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ÉCOLE LIBRE S. Joseph de LilU

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University of Ottawa

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AVIS.

Le lilie dt! ce volume scia donné à la fin du dei nier Numéro, aTCc la Table de tous les articles.

EPSaNÀY, IMPB. DE WARIN-THIERRl' ET FILS.

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DE

RECUEIL PERIODIQUE

DESTINÉ A PAIBE CONNAÎTRE TOUT CB QUE LES SCIENCES HUMAINES BENFERMENT DB PREUVES ET DB DÉCODTEUTES EN FAVEUR DU CHBISTIANISME ;

par nn? S0iUU

DE LITTÉRATEURS ET DE SAVANS FRANÇAIS ET ÉTRANGEIJS ;

sous Ll DIBBCTION

I>E M. A. BOnriffSTTY,

Membre de la Société Asiatique de Parié.

NEUVIEME ANNÉE.

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OME XVII.

3 ^.. y^./ PARIS, ^^

Rue Si, -Guillaume , 24 , Faub. St.-Gcrmaip .

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1838.

(Bxxâia bu bix-5epfimc votnmc.

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No 98.

P. 95 , '• 7 , parce que c\st ,

p. 96, 1. 17, était d Bonn,

P. ttO, 1. 13, conduite rigoureuse ,

p. 115| 1.19, leurs archevêques ,

100. P. 26i y note 1,1. 2 , philosophiques ,

No lof. P. 338, 1. 13 , 15 , 1G, au lieu d'un C,

P.3i9, 1. 12,(/eG.

P. 354, 1. dernière, La. 42,

p. 365 , no.te 2,1. 6 , heb. quœst., P. 368, 1. 22,mSy,

P, 392 , note , 1.8, six génération^ ,

I.i.-ez ;

c'est donc, était mort à Bonn, conduite vigoureuse, leur archevêque.

philologiques,

un G. deC.

Ca. 42. lib. quœs.

dix générations.

PRIX DE LA COLLECTION DES ANNALES.

Les 1 2 premiers volumes , terminés par une table générale , coûtent 72 fr. , au lieu de 120 fr., pris au bureau.

Chacun des volumes suivans 8 fr. 50 , pris au bureau.

L'abonnement par an , 20 fr.

N. B. 11 faut être abonné pour avoir droit à la diminution de prix ex» primée ci-dessqs.

TABLE DES ARTICLES.

TABLE

DES ARTICLES CONTENUS DANS LE DIX-SEPTIÈME VOLUME.

(Voir à la fîn du voluiue la lable des matières.)

97. Juillet.

Sur l'introduclion du Cliristianisme dans les Gaules, (1" article) par M. le

marquis de Fortia d'Urban. 7 Dictionnaire diplomatique, ou Cours philologique et historique d'antiquités

civiles et ecclésiastiques ( 10' article ) , par M. Boxnetty. 18

Différens monumens confirmant les récits de la Bible, par M. A. Bonnettt. 35

X^ithographie offrant différens objets relatifs au Déluge, trouvés dans un vase. 47

Revue des tableaux religieux du salon de 1838 , par * » * ». 53

Sur un album de dessins religieux de M. Hallez. 62 Des hospices d'enfans trouvés en Europe, et principalement en France, par

M. Remacle ; par M. J. Jacqcemet. 72

Nécrologie des auteurs morts pendant le semestre. 78

Bibliographie. 81

N" 98. Aorr.

L'Hermésianisme, son origine, ses progrès , sa condamnation et son état ac- tuel , par A. BoNJiETTY. 85

Sur l'introduction du Christianisme dans les Gaules (2« article), par M. le marquis de Fortia. 119

Histoire et tableau de l'Univers , par M. J. F. Damélo , par Z. 132

Dfi la cosmogonie de Moïse, comparée aux faits géologiques, par M. Marcel DE Serres de Montpellier; par M. Flottes. 153

Tableau des principales époques historiques, calculées depuis Papparition de l'homme. 158

Modèle d'une statistique des monumens religieux. 160

99. Septembre.

Notice sur le livre d'Enoch, par M. Silvestre de Sac y ; traduction des pre- miers chapitres, par A. Boxxetty. 161

Poésies médites de Silvio-Pellico ; quelques détails sur sa vie ; par M. Ros- signol. 184

Glossaire liturgique des églises grecque et latine (4' article), par M. GtE-

NEBALLT. 201

Description de la cathédrale de Séviile, par M. le marquis de Custi.ne. 215

Des coutumes et des arts des anciens Égyptiens. 224

Des rapports naturels entre les deux puissances, d'après la tradition univer- selle, par M. l'abbé Rorhbacher, par M. E. 229 Nouvelles et Mélanges. Création d'un Évêché à Alger, Rapport du mi- nistre de l'instruction publique sur l'étude de la théologie en France. État de l'affaire de M. l'abbé Bautain. 237

100. Octobre.

Doctrine de la Synagogue sur l'invocation des Saints, et sur la foi au Ré- dempteur promis (art. 3). Moyen de salut dans l'ancienne Synagogue, par M. Drach. 241

Histoire de la Papauté pendant les 16 et 17^ siècles , par M. Léopold P.anke. 249 Accord de la religion et des sciences ; s'il est vrai que le Christianisme ait nui

TABLE DES ARTICLES.

au (léveloipcniciU des connaissances humaines, ou du moins à certaines sciences ( art. 1"). Réfutation M. de Letionne, par C. Achéry. 260

Alhanase, par M. Guerres, professeur à l'université de Munich, par M. Th. Foi5S£T. 297

Noi VELLES ET ^VÎèuANGES. Proj^rès de l'étude de la langue chinoise. Ar- rivée à Puris de deux corps complets de caractères chinois mobiles. Pro- jet d'édition de livTcs sacrés chinois. Découverte de livres de la Bible, en langue égyplicnne. Lecture des inscriptions étrusques avec l'irlan- dais. — Nivellement entre la Méditerranée et l'Euphrate. Géologie de la Syrie-Septentrionale. Adoration des idoles, imposée dans l'Inde par la compagnie des marchands qui y dominent. 312

N" 101. Novembre.

Voyage en Abyssinie en 1835 1837, dans le pays des Galla, de Choa et d'Ifat, précédé d'une excursion dans l'Arabie-Heureuse et accompagné d'une carte de ces diverses contrées, par M. Ed. Gojibes et M. Tamisieb, par A. BoNNETiv. 321

Diiclionnaire de diplomatique ou cours philologique et historique d'antiqui- tés civiles et ecclésiastiques (11<' article) , par A. Boxxetty. 384

J,ithographip offrant les caractères chinois et égyptiens, ayant servi à former les G sémitiques. G de trente-cinq alphabets sémitique?. G grecs anciens. l'ormaticn du C latin capital. 334

Lithographie ofirant le C latin capital des manuscrits. C minuscule des diplômes, etc. 340

S'il est vrai que le Christianisme ait nui au développement des connaissances humaines; (2*' article), réfutation des erreurs de M. Libri; par 6. Acuery. 347

Apologie de S. Jérôme ou explication du mot hébreu ALME , annonçant à l'avance la virginité delà mère du Christ, par l'abbé Veucellone. 361

Œuvres philosopliiques de M. de Riambourg , publiées par M. Foisset. 376

Plan d'un cours d'histoire pour un petit séminaire (P"' article), par M. Riam- bourg. 379

Nouvelles et Mélanges. Lettre pastorale de Mgr. l'évêque de Bayeux, .=ur le besoin d'études plus fortes pour le jeune clergé. Fondation d'un cours de hauto pliilosopiiie du petit séminaire de Sommeiweu. Médailles et monumens bactricns arrivés à Paris. 396

N" 102. Décembre.

Le livTe de la vision d'Enoch (2« article), par J. F. Daniélo. 869

S'il est vrai que le Christianisme ait nui au développement des connaissances humaines (3'= article) ; des bibliotlièques du moyen-âge. 1" partie ; par C. AcHERY. 399

Plan et description d'une basilique des premiers siècles , pour servir i l'in- telligence des auteurs qui traitent de l'art Chrétien , par J. L. Guene- bault. 419

Gravure offrant le plan et les détails d'une basilique chrétienne des prenùcrs

siècles. Û2l

Compte rendu à nos abonnés ; de l'innuence des tra vaux des Annales» ^i^S

Table générale des matières , des auteurs et des ouvrages. 441

ANNALES '

DE PHILOSOPHIE CHRETIENNE.

Slbuiitexo g^. 5l «Llutffei^ l858.

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SLR L'INTRODUCTION DU CHRISTIANISME

DANS LES GAULES.

Mission de S. Lazare, de sainte Marie Madeleine et de leurs compagnons. Mission de saint Trophyme à Arles, et de saint Eutrope à Orange. Mission de saint Pothin et de saint Ire'ne'e à Lyon. Vie de saint Irénée, évêque de Lyon , premier docteur de l'Eglise de France et martyr.

I. Une tradition reçue en Provence , elle est regardée comme incontestable, nous dit qu'après que S. Pierre eut été mis en prison, S. Etienne lapidé, et que S. Jacques eut eu la tête tranchée (l'an 35 de notre ère), d'autres disciples enfermés dans des barques furent abandonnés à la merci des ondes; et parmi ceux-ci, sainte Marthe, S. Maxiaiin, l'un des soixante et dou^e disciples, sainte Marie Madeleine, Marcelle et beaucoup d'autres. Dieu n'abandonna pas ses fidèles serviteurs exposés aussi inhumainement : ils arrivèrent heureusement par la grâce

' Nous avons cru rendre service à nos lecteurs en inse'rant , sur les premiers tems de l'Eglise chrétienne de France , cet article que nous de- vons à la bienveillance et à la profonde érudition de M. le marquis de Fortia. On verra , dans le second article surtout , comment le noble aca- démicien répare des omissions, relève des inexactitudes dans les Bénédic- tins eux-mêmes , et résout quelques difficultés qui jetaient un jour dou- teux sur le berceau du Christianisme dans notre pays. A. B.

8 SUR l'introduction du christianisme

divine à Marseille, ils descendirent. Ils entrèrent dans la ville, y prêchèrent hautement l'Evangile, et convertirent un grand nombre de Gentils, qui, brisant les idoles de leurs fausses divinités, bâtirent des temples qu'ils consacrèrent au vrai Dieu, créateur du ciel et de la terre. Lazare fut choisi pour évêque à Marseille j et Maximin à Aix '. L'histoire de Lazare, premier évêque de Marseille , est adoptée et détaillée dans Vantiquité de l'église de Marseille, par l'évêque de cette ville, Belzunce '.

Baronius dit en effet ^ que l'an 35 de notre ère, c'est-à-dire deux ans après la mort de saint Etienne et de saint Jacques, Lazare, Marie Madeleine, Marthe et leur suivante Marcelle , poursuivis par une violente haine des Juifs, non-seulement fu- rent chassés de Jérusalem, mais furent placés avec Maximin, disciple de Jésus-Christ , sur un navire dépourvu de rames. Ainsi exposés à un péril auquel ils semblaient ne pouvoir échap- per, une providence divine les conduisit à Marseille. Joseph d'Arimathie était avec eux. Ce noble décurion continua sa na- vigation de Gaule en Bretagne 4, il mourut après avoir prê- ché l'Evangile.

Ce même Baronius parle ensuite ^ d'une tradition qui faisait aller Lazare et Marie Madeleine à Ephèse ; mais il refuse d'ad- mettre cette tradition , comme contraire à celle qu'il a déjà reçue. Henri de Sponde, évêque de Pâmiez, dans son abréviation de Baronius % dit aussi que l'opinion des Latins doit être pré- férée à celle des Grecs, et que Madeleine et Lazare sont venus dans les Gaules, leurs corps sont encore aujourd'hui. Ce- pendant Baillet, critique très-éclairé, a fait un long et savant traité où, s'appuyant principalement sur le silence de Grégoire de Tours qui ne parle point de cette histoire, il rejette la

> Histoire de l'église d'Jvignon, par Nouguia:. Avignon, 1660, p. 3.

» Cet ouvrage a été imprimé à Marseille , en 171*7. Voyez Tillemont , Mémoires pour servir à Cliistoire ecclésiastique. Paris 1701, iv, 231 et 705.

' JnnaUs, Anno 35, § 5, il cite Acta Magd. et Sociorum.

4 Baronius cite ici une /itsfotV» manuscrite d'Angleterre, conservée à la Bibliothèque du Vatican.

* Anno 44,chap. 29, il citeici natation, in martyrol. Rom. die ^^,julii.

s Traduite en français par Coppin. Pari» 1655 , année UL , chap. 11, p. 99.

1>AP(S LES GAULES. 9

croyance du vaisseau sans rame et sans voile, el dit que sainte Madeleine est morte à Eplièse '. Ses argumens sont d'un très- grand poids, en sorte que Tillemont ne s'est pas cru obligé de les répéter, et affirme* que sainte Madeleine est morte àEphèse. Cependant Baillet a été longuement réfuté par Belzunce, évéque de Marseille.

Dom Calmet dislingue' Marie Madeleine de Marie de Bé- tlianie ; cette dernière serait, d'après cette opinion , la sœur et la compagne de saint Lazare, tandis que l'autre serait morte à Ephèse. Cette conciliation ne paraît guère admissible, puisque l'opinion qui place la mort de sainte Madeleine à Ephèse, y place aussi celle de saint Lazare.

Sainte Marthe, soeur de Lazare et de Marie Madeleine, était née comme eux à Béthanie, et aborda, dit-on, avec eux à Mar- seille. Sa vie est racontée fort au long par l'historien des évêques et archevêques d'Avignon 4, l'on assure qu'elle porta l'Evan- gile. La cathédrale de cette ville l'honorait comme fondatrice, et l'on veut qu'elle ait élevé un monastère sur le rocher cette cathédrale est située.

Mission de saint Trophyme à Arles, et de saint Eutrope à Orange.

II. Les diptiques de l'Eglise d'Arles, çtonnés par le père Ma- billon ^, mettent un Denys à la tête des évêques de cette ville , et saint Trophyme après lui. «Je ne sais, dit Tillemont '^, si cela

pourrait s'expliquer par une vie de saint Régule, d'ailleurs «pleine de fautes, qui porte 7 que saint Denis de Paris, venant de » Rome, aborda à Arles, et s'y arrêta quelque tems pour y prêcher

la foi, en sorte qu'il bâtit même une église. » C'est de saint De- nis l'aréopagite qu'il est ici question. C'était un juge d'Athènes

> Les vies des Saints, par Baillet. Paris 1739. t. v, 310. 22 juillet.

Mémoires pour Chist, ccclés. i, 336.

' Histoire des trois Maries. Vo\ez les vies des Saints, par Godescard. 22 juillet.

4 Nouguier, p. i.

5 Joannis Mabillon analectorum toni. ni. Luletiae, 1685, p. i32.

* Mémoires pour servir à l'hist. ecclés. Paris 1701, tom. iv, p. 703. 7 Bollandus, seu ejus continualores, 30 mars, p. 82 f, p. 3.

10 SUR l'introduction du christianisme

qui fut converti par saint Paul, l'an 52 de notre ère. J'ai donné sa vie dans les Annales de Hainaut ', et j'ai prouvé qu'il avait été évéque d'Athènes. Peut-être saint Trophynie avait- il été converti avec lui. Ce saint ïrophyme était Gentil, natif d'Ephèse '; il suivit saint Paul au voyage que fit cet apôtre de Corinthe à Jé- rusalem '% en l'an 55, et il servit même de prétexte pour accuser saint Paul d'avoir profané le temple, en y faisant entrer des Gentils; parce que les Juifs, l'ayant vu avec lui dans la ville, crurent qu'il était aussi entré dans le temple. On croit qu'il fut évèque à Arles, et Eutrope à Orange ^. J'ai conjecturé que tous deux furent envoyés en Provence, l'an 58, par saint Paul, pour y achever l'organisation de la religion chrétienne, commencée par saint Lazare et ses compagnons ; mais Trophyme revint auprès de saint Paul, peut-être pour lui rendre compte de sa mission, puisqu'il accompagna saint Paul en Espagne en 65, et qull revint avec cet apôtre en Asie. En effet, vers l'an 64, saint Paul passant à Milet y laissa Trophyme qui était malade, ce qu'il mande à Timothée % vers le milieu de l'an 65, et peu de tems avant sa mort.

Ces traditions ne renferment rien d'impossible, et les évêques de la province d'Arles, écrivant à saint Léon en 45o '', disent que saint Trophyme a été envoyé à Arles par saint Pierre et par les apôtres. Ils ajoutent que la ville d'Arles, ayant reçu par ce moyen la foi la première des Gaules, avait ensuite répandu peu à peu sur les autres parties de ce pays le don de la foi et de la religion, et que plusieurs autres villes en avaient reçul'épiscopat, même avant celle de Vienne; ils assurent que c'est une chose connue do toutes les Gaules, et même de l'Eglise romaine. En effet, le papeZosime avait écrit l'an 4^7 '> que saint Trophyme, envoyé à Arles par le siège apostolique , avait apporté le premier dans

' Tome XVI , p. 306 et suiv.

' Actes des Apôtres, chap. xxi, versets 28 et 29.

3 Idem. chap. xx , verset i, et chap. xxr , v. 28 et 29.

* Histoire de l'église d'Avignon, par Nouguier, p. 7.

' Épitreà Timothée, ch. iv, verset 20.

^ Leonis magni epislolœ. Lutecicc, 1675, cp. ^^9. c. 2, p. 539.

7 Conciliorum posU'emaeditioper Labbeum,Varisi67 1 ftomeir,^ p. 157 I,

DANS LES GAULES. 11

ces provinces le nom vénérable de la religion chrétienne ', et que ce saint avait été une source féconde dont toutes les Gaules avaient tiré les ruisseaux de la vraie foi '.

La mission de saint Lazare est omise dans ces documens, et parait n'avoir été connue que plus tard, ce qui a donné lieu de la rejeter. Grégoire de Tours ne parle ni de celle-là, ni de celle de saint Trophyme, et ce silence est sans doute une grande objection contre toutes deux. Mais on connaît la faiblesse des argumens négatifs : Grégoire de Tours s'occupe principalement des événemens qui s'étaient passés de son tems, ou dans le pays qu'il habitait. A cette époque les manuscrits étaient rares, et quoique l'on puisse trouver singulier qu'il n'ait rien dit des pre- miers tems auxquels le Christianisme a été introduit en France, on ne peut pas en conclure que ce que l'on trouve ailleurs sur ce sujet soit faux. Il parle très-peu de l'Eglise romaine et de celle d'Afrique, qui avaient cependant une grande importance pour la religion. Il ne commence notre histoire chrétienne qu'à «aint Pothin et saint Irénée dont nous allons parler.

Mission de saint Pothin et de saint Irénée à Lyon.

m. La religion Juive avait sans doute pénétré à Lyon lors- qvi'Hérode Antipas et sa femme Hérodiade y furent exilés. Cette dernière y mourut l'an 4o de notre ère. Ce ne fut qu'un siècle après, que saint Pothin, disciple de saint Polycarpe, évéque de Smyrne, conduisit une colonie chrétienne à Lyon. Saint Poly- carpe était l'an 71, et saint Pothin l'an 87 , seize ans après son maître. Ce fut sans doute de Rome qvie saint Polycarpe l'en- voya lors d'un voyage qu'il fit dans celte ville l'an 160. Pothin, à l'âge de plus de quatre-vingt-dix ans, fit paraître dans un corps faible les senlimens d'une âme vigoureuse. Ce fut la dix- septième année du règne de Marc-Aurèle, qu'il fut conduit par des soldats devant le tribunal du gouverneur; la vue prochaine du martyre ne fit que l'encourager,' et le gouverneur lui ayant demandé quel était le Dieu des chrétiens; il lui répondit ; « Vous le connaîtrez , si vous en êtes digne. »

Mem, p. 1567.

» Mémoires pour servir à l'hist, ccclés., par Tillemont. iv, 705.

12 SUR l'introduction du christianisme

On le tira alors de la salle du prétoire, et après l'avoir traîné et battu de tous côtés, on le mit en prison, il expira deux jours après. Quelques jours s'étant écoulés après la mort de ce respectable évêque. Mature; Sancte , Blandine et Attale, qui étaient au nombre de ses disciples , furent condamnés à être exposés aux bêtes '. Les deux premiers, après avoir souffert tous les tourmens que le peuple en furie demandait par divers cris, et surtout la cbaise de fer sur laquelle on les étendait , con- sommèrent leur martyre par l'épée. Blandine fut attachée à un poleau les bras étendus, pour être dévorée par les bêtes; au- cvine ne l'ayant touchée, elle fut renvoyée en prison. On fit faire à Attale le tour de l'amphithéâtre, avec un écriteau devant lui, était écrit :

« C'est lechrétien Attale. »

Le peuple demanda sa mort; mais le gouverneur ayant ap- pris que ce chrétien était citoyen romain , ordonna qu'on le remît en prison , et écrivit à l'empereur , pour savoir de quelle manière il devait en user envers lui et envers tous ceux qu'il avait fait arrêter. Le rescript de Marc-Aurèle arriva bientôt, il portait que ceux qui persisteraient à confesser Jésus-Christ, seraient punis du dernier supplice , mais que ceux qui le re- nonceraient seraient renvoyés absous. Pour exécuter cet ordre, le gouverneur choisit le premier jour de l'assemblée des jeux solennels. Il fit donc amener les martyrs à son tribunal , et les interrogea de nouveau; ceux qui persistèrent dans leur foi et qui se trouvèrent citoyens romains, eurent la tête coupée ; les autres furent condamnés à être exposés aux bêtes; il examina séparément ceux qui avaient renié leur religion; mais, contre son attente, ils reprirent courage, et confessèrent qu'ils étaient chrétiens ; on les mit avec les autres martyrs; il n'y eut qu'un petit nombre qui n'ayant jamais fait paraître dans leur con- duite une véritable foi chrétienne, demeurèrent séparés de l'E- glise.

Pendant l'interrogatoire , un chrétien nommé Alexandre , Phrygien de nation et médecin de profession , étant près du tribunal, faisait des signes de la tête et des yeux pour exbor-

. * Hisloire ecclésiasllfiuc d'Eusèbc. livre v, chap, I.

DANS LES GAULES. 13

1er ceux qui avaient nié d'abord, à confesser sans crainte l'exis- tence de leur foi; on s'en aperçut, et les gentils indignés commencèrent à crier contre Alexandre , et à l'accuser d'être cause de ce changement. Le gouverneur lui demanda aussitôt qui il était, et Alexandre lui ayant répondu qu'il était chrétien, le gouverneur en colère le condamna aux bêtes. Alexandre entra donc le lendemain dans l'arène avec Attale, et ces deux athlètes, après avoir épuisé tous les supplices que la cruauté des idolâtres pouvait inventer, moururent enfin d'un coup d'é- pée. Les derniers qui souffrirent le martyre, furent Pontique, jeune homme d'environ quinze ans , et Blandine qui , après avoir été battue de verges, déchirée par les bêtes, mise sur la chaise de fer, et enfermée dans un filet pour être exposée à un taureau , finit sa vie par le glaive.

Non contens de la mort des martyrs, les gentils déchargèrent leur colère sur les cadavres de ces hommes courageux; ils les laissèrent exposés à l'air pendant six jours, puis les ayant fait brû- ler, ils en jetèrent les cendres dans le Rhône, s'imaginant les priver ainsi de toute espérance de résurrection. «Aboyons mainte- B nant , disaient- ils, s'ils ressusciteront comme ils se le persua- dent, s'il est au pouvoir de leur Dieu de les secourir et de les » tirer de nos mains. »

La lettre circulaire des évêques de Vienne et de Lyon d'où a été tiré tout ce qui vient d'être dit de ces martyrs, paraît avoir été écrite dans le tems que la persécution durait encore ; elle est au nom des serviteurs de Dieu qui demeuraient à Vienne et à Lyon, et adressée aux Frères ou aux Eglises cTAsie et dePkrygie; outre le détail des souffrances des martyrs de Lyon, cette lettre contenait encore des instructions importantes.

Cette persécution ne permet pas de douter que Marc-Aurèle n'ait laissé agir des agens indignes de lui, mais il paraît que cet empereur l'arrêta bientôt, puisqu'Irénée n'y fut pas compris

» Elle a été conservée par Easèbeti traduite dans la Bibliothèque choisie des pères de l'Eglise, Tpa.r Guillon, Paris t82^. iv , 289. On la retrouvera encore dans les chefs-d'œuvre des pères de l'Eglise. Paris, 1837, î, 209. Ce* ouvrage donne la version latine avec une traduction française.

14 SUR l'introduction du christianisme

et qu'il gouverna paisiblement l'Eglise de Lyon, ainsi qu'on ya

le voir.

Vie de saint Irénée , évèque de Lyon , premier docteur de l'Eglise chrétienne en France , martyr.

IV. Saint Irénée vint au monde au commencement de l'em- pire d'Adrien, vers l'an l'^o de notre ère. Cette opinion est fondée sur saint Irénée lui-même qui en parlant du livre de l'a- pocalypse, dit :

« Il n'y a pas long-tems qu'il a paru , c'est presque de notre atems,àlafin de l'empire de Domitienjwmortrangôde notre ère.

Ses parens, qui sans doute étaient chrétiens, le mirent en- core enfant sous la conduite de saint Polycarpe , évêque de Smyrne, qui prenait soin de toutes les Eglises d'Asie, et qui, étant l'an 71, avait ^9 ans de plus que lui, mais qu'il ne perdit que l'an 166, lorsque lui-même avait déjà 46 ans. Ce fut dans une si sainte école, qu'il puisa les lumières et la science profonde de la religion, qui le rendirent dans la suite \in des plus grands évêques de son siècle, l'ornement de l'Eglise, et la terreur des hérétiques. Aussi lui-même dit-il ^ qu'il remarquait avec un soin extrême tout ce qu'il voyait dans ce saint vieillard, pour en faire son profit; il écoutait ses discours avec oi'dcur, et les gravait, non sur des tablettes , mais dans le plus profond de son cœur. C'est saint Irénée qui nous apprend toutes ces cir- constances; et il ajoute qu'à force de repasser dans son espritles instructions de son maître, il les y grava si profondément qu'elles lui furent toujours présentes dans la suite et même dans sa vieillesse la plus avancée. Il se représentait encore alors fort distinctement le lieu le bienheureux Polycarpe avait cou- tume d'enseigner ses disciples , la manière dont il y entrait et en sortait, son humeur, son air, sa taille, les discours qu'il faisait aux peuples, et les entretiens qu'il avait eus avec saint Jean el avec les autres qui avaient vu le Seigneur.

Saint Jérôme ^ dit que saint Irénée fut aussi disciple de saint

Liber Y advcrsùs Hœres. cop. 30. Dupin s'est donc trompé en le tai- sant naître l'an liO.

' Jrenœi Epist. ad Flor. dans Eusèbc, liv. v, chap. 20. ' Epistola 18 ad Theodoram,

DANS LES GAOLES. i5

Papîas, évêque d'Hiéraples en Thrygie, qui avait reçu les ins- tructions de saint Jean l'évangcliste avec saint Polycarpe. Papias composa un ouvrage en cinq livres, qu'il intitula : « Explica- tion des discours du Seigneur » ; il ne nous reste de cet ouvrage que des fragmens qui donnent une mauvaise idée de sa cri- tique et de son goût. Il l'ut auteur de l'opinion des millénaires, qui prétendaient que Jésus-Christ viendrait régner sur la terre d'une manière corporelle mille ans avant le jugement dernier, pour assembler les élus après la résurreclion delà ville de Jéru- salem.

Saint Justin a donné comme Papias dans l'opinion des millé- naires; il avoue que plusieurs chrétiens la rejetaient et qu'il ne faisait aucvuie difficulté de communiquer avec eux, soutenant cette opinion sans quitter l'unité de la foi catholique '.

Ce que dit Justin en cet endroit fait voir qu'il ne regardait point le règne de mille ans comme un dogme de foi, mais comme une opinion , qui n'était pas même encore décidée du tems de saint Jérôme, puisque ce père de l'Eglise' la désapprouve bien comme fausse, mais non comme hérétique, en laissant la déci- sion au jugement de Jésus-Christ, sans vouloir condamner per- sonne sur ce sujet. Ainsi saint Irénée a pu être disciple de Papias, sans se rendre coupable contre la foi chrétienne, telle qu'elle était de son tems; mais il était bien éloigné du sentiment de Cérinthe et des autres hérétiques, qui prétendaient que les plai- sirs de la Nouvelle-Jérusalem seraient charnels ; il les croyait purement spirituels.

On n'a pas de certitude sur l'occasion à laquelle saint Irénée vint dans les Gaules ; mais Grégoire de Tours ■' dit qu'il y fut envoyé par saint Polycarpe, peut-être l'an 160, avec saint Pothin. Ce fut en effet saint Pothin, en sa qualité d'évêque de Lyon, qui l'ordonna prêtre de son église ^; el il exerçait les fonctions de prêtre l'an 177, lorsqu'il fut choisi par les martyrs de Lyon pour

' Dialog. cum Ttypho. p. 30ù. > In Jerem. 19 et in Ezecfi. 08.

* Historia Francorum, c. 20.

* Hieron^mus de v iris iUiistribiis , cap. 35, p. 27'J.

16 SUR l'introduction du christianisîie

être le porteur d'une lettre qu'ils écrivirent au pape Eleuthère.

Saint Jérôme assure positivement qu'il la rendit à ce pontife *.

Dans celte lettre, après avoir salué l'évêque de Rome comme leur père, les martyrs de Lyon ajoutent : « Nous avons chargé > Irénée noire frère et noire compagnon, de rendre ces lettres à votre paternité. Nous vous supplions de le considérer comme » un homme tout-à-fait zélé pour le Testament de Jésus-Christ. » C'est en cette qualité que nous vous le recommandons. Si nous «avions cru que le rang et la dignité suffisent pour donner la «justice et la vertu, nous vous l'aurions recommandé d'abord «comme prêtre de l'Eglise; car il l'est effectivement. »

Le motif de cette députation était de procurer la paix aux Eglises divisées sur la question du jour auquel devait être célé- brée la fête de Pâques. On croit qu'il fut aussi porteur des lettres que les mêmes martyrs écrivirent auxEglises d'Asie et dePhrygie, au sujet des troubles que les nouvelles prophéties de Montan y avaient causés depuis quelque tems.

Saint Irénée, en reiTiplissant celle mission, échappa à la per- sécution de Lyon, et survécut à saint Potliin dont la dignité lui fut conférée * , en sorte qu'il fut le second évêque de l'église de Lyon. Cette ville changea bientôt de face sous la conduite de son nouveau pasteur, et Dieu donna tant de force à ses prédi- cations, qu'en peu de tems il la rendit presque toute chrétienne '. Pour préserver son peuple des erreurs qui se répandaient dans les provinces voisines du Rhône, saint Irénée s'appliqua à eu faire connaître toute l'absurdité ^, à en découvrir toutes les con- tradictions, à fournir des armes pour les combattre, à confirmer les néophytes, et à ramener même les hérétiques dans le sein de la foi. C'est dans ce dessein qu'il composa ses livres contre les hérésies^ dans lesquels il rapporte en détail toutes les extra- vagances des Valentiniens et des autres hérétiques de ces tems-là, et donne toutes sortes de moyens pour les combattre. Il travailla

» In calalog., chap. xxix. » Eusébe , livre v, chap. i.

* Grégoire de Tours , histoire des Francs, livre i , chap. 20, 4 C'est ce que lui-même dit dans sa préface au livre v. Contra hmreseiy page 20 f .

BANS LES r.AULES. 17

aussi beaucoup pour procurer la paix entre lesEglises ', au sujet de la fête de Pâques; et fit en sorte, par ses soins, qu'il fut per- mis à chacun de suivre l'ancien usage de son Eglise. C'est ainsi, observe l'historien grec Eusèbo ', qu'lttiu'e , remplissant toute la signification de son nom (jui , en grec , signifie pacifu/uc, se montra véritablement amateur de la paix par la douceur de ses mœurs, par la modération de sa conduite, et parle mouve- ment qu'il se donna pour établir un accord parlait entre toutes les Eglises.

Le gouvernement des empereurs romains qui s'étaient suc- cédés après la mort de Marc-Aurèle, avait ainsi laissé prospérer le Christianisme dans les Gaules, lorsque l'empereur Sévère qui revenait victorieux de l'Orient, i'au 202 de notre ère, mé- content des Juifs qui s'étaient révoltés contre lui en Palestine, ordonna une persécution violente contre eux, et y enveloppa les Chrétiens. Saint Irénée , à l'âge de quatre-vingt-deux ans, ne pouvait échapper à celte persécution : il reçut la couronne du martyre, et avec lui une multitude innombrable de son peuple ^.

Le M" de Fortia-u'Urban, De l'acadcrnie des Inscriptions et Belles-Lettres.

" Anatol. Âpud Bucherium, p. ii5. » Liv. V. chap. 2i.

^ Gre'goire de Tours, livre r, chap. §7 de CHist. des Francs, St. Jérôme, sur le chap. xsiv d'haie.

18 COURS DE PHILOLOGIE ET d'aRCHÉOLOGIE.

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'^xc^bi0^u.

DICTIONNAIRE DE DIPLOMATIQUE,

ou

COURS PHILOLOGIQUE ET HISTORIQUE

d'.à.miquitks civiles et ecclésiastiques.

suite et fi>" du b.

BREF. Ce mot, considéré sous une acception générale, a été pris par divers auteurs, et notamment par MafTei % pour un titre, vine note, un acte judiciaire , un instrument quelconque. Il est actuellement restreint à certains actes émanés des papes. Rendus par des princes séculiers, ils étaient appelés préceptes ou ordon7iances.

Les Grecs et les Latins ont fait un égal usage de ce mot. Quel- ques auteurs^ prétendent que les Latins ont tiré des Grecs leur brève f brevetas, brevicellam , pytacium, pyctatiolum, sclieda, ceduta, etc. La barbarie a donné naissance à tous les dérivés et dirai' nutifs de ces mots, dont l'analogie saute aux yeux, et dont le sens est à peu près le même , excepté que pytacium paraît plus particulièrement consacré à signifier des billets , des tablettes manuelles, des écriteaux.

Originairement les brefs répondaient à leur nom par leur brièveté : mais dans la suite on ne prit pas garde à la significa- tion du mot , et on en fit de très-longs.

Il n'est pas hors de propos d'entrer dans quelques détails sur l'atlribution de ce mot à différens actes.

' Voir le O": art. dans le 96 , t. xvx, p. i3G.

» Istor. Diplom. page 88 , 89.

' Gloss. med. et irfim. Cracit. cl Gloss. incd. et in/im, Latinit.

ÊREFS DES ROIS ET DES PARTICULIERS. 19

BntFs DES Rois et des Particdlikrs. Dans les anciens tems, rt presque jusqu'à nos jours, les lettres, jussions, mandemens, billets, tant des rois que des particuliers, s'appelèrent brèves et hrevicolœ.

Dès le i4* siècle, on appela tout court brevets les actes qu'on avait appelés auparavant breveti salvalionis , brefs de sauveté ; breveti saki-conductûSf brefs de sauf-conduit; breveti rictualium , brefs de victuailles, qui regardaient particulièrement les navires pour leur sûreté contre les naufrages ou contre la disette.

Le brève sacramenic , qu'on trouve dans les capitulaires de Ba- luze ' et dans Grégoire de Tours S était l'acte dressé après la prestation de serment de fidélité au roi, et signé des témoins, ou lorsqu'en justice % on se purgeait par serment de quelques accusations. Le brève victoriale était l'acte du gain d'\ine cause ; brève originale, la première pièce d'une procédure, c'est-à-dire l'assignation; brève inquisitionis, un bref d'enquête pour faire des informations juridiques : il est d'usage dès le 12* siècle; brève de stabiliâ , un bref d'establie , acte par lequel les ducs de Normandie mettaient en séquestre entre leurs mains un fief en litige; brève refutationis •*, un bref de cession et de désistement; brève annuiiaiis , depuis long-tems en usage en Angleterre, est un bref d'annuité pour poursuivre un débiteur qui ne paie pas quelque revenu annuel ; brève principis revient aux lettres de cachet, ou aux comrnittimas^ ou aux évocations ; brève de capeilâ, est un bref de la chancellerie; brèves pro quœstâ, fort à la mode aux i3* et i4' siècles, étaient des pancartes portant permission de quêter ; brevis de convenientiâ ' était un accommodement, ou une transaction . Il serait trop long de s'appesantir sur les autres actes qualifiés du nom de brefs y comme brèves donationum ^, m- vestiturœ ', brève païens , brève clausum, brève de excomtnunicato ca- piendo on deliberando, etc., dont la signification est évidente. On

'Tom. u,col. i56. iy2.

> Hisl. page i I .

'' De Re Diplom.suppl. p. 80. '

A Anital. Bened. t. iv, page 701.

* Hist. de Langued. t. 11, col. i32.

^ De Re Diphrn. page 8 et 20.

7 Spicil. t. V. page 376.

20 COLKS DE PHILOLOGIE LT D ARCHEOLOGIE.

ne dira rien non plus de nombre de brefs qui n'ont été d'usage qu'en Normandie et en Angleterre, et qui ne sont point connus ailleurs.

Eu général les assignations, citations, décrets, toiis actes par lesquels on était appelé en justice, et les lettres de chancellerie qui autorisaient à intenter une action contre quelqu'un, s'ap- pelèrent assez communément, les premiers breviajudicialia, et les autres brevia magistralia. Maistousces actes varièrent à l'infini selon les différences des cas.

On peut mettre aussi au nombre des brefs les lettres de dé- fense, cedulce inhlbitoriœ, puisqu'elles en portent le nom; les brèves mortuorum^ dits, antérieurement au ii* siècle, litterœ cur- rentes , etc., etc. Les lettres des papes qui ont porté et qui por- tent encore souvent le nom de brefs , brevia, breveta, méritent aussi quelque attention.

Brefs des Papes. On commence au i5' siècle à découvrir dans certains rescrits des papes, les premières traces de brefs ; leur forme ne fut néanmoins fixée qu'après le milieu du i5e. Toute la différence qu'il y a entre ces rescrits et les autres bulles, gît dans la suscription. Au lieu de dire, un tel, serviteur des serviteurs de Dieu, etc., on dit, un tel. Pape V, VI, VII, selon le rang.

Au i5' siècle, le pape Eugène IV enchérit encore sur ses pré- décesseurs pour préparer les voies aux brefs proprement dits. Ses lettres ne portent point dans leurs dates l'année de l'incar- nation ni les calendes ; mais elles sont données sub annula nostro secreto ; au lieu que l'essence du bref exigerait qu'elles fussent sub annula piscatoris. D'ailleurs elles portent, selon la forme des brefs , la date du jour du mois.

On fit usage dans les brefs d'une écriture différente de celle des bulles; la ronde ou française était affectée aux bulles, l'ita- lique le fut et l'est encore aux brefs. Les successeurs d'Eugène IV, dans les brefs qu'ils donnèrent sub annula piscatoris, y insérèrent aussi quelquefois l'année de l'incarnation , ou l'année du Sei- gneur, que Nicolas V introduisit, mais dont le commencement n'était pas encore fixé invariablement. Ce même pape donna le premier cette forme que les brefs ont suivie depuis : Nicolaus, Papa V, dilectis filiis salutem et apostolicam benedictionem.. . Datum Romœa pud S . Petrum, sub annula piscatoris, dit i5 aprilis i^^B ,

BRIGITTE. 21

pontlfîcatûs nostri anno 2'. Telle est la forme des brefs, qui devînt de jour en jour plus constante et moins variable, mais k laquelle Nicolas V lui-même ne fut pas toujours fidèle : ses successeurs s'y attachèrent tellement, que depuis elle n'éprouva pas de changement notable, et elle dure encore.

La forme différentielle des brefs consiste donc dans la SU8- cription qui doit énoncer simplement le nom du pape et le rang qu'il lient parmi ses prédécesseurs de même nom ; dans le salut et la bénédiction apostolique; dans la date, qui doit renfermer celle du lieu, du jour du mois, selon le comput commun , de l'année de l'ère clirétienne enchiffre,etde l'annéedu ponlificat; dans l'annonce du sceau qui doit être l'anneau du pécheur; et enfin dans le sceau lui-même qui doit êlre de cire rouge, mais^ non pas de cire d'Espagne.

Une singularité du 18^ sif^cle , digne de remarque, c'est que Ton connaît un bref de Benoît XIV écrit en français. A la vérité il n'est pas le premier pape qui dans ses lettres ne se soit pas servi de la langue latine; car Benoît XIII a donné quelques res- crits dans le goût des motus proprii, écrits en tout ou en partie en italien ; mais on n'en avait peut-être jamais vu en langue étran- gère à l'Italie.

Les brefs revêtus de toutes les formalités qui les constituent, tels , et particulièrement de la clause sub anmdo piscatoris , se- raient très-suspects avant Eugène lY ; un sceau de plomb à la manière des bulles les convaincrait de faux. Au contraire une bulle scellée du sceau du pêcheur, sans en avertir, serait fausse depuis le milieu du i5* siècle, et très-svispecte avant cette épo- que.

Il est essentiel aux brefs d'être scellés , eu cire rouge , avec Tempreinte de l'anneau du pêcheur, c'est-à-dire que S. Pierre y est représenté dans sa barque en action de pêcheur. Autour du sceau est le nom du pape, suivi de Papa et du nombre ordi- nal qui le caractérise, mais sans chiffre '.

BRIGITTE (ordre militaire de Sainte), établi par la sainte de ce nom , princesse de Nericie en Suède, vers l'an i366, pour

' Voyez Auboux, Pratique civiU et criminelle pour (es cours eectésiatliq^ Tome xvii. N" 97. i838. 2

22 COURS I)E I>HILOLOr,IE ET d' ARCHÉOLOGIE.

s'opposer par les armes aux nations barbares qui sortaient de la Tartarie, et désolaient le nord et le midi de l'Europe. Urbain Y l'approuva sous la règle de saint Augustin. Mais l'ordre ne sur- vécut "^uère à la sainte, morte en i'ôy'ù. Helyot dit même que cet ordre n'a jamais existé que dans les révélations de sa fondatrice. La croiiv des cheraliers était Wazur d huit poirUes, avec une langue de feu, qui pendait en bas. Ils mettaient en outre dans leur éten- dard ir(7« couronnes qui étaient les anciennes armes des Goths.

BL'LLE. Suivant la signification propre du mot bulle, on ne devrait entendre qu'un sceau pour l'ordinaire de métal attaché à des lettres : car dans le droit canon et même dans les bulles ce mot ne signifia jamais une lettre apostolique, mais le sceau dont elle est munie ; et même une bulle qui se qualifierait telle avant le i5' siècle, ne serait pas à l'abri du soupçon. Cepen- dant de même que les chartes ont été qualifiées 5/^///a, du sceau dont elles portaient l'empreinte, de même certaines épîtres pontificales ont tiré leur dénomination de la bulle de plomb qui y était pendante.

Ce titre ne fut pas même réservé aux seules lettres du Pontife Romain : il leur est commun avec celles des empereurs , de certains prélats, et de quelques conciles œcuméniques. Ces dernières sont revêtues de la même forme que les bulles des Papes du i^' siècle. Personne n'ignore que cette dénomination fut donnée à certains rescrils des empereurs : la fameuse bulLe (Cor de Charles IV , et quelques-unes de même espèce des Em- pereurs Grecs, ne laissent aucun doute à cet égard. On ne voit pas au reste que l'on se soit servi du terme de bulle pour carac- tériser les chartes des autres rois, princes, seigneurs et prélats du commun, quoiqu'elles aient été scellées de sceaux d'or, d'argent, de cuivre ou de plomb, qui , depuis le 9' siècle jus- qu'au 12', furent de tems en tems appelés bulla. Cette dénomi- nation du sceau était même encore d'usage au i5^ siècle; on en qualifiait quelquefois les sceaux de cire *.

BvLLES coRSiDÉRÉES COMME SCEAUX. Avaut donc de considércr ies bulles comme rescrits ou lettres, il faut, en suivant leur

> Lfy«er, Commtni. de conira-sif;. p. 15.

Bt'LLË. 23

signification propre, les envisager comme sceaux. On ne sait pas précisément en queltems on a commencé à mettre les bul- les aux actes publics. Ce qu'il y a de certain, c'est que les sceaux de plomb ou de métal sont d'un âge fort reculé. L'An- tiquiié compliquée '■ nous offre celui de Marc-Aurèle et de Lucius Verus représentant les têtes de ces deux empereurs, et percé de haut en bas dans Tépaisseur pour passer la cordelette qui devait l'alSacher au diplôme. Heineccius " en décrit im autre de Galla Placidia, fille du grand Théodose, qui a les mêmes caractères \ Ces deux bulles sont de plomb, ainsi que celles des empereurs Trajan et Antonin le Pieux , fournies par Ficoroni; ce qui démonirc combien est fausse l'assertion du Dictionnaire de Trévoux qui prétend 4, que les édits des empe- reurs n'étaient passcellés. Il parait que cet usage fut adopté par les papes, et même d'assez bonne heure, puisque Ficoroni * en a publié deux, l'une du Pape Deusc/edit, qui commença à gouverner l'Eglise Romaine en 614, et l'autre de Fitalien qui monta sur le Saint-Siège en 607; ce qui attribue aux papes des bulles de plomb beaucoup plus anciennes que ne l'ont pensé plusieurs savans. D'où l'on peut conclure aussi qu'elles ne peu- vent être suspectes, quelque anciennes qu'elles soient. L'exemple que donne Ficoroni *, du pape Deusdedit , détruit entièrement le système de Polydore Virgile, qui veut " que les premiers papes , jusqu'en 682, aient scellé avec des anneaux imprimés sur la cire; il insinue même qu'on pourrait faire remonter au moins jusqu'à Grégoire le Grand l'usage des bulles pontificales en plomb.

Les Evêques imitèrent l'exemple des Empereurs et des Pon- tifes Romains, et scellèrent assez souvent leurs actes en plomb ®. Le 4'' canon du second concile de Châlons-sur-Saône, tenu

' Tom. ni, part. 2, page 23o.

' De Sigill. tab. i, )i. 1.

^ Moulinet, cabinet de Sainte Geneviève, page 89.

4 Tom. IV, col. 1556.

5 /. Piombi antichif page 71,73, « Tav. 23.

' L. vin, De Invent. Herum.

* Anast. Biblioth. Pref.adSynod. octavam... Fleury, (4'*'. ux, p. i83,

24( COURS DE PHILOLOGIE ET D'ARCHÉOLOGIK.

en 8i3, en fit même une loi aux Evoques pour les lettres for- mées. Les abbés en ont pareillement fait usage, quoique très- rarement '. Les empereurs d'Occident, les empereurs Français mêmes, se servirent de sceaux de plomb : mais ils ne don- naient point à l'acte la dénomination de bulle ; on ne connaît aucun de nos monarques de la troisième race qui en ait usé.

La figure orbiculaire étant la plus simple, est aussi la plus an- cienne qu'on ait donnée aux médailles. Elle a toujours été plus particulièrement affectée aux sceaux de métal; et la plupart des bulles de plomb ont conservé cette forme : quand on dit la plupart i c'est pour ne pas exclure les ovales; car il s'en rencon- tre quelquefois. Ficoroni ^ nous en offre une de cette espèce représentant la tête de l'empereur Alexandre Sévère couronnée de laurier. Il s'en trouve de carrées; mais elles sont rares. Heineccius * en a publié deux tirées du livre de Dominique Palatio, De Gestis Pontificum : elles portent les noms des papes Sergius et Etienne.

Les légendes des bulles de plomb des papes sont des plus la- coniques et des plus simples. Jusqu'à Léon IX, élu en 1048, elles ne portent que leur nom au premier côté , et le titre de pape au second; il faut en excepter la bulle du pape Deusdedit, qui d'un côté représente le bon Pasteur *; et Paul I ^, qui a introduit les images de Saint Pierre et de Saint Paul sur les bulles de plomb. Léon IX ne fut que le restaurateur de cet usage en 1049 ^.

Les plus anciens monumens, selon Foggini ^, représentent Saint Pierre à la droite de Saint Paul : mais au moyen âge la plupart des bulles de plomb, des monnaies, et des autres monumens sur lesquels ces apôtres sont figurés ensemble, placent Saint Paul à la droite , et Saint Pierre à la gauche. La

> De Be Biplom. page f 53, n. 3. » I. Piombi antichif Tav. iv, n. 12. » Pag. 60. 4 Ficoroni, Tav. xxni.

6 De Re Diploin. Supplem. p. 46. * Heineccius, page Ut2.

7 Exercit. zodeanti^. fictis pictisr/ueS. Pétri imagin, page 465.

BULLE. 25

raison de celle inversion vient , ou de ce que Tarliste ', travail- lant au type ou modèle du sceau, aura représenté Saint Pierre le prenaier et Saint Paul à sa gauclie , sans faire attention que l'empreinte devait nécessairement renverser cet ordre, ou de ce qu'on aura eu égard aux spectateurs, qui, en regardant les figu- res, voient Saint Pierre à leur droite, et Saint Paul à leur gauche; c'est le sentiment de Dom Mabillon *, et de Marca ^; ou de ce que voyant que ces deux Saints se regardaient en face dans l'origine, et qu'aucun des deux par conséquent n'avait alors la place d'honneur, on aura insensiblement changé le profil , sans faire attention que la nouvelle position demandait un nouvel ordre; c'est l'opinion des nouveaux Diplomatistes * : ou enfin de ce qu'on aura retenu l'usage des Romains, selon lesquels la gauche désignait la primauté et le premier rang ^

Léon IX est le premier qui ait fait mettre, selon Heineccius ^, des notes numérales sur les bulles, pour distinguer le rang que- tiennent entre eux les papes qui ont porté le même nom. Les bulles de ses successeurs jusqu'à Urbain II n'ont pas la même simplicité ni la même uniformité que les précédentes ; car les papes suivans en eurent de plusieurs espèces. Celle de Victor II, siégeant en io55, offre Tempreinte d'une personne à mi-corps, recevant une clef du ciel; et au revers, la ville de Kome figurée, avec l'exergue Aurea Roma. Etienne IX, selon Ciaconius ', est représenté en bon Pasteur. Alexandre II, élu pape en 1061 , est gravé au naturel ^ ; il est le premier pape qui se soit fait repré- senter sur son sceau. Depuis Urbain II s jusqu'à Clément VI j les bulles des papes montrent d'un côté les images des deux saints Apôtres, ou leurs noms écrits tout au long, séparés par une croix, et de l'autre le nom du pape. Depuis Pie II exclusi-

' Ibid, page /;68.

> De Re Diplom., page t30.

* De Primatu Pétri, n. 2t.

* Tom. IV, page 305.

' Eccard, Comment, de Reb. Franc. Orient, tom, 1, page 626^

' Tab. II, n. 3.

7 De Vitis Pontif. page 391.

*lbid.,^. LQl.

» D8jReI?(>«om. page 129.

26 BOVRS DE PHILOLOGIE ET d'aRCHEOLOGIE.

vement, les sigles qui, sur le premier côté , désignent les noms des deux Apôtres, au lieu d'être en ligne horizontale , sont pla- cées sur deux colonnes perpendiculaires. Enfin les deux derniè- res lettres inférieures furent retranchées : on ne les voit plus paraître snr le sceau de Clément II. En général, après le 12"' siècle au plus tard , il faut que les sceaux d'un Pape, lorsqu'il était sacré , représentent d'un côté les faces des apôtres saint Pierre et saint Paul , séparées par une grande croix , et que le revers porte la légende, c'est-à-dire, le nom du pape, .son titre, sous les deux lettres PP, et le chiffre romain qui le distingue de ses prédécesseurs de môme nom. Si le pape n'avait pas en- core été sacré , la tête du sceau sans le revers suffirait. Il n'y a que ce revers qui ait varié dans la suite. Clément VI y mit cinq roses , qui étaient les armes de sa famille. D'où l'on peut déduire que les armoiries, depuis le commencement du i4' siècle, ne déparent pas les bulles, qui d'ailleurs conservent leurs inscriptions ordinaires. Paul II s'y fit représenter assis sur un trône. La plupart de ses successeurs y mirent leurs armes.

