné. En tout onze morsures non cautérisées. Le chien mordeur a élé reconnu enragé par un vétérinaire. Les blessures de la figure ont nécessité des sutures, et pen- dant quelques jours Poulet ne peut avaler que des liquides. Au- dessus de la commissure des lèvres, à droite, il y a une perte de substance qui laisse écouler la salive pendant près de deux semaines. La paupière inférieure est retroussée en dehors. Au mois d'avril 1888, Poulet subit une opération pour la restaura- tion de sa paupière inférieure. Mis en traitement le 8 décembre 1887, Poulet est renvoyé le 6 janvier 1888 après que les plaies sont cicatrisées. Pris de rage le 13 mai. Mort à l’Hôtel-Dieu, le 16 mai 1888. Auvré (Paul-Louis), 10 ans et demi, de Boisguillaume (Seine- Inférieure). Mordu le 12 avril, 1° à la lèvre supérieure qui a été déchirée au point que les lambeaux ont été suturés; 2° à la cuisse droite, partie postérieure et moyenne, une morsure péné- trante ; 3° à la jambe droite au-dessous du genou, une morsure ayant saigné. Le pantalon a été traversé. Aucune cautérisation. Le chien mordeur a été reconnu enragé par M. Bourgeois, vété- rinaire à Rouen. Deux pores mordus par le mème chien ont succombé à la rage. Auvré a élé mis en traitement le 17 avril, 5 jours après qu'il a été mordu. Mort de rage le 27 mai, à l'Hôtel-Dieu de Rouen, dix-sept jours après la fin du traitement. 340 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. INSTITUT PASTEUR STATISTIQUE ! DU TRAITEMENT PRÉVENTIF DE LA RAGE. — MAI 1888 Morsures à la tête ( simples ..... »| 8) |” 1, sl’) et à la figure multiples....f »| 4 » r D ANS EAST Cautérisations efficaces. =... 2 GES A ed >= el 508 = inefficaces Recto 2| » » 1] » » »| » » PAS dE TOUEMSAON EE cs | RS JE ES Se (ER (IEC PO DE À HE 2 : simples......| »|#: »| 28 DE Morsures aux mains) Re 2 13131 » + eo 8 12 Cautérisations effiraces............ 4] » | » | 4 » >|, 412 — inefficaces See le delete te 15! » » |33 » » 91 » » Pas-decuutérisalion.- Lu LE A ET Red » | 8! » | » Morsures aux mem-( simples......| »| ®) _|» 6) >4| ” 3) _ bres et au trone | multiples....| »| æ ®| »| #8) LE Je Cautérisations efficaces............ » 52 |» 131" » >» Folses — 1H NACUCES 2e ee ot DA PI PReTES HA EN Ps EL) I CA DE Puside cautérisation LE LR See tre 20 | ES A SPA ABUS AEChIrES SE CES EEE 4!» 0194 » A | OS IE) MONSUTESIUENU Er Re EL RCE » 3 » » »| » » Morsures multiples en divers points AU COPPS ER ee re: » 0e) > 51 2? 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N° 7 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR EXPÉRIENCES SUR LA VACCINATION DES RUMENANTS CONTRE LA RAGE, PAR INJECTIONS INTRA-VEINEUSES DE VIRUS RABIQUE, Par MM. NOCARD Er ROUX. M. Galtier, à qui nous devons l'étude de la rage chez le cobaye et le lapin, a fait connaître à l’Académie de méde- cine, le 25 janvier 1881, « qu'il avait injecté sept fois de la salive rabique dans la jugulaire du mouton sans jamais obtenir la rage. » Un de ces moutons, inoculé ensuite avec de la bave de chien enragé, n'avait pas pris la rage quatre mois après l’ino- culation, et M. Galtier concluait que ce mouton « semblait avoir acquis l’immunité ». Au mois d’août de la même année, M. Gal- tier ajoutait à ce premier résultat ceux de sept autres expé- riences portant sur neuf moutons et une chèvre ; non seulement ces animaux n'avaient pas pris la rage à la suite de l'injection intraveineuse de salive rabique, mais ils avaient résisté à des inoculations de virus rabique faites dans la peau et le tissu sous-cutané. La communication de M. Galtier se Lerminait par cette conclusion : « Les injections de virus rabique dans les veines du mouton ne font pas apparaître la rage et semblent conférer l'immunité ‘. » Au moment où elles furent publiées, les expériences de 1. Comptes rendus, Acad. des Sciences, 1" août 1881. 22 342 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. M. Galtier n’ont pas fixé lattention comme elles le méritaient. On savait, en effet, que la bave du chien enragé est un virus très infidèle, qu'elle ne contient pas le virus rabique pur, mais asso- cié à un grand nombre de microbes étrangers dont le dévelop- pement peut arrêter celui du virus rabique, et même causer la mort par septicémie des animaux d'expériences. L'emploi d’une malière d’ineculation aussicomplexe faisait perdre de leurpréci- sion aux résultats de M. Galtier, et l’on pouvait se demander si l’immunité, qui suit l'injection intra-veineuse de la salive rabi- que, était due au virus de la rage ou à la culture dans le corps de l’un des microbes de la salive. De plus, pour éprouver leur état réfractaire, M. Galtier inoculait à ses animaux de la bave de chien enragé, soit dans le tissu sous-cutané, soit par scarifica- tions de la peau; ces procédés donnent des résultats peu cons- tants, sur les chiens comme sur les moutons ‘ et les lapins. Un grand nombre des animaux ainsi inoculés ne prennent pas la rage, et chez ceux qui deviennent enragés l’incubalion est souvent fort longue. Pour faire disparaître ces incertitudes, dues aux méthodes d’inoculation qui ne donnent pas la rage à coup sûr, il faut multiplier les expériences, ce qui rend les recherches longues et dispendieuses. Peu de temps après les communications de M. Galtier, des injections de salive rabique, dans les veines des chiens, furent faites au laboratoire de M. Pasteur, en 1882. Des chiens qui avaient reçu, dans la veine du jarret, plus de un centimètre cube de salive rabique, ne prirent pas la rage à la suite de cette injection, mais devinrent enragés lorsqu'on les inocula ensuite sous la dure mère ou dans les veines avec de la moelle rabique pure; aucun d’eux n'avait l’immunité. L'introduction de bave rabique dans les veines du chien peut donc être inoffensive et ne pas préserver l'animal, tandis que l'injection de virus rabique pur, faite dans les mêmes conditions, donne sûrement la rage aux chiens et aux lapins, et cela dans un temps très court; de sorte que cette méthode d’inoculation est devenue très précieuse pour l'étude de cette maladie. [Il paraissait surprenant qu’un pro- 1. Dans une de nos expériences, 4 moutons inoculés sous la peau et par scari- fications avec de la moelle de chien enragé, au mois de mai 1884, étaient encore bien portants plus d'un an après. VACCINATION DES RUMINANTS CONTRE LA RAGE. 343 cédé d'injection aussi meurtrier pour le chien et le lapin fût inoffensif pour le mouton, il importait donc de savoir si cet animal supporterait aussi bien l'introduction dans les veines du virus rabique pur que celle de la bave impure et peu riche en éléments virulents. Depuis l’année 1884, nous avons entrepris des expériences sur le sujet que M. Galtier avait abordé dès 1881. Nous avons fait un grand nombre d'essais sur la vaccination des ruminants contre la rage, en tenant compte des progrès que nous devons aux travaux du laboratoire de M. Pasteur. Grâce à eux, on peut maintenant conduire de semblables expériences avec sécurité et obtenir dans un délai relativement court des résultats d’une par- faite netteté. Au lieu d'employer la salive d'animaux enragés, nous nous sommes servis, comme source de virus rabique, de la matière du bulbe d’un animal qui vient de succomber à larage'. L’immunité des animaux a toujours été éprouvée par l'injection de virus rabique pur dans la chambre antérieure de l'œil. Ce procédé d'inoculation donne la rage presqu'aussi sûrement que la trépa- nation et dans un temps très court. On est ainsi à l'abri des incertitudes que causent l'emploi de la salive et l’inoculation sous la peau; et on évite l'ennui des longues incubations. Les résultats de nos expériences ont été communiqués sommairement par M. Nocard, danslerapportqu'il a fait à l’Académie de médecine, le 2 novembre 1887, sur les travaux envoyés pour le concours du prix Barbier: ils confirment ceux obtenus par M. Galtier. H L'INJECTION DE MOELLE RABIQUE DANS LES VEINES DES MOUTONS ET DES CHÈVRES NE LEUR DONNE PAS LA RAGE ET LEUR CONFÈRE L’IMMUNITÉ. La moelle rabique agit-elle comme la salive du chien enragé, lorsqu'on l’injecte dans les veines des ruminants? Les moelles de lapins de passage, telles qu’on peut aisément se les procurer 1. Dans ses leçons sur la rage, publiées en 1886, M. Galtier rapporte un cer- tain nombre d'expériences dans lesquelles il a donné l’immunité contre la rage par injection de virus rabique dans les veines de moutons et de chèvres. M. Galtier se sert de l'expression « virus rabique », sans dire de quel virus il se sert, salive ou émulsion de moelle rabique. 344 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. en tout temps dans le laboratoire, peuvent-elles remplacer le virus du chien à rage des rues? Le virus rabique peut-il être injecté à toutes doses dans les veines des ruminants ? Quelle est la durée de l’immunité que confèrent ces injections? Telles sont les ques- tions auxquelles nous avons cherché à répondre par les expé- riences suivantes : EXPÉRIENCE 1. — Le 10 juin 1885, on injecte dans la veine du Jarret droit de 3 moutons 1“ de l'émulsion obtenue en broyant avec un peu d’eau stérilisée de la matière du bulbe d’un chien qui vient de succomber à la rage des rues. Au mois de décembre 1885, ces trois moutons sont inoculés, en même temps qu'un mouton témoin, dans la chambre antérieure de l'œil avec une goutte d’émulsion préparée avec la moelle d’un lapin mort en 20 jours de la rage des rues. Les trois moutons qui ont recu l'injection intra- veineuse sont encore bien portants trois mois après; le témoin est pris de rage le 16° jour après l’inoculation. EXPÉRIENCE 2. — En décembre 1886, on injecte dans la jugulaire de deux chèvres, 1/2 centimètre cube de l’émulsion obtenue avec de la moelle de lapin de 130° passage, qui est en même temps inoculée par trépanation à 10 lapins. Ces lapins sont pris de rage le 6° jour, les deux chèvres restent bien portantes. Le 3 juillet 1887, les deux chèvres sont inoculées dans la chambre antérieure de l'œil, par 3 gouttes d'émulsion, faite avec un bulbe de chien mort de rage mue (rage des rues), en même temps que 4 moutons algériens neufs. Les 4 témoins étaient morts de rage le 29 juillet, une des chèvres succombait le 24 juillet. L'autre est encore bien portante plus de deux ans après. EXPÉRIENCE 3. — Le 28 mars 1887, une chèvre et un boue reçoivent dans la jugulaire 10 gouttes de l’émulsion faite avec de la moelle de lapin de passage; en même temps, une chèvre et un chien sont inoculés avec la même émulsion dans la chambre antérieure de l'œil. Le chien meurt de la rage mue le 7 avril, la chèvre témoin succombe le 18 avril. Le 22 mai le bouc et la chèvre sont éprouvés par l’inoculation dans l'œil de 3 gouttes de l’émulsion faite avec le bulbe d’un chien mort de la rage des rues. Un jeune bouc d’un an qui sert de témoin est inoculé de la même facon. Le 8 juin, le bouc témoin est pris de rage, il meurt le 45 juin. Le bouc et la chèvre qui ont subi l'injection intra-veineuse sont encore bien portant(s. EXPÉRIENCE 4. — Le 12 août 1887, une émulsion épaisse du bulbe d'un chien mort de rage furieuse (rage des rues) est injectée à la dose de 10 gouttes dans la jugulaire de 7 moutons bretons. Pour éprouver l'activité du virus employé, on en injecte une goutte dans la chambre antérieure de l’œil d'un cobaye et d’un lapin qui succombent à la ragele 28 et le 30 août. Le 14 septembre 1887, les 7 moutons bretons sont inoculés dans l'œil avec 3 gouttes d'émulsion rabique préparée avec le bulbe d'un chien atteint de rage furieuse (rage des VACCINATION DES RUMINANTS CONTRE LA RAGE. 345 rues); un lapin reçoit une goutte de la même émulsion dans l'œil. Il est enragé le 30 septembre, et les moutons sont encore bien portants. Ces expériences démontrent que l'introduction dans les vei- nes des chèvres et des moutons du virus rabique pur, le plus virulent, ne leur donne pas la rage et leur confère l'immunité. Le même virus, injecté à doses beaucoup plus faibles dans les veines des chiens ou des lapins, aurait amené leur mort. Cette indifférence aux injections intra-veineuses de virus rabique est donc spéciale aux moutons et aux chèvres. Tient-elle à une atténuation rapide du virus rabique dans le sang de ces animaux ? Il est bien difficile, dans l’état actuel de nos connaissances, de proposer de ce fait une explication qui paraisse fondée. On ne saurait invoquer que ces animaux sont beaucoup plus réfractaires à la rage que les chiens, puisque chèvres et moutons deviennent facilement enragés à la suite des inocula- tions dans l'œil, qu’ils prennent aussi la rage par inoculation sous-cutanée, et, qu'à la suite des morsures de chiens enragés, les moutons et les chèvres fournissent une mortalité parfois très forte. D'ailleurs une réceptivité un peu moindre que celle du chien ne saurait expliquer cette résistance des petits ruminants à des doses de virus aussi massives que celles que nous avons injectées dans le sang. C'est évidemment au mode d'inoculation qu'il faut attribuer le résultat obtenu ; c’est parce que le virus est versé directement dans le sang que les moutons résistent !. C'est donc dans quelque propriété spéciale de leur milieu sanguin qu'il faut chercher l'explication des faits qui nous occupent. Les expériences que nous venons de rapporter montrent que le résultat est le même, quelle que soit l’origine du virus injecté daus les veines, qu’il provieune d'un chien atteint de la rage des rues ou d'un lapin de passage. Cependant le virus de passage est beaucoup plus actifsur le chien et sur le lapin que celui dela rage des rues. C’est un fait important pour la pratique que cette effi- cacité du virus de passage jointe à son innocuité. En effet, on n’a pas toujours sous la main un chien enragé pour se procurer l'émulsion préservatrice, tandis qu’il est toujours facile d’entre- tenir dans le laboratoire le virus rabique sur des lapins. Cette cir- 1. Rapprocher ce fait de l'injection intra-veineuse du virus du charbon SyMmp- tomatique d’après la méthode de MM. Arloing, Cornevin et Thomas. 346 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. constance peut faire de la vaccination des moutons mordus par un chien enragé une opération vétérinaire courante. Il ne s’agit plus en effet d'inoculations en série ni de virus gradués, comme pour la vaccination des chiens contre la rage, mais d’une injection pratiquée une fois pour toutes. L'immunité donnée aux petits ruminants, par l'injection in- tra-veineuse, est une immunité solide, puisqu'elle résiste à une épreuve aussi sévère que celle de l’inoculation intra-oculaire de la moelle rabique. Cette épreuve excessive aurait pu causer la mort des moutons préalablement vaccinés, sans que les résultats annoncés par M. Galtier fussent ébranlés. L'état réfractaire peut en effet être suffisant pour mettre l'animal à l'abri des suites d’une inoculation virulente faite dans la peau, mais non d’une inoculalion pratiquée dans l'œil. Le succès des essais que nous venons de rapporter ne fait que rendre plus évidente l'efficacité de ce mode de préservation, qui nous donne plus que ce qui est nécessaire dans les conditions ordinaires de l'infection. L’immu- nité ainsi acquise n’est pas éphémère, elle est encore solide neuf mois après la vaccination; de plus, elle est acquise peu de temps après l'opération préservatrice, ainsi que nous le verrons dans des expériences rapportées plus loin. Ce procédé n’exige pas un dosage exact du virus employé, il réussit avec des quantités très diverses. Nous avons injecté tantôt 1 centimètre cube, tantôt 1/2 centimètre cube; d’ailleurs il ne faut pas parler de mesures rigoureuses quand il s’agit d'une matière comme celle du bulbe d’un animalenragé, dontles diverses parties plus où moins riches en virus sont réparties inégalement dans l’émulsion injectée. Il est probable cependant que les quan- tités de virus ne sont pas indifférentes, et ce qui est vrai pour la méthode de vaccination anti-rabique de M. Pasteur doit encore l'être ici. Pour obtenir un effet certain, il faut sans doute plus de virus pour les grands animaux que pour les petits. Si l’on peut injecter sans danger de grandes proportions de moelle rabique dans les veines des moutons, il est cependant des quantités qu'il ne faut pas dépasser. EXPÉRIENCE. — 3 moutons recoivent dans une veine du jarret douze centimètres cubes d’émulsion préparée avec un bulbe de lapin de 184e pas- sage. 13 jours après, deux de ces moutons sont pris de rage. Le troisième mouton devient enragé le 36° jour après l'injection. VACCINATION DES RUMINANTS CONTRE LA RAGE. 347 Dans ce cas, où la dose de virus injecté a été excessive, les animaux sont morts des suites de l'injection intra-vemneuse comme les chiens que l’on inocule de la même façon. On peut arriver à faire absorber au mouton, en les lui injectant dans les veines, des quantités énormes de virus rabique, mais à condition d'espacer les injections ; on arrive ainsi à conférer des immuni- tés à toute épreuve. Les résultats obtenus avec des doses d'émulsion rabique qui ne dépassent pas 1 ou 2 centimètres cubes, sont assez complets pour qu'il soit inutile d'en injecter davantage. Dans un cas, nous avons fait pénétrer 5 centi- mètres cubes d’émulsion rabique dans la jugulaire d’un mouton sans effet nuisible pour l'animal, et il est inutile de dire qu'après cette opération il avait acquis une immunité solide. Le virus employé dans toutes nos inoculations d’épreuve est celui de la rage des rues, parce que c'est ce virus dont il faut prévenir les effets après les morsures de chiens enragés. Les animaux rendus réfractaires à ce virus le sont-ils également pour un virus plus fort, pour le virus de lapin de passage, par exemple ? L'expérience suivante répond à cette question : ExPÉRIENCE. — Le 2 juillet 1887, on injecte à 11 moutons 1 centimètre cube d'émulsion de bulbe de lapin de 154 passage. 46 jours après, les 11 moutons sont bien portants; ils sont alors inoculés dans la chambre antérieure de l’œil avec 2 gouttes de l’émulsion faite avec un bulbe de lapin de 157e passage. 17 jours après, 3 moutons deviennent enragés. Un autre est pris de rage le 18 jour et 3 autres le 21° jour. 4 moutons seulement résistèrent et furent conservés en bonne santé pendant plus de six mois, époque à laquelle ils furent abattus. L’injection de 1 centimètre cube d'émulsion de moelle de lapin de passage, qui dans les autres exnériences a toujours donné l’immunité aux moutons contre le virus de la rage des rues, s’est trouvée ici insuffisante à les préserver tous contre le virus de lapin de passage. Cependant 4 moutons ont résisté à cette épreuve et il est probable qu'il en aurait été de même du plus grand nombre, si on avait fait deux injections préservatrices. Aucun d'eux n'aurait suecombé si l’inoculation d’épreuve avait été faite sous la peau au lieu d’être faite dans l'œil. 348 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. IT VACCINATION DES BÊTES BOVINES CONTRE LA RAGE On sait quelle mortalité, parfois effrayante, sévit sur les vaches mordues par un chien enragé; les prescriptions de la loi sur la police sanitaire interdisent de livrer à la boucherie les animaux mordus et laissent les propriétaires désarmés devant l'imminence de pertes considérables. S'il était possible dans ces cas de donner, aux bêtes bovines, l’immunité par injection intra-veineuse, on rendrait un grand service aux agriculteurs. Nous avons eu l’occasion de faire une expérience sur des vaches et des veaux dans les conditions suivantes : Expérience. — Le 3 juillet 1887, on injecte, dans la jugulaire de 3 vaches, 20 gouttes d'émulsion de moelle de lapin de 153° passage. 3 veaux reçoivent aussi dans la jugulaire 10 gouttes de la même émulsion, qui est en même temps inoculée à là dose de 2 gouttes dans la chambre antérieure de l'œil d'un bouc. 40 jours après, le bouc est pris de rage; les vaches et les veaux restent bien portants. Le 21 août 1887, vaches et veaux sont inoculés dans l'œil, avec 2 gouttes de l’'émulsion préparée avec le bulbe d’un chien enragé furieux (rage des rues). Un lapin témoin recoit la même dose dans la chambre antérieure de l'œil; il est pris de rage 12 jours après, le 2 septembre. Les vaches deviennent enragées le 17° et le 19° jour, et les veaux le 21e et le 24e jour après l'inoculation virulente. Aucun des animaux de cette expérience n’avait acquis une immunité suffisante. Cela tient probablement à ce que l'injection préservatrice a été trop peu abondante ; il aurait fallu la renou- veler deux et trois fois. Les veaux, d’un poids moindre que les vaches, ont résisté un peu plus longtemps, bien que les jeunes soient en général plus sensibles à la rage que les adultes; cette circonstance est d'accord avec l’idée que la quantité de virus injecté a été trop faible. Il ne faut pas oublier non plus que l’ino- culation d'épreuve était faite dans l'œil; si elle avait été prati- quée sous la peau, le résultat aurait pu être tout différent. Instruits par l'essai précédent, nous avons injecté beaucoup plus de virus et à plusieurs reprises‘, dans la jugulaire d’un cheval mordu au nez par un chien enragé. Ce cheval est bien 1, 30cc de virus de passage, en 5 injections faites à deux jours d'intervalle. VACCINATION DES RUMINANTS CONTRE LA RAGE. 349 portant aujourd’hui, 70 jours après la morsure, bien que le siège de celle-ci la rendit particulièrement grave. Il n'y a évidemment rien à conclure de ce seul cas, si ce n’est que le cheval n’a pas souffert des injections préservatrices. On est donc encouragé à recommencer l'essai, et à étendre au cheval la méthode essayée jusqu'ici sur les ruminants. III VACCINATION DES MOUTONS APRÈS L'INFECTION ! . Toutes les expériences que nous venons d'exposer montrent qu'il est facile de rendre les bêtes ovines réfractaires à la rage. Il faut maintenant, à l'exemple de ce que M. Pasteur a fait pour les chiens, essayer d'établir que la préservation des mou- tons peut être obtenue aprés l'infection. L'expérience qui vient naturellement à l'esprit, pour faire cette démonstration, consiste à faire mordre par un chier enragé ou à inoculer sous la peau un certain nombre de bêtes ovines. à traiter la moitié de celles- ci, et à attendre un temps très long pour comparer la mortalité des traitées et des témoins. Pour qu'une semblable expérience soit concluante, il faut qu’elle porte sur beaucoup d’animaux, sans quoi nous retomberons dans ces incertitudes dont nous avons déjà parlé et qui sont dues à ce que la méthode d’inocula- tion sous la peau ne donne pas sûrement la rage. Pour éviter ces incertitudes et ces retards, nous avons essayé de conférer l'immunité aux moutons, après qu'ils ont été inoculés par injection intra-oculaire de virus rabique, procédé qui leur donne la rage presque à coup sûr. Si dans ces conditions on par- vient à empècher l’apparition de la rage, il est évident qu'il sera facile de préserver les animaux mordus ou inoculés sous la peau. ExpÉRiENCE. — Le 3 juillet 1887, 4 moutons algériens sont inoculés dans 9 l'œil par 3 gouttes de l’émulsion préparée avec le bulbe d’un chien mort de rage mue (rage des rues). Le 5 juillet, on injecte, dans la jugulaire de 3 4. M. Galtier a publié dans les Comptes-rendus de l’Académie des sciences, 16 avril 1888, des expériences sur ce sujet. 4 moutons inoculés sous la peau avec de l’émulsion du bulbe d’un chien rabique reçurent 4° de la même émulsion dans les veines, en 2 injections faites 4 heures et 30 heures après l'infection. Ces 4 animaux ne sont pas devenus enragés. Un mouton témoin non traité mou- rut de rage, 800 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. de ces moutons, 1 centimètre cube de l’émulsion faite avec la moelle d’un lapin de 153e passage. Le quatrième mouton, gardé comme témoin, est pris de rage le 19 juillet. Parmi les moutons traités, deux deviennent enragés furieux le 22 juillet, le troisième est pris de la même forme de rage le 27 juillet. Les moutons traités ont résisté notablement plus longtemps que le témoin; de plus l'injection préservatrice a été faite plus de quarante-huit heures après l’inoculation virulente, et l’on sait par les expériences du laboratoire de M. Pasteur et celles d’autres expérimentateurs, combien il est important de com- mencer le traitement aussitôt que possible quand il s’agit de préserver des animaux inoculés par trépanation ou injection intra-veineuse. EXPÉRIENCE. — 4 moutons sont inoculés dans l'œil droit avec une goutte de l’émulsion du bulbe d’un lapin de 16° passage. 2 heures après, 3 de ces moutons reçoivent dans la veine du jarret 12 centimètres cubes de l’'émulsion préparée avec le bulbe d’un lapin de 1842 passage. Le quatrième mouton est gardé comme témoin. 10 jours après ce mouton est pris de rage en même temps que deux des trois moutons injectés dans les veines. Le qua- trième mouton vacciné reste bien portant: Le traitement a été commencé à temps dans cette expérience, puisque l'injection intra-veineuse était pratiquée 2 heures après l’inoculation virulente. Les doses injectées étaient plutôt exagé- rées qu'insuflisantes, et cependant un seul mouton a sur- vécu. Cette grande mortalité est peut-être due à ce que le virus d'épreuve était un virus déjà passé 16 fois par le lapin : nous avons déjà vu (p. 347) que le virus de passage paraît plus actif sur les petits ruminants que celui de la rage des rues. On pour- rait aussi se demander si la mort n'a pas élé causée, dans ce cas, par la grande quantité de virus de passage injectée dans les veines? Il n’en est rien, car le bulbe du mouton témoin et celui des moutons traités, inoculés à des lapins, leur donnèrent la rage en 13 et 14 jours. EXPÉRIENCE. — 12 moutons sont inoculés dans l'œil avec 2 gouttes de émulsion du bulbe d’un chien mort de la rage des rues, puis ils sont divisés en 3 lots de 4 animaux chacun. Disons tout de suite qu’un mou- ° VACCINATION DES RUMINANTS CONTRE LA RAGE. 351 ton témoin, inoculé ! de la même façon dans l'œil, a pris la rage 13 jours après. Le traitement des 42 moutons consiste dans l'injection, dans la jugu- laire, d'émulsion de moelle de lapin de 185° passage. On fait à chaque animal deux injections à 48 heures d'intervalle. Pour le 1 lot, le traite- ment commence 24 heures; pour le 2% lot, 48 heures; pour le 3 lot, 72 heures après l’inoculation. Dans chaque lot, les animaux sont numérotés de 4 à 4. Le n° 1, de chaque lot, recoit un demi-centimètre cube ; le n° 2, un centimètre cube; le no 3, deux centimètres eubes; le n° 4, trois centimètres cubes de lémul- sion rabique à chaque injection. Les résultats de l'expérience ont été les suivants : Tous les moutons du lot n° 1, traités 24 heures après l'inoculation, ont résisté à l'exception du n° 3, qui a pris la rage 29 jours après l’inoculation virulente. Tous les animaux des lots 2 et 3, traités 48 et 72 heures après l'inoculation dans l'œil, sont morts de rage dans des délais variant de 12 à 21 jours. Nous nous sommes efforcés de réunir dans cette expérience toutes les conditions capables de nous éclairer sur l'influence des doses de virus injectées et surtout sur celle du délai écouié entre l’inoculation virulente et le commencement du traitement. Les résultats nous montrent que les doses sont assez indifté- rentes et que 2 centimètres cubes d’émulsion rabique injectés en deux fois sont suffisants pour prévenir la rage, si le traitement est commencé en temps opportun. Sur # moutons traités 24 heures après l'inoculation dans l'œil, 3 ont résisté: ce résultat suffit à établir l'efficacité de la méthode. Il est certain qu'employée à temps, elle préserverait tous les animaux mordus par un chien enragé ou inoculés sous la peau. Il est remarquable que l’on obtienne de pareils succès avec le mouton, tandis qu'il est toujours difficile d'empêcher la rage chez les chiens inoculés par trépanation ou dans la chambre antérieure de l'œil. L'in- fluence du délai qui s'écoule entre l’inoculation et le traitement estici éclatante : en effet les animaux traités après 48 et 72 heures ont tous succombé, alors que ceux traités après 24 heures ont survécu. À la suite de l'injection intra-veineuse, l’état réfractaire est très rapidement acquis, puisqu'elle prévient la rage alors mème que les animaux sont inoculés dans l'œil. 1. Un autre mouton inoculé, sous la peau du cou, avec 5 centimètres cubes de la même émulsion, est encore bien portant; c'est un nouvel exemple de linfidé- liié des inoculations sous-cutanées. 302 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Comme il est beaucoup plus facile d'empêcher le développe- ment de la rage, après une inoculation faite à la peau ou dans le tissu cellulaire, qu'après l’inoculation pratiquée dans l’æil, le traitement des animaux mordus pourra réussir même quand il sera entrepris trois ou quatre jours après la morsure. Les praticiens auront donc tout le temps nécessaire pour se procurer le virus après que l'accident se sera produit. La technique de l’inoculation intra-veineuse est très simple : il faut injecter dans les veines du virus rabique pur, c’est-à-dire que l’on doit rejeter la salive rabique et prendre le virus dans le bulbe d’un animal mort de la rage. L’émulsion de la matière nerveuse sera préparée en broyant des fragments du bulbe dans un mortier ou dans un verre avec de l’eau, de facon à obtenir un liquide laiteux facile à aspirer dans la seringue. Pour éviter d'introduire dans les veines des grumeaux de matière nerveuse qui produiraient des embolies et la mort, il faut passer l'émul- sion sur une toile de batiste très fine. Toutes ces opérations doivent être faites avec pureté : c’est-à-dire que les ciseaux qui servent à prélever les fragments du bulbe, le verre ou le mortier, la batiste et la seringue doivent avoir été stérilisés dans l’eau bouillante. Pour faire l’'émulsion, on doit enployer de l'eau bouillie, puis refroidie. Il est facile de faire pénétrer la canule de la seringue, à travers la peau, dans la veine jugulaire, si on a soin de faire gonfler celle-ci en la comprimant à la base du cou. Pour plus de sécurité on peut employer une canule double. L'injection doit ètre poussée lentement; il n’arrive jamais d'accident sil’émulsion est bien tamisée, alors même que l’on en fait pénétrer de grandes quantités. M. Galtier rapporte dans ses Leçons sur larage! « qu'il a constaté que le virus rabique inoculé à doses massives, peut faire périr les animaux par suite d’une: véritable intoxication. Il a vu mourir presque comme foudroyés des lapins qui venaient de recevoir une injection intra-veineuse de matière rabique. » Chezles moutons et les chiens, M. Galtier a constaté de l’essoufflement, de la salivation, des frissons. Ces phé- nomènes ne se produisent pas quand on emploie de faibles doses. 1. Journal de médecine vétérinaire et de Zootechnie de l’École de Lyon. — Août 1886, p. 413, VACCINATION DES RUMINANTS CONTRE LA RAGE. 353 Nous n'avons jamais observé ces elffets d'intoxication dont parle M. Galtier, même en injectant 12 centimètres cubes d’é- mulsion rabique dans les veines du mouton. Jamais il n’y a eu d'accidents immédiats, si la matière d'injection ne contenait pas de grumeaux. Chez le lapin, des doses de 6 à 10 centimètres cubes ont été bien supportées. Chez plusieurs chiens, il nous est arrivé d'injecter jusqu'à 35 centimètres cubes de moelle rabique dans les veines sans remarquer aucun phénomène d’intoxi- cation. Nous pensons que les accidents que rapporte M. Galtier sont dus à des embolies causées par des particules solides en suspen- sion dans le liquide injecté. Dans aucun cas nous n'avons vu ces manifestations rapides du poison rabique, même lorsque nous avons introduit, dans le péritoine d’un lapin, un cerveau entier d’un lapin rabique de passage. L'animal qui avait reçu cette dose formidable de virus rabique prit la rage le 8° jour, mais ne manifesta aucun malaise après l'opération. De tout ce qui précède on peut conclure : 1° L'injection intra- veineuse de moelle rabique ne donne pas la rage aux petits ruminants et leur confère l’immunité, ainsi que l’a annoncé M. Galtier. 2° Cette méthode peut prévenir la rage même après l’inoculation dans l'œil et par conséquent après morsure. Elle est d'un emploi facile, puisqu'elle réussit bien avec de la moelle rabique des lapins de passage, et enfin elle mérite d’être essayée sur une grande échelle. SUR LA TRANSFORMATION DES MATIÈRES AZOTÉES DANS LES CULTURES DE BACTÉRIDIE CHARBONNEUSE, PATENT MI EUDIEAIEXE Quelles sont les modifications elfectuées par les organismes pathogènes dans les milieux de cultures ? Comment ces orga- nismes utilisent-ils les matériaux qui leur sont fournis? La con- naissance de ces transformations est intéressante, parce qu'elle peut renseigner sur celles que ces mêmes microbes pathogènes produisent quand ils se développent dans les êtres vivants. J'ai étudié en particulier, dans ce mémoire, ce que devient la ma- tière azotée dans les milieux où l’on a cultivé la bactéridie char- bonneuse. J'ai employé à cet effet des bouillons de veau de réaction légèrement alcaline, préparés avec poids égaux de viande et d'eau.etles bouillons de veau étendus, contenant un poids donné de viande, pour un poids double d’eau. Ce sont les bouillons généralement employés, le dernier surtout, pour la culture de la bactéridie charbonneuse. J'ai expérimenté également sur le sérum du sang de bœuf, slérilisé par une série de chauffages successifs à la température de 56° ; les expériences ont été faites sur le sérum liquide. J'ai opéré aussi sur le lait de vache ordinaire. J’exposerai successivement les résultats obtenus pour ces différents milieux. Il Lorsqu'on sème dans du bouillon de veau stérilisé et légè- rement alcalin une trace du sang d’un animal mort du charbon, la bactéridie se développe aux dépens des éléments du bouillon et produit d’abord des filaments qui ne troublent pas la limpi- TRANSFORMATION DES MATIÈRES AZOTÉES. 355 dité du liquide. Bientôt les spores apparaissent, les filaments se désagrègent; un mois ou deux après l’ensemencement, la culture s’arrèle, les filaments sont complètement transformés en spores. Dans toutes les expériences, afin de diminuer autant que possible les chances d'erreurs, j’ai toujours comparé un flacon de bouillon ensemencé avec un autre de même bouillon non ensemencé, servant de témoin. Le flacon de culture et le témoin étaient toujours de même forme, de même grandeur ; ils conte- naient toujours le même poids de liquide et étaient toujours placés simultanément dans des conditions identiques. Si l’on examine chaque jour une culture de bactéridie dans le bouillon de veau, on s'aperçoit qu’au bout de quelque temps le bouillon de cullure prend une teinte plus foncée que celle du témoin ; cette teinte continue à s’accentuer à la température de 35°. L'action oxydante de l’air s'exerce donc d’une façon plus intense sur les liquides de culture que sur les bouillons eux- mêmes. Un résultat général toujours observé, est la diminution de la densité du bouillon par le fait de la culture. Voici par exemple, les densités comparatives trouvées dans trois séries d'expériences: Densité Densité de la culture. du bouillon témoin. A. — Bouillon de veau + (49 jours de culture) 1,0103 1,0113 B. — Bouillon de veau ‘/, (75 jours de culture) 1,0037 1,0041 €. — Bouillon de veau !/, (38 jours de culture) 4,004%1 1.0047 Le volume des liquides a été mesuré dans les flacons avant et après l'expérience; la diminution du liquide était sensible- ment la même : on ne peut donc attribuer la diminution de den- sité qu'à la perte d'éléments à l’état gazeux : acide carbonique produit par la vie du microbe, et azote éliminé à l’état d’ammo- niaque, comme je l’indiquerai plus loin. Cette conclusion est d’ailleurs confirmée par les deux faits suivants : 1° Dans les mêmes conditions, le résidu sec est toujours moindre pour le bouillon cultivé que pour le bouillon pur. En desséchant sous la même cloche, à la température du 306 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. laboratoire, des volumes égaux de culture et de bouillon, j'ai trouvé pour poids des résidus secs: Cultures. Témoins. A. 2 gr. 20 pour 100cc 2 gr. 87 pour 400cc B. 0 gr. 94 pour 100cc 4 gr. 14 pour 100°° 2° Une partie de l'azote est éliminée et disparait. L’azote total, déterminé comparativement par le procédé de Kjeldahl, est moin dre pour les bouillons cultivés que pour les témoins. Voici les nombres trouvés pour les trois séries de bouillons employés : Azote total pour 1006, Cultures. Témoins. A. 0 gr. 255 0 gr. 265 B. 0 gr. 089 0 gr. 098 €. 0 gr. 088 0 gr. 097 La matière azotée du bouillon est employée en partie par la bactéridie pour servir à la constitution des cellules nouvelles. Une autre partie est transformée en ammoniaque. En détermi- nant comparativement, à l’aide de l'appareil de M. Schlæsing, la quantité d’'ammoniaque contenue dans les cultures et dans les bouillons témoins, j'ai trouvé les résultats suivants : Ammoniaque pour 400c. Cultures. Témoins. A. 0 gr. 064 0 gr. 015 B. 0 gr. 036 0 gr. 006 c. 0 gr. 033 0 er. 005 La matière azotée est donc partiellement transformée en ammoniaque. Mais est-ce bien véritablement de l’ammoniaque qui se forme dans ces conditions? N'est-ce pas plutôt une am- moniaque composée, une amine volatile? À quel état cette amine se trouve-t-elle dans les cultures? Quelle est la dose maxima qu’elle peut atteindre? Est-elle une des causes arrêtant le développement de la bactéridie? Pour reconnaître quelle est l’amine volatile existant dans les bouillons de culture, j'ai fait bouillir une culture avec de la ma- gnésie calcinée; la base volatile était recueillie dans l’acide chlorhydrique en excès. Ce chlorhydrate, traité par le chlorure de TRANSFORMATION DES MATIÈRES AZOTÉES. 397 platine, a donné un précipité jaune de chloroplatinate. Les mêmes opérations ont été effectuées sur du sel ammoniac pur, et l’on a obtenu de la même façon un précipité de chloroplati- nate d’ammoniaque. Ces précipités ont été recueiilis sur deux filtres, lavés, séchés simultanément et pendant 4 heures dans une étuve à 1009, puis calcinés dans un creuset de platine. J'ai trouvé ainsi que le chloroplatinate de l’amine de la cul- ture contenait 43,8 pour 100 de platine; le chloroplatinate d'ammoniaque, traité de la même façon, contenait 43,7 pour 100 de platine. L'amine volatile produite par la culture de la bactéridie charbonneuse dans le bouillon de veau, est donc simplement de l’ammoniaque. L'ammoniaque se trouve partiellement à l’état libre dans les cultures, et le papier de tournesol indique une réaction bien alcaline. Si l’on fait bouillir la culture, sans addition d’alcali, elle dégage de l'ammoniaque et bleuit le papier de tournesol. J'ai déterminé la quantité d’ammoniaque qui pouvait ainsi être mise en hberté, dans une culture de trois mois, par une simple ébul- lition. Dans le bouillon pur, j'ai trouvé à peine une trace d'am- moniaque libre; dans la culture, il y en avait 05,031 pour 100°, tandis que la quantité totale d’ammoniaque était (05,041 pour 100%. Les trois quarts de l’ammoniaque contenue dans la culture pouvaient ainsi être chassés par l’ébullition ou par un simple courant d’air suffisamment prolongé. Dans l’état ordi- naire, les cultures à l’étuve diffusent de l’ammoniaque:; et si l’on considère que ce qui existe pour le charbon se produit d'une façon analogue pour beaucoup d’autres organismes, il ne faut pas s'étonner que l'air d’une étuve à cultures contienne des vapeurs ammoniacales. Cependant, tandis qu'uñe partie de l'ammoniaque est libre, une autre partie se trouve combinée aux acides du bouillon et en particulier à l'acide phosphorique. Dès le second mois, à la température de 35°, on voit se déposer sur le fond des vases qui contiennent les cultures des cristaux très nets, très brillants, qui augmentent peu à peu en nombre et en grosseur. Les plus petits de ces cristaux restent d’abord en suspension dans le liquide, formant des paillettes nacrées, scintillantes à la lu- mière. [ls ont tendance à se dissoudre légèrement, quand on retire quelque temps le ballon de l’étuve; à la loupe, ils pré- 23 398 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. sentent l'aspect de prismes quadratiques tronqués. Il est facile de les séparer et de les laver; ils sont insolubles dans l'eau, surtout dans l’eau un peu alcaline; ils se dissolvent dans les acides étendus. Chauffés avec un alcali fixe, ils dégagent de l’ammoniaque. La dissolution acide chauffée avec du molybdate d’'ammoniaque donne un précipité de phosphomolybdate. Ils présentent tous les caractères de phosphate ammoniaco-ma- gnésien, qui cristallise dans toutes les cultures anciennes de bactéridie charbonneuse. Si pour les bouillons de concentration 1/2, dans lesquels la culture est terminée, on prend le rapport de l'azote ammoniacal à l'azote total, on trouve des nombres tels que TL Fr 7" Lors- que la culture s'arrête dans ces bouillons, la quantité d’ammo- niaque est telle que son azote est presque le tiers de l’azote total. Un résultat analogue se produit avec les bouillons concentrés; mais, dans ce cas, le nombre constant est environ Plus un bouillon est riche en matière azotée, plus est faible la proportion de cette matière azotée transformée en ammo- niaque ; et lorsque la culture s'arrête dans un bouillon de con- centration déterminée, l’ammoniaque produite par la transfor- mation de la matière azotée est en quantité déterminée : 4 déci- grammes environ par litre pour les bouillons de veau de concentration :° 8 décigrammes par litre pour les bouillons de concentration ;* Bien qu’en valeur absolue, la quantité d'’ammo- niaque formée dans les bouillons concentrés soit plus considé- rable, le rapport de l'azote correspondant à l’azote total est plus faible que dans les bouillons étendus. L'ammoniaque ainsi formée contribue pour une certaine part àarrèter le développement de la bactéridie. Si l'on sème, en effet, de la bactéridie dans des bouillons neufs contenant des quan- tités croissantes d’ammoniaque (à l’état de chlorhydrate ou de phosphate, afin de ne pas modifier la réaction du bouillon), la bactéridie se développe, jusqu’au moment où la teneur en am- moniaque est de 4 à 2 pour 100. A partir de cette dose, l’am- moniaque empêche le développement de la bactéridie : elle se comporte alors comme un antiseptique. Il en est de même des ammoniaques composées : la triméthylamine, par exem- ple, employée à l’état de chlorhydrate, empèche la culture, quand le bouillon en renferme à l’origine 5 décigrammes TRANSFORMATION DES MATIÈRES AZOTÉES. 399 pour 100, bien que la réaction du milieu ne soit pas changée. Comme une partie de l’ammoniaque peut être enlevée par une simple ébullition, ainsi que je l’ai indiqué, on peut, en faisant bouillir la culture dans le vide à la température ordinaire, diminuer dans une proportion très notable la quantité d'ammo- niaque qu'elle contient. Dans ces conditions, il se produit de nouveaux filaments, dans un milieu où la croissance paraissait arrêtée. IT Il était intéressant d'effectuer des recherches analogues sur une matière albuminoïde, telle que la sérine du sang. C’est en effet la matière azotée que la bactéridie trouve le plus abondam- ment dans le sang des animaux où elle se développe. J'ai employé le sérum de sang de bœuf stérilisé par une série de chauffages successifs à la température de 56°. Ce sérum était placé dans des vases coniques à fond plat, de façon à présenter une très large surface à l’action de l'oxygène de l'air. La bactéridie se développe très bien dans le sérum liquide, qui est pour elle un milieu très favorable. Dès le second jour, la culture a l’aspect de flocons enchevêtrés; du quatrième au cinquième jour, elle ressemble à une gelée et se déplace tout d’une pièce; on peut encore la désagréger par l'agitation. Du dixième au quinzième jour, le sérum forme une masse gélatineuse presque solide, ayant perdu sa transparence, et l’on peut retour- ner complètement, sans qu’elle s'écoule, le vase qui la contient. La consistance passe ensuite par des états inverses; la fluidité reparait peu à peu. Un mois et demi ou deux mois après l’ense- mencement, le liquide a repris presque complètement la fluidité du sérum pur; les cultures plus anciennes sont aussi fluides que le sérum témoin. Si le sérum est en couche plus épaisse, les mêmes phénomènes se produisent, mais plus lentement. Ces différents aspects de la culture correspondent à différents états de la bactéridie. Celle-ci, en effet, trouvant un milieu très favorable, se développe abondamment en donnant des filaments très denses, très enchevètrés, et finit par former un tissu serré et résistant. Puis, peu à peu, les filaments se résolvent en spores qui deviennent libres et le liquide réprend sa fluidité primitive. La bactéridie transforme une partie de la matière albuminoïde 360 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. du sérum eu ammoniaque, absolument comme elle le faisait pour la matière azotée du bouillon : les résultats sont du même ordre. La densité du sérum diminue : après 65 jours de culture, elle était devenue 1,0305, celle du témoin étant 1,0335. Le dosage de l’azote total donnait 15,26 pour 100, au lieu de 1,40. Une grande quantité d’ammoniaque s'était formée; on en trouvait 0#,29 pour 100 au lieu de 05,02. De même que dans le bouillon du veau, il se forme à la longue des cristaux de phos- phate ammoniaco- magnésien. Le sérum employé permettait de déterminer directement la quantité de matière albuminoïde coagulable avant et après la culture et de rechercher si la sérine disparue était intégralement transformée en ammoniaque, ou si une partie en était simple- ment peptonisée. Après avoir étendu de 20 fois leur poids d’eau des volumes égaux de sérum cultivé et de sérum pur, j'ai effectué la coagula- tion de la sérine en présence de l’acide acétique. Les précipités ont été recueillis sur deux filtres, lavés de la même facon et desséchés simultanément pendant # heures, à l’'étuve à 100°. 100% de sérum pur contenaient 5,90 de matière azotée coagulable et desséchée; 100°° de sérum cultivé n’en contenaient plus que 35,35. Pour 100 centimètres cubes, 25,55 de sérine avaient été employés par la bactéridie. Le liquide filtré après la coagulation ne précipitait ni par le bichlorure de mercure, ni par le sous-acétate de plomb. Il n’y avait donc pas de peptone dans les cultures achevées. Il est ce- pendant très probable que l'oxydation de l’albumine qui aboutit à sa transformation en ammoniaque est précédée d'une peplo- nisation véritable. Or, les 2%,55 de sérine disparus contenaient 0,4 d'azote. L'ammoniaque formée (0,27 pour 100) en contient 05,22 ; et l’azote total a diminué de 0,44. On trouve donc 0,36 d'azote à l’état ammoniacal restant dans la culture, on disparus par diffu- sion; c’est-à-dire la presque totalité de l'azote de la matière albu- minoïde employée. En résumé, la culture de la bactéridie dans le sérum à l'air transforme la matière azotée en ammoniaque. Devant ces résultats, qui montrent avec quelle facilité, dans une culture, la bactéridie transforme en ammoniaque les matières TRANSFORMATION DES MATIÈRES AZOTÉES. 301 albuminoïdes du sang, il était naturei de rechercher si le sang d'un animal charbonneux contient de lammoniaque. J'ai pris dans le cœur d’un lapin, qui venait de mourir du charbon, 10 centimètres cubes de sang : ces 10 centimètres cubes conte- naient environ un demi-milligramme d'ammoniaque totale, quantité insignifiante. Les produits de la culture de la bactéridie dans le sang de l'animal vivant sont donc différents de ceux que l’on trouve dans les cultures sur sérum. Cela tient sans doute, soit à des phéno- mènes d'absorption de l’ammoniaque pendant la circulation, soit à ce que, chez l’animal vivant, l'oxygène est fourni à la bac- téridie à l’état de combinaison avec l'hémoglobine, tandis que dans nos cultures artificielles la bactéridie utilise l'oxygène libre de l'air. III La caséine du lait, aussi bien que la matière azotée du bouillon et que celle du sérum, est transformée également en ammoniaque par la bactéridie charbonneuse. Si l’on fait une culture de charbon dans du lait stérilisé, on voit la bactéridie se développer avec beauconp d'énergie. Au bout de quelques jours, le lait devient plus limpide, plus mobile et se colore légèrement en jaune clair. Bientôt, le liquide se divise en deux zones; la matière grasse se rassemble à sa surface et le petit lait se sépare à la partie inférieure. Dans les premiers temps, il est encore facile d'émul- sionner lamatière grasseenagitant le flacon, et l’émulsion persiste pendant plusieurs heures. Plus tard, l'émulsion est plus difficile à produire. À la longue une partie de la matière grasse est digérée. Cette disparition de la matière grasse est plus eu moins rapide suivant la concentration du lait employé et suivant la nature de la bactéridie ; elle peut être complète quand le lait est un peu étendu. Les cultures dans le lait prennent rapidement une odeur très marquée, qui rappelle un peu le fromage pourri ; la teinte jaune de la culture va constamment en s’accentuant: une culture abandonnée à l’étuve pendant six mois avait pris une teinte acajou foncé. Le lait, comme le bouillon, diminue de densité, quand la bactéridie s’y développe ; mais celte diminution est 362 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. moins rapide que pour le bouillon, la culture y étant plus lente. Au bout de 20 jours, dans une de mes expériences, la densité avait baissé de 1,036 à 1,035 ; au bout de deux mois, elle était devenue 1,0335. Dans un autre cas, la densité, de 1,035, était devenue 1,031. Une partie de l'azote avait disparu ; l’azote total était en moins grande quantité : 057,52 au lieu de 0,55 pour 100 : et dans une autre expérience : 05,49 au lieu de 05,52 pour 100. Il se forme de grandes quantités d'’ammoniaque aux dépens de la matière azotée du lait: 0,301, 05,271 pour 100; et à la longue, on obtient des cristaux de phosphate ammoniaco-ma- gnésien. L'amine du lait est aussi de lammoniaque : son chloroplatinate traité comme je l’ai indiqué plus haut et comparé au chloropla- tinate d’'ammoniaque, a donné pour résidu 43,6 pour 100 de platine ; le chloroplatinate d'ammoniaque dans les mêmes con- ditions donnait 43,7 pour 100. Lorsque la culture est terminée, si l’on prend le rapport de l’azote ammoniacal à l'azote total, on trouve des nombres, tels que : 5, 560 5% 5n - azote ammoniacal est presque moitié de l'azote total; la quantité d’ammoniaque est alors environ de 3 grammes par litre. Ce résultat est analogue à celui que j'ai trouvé précédem- ment pour les bouillons. Il est cependant à remarquer que la transformation de la matière azotée en ammoniaque est beau- coup plus complète dans le lait que dans les bouillons, bien que le poids de cette matière azotée soit plus considérable. Outre la matière albuminoïde, le lait renferme deux éléments importants : le sucre de lait et la matière grasse. Le sucre de lait est peu attaqué par la bactéridie. Au bout d’un mois, on trouve sensiblement la même quantité de lactose dans le lait cultivé et dans le lait témoin; cependant, dans les cultures plus anciennes, une petite quantité de lactose disparait. Dans une expérience, j'ai trouvé 3“,8 0/0, au lieu de 4#,3. On peut, au moyen de l'alcool fort, retirer des cultures une grande quantité de sucre non utilisé. Cependant, si l’on augmente l’ac- TRANSFORMATION DES MATIÈRES AZOTÉES. 363 tion de l'oxygène, en faisant passer un courant d’air dans le lait pendant toute la durée de la culture, le lactose est plus vite attaqué, et le lait devient acide. En mème temps, la matière azotée est plus rapidement transformée en ammoniaque. Pour étudier directement l’action de la bactéridie sur le lac- tose, j'ai employé un bouillon de veau contenant de ce sucre. La culture s’y effectue comme dans le bouillon de veau ordinaire ; les filaments y paraissent seulement un peu plus épais, surtout aux points où se forment les spores. Au bout de quelques jours, la réaction du milieu change : elle devient légèrement acide; au bout d’un mois, une petite quantité de lactose a disparu et le bouillon est franchement acide. Une culture dans ces conditions contenait 6€", 35 0/0 de lactose, et le témoin en contenait 68,6 0/0. J'ai semé par comparaison de la levure de bière dans le bouil- lon sucré ayant servi à la culture de la bactéridie et dans le témoin; j'ai semé simultanément de la bactéridie et de la levure dans un bouillon pur contenant du lactose. La levure de bière s’est bien développée; dans le 3"° flacon, elle a poussé concur- remment avec la bactéridie. Dans aucune de ces cultures, il ne s’est formé la moindre trace d’alcool; il en résulte que la bacté- ridie ne rend pas le lactose fermentescible par la levure de bière. Les acides produits par l'oxydation du lactose ont été rassem- blés par l’éther, saturés par l’eau de chaux et étudiés par le pro- cédé de la distillatiôn fractionnée indiqué par M. Duclaux pour la détermination des acides gras volatils. Il sont formés princi- palement d'acide butyrique, mélangés à des acides gras infé- rieurs. L'équivalent de ce mélange d’acides est environ 80. Quant à la matière grasse du lait, elle est partiellement sapo- nifiée et transformée en un savon ammoniacal. En filtrant la cul- ture et ajoutant un peu d'acide sulfurique, on peut séparer les acides par l’éther, qui dissout en même temps la matière grasse. Il suffit alors d'ajouter à cet éther un peu d’eau de chaux pour obtenir le savon de chaux. En résumé, la matière azotée des bouillons, celle du sérum, la caséine, par l’action de la bactéridie, en présence de l'oxygène de l'air, sont transformées en ammoniaque. Pour un milieu déterminé, cette transformation s'arrête quand la quantité d’am- moniaque atteint un chiffre déterminé, variable avec la matière albuminoïde et avec la concentration. DES PROCÉDÉS USITÉS POUR LE DOSAGE DES BACTÉRIES ATMOSPHÉRIQUES. PAR Le D eP.MIOUETL: Les premiers essais qui ont eu pour but l’analyse microscopi- que de l’air remontent à la première moitié de ce siècle. Parmi les savants que ce sujet a intéressés, on doit citer Ehrenberg, Gaultier de Claubry, Budd, Dundas Thompson, Baudrimont, Pouchet et quelques autres auteurs. Dans ces premières recher- ches, il fut surtout établi que l’air atmosphérique charrie de nombreuses spores de cryptogames, des algues, des pollens, des grains d’amidon et d’abondantes dépouilles du règne animal et du règne végétal. Les procédés employés à cette époque pour récolter les organismes aériens, consistaient à exposer au contact de l'atmosphère des lamelles de verre enduites de liquides peu siccatifs (huile ou glycérine). Dundas Thompson et Baudrimont, d'après le procédé déjà ancien à cette époque, imaginé par Moscali et Robiquet, firent passer l'air bulle à bulle dans de faibles volumes d’eau distillée. Cette méthode de barbotement employée plus tard par Dancer de Manchester, Angus Smith et d’autres expérimentateurs, est encore en honneur aujourd’hui. Pouchet se servit d'instruments qu'il appela aéroscopes. Pour récolter les germes de l’air et les apporter directement sur le porte-objet du microscope, M. Pasteur employa à son tour des bourres de coton soluble, et inaugura le procédé des bal- lons scellés qui fut le point de départ de l'analyse microscopique des poussières atmosphériques par la voie des cultures dans un milieu nutritif. Ce procédé sert de base aux méthodes actuelle- ment en usage. Je ne rappellerai pas les travaux si consciencieux publiés depuis cette époque par Samuelson, les docteurs Maddox DOSAGE DES BACTÉRIES ATMOSPHÉRIQUES. 365 et Cunningham, sur le nombre et la nature des spores cryptoga- miques et des œufs d'infusoires, charriés par les courants atmos- phériques ; ces sujets sont étrangers à la question quinous occupe. Chargé en 1876 d'analyser l'air de Paris, j’employai au début de mes recherches la méthode des ballons scellés de M. Pasteur pour le dosage des bactéries. Cette méthode, comme on sait, consiste à introduire dans des ballons vides d’air, conte- nant des liquides nutritifs, un faible volume de l'atmosphère à explorer, 100 à 150 centimètres cubes. Cette opération s’effectue en déterminant la rupture de la pointe effilée du ballon scellé au moyen d'une pince ou d’une paire de ciseaux fortement flambés au préalable. Si 4 litres d’air amenés ainsi dans 30 à 40 ballons accusent 10 bactéries, on est en droit d'affirmer, après l’obser- vation au microscope des liqueurs altérées, que l'atmosphère considérée renferme au moins 2, 5 bactéries par litre. Si l'air à doser est très impur, on doit évidemment employer destubes scellés d’un très faible volume, pour conserver la chance de voir le quart des ballons seulement devenir le siège d'une altération ; si au contraire l’airest très peu riche en bactéries, on doit avoir recours à des ballons d’un très grand volume, ou sinon les vases scellés mis en expérience ne présentent que quelques végétations cryptogamiques.Pourremédier à cetinconvénient et à l'encombrement inévitable créé par la méthode des ballons scellés, j'imaginai le tube à boule qui permet d'amener au contact des liqueurs nutritives des volumes d'air variant de quelques centimètres cubes à mille litres. Jusqu'en 1884, j'ai analysé avec le secours de ces instruments les atmosphères les plus diverses : l'air des campagnes, des habitations, des hôpitaux, des égouts, et j'ai pu découvrir avec l’aide de ces mêmes appareils les influences qu’exercent les conditions météorologiques régnantes sur le nombre des bactéries aériennes, ainsi que les variations que présentent ces organismes, aux mois de l’année, aux jours de la semaine et aux heures du jour. Toutes ces recherches sont consignées avec diagrammes à l'appui dans les Annuaires de l'Observatoire de Montsouris. En 1884 et 1885, j'étudiai le moyen de perfectionner la mé- thode des tubes à boule qui exige une attention constante très fatigante, des manipulations nombreuses, des lectures de compteurs captivantes, et je substituai au tube à boule un flacon 366 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. barboteur à trois branches, construit sur mes indications par M. Alvergniat. Les poussières de l’air amenées au contact de 25 à 30 centi- mètres cubes d’eau stérilisée, sont distribuées dans cette nou- velle méthode, à la fin de chaque expérience, dans 30 à 40 con- serves de bouillon de bœuf neutralisé. Je m'étais servi, en 1881, d'un procédé analogue pour l'analyse de l'air du cimetière du Sud, maïs le barboteur était alors un simple tube à boule bien plus incommode que le barboteur actuel, dont voici d’ailleurs la description, telle que je l’ai donnée dans l'Annuaire de Mont- souris pour l’année 1886, page 472. Cet appareil consiste en un matras de verre, dont le col long, muni d’un D) capuchon tubulé et rodé, se prolonge jusqu’au fond du vase en s’effilant en pointe, et s'y termine par une ouverture capillaire par laquelle l'air entre au moment de l'aspiration. Ce matras est également muni de deux tubu- lures latérales : la première G, garnie de deux bourres de coton est destinée à être mise en communication avee l'appareil aspirateur, la seconde B, recourbée, porte un petit tube de caoutchouc retenant une pointe de verre scellée. C’est par cette sorte de bec de burette que se fait la distribution de l'eau contaminée à la fin de l'expérience. Prépuration de l'expérience. — L'appareil recoit 30 à 40 centimètres cubes d'eau distillée, on vérifie si la cheminée du capuchon et le tube C portent des bourres de coton, si la pointe B est bien scellée, puis l'instrument est chauffé deux héures à 410° dans un bain de vapeur d’eau. Après refroidis- sement, on retire l'appareil de Pautoclave et on le garde jusqu'au moment d'en faire usage. Je prépare ainsi à la fois 20 à 30 de ces petits matras. Expérience. — À la tubulure C on adapte le tube de caoutchouc destiné à transmettre l'aspiration, on flambe le capuchon A, on l’enlèveet l'on s'éloigne; alors l’air à doser en bactéries est dirigé bulle à bulle dans l'ap- pareil; l'aspiration achevée, on replace le capuchon après l'avoir fortement DOSAGE DES BACTÉRIES ATMOSPHÉRIQUES. 367 chauffé. Il ne reste plus qu'à connaître Le chiffre des bactéries retenues dans le matras. Fin de l'expérience. — Par le tube de caoutchouc encore fixé à la tubu- lure C, on produit une pression qui force le liquide à s'élever jusqu'à l’extré- mité du col, puis on laisse la colonne d'eau redescendre par son propre poids, ou en aidant à sa chute par une légère succion. Par cette manœuvre recommencée 10 à 12 fois, on lave complètement le col du matras par lequel l'air a été d'abord introduit. Je n'ai pas besoin d'ajouter que ce lavage se fait entièrement à l'abri des poussières atmosphériques, la bourre de la cheminée du capuchon faisant l'office de filtre parfait. Après avoir cassé la pointe B avec les précautions d'usage, on distribue par fraction le con- tenu de l'appareil dans 30 à 40 conserves de bouillon stérilisé. Le volume de l'air aspiré a été calculé de facon que les 3/4 ou les 4,5 des conserves ainsi ensemencées restent dans la suite parfaitement limpides. Finalement, le matras où s'est fait la dilution des poussières reçoit à son tour 25e de bouillon, puis on projette dans ce bouillon, au moyen d’un fil de platine rougi, la bourre intérieure de la tubulure GC, sur laquelle s’est filtré l’air avant de quitter le matras pour se rendre dans un appareil jaugeur.. ete. Il est superflu de faire observer que l’eau contaminée, au lieu de faire l'objet d’une répartition dans un grand nombre de conserves distinctes, peut être mélangée aux milieux nutritifs semi-solides, aux gelées de bouillon aisément fusibles à la surface ou dans la profondeur desquelles plusieurs colonies de microphytes peuvent apparaître et se développer. J'ai essayé longtemps ce procédé de numération, et je dois à la vérité d’avoucr qu'il m'a paru très peu précis, les gelées étant habituellement envahies par des moisissures, souvent liquéfiées en partie ou en totalité, avant même qu'une colonie bactérienne ait eu le temps d’apparaître sur le substratum. Depuis trois ans que cette phrase est écrite, je n'ai pas fait une seule expérience qui ne soit venue confirmer le jugement que j'ai porté sur le procédé de cultures en plaques appli- qué à l'analyse microscopique de l'air. À Montsouris, où le chiffre des spores fécondes de moisissures dépasse celui des bac- téries, l'eau des matras barboteurs, distribuée dans 25 plaques de gelée, occasionne des cas si fréquents de liquéfaction, que toute numération sérieuse est rendue impossible. Au centre de Paris, où le chiffre des mucédinées est dix fois plus faible que celui des schizophytes, on obtient des résultats plus encoura- geant{s, à la condition d'obtenir au plus une ou deux colonies sur chacune de ces 25 plaques de gelée. J'ai donné à cette méthode du fractionnement dans la gélatine, le nom de Méthode mixte. Elle fournit des résultats satisfaisants quand on l’applique à l'analyse des eaux. 308 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Pour analyser les atmosphères éloignées des laboratoires, M. de Freudenreich, le commandant Moreau et moi, avons employé des tubes de verre contenant une ou plusieurs bourres de coton de verre ou d'amiante stérilisées à une haute tempé- rature. C’est ainsi que nous avons opéré en 1884 pour nos essais multiples sur l’air des montagnes et l'air de la mer. Ces bourres, après avoir filtré quelquefois plusieurs mètres cubes d'air, sont plus tard émulsionnées dans de l’eau vierge de germes, dontil reste à déterminer ensuite la teneur en bactéries. Ce procédé des bourres d'amiante et de coton de verre, très ancien dans la science, a récemment séduit plusieurs savants au nombre desquels MM. Percy, Frankland et Pétri. M. Frankland n’arien changé à notre procédé, M. Pétri (1887) a remplacé les silicates qui nous ont servi par du sable. MM. Frankland et Pétri jettent, après le passage de l’air, les bourres de leur tube dans la gélatine fondue; nous préférons, M. de Freudenreich et moi, les jeter dans l’eau stérilisée, et doser immédiatement cette eau par la méthode qui nous paraît présenter le plus de garanties. Aujourd'hui j'ai abandonné l'usage des filtres insolubles, pour adopter de préférence les fillres solubles dans l’eau con- seillés il y a 25 ans par M. Pasteur (silicates solubles, laine de sucre), et employés par M. Gautier qui a préconisé à cet effet le sulfate de soude desséché et pulvérisé. On peut encore employer, comme l’a fait M. Fol, le sel marin privé de son eau d'interpo- sition, pulvérisé de facon à présenter la grosseur du camphre râpé, et stérilisé finalement à 200°; toute autre substance soluble dans l’eau, infusible à la température de 180 à 200°, non anti- septique vis-à-vis des bactéries au degré de dilution où elle est amenée, peut servir au même usage. La filtration de l'air à travers les bourres solubles ou inso- lubles est à mon avis le procédé d'analyse le plus général qu’on puisse appliquer au dosage des bactéries atmosphériques. En effet, avec l’aide des filtres solides, il est facile d'analyser l'atmosphère dans tous les lieux et à toutes les températures, tandis que l’eau des barboteurs se congèle pendant les grands froids, comme j'ai l'occasion de l’observer tous les hivers à Paris. À plus forte raison, cette remarque s’applique-t-elle au barbotement dans la gélatine, méthode employée depuis plusieurs DOSAGE DES BACTÉRIES ATMOSPHÉRIQUES. 369 années par quelques expérimentateurs. Les tubes filtrateurs peuvent voyager, rester exposés à toutes les variations de température sans subir la moindre avarie; il est loin d’en être de même des matras barboteurs et surtout des tubes de gélatine, transportés dans les pays où la température peut osciller entre 20 et 30°. Je bornerai là l'énuméralion des méthodes inventées pour doser les bactéries atmosphériques; celles qu’on pourrait encore citer sont simplement des variantes des procédés généraux déjà décrits, basés sur la captation des poussières par les liquides ou par les filtres solides. Le procédé imaginé en 1884 par le D' Hesse ne manque pas d'originalité, et me parait pour ce motif mériter une mention spéciale. Il repose sur la fixation des poussières aériennes sur la paroi intérieure d’un tube dans lequel on fait cheminer lentement un courant d'air. M. Pasteur avait déjà établi qu'en faisant bouillir des liquides très altérables dans des ballons à cols longs et sinueux, on parvient à les préserver de toule altération ultérieure, bien qu'ils soient en communication directe avec l'air ambiant. M. le D' Hesse s’est emparé de ce fait, il a enduit les parois d’un tube de verre d’une couche de gelée nutritive, et a pu se convaincre de même, qu’en le faisant traverser par un ou plusieurs litres d’air, la majeure partie des bactéries et des moisissures viennent se déposer à l'extrémité ouverte du tube. De la pénétration plus profonde des mucédinées dans le tube, cet auteur a cru pouvoir déduire que les semences d’origine cryptogamique étaient moins denses que les spores des bactéries. Cette affirmation ne me paraît pas suffisamment justifiée, par la raison que les germes des bactéries voyagent dans l'air habituellement fixés sur des détritus divers, minéraux et organiques, alors que les spores des moisissures, nées le plus souvent au sommet de tiges dressées sur le mycélium, n’ont pas de contact direct avec le sol, et sont à leur maturité emportées dans l’espace comme des bulles de savon microscopiques ; 1l n’est donc pas surprenant que les spores des bactéries lestées par de l’humus ou un grain de silex soient plus lourdes. La détermination de la densité des spores des schizomycètes et des hyphomycètes offre d’ailleurs un très faible intérêt. Il n'en est pas de mème de l’étude des conditions dans lesquelles 3170 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. il faut placer les spores atmosphériques, pour les faire germer de manière à obtenir des statistiques fidèles et voisines de la réalité. Cette question importante va maintenant nous occuper. Les conditions indispensables à l’éclosion des poussières vivantes sont au nombre de trois : Ces poussières doivent être reçues dans un milieu fécond, ce milieu doit être maintenu vers 30°, et ces poussières rester en observation pendant 30 à 40 jours. À — Les milieux liquides conviennent mieux queles milieux solides au développement de la majeure partie des semences aériennes. D’après une longue suite d'expériences comparatives prolongées pendant deux ans, j’ai pu constater, toutes choses égales d’ailleurs (température et temps), que la gélatine entrave le rajeunissement de beaucoup de germes; un poids d’eau stérilisée, contaminé par le courant d'air, distribué en parties égales dans du bouillon de peptone et de la gelée peptonisée, a fourni, comme moyenne de 300 essais, les chiffres suivants : Nombre de colonies après 30 jours d'attente, dans : Bactéries, Moisissures. le bouillon maintenu à 18°. . . 100 100 la gélatine maintenue à 18° . . D7 69 La moitié à peu près des bactéries de l'air et le tiers des mucédinées atmosphériques trouvent un tombeau dans les plaques de gelée. B — La température exerce une influence favorable sur l’éclosion des germes desséchés et affaiblis par les intempéries; il est regrettable que les cultures sur les gelées privent l’expéri- mentateur de cet agent précieux. Nombre de colonies après 30 jours d'attente, dans : Bactéries. Moisissures le bouillon maintenu à 30e. .,. 100 100 la gélatine maintenue à 18°-20o, AT 60 Ainsi, en calculant le nombre des germes aériens, d’un côté par la méthode des plaques, d’un autre par le procédé des cul- tures dans le bouillon, on arrive à ce résultat instructif, que l’em- ploi de ce dernier procédé fournit un nombre d'organismes deux fois plus élevé que les cultures sur les plaques de gelée. M. Pétri prétend à cet égard que les avantages obtenus au moyen des DOSAGE DES BACTÉRIES ATMOSPHÉRIQUES. 374 cultures dans les liquides sont négligeables; je ne suis en aucune façon de son avis. C— La plupart des expérimentateurs qui appliquent au dosage des bactéries atmosphériques, le procédé de culture sur les plaques de gelée, semblent croire qu’une durée d’incubation très restreinte, de #, 6, 10 jours, est suffisante pour permettre aux organismes de l’air de manifester leur présence par des taches de forme, de grandeur et de couleurs diverses appelées colonies. Il n’en est malheureusement pas ainsi : après un mois d’attente, on voit encore fréquemment des germes de bactéries entrer en évolution. Je sais bien que sur une plaque chargée d'une quin- zaine de colonies, une attente si prolongée ne saurait avoir lieu avant l’envahissement et la destruction complète du substratum, mais enfin le désir d’être rapidement informé ne justifie pas suf- fisamment la suppression de ces plaques avant trente jours. Pour se soustraire à cette nécessité, 1l faut, quand on opère sur de grandes surfaces de gelée, cultiver collectivement au plus 5 à 6 organismes, et si on opère comme je le fais sur des surfaces de 10 à 12 centimètres carrés, un ou deux microbes, encore n’arrive-t-on pas toujours à les préserver de ces liquéfactions fâcheuses, qui détruisent rapidement Le substratum. On connaît d’ailleurs les travaux que j'ai déjà publiés sur la durée d’incubation des bactéries atmosphériques dans le bouillon maintenu à 30°. Du {au 5° jour, il se développe 66 p. 100 des germes aériens, Du 6*au 10° jour, — 21 p. 100 — Du {4° au 15° jour, == 6 p. 100 — Du 16° au 40° jour, - 1 p. 100 — Sur la gélatine maintenue à 18°-20°, ces durées d’incubation sont beaucoup plus longues. En employant la méthode rirte, c'est-à-dire de fractionnement dans la gelée, on obtient les chif- fres suivants : Du {“au 15° jour, il se développe sur la gélatine 72 p. 100 des germes, Du 16° au 30° jour, = — 28 p. 100 == Je n’ai pas besoin de faire remarquer que du 16° au 40° jour nombre des microbes rajeunis dans le bouillon est seulement le 7 p. 100, autrement dit 4 fois plus faible. 372 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Finalement, en supprimant dès le 15° jour une plaque de gélatine ensemencée avec les poussières aériennes, on ne tient aucun compte du quart des germes qui restent à éclore. La méthode des plaques de culture appliquée à l'analyse microscopique de l'air, ne saurait donc devenir rigoureuse qu'à la condition de la débarrasser des causes d'erreurs nombreuses qui lui sont inhérentes, et que je viens de mettre en évi- dence. On a reproché au procédé de fractionnement des poussières de l’air dans le bouillon, d'introduire à la fois dans le même vase à culture un graud nombre de germes; ce reproche n’est pas fondé quand le chiffre des conserves s’altère dans la proportion de 20 p. 100. Il esten effet rare qu’on introduise dans ce dernier cas une quantité de poussières capable de fournir plus d’une colonie. Quand la proportion des conserves altérées double et s'élève à 40, le chiffre des conserves contaminées par deux colo- nies s'élève à peine à la dixième partie du total des conserves altérées par une colonie. | Pour démontrer, contrairement à mes affirmations, que les vases de bouillon ensemencés d'après mes indications, recevaient plusieurs particules bactérifères dans l'opération du fractionne- ment, M. Pétri a compté par la méthode des plaques le chiffre des espèces écloses dans le bouillon. Cette manière d'opérer est illégitime, et je regrette de relever ici une cause d'erreur et d'illusion qui semble avoir échappé au directeur du musée d'hygiène de Berlin. ‘ Les colonies produites par les poussières atmosphériques procèdent assez rarement d’une particule bactérifère chargée d'un germe unique; le plus souvent ces germes sont fixés en grand nombre sur cette particule, et sont ou de la même espèce, ou d'espèces hétérogènes. Le bouillon possédant la faculté de féconder simultanément l’éciosion des semences les plus diverses, on obtient une culture parfois boueuse et très impure, là où la même particule chargée d'organismes différents ne donne qu'une seule colonie sur la gélatine. Ayant eu la curiosité d’ensemencer en leur entier dans Île bouillon 100 colonies bien homogènes en apparence, nées sur de la gélatine, et dues à des germes aériens, le simple examen microscopique à accusé 134 espèces bien distinctes; c’est là un DOSAGE DES BACTÉRIES ATMOSPHÉRIQUES. 373 minimum, Car on sait que le microscope ne peut nous éclairer que sur les variétés de forme. Ainsi donc, sile fractionnement des poussières dansle bouillon peut accidentellement introduire deux particules bactérifères de même nature, qu'on peut plus tard compter par une particule unique, cette cause d'erreur très faible est grandement rachetée : 1° Par la possibilité de maintenir les cultures liquides aux températures les plus favorables au rajeunissement des germes. 2° Par la faculté que possède le bouillon de rappeler à la vieles germes désséchés, malades et maltraités par la sécheresse. 3° Par la faculté que présentent les bouillons de favoriser si- multanémentle développement de plusieurs êtres microscopiques. Je déclare enfin en terminant que la méthode des plaques de gelée est inapplicable à l'analyse de l'air, toutes les fois que les atmosphères à doser en bactéries renferment une proportion de mucédinées égale ou supérieure au nombre des schizophytes; ce qui est toujours vrai pour les atmosphères des campagnes ou des districts suburbains. 24 SUR UNE ÉLÉVATION DE TEMPÉRATURE DANS LA PÉRIODE D'INCUBATION DE LA RAGE, Par M. V. BABES. Dans une note publiée dans le Journal des connaissances mé- dicales du 26 mai 1887, j'ai signalé chez le lapin inoculé avec le virus de la rage des rues une élévation assez fréquente de tempé- rature, qu'il ne faut confondre ni avec la fièvre qui suit sou- vent la trépanation, ni avec celle qui précède immédiatement les symptômes nerveux terminaux. Cette fièvre se montre ordinaire- ment de quatre à dix jours après l’inoculation intracrânienne du virus de rage des rues ou d’un virus fixe modifié. Elle fait monter la température de 39°,9 à 40°,5, mais ne dure que un à deux jours, après quoi la température redevient normale. Ordinairement cette fièvre recommence plusieurs fois. Dans une étude sur la rage (Archives de Virchow, 1887, t. CX), j'ai exposé la marche de cette fièvre et les circons- tances dans lesquelles elle se manifeste. Dans le n° 4 du tome II 1888 des Annales de l’Institut Pasteur, M. Hôügyes constate aussi cette élévation de température, mais croit ne pas devoir lui attribuer une importance quelconque. D'abord :l me semble difficile de nier «à priori l'importance du fait, alors même qu'il ne serait pas constant et n'aurait pas pour le moment d'application pratique ; rien ne prouve qu'il ne soit pas à noter dans la question de la propagation et de la généralisation du virus rabique. M. Hôügyes prétend, il est vrai, que les lapins en bonne santé montrent aussi parfois une élévation semblable de la tempéra- ture, mais je ne saurais accepter cette objection, car sur 745 lapins, sains en apparence, examinés à ce point de vue, je n'ai vu que sept fois la température s'élever dans la période indiquée, et encore de quantités variables, qui ne l'ont fait s'arrêter quelque temps au-dessus de 40°-40°,5 que dans deux PÉRIODE D’INOCULATION DE LA RAGE. 37) cas, dans lesquels l’animal eut, au bout de quelques jours, une maladie intercurrente? On doit en conclure que cette élévation de température, très rare chezle lapin, est probablement toujours pathologique. Dans une série de 20 lapins arrivés d’un long voyage, deux présentèrent cette fièvre et l’un d’eux succomba quelques jours après. Je ne saurais donc confondre ces fièvres rares et éphémères avec l'élévation de température fréquente et régulière que j'ai décrite. Un autre argument de M. Hôügyes contre « l'importance » de cette fièvre est que cette fièvre n'est pas constante. On pourrait dire la même chose non seulement pour la fièvre terminale dela rage, mais pour la plupart des fièvres prémonitoires, et il suffit que celle dont nous parlons se rencontre dans la plupart des cas, à une certaine époque après l’inoculation, pour qu'on soit obligé de compter avec elle. Parmi les cas dans lesquels j'avais signalé l'apparition de cette fièvre, ceux dont j'ai le plus d'expérience sont les cas d'inoculation intracrânienne du virus de la rage des rues. Dans mes 25 derniers cas d’inoculation avec la moelle de différents chiens morts de la rage des rues, j'ai constaté 23 fois la présence de cette fièvre. Elle à commencé dans neuf cas, quatre jours et demi, et dans cinq cas cinq jours et demi après l'inocu- lation. Dans les autres cas elle a commencé de six à dix jours après l'infection. Dans 20 cas elle a été intermittente et a produit deux ou trois accès, d’une durée de 12 heures à deux jours, avec des intervalles également courts de un à deux jours. Dans la plupart des cas, tous ces symptômes prémonitoires avaient pris fin dix à douze jours après l'infection, et la tempé- rature redevenait normale jusqu’au moment où commençaient la fièvre terminale ou des symptômes nerveux. La fièvre prémonitoire commence en général plus tôt chez les lapins qui meurent de treize à dix-sept jours après l'inoculation que chez les lapins qui meurent plus tard. Après l’inoculation intracränienne du virus fixe, la fièvre pré- monitoire manque d'ordinaire, et on observe presque toujours une fièvre terminale, précédant immédiatement les symptômes nerveux. Au contraire, chez les lapins inoculés par la même 316 | ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. voie avec le virus de la rage des rues, la fièvre prémonitoire est presque la règle, tandis que la fièvre terminale est moins fréquente. Elle a fait défaut neuf fois sur vingt-cinq. Sur six lapins sains examinés deux fois par jour, un seul a eu, en 23 jours, quelques heures de fièvre, tandis que les autres n'ont présenté aucune élévalion remarquable de tempé- rature. Pour voir enfin si la fièvre « prémonitoire » n’est pas due à l’acte de la trépanation ou de l’inoculation intracränienne, j'ai trépané deux lapins, en injectant entre les méninges de l’eau simple. Ces lapins examinés pendant un mois n’eurent pas de fièvre. En inoculant dans les méninges ou dans la cavité périto- néale la substance cérébrale rabique, filtrée par le filtre Pasteur- Chamberland, les lapins inoculés ne présentèrent pas non plus de fièvre. Ces expériences furent répétées plusieurs fois et toujours avec le même résultat. Les animaux de contrôle étaient placés dans les mêmes conditions que les animaux inoculés avec le virus rabique. La différence entre la température des animaux sains et celle des animaux inoculés avec le virus de la rage des rues, devient encore plus manifeste quand on compare le nombre des examens de température faits, avec le nombre des cas où on a constaté une élévation de température. Ainsi chez 25 lapins inoculés avec le virus de rage des rues, etobservés deux fois par jour, 782 obser- vations de température nous ont donné 109 observations de fièvre « prémonitoire », sans compter ni la fièvre qui suit souvent la trépanation, ni celle qui précède et accompagne souvent les symptômes nerveux, tandis que chez 10 lapins diversement traités, mais non inoculés de la rage, et examinés pendant 20 jours de la même manière, c'est-à-dire en somme 400 fois, il n'y a eu que deux fois une élévation de température, comparable à la fièvre prémonitoire. Ce phénomène est donc assez régulier et évidemment lié à l’action du virus. Son importance s'accroît quand on songe qu'il se manifeste pendant une période où il n’y a pas d’autres sym- ptômes de la rage. Cette fièvre prémonitoire est sans doute l’ex- pression de l’action du virus rabique dans la période d’incuba- üon, longtemps avant la manifestation de la maladie. REVUES ET ANALYSES DES HÉMATOZOAIRES DU PALUDISME. REVUE CRITIQUE J'ai résumé l’an dernier dans ces Annales l'état de nos connaissances relativement aux hématozoaires du paludisme (4 an. de l'Institut Pasteur 1887, p. 266). Je ne reviendrai pas sur la description générale de ces parasites, non plus que sur les travaux analysés dans le précédent article: je m'oc- cuperai spécialement des publications les plus récentes ayant trait à cette question. MM. Councilman et W. Osler, dont j'ai analysé déjà l'an dernier les importants travaux, ont fait de nouvelles et très intéressantes communi- cations sur les hématozoaires du paludisme à la dernière réunion de la Société pathologique de Philadelphie. (Councilman. Recherches complé- mentaires sur le germe de lu maluria de Laveran. Communic. à la réunion annuelle de la sociélé pathol. de Philadelphie, 18S7, et Fortschrilte der Medicin 1588; Osler. Communic. sur le même sujet à la mème réunion. Compte rendu in Bulletin médical 1888, p. 220.) Councilman a réussi à trouver les hématozoaires du paludisme chez tous les paludiques qu'il a eu l’occasion d'examiner; il décrit avec soin les différents aspects sous lesquels ces hématozoaires se présentent à l'ob- servation, et il cherche à déterminer dans quelles conditions on rencontre plus spécialement telle ou telle forme. D’après Councilman, les formes sous lesquelles les hématozoaires du pa- ludisme se rencontrent dans le sang peuvent être rapportées aux types suivants : 4 Petits corpuscules amiboïdes à l'intérieur des globules rouges, non pigmentés. % Corpuscules pigmentés plus grands que les précédents, situés aussi dans les globules rouges. 3° Corpuscules pigmentés ayant les dimensions des globules rouges. 4 Formes en voie de segmentation. 5° Petits corpuscules hyalins provenant de cette segmentation. G° Corps en croissant pigmentés au centre. 7° Corps de forme ronde ou ovalaire dérivant des précédents. 8 Corps pigmentés garnis de filaments mobiles ou flagella. 9 Les flagella à l’état libre animés de mouvements très vifs. 100 Corps pigmentés animés d'un mouvement ondulatoire de leur périphérie. Couneilman a reproduit ces différents aspects dans les planches annexées à son mémoire (Fortschritle der Medicin 188$, n° 12, planches V et VI). 378 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Les corps en croissant et les corps ovalaires qui en dérivent directe- ment ne se trouvent, d'après Councilman, que dans les cas de cachexie pa- lustre. Les formes sewmentées, sur la description desquelles Golgi a insisté, ne se rencontrent dans le sang, d’après le même observateur, que pendant la période de frisson des accès de fièvre intermittente. Councilman admet avec moi que les flagella représentent les formes les plus intéressantes des hématozoaires du paludisme, celles dont la nature parasitaire ne saurait être sérieusement contestée; les flagella ont élé trouvés par lui seize fois sur vingt et un cas dans lesquels l'examen a porté sur le sang de la rate. Councilman a constaté enfin que l’action des sels de quinine, très nette sur les éléments sphériques et sur les flagella, était beaucoup moins efficace sur les corps en croissant ; ce fait avait déjà attiré mon attention (Traité des fièvres palustres, p. 201). W. Osler, au début de sa communication, appelle l'attention sur la concordance remarquable qui existe entre les descriptions des auteurs qui ont étudié les hématozoaires du paludisme, et il donne ensuite les résultats de ses dernières recherches. W. Osler a rencontré moins souvent que Councilman les flagella dans le sang des paludiques, mais il n’a pas examiné le sang de la rate, comme l’a fait ce dernier observateur. Il a vu les éléments sphériques, qui se rencontrent le plus souvent accolés à des hématies, se détacher des hématies et devenir libres dans le sang; l'existence d'éléments sphériques à l’état de liberté dans le plasma sanguin est très commune, et c'est là un des faits sur lesquels je me suis appuyé pour soutenir que les corps sphériques étaient accolés aux hématies et non inclus dans ces éléments. Avec Councilman, W. Osler pense que les corps en croissant sont par- ticuliers à la cachexie palustre. W. Osler a fait des recherches sur le sang des oiseaux et des poissons dans le but d’y découvrir des hématozoaires; il a examiné le sang de quarante cinq carpes sans y découvrir aucun de ces parasites. Dans le sang d’une oie qui lui avait été envoyée de Ontario et signalée comme atteinte de paludisme, il a trouvé des corpuscules pigmentés mais en très petit nombre. W. Osler insiste enfin sur le grand parti que la clinique peut tirer de l'examen du sang dans les cas où la nature paludéenne d’une maladie est douteuse. Dans un travail lu à la Société de Pathologie de New-York au mois de janvier 1888 (The microorganisms of malaria. The Medic. Record, 1888, p. 269), le D' James annonce qu'il a constaté l'existence des hématozoaires trente-quatre fois sur trente-cinq paludiques qu'il a eu l’occasion d'exami- ner; il a toujours rencontré les formes segmentées pendant les paroxysmes fébriles et les corps en croissant dans les formes chroniques. Le D' James a examiné le sang d'un grand nombre de malades non entachés de paludisme et il n’a jamais trouvé aucun élément semblable à REVUES ET ANALYSES. 379 ceux qui caractérisent les hématozoairés du paludisme, aussi insiste-t-il sur l'importance considérable de la recherche des hématozoaires au point de vue du diagnostic. Il estime que l'hématozoaire du paludisme est un protozoaire et il rappelle que des parasites semblables ont été observés dans le sang de différents animaux ; d'après lui on trouve dans les plantes inférieures des parasites qui ont de l'analogie avec l'hématozoaire du paludisme : corps amiboïdes, flagellés à une certaine phase de leur développenrent, pigmen- tés par la chlorophylle. Peut-être, ajoute M. le D' James, y a-t-il une rela- tion entre ces parasites des végétaux et les hématozoaires de la malaria, qui, en dehors de l'organisme humain, seraient les parasites d'une plante. Le Dr James admet comme démontrées les propositions suivantes : 1° On trouve d’une facon constante dans le sang des paludiques les élé- ments parasitaires qui ont été décrits sous le nom d'hématozoaires du paludisme. 2 Les corps en croissant ne se rencontrent que dans les formes chro- niques du paludisme. Fe 3° Les formes segmentées s'observent seulement avant et pendant les paroxysmes. 4 Sous l’action de fortes doses de quinine les éléments parasitaires dis- paraissent rapidement du sang, à l'exception des corps en croissant. > Il est possible d’inoculer le paludisme de l’homme à l’homme par des injections intra-veineuses de sang paludique. On voit que Councilman, W. Osler et James sont d'accord pour attribuer spécialement les éléments en croissant aux formes chroniques du paludisme ; cela est conforme à mon observation, en tant que règle générale, mais cette règle comporte quelques exceptions; c’est pour cela que je n’ai pas voulu la formuler d'une facon aussi absolue que le font ces auteurs. Sur 107 cas dans lesquels j'ai noté l'existence des corps en croissant, il s’agis- sait 95 fois de cachexie palustre, ou de fièvre intermittente de récidive, 40 fois d’une fièvre intermittente de première invasion, 2 fois d'accès per- nicieux (Traité des fièvres palustres, p.196. Voir notamment l'observation XXII, p. 255). J'ai signalé aussi ce fait que dans les fièvres palustres de première inva- sion on ne trouve souvent que des éléments sphériques de petit volume (Revue scientifique du 29 avril 1882 et Traité des fièvres palustres, p. 195 et observations XXXI, XXXII, XXXV, XXXVI, XLI et XLIT). Le D' Vandyke Carter a constaté aux Indes l'existence des hématozoaires dans le sang des paludiques.(Note on some aspects and relations of the Blood organisms 1n ague. Scientific. mem. bi med. officiers of the Army of India 1888. Anal. in The Lancet 16 juin 1888 f. 1201.) M. le D' Maurel a résumé des recherches, entreprises depuis plusicurs années, dans uu volume qui a pour titre : Recherches microscopiques sur l'étiologie du paludisme, Paris 1887*, 1. Voyez aussi : Maurel. Contrib. à l’étiologie du paludisme. Arch. de médecine navale 1887 et Communic. au congrés de Toulouse pour l'avancement des sciences 1887. 380 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. M. le Dr Maurel donne d’abord un résumé très complet des recherches antérieures aux siennes, puis il expose les résultats des nombreuses analyses microscopiques qu'il a faites de l'air, de l’eau et du sol dans plusieurs loca- lités marécageuses; deux chapitres sont consacrés à l'examen du sang nor- mal dans les pays chauds et du sang de paludéens. En lisant l’ouvrage, fort intéressant d’ailleurs, de M. Maurel on ne peut pas se défendre de cette idée que l'auteur a adopté un plan beaucoup trop vaste pour ses recherches. Etudier tous les êtres qui fourmillent dans l'air, dans l’eau et dans le sol des localités marécageuses et rechercher dans e€ microcosme le parasite du paludisme, ce n’est pas là une entreprise facile » il est bien plus simple d'étudier ce parasite dans le sang des paludiques et de le rechercher ensuite dans le monde extérieur. A la vérité, M. le Dr Maurel n'a pas négligé l'étude du seng des paludiques, mais son atten- tion s’est portée principalement sur l'analyse de l’air, de l’eau et du sol. M. le D' Maurel, auquel j'ai eu le plaisir de montrer les principales formes des hématozoaires du paludisme dans le sang d'un malade en trai- tement au Val-de-Grâce (Maurel, op. cit., p. 195 et 200), déclare à la fin de son ouvrage qu'il est aujourd’hui convaincu de l'existence de ces parasites, il exprime toutefois quelques doutes sur ia relation de cause à effet qui existe entre les hématozoaireset le paludisme, etil cite l’exemple des anguil- lules dont la présence a été souvent constatée chez les malades atteints de diarrhée de Cochinchine sans que leur rôle pathogénique dans cette affec- tion soit bien établi. Si l'importance des anguillules stercorales et intestinales a été contestée dans la pathogénie de la diarrhée de Cochinchine, c’est que ces parasites ont été trouvés chez des sujets qui n'étaient pas atteints de cette maladie et que d'autre part leur présence n’est pas constante dans la diarrhée de Cochinchine. Les hématozoaires que j'ai décrits chez les paludiques ne sont pas passibles des mêmes objections; jamais ces parasites n'ont été rencontrés dans le sang d'individus sains ou atteints de maladies autres que le paludisme, et leur présence est constante dans le sang des paludi- ques; la mélanémie, qui de l’avis de tous les auteurs est la lésion carac- téristique du paludisme, se rattache intimement à la présence de ces para- sites dans le sang. Enfin en transfusant à un individu sain une petite quantité de sang recueilli sur un paludique et renfermant des éléments parasitaires, on provoque chez l'individu sain l'apparition des accidents caractéristiques du paludisme. Dans les dernières pages de son livre, M. le D' Maurel décrit et figure (p. 202-204) des organismes munis de flagella qu'il a trouvés dans une infusion végétale et qui lui paraissent avoir une grande analogie avec les hématozoaires du paludisme. Si l’on considère que cette observation a été faite sur une infusion végétale ordinaire, ne provenant pas d’une localité palustre, et que d'autre part les organismes décrits par M. Maurel diffèrent sensiblement de ceux qui existent dans le sang des paludiques (il faut noter, par exemple, que les flagella des organismes décrits par M. Maurel ne semblent pas pouvoir devenir indépendants), on est obligé de reconnaître que l'assimilation REVUES ET ANALYSES. 381 de ces éléments aux hématozoaires du paludisme est un peu hasardée. Dès le début de mes recherches sur les hématozoaires du paludisme, je me suis efforcé de retrouver dans l’eau et dans le sol des localités palustres les formes sous lesquelles ces parasites existent dans le milieu extérieur. J'ai fait ces recherches en Algérie, dans des localités et à des époques où la malaria règne avec intensité, et j'ai constaté plusieurs fois dans l’eau des marais la présence des organismes suivants : 1° Flagella libres présentant à peu près le même aspect et les mêmes dimensions que ceux du sang des paladiques et animés de mouvements semblables. 2 Organismes doués de mouvements amiboïdes munis d’un ou de plusieurs flagella, semblables aux corps sphériques munis de flagella du sang des paludiques, à cela près que la disposition des flagella était plus régulière dans les organismes trouvés dans l’eau et qu'on ne voyait pas les flagella se détacher. Ces organismes n'étaient pas pigmentés, mais les hé- matozoaires du paludisme empruntant probablement leur pigment aux hématies, il ne faut pas s'attendre à les trouver pigmentés quand ils vivent en dehors de l'organisme. Malgré l’analogie très grande qui existait entre les flagella trouvés dans l’eau des marais, notamment dans les flaques d’eau du Rummel à Cons- tantine (Traité des fièvres palustres, p. 457) et les flagella du sang paludi- que, il m'est resté quelques doutes sur l'identité de ces organismes. Danilewsky a continué ses très intéressants travaux sur les hématozoaires de différentes espèces animales (Archives slaves de biologie 1886-1887), re- cherches qui éclairent d'un jour tout nouveau l’histoire des hématozoaires du paludisme. Dans un ouvrage tout récent publié en langue russe sous ce titre : Recherches sur la parasitologie comparée du sang. Zooparusites du sang des oiseaux. Karkoff, 1888 ‘, Danilewsky a repris et complété sur plusieurs points l'histoire des hématozoaires des oiseaux, et il a insisté longuement sur les ressemblances nombreuses qui existent entre certaines formes des héma- tozoaires des oiseaux et les hématozoaires du paludisme ; ces ressemblances s'imposent d'ailleurs, comme le lecteur pourra s'en convaincre, en compa- rant les dessins de Danilewsky, dont quelques-uns sont reproduits à la planche X, et les dessins que j'ai donnés des hématozoaires du paludisme (voir notam- ment dans ces Annules, p. 268, 269, 270 du tome [er). Danilewsky à trouvé dans le sang de différentes espèces d'oiseaux des parasites qu'il décrit sous les noms suivants : pseudovermicules, pseudovu- cuoles, polimitus sunguinis uvium, pseudospirilles et trypunosoma. Les quatre premières de ces formes correspondent aux différents états d’un parasite polymorphe très voisin des hématozoaires du paludisme, Les pseudovermi- cules (pl. X, fig. 1-5) sont représentés dans le sang des paludiques par les corps en croissant ; les pseudovacuoles ou hémocytozoon (fig, 6-10), par les 1. M. le Dr de Maximowitch, médecin principal de l’armée russe, a bien voulu me traduire les principaux chapitres de cet ouvrage, je lui en exprime ici toute ma reconnaissance, 382 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. éléments sphériques libres ou accolés aux hématies; les polimitus (fig. 1#- 27), par ces mêmes éléments arrivés à leur entier développement et munis de flagella; les pseudospirilles (fig. 28), par les flagella devenus libres. Les pseudovacuoles où hémocytozoon du sang des oiseaux se présentent sous les mêmes aspects que les éléments sphériques du sang des paludiques accolés à des hématies, à ceci près que la constitution des corpuseules du sang est très différente dans les deux cas. Danilewsky et Metschnikoff repoussent la dénomination de plasmodes qui a été proposée pour désigner ces corpuseules parasitaires des hématies. Le polimitus représente la forme la plus intéressante des hématozoaires des oiseaux : il a été découvert en 188% par Danilewsky dans le sang des oiseaux; son aspect est celui d'un véritable infusoire (Gg. 16, 17,48); le poli- mitus sanguinis avium a été trouvé notamment dans le sang du hibou et de la pie. Le polimitus se développe dans les hématies; sa forme est sphérique; à l'intérieur se meuvent des flagella ou filaments mobiles qui impriment des mouvements au polimitus et qui le déforment; au bout d’un certain temps la capsule s'ouvre et les flagella s’échappent en présentant des mouvements énergiques. Le mot polimitus a été imaginé pour exprimer la vivacité des mouvements des flagella ‘. Le polimitus des oiseaux excapsulé (sorti de l'hématie dans laquelle il s’est développé) présente en moyenne 6 &. de diamètre, il atteint quelque- fois 42 et jusqu'à 45 uw. de diamètre. D'après Danilewsky le polimitus des oiseaux se développe toujours dans les hématies, et le polimitus libre dans le plasma est une exception rare. Le refroidissement que subit le sang lorsqu'il est extrait des vaisseaux pour être soumis à l'examen histologique favoriserait l’'excapsulation. Si l’on chauffe le sang à 40° on n'observe pas de polimitus libres, tandis que dans des préparations semblables, mais refroidies à 25° on en rencontre beaucoup. Danilewsky pense qu'il en est de même pour les hématozoaires du palu- disme et que c’est sous l'influence du refroidissement du sang que les flagella deviennent libres; à l'appui de cette opinion, il rappelle que dans une préparation histologique de sang paludique, il est bien plus facile d’ob- server les flagella au bout de quinze à vingt minutes que dans les premiers instants de l’examen. En signalant ce fait, je lui ai donné une autre interprétation que celle qui est proposée par Danilewsky; dans une préparation de sang paludique qui vient d'être faite, les hématies sont accolées, empilées, elles se présentent souvent par la tranche et les hématozoaires se cachent plus facilement au milieu des piles de globules; au bout de quelques minutes les hématies se séparent, se mettent à plat, pour peu que la préparation soit suffisamment mince, et il est alors beaucoup plus facile d'observer les éléments parasi- taires; je pense aussi que si les mouvements des flagella ne s’observent pas en général dans les premiers instants de l'examen, c'est qu'ils s'arrêtent sous l'influence du refroidissement que subit le sang à sa sortie des vais- 1. De rov, beaucoup, et pitéw, faire vibrer. REVUES ET ANALYSES. 383 seaux; il m'est arrivé quelquefois d'observer les mouvements des flagella dans les premiers instants de l'examen, et cela surtout lorsque la tempé- rature extérieure était très élevée (aux environs de 30° à 35°) et que le sang se refroidissait peu. Cette remarque n'est pas d'accord avec l'interprétation proposée par Danilewsky. Il n’est pas exact non plus de dire, au moins en ce qui concerne les hématozoaires du paludisme, que l’excapsulation est: exceptionnelle; il est au contraire très commun de trouver des éléments parasitaires à l’état de liberté dans le sang, principalement les corps sphé- riques qui représentent dans le sang des paludiques les pseudovacuoles ou hémocytozoon du sang des oiseaux; c’est là une des raisons qui m'ont fait admettre que ces organismes étaient simplement accolés aux hématies et non inclus dans ces éléments. Le développement des polimitus dans le sang des oiseaux entraîne sou- vent des troubles morbides, surtout lorsque ces parasites existent en grand nombre; on observe dé la mélanémie comme chez les paludiques. Les pseudospirilles ne sont autres que les flagella des polimitus devenus libres, ils correspondent aux flagella ou filaments mobiles des hématozoaires du paludisme; Danilewsky compare les mouvements de ces pseudospirilles à ceux des spwochæte, mais il déclare en même temps que la genèse de ces éléments les éloigne beaucoup des spirilles. Danilewsky n’a pas réussi à cultiver ces éléments, et il pense qu'ils ne peuvent pas se multiplier directement, à l'état libre. La structure protoplasmique des flagella explique la formation des ren- flements qui a été notée sur les pseudospirilles des oiseaux comme sur les flagella du sang des paludiques. Danilewsky pense que le polimitus des oiseaux est identique aux héma- tozoaires du paludisme. Nous avons vu que la présence de polimitus en grand nombre dans le sang des oiseaux pouvait déterminer des troubles morbides et donner lieu à la mélanémie, mais ces accidents sont bien loin d’être constants chez les oiseaux dont le sang renferme ces parasites ; peut- être se produit-il une accoutumance pour ces parasites, peut-être aussi la température du sang des oiseaux, notablement plus élevée que celle du sang de l’homme, modifie-t-elle les conditions d'existence de ces parasites; Dani - lewsky rappelle à ce propos la célèbre expérience de Pasteur qui démontre qu’en refroidissant une poule, on la rend susceptible de contracter la maladie charbonneuse. Le polimitus de Danilewsky appartient évidemment à une espèce très voisine de celle des hématozoaires du paludisme, mais l'identité de ces parasites ne me paraît pas démontrée; les pseudovermicules ne rappellent que vaguement les corps en croissant, les hémocytozoon se rapprochent de très près des éléments sphériques du sang des paludiqnes, mais ces derniers éléments sont assez souvent à l’état de liberté dans le plasma, tandis que les hémocytozoon sont toujours inclus dans les hématies, enfin les mouve- ments des flagella des hématozoaires du paludisme, sont beaucoup plus compliqués que ceux des spirilles. Il y aurait lieu d'injecter du sang de paludique à des oiseaux appartenant aux espèces chez lesquelles on a observé le polimitus et de voir si les hématozoaires du paludisme sont susceptibles 384 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. de se développer dans le sang de ces animaux. Si, comme le pense Dani- lewsky, le polimitus des oiseaux est identique au parasite du paludisme, il paraît évident que du sang de paludique renfermant des hématozoaires doit, quand on le transfuse à des oiseaux, donner lieu chez eux au développe- ment du polimitus. L'hémocytozoon du sang de la tortue découvert par Danilewsky présente aussi une grande analogie avec certaines formes des hématozoaires du palu- disme. (Danilewsky. Les hématozouires des tortues. Archives slaves de biolo- gie, 1887, t. IL planche I.) Metschnikoff, qui a constaté l'existence des hématozoaires dans le sang des paludiques (Russkaia med., 1887, ne 12), a insisté sur le rôle des leucocytes dans la destruction deces parasites (Annales de l’Institut Pasteur 1887, p.321) ; la théorie des phagocytes trouve en effet dans l’histoire des hématozoaires du paludisme une application importante. Ge rôle des leucocytes ne m'avait pas échappé. J'ai constaté que les éléments parasitaires s'accolaient sou- vent aux leucocytes (Traité des fièvres palustres, p. 180), et j'ai expliqué la disparition des éléments parasitaires du sang, après les paroxysmes fébriles, par la suractivité des leucocytes pendant la fièvre. « On sait que sous l’in- fluence de la chaleur artificielle les leucocytes acquièrent une activité très grande ; les mouvements amiboïdes s'exagèrent, etsi on met au contact des leucocytes des grains pigmentés, on constate qu’ils s’en emparent et les englobent très rapidement. La chaleur fébrile agit certainement comme la chaleur artificielle dans cette expérience; chez le fébricitant, l’activité des leucocytes s'exagère, et les éléments parasitaires deviennent plus facilement leur proie que chez l'individu dont la température est normale. » (Traité des fièvres palustres, p. 479.) Une autre explication de la disparition des hématozoaires après les paroxysmes et de l’intermittence a été proposée par MM. Roux et Cham- berland à la fin du travail dans lequel ils ont exposé leurs très intéres- santes recherches sur l’immunilé contre la seplicémie conférée par des substan- ces solubles (Annales de l'institut Pasteur, 4887, p. 572) : « L’explication de l'intermittence ne serait-elle pas en partie dans la présence dans les tissus, à la suite de chaque culture abondante (as“cès), de substances élaborées par le parasite et qui, par leur accumulation entravent son développement. » Dans une publication récente (Archives italiennes de biologie, 1885) MM. Marchiafava et Celli s'efforcent de démontrer que les éléments amiboïdes souvent pigmentés dont il est fait mention, notamment dans leur dernier mémoire (Atti della R. accad. méd. di Roma, 1887 et Archives Italiennes de biologie, 1888), ne sont pas les mêmes éléments que ceux qui ont été déerits par moi sous les noms de corps no 2 et d'éléments sphériques doués de mouvements amiboides. C'est nier l'évidence ‘. MM. Marchiafava et CGelli ont étudié avec soin les formes les plus petites de ces éléments auxquelles 1. Voir notamment les figures 1 et 6 du travail publié l’an dernier dans ces Annales et comparer les éléments À, B et C, de MM. Marchiafava et Celli aux éléments représentés dans la figure 1 (Annales de l'Institut Pasteur 1887, p. 268 et 276). | REVUES ET ANALYSES. 