Vers la fin du 12^ siècle, les lacs de sole qui tenaient la bulle de plomb étaient communément mi -partis de rouge et de jaune. Ces couleurs devinrent assez fixes, mais non pas sans exception. Cependant on devrait rejeter, depuis cette époque une bulle en f'jrme rigoureuse, qui n'offrirait pas des corde- lettes de chanvre; et une bulle en forme gracieuse , qui n'en aurait pas de soie, ou du moins de laine. Si depuis le milieu du i3' siècle jusqu'au i6', les lacs des bulles en forme gracieuse n'étaient pas mi-partis de rouge et de jaune, il y aurait quelque sujet de les suspecter.

Les bulles de plomb empreintes des deux côtés s'appellent balles entières, ou ^«//^5 simplement, pour les distinguer des demi-bulles qui, étant gravées d'un seul côté, ne représentent que les visages des SS. Apôtres. Les bulles imparfaites servaient entre l'élection et la consécration des Pontifes. Innocent III ', élu en 119S, et, depuis, Nicolas IV % déclarèrent qu'elles avaient la même autorité que des bulles entières.

« Epiit. 1. 83.

Ryracr. (om. 11.

BULLE. 27

Avant le la* siècle, les bulles irétaient poiS frappées d'une ma- nière uniforme; mais depuis cette époque, il ne faut pas de variation sous un même pape. Cependant quoiqu'un même papo ait quelquefois varié l'empreinle de ses bulles, une grande dissemblance entre l'empreinte d'une bulle cl les empreintes d'un grand nombre d'autres bulles du même pape, serait un signe de faux. De même lorsque la bulle, d'ailleurs d'une con- figuration ressemblante aux autres bulles, est inégale, c'est-à- dire plus enflée en quelques endroits , et plus enfoncée en d'autres, c'est un indice qu'on en a détaché les fils pour en insérer d'autres ; ce qu'il est aisé de vérifier en ouvrant le plomb. Il n'en serait pas de même si la bulle était seulement mise de travers; il faudrait rejeter l'erreur sur la distraction de l'ouvrier.

Belles considérées comme rescbits apostoliques. Les bulles improprement prises , c'est-à-dire considérées comme rescrits apostoliques, sont eu général des lettres du pape expédiées eu parchemin , et scellées en plomb. Cette définition comprend généralement toutes les bulles et les consistoriaîes, avec tous leurs caractères propres, et celles qu'on appelle petites bulles.

On distingue donc plusieurs sortes de bulles; \e^ petites^ ou moins solennelles; et \e?, gi'andes ^ ou solennelles. Les dernières renferment les bulles consistoriaîes , les hvi\\Q% pancartes , et les bulles pritiléges.

Petites Billes. On peut faire remonter au 7' siècle l'origine des petites bulles, ainsi que des grandes scellées en plomb; car la même différence qui s'y trouve au ii<= siècle , s'y fait remar- quer au 7^. Les premières, c'est-à-dire les petites bulles, ne montraient que les moindres dates, sans nom de notaire ou de chancelier ; les grandes réunissaient à la date du mois et de l'indiction celle des années des empereurs, de leur consulat, et quelquefois celle du pontificat des papes; elles étaient de plus signées du notaire et du chancelier.

Depuis le pontificat d'Urbain II, au 11' siècle , la différence des grandes et des petites bulles devint plus sensible. Celles-ci irannonccreut jamaij un effet immuable exprimé ordinaire- ment par les formules in perpctuum, ad perpctuam rei memor.am , et autres semblables. Dans les 1 r et 12^ siècles, elles n'eurent que les dates du lieu et des caieiulcs , jusqu'après Urbain III,

28 COURS DE PHILOLOGIE ET d'aRCHÉOLOGIE.

que Grégoire VIII ajouta rindiclion. Le successeur de ce dernier retrancha Tindiction, et y suppléa par l'année de son pontificat. Il fut imité par tous ses successeurs; et de là,iusqu'àEugèneIV, ces dates ne souffrirent aucune varialion. Ce dernier caractère distinctif des petites bulles eut lieu jusqu'au 14^ siècle seule- ment , comme on va le voir bientôt.

On pourrait bien confondre dans ces mêmes siècles les sim- ples épîtres des papes avecleurs bulles ordinaires; caries clauses comminatoires qu'on voit dans les premières, et qui ne se ren- contrent point dans les autres , sont presque la seule marque par l'on puisse les distinguer.

Grandes Bulles. Les grandes bulles, ou bulles solennelles, portent toutes, ou doivent porter dans la suscriplion, des mar- ques de leur durée constante et invariable. Elles doivent annon- cer, par la formule in perpetunm , ou ad pcrpeiaam rei memoriam , ou iamprœsentibus quàm futuris, ou autres approchantes, qu'elles ne sont point limitées à un certain espace de tems. C'est Ur- bain n qui le premier employa , dans ces sortes de bulles , la formule ad perpeiuam rei memoriam, au lieu de celle in perpetuum usitée jusqu'alors. De plus , les souscriptions que l'on y voit , doivent faire mention du notaire qui a écrit l'acte, par la for- mule : écrit de la main rfeN., ou du chancelier, primicier, biblio- thécaire, etc., qui l'a délivrée, par la formule, donné par les mains de N. Cette distinction entre les grandes bulles et les petites, est infaillible pendant les quatorze premiers siècles.

On a déjà dit qu'il y avait trois sortes de balles solennelles ; les bulles consistoriales , les bulles pancartes , et les bulles privilèges. Outre que ces bulles sont distinguées entre elles par le fond, elles le sont encore des autres par plusievus caractères appa- rens.

Bulles CONSISTORIALES. Les bulles consistoriales, ainsi appelées parce qu'elles étaient données en plein consistoire, ne regardent que les affaires, ou de la religion, ou du Saint-Siège apostolique. Elles ont cela de particulier, qu'elles ne sont munies d'aucune signature , et qu'elles ne portent presque toutes d'autres dates que celles du lieu et du jour du mois Cette particularité a lieu iusque dans le i4' siècle ; car alors les dates de toutes sortes de bulles furent presque réduites dans ce siècle à une forme uni-

TIULLE. 29

que, le lieu, le jour du mois, et l'année du pontificat. Ainsi ce ne peut plus être une marque distinctive entre les grandes et les petites bulles. D'où l'on peut conclure que le défaut de signa- ture des cardinaux , le défaut des dates de l'incarnation et de l'indiction , des cercles et des monogrammes, ne suffisent pas pour rendre suspecte une bulle consistoriale , qui n'est pas en forme de privilège , principalement depuis le milieu du i3' siècle jusqu'au i5'. Dans cet espace de tems, on fut moins con- stant pour les formalités des bulles consistoriales ou solennelles. Mais, dans le i6« siècle, on multiplia à l'infini les formalités pour la publication des bulles et autres constitutions ; signatures hors d'oeuvre , enregistrement, certificat des couriers apostoli- ques, ou du maître des couriers, souscription du cardinal pro- dataire , exposition ou lecture de la pièce en plusieurs lieux , etc., etc.

Bulles pancartes. Les bulles pancartes sont celles qui, con- firmant quelques donations faites à des églises, en rappelaient assez souvent la qualité et la quotité, et y ajoutaient quelquefois la confirmation de toutes les autres possessions, nommées spé- cifiquement, mais en gros. La plus ancienne bulle pancarte que l'on connaisse, c'est-à-dire qui contienne le recensement des biens d'une église , fut donnée par Grégoire lY, dans le 9^ siècle, quoiqu'elles fus«ent en usage long-tems auparavant.

Le caractère distinctif et spécifique de ces sortes de bulles purement pancartes, c'est de ne jamais porter tout à la fois le monogramme avec les signatures et la date de l'année. La réu- nion de ces trois caractères répugne à ces sortes de bulles , surtout depuis le milieu du 1 1" siècle , et les rend fausses ; ces caractères pris séparément les rendent aussi très-suspectes. Un autre caractère qui , sans être uniquement propre à ces sortes de bulles, paraît cependant leur être essentiel , c'est d'être ter- minées par un ou plusieurs amen. Le défaut de cette formule aux \ 1*, 12*, i3* et i4* siècles les rendrait au moins suspectes.

Passé le milieu du i5' siècle, vers la fin surtout, à peine peut-on découvrir quelques pancartes revêtues des formalités qui les distinguent des autres bulles ; il en est de même des bulles privilèges dont on va parler : d'où il suit qu'après cette époque, il ne faut plus chercher dans les rescrits des papes, que

30 COURS PUILOLOGIE ET D'aRCHÉOLOGIE.

les dates du lieu, du jour du mois, et du pontificat. Au i4<: siècle , ces sortes de bulles pancartes devinrent extrêmement rares; et depuis on n'en flécouvre plus.

La plupart des bulles pancartes , outre la confirmation des bien», renfermaient assez souvent certains privilèges; alors elles portaient les caractères de bulles privilèges.

BcLLES PRIVILÈGES. Ccssortcs de bullcs étaient aiusi nommécs, parce qu'elles accordaient certains droits, certaines immunités à des cathédrales ou abbayes. Ces bulles , quoique rares, furent assez en usage dans les 1 1^, 12' siècles, et une partie du iS^. Elles sont dans l'ordre des grandes bulles. Leur authenticité dépend, outre la formule hi perpeluum, de la salutation du pape par le mot beiie valete , placé à la fin de la bulle en gros carac- tères, tout au long ou en abrégé ; des souscriptions du pape et des cardinaux ; des formules de dates usitées dans les grandes bulles; des signatures de l'écrivain et du chancelier; des figures circulaires concentriques, des sceaux; etc., etc.

Depuis Nicolas II, au 1 1' siècle, lu formule des dates particu- lières aux bulles privilèges , devint presque uniforme ; et elles suivirent presque toutes cet ordre , le lieu, le jour du mois, Tannée du Seigneur, celle du pontificat et l'indiction.

Ce n'est guère que depuis Innocent II, avi 12' siècle, que les signatures des cardinaux, dans les bulles privilèges , devinrent d'un usage commun. On en trouve cependant du io« qui sont signées par des évoques , des prêtres , des diacres et des sous- diacres.

Les bvilles privilèges subirent le sort des bulles pancartes sur la fin du i5" siècle ; c'est-à-dire qu'elles n'eurent plus alors de formalités particulières qui les distinguassent des autres bulles; et, dans le i4% elles devinrent extrêmement rares. On ne peut rien donner de bien décisif sur ces bulles expédiées dans les 9% 10' siècles , et une partie du 1 1^ Elles n'ont de fixe que leurs variations en tout geiire. Mais on serait fondé à regarder comme fausse, quelque originale qu'elle parût d'ailleurs, vme bulle privilège donnée depuis le milieu du 1 1* siècle, après l'an j 18S surtout, jusqu'au i/j-^ exclusivement, et qui n'aurait pas la plupart des caractères suivans, ni la suscripfion servus serrorutn Dei } ni la clause in. pcrpetuum, ou salulein cl apostolicavi hcaedic-

BLLLE. 31

tionem, ou tam prœsentibus qudm futuris ; ni les clauses commina- toires ; ni la conclusion amen ; ni la salutation bene vaiete ; ni une ou deux formules de dates, dont la première fût de la façon d'un notaire régionnaire, et la seconde du chancelier ou autre; ni les dates du lieu , du jour, des calendes , du pontificat , de l'indiction et d«; l'incarnation ; ni les cercles concentriques; ni la sentence ou devise, etc., etc. Il faut toujours faire attention que toutes les bulles de concession de privilèges ne sont point en forme de pancartes, et que c'est des premières particulière- ment dont on vient de parler.

Quoique la formule salutem et apoatolicam beiiedictionem fût affectée aux simples bulles, lettres ou décrétales, depuis le 1 1' siècle jusqu'au i4% et que celîe in perpetuum fût propre aux bulles pancartes ou privilèges, ces dernières cependant prirent quelquefois la première formule : ainsi l'on ne saurait déduire aucun moyen de faux de ce changement. Mais depuis le i l'siècle jusqu'au i5% une bulle du premier genre qui porterait la for- mule in perpetuum, paraîtrait suspecte, parce que ces change- mens n'ont pas été réciproques. Dans le i5' siècle, sous Eugène, toutes les bulles en général proprement dites , ou scellées en plomb, eurent une marche constante dans leurs dates , dont voici l'ordre : le nom du lieu et souvent du palais à l'ordinaire, l'année de l'incarnation , le jour des calendes , et l'année du pontificat. Cet aiTangement a subsisté sans varialion jusqu'à nous.

Outre ces bulles distinguées par des formes, des noms et des objets différens, on en connaît encore une autre espèce qui rentre dans la classe des grandes bulles, et qu'on appelle buUœ cruciatœ. On tire leur origine de celles qu'Urbain II publia pour la première croisade, et qui portaient sans doute le signe de la croix.

Dans le 16° siècle, toutes sortes de constitutions apostoliques furent réduites à trois, les bulles proprement dites, las brefs et les motus proprii. Aoyez Brefs et Mous propru. Elles sont distin- guées entre elles par leur suscription et leurs dates. Les bulles portent toujours en tête , N. episcopus serras servorum Dei , et suivent l'ordre des dates énoncé plus haut.

32 COURS DE PHILOLfflGrE ET d'aRCIIEOLOGIE.

Caractères extrinsèques des bulles.

Les grandes bulles , en tant que distinguées des brefs et des petites bulles en forme de motus proprii , ont toujours été écrites en langue latine; on ne connaît pas d'autre idiome employé à cet usage.

Du séjour des papes à Avignon est venu l'usage d'écrire les bulles de provision eu caractères gothiques modernes. Le carac- tère lombardique s'était conservé dansles bulles jusqu'au milieu du 12e siècle.

Le style fut extrêmement humble dans les bulles des g pre* miers siècles, et l'a été quelquefois depuis. Voyez Plcriel, Fils, Très-cher, Poniife, Métropolitain, Titrj:, Formcles, Adresse.

Critique des bulles en général.

La science de la critique des bulles est une partie essentielle des connaissances diplomatiques. Alexandre III et Innocent III ont parlé des marques auxquelles on pouvait reconnaître les fausses bulles, et les distinguer des vraies; mais leurs principes, ou peu sûrs, ou insulBsans, n'ont pu servir de lois générales.

Durand, évéque de Mende , et fameux canoniste, a donné pareillement ses décisions sur les qualités que doivent avoir les bulles j mais il s'est trop borné , peut-être sans s'en apercevoir, aux usages de son tems. Ses règles, appliquées aux siècles an- térieurs ou postérieurs au sien , ne pourraient qu'induire en erreur. En voici qui sont exemples de ces défauts.

La chaleur et l'attention avec lesquelles Innocent III et Cé- leslin III ont poursuivi les fausses bulles, ne permettent pas de croire qu'il en existe encore quelques-unes : la facilité de re- connaître les fausses des véritables, avouée par les papes mêmes, détruit tout soupçon à cet égard.

Plus les bulles sont anciennes, lorsqu'elles n'ont pas été fa- briquées par des contemporains , plus elles donnent matière à la critique, et plus on est sûr de les surprendre en défaut. C'est ce qu'il est aisé de concevoir, à n'envisager seulement que la difficulté de rajuster les sceaux et les fils qui les attachent, d'a- voir du parchemin du feras, d'imiter l'écrituie, le style et les formules d'un siècle éloigné.

Toutes les bulles fausses ne sont pas supposées. Une bulle

BULLE. 33

supposée est celle qui n'aurait jamais élé donnée par aucun pape; et une bulle fausse est celle qui énonce le faux, soit par l'artifice du faussaire qui en aurait raclé luie partie , soit par la mauvaise foi des dépositions de ceux qui l'auront obtenue : on en jugera mieux par le détail suivant.

Ce n'est pas une règle sûre, pour reconnaître les vraies bulles de tous les siècles , que les papes traitent toujours les évéques de frères, et qu'ils n'emploient jamais le pluriel lorsqu'ils adres- sent la parole à une seule personne. Celte règle, donnée par Innocent III, ne doit être appliquée qu'à lui et à ses prédéces- seurs immédiats.

Des fautes, ou contre la latinité, ou dans la citation du texte sacré, ne suffisent pas pour prouver la fausseté d'une bulle.

Toutes les bulles qui se trouvent dans les registres des papes, dont elles portent le nom, ou dans les collections authentiques, sont incontestables.

On ne doit pas rejeter une copie authentique, faute de l'ori- ginal sur lequel on puisse vérifier la bulle,

La fausseté des dates d'une copie, même authentique, n'em- porte pas celle de l'original ' ; et la fausseté d'une seule date de l'original , de l'indiction , par exemple , ne doit pas non plus l'infirmer.

Une bulle ordinaire, non en forme de privilège, qui réunirait les dates de l'année, de l'indiction, de l'incarnation et du pon» tificat, serait suspecte depuis Grégoire VII, très-suspecte depuis trbain II , et fausse depuis Innocent II jusqu'à Grégoire VIII. Au contraire, les bulles privilèges des 12« et lO" siècles seraient suspectes, si elles n'offraient point dans cet ordre les dates du lieu, du dataire, du jour du mois par les calendes, de l'indic- tion , de l'incarnation et du pontificat.

On ne doit pas conclure qu'une bulle est fausse ou suspecte, pour être signée d'un cardinal qui ne se trouve point dans les listes imprimées , parce que ces listes ne sont pas toujours exactes.

Une bulle qui accorderait des droits dont on serait sûr que les papes ne s'attribuaient pas encore la disposition, serait pour le moins suspecte,

» Second Mémoire de Soissons , page J90, 206.

34 COURS DE PHILOLOGIE ET d'aRCHÉOLOGIE.

Il est encore plusieurs autres règles générales, mais que Ton trouvera parmi celles des diplômes, qui peuvent être également appliquées aux bulles. Foyes Brefs, Sceaux, Privilèges, Annbb, Dates.

BtlXETIiV. Voyez cédtjle.

Explication des abréviations commençant par la letti'eB, que l'on trouve sur les monumens et les manuscrits.

B. Bonu.«, Brutns, beuè, Balbus.

B.A. Bona aclio, bonis avibus, bonis auguriis , bonus , amabilis.

B.ABA. Bona aiirea.

BB. Bona, Benedictio.

B.C. Bonoriim concessum.

B.D. Bonum dalum.

B.E.E. Bona ex edicto.

B.F.— Bonà fide, bona fortiiua , bona fœmina ou fdia, bi;neficiuni, bonum factura, benè fecit. B.F.C. ou B.Fl.C— Bonâ fide con-

tractum , bona; fidei contracti. B.FL. Bonorum filius. B.F.P. Bonae fidei possessor. B.FB.— Bona fortuna. B.GR.— Bona gralia. B.H. Bonus homo,bona haereditaria. B.H.S.J. Bona hîc sita juvenis. B.I. Bonum judicium. B.I.I. —Boni jiidicii judicium. B.L Bona lex. B.LB. Bonorum liberi. B.M. Bonae niemori;c,bonoemateriae, benè njerentis.

B.M. P. Benè merenti posuit.

B.MR.C. Benè mereat cibum.

B. MR. SE. H. Benè merentibus serva

hoc. B.N. Bona nostra. B>'.EM, Bonorum emptores. BN.H.I. Bona hîc invenies. BX.M.FEC. Benè merenti fecit. B.O. BenèjOptimè. B.P. Bonorum possessorj ou posses-

sio,ou poteslas, bona possessio, bona

paterna. bona publica. B.PC. Bona pccunia. B.Q. Bona quaestio, bona quxsita. BR. Bonoium. B.R. Bonorum rector. BRI. Brilannicus. B.RP.N. Bono reipublicœ natus. BR.SI. Bonorum servi. B.S. Bona sua satisfecit. B.T. Bonorum tutor. B.V. Benè vixit. B.V.A. Boni viri arbitratu. B.V.V. Balnca, vina, Vinui).

A. B.

ftv^a*^'^

DIFFEREES SIONUMENS, ETC. 35

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^xc^hic^U.

DIFFÉRENS MONIJMENS

CONFIBMAKT LES nÉCXTS DE LA BIBLE.

Nous avons déjà parlé dans plusieurs de nos précédens Numé- ros, des publications dues au zèle de IM. l'abbé de Genoude. Parmi ces publications, nous avons placé en première ligne la traduction française de l'ouvrage anglais du docteur "SNiseman, sur les Rapports des sciences et laliellgionrêvélce; nous avons même rendu compte d'une manière spéciale du premier volume, au- quel nous avons emprunté plusieurs dociuiiens sur les diffé- rentes races, et avons reproduit la planche qui offre la configu- ration du crâne de ces races, d'après les systèmes des docteurs Camper et Blumenbach '. Le deuxième volume de cet impor- tant ouvrage a paru depuis quclqiie tems ; il renferme comme le premier six discours , suite des six précédens. Le septième et le huitième sur l'histoire primitive; le neuvième sur l'archéo- logie; le dixième et le onzième sur les études orientales et la littérature sacrée; le douzième formant la conclusion de tout l'ouvrage.

Nous aurions beaucoup à dire sur chacun de ces discours, qui offrent le sommaire delà plupart des questions scientifiques, qui ont rapport à la Bible. Nous choisissons celui sur l'archéo- logie, parce qu'il nous paraît renfermer différens points qui n'ont pas été recueillis dans les Annales, et parce qu'aussi il nous fournit occasion de reproduire une planche que nous n'a- vons pas donnée, et qui complète les monumens un peu im- portans qui ont rapport au déluge '..

' Voir notre 86 , tome w, p. 1 1 i.

* Ce volume de M. ^Tisemaa contient trois planches : la f'^<-, la mé- daille cTJpamée: la 2* le portrait deRoboam, que nous avons déjà publie'es depuis long-tems; et la celle que nous reproduisons aujourd'hui. Les deux volumes du docteur ^Viseman se trouvent chez Sapia , Rue de

36 DIFFÉRENS MONUMENS,

I. Conciliation de deux passages contradictoires en apparence de la Genèse et des ^cfes des apôtres.

Saint Etienne nous dit que le champ que Jacob acheta des fils d'Hemor, fut payé en une somme d'argent ' {yi^riç, àpyvpiov); la Genèse nous dit au contraire qu'il fut payé en cent keschite * (rrcurp). La Vulgale et la plupart des anciens interprètes ont traduit ce mot par cent moutons. Mais quelques-uns s'appuyant sur l'autorité de saint Etienne, et sur ce que le même mot arabe signifie monnaie, veulent rendre ce passage par cent pièces chargent. Une chose semblait suivre de là, c'est que la monnaie de cette époque portait la figure d'un agneau ou d'un mouton , et que la monnaie en avait pris le nom. Mais ce n'était qu'une conjecture, combattue par quelques antiquaires qui préten- daient que l'ancienne monnaie n'avait point de marque.

Or la publication d'une médaille, trouvée par le docteur Clarke près de Citium, dans l'île de Chypre, nous adonné toutes les preuves que nous pouvions désirer. Feu le savant doc- teur Munter a présenté à ce sujet, à l'académie royale de Dane- marck, une dissertation qui fut insérée dans les actes de 1822 de celte académie '; il y fait observer que la médaille, qui est d'argent, est assurément phénicienne, puisqu'elle porte sur le revers uns légende en caractères phéniciens; sur le côté opposé est la figure d'un mouton ; et on ne peut former aucun doute quant à rextréme antiquité de la médaille. Il est donc très-pro- bable, conclut-il, que nous avons la monnaie même dont il est parlé dans l'Ecriture. Au moins nous savons avec certitude que les Phéniciens avaient une monnaie portant un symbole corres- pondant à la signification du mot kesclita; et la preuve, qui seule

Sèvres f 16, prix 1i fr.; l'on trouvera aussi les autres publications de M. l'abbé de Genoude, dont nous donnons la liste à la fin de ce cahier,

> ^ctes, ch. vu, V. I G. Voir les commentateurs sur le nom d'Abraham, qui a été mis dans les actes pour celui de Jacob, qui est en effet celui qui a acheté le champ des fils d'Hémor.

' Genèse, chap. xxxni, V. 19. Jahn, dans son Archeologia Biblica, dit simplement que le Keschita est une sorte de monnaie inconnue. M. Cahen n'a pas osé traduire ce mot, qu'il a rendu par le mot hébreu même, keschita ; ni l'un ni l'autre ne connaissaient sans doute la médaille dont nous parlons ici.

' Classif. philosophique et historique.

CONFIRMAIT LES RÉCIT» DE LA BIBLE. 37

manquait pour changer de fortes conjectures en une cerlitudc morale, est acquise maintenant ',

II. Sur le titre de premier roi des Grecs attribué à Alexandre, Le premier livre des Machabées dit en parlant d'Alexandre-^ le-Grand, celui qui fut le premier roi parmi les Grecs *. Or les cri- tiques faisaient observer que cette désignation était fausse, parce que, avant Alexandre, il y avait eu plusieurs rois macédoniens qui régnèrent chez les Grecs. On répondait bien qu'Alexandre était le premier qui eût établi un empire portant le nom de ce peuple; mais la numismatique est venue donner une réponse plus précise. En eflet , Erasme Frohlich dans ses excellentes Annales des rois et des éténemensde la Syrie ^, il a comparé toute l'histoire biblique avec les médailles qui nous reslent, a prouvé d'une manière évidente que îous les faits et toutes les dates s'ac- cordent avec les médailles, et en particulier pour la question qui nous occupe, il a fait voir qu'Alexandre est le premier roi qui ait porté sur les médailles le titre de ro/, /Sao-Aeyç ; et l'on a compris complètement le passage de l'auteur sacré.

III. Solution dune difficulté sur la mort d'Antiochus. Dans une lettre insérée dans le chapitre i" du livre des Machabées, et datée de l'année 188 des Séleucides, les Juifs de Jérusalein écrivent à leurs frères d'Egypte, et y racontent com- ment Antîochus périt misérablement en Perse, assassiné dans le temple de la déesse Nanéa, les prêtres l'avaient fait entrer pour y épouser celte divinité. Or on demande quel était cet Antiochus? ce ne pouvait être Antiochus Soter , qui mourut à Antioche; ni son successeur, Antiochus Thé us , qui fut empoi- sonné par Laodice; ni Antiochus le Grand, qui était l'ami des Juifs. Quanlk Antiochus Epiphanes , le même livre ^ nous donne un récit tout- à-fait différent de sa mort. Antiochus Eupator, son

* Sur le revers , outre la légende , est une couronne de perles. On serait tenté de soupçonner qu'une telle circonstance peut expliquer l'étrange traduction des deux interprétations d'Onkelos et de Jérusalem , qui ren- dent toutes deux cent keschite par un cent de perles.

* ièoKTiAVJTî TtpÛTO^ £v ToT? ÈXXrjm. ch. VI, V, 2.

^ Annales compendiarii regum et rerum Syriae, éd. Vienne, i7iL.

* IX, 5.

Tome XVII.— N" 97. i85b. 5

2g DIFFÉRENS MOiSliMENS

successeur, après un règne de deux ans, fut tué par Démélrius, et l'enfant du même nom , proclamé roi par Tryphon , fut aussi empoisonné par lui. Il ne reste d'autre souverain de ce nom qu'Àntioclius Sidetès, également appelé Evergète, dont le règne est le seul qui coïncide avec l'époque de la lettre. Mais une dif- ficulté aussi sérieuse, en apparence du moins, qu'aucune des précédentes, semble l'exclure : le règne de ce monarque com- mença en 1 74, et Porphyre et Eusèbesont d'accord pour en fixer laduréeàmoinsde neuf ans. Suivant eux, il doit avoir péri dans une guerre vers Tan 182. Comment alors les Juifs, en 188, ont-ils pu palier de sa mort comme d'un événement récent? Imaginerait-on, par exemple, que de nos jours, les membres d'une communauté religieuse quelconque, écrivant une lettre à leurs frères habitant un pays très-voisin , pour leur appren- dre que le souverain qui les opprimait est mort , prissent ce soin six ans après révénenienl? La rencontre de ces deux his- toriens dans le mèmetémojgnagc fut considérée comme décisive contre Thislorien juif, et Prideaux, sans hésiter, adopta leur opinion comme exacte *.

«Ehbicn! Frohlicli a prouvé d'une manière incontestable que les deux /ùsioriens se irompcni. D'abord, il a produit deux médail- les portant le nom d'Antiochus, l'une datée de i85, l'autre de 184 ; deux ans, par conséquent, après le tcms que ces historiens fixent comme celui de sa mort. Sur l'une on lit :

BÂCIAEQC. S.^TLayjJV T^V : lEP : ACY ADP. Du roi Antiochus dcTyr, l'asile sacré , 184 ^•

» La discussion sur ces médailles a continué jusqu'à notre épo- que. Ernest Wernsdorff reconnaît l'authenticité de la dernière; il reconnaît qu'elle prouve d'une manière satisfaisante qu'Antio- ehuîi SicleVcs a vécu au-delà de l'époque qui lui est assignée par riustoire profane; et il semble même ajouter son propre témoi- gnage à celui de Frohlichjcns'exprimant ainsi :«Ence quitou- »che les médailles et les dates qu'elles portent, je suis volontiers

> Ancien et noiiv. Teslavienl réunis , tabl. chron. à la fin du vol. éd. 1749.

P. 2i. Voyez les mcdaillcs d.nns la planche, n"'' 27, §9.

CONFIRMANT LES RÉCITS SB LA BIDLE. 39

»de son avis, parce que grâce aux soins d'un homme Irès-habile »en cette matière, j'ai pu, comme Frohlich, avoir sous les yeux B et entre les mains plusieurs médailles frappées par l'ordre d'An- ntioclms '. «Gottlieb, son auxiliaire, est moins trailable; il doute que la légende ait été bien lue, il suppose que probablement une légère altération dans une lettre aura changé le nombre 181 en celui de 184 *• Mais, quand nous reconnaîtrions comme irré- cusable tout ce qui a été écrit contre ces deux médailles, il en existe d'autres produites depuis les observations des deux frères, qui semblent mettre la question hors de doule ; car Frohlich a ensuite publié une médaille du môme roi , portant la date de i85 ^; et Eckhel en a ajouté une quatrième frappée en 186 ^.

))M. Tochon rejette les deux premières médailles, principale- ment celle de 184, par des motifs autres que ceuxdeWernsdorfT, mais qui sont admis par Eckhel. Selon lui, le A ou 4 supposé, qui est presque effacé, paraît être un B ou 2 , d'une forme par- ticulière ^ Contre les deux dernières médailles, il n'allègue que des raisons spécieuses ; il fait valoir les difBcultés qu'on rencontre quand on veut les considérer comme authentiques, au mépris dotant d'autorités historiques ^ A quelques égards, il se montre peu juste pour Frohlich ; il ne cesse de soute.nir que le savant jésuite place la mort du roi en 188 7; et, en conséquence, il demande comment il se fait que nous ayons des médailles de son successeur, Antiochus Grypus, portant la date de 187 *. Or, Frohlih place la mort d'Antiochus Evergète en 186 9. De la sorte, comme aucune médaille d'Anliochus Grypus ne porte

' De fontibu.t hist. Sj'riœ , p. 13.

9 Ubi sup.f sec. xui, p. 79. Voy. la réponse, 288.

5 Ad numismata regutn veteriim , etc., p. 69.

* Sylloge numorum veterum, p. 8. Doctrina numoritni veierum, t(HD.iCf« p. 23G.

' Dissertation , p. 22.

^ Page 6i.

7 Page 24, 29, etc.

* « Comment alors supposer que la mort d'Antiochus Evergète puisse être arrivée l'an 1 88 ; elle serait postérieure au règne de son fils. » P. 61.

9 Aano CLxxxvi. Civcd hoc tempus contigisse existimo cœdem Antiockiyn Evergetis. p. 88.

40 BIFFF.nENS MONUMEKS

de date anlérieureàcette dernière, l'opinion de Frohlich reçoit une confirmation qu'on peut appeler négative. Jusqu'ici donc l'application des médailles a servi à défendre la chronologie de riii^loirc sacrée.»

IV. Médailles sur le déluge.

Ici, le docteur "SYiseman parle d'abord des traditions orien- tales sur le déluge, qui nous ont été conservées par Lucien et par l'iutarque '. Puis , il arrive aux médailles d'Apamée, et il en fait l'histoire et en constate l'importance. Nous ne parlerons pas ici de celte question , car nous l'avons traitée plus au long que le docteur "NViseman dans nos Annales '. Il est à regretter même que le docteur anglais n'ait pas eu connaissance de notre travail, il aurait pu modifier quelques parties du sien. Ainsi, il aurait pu dire qu'il y a trois médailles et non pas seulement une dans le cabinet de Paris; et que une seule de ces médailles porte la lettre N inscrite sur le coffre; mais que les deux autres offrent sans aucune ambiguïté >'0, et de plus laissent la place d'une troisième lettre. Il aurait pu modifier le dessin de sa mé- daille d'après le nôtre, qui est calqué sur l'original, et surtout laisser sur le coffre la place de la troisième lettre ou de E, qui a être primitivement ajtrès Vo. , et former ainsi le nom du pa- triarche K2E.

En revanche, sur la forme carrée donnée à l'Arche sur ces médailles d'Apamée, le savanl docteur a recueilli quelques do- cumens qui ne se trouvent pas dans notre article, et que nous copions ici.

t On pourrait objecter qu'une pareille figiue donnée à rarche s'accorde difficilement avec la description, déjà mentionnée, que les historiens sacrés ou profanes nous font du déluge; les uns et les autres supposent que non-seulement Noé et sa femme, mais aussi toute sa famille et un grand nombre d'animaux, ont été renfermés dans l'arche. De telles circonstances ne peuvent

' Nous a^ ons cité les traditions conservées par Lucien dans le tome i , p. 38i , le tome v, p. 53 et ix , p. 295. Et celles conservées par PIu- tarque,dans le tome I, p. 38';.

» Voir l'article sur les médailles d'Apamée, inséré dans le tome vm , p. lii , ft b gravure représentant les deux méd.Tillos à la p. liC.

COJCFinMA.Xr LKS RÎK-HS CE LA LIBLL. 41

guère être exprimées par la figure d'un petit coirro conlonaiit deux individus. Pour lever cette difticuUé, je proposerai une couiparaison entre les premiers monumens chrétiens et la re- présentation que nous offrent les médailles. Personne ne peut douter que dans les monumens chrétiens on n'ait eu en vue lo récit de l'Écriture. Eh bien! l'arche y est toujours représentée comme un coffre carré flottant sur un courant d'eau; on n'y voit que la personne du patriarche jusqu'à la ceinture, et au- dessus la colombe qui lui apporte Ki branche d'olivier. Telle est la manière dont le sujet est représenté sur quatre sarcopha- ges de marbre dans les dessins d'Aringhi '; ainsi on le trouve dans la peinture de la seconde chambre du cimetière de Cal- liste «, et enfin sur une feuille de métal dont le sénateur Buo- narrotti nous a donné le dessin ^ et Ciampini l'explication *. Quelques-unes de ces peintures montrent le couvercle du coffro ouvert sur la tête du patriarche , ainsi que dans les médailles d'Apamée ^ Dans celles-ci encore, la figure de >>oé est quelque- fois représentée en dehors de l'arche, sur la terre ferme, avec la colombe symbolique, qui sert à le désigner; car, parmi les symboles chréliensles plus communs, Boldelti compte celui-ci : « Noé, quelquefois dans l'arche et (juelquefois eu dehors , avec la colombe ^. » Enfin la colombe est de tems en tems perchée sur l'arche, comme on le voit sur la médaille dont nous don- nons le dessin ; mais alors la figure du patriarche est omise- Il en est ainsi sur la pierre de Foggi, décrite par Mamachi '. » V, Sur le litre de Basilicos que l'on trouve dans saint Jt-au, Saint Jean donne au père du jeune homme que Jésus guérit de la fièvre sans le voir et d'une seule parole, le titre de ^3a7t).tV.o;,

' Homa iubterranea',Txorae, IGjI , tom. x, p. 323, 331, 333; tom. n, page 1^3.

« -6. 539, 551, 566.

3 Osservazioni sopra alcuni frammenti de vasi anticl'i di velro, t. i , 6g. t.

^ Dissertutto de duobus emblema'ibus musœi card. Carpinei , Rome, 1 7/S8, p. 18. Bianchini a aussi publié d'après un ancien verre une représenta- tion de la niènae scène en miniature.

= Voyez les exemples dans Aringhi, t. n , p. 67, 105, 187,315.

* Observations sur les ci)neiiéi'es\ Rome, 1 720, tom i , p. 2:2. Origine et antiquité des Chrétiens, liv, xx, tora.. ni; Rome, 1731.

42 DIFFÊRENS MONUMIÎNS

qtse la traduction française rend par seigneur de la cour ; or , on objectait que ce titre était totalement inconnu en Palestine '. Mais voilà que l'exaclitude de cette dénomination vient d'être démontrée par une inscription trouvée sur la statue de Mem- non, laquelle fait mention d'un Jrtemidore, seigneur de la cour (basilicos) durai Ptolémée '.

VI. Inscriptions prouvant le grand nombre des Martyrs.

Gibbon et Dodwel avaient avancé que le nombre des martyrs n'avait pas été très-considérable, et que l'Eglise , après le règne de Domitien , avait joui d'une tranquillité parfaite \ Or , toutes ces assertions sont détruites par les inscriptions recueillies par Visconti ^, par Aringhi et par d'autres. En voici une de ce der- nier, qui expliquera quelles difficultés éprouvaient les chrétiens pour conserver les corps de leurs martyrs.

« Alexandre n'est pas mort; il vit au-dessus des étoiles, et son corps repose dans cette tombe. Il a cessé de vivre sous l'empereur Antonin, qui ne lui paya que par de la haine ce qu'il lui devait de faveur et de bonté. Car , tandis qu'il fléchissait les genoux pour sacrifier au vrai Dieu, il fut entraîné au supplice. Oh ! malheureux tems, où, au milieu de nos cérémonies sacrées et de nos prières, nous ne pouvons être en sûreté , même dans des cavernes ! Quoi de plus misérable pour nous que la vie ? Mais d'un autre côté, quoi de plus misérable aussi que la mort? Car nous ne pouvons pas même être ensevelis par nos amis et par nos familles ^ »

> Observationes Uavianae , p. 144.

» A^TEptt^w/joç liTohiixi.o'j ^xdilir.oz . Miinter, Recueil d'observations re- ligieuses, d'après les marbres grecs, dans les Miscellanea de Copenhague, tomei, 1816.

^ Décadence et chute de l'Empire romain , chap. xvi,et Dissertationes Cyprianœ, dis xi , page 57.

* Memorie romane di antichità , tome i, 1825.

' Alexander mortuus non est , etc. , Ariughi , lioma subterranea, lom. ji, page 685.

co>riRMA.\T m:s r.Kc.iTS ii\ù \.\ muLii. 43

VII. Qui doit i^tre cru de la Hihle qui dît qu'il y avait du viu ca Egypte, ou d'Hérodote qui dit expresse'ment qu'il n'y en avait pas.

Dans le siècle dernier, les livres de Moïse furent souvent attaqués, à cause des raisins et des vignes, et peut-être du vin ' dont il y est fait mention % comme appartenant au sol et aux usages de l'Egypte ^ Car Hérodote nous dit expressément qu'en Egypte il n'y avait point de vignes S et Plutarque nous assure que les naturels du pays abhorraient le vin , le considérant comme le sang de ceux qui s'étaient révoltés contre les Dieux '. Ces autorités parurent si concluantes, que les assertions con- traires de Diodore, de Strabon, de Pline et d'Athénée furent considérées par le savant auteur des Commentaires sur les lois de Moise comme ne pouvant iîtfirmer toutes ensembles le seul témoignage d'Hérodote ^. De là, il conclut que le vin était pres- crit dans les sacrifices juifs , à l'effet de détruire tout préjugé venant des Egyptiens à l'égard de cette boisson, et pour détâ- cher encore davantage le peuple élu de son affection renaissante pour ce pays et pour ses institutions. Plusieurs savans ont par- tagé cette opinion. Le docteur Prichard cite les oblations de vin parmi ceux des rites hébreux qui sont «ou en rapport d'imita- tion ou en contradiction avec les lois de l'Egypte 7. a Et comme ce rite assurément ne saurait être rangé parmi ceux de la pre- mière classe, je suppose que nous devons considérer le docteur Prichard comme étant de la même opinion (jue Micliaëli». Tant que l'autorité d'Hérodote a été jugée supérieure aux divers té- moignages des autres écrivains , on n'a pu opposer que de faibles argumens à l'objection fondée sur celte autorité. Aussi nous voyons les auteurs qui ont entrepris de la combattre recourir

•Num. 20,5. ' Gcn. XI , 9; xuii, 13.

' Voyez Bullet, Réponses criiiques; Besançon, IjJl'J, tome m, p. K2. La bible vengée, de Duclos ; Brescia, 1 82 1 , tome ir , p. 2ii.

4 Liv. Il, ch. 77.

5 De Isidcet Osii^de , p. 6.

^ Tome, ni, p. tSt etsuiv. Trad. angl.

7 Analyse de la mythologie des Egyptiens^ p. i4?. Gue'uce, Lettres de quelques Juifs; Paris, i82t, tome i, p. 192.

44 DIFFERENS MOKUME^S

k des conjeclurcs puisées dans rinvraisemblance d'une telle supposition, ou imaginer une différence clironologique de cir- constances et un changement de coutumes entre les tems de Moïse et ceux d'Hérodote.

Mais les nionumens égyptiens ont décidé la question, et na- turellement l'ont décidée en faveur du législateur hébreu. Dans la grande Description cfEgypte , publiée par le gouvernement français après l'expédilion faite dans ce pays, M. Costaz fait le tableau délaillé de la vendange égyptienne , depuis la taille de la vigne jusqu'à l'extraclion du vin, en se réglant sur les pein- turesqui se trouvent dans l'Hypogée, ou souterrains d'Eilithyia, _ct il blâme sévèrement Hérodote pour avoir nié l'existence de la vigne en Egypte '.

tEn 1825, cette question fut agitée de nouveau: dans le Joarna/ des Débats^ un critique, rendant compte d'une nouvelle édition d'Horace, en prit occasion de faire observer que le vinum mareo- ticum , dont il est parlé dans la trente-septième ode du premier livre, ne pouvait être un vin d'Egj^pte , mais devait provenir d'un district de l'Épire appelé Maréotis. Cet article parut dans le jour- nal du 26 juin. Le 2 et le 6 du mois suivant, Malte-Brun , dans le même journal, examina la question , principalement en ce qui touche le témoignage d'Hérodote. Au reste , dans ses preuves, il ne remonta pas plus haut que les tems de la domination ro- maine et grecque. M. Jomard entreprit de discuter ce point plus à fond, et dans une feuille périodique, plus propre à de telles questions qu'un journal quotidien , il poussa ses recher- ches jusqu'autems des Pharaons. Après les peintures déjà citées par Costaz, il en appelle aux restes à'ainphores, ou vases à vin , trouvées dans les ruines des anciennes villes de l'Egypte , et en- core imprégnées du tartre qui y fut déposé par le vin '. C'est depuis la découverte de l'alphabet hiéroglyphique par Champol- lion qu'on peut regarder la question comme décidée ; car il pa- raît maintenant certain que non-seulement le vin était connu en Egypte, mais encore qu'on en faisait usage dans les sacrifi- ces. Dans la peinture des offrandes, nous voyons représentés ,

» Description de C Egypte , Anliq. Tom. i, p. 62 ; Paris, /809. Bulletin universel, sccl. 7. tome, iv, p. 78..

COMFIRMANT LES RÉCITS t>E LA BIBLE. 45

entre autres dons , des flacons remplis d'une couleur rouge jusqu'au goulot, qui est blanc comme tout vase transparent ; et on lit auprès, en caractères hiéroglyphiques, le mot EPIIqui, en cophte, signifie vin '.

» Rosellini a représenté, dans les planches de son bel ouvrage, tout ce qui concerne la vendange et la manipulation du vin. Auparavant, il avait publié à Florence un bas-relief égyptien, tiré de la galerie du grand-duc : on y voyait une prière en ca- ractères hiéroglyphiques adressée comme il le suppose , à la déesse Athyr, et dans laquelle on la conjurait de répandre sur le défunt du vin , du lait, et d'autres substances salutaires. Ces objets sont représentés par des vases qui sont censés les conte- nir, et leurs noms sont écrits àl'entour en hiéroglyphes. Autour du premier vase, on voit la plume, la bouclie et le carré , carac- tères phonétiques des lettres EPn »; et je ferai observer. ici que le savant Schweigauser, dans ses remarques sur Athénée, pa- raît douter de l'exactitude des assertions de Casaubon, qui pré- tend que îpTztç était le mot égyptien signifiant rin ^, qvioique la justesse de cette interprétation soit clairement prouvée par Eustathius et Lycophron. S'il eût écrit après qu'on a eu décou- vert ce mot exprimé en caractères hiéroglyphiques, il aurait sans doute changé d'opinion ; et, d'un autre côté, je ne doute pas que ChampoUion et Rosellini n'eussent appuyé leur inter- prétation du témoignage de ces deux anciens écrivains, s'ils l'eussent connu,

» Lettres à M. le duc de Btacas , Première lettre , p. 37.

" D'un bas relief e'gyplien de !a galerie de Florence. Ibid, f 820 , p. !,0 . ^'^'ilkiIJSoa a aussi lu le même mot, 3'Jat. Iiierogl. p. 16, noie 5.

^ Athenœus, Deipnosopk. Ep. liv. ii, tome i, p. liS. 11 trou^e le mot ï'îitt; dans une citation de Sapho , quoique dans un autre passage il lise (liv. X , tome iv. p. 55) 'i'/.nr,. Ce savant critique semble avoir prouvé qu e le dernier texleest le plus correct. (Animadv. in Jth. 1804, t. v,p. 375.) Cependant la découverte, en caractères hiéroglyphiques, du mol égyp- tien donné au vin par les anciens écrivains , ainsi «jue les autres détails rapportés dans le texte, doit être considérée comme un argument puissant en faveur du système phonétique»

46 DiFFÉRENS HOML'MEMS

VIII. Portrait du roi Roboam retrouvé en Egypte.

M. Wiseman parle ensuite du portrait du roi Roboam si mira- culeusement retrouvé par M. ChampoUion sur les édifices du temple deKarnac. Nous ne nous y arrêtons pas, parce que nous en avonsparléfort au long dans deux articles, deux fois nous avons reproduit le portrait de ce roi '.

IX. Monument trè^s-curieux offrant le souvenir du Déluge.

Mais nous devons nous arrêter à un monument nouveau qui rappelle d'une manière frappante le souvenir du Déluge. Aussi nous allons le donner ici avec la gravure qui le représente.

«Dans l'année 1696, en creusant un tombeaudansle voisinage de Rome , un ouvrier découvrit un vase de terre, couvert d'une tuile. En le dérangeant, le couvercle tomba et se brisa. L'ou- vrier fit alors sortir du vase un grand nombre de cachets et d'amiulettes , figurant soit des mains Jointes, soit des têtes de bœufs, soit des olives; le tout grossièrement taillé en pierre. Sous cet amas d'amulettes et de cachets, l'ouvrier sentit quelque chose de dur et de plat, dans son impatience de voir ce que c'était il brisa le vase en deux, et non content de cela, il en brisa le dessous; après quoi il fit tomber un cercle de bronze qui avait été adapté avec précision au bas du vase, et une pla- que mince qui recouvrait certainement ce cercle de bronze. Le cercle n'avait pas de fond ; mais , d'après les filets de bois qu'on trouva mêlés avec delà terre, on supposa que, dans l'o- rigine , il en avait eu un de bois : en même tems, un grand nombre de petites figures que je vais décrire tombèrent hors du vase. Ce monument curieux vint en la possession de l'antiquaire Ficoroni, et la description détaillée en fut publiée par Eian- chini l'année suivante ^ Une gravure l'accompagne : elle est grossièrement exécutée; mais il en existeune édition plus récente sans date, et portant écrit au-dessous que ces objets se trou- vaient chez l'abbé Giovanni Domenico l'ennachi. J'ai fait faire une copie de cette dernière gravure, sans ra'inquiéter de l'im- perfeclion du dessin dans les deux qui différent assez entre eiles

' \'o\v le tome vu, p. IdO et tome viii , page 113.

> L'Hist, univers, prouvée par les monmnens , p. I 78 et suiv.

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CONFIRMANT LES RÉCITS DE LA BIBLE. 47

pour montrer qu'une parfaite exactitiule du dessin n'a été re- cherchée ni dans l'une ni dans l'autre. Nous les mettons sous les yeux de nos lecteurs, et en voici l'explication.

La planche est divisée en trois corapartimens, le N" i, sur la gauche, réprésente le vase A, fabriqué avec une terre différente de la ieira cotta ordinaire ; car elle était mêlée de fragmens métalliques et brillans, ainsi que de morceaux de marbre. Pour la forme, le vase ressemble à vm petit baril, ou au vase représenté sur la pompe d'Isis dans le palais Mattei. On le voit dans la planche tel qu'il a été cassé; la disposition des petites figures qu'il contenait est indiquée par la lettre C ; à côté , la lettre B désigne le couvercle du vase.

» Si vous passez au compartiment iV" 2 , vous voyez la forme de la partie inférieure du vase réduite aux deux tiers de sa gran- deur réelle. Les figures qui se trouvent dans ce compartiment et le jV* '6 ont été réduites à peu près dans la même propor- tion. D représente le cercle de métal qui doublait le bas da vase; il est composé de petites plaques clouées ensemble, comme pour imiter une sorte de charpente. A certains intervalles sont des fenêtres, ou espèces d'ouvertures , avec des volets au- dessus. Il n'y a point de porte; mais pour y suppléer, on voit une échelle de bronze E composée de cinq échelons , comme pour faciliter l'entrée par le haut. La structure de cette boîte de métal semble donc indiquer évidemment le désir de repré- senter un bâtiment ou un édifice, probablement en bois, l'on ne devait pas entrer par le bas. A certaines distances s'élè- vent, le long du bord de ce petit coffre, des inégalités sembla- bles au parapet d'un créneau; on voit deux de ces inégalités dans le dessin ; il semble que le couvercle y était attaché par certaines pointes de métal : à la lettre F, dans le compartiment de gauche, vous pouvez remarquer Tune de ces pointes attachée au couvercle.

oLes figures consistent en vingt couples d'animaux ', dont douze de quadrupèdes, six d'oiseaux, un de serpents et un d'in- sectes. Il y avait en outre deux insectes dépareillés; les deux qui

' Bianchini, dans sa description, dit qu'il y avait dix-neuf couples ; mais ceci ne s'accorde pas avec l'énumcralioa qu'il en donne en détail.

(8 DIFFËRËiNS monume:(s

quaient avaient sans doute été perdus dans l'excavation. Quant aux animaux, c'étaient un lion et une lionne, un couple de tigres , de chevaux, d'ànes, de daims, de bœufs , de loups, de renards, de moutons, de lièvres et deuxaulresespècesmanquant de signes caracléristiques; il y avait déplus trente-cinq figu- res humaines, quelques-unes isolées, d'autres en groupes, mais toutes , à l'exception de deux ou de trois , dans la posture de quelqu'un qui cherche à échapper à une inondation. Toutes les femmes sont échevelées et portées sur les épaules ou sur le dos des hommes j dans cette position, elles s'occupent de fermer la bouche et les narines de leurs protecteurs. Les figures iso- lées prennent pour elles-mêmes un soin pareil; elles sont re- présentées se haussant le plus qu'elles peuvent, et sur la droite vous voyez un groupe de trois figures montées sur un corps, G, qui paraît celui d'un noyé, comme si elles cherchaient à ajouter quelque chose de plus à leur hauteur : ces figures sont toutes d'un travail exquis et indiquent un état très-avancé dans les arts, à l'exceplion de quatre , qui semblent avoir été faites par une main grossière. On en peut dire autant des animaux, dont quelques parties brisées ou perdues semblent avoir été rempla- cées à des époques plus récentes. Il n'est dit en aucune page de la description de quelle matière les figures sont composées : si c'est en bronze, nous pourrions les comparer aux nombreu- ses petites figures d'animaux, toujours par paires, trouvées à Poinpéi, et dont plusieurs sont exposées au muséum de Naples. «J'ignore ce qu'est devenu ce monument curieux; je ne sui- vrai pas son savant interprète dans les divers argumens qu'il emploie pour prouver que c'était un vase dont on se servait dans la célébration de VHydrophoria, ou commémoration du déluge. Les différentes amulettes sont certainement bien semblables aux objets que, selon Clément d'Alexandrie, Arnobe et autres, les païens plaçaient dans leurs corbeilles mystiques; mais si le vase dont il est parlé dans les actes de l'académie de Cortonc est bien tel qu'on le décrit, comme cela est probable ', le vase

' Alù délia accademica di Cortona, Roma 1"i2. t. i,p. 65. Voir aussi la disserl. du profes. \Viinder de discrimine verborum cistœ et liteilœ dans les variœ Leeliones Ubrovam ali:]uotM. T. Cucionis ex eod. Erfust. Lips. 1827,

p. CLVllI.

CONFIRMANT LES RÉCITS DE L\ BIBLE. 49

dont il s'agit ici ne pourrait gvièrc être considéré comme ap- partenant à celte classe de monumens commcmoratifs. Je dois ajouter qu'on a trouvé près de ce dernier vase une chaîne et uneserrure qui semblent en avoir fait partie de façon ou d'autre.

s Quoi qu'il en soit, il est difficile de donner aucune autre ex- plication de ce singulier monument que celle qui doit frapper l'esprit au premier coup d'oeil; c'est qu'il fait allusion au dé« luge par lequel fut détruite la race humaine, à l'exception de quelques individus qui, avec des coviples d'animaux, furent sauvés dans une espèce d'arche ou de coffre. »

Tel est l'ensemble des monumens que M. "Wiseman a exami- nés dans son neuvième discours; on voit que la plupart étaient déjà connus de nos lecteurs. On remarquera même que nous avons publié en particulier sur le déluge, les monumens et les traditions des quatre époques de la nature chez les Mexicains ', et le grand tableau hiéroglyphique de Siguenza sur le déluge des Aztèques ' que M. Wiseman n'a peut-être pas connus.

Il ne nous reste plus sur cette grande question qu'à répondre à la demande d'un de nos abonnés, qui ayant vu dans un des articles de notre journal, que Mabillon avait soutenu devant la congrégation de l'Index que le déluge n'avait pas été uni- versel, nous a priés de faire connaître à nos lecteurs les détails de ce point important de doctrine. Nous allons essayer de le satisfaire.

X. De l' opinion" de MaLillon sur la noa-universalité du Déluge.

Notre savant bénédictin fut envoyé en Italie, aux frais de Louis XIV , pour y visiter les bibliothèques et y recueillir tout ce qui lui paraîtrait digne d'être publié. Les savans de toutes les villes d'Italie, et en particulier ceux de la ville de Rome re- çurent notre illustre compatriote avec les honneurs et la défé- rence que méritait sa réputation répandue dès-lors dans toute l'Europe. Les cardinaux de la sacrée congrégation de Vlndex voulurent en particulier lui témoigner leur estime et le cas qu'ils faisaient de ses jugemens, en le priant de prendie part à leurs travaux, et de leur donner son avis sur le livre d'Isaac Vossius,

> T. IV, p. 25. » T. XV, p. ^.66.

50 DIFFKRENS MONUMENS

qui avait pour titre de fJge du monde et du Déluge universel. Voici comment JMabillon raconte lui-même ce fait, sous la date du mois de septembre i685.

oSon éminence le cardinal Casanata, au nom de la sacrée «congrégation de l'Index, m'adresse les deux livres d'Isaac Vos- wsius sur VAge du monde et le Déluge universel, pour que j'expose «aux cardinaux ce que j'en pense. En recevant celte lettre, il » me vint à la pensée ce que disait Cicéron à Trebatius : qu^il y) préférait être consulté par César que d'' en être enrichi; quoiqu'il «faille pkitôl dire que c'est une preuve d'estime de la part de »la sacrée Congrégation, plus qu'une véritable consultation '.» Au mois de janvier de l'année suivante 1686, il revient en- core en ces termes sur cette affaire.

«J'ai reçu une lettre delà sacrée congrégation deYlndex, pour » me prier d'assister à vme séance , afin d'y exposer ce que je pense »des deux livres d'Isaac Vossius, sur le déluge universel. Déjà

trois cardinaux ont parié de cet ouvrage; car il est d'usage s dans cette congrégation, que deux on trois consulteurs nom- «més pour cela , selon la gravité de l'ouvrage, donnent d'abord »leur sentiment dans un écrit, qui est déposé entre les mains »du secrétaire , lequel en fait un résumé , qu'il soumet de nou- »veau aux cardinaux, et sur lequel leurs Eminences se pronon- ))cent définitivement. Il existe un autre tribunal, celui de la «sacrée Inquisition, auquel on renvoie les livres qui doivent «être condamnés comme hérétiques, et devant lequel les con- Dsulteurs ne donnent pas leur sentiment de vive voix, mais »par écrit. »

On voit que iMabillon néglige de nous dire ce qui se passa dans celte séance; mais nous l'apprenons dans sa vie écrite par Dom Ruinart , son ami et son compagnon de voyage. Voici comment il s'exprime :

«Pour lui faire honneur, on le créa consulleur de la congré- «galion de YIndex, et sur l'invitation du cardinal Casanata, il «assista à vuie des séances, pour y dire son avis, en présence »de neuf cardinaux et du maître du sacré palais, sur le déluge,

à l'occasion du livre Isaac Vossius prétendait qu'il n'avait

' Muséum italicum , tome i , p. 90.

rONFIRMANT LES RÉCITS DK LA LIRLE. 51

npas été universel, bien qu'il avouât que tout le genre humain «avait péri. Mabillon y parla avec tant d'érudition et de clarté , a que tous les auditeurs, remplis d'admiration pour lui, se ran- 1 gèrent de son sentiment '.»

Il resterait maintenant à savoir ce que disait Isoac Vossius sur le déluge. Voici l'extrait de l'ouvrage dont il s'agit :

«Il n'y a aucun doute qu'il n'y a eu qu'un déluge, que ce dé- »luge a été universel, et dont le souvenir s'est conservé dans «toutes les nations. Mais je ne partage pas le sentiment de ceux «qui croient que tout le globe en a été tellement couvert, qu'il » n'a pas existé de partie si petite qu'elle soit , qui n'aif été inon- cdée. La terre n'élait pas toute habitée; donc elle n'a pas du ïétre toute noyée '. »

Voilà ce que Mabillon a empêché la congrégation de VIndex de condamner. En parcourant l'opuscule de Vossius, nous avons lu les réponses que fait ce savant aux objections qui lui étaient adressées sur son opinion. Voici les principales.

On lui citait surtout le texte Moïse dit expressément : c que «non seulement tous les hommes mais encore tous les animaux » avaient péri. » Vossius répond : oque le mot jr CaL de l'Ecri- i> turc se prend non pas pour le tout, mais pour une.partie com- ')plète du tout ; que d'ailleurs , il en est plusieurs exemples dans » l'Ecriture; qu'ainsi, il n'est pas vrai de dire que le diable «montra tous les royaumes du monde à Jésus-Christ dans le de- ssert; qu'il n'est pas vrai de dire non plus que le recensement «ordonné par César Auguste, s'étendît à tout l'univers, comme » s'exprime la lettre de l'Ecriture, mais seulement à une grande » partie. » D'ailleurs Vossius assure que son sentiment était sou- tenu par les Juifs, les scholasliques, par Théodore Mopsuete, Théodoret et même par S. Justin. ^ oici les paroles de ce der- nier. On lui demandait : « Si comme quelques-uns le disent, le «déluge ne s'est pas étendu à tous les lieux de la terre, mais a «couvert seulement les parties habitées par les hommes , com- » ment est-il vrai de dire que les eaux surpassèrent de 1 5 coudées » les montagnes les plus élevées ? d Saint Justin répond :

* Vita Mab'dlonii; dans les vetera analecta in-fol. Parisiis 1 723, p. 151. » Voir l'opuscule intitulé de Septuaginia inierpreiibiis, etc. in-i", 1661 , page 883.

52 DIFFÉRENS MONUMENS, ETC.

Il ne paraît pas que ce fut une chose assurée que le déluge » ne s'est pas étendu sur tous les pays de la terre, à moins que «les lieux le déluge a eu lieu, ne fussent plus bas que les » autres ' . »

Voilà tout ce que nous avons pu recueillir sur cette question; nous avons cité ailleurs le passage de Mgr. Tévêque d'Hermo- polis ', qui s'appuie du senlimcnt de Mabillon, qu'il approuve dans son entier.

A. BONNETTT.

* Voici le texte de ce passage qui n'est pas très-clair : 5ox£tà^>i6èç eivKirh èv nocvrirôù xôcrptM tôv xaTKx^uo'[AÔv yeyovéven' et fxrlri «/3« y.oilôrepoi rjcav ol tottol evÔk û xa"ra-/^y(Ti:zôç è')-svéTO twv îlotTrwv tÔttwv t>5? yHz Saint Justin grec et latin. Paris, 1 7^2; quœstiones et responsa ad ortliodoxos. Il y en a qui croient que ce livre n'appartient pas à saint Justin ; mais le P. Labbe a prouvé qu'il a été seulement in- terpoliez Toujours est-il du 5' siècle. Ailleurs (Theophilus ad ^utliolicum). Saint Justin répète ce que dit la Bible du Déluge, sans s'expliquer son universalité; il rapporte seulement le sentiment de Platon, qui pensait que le déluge n'avait pas été universel , et que ceux qui avaient pu gagner les montagnes, avaient été sauvés, ce qu'au reste S. Justin réprouve. /rf. p. 39.

>T. n,p. 285.

REVUB DES TABLEAUX RELIGIEUX, ETC. 6S

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REVUE DES TABLEAUX RELIGIEUX

DU SALON DE 1838.

Monsieur le Directeur,

Je sais que vous avez beaucoup à vous plaindre de moi pour n'avoir pas tenu ma parole en rendant compte du salon de 1837, Je pourrais vous en donner plusieurs raisons toutes plus légitimes les unes que les autres ; je me contente, pour cette fois, de vous alléguer seulement ma paresse habituelle, qui frémit toutes les fois qu'il lui faut prendre une plume. Vous allez vous mo- quer de mon excuse, et alléguer ce que vous appelez mes écri" iures journalières. Mais ce n'est pas ce que j'appelle écrire : écrire, selon moi, c'est descendre au-dedans de son âme, éveiller ses pensées somnolentes et tranquilles, les faire tenir «ur pied, puis prendre les plus belles, je me trompe, les plus communes ( car, les plus belles , le public ne mérite pas de les voir), et leur dire ; « Belles âmes, prenez un corps ; ce corps, » ornez-le de soie, de fleurs, de rubans et de moire, et apparaissez »au monde. Quittez votre vie spirituelle, matérialisez- vous, «incarnez- vous, et puis essayez d'éveiller les sympathies d'au- etres pensées vos sœurs, qui ne sont pas encore, mais qui vous «attendent pour naître elles-mêmes dans l'esprit des autres;

qu'en s'éveillant ces paresseuses grandes dames soient satis- » faites de vous, et, vous baisant fur la joue, qu'elles vous disent: » Vous êtes belle , ô ma sœur ! vous êtes vraie , vous êtes divine ;

vous gagnez mon âme, elle s'identifie à vous; comme vous je

«pense, et comme vous je vois Or sus donc, vousdis-je,

«levez-vous?»

Mais ô malhçiu'! ô bonheur! plutôt, aucune ne se lève; femmes et sans vanité, toutes disent : « Mai^ pourquoi ngui ToMBavii.— 97. iÔ5i5. 4

1^ ïiEVUE DÉS TABLEAUX RELIGIEUX

» forcer à sortir de ce sanctuaire nous avons reçu le jour? » Pourquoi nous produire à ce jour que vous appelez publicité? squi nous y recevra ? qui nous comprendra ? qui même voudra nous croire? Olil trop, trop sont égoïstes les hommes, trop «froids, trop matériels pour sympathiser avec nous; nous qui «nées sans la terre, ne vivons pas des choses de la terre; mais «filles de la pure intelligence, comme elle nous vivons d'amour »et de science! Oh ! plutôt restez vous-même. Ici , toutes les «personnes que vous aimez, vous les trouverez, et vous les «trouverez aimantes ; car c'est nous qui conservons aux hommes «ce qu'ils ont de plus cher, les amis, ceux qu'ils ont perdus par «la mort, et ceux, plus malheureusement encore, qu'ils ont éperdus quoique vivans. Car ici seulement réside la pensée du «souvenir; pensée à puissance divine, qui fait disparaître le

«tems et l'espace, et réalise en quelque sorte l'éternité »

Kl tandis que j'écoute, séduit par ces caresses, je caresse à mon tour; et, enchanté par l'ange divin du souvenir, j'oviblie l'univers. Mais je vous ai dit que mes amis y étaient tous, et vous y êtes; votre voix y retentit, me sommant d'exécuter mes pro- messes. Tovit de bon, je me mets donc à l'ouvrage ' : voyons donc ce que nous aurons à dire de votre Salon.

Quelques figures convenables , aucune œuvre originale et au-dessus du bien; une malheureuse fécondité de tableaux mé- diocres, mais une envie marquée de bien faire : tel est l'ensemble du Salon.

Commençons d'abord par les types ou figures du Christ. Celui de M. Achille Devéria est un tableau décent; il vaut j-mieuxque bien des toiles qui se trouvent dans certaines églises; mais toutes les figures dont il est composé , offrent une affecta- tion, un maniéré, cette bonne grâce mondaine que nous appelons coquetterie, et qui n'est pas dli tout évangélique. On sait, au .reste, que c'iest le défaut de§ saints, et surtout des saintes dont

» C'est à nous qu'il faut reprocher si cet article n'a pas paru il y a deux mois, car il était prêt; mais les mate'riaux e'taient trop abondans, et •c'est ce qui a cté cause .d'un retari , que nous prions notre paresseux Correspondant et nOs abonnes de nous pardonner. (Le Directeur.)

I

DU SALON QE l658. 55

M. Devéria a donné une si nombreuse galerie. Il paraît aussi qu'il ne sait pas que le Christ , tel qu'il l'a rendu , avec les deux bras parallèles et se touchant presque au-dessus de la tète, n'est pas le Christ de l'Eglise catholique ; c'est le Christ janséniste , étroit dans sa grâce, borné dans ses libéralités, n'étant pas mort pour tout le monde, et rétrécissant ses bras pour ne pas em- brasser tous les hommes, comme le fait noire Christ avec ses bras étendus et grandement ouverts, ainsi que doit les avoir celui qui disait : « Lorsque je serai élevé de terre, J'attirerai tout j>d moi. » D'ailleurs, la Vierge qui est en arrière est trop belle dame , sujette, à ce qu'il paraît, à des vapeiirs et à des attaques de nerfs; et celle qui est évanouie sur le devant du tableau, si bien bouclée , parée, agrafée, n'est pas la 31adcleine juive qui aimait Jésus ; mais une de ces femmes qui, pour se rendre inté- ressantes, s'évanouissent au milieu d'un salon. Quant à ce per- sonnage qui est à genoux au pied de la, croix j ce n'est ni Nicodéme ni saint Jean. C'est sans doute un passant que IVI. De- véria a trouvé tout juste pour faire entrer une figure de plus dans sou tableau.

Je ferai presque les mêmes reproches à la Fuite en Egypte, de son frère, M. Eugène Devéria. C'est un assez joli groupe, mais ce n'est pas la fuite en Egypte. Le fait évangélique ne s'est pas passé ainsi. Les figures sont sans noblesse ; l'habillement n'a pas cette ampleur qui prête tant à la majesté. La Vierge est ime jeune fille forte, avec un air boudeur et affecté. On ne lui re- connaît pas même ce reflet céleste, que l'on voit quelquefois quand une jeune fille tient l'enfant d'une autre entre ses bras, et qui devait être bien autrement céleste quand c'était la Vierge par excellence qui tenait, sur son sein , celui qu'elle savait être son Seigneur et son Dieu. La figure de S. Joseph est la plus con- venable. Mais pourquoi ce petit enfant nu que l'on a jeté sur le bord du chemin , et auprès duquel la sainte famille passe sans même y faire attention? C'est un oubli des convenances, et, comme histoire, cela est faux : le massacre des innocens n'eut lieu qu'après la fuite de Jésus.

Le Christ en croix de M. Mosvoisis est beaucoup trop massif; comme celui de M. Devéria, il semble resserrer les bras; cette femme étendue tout de travers, n'est ni la Vierse ni la Made-

56 REVUE DES TABLEAUX nELIGIElX

leine. Je ne sais vraiment à qui la comparer. Je dois dire pour- tant que la couleur et le dessin annoncent une main exercée, et qui pourrait foire mieux si l'esprit qui la guide et le cœur qui l'anime étaient plus chrétiens.

Le Christ mort de M. Victor Mottez est une bien médiocre composition , qui n'est biblique sous aucun rapport. La femme qui tient les bras ouverts et celle qui touche les pieds du Christ, sont vraiment grotesques. On ne dirait pas que cette peinture sort du même pinceau qui a tracé le S. Etienne dont nous par- lerons bientôt.

Le Jésus-Christ porté au tombeau tXe'^l. Chabobb est lourd, d'une couleur opaque et terreuse ; la Vierge n'a point de di- gnité; point de vraie douleur ; Nicodême non plus.

Il faut en dire autant du Christ au sépulcre de 31. Hesse; il a trop voulu viser à l'effel. Sa Vierge a une pose théâtrale; la Ma îeleine est guindée, et elle est habillée de manière à ne pou- voir être placée dans une église. C'est un tableau d'exposition, et non de conviction ou de piété. Les peintres ne veulent pas y faire attention, l'Eglise n'e.^t ni un tht'àfrc, ni une académie de nu, ni une exposition.

La Tentation de I\ être Seigneur de M. Jcles Varnier est un ta- bleau qui annonce de bonnes dispositions de dessin et de cou- leur. Mais le Christ n'a pas assez de dignité, et le diable res- semble plutôt à ce Méphistophelès souriant à la séduction de Marguerite, qu'à l'ange déchu qui commençait à soupçonner que cet homme pourrait bien être le Messie attendu.

Dans VEcce homo de M. Phil. Comairas, la figure de Jésus a assez de dignité, les figures sont assez bien groupées, mais la couleur manque totalement ; Pilate ressemble à un cadavre, et non à ces Romains bruns, basanés même par le soleil de la Palestine.

Je ne sais sur quel modèle ni d'après quelle tradition M . Ferret a composé son Jésus en Egypte. C'est sans aucun doute d'après son imagination, or, on ne saurait la dire ni féconde ni bril- lante; biblique, il ne faut pas y songer. Représentez-vous, sous un ciel bleu, adossé à je ne sais quel édifice, uu homme re- \êlu d'une lourde et longue robe blanche, semblable à un bé- douin méditant de détrousser quelque voyageur. C'est ce qu'on

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appelle Jésus rtcant le C/iristianisme plus grand que la sagesse égyptienne (sty\(i du livret). Ln peu plus loin , à la^droite , est aussi je ne sais quelle espèce de pacha , n'ayant ni l'iiabille- ment ni les insignes égyptiens, et que le livret assure être un prêtre égyptien déchiffrant les Inérogly plies ; à côté est sa Ç\\\e.^ jeune imaqe cC/sis regardant le nouveau Dieu. Tout cela est faux et même grotesque. 3i. Ferret ne sais pas que Jésus n'est resté que fort peu de lems en Egypte, et que les Egyptiens de ce tems-là n'étaient pas habillés comme les Bédouins de notre époque.

Il y a une simplicité louable et quelque chose de calme et de divrn dans le Jésus parlant à la Samaritaine, de M. CnASSEtiT. Mais les figures sont assez mal dessinées^ la Samaritaine a la taille infiniment trop effilée; les yeux de Jésus-Christ sont aussi •trop grandement ouverts.

Malgré la négligence avec laquelle sont dessinées et coloriées les figures du tableau de M. J. Gcichard, représentant Jésus demandant que l'on laisse venir d lui les petits enfans , ce petit ta- bleau est bien groupé; il fait plaisir à voir, et la pose de Jésus est convenable et digne. J'en dirai à peu près autant de celui de M, Lacaze, représentant le même sujet; mais il faut faire de plus grandes réserves pour celui de M. Lavergne, qui n'a pas mis assez de simplicité et d'abandon dans toutes ses figures.

Il y a aussi de bonnes parties dans le Centenier de^M. Misbach, mais le Christ est sans dignité et sans aulorit^î. Le /f'^as d la montagne -des Oliviers, du même auteur, est moins bien encore : c'est à peine si l'on peut croire qu'il s'agit d'^ine douleur humaine, soulagée par des amis humains; ce n'est ni la pose ni les traits d'une douleur angélique ou divine.

C'est aussi le défaut du Jésus guérissant un aveugle, de M. Val- brun. La couleur y est assez bonne, mais Jésus y ressemble plus à Esculape qu'au médecin spirituel qui guérissait toutes les blessures.

La Femme adultère de M. Pérignon, doit être classée encore parmi les médiocrités sur lesquelles on ne peut dire ni mal ni bien. La composition est commune, la position de Jésus mal choisie.

Il y a au salon un assez grand nombre de Saintes familles.

58 REVUE DES TABLEAUX HELIGIEUX

Dans aucune d'elles on ne trouve cette simplicité pleine de foi, ce parfum qui devrait faire respirer les deux , ce feu intérieur qui devrait briller et chaufTer sans apparaître dans une telle famille, moitié divine, moitié humaine. Je vais rapidement les passer en revue.

Celle de 31. Aitbiqte est toute ramassée, sans aisance, sans grâce ; il faut encourager celle de M. Chibokd; elle vaut mieux que son Christ porté au tombeau. M. Pigal n'a su trouver pour la sienne ni grâce, ni douceur, ni sérénité, et si elle est des- tinée à une église, comme le \ivret l'affirme, ce n'est pas un cadeau fort précieux qu'on lui fera.

On voit donc que nous avons eu raison de dire que le type de Jésus a été traité en général d'une manière médiocre; exami- iions maintenant comment on a rendu le type de la VIERGE. La première qui se présente sur le livret est une Annoncia- tion de M. AiLtys; tout le tableau manque de vérité; la Vierge y paraît trop fertemeut surprise, et l'ange n'est point devant elle avec assez de respect; le geste qu'il fait du bras, lequel semble donner un ordre, est tout-à-fait inconvenant ; ce n'est pas ainsi que Gabriel parla à la mère de son Dieu. Quand Dieu lui-même se soumit, pour ainsi dire, à demander l'agrément de celle qu'il voulait rendre sa mère , l'ange dut paraître de- vant elle avec soumission et profond respect.

M. Darondeap ne s'est pas mis en frais d'imagination pour trouver le portrait de la Vierge et de son enfant Jésus; c'est une bonne femme, une bonne nourrice sans façon , assise jambe sur jambe avec un enfant bien portani ; si c'est sa femme et son enfant , comme cela est probable , je lui en fais mon compliment , il a sous la main de beaux modèles pour une académie.

Sous ce rapport, M. Rieseheb n'a pas eu si bon goût pour son Education de la Vierge : aune vieille flétrie, âgée au moins de 80 ans, il a donné une jeune fille de 5 à 6 ans, qui s'efforce de l'embrasser; il fallait prévenir que c'est la grand'mère ou la bisaïeule de la Vierge /d'ailleurs, M. Riesener connaît fort bien ce qui est nécessaire à l'éducation d'une jeune fille ; de bons livres bien reliés à la moderne, quelques bouquins dans un coin, cela donne un air de science; de plus, un globe céleste d'après

DU SALON DE l838. $$

la méthode cle Ïyeho-Brahé. Nous lui conseillons d'ouvrir un pensionnat de jeunes filles; son tableau sevvira d'enseigne.

M. Theveniu a voulu représenter le moment après le départ de Cange, Marie songe d sa haute inission , et je puis dire qu'il a-; la palme sur tous ceux qui ont représenté la figure de Marie. Cette jeune fille habillée de blanc, à la figure pure et candide , aux yeux baissés et à la physionomie si méditative, a bien quel- que chose de la divinisation qui dut se communiquer à la Vierge, quand elle eut consenti à devenir la mère de Dieu. Je ne parles pas de quelques incorrections de dessin , car j'ai envie de trou- ver une figure je n'aie rien à dire, et je choisis celle-ci.

Je dois cependant avouer qu'il y a aussi des éloges adonner à la méditation de la Vierge de M. Décaisse ; il y a de la poésie dans ces anges , qui d'un côté offrent des conceris et des hommages à l'enfant Dieu, et de l'autre lui présentent les instrumens de la Passion; mais cela ne vaut pasl'^ng^e gardien du même au teur , du salon de 1 856.

Je voudrais pouvoir en dire autant du tableau M. Van^ Eycken a voulu représenter le Dernier adieu que la Vierge donne d son fils avant de le confier au tombeau ; mais , franchement , la jQgure du Christ est trop cadavéreuse; ce n'est pas ce corps qui devait trois jours après reprendre triomphant la vie ; la Vierge pleure avec trop d'humanité; ce n'est pas la femme qui savait bien que son fils allait ressusciter.

Enfin , M. Lestang a créé une figure calme et belle dans son Assomption ; mais ce corps est trop massif; les deux anges aussi sont trop matériels, et puis ils ont l'air gauche, et semblent ne pas toucher la Vierge; la couleur est bonne, et le dessin aussi.

Je me suis trop étendu peut-être sur toutes ces toiles; mais j'ai cru que c'était la seule manière capable de donner une idée exacte de ce salon et de ses tableaux religieux. Je vais pas- ser rapidement sur différentes autres figures dites bibliques. Il y a 5 à 6 Made laines , mais toutes hideuses ou manquées. Celles de M. CoiGNARD,^de M- Rioust, sont des masses de chair nues, femmes éhontées, qu'on ne voudrait recevoir ni dans une église ni dans un salon. Je ne parle pas de celle de M. Tassaert, qui est une vraie et grotesque caricature. Je ne sais pourquoi, au reste, les peintres se croient obligés d'offrir aux regards, la

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Madelaine toujours à peu près nue. La tradition dit que c'est 6a Provence, au rocher de la S" Beaume qu'elle fit sa célèbre pé- nitence; or. on peut dire que rien ne fut plus nécessaire à la sainte qu'un vêlement; la température y est très-froide, et en hiver il y neige et il y gèle. Je crois qu'il y a maintenant des trappistes qui y ont besoin de la lourde robe de laine. A Jéru- salem, les femmes étaient très-modestement vêtues; c'est donc un anachronisme et une inconvenance de la peindre nue et couverte seulement de ses cheveux.

VEnfant prodigue de M. BorLAKGEa n'est pas un tableau bi- blique ; c'est une scène de mœurs espagnoles ou italiennes, avec les costumes du i5' siècle. Les Vertus théologales de M. BauNE forment un joli groupe de trois femmes, bien parées, bien coquettes, mais ce n'est pas un tableau religieux; j'en donne pour preuve la sœur de charité, qui représente plutôt une soubrette de la suite de Marie d'Kcosse; mais j'aime assez son jipocalypse. Le cheval blanc qui dévore l'espace emportant la mort, est bien exprimé ; ces hommes consternés, ce soleil rouge, ces étoiles qui se détachent du ciel ; cet ange sonnant de la trompette ou répandant la coupe des vengeances divines; tout cela donne une idée passable du grand tremblement qui saisira l'humanité à son heure dernière. La forme du cadre, qui offre quelques actes de cette grande scène, est originale, et mérite des éloges à celui qui l'a sculptée.

Le S. Etienne lapidé de iM. Mottez est le plus grand tableau religieux du salon; il fera quelqu'effet dans une église, et ce- pendant on ne saurait lui assigner un vrai caractère biblique. Le Christ, assis dans sa gloire est trop massif; la figure de saint Etienne est trop blanche pour un homme de l'Orienl; l'en- semble me semble mal disposé; la principale figure est celle, non du martyr, mais de l'homme qui lui lance la plus grosse pierre, et puis la position du corps du martyr est forcée.

Tenons au Daniel dans la fosse aux lions, de M. Ziegleu. C'est la figure que l'on a le plus louée ou critiquée; sans l'approuver en entier, je ne serai pas au nombre de ses critiques. Le lion qui est aux pieds de Daniel , et que l'ange contient d'un geste de commandement , est bien; le dessin et la couleur annoncent des études sérieuses ; les traits du visage de Daniel sont, en par-

DU SALON DE l838. 61

ticulier, fortement sentis et exprimés. Je ne trouve à dire qu'à la taille du prophète, dont le corps est trop raccourci, à sa robe qui n'a rien d'historique; c'est à-peu-près celle d'un Franciscain. Daniel, à cette époque, était un des trois premiers personnages de la cour de Darius le 31ède, la plus brillante et la plus magni- fique de l'Orient; rien n'autorise un tel costume.

Les sept péchés capitaïucdeyi. Steinheil, malgré les éloges qu'ils ont reçus d'un critique que j'estime beaucoup, M. le comte de Montalembert, me semblent inintelligibles et tournante la ca- ricature. Je n'en veux pour preuve que cet homme en chemise, qu'on a mis pour représenter V Avarice. Il y avait cent autres manières plus nobles, plus bibliques pour représenter ce péché capital.

J'avais vu dans le livret l'annonce d'un tableau représentant la Mort d'un enfant, d'après la jolie romance de M. Reboul. Je le cherchai avec empressement; mais quel désappointement 1 Figurez-vous une femme à genoux, tenant une main raide et tendue sur le corps d'un enfant, dont le corps rebondi semble enflé ou hydropique : c'estla mère. Puis un ange habillé comme un arlequin, sans intelligence, tient dans ses bras un petit corps tout rouge, tordu, les jambes retirées, véritable paquet; c'est l'emblème de l'âme. Je détournai la tôte , et fatigué de tant d'œuvres sans âme. sans intelligence, sans cœur, siinsfoi, sans amour, je me mis à lire l'ode de Reboul, dont j'avais une copie dans mon portefeuille. Je la transcris ici, parce qu'elle est fort belle , et parce qu'elle dédommagera vos lecteu rs de celte longue liste de noms, sèche et décharnée.

MORT DE l'enfant.

Un Ange au radieux visage , Penché sur le bord d'un berceau , Semblait contempler son image Comme dans l'onde d'un ruisseau.

Charmant enfant qui me ressemble-

Disait-il , oh ! viens avec moi ;

Viens nous serons heureux ensemble;

La terre est indigne de toi.

, jamais entière allégreise ,'

L'âms y fOuCTre de se» plaisirs ;

6* ALBUM DE DESSINS RELICIEWK

Les cris de joie ont leur tristesse ,

Et les voluptés leurs soupirs.

La crainte est de toutes les fête» j

Jamais un jour calme et serein ,

Du choc ténébreux des tempêtes » N'a garanti le lendemain.

Eh! quoi, les chagrins, les alarmes

Viendraient troubler ce front si pur !

Et par l'amertume des larmes ,

Se terniraient ces yeux d'azur!

Non , non , dans les champs de l'espace » Avec moi tu vas t'envoler ;

La Providence le fait grâce

Des jours que tu devais couler.

Que personne dans ta demeure ,

N'obscurcisse ses vêtemens ;

Qu'on accueille la dernière heure » Aiaai que tes premiers momens.

Qae les fronts y soient sans nuage ,

Que rien n'y révèle un tombeau ;

Quand'on est pur comme à ton âge ,

Le dernier jour est le plus beau! ! !...»

£t secouant ses blanches aileg , L'Ange à ces mots prit son essor

Vers les demeures éternelles

Pauvre mère, ton fils est mort!

idee, scnizzi per varj idillj pittûrichl sacri offerti

all' agnello ditino ed all' immocolata sua

madre, da un povero figliuolo

IN FER MO.

Plaerant Tirgineia ocullii tuis liœc infirmitatis noslra

Munusciila, i ô lolius eleganli» lotlusque «inctimoiiia ficmina. i (BImiui).

Ainsi vous voyez, M. le directeur, que, malgré ma paresse, je me suis exécuté de bonne grâce ; mais ce n'est pas tout , puisque vous avez voulu que je vous dise ce que je pensais du ^alon de i838 , je veux, à mon tour, que vous me permettiez de parler du bel album dont je viens de transcrire le titre, et qui vous a été donné par l'auteur lors de sou départ pour Rome. Plusieurs raisons me donnent droit, je dirai mémo m'impo-

bE M. IIALLEZ. GS

«ent le devoir de parler de ces dessins. D'abord, ils sont fort beaux ; ils annoncent un talent grand déjà par lui-mômc, et qui ue peut que mûrir encore soxis le soleil de l'Italie ; en outre, ils promettent un artiste véritablement chrétien, qui, comme Fié- sole, aime d'amour cet agneau divin et sa 7nci-e immaculée , qu'il s'est plu à reproduire sous toutes les formes. Mais ce n'est pas tout , j'ai une raison toute personnelle qui me pousse à vous parler de ces jolis dessins et de son auteur.

Les lecteurs des Annales se souviennent peut-être de quelques idées que je vous communiquai pour répondre à un article sur Cart paycn , qu'un auteur anonyme, M. L. H. , vous avait envoyé, et que vous voulûtes insérer sous le titre de Vart chré- tien et C art payen '. Quand j'écrivais cet article, je ne savais pas que moi, ignorant amateur, je lullais contre un artiste qui sait admirablement unir la pratique à la théorie. Sa théorie consis- tait à soutenir que les artistes modernes doivent, s'ils veulent véritablement faire avancer l'art, joindre, à la mystique du moyen-âge, les belles formes naturelles de l'art grec. J'étais jusqu'à un certain point de son avis; seulement, je soutenais que ce n'était pas encorepar la méthode toute matérielle, toute naturelle, actuelle, que l'on arriverait à ce résultat. M. H allez ( car vous m'avez permis ici de révéler son nom ) , dans ses es- quisses, a essayé de réaliser sa théorie. C'est donc avec une cu- riosité mêlée de joie que j'ai ouvert votre albiivi. Permettez-moi d'abord de parcourir rapidement les principaux sujets qui le remplissent, et puis je reviendrai à formuler mon opinion sur l'artiste.

Il faut prévenir d'abord que ce ne sont ici que des esquisses incomplètes que l'auteur a jetées sur le papier, et qui devaient être accompagnées d'épigraphes , de distiques destinés à en ex- pliquer le sens; car, comme Girodet et Michel-Ange, M. Hallez est. poète, comme on va le voir.

Le premier dessin que je remarque est le 2; c'est un groupe représentant la Fierge ^ l'enfant Jésus et S. -Jean. Du coin du ta- bleau, un serpent s'élance, dardant son aiguillon; saint Jean effrayé se réfugie dans le sein de la Vierge, et s'attache à

» Voir l'article inséré dans leN» /d , t. xni, p. 130 et f i2.

55, ALBUM DK DESSINS RfillGlEl'X

Tenfant Jésus, qui lui-même est entre les bras de sa mère, mais celui-ci, armé de sa croix, se retourne et repousse le ser- pent. La Vierge, à genoux, les mains étendues vers le serpent , semble encourager son fils. La courbure de son corps , son •voile , sa ceinture qui flotte sur ses épaules sont parfaits ; les îjras seulement sont visiblement trop longs.

L'auteur y a mis pour épigraphe ces vers latins que je vous laisse traduire et pour cause :

His te crede, puer, serpens dum sibilat, ulois,

V'irgiD€umque priùs, fili, ne desere portum ,

Quàin tandem aethereo potiaris littore, sospes t.

Le 5 nous oflfre encore un groupe charmaBt ; La Vierge , couronnée d'étoiles , est as&ise sur un rocher ; elle tourne sa télé à droite vers saint Jean , qui est penché vers elle et semble l'é- couter, et de sa main gauche elle tient l'enfant Jésus; le serpent profitant de cette distraction, relance ses plis et menace l'enfant iésus ; mais celui-ci lève «a croix, terminée en dard aigu, contre le serpent qui recule. Ce groupe est délicieux par la figure douce, placide, virginale de la Vierge, l'attention soumise de saint Jean, et le geste ferme et viril de l'enfant Jésus.

Le même sujet est répété sous le n" 9 ; c'est encore l'enfant Jésus qui menace le serpent de sa croix ; mais le serpent se tient au loin et n'ose approcher ; et la Vierge, qui le regarde , est tranquillement assise , bien assurée de sa victoire. Les n" 10 et 1 1 présentent aussi des sujets semblables , mais avec des physio- nomies différentes. L'enfant Jésus, ayant une croix dans une main, repose sur le sein de la Vierge; celle-ci est triste; l'enfant est rempli de force et de confiance, et de sa main libre, il ferme les lèvres de sa mère, comme pour empêcher les plaintes d'en sortir. Les deux figures de la mère et de l'enfant qui se regar- dent, sont délicieuses.

Dans le 1 5 , la Vierge est seule ; sous la forme de l'espérance , elle est assise sur un rocher élevé, le visage inspiré et tourné vers le ciel. Un peu plus loin est l'enfant Jésus qui, un genou en terre «l à demi penché sur un abîme, tend d'un manière gracieuse

« Enfant, lorsque tu entendras les sifflemen? du serpent, jette-toi dans le sein de cette mère , et n'abandonne pas ce port virginal , avant que tu •le sois reposé en iùrcté »ur le rivage du ciel.

DE M. IIALLEZ. 65

et son corps et sa main, pour recevoir une fleur qu'un oiseau vient lui apporter.

La fig. 16 perle pour épigraphe Silenzio e pace ; ce sont deux pensées complètes et délicieusement exécutées. La Vierge est à genoux, le corps à moitié ployé en arrière, la tète penchée sur le sein, les deux bras pendants et distendus, et considérant Ten- fant Jésus, lequel, à moitié couché sur les genoux de sa mère, lève vers elle un regard tranquille.

Il y a tout u!i poëme de pensées graves et résignées; je dis résignées, car la croix est devant eux élevée et décorée d'ua voile qui s'étale au vent en oriflamme. Rien de plus riche, de plus ample , de plus abondant que les draperies qui couvrent la "Vierge; aucune statue grecque, aucune statue romaine n'a un pareil luxe de plis et de draperies.

Dans la figure 20, l'on voil une jolie scène : ta Vierge et l'enfant Jésus sont assis sur un roc, qui s'élève au-dessus d'une nier tranquille. A leurs pieds est saint Jean qui tire un filet de la mer, et présente à l'enfant Jésus les poissons qu'il a pris. Au-de»- sous, le poète a ajouté ces vers :

Crédite , pUciculi , piscator amabilis, ille est, Cujus non fallunt, ncc perdunt relia captos «.

La pose de la Vierge et celle du petit saint Jean sont par- faites, le torse de l'enfant Jésus ne m3 paraît pas assez bien. J'aurais préféré que ce fût lui et non la Vierge qui tendît la main pour recevoir le poisson.

L'enfant Jésus, du 21, endormi sur te sein de ta Vierge, la télé appuyée sur sa main, el tout recueilli sur sa mère , me paraît bien mieux trouvé. La Vierge le tient serré, et semble dire, en contemplant , ce que l'auteur a mis pour épigraphe :

Qui creavlt me rcquievit in tabernaculo meo ».

Sine macula-, tel est lé^litre du n" 22. La Vierge est assise sur un rocher, sa figure est effrayée , sa main élevée conjure le danger; car au pied du rocher et du milieu des fleuves, sorl le dragon vomissant des flammes. Mais sur le bord du rocher, d'une main rassurant sa mère , de l'autre menaçant le serpent

' Croyez-le , petits poissons; c'est un bien aimable pêcheur, que celui dont les filets ne trompent ni ne perdent le^ captifs qu'ils ont pris. Celui qui m'a crée' s'est repose' sous ma tente.

^ ALBUM DE DESSINS RELIGIEUX

de la croix, est Jésus avec une figure calme et sereiae, le pleti ferme et le port assuré. A sa vue on peut dire avec le poète :

Ne timeas. .. invenisli gratiam... Dominus tecum >.

Le 24 nous offre une délicieuse figure de Vierge ; l'enfant Jésus est assis sur ses genoux , se retournant vers sa mère, qui, tranquille , semble se nourrir en silence de son bonheur. Dix colombes, entrelacées gracieusement, lui font une couronne de candeur et d'innocence.

"Lenon prœvalebunt, du n°25, est une image parfaite de la force et de la victoire. La Vierge entourée de son voile, comme d'une auréole, a sa droite étendue, et, à ce geste, les traits de l'ennemi tombent brisés ou impuissans; de sa gauche, elle menace le serpent qui recule dans ses replis. L'Enfauî-Dieu, debout sur la gauche, la main droite sur sa mère, et de la gauche portant l'oriflamme de la croix, semble le hérault de la victoire.

La F\.utli céleste du n" 26, avec son Jésus armé de la faucille, avec sa gerbe dans les bras de la Vierge, sa couronne d'étoiles et ses riches draperies, est aussi un bien délicieux dessin; mais le 2;; est sans aucun doute celui qui mérite la palme sur tous les autres; il porte cette jolie épigraphe :

Virginalium animarum spoasus , regina , pationi ;

Jésus, Maria, Joseph, Joaones, Philomena, Gregorlus Nazianzenusj|.

et sa composition y répond parfaitement. Deux groupes par- tagent le tableau ; la Vierge assise sur le premier plan , belle de majesté, voilée et drapée à la romaine; auprès d'elle S. Joseph, qui tient sur ses genoux l'enfant Jésus, lequel offre un bouquet de lys à une jeune fille, debout, mais qui se penche gracieusement pour le 'recevoir; à côté de la jeune fille est S. Jean avec une belle figure de jeune homme, et der- rière une majestueuse tète de vieillaidj celle de S. Grégoire. On le voit; tous les âges, toutes les chastetés, divines et humaines, sont réunis là, et forment une scène parfaite, que le S. Esprit qui la couvre de ses ailes, semble animer de son amour divin. Un pareil dessin vaut un tableau , et c'est curieux à voir.

» Ne crains rien... lu as trouve grâce... le Seigneur est avec toi. ' L' époux , la reine, le protecteur des âmes vierges; Jésus, Marie, Joseph, Jean, Philoraène, Grc'goire de NazianzCi,

DE M. HALLE2. 67

Ainsi donc que M. Hallezcontinue,il est dans la bonne voie, et cependant qu'il prenne garde à une chose; je conviens que toutes ses figures sont d'une mystique rare ; quelques-unes de ses Vierges pourraient lutter avec celles de Fiesole, et la naïveté delà composition rappelle tout ce que l'on conçoit de plus gra- cieux; mais je l'ai dit, qu'il prenne garde à une chose, c'est de ne pas prendie l'ornement pour la beauté , et la beauté par la majesté ; surtout qu'il évite cette fausse grandeur , que je reprochais aux Grecs et aux Romains d'avoir mis sur la figure de tous leurs grands hommes; ainsi, pour en citer un exemple très-sensible, je lui dirai que la Vierge de ce dernier dessin est trop belle et trop fiere personne ; la manière surtout dont elle relève son voile du bras droit, nu et arrondi, ne saurait con- venir à Marie; c'est un geste de reine, de déesse, d'une Cléo- pàtre, d'une Junon , mais non de Marie, fille de Joachim, mère de ce Jésus qui faisait des charrues avec son père Joseph. C'est ce qu'il y a de plus à craindre pour lui; je veux bien qu'il dessine, qu'il modèle purement ses figures, puis qu'il les habille richement d'après la tradition et l'histoire ; mais qu'il prenne garde de les parer. Nos saintes se sont quelquefois habillées richement, mais elles n'ont jamais mis de parure, elles n'ont jamais posé, elles n'ont jamais eu ni orgueil ni vanité. Voilà ce que je recommande à M. Hallez, il me comprendra à coup sûr; et maintenant qu'il me permette de répéter avec lui la belle dédicace qu'il a mise en tête de ses esquisses. Oh! oui, vous êtes poète, jeune homme, poète de cœur et de foi :

A. l'ag>eac divin et a la mère immaculée.

Très-douce Vierge , aurore sans nuage , Beauté sans ombre , étoile du matin , A vous remets ma vie et mon jeune âge; A V0U1 remets mon cœur et mon destin. Vous êtes mère; et moi, foible , volage, Bien ai besoin que me ten^jiez la main , Et me gardiez de tempête et d'orage , Emmi les rocs qui bordent le rivage , Vers devrai diriger mon chemin.

0 soyez-vous ma plus ferme assurance , Soyez toujours, soyez mon espérance , Et jusqu'au jour verrai le bonheur.

ALRUM DB DESSINS RELIGIEUX bénirai sans fîn votre assistance, Fonr seule tous , prenez naon pauvre coeur; Vous aimera , point ne sera menteur; Gros de soupirs, il vous quiert souvenance.

O si vouliez , bien aurois un désir , Que, dans ma simple et tendre confiance Bien soumettrois à votre bon plaisir : Tout près de vous , chacun jour de ma vie Travaillerois pour Jésus et pour vous ; Le faire aimer est ma plus chère envie. Vous faire aimer est mon vœu le plus doux.

De vous, adonc , dans un tendre délire. Je recevrois mes pinceaux et ma lyre ; Puis sous vos yeux , d'une timide main , Laissant mon cœur toute l'œuvre conduire. Je tracerois votre portrait divin , Votre beauté , votre tant doux sourire , Qui fait pAlir les astres du matin, Et soumettrois à votre aimabit; empire Tout esprit droit , tout caur^non inhumain !

Combien alors, attentifs à V(3S charmes , Mes yeux iroient versant de douces larmes; Et vous, sensible à ma tendre ferveur, Vous, quelquefois, si mes pinceaux fidèles Avaient su plaire à votre aimable cœur, Inclineriez vos lèvres niattrnelles Vers un enfant qui vous aima toujours , Qui de vous seule attendit son secours , Et n'espéra qu'à l'ombre de vos ailes.

Ce doux projet auquel tant il aspire , A mon esprit sourit plein de douceur. Si donc vouliez.... si daigniez y souscrire!... O douce mère ! en ce vallon de pleurs , (Si jeune encor , déjà trop le puis dire) Las ! ai compté bien des jours de douleurs ! Mais si vouliez.... si daigniez y souscrire , Plus ne verrois que des jours enchanteurs.

Si couleroient , formés d'instans ûatteurt , Les ans tardifs de mon pèlerinage , Si fournirois ma course sans orage , Si béoirois tous les jours vos faveurs. Et lorsque enfin finirois mon voyage. Tout bellement irois à votre cœur. dans vos bras , à jamais , sans nuage , Verrois briller le b«au jour du bonheur.

\

DE M. HALLEZ. 69

Oh oui, ces vers sont beaux, sont inspirés par une âme chré- tienne! et rame du poète et de l'artiste est précisément une de celles que, nous tous, nous cherchons dans ce siècle d'isolement et d'égoïsmc; et aussi combien je désirerais pouvoir répondre, oh! jeune poète, à la demande que je sais que vous avez faite si souvent , et encore dans votre dernière lettre de Rome, pour savoir quel est celui qui, ailleurs, a été votre antagoniste, et qui ici vient vous féliciter, et se hasarde môme à vous donner quel- ques timides conseils; mais je ne puis; seulement, sachez que j'accepte votre amitié, et par-dessus les Appennins et les Alpes, ô mon frère, je serre la main que vous me tendez, et dans ces étoiles plane votre esprit , je vous donne le saint baiser des agapes, comme les frères et les sœurs des premiers jours. Bien plus, si dans lux de ces songes, au milieu desquels vous ap- paraissent si souvent la Mère immaculée et le divin Enfant, il se présente à vous quelque figure inconnue, qui sincèrement vous félicite , applaudit à vos efforts, vous montre la route ouverte , et relevant votre courage parfois abattu , vous exhorte à conti- nuer votre route, c'est moi; soyez-en assuré, c'est mon âme, paresseuse, besogneuse, indolente, incapable dans le bien, mais remplie d'impatiens désirs pour tout ce qui est bien , et s'identifiant avec amour à tout le progrès qui s'annonce, et aussi prenant quelquefois la tâche facile de montrer du doigt le chemin qui est à faire , et l'espace à parcourir.

ToMB xvii.—N" 97. i838.

>]ffj DES HOSPICES D'ENFANS TROUVÉS

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DES HOSPICES D'EJNFANS TROUVÉS EN EUROPE,

ET PIIINCIPALEMENT EN FRANCE;

Par M. Rkmacle, ouvrage couronné par les académies du Gard et de Mâcon, et par la société des établissemens cbaritables de Paris •.

Dès les premiers siècles l'Eglise prit soin des enfans trouve's. Le Frère Guy au 12"= siècle. Saiut Vincent de Paul. Raison en faveur de la suppression des tours. Résumé de Toux rage.

Le réparateur divin de la société humaine, en préchant la charité, en établissant l'amour pour base de sa religion, avait préparé cette grande révolution des idées qui amena l'aboli- tion de l'esclavage ; en déclarant que la femme était la com- pagne de l'homme, en élevant le mariage à la dignité de sa- crement, il avait réhabilité cette moitié de l'espèce humaine qui, en dehors du Christianisme, subit d'une manière si rigou- reuse toutes les conséquences du châtiment primitif: «tu seras «sous la puissance de l'homme, et il aura autorité sur toi '. » Lui aussi, il avait dans son passage sur la terre, caressé et béni les enfans, il leur avait ouvert ses bras, il avait dit à ses dis- ciples qui voulaient les écarter : o Laissez les petits enfans venir à moi»; et cette parole fécondée par l'inspiration céleste au cœur de Vincent de Paule, a fait surgir des palais destinés à re - cueillir l'enfance souffrante et délaissée.

Mais ce serait une erreur que, grâce aux recherches dépo- sées dans l'ouvrage de M. Remacle , nous avons hâte de recti- fier dans les esprits qui en seraient imbus, de croire que l'E-

» 1 vol. in-8o, se vend à Paris, chez Treutlel etW'iirtz, rue de Lille, no 17.

» Crgnèsey cil. m , v. 16.

EN EUROPE ET PRINCIPALEMENT EN FRANCE. 1i

glise avait attendu seize siècles pour recueillir dans son sein ces petits enfans que son maître lui avait recommandés.

Dès les premiers siècles, l'esprit du Christianisme pénétrant ces mœurs païennes pour lesquelles jusqu'à ce moment, l'a- vortement, l'exposition étaient des actions communes et toutes simples , la législation commençait à condamner ces crimes; l'Eglise recueillait les enfans délaissés; la maison l'on nour- rissait ceux qui étaient encore à la mamelle, nous dit Fleury , s'appelait Brephotrophium ; sous Justiuien , ces établissemens prirent un caractère public.

Nous voudrions pouvoir suivre l'auteur du livre sur les hos- pices (T enfans trouves, dans les détails si pleins d'intérêt, il entre pour représenter d'abord l'état des moeurs de la Grèce et de Rome en ce qui touche l'exposition des enfans, puis le dé- veloppement successif de la charité chréiienne qui les attire à elle; les constitutions des princes chrétiens, les avertissemens, les injonctions des conciles, et les temples chrétiens offrant bientôt appendue à ses murs vine crèche de marbre destinée uniquement à recevoir ces précieux dépôts. On verrait que ridée première des tours, qui préoccupe si vivement les esprits depuis quelques années, et qui fournit à 31. Remacle matière à de longues et savantes discussions n'est pas moderne ; cette circonstance n'est point un argument que nous pensions réel- lement faire valoir en faveur de l'une ou de l'autre des deux opinions qui se combattent sur ce point ; c'est un simple fait que nous signalons en passant.

L'oublieuse histoire laisse quelquefois s'effacer de ses pages les noms les plus capables de les ennoblir: il faut quelque cir- constance particulière pour les raviver et les offrir de nouveau à l'amour et à la vénération du monde; le nom du frère Guy devrait désormais se placer toujours à côté de celui de saint Vincent de Paule, qui l'aurait certes volontiers avoué pour son modèle dans la carrière il l'avait précédé. Au douzième siècle, cet homme, vrai Vincent de Paule du moyen-âge , mais que nous ne connaissons que par .son nom et par ses œuvres immenses, avait fondé à Montpellier, sous l'invocation du Saint-Esprit, un hospice il recevait les enfans exposés. Un siècle à peine après la fondation de leur ordre, les enfans de

72 IrES HOSPICES D'ENFANS TROUVÉS

maître Guy, les frères hospitaliers du S. -Esprit, remplissaient l'Europe; l'Ilalie, la Sicile, l'Allemagne, l'Angleterre, la France, l'Espagne avaient vu surgir ces établissemens de cha- rité ouverts aux enfans exposés; et pendant trois siècles les mains de ces saints religieux recueillirent ces innocentes vic- times.