389 ils ont donné le nom impropre de plasmodes ; à cela s'est borné leur rôle ; rôle utile assurément, mais modeste, et dont ils cherchent à tort à exagérer l'importance; leurs surprenantes revendications n’en imposeront à personne. MM. Marchiafava et Celli, qui ont contesté pendant longtemps l'existence dans le sang des paludiques des éléments que j'ai décrits sous le nom de filaments mobiles ou de flagella, veulent bien reconnaître aujourd'hui que ces éléments existent, mais ils arguent de leur rareté dans le sang pour essayer de diminuer leur importance. Lesflagella ne sont pas aussi rares que voudraient lefaire croire les auteurs italiens et, d'autre part, il est bien certain que ces éléments représentent la forme la pluscaractéristique parmi celles que peuvent prendre les hématozoai- res du paludisme.Toutes les fois que j'ai cherché à montrer à des confrères les hématozoaires du paludisme, j'ai constaté ceci: l'examen des formes sphériques ou en croissant laissait quelques doutes dans l'esprit des observa- teurs qui n'avaient pas pu, par des recherches multipliées sur le sang des pa- ludiques, se rendre compte de Ja fréquence et de la spécificité de ces éléments, mais si j'étais assez heureux pour trouver dans la préparation quelques flagella en mouvement, aussitôt leur conviction était faite, ils ne mettaient plus en doute la nature parasitaire de ces éléments. On a vu plus haut que les recherches de Couneilman confirmaient les miennes en ce qui regarde l'importance des flagella. É MM. Cattaneo et Monti ont constaié à Pavie l'existence des hématozoaires dans le sang des paludiques; je reviendrai plus loin sur le mémoire très inté- ressant qui a été publié par ces observateurs, mémoire qui est consacré à la critique et à la réfutation des opinions émises par Mosso. Les travaux dans lesquels l'existence des hématozoaires du paludisme est contestée deviennent de plus en plus rares. Klebs et Tommasi Crudeli défendent encore les bacilles qu'ils ont décrits comme étant les véritables parasites du paludisme (voir notamment Klebs, Die allgemeine Pathologie, 4"° p., Iëna, 1887), mais ils ne fournissent aucun argument nouveau en faveur du bucillus maluriæ. Un auteur italien résume ainsi qu'il suit, dans une revue récente sur les parasites du paludisme, l'his- toire du bacille décrit par Klebs et Tommasi-Crudeli : « Depuis le moment où il a été découvert, Le bacillus malariæ a été toujours en perdant du terrain au point qu'aujourd'hui il est presque complètement abandonné. » (U. Arcan- geli: Les Recherches modernes au sujet de l'agent de l'infection malurique, Rivista clinica, n° 1, 1887.) Je crois inutile de revenir,sur la critique déjà faite des recherches de MM. Klebs et Tommasi-Crudeli; j'ai peu d'espoir de convaincre ces observa- teurs que le bacillus mulariæ n'existe pas, 11 me suffit de constater que déjà, malgré l'autorité de leurs noms et la notoriété de leurs travaux, ils sont presque seuls à le défendre. Mosso a publié en 1887 (Archives de Virchow, n° d'août 1887, p. 205 et Rend. della Accad. dei Lincei, vol. 3, fase. 7 et 8) des expériences qui ten- draient à démontrer que dans certaines conditions les hématies subissent 386 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. des altérations qui leur donnent l'aspect des éléments décrits sous le nom d'hématozoaires du paludisme. D’après cet observateur, si l'on injecte du sang de chien dans la cavité péritonéale d’un oiseau, trois ou quatre jours après l'injection, le sang altéré renferme des éléments semblables à ceux qui ont été décrits dans le sang des paludiques et dans les différentes formes d'anémies. Le Dr Maragliano va plus loin encore; il prétend qu'on obtient des formes semblables à celles décrites dans le sang des paludiques en soumet- tant le sang normal à différents réactifs, et même en l’abandonnant à lui- même dans une préparation bordée à la paraffine! (Reale Accad. med. di Genova, 21 juin 1887.) Ces assertions ont été reconnues inexactes par tous les observateurs qui ont cherché à les contrôler. Mosso et Maragliano n'ont certainement pas étudié avec soin, dans le sang des paludiques, les éléments dont ils parlent bien légèrement; s'ils avaient fait cette étude ils ne se seraient pas laissé prendre aux ressemblances grossières qui existent parfois entre les héma- ties altérées et certaines formes des hématozoaires du paludisme. Je me suis souvent placé pour l'observation du sang dans les conditions indiquées par Maragliano, et je puis affirmer que dans ces conditions on ne voit jamais, s’il s’agit du sang d’un individu indemne de paludisme, se produire aucun des éléments caractéristiques des hématozoaires du paludisme. Les Drs Cattaneo et A. Monti ont fait des recherches au laboratoire de pathologie générale et d'histologie de Pavie pour contrôler les assertions de Mosso et de Maragliano (A. Cattaneo et A. Monti, Altérations dégénéra- tives des globules rouges du sang et altérations des mêmes éléments produites par le paludisme, Archivio per le scienxe mediche, vol. XIE, n° 6). MM. Cattaneo et Monti ont injecté dix-huit fois du sang de chien dans le péritoine d'oiseaux (poulets et pigeons), d’après la méthode de Mosso, et ils ont examiné le contenu du péritoine a des époques variant du 4 au 15e jour après l'opération. Le sang injecté se divise en une partie liquide et un coagulum; la partie liquide diminue et le coagulum devient plus consistant à mesure qu'on s'éloigne du moment où l'injection a été faite. MM. Cattaneo et Monti ont trouvé les éléments suivants dans la partie liquide ou dans le coagulum du sang injecté : 4° Des globules rouges d'oiseau plus ou moins altérés. 2° Des globules blanes normaux. 3° Des globules blancs altérés, granuleux, présentant à un degré plus ou moins avancé la dégénérescence granulo-graisseuse qu'on observe dans le pus. 4° Des globules rouges du chien avec les aspects suivants : a) Globules normaux dont le nombre va rapidement en diminuant, b) Globules rouges mûriformes. c) Globules rouges présentant des espaces clairs de forme et de dimen- sions variables. - d) Globules profondément déformés présentant des prolongements qui d’ailleurs n’ont aucune analogie avec les flagella du sang des paludiques. e) Enfin des globules décolorés. REVUES ET ANALYSES. 387 à Des cellules globulifères et pigmentifères analogues à celles qui ont été décrites par Bizzozero dans la moelle des os; il est bien probable que les plus grandes de ces cellules dérivent de l’endothélium péritonéal; en tous cas elles n'ont aucun rapport avec les éléments parasitaires du sang des paludiques. MM. Cattaneo et A. Monti sont arrivés à cette conclusion que les élé- ments du sang en voie d'altération observés par Mosso et par Maragliano n'ont aucun rapport avec les éléments parasitaires si caractéristiques qui se rencontrent dans le sang des paludiques. Ces observateurs ont reproduit dans les planches jointes à leur travail les différents aspects que prennent les globules rouges et blanes altérés dans l'expérience de Mosso, et il suffit d'un coup d'œil jeté sur ces figures (op. cit., fig. 1 à 32) pour s'assurer qu'il ne s'agit pas des hématozoaires du paludisme. MM. Marchiafava et Celli ont constaté également l'inexactitude des asser- tions de Mosso (Bollett. della R. Accad, med. di Romu, Anno XII, fasc. 7). EXPLICATION DE LA PLANCHE (Figures empruntées à Danilewsky. Recherches sur la parasitologie com- parée du sang. Kharkoff 1888). : is, 4 à 5. Pseudovermicules. Fig. 6, 7,8, 10. Diverses formes des pseudovacuoles (état embryonnaire), Fig. 9. Isolement artificiel du eytozoon de l'hématie après l'action de l'acide osmique. Fig. 11. Grand cytozoon avecle résidu de l'hématie (m). * Fig. 42. b. Un cytozoon libre qui se rompt et de l'intérieur duquel s'échappent des corpuscules spirilliformes très mobiles. c. d-e. un de ces corpuscules vu à un fort grossissement. Fig. 13. Cytozoon (a) qui se rompt (b). Même phénomène que celui indiqué dans la figure 12. Fig. 14. Cytozoon dans une hématie: après 3 à 5 minutes l'hémoglo- bine de l'hématie a disparu, on voit le cytozoon b avec le résidu de l'hé- matie, # nucléus; après 2 à 3 minutes le cytozoon se transforme en héma- tozoaire (c) avec des flagella très mobiles (polimitus de Danilewsky). Fig. 145. a, cytozoon qui se transforme en polimitus (b); n nueléus de Phématie atrophiée. Fig. 16 à 27. Polimitus, leurs modifications et leurs changements mor- phologiques; l'hématozoaire perd peu à peu ses flagella (fig. 21, 23). Fig. 28. Pseudospirilles du sang ou autrement dit, flagella du polimitus devenus libres. À. LAVERAN. SALMONX. — Mémoires sur le Choléra Hog (choléra des porcs). Reports of the commissioner of Agriculture, 1885 et 1886. Les travaux de M. Salmon sur le choléra des pores ne sont guère conmus en France, et ne semblent pas l'être beaucoup mieux du public européen, Il y a à cela deux raisons. La première est qu'ils ont été publiés dans un 388 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. recueil officiel, qu'on ne trouve pas dans le commerce, et dont les exem- plaires qui viennent en Europe vont en grande partie s'enfouir dans le tombeau des archives des ministères, ou dans ces grandes nécropoles, hos- tiles aux visiteurs, que nous nommons en France des bibliothèques publiques. L'autre raison, plus personnelle à l’auteur, est qu'ils procèdent un peu trop de cette méthode d'exposition qui consiste à verser sur la tête du lecteur le contenu tout entier de son cahier d'expériences, en lui laissant à faire son choix parmi les matériaux qui lui arrivent ainsi sans ordre et sans mesure, Le plus souvent, ce lecteur n’a rien de plus pressé que de se secouer et de s’enfuir, et on ne saurait lui en faire un crime. Pourquoi s'imposerait-il une peine que l’auteur ne s'est pas donnée? et ce choix qu’on lui demande de faire, qui, mieux que l’auteur, est en situation de le faire avec compé- tence ? Je sais bien qu'on dit quelquefois: « Mais si l’auteur fait un choix, s’il intervient dans le procès et en supprime quelques pièces, c'est notre liberté de jugement qui en souffre. » On reconnaît là la vieille querelle entre l'histoire et les recueils de documents ou d'archives, mais elle est portée ici sur un terrain où elle est facile à vider. L'histoire n’est pas absolument obligée de conclure. La science y est absolument tenue. Un mémoire qui serait un simple recueil d'expériences sans conclusion ne serait pas un mémoire scientifique, puisqu'il laisserait dans l'ombre le seul point qu'il ait mission d'éclairer, le déterminisme scientifique des faits qu'il énumère. Ceci est tellement vrai qu'on peut juger de la valeur d’un travail par le degré de concision des propositions qui le résument. Un mémoire qui tiendrait en trois mots serait par cela seul un bon mémoire. M. Salmon eût été d'autant mieux inspiré de coordonner un peu mieûx et de réduire son exposé que cela lui eut été très facile. C'est en effet un bon travail que le sien, et quand on à pris la peine de le lire, on s’apercoit que, réduit à ses éléments essentiels, il laisse l'impression d'une question bien étudiée. C'est ce que je voudrais montrer en le résumant. Je passerai rapi- dement sur les faits acquis, qui ne semblent pas devoir, au moins pour le moment, devenir matière à controverse, et j'insisterai seulement sur les points discutables, qui ne sont pas, on le verra, parmi les moins intéressants. La maladie étudiée par M. Salmon a été appelée par lui peste porcine (swine plague) dans son premier mémoire, choléra des pores (choléra hog) dans le second. Cette dernière appellation prête moins à la confusion que l'autre, et nous la conserverons. C’est une maladie qui présente le carac- tère infectieux et épidémique, et subit en outre de grandes variations de virulence, qui se manifestent à la fois dansle nombre des animaux atteints dans un temps donné, et dans la rapidité plus ou moins grande avec laquelle ils succombent. Quand le virus est atiénué, il produit une mala- die chronique, caractérisée par une diarrhée incoercible accompagnée de faiblesse et d’inappétence, et, à l’autopsie, par des ulcérations de la membrane muqueuse du gros intestin, mais l’animal peut vivre pendant un mois ou davantage. Quand la virulence est grande, l’évolution est plus rapide, la diarrhée devient sanguinolente, les lésions internes prennent le caractère hémorragique, et embrassent la presque totalité des organes vitaux. REVUES ET ANALYSES. 389 On trouve, en effet, des extravasations sanguines au-dessous de la séreuse dans le gros intestin, à la surface et sur les bords de la rate qui est noire et tuméfiée, sur la portion corticale et dans l'intérieur du rein, à la surface des oreillettes du cœur, plus rarement sur les ventricules. En revanche, les poumons sont souvent intacts, aussi bien dans les cas chro- niques que dans les cas aigus accompagnés de larges ulcérations intesti- nales. Parfois, pourtant, dans les périodes avancées de la maladie chro- nique, on trouve les poumons légèrement hépatisés. Nous aurons bientôt à nous rappeler ce fait. Tous les ganglions sont gorgés de sang, mais c’est surtout le canal intestinal qui présente de graves lésions. La partie déclive de l'estomac est rougie ou noircie par des extravasations sanguines. Le duodénum et le jéjunum sont peu atteints, l'iléon est moins indemne, mais, au delà de la valvule iléo-cœcale, la muqueuse devient rouge, injectée, couverte de gru- meaux noirâtres, qu'entoure une zone de tissu jaunâtre et nécrosé formant quelquefois des ulcères d’un pouce de diamètre. L'examen microscopique et bactériologique du sang et des organes dans les cas chroniques est presque toujours négatif ou douteux, mais dans les cas aigus, on trouve à peu près partout chez l'animal, et surtout dans la rate, un petit bacille ayant la forme d’un ovale allongé qui se colore facile- ment par les dissolutions aqueuses de violet de méthyle. Le centre est tou- jours un peu plus pâle que le contour, mais la couleur n’est pourtant pas localisée aux deux pôles de l’ovale, comme dans d’autres microbes. La longueur, un peu variable suivant les milieux, est d'environ 4,2 & à 1,5 y. Sa largeur est de 0,6 y. Ce bacille est mobile, ce qui le différencie de suite de celui du rouget et de ceux d'un certain nombre d'autres maladies du porc que leurs carac- téres nosologiques pourraient permettre de confondre avec le choléra hog. Il se développe assez péniblement sur la gélatine qu'il ne liquéfie pas. Après quarante-huit heures, il forme à la surface des plaques des colonies visibles à la loupe, d'aspect pâle, à bords nettement définis, mais irréguliers, et avec une légère saillie vers le centre. Dans des tubes à gélatine ensemencés par piqûre, il donne de petites colonies qui n’atteignent jamais, même là où elles sont le plus écartées, la grosseur d'une tête d'épingle. Les cultures en milieux liquides lui conviennent mieux, Il se multiplie très vite dans les bouillons ordinaires additionnés ou non de peptene; il préfère qu'ils soient neutres, mais s’en contente même lorsqu'ils sont légè- rement acides. Dans le lait, il se développe sans y amener aucun change- ment apparent. Il se multiplie même dans l’eau. Sur la pomme de terre, il donne un enduit qui est d’abord de couleur chocolat, et qui finit par se foncer en recouvrant presque toute la surface. Un des côtés les plus intéressants de son histoire est son degré de résis- tance à l’action de la chaleur. Exposé 15 ou 20 minutes à 58°, dans un liquide nutritif peptonisé, et sans doute neutre, car l’auteur n'indique pas ce point, il laisse l'infusion stérile. Ceci a lieu quel que soit l’âge de la culture à laquelle on a emprunté la semence. M. Salmon paraît disposé à conclure de cette faible résistance que le microbe ne donne pas de spores, 25 390 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. au moins dans les conditions dans lesquelles il s’est placé. L'observation microscopique confirme cette conclusion en ne montrant dans aucune cir- constance rien qui ressemble à une spore. Cette absence a été relevée sur des microbes analogues, et nous aurons bientôt à revenir sur ce fait. Relativement à la résistance à la dessiccation, les résultats sont moins précise Les limites de résistance trouvées ont varié de 10 jours à 2 mois. Ces variations sont peut-être dues à des différences dans la vitalité des cultures où dans la nature des milieux d'ensemencement, peut-être aussi à des différences dans l'intensité de la lumière qui tombait sur les semences desséchées. Comme l’auteur ne parle pas du tout de ce qu’il a fait à ce propos, on est autorisé à croire qu'il a méconnu cette influence. Enfin, je passe brièvement sur les résultats relatifs à la résistance aux antiseptiques, parce que les expériences de M.'Salmon, faites surtout en vue de découvrir un moyen pratique de désinfection, ont, comme beaucoup d’autres expériences sur les antiseptiques, un caractère contingent qui nous dispense de nous y arrêter. Disons pourtant que les agents qu'il a trouvés les plus efficaces, parmi ceux dont l'emploi peut être recommandé dans les porcheries, sont l'acide phénique, l'acide sulfurique et le sulfate de cuivre. D'une manière générale, la bactérie est peu résistante, et M. Salmon tire de ce fait un nouvel argument contre l'existence de spores. Nous arrivons maintenant à l'étude de son action sur les animaux. Sur ce point, les expériences de M. Salmon ont été très variées, très multipliées, et méritent d'être étudiées de près. La souris inoculée avee une culture meurt toujours avec une légère réaction locale au point d’inoculation, où les tissus ont pâli et sont devenus mous et friables. L’autopsie révèle le gonfle- ment de la rate, et quelquefois une congestion intense dans le tissu médul- laire du rein et dans les poumons. Dans presque tous les cas, on retrouve la bactérie dans la rate, le foie, les reins, le sang du cœur et les poumons. On peut aussi faire périr les souris en leur servant à plusieurs reprises des repas infectés avec le bacille, qu'on peut emprunter pour cela soit à des cultures, soit à des fragments d'animaux qu'il a tués. On relève alors des symptômes morbides qui semblent tenir à l'absorption d’une ptomaine. Les animaux ont l'air endormis. La mort survient avec des troubles dans le foie et le poumon, qui subit quelquefois une nécrose de coagulation. L'au- teur ne signale rien de particnlier du côté du canal digestif. L'’unique lapin que M. Salmon ait soumis à l'expérience est mort quatre jours après l’inoculation d'une culture pure, avec congestion de la rate, hémorragies de l'estomac, et présence du bacille dans tous les organes. Les cochons d'Inde sont très sensibles. Inoculés avec une dose infinitési- male d’une culture, ils meurent en 8 à 10 jours, et plus tôt si la dose a été plus considérable. Les tissus subissent une nécrose au point d’inoculation. Les poumons sont congestionnés. Le foie et la rate sont remplis de bacilles. Il y en à moins dans les reins et les poumons, et encore moins dans le sang du cœur. Le pigeon est moins susceptible. Quand on inocule dans les pectoraux des doses de culture inférieures à 0°°,75, l'animal présente quelques-uns des symptômes morbides du choléra des poules. fl reste immobile, les plumes REVUES ET ANALYSES. 391 hérissées. IT n'a pourtant pas de somnolence, mais le muscle inoculé pré- sente les caractères qu'il a dans le cas du choléra des poules, depuis la rou- geur initiale jusqu’au séquestre terminal. L'animal se rétablit le plus souvent, mais il meurt sûrement si on a élevé la dose. Les désordres inté- rieurs ne sont pas constants : on a cependant relevé dans un cas une ulcé- ration et un épaississement très marqués de la partie inférieure du gros intestin. La contagion n'a pas lieu par le canal digestif. « Le pigeon semble être sur la ligne marginale de la susceptibilité. Quatre poules se sont mon- trées réfractaires, l'injection des cultures n'étant suivie chez elles que d’une légère réaction locale. » « Sur deux moutons et un veau, l'injection de cultures pures a donné un abtès au point d’inoculation, avec une élévation de température. » Le pore est évidemment le terrain d'élection du microbe et mérite de nous arrêter davantage. Il n’est pourtant pas très sensible à l'inoculation. Dans une nombreuse série d'expériences faites en 1886 pour essayer de trouver un vaccin, et dans lesquelles on faisait deux injections sous-cuta- nées, l’une avec une dose faible d’une culture virulente, l’autre avec une dose plus forte, cinq animaux seulement ont succombé à l’inoculation. Il est vrai que l’année précédente, des animaux inoculés aussi avec des cultures pures étaient tous morts. Il y a là une différence sur laquelle on peut reprocher à M. Salmon de n'avoir pas assez insisté, Il semble, à lire le résumé de ses expériences, qu'il ait été à plusieurs reprises sur la voie qui mène à des virus atténués et par là à la vaccination, et qu'il ait renoncé à la suivre. Mais nous retrouverons bientôt cette face de la question. Pour le moment, contentons-nous de savoir que l’inoculation de cultures du bacille est rarement mortelle. L’inoculation du sang d’un animal mort du choléra semble l'être davantage. Quand la mort survient, on relève des symptômes voisins de ceux que donne l'infection par le canal digestif, à laquelle nous arrivons maintenant. Par cette voie, les liquides de culture se montrent moins actifs en moyenne que les viscères d'animaux morts, dont l’ingestion tue environ 90 pour cent des animaux qui s’en nourrissent, avec les formes les plus graves du choléra, et des lésions qui sont tout à fait celles de la maladie naturelle. Ces lésions appartiennent en général à deux types. Dans l’un, elles sont limitées au canal intestinal, embrassant l'estomac, le gros intestin, souvent l’iléon, plus rarement le jéjunum. C'est une nécrose plus ou moins complète de la muqueuse du côlon, avec rougeurs intenses du fond de l'estomac. Les organes internes sont faiblement atteints, il y a peu ou pas d'hémorragies, et la bactérie est tellement rare dans la rate et dans les autres organes, qu'on ne peut l'y déceler que par la méthode des cultures. Dans l’autre type morbide, on trouve au contraire des lésions hémorragi- ques dans les organes internes, foie, reins, ganglions lymphatiques, pou- mons, et généralement dans toutes les séreuses. En outre, il peut y avoir congestion de la membrane muqueuse de l'estomac et des intestins, et des lésions hémorragiques au-dessous de la muqueuse. Dans ces cas, la rate et le sang contiennent de grandes quantités de bacilles. Dans les deux types, la maladie se termine fatalement par la mort au bout 392 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. di d'une période de 6 à 15 jours, et toutes ces ressemblances avec la maladie naturelle nous autorisent à croire que c'est par la voie du canal digestif que se fait surtout l'infection, quand la maladie éclate avec violence dans les étables. Les conditions ordinaires de l'alimentation des pores sont en effet très favorables à ce mode de contagion. D'après Salmon, la transmis- sion par l'air semble ne jouer aucun rôle. Du moins deux porcs, soumis pendant une demi-heure à la pulvérisation de 10° d’une culture du bacille dilués dans 40°° d’eau, n’ont paru en ressentir aucune influence, et l'un d’eux est mort quelques mois après à la suite d’un repas de matières infec- tieuses. Mais cette conclusion n'est valable que pour des germes humides, et pour les conditions assez imparfaites des expériences, elle ne l’est pas pour des germes secs ou plus finement pulvérisés, Nous n'avons pas signalé, dans ce qui précéde, de désordres particuliers du côté du poumon. « Dans beaucoup de cas de choléra, présentant de larges ulcérations intestinales, on trouve les poumons normaux. D'un autre côté, des cas d'un type hémorragique aigu produits par des repas infectieux ou des inoculations sous-cutanées, présentent parfois, dans le tissu du poumon, de petits foyers hémorragiques embrassant un certain nombre de lobules. À la section, on les trouve d’une couleur rouge foncée, et il y a une extravasation dans les alvéoles, qui sont remplies de sang coagulé. Ces foyers sont très probablement produits par des amas de bactéries croissant dans les capillaires, et amenant la nécrose des parois et par conséquent l'extravasation. Si on prend en considération l’état des autres organes dans ce cas, il devient grandement probable que ces foyers ne sont pas primaires, mais secondaires; ce ne sont pas des amas de bactéries qui proviennent de l'air inspiré; elles ont été apportées par la circulation, et leur voie d’entrée est le canal intestinal. » Ces renseignements nous permettent d'aborder une question intéressante, celle des ressemblances ou des différences du choléra hog avec d’autres maladies du porc. Relativement à sa différence avec le rouget, il n’y a aucun doute. La bactérie du rouget est immobile, celle du choléra mobile. Quand, dans le choléra, il y a de la rougeur de la peau, elle est en général bornée au voisinage des organes sexuels. Les lésions sont de nature différente; enfin, M. Salmon a inutilement essayé le vaccin du rouget contre le choléra. Aucun constestation non plus, du moins suivant toute vraisemblance, au sujet de la différence entre le choléra hog et la maladie décrite par Lôffler et étudiée par Schutz sous le nom de Schweineseuche. L'un des microbes est mobile et l’autre non; celui du choléra se colore, comme nous l'avons dit, sur toute sa périphérie, avec teinte plus foncée aux deux pôles, celui de la peste porcine ne se colore qu’à ses deux extrémités. Les localisations pulmonaires sont la règle dans la peste porcine, l'exception dans le choléra des pores. C'est l'inverse pour les lésions du canal intestinal. Le microbe du choléra ne tue pas les poules, l’autre les tue quand on l’emploie à larges doses. Le premier pénètre facilement par le canal digestif chez les pores, le second semble n'avoir aucune action par cette voie. En revanche, Schutz a réussi à produire une pneumonie par inhalation de cultures pulvérisées. Dans son premier mémoire, M. Salmon avait appelé swine plague la REVUES ET ANALYSES. 393 maladie étudiée par lui. Dans le second il l'appelle, nous l'avons dit, choléra hog, et réserve le nom de swine plaque a une maladie très probable- ment identique à la Schweineseuche allemande. Morphologiquement, les deux microbes sont identiques, poussent de lamême manière dans les mêmes milieux de culture, etont les mêmes propriétés biologiques. Tous deux sont mortels pour le porc, la souris, le lapin, et le pigeon quand on emploie de larges doses. Tous deux respectent davantage le cobaye. Tout au plus peut- on relever, en comparant les résultats obtenus en Allemagne et en Améri- que, de légères différences de virulence. Le microbe allemand, inoculé dans l'oreille d'un :apin, le tue en 3 jours d’après Schutz. Celui d'Amérique ne tue qu'en 9 jours. Dans les inoculations sous-cutanées, mêmes diffé- rences. Mêmes différences aussi pour les souris et les porcs. Les pores inocu- és par Schutz sont morts de 1 à 3 jours après l'opération, avec une réaction locale intense autour de la piqûre, et une multiplication abondante de la bac- térie dans tous les organes intérieurs. Ceux de M. Salmon ont survécu deune à deux semaines, et les seuls résultats constants ont été une cirrhose aiguë du foie, suivie d’une jaunisse. En général, dans ces cas, la bactérie avait dis- paru, et des cultures du sang et des divers tissus restaient stériles. Mais toutes ces différences sont d'ordre secondaire: on en trouve de toutes pareil- les entre les microbes de diverses épidémies de choléra des porcs ayant éclaté sur différents points de l'Amérique, et qui, si on voulait les séparer les unes des autres, nous conduiraient tout droit au bacille régional ou départemental. Les variations peuvent très bien s'expliquer par des diffé- rences dans la virulence des cultures ou par des questions de race des ani- maux d'expérience, et disparaîtraient sans doute entre les mains d’un expé- rimentateur qui, cultivant simultanément les deux microbes, les amenant à un même degré de virulence par passages successifs au travers d’un milieu de culture favorable ou d'une espèce appropriée, les comparerait à cet état. Le fait de la disparition du microbe des tissus quand la maladie n'est pas mortelle à bref délai ne doit pas non plus servir d’argument : on le constate dans beaucoup d’autres affections microbiennes. M. Salmon l'a retrouvé à propos du choléra des pores. Dans le cas de la swine plague, le microbe est probablement quelque part, et ce n'est guère qu'à l’action de ptomaïines qu'on peut attribuer la cirrhose observée dans le foie, mais il a disparu de la masse des organes. Nous pouvons donc considérer comme synonymes les mots sine plaque et Schweineseuche. Pour les mêmes raisons, je crois qu'on peut identifier aussile choléra hog et la maladie récemment décrite par MM. Rietsch et Jobert sous le nom d’épidémie des porcs à Marseille en {887 !. cette dernière affection est surtout intestinale : elle est caractérisée par de la diarrhée, quelquefois par de la constipation. « À l’autopsie, il n’est pas rare de trouver les reins, le foie, la rate et même les poumons d'apparence tout à fait saine, mais souvent on observe sur le foie des taches et sur le rein un piqueté hémorragique caractéristi- -que. Quand l'affection a été de longue durée, le tube digestif est le siège 1. Comptes-rendus, t. CVI, p. 296 et 1096. 394 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. de lésions caractéristiques et sérieuses. L'estomac a ses parois ulcérées, l'intestin grêle est piqueté. À 0m,20 ou 0m,95 de la valvule iléo-cœcale, on trouve des ulcérations s'étendant sur tout ou partie des plaques de Peyer, qui en sont le point de départ. La valvule est le plus souvent elle- même ulcérée. L'appendice iléo-cœæcal, le cœcum, le côlon, présentent des ulcérations, soit circulaires quand elles sont déjà anciennes, soit sous forme acuminée ou furonculeuse. Ces ulcérations atteignent jusqu'à 7 et 8 centimètres de diamètre. » On reconnaît là quelques-unes des lésions caractéristiques du choléra hog. Il est vrai qu'ici la valvule iléo-cœcale ne sépare plus aussi nettement que dans l'exposé de Salmon, la partie saine de la partie malade du canal intestinal. Mais dans l'interprétation de ces différences, il faut faire entrer les différences possibles dans la race et dans [le mode de nutrition des ani- maux soumis à l'expérience. L'histoire du vaccin du rouget montre qu'il y a beaucoup plus de différence dans l'espèce porcine à la surface de la France, qu'il n'y en a dans l'espèce ovine ou dans l’espèce bovine. Ces diffé- rences doivent encore être plus marquées de l'Europe à l'Amérique. Que cela tienne à ce que la race n’est pas partout la même, ou que la même race subisse et traduise de façons très variables l'influence du mode très variable d'alimentation, le fait est constant, et nous permet de comprendre que des pores d'Europe et des porcs américains, soumis à l'influence du même microbe, puissent présenter des différences locales dans des symp- tômes morbides dont la ressemblance spécifique est du reste évidente. MM. Rietsch et Jobert, qui nient l'identité entre le choléra des pores et la maladie qu'ils ont étudiée, avancent pour cela un autre ordre de preuves, emprunté aux différences qu'ils ont relevées dans les cultures sur gélatine, gélose, sérum, pomme de terre et bouillon peptonisé ou non, entre leur bactérie et celle qu'ils ont recue de M. Salmon. La plupart de ces différences ne me paraissent pas plus marquées que celles qu'on pourrait trouver dans des cultures comparées d'un même microbe, à des degrés différents ou au même degré d'atténuation. J'ai fait bien souvent de ces cemparaisons, en vue d'établir des identifications, et je puis affirmer que rien n’est plus difficile que d'arriver ainsi à confondre ou à séparer deux microbes, lorqu’on n’est pas exactement renseigné sur leurs besoins nutritifs, et qu’au lieu de les cultiver dans leur milieu le plus favorable, on leur donne à tous deux des milieux également défectueux où mauvais. Il est d’ailleurs remarquable que MM. Rietsch et Jobert aient omis de rechercher ce que donnait le moyen de différentiation le plus net auquel on puisse s'adresser en l’état actuel de la science, l'influence de la chaleur sur le microbe pathogène. Je crois qu'il n'y à pas plus de hardiesse à identifier Le choléra hog et une maladie observée par Selander! sur les pores de la Suède et du Dane- mark. Ici, le microbe est un bacille mobile, donnant sur la gélatine des colonies analogues, autant qu'on peut le voir par leur description, à celles du microbe du choléra des pores, et mortel comme lui au pore, à la souris, au cobaye et au lapin. Celui de Selander respecte le pigeon, mais c’est peut- 4. Centralbl. f. Bakt. u. Parasit., t. III, p. 361. REVUES ET ANALYSES. 395 être une question de doses, car nous avons vu plus haut que le pigeon est réfractaire dans une certaine mesure. L'autopsie des animaux inoculés révèle les faits suivants : réaction nulle ou faible au point d'inoculation; ecchymoses sous-pleurales ou sous-mu- queuses dans la trachée; reins, rate et foie plus ou moins gonflés et con- gestionnés, poumons œdémateux ou présentant une infiltration pneumo- nique, sang du cœur épais ou faiblement coagulé; exceptionnellement, entérite aiguë de l'intestin. Chez les animaux tués par des repas infectieux, nombreuses lésions pathologiques dans l'intestin. Chez un lapin mort 8 jours après ee repas, la muqueuse de l'intestin était seulement par places ramollie et épaissie, avec les follicules gonflés. Chez d’autres lapins, morts du 2% au 4e jour, l'intestin grêle présentait une hyperémie notable, et un gonflement gélatineux, une quasi-colliquation, avec un contenu muqueux mélangé de sang. La maladie durait-elle plus longtemps, le mal se locali- sait dans la partie inférieure de l'iléon et surtout dans le cæcum, où on trou- vait tantôt de l'hyperémie ou du gonflement de la muqueuse, tantôt des portions saillantes, larges comme une pièce de 50 centimes, avec des éro- sions sanguinolentes, superficielles ou profondes, tantôt des taches diphté- ritiques gangréneuses. Avec des maladies à plus longue échéance. Selander fut sans doute arrivé aux ulcères de l'intestin. Chose singulière, il ne parle pas, dans le travail auquel j'ai emprunté le passage ci-dessus, des détails de l’autopsie de ses porcs, qui nous auraient été bien utiles pour en tirer des éléments de ressemblance ou de différentiation entre les deux microbes. Tout ce que nous savons, par une expérience du Dr Bang, c’est qu'un porc nourri avec ce microbe est mort d'une maladie en tout semblable à celle qui avait fourni le germe morbide. Tous ces éléments semblent pourtant suffisants pour identifier, jusqu'à nouvel ordre, la maladie de Selander et le choléra hog. Je suis vraiment tenté d'en dire autant pour la maladie récemment décrite par MM. Cornil et Chantemesse! sous le nom de pneumonie conta- gieuse du porc, tant sont grandes les ressemblances entre le bacille du choléra hog et celui qu'ont étudié ces savants. Il est vrai que dans une pre- mière communication, ils le donnent comme immobile, mais ils ont reconnu depuis que c'était une erreur d'observation, et qu'il est mobile comme l’autre. C'est aussi une petite bactérie ovale, montrant quelquefois un espace clair à son centre, quand il est coloré par le bleu de méthylène, Il périt aussi après un quart d'heure de chauffage à 58°. Il résiste bien à la dessiccation. Il ne liquéfie pas la gélatine. I se reproduit dans l’eau distillée. Il est aussi très sensible à l’action des antiseptiques, et MM. Cornil et Chan- temesse, comme M. Salmon, ont été amenés à recommander pour le détruire, des liquides acidulés et contenant de l'acide phénique. Comme celui de Salmon et de Selander, il est aérobie et facultativement mais plus difficile- ment anaérobie. Il tue en peu de jours les cobayes, les lapins et les souris, dans le sang desquelles il pullule abondamment. Le pigeon, il est vrai, est réfractaire, mais je tiens de M. Chantemesse qu'il n’a pas non plus réussi à tuer des pigeons avec celui de Salmon. Il peut être introduit par la voie digestive ou par des inoculations sous- 1. Comptes rendus, t. CV, p. 1981, et t. CVI, p. 612. 396 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. cutanées. Il est vrai que dans la forme de maladie observée par MM. Cornil et Chantemesse, il y a surtout des localisations pulmonaires, localisations qu'ils ont reproduites par l'expérience en inoculant directement dans le poumon des cultures récentes. Mais ils disent eux-mêmes que « la prédo- _ minance des symptômes pulmonaires est le résultat du mode d'introduction du virus qui se fait souvent par la respiration ». La principale source d'in- fection, pour les pores qu'ils ont examinés aux environs de Paris, est en effet le marché de la Villette, où les pores ne mangent pas, mais où ils ont à respirer un air souvent chargé de poussières et de germes infectieux. Ajoutons enfin, pour servir de trait d'union entre tout ce qui précède, que MM. Cornil et Chantemesse qui, avant MM. Rietsch et Jobert, avaient eu l’occa- sion d'étudier l'épidémie de Marseille, avaient signalé une ressemblance entre le microbe de leur pneumonie contagieuse et celui que, dans notre interprétation des résultats de MM. Rietsch et Jobert, nous avons assimilé au microbe du choléra ho. Voilà pour les ressemblances; on conviendra qu'elles sont grandes. Il est vrai qu'il y a aussi des différences. Aïnsi les cultures sur gélatine n'ont pas le même aspect. Au lieu de donner des taches transparentes, acuminées en leur centre, à bords irréguliers mais nettement indiqués, le bacille de MM. Cornil et Chantemesse donne comme un fin réseau de dentelle. Mais ces différences, dues peut-être à des actions de milieu ou de mode de chauffage, ne pourraient être considérées comme spécifiques que si elles persistaient entre des cultures comparatives faites par le même observateur. Je passe rapidement sur d’autres différences également secondaires pour aborder un sujet plus important, celui de l’atténuation, et par suite de la vaccination. MM. Cornil et Chantemesse sont arrivés à atténuer leur microbe par un séjour de 3 mois à la température de 43°. Après 2 mois, la culture ne tue * plus fatalement le lapin. « Après 90 jours, le virus ne tue plus les cobayes et ne leur donne qu’un abcès sous-cutané. Les lapins ne présentent même pas toujours cette lésion locale... Avec ce virus atténué, il est facile de donner au cobaye et au lapin l’immunité contre le virus virulent. » M. Salmon a échoué dans ses tentatives pour atténuer son bacille, et on pourrait être tenté de faire de cette circonstance un caractère distinctif. Mais, en y regardant de près, on voit qu'il perd toute sa valeur. D'abord M. Salmon s’est proposé de vacciner le porc contre les périls de l’introduc- tion du microbe par les voies digestives, ce qui, à raison de la sensibilité du porc, superposée à la sensibilité de son canal intestinal, est évidemment un problème très difficile. De plus, en étudiant de près ses expériences, on voit qu'à plusieurs reprises, comme nous l'avons signalé plus haut, il à eu des commencements de vaccination, ouvrant la porte à des tentatives nou- velles qu'il a négligé ou qu’il n’a pas eu le temps de faire. Enfin, il ne s'est pas adressé à la chaleur longuement continuée comme agent d'atténuation. Il a surtout étudié l'influence des petites doses, ou bien une action toute diffé- rente, dont il nous reste à parler en terminant, celle des produits solubles. Sans entrer dans le détail de ses expériences, on peut les résumer en ceci. Des pigeons, inoculés au préalable avec des doses faibles d’une culture chauffée à 58°, peuvent, après quelques jours, résister à des inoculations du REVUES ET ANALYSES. 397 microbe virulent qui tuez+ les pigeons non vacecinés. Ces résultats, publiés en 1885 et 1886, postérieurement aux travaux de M, Chauveau, mais anté- rieurement à ceux de MM. Charrin, Roux, Chamberland, Chantemesse et Widal, ont évidemment une grande importance. Comme je le disais en com- mençant, ils n’ont pas été comus en Europe, où ils n'ont guère figuré dans les journaux qu'après la communication tardive qui en a été faite en 1887, par MM. Salmon et Smith, au Congrès de Washington. Mais eussent-ils été connus plus tôt qu'ils n'auraient pas suffi à rallier l'opinion hésitante alors au sujet de la vaccination par des substances solubles. Ils prêtaient trop le flanc à des objections très légitimes. C'était d'abord l'emploi, pour stériliser la culture vaccinale, d'une tem- pérature aussi voisine de la température limite à laquelle meurt le microbe, Il est vrai que pour éviter cette objection, et prouver qu'il n’y avait rien de vivant dans la culture vaceinale, ce qui aurait ramené le fait observé aux proportions d'un cas de vaccination par un microbe atténué par la chaleur, M. Salmon ensemencçait avec cette culture un milieu nutritif qui restait stérile. Mais cette preuve ne prouve rien. On savait alors, et on sait encore mieux maintenant, que les microbes qui habitent une culture ne sont pas identiques et ont des degrés divers de résistance aux agents extérieurs, degrés très rapprochés, d'autant plus rapprochés que la culture est plus homogène, mais non identiques. Rien ne prouvait alors, et rien ne prouve encore que {ous les microbes aient été tués à cette température limite de 58°-60°. La stérilité du milieu nutritif où on les ensemençait n’eût été probante que si on y avait ensemencé une quantité de culture vaccinale égale à celle qu'on inoculait au pigeon d'expérience. Ce sont précisément des difficultés de cet ordre qui ont longtemps empêché MM. Chamberland et Roux de publier leurs essais sur la vaccination du charbon par des sub- stances solubles. Ils obtenaient l'immunité par l’inoculation de cultures chauffées qui se montraient stériles quand on en ensemencçait quelques gouttes, mais qui peuplaient les liqueurs quand on en introduisait 10, 20, 30 centimètres cubes, Ce qui eût poussé encore à croire que quelques bacilles étaient restés vivants dans les cultures vaccinales de M. Salmon, c’est qu'il suffisait de très faibles quantités de ces cultures pour produire l'immunité. Ainsi dans la première des expériences publiées dans le rapport de 1885, une dose de 06,5 de culture vaccinale avait suffi à conférer à un pigeon une immunité presque complète. Ces doses s’éloignent beaucoup de celles qui sont néces- saires pour conférer l’immunité dans d’autres maladies. Enfin, en voyant, dans le rapport de 1886, que ce mode de vaccination avait échoué sur des espèces animales plus susceptibles, qu'il ne réussis- sait que sur le pigeon, espèce placée, de l’aveu même de M. Salmon, sur la ligne marginale de l'immunité, en constatant aussi que ce mode de vaeci- nation réussit mieux en hiver qu'en été, que même en hiver, il y a des insuccès, on conclura, je pense, qu'il n’y avait dans cet ensemble de faits, si intéressants qu'ils fussent, rien qui fût capable d’emporter les convictions. Aussi ne puis-je accepter le jugement de M. Hueppe, qui dans un article critique sur l’histoire de la vaccination par produits solu- 398 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. bles, dit que sur ce sujet M. Chauveau n'a apporté que des preuves de vraisemblance (Wahrscheinlichkeïtsbeweis), Salmon et Smith des preuves expérimentales directes, tandis que Roux et Chamberland n'ont fait que trouver un exemple nouveau d'un fait découvert avant eux. Il me semble que ce jugement est sujet à révision, et ne met personne à sa place. Dx. LE CHARBON ET SA VACCINATION PRÉVENTIVE. — Expériences comparatives faites à Melun et à Pouilly-le-Fort, avec les virus-vaccins Pasteur et Chauveau, leurs résultats. Rapport sommaire par M. Rossignol. (La Presse vétérinaire, 30 juin 1888, n° 6.) Depuis les communications de MM. Pasteur, Chamberland et Roux sur les virus charbonneux atténués, plusieurs procédés ont été proposés pour obte- nir l’atténuation de la bactéridie du charbon. Aujourd’hui il n’y a donc pas de difficulté à préparer un virus diminué de virulence capable de con- férer l’immunité à quelques animaux d'expérience. Il n’en est plus ainsi lorsqu'il s'agit d'obtenir des virus gradués de facon à fournir à la grande pratique agricole des vaccins charbonneux efficaces et inoffensifs. M. Chau- veau ést l'inventeur d'un procédé d'atténuation, par l'oxygène comprimé, qui fournirait facilement un vaccin du charbon doué de propriétés tout à fait précieuses pour la pratique. Avec ce nouveau vaccin deux inoculations préventives sont inutiles, une seule suffit ; de plus ce virus peut être con- servé pendant plusieurs mois sans perdre son efficacité. C’est pour vérifier ces remarquables propriétés du vaccin préparé par l'oxygène comprimé que la Société d'Agriculture de Seine-et-Marne et la Société de médecine vétérinaire pratique ont entrepris, sur la proposition de M. Rossignol, des expériences qui ont été faites à Melun. Voici, d’après le rapport de M. Rossignol, les conditions dans lesquelles ces essais ont été faits et les résultats qu'ils ont donnés : « Programme des expériences sur la vaccination préventive avec le virus charbonneux atténué par l'oxygène comprimé. « Dans le but de vérifier la valeur prophylactique du vacein préparé par l'oxygène comprimé, la Société d'agriculture de Melun et la Société de méde- cine vétérinaire pratique arrêtent, d'accord avec M. Chauveau, de l'Institut, les dispositions suivantes : « 1° 50 moutons vierges de toute inoculation seront achetés pour servir aux expériences ; « 20 10 moutons seront inoculés une première fois le 5 mai, avec le virus atténué par l’oxygène comprimé, une seconde fois, 10 ou 12 jours après; « 3° 10 autres moutons seront inoculés une seule fois avec le même virus, le jour où les moutons du premier lot subiront leur seconde vaccination; « 4° 20 moutons subiront, à 10 ou 12 jours d'intervalle, les deux vac- cinations classiques du vaccin Pasteur. L’inoculation du premier vaccin aura lieu le 5 mai, la seconde se fera en même temps que celle qui doit être effectuée sur les deux lots de M. Chauveau ; 4. Forlschrille der medium, 15 avril 1888. REVUES ET ANALYSES. 399 « 0° 10 ou 12 jours plus tard, les 40 moutons des lots Chauveau et Pasteur subiront une inocnlation d'épreuve avec du charbon très virulent ; « 6° 10 témoins, vierges de toute inoculation, seront également inoculés le même jour avec le virus très virulent. » La première séance d'inoculation eut lieu le 5 maï; les vaccins pasto- riens n'avaient point été préparés spécialement pour cette expérience, la commission de Melun a employé ceux qui se trouvent dans le commerce. Le troisième jour après l’inoculation, un mouton du lot Chauveau mourait des suites de l'opération. La seconde inoculation fut pratiquée, d’après les conditions du programme, le 49 mai. Un mouton du deuxième lot Chauveau mourut des suites de cette inoculation le 27 mai. Le 31 mai, les 18 moutons restant du lot Chauveau et les 20 moutons du lot Pasteur, furent inoculés avec le virus virulent en même temps que les 10 moutons témoins. Tous les animaux vaccinés, ceux du lot Chauveau et ceux du lot Pas- teur, restèrent bien portants; T des moutons témoins succombèrent au charbon, les trois autres, après avoir été très malades, finirent par se rétablir. En résumé, les vaccins par l'oxygène comprimé ont donné une morta- lité de 10 0/0 ; les vaccins pastoriens n’ont amené aucune mort; l'immu- nité conférée aux animaux dans les deux cas a été suffisante pour qu'ils aient résisté à l'inoculation du charbon virulent. L'exposé de ces expériences se termine par les huit conclusions suivantes que M. Rossignol se croit autorisé à poser : « Conclusions : 19 Les expériences qui viennent d’avoir lieu à Melun et à Pouilly-le-Fort sont un nouveau triomphe pour la méthode Pasteur ; « 2 Il est regrettable à tous égards que nos cultivateurs se trouvent dans l'impossibilité absolue de profiter des bénéfices de cette vaccination pen- dant plus de deux moiset demi‘; « 3° Le vaccin préparé par l'oxygène comprimé (procédé Chauveau), pos- sède des propriétés prophylactiques incontestables. L'immunité conférée par ce vaccin est tout aussi solide que celle dont sont investis les animaux yaccinés par les vaccins Pasteur; « 4° Le vaccin Chauveau possède, entre autres avantages précieux, ceux de se conserver intact pendant plusieurs mois, de conférer l’immunité après une Seule vaccination, de permettre son transport au loin et de four- nir à nos cultivateurs le moyen de vacciner leurs animaux en tout tempset sans interruption ; « »° Les deux insuccès constatés dans l'expérience qui vient d’avoir lieu, démontrent l'utilité d’une nouvelle expérience faite cette fois avec un vaccin dont la préparation remonterait à un mois. Si, comme l’affirme M. Chauveau, la virulence est atténuée d’une facon précise et invariable dansles deux premiers mois de la fabrication de ce vaccin, ilen résulterait un avantage qui est considérable et c’est celui-ci : 1. Le laboratoire de préparation des vaccins est fermé pendant les vacances, parce que, en général, les agriculteurs font vacciner leurs troupeaux au prin- temps, avant l’époque où le charbon devient fréquent. 400 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. « M. Pasteur reconnaît que son deuxième vaccin peut, quand il est ino- culé d'emblée, faire succomber les animaux dans la proportion de 50 0/0 : il s'ensuit que les vétérinaires courent des risques réels qui seraient évités avec le vaccin Chauveau. « 6° Le vaccin obtenu à l’aide de l'oxygène comprimé n'occasionnant pas chez les bovidés et les équidés les œdèmes qu’on constate trop souvent à la suite de Ia vaccination Pastorienne, il y a lieu de provoquer des expé- riences sur le cheval, car si elles réussissaient, elles permettraient de recou- rir à l'emploi de ce vaccin de préférence à celui de M. Pasteur qui est l'objet d’une certaine méfiance, parce qu'il détermine assez souvent des œædèmes considérables qui sont parfois suivis de mort. € 7° Le vaccin Chauveau, quand il s’agit de pratiquer une vaccination de nécessité sur un troupeau envahi par le sang de rate, offre le précieux avantage d'investir les animaux d'une immunité complè{e, 12 à 15 jours plus tôt que le vaccin Pasteur. En effet, avec ce dernier vaccin, l'immunité ne peut être considérée comme complète que 12 ou 15 jours après la deuxième vaccination. «8° Les doses de virus Chauveau ont été trop fortes, il y a lieu de ne pas s'écarter de la dose d'une goutte pour le mouton, et de deux à quatre gouttes pour les bœufs et les chevaux. » S'il est de règle absolue que les conclusions à tirer d'expériences ne doivent rien contenir qui ne découle rigoureusement des expériences elles- mêmes, il faut convenir que la plupart des citations que nous venons de faire ne devraient pas porter le titre de conclusions, mais bien celui de réflexions. La conclusion 2, par exemple, exprime le regret que les agri- culteurs soient privés du vaccin pastorien pendant deux mois et demi de l'année; elle ne ressort pas nécessairement des expériences qui précèdent. Il en est de même du second paragraphe de la conclusion 5 sur la morta- lité que pourrait causer l'emploi direct du second vaccin Pasteur, emploi que personne n'a proposé. La conclusion 6 a trait à la vaccination chez les bovidés et les équidés; or, aucune des expériences, qui font l’objet du rapport de M. Rossignol, n’a été faite sur les bœufs ou sur les chevaux. Cette conclusion 6 et la conclusion 7 visent des expériences à faire, et énumèrent les précieux avantages d'un vaccin non encore essayé, elles devraient porter le titre de propositions. On est surpris, après l'exposé des expériences que vient de faire M. Rossignol, de lire dans ses conclusions des paragraphes entiers sur les risques et les inconvénients de la vaccina- tion pastorienne, ils ne semblent pas être à leur place, et l'on se demande ce que serait le rapport du vétérinaire de Melun, si les résultats de cette comparaison de vaccins étaient inverses de ce qu'ils ont été? D'ailleurs plusieurs des assertions contenues dans le document que nous analysons sont inexactes : Ainsi, nous y lisons (p. 129) que le virus vaccin Chauveau « se conserve à peu près intact pendant plusieurs mois, chose que l'on ne peut obtenir avec le vaccin Pasteur, dont la durée de conservalion est absolument éphémère ». La durée de conservation des vaccins préparés par les méthodes de MM. Pasteur, Chamberland et Roux est si peu éphémère que les semences employées à la préparation des virus, qui sont livrés REVUES ET ANALYSES. 401 journellement à l’agriculture, datent de plus de quatre ans. Ces semences sont envoyées à l'étranger, jusque dans l'Amérique du Sud et dans l'Inde, où elles servent, après plusieurs mois, à préparer des cultures parfaitement efficaces. Si nous relevons ici cette expression de conservation éphémère, ce n'est pas seulement pour montrer qu'elle est inexacte, mais pour exposer ce qu'il serait exact de mettre à sa place. Il serait exact de dire que les résultats sont moins réguliers et moins coastants, quand on inocule « directement » les vaccins conservés qui ne contiennent plus que des spores anciennes. En effet, lorsqu'on introduit ces vieilles spores sous la peau d'un grand nombre d'animaux, plusieurs d’entre eux n'acquièrent pas l’immunité, et le nombre de ceux-ci est d'autant plus grand que le virus inoculé était plus ancien. Cependant, la virulence de ces spores n'a point sensiblement changé en quelques mois, il suffit de les rajeunir par la culture pour obtenir un vaccin efficace et constant dans ses effets. Les vieilles spores germent plus lentement que les spores récentes; introduites sous la peau des animaux, elles sont, en grand nombre, digérées sur place ou croissent trop lentement pour surmonter la résistance des cellules de l'animal, donner une culture suffisante, et conférer l’immunité. Les cultures récentes de ces spores, renfermant un grand nombre de bacilles jeunes, tout prêts à pulluler, vaccinent, au contraire, d’une façon constante et efficace. Telle est la véritable interprétation de cette diminution appa- rente de la virulence des vaccins charbonneux conservés pendant quelques mois. Ces modifications ne sont pas particulières aux vaccins charbonneux, elles se produisent chez les germes de tous les microbes connus, plus rapi- dement sans doute, pour les virus atténués que pour le virus virulent, mais absolument chez celui-ci comme chez ceux-là. Les spores du vaccin préparé à l'oxygène comprimé seraient à l'abri de ces variations, de sorte que, anciennes ou récentes, elles donneraient des résultats sûrs et fidèles. IL faut avouer que cette qualité, inconnue aux autres germes, ferait la véritable originalité du nouveau vaccin charbonneux. Bien plus, les germes de ce vaccin, loin de subir cette influence du temps qui rend les autres germes plus lents dans leur croissance, et les fait paraître moins actifs, « récupèrent après le deuxième mois une certaine activité, el ce retour à la virulence peut occasionner des accidents. » C'est là véritablement un fait bien remarquable que ce retour à la virulence chez des spores conservées inertes. Ce fait est pour nous absolument inattendu, et nous n'en connaissons aucun autre en microbiologie qui puisse en être rapproché. À quel moment précis s’opère ce retour à la virulence? Est-ce toujours après le deuxième mois? Ne survient-il jamais après un mois ou six semaines? Ce vaccin étant destiné à être conservé en provision, les questions que nous venons de poser sont aussi importantes pour le vétéri- naire qu'il serait intéressant pour le microbiologiste de savoir dans quelles conditions s'opère ce retour spontané à la virulence, Nous n'avons aucune expérience particulière du vaccin charbonneux préparé à l'oxygène comprimé, et par conséquent nous n'avons jamais été à même de constater cette récupération d'une certaine activité après le deuxième mois; cependant nous allons proposer une explication de ce sin- 402 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. gulier phénomène, auquel est attribuée la mort de deux des vaccinés des expériences de Melun. Les spores, qui composent ce vaccin, bien qu'atténuées, auraient des virulentes diverses (ce qui se comprend d’après le mode de préparation du vaccin); à mesure qu'elles vieillissent, elles perdent, comme outes les spores, de leur facilité à germer. Gette modification se manifeste d'abord chez les plus atténuées, et n’atteint que plus tard celles qui sont plus actives. Après l'inoculation, ces dernières pullulent, alors que les pre- mières n’ont pas encore végété ; de là ce retour de virulence qui peut occasionner des accidents. On conçoit que s’il en est ainsi, il ne suffira pas, comme le propose M. Rossignol dans sa 8° conclusion, de diminuer la dose du virus inoculé, et de n’en donner qu'une goutte aux moutons, et deux à quatre gouttes aux bœufs et aux chevaux. Si le virus n’est pas homogène, il y aura toujours des animaux qui recevront des spores trop virulentes. Dans tous les cas, la nécessité de doser le vaccin d’une facon aussi précise doit faire réfléchir. Un oubli, dans le maniement du curseur de la seringue à injection, peut devenir grave; et d’ailleurs croit-on que les agents actifs soient si également répartis dans un virus, que toutes les gouttes en contiennent le même nombre, et aient la même valeur? M. Rossignol semble croire que les procédés, employés au laboratoire de M. Pasteur, ne permettent pas d'obtenir des virus capables de donner l’immunité en une seule fois. Dans leurs premières expériences de laboratoire, qui sont le fondement de la vaccination contre le charbon, MM. Pasteur, Chamberland et Roux n’employaient qu'un seul virus. L'emploi de deux vaccins, de virulence graduée, a été un perfectionnement apporté à la méthode primitive en vue de l’inoculation des troupeaux sur une grande échelle, Pour conférer aux animaux une immunité solide, il faut leur inoculer un virus assez actif. Or la réceptivité pour le charbon est très variable chez les sujets d'une même espèce animale, les uns supportent, sans en souffrir, l'injection d'un virüs qui rend les autres très malades, et même amène la mort de quelques-uns. C’est pour parer aux accidents que pourrait causer cette différence dans la réceptivité des animaux, que l’on a imaginé l'emploi sucecessif de deux vaccins. Il est évident que si l’on voulait obtenir une vaccination d'emblée, par une seule inoculation, on n’emploie- rait pas le deuxième vaccin ordinaire, qui ne doit être donné qu'après le premier; on se servirait d'un vaccin doué d’une virulence intermédiaire entre celle du premier et celle du deuxième vaccin charbonneux de la pratique courante. Du reste, la démonstration publique, que l’on peut conférer l'immunité par une seule inceculation, a élé faite par MM. Chamberland et Roux, dès l’année 1881, à Fresnes, près Pithiviers (Loiret). Dix moutons qui n'avaient reçu qu'une seule inoculation de second vaccin, sans en souffrir, résistèrent très bien à l’inoculation du virus virulent. Plus tard, en février 1882, dans une expérience faite à l'École vétérinaire de Toulouse par MM. Baillet, Peuch et Labat, avec des vaccins préparés au laboratoire de M. Pasteur, deux brebis, qui n'avaient recu qu'une inoculation de deuxième vaccin, supportèrent l’inoculation d'épreuve, aussi bien que neuf autres bêtes ovines INSTITUT PASTEUR. 403 vaccinées trois fois préventivement. Enfin, dans une expérience faite à la ferme de la Faisanderie, sur le troupeau de l'Ecole d’Alfort, 75 moutons reçurent, le 2 juin 1882, une seule inoculation d'un premier vaccin, en présence de MM. Bouley, Goubeaux, Nocard, et d’un grand nombre d'élèves de l'Ecole d’Alfort. Neuf mois après cette vaccination, sur 12 de ces mou- tons qui furent inoculés avec du virus virulent, 41 résistèrenttf, Les nouvelles expériences que viennent de faire la Société d'agriculture de Seine-et-Marne et la Société de médecine vétérinaire pratique n'ont évidemment pas l'émouvant intérêt de celles de Pouilly-le-Port, faites en 1881; elles sont néanmoins importantes, parce qu'elles témoignent que les agriculteurs apprécient si bien les résultats de la vaccination préventive du charbon qu'ils cherchent à se rendre compte de la valeur des perfec- tionnements que l’on propose aux méthodes actuelles. Il est certain que ce serait un progrès de substituer, aux deux inoculations courantes, l'inoculation d’un seul vaccin efficace et inoffensif, en même temps que capable de se conserver pendant des mois sans altération. Dans ces essais, il ne faut pas oublier qu'autre chose est de vacciner vingt moutons dans une expérience ou de vacciner suivant les besoins de l’agriculture des centaines de milliers d'animaux de tous les âges, de races et de réceptivités diverses. C'est cette grande pratique qui est la véritable épreuve des vaccins charbonneux. Le rapport de M. Rossignol n’est qu'un rapport préliminaire, des expé- riences nouvelles vont être entreprises avec un virus âgé d’un mois seule- ment, parce que « la virulence est atténuée d'une façon précise et invariable dans les deux premiers mois qui suivent la fabrication du vaccin préparé à l'oxygène comprimé ». Nous rendrons compte dans ces Annules des résul- tats qui seront obtenus; nous avons cru que ceux qui sont déjà consignés dans ce rapport préliminaire étaient assez intéressants pour être présentés à nos lecteurs, avec les commentaires que comportent quelques-unes des assertions qui les accompagnent. Roux et CHAMBERLAND. En — INSTITUT PASTEUR RENSEIGNEMENTS STATISTIQUES SUR LES PERSONNES TRAITÉES A L'INSTITUT PASTEUR DU 1° AU 30 ruIN 1888. Personnes traitées mortes de rage. Oun (Eugène), 36 ans, charcutier à Paris. Mordu le 23 avril, par son chien, à la main droite sur la face dorsale. Deux mor- sures dont une profonde qui a bien saigné. Au pouce droit 7 morsures ayant saigné. Deux sont très profondes. Les plaies sont cautérisées à l'alcool et à l’eau phéniquée chez un pharma- cien, une demi-heure après la morsure. Le 26 avril, les plaies sont encore béantes, sans aucune trace d’eschares. 1. CaameerLaxo, Clarbon et vaccination charbonneuse, p. 261 404 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. Le chien mordeur a été reconnu enragé par M. Bourrel, vétérinaire, qui l’a vu vivant. Ce chien avait été mordu quelques semaines avant par un chien reconnu enragé et qui appartenait à un voisin. Olin a été traité du 26 avril au 12 mai. Il a éprouvé des douleurs très vives dans le bras droit à la fin de mai; pris de rage le 1% juin ; mort le 17 juin à la Maison municipale de santé. INSTITUT PASTEUR STATISTIQUE ! DU TRAITEMENT PRÉVENTIF DE LA RAGE. — JUIN 1888 A B C Morsures à la tête ( simples ..... TE | 3 SPelbns et à la figure (multiples. #|ca12210 6 NE A Cautérisations efficaces. ........... LR Pan en LI RAS » | 4! » l'> — INC NCACES ARE RE D] ES) IE) l » » DOI Pas de cautémisulion Er EREeR DAS ET RE | » 11» |» --Ssimples.s.#IM bus) »| 19) »| orsures aux mains : 5 Morsu | multiples....| »| 9% 2) ,| ge) 51), 4 10 Cuutérisations efficaces. ........... 2H RE ES O7 Lee » Al ae = inefficaces PNR NT PONT 5| » »y [47 » » 4| » » PAS TPICAULETISQLO Ne NN ET EE (EE Se ES as LL) D, | 25 Morsures aux mem-{ simples......| »| 4} 9! ? 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La colonne A comprend les personnes mordues par des animaux dont la rage est reconnue expérimentalement ; La colonne B celles mordues par des ani- maux reconnus enragés à l'examen vétérinaire; La colonne C les personnes mordues par des animaux suspects de rage. Q 12 r Les animaux mordeurs ont été : Chiens, 132 fois; chats, 15 fois ; cheval, 1 fois. Le Gérant : G. Masson. Sceaux. — Imprimerie Charaire et fils. 9me ANNÉE. AOÛT 1888. N8 ANNALES D L'INSTITUT PASTEUR SUR L'IMMUNITÉ CONTRE LE CHARBON CONFÉRÉE PAR DES SUBSTANCES CHIMIQUES, Par MM. ROUX et CHAMBERLAND. I Quelque temps après que M. Pasteur eut fait connaître qu’il est possible de donner aux poules l’immunité contre la maladie appelée choléra des poules", M. Toussaint publia son procédé de « vaccination du charbon’ ». La matière vaccinale employée par M. Toussaint était le sang d’un animal qui vient de succomber à la fièvre charbonneuse. Ce sang était maintenu pendant dix minutes, à la température de 55° qui, d’aprèsl'auteur, tuait toutes les bactéridies qu'il renferme. Il suffisait ensuite d’injecter 3 à 6 centimètres cubes de ce sang chauffé sous la peau des mou- tons, pour que, 12 jours après l'injection, ces animaux aient acquis l’immunité contre le charbon. Pour donner l’immunité contre le choléra des poules, M. Pas- teur inocule aux volailles le microbe même du choléra modifié dans sa virulence, mais vivant et capable de pulluler dans le corps des animaux et dans les bouillons de culture. Ce virus atténué est une variété du virus fort, variété qui peut se perpétuer avec ses qualités nouvelles. Dans son procédé de vaccination du char- 1. Avril 14880, Bulletin Acad, de méd. 9, Août 1880, Bulletin Acad. de méd. 26 406 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. bon, M. Toussaint, au contraire, s'efforce de n'’injecter aucun microbe vivant, il tâche de débarrasser le sang charbonneux des bactéridies, afin d'employer seules les substances chimiques con- tenues dans le sang et telles que les bacilles du charbon les ont préparées. A côté de la vaccination par virus atténués, M. Tous- saint essayait done d'établir la vaccination par produits chimi- ques. L'idée que l’état réfractaire à une maladie est dû à une mo- dification chimique produite dans le corps par le développement du virus de cette maladie, avait déjà été formulée dans la science. Mais ce n'était là qu’une vue de l’esprit, et la nature des change- ments chimiques accomplis dans l’être qui a acquis l'immunité restait tout à fait mystérieuse. L'expérience de M. Toussaint, telle qu’il la présentait, montrait que l’immunité peut être pro- duite, en dehors de l’action directe des microbes vivants, par l'introduction dans le corps de substances chimiques élaborées par 6es mêmes microbes, cause de la maladie virulente. Elle paraissait donner un point d'appui solide à une théorie de l’immu- nité qui jusqu'alors ne reposait que sur des hypothèses ; aussi elle souleva une vive émotion dans le monde scientifique. On sait comment l'interprétation que M. Toussaint donnait à son expérience fut contredite. Il fut démontré que le chauf- fage à 55°, pendant dix minutes, ne tuait pas toutes les bactéridies du sang charbonneux. Celles qui avaient résisté, modifiées dans leur vitalité, ne tuaient plus les animaux auxquels on les inocu- lait mais leur conféraient l’immunité à la manière d’un virus atténué‘. L'expérience de M. Toussaint n’avait donc pas la portée 4. Voir Comptes rendus, Acad. des sciences, MM. Pasteur, Chamberland et Roux, mars 14881. D'ailleurs, le procédé de M. Toussaint était loin de donner des résul- tats constants; son auteur met en garde les expérimentateurs contre la difficulté qu'il y a de préparer ce vaccin. Des accidents survenaient assez fréquemment. Après l’inoculation du vaccin, soi-disant privé de bactéridies, il arrivait que des animaux succombaient au charbon typique. M. Toussaint expliquait ces accidents, qui montraient cependant la véritable interprétation à donner à son expérience, en supposant que dans le cadavre de l'animal la bactéridie peut donner des spores si on attend trop longtemps pour recueillir le sang après la mort. Or, il ne se forme jamais de spores dans l’intérieur des vaisseaux d'un animal qui a succombé au charbon parce qu’il n’y a pas d'oxygène libre. C'est cette erreur sur la formation des spores qui a empêché M. Toussaint de reconnaître la vérité, et probablement de modifier les conditions de son expérience de façon à atteindre le but qu'il pour- suivait. SUR L'IMMUNITÉ CONTRE LE CHARBON. 407 qu'illuiavaitattribuéeet sa vaccination du charbon, parsubstances chimiques, n’était plus qu'une vaccination par microbes modi- fiés *. En répétant les expériences de M. Toussaint sur le sang charbonneux chauffé, nous avons eu l’occasion de faire plusieurs observations qui nous ont convaincu qu'il était possible, cepen- dant, de conférer aux moutons l’immunité contre le charbon, en leur injectant sous la peau du sang charbonneux dépourvu de bactéridies vivantes. Nous rapporterons ici une de nos expé- riences qui remonte au mois de novembre 1881 : ExPÉRIENCE — Le 16 novembre 1881, on recueille avec pureté, dans des tubes à deux effilures de {x de diamètre intérieur, du sang d’un mouton qui vient de succomber au charbon. Chaque tube contient environ 15 cen- timètres cubes de sang et n’est rempli qu’au tiers. On plonge ces tubes dans un grand bain d'eau exactement réglé à 55° 1/2, on les retire les uns après 5 minutes, les autres après 10, 15, 18, 20, 21, 95, 30 et 40 minutes de chauf- fage. On les met ensuite à l’étuve à 30 degrés en les inclinant, de facon que le sang s'étale sur la paroi, en petite épaisseur; il est ainsi largement au contact de l'air, et, s’il reste quelques bactéridies vivantes après le chauffage, elles pourront pulluler. Le 19 novembre, on fait une prise de sang, dans chacun des tubes, pour l’ensemencer dans du bouillon et l’'examiner au microscope. Dans tous les tubes, excepté dans celui chauffé pendant 40 minutes, les bactéridies étaient restées vivantes et donnèrent de belles cultures; ce qui montrait combien le chauffage pendant dix minutes, proposé par M. Toussaint, était insuffisant pour tuer tous les bacilles du sang charbonneux. Afin d'être bien assurés qu'il n'y avait aucun miecrobe vivant dans le tube de sang chauffé à 55° 1/2 pendant quarante minutes, nous l'avons laissé à l’étuve jusqu'au 23 novembre. A cette date l'examen microscopique ne montra aucun développement et l’ensemencement d’une quantité notable de ce sang dans du bouillon ne donna aucune culture. Les bactéridies étaient donc bien mortes dans ce sang chauffé. Le 98 no- vembre, après un nouvel examen microscopique, et un nouvel ensemence- ment qui est resté stérile, on injecte ce sang à deux moutons, sous la peau, à la dose de trois centimètres cubes pour chacun. La température de ces animaux est prise régulièrement les jours suivants sans qu'on remarque aucune fièvre. Le 13 décembre, on inocule à un de ces moutons une culture virulente de charbon. Il a une forte élévation de la température le 14 et le 15 décembre. Puis il revient à la santé. Le 16 décembre, le second mouton 4. Voir Comptes rendus, Académie des sciences. M. Chauveau a repris les expé- riences de M. Toussaint et indiqué les conditions de chauffage nécessaire pour pré- parer, avec le sang charbonneux, un vaccin du charbon plus constant que celui de M. Toussaint. 408 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. est inoculé, avec du sang de cobaye mort du charbon, en même temps qu'un mouton neuf. Soixante heures après, le mouton témoin a suecombé au char- bon, le mouton qui a reçu du sang chauffé éprouve une forte fièvre le 17 et le 48 décembre; les jours suivants il redevient bien portant. Dans cette expérience on a pris toutes les précautions pour s'assurer que les bactéries étaient tuées et qu'aucun organisme vivant n’était contenu dans le sang injecté. Après 12 jours de séjour à l’étuve, l'examen microscopique n'y a montré aucun bacille du charbon en voie de développement, et tous les ense- mencements sont restés stériles. On est donc autorisé à conclure qu'il ya dans le sang d’un animal mort du charbon des sub- stances chimiques capables de donner l’immunité aux moutons auxquelles on les injecte en quantité suffisantes. Dans le cours de ces expériences avec le sang chauffé, nous avons reconnu que les matières vaccinales du sang charbonneux sont altérées à la température à laquelle on le soumet pour tuer les bactéridies, et cela d’autant plus que la chaleur est plus élevée et plus longtemps prolongée. De sorte que l’on est enfermé entre deux difficultés: ou l’on détruit sûrement la bactéridie et les matières qui l’accompagnent sont atteintes du même coup, ou bien on conserve à celles-ci leur activité et l’on n’a plus la certi- tude d’avoir fait périr tous les microbes ? C’est évidemment pour altérer aussi peu que possible la composition du sang charbon- neux que M. Toussaint se contentait de le chauffer à une température de 55° pendant un temps très court. Nous savons maintenant que, dans ces conditions, le résultat que l’on se pro- pose n’est pas atteint, il reste des baccilles vivants. Mais, d'autre part, du sang charbonneux chauffé, pendant 10 minutes, à 100° et 115°, a presque perdu ses propriétés vaccinales, ainsi que le montrent les expériences suivantes : EXPÉRIENCE. 1. — On met à macérer pendant 3 heures, dans la moitié de son poids d’eau distillée, 200 gr. de pulpe de rate d'un mouton charbonneux, on ajoute à cette macération 200 gr. de sang charbonneux et le tout est porté lentement à l'ébullition et jeté sur un filtre de papier buvard. On chauffe à 115° le liquide qui vient de filtrer : il se produit à cette tempé- rature un abondant précipité que l’on délaye par agitation, et on injecte 80c de ce liquide trouble dans le tissu cellulaire sous-cutané d’un mouton, en deux fois, à deux jours d'intervalle. Quatre à six heures après l'injection, on note une élévation de température de 4°. Dix jours après, ce mouton est inoculé avec 1/5 de centimètre cube de SUR L’IMMUNITÉ CONTRE LE CHARBON. 409 culture récente de charbon virulent en même temps qu'un mouton témoin, Ils meurent tous deux du charbon, le mouton témoin après 42 heures, l’autre mouton après 48 heures. EXPÉRIENCE Il. — Avec la rate d'un mouton, qui vient de succomber au charbon quatre jours après avoir été inoculé avec du second vaccin char- bonneux, on prépare, comme il vient d’être dit dansl'expérience précédente, un liquide chauffé à 115°, et que l’on injecte sous la peau des aisselles de deux moutons. L'un recoit 22cc, l’autre 11e, La rate qui a servi dans cette expérience contenait des quantités prodigieuses de bactéridies. Douze jours après, ces deux moutons sont inoculés avec du charbon virulent à la face interne de la cuisse droite. On inocule, de la même façon avec le même virus, deux moutons neufs. Quarante-huit heures après on trouve morts les deux témoins. Le mouton qui a reçu 22e de liquide chauffé meurt 96 heures après l’inoculation, et celui qui a recu 11% est très malade pendant trois jours, puis se rétablit. Dans l'expérience suivante on chauffe le sang charbonneux et la macération de rate à 100°, on jette le coagulum sur un filtre, et on injecte ce liquide filtré, dans la veine du jarret, à des mou- tons qui peuvent recevoir ainsi des quantités de liquide beaucoup plus considérables que sous la peau. \ ExPÉRIENCE II. — Dans la veine du jarret droit de deux moutons, on injecte 200 et 220°° du liquide préparé comme nous venons de le dire, et correspondant à 195 et à 137 grammes de sang et de pulpe de rate pures, Température Température après l'injection. AU MOMENT | —— de lPinjection.| 4 h. | 2h. 19! h:122 "h. Mouton n°1I. 200cc ï 1,6141,3140,6 Mouton n° II. 990cc à ë 1,2,41,5/41,5 40 heures après l'injection, la température des 2 moutons est normale. Un mouton (n° I) recoit dans une veine le liquide obtenu en chauffant à 100° du sang charbonneux additionné de son volume d’eau, puis en recueil- lant le liquide qui s'écoule du filtre sur lequel on a jeté le coagulum. On fait une première injection de 480 de ce liquide dans la veine du jarret droit, puis une seconde de 120ce dans la veine du jarret gauche, deux jours après, soit 300% en deux fois. Trois heures après chaque opération, on note une élévation de 4° dans la température, que l’on suit pendant six heures; le len- demain la température est normale. Enfin, on fait pénétrer dans les veines d’un mouton (n° IV) 200°° d'un 410 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. liquide préparé de la même façon, mais avec du sang et des rates de mou- tons sains. | Température Température après Pinjection. au moment de l’injection.| 9 h. | 5 h. | 8 h. |10 h.|12 h.|26 h. Mouton n° IV 200cc 40,0 |40,6/40,3140,0/10, 0/40,0139, 7 (sang et rate sains.) Lorsqu'on injecte le liquide obtenu, par décoction, de rate et de sang de mouton sain, on ne constate plus l'élévation. de température que nous ayons relevée lorsqu'on emploie les rates et le sang charbonneux. Sept jours après ces injections intraveineuses, on inocule ces 4 moutons à la cuisse droite avec du charbon virulent, en même temps que deux mou- tons neufs. Ces deux derniers sont trouvés morts du charbon 39 heures après. Le mouton n° I (200€) meurt après 38 heures; le mouton n° IT (2206) après 56 heures, la mouton n° HI (300) après 54 heures. Le mouton n° IV (rate saine) a succombé aussi promptement que les moutons neufs. On voit donc qu'avec la rate et le sang charbonneux chauftés à 100° et 115° on n'obtient pas de résultats suffisamment nets. Les moutons qui ont reçu les décoctions charbonneuses ont vécu plus longtemps que les témoins, après l’inoculation virulente ?, mais il ont tous succombé au charbon, excepté dans un cas. Les propriétés vaccinales du sang charbonneux sont donc très altérées dans ces conditions, et il n’est pas possible d’avoir recours aux températures élevées qui, stérilisent à coup sûr et qui, précisé- ment parce qu’elles sont plus que suffisantes, donneraient à la démonstration de la vaccination par subtances chimiques une parfaite rigueur. Il faut donc employer une chaleur moins forte, capable de tuer la bactéridie et cependant pas trop désorganisatrice pour les subtances vaccinales; c’est-à-dire qu'il faut rester entre 55° et 58°. Dans le sang chauffé à cette température, les bacilles du charbon ne périssent pas tous en même temps; la plupart meurent dans les premiers instants du chauffage, mais quelques- uns résistent beaucoup plus longtemps. Certaines portions ne 4. Dans le cas de l'Exp. IT, la rate qui a été employée venait d’un animal qui avait vécu 4 jours après l’inoculation du second vaccin; elle était particulièrement chargée de bactéridies, et peut-être à cause de la longueur de la maladie contenait- elle davantage de matières actives. SUR L'IMMUNITÉ CONTRE LE CHARBON. A1 contiendront aucune bactéridie vivante après 20 minutes de séjour à 55°, tandis que d’autres en renfermeront qui ne seront pas mortes après une heure et plus. Il est donc toujours difficile de savoir si iln’ya plus rien de vivant dans le sang ainsi chauffé. Dans une expérience, du sang charbonneux chauffé au bain d’eau à 55°, pendant une heure etdemie, dans des tubes de 1 centimètre de diamètre intérieur, fut ensemencé dans 10 flacons de bouillon à la dose de un centimètre cube par flacon, et injecté sous la peau de trois moutons à celle de 50 centimètres cubes par animal; les moutons restèrent bien portants et les bouillons ne se peuplèrent pas. Mais un lapin, qui avaitreçu en 4 injections sous-cutanées 16 centimètres cubes du même sang, mourut le sep- tüème jour et mourut du charbon; ce qui prouve qu'après une heure et demie de chauffage, ily avait encore des bacilles vivants. Is étaient très rares sans doute et d'autant plus difficiles à mettre en évidence. En effet, l’inoculation, même en grande quantité, de ce sang chauffé, est insuffisante à montrer qu'il est stérile : les microbes encore vivants, s'il en contient, sont en si petit nombre et si modifiés par la chaleur qu’ils pourront ne pas donner la mort aux animaux. Les ensemencements nous renseigneront plus sûrement si ils sont faits avec de très grandes quantités de sang, mais quelque multipliés qu'on les suppose, on peut toujours avoir le soupçon que c’est précisément dans les portions de sang non semées, dans celles qui ont été injectées aux animaux que se trouvait la bactéridie, peut-être unique, mais encore vivante, qui va vicier l'interprétation de l'expérience. Tels sont, pour le cas qui nous occupe, les inconvénients de l'emploi des tempéra- tures trop peu élevées ; on ne saurait trop les exagérer quand il s’agit d'établir une question de doctrine, qui doit être fondée sur des expériences si nettes qu'il n’est pas besoin d'en com- menter ou d’en interpréter les résultats. D'autres procédés que le chauffage peuvent être mis en œuvre pour tuer la bactéridie dans un sang charbonneux sans altérer trop les substances qui l’accompagnent. Le bacille du charbon meurt à la longue dans le sang conservé à l'abri de l’air, car non seulement il ne pullule pas dans ces conditions, mais il ne forme pas de spores et se désagrège en granulations privées de vie. Faisons donc pénétrer à travers la paroi du cœur d’un mouton qui vient de succomber au charbon, un tube de verre stérilisé 412 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. et étiré à ses deux extrémités, et aspirons le sang dans ce tube de façon qu'il s'élève jusque dans l’effilure supérieure. Fermons ensuite les deux extrémités du tube à la lampe, aussi près que possible du niveau du liquide. Nous aurons ainsi, dans un tube parfaitement clos, du sang charbonneux dans lequel la bactéridie périra d'autant plus vite qu'elle sera exposée à une température : plus élevée. Toute croissanceest, en effet, impossible pour elle, elle est privée d'oxygène libre, et si dans la manœuvre que nous venons de décrire un peu d'air s’est dissous dans le sang, il est aussitôt absorbé par l’hémoglobine réduite et ensuite par la bac- téridie elle-même. A une température inférieure à 47, la vie se conserve dans ces tubes pendant plus d’un mois. L’exa- men microscopique montre que les bâtonnets sont désagrégés et cependant l’ensemencement fait voir qu’il y en a encore de vivants. À une température plus haute, à 45° par exemple, la mort des bacilles survient plus tôt, en une dizaine de jours environ ‘. Avec ces procédés nous retombons dans les difficultés dont nous parlions tout à l'heure. À quel moment toute vie est-elle éteinte dans les tubes clos? Les bactéridies filamenteuses * ne périssent pas toutes à la fois, quelques-unes vivent encore, alors que toutes les autres ont succombé depuis longtemps, et voici qu'avec les ensemencement et lesinoculations, nous retrouvons toutes nos incertitudes précédentes. C'est pourquoi nous avons pensé que des procédés où l’erreur peut être si facile ne conve- naient guère pour établir la vaccination chimique. Nous avons alors cherché une maladie autre que le charbon, qui permettrait l'emploi des procédés brutaux de chauffage, et l'usage de ces méthodes de stérilisation qui ont si bien fait leurs preuves qu'elles sont la base de la préparation des milieux de culture employés en microbiologie. C’est pour cette raison que la publication de nos expériences sur la septicémie * a précédé celle des expérien- ces contenues dans ce mémoire, bien que ces dernières soient pour la plupart de beaucoup antérieures. 1. C’est ce procédé qui a été employé par M. Pasteur, pour donner l’immunité aux lapins contre le charbon, en dehors de l'action des bactéridies vivantes. Ces expériences, que M. Pasteur n’a pas pu rendre aussi complètes qu'il l’aurait désiré, ont été entreprises en 1886 et publiées dans les Comptes rendus de l'Académie des sciences du 30 janvier 4888. 2. Voir Annales de l'Institut Pasteur, août 1887 : Action de ta chaleur el de L'air sur les spores de la bactéridie du charbon. 3. Annales de l'Institut Pasteur, décembre 1887. SUR L'IMMUNITÉ CONTRE LE CHARBON. A3 Il Dans les expériences que nous allons exposer maintenant, le sang était recueilli avec pureté dans le cœur d'un mouton qui venait de succomber au charbon. Il était aspiré dans des tubes à deux effilures, de façon que les branches de ceux-ci soient rem- plies. Les tubes étaient aussitôt fermés à la lampe et plongés entièrement dans un bain d’eau bien réglé à 58°. Le chauffage avait donc lieu en présence d’une très petite quantité d'air pour éviter l’action de l'oxygène sur les substances contenues dans le sang charbonneux. Les tubes restaient ainsi une heure dans le bain d’eau, puis ils étaient retirés et chauffés de vouveau pen- dant une heure ; cette opération était répétée pendant cinq jours consécutifs. La température de 58°, que nous avons employée dans ces essais, tue plus rapidement la bactéridie que celle de 5950, sans cependant coaguler l’albumine du sang. Pour plus de sûreté, nous avons pratiqué des chauffages successifs comme pour la stérilisation du sérum destiné aux cultures. Chaque fois qu'un tube était ouvert pour l'usage, nous ense- mencions dans du bouillon une partie de son contenu, nous semions ainsi 2 centimètres cubes sur 10 centimètres cubes environ de sang employé. Le sang ainsi chauffé ne nous à jamais donné de cultures. D'après ce que nous avons dit précé- demment, les propriétés vaccinales du sang charbonneux traité par des chauffages successifs à 58° sont affaiblies ; aussi avons- nous été obligés, pour compenser cet affaiblissement, d'en injec- ter beaucoup plus que nous l’avions fait dans nos premiers essais. Îl est important que toutesles manipulations soient faites avec autant de pureté que possible,carl’introduction d’un microbe étranger dans le sang injecté, pourrait non seulement compro- mettre la vie des animaux en expérience, mais aussi faire attri- buer à l'injection de substances chimiques les effets de l’inocula- tion d’un microbe. Pour préparer le liquide à injecter, on coupe la partie supérieure des branches des tubes, on fait tomber le caillot peu consistant sur un panier en toile métallique serrée, placé sur un verre flambé, et on le dissocie avec une spatule de platine. La spatule et le panier de toile métallique ont été préa- lablement portés au rouge dans une flamme de gaz. Le liquide qui s'écoule du caillot est injecté sous la peau au moyen d’un 414 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. trocart dont la canule n’est pas trop fine, afin d'éviter les obstruc- tions ‘. Toutes les expériences qui suivent ont été faites sur des moutons, parce que ces animaux, tout en prenant très facilement le charbon, se vaccinent beaucoup plus aisément contre cette maladie queles lapins. Après l'injection préservatrice, nous avons éprouvé les animaux avec un virus très virulent, de façon qu'il n'y ait point de doutes sur leur état réfractaire. Il est vrai qu’en agissant ainsi nous nous exposions à ne pas mettre en évidence une immunité légère, qui aurait pu leur ètre donnée, et qui enles protégeant contre un virus moins fort, aurait cependant suffi à montrer le sens des phénomènes. Nous avons préféré agir ainsi pour avoir des résultats nets, et pourne pas être obligés d'employer un grandnombre d'animaux, ce quiest toujours nécessaire lorsque l'épreuve de l’immunité n’est pas assez sévère. L’inoculation d’épreuve a toujours été pratiquée dans une région du corps éloignée de celle où on avait fait les injections préservatrices, afin que l’on ne puisse pas invoquer que le développement de la bac- téridie virulente a été entravé par une modification locale des tissus. Les explications qui précèdent se rapportent à toutes les expériences qui suivent. Sang charbonneux chauffé à 58°; injections sous la peau. EXPÉRIENCE. — Oninjecte, dans le tissu cellulaire sous-cutané des épaules et du flanc de deux moutons, du sang charbonneux chauffé pendant 5 jours (une heure chaque jonr) à 58. Un de ces moutons reçoit ainsi 90“, l'autre 70“ introduits en 6 injections pratiquées dans l’espace d’une semaine. Après chaque injection, on note une élévation de température de 1° environ, qui ne persiste pas plus de 24 heures. Douze jours après, ces 2 moutons sont À valse sous la peau de la cuisse droite avec 1/5 de centimètre cube d’une culture fraîche de charbon virulent, enmême temps que deux moutons neufs. Ces derniers succombent au charbon en 30 heures, les 2 moutons qui ont recu le sang chauffé ont une forte fièvre pendant deux jours; le quatrième jour après l’inoculation, leur température est devenue normale et ils restent bien portants dans la suite. ExPÉRIENCE. — Neuf moutons reçoivent dans le tissu cellulaire sous- cutané dusang charbonneux porté 4 fois à 58, pendant une heure chaque fois és un jour d'intervalle. Le no 1 reçoit 8", Le n° 2, 16“, le n° 3, 42“, le n° 4 , le n°5, 80°, le n° 6, 80, le n° 7, 90, le n° 8, 100, le no 9, 104%. Après 1. Ce liquide contient les cadavres des bactéridies qui jouent peut-être un rôle comme substance chimique. SUR L'IMMUNITÉ CONTRE LE CHARBON. 415 la première injection, qui a été de 8" pour le premier mouton et de 46e pour tous les autres, on note une élévation de température qui varie selon les animaux de 4° à 40,5. Cette élévation de température se renouvelle à chaque injection, mais elle n'est que passagère et dès le lendemain la température redevient normale. Lorsque les injections sont faites avec soin, il n’y a que très peu de réaction locale dans les points où elles sont pratiquées; il se produit un petit œdème qui s'indure et disparaît les jours suivants. Onze jours après la deraière injection, on inocule tous ces moutons avec une culture récente de charbon virulent, en même temps que deux moutons neufs et un mouton auquel on a injecté, sous la peau, 80 de sang de mou- ton sain chauffé à 58°, en même temps que le sang charbonneux. Les moutons neufs ontsuccombé en 32 et 34 heures, le mouton qui a recu le sang sain meurt en 36 heures. Parmi les moutons auxquels on a fait les injections préservatrices, deux sont morts, le no 2 et le n° 3. Le n° 2 qui avait recu 16° de sang chauffé a péri entre la 30€ et la 36° heure qui a suivi l'inoculation. Le n° 3 qui avait recu 32° est mort entre la 52% et la 60° heure. Tous les autres ont résisté, après avoir été malades pendant 2 jours et éprouvé une très forte fièvre. Nous nous bornerons à citer ces deux expériences : toutes celles que nous pourrions ajouter donnent ce même résultat, à savoir que les moutons qui ont reçu du sang charbonneux chauffé à 58° dans le tissu cellulaire, en quantité suffisante, résistent à linoculation du charbon virulent. Il est à remarquer qu’à l'épreuve, ces moutons, mème ceux qui avaient reçu les plus fortes doses, ont été très malades et que l’immunité qui leur est conférée parles injections de sang chauffé paraît moins solide que celle qui leur est donnée par l’inoculation successive des deux vaccins charbonneux. Les quantités de sang chauffé nécessaires pour donner une résistance suffisante aux animaux sont très variables, puisque nous voyons dans cette expérience qu’un mou- ton qui n'avait reçu que 8° a survécu, tandis que d’autres sont morts qui avait reçu 16% et 32%. Ces différences tiennent sans doute aux résistances individuelles des divers animaux, mais on peut dire que les moutons se montrent d'autant plus réfractaires qu'on à introduit dans leur corps plus de sang charbonneux chauffé. Il est probable aussi que tous les sang charbonneux n'ont pas la même activité, car les conditions de la culture de la bactéridie ne sauraient être les mêmes chez tous les animaux. Quelle est la durée de l’immunité ainsi conférée? Est-elle compa- rable à celle que donne aux bêtes ovines la vaccination charbon- neuse telle qu’elle se fait dans la pratique? Nous n’avons pas 416 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. d'expériences suffisantes pour résoudre celte question, nous citerons simplement l'observation suivante : Expérience. — Le 16 novembre 1881, on chauffe à 55° pendant 15, 35 et 30 minutes du sang charbonneux que l’on conserve ensuile à la glacière jusqu'au 28 novembre. Le jour même, on puise dans chacun de ces échan- tillons 9“ de sang que l’on injecte à 3 moutons à la dose de 3° par animal. On ajoute du bouillon au sang qui reste dans les tubes, et on les mel à l'é- tuve, Ils y restent jusqu’au 16 décembre sans donner de culture. On les a examinés au microscope sans voir de développement, et une partie de leur contenu a été semée plusieurs fois sans succès. 11 semble donc certain que toutes les bactéridies ont été tuées dans ce sang. Le 13 décembre, on inocule avec du charbon virulent un mouton de chacun deces lots: durantles 4 jours qui suivent, ils ont une forte fièvre, mais aucun d'eux ne succombe. Le 16 décembre, on inocule avec du sang d’un cobaye mort du charbon un second mouton de chacun des 3 lots en même temps qu’un mouton neuf; ce dernier meurt dans la nuit du 47 décembre. Le 17, le 18, le 19, le 20, le 21 décembre, les trois moutons ont une forte fièvre, mais ils se rétablis- sent les jours suivants. Il reste encore un mouton dans chacun des trois lots. Ces animaux sont inoculés le 22 décembre avec du sang d'un cobaye charbonneux, en même temps que 6 moutons neufs. Le 24 décembre au matin,les 6 moutons témoins sont trouvés morts, ainsi que deux des moutons qui ont reçu le sang chauffé. Le 3° est très malade. Mais il se guérit dans la suite. Cette expérience montre que 14 jours après l'injection du sang chauffé, les moutons résistent au charbon virulent ; que 17 jours après, ils survivent aussi à l’inoculation d’épreuve; mais que celle-ci les rend très malades ; qu’enfin après 24 jours un seul mouton sur 3 est encore réfractaire au charbon. Cette faible durée de l’immunité est une preuve nouvelle qu'il n’y avait pas de bactéridies vivantes dans le sang injecté, car une immunité due à la culture de bactéridies modifiées dans le corps des animaux aurait été plus durable. Les doses de sang chauffé employées dans cette expérience sont très faibles, elles se sont cependant montrées actives parce que le sang n'avait été chauffé qu’une fois à Siet qu'il n'avaitpas été altéré par une température plusieurs fois répétée de 580. Injections du sang chauffé dans les veines des moutons. — Au lieu d’injecter en plusieurs fois du sang charbonneux chauffé, sous la peau des moutons, nous en avons introduit en une seule fois de grandes quantités dans les veines. Pour éviter les embolies, SUR L’'IMMUNITÉ CONTRE LE CHARBON. 17 le sang était soigneusement passé sur une loile de batiste fine stérilisée à l’autoctave. L'injection était poussée lentement dans une veine du jarret ‘. EXPÉRIENCE. — On injecte dans la veine du jarret droit de 3 moutons (4, 2, 3) du sang charbonneux chauffé 4 fois à 580, Le n° 4 reçoit 80cc; le no 2, 92e le n° 3, S0ce, Après l'opération, on ne remarque aucun essouffle- ment ; les températures prises plusieurs fois dans la journée sont inscrites dans le tableau suivant Température Température après lPinjection. AU MOMENT | de l'injection.| 3 h. 6 h. 9h: 20 h. Mouton n° I. 80° 40,0 OS SEM SA OT Mouton n° IL. 99° 40,3 40,3 | 41,3 | 41,0 | 39,8 Température Température après l'injection. au moment de linjection.| { h. Mouton ne III. S0ce 40,1 40,0!40, 6/41 3/42 0] 9 Un mouton neuf recoit dans la veine du jarret droit 90: de sang d’un mouton sain, ce sang à été chauffé comme le sang charbonneux. Température Température après Pinjection. au moment —_———_— — — de Pinjection.| 3 h. 6 h. 9 h. 2% Mouton n° IV. 90cc 40,0 40,0 40,5 40,5 40,3 (sang sain.) Ces 4 moutons sont inoculés, 8 jours après l'injection intraveineuse, avec une culture récente de charbon virulent. 1. M. Chauveau a injecté dans les veines des moutons pour leur donner l'immunité de grandes quantités de sang charbonneux défibriné, privé de bacté- ridies par le chauffage. Il ne faut pas, dit-il, compter sur ce moyen parce que « les traitements que le sang infectieux doit subir agissent peut-être non seule- ment sur Ja vitalité des bacilles, mais encore sur les propriétés du poison soluble, qu'on a quelques raisons de croire très altérable. (Chauveau, Revue scientifique, 1885, t. II, page 358.) A18 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Le mouton n° TJ à une forte fièvre pendant trois jours, puis il se rétablit. Le mouton n° II meurt 96 h. après l’inoculation. Le mouton n° IT meurt 69 h. après l’inoculation. Le mouton n° IV meurt 50 h. après l’inoculation. Les deux moutons neufs avaient succombé en 48 heures. Il faut d'abord noter, dans cette expérience, que de grandes quantités de saug charbonneux sans bactéridies vivantes, peuvent être introduites dans les veines sans produire les phé- nomènes toxiques immédiats que M. Chauveau a signalés à la suite d’injections de sang charbonneux non chauffé dans la circu- lation des moutons réfractaires’, Le seul symptôme qui suit ces injections de sang chauffé, c’est une élévation de la tempéra- ture quine s’est pas produite avec le sang d’un animal sain. Pour ce qui est de l’immunité conférée par ces injections, on voit qu'elle est très faible. Les moutons qui ont reçu le sang charbon- neux ont résisté plus longtemps que les témoins et que celui qui avait reçu le sang sain; l’un d'eux a même survécu. Mais ils se sont montrés bien moins résistants que les animaux de nos expériences précédentes, auxquels on avait donné les mêmes doses de sang chauffé sous la peau au lieu de les verser direc- tement dans les veines. Les substances vaccinales sont sans doute détruites en partie par l'oxydation ou éliminées par les reins? ou par une autre voie. Il n’est donc pas indifférent de les injecter sous la peau ou de les meitre d'emblée dans la circulation san- guine. Filtration dusang charbonneux. — Dans les essais qu'il a faits pour séparer les bactéridies du charbon de la partie liquide du sang charbonneux, M. Toussaint a eu recours à là filtration sur plusieurs doubles de papier buvard. Ce procédé est très imparfait, il laisse passer la bactéridie, et ne peut donner, comme Toussaint l’a reconnu lui-même, aucun résultat précis. Nous avons essayé de filtrer du sang charbonneux sur la porcelaine, qui retient sûrement toutes les particules en suspension dans le sang. La filtration de ce sang visqueux est longue, mais en ayant soin d'opérer à basse température on peut recueillir des quantités considérables de liquide avant quele sang charbonneux 1. Chauveau, Comptes rendus Académie des sciences. t. IX, p. 680, 1880. 2. Bouchard, Comptes rendus Académie des sciences, 4 juin 1888. SUR L'IMMUNITÉ CONTRE LE CHARBON. 419 ait pu s’altérer. Nous ne rapporterons pas ces essais en détail parce que l'injection de ce sang filtré n’a pas donné l’immunité aux moutons qui l'on recue et aussi parce que l'injection a été faite seulement dans les veines, ce qui, d’après ce que nous venons de dire, est une condition défavorable. La facon dont les substances vaccinales du sang charbon- neux se comportent à la chaleur et à la filtration sur porcelaine, nous à fait penser qu'elles étaient peut-être de nature diatasique et nous avons essayé de les isoler par précipitation par l'alcool et redissolution dans l’eau. M. Gamaleïa, en traitant la rate d'animaux charbonneux par de l'alcool fort, puis en épuisant le coagulum par l’eau, a obtenu un liquide qui cause aux lapins auxquels on l'injecte dans les veines une fort fièvre ( V. Annales de l'Institut Pasteur, mai 1888), maisil n’a pas recherché si les animaux qui avaient reçu cette substance extraite des rates charbonneuses avaient acquis l’immunité pour le charbon. EXPÉRIENCE. — On réduit en pulpe des rates charbonneuses et on fait tomber cette pulpe dans trois fois son poids d’alcool à 95, de façon qu'il n'y ait pas de projection sur les parois du vase, et que toutes les bactéridies soient tuées par leur contact avec l'alcool fort. On laisse la pulpe de rate en contact avec l'alcool pendant 4 jours. Puis on jette le coagulum sur un filtre, on le dessèche rapidement dans le vide, et on épuise par l’eau stéri- lisée le résidu sec. On obtient ainsi un liquide alealin, un peu louche, qui précipite par l'alcool et par l'acide nitrique. 65 grammes de rate sèche ont été épuisées par 128c° de liquide qui est in- jecté sous la peau des flancs de deux moutons, chacun recoit 32° une pre- mière fois et deux jours après 32 nouveaux centimètres cubes, Température Température après la 1°° injection. au moment |de la 1°° injection. Mouton n° I. g2ce + 39cc Mouton n° IT. | 32ce + 39cc | 1. M. Arloing a étudié récemment une substance phlogogène formée par un microbe dans les bouillons de culture, cette substance ne passe pas à travers le filtre de porcelaine, elle se comporte comme une diastase, elle perd ses propriétés phlogogènes à 88, et est précipitée de ses solutions aqueuses par l'alcool. 420 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. A un mouton n° IT on injecte de même en deux fois 64 de liquide qui ont servi à épuiser 38 grammes de rate saine, sèche et traitée en tout comme les rates charbonneuses. Température Température après la {r° injection. au moment de la {re injection. Mouton n° III. 39cc + 32cc (Rate saine). L'elévation de la température a été aussi forte chez ce mouton témoin que chez les moutons I et IL. Sept jours après la seconde injection, on inocule ces trois moutons avec 4/5 de centimètre cube de culture de charbon virulent. Le mouton n° IITet le témoin sont morts après 43 heures; le mouton n° II après 44 heures et le mouton n° I après 50 heures. Pour savoir si les substances actives ne seraient pas restées en solution dans l'alcool qui a servi à coaguler la pulpe des rates charbonneuses, on l'é- vapore par distillation dans le vide. On dissout le résidu sec, complètement cristallisé, dans un peu d’eau. La solution n’est pas complète, il y a des ma- tières grasses qui sont en suspension dans le liquide; on injecte ce liquide trouble à un mouton sous la peau. L'alcool qui a servi à coaguler les rates saines est distillé de la même manière, le résidu se comporte comme celui des rates charbonneuses, ilne se dissout pas entièrement, il est injecté sous la peau d'un second mouton. Dix jours après, ces deux moutons sont inoculés a la face interne de la cuisse droite, avec du sang d'un lapin charbonneux, en même temps qu’un mouton neuf, Ces trois moutons ont succombé entre la 48e et la 52° heure après l'inoculation. La conclusion de toutes les expériences que nous venons de rapporter sera que le charbon ne se prête pas facilement à une démonstration décisive et éclatante de la vaccination par subs- tances chimiques. Les matières vaccinales que contiennent la rate et le sang charbonneux sont trop altérables par la chaleur et les réactifs ; aussi on comprendra qu'après tous ces essais, nous avons cherché en dehors du charbon une maladie pour laquelle la preuve de la vaccination chimique soit plus facile à donner. Nous l’avons trouvée dans la septicémie expérimentale, qui ne présente pas les difficultés que nous avons rencontrées pour le charbon. Cependant, des expériences que nous avons faites, 1l se dégage la preuve que l’on peut donner l’immunité contre. le charbon avec du sang charbonneux privé de bac- SUR L'IMMUNITÉ CONTRE LE CHARBON. 421 téridies vivantes. C’est le procédé de chauffage, proposé par M. Toussaint, qui donne les meilleurs résultats. Il a suffi de modifier la méthode mème de M. Toussaint pour donner cette démonstration qui lui a échappé, mais dont il convient cepen- dant de lui rapporter en grande‘partie l'honneur. Ces substances vaccinales que l’on trouve dans le sang des moutons charbonneux se forment-elles dans les cultures artifi- cielles de bactéridies? D’après ce que nous savons maintenant sur l’altérabilité de ces substances, il est clair qu'il ne sera pas facile de les mettre en évidence dans les milieux où la bactéridie du charbon donne des spores. Pour se débarrasser des germes, il faut avoir recours à des agents qui détruiront les matières dont on veut prouver l'existence. D'ailleurs, le milieu que le bacille du charbon trouve dans un animal vivant est si différent de celui que lui offrent nos liquides de culture qu'il n’est pas étonnant que les produits qu'il forme ne soient pas les mêmesdans les deux cas. Pour n'insister que sur un point, rappelons ce qui se passe quand on cultive la bactéridie dans le bouillon et dans le sérum. Comme l’a montré récemment M. Perdrix (Annales de l'Institut Pasteur, juillet 1888), la matière azotée est oxydée par la bacté- ridie qui en forme de l’ammoniaque ; dans ces conditions de culture à l'air libre on comprend que le procès chimique soit bien différent de ce qu'il est dans le sang où le bacille du charbon ne trouve que de l'oxygène combiné aux globules ; aussi ne se produit-il plus dans le sang ces combustions profondes de la matière azotée que M. Perdrix a signalées dans les cultures. Nous pensons pourtant qu'il n’est pas impossible de réaliser, en dehors de l'organisme, des conditions de culture dans lesquelles la bac- téridie élaborera des produits chimiques semblables à ceux qu’elle fabrique dans le corps des animaux. L’exposé de nos expériences sur le sang charbonneux privé de bacilles vivants, nous amène à parler de celles que M. Chau- veau a publiées il y a longtemps ‘ et qu’il regarde comme tout à fait démonsiratives de la vaccination par produits chimiques. Récemment M. Chauveau est revenu sur ce sujet. Dans une note à l'Académie des sciences?, il déclare que, dans notre 1. Comptes rendus Acad. des Sc., 19 juillet 4880. 