La tempête des guerres religieuses du 1 siècle les enleva aux malheureux; mais Dieu avait réservé Vincent de Paulepour recueillir leur héritage et les faire revivre de leurs cendres. Combien d'entre nous connaissent le modeste bienfaiteur de riiumanifé, ce frère Guy, que M. Remacle présente avec tant de raison à nos hommages, en le plaignant de Toubli de Tin- gratc histoire. Il travailla pour Dieu, le souvenir du momie lui importait fort peu sans doute, mais à nous il importe beau- coup.

Quand parut Vincent de Paule, la législation était contrainte de s'avouer impuissante pour arrêter les infanticides et les ex- positions ; elle ne pouvait suppléer la charité. On frémit au récit des crimes dont les rues de Paris étaient journellement le théâtre, et les enfans délaissés les tristes victimes. On sait les miracles de la charité du saint apôtre , de M"' Legi as et de ces fdles admirables dont elle fonda linslitution.

La révolution de 90 détruisit l'œuvre admirable de S. Vincent de Paule; elle prétendait la remplacer par une série de décrets et de lois auxquels manquait tout principe vital. iSapoléon le comprit, il rappela la religion, et rendit aux filles de S. Vincent, ces enfans d'adoption qui avaient tant souflert de leur exil , et qui les rappelaient de tous leurs cris de détresse. Le décret du 19 janvier 1811 est la base de l'organisation actuelle des hos- pices des enfans trouvés ; mais nous nous arrêterons avec l'au- teur à en examiner l'esprit et les dispositions, avant de le suivre dans l'examen de quelques-unes des questions les plus impor- tantes sur ce sujet si digne d'attention.

Beaucoup de personnes s'imaginent (jue les tours d'exposi- tion sont une création de S. Vincent de Paule, alors qu'il fon- dait SCS hospices d'enfans trouvés; c'est une erreur grave que M. Remacle rectifie; mais cette institution, de quelque manière qu'on veuille la juger, ne peut revendiquer pour elle;

EN EUROPE CT PRINCIPALEME^M EX FRANCE. 73

"i-'autorité de ce grand nom. Avant q3, les enfans étaient pré- sentés et admis avec la loruialité d'un procès-verbal constatant toutes les circo)islancts relatives à leur présentation ; c'est en ce point, surtout, que le régime établi pour l'admission par le décret de 1811, dillere de l'^tncicn système; les réglemens mo- dernes ordonnent qu'à la porte a des hospices d'enfans trou- »vés, sera placé un tour; celui qui se détermine ù abandon- »Der un enfant à la charité publique, le dépose dans ce tour »et sonne; une sœur hospitalière, chargée spécialement de ce «service vit nt aussitôt, et ramasse l'enfant sans pouvoir même » apercevoir la personne qui l'a apporté. »

Depuis l'établissement des tours, le nombre des enfans dé- laissés a augmenté dans une progression énorme, ainsi qu'on peut le voir étai)li par le calcul de M. Remacle. 11 serait peut- être trop absolu de conclure de ce fait, que les tours favori.sent ce délaissement , lorsque tant d'autres causes peuvent y avoir une part plus ou moins grande, et que dans le tableau qui nous est otfert , une proportion croissante, déjà fort sensible , se fait remarquer dans les années antérieures à l'organisation due au décret de 1 8 1 1 .

Quoi qu'il en soit, le consciencieux nuieur de l'ouvroge que nous avons sous les yeux, pénétré du désir d'arriver à la vérité sur toutes les questions, palpitantesaujourd'hui, qui ressortcnt de celles des enfuis trouvés, ne néglige aucune des sources il peut espérer de découvrir quelques documens; c'est pour cela qu'avant d'aborder de face les diverses propositions qu'il a le projet d'examiner, il cherche la solution qu'ont reçue chez les différentes nations de l'Europe, les tliéoiies dont l'applica- tion y a été tentée, pour de là, tirer ensuite des argnmens qui, ayant leur base dans des faits, sont par même moins suscep- tibles d'égarer , si l'on a surtout soin tle faire la part des cir- constances toutes pai liculièrcs, capables d influer sur les ré- sultats.

Quand il entre, après ces données générales, dans l'examen des questions d'économie sociale que soulève son livre. M. Re- macle s'adresse celle-ci comme l'une des plus importantes pa^ ses conséquences : faut-il supprimer les tours cC exposition? l'exis- tence de ces tours est-elle an moyen de prévenir les infanticides?....

Jk DES HOSPICES D'eNFANS TROUVÉS

puis, il s'arrête sur le seuil comine effrayé. On aime à voir en lui cette sorte d'irrésolution , alors même qu'il a acquis à force de travaux, de méditations et d'études, une conviction entière. « Comme tous les hommes qui auront un avis à émettre sur ce «sujet, dit-il, nous avons passé par toutes les angoisses du «doute avant de nous arrêter à une opinion; notre conviction s était déjà formée par une masse de preuves que nous nous la «reprochions encore comme pouvant être dans l'avenir l'occa- »sion et comme la cause d'un meurtre; et aujourd'hui même, »en exprimant par devoir ce que nous croyons être la vérité, nous ne pouvons pas nous défendre d'une certaine émotion. »

Ces sentimens font honneur à leur auteur : plus celui qui les exprime donne de preuves d'une capacité remarquable (et on ne peut nier que cet ouvrage ne porte le signe d'un vrai talent), plus ils sont honorables... Nous avouons même que cette can- deur , cette ingénuité portent avec elles la marque d'une bonne foi qui provoque l'assentiment , lors même que la force seule des raisons ne le déterminerait pas entièrement; c'est, pour notre part, ce que nous éprouvons après avoir lu ces pages.

M. Remacle établit, par des raisons puissamment déduites, mais que nous n'essaierons pas de reproduire ici, dans la crainte de les affaiblir, ces trois propositions : l' il n'est pas vrai que les tours d'exposition aient mis un terme aux infanticides; il n'est pas prouvé qu'ils en aient diminué le nombre; 5" il est prouvé, au contraire, que l'augmentation ou la diminution du nombre des tours, a été sans influence sur celui des infanti- cides.

D'une autre part , l'auteur résume en ces termes tous les in- convéniens résultant du système actuel : « L'abus principal , l'abus générateur, c'est le tour. Il nuit à l'enfant, à la société, à »la famille même auteur de l'exposition; il contrarie tous les «principes, renverse toutes les notions , sanctionne tous les » désordres ; et le secret qu'il assure aux mères coupables , seul «motif de son existence, ce secret pourrait être garanti, dans »le cas il est réellement nécessaire, par des moyens aussi sûrs »et moins dangereux.

EN EUROPE ET PRINCIPALEMENT EX FRANCE. T5

De cet abafl naît la progression croissante du nombre des » enfans trouvés.

» De cette progression, l'énormilé de la dépense ; de Ténormité » de la dépense, le peu de soins apportés à l'éducation des enfans, »et leur délaissement à cet âge ils auraient le plus besoin de

direction.

»De telle sorte qu'il est possible de frapper tous les abus en »uu seul, et qu'avec les tours d'exposition tombent les griefs

principaux de l'économie politique moderne contre les hos-

pices des enfans trouvés, b

Quant au système d'éducation suivi pour les enfans trouvés, M. Remacle demande qu'il soit modifié dans tous ses élémens, afin d'assurer des résultais vraiment désirables pour payer la société de ses sacrifices. Nous embrassons avec empressement ce vœu et les idées pleines de justesse développées par l'auteur. Il veut que la société se substitue véritablement à la famille, vis-à-vis de ces pauvres enfans qu'elle a adoptés, et qui peuvent dfre avec l'orphelin de l'Ecriture sainte : Pater meus et mater meadereliq aérant me !... Il veut que la société soit vraiment père et mère , comme ces litres lui en imposent le devoir. Que l'in- telligence de ces enfans ne s'ouvre donc qu'à la vérité , leur coeur qu'aux émotions vertueuses ; qu'à l'enseignement indus- triel se joigne surtout l'enseignement religieux.

Puis il résume ainsi l'expression de ses vues, pour l'amélio- ralion de l'institution des enfans trouvés .

a Admission pour tous à bureau ouvert et avec déclaration. » Maisons d'instruction et de travail. Nouvelle répartition des dépenses.

» Telles sont les réformes qu3 nous proposons à la législation i>qui régit les hospices. Elles feront tout le bien que des réformes «de ce genre puissent faire. Ce sera au gouvernement et à la «religion à faire le reste : le premier, en diminuant la détresse » des classes pauvres, par une administration éclairée et miséii- Bcordieuse; la seconde, en combattant les mauvaises mœurs par son action continue et toute puissante, et en propageant » l'esprit de charité par ses divins exemples. Il y aurait erreur et » folie à prétendre guérir, par des moyens purement administra- it tifs, uue plaie qui est surtout murale. Que l'amour de l'ordre

76 DES HOSPICES D'eNFAISS TROUVÉS.

«prenne la place de cet esprit de vertige, dont le moindre danger «est de jeter la perturbation dans les états ; qne les doctrines «religieuses pénètrent la société du sommet à la base ; que l'ins-

truclion publique soit chrétienne, et l'on verra les liens de

famille se resserrer, et avec les bonnes moeurs, viendra l'ai- ssance leur compagne ordinaire ; le libertinage cachera ses » désordres avec d'autant plus de soins qu'il sera plus rare, et »le fléau des expositions et abandons d'enfans, qui malheu- sreusement ne disparaît jamais entièrement chez un peuple,

n'existera plus que comme une menace devant laquelle les

gouvernemens éclairés ne pourront pas s'endormir.

» Ce tems est-il près de nous ? nous n'osons l'espérer. Ouvrier » obscur et inconnu, nous apportons notre pierre à l'édifice qui j)d()it un jour abriter nos neveux, en laissant, à de plus habiles, »le soin de la mettre en œuvre. Dussent nos efforts être dédai- » gués, nous nous en consolerions en pensant que notre exemple »au moins n'aura pas été inutile. »

Est-il nécessaire, après tout ceci, que M. Remacle proteste de ses intentions, et de l'esprit qui l'a inspiré; qu'il nous dise que l'intérêt des pauvres enfans l'a toujours guidé, et que des vues si pures ne sauraient tomber sous le coup de la menace, par laquelle le pape Vigile protégeait, en 542, l'hôtel-Dieu de Lyon, objet de sa plus tendre sollicitude, comme vicaire de celui qui a dit : Ce n'est pas la volonté de mon père, qui est dans les cieux, qu'il périsse un seul de ces petits enfans....

Non, quel que soit le parti qu'on embrasse après avoir assisté à cette espèce de lutte que se livrent, dans l'ouvrage dont nous rendons compte, les diverses opinions sur la question des enfans iroi.ivés, on ne peut se dispenser d'applaudir aux motifs qui ont inspiré à l'auteur ses éludes, ses recherches, et la consignation, dans ces pages, des résultats par lui obtenus.

Le travail tout entier porte l'empreinte d'une arae essentiel- lement religieuse, d'un cœur pénétré de l'amour du bien ; mais dont la sensibilité ne réagit pas comme il arrive trop souvent, sur la justesse de l'esprit et la rectitude du jugement ; le mérite d'un style constamment approprié à la nature du sujet, grave et digne sans être sec ni raide, animé et brillant quand les cir- constances le comporteni , mais toujours correct, vient servir

EN EUnOPE ET PRINCIPALEMENT EN FRANCE. 77

comme d'encadrement et d'ornement au mérite plus solide du fond de rouvrage. Des suffrages nombreux sont venus d'ailleurs prévenir notre jugement , et les palmes cueillies par l'auteur dans divers concours, et en dernier lieu dans celui ouvert par la société des élablissemens charitables de Paris, nous rassu- rent contre le scrupule d'avoir été inlluencé dans ce compte rendu, par de vives sympathies et le souvenir d'anciennes rela- tions trop promptement interrompues.

Nous le disons donc à M. Remacle : continuez à suivre la carrière dans laquelle vous avez débulé avec bonheur; vous y trouverez encore le moyen d'être utile à l'humanité et à votre pays , et vous satisferez ainsi au besoin de votre cœur. Nous le lui disons sans flatterie et sans arrière pensée; car il faut qvi'il sache bien qu'en cette occasion la critique n'a sacrifié à l'amitié aucun des droits de sa liberté et de son indépendance ».

JcLEs Jacqtiemet, Avocat à la cour royale de Paris.

' Voir en outre ce que nous avons dit sur cette question , en rendant compte de l'ouvrage de M. l'abbé Guillard, dans le tome xv, page 95.

7S NÉCROLOGIE.

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XiUx0i0^U be5 Anf^txif5 m0xi$ ^pmbftnf U $m(siti.

Boucheron (lécher. Gh. Emm.). 16 mars. 64 ans.

De Turin , littérateur , professseur de langue latine à Turin, a laissé: Biographies du comte Damien Prlocca; De l'abbé Thomas Valpeya Caluzo; Du Vernazza', Différentes Z??scri/)/(ons funéraires publiées à Turin par le professeur Vallumy ; Des Préfaces à la collection des Classiques latins de Pomba.

Beaufort d'Hautpoul (la comtesse de ). -4 ans.

Littératrioe , a laissé : Recueil de poésies ; Manuel de littérature ; Une édition des œuvres de son oncle Marsolier des Vivetières.

De Bovet (Mgr. François) , 6 avril. y5 ans.

De Grenoble ; le dernier des évêques sacrés avant la révolution ; a été suc- cessivement grand-vicaire de Saint-Omer et d'Arras ; prévôt de la cathédrale de cette dernière ville; en ijSi abbé de Bonlieu; membre de l'assemblée du clergé en 1780 et 1786 ; évêqae de Sisteron en 1789; émigré en Suisse, en Italie, en Allemagne, en Angleterre; rentré en France à la restauration; ar- chevêque nommé de Toulouse en 1817, et installé par procuration en 1819; démissionnaire de cet archevêché en 1820 pour des raisons de santé; nommé alors chanoine de Saint-Denis. Il a laissé : Mémoire sur le concours pour les cures dans le procès-verbal de l'assemblée de 1785. Réclamation contre la suppression de l'évôclié de Sisteron ; lettres du 24 novembre et du 12 décembre 1790 au chapitre de sa cathédrale , à ses curés et à ses vicaires ; du i4 mars et du 18 juillet 1791. Réflexions sur le nouveau serment prescrit en France et sur les motifs par lesquels on croit pouvoir le justifier. Ferrare , >795. Réfle- xions sur un mandement de J.-R. Villeneuve , évêque constitutionnel , aux fi- dèles des Basses- Alpes. i/gS. Réflexions sur un prétendu bref du SjuilletiygG. Ferrare, 1 797. Consolations de la foi sur les malheurs de l^EgUse, in-X2 ; 1797; réimprimé â Toulouse en 18J9. Instructions sitr les atteintes portées à la re- ligion; 1798; en Allemagne; réimprimées à Besançon en 1819. Signataire des réclamations des évoques non démissionnaires au souverain pontife. Instruc- tion à son clergé, 1801. Lettre en xSoa pour annoncer qu'il laissait son troupeau entre les mains du pape. Lettres de démission en 1812. Observations sur les différends de Louis XIV avec la cour de Rome, dans l'Ami de la religion, J^'i» octobre 1822. Des Dynasties égyptiennes suivant Manelhon, considérées en clUi-mêmes et sous te rapport delà chronologie et de l'histoire. Paris, 1829. Avi- gnon , i856. Histoire des derniers Pharaons et des derniers rois de Perse y selon Hérodote , tirée des livres proi'hctiquci cl du livre d'Esther. à vol, in-S" , Atignon , i836.

WÉCR0L06IE. 79

Caccianino (Antoine), février. 69 ans.

De Milan, miithéiiiaticien , a laissé en italien: Exposition d'un principe géométrique sur le système différentiel. Milan , iSi5. Méditation sur le calcul différentiel . i833. Manuscrit sur Vimpossibililè de Iq résolution des équations au-dessus du 4* degré,

Caslellan (Ant.-Laur.) , avril. 66 ans.

De Moctpellier, peintre et littérateur. On a de lui : Lettres sur l'Italie ^ la Grèce, la Marée, l'Ucllcspont et Constantinople; long-tems rédacteur de l'ar- ticle Beaux-arts dans le Moniteur. Collaborateur du Dictionnaire des beaux- arts.

Colas de la Noue (Gustave), ao février. 26 ans.

D'Orléans, jeune littérateur plein d'espérance et de mérite, collaborateur de la plupart des journaux catholiques de Paris , auteur d'Enosh , poëme qui qui n'était que le prologue d'un grand poëme biblique, dont il avait le plan tout formé ; De plusieurs articles insérés dans la Revue européenne , la France catholique, Vlnivcrsilé catholique. Après une vie remplie de foi, mort très chrétiennement d'une maladie de langueur, causée peut-être par l'ardeur d'une imagination toute de feu,

Fabré-Palaprat (Bernard-Raj mond) , janvier.

Du diocèse de Cahors, ordonné prêtre par les constitutionnels, au commen- cement de la révolution, entré dans l'ordre des Templiers, sacré évêqne sous le rit joannite par Arnal, puis sous le rit romain parl'évêque iNIauviel, grand-maî- tre de l'ordre en 1804, exerça obscurément la médecine jusqu'en 1802, il ouvrit une espèce d'église de Templiers; puis il est rentré dans son obscurité, et est mort dans les Pyrénées. On a prétendu que c'était lui qui avait sacré l'abbé Chatel , évêque primat des Gaules ; mais nous avons entre les mains une lettre originale signée de lui, il nie ce fait, et assure que M. Chatel a été sacré selon le rit de l'Et^Use chrétienne primitive , par M. Jean de Juitand, qui l'a interdit depuis , pour des motifs graves. Fabré Palaprat a laissé : le Le- vitikon, et différentes lettres à 3/^r. l'archevêque de Paris , aux Etudes re- ligieuses , à {'Univers , etc.

Gazzera 'le commandeur Joseph) le 2 avril. 79 ans.

De Mondovi, a laissé : S. Augustin, le Retour en Afrique , ou les Veilles pendant un trajet d'Italie à. Carthage , traduit de l'italien ; in-S° ; Paris, 1826-

Gironi (l'abbé Robusliano), i*' avril. 6g ans.

Kéà Gongangola près de Milan, bibliothécaire de Brera , littérateur et anti- quaire : collaborateur de Jules Ferrario dans les Costumes anciens et mo- dernes, i5 vol. Milan, 1829. Dclla pinacoleca dcl palazzo dellc sclenze e artl di Michèle Bizi , 1 vol. in-fol.; Milan, 1S12. Le Nozzs dei Greci , 1 vol. ini"; Milan. 1819. Saggio intorno alla musica dei Greci, in-4° ; Milan , 1S22. Ete- menli dei doveri dell'uomo , in-8"', i8i5. Dissertation sur le lériiable auteur de l'Imitation de J.-C., i834. Directeur de la Biblioteca ilatiana.

Grimod de la Reynière , décembre 18^7. 79 ans.

Littérateur, poète , et auteur de VAlmanach des gourmands , iSo5. Ec- jlexions philosophiques sur le plaisir, CoopéiateurduyoHrna/ de ^cufchatcl.

'8ô NÉCROLOGIE.

Konigsfelden (François-Louis-Haller de), jg avril. 8a ans.

■Historien et numismate ; auteur de l'histoire de l'Helvétie sous la dominnlion romaine.

Poggiû f Jean-Antoine) , i4 janvier. 68 ans.

De Verceil en Lombardie , peintre , poète et littérateur , a laissé : Traduc- tion des vers de Delisle sur ['immorlalilé de t'ânte, 1S13. L'Imaginasione.

Portîceili (Louis) , 00 janvier. 64 ans.

De Lenata Pozzolo , dans le Milanais, professeur d'éloquence , a laissé : Traité sur les règles poétiques. Auteur de Notes savantes sur te Dante. Sannazzaro e Lippi.

Keuss (Jérémie-David) , i5 décembre iS.î-. 87 ans.

]\é dans le duché de Schleswig en Jjao, le doyen des bibliothécaires d'Al- lemagne , a laissé : Bepcrtorium commentalionum à socielalibus lilterarum editarum. Gœtlingue. iSoi iSîo;20 vol. in-4° » ouvrage d'une haute im- portance.— L'Angleterre savante , de 1770 à 1790 ; Berlin, 1791, 10 vol. in-8"; continuée , (ètrf. iSo.j, 6 vol. in-8». Descriptions des manutcrits et livre» remarquables de l' Université de Tubingue , etc.

Ronchetti (l'abbé Joseph, février. So ans.

De Bergaroe, historien et littérateur, a laissé : Memorio ttoriehe délia elta <e chiesa licrgamcsca. Il prit part à la publication du Codex diplomaticus de Ch. Lupi.

Trouvé (Jacques-Allianase), 26 mars. 58 ans.

De Caen, .a laissé : iVo/tVc historique sur t'hôlcl-Dieu de Cacn. Mémoire ^ur ta population du Calvados. Manuel des bains de mer, En manuscrit. Essai sur la jalousie chez les en fans.

Salvoîini (François), février. aQ.ans.

DeFaenza, dans l'Etat de l'Eglise , égyptologue distingué , qu'une ma- ladie de poitrine compliquée d'une paralysie du côté droit , qui s'était dé- clarée au mois d'octobre dernier, vient d'enlever à la science égyptienne , à laquelle, presque seul, il était uniquement consacré. 11 a laissé dans sa courte carrière : Des principales expressions qui fervent à la noiulion des dates sur les monumens de l'ancienne Egypte , d'après l'inscription de Rosette ; pre- mière lettre à M. l'abbé Ccstanzo Gazzera; Paris , i832. 2' Lettre sur le même sujet, à M. l'abbé Costanzo Gazzera , «iirf., iS55. Campagne do lïhamsès-lc-Crand (Sésostris) contre les Schéta et Icm-s alliés ; manuscrit hié- ratique égyptien appartenant à RI. Sallier , à Aix en Provence; no/iVc .?(/r ce manuscrit ; Paris , iu-S", i855 , sur le Dict. de la langue copte de M. Amédée Peyron, dans lejonrnalde Clnsiruclion publique, tome v. Spécimen de qutl' rfues corrections à l'édition de diffcrcns te.vtcs hyéroglyphiques qui ont paru dans la 1" livraison de l'outrage ries njonumens de l'Egypte et de la Nubie, d'après les dessins exécutés sur les lieux sous la direction de M. Champollion le jeune^ elc, Paris, in-4*. iS35. Analyse grammaticale raisonnée de diffcrcns texte» anciens égyptiens; ouvrage dédié à S. M. le roi de Sardaigne , J" vol. conte- nant le texte hiéroglyphique et démotique de la pkrrc de Rosette, avec 1 vol.

SIBLIOGRAAniE. 8f

de planches; inachevé; Paris , iii-i°, iS5G. Traduction et analyse f^rammatical» des inscriptions sculptées sur l'obcitsquo égyptien de Paris , suivie d'une notice relative à la lecture des noms des rois qui y sont mentionnés ; Paris, in-4° , avec quatre planches , i83j.

Nous nous proposions de mettre ici la nécrologie et la longue bibliographie de M. Silveslre de Sacy ; mais nous les renvoyons au >'uméro prochain, parce que nous espérons les compléter par la communication que nous a promise M. le baron de Slane, de tous les ouvrages restés manuscrits de l'illustre savant, manuscrits dont M. de Slane a été chargé de faire le relevé.

OiOîiijgra^^k

DÉMONSTRATIO!V ErClI VRISTIQT E , l'on fait sentir enGn à tous ies- homTnes la magnificence el l'infaillibilité de l'Eglise romaine, parle seul éclat du plus piofoiid de ses Mystères ; l'on fait voir toutes les vérités, et, par con.séquf-nl, toutes les sciences, toutes les vertus, toutes les supériori- tés, dans Une; et le plus simple fidèle est mis à même de défier et de cinfondre le plus savant incrédule ; par M, Madrolié.

Nouvelle édition, double de la précédente, augmentée d'une Démonstra- tion ecclésiastique, in-S", cimipact, papier di-s Vosges;chez Périsse. 2 fr. So c, au profit d'une œuvre recouimanJée par Mgr. l'archevêque.

La Démonstration Eucharistique est de l'auteur du Prêtre devant le siècle ( in-8". ; fr. 25 c. ), qui a obtenu un succès si extraordinaire , et dont la pre- mière édition a mérité un bref de Rome. Composée pour un prince sur désir de son ancien gouverneur, déjà connue dans le monde savant et hum- blement soumise à la plus haute autorité, lu Déiuonslration eucharistique a été imprimée à la prière et aux frais d'un célèbre indifférent en matière de religion , qu'elle a ramené et convaincu.

Voici le jugement que Tient de porter sur ce remarquable ouvrage , M. l'abbé le Courtier, dont les Instructions éloquentes ont attiré tant ce monde dans le carême aux mis-ions étrangères de Paris :

Je vous assure avoir lu la Démonstration eucharistique avec bonheur de foi et de croyance. Il y a une profondeur de science et de vérité saisie par l'ana- lyse qui fait un grand bien à un cœur catholique et qui m'a vivement pénétré. On ne saurait trop féliciter l'auteur dont les veilles sont si noblement em- ployées.Il fait ce que disait Saint-Thomas d'Aquin au lit de la mort et au seuil de la vie : Ego de sanctissimo corpnrc domini nostri Jesu-Christi , niuUa docui^ tnalla tcripti, etc. etc. »

92 BIBLIOGRAPHIE.

OUVRAGES PUBLIÉS PAR M. L'ABBE DE GEXOUDE,

Se trouvant à la librairie de la Gazette de France , rue du Doyenné ^ la, et rut de

Sèvres f 18.

I. La Raison du Christianisme, ou Preuves de la Térité de la religion, tirées des écrits des plus grands hommes de la France , de l'Angleterre et de l'AUe- magae; nouvelle édition, augmentée de plusieurs articles impoctans. 5 vol. 10-4°, sur 2 colonnes, pris, Ô9 fr. 'La première édit, formait 12 vol. in-S".)

II. Les Pères des trois premiers siècles de l'Eglise. 12 vol in-8°, sur beau pa- pier cavalier, prix , 7 fr. le vol. Les trois premiers sont en vente ; le qua- trième est sous presse.

III. La Sainte Bible. 5 vol. in-8», prix 18 fr.

IV. Delà vérité Universelle pour servir d'introduction à la philosophie du verbe , par M. de Lonrdoucix. 1 vol. in -8", prix, 7 fr.

V. Malkbranche, publié par MM. de Genoude et de Lourdoueix. 2 gros vol. in-4° , prix , 20 fr.

V. Discours sur les rapports entre la science et la religion révélée, prononcé» à Rome par Nicolas Wiseman, docteur en théologie, principal du ccUége anglais et professeur de l'université de Rome, pour faire suite à la Raison du Christianisme, 2 vol. in-S", prix , i4 fr.

ANNALI BELLE SCIEXZE IIELIGIOSE compilât! dall' Ab. Ant. de-Luca à Rome , via délie Coverlite al corso , 20. i5 paoli pour 6 mois.

]N'° 17. Mars et avril.

I. Huitième conférence de Mgr. Wiseman, swr l' Histoire primitive. Deuxiècae partie : les EcypriEss, leurs monumens historiques et astronomiques.

II. Examen du célèbre ouvrage du docteur Buckland , professeur anglican , intitulé : De la géologie et de ta minéralogie considérées dans leurs rapports avec la théologie naturelle.

Cet ouvrage vient d'être traduit en français, et nous aurons bientôt occa- sion d'en entretenir nos lecteurs , quoique nous n'approuvions guère la prin- cipale idée du docteur anglais, qui est de prouver qu'il faut piendre à la lettre le mot jour de la Genèse.

III. Examen du premier mémoire de M. Raoul-Rochette , sur les Antiquités chrétiennes.

IV. Des théories de Fichte sur la liberté humaine, par L. Bonelli, profes- seur de philosophie.

V. Prœlectiones hliitoriœ ccclesiasticœ , quas in collcgio de Propagande fîdc ha- buit Joh. B. Palma, sacerdos romanus. D. Pauli del Signore can. Reg. lat. Jnslitutioncs historiœ ccclesiasticœ Novi T.; article du R. P. Bini, procureur- général des bénédictins.

Dissertation lue à l'Académie des Arcades, le a3 janvier i85S, par Mgr.

Grassellini, sur \a présence des vestiges de la tradition primitive dans la poésie

et la littérature latines. Préface latine de la nouvelle Grammaire égyptienne, du professeur Rosellini

BIBLIOGRAPHIE. 83

(Rome, iSôj), parle R. P. Ungarelli, assistant-gi^néral des cteres régu- liers de Saint-Paul. Bibliographie catholique de l'Allemagne , de la Belgique et de la Hollande.

18. Mat et Juin.

I. Neuvième conférence de Mgr. Wiseman , sur V archéologie et les secours qu'elle fournit aux démonstrations religieuses.

Nous offrons à nos lecteurs , dans le présent N°, une analyse et de longs extraits de cette conférence.

II. 5ur la théologie naturelle du docteur Chalmers , professeur à l'université d'Edimbourg; article de M. l'abbé de Luca.

III. Sur l'histoire des pontifes romains, de Ranke ^second article). (L'auteur de ce travail , tnot en critiquant sévèrement plusieurs parties de

ce célèbre ouvrage, reconnait que sa publication a rendu un véritable ser- vice au catholicisme.)

IV. Examen des théories de Scelling et Hegel , par M. Bonnelli.

Suite de la dissertation de Mgr. Grasseliini sur la présence des vestiges de la tradition primitive dans la poésie et la littérature latines.

Nécrologie de Mgr. de Pradt.

Bibliographie catholique de la France , de l'Allemagne , de l'Angleterre, des Etats-Unis, du Portugal, du Brésil, du Pérou, de la république Argea- tinu , de l'Austraiasie.

K" 19. Juillet et août.

!• X= Conférence de Mgr. Wiseman ; sur ses études orientales-, i" partie , sur la littérature sacrée.

II. Sur les acta hermesiana , composés par le docteur Elvenich , pour expli- quer les écrits d'Hermès, et rétablir la paix entre les différens partis qui disputent sur la doctrine, par le P. Perrone, de la compagnie de Jésus.

m. Lettre écrite par les D". Braun et Elvenich à S.E. le cardinal Lambrus- chini, et réponse de son Eminence.

IV. Documens , lois et décrets du nouveau royaume de la Grèce , publiés (en allemand) par G.-L. de Maurer , par l'abbé An. de Luca.

V. Sur le christianisme progressif, d'après l'Encyclopédie nouvelle, article ex- trait de V Univers.

ArPBnDiCE. Décrets de la congrégation de l'Index. Séances de l'académie catholique de Rome. Origine juive des Indiens de l'Amérique-Septen- trionale. Sur les poètes latins, chrétiens. Nécrologie du chanoine Louis Nardi. Bibliographie.

\tt& Annales de Rome réjouissent le cœur des catholiques, en leur appre- nant que dans les royaumes de l'Amérique si misérablement déchirés , il existe un clergé et des hommes qui défendent le pur catholicisme. Nous croyons faire plaisir à nos lecteurs en leur donnant le titre de ces ouvrages.

AU BRESIL. Réflexions impartiales sur le discours du trône, et sur la ré- ponse de ta chambre législative de l856, en ce qui regarde l'évêque du dio-

84 BIBLIOGRAPHIE.

cèse de Rio-Janeiro élu par la régence, et auquel le Saint-Siège refuse l'ins- titution canonique. Rio-Janeiro , 1857 , in-S" de 78 pages.

Réponse du provincial des Franciscains de Blo-Janelro sur les questions qui sont traitées dans le mémoire qui lui fut adressé par le gouvernement , pour lui en donner son opinion. Rio-Janeiro, in-S" de 16 pages.

Mémoire sur le droit de primauté du souverain pontife romain en ce qui concerne la confirmation et l'institution canonique de tous les évêques; traduit du français en portugais. Rio-Janciro, iSoj, in-S", de 65 pages.

Selccta Catholica ; c'est le titre d'un journal qui a été fondé au Brésil en iSSt, pour défendre la doctrine de l'église catholique.

AU PEROU. Essai sur la primauté du pape, particulièrement en ce qui concern-e l'insiilution des évêquis , par D. Jose[)li Ign. Rliireno, archidiacre de la sainte Eglise métropulitaine de Lima, auteur des Lettres péruviennes, A Lima , inS» de 4^5 pages.

Excellent et précieux ouvrag?, et pour la forme et pour le fond.

Dans la RÉPUBLIQUE ABCENTiN R. Panégyrique de sainte Catherine de Sienne, prononcé dans le nxinaslère des Dominicains de Cordoue , par le R. D. ÎMichel Cialliste de Corro. Buenos /lyres , iSii^.

L'éditeur de ce panégyriqnecsl le P. de Pierre Ignace de Castro-y-Barros, chapelain du susdit niouaslère, lequel .i eu principalement pour objet , » comme il le dit lui-même , de donner par cette lecture une haiue mortelle «contre le monstre du schisme, et de convaincre chacun de la nécessité de l'obéissance au pontife romain. »

COLOMES ANGLAISES, NOUVEAU PAYS DE GALLES. Relation contenant la lettre pastorale de Mgr. Polding ( évèque catholique de Sydney), et les résolutions prises parles catholiques du nouveau pays de Galles, ras- semblés dans l'Eglise cathédrale de Sainte-Marie à Sydney, le dimanches juillet i856.

Cette réunion eut principalement pour but de pourvoir aux moyens d'a- chever la construction de l'égliîC, et à cet effet, fut établie une société que l'on nomme la société catholique de l' Auslralade , chargée spécialement de pourvoir à tous les besoins de la mission.

Lettre adressée à Ccditeur du journal /c Colon par le R. Jean MacEncroe. Sydney i836. Réponse à quelques attaques de ce journal protestant.

Les cérémonies de la bénédiction et de la pose de ta première pierre d'une église, traduites en anglais du pontifical romain , précédées à' ane instruction préli- minaire, par le R. G.-B. Ullathorne, vie. général, à Sydney, i656.

Observations sur l'usage et l'abus de la sainte Ecriture , comme le prouve la discipline et la pratique des communions protestantes et catholiques , par le R. G.-B. Ullathorne , vie. gén. Sydney, i856. Ecrit dirigé contre la pré- tention de la société des écoles britanniques d'introduire dans l'-île la coutume de mettre entre les mains des enfans l'Ecriture-Sainle sans aucun commen- taire.

ANNALES 85

DE PHIIiOSOPHIX: CHRETIENNE.

Tlbuuiéïo 98. 3i 6LcÙK. i838.

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L^HERMÉSIANISME,

SON ORIGINE , SES PROGRÈS , SA CONDAMNATION F.T SON ÉTAT ACTUEL EN ALLEMAGNE.

Hermès; sa vie; ses études. Fait prêtre. Professeur à l'université de Muusler. Reproches faits à son enseignement. Publication de son livre. Analyse et danger de son système. Progrès de ses doctrines Université de Bonn. Efforts du roi de Prusse pour se rendre maître

de l'enseignement catholique Mort d'Hermès. Continuation de sa

doctrine. Bref qui la condamne Résistance des Hermcsions. Dé- tresse de l'Eglise d'Allemagne. M. de Drostc élu archevêque de Co- logne. — Sou zèle pour extirper l'hermésianisme. 0[iposition des

professeurs et du gouvernement. Fermeté de l'archevêque. Il est

enlevé cl mis en prison LesHermésicns à Rome.— Vains efforts pour

faire révoquer le bref. Soumission de quelques professeurs. Etat

actuel.

Il est peu de nos lec'eurs qui n'aient enlendn parler d'Her- mès, et du relentissement que la condamnation de sa doctrine a eu en Allemagne ; mais peu connaissent ce que c'est que cette doctrine, et surtout quelle malheureuse influence elle pouvait avoir pour la pureté de la foi. >^ous avons donc cru faire une chose utile , en traçant sur des docuraens authentiques , une histoire détaillée de ces erreurs. On verra qu'il en était peu qui méritassent plus de réveiller la sollicitude pastorale du souve- rain pontife, et dont les conséquences pussent être plus funestes à la religion. De plus , cette histoire servira à faire connaître la Tome XVII. 98. i858. 6

*S6 HISTOIRE DE l'HERMÉSIANISME.

triste état de l'Eglise catholique d'Allemagne , et ce qu'elle doit à lin de ses derniers confesseurs, Mgr. Clément-Auguste Droste de Vischering, archevêque de Cologne, en ce moment empri- sonné pour la défense des droits de l'Eglise.

Détails sur la vie d'Hermès.

George Hermès naquit, en 1775, à Dregelwald , ville de la principauté de Munster, en "NYestphalie. Dans sa jeunesse, il fréquenta l'école des pères Franciscains, auxquels appartenaitle collège ou gymnase de Rheines, et il y demeura 7 ans, de l'an 1785 jusqu'à la fin de 1792. Il se rendit alors, à l'âge de 17 ans. à Munster pour y commencer son cours de philosophie. Il y avait alors pour professeurs à celte université , le P . Ueberaasxer, pour la philosophie théorique ; Kremeling^ pour la philosophie morale; Gers^ pour les mathématiques; Baltzer, pour la phy- sique; et Kistcmaiven, pour la philologie. En 1794? Hermès com- mença son cours de tliéologie, il eut pour professeurs le P. For-Kevibeck, qui enseignait l'introduction à la théologie et à la dogmatique; Schnoesemberg, qui professait la tliéologie morale et quelques points de la dogmatique; Buentgens, qui faisait un cours d'histoire ecclésiastique; Jlbers, un de théologie pasto- rale ; Gorken et puis Kistenrnasker qui enseignaient l'exégèse.

Vers la fin de ses études de théologie , Hermès , comme il nous l'apprend lui-même ', conçut en son esprit quelques doutes sur Dieu, la révélation et la vie éternelle. Il nous assure avoir découvert la fausseté de l'argiiment ontologique, pour démontrer l'existence de Dieu, dans les écrits philosophiques et théologiques de Benoît Siattler, dont la plupart des œuvres ont été mises à Vindex des livres prohibés. Puis il connut , comme il le dit lui-même , que les anciens dans le\u' ontologie avaient tiré leurs conclusions de sources fort incertaines et fort impures.

C'est dans ces dispositions que , dans l'automne de 1798, il fut nommé professeur au gymnase de Munster, ce qui ne l'em- pêcha pas de poursuivre ses études théologiques et philosophi- ques. Il professait , à cette époque, une grande estime pour

' Préface de «on Introduction phdot.oph!cjiie ri In ihéolopie. chrétienne eatholiçiie, pagf s-

insTOiuE DE l'hermésiamsme. 87

Kant , lequel avait, d'après lui, clairement démontré que la métaphysique des anciens manquait d'un fondement solide; et c'est pour cela qu'il proclamait le philosophe de Kœnisberg le premier de ceux qui, en Allemagne, avaient fondé le véritable esprit du Criticisme philosophique. Il l'appelait un chercheur ori~ ginal, et le glorifiait surtout pour avoir sacrifié toute sa vie aune seule idée. Cependant Hermès prétendait avoir trouvé l'erreur fondamentale de Kant sur les formes subjectives; et il louait, d'autre part, Fichie qui avait, disûit-il, démontré radicalement que la philosophie de Kant ne pouvait se soutenir. Aussi recomman- dait-il ses écrits à ses élèves, et, en particulier, celui qui a pour titre De la fin de f homme ., comme un vrai modèle de recherche et d'exposition philosophique.

Sur ces entrefaites, le 22 décembre de cette année 179B, Hermès reçut la tonsure, les ordres mineurs et le sous-diaconat; et, le 16 février 1799, il reçut la prêtrise de l'évêque in-partibus alors administrateur et depuis évêque de Munster, Mgr. Gas- pard-Maximilien , baron Drostede Yischering, frère de l'arche- vêque actuel de Cologne.

Le 29 mars 1807, Hermès, âgéde33 ans, fut nommé professeur ordinaire de dogmatique à l'université de Munster, poste qu'il conserva jusqu'en 1819,011 il passa à Tuniversité de Bonn. Pen- dant son professorat de Munster il eut quelques démêlés avec l'archevêque actuel de Cologne, alors administrateur capitulaire de ce diocèse. M. Droste remarquait avec peine, que dans ses leçons le professeur fit usage de la langue allemande, et surtout qu'il citât à ses élèves avec une prédilection particulière les écrits de Stattler, suspects à bon droit ; il trouvait en outre qu'en se servant de la langue allemande, il altérait le sens rigoureux des expressions consacrées parmi les théologiens en pariant des dogmes et des mystères.

C'est en sa qualité de professeur qu'Hermès eut alors à don- ner son avis sur la version de l'écriture faite par Vun-Ess,et»v.r une autre question qui fit plus de bruit , celle qui s'était élevée entre le chapitre de la cathédrale de Munster , et son vicaire capitulaire.

Or, comme la part que prit Hermès à cette question nous fait connaître ses sentimensà l'égard du S. -Siège, et nous dé-

88 HISTOIUE LE l'hEUMÉSIAMSME.

couvre la cause delà faveur dont il jouit toujours auprès de Mgr. Spicî^el, arclievêque de Cologne, il «era utile de Texposer en peu de mots.

Lors de l'invasion de la AVesIphalie par les Français, Munster fut incorporé à l'empire. Napoléon à celte époque supprima les corporations religieuses et les chapitres de Munster, à l'excep- tion du chapitre de la cathédrale , qu'il conserva; seulement il le réduisit de 5i membres au, avec condition que ce nombre serait formé de 5 des anciens chanoines, et de 6 nou- veaux. A cette époque, le siège épiscopal était vacant et, l'an- cienne constitution de l'évèché ayant été abolie , le nouveau chapitre ne pouvait élire l'évéquc comme auparavant. Napoléon nomma pour évéque, le ii avril iS;5, le baron de Spicgel , doyen de l'ancien chapitre ; mais auparavant l'ancien chapitre avait élu pour administrateur le baron Clément-Auguste Droste de Vischering. Le gouvernement français insistait auprès du nouveau chapitre poxu- qu'il choisît pour admii;i?traleur l'évê- que-nommé, baron de Spiegcl. Alors M. Droste, par amour de la paix, consentit à s'adjoindre le baron de Spiigel en qualité de second administrateur.

Mais sur la fin de i8i3, Munster tomba an pouvoir du roi de Prusse') et peu après Pie VU, fut rétabli dans ses états. M. Droste informa d'abord le S. -Siège de ce qui s'était passé, puis se rendit lui-même à Rome, au mois de septembre il fut admis auprès de Pie VII, qui le reçut bien, mais lui fit quelques re- proches débonnaires sur la concession qu'il avait faite : a Nous savons complus, lui dit-il, que vous avez succombé à la com- Dmune faiblesse, dont nous sommes entourés; opuis le S. -Père lui prescrivit de faire une rétraclation publique, et de repren- dre seul l'administration du diocèse. M. Droste étant retourné à Munster en mars i8i5, communiqua à M. de Spicgel son acte de rétractation , et adressa à ses diocésains vine circulaire pour leur apprendre qu'il reprenait seul l'administration du diocèse ; M. de Spicgel se retira de l'administration, et tout semblait sans secousse devoir prendre l'ancienne marche, lors- que s'éleva toul-à-coup un nouveau sujet de discorde^,

Un membre du nouveau c hapitro aimonça à ses collègues une réiuiion pour le 5 iiviil iSi5. M. de Dro.«te informe de cette

HISTÛIHE hk l'ukrmésiajnisme. 89

démarche , dressa une protestation par laquelle il déclarait en son nom et en celui du doyen, M. de Spiegcl, qu'ils ne recon- naissaient pour légitime que l'ancien chapitre, et (|uc par con- séquent ils rejettaient comme illégale toute détermination prise par le nouveau. Les chanoines irrités de cet acte , proposèrent quatre questions à un certain nombre d'ecclésiastiques, au nom- bre desquels se trouvait Hermès, pour les examiner et leur ea dire leur avis. Les quatre questions se réduisaient à savoir si l'é- leclion faite auparavant par le nouveau chapitre du baron de Spiegel, évêque nommé de Napoléon , poiu- vicaire capitulaire, était légitime ou non. Hermès composa à cette occasion un écrit intitulé : Opinion sur la controverse entre le chapitre de Muns^- ter, et le vicaire capilulaire , qu'il fit paraître à 31unster, en i8i5.

Dans cet écrit, le professeur soutenait que le nouveau cha- pitre devait se regarder comme légitime , que l'élection de l'évêque , nommé vicaire capitulaire , était valable , et qu'eu conséquence l'acte émané de la part de M. de Droste , comme administrateur, était nul. On voit combien le professeur se mettait ici en opposition avec le sentiment bien connu et même l'ordre exprès du souverain pontife Pie VU. C'est pour ce fait que le barou de Spiegel conserva pour Hermès une affection particulière, dont il lui donna d'abondantes preuves lorsqu'il fut promu , en 1824 , à l'archevêché de Cologne.

Vers la fin de 1818, Hermès fut invité à occuper la chaire de théologie que l'on venait de créer à l'université de Bonn ; mais il refusa pour ce moment , et préféra garder la chaire de Muns- ter. C'est en cette année 1819 qu'il fit paraître le premier vo- lume de l'ouvrage, condamné depuis, ayant pour titre :

Introduction d la théologie chrétienne catholique , par George Hermès, professeur de théologie dogmatique à l'université de Munster; i" partie, contenant finlroduction philosophique '.

Le second volume parut en 1S29 ^vec ce titre : Introduction à la théologie chrétienne catholique , par George Hermès, docteur en théologie et en philosophie , et professeur de théologie à

* Einleitung in die ChristkutUolisc/ie théologie, von Georf» Ili-rme-i^ pro- fesser der dogmalischen théologie au dcr t;iuveisil.il zu ^Mun-ler. Eijler thojl philosophische cinkitung, Munslir ia der Coppemalhsclici» liuch uud Kiiul»baudluug, 1819.

90 HISTOIRE DE L HEnMÉSIAMSMK.

l'université de Frédéric-Guillaume de Bonn, clianoine de l'église métropolitaine de Cologne ; //' partie , contenant l'introduction positive '.

Le troisième volume parut en i8o4 > après sa mort , avec ce titre :

Dogmatique chrétienne catholique , par G. Hermès , docteur, etc , publiée, après sa mort, par M. J. H. Achterfeldt, pro- fesseur ordinaire de théologie à l'université , et inspecteur de la pédagogie théologique catholique de Bonn ; I" partie^ Munster l834^

Nous ferons connaître , plus tard , en quels termes et par quelles qualifications ces trois ouvrages furent condamnés par le Saint-Père, mais dès à présent , pour que nos lecteurs puis- sent comprendre quelle devait être l'influence de l'enseigne- ment d'Hermès, nous allons dire quelques mots sur la forme et la matière de ces volumes.

Et d'abord nous devons faire observer, comme un acte de justice, que les intentions directes d'Hermès et de ses disciples étaient bonnes et louables ; ils voulaient défendre la croyance catholique contre les attaques et les reproches de la nouvelle philosophie allemande. Voyant que la nouvelle terminologie philosophique demandait des réponses nouvelles, de la part des catholiques , ils essayèrent de créer une nouvelle philosophie catholique, qu'ils crurent appelée à remplacer la philosophie scholastique. Malheureusement ils ne furent pas assez surleurs gardes, et ne s'aperçurent pas qu'en croyant seulement changer la forme et les termes, ils changeaient aussi le fonds. Ainsi, \in

» Einleitung indie Chrislkatlioliscke théologie \oi\ GcorgHermcs, doclor der iheologie und philosophie, professer dcr théologie aader Rhcinischen Friedrich Wilhelms-Universital Bonn, nud Doinkapilular der Melropo- litaukirch zu KoIId. Zwciler iheil. Positive Eiuleiliiug. Ersle ablhoiloiig. Munster iii der Cop|ienralhsclien Bucli-und Kuaslliaudlung, 1S29.

» Christkathoiisch Doginalik, von Georg Hermès, <luclor der théologie unJ philosopliie, professer der ihcologie au der Rheiuiscliea Friedrich Wilhelnas-Universilat Bonn, und Donikapilular der Metropolilankirch zu Koïln. NaclidessenTode herausgegeben\on Dr. J. H. Achlerfeldl, ordeall. professer der théologie an dcrUnivcrsilat , und inspeclor des Kalliolisch theologiscben convictoriuuis zu Bonn, Erster lUeil. Munster, in der Cop- penralhscheu Buch-und Kunsthandluug. i854.

iiisroinii DE L'iiEitMÉsiAniSHii:. 9t

essai infructueux de défense de la religion, trop de concessions accordées à l'autorité temporelle sur l'enseignement catholique, une soumission pas assez prompte, tels sont les griefs que nous croyons pouvoir reprocher à nosfrères' catholiques des provinces Rhénanes.

Hermès donc, voulant concilier les devoirs de la foi catho- lique avec ce qu'il appelait les inlérêts de la pensée humaine, se dévoua à créer un système qui répondît à la fois aux exi- gences de la pensée la plus sévère et à celles de la plus pure orthodoxie, en créant une démonstration rigoureusement phi- losophique du catholicisme. Dans toutes les philosophies, jus- qu'à lui tacitement ou ouvertement, on .supposait toujours que le christianisme était une vérité y. puis on essayait de l'appuyer par des démonstrations philosophiques; c'est ce qu'on a appelé du nom de doute métlwdiqite, de doute négatif, lequel retenu dans ses bornes n'est pas un véritable doulç. Hermès, au contraire, fit positivement abstraction de tout ce qu'il croyait , de tout ce qu'il savait;, supposa^ qu'il "'y avait rien de certain et de vrai dans Je monde ,- non-seulement la religion catholique, mais encore toute autre vérité telle que l'existence de Dieu, celle du monde, etc., et c'est ce qu'on appelle le doute positif . Prenant donc pour point départ le doute positif, il entreprit de vaincre ee doute par les seules forces et les seules lumières de la pensée, et de trouver un premierprincipe de cognition sur lequel ilpour- raitsolidement élever successivement et par un enseignement ri- goureux, la vérité simple, la vérité religieuse, la vérité chrétienne, la vérité catholique, de telle sorte qu'il pût être autorisé à poser à tout homme ce dilemne : ou il n'y a point de vérité , ou la vérité c'est le catholicisme.

On voit déjà par quels points Hermès touche ou se sépare de la philosophie de Descartes , et de celle qui est enseignée dans nos écoles.

Ainsi donc dans les deux premiers ouvrages, dont nous avons cité le titre, Hermès ne s'occupe pas positivement des dogmes du catholicisme. H y traite des principes généraux de la con- naissance humaine et de leur connexion réciproque. Dans i'in- troduction pliilosophique , il recherche successivement le premier fondement de toute connaissance, qu'il croit êlie la pensée.

92 HISTOIRE DE l'hERMÉSIANISME.

De il déduit le monde intérieur et extérieur, Dieu, ses qua- lités, la nécessité d'une révélation, la possibilité de la connaître. Dans rintrocluction positive, Hermès , partant du point il vient de s'arrêter, recherche quelles sont les sources de la révélation divine immédiate , et les trouve dans les livres saints, dans la tradition et dans le ministère apostolique résidant dans rEglise. On voit que ce sont à-peu-près les questions traitées dans la plupart des livres de philosophie; mais ce qui était propre à Hermès et ce qxii constituait le fonds de son système, c'est qu'il appliquait à chacune des vérités qu'il voulait établir, la méthode de démonstration extérieure et intérieure, théorique et pratique; et , pour faire mieux comprendre combien cette méthode est obscure, arbitraire, insuflisante, nous allons l'appliquer à un seul fait, la résurrection de Jésus-Christ. Les Hermésiens ad- mettent d'abord le doute positif sur celte vérité, et pour en sortir, ils ont recours d'abord à la raison théorique.

a Selon eux, la force de la raison théorique consiste en ce que » d'abord elle établisse, comme une chose nécessaire , une cause suf- •a fisante de chaque fait ; ensuite qu'elle ne soit obligée d'établir celte cause lorsqu'il lui est démontré qu'j/ est impossible d'en i> établir aucune autre, de telle manière qu'il lui faudrait renoncer » à tout autre cause, ce qui répugne à la raison, si on n'établissait «pas celle-là '. »

On voit déjà que pour savoir qu'il est impassible d'établir aucune autre cause, il faudrait connaître toutes les forces de la nature; alors seulement on aurait celte connaissance intime, in- trinsèque, pleine et parfaite , et absoluinent requise, d'après Hermès. Aussi les hermésiens avouent-ils qu'il arrive peu souvent que l'on puisse avoir la démonstration théorique d'une vérité , et alors, pour suppléer au défaut de la raison théorique, ils ont recours à la raison pratique, laquelle ne pouvant donner une certitude théorique qui rende l'assentiment //n\</(7«f3«t7i/ néces- saire, donnera une certitude vwrale. Or quelle est cette certitude ?

' Theoreticœ rationis t'/sin co ceruiturprim/nn ut anj!iscuius({ue eveiilûs causam sufflcientein , nccessario statuât, c^e(»u/e ul li.inc catisam slaliiere tum deinum cogalur ubi deaionslralnm est non passe aliam iillnni statut, ita quidciu ut omnis causa foUeada sil, quod repugtjal ralionj, iiisi hacc alla .'tatualur. Acta liermesiana, pag. 43-

HISTOIRB DE [,'hERMÉSIANISME. 93

« La certitude morale ne peut être outre que celle qui naît * iV lin assentiment moralement nécessaire, et qui lui est inlimcment unie '.

Eclaircissons cela par un exemple donné par les Hermésiens mêmes, et que Ton peut appliquer à Jésus-Christ mort.

Supposez un corps pâle, livide, inanimé, même fétide et tombant en dissolution. Il faut d'abord avoir un doute positif si c'est un cadavre ou un corps vivant , pour sortir de ce doute re- courons d'abord à la ?'«(5o» théorique; elle sera impuissante, parce que , pour savoir que c'est un vrai cadavre, il faudrait qu'elle connût toutes les forces de la nature, et, en particulier, s'il ne pourrait pas exister quelque parcelle de vie <lans quelque partie du corps. 11 faut donc avoir recours à la raison pratique , et cher- cher si elle ne peut pas nous donner une certitude morale que le corps est un cadavre. Cette certitude, on la tiouvera dans le devoir moral d'ensevelir le cadavre. De découle naturellement la nécessité morale d'affirmer que le corps est mort.

Qu'il nous suffise d'avoirdonnéicicet échantillon du système d'Hermès, et de ses abstraites et inadmissibles conséquences. Il est facile de voir combien celte méthode devait jeLer le (rou- ble dans toute l'économie de la doctrine catholique. Quelles étaient ces conséquences; c'est ce que l'on verra avec certitude dans le bref de condamnation, et dans la thèse que Mgr. l'arche- vêquede Cologne proposa designer aux Hermésiens '. ?ilainte- nant poursuivons l'exposé de la vie d'Hermès et des progrès de sa doctrine.

Progrès des doctrine? d'Hermès. Utiiversiiè Je Bonn.

Peu après la publication de la i" partie de son ouvrage, Her- mès fut reçu docteur en théologie à l'universilé de Breslau, et nommé professeur de théologie à l'université de Bonn. Nous avons essayé de faire voir quelle funeste influence devait avoir pour la pureté du dogme les principes d'Hermès; il ne faut pas séparer cette tendance des attaques directes contre la hiérarchie

> Moralis cerlitudouou polesl alia es.'e prtelerquainilla 'juée iia>ciliii- ex assensione moratitcr tiecessai ia, cun» eâque co;iucxa elcopulala. /</. p. 4^, ' Voir ci-après pag. 98 et iu5.

94 HISTOIRE DE l'hERMÉSIANISME.

ecclésiastique qu'offrait l'existence même de l'université de Bonn, et les prétentions du gouvernement prussien , que sou- tenaient imprudemment les professeurs catholiques de théo- logie. Voici en peu de mots la gravité de cette situation.

Tenir en leurs mains la direction de l'enseignement catholi- que, tel a toujours été la tendance des rois prolestans, et malheu- reusement on peut faire le même reproche à bon nombre de gouvernemens qui se disent catholiques; mais c'étaient surtout le désir et l'ambition du roi de Prusse, renommé par son pro- sélytisme religieux. Pour y parvenir plus sûrement , il créa , en 1818, une université à Bonn, où, à côté d'une faculté de théolo- gie évangétique, il plaça, de son autoritéprivée et sans aucune in- tervention du souverain pontife, une faculté de théologie catho- lique, dont il nomma tous les professevirs, ayant soin de choisir ceux qui pourraient le plus se prêter à ses desseins. Ces profes- seurs furent Gunther, que l'on fut obligé de suspendre de ses fonctions; Scholz , savant helléniste, recommandable par les voyages qu'il avait faits eu Orient à la recherche des nouveaux manuscrits du Nouveau-Testament, mais auquel on peut re- procher vine hardiesse de critique devant laquelle avaient reculé plusieui's auteurs prot'jîsl ans; Seber, qui bientôt après se brouilla avec Hermès, et, ayant été obligé de quitter Bonn, alla diriger le collège philosophique de Louvain , création protestante du roi Guillaume ; Ritler, qui s'attira aussi des censures; et enfin Hermès , dont ou connaissait l'enseignement rationaliste à Munster.

Mais comme cette institution pouvait paraître un peit étrange et alarmer les calholiq^ues, le gouvernement prussien résolut de la faire approuver solennellement par les professeurs eux- mêmes. Les ayant donc réunis en conférence, il leur donna à discuter les relations qui devaient exister entre la faculté de théologie et l'Kglise. Voici quelles en furent les conclusions que le gouvernement regarda comme l'acte constitutif de la faculté :

Les prolesseiu-s 8oal élus cl iiistalté* par le gouvernemenl ; l'urchc- *êquc a seulement le «Iroil de lui adresser des réclamations , pour loi faire couuailre qne lil prol's^iciir ne jouit pas de sa confiance.

a* Adu que laFiicuUu de ll>.coiogie ne soil pa» inférieare aux autre» Fa-

niSTOIRU DE L*HERMÉSIAMSME. 95

cullcs de l'Allemagne , lc« ouvrages qui seront publiés parles profes- seurs ne seront point soumis à l,i censure archiépiscopale.

3* î?i quelque professeur vient à être accusé d licrésie, on établira une commission dont les membres stToul nommés eu nombre égal par l'ar- cliL'véqne et par l'accusé. Le résultat de leur examen sera envoyé au gou- vernement, afin qu'il prononce une sentence déliiiilive sur l'accusé.

L'université est un établissement du gouTcrnemenl, parce que c'est an gouvernenumt et non au pnpe qu'est dévolu le droit de conférer à la faculté de théologie lu pouvoir de donner des grades académiques.

Toutes ces proposilions reçurent l'approbation de tous les professeurs, excepté de Seber, qui aussi fut obligé de quitter l'université; bien plus , elles reçurent une sorte d'approbation canonique, lorsqu'en 1824 le baron de Spiegelfut fait archevê- que de Cologne. Car il ne fut pas plutôt arrivé dans son diocèse, qu'il supprima, probablement d'après les promesses qu'il en avait faites au roi, l'enseignement de son séminaire diocésain, et il envoya tous ses élèves faire leur éducation à la faculté de théologie de Bonn, avec lés leçons d'Hermès et de ses collègues, car depuis le départ de Seber, Hermès dominait seul dans l'uni- versité, dont toutes les chaires furent occupées par ses disciples; aussi, à dater de ce moment, tous ceux qui aspiraient aux grades ou voulaient passer des examens, durent, sous peine d'é- chouer, embrasser ses doctrines et jurer en ses paroles.

Una autre chose manquait au roi, à l'archevêque, aux pro- fesseurs; jusqu'à cette époque ils n'avaient pas osé conférer les grades académiques; mais ils trouvèrent bientôt le moyen de s'attribuer encore ce droit. Pour répondre à quelques plaintes élevées contre l'enseignement des professeurs , Mgr. de Spiegel adressa au pape une longue apologie de leur doctrine, et se rendit garant de leur orthodoxie, et en particulier de celle d'Hermès; le S. -Père lui ayant répondu en i852 qu'il se réjouis- sait de cette nouvelle, tout en lui recommandant une sévère attention ; l'archevêque et le roi transformèrent cette réponse en approbation formelle, et un arrêté du gouvernement dé- clara conférer à l'université le droit de nommer des docteurs en théologie et en droit canon. L'archevêque , dans une circu- laire adressée à son clergé, se félicita de cet état de cho.ses , et en fit part à ses collègues dans l'épiscopat. El ainsi se trouva

96 HISTOIRE DE l'hbumésiamsme.

établi et scellé l'esclavage de renseignement calholique en Alle- magne. Or, comme d'autre part, dans la fameuse convenliou de Berlin , les évêques, contre le texte précis du bref de Pie VIII, dans la question des mariages mixtes , avaient consenti à ce que lesenfaus issus de mères catholiques fussent élevés dans le protestantisme , le roi de Prusse pouvait se vanter de posséder en SCS mains le sort du catholicisme, qu'il sappait d'un côté par l'enseignement, et qu'il extirpait radicalement, toutes les années par coupes réglées , en diminuant toutes les années , le nombre des familles catholiques.

Cependant Hermès, après avoir établi sa doctrine dans les universités de Bonn, de Munster, de Breslau, et dans presque toute l'Allemagne, peuplé toutes les chaires et les principales cures de ses disciples, comblé de faveur par son archevêque qui l'avait créé chanoine de son église métropolitaine de Co- logne, était à Bonn le 26 mai i85i , âgé de cinquante-six ans; mais sa doctrine fut loin de mourir avec lui : des disciples aussi terveus que le maître furent chargés de la propager. Sort de rHcrmciiniiiïiue après la mort d'Hermès.

Cependant, quelle que fût l'habilité d'Hermès et de ses dis- ciples pour pallier les graves défauts de sa doctrine, elle ne laissa pas que d'éveiller l'attention; déjà les professeurs Rlee et "W'indischmann avaient cru devoir déclarer qu'ils n'en approu- vaient iiuilcmcnt les principes. Dans les universités et dans le public les esprits étaient divisés en deux partis. Les uns accu- saient Hermès de nouveautés pernicieuses menant au scepti- cisme et au renversement des principes catholiques ; les autres, au contraire, soutenaient que sa doctrine était souverainement orthodoxe, et le plus ferme soutien de la vraie foi et de l'en- seignement catholique contre le protestantisme et le ratioua- lisme. Comme la lutte prenait de jour en joiu- plus de force et d'exlcnsioi!. le bruit en par\int à Home. Le saint-siégc chargea le nonce qui résidait eu Bavièie de prendre des informations sur cette atfaire, et c'est par ce rapport que Rome connut pour la première fois les disputes qui agitaient les diverses provinces de la Prusse, et principalement la ^^esIphalie, sur la doctrine d'Hermès.

Cependant rar(.)icvi(]ue île Cologne , Mgr. de Spiegel , dé-

JIISTOIRK DR L'hF.RMF.SIANISME. 97

tisnclait de toutes ses forces le professeur, et assura. il dan» toutes ses lettres que sa doctrine était tout-à-fait orthodoxe, el que ceux qui l'accusaient ne savaient pas la comprendre. C'est pourquoi Rome ne crut pas d'abord devoir pousser plus loin celle affaire.

Mais les accusations et les plaintes devenant de jour en jour plus nombreuses, le S.-Sicgc se décida à prendre cette affaire en sérieuse considération , et vers la (în de i853 , il ordonna l'examen des écrits du docteiu' Hermès. Ce fui précisément le moment le baron de Spiegel, protecteur d'fïermès, des- cendit dans la tombe avec la grave responsabilité d'avoir livré à un Roi protestant le troupeau que le souverain pasteur des âmes lui avait donné à garder et à défendre.

Or voici comment fut fait cet examen; nous allons emprun- ter les paroles mêmes du bref de condamnation. Après avoir dé- ploré la funeste multiplicité de ces hommes qui veulent détour- ner à leur sens l'enseignement catholique, le S. -Père conlinue :

0 Or, entre ces maîtres de l'erreur, on compte généralement tel constamment en Allemagne George Hermès , qui s'écartant » témérairement de la voie royale, que la Tradition universelle et »les Saints-Pères ont tracée en exposant et en défandant ces » vérités de la foi, la méprisant même et la condamnant orgueil- uleusement, ovivrc un chemin ténébreux vers toutes sortes d'er- nreurs, en établissant le doute positif , comme la base de toute » recherche Ihéologique , et en posant comme principe que /a t raison est la règle principale et runiquemoycn que l'homme possède de D parvenir d la connaissance des vérités surnaturelles. Ces choses étant » parvenues à nos oreilles par les dénonciations, les réclamations «et les plaintes de plusieurs théologiens d'Allemagne et pasteurs » de l'Eglise, nous avons d'abord eu soin, pour nepoint manquer »au devoir de l'apostolat qui nous a été confié et à l'obligation «de garder le dépôt sacré de la foi, que les ouvrages d'Hermès «fussent envoyés au S. -Siège pour être examinés, ce qui a été «fait. »

' Trncbrosain ad crroriim omnîgrinmi vi;im mo'îahn- inDubioposilivo t.imqnam Basi omiiis iheologicre illq^li^it!0^isJ cl iii prir.cipio quod sla- luit , ratioiiem principem 7wrmavi,, ac unictim médium esse, quo hom» «issequt possit supernaluralium verilatum cognitionem.

93 HISTOIRE DE L'hëRMÉSIANISME.

Après en avoir cité le titre que nous avons donné précédem- ment, le S. -Père continue •.

« Ces livres donc , nous les avons donnés à examiner soi- «gneuscment et à fond, à des théologiens très-versés dans la

> langue allemande, leur ordonnant d'en extraire les passages les splus dignes d'être notés, et de les copier même au besoin, tout »au long, selon que l'enchaînement du sens et des mots sem- rblerait l'exiger, de les traduire en lalin et d'y joindre les remar- s ques nécessaires. Ce travail a été fail avec soin et avec beaucoup

d'attention, et ces théologiens se sont trouvés parfaitement

d'accord avec l'opinion qu'on s'était généralement formée de

ces ouvrages. De plus les passages extraits avec les remarques

critiques des susdits théologiens ont été remis à d'autres doc nteurs en théologie, pour êlre de nouveau pesés dans la balance

> catholique, et tous ces théologiens su ns exception sont convenus

que ces passages contiennent des doctrines qui ne s'accordent «point avec les principes des vérités catholiques; qu'il s'y trouve

beaucoup de points mal raisonnes , beaucoup de points traités y> d'une manière ambiguë , beaucoup de chotics à divers sens et obs- ïtcures, arrangées avec art et d propos, pour embarrasser et vicier l'in- » ietiigence des dogmes catholiques, et généralement empruntées des ït inventions et des erreurs desacatholiques. Enfin nous avons donné ))de nouveau le tout à discuter et à examiner à nos vénérables

frères les cardinaux de la sainte Église Romaine, inquisiteurs

généraux pour toute la chrétienté.

»Cei\x-ci donc examinant avec soin, comme la gravité de la

chose l'exigeait, toutes ces opinions clans leur ensemble et cha- » cune d'elles en particulier, ont jugé, après une discussion mûre,

qui a eu lieu dans une congrégation en notre présence, que «l'auteur se perdait dans ses idées, et qu'il avançait dans ses «ouvrages beaucoup de choses absurdes et étrangères à la doc-

trine de l'église catholique, surtout touchant la nature de la foi /)et la règle d observer pour les points d croire ; touchant les Saintes 1, Écritures, la tradition, la. révélation, et la primauté dans C Eglise;

touchant les motifs de crédibilité; touchant les argumens qui ser- }>vent d'ordinaire à prouver et d confirmer Inexistence de Dieu ; tou- » chant Vessence de Dieu même, sa sainteté, sa justice, sa liberté, et «la fin qu'il ss propose dans ses œuvres, choses que les théologiens «appellent ad extra: touchant la néceisite et la distribution de la

HISTOIRE DE l'hERMKSIAMSMP. 99

Dgi'âce et des dons, la rétribution des récompenses et Vapplication des peines; touchant Yétat de nos premiers parens , le péché originel et » lc.< forces de r homme déchu.

dIIs ont jugé que ces mêmes ouvrages doivent être prohibés »el condamnés comme contenant des doctrines,des propositions «respectivement fausses, téméraires, captieuses, menant au scepti- nrisme et aVindi/fcrentisme , erronées, scandaleuses, injurieuses pour Tyles écoles catholiques, destructives de la foi divine , sentant l' hérésie , »ct déjà condamnées en d'autres circonstances par TEgli-e... »

Puis viennent la condamnation de ces livres et la défense or- dinaire de les lire.

Ce décret, daté du 26 septembre i855. ne fut pas envoyé à Berlin, mais fut adressé directement à Cologne, par les léga- tions de Munich, de Lucerneet de Bruxelles, et jeta la conster- nation parmi les Hermésiens.L'archidiocèse, vacant par la mort de iMgr. de Spiegel élait alors administié par M. de lîusgen , tout rempli de bonnes dispositions à l'égard du gouvernement et des professeurs Hermésiens. Ne pouvant garder le silence sur luie pièce qui lui avait été envoyée directement et qui avait été insérée dans la plupart des journaux , il publin le 29 octo- bre i855, la circulaire suivante, qu'on pourrait appeler plutôt une protestation contre le bref, puisqu'elle fournit à ses adver- saires des motifs de ne pas s'y soumettre.

.... Gomme il est du devoir de loal catholique de se foiimcUre au ju- gement du S.-Sicge dans toulrs les qncslioiis qui ont pour objet la docirine de l'Eglise, nous croyons avoir lieu d'attendre celle soumission dans le cas présent , de chacun des fiJcIes de ce diocèse . s'il arrive que la prohibition doKt neus venons de parler soit un jour promulguée.

Néanmoins il est à craindre, à raison de la diversité d'opinions, qu'on ne dispute pour ri conire, dans les assemblées cl réunions offi- cielles, ce qui a rarcmenl lien sans que l'union et la charité chrélien ne en souffrent ; pour relie raison nous imposons à Ions les ecclésiasiiques , le plus rigoureux silence sur ce sujet , et nous défendons de p.irler de ce» questions, ou dV faire aucune allusion dans leurs eshorlalions , sermons et caihéchismcs.

Si des fidèles inquiétés parles imprudentes communications di'F']o\irn^nx priaient les curé^ de les in>lruire sur ce point , ceux-ci seront à même de calmer les âmes troublées, en se conformnnt auv règles de la pru- dence pastorale, itc, etc....

100 HISTOIRE DE L'11ER5i£sIA?C1SME.

Ainsi, espoir que les Herraésiens se soumettraient, si le bref venait d être publié', silence imposé aux adversaires d'Hermès, car les professeurs étant toujours dans leurs chaires , enseignaient les mêmes erreurs ; plaintes contre les journaux qui avaient fait connaître la condamnation ; voilà de quelle manière le chef du diocèse reçut la condamnation des doctrines hermésiennes.

Aussi, malgré le bref, les mêmes erreurs et les mêmes doc- trines continuèrent à être enseignées dans les chaires occupées parles professeurs hermésiens. Or ces professeurs embrassaient presque toute l'Allemagne.

1 "Tous ceux de Tuni versité de Bon n l'exception de M ÎM . Klee, Windischman et d'un répélileur; ' 2" les directeurs de la péda- gogie de Bonn, le président, M. Achterfeldt , à la tête; tous les répétileursou professeurs de Cologne , le président compris; tous les professeurs du séminaire de Trêves; la plus grande partie de ceux du séminaire de i^Iunster ; 6* tous ceux de celui Breslau ; enfin plusieurs de celui de Vienne *, et en particulier M. Papst, qui écrivit une lettre injurieuse contre la bulle.

Les prétextes allégués par les hermésiens étaient: que la bulle n'avait pas été promulguée, commeTavait insinué M. Hus- gen, et comme le déclarait expressément M. Achterfeldt, pro- fesseur à Bonn , éditeur de la troisième partie de l'ouvrage con- damné; 2°qu'ils réprouvaient les erreurs condamnées par lebref, mais qu'elles n'avaient pas été soutenues par Hermès, comme le disait M. Elvenich, professeur à Breslau , dans ses actaherme- siana; 5" Ils appelaient du pape mal informé au pape mieux in- formé , comme le disait M. Biunde, professeur de l'université de Trêves, dans une lettre au cardinal Lambruschini.

' M. Scholz , dans un article inféré dans V^ini de la Religion, 10 mai i838, proteste conlre la qualification d'IIermésien , et se dit tout-à fait étranger à ces discussions; mais toujours a-l-ii signé la Jéclaralion des professeurs sur l'indépendance de l'université à l'égard de l'autorilo spi- iilnolle, et sa dépendance dn pouvoir civil.

» Dans le Journal théologique de Vienne (faci, 6 1837) M. Plelz, curé de la cour a réclamé conlre cotle qualification, en son nom et on celui des professeurs de théologie de l'université. Il parait aussi que M. l'apst ne fait pas partie de l'univeisilé.

HISTOIRE DE L'HSRMÉSIANISMJÎ. 101

On Yoit dans quel triste état était réduite cette malheureuse Eglise d'Allemagne ; longleras Terreur l'avait abreuvée avec l'ap- probation de ses pasteurs immédiats ; la chaire de Pierre ins- truite si tard, avait élevé la voix, mais aucun pasteur fidèle, qui, docile à cette voix, voulût la communiquer aux pasteurs infé- rieurs et aux fidèles. Seulement quelques prêtres isolés, quelques laïques remplis de zèle, gémissaient, se plaignaient; mais leur voix était étouffée, et leur zèle enchaîné; un évêque seul, animé de l'esprit qui avait sou/Tlé sur les apôtres, pouvait sauver cette Eglise en détresse , et aussi. Dieu qui ne manque jamais à sa promesse, l'avait déjà choisi et désigné: c'était M. Clément-Au- guste Baron Droste de Wischering.

Zèle de M. Droste de "STischering, archevêque de Cologne, pour faire esccutcr le bref ilu pape.

Nous avons déjà parlé de ce prélat, de la désapprobation dont il avait frappé les doctrines naissantes d'Hermès, et de son zèle pour l'intégrité de la foi et le maintien de la hiérarchie ecclésias- tique, pendant le tems qu'il était administrateur de l'évêché de Munster. Le gouvernement ïe connaissait bien, car déjà, dès le 31 mars 1820 , il reclamait en ces termes la liberté religieuse pour les catholiques , et en particulier pour les évêques dans l'enseignement des séminaires et des xmiversités, dans une lettre adressée au gouvernement prussien.

Si ou continue à marcher comme on l'a fait jusqu'à présent, je

ne saurais m'empêcher de dire que l'Eglise catholique est menacée des plus grand» malheurs, c'est-à-dire du reuTerscment de sa base et de ses fondemens. Celle phrase , comme la Faculté de théologie et de philoso- phie nest point soumise au vicariat général, et comme elle a dans la per- sonne du président en chef son curaloriu m officiel et particulier, il n'est pas permis de donner à son insu, el sans son consentement , un ordre immédiate- ment au dqyenoumême aux élèves; celle phrase veut dire en d'autres termes que la partie la plus essentielle du pouvoir ecclésiastique, savoir, la sur- veillance de l'enseignement des dogmes el de la morale catholique,» passé des mains de l'évêque entre celles d'un euralorium protestant, et parla on a enlevé aux catholiques de ce diocèse l'assurance de conserver la pureté de leur doctrine, laquelle assurance l'Homme-Dieu a placée dans l'autorité épiscopale.

Si Votre Excellence daigne faire attention à tons ces points, elle recon- natlra elle-même l'obligation imposée à un supérieur ecclésiastique de ÏOMB xvw.— N' 98. i836. 7

102 HISTOIRE US l'hermésianismr.

redoubler de Tigilance el de fermeté, pour conserver la liberté de l'Église, la pureté et l'inlégrilé de sa doctrine, el particulièrement de surveiller ceux qui sont chargés d'instruire les autres par leurs paroles el par leurs exemples. Votre Eïcelleace ne méconnaUra pas, que c'est par o'.drc de l'Esprit saint que je dois reoiplir ce devoir, et que par consé- quent je ne puis m'exposer au dauger de me laisser empêcher de l'ac- complir....^ Votre Excellence peut ru même lems conclure de ce que je viens de dire, que je suis obligé , par devoir et par conscieuce , de faire exécuter mou ordonnance, et qu'il m'est impossible de révoquer la ré- ponse négative donnée à quelques théologiens qui voulaient aller faire leurs études à Bonn.— Finalement Votre Excellence sera convaincue par ce qui e'csl passé antérieurement, que nulle menace n'est capable de me faire abaudonner la route de mes devoirs ; et quant aux suites, ce n'est pas moi qui en serai responsable, puisque je ne sais qu'obéir à la voix du devoir et de la conscieuce.

€ette lettre est curieuse en ce qu'elle peut servir de program- me à lu conduite qu'a tenue M. Droste lorsqu'il a été archevêque, en sorte que l'on peut dire avec vérité , que le gouvernement prussien avait été prévenu de ce qu'il devait en attendre ; mais il comptait trop sur l'infaillibilité des moyens pris pour enchaîner le catholicisme. Pour cette affaire en particulier, il comptait que jamais le bref ne serait mis à exécution sans sa permission , et que les professeurs hermésiens mis par les quatre articles et par des ordonnances royales, en dehors de l'autorité de l'archevêque, seraient toujoursmaîtres de se conduire comme ils le voudraient. Aussi pour toute précaution, il demanda à M . Droste qu'il exécutât les articles dressés par Mgr. Spiegel, et déjà exécutés par les autres évêques catholiques, articles dressés, était-il dit, en conformité avec le bref de iSoodu pape Pie FUI, ce que M. Droste ne pouvait refuser; et après les formalités d'usage, Mgr. Droste fut reconnu et intronisé archevêciue de Cologne.

Disons-le à sa louange, un habile général, appelé à la tète d'une armée , placée par l'impéritie des chefs dans une po- sition presque désespérée, ne mit jamais plus de vigueur à pro- fiter de toutes le» ressources qui restaient pour la délivrer, que n'en mit Mgr. Droste à briser les chaînes qui tenaient captive la malheureuse Eglise d'Allemagne.

jo Dès son arrivée , voulant ôter à la faculté de théologie de Bonn l'espèce d'autorisation dont elle se prévalait à cause de

HISTOIRE DE l'hBR.UÉSIANISUB. 103

la tolérance du précédent archevêque, il fit prévenir les pro- fesseurs qui la composaient, qu'il les dispensait d'assister à son intronisation.

Voulant couper au vif le prétexte allégué par le vicaire ca- pitulaire pour ne pas se soumettre au bref, et en môme tems les prétentions du gouvernement, qu'aucun ordre du pape ne pouvait être valable s'il n'était publié avec sa permission, Mgr. Droste, sans parler de publication, supposa le bref suffisam- ment promulgué et autorisé , et se mit à le faire exécuter. A la vérité, il ne pouvait ni destituer les professeurs de Bonn, ni même les répétiteurs de son propre séminaire , nommés par le gouvernement, mais il les atteignit par d'autres moyens. Pour cela ,

3" En renouvelant la permission de lire les ouvrages défen- dus, ou en en accordant de nouvelles, il excepta les écrits d'Her- mès et de ceux qui soutenaient son système.

Il publia l'instruction suivante à suivre par tous les con- fesseurs de Bonn et des environs ;

« Ayant entendu que quelques confesseurs sont en doute sur la ré- ponse, lorsqu'on leur demande dans le confessionnal ou- ailleurs, s'il est permis de lire les écrits de feu le professeur Hermès, et si on peut assis- ter aux leçons dans lesquelles ou aTance des assertions contenues dans ces écrits, je vous ordonne de faire savoir aux confesseurs, en mon nomt et de la manière qui vous semblera la meilleure et la plus convenable pour les circonstances :

» 1" Que personne ne peut lire les écrits d'Hermès, ni ceux qui oui paru après sa mort, ni ceux qui ont été publiés pour la défense de ces écrits, ni des cahiers manuscrits composés dans le sens de ces écrits;

» Qu'aucun théologien ne peut assister aux leçons l'on traite des matières d'après les susdits écrits ;

»3° Quant à la déclaration connue du Souverain Pontife contre les écrits d'Hermès, je vous prie de faire observer à ceux qui doutent, on qui, s'écartant, d'après la méthode d'Hermès, du droit chemin, tâchent de cacher leur désobéissance, en alléguant vainement que la déclaration papale n'a pas été publiée, et par conséqueut qu'elle n'oblige pa*, 1" que la publication ne peut avoir d'autre but que de faire connaître la déclaration ; qu'il conslc par les écrits des Herraésicns, qu'ils counaii» sent suifisammcut la déclaration ; 5" que si cette excuse devait être ad- mise, la puissance civile serait en état d'empêcher l'action d^ centra de

lOi HISTOIRE DE l'hERMÉSIANISME.

l'unilé éUbli par JésusCbrist ; ce qui serait nans doute Irès-agréable à tous les Hertnésicus comme aus hérétiques, qui ne peuvent se soutenir qu'au moyen de la puissance civile, laquelle ne peut jamais être juge dans des affaires de ce genre , et qui , dès qu'elle s'arroge ce droit , n'est plus que parti ou faction.

«Cologne, le la janvier 1807.

Clément-Auguste, Arch. Col. *

Pour mieux assurer rexécution de ces ordres, il ôta à tous les prêtres du décanat de Bonn, le pouvoir d'absoudre ceux qui auraient lu les écrits d'Hermès ou de ses partisans, et se réserva ces cas à lui-même.

G" Les professeurs Hermésiens ayant refusé de souscrire à 5es injonctions , et le chef de la pédagogie ayant prolesté, il les suspendit du soin des âmes.

^^ Quand le programme des semestres d'été de 1837 f"* sou- mis à son approbation , il ne voulut permettre que les leçons de M. Klee , de M. Walter (jus canonicum), et de M. Braun [explication de Justin) y à condition qu'il se bornerait à la simple exposition.

Pour être assuré que ses intentions seraient remplies, il exigea que tous les élèves consigneraient par écrit les leçons des professeurs, et se réserva le droit.de les examiner soigneu- sement, et de plus, il permit à chacun d'eux de correspondre directement avec lui par écrit ou de vive voix, toutes les fois que quelque scrupule pourrait le troubler sur l'orthodoxie de la doctrine.

9*11 n'accorda aucune place, aucune faveur quelconque à tous ceux qui ne lui donnaient pas des preuves suffisantes de la pureté de leur orthodoxie. Ne pouvant déplacer M. Husgen, son grand-vicaire , il ne lui en laissa que le titre , mais il ne lui donna rien à faire, rien à décider; son avis même n'était plus demandé.

10' Enfin, pour extirper jusqu'à la racine toutes les erreurs qui se trouvaient dans les écrits d'Hermès ou de ses disciples, il ordonna que tous les professeurs, tous les ordinans et les prêtres chargés du soin des âmes, signeraient les dix-huit pro- positions suivantes :

BISTÔIRS DE u'uEKliÉSlA.MSUE. 105

LES DIX-HVIT PROPOSITIONS D0II:(ÉES à SIGNBK ll'X HSfiUÉSlBRS.

I. Je crois et je confesse que c'est une erreur condamuable, que ;le cher- cher à établir le doute positif comme la base de toute recherche thcologi- que , parce que c'est uue voie ténébreuse , conduisant à toutes sortes d'erreurs, et quis'écarte du chemin royal , suivi par la tradition et par tous les Saints-Pères , dans l'exposition et la défense des vérités do la foi.

II. Je crois et je confesse que c'est une tentative condamuable, que de s'efforcer de rejeter la grâce de la foi , dans laquelle nous sommes nés par la miséricorde de Dieu, de la rejeter, dis-jc, dans le but , en partant du doute positif ei avec le secours de la raison toute seule, de rechercher la foi, de telle manière qu'on puisse tout à-fail la rejeter , si la raison ne trouve pas la foi ou la nécessité du la foi.

III. Je crois et jecoufesse que la foi est un don de Dieu et une lumière, dont étant éclairé, l'homme doune un assentiment ferme et une adhésioQ entière aux choses qui ont été divinement révélées, et sont proposées par l'Eglise à notre croyance.

IV. Je rejette totalement, et je condamne celte erreur, qui établit que la raison est la règle principale et C unique vioyen que l'homme possède , de parvenir à la connaissance des vérités surrialureiîes.

V. Je crois et je confesse que c'est une opinion erronée qne celle qui donne à la raison humaine, une souveraine autorité pour en^'cigner et

juger les choses de la foi ; mais que c'est plutôt la foi qui est la porté de notre saltit, sans laquelle personne en cette vie ne peut trouver Dieu , ni l'invoquer, ni le servir, ni lui plaire , et que c'est surtout le propre de la foi , de réduire toute inlelligence en servitude pour C obéissance au Clirist,

VI. Quant à ce qui coucerne hs nature de 1 1 loi cl la règle des choses à croire, les saintes écritures , la révélation et lenseignennent de l'Eglise , les motifs de crédibilité, les croyances qui servent d'ordinaire à prouver ei à confirmer l'existence de Dien, son essence , sa sainteté, sa justice, saliberlé. et la fin qu'il se propose daus sus œuvres, que Ks théologiens appellent ad extra , la nécessité et la disîribiUion de sa grâce, la rétiibution des récom- penses et rapjilication des peines, l'état de nos premiers parens, le péché originel et les forces de l'homme déchu , je m'engage à r.c rien tenir et enseigner que ce que l'Eglise tient et enseigne.

VU. Je crois et je confesse que tous les hommes , par leur seule géné- raiion de la race d Adjui , naissent sous le joug du péché oiJginel , com- preuant Coffense et lu peine du péché ; et que ce péclxé , qui est un dans sa source , et qui, étant transmis à tous par la génération cl non par imi- laliou , détient pioprc à chacuu , tl qu'outre ce péçhc originel, unie à

jl06 HISTOIRE DE L'hERMÉSIANISME.

lui, et venant de lui , la concupiscence , effet du péché et inclinant au

péché, s'est répandue dans tous les hommes.

VIII. Cependant en ce qui louche à la conception de la bienheurcnso immaculée Vierge Marie, mère de Dieu , je me conformerai à ce qui a été établi par le décret Sanctissimus du pape Grégoire XV, de l'an 162a, elpar la bulle SolUcitudo d'Alexandre VII, qui permettent d'cusciguer en piiblic et en particulier, quela Vierge Mariea été conçue sans la tache originelle ; et qui défendent, sous peine d'excommunication encourue par le seul fait de soutenir le sentiment contraire, c'esl-à-dire d'enseigner ou de prétendre en public ou en particulier, que la bieuheurenscVicrge Marie a été conçue avec le péché originel ; outre cela , je tiendrai ce que tient l'Eglise , à savoir, que la bienheureuse Vierge Marie a été exemple, durant tout le tems de sa vie , de tout péché, môme véniel , et je promets de n'enseigner jamais rien ni en public ni en particulier, sur ce qui regarde la perpétuelle TÎrginité de la bieuhcnreuse Vierge Marie, si ce n'est que le Christ Sei- gneur est sans aucune diminution de sa maternelle virginité , et que Jé- sus-Christ est sorti du sein maternel sans aucun détriment de sa maternité virginale, ce qui a été fait par la vertu du S. -Esprit, lequel a assisté à la conception du fils et à l'enfantement de la mère, pour lui donner la fécon- dité et lui conserver une perpétuelle virginité.

IX. Je crois et je confesse que sans l'inspiration prévenante du Saint- Esprit, et sans son assistance, l'homme ne peut croire, espérer, aimer ou se repentir, comme il le faut pour que la grâce de sa justiûcatiou lui soit conférée. Je crois également cl je confesse, que la grâce divine est donnée par Jésns-Christ, non pas seulement afin que l'homme puisse plui facilement vivre selon la justice et mériter la vie éternelle, comme si par le libre arbitre et sans la grâce , il pouvait faire l'un et l'autre , quoique pourtant avec peine et difficulté.

X. Je crois et je confesse que chacun reçoit la grâce , selon la mesure que l'Esprit Saint répartit à un chacun, comme il le veut, et selon la pro- pre dif'position et coopération de chacun ; et que la prière non-seulement prépare l'esprit à recevoir les dons de Dieu , mais est le moyen recom- mandé par le Seigneur Christ , pour que Dieu soit porté à accorder ce que nous demandons, pourvu que ce que nous demandons ne soit pas opposé à notre salut.

XI. Je crois et je confesse que nous sommes justifiés par Injustice de Dieu, inhérente en nous, laquelle est répandue en nous par les mérites du Christ.

XII. Je condamne et j'anathématise , comme une grande erreur, toute personne qui dit que les hommes sont justifiés, ou par la seule imputa- tion des mérites du Clwisl , ou par la seule r«mission des péchés, en ex-

nisTOiRi: l'uhrmésianisme. 107

cluanl la gràco cl 1* charité , que le Saint-Esprit répand dan» les cœum et qui leur est inhérente, ou même que U grâce qui nous ju«liûe n'est autre chose que la faveur de Dieu.

XIII. Je crois e^ je confesse que la prédcstinatioa est un mystère digne de notre admiration et de notre véuér;iliou, qu'il faut croire pieusement et déTotenieut et non point pénétrer trop curieusement avec sa raison, et sur lequel il ne faut disputer (ju'avec ciiconspcclion et devant des per- sonnes d'un âge mùr. Egalement je crois et je confesse que les bienheu- reux doivent leur salut à la miséricorde de Dieu, et que pourtant les bonnes œuvres qu'ils ont faites sur la terre , par la grâce de Dieu et les mérites de Jésas-Chi'ist, dont ils ont été les membres vivans, ne sont pas telle- ment les dons de Dica , qu'on ne jouisse aussi les appeler leurs mérite» ; tt de plus que les réprouves ne peuvent accuser personne qu'eux-mêmc» de leur perte.

XIV. Je crois et je confesse que Dieu a fait toutes choses pour lui- même, et l'impie aussi pour le jour mauvais >, et que la cause finale de notre justification est la gloire d\i Christ et la vie éternelle.

XV. Je crois et je confesse, que selon l'esprit de l'Eglise, la satisfaction est imposée dans la confession, non-seulement comme une garde pour une vie nouvelle, et comme un remède pour notre infirmité , mais encore comme une punition et une peine pour les péchés passés.

XVI. Je crois et je confesse que Dieu punit les méchans do peines éter- nelles, d'après la justice que l'on appelle vindicative, a cause de la ma- lice interne du péché.

XVII. Je déclare et je promets vouloir observer daus le sens le plus strict le décret du concile de Trente, ayant pour bnt de réprimer la trop grande pétulance de certains esprits, et lequel est conçu en ces termes :

« Que personne se confiant en son propre jugement n'ait l'.iudace de

tirer l'écriture sainte à son sens particulier, ni de lui donner des intcr- » prétations ou contraires à celles que lui donne et lui a données la sainte

mère l'Eglise , à qui il appartient de juger du véritable sens et de la

véritable interprétation des Saintes Ecritures, ou opposées aux senti-

mens unanimes des Pères, encore que ces iulcrprétalious ne dussent ja- « mais être publiées. »

XVIII. Je promets h mon archevêque respect et obéissance, saus aucune restriction mentale, dans toutes Us choses qui ont rapport à la doctrine ou à la discipline : et je confesse que je ne puis ni ne dois appeler du juge- ment do mon archevêque, à personns autre, selon l'ordre de la hiérar- chie catholique, si ce n'est «u papi', chef dt toute l'Eglise. Je coufeiss

» Proverbes , ch. ivi.

108 HISTOIRE DE l'uERMKSIANISME.

que le poulife romaia lient la primauté d'ordre et de juridiction sur loate l'Eglise ; qu'il est le successeur de saint Pierre , prince des apôtres, le véritablevicaire du Christ, le chef de toute l'Eglise, le centre de l'unité, le pasteur des pasteurs , le père et le docteur de tous les fidèles du Christ, et je tiendrai toujours dans mon esprit, et je prouTerai par mes paroles et par mes œuvres , que c'est à lui , dans la personne de Pierre, que le Christ a donné plein pouvoir de paître les agneaux et les brebis, de di- riger et de gouverner l'Eglise universelle; et dans l'espèce je fais profes- sion et promesse que je veux obéir aux décrets du souverain pontife dans les choses de la foi et des mœurs.

Toutes ces mesures si vigoureuses jetèrent la consternation parmi les Hermésiens, et déroulèrent tous les plans du gou- vernement prussien. Les Hermésiens cherchèrent des prétextes pour se soumettre, appelèrent de l'autorité de leur archevêque au pape , et toutes les fois qu'ils le purent à celle du gouverne- ment; finalement , écrivirent contre le bref et surtout contre les dix-huit articles.

Parmi les opposans, il faut citer en première ligne M. Ach- ierfeldt , président de la pédagogie de Bonn , et éditeur du 3* volume d'Hermès. L'archevêque l'ayant chargé de veiller à ce que les élèves catholiques ne fréquentassent pas les cours des professeurs protestans, surtout ceux du droit canon, et ne se servissent plus des livres d'Hermès, M. Achterfeldt répondit qu'il n'avait d'ordres à recevoir de lui que par le canal du gouver- nement, et que jusqu'alors il devait les regarder comme non- avenus; et M. Braun, qui fit le voyage de Rome et qui publia une brochure il prétendait que ses principes n'étaient autres que ceux de Mgr. l'évêque de Strasbourg, des jésuites de Rome, de la censure de l'épiscopat français contre M. l'abbé de La Mennais '. Quand l'archevêque refusa d'approuver les cours Tiermésiens de l'université, les professeurs en appelèrent en- core au ministre de l'insîruclion publique, et le programme des chaires fut publié avec les cours prohibés. L'archevêque ayant refusé d'autoriser la publication des livres hermésiens, les

* La doctrine du prétendu Hermésianisme sur les rapports de la raison et de la révélation, approuvées, et les opinions contraires rejelées comme fausses et dangereuses, par l'evéquede Strasbourg, M. Lepappe de Trcvern, avec un bref de sa sxintclc Grégoire XVI.

HISTOIRE DE l'iIERMÉSIANISME. 109

professeurs oblinrent du gouvernement un rescrit du i5 sep- tembre i836, qui déclarait qu'il n'y avait que les livres de prières et les catéchismes qui dussent être soutjiis d l'approbation archiépisco- pale, et aussitôt ils firent paraître le Journal hermésien, et M. Hil- gers son Histoire des hérésies. L'archevêque les menaça des cen- sures ecclésiastiques, et défendit à l'imprimeur de leur prêter son ministère ; celui-ci obéit, mais les professeurs protestèrent et trouvèrent la malheureuse facilité de faire approuver leurs écrits dans le diocèse de Trêves , ils les firent imprimer par un protestant.

A Breslau, M. Elvenich, docteur en philosophie, professeur à l'université, et directeur du gymnase Léopoldin, publia un ouvrage ', il se posait comme conciliateur entre les deux partis, mais il prétendait prouver que les propositions con- damnées par le bref, et dignes en effet de censure , ne cou- tiennentpasla doctrine d'Hermès. Mais lui-même en défendant son maître, émettait des proposilions d'une hardiesse extrême, et même complètement hétérodoxes.

A Trêves, le professeur, M. Biunde, publia diverses brochu- res *, il accuse l'archevêque à''artifice, met en doute si l'on est obligé d'obéir au S. Siège pour les livres condamnés , s'appuie d'un exemplernal choisi de saint Augustin, pour dire que si le S. Siège condamnait les Hermésiens, ils ne devaient pas s'en inquiéter y que les livres d'Hermès ent été diffames à Rome, et que d'ailleurs il n'est pas de foi que le S. Père soit infaillible, même pour les dogmes , mais seulement l'Eglise universelle.

Les Hermésiens publièrent en outre une foule d'ouvrages

* Acta hermesiana, quœ compluribus G. Ilermesiiiibris à Gregorio XVI S. P. per Uttcras apostolicas damnatis ad doclrinam Hervxcsii , hujusque in Germanid adversariorum accuratius expUcandam et ad pacem inler contrarias parteSf Deojuvanie , reslituendam scripsit P. I. Elvenich, phi, doct,, etc. l856.

= Enarratio et refuiatio incriminalionum qiiibus et rem et disciplinam Hermesianamnnper prosecuti sunt Leodiensium auctores ephcmeridum quœ ins- cribuntur. Journal hislontjuu cl littéraire ; auctore Fr. Xa. Biunde, phil. rlocl. et prof, iii scmiiiaiio episcopali Trevireusi. Cum docamenlis qui- busdam aulhenlicis, Treviris, iSôy, in-S* ; et quelques autres hrocliuics écrites en allcuiauds.

110 HISTOIUB DK l'hERMÉSIAMSMK.

anonymes, dans lesquels ils soutenaient , que l'EgUse n'a rien défini sur la virginité de ta mère de Dieu, et qu'elle n'est demeu- rée vierge que de propos et de volonté ; que par le péché originel, il faut entendre une situation de l'homme , moins avantagée de- puis sa chute qu'auparavant ; ils lui appliquent bien le mat pé- ché du .Concile de Trente , mais repoussent la culpabilité ou rea- tus peccati. Ailleurs ils disent que le prince a nécessairement le droit de suiteillcr et d'inspecter l'Eglise, parce que fEtat a plus A craindre de L'Eglise, que CEgUse de CEtat; ailleurs encore , ils pro- plament que maintenant que la plénitude scientifique des tems est arrivée, les Conciles ne peuvent plus rien pour le bien de CEglise.

Cependant les Hermésiens, ayant vu qu'aucune de leurs raisons ne produisait d'effet, et pressés par la conduite rigou- reuse de l'archevêque, résolurent d'aller demander justice et ex- plication à Rome même, nous examinerons bientôt ce qu'ils y firent et ce qu'ils y gagnèrent ; mais voyons avant ce que fit le gouvernement pour neutraliser les mesures de l'archevêque.

Il faut le dire, le gouvernement fut visiblement et véritable- ment dérouté et vaincu; d'abord il se borna à soutenir, comme nous l'avons vu, les Hermésiens contre l'archevêque; dès que la déclaration en 18 articles eut paru , il fit demander un axis doctrinal sur cette pièce à deux professeurs Hermésiens de Bres- lau, MM. Baizer et Ritter , et fit répandre avec profusion à Bonnet dans les provinces rhénanes, celte pièce vieux réchauffé des erreurs jansénistes; il laissa circuler d'autres libelles impri- més à Francfort , et injurieux à l'archevêque; il exempta de la censure archiépiscopale les écrits Hermésiens , n'eut aucun égard à la suppression que l'archevêque avait faite des cours de l'université, et voulut forcer les élèves à y assister ; mais tout cela n'ayant pas produit l'effet qu'il désirait, et d'autre part vou- lant gagner l'archevêque sur la question des mariages mixtes, toul-à-coup il parut céder. En conséquence, M. deUehfues con- seiller secret et commissaire royal auprès de l'université de Bonn, réunit, le a i avril iS5-, tous les professeurs, et leur lut le rescrit suivant :

1* Le bref quicoutlamncHcrincs, quoique non rommnniqné d'iinemn- uière officielle augouvcruemcut, a déj h produit une si grande sensation ifiiiii

HISTOIRE DE l'hERMKSIANîSME. 111

les esprits, ([Ue legoiivcrucuicnt défend (oute dispulcpoar cl coulrc Tlcf- tnbs, soit en chaire, soit dans des écrits, soit d'une autre manière; a* Le» «Scrits d'Hermès doireni cire abandonnés, son sjslêmc ne peut plus être enseigné, ctc ; En signe d'oboissaûce , les professeurs sont obligés de signer de Itur propre main la présente déclaration , et en cas île refus , ils seront suspendus de leurs fonctions.»

Ainsi donc un des buts qui étaient dans l'intention de Mgr. rarchevôqxie , se trouvait déjà atteint. Le bref était reconnu valable , même par le gouvernement , quoique celui-ci n'en eût pas permis la publication , et le prétexte de M. Husgen était abandonné par l'autorité civile elle-même. Mais il y avait encore dans l'acte que nous venons de citer une prétention à régler l'enseignement catholique que le prélat ne pouvait légitimement admettre. D'ailleurs, il n'élait que trop visible que ce n'était qu'une concession forcée, et seulement pour la forme. Pourtant les ïlermésiens , rais en demeure d'opter entre leurs places et leurs soumissions, signèrent tous au nombre de six; MM. Jch' terfeUlt, Scholz, Braun^ Vogebang , Hilgers et l-Feiler ; mais ils savaient bien qu'ils ne risquaient rien , et que le ministère ne leur ferait pas un crime de transgresser un ordre qu'il n'avait donné qu'à contre-coeur. C'est ce qui parut clairement lorsqu'à l'ouverture des classes le président M. Achterfeldt, ajant été chargé de prescrire les cours que les élèves devaient fréquen- ter, leur imposa tous ceux qui avaient été réprouvés par l'ar- phevêque. Mais ici encore les jeunes gens donnèrent le plus bel exemple; quoique la plupart fussent élevés avec le secours de bourses données par le gouvernemeiît, ils refusèrent d'assister à ces leçons, et préférèrent compromettre leur existence pré- sente et leur avenir, que de transgresser les ordres de rarche- yêque. Quarante environ de ces généreux étudians se laissèrent expulser de l'école ; les élèves en théologie firent de même. Honneur à ces jeunes chrétiens! leur ferniclé, leur courage et leurfoi ontétéd'un grand poids pour la solution de la question , qui s'agite, savoir: qui doit nous donner l'instruction et la doc- trine , du pouvoir spirituel ou du pouvoir temporel.

Cependant à l'ouverture des cours de 1837 à i838, la faculté de théologie était presque déserte, et malgré tout ce qu'avait pu faire le pouvoir, les mesures prises par l'archevêque avaient

112 HISTOIRE DE l'hERMÊSIANISME.

produit leur effet. Alors le gouvernement, avant d'avoir recours à la violence, lui offrit encore une espèce de transaction. Dans ïultitnatum qu'il lui signifia, le 24 octobre 1837, il lui disait :

C'csl nvec un élonnement extraordinaire que S. M. a appris , par les rapports de M. le comte de Slolberg, que la conduite et la manière d'a- gir de Votre Grandeur, sont aussi contraires aux promesses faites par elle ' antérieurement , qu'aux règles prescrites par les lois actuelles du royaume. Dans les affaires de rHermésianisme , tous avez osé adopter plusieurs mesures, au mépris de la législation en vigueur et des formalités prescri- tes; et il paraît que dans ce moment vous reconnaissez vous-même l'il- légalité et Tinconvcnance de cette conduite.

» Supposons que S. M. voulût bien fermer les yeux là-dessus , il est nu autre point au sujet duquel les susdits rapports vous accusent, et qu'on j ne peut passer sans vous donner une réprimande sévère. Non seulement ' vous n'avez pas été fidèle à la promesse que vous avez faite, « de faire ' «exécuter en esprit de charité et de paix l'instruction donnée par les (quatre) ] évêquesà leurs vicariats, avaut votre élection ; » mais vous avez été plus j loin, vous avez trompé la confiance de l'autorité de telle manière, que vous ne permettez de donner la bénédiction nuptiale que dans le cas les deux époux se sont engagés formellement cl directement à élever tous leurs enfans dans la foi catholique.

D Si vous hésitez à donner sur-le-champ une déclaration favorable et suffisante relativement à ces affaires, et si vous tardez à promettre de vou- loir exécuter à l'avenir ladite instruction, on ne manquera pas de pren- dre sur-le-champ des mesures qui auront pour suite immédiate de vous empêcher d'exercer toutes vos fonctions épiscopales.

»Que des scrupules de conscience vous arrêtent, on peut vous le par- donner; mais ces scruptdes ne sont pas un motif suffisant pour vous dis- penser d'obéir aux lois de l'état. Cependant S. 31. a daigné vous permettre de vous démettre de l'administration du diocèse; et si celle proposition est acceptée j aucune recherche ne sera faite sur le passé,

» Enfin on vous esborle vivement à répondre sans larder à cette com- munication, et à donner à votre lettre un sens cl une forme tels qu elle puisse être jugée digne d'être présentée à S. M.