2. Comptes rendus Acad. des’ Sc., février 1888. Annales de l’Institut Pasteur, fevrier 4888. 27 422 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. mémoire sur la Septicémie ‘, nous avons méconnu le caractère de ses propres travaux, quard nous avons écrit qu'il avait sou- tenu cette opinion parce qu'elle rend mieux compte des faits. Depuis 1879, M. Chauveau s’est occupé des substances qui sont contenues dans le sang charbonneux; il a montré d’abord que l'injection de sang charbonneux dans les veines de moutons réfractaires leur cause un malaise très grave en même temps que très fugitif. Pour lui, ces troubles physiologiques sont dus au poison soluble que renferme ce sang ?. M. Chauveau a fait voir ensuile que les agneaux qui naissent des brebis inoculées du sang de rate dans les derniers mois de leur gestation, sont réfractaires au charbon. « Le placenta, dit-il, arrête les bacilles contenus dans le sang maternel; comme le ferait un filtre il n’y a que les matières solubles du sang qui puissent le traverser. » C'est donc à l’action de celles-ci qu'est due l’immunité dont les agneaux sont doués à leur naissance. M. Chauveau estime que ces expériences constituent une démonstration directe, absolu- ment probante. Cependant, même en admettant comme cer- _tains qu'aucune bactéridie ne passe aux fœtus, les échanges qui s'accomplissent entre ceux-ci et leurs mères ne sont pas si simples que l'expérience de M. Chauveau ne puisse avoir plusieurs inter- prétalions. On pourrait soutenir, par exemple, que le fœtus est vacciné, parce qu'il est passé de son corps dans celui de la mère, des substances nécessaires à la vie de la bactéridie, et qui ont été consommées par elle. On peut donc tirer, de l'expérience sur les agneaux, un argument en faveur de la théorie de l’épuise- ment aussi bien qu’en faveur de la théorie de la substance ajoutée; à elle seule elle n’est donc pas démonstrative. A cette objection de principe s’ajoute une objection de fait qui a été apportée par les travaux de MM. Straus et Chamber- land sur le passage de la bactéridie de la mère au fœtus. Ces expérimentateurs ont établi, contrairement à l'opinion de Brauel et de Davaine, que le bacille du charbon passe de la mère cobaye à ses petits. Leurs observations ont été confirmées de- puis sur les lapines, par M. Malvoz *; on a même cité des cas de 4. Annales de l'Institut Pasteur, déc. 1887. 2, Dans le n° de juillet 4888 de la Revue de médecine, M. Bouchard dit que « dans cette expérience la complexité des phénomènes est trop grande, qu'on ne peut apprécier les effets vraiment imputables à la matière toxique puisqu'elle n'a pas été isolée de son cortège immense d'agents infectieux. » Leçon sur la virulence. 3, Annales de l'institut Pasteur, mars 1888. SUR L’'IMMUNITÉ CONTRE LE CHARBON. 423 passage du charbon de la mère à l’enfant, dans l'espèce humaine. M. Chauveau ne conteste pas les résultats de MM. Straus et Chamberland et iln'amoindrit pas la valeur de l'objection qu’on peut en tirer contre ses expériences. Mais il soutient que l'on ne saurait conclure ce qui se passe chez la brebis de ce qu’on observe sur la cobaye et la lapine. Toute la valeur de l'expérience de M. Chauveau étant dans l'absence de passage du bacille du charbon de la brebis à son fœtus, 1l faut que ce non-passage soit absolument démontré. Chez le mouton le sang de rate donne lieu à des hémorragies capillaires dans l’intestin, le péritoine et les reins; le placenta serait-il seul à l'abri de ces ruptures vasculaires? Non, car M. Chauveau nous fait connaître que sur onze fœtus de brebis charbonneuses qu'il a examinés, deux contenaient des bacilles du charbon. Il n'y a donc pas impossibilité absolue au passage de la bactéridie à travers le placenta de la brebis. L'expérience ne donnant pas une preuve sans réplique, M. Chauveau, pour établir ce qu’il soutient, fait le calcul suivant : Sur qua- rante agneaux nés de mères inoculées pendant la gestation, quarante se sont montrés réfractaires au charbon; sur onze fœtus de brebis mortes du charbon, deux seulement contenaient des bactéridies ; donc sur les quarante agneaux, sept au plus, « c’est-à-dire moins du cinquième, ont été exposés à êlre péné- trés par les bacilles venant de la mère ». L'appareil mathématique de ce raisonnement ne le rend pas, croyons-nous, beaucoup plus rigoureux. En effet, la con- clusion n’est bonne qu'autant que les moyens employés pour déceler la bactéridie dans le fœtus, donnent la certitude absolue qu’elle n’y était que deux fois sur onze. Pour cette recherche, M. Chauveau s’est borné à inoculer un centimètre cube de sang fœtal pris dans le cœur. Comme M. Malvoz l’a fait remarquer, ce n’est pas dans le sang du cœur qu'il faut chercher les bacté- ridies, mais dans le foie qui reçoit le sang placentaire, ainsi que l'ont fait MM. Straus et Chamberland. Les bacilles qui peuventpasser, à la fin dela vie dela mère, dans les vaisseaux du fœtus, s'arrêtent dans les capillaires des organes : et n’ont pas le temps d'y pulluler parce que la mort survient 1. Voyez Wyssokowitsch (R. Koch’s u, Flugge’s Zeitschrift f, hygiene, 1886, Bd I). 424 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. bientôt ‘. Il ne faut donc pas s'étonner de ne pas trouver, chez ces agneaux, le gonflement de la rate et l'abondance des bactéri- dies. Celles-ci ne peuvent qu'être rares et difficiles à mettre en évidence *. Nous dirons même qu'il est impossible, dans ces conditions, de dire qu'un fœtus ne contient aucune bactéridie charbonneuse. Il faudrait en effet l’avoir ensemencé tout entier pour avancer une pareille affirmation. On aura beau multiplier les ensemencements, on pourra toujours soupconner que la bactéridie cherchée est justement dans les portions non semées. Une expérience qui laisse ainsi des doutes dans l'esprit ne peut servir à établir définitivement une doctrine. C’est ce que semble reconnaitre M. Chauveau, lorsqu’après avoir rapporté ses expé- riences, il écrit: « Il est probable, sinon absolument certain, que l’immunité a été créée chez tous ces agneaux sans qu'un seul bacille de la mère ait pénétré dans le sang d'aucun d’eux *. » Nous sommes d'accord avec M. Chauveau dès qu'il ne parle plus de preuve définitive. Ses expériences, sans donner la démonstration de l'idée dont il s’est fait le champion, ont puissamment contribué à la répandre ; c’est ce que nous ne pen- sions pas avoir méconnu en écrivant que M. Chauveau a sou- tenu l'opinion de la vaccination par produits chimiques « parce qu'elle rend mieux compte des faits ». Dans cette même note àl'Académie dessciences, M. Chauveau s'étonne que dans notre mémoire sur la septicémie, nous n’ayons pas signalé le travail qu'il a fait sur cette maladie en commun avec M. Arloing. MM. Chauveau et Arloing sont en effet les premiers qui aient donné l’immunité contre la septi- mie (qu'ils appellent gangrène gazeuse), par des virus vi- vants. Ils ont aussi montré que le liquide septique débarrassé des microbes vivants ne causait pas l'infection : « I] ne nous a manqué, ajoute M. Chauveau, que de rechercher si les sujets 4. Il ne faut pas oublier que M. Chauveau a annoncé que l'immunité pouvait être conféré par de très petites quantités d'éléments virulents, il ne faut donc pas négliger l'action de quelques bacilles erratiques. 2. Lorsqu'on se borne à inoculer ou à ensemencer le sang du cœur ou des par= celles du foie de fœtus pris sur des lapines qui viennent de succomber au charbon, on trouve que la bactéridie passe très rarement au fœtus. Il n'en est plus de même quand on inocule ou qu'on ensemence le foie presque tout entier. Dans des expé- riences faites sur 17 fœtus de lapines, en utilisant presque tonte la masse du foie de chacun d'eux, on a vu que fois il y avait des bacilles dans cette organe. 8. Annales de l'Institut Pasteur, 25 février 1888. SUR L'IMMUNITÉ CONTRE LE CHARBON. 425 ainsi inoculés élaient devenus réfractaires à l’action du vibrion lui-même. » Ce qui a manqué au travail de MM. Chauveau et Arloing est justement le sujet du nôtre. L'idée de l’immunité, due à des produits chimiques élaborés par des microbes, est déjà ancienne dans la science. Nous la trouvons exprimée avec une netteté parfaite dans la note de M. Pasteur sur le choléra des poules. « On peut, dit M. Pasteur, se rendre compte des faits de non récidive en admettant que la vie du microbe, au lieu d'enlever ou de détruire certaines mu- tières dans le corps des animaux, en ajoute, au contraire, qui seraient pour ce microbe un obstacle à son développement. Les excrélions nées d’un fonctionnement vital peuvent s'opposer à un fonctionnement vital de même nature. » C’est au mois d'avril 1880 que M. Pasteur écrivait ces lignes. La même année, en juillet 1880, M. Chauveau faisait connaître l'influence de l’inoculation de la mère sur la réceptivité du fœtus et se prononçait en faveur de la seconde hypothèse émise par M. Pasteur. Le mois suivant, M. Toussaint publiait sa méthode de vaccination du charbon. M. Pasteur, que ses expériences sur le choléra des poules avaient conduit à adopter la théorie de l'épuisement, revint à celle de la substance ajoutée dans ses travaux sur la rage en 1885. Depuis, cette question de l’immunité par produits chimiques était à l'étude dans tous les laboratoires, chacun s’efforçait de trouver la démonstration définitive qui manquait. On sait quels travaux ont été publiés sur ce sujet depuis 1886, par Salmon, Woolridge, Beumer, Charrin, Chantemesse et Widal. Nous pensons, qu’en prouvant quel’on peut donner, avec des substances solubles, l’immunité contre la septicémie aux cobayes qui sont si sensibles à cette maladie, nous avons écarté toutes les objec- tions que l’on pouvait encore faire aux travaux qui ont précédé le nôtre. RECHERCHES MICROBIOLOGIQUES SUR L'UTÉRUS APRÈS LA PARTURITION PHYSIOLOGIQUE Par MM. I. STRAUS er D. SANCHEZ-TOLEDO !. J. — Nous savons aujourd'hui que la plupart des infections puerpérales sont d’origine micro-parasitaire et reconnaissent comme porte d'entrée les voies génitales et surtout l'utérus : il y a donc un intérêt réel à rechercher, à l’aide des méthodes d'investigation actuelles, dans quelle mesure, après l’accou- chement physiologique, des micro-organismes, pathogènes ou non, peuvent se rencontrer dans la cavité utérine. Les recherches précises instiluées dans cette direction sont encore très peu nombreuses. Presque tous ceux qui, en vue d’élucider l’éliologie de l’infec- tion puerpérale, ont étudié les lochies des femmes en couches {Scherer, Mayerhofer, Rokitansky, Kehrer, Karewski) recueil- laient les lochies à l'ouverture vulvaire ou dans le vagin, c’est- à-dire alors que le liquide avait eu le temps d’être contaminé par les nombreux microbes qui, à l’état normal, existent dans le vagin; aussi la plupart d’entre eux arrivèrent-ils à cette conclu- sion que les lochies, chez les femmes saines aussi bien que chez la femme atteinte d'infection puerpérale, renferment des micro- organismes, et que l'injection de ces lochies sous la peau ou dans le sang des animaux provoque des accidents septicémiques. M. Pasteur * fut le premier qui examina les lochies des femmes en couches et trouva que celles des femmes saines sontexemples de microbes tandis que celles des femmes malades en pullulent. 1. Les principaux résultats de nos recherches ont été communiqués dans une note à la Société de Biologie le 14 avril et à l’Académie des sciences le 16 avril 1888. 2. Cité par Doleris : Essai sur la pathogénie et la thérapeutique des accidents infecheux des suiles de couches. (Thèse, Paris, 1880, p. 95.) RECHERCHES SUR L'UTÉRUS APRÈS LE PART. 427 M. Doléris, dans sa remarquable Thèse inaugurale, a pratiqué l'examen bactériologique d'un grand nombre d’accouchées saines ou atteintes de fièvre; mais les lochies étaient puisées dans le vagin et non dans l'utérus; elles étaient recueillies sur des femmes soumises toutes, dans un but prophylactique ou théra- peutique, à des injections désinfectantes. Ces recherches, quelque instruclives qu'elles soient au point de vue de la pathologie où s’est presque exclusivement placé M. Doléris, ne peuvent pas beaucoup servir à l’élucidation du problème physiologique qui est visé dans ce travail. Dans un récent mémoire, M. Düderlein : s’est attaché à éviter ces causes d'erreur. A l’aide d’une pipette stérilisée introduite à travers un spéculum dans la cavité du col utérin, il a recueilli avec pureté les lochies, utérines chez les femmes en couches. II constata que ces lochies chez les accouchées saines (exemptes de fièvre) ne contiennent pas demicro-organismesetqu’elles peuvent être injectées impunément sous la peau ou dans les veines des lapins. Les lochies vaginales, au contraire, chez les accouchées saines, contiennent de nombreux microbes dont l'injection aux animaux est suivie d'effet pathogène. Chez les accouchées atteintes de fièvre, les lochies wtérines renferment toujours des germes, notamment le séreptococcus pyogenes, et leur inoculation aux animaux est suivie d'effet pathogène. Il. — Aôsence de germes dans la cavité utérine des rongeurs après la parturition. — Nous avons pensé qu'il y avait intérêt à faire des recherches de cette nature chez les femelles des ani- maux après le part. L'examen bactériologique de la muqueuse utérine peul ainsi être pratiqué bien plus commodément et plus sûrement que chez la femme, les animaux pouvant être sacrifiés à un moment quelconque après la mise bas, et les produits de sécrétion à examiner pouvant être prélevés in situ dans l'utérus et les cornes. Nos recherches ont porté sur dix femelles (lapines, femelles de cobayes, de souris et de rats); les animaux étaient sacrifiés dans un espace de temps après la mise bas variant entre trois 1. Untersuchungen ueber das Vorkommen von Spallpilzen in den Lochien der Uterus und der Vagina gesunder und kranker Wæchnerinnen (Archiv für Gynaekologie, Bd. XXXI, p. 419, 4887). 428 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. heures et trois jours. Immédiatement après la mort, le vagin, l'utérus et les cornes étaient ouverts avec toutes les précautions voulues pour éviter l'introduction de germes étrangers. Chez ces animaux, après l’expulsion du fœtus, l’utérus et les cornes reviennent très rapidement sur eux mêmes ; la muqueuse est d'un rouge foncé, vivement congestionnée et fortement plissée; la cavité est remplie d’un liquide filant, muco-sangui- nolent; ce caractère sanguinolent de l’exsudat se retrouve encore trois jours après le part; à l'examen histologique, ce liquide se montre constitué par des leucocytes, des globules rouges du sang et quelques débris épithéliaux. Cette sécrétion prélevée, soit dans les cornes, soit dans l’uté- rus à différentes hauteurs, fut étalée à l’aide de l’anse du fil de platine sur des lamelles à couvrir. Ces lamelles séchées, passées à la flamme furent soumises à l’action de diverses solutions aqueuses de couleurs d’aniline (violet de gentiane, bleu de méthylène, fuchsine, etc.). Dans aucun cas nous n'y pümes constater la présence de micro-organismes. Nous eûmes soin aussi de détacher à l'aide du fil de platine des parcelles de la muqueuse en divers points de l’utérus et des cornes : ces parcelles furent étalées par frottement à la surface de lamelles et colorées de la même façon : le résultat fut égale- ment négatif. Des parcelles de la sécrétion furent semées par piqûre dans des tubes de gélatine droits, ou en traînée sur la surface de tubes de gélatine inclinés ; d’autres furent ensemencées de la même façon dans des tubes contenant du bouillon additionné de gé- lose ; d’autres échantillons du produit de sécrétion furent semés dans des tubes d'Esmarch; d’autres enfin furent ensemencés dans du bouillon de veau alcalinisé. Les tubes et les ballons furent maintenus, les uns à la température du laboratoire, les autres à l'étuve à 37°. Chaque animal servit à faire une dizaine d’ense- mencements. Sur plus de cent tubes et ballons ainsi obtenus, six seulement donnèrent naissance à un développement d’orga- nismes ; il s'agissait dans ces cas de bacilles et de microcoques banals, tels qu'ils se rencontrent dans les cultures contaminées. Il n’est pas douteux que les germes développés dans ces tubes n’existaient pas dans le produit de sécrétion semé, mais ont été introduits pendant les manipulations. Il est à remarquer, en effet, RECHERCHES SUR L’UTÉRUS APRÈS LE PART. 429 que trois de ces tubes altérés provenaient des liquides puisés dans l'utérus d’une souris, animal chez lequel la petitesse des organes rend les opérations plus difficiles. Enfin, des fragments d'utérus et des cornes utérines ont été durcis par l'alcool absolu; les coupes, colorées par différentes méthodes, ne révélèrent la présence d'aucune bactérie. Voici le résumé de quelques-unes de nos expériences : EXPÉRIENCE I. — Femelle de cobaye ayant mis bas un seul petit dans la nuit du 4 mars 1888, sacrifiée le 5 à 5 heures du soir par piqûre du bulbe. Le petit provenait de la corne droite; celle-ci présentait une longueur d'environ 6 centimètres et un diamètre transversal de 4 centimètre; la muqueuse est fortement congestionnée et plissée ainsi que celle du col de l'utérus; la corne droite et le corps de l'utérus sont remplis par un liquide rouge, muco-sangui- nolent; la corne gauche (qui était vide) est cependant notablement augmen- tée de volume, distendue par un liquide clair, filant, muqueux. On sème du liquide remplissant les cornes et la cavité de l'utérus dans six tubes de géla- tine, de gélose, et dans quatre ballons Pasteur contenant du bouillon de veau neutralisé. Aucun de ces tubes et de ces ballons, placés les uns à la tempé- rature ordinaire, les autres à l'étuve à 37°, et observés pendant plus de trois semaines, ne donna naissance à une culture. De nombreuses lamelles faites avec ce liquide et colorées par les diffé- rentes couleurs basiques d’aniline ne révélèrent la présence d'aucun micro- organisme. Le même résultat négatif est obtenu sur les coupes, colorées, des cornes et de l'utérus. * EXPÉRIENCE II. — Femelle de cobaye ayant mis bas dans la nuit du 41 au 12 mars, sacrifiée par piqûre du bulbe le 15 mars, à 4 heures du soir. Les deux cornes utérines ont le diamètre d’une grosse plume d'oie, et le corps ne présente plus qu’une cavité presque virtuelle. Les cornes étaient remplies d’un liquide filant, d'apparence sanguinolente. On fait avec ce liquide des ensemencements dans six tubes du gélatine, quatre tubes de gé- lose et quatre ballons de bouillon. La gélatine de deux tubes est étalée à l’inté- rieur de ces tubes à la manière d'Esmarch. Les tubes et les ballons mainte- nus à la température du laboratoire ou à l’étuve à 37° pendant près d'un mois ne donnèrent naissance à aucun développement. Les essais de coloration sur lamelles et sur des coupes ne donnèrent aussi que des résultats négatifs. ExPÉRIENCE IV. — Lapine ayant mis bas six petits dans la nuit du 17 mars, sacrifiée par piqûre du bulbe, le 49 mars à 3 heures du soir. Les deux utérus présentent un diamètre d'environ un centimètre et demi; la mu- queuse est d’un rouge hémorrhagique et la cavité renferme un liquide fortement sanguinolent; ce liquide ainsi que des parcelles détachées àl’aide de l’anse de platine à la surface de la muqueuse elle-même sont ensemencés dans six tubes de gélatine, quatre tubes de gélose et quatre ballons Pas- 430 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. teur contenant du bouillon légèrement alcalin. Aucun développement d'or- ganismes dans ces tubes et ces ballons, après un mois de séjour à la tem- pérature du laboratoire ou à l'étuve à 370. à Les tentatives de coloration sur lamelles et sur les coupes ne donnèrent également aucun résultat. ExPpÉRIENCE X. — Souris sacrifiée trois heures, après la mise bas. On fait des ensemencements avec du liquide puisé dans les cornes et le corps de l'utérus dans dix tubes de gélatine et de gélose et dans quatre ballons de bouillon neutralisé; aucun développement dans ces tubes et ballons après trois semaines de séjour à la température du laboratoire ou à l’étuve. Le liquide contenu dans la cavité des cornes et des parcelles de Ia muqueuse sont étalées par frottement sur des lamelles et colorées par les diverses couleurs basiques d’aniline : on n’y constate aucun micro-organisme. Même résultat négatif avec les (tentatives de coloration des coupes de l'utérus et des cornes. Les expériences qui précèdent permettent donc de conclure que chez les animaux qui nous ont servi (lapines, femelles de cobayes, de souris et de rats) les cornes utérines, l'utérus, ainsi que la sécrétion qui y est contenue, ne renferment pas de micro- organismes après la parturition. Les microbes si nombreux et si variés qui existent dans les premières voies génitales ne pénètrent donc pas à l’intérieur de l'utérus ou, si quelques-uns y pénètrent, ils y sont rapidement détruits ou éliminés ’. 4. Peu de temps après la communication de notre note, a paru un travail de M. Winter : les micro-organismes du canal genital de la femme a l’état sain (Zeitsch. f. Geburtshülfe und Gynælkologie, 1888, Heft IT, p. 443). Il a pratiqué l'examen bacté- riologique de 40 trompes utérines normales enlevées dans des opérations d'ova- riotomie ou de myomotomie. De ses recherches il conclut que «la trompe normale dans toute son étendue ne renferme pas de micro-organismes ». Il a examiné de même 30 utérus, obtenus en grande partie de la même façon, et il conclut de même « que la cavité utérine normale ne contient pas de micro-organismes ». En revanche « le produit de sécrétion du col utérin prélevé chez les femmes bien portantes, à l'état de gestation ou non, contient toujours de nombreux micro- organismes: toutefois ceux-ci sont plus abondants pendant la grossesse ». En résumé, d'après ces recherches, le canal génital de la femme, à l'état phy- siologique, contient des microbes dans le vagin et la cavité cervicale, tandis que l'utérus et les trompes n’en contiennent pas. La limite supérieure où s’'arrétent les bactéries correspond à peu près à l'orifice interne du col. Parmi les microbes qui existent à l'état physiologique dans le canal génital de la femme, il yen aurait, d'après M. Winter, de pathogènes (Staphylococcus pyo- genes albus et aureus), sans parler de streptocoques dont la détermination plus précise n’a pas été faite. Ces résultats vont à l'encoutre de ceux obtenus par M. Gœnner, (Centralbl. fur RECHERCHES SUR L'UTÉRUS APRÈS LE PART. 431 HT. — JZnnocuité de l'introduction de microbes pathogènes dans la cavité utérine des rongeurs, après la parturition. — L'absence complète de micro-organismes dans la cavité de l'utérus et des cornes, à nimporte quel moment après le part, ayant été établie par les recherches qui viennent d'être exposées, nous fûmes conduits à instituer une autre série d'expériences. Si, à divers moments après la parturition, on introduit systématique- ment des microbes pathogènes dans l'intérieur de cette cavité, quelles seront les suites de cette introduction ? Sera-t-il possible de développer, chez les femelles soumises à ces expériences, des états comparables aux accidents puerpéraux chez la femme? Ce sont les résultats de ces expériences que nous allons exposer maintenant. Nos expériences ont porté sur des femelles de cobayes et des lapines ayant mis bas, depuis un espace de temps variant entre quelques instants seulement et trois jours. Pour introduire les cultures virulentes dans les cornes uté- rines, on procédait de la façon suivante. L'animal, couché sur le dos, était solidement fixé sur la planchette ; puis on introduisait dans le vagin, extrêmement long chez ces animaux, un tube de verre de 1° de diamètre et de 10° de longueur environ, à la facon d’un spéculum. A l’aide du petit miroir concave, percé d’un trou dans son centre, dont se servent les oculistes pour éclairer le fond de l'œil, on dirigeait un rayon lumineux sur le fond du vagin, de facon à éclaire, l’orifice de l'utérus. Chez les femelles de cobayes on arrive avec assez de facilité à introduire par cet orifice une sonde de gomme élastique qui s'engage ensuite aussi profondément que l’on veut dans une des cornes utérines. Chez la lapine, à cause de l’obliquité d'insertion de l'utérus sur le vagin, l'introduction de la sonde était beaucoup pluslaborieuse". Gynaekologie 1887, n° 98), qui a pratiqué, sur des femmes enceintes bien portantes, l'examen microbiologique du produit de sécrétion du canal cervical, et y a trouvé des variétés nombreuses de microbes; mais aucun de ces microbes inoculés aux animaux ne s'est montré pathogène, d'où M. Gœnner conclut qu'à l’état physiolo- gique le canal génital de la femme en gestation n’héberge pas de microbes patho- gènes, et que « les infections puerpérales ne sont pas des auto-infections ». 1. On sait que chez les lapines, il n’existe pas de corps de l'utérus et que les deux cornes utérines s'ouvrent séparément, par des orifices distincts, au fond du vagin. Il en résulte que tandis que chez les femelles de cobaye, nous étions abso- lument sûrs de toujours pénétrer dans la cavité des cornes, cette certitude était = beaucoup moins grande quand nous opérions chez la lapine, PC LU FN OS JE LL | en D ee 432 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. La sonde une fois introduite, on injectait une, deux et jusqu’à trois seringues de Pravaz de la culture virulente. L’injection faite, on s'assurait que le liquide ne refluait point dans le vagin. Ce liquide trouvait toujours aisément à se loger dans la cavité de la corne, ainsi que nous avons pu nous en assurer dans quelques cas où la femelle (cobaye) fut sacrifiée dix minutes après l'in- jection. Il est inutile de dire que toutes ces opérations doivent être faites avec beaucoup de précaution de façon à éviter les éraillures de la muqueuse. Voici le résumé de quelques-unes de nos expériences : EXPÉRIENCE 1. — Femelle de cobaye ayant mis bas quatre petits dans la nuit du 17 mars 1888. Le lendemain, à 3 heures, on injecte dans l'utérus une seringue de Pravaz de culture de charbon virulent. Les jours suivants, l'animal ne paraît rien ressentir et continue à allaiter ses petits; trois mois après il vit encore. Un cobaye témoin, inoculé sous la peau avec une goutte de la même culture, meurt au bout de 36 heures du charbon type. EXPÉRIENCE IL. — Cobaye ayant mis bas trois petits dans la nuit du 18 mars. Le 21, on lui injecte dans l'utérus une seringue de Pravaz de cul- ture de staphylococcus pyogenes aureus : l'animal continue à allaiter ses petits et ne présente rien d’anormal. EXPÉRIENCE IL. — Cobaye ayant mis bas trois petits dans la matinée du 22 mars à 7 heures ; à 2 heures, on lui injecte dans l’utérus deux pleines seringues de Pravaz d’une culture de charbon dans de la gélatine datant de 12 jours et très riche en spores ; en même temps on injecte sous la peau d'un des petits quelques gouttes de la mème culture : il meurt le lendemain du charbon ; quant à la mète, elle n’a pas cessé de se bien porter. ExpéRrexce IV. — Cobaye ayant mis bas quatre petits dans la matinée du 28 mars; le soir à 4 heures on lui injecte dans l'utérus une seringue de Pravaz de culture sur gélatine-glycose, faite dans le vide, de vibrion septi- que (œdème malin) ; en même temps un cobaye recoit sous la peau quelques gouttes de la même culture : il est trouvé mort le lendemain, présentant toutes les lésions de la septicémie expérimentale aiguë de M. Pasteur; Quant à la mère, elle ne manifeste pas le moindre trouble et peut servir quelque temps après à d'autres expériences. EXPÉRIENCE V. — Cobaye ayant mis bas quatre petits dans la matinée du 2 avril; le soir à 2 heures, on lui injecte dans l'utérus une seringue de Pravaz de culture virulente de charbon ; un cobaye témoin, inoculé sous la peau, meurt le lendemain du charbon ; quant à la femelle, elle n’éprouva aucun mal. RECHERCIIES SUR L’UTÉRUS APRÈS LE PART. 433 EXPÉRIENCE VE. — Lapine ayant mis bas trois petits dans la nuit du 9 avril ; le 6 avril à 2 heures, on lui injecte dans l’une des cornes utérines une seringue de Pravaz d'une culture du bacille du choléra des poules ; le 8 au matin, la lapine est trouvée morte et son sang est rempli du microbe caractéristique. EXPÉRIENCE VII. — Le 7 avril, à 2 heures, on injecte une seringue de Pra- vaz d'une culture de choléra des poules dans l'utérus d’une lapine ayant mis bas dans la matinée. Elle meurt le 9, à midi, avec le sang rempli du microbe caractéristique. ExpÉRIENCE VIII. — Le 9 avril, à 4 heures du soir, chez une lapineayant mis bas la veille, on injecte dans une des cornes utérines frois seringues de Pravaz d'une culture virulente de charbon dans du bouillon. On inocule en même temps sous la peau un lapin témoin, qui succombe au charbon deux jours après. La lapine va bien et continue à allaiter ses petits. EXxPÉRIENCE IX. — Un cobaye, ayant mis bas deux petits dans la mati- née, reçoit à { heure dans l'utérus deux seringues de Pravaz d’une culture virulente de charbon. Cette injection n’est suivie d'aucun effet. EXPÉRIENCE X. — Un cobaye ayant mis bas dans la matinée du 10 mai reçoit, quatre heures après, dans l'utérus, une injection de deux seringues de Pravaz du liquide obtenu de la façon suivante : un cobaye ayant suc- combé une heure auparavant des suites de l’inoculation du vibrion septique, on prélève chez lui des fragments des muscles abdominaux, très rouges et infiltrés, et on les triture dans un mortier avec de l’eau distillée stérilisée ; on filtre à travers un linge fin le liquide qui pullule de vibrions septiques. L'animal n’éprouve aucun mal et continue à se bien porter. Un cobaye témoin avait reçu sous la peau du ventre quelques gouttes du même liquide ; huit heures après il était mort, présentant dans la sérosité péritonéale et dans l’œdème des muscles du ventre le micro-organisme caractéristique. ExPÉRIENCE XVI. — Une lapine, ayant mis bas dans la nuit du 16 mai, reçoit le 18 dans l’une des cornes utérines une seringue de Pravaz de sang charbonneux provenant d’un cobaye, et dilué dans du bouillon, — Cinq jours après, le 23 mai, la lapine est trouvée morte; à l’autopsie on constate que l'animal est mort du charbon (sang du cœur plein de bacté- ridies, rate grosse et noire, ete.). On dissèque aves soin les organes génitaux et on s'assure que les deux utérus sont pâles, revenus sur eux-mêmes; leur muqueuse présente son aspect normal; la muqueuse vaginale est égale- ment saine, mais à la jonction de la vulve et du vagin, il existe une tuméfaction avee œdème sanguinolent; le liquide de cet œdème est rempli de bactéridies. — C’est sans doute à ce niveau que l'inoculation s'est faite. ExpÉRIENCE XVIIT. — Une femelle de cobaye, ayant mis bas deux petits dans la nuit du 9 juin, recoit le 40 juin à 4 heure dans l'utérus trois serin- gues de Pravaz de culture pure, faite dans le vide, du Bacterium Chauvæi 434 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. (charbon symptomatique). L'animal n'éprouve aucun mal et continue à se bien porter, tandis qu'un cobaye témoin, inoculé dans les muscles de la cuisse avec quelques gouttes de la même culture, périt au bout de 48 heures avec toutes les lésions du charbon symptomatique. ExpéRIENCE XIX. — Une femelle de cobaye, immédiatement après la mise bas de trois petits, vecoit dans l'utérus deux seringues de Pravaz d’une cul- ture virulente de charbon. Elle n’en éprouve aucun mal et continue à bien se porter. Ces expériences, comme on le voit, conduisent à des données très inattendues. Elles montrent que l’on peut impunément introduire dans la cavité utérine des femelles de rongeurs qui viennent de mettre bas des quantités énormes de microbes éminemment pathogènes pour ces animaux (bacillus anthracis, vibrion septique, bactérie du charbon symptomatique, staphylo- coccus aureus) sans provoquer aucune infection. Un seul micro-organisme a fait exception, celui du choléra des poules ; mais on sait combien Île lapin est sensible à son action et avec quelle facilité 1l s’infecte par toutes les voies naturelles, par le tube digestif notamment. Cette singulière résistance de la plaie utérine, après la par- turition, chez les rongeurs, contraste avec la vulnérabilité si grande à l'égard des microbes pathogènes, que présente cette mème plaie utérine chez la femme en couches. C'est dans les conditions anatomiques spéciales que présente la muqueuse utérine des rongeurs au moment et après la partu- rition, qu'il faut, croyons-nous, chercher l'explication de cette résistance en apparence si paradoxale. Nous avons pratiqué l'examen histologique des cornes utérines de nombreuses femelles de cobayes et de lapines, sacrifiées immédiatement ou peu d'heures après la mise bas, et nous avons toujours été frappés de trouver la muqueuse revêtue de son épithélium absolument normal, dans toute son étendue, si ce n’est dans les points extrêmement circonscrits des inserlions placentaires. Les recherches embryologiques modernes, dues surtout à Selenka et à M. Mathias-Duval, ont du reste établi les particu- larités remarquables que présente, à ce point de vue, la muqueuse utérine chez la femelle de cobaye. RECHERCHES SUR L'UTÉRUS APRÈS LE PART. 135 M. le professeur Mathias-Duval a bien voulu nous commu- niquer la note suivante qui résume sur cette matière les travaux de Selenka et les siens propres, encore en partie inédits. « La disposition de ce qu’on peut appeler caduque chez le cochon d'Inde est toute particulière, et elle esttelle qu’à la fin de la gestation toute la surface de la muqueuse utérine est complè- tement restaurée, sauf le point très circonscrit où adhère le pla- centa. À cette époque, en elfet, tout ce que l’on peut appeler membrane caduque a disparu par résorption. « Voici une indication sommaire de la façon dontse passentles choses : quand l'œuf arrive dans la corne utérine,il se loge dans une dépression circonscerite par une notable hypertrophie de la muqueuse (chorivn de la muqueuse), et cela toujours sur un point opposé à l'insertion des vaisseaux de la corne (bord méso- métrique). Cette hypertrophie s’exagère et donne naissance à une saillie considérable qui s’avance dans la cavité de la corne (fig. 1, B) et va rejoindre la face opposée. A ce moment la portion TTL LITE Ad |} ESS TIC À LF PP Si Ho Fig. 4. — Pour cette figure et les suivantes : V, vaisseaux. BM, bord mésométrique. BN, bord non mésométrique. En A, arrêt de l'ovule dans la corne et sa position dans une fossette à l'opposé du bord mésométrique. En B, développement de la muqueuse qui supporte l'œuf et va l’inclure. hypertrophiée de muqueuse utérine qui renferme l’œuf en voie de développement forme un septum (fig. 2, B) qui sépare complète- 436 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. ment l’une de l’autre les deux portions de cavité utérine situées au-dessous et au-dessus de Jui. Mais la continuité de la cavité de Fig. 2. — De À en B, formation du septum. la corne va se reproduire par un processus extrêmement remar- quable et qui va nous expliquer le mode de restauration de la muqueuse utérine à la fin de la gestation. « En effet, la portion de la cloison sus-indiquée, largement insérée à la face non meso-métrique (fig. 2, B), ne tarde pas à se pédiculiser de plus en plus au niveau de cette face (fig. 3); il arrive Fig. 3. — Rétablissement de la continuité de la cavité utérine du côté du bord non mésométrique. un moment où le pédicule se rompt (fig. 4) et à ce niveau l’'épithélium se reforme, se continuant sur toute la face non méso- métrique de la cavité de la corne. « Dès ce moment la « formation utérine » qui renferme l'œuf RECHERCHES SUR L’UTÉRUS APRÈS LE PART. 437 en voie de développement n’adhère plus à l'utérus que sur la région méso-métrique ; il est facile de comprendre que cette for- Fig. 4. — L'œuf et sa caduque n'adhèrent plus que sur le bord méso-métrique. mation utérine correspond à ce qu'on appelle dans l'espèce humaine la caduque réfléchie. Il est également facile de com- prendre qu'à ce moment il n'existe rien de comparable à ce qu’on appelle chez la femme la caduque utérine, ou caduque vraie. En un mot, et c’est là le fait important pour le sujet traité dans ce mémoire, la muqueuse utérine (chorion, épithélium, et glandes) présente à ce moment(dès le 25° jour de la gestation) sa structure normale, telle qu'elle existe à l’état de repos, dans toute son étendue, sauf au niveau de l'insertion de la masse que nous avons identifiée à la caduque réfléchie. «Cette masse forme une sphère à parois épaisses qui renferme l’œuf, et au niveau de son insertion se développe le placenta par un processus que nous n’avons pas à étudier ici. Mais dès le deuxième mois de la gestation l'œuf grandit considérablement; en même temps les parois de la poche formée par la caduque diminuent de plus en plus (fig. 5), si bien qu'à un moment donné on netrouve plus autour de l’œuf aucune trace de cette caduque ; elle a été résorbée. « A ce moment l’œuf est à nu dans la cavité utérine (fig. 6), à laquelle il adhère seulement par le pédicule étroit du placenta; l'épithélium utérin arrive jusqu'au pourtour du pédicule, et s'arrête à ce niveau. Get état dure jusqu'à la fin de la gestation. «On peut maintenant aisément se rendre compte de ce qui doit se passer durant et aussitôt après la parturition; le placenta 23 438 : ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. se détache ; il n’y a comme blessure que l’endroit très restreint où s'insérait le placenta; celte blessure doit se restaurer très rapide- Fig. 5. — Progrès de la résorption de la caduque. ment, surtout aux dépens des glandes très nombreuses ethypertro- phiées qui existent autour d’elle et se prolongent obliquement au- dessous d’elle. Tous les éléments d’une prompte régénération sont Fig. 6. — L'œuf au terme de la gestation. donclà. Quantau reste de lamuqueuse, elle estcomplètementsaine et dans les conditions d’une muqueuse au repos. Cette restau- ration si complète et si rapide de la muqueuse est du reste en rapport avec le fait bien connu, qu'une nouvelle gestation com- mence presque aussitôt après la parturition, puisque chez tous les rongeurs, la fécondation se fait dans les quelques heures qui suivent la mise-bas. » On voit donc qu'au moment de la parturition la cavité des RECHERCHES SUR L’UTÉRUS APRÈS LE PART. 139 cornes utérines des rongeurs est, dans la presque totalité de son étendue, revètue de son épithélium »ormal ; la réparation de la petite plaie résultant de l'insertion placentaire doit être extrème- ment rapide. Il y a donc là, dès l'instant de la parturition, un épithélium intact et prèt à remplir son rôle protecteur. Nos expé- riences montrent dans quelle mesure il accomplit ce rôle. Toutes différentes sont les conditions anatomiques que présente l'utérus de la femme au moment de l’accouchement ; chez elle la chute de la caduque entraine l’exfoliation épithéliale de la muqueuse utérine tout entière et mème celle d’une partie du chorion de la muqueuse ; il y a plaie véritable et très étendue. Il ne faut donc pas s'étonner si l'utérus offre alors à l'égard des microbes pa- thogènes une vulnérabilité extrème, dont témoignent la fré- quence et la gravité des affections puerpérales. Après les expériences que nous venons de relater, il ne faut pas s'étonner non plus que les tentatives, faites jusqu’à présent par divers auteurs, pour reproduire chez la lapine et la femelle de cobaye des états analogues aux infections puerpérales de la femme, n'aient presque jamais donné de résultats. En réalité, quoique les rongeurs soient des réactifs extrèmement précieux à l'égard de la plupart des virus, ils ne se prêtent guère à l'étude des infections d’origine utérine, à cause des particu- larités anatomiques qui viennent d’être exposées. SUR L'EÉTIOLOGIE DE LA PNEUMONIE FIBRINEUSE CHEZ L'HOMME. Par M. N. GAMALÉIA. I. APERCU HISTORIQUE. C’est au laboratoire de M. Pasteur qu'a été découvert en 1881 le microbe qui s’est trouvé être celui de la pneumonie fibrineuse. M. Pasteuretses collaborateurs l’ontrencontré dans la salive d’un enfant mort de rage, l'ont isolé. cultivé dans l'excellent milieu nutritif que donne le mélange de bouillon de veau et de sang de lapin; ils ontdécrit saforme caractéristique de diplococcus entouré par une auréole claire. Ils ont montré aussi que ce microbe est inoffensif pour les oiseaux et provoque chez le lapin une septi- cémie suraiguë, au cours de laquelle on le voit apparaître dans le sang des animaux malades, en même temps que la fièvre, déjà 9 heures après l’inoculation sous-cutanée. La mort survient en moins de 36 heures. A l’autopsie, on ne trouve presque rien à l'endroit de l’inoculation, mais il y a de l’œdème des poumons, de l’hyperémie de la trachée et une masse de microbes dans le sang. On a constaté aussi que ce microbe est très facilement arrèté dans son développement et périt dans les cultures sousl'influence de l’oxygène de l’air; qu'avant de mourir il s’atténue; que les lapins inoculés par le microbe atténué ne meurent pas et de- viennent réfractaires vis-à-vis du virus virulent. Après cela ont été établis les procédés pratiques de la préparation des vaccins. M. Pasteur avait trouvé, pour la première fois, ce microbe dans la salive d'enfants morts de rage, puis dans celle d'enfants morts de broncho-pneumonie, et enfin dans la salive de per- sonnes bien portantes. Ce dernier fait fut confirmé par M. Vul- plan, ainsi a élé supprimée toute connexité possible entre ce microbe et l'hydrophobie. Du reste, c’est aussi de 1881 que datent les recherches de Sternberg, qui trouvait le même microbe ÉTIOLOGIE DE LA PNEUMONIE FIBRINEUSE. 4 dans la salive de personnes en bonne santé, mais le rencontrait plus fréquemment dans les crachats et dans l’exsudation pulmo- naire des pneumoniques. M. Sternberg crut par conséquent que le microbe de M. Pasteur n’était qu'une variété du preumococ- cus de Friedlaender, et qu’il jouait un rôle dans l’étiologie de la pneumonie croupeuse. En 1883, M. Talamon a fait connaître les résultats des recherches qu'il a faites dans la clinique de M. le P' G. Sée. Dans tous les cas de pneumonie fibrineuse mortelle, il a trouvé à l’autopsie, dans le poumon infiltré, un diplococeus lancéolé. Il trouva le même microbe dans l’exsudation aspirée du poumon malade, et mème il a réussi à le retrouver une fois dans le sang d’une malade agonisante. M. Ta/amon a isolé ce diplococcus lan- céolé, et en a fait des cultures dont l’inoculation provoquait chez les lapins une septicémie aiguë et parfois une pleurésie et une péritonite séro-fibrineuses : les chiens et les cobayes lui ont paru réfractaires. En 1884, M. Salvioli a aussi trouvé des diplococcus lancéolés et capsulés dans les exsudations des poumons pneumoniques.Ila réussi à provoquer, au moyen de celiquide virulent, une septicé- mie aiguë chez les lapins ainsi qu’une hépatisation pneumonique rouge chez les cobayes inoculés par la trachée. La même année, M. Ælein (de Londres) a confirmé ce fait que les crachats pneu- moniques provoquent chez les lapins une septicémie caracté- risée par la présence des diplococcus capsulés dans le sang. Mais comme la même maladie expérimentale était parfois causée par la salive des hommes sains, M. X/ein a cru pouvoir nier le rôle étiologique de ces microbes. En 1885, M. Fraenkel a rassemblé tousles résultats précités et affirmé l'identité du microbe de la « maladie nouvelle » de Pas- teur avec le diplococcus lancéolé de Talamon. I a confirmé cette identité par ses propres expériences, en isolant les microbes de la salive septique et de la pneumonie dans des cultures sur gélose, et en décrivant leurs propriétés morphologiques et biolo- giques essentielles. M. Fraenkel a trouvé que les cultures de ces diplococeus, affaiblies par la vieillesse ou la chaleur, provoquent parfois chez les lapins des pleurésies séro-fibrineuses avec une hépatisation des poumons et des péritonites. _ Enfin, en 1886, a paru un grandtravail de M. Weichselbaum 342 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. qui a étudié 129 cas de pneumonie. Dans 94 de ces cas, il a trouvé le microbe de Pasteur, diplococcus pneumoniæ, comme M. Weichselbaum l'appelle ; dans 21 ,un séreptococcus; dans 9 cas, le microbe de Friedlaender; dans 5 cas, les staphylococcus aureus et albus. M. Weichselbaum en conclut que les trois pre- mières formes peuvent causer la pneumonie lobaire. Toutes les recherches postérieures, comme celles de Foa et Bordoni-Uffreduzzi, Petit, ete., n’ont fait que confirmer les don- nées principales de MM. Fraenkel et Weichselbaum Ainsi M. Netter a découvert le coccus lancéolé dans 75 ?/, des pneumoniques pendant leur maladie; dans la salive des malades rétablis, ce microbe existait dans 66 cas sur 100; dans 45 0/,, chez les hommes bien portants. M. Netter a trouvé en ou- tre qu'immédiatement après la guérison la salive est moins viru- lente que quelque temps après; enfin, il a montré que la salive inoffensive des premières semaines après la crise donne parfois limmunité aux lapins inoculés. De tout ce qui précède on doit conclure que la pneumonie fibrineuse lobaire est très fréquemment accompagnée d’un mi- crobe, dont les propriétés principales sont les suivantes. Il a la forme typique d’un grain d'orge (lancéolé) et est entouré d’une auréole claire; il se groupe par paires et souvent en petites chaînes, faites de 2, 3, ou 4 paires; il n’a pas de spores; il ne se cultive pas ordinairement sur la gélatine, et ne pousse que très médiocrement sur la gélose; il trouble les bouillons de culture. Son inoculation provoque une maladie septique rapidement mortelle chez les lapins. Sa virulence est d’ailleurs sujette à une atténuation facile. Il retient la couleur violette après coloration par le procédé de Gram. En sorte que, d’après ces caractéristi- ques, ce microbe doit être rangé dans le genre Streptococcus, et je propose de l’appeler Streptococcus lanceolatus Pasteuri. 1. Les auteurs que nous avons principalement consultés : Pasteur. — Sur l'atténuation du virus. Discours au Congres de Gencve, 1883. SÉE. — Des maladies spécifiques (non tuberculeuses) des poumons. Exposition des recherches de M. Talamon. Paris 1885. A. FRAENKEL. — Zeilschrift fur klinische Medicin., Bd. X., XI. WEICHSELBAUM. — Medicin. lahrbucher 1886, Heft 8, et Centrablatt f. Bacter, 4887, nos 19 et 20. Wozr. — Wiener Medic. Blalter, A887, nos 11-14. BAUMGARTEN. — Lehrbuch des palhol. Mykologie, Ie p. Ueberdie Fortschrilte in der Lehre von path. Microorgan. lahresbericht. Bd. I, n. II. ÉTIOLOGIE DE LA PNEUMONIE FIBRINEUSE. 443 En faveur du rôle étiologique de ce Streptococcus lanceolatus on ne pouvait invoquer jusqu'ici qu'un seul argument ayant beaucoup de valeur : le microbe accompagne presque cons- tamment la pneumonie fibrineuse ; on le retrouve non seulement dans les crachats pneumoniques, mais aussi dans les poumons malades, et même dans le sang après la mort. Contre ce rôle, au contraire, ily avait les objections suivantes : 1° Le microbe de Pasteur n'a pu être trouvé dans tous les cas de pneumonie fibrineuse. 2° Dans un grand nombre de cas de pneumonie franche, on a trouvé dans les crachats, isolé par culture, et retrouvé dans les coupes du poumon hépatisé un autre microbe, celui de Fried- laender. Faut-il nier l’unité de la pneumonie eten admettre plu- sieurs causes, comme l'a fait Werichsel/baum ? 3° Tandis que le microbe de Friedlaender, inoculé dans le poumon d’une souris, y produit l’hépatisation pneumonique, le microbe de Pasteur produit chez les animaux susceptibles — les lapins — une septicémie aiguë sans localisation pulmonaire. I est vrai que M. Fraenkel a pu reproduire chez les lapins la pneu- monie avec des cultures atténuées, mais cette pneumonie appa- raissait avec un cortège des symptôme (péritonite, etc.) qui lui faisait dépasser le tableau typique de la pneumouie croupale de l’homme. Comment expliquer alors la pathogénie de cette mala- die, si elle est causée par un microbe qui n’a pas de prédilection pour le tissu pulmonaire ? 4° Le microbe de Pasteur se trouve aussi dans la salive de personnes non atteintes de la pneumonie fibrineuse. Comment admettre que la pneumonie résulte de l'infection par un microbe qui peut séjourner sans influence nocive dans les organes respi- ratoires des personnes bien portantes ? Il y a quelque temps que j’ai entrepris sur la pneumonie des recherches dont les premiers résultats permettent d’enlever leur force aux objections précédentes. IL. — PRÉSENCE CONSTANTE DU STREPTOCOCCUS LANCEOLATUS DANS LA PNEUMONIE. A la première question que soulève l’étiologie de la pneumo- nie, à savoir l'existence constante du même microbe dans tous 414 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. les cas, mes recherches me conduisent à répondre par l’affirma tive. C’est à quoi j'arrive, non seulement par mes résultats tou- jours positifs, mais encore par l'analyse critique des échecs des autres observateurs. La base clinique de mes travaux est faite de douze autopsies que j'ai pratiquées grâce à l'obligeance de MM. les D" Stroganof, Chenzinsky et Michalevitch. J'ai étudié les cadavres sans aucun choix, et dans l’ordre où ils se présentaient sur la table de dis- section. Quelques cas avaient porté les diagnostics erronés de fièvre typhoïde ou de tuberculose miliaire rapide. Mais je n'ai accepté que le diagnostic donné par le cadavre. C’est ainsi que j'ai rassemblé des formes pneumoniques très variées : pneumo- nie franche d’un seul lobe, pneumonie double, pneumonie com- pliquée de méningite cérébrospinale et d’endocardite. La durée de la maladie avait aussi été très variable, et j'ai eu ainsi sousles yeux les différentes formes anatomiques du poumon malade : l'hyperémie initiale, l’hépatisation rouge, l’hépatisation grise et l'abcès. Chaque cas m'a servi : a) à faire des cultures sur gélose ; b) à faire des préparations colorées avec le suc de divers organes; c) à inoculer des animaux sensibles au virus pneumonique. Le premier mode de recherches ne m'a conduit au but que très rarement, parce que les autopsies se faisaient assez tard après la mort et que la culture de notre microbe sur les milieux solides est très pénible. Il suffit d’une très faible proportion de germes étrangers pour empêcher la culture spécifique. Le deuxième procédé m'a au contraire toujours donné des résultats positifs, et j'ai toujours pu reconnaître comme cause du mal le Streptococcus lanceolatus, c’est-à-dire le double coccus lancéolé entouré d’une capsule claire ou colorée, retenant la coloration violette de Gram. J'ai pourtant à faire à ce sujet quel- ques remarques importantes. Tout d’abord il faut observer que dans le cadavre humain, comme chez les animaux d'expérience, le coccus lancéolé n’a pas toujours sa forme et son aspect typiques. Il arrive parfois que dans un lapin ou une souris, morts de septicémie pneumonique, les microbes du sang et même de la rate se présentent sous ÉTIOLOGIE DE LA PNEUMONIE FIBRINEUSE. 445 forme de simples coccus sans capsule, tandis que le foie et les reins sont remplis des diplococcus typiques. De même il m'est arrivé de ne pas trouver les formes typiques dans trois poumons malades sur les douze autopsies que j'ai mentionnées plus haut. Mais le microbe spécifique a apparu avec tous ses caractères différentiels dans les autres parties du même cadavre (exsudation fibrineuse pleurétique, rate, dure-mère de la moelle). En outre, dans le poumon humain, comme nous verrons plus tard que cela a lieu pour la brebis, le coccus pneumonique a souvent sa capsule colorée ‘; et comme cette capsule colorée peut être allongée et tortueuse, cela défigure singulièrement l'apparence du microbe. Par contre, les coccus qui sont absorbés par les leucocytes, comme c’est la règle dans la première période de l'affection pueumonique chez l’homme et chez le chien, restent souvent incolores ainsi que leurs capsules, et l’on ne les distingue que comme des petites vacuoles régulières dans le corps des cellules. Enfin, il peut arriver ce qu’on observe aussi dans la rate charbonneuse et surtout dans l’æœdème charbonneux, c’est que les produits solubles excrétés par les microbes virulents rendent toute la préparation trop confuse pour qu’on puisse distinguer la forme typique des microbes. On peut se débarrasser de cet obstacle en lavant à l’alcool les lamelles passées à la flamme. Ces réserves faites, j’afflirme que j’ai toujours pu réussir à voir le microbe de Pasteur dans le cadavre pneumonique. Reste maintenant le troisième moyen de recherches qui est incontestabiement ie plus sûr et qui nous a toujours donné des résultats positifs. Je parle de l’inoculation d’un lapin ou plutôt d’une souris. L'animal succombe toujours à une septicémie paeumonique et on rencontre dans ses organes intérieurs le coccus de la pneumonie. Ce moyen me paraît être, d'après mes résultats actuels, excellent, puisqu'il démontre infailliblement la présence du microbe pneumonique non seulement sur le cada- vre, mais aussi dans les crachats pneumoniques. Ainsi, M. le D: Goldenberg, quia adopté chez nous cette méthode de recherche, a déjà trouvé le coccus dans les crachats de quarante pneumo- niques, étudiés à la file sans aucune exception. 1. Ce fait a été observé déjà par M. Talamon, et retrouvé par M. Fraenkel dans le sang de cobaye. 446 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. J'ai choisi pour l’expérimentation la souris, parce qu’elle est encore plus sensible au virus pneumonique que le lapin ‘. Ino- culée sous la peau avec une émulsion de crachats pneumoniques, elle meurt dans un délai de 22 heures et présente à l’autopsie une masse de microbes typiques dans le sang et les organes?. Le lapin, au contraire, peut ne pas toujours donner des résultats positifs. Ainsi il m'est arrivé d’échouer avec le lapin et d’être obligé, pour arriver à une conviction, de réinoculer les mêmes crachats à une souris. On peut ajouter qu’en général, pour la recherche d'une petite quantité d’un virus quelconque, la méthode par inoculation, à cause des grandes quantités qu’on peut inoculer, est souvent plus féconde que les deux autres méthodes signalées plus haut. Ainsi il m'est arrivé de ne trouver ni par l'examen microscopi- que, ni par la culture, la moindre trace du bacillus anthracis Ly- pique dans le poumon d’un chien affecté de pneumonie charbon- neuse ; tandis qu’une souris, inoculée par le suc de ce poumon, est morte du charbon. Ces considérations s'appliquent surtout au microbe pneumonique, qui ne végète que misérablement sur les milieux solides et qui n'apparaît pas toujours sous sa forme caractéristique. Or l’auteur qui a fait le plus vaste travail sur l’étiologie de la pneumonie, et qui conclut à l'origine multiple de cette maladie, M. Weichselbaum, a usé pour ses recherches de la méthode de culture sur la gélose. Aussi nous ne pouvons qu'adopter l’opi- nion de M. Baumgarten, qui n’accorde aucune valeur décisive aux résultats négatifs de M. Weichselbaum quant à la présence constante du Streptococcus Pasteuri. M. Netter, qui a adopté la 1. Cette susceptibilité si grande des souris fait qu'on peut se demander si elles ne jouent pas un rôle dans la propagation du mal. La pneumonie est en effet une maladie persistante et tenace dans certaines maisons, et cela ne peut pas s’expli- quer par la ténacité du Streptococcus Pasteuri, qui n'a pas de spores et périt très vite hors de l’économie animale. On pourrait ainsi croire que la contagion est maintenue dans sa virulence grâce à la propagation parmi les souris. Cette expli- cation s’accorderait bien avec l'influence des saisons sur la pneumonie, puisque les saisons régissent aussi la vie des souris. Mais cette hypothèse est réfutée par le fait de la non contamination des souris par des repas infectieux. Ainsi nous avons nourri une souris grise pendant plusieurs jours de suite, avec des rates pneumoniques de lapins. La souris resta en pleine santé et suc- comba plus tard à l'inoculation sous-cutanée virulente. 2, M. Goldenberg va bientôt publier in extenso ses résultats instructifs. ÉTIOLOGIE DE LA PNEUMONIE FIBRINEUSE. 447 méthode de l'inoculation des crachats pneumoniques aux lapins, et qui n'a trouvé le microbe de Pasteur que dans 75 0/0 des cas, a eu le tort, selon nous, de prendre un animal trop résis- tant pour pouvoir déceler de petites quantités de virus. Cette opinion est confirmée par ce fait que M. Netter a rendu quelques lapins réfractaires par les crachats, dans lesquels il n’a pas trouvé de microbe spécifique. En résumé, nous fondant sur nos résultats toujours positifs, ainsi que sur la supériorité de la méthode de recherche (inocu- lation d’une souris) que nous avons adoptée, nous nous croyons autorisés à conclure que la pneumonie fibrineuse est toujours liée au microbe de Pasteur. III. — ROLE SAPROPHYTIQUE DU MICROBE DE FRIEDLAENDER. Nous pouvons être brefs au sujet de la seconde objection faite contre l'unité étiologique de la pneumonie fibrineuse, à savoir au sujet des droits étiologiques du microbe de Friedlaender. Ce dernier microbe se trouve dans la salive normale; il est un bon saprophyte, et pourrait envahir parfois le poumon malade ou mort. . Weichselbaum ne l’a d’ailleurs trouvé que dans 7 0/0 de ses cas, et encore presque toujours mélangé à d’autres microbes, car ce n’est que dans trois cas qu’il l’a rencontré pur. Quant aux recherches des auteurs qui ont précédé Fraenkel, il est sûr que le microbe qu’ils ont souvent trouvé sur les coupes des poumons malades, et qu'ils ont appelé microbe de Friedlaender, n’était autre que le microbe de Pasteur, puisqu'il se colorait par le procédé de Gram, qui décolore le bacille de Friedlaender. Beau- coup de résultats positifs relatifs à ce dernier doivent donc être mis au compte de l’autre. Enfin, quant à la production expérimentale de la pneumonie fibrineuse par les cultures du microbe de Friedlaender, À n'est pas douteux que plusieurs bactéries ne jouissent de la propriété de pouvoir reproduire cette forme pathologique. Tels sont, d'après mes recherches, les microbes qui déterminent au point d'inocu- lation une exsudation sérofibrineuse. Ainsi, le microbe du choléra des poules (coccobacillus avicidus), qui amène un æœdème gélatineux sous-cutané chez les poules, leur donne souvent, ainsi qu'aux corbeaux, une pneumonie fibrineuse. 418 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. De même, la bacléridie charbonneuse, dont l’æœdème sous- cutané est si typique, produit, d'après mes recherches, une pneu- monie croupale à la suite de l’inoculation intrapulmonaire chez le chien. Ainsi, le 26 mars, trois chiens sont inoculés dans le poumon droit par une culture charbonneuse. L'un d'eux meurt le 28 avec les lésions du charbon généralisé. Les deux autres guérissent après une fièvre modérée. Le 29, l’un des deux est sacrifié. On trouve chez lui une hépatisation grise du lobe supérieur du pou- mon droit. À l'examen microscopique du poumon malade, on voitune infiltration du tissu par des macrophages et microphages, et des formes digérées de bactéries (coccus et fins bâtonnets aux bouts arrondis). Une souris inoculée avec le poumon malade a succombé le 31 mars au charbon. On peut affirmer, par conséquent, que ce n’est pas la forme anatomique seule qui peut caractériser une maladie spécifique, puisque les mêmes lésions peuvent être produites par plusieurs microbes. Une maladie spécifique, comme la pneumonie fibri- neuse chez l’homme, comprend tout un ensemble de caractères étiologiques, anatomiques et cliniques. L'expérience suivante est instructive sous le rapport de l'in- fection secondaire qu'on y a trouvée. Le 22 février, deux chiens sont inoculés dans le poumon droit par 2° d’une culture pure de charbon qui est inoculée aussi sous la peau d’un lapin. Celui-ci meurt du charbon le 24 février. L'un des deux chiens succombe le 6 mars en présentant une hépatisation grise de tout le poumon droit et une hépatisation rouge du lobe supérieur gauche. A l'examen microscopique, on trouve dans les poumons malades des petits bâtonnets à bouts arrondis qui n'ont aucune ressemblance avec la bactéridie char- bonneuse. Une souris, infectée par cette matière, est restée vivante. La pneumonie fibrineuse a été produite ici par la bacté- ridie charbonneuse, qui a été détruite ensuite et remplacée par un autre microbe. Il est très probable que le même fait se passe dans tous les cas où on retrouve le bacille de Friedlaender dans les poumons hépatisés. à ÉTIOLOGIE DE LA PNEUMONIE FIBRINEUSE. 449 IV. — ROLE PATHOGÉNIQUE DU STREPTOCOCCUS LANCEOLATUS. Beaucoup plus intéressante est la question de savoir si le microbe de Pasteur est incapable comme on l’a dit, de produire la pneumonie, chez certains animaux. Nous avons trouvé, au contraire de ce qu'on croit sur ce sujet, que ce microbe détermine la pneumonie fibrineuse typique chez le chien etle mouton. Les expériences qui vont suivre ontété faites avec le virus pneumonique très virulent, c’est-à-dire, avec le microbe de Pasteur pris sur le cadavre humain ou isolé des crachats pneumoniques, et renforcé par plusieurs passages par les lapins. Le passage successif à travers l'organisme du lapin, surtout si l'inoculation est faite par la voie intraveineuse, augmente manifestement la virulence du streptococcus pneumonique. Cette augmentation dans la virulence se traduit d'abord par la mort de plus en plus rapide des lapins inoculés. Le temps qui s'écoule entre l'infection et la mort, qui est de 48 et 36 heures pour le virus ordinaire, devient successivement de 2%, 12 et même 5 heures. Le caractère de la maladie est aussi changé : au lieu de laf- fection fébrile prolongée avec des accidents méningiliques, pro- duite par le virus ordinaire, apparaît une sorte d'intoxication qui commence avec l'infection et qui mène à une mort tran- quille, précédée d’une perte progressive et continue des forces. Le virus très virulent ne laisse pas non plus sur le cadavre cette hyperémie et cette hypertrophie indurée de la rate qui sont typiques pour le virus ordinaire; l'animal succombe sans résis- ter‘. Le sang du cœur est rempli de streptococcus qui ont souvent dans ce cas leurs capsules colorées. C’est avec ce sang ou les cultures provenant du sang (bouillon de poule avec du blanc d'œufs), que nous avons fait des expériences sur les pigeons, rats blancs ou gris, spermophiles, moutons, chiens et chats. Ces animaux peuvent être placés, au point de vue de leur résistance au virus pneumonique, sur une échelle dont la marche inférieure est occupée par le pigeon avec sa résistance absolue 1. Voir mon article sur la destruction des microbes dans ces Annales, mai 1888. 450 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. et les étages successifs par le chien, le mouton et le rat; le dessus appartient au lapin et à la souris. Comme nous avons dit, la souris (grise ou blanche) est l’ani- mal le plus sensible à la pneumonie: elle meurt toujours sans exception après l'infection sous-cutanée ; quelques gouttes d'une culture virulente suffisent pour la tuer dans un délai de 12 à 24 heures, et avec tous les symptômes d’une septicémie suraiguë. À l’autopsie, on trouve un œdème gélatineux peu con- sidérable à l'endroit de l’inoculation, une rate plus ou moins hyperémiée, etune quantité énorme de microbes dans le sang et dans tous les organes. La virulence du microbe s'accroît par passage dans le corps de l'animal. Nos expériences portent sur plus de 30 souris. Chez le lapin, la maladie a les mêmes caractères. Le plus typique pour le virus ordinaire, non renforcé par passage sur le lapin, c’est une rate grande, foncée et très dure, donnant une coupe lisse et unie comme celle d’un poumon hépatisé. Le.virus atténué produit une infiltration fibrinogranuleuse à l'endroit de l’inoculation, une pneumonie et une pleurésie sérofibrineuses, de la péritonite fibrineuse'. Le virus mort (stérilisé à 120°) produit une tumeur granuleuse, persistante, qui n’a pas tendance à abcéder. La même tumeur est produite par le virus virulent chez le lapin réfractaire’. La virulence est considérablement accrue par passages sur le lapin. J’en ai fait plusieurs séries, dont une portant sur 42 passages. Le nombre de mes lapins rendus pneumoniques est d'environ 200. Le rat blanc et le rat gris sont aussi très sensibles au virus paeumonique. [ls meurent aussi très régulièrement et sans exception par l'effet de l’inoculation virulente, mais les doses mortelles sont beaucoup plus fortes que pour les animaux précé- dents. On doit, par exemple, inoculer sous la peau du rat blanc Occ,5 d’une émulsion du sang de lapin de passage. Des doses plus petites sont souvent inefficaces. On trouve à l'autopsie une réaction locale intense, un œdème fibrineux qui s'étend parfois sous la peau de tout le ventre et de la poitrine. La rate est très 1. Ce fait a été noté par plusieurs expérimentateurs et plus particulièrement par M. Fraenkel. 2. Nos expériences sur l’immunité pneumonique feront l’objet d'un autre article. ÉTIOLOGIE DE LA PNEUMONIE FIBRINEUSE. 451 grande, les intestins remplis d'un liquide jaune d'œuf. Dans le sang, le microbe pneumonique est souvent peu abondant et par coceus isolés. On réussit pourtant à faire des passages successifs sur des rats et la virulence du microbe ne paraît pas subir de changements par ces passages. On voit que les symptômes locaux apparaissent ici chez le rat, animal plus résistant que les précédents. Les mêmes lésions locales sont produites par l’ino- culation intra-pulmonaire, à travers la paroi thoracique. Quel- ques gouttes suflisent alors pour tuer le rat en 20-2% heures. L'autopsie révèle une pleurésie séreuse et sérofibrineuse double, et une hépatisation rouge du poumon inoculé qui envahit plus ou moins l'autre poumon. Une péricardite sérofibrineuse est un phénomène fréquent. Nos expériences portent sur 32 rats. Le mouton est beaucoup plus réfractaire que les animaux pré- cédents. Les doses mortelles sont pour lui encore plus fortes : 5ee de la même émulsion que plus haut. Les phénomènes locaux sont encore plus considérables. L’inoculation sous-cutanée con- duit à la formation d'un œdème volumineux, composé de parties fibrineuses ou gélatineuses et de granulations dures, et occupant parfois tout l'abdomen. Le microbe est très rare dans le sang, et les passages successifs par des moutons échouent. L'inocula- tion intra-pulmonaire est toujours suivie d’une pneumonie fibri- neuse typique, mortelle dans la grande majorité des cas. Gette pneumonie, ordinairement lobaire , est accompagnée d’une exsudation fibrineuse abondante. Les microbes pathogènes sont très nombreux dans Le tissu pulmonaire emalade et surtout sur la fibrine exsudée. La mort survient le 3e, 4° ou le 5° jour de la maladie . Le total des moutons que nous avons expérimentés est de 50. Le chien est encore plus réfractaire à l'infection . pneumo- nique. 1. Le 15 janvier, un mouton est inoculé dans le poumon droit par 4 ce, d’une émulsion du lapin de passage. Le mouton meurt le 17. A l’autopsie on trouve : le péritoine normal; lesreins très hyperémiés, particulièrement dans leur substance médullaire. La rate et le foie sont hyperémiés. Le poumon gauche n'offre rien de particulier. Le poumon droit présente les phénomènes d’hépatisation rouge dans son lobe supérieur (sur- face de la coupe rouge, luisante et convexe; absence d'air); la plèvre droite est couverte par une épaisse couche jaune de fibrine coagulée. Les streptococcus ont été trouvés dans tous les organes ainsi que dans le sang. 452 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Après l'infection par de fortes doses de virus très virulent, on trouve un œdème fibrinogranuleux très considérable occu- pant non seulement l'endroit de l’inoculation sous-cutanée, mais pénétrant dans le tissu conjonctif intra-musculaire, et s'étendant sur toute la poitrine et l'abdomen. Les microbes dans le sang sont toujours très peu nombreux, et le passage successif d’un chien à l’autre est impossible. L'infection intra-thoracique conduit toujours au développe- ment d’une pneumonie franche fibrineuse qui est rarement mortelle : elle se guérit ordinairement dans un espace de 10 à 15 jours, après avoir passé par toutes les phases de l'hépatisa- tion rouge et grise, caractéristique pour cette affection chez l'homme. Nous possédons des expériences sur 12 chiens. Le spermophile et le chat, sur lesquels nos expériences sont peu nombreuses, occupent, d’après leur résistance au virus pneu- monique, la place intermédiaire entre le /apin et le rat. Tous ces faits autorisent les conclusions suivantes : 1° Ilexiste des réceptivités variables par rapport au virus pneumonique. Ces réceptivités sont accusées par l'abondance des microbes dans le sang et par l’étendue des phénomènes réactifs locaux. Moins un animal est résistant au virus pneumonique, moins sont accusés les phénomènes inflammatoires à l’endroit de l’ino- culation, plus est grande l'abondance des microbes dans le sang du cadavre. Le type de la réaction locale est aussi variable d’après le degré de réceptivité d’un animal. Nulle chez la souris, la réaction locale devient un œdème hémorragique restreint chez le lapin; le rat nous présente déjà un œdème étendu, séro- fibrineux, d'une teinte jaune d'ambre et d’une consistance géla- tineuse ; chez le mouton et chez le chien, cet œdème est encore plus grand et se compose de parties sérofibrineuses mêlées avec d’autres granuleuses beaucoup plus dures, ayant la teinte 1. Nous donnons comme exemple l’autopsie d’un chien tué le cinquième jour de la maladie. Les organes de l'abdomen n'offrent rien de particulier à noter. Tout le lobe inférieur du poumon droit est augmenté de volume, de couleur rouge- grisätre avec des ilots rouges; le tissu est dur sous la coupe et totalement privé d'air; la surface de la coupe est homogène et solide. L'examen microscopique du poumon hépatisé révèle l’infiltration par des macrophages contenant des leuco- cocytes polynucléaires et des streptococcus. Dans la rate, le foie et les reins, les microbes sont moins nombreux et le plus souvent dans les macrophages. ÉTIOLOGIE DE LA PNEUMONIE FIBRINEUSE. 453 grise, constituées par une abondante infiltration cellulaire (æœdème granulé). Que cette réaction locale diverse traduise la résistance diverse des animaux au virus pneumonique, c'est ce qu'on peut prouver par d’autres faits encore. Le virus atténué, par exemple , reproduit même chez le lapin les formes de l’œdème dur, cellulaire. Le virus virulent chez le lapin réfractaire donne aussi une abondante infiltration cellulaire de l’endroit de l'inoculation. Les mêmes faits nous apparaissent aussi pour l'infection charbonneuse. Aïnsi, dans une série de quinze mou- tons inoculés par le même virus virulent, le 17 mai 1888, les premiers morts ont présenté un œdème charbonneux hémorra- gique, les suivants un œdème gélatineux ; ceux qui sont morts les derniers ont eu l’æœdème dur grisätre, et les deux survivants ont longtemps porté des tumeurs très dures à l'endroit de l’ino- culation. 2 Les animaux peu sensibles au virus pneumonique, offrant une résistance locale traduite par des phénomènes réactifs très prononcés (ædème fibrinogranuleux étendu), subissent par suite de l'infection intra-pulmonaire la pneumonie fibrineuse typique. Tels sont le chien et le mouton. La pneumonie n’est done pas une infection générale se loca- lisant dans le poumon comme dans son lieu de prédilection, mais la réaction locale à l’endroit de l’inoculation virulente. Il est vrai que le streptococcus pneumonique peut être retrouvé dans la rate, le foie, les reins, la moelle des os, mais il n’y arrive qu'en quantités très petites, apporté du poumon pour être détruit dans les macrophages des organes intérieurs. Les animaux trop susceptibles, comme le lapin et la souris, n'ont pas de pneumonie, parce qu'ils n’offrent pas de réaction locale etle virus se généralise chez eux enles tuant par une sep- ticémie aiguë. 30 L'homme appartient, par rapport au virus pneumonique, à la catégorie des animaux résistants. Cela résulte de la mortalité pneumonique faible (10,8 °/,), de la réaction locale étendue qu'il présente dans la forme de l’inflammation des poumons, de la rarelé des microbes dans son sang. Il est clair, dès lors, que ce sont les résultats obtenus chez le chien et le mouton, animaux 1. Voir le rapport de la Commission du charbon, d'Odessa, Journal de la Socièté d’agronomie, etc., mai 1888. 29 454 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. peu susceptibles, qui sont surtout applicables à la pathologie humaine. Or, on peut affirmer qu'inoculé dans le tissu pulmo- üaire des animaux partiellement réfractaires (chien, mouton), le streptococcus lanceolatus donne une pneumonie fibrineuse typique. Ainsi se trouve supprimée la principale objection contre le rôle étiologique de ce microbe. V. — STREPTOCOCCUS LANCEOLATUS CHEZ LES PERSONNES BIEN PORTANTES. Comment expliquer maintenant ce fait que le streptococcus lanceolatus se trouve dans la salive de personnes en pleine santé ? ù D'abord, il faut bien admettre sa présence fréquente dans la salive normale. Nos observations nous empêchent même de souscrire à l'opinion émise par plusieurs auteurs‘ que, dans la salive normale, le streptococcus Pasteuri est toujours moins abondant que dans les crachats pneumoniques. Au contraire, les deux cas dans lesquels nous avons vu le plus grand nombre de ces microbes dans les crachats appartenaient à des personnes non pneumoniques. M. Goldenberg, qui a appliqué une méthode expérimentale rigoureuse à la solution de cette question, a retrouvé le microbe de Pasteur dans plus de la moitié des salives normales. L’exploration bactériologique des crachats n’a donc aucun rôle à jouer dans le diagnostic, et la présence du strepto- coccus lanceolatus ne permet aucunement d'affirmer la pneu- monie du sujet. Reste à savoir si son absence exclut le dia- gnostic de la pneumonie. Mais revenons à notre sujet, le rôle du streptococcus Pasteuri. M. Pasteur nous a déjà depuis longtemps montré une maladie des vers à sole, la flächerie, qui est causée par un microbe banal se trouvant partout dans la nourriture des vers, restant inof- fensif pour ceux qui ont une bonne digestion, et tuant ceux qui sont affaiblis dans leur santé générale ou leurs organes digestifs. M. Pasteur à fait voir aussi que le vibrion septique, microbe très virulent, existe toujours dans les intestins des mammifères sans troubler aucunement leur santé. 1. Par exemple MM. Weichselbaum et Wolf ÉTIOLOGIE DE LA PNEUMONIE FIBRINEUSE. 455 J'ai trouvé, de mon côté, que le microbe du choléra des poules, maladie si terrible pour les oiseaux, se trouve constam- ment, quoique faible et peu nombreux, dans leurs entrailles, et qu'une intoxication par des bactéries non pathogènes suffit pour lui ouvrir l'entrée dans le sang". On peut croire de même que, dans les organes des personnes bien portantes, le streptococcus lanceolatus a trouvé des condi- tions qui s’opposent à son action nocive. Ces conditions se réalisent seulement chez les animaux peu susceptibles, comme l’homme, le mouton et le chien, puisque les autres, comme les lapins et les souris, succombent à l'inha- lation virulente. Nousavons, du reste, institué des expériences directes sur ce sujet. Tandis que le streptococcus virulent, introduit dans le paren- chyme pulmonaire des moutons, y développe toujours la pneu- monie fibrineuse qui conduit à la mort, le même virus, injecté par la trachée, ne cause jamais la mort. Ainsi, sur plus de vingt moutons, auxquels nous avons injecté par la lrachée le virus pneumonique virulent en quantité de 10 centimètres cubes, pas un seul n’est mort. On peut con- clure de ces expériences qu’une lésion du parenchyme pulmo- naire, et une introduction du virus pneumonique dans ce parenchyme lésé, sont nécessaires à la production de la pneu- monie chez les moutons. Il était intéressant de connaître les faits plus intimes qui se passent après l'injection intrabronchiale. Nous avons fait à cet égard l'expérience suivante : Le 11 mai, à9 heures du matin, trois moutons sont inoculés par injection intratrachéale avec ile strepltococcus virulent. Leur température avant l'infection : 4008 — 4001 — 40°. A 7 heures du soir, ils ontrespectivement 40°5 — 39°7 — 40°2. Le premier est sacrifié. On trouve à l’autopsie : rate très hyperémiée et molle; dans les deux poumons, et particulièrement au sommet du poumon droit, des régions très hypérémiées. L'examen microscopique révéle dans ces régions la présence de streptococcus, ainsi qu’une 4. Voir Centralblatt fur Bacteriologie, t. LV, p. 161. 456 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. infiltration par des cellules Iymphoïdes mononucléaires et spé- cialement polynucléaires. Ces deux variétés de phagocytes con- tenaient des amas de microbes de Pasteur. Les streptococcus libres étaient comparativement rares. Pourtant une souris, ino- culée par le suc du poumon hyperémié, succomba le lendemain à la septicémie pneumonique; des streptococcus ont été trouvés dans la rate, et à l’état digéré dans le foie et particulièrement dans les reins. Le 12 mai, à 3 heures de l'après-midi, les moutons survivants ont des températures de 3906 et 39°2. Le premier est tué. On lui trouve : état catarrhal des bronches, dont les parois sont hyperémiées et couvertes par un mucus couleur de brique (l'infection était faite par le sang d’un lapin de passage). Quelques endroits hyperémiés du poumon droit. Point d’autres particularités à noter. L'examen microscopique révèle l’absence des streptococcus typiques dans les poumons. Un spermophile inoculé par le suc pulmonaire n’a pas eu la pneumonie. Les streptococeus sont au contraire en grande quantité dans le mucus bronchial, mêlés pourtant à d’autres microbes, comme par exemple à un bâtonnet encapsulé ayant tout à fait l’aspect du microbe de Friedlaender ; on trouve quelques rares streptococcus dans les macrophages de la rate, et une grande quantité de débris de microbes dans le foie et les reins. On voit ainsi que le virus pneumonique, introduit par la trachée, ne détermine pas dans le poumon sain les lésions pneumoniques. Îl provoque une hyperémie pulmonaire et l’afflux de phagocytes qui détruisent le streptococcus. Quelques microbes passent dans le sang, d'où ils sont éliminés par le mode ordinaire ‘. Mais, ni dans les alvéoles pulmonaires, ni dans les capillaires, ils ne trouvent des conditions suffisantes pour la production de l’exsudation pneumonique. Pourtant, les microbes quisont digérés dans les alvéoles pul- monaires etdans le sang, restent au contraire vivants dans le mu- cus bronchique, et peuvent, dans des conditions favorables, con- duire au développement d’une pneumonie. C’est ce qui est arrivé à notre troisième mouton de l'expérience précédente. Après être 4. Voir mon article, cité plus haut, sur la destruction des microbes. ÉTIOLOGIE DE LA PNEUMONIE FIBRINEUSE. 457 resté tout à fait bien portant pendant cette expérience, il a été ino- culé ensuite dans l'œil par le virus rabique et a succombé le 4 juin. A l’autopsie il présenta des lésions typiques d’une pneumonie croupale. Le poumon gauche est augmenté de volume et couvert d'une couche fibrineuse épaisse de couleur grisâtre. Dans toute son étendue, il a la couleur grise avec quelaues îlots de couleur rouge foncé. La coupe est lisse, ayant la consistance et l'aspect du tissu hépatique. Le poumon ne contient pas d’air et coule au fond d’un vase rempli d’eau. Le poumon droit, dans son lobe supérieur, a la couleur d’un rouge foncé, la consistance et l’as- pect du foie; il ne contient pas d’air; son lobe inférieur est hyperémié parilots. Le sac pleural contient une grande quantité d’un liquide séreux rougeâtre. Les autres organes n’ont présenté aucune particularité à noter. Les streptococcus pneumoniques ont été trouvés en quantité énorme dans l’exsudation fibrineuse, ils étaient moins nombreux dans les poumons hépatisés rouges et gris, et beaucoup plus rares dans la rate et le foie. Pour mieux étudier le mécanisme de l’immunité des pou- mons sains vis-à-vis des sétreptococcus Pasteuri, nous avons fait l'analyse microscopique des crachats d’un sujet qui a fait sous nos yeux, au mois de décembre 1887, une pneumonie fibrineuse, quicontinue d’avoir depuis une bronchite chronique, et expectore toujours une masse de microbes pneumoniques, virulents pour les lapins. Ces crachats sont muqueux et adhérents au vase; sous le microscope ils présentent une culture presque pure des strepto- coccus spécifiques, des globules polynucléaires et de grandes cellules dites endothéliales (Staubzellen), ayant un grand noyau rond et remplies de granulations. L'examen attentif ne laisse pas de montrer que ces dernières cellules, qui ont tout à fait les caractères des macrophages, contiennent des quantités énormes destreptococcus Pasteuridans leurs phases diverses de dégradation. On peut trouver dans la même cellule les diplococeus typiques mêlés à des formes amincies et anguleuses que la comparaison seule rattache à des microbes spécifiques. On peut se convaincre de cette manière que les débris, contenus dans les macrophages, sont les restes de microbes pneumoniques. Les leucocytes polynucléaires contiennent aussi des s{replococcus linceolins mais en quantité beaucoup plus petite. 458 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Ces phénomènes nous donnent, il me semble, l'explication cherchée de l’immunité du tissu pulmonaire : les microbes pathogènes, même dans les cas où il existent en quantité très grande dans le mucus bronchique et arrivent jusqu'aux alvéoles pulmonaires, y sont arrêtés dans leur développement par les macrophages (Staubzellen), qui s'en emparent et les digèrent. Dans cette lutte, les cellules endothéliales peuvent aussi mourir et être rejetées dans les crachats. Il est clair que dans ces cas la production de lapneumonie ou le maintien de la santé dépendent de l’activité relative de ces deux ordres de combattants. Et on comprend aussi que l'issue de la lutte peut ètre décidée par des causes minimes dites prédisposantes, comme le refroidissement, la bronchite, une chute, la contusion de la poitrine, l’'inhalation de vapeurs irrilantes, etc‘. De cette manière on s'explique pourquoi l’étiologie de la pneumonie fibrineuse est composée de deux facteurs : la conta- gion et l'influence des saisons avec leur action sur les cellules pulmonaires. Pour vérifier notre manière de voir, nous avons entrepris quelques expériences sur l'infection pneumonique avec injection préalable de substances qui puissent tuer les macrophages pul- monaires. Six moutons ont subi une injection trachéale de tartre stibié. Quatre d’entre eux out été inoculés, aussi par la trachée, avec du virus pneumonique. L'un est mort le lendemain de l’inoculation, en présentant à l’autopsie l’hépatisalion rouge dans plusieurs endroits du poumon droit ; un autre à fait une pneumonie typi- que, comme on pouvait en juger d’après la marche de sa tem- pérature ; les deux autres ont eu des mouvements fébriles pro- noncés. Les moutons de contrôle, ceux qui ont subi seulement l'injection pneumonique ou celle du tartre stibié, sont restés bien portants. Ainsi, nous pouvons conclure que les influences nocives aux cellules pulmonaires prédisposent au développement du strepto- coccus qui se trouve dans les poumons. Par conséquent, notre 1. Cette lutte expliquerait aussi les longs délais qui séparent les cas de pneumonie infectieuse qui proviennent les uns des autres et se succèdent. Elle expliquerait aussi les prodromes prolongés qu’on a retrouvés dans les épidémies pneumoniques. (V. Aréigalas, les Microbes pathogènes.) ÉTIOLOGIE DE LA PNEUMONIE FIBRINEUSE. 459 idée sur l'opposition faite par les macrophages alvéolaires à la production de la pneumonie par les microbes de Pasteur se trouve confirmée par l’expérimentation. Ainsi se trouve détruite la dernière objection au rôle étiolo- gique du streptococcus lanceolutus : il peut se trouver dans le mucus pharyngique et bronchique des hommes sains, et ne pas produire la pneumonie, si les phagocytes pulmonaires suffisent chez les personnes bien portantes à la tâche qui leur est imposée. Il nous reste quelques conséquences cliniques à tirer des faits précédents. Le streptococcus pneumonique, quand il a pénétré en grande quantité dans les bronchioles et alvéoles, comme dans le cas que nous avons cité, n'est pas indifférent pour l'organisme humain. Peut-être est-ce lui qui est la cause de la bronchite rebelle chez notre sujet mentionné plus haut; en tout cas il exige une lutte active des cellules. D'un autre côté son existence crée une prédis- position pour le développement de la pneumonie fibrineuse. Il serait important, par conséquent, de pouvoir débarrasser l'organisme de sa présence. Comme le streptococeus dans le mucus bronchique est pour ainsi dire en dehors del’organisation, hors des tissus vivants, il serait peut-être possible de réaliser une désinfection spécifique, une stérilisation des microbes pneumoniques. Nous avons, du reste, entrepris quelques essais dans cette direction. VE. — CONCLUSION. Nous croyons avoir prouvé dans ce mémoire : Que le streptococcus lanceolatus Pasteuri se trouve toujours dans la pneumonie fibrineuse de l'homme, et qu'il y peut être décelé expérimentalement ; Que ce streptococcus produit chez les animaux partiellement réfractaires une inflammation fibrineuse du poumon ; Que son influence pathogène est tenue en échec chez les hommes bien portants par l’activité des phagocytes pulmonaires; Nous croyons avoir contribué de cette manière à faire consi- dérer la pneumonie fibrineuse chez l'homme comme toujours causée par le microbe de Pasteur. REVUES ET ANALYSES E. Voir. Recherches sur la formation du gras de cadavre. Munch. med. Wochenschr., 1888, p d18, Les cadavres ensevelis dans un sol humide ou noyés dans une eau courante se transforment, comme on sait, au bout de quelques mois, en une masse blanche et molle, conservant souvent la forme et le volume du cadavre, mais non son poids, qui a notablement diminué. Cette matière, qui a l’aspect de la cire, est surtout formée de savons et d'acides gras fixes, l'acide palmitique et l'acide stéarique. Mais par quel mécanisme se forme-t- elle? C'est ce qu’on ignore encore, malgré le nombre et la valeur des savants qui ont étudié cette question. En voyant conservées les formes générales du corps, en constatant que chaque musele est quelquefois remplacé par une masse d’adipocire moulée sur ses contours, en trouvant même encore, comme l'ont fait Kratter! et Kuppfer ?, des traces de striation longitudinale et transversale dans cette masse, on est tout naturellement conduit à penser que la matière grasse résulte d'une transformation sur place de la matière du muscle. Mais il y a des objections à cette manière de voir. En premier lieu, on ne connaît aucun phénomène chimique ou microbien, dans lequel la fibrine ou une autre matière azotée devienne de la matière grasse. Personne ne croit plus aux résultats du travail de Blondeau, qui avait conclu dans ce sens pour la caséine du fromage. De plus, on trouve souvent de l'adipocire dans des cavités où il n'existe pas de fibrine ou d’albumine qui puisse en expliquer la formation, par exemple dans le sac pleural, le péricarde ou la boîte crânienne. L'argument de la persistance des deux striations des muscles, qui semble au premier abord si pertinent, se retourne, quand on l’examine d'un peu près, contre la théorie qu'il soutient, car s'il y a transformation chimique avec notable diminution de poids, on ne comprend pas la conservation de la structure. Je sais bien que cette diminution de poids a été attribuée à la perte en eau, car ces cadavres de consistance grasse sont à peine imprégnés d'eau, et ne diminuent presque pas de poids à l’air. Mais je ne sache aucune expérience prouvant que la perte de poids pendant la formation de l'adipo- cire soit uniquement due à l'élimination de l’eau. Aussi Zillner # et d’autres savants croient-ils de préférence à une migra- tion de la matière grasse primitivement existant chez la cadavre. Il ne s'en formerait pas de nouvelle : celle qui y existe se distribuerait autrement. Les expériences de Kraus‘ ont paru, à leur origine, confirmer cette 4. Zeitschr. f. Biologie, t. XVI. 2, Munch. med. Woch. 1888, p. 527. 3, Vüierteljaschr. f. ger. Medicin. N. S :42. 4. Archiv. f. exp. Pathol., t, XXIT. REVUES ET ANALYSES. 461 manière de voir. En dosant comparativement la matière grasse dans des muscles sains et dans des muscles conservés aseptiquement sous l’eau, il n’a trouvé entre les deux aucune différence sensible. Mais M. E. Voit fait observer que ces expériences ont été de bien courte durée. La formation de gras de cadavre ne commence qu'après 4 mois et ne se termine qu'en 10 ou 42 mois environ. Il a donc cru devoir reprendre cette comparaison, de concert avec le D" Bergeat. Deux méthodes ont servi pour cela. Le D' Bergeat a conservé des fragments de muscle dans de l’eau cou- rante. Quand tout phénomène de putréfaction a eu disparu, il a comparé la quantité totale de matière grasse du résidu à celle que contenait le tissu musculaire à l'origine, et ila constaté de petites augmentations, trop variables et trop faibles pour être probantes. M. E. Voit a procédé de la même façon, mais il a évité l'intervention des microbes en conservant les tissus dans un lait de chaux, où le musele se dissout avec formation d'ammoniaque. Nous ne sommes plus évidemment là dans les conditions ordinaires de la forma- tion du gras de cadavre, mais s’il y a dans ces circonstances transformation de la fibrine en graisse, on pourrait arguer des ressemblances qui existent entre les décompositions produites par les alcalis et celles que produisent les microbes pour conclure que la transformation, bien démontrée dans un cas, peut se produire dans l’autre. Les résultats de M. E. Voit semblent au premier abord plus concluants que ceux de M. Bergeat, car en opérant sur 2258 de musele frais, la quan- tité de matière grasse extraite par l’éther s'élevait après macération à 15,544 après avoir été à l’origine seulement de 08r,683. Il s'était donc formé 08,861 d'acides gras supérieurs aux dépens des 43 de fibrine que contenait le muscle, Mais en l’absence de tout détail, on peut se demander si M. E. Voit ne s'est pas trompé dans l'évaluation de la matière grasse contenue à l’origine dans la chair musculaire qu'il a employée. Il ne suffit pas de traiter du muscle desséché par l’éther pour l’épuiser de sa matière grasse. Si on ne sépare pas et si on ne brise pas ses fibres, en le broyant très finement soit à la molette, soit dans un mortier avec du sable fin, on n'atteint pas, ou on n’atteint qu'imparfaitement la matière grasse contenue à l’intérieur de la fibre, celle qui fait partie de son tissu solide ou de son protoplasma. M.E. Voit semble n'avoir pas fait attention à cette cause d'erreur, ou du moins il n’en parle pas, et cela est fâcheux, car cette omission suffit pour qu'on conserve des doutes sérieux sur la conclusion qu’il tire de ses expériences. Je crois donc que rien ne prouve encore la transformation par voie chi- mique ou microbienne de la matière albnminoïde en matière grasse. Il se forme pourtant des acides gras dans divers phénomènes de putréfaction, mais ces acides sont les premiers de la série. M. Buisine est le premier, à ma connaissance, qui ait nettement constaté la production pendant une fermen- tation, celles des eaux de suint, d’un acide voisin de l'acide caproique. Mais de là à l’acide palmitique ou à l'acide stéarique il y a encore loin, et le pas n'est pas franchi. Cumment done expliquer alors la formation du gras de cadavre? L'ex- 462 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. plication la plus acceptable que je connaisse encore est celle que j'ai indiquée dans ma Microbiologie, et qui a pour base les faits analogues que j'ai cons- tatés à propos. du fromage. La putréfaction des matières azotées donne de l’'ammoniaque qui saponifie la matière grasse. S'il y a de l'air, ces savons alcalins se résinifient, deviennent noirs et solubles dans l’eau. Si le sol est humide, s’il n'y pas d'oxydation possible, s'ils sont protégés, comme cela a souvent été observé sur les cadavres tournés au gras, par un épiderme et même des muqueuses à peu près intactes, ce qui n’est pas plus surprenant que de voir, dans une pomme de terre qui se pourrit, l'amidon détruit dans des cellules intactes, ce savon reste en place, ou subit, suivant les hasards, suivant qu'il est plus ou moins bien défendu contre l’action dissolvante de l'eau par la matière grasse qu'il contient toujours en excès, ou par ses acides gras insolubles des migrations à courte distance qui peuvent le porter dans des régions comme le péricarde, où il n'y a pas à l’origine de matière grasse. A mesure que la putréfaction tire vers sa fin et que l’ammoniaque dis- paraît, combinée ou éliminée, l’accalinité du milieu devient de plus en plus faible et fait de plus en plus place à l'acidité, dans laquelle l'acide carbonique joue le principal rôle. Cet acide décompose à son tour les savons alcalins et laisse des acides gras. Le savon ayant absorbé de l’eau, les aci- des gras qui le remplacent foisonnent beaucoup en l'éliminant, et occupent un volume considérable pour leur poids. On s'explique ainsi que le corps gras que contiennent à l'état normal les masses musculaires, soit dans le tissu interfibrillairé, soit, comme nous l'avons vu plus haut, dans les librilles elles-mêmes, puisse conserver le volume du muscle et même tra- duire sa structure, car l'acide gras qui provient de la fibre se formant sur place, doit présenter une distribution en rapport avec l'anatomie du musele. On s’explique tout aussi facilement beaucoup d’autres particularités curieuses qu'il serait trop long de détailler ici. b *: M. ProTopororr. Sur l’immunité des chiens contre la rage. Centralbl., f. Bakt., t. IV, 1888, p. 85. Dans ce Mémoire, consacré à la vaccination des chiens contre la rage, M. Protopopoff est d'accord avec M. Pasteur sur quelques points, en désac- cord sur quelques autres qui sont naturellement les plus intéressants, et ceux qui donnent le plus de valeur au travail que nous analysons. L'accord a lieu sur la possibilité de vacciner les chiens contre le danger de l’inoculation du virus rabique par trépanation, au moyen de l'injection sous-cutanée d'une série de virus rabiques gradués. M. Protopopoff trouve seulement la série trop longue, et voudrait la réduire à l'inoculation des moelles de 8 jours, ou même de celles de 6 jours à { jour. D’après ses expériences, en effet, les moelles plus âgées ont une virulence nulle ou presque nulle. Mais ce résultat n’est probant, comme il le fait remarquer lui-même, que pour les conditions de ces expériences. Les lapins qui ont REVUES ET ANALYSES. 163 servi à ses travaux étaient d'un poids très inférieur à celui de nos lapins de France. Leurs moelles doivent se dessécher plus vite, et leur virulence dis- paraître beaucoup plus rapidement. Ce n’est d'ailleurs là qu'une question de détail sans grande importance. Beaucoup plus curieux sont les résultats de M. Protopopoff relatifs à l'in- jection intra-veineuse du virus rabique. Le Mémoire de MM. Roux et Nocard, inséré dans notre dernier numéro, et qui a paru simultanément avec celui de M. Protopopoff, indique bien l'état de la question : d’un côté, l'issue toujours funeste, constatée par M. Pasteur et ses élèves, de l'inocu- lation du virus rabique virulent dans les veines du chien; de l’autre le fait curieux constaté par M. Galtier, que cette même inoculation intra-veineuse non seulement ne donne pas la rage au mouton, à la chèvre et au lapin, mais encore leur confère l’immunité. M. Protopopoff étab:it une transition curieuse entre des actions en apparence aussi dissemblables, en montrant que l'injection intra-veineuse de virus gradués ne tue pas les chiens et les vaccine. La pratique est encore un peu indécise, et le succès n’est pas cons- tant Mais voici parmi les expériences rapportées par M. Protopopoff celle qui est la plus probante, parce qu'elle est la mieux réussie. Quatre chiens reçoivent, les 4, T et 10 février, chaque jour 1 centimètre cube d'émulsion faite avec des moelles de 6,3 et 1 jour. Les deux premières inoeulations ont lieu dans la veine fémorale gauche, la dernière dans la veine fémorale droite. « Le 14 février, on réinocule {ous ces chiens avec du virus fixe, deux dans la veine fémorale droite, les deux autres dans la veine jugulaire gauche. Ils restent en bonne santé jusqu'au 15 mars. Ce jour-là, on leur inocule par tré- panation du virus fixe, eten même temps, avec le même virus, un chien de contrôle. Ce dernier tombe malade le 24 mars... et meurt de la rage le 26. Tous les autres sont encore bien portants. » Voilà le point capital du Mémoire de M. Protopopoff. La possibilité du fait de la vaccination rapide du chien, par voie intra-veineuse, étant ainsi démontrée, il reste à chercher si cette opération peut acquérir la sûreté et la simplicité qui lui sont nécessaires pour qu'elle devienne pratique. Il y a sur- tout un point sur lequel nous attirons l'attention la plus sérieuse de M. Pro- topopoff. C’est le cas possible de l’évolution de la rage à très longue échéance chez l'animal vacciné, cas qui n’est pas extrêmement rare et qui est très grave, parce que l'animal devient d'autant plus dangereux qu’on s’en méfie moins, puisqu'on le suppose incapable de contracter la rage. Dx. D. Dar Pozzo. L'albumine des œufs de vanneau comme milieu de culture, Med. Jahrbucher, 1887. F. Hugepe. Sur l'emploi des œufs comme milieu de culture. Centralbl. f. Bakt., t. V, 1888, p. 80. Les microbiologistes sont toujours en quête de nouveaux terrains de culture M. Dal Pozzo habite un pays fortuné où les œufs de vanneau ne sont 464 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. sans doute pas rares, puisqu'il en recommande délibérement l'emploi. Ces œufs, comme ceux d’autres oiseaux aquatiques, renferment une albumine qui se coagule en une masse opalescente et peut servir à des cultures sur milieux solides. On lave avec soin l'œuf, on l’ouvre,et on recueille dans un vase stéri- lisé l’albumine qui s’en écoule, on y ajoute un quart d’eau, ou d’un bouillon approprié, et on verse le mélange dans des tubes qu’on soumet à la stérili- sation discontinue. M. Hueppe reste plus pratique en recommandant l'emploi dos œufs de poule. On les lave, on nettoie la coque avec une solution de sublimé, puis avec de l’eau stérilisée, on dessèche avec de la ouate stérilisée, on fait un trou à une extrémité et on ensemence le microbe. Peut-être M. Hueppe oublie- t-il un peu trop ici les expériences de M. Gayon, qui ont fait voir que tous les œufs ne sont pas purs de germes, el que par conséquent on est exposé à voirse développer un autre être que celui qu'on a ensemencé. Peut-être aussi ne tient-il pas assez compte de ce fait que l’albumine pure est pour nombre de microbes un très mauvais terrain de culture, ainsi que beaucoup de liquides albumineux. J'ai eu entre les mains un liquide de ponction prove- nant de l'abdomen d'une femme cancéreuse, dans lequel au microscope on voyait des micrococcus, qui restait limpide et stérile à l’étuve, et dont une goutte peuplait sûrement le bouillon de veau dans laquelle on l'ensemençait. Il y a donc à tenir compte dans certains cas de la mauvaise qualité du terrain constitué par l'albumine d'œuf. Quoi qu'il en soit, il y a des microbes qui y prospèrent. Celui du choléra en particulier y mène très aisément une vie anaérobie, pendant laquelle les albuminates se décomposent très vite, avec formation beaucoup plus rapide de toxines qu’au contact de l'air. Les toxines, ptomaïnes, leucomaines, sem- blent en effet être dans la décomposition des matières azotées l'équivalent exact de ce que sont, dans la décomposition des matières ternaires, les corps comme l'acide butyrique, produits de destruction incomplète, doués d’une certaine stabilité, auxquels s'arrête l'effort de la vie anaérobie parce qu'ils ne sont plus ou presque plus endothermiques, mais qui peuvent être décom- posés par l’action de l'oxygène de l'air dans une vie aérobie. Ces premiers résultats sont donc très encourageants, et on ne peut que souhaiter de voir M. Hueppe et ses élèves persévérer dans cette étude. Dx. H. Bucuxer. Nouvelle méthode pour la culture des organismes anaérobies. Centralbl. f. Bakt., t. IV, 1888, p. 149. La méthode consiste à introduire le tube à culture sur gélatine ou gélose dans un tube plus large, fermé par un bon bouchon, et contenant du pyro- gallate de potasse. Le tube intérieur est maintenu hors du liquide par un petit support en fil de fer, et comme il n’est fermé que par une bour:e de coton, la diffusion le débarrasse peu à peu de son oxygène. Toutefois, l'ab- sorption est lente, à cause de la difficulté qu'il y a à l'accélérer par l’agita- tion du pyrogallate. Elle n’est complète qu'au bout de 24 heures à 37°, et de 48 heures à 20°. Peut-être les couches profondes du milieu gélatinisé mettent-elles plus longtemps encore à se débarrasser de l'oxygène dissous: INSTITUT PASTEUR. 465 ou faiblement combiné qu’elles contiennent. C’est un point que l’auteur ne vise pas. Et cette lenteur dans la disparition de l'oxygène peut être fâcheuse pour la culture de certains anaérobies qui, comme certains ferments des matières azotées, ont besoin de passer immédiatement d'une fermentation à une autre, et redoutent même un séjour de quelques heures à l'air. Mais cette méthode de culture peut rendre des services dans quelques cas, lors- qu'on à un laboratoire mal outillé, ou qu'on n’a pas de laboratoire, et c’est pour cela que nous la publions à côté des méthodes de Gruber, Fraenkel et autres savants, dont nous avons parlé p. 333 de ce volume. F x = S B—— INSTITUT PASTEUR RENSEIGNEMENTS STATISTIQUES SUR LES PERSONNES TRAITÉES A L'INSTITUT PASTEUR DU 1° AU 31 JuriLLer 1888. Personnes mortes de rage dans le cours du traitement. Me Sarasix (Julie), de Saint-Maurice, Valais, Suisse, 44ans. — Mordue le 1% juillet 1888. Région temporale droite : 2 fortes morsures. Une autre morsure, siégeant plus haut sur le crâne, soulève la peau sur une étendue de 6 centimètres en longueur sur 5 centimètres de largeur, le lambeau ainsi séparé est sphacélé ; il fallut l’exciser le 8 juillet. L’os est à nu. Les bles- sures ont été pansées à l’acide phénique. Au poignet droit, deux morsures ayant saigné. Ces deux morsures ont été cautérisées au crayon de nitrate d'argent. La tête du chien mordeur a été remise au laboratoire, le 6 juillet, avec la matière nerveuse; on a inoculé un cobaye dans la chambre antérieure de l’æœil et deux cobayes sous la peau. Le premier à été pris de rage le 18 juillet. Les deux autres le 27 juillet. M°° Sarasin a été mise en traitement le 4 juillet. Le 24 juillet, elle est énervée et son attitude est changée. Le 25, elle éprouve des palpitations de cœur et des douleurs à la tête. Le 26 et le 27, elle a des vertiges, des maux de tête et des envies de vomir. Le 31 juillet, oppression et vomissements. Le 4% août, élancements douloureux dans les morsures, légère hydrophobie. Le 2 août, rage caractérisée, hydrophobie, aéropho- bie, exaltation. Le moindre contact à la figure cause des spas- mes. Parésie des membres supérieurs. La malade meurt à l'hô- pital Broussais, dans la nuit du 3 au #4 août. Le bulbe est inoculé par trépanation à deux lapins qui sont pris de rage le 18 août, 14 jours après l’inoculation. 466 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. Guers (Joseph), 27ans, de Chelles (Seine-et-Marne). — Mordu le 13 juillet 1888, à la lèvre supérieure, côté gauche. 4 morsures dont une très forte à l’union de la peau et de la muqueuse, trois autres pénétrantes, au-dessus de celle-ci, ont beaucoup saigné; elles ont été lavées à l’eau phéniquée, quatre heures après. La tête du chien mordeur à été remise au laboratoire le 16 juillet. Un cobaye inoculé dans la chambre antérieure de l'œil a été pris de rage, le 3 août. Guers a été en traitement le 16 juillet. Dans les derniers jours de juillet, la famille de Guers remarqua un changement profond en lui; il est triste, il a des maux de tête et fréquem- ment il frotte la lèvre mordue avec ses mains. Il a peu d’appétit. Le 4 août, Guers a des nausées. Le 5 août, il vomit, se plaint de douleurs à la tête. Le 6 août, hydrophobie et excitation, Le 7 août, il est transporté à l'hôpital Necker, il présente une rage convulsive caractéristique ; il est mort le 8 août. LaBEAUME (Ferdinand), 37 aus, ouvrier agricole, Châtenay (Seine), mordu le 29 mai, par un chat inconnu, dans la pulpe de la deuxième phalange du médius droit, 2 morsures fortes : La- beaume ne pouvait pas faire lâcher prise au chat qui a été tué aussitôt. Ces morsures ont saigné, elles sont profondes. Elles n'ont pas été cautérisées. Le chat mordeur est apporté au labo- ratoire : avec sa matière du bulbe ou inocule un cobaye dans la chambre antérieure de l'œil, ce cobaye est pris de rage 12 jours après. Labeaume, mis en traitement le 30 maï, quitte l'Institut le 2 juin sans prévenir. Il revient le 44 juin, parce qu'il éprouve de vives douleurs dans le bras mordu et qu'il a des maux de tête. On reprend les inoculations, mais malgré elles, Labeaume continue à souffrir dans le bras mordu et dans la tête. Les élan- cements partent de la blessure, il n’a pas de sommeil, son atti- tude est modifiée, 1l écrit sans cesse des notes sur ce qu'il ressent. Il part le 29 juin, et on apprend qu'il a succombé à la rage convulsive dans les premiers jours de juillet, à l’hôpital de Versailles. Personnes traitées mortes de rage. Vizzeman (Pierre), 31 mois, Marseille, mordu le 9 mai : 4° à la lèvre supérieure, sur la muqueuse, une morsure ; 2° à la lèvre inférieure, sur la muqueuse,une morsure ; 3° à la narine gauche, une morsure, la dent a pénétré dans la cavité nasale; 4° à la joue INSTITUT PASTEUR. 