» Berlin, le 24 octobre 1807. »

Altenstein, Min. des aff. ecclésiasi.

Mgr. Droste répondit sur-le-champ la lettre suivante , que novis transcrivons en entier, parce qu'elle est un vrai modèle de fermeté, de retenue et de dignité épiscopale.

Je prends la liberté de rcjioudi e n la lettre de Votre Esccl'cuce eu

HISTOIRE DE L'HERMÉSîàNïSMK. il3

date da a4 de ce mois, que je ne me souviens en aucune manière d'atoir donné lieu de croire , que reconnaîtrais moi-même l'illégalilé des me- sures adoptées par moi dans les affaires de rUermcsianismc. Ces affaires sont purement ecclésiastiques, puisqu'il n j est question que de la doc- trine.

t Pour ce qui concerne les mariages mixtes , je répèle , et je le dis par- faitement daccord avec la déclaration confidentielle que j'ai envoyée à Voire Excellence , avant mon élection :

Que dans les mariages mixtes, j'agirai toujours d'après le bref du Saint-Père et d'après liustruction ilounée de la part des (quatre) éTê- qucs aux vicariats, en sorte que je les suivrai Ions deux autant que pos- sible ; mais dans le cas il y aura de l'opposition entre les deux pièces, c'est d'après le bref seul que j'agirai.

Cependant qu'il me soit permis de faire observer que , dans la susdite déclaration , envoyée à V. E. avant mon éleclion , il n'était point ques- tion de l'iustruclion donnée aux vicariats, et qu'il ne pouvait en être question , puisque V. E. elle-même n'eu avait pas fait mention. De plus je dois faire remarquer que celte déclaration n'était poinl dictée par des scrupules de conscience, mais écrite avec la pleine conviction qu'uu évéque ne pouvait donner une déclaration contraire à la mienne.

«Enfin je ne puis omettre de réclamer pour moi laliberlé de conscience, et le pouvoir de conserver les droits de l'Eglise et le libre exercice de la juridiction épiscopale. De plus, je dois faire observer très-bumblcment, que mon devoir envers le diocèse et envers toute l'Eglise catholique , mo défend de cesser mes fonctions et de déposer ma charge.

En toute affaire temporelle , j'obéis à S. M. , comme doit le faire tout sujet fidèle.

« Cologne, le 5i octobre iSSy.

Clément-Auguste, Arcli. de Col. >

On sait ce qui s'en suivit : le 20 novembre, vers 7 heures du soir, une cliaise de poste, escortée de gendarmes et de dragons, transportait l'archevêque de Cologne dans la forteresse de Min- den.

Dans le long mémorandum qui parut le lendemain, le gouver- nement fait connaître combien les mesures prises par l'arche- vêque, contre les Hermésiens, lui avaient déplu. Tout en disant qu'il était disposé à lui céder sur ce point , il lui reproche sa circulaire aux confesseurs, qu'il appelle un abus du confessionnal; d'avoir mis hors d'activité tous les fauteurs de l'Hermésianisme

lii HISTOIRE DE l'HERMÉSIAMSME.

sans l'en prévenir par le moindre mot ; d'avoîr dépeuplé la péda- gogie , et par d'avoir préparé la ruine des universités de l'Al- lemagne ; d'avoir agi contre M. Achterfeldt, qui ne voulait pas sortir des bornes de la légalité; la nouvelle direction qu'il a donnée aux études de son séminaire , et la défense faite aux élèves de fréqxienter l'université contre l^ordre établi par son prédécesseur^ d'un commun accord avec le gouvernement ; d'avoir fait exécuter les brefs du pape, sans en avoir obtenu Cagrément du gouvernement ; d'avoir fait signer les 18 articles qu'il appelle une ordonnance qui ne peut se passer de l'approbation du gouvernement } enfui, d'avoir émis le principe que des brefs de nature dogmatique n''ont nullement besoin de l'approbation' du gouvernement , et que la publication dûment faite à Rome suffit pour les rendre partout obligatoires, ce que M.d'Al- tenstein regarde comme une énorme hérésie politique.

Dans son allocution du 10 décembre 1857, sur l'enlèvement de l'archevêque, le Saint Père ne parle pas de l'Hermésianisme; mais le ministre prussien, dans la réponse qu'il lui fit sous la for- me de circulaire adressée à 31. Bodchschwing , revient encore sur cette question, et allègue les mesures de l'archevêque comme lUie des causes de son enlèvement .

Telles sont les raisons par lesquelles le gouvernement a ré- pondu à toutes les plaintes , à toutes les demandes , à tous les droits de l'archevêque et du Souverain Pontife. Nous nous trom- pons, il en a fait intervenir une autre : l'enlèvement et la sé- questration de l'archevêque; l'avenir prouvera si ce moyen lui était non pas permis, mais avantageux. Avant de revenir aux Hermésiens, citons-lui le jugement porté sur sa conduite, par une feuille qu'il n'accusera pas de partialité pour l'Eglise catho- lique ; c'est le journal protestant de Paris , le Semeur.

La fréqiicutation des facullcsde ihéologie est obligatoire en Prusse pour les aspîrans au sacerdoce, cl c'est le gouvernement qui nomme les pro- fesseurs. 11 est clair que cet état des choses ne saurait porter atteinte au droit qui appartient à l'Eglise catholique comme à toute autre, de main- tenir la pureté de la doctrine et d'exercer dans ce but son autorité disci- plinaire. Le pape avait condamné l'Hermésianisme ; évidemment , ou bien, il n'est pas vrai que l'Eglise catholique ail le droit d'eiisler dans les états prussiens , ou bien, elle devait pouvoir se servir des moyens qui lui sont propres, pour garantir les fidèles cl particulièrement les futurs ministrcf.

niSTOins Ds l'ubruésianisiib. 115

des alleintes à'aae doctrine réprooTéc par le chef qu'elle regarde comme infaillible en matière de foi. La question est de savoir si M. de Droste s'est tenu dans les limites de son droit, et nous n'iiosilon? pas à nous prononcer pour l'afErmalive , en ce qui touche la circulaire aux confesseurs et les 18 thèses : des mesures de ce genre sont purement spirituelles : elles ren- trent parfaitement dans les attributions d'un prince de l'Eglise romaine, et le pouvoir temporel ne saurait vouloir y mettre obstacle sans s'allaquer à la vie même de l'autorité qu'il prétend recoanaîlrc et proléger.,. La tendan» •ce générale de l'archevêque de Cologne, dans celle affaire de l'Hermésia- nisme, nous semble daus sa position, parfaitement naturelle et légitime *.

Suivons maintenant le sort de l'Hermésianisme à Rome , il avait envoyé des défenseurs.

Les professeurs Hermésicns à Rome.

Les députés de l'Hermésianisme furent MM. Braun de Bonn et Elvenick^de Breslau; arrivés à Rome en juin 1837, i!s furent bien reçus par le Saint Père qui leur dit cependant : « J'espère >que vous n'êtes pas venus ici pour instruire le S. -Siège , mais pour en recevoir votre instruction.» Dans leurs visites aux diffé- rens cardinaux, ils se plaignirent de leurs archevêques, eurent quelques conversations avec plusieurs jésuites auxquels ils di- rent : vous êtes contre les doctrines de M. Cabbé de La Mennais , vous devez donc être peur nous '; parlèrent d'une nouvelle traduction d'Hermès , mais qu'ils n'avaient pas eu le tems de finir, et of- frirent de proposer une profession de foi au Saint-Siège.

Il ne fut pas difficile aux théologiens romains, de s'apercevoir que sous tous ces prétextes , ils visaient à obtenir une nouvelle révision des doctrines d'Hermès, ce qui impliquait que le bref de coradamnation était nul. En effet dans une lettre au cardinal Lambruschini, du 24 juillet iSSj, ils insinuèrent l'espérance de voir modifier le jugement sur Hermès , ou au moins qu'on distinguerait les doctrines d'Hermès de l'enseignement de ses disciples ; et c'est pour cela qu'ils offraient de recevoir une profession de foi. Le cardinal leur répondit le 5 aotàt, que leur lettre avait profondément affligé Sa Sainteté, qu'elle regardait

> Le Semeur du 4 avril 1808.

» D'autre part ils reprochaient au P. Pcronnc , jésuite, d'avoir été la cause de la condamnation d'Hermès, parce qu'il avait montré dans ses pralttttQnts thtologitce (note p. aSg), le danger de la méthode d'Hcrmè».

116 HISTOIRE DE L'flERMÉSIAÎiISME.

leur demande comme une injure, que la profession de foi était inutile , vu qu'il n'y avait qu'à accepter le bref, et retourner en Allemagne.

Les professeurs repoussés de ce côté, tentèrent une autre voie pour arriver à leurs fins; ils composèrent un petit écrit qu'ils in- titulèrent 3/<;/e/e?na/fli/^cc//og^/ca, ils exposaientleur doctrine, et l'ayant adressé au maître du' sacré palais, ils lui demandèrent l'autorisation de l'imprimer à Rome. Le 24 février i858, on leur répondit qu'on ne voulait rien décider sur le contenu de cet écrit, et d'aulre part, par des motifs extérieurs et fondés, on ne pouvait leur en permettre l'impression. Les professeurs , dans une lettre dereinercîmenl adressée le 5 mars à Sa Sainteté, vou- lurent faire passer ce refus comme uiic approbation. Son Ex- cellence le cardinal Lambruschini bur répliqua , le 1 1 mars, qu'il était surpris qu'ils n'eussent pas envoyé leur soumission au bref, et qu'un refus d'imprimer pût être regardé comme une approbation. Sur cela MM.^Braun et Elvenik , envoyèrent le 4 avril, une dernière lettre, ils découvraient toute leur pensée, distinguaient le droit qu'avait le pape de condamner les erreurs, du fait qu'elles se trouvassent dans les livres d'Hermès, ce qui était la pure doctrine janséniste : voici leurs propres paroles :

« Quant aux deux propositions condamnées en termes exprès » dans le bref, nous ne les avons jamais entendues de sa bouche B et nous ne les avons jamais aperçues dans ses ouvrages, malgré «que nous les ayons lus plusieurs fois et avec la plus grande at- » tention ; que si nous disions une autre chose, ouvertement ou » tacitement, nous nous rendrions coupables d'un honteux B mensonge. La voix de notre conscience nous avertit de ne rien «faire de tel , et nous supporterons plutôt , s'il le faut , toutes «sortes de peines et de malheurs.»

Le cardinal leur répondit le surlendemain qu'il voyait avec peine qu'ils étaient entrés tout-à-fait dans la voie de l'erreur, et qu'il était inutile qu'ils lui écrivissent de nouveau sur cette affaire.

C'est ainsi que ces Messieurs sont partis de Rome. Nous ne sa- vons jusqu'à quel point ce voyage leur aura été profitable, car on n'a plus eu de leurs nouvelles. Cependant il paraît que plusieurs de leurs collègues d'Allemagne se sont décidés à se soumettre.

HISTOIRE t>E L'HERMÊSIANISME. 117

Nous allons les citer sommairement , et c'est par que noui finirons ce long article.

Soumission de quelques proFcsseur llci-mét>lcn8.

Quand l'archevêque de Cologne fut arraché à son diocèse , on sait que le chapitre , usurpant un droit qu'il n'avait pas, se réunit dès le lendemain pour nommer un administrateur, comme si le siège était vacant. M. Husgen fut désigné; c'était une chose arrangée dWance avec le gouvernement. Le nouvel élu, contre le [droit et son devoir, changea tout ce qu'avait iait l'archevêque. Les Hermésiens furent rétablis dans leurs places; la signature des 18 articles abolie; les examinateurs, choisis par l'archevêque pour la charge des âmes , supprimés ; un élève du séminaire chassé pour avoir conservé une copie des 18 thèses. Cependant, pour la forme, à rouverlure du cours de 1808, les professeurs de l'université assurèrent qu'ils accep- taient la bulle comme ils l'avaient Ucjd acceptée; et à la pédagogie, qui se trouvait réduite à i5 élèves, le président, M. Achterfeldt, lut la déclaration suivante :

« Par rapport à la condamnation des écrits d'Hermès, nous déclarons que nous nous soumettons à la décision de Rome, > comme nous favons fait toujours, d

Puis lecture fut faite de l'autorisation de Husgen.

«I Puisque vous vous êtes soumis à la décision du Saint-Siège, »je vous concède, par mandat du chapitre métropolitain , la per- » mission de commencer vos leçons. »

Le Saint-Père instruit seulement alors de ce qui avait été fait, par sa lettre du 9 mai, permet à M. Husgen de continuera ad- ministrer comme vicaire de ^archevêque , mais lui reproche les changemens qu'il a faits dans l'administration, et surtout d'avoir changé les examinateurs nommés par l'archevêque , et d'avoir donné des cures à des hommes suspects. De plus, il lui impose l'obligation de lui prouver sa soumission au décret sur Hermès et sa vigilance à le faire exécuter. Nous ne savons si la soumis- sion de M. Husgen est sincère, et s'il obéira à son chef spirituel mais quelques universités paraissent l'avoir fait.

Dans celle de Trêves, le 1/4 juin i838, MM. Biunde et Rosem- baun ont envoyé à l'administrateur de ce diocèse, M. Gunlher, ToMu x>'ii.-N° 98. i838. 8

il8 HISTOIRE DE L'HERMÉSIAWiSMÉ.

une lettre dans laquelle ils déclarent que d'après lettre du 4 avril du cardinal Lambruschini , comme il coiïstè , qu'après avoir examiné de nouveau l'affaire (iterùm excussâ), la condamna- tion subsiste, ils se soumettent au jugement du S. -Siège avec l'obéis- sance requise.

Celte lettre en contenait une autre du 8 juin, adressée au S.- Père, dans laquelle ils lui faisaient connaître qu'ils adhéraient à la doctrine du Saint-Siège , purement, simplement, sans au- cune condition et sans aucune restriction mentale, qu'ils n'a- vaient différé cette démarche, que parce qu'il avait perrûis à MM. Braun et Elvcnik de demander quelques explications. A l'ouverture du cours, le 12 juillet dernier, M. Biunde a renou- velé , en son nom et en celui de ses collègues , la déclaration qu'ils regardent l'affaire de iViermésianisme comme finie.

M. Gunlher voulut se conformer à la légalité, et faire passer les deux lettres par l'entremise du gouvernement; mais elles lui furent renvoyées, avec la réponse que les lettres étaient inutiles.

Tel est Télat actuel de l'Hermésianisme, nous tiendrons nos lecteurs au courant des actes et décisions qui pourraient le concerner; en attendant, on voit que ce n'est pas sans raison que le Saint-Siège Ta proscrit de l'enseignement catholique, et combien l'Église est redevable au zèle et à la fermeté inébranlable de Mgr. Clément-Auguste DrostedeTVischering, archevêque de Cologne, dans la lutte qu'il a soutenue glorieusement contre les prétentions de l'autorité temporelle. Ce souvenir, l'assentiment des catholiques, l'approbation du chef de l'Eglise, doivent le consoler dans sa solitude de la forteresse de Minden.

A. B.

SUR l'introduction du CHRISTIAN. DANS LES GALLES. 119

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^isicxxc wCi'sîûsft(|tt^

SUR L'INTRODUCTION DU CHRISTIANISME

DANS LES GAULES.

Ocuxicme ^rfiçfe \

»

Mission (îe S. Denis à Paris. Des sept évêques envoyés dans les Gaules. Objeclions faites contre Grégoire de Tours, par D. Pvuînart. De Trophyme, évèque d'Arles. De S. Denis, évoque de Paris. Lettre de S. Cyprien sur l'affaire de Trophyme et de Marcien. Persécution de Vala'riea. Nouveaux évêques pour les Gaules.

YI. Après la mort de l'empereur Sévère, l'Eglise de Rome resta paisible jusqu'à Tan 2 5o de notre ère. Cette année, -l'empereur Décius, étant venu à Rome au commencement de son règne, publia contre les Chrétiens un édit sanglant qu'il envoya à tous les gouverneurs des provinces. Cet édit fut exécuté à la rigueur. Tous les magistrats n'étaient occupés qu'à chercher les Chré- tiens et à les punir. Aux menaces , ils joignaient un appareil épouvantable de toutes sortes de supplices : des épées, des feux, des bêtes cruelles, des chaînes de fer ardent, des chevalets pour étendre les corps et les déchirer avec des ongles de fer. Chacun s'étudiait à découvrir quelque nouvelle torture. Les uns dénon- çaient, les autres cherchaient ceux qui étaient cachés, d'au- tres s'emparaient de leurs biens. Les supplices étaient longs, pour tromper la cruelle espérance de la mort et tourmenter jusqu'à la fin ; on voulait ainsi faire manquer le courage ', si cela eût été possible. On peut se faire une idée de ces souf- frances et delà constance que témoignaient alors les Chrétiens,

' Voir le U^ article, dans le 97, ci-dessus, p. 7. ' Histoire ecclésiastique de Fleury, livre vi, chap. 23.

lîO $rR l'introduction du christianisme

en lisant la belle tragédie de Polyeucte dont le martyre eut lieu

à cette époque.

Pendant cette horrible persécution, dont le pape saint Fa- bien fut l'une des premières victimes », l'Eglise chrétienne resta sans chef. Pour élire à sa place un autre évéque de Rome, les fidèles attendirent que la rigueur de la persécution fût apaisée; car dans ces commencemens, une partie du clergé de Rome et des évêques voisins étaient prisonniers, ou dispersés ou cachés. Ainsi le S. -Siège vaqua près d'un an et demi; le clergé inférieur prit soin du gouvernement de l'Eglise ^. Décius aurait plutôt souffert qu'un rival se révoltât contre lui , pour lui disputer l'empire, que de voir élire un évéque de Rome qui pût soutenir la religion chrétienne contre le dessein que cet insensé avait de la ruiner *.

Le clergé de Rome , c'est-à-dire les prêtres et les diacres , crurent que, dans ces fâcheuses circonstances, ils devaient né- cessairement charger du soin de l'Eglise romaine ceux que leur dignité inférieure mettait moins en vue, c'est-à-dire les diacres. Ils s'en acquittèrent avec toute la vigilance possible, méprisant les dangors de la persécution à laquelle ils s'exposaient , la redoutant bien moins que les supplices élcrnela, et surmontant la crainte des hommes par celle de Dieu. Us n'abandonnèrent point leurs frères, et les exhortèrent à demeurer invincibles dans leur foi, ils firent même revenir quelques personnes qui allaient sacrifier aux idoles. Par ce moyen, l'Eglise chrétienne conserva sa force et son honneur, à l'exception de quelques hommes faibles que leur timidité fit céder à la crainte du pou- voir, ou que leur situation élevée dans la société exposait da- vantage à la persécution. Ce sont ceux auxquels on donna le nom de tombés '.

Rome avait alors des communications faciles avec Carlhage. Saint Cyprien , évéque de cette ville, envoya un de ses sous-

' Par Pierre Corneille.

» llist. Ecclésiasii(jue de Fleurjr, liv vi, ch. 2i, 5 Jdem. ch. 57.

' Mémoires pour servira l'Histoire Ecclésiastique, par Tilleraont. Paris, 1701, ni, i28.

» We»n,p. ilSSetdSy.

D.V«S LES GAU'-ES. 121

diacres appelé Clément ' , qui vint à Rome vers Pâques de l'an 25o, c'est-à-dire vers le 7 avril, et qui y représenta ainsi le prélat le plus célèbre de cette époque. C'est donc lui qui présida dans ces tems difficiles le clergé de la capitale du monde chrétien ». Ce fut sous celte présidence que des hommes d'une naissance distinguée, pénétrés d'un grand zèle pour la religion, se vouèrent à une mission apostoli(|ue. Voyant qu'en Italie la persécution était portée à son comble, que les Chrétiens ne pouvaient jouir d'aucun lepos, qu'ils étaient traînés au supplice aussitôt qiie reconnus, remarquant , comme par une inspiration de la grâce divine, qu'il y avait Lors de l'Italie une abondante moisson à recueillir, ils résolurent de fuir la présence du tyran , et d'aller dans les Gauks pour, ce qu'ils regardaient comme la plus grande gloire de Dieu, enseigner à tous l'Evangile suivant le comman- dement de Jésus-Christ. Ils étaient bien persuadés que les per- sécuteurs ne leur manqueraient pas long-tems , et que la palme <Ju martyre serait aussi leur partage. Ce n'était pas la mort qu'ils voulaient éviter; mais ils espéraient que leur vie serait iitile '.

Grégoire de Tours dit formellement '• que sous le consulat de Décius et de Gratus, c'est-à-dire l'an aSo de notre ère, sept missionnaires vinrent de Rome dans les Gaules pour y prêcher l'évangile : l'évèque Gati'en fut envoyé à Tours, l'évêquc Tio-^ phyme à Arles , l'évéque Paul à Narbonne, l'évêque Saturnin à Toulouse, l'évêque Denis à Paris, l'évêque Austvemoine à Cler- mont, l'évêque Martial à Bourges.

Notre ancien historien parle ici d'un événement Irès-impor- tanîpourl'histoire ecclésiastique de France, de laquelle il s'oc- cupait principalement. Le fait était j)eu antérieur à lui; il n'a pu qu'en être bien instruit, et l'on voit avec peine que le béné- dictin, dora Ruinart, sou éditeur, a voulu le combattre. çiGré-

» Histoire ecclésiastique de Fleury, liv.vi, oh. 36.

Venance Fortunat lui donne le titre de Prœsul dans une ode que j'ai rapportée {Annales du Hainaut , xvi , i50).

Jacques de Guise dans les Annales du Hainaut, t. v, p. 137.

4 Hist. des Francs, liv. i, ch. 28, p. 61 de l'édition publiée par la so- ciété de l'Histoire de France.

122 SUR l'i.mroductiou du christianisme

igoire de Tours, dit-il *, rapporte ce que lui apprenait une «tradition vulgaire, qui n'est pas confirmée par les actes de «saint Saturnin. » t Ces actes ' font connaître l'époque de la «mission de l'évêque de Toulouse; mais ils ne contiennent rien »de relatif aux autres évoques cités ici, et dont l'arrivée dans les » Gaules paraît à dom Ruinart avoir eu lieu en différens tems.

Grégoire de Tours, qui les croyait tous arrivés ensemble, a

conclu à'tort , toujours selon dom Ruinart, de la date certaine «indiquée dans les actes de saint Saturnin , la date de l'arrivée »des six autres évoques. »

Telle est l'objection que l'abbé Fleury répète sans la résou- dre *, et à laquelle j'ai cru devoir répondre. Je ne crois pas que cette discussion puisse paraître trop longue à ceux qui voudront bien observer la difficulté qu'il y avait à l'éclaircir.En effet les trai- tés ne nous manquent pas sur cette matière 4. J'ai déjà essayé dans un autre ouvrage d'écarter tous les nuages, et de venger la mémoire de Grégoire de Tours, abandonné même par son meilleur éditeur -. J'ai résumé cette défense dans la dernière édition, qxie la société de l'Iiistoire de France a tâché de rendre supérieure à celle de domRuinart, et qui est accompagnée d'une traduction française *. Je reproduis icice résumé avec quelques additions.

Des sept évêques envoyés dans les Gaules l'an 250.

Le premier des évêques nommés par Grégoire de Tours , est saint Gatien son prédécesseur , sur lequel cet historien ne pou- vait se tromper; aussi n'y a-t-il aucune difficulté à ce sujet, et l'on s'accorde aie placer sous l'an 200 7.

' Note rapportée à la page 61 de cette édition. *

3 Note T puisée dans dora Ruinart , page 3GI du même volume. ' Histoire ecclésiastique , livre vi , cliap. L9,

* Voyez dom Denis de sainte Marthe : Gallia chrisliana nova, tome i , page 520 , elc.

5 Voyez les Annales de Hainaut , tome xix , page i 1 1 et suiv.

* Elle est publiée chez Jules Renouard, libraire de la Société, en quatre volumes in-8°. On y trou\cra cette note à la page 337 du tome iv.

7 Voyez la Gallia christiaiui , ainsi que Baillct cl Godeseard, sous le 18 dcccmbrc.

DANS LES GAULES, iî3

Le second est Trophyme , évêque d'Arles , sur lequel il y a des difficultés que je crois avoir surmontées par la lecture attentive et la publication des œuvres d'un écrivain contemporain , certainement très-respectable, puisque c'est saint Cyprien. Le chanoine Saxi, qui s'est occupé des anciens évoques d'Arles ', n'a pas connu ce Trophyme , et en voici la raison : c'est que cet évêque avait été rayé des diptiques. En efTet saint Cyprien parle d'un évêque, appelé Trophyme, qui avait eu le malheur de se trouver au nombre des Tombés '. 11 avait quitté l'Eglise en offrant de l'encens aux idoles, comme saint Cyprien le mar- que assez nettement , et il avait entraîné avec lui la plus grande partie de son peuple, ce qu'Eudémon avait tâché de faire à Smyrne dans la même persécution de Décius, et ce que Réposte, évêque d'Afrique, avait fait effectivement. Mais l'erreur ne fut pas longue dans le diocèse d'i\rles. Le peuple et le clergé, jus- tement mécontens de la conduite de leur pasteur, lui nommè- rent un successeur, appelé Marcien, inscrit sur la liste des évo- ques ^ Trophyme, rentré en lui-même, avoua sa faute, et demanda pardon avec toute l'humilité et toutes les œuvres de satisfaction et de pénitence que l'on pouvait désirer. Ce qui contribua le plus à le faire admettre à la communion, ce fut que tout son peuple revint avec lui , et ce peuple ne serait re- venu aussi complètement qu'avec lui. LepapeCorneille, nommé enfin le 4 jui" 25i , crut que le retour de tant de personnes, était une assez ample compensation de la faute de Trophyme, et une cause suffisante pour ne pas suivre rigoureusement l'exemple que lui avaient donné ses prédécesseurs en de sembla- bles occasions. Ainsi après qu'il eut examiné cette affaire avec beaucoup d'autres évêques , et peut-être dans le Concile tenu à Rome l'an 25 1 , il admit Trophyme à la communion, mais seu- lement comme laïque, quoique les partisans du schismatique Novatien prétendissent qu'il était rentré dans la dignité ecclé- siastique 4. Marcien , qui avait été substitué à Trophyme , con-

Annales de Hainnut , xvi , i81 , je cite le Poniificium arelatense de Saxi , Aquissextiis , 1620, page 7.

2 Mémoires de Tillemonl, iir , iù7,

* Annales de Hainaut, xvn ,97. 4 Id. page 76.

1Î4 SL'R l'introduction bu christianisme

tinua d'exercer les fonctions épiscopales. Mais Grégoire do Toura n'en a pas moins eu raison de dire que l'évêque repen- tant vécut dans une éminente sainteté, acquérant des peuples à l'Eglise, et répandant partout la foi du Christ. L'exemple d'un repentir sincère est souvent plus efficace pour rappeler à la vertu, qu'une piété soutenue et toujours constante '.

Il y a donc eu un Trophyme évéque d'Arles, l'an aSo, mais rien n'empêche, si l'on veut, d'admettre la tradition reçue dans cette ville [art. II), que dès l'an 58 de notre ère , un autre Trophyme, disciple de saint Paul, ait le premier porté la foi dans ce diocèse '.

Le troisième apôtre des Gaules est saint Pau/, évoque de Nar- bonne, et 11 n'y a nulle difficulté sur ce sujet '.

Quant au quatrième, qui est Saturnin, évêque de Toulouse , il est bien démontré que sa mission a eu lieu l'an 200 , et dom Ruiuart lui-même a imprimé les actes de son martyre , dont il garantit l'authenticité ^. Je les ai réimprimés d'après lui.

Le cinquième apôtre des Gaules est saint Denis , évêque de Paris, que les Bénédictins ont voulu confondre avec Denis l'Aréopagite, qui avait souffert le martyre l'an gS de notre ère ', tandis que saint Denis , évêque de Paris , organisa la mission de saint Piat et de ses compagnons dans le nord de la Gaule au siècle de notre ère, comme Jacques de Guise le rapporte fort au long ^. Ces deux Saints ne doivent donc pas être confondus , et Grégoire de Tours ne peut être soupçonné d'un pareil anachronisme. L'esprit de corps, ordinairement si aveugle, peut seul faire comprendre ici l'obstination de cet or- dre d'ailleurs si savant. C'est ainsi que les Carmes voulaient absolument que le prophète Elle eût fondé leur ordre sur le mont Carniel.

Personne n'a osé contredire Grégoire de Tours sur le tera?

> Id. page 96.

* Id. Tome y VI, page i66.

' Voyez les Viei des Saints , par Godescard; sous le 22 mar?.

* yinnaUs de Uainauty xvi, 424. » Id. XVI , 320.

•Uv, 139.

DANS LES GALLES. 125

auquel il place saint A ustremoine^ premier évêquede Clermont, notre historien était '.

Il en est de même du septième et dernier apôtre des Gaule?, saint Martial , évêque de Limoges '.

Quelle raison y a-t-il donc de faire à Grégoire de Tours, le reproche que lui adresse dom Ruiuart , d'avoir ignoré une épo- que de laquelle il était si voisin? d'avoir mal connu un événe- ment qui lui était si facile d'éclaircir, et qui était son objet principal ? d'avoir confondu des noms qui devaient lui être si familiers, et qui devaient être le sujet de deux offices difFérens dans son diocèse, comme ils le sont encore aujourd'hui *, puis- que l'un est célébré le 3 et l'autre le 9 octobre? L'existence de l'Aréopagite Denis lui était enseignée dans les acies des Apôtres de la manière la plus claire. Si ce Denis était venu prêcher le Christianisme dans les Gaules, comment n'aurait-il pas fait mention d'un événement qui, de son tems, aurait sans doute laissé des traces à Paris? c'est ce qui ne peut être supposé. Ici l'argument négatif est en quelque sorte sans réplique, que les ténédiciins et les Parisiens se contentent donc de leur vérita- ble Apôtre dont la gloire doit leur suffire, et qu'ils ne violent pas toutes les lois de l'histoire pour établir un fait dont les plus sa- vans d'entr'euxonteux-mêmes reconnu la fausseté! Mais comme dom Tassin, dans son excellent traité de diplomatique ^ qui est encore aujourd'hui classicfue dans son genre , semble défendre celte fausse mais ancienne tradition, j'ai cru nécessaire de la réfuter par une exposition des faits entièrement neuve. Per- sonne, avantmoi, n'y avait employé les œuvres de saint Cyprien, auteur contemporain, pour expliquer le moi prœ s ul dans l'ode célèbre de Forluriat, et pour découvrir un évêque d'Arles du nom de Trophyme l'an aSo. J'ai donc rendu service à l'histoire

» Voyez les Fies des Saints, par Baillet ou par Godescard, le I«^ nov.

Id. Sous le 30 juin. Voyez la Gallia christiana nova, tome 11, p. C99 et 553. Voyez aussi l'histoire de C Eglise Gallicane, par les pères Lon- gueval,elc. Paris, 1825 : r. Dissertation préliminaire, page lxxvi. Le père Longueval n'a pu justifier Grégoire de Tours, au sujet de Tro- phyme , il n'a pas consulte' saint Cyprien sur ce sujet.

' Vies des Saints , par Godescard.

* iCiouveau traité de diplomaûquf. Paris, 1750, pre'façc, ^^^^\\;

136 SUR l'introduction du christianisme

ecclésiastique et à la mémoire de notre premier historien, et j'ai quelque droit de m'en féliciter.

A la vérité saint Cyprien ne dit pas formellement quel a été l'évêché de Trophyme ; mais ce qui le fait bien comprendre , c'est que Marcien, qui a certainement succédé à cet évéché ', craignant vraisemblablement que Trophyme ne fût rappelé, embrassa l'hérésie de Novatien , qui ne voulait point que Pon pardonnât aux tombés. C'est ce que nous apprenons par la lettre suivante que saint Cyprien, évoque de Carthage, écrivit au pape Etienne, l'an 204 '.

Cyprien à Etienne son frère '. YlII. « Faustin, évéque de Lyon , m'a écrit deux fois, mon très- ))cher frère , pourm'averlir d'une chose que je sais que lui et nos » collègues qui sont dans la même province vous ont fait savoir : «c'est que Marcien, évéque d'Arles, s'est joint à Novaticn; il s'est séparé de l'Eglise catholique et de notre corps pour embrasser » les maximes inhumaines d^une hérésie orgueilleuse, qui ferme B la porte de la clémence et de la miséricorde de Dieu à ceux qui y

frappent parleurs larmes et leurs gémissemens; sans se mettre » en peine de guérir leurs blessures, il leur ôte toute espérance de » pouvoir être admis à la paix et à la communion, les abandonnant » en proie à la rage des loups et à celle du diable *. C'est à nous , »mon très-cher frère, à pourvoir à un si grand mal, à nous , »dis-je, qui ayant devant les yeux la bonté divine, et tenant en

main la balance pour gouverner l'Eglise avec un juste tempé- » rament, conservons tellement la vigueur de la discipline en- »vers les pécheurs que, pour les relever de leur chute et pour »les guérir, nous ne leur refusons pas le pardon qu'ils deman- »deut. C'est pourquoi il faut que vous écriviez de longues lettres »à nos collègues les évoques qui sont dans les Gaules, afin qu'ils » ne souffrent plus que Marcien , qui est un homme superbe et

^ Abrégé chronologique de '.'histoire d'Arles, par Lalauzière. Arles, 1808, page 35.

» Et non 253 comme ledit Fleury, livre vu; chap. 2^. Voyez les ^n- nales de Hainaut. Paris , 1836. xvai , 1i8.

» Id, page U9.

•i Ad luporum rapinam et prœdam diaboli.

DANS DES GAULES. 127

«présomptueux, l'ennemi de la bonlé de Dieu et du salut de «nos frères, insulte davantage à notre collège ', sous prétexte » que nous ne l'avons pas encore excommunié ; ni qu'il se vante, » comme il le fait , de s'être séparé de nous pour suivre Novatien. Car il y along-tems que Novatien lui-même a été excommunié »et déclaré ennemi de l'Eglise ', de sorte que nous ayant en- Bvoyé quelques députés pour être admis à notre communion, » plusieurs évêques qui étions assemblés lui fîmes cette réponse, «que nul de nous ne pourrait communiquer avec lui parce qu'il i> s'était retiré de l'Eglise, et qu'après que Corneille avait été or- » donné évêque de Rome par le jugement de Dieu , et par les «suffrages du clergé et du peuple, il avait entrepris d'élever un s autel profane, d'établir une chaire adultère , et d'offrir des «sacrifices sacrilèges ^, à la place du véritable évêque seul qui »en pouvait offi'ir de saints et légitimes ; qu'ainsi, pour se faire D reconnaître et suivre des conseils plus sages et plus modérés, » il devait faire pénitence et retourner humblement à l'Eglise.

» N'est-ce donc pas une chose honteuse, mon très-cher frère , » que Novatien ayant été naguère chassé, rejeté et excommunié «par les évêques de toute la terre '', nous souffrions que ses par- , «tisans se moquent encore de nous, et se constituent les juges »de l'Eglise? Envoyez donc des lettres à la province et au peuple «d'Arles, par lesquelles excommuniant Marcien, un autre soit «élu en sa place; afin que le troupeau de Jésus-Christ, qui a «été dissipé et laissé par lui à l'abandon jusqu'à cette hevire, soit «recueilli et rassemblé. Qu'il nous suffise que plusieurs de nos «frères soient morts ces années passées sans recevoir la paix; «tâchons de secourir ceux qui restent, qui gémissent jour et «nuit, qui implorent sans relâche la miséricorde de Dieu , et «demandent notre assistance.

«Car c'est pour cela, mon très-cher frète, que le corps des «évêques est grand, et que toutes ses parties sont extrêmement «liées et unies ensemble, afin que si quelqu'un de notre société

Au collège des évêques qui avaient parilonné à Trophyme.

» Au Concile de Rome, tenu l'an 25 1 par le pape Corneille.

' Sacrilega... sacrificia.

i Voici un exemple remarquable de ces mots : toute (a terre , appliques non à la terre entière , mais à celle dont la surface était habitée alors par I«6 chrétiens et qui n'étaient pas novalieus.

128 SUR l'introduction du christianiser

vient à faire une hérésie et ravage le troupeau de Jésus-Christ,

les autres s'empressent de le secourir, et, comme de bons et «charitables pasteurs, rassemblent sesbrebis dispersées, dans une

même bergerie. Car ne voyons-nous pas que lorsqu'un port de «mer est rompu et dangereux pour les vaisseaux, les navigateurs

abordent ailleurs? et que, lorsqu'il y a sur vme roule quelque

hôtellerie pleine de voleurs , on l'évite et l'on va se loger ail- » leurs? Nous devons faire la même chose à l'égard de nos frères » qui , après avoir évité les écueils de M arcien , cherchent le port

salutaire de l'Eglise. Il faut les recevoir avec charité et avec »)oie; il faut les retirer dans une hôtellerie semblable à celle

de l'évangile ', ceux qui ont été blessés par les voleurs

puissent être traités et assistés comme il faut par le maître de » l'hôtellerie. Car à quoi les pasteurs doivent veiller davan-

tage , qu'à guérir et à conserver les brebis qui leur ont été

confiées, puisque Dieu dit :

« Vous n'avez point fortifié les brebis faibles , ni guéri les

malades; vous ne pansiez pas les blessées; vous n'avez point

relevé celles qui étaient tombées, et vous n'avez point cherché

celles qui s'étaient perdues...., et mes brebis ont été dispersées,

parce qu'elles n'avaient point de pasteurs; et elles sont devenues

la proie de tout es les bêtes farouches...., et nul ne les cherchait ;

nul, dis-je, n'était qui les rassemblât...., c'est pour([uoi.... ,

voici ce que dit le Seigneur Dieu : Je viens moi , à cespas-

leurs; je redemanderai mon troupeau à leurs mains, et j'empê-

cherai qu'ils ne paissent mon troupeau, et que ces pasteurs

ne se paissent eux-mêmes ; et j'arracherai mon troupeau à

leur bouclie, et désormais il ne sera plus leur pâture.... Je les

conduirai moi-même avec discernement '.

Ainsi, puisque notre Seigneur menace de la sorte les pas- » leurs qui négligent et laissent périr ses brebis, ne faut-il pas,

mon très-cher frère, que nous prenions tout le soin possible > pour les rallier et pour les guérir ? vu que, comme Jésus-Christ,

le dit lui-même dans l'Evangile :

Ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui ont besoin de

médecin , mais les malades '.

" Evangile de S.-Luc. x , 33.

' Etéeh. XXXIV, ii, /6.

» E^angi'c ^fi ^•- Maih. ix , 12.

DANS LES GAULES. 129

Car, quoique nous soyons plusieurs pasteurs, nous ne pais- » sons tous néanmoins qu'un même troupeau; nous sommes «obligés de rassembler et de secourir toutes les brebis que J.-C. i»a acquises par son sang et par sa mort, sans permettre qu'on

méprise cruellement les larmes et les soumissions de nos frè- » res, et que quelques-u ns les foulent aux pieds par une présomp- «tion superbe, puisqu'il est écrit ;

Un homme orgueilleux et présomptueux ne fera jamais rien, «parce qu'il ne met point de bornes à son ambition '.

«Notre Seigneur, dans son évangile, condamne aussi ces «sortes de personnes , lorsqu'il dit :

«Etcs-vous de ceux qui veulent paraître justes devant les «hommes? Mais Dieu connaît vos cœurs; car ce qui est grand «devant les hommes est abominable devant Dieu '.

Il dit qu'il a en exécration ceux qui se complaisent en eux- « mêmes, et qui sont superbes et arrogans : comme donc Mar- «cien s'est mis de ce nombre-là en se joignant à Novatien et en » déclarant la guerre à la clémence , qu'il ne prononce pas contre «les autres une sentence de condamnation, mais que lui-même »soil condamné, et qu'il ne s'établisse pas juge des évêques «après que tous les évêques l'ont jugé; car il faut que nous con- » servions inviolable la gloire de nos prédécesseurs les bienheu-

reux martyrs Corneille et Luciiis *, obligation qui vous regarde «encore plus que nous , mon très-cher frère; vous devez hono- » rerieur mémoire et défendre leur conduite, puisque vous leur «avez succédé. Or ces grands personnages, pleins de l'esprit de » Dieu et qui out glorieusement souffert le martyre , ont cru » qu'il fallait donner la paix à ceux qui sont tombés; ils ont « déclaré par leurs lettres qu'après que les pécheurs avaient fait «pénitence, il ne fallait point leur refuser la communion ; c'est

aussi ce que nous avons tous ordonné, cir nous v.e pouvons «pas être d'un avis différent les uns des autres, puisque nous

> Habacuc f il , 5.

» Evang.'de S.-Luc. xvi, 15,

Le pape Lucius, successeur de saint Corneille, avait reçu la couronne du martyre le i ou le 5 de mars 253, après avoir gouverne l'Eglise de Rome cinq mois cl quelques jours Etienne, son principal diacre fu4, élu après lui au mois de mars de la même anne'e.

130 SUR l'introduction du chmstiamsme

«sommes tous animés d'un même esprit , et c'est ce qui fait » voir que ce n'est pas le Saint-Esprit qui fait agir en cette oc- » casion ceux dont le sentiment est contraire. Ecrivez-nous donc, Ds'il vous plaît, qui aura été mis en place de Marcien , afin que »nous sachions à qui nous devons écrire et nous adresser.

»Je souhaite, mon très-cher frère, que vous vous portiez «toujours bien. »

Persécution de Valérien. IX. Il n'est pas prouvé que le pape Etienne ait adhéré à la demande faite avec tant d'autorité par saint Cyprien >. Il paraît au contraire que Marcien continua de gouverner l'Eglise d'Ar- les , et Saxi prolonge le pontificat de cet évêque jusqu'à l'an 5oo '. La paix qui avait régné dans l'Eglise chrétienne sous l'empereur Valérien, d'abord favorable à celle Eglise, fut trou- blée subitement par la guerre faite aux Chrétiens, au mois de juillet 257. Alors commença la persécution qui est comptée pour la neuvième, en distinguant celle de Gallus de celle de Décius qui est comptée pour la septième. Celle de Valérien fut encore favorable à l'accroissement du Christianisme dans les Gaules. Exercée avec violence en Italie et en Afrique, elle ne pénétra point dans les Gaules , Posthume, qui s'y était rendu indé- pendant, refusa d'obéir aux ordres de Valérien. Ce fut alors que des hommes d'une naissance distinguée, à Rome, quittèrent cette capitale pour venir joindre leurs travaux à ceux de saint Denis. Saint Luce , surnommé Lucien y saint Quentin ^ sénateur, et d'autres saints personnages comme Fuscien, Victoric, Crépin, Crcpinien, Ru fin, Vallrc , Régale et Eugène, voyant que la per- sécution était portée à son comble, que les Chrétiens ne pou- vaient jouir d'aucun repos en Italie, et qu'ils étaient traînés au supplice aussitôt qu'on les avait reconnus; remarquant enfin que le repos dont jouissait la Gaule sous la domination de Pos-

' GalLia cliristiana nova , Lutelioc 1715. i, 522.

' Pontificium arelatense, Aquiisextiis , 1629, page 8; ce pontifical mérite plus de confiance que les prétendus dipliques d'Arles , rapporlés parMa- biilon (^Veterum analeclorum tomus ni, Luteùœ, 1682, page i32, et qui ne sont donnes par lui que comme une liste infomie dans laquelle Marcien est enlicrcmcnt omis. Ils étaient peu dignes d'être cités par le père Lon- gueval. [Histoire de C Eglise GalUcanc. Paris, 1825. i, gS).

DANS LES GAULES. 13i

thume, leur permettait d'y venir prêcher le Christianisme , ils se réunirent au nombre de douze, sortirent de Rome, et vinrent en grande hâte à Paris , , pratiquant le jeûne et la prière, ils supplièrent Dieu , père des lumières, de les diriger suivant sa volonté, et de leur donner la sagesse, afin qu'ils pussent annon* cer dignement la parole de Dieu, et publier, dans la partie septentrionale des Gaules, la vertu et la puissance du Christ. Saint Denis était depuis sept ou huit ans à Paris, une révé- lation céleste lui avait ordonné de rester pour enrichir cette ville et ses environs de la parole du Seigneur. Il consacra prêtres Lucien et Fiat , afin qu'ils travaillassent dans la tâche de l'E- vangile avec d'autant plus de sainteté et de vigilance à propager l'Eglise chrétienne. Le saint athlète de Jésus-Christ, Quentin , choisit Amiens, et envoya les autres prêcher, savoir : Régule à Senlis, Lucien à Beauvais, Crépin et Crépinien à Soissons, Rufin et Valère à Reims, Fuscien et Victoric à JMoriane, Piat à Tour- nai, et Eugène l'appellerait le Saint-Esprit. Le nombre duo- dénaire des apôtres, dit Jacques de Guise ', fut renouvelé dans ces hommes sacrés qui donnèrent à l'Eglise un accroissement immense, et à la France une noblesse avant qu'elle eût pris son nom.

La persécution de Valérien consomma donc l'ouvrage com- mencé par celle de Dèce. C'est aux efforts que firent ces em- pereurs pour détruire la religion chrétienne que cette religion dut son plus grand accroissement ; car son établissement dans les Gaules fut l'appui dont Dieu se servit dans la personne de Constantin pour la placer dans le gouvernement lui-même, elle est toujours restée depuis. Hugues-Capct , le chef de la troi- sième race de nos rois , n'a pris le titre de roi que lorsqu'il a été proclamé dans un concile. Napoléon ne s'est cru empereur lé- gitime que lorsqu'il a été couronné par le pape. Le sceau de la religion a toujours été nécessaire à l'autorité qui ne s'en est jamais séparée impunément.

Le M" DE FORTIA , de l'Académie des Inscriptions et Belles-Leltrcs.

> Histoire de Hainaut , Paris, 1829, v. 139, liv. vn , chap. 59.

132 HISTOIRE ET TABLEAU hE L*UNITÉRS

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iiïUîxahv( donUm^cxam,

HISTOIRE ET TABLEAU DE L'UNIVEBS^

PAR M. J.-F. DAMÉLO '.

11 a toujours passé pour consfarit que rien n'étàil plus pro- pre à agrandir l'esprit de l'homme, à satisfaire ses diverses facultés, à élever son âme et à la rapprocher de Dieu, que le spectacle de la nature. L'antiquité païenne l'avait mille fois reconnu par la bouche de ses philosophes et de ses poètes; il était réservé au dix-huitième siècle de nier celte vérité comme tant d'autres , et de souiller l'étude de la nature comme il avait souillé toutes les autres branches des connaissances humaines. On n'a point oublié les efforts qui furent faits pour mettre les sciences naturelles en opposition avec les enseignemens de la révélation. Les lois des corps célestes étudiées, de nouveaux systèmes cosmiques inventés, l'Orient et ses tables chronolo- giques, l'Egypte et ses zodiaques appelés en témoignage contre le récit de Moïse, la terre fouillée jusque dans ses profondeurs, afin d'en retirer les preuves d'une antiquité indéfinie; nulle difficulté ne parut insurmontable, nulle absurdité, nul men- songe ne fut capable de faire reculer l'esprit anti-religieux qui avait tout envahi. C'est ainsi que l'on voyait, par exemple, une certaine classe de savans naturalistes trouver assez de différence entre les diverses familles de la race humaine pour contester leur descendance d'une souche commune, tandis que d'autres nota- blilés scientifiques, non moins célèbres, découvraient des points de resssemblancc tellement frappans entre l'hommeet les autres espèces animales, qu'ils n'hésitaient jioint à soutenir l'identité d'origine et de nature de tout ce qui a vie. La création , les

* Paris à la sociétc de bibliographique , rue saint Antoine , n< 76, 1'^ volume; prix, 7 fr. SO c.

PAR M. J.-F. DANlÉLOv 133

communications de Dieu avec l'homme , le don de la parole, la déchéance de l'humamté en la personne de nos premiers pa~ rens, le déluge, la fondation primitive des sociétés, tous les faits en un mot, qui sont le premier fondement de la religion chré- tienne, furent rangés au nombre des fables que de hardis men- teurs avaient imposées à la crédulité des peuples.

On s'ingénia à expliquer l'univers sans cause première; on vit tout dans la matière et dans ses transformations. Dieu fut banni de l'empire du monde; et, si la plupart n'osaient point nier formellement son existence , les plus modérés toutefois et, si j'ose dire, les plus religieux, s'arrangeaient de manière à se passer de lui le plus possible. Ils reconnaissaient de bonne grâce la nécessité d'un être suprême, d'une première cause, ou comme ils disaient en leur langage tout matériel, d'un premier moteur ; mais une fois la c/u'^Hf?irtH(/e donnée, toute intervention ultérieure de sa part devenait chose superflue ; l'action providentielle tout-à-coup paralysée , perdue par Je ne sais quels systèmes de forces et de lois absolues, ne laissait plus au Dieu de la créa- tion, vis-à-vis. de son ouvrage, que le rôle d'une grande inu- tilité.

Cette entreprise sacrilège fut tentée avec tant d'audace , con- duite avec tant d'astuce et de persévérance, qu'on sembla crain- dre un moment que la science ne se séparât à jamais de la foi; les sciences naturelles surtout tombèrent en une véritable sus- picion auprès de quelques esprits bages d'ailleurs , mais trop préoccupés par la crainte de voir s'établir une scission éternelle entre la nature et son auteur. Doute horrible qui brisa plus d'une àme fidèle ; mais aussi doute irnpie et injurieux, cruelle- ment expié plus tard, et auquel on pourrait adresser justement le reproche du Sauveur des hommes : foi clianceianie , pourquoi as-iu doute?

Dieu n'a point voulu permettre que ce poids affreux opprimât long-tems l'intelligence humaine. C'est ici surtout qu'il faut signaler la mission restauratrice du iq° siècle; car, si la ten- dance vers de meilleures voies peut être ailleurs sujette à con- testation , elle est ici constatée par des faits si palpables et si nombreux , qu'il est impossible aux pessimistes les plus obstinés d'en connaître les heureux effets. Ceux de nos lecteurs qui ont TosiE xvu. 98. i8j8. 9

i^ HISTOIRE ET TABLEAU DE l'l'MVERS,

*ti»vi les travaux des Annales de philosophie chrétienne en seronf facilement convaincus, puisque le but unique de ce recueil a été, depuis l'instant de sa fondation , de leur faire connaître tout ce que les sciences humaines découvrent )ourneIlcment de phénoracnes et de vérités favorables aU Christianisme.

Ils ont pu, to«r-à-tour, voir les histoires fabuleuses des plus anciens peuples réduites à leur juste valeur, par les travaux de Klaproth, Rémusal, Saint-Marlin et d*autres orientalistes distin- gués; les systèmes astronomiques échaffaudés, à si grands frais d'érudition, sur les zodiaques d'Egypte, s'évanouir devant les dé- couvertes de Champollion jeune, expliqués et complétés par les travaux de M. de Paravey et de M. Letronne. En même tems, la terre interrogée par l'immortel Cuvier, répondait en étalant les alluvions de ses fleuves, les dépôt s de ses neiges, la marche de ses sables, les os de ses premiers habitans, et faisait lire au fond de ses entrailles comme un infaillible augure de sa véritable origine et de son histoire primitive. Lesfailsrecueillis, sur tous les points de la terre habitée, par M. deHumboldt et d'autres célèbres voya- geurs, faits complétés et expliqués avec une profonde érudition par M. de Paravey, renversaient l'hypothèse si fort répandue d'un état de pure nature, et établissaient la commune descen- dance du genre humain sur le rapprochement merveilleux des monumens et des traditions de tous les peuples. MM. Balbi, Ampère fils , etc. , démontraient la même vérité par la res- semblance et la conformité de toutes les langues connues; Blummenbach, Lacepède, etc., la trouvaient écrite sur la figure humaine au moyen de l'identité du type facial. Une chose qu'il ne faut point oublier, c'est que toutes ces décou- vertes étaient faites en général par des hommes étrangers à nos croyances, qui n'avaient d'autre but que de perfectionner la science humaine, et n'arrivaient à des conclusions favorables au dogme chrétien qu'en suivant la marche tracée par l'obser- \ation des faits et une induction rigoureuse. Et si cette dernière circonstance donnait une valeur de plus à leur témoignage , les noms de Sylvestre de Sacy, de Quatremère, de Séguin de Saint-Pirisson, de Cauch}', prouvaient qu'aucune des sciences physiques n'avait à élever d'objections sérieuses contre la révé- lation, et que l'étendue des conceptions mathématiques, ar^

PAR M. J.-F. DANIÉLO. 135

cliëologîqucs, analytiques, pouvait très-bien s*anier avec la sim- plicilé de la foi.