467 gauche, deux morsures. Toutes ces blessures sont pénétrantes et ont saigné, elles ont été lavées à l’arnica un quart d’heure après. D'après les renseignements recueillis par le docteur Livon, le chien mordeur était enragé. Villemain a été traité du 14 mai au 9 juin. 11 serait mort de rage le 23 juin. Les accidents rabiques auraient commencé le 18 juin (neuf jours après la fin du traitement), par de l'anxiété, une difficulté pour boire et de l’insomnie. Les renseignements ont été recueillis près de la famille par le docteur Livon. Ducos (Mathieu), 28 ans, mineur à Saint-Jean-Bonnefond (Loire), mordu le 16 juin 1888 par un chat à l'extrémité de l’an- nulaire droit, dans la pulpe: et en arrière de l’ongle, trois mor- sures ayant saigné ; elles ont été cautérisées à l’alcali une heure après. Le chat a été reconnu enragé par un vétérinaire. Ducos a été traité du 20 juin au 7 juillet. Le 16 juillet, après avoir été exposé à la pluie, il ressent de l’engourdissement dans le bras mordu. Les douleurs sont surtout vives au niveau du poi- gnet et du deltoïde. Le malaise général augmente dans la nuit du 19 au 20, après voir éprouvé une rémission le 19. Entré à l'hôpital de Saint-Étienne le 20 juillet, on observe de la gène respiratoire, le bras est toujours engourdi, sa force musculaire est affaiblie. La sensibilité est normale, hydrophobie, aérophobie, crises de fureur. hallucinations, sputation. Mort le 3 juillet. (Observation du docteur Cénas et de M. Perré, interne du service.) Des lapins inoculés par trépanation avec le bulbe de Ducos sont pris de rage le 16e jour. Mesxiz (Lucien), #4 ans, de Châtenay (Seine), mordu le 25 mars 1888, par un chat, à l'index droit qui porte sept morsures, dont cinq profondes. Elles ont été cautérisées au fer rouge six heures et demie après par un médecin. Le chatmordeur appartenait à Mesnil, ilne mangeait plus depuis le 22, se jetait sur les chiens et les volailles. À l’autopsie, l'estomac contenait de la paille. Mesnil a été traité du 26 mars au 12 avril. Dans le mois de juillet, douleurs au niveau des morsures. Le 24 juillet, engourdissement dans le bras mordu et dans le bras sain, avec sensation de froid. Le 26 juillet, insomnie, ma- laise général. Le 27, gène de la respiration, difficulté d'avaler. Le 28, hydrophobie et spasmes respiratoires, agitation. Mort le 30 juillet. Soigné par le docteur Dauzats. 468 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. INSTITUT PASTEUR STATISTIQUE ! DU TRAITEMENT PRÉVENTIF DE LA RAGE. — JUILLET 1888 oo A B C Morsures à la tête { simples ..... »| » | . »| » et à la figure {( multiples....| »| » de | qu 1, © Cautérisations efficaces... » | 0 US) » » ol als — IEC Eee ce DE ED RE » NN ES) LE NS Pasede ChULETISANONE Een 2 D to ED DA NEAISODSS | a Simpless.- --1P)INS RSR) »| 5 Morsures aux mains) pie ‘Ane ro CA ER 23) 3s|, 47 Cuutérisations efficaces. ........... 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La colonne À comprend les personnes mordues par des animaux dont la rage est reconnue expérimentalement; La colonne B celles mordues par des ani- maux reconnus enragés à l'examen vétérinaire; La colonne C les personnes mordues par des animaux suspects de rage. Les animaux mordeurs ont été : Chiens, 97 fois; chats, 11 fois ; vache, 1 fois; cheval, 1 fois: porc, 1 fois. Le Gérant : G. Masson. Sceaux. — Imprimerie Charaire et fils. Qme ANNÉE. SEPTEMBRE 1888. N 9 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR RECHERCHES EXPÉRIMENTALES SUR LA SUPPURATION, Par M. J. DE CHRISTMAS. Il y a déjà longtemps qu’on fait des recherches sur les causes de la suppuration, et les théories qui se sont suivies ont été bien divergentes. Avant l’époque microbienne, on admettait généralement qu’il suffisait d'introduire une substance irritante sous la peau pour produire une suppuration, et que la suppuration était due seule- ment à l’irritation provoquée par la substance employée dans le tissu sous-cutané. Depuis, les opinions ont subi un change- ment profond. Les grandes découvertes qui ont démontré l’origine bactériologique de tant de maladies infectieuses ont eu pour conséquence naturelle de faire entrer les recherches sur l’étiologie de la suppuration dans des voies nouvelles. De nom- breux travaux, parmi lesquels il faut surtout citer celui de Rosenbach, ont démontré que toutes les suppurations aiguës chez l’homme sont dues aux microbes, que ces microbes sont toujours les mêmes et qu'ils appartiennent toujours à quelques formes bien caractérisées. De plus, ces microbes inoculés sur les animaux ou sur l’homme produisent toujours de la sup- puraton. Telles sont les notions auxquelles se sont ralliés la plupart des auteurs. La conclusion était facile à tirer; on l’a érigée en 30 .470 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. principe qui avait force de loi : /a suppuration est due aux mi- crobes; sans microbes, pas de suppuration. Cette théorie a été admise sans réserve non seulement par les chirurgiens, mais aussi par les bactériologistes. Et, en effet, les expériences qui ont servi de contre-épreuve la rendaient parfai- tement acceptable. On a injecté sur des animaux des substances irriltantes, en s’entourant des précautions antiseptiques les plus strictes, et elles n’ont pas produit de suppuration. C’est ainsi que Ruys' atroûvé qu'on peut injecter des substances très irritantes dans la chambre antérieure de l'œil du lapin sans produire aucune suppuration, à la condition, bien entendu, que la seringue et la solution employées soient stérilisées. Il à fait ses expériences avec l'essence de lérébenthine, le pétrole et l'huile d'olive en parties égales. Dans un cas seulement, il s’est formé du pus dans lequel se trouvaient des microbes; dans tous les autres cas il a vu se produire, dans la chambre antérieure, une petite exsudation fibrineuse qui était toujours résorbée quelque temps après. Scheuerlen® a obtenu un résultat tout à fait semblable en employant un procédé différent. Les substances chimiques dont il désirait étudier les effets pyogènes étaient d’abord introduites dans des tubes capillaires ; ces tubes fermés et stérilisés étaient ensuite placés avec des précautions antiseptiques sous la peau de l’animal {le lapin). On ne les brisait qu'au moment où la plaie cutanée était tout à fait guérie. Scheuerlen a introduit par ce procédé de l'huile de croton, de l'essence de térébenthine, de l'ipéca, du tartre sübié, etc., sous la peau du lapin. Dans aucun cas il ne s’est produit de la suppuration, et l’auteur se croit autorisé à conclure que la suppuration ne peut être produite que par des microbes. En France, Straus® à fait un grand nombre d'expériences dans le but de résoudre le même problème. Elles ont été faites sur des lapins, des rats, des cobayes qu'il a inoculés avec l'essence de térébenthine, l'huile de croton, l’eau chaude, différentes substancessolides, etc. [lest arrivé aux mêmes résultats. Dans dix- huit expériences faites avec l'essence de térébenthine, M. Straus n’a vu que cinq cas de suppuration, et toujours il a trouvé le pus 1. Deutsche med. Wochenschrift, 1885, n° 48. 2. Archives de Langenbeck, vol. XXXII. 3. Bulletin de la Societé de biologie, 1883, p. 651. RECHERCHES EXPÉRIMENTALES SUR LA SUPPURATION. ATI plein de microbes. Sur cinq expériences faites avec l'huile de croton, quatre ont donné un résultat négatif; dans la cinquième, il s'est produit une suppuration, mais le pus contenait des microbes. Enfin dans cinq expériences d'injection sous-cutanée de 10 grammes de mercure sur le cobaye, on n’a pas vu survenir de suppuration. La question semblait donc résolue. Le nombre et la variété des expériences, l’autorité de ceux qui les ontfaites ne laissaient aucun doute sur la loi générale qui devait être établie. Les con- clusions du reste s’imposaient d'elles-mèmes. Aussi ont-elles été formulées nettement : la suppuration est le résultat d’une action microbienne; il ne se produit pas de suppuration si les microbes ne trouvent aucune voie pour entrer dans les tissus soumis à l'influence de la substance irritante. L’inflammation plus ou moins forte que ces substances irritantes développent par elles-mêmes n’aboutit jamais à une formation de pus. Si bien fondés que puissent paraître ces résultats, ils ont pourtant été l’objet de discussions nombreuses. D’autres expéri- mentateurs, en employant les mêmes substances, sont arrivés à des résultats opposés. Ils ont trouvé que certaines substances chimiques peuvent produire une vraie suppuration dans laquelle il est impossible de découvrir la présence de microorganismes, même en employant toutes les méthodes qui sont maintenant à notre disposition pour la démonstration de la présence des fer- ments. Parmi ces investigateurs, nous citerons M. Counci/mann", qui introduisait des petites capsules en verre stérilisées, remplies d'huile de croton, sous la peau des animaux en expérience. Après la guérison complète de la plaie cutanée, ces capsules étaient bri- sées pour que l'huile de croton pût agir sur le tissu. I remarquait alors la formation de petits abcès autour de la capsule brisée. Le pus ne renfermait pas de microbes. Orthmann*® et Uskoff* ont également démontré que l'essence de térébenthine et le mercure inoculés sous la peau du chien produisaient une suppuration abondante, et que le pus ne conte- nait pas de microbes. Gravitz et de Bary * ont obtenu les mêmes résultats. Ces 4. Archives de Virchow, vol. XCIT, p. 217. JAI VOL EXC p2519 3. Id., vol. LXXXVE p. 510. 4. Id., vol. CVIII, p. 67. 472 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. savants, qui ont étudié la question avec beaucoup de soin, ont trouvé que le sublimé, l'alcool, les acides et les alcalis ne peuvent pas produire d’abcès, mais qu'une injection d’une forte dose de nitrate d’argent ou d’essence de térébenthine dans le tissu sous-cutané du chien donnait lieu à une suppuration, sans qu'on püt arriver à découvrir des microbes dans le pus. Grawitz vient de publier (Archives de Virchow, vol. CX) quelques expé- riences faites avec la cadavérine, une ptomaïne isolée par Brieger, et avec laquelle on peut produire des abcès sans mi- crobes chez le chien. On voit donc que la question est loin d’être résolue. Bien que basée sur des données sérieuses, l’opinion prédominante de l’ori- gine bactérienne de la suppuration est moins sûrement prouvée qu'on ue le croit généralement. Mais d'où viennent les contra- dictions ? En se plaçant sur le même terrain, les expérimentateurs ont obtenu des résultats différents. Les moyens employés par les uns et les autres ont la même valeur. Aussi n'est-ce pas dans un défaut de méthode qu'il faut chercher la cause de ces résul- tats si profondément tranchés. Telle substance chimique peut agir sur un animal alors que sur d’autres espèces elle n’a aucun pouvoir irritant. Désireux d'obtenir une solution du problème, nous avons fait un grand nombre d’injections de différentes substances chi- miques sur des chiens et des lapins. Les expériences ont donné un résultat, en partie négalif, en partie posilif. Nous donnerons d’abord la relation des premières, pensant qu’elles présentent un cerlain intérêt par leur contraste avec les résultats que nous avons obtenus plus tard et qui sont conformes à la théorie que nous soulenons. Ceux-ci permettent du reste d'expliquer d’une manière satisfaisante les différentes solutions auxquelles ont abouti les expériences faites jusqu'ici. Les substances suivantes ont été inoculées sous la peau des lapins avec un résultat négatif : l'essence de térébenthine, le mercure, le pétrole, le chlorure de zinc à 10 0/0, la glycé- rine, le nitrate d'argent à 5 0/0. Les inoculations ont été faites avec une seringue stérilisée avec soin; la peau, à l'endroit de l'injection, avait été rasée, et désinfectée avec de l’eau phé- niquée ou au sublimé. La solution inoculée avait été d’abord stérilisée, et la piqüre de l’aiguille cautérisée ensuite au thermo- RECHERCHES EXPÉRIMENTALES SUR LA SUPPURATION. 473 cautère. La dose injectée était d’un demi-centimètre cube. Nous n'avons vu qu’une seule fois une suppuration abondante, après l’inoculation de l'essence de térébenthine ; le pus était plein de staphylococcus aureus. Dans toutes les autres expériences dont le nombre s'élève à trente, nous n'avons vu aucune trace de suppuration. Les substances étaient résorhées, mais en s’ac- compagnant de phénomènes dillérents. La glycérine, le chlorure de zinc, le nitrate d'argent n'ont donné lieu à aucune irritation remarquable du tissu sous-culané, tandis qu'avec le mercure, l'essence de térébenthine, le pétrole, il s’est produit autour de l'endroit de l’inoculation une petite infiltration qui jamais n'a donné lieu à une vraie formation du pus. La même série de substances a été injectée dans la chambre antérieure de l'œil du lapin. Le résultat a été le même pour toutesles substances employées, excepté pour le mercure. Inutile d'ajouter que les mêmes précautions ont été prises que pour les injections sous-cutanées. Il y a toutefois un accident qu'il faut absolument éviter, c’est la piqüre de l'iris. On comprend toute l'utilité de cette recommandation. L'iris blessé s’enflamme avec la plus grande facilité. Mais il est facile d'éviter cette complica- tion si l’on a soin de fixer le globe de l’œil pendant la pénétra- tion de l'aiguille dans la chambre. La quantité de liquide ino- culé était de deux gouttes. Siles substances étaient lentes à se résorber (pétrole, térébenthine) on apercevait pendant plusieurs semaines les gouttes inoculées derrière la cornée. Pas d’acci- dent inflammatoire, aucun signe d'irritation, si ce n’est une très petite formation de fibrine autour d’elles. Jamais nous n'avons vu se produire une vraie suppuration, el nos expériences ont été faites plus de quarante fois. Le chlorure de zine, le nitrate d’ar- gent et la glycérine produisaient une petite cautérisation de la cornée, mais jamais de suppuration. L'inoculation du mercure a donné des résultats tout différents. Le mercure a une action très énergique sur l'œil. Il produit une suppuration considérable qui ressemble beaucoup à celle occa- sionnée par les microbes. Le produit de cette suppuration — le pus — est aussi vrai que le pus d’origine bactérienne. Si on inocule une très pelite quantité (5 centigrammes environ) de mercure stérilisé à 160° dans la chambre antérieure de l'œil d’un lapin, on voit survenir dans les 24 heures qui suivent l'opération 474 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. un nuage jaune-gris de pus autour de la goutte de mercure. En même temps, la muqueuse conjonctivale devient un peu rouge et gonflée. Le pus continue à se former les jours suivants et il arrive quelquefois à remplir la moitié de la chambre antérieure, et même plus, tandis que la gouttelette de mercure reste toujours dans le fond de la chambre. Quand on oavre l'œil après avoir sacrifié le lapin, on trouve dans la chambre antérieure une masse jaune, visqueuse, qui sous le microscope se montre composée de fibrine et de globules blanes. On n’y rencontre aucun microbe, ni en colorant le pus d’après les méthodes usuelles, ni en ense- mençant le pus dans du bouillon nutritif ou sur la gélose. L’ensemencement a été fait quelquefois le lendemain de l’in- troduction du mercure, à une époque où on ne pouvait pas, mème en acceptant la théorie de la phagocytose, supposer faite l’absorp- tion des microbes hypothétiques par les globules blancs. Il à été fait également trois ou quatre jours plus tard, pendant que la production du pus était en pleine activité. Cette expérience, que j'ai renouvelée maintes fois toujours avec le même résultat, me paraît assez concluante pour démontrer Ja possibilité d’une formation de pus sans microbes; dureste, le développement très régulier de la suppuration autour du mer- cure, l'augmentation lente du pus, l’inflammation aiguë de la conjonctive, l'arrêt de la suppuration, qui devient stationnaire quand le mercure est tellement enveloppé de pus qu'il a perdu son action pyogénique, tout cela démontre assez nettement l’ori- gine non bactérienne de cette suppuration. Tandis que les expériences sur les lapins ont fourni des don- nées qui — excepté pour le mercure — concordent avec la théorie généralement adoptée de l’origine bactérienne de la suppuration, les inoculations sur les chiens ont donné des résultats qui prou- vent d’une manière évidente que la théorie n’est pas applicable dans sa généralité. Les chiens conviennent très bien à ce genre d'expériences. Le tissu sous-cutané est rapidement influencé par les substances irritantes et suppure avec une grande facilité. Les causes de ce phénomène nous échappent. Cette tendance à la suppuration est-elle due à ce que la résorption se fait plus difficilement dans le tissu sous-cutané du chien que dans celui du lapin, ce qui l’exposerait à une irritation plus longue, ou RECHERCHES EXPÉRIMENTALES SUR LA SUPPURATION. 475 faut-il faire intervenir d’autres éléments ? Pour résoudre cette question des recherches sont nécessaires. Pour le moment nous nous contentons d'un point qui est acquis au débat. Des sub- stances qui ne produisent aucun effet appréciable chez le lapin, occasionnent chez le chien des suppurations considérables. Nous avons réussi à produire des suppurations sans micro- bes chez le chien en inoculant les substances suivantes : le nitrate d'argent, l’essence de térébenthine et le mercure. 11 ne serait probablement pas difficile d'augmenter la liste des substances pyogènes. Nous nous sommes bornés à ces trois, parce que c’est à l’occasion de ces trois substances que se sont élevées de nom- breuses discussions, et parce que la pensée qui nous a guidé dans ces expériences était plutôt celle de démontrer l’origine chimique de la suppuralion que de donner une énumération toujours incomplète des moyens avec lesquels elle peut se produire. Les inoculations ont été faites en appliquant l’antisepsie la plus stricte. La seringue employée, contenant 1 centimètre cube, était stérilisée soigneusement, et l'aiguille placée dans l’eau phéniquée à 4 0/0 jusqu’au moment de son emploi. A l'endroit où devait être faite la piqûre, un peu à côté de l’épine dorsale, le chien était rasé sur une grande étendue, puis savonné et lavé à l’eau phéniquée à 4 0/0. Après l'injection, la plaie était cauté- risée avec une baguette en verre rougie. Un pansement antisep- tique était ensuite appliqué et fixé par des bandes amidonnées destinées à empêcher complètement le chien de gratter ou de déchirer le pansement. Au moment de l'examen du pus, le chien était fixé sur la table d'opération, et, le bandage ôté, l’abcès ouvert avec un bistouri flambé, le pus était aspiré dans des pipettes sté- rilisées et ensemencé dans de la gélose ou dans du bouillon de veau dont on avait auparavant éprouvé la valeur nutritive. Des échantillons du pus étaient étalés sur des lamelles pour être soumis à l'examen microscopique. On ne nous fera pas le reproche d'avoir omis une seule précaution pour que l’opération fût complètement antiseptique. D'autre part, si les microbes avaient existé dans le pus, ils n'auraient pas pu échapper à notre attention, attendu qu'ils auraient été susceptibles d’être colorés et cultivés d'après les procédés usuels. Nous nous sommes convaincu de la manière suivante de la stérilisation complète de la seringue employée. Après l'avoir net- 476 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. toyée et stérilisée comme si! s'agissait d’une inoculation sous- cutanée, on la remplissait avec de l’eau stérilisée. Cette eau était ensuite ensemencée à l’aide de la seringue dans du bouillon. Cette expérience a été renouvelée 25 fois. Dans aucun cas le bouillon ne s’est troublé. Nous avions donc le droit de supposer suffisant le procédé de stérilisation de la seringue. Le nitrate d'argent etl’essence de térébenthine ont été portés à l'ébullition, et le mercure chauffé à 160°, avant leur emploi. Toutes les règles de l’antisepsie ont donc été strictement appli- quées. Dès lors, il nous semble difficile de ne pas admettre les con- séquences qui découlent forcément de nos essais. Elles se mon- trent avec une évidence incontestable. Puisque l’inoculation a été suivie d’une suppuration abondante, celle-ci ne peut avoir été produite que par l’action des substances inoculées dans le tissu sous-cutané. Les phénomènes qui ont suivi l'injection ont été à peu près les mêmes pour l’essence de térébenthine et le nitrate d'argent. L'effet du mercure a été un peu différent, eu égard à la rapidité avec laquelle la suppuration est survenue. 24 heures après l'in- jection d’un demi-centimètre cube d'essence de térébenthine pure ou d’une dose égale d’une solution à 10 °/, de nitrate d’argent dans le tissu sous-cutané d’un jeune chien, il s’est formé à l’en- droit de l’inoculation une tumeur molle de la grandeur d'une pièce de dix centimes. La peau était un peu plus rouge et plus chaude qu’à l’état normal. En incisant la tumeur à cette époque, on voit qu'elle est constituée par du tissu œdémateux contenant beaucoup de sérosité et de nombreux globules blancs, mais on n'y trouve pas du vrai pus. Dans les injections faites avec de la térébenthine, on constatait la présence de gouttes nombreuses de cette substance dans le liquide, qui en conservait l'odeur caractéristique. En faisant l’incision 48 heures après l'injection, on trouve du vrai pus en abondance dans l’abcès. La quantité de pus augmente encore les 24 heures suivantes, et celui-ci se montre absolument dépourvu de microbes, aussi bien par l'épreuve sous le microscope que dans le bouillon nutritif. L’injection du mercure produit une suppuration qui se dé- veloppe un peu plus lentement. La quantité injectée a été de RECHERCHES EXPÉRIMENTALES SUR LA SUPPURATION. 477 0c°,2. 48 heures après, il se forme une infiltration de la grandeur d’une pièce d’un franc. Elle contient déjà du pus en petite quan- tité, mais ce n’est qu'après quatre ou cinq jours qu'on trouve la tumeur transformée en un véritable abcès qui contient du pus jaune en quantité considérable. Ajoutons que le pus ensemencé dans du bouillon se montre stérile. En faisant agir sur les tissus des substances irritantes, on peut donc produire une suppuration sans microbes, et non seulement de petites infiltrations de pus, mais de vrais abcès aigus, difficiles à distinguer de ceux occasionnés par les ferments. Tout nous porte donc à croire que les microbes produisent la suppuration en amenant des altérations chimiques sous l'influence directe ou indirecte de certaines substances qu'ils engendrent. Les expériences qui tendent à prouver ce lait sont loin d’être terminées, et je n’en dirai pour aujourd’hui qu'un mot, mais elles ont déjà donné des résultats suffisants pour démontrer l'existence dans les bouillons de culture du Staphylococcus aureus d’une substance pyogénique. Les faits observés sont les suivants. Une culture dans du bouillon de veau du Staph. aureus, chauffée à 100°, température qui tue sûrement ce microbe, peut produire un abcès sous-cutané chez le chien. Injectée dans la chambre antérieure de l'œil du lapin, elle produit l’œdème de la conjonctive, la décoloration de l'iris et la formation de pus dans la chambre antérieure. L'inflammation disparaît assez vite, et une fois guérie ne laisse aucune trace dans le tissu de l'œil. La stérilité de la cullure chauffée a été démontrée par l’ensemencement négatif dans du bouillon, la stérilité du pus par l’inoculation dans l'œil d'un autre lapin. Le pus inoculé a été résorbé sans donner lieu à aucune inflammation. Le chauffage de la culture dans l’autoclave à 120° détruit tout à fait les facultés pyogènes du microbe. En filtrant la culture dans le bouillon à travers le filtre Pas- teur, on obtient un liquide qui produit un ædème de la conjonc- tive et une suppuration légère dans la chambre antérieure de l'œil du lapin. En précipitaut le liquide filtré avec de l'alcool, il se forme un précipité assez abondant de substances albumineuses. Après filtration et lavage avec de l'alcool, une solution dans de l’eau slérilisée de ce précipité produit les mêmes effets que la culture 478 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. filtrée : œdème de la conjonctive, décoloration de iris, suppura tion légère dans la chambre antérieure de l’æil du lapin. Cette sub- stance, qui est probablement une diastase ressemblant à la sub- stance pyogène que M. Arloing' vient de trouver dans des cultures du microbe de la péripneumonie contagieuse, est tout à fait diffé- rente de la substance cristalline que M. Leber? dit avoir extraite des cultures du Staphyl. aureus au moyen de l'alcool, et avec laquelle il a produit une inflammation dans l'œil du lapin. Si la découverte de M. Leber se confirme, il y aura donc lieu de supposer que le microbe de la suppuration peut produire plusieurs substances pyogènes, et que c’est par leur intermédiaire qu'il agit sur les tissus en produisant la suppuration. La suppuration doit donc être considérée comme l'effet d’une réaction des issus contre certains substances chimiques, qu'elles soient produites par des êtres vivants ou de nature purement chimique. Nous ne voulons pas terminer ce travail sans adresser à MM. Cornil et Duclaux nos remerciements pour l'extrême bien- veillance avec laquelle ils nous ont admis dans leurs labora- toires. 1. Voy. les deux communications intéressantes de M. Arloing dans les Comptes rendus de l’Académie des sciences, 1888, nos 49 et 925. 2. Fortschritte der Medicin, vol. VI, 15 juin 1888. NOTES DE LABORATOIRE SUR L'IMMUNITÉ CONFÉRÉE AUX CHIENS CONTRE LA RAGE, PAR INJECTIONS INTRA-VEINEUNES, Par EE. ROUX. Dans un mémoire paru récemment, M. Protopopoif ‘ a fait connaître qu'il était possible de vacciner rapidemeni des chiens contre la rage, en leur injectant dans les veines des émulsions de moelles rabiques de virulence graduée. Ainsi quatre chiens qui ont reçu dans les veines, à 3 jours d'intervalle, un centi- mètre cube d’émulsion des moelles de 6, de 3 et de 1 jour, ont résisté ensuite à l'introduction du virus fixe dans le sang et enfin à Ja trépanation. Ces expériences de M. Protopopolf nous rap- pellent des essais déjà anciens, qui prouvent qu'il est possible de rendre des chiens réfractaires à la rage par une seule injec- tion intra-veineuse de virus rabique affaibli, à la condition d'en injecter des quantités suffisantes. EXPÉRIENCES. — Le 22 décembre 1886, un chien neuf recoit dans la veine du jarret droit 35° d’une émulsion très fine, préparée avec une moelle entière de lapin de passage desséchée depuis 5 jours à 23°. Ce chien reste bien portant les jours suivants. Le 5 février 1887, il est inoculé, par trépa- nation, avec du virus de rage des rues; ilest pris de rage le 15 mars (38 jours après la trépanation). Le 21 décembre 1886, un chien neuf recoit dans la veine du jarret droit 3oce d’une émulsion préparée avec une moelle entière desséchée depuis 6 jours. En même temps, un lapin est inoculé, par trépanation, avec la même émulsion. Le chien et le lapin sont restés bien portants. Le 1° février 1887; le chien est inoculé par trépanation, avec du virus de rage des rues. Il n’éprouve aucun effet et est encore bien portant un an après. Le 23 décembre 1886, un chien neuf recoit, dans les mêmes conditions que les précédentes, 85ce d’émulsion préparée avec une moelle entière âgée de 7 jours. Un lapin est inoculé, sous la dure-mère, avee la même émulsion. Le lapin ne prend pas la rage, mais le chien est pris de rage paralytique le 25 janvier (33 jours après l'injection intra-veineuse). 4. Centralbl. f., Bakt. t. IV, p. 85, 1888. Voir ces Annales, n° 8, 1888. 480 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Le 2% décembre 1886, un chien neuf reçoit dans les veines 35e d’émul- sion préparée avec une moelle de 8 jours. Un lapin est inoculé, par trépa- nation, avec la même moelle. Le 22 janvier (29 jours après), le lapin est pris de rage. Le 18 avril 1887, le chien est trépané et inoculé avec du virus de rage des rues. Il reste bien portant et est sacrifié plus d’un an après. L Le 29 décembre 1886, un chien neuf recoit dans les veines 35° d'émul- sion de moelle de 9 jours. Un lapin est inoculé sous la dure-mère avec la même émulsion. Ce lapin n'a pas pris la rage. Le 18 avril, le chien est ino- culé dans la cavité arachnoïdienne avec du virus de rage des rues. Il prend la rage mue le 2 mai 1887 (15 jours après la trépanation). Le 39 décembre 1886, un chien neuf recoit dans les veines 35ce d’émul- sion de moelle de 10 jours. Un lapin est inoculé, par trépanation, avec la même moelle: il reste bien portant. Le 28 mars 1887, le chien est inoculé sous la dure-mère par le virus de rage des rues, Il est pris de rage mue le 9 avril (12 jours après la trépanation). Le 30 décembre 1886, un chien neuf reçoit dans les veines 35° d'émul- sion de moelle de {1 jours. Un lapin est inoculé sous la dure-mère, par la même émulsion; ce lapin n’a pas pris la rage. Le 4° février 1887, le chien est inoculé, dans la cavité arachnoïdienne, avec du virus des rues. Il est bien portant plus d’un an après, époque à laquelle il est sacrifié. Le 31 décembre 1886, un chien neuf recoit dans les veines 35cc d'émul- sion de moelle de 42 jours. Un lapin est inoculé par trépanation avec la même émulsion, il est pris de rage le 12 janvier 1887, et le chien est égale- ment devenu enragé le 17 janvier. Le poids de moelle desséchée employée pour faire les émulsions qui ont servi dans ces expériences était de cinquante centigrammes environ. Ces expériences montrent qu’il est possible de rendre rapi- dement des chiens réfractaires à la rage, par une seule injection intra-veineuse de moelles rabiques dont la virulence est très faible, comme celles de 8 et de 11 jours. Cependant, le résultat n’est pas constant, et si parfois l’immuanité est acquise après une seule injection de moelle de 11 jours, on voit que des injections de moelles plus fortes, faites aux mêmes doses, ne vaccinent pas à coup sûr. Ces irrégularités disparaîtraient, sans doute, si l’on employait des doses plus faibles et si l’on faisait 3 ou 4 in- jections successives d’émulsions de virulence graduées. C'est ce qu'a fait M. Protopopolif. On peut aussi tirer d’autres enseignements des expériences 1. Voir, Annales de l'Institut Pasteur, t. IT, p. 9, les expériences de M. Bardach sur la vaccination des chiens par injection de moelles faibles sous la peau. L'IMMUNITÉ CONFÉRÉE AUX CHIENS CONTRE LA RAGE. 481 qui précèdent; à savoir: que la virulence des moelles ne corres- pond pas toujours à leur âge. Nous avons vu, en effet, que des moelles de 12 jours et de 7 jours ont donné larage quandon les a injectées à grandes doses dans les veines des chiens, tandis que les moelles de 5, de 6, de 8 jours se sont montrées inoften- sives. On conçoit, en effet, que pendant la dessiccation le virus rabique n’est pas atteint en même temps dans tous les points de la moelle; des îlots peuvent rester vivants et virulents dans le centre quand déjà tout le reste aura été modifié. On pourra donc trouver dans les moelles des portions notables de substance dépourvues de virus vivant. C’est une des raisons pour les- quelles, dans la pratique, on multiplie les injections pour donner sûrement l'immunité. Dans les expériences que nous venons de rapporter, comment l’immunité a-t-elle été donnée aux animaux qui ont reçu des doses considérables d’émulsion de moelles de 11 jours et de 8 jours? Est-ce par l’action de la substance chimique qui, d’après M. Pas- teur, accompagne le virus rabique? est-ce par celle du virus resté actif dans les moelles injectées? Les moelles, qui ont donné l’immunité aux chiens, n’ont pas causé la rage chez les lapins auxquels elles ont été inoculées sous la dure-mère. Il semble donc qu’elles ne renfermaient pas de virus actif. Mais cette épreuve de la virulence des moelles est tout à fait insuffi- sante. Nous avons vu, en effet, qu’une émulsion de moelle de 1 jours, injectée dans la cavité arachnoïdienne des lapins, ne leur a pas donné la rage, tandis que la même émulsion injectée à fortes doses dans les veines d’un chien l’a rendu enragé. L’in- jection sous la dure-mère ne permet d'introduire que très peu de matière, dépourvue peut-être de virus vivant, tandis qu'une parcelle de substance nerveuse prise à côté en contient au contraire une quantité notable. Il faudrait pouvoir inoculer, par trépanation, des doses égales à celles que l’on fait pénétrer sous la peau ou dansles veines. L'action de la substance vacci- nale non vivante ne peut être mise en évidence qu'en soumettant les moelles rabiques à des actions qui tuent sûrement le virus: le point délicat est de trouver des moyens de faire périr celui-ci sans que celle-làsoit détruite en même temps :. 4. Voir les expériences de M. Pasteur sur ce sujet, Comptes rendus Acad. des sc., août 1888. VIBRIO METSCHNIKO VI «. sp) ET SES RAPPORTS AVEC LE MICROBE DU CHOLÉRA ASIATIQUE, Par M. N. GAMALÉIA. En étudiant l’état sanitaire du marché aux oiseaux d’Odessa, nous avons découvert une nouvelle maladie infectieuse des poules qui présente, sous plusieurs rapports, un intérèt parli- culier. Cette maladie est plus fréquente chez nous pendant l'été que le choléra des poules (septicémie des oiseaux) et ses cas paraissent se multiplier à mesure qu'’augmente la chaleur de l’air et plus particulièrement du sol. Ce sont les jeunes individus qui sont principalement frappés de cette maladie; cependant nous l'avons rencontrée aussi chez les poules adultes. Par ses symptômes extérieurs, cette maladie, que nous propo- sons d'appeler la gastroentérite cholérique des oiseaux (gastroente- ritis cholerica), ne diffère pas beaucoup de la septicémie (choléra des poules). Les oiseaux malades sont immobiles et comme endormis, avecle plumage hérissé ; ils ont la diarrhée.Cependant, la maladie confirmée a une durée plus longue que la septicémie; les poules adultes peuvent rester dans cetétat de sommeil jusqu'à 48 heures et davantage, Une différence clinique très nette entre ces deux maladies est donnée par la marche de la température:tandis que le choléra des poules présente jusqu’à la mort une fièvre intense (43-440), notre maladie nouvelle est caractérisée par une tempé- rature voisine de la normale (41-38°). A l’autopsie, le phénomène le plus constantest une hyperémie de tout le canal digestif, depuis le gosier, qui est rempli d'un liquide séreux. Les intestins grêles contiennent un liquide abou- dant, d’une couleur gris jaunâtre, avec une quantité plus ou moins grande de sang. Les autres organes ont l'aspect normal. Très intéressante, comme signe différentiel avec la septicémie, est l'absence complète de l’hyperémie de la rate, qui reste tou- jours petite et pâle. L'examen microscopique ne révèle ordinairement rien dans le sang. Du reste, le sang des oiseaux adultes est stérile et non VIBRIO METSCHNIKOVI. 483 infectieux. Mais, chez les poulets, on peut expérimentalement constater la présence de bactéries spécifiques dans le sang. Les pigeons, notamment, inoculés par une grande quantité de ce sang (2 à 4% d'une émulsion assez dense) périssent en 12 ou 20 heures. Chez ces pigeons on retrouve à l’autopsie les mêmes lésions que ci-dessus : rate exsangue, intestins remplis d'un con- tenu séro-purulent, coloré par du sang. Dans le sang du cœur, on trouve ordinairement, en quantité énorme, des bactéries carac- téristiques qui ont l'aspect du bacille-virgule de Koch. Les mêmes bactéries se retrouvent mêlées à d’autres dans le contenu du gosier et dans les intestins des pigeons et des poules qui sont mortes de la gastroentérite cholérique. Le sang des pigeons les contient à l'état de pureté et en donne immédiatement des cul- tures pures. Les virgules que nous décrivons ont ordinairement dans le sang des pigeons la forme de bacilles larges, courts et courbés. avec les bouts arrondis. Elles se trouvent parfois réunies en spi- rales avec 5-10 tours plus onu moins rapprochés. Quelquefois on rencontre des spirales doubles contournées à la facon d’une corde lâchement enroulée sur elle-même. Leur grandeur n’est pas constante : dans le saug d’un pigeon elles n'ont que le dia- mètre ordinaire des virgules cholériques de Koch, tandis que chez le pigeon du passage suivant elles deviennent deux fois plus fortes. Ces bactéries se laissent facilement cultiver dans les milieux nutritifs ordinaires. Dans le bouillon de veau légèrement alcalin (avec ou sans peptone), elles se multiplient très vite, et, 6-7 heures après l’en- semencement, on peut déjà voir à l'œil nu un trouble uniforme qui se résout en ondes soyeuses quand on agite. Le lendemain la surface du liquide se couvre d’un mince voile blanc. Ce voile reste mince et fragile les jours suivants, où il se forme au-dessous de lui une couche dense opaque et grise. L'examen microscopique révèle dans ces cultures l’existence des mêmes bactéries recourbées, qui se réunissent parfois en spirales très longues. En gouttes pendantes, on constate que les bactéries vivantes sont douées d'un rapide mouvement spontané. Ces cultures, dans le bouillon ordinaire, n’ont aucune odeur pro- noncée. Laréaction avec l’acide sulfurique donne une coloration oran- 484 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. gée à la culture de ces bactéries, faite dans le bouillon peptonisé. Après une piqüre dans la gélatine nutritive (à 5 0/0), nos bac- téries se développent assez lentement. Le 2° ou le 3° jour, on y voit une bulle de gaz qui devient plus grande les jours suivants, et qui se prolonge en bas par un cylindre de gélatine liquéfiée, dont l'axe central est occupé par une bandelette blanche con- tournée en spirale. Plus tard la bulle disparaît en s’ouvrant de plus en plus au sommet, le cylindre liquéfié s’élargit pour occuper toute la largeur de l’éprouvette ; il se termine en bas par une surface horizontale, et son fond est occupé par des masses gra- nuleuses et blanches. Dans les cultures sur plaques de gélatine, on troùve le 3° jour un aspect typique et saisissable à l’œil nu. Les colonies isolées ont la forme d’une rondelle liquéfiée trans- parente, munie d'un point blanc au centre. Examinées au micro- scope, ces colonies se divisent en trois zones, dont l’extérieure, figurée par la gélatine liquéfiée, est très pâle avec une structure homogène, l'intermédiaire a des contours oudulés et un aspect granuleux, tandis que le centre est brun et opaque. Les cultures sur la gélose prennent souvent un aspect carac- téristique : elles sont composées de couches blanches, plus fortes au centre, où elles prennent une teinte jaunâtre et où elles se couvrent d’un voile brillant. Sur les pommes de terre, nos bactéries croissent, au-dessus de 250, en masses d’une couleur brune pâle (café au lait), plus foncée (couleur de bière brune) au centre. Les bactéries se développent très bien dans le lait. Celui-ci ne change pas d’aspect les premiers jours, mais une semaine environ plus tard il est coagulé (à 35°) : la caséine se précipite au fond en masses irrégulières qui ne se redissolvent plus. Le lait acquiert en même temps une forte réaction acide et les bac- téries y périssent dans un temps assez court. Les cultures dans les œufs sont typiques. Dix jours après l'ensemencement, on trouve, en brisant la coque, que le blanc d'œuf est tout à fait dissous et transformé en un liquide jaunâtre et louche, tandis que le jaune, qui conserve sa forme et sa consis- tance, est devenu d’un noir parfait. Nos bactéries sont très sen- sibles à l’action des températures élevées. Chauffées 5 minutes à 50°, elles sont tuées. Une et deux minutes à 50° les laissent absolument vivantes, de même que dix minutes à 450. VIBRIO METSCHNIKO VI. 485 Dans quelques conditions spéciales, nos bactéries forment de véritables germes (endospores) caractérisés par la double coloration. Mais nous remettons à une autre fois l'exposition plus complète de ce fait. Caractérisées de cette manière, nos bactéries seplacent par leur mode de sporulation dans le genre Vibrion. Par conséquent, nous proposons de les appeler, Vibrio Metschnikovi, pour les dis- tinguer des vibrions semblables (vibrio choleræ asiaticæ, Finkler et Prior, Denecke). Il est incontestable que les vibrions de Metschnikoff cons- tituent la cause unique de la gastroentérite cholérique. [ls sont, d’après nos expériences, pathogènes pour les pigeons, les poules et les cobayes. Les pigeons sont très susceptibles à l’action de nos bactéries. Quelques gouttes de la culture, inoculées sous la peau ou dans les muscles, suffisent pour les tuer en 8 à 12 heures. Il faut, pourtant, remarquer que les bactéries retirées du corps des pou- letsn’ont pas toujours cette virulence extrême, qu'elles acquièrent dans tous les cas par le passage successif à travers les pigeons. Ainsi, par exemple, le 20 juin, le sang d’un pigeon (deuxième passage après un poulet) est inoculé, en quantité de 1°, à deux pigeons. Un seul de ceux-ci est mort, tandis que l’autre se réla- blit et devint réfractaire au virus virulent. Le 9 juillet, les mêmes bactéries, après des passages quotidiens par les pigeons, sont devenues absolument mortelles pour ces derniers à la dose de un huitième de centimètre cube. Avec cette virulence croissante, survient un changement intéressant dans le contenu de l'intestin enflammé des pigeons qui ont succombé. Ce contenu consiste toujours en un liquide rosé avec de petits flocons gris. Maïs avec le virus faible, ces flo- cons, à l'examen microscopique, se composent principalement de leucocytes, tandis qu’avec le virus le plus virulent, on ne trouve dans ces flocons qué des cellules épithéliales exfoliées. Nos bactéries n’ont aucune action sur les pigeons, si elles leur sont données à manger même en quantités très grandes. Les poulets, au contraire, qui sont plus réfractaires au vibrion de Metschnikoff, qui exigent des doses beaucoup plus fortes pour être tués par l’inoculation sous-cutanée ou intra-musculaire, succombent facilement à l'infection par la nourriture. 31 486 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Ainsi, le 27 juillet, un poulet a bu du sang d’un pigeon, mort de gastro-entérite cholérique (deuxième passage d’un pou- let qui a succombé à la maladie spontanée). Ce poulet meurt dans la nuit du 29 au 30 juillet. Les intestins sont très hypérémiés et remplis d’un liquide contenant des flocons gris. Dans son sang on trouve et on isole en cultures les vibrions de Metschnikoff. Évidemment, ce poulet s'est infecté par les voies digestives. Je ne veux pourtant rien préjuger sur le mode d'infection naturelle qui fait l’objet de nos recherches actuelles. Les lapins et les spermophiles sont très réfractaires à nos bactéries, quoiqu'ils puissent être tués par de fortes quan- tités. Les cobayes, au contraire, sont des plus susceptibles. [ls ne résistent à aucun mode d’inoculation virulente, et succombent aussi par suite de l'infection par l'estomac. Il n’est même pas nécessaire, pour cela, de neutraliser le suc gastrique par la soude, ou d'employer pour l’intoxication de l'animal la teinture d’opium, etc. ; il suffit tout simplement de faire avaler au cobaye quelques centimètres cubes d’une cullure virulente. Ainsi, le 13 août, deux cobayes ont avalé 4 centimètres cubes d’une cul- ture dans du bouillon datant du 11 août. Le lendemain, tous les deux étaient morts. A l’autopsie, ils ont présenté des rates ané- miques ; les intestins étaient remplis d’un liquide contenant des flocons d’épithélium exfolié. Un d’eux avait en outre une exsudation pleurétique séreuse. Les vibrions ont été trouvés dans le sang du cœur et dans le liquide intestinal. En résumant, on peul conclure, au sujet de l’action pathogène de nos microbes, qu'ils ont une prédilection pour la localisation dans le canal intestinal, où ils produisent la desquammation de l'épithélium ; que cette localisation se fait aussi après l’inocula- tion sous-cutanée, intramusculaire ou intrapéritonéale; que les animaux résistants ne sont tués que par la multiplication locale des microbes. probablement par suite des ptomaïnes qu'ils forment ; que chez les animaux susceptibles (poulets, pigeons, cobayes), les microbes passent dans le sang en y acquérant une augmentation de leur virulence. Maintenant, si on compare toutes les connaissances que nous avons acquises jusqu'ici sur les propriétés de nos microbes, aux faits bien établis qui concernent le microbe du choléra asiatique VIBRIO METSCHNIKO VI. 487 de Koch, on est frappé de la grande ressemblance de ces deux formes. Même aspect morphologique, aucune différence sérieuse dans les cultures, mêmes propriétés pathogènes. Conduits par ces analogies, nous avons recherché s'il n'existe pas entre ces deux formes une parenté plus étroite. En effet, nous avons trouvé qu'on peut vacciner pour l’une des maladies avec le microbe spécifique de l’autre. Ainsi, le pigeon réfractaire aux vibrions de Metschnikoff, dont nous avons parlé plus haut, s’est montré indemne aussi par rapport au virus du choléra asiatique. D'un autre côté, tous les pigeons que nous avons vaccinés contre le choléra, sont devenus en mème temps réfractaires à nos vibrions. Voici une expérience qui le prouve. Le 26 août, dix pigeons vaccinés contre le choléra‘ sont inoculés, avec un pigeon de contrôle, par un quart de centimètre cube d’une émulsion faite avec du sang de pigeon mort de gastroentérite. Le pigeon témoin est mort le même jour. Deux pigeons vaccinés ont succombé pendant la nuit. Les huit autres sont restés complètement bien portants. Ainsi, nous devons conclure que nos microbes sont très étroitement liés aux vibrions du choléra asiatique. Nous ne pouvons imaginer d'explication plus naturelle de toutes leurs propriétés communes que celle qui les considérerait comme deux variétés physiologiques du mème microbe*. L'une, plus particulière à l'homme, ne se produirait que dans l’Inde, grâce peut-être au passage par quelque animal indigène ; l’autre existerait dans les pays européens. D'un autre côté, il est possible que nos microbes soient liés aux maladies humaines telles que le choléra nostras et la diarrhée estivale des enfants Voici un fait qui parle décidément en faveur de cette connexité. Le 16 août, M. le D' Silouianoff a eu l'obligeance de nous remettre les déjections d'un homme malade du choléra européen. Les déjections consistaient en un liquide grisàtre rempli de flocons riziformes, formés par les épithéliums exfoliés. Nous avons nourri avec ce liquide un petit poulet tout jeune, qui a 1. Voir Comptes rendus de l’Académie des sciences, 20 août 1888. 9, Le vibrion du choléra asiatique se distinguerait, par exemple, par sa faculté plus grande de former les spores. 488 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. succombé trois jours plus tard, le 20 août, avec tous les symp- tômes de la gastro-entérite cholérique. Dans son gosier, dans son intestin, ainsi que dans son sang, ont été trouvés les vibrions caractéristiques de cette maladie. Ces vibrions pourtant n'avaient qu'une virulence très faible, puisque le sang du poulet, inoculé dans les muscles pectoraux d’un pigeon et dans le péritoine d'un cobaye, ne leur a donné qu'un malaise passager (chez le cobaye la température tomba jusqu'à 33 degrés) : mais ce malaise a été suivi d'une 2#munité complète vis-à-vis du virus virulent emprunté à du sang de pigeon de passage le 25 août. Ce fait positif aurait, d’après nous, beaucoup plus de valeur que les résultats négatifs des recherches de MM. Koch et Franck, qui n’ont trouvé aucun organisme spécifique dans plusieurs cas du choléra européen. Et cela pour deux raisons principales : 1° Tous ces auteurs se sont servis pour la recherche de la méthode des cultures, qui est incontestablement inférieure à la méthode par infection quand il s’agit de déceler un organisme pathogène perdu entre les bactéries banales. Nous avons déjà prouvé cette infériorité pour plusieurs maladies, comme la pneumonie fibrineuse, le choléra des poules, le charbon ‘. Or, nous avons toute raison de croire qu'en utilisant notre méthode expérimentale de l’infection d’un jeune poulet, on arri- verait à de meilleurs résultats. 2° Nous avons aussi montré. dans notre article sur la pneu- monie, que les microbes pathogènes, après avoir produit la lésion spécifique, peuvent disparaître pour être remplacés par des bactéries saprophytiques banales. Pour le choléra européen, qui est une maladie bénigne, cette disparition des vibrions patho- gènes est bien probable, vu l’'émigration leucocytaire formidable que nous avons constatée dans le canal intestinal après l’infec- tion des pigeons et des cobayes par des vibrions de Metschnikoff peu virulents. Ces deux ordres de considérations nous forcent à conclure que toute l’étiologie du choléra nostras est à refaire d’après nos données expérimentales. 4. Voir nos articles sur l’étiologie de la pneumonie fibrineuse chez l'homme (les Annales, n° 8) et sur l’étiologie du choléra des poules (Centralblatt f. bacteriologte, OA EU TON (SE) SUR LA RECHERCHE DES ALCOOLS DE DEGRÉ SUPÉRIEUR Par M. E. DUCLAUX. La découverte dans un liquide des alcools de degré supérieur mélangés en faible quantité à l’alcool ordinaire est un problème plein d'intérêt. Au point de vue de l'hygiène, sa solution permettrait de n’admettre dans la consommation que des alcools purs, ou du moins à peu près purs, car toutes les fermentations industrielles, même celles quifournissentles vins les plus délicats, n'étant jamais, au sens absolu du mot, des fermentations pures, laissent presque toujours, sinon toujours, dans les liquides qu’elles ont produits, des traces d’alcools supérieurs. On n’a donc pas le droit de considérer comme synonymes les mots alcool pur et alcool de vin, et comme l'usage, modéré ou abusif, de cette boisson n’a jamais donné lieu aux plaintes dont on poursuit la consommation modérée ou abusive des eaux-de-vie de mau- vaise qualité, il faut en conclure que l'organisme humain peut très bien s’accommoder de l’absorption, en quantités très faibles, d’alcools toxiques, et que la seule chose qu'il redoute, c'est l'excès de ces substances, soit qu'il y en ait trop dans le liquide ingéré, soit que ce liquide soit ingéré en quantités trop grandes. Dans les deux cas, on diminuerait évidemment beaucoup le mal possible si seulement on arrivait à mettre facilement en évi- dence, je ne dis pas à doser cet excès d’alcools dangereux. Au point de vue de la microbiologie, la question a aussi de plus l’importance. Plus nous pénétrons dans l'étude des micro- bes, elle se complique, plus nous sommes conduits à distinguer des genres et des espèces qu’on confondait autrefois. A cela, la morphologie ne suffit plus, pas mème celle des cultures sur milieux divers, pourtant plus variée que la morphologie du microbe, pas même la culture sur des milieux vivants. Il faut de toute nécessité en arriver à l'étude de la biologie du microbe, 490 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. et en particulier à celle de ses aliments nutritifs et des transfor- mations qu'il leur fait subir. Pour toutes les cellules qui produisent de l'alcool, et on sait si elles sont nombreuses, il est du plus haut intérêt, au point de vue de la classification, de savoir si cet alcool est pur ou mélangé d'alcools supérieurs, parmi lesquels dominent presque toujours les alcools butylique et amylique. Je décrirai pourtant bientôt une bactérie qui donne de l’alcool propylique, mais, lorsque cet alcool se forme, il est en général produit en quantités assez grandes, parce qu'il n’est pas toxique au degré des autres. L’être qui le produit peut donc en faire beaucoup: il n’en est pas de même pour les alcools butylique et amylique, beaucoup plus redoutables pour les cellules vivantes, même pour celles des mi- crobes, et qui dès lors ne peuvent d'ordinaire être produits qu’en faible quantité; c'est leur rareté quirend leur recherche difficile ; c’est leur nature qui rend celte recherche importante, et leur rareté dépend de leur nature. Dans mes Études sur les vins, publiées en 1874 dans les Annales de Chimie et de Physique, j ai donné une méthode capable de déceler le mélange à l'alcool ordinaire de faibles quantités d'alcools supérieurs. Cette méthode consiste à comparer le titre alcoolique du liquide, mesuré par le flacon à densité, avec le nombre de gouttes fourni par l'écoulement d'un volume déter- miué du liquide, mesuré dans un compte-gouttes convenable- ment gradué. Si l'alcool est pur, 1l y a une corrélation constante, fournie par mes tables, entre le nombre de gouttes et la densité. La présence d’une faible quantité d’'alcools supérieurs ne change rien à la densité, ces alcools ayant à peu près celle de l'alcool ordinaire, mais elle diminue beaucoup la cons- tante capillaire, la tension superficielle de l'alcool étudié, et augmente par là le nombre de goultes qu'il peut fournir sous un volume donné. L'écart avec le nombre de gouttes corres- pondant à la même densité pour l'alcool vinique est donc d'autant plus grand que la quantité d’alcools supérieurs mélangés est plus considérable, et cet écart peut servir à se faire une idée, en général suffisante dans la pratique, de leur proportion par rap- port à l'alcool ordinaire. Toutefois, comme cette proportion est toujours très faible, il restait à chercher dans quelles conditions ce procédé a son RECHERCHE DES ALCOOLS DE DEGRÉ SUPERIEUR. 491 maximum de sensibilité. Faut-il, par des distillations succes- sives, concentrer sous le plus petit volume possible l'alcool à étudier, ou faut-il le diluer beaucoup ? Dans ce dernier cas, on s'expose, en étendant outre mesure les alcools formant impureté, à rendre leur effet insensible ou nul. Si on concentre beaucoup, on risque d'arriver au même résultat, parce que tous les alcools, à l’état concentré, donnent à peu près le même nombre de gouttes, et qu'il n’y a plus rien alors pour traduire l’effet de leur mé- lange. Il faut donc opérer sur des mélanges dilués, mais à queldegré? c’est-ce que l’expérience seule pouvait dire. Pour le savoir, j'ai mélangé 10 parties d’alcool amylique avec 90 d'alcool ordinaire très pur, titrant 92°, et obtenu par une fer- menlation pure de sucre avec de la levure de vin de Champagne. L'alcool amylique venait du commerce, mais il avait été très soigneusement rectifié dans un appareil Henninger à 5 boules, et bouillait à 129°-130°,5. J'ai fait avec le tout un mélange à 929, que j'ai étudié au densimètre et au comple-gouttes, et que j'ai ensuite étendu avec des quantités d’eau régulièrement croissan- tes, de facon à obtenir des mélanges à divers titres que j'ai étudiés comme le premier. Le tableau suivant donne pour chacun d'eux, sa densité à 15°, D; son ütre alcoolique correspondant A, calculé d’après les tables de Gay-Lussac comme si c'était de l'alcool pur, et enfin, en d, la différence à 15° entre le nombre de gouttes qu'ii fournit et celui de l'alcool pur au même degré, pour le compte-gouttes ordinaire, dans lequel 5° d’eau à 15° donnent exactement 100 gouttes. L> A da 1 0,8270 92 0 2 0,9403 46,8 32 91007989 39,9 39,5 4. (0,9692 96,5 69 D, 00:971602 20 71 6 0,981! 15 51 7 0,9853 il 44 8 .10,9944 6 33 Je0;9957 3 2 La différence est nulle, comme nous l’avions prévu, pour des alcools concentrés, et très faible pour des alcools étendus. Elle est pourtant encore appréciable pour un liquide, le dernier, 492 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. qui ne contient que 3 p. 1.000 d'alcool amylique. Elle est au maximum pour les alcools voisins de 25°, pour lesquels l’aug- mentation est telle que le nombre des gouttes se trouve accru, en moyenne, dans le rapport de 4 à 3. Cette augmentation persiste-t-elle, et dans quelles proportions, quand on diminue la dose initiale d'alcool amylique ? Pour le savoir, j'ai fait, dans les mêmes conditions et avec les mêmes matériaux que précédemment, une solution initiale à 2 d'alcool amylique pour 98 d'alcool ordinaire. Son étude et celle de ses dilutions se trouvent résumées dans le tableau suivant, construit comme celui qui précède. D A da 1 0,8271 92 0 2 0,9408 46,7 10 3 0,9374 36,3 16 4 0,9691 26,7 17 5 0,9759 20,2 18 6 0,9841 13 17 T _0,9846 12 14 8 0,9914 6 8 Les différences persistent et sont même proportionnellement plus fortes que tout à l'heure, si bien qu’elles permettent d'évaluer = environ d'alcool amylique dans l'alcool ordinaire. On voit en outre que c'est encore au voisinage de 20°-25°, qu'elles présen- tent leur maximum. Il restait à faire les mêmes essais pour l'alcool butylique. Je me suis servi d'un alcool purifié à Pappareil à boules, bouillant à la température normale, et j’en ai fait une solution à 10 p. 100 dans l'alcool ordinaire. L'étude de cette solution initiale et de ses dilutions m'a donné les résultats suivants : - D A da 1 0,8269 92 0 2 0,9407 46,5 21 3 0,9572 39 33 n 0,9696 96,2 38 ds) 0,9764 19,6 97 6 0,9828 199 96 7 0,9850 11 9) C’est encore au voisinage de 25° qu'a lieu le maximum, de sorte qu’on peut tirer des tableaux qui précèdent une conclusion RECHERCHE DES ALCOOLS DE DEGRÉ SUPÉRIEUR. 493 commune à l'alcool butylique et à l'alcool amylique, c’est que pour déceler leur mélange possible avec l'alcool ordinaire, il faut amener le titre à 25° environ, pour faire l'étude au compte- gouttes. Comme le volume sur lequel on opère n’est que de 5°, on n’a besoin, pour une expérience, que de 1°,5 environ du mélange d’alcools, pris à l’état concentré, et on peut y déceler la présence d'environ deux millièmes d'alcool amylique et cinq millièmes d'alcool butylique. J'ai souvent appliqué cette méthode à l'étude de l'alcool produit par divers microbes, et je reviendrai sur les résultats qu'elle m'a fournis. Je me borne pour aujourd’hui à ceux de l'étude de deux alcools commerciaux, une eau-de-vie provenant de la fermentation de mélasses de sucre de canne, et des flegmes de betterave bruts provenant d’une distillerie du Nord. i L’eau-de-vie, amenée à 30°, a donné 9 gouttes de différence avec de l'alcool pur au même titre. Les flegmes, qui marquaient 36°, ont donné une différence de 6 gouttes. Ni l’une ni les autres ne renfermaient donc d'alcool pur, et l’eau-de-vie préparée pour la consommation était plus impure que les flegmes bruts de betteraves. REVUES ET ANALYSES SUR LES THÉORIES DE L'IMMUNITÉ. REVUE CRITIQUE. Ever. Études sur l’atténuation des bactéries virulentes et limmunité acquise. Zeitschr. f. Hyg.,t.1V, p. 208. - Smirxow.Surlanature del’atténuation des bactéries pathogènes Jbid., p. 231. — Sirorinix. Sur les produits vitaux des bactéries arrêtant leur développement, et l'hypothèse dite de rétention. Ibid, p. 262. — Brrrer. Survient-il un épuisement des matériaux nutritifs des bactéries à la suite de leur développement dans un être vivant ? Ibid., p. 291. — Brrrer. Sur l'extension du vaccin, et l'expansion de la vaccination dans le corps de l'animal vacciné. 1bid., p. 299. — Birrer. Remarques eri- tiques sur la théorie des phagocytes de Metchnikoff. 1bid., p. 318. — Nurrazs. Expériences sur les influences hostiles aux bactéries dans le corps des animaux. 1bid., p. 353. Le quatrième volume du Zeitschrift fur Hygiene est presque entièrement rempli par des études sur la théorie de l’immunité, ioutes faites dans le laboratoire de M. Flugge qui les a inspirées et contrôlées, et en expose, dans un mémoire spécial, l’idée directrice. La théorie contre laquelle il à groupé ses efforts et ceux de ses élèves, c’est que la virulence n’est pas une mani- festation vitale isolée, une propriété qui peut varier seule, indépendamment des autres, mais une modification à laquelle prend part tout le protoplasma, et qui doit se traduire par une augmentation dans la puissance de prolifé- ration et par d’autres caractères extérieurs. Si c’est là le but poursuivi par M. Flugge, on peut dire qu'il est complè- tement atteint. M Smirnow étudie de près, et précise par des chiffres ce fait, familier à tous ceux qui se sont occupés de la culture des vaccins vivants, qu'une bactérie se développe d'autant plus péniblement dans un même milieu qu'elle est plus atténuée. Il montre aussi que la bactérie virulente résiste mieux aux antiseptiques que la bactérie atténuée. MM. Bitter, Nuttall, font voir de leur côté que, dans les questions de vaccination ou d'immunité, qui ne sont que la question de virulence examinée par l’autre bout, les bac- téridies atténuées se comportent dans les tissus tout autrement que les bac- téridies virulentes. Mais on a le droit de se demander, après avoir constaté le suecès de ces études, si une idée aussi fruste de la virulence que celle que nous avons indiquée plus haut méritait un pareil déploiement de forces. Il n'y a guère, croyons-nous, de savants qui en soient restés à une notion aussi incomplète, Si, au contraire, on admet que le mot virulence n’a REVUES ET ANALYSES. 495 aucun sens par lui-même et n’est que le vocable abréviatif d'un grand nombre de conditions, si on se rappelle les expériences bien connues qui obligent à faire figurer dans sa définition, non seulement les qualités héréditaires ou acquises du mierobe, mais encore l'espèce et la race de l'être vivant auquel on l'inocule, les qualités héréditaires ou acquises de cet être, le lieu et la dose de l'inoculation, la température, ele. ; si, pour donner une image gros- sière de l'ensemble d’influences qui y entrent en jeu, on se représente la virulence comme la différence variable de poids entre les deux plateaux d’une balance dans laquelle on a mis, d'un côté, le microbe avec toutes ses puissances d'attaque, connues et ‘inconnues, de l'autre l'être vivant avec toutes ses forces visibles et mystérieuses de résistance, on conelura tout de suite qu'une question aussi complexe n’est pas de celles qui se résolvent, comme on a essayé de le faire au laboratoire de M. Flugge, par des cultures en tubes et en plaques. Ces méthodes simplificatrices ont servi et serviront longtemps encore à étudier le gros des phénomènes, à se faire des idées que l’on qualifiera ambitieusement du nom de théories, et à se tracer des pro- grammes d'expérience, mais, quand on en arrivera à l'être vivant, on s’aper- cevra bien vite, comme le dit excellemment un des élèves de M. Flugge, que « les résultats obtenus dans les cultures de laboratoire ne peuvent pas être étendues sans autre forme de procès aux actions dans les êtres vivants », et qu'il y a chez ceux-ci une délicatesse de mécanisme qui rend caduques toutes les conclusions de nos méthodes grossières. De ce que M. Sirotinin, par exemple, trouve et montre qu'on ne perd pas grand’chose et qu'on gagne même quelquefois à cultiver une bactérie dans un milieu nutritif dans lequel on a fait entrer, pour moitié ou pour la totalité, un liquide antérieur de culture du même microbe, surtout si on à pris soin de neutraliser l'excès d'acide ou d’alcali produit par la première culture, a-t-on le droit de conclure que l'immunité conférée à un être vivant par une première vaccination n’a rien à faire avec les produits laissés dans le corps par l'inoculation et la maladie préservatrice? Évidemment non. [l faudrait d'abord avoir démontré que les produits formés dans le corps sont les mêmes que dans nos bouillons ou nos gélatines, que, s'ils sont les mêmes au moment où ils ont sécrétés ou excrétés par les microbes, ils restent les mêmes et ne sont pas modifiés, ou le sont également, soit par oxydation, soit autrement, dans les milieux si divers où ils sont sécrétés; il aurait enfin fallu savoir (et ici, comme nous rentrons dans le cadre expérimental de M. Sirotinin, l'objection sera plus directe) si on avait bien le droit de demander à ces produits d’une première culture d'arrêter ou de retarder beaucoup la seconde, surtout lorsqu'on les mélangeait à des matériaux nu- tritifs nouveaux. La plus légère différence, le plus léger retard, la résistance la plus faible doivent suffire en pareil cas, car en vertu de l’exacte pondéra- tion des forces à l’origine d’une maladie microbienne, la moindre influence suffit à porter la victoire de l’un ou l’autre côté. Or, ces différences, M. Sirotinin les a rencontrées quelquefois (p. 273, 274, 280). Il n'y à pas fait attention, parce qu'il les jugeait trop faibles et s'attendait à mieux, ou bien il les a rapportées à d’autres causes que la pré- sence de produits nocifs déposés par la première culture, par exemple à 496 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. l'épuisement des matériaux nutritifs qu’elle aurait amené, sans songer qu'il suffit que ces différences existent, que la cause nous en est au fond indifré- rente, lorsqu'elle est dans la nature des choses et ne dépend pas d’un artifice expérimental. La nature se moque bien de nos classifications et de nos théories! Les élèves de M. Flugge lui ont demandé, l’un si elle opérait, dans la vaccination, par addition d’une substance nuisible, l'autre par soustrac- tion d'une substance utile, le troisième par phagocytose. Il est probable que si elle n'était pas aussi silencieuse, elle nous répondrait qu’elle ne comprend rien à des questions posées d'une façon aussi exclusive, qu'elle emploie à la fois tous ces moyens et beaucoup d’autres, et qu'elle fait de son mieux. En résumé, M. Sirotinin a montré, et ceci est intéressant, que les diffi- cultés qu'on trouvait quelquefois à faire se développer à nouveau un microbe dans un milieu dans lequel il avait déjà vécu tenaient en partie à l'excès d'acide ou d’alcali produit par la première culture. mais, quoi qu'il en pense, ses conclusions restent en harmonie avec ce fait qu'un microbe n'aime pas à habiter à nouveau un milieu où il a déjà vécu, et elles ne démontrent nullement, en tout cas, qu'une première culture vaccinale ne dépose pas dans l'être vivant des substances pouvant, avec l'appoint des autres forces de résis- tance de l'organisme, arrêter le développement de la culture virulente. Nous pouvons en dire autant de M. Bitter qui a cherché à voir si la stéri- lité du second ensemencement tenait à ce que la première culture avait épuisé les tissus d’un élément utile. Il montre pour cela que la bactéridie charbonneuse pousse parfaitement dans le sang d’un animal mort du charbon, et qu’elle se multiplie aussi vite dans le sang et le sérum d'un mouton vac- ciné contre le charbon que dans le sang et le sérum d’un mouton non vacciné. Contrairement à une observation de Schottelius, qui avait vu, dans deux cas, le bacille du rouget pousse moins bien sur un bouillon gélatinisé préparé avec des muscles de porc mort du rouget, qu'avec des museles de pore sain, M. Bitter ne retrouve plus le même résultat en comparant le bouillon de pigeon mort du rouget avec le bouillon de pigeon sain. Il ne le retrouve pas non plus avec le bouillon de lapin et de mouton vacciné contre le charbon, par comparaison avec celui des mêmes animaux dans leur état normal, et, de ces expériences, il se croit en droit de conclure, « avec une entière assu- rance, que l'immunité contre le charbon, le rouget et le choléra des poules, n’est pas due à l'épuisement, d'une matière nutritive quelconque dans les liquides du corps ». C’est, croyons-nous, aller un peu vite. Si cette démons- tration résultait du simple fait que la bactéridie du charbon peut se multiplier dans le sang après la mort, il y a longtemps qu’elle serait faite, car cette observation est ancienne. Mais qui est-ce qui assure à M. Bitter que la mort de l'animal ne précède pas de beaucoup l'épuisement de la substance nutri- tive par le microbe? et, s’il n’en sait rien, que devient, non son expé- rience, mais sa conclusion? Quant à la comparaison entre les puissances nutritives des bouillons d'un animal vacciné et d'un animal normal, nous n'avons pas à choisir entre M. Schottelius qui dit qu’il y en a une, et M. Bitter qui n'en trouve pas. Nous nous en référons à ce qui a été dit REVUES ET ANALYSES. 497 plus haut, c'est que du moment qu'il suffit pour le résultat qu'il existe une très petite différence, il faut se mettre dans des conditions qui puissent manifester ces très petites différences, ce qu'une comparaison, nécessairement orossière, de la rapidité et de l'aspect de la culture, ne permet évidemment pas. Il faudrait, par exemple, au lieu d'opérer sur des liquides très nutritifs, - opérer avec des liquides médiocres dans lesquels l'influence d’une cause alté- rante apparaîtrait mieux. On pourrait encore essayer de mesurer le poids de plante produite, ou la quantité d'oxygène consommé dans les premières heures pour des quantités égales de semence dans chacun des deux bouil- lons vacciné, et non vacciné. Peut-être tirerait-on de là quelque induction, mais avant de l’étendre à l'organisme il faudrait encore tenir compte de la difficulté, reconnue par M. Bitter lui-même dans la phrase que nous citions plus haut, « d'étendre sans autres formes de procès, aux actions dans les êtres vivants, les résultats de cultures de laboratoire ». Nous nous croyons donc autorisés à ne pas insister plus longtemps sur tous les procédés de démonstration qui, dans les travaux que nous analysons, concluent du vase de verre aux tissus vivants. Nous passerons brièvement aussi sur le travail dans lequel M. Bitter constate que le vaccin qu’on inocule à un animal ne s'étend pas loin autour du point piqué, que sa multiplication est en outre très limitée, qu'il manque dans le sang et les divers organes, et que, malgré cela, l’immunité qu’il confère s'étend à des régions qu'il n’a pas visitées et est tout à fait générale. Il tire de ces faits, qui ne sont pas tous de lui, et dont quelques-uns seront contestés dans un prochain numéro des Annales, mais qu'il groupe dans son argumenta- tion, la conclusion que cette disproportion entre le développement maigre et limité du microbe vaceinal, et le caractère général de l’immunité produite, ne sont en harmonie, ni avec la théorie de l’épuisement d’une substance utile, ni avec celle de l’adjonction d’une substance nuisible. M. Bitter aurait pu ajouter qu'elle plaide aussi contre la phagocytose et presque toutes les théories de l’immunité. La vérité, croyons-nous, est qu'elle ne plaide sérieu- sement contre aucune, ne serait-ce qu'à cause du sang, qui allant inces- samment de la région colonisée par le microbe à celle qui en est exempte, peut envoyer de l’une à l’autre la substance active, s'il y en a une, quele microbe absorbe ou dépose dans le tissu où il s'implante. La fièvre vaccinale est un indice de cette activité dans les mutations des tissus et la vie cellu- laire. Il est clair maintenant que si le développement du vaccin est médiocre, son action sera faible, mais alors la fièvre sera modérée et l’immunité incertaine et passagère!. En somme, un être vivant n’est pas un milieu vélatinisé, et toute modification sur un point retentit bientôt sur l’ensemble. On voit que nous revenons toujours à la même objection. Hätons-nous de dire pourtant qu'elle ne s'applique pas à tous les mémoires du recueil que nous analysons, et que même dans ceux qui en relèvent, il y a de A. Voir à ce sujet, dans ce volume des Annales, les intéressants mémoires de M. Gamaleïa. 498 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. nombreux faits intéressants que nous avons maintenant le devoir plus agréable de mettre en lumière. Voici d'abord le mémoire de M. Nuttall, dans lequel l'étude de la phago- cylose se trouve abordée par des moyens plus adéquats à la nature du problème, et analogues, du reste, à ceux qu'avait employés M. Metchnikoff, Dans ses expériences sur les grenouilles, ce savant avait vu des fragments d'organes charbonneux, introduits sous la peau de grenouilles vivantes, s'y entourer d’une couverture de leucocytes, dans lesquels on trouvait les bacilles charbonneux dégénérés et morts, si bien que le fragment introduit perdait bientôt toute virulence. Avec les lapins, on leur insinuait, sous la peau de l'oreille, un tube mince fermé aux deux bouts, renfermant une culture du bacille atténué, qu'on brisait quand la blessure était refermée, et avec lequel on retrouvait le même mécanisme de l'intervention des leu- cocytes faisant disparaître les bacilles. M. Nuttall reprend ces méthodes, mais en les modifiant sur plusieurs points. Son idée est de chercher si « les phagocytes absorbent réellement les bacilles vivants, et s'ils sont les seuls à pouvoir les détruire, car si on trouve que cette absorption est limitée à une partie des bacilles tandis qu'une autre partie est tuée, sans inter- vention des leucocytes, par une autre influence quelconque du corps vivant, alers l'importance fonctionnelle des phagocytes devient douteuse, et il devient possible qu'ils ne soient plus capables que d’absorber des bacilles dégénérés par ailleurs et sous d’autres influences ». Il fallait, pour établir cette thèse, une étude soigneuse que M. Nuttall conduisait de la façon suivante. Le morceau d’organe charbonneux, après avoir séjourné un temps variable sous la peau de la grenouille, ressortait entouré et pénétré d'un exsudat gélatineux et jaune grisâtre. Une partie était diluée dans la solution physiologique de sel marin et soumise à l'ob- servation microscopique sous une lamelle paraffinée. Dans cette préparation on pouvait, comme M. Metchnikoff l'avait fait, observer les mouvements des leucocytes, et éventuellement l'absorption qu'ils faisaient des bacilles. Une autre portion de l'exsudat servait à faire des préparations sèches, pour la coloration desquelles M. Nuttall préfère à la vésuvine employée par M. Metchnikoff, et qui dit seulement si les bacilles sont vivants ou morts, le bleu de méthylène qui manifeste par des colorations différentes, allant du bleu franc au rouge violacé, les degrés divers de dégénérescence de la bactéridie. De plus, il à essayé d'arriver à une plus exacte appréciation du pouvoir absorbant des leucocytes, en comptant sur chaque préparation le nombre de bacilles qu'il voyait libres et ceux qu'il trouvait inclus dans les cellules. Il faisait les numérations sur plusieurs champs et prenait la moyenne. Ce n'est pas tout. Pour voir si le morceau extrait contenait encore des bacilles et sices bacilles étaient virulents ou atténués, M. Nuttall employait ce qui lui en restait à faire des cultures sur plaques et à inoculer des souris. Il pouvait ainsi faire marcher de pair l'étude de l'absorption des leucocytes, de la dégénérescence du bacille, de sa diminution de virulence et de sa dispa- rition graduelle. Il à ainsi confirmé entièrement les résultats de Metchnikofï, en ce qui REVUES ET ANALYSES. _ 499 concerne le rassemblement des leucocytes autour du morceau à digérer, leur avidité pour les bacilles charbonneux, et la mort de ceux qu'ils con- tiennent. L'absorption lui à paru dans tous les cas moins rapide qu'à M. Metchnikoff. Elle est en outre de durée très variable. Ce qu'il y a de plus important, c'est qu'elle n'est jamais complète, c’est-à-dire qu’on trouve toujours en dehors des leucocytes autant, sinon plus de bacilles qu'il n'y en a d’absorbés, et que la dégénérescence semble marcher aussi vite pour les uns que pour les autres. Les formes dégénérées devenant invisibles, le nombre des bacilles diminue plus ou moins vite, mais, contrairement encore à M. Metchnikoff qui avait vu la virulence disparaître entre 3 et 5 jours, contrairement aussi à Lubbarsch, dont le travail a été analysé ici même, M. Nuttall a trouvé la vie etla virulence très persistantes dans le morceau inoculé, car il a pu, après 16 à 17 jours, en retirer de quoi tuer des souris dans le temps normal du microbe le plus virulent, à la condition de faire avec ce morceau une émulsion fine qui y mette en liberté tous les bacilles. Toutes ces expériences ont été faites de 100 à 16°. En élevant la tempéra- ture à 23°, l’activité des phagocytes croît. Mais le nombre des bacilles croit aussi, Car il y a une multiplication très notable dans les premiers jours. La proportion des bacilles libres et des bacilles absorbés ne s'éloigne donc pas beaucoup de ce qu’elle était à plus basse température. Puis, lorsque la grenouille ne meurt pas par suite de ce séjour à la chaleur, le nombre des bacilles libres et absorbés diminue peu à peu. Mais ceux qui restent vivants conservent leur virulence, car après 7 jours, on à pu retirer du morceau inoculé de quoi tuer une souris en 25 heures. Au bout de 9 jours, les bacilles semblaient avoir disparu, car inoculations et cultures sont restées absolu- ment stériles. En voyant dans cette expérience les bacilles se multiplier d'abord, puis s'arrêter dans leur développement, et finalement disparaître plus vite qu’à plus basse température, on peut se demander si cet arrêt n'est pas dû aux leucocytes. M. Nuttall, emporté par sa thèse, est disposé à restreindre leur influence, en faisant observer que tous les bacilles ne sont encore pas ici inclus dans les cellules, et que ceux qui sont libres périssent aussi vite que les autres. Mais comme nous l'avons fait observer plus haut, il ne faut pas apporter dans l'étude de ia nature des vues absolues. Il doit nous suffire de constater, à la suite de M. Nuttall, que l’action des leucocytes augmente selon les besoins, pour que nous soyons autorisés à penser qu'ils servent à quelque chose. Au delà de 2%, les expériences deviennent de plus en plus difficiles, car les grenouilles périssent vite, et ne réagissent presque plus. On ne peut plus constater chez elles que la période de multiplication initiale des bacilles, qui peuvent même apparaître dans le sang du cœur, sans qu'il soit par cela bien démontré qu'elles sont mortes plutôt du charbon que de la chaleur. Avec le lapin, sur lequel M. Nuttall a recommencé les expériences de M Metchnikoff, les résultats ont été du même ordre que ceux qui précèdent. Avec des bacilles atténués, réaction locale active, absorption phagocytaire, 4. Annales, t. I. : 500 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. mais aussi bacilles libres dont la dégénérescence marchait du même pas que chez les bacilles absorbés. Avec des bacilles virulents, réaction locale d'autant plus faible que le contenu du tube insinué sous l'oreille du lapin était plus grand. L'absorption leucocytaire est nulle ou à peu près, les bacilles se multiplient, ce qui confirme d’une manière générale les rela- tions établies par M. Metchnikoff, confirmées depuis par MM. de Christmas et Gamaleia, entre la virulence du microbe et le degré de réaction locale au point d'inoculation. Mais ici encore, on trouve des formes dégénérées dans les exsudats séreux, en dehors de toute influence des leucocytes. Tout n’est pas également probant dans les faits que nous veuons de citer. Ainsi le choix de la souris est défectueux pour juger de l’atténuation des bacilles, parce que cet animal est encore très sensible aux virus très atté- nués. Il aurait fallu prendre des animaux plus résistants, et peut-être alors, M. Nuttall aurait-il vu apparaître des preuves de celte atténuation qu'il nie. Mais, dans leur ensemble, les observations qui précèdent paraissent bien indiquer que la destruction des bactéries chez les êtres vivants ne semble pas être l’œuvre exclusive des phagocytes, et n’appuient pas la thèse établie par M. Metchnikoff. On s'explique mal que des faits si apparents pour M. Nuttall aient échappé à un autreobservateur qui ne passe pas pour malhabile, et qui nous dira certainement ce qu'il en pense. En attendant, nous ne pouvons qu'en prendre acte. M. Metchnikoff avait aussi employé une autre méthode. En observant avec soin, sut une platine chauffées, les relations des bacilles ensemencés dans une goutte de lymphe de grenouille avec les leucocytes de cette lymphe, il avait vu que les leucocytes englobaient les bacilles, que seuls, les bacilles absorbés montraient des formes dégénérées, et que les leucocytes des animaux jouissant d’un immunité naturelle ou acquise avaient à ce double point de vue une activité plus grande que chez les animaux à grande réceptivité. M. Nuttall a tenu à reprendre ces recherches, qui se sont beaucoup étendues, et dont les résultats sont peut-être la chose la plus originale de son mémoire, s'il ne s’y est pas glissé de causes d'erreurs. Ils reviennent, en effet, comme on va le voir, à trouver dans le sang des animaux divers, extrait de l'organisme, des différences en rapport général avec le degré de susceptibilité que manifestent ces animaux vis-à-vis de la maladie charbon- neuse.Ïl s’est servi pour cela, non d’une platine chauffante, mais d’une sorte de boîte à double paroi, entourant tout le microscope, remplie d'eau dans ses parties fixes, d'amiante sur ses parois mobiles et chauffée par une petite lampe. Pour se procurer de la lymphe, il insérait sous la peau d’une gre- nouille de la ouate stérilisée, autour de laquelle il se réunissait en 24 heures assez de liquide pour qu'on puisse en faire plusieurs gouttes pendantes, qu'on ensemençait sur leurs bords avec des bacilles charbonneux, et qu'on soumetlait à une observation attentive. « Sur ces préparations, on voyait, dès le commencement de la recherche, l'absorption des bacilles par les leucocytes en actif mouvement. De longs REVUES ET ANALYSES. 901 fils étaient quelquefois tellement happés par de nombreux leucocytes que le tout avait l'aspect d'un chapelet. » Il semble que cette observation suffise à montrer que les leucocytes ne prennent pas seulement des bacilles morts ou même un peu dégénérés. « Les procès de dégénérescence étaient visibles après quelques heures, aussi bien sur les bacilles libres que sur les bacilles absorbés, mais ils étaient surtout marqués et prompts aux températures comprise entre 45° et 48. » Tantôt le protoplasma des bacilles devient de plus en plus granuleux, si bien que le bacille semble tomber en morceaux. Tantôt le caractère granuleux fait place à une sorte d'état muqueux, qui pâlit et élargit le bacille et le rend presque invisible. Lä coloration qu'il prend sous l'action d'une dissolution alcaline de bleu de méthylène vire d'autant plus au rouge que la dégéné- rescence est poussée plus loin. « Plus d’une fois on a vu que les leucocytes saisissaient de longs bacilles, et les courbaient et les brisaient de toutes facons. Dans quelques cas on a observé autour des bacilles absorbés la formation de vacuoles, ce que M. Metchnikoff interprète comme un symptôme de digestion intracellulaire des bacilles, par analogie avec ce qui se passe chez les amibes. Mes observations m'éloignent de cette idée, car la production des vacuoles est très irrégulière. On en trouve parfois dans des cellules ne contenant aucun bacille : d’autres fois, et ce n’est pas rare, il s'en forme autour des bacilles dès qu’ils sont absorbés: enfin on n'en trouve pas toujours dans des celiules pleines de, bacilles. » Les résultats ont été les mêmes avec du sang de grenouille et du sang de crapaud. M. Nuttall a aussi étudié le sang de divers animaux à sang chaud : hommes, chien, mouton vacciné et non vacciné, lapin, souris, poule, pigeon. Le sang était observé en goutte pendante, et ensemencé avec des bactéridies sur son bord extrème, de facon qu'après coagulation et expulsion du sérum la bactéridie fût toujours entourée de liquide. On notait dans chaque eas le temps moyen de la dégénérescence maximum, c’est-à-dire celui après lequel il n'y avait plus de modifications dans l'aspect des bacilles. Il y avait alors une période stationnaire après laquelle les bacilles restés vivants se multi- pliaient à nouveau et remplissaient la goutte pendante de leurs filaments. C'est cette période qui précède la multiplication qui est la plus curieuse à étudier dans le mémoire de M. Nuttall, car il n'y a rien de pareil quand on ensemence la bactéridie dans du bouillon, où le développement commence de suite. C'est dans le sang de l’homme que la dégénérescence marche le plus vite. Elle est d'ordinaire terminée en moins de 2 heures, et après 4 heures les bacilles sont en voie de développement. Elle est presque aussi rapide dans le sang de mouton vacciné, un peu plus lente dans le sang de mouton non vacciné. Là aussi, après une période stationnaire plus longue que chez l'homme, il y avait à nouveau multiplication. L'un des chiens sur lequel on a opéré avait été tué par le chloroforme. La dégénérescence dans son sang a été presque nulle et la multiplication a commencé de suite. Dans le sang d’un autre chien, recueilli sur Le vivant, le procès a été à peu près eomme dans le sang de l'homme. 32 502 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. Dans le sang des oiseaux, la dégénérescence commence vite, mais elle n’atteint qu'un nombre restreint de bacilles, sans doute parce que le coagulum est très compact, et ne laisse exsuder que très peu de liquide. Nous verrons tout à l'heure que défibriné, ce sang a, au contraire, un pouvoir destructeur très énergique. Dans le sang de lapin, la destruction des bacilles est plus complète que dans les cas qui précèdent. Dans un cas, elle a même été absolue, ear l’'ensemencement est resté stérile. En moyenne, presque tous les bacilles sont dégénérés après » heures; c’est après 28 heures qu'il y a de nouveau développement. Enfin, il n'y à pas de dégénérescence avec le sang de souris, la multiplication commence de suite. Dans toutes ces expériences, il y avait en absorption plus ou moins rapide des bacilles par les leucocytes, mais la dégénérescence s'était produite en dehors des cellules, comme dans leur intérieur. Elle marche, du reste, à peu près du même pas dans l'humeur aqueuse ou dans la sérosité péricardique, qui contiennent très peu de leucoeytes. «Nous sommes done conduits à présu- mer que les bacilles pris par les leucocytes n'étaient déjà plus normaux, el que c'est dans le liquide qui entoure les cellules qu'il faut chercher les causes de destruction. Le parallélisme qui s’est manifesté dans la plupart de mes recherches entre la rapidité d'apparition du procès destructeur des bactéries et leur saisie par les leucocytes, parle nettement en faveur de cette idée. Plus la dégénérescence des bacilles libres marche vite, plus nous en trou- vons dans les leucocytes. Si elle est lente, l'activité vitale des leucocytes s'affaiblit ou s'éteint, et l'absorption reste faible. » Cette influence nocive, attribuée par l'expérience aux liquides de l’or- ganisme, est d'accord avec quelques-uns des résultats de Fodor (Deutsch. med. Wochenschr.,1887). Elle est d'autant plus curieuse a étudier qu'elle semble n'être pas persistante. Quand on recommence avec du sang extrait depuis longtemps, on trouve qu'après 4 à 16 heures, il n'y a plus de dégénéres- cence. La prolifération commence de suite, Les bacilles qui se montrent dégénérés après un court séjour dans le sang frais sont-ils réellement morts, ou seulement modifiés dans leur grosseur et leur aspect? Pour le savoir, il n'y a qu'à faire des cultures dans lesquelles, après avoir ensemencé dans du sang un nombre déterminé de bacilles, mesuré au moyen d’une culture sur plaques, on mesure par le même moyen, à divers intervalles, le nombre de ceux qui restent capables de se développer dans la gélatine nutritive. Il faut évidemment, pour pouvoir faire ces essais, opérer sur du sang défibriné. M. Nuttall le recevait, au sortir de l'artère ou de la veine, sur du sable stérilisé, contenu dans un flacon stérilisé et sortant de l'étuve à 35°, agitait pendant quelques secondes, et le répartissait ensuite dans des tubes à essai, dans lesquels se faisaient l'ensemencement et les prises d’essai à divers intervalles. On a trouvé ainsi que tous les sangs détruisaient en partie les bactéries nises à leur contact, mais qu'ils avaient à ce point de vue des activités très diverses, ‘ Par exemple, « dans le sang d’un mouton vacciné, le nombre des REVUES ET ANALYSES. 003 bacilles est tombé, en 3 heures 4,2, dans la prise d'essai, de 4578 et 4872 à 185 et 253, dans un autre cas, de 11046 et9245 à 427 et 665, tandis que dans un mouton non vacciné, le nombre était tombé seulement en 3 heures, de 7938 et 8330 à 6664 et 4872. De nouvelles expériences diront si cette différence est constante entre le sang des moutons vaceinés et non vaccinés. Il peut y avoir eu des erreurs dans mes résultats, parce que, dans d’autres cas, on a observé des variations analogues dans la puissance destructrice du même sang». Ceci prouve que M. Nuttall n'est pas maître de ses expériences, et on est dès lors fondé à y suspecter des causes d'erreur. A priori, on peut en relever deux, D'abord, l'origine diverse des semences. Des bactéridies atténuées ne se comporteront pas dans le sang, qui est un milieu médiocre pour l'espèce, comme des bactéridies virulentes, et il y a peut-être là une explication des contradictions observées. En second lieu, M. Nuttall ne semble pas s'être assez méfié de la priva- tion d'oxygène que les bactéridies subissent dans les premiers moments de leur séjour dans le sang jusqu'au moment où la vie des éléments organiques y est tout à fait éteinte, et les phénomènes d'oxydation terminés. Il y a là dé quoi nuire aux bactéridies, surtout aux plus atténuées. On pense à chaque instant à cetle cause d'erreur, en voyant M. Nuttall trouver les résultats qui suivent. Le nombre des bacilles diminue d'ordinaire dans tous les sangs, en particulier dans celui des oiseaux, à propos duquel nous étions tout à l'heure restés hésitants : puis, au bout d'un temps variable, il augmente, parce que la multiplication entre en jeu. Tel n’est pas toujours le cas. Il arrive quelquefois, surtout lorsque l'ensemencement est faible, que tous les bacilles périssent. En revanche, encore ici dans le sang de la souris, il n’y a pas de dégénérescence sensible, et la multiplication commence dès l'ensemencement. Enfin (el est presque toujours le cas quand on laisse quelques heures le sang au sortir de la veine sans l’ensemencer. Les bactéries qu'on y apporte ensuite se multiplient dès les premiers moments. Le sang est donc un milieu nutritif, puisqu'il laisse le développement des bacilles se faire après quelques heures, et l'action bactéricide qu'il manifeste dans les premiers moments, et qui disparaît alors même qu’il n'y a pas eu d'ensemencement, ne peut être due que «soit à une substance très volatile ou très instable, soit, ce qui est plus vraisemblable, à une action de diastase ». Ce qui confirme M. Nuttall dans cette opinion, c'est que le sang perd cette faculté quand il a été chauffé de 50 à 55°. Ajoutons, pour terminer, que l'humeur aqueuse et la sérosité péricardique se comportent encore à ce point de vue comme le sang, et que ce ne sont pas seulement les bactéridies charbonneuses qui éprouvent ces iufluences, Les bacillus subtilis et megaterium sont dans le même cas. Le Staphylococcus pyogenes aureus parait au contraire résister à l’action du sang, et sa multi- plication commence de suite. La plupart de ces résultats, on le voit, pourraient être mis au compte des variations naturelles ou provoquées dans la puissance d'absorption du sang pour l'oxygène, mais nous n'avons pas le droit de substituer cette in- 204 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. terprétation à celle de M. Nuttall. Bornons-nous à faire remarquer que s'il y a réellement, comme il le pense, action de diastases, et si ces diastases existent dans le sang et dans les humeurs, elles doivent, suivant tout ce qu'on sait de leurs propriétés, être fixées en abondance encore plus grande sur les éléments figurés de ces liquides organiques, et en particulier sur les leucocytes, de sorte que M. Metchnikoff aurait raison de même que M. Nut- tall. Au reste, bien que dans le travail que nous analysons, et surtout dans la critique de M. Bitter sur la phagocytose, on parle toujours du caractère absolu que M. Metchnikoff a donné à ses opinions et à sa théorie, il nous paraît que ce savant n’a jamais pensé ni dit que la phagocytose expliquât tout, et fût le seuil moyen de protection à la disposition de l'organisme. Fût- elle même le seul rouage moteur, il resterait encore à chercher ce qu'il y a dans le mot phagocytose, et de quel mécanisme elle dépend elle-même, Si les idées de M. Nuttall sont exactes, l’action dépend d'un phénomène d'action de diastases ou de digestion. Peut-être faut-il faire à ce sujet quelques réserves. On comprend avec cette hypothèse que le sang perde son activité à l'air et à la chaleur. Il y a oxydation ou insolubilisation de la diastase. On comprend qu'il ne tue pas tous les bacilles qui, au moment où on les introduit dans le sang, sont d’âges divers, et inégalement résistants, mais on pe comprend pas qu'il ne laisse pas germer de suite ceux qu'il n'attaque pas. On comprend, à la rigueur, qu'il puisse agir différemment sur les bacilles atténués et les bacilles virulents, qu'il digère les uns et se laisse envahir par les autres, mais si l'immunité est due à une destruction des microbes virulents, on ne s'explique ni comment M. Smirnow a pu trouver des spores atténuées vivantes encore après plusieurs semaines dans le corps du lapin, ni surtout une observation curieuse de M. Bitter, qui ayant injecté (p. 315) à deux moutons vaccinés de grandes quantités de spores charbonneuses virulentes dans une veine de l'oreille, et les ayant tués au bout de 6 et 9 jours, a trouvé encore au bout de ce temps, dans leur rate et surtout dans leur foie, de grandes quantités de bactéridies encore yviru- lentes, et en nombre à peu près égal dans les deux expériences, ce qui semble prouver que la destruction des germes était lente et aurait encore demandé longtemps pour être complète. Quelle peut bien être la cause de cette inertie curieuse de germes très virulents dans le corps d’un animal vacciné, cause qui est sans doute la même dans le corps d'un animal natu- rellement indemne ? Il faut avouer que toutes les théories restent un peu muettes à cette question, et celle de la phagocytose encore plus que les autres, Nous n'avons done pas envisagé toutes les faces du problème, ni effleuré toutes les solutions. Il est donc bien inutile de discuter sur le carac- tère plus ou moins absolu d'une théorie. Aucune de celles qui ont été émises n'est à elle seule toute la vérité. Mais il suffit qu'elles en contiennent chacune une part, et nous croyons qu'on peut résumer ce qui précède en disant que cette part de vérité des théories actuelles, les expériences très soigneuses, du reste, des élèves de M. Flugge n’ont pas réussi à la mettre en état de suspicion légitime. D REVUES ET ANALYSES. D05 E. Mercanikorr. Sur le rûle phagocytaire des cellules géantes du tubercule, Virchow's Archiv, t. CXILT, 1888. M. Metchnikoff vient de publier, sur le rôle phagocytaire des cellules géantes du tubereule, un mémoire qui mérite d’être étudié de près, tant à cause des faits nouveaux qu'il apporte, que parce qu’il se trouve en contra- diction avec la plupart des travaux publiés jusqu'ici sur le même sujet. Poursuivant ses études sur le rôle des divers éléments cellulaires de l'orga- nisme dans la lutte contre les microbes, M. Metchnikoff devait arriver à la cellule-géante dans les cas de tuberculose. Koch avait déjà vu, dans ces cellules, des bacilles moins facilement ou moins fortement colorables que les bacilles normaux, et avait attribué ce fait à ce que la cellule géante est une forme durable, tandis que le bacille a une durée de vie plus courte, et ne peut se conserver dans la cellule géante qu’à la condition d'y mourir pour faire place à une génération nouvelle. M. Metchnikoff avait au con- traire interprété le fait comme une preuve du rôle phagocytaire des cellules séantes. Ce sont les preuves de cette action qu’il apporte aujourd'hui. Il débute par des renseignements curieux au sujet du bacille tubercu- leux. On le connaît dans les tissus sous forme de bâtonnets. On le trouve aussi, dans les crachats de phtisiques et dans la rate du moineau tubercu- leux, sous la forme de fils plus ou moins longs. MM, Roux et Nocard ont observé dans de vieilles cellules des formes allongées et gonflées, sur les- quelles on trouvait quelquefois des bourgeons latéraux épaissis, insérés à angle droit sur le bacille. En faisant des cultures à haute température, à 43°,6 par exemple, M. Metchnikoff a vu ces formes anormales se multi- plier. Après 20 jours, on voit beaucoup de bacilles s'allonger et s'élargir en massue à leurs deux extrémités. Puis ils se garnissent sur leur longueur de bourgeons plus ou moins nombreux qui grandissent, s'allongent quel- quefois à la facon du bacille initial, en restant renflés à leur extrémité libre, d'autres fois s'étranglent en leur point de jonction et se détachent. Les ensembles irréguliers et complexes formés ainsi peuvent aussi se dis- loquer et donner lieu aux figures dichotomisées les plus variables. Aucun doute ne peut exister sur l'identité d’origine de ces diverses formes qu'on voit passer de l’une à l’autre, et dont l'apparition ne change rien ni à l'as- pect macroscopique de la culture ni à ses réactions en présence des diverses matières colorantes. Par exemple, quand on traite successivement par la fuchsine et le bleu de méthylène, toutes ces formes si diverses conservent la première couleur sans se laisser influencer par la seconde. De cette formation de bourgeons, M. Metchnikoff conclut qu'on peut bien voir là des formes d'involution, mais qu'il est impossible d'y voir des formes dégénérées, et de parler à ce propos de métamorphose régressive. J'ai de la peine à être de son avis. Le mot forme d'involution, que nous pourrions traduire en français par forme anormale, est commode à employer, car il ne préjuge rien. Le mot forme dégénérée est plus précis. Mais M. Metchnikoff conteste qu'il y ait dégénérescence. Son argument, à savoir la production de prolongements latéraux analogues à des bourgeons, 506 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. ne serait probant que s'il avait démontré que ces prolongements sont vrai- ment des bourgeons, c'est-à-dire des corps doués d’une vitalité nouvelle. Jusque-là on a le droit de les prendre pour des expansions dont la forma- tion ne prouve qu'une chose, c’est que le bacille n'est pas mort et traduit les vicieuses conditions d'existence qu'on lui fait par des formes bizarres et tourmentées, ou la symétrie de son aspect, et l’homogénéité de sa consti- tution ordinaire ont plus ou moins disparu. Comment ne pas croire d’ailleurs à une dégénérescence véritable à ces hautes températures quand on voit que les bacilles tuberculeux y perdent plus tôt leur virulence et y meurent plus vite que dans les conditions ordinaires ? Au sujet de la structure du bacille tuberculeux, M. Metchnikoff admet l'existence d’une membrane résistante qu'on ne peut, il est vrai, découvrir au microscope même dans les bacilles très épaissis dont nous parlions plus haut, mais dont l'existence est révélée par l'analogie que présentent, dans leur action sur les matières colorantes, les bacilles tuberculeux avec les cellules qu’on sait entourées d'une membrane épaisse, les spores des bac- téries, des mucédinées, les coccidies du foie du lapin, les œufs de divers helminthes. Dans aucun cas, le bacille ne se présente comme une chaîne de coccus. Le protoplasma apparaît quelquefois spongieux et rempli de vacuoles dans les formes renflées que nous avons décrites. On y trouve aussi parfois, cà et là, des granulations plus foncées, à contours irréguliers; mais il n'y a aucun indice de segmentation régulière. Les intervalles alternativement clairs et colorés, qu'on relève parfois sur les bacilles des erachats, sont sans doute dus à des dépôts sur certains points de matériaux de réserve, qui, pas plus là que chez d’autres bactéries, ne prennent la matière colorante. A plus forte raison ne pourrait-on voir des spores dans ces espaces clairs, qui ne se colorent jamais, alors que les spores du bacille charbonneux, pourtant plus résistantes et à membrane plus épaisse, s’il faut en juger par leur vitalité plus grande, finissent par se colorer après une longue ébullition. On a bien plus le droit de voir des spores dans ces granulations forte- ment colorées qu’on trouve dans les cultures et aussi dans les erachats, et que leur position régulière et la netteté de leurs contours rapprochent des spores des autres bacilles. Toutefois, M. Metchnikoff ne se prononce pas nettement sur ce point délicat. En revanche il s'élève contre la dénomination de bacillus tuberculosis, en faisant observer que le mot bacille ne peut servir qu'à caractériser une période de développement d’un grand nombre d'êtres divers, mais ne saurait à aucun degré devenir un nom générique. C’est depuis longtemps mon avis et c’est pour cela que j'ai appelé Tyrothrix tous les bacilles filamenteux que J'ai trouvés dans le fromage. M. Metchnikoff, après avoir reconnu que le bacille tuberculeux s'allonge aussi en fils, et qu’il a sans doute des parois très épaisses, propose le nom de Sclerothrix pour le genre et celui de Sclerothrix Kochii pour l'espèce. Il y a dans ce nom un hommage auquel nous nous associons volontiers. Tournons-nous maintenant du côté des éléments de résistance de l'or REVUES ET ANALYSES. 307 ganisme, représentés surtout, mais non exclusivement, dans les procès tuber- euleux, par les cellules géantes. Pour bien étudier les phénomènes dont elles sont le siège, il faut dureir les tissus dans l'acide chromique ou l'alcool, faire des coupes très fines, et les colorer de préférence par une méthode due à Kühne, qui a permis à M. Metchnikoff de la publier. C'est une combinaison de la coloration par la fuchsine avec l’hématoxyline et l'auramine, qui colore le protoplasme cellulaire en gris jaunâtre, les noyaux en violet, et les bacilles tuberculeux en rouge. « La coupe est d'abord plongée dans une solution forte d'hématoxyline ou dans une solution plus faible d'extrait de campèche traitée par l’alun comme le fait Klein. L'excédent de couleur est enlevé par une plus ou moins longue digestion dans l'eau, et l’eau elle- même par un court séjour dans l'alcool absolu. Les fragments bleu violacés sont alors laissés deux heures dans de la fuchsine, préparée en mélangeant une solution alcoolique concentrée de fuchsine avec un mélange de parties égales de solution à 1 0/0 de carbonate d'ammoniaque ct d'eau de Tymol. Après avoir lavé à l'eau, et déshydraté à l'alcool les morceaux fortement colorés, on les laisse quelques minutes dans l'huile d'aniline, puis dans la térébenthine, puis un couple de minutes dans le xylol, puis on les reporte un instant dans l'huile d'aniline pure. Elles passent ensuite dans une solution concentrée d'auramine dans l'aniline, où elles séjournent de 10 à 43 minutes : on les fait repasser alors de nouveau dans l’aniline, dans la térébenthine et dans le xylol, et on les monte enfin dans une solution de résine de Dammar dans le xylol. » Ce n'est pas tout que cette méthode, si bonne qu'elle soit. M. Metchnikoff a eu encore la bonne fortune de trouver un sujet exceptionnel d'expériences dans un rongeur des environs d’Odessa, le Spermophilus quttatus de Tem- minck, qui est une des plaies de l’agriculture locale. Cet animal est très résistant vis-à-vis du bacille tuberculeux et il faut une injection, dans la cavité abdominale, de 1 centimètce cube d'une émulsion épaisse de bacilles tubereuleux très virulents pour le tuer en quelques semaines. Dans l'animal mort, on ne trouve de formations tuberculeuses dans aucun organe, mais l'examen microscopique du foie, de la rate, des ganglions lymphatiques y montre de nombreuses cellules géantes, dont il est facile de suivre le déve- loppement qui est à peu près le même partout. Les cellules géantes y naissent du développement de cellules épithélioides isolées par une multiplication particulière du noyau, dont les formes karyokinétiques sont des étoiles simples à rayons multiples. Chacun de ces rayons est destiné à former un des noyaux de la cellule géante. Il subit pour cela à son extrémité libre un renflement, qui grossit et semble d'abord homogène, mais qui plus tard se remplit d'une masse transparente dont les contours deviennent irréguliers; et qui ressemble d5jà à un nouveau noyau. La chromatine se partage peu à peu en une partie périphérique et une partie centrale, et on à ainsi un ou plusieurs noyaux rattachés par un filament au reste de l’ancien noyau étoilé. Ces noyaux, d’abord très irréguliers de forme et de contours, finissent par prendre la forme ronde ou ovale des noyaux ordinaires. Pendant qu'ils sesont formés, le protoplasma de la cellule épithélioide a beaucoup augmenté, et a pris les dimensions caractéristiques des cellules géantes. 508 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. Voilà le mode le plus général de formation de ces cellules. Il peut bien y avoir aussi multiplication du noyau par division, mais M. Metehnikoff n'a jamais observé sûrement de formation de cellules géantes par fusion de plusieurs cellules épithélioïdes. Ces cellules géantes émettent des expansions protoplasmiques tout à fait analogues aux pseudopodes des Rhizopodes, et ont l'air d’être bien vivantes. Elles se divisent en 2 ou 3 parties à la suite de la formation en deux ou trois groupes de leurs nombreux noyaux qui se partagent ainsi entre les cellules-filles. Elles paraissent aussi poavoir se fusionner en masses complexes qui couvrent quelquefois tout le champ du microscope. Quant à leur structure, on peut y distinguer deux couches protoplasmi- ques, un entoplasme et un ectoplasme, le premier se colorant en général assez bien, le second restant pâle ou incolore. C'est à la limite des deux couches que sont placés les noyaux, en rangée circulaire plus ou moins régulière. Nous arrivons maintenant à la fonction de ces cellules géantes. Elles sont des phagocytes tout aussi bien que les cellules épithélioïdes dont elles proviennent. C’est ce que démontrent leurs propriétés amiboïdes, les corps étrangers et les bacilles tubereuleux qu'on y rencontre. « Dans plusieurs cellules épithélioïides en train de se transformer en cellules géantes, j'ai trouvé un ou plusieurs bacilles tuberculeux. Mais J'ai aussi pu, assez souvent, observer les stades du développement de cellules géantes qui ne contenaient aucun bacille, ce qui empêche de rattacher la transformation de la cellule épithélioïide aux bacilles qu’elle contient. » On trouve bien, dans les cellules épithélioïdes, des bacilles à formes irrégulières, épaissis ou se colorant mal. Mais c’est le petit nombre. Presque tous ont la forme et l'aspect typiques. Dans les cellules géantes, au contraire, la lutte est plus active, et les aspects de dégradation plus prononcés. On trouve des bacilles déformés, qui, traités par double coloration avec la fuchsine et le bleu de méthylène, se colorent en rose faible ou restent inco- lores, ou même se colorent en bleu. On peut trouver ces preuves insuffi- santes et dire que puisqu'on observe, dans les cultures artificielles, de ces colorations anormales, ces bacilles violets ou bleus que l’on rencontre dans les cellules géantes sont les bacilles inoculés en grande quantité à l'animal qui à fourni les préparations. Mais voici d’autres transformations qui sem- bleront plus topiques. Beaucoup des bacilles contenus dans le tubercule paraissent entourés d'une auréole comme celle du bacille de Friedlænder. Ils sont alors plus pâles, moins colorés; ils peuvent même être incolores et ont alors des contours nets. Dans un état plus avancé de dégradation, le bacille semble disparaître, pendant que la capsule qui l'entoure prend des contours plus nets et une teinte jaunâtre. « On rencontre ainsi dans la cellule géante une suite de formes en saucisson, tout à fait caractéristiques, dont la configura- tion générale rappelle seule le bacille originaire, qu'on y retrouve quelque- fois sous la forme d'un trait à peine apparent.» Ces boudins se réunissent, se fondent, perdent leurs formes, et finissent par former une masse com- REVUES ET ANALYSES. 209 patte, d'une couleur ambrée naturelle, qui ne doit rien aux méthodes de coloration. Voilà une transformation qu'on n’observe jamais dans les cultures, ni dans les tissus en dehors des cellales, qu'on ne peut pas rattacher à la mort naturelle du bacille dans la cellule géante, comme le pensait Koch, parce que tous ces bacilles meurent quelquefois simultanément dans une cellule sans laisser trace de spores ni de générations nouvelles, et dans lequel il faut voir le résultat d'une action de la cellule elle-même. Cette action, dit M. Metchnikoff, n'est pas une action digestive, au sens propre du mot, puisqu’au lieu de liquéfier la matière nutritive, elle en fait une masse résis- tante et solide que ni les acides ni lesalcalis ne peuvent entamer. Il est certain qu'elle se rapproche beaucoup plus de ces phénomènes d’enkystement si souvent observés chez les infusoires, et qui sont des moyens de protection temporaire vis-à-vis d'influences nocives. Mais que cette action ne finisse par être destructive, c’est ce dont on ne saurait douter. Avec le spermophile, ces témoignages de la victoire des cellules sur les bacilles sont les plus fréquents. On rencontre pourtant aussi des cellules qui continuent à vivre et à émettre leurs pseudopodes, tout en étant pleines de bacilles en apparence intacts, d’autres qui, pleines de bacilles morts en leur centre, en contenaient de normaux à leur periphérie. Mais les cellules géantes mortes sous l'influence des bacilles sont très rares et on ne trouve pas de masses caséeuses, même chez les spermophiles morts après une longue incubation. Les phénomènes de dégradation bacillaire sont d'autant plus marqués que l'infection de l'animal est plus ancienne. D’après Baumgarten, avec le lapin, animal très peu résistant à l'infection tuberculeuse, on ne trouve traces de cette dégradation dans aucun des éléments des tubercules, pas même dans les cellules géantes. Mais en étudiant la question de près, M. Metchnikoff a retrouvé chez le lapin des faits tout à fait analogues à ceux qu'il avait rencontrés chez le spermophile, toutes les fois que l'incu- bation avait ét longue, par exemple à la suite de l'inoculation dans la chambre antérieure de l'œil. Les formes de dégradation dans les cellules géantes sont alors celles que nous avons décrites. Elles sont seulement moins nombreuses que chez le spermophile. Les cellules géantes du lapin sont donc aussi des phagocytes. Elles n’ont pourtant pas le même développement que celles du spermophile. Elles pro- viennent plutôt de la fusion de deux ou plusieurs cellules épithélioides sans transformation apparente dans les noyaux. M. Yersin avait déjà décrit dans ces Annales ce mode de production. M. Metchnikoff termine cet intéressant mémoire en discutant les points sur lesquels il est en contradiction avec les opinions et les résultats de MM. Weigert, Baumgarten, de Christmas, etc. Il serait trop long d'entrer dans cette discussion. Ce qui précède suffit à donner une idée des faits nouveaux et curieux apportés par M. Metchnikoff dans cette question dou- blement délicate de la phagocytose dans ce tubercule, Dx. 510 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. N. GamazelA. Sur l'étiologie du choléra des poules. Centralbl. f. Bact., t. IV, p. 161, 1888. « Deux fois déjà, pendant un été chaud, j'ai rencontré sur des cadavres de pigeons morts par intoxication avec des bactéries non pathogènes, des bactéries dont l'apparition était pour ainsi dire spontanée, et qui manifes- aient une telle virulence que l'inoculation sous-cutanée d’une seule goutte du sang d'un pigeon mort tuait en quelques heures un nouveau pigeon. Sur les cadavres, on relevait les signes d’une septicémie suraiguë : point de réaction au point d'inoculation, kyperémie du canal intestinal, et masse de bactéries dans le sang. » Ces bactéries étaient de fins bàätonnets dont les extrémités se coloraient beaucoup plus que le centre, et ressemblaient tout à fait aux microbes du choléra des poules, pour leur forme et leur mode de croissance dans le bouillon, la gélatine et la gélose. D'où pouvaient provenir ces bactéries? En songeant combien le microbe du choléra des poules est sensible à l'influence de la dessiccation, de l'air et de la lumière, il semble difficile d'admettre qu'il soit largement répandu dans la nature et dans le milieu ambiant, M. Gamaleïa s’est alors demandé S'il n'existait pas normalement à l'état de parasites dans l'intestin de quelques oiseaux, et il prouve de la facon la plus nette la réalité de cette hypothèse. En inoculant à un lapin, par voie d’injections sous-cutanées, un peu du contenu de l'estomac, du gros et du petit intestin d’un pigeon sain tué à cet effet, le tout mélangé à du bouillon stérilisé, il l'a vu mourir en 36 heures environ, avec les symptômes ordinaires de la septicémie des lapins, et une goutte de son sang, remplie de microbes analogues à ceux du choléra des poules, a servi d'abord à inoculer un autre lapin qui mourut en quelques heures, puis à faire des cultures. Il a transporté ainsi de lapin à pigeon, et de pigeon à pigeon, ce microbe, qui partout a donné les lésions caractéristi- ques de la bactérie du choléra des poules, et lui ressemblait aussi pour son mode de développement dans différents milieux. Les résultats de l'inoculation de la matière intestinale d’un second pigeon sain ont été les mêmes. Une preuve plus complète de l'identité entre le microbe étudié par M. Gamaleia et celui du choléra des poules est que le premier peut servir de vaccin au second. En inoculant à une poule, d'abord 0°,95 d'un mélange de bouillon et d'un sang très virulent de pigeon tué par le microbe, puis 0,5 du sang d'un autre pigeon, tué de même, on lui communique deux maladies passagères ! qui lui permettent de résister à l'inoculation du sang du cœur d’une poule morte du choléra, inoculation mertelle pour une poule de contrôle. I y à donc identité entre les deux microbes, que M. Gamaleïa appelle du 1. M. Gamaleïa ajoute à ces faits, et au sujet des conditions d'efficacité de la vaccination, des considérations sur lesquelles nous reviendrons. REVUES ET ANALYSES. o11 nom commun de coccobacillus avisepticus. Mais dès lors se pose la question suivante. Dans quelles conditions ce microbe devient-il dangereux pour l'animal qui le porte ? Dans les expériences de M. Gamaleïa, il l'est devenu chez des animaux inoculés par ailleurs avec des microbes inoffensifs. « Son entrée en scène, ajoute ce savant, peut être expliquée soit : 4° par une intoxi- cation générale produite par les produits vitaux des microbes non patho- gènes, soit: 2 par la gastro-entérile que ces microbes ont la faculté de produire, soit: 3° par l'éloignement de tous les phagocytes mésodermiques du canal intestinal, occupés à la digestion des microbes saprophytiques non pathogènes introduits en grande quantité. » … Desexpériences directes ayant paru démontrer l'inanité des deux premières hypothèses, M. Gamaleïa accepte la dernière, mais il est trop perspicace pour ne pas voir que celle conclusion, assise sur des faits négatifs, n’a aucune solidité, et qu'il se doit à lui-même de ne pas abandonner ce sujet sans le creuser davantage. Dx. Loir, GERMOND ET Hinps. Le Cumberland disease des moutons. Rapport officiel au ministre des mines. Sydney, 1888. Les savants envoyés en Australie par M. Pasteur, pour y étudier la ques- tion de la destruction des lapins par le microbe du choléra des poules, ont rencontré dans ces régions neuves une maladie épidémique des moutons sur la vraie nature de laquelle on ne savait encore rien, bien qu'elle tuât par an plus de 300,000 animaux. On la nommait Cumberland disease. Dès qu'ils ont élé mis à même de s'en occuper, les savants francais n'ont pas tardé à reconnaître que cette maladie n'était autre que le charbon, et voici les points essentiels du rapport sommaire qu'ils ont adressé à l’administra- tion de qui ils tenaient leur mandat : « Le {7 mai, nous avons inoculé, à la face interne de la cuisse, deux jeunes brebis avecle sang d'un animal mort de la maladie que MM. Stanley (vétérinaire du gouvernement) et Devlin avaient dit être le Cumberlund disease. L'un des animaux mourut en 40 heures avec les lésions ordi- naires du sang de rate où charbon. OEdème gélatineux au point d'inocula- tion, foie élargi, noir et mou, sang noir et coagulé, hémorrhagies sous- cutanées, urine sanglante, ete. Le 3 mai, avec le sang de cet animal, on inotule 4 souris, dont 3 moururent en moins de 18 heures. L'examen microscopique révèle chez toutes la présence du bacillus anthracis. Avec le sang de l’une d’entre elles, on fait uneculture dans du bouillon de bœuf, dans lequel les bactéridies se multiplièrent avec leur aspect caractéristique. Le 7 mai, avec une de ces cultures, on inocule un lapin qui meurt en 2) heures, charbonneux..… Ces expériences et ces cultures nous permettent donc d'établir : 4° que les lésions anatomiques du Cumberland disease sont les mêmes que celles du charbon... ; 2 que cette maladie est due à un microbe dont les apparences en culture, et les propriétés physiologiques sont les mêmes que celles du bacillus anthracis ; 3° que, par conséquent le Cumber- land disease et le charbon sont une seule et même chose. » 12 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. La conclusion pratique de cette découverte est qu'il y a lieu de recou- rir à la vaccination charbonneuse. La pratique de cette vaccination se heurte en Angleterre à une loi protectrice des animaux qui défend de les protéger contre le charbon et les autres maladies virulentes contre lesquelles il existe des vaccins. En Australie, les scrupules ne sont pas les mêmes, paraît-il, car l'autorité compétente s’est tout de suite mise en quête des moyens d'assurer aux propriétaires et à leurs animaux les bienfaits de la vaccination charbonneuse. Dx. S. MALERBA ET G. Sanxa-SaLanis. Recherches sur la gliscrobactérie. Rendi- conto d. R. Accad. di Sc. de Naples, juin 1888. Les auteurs ont appelé du nom de gliscrobactérie une bactérie qu'ils ont rencontrée dans l'urine d’un malade, et qui la rendait filante. Elle rend aussi filants le plupart des milieux où on l’ensemence, et en particulier la colle d'amidon, qui sous son influence se laisse tirer en fils de plus de un mètre de long. Mais ce caractère, si intéressant qu'il soit, semble mal choisi pour fournir un nom spécifique, car beaucoup d’autres bactéries le possèdent aussi, et à un degré au moins aussi marqué. Il serait sage, en présence de la confusion qui règne dans la classification des microbes et surtout en présence de celle qui se prépare, de choisir, pour former le nom de chaque bactérie, l’un de ses caractères spécifiques. Les considérations de forme ne suffisent que rarement pour cela MM. Malerba et Sanna-Salaris décrivent leur microbe comme un micro- coque un peu allongé ayant 0,4 4 de largeur, et une longueur variable de 0,6 à 1,15, souvent un peu étranglé en son milieu, tantôt isolé, tantôt en chaînes de deux ou plusieurs, animé de mouvements faibles. Ils indiquent avec soin les divers aspects que prend la culture dans divers milieux, géla- tine en plaques ou en tubes, gélose, pommes de terre, urine, lait, salive, sérum de sang, blanc d'œuf, bouillon. Toute cette partie du mémoire n'est pas susceptible d'analyse ; il faudrait la reproduire tout entière, et encore sommes-nous convaincus que les savants italiens ont désespéré de rendre par des mots les divers aspects qu'ils avaient à cœur de peindre. C'est que celte morphologie des cultures devient à son tour quelque chose de très encombré, où chacun cherche à tort à compenser le vague des détails par leur multiplicité, leur qualité par leur quantité. Quelques faits précis vau- draient beaucoup mieux, et on ne saurait nier que le mémoire que nous analysons en soit pauvre. Ainsi la gliscrobactérie est facultativement aérobie et anaérobie, et donne des dégagements gazeux dans divers milieux. Il eût été intéressant d'analyser ces gaz, et c'est ce qui n’a pas été fait. La bactérie paraît vivre très bien dans l’empois d’amidon, sans y faire de glu- cose, mais qu'y fait-elle? C’est ce que les auteurs ne nous disent pas. Elle rend le lait acide en même temps que filant, mais sur quoi agit-elle, et quel est l’acide produit ? Nous n’en savons rien. Nous sommes un peu mieux ren- seignés sur l'influence de la température. Gelie qui est la plus favorable est de 35-380 avec une limite supérieure de 40°-41°, et une limite inférieure de REVUES ET ANALYSES. 13 10 à 5°. En dehors de ces limites, le développement s'arrête, mais la vie des bactéries persiste, elle s'éteint seulement après 8! à 50°. Les expériences d’inoculation à des animaux sont encore {trop peu nom- breuses pour que les auteurs croient pouvoir en tirer des conclusions, et ils en annoncent de nouvelles. Dx. A. J. Browx. Actions chimiques produites par le Bacterium aceti. — Sur un ferment acétique producteur de cellulose. Journal of the chemical Society, 1886, t.-XLIX, p. 112 et 432; 1887, t. LI, p. 638. Après avoir observé que le mycoderma aceti peut oxyder le glucose et transformer ce corps en acide gluconique, M. Boutroux a montré dernière- ment dans ces Annules (t. If, p. 309) que cette transformation peut être produite également parle micrococeus oblongus, et qu'un autre être, morpho- logiquement identique, peut même pousser l'oxydation plus loin, et fournir un acide oxygluconique. M. A. J. Brown, reprenant l'étude des oxydations provoquées par le mycoderme du vinaigre, a ajouté aux résultats obtenus par M. Boutroux quelques faits nouveaux, intéressants au double point de vue chimique et microbiologique. Le rôle le plus important du mycoderma aceti étant de transformer par oxydation l'alcool en acide acétique, M. Brown a été tout naturellement con- duit à rechercher s'il peut oxyder les alcools homologues de l'alcool éthyli- que. Il a échoue avec les alcools méthylique et amylique, qui ne subissent, en présence du mycoderme, aucune altération; mais en cultivant le ferment acétique sur de l’eau de levure renfermant 3 0/0 d'alcool propylique normal, il a obtenu de l'acide propionique. Cultivé sur de l’eau de levure renfermant soit du glycol, soit de la glycé- rine, avec un excès de craie, le mycoderme du vinaigre transforme ces corps en acide glycolique et acide glycérique, qu'on retrouve à l'état de sels de chaux; avec la glycérine on ne retrouve que de faibles quantités d'acide glycérique, parce que ce corps est oxydé à l’état d'eau et d'acide carbonique au fur et à mesure qu'il se forme. Le ferment acétique n'exerce aucune action sur le saccharose, ou sur l'érythrite, mais son action sur la mannite est des plus intéressantes. Il ne se forme aucun acide, ni volatil, ni fixe, comme avec le dextrose (glucose); le liquide de culture (eau de levure avec 2, 5 0/0 de mannite) acquiert un goût très sucré et réduit fortement la liqueur de Fehling : par un traite- ment convenable on arrive à en isoler un sucre présentant toutes les pro- priétés du lévulose. Chose curieuse, le mycoderme respecte ce lévulose une fois formé ; il est incapable de l'oxyder, et manifeste également cette pro- priété avec le lévulose préparé au moyen de l'inuline. Voilà donc deux sucres, le dextrose et le lévulose, que les récents progrès de la chimie des hydrates de carbone nous montrent comme ayant une constitution très peu diflérente, et qui cependant sont très différents comme aliments du myco- derme du vinaigre, cet être consommant l'un et laissant l’autre inaltéré. Peut-être faut-il voir dans des faits analogues l'explication des divergences D14 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. qu'on rencontre quelquefois chez les auteurs au sujet de lalimentation hydrocarbonée des microbes : le terme glucose et le terme sucre interverti sont souvent employés indistinctement l'un pour l'autre, alors que le sucre interverti, mélange à poids égaux de glucose et de lévulose, peut fort bien n'avoir pas la même valeur alimentaire que le glucose pur. Le lévulose obtenu par l’action du mycoderma aceti sur la mannite peut facilement être ramené à l'état de mannite par réduction au moyen de l'amalgame de sodium. M. Brown s'est assuré que cette mannite est iden- tique à celle qu'on tire de la manne, et comme on peut également préparer cette mannite en traitant le dextrose par l’amalgame de sodium, il s'ensuit qu'avec l’aide du mycoderma aceti, et en passant par la mannite comme terme intermédiaire, on peut produire une transformation qui n'a été realisée que tout récemment par des moyens chimiques seuls, celle du dextrose en lévulose. La transformation inverse peut être réalisée en prenant comme auxiliaire un ferment acétique que M. Brown décrit longuement et qu'il appelle Bacte- rium æylinum, à cause de la curieuse propriété qu'il a de former de la cellulose. Cet être présente, au point de vue chimique, les mêmes propriétés que le ferment acétique dont il à été question es Il en diffère par les caractères suivants. Ce ferment forme à la surface des liquides de culture une membrane géla- tineuse transparente, pouvant atteindre jusqu'à 25 m. m. d'épaisseur; celte membrane est plus dense que l’eau ; si on l’agite, elle s'immerge, et est rem- placée par une couche de nouvelle formation, de sorte qu'on peut obtenir une masse formée de couches superposées, d'apparence stratifiée. La membrane formée dans un liquide incolore est blanche et transparente; elle est douce au toucher, très résistante, et ne se laisse facilement diviser que dans le sens de la superposition des couches. Quel que soit le milieu de culture employé, on n'obtient jamais quecette forme membraneuse, caractère que ne présente jamais le myecoderma aceti pur. De plus, la pellicule de mycoderma aceti est désagrévée par la potasse à froid, tandis que la membrane décrite plus haut résiste à une ébullition de plusieurs heures avec ce réactif; l'action de l’acide sulfurique concentré et de l'iode la colorent en bleu foncé. Au microscope, on voit des bactéries de 2 y de longueur, souvent en chaînes de plusieurs articles, se colorant bien par le violet de méthyle, et noyées dans une masse homogène, transparente, présentant l'apparence d’une gelée. Dans les cultures vieilles, on voit souvent des formes de coccus de 0 w à, de diamètre, qui semblent être les spores du bacille. Dans les milieux défavorables comme l’eau de levure on trouve, dans la membrane, des bacilles en filaments très longs (10 à 30 y). Sur le moût de bière vélatinisé on obtient des colonies sphériques à la surface ou au voisinage de la surface; la gélatine n’est pas liquéfiée. Ce ferment se développe très bien dans l'eau de levure additionnée de lévulose; ce liquide constitue son meilleur milieu de culture. La tempéra- ture optima est 250. I se développe également bien sur la mannite, qu’il transforme comme le mycoderma aceti, en lévulose ; sur le dextrose, qu'il transforme en acide INSTITUT PASTEUR. D15 gluconique ; il se développe péniblement sur l'eau de levure seule, et ne vit pas aux dépens du saccharose ou de l’amidon. Il acétifie l'alcool. Son action chimique est done la même que celle du mycoderme du vinaigre; mais il s'en distingue par la formation de la membrane décrite plus haut, membrane dont M. Brown a extrait un corps présentant toutes les propriétés de la cellulose qu’on peut extraire du coton, et répondant par sa composition à la formule de la cellülose. Comme le mycoderma aceti, ce ferment acétique transforme done la mannite enlévulose, mais il est capable de consommer à son tour ce lévulose pour en faire de la cellulose. M. Brown s'est assuré que le traitement de cette cellulose par l'acide sulfurique fournit un sucre présentant toutes les propriétés du dextrose ; il a, pour cette expérience, employé du lévulose pur, préparé au moyen de l’inuline, et à fait vivre le B. xylinum sur ce lévulose en solution dans l'eau de levure ; l'absence de dextrose a été prouvée par ce fait que le liquide est resté neutre : en présence du glucose il fût devenu acide, par suite de la formation d'acide gluconique. La cellu- lose obtenue, convenablement purifiée et bouillie avec de l'acide sulfuri- que, a fourni du dextrose. Le Bacterium xyilnum fournit done un moyen de transformer un sucre lévogyre, le lévulose, en un sucre dextrogyre, le dextrose. A. FERNBACH. INSTITUT PASTEUR RENSEIGNEMENTS STATISTIQUES SUR LES PERSONNES TRAITÉES A L'INSTITUT PASTEUR DU 1° AU 31 aouT 1888. Personnes traitées mortes de rage. Sixarper (Alphonse). 26 ans, cultivateur à Polliot (Ain), mordu le 26 avril 1886 au petit doigt de la main droite; trois blessures sur le bord externe. Le chien mordeur à attaqué des chiens et un enfant, puis a disparu. Les morsures ont élé cau- térisées au fer rouge 2 jours après. Sinardet a été traité du 3 mai au 12 mai 1886. Le 24 juillet 1888 (27 mois après la morsure), à la suite d’un refroidissement, il ressent dans le bras mordu ure douleur qui part du petit doigt et s'étend à l'épaule et au côté droits. Le lendemain, impossibilité d’avaler. Le 27, il est trans- porté à l'Hôtel-Dieu de Bourg en proie à la rage convulsive ; il meurt le 28 juillet. Il a été observé par le D' Passerot, de Bourg. Sinardet fait partie de la statistique de 1886. ANNALES DE L'INSTITUT ;PASTEUR. © (er) INSTITUT PASTEUR STATISTIQUE ! DU TRAITEMENT PRÉVENTIF DE LA RAGE. — AOUT 1888 I , A B C Are nn — Morsuresià la tête ( simples .. ... | EH) 9 | | Reset IS 2 et à la figure t multiples....! »| 4 » 4 y te Cautérisations efficaces...:........ NN EE » » 41» |» == INC fNCACES EIRE Er Ne 4! » » 3 » » Al » » Pos decauténisaon tes PE PER EUR >| Dore (PSIMPIES es eo) ee LT ERA) »| 5 Morsures aux mains: : à ms MOrsures ae nains) multipies.. 1e GE CA ee Be ol Cuutérisations effiraces............ Fe RES PER 0 EE A 1] Le — INONCAECS ANNE 3119 0) "»11431 4% » | » |» Pas de cuutérisation. 2 40 art» » 116 » » »| » » Morsures aux mem-( simples......| »| 4) »| 4) »1 2 = z ] :nloc « 1 e { BS A bres et au tronc | multiples....![ »| 9 »| 24) IE Cautérisations efficaces............ SN TES EC) » ; Ses — inefficaces Ce ie Ô 27) » [99 » » 9! » » PUS Te CHutéMSAUON 1e. A 20e 152 M4 » 2 0 HBDILS ST CRANES RER CREER E 9! » » [30 » » 9| » » MOTSUNES DIN UN ER RE Er mit | » | » |» » » 31 lee Morsures multiples en divers points AUS COLDS 7 ER ASE EE »)| | |» q || | 1 CautériSANonS ENCORE ere er » Pie » Sn == inefficaces DMÉSNGINONG Sn Al » » | D » » »| » » PASCTe CANONS LIOME ERA EE ETES ae? » » 4» |» HG bUES SdéCRATÉSE ER EEE. ASS IPS EEE » »| s |» MOPSUNES ANR arrete »| 50 JE » » »[ » |» ns | ms | ms | as nl nm us | TO N Français et Algériens..|.. 27193 ..| 73) sil: 14),3 AIAELTANDETS: A ect PO) Re 8) Ie A B C TE © mm DOTATAGENERATANMER EME 125 4. La colonne À comprend les personnes mordues par des animaux dont la rage est reconnue expérimentalement ; La colonne B celles mordues par des ani- maux reconnus enragés à l'examen vétérinaire; La colonne C les personnes mordues par des animaux suspects de rage. Les animaux mordeurs ont été : Chiens, 119 fois; chats, 6 fois. ‘ Le Gérant : G. Masson. Sceaux. — Imprimerie Charaire et fils. 9me ANNÉE. OCTOBRE 1888. N° 40 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR ÉTUDE SUR LA VACCINATION CHARBONNEUSE, Par M. N. GAMALÉIA. Grâce à l’obligeance de M. Pasteur et de M. Roux, j'ai pu, lors de mon séjour à Paris, étudier au laboratoire de la rue d'Ulm les principes fondamentaux de l’atténuation de la bactéridie charbonneuse, ainsi que les propriétés pathogènes des vaccins qui servent pour la vaccination charbonneuse en France. J'ai poursuivi à Odessa ces études, dont quelques résultats ont déjà été publiés ailleurs *?. PES VACCINS. Pour la préparation des vaccins, j'ai adopté la méthode des antiseptiques de MM. Ghamberland et Roux *. Si l’on ajoute au bouillon de culture une solution stérilisée de bichromate de potasse, de manière à avoir une concentration de 2 à 4 millièmes de cette substance, on äura un développement de la bactéridie 1. La technique de la fabrication des vaccins pour la pratique, telle qu’elle est employée à la rue Vauquelin par M. Chamberland, n’a pas fait l'objet de mes études. 2, Sur la vaccination charbonneuse. — Sur les vaccins charbonneux. Février et mai 1888. Journ. de La société d’Économie rucale. Voir aussi: Sur la destruction des microbes dans ces Annales n° 5, 1888. 3. Comptes rendus, 1883, t. 96, p. 1088 et 1410. D18 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. charbonneuse ensemencée, mais ce développement n’aboutira pas à la formation des spores, comme l’ont démontré ces savants. Ces cultures au bichromate présentent en outre des particu- larités qui méritent une étude attentive. L'aspect macroscopique a la forme habituelle, surtout les premiers jours ; on remarque seulement un retard plus ou moins grand, en rapport avec la quantité de bichromate ajouté. L’exa- men microscopique révèle, au contraire, des formes insolites. Outre les formes connues, dites involutives, qu'on trouve dans chaque culture charbonneuse, on y décèle les suivantes. Les plus nombreuses et constantes sont les formes diminuées dans toutes leurs dimensions. Le bacille charbonneux devient deux à trois fois plus court, les interstices qui séparent les petits articles d’un filament s’agrandissent ; mais c’est surtout l’épais- seur des bacilles qui s’amoindrit manifestement, et qui peut n'être plus que le tiers de l'épaisseur de la forme virulente semée. Souvent aussi les bouts des bacilles présentent des changements pathologiques : ils ne sont pas coupés à angle droit, mais den- telés ou pointus. Cet amincissement de labactéridie virulente dans les cultures au bichromate doit être considéré comme le phénomène mor- phologique principal, puisque, ainsi que nous allons le voir, il marche de pair avec la qualité physiologique de l’atténuation. II se retrouve dans les cultures en milieux acides, et aussi dans certaines conditions spéciales qui seront exposées plus loin. Une autre variété qui naît dans le bouillon au bichromate est celle que j'ai décrite sous le nom de digérée * dans un autre article. Le bacille charbonneux se divise en petits tronçons transversaux qui se gonflent, acquièrent l’aspect de gros coccus, pâlissent, et ne présentent plus à la fin qu’une pâle enveloppe privée de contenu. Ce phénomène, qu'il est facile de reproduire en quelques minutes par le suc gastrique naturel ou artificiel, agissant sur la bactéridie normale, pourrait être appelée disso- lution. Il me reste à décrire encore une forme beaucoup plus rare, c’est la bactéridie à fourreau. On trouve parfois dans les cultures chaque bactéridie entourée par une large enveloppe qui dépasse 4. Ce recueil, n° 5, 1888. ÉTUDE SUR LA VACCINATION CHARBONNEUSE. 519 deux ou trois fois la largeur du bacille normal, et qui se co- lore fortement par des couieurs d’aniline, ne laissant que rare- ment apercevoir le bacille situé à l’intérieur ‘. On saisit l'importance de toutes ces modifications subies par les cultures charbonneuses au bichromate, quand on ensemence avec elles un bouillon normal. Alors on trouve, avec les auteurs de la méthode, que toutes ces nouvelles cultures sont plus ou moins atténuées. Quant à leur aspect macroscopique, quand elles sont faites à 35°, on trouve souvent non seulement que les flocons typiques du charbon sont plus ténus et fragiles, mais on remarque aussi dans les cultures les plus atténuées l'absence complète de flocons au fond du vase; le trouble du bouillon est presque uniforme. Au contraire, à la température ordinaire, le développement est lent, mais toujours en flocons nageant dans un bouillon limpide. L'examen microscopique continue à donner des détails intéressants. Les formes à /ouwr- reaux et dissoutes ne se rencontrent plus dans les cultures frai- ches, mais ce sont les formes amoindries qui se développent. Outre leurs dimensions, les baguettes du charbon atténué se distinguent de la bactéridie virulente par leurs bouts souvent arrondis. Quant à la grandeur de ces bacilles, il est incontestable que leur diminution marche tout à fait parallèlement avec l'atté- nuation de la virulence. Si on prend la précaution de ne com- parer entre elles que les cultures fraiches et non en involution, on pourra facilement se convaincre que plus une culture est at- ténuée, plus sont petits les bacilles qui la composent. Entre toutes ces cultures atténuées, nous en avons choisi deux, le premier et le deuxième vaccin, pour la vaccination des moutons. Notre premier vaccin a les propriétés suivantes : ce sont de petits bacilles ayant souvent des bouts arrondis. Les premières cultures, issues du bouillon bichromaté, ne poussent que mé- 4. Ces enveloppes ne doivent pas être confondues avec les capsules trans- parentes qui se forment parfois autour de la bactéridie virulente, comme M. Metch- nikoff l'a vu dans le sang des lézards, et comme nous l’avons observé dans un. cas de charbon intestinal chez un mouton. Ces capsules sont constantes dans les cultures charbonneuses faites dans le lait. Nos enveloppes ou fourreaux corres- pondent plutôt à celles que Metchnikoff a décrites pour les bacilles tuberculeux. Voir Virchow’s Archiv, 1888, et ces Annales, tome II, p. 505. 520 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. divcrement sur la gélose et ont une tendance à produire dans le bouillon de culture, le deuxième et le troisième jour, des formes involutives, etles pseudosporesdites microspores etarthrospores. Les formes involutives sont tout à fait semblables à celles qui sont décrites pour la bactéridie virulente par beaucoup d'auteurs; elles sont contournées en hélice et diversement élar- gies. Les microspores sont de petits grains brillants qui se forment à l'intérieur d’une baguette et n’occupent pas toute sa largeur. Les arthrospores sont tout un tronçon du bacille, qui acquiert la réfringence brillante sans changer sa forme prisma- tique. Les arthrospores et microspores ne retiennent pas la double coloration. Les endospores typiques ne se forment pas dans ces conditions. : Après avoir fait quelques passages (10 à 15) par le corps des souris, j'ai vu un grand changement survenir dans mon premier vaccin. Îl a commencé à se cultiver abondamment sur la gélose, en y produisant de véritables endospores au bout de deux jours. C'est de ce vaccin fortifié ou rafraichi que nous allons décrire les principales propriétés morphologiques et physiologiques. Notre premier vaccin, inoculé en quantité de 1/8 %: sous la peau du mouton, détermine chez lui une fièvre vaccinale d’un ou de deux jours de durée. Inoculé dans la chambre antérieure de l'œil, il lui donne une fièvre intense (jusqu’à 42°) pendant #4 et 5 jours. Le premier vaccin tue, en quantité de 1/8, la souris grise en 30 à 40 heures, la souris blanche en 48 à 60 heures. En quantité plus forte il tue aussi les cobayes, tandis que les lapins lui sont absolument réfractaires : l’inoculation de 50 à 100 °° d’une culture dans du bouillon ne leur donne que la fièvre vac- cinale allant jusqu’à 410 5 1. Le deuxième vaccin contient des bacilles manifestement plus vrands que ceux du premier, quoique plus petits que la bactérie virulente. Les endospores se forment sur la gélose au bout de 30 à 40 heures. Le deuxième vaccin tue plus de 50 0/0 des moutons frais inoculés par f/8° sous la peau. Chez les moutons déjà ino- culés par le premier vaccin, le deuxième produit une forte fièvre vaccinale de 4195 — 42°. 1. Voir ces Annales, t. IT, ne 5. ÉTUDE SUR LA VACCINATION CHARBONNEUSE. 521 Le deuxième vaccin tue tous les animaux qui succombent au premier vaccin, et outre cela les lapins et les rats blancs, Inoculé sous la peau du lapin en quantité de 1/8, il le tue en 48 ou 60 heures. Le rat blanc ne succombe qu'à l’ino- culation de un centimètre cube. Ces propriétés physiologiques des vaccins se rapportent à des cultures fraiches de deux jours dans le bouillon. Les vieilles cultures, surtout celles qui ont été faites dans la gélatine nutri- tive, ont leur virulence considérablement atténuée. Pour la conserver, nous avons adopté la méthode suivante. On fait avec des germes, formés sur la gélose, et du bouillon stérilisé, une émulsion dense dont on imbibe de petits fils de soie, qui sont ensuite séchés et mis à la cave. Cette méthode indiquée par M. Kitt' nous a donné de bons résultats, en ce sens que la virulence des vaccins n’a pas sensible- ment changé pendant six mois. Pour ramener les vaccins affaiblis à leur virulence normale, nous employons la méthode indiquée par MM. Pasteur, Cham- berland et Roux *. Revenant maintenant à la comparaison entre ces deux vaccins et le virus charbonneux, nous trouvons que les bactéridies atténuées se distinguent de la bactéridie virulente par un nombre considérable de caractères morphologiques et physiologiques. Le plus important parmi les premiers est la diminution de grandeur. En faisant des mensurations exactes, nous avons pu constater que le premier vaccin est deux fois plus mince que la bactéridie virulente (dans des cultures faites dans les mêmes con- ditions dans le bouillon). Le deuxième vaccin occupe une place intermédiaire, ilaen moyenne les ?/, dela largeur du bacillenormal virulent. Il était encore intéressant de rechercher si on ne pourrait pas réussir à trouver des différences spécifiques dans les cultures comparatives de ces trois formes. En comparant les cultures fraiches, faites avec des semences récemment issues du corps de l'animal, nous n'avons pas remarqué ces différences dansla vitesse 4. Ta. Kurr, Werth und Unwerth der Schutzimpfungen gegen Thierseuchen, 1886, p. 105. 2. PasrEUR, CHAMBERLAND ET Roux, De l’atténuation des virus et de leur retour à la virulence. Comptes rendus, 1881, p. 429. 522 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. du développement qui ont été indiquées par M. Smirnoff !. En revanche, les cultures dans le lait stérilisé nous ont donné des différences marquées. Toutes les formes, les deux vaccins et le virus, se développent très bien dans le lait. Comme particu- larité intéressante de ces cultures, il faut noter les capsules transparentes autour des bacilles. Ces capsules existent autour de la bactéridie du premier vaccin aussi bien qu'autour de la virulente, ce qui exclut leur connexité avec la virulence : elles sont peut-être en relation avec une formation d’acide lactique, qui pourrait décolorer le fond des lamelles colorées par le bleu de méthylène. La culture virulente coagule le lait vers le 3° jour à 35°. La caséine coagulée se rassemble lentement au fond des ma- tras de culture, mais n’y reste pas longtemps : au bout de 1 à 10 jours elle est de nouveau complètement dissoute. On a alors deux couches seulement dans les cultures : la crème surnage un liquide jaune. Les vaccins ne coagulent pas du tout le lait. À peine si au bout de 10 à 15 jours on remarque dans les cultures du deuxième vaccin une mince couche plus transparente au-dessous de la crème. Les cultures du premier vaccin ne changent nullement l'aspect du lait pendant les deux premières semaines, après quoi elles dissolvent lentement la caséine sans la précipiter. Quant à l'explication de ces différences, nous croyons pouvoir la trouver dans la susceptibilité diverse du virus et des vaccins par rapport à l’action de l’acide lactique. La réaction est manifestement acide dans les trois cultures, mais elle est plus prononcée avec la bactéridie virulente qui est aussi celle qui donne les cultures les plus abondantes. Il est clair dès lors que le développement et, par conséquent, l'acidité crois- sante des cultures est arrêtée dans les cultures vaccinales par l’acide déjà formé. En d’autres termes, les vaccins sont plus sensibles que la caséine à l'égard de l’acide. Si nous nous sommes autant arrêlés sur la question des différences entre le charbon virulent et le charbon vaccinal, c'est pour les motifs suivants. Premièrement, nous avons montré, entre les trois formes que nous avons étudiées, des différences tout aussi grandes que celles, par exemple. qui ser- 1. Smirnorr, Sur la nature de l’atténuation des bactéries pathogènes. Zeischr. f. Hygiene, t. IV, p. 231. | ÉTUDE SUR LA VACCINATION CHARBONNEUSE. D23 vent à distinguer les espèces vibrioniennes du choléra, de Koch, de Denecke et de Prior et Finkler. Ceci peut rendre plus circons- pect dans la création de nouvelles espèces fondées sur des caractères aussi fugitifs que la lenteur de développement, la modification de l’aspect du lait, etc. Deuxièmement, cet arrêt dans le développement des vaccins dans le lait pourra peut-être nous servir à comprendre le rôle des vaccins dans le corps de l’animal'. IT. — FIÈVRE VACCINALE. Dans la célèbre expérience de Pouilly-le-Fort, aucun chan- sement n’a élé remarqué dans l’état de santé des moutons après leur inoculation par les vaccins. Pourtant on peut lire dans les tableaux de température, contenus dans le rapport de M. Rossi- gnol. que plusieurs moutons ont eu une élévation de tempéra- ture, surtout très prononcée (de 2 degrés au maximum) après le deuxième vaccin. D'un autre côté, il faut remarquer que la vac- cination à Pouilly-le-Fort n’était pas faite au maximum, c’est-à- dire de façon à empêcher tout développement du virus dans le corps des vaccinés : au contraire, après l’inoculation virulente, plusieurs moutons ont eu la fièvre, des nodosités à l'endroit de l’inoculation ; une brebis est morte du charbon. Dans le rapport de M. Muller” sur les expériences faites par Thuillier en Allemagne, il est noté que le deuxième vaccin produit une affection violente quoique rarement dange- reuse, et surtout une forte élévation de la température. Au congrès de Genève, M. Sormanni * araconté que dans l'expérience malheureuse de Bologne, où sur six brebis vaccinées quatre sont mortes dans l'expérience de contrôle, les deux brebis qui ont survécu ont eu une forte fièvre (au delà de 41°) après les vaccins. Et M. Sormanni, s'appuyant sur l'opinion de M. Pasteur, conclut que la manifestation fébrile vaccinale est indispensable à la réussite des vaccinations. Les autres expérimentateurs comme Koch, Gaffky et Læffler, Kitt, etc., n’ont enregistré 4. Nos vaccins ont été approuvés pour la pratique par une commission spéciale, nommée parla Société impériale d'agriculture de la Russie Nouvelle. La pratique de la vaccination charbonneuse estentièrement confiée à l’Institut d'Odessa à M. Bardach. i. Cité pas Baumler : Der derzeitige ta ndpunkt der Schutzimpfungen. 1887. 3. Quatrième congrès, etc., t. [., p. 146. D24 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. aucun symptôme appréciable, ni général ni local, de l'influence des vaccins sur les moutons vaccinés. Du reste, la plupart des auteurs n’ont pas fait de mesures de température. Nous avons pris, au contraire, très régulièrement, au moins deux fois par jour, la température chez tous les moutons que nous avons vaccinés ‘. Ces recherches ont conduit à un résultat très net. Tous les moutons qui subissent par suite de la vaccination une élévation considérable de température acquièrent une immunité complète vis-à-vis de l'infection sous-cutanée virulente, qui ne produit alors aucun symptôme fébrile. Tous ceux qui n’ont pas la fièvre vaccinale n'acquièrent pas l'état réfractaire, non seulement par rapport au virus, mais même vis-à-vis des vaccins, qui peuvent être réinoculés et donner la fièvre. Vu la grande portée de ces résultats, je me permets de donner en détail quelques températures. . Dans les tableaux qui suivent, on trouve, en regard de cha- que vaccination, sa date, et pour chacun des jours qui ont suivi, le relevé des températures. Pour simplifier, on a supposé le zéro commun à 38°, la plus basse température observée. Les obser- vations du matin et du soir sont, quand il y a lieu, inscrites l’une à la suite de l’autre et séparées par un tret. Les tempéra- tures matinales du premier jour sont toujours celles qui ont précédé ie moment de la vaccination. AT VAGCIN. 2° VACGCIN. VIRUS. ? OBSERVATIONS. {re EXPÉRIENCE. 42 juillet 11 août 31 août | 1,8 —:1,8. 1,9. — 2,9 4,4 — 1,4 Aucun 9 4,8 — 2,6 3,0 — 29 0,9 — 09 symptôme 3 29 9 12289 22 9 TS morbide, 4 4,9 — 1,9 2,2 — 9,4 1,3 — 1,4 2e EXPÉRIENCE. 20 sept. 14 oct. 30 oct. 1 4,5 — 1,5 2,0 — 2,6 0,8 — 0,8 2 2,3 — 925 9,2— 9,7 1,2 — 1,0 Id. 3 3,0 — 2,9: 31— 125, 4,0 — 411 Le 4,5 — 1,7 1,9 — 2,0 1,3 — 4,5 4. La plupart de nos expériences, sur plus de 300 moutons, ont été faites en 1887. 2. Ce virus a toujours été inoculé à la fois aux moutons vaccinés, et à un ou deux moutons non vaccinés qui ont toujours succombé au charbon. ÉTUDE SUR LA VACCINATION CHARBONNEUSE. 929 3° EXPÉRIENCE. CO © = 4° EXPÉRIENCE. R © RO © Se EXPÉRIENCE. 6° EXPÉRIENCE. 7e EXPERIENCE. 8e EXPÉRIENCE. à © D = 47 YACCIN. 20 sept. 4,5 — 1,5 2,3 — 2,5 3,0 — 9,9 4,5 — 1.7 12 juillet ta 9 DANS CE PNA 9,7 — 23 1,9 — 2,1 12 juillet 2.0 — 2,2 1,6 — 2,2 42762120 2,92 — 9,9 3,0 — 2,8 1,3 — 1,4 12 juillet 2° VACCIN. 414 oct. 9,9 — 9,6 9,9 — 3,1 2,9 — 3,8 1,5 10 août 1,3 — 2,6 BR il 2.3 — 2,0 92,0 — 1,8 1,6 — 1,8 10 août 2,9 — 92,8 22 1:0 4,4 — 2,0 3,4 — 92,5 2,9 — 2,3 4,5 —14:7 10 août 2,0 — 2,2 4,9 — 1,7 1,4 — 1,6 1,5 — 1,6 ART 1,6 — 1,8 4 041,7 10 août 2,0 — 2,9 3,0 — 2,9 3,2 — 9,9 29 — 28 10 août 1,3 — 1,4 38 —33 23 — 921 2.0 — 1,9 = pin jp ST Ed © mn Ps SR \ VIRUS. 30 oct. 0,7 — 0,7 4,4 — 1,9 (UE, Fe og © = = “ Dr QE 1 Ro Ro 0 © © = Co w = @ © C> perd — 192 0,9 1,3 1,4 = © en © «© Cr IA | 31 août 1,9 — 2,0 DES 4,9 — 41,9 1,6 — 1,8 OBSERVATIONS. Aucun symptôme morbide. Id. Id. Mort du charbon. Aucun symptôme morbide. Id. 9° EXPÉRIENCE. Lo — Q 1 OÙ À 10° EXPÉRIENCE. 3 4 11° EXPÉRIENCE. 12° EXPÉRIENCE. ROBE OT me Co 13° EXPÉRIENCE. Où C7 & © NO 14 EXPÉRIENCE. RON Or à (en) 12 juillet 15 — 1,5 2,3 — 9,5 3,0 — 2,9 1,5 — 1,7 3,1 1,6 2e VACCIN. 14 oct. 1 om 47-—12;0 1,3 1,8 4,7 1,8 44 oct 2,0 — 2,6 2,9 — 91 3,1 195 2,0 22 10 juillet 4,5 — 4,5 4,4 — 1,4 5 4,0 = 46 4,5 — 14,5 25 déc. 25 déc. 1,1 99 1,8 1,9 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. AT vVACGIN. VIRUS. 30 oct. 0,0 — 0,0 DO USS 1 007 4,70 —=:2:0 2,01=—°5,3 3,4 — 3,4 3,2 — 3,9 3,8 30 oct. 0,8 — 0,8 1,2 — 1,0 1,0 — 1,1 1,3. —14,5 JLNOCL 1,5 "45 1,9 153 4,5 — 1,3 2,0 — 1,8 1 SEEN 4,9 — 1,5 8 janvier 1888. 1,5 AA UE 15 — 18 A RER S Janvier 4,9 1,4 — 1,4 1,5 — 1,5 1,3 — 1,3 4,5 — 1,4 4,5 1,9 1,6 — 1,8 4,6 1,3 — 1,6 1,7 — 1,8 OBSERVATIONS. Mort du charbon. Aucun symptôme morbide. Mort du charbon. Aucun symptôme morbide. Id. Id. ÉTUDE SUR LA VACCINATION CHARBONNEUSE. 927 Aer VACCIN. 2 vaACCIN. VIRUS. OBSERVATIONS. 15° EXPÉRIENCE. 9 déc. 25 déc. 8 janvier ! 1,5 1,9 1,9 2 2,3 3,3 1,7 — 1,8 Aucun 3 1,6 2,4 1,6 — 1,6 symptôme 4 2,8 ar 1,4 — 15 morbide. 5 404 425 1,6 — 1,4 6 4,4 16° EXPÉRIENCE. il 0,9 2 1,8 2 HN 2,8 4,5, —11:6 3 3,9 1.6 4,7 — 1,6 4 4,6 112 4,6 — 1,0 Id 5 424 0,9 4,6 — 1.3 6 459 De ces expériences, on peut conclure que l’immunité char- bonneuse n’est acquise qu'à la suite d'une fièvre vaccinale. Cette proposition, fondamentale pour toute la vaccination, peut être confirmée par d’autres faits. On peut, par exemple, vacciner les moutons avec un seul vaccin, mais celui-ci doit alors provoquer une fièvre très intense, dangereuse pour la vie de l'animal. 17° EXPÉRIENCE, 47 avril 1: mai 45 mai il AA ALIAS 41,4 Aucun 2 1,8 — 15 1,6 12 symptôme 3 DD A OPA T AT morbide 4 PO OPA Hal après le 5 4,9 — 4:9 4,3 4,9 2% vaccin 6 DOS ed2 4,9 et le virus. fl Sir 8 3,4 53,4 9 30252 10 3,3 — 2,6 A1 2 02220 182 EXPÉRIENCE. il 9,93 = MAD MA 1,6 2 16221801; 1 1,8 3) DO PP OA 1,8 4 DA D EE? 1,8 Id. 5 DS RE) 1,9 6 3,4 — 3,2 15 7 3,4 —- 3,2 8 D 26 9 2,4 — 9,4 10 2 OBSERVATIONS. VIRUS. VACCIN. WE) A AT VACCIN. ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 19° EXPÉRIENCE. D ui VE CRCPERS 5 <© «= mn D. + ©, = 3 Ru = Ed Es SR > À VA an d Da ee St AN — Le NT TARN ERTe, OS YO DANONE olatel ae net Es es ael RO PR LR OCRERCE re es 0 NN 20 © EE D © = — — 45 mai 3 mai Au contraire, si le premier vaccin ne provoque pas de fièvre, 21 avril le second en donne une très intense. Exemples : 202 EXPÉRIENCE. Ce! GT STRESS IT CN LAC CIS TL OT ELEC IGN OO = 0 res Dm PA ü 21° EXPÉRIENCE. RE RC SE TO LC C) KoY RS. Re) Ke) Ko) ÉAETRE EE DMNMAM SAS Ho NLe ST OT — TT GT AA CEE ED RSR N MIN EN Me Ter Me Re nn NM NY 20 © = 0 D © = RS) 29° EXPÉRIENCE. D Ze nero — ai St Qt GT Sn © = 29 Nate 9 6 SD COCO EN ECC" 0 CN mm mt TNNMNHOrHAES— + ÉTUDE SUR LA VACCINATION CHARBONNEUSE. 529 Aïnsi, il est évident que ce ne sont pas les vaccins, mais la fièvre qu'ils produisent, qui confère l’immunité. Quand la vaceci- nation passe sans réaction fébrile, l'immunité n’est pas acquise. La meilleure preuve de la valeur de ce principe est son appli- cation à de nouveaux faits. Nous en allons citer une. Il est connu que le vaccin des moutons ne peut pas servir, employé d’après le mode ordinaire, à vacciner les lapins. En effet, plusieurs expériences m'ont montré que l'inocula- tion sous-cutanée des lapins par le premier vaccin ne provoque aucune réaction fébrile, tandis que le deuxième vaccin les tue. D'un autre côté j'ai montré (v. ces Annales, mai 1888) qu’en injectant, d’après la nouvelle méthode de MM. Roux et Chamber- land, 50 © du premier vaccin dans le sang des lapins, on détermine une fièvre vaccinale. Elle est courte, mais elle est répétée deux fois et n'a besoin de vacciner que contre le deuxième vaccin. Voici un exemple : Le 29 décembre, un lapin noir est inoculé par 50% du premier vaccin dans la veine de l'oreille. 29 décembre 11h.1/2 m. 39% 30 décembre 9 h.m. 400,3 2h.1/2s 40,2 7 h. 40 4h. A1 10 h 39,5 5h: 39 ,8 5h: DONS JE UT 11). 40 ,4 minuit 40 ,6 Ainsi, nous croyons avoir prouvé que la fièvre vaccinale charbonneuse est une condition nécessaire et suffisante pour l'acquisition de l’immunité. Du reste, ce principe paraît s'appliquer à d’autres vaccina- tions préventives : ainsi, nous l'avons retrouvé pour le choléra des poules ‘. On comprend aisément l'importance pratique de ce principe. C’est lui qui détermine le choix entre les virus atténués : on pren- dra pour premier vaccin celui qui donne une fièvre vaccinale prononcée; pour le deuxième, on choisira celui qui détermine une deuxième fièvre après le premier vaccin. C’est ainsi que le principe de la fièvre vaccinale donne la 4. Voir Centralblatt für Bacteriologie, t. IV, 1888, et ces Annales, t. II, p. 510. 230 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. meilleure mesure de la force nécessaire du vaccin, et celle-ci une fois trouvée, on la contrôle par une expérience sur Îles petits animaux, plus fréquents dans les laboratoires. L'application de ce principe à d’autres maladies pourra facilement faire trouver des vaccins nécessaires et suffisants pour vacciner coutre ces maladies. IIT. — MÉCANISME DE L’ACQUISITION DE L'IMMUNITÉ. a. — Phénomènes de l'économie générale. Pour essayer de saisir le mécanisme de la production de la fièvre vaccinale, nous avons étudié directement l’économie des moutons pendant cette fièvre. Dans ce bul, nous avons sacrifié les moutons à des périodes diverses de la vaccination. Cette étude est délicate, parce que, en tuant un mouton, on se prive de la possibilité de contrôler plus tard son immunité char- bonneuse acquise ; et que, d'un autre côté, on ne peut affirmer qu'il ne serait pas mort par l'effet de la vaccination. Pour éviter ces incertitudes, on était obligé de vacciner à la fois un grand nombre de moutons, dont on sacrifiait quelques-uns pour l'étude de l'acquisition de l’immunité, et dont la majorité restait pour le contrôle de l’innocuité de la fièvre! et de la solidité de l’état réfractaire conféré *. L'étude des organes des moutons sacrifiés était toujours entreprise immédiatement après leur mort *. Cette étude était conduite d’après les trois méthodes ordi- naires : examen microscopique, cultures sur milieux solides, 4. Sur plus de 300 moutons, pas un seul n’a succombé à la vaccination. 2. Ces précautions ont échappé à M. Bitter, qui a répété avec des résultats négatifs nos expériences sur la vaccination charbonneuse. (V. Brrrer, Ueber die Verbreitung de Vaccins, etc. Zeitschrift f. Hygiene, 4 Bd., 1888.) Il a évidemment sacrifié les moutons en dehors de la fièvre vaccinale. Il n’a pas même fourni la preuve que les vaccins entre ses mains étaient aptes à donner aux moutons une immunité complète, et que celle-ci n’était pas plutôt conférée par la première ino- culation virulente. 3. Ce qui esttrès important, car nous avons constaté par des recherches directes que les formes de destruction des bactéries sont beaucoup moins nombreuses, 6 et 22 heures après la mort, et parce que, d'un autre côté, les bactéries se multiplient dans le cadavre. ÉTUDE SUR LA VACCINATION CHARBONNEUSE. D31 (nous avons employé d’ordinaire la gélose, qui est très propice au développement des vaccins), et infection des animaux. Premier groupe. — Premier vaccin chez les moutons. ExPÉRIENCE I. — Le 12 juillet, le premier vaccin est inoculé à dix mou- tons. Les températures de l’un d’eux sont les suivantes : Le 19, 390,5 — 400,5; le 13, 400,2 — 390,8 — 400,2; le 14, 390,6 — 400,7; le 15, 400,9; on le sacrifie à 8 heures du soir. A l’autopsie, on trouve : pas de changements macroscopiques à l'endroit de l'inoculation; glande inguinale de l’aine droite hyperplasiée; rate et reins hypérémiés. Une souris blanche inoculée avec la rate reste vivante. L'examen microscopique donna les résultats suivants : La glande de l’aine droite était remplie de baguettes fines et courbées avec des bouts arrondis. Les formes de bactéridies dissoutes, gonflées, et se brisant en morceaux quadrangulaires, se rencontrent aussi, mais plus rares. Les poumons, la rate, les glandes mésentériques, le foie et surtout les reins contiennent de grandes quantités de bactéries déformées. EXPÉRIENCE IL. — Le 1* octobre, quatre moutons sont inoculés avec: le premier vaccin. L'un d’eux, le lendemain, à 8 heures du matin, a une tem- pérature de 410,4. Il est tué par le chloroforme, comme tous les autres. Les organes intérieurs sont normaux. Dans le sang du cœur se retrouvent des bactéries intactes du premier vaccin qui ont cultivé sur la gélose. Une souris grise, pourtant, inoculée par le sang du cœur, est restée vivante. ExPÉRIENCE IL. — Le 30 octobre, quaire moutons sont inoculés par le vacein. L'un d’eux est tué le 1 novembre avec une température de 410,3. Pas d’œdème à l'endroit de l’inoculation. Les organes intérieurs sont normaux. Le sang du cœur ne révèle rien au microscope. Dans la rate, on trouva des bactéridies déformées en petites quantités; dans le foie leur nombre était plus considérable; dans les reins, très grande quantité de formes détruites avec quelques bactéridies normales; dans les poumons, on trouva aussi des bactéridies normales. Les reins, semés sur la gélose, ont donné une culture, tandis que la rate et le foie n’ont rien donné. Dans la rate dece mouton, on a semé une culture virulente du charbon, qui a poussé; inoculée ensuite à un lapin, cette culture a donné l'infection charbonneuse mortelle. EXPÉRIENCE IV. — Le 22 novembre, le premier vaccin est inoculé à trois moutons; le 24, l'un d'eux, qui avait le matin 390,5 et à 3 heures 400,7, est sacrifié à ce dernier moment. À l'endroit de l'inoculation, hypérémie et empâtement; les glandes de l’aine droite sont hyperplasiées; la rate et les reins hypérémiés. Dans la rate, On ne trouva que peu de bactéridies déformées dans les macrophages ainsi qu’en dehors d'eux. Dans le sang il n’y avait rien, Le foie contenait 32 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. beaucoup plus de bactéridies, déformées en coceus, tandis que les reins les contenaient en quantité énorme. On les trouva aussi dans les capillaires de l'intestin et dans les glandes de laine. Les cultures n’ont pas poussé. Deuxième groupe !. — Deuxième vaccin chez les moxtons. EXPÉRIENCE I. — Un mouton, déjà vacciné avec le premier vacein, le 12 juillet, est inoculé le 6 août avec le second. Les relevés de température donnent : le 6, 390,3 — 390,1; le 7, 890 — 400; le &, 410 — 400,5 — 400,1. On le tue le 8 au soir : les formes dissoutes se trouvent principalement dans les reins; le foie les contient en quantité moindre. On ne trouve rien dans la rate. EXPÉRIENCE Il. — Le 7 octobre, un mouton est vacciné par le deuxième vaccin. Température : le 7, 390,2 — 390,9; le 8, 400,3 — 390,5; le 9, 410,8; on le tue. Hyperplasie des glandes lymphatiques à l'endroit de l’inoculation. Hypé- rémie de la rate. Dans le sang du cœur, les poumons, la rate, le foie et surtout dans les reins, on trouve des bactéries saines du deuxième vaccin avec leurs formes détruites; avec tous ces organes on a obtenu des cultures sur la gélose. ExPÉRIENCE IL. — Le 10 octobre, un mouton est inoculé par le deuxième vaccin. Température : Le 10, 390,5 — 400,1; le 41, 400,4 — 410,1; on le tue. Glandes lymphatiques hyperplasiées; rate tuméfiée et molle; reins hypérémiés. Dans le sang du cœur on trouve des bactéridies typiques. Dans la rate, le foie et les reins : formes de destruction. ExPÉRIENCE IV. — Le 10 octobre, un mouton est inoculé par le deuxième vaccin. Il a eu une fièvre typique le lendemain. Le 12 octobre, la fièvre tombée, il est mis à mort. Reins et rate hypérémiés. Dans tousles organes, mais principalement le foie et les reins, on trouva de grandes quantités de bactéridies charbonneuses détruites. Tous les ensemencements dans les milieux nutritifs restent stériles. EXPÉRIENCE V. — Le 14 octobre, vingt moutons sont vaccinés par le deuxième vaccin. La température de l’un d’eux est, le 14, de 389,9 — 390,9; le 45, à 7 h. du matin, il a 410,1 et à 9 h. 410, 9; on le tue à ce moment. Les glandes lymphatiques sont hyperplasiées à l’aine gauche. La rate et la couche corticale des reins sont hypérémiés. Les reins et les poumons présentent une masse de bactéridies charbonneuses détruites, parmi lesquelles on trouve parfois des baguettes à l'apparence normale. Les autres organes en contiennent beaucoup moins. Les ensemencements sont restés stériles. Une souris, inoculée par l’émulsion des poumons, est restée vivante. 1. Tous les moutons de ce groupe ont reçu le deuxième vaccin après avoir été vaccinés par le premier. Chacun d’eux avait plusieurs (jusqu’à 20) moutons témoins servant à controler l’innocuité de la fièvre et la solidité de l'immunité conférée. ÉTUDE SUR LA VACCINATION CHARBONNEUSE. D33 EXPÉRIENCE VI. — Le 14 octobre, un mouton est vacciné par le deuxième vaccin. Sa température est, le 14, de 390,5 — 409,3; le 15, il a 390,6 à 7 h. du matin et 400,9 à 9 h. du matin; on le tue à ce moment. Induration à l'endroit de l'inoculation. Reins très hyperémiés. Les bactéridies intactes se trouvent en grande quantité dans les poumons (dans les macrophages), tandis que les reins les contiennent en formes détruites. ExPÉRIENCE VII. — Un troisième mouton, inoculé le 14 octobre, est tué le lendemain. Température : le 14, 390,5 — 400,5; le 15, 40° — 400,3 — 400,9; il est tué. A l'endroit de l’inoculation, hyperémie du tissu conjonctif. La rate est molle. Tous les organes, mais surtout les reins, contiennent une grande quantité de formes détruites; les bactéridies saines sont rares. Une émulsion du poumon est inoculée à une souris grise, qui est restée vivante. Expérience VII — Un mouton, inoculé par le deuxième vaccin, le 14 octobre, est tué le 15, sa température dépassant 40°. OEdème circonscerit à l'endroit de l’inoculation; reins et rate très hyperémiés. Dans tous les organes se trouvent les bactéridies charbonneuses en voie de destruction, Les reins surtout en sont pleins. ExPÉRIENCE IX. — Le 14 octobre, un mouton est inoculé par le deuxième vaccin. Température : le 14, 39° — 39,5; le 45, 400 — 400,6 — 40°,9; le 16, 419,8; il est tué. Rate considérablement hyperémiée. Dans tous les organes on trouve les bactéridies en grande quantité; on pouvait suivre toutes les phases de leur destruction. ExPÉRIENCE X. — Un mouton est inoculé, le 44 octobre. Sa température est, le 14, de 39, 7 — 40,1; le 15, de 390,4 — 400,4 — 40°,6. Les jours suivants on relève successivement, du 16 au 29, jes chiffres 40° — 40°,2 — 40° — 399,8 — 390,6 — 39,7; on le tue le 22. Les organes ont l'apparence normale. Dans le foie et les reins se trouvent beaucoup de bactéridies détruites. Leurs formes sont plus dégradées que dans les cas précédents. Les fragments quadrangulaires avec angles arrondis dont se composent les bactéridies sont très pâles et se colorent mal avec le bleu de méthylène. Les cultures sont restées stériles. ExPÉRIENCE XI. — Le 28 octobre, un moutonest inoculé par le deuxième vaccin. Le lendemain matin sa température monte à 40°; il est tué. Une glande hyperplasiée à l'endroit de l’inoculation, les reins hyperémiés. Dans tous les organes se trouvent les bactéridies déformées; celles qui con- servent encore la forme normale, avec bouts tranchés, sont pourtant plus fines et plus courtes. Les bactéries déformées se trouvent surtout dans les reins. 34 D34 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. À Expérience XII. — Le 99 octobre, six moutons sont inoculés avec le deuxième vaccin. L'un d'eux, qui avait la veille 39°,9, et le matin 39,9, est tué le 30 octobre. Rien à l'endroit de l’inoculation ; une forte hyperémie des reins. Dans tous les organes, mais surtout dans la rate, se trouvent toutes les formes de dégradation et de dissolution des bactéridies. On remarque aussi des bactéries normales, principalement dans la rate et dans le foie. Sur deux tubes de gélose ensemencés avec chacun de ces deux organes, un à poussé. Les reins ensemencés deux fois n’ont pas donné de culture. Tous les organes ont été examinés pour la seconde et la troisième fois 8 heures et 24 heures après la mort du mouton. Les préparations faites sur des lamelles ont montré une forte diminution dans le nombre de bac- téries déformées. Dans la rate, par exemple, on ne voyait, le 2 novembre, que très peu de bactéries. — Deux lapins, iunoculés par des émulsions faites avec la rate et le foie, sont restés vivants. EXPERIENCE XIII. — Le 25 novembre, dix moutons sont inoculés par le deuxième vaccin. L’un d'eux a le lendemain à 7h. 39,4, à 9 h. 400,5; il est tué. La rate est hyperémiée, ainsi que le foie et les reins. Dans la rate, le foie et les muscles, on trouve un grand nombre de bactéries déformées; dans les reins, beaucoup moins. Le sang ne contenait rien. Une conclusion peut être immédiatement tirée des faits que nous venons d'exposer. Pendant la fièvre vaccinale, les vaccins inoculés pénètrent toujours dans les organes intérieurs des animaux vaccinés. Rarement, et seulement au début de la fièvre, ces vac- cins se trouvent dans le sang et les organes à l'état vivant et normal. Ordinairement, dans l’acmé de la fièvre, on ne trouve que des bactéries déformées et dissoutes. Vers la fin de la fièvre et jusqu'à cinq jours après la crise, on ne trouve que des débris des vaccins, principalement dans le foie et Les reins. Les méthodes de recherche que nous avons suivies jus- qu'ici. en révélant parfaitement bien la quantité de bactéries dans les organes, ainsi que leurs formes, ne donnent aucune idée sur la répartition des bactéries et leurs relations avec les cellules. Ces dernières questions ne peuvent être résolues que sur des coupes. Ici nous avons trouvé une grande difficulté : les bactéries détruites ne se colorent point par les méthodes ordinaires de coloration. La seule méthode qui nous a donné des résultats satisfaisants est celle de M. le Dr Kühne'. 4. Coloration avec deux carmins, puis par le cristal-violet, décoloration par le liquide de Gram et l'huile d’aniline. ÉTUDE SUR LA VACCINATION CHARBONNEUSE. D35 Notre principale attention s’est portée sur la rate, où nous cherchions le foyer de destruction des bactéries, et sur les reins, qui se distinguaient par la masse formidable de formes détruites qu'ils contenaient toujours. Dans la rate, nous trouvions que les bactéridies charbon- neuses se trouvaient libres et dans les cellules. Ces dernières étaient toujours celles que M. Metchnikoff à nommées les ma- crophages, c’est-à-dire les cellules de la pulpe de la rate munies d'un gros noyau arrondi. Dans les reins, les formes détruiles se trouvent dans la couche médullaire, dans les capillaires qui entourent les canali- cules tortueux. Ces bactéridies détruites sont ordinairement libres, mais se trouvent aussi souvent dans les cellules. Ces dernières ont le noyau oblong et irrégulier, ainsi que le corps angulaire, et appartiennent à l’endothélium des vaisseaux capil- laires. Avant d'aller plus loin, nous voudrions généraliser nos résultats. Comme nous l'avons dit dans un article précédent, la fièvre charbonneuse est toujours accompagnée de la pénétra- tion de la bactéridie dans les organes intérieurs et de sa destruc- tion dans l'organisme fébricitant, non seulement chez les mou- tons vaccinés, mais aussi chez les moutons rendus partiellement réfractaires, chez les animaux (chiens, poules, rats, pigeons, spermophiies) plus ou moins naturellement réfractaires, et aussi enfin chez les animaux sensibles au charbon virulent (lapins). Étudions donc, au même point de vue, ces divers cas d’im- munité. Nous allons voir que, toujours, chez lous ces animaux, pen- dant la fièvre charbonneuse, les organes internes sont rempiis de bactéridies détruites. A cause de la portée théorique de cette notion, nous cite- rons brièvement quelques exemples. Troisième groupe. — Moutons rendus partiellement réfractaires. g Les moutons partiellement réfractaires sont ceux qui ont eu une fièvre charbonneuse non mortelle et peu considérable, à la suite de l'infection virulente. 536 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Le 30 octobre, un mouton, vacciné par le deuxième vaccin, le 14 octobre, est infecté avec 8 autres sous la peau par le charbon virulent. Sa tempéra- ture est, le 30, de 39°. Le 31, on relève : 890,5 — 400,1 — 409,6 ; on le tue. Pas d’œdème à l’en- droit de l’inoculation. Reins très hyperémiés. Rate un peu grossie. Dans les reins un grand nombre de bactéridies se divisant en coccus; le foie en contient moins, dans la rate se trouvent toutes les diverses formes transi- toires entre les bactéridies saines et les coceus. Aucun organe n’a donné de culture. Quatrième groupe. — Animaux naturellement réfractaires. EXPÉRIENCE 1. — Le 14% juillet, trois chiens sont inoculés par le sang d’un lapin charbonneux dans la plèvre droite. La température du 1 est le 414 de 380,8 — 39°,1 — 390,5, il meurt dans la nuit du 14 au 15. Le second présente aux mêmes heures 38°,1 — 409,2, et le 15, à 9 h. du matin, 382,6, on le tue en ce moment. A l’autopsie du second on trouve des foyers hépatisés (hépatisation rouge et grise) à la racine du poumon droit, une hyperémie de la rate. Il n'y avait pas de bactéridies dans le sang (les cultures sont restées stériles); dans la rate, bactéridies en voie de destruction. Les reins sont pleins de bactéridies divisées en coccus. Dans les foyers hépatisés rouges, infiltration par les leucocytes avec des bactéridies déformées très rares; dans les foyers gris, mêmes faits et, en outre, des macrophages. Les coupes des reins ont montré les bactéridies déformées dans les capillaires et leurs endothéliums entourant les tubes contournés. ExpéRIENCE Il. — Le 1° janvier 1888, un lapin est tué à une tempéra- ture de 42,7 à la suite de l'injection, en plusieurs fois, de 50e du premier vaccin dans les veines. Rate très hyperémiée, reins hyperémiés dans la limite des deux couches corticale et médullaire. Dans la rate on trouve beaucoup de bactéries dans les leucocytes et les macrophages. Dans le foie et le rein, une grande quantité de bactéries qui ont subi la métamorphose régressive. Les mêmes formes et aussi les bacilles normaux ont aussi été trouvés dans l'urine prise dans la vessie avec toutes les précautions nécessaires. Il est à remarquer que, contrairement à M. Wyssokowitch, nous avons trouvé, comme phénomène constant consécutif à la fièvre charbonneuse ou pneumonique bénigne, le passage des bactéries dans l'urine. Cette contradiction, pourtant, n’est qu'apparente, parce que M. Wyssokowitch se servait de la méthode de culture sur gélatine, tandis que nos résultats positifs sont obtenus par l'examen microscopique direct. Les cultures ÉTUDE SUR LA VACCINATION CHARBONNEUSE. D37 faites avec l’urine sont restées stériles, et les animaux inoculés restaient en vie dans nos expériences. Nous en tirons la conclusion que les bactéries passent dans l'urine à l’état déformé et mort. Nous n’en avons pas moins établi ce fait d’une grande importance théorique : les bactéries mortes sont éliminées par les reins. Cinquième groupe. — Animaux susceptibles au charbon. Dans notre travail sur la destruction des microbes dans les organismes fébricitants, nous avons relaté dans les expériences XIV, XV, XVI et XVII (V. page 236 de ce volume), que chez les lapins, pendant la fièvre charbonneuse, se produisent les mêmes phénomènes de destruction des bactéries, Nous ne rap- pellerons ici qu’un seul fait; dans ces cas de fièvre charbon- neuse chez les animaux susceptibles, on réussit toujours à avoir des cultures fertiles en prenant la semence dans les organes internes des animaux sacrifiés. Tirons maintenant les conclusions. La fièvre vaccinale, comme toute autre fièvre charbonneuse, est liée à la présence des bactéries inoculées dans les organes internes. Ces bactéries s’y trouvent à l’état normal et vivant, :ussi bien qu'à l’état déformé. — Les formes vivantes se trou- vent dans le sang du cœur et des capillaires ; les bactéries d’ap- parence normale et dans les premiers stades de dégradation peuvent être trouvées dans les macrophages de la rate, de la moelle des os et d’autres organes; les formes détruites sont rejetées dans tous les capillaires avec iocalisation principale dans la couche médullaire des reins, où les cellules endothéliales s’en emparent, probablement pour les rejeter dans l'urine. _ D’après les recherches que nous venons d'exposer, toute la différence entre une fièvre vaccinale bénigne et la fièvre rapide- ment mortelle est purement quantitative et dépend du nombre des bactéridies vivantes; tandis que dans la fièvre vaccinale la plupart des cultures, ensemencées avec les organes intérieurs reste stérile, dans la fièvre mortelle chaque culture donne des colonies virulentes. En un mot, nous avons toute raison de dire que les vaccins produisent une affection générale atténuée. D38 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. IV. — MÉCANISME DE L'ACQUISITION DE L'IMMUNITÉ. b. — Phénomènes locaux. Les phénomènes locaux, observés pendant la vaccination, à l'endroit de l’inoculation, sont tout à fait insignifiants. A l'extérieur, on ne remarque ordinairement rien, sauf la tuméfaction d'une ou de deux glandes lymphatiques inguinales, qu’on peut reconnaître au toucher. Parfois il y a un léger empà- tement ainsi qu’une rougeur à l'endroit inoculé. En incisant la peau, on ne trouve que très rarement un œdème très mince et circonscrit; généralement c’est une hyperémie du tissu cellulaire qui se trouve à l'endroit de l’inoculation. Souvent celui-ci ne peut même être distingué du reste des tissus !. Pourtant, nous savons déjà que là, au point d’inoculation, se passe un phénomène caractéristique pour la vaccination : les vaccins qui commencent par se multiplier, avant d’infecter le sang et tous les organes internes, s'arrêtent après un temps plus ou moins court (24-28 heures, à juger par la fièvre vaccinale) et dis- paraissent. Autrement dit, il se fait une culture avortée des vaccins. Les phénomènes locaux, dus à l'introduction des vac- cins, ont déjà été étudiés par M. Metchnikoff, qui a mis en lumière le rôle important des leucocytes dans la destruction locale des bactéries. Mais ses inoculations différaient des nôtres, en ce qu’elles ne conféraient point l’immunité, puisqu'elles ne pro- duisaient pas une fièvre vaccinale; M. Metchmikoff, en eflet, étudiait l'immunité déjà acquise, comparée à la réceptivité normale. Pour nous, au contraire, il était important de connaître comment s'arrête une culture déjà commencée, comment se guérit une affection charbonneuse, comment, en un mot, l'état de réceptivité se transforme en état réfractaire, et comment cette transformation s’accuse dans l'affection locale. D'après le parallèle que nous avons tracé au chapitre précé- dent entre les deux fièvres vaccinales chez les moutons dans le cours des vaccinations, entre la fièvre charbonneuse chez les 1, Pourles expériences, voir le chapitre précédent, ÉTUDE SUR LA VACCINATION CHARBONNEUSE. 539 moutons partiellement vaccinés et la fièvre charbonneuse pro- duite par le virus trop fort ou trop abondant chez les animaux naturellement réfractaires, il est clair que tous ces ordres de phénomènes sont absolument de même nature. C'est pour cela que, désireux d'étudier leur marche générale, nous avous porté notre principale attention sur les animaux réfractaires se guérissant d'une affection charbonneuse, et nous avons laissé de côté, pour le moment, les moutons vaccinés. Notre méthode consistait à inoculer, avec le virus virulent, des séries d'animaux, qui étaient sacrifiés l’un après l’autre dans les phases diverses de l'affection. EXPERIENCE [. — Le 14 octobre, à midi, quatre rats blancs sont ino- culés par une culture charbonneuse dans du bouillon. Chacun reçoit 4° sous la peau. Trois heures plus tard l'un d’eux est tué. OEdème gélatineux circonserit, dans lequel on trouve les bactéridies normales ; un petit nombre de celles- ei est contenu dans les leucocytes. La rate est d’une couleur cramoisi-foncé et contient une grande quantité de bactéridies déformées; le foie et les reins contiennent aussi des bactéridies saines. À 5 heures de l'après-midi, on tue un autre rat. Petit œdème gélatineux dans lequel plusieurs bactéridies sont déformées. La rate contient les formes atténuées : baguettes minces et courtes. Le lendemain, à midi, on sacrifie un troisième rat. OEdème granuleux au point d'inoculation, infiltration par des leucocytes et macrophages; pas de bactéridies normales, toutes sont déformées, amincies et transformées en coccus, La rate de même ne contient que des débris de bactéridies. Ainsi, l'ædème typique charbonneux, gélatineux à l’origine, se transforme en ædème granuleux grâce à l’infiltration leuco- cytaire. De même, chez les moutons qu’on vaccine avec un vaccin un peu fort, il peut se produire un œdème sous-cutané qui est d'abord mou, gélatineux, et devient progressivement toujours plus dur. Ce phénomène, du reste, s’observe plus souvent sur les moutons qui guérissent (et deviennent réfractaires) après une infection charbonneuse virulente. De l’autre côté, dans le cas contraire, quand un animal par- tiellement réfractaire succombe au charbon, on coustate l’ordre inverse des phénomènes : l’æœdème, assez dur au centre, devient gélatineux vers la périphérie. 240 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. - Ainsi, le 6 novembre, quatre rats sont inoculés sous la peau par {ce du sang charbonneux d’un lapin. Le 7 novembre, à 8 heures, un d'eux est tué. Grand œdème sous la peau de tout l'abdomen. On y trouve beaucoup de bactéridies libres et aussi dans les leucoeytes. Dans les organes internes, phénomènes ordinaires de la destruction des bactéries. À 5 heures, on tue un autre rat. Grand œdème, qui est granuleux au centre et gélatineux à la périphérie. La minorité des bactéridies qui s’y trouvent est contenue dans les leucocytes. Les deux autres rats sont morts du charbon la nuit suivante. Il n’est pas inutile de remarquer, comme cela est, du reste, expliqué dans un autre article, que, chez le même animal avec les bactéridies de virulences diverses, et avec le même virus chez les animaux de réceptivité diverse, on peut reproduire toutes les variétés de l’æœdème charbonneux, depuis l’exsuda- tion hémorragique gélatineuse jusqu’à l'infiltration leucocy- taire. Pour mieux étudier les phénomènes qui se passent à l’en- droit de l'infection charbonneuse, nous avons choisi le tissu pulmonaire du chien. Si on inocule dans le poumon d’un chien le virus charbon- neux, on détermine une affection très grave, menant souvent à la mort. Quelquefois, on ne produit de cette manière qu’une septicé- mie charbonneuse mortelle. Mais plus souvent c'est une pneu- monie fibrineuse qui se produit, avec les stades de l’hépa- tisation rouge et grise. Dans ces cas, on assiste à un combat énergique contre la bactéridie envahissante. ExpÉRIENCE. — Le 26 mars, à 10 heures, trois chiens sont inoculés par une culture charbonneuse virulente : 3°° dans la plèvre droite. Leur température avant l'infection était : nOMIAMSSLES no 2 380,5 LS RAS LU | Le 96, à 5 h. du soir, elle devient no 4 39°,6 no 20 390) n°3219901 Les jours suivants on trouve 8 h, m. D\hfs: S\h;1s: Le 27 MONS O0 380,6 380,7 n° 2 39 ,0 38 ,4 39 ,1 no19 3810 38 ,3 38 ,6 Le 28 no À 38 ,0 38 ,0 38 ,4 n° 2. 38,8 38 ,9 38 ,0 Le 29 NoAMOSS n0»2 11580) 3952 1. Ce chien avait eu une affection charbonneuse dont il était guéri. ÉTUDE SUR LA VACCINATION CHARBONNEUSE. D41 Le n° 3 est mort dans la nuit du 27 au 98. A l’autopsie, on trouve le sang et les organes internes remplis de bactéridies normales. Le no 1 à été sacrifié le 29, à 9 heures du matin. On a trouvé une portion hépatisée dans le poumon droit. Les autres organes avaient l'aspect normal. Dans le tissu hépatisé, le microscope a révélé l'infiltration par les cellules microphages et macrophages en grande quantité. La bactéridie existait presque exclusivement sous les formes dégénérées de coceus et de petites baguettes très fines. Les mêmes formes se trouvèrent dans les autres organes. Pourtant, les cultures faites sur gélose avec le tissu hépa- tisé et la rate, ainsi que l'infection des souris avec ces deux organes, ont donné des résultats positifs. ExPÉRIeNcE. — Le 14 juillet, à 10 heures du matin, deux chiens sont ino- culés par 2% du sang charbonneux d’un lapin dans les plèvres droites. 9 h. m. DURS: DNh°ES Températures n° 1 380,8 So 390,5 du 14. n° 2 01 38 ,9 40 ,2 a Le 15, on trouve le no 1 mort pendant la nuit. Le n° 2 marque 380,6 9 heures du matin, il a l'air tout à fait bien portant. Il est sacrifié à 10 heures. Autopsie du n° 1. — Pelit œdème gélatineux blanc sur les côtes à l'endroit de l’inoculation. Une partie du lobe supérieur du poumon droit est hépatisé, les autres organes ont l'aspect normal. Le sang du cœur ne contenait pas de bactéries (une culture sur gélose est restée stérile). Le tissu hépatisé est infiltré par les leucocytes en grande quantité, entre lesquels et dans lesquels se trouvent toutes les formes de la bactéridie diminuée et segmen- tée; on trouve aussi des bactéridies normales, mais amincies. Le tissu pulmonaire autour de l'hépatisation contient aussi une infiltration leuco- cytaire; les bactéries sont absentes. Dans les autres organes, on trouve les phénomènes ordinaires de la destruction et de l'élimination des bactéries. Autopsie du n° 2. — Hépatisation rouge avec des parties grises à la racine du poumon droit. Rate tuméfiée et hypérémiée. Le sang du cœur ne contient rien (les cultures restèrent stériles). Les portions à hépatisation rouge sont infiltrées par les leucocytes, et ne contiennent que très peu de bactéridies qui sont totalement déformées. Dans l’hépatisation grise, on trouve aussi les macrophages. Dans la rate se rencontrent les bactéridies en voie de destruction, les reins contiennent des bactéridies transformées en CocCus. On voit ainsi partout les mêmes phénomènes : l'infection charbonneuse conduit à l'immigration des leucocytes suivis par les macrophages. 42 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. I nous resterait à répondre à une question de très grande importance théorique. Les bactéries déformées sont-elles toutes contenues dans les cellules phagocytaires, ou bien leur méta- morphose régressive s’accomplit-elle en dehors du corps cellu- laire? Malheureusement, mes recherches ne me permettent pas de résoudre cette question d’une manière précise. Cependant, l'histoire des œdèmes charbonneux chez les rats qui ont présenté d’une manière typique et uniforme les changements régressifs des bactéries nous a paru très instructive à ce point de vue. Cette métamorphose régressive avait l’air d’avoir lieu en dehors du corps cellulaire, puisqu'elle était survenue uniformé- ment dans les grands amas des bactéridies. Cependant, la colo- ration de celles-ci sur les coupes ne nous a pas réussi, ce qui nous empêche de nous prononcer d’une manière décisive. V. — LA THÉORIE DE LA FIÈVRE VACCINALE. Nous avons vu dans les chapitres précédents que la vaccina- tion consiste en une multiplication des vaccins, à l’endroit de l’inoculation, suivie par une immigration cellulaire; en un pas- sage des vaccins dans le sang et dans les organes internes ; en leur destruction, qui se fait par la métamorphose régressive avec le type principal de la dissolution; enfin, en une élimination des formes détruites par les reins. Il nous reste à rechercher la causalité et la signification de ces faits. Il n’est pas douteux que le développement local des vaccins ne soit arrêté par l'influence leucocytaire. Pour le prouver, nous n'avions qu’à imiter l'expérience classique de M. Metchnikoff, qui introduisait les germes char- bonneux dans l’œil des animaux réfractaires, et qui constatait leur développement, suivi de l'émigration cellulaire et de phago- cytose {. Si ce sont les cellules leucocytaires qui, infiltrant l'endroit de l’inoculation, arrêtent la multiplication microbienne et cou- pent la fièvre vaccinale, on devait s'attendre alors à trouver une fièvre beaucoup plus intense, en introduisant les mêmes vaccins 4. Voir ce Recueil, n° 7, 4887. ÉTUDE SUR LA VACCINATION CHARBONNEUSE. D43 dans la chambre antérieure de l'œil, où la leucocytose ne peut se faire que très lentement. C’est ce que nous avons constaté, en effet. Le premier vaccin, introduit dans la chambre antérieure de l'œil d’un mouton, provoque une fièvre intense qui monte à 420 et qui dure 4 à 5 jours, parfois mème toute une semaine. De mème, chez le lapin qui est tout à fait insensible à l’action du premier vaccin, on peut ee: produire une fièvre légère par l’inoculation dans lœil. Ainsi, le 17 décembre, deux lapins sont inoculés sous la peau chacun par 1°° du premier vaccin. Leur température resta normale les trois jours suivants, se tenant entre 399,3 et 390,8. Le 21 décembre, on leur inocule 1/8: du même vaccin dans l'œil droit. Le même soir, leur température monte à 40°, et 40°,7, pour tomber à 39°,4 et 399,5 le lendemain. Le 31 décembre, à 10 heures du matin, un autre lapin est inceculé par le premier vaccin dans l'œil droit. La température est à 10 b. LA RME A 1 4 h. hi dhie 10h s? de r2901:2,.380:8 01390 1 380,5 1 400: Æ TA x) 39009 Chez le chien aussi, le virus charbonneux introduit dans l'œil détermine souvent une fièvre Nous nous croyons autorisé à tirer de ces faits la conclusion que le développement local des vaccins pendant la vaccination est arrêté par l'immigration leucocytaire. De cette manière, seulement, on peuts’expliquer comment les vaccins qui commencent à se multiplier dans un organisme sus- ceptible, finissent par être détruits comme dans un animal réfrac- taire. Pour aller plus loin, il faut expliquer comment se produit cet arrêt local des vaccins et quelles forces conduisent à leur méta- morphose régressive ? Se ferait-il, par suite de l'immigration leu- cocytaire, un changement, nuisible aux vaccins, dans leur liquide de culture, ou bien sont-ce uniquement les cellules blanches elles- mêmes qui réduisent les vaccins par une action phagocytaire? Nous avons fait un grand nombre d'expériences de culture 44 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. de la bactéridie charbonneuse dans le liquide retiré de l'œil des moutons inoculés dans cet œil ou sous la peau. Ces recherches nous autorisent à conclure qu’un changement nuisible à la eul- ture bactéridienne peut être démontré expérimentalement. Le liquide était retiré de la chambre antérieure de l'œil avec des pipettes flambées, qui étaient ensuite fermées à la lampe à leurs bouts effilés ; en retirant le coton de l’autre bout on y semait les germes charbonneux ; le coton était ensuite remis à sa place et recouvert par une coiffe de caoutchouc, afin d'éviter l’évaporation. Le 20 décembre, dans un liquide pris dans l'œil d’un mouton qui, inoculé dans cet œil par le premier vaccin, venait d'avoir une fièvre vaccinale, on sème les germes charbonneux. Le 21,les germes ont poussé, mais au lieu d’une culture nor- male, ils ont produit toutes les formes régressives déjà con- nues, c'est-à-dire les bactéridies divisées en petits tronçons gonflés et pâles, et notamment les bacilles amincis, quatre fois moins larges, et même davantage, que la bactéridie normale *. Dans les cultures, faites dans des conditions identiques avec le liquide de l'œil des moutons frais, nous n’avons jamais trouvé de formes amincies. Les formes gonflées et pâles peuvent y être trouvées quelquefois, quoique en quantité infiniment moindre ?. Il résultait de cette expérience qu'il y avait dans notre liquide un changement qualitatif nuisible à la bactéridie. En outre, nous avons remarqué que cette modification ne se bornait pas à l'œil inoculé : le liquide, pris dans l’autre œil du même mouton, donnait aussi des cultures à type régressif. 4. Les expériences de M. Nuttall (Zeitschriftf. Hygiene, 1888), qui s’est occupé d’une question semblable à la nôtre, diffèrent de nos expériences sous plusieurs rapports : 4° M. Nuttall étudiait l’action instantanée de ses liquides de culture, tandis que nous examinions nos cultures après 24 et 48 heures passées à 550; 2 M. Nuttall n’a pas fait d'expériences de contrôle, consistant dans l’étude de l'action immédiate de divers bouillons ordinaires. Toutes nos expériences étaient comparatives; 3° M. Nuttall n’a observé que les formes dissolulives, tandis que le plus frappant phénomène dans nos expériences était la présence des formes atlenuees. On va voir que nos résultats sont tres différents aussi. 2. On sait, du reste, que le liquide, pris dans la chambre antérieure de l'œil, est un des meilleurs milieux nutritifs pour la bactéridie charbonneuse. ÉTUDE SUR LA VACCINATION CHARBONNEUSE. D45 Or, par des expériences réilérées, nous avons avons réussi à trouver les conditions de cette modification : elle se produit par suite de la fièvre vaccinale. Chaque fois qu’une infection sous-cutanée ou autre, par le premier ou le deuxième vaccin ou par le virus charbonneux, dé- termine une fièvre manifeste (de 1 ‘/; à 2 degrés), on trouve que le liquide oculaire devient impropre, pour un certain temps, à la culture charbonneuse. Cette modification devient d'autant plus manifeste que la fièvre précédente était plus considérable. Voici à titre d'exemples quelques expériences : Le 24 février, le sang charbonneux d’un lapin est semé dans les liquides oculaires, pris chez deux moutons qui venaient d’avoir une fièvre vaccinale légère (au maximum de 40°,6) par suite de l’introduction du deuxième vaccin dans les yeux. Quel- ques formes régressives ont été trouvées le lendemain, dans les cultures faites avec les liquides des yeux inoculés. Le 25 février, on prélève du liquide, vers la fin de la fièvre charbonneuse, dans l'œil d’un mouton qui a été inoculé la veille par le virus charbonneux sous la peau. Le 25, à 8 heures du matin, la température du mouton était de 41°,4; à 5 heures du soir, de 41°,3. Le liquide est stérile. On y sème le charbon, pris dans une culture faite avec la rate d’un lapin charbonneux. Le 26 février, la culture présente tous les degrés de destruc- tion de la bactéridie charbonneuse. Pourtant elle a conservé la virulence, puisque inoculée à un lapin, elle l’a tué. Le 1° mars, la même culture de la rate charbonneuse est semée dans un liquide pris chez un autre mouton après la fin d’une fièvre charbonneuse très forte, causée par l’inoculation sous-cutanée. Le lendemain, cette culture n'a présenté que des formes régressives, diminuées et dissoutes. La gélose, ense- mencée par elle, est restée stérile et le lapin inoculé n’est pas mort. Le 1° mars, un chien est tué après une fièvre charbonneuse. La culture charbonneuse est semée dans les pipettes remplies par le liquide de la chambre antérieure de l'œil du même chien. Des expériences comparatives m'ont montré qu'avec des chiens frais on n'obtient que des cultures normales dans ces condi- tions. Ces cultures présentent le lendemain des formes régressives 546 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. avec une grande quantité des bactéries à fourreau !. Chaque jour on les recultive dans le même liquide et, le 5 mars, on en ensemence de la gélose. Le 5, cette dernière culture est inoculée à un lapin qui reste en vie. Des expériences parallèles ont été faites avec le même résultat sur le sang de ce chien. On voit ainsi que pendant la fièvre qui accompagne la des- truction de la bactéridie charbonneuse, il se produit une modi- fication chimique dans les liquides de l’organisme fébricitant, nuisible à la culture de la bactéridie. D’après nos expériences, cette modification peut persister jusqu'à 14 jours. Mais d'un autre côté, elle n'existe plus après un mois, passé après la fièvre. Maintes fois, nous avons étudié sous ce rapport le liquide oculaire, pris chez les moutons vacci- nés un mois et davantage auparavant, et il nous a toujours donné des cultures charbonneuses normales. Il y a à ajouter un fait important : les animaux, morts char- bonneux, ne nous ont pas présenté cette modification antisep- tique, mème après une fièvre charbonneuse prolongée. Dans ces cas, le liquide oculaire peut ne pas contenir des bactéridies, mais, ensemencé, il donne de belles cultures. Il s'ensuit que le développement de la bactéridie détruit cette modification anti- septique *. Revenant maintenant à notre question sur les relations entre la destruction des bactéridies et l'immigration cellulaire au point d’inoculation, nous voyons qu'elle n’a pas reçu de réponse directe, et qu'à la place, nous avons trouvé une relation qui lie la fièvre à une modification chimique antiseptique des liquides de l’économie. Nous pouvions nous attendre à un pareil résultat, car vu la diffusion rapide qui se fait dans le corps vivant, il ne saurait y être question d’une modification chimique locale des liquides, et notre investigation ne pouvait y déceler qu'une 4. Voir leur description dans le premier chapitre, ainsi que dans ce volume, p- 236. , 2. Signalons ici quelques particularités des cultures que nous venons de décrire. D'abord, on remarque souvent macroscopiquement, avec ces liquides oculaires ainsi modifiés chimiquement, que les cultures charbonneuses, au lieu de s’immer- ger en flocons, s'étalent en nappe à la surface du liquide. Puis, il est étonnant de voir avec quelle rapidité les bactéridies forment les germeS dans ces conditions : en moins de 20 heures. Du reste, ce dernier fait se retrouve souventavec le liquide oculaire normal. ÉTUDE SUR LA VACCINATION CHARBONNEUSE. D47 modification qui retentisse sur toute l’économie, comme le fait la fièvre charbonneuse. Cette fièvre elle-même et l'immigration cellulaire ne consti- tuent du reste que deux aspects d’un seul etmème phénomène, la réaction organique contre l’invasion des microbes, et comme on peut croire que les mêmes armes servent aux cellules leuco- cytaires pour le même combat sur des champs de bataille différents, j'attribue aux leucocytes émigrés au point d’inocu- lation, ainsi qu'àceux de la rate et de la moelle des 08, dans les organismes fébricitants, la faculté d’excréter une substance qui contribuerait à l’arrèt de la végétation parasitaire. lei se présente une question importante. Pourrait-elle, cette substance antiseptique, agir par elle seule, et arrêter l'infection bactéridienne en dehors de l'influence leucocytaire ? On peut rendre un mouton tellement réfractaire au charbon qu'il n’a plus de fièvre, même après l'inoculation de quantités considérables de virus charbonneux. Dans ce cas, l'injection sous-cutanée virulente n’est suivie d'aucune réaction locale appré- ciable : on ne constate aucun œdème ni aucune tumeur au point d'inoculation. En recueillantla sérosité sur ce point, on n'y trouve pas d'immigration cellulaire, et cinq à douze heures après l'injection, nous y avons pourtant constaté de nombreuses formes dissoutes des bactéridies, en dehors des leucocytes, qui étaient très rares. Mais ces cas sont exceptionnels. Si on avait inoculé plus de virus, ou du virus plus fort, on aurait retrouvé la fièvre, l’æœdème granuleux au point d’inoculation, et tous les phénomènes de la leucocytose. Concluons done que l'antisepsie chimique que nous avons découverte, et qui est passagère el incomplète, ne peut pas servir à elle seule à expli- quer l’état réfractaire absolu et persistant. Je n’ai aucune donnée précise sur la nature de cet antiseptique. J'ai cherché vainement jusqu'ici à l’assimiler à un ferment peptique. Comme dans un travail antérieur ‘ j'avais présenté la fievre comme une réaction cellulaire, dirigée contre l'invasion des microbes, et comprenant dans son mécanisme l'action d’une substance pyrogène, on pourrait supposer que c’est la même substance qui jouit des propriétés pyrogènes et antiseptiques. 4. Voir ces: Annales, t. II, p. 229. D48 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Mais tout ceci est délicat et demande beaucoup de réserve. N’ou- blions pas que l'acide carbonique qui sature les tissus pendant la fièvre peut aussi jouer un rôle nuisible pour le développement de la bactéridie charbonneuse, et même qu’on.peut lui attribuer à la rigueur quelques-uns des faits relatés dans ce chapitre. VI. — LA THÉORIE DE L'IMMUNITÉ ACQUISE. Notre point de départ dans l'étude de la vaccination charbon- neuse a été la théorie phagocytaire, d’après laquelle l’immunité proviendrait de l'habitude prise par les globules blancs de digérer les microbes pathogènes *. Les recherches que nous venons d’exposer ne sont pas tout à fait favorables à cette manière de voir. Les savants (Metchnikoff, Hesse), quiont étudié le mode de réaction des organismes réfrac- taires au charbon, attribuent aux microphages, c’est-à-dire aux leucocytes à noyau fragmenté, le rôle actif dans la destruction de la bactéridie. D’après nous, au contraire, ce sont toujours les macrophages qui servent à la destruction des vaccins charbon- neux dans les organes internes. Il faut donc chercher l'explication de l'immunité acquise ailleurs que dans l'habitude prise par les leucocytes de digérer les microbes pathogènes. C'est à quelque fait dépendant de la vie des microbes, et non de la façon dont ils sont digérés, que nous devons nous adresser. On a dit * que l’inoculation de quantités très grandes de bactéridies mortes pouvait conférer l’immunité. L'expérience prouve le contraire. Ainsi, le 6 décembre, j'inocule à 2 lapins 12ec d’une culture du second vaccin, stérilisée par un chauffage de 20 minutes à 120°, et,le 9 décembre, à 4 autres lapins, 12 et 24cc d’une culture stérilisée de charbon virulent, remplie de flo- cons bactéridiens. Ces six animaux, inoculés le 17 décembre par une culture charbonneuse, succombent au charbon comme deux lapins témoins, inoculés en même temps. 4. Voir dans ces Annales, t. I, p. 321, le Mémoire de M. Metchnikoff. 9, Voir Wyssokowircn, Vratch., 1888. Mémoire curieux, où l’auteur prétend avoir trouvé la théorie phagocytaire avant M. Metchnikoff et la vaccination chimique avant les élèves de M. Pasteur. Quant aux quelques expériences que contient cet article elles sont au-dessous de toute critique. Par exemple, pour contrôler l'immu- nité acquise des moutons, l'auteur emploie comme témoin un lapin. ÉTUDE SUR LA VACCINATION CHARBONNEUSE. 949 De même on fait avec une culture charbonneuse stérilisée les inoculations suivantes dans la veine de l'oreille : Le 20 dé- cembre, un lapin reçoit 22°; trois autres, chacun 44%. Le 23, 2 lapins, chacun 50; le 24, 3 lapins, 50° chacun. Le 30, deux de ces derniers lapins recoivent encore 30° chacun. Tous ces lapins, inoculés plus tard à divers intervalles avec le virus char- bonneux ou le second vaccin, ont tous succombé au charbon. Le 22 et le 24 décembre, deux lapins reçoivent chaque jour 15° d’une culture charbonneuse stérilisée, soit, en tout, 1506. Inocalés le 27 janvier par du virus charbonneux, en même temps qu'un lapin témoin, les trois animaux succombent le 29 au char- bon. La digestion de 150°° de culture de bactéridie ne confère donc aucune immunité. La vie de la bactéridie est donc nécessaire pour que sa des- truction puisse conférer l’'immunité. En d’autres termes, des deux phénomènes de la vaccination, multiplication des vaccins et leur destruction dans les organes, c’est le premier qui est important pour l’acquisition de l’immunité, et puisque c’est le vaccin vivant qui agit, ce ne peut êlre que par ses produits spécifiques qui n'existent pas dans les cultures stérilisées, puisque celles-ci sont tolérées sans aucun symptôme morbide. On arrive à la même conclusion en étudiant la réaction locale. Les bactéridies mortes, injectées sous la peau des lapins, ainsi que les bactéridies vivantes chez les animaux réfractaires, produisent localement une immigration leucocytaire qui peut même aboutir à un abcès, si la quantité de bactéridies injectées est suffisante. Ce n’est donc pas dans cette immigration cellulaire qu'il faut chercher l'explication de l’immunité, mais bien plutôt dans le phénomène contraire, dans l’exsudation plasmatique qui se fait chez les animaux susceptibles, dans lœædème charbonneux. En étudiant comparativement cet œdème, avec le charbon virulent chez les animaux diversement réfractaires et avec des virus de virulence croissante, chez une même espèce animale, on constate les faits suivants : La bactéridie morte et la bactéridie atténuée chez les ani- maux susceptibles, la bactéridie virulente chez les animaux ré- fractaires, ne produisent que ce que j'ai nommé l'œdème granu- leux, c'est-à-dire une infiltration leucocytaire abondante. 5) 90 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. La bactéridie virulente chez les animaux susceptibles produit un œdème plasmatique qui est incolore ou jaunâtre avec la bactéridie d’une virulence moyenne ‘ et hémorragique avec la bactéridie très virulente ?. On s’expliquerait très bien ces phénomènes en admettant que la bactéridie virulente a la propriété, comme telle, de former un poison produisant une exsudation plasmatique, et qui n’existe pas dans la bactéridie tuée. Les animaux réfractaires seraient réfractaires à ce poison et les animaux vaccinés seraient habitués à l’intoxication. Cette habitude se manifesterait le plus visiblement pour les cellules endothéliales des capillaires, puisque ce sont elles qui régissent l’exsudation, mais elle ne se bornerait pas à ces cellules. Nous pouvons mème faire un pas de plus et essayer de pré- ciser la nature de cet agent toxique : on a le droit de penser que c’est un alcaloïde et qu'il est en même temps l'agent de la mortpar le charbon. On peut, en effet, avec un alcali quelconque, reproduire, grosso modo, les phénomènes principaux de l'infection charbon- ueuse, c’est-à-dire l’œdème et l’abaissement de la température”. On peut aussi, avec des alcalis plus ou moins énergiques, repro- duire l’ædème hémorragique jaunâtre ou incolore. Aiïnsi, le 1° août, à 10 heures du matin, j'inocule 1 cent. cube d’ammoniaque du commerce sous la peau d’un lapin. Voici le 4 relevé de ses températures *, 9 h. 45 m. 390,3 Durs 380,3 10 h. 399 2 h. 30 m. 38 ,2 10 h. 30 m 39 ,0 Sn Sul il h non h. 30 m. 36 ,8 eh 080 38 ,6 4 ch 38 12%hs SON 4 h. 30 m. 91,9 12%h/#30%m:. 280 Dh 90m 31 .6 eh: 38 .6 6 h. 101 10h30 °m: 38 ,4 12h: 31 ,3 mort. 1. Le deuxième vaccin, par exemple, chez les moutons et les lapins, produit assez constamment un œædème incolore. 2. Cet œdème hémorragique s’observe fréquemment chezle mouton, tandis que le lapin succombe souvent avec une réaction très limitée, mais il y a toujours une suffusion hémorragique au point d'inoculation. 3. La fièvre n’est que la réaction organique, tandis que l’abaissement de la température est l'effet direct de l'infection. V. ces Annales, t. II, n° 5. 4. À comparer avec la température des lapins, inoculés avec l’œdème charbon- neux. V. ces Annales, t. II, n° 5. ÉTUDE SUR LA VACCINATION CHARBONNEUSE. D91 A l’autopsie, on trouve un œdème gélatineux hémorragique très abondant à l'endroit de l'inoculation. On voit donc qu'on a le droit d'attribuer à un alcaliles phéno- mènes locaux et généraux de l’inoculation charbonneuse. Du reste, M. Hesse a réussi à isoler un alcaloïde des cultures du char- bon; malheureusement il n’a pas étudié son action vaccinatrice. Nous résumerons tout ce qui est exposé dans cet article dans les conclusions suivantes : La vaccination charbonneuse est un effet de la vie et de la multiplication des vaccins dans le corps des animaux. A cette reproduction est nécessairement liée la formation de produits toxiques, peut-être d’alcaloïdes spécifiques, et elle se traduit au dehors par les phénomènes de la fièvre vaccinale. Cette culture passagère des vaccins dans le corps a pour effet l’assuétude de toute l’économie vis-à-vis de l’action nocive spé- cifique de la bactéridie charbonneuse. Cette assuétude se fait probablement dans toutes les cellules : nerveuses, leucocytaires et endothéliales. Habituées à ce poison, ces cellules ne se para- lysent plus par son action, et peuvent se comporter vis-à-vis de la bactéridie virulente comme vis-à-vis d’une bactérie banale ou d’un corps étranger quelconque. Aïnsi par exemple, les cellules endothéliales des capillaires, au lieu de se contracter pour laisser échapper l'exsudation séreuse, ne laissent passer que les leuco- cytes, et ces derniers, au lieu d’être paralysés dans leurs fonc- tions, détruisent énergiquement les microbes et sécrètent peut- être une substance antiseptique. Cette explication de l’immunité acquise me semble la seule qui rende compte de tous les faits de la vaccination par éléments _figurés, de celle qui a fait l’objet de notre étude, et qui soit en accord avec l'existence de la vaccination chimique. VIBRIO METSCHNIKOVI SON MODE NATUREL D’INFECTION Par M. N. GAMALÉIA Dans un article précédent (V. ce vol., p. 482) nous avons fait l'histoire d’une maladie naturelle des poules qui offre beaucoup d'analogie avec le choléra asiatique. Dans sa marche clinique on trouve comme symptôme constant l’abaissement de la tem- pérature du corps ‘,ce qui est caractéristique aussipourle choléra humain; on peut constater de même la diarrhée et les mouve- ments péristaltiques de l’estomac qui font que le gosier, quia la réaction légèrement alcaline à l’état normal, a toujours la réac- tion fortement acide chez les poules et les pigeons morts de cette maladie nouvelle. L'anatomie pathologique des deux formes morbides a des ressemblances encore plus grandes : inflammation aiguë de tout le canal digestif, se localisant surtout dans les portions de l’intes- tin les plus voisines de l'estomac; dans l'intestin, liquide copieux avec flocons d’épithéliums exfoliés ; rate petite et pâle; absence complète des bactéries dans le sang des animaux adul- tes. De plus, parenté étroite dans la cause du mal qui, établie | -expérimentalement pour la maladie des poules, est devenue très probable pour la maladie humaine, car des deux côtés, ce sont des vibrions qui ne diffèrent entre eux que par des caractères peu importants, caractères d'adaptation que l’expérimentateur peut souvent modifier à son gré?; enfin, comme dernier signe d’une 4. Dans mon article précédent, p. 482, il faut lire, au lieu de « température voi- sine de la normale » : température au-dessous de la normale, comme cela est du resté indiquée par les chiffres de 41°-380. : 2, Voir notre article sur la vaccination charbonneuse dans ce même numéro. VIBRIO METSCIINIKOVI. 