Ainsi cette opposition menaçante d'une science encore au berceau, s'est échangée subitement par la force des choses, en une direction toute contraire ; il y a eu sous ce rapport conrer- sion réelle et manifeste. Dès-lors Tétade de la nature, qui eût pu effaroucher certains esprits fidèles et timides , leur ouvre son vaste sein , non plus seulement comme un champ de douces émotions ou d'investigations animales, mais comme une mine inépuisable de preuves et d'admirables développemens des vé- rités de la religion.

Voilà ce qu'il est important de constater, de dire et de répé- ter, jusqu'à ce que personne n'eu doute plus à l'avenir; c'est ce que M. Daniélo, jeune écrivain, déjà connu dans le monde savant, a eu le courage d'entreprendre, en publiant un ouvrage de longue haleine, sous le litre d'Histoire et Tableau de C univers. Ce livre, dont le premier volume vient de paraître, fut d'abord annoncé comme une refonte du Spectacle de la nature. Regrat- ter, restaurer, peindre à neuf le tableau de l'abbé Pluche, le mettre surtout au niveau de la science et des découvertes mo- dernes en histoire naturelle , telle était d'abord la tâche que s'imposait M. Daniélo ; mais bientôt les objections surgirent si nombreuses , si graves, que ce premier plan dut être rejeté comme irréalisable. Il fallait en effet tout changer, tout boule- verser, le fond comme la forme, les choses et le slyle, tant l'ou- vrage du bon et savant abbé Pluche, est déjà loin , sinon de la vérité, du moins de la science , telle qu'elle se fait et s'exprime aujourd'hui. Force fut donc de songer à faire un travail neuf, original , dont les difficultés et l'étendue avaient sans doute de quoi effrayer, mais n'offraient pas des difficultés insurmontables pour un écrivain qui réunissait une science réelle, une vive ima- gination, aune âme douée de force et de persévérance. Vintro- duction de M. Daniélo prouve qu'aucune de ces difficultés ne lui a échappé. Ce que nous en avons déjà cité, sous le litre de Idée de l'ouvrage, a montré sous quelles formes grandioses son sujet lui est apparu '.

* Voir le lome xt, nage 229.

136 HISTOIRE ET TABLEAU DE l'uîîIVERS,

On a y voir la course immense qu'a entrepris de fournir l'aufeur de VHistoire et tableau de l'Univers. Ce tilre fait d'abord pressentir un double but. La nature sera envisagée sous deux aspects : le côté positif, scientifique et le côté pittoresque. Non- assurément que ces deux parties soient distinctes et séparées' dans l'ouvrage; elles sont, au contraire, étroitement unies, n'iront jamais l'une sans l'autre, s'aideront et se compléteront; répondant ainsi aux deux principales facultés de l'esprit hu- main qu'on se plaît trop souvent à isoler en vertu d'une abstrac- tionpurement arbitraire, au lieu de chercher à les comprendre et à les saiisfaire dans leur unité universelle et indivisible.

Maintenant quelle marche prendra M. Daniélo pour remplir à la fois cette double condition ? C'est ce qu'il va nous dire lui- même '.

Marche et méthode de l'auteur.

Mais enfin , en supposant que la chose soit possible, comment fciei- Toas , me diia-l-oa, pour nous donner riiistoire et le tableau de Vaaiscrs? pourreî-Tous tout voir, savoir tout par vous même?

Non sans donle , el je vous l'ai déjà dit : mais de quel historien, de quel chroniqueur, de quel biographe oseriez vous exiger de pareilles con- ditions, pour qu'il lui fût permis de vous parler d'une époque , d'un fait, dun homme , el pour qu'il eût quelque droit à voire confiance?

L'histoire deviendrait impossible à ce litre : et le résultat de vos trop sévères exigences serait une ignorance complète.

Que l'on veuille doue bien ne pas commencer par être trop injuste à mon égard, par la raison que ma lâche est immense, et que je l'aborde avec uu courage qui mériterait au moins de l'indulgence.

Quaut à la manière dont je m'y suis piis, clic est bien simple cl bien naturelle.

La voici telle que je l'ai laissée pressentir el môme indiquée déjà plu- sieurs fois

J'ai consulté tous ceux qui ont écrit et pense avant moi sur quelques- unes des parties ou sur l'emsemble de ce vasle sui,et : j'ai lu , j'ai extrait tout ce qu'en disent les anciens livres sacrés des peuples , leurs anciennes poésies, leurs anciennes philosophics physiques . si semblables , mt>me en- core chez Plalon , à leurs poésies , si semblables elles-mômes à leurs li- ■vrc» sacrés, el révélés, selon eux :

* Tome 1, p. 91.

PAR n. J.-F. nVMELO. 137

Lc8 uns il l'Iiiilo p;ir Brahin.i ;

Los autres à la Ptrsc par Hom el Zoroaslrc :

Les aulrcsà l'F.gypte par Altronre TrisiiiL^giste ',

Les auhes au uoicl par Odiii ;

Comme le fu( la Dible à la Judée jiar Jcliovah lui-iuèuie.

Après uuc allentive élude des livres écrit'; , j'ai prêté uue oreille non inoins alleulivc aux traditions qui oui eu coiiis daus les âj^es el doul les échos sont parvenus jusquà nous.

C'est ainsi (]u':ip|iuyaiit ma faiblesse individuelle sur la force des grands liomuu'S el du genre humain tout entier , ainsi (]u'aidant mou ignorance delà science des siècles, j'ai pu arrivera [loser hardiment devant mou lecteur celle assertion franche et jiosilive, si{ion satisfaisante :

Voilà ee que l'anliquilé nous dit du monde el de ses origines ; voilà ce qu'elle en a su.

C'esl ainsi également, cest par celte exewrsion eucyiIopédiq«c au delà de notre ère, que je réveille la muse antique, et je ramène le sljle el la poésie à leurs formes natives , formes magniGques , oubliées ensuite et défigurées par trop d'art ; c'est aiusi c|ue je les rends à la simple, mais à la grande nalure ;

Aux épopées de l'origine des choses, de la lullc des élémeas encore insoumis ;

Aux concerts à l'harmonie, régularisét des astres dans l-es cieus bnllans ; Aux grandes et pittoresques vjcissitudes desàgesel des saisons de la terre;

El enûu à ces hymnes prièies, à ces élaiis primitifs des cicurs vierges cl reconnaissans, l'essence de tout le reste, qui s'élevait comme un feu sacré, comme un saint parfuu» d'cimour filial vers le Dieu qui créa , (|ui régit tous ces cieus, tous ces Olj^ujieus, tous ces astres, tous ces âges et toutes ces saisons.

Mais avant les êtres finis, queltjue grands et sublimes qu'ils soient, il y a un Etre plus grand et plus sublime, l'Être infini, la cause première, la source de TElre; Dieu, de qui toutémane, à qui tout revient, qui imprime partout son image à des degrés plus ou moins parfaits, qui conserve tout , et sans lequel la nature n'est plus qu'une énigme sans mot , un assemblage in- concevable de forces sans moteur, d'elfcls sans cause, de termes sans rapport, de moyens sans i-ésnltat. Avant donc la création, le Créateur. M. Daniélo était trop versé dans la science des

' Tpt7\j.î'yi7X0Zj trois fois le plus grand.

138 HISTOIRE ET TABLEAU DE l'uNIVERS ,

origines pour ignorer que c'est toujours par Dieu que commen- çaient tous les chants et tous les recils des races antiques.

La science de toute Tantiquifé commençait par Dieu.

Dans les premiers tems de la pensée bumaiuc, jamais nn poêle n'éle- vait la vois , jamais ua historien n'entamait son récit sans commencer par CCS grandes scènes de la nature naissante.

De Dieu , dit l'indien , est émané le fleuve antique de l'univers '.

Dieu est le principe et la racine de tout ».

Tout vient du Créateur , j subsiste , y retourne *.

Dieu fit tout au commencement 4.

C'est lui qui est la cause productrice de toute la nature ; le maitre de l'univers, le Dieu des Dieux, le régulateur des mondes *.

Mithras, c'est Dieu même, disent les Perses; de lui viennent Ormuzd et Ahrimane. La parole mystérieuse dOrmuzd est le fondement de toute existence , la source de tout bien , de tonte vie ^.

De Kneph vieat l'œuf du monde, disent les Egyptiens , et de l'œuf du monde, l'univers 7.

Dieu créa le ciel et la terre , disent les Hébreux '.

Ainsi disait aussi Tyr, Sidon et Babylone.

Jupiter est le père de tout 9, dit ensuite Sophocle , Gdèlc écho , comme tous les grecs ses compatriotes , des doctrines de l'orient.

Jupiter est le principe, le régulateur de tout'o, avait déjà dit Terpandre.

Muses, commencez par Jupiter et par Jupiter Gnissez, disaient aussi de concert Aratus , Hésiode et Théocrite".

Les muses chantèrent le premier Etre, dit Pindare.cn commençant par Jupiter ".

> Bhagavad Gila, leçon II».

* Oupnekhat, traduction de M. le comte de Lanjuinais, revue par M. Lan- glois, tome IV de ses OEuvres complètes , in 8», pag. 269.

3 Idem, ihid., pag. 271,

i Lanjuinais, ibid., pag. 373.

* Baf^avad-Gila., leçon X*.

* Zendavesta.

7 Voir Creutzer, Symbolique , Mère. trismêgUte, Pymander, etc,

8 Genèse , chap. 1 , v. 1.

9 Attkvtwv Zfyç narep. Soph. in Trachin. >o Zsuî TravTwv apy^t)^ ttocvtwv aj-vjTwp. '• Ex Ato; apyjô^eirtx, x«t eiç Aix IrfyiTS , (xo(er«(, " At Se ■KpùrtTTO-j p.tu upvijffw, Ex AtOî «p;^0fxf;î<{.

T4R M. J.-r. DAMF.LO. 130

Voici venir maîuli'naiil la Ijre I;iline, atis>i fidèle écho de 1^ muse grec- que que cclie-ci l'avait été de la gran<l<> tunse orirntalic.

Coiiiincnçoos, muses, par Jupiter . car de Jupiter tout esl rrmpli ', dit Virgile ré|)etaDt ici les tiois poètes cités plus haut , et êurloul Aratus qui avait dit avaut lui :

Les cheuains. les hameauï sont pleins de Jupiter ; les forums des ciléa, les abîmes et l'éteudue des mers tu soûl pleias ; ea sout pleius aussi lus ports et loulu chose ea uu mot '.

Si vous cliaiitez les cieai, sécrie Galpaniius, commencet par Jupiter '.

C'est par Jupiter, car tout lui eède , ajoute Ovide, qu'il faut couiuieu- Cer , ô muse* , à élever uos chauls i .'

Tout ce que vous voyei, tout ce que vous rcmuei, dit Lucaia dans ua vers célèbre de la Pharsaic , c'est Jujiiter '.

Le 'out-paissant Jupiter , dil Apulée d'après Orphée , est à la fois le commeucemeot et la Su *,

Aiusj Ion voit que par Dieu tout a comiuencé dans le monde plijsiqus 'Comme daus la pensée humaine.

On sait que les Védas et V EdJa , comme la Bible, ont commencé par lui ; que Jub, David , Orphée , Douapayua-Vyasa y revenaient sans cesse dans leurs hynimcs ; les Brahmanes, les Mages, Pylhagoru et Platon dans leur philosophie.

Après nous avoir dit par commencera sou ouvrage, l'au- teur nous trace la marche qu'il se propsse de suivre , en pre- nant pour guides les livres sacrés, les poètes et législateurs des plus anciens |)euples , et les philosophes et savans de tous les âges.

DilTérentes sources eii puisera l'auteur.

D'abord l'idé<! de Dieu , l'idée triple comme son essence , l'idée poéli- <jue , philosophique et physique.

Après ce triple por(rait de Dieu , les récils divers de la création, s grandes chroniques de la terre et dv6 cieux -. et puis la description et lu

> Ab Jove principlum, «a«»3e,Juvis oeioia plena. Ftr^(7e,églegue ih, v. 6.

Kzt ).ipLr./â; ffscvrc , €z Atuç Tttni.rjn'j.îzo'.. * Ab Jove princjpium si quis caiiat lelhera sumat. Caipurniut , egloga iv. 4 Ab Jove mnsa pareu* , cedunt Joviiiomnia régna,

Garmina nostra move. Ovid.

* Jupiter est quodcumque vides , quodcumque moveris. Lucain , lib. xci,

* Japjter omnipoteas est primaf et ultinjus. Uem . Orphée dan» Apulée-

liO HISTOIRE ET TABLEAU DE l'uNIVEHS,

tableau de celte même terre et de ces aicmes cieox, d'après les mêmes livres et d'après les mêmes hommes; c'est-à-dire d'après les livres sacrés, les prophètes et les poètes des nations antiques.

Aux peintures du globe et du firmament d'après ces prophclcs, ces poêles cl ces prêtres, succéderont celles que j'en ferai d'après les savaus et leurs découvertes.

Ainsi , à la suite de Brahma , si c'est lui , comme le croit l'Indien , qui a révélé et composé les Fédas;

De Vyasa qui les a réunis et disposés, dit on, en corps d'ouvrages, et qui de plus, dilon encore, a écrit les histoires saintes et anciennes, les Pouranas et le grand et magnifique poème , le Mahabharata :

De Valmiki, qu'on lui croit antérieur, et qui a chanté Piama et son armée de finges, c'est-à-dire probablement ses soldats montagnards;

De Manou, i'auleur des belles lois qui portent son nom 'y

De Hom et de Zoroastre, dont la Perse se vantait de tenir le Zend- avesta, la parole de vie ;

De Sanchonialbon , à qui l'on doit le fragment de la cosmogonie phé- nicienne, seul débris qui nous reste de la grapde histoire de celte nation ;

De Mercure Trismégiste , à qui l'Egypte attribuait ses quatre livres sa- crés; comme le sont les quatre Védas dans les Indes ;

D'Orphée, qui. assure-t-OQ , importa dans la Grèce les doctrines et la cosmogonie de l'Egypte;

De I'auleur de l'Edda, qui les a importées aussi dans le nord et dans l'ouest de l'Europe ;

D'Hésiode, qui a chanté spécialement le sujet qui nous occupe ;

D'Homère, d Aratus, de Lucrèce, de Virgile, d'Ovide, d'Apulée, de Manilius et des autres poêles ou litléraleurs plus modestes qui lui ont consacré de belles pages ou de beaux vers ;

Enfin de Job, de Daniel, de Moïse, de Mo'ïse surtout, que la chrono- logie connue mut en tête de la longue liste des rois, des léu;islalcurs, des prophètes et des historiens; Je Moïse, à qui on a bien pu emprunter des idées, des faits, des inspirations, mais non pas contester solidement la priorité en fait de dale et d'antiquité ;

Oui , à la suite de ces génies fameux , de ces astres toujours brillans des siècles éteints, de ces dieux de la terre, marcheront les Thaïes, les Ze- non, les Pythagore , les Hipparque, lesEudoxe, les Ocellus-Lucanus, les Timée, les Epicure , les Arislote, les Plolémée, les Cicéron, les Séuèque, les Pline et IcsMacrobe;

Les Copernic, les Galilée, les Tycho , les Kepler, les Gassendi, les Descartes , les Ncwtou , les Cassini , les Ucrschell , les Lalande, les L^voi- êier, les Buiïou , les Laplace , les Beraardiu de Saiul-Pierre , les Jussieu ,

r\n M. T -F. nvNTFLO. m

les Cuvicr, les GcofTroy-SaiiilHil;:iru , les L;imaik,rt tous Icnrs savans

ëiëv«9.

'Ainsi , l'on go&tera aux fiiiilstle rinspiralîon d'ahord , pnisq'i'îls sont les premier* venus sur celte terra , et ensuite aux fruits de l'élude et de la réllexion.

De cette manière, assez peu des traits importans rt des grands tableaux de l'univers, en ce qu'il a de permis à la mémoire et d'accessible à l'ob- servation, m'auront échappé.

On pense bien qu'un livre conçu dans un esprit sincèrement chrétien, comme celui que nous analysons, ne doit pas ressemr. bler à ces ouvrages de science anti-religieuse, l'homme est confondu pêle-mêle avec les autres êtres animés, sans autres distinctions que celles qui tiennent à son organisation exté- rieure. L'homme ici remonte à son rang, et nous apparaît comme la première merveille, comme le roi de la création. M. Daniélo a consacré plusieurs chapitres de son Introduction à donner, d'après les lumières de la révélation, confirmées par les découvertes scientifiques, des notions vraies et positives sur l'origine de l'espèce Inunaine, les conditions premières de son existence, la spiritualité de l'âme, la communication du lan- gage, l'état de la société primitive, la religion naturelle, le sentiment religieux; questions si souvent débattues, qu'une philosophie menteuse était parvenue à envelopper d'épaisses ténèbres, mais que la science moderne vient éclairer chaque jour des plus vives clartés.

C'est après avoir ainsi fait sa déclaration de principes, après avoir pris une position franche de chrétien et de calholi(|ue, que l'intrépide écrivain peut se lancer avec confiance dans l'immense carrière qui s'ouvre devant lui.

Nos lecteurs aimeront à suivre le fil directeur auquel il se confie, et à voir comment se développe à ses yeux l'imposant spectacle qu'il entreprend de nous décrire.

Raisons de l'ordre que l'on suivra dans l'ouvrage.

Peut-être eusse je dii commencer ce recueil des récits et des opinions de l'antiquité sur la naissance et les révolutions du monde, par celui de Moïse , qui aurait servi à éclairer et à contrôler ? la fois tous les autres.

L'ordre chronologique semblait d'ailleurs l'exiger, et mon iatenlion ^tait de me conformer à cet ordre.

ik& mSTOltlE ET TABLEAU DE l'L'MYERS ,

Mais, comme parfois on se sert des cosmogonics païennes pour allaquer «elles de la Bible , j'ai voulu, dans la persuasion qu'elle saurait triompher de cette épreuve . j'ai voulu les faire passer avant elle , afin que l'on ne puisse pas dire que je l'aie favorisée aux dépens des autres , eu les plaçant à sa suite et dans son ombre ; j'ai mieux aimé pécher même par l'excès contraire , et mettre Moïse h la suite et dans l'ombre do la gentilité.

Ceux qai m'en feraient un crime auraient oublié que, sur le front , il porte les rayons de l'inspiralion qui saveut bien dissiper les ténèbres quel- que opaques qu'elles soient, se faire jour au milieu d'elles et frapper tous les yeux. Moïse n'est point dans les tems de vérité; l'erreur, plus ou moins profondément, régnait tout autour de lui.

Pourquoi voadrait-on le placer avant l'erreur, lui qui n'est venu que ^oar la vaincre et la détruire? Quiconque pourrait donc craindre pour lui< et pour sa doctrine , en ce moment, serait un homme de peu de foi , 51 serait peu digne de naviguer dans la barque de Pierre, sur l'océan des tempêtes humaines, et d'entrer dans le repos de la terre Promise.

Ce sera donc par l'Inde que je commencerai , par l'Inde si aueieune eu elle-même^ et pour nous si nouvelle.

Si l'on veut d'autres raisons de celle préférence, je dirai que c'est parce ^que les traditions, les doctrines et les mœurs dont l'Inde conserve encore aujourdhm les restes , me paraissent , comme à bien d'autres, malgré l'absence de chronologie qui le prouve, remonter à la plus haute anti- quité et toucher même au premier berceau de l'espèce humaine;

Parce que l'Inde est une des contrées la pensée a élé poussée plus loin dans tous ses développemens, où, par ses propres forces, l'esprit de i'homme a su s'élever plus haut , et son imagination jeter plus d'éclat : /oîi les traditions sont plus riches , plus nombreuses ; la littérature plus universelle et plus variée ;

Parce que l'Inde est un réceptacle , un réservoir commua presque complet , de toutes les merveilles , de toutes les vérités , de toutes les er- reurs, que l'on trouve éparses sur le reste de la terre.

De l'Inde j'irai à la Chine , et dans les autres principaux pays boud- .dhiques , comme chez les Birmans, dans la Mongolie et le Thibet.

Des montagnes du Thibet, je passerai sur le plateau élevé , sur la terre fïu feu , de Sel et de sable de la Perse.

De la Perse, je descendrai aux plaines plus riantes de Babylone, et aux côtes de la Phéuici€.

De la Phénicie, je m'en irai en Egypte par Biblos , je commencerai à saluer , pour la première fois , un souvenir d'Osiris,

De l'Egypte je ferai voile vers l'Asie-Miueareot la Grèce.

De la Grèce en Elrurje.

PAd il. J -V. DAMELO. Ii3

De l'Elrurie daus le nord et dans l'ouest de l'Europe, où, dan.» lis cosoiogouies amérjciincs, el dansculle de lEdda, je retrouverai les débris de presque toutes celles de lOricnt.

Alors enfin j'arrivemi à la coNmognnie de iMoise.

A cetle cosmogonie je comparerai (ouïes les autres , avec leurs accessoi- res, leurs doctrines et leurs Iradilioas religieuses.

J'y ajouterai tout ce qu'en physique, en philosophie, en histoire, on a dit de plus important sur ces questions importantes.

On reconnaîtra , je l'ose espérer, que l'exactitude, la loyauté , la bonne foi, auront présidé à ces rapprochcmens comparatifs de symboles hi hosti- les même, et que la vérité y conservera tousses droits.

Mais comme nous rayons déjà vu, à côté de V histoire mar- chera toujours le Tableau de C Univers; les recherches de l'éru- dition seront embellies par les charmes de la poésie. Quelques citations achèveront de faire connaître comment M. Dauiélo considérera la nature sous ce nouvel aspect.

Poésie de l'étude de la nature.

Le lecteur intelligent et courageux qui m'aura suivi à travers les âges, les cicux, les astres et les airs; f(ui aura bravé avec moi les rayonnantes ar- deurs des soleils, pourra trouver aussidanssa course de fraîches feuiliées.de riaus bosquets, de doux ombrages, de verls gazons et de tendres fleurs ])our y reposer son esprit et ses sens. Kous ne serons pas loujours'perdus dans les livres sacrés, dans les cosmogonios, belles, poétiques, grandioses, pom- peuses, mais aussi bien obscures parfois, des nations qui ne sont plus; nous ue serons pas toujours au vol daus l'espace , à la suite descomèles, ni cr- rans toujours dans des antres souterrains, à la recherche des métaux tt dos couches primitives.

Le jour viendra nos courses, sinon plus inlcrcssantcs el plus pill()- resques , seront du moins plus riantes et plus faciles ; oi'i nous aussi nous irons sur THymèle éveiller les abeilles , et jionrsuivre de fleurs en fl'ur* les papillons dans les prés , tandis que le rossignol déroulera autour de nous les grandes harmonies de sa voix , et que le ruisseau triste et comme sanglotant dans son cours , nous enverra ses eaux, du haut de la colline, ou de l'ombre des bois, en même tcms que l'aurore , ses rayons , du fond empourpré des cieui.

Quand la matinée s'avarH:cra,((uaudI°s ombres se raccourciront, quand à la suite du soleil , la tem[)érature exaltée sera montée trop haut , quand leê rayons blancs et biités flu grand a«tre , danseront en éblouissantes ma- rionnelles sur la plaine ardente, nous ferons comme le pâtre et son trou- peau, nous nous réfugierons sous les grands arbres, près des sources,

lii HISTOIRE ET TABLEAU DE l'uNIVER*,

De là, aies oîseaus se taisent eu respirant , comme nous, le frais sons ies feuilles , nous cutendrous encore la laborieuse abeille bourdonner ddiis les airs, buliner dans les saules, et le ruisseau toujours fuir et loii- joiirs jeler les mêmes sons en l'uyanl....

Voilà une fnible partie des merveilles que nous pourrons voir ; voilà quelques-uns des agrémens que nous pourrons rencontrer , dans notre périple universel,

Mais que les esp;ils mous et gâtés, que les intelligences impuissantes oa efféminées , auxquelles il ne faut que des phrases précieuses et mignardts, des futilités littéraires , que ceux-là se contentent de la pâture assortie qu'on ne leur jette que trop al.ondamment chaque jour : qu'ils ne viennent point avec nous. Nous les fatiguerions, nous les ennuierious peut-être, et à coup sur ils nous ennuieraient, ils nous gcueraienl , ils nous fatigue- raient.

C'est pour des esprits curieux, bien constileés, énergiques et forts ; pour des intelligences saines, vives , agiles, et bien portantes , que jtj vais écrire, et que J3 m'engage sur nue mer que jamais encore on n'a- vait naviguée tout entière. Que les compagnons de ma lointaine Iravcr.-ée ne seffraicnt pas toutefois de sa longueur: nous allons à la conquête de la toison d'or, mais nous n'y rencontrerons plus le dragon antique, et nous n'en aurons pas moins Orphée cl les autres dieux de la lyre, à notre bord , pour inaugurer le départ , pour charmer les ennuis de la roule , pour nous montrer les étoiles , nous calmer les vents , nous conjurer les orages et nous dévoiler les deslins, JNous aurons aussi dans nos eaux les dauphins Lrillaus qui jouaient sur les lianes du vaisseau de Télémaque.

Et d'ailleurs pourquoi craindre? En nous lançant dans l'amoureux et vaste sein de la nature , n'est-ce pas nous lancer dans le sein de noire mère, et n'y Irouverons-nous pas des charmes et des douceurs toutes ma- ternelles ? je ne my étais point attendu pour mon compte , et, comme tant d'autres , j'étais à cet égard . je l'avoue , Gis incrédule et ingrat.

Je regardais les exclamations palhéliqucs et les effusions sentimentales des naturalistes à cet égard comme des momtries de bons hommes, com- me du partage d'obligation , comme des lieux communs Uaditiouaels, souvent le cœur et la vérité ne sont pour rien, et , (jui par conséquent, ne prouvent autre chose que la bonne voloulé de ceux qui parlent.

D'ailleuis . j'étais alors peu porté et peu apte à apprécier le côté doux el riaol des choses.

Je n'ai jamais eu l'âme d;ins un étal aussi amèrement liiste qu'au mo- juent où, pour la première l'ois, je vins frapper au sauctuaiie delà aalure. J'y cherchais un refuge. Contre (piel mal f 11 serait long el superflu de le dire.

PAR M. J.-V. BANIEtO. 145'

ïl étaîl de ceux f]ui arrivent d'on ne sait où, qui s'en vont on ne sail com- me , mais qui lentement s'en vont , qui heureusement laissent le cœur intact, mais qiii brisent l'âme comme la trombe brise un mal , cl vous laissent vivre ensuite, en quelque sorle sans vie.

Tous les autres remèdes ou asiles que j'avais cliercliés m'avaient paru irritans, celui-ci me parut froid et glacial.

Tout y semblait aride et mort , tout y était dans l'ombre , dans l'ombre épaisse , rien n'y brillait, rien ne frappait.

L'imagination y était inerte , ou son énergie se portait ailleurs : les idées s'enfuyaient et s'cloîgaaicnt à sa suite ; les seiis seuls y restaient , mais ne sentaient rien.

C'était comme un évanouissement de toutes les facultés.

Bientôt vint un cauchemar pénible, au milieu duquel brillaient enfin de's lueurs qui ramenèrent le réveil.

Les objets s'éclairaient peu à peu, la température montait.

La lumière n'était pas encore vive, ni la chaleur ardente encore; mais le froid et les ténèbres avaient disparu . et il en résultait une clarté douce et tiède , une sérénité suave, un bien-être pénétrant, un calme moelleux.

En un mot , c'était l'atmosphère qu il fallait pour charmer les sens , et métamorphoser les idées ;

C était quelque chose d'inexplicable, mais de délicieux.

On eût dit un parfum de la Thébaïde chrétienne , une paix quasi-cé- leste, un surnaturel quiétisme;

Et cependant , c'était une vertu matérielle qui semblait s'élever de la nature matérielle , du souffle de celte mystérieuse Isis , toujours sous un Toile et jamais entièrement révélée...

A celle chaleur si vive , à ces expansions d'une âme naïve et fortement impressionnée, on sent que l'auteur parle de ce qu'il aime; on voit qu'il a voué à la nature un amour et un culte qui sont le plus sûr garant de la manière dont il traitera son sujet. Afin de communiquer son enthousiasme au lecteur, et de l'i- nilier aux beavités qui vont lui être révélées, il se laisse aller à soulever quelques coins du rideau, et trace à grands traits quel- ques lignes principales et comme une ébauche de sa vaste pein- ture.

Nous citerons quelques idées remarqviables sur l'identité de la nature première , et sur la substance du fluide lumineux. De la substance du fluide lumineux.

C'est peu pour intéresser l'attention que les premiers détails de la science: c'est peu de palper un morceau de terre inerte; c'est peu de voir uuc roche détachée , uu rocher n^ême assis sur sa base ; c'est peu d'en

146 niSTOlEE ET TABLEAU DE L UNIVERS ,

mesurer les formes géomélriqaes; c'est pca encore de roir une masse de granit à laquelJe se superposent eu élages des masses de porphyre , des masses calcaires , des bancs de coquillages , des terrains d'allu\ion , des couches de craie , de sal>le cl d'argile.

Mais quand on Tieut à penser que celte terre , que ces rocs, que ces couches , ne devaient élre d'abord , selon toutes les apparences ou du moins toutes les inductions, que des volumes de gaz et de Tapeurs cpandus dans un espace bien plus grand que celui quj le globe et sou atmosphère occupent aujourd hui , et que pour être amenés à l'étal ils sont , ils ont être condensés , et rendus solides par des explosions d'un éclat et d'une force dont il ue nous est plus donné de concevoir la violence et l'cnormilé ;

Mais quand on vient à penser que ces masses de vapeurs et de gaz elles- mêmes n'ont commencé par n'être qu'un simple fluide lumineux ' ; mais quand on pense que ce fluide n'existait point par masse d'abord , qu'il a coniniencé par la simple uuité de partie , par la molécule ou plutôt mo- nade ; que celle monade se multipliant par elle-même , sous l'action des lois naturelles , que jiressail la main fécondante de Dieu, a produit tout ce que nous voyons ;

Quand on pense que les diverses parties de ces roches , de celle terre, sont liées et unies ensemble par cette force de tendance réciproque d'une molécule vers une autre molécule cl d'un corps vers un autre corps , qui domine foute la nature , qui sous le nom (Vattraction , gouverne aux cieux, dit-on , le mouvement des astres , et qui , sur terre ainsi que dessous , va fous le nom d' affinité , chercher au loin , comme un habile archilecle , et choisir , entre mille, le grain de matière qu'il faut pour produire ici celte roche; ailleurs, ce métal , celle pierre précieuse, ce diamant t ailleurs tMKoreces plantes, ces fleurs ; dans l'atmosphère enfin , cl même dans notre corps, tous ces phénomènes si divers de la vie et de la mort , des orages et du beau Icms , de la tcmi'cle et du calme ;

Oui , quaud on pense que celle énergie mystérieuse el sensible, que cc'te âme à moitié visible de la nr.ture a formé celle roche et ce métal ,

I L'auteur met ici une longue note sur la lumière, que nous regrettons de ne pouvoir citer; elle commence par la phrase suivante qui nous paraît inexacte dans l'expression. Je croirais volontiers, qtiant à moi, que le fluide lumineux modifie par le tems est le principe cènéraleur de tous les corps, qu'il

rst le premier clerucnt watcricl dont Dion s'est servi pour rrcer la malicre ^

comme il s'est servi de la lumière immatérielle pour créer les esprits. » ?(ou8 n'él'îvon» aucun doute sur l'ortliodoxie de la pensée de M. Daniélo , qui s'cx- pliq:ie très-clairement ailleurs sur la création. Mais il nous semble qu'on ne pi ut dire que lorsque Dieu crca la maliire il se servit d'un premier éUment matériel.

PAR M. J.-r. DANIELO. 147

métal et celle terre de la même matière, de la même sorte et par la même loi quelle a formé des astres j

Alors ni la roclie, ui le métal, ni la terre vile ne noas paraissent plus «i indiffércns , si dépourvus d'intérêt.

Ils ne sont plus rcgwdés comme un produit brut da hasard.

On voit qu'un ordre iiitniligent , qu'un doigt qai n'est pas d'ici-has , y a présidé , comme à tout le re^te des choses, et l'on commence, si tou- tefois l'on sait voir et comprendre, on commence à se sentir do-jcemenl prendre de celle incfTabJc admiratiun qui ne finira plus, si la médilaliou persiste, et qui toujours, si on le veut, nous suivra croissant jusqu'à ce que nos yeux se ferment , et ne puissent plus lire dans le livre toujours ouvert et toujours mystérieux de cet Immense nnivers.

M. Daniélo parcourt ensuite les trois règnes de la nature , les roches, la mer, les coquillages, les premiers végétaux, les plantes, milieu et lieu du règne minéral et du règne animal ; il arrive enfin à la création vivante et animée. Ici ses pinceaux trouvent de nouvelles couleurs; mais c'est surtout en parlant de l'homme qu'il se plaît à prodiguer toutes les richesses de sa brillante imagination.

Sublimité de l'homme.

ContinaoDS de monter, et arrivons à l'homme.

L'homme lui-même, qu'est-il de si sublime quand on n'y voit qu'un bipède ,*qu'an mammifère^qui se lient debout sur deux jambes , qui saisit avec ses luaius , qui déchire avec ses dénis , qui se meut el qui se repose, qui marche el qui se couche , qui mange et qui digère , qui veille et qui dort , qui vit et qui meurt?

Mais quand on va jusqu'à bien considérer son porl , sa démarche et sa face ;

Quand on examine la richesse et la variété de ses organes, l'arrange- ment et les proportions des membres de son corps;

Quand, dans ce corps, on soupçonne quelque chose qui est plus qu'ua corps, comme dans les cieux , on peut soupçonner quelque chose qui est pins qu'an soleil;

Quand on se rappelle que la nature a travaillé, souffert, s'est agitée, tourmentée si long-lcms pour lui; qu'elle a culasse révolutions f ur ré- Tolutions, couches sur couches, ruines sur ruines, cadavres sur cadavres, afin d'avoir une terre épnrée, végétale, pour avoir des planles; d'avoir des plantes pour lui préparer les airs, lui épurer les cieui , lui r.iffermir la terre, la lui orner el la lui embellir; d avoir dfs planter enfin, pour avoir des animaux , et des animaux , pour le servir, le nourrir el II- vêtir ; Quand on jiense qu'ainsi fournie et parée, elle a loiigtcms tourné

148 HISTOIRE KT TABLEAU DE L'uNIVERS,

solitaire dans l'espace et allendu son naaîlre qui devait la modiûer, l'ea- richir et leuibellir encore;

Quand nn pense que si la nature est le trône extérieur de la magnifi- cence divine , l'hotnine qui la domine en est le roi , et s'élève par degrés au trône intérieur de la toute-puissance; que, pour adorer le créateur , ji commande à toutes les créatures; que, vassal du ciel, roi de la terre , il établit entre les êtres vivons l'ordre, la subordination, l'iiarmonic; qu'il embellit la nalurcj même après Dieu ; qu'il la cultive, l'étend et la polit; qu'il eu élague le chardon et la ronce ; qu'il y multiplie le raisia et la rose ;

Quand on pense que l'homme est eniré dans un monde déjà préparé « déjà peuplé , déjà habité par les êtres dont il avait besoin, comme un roi entre à son avènement dans un palais resplendissant de richesses; qu'il fallut cependant qu'il fît la conquête de ces premiers habitans de soa e[n|)ire, qui, maîtres eux-mêmes jusqu'alors, remplissaient, quand il les vint détrôner, les mers, les fleuves, les ruisseaux, les forêts et les plaines; mais qu'il fut revêtu de toutes les qualités, de tous les avantages, de toas le* secours uécessaires pour cette grande conquête, c'est-à-dire d'une in- telligence , d'une adresse et d'une puissance presque divines ; il faut déjà reconnaître que l'homme est le favori de la naiure , l'enfant bicu-aimé de ses antiques douleurs, et que non seulement il occupe la première ])lace parmi ses cnfans , qu'il porte la couronne et tient le sceptre de sou règne anifnal , mais qu'il y est nécessaire , qu'il y est en quelque sorte le délégué de Dieu , le vice-roi des choses et le second créateur sans lequel rien ne prospère, rien ne prend une pleine et véritable existence, sans lequel tout ce qui avait brillé sous ses mains fécondes , s'éclipse , et tout ce qui avait grandi s'efface, et retombe comme dans les limites d'une es- pèce de chaos rédivitoirc.

En effet , voyez ces plages désertes, ces tristes contrées l'homme n'a jamais résidé, couvertes ou [)lutôt hérissées de bois épais et noirs ; dans toutes les parties élevées , des arbres sans écorce et sans cime , cour- bés , rompus, tombant de vétusté; d'autres, en plus grand nombre, gi- sant au pied des premiers , pour pourrir sur des monceaux déjà pourris, étouffent , ensevelissent les germes prêts à édore. La nature , qui partout ailleurs brille par sa jeunesse, paraît ici dans la décrépitude : la terre , surchargée par le poids, surmontée par les débris de ses productions, n'offre, au lieu d'une verdure florissante, qu'un espace encombré, tra- versé de vieux arbres chargés de plantes parasites , de lichens , d'agarics , fruits impurs de la corruption. Dans toutes les parties basses , des eaux mortes et croupissantes faute d'être conduites et dirigées; des terrains fani'oux qui, n'étant ni soliiles ni liquiths, sont inabordables et demeu- reut é" demcul inutiles aux habitans du la terre et des eaux ; des maté-

PAU M. J.-F. DANIELO. liO

câRCs qui, couverts de pianles aquatiques et fétides, ne nourrissent que des insectes T(^néneux et servent de repaire aux animaux immondes. Entre CCS marais infects qui occupent les lieux bas^ et les forêts décrépites qui couvrent les terres élevées, s'étendent des espèces de landes, des savanes qui n'ont licn de commun avec nos prairies; les mauvaises herbes y sur* montent, y étouffent les bonnes: ce n'est point ce gazon fin qui semble former le duvet de lu terre ; ce n'est point cette pelouse émaillée qui an- nonce sa brillante fécondité ; ce sont des végétaux agrestes , des berbes dures, épineuses, entrelacées les unes dans les antres, qui semblent tenir moins à la terie qu'elles ne tiennent enlr'tlles , et qui , se desséchant et se repoussant successivement les unes sur les autres, forment une bourre groisière, épaisse de plusieurs pieds. Kulle route, nulle communication, nuls vestiges d'intelligence dans ces lieux sauvages; l'homme obligé de suivre les sentiers de la bête farouche, s'il veut les parcourir, est contraint de -veiller sans cesse pour éviter d'en devenir la proie. Effraye de lenrs ra- gissemens, saisi du silence même de ces profondes solitudes, il rebrousse chemin, et dit : La nature brute est hideuse et mourante: c'est moi, moi seul qui peux la rendre agréable et vivante : desséchons ces marais, ani- mons ces eaux mortes en les faisant couler; formons-en des ruisseaux , des canaux; employons cet élément actif et dévorant qu'on nous avait caché, et que nous ne devons qu'à nous-mêmes; mettons le feu à cette bourre superflue, à ces vieilles forêts déjà à demi consumées ; achevons de détruire avec le fer ce que le feu n'aura pu consumer : bientôt , au lien du jonc, du ncuufar, dont le crapaud composait son venin, nous verrons paraître la renoncule , le trèfle , les berbes douces et salutaires ; des trou- peaux d'animaux bondissans fouleront cette terre jadis impraticable ; ils y trouveront une subsistance abondante , une pâture toujours renaissan- te : ils se multiplieront pour se multiplier encore : servons-nous de ces nouveaux aides pour achever notre ouvrage; que le bœuf, soumis au joug, emploie ses forces et le poids de sa masse à sillonner la terre ; qu'elle rajeunisse par la culture; uue nature nouvelle va sortir de nos mains.

Voilà donc l'homme reconnu comme le dernier et le premier favori de la nature , comme limage du monde ainsi que celle de Dieu , comme la réunion abrégée mais complète de tout ce qui existe dan<i]a création , comme le microscome, le petit monde en un mot, et par conséquent comme l'organisation centrale et sommaire de toutes les organisations , comme le type et la réunion de tout ce qui se trouve épars dans la constitution du reste des êtres connus.

Est-ce tout? Non, sans doute.

Car si l'homme n'était qu'une collection inerte de ce qu'il y de fonda- mental et d'exquis dans toutes les créatures , qu'un centre immobile oti ToMExvu.— N" 98. i838. 10

150 HISTOIRE El TABLEAU DE L'UWIVERS,

toat conTergeât sans en recevoir aucon mouTement ; s'il n'était qu'une image morte et maette de ce qai existe , tout grand qu'il serait , encore serait-ce peu de lui.

Mais quand on remarque que si , comme quelques-uns le prétendent , la création n'a pas été faite pour lui , c'est lui du moins qui a su s'en em- parer, qui en jouit presque en maître absolu , qui en use en franc pro- priétaire; lui qui, toute mx)difiée, façonnée qu'il l'a trouvée, la modifie, la façonne , la retourne encore chaque jour ; lui qui , comme on l'a déjà tant répété, va féconder ici des bruyères , , changeant le désert vide en populeuses cités ;

Ailleurs domptant les mers et pliant leurs fiots au gré de ses voiles ;

Ailleurs gravissant les montagnes , les perçant par la base , ou les cou- pant en deui pour y placer le double rail de son chemin de fer, sur lequel sa Toiture à vapeur va s'élancer et rouler aussi vite que les sphères dans l'espace;

Aillenr« encore , pulvérisant des rochers , les faisant voler en débris fumans au-dessus de la montagne dont ils flanquaient les étages, suspen- dant par un fil de larges ponts sur des abîmes , et du milieu de toutes ces merveilles , devenues vulgaires pour lui, prenant les ailes de gaz de l'a- réostat , bien plus puissantes que celles de l'aigle ou du condor, et s'élan- çant dans les deux ; dans les cieux dont il interroge l'Immensité, de même qu'il avait sondé les entrailles de la terre et les creux abîmes des océans : dans les cieux dont il classe cl compte les astres, dont il mesure les soleils, traçant aux planètes leurs orbites, pesant leurs masses, calculant leurs éclipses , et devinant la route des comètes , malgré les terreurs et les éblouissemens de leurs queues flamboyantes ;

Ailleurs enfin , plus hardi encore par sa pensée de philosophe que par ses instrumens et ses calculs scientifiques, s'élevant d'un bond jus- qu'au maître de tout, jusqu'à Dieu; lui demandant quelle est sa nature, quelles destinées doivent être celles des âmes ; projetant sur l'éternité des idées gigantesques , et s'en revenant plein de la certitude de son im- mortalité.

Oui, disons-le tous , quand on envisage l'homme de cette manière , il est difBcile de ne le pas respecter un peu , malgré ses faiblesses, et de ne pas s'écrier :

Et cependant l'homme est grandi

Et cependant , sous un autre point de vue , qu'est-ce que 2*homme en face de la nature et du créateur, au milieu de l'in- fini qui l'entoure de toutes parts ?

A quoi tient notre globule terrestre dont nous sommes si fiers , que

PAK Jf. J.-F. DAMÉLO. 151

nous IrouTons si grand t-t que nous n'apercevons plus an milieu de celte iuéuarrable univcisalik' des luondis r

Qu'csl-re que noire vie à côté de toutes ces vivantes créations qui rajonncnt là-haut, qui , sans pâlir jamais, voient passer ici-bas comme des éphémcres et des secondes, les générations et les siècles?

Qu'esl-ce que notre esprit? qu'csl-ce que rélincclle de notre âme en face de tous ces feux célestes? notre intelligence en face de toutes ces clartés? oui , qu'csl-ce donc, qu'est ce que Ihomrae mortel , infirme, au bas de cet univers , au fond de cet océan de vije?

Eh bien ! l'homme c'est l'être qui conçoit cet univers, dans lequel peut-être il ncst conçu nulle part qu'au ciel et par Dieu et ses auges.

Voilà , si l'on se rappelle notre point de départ , voilà nous ont conduit quelques rapides ob ervalions essayées sur uu grain de sable et sur un fragment de rocher.

Quelque imparfaiUs que soient ces esquisses, qui doivent trouver leur développement dans cet ouvrage, dont elles ne sont que le précis, et, ca quelque sorte , que la table raisonnée, quelque faible surtout que soit la main qui les a tracées , elles suiËsent néanmoins pour vous faire voir peuvent mener Tobscrvatiou et l'examen , même rapide , des moindre* choses , et pour donner une idée de l'intérêt vif et saisissant qu'inspire l'étude de la nature, et des hautes considérations auxquelles elle élève l'esprit après quelques détails moins excilans, mais néj:cssaires.

Nous venons, lecteur, d'embrasser une vaste carrière, et cependant nous n'avons fait que la regarder du but, que la voir à vol d'oiseau ; nous ne l'avons point parcourue. Ce sera maintenant noire tâche.

Craignant que , dès ce premier pas , le coursier ne se fatigue et que le frein ne vienne à fumer trop chaud dans sa bouche, ôtons-le un instant, et bien que 1 heure n'en soit pas venue encore , reposons-nous ici '. De- main la journée sera grande, tout néant que nous sommes, ce sera par plus haut que les cieux , ce sera pnr leur gouverneur et leur maître , ce sera par Dieu que nous prendrons notre course.

Après avoir aiusi largement tracé son plan dans une intro- duction qui occupe presque tout le premier volume, M. Daniélo entre en matière. La forme qu'il a adoptée, pour son ouvrage, est celle du f//fl/o^Me ; forme flexible, élastique, commode, ap- propriée à la multitude et à la variété des sujets, attachantj par son allure dramatique, la seule peut-être qui put convenir aux desseins de M. Daniélo , puisqu'elle seule peut se plier avec une égale facilité aux descriptions brillantes et aux sévères dé-

' Sed nos immensuai coufecimus aequor, Et jam tempus equûm fumantia tolrere lora. Georgiq-, lib. u. ven SSi.

152 HISTOIRE ET TABLEAU DE L'l'NIVERS.

monstrations, à l'exposition scientifique et aux élans de l'en- thousiasme, à l'objection et à la réponse. Les personnages sont choisis de manière à entretenir l'intérêt, et offrent une heu- reuse diversité de langages. Un jeune homme instruit, passionné pour la science y joue le principal rôle.

Adolphe, dit M Daniélo, représentera celle jcnnesse anlenle, avide, stadieiise.inlelligenle, fière, pure, iDdépendanle. sans emploi sal.irié, sans engagetnenl politique, amie chaude elTraic de la Hherlé, mais noble, mais décente, mais grave, mais senfée. mais r;iisonuable aussi, mais aussi com- nrenanl loules les nécessités sociales, mais amie aussi de l'ordre, mais ne voulant le progrès que par des voies naturelles, le bien que par la josticc ; mais vénérant et soutenant les doctrines augustes qui forment la conscience des peuples, dirigent leur conduite et leurs mœurs, président aux desti- nées des étals de l'humanité tout entière, ainsi que de l'homme en par- ticulier.

On voit que c'est le personnage favori, et dans lequel on reconnaîtra facilement plus d'un trait de l'esprit et du caractère de l'auteur. Sur le second plan, viennent un homme du monde, déjà sur l'âge qui apportera les connaissances prises dans l'ha- bitude des affaires et le commerce de la haute société ; un prêtre à qui échoit naturellement l'office de défendre la pure doctrine chrétienne, et de mettre dans tout son jour l'admi- rable accord des données de la science avec les enseignemens de la foi. Une jeune personne et une femme d'esprit seront chargées de répandre l'animation et la grâce s\ir des discours qui pourraient devenir trop sérieux, l'une par sa naïve curiosité et ses questions incessantes , l'autre par de piquantes réflexions et cet agréable bourdonnement des conversations féminines.

Deux dialogues qui terminent le volume sont destinés à nous faire faire connaissance avec les acteurs et à disposer la mise en scène. Nous attendons M. Daniélo à l'ouverture du second volume, bien disposés à le suivre dans son brillant itinéraire avec tout l'intérêt qui s'attache naturellement au sujet et à l'écrivain. En l'atlendant nousPencom-ageons de tous nos vœux et lui ferons une seule recommandation, celle de se défier de sa grande facilité, et de se restreindre quelquefois dans les dé- tails d'une œuvre si belle et si originale.

DE , COSMOGO?(IE DE MOISK, COMP. AUX FAITS CÉOLOGrfQ. 15S

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DE LA COSMOGONIE DE MOÏSE,

COMPARÉE AUX FAITS GÉOLOGIQUES '.

Par Marcel de Serres , Conseiller et Professeur de minéralogie et de géologie à la Faculté des sciences de Montpellier.

Objections géologiques contre la Bible. La science s'est chargée d'y répondre. Du root jour. DiEFércns sentimens des Pères et des Docteurs. La Genèse est désintéressée dans celte qucsiion. Ju- gement sur le livre de M. Marcel de Serres.

Le but de la révélation est essentiellement moral et pratique. Elle se propose la régénération de l'humanité; elle nous fait donc connaître notre origine , notre nature , nos devoirs sur la terre, notre destinée après celte vie; et le degré de lumière qu'elle répand sur ces sujets, suffisant sans doute pour nous diriger , ne saurait satisfaire notre curiosité. Dieu n'a point voulu nous expliquer les mystères du monde physique. Ce sont des énigmes abandonnées à l'activité de nos recherches ; c'est un domaine livré à l'esprit humain ; il a le droit de s'en empa- rer ; il peut librement y créer des hypothèses , y bâtir des sys- tèmes , mais il s'expose à voir ses hypothèses et ses systèmes , que les livres saints qualifient de disputes, renversés successive- ment les uns par les autres. L'objet des sciences naturelles et celui de la religion sont donc tout-à-fait différens ; aux unes appar- tient le monde physique, à l'autre le monde moral; elles sont indépendantes dans leurs sphères respectives. Ainsi on mécon- naît la nalure des vérités révélées; on demande à la révélation ce qu'elle n'est pas destinée à nous donner, quand on veut se

> Paris , i838 ; Lagny frères , libraires , rue Bourbon-le-Cliâteau , a' l ; iu-S» ; prix , 7 fr.

iS& DE LA COSMOGONIE DE HOISE ,

prévaloir de ses enseignemens dans le dessein de combaltre ou défaire adopter un système physique. La Bible garde le silence sur les phénomènes naturels ; si elle en parle, ce n'est que pour établir un dogme ou pour imposer un devoir, et elle n'en dit que ce qui est indispensable à ce double but. D'ailleurs, les livres saints, pour èlre compris à toutes les époques et par tous les hommes, ne doivent-ils pas être écrits dans le langage ordi- naire ? le récit de l'écrivain sacré aurait été infailliblement traité d'absurde , s'il avait rapporté le miracle opéré par Josué avec des termes d'une précision scientifique. L'école philosophique du dix-huitième siècle ne voulut pas tenir compte de ces con- sidérations qui lui furent opposées; elles suffisaient cependant pour réluler SCS objections. Au reste, la science elle-même se chargea de lui donner des démentis formels, et de la convaincre d^ignorance et de mauvaise foi. Elle a fait justice, notamment des sarcasmes lancés contre Moïse, parce qu'il avait montré la lumière existant avant le soleil. Ici une pensée se présente nalurelltmerit à l'esprit; certes, il fallait que Moïse fût émi- nemment supérieur à son siècle, puisqu'il connaissait une théo- rie qui n'a été proclamée que tant d'années après lui. Il fallait bien aussi qu'il fût assuré d'avoir convaincu les Hébreux de la divinité de sa mission, pour oser leur révéler un fait qui devait leur paraître une absurdité.

Les traditions de l'école yoltairienne sont affaiblies, mais elles n'ont pas entièrement disparu; de nos jours encore, au nom de la science, les ennemis de nos livres saints s'efforcent de porter atteinte à la croyance qui leur est due, et c'est prin- cipalement dans les découvertes géologiques qu'ils vont puiser leurs argumens.