903 connexion très étroite de deux formes, elles se laissent mutuel- lement vacciner l’une contre l’autre. On devait conclure de toutes ces analogies qu’on pourrait rencontrer des points semblables dans l’étiologie des deux maladies et plus particulièrement que la maladie expérimentale pourrait servir à la solution des nombreuses questions laissées indécises par l'étude de la maladie humaine. < On sait notamment que la découverte de M. Koch a conduit à un désaccord évident entre la bactériologie et l’épidémiologie du choléra. L'étude épidémiologique avait conclu que le choléra n’est pas contagieux, que pour pouvoir devenir infectieux, son germe doit mürir dans le sol, ce qui exige chez celui-ci des propriétés spéciales ; que du sol le germe morbide devait pénétrer dans l'air, qui est le véhicule probable de la contagion épidé- mique. La bactériologie au contraire n'a admis qu'un seul mode d'existence pour la virgule cholérique, qui ne devait pas avoir de germes, et un seul mode d'infection, l'infection par l’es- tomac. Encore y avait-il là quelques difficultés, car les bactéries de Koch périssent très facilement dans un milieu acide. Il avait donc fallu admettre, pour sauver du naufrage le pouvoir patho- gène des bacilles-virgules, que les cholériques s’infectaient seu- lement lorsque, par indigestion ou par excès dans leur régime, disparaissait la réaction acide de leurs estomacs. On était ainsi conduit à une fausse interprétation des diarrhées prémonitoires des épidémies, considérées auparavant comme les premiers symptômes d'une infection, envisagées maintenant comme les causes prédisposantes nécessaires. D’après cette courte analyse, on voit facilement que l’étio- logie du choléra est loin d’être élucidée par la découverte du bacille-virgule. Or, il arrive que notre maladie cholérique des poules est très instruclive au point de vue de ces questions éliologiques. Notre maladie n’est pas contagieuse. Maintes fois, nous avons laissé des pigeons, des poulets et des cobayes neufs dans les mêmes cages que les animaux malades de la gastroentérite cholé- rique, et ils n’ont /amais contracté la maladie ; inoculés, quel- que temps après, ils mouraient avec les lésions habituelles. D'un autre côté, les résultats obtenus par l’inoculation sous-cutanée 554 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. et intramusculaire, plaident contre l’idée de la contagion immé- diate. Cette inoculation, mortelle sans exception pour les pi- geons, ne l’est plus pour les poulets et encore moins pour les poules. Ces dernières ne sont tuées dans ce mode d'infection que par des doses massives, impossibles à rencontrer dans la nature. Ainsi,les jeunes poulets exigent, pour une inoculation mor- telle, plus d’un centimètre cube d’une émulsion dans du sang de pigeon de passage, tandis que les poules adultes supportent impunément jusqu'à 3° injectés à la fois dans les muscles. Il est évident que ce mode d'infection, siinefficace même avec notre virus renforcé’, ne peut jouer aucun rôle dans la nature. On pouvait croire que notre maladie, qui se localise exclusi- vement dans l'intestin, a sa porte d’entrée directe dans le canal digestif, par la bouche et le gosier. En effet, nous avons réussi à reproduire très facilement l’in- fection mortelle chez les poulets en leur offrant à boire des cul- tures de vibrions ou le sang d'un pigeon de passage (V. p. 466). Mais nous avons bientôt renoncé à attacher de l'importance à ce mode d'infection par le gosier, car il ne peut faire mourir que les poulets très jeunes. Les poulets un peu grandis devien- nent manifestement malades, mais ne meurent pas, et les poules adultes, au contraire, comme les pigeons adultes, ne sont aucu- nement incommodées par des quantités très grandes (plusieurs centimètres cubes) de virus mangé et bu, et n’acquièrent même pas l’immunité par suite de cette infection. Si donc on se bornait aux trois modes d'infection précédents : inoculation sous-cutanée, intramusculaire, et nourriture, l’étio- logie de notre malade resterait tout aussi obscure que celle du choléra asiatique ; d'autant plus que, dans notre cas, on ne pou- vait recourir à des indigestions pour avoir la réaction alcaline des premières voies : le contenu du gosier des oiseaux est alca- lin à l’état normal. De plus, notre virus de passage, employé pour l'infection des poules, est plus virulent que celui qui se trouve dans la nature, et pourtant, nous n’avons pas réussi à réaliser l'infection mortelle des poules. Celle-ci se rencontre cependant très souvent dans la nature, et nous avons observé des épizooties sur les poules adultes qui 1. Voir ces expériences, page 485 de ce recueil. VIBRIO METSCHNIKOVI. D00 en emportaient 10 0/0 dans les poulaillers. Pour expliquer ces épizooties, il fallait donc rechercher un mode d'infection plus efficace. Nous avons trouvé, en effet, que l'introduction intrapulmo- naire du virus, qu'elle soit faite par la trachée ou à travers les parois de la poitrine, constitue un mode d'infection de beaucoup plus dangereux que tous les autres. Introduits dans les poumons, les vibrions de Metschnikoff tuent non seulement les pigeons, les cobayes et les poulets, mais aussi les animaux les plus résis- tants, comme les poules et les lapins. Nous citerons iei quelques expériences. Le 18 septembre, un pigeon est inoculé par la trachée avec le sang d’un pigeon de passage (1/4 de c. c.). Ce pigeon meurt la nuit. A l’autopsie on trouvel’intestin cho- lérique, la rate exsangue, une hyperémie en foyers des poumons, une exsudation pleurétique séreuse. Dans le sang, dans l’exsu- dation pleurétique, dans le contenu intestinal, on constate l’exis- tence des vibrions de Metschnikoff. Le contenu intestinal sert à l'inoculation intratrachéale d’un pigeon frais qui meurt la nuit suivante. On lui trouve à l’autopsie les mêmes lésions, sauf celles de la cavité thoracique; les poumons ont l'apparence nor- male. Son sang donne une culture pure des vibrions de Metsch- nikoff. Le 14 septembre, deux poules sout inoculées par la trachée avec 1 de sang de pigeon de passage. Elles meurent pendant la nuit, en présentant à l’autopsie les lésions habituelles de la gastroentérite cholérique avec les poumons hyperémiés par îlots. Le 30 septembre une poule et un coq sont inoculés par la trachée avec 1° de sang de pigeon de passage. Le coq meurt la même nuit et la poule le 2 octobre. A l'autopsie on leur trouve les lésions habituelles de la gastro-entérite cholérique. Le 2 octobre, deux poulets, âgés de 3 ou 4 mois, sont inocu- lés à travers le larynx par 1° de sang de pigeon de passage. Ts meurent la mème nuit de la gastroentérite cholérique. On voit ainsi, que ce nouveau mode d'infection est doué d’une gravité extrème, suffisante pour foudroyer en 20 heures une poule adulte. Comme c’est, du reste, le seul mode d’infec- 906 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. tion qui reproduit l’affection mortelle des poules, nous sommes obligés de conclure que c’est Tui qui a lieu dans la nature. D'un autre côté, nos ee précitées prouvent que les vibrions de Metschnikoff ont de la prédilection pour la localisa- tion intestinale; quoique injectés dans les poumons, c’est dans le contenu intestinal qu'ils vont se cultiver pour produire l'intoxi- cation cholérique. Cette localisation de prédilection ne se fait pas seulement à la suite de l'injection pulmonaire; elle est l'apanage des vibrions de Metschnikoff quel que soit le mode de leur inoculation. Nous en avons donné des preuves en ce qui concerne l'inoculation intramusculaire et trachéale des pigeons. Voici quelques autres exemples : Le 22 juin, un jeune lapin est inoculé sous la peau par 2+ de sang de pigeon de passage. Il meurt le 24 juin. A l’au- topsie, on lui trouve un œædème gélatineux jaunâtre à l'endroit de l’inoculation, une rate hyperémiée, tout l'intestin inflammé et rempli d’un liquide jaunâtre avec des flocons d’épithélium. L'examen microscopique révèle des bacilles-virgules, rares dans le sang, et très abondants daus le contenu intestinal. Le 26 juin, un spermophile est inoculé dans le péritoine par 1® du sang de pigeon de passage. Il meurt le lendemain en présentant une hyperémie de l'intestin, qui est rempli d'un liquide abondant. Dans son sang et son intestin, on trouve Îles vibrions de Metschnikoff. On peut donc affirmer en règle générale que le vibrion de Metschnikoff a une prédilection pour la localisation intestinale, quelle que soit sa porte d'entrée. Nous voyons iei nettement la fausseté d'une des prétendues lois de Wyssokowitch qui n'ad- mettait pas le passage des bactéries dans l'intestin *. Ainsi se trouve résolue la question que nous nous sommes posée au commencement de ce travail. L'infection naturelle des poules par la gastro-entérite cho- lérique se fait très probablement à travers les voies aériennes. Passant par les poumons, les vibrions de Metschnikoff vont dans l'intestin pour y produire des lésions spécifiques. 1. Disons en passant que les autres « lois » nous semblent tout aussi fausses ; nous avons constaté, par exemple, l'élimination des bactéries charbonneuses et pneumoniques mortes par l'urine. VIBRIO METSCHNIKO VI. 597 Revenant maintenant aux dissentiments signalés entre la bactériologie et l’épidémiologie du choléra asiatique, nous voyons que l’analogie avec notre maladie des poules plaide en faveur de la thèse épidémiologique. Dans un travail prochain, nous prou- verons, par des recherches expérimentales directes sur l'étiologie du choléra asiatique, que cette analogie se vérifie en tous points. Avant de terminer, nous voudrions tirer quelques consé- quences des faits que nous venons d'exposer. Nous avons trouvé que l'inoculation laryngienne des pigeons est une excellente méthode expérimentale pour la recherche des vibrions de Metschmikoff. Nous avons cité plus haut une expérience, où une injection, faite avec le contenu intestinal d’un pigeon cholérique, et malgré la présence d'un grand nombre de bactéries différentes, a reproduit néanmoins une gastro-entérite classique. Or, avec d’autres modes d'infection, on ne réussit pas à la reproduire avec des cultures impures. D'un autre côté, cette sensibilité très grande de tous les ani- maux vis-à-vis de l'introduction pulmonaire du virus nous force à revenir sur nos expériences de l'infection des cobayes par la nourriture. (Voir ce recueil, p. 486.) Il est bien probable, que les cobayes morts se sont infectés par les poumons où le virus pouvait très bien arriver par la bouche. Cela est d'autant plus probable, que dans ces cas on constate souvent une pleurésie séreuse. RECHERCHES SUR LE POLYMORPHINME DU CLADOSPORIUN HERBARUM, Par M. E. LAURENT. Il existe parmi les champignons une foule de formes d’orga- nisation peu compliquée, très répandues dans la nature, et qui depuis longtemps ont attiré l'attention des botanistes. Ce sont les Hyphomycètes ou Mucédinées. Les uns, au début des études cryptogamiques, les considéraient comme des champignons com- plets, autonomes, et en décrivaient les aspects si variés comme autant d'espèces distinctes. D’autres, à une époque qui n’est pas si lointaine, admettaient pour ces organismes un polymorphisme presque indéfini. Par leurs caractères souvent peu distincts, la succession de leurs formes sur un même substratum, les Hyphomycètes sem- blaient se prêter à merveille à ce transformisme. IL fallut les recherches de de Bary, de M. Brefeld et de M. Van Tieghem pour ramener les esprits à des idées plus saines. Comme il advient souvent à la suite des controverses, l'autonomie des champi- gnons inférieurs parut de plus en plus évidente. Quelques cas de polymorphisme restaient cependant incontestables ; tel est le Botrytis cinerea, forme conidienne du Peziza Sclerotiorum. Après les récents travaux sur le développement des champi- gnons inférieurs, les botanistes qui s’en occupaient au point de vue systématique, reprirent la description détaillée de ces végé- taux. Les formes considérées comme espèces devinrent de plus en plus nombreuses. Pour s’en convaincre, il suffit de parcourir le volume que M. Saccardo consacre aux Hyphomycètes dans son Sylloge Fungorum et les diverses flores mycologiques pu- bliées dans ces dernières années. Trop rarement, ces prétendues espèces sont soumises à une étude méthodique basée sur le développement des organes reproducteurs. Des travaux de cette nature ont une utilité d'un ordre plus élevé : pour beaucoup de naturalistes, toutes ces CLADOSPORIUM HERBARUM. 299 moisissures ne seraient que des états de développement de champignons à structure plus compliquée, qui pour la plupart appartiennent à l’ordre des Ascomycètes, un petit nombre à celui des Basidiomycètes. Cette hypothèse ne peut assurément être confirmée que par de nombreuses cultures expérimentales. Dans ces études, il importe de ne pas oublier que les milieux liquides ne conviennent guère au plus grand nombre d'Hypho- mycèles. Beaucoup n'y développent que des filaments mycé- liens sans revêtir l'aspect naturel avec cellules reproductrices. D'autre part, la méthode des cultures dans les liquides se prête assez mal à la séparation des divers types qui peuvent se trou- ver mélangés sur un même substratum. Des procédés de culture plus parfaits étaient à désirer. Une nécessité du même ordre s'était révélée dans l’étude des Bactéries ; c'est M. R. Koch qui y répondit par la vulgarisation de la méthode de culture sur milieux solides et particulièrement sur gélatine. Pendant le mois de décembre 1886, je fus amené à appliquer ce procédé à l'étude du Cladosporium herbarum, recueilli sur les matières végétales les plus variées. J’ai fait de ce champignon une étude prolongée, qui m'en a fait connaître le curieux poly- morphisme. Le milieu de culture dont j'ai fait l'emploi le plus fréquent, est le moût de bière additionné de 8 à 10 °/, de gélatine. Il est excellent pour la croissance d’un très grand nombre de moisis- sures. Les cultures ont été faites sur verres de montre placés dans des godets en porcelaine disposés en pile. Le procédé est très commode et permet d'observer facilement la croissance des mycéliums sous le microscope. Tous les résultats consignés dans ce travail ont été contrôlés par la culture en goutte de gélatine nutritive suspendue à la face inférieure d’une lamelle. On peut ainsi suivre d’une manière continue, sous le microscope, le développement d'une même spore, sans crainte d'impuretés causées par les germes de l’at- mosphère. 560 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. I CLADOSPORIUM HERBARUM (Link.) Cette mucédinée est extrêmement commune dans |la nature. Elle recouvre de taches foncées, parfois roussâtres, les tiges des plantes mortes; elle est très répandue à l’automme et au printemps. En été, elle abonde également sur les baies, surtout dans les derniers temps de la maturation. Ce sont au début des filaments irréguliers, cloisonnés, qui rampent à la surface des tiges mourantes, et qui parfois pénètrent dans les lissus corti- caux. Cà et là il se produit des amas de cellules brunes, d’où s'élèvent bientôt des filaments dressés, terminés par des couidies. Les productions appliquées sur les écorces se rapportent aux formes décritent par Link sous les noms de Dematium nigrum et de Zorula hérbarum. Des masses identiques peuvent cepen- dant appartenir à d’autres champignons. La culture seule peut renseigner exactement sur la nature des mycéliums dématioïdes qui se rencontrent sur les débris végétaux. Au sommet des filaments dressés naissent des conidies, à acroissement terminal et quisont de forme extrèmement variable. Tantôt ce sont des cellules ovoides à membrane assez épaisse et brune ; ou bien, ces conidies se divisent et deviennent septées, formées de deux à cinq cellules. D’autres restent unicellulaires et conservent leurs parois hyalines; elles ont l'aspect de cellules de Levures, surtout des formes-levures mycodermiques {Saccha- romyces Mycoderma). Plongées dans une goutte d’eau ou d’al- cool, ces conidies se détachent avec la plus grande vivacité et se répandent dans le liquide. La vigueur des filaments du Cladosporium et les dimensions des conidies varientsuivantla nature spécifique des plantes hospi- talières. Les exemplaires récollés sur les fruits charnus en décom- position (courges,.…) sont beaucoup plus forts que ceux que l'on rencontre sur les tiges sèches. Enfin les divers échanullons pla- cés en chambre humide donnent toujours des filaments plus éle- vés que ceux qui ont été recueillis en plein air. Ce sont là des variations causées par la différence de milieux nutriufs et qui disparaissent dans les cultures en milieux artificiels. Cependant on peut admettre l'existence de plusieurs races qui semblent se CLADOSPORIUM HERBARUM. d61 maintenir dans la suite des générations et qui se caractérisent par l'étendue des mycéliums, le diamètre des filaments et la taille des appareils conidifères. Des variétés de même ordre existent aussi chez d'autres moisissures très communes (Penicillium glaucum). I n’y a certainement pas lieu de les considérer comme espèces. ED À RS 4 EN ao ANT: RES \| | >" RE \ Fig. 1. Cladosporium herbarum, récolté sur courge : a, mycélium et fila- ments conidifères. Gr — 200. — b, Diverses formes de conidies. Gr — 200. — €, conidies en germination. G — 600. La description que je viens de donner du Cladosporium her- barum se rapporte à la forme conidifère. D'après plusieurs bota- nistes ‘, celle-ci appartiendrail à un Ascomycète, le Pleospora herbarum, qui se présente en petites masses noires etglobuleuses, sur les tiges mortes des plantes herbacées. De pareils rapproche- ments, faits sans cultures de vérificalion, sont toujours sujets à caution. L'identité spécifique du Cladosporium et du Pleospora a déjà été contestée par Gibelli et Griffini*?. Dans mes nombreuses cultures de Cladosporium, je n'ai jamais observé la production de périthèces. Ce n’est, toutefois, pas une raison suffisante pour nier l'identité spécifique du Cla- dosporium et du Pleospora, car il est permis de supposer que la transformation d’une forme conidifère en forme ascomycèt exige des conditions physiologiques particulières. | 4. Tulasne, Selecta Carpologia fung., IE, p. 261. O0. Wunsche, Flore genérale des champignons, 1885, p. 45. 2. Sul polimorfismo della Pleospora herbarum (Arch. del laborat. di bot. critlog. in Pavia, I, p. 53, 1875). 562 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. J'ai essayé sans plus de succès la transformation inverse par la culture du Pleospor«. Si la culture du Cladosporium ne m'a pas permis d’observer la production de périthèces, elle m'a révélé la variété remarquable des états conidifères de ce champignon. Cultivé dans des solutions nutritives, moût de bière, infusion de pruneaux, liquide de touraillons sucré, ete., le Cladosporium typique en recouvre la surface d’un feutrage serré, pourvu à la face supérieure d’appareils conidiens de couleur foncée. La couche mycélienne est parfois gaufrée comme celle d’une cul- ture d’Aspergillus niger dans le liquide Raulin. Si lon prend la semence sur une écorce exposée à l'air, il arrive, mais rarement, que la culture s’arrête à l’état mycélien. On obtient ainsi des aspects dematium qui, en vieillissant, brunissent et forment des croûtes noirâtres analogues à l’état fumago que l’on rencontre sur les feuilles. Lorsque la végétation du Cladosporium est dématioïde, il y a production dans le liquide de cellules isolées ou groupées en très petit nombre, absolument comparables à celle des Levures. Je les désignerai sous lenom de cellules formes-levures de Cladosporium . M. Cuboni, qui les a observées, les appelait cellules saccharomy- cétiformes ‘. J'aurai l’occasion de parler de cette forme-levure. Le Cladosporium croît assez bien dans le liquide Raulin sans présenter de caractère particulier. En somme, la culture du Cladosporium herbarum sur milieux liquides, reproduit l'aspect typique, de plus, elle présente par- fois à l’intérieur du liquide des filaments sans conidies aériennes, mais pourvus de conidies aquatiques qui ont la forme des cellules de Levures. J’emploie ici le mot aquatique pour caractériser ces productions cellulaires, car, à mon avis, elles correspondent exactement aux conidies portées par les filaments aériens. Si, aux milieux liquides, on substitue la gélatine nutritive, le développement du Cladosporium devient bien plus intéressant à observer. Quand les conidies semées proviennent d’une forme typique, c’est-à-dire non dématioïde, on voit les filaments mycéliens envahir la gélatine, puis atteindre la surface, se dresser dans 4. Cuboni, Salla probabile origine dei Saccaromicele, 1885. uit CLADOSPORIUM HARBARUM. d63 l’air et se terminer par des appareils conidifères beaucoup plus compliqués que ceux du Cladosporium observé sur débris végé- taux ou à la surface des liquides nutritifs. Ce sont de petites cimes arborescentes, à rameaux nombreux, dont les cellules diminuent progressivement de taille vers l'extrémité de chaque ramification. La croissance est terminale comme chez le Clados- porium ; les cellules du sommet sont donc celles qui ont été pro- duites en dernier lieu. Au contraire, chez le Penicillium glaucum, l'accroissement se fait à la base des chapelets de conidies. La forme conidienne que présente le C/adosporium cultivé sur gélatine nutritive est connue des mycologues sous le nom de Penicillium cladosporioides Frésénius. Pour l'obtenir à l’état le plus parfait, il ne faut semer sur gélatine riche en matières sucrées qu’un nombre modéré de conidies, de manière à assurer à chaque mycélium une abon- dante alimentation. Vues au microscope, à un faible grossisse- ment, l'aspect des taches mycéliennes recouvertes de leurs appa- reils conidiferes est vraiment admirable. Lorsque de nombreux mycéliums se pressent sur un petit espace, les filaments conidi- fères restent beaucoup plus maigres et ne diffèrent pas de ceux du Cladosporium récoltés sur tiges mortes. JE PENICILLIUM CLADOSPORIOIDES (Fresenius ‘). Synonymes: P. olivaceum Corda; P. nigrovirens Frésénius; P. viride Frésénius: P. chlorinum Frésénius; Hormodendron cladosporioïdes Saccardo. Il est caractérisé par des filaments dressés, cloisonnés, ter- minés par des appareils conidifères formés de rameaux disposés en grappes plus ou moins ramifiées, portant des conidies ovoïdes en chapelets, unicellulaires ou pluricellulaires, olivacées ou fauves. Au contact de l’eau, les conidies se détachent de leur support avec la plus grande facilité; il est presque impossible d’en faire de belles préparations microscopiques. L'étude du Pen. cladosporioïdes a été entreprise par E. Lœw ?. 4. G. Frésénius, Beiträge zur Mykologie, 1850, p. 22. 2. E. Læœv, Zur Entwickelungsgeschichte von AN in Jahrbucher für wissensch. Botanik, t. VII, p. 472, 1870. 64 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Comme G. Frésénius, Lœw admetla distinction de ce champignon, mais identifie P. viride, P. nigrovirens, P. chlorinum de Frésé- nius et le P. olvaceum de Corda avec le P. cladosporioïides. Ces formes diffèrent par le diamètre et la couleur de leurs filaments conidifères, ainsi que j'ai pu le constater fréquemment dans la suite de ces recherches. Une forme naine, grèle dans tous ses organes, est surtout commune sur la plupart des fruits sucrés arrivés à maturité. Arents sc Fig. 2. Penicillium cludosporioides, cultivé sur gélatine. G — 80. Les diverses variétés de Pen. Cladosporioides correspondent aux races de Cladosporium herbarum dont j'ai déjà fait mention. J'aurai l'occasion d'indiquer des variations de même nature dans la forme dematium et la forme-levure qui dérivent du Cladosporium. La mucédinée décrite par Frésénius n’est un vrai Penicillium que par la disposition en pinceau plus ou moins parfait de ses rameaux conidifères. Elle se distingue du Pen. glaucum par la croissance terminale de ces derniers, ainsi que je l’ai déjà fait remarquer. Pour ce motif on devrait abandonner ici le nom générique de Penicillium. de ne le fais pas, parce que j'estime CLADOSPORIUM HERBARUM. * 969 que pour les Hyphomycètes, la valeur des noms génériques est trop relative pour avoir la même importance que dans la classification des animaux et des végétaux supérieurs. Pour moi le nom de Pen. cladosporioïdes désigne simplement et d’une façon commode un état conidifère du Cladosporium herbarum. Fig. 3. Penicillium cladosporioides, variété à filaments mycéliens étroits et à filaments conidifères très courts. G — 80. Malgré l’extrème dispersion des spores de ce champignon, la forme Penicillium est très rarement citée dans les flores cryptogamiques. Dans ses études sur les germes de l'air, M.E. Hansen a observé le Pen. cladosporioides à plusieurs reprises ‘. Avant d'entreprendre le présent travail, je l'avais trouvé sur une solution de dextrine très concentrée, et sur ce milieu j'avais pu conslater toutes les transitions entre la forme C/adosporium à conidies peu abondantes et la forme Penicillium à conidies nombreuses. Il n’y a là qu'une question de nutrition plus ou moins favorable à une végétation vigoureuse. Les milieux sur lesquels le Cladosporium développe son mycélium, sont ordinaire- ment trop pauvres pour produire du Pen. cladosporioïdes. Lorsque la gélatine qui sert à la culture se dessèche fortement, les filaments mycéliens qui y sont plongés concentrent cà et là leur protoplasme. Les masses ovoïdes ainsi formées semblent constituer des chlamydospores, analogues à celles de plusieurs Mucorinées. Ensemencé dans des tubes de gélatine par piqüre avec un fil de platine, le Pen. cladosporioïdes se développe exclusivement dans 1. Compte rendu du Labor. de Carlsberg, 1879, p. 59 et 66. 36 266 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. la portion superficielle. Il n'est nullement anaérobie. J’insiste sur ce point, car d’autres formes conidiennes de Cladosporium, que je décrirai plus loin, peuvent se développer dans la profon- deur des liquides. La transformation du Cladosporium en Pen. cladosporioïdes est aisée àréaliser sur gélatine. Le contraire est-il possible? Peut-on avec des conidies de ce dernier revenir à la forme normale des tiges mortes ? Ce n’est pas difficile, pourvu que l’on emploie des milieux nutritifs appropriés. J'ai bien réussi sur empois d'amidon et surtout sur des morceaux de courge et de tiges de topinambour qui avaient été stérilisés par la vapeur d’eau et placés ensuite en chambre humide. J'ai obtenu des productions identiques à celles du Cladosporium placé dansles mêmes condi- tions. La même transformation est aussi facile à réaliser par la culture du Pen. cladosporioïdes sur morceaux d’aubier de peuplier abattu au mois de juin et gorgé de matières sucrées. Enfin M. Massart est arrivé au même résultat par l'emploi d’une géla- tine nutritive additionnée de 60 à 70 0/0 de saccharose, de 20 0/0 de glycérine, de 10 0/0 de chlorure de sodium ou de 20 0/0 de nitrate de potassium. À pareille concentration, ces substances sont nuisibles à l'assimilation par leur action osmo- tique considérable. Il n’y a doncaucundoute :le Penicillium cladosporioïdes est une forme bien nourrie, très vigoureuse du Cladosporium herbarumr. Mais le sujet n’est pas épuisé, et nous y reviendrons dans un prochain article. L DE L'ABSENCE DES MICROBES DANS LES TISSUS VÉGÉTAUX Par M. A. FERNBACH, préparateur à la Sorbonne. Depuis les expériences classiques dans lesquelles M. Pasteur a montré que du jus de raisin reste inaltéré, si on prend la pré- caution de l’emprunter soit à l’intérieur des grains, soit à des grappes ayant müri dans des enveloppes de coton, à l'abri des germes de l’air, on admet, par suite d’une tendance naturelle de l'esprit qui nous porte à généraliser, que l'organisme des végé- taux est, comme celui des animaux, normalement fermé à la pénétration des microbes. Une expérimentajion plus étendue sur ce sujet paraissait cependant utile, surtout après la publication de quelques Mé- moires dont les conclusions, établies pour d’autres végétaux et dans des conditions différentes de celles de M. Pasteur, étaient en contradiction avec l'opinion la plus généralement adoptée. Ainsi, M. A. Jorissen (Acad. royale de Belgique, 1884)a attri- bué à la présence de bactéries dans les tissus végétaux la pro- duction de la diastase. Ses affirmations ont été contredites par M. E. Laurent (ibid., 1885), qui, opérant sur des graines et des tubercules en germination, c’est-à-dire à l’époque où la produc- tion de diastase est la plus active, n’a réussi, ni par la colo- ration, ni par l’ensemencement dans la gélatine et dans le jus de pruneaux, à y déceler la présence des microbes. Le D: H. Bernheim, de Würzbourg, qui n’a pas, sans doute, eu connaissance de ces publications, a signalé récemment, au Congrès de Cologne, dans les céréales, les fruits à gousse et les tubercules, la présence de microbes qui, selon lui, se multiplie- raient abondamment pendant la germination, et auxquels il fau- drait attribuer un rôle important dans la production de la dias- tase. Les expériences de M. Duclaux (Comptes rendus, t. G, p. 66) sur la germination dansun milieu stérile, avaient pourtant montré 208 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. que les graines ne contiennent pas normalement de microbes et que la germination peut parfaitement se produire sans eux. M. Galippe, enfin (Journal des connaissances médicales, 30 juin 1887). a publié des expériences dans lesquelles, ensemen- çant dans des milieux de culture plus variés que ne l'avait fait M. Laurent, et sans s'astreindre à opérer sur des plantes en germination, des fragments de végétaux divers, il a observé dans la plupart des cas un développement de microbes. Il en tire la conclusion, passablement en désaccord avec tout ce que l’on savait jusque-là, que les microbes, et en particulier ceux du sol, pénètrent dans les tissus végétaux avec lesquels ils sont en contact. J'ai repris les expériences de M. Galippe, en me plaçant dans les mêmes conditions que lui, c’est-à-dire en prenant les végétaux tels qu'ils arrivent sur le marché, sans m'astreindre à expérimenter sur des légumes cultivés à Gennevilliers, estimant qu'une terre végétale quelconque est suffisamment riche en microbes divers pour que ceux-ci pénètrent dansles végétaux, si leur pénétration était physiologiquement possible. J'ai cru aussi devoir m'en tenir à quelques espèces végétales, pomme de terre, carotte, navet, betterave, tomate, jugeant inutile de prolonger outre mesure des expériences qui jusqu'ici disent loutes que les conclusions de M. Galippe sont erronées. Les milieux de culture que j'ai employés, renfermés soit dans des tubes à essai, soit dans des matras Pasteur, sont le bouillon de veau neutre et l’eau de navets sucrée, milieu qui, naturelle- ment, est très légèrement acide. Voici le procédé dont je me suis servi pour faire les ensemen- cements. Dans tous les cas, la portion de surface du végétal par laquelle devait passer l'instrument destiné à faire la prise d’essai était chauffée jusqu’à carbonisation légère par l’application d’un thermo-cautère dont l'extrémité rougie était formée par un large bouton légèrement convexe. Pour la tomate, j’aspirais la pulpe avec une pipette à coton dont la portion étirée avait 2 à 3 milli- mètres de diamètre; j'obtenais ainsi 3 ou 4° de pulpe que je -répartissais entre deux matras Pasteur, renfermant chacun l’un des milieux de culture indiqués plus haut. Pour les autres végé- taux, j'ai employé, comme l'avait fait M. Laurent, des emporte- pièce en laiton, qui servent généralement à percer les bouchons. ABSENCE DES MICROBES DANS LES TISSUS VÉGÉTAUX. 569 Ces tubes, munis à leur extrémité non tranchante d’un tampon de coton, et renfermés dans des tubes à essai bouchés avec de la ouate, étaient préalablement chauffés à 165°. J’obtenais avec ces tubes des cylindres de tissu végétal que je poussais peu à peu au dehors, et que j'ensemençais au moment de leur sortie en les sectionnant avec un scalpel flambé. J'introduisais ainsi dans chaque tube à essai un volume de tissu végétal variant entre Occ,5 et Acc. Le tableau suivant indique les résultats obtenus. Nombre de végétaux Nombre Nombre d’ensemencements étudiés. d’ensemencements. féconds. Tomates 26 52 2 Navets 30 199 19 Carottes 13 101 4 Betteraves 12 103 10 Pommes de terre 11 100 (l 98 D55 3) On voit qu'il y a un certain nombre d'ensemencements féconds, 6,3 0/0. Il ne saurait guère en être autrement. Il y a, en effet, dans des expériences aussi délicates, un certain nombre de causes d'erreur auxquelles il est impossible de se soustraire d’une façon absolue. La plus importante est celle qui provient des germes de l'air, toujours abondants, bien qu’en nombre très variable, dans un laboratoire où il y a des allées et venues et où l’on est cons- tamment exposé aux courants d'air; la pratique presque quoti- dienne du remplissage des matras Pasteur m'a montré que, dans le laboratoire où j'ai fait mes expériences, sur 100 matras remplis, il y en a toujours 4 ou 5 qui se peuplent. C’est là un chiffre qui, lorsqu'on ne prend pas de précautions spéciales, doit être considéré comme un minimum pour des expériences qui exigent, comme celles qui viennent d’être décrites, l'emploi d’un certain nombre d'instruments et une manipulation assez longue. D'ailleurs, l'examen microscopique des tubes féconds confirme cette manière d'interpréter les insuccès de quelques-uns de mes ensemencements : les êtres développés sont multiples, bacilles, micrococcus, moisissures, et en général, dans chaque lube peuplé, on ne trouve qu’une seule espèce. Comment expli- querait-on cette variété d'êtres, cette séparation des espèces, 570 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. ainsi que la répartition très inégale des germes, si l’on n’admettait qu'ils proviennent de l'extérieur du végétal, et non de ses tissus intérieurs ? Une autre cause d'erreur, plus facile à éviter, mais que j'ai cependant rencontrée plusieurs fois, est celle qui provient de la pénétration de germes dans l’intérieur du végétal à la suite d'un insecte ; dans ce cas, la majeure partie des tubes ensemencés se trouble, chaque tube peuplé présente toujours plusieurs espèces et on aperçoit en y regardant de près, le tunnel parfois très étroit, creusé par l’insecte. On comprendra que, pour être bref, je n’aie pas indiqué mes expériences par le menu. Je signalerai seulement un fait général qui confirme encore les considérations qui précèdent. Chaque fois que j'ai ensemencé un certaiv nombre de tubes, c’est toujours dans la première moitié que j'ai eu à noter le plus grand nombre d’insuccès, parce qu'on devient d’autant plus habile à faire une opération délicate qu'on l’a déjà faite plus souvent. M. Laurent avait déjà trouvé le même fait et l'avait expliqué de même. De plus, et pour la même raison, à mesure que j’ai poursuivi mes expériences, le nombre des insuccès a été constamment en dimi- nuant, et je ne doute pas que si j'en recommençais une nou- velle série, j'arriverais à abaisser beaucoup la proportion des ensemencements féconds. Concluons donc que les tissus végétaux normaux constituent pour les microbes un filtre parfait, et qu’ils ne peuvent être envahis par eux qu’à la suite de causes tout à fait accidentelles. REVUES ET ANALYSES L. Manrrent ET G. TRavERsA. Sur l’action physiologique et toxique des produits de culture du streptococcus de l'Erysipèle. Gior. internax. 4. Sc. Mediche, X° année, 1888. Depuis le jour où M. Pasteur a montré que l’inoculation d’une culture stérilisée du microbe du choléra des poules amenait une maladie passagère, dont les symptômes étaient pourtant à peu près identiques à ceux de la maladie mortelle produite par l'inoculation du microbe lui-même, l'attention est restée fixée sur le rôle pathologique des substances solubles que les microbes laissent dans leur milieu de culture, à l’état de sécrétions ou de produits d'excrétion. On a surtout relevé ce rôle dans certaines maladies dont la marche et le facies général réveillaient le plus l’idée d’une intoxi- cation, le tétanos traumatique, le choléra, le typhus, et, à un degré plus éloigné, le charbon et l'infection généralisée produite par le vibrion septique. Par une pente toute naturelle de l'esprit, on s'est demandé aussi si ces substances, dont l'introduction dans l'organisme produisait des désordres de même nature que l'invasion du microbe qui les produisait, n'étaient pas aussi des substances vaccinales, et on sait combien il s’est déjà accumulé dans cette voie de faits et d’espérances. Deux moyens se présentent pour débrouiller cette question et toutes celles où entrent en jeu les produits de la vie des microbes. On peut ou bien essayer de séparer par l'analyse chimique le mélange, en général assez com- plexe, des substances diverses que contiennent les tissus morbides ou les liquides de culture, et c'est ainsi que Brieger a retiré la fyphotoxine des cultures du bacille du typhus, et la tétanine des cultures du bacille du tétanos ; ou bien encore avoir recours pour cette séparation à l'analyse physiologique. Le nombre des toxiques dont l’action sur les divers tissus a été bien étudiée est en ce moment assez grand, et les réactifs, représentés par l'arsenal instrumental de la physiologie moderne, sont assez délicats pour qu’on puisse en espérer du secours, lorsque l'analyse chimique est impuissante, et leur demander, sinon le nom, du moins la famille des pro- duits toxiques microbiens dont on cherche la nature. En usant de ces deux méthodes, en les combinant au besoin, on confondrait dans une voie unique les deux voies, plus divergentes en apparence qu’en réalité, qui aboutissent aux deux grands noms de CI. Bernard et de Pasteur, et on ferait sûrement, de belles découvertes. MM. Manfredi et Traversa, dont le travail nous inspire ces réflexions ont eu le mérite d'aborder des premiers, sinon les premiers, une face inté- 572 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. ressante du problème que nous venons de poser. Ils ont étudié soigneuse ment au point de vue physiologique le mécanisme de l’action des cultures stérilisées du microbe de l’érysipèle. Ils ont choisi cette maladie, d’abord parce qu’elle s'accompagne d'ordinaire d'un procès évident d'intoxication, et ensuite parce que Brieger avait échoué dans ses recherches d’une ptomaïne spéciale au microbe de cette affection. L'analyse chimique étant impuissante, c'était une bonne occasion pour l'analyse physiologique d'essayer ses forces. La première condition était de choisir un bon terrain de recherches et de le bien définir. Le peu qu’on sait en effet sur les substances, toxiques ou autres, laissées par les microbes dans les milieux de culture, c'est que leur nature dépend de la nature du milieu, et que dans un même milicu, elles ne sont pas toujours en même quantité. Leur nature et leur proportion dépendent de l’âge de la culture, de la température, de la présence ou de ‘absence de l'oxygène, etc. Toutes les cultures de MM. Manfredi et Traversa ont été faites dans du bouillon de bœuf peptonisé et neutralisé suivant les préceptes de Koch, et maintenu à 25°-30°. On le stérilisait par filtration, et on l’inoculait à des grenouilles, à des cobayes et à des lapins. D'une manière générale, on peut dire que les désordres nerveux qui sui- vent l'injection d’une certaine quantité de ce liquide de culture se rapportent à deux formes cliniques bien déterminées, la première caractérisée essen- tiellement par des phénomènes de paralysie, la seconde par des symptômes convulsifs plus ou moins diffus dans les divers organes. Notons tout de suite que cette différence dans la manifestation des symptômes toxiques n’a aucun rapport avec l’âge ou la quantité de la culture employée. La même culture peut, à la même dose, produire des effets essen- tiellement différents dans des animaux de la même espèce. « Avec une culture filtrée au 16° jour, par exemple, nous avons obtenu la forme convulsive chez des cobayes et des grenouilles, et la forme paralytique chez les lapins. Une seconde culture de 16 jours, préparée dans des conditions identiques, à donné chez les grenouilles et les lapins la forme essentiellement paralytique, et chez les cobayes la forme convulsive associée à un léger degré de parésie des membres. Enfin, avec une culture du 8 jour, faite dans le vide, nous avons eu chez certaines grenouilles la forme convulsive, chez d’autres la forme paralytique. » Ceci témoigne que l'étude est difficile, puisque le réactif n'est pas sûr, et traduit par des phénomènes différents l'inoculation de la même substance. Le mode d'introduction a peut-être de l'importance, peut-être aussi des dis- positions particulières de l'animal qui font que tel de ses départements est plus ou moins rapidement atteint. Le fait est à rapprocher des résultats de M. Helman (V. ce volume, p. 273) qui, avec le même virus rabique, obtient tantôt la forme furieuse, tantôt la forme paralytique. MM. Manfredi et Traversa ont surtout rencontré la forme paralytique _avec les grenouilles et les lapins. A la suite de l’injection de 1 à 3 centimè- tres cubes de liquide de culture, la grenouille tombe dans une torpeur qui passe progressivement au coma. Cet état de dépression des forces nerveuses persiste de 20 minutes à cinq heures ; il est suivi d’une parésie des mem- REVUES ET ANALYSES. 573 bres postérieurs, qui s'étend bientôt au train de devant, en détruisant les mouvements volontaires, mais en laissant encore intacte l’excitabilité réflexe, qui finit pourtant par s’éteindre à son tour. La respiration est arrêtée, et on pourrait croire la grenouille morte, si, en découvrant son cœur, on ne le voyait encore battre avec un rythme un peu ralenti, mais avec une énergie suffisante. En l'absence de troubles circulatoires, il faut donc admettre une action toxique sur l'appareil nerveux central ou périphérique ou encore sur les muscles. Une expérience bien simple permet de préciser. Si, immédiatement après la perte totale du mouvement, on met à nu le nerf sciatique et le gastro-cnémien correspondant, on trouve que nerf et muscle sont encore très sensibles à l’action électro-faradique. La paralysie doit donc être d’ori- gine centrale. Toutefois, tout en maintenant que les nerfs et les muscles ne concourent pas à la genèse de la paralysie, les auteurs ne veulent pas rejeter à priori toute action des produits de culture sur ces organes, qui perdent aussi rapidement leurs propriétés physiologiques. Ainsi, à une période plus avancée de l'intoxication, c'est-à-dire de 13 à 40 minutes depuis le commen- cement de la paralysie, on constate que le nerf sciatique perd d’abord son excitabilité, puis le muscle son irritabilité. Mais il n’en est pas moins démontré que, dans ses traits généraux, l’intoxication frappe d'abord le cer- veau et le bulbe, d’où le coma, la perte des mouvements volontaires et l'arrêt de la respiration. Puis elle s'étend à la moelle épinière, d’où l'arrêt des mouvements réflexes. Chez les lapins, le cadre est moins complet et se borne d'ordinaire aux phénomènes bulbaires. Le cobaye est plus sujet à présenter la forme con- vulsive. C'est encore la grenouille qui offre le type le plus complet de cette seconde forme de l’intoxication. Trois ou cinq minutes après l'injection, sous la peau ou dans le péritoine, de 4 à 2 centimètres cubes de culture âgée de 10 à 16 jours, ou d’une culture de 8 jours dans le vide, on voit apparaître une période de torpeur générale à laquelle succèdent bientôt des contractions spasmodiques cloniques qui, débutant par les muscles de la tête et des mem- bres supérieurs, s'étendent d'une manière inégale et irrégulière sur les autres parties du corps. Elles deviennent peu à peu toniques au point de ressembler aux crises convulsives de la strychnine. D’autres fois, les symptômes d'irri- tation motrice se traduisent par des convulsions épileptiformes ou un spasme tétanique. « Quelle que soit la forme, du reste très variable, des convulsions spas- modiques, elles diminuent graduellement d'intensité et d’étendue, 20 à 45 minutes après leur apparition, et reprennent le caractère clonique. Elles cessent au bout de 1 à 2 heures. Il reste alors une paralysie générale des membres, si bien que les grenouilles semblent mortes. Si on leur met le cœur à nu, on le trouve battant plus ou moins vivement, mais avec un certain ralentissement. A cette période de mort apparente succède la mort réelle, ou Le retour à l’état normal. » Dans ce dernier cas, le rétablissement diffère de celui qu’on observe dans les cas d'intoxication par la strychnine en ce qu’il n’est pas précédé ici d’une A 574 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. nouvelle et longue phase d'attaques convulsives. Il ressemble au contraire beaucoup à celui qu'on observe dans les cas d’empoisonnement avec la picrotoxine. Pendant la durée des crises, les nerfs moteurs et les muscles restent excitables comme dans la forme paralytique. Dans la phase terminale, les nerfs peuvent perdre leur excitabilité, alors que les muscles sont encore contractiles. Ils meurent à leur tour, s'il y a mort de l’animal, mais quand il revient à la vie, les nerfs reprennent leur activité normale, Chez le cobaye, après injection hypodermique ou intrapéritonéale de 5 à 15cc de culture filtrée, on voit apparaître d’abord la torpeur, puis des con- vulsions violentes dans diverses régions du corps. Ces convulsions qui ont d’abord le caractère clonique, se généralisent et prennent la forme de paroxysmes durant lesquelles l'animal exécute de droite à gauche un mou- vement de manège autour de son train postérieur. Bientôt il s'arrête par abolition des mouvements volontaires, et les contractions cloniques conti- nuent, coupées parfois par des accès spasmodiques pendant lesquels les mouvements de manège reprennent. La respiration est manifestement trou- blée, et le cœur bat plus lentement qu'à l'ordinaire. Dans cette forme comme dans la forme paralytique, cet organe est à peine atteint et est le dernier à mourir. Deux heures après l'injection, les mouvements volontaires commencent à reparaître, les spasmes cloniques deviennent plus rares, l'animal se relève et revient à la santé après une période de 3 à 4 heures. Par quel mécanisme se produit cette excitation de l'appareil moteur dans la forme convulsive ? Est-ce par suite d’une exagération dans la sensi- bilité de l'appareil moteur périphérique ou dans l’action du système central”? Pour répondre à cette demande, il suffit de comparer deux grenouilles, l’une à qui l’on a coupé le tronc du nerf sciatique en laissant la circulation se faire dans le membre correspondant, l’autre dans laquelle on a lié l'ar- ière iliaque ou l’un des membres inférieurs en totalité, à l'exception du nerf sciatique correspondant. On voit que dans la première, il y a des contractions spasmodiques partout, sauf dans le membre dont le nerf est sectionné et qui reste parfaitement immobile. Dans les grenouilles dont l’un des membres ne recoit plus de sang, mais a conservé ses attaches ner- veuses, les phénomènes convulsifs apparaissent comme si ce membre était intact. Les crises convulsives sont dues à une influence sur l'appareil mo- teur central. Pour localiser davantage le centre d’action. MM. Manfredi et Traversa ont coupé sur des grenouilles la moelle épinière dans la région dorsale au dessous de l’origine apparente des nerfs brachiaux, et ont alors pratiqué dans le ventre ou sur les membres postérieurs l’inoculation du bouil- lon de culture. Les phénomènes convulsifs se sont alors manifestés, avec leur physionomie caractéristique, dans la partie antérieure du tronc, et ont manqué dans la partie privée de ses communications nerveuses. Ils sont donc dus à une action sur les centres encéphalo-bulbaires. Cest une nouvelle différence avec les effets de la strychnine, qui attaque surtout la moelle épinière. Enfin, en voyant que l'ablation des hémisphères cérébraux, faite avant REVUES ET ANALYSES. D79 l'injection, n'empêche nullement l'apparition des symptômes convulsifs, qu’il en est de même après la destruction des lobes optiques, des pédoncules, du cervelet, tandis que les convulsions cessent complètement au moment où on détruit le bulbe, on est conduit à penser que c'est sur cetorgane qu’agis- sent surtout, au moins chez les grenouilles, les produits toxiques sécrétés par le microbe de l’érysipèle. Quels sont maintenant les rapports entre les caractères cliniques de l'érysipèle et les phénomènes d'intoxication que nous venons de décrire? A côté des lésions locales de la maladie, lésions aujourd'hui bien connues au double point de vue clinique et bactériologique, il y a des phénomènes généraux, fièvre, troubles nerveux sensoriels (céphalée, coma) des troubles d’excitation motrice (sursauts tendineux, contractures, contractionscloniques et toniques), il y a même quelquefois du délire, tous phénomènes qui se retrouvent dans les cas d'intoxication, et dont l’origine doit dès lors être recherchée, non dans les complications morbides que l’on accusait naguère, mais dans l'absorption continue des produits de la culture des microbes. Telle est au moins la thèse soutenue par MM. Manfredi et Traversa, et qu'ils s'appliquent à justifier par des considérations diverses et par des analogies parmi lesquelles nous ne choisirons que celles qui ont une base expérimentale, et qui ajoutent quelques faits, bons à connaître, à ceux que nous connaissons déjà. C’est ainsi que le degré de toxicité d’une culture dépend moins de son âge, dont l'influence, comme nous l’avons vu, est variable et médiocre, que de se fécondité. En d’autres termes, ces substances produites par le microbe dépendent plus du nombre de microbes développés dansleliquide deculture que du séjour qu'ils y ont fait. Toutes choses égales d’ailleurs, il y en a plus à 28°-300 qu'à 37°, parce que cette température commence à être défavorable au coccus de l’érysipèle. On s'explique ainsi que cliniquement, les formes les plus graves de l'érysipèle ne sont pas celles qui durent longtemps avec des foyers circonscrits, mais celles qui présentent une large surface d’in- vasion, Comme par exemple les érysipèles traumatiques. La non accumulation des produits toxiques dans les cultures est sans doute liée à leur facile oxydation.On les voit en effet disparaître assez rapi- dement à l'air, et nous savons aussi que les cultures faites dans le vide ont en moyenne une activité plus grande que les autres. Peut-être cet excès de virulence tient-il en partie à ce que les cultures du microbe sont toujours plus abondantes dans le vide qu’on contact de l'air. Quoi qu'il en soit, le poison de l’érysipèle est instable et on comprend alors que les cas les plus graves d'érysipèle guérissent presque aussi vite que les cas les plus bénins. On pourrait relever d’autres analogies : celles qui précèdent suffisent. Aussi bien les autres deviennent-elles de plus en plus flottantes, et n’ajou- teraient rien à l'intérêt véritable que doit exciter le mémoire que nous venons d'analyser. Dx. 576 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. D EF. M. Fixezsreix. Expériences sur la rage, faites au laboratoire d'hygiène de Tiflis. (Comptes Rendus de la Société Impériale de Médecine du Caucase, n° 4, 1887.) Les expériences très nombreuses faites au laboratoire de Tiflis ont con- firmé, une fois de plus, les travaux de M. Pasteur sur la rage. Les résultats obtenus par l’auteur sont résumés dans les lignes suivantes : Le virus employé venait du laboratoire de M. Pasteur; on a reconnu qu'il se comportait, sur les chiens et les lapins, absolument comme M. Pas- teur l’a annoncé, soit que l’on se serve de moelles fraîches ou de moelles desséchées, soit que l'on emploie des moelles conservées à l'air ou dans l'acide carbonique. Avec le virus fixe, la durée de l’incubation et celle de Ha maladie étaient très régulières. (7 jours d’incubation; 3 à 4 jours de maladie.) A Tiflis, on s’est appliqué à suivre très exactement la température des animaux en expérience et on y a constaté, pour la première fois, que le 4° et le 5 jour après l’inoculation par trépanation, la température des animaux augmentait. Après l’'inoculation sous-cutanée, on a aussi observé une élévation de température qui précéde de quelques jours la rage confirmée, ce qui prouve que !a durée de l’incubation est plus courte et que la durée de la maladie est plus longue qu’on ne le croit ordinairement. Cet accrois- sement de la température est un signe très sûr du début de la maladie. Dans le cours de ses expériences, M. Finkelstein n'a jamais observé les retours aux longues incubations, signalés à tort par M. Frisch. Une plus longue durée de l'incubation tient à ce que l’on a inoculé une très petite quantité de virus. M. Finkelstein a reconnu, comme M. Pasteur, que l’immunité pouvait être donnée aux chiens à la suite d’une seule inoculation sous-cutanée de virus fixe. Les lapins sont rendus difficilement réfractaires à la rage; lesinoculations préventives, sous-cutanées, peuvent donner la rage à ces animaux. Dans deux cas, l'injection intra-veineuse de virus fixe n’a été suivie d'aucun effet. Ce mode d'inoculation n'est pas aussi sûr que celui par trépanation. Les inoculations de virus fixe ont toujours donné la rage paralytique. A Tiflis, les animaux inoculés préventivement ont toujours été éprouvés par l’inoculation du virus fixe sous la dure-mère. Cette épreuve est plus sévère que celles où l’on fait usage du virus de rage des rues. L'injection intra-veineuse du virus fixe n’a pas toujours donné la rage aux chiens; l'auteur pense que ce résultat n’est pas complètement d'accord avec ceux du laboratoire de M. Pasteur. Il faut cependant observer que les résultats publiés pas M. Pasteur avaient été obtenus avec un virus de passages beaucoup moins élevés que ceux dont M. Finkelstein a fait usage. C’est probablement à cette circonstance qu’il faut rapporter cette différence. L'inoculation sous la dure-raère des moelles de 3, 4 et 6 jours n'a pas été suivie de maladie, dans irois cas. M. Finkelstein pense que cela est dû Annales de l'Anstihult Pasteur li9.1 / pe ES res AN LES ( L ÇA (of. à LIN à 2 = # }} } ! ) RS = P-n ÿ P 4 FN : / A N ESA ee A é Q ( EN \ D! “ ñ PS 2 N Sn Sr Ÿ N Se 7 } ÿ ; FA ( É FAC ah \ } ? ho Ke { Photetyaie À Quinsac & G Baquié, Paris. REVUES ET ANALYSES. d77 à l’action sur les moelles de la température, qui était'alors très élevée à Tiflis. Dans quelques autres cas, l'inoculation intra-arachnoïdienne du virus fixe a donné la rage avec un retard qu’il n’a pas'été possible d'expliquer. Les expériences sur l'immunité contre la rage ont porté sur les chiens et les lapins. Deux chiens ont été rendus réfractaires à la suite d’une seule injection de virus fixe sous la peau. Sur 4 chiens, soumis aux inoculations préventives, un seul a résisté à l’inoculation du virus fixe sous la dure-mère. L'auteur pense que les succès auraient été plus nombreux s'il avait multiplié les inoculations préventives; il n’en avait fait que dix. Les lapins, qui ont servi aux essais de vaccination, ont succombé les uns à la suite des inoculations préventives (8, 14, 16 injections de moelles de 5, 14 et 15 jours). Les autres ont supporté ces inoculations, mais ont pris la rage après injection de virus fixe sous la dure-mère. Cependant, sur 11 expériences, 3 lapins étaient réfractaires après les inoculations préventives. Deux lapins inoculés sous la dure-mère et traités ensuite ont succombé à la rage. Ces résultats sont intéressants à cause de la grande réceptivité du lapin pour la rage et aussi parce qu'ils ont été éprouvés d'une façon très sévère par l'introduction à la surface du cerveau du virus de passage, plus actif que celui de la rage des rues. Les moelles rabiques employées dans ces expériences ont été ensemencées dans divers milieux nutritifs et toujours sans donner de culture; elles ne contenaient done pas de microbes étrangers, ce qui prouve le soin apporté par l’auteur dans ces recherches. BARTOCHEVITCH. H. Bucaner. Sur les prétendues spores du bacille typhique. Centralbl. f. Bakt., t. IV, p. 355. L'existence de spores dans le bacille typhique, annoncée par Gaffky, avait, croyons-nous, laissé un peu incrédules tous les savants qui avaient fait des cultures de ce microbe. On y trouve, en effet, au bout de trois ou quatre jours, lorsqu'on le cultive sur la pomme de terre à 37°, des corpus- cules ronds et brillants, toujours placés à une extrémité du bacille, mais qui paraissent enchatonnés dans cette extrémité, et dont l'aspect, légère- ment rugueux, n'est pas celui des spores des autres bacilles. Gaffky avait argué, pour leur attribuer cette nature, de l'existence, dans les préparations colorées, de plages se refusant à la coloration et placées à l'extrémité des bâtonnets, comme les granules brillants dans la préparation fraîche. Il avait cité, comme seconde preuve de ce qu'il avançait, une expérience dans laquelle il avait vu une culture riche en spores résister trois mois à la dessiccation, mais il n'avait pas fait d'expérience comparative, ni démontré qu’une culture sans spores, mise dans les mêmes conditions, est morte au bout de ce temps. Sur l'existence de ces spores, on avait échafaudé une érie de conclusions étiologiques au sujet de la fièvre typhoïde. 578 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. M. Buchner vient dône fort à propos démontrer que les conclusions un peu hâtives de M. Gaffky sont erronées. Les granulations brillantes de l’une des extrémités sont des concrétions protoplasmiques, qui ne se produisent que parce que la culture sur la pomme de terre devient peu à peu acide. Si on rend cette pomme de terre alcaline en la laissant séjourner, avant la stérilisation, quelques minutes dans une solution de soude, on ne trouve plus trace de ces grains brillants. Un autre moyen de les obtenir est de réduire ou de supprimer la quantité d'oxygène dont la culture a besoin. M. Birsch-Hirschfed a montré de son côté qu’on en trouve dans les bacilles cultivés en présence de matières colorantes qui les pénétrent, par exemple dans une culture en gouttes pendantes sur de la gélatine colorée avec du rouge de phloxine. M. Birsch-Hirschfeld avait interprété le phénomène dans le sens de M. Gaffky, en y voyant la formation de spores. M. Buthner, rapprochant tous ces faits, y voit, avec plus juste raison, un procès de désénérescence, sous l'influence de la présence de l'acide, de la matière colorante, ou de la privation d'oxygène, procès qui se dénoue comme il le fait presque toujours, par une coagulation du protoplasma. Restent à expliquer les plages incolores des extrémités dans les prépa- rations colorées. M. Gaffky, les trouvant à la même place que les spores, avait conclu que e’étaient ces spores qui se refusaient à la coloration. M. Buchner montre élégamment que les concrétions protoplasmiques et les plages ingolores sont choses très différentes. Il lui suffit pour cela de colorer sa préparation sous le microscope, en faisant arriver doucement la matière colorante sous la lamelle, et d'observer. Il vôit alors que la prétendue spore de Gaffky, au lieu de rester incolore, se colore la première, et d'une teinte plus foncée que le reste du bacille. Ce n’est donc pas une spore, ce n’est pas davantage de la matière grasse, c'est du protoplasma condensé. On voi en même temps, à mesure que la coloration du baecille devient plus intense, apparaître, quelquefois à une des ses extrémités, quelquefois aux deux, une plage incolore, due à une rétraction du protoplasma, et qui ne se confond pas avec les prétendues spores, car tantôt ce protoplasma qui se contracte entraîne avec lui le petit coagulum coloré dont nous parlions tout à l'heure, tantôt il le laisse en place. Les plages incolores sont done dues, d’après M. Buchner, à une simple rétraction du protoplasma, qui se fait surtout pendant la dessiccation de la lamelle dans les méthodes ordinaires de colo- ration. M. Buchner termine cette démonstration, qui semble topique, en prouvant que les cultures où on trouve de ces prétendues spores, au lieu d’être plus résistantes à la dessiecation que celles ou il n’y en a pas, le sont moins, ce qui est d'accord avec l'explication qui voit dans la concrétion: protoplasmique une preuve de l’affaiblissement du bacille. Dx. INSTITUT PASTEUR. 519 V. TassivarI. Recherches expérimentales sur l’action de la fumée de tabac sur les organismes en général, et surtout sur ceux qui sont pathogènes. Centralbl., t. IV, p. 449. M. Tassinari fait passer, en l’aspirant, la fumée d’un cigare ou d’une cigarette, dans une chambre formée par deux entonnoirs abouchés, et dans laquelle se trouve suspendue, au moyen d'un fi de platine, une bande de tissu de lin effilochée, et imbibée d’une culture du microbe à étudier. L'expérience terminée, qui dure 30 à 35 minutes et consomme moins de 5 grammes de tabac, on fait tomber le tissu dans un tube à gélatine où on le traite par la méthode ordinæire. On trouve aussi que la fumée de trois espèces de cigares ralentit le développement des microbes, et même arrête tout à fait celui des bacilles du choléra asiatique, de Finkler et Prior, et du typhus abdominal. La fumée de la cigarette ne donne qu'un léger retard, qui est même en moyenne moins prononcé pour les bacilles que tuait la fumée des cigares. Cette contradiction étonne, et on se demande s’il n’y a pas quelque cause d'erreur. Il serait curieux de voir les fumeurs faire de l’hygiène comme M. Jourdain faisait de ia prose, sans le savoir. DXx. INSTITUT PASTEUR Personnes traitées mortes de rage. Couzinier (Jean), 65 ans. Courbevoie (Seine). — Mordu par un chien le 12 septembre à l’arcade sourcillière droite : décollement d’un lambeau de peau de 1 centimètre de largeur sur une étendue de 4 centimètres. Deux autres morsures sur le front. Deux éra- flures à l’avant-bras gauche et une autre à la jambe droite. Traité du 12 septembre au 3 octobre. Le 6 octobre, Couzinier éprouve des douleurs dans la cicatrice de l’arcade sourcilière. Il se plaint de mal de tête. Le 8, il ressent des fourmillements surtout dans la partie droite de la peau du crâne et de la figure. Il ne dort pas et se plaint de douleurs dans les membres. Le 10, hydro- phobie et aérophobie légères qui vont en augmentant le 11 et s’accompagnent d'excitation. Mort le 14 à l'hôpital Broussais. Le bulbe du chien mordeur a donné la rage en 12) ours aux animaux auxquels il à été inoculé dans l'œil. Couzinier a été pris de rage 3 jours après la fin du traitement. 80 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. INSTITUT PASTEUR STATISTIQUE ! DU TRAITEMENT PRÉVENTIF DE LA RAGE. — SEPTEMBRE 1888 A B C a TR À ©, | Morsures à la tête ( simples.....| »| @! . | CS TPS A et à la figure multiples....| »| 1) » 2) Le Cautérisations efficaces. ........... 5: slots > THON == ne f ficaces NS En ets ae »| » »  » » »| » » Pas de cautérisation.............. RE Te) Se A TES » 119) Vo iles . (simples: 2) ts »| 135) »| 3 S Ac ). 3 L S Morsures aux mains, multiples....| »| #) ei 28) 43) ,| 9 1? Cautérisations effiraces......:..... RE M RS ue » »| » — inefficaces NOR SRE TON CARE RE | » 8 » » 6| » » Pas dercuuténsatons semer 55 ty, 1832105 » | 6 rAlR Morsures aux mem-{ simples......| »| æ) _|» D 2=| ” 5) + bres et au tronc | multiples....| »| » | ®| »| 16) *®| | s\ Cautérisations efficaces............ 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Les animaux mordeurs ont été : Chiens, 113 fois; chats, 8 fois. Le Gérant : G. Masson. Sceaux. — Imprimerie Charaire et fils. 2m ANNÉE. NOVEMBRE 1888. Ne 41 AQS\CA ON 0258 ANNALES S DE k [1 \- À EFENS FEU PASTEUR RECHERCHES SUR LE POLYMORPHISNE DU CLADOSPORIUN HERBARUM, Par M. E. LAURENT. (Suite.) III DEMATIUM PULLULANS (de Bary) !. Sous ce nom, de Bary a décrit des masses mycéliennes qui abondent dans les solutions organiques abandonnées à l'air. Ce sont des filaments formés de cellules courtes, d’abord hyalines, mais qui s’entourent plus tard de membranes épaissies d’un brun olivätre ; les cellules deviennent alors renflées et paraissent arti- culées. Jamais il n’y a formation de filaments aériens avec conidies, mais, dans le liquide, il se produit souvent des cellules formes-levures, qui bourgeonnent à la facon des cellules de Levures. Dans ses Études sur la bière (PI. IX, fig. G), M. Pasteur a très bien figuré l'aspect du Dematium avec formes-levures, ré- colté sur des grains de raisin plongés dans des solutions sucrées. Cette mucédinée est extrèmement répandue; il n’est pas possible de placer dans des solutions nutritives un fragment de plante cueilli à l’air sans la voir apparaître. Elle est l'hôte habi- tuel des liquides organiques préparés dans les laboratoires. Si commune qu'elle soit, cette moisissure n'avait pourtant jusqu'ici qu'une histoire très obscure. 1. Morphol. und Physiol. der Pilze, p. 182, 1866. 37 : à M LE, E y re 982 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. E. Lœw en a fait l’objet d’une bonne étude ‘. Cet auteur a remarqué la ressemblance du Dematium avec les filaments mycé- K f (M del Fig. 4. — Dematlium pullulans, sans formes-levures, observé dansune solution d’acétate de potassium. liens de Cladosporium, mais n’a pas cru devoir admettre une communauté d’origine. Lœw a parfaitement observé la produc- DA Moheue del Fig. 5. — Dematium pullulans, avec formes-levures, G = 300. tion de cellules formes-levures sur les filaments du Dematium. M. Saccardo, dans son Sylloge Fungorum (vol. IV, p. 351), 1. E. Lœw, Ucber Dematium pullulans, in Jahrb. für wissensch. Botanik, t. VI, p. 467, 1868. CLADOSPORIUM HERBARUM. 583 indique le Dematium pullulans comme un état mycélien du Cla- dosporium herbarum. Gette opinion n’est basée, d’après ce que m a écrit le botaniste italien, que sur l’aspect des filaments mycé- liens. | M. Frank : rattache avec doute le Dematium au Pen. clado- sporioides. Pour M. Flügge *, le Dematium appartient vraisemblablement au Fumago où au Pleospor«. Enfin, tout récemment, M. Costantin * déclare identiques le Dematium et le Cladosporium, sans en donner de preuve. Depuis l’année 1884, j'ai eu fréquemment l’occasion de ren- contrer le Dematium, et j'ai essayé en vain d’en obtenir des coni- dies aériennes. En 1886, j'avais fortuitement observé, dans une solution d’acétate de potassium, un Dematium dont les filaments se prolongeaient par des appareils conidifères de Pen. clado- sporioides. J'étais donc porté à admettre la mème origine pour ces deux mucédinées, lorsque mes études sur le C/adosporium her- barum me conduisirent à faire de nombreuses observations sur le Dematium. Dans les cultures du C/adosporium dans des milieux liquides, on rencontre parfois, je l'ai déjà dit, des formes Dematium et levures. Mais elles sont peu favorables à l'examen, car les cellules formes-levures se séparent du filament et se répandent dans le liquide nutritif. Il n’en est plus ainsi dans les cultures sur milieux solides, principalement sur gélatine. On voit alors les filaments mycéliens produire latéralement des formes-levures, qui par bourgeonnement, constituent des colonies analogues à celles des Levures cultivées sur gélatine. Ces colonies ne subis- sent aucune altération tant que la gélatine reste solide. Il s’en produit ainsi tout le long de chaque rameau ; elles sont d'autant plus petites qu’elles sont plus rapprochées du sommet du filament, au voisinage duquel on voit encore des formes- levures isolées. Chacun des rameaux mycéliens est ainsi trans- formé en un chapelet de colonies de formes-levures ; l’ensemble du mycélium a l'aspect d’une étoile à rayons plus ou moins nombreux fixée dans la couche de gélatine nutritive. L'examen À. A. Frank, Synopsis der Pflanzenkunde, Band II, Kryptogamen, p. 610, 1886. 2. G. C. Flügge, traduction de F. Henrijean, les Microorganismes, p. 72, 1887. 3, J. Costantin, les Mucédinees simples, p. 144, 1888. D84 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. microscopique à un faible grossissement en est des plus inté- ressants. (Fig. 6.) F (LE deb. Fig. 6. — Un rameau d'une colonie étoilée de Dematium avec formes- levures, cultivé sur gélatine. G = 60. Cultivé sur gélatine, le Dematium avec cellules formes-levures donne très rarement des filaments aériens avec conidies ; j'en J L LR. Je ES + NS L NP SE RAS \ 4, SOS Fig. T. — Six colonies de Dematium avec formes-levures, cultivé sur gélatine. On voit toutes les transitions entre les colonies étoilées et les colonies arrondies, analogues à celles des levures, G = 66. CLADOSPORIUM HERBARUM. D8ù ai cependant observé, à plusieurs reprises, qui n'étaient autres que les appareils conidifères du Pen. cladosporioïdes. J'ai eu la bonne fortune de constater le même fait dans des cultures de pollen faites dans des solutions de saccharose concentrées, et avec lesquelles il n’était presque pas possible d'éviter l’envahissement par le Dematium des chambres humides placées sous le micros- cope. Plusieurs mycéliums produisirent des filaments aériens de Pen. cladosporioides. Fig. 8. — Un rameau de Dematium avec formes-levures, terminé par un appareil conidifère de Penicillium cladosporioiïdes, observé dans une culture sur gélatine. G = 66. Ces observations permettent de considérer le Dematium pul- lulans comme une forme mycélienne, aquatique, du C/adospo- rium herbarum. Il convient de faire ici une remarque qui n’est pas sans im- porlance dans cette question de polymorphisme. Le Cladosporium donne sûrement du Pen. cladosporioïdes, mais toutes les conidies de ces deux moisissures ne sont pas aptes à prendre l'aspect dematium. J'ai pu le constater dans des centaines de cultures. Il y a plus. Parmi les formes dematium, on rencontre toutes les transitions entre des mycéliums vigoureux, dépourvus de formes- levures, et des mycéliums réduits à quelques-unes de ces cellules. Les premiers, cultivés sur gélatine, produisent du Pen. cladospo- rioïdes ; ils ne sont pas encore dégénérés aussi profondément que les formes demutium avec formes-levures, qui, elles, sont absolu- 586 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. ment incapables de reprendre l'état conidifère aérien. Tous les artifices de culture que j'ai employés : cultures sur tiges, sur fruits stérilisés, dans les milieux organiques les plus variés, ne m'ont jamais donné trace de retour au type originel. J'étais donc arrivé à cette conclusion, pressentie par MM. Frank et Saccardo, que le Dematium pullulans est un état affaibli du Cladosporium herbarum. Une preuve expérimentale était cependant nécessaire pour appuyer cette opinion. J’eus recours à bien des essais sans arriver au résultat espéré. Dans les milieux les plus pauvres (acétates..….), les spores de Clado- sporium donnent des mycéliums avec filaments conidifères typiques. Je n’ai pas été plus heureux avec l’emploi de la chaleur. L'idée me vint d'essayer la lumière solaire. Des spores de Pen. cladosporioides furent placées avec un peu de moût sucré dans des tubes à essai couchés très obliquement sur du papier blanc. Le tout fut exposé dans une serre, et recevait les rayons solaires, en été, depuis 8 heures du matin jusqu’à 6 heures du soir. Des tubes témoins se trouvaient non loin de là, sous une cloche noire ; je me suis assuré que la température n'était pas sensible- ment différente au voisinage immédiat de chaque série de tubes mis en expérience. Après une insolation plus ou moins pro- longée, les tubes furent retirés et j'y versai quelques centimètres cubes de moût sucré stérilisé. Voici alors ce qu'on observe. Les tubes qui n’ont été exposés au soleil que pendant quelques heures ou durant deux ou trois jours, ne tardent pas à présenter la couche mycélienne super- ficielle si caractéristique du Cladosporium. Une insolation plus longue, de quatre, cinq jours ou plus en été, de plusieurs semaines au printemps, amène un changement bien marqué dans le déve- loppement. Des masses mycéliennes apparaissent dans la pro- fondeur du liquide sous forme de taches floconneuses, et l'examen microscopique permet d'y reconnaître du dematium, encore assez vigoureux, mais pourvu de formes-levures analogues à celles que donne la culture du Dematium pullulans. L'action de la lumière sur les Bactéries a été étudiée par divers observateurs ‘, qui ont reconnu qu’elle affaiblit le pouvoir germinatif et finit par tuer les spores de ces microbes. Mais c’est 4. Voir ces Annales, t. I, p. 88. CLADOSPORIUM HERBARUM. 987 la première fois qu'une modification morphologique durable est signalée parmi les champignons comme due à un agent physi- que. L'influence de la lumière explique suffisamment la fréquence assez grande des formes dématioïdes dans les cultures de C/a- dosporium recueillies sur des tiges ou des fruits exposés au soleil. Il y a d'ailleurs un autre moyen d'arriver au même résultat. Conservé à l'obscurité, le Cladosporium se modifie aussi avec le temps: des cultures âgées de près de six mois ont aussi donné des dematium avec formes-levures. Il importe d'observer que, par suite de la modification causée par la lumière, le champignon acquiert la propriété de se développer dans la profondeur des liquides et même dans le vide. Il est devenu partiellement anaérobie. Le Cladosporium typique n’est nullement anaérobie ; ses spores refusent de germer dans le vide. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, la diminution de dimensions des conidies n’est pas un symptôme de dégénéres- cence. Je me suis assuré que les spores les plus ténues, non affai- blies par la lumière, donnent sur gélatine des mycéliums à fila- ments grêles, mais néanmoins pourvus de rameaux conidifères aériens. Au bout de quelque temps, les cultures de Dematium sur gélatine et sur pomme de terre changent d'aspect : elles perdent leur teinte blanchàtre pour devenir d’un noir souvent très foncé. Les filaments et les formes-levures cessent d’être hyalins, leur membrane cellulaire s’épaissit, brunit fortement et le tout rappelle les pellicules de fwmago, que l’on observe sur les feuilles des plantes. La même modification se produit aussi dans les cultures en milieux liquides ; après un laps de temps de durée très variable, on y trouve des amas de filaments et de formes-levures à mem- brane épaissie et de couleur très foncée. C’est là, sans conteste, un état favorable à la conservation du pouvoir germinatif, qui correspond pour le Dematium aux spores des Bactéries. Lors de la germination, ces kystes émettent des filaments de dematium avec formes-levures; les plus volumineux, nés de formes affai- blies, n’ont jamais reproduit l’état c/adosporium. Voilà donc un 588 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. champignon qui peut donner du dematium par dégénérescence, sans que la transformation inverse paraisse possible à réaliser. Les états dematium et fumago ne sont pas propres au Cl/ado- sportum. Il en est de beaucoup moins répandus dans la nature, qui appartiennent à d’autres moisissures (Al{ernaria tenus, Penicillium glaucum, etc.). Eux aussi reviennent très difficile- ment au type primitif, et il est souvent très difficile de déter- miner, même par la culture, la nature spécifique de ces pro- ductions cryptogamiques. Une insolation prolongée complète la dégénérescence du cladosporiun : la forme dematium diminue progressivement de vigueur et tend à donner exclusivement des colonies de plus en plus réduites. Des colonies étoilées très rameuses ne donnent plus par ensemencement que des masses à un ou deux filaments latéraux, et on arrive bientôt à des colonies arrondies comme celles de la levure de bière (Voir fig. 7). Enfin, après une exposition au soleil d'autant plus courte que les rayons sont plus ardents, la plante meurt. Il n’est pas possible d'exprimer par des chiffres la résistance du Dematium à la lumière solaire. Je l'ai vu détruit après six jours d'insolation pendant le mois d'août 1887, tandis qu'il a pu résister du 25 février au 7 avril 1888. IV FORMES-LEVURES DE CLADOSPORIUM HERBARUM ‘. J'ai signalé la production de cellules à aspect de levures sur les filaments mycéliens du Dematium dans les cultures sur gé- latine et les solutions nutritives. Ces cellules se détachent rapi- dement de leur support dans les cultures liquides. Isolées, elles bourgeonnent à la façon des Levures ; plus rarement elles don- 1. Il y aurait peut-être lieu de réserver le terme levures aux champignons infé- rieurs qui provoquent les fermentations alcooliques typiques (levures de bière. de vin, etce…..). Les microbes qui leur ressemblent, mais qui sont dépourvus du carac- tère ferment, seraient réunis sous le nom de Formes-Levures. Lorsque celles-ci recouvrent la surface des liquides organiques, ce seraient des formes-levures my- codermiques. Cette nomenclature empécherait de confondre des organismes, qui se ressemblent au point de vue morphologique, mais qui sont doués de propriétés physiologiques bien différentes. CLADOSPORIUN HERBARUM. 589 nent des filaments germinatifs, qui ne tardent pas à prendre l'état dematium ou fumago. Fig. 9 — Forme-levure de cladosporium. G = 60. Les formes-levures ont été signalées chez les champignons par divers observateurs : par de Bary et Lœw pour le Dematium pullulans ; par M. Cuboni pour le C/adosporium ; par M. Brefeld pour des Ustilaginées ‘ et des Basidiomycètes ? ; par M. Duclaux pour le Oidium lactis*. J'en ai observé chez plusieurs Ustila- ginées non citées par M. Brefeld et chez le Tubercularia vulgaris. Enfin, M. Massart en a obteru tout récemment dans la culture du Lycoperdon cælatum. Au moment de leur formation, toutes ces formes-levures sont dépourvues du caractère ferment, mais conservent indéfiniment cet état. 11 convient de rappeler que des Mucorinées, dont l’orga- nisation est si distincte des champignons que je viens de citer, ont aussi des formes-levures. Maïs la durée de l’état levure n’est pas indéfinie. La multiplicité des espèces qui peuvent engendrer des cel- lules à aspect de levures, rend bien difficile à préciser l’origine des formes-levures si répandues, surtout dans l'atmosphère. Sous le nom de torulacées, M. Pasteur a étudié des formes- levures rencontrées sur des grains de raisins, et qu'il rattachait avec raison au Dematium pullulans. J'ai pu m'assurer, par la culture, de la présence du Dematium et de ses formes-levures sur les fruits les plus variés, principalement sur ceux de nature 4. Osc. Brefeld, Untersuchungen aus den Gesammtgebiete der Mykologie, Heft V, Hefenpilze, Leipzig,. 1883. 2, Untersuchungen..…., Heft VIT, Basidiomyceten, 1888. 8. Duclaux, Microbiologie, p. 673, 1883. 590 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. pulpeuse. Ces productions sont aussi répandues sur les fruits des espèces sauvages que sur les fraises, les cerises, les gro- seilles, etc., récoltées dansles jardins et dans les serres. Toute- fois elles sont bien plus abondantes en plein soleil que sur les baies situées à l'ombre, où prédomine le C/adosporium typique. Nous savons maintenant pourquoi. Les fruits protégés par un épiderme résistant, comme les pommes, les poires, certaines variétés de raisins. sont aussi peu favorables à la production des formes dematiim et levures. M. Pasteur a émis l’hypothèse que c'est parmi ces végéta- tions superficielles que naissent les ferments alcooliques *. Il y avait donc le plus grand intérêt à soumettre la forme-levure de Cladosporium à une étude aussi complète que possible. Pour obtenir une semence bien pure, je suis parti des colo- nies plus ou moins rameuses que produit le Dematium cultivé sur gélatine. Les cellules formes-levures sont le plus souvent ovoïdes, mais on en voit de forme presque sphérique. Leur taille est extrêmement variable dans la même culture : les dimensions les plus communes sont 8 à 15 y pour le plus grand diamètre et de # à 9 ÿ pour la largeur. Presque toujours les cultures de forme-levure renferment un nombre plus ou moins grand de filaments de Demattum, car le passage de l’un à l’autre état ne cesse de se faire que dans les races les plus affaiblies. Les renseignements qui vont suivre, relatifs à l’histoire de la forme-levure de Cladosporium, s'appli- quent par conséquent au Dematium pullulans, arrivé à l’état producteur de cellules formes-levures. Cultivée dans les solutions sucrées, moût de bière, de vin, liquide de touraitlon sucré, etc., la forme-levure trouble bientôt le liquide, le rend fortement visqueux et donne à la surface du liquide une masse blanchâtre appliquée sur les parois du verre. Dans les tubes à essai, et dans les matras Pasteur, il se produit ainsi un anneau mycodermique assez caractéristique. À la longue, cet anneau noircit par suite de l'épaississement et de la subérisation des membranes. En même temps, la taille des cel- lules devient beaucoup plus considérable ; elles se remplissent de gouttelettes de matière grasse et revêtent l’état j'umago. Cette A. Etudes sur la bière, p. 155, 18TG. CLADOSPORIUM HERBARUM. )91 transformation n’a pas seulement lieu à la surface, elle se fait aussi, mais avec plus de lenteur, dans la profondeur des solutions sucrées. Les cultures dans le vide ne présentent pas d'anneau myco- dermique ; ilen est de même pour les cultures des races les plus dégénérées. La figure 7 représente l'aspect des colonies rameuses et non rameuses du Dematium et de la forme-levure sur lame de géla- tine. En tube de gélatine, après un ensemencement par piqüre dans la masse, le développement est curieux à observer. A la surface, c’est une colonie épaisse, blanchâtre, qui s'accroît lentement et qui plus tard liquéfiera la gélatine. Tout le long de la piqûre, il se produit des rameaux qui rayonnent vers la paroi du tube. On ne peut mieux comparer l'aspect de la culture qu'à une jeune racine de maïs développée dans une chambre humide et couverte de poils radicaux. Au sein de la gélatine, la pénétration de l'oxygène extérieur esL fort difficile. 11 faut donc que la forme-levure possède le pouvoir de croitre en l’absence d'air. Le Cladosporium typique, dont elle provient, est au contraire, nettement aérobie. Les produits de dégénérescence de ce champignon sont donc mieux doués que le type originel pour ce qui est de la nutrition dans la profondeur des liquides sucrés. La forme-levure liquéfie la gélatine assez rapidement à la température ordinaire : du sixième au huitième jour, la culture a pris la consistance d'une matière extrèmement visqueuse. Je me suis assuré que cette viscosité n'est point due à des gaines gélatineuses analogues à celles qui sont si fréquentes chez beau- coup d'organismes inférieurs. Lorsque les cultures sur gélatine se dessèchent, les cellules noircissent, se gonflent et forment des masses à aspect de fumago. Gette modification se fait aussi bien à l’obscurité qu’à la lumière. J'ai fait aussi des cultures sur tranches, stérilisées à la vapeur, de pomme de terre, de carotte, de navet, placées dans de larges tubes à essais fermés par un tampon d’ouate. Dans ces conditions, il se produit des pellicules visqueuses, d'un blanc de crème, sur lesquelles on aperçoit çà et là un léger duvet. dû aux productions filamenteuses de nature dématioïde. 592 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Ces pellicules noircissent aussi avec le temps; mais auparavant, si on les expose à la lumière, même diffuse, elles acquièrent une teinte rose assez marquée. J'ai fait des cultures compara- tives à l'obscurité, à la lumière diffuse et en plein soleil. La différence de coloration a toujours été des plus frappantes. J’exposerai plus loin les résultats auxquels je suis parvenu par la culture des formes devenues rouges à la lumière. Pour ce qui est de la nutrition, la forme-levure de C/ados- porium (et il en est de même du C/adosporium et du Dematium) a des aptitudes extrêmement variées. Elle se nourrit avec facilité des diverses matières sucrées, des peptones, de la gélatine pure, des citrates, tartrates, malates, succinates, lactates et acétates ; elle végète dans des solutions minérales appropriées additionnées de glycérine, de divers glycosides et même de certains alcaloïdes (colchicine, atropine). | Le Cladosporium et ses formes réduites intervertissent la saccharose, attaquent jusqu’à un certain point les albuminoïdes et peuvent même se nourrir de matière amylacée à l’état d’em- pois. La forme-levure préfère les milieux acides; elle résiste à 15 millièmes d'acide tartrique, à 25 millièmes d'acide lactique. Toutefois, elle parvient à croître dans des moûts udditionnés de 5 millièmes de soude caustique ; une proportion de 1 0/0 de cet alcali entrave la croissance. J'ai remarqué que la liquéfaction de la gélatine est un peu plus rapide dans les cullures en gélatine alcaline ; il y apparait aussi de bonne heure des formes fwmago, qui trahissent un état de souffrance. Les grosses cellules noires ainsi produites peuvent, à la ger- mination, donner des filaments dématioïdes. Le retour de la forme-levure ordinaire à l’état dematium est donc aussi facile à réaliser que la transformation inverse. Comme pouvoir d'assimilation pour les substances organi- ques, il n’y a guère que le Penicillium glaucum et la Levure de bière! qui puissent rivaliser avec le C/adosporium et ses états polymorphes. Ceux-ci se laissent cultiver sans difficulté dans les solutions minérales qui renferment, outre un aliment azoté, 1. E. Laurent, Sur les aliments organiques de la Levure de bière, in Bull. Soc. bot. de Belgique, t. XXVII, 1888. CLADOSPORIUM HERBARUM. 293 un peu de phosphate de potassium et de sulfate de magnésium associé à l’une des matières combustibles dont je viens de faire l'énumération ‘. La nature ammoniacale ou nitrique de l’engrais n'est pas indifférente. Le Cladosporium préfère les nitrates : il pousse moins bien dans les solutions qui contiennent du sulfate d’ammoniaque. Voici les résultats de cultures comparatives faites dans des solutions renfermant des quantités équivalentes d'azote, de nitrate de sodium et de sulfate d'ammoniaque et une proportion de saccharose égale à 2,5 0/0. Matière sèche produite pour 20 centimètres cubes du mélange après vingt jours de végétation à la température de 20 à 22° : l Il Avec le nitrate de sodium . . .. 0,203 gr. ‘: 0,1895 gr. Avec le sulfate d’ammoniaque . . 0,164 0,120 11 n’en est pas de même de la forme-levure, qui donne un poids de cellules toujours plus élevé dans la solution ammonie- cale. Trois races différentes ont été cultivées dans les mêmes conditions que ie Cladosporium : I Il III Avec le nitrate de sodium . . 0,0795 gr. 0,078 gr. 0,035 cr. Avec le sulfate d’ammoniaque. 0,090 0,0895 0,058 L'addition de sulfate de sodium à 1 p. 100 aux deux solu- tons ne modifie en rien les résultats ; ils sont donc bien l’effet de l’action différente des nitrates et des sels ammoniacaux. Un examen attentif des cultures montre que dans la solution ammoniacale, il y a l'anneau mycodermique habituel, et que le liquide est devenu très visqueux. Dans le mélange nitrique, ni 1. Voici la composition du mélange salin que j'emploie le plus fréquemment dans la culture des microbes ; il a été calculé d’après la composition de la levure de bière et convient à une foule d'organismes : EAU TS NET MS NC UNI EE : 4000 cc. Nitrate de sodium Fee 6,07 gr. ou sulfate d'ammoniaque. . . ... 4,71 Phosphate de potassium ...... 0,75 Sulfate de magnésium. . ...... 0,10 Une matière organique Pour les champignons, il est utile d'ajouter un millième d'acide tartrique ; le liquide doit être légèrement alcalinisé s’il est destiné aux Bactéries. 094 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. anneau mycodermique ni viscosité. Ce n'est pas tout. Le microscope révèle une différence d'un autre ordre. La solution nitrique favorise le développement de filaments dématioïdes (fig. 10), tandis que dans la solution ammoniacale, ce sont les £ Mehei del Fig. 40. — Forme-levure cultivée dans la solution nitrique. G = 200. cellules formes-levures qui prédominent à l'exclusion presque complète de productions filamenteuses (fig. 11). Fig. 41. — Forme-levure cultivée dans la solution ammoniacale. G = 180. Une relation paraît exister entre cette influence du nitrate de sodium sur la forme-levure et la préférence du C/adosporium pour le même sel. Il n’est pas non plus impossible que l’obser- vation actuelle puisse être rapprochée de l’action presque nulle des nitrates sur le développement de la Levure de bière. La forme-levure, et il en est de même du C/adosporium, réduit les nitrates en nitrites. La réaction qui nous a servi à vérifier ce fait est celle du chlorure de naphtylamine et de l’acide sulfo- anilique. CLADOSPORIUM HERBARUN. 295 Dans les milieux peu nutritifs, la forme-levure passe rapidement à l'état fusnago, et souvent aussi ses cellules se remplisssent de nombreux globules gras, de dimensions parfois considérables. Comme dans la grande majorité des champignons, le C/ados- porium, et surtout ses formes-levures, se prêtent très bien à la formation de réserves hydrocarbonées, qui s'accumulent dans les cellules à l’état de glycogène, et que l’iode colore en rouge brun plus ou moins foncé. La réaction est surtout bien visible dans les cultures sur gélatine, avant le moment de la liquéfac- tion. Dès que les cellules peuvent reprendre leur croissance sans obstacle, comme dans les liquides, la réserve ne tarde pas à disparaitre. Cultivée dans les solutions sucrées, de maltose, de glycose ou de sucre interverti, la forme-levure normale est dépourvue du caractère ferment. Cependant il se produit un peu d’alcool par suite de la continuation de la vie dans la profondeur des liquides. La proportion d'alcool ainsi formée est toujours très faible ; à diverses reprises, j'ai trouvé, dans des moûts sucrés à 5 0/0, de 0,6 à 1 0/0 d'alcool après un mois de végétation. La forme-levure se distingue en outre des vraies Levures par l'absence d’endospores. J'ai fait de très nombreux essais, à des températures variées, surtout sur le plâtre, en vue d'observer la production de spores internes. Jamais la forme normale ne m’en a donné, tandis que des cultures simultanées de Levures de bière et de vin m’en produisaient en abondance. Plusieurs fois, cependant, j'avais cru en avoir observé ; mais ce n'étaient que des corps gras réunis par deux, trois ou quatre dans chaque cellule. Le contact prolongé de l’éther les faisait disparaître et enlevait toute illusion. Je me suis assuré par la culture que la forme-levure ne peut pas non plus produire de végétations mycodermiques à la surface des liquides alcooliques (vin et bière). Il semble donc que les cellules bourgeonnantes de dema- tium soient absolument différentes des Levures. Néanmoins, j'estime que rien ne nous autorise à abandonner l'hypothèse de M. Pasteur sur l’origine des ferments alcooliques, et j'indi- querai bientôt des faits probants dans cet ordre d'idées. 296 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Je ne veux insister pour le moment que sur la production de races de formes-levures de Cladosporium à colonies roses sur pomme de terre. J'avais eu l’occasion de l’observer pendant le mois de décembre 1887, mais je n’y avais pas attaché grande importance parce que cette variation ne m’avait pas paru per- sister dans des cultures successives. Pendant le mois de sep- tembre dernier, une petite forme-levure de Cladosporium, trou- vée sur des groseilles desséchées, fut exposée au soleil, et compa- rativement à l'obscurité, afin d’en étudier les modifications. Je fus très surpris de trouver, au bout de quelque temps, dans les tubes exposés au soleil, non seulement la dégradation morpho- logique dont j'ai déjà parlé, mais encore la formation d’un an- neau rose au niveau du liquide. Des cultures faites sur gélatine avec des cellules contenues dans les tubes insolés et non insolés, m'ont fourni des résultats bien différents. Celles qui provenaient de tubes conservés à l'obscurité ont produit des colonies pour la plupart étoilées et blanches comme d'habitude. Elles liquéfiaient la gélatine au bout de six ou sept jours. Les cultures provenant d’une semence exposée au seleil pendant deux jours ne diffé- raient guère des premières. Quatre jours d’insolation avaient provoqué la production de colonies à contour arrondi, carac- tère du à l’action débilitante des radiations solaires. Les plus superficielles présentèrent, dès le troisième jour, une nuance rose qui s’accentua au point de donner des productions absolu- ment semblables à la forme-levure rose, si répandue dans les eaux et l'atmosphère. J’en avais en culture au moment de ces expériences. La ressemblance des colonies et des cellules n’au- rait permis aucune distinction pour l'œil le plus exercé. Les cel- lules, assez allongées sur la gélatine (fig. 12), devenaient fplus arrondies sur tranches de pommes de terre (fig. 13). A O ©} N D) PACS EE) 9 0 ERA TC CEE , 4 ) p AN D ne . Fig. 12. — Forme-levure deCla- Fig. 13. — La même, cultivée dosporium rose, cultivé sur gé- sur pomme de terre. G —600, latine. G = 600. CLADOSPORIUM HERBARUM. 597 La forme-levure rose de l'air (Saccharomyces ou Crypto- coccus glutinis de Frésénius et de Cohn, Rosahefe des auteurs allemands modernes) a été l’objet de nombreuses observations. M. Hansen : croit qu'il en existe plusieurs espèces ?, les unes à cellules arrondies, une autre à rameaux germinatifs *. La forme-levure rose de C/adosporium diffère, 1l est vrai, quelque peu de la forme-levure rose de l’air : dans les liquides sucrés, la coloration est moins nette ; elle liquéfie aussi la gélatine plus tôt, el il y a plus souvent qu'avec ia forme-levure rose de l'air développement dans les cultures de rameaux latéraux sem- blables à ceux du dematium cultivé sur gélatine. Il se produit ainsi des formes dematium roses. Cette diversité d'aspect montre que l'insolation n’avait pas encore affaibli la descendance d'une façon égale pour tous les individus d'une même race. Il y en avait de plus atteints les uns que les autres. Dès lors, il nous est possible de comprendre et d'expliquer l'existence dans l'air de plusieurs races de forme-levure rose, comme l'avait observé M. Hansen. Rien ne nous dit, d’ailleurs, que d’autres champi- gnons ne puissent donner des formes-levures analogues. Il me paraît, en effet, assez probable que les mycéliums roses que l’on trouve souvent sur les lames de gélatine exposées à l’air, dérivent aussi de spores influencées par la lumière solaire, Beaucoup de ces mycéliums appartiennent au Peziza Sclerotio- rum (Botrytis cinerea). Daus les cultures, ils perdent aisément leur matière colorante et retournent aux types spécifiques, tan- dis que la forme-levure rose de l’air ne m'a jamais présenté de variation incolore, et semble par conséquent plus stable. Action de la chaleur. — Comme la plupart des microbes ubiquistes, la forme-levure de Cladosporium se montre peu dif- ficile au point de vue de la température. A 6°, le développement en est bien marqué: il ne cesse qu'à 38°; l’optimum de crois- sance est compris entre 26° et 30°. Le chauffage dans l’eau à 45°, pendant cinq minutes, des 1. Compte rendu du laboratoire de Carlsberg, 1879, p. 81. 2, Il vaudrait mieux employer le mot races. 3. Pour l’une d'elles, cet auteur dit avoir observé des endospores. Bien sou- vent, j'ai voulu vérifier ce fait : tout ce que j'ai obtenu, c'était des corps gras qui simulaient des spores de la manière la plus parfaite, mais disparaissaient à la longue dans l’éther. 38 598 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. cellules de la forme-levure et des conidies de C/adosporium, at- faiblit fortement le pouvoir germinatif; pour la première, les cellules courtes prédominent au détriment des formes fila- menteuses. La température de 48° pendant cinq minutes est mortelle. Si le chauffage se fait à sec, il faut élever la température à 100° pendant le temps indiqué pour détruire la vitalité des germes. Je n'ai pas indiqué la production de formes dégénérées dans le chauffage des spores du Cladosporium ; on y parviendrait peut- être par une action plus longue de la chaleur, plus favorable à une oxydation lente du protoplasme. Action du temps. — La forme-levure de Cladosporium et ses variétés sont extrêmement répandues dans l’air et même dans les couches superficielles du sol. Des centaines de lames ont depuis deux ans été exposées à l'air dans des localités diverses. Toujours j'ai rencontré des colonies éloilées ou arrondies de dématium et de forme-levure, que la culture m’a permis de rap- porter au Cladosporium. ne faut donc pas s'étonner si les fruits charnus portent des légions de cellules, tant à l’état de Cladospo- rium que sous l'aspect de dematium et de formes-levures. J’en ai compté des milliers sur des fraises, des cerises et des raisins de moyenne grosseur, récoltés avec toutes les précautions exigées en pareille circonstance. Cette abondance de germes d'une même espèce s'explique beaucoup mieux par la facilité avec laquelle ces moisissures se nourrissent des substances les plus variées que par la durée du pouvoir germinatif des spores. Les conidies du Cladosporium et du Pen. cladosporioides, ainsi que les cellules hyalines ou noires de dematium et de forme-levure, ne tardent pas à s’altérer, surtout au contact de l’air. Après six mois, des conidies de Pen. clados- porioïdes cultivé sur gélatine en tubes à essais et conservé à l’obs- curité, sont restées inertes sur gélatine comme dans les moûls sucrés. J'en ai vu d’autres se développer après trois, quatre ou cinq mois de conservation dans les mêmes conditions. Les cel- lules hyalines de la forme-levure ne résistent pas pendant un temps plus long; même dans des ampoules de verre, elles ont été trouvées mortes après neuf mois, malgré l'absence d’air. Par contre, les cellules qui ont pris l'aspect fumago sont plus résis- CLADOSPORIUM HERBARUM. 599 tantes ; j'en ai vu se développer vigoureusement après dix mois de séjour dans un matras Pasteur placé à l'obscurité. D'après M. Duclaux !, les conidies de Penicillium glaucum sont encore vivantes après six années de conservation à sec. Le Cladosporium, quoique très répandu comme le Pen. glaucum, est donc moins bien doué pour ce qui est de la longévité des germes. Par contre, il résiste beaucoup mieux que celui-ci à l'influence de la lumière solaire, qui est rapidement mortelle pour les spores de Penicillium glaucum. Ainsi s'explique la prépondérance du Cladosporium dans la nature. N? FuMAGo DE CLADOSPORIUM HERBARUM. Les botanistes s'accordent généralement à appeler fumago des productions noirâtres qui recouvrent les feuilles de plantes, surtout des espèces atteintes de la miellée. M. Zopf* a montré la variété des aspects que présente le Fumago, surtout en ce qui concerne la production des conidies. Il en a également signalé la forme-levure. J'ai été amené, dans le cours de ces recherches, à faire un grand nombre de cultures sur gélatine de fumayos récoltés sur des plantes très variées dans les diverses régions de l'Europe et mème dans les pays tropicaux. Il résulte de ces essais que ces productions se rapportent à plusieurs types, au moins à deux ou trois que je crois bien distincts, mais parmi lesquels le Clados- porium herbarum est le plus commun. Bien souvent les cultures sur gélatine de fumugo recueilli sur des plantes de pleine terre et de serres, surtout sur oranger, m'ont donné du Pen. cludospo- rioides, du Dematium pullulans et la forme-levure de Cladosporium. Comme ou le voit, l’action solaire a pu dans ce cas modifier profondément les cellules du Cladosporium. J'aurais voulu réa- liser expérimentalement la transformation de ces derniers en fumago sur les feuilles des plantes les plus sujettes à ce dévelop- pement cryptogamique. Il n'est pas possible de les stériliser sûrement sans les tuer, ce qui modifie les conditions de vie des 4. E. Duclaux, Sur la durée de la vie chez les germes des microbes, In Ann. de chimie et de physique, 6e série, t. V, 1885. 2. Zopf, Die Conidien fruchte von Fumago, in Nova asta der Leop. Carol.,t XL, p.157: 600 ANNALES. DE L'INSTITUT PASTEUR. champignons superficiels. Mais, sur gélatine et surtout sur pomme de terre, j'ai observé bien souvent la formation d'états fumago dérivés de cultures de dematium et de Cladosporium. Il n’y a donc aucune raison pour laquelle les conidies de ce cham- pignon et de ses formes végétatives ne puissent se développer sur les feuilles recouvertes de matières sucrées. Fig. 15. — Fumago produit par la forme-levure cultivée dans une solution minérale additionnée de colchicine. G = 200. Fig. 16.— Fumago de forme-levure cultivée dans un liquide sucré. G = 200. Il convient de remarquer que je réunis sous le nom de fumago de Cladosporium des productions dérivées d'états très différents de ce champignon. Ainsi les conidies de Cladosporium typique et CLADOSPORIUM HERBARUM, 601 de Pen. cladosporioïdes, les cellules de dematium et de forme- levure blanche peuvent revêtir l’aspect de grosses cellules, vérita- bles kystes à membranes épaisses et brunes. Ce ne sont là que des états plus résistants, auxquels on ne peut accorder, au point de vue du polymorphisme, l'importance des formes dematium et levure. J'ai déjà fait remarquer que celle-ci retourne à celle- là par l'intermédiaire d’un état fumago, dans lequel on pourrait voir une forme de retour vers le type immédiatement supérieur, le Dematium. C’est là un exemple d'évolution progressive qui se manifeste dans le développement des formes très dégénérées de Cladosporium. Quand il vit à l’état de fumago sur les feuilles des Fe le Cladosporium n'est pas un vrai parasite : il se nourrit des matières sucrées diffusées au travers de l'épiderme par suite d'un état maladif des tissus foliaires. Il est cependant des cas où le Cladosporium prend des allures parasitiques plus nettes. C'est ce que j'ai pu constater en Belgique sur des ananas magnifiques, cultivés dans des conditions d'humidité telles que les fruits étaient atteints de gommose, etse laissaient pénétrer par des fila- ments mycélieus. Ceux-ci appartenaient à une race grêle de Cladosporium avec formes dematium et levure. Le mycélium pro- voquait une rapide décomposition des tissus atteints. La maladie disparut avec la cessation de l'humidité excessive dont on entou- rait les plantes. J'ai pu me convaincre également que certaines affections da plantes de grande culture (pourriture des feuilles de betteraves, caroltes…,) sont également dues à des races de Cladosporium. I n'y a pour moi pas le moindre doute que des états de déve- loppement du Cladosporium ont été à diverses reprises décrits par des botanistes trop désireux de créer des noms nouveaux. C’est ce qui ressort de l’examen des travaux des anciens mycologues. Mais le laconisme des descriptions ne permet guère de faire des identifications certaines. VI Resireint aux résultats obtenus dans le cours des présentes recherches, le polymorphisme du Cladosporium herbarum peut suggérer quelques réflexions sur la nomenclature des Hypho- mycèles. 602 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. D'après mes observations, ce champignon peut présenter les états suivants : 1. Cladosporium herbarum {type naturel) ; 2. Penicillium cladosporioïdes : 3. Dematium (pullulans) sans cellules formes-levures ; 4. _— — avec cellules formes-levures ; 5. Forme-levure blanche ou torulacée de M. Pasteur. 6. — NÉLOSEE 7. Fumago ou état d’enkystement commun aux cinq pre- mières formes. En laissant de côté les Fumago, on peut classer ces états de développement en deux groupes : Le premier comprend les numéros { et 2 et on peut y réunir le n° 3 dépourvu de conidies aquatiques, mais capable de produire des conidies aériennes. Le second groupe est formé des n° 4, 5 et 6, à conidies unique- ment aquatiques. Les formes du premier groupe ne peuvent donner celles du second sans l'intervention de causes qui affai- blissent l'organisme. Et les races suffisamment affaiblies n’ont jamais repris l’état dont elles ne sont que des produits dégé- nérés, On se trouve daus la nécessité de désigner ces formes sous des noms différents pour éviler des descriptions sommaires. Comme on le voit, la nomenclature des organismes inférieurs n'aura jamais la précision qui en fait le mérite chez les êtres supérieurs à développement défini. Néanmoins une réforme complète du langage botanique appliqué aux Hyphomycètes serait à souhaiter et pourrait être réalisée au fur et à mesure des progrès des études. En admettant, ce quejenecroispas, que le C/adosporium herbarum ne se rapporte à aucun champignon d'organisation plus élevée, il y aurait avan- tage à en désigner les états végétatifs de la manière suivante : forme penicillium, forme dematium, forme-levure blanche, forme-levure rose, fumago. Cette réforme, toute radicale qu'elle puisse paraître, s’impo- sera tôt ou tard; elle sera le corollaire nécessaire de l'étude expérimentale des Hyphomycètes. Jusqu'ici, je me suis abstenu d'émettre une hypothèse sur l'état ascomycète du Cladosporium herbarum. Ce n'est pas le Pleospora herbarum, dont j'ai obtenu les périthèces dans la cul- CLADOSPORIUM HERBARUM, 603 ture de l'A/{ernaria tenuis. semble même, d'après mes observa- tions, ne pas exister d'affinité très grande entre le C/adosporium et l’Alfernaria. X est très vraisemblable que la forme ascospore du premier n’est autre que le Capnodium salicinum, auquel jus- qu'ici les mycologues ont attribué exclusivement les fumago folaires. J'aurais voulu vérifier cette hypothèse par la culture des ascopores de Capnodium, mais je n’en ai jamais rencontré pendant la durée de ces recherches. Il n'est pas inutile, pour la compréhension du polymorphisme des êtres inférieurs, de mettre en relief l’idée générale à déduire des recherches actuelles. Le Cladosporium est un exemple d'organisme capable de conserver indéfiniment son état végétatif avec conidies aérien- nes. L'influence de la lumière, ainsi que du temps, modifie l'organisation de ce champignon au point de lui faire prendre des états absolument distincts, aussi persistants que la forme typique (dematium, formes-levures blanche et rose). Ua tel polymorphisme n’est nullement comparable à la suc- cession des états conidiens et ascomycètes (Botrytis et Peziza Sclerotiorum), ni à l'alternance des appareils sporifères des champignons parasites qui vivent sur des plantes d'espèces dif- férentes (des Urédinées). Dans un prochain travail, je démontrerai que les variations morphologiques et surtout physiologiques sont chez les Bacté- ries encore bien plus remarquables ‘, 4. Travail fait au laboratoire de physiologie végétale de l'Université de Bruxelles, et au laboratoire de microbiologie de la Sorbonne, à Paris. RÉPONSE À LA CRITIQUE DE M. WEIGERT AU SUJET DES CELLULES GÉANTES DE LA TUBERCULOSE, Par M. EL. METCHNIKOFF. Dans une publication récente (Fortschritte der Medicin, 4e nov. 1888) M. Weigert fait une critique détaillée de mes vues ! sur les cellules géantes et sur leur rôle phagocytaire dans la tuberculose, critique qui, à son avis, l’autorise à maintenir sa théorie bien connue des cellules géantes et à rejeter la mienne. Les principaux arguments de mon savant adversaire se résument comme il suit : 1° Le pouvoir digestif des phagocytes envers les microbes serait fort douteux, à raison de ce que les diastases secrétées dans l'intestin et notamment la trypsine sont inoffensives même pour les bactéries non pathogènes. 2° Les phénomènes décrits comme montrantla dégénérescence des bacilles dans l’intérieur des cellules géantes seraient inter- prétés par moi d’une façon arbitraire, et pourraient aussi bien être interprétés comme prouvant une dégénérescence du proto- plasma entourant les bacilles. 3° Même en admettant que les corps jaunes en forme de sau- cissons, que j'ai décrits, soient des bacilles dégénérés, on ne saurait y voir, comme je le fais, le résultat de l’action des cellules géantes sur les bacilles vivants. M. Weigert trouve tout aussi probable que cette action se manifeste justement sur les bacilles « morts auparavant sous l’action d’autres facteurs » non déter- minés. 4° Les faits d'anatomie pathologique parleraient, d’après M. Weigert, contre ma théorie, d’abord en nous disant que les individus jeunes sont plus sensibles à la tuberculose que les vieux, et ensuite par ce que c’est dans les organes riches en cellules, et notamment dans les follicules intestinaux, que les 1. Virchow’s Archiv., t. CXIIT. Voir aussi Annales, t. II, p. 503. RÉPONSE À M. WEIGERT. 605 tubercules se développent le plus aisément. Dans les follicules à l'état paystologique, les leucocytes pénètrent jusqu’à la surface même. Ils devraient donc protéger les follicules contre l’agres- sion des bacilles tuberculeux; mais en réalité c'est justement l'inverse qui a lieu. Enfin, « l’inflammation n’est pas non plus en état d’entraver la marche progressive des bacilles, quoique une grande quantité de phagocytes apparaisse sur le champ de bataille. » 5° Le rôle phagocytaire des cellules géantes de la tuberculose ne serait point prouvé pour M. Weigert, parce que leurs mou- vements amiboïdes n’ont pas été observés directement, et que les corps étrangers contenus dans ces cellules avaient peut-être déjà été englobés pendant l’état mononucléaire de la cellule, état précédant sa transformation en cellule géante. M, Weigert, s’ap- puyant sur le fait que, sur les préparations faites d'après les méthodes usuelles, les véritables pseu lopodes des leucocytes disparaissent complètement, tandis que les prolongements si nombreux des cellules géantes persistent, admet que ces der- niers sont immobiles. 6° La division des cellules géantes, décrite dans mon Mémoire, ne serait pas prouvée pour M. Weigert, ce qui lui permet d'insister sur sa théorie, d'après laquelle la production de ces cellules serait précisément due à l'impossibilité de division du protoplasma. M. Weigert cite en faveur de cette opinion les expériences de M. Chabry qui a réussi à entraver la division de l'œuf des ascidies à l’aide d’une pression exercée sur son contenu, pression qui n'était pas assez forte pour empêcher la division des noyaux. En résumant la critique de M. Weigert, j'ai omis sa discussion sur la signification des différentes colorations des bacilles, parce que cette partie de son Mémoire n’a qu’une relation d'ordre secondaire avec la question principale qui nous occupe. Il va sans dire que les objections d’un savant aussi éminent que M. Weigert devaient attirer mon attention d'une façon toute particulière, d'autant plus que, n'étant pas médecin, c’est justement des pathologistes que j'aurais le plus à apprendre, et voici ce que j'ai à répondre aux criliques résumées dans les six paragraphes précédents. 1. D'abord, le pouvoir digestif des phagocytes doit être 606 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. comparé, non à la digestion intestinale des animaux supérieurs, mais de préférence à la digestion intracellulaire indubitable des protozoaires. Or nous observons chez les Rhizopodes et les Infusoires des phénomènes de digestion des bactéridies, qui sont tout à fait semblables à la destruction ordinaire des bactéridies et de divers autres microbes par les phagocytes. Nos connais- sances, il est vrai, ne sont pas encore assez avancées pour déter- miner le rôle des diastases et d’autres substances qui les accom- pagnent dans la digestion intracellulaire des protozoaires et des phagocytes, mais on peut pourtant exprimer la supposition qu'il s’agit là aussi d’une action zymotique intracellulaire, comme je tâcherai de le démontrer dans un travail prochain. En tout cas, je dois rappeler que beaucoup de Protozoaires, incapables de digérer même l’albumine coagulée, dissolvent parfaitement la cellulose, qui pourtant reste intacte sous l'influence des diastases intestinales des animaux supérieurs. Voilà donc un cas dans lequel l’objection, d'ordre général, de M. Weigert, ne s'applique pas. 2. Après avoir maintes fois observé la dégénérescence jaune des bacilles tuberculeux dans les cellules géantes’, je déclare comme absolument inadmissible la supposition d’une transfor- mation du protoplasma entourant les bacilles. Les contours de ces derniers dans tous les stades de dégénéralion sont tellement nets et précis qu'il ne peut rester le moindre doute sur ce point capital de la question. 3. L'objection principale formulée par M. Weigert est celle où il admet que la dégénéralion jaune, quoique produite par l'in- fluence des cellules géantes, s'opère non sur les bacilles vivants, mais sur les cadavres de ces bacilles morts d'avance sous l’action des facteurs étrangers aux cellules. C'est déjà quelque chose que M. Weigert accepte l'idée d'une action cellulaire spécifique sur les bacilles, et qu'il ne nous réduise plus qu’à discuter la question de savoir si cette action s'exerce sur les bacilles vivants ou sur les bacilles morts. À ce sujet il faut remarquer d’abord que les bacilles tuberculeux sont dans tous les cas englobés par les cellules dans un bref délai de quelques heures, et ne restent en 1. Au printemps de l'année courante, j'ai répété encore une fois mes expériences sur Ja tuberculose des spermophiles, et le résultat que j'ai obtenu a été absolu- ment conforme à mes recherches antérieures. RÉPONSE A M. WEIGERT. 607 général libres que très peu de temps, de sorte qu'à partir de ce temps ils ne subissent plus que l'influence directe intracellu- laire. Comment se fait-il alors, qu’on puisse constater encore les premiers stades de la dégénérescence, trois mois après l'inocu- lation, c'est-à-dire, si les idées de M. Weigert sont exactes, trois mois après la pénétration post mortem des bacilles dans les cellules? Du reste M. Weigert n’indique pas, même sous forme d'hypothèse, en quoi pourrait consister cette influence extracel- lulaire, nuisible en si peu de temps aux bactéries pourtant si résistantes de la tuberculose. En injectant dans la veine de l'oreille d'un lapin 1° de culture de ces bacilles, après les avoir tués par l’ébullition, je n’ai pu les retrouver ni dans la rate, ni dans le foie, en sacrifiant l'animal vingt jours après l'expérience. Il ne s'était donc pas produit de ces corps jaunes si caractéristiques pour les bacilles détruits par les cellules géantes. En injectant la méme culture stérilisée dans la chambre antérieure de l'œil du lapin, j'ai trouvé, vingt jours après, dans l’intérieur des macro- phages, un certain nombre de bacilles tuberculeux colorés pour la plupart en rose (coloration double par la fuchsine et le bleu de méthylène); quelques bacilles étaient d’une couleur très pâle rose bleuâtre. Ainsi les bacilles morts par une cause étrangère aux phagocytes ne présentaient pas la transformation qui nous intéresse. A mes expériences antérieures sur les spermophiles, auxquels jinoculais des émulsions de cultures qui pouvaient contenir beaucoup de bacilles morts par eux-mêmes, on pouvait objecter (ce que M. Weigert n'a d’ailleurs pas fait), que ces bacilles étaient précisément les matériaux de formation des corps jaunes. Contre cette objection, je peux citer le fait suivant. Après avoir injecté, dans la cavité abdominale d’un cobaye, une émulsion de rate d'un lapin tuberculeux ! , j'ai observé, 36 jours après, ces mêmes stades de transformation des bacilles en corps jaunes en forme de saucisson, seulement dans un degré beaucoup moindre que chez les spermophiles. Ainsi donc les bacilles provenant non de cultures, mais d'organes tuberculeux, présen- tent les mêmes phénomènes de dégénérescence. 1. Ce lapin était mort dix-sept jours après une injection intraveineuse d'une culture virulente de bacilles tuberculeux. 608 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Si on me répliquait que, malgré tous ces faits, on peut tout de même admettre une influence hypothétique extracellulaire qui se manifesterait sur les bacilles pendant le temps très court de leur séjour hors des cellules, je demanderais au moins des preuves d’analogie et des renseignements plus précis sur la nature possible de cette influence. Je rappellerais aussi qu'il est absolument impossible d'observer les mêmes individus bacillaires dans leur état transformé et dans leur état antérieur, vu que les bacilles ne peuvent être montrés dans les tissus qu'après avoir été tués et colorés. 4. I n’est nullement nécessaire que les phénomènes intracel- lulaires, servant à détruire les bacilles tuberculeux, soient plus développés chez les individus jeunes que chez les adultes ou les vieillards. La propriété bactéricide des cellules géantes peut très bien être moins active chez l'enfant, et se comporter comme le pouvoir digestif envers différents aliments, qui sont supportés par l'enfant moins facilement que par les personnes âgées. Enfin, les leucocytes parvenus à la surface de l'intestin, ainsi que les cellules émigrées pendant l'inflammation, ne sont ordi- nairement pas en état de détruire les bacilles tuberculeux, parce que ces cellules sont, en grande majorité, des microphages qui, comme je l’ai mentionné plusieurs fois, ne sont pas capables de tuer ces bacilles, quoi qu’elles les englobent facilement. Les cellules géantes appropriées à cette destruction sont précisément des macrophages. 5. La remarque de M. Weigert. que les corpuscules étrangers dépourvus de vie qu'on trouve dansles cellules géantes avaient pu être englobés dans leur état mononucléaire, me paraît très juste. Mais la propriété phagocytaire de ces cellules résulte d'un si grand nombre de faits différents’ que cette objection n’est nullement capable de la renverser. Quant à la nature mobile des prolongements protoplasmatiques, la réflexion de M. Weigert ne me semble pas bien fondée, parce que les pseudopodes se con- l. Dans la séance de la Société médicale de Kief du 2% septembre dernier, M. Soudakewitch a fait une communication fort intéressante, dans laquelle il a prouvé que les cellules géantes des néoplasmes cutanés et notamment du lupus englobent et digèrent les fibres élastiques. Cela démontre une fois de plus la propriété phagocytaire considérable de ces cellules. Le travail de M. Soudakewitch sera publié prochainement, RÉPONSE A M. WEIGERT. 609 servent très bien dans les préparations de leucocytes, pourvu que ces derniers se retrouvent dans des endroits où ils étaient mobiles pendant leur vie. Ainsi, dans les tissus fixés par l'alcool, on voit très bien des leucocytes sous forme de cellules migra- trices (Wanderzellen) avec leurs prolongements arrondis, tandis que dans le sang on les retrouve ordinairement sous forme de corps sphériques plus ou moins réguliers. Les mouvements des cellules géantes pourraient du reste être observés dans des con- ditions favorables, et il faut espérer que des observations directes ne manqueront pas de décider cette question d’une manière définitive. 6. La division des cellules géantes des spermophiles tuber- culeux est tellement fréquente et si facile à observer pour quiconque a fait des recherches embryogéniques que je ne trouve pas possible d'admettre l'opinion contraire de M. Weigert. Son assertion sur l’état du protoplasma de ces cellules n’est d’ailleurs pas d'accord avec le fait d'une croissance considérable de ce protoplasma pendant la période de formation de la cellule géante. Quant à la faible coloration d’une partie du contenu de celle-ci, elle ne peut nullement suffire à prouver l’état de mort du proto- plasma. Je dois enfin remarquer, contre l’analogie avec les faits très intéressants recueillis par M. Chabry, que justement dans les œufs des ascidies soumis à l'expérience, il ne s’opérait pas de division du protoplasma, tandis que les cellules géantes se divi- sent parfaitement. Il ne faut pas non plus négliger le fait que dans ces cellules, la multiplicité des noyaux résulte d’un acte tout à fait particulier de bourgeonnement du noyau, ou bien de la fusion de plusieurs cellules, tandis que dans les œufs observés par M. Chabry, les noyaux se multipliaient à la façon ordinaire. Il n’y a donc qu'une analogie tout à fait secondaire entre les deux catégories de phénomènes. LETTRE DE M. METCHNIKOFF À M. DUCLAUX. « Très cher collègue, « Dans votre revue sur le travail de M. Nuttall du n° 9 des Annales de cette année, vous vous demandez comment il se fait que l'étude du même sujet nous ait conduits, ce savant et moi, à des conclusions tout opposées. Vous marquez l'assurance d'avoir là-dessus une explication de ma part. « Comme votre avis peut être partagé par plus d'un de vos lecteurs, je m'empresse de vous communiquer ma réponse à M. Nuttall, en vous priant de la publier dans vos Annales. « La thèse principale de M. Nuttall, à savoir que les bactéri- dies sont surtout détruites hors des cellules, est basée sur l'étude de préparations faites, pour la plupart, par une méthode qui détruit très fréquemment les leucocytes, surtout ceux qui sont remplies de bactéridies, et laisse par suite celles-ci s'échapper et se répandre à l’extérieur. Quoique ce fait (qui est pourtant tou- jours si facile à constater) soit nié par MM. Nuttall et Bitter, son évidence ressort des recherches de M. Nuttall lui-même, et, avant tout, des figures données par lui. Vous n'avez qu'à jeter un coup d'œil sur la planche jointe à son Mémoire (Zeitschrift f. Hygiene, 1888, t. IV, pl. IV) pour vous assurer qu elle représente beaucoup plus de leucocytes plus ou moins endommagés que de leucocytes intacts. Cela est bien naturel avec une manipulation qui consiste à étaler le liquide contenant des cellules en une mince couche que l’on fait sécher ensuite, etc. J'ai vu maintes fois des leucocytes pleins éclater sous mes yeux en laissant échapper les bactéridies qu'ils contenaient. Quand on fait avec la même matière deux préparations, l’une avec mon procédé à la Vésuvine, l’autre par la méthode employée par M. Nuttall, on voit que dans la première le nombre des bacilles contenus dans LETTRE DE M. METCHNIKOFF, 611 les leucocytes est considérablement plus grand que dans la seconde. « Une autre source des conclusions erronées de M. Nuttall est à mon avis celle-ci : ayant introduit des morceaux d'organes charbonneux sous la peau de grenouilles, il enlevait ensuite ces morceaux, les émiettait et y trouvait de nombreuses bactéridies restées libres. Il comptait naturellement comme telles toutes celles qui, placées à l’intérieur du morceau qui n'était attaqué que par l'extérieur, étaient restées longtemps à l’abri des leu- cocytes pendant la durée du séjour du morceau charbonneux sous la peau de la grenouille. Ayant de plus trouvé que des souris inoculées par des fragments de ce morceau ne succom- baient que tardivement (ce qui n’était point d'accord avec sa théorie de la persistance de la virulence chez les bacilles), M. Nuttall changea la méthode d’expérimentation : au lieu d’in- troduire le fragment entier sous la peau des souris, il en fit une émulsion qu'il injectait. Mais il aurait alors fallu faire le mème changement relatif dans la méthode pour évaluer la quantité de bactéridies trouvées libres, et injecter sous la peau des grenouilles des émulsions d'organes charbonneux, au lieu d'y introduire des fragments entiers. On aurait assisté alors à une destruction plus rapide des bacilles. « La troisième source des conclusions erronées de M. Nuttall consiste en ce qu'ayant employé des cultures charbonneuses, il ne tient pas compte de ce qu’on trouve dans toute culture un nombre plus ou moins grand de bactéridies mortes, bactéridies qui ont pu rester libres sur ses préparations. Cela est d'autant plus vraisemblable que, d’après les intéressantes recherches de M. Lubarsch ‘, les bactéridies mortes sont englobées par les leucocytes plus tard que les vivantes. « Enfin, en ce qui concerne le choix des animaux à expéri- menter, vous êtes vous-même d'avis que M. Nuttall a eu tort de choisir des souris pour éprouver la force du virus charbonneux, mais vous n’avez pas remarqué, je crois, qu'il cherche à démon- trer l’inexactitude de mes résultats sur la perte de virulence pour les lapins par des expériences sur des souris. « Ainsi j'affirme, en résumé, que les méthodes employées 1. Forlschrille d. Medicin, 1887, n° #, p. 126 612 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. par M. Nuttall ne sont point capables de donner des conclusions précises, el que par suite ses statistiques sur la proportion de bacilles non englobés parles leucocytes, ne peuvent être acceptées comme Justes. « Ses autres recherches, faites à la chambre humide, et ses expériences sur les liquides éloignés de l'organisme, ne peuvent avoir de signification notable dans la question de l’immunité nalurelle ou acquise dans un organisme vivant. On est d’autant plus autorisé à se tenir en garde contre cet ordre de déductions que M. Nuttall trouve le sang et l'humeur aqueuse des lapins, qui ne sont pas réfractaires, plus nuisibles aux bactéridies que le sang des chiens qui le sont naturellement. Il est ainsi hors de doute que ces expériences de M. Nuttall n’ont qu’une faible rela- tion avec la question de l'immunité naturelle ou acquise. « Je dois encore attirer votre attention sur le fait que M. Nuttall base uniquement sa critique sur la répétition de mes expériences de l’année 1884, et qu'il ignore complètement celles que j'ai faites en 1887, sur la croissance des bactéridies dans la chambre antérieure de l’œil et dans les sacs en moelle de roseau; ces expériences ont pourtant, il me semble, dans la question de limmunité, une autre importance que les siennes, faites sur la platine chauffante et avec le sang éloigné de l'organisme. « Je crois pouvoir dans cette lettre me borner à ces explica- tions aux lecteurs de votre compte rendu. Je répondrai au Mémoire original dans une note plus étendue contenant la des- criplion de quelques nouvelles expériences, et qui paraîtra en décembre dans les Archives de M. Virchow. « Veuillez agréer, etc., « EL. METCHNIKOFF. « Paris, le 7 novembre 1888. » REVUES ET ANALYSES SUR LES DIASTASES DIGESTIVES — SUCRASE. REVUE CRITIQUE. BourquELor. Sur le rôle physiologique du maltose. Comptes rendus, t. XCVI, et Archives de physiologie, 1886. — Dasrre. Physiologie du foie. Recher- ches sur les ferments hépatiques. Archives de physiologie, 1888, p. 69. — — MaxrReni, Boccarpr ET JapPezLr. Sur le ferment inversif dans l’orga- nisme animal. Mém. d. Soc. Italiana de scienxe, t. VIs 4888. Depuis qu'on a trouvé, dans le monde des microbes, des diastases en tout pareilles à celles qui donnent leur activité aux divers liquides digestifs, on à été obligé de considérer comme non avenues, et de recommencer toutes les expériences sur lesquelles était basée la théorie actuelle de la digestion, Ces expériences étaient de deux sortes. Dans les unes, on avait cherché à suivre, soit au microscope, soit au moyen des réactifs, une substance ali- mentaire le long du canal intestinal, et à trouver le point où elle prenait cette solubilité qui n'est pas à proprement parler l’action digestive elle- même, mais qui la précède et la prépare. Dans les autres, on avait isolé de l'organisme ses liquides digestifs, et on avait essayé, dans des digestions artificielles, leur action sur les diverses substances alimentaires, Dans les deux cas, on avait superposé, sans en avoir conscience, une action micro- bienne variable à l’action des diastases normales de l'être vivant, et il était résulté de ce mélange une complication et une confusion telles que la science n'avait aucune réponse précise à ces questions pourtant très simples : où sont digérés le sucre, l'amidon, la fibrine, la caséine, etc.? De nombreux savants se sont attachés depuis quelques années à faire disparaître ces incertitudes. J'ai essayé de préciser dans ma Microbiologie le point où en était la question en 1883; elle a marché depuis, et les Annales se doivent de tenir leurs lecteurs au courant de ses progrès. Nous publierons sur ce sujet un certain nombre de Revues critiques, au fur et à mesure que paraîtront, sur les diastases, des travaux qui nous sembleront intéressants, et nous commencerons aujourd'hui par l'étude de la diastase qui transforme le sucre cristallisable en glucose, diastase que nous continuerons à appeler sucrase, parce que le mot invertine, dont on se sert d'ordinaire, est décidé- ment mauvais. Je ferai voir en effet, bientôt, qu'il peut y avoir hydratation et dédoublement du sucre sans interversion véritable, avec production d’un sucre dont le pouvoir rotatoire est zéro. 614 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Cette étude de la sucrase mérite d’ailleurs d’être faite la première, parce qu'on y voit, plus nettement que dans les autres, toute la difficulté du sujet et toutes les causes d'erreur qui menacent le savant qui s'en occupe. Le problème est Le suivant : quel est le liquide digestif chargé de transformer le saccharose en sucre assimilable, capable de réduire la liqueur de Fehling? Nous simplifions cet énoncé le plus possible, de facon à laisser de côté tout ce qui est relatif à l’action du foie sur son glycogène:; nous laissons aussi de côté tout ce qui touche à la transformation du saccharose en maltose. Mais ainsi réduite, la question n'en est pas moins difficile, Cherchons, pour nous en convaincre, les causes d'erreur qu'y ont rencontrées les savants qui l’ont étudiée. Une des plus fréquentes est venue de la solution de saccharose sur laquelle on essayait l’action des liquides digestifs. Lorsqu'on la fait sans précaution, avec un sucre du commerce même très blanc et bien cristallisé, il arrive très souvent qu'elle réduit la liqueur de Fehling par elle-même, avant tout traitement, et qu'on est exposé, dès lors, à attribuer aux liquides digestifs une transformation déjà faite avant leur intervention. Quard elle ne réduit pas d'emblée la liqueur de Fehling, elle acquiert cette propriété au bout de quelques jours, et même quelquefois de quelques heures, grâce au développement des microbes dont les germes se trouvent dans l’eau, ou ont été apportés par le sucre lui-même, des cuves très peuplées dans lesquelles il a été fabriqué. Parmi ces microbes, surtout parmi ceux qui pro- viennent des cuves de cristallisation, il y-a toujours des êtres vivant aux dépens du sucre et capables de sécréter la diastase qui le rend nutritif. Il faut donc, comme point de départ, avoir une solution neutre sur la liqueur de Feh- ling, et qu’on stérilise soit par la chaleur, soit par une filtration sur la porce- laine. MM. Manfredi, Boccardi et Jappelli insistent beaucoup, peut-être même un peu trop, sur cette cause d'erreur bien connue théoriquement, mais contre laquelle ceux mêmes qui la connaissent ne se mettent pas toujours assez en garde dans la pratique. On croit, en général, qu'une solution de sucre se conserve inaltérée tant qu'elle reste limpide : c’est une erreur. Il y a des microbes très actifs qui y produisent du glucose sans la troubler. Voici maintenant cette solution pure de saccharose mise en contact, en dedans ou en dehors de l'organisme, avec le liquide digestif dont il s’agit d'étudier l’action. Après une période de contact plus ou moins prolongée, en général à une température voisine de celle des êtres vivants, sous pré- texte de se mettre dans des conditions plus physiologiques, on essaie l'effet sur la liqueur de Fehling, et alors, de deux choses l'une, ou on ne trouve rien, ou il y a réduction. Si on ne trouve rien, on est tenté de conclure à l'absence d’une action digestive. Rien n’est plus imprudent. Il peut y avoir de la diastase dans le liquide étudié, mais en quantité trop faible pour devenir saisissable dans les conditions où se fait l'expérience ou avec la durée qu'on lui a donnée. Il faut faire varier cette durée et ces conditions, et surtout veiller à ce que la réaction iniliale, acide ou alcaline, qu’on a donnée au liquide, ne change pas en route, par suite de l'intervention des infiniment petits. Si on trouve une réduction avec la liqueur de Fehling, le cas devient encore dote à‘: REVUES ET ANALYSES. 615 plus embarrassant, Il faut d’abord s'assurer que c’est une réduction véritable avec formation de protoxyde de cuivre, et non une de ces décolorations incertaines comme en produisent quelquefois les liquides organiques, sur- tout ceux dans lesquels ont vécu les microbes. Il fau aussi prendre garde à l'intervention de la réaction dite du biuret, et avec les liquides qui la pré- sentent, recourir à la réaction de Fischer, qui est plus sûre. Quand la réaction est bien celle que donnent les sucres, la question qui se pose est de savoir d'où elle provient. Si on a opéré sur un liquide digestif, il faut tout de suite se méfier des résidus alimentaires avec lesquels il se trouve nécessairement mêlé, résidus dont la digestion est commencée, mais non encore finie, et qui, intervenant à l'insu de l'observateur et continuant à se transformer pendant la durée de l'expérience, peuvent troubler l’interpré- tation des résultats. Par exemple, quand ïl s’agit d’études sur la sucrase, et si on opère sur des liquides digestifs emportant avec eux des débris d'aliments féculents, on est exposé à voir leur amidon se transformer en sucre, et donner, à la fin de l'opération, une réduction qui peut faire croire à la présence de la sucrase, alors qu'il n'y en a réellement pas. Je laisse bien entendu de côté le cas où le liquide organique étudié renfermerait lui-même, dès l'origine, du sucre réducteur qu’on auraitnégligé d'y rechercher. Cette cause d'erreur, si grossière qu'elle soit, a certainement été commise, et dans l’histoire des travaux faits sur la digestion, on rencontre des asser- tions tellement contraires à toutes les vérifications expérimentales qui en ont été faites depuis, qu'on ne peut les expliquer que par la cause d'erreur que nous signalons. Quand elle est à craindre, quand la sécrétion digestive sur laquelle on opère est déjà mélangée de sucre dont ne peut se débarrasser, il faut absolument faire un dosage de sucre au commencement et à la fin de l'expérience, et ne pas se contenter d’un essai qualitatif, à moins qu'il n’y ait une disproportion notable entre le sucre réducteur au commencement et à la fin. Supposons maintenant que la réaction soit authentique et non douteuse : la question se pose de savoir à quoi il faut l’attribuer. La sucrase existait- elle à l’origine dans le liquide digestif soumis à l'expérience, ou s’est-elle produite pendant l'opération sous l’action des microbes présents et pullu- lant dans le mélange soumis à la digestion naturelle ou artificielle ? il y a plusieurs manières de résoudre cette question préjudicielle et d'échapper aux erreurs d'interprétation qui en naissent. On peut d’abord filtrer sur de la porcelaine le liquide digestif à étudier, filtrer aussi, ou stériliser par la chaleur la solution sucrée et, en opérant dans des vases stériles, se mettre à l’abri de l'intervention éventuelle des microbes qui pourraient fausser les conclusions. Si le liquide digestif renferme de la su- crase, cette sucrase passe à travers ie filtre. MM. Manfredi, Boccardi et Jappelli insistent avec raison sur ce fait: On s'est, en effet, beaucoup exa- géré l’effet des filtres poreux sur les substances organiques en solution dans les liquides qui les traversent. Une partie de ces substances est, en effet, retenue et reste adhérente aux parois capillaires du filtre, et les diastases, dont on connaît la puissance générale d'adhésion vis-à-vis des corps so- lides, sont surtout dans ce cas. Mais, presque toujours, la saturation sur- 616 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. vient vite, et quand la paroi capillaire s'est tapissée d’une couche liquide de composition variable avec la nature de la paroi et la nature du liquide, le liquide filtre sans variation appréciable de composition. Il ne s'agit donc que d'opérer sur un volume de liquide digestif assez grand pour que l'effet de la paroi soit négligeable, et on peut d’ailleurs toujours compenser, par une plus longue durée de la digestion artificielle, la diminution de quan- tité qui peut avoir été produite par la filtration. Un autre moyen de se mettre à l'abri de l'intervention des microbes pendant l'expérience est d'ajouter au mélange soumis à la digestion artifi- cielle une dose d’antiseptique telle que les microbes y soient paralysés. Quelques-uns de ces antiseptiques, loin d’entraver l’action des diastases, peuvent au contraire la favoriser, comme je l’ai montré. Malheureusement, leur action sur les microbes est plus équivoque, et dépend des doses, de la nature et du nombre des microbes présents, de la température, etc. La confiance qu’on accorde aux antiseptiques dans ces expériences est un vieux reste de superstition qui disparaît peu à peu. Le dernier moyen, fréquemment employé par M. Dastre, est aussi malheureusement d’une interprétation un peu douteuse. C'est l’action du froid. En exposant au voisinage de zéro, ou même à température plus basse, des mélanges digestifs, ce savant a vu que l’action des dias- tases n’était guère entravée, tandis qu'il a la confiance que celle des mi- crobes est annulée. Il faut ici s'entendre : ce qui est surtout gêné à ces basses températures, c’est l’éclosion des germes et la multiplication des microbes. Par conséquent, un mélange stérile ou faiblement peuplé, mis à la glacière, pourra y subir avec le temps des actions de diastases sans redouter beaucoup les actions de microbes. Mais s’il est peuplé d'avance et surtout fortement peuplé, comme le sont les liquides digestifs orga- niques, il y aura toujours à redouter que le froid n’entrave pas d’une facon absolue la sécrétion des diastases par les microbes présents dans le liquide. Je me hâte de dire que cette objection est une objection de principe; car, dans la plupart de ses expériences, comme nous le verrons dans la suite de ces études, M. Dastre n’a opéré que sur des mélanges sté- siles ou faiblement peuplés. Mais elle n’en était pas moins utile à faire En somme, par l'emploi d'un ou plusieurs de ces trois moyens contrôlés l'un par lPautre, on peut bien voir, presque toujours, si la diastase qu'on recherche préexiste ou non dans la sécrétion organique étudiée, et on arrive alors à la question vraiment fondamentale. Quelle est l'origine de cette diastase dont on a démontré la présence ? Est-elle un produit normal des cellules ou des glandes de l'organe digestif étudié? ou bien a-t-elle été produite par les microbes qui habitent constamment toute la longueur du canal digestif et mêlent plus ou moins abondamment leurs diastases propres aux diastases normales de l'organisme”? Mais, pour aborder cette question, il faut sortir des généralités dans lesquelles nous nous sommes tenus jusqu'ici, et nous allons prendre le cas particulier de l'étude de la sucrase dans les divers liquides digestifs de l'organisme. Nous allons même prendre celui de ces liquides dont l'examen est le plus difficile, à raison de l'existence simultanée de toutes les causes d'erreur REVUES ET ANALYSES. 617 que nous avons signalées plus haut, le suc intestinal. Y a-t-il des glandes intestinales sécrétant de la sucrase, et celle qu'on rencontre dans l'intestin, celle qui, dans l'expérience devenue classique de CL. Bernard, rend active sur la liqueur de Fehling une solution de saccharose maintenue entre deux ligatures dans une anse intestinale, appartient-elle à la paroi de la muqueuse, ou est-elle produite par les microbes qui habitent le canal? L'expérience la plus récente faite sur ce sujet, et la seule, à ma connaissance, qui ait été faite avec la préoccupation d'échapper aux causes d'erreur que nous avons signalées, était une expérience de M. Bourquelot qui, donnant un repas à un lapin tenu à jeun pendant 24 heures, le tuant 95 minutes après, en séparait une anse intestinale qu'il lavait bien, et dont il mettait la muqueuse en macération dans l’eau distillée. Il partageait ensuite la macération en deux parties, dont l’une était filtrée sur un diaphragme de porcelaine, IT ajoutait aux deux portions une solution de saccharose, laissait le mélange pendant 24 heures à l’étuve, à 87°, et constatait ensuite que le liquide filtré était sans action sur la liqueur de Fehling, tandis que l’autre la réduisait abondamment. Envisagée en gros, cette expérience semble bien prouver qu'il n'y à pas de sucrase dans l'intestin du lapin. M. Bour- quelot n’a pourtant pas voulu en tirer cette conclusion d’une manière absolue. Il y a, en effet, à tenir compte de l'effet du filtre qui peut retenir la diastase, s'il y en à très peu, et si, pour en augmenter éventuellement la dose, on prolonge la durée de la macération de la muqueuse; on arrive, comme le montrent MM. Manfredi, Boccardi et Jappelli, à trouver, dans l'infusion filtrée, de la sucrase, précisément celle qu'y ont développée les microbes qui l'ont habitée pendant la macération. C'est iei qu'on peut faire intervenir utilement l'emploi du froid ou des antiseptiques. On peut alors prolonger la macération de la muqueuse lavée, sans craindre que les microbes, qui y sont rares à l’origine, en prennent possession, et on trouve alors, comme le montrent les savants italiens, qu'il n’y a pas de sucrase dans l'intestin du lapin. Ce résultat est en contradiction complète avec celui d’une expérience dans laquelle M. Dastre, faisant aussi infuser, à basse température, la mu- queuse intestinale d’un lapin, y a trouvé, très abondante, une diastase indépendante de l'intervention des germes. Comment expliquer cette con- tradiction, non seulement avec les résultats de MM. Manfredi, Boccardi et Jappelli, mais encore avec ceux de MM. Bourquelot et Roberts? Peut-être par une de ces erreurs d'expérience, si faciles en un pareil sujet. Peut-être aussi par des différences dans le mode d'alimentation des animaux étu- diés. Des expériences, encore inédites, m'ont en effet montré que la sécrétion des diastases, chez les animaux supérieurs comme dans le monde des infiniment petits, était, dans une certaine mesure, sous l'influence de la nature des aliments consommés. De plus, nous allons voir intervenir une autre cause de variation dans les résultats d'expériences également bien con- duites. Cette cause, c'est l'imprégnation possible de la muqueuse du canal intestinal par les diastases que sécrètent les microbes dans le canal lui- même, ces microbes et ces diastases étant dans un rapport étroit avec la nature de l'aliment consommé. 618 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. En recommencant, en effet, sur le chien les mêmes expériences que sur le lapin, MM. Manfredi, Boccardi et Jappelli trouvent constamment de la sucrase dans la muqueuse, lavée et macérée dans des conditions qui n’au- torisent pas à redouter la présence des microbes. Comment expliquer cette différence entre deux animaux qui, tous deux, digèrent le sucre de canne et le transforment en glucose, lorsqu'on le mélange avec leur sue intestinal, soit ea dedans, soit en dehors de l'organisme? En songeant que la mu- queuse intestinale est très épaisse chez le chien, très fine et très lisse chez le lapin, MM. Manfredi, Boccardi et Jappelli se sont demandé s'il n’y avait pas là un phénomène d'imprégnation de cette muqueuse, de l'extérieur vers l'intérieur, par les diastases sans cesse produites dans le canal intestinal par les microbes qui l'habitent : « Si cette hypothèse est vraie, l'inoculation, dans une anse intestinale séquestrée chez un animal vivant, d'une grande quantité d’invertine obtenue par culture d’un microbe inversif, devra déterminer dans la muqueuse de cette anse une imprégnation de diastase supérieure à celle qu'on peut rencontrer dans une autre anse semblable servant de contrôle, » C’est ce prouve l'expérience suivante. « Sur un chien nourri d'os pendant trois jours, on ouvre l'abdomen et on extrait une anse de l'intestin grêle. L’anse, longue de 40 centimètres, est isolée par deux ligatures, lavée d'un bout à l'autre par deux petites ouver- tures qu'on y pratique, jusqu'à disparition de tout glucose dans l'eau de lavage, et finalement serrée au milieu par une troisième ligature, qui la partage en deux anses d’égale longueur. «Dans l’une on injecte de l’eau distillée, dans l’autre une infusion aqueuse d’une culture de levure de bière, ayant un fort pouvoir inversif, et on réin- troduit le tout dans l'abdomen de l'animal qu'on abandonne à lui-même pendant deux heures. « On extrait alors les deux anses, qu'on lave avec de l’eau à O0 — 40; on racle avec un rasoir parties égales des deux muqueuses, on en fait une in- fusion dans l’eau froide, et on porte à la glacière. Huit heures après, on ajoute aux deux infusions un volume égal de solution de saccharose. Deux heures après, l'infusion de la muqueuse de l’anse où avait été inoculée l'invertine avait interverti environ deux fois plus de saccharose que l’in- fusion de contrôle. » Cette expérience n'est pas, il est vrai, irréprochable. Il aurait mieux valu, croyons-nous, laisser vide l'anse dans laquelle on n'injectait pas de solution d'invertine, plutôt que d'y mettre de l’eau, qui a pu en tirer,,pen- dant deux heures de contact, la sucrase qui pouvait y être, tandis que dans l'autre anse, à raison de la richesse en diastase du liquide introduit, l’ab- sorption se faisait en sens inverse. Mais, comme l’expérienee a réussi plu- sieurs fois, qu'elle réussit aussi avec la muqueuse gastrique, qui, comme nous allons le voir tout à l'heure, ne sécrète pas non plus normalement de la sucrase, comme d’ailleurs sa conclusion est en parfait accord avec ce que nous savons sur la tendance qu'ont les diastases à se fixer sur les corps solides, elle à droit de cité dans la science, et peut servir à expliquer quelques-unes des contradictions nombreuses de cette étude des diastases digestives. REVUES ET ANALYSES. 619 Ces contradictions ne sont pas moindres au sujet de l'estomac qu’au sujet de l'intestin, elles sont même plus grandes; car, ici, outre l’action de la diastase, il y à à envisager celle de l'acide du suc gastrique. Aussi, sur la question de savoir si le sucre de canne se transforme dans l'estomac, les physiologistes se partagent en deux camps, qu'on pourrait appeler sur ce point, comme sur beaucoup d’autres, le camp Bernard et le camp Longet, et dont l’un dit oui pendant que l’autre dit non. Parmi ceux qui disent oui, il y ceux qui attribuent l’action à une diastase, d’autres à l'acide du sue astrique, d’autres, qui ont l'esprit conciliant, au mélange des deux. Avant d'entrer dans le détail des partis, il y a évidemment à se deman- der lequel des deux a raison, ou s'ils ne peuvent pas, suivant les cas, être dans. le vrai tous les deux. S'il faut croire MM. Manfredi, Boccardi et Jappelli, la vérité serait tout entière du côté de ceux qui nient l'existence de la sucrase dans l'estomac. Des infusions de muqueuse gastrique n’ont en effet aucune action sur le saccharose, disent-ils, même lorsqu'elles sont acides. Il en est de même pour le sue gastrique extrait, au moyen d'une fistule, de l'estomac excité soit par un repas d'os, soit par un courant électrique. Il est vrai qu’en introduisant par une fistule, dans l'estomac de l'animal, une solution de saccharose, on trouve qu'elle y a acquis, au bout de quelques minutes, la propriété de réduire la liqueur de Fehling, mais cela tient à ce que, dans l'estomac du chien d'expérience, même après qu’on lui a fait subir à l'avance un jeûne de 24 heures, il y a, adhérentes aux parois, des débris d'aliments féculents qui résistent au lavage et qui, continuant à se saccharifier sous l'influence du suc gastrique que l’on sait capable d'agir sur eux, donnent avec la liqueur de Fehling un précipité que l’on attribue tout naturellement à l'interversion de la solution de saccharose, alors que celle-ci est restée intacte. Pour éviter cette cause d'erreur, MM. Manfredi, Boccardi et Jappelli sou- mettent l'animal d'expérience à un régime rigoureux d'alimentation par des os seuls pendant les 3 ou 4 jours qui précèdent l'expérience, puis les font jeûner un jour. Voici alors un de leurs résultats: « Sur un chien muni d'une fistule gastrique permanente et traité comme nous venons de le dire, on introduit dans l'estomac une solution concentrée de saccharose, et on l'essaie de 10 en 10 minutes pendant une heure avec la liqueur de Fehling, _Le résultat de tous ces essais a été constamment négatif, » Voilà évidemment une cause d'erreur à laquelle on n'avait pas encore accordé l'attention qu’elle mérite, et qui peut bien expliquer quelques-unes des contradictions que nous signalions plus haut. Je crois pourtant qu'on a le droit de trouver trop absolue la conelusion des savants italiens, qui croient à l'absence de toute fonction inversive dans le suc gastrique. Je laisse de côté l'influence possible de l'acidité de ce suc. Il est certain que des acides organiques faibles, l'acide tartrique par exemple ou l'acide lactique, peuvent, avec le temps, transformer le saccharose en glucose; cela est même vrai pour l'acide carbonique sous la pression ordinaire, comme l’a montré M. Bourquelot. Mais cette action est lente vis-à-vis de celle des diastases auxquelles je m'attache exclusivement; or, pour celles-ci, leur absence ne me semble pasressortir des résultats de MM, Manfredi, Boccardi et Jappelli. oœ Ce] 620 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Il y a d’abord celles qui sont produites par les microbes de l'estomac. Les savants italiens n’admettent pas leur intervention. Il manque en effet dans l'estomac tous ceux, et ils sont nombreux, qui ne s’accommodent pas des milieux acides, mais 1l y a, surtout dans le monde des levures et des micrococcus,nn grand nombre d'espèces quis’accommodent très bien de l’aci- dité du suc gastrique, surtout de celle du chyme, et doivent, pendant le séjour des aliments dans l'estomac, sécréter des diastases qui, absorbées ou arrêtées par la muqueuse, peuvent s’y retrouver la digestion finie. Puis il faudrait savoir si l'alimentation avec des os, que MM. Manfredi, Boccardi et Jappelli imposent pendant quelques jours à leurs animaux d'expérience, a pour unique effet de permettre à l'estomac de digérer tous ses résidus fécu- lents, et s’il n’y a pas là un de ces changements d'alimentation dont je parlais plus haut, qui provoquent un changement correspondant dans la sécrétion des diastases, et en font disparaître quelques-unes pour leur en substituer d’autres. Les glandes de l'estomac pourraient sécréter de la sucrase quand l'animal consomme du pain, etn'en plus sécréter quand il consomme des os. En passant maintenant à l'étude du foie, nous allons trouver des diffi- cultés et des contradictions analogues. L'existence dans le foie d’une diastase agissant sur le saccharose, distincte de celle qui agitsur le glycogène, a surtout été affirmée par M. Dastre. Ce savant lave légèrement le foie par hydroto - mie, de facon a en éliminer les diastases qui ont pu arriver avec le sang par la veine porte, le porte ensuite à la glacière, où il le broie et le mélange ensuite à une solution de saccharose. Il reste un peu de sucre réducteur dans le mélange ainsi obtenu, mais, sans faire de dosages, on constate que la quantité en augmente beaucoup après deux heures de contact. MM. Manfredi, Boccardi et Jappelli font l'expérience dans les mêmes con- ditions, sauf qu'ils y introduisent un dosage, et renoncent au lavage hépa- tique. Après avoir coupé le foie en morceaux assez petits, ils les lavent dans un courant d’eau froide, en pèsent deux poids égaux qu'ils triturent séparément dans la glacière, et qu’ils mélangent l’un avec 30°° d’eau froide, l’autre avec 30°° d’une solution froide de saccharose. Après un contact qui a été souvent de 48 heures, on filtre séparément les deux liquides, et on détermine le sucre qui y est contenu. En conduisant ainsi l'expérience, ils trouvent des quantités presque tou- jours égales de sucre réducteur dans les deux mélanges, ce qui revient à dire, contrairement à la conclusion de M. Dastre, qu’il n’y a pas de sucrase dans les cellules du foie. D’autres expériences, faites en remplaçant le froid par l’action de l'acide phénique, amènent à la même conclusion. Nous reve- nons dès lors à la question de plus haut : qui croire? Mais nous y ferons la même réponse, c'est qu'il est inutile de chercher à la résoudre tant qu'ilne _ sera pas démontré qu'il faut absolument choisir entre ses deux solutions contradictoires, et qu’un foie de lapin ou de chien a toujours les mêmes propriétés, quel que soit le mode d'alimentation de l'animal qui le possède. Disons enfin, pour terminer ce qui est relatif à ce sujet, que MM. Man- fredi, Boccardi et Jappelli n’ont pas non plus trouvé de sucrase dans la rate, le foie, le cœur, le poumon, les reins, les muscles d’un cobaye, ces REVUES ET ANALYSES. | 621 organes étant mis à l'état de pulpe ou d’infusion en contact avec une solu- tion de saccharose. Il en est de même pour la salive humaine, mais le fait était déjà connu. Cette absence de sucrase dans tous les organes autres que l'intestin, dans lequel cette diastase est produite par les microbes, amène les savants italiens à conclure que la digestion de la saccharose est uniquement le fait des infiniment petits. Quelque plaisir que je puisse trouver à voir étendre à la saccharose une conclusion que j'avais déjà formulée pour la cellulose, je dois faire une réserve au sujet de la tendance générale qu'on a à croire qu'une cellule ne produit pas de diastase, uniquement parte qu'on n'en trouve pas dans le milieu où cette cellule a véeu ou a macéré. Aïnsi on trouve souvent affirmée, à propos de la levure de bière, par exemple, cette conclusion que de la saccharose peut être consommée en nature, et sans transformation préalable en glucose, par quelques races de levures, en se basant sur ce que le liquide de culture de ces levures, filtré, est inactif sur la saccharose. Ce raisonnement me semble tout à fait inexact. On rencontre, dans le monde des infiniment petits, toutes les transitions entre les cellules qui laissent se diffuser autour d'elles une grande quantité de diastase et celles qui n’en abandonnent au liquide que très peu. Faut-il couper la chaîne entre celles qui n’en donnent que très peu, et celles qui n’en don- nent plus du tout, et conclure que celles-ci n’en fabriquent pas? Je ne vois pas d’argument qui en donne le droit. Le sucre, différant en cela de la cellulose, est soluble et diffusible. IT peut pénétrer dans le protoplasme de la cellule et y être transformé, et rien ne nous autorise à croire que les espèces de levures non inversives consomment de la saccharose en nature, alors que les autres consomment du glucose. De même, de ce que nous ne trouvons pas de sucrase dans les macérations du foie ou des autres organes d'un être vivant, nous n'avons pas le droit de conclure que les cellules de ces organes, quand elles sont imprégnées de saccharose, l'utilisent en nature. Il y a là une question qui n'est pas, comme on voit, résolue d'avance, et qui serait intéressante à étudier. : x H. Berne. Les bactéries parasitaires des céréales. Munch.med. Wochenschr., 1888, p. 743 et 767. La question de la présence possible des microbes dans les végétaux cul- tivés n’est pas de celles qu’on peut négliger, à une époque et dans un pays où le problème de l’utilisation agricole des eaux d'égout est à l'ordre du jour. Ce problème changerait de face, s'il était démontré que les végétaux peuvent se laisser pénétrer par les microbes présents dans le sol. On peut passer condamnation au sujet de ceux qui y existent normalement. Les microbes du sol qui ne sont pas pathogènes ne sont pas dangereux; ceux qui pourraient le devenir, comme par exemple le vibrion septique, sont devenus inoffensifs pour le canal intestinal et les voies qu'ils parcourent d'ordinaire, par suite d'une disposition innée ou acquise salutaire, car sans elle l'espèce humaine, sans cesse habitée par ce vibrion, n'existerait plus. 622 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Mais nous n'avons pas la même résistance vis-à-vis des autres maladies dont les germes existent certainement dans les eaux d’égout, par exemple vis- à-vis de la fièvre typhoïde, et on peut se demander ce que deviendrait la santé d'une ville condamnée à retrouver, dans ses aliments lavés, nettoyés ou même cuits, des germes morbides. C'est cette raison qui nous amène à insister un peu sur le travail de M. H. Bernheim, visé tout récemment dans ces Annales par M. Fernbach (V. I, p. 567), qui en contredit les conclusions, mais laisse de côté le tra- vail lui-même. Ce travail soulève des observations qui sont à la fois d'ordre général et d'ordre particulier. Je commencerai par les premières. Cette question de la présence possible de bactéries dans les céréales n’est pas aussi neuve que semble le croire M. Bernheim, qui ne cite que les observations de Bakker sur le rôle d’une bactérie dans la maladie jaune des Jacinthes, et les travaux de Marcano et de Galippe. En 1876, M. Fremy ! avait publié des faits qui lui semblaient prouver l'existence, à l’intérieur du grain d'orge introduit dans de l’eau sucrée, de ferments non apportés par le liquide ambiant ou par l'air atmosphérique. En 1879, M. Chamberland ? avait repris ces expériences, et après les avoir débarrassées d'un certain nombre de causes d'erreur, les avait à la fois confirmées et contredites. Il les avait confirmées en montrant qu’en effet un grain de blé ou de préférence un haricot, dont la surface est plus lisse, flambé et introduit de suite dans de l'eau stérilisée, la peuplait presque toujours d'espèces microscopiques, ce qui semblait prouver que ces graines apportaient avec elles, dans leur inté- rieur, des germes vivants. C’est, comme nous allons le voir, la thèse soutenue par M. Bernheim. Mais on change complètement le résultat, et la majorité des tubes ensementcés reste au contraire stérile quand le haricot a été pris au moyen d’une pince flambée dans sa cosse qu'on vient d'ouvrir; on peut même alors se dispenser de le flamber. Il est donc clair que l'interprétation qui précède est renversée du coup et qu'il n’y a qu'une chose à conclure, c'est que la stérilisation de la graine a été insuffisante dans le premier cas. M. Bernheim, revenant sur cette question, avait un premier progrès à lui faire faire, c'était d'expliquer comment un flambage pouvait être insuf- fisant à débarrasser cette graine de haricot de ses germes venus de l’ex- térieur. Il est certain que cette stérilisation n’est pas facile. Dans mes expériences sur la germination dans un sol riche en matières organiques, mais exempt de microbes (Comptes rendus, t. C, 1885, p. 66), j'ai dû recourir, pour la réaliser à peu près à coup sûr, à un nettoyage soigneux de la sur- face du grain avec une solution de bichlorure de mercure, suivi d'un passage rapide dans de l'eau distillée bouillante : ces graines, introduites ensuite dans un sol de pierre ponce imbibée de liquide nutritif, le tout stérilisé, y germent, se développent, sans qu’on puisse voir, à aucun moment, à l'extérieur de la graine ou à son intérieur, d'êtres microscopiques. Pendant ce temps, la plante épuise ses réserves, sa graine se vide de son amidon ou de sa À Sur la génération des ferments, Paris, 1876. 2. Recherches sur l’origine et sur le développement des organismes micros- copiques. Ann. de l'Ecole norm. sup., 1879. REVUES ET ANALYSES. 623 matière grasse, ce qui prouve que la diastase n'a pas d'autre source que la plante elle-même, et n'exige nullement, comme on l'avait dit, le concours des infiniment petits qut accompagnent, dans la nature ordinaire, tout phé- nomène végétatif. J'ai fait plus, j'ai montré que cette sécrétion de diastase, chezcertaines plantes, était un phénomènecellulaire individuel, que chaque cel- lule étaitchargée de sécréter la diastase dont elle avait besoin, qu'il y en avait qui en étaient incapables, et restaient sonflées d’amidon auprès de leurs voisines vides, dont les liquides diastasiques n'étaient sans doute pas assez abondants ou pas assez diffusibles pour arriver jusqu'à elles. M. Brasse!, en 4885, avait confirmé d'une manière générale mes résultats en stérilisant au préalable ses graines par un séjour dans l’eau de chlore. M. Bernheim, étudiant le même sujet en 1888, devait évidemment tenir compte de ces résultats, les accepter ou les contredire. Il les ignore, et publie un travail dont voici le résumé. Il existe en grandes quantités, dans l’endosperme du grain de maïs et d’autres céréales, des germes microscopiques dans lesquels on peut distin- guer des bacilles, des coceus et même des grains de levure. Dans le maïs, ces microbes sont logés surtout dans les espaces intercellu'aires, mais on en trouve aussi quelques-uns à l'intérieur des cellules. Il y en a même qui paraissent être à l’intérieur des grains d'amidon. Ces bactéries parasitaires des céréales et autres graines se multiplient beaucoup pendant la germination, et comme elles produisent physiologique- ment des diastases qui dissolvent l’amidon ou le gluten, il y a à se demander, dit M. Bernheiïm, si « la germination ou au moins l'apparition des diastases dans la germination, n'a aucune relation de causalité avec l’évolution des bactéries que j'ai découvertes. On ne pourrait donner une réponse définitive à cette question que si on réussissait à faire germer des graines sans aucun développement de bactéries, et à y voir se former des diastases. Mais ces expériences se heurtent contre l'impossibilité de les faire ». En attendant, M. Bernheim montre que ses bactéries intervertissent le saccharose, dis- solvent l'amidon, peptonisent la caséine, et même, ce qui paraîtra un peu plus surprenant, intervertissent le lactose pour le préparer à la fermenta- tion alcoolique. Enfin, comme on trouve dans le sol des coccus et des bacilles doués des mêmes propriétés, on est autorisé à croire « que ces parasites des grains viennent du sol, passent par les racines dans la plante, remontent dans la tige, traversent l’'épiderme mince du fruit jeune, restent dans son intérieur jusqu'à la maturation, et rapportées dans le sol avec le fruit mûr, en émigrent pendant la germination et accomplissent ainsi leur eyele vital ». M. Bernheim néglige de nous dire pourquoi ils restent inertes en traver- sant ainsi de bas en haut la plante gonflée de sucs, pourquoi ils ne détrui- sent pas le tissu fragile des radicelles et ne font pas fermenter, en passant, le jus de la tige de canne à sucre ou le jus de raisin. Mais nous ne sommes pas autorisés à réclamer de son mémoire ce qu'il ne nous donne pas; nous n'ayons qu'à examiner ce qu'il nous donne, et à nous demander si une 1. Comptes rendus, Soc. de Biologie, 1885, p. 196. 624 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. théorie aussi harmonieuse et aussi séduisante est bien justifiée par les faits. Elle est, nous l'avons vu, en désaccord avec les conclusions de M. Cham- berland, de M. Brasse et les miennes. Mais M. Bernheim pourrait nous répondre, avec juste raison, que nous n'avons pas opéré sur les mêmes graines, et que, d’ailleurs, il n’y a pas de faits contradictoires. Chaque fait nouveau doit être envisagé en lui-même, car il ne ressemble jamais, d'une facon complète, à ceux qui l'ont précédé. Envisagé à ce point de vue, le mémoire de M. Bernheim paraît, au premier abord, inspirer toute confiance. L'auteur semble bien au courant de la tech- nique, il lave les graines dans des solutions de sublimé corrosif, illes passe ensuite dans la flamme, même de facon à les charbonner, il les coupe en mor- ceaux avec des ciseaux flambés, en sème les fragments dans de la gélatine nutritive, et voit, au bout de quelques heures, chacun de ces fragments entouré d’une auréole fourmillante de bactéries. Si c'est vrai, c'est une belle découverte; mais il semble que l'importance du fait aurait dû conduire M. Bernheim à ouvrir l'œil et à se demanders’il ne rencontrait pas quelque part une grosse cause d'erreur. C’est au moins ce que le lecteur se demande et ce à quoi il ne trouve pas de réponse. Je me trompe: il y a dans le mémoire de M. Bernheim, précisément à propos de ces causes d'erreur, une phrase qui fait penser. Parlant de ses premières expériences sur le grain de maïs, ce savant dit qu'il les prenait tels qu'il les trouvait dans le commerce : il les laissait séjourner quelques instants dans une forte solution de sublimé, les lavait ensuite à l’eau stérilisée, et les promenait, à l’aide d'une pince flambée, dans un bec de Bunsen, de façon à éliminer tous les germes extérieurs. Leur ensemencement n'en était pas moins fécond. Plus tard, il a vu, dit-il, que ces précautions étaient inutiles, at- tendu qu'on arrivait au même résultat en lavant rapidement le grain à l’eau stérilisée. Mais on y serait arrivé encore plus sûrement en ne le lavant pas du tout! Car, ce qui fait la difficulté de cette étude, c'est que toutes les causes d'erreur agissent dans un sens favorable à la thèse. La logique du raisonne- ment de M, Bernheim le conduisait done tout droit à ne prendre aucune précaution : c’est donc que le raisonnement est inexact. Il n'y avait qu'une chose à conclure de cette constatation de l’uniformité des résultats, qu'on prenne des précautions, ou qu'on en prenne peu, c'est que les premières précautions employées par M. Bernheim étaient insuffisantes, et non pas qu'elles étaient inutiles. Dés lors, voilà toute la confiance du lecteur à vau l’eau. Il songe malgré lui qu'un savant aussi convaincu de l'inutilité des précautions ne doit pas les prendre d'une facon sérieuse, que la technique la plus parfaite n’est qu'un vain formulaire quand la foi manque, et que la fécondité des cul- tures de M. Bernheim, la variété des espèces qu’on y trouve peut avoir une autre origine que celle que leur a attribuée ce savant. Il ne chicanerait pas ainsi s’il s'agissait d’une découverte banale, de la découverte d’un nouveau microbe dans un fruit pourri, par exemple, ou de quelque chose d’analogue ; mais il a le droit et le devoir d’être plus difficile vis-à-vis des thèses d’une aussi grande portée que celle de M. Bernheim, et d'attendre pour y croire qu’on lui ait donné des raisons sans réplique. Dx. REVUES ET ANALYSES. 625 € Tu. Jaxowski. Sur la richesse de la neige en bactéries. Centralbl. f. Bakt., IV, p.047. Nous avons tenu nos lecteurs au courant (V. t. I, pp. 136, 409, 557) des résultats assez peu concordants trouvés successivement par MM. Fränkel, Prudden, Bordoni-Uffreduzzi, sur le nombre des bactéries contenues dans la glace et les variations qu'il pouvait subir avec le temps. Le nouveau travail de M. Janowski, qui se rapporte, il est vrai, à la neige, non à la glace, n'est pas fait pour lever nos indécisions, mais il apporte an résultats nouveaux qui méritent d'être signalés. Ce savant a d'abord étudié la neige récemment tombée, c’est-à-dire les parties superficielles du tapis de neige qu'on peut enlever de la surface du sol pendant une chute de neige. Il opérait dans une région où on n'avait guère à craindre les impuretés accidentelles, et il a trouvé, par centimètre cube d'eau provenant de la fusion de la neige : Le 2 fév. 1888. Temp. de l’air —— 10,2 38 et 34 colonies 90 — — — 14,1 203 et 354 — 28 — — — 12%,9 140 et 165 — Le 19 fév. pendant une tourmente, T — — 3°,9, 439 et 463 —- Ces nombres sont très inférieurs à ceux qui avaient été trouvés dans la ulace, très inférieurs aussi à ceux que M. Miquel a relevés dans la pluie de Paris. Peut-être faut-il tenir compte, pour expliquer ces faits, du caractère désert et froid des régions dans lesquelles opérait M. Janowski. Ce savant a aussi étudié la neige ancienne tombée depuis quelques jours, et qu'il enlevait en raclant la ue sur une profondeur de un demi-centimètre, avec une plaque de verre stérilisée. Il à ainsi trouvé, par centimètre cube d'eau de fusion : Le 11février, neige d’un jour 2 et 4 colonies 15 — de 4 jours 18 et 20 — 24 — 3 jours, froid intense 298 — 2 mars 3 - 145 et 212 — Ces nombres sont du même ordre et subissent les mêmes variations que ceux qui se rapportent à la neige récente. IL ne semble done pas qu'un séjour prolongé au froid diminue le nombre des germes. Cette conclusion n’est en désaccord ni avec celles de M. Prudden, ni avec celles de M. Bordoni- Uffreduzzi, qui ne sont pourtant pas d'accord les unes avec les autres. M. Prudden a montré que le froid diminuait le nombre des germes vivants, mais il faut pour cela un froid prolongé de plus longue durée que ceux des expériences de M. Janowski. D'un autre côté, M. Bordoni-Uffreduzzi n'a pas constaté cette diminution avec le temps du nombre de germes contenus dans la glace, et se trouve ainsi d'accord avec M. Janowski; mais la glace n'est pas de la neige et on ne peut pas conclure de l’une à l’autre. A tout prendre, du reste, M. Janowski avait le droit de ne pas s'attendre à voir diminuer, après 3 ou 4 jours, le nombre de germes contenus dans la neige, car le froid qui agissait sur eux ne datait pas du jour où ils avaient été entraînés sur le sol par des flocons neigeux. La question de l'influence du froid sur les germes reste donc entière, et pour la résoudre, il sera prudent 626 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. de s'adresser ndn aux mélanges variables de microbes inconnus que fournit l'étude de la neige ou de la glace naturelle, mais à la congélation de cultures ou de liquides renfermant des spores ou des adultes d'espèces bien connues. Tant qu'on n'a pas employé ce moyen pour faire l'étude de la chaleur sur les microbes, on n'est arrivé qu'à des résultats confus et contradictoires. Il en sera sans doute de même pour l'étude de l’action du froid. Dx. L. ScumeLck. Une bactérie de glacier. Centralbl. f. Bakt., &.IV, p.545. Dans un voyage en Norvège, l'auteur a eu l'occasion de visiter le plus crand glacier de l’Europe, le Jostedalsbrä, qui occupe une surface de 1,600 kilomètres carrés, et commence à une centaine de mètres au-dessus du niveau de la mer pour s'élever à près de 2,000 mètres. Des prises d'essai ont été faites à diverses altitudes, soit sur la neige superficielle du glacier, soit dans les ruisseaux qui en découlent, et la richesse en bactéries a été étudiée par la méthode d'Esmarch. Voici, rapportés à 1 centimètre cube d'eau, les nombres de colonies bactériennes fournies par les divers essais : 1. Ruisseau à 3 kilom. du glacier. . . . . . . 170 et 200 col. 9, Ruisseau à 50 m. du glacier. eur À LAeLINONEE 3. Neige du glacier 1,800- =, 000m d' altitude. 6 9 — %. Autre neige - 2 — 5. Ruisseau — 9 et 45 — Dans l'essai n°9, il y avait en outre de nombreux développements de mycéliums. Il y en avait deux, avec les deux colonies bactériennes, dans l'expérience n° 3. Cette neige et son eau de fusion étaient donc extrême- ment pauvres en germes, et on se demande pourquoi, car « à l'œil nu, dit M. Schmelck, la surface de la neige n'apparaissait pas tout à fait pure. On y trouvait, au microscope, des restes de plantes et d'insectes mélangés à de la neige rouge, à des mucedinées et à des formes de levures.» Faut-il voir là cette action prolongée du froid dont nous discutions tout à l'heure l'influence ? Ce qu'il faut encore signaler, c’est que dans tous les essais, la plupart des colonies étaient formées par un bacille très semblable au bacillus fluo- rescens liquefaciens. Ce bacille avait surtout été rencontré jusqu'ici dans les eaux les moins pures etles substances en putréfaction, et beaucoup plus rarement dans l’eau des grands fleuves et des mers. M. Schmelck l’a trouvé si souvent dans l’eau de fusion des glaciers de la Norvège qu'il se demande si ce bacille ne joue pas un rôle dans la production de la teinte verte de ces glaciers. Ajoutons une dernière observation. L'eau de l'expérience n° 3, qui ne donnait que deux colonies bactériennes lorsqu'on l'étudiait de suite après la fusion, en contenait 70 et 80 après un séjour de 6 heures dans une chambre chauffée, Il y avait donc eu multiplication des bactéries dans une eau sans doute très pure. Dx. Ovo Burwin. Le sucre de raisin comme cause de la purulence par le Staphy- lococcus aureus. Centralbl. f. Bakt, t. IV, p. 577. On sait la gravité que prennent chez les glycosuriques une foule d’affec- INSTITUT PASTEUR. 627 tions qui restent bénignes ou passent inaperçues chez les personnes bien portantes. À propos d'un diabétique qu'il soignait, et chez lequel il avait eu à lutter contre des abcès nombreux focmés par le Staphylococcus aureus, M. Bujwid s'est demandé si le sucre n’agissait pas en diminuant la force de résistance des éléments des tissus. Il a cherché pour cela quelle quantité de Staphyloccus on pouvait inoculer à un lapin sans dommage pour lui. Au moyen de numérations sur des plaques de gélatine, il a vu qu'un lapin peut supporter un billion, un rat de 100 millions à un billion, et une souris jusqu’à 100 millions de coccus inoculés sous la peau sans qu'il y ait formation d'abcès. Mais ces quantités, inoffensives quand il n'y a pas autre chose, deviennent dangereuses quand au lieu de les délayer dans de l'eau distillée, on les délaye dans une solution à 25 p. 100 de glucose, laquelle, seule, ne donne rien. Avec des solutions plus faibles, il faut réitérer les injections pour avoir un abcès en présence du mi- crobe. Si on ne commence à irriter les tissus par ces injections répétées de sucre, qu’au moment où le Staphylococcus y a déjà séjourné quelques jours, on n'a aucun résultat. Enfin en injectant dans une veine de l'oreille d’un fort lapin 10°° d’une solution de glucose à 10 p. 100, et en lui inoculant ensuite sous la peau environ un billion de cellules du coccus, on a vu apparaître le lendemain, au point d'inoculation, un œdème qui à conduit au bout de quelques jours à une morlification locale, suivie d'escarre, analogue à celles qu’on observe parfois dans les ulcères des diabétiques. On obtient des résultats analogues avec une solution de 1 p. 4,000 de sublimé corrosif ou de 2 p. 100 d'acide phénique. Tous ces faits sont à rap- procher des faits de même ordre découverts par M. Roux, et se rattachent comme eux à la grande question de la variation de virulence. L’accroisse- ment de la virulence n’est pas dû à une augmentation de vitalité du coccus sous l'influence du sucre, car, en cultures artificielles, il semble redouter cette substance, C’est surtout en diminuant la force de résistance des tissus que le sucre agit. Dx, INSTITUT PASTEUR RENSEIGNEMENTS STATISTIQUES, Personnes traitées mortes de rage. Bourezzy (Léon), 14 ans, de Marseille. Mordu le 29 mai à la partie moyenne du front par le chien d'un voisin. L'enfant porte deux morsures qui ont saigné. Aucune cautérisation n'a été faite. Le chien mordeur a été reconnu enragé par M. le D: Livon qui a inoculé le bulbe à des lapins qui ont pris la rage. Bourelly a été traité du 7 juin au 1° juillet. Il a été pris de rage convulsive le 31 octobre et a succombhé le 2 novembre. 628 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. INSTITUT PASTEUR STATISTIQUE ! DU TRAITEMENT PRÉVENTIF DE LA RAGE. — OCTOBRE 1888 A B C Sn Morsures à la tête ( simples ..... » | gl?” 2! eu | | et à la figure multiples....| »| 4%) » 2| Le Cautérisations efficaces. ........... Eine ln ES Lo » |» | RTC INCINCACESE EN CRCE ANS » il » » »| » » Pas de cautérisation NAT EE 2 one ROM D Eno” PA E RAPSA CES e -(usimples. #5 os nl otre »| 2 Morsures aux mains) multiples... | » 101%! , nn 29| | 4 $ Cuutérisations effiraces............ Dpt» GER » ol » | — TRE NEUCOS FUN ARCE SAR Ie PT » » | 61 » | » Prsydelcuutérisanon eue eee 8! » | » 16! » »" [2e Morsures aux mem-{ simples......| »| 3%) » 8) »| #8 bres et au tronc |! multiples....| » 312), 12, 20) | $s 11 Cautérisutions efficaces ........... NE AU PRE Me A CS ».. [af rats — INC NCUCES UT UN 4| > re) » » 120) Pas de chuténsations RE EC F3 1 0 DE re EU » | Tire ae HGbuLS dEchirES PEER ER Re 1210118) » | '8l > 1 MOrSures Gant a EM RARE nr A2) Se 5-41 0m Morsures multiples en divers points HUÉCOLDS AA AR RUE PRES ER »| | El 2 2 lee Cautérisations efficaces............ » 260 D » PR EN ILES = IRC NCACES RE LE D LU 2 Des 2e » » NO Le Pas de cautérisation......... AE eee LE RE MEN » » | A4 » |» Habits Pdéchirés EURE RER RE 11 DE CHR DE » 42 PRS EI MOrSUReSSUNUS PR ue 1 M DR LA) eo »4 al TS as | mms | coms | Ge | RS | cu | que | RS | mme Français et Algériens..|..| 29,,,1..| 52, -,\..118) Totaux. ; Étapes UE AMCIUES ee s NAME A B C ©" TOMATE INVULENRE dhsowo 0 aboe be 106 4. La colonne A comprend les personnes mordues par des animaux dont la rage est reconnue expérimentalement ; La colonne B celles mordues par des ani- maux reconnus enragés à l'examen vétérinaire; La colonneC les personnes mordues par des animaux suspects de rage. Les animaux mordeurs ont été : Chiens, 100 fois; chats, 6 fois. Le Gérant : G. MiAssox. Ca EE AT 2 RÉ Sceaux, — Imprimerie Charaire et fils. 9me ANNÉE. DÉCEMBRE 1888. N° 142 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR CONTRIBUTION À L'ÉTUDE DE LA DIPHTHÉRIE Par E. ROUX er A. YERSIN. Depuis Bretonneau, la diphthérie est regardée comme une maladie spécifique et contagieuse ; aussi dans ces dernières années a-t-on entrepris son étude au moyen des méthodes microbiennes qui ont déjà permis de trouver la cause de beau- coup d’autres maladies infectieuses. Nous ne rappellerons pas ici tous les microcoques el tous les bacilles que l’on a retirés des fausses membranes diphthéritiques, et qui tour à tour ont été regardés comme spécifiques par ceux qui les ont isolés et décrits. Nous parlerons surtout des travaux de M. Klebs et de M. Læffler qui ont fourni des données exactes sur la nature de la diphthérie. M. Klebs', le premier, a signalé un bacille spécial à la diphthérie, il a décrit sa disposition dans les fausses membranes à la surface des muqueuses malades ; mais c’est à M. Lœffler * que l’on doit le travail le plus considérable qui ait été fait sur la question. M. Lœffler a étudié 25 cas de diphthérie : dans la plupart d'entre eux il a trouvé, à l'examen microscopique, le bacille de M. Klebs ; dans 6 cas il a isolé et cultivé ce bacille à l'état de pureté. Il a pu reproduire sur les pigeons, les poules, les lapins et les cobayes la fausse membrane diphthéritique, en 1. Congrès de Wiesbadeu 1883. 2. Miltheilungen aus den Kaïserl. Gesundheitsamte, vol. 1], 4884, p. 421. J 40 630 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. badigeonnant avec des cultures pures la muqueuse excoriée de la conjonctive, de la trachée, du pharynx et du vagin. Il a étudié, en outre, sur un Certain nombre d’espèces animales, les effets de l’inoculation sous-cutanée ou intra-veineuse de ce bacille. Malgré les résultats très intéressants qu'il a obtenus, M. Læffler ne s’est pas cru autorisé à affirmer que le bacille de M. Klebs est le bacille de la diphthérie, et à la fin de son mémoire il expose les raisons qui sont pour ou contre la spécificité du microbe qu'il vient d'étudier. Parmi les arguments opposés à cette spécificité, il faut signaler : l'absence de paralysie chez Îles animaux qui ont résisté aux inoculations, la présence d’un bacille identique à celui de la diphthérie dans la bouche d’un enfant sain, et enfin l’insuccès de la recherche du bacille dans certains cas typiques de diphthérie. Dans une seconde communication ‘, M. Lœffler rapporte qu'il a trouvé ie bacille de Klebs dans dix nouveaux cas de diphthérie, et il fait connaître en outre que, dans les fausses membranes, il existe un microbe très voisin de celui de Klebs, mais qui en diffère surtout en ce qu'il n’a aucune action nocive sur les animaux. Récemment M. G. Hoffmann ? a publié un mémoire sur la diphthérie; il y confirme en partie les résultats que nous venons de citer et déclare qu'il ne lui a pas été possible de lever le doute qui existe encore au sujet de la spécificité du microbe étudié par M. Læffler. M. Hoffmann a rencontré dans les fausses membranes, à côté du bacille de Klebs, un autre bacille qui lui ressemble, mais qui est dénué de virulence. Il a retrouvé le même microbe dans des cas d’angines scarlatineuses et rubéoliques. M. Hoffmann insiste sur les variations qu’il a constatées dans la virulence du bacille supposé spécifique. Dans certains cas de diphthérie, le bacille isolé s’est montré inoffensif pour les cobayes, tandis que dans d’autres cas il tuait ces animaux comme l’a décrit M. Læffler; d’autres fois il faisait mourir Les jeunes cobayes et était sans effet sur les cobayes plus âgés. Enfin, M. Hoffmann -a observé que dans les vieilles cultures l'organisme était moins 4. Socièlé des médecine de Berlin, séance du 21 avril 4887. V. Centralbatt für Bakt., vol. If, p. 105, 1887. 2. Recherches sur le bacille diphtherilique de Klebs et de Lœffjer eb sur son impor- tance pathogene, par Georg. von Hoffmann. Wiener med. Wochenschrift, n°53 et 4, 1855. CONTRIBUTION À L'ÉTUDE DE LA DIPHTHÉRIE. 631 virulent, et que des cobayes inoculés avec les cultures anciennes résistaient à l’inoculation d’une culture fraîche. Il faut reconnaître que si le travail de M. Lœæffler n’a pas résolu la question de l’étiologie de la diphthérie, il a très bien préparé l'étude de cette maladie. Il nous a servi de point de départ dans les recherches que nous publions aujourd’hui et qui nous permettent d'affirmer que le bacille de MM. Klebs et Læffler est le bacille spécifique de la diphthérie. En effet, nous l’avons trouvé dans tous les cas (15) de diphthérie que nous avons exa- minés ; avec les cultures pures de ce bacille nous avons, comme M. Lœæffler, reproduit les fausses membranes chez les animaux ; mais, plus heureux que lui, nous avons pu leur donner des para- lysies analogues à celles que l’on observe chez l'homme à la suite dela diphthérie. Enfin nous avons démontré queles cultures de ce bacille contiennent un poison qui, selon les doses aux- quelles on l’injecte, tue rapidement les animaux ou leur donne des paralysies sans l'intervention de microbes vivants. ÎÏ. — BACILLE DE LA DIPHTHÉRIE. Sa séparation. — Ses caractères. — Sa culture. M. Klebs et après lui M. Læffler ont très bien décrit l'aspect que présente au microscope la coupe d’une fausse membrane diphthéritique et de la muqueuse à laquelle elle est adhérente *. Dans les cas de diphthérie à marche rapide, après coloration des coupes au bleu de méthylène, on voit que les parties superficielles de la fausse membrane sont formées par une couche de petits bacilles presque à l’état de pureté. Ce sont les bacilles de Klebs. Ils sont séparés de la muqueuse, dépouillée de son épithélium, par une couche de fibrine granuleuse et par un réseau fibrineux adhérent au tissu muqueux, dont les vaisseaux très dilatés ont laissé échapper des globules rouges. Souvent aussi la zone la plus superficielle de la fausse membrane contient des microbes divers, bâtonnets, microcoques et chainettes, mélangés aux amas de bacilles de Klebs qui sont au contraire prédominants immédiatement au-dessous. Ces petits bacilles, disposés comme nous venons de le dire, sont seuls caractéristiques de la diphthé- 1. Voir aussi le bel ouvrage de M. Œrtel sur l'anatomie pathologique de la diphthérie. 632 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. rie. {ls sont surtout nombreux dans les cas très infectieux, tandis que les autres microbes se rencontrent dans beaucoup d’angines qui n’ont rien de commun avec la diphthérie. Pour extraire de ces fausses membranes le bacille spécifique à l’état de pureté, voici le procédé que nous avons suivi; il diffère très peu de celui mis en œuvre par M. Læffler. Avec un fil de platine, on étale à la surface d’un tube de sérum coagulé une petite parcelle de la fausse membrane. Avec le même fil, sans le recharger de semence, on fait plusieurs stries sur diffé- rents tubes de sérum. Dans les tubes ensemencés ies premiers il se développe, à la température de 33°, le long des stries, un grand nombre de colonies variées trop rapprochées pour être reconnues, mais dans les tubes semés en dernier lieu les colonies sont assez nettement séparées pour que l’on puisse distinguer parmi elles celles du bacille spécifique. Elles se présentent sous forme de petites taches arrondies, blanc grisâtre, dont le centre est plus opaque que la périphérie. Elles poussent énergique- ment sur le sérum et forment bientôt de petites plaques rondes, grisâtres et saillantes. La rapidité du développement sur le sérum fait que les colonies de ce bacille sont déjà très apparentes avant que les organismes d’impureté aient pullulé. Lorsqu'on a reconnu, au microscope, qu'une colonie est formée de bacilles purs, on la sème de la mème façon sur plusieurs tubes de sérum et on obtient ainsi rapidement des cultures pures. Les colonies du bacille de la diphthérie croissent plus lente- ment sur la gélose nutritive que sur le sérum, mais elles pren- nent sur ce terrain un aspect très caractéristique. Au lieu de faire des plaques à la façon ordinaire pour séparer les microbes des fausses membranes, nous faisons à la surface de tubes de gélose des ensemencements successifs au moyen du fil de pla- tine, absolument comme nous l’avons décrit pour les tubes de sérum. Le développement sur la gélose se fait bien à 33°. Au bout de 30 à 48 heures, sur les tubes semés en dernier lieu, on distingue de petites taches blanches plus épaisses au centre, qui sont des colonies du bacille diphthérilique. Le microbe de la diphthérie, ainsi isolé, et coloré au bleu alcalin, comme l’a indiqué M. Læffler, paraît plus petit que dans les fausses membranes. IL est à peu près de la longueur du bacille de la tuberculose, mais plus épais; ses extrémités arron- CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE LA DIPHTHÉRIE. 633 dies prennent plus fortement la couleur que la partie moyenne. Lorsque la culture est plus âgée, les bâtonnets ne se colorent plus uniformément; on voit dans l'intérieur des grains très foncés qui donnent l'illusion de spores. Le milieu solide qui parait lui convenir le mieux est le sérum solidifié de bœuf, de mouton ou de cheval, après addition d’un peu de peptone. Le bacille de la diphthérie est immobile. Il pousse abondam- ment dans les milieux liquides; le bouillon de veau légèrement alcalin préparé avec une partie de viande pour deux parties d'eau nous a surtout servi dans ces recherches. Après quelques jours de culture, le bouillon primitivement alcalin est devenu acide; cette acidité persiste assez longtemps, puis elle est rem- placée par une réaction alcaline si l’air a libre accès dans la culture. Le développement dans le bouillon se fait sous forme de petits grumeaux qui se fixent sur la paroi des vases. A l'abri de l’air, dans le vide, le bacille se cultive facilement, mais moins énergiquement cependant qu'à l'air; dans ce cas le bouillon devient également acide et conserve cette réaction. L'acidité est plus prononcée dans les cultures faites dans le bouillon glycériné que dans le bouillon simple; dans ce milieu, qui devient bientôt d'une acidité exagérée, le bacille perd sa vitalité. Il en est de même quand il croît sur le sérum glycé- riné, qui prend alors une réaction acide, ce qui ne s’observe pas avec le sérum ordinaire. Le bacille se conserve longtemps sur le sérum et dans les bouillons soit à l’étuve, soit à la tempé- rature ordinaire. Nous avons gardé pendant plus de six mois une culture faite dans le bouillon et enfermée dans des tubes scellés à la lampe. Semée après ce long temps, elle a donné un beau développement et s'est montrée très active sur le cobaye et le lapin. Dans les cultures anciennes, soit sur milieu solide, soit dans milieu liquide, les bacilles ont presque tous perdu la propriété de prendre les matières colorantes. Quelques-uns, qui pré- sentent des formes renflées, arrondies ou en poires, se teignent encore fortement. Ces variétés de formes sont bien connues de tous ceux qui ont fait des cultures de ce microbe. IT. -— ACTION SUR LES ANIMAUX. inoculation sur les muqueuses. — Pour mettre en évidence le 634 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. rôle du bacille de Klebs dans la diphthérie, on devait tout d’a- bord essayer de reproduire, avec les cultures pures, les fausses membranes diphthéritiques. M. Læffler y a parfaitement réussi sur les lapins, les pigeons et les poules, en excoriant, avec un fil de platine chargé de culture, soit la muqueuse du pharynx, soit celle de la conjonctive ou même celle de la vulve chez le cobayes. En inoculant de la même façon le bacille de Klebs dans la trachée des lapins et des pigeons, après trachéotomie, il a souvent amené la mort de ces animaux. Il est nécessaire pour donner la maladie de léser la muqueuse : un simple badi- geonnage sur une muqueuse saine ne suffit pas à produire les Fr croupales. Nous ne pouvons que confirmer les résultats de M. Læffler; les animaux de nos expériences se sont comportés comme ceux des siennes, avec celte différence toutefois que l'issue fatale est pour ainsi dire larègle pour nos inoculés après trachéo- tomie. L'affection que l’on produit ainsi chez le lapin rappelle le croup chez l'homme. La difficulté que l'animal éprouve à respirer; le bruit que fait l'air en passant par la trachée obstruée ; l'aspect de la trachée congestionnée et tapissée de fausses membranes, le gonflement œdémateux des tissus et des gan- glions du cou, rendent cette ressemblance absolument frap- pante. Inoculations sous-cutanées. — M. Læffler a trouvé que chez le lapin et le pigeon l’inoculation sous-cutanée était loin d’être aussi meurtrière que l’inoculation dans la trachée. L’injection sous la peau des pigeons et des lapins ne faisait pas mourir ces animaux, mais produisait simplement une nécrose des tissus. Les cultures que nous avons obtenues sont beaucoup plus actives que celles de M. Lœæffler, puisqu'elles tuent les pigeons et les lapins qui les reçoivent sous la peau. L'introduction, dans le muscle pectoral et le tissu sous-cutané des pigeons, de un centimètre cube d'une 13° culture de diphthérie, a causé leur mort en moins de 60 heures. Ils succombhent encore avec des doses inférieures à 1/2 centimètre cube, mais ils se rétablissent le plus souvent lorsqu'ils sont inoculés avec un cinquième de centimètre cube. A l’autopsie, on trouvé au point d'inoculation, sous la peau et dans le muscle, un petit enduit grisâtre et un œdème gélatineux. Le muscle qui a reçu une partie du liquide est gonflé et ses fibres CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE LA DIPHTHÉRIE. 635 ont une teinte jaune. On ne rencontre aucune lésion apparente des organes internes, si ce n’est de la congestion. Les vaisseaux sont dilatés et contiennent un sang noir et mal coagulé. Les lapins meurent aussi après une inoculation sous-cutanée, si celle-ci a été faite avec une dose de culture suffisante. Un lapin qui avait reçu sous la peau, 4° d’une 13° culture dans le bouillon, succomba en moins de #4 jours ; un autre qui avait été inoculé de la mème manière, avec 2°, mourut le 5° jour, tandis qu'un troi- sième, auquel on avait injecté seulement 1°° de la même culture, finit par se rétablir. Après l'introduction du bacille de la diphthérie sous la peau d’un lapin, on observe bientôt un œdème consi- dérable: l’animal devient triste, ne mange plus et meurt sans convulsions, dans l'attitude où il se trouve. L’autopsie montre au point d’inoculation un œdème étendu infiltrant un tissu induré avec piqueté hémorrhagique. un gonflement des ganglions de l’aine et de l’aisselle, une congestion de l’épiploon et du mésentère avec de petites ecchymoses le long des vaisseaux. Le foie friable présente une teinte jaune, etilest le siège d’une dégénérescence graisseuse. L’épanchement pleurétique est exceptionnel et les poumons sont presque toujours sains. Les cobayes sont plus sensibles que les lapins à l’action du bacille de la diphthérie. L'introduction sous leur peau d’une petite quantité de culture amène toujours la mort, souvent en moins de 36 heures, avec des lésions typiques que M. Læffler a bien dé- crites. Ces lésions consistent en un enduit membraneux grisâtre limité au point d'inoculation, en un œdème gélatineux plus ou moins étendu, et en une dilatation générale des vaisseaux qui se traduit par la congestion des ganglions et des organes internes, principalement des capsules surrénales. Le plus sou- vent un épanchement séreux remplit les plèvres, et parfois le tissu pulmonaire est splénisé. Il est remarquable que la pleuré- sie, qui est la règle chez le cobaye après l’inoculation de la diph- thérie, ne se rencontre que très rarement chez le lapin; au cen- traire, la dégénérescence du foie qui est fréquente chez le lapin manque chez le cobaye. Injections intra-veineuses. —L'injectionintra-veineuse de nos cultures pures sur sérum ou dans bouillon, nous a donné chez les lapins des résultats différents de ceux qu’a obtenus M. Læffler. Cet auteur n’a jamais vu mourir les lapins à la suite 636 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. de ces inoculations ; au contraire, leur mort est la règle après l'injection intra-veineuse de nos cultures. A la fin de ce mémoire. on trouvera le récit de plusieurs expériences faites sur ce point; nous nous bornerons à dire qu'à la suite de l'introduction dans leurs veines de 1° de culture, les lapins meurent en général en moins de 60 heures. Les lésions que l’on trouve à l’autopsie sont une congestion générale des organes abdominaux, une dilatation des vaisseaux, le gonflement des ganglions, une né- phrite aiguë et très souvent une dégénérescence graisseuse du foie qui présente cette teinte jaune dont nous avons déjà parlé. Chez les animaux qui ne succombent pas dans un aussi court délai, il survient au bout de quelques jours des paralysies typiques sur lesquelles nous reviendrons plus tard. Inoculations dans le péritoine. — L'inoculation du bacille de la diphthérie dans le péritoire tue les cobayes moins rapidement que l’inoculation sous-cutanée. Des cobayes inoculés, dans la cavité abdominale, avec 1° et 2° de culture, mouraient le 3° et le 4° jour, tandis que des cobayes témoins inoculés sous la peau, avec les mêmes doses, succombaient en moins de 24 heures. Dans une autre expérience, un cobaye inoculé dans le péritoine a vécu quatre jours de plus qu'un autre inoculé dans le tissu sous-cutané. Virulence des cultures anciennes. — Lorsque les cultures inoculées sont anciennes, la mort est moins rapide, mais il suffit de les renouveler pour qu’elles reprennent toute leur acti- vilé. Une culture sur sérum conservée à l'air, pendant cinq mois, à la température ordinaire mais à l'abri de la lumière, inoculée directement à un cobaye, l’a tué en 5 jours; après avoir été rajeunie elle a fait périr un second cobaye en 24 heures. Il n’y avait donc pas à proprement parler d'alténuation de Ja culture ancienne. Les bacilles qui ont été isolés des divers cas de diphthérie qui nous ont servi dans cette étude se sont toujours montrés virulents. Pour les cobayes nous n'avons jamais ren- contré les différences dans la virulence signalées par M. Hoff- -mann. De même nos cultures dans le bouillon se sont montrées actives sur les cochons d'Inde après 23 jours et plus de séjour à l'étuve. Il ne paraît done pas que la virulence du bacille de Klebs soil aussi fragile que quelques auteurs l’ont prétendu. Les variations de la virulence s’accusent quand on expéri- CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE LA DIPHTHÉRIE. 637 mente sur des animaux moins sensibles que les cobayes à l’action du virus diphthéritique. Les inoculations de cultures un peu anciennes sous la peau des pigeons et dans les veines des lapins ne tuent pas ces animaux, elles peuventamener chez eux des para- lysies tardives ou ne produire aucun effet. Ces cultures renou- velées reprennent toute leur activité. Cependant, on obtient quelquefois des cultures récentes qui tuent les cobayes à tout coup et qui agissent d’une manière inconstante sur le pigeon et le lapin ‘. Mais il ne s’agit pas là d’une atténualion régulière obtenue dans des conditions de culture bien déterminées. Le bacille de la diphthérie est-il plus virulent pour Îles animaux quand il vient d’une diphthérie humaine très infec- tieuse ou quand il a été reliré d'une diphthérie bénigne? Sans pouvoir nous prononcer définitivement sur celle question, nous disons que, des fausses membranes d’un cas très bénin, nous avons isolé un bacille diphthéritique dont les cultures étaient très actives sur les lapins. Recherche du bacille de la diphthérie dans les organes. — Un des points les plus intéressants dans l'histoire de la diphthérie est le suivant : à savoir que l’on ne trouve l'organisme pathogène que dans les fausses membranes et qu’il est absent des organes et du sang des personnes qui ont succombé à cette maladie. Ilen est de mème chez les animaux qui meurent à la suite d’une infection expérimentale. M. Læffler n’a jamais trouvé le bacille de Klebs qu'au point de l’inoculation. Nous avons fait un grand nombre d'expériences pour savoir si avant la mort il ne se fait pas en quel- que point du corps de l'animal une culture plus ou moius abon- dante, mais de courte durée. Nous avons inoculé une série de: cobayes sous la peau et nous les avons sacrifiés de deux heures en deux heures à partir du moment de l'inoculation. Déjà après 4 heures, l'œdème est manifeste au point de l'inoculation; les bacilles augmentent dans cet œdème local jusqu'à la 6° ou la 8e heure, un certain nombre sont enfermés dans les cellules, mais bientôt leur nombre va en décroissant, et au moment de la mort de l'animal il y a moins de microbes au lieu de l'injection qu'il n’y en avait 6 ou 8 heures après qu’elle venait d'être faite. L'ensemencement du sang et de la pulpe des organes des cobayes 1. Les animaux qui ont résisté à l'inoculation de ces cultures ont toujours suc- combé quand ils ont été éprouvés avec des cultures très actives. 038 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. ainsi sacrifiés reste stérile. Une seule fois, chez un cobaye pendu après la 6° heure, la pulpe du foie à donné une culture. Le liquide péritonéal, quand l’inoculation est faite sous la peau du ventre, etl’ædèmelocalontseuls donné constammentdes cultures. Le liquide pleurétique de cobayes morts de diphthérie, injecté à la dose de plusieurs centimètres cubes à d’autres cobayes, ne leur a causé aucun ‘malaise. Le sang et les organes ne renfer- ment donc que très accidentellement le bacille de la diphthérie, il n’y pullule pas. Il semble même qu’au point d’inoculation son développement soit bientôt entravé'. Cette particularité rend très difficile la transmission de la maladie d’un animal à un autre au moyen des produits recueillis à l’autopsie. Quand on inocule un second cobaye avec la fausse membrane ou l’ædème d'un premier qui vient de succomber, ce second cobaye meurt avec un retard considérable, et un troisième inoculé avec les matières prises à l’autopsie du second ne meurt pas. Il est donc impossible de faire des passages successifs. On ne trouve pas non plus, à l'examen au microscope, de microbes dans le sang ni dans les organes des lapins qui ont succombé à l'injection intra-veineuse de culture de diphthérie. El faut semer de grandes quantités de sang ou de pulpe de rate pour obtenir de temps en temps une culture. À aucun moment, avant la mort de l’animal, on ne peut surprendre une culture notable dans le sang ou les organes. La rate d’un lapin, sacrifié par pendaison 24 heures après avoir recu un centimètre cube de cul- ture dans les veines, est enlevée, avec pureté, et introduite tout entière dans un tube stérilisé. Après plusieurs jours passés à l'étuve à 33°, aucun organisme ne s’est développé dans cette rate. Si l'animal a été sacrifié seulement 5 ou 6 heures après l'injection, on ne trouve que très difficilement des bacilles au microscope, mais la rate mise à l’étuve avec les pré- cautions que nous venons de dire pullule de microbes de la diphthérie après 12 ou 2% heures ?. Cependant, ces lapins, chez lesquels il n’y a plus de microbes diphthéritiques 16 heures 4. Dans les fausses membranes produites chez le lapin par inoculation dans la trachée, ou chez le cobaye par injection sous-cutanée, les microbes sout beaucoup moins abondants que dans les membranes de diphthérie humaine. 2. Ce moyen est très commode pour s'assurer que certains microbes se sont arrètés dans les organes après avoir été injectés dans le sang. I indique, beaucoup CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE LA DIPHTHÉRIE. 639 après leur introduction dans le sang, succombent vers la 30° ou la 36° heure. La maladie poursuit son cours malgré la dispari- tion du bacille qui la cause. Nous verrons plus tard l'explication de ces faits qui paraissent si différents de ceux que l’on observe d'ordinaire dans le cours des autres maladies infectieuses. ITT. — DES PARALYSIES DIPHTHÉRITIQUES EXPÉRIMENTALES, Dans son Mémoire que nous avons déjà si souvent cité, M. Lœffler écrit qu'il n’a pas vu de paralysie diphthéritique sur- venir chez les animaux qui avaient résisté à l’inoculation du bacille de Klebs. Pourmettresurleurs gardesles expérimentateurs qui croiraient avoir produit des paralysies diphthéritiques, il rapporte l’histoire d’un pigeon qui guérit après une inoculation dans la bouche et au muscle pectoral. Quatre semaines après, le pigeon présentait de la faiblesse des jambes et des ailes, au point que les mouvements étaient impossibles. Après une durée de quinze jours, cet état s’améliora et l'animal revint à la santé. Inoculé une seconde fois, il fut pris de nouveau de troubles mo- teurs et mourut. À l'autopsie, M. Læffler trouva des dépôts d'acide urique dans les articulations et sur les tendons : il en con- clut que le pigeon avait souffert d'une arthrite urique récidivée après la seconde inoculation. De même, une poule inoculée dans la trachée ne pouvait se tenir debout que les jambes écartées, elle présentait de l’incoordination des mouvements et était dans l'impossibilité de voler, et cela quatre semaines après l’inocula- tion. Cette poule fut sacrifiée, et l’autopsie montra une déviation du sternum et des côtes avec atrophie des muscles et ramollis- sement des vertèbres. L'auteur conclut à du rachitisme. Un plus sûrement que l'examen des coupes, et même que les ensemencements, tels qu’on les pratique d'ordinaire, si un organe contient un microorganisme vivant. Il peut s'appliquer non seulement à la rate, mais aussi au foie et aux reins. Il suffit, en effet, de retirer avec soin l'estomac et les intestins de l'animal, de remplir la cavité abdominale avec du papier flambé pour que le cadavre puisse être - conservé quelques heures à l'étuve, sans être envahi par des organismes étrangers. Dans ces conditions on constate bientôt que le foie et le poumon contiennent comme la rate beaucoup de bacilles diphthéritiques. De plus il est très intéressant d'étudier la virulence des microbes qui ont ainsi vécu pendant des temps varia- bles dans un organisme vivant. Le fait même de leur culture dans le foie ou la rate dun animal sacrifié n’est pas sans influence sur leurs qualités virulentes; c’est un sujet sur lequel nous reviendrons plus tard. ES 640 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. autre pigeon, inoculé de la diphthérie, fut pris aussi de troubles moteurs : M. Læffler les attribue à un myxôme qu'il trouva dans le canal rachidien. Comme il est possible, avec des microbes divers, de provo- quer sur les muqueuses des animaux des fausses membranes semblables à celles de la diphthérie ‘, cette absence constante d'un phénomène aussi caractéristique que la paralysie était bien faite pour faire douter que le bacille de MM. Klebs et Lœffler füt la cause de la diphthérie. Des paralysies s’observent cependant chez les animaux ino- culés de la diphthérie, soit dans la trachée, soit sous la peau. C’est même un phénomène très fréquent lorsque les animaux ne succombent pas à une intoxication trop rapide. 19 Paralysie à la suite de l'inoculation dans le pharynx et dans la trachée. — Le premier exemple de paralysie diphthé- rique expérimentale que nous ayons observé nous a été donné par un pigeon inoculé dans le pharynx avec une culture pure du bacille de M. Klebs. Après avoir eu de belles fausses mem- branes, ce pigeon paraissait guéri lorsque après trois semaines il devint faible, au point qu'il se tenait difficilement debout et que, quand on l’obligeait à marcher, il avançait à peine de quel- ques pas, les paltes écartées, puis tombait en avant. Il ne pou- vait se relever quand on le mettait sur le dos, et n'avait aucune force dans les ailes. Cet état de faiblesse musculaire dura une semaine, il survint alors une amélioration dans les mouvements des pattes. Cependant l'animal finit par mourir cinq semaines après l'inoculation. À l’autopsie, on constata une grande mai- greur généralé, mais aucune lésion des articulations ou du système nerveux qui püt expliquer les troubles moteurs. N'est-ce pas là uu exemple de paralysie diphthéritique caractéristique succédant à une angine provoquée ? Lorsque les lapins résistent aux accidents immédiats que pro- voque l'inoculation de la diphthérie dans la trachée, ils présen- tent le plus souvent des symptômes paralytiques. En voici un -exemple : un lapin inoculé dans la trachée, après la trachéo- tomie, présenta dès le second jour de la dyspnée, avec respira- tion bruyante, et parfois dans la gorge comme un bruit de drapeau. Les symptômes s’amendèrent, mais le sixième jour, on L. Talamon, Progrés médical, 1881, p. 112 et 498. CONTRIBUTION À L’ÉTUDE DE LA DIPHTHÉRIE, 641 remarqua que les paltes de derrière élaient paralysées, elles ne se détendaient plus dans la marche et l'animal ñ’avançait plus qu’à pas petits et incomplets. Cette paralysie devint rapide- ment progressive et le lapin mourut. Les ganglions du cou étaient gros et œdémateux, la trachée congestionnée ne contenait plus de fausses membranes, le poumon était œdématié. 29 Paralysies à la suite d'injections intra-veineuses. — Nous avons dit qu'à la suite de l'injection de 1* de culture de diphthérie dans les veines les lapins mouraient fréquemment en moins de 4 jours. Le plus souvent la maladie se termine par une paralysie qui s'étend à tout le corps et qui ne précède la mort que de quelques heures. Lorsque la mortne survient pas dans un délai aussi court, la paralysie est plus facile à observer. Elle débute d'ordinaire par le train postérieur, et parfois elle est si rapidement progressive qu'en un ou deux jours elle a envahi tout le corps, etque l’animal meurt par arrêt de la respiration et du cœur. D’autres fois, la para- lysie reste limitée pendant un certain temps aux pattes posté- rieures ; elle commence par une faiblesse des muscles qui donne à la démarche une allure particulière, puis elle devient plus com- plète,et les mouvements du train antérieur sont seuls conservés. La maladie est presque toujours envahissante ; la paralysie gagne le cou et les membres antérieurs. Il n'est pas rare de voir la mort survenir subitement sans convulsions, surprenant l’ani- mal dans l'attitude dans laquelle on venait de le voir quelques instants auparavant. Un groupe de muscles peut être frappé tout d’abord; ainsi, on voit des lapins dont les pattes de derrière sont écartées du corps, comme si l’action des adducteurs était suppri- mée. Quand ils marchent, leurs membres postérieurs ne se détendent plus, ils avancent l’un après l’autre sans se détacher du sol. Lorsque les pattes de devant sont atteintes à leur tour, l'allure devient comme rampante. Bien que la paraplégie soit le début le plus fréquent, la paralysie peut aussi porter sur les muscles du cou, de façon que la tète ne peut se soulever du sol, et aussi sur les muscles du larynx, ce qui donne de la raucité à la voix. A l’autopsie de ces lapins paralytiques, on tiouve, quand la maladie n’a pas trop duré, de la congestion des ganglions et des divers organes, un état graisseux du foie. Quelquefois la consis- tance de la moelle épinière a paru diminuée. 642 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. Les pigeons guérissent de ces paralysies bien plus fréquem- ment que les lapins, chez lesquels elles sont presque toujours mortelles. L'existence de ces paralysies, à la suite de l’inoculation du microbe de MM. Klebs et Lœæffler, complète la ressemblance de la maladie expérimentale avec la maladie naturelle, et établit d’une façon certaine le rôle spécifique de ce bacille. LV. — LE Poison DIPHTHÉRITIQUE. Nous avons vu que le bacille de la diphthérie ne pullule pas dans les organes des personnes ou des animaux alteints de cette maladie, qu'on ne le trouve que dans les fausses membranes ou au point d'inoculation. Comment une culture en un point si restreint du corps donne-t-elle lieu à une infection générale et à des lésions vasculaires de tous les organes? On a pensé qu’au lieu de la culture un poison très actif était élaboré, el que de là il se répandait dans tout l'organisme. MM. Læffler et Œrtel, entre autres, croient à l'existence de ce poison: M. Baum- garten, au contraire, pense qu'il est inutile d'invoquer l’action d'un produit chimique hypothétique, et il admet, par erreur, que les microbes de la diphtérie peuvent envahir les organes. Le poison diphtéritique existe cependant et on peut le mettre en évidence dans les cultures du bacille de Klebs. Filtrons sur porcelaine une culture dans du bouillon de veau, après qu’elle est restée sept jours à l’étuve; tous les microbes . sont retenus par le filtre, et le liquide obtenu est parfaitement limpide et légèrement acide. Il ne contient aucun organisme vivant; laissé à l’étuve il ne se trouble point; ajouté à du bouillon alcalin il ne donne pas de culture; introduit aux doses de 2 à 4e sous la peau des animaux, il ne les rend pas malades. Il n'en est plus ainsi si on emploie des doses plus fortes, si l’on injecte, par exemple, 35° dans la cavité péritonéale d’un cobaye ou dans les veines d’un lapin". Immédiatement après l'opération le cobaye paraît bien portant, mais après deux ou trois jours, son poil se hérisse, il ne mange plus, un écoulement sangui- nolent se produit quelquefois par lurèthre, la faiblesse de 1. Une semblable quantité de bouillon pur peut être injectée dans la cavité abdo- minale d'un cobaye ou dans les veines d'un lapin, et cela à plusieurs reprises, sans leur causer le moindre malaise. ‘ CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE LA DIPHTHÉRIE. 643 l'animal va en augmentant, sa respiration devient irrégulière, et il meurt le 5° ou le 6° jour après l'injection. A l’autopsie, les ganglions des aisselles et des aines son congestionnés, tous les vaisseaux sont dilatés, surtout ceux des reins et des capsules surrénales, l'urine est parfois sanglante ; il y a des ecchymoses le long des vaisseaux, et les plèvres contiennent un épanchement séreux. : Les accidents qui suivent l'injection de ces produits diphté- riques solubles varient en intensité selon la dose du poison con- tenu dans la culture. Nous avons vu, chez un cobaye, de la dys- pnée survenir le 5° jour après l'injection et persister pendant toute une semaine. La respiration était seulement diaphragma- tique et saccadée; lorsqu'on obligeait l’animal à courir, l’oppres- sion devenait si forte qu’il tombait presque asphyxié. Ces symp- tômes s’amendèrent peu à peu et le cobaye guérit. Plus tard, il succomba à une inoculation sous-cutanée de bacille de la diphté- rie. Cette observation n’a-t-elle pas la plus grande analogie avec celles recueillies chez l’homme, et où on signale, après la diph- thérie, la paralysies de certains muscles respiratoires? Les symptômes de paralysie ne tardent pas à se montrer chez les lapins qui ont reçu cette mème dose de 35cc de liquide filtré dans les veines. Le 4° ou le 5° jour, quelquefois plus tard, de la faiblesse musculaire survient dans le train postérieur, elle s'étend bientôt à tout le corps, et l’animal, devenu complètement paralysé, succombe rapidement. Lorsque l’intoxication est moins aiguë, la paralysie peut rester quelque temps limitée à un groupe de muscles. Dans un cas, les muscles extenseurs des pattes de derrière ne fonctionnaient plus qu'avec une extrème difficulté; cet état était accompagné de raucité de la voix; il dura deux jours, puis parut s'améliorer, mais une rechute se produisit avec extension de la paralysie à tout le corps, et la mort survint par arrêt de la respiration. Dans les cultures plus anciennes, le poison diphtéritique est plus abondant et les effets de l'injection du liquide filtré sont plus rapides. Un lapin qui reçoit dans les veines 35° du liquide préparé avec une culture âgée de 42 jours, ne paraït éprouver aucun malaise pendant les deux premières heures qui sui- vent l'opération. Plus tard il devient inquiet; les muscles de son abdomen semblent relâchés, il se couche fréquemment, le 64% ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. ventre appliqué sur le sol de la cage, pour se relever bientôt ; il rend desexcréments mous et parfois est pris d’une diarrhée pro- fuse. Larespiration devient anxiense, irrégulière. L'animal est faible, il tremble sur ses pattes, ne peut plus se mouvoiræet meurt sans convulsions après quelques hoquets. Toute la scène s’est déroulée en cinq ou six heures. À l’autopsie on trouve que le sang est mal coagulé et que les intestins sont distendus par un iiquide diarrhéique. Un cobaye qui reçoit 35e du même liquide dans le péritoine meurt dans une dizaine d'heures, après avoir éprouvé une grande gène à respirer. L’autopsie montre la con- gestion caractéristique des viscères, surtout des reins et des capsules surrénales, et souventun épanchement dans les plèvres. Avec les cultures anciennes dépouillées de microbes, nous avons donc produit une diphthérie toxique, suraiguë, évoluant en quelques heures. L'existence de la diarrhée que nous venons de signaler chez les lapins qui ont reçu de grandes doses de poison diphthéritique nous a donné l’idée de rechercher si le même symptôme ne se rencontrait pas chez l'homme dans les formes toxiques de la diphthérie. Bien que le fait soit à peine signalé, la diarrhée est très commune dans la diphthérie infectieuse. Nous tenons ce renseignement de Mie Daussoir, surveillante du pavillon des diphthériques et qui est mieux placée que personne pour être bien renseignée sur ce point. La diarrhée ne manque guère dans les formes toxiques et elle est un signe pronostique fâcheux. Quand les cultures du bacille de la diphthérie sont aussi chargées en produits toxiques, il n’est pas besoin, pour observer ses effets sur les animaux, d'employer de si fortes doses et de recourir aux injections dans les veines ou dans le périloine. Introduisons sous la peau d’une série de cobayes des quantités de liquide toxique débarrassé de microbes, variant de 1/5 de centimètre cube à 2 centimètres cubes, et comparons les effels de ces injections à ceux de l’inoculation d’une culture fraîche de bacilles de Klebs pratiquée sur des cobayes témoins. Tous les animaux qui ont reçu le liquide filtré présentent bientôt un ædème au point d'injection, tout comme les témoins en ont un au lieu d’inoculation; ils sont bientôt hérissés et ont la respiration haletante comme ceux qui ont reçu la culture vivante. Ils meurent comme eux sans que pendant tout le temps de CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE LA DIPHTHÉRIE. 645 l'expérience on puisse saisir une différence dans l'attitude des uns et des autres. Les cobayes auxquels on a donné le plus de liquide toxique meurent en moins de 24 heures, les auires en 48 heures ou en 3 jours selon les doses reçues. Les lésions sont identiques, qu'ils aient succombé à l'injection du poison diphthéritique ou à l’inoculation du bacille de la diphthérie. Même œdème, même tissu induré au point d'injection; seule la fausse membrane manque chez les premiers. Chez tous, même congestion hémorragique des organes, surtout des reins et des capsules surrénales ; même épanchement dans les plèvres. La maladie, symptômes et lésions, est donnée aussi sûrement par l'injection du poison que par l’inoculation du bacille. Pour que les cobayes résistent à ces substances toxiques, il faut les leur injecter à doses très petites. Des cobayes qui avaient reçu sous Ja peau 1/15 de centimètre cube de liquide filtré eurent de l’ædème et une nécrose assez étendue de la peau. Les lapins meurent comme les cobayes à la suite de l’injec- tion sous la peau des produits diphthéritiques solubles. Avec des doses de 4°, de 2 et de 1cc la mort survint en 48 heures, en 60et en 80 heures, avec de l’œdème au point d'injection, de la dilata- tion des vaisseaux, des hémorrhagies, et cet état jaune du foie sur lequel nous avons déjà insisté. Les pigeons succombent après l'introduction de moins de un centimètre cube dans le muscle pectoral. Il suffit d'introduire trois à quatre gouttes du même liquide sous la peau pour tuer en quelques heures les petits oiseaux, qui de tous les animaux sont les plus sensibles à l’action du microbe de la diphthérie. Quant aux animaux, comme les souris et les rats, qui ne de- viennent pas malades, quand on leur inocule sous la peau de grandes quantités de bacilles de Klebs, ils montrent aussi une remarquable résistance vis-à-vis du poison diphthéritique. Une dose de 2e, qui fait périr un lapin de 3 kilogrammes en 60 heures, est sans effet sur une souris du poids de 10 grammes. Chose plus surprenante encore, on n’observe aucune nécrose de la peau, chez la souris, au point d'injection, tandis que l'injection des doses les plus faibles (1/15 de centimètre cube) amène une mortification étendue de la peau des cobayes. Il est cepen- dant possible de faire périr une souris avec le poison diphthé- 41 646 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. ritique en concentrant le liquide dans le vide et en injec- tant une très forte dose sous un petit volume. Nous avons ainsi tué une souris en faisant pénétrer sous sa peau 1°% de liquide concentré correspondant à 17: de liquide toxique, quantité suffisante pour faire périr plus de 80 cobayes. L’injection aux animaux de doses variables du poison soluble de la diphthérie, nous a montré les diverses formes de l'intoxi- cation diphthéritique, depuis celles qui amènent la mort en quel- ques heures jusqu à celles qui, au bout d’un temps plus ou moins long, se traduisent par des paralysies mortelles ou susceptibles de guérison. Ges manifestations tardives sont très intéressantes, et si quelque jour on est conduit à un emploi des matières solu- bles élaborées par les microbes dans un but prophylactique, il ne faudra pas perdre de vue cette possibilité d’une action dont les effets ne se verront que plus tard. Pour l'emploi de ces substances, il ne sera pas suffisant d'établir quelle est la tolérance immédiate du sujet auquel on les administre, mais il faudra aussi songer aux eflets à longue échéance. L’innocuité de la vaccination chimique devra être prouvée dans chaque cas, avec autant de précision que la vaccination par les virus vivants. Les essais faits par l’un de nous semblent montrer que, même après un temps très long, les produits solubles du charbon, de la septicémie et du charbon symptomatique ne causent aucune affection aux animaux qui les ont reçus. Il n'en est pas ainsi pour la diphthérie et la maladie causée par le bacille pyocya- nique‘. L'avenir nous montrera sans doute que nombre d’affec- ions organiques dont nous ne voyons pas clairement la cause sont dues à des actions tardives de ce genre. Beaucoup de né- phrites ou de maladies nerveuses dont on ignore l’origine ou que l'on rapporte à des causes banales sont peut-être la suite d’une infection microbieune qui a passé inaperçue. Quelle est la nature du poison diphthéritique ? Est-ce un aicaloïde ou une diastase ? Nous sommes encore trop peu avan- cés pour répondre à cette question, nous nous contenterons de rapporter quelques faits qui tendent à l’éclaircir. L'activité de la matière toxique est très diminuée par la chaleur. Un liquide, dont 2e, injectés sous la peau tuent un lapin, ne cause plus aucun mal, même injecté dans les veines à la dose de 35°, 1. Charrin, Société de biologie, CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE LA DIPHTHÉRIE. 647 s’il a été chauffé préalablement à 100° pendant 10 minutes. Et cependant l'injection intra-veineuse est un mode d’intoxica- tion plus meurtrier que l'injection sous la peau. Après un chauffage de deux heures. en tube clos, à la température de 58°, un liquide de culture filtré tuait avec un long retard un cobaye auquel on en injectait un centimètre cube. Après deux heures de chauffe, il causait, à la mème dose, un peu d'oedème au point d'injection sans: amener la mort. Le même liquide non chauffé tuait. les cobayes à la dose de 1/5 de centimètre cube. Conservé à l’air, le poison diphthéritique paraît perdre assez vite ses propriétés toxiques, il les garde plus longtemps au contraire s’il est placé dans des tubes clos à labri de l’air et de la lumière. La filtration sur porcelaine est le procédé qui permet le mieux de séparer le liquide de culture du bacille et qui altère le moins ses propriétés toxiques. Bien que nous n’ayons pas isolé la substance active des cultures de diphthérie, il nous semble que la manière dont elle se comporte à la chaleur et à 2 nous parait la rapprocher des diastases. : Est-il possible d’accoutumer les animaux au poison diphthé- ritique et de produire chez eux, par ce moyen, l'immunité contre la diphthérie? L'étude de cette question fera l’objet d'un pro- chain mémoire. Nous croyons qu’on peut déjà se faire une idée assez juste de ce qu'il serait possible de faire pour diminuer le nombre des cas de diphthérie. Toutes les expériences sur les animaux tendent à prouver que le microbe de la diphthérie ne se développe que sur une muqueuse déjà malade ; il est probable que le plus souvent il en est ainsi chez l’homme. Aussi voit-on que la diphthérie est surlout fréquente à la suite de la rougeole et de la scarlatine. On ne doit donc jamais négliger l’angine dé ces deux maladies, il faut pratiquer fréquemment des lavages phéniqués de la bouche et du pharynx chez les enfants atteints de rougeole et de scarlatine, puisque l'acide phéniquè paraît être l’antiseptique le plus efficace même dans le cas de diphthérie confirmée. Cette précaution devrait être suivie systématiquement, surtout dans les hôpitaux d'enfants, où l’on voit si souvent la rougeole et la scarlatine se compliquer dediphthérie. Les angines les plus simples chez les enfants exigent les mêmes attentions: M. Lœffler a observé le bacille de la diphthérie dans la bouche d'un enfant qui n'avait pas cetté maladie. Peut-être ce bâcille 648 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. est-il très répandu ? Peut-être est-il l'hôte fréquent et inoffensif de la bouche et du pharynx? Dépourvu de virulence, et impuis- sant devant une muqueuse saine, il se développera si la muqueuse s'enflamme ou se dépouille de son revêtement d’épithélium. Sur ce milieu favorable il reprendra sa virulence et élaborera son poison qui va pénétrer l'organisme ; lui-même sera prêt pour de nouvelles contagions. Ce sont là des hypothèses, mais elles ne sont pas en contra- diction avec les expériences faites et elles en suggèrent de nouvelles. A l’appui de ce qui précède, nous croyons utile de donner un résumé des observations * des cas de diphthérie qui nous ont surtout fourni la matière de notre travail, ainsi que le récit succint de quelques-unes des expériences qui se rapportent aux points principaux abordés dans notre mémoire. Cas I. — B... G..., âgé de 10 ans, entre à l'hôpital le 27 mai 1887 (au 3° jour de sa maladie). Il a une angine diphtéritique très intense, à forme toxique; les ganglions du cou sont très tuméfiés. L'enfant meurt le jour même de son entrée à l'hôpital. L'autopsie est faite 24 heures après la mort. On trouve les 2 amygdales très grosses (comme des œufs de pigeon). Elles sont recouvertes de fausses membranes grisâtres, peu adhérentes. La muqueuse du larynx est tapis- sée par places de minces fausses membranes. La trachée est très conges- tionnée. Les poumons sont un peu congestionnés; surtout le droit dans son lobe inférieur. La rate est grosse, ferme. Les reins sont congestionnés. Sur le foie on note plusieurs taches blanches qui, à la coupe, s’étendentpeu profondément. Des préparations colorées, faites avec le suc de la fausse membrane des amygdales, montrent des bacilles de Klebs nombreux et peu d’impuretés. On ensemence des tubes qui donnent des cultures pures du bacille spé- cifique. Gas II. — À... L..., âgé de 40 ans, tombe malade le 20 mai 1887; le 30, il entre à l'hôpital, et présente alors de grandes plaques blanches sur les 2 amyg- dales et le voile du palais. Son urine contient de l’albumine en assez grande quantité. Le {27 juin, on note un peu de paralysie du voile du palais (voix nasillarde, les liquides ressortent par le nez). Les 2, 3 et 4 juin, l’état local de la gorge s'améliore, mais l’albuminurie persiste. Le 6 juin, dans l’après- midi, l'enfant est subitement pris d'angoisse et meurt en quelques instants. 1. Ces observations ont été prises à l'hôpital des Enfants Malades, où les chefs du service de la diphthérie accueillent si libéralement les travailleurs. CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE LA DIPHTHÉRIE. 649 Pendant son séjour à l'hôpital, la température moyenne de l'enfant était de 38, L'aulopsie a lieu 24 heures après la mort. On trouve 1/2 litre de sérosité environ dans les plèvres. Les poumons sont congestionnés avec quelques points hépatisés. Les amygdales, de la grosseur d’une amande, sont profon- dément ulcérées. Elles ne présentent aucun dépôt membraneux. La muscu- lature du voile du palais est pâle, avec des îlots jaunâtres. Le larynx est normal, la trachée congestionnée. L'intestin est congestionné; son contenu est liquide. La rate est de volume normal, ferme. Les reins ne sont pas hypertrophiés. Ils se laissent facilement décortiquer; la substance corticale en est pâle, un peu jaunâtre. Le cerveau est normal à la coupe. On ensemence avec le bulbe plusieurs tubes de gélose qui restent stériles. De l'urine on a retiré un bacille très semblable à celui de la diphthérie, mais dépourvu de virulence. Ce bacille était contenu dans les cellules. Cas III. — E...Ch..., àgé de 5 ans, entre à l'hôpital pour une conjonctivite. Il y prend la diphthérie; le 19 janvier 1888, on le passe dans le pavillon d'isolement où il meurt 24 heures après. L'autopsie est faite le 21 janvier. On trouve les poumons sains, les amygdales sont peu hypertrophiées; leur surface est grisâtre; elles sont recouvertes, ainsi que le voile du palais, la luette, le pharynx, de fausses membranes peu épaisses. Le larynx et la tra- chée sont également tapissés de minces fausses membranes. Sur des prépa- rations colorées faites avec la fausse membrane amygdalienne et laryngée, on voit des bacilles spécifiques nombreux et peu d’impuretés. On ensemence des tubes de sérum qui donnent des colonies pures. Cas IV. — V... Ch..., âgé de 3 ans, entre lé 4 février 1888 au pavillon d'i- solement. Il présentait alors quelques plaques diphthéritiques peu étendues sur les amygdales et un peu de tirage. Ces symptômes avaient disparu le 8 fé- vrier. Dès le 9, perte d'appétit, soif intense, vomissements, toux aiguë. L’en- fant pälit, devient de plus en plus faible et meurt le 12 février. Le 43 février, on fait l’autopsie. La muqueuse du larynx et la trachée sont un peu conges- tionnées, Les amygdales sont de volume normal. Nulle part de fausses membranes. Congestion des lobes infécieurs des deux poumons. Rate petite; foie et reins normaux. On ensemence des tubes de gélose avec la portion congestionnée des poumons. Rien ne pousse. Nous rapportons ce cas de l'enfant V..., comme un exemple de mort subite dans la diphthérie. On trouvera dans plusieurs de nos expériences sur les animaux des cas de mort soudaine tout à fait analogues. Cas V. — E... C..…., âgé de 2 ans, entre, le 10 février 1888, au pavillon d'isolement, pour angine et croup. La gorge est couverte de fausses mem- branes. On opère de suite l'enfant. 11 meurt le 12 février. 24 heures après on fait l'autopsie. Les amygdales sont grosses comme des noisettes et recouvertes de fausses membranes très adhérentes. Il y en a également sur le voile du palais, la luette, l'épiglotte. Le larynx et la trachée en sont 650 : ANNALES DE L'INSTELUT PASTEUR. tapissés jusqu'à la naissance des bronches. Le poumon droit est un peu hépatisé dans son lobe inférieur. La rate est petite, le foie et les reins sont normaux. Sur une préparation colorée faite avec la fausse membrane amygda- lienne, on ne voit que des bâtonnets. On ensemence des tubes de gélose et de sérum qui donnent dès la première génération une culture pure. 7 Cas VI, — F.. F.., âgé de 5 ans, entre, le 7 mars 1888, au pavillon d'isolement, avec une forte angine diphthéritique à forme toxique. Le cou est énorme, l'enfant est dans le coma. Mort le 11 mars. À l’autopsie, que nous faisons 24 heures après la mort, on ne trouve que peu de lésions : les amygdales sont un peu grossies, le larynx et là trachée très conges- ionnés. Il n'y à que deux petites fausses membranes arrondies à la base de la langue. Les autres organes sont sains. On ensemence des tubes de gélose et dé sérum avec la petite fausse membrane de la base de la langue, etici, comme dans le cas précédent, on obtient du premier coup une eul- ture pure de bâtonnets spécifiques. Cas VII. — D... L.…., âgé de 3 ans, entre, le 12 mars 4888, au pavillon d'isolement. A la suite d'une rougeole il était resté un peu malade; depuis 8 jours, il se plaignait de la gorge. A son entrée à l'hôpital l'enfant est asphyxiant. On l'opère de suite; pendant l'opération, il rend une grosse fausse membrane. Mort quelques heures plus tard. L'autopsie est faite le 43 mars. On trouve de nombreux îlots diphthéritiques sur les amygdales, Des fausses membranes épaisses tapissent le larynx. La trachée, très con- gestionnée, présente cà et là de fins dépôts membraneux. On ensemence des tubes de gélose et sérum après s'être préalablement assuré par une préparation colorée, de la présence. du bacille spécifique. Les jours suivants, on fait de nouvelles semences avec les colonies qui se sont développées, onobtient ainsi des bacilles purs. Cus VIII. — M... M.., âgée de 2 ans, prend sa diphthérie dans un des services de l'hôpital. Le 8 avril 1888, on la transporte au pavillon d'isolement, avec une angine toxique et du eroup. Le 9, l'enfant meurt. A l’autopsie, le {1 avril, nous notons : un peu de congestion pulmonaire, quelques ecchymoses de la plèvre pariétale. De nombreuses fausses mem- branes adhérentes tapissent les amygdales, la base de la langue, le voile du palais, le larynx et la trachée. Adénopathie habituelle des ganglions du cou. Sur des préparations colorées, on note la présence de bacilles très nom- breux. Les tubes ensemencés donnent beaucoup de colonies spécifiques. Cas IX. — D... J,.., âgé de 4 ans, entre au pavillon d'isolement, le 16 sep- tembre, pour mourir le 17. Le 19, nous faisons l’autopsie. Il y a quel- ‘ques points diphthéritiques sur les amygdales. Des fausses membranes minces tapissent le larynx et la trachée. Les organes sont d'apparence nor- male. Nous ensemencons des tubes de gélose et des tubes de sérum : on obtient facilement de nombreuses colonies du bacille diphthéritique. Cas X,— P.. L.,., âgé de 10 ans et demi, a vu, en l'espace de8 jours, CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE LA DIPHTHÉRIE. 651 son père et sa mère mourir de diphthérie; lui-même entre à lhôpital le 3 novembre avec une forte angine à forme toxique. Il meurt 36 heures après. Le 5 novembre, à l’autopsie, on trouve une grosse rate, des reins congestionnés, un peu de congestion pulmonaire. Les amygdales et le voile du palais sont recouverts de très épaisses fausses membranes, tandis que celle qui tapisse la trachée est au contraire fort mince. On ensemence des tubes, et les jours suivants on isole sans difficulté des colonies pures. Cas XI.— A... J..., âgé de 8 ans, est un petit Breton, en séjour à Paris pour se faire traiter à l'Institut Pasteur. Arrivé le 25 octobre à Paris, le T novembre, il se plaint de la gorge. On constate que les amygdales sont recouvertes de fausses membranes diphthériques, et on envoie l'enfant à l'hôpital. Nous faisons nos cultures avec les fausses membranes qu'on lui enlève lors de son entrée au pavillon d'isolement. L'enfant n’a ni fièvre ni symptômes d’infec- tion générale ou d’intoxication. La cou n’est que peu gonflé. Les jours sui- vants, l’état local s'améliore rapidement, et 8 jours après l’enfant sort guéri. Cas de mort subite. — M... M..., 4 ans, entre le 98 janvier 1888 au pavillon d'isolement avec une angine peu marquée qui disparaît rapidement sous l'influence du traite ment (nettoyage à l'éponge, puis lavages d'eau bori- quée). Le 1° février, subitement, l'enfant pâlit, s’affaiblit rapidement et meurt en quelques heures. Cas de récidive. —F... M..., 3 ans, entre à l'hôpital le 13 novembre 1887 avec angine et croup. Vers le 26 novembre tout a disparu. Le 10 décembre, l'enfant, restée dans le service, prend la rougeole. Le 12 décembre, les amygdales sont de nouveau recouvertes de fausses membranes diphthé- riques. Mais cette deuxième poussée est moins intense que la première et l'enfant sort guérie le 22 décembre. æ Contagion. — E... G..…., âgé de 7 ans 1/2, entré le 11 février à la salle S...-T. pour eczéma. Le 920 février l'enfant à une angine fébrile pour laquelle on le passe à la dipthérie où il reste 4 jours. Son angine ayant été reconnue non diphthéritique, on le fait rentrer dans la salle S...-T... Là, il reste couché jusqu'au 10 mars, puis on lui permet de se lever. Il va alors jouer de préférence avec deux petits camarades : Ch... G... âgé de 4 ans,1/2, entré le 12 janvier pour coqueluche, et P... J... dans la salle depuis le 14 février pour fièvre typhoïde. Le 16 mars, ces deux enfants sont pris simultanément de diphthérie vraie, pour laquelle on les passe au pavillon. Ils ont guéri tous deux, mais Ch... a eu, un mois environ après sa sortie de l'hôpital, des paralysies. diphtéritiques qui ont persisté long- temps. ; EXPÉRIENCES. . ° LES PIGEONS ET LES LAPINS PEUVENT SUCCOMBER A L'INJECTION SOUS-CUTANÉE DES BACILLES DE LA DIPHTHÉRIE. ExPÉRIENCE 1. -— Le 5 décembre 1887, ou inocule, dans le muscle pectoral de deux jeunes pigeons, une 13° culture de diphthérie dans du bouillon de 652 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. veau. La culture est âgée de 48 heures. Le pigeon no 1 recoit 1/4 de centi- mètre cube. Le pigeon n° 2 reçoit 3/4 de centimètre cube. Le 6 décembre, les pigeons sont en boule et ne mangent pas. Le 7 décembre, le pigeon n° 2 est trouvé mort le matin. A l’autopsie, œdème gélatineux sous-cutané, gonflement du musele inoculé et teinte jaune des fibres, dilatation des vaisseaux de la peau. Sang fluide; pas de lésions apparentes des organes. Le sang du cœur est ensemencé : il ne donne pas de culture. On trouve quelques rares bacilles, à l'examen microscopique et après coloration, dans l'ædème; on n’en voit pas dans les organes. Le 7 décembre, le pigeon I paraît aller mieux. Le 8 décembre, il mange bien et revient à la santé les jours suivants. EXPÉRIENCE 2. — Le 4 décembre 1887, on inocule 3 lapins, sous la peau du ventre, avec une 13° culture de diphthérie dans du bouillon de veau; la cul- ture est âgée de 30 heures. Le lapin n° I recoit 1 centimètre cube. Le lapin n° II, en recoit 2. Le lapin no III recoit 4 centimètres cubes. Le 5 décembre, tous les lapins ont un œdème assez étendu au point d’inoculation. Ils mangent de bon appétit. Le 7 décembre, le lapin n° IT a le poil hérissé et ne mange pas; les autres lapins vont bien. Le 8 décembre, le lapin n° IE est trouvé mort. Autopsie : OŒEdème étendu et tissu induré avec piqueté hémorrhagique au lieu d’inoculation. Congestion intense du grand épiploon qui porte un grand nombre de petites hémorrhagies. Foie jaune. Pas d’épanchement pleuréti- que. Poumons sains, capsules surrénales congestionnées. Les reins parais- sent sains. À l'examen microscopique, quelques très rares bacilles dans l’ædème., On n’en trouve aucun dans le sang ni dans les organes qui, semés, ne donnent pas de culture. Le lapin IT meurt le 9 décembre. Autopsie : OEdème considérable au point d’inoculation. Nécrose commencçante de la peau, gonflement des gan- glions des aines. Pas de lésions apparentes des organes internes. Au micro- scope, on ne trouve aucun bacille dans l’œdème, ni dans les organes. Le lapin Iest très malade le 9 et le 40 décembre; le 19, il se remet, une escharre se forme au point d’inoculation. 20 INJECTION INTRA-VEINEUSE DE CULTURES DU BACILLE DE LA DIPHTHÉRIE SUR LES LAPINS. EXPÉRIENCE 3. — Le 5 mars 1888, on injecte dans la veine de l'oreille d’un lapin, une 6° culture sur sérum (du cas V), vieille de 20 heuvres et dé- layée dans du bouillon stérilisé. Le 7 mars, le lapin mange peu. Le 8 mars, il paraît malade; son poil est hérissé, il ne mange pas. Il est trouvé mort, le 9 au matin. A l’autopsie, on ne trouve aucune lésion, si ce n'est dé la di- latation des vaisseaux. La rate est ensemencée sur sérum, elle ne donne pas de culture. ExPÉRIENCE 4. — Le 15 mars 1888, on injecte dans les veines de deux lapins À etB, un centimètre cube d'une 3° culture sur sérum (cas VI) délayée dans du bouillon stérilisé, CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE LA DIPHTHÉRIE, 653 Le 16 mars, les lapins n'ont rien mangé; le lapin À meurt dans l’après- midi, 22 heures après l'inoculation. A l’autopsie, on trouve une dilatation générale des vaisseaux, un peu d’épanchement sanglant dans le péritoine. Le foie est jaunâtre et très friable. Les reins très congestionnés ont une teinte presque noire. Le sang est mal coagulé. Les poumons sont sains. Le lapin B meurt le 17 mars dans la matinée; à l’autopsie, on trouve les mêmes lésions que chez le lapin précédent. ExPÉRIENCE D. — Le 16 mars 1888, on inocule, dans les veines de l'oreille, deux lapins A et B, avec une 2, culture sur sérum (cas VII) délayée dans du bouillon stérilisé. Le 17 mars, les deux lapins sont malades. Le 19 mars, le lapin À meurt dans la matinée. On trouve, à l’autopsie, que le foie est jaune et friable; les reins ne sont pas congestionnés. Le 20 mars, le lapin B est mort dans la nuit du 19 au 20. Même état du foie que chez le lapin A. 30 PARALYSIES DIPHTHÉRITIQUES EXPÉRIMENTA LES. 4° Après l'inoculution du buacille dans la trachée. ExPÉRIENCE 6. — Le 10 juillet 1887, on frotte, avec un pinceau chargé d'une culture de bacille de la diphthérie sur sérum, l'arrière-gorge d'un pigeon après avoir excorié la muqueuse en divers points avec un fil de pla- tine. ; Le 43 juillet, le pigeon est triste et ne mange pas; il a dans le pharynx de petites fausses membranes grisâtres ; elles s'étendent les jours suivants et l'animal paraît malade. Le 17 juillet, les fausses membranes ont disparu presque complète- ment. Le 19 juillet, le pigeon se remet à bien manger. Dans les premiers jours : d'août, le pigeon, qui est très maigre, se tient presque toujours couché ; quand on le force à se relever il se tient les jambes écartées ; on peut le sortir de sa cage et le laisser en liberté sans qu’il cherche à fuir; il tombe sur le bec si on loblige à marcher. Lui qui, les jours précédents, se défendait à coups d’aile quand on approchait la main, a maintenant les ailes un peu pendantes et inertes. Mis sur le dos, il ne peut se relever. Il mange cependant assez bien. Vers le 8 août, la faiblesse paraît plus grande, le pigeon ne se lève plus, il picore couché. Le 22 août, on le trouve mort. A l’autopsie, on ne trouve aucune lésion des articulations, ni de la moelle, ni du cerveau. La maigreur est très grande. ExPÉRIENCE 7. — Le 4 décembre 1887, on trachéotomise deux lapins A et B, et on leur passe un fil de platine dans la trachée à plusieurs reprises, puis on fait tomber dans la trachée quelques gouttes d’une culture de diph- thérie dans du bouillon de veau (13e culture). Le 5 décembre, les lapins mangent bien. Le soir, le lapin B est essoufflé; sa respiration devient bruyante le lendemain, et le 8 décembre on le trouve 654 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. mort. L'autopsie montre une superbe diphthérie de la trachée avec œdème du cou et gonflement des ganglions. Le lapin A paraît peu malade jusqu'au 8 décembre, où sa respiration de- vient bruyante et très gènée; le soir, le bruit de sa gorge est très fort: on dirait un bruit de drapeau. Il se meut cependant aisément et mange un peu. Le 9 décembre la respiration est silencieuse. Le soir, un peu de dyspnée. Le 10 décembre, on remarque qu'il a de la paralysie des pattés de derrière, qui ne peuvent plus se détendre quand il marche, ce qui lui donne.uue démarche tout à fait particulière. Dans la journée du 10 décembre, la paraplégie devient de plus en plus forte, et elle s'étend aux membres supérieurs; il meurt dans la nuit du 10 au 11. A l’autopsie, on ne trouve plus de fausses mem- branes dans la trachée, la muqueuse est violette, les ganglions du cou œdémateux, le foie jaunâtre et friable. 2 Paralysies après injection du bucille de lu diphthérie dans les veines. ExPÉRIENCE 8. — Le 5 mars, on injecte dans la veine de l'oreille d'un lapin, 4° d’une 6° culture sur sérum, délayée dans du bouillon stérilisé, Le 10 mars, le lapin est paraplégique, ses pattes de derrière sont écar- tées du corps comme si les adducteurs ne fonctionnaient plus ; lorsqu'on le couche sur le côté, il a beaucoup de peine à se relever, bien que les pattes antérieures soient très actives. Dans la journée, la paralysie du train de derrière devient complète, elle s'étend aux pattes antérieures et au cou. Le A1 mars, il est mort. A l'autopsie, on trouve le foie jaune. L'examen mi- croscopique ne montre pas de bacilles dans le sang, qui contient beaucoup de leucocytes. Expérience 9. — Le 27 avril 4888, on injecte dans les veines d'un lapin Lee d'une culture de diphthérie dans le bouillon de veau et faite dans le vide. Cette culture est âgée de 12 jours. Le 4% mai, le lapin est paraplégique, il meut les pattes de henièee l’une après l’autre et sans pouvoir les détacher du sol. Cet état persiste jusqu’au 3 mai où la paraplégie devient complète ; les pattes antérieures seules sont capables de se mouvoir, puis elles se paralysent aussi, et l'animal succombe le 10 mai, sans que l’on trouve de lésions à l'autopsie. Expérience 10. — Le 27 avril 1888, un lapin recoit dans les veines {ec de culture de diphthérie dans le bouillon de veau et faite à l'air. Cette culture est âgée de 12 jours. Le 3 mai, le lapin est paraplégique. Il meurt dans la nuit du 3 au #4 mai. ExPÉRIENCE 11. — Le {novembre 1888, on injecte dans les veines de deux lapins A et B, {cc d’une 45° culture dans du bouillon de veau (cas VII). Cette culture est vieille de 24 heures. Le 3 novembre, le lapin A est paraplégique: dans la journée, la paralysie s'étend à tout le corps, le lapin ne peut plus soutenir sa tête. Le 4 novembre, il est tout à fait inerte, les mouvements respiratoires sont seuls conservés. Il meurt dans la soirée. — Le lapin B est bien portant jusqu'au 4 novembre. Le 5 novembre, il est paraplégique. Le CONTRIBUTION À L'ÉTUDE DE LA DIPHTHÉRIE, 655 6 novembre, la paralysie Prüpressé rapidement, et la mort survient subite: ment dans la soirée. dk - EXPERIENCE 12. — Le 13 novembre 1888, un lapin recoit dans les veines 1e d'une 3° culture de diphthérie dans le bouillon de veau (cas XI). Le 45 no- vembre, on note un début très net de paraplégie qui s'accentue le 16 et le 17, Le 18 novembre, le lapin meurt très subitement. Expérience 43. — Le 143 novembre 1888, on injecte dans les veines d’ un lapin, {ce d'une culture âgée de 24 heures et faite dans le bouillon de veau. | Le 22 novembre, le lapin montre de la parésie dansles pattes de derrière: Le 25 novembre, la paraplégie est complète, Le même état persiste jusqu'au 28 novembre, puis les pattes antérieures se paralysent et la mort survient le 29 novembre. 49 PARALYSIES DIPHTHERITIQUES PRODUITES PAR LES MATIÈRES SOLUBLES. CULTURES FILTRÉES SUR PORCELAINE. .. ExpéRIENCE 14. — Le 1°" mars 1888, on injecte dans la cavité péritonéale d'un cobaye, 35c d’une culture de diphthérie dans le bouillon de veau, âgée de 4 jours, et filtrée sur porcelaine; la réaction du liquide filtré est légèrement acide. Le 2 mars, le cobaye est bien portant. Le 3 mars, le cobaye paraît malade, il se tient immobile dans sa cage, Le 4 mars, il a les flancs rentrés, le poil hérissé ; on constate un suintement sanguinolent par l’urèthre. Le 5 mars, le cobaye est très faible, a du trem- blement et meurt à une heure après-midi. — Autopsie : Gros ganglions in- guinaux et axillaires, congestion des parois abdominales, de l'intestin, des capsules surrénales et des reins. Il n’y a pas de pleurésie. Les ensemence- ments faits avec le sang et la pulpe des divers organes sont restés stériles. ExPÉRIENCE 45. — Le 2 mars 1888, on injecte dans la cavité abdomi- nale d'un cobaye 35cc d'une culture dans bouillon de veau, vieille de 7 jours et filtrée sur porcelaine. Le 3 mars, le cobaye va bien. Le 4 mars, les flanes du cobaye sont rentrés, le poil hérissé. Le 5 mars, le cobaye est très faible, n’a plus de voix. Il meurt le 6 mars au matin. Autopsie : Les ganglions inguinaux et axillaires sont congestion- nés. La congestion des organes abdominaux, intestin, capsules surrénales, reins est intense; ily a un peu de sang dans le péritoine. Les plèvres contiennent un épanchement séreux abondant; ni le sang, ni les organes ensemencés ne donnent de culture. Expérience 16. — Le liquide filtré de l'expérience précédente est in- jecté, le 5 mars 1888, dans les veines de deux lapins A et B. Les deux ani- maux restent en parfaite santé jusqu’au 9 mars. Ce jour on remarque que A est paraplégique, la paralysie s'étend rapidement, et bientôt il ne peut 656 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. plus relever la tête, Il meurt dans l'après-midi. L’autopsie montre de la congestion des organes abdominaux, une petite hémorragie à la base du poumon. Le lapin B commence à être paralysé du train de derrière dans l’après- midi du 9 mars. Il tient les jambes écartées et se meut difficilement. Le 10 mars, il y a une paralysie manifeste des muscles extenseurs des pattes de derrière et des pattes de devant. Le 11 mars, le lapin a la voix rauque, mais la marche est plus facile. Le 12 mars la paralysie augmente ; entre onze heures et minuit elle fait des progrès rapides et immobilise comple- tement le corps. Le 13 mars l’animal est inerte; il meurt dans la soirée. A l'autopsie on trouve que la moelle épinière est ramollie; la vessie est dis- tendue, l'urine ne contient ni sucre ni albumine. \ ExpÉRIENCE 17. — Le 7 mars 1888, on introduit dans la cavité péritonéale de deux cobayes À et B, 35° du liquide filtré de l'expérience 14. Le 9 mars ils vont très bien. Le 10 mars ils ont le poil hérissé et un suintement de liquide par l’urèthre. Le 11 mars, le cobaye B est très malade. Le cobaye A paraît aller mieux qu'hier. Le 12 mars le cobaye B est mort. Autopsie : Gros ganglions très congestionnés aux aisselles, aux aines; congestion intense des reins et des capsules surrénales. Pleurésie double. Sang noir et fluide. Rien aux poumons. 42 mars. — Le cobaye A est dyspnéique, il respire uniquement avec le dia- phragme, les côtes ne se soulèvent plus; il est cependant assez vif; si on le force à courir, l'oppression devient si intense qu'il ne peut bientôt plus avancer et qu'il tombe. Cet état persiste encore le 17 mars. Le 22, la respi- ration paraît meilleure. Le 1% avril, la dyspnée est encore très marquée, il y a aussi de la paraplégie, Le 14 mai, le cobaye, qui a beaucoup engraissé, n’a plus de dyspnée, il a toujours un peu de faiblesse du train de derrière. Le 17 mai on le considère comme tout à fait guéri et on l’inocule sous la peau avec une culture de diphthérie sur sérum en même temps qu'un cobaye neuf. Le cobaye témoin meurt dans la nuit du 18 au 19, le cobaye B résiste jusqu’au 23 mai, jour où il meurt avec les lésions congestives ordinaires et avec de la pleurésie double. ExPÉRIENCE 18. — Le 21 mars deux cobayes a et b recoivent 35° d’une culture filtcée sur porcelaine et âgée de 7 jours (cas VI). Deux lapins A et B recoivent la même dose dans les veines. Le 31 mars le cobaye « meurt; ilest très amaigri, les reins portent des ecchymoses, les capsules surrénales sont augmentées de volunie. Le cobaye b a de la dyspnée, il meurt le 3 avril avec les mêmes lésions que a. Le 21 mars le lapin A est paralysé du train postérieur. Il meurt le 30 mars, avec une congestion intense des reins, du mésentère, et de petites hémorragies dans les poumons. Le lapin B reste bien portant dans la suite. ExPÉRIENCE 19. — Le 22 novembre 1888, on injecte à un cobaye dans le péritoine, et à un lapin dans les veines, 35“ d'une culture filtrée (âgée de 4 jours), 5° culture dans bouillon (cas XI). Le cobaye meurt le 24 novembre avec les lésions congestives ordinaires. Le lapin devient paraplégique le 27 novembre, Le 28 novembre la paralysie CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE LA DIPHTHÉRIE. 657 s'étend à tous les membres. Le 30 novembre, il y a une amélioration dans l'état du lapin qui mange volontiers ce qui est à sa portée. Le 4° décembre, le lapin, incapable de se mouvoir, mange bien ce qu'on met à portée de sa bouche. Dans la soirée, la paralysie devient absolue, et il meurt pendant la nuit dans l'attitude où on l'a laissé le soir. A l’autopsie on voit qu'il y avait une paralysie du rectum, qui ne se vidait plus. Sur une étendue de 12 centimètres à partir de l'anus, le rectum forme un boudin de deux cen- timètres d'épaisseur, sa paroi est violacée. L'intérieur est bourré de crottins qui n’ont pu être évacués. La vessie est pleine d'urine. D9 LE POISON DIPHTBÉRITIQUE SE FORME DANS LES CULTURES FAITES DANS LE VIDE COMME DANS LES CULTURES À L'AIR. ExPÉRIENCE 20. — Le 15 avril 1888, on injecte dans le péritoine d’un cobaye «a et dans les veines d'un lapin À 35° d’une culture filtrée, âgée de 45 jours et faite à l'air; comparativement, à un autre cobaye b, et à un autre lapin B, on introduit dans la cavité abdominale et dans les veines 33° d’une culture filtrée âgée de 15 jours et faite dans le vide. Le 17 avril, le cobaye b meurt dans la journée et le lapin B dans la soirée. Autopsie du cobaye b : Ganglions inguinaux congestionnés, exsudat fibrineux rosé dans le péritoine, formé d’un réseau de fibrine, de globules blancs et de quelques globules rouges, ne contenant aucun microbe. Les reins et les capsules surrénales sont gorgés de sang ; il y a un petit caillot” sanguin dans la vessie. Chez le lapin, on ne trouve que de la congestion des reins. Le 17 avril, le cobaye « et le lapin A sont malades. Le cobaye rend de l'urine sanglante. Le lapin est très faible. Le cobaye « meurt dans la nuit du 17 au 18. Autopsie : Hémorragie du péritoine pariétal, hémorragie de la paroi du cœur, un peu d’épanchement dans les plèvres. Dilatation de tous les vaisseaux, et congéstion intense des ganglions inguinaux des capsules surrénales. Le sang est noir et fluide. Le lapin À meurt le 20 avril. ExPéRIENCE 21. — Le 27 avril, on répète l'expérience précédente avec une culture filtrée âgée de 12 jours et qui a été faite d’une part à l'air, de l’autre dans le vide. Le cobaye «a et le lapin A recoivent 35°° du liquide filtré de la culture à l'air dans le péritoine et dans les veines. Le cobaye b et le lapin B. reçoivent la culture dans le vide. Le 3 mai, le cobaye a, meurt amaigri sans que l'on trouve de lésions à l’autopsie. Le lapin À est paraplégique dès le 3 mai, il meurt le 4 mai avec une congestion intense des reins. Le cobaye b meurt le 3 mai avec lésions congestives ordinaires. A la même date, le lapin B devient paralysé des pattes de derrière. La para- lysie persiste les jours suivants, puis va en diminuant; le 14 mai le lapin est maigre, mais la paralysie a presque disparu. Le 17 mai, le lapin est inoculé dans les veines avec un centimètre cube de culture de diphthérie en même temps qu'un lapin neuf. Celui-ci meurt le 20 mai, et le lapin B le 21 mai. 658 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Les cultures anciennes ont une action toxique beaucoup plus intense que les . cultures récentes. Expérience 22, — Le 2 octobre 1888, on filtre Sur porcelaine une 38° cul- ture dans bouillon de veau âgée de 23 jours. La réaction du liquide filtré est légèrement alcaline !. On introduit 35° de ce liquide dans les veines d’un lapin. Le 3 décembre le lapin mange peu. Le 4 décembre il est chan- celant, se tient à peine sur ses pattes et meurt à 8 heures du soir. Aultopsie : L'intestin contient beaucoup de matières semi-liquides. Le foie est jaune et friable, petites hémorrhagies le long des vaisseaux du grand épiploon, congestion des reins. ExPÉRIENCE 23. — Le 93 octobre, on Jette dans la cavité péritonéale d’un éébaye 30°° d’une culture âgée de 42 jours ?. Le liquide filtré a une réaction alcaline. L'injection est faite à 10 heures du matin. Le cobaye est maladé dès midi, il meurt dans la soirée en moins de 10 heures avec de la dyspnée. A l’autopsie, on trouve du liquide dans le péritoine, une congestion intense des reins et des capsules surrénales, un peu d'épanchement dans les plèvres. EXPÉRIENCE 24. — Le 23 octobre, on injecte dans les veines d'un lapin 33cc du liquide filtré de l'expérience précédente. L'opération est faite à 5 heures du soir. Dès 6 heures, le lapin se couche le ventre contre le sol de la cage. Il rend beaucoup d’excréments mous. Sa respiration devient anxieuse, il meurt à 40 heures du soir. A l’autopsie, on trouve que l'intestin est distendu par des liquides et des gaz. La mortest survenue en 5 heures, Exeérience 25. — Le 96 octobre 4888, à 2 h. 30 de l'après-midi, on injecte, dans les veines d'un lapin de plus de 3 kilogramnies, 35° du liquide filtré, préparé avéc une culture de 42 jours. Aussitôt après l'opération l'animal mange et paraît très vif, À 6 heures, diarrhée profuse et accélération de la respiration, l'animal se couche le ventre appliqué sur le plancher de sa cage. Les museles de la paroi abdominale paraissent relachés, et l'abdomen semble flasque et volumineux. Le lapin change fréquemment de place et se couche aussitôt. Vers 9 heures, la respiration devient-plus rapide, l'anxiété augmente. Il s'affaiblit rapidement, se meut avec difficulté et meurt à 10 h. 30, sans convulsions, après quelques hoquets, dans l'attitude où il se trouvait. La mort est survenue en 8 heures. Expérience 926. — Le 24 octobre, un lapin reçoit à 8 heures de l'après- midi 35° de liquide filtré de l'expérience n° 23. À 5 heures, il a de l'accé- lération de la respiration, il se couche sur le ventre; puis il s'affaiblit. A 4. La celture est abondante et beaucoup de bacilles se colorent très bien. Un cobaye inoculé sous la peau avec fe dépôt de cette culture meurt en moins de 30 heures avec les lésions ordinaires. 2, Les bacilles formant le dépôt de cette culture de 42 jours sont inoculés, après lavage à l'eau pure, pour enlever les produits solubles, à: un lapin, dans les veines, et à un cobaye sous la peau. Le cobaye meurt en 2 jours le lapin-en 4 Jours, avec les lésions caractéristiqnes. CONTRIBUTION À L'ÉTUDE DE LA DIPHTHÉRIE. 659 8 heures quelques hoquets, et mort sans convulsions, à. heures après l'in- jection. Expérience 97. — Le 24 octobre 1888, on dessèche dans le vide, à la température de 300, 75° du liquide filtré de l'expériencé n° 93. Le 25 no- vembre, le résidu est dissous dans 2° d’eau distillée. On injecte 4° de cette solution concentrée à un lapin, dans lés veines (cette quantité correspond à 35° environ dé liquide). Un cobaye recoit sous la peau 4/2°° (qui correspond à 17 de liquide filtré). Une souris recoit sous la peau du dos 2/5 de centimètre cube (qui correspondent à 44° de liquide filtré). DLL Un chardonneret recoit dans le musele pectoral 15 de centimètre cube (qui correspond à 7® de liquide filtré). Le petit oiseau meurt en 7 heures. La souris en 9 heures. Le lapin en moins de 12 heures. Le cobaye en 23 heures. ExPgRtENCE 28. — Le 26 octobre, on inocule sous la peau de 6 cobayes un peu du liquide filtré de l'expérience n° 95. | Les cobayes 4, 2, 3, recoivent 1/3 de centimètre cube. Le cobaye 4, 2/5 de centimètre cube. Lé cobaye 5, 3/5 de centimètre cube. Le cobaye 6, & centimètre cube. ; Le 27. — Le cobaye 6 est très malade; tous les autres ont peu mangé: de cobaye 5 est très hérissé et peu vif. Le cobaye 6 meurt'au bout de 28 heures, après avoir été très dyspnéique. Au point d'injection on trouve de l’ædème dans un tissu induré et criblé de taches hémorrhagiques; les capsules surrénales sont congestionnées ; les plèvres contiennent un épanchement séreux. Ce cobaye pesait 350 grammes. Le cobaye 5 meurt après 30 heures. Il présente des lésions identiques au précédent : œdème, congestion des organes, peur double. Il pesait 230 grammes. 28 octobre. — Le cobaye 4 est trouvé mort le matin. Mêmes lésions que es précédents : œdème, congestion des organes, pleurésie double. Les cobayes 1, 2, 3, sont très malades, leur attitude est tout à fait sem- blable à celles des cobayes inoculés avec le virus vivant. IIS sont hérissés, serrés les uns contre les autres, et us beaucoup de difficulté à respirer. Le 29 octobre, les cobayes 14, 2, 3, sont de plus en plus dyspnéiques. Le no 4 est complètement LE à meurt subitement à 9 h. 30. Le no 2 meurt à 3 h. 20; le n° 3 à 4 h. 50. Tous ont de l’æœdème avec tissu induré et piqueté hémorrhagique au point d'injection, gonflement et congestion des ganglions. Congestion intense des reins et des capsules surrénales ; pleurésie double, sér euse. Quatre cobayes, qui ont recu sous la peau 1/15 de centimètre cube du même liquide filtré, ont eu une escarre assez étendue au point d'injection et ont été malades pendant plusieurs jours, puis se sont rétablis. Expériexce 29, — Le 29 octobre 188$, on injecte à 3 lapins. sous la peau, du liquide filtré de l'expérience n° 23. 660 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Le lapin 4 reçoit 1°, il pèse 2 kilog. 700. Le lapin 2 recoit 2°. Ee lapin 3 recoit 4°. Le 30 octobre, le lapin 1 est un peu triste, il a cependant bien mangé; tous les autres vont bien. Tous ont un léger œdème au point de l'injection. Le 31 octobre, le lapin 3 est trouvé mort. Sa cage est souillée par beaucoup d'excréments mous. Au point de l'injection, petit œdème diffus. Autour, dilatation des vaisseaux sous-cutanés ; ganglions des aines conges- tionnés. Liquide diarrhéique dans l'intestin. Quelques anses du petit intes- tin sont très vascularisées ; capsules surrénales congestionnées; foie jaune et friable; pas d’épanchement däns les plèvres; poumons de belle apparence; sang mal coagulé. Le lapin 4 est vif. Le lapin 2 est triste ; à 5 heures 1/2 du soir le lapin 2 est très malade, il meurt à 9 heures du soir. A l’autopsie on trouve les mêmes lésions que chez le lapin 3, maïs plus intenses. Il y a des ecchymoses le long des vaisseaux, dans le petit bassin et le grand épiploon. Le foie est: jaune. Le 1 novembre, le lapin À meurt à 6 heures du soir avec les mêmes lésions à l’autopsie que les précédents. Expérience 30. — Le 29 octobre, 2 chardonnerets reçoivent : le n° 4, 1/5 de centimètre cube, le no 9, 2/5 de centimètre cube du liquide filtré de l'expérience 23. Les 2 oisillons meurent : le no 4 en 6 heures, le n° 2 en moins de 5 heures après l'injection. Expérience 31. — Le même liquide filtré est injecté dans le muscle pectoral droit de deux pigeons le 31 octobre. Le n° 4 pèse 275 grammes. Il recoit 3/5 de centimètre cube. Le n° 2 pèse 270 grammes. Il reçoit 1/5 de centimètre cube. Le 4% novembre, les pigeons ne mangent pas; le n° 4 est le plus malade. Le 2 novembre le pigeon 4 meurt à 9 heures du matin. Autopsie : ŒEdème gélatineux sous la peau, teinte jaune des fibres du muscle qui a reçu l'in- jection. Sang mal coagulé. Pas d’autres lésions. Le pigeon 1 picore et paraît aller mieux. | Le 3 novembre le pigeon 2 meurt à 11 heures du soir. Il a commencé à devenir très malade vers 6 heures du soir; pendant la journée il se tenait perché et picorait. La mort a été rapide et sans convulsions. Même lésions que le pigeon 1. Le poison diphthéritique agit plus rapidement en injection intra-veineuse qu'en injection sous-cutanée. Expérience 32. — Le 1% novembre 1888, on injecte à deux lapins le liquide filtré de l'expérience 93. Le n° 1 reçoit 4° sous les veines. Le n° 2 recoit 4° sous la peau. Le 2 novembre, le lapin 1 est trouvé mort. Autopsie : Congestion intense des reins, des capsules surrénales, petites hémorrhagies le long des vais- CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE LA DIPHTHÉRIE. 661 eaux du mésentère et de l’épiploon; foie jaune. Les plèvres contiennent quelques gouttes de liquide. Les poumons sont sains, le sang noir et fluide. Le lapin 2 est vif, il a un œdème assez étendu au point d'injection, il mange peu. Le 3 novembre, le lapin 2 ne mange pas, son poil est hérissé. Le 4 novembre, on le trouve mort le matin. Les lésions que montre l’autopsie sont les mêmes que celles trouvées chez le lapin 1. Il y a un petit épanchement séreux dans les deux plèvres. Résistance des souris et des rats au poison diphthéritique. ExPÉRIENCE 33. — Le 28 octobre, une souris recoit sous la peau du dos 1/3 ‘de centimètre cube et deux autres 2% du liquide filtré qui tue un cobaye de 350 grammes à la dose 1/5 de centimètre cube injecté sous la peau, et un lapin de 2 kilog. 700 à la dose de 1°° sous la peau. Elles restent bien portantes les jours suivants, les tissus ne se nécrosent pas au point d'inoculation. EXPÉRIENCE 34. — Le 30 octobre, une souris recoit sous la peau du dos Ace du liquide filtré de l'expérience précédente; elle reste bien portante. Un jeune rat blanc et noir recoit sous la peau du dos 2° du même liquide; il n’en éprouve aucun effet. Le poison diphthéritique est modifié par la chaleur. EXPÉRIENCE 35. — Ee 26 octobre, on injecte dans les veines d’un lapin 3oce du liquide filtré de l'expérience n° 23, après l'avoir chauffé pendant 20 minutes à 100°, Ce lapin reste bien portant les jours suivants, tandis qu’un autre lapin, qui a reçu le même liquide non chauffé dans le sang, de la même facon, meurt en 8 heures. EXPÉRIENCE 36. — Le 30 octobre, on injecte à un cobaye n° 1, sous la peau, {ce du liquide filtré, chauffé une heure à 58° à l'abri de l'air; à un cobaye n° 2, 2 du même liquide chauffé 2 heures à 58°; un cobaye n03 recoit sous la peau 1/5 de c. c. du liquide non chauffé et sert de témoin. Le 7 novembre, le cobaye 3 est malade, il est hérissé et respire mal, i] a de l'œdème au point d'injection. Les cobayes 1 et 2 sont vifs, ils ont un peu d'œdème au point de l'in- jection. Le 2 novembre, le cobaye 8 est très malade. Le 3 novembre, le cobaye 3 est mort avec les lésions ordinaires; de plus les reins paraissent dégénérés. Les cobayes 1 et 2 vont bien. Le 4 novembre, les cobayes 1 et 2 ont une petite escharre au point d'injection. Le 5 novembré, le cobaye 1 est trouvé mort. Il est amaigri. Le petit intestin contient du liquide diarrhéique. On ne trouve pas d’autres lésions. Le cobaye 2 reste en bonne santé dans la suite. CS] 1© DE LA RECHERCHE DES MICROORGANISMES DANS LES ÉPANCHEMENTS PLEURAUX, Par MM, A. GILBERT gr G LION. Depuis que la pleurésie franche aiguë a été suspectée de tuberculose, différents travaux ont été entrepris, dans le but de déterminer la nature vraie d’une affection aussi fréquente et dont le pronostic intéresse à un si haut point le praticien. Les données les plus précises que nous possédions nous ont élé fournies par les cas de pleurésies suivies de mort subite, dans lesquels on a pu pratiquer un examen histologique complet des différents viscères et des plèvres. Mais les résultats positifs . ainsi obtenus n’ont pas entraîné la conviction générale, et nom- bre de cliniciens se refusent à admettre encore aujourd’hui l'origine tuberculeuse des épanchements séro-fibrineux, dits primitifs ou 4 frigore, qui, sous l'influence d’un traitement appro- prié, semblent guérir d’une façon définitive. On a espéré. pendant un moment, pouvoir étendre le champ des investigations à toutes les pleurésies, et on s’est cru à même de déceler dans les liquides de ponction la preuve de la spécifi- cité ou de la non spécificité de la maladie. MM. Gombault et Chauffard ‘ les premiers, puis MM. Kelsch: et Vaillard * ont essayé ces liquides en lesinoculant aux cobayes. Les résultats ont été très inégaux, et, tandis que MM. Gombault et Chauffard tendent à admettre que chez ceux de leurs malades qui ont donné des liquides inactifs « la tuberculose était peu probable ou certainement absente », MM. Kelsch et Vaillard 1. Étude expérimentale sur la virulence tuberculeuse de certains épanchements de Li Me et du péritoine. Soc. ned. des hôpit. 1884. . Recherches sur les lésions anatomo-pathologiques et la nature de la pleu- résie. Arch. de phys., 15 août 1886. RECHERCHE DES MICROORGANISMES. 663 4 croient ne pas devoir attacher d'importance à leurs insuccès : « les inoculations stériles n'impliquent nullement l’absence de lésions spécifiques. Nos séries négatives contiennent, en effet, deux cas où le liquide inoculé a été recueilli à l’autopsie de deux sujets dont les plèvres étaient littéralement criblées de granula- tions ». Devant ces faits contradictoires, il nous a semblé uule de reprendre, en appliquant dans toute leur rigueur les méthodes actuellement en usage, l'étude bactériologique des épanchements pleuraux. La première chose à faire était de chercher le moyen de recueillir le liquide de ponction en qualité suffisante pour pra- tiquer largement les ensemencements, et cela sans y intro- duire de germes étrangers. Voici le dispositif que nous avons adopté : On remplace l'index en verre 2 (fig. 1) de l'appareil Potain par un tube en Y dont la troisième branche est reliée à l’aide d’un tube en caoutchouc à un ballon 4. Avant d'adapter ce dernier à l’ins- trument, on effile son col de manière à pouvoir le fermer facile- ment sur la flamme d’une lampe à alcool, et on le stérilise au chauffoir à 160°. Enfin on entoure le robinet et les jointures d’ouate destinée à filtrer l'air qui pourrait être aspiré pen- dant la ponclion. Le trocart, le tube qui unit le trocart au double robinet 7 r” et le ballon b, séparés du reste de l’appareil, sont enveloppés dans une double feuille de papier-filtre et portés à l’autoclave à 120° pendant 10 minutes. Au sortir de l’autoclave, ils sont entourés d'une feuille de papier sec et stérilisé pour être transportés auprès du malade. Au moment d'opérer, on dispose l'appareil comme à l'ordi- naire ; mais avant de faire jouer la pompe, on place une pince à forcipressure en p,, et on laisse le robinet > ouvert. On fait ainsi le vide dans le ballon b et dans la bouteille €. Le vide fait, on met la pince p,, on fait la ponction et on enlève la pince p,. Le liquide se précipite en c. Au moment que l'on juge convenable, on pose la pince p, et on retire la pince p,. Le ballon à se remplit aussitôt. Souvent on doit faire le vide à plusieurs reprises pour remplir ce ballon. À cet effet, on replace la pince p,, on enlève la pince p, puis on agit comme précédemment. La quan- 664 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. tité de liquide écoulé une fois suffisante, on met la pince p, et on continue la thoracenthèse dans la bouteille c. Le ballon à est détaché, son extrémité effilée est fermée à la lampe. Cette manière de procéder donne un volume considérable de liquide, qui est ensemencé largement, ou qui, réparti dans des matras Pasteur et des tubes à essai, peut servir de milieu de culture, soit liquide, soit solide après gélatinisation par la chaleur. Nous avons eu soin, chaque fois que les épanchements con- tenaient des matières en suspension, de laisser reposer ces matières au fond des ballons, et de les recueillir pour les ense- : mencer abondamment dans les matras et les tubes. Nous avons recueilli ainsi le liquide de vingt épanchements de diverses.natures, qui tous ont été ensemencés sur la gélose et dans le bouillon glycérinés et maintenus à l’étuve, à la tem- pérature de 39-402, RECHERCHE DES MICROORGANISMES-: 665 Ces 20 cas se répartissent comme il suit. 4. H..., 58 ans, Hôtel-Dieu, Saint-Augustin, n° 12, février 1887. Pleurésie aiguë séro-fibrineuse. — Aucun développement. 9, T..., 27 ans, Hôtel-Dieu, Saint-Denis, n° 3, avril 1887. Pleurésie aiguë séro-fibrineuse. — Un microcoque. 3. M..., 34 ans, Pitié, Serres, n° 33, septembre 1887. Pleurésie franche séro-fibrineuse. Père mort de tuberculose pulmonaire. — Aucun développe- ment. 4. M..., 4% ans, Pitié, Serres, n° 36, janvier 1888. Pleurésie franche séro- fibrineuse. — Aucun développement. 5. M..., 57 ans, Laënnec, Grisolle, n° 8, février 1888. Pleurésie franche séro-fibrineuse. — Aucun développement, 6. H..., Hôtel-Dieu, 1888. Pleurésie aiguë séro-fibrineuse, Aucun dévelop- pement. 7. V..., 48 ans, Laënnec, Claude Bernard, n° 1, mai 1888. Pleurésie aigue séro-fibrineuse. — Aucun développement. 8. M..., 16 ans, Laënnec, Grisolle, n°9, juin 1888.P leurésie franche, séro- fibrineuse. Un microcoque en chaînettes. 9. P.., 61 ans, Hôtel-Dieu, Saint-Denis, n° 41, avril 1887. Épanchement pleural séro-hématique ancien. Mort. Autopsie. Examen histologique : Pas de tuberculose ni des poumons, ni des plèvres. — Aucun développement. 10. J...,28 ans, Laënnec, Grisolle, n° A, octobre 1888. Pleurésie insidieuse, épanchement séro-fibrineux. — Aucun développement. 11. L..., 31 ans, Laënnec, Claude Bernard, n° 20. Pleurésie insidieuse, épanchement séro-fibrineux. — Aucun développement. 19. V..., 29 ans, Hôtel-Dieu, Saint-Denis, n° 15. Pleurésie insidieuse. Epanchement séro-fibrineux très peu abondant. Respiration soufflante et quelques râles dans la fosse sous-épineuse du côté malade. — Aucun dévelop- pement. 43. C.., 40 ans, Hôtel-Dieu, Saint-Denis, n° 13,novembre 1887. Père mort de la poitrine. Vénitien. Pleurésie séro-fibrineuse. — Aucun développe- ment. 14. D... A ans, Saint-Antoine, Broussais, n° 12, juillet 1888. Pleurésie droite guérie il y a { an. Pleurésie gauche insidieuse. Épanchement séro- fibrineux. — Aucun développement. 15. D..., 28 ans, Pitié, juillet 1888 (du à l'obligeance de notre collègue et ami, M. le D' Girode). Antécédents héréditaires. Phthisie aiguë pleu- rale et consécutivement péritonite tuberculeuse avec ascite. Signes de tuberculose au sommet du côté malade. Pas de micro-organismes ni dans le liquide pleural, ni dans le liquide péritonéal, 16. D.., 48 ans, Pitié, Serres, n° 12, février 1887, Pleurésie insidieuse post-traumatique, séro-fibrineuse. A l’autopsie, tuberculose des poumons, pleurésie double. — Aucun développement. 17. P..., 45 ans, Pitié, Serres, n° 29, octobre 1887. Pleurésie insidieuse, séro-fibrineuse. Tuberculose pulmonaire. Pas de tuberculose pleurale appa- rente. — Aucun développement. 666 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR: IS. S..., 25 ans, Laënnec, Larochefoucauld, n° 3, février 1888. Pleurésie purulente. — Microcoque. 19. D... 50 ans, Pitié, Serres, n° 50, avril 1887. Pleurésie rhumatismale. — Pas de micro-organismes. 20. …, Hôtel-Dieu, Saint-Denis, n° 18, mars 1887. Pleurésie rhumatismale. Autopsie. Dans le liquide de péricardite, le sang du cœur, le liquide pleural et la synovie : Microcoque. Si nous considérons les 17 premiers cas de ce tableau, qui ont trait à des pleurésies séro-fibrineuses, nous voyons que dans tous ces cas, la recherche du bacille de la tuberculose est restée vaine. Deux fois seulement les ensemencements ont donné naissance à des cultures de microorganismes dont nous par- lerous plus loin; les liquides qui les contenaient ont été portés pendant dix minutes à la température de 60°, comme le conseille M. Yersin, pour séparer le bacille de Koch. Nous avons eu sans aucun doute affaire, au moins dans un certain nombre de cas, à des pleurésies tuberculeuses. Sept fois, en effet, l'affection a présenté une marche insidieuse, une fois elle a revètu la forme de phtisie aiguë pleurale avec enva- hissement consécutif du péritoine, et deux fois elle s’est accom- pagnée de tuberculose pulmonaire constatée à l’autopsie. Ces essais de culture du germe tuberculeux ne sont pas restés seulement infructeux dans le cas d’épanchements pleu- raux. Notre collègue et ami, M. Girode, a eu deux fois l’oc- casion d'ensemencer, et sans résultat, le liquide de péritonites tuberculeuses. Dans un premier cas (obs..15 de notre tableau), il s'agissait d’une femme atteinte de tuberculose pleuro-pulmo- naire et péritonéale; dans un second cas, on se trouvait en pré- sence d’un homme ayant eu une pleurésie gauche quatre mois auparavant, entrant de nouveau à l'hôpital avec une pleurésie sèche du mème côté et une péritonite tuberculeuse. A l’autopsie de ce dernier malade, on trouva une tuberculose généralisée aux poumons, aux plèvres, au péritoine, avec prédominance sur les séreuses. Comment expliquer dans de telles conditions des insuecès aussi constants ? Le bacille de la tuberculose a besoin d’une certaine accou- tumance pour se développer sur les milieux artificiels. Trans- porté de l'organisme d’un être vivant dans un bouillon ou sur RECHERCHE DES MICROORGANISMES. 667 de la gélose glycérinés, il ne donne une première culture que s’il a été largement ensemencé à l'aide de matière tuberculeuse bien divisée, et s’il se trouve dans un état de vitalité convenable et probablement en rapport avec une certaine phase de son déve- loppement. Or, dans les épanchements pleuraux, les bacilles, s'ils exis- tent, sont disséminés dans une grande masse de liquide et ne se rencontrent le plus souvent qu’en petit nombre, puisque ex- ceptionnels sont les cas dans lesquels on à pu les découvrir à l’aide des matières colorantes et du microscope. De plus, ils ne doivent pas posséder les qualités vitales requises pour fournir un développement facile. Renfermés dans la cavité pleurale, ils vivent en effet au contact de l’épanchement, et cet épanchement constitue pour eux un mauvais milieu de culture. Il suffit pour le démontrer, d'ensemencer, même largement, du liquide de pleurésie recueilli dans des matras Pasteur, ou encore dis- tribué dans des éprouvettes et gélatinisé par la chaleur, avec une culture bien vivace de bacilles tuberculeux : on n’observe, le plus souvent, qu’un développement insignifiant ou nul. Addi- tionne-t-on le milieu de son poids de bouillon de veau glycériné, la scène change aussitôt et la prolifération se fait d’une façon luxuriante. Les conditions qui doivent se trouver réunies pour permettre au bacille de Koch de se développer sur un terrain nouveau pour lui, ne sont plus nécessaires quand on le transporte direc- tement d'un organisme vivant dans un autre. C’est ainsi que s'expliquent les résultats souvent positifs obtenus par les inocu- lations aux animaux. Ces résultats, nous l’avons déjà fait remar- quer, ont été très inégaux, et tandis que MM. Gombault et Chauffard ont obtenu dix fois la tuberculose sur 19 cas expéri- mentés, MM. Kelsh et Vaillard ne l’ont obtenu qu'une fois sur dix, Les épanchements de trois pleurésies suspectes (obs. 10, 14, 14), d’une pleurésie franchement tuberculeuse (obs. 15) et le liquide péritonéal du deuxième malade de M. Girode ont été essayés sur les cobayes. Toutes les fois ces essais ont été néga- tifs. Nous avions pourtant eu soin dans les trois premiers cas de Jaisser reposer le liquide recueilli par la thoracenthèse jusqu’à ce que toutes les matières tenues en suspension se soient réunies 668 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. au fond du ballon, puis nous l’avions décanté, et nous avions injecté les couches inférieures chargées de dépôt à la dose de 2 ou 3 centimètres cubes dans le péritoine de cobayes. Ces expériences tendent donc à prouver que si le bacille de la tuberculose se rencontre dans certains épanchements pleuraux, il ne se rencontre pas dans tous, et que même, il peut faire tota- lement défaut dans le liquide de pleurésies franchementtubercu- leuses. Ces faits sont parfaitement d'accord avecles recherches micro- scopiques de MM. Kelsch et Vaillard qui ont montré que, dans la pleurésie simple, les nodules tubercuieux s’entourent de capsules fibreuses et n’évoluent pas, en général, vers le ramollissement. Mais si ces auteurs reconnaissent à la forme séreuse de laf- feclion une tendance à l’organisation fibreuse et à la cicatrisa- tion, ils regardent au contraire la nécrose des fausses mem- branes tuberculeuses, leur ramollissement successif, comme la caractéristique des pleurésies purulentes. Sur quatre cas d’em- pyème inoculés aux cobayes, ils ont obtenu deux fois du tuber- cule. C’est probablement dans les faits de cette nature, quand la malière tuberculeuse caséifiée tombe en grande quantité dans la cavité pleurale, que les ensemencements devront donner des résultats positifs. ; Dans le seul cas de pleurésie purulente que nous ayons observé, nous n’avons pas recherché le bacille de Koch, mais nous avons constaté la présence d’un microcoque, très petit, réuni en zooglées peu volumineuses, ne se développant pas à une température inférieure à 20 ou 22°, donnant dans le bouillon de veau des cultures à peine développées, constituées par une fine poussière, et sur la gélose glycérinée des colonies de un ou deux millimètres de diamètre et d’une minceur extrême. Nous avons déjà dit que deux de nos épanchements séro- fibrineux avaient donné des cultures pures de microcoques par- ticuliers. Dans l’'épanchement du n° 9 Grisolle (obs. 8) existait un microcoque assez petit, disposé en chaines de 2, 3 ou 4 élé- ments, ne liquéfiant pas la gélatine, donnant à sa surface ou sur la gélose une couche blanche, épaisse, d’aspect vernissé, de con- sistance visqueuse. L’'épanchement du n° 3 Saint-Denis (obs. 2) contenait également un microcoque, mais un microcoque très volumineux, en zooglées, et dont les cultures blanches et épaisses RECHERCHE DES MICROORGANISMES, 669 s'étalaient sur toute la surface de la gélose. Ajoutons que ces deux pleurésies ont guéri sans suppurer. Des deux observations de pleurésie rhumatismale qui fer- ment la liste insérée plus haut (obs. 19 et 20). une seule, la der- nière, nous a donné un liquide contenant des micro-organismes. Chez un homme mort de rhumatisme articulaire aigu compliqué de péricardite etde pleurésie double, les épanchements pleuraux, le sang du cœur gauche et la synovie du genou gauche renfer- maient un microcoque en chaînettes contournées, irrégulières, constituées par des points assez petits. Ce microcoque cultivé au sortir de l’organisme dans du bouillon de veau s'était déve- loppé sous forme d’un fin nuage composé de petits grains arrondis. Ensemencé le lendemain et le surlendemain dans le même milieu, ainsi que sur la gélatine et sur la gélose, il n’a plus fourni aucun développement. De même, dans deux autres cas de rhumatisme articulaire aigu, nous avons obtenu par culture, soit du sang pris à l’extré- mité du doigt, soit de l'urine recueillie à l'émission avec toutes les précautions voulues, un microorganisme en chaînettes con- tournées, irrégulières, en tout semblable au précédent et dont il nous a été impossible de produire une deuxième généralion. DE L'ABSENCE DES MICROBES DANS LES TISSUS VÉGÉTAUX, Par M; A: DI VESTEA. Aù laboratoire de la clinique Cantani, à Naples. Le Bulletin médical m'ayant appris les résultats de M. Ga- lippe sur la présence des microbes dans la substance des végé- taux, j'ai eu l’idée de contrôler ces expériences, en désaccordavec tout ce qu'on croyait savoir jusque-là, et j’ai commencé sur ce sujet un travail que la maladie m'a forcé d'interrompre, mais dont je crois bon d'ajouter les résultats à ceux que M. Hernhass a publiés dans le tome IT de ces Annales. Je me suis mis dans les mêmes conditions que M. Galippe, c'est-à-dire que j'ai opéré sur des plantes maraïchères cultivées dans les environs de Naples, sur des terrains bas où se réunis- sent les vidanges de la ville. Je me suis surtout servi des tro- gnons d’une variété de laitue que nous nommons /aitue romaine. Pour faire des prises d’essai, je me suis servi, comme MM. Laurent et Fernbach, d’un emporte-pièce, mais il était en verre et présentait des dispositions particulières. Dans le tube à paroi mince qui servait d’emporte-pièce, pouvait glisser un autre tube à paroi épaisse, plus long que le premier, fermé à la : ouate à son extrémité libre, et glissant dans un bouchon d'ouate à l’intérieur ‘du premier tube. Le tout était chauffé à 150° après avoir été introduit à moitié dans un tube à essai, fermé par un tampon d’'ouate. On coupe alors le végétal avec un couteau flambé, on enfonce dans la coupure fraîche l'extrémité tran- chante du tube à paroi mince, qui emporte un cylindre du tissu végélal, et on replace l’emporte-pièce dans l’éprouvette protec- trice. À l’aide du tube à paroi épaisse, on pousse dans le tube à essai le bouchon végétal, qu'on écrase et qu’on broie avec le même tube servant de pilon. On aspire ensuite, par son extrémité libre, une partie du liquide exprimé du tissu, et on s’en “ ABSENCE DES MICROBES DANS LES TISSUS VÉGÉTAUX, 671 sert pour ensemencer du bouillon de veau stérilisé, pendant que, d’un autre côté, on fait arriver avec pureté, dans l’éprouvette contenant les débris végétaux, un peu du même bouillon. On ferme ensuite à la ouate, et on a ainsi deux séries de cultures pour chaque essai. J’ai fait aussi des cultures dans le vide, en meltant le bouillon ensemencé dans des vases disposés pour cela. De nombreuses expériences m'ont conduit aux conclusions suivantes : 1° Les cultures dans le vide ou à l’air, faites avec des plan- tes que j'avais recueillies moi-même ou qu'on apportait fraîches de la campagne au laboratoire, sont demeurées régulière- ment stériles. 2° Si on abandonnait au préalable les mêmes végétaux à l’air pendant 24 heures el au-dessus, une nouvelle prise d'essai dans le trognon donnait très souvent des ensemencements féconds. 3° Enfin, chaque fois que j'ai opéré sur des végétaux achetés au marché, j'ai, comme M. Galippe, obtenu des cultures, qui chez moi étaient même toajours fécondes. Ce dernier résultat s'explique, je crois, surtout par ce fait que les jardiniers et les marchands arrosent leur marchandise, pour lui conserver sa fraîcheur naturelle, avec de l'eau en général très chargée de microbes. Mes expériences me semblent donc expliquer les résultats de M. Galippe, mais sont d'accord avec celles de M. Fernbach pour montrer qu'il n’y a pas là de dérogation à la loi de M. Pasteur, selon laquelle les tissus végétaux normaux sont impénétrables pour les microbes. Je ne voudrais pourtant pas conclure, au point de vue hygiéni- que, qu'ilne faut pas se méfier de l’emploi des végétaux provenant de champs irrigués à l’eau d'égout. Il est clair que ces végétaux peuvent emporter avec eux des germes pathogènes déposés natu- rellement à leur surface, comme M. Pasteur l’a démontré pour le charbon, ou ayant pénétré accidentellement dans leur intérieur, par exemple avec les insectes souvent imperceptibles qui les ‘rongent. Par conséquent l’hygiène aura toujours à conseiller, surtout en temps d'épidémie, l'usage de végétaux conv enable- ment cuits. REVUES ET ANALYSES C.FragnkeL. Action de l’acide carbonique sur la vitalité des microorganismes. Zeitschr. [. Hyg., t. N, p. 332. Il y a longtemps qu’on s’est préoccupé de rechercher l’action de divers gaz et surtout de l'acide carbonique sur la vitalité des microbes. Mais on ne peut pas dire que la question ait beaucoup progressé. Il en a été pour elle comme pour celle de l’action de la chaleur ou des antiseptiques : plus on l’a étudiée, plus on a reconnu qu'elle était complexe, et devait se diviser en une série de questions particulières, dont chacune demandait une étude et avait chance de recevoir une solution spéciale. Rien ne prouve, en effet, que l’action de l'acide carbonique sur un même microbe soit indépen- dante de son âge, de son milieu de culture, de ses conditions héréditaires, de la température, etc. Les expériences de M. Fraenkel ont le mérite d'être faites dans des conditions déterminées, pour lesquelles seulement elles sont probantes. Des microbes divers étant soumis ensemble, dans un milieu à la gélatine peptone, et dans les mêmes conditions, à l'action d'un même courant d’acide carbonique, on cherche ceux qui poussent en présence de ce gaz, ceux que l'acide carbonique arrête sans les tuer, ceux qu'il tue. Dans une pareille question le procédé expérimental a de l'importance. Nombreux sont les travaux dans lesquels on se contentait innocemment, quand on voulait étudier l’action de l'acide carbonique sur des microbes, de remplir de ce gaz une cloche qui contenait la culture, ou le flacon dans laquelle elle était faite, sans se préoccuper de savoir si on avait totalement éliminé l'air de la cloche ou celui du liquide nutritif. M. Fraenkel es. plus sévère, et nous avons donné dans un article précédent (voir ces Annules, t. I, p. 333) l'indication de son mode opératoire. Après avoir ensemencé la gélatine nutritive, il la répartit en couche à la surface du tube à essai, suivant la méthode d’Esmarch, et fait passer dans le tube, au moyen de deux tubes recourbés, un courant d'acide carbonique qui dure tout le temps du séjour des tubes à l'étuve. Les résultats enregistrés, il remplace par de l’air le gaz des tubes où rien n'a poussé, et distingue ainsi ceux où les germes étaient absolument morts de ceux où ils n'étaient qu'en- dormis. IL pousse même le scrupule jusqu'à se méfier de la pénétration de l'acide carbonique dans les profondeurs de la couche de gélatine, pourtant très mince, exposée à son action, etil exécute à la suite une autre série d'expériences dans lesquelles il fait barboter le gaz dans la gélatine ‘ REVUES ET ANALYSES. 673 liquéfiée. IL ferme alors hermétiquement le tube, disposé pour cela comme on le verra dans l’article cité, refroidit la gélatine qui a été ensemencée à l'avance, et la répartit en rouleau sur les parois du tube. Comme on pouvait le prévoir, par les faits isolés que possédait déjà la science, tous les cas sont réalisés dans l’action de l'acide carbonique sur les germes des microbes. « Un nombre limité de microbes peut se développer aussi bien et à très peu près aussi vite dans un courant d'acide carbonique que dans l'air ; tels sont le bacille du typhus abdominal, les bacilles d'Emmerich et de Brieger, le pneumococcus de Friedlaender, le bacille de la fermentation lactique de Hueppe, et de la levure authentique. « Beaucoup d'autres sont en état de pousser dans l'acide carbonique, mais avec plus ou moins de difficulté et plus ou moins de retard.…, tels sont le M. prodigiosus, le Bacillus indicus, le Proteus vulgaris, le Bacillus phos- phorescens. « D’autres ne peuvent triompher de la résistance que leur oppose l'acide carbonique que si on les expose à haute température : tels sont le Mic. tetragenus, qui ne subit, à la température ordinaire, qu'un développe- ment à peine sensible; les bactéries du choléra des poules, de la peste porcine, de la septicémie des lapins, du rouget, de la septicémie des souris, le Streptococcus pyogenes et celui de l’érysipèle, enfin les Staphyl. aureus et albus. » Remarquons en passant que presque tous ces microbes sont pathogènes, habitués à vivre, par conséquent, à des températures voisines de celle du corps des animaux, et dans des milieux où il y a de l'oxygène libre, ou du moins faiblement combiné, et saisissable pour la majorité de ces microbes, sinon pour tous. Il est intéressant de constater que la suppres- sion de cet oxygène ne les empêche pas de se développer, quand on leur laisse par ailleurs leurs conditions de température. « Enfin, continue M. Fraenkel, pour tous les autres microbes, c’est-à-dire pour le plus grand nombre des espèces saprophytiques et pathogènes, en particulier pour les bacilles du charbon et du choléra asiatique, l’acide carbonique amène un arrêt absolu de développement. » Ici la question se complique un peu, car il y a à se demander si cet arrêt de développement est définitif ou momentané. On peut le voir assez facile- ment en ramenant de l'air dans le tube, à la place de l'acide carbonique. Ontrouve alors que si quelques espèces ne poussent plus, et se montrent défi- nitivement mortes, d'autres se développent, et avaient résisté sans en mourir à l’action de l'acide carbonique. Mais le nombre des colonies semble toujours beaucoup plus faible que celui des germes ensemencés, et en cher- chant, en effet, par la méthode des plaques de gélatine, ce que devient le nombre de germes dans une culture parcourue par un courant continu d'acide carbonique, M. Fraenkel a vu que ce gaz tuait toujours un nombre plus ou moins grand de germes. « La moins sensible des espèces étudiées a été le bacille de Finkler, qui après 8 à 10 jours passés dans l'acide carbonique renfermait encore beaucoup de germes vivants. Les bacilles du charbon donnaient des colonies 674 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. de moins en moins nombreuses, mais on ne les a pas vus mourir complète- ment, Le Slaphyl. aureus se comporte de même, mais la diminution du nombre des germes y est un peu plus rapide. Les bacilles du choléra périssent vite et presque en totalité dans l'acide carbonique ; quelques individus ont pourtant persisté jusqu’à la fin des recherhes. Le bacille de Deneke périt d'ordinaire au bout de 3 à 4 jours, et ce n’est qu’exception- nellement qu'il dépasse ces limites. » Il y a dans ces résultats un fait curieux et que M. Fraenkel laisse inexpliqué, c'est la persistance de la vie chez quelques individus d'une espèce dont tous les autres ont rapidement péri sous l'influence de l'acide carbonique, et cela avec des espèces chez lesquelles on ne connaît ni spores, ni rien qui y ressemble. Mais il y a un autre point qui mériterait aussi d'être étudié de plus près, et au sujet duquel on aurait aimé à connaître l'opinion raisonnée de M. Fraenkel, c’est la nature de l'action exercée par l'acide carbonique. Agit-il uniquement comme moyen d'élimination de l'oxygène ou a-t-il sur les microbes une action propre, antiseptique ou toxique; Ce qui revient à dire, pour faire sortir du vague la question, et la poser de suite sur le terrain expérimental : l’acide carbonique pourrait-il être remplacé, dans les expériences de M. Fraenkel, par un autre gaz inerte, tel que l'hydrogène ou l'azote, ou encore par le vide? Ou bien, la substitution de l'azote à l'acide carbonique changerait-elle Les résultats? M. Fraenkel eroit que l’action de l'acide carbonique sur les cultures de bactéries ne se résume pas seulement en une élimination de l'oxygène, et il se base pour cela, d’abord sur un argument tiré d’une classification de Liborius à laquelle nous ne pouvons ajouter confiance (V. ces Annales, t.1, p. 311), ensuite sur deux séries d'expériences dans lesquelles deux microbes anaérobies, celui du charbon symptomatique et celui de l’œdème malin (vibrion septique de M. Pasteur), n'ont pas poussé dans l'acide carbonique, tandis qu'ils se développent dans l'hydrogène. Il faut accepter ce résultat, si l'expérience le fournit, s’il n'y a pas eu de causes d'erreur dans l'expérience de Fraenkel, et si l'hydrogène qu'il avait enfermé dans son tube à essais, fermé par un bouchon de caoutchouc paraf- finé, a consenti à y rester pendant la durée de l'expérience, et n’a pas donné lieu à une faible rentrée d'oxygène, peut-être suffisante à des êtres qui ne sont pas absolument anaérobies, mais peuvent se développer dans un milieu faiblement aéré. J'incline, pour ma part, à accepter la conclusion de M. Fraenkel, qui est en parfait accord avec ce que l’on sait de l’action de l'acide carbonique sur d'autres cellules végétales, mais je suis un peu surpris de voir que cette action se soit manifestée surtout, ou ait été étudiée de pré- férence, sur des cellules déjà très anaérobies, c'est-à-dire habituées au contact de doses considérables d'acide carbonique. Il me semble que si ce gaz a une action, il devrait surtout la manifester sur des cellules aérobies, et qu'il y aurait par exemple intérêt à chercher ce que donneraient des eultures comparatives de ces êtres dans des mélanges variés d'oxygène avec de l'azote ou de l'acide carbonique. C’est un sujet d'études tout neuf, que quelque savant voudra peut-être entreprendre. Dx, REVUES ET ANALYSES. 678 Corxer. Sur la manière d'être des bacilles de la tuberculose dans l’or- _ ganisme animal sous l'influence de substance entravant leur développe- ment. Zeitschr. f. Hyg., t. V, 1888, p. 98. — La distribution des bacilles tubereuleux en dehors du corps. /d., p. 191. Dans deux articles très intéressants, M. Cornel expose les résultats de ses expériences, faites à l'Institut de M. Koch à Berlin, au sujet de l'influence de différents agents antiseptiques sur les bacilles tuberculeux contenus dans le corps des animaux et au sujet de la distribution de ces bacilles en dehors de l'organisme. Pour résoudre la première question, M, Cornet inocule les cultures tuber- culeuses à de petits animaux (surtout à des cobayes) et les traite ensuite par des doses maxima de différentes substances considérées comme des remèdes plus ou moins efficaces contre la tuberculose : tannin, acétate de plomb, suc d'ail, pinguin (alantol et acide alantique), sulfure d'hydrogène, menthol, sublimé mélangé avec l’acide hydrochlorique, créoline et créosote. Dans toutes les expériences, le traitement le plus intensif, à l'aide de ces différentes substances, n’a donné que des résultats absolument négatifs, en ce sens que les bacilles continuaient à se développer chez les animaux traités comme chez les animaux de contrôle, qui n'étaient soumis à aucun traitement. Outre l’action de ces différents médicaments, M. Cornet étudia encore l'influence de l'altitude sur la marche de la tuberculose. Il inocula dans ce but douze cobayes, dont six furent transportés à Davos, tandis que six “autres furent conservés à Berlin. Les deux groupes d'animaux manifestèrent absolument les mêmes phénomènes de tuberculose, et la mort survint presque simultanément chez les uns et les autres. M. Cornet est loin d'étendre ces résultats des cobayes à l'homme, bien qu'il passe facilement de l’un à l’autre, quand il s’agit de calculer ce que devraient être pour l'homme les doses de médicaments, en partant des doses restées sans action sur les cobayes. Il ne faut pas oublier, en effet, que les bacilles de la tuberculose peuvent se comporter envers les désinfectants d'une manière bien différente, suivant le milieu de culture de ces microbes. Si l'organisme de l’homme est par lui-même moins favorable aux bacilles que celui des cobayes, s'il devient le siège de quelque influence tendant à affaiblir les bactéries, il est évident que pour tuer ces bacilles affaiblis il faudra une moindre quantité d'antisepliques que pour les bacilles plus vigoureux des cobayes. IL se produirait là quelque chose d analogue à l'influence d’une même dose d'antiseptiques sur le virus et les vaccins char- bonneux. M. Cornet admet, du reste, lui-même l'action favorable de la créosote sur les phtisiques, quoiqu'il l'attribue, non à une influence directe sur les bacilles, mais uniquement à ce que la créosote diminue l'abondance de la sécrétion. Dans son second mémoire; M. Cornet expose ses nombreuses expériences ur la distribution des bacilles de la tuberculose .en dehors de l'organisme, 676 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Pour obtenir des résultats précis, il recueillait la poussière de différentes localités et l’introduisait dans la cavité abdominale des cobayes. La con- clusion générale de M. Cornet est que le virus tuberculeux, loin d'être ubi- quitaire comme on le prétend souvent, est réparti d'après des règles fixes. Le plus souvent il a pu être retrouvé dans la poussière des habitations des phtisiques, et notamment de ceux qui crachaient sur le plancher ou dans des mouchoirs. Sur 21 salles d’hôpitaux contenant des phtisiques, 15 ont présenté le virus tuberculeux. Il à été retrouvé aussi dans trois salles d’aliénés, dans lesquelles séjournaient des malades atteints par la phtisie. Un résultat positif a été encore obtenu par M. Cornet dans la pièce de l'Institut hygiénique, qui servait pour ses expériences d’inhalation des matières tuberculeuses. Des recherches nombreuses pratiquées par le même expérimentateur avec la poussière de deux prisons cellulaires, de deux polycliniques, d'une salle d'inhalation pour les poitrinaires, dans un établissement sanitaire contenant des malades du lupus, la poussière d'un orphelinat avec beau- coup d'enfants scrofuleux, celle de l'Institut pathologique, de trois salles chirurgicales et de plusieurs rues à Berlin, ont toujours donné des résultats absolument négatifs. Après avoir ainsi établi que le virus tuberculeux, loin d’être uniformé- ment réparti partout, se retrouve surtout dans le voisinage des phti- siques, M. Cornet cherche à utiliser ce résultat général pour résoudre la grande question de la prédisposition tuberculeuse. Il croit possible de réfuter toute cette théorie de la prédisposition, et de faire de tout dévelop- pement de la phtisie une pure affaire de contagion. Quant aux cas nom- breux où des personnes, mises souvent en contact avec le virus tuberculeux, ne prennent pas la maladie, ce sont pour M. Cornet de simples « éventua- lités ». Pour justifier sa théorie, il se rapporte à des faits nombreux observés sur les petits mammifères. « Ainsi les cobayes, quoique très peu sujets à acquérir spontanément la tuberculose et pour cette raison beaucoup moins disposés que l’homme, prennent pourtant sûrement celte maladie, à la suite de chaque inoculation ou de chaque inhalation du virus. » (Second mémoire, p. 196.) M. Cornet, en interprétant ce fait bien connu par beaucoup d’expérimentateurs, oublie que cette constante réceptivité pour le virus tuberculeux constitue une propriété spéciale des cobayes. Les autres espèces de mammifères, même les lapins, sont loin d'être aussi bien disposées, et M. Cornet mentionne lui-même, à diverses reprises, que ces rongeurs « ne cèdent pas d’une manière absolue à une infection par le virus tuberbuleux » (L. c., p. 196). Après une injection de ce virus sous la peau de trois lapins égaux d'apparence, il se développe, par exemple, chez l’un une tuberculose générale au bout de quelques semaines, chez un autre seulement après plusieurs mois !, tandis que le troisième résiste définitivement à l'infection. C'est donc que les lapins ont une prédisposition différente pour la tuberculose. 1. M. Cornet mentionne lui-méme, dans son premier mémoire (p. 405), un lapin mort le cinquième mois après une inhalation répétée du virus tuberculeux. REVUES ET ANALYSES. 677 On ne peut admettre ici d'éventualité diverses .au sujet de l'infection par le virus tuberculeux. Il existe donc des espèces chez lesquelles la disposition individuelle est absolue et d'autres où elle est beaucoup moindre et en même temps fort variable. Il est évident que l'homme appartient à la dernière catégorie. Des faits d'une valeur générale, comme par exemple la rareté extraordinaire de la phtisie acquise à Madère par les Européens émigrés dans cette île, où le virus tuberculeux est tellement abondant (fait établi par feu le professeur Langerhuns), et piusieurs autres exemples analogues (entre autre le célèbre fait du Brompton Hospital) ne peuvent être expliqués par de simples « éven- tualités », mais concordent parfaitement avec la prédisposition individuelle des tissus de l'organisme à acquérir la tuberculose. A la fin de son mémoire M. Cornet énumère les mesures prophylactiques qu'on devrait accepter partout contre la propagation de la tuberculose. La première condition serait de ne jamais cracher sur le plancher ou dans les mouchoirs, mais dans des crachoirs, au fond desquelles on pourrait verser une mince goutte d'eau ordinaire. Les personnes phtisiques ne doivent pas embrasser des personnes bien portantes. Les verres et les cuillères em- ployés par les malades ne doivent servir à d’autres personnes qu'après avoir élé lavésavec de l’eau chaude. Le linge des phtisiques doit être lavé séparé- ment, et notamment les mouchoirs et les chemises doivent être bouillis très soigneusement. Il serait désirable de les désinfecter pendant une heure à l'aide d'un appareil à vapeur. Il est nécessaire aussi de désinfecter les vêtements et d’autres objets qui appartenaient à des personnes mortes de la tuberculose. Les murs des appartements doivent être désinfectés avec la croûte de pain, d’après le procédé d'Esmarch. M. Cornet propose des mesures analogues pour les familles, les écoles et les fabriques contre l'infection des personnes bien portantes par le virus tuberculeux. Après avoir constaté que le petit miroir du laryngoscope est souvent infecté dans le larynx des phtisiques, et se laisse difficilement désin- fecter, M. Cornet propose de n'observer les malades qu'avec leur propre miroir. E. METCHNIKOrF. ERRATUM À la page 506 de ce volume, ligne 4, dans l'article de M. Metchnikof”, lire bactéries au lieu de bactéridies, 43 678 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. INSTITUT PASTEUR STATISTIQUE ‘ DU TRAITEMENT PRÉVENTIF DE LA RAGE. — NOVEMBRE 1888 Morsures à la tête ( simples ..... et à la figure | multiples... Cautérisations efficaces. ........... — INnefRCACES ETC Pas decadtèmsations. Ten simples...... multiples... Cuutérisations effiraces............ — ineffiCACes.. Ne Pas de cautérisahon./.. 0.102. r Morsures aux mem-{ simples...... bres et au tronc multiples... Cautérisations efficaces ............ — inefficaces. . :....... Pas de cautérisation............:. HUD HS ECRATES EE RE EN ERE RESE MOTSUTES RTL ER ee or -rece Morsures multiples en divers points AU ICOLDS EE re Pa se AERES Cautérisations efficaces.........:.. — InefNCRCES ee Pas de cautérisahon..".:.....,. 1.1. HUDAES AR ATES ER RDTINNNE MON SANES AU RALENTIR ANSE Morsures aux mains) Français et Algériens..|.. Totaux. Etrangers. .....:2..0l.e TOTALÉCENERADUMACE PEN AE 107 4. La colonne À comprend les personnes mordues par des animaux dont la rage est reconnue expérimentalement ; La colonne B celles mordues par des ani- maux reconnus enragés à l'examen vétérinaire; La colonne C les personnes mordues par des animaux suspects de rage. Les animaux mordeurs ont été : Chiens, 404 fois; chats, 6 fois. Aucune nouvelle de décès n’est parvenue à l’Institut Pasteur. TABLE DES MATIÈRES. Sur la destruction des lapins en Australie et dans la Nou- velle-Zélande, par M. Pasreur. . . .. .. ..... HER Nouvelles recherches sur la rage, par M. Banpacn. . . .. Notes de laboratoire sur la présence du virus rabique dans les nerfs: par M. Roux. . 2, 4 FERA De la culture sur pomme de terre, par M. Roux. . ... .. Note sur la réaction chimique des bacilles du choléra, par AT NOT ST RP AE A SR NE RE Sur Lopnon par inhalation des germes morbides, revue cri- Sur la résistance des bacilles tuberculeux, par M. Max VorLscx. Recherches sur le rouget des pores et son inoculation, par M. Krrr. Les microcoques du coryza contagiosa des chevaux, par M. J. LANCER LP SRE AD LE TU CRUE CAS M ON PCT NE UE Sur la connaissance du rouge du choléra, par M. J. JADAssoHN. . Quelques-unes des propriétés du virus rabique, par M. A CELr. Statistique de l’Institut Pasteur (décembre 1887). . . . .. Immunité contre le charbon symptomatique conférée par des substances solubles, par M. Roux. . ........ Immunité contre le virus de la fièvre typhoïde conférée par des substances solubles, par MM. Cnanremesse et VD RAR AR EN EPA Re Su se à Action de quelques ne et de la chaleur sur le bacille de la tuberculose, par M. YErRsiN. . ... ... Sur le mécanisme de l’immunité, par M. Caauveau. . . . . Variations de forme chez les bactéries, par M. Wasserzuc. Carcinome et sarcome, revue crilique . . . . . . . . . . OS Sur la culture des bacilles de la lèpre, par M. BorponI- Ur DEAR NON Ro sn CR EE VA a NA Det Transmission de la rage de la mère au fœtus, par M. G. ZAGaRr Nouvelle méthode pour prévenir la rage avant l'infection, par MOV ES NE US RULES MIE RE Near EAP Sur la vaccination antirabique de l'homme, par M. FERRAN . . . 92 94 680 . ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Persistance de la virulence rabique dans les cadavres enfouis, par ML AGALTIER, 25422 2 0 DORE RENE AR RER Sur un nouveau bacille lumineux, par M. B. FISCHER. . . . . . . Le micrococus ochroleuccus, nouvelle bactérie chromogène, par. . M: PROVE 2 SR PRAIRIE ER PEER SERRE RER ARE Sur le développement des bactéries entre 50° et 70° par M. GLoBrG. Culture des bactéries sur des milieux colorés;par M. NOEGGERATH. Sur le sublimé corrosif dans les liquides albumineux, par . . . . MANBERRING RENNES EN AU MONCTON EN EN LAN PAPERS REA EN € . Le tribromophénol comme antiseptique, par. M. GRIMM . . . . . L’acide oxynaphtoïque, par M. LuBBERT . . . . . . . . . . . be Statistique de l’Institut Pasteur (janvier 1888). . . . . .. Lettre de M>PasteurMDuclanx 00e See Sur la transmission intraplacentaire des microorganismes, par DLL MNMALVOZ SANS DRE rn PETER Le virus rabique des chiens de rue dans ses passages de lapinadapio par M HoGvEs ee Pen Eee "RER Variations durables de la forme et de la fonction chez les bactéries, par MY WASoERzUG VE MIA PERS TS Rapport sur une épidémie de rage parmi les daims du parc . de Richmond pendant les années 1886-1887, par MM. Core et HORSLENS ENIOSELAS DES PNEUS AIR SENS ARR SEEN ASE RSA Sur l’atténuation du bacille charbonneux dans le corps de la . grenouille, par LUBARSCOR 009 ARPRARER NATER MEN ER Statistique de l’Institut Pasteur (février 1888)... . .... Pasteuria ramosa, un représentant des bactéries à division longitudinale, par M. E. Mercuanixorr . . . . . . . . .. Sur un procédé perfectionné d’analyse bactériologique de PairparMSTRAUS et. Ware la TA Se Rene Sur l'absence de microbes dans l'air expiré, par M. Srraus. Contribution à l'étude séméiologique et pathogénique de la rage par MÉFERRE. 01 DURS ARE PO PER Lire à De l’antagonisme des bactéries et de Mens qu’il con- fère aux milieux de culture, par M. pe FREUDENREICH. . . Recherches morphologiques et physiologiques sur un hyphomycète, par M: /WaAsseRzue, . 0 CONS Sur les antagonismes entre les bactéries, par M. GARRÉ . . . . . Gangrène septique suraiguë après une lésion sous-cutanée, par M:OSEYDEL Lo ne NAN RIRE PES 218 220 TABLE DES MATIÈRES. Les microorganismes d’une inflammation enzoolique du foie chez les'porcelets, par M: NoNEWirscn. ("0 LOU: À 4 Un cas de carcinome du sein (récidive), traité par une LE Gion:d'erysipéle; par MS'AXEC HoLST, 2 PRO CET Des propriétés antiseptiques du naphtol 4, par M. Maxrmovirex. Statistique de l’Institut Pasteur (mars 1888). . ....... Sur la destruction des microbes dans les organismes fébri- Gihantes pat M CAMALENA SES SR RES RNA E Étude sur le développement du tubercule METRE DR A RO ER SEEN LL ed Lo cat de Ur : LOTS" Influence des vapeurs d'acide RU LR sur e bacilles tuberculeux, par MM. Graxcuer et CHaurarp. . . . . .. Étude sur les formes furieuse et paralytique de la rage chez le lapin, par M. Hezman... .. RATER De l’absence des germes vivants dans les conserves, par M. FERNBACH. . . . RTS TES TR EEe RS AC EN Sur la preuve expérimentale de l’absorption des microbes infec- tieux par les voies respiratoires, par M. BUCHNER . . . . . . . De l'incubation de la rage, par trépanation, et d'un nouveau moyen de produire cette maladie chez les lapins, par M. Fer- CN ERA AL RE MS QE RENE ER Me EP QPEEEE FACE Fete AE EAN SE Sur la question de la formation des spores dans le bacille de la, digrve; pa M-BAUMGARTEN. 72228 NEA CRAN Recherche du bacille typhique dans les eaux potables de Coïmbre, par MM. pa Camara MELLo-CABRAL et DA RocHA . . . . . . . . Sur un bacille venu sur la pomme de terre et dont les spores. offrent une résistance considérable à la vapeur d’eau sur- chautee par MGEUBIE se MOMENT RENE TERRE : Traité pratique d'antisepsie, par MM. LE GENDRE, BARETTE “ LÉPAGES UPS AE RS SUR MST LES Rare mA US ARE SSSR Sur la technique de coloration des bacilles de la lèpre et de la tu- berculose, par M. LuBIMorr.. . . . . LOT MEN Lt ARE des Sur l’atténuation du microbe du charbon symptomatique par. la vapeur d’eau bouillante, par M. KiTT. . . . .-. . . . . . . . Statistique de l’Institut Pasteur (avril 1888). . . . . .. se Note sur la maladie des bœufs de la Guadeloupe connue sous le nom de Farcin, par M. Nocann. . ..,...... Culture des bacilles de la tuberculose sur pomme de terre, par M. PawLowskr.. ... NUIT IE MEET PA LA 2 Sur l'oxydation du glucose par les microbes, par M:rBocmoux: . 4. "0: EN en e LOER ST PEAR 281 682 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Sur la transmission par hérédité des maladies infectieuses, par M MWOLFES 50 NE RER Ste Lie ee Sur les bactéries ferrugineuses, par M. WINOGRADSKY . . . . . . Sur la destruction des bactéries dans l’organisme, par M. Banri. Sur la concurrence des microbes dela fièvre typhoïde et du char- bon;1par M" PAVONR CREER ER EE a Teen ÉRe Sur la culture des microbes anaérobies, par M. C. FRANKEL, . . Bactérie du furet, par MM. EBERTH et SCHIMMELBUSCH. . . . « + . Statistique de l’Institut Pasteur (mai 1888). . RUN Expériences sur la vaccination des Stat date la rage par injections intra-veineuses de virus rabique, par MMESNocaRD el ROUX NAS CAR RER EE Sur la transformation des matières azotées dans les cultu- res de bactéridie charbonneuse, par M, PERDRIX. . . . . Des procédés usités pour le dosage des bactéries atmo- sphériques, par. M. MiQuez . . . . . .. RS RAR 1e Sur une élévation de température dans la période d’incu- bation de la rage, par M. Bases. . . .. RENE PNEU Des hématozoaires du paludisme, revue critique, par M. LAVERAN: Mémoire sur le choléra des porcs, par M. SALMON . . . . . . . . Le charbon et sa vaccination préventive, par M. Rossr@noL . . . Statistique de l’Institut Pasteur (juin 1888). . . . . . . .. Sur l’immunité contre le charbon, conférée par des sub- stances solubles, par MM. Roux et CHAMBERLAND. . . . . Recherches physiologiques sur l'utérus après la parturi- tion physiologique, par MM. I. Srraus et SANCHEZz- LOLEDO 28. RS, ne LUPRNRE NE ARE AOL Sur l’étiologie de la nie fbiitehee chez l’homme, par ME CAMALETS 200 SR ER RIRE Recherches sur la formation du gras de cadavre, par M. ERWN . Sur l'immunité des chiens contre la rage, par M. PROTOPOPOrr . L'albumine des œufs de vanneau comme milieu de culture, par. M:SDAL POZZ0 RER Te ce MERE EC Sur l'emploi des œufs comme milieu de culture, par M. Hugppe. Nouvelle méthode pour la culture des organismes anaérobies, par:M; BucRNER, 456,002 NS AO MER RENE RES Statistique de l’Institut Pasteur (juillet 1888). . . . . . .. 317 321 324 330 333 337 338 341 394 30% 314 371 387 398 403 405 426 TABLE DES MATIÈRES. Recherches expérimentales sur la suppuration, pie DE CHRISTMAS RAT RS Ee ANOEE LUS PP PT eu Notes de laboratoire sur l’immunité conférée aux chiens contre la rage, par injections intra-veineuses, par MMROUX ACER EN FAT Pie Lo CARO RTS TES Vibrio Metschnikovi et ses rapports avec le microbe du choléra asiatique, par M. Gamwarria. . . . . . . . . . .. Sur la recherche des alcools de degré supérieur, par 111 PB LOT IPNTS PORSERRIRRERS TRES 1 ÉNÉDA E D ÉE 7 Sur les théories de l'immunité, revue critiques . . ..... . . . .. Sur le rôle phagocytaire des cellules géantes du tubereule, par. MES METORNIROR ESS. dre ee TP ENS A el As Sur l'étiologie du choléra des poules, par M. GAMALEIA. . . . . . Le Cumberland disease des moutons, par MM. Loir, GERMOND et. NDS PR eee Prec ea DEN Or Pine ne Or OU Recherches sur la gliscro-bactérie, par MM. MaLerBa et SANNA- SE CAS CO le ET A Er EC PU CA NE ES A CORTE Actions chimiques produites, par le Bacterium aceti, par . . . . MDROWN TS 11 + Mate SR re EL HE nd VE ‘ Statistique de l’Institut Pasteur (août 1888). . . ... . .. . Étude sur la vaccination charbonneuse, par M. Gamarera. Vibrio Metschnikovi, son mode naturel d'infection, par MER CAM ADR LAC A rer RTE NE Pr ee Recherches sur le polymorphisme du Cladosporium herba- Run pan MP CE ÉURENT US SUR NOR ER A AAC De l'absence des microbes dans les tissus végétaux, par NES ERNBAGEEN EU CARS CCR RAP e ME ENS De l'action physiologique et toxique des produits de culture du streptococcus de l'érysipèle, par MM. MAnrREpr et TRAVERSA. . Expériences sur la rage, par M. FINKELSTEIN . . . . . . . . . . Sur les prétendues spores du bacille typhique, par M. BucHNER . Recherches sur l’action de la famée de tabac sur les microbes en général, et surtout sur ceux qui sont pathogènes, par M. Tas- DINAN Se ee aie Pie cie Seau rc Statistique de l’Institut Pasteur (septembre 1888). Recherches sur le polymorphisme du C/adosporium her- bot San MES LAURENTE RES E SEENS ARCNTRERS Hé le critique de M. W Han au sujet des cellules géantes de la tuberculose, par M. MEercaNIKorr, . . . . 683 469 684 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Lettre de M. Metchnikoff à M. Duclaux. . . . ... .. .. Sur les diastases digestives; sucrase, revue crilique . . . . . . C Les bactéries parasitaires des céréales, par M. BERNHEIM. . . . , Sur'la richesse de la neige en bactéries, par M. IANOwSkY . . . . Une. bactérie de glacier, par M. ScameLcx . + AU NON RUN se Le sucre de raisin comme cause de la virulence par le Staphylo- Coccus aureus par M BUT WID NEA TRS AE EN RErAERS Statistique de l’Institut Pasteur (octobre 1888). . . . . .. Contribution à l'étude de la diphthérie, par MM. Roux et VERSIN RE ARE RANNER CR JANAE LE as EE ee en De la recherche des microorganismes dans les épanche- ments pleuraux, par MM. Gisserr et LioN. . . . . . .. De l’absence des microbes dans les tissus végétaux, par M2 di NESDEA SR 0e NL ENT ee re Action de l'acide carbonique sur la vitalité des microorganismes, par MYPFRAENREL EIRE SN CU OR AE EURE ERENE Sur les bacilles tuberculeux en dedans et en dehors de l'organisme, Dar M CORNET EE LUS EN RE Re TEE Statistique de l’Institut Pasteur (novembre 1888). . .. FIN DE LA TABLE DES MATIÈRES. TABLE ALPHABÉTIQUE PAR NOMS D'AUTEURS BABES. . BARDACH Ferré. FREUDENREICH (DE BouTRoUx. BÜWIDT LL. CHAMBERLAND . CHANTEMESSE et due Immunité contre la Fe typhoïde. CHAUTARD. . , -. CHAUVEAU. . CHRISTMAS (DE) . DucLaux . . RERNBA CHEN Re GAMALEÏA . GILBERT HELMAN . . ) et Lion : GRANCHER et ChaAUTARD. Action de HFÆI sur le bacille tuberculeux . . HOGYESs". . LAURENT . Mazvoz. METCHNIKOFF MIQUEL . NocaRD. PASTEUR. Nocarp et Roux . PAWLOWSKY. ERDRIX, . MÉMOIRES ORIGINAUX. incubationvdetlatrage DNA AMEL ES LATE Nouvelles recherches sur la rage . . Oxydation du glucose par les microbes . Réaction chimique des bacilles du choléra , MR ODS AS Sur ACTA ARE EN SU A CURE + GRANCHERW US." A COST RO D a le mécanisme de Panne ARS Recherches sur la suppuration, . . . . . . Recherche des alcools de degré supérieur. . Absence de germes vivants dans les conserves. Absence des microbes dans les végétaux . . . . Séméiologie et pathogénie de la rage. . Antagonisme des bactéries et immunité, . . Destruction des microbes pendant la fièvre. Étiologie de la pneumonie fibrineuse . , . . Vibrio metchnikovi. . . . . . . . ne Mode d'infection par le vibrio D : Vaccination charbonneuse .:. . . . . . : , . Étude des épanchements pleuraux . . . . .. Formes furieuse et paralytique de la rage . . Virus de la rage des rues passant de lapin à lapin. Polymorphisme du Cladosporium herbarum . Mémibisuets (Suite) ML pire Transmission placentaire des organismes , . Pasleuridramosai "CLS eo ete Réponse à Me Welgertt. men CRE tits Lettre MA Die PA Te Dosage des bactéries VENTRE LME Maladie des bœufs de la Guadeloupe. . . . .. Vaccination des ruminants contre la rage . . Destruction des lapins en Australie , . . . Lettre à M. Duclaux, CAT Bacille tuberculeux cultivé sur pommes de terre, Action de la bactéridie sur les matières azotées. 686 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. ROUX EN PRE Virus rabique dans-les-nerts-2 0 Re — Cultures sur pomme de terre PE CR Immunité contre le charbon symptomatique . . — Immunité contre larrdge 2.2 Near MU RRMRcE Roux et CHAMBERLAND. Immunité contre le charbon . . . . . . . . .. — et YErsiN. . , Contribution à l'étude de la diphthérie. . . . .. SANCHEZ-TOLEDO 0 VE STRAUS PS REV PONS NE AIS me Srraus et Wur1z. . Analyse bactériologique de l'air. . . . . . +. . STRAUS IE SE PTE . Absence de microbes dans l'air expiré. . . . . . Srraus et SancHez-ToLeno. L'utérus après le part physiologique . . . . Yesreat(Dn) Re Absences des microbes dans les végétaux . . . WASSERZUG. . + . : Variation de forme chez les bactéries. . . . . . — Variations durables de la forme et de la fonction. — Recherches sur un hyphomycète . . . . . . . .. WIDALS PO EN GIE VOBANTEMESSR ARE MORIN RP IEEE AVUREZS MR RIRE NOIT: STRAES ASS EE AR PE RSR VÉRSINR UT Action de la chaleur sur le bacille tuberculeux. — Développement du tubercule expérimental. . . . REVUES ET ANALYSES. BANDE RCI Ta Destruction des bactéries dans l'organisme. . . BAUMGARTEN . . . . Spores dans le bacille de la morve. . . . . . .. BAREDTRE 0 MSC Voir LEGENDRE. BERRING- 2 ee LUE Sublimé corrosif dans les liquides albumineux. BERNHEIM 20 Bactéries parasitaires des céréales. . . . . . . . Borponi-UrrREDUZZI. Culture des baetéries de la lèpre. . . . . . . . 5 BUCHNER. . . . . . . Absorption des microbes par les poumons. . . . — Culture des organismes anaérobies. . . . . . .. — Spores ‘du bacille typlique.:.# "7400 ere HUMIDE ASUS Virulence du Staphylococcus aureus . . . . . . . BROMWNE Lee a Actions chimiques du Bacterium aceti. . . . . . Camara MELLO-CABRaL et ba Roca. Bacille typhique dans les eaux de COMPTE LS ERP EN AE DE ee DRE: CRT Re ee Quelques propriétés du virus rabique . . . . . . Cor et HorsLey . . Épidémie de rage sur les daims. . . . . . . .. CORNE. nee Recherches sur le bacille tuberculeux . . . . . . DARUPOZZ0 EE TRE Cultures dans les œufs de vanneau. . ., . . . . . DAROCHAE EN REEE Voir CAMArA MELLO-CABRAL. EgBErTx et SCHIMMELBUSCH. Bactérie du furet. . ... . : . . . . . . . . FERRAN ENV Ne Vaccination antirabique de l’homme . . . . .. — Inoculation de la rage aux lapins . . . . . . . . FINKELSTEIN. « . . . Expériences sur la ragbeus MINES PES ÉISCHER? ROME Nouveau bacille lumineux 10e FRAENREL ele Culture des anaérobiés à 20, ee Ce — Action du:GO0?;sur les/microbes te rIENRRrS GAUTIER Gene Persistance de la virulence rabique . . . . . . . GAMALEIA . . : . . . Étiologie du choléra des poules... 2,252" Ne TABLE ALPHABÉTIQUE PAR NOMS D'AUTEURS. GARRÉ. . . .. . . . Antagonisme entre les bactéries . . . . .. . .. GERMOND . . . . . . Voir Loir. GLOBIG . . . . . . . Bactéries se développant entre 509 et 700. , .. — Bacille très résistant à la chaleur . . . . . . .. GAMME MU Tribromophénol comme antiseptique . . . . .. HORS AR en. Erévention- de la rage "154.080 APE LL MONET Cancer récidivé traité par une inoculation RÉRYSIMÉlE Ne PRIT MN ANNE EC TSRSRRE MARS ER SV GTR GRR. LS 2 & DV sn a be MS HURPPRE NS 2e ie Emploi des œufs comme milieu de culture . . . JADASSOHN. . . . . . Sur le rouge de choléra . . . . . .. RAR Janowsr....... Richesse de la neige en bactéries . . . TTL ha TROUPE HES" DORES TS) 2720 PE More en ee Re MNT TR NES = Atténuation du microbe du charbon sympto- DAT UE LAN Re PUMA NERENS CAEN ARE LEGENDRE, BARETTE et LEPAGE. Traité pratique d’antisepsie . ... . . . RRPAGR cou, MOit DRGENDRE SN. RQ RATE er sn, Loir, GERMoOND et Hixps. Le Cumberland disease des moutons . . . .. . LUBBARSCH. . . . . . Atténuation de la bactéridie dans la grenouille. LéBBenm.ce ie". l'acide oxynaphtoique. 9 PEe peer DUBIMOFr . : .).:. Coloration des bacilles de la lèpre et de la tuber- ÉUIOSORT NT de RAR PAS UE Re MALERBA . . . .. Recherches sur la gliscrobactérie . . . . . . . . MANFREDI. . , . .. Produits de culture du microbe de lérysipéle. . MAXTMOWITCH=. 2... Propriétés du naphiol.2:2:0. #4 "#60. METCHNIKOFF . . . . Rôle phagocytaire des cellules géantes du tuber- CHIC RU TR ES ES RE 2e A NorG@rRaTHe. ..... 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Décembre-1887%. 2552yte MINOR LAS TER DE A A A Es 47 Janvier: 41888750 ANR RE ER EN A Se A ati Février A ie RU 2 RSR e à LME PNA AT) SRE DER 2 REC SE Eee 163 Mars RU A DRE CONS PAT EP à LE EST ELA RER ER D 7 tr 226 Avril SR AREA OS Deere RAR R M TE ER IEne LE ER NP 291 Mäi En EL DUR TR EE TOR EPS ER 338 Juin D Sa re RE RES EE A ES M ER ARTE 403 Juillet RE EN BU SRE RE CP AR EE 466 Août REA DEL OR ES A Le AE En STE On D rs LAS ER 515 Septembre "hs 0e RS REIN AN Ar RAR TES 919 CO LES 0) 03 19e ARR ER RAS EN SRE SANT DEEE LR DR ET AE RE RES 627 Novembre" Une EL AE Den ERESR NAES Ne pe OUT et 678 PLANCHES HORS TEXTE. Planchel. . . Pasteuria ramosa. Mémoire de M. MercaniKorr . . . . 165 Planche IF, I, IV, V et VI. Développement du tubercule expérimental. Mémoire de M: NERSIN EVENE PR ENS 249 Planche VIT. Bœuf de la Guadeloupe et cultures du microbe du farcin. Planche VIII. Aspect macroscopique des cultures. Mémoire de M. No- CARD 2. sas ER SM MR RAI den I ANR 293 Planche IX. . Micrococcus oblongus. Mémoire de M. Bourroux. . . . 309 Planche X. . Parasites du sang. Mémoire de M. LAVERAN . . . . . . 311 FIN DE LA TABLE ALPHABÉTIQUE. Le Gérant : G. Masson. Sceaux. — Imprimerie Charaire et fils. NT ARE ET EP ONE