La tâche des défenseurs de la Bible est facile , et leur réponse est pércmptoire. Il est clair que le récit de Moïse reste inébran- lable, tant que les géologues n'ont pas démontré, ou que Moïse était obligé de parler des faits géologiques, ou qu'il a nié leur existence, ou bien enfin que la science s'inscrit en faux contre l'ordre dans lequel Moïse présente la formation des êtres. Or , les géologues sont dans Timpossibilité de donner cette démons- tration.

Moïse n'était [)as obligé de parler des débris dest:réations qui

COMPARÉE AUX FAITS GÉOLOGIQUES. 155

ont été détruites, et que les géologues trouvent dans les en- trailles de la terre. Moïse, comme l'observe St. Augustin ', ne se proposait pas de faire des Hébreux un peuple de physiciens ; il voulait les prémunir contre l'idolâtrie et le polythéisme; dès- lors, il suffisait de leur apprendre ou de leur rappeler que le inonde n'est pas éternel, qu'en Dieu seul résident la puissance et la fécondité absolue j et que tout ce qui existe , depuis le soleil jusqu'au brin d'berbe, est l'ouvrage de ses mains.

Moïse ne conteste nulle part l'existence des faits géologiques. On défie les géologues d'établir le contraire, et la science, loin de combattre, confirme l'ordre de la formation des êtres con- staté dans le récit de la Genèse.

Des amis de la religion et de la science n*ont pas voulu se borner à cette réponse ; ils se sont efforcés d'assigner la place qui, dans le récit de l'écrivain sacré, pouvait être réservée aux faits géologiques. Parmi ces savans, les uns les placent dans la période indéterminée qui s'est écoulée, selon eux, depuis le cominenccment des tems ou création de la matière, jusqu'au pre- mier jour de la création de Moïse. Les autres supposent que les cinq jours qui précèdent la formation de l'homme , rap- pellent l'existence des créations qui ont été détruites. Dans la première hypothèse, \emo\. jour employé par Moïse est pris dan? le sens littéral et marque vin jour de vingt-quatre heures; dans la seconde, ce mot désigne une époque d'une longueur indé- terminée. MM. Desdouits, Buckland ', etc., soutiennent le pre- mier système; parmi les partisans du second figurent Deluc, Cuvier, M. Marcel de Serres, dont l'ouvrage est l'occasion de cet article.

Les savans ont droit de choisir entre ces deux opinions L'Eglise n'a rien décidé sur cette matière, et ses docteurs sont divisés. S.Ambroise ', Théodoret *, S. Grégoire-le-Grand *, ont

' Enchirid., c. iï.

* La géologie et la mtWra/ogce considérées dans leurs rapports avec la lliéologie naturelle. M. Jolv , professeur d'histoire naturelle au collège royal de Montpellier, a fait paraître un excellent abrégé de cet ouvrage.

^.Hexam. 1, i, c. vu, sq.

^ Quest. in Gènes. Interr. c. v, sqrj.

* Moral, in Job, 1. xmi , c. ii.

156 DE LA COSMOGONIE DE MOÏSE,

cru que les jours de la Genèse étaient des jours naturels; mais Origène ', S.Athanase *, S.Augustin % sont d'un avis contraire; S.Basile penche vers l'opinion de ces derniers 4; l'évêque d'Hip- pone déclare qu'il est tris-difficile , impossible même de concevoir par la pensée, et encore plus d'exprimer par la parole , la nature des des jours de la création ^ « Si quelqu'un , dit-il , croit pouvoir

donner quelque explication pour la faire comprendre, qu'il

n'ait pas la témérité de présenter son sentiment comme si

l'on ne pouvait rien trouver de plus probable ^. » S.Augustin se plaît à interpréter dans un sens allégorique les six jours dont parle Moïse. Une fois il enseigne que Dieu créa le ciel et la terre et tout ce qu'ils renferment, dans l'espace de six jours, quoiqu'il put tout faire en un seul moment 7. Mais plus tard , dans la Cité de Dieu, il revient à l'interprétation allégorique ^. Si le saint docteur pense que l'on ne peut connaître ce que sont les six jours de la création, il croit que l'on ne pexit assu- rer ce qu'ils ne sont pas; il déclare positivement dans le n* 44 du ive livre de l'ouvrage intitulé : De Genesi ad litteram , qu'il est hors de doute que les jours de la création n'étaient pas semblables aux jours ordinaires , qu'ils en étaient bien dijférens ( ut non eos mis similes , sed muttùm impares miniyne dubitemus). L'illustre au- teur de la Défense du Christianisme n'a pas rendu exactement la pensée de S.Augustin, lorsqu'il a dit que dans ce passage le saint docteur enseignait * qu'il ne faut pas se hâter d'affirmer

que les jours de la création fussent semblables à ceux dont «se compose la semaine ordinaire 9. »

Les docteurs juifs ont été aussi divisés que les docteurs chré- tiens : Josèphe adopte le sens littéral'"; Philon se déclare pour

" De principiis, 1. iv, n. »6: centra Celsum , 1. vi , n. 5o, 5i ' Orat. II , contre Arian., n. 6o.

* De Genesi ad litteram, 1. ii, c. xi , n. 2^.

* In hexavier., hom. i , n. 6. 5 De civitatc Dei , 1. xr , c. vi.

* De genesi ad litteram , I. iv, n. 44- 7 De Catechiz, rudibus, c. xvii.

* L. XI, c. vn.

» Défense du Christianisme, l. n, p. ao4- ^°Antiq. judaic, 1. i. c. i.

COMPARÉE AUX FAITS GÉOLOGIQUES. l^t

l'interprélation allégorique ' ; l'évoque d'Hermopolis ne se pro- nonce pour aucune des deux opinions que nous venons de rapporter ; nous imiterons sa sage réserve ; nous dirons avec le grand Bossuet, que Dieu a voulu faire le monde avec six diffé- rens progrès qu'il a voulu appeler six jours \ Nous nous permet- trons seulement d'ajouter que la lecture attentive du texte sacré semble porter à conclure que les six jours de la création sont le récit détaillé de la formation progressive du même monde, plutôt que l'histoire de six mondes ditférens, dont cinq auraient été détruits. M. Victor de Bonald, qui défend avec sévérité l'in- terprétation littérale, et qui est contraire à toutes les explica- tions nouvelles, avoue que le texte sacré ne s'oppose point à ce que l'on soutienne que les mondes dont les débris sont enfouis dans la terre ont été formées avant l'ouvrage des six jours '. En effet, plusieurs Pères ( Théodoret, S.Ambroise , S.Grégoire- le-Grand ) et la plupart des commentateurs, pensent que la matière a été d'abord créée, et qu'ensuite elle a été successive- ment organisée. M. Desdouits, qui s'est prononcé pour l'hypo- thèse que M. de Bonald regarde seulement comme possible, a cru trouver dans un passage de Josèphe,que, sinon la Ge- nèse, du moins Moïse a tranché la question dans son sens. Au premier chapitre de son ouvrage des Antiquités judaïques,

dit M. Desdouits, après avoir cité les premiers versets de la «Genèse et les propres paroles de Moïse, Josèphe ajoute cette «phrase remarquable : Tel fut, dit-il, le premier jour; mais «Moïse ne l'exprime pas ainsi: il l'appelle seulement un jour »et non le premier jour ; de quoi je pourrais rendre ici raison, » mais je me réserve de le faire dans un ouvrage spécial, je

ferai connaître une foule de choses intéress£^ntes. »I1 est clair «qu'il s'agit ici de son Traité des traditions judaïques...., qui ne «nous est pas parvenu.... Nous n'avons donc pas la solution «réelle de celte énigme, mais le sens en est clair, et quelle «qu'ait pu être la théorie de Josèphe, il est certain que, sui- »vant les traditions juives, Moïse n'a pas voulu appeler premier

* De mundi opificio , init.

* 5* élévation.

* Moïse et les géologues , p. 5a.

158 Ï>E LA COSMOGONIE DE MOÏSE

«jour celui qui nous semble tel d'après le récit de la Genèse.

Donc il n'était pas réellement le premier jour de la création; *car on ne peut imaginer aucun motif vraisemblable de la réserve de f) Moïse , 51 ce n'est dans cette hypothèse ^.

Nous ferons remarquer d'abord que les traditions juives sur la création du monde, n'étaient pas aussi uniformes que paraît le croire M. Desdouits, puisque deux juifs célèbres qui devaient connaître ces traditions, soutiennent deux opinions contradic- toires sur les çix jours de la création. Josèphe pense que le monde a été créé en six jours distincts. Philon croit qu'il a été créé dans un instant; il ajoute que cette distinction numérique de jours a été employée par l'écrivain sacré pour marquer l'ordre qui existe entre les choses créées, et que le nombre six a été choisi à cause de ses propriétés '. Il n'est pas exact de conclure que le premier jour de la création ne l'est pas réellement, de ce que Moïse ne l'a pas appelé premier jour. « Unus , observe

> Duguet, dans le langage hébraïque, est le même que primus.

> Una sabbatorum, dans l'Evangile, au lieu de prima sabbatorum ^.»

Il n'est pas exact non plus d'assurer qu'on ne peut imaginer aucun motif vraisemblable de la réserve de Moïse , si ce n'est dans Vhypothise que le jour qui nous semble le premier, d'après le récit de la Gencse, ne Cest réellement pas. Dans le commentaire sur la Ge- nèse, de Procope de Gaze, l'opinion de Philon est suivie, on attribue la réserve de Moïse à un motif différent de celui qui, d'après M. Desdouits, est le seul qu'on puisse imaginer, a Le » nombre établit l'ordre, dit Procope ; c'est pour cela que Moïse T>n'a pas dit le premier, mais un jour; puisque, dans les choses

qui existent en même terns, il n'y a ni premier ni second. »

Au reste, on ne savirait trop le répéter, la religion est tout-à- fait désintéressée dans cette discussion. Que les six jours de la création soient ou ne soient pas des jours naturels, que les mondes des géologues aient été formés dans les cinq premiers jours de la Genèse, ou bien qu'on les place dans la période in- déterminée que l'on suppose s'être écoulée entre la création de

' Universilé catholique ^ juin, iSSj, p. 458, 459-

» Josèplic, antiq. judaiq., I. i,o. i. Phil. iib. de mundi opiftcio, [^, a.

' Explication du livre de la Genèse.

se

TABLEAU DES PRINCIPALES ÉPOOLES HlSTORIOl'E

PREMIÈRE PÉRIODE, ou période ant£-dillvie>ne, c'est-à-dire,

DÉLUGE ,

lien;

fi——

d'après LA VCLGATE, n\pRÈS JOSÈPHE D'aPRÈS d' APRÈS D'itS

E PÈRE PETAC ET LECCV, ' LES 8EPTAME. LE TEXTE HiBREC. LES SAMi Fi:?

1656 1556 2256 23^8 3( ,

Moyenne entre les sept nombres précédens 2168 ans.

SECONDE PERIODE, ou période post-diluvienne ou historique,

mpr

PREMIÈRE ÉPOQUE. DEPUIS LE D|UG1

MOMîrENS LES PLCS ANCIENS COXMS :

l" Tour de Babel 26A7

2" Monumens les plus anciens de l'Egypte , d'après Champollion le jeune

Pyramides d'Egypte, d'après Hérodote 1485

Hommes remarquables de l'antiquité : l" Abraham 1931 21

Moïse 1531 li

Moyenne entre ces qi ut; 3" Engloutissement de Pharaon et de son armée 1491 1.

D'après Du Rozoir. D'aprè* jgc:

Fondation de Rome avant l'ère chrétienne 551 ,

Celle date, d'apiès Du Kozoir lui-même, peui être cooteilé Naisiaoce d'aprèi Bollin. Mort d'après Rollin. Mort d'après Fustbe et le Svncelle.

Alexandre 356 321 323

DELTUÈME ÉPOQUE, OU ÈRE CHRÉTIEÎ 2 J

4964 4864 5564 5656 63

RI

^loyenne entre ces huit nombres 5293.

ÈRE CHRÉTIENNE

3308 3208 3308 3308

DATE DE l'apparition DE L'U0MMBb(

D'ajjrés la Vulgale. D'i^ràs Jotepbe. D'après 1rs Seplaiité. D'après le texc Lébreu. D'après les

6802 G702 7402 7'i94 Si I

Moyenne entre ces neuf nombres 70

Annales de Phitosoplùe clirctiennc , l. xvji, u" 98, p. 158.

TABI-EAV N" 1 t.

BCAICILÉES DEPUIS L'APPARIT10\ DE L'HOMME.

,i tervalle de tems qui s'est écoulé depuis rapparition de l'homme jusqu'au Déluge-

D APRES RCFFIN.

265G

D APRES MM. POIRSOX ET CAIX.

1656

l'I lllllll Il I

( nprcnant l'intervalle de tems écoulé depuis le déluge jusqu'aux tems actuels, ou 1838.

[q:JGE JUSQU'A L'ÈRE CHRÉTIENNE.

D'après le» mndfrne».

3409

aann i D'après la dale à laquelle MM. Poirson et Caii rapportent la location de Moïse, ces mo

numens seraient antérieurs à re lepl>laleur de ijS .tus, el de 5859 ans a»ant i83

. ann f Postérieure , d'après IfS modernes , de 394 ans à Uoise, et de

^^"" \ Si5 d'après MU. Poir.son el Cai.^.

ArrÏTé en Egypte, d'après Cliampollion. D'après Lesage.

1900 1996

D'après Les:ige.

1504 1725

, . _f,. f D'après celte movpniie. Moïse serait antérieur à l838 de Jijj an», ou, d'après la date

^e nomûres. . . . loyt\ ^ admi.e par MM. Poiieou et Cais, de 5565 ans avant la oiême époque i858.

D'après l'annuaire D'à rèsBossuel el M'ehelel. D'après T.enplel. du Bureau des Longlludes.

..."... 754 753 752

ou 1591 ads aranl i838. ou 35^0 ans avant iSâS.

APRÈS L'APPARITION DE L'HOMME.

D'après Bollin. D'après quelques nioderue"

4004 5767 ou 5864

4963

BIllES LE DELUGE.

squ'aux tems actukls ou 1838.

D'après l'annuaire D'après D'aprèj

i^irilains. L'^iprès Rollln. du Bureau des Longitudes. MU. Poirsou et Ciii. quelques autre» moderne».

5842

6550

6801

7605 ou 7705

ÉPER.NAY, IMPRIM. DE A. VARIA",

«OMPARÉE AUX FAITS CÉOLOGIQES. 159

la matière et le premier jour dont parle Moïse, peu importe. Dans ces diverses hypothèses, on ne peut rien inférer contre les livres saints : leur véracité demeure toujours intacte.

M. Marcel de Serres nous pardonnera les longs détails dans lesquels nous sommes entrés : ils nous ont paru nécessaires pour bien fixer l'état de la question. Il ne nous appartient point d'apprécier la cosmogonie de Moïse sous le rapport géologique , mais la réputation de son auteur est faite depuis lons-tems; il occupe un rang élevé parmi les géologues. M. de Serres, dans son ouvrage, ne se présente pas seulement comme géologue ; il se montre encore érudit. Son livre doit plaire aux hommes in- struits par les détails scientifiques qu'il renferme. II est égale- ment propre à intéresser les gens du monde par les agrémens de l'exposition. Il sera goûté des personnes attachées au Chri- stianisme : M. de Serres professe partout un profond respect pour la révélation. Le succès de son ouvrage ne nous parait pas douteux, et nous avons lieu de nous en féliciter. La cosmogonie de Moise est un bel hommage rendu à la religion ; nous espérons que ce sera aussi un monument érigé par la science '.

Afin de donner en finissant une idée des travaux et du système de l'auteur, nous publions ici le tableau " il a résumé les différentes époques historiques, depuis l'apparition de l'homme sur la terre. L'abbé Flottes,

de la Société Asiatique de Paris.

» Voir dans le 73, t. xni , p. 5i, un article de M. Bonnelly , sur Cinterprétation donnée par les Pères et les Docteurs, aux différens mots qu'emploie Moïse pour raconter la création , article se trouve le texte hébreu et la traduction littérale du chapitre 1" de la Genèse.

* C'est le 17* tableau que nous donnons; le i6«, que l'on trouve t. xvi, p. 109, contient les générations d'Adam jusqu'à l'époque de Noé et de ses petits fds , comparées aux premières générations chinoises.

160 NOUVELLES ET MELANGEA.

IbnvciCes et îûèiaxi^eè.

EUROPE.

FRAIVCE. PARIS. Modèle iTune statislltjue des monumcns religieux. Chaque jour les éludes historiques et archéologiques font de nouveaux pi'ogrcs dans le clergé français. M. Souchet, chanoine , s'occupe d'un grand travail sur la statistique religieuse du diocèse de Saint-Brieuc ; le plan en est très-bien conçu : il serait à désirer qu'il i'ùt adopté dans les autres diocèses de la France. Ce plan consisle , comme l'a annoncé l'au- teur, dans une statistique religieuse de chaque paroisse et de chaque éta- blissement dû à la religion, à exposer historiquement ce qu'il y a de par- ticulier à chaque endroit; à recueillir toutes les traditions respectables. Voici l'ordre suivant lequel les recherches seront laites et rapportées.

La statistique religieuse donnera : les noms de la paroisse, de son patron, du recteur et des autres prêtres ; des détails géographiques sur la position, la population , l'étendue, etc. ; les productions du sol , l'industrie des ha- bitans, leurs besoins : elle énumérera les communes dont la paroisse est composée, les variations qu'elle a subies, les pasteurs qui l'ont gouvernée, les fondations , constructions , réparations , embelli ssemens qui ont eu lieu; la construction de l'église actuelle, en quel tems, par qui , aux frais de qui elle a été élevée; des traditions sur cet article ; ses beautés, ses défauts, ses réparations désirées ou effectuées ; ses décorations ; le nombre d'autels et à qui ils sont dédiés. Des détails seront encore donnés sur le clocher , sa hauteur, et sur ce qui le rend remarquable; sur les cloches, leur nombre , les inscriptions qu'elles portent , leur poids ; sur les horloges ; sur les tombeaux remarquables , les souterrains , le cimetière , les parti- cularités qui le concernent, l'ossuaire, les chapelles détruites ou aban- données , les chapelles conservées , leur patron , leur culte , leurs usages, les solennités particulières, tant à la paroisse qu'aux chapelles, l'origine et l'autorisation épiscopale de ces cérémonies; les reliques précieuses à la paroisse on aux chapelles, etc. (Bull, monumental , 6).

ANNALES '''

DE PHILOSOPHIE CHRÉTIENNE.

oybitiii/e'to 99. 30 SepteutKtc 1 838.

V«VVWW\t\VVVVW\V\VWtV\VVV\WVV\VWI \\VV\VV\\\.\VVWWVA,W>VVV\^\VVVV\>\lvV\\t\'W\\VVWV\\V\

^vc\)éoio^ic biblique.

NOTICE

SUR LE LIVRE d'ÉNOCH RETROUVÉ EN ABYSSINIE, ET TRA- DUCTION DES PREMIERS CHAPITRES.

}jrnmer aviide.

JNotice sur Enoch. Ce qu'en disent les historiens sacres, les Orientaux et les Pères. Découverte de son livre. Ses traducteurs. Histo- rique de sa découverte par M. de Sacy. Woide. Bruce. ' Ludolph. Traduction des premiers chapitres.

Nous avons parlé plusieurs fois du livre d'Enoch , que S. Judc et les anciens Pères ont souvent cité , que l'on croyait perdu, et que MM. Bruce et Ruppell ont retrouvé en Abyssinie et rapporté en Europe ; c'est que l'on voit écrit que les anges s'unirent aux filles des hommes et procréèrent des géans. L'usage qu'a fait M. de Lamartine de cette fable nous a rappelé le là're cVEnoch, que nous allons faire connaître à nos lecteurs.

C'est au savant et regrettable M. Silvestre de Sacy que nous emprunterons la notice du livre , et c'est d'après la traduction latine qu'il a donnée des premiers chapitres que nous ferons notre traduction française. Mais auparavant, nous croyons devoir donner quelques renseignemens sur Enoch lui-même.

Enoch , d'après la Genèse , était fils de Jared et père de Ma- thusaleni. Il naquit l'an du monde 622 (BS^S avant J.-C). Tome xvii. N'^ UO. 1838. 11

16^ NOTICE

Le texte sacré, après avoir dit qu'à l'âge de 65 ans il engendra Mathusalem, ajoate qu'il marcha devant Dieu pendant trois cents ans; et puis, sans parler de sa mort, il se sert de cette expres- sion : il ne parut plus, parce que le Seigneur V enleva du monde *.

S. Paul, dans son épilre aux Hébreux, explique ce passage en ces termes : « C'est par la foi qu'Enoch fut enlevé , afin qu'il ne » vît point la mort ; et on ne le vit plus, parce que le Seigneur » le transporta ailleurs 2. >. \J Ecclésiastique dit qu'il fut trans- porté au paradis 5. S. Jérôme l'entend du ciel , il dit qu'il fut ravi comme Elie en corps et en âme *.

Les Rabbins croient qu'Enoch ayant été' transporté au ciel, fut reçu au nombre des anges , et que c'est lui qui est connu sous le nom de Métatron , ou de Michel, l'un des premiers princes du ciel , et que sa fonction est de tenir note des mérites et des pé- chés des Israélites ^.

Eupolème , d'après Alexandre Poljlustor ^, dit " que les » Babyloniens reconnaissent Enoch, et non les Egyptiens, comme » premier inventeur de l'astrologie ; qu'à la vérité les Grecs » attribuaient cette invention à Atlas , mais qu'Atlas n'est autre » chose qu'Enoch. »

Etienne le géographe le iiomme Anacus, et assure qu'il habita la ville d'Iconium en Phrygie. Il ajoute qu'un oracle avait prédit que tout le monde périrait après la mort ^Anacus. Celui-ci étant mort, après avoir vécu plus de 3oo ans, les habitans en fu- rent si affligés et le pleurèrent si long-tems , que ce deuil était passé en proverbe , et que l'on disait pleurer Anacus pour expri- mer une grande douleur. Il ajoute qu'en effet le déluge de Deu- caliou suivit de près sa mort.

Enoch, que les historiens musulmans appellent celui que Dieu a enlevé, a toujours été en grande faveur parmi eux. Ils lui attri-

,' * Genèse, oh. v, v. i8 et iç). •>fr* Aux Hébreux, eh. xi, v. 5.

' Ch. XLiv, v. i6, d'après la Vulgate; car le grec ne parle pas du paradis.

* Jn ^mos, c\i. \ui. . ,,

^ Voir Fabricius, Codex âpdcrjphus Fel. Test.

« Dans Eusèbe, Préparai, évang., l. ïx, cb. 17.

SUR LE LIVRE D'ÉNOCH. 163

buent une foule de découvertes, telles (|ue celles de récriture, de la coulure, de rarithinéiique et de l'astrologie. De même que les chrétiens d'Orient, ils le confondent assez souvent avec VOrus et Vllermès des Egyptiens. Ils assurent que ce dernier a été roi, sa- crificateur et docteur, et qu'il a ainsi mérité le surnom de Tri' niégiste (trois fois grand) que les Grecs lui avaient donné.

Abulfarage, dans son Ahrc§,é des Dj naslies^ dit qu'il y a trois Hermès, dont le premier est Edris ou Enoch.

Une tradition musulmane, rapportée par d'Herbelot * , cite à l'appui de cet axiome, la sagesse est préférable aux richesses, l'exemple d'Euocli et de Coré. Dieu avait accordé au premier la science et au second d'immenses richesses ; mais l'un fut élevé au ciel et l'autre englouti par la terre.

Les Arabes attribuent à Enoch un livre d'astronomie relatif à l'étoile nommée Sirius par les Grecs et par les Latins : il fait partie du cabinet des manuscrits orientaux de la bibliothèque du roi.

Il est rapporté dans le Kahennan Nameh que plusieurs savans ayant consulté tous les livres d'astronomie et d'astrologie pour tirer l'horoscope de Nériman, firent enfin apporter les ouvrages d'Enoch , non pas ceux qui lui avaient été envoyés de Dieu en qualité de prophète, mais ceux qu'il avait composés sur les sciences les plus secrètes. Ces ouvrages d'Enoch ont toujours joui d'une haute réputation chez les Orientaux. Le plus fameux de tous est assurément celui que les Ethiopiens prétendent avoir conservé.

Nos lecteurs savent que , d'après M. de Paravcy, les Chinois ont fait d'Enoch leur roi Kiao-nieou ou Ty-lay [le seigneur ar- rivé) 2.

Plusieurs Pères ont cité le livre d^ Enoch; S. .Tustin , Athéna- gore, S. Irénée, S. Clément d'Alexandrie, Laclance, y ont puisé la croyance que les anges s'allièrent aux filles des hommes et en eurent des eufans. TertuUien ^ parle de cet ouvrage en plusieurs

' Bibliothèque orientale, nu moi Moussa. ' Voirie 92, tom. XVI, p. \20,et\e tableau m. " TertuUien, de CulluJ'œmineo, 1. i , a; 11, 10. De Idololal., ch. iv et XV. ^pologei., ch. xxii.

164 NOTICE

endroits. Il pensait que Tsoé l'avait conservé dans l'arche. Mais plusieurs autres Pères , Origène *, S. Jérôme ^ , S. Augus- tin ^, le regardent comme apocryphe, et c'est aussi le sentiment de l'Eglise^ comme c'était celui de la Synagogue, qui ne l'avait pas mis dans son canon.

Nous avons déjà dit que ce livre, cru long-tems perdu, avait été' rapporté par Bruce , et plus récemment par M. Ruppell , de l'Ahyssinie. Le manuscrit qui existait à la Bibliothèque royale copié d'abord par Woide, y fut oublié jusqu'en 1801, M, de Sac y fit la notice et la traduction que nous allons reproduire '♦. Le docteur Gessenius, professeur de l'Université de Hall, a depuis pris une copie du manuscrit de Paris, qu'il se propose de publier en élliiopicn et en latin ; enfin le docteur Richard Laurence, pro- fesseur d hébreu à l'Université d'Oxford, en a publié une traduc- tion anglaise en 1821 ^. Comme nous voulons donner une idée suffisante de l'ouvrage, et que nous croyons devoir pour cela, non l'analyser, mais le reproduire dans quelques-unes de ses parties, nous allons, citer la notice que M, de Sacy a composée sur le manuscrit même ; traduire en français les chapitres qu'il a tra- duits en latin, et dans l'un desquels se trouve le passage de S. Jude.

M. de Sacy coinmence par parler de l'édition des lettres de Michaëlis, que Ï\L Buhle, professeur à l'Université de Gcettin- gue, publia en cette ville de 1794 à 1796, et de la plupart des sa- vans avec lesquels il entretenait correspondance. Parmi ces der- niers se trouve une lettre de M. Woide , qui parle du livre d'Enoch. IM. de Sacy en prend occasion de faire connaître A^ oide , et de faire l'historique de la connaissance du livre d'Enoch en Europe. Voici un extrait de cet article :

«Charles Godefroy Woide, connu par ses travaux sur la langue et les livres copies, et à qui nous devons l'édition du diclionnairc cl do In grammaire de cette langue, publiés à Oxford en 1776 et i^j.S, vint à Paris à la fin de 1778 pour examiner les manuscrits

i Jlomi/i. \\\\u In Nti?>ter. Contrit Celstnn, i. v. et ailleurs. - De Scriiil. ceci. cli. iv. lu einsl. ad Tiliim. etc. ^ De Cuil. Dci, 1. XV, cli. v.j. l. xvni, cli. 5^. .,.* ,El!c l'ut insérée dans le Magasin encjc'op. , (i>^^ année , t. i, p. SoQ. ^ Nous rcxainiuorons d'après M. de Sacy, dans le second article.

SUR LE LIVRE D'KNOCIL I6."i

coptes et surtout les manuscrits en dialecte du Said , qui se trou- vaient dans cette ville. Dans deux lettres écrites à Micliat'lis et datées l'une de Paris, le 3o janvier 1774, l'autre de Londres, le 8 avril suivant, après son retour de Paris, il lui rend compte de ses recherches littéraires et des manuscrits qu'il a trouvés tant dans la bibliothèque du roi que dans celle de S.-Gcrmain-dés- Prés. Je remarque en passant que cette dernière était riche en manuscrits coptes et en possédait plus de vingt , quoique M. Woide dans ses lettres n'en cite que deux, dont l'un contient Daniel et les petits Prophètes^ et l'autre un Office de la semaine sainte. Le voyage de M. Woide avait encore un autre objet. ". '

«Le chevalier Bruce, revenu tout récemment de rAbyssihie,én avait l'apporté trois exemplaires du li^>re cC Enoch. Il en avait of- fert un au roi de France, et les deux autres, destinés pour Sa pa- trie, n'y étaient point encore parvenus. L'empressement des sa- vans d'Angleteri'e pour connaître ce livre si famêUx dans ranti- quité, fut vraisemblablement un des motifs qui déterminèrent le voyage de Woide ; du moins est-ce ce que dit le chevalier Bruce dans la relation de son voyage. « Je me rappelle, dit-il, iqué c{uand » on sut en Angleterre que j'avais donné ce liv-re à la biblio- » thèque du roi de France, nos savans compati iotes ne me don- » nèrent pas le tems d'ariiver à Londres, ils auraient pu tout » à loisir parcourir une autre copie de ce livre ; mais le docteur » Woide partit pour Paris, nmni de lettres du secrétaire d'état u pour lord Slormont , ambassadeur à la cour de Frajice, dans » lesquelles on le priait d'aider le docteur à se procurer l'exa- » men du présent que j'avais.fait à S. M. le Roi. M. Woide obtint » facilement ce qu'il demandait , et luic traduction de l'ouvrage » fut rapportée à Londres. Mais je ne sais pas pourquoi elle n'a » point encore été publiée; j'imagine que la conduite des géans » n'a pas plus contenté le docteur AVoide que moi ', » On verra par la suite de cette notice à quoi M. Bruce fait ici allusion. M. Bruce se trompe vraisemblablement lorsqu'il dit que Woide remporta en Angleterre une traduction du livre d'Enoch. Il v a lieu de croire qu'il se contenta d'en emporter une copie.

»Dans la première de ses lettres à Michaéîis, Woide s'exprime

* Voyage en Nubie et en /îlyyssinie, etc. ; par J. Bruce, t. 11, p. '/{if)'.'

166 ij , NOTICE

ainsi : « Vous aurez reçu de moi, par Londres, une petite notice » du livre d'Enoch. Je crois que ce manuscrit contient eftective- >• ment le livre apocryphe dont les Pères ont parlé. Celse s'est » beaucoup arrêté sur ce livre ; et on trouve dans celui-ci des » passages pareils à ceux qu'il alléguait. On y trouve aussi ces » mots : y^oici que le Seigneur inent avec ses myriades pourexer' » cer son jugement, etc. Il y a dans cet ouvrage beaucoup de mots » qui ne se trouvent pas dans le dictionnaire de Ludolf : néan- » moins, j'entends tout ce qu'il y a d'essentiel. Il faudra que » j'examine de plus près ce livre à Londres. Je me suis contenté > pour le monjent d'en donner une courte notice à M. Cappe- » ronnier... Il présume presque que quelques étrangers copieront »> cette notice à la bibliothèque, et lui donneront plus de publi- » cité. Elle a été faite à la hâte. »

» Dans la seconde lettre, Woide donne quelques détails sur le matériel du manuscrit, et il joint à sa lettre la copie de la notice du liure d'Enoch, qu'il avait faite lui-même, et celle d'un petit mémoire sur le même livre, que le chevalier Bruce avait présenté au roi avec le manuscrit.

«Il y joint pareillement une notice des manuscrits coptes et sai- diques qu'il avait examinés à Paris, et à la fin de cette notice il dit : « ÎNI. de Guignes et Tp-bbé BarlbekMny, que j'estime tous les » deux beaucoup, souhaitent que l'on cherche la liaison qui doit se trouver entre l'égyptien et l'éthiopien : j'y ai donc donné un » coup d'œil. On a quelques manuscrits éthiopiens à la biblio- thèque du roi, inais plusieurs à celle de S.-Germain-des-Prés. » Le temps ne m'a permis que d'en copier un seul, le fameux » livre d Enoch, doui^l. Bruce a fait présent au roi de France *. » Il est bien surprenant que M. Woide, s'il s'était tant soit peu ap- pliqué précédemment à l'étude de l'éthiopien , n'ait pas ré- pontlu qu'on ne remarquait aucune analogie entre ces deux langues.

»Dans le mémoire du cbevalier Bruce, je remarque plusieurs inexactitudes que je passe sous silence, parce qu'on peut les ré-

' IM. Woide s'exprime de même dans son Mémoire sur la Utte'rature copte, inséré dans le Jourtial des savujis de l'année 1774» mois de juin, p. 54u.

SUR LE LIVRE D'ÉNOCII. 167

former m consultant la T'ic de Peiresc^V Histoire (VEUùopie de LudoU avec le commentaire du même auteur, les passages des an- ciens auteurs ecclésiastiques, rapportés par Fabricius et d'autres écrivains exacts qui ont parlé de ce livre. Mais je remarquerai que Bruce y suppose, je ne sais sur quel fondement, que le livre Enoch, cité dans l'Epître de S. Jude, est différent de celui qu'il a trouvé en Abyssinie. Cela est d'autant plus singulier que l'on ne trouve rien de semblabk dans la relation de son voyage , dans laquelle il en parle en général d'une manière plus exacte. M. Bruce ajoute que les Juifs même d'Abyssinie regardent ce livre comme canonique. J'ai peine à me persuader que les Juifs admettent en quelque lieu que ce soit , dans le canon des Ecri- tures, un livre qu'ils ne possèdent point écrit en hébreu. Quoi qu'il en soit, revenons à M. Woide.

>' La notice qu'il avait remise au garde de la bibliothèque, et dont il envoyait une co])ie à Michaëlis, se trouve encore aujour- d'hui avec le mémoire du chevalier Bruce, dans notre manuscrit du livre d'Enoch. Je l'avais lue, il y a long-tems, sans savoir avec certitude quel en était l'auteur, attendu qu'elle n'est pas signée, et elle avait fait naître en moi des soupçons qu'un exa- men plus attentif a changés en certitude "

M. de Sacy critique ici quelques passages de la traduction de Woide, puis il continue :

« Pour ne point donner à ce morceau plus d'étendue qu'il ne convient , je me bornerai à rappeler que Peiresc , ayant appris par un missionnaire capucin, le P. Gilles de Loche, que les Abys- sins possédaient un livre sous le nom de livre d'Enoch , et qu'ils le mettaient dans le canon des livres saints, ne négligea rien pour se le procurer; qu'il obtint effectivement un livre éthiopien qu'on fit passer pour être celui qu'il désirait ^; que Ludolf,le père de la littérature éthiopienne, s'étant d'abord procuré une copie du conmiencement de ce livre , et ayant ensuite fait le voyage de Paris pour le voir par lui-même , à une époque il avait successivement passé de la bibliothèque de Peiresc dans celle du cardinal 3Iazarin et dans celle du roi, reconnut l'impos- ture, et convainquit tous les gens de lettres que ce livre, rempli

* Gassend. vita Peiresc. ad an. i635.

1 68 XOTICE

«le contes alisurdes, ne portait pas même le nom d'Érioch^et qu'il contenait les visions d'un moine nommé ^bha Bchnila Micharl. Ludolf poussa cependant les conséquences trop loin , en niant ' l'existence d'un livre d'Enoch chez les Abyssins *; ce qui prouve seulement que le moine abyssin Grégoire, de qui il avait reçu tant de lumières sur tout ce qui concerne l'Abyssinie, ne lui avait point parlé de ce livre, comme le chevalier Bruce le dit, je ne sais sur quel fondement, dans son mémoire imprimé avec les let- tres de Woide. Peut-être Grégoire , qui ne pouvait ignorer que les Abyssins comptaient le livre d'Enoch au nombre des livres de l'Ecrilure, ne voulut-il pas en faire l'aveu à Ludolf.

» L'opinion de Ludolf devait être adoptée par tous les savants, elle le fut , et on ne pensa plus au livre d'Enoch.

» Cependant le voyage du chevalier Bruce a justifie pleinement l'assertion du P. Gilks de Loches, qui avait excité les recherches de Peiresc.

« A mon arrive'een Abyssinie , dit-il dans le mémoire déjà cité, » en 1 769, je trouvai le livre d'Enoch dans le canon de l'Ecriture- » Sainte, placé immédiatement après le livre de Job -. »

» Outre l'exemplaire que nous avons, M. Bruce en a rapporté

* lUud auteiu prorsùs vanum est, quocl ^l^gidius Lochensis capucinus, ampl. viro Peireskio de prophetià Enoclii retulit, quasi illa .i-'.tliiopicô adbuc exstaret in libro Musliafa Jfcnoch , liber Jitioclii dicte. Hist. iethiop. 1. lu, c. IV.

- Voici, d'après Bruce, les livres que 1 on trouve encore en Abyssinie: l'Ancien et le Nouveau Testament , en livres séparés, que l'on ne voit guère réunis, entre lesquels celui qui tient le premier rang est YJpocaîypse, qu'ils appellent la vision de Jean Aboti Kalnmsis, ce qui lui semble une corruption à'apocalypsis. 2" Les Actes des Apôtres, qu'ils appellent synnodos, servant de loi écrite pour le pays. Le livre de Haimnnoiit Aboti , collection des ouvrages des Pères grecs , traitant ou expliquant certains articles de foi. Des traductions des ouvrages de S. Athanase, de 5. Bazile, de S. Jean Cliiysoslome et de S. Cyrille. Il est à présumer qu'il y a des discours ou des œuvres qui nous sont in- connus. 5" Le Sjnaxnr, ou la Fleur des saints , en 4 énormes volumes ia-fol. Nous recommandons cette indication aux nouveaux bollnndistes. 6" V Organoji Denghel, ou Instrument musical delà vierge Marie. ^0 EnGn le livre d'Enoch , dont on parle dans cet article. Voir Bruce, 10m. II, p. 4^5. (Note du direoteurV

SUR LE LIVRE D'kXOCIL 16()'

deux autres ; l'un se trouve dans le corps des livres de l'Kcriture en langue éthiopienne qu'il a porté avec lui en Angleterre; il suit, dit M. Bruce, immédiatement le livre de Job, suivant l'ordre établi par l'église d'Abyssinie. Ce voyageur a fait remettre le troisième à la bibliothèque d'Oxford par le docteur Douglas , évéque de Carlisle.

» Je transcrirai ici le jugement que le chevalier Bruce porte de ce livre dans la relation de son voyage.

« Tout ce qu'il y a d'important à dire sur ce livre d'Enoch » (ce sont ses propres paroles), c'est que c'est un livre gr.ostique , » contenant l'âge des £mims, des Anakims et des Egrégoj-es, qui » sont appelés les enfans de Dieu, qui conçurent de l'amour pour » les filles des hommes et qui en eurent des fils qui étaient des

i> géans. Ces géans commencèrent à dévorer tous les animaux

» terrestres ; ensuite ils se jetèrent sur les oiseaux et les poissons » qu'ils avalèrent aussi. Leur faim n'étant point satisfaite, ils con- » sommèrent tout le grain , toutes les récoltes que les hommes » avaient préparées, puis tous les arbres, tous les buissons; enfin

1' ils tombèrent sur les hommes eux-mêmes pour les manger

» A la fin les hommes se plaignirent à Dieu de la voracité de ces ') injustes géans, et Dieu envoya un déluge qui noya les géans et » les hommes.... Je crois que ceci remplit les quatre ou cinq pre- » miers chapitres. Ce n'est pas un quart de l'ouvrage , mais nja » curiosité ne me conduisit pas plus loin. La catastrophe des » géans et l'équité qui avait accompagné cette catastrophe m'a- » valent pleinement satisfait. »

"Dans son mémoire, il dit que ce livre^quant à ce qu'il contient, ressemble fort à l'apocalypse ; qu'il est écrit en pure langue éthio- pienne ou ghéez ; qu'il ne s'y trouve pas d'un bout à l'autre un seul mot amharique (ce qu'il tenait sans doute de quelque Abys- sin, n'ayant lu lui-même que les premiers chapitres), en un mot que c'est le livre le plus classique des Abyssins.

"Voyons aussi le jugement que "NVoide a porté de ce livre, quoi- qu'il n'en ait eu certainement qu'une connaissance bieir iinp^r- faite. ..,_^ ,

« Les Abyssins, dit-il, prennent ce livre pour un monument « antédiluvien et pour canonique: c'est trop: mais il est très pro-

170 .nDo/^i 'NOTICE I, ^Jft

» bable que c'est le même livre d'Enoch qui a été cité par les » Pères de l'Eglise comme un li^re apocryphe. Je n'en puis pas » développer toutes les preuves, mais il suffit d'en alléguer quel* » ques-unes. . i „^,, ij,j,j;»

« Dans le livre d'Enoch que les Pères connaissaient , il est dit » qu'Enoch avait appris des anges tout ce qu'il savait. Ici, au » commencement du premier chapitre , il est dit que les anges » ont montre' à Enoch tout ce qu'il a vu , et qu'il a entendu des » anges tout ce qu'il disait. Celse , en son tems , prit occasion du » livre d'Enoch pour faire des reproches à la religion chre'lienne ; » dans ce manuscrit , il j a des passages et plusieurs visions que » l'on ne pourrait justifier qu'en disant ce qu'Origène répondait » à Celse : Ce livre n'est pas dans le canon.

« Il parle beaucoup des anges, d'Uriel, de Gabriel et des autres : » il parle des divisions des jours et des tems, ce qui se trouvait » aussi dans le livre apocryphe d'Enoch , que hs Pères avaient.

" J'ignore encore si tous les passages que les Pères ont cités du » livre d'Enoch se trouvent dans le manuscrit mot à mot ; mais > on y trouve une imitation assez exacte du passage de l'épître de " S. Jude. »

» Les lecteurs ne seront pas fâchés sans doute que je leur donne quelques échantillons de ce livre fameux. En les comparant avec les passages que les anciens ont cités du livre dEnoch , ils se con- vaincront que ce livre est indubitablement le même que nous possédons aujourd'hui , et ils jugeront de l'opinion que l'on doit en avoir. Les morceaux que je donnerai sont tous tirés des douze premiers feuillets du manuscrit : je les ai traduits, il y a plu- sieurs années, et je n'ai pas eu le courage de poussi'r plus loin un travail aussi dégoûtant que pénible par la multitude des fautes dont foiu mille le manuscrit. Je me suis quelquefois aidé des pas- sages rapportés en grec par les anciens écrivains ecclésiastiques, pour corriger les fautes du copiste éthiopien ; dans d'autres en- droits j'ai eu recours à des conjectures. Certains passages ont été traduits mot à mot , sans qu'il en résulte aucun sens satisfaisant ; et c'est principalement pour cette raison et afin de pouvoir rendre le texte plus littéralement que je donne ma traduction en latin. Je donne cette traduction telle qu'elle est, mes autres occupations ne me permettant pas en ce moment de la pousser plus loin. On

SUR LE LIVRE D'ÉNOCH. 171

jugera peul-ètrc, après avoir lu ces extraits, que l'ouvrage ne vaut pas la peine que l'on s'occupe de le traduire. Je ne pense pas absolument de même. L'antiquité de cet, ouvrage, l'usage qu'en ont fait des e'crivains respectables, l'autorité dont il a joui, les discussions auxquelles il a donné lieu , sont un motif asse :■ puis- sant pour que le public éclairé en accueille avec reconnaissance une traduction complète, et même pour faire désirer l'édition du texte éthiopien , accompagné d'une version et de notes critiques. Ce n'est qu'en le lisant et en l'examinant en entier qu'on pourra former des conjectures solides sur la langue clans laquelle il a été originairement écrit, sur l'époque à laquelle il appartient , sur ses auteurs et les écrivains plus anciens qu'ils ont copiés ou imités.

» J'ai lu quelque part, ou seulement ouï dire, qu'il avait été tra- duit en Angleterre par M. Wilkins, le même je pense auquel nous devons la traduction du Bhagiiat-Geeta et du H eelopades ; mais je n'ai pas connaissance qu'il en ait été rien publié et je ne sais même si le fait est vrai. »

Yoici maintenant la traduction du texte latin de M. de Sacy. On a vu qu'il s'excuse de ne l'avoir pas traduit en français, par la difficulté de se tenir assez près du texte en cette langue. Nous avons donc besoin de nous excuser pour avoir tenté ce que M. de Sacy n'avait pas cru devoir faire. Nous avons taché de traduire le latin le plus littéralement po-^sible, pour donner une idée plus juste du texte même *.

* M. Pichart , de la société asiatique , a traduit une partie de la tra- duction latine dans Y intioduction du livre de Z'.(4/?z///e', traduit de 1 hé- breu, d'Henoch, rabbin du xn'" siècle. Mais il a visé plus à l'élégance qu à la simple reproduction des idées et des mots, et surtout il n'a traduitque les traits principaux; notre traduction est littérale et complète.

(N. du directeur.

172 NOTICE

LE LIVRE DE LA VISION D'ENOCH.

Paroles d'Enoch. Prophétie du déluge. Science des anges. Com- plot des anges pour épouser les fdles des hommes. Naissance des géans. Les anges enseignent le mal. Détresse des hommes. Plaintes adressées au ciel. Les bons anges intercèdent pour les hommes. Jugement porté sur les mauvais anges. Enoch leur si- gnifie leur jugement. Us le supplient d'intercéder pour eux. Sa supplique à Dieu, Vision du ciel. La prière des anges est rejetée. "— L'ame d Abel. L'arbre de la science du bien et du mal. ml

Chap. I" *. Livre de la bénédiction d'Énccli ; comment il bénit les élus et les justes qui seront dans le jour de l'affliclion, lorsque tout méchant et tout impie sera expulse. Voici comment parla Enoch, homme juste, qui (vient) du Seijjnenr, au tems ses yeux furent ouverts , et il vit la vision du Saint qui est dans le ciel, que les anges me montrèrent ; et j'appris d'eux toutes choses; et je connais ce que je vis; et cela ne doit point arriver dans cette génération, à cause des élus, mais dans la géné- ration future des (lionnnes) fort séparés (de Dieu).

C'est pour eux que j'ai parlé avec le Saint et le Grand qui sor- tira 2 de son tabernacle , le Dieu du monde. Il marchera sur le mont Sina, et on le verra dans sa tente, et il sera manifesté par la vertu de sa puissance du haut du ciel. Et tous les hommes se- ront frappés d'effroi ; et les f^igilans ^ en seront émus, la crainte et l'effroi s'empareront d'eux sur toute la terre ; et les hautes, montagnes seront ébranlées, les collines élevées seront abaissées, et elles se dissoudront ''' comme un rayon de miel exposé au so- leil; la terre sera submergée, et tout ce qui l'habite périra; et il y aura jugement sur tous, et sur les iustes. , .. .,

Quant aux justes, il leur donnera la paix; u conservera ses

* Manuscrit, fol. 3, recto.

- Mysîa zayywalsa. Si on lisait Afysâla, on pourrait traduire pa- vaholam (illam) qund, etc.

^ C'est le nom que M. de Sacy a traduit par vigiles, qr.i peut aussi signifier les ei'e///eV, les courageux . M. Pichart l'a traduit par gardiens,

* Yj'tmaschawou. Je lis jylmahawou, que le sens exige.

SUR LE LIVRE D'ENOCH. 173

élus; sa clémence s'étendra sur eux; ils seront ;.ous de Dieu '; et ils seront dans le bonheur et la bénédiction ; car la splendeur de Dieu reluira sur eux.

Il viendra avec des myriades de saints , pour juger tous les hommes , perdre tous les impies , et pour convaincre tous les (hoHunes) de chair et tous les pécheurs et les impies, de toutes les teuvres d'iuiquités qu'ils ont commises, et opérées contre lui 2.

Ch. II, fol. 3, verso. Tous ceux qui sont dans les cieux connaissent les œuvres qui s'y font; comment les luminaires qui y sont attachés ne changent pas leurs voies ; comment chacun d'eux se lève et se couche régulièrement, chacun en son tems , et ne s'écarte en rien du commandement qui lui a été prescrit. Ils voient la terre , et ils comprennent les lois qui la dirigent et la dirigeront jusqu'à la fin; comment elle ne change en rien sou œuvre devant Dieu , quand elle paraît (c'est-à-dire quand le tems de se montrer est venu , à chaque époque de l'année, à celle de la germinaison, de la floraison, etc.); ils connaissent l'été et l'hiver, et comment les jours des eaux, les nuages de rosée et les pluies reposent sur toute la terre {peut-être, réparent toute la terre).

Ch. VI, fol. 4? verso. Or il arriva, lorsque les 61s des

i-

> Yyscherhou. Ce mot, qui devrait être écrit par un saut (s) et un

harm (h), est écrit par un schat (sch) et un haut (ii). Il y a de sembla- bles fautes d'orthographe presque à chaque ligne.

- C'est le f<imeux passage cité clans Y Épure de S. Jude , v. i4 et i5 :

•tzoïYJsjit xpiaiv y.xrâ Ttàvrcoy, xkI ÈlîAeyfKt ttkvtk j rov; à.a-ëîii c/.ù-zwJ TTSp't ttkvtwv twv é'^yuv à.iîSdoi.i xjrCi-j &Jv vic-io/iîzv, /.tû Ttsp'i Tîàv-wv twv tj/.lripw wv IAkA»;7«v xar ctJzo\j, v.jj.y.pTQj.o\ KGjÇîi,-. Plusieurs écrivains anciens et modernes ont tiré, de cette citation, des conséquences contre l'authenticité de ÏEpitre de S. Jude. Ce n'est pas ici le lieu d'entrer dans l'examen de cette discus- sion. On peut seulement remarquer que ce reproche, s'il était fondé, se- rait commun à plusieurs autres lettres des Apôtres ; car Origènc et S. Jérôme ont observé, avec raison, que l'on trouve dans les écrits des Apôtres i)lusieurs passages tirés de divers livres apocryphes. P^oy. J.-E. Grabe, pnefat. ad Ics/am. i9. patriarch. clans le Codex pseiidcpig. velcr. lest, de Fabricins. Au reste , on pourrait supposer que l'auteur du livre d'Enoch aurait emprunté ce passage do S. Jude.

174 NOTICE

hommes se furent rauUipliés en ces jours, qu'il leur naquit des filles belles et agréables. Les anges fils des cieux les virent , en furent épris, et se dirent entre eux : « Yenez , choisissons-nous » des épouses parmi les filles des hommes, et engendrons des » fils. »

Alors Samyasa, qui était leur prince, leur dit : « Je crains que »» yous ne vouliez pas accomplir votre projet, et que je ne me » trouve seul obligé de subir la peine de ce péché. >•

Ils lui répondirent : « Jurons tous , et lions-nous par un mu- » tuel anathème, que nous accomplirons notre résolution. »

Ils jurèrent donc tous et se lièrent par un mufuel anathème. Ils étaient au nombre de deux cenis, et ils descendirent sur VArdis, qui est le sommet du mont Armon. Or ils l'appelèrent ide ce nom, à cause du serment et de l'anathème auquel ils ve- naient de se dévouer *.

Yoici le nom des principaux d'entre eux : Samyasa, leur chef, Ouracabarameel, Akibeel, Tamiel, Ramouel^ Danyel, Azkeel, Sa- rakoujal, Azael^ Armoris , Batraal, A nanyou,^ Z awebe^Sàmsaweel, Irtael, Touryel, Yomjael, Arazyal. C'était le nom des chefs des deux cents auges, et tous les autres étaient avec eux 2.

Ch. VII. Ils prirent donc des épouses... Et s'étant appro- chés d'elles, ils leur apprirent la magie et d'autres sciences se- crètes , la manière de préparer les simples et de tailler les arbres.

* Le nom de Hermon s'écrit en hébreu par un heth, et il vient de la racine haram qui signifie dévouer, consacrer à Dieu par une sorte d' ana- thème. Dans réthiopien , la lettre aspirée, qui devrait commencer ce mot, est omise; ce qui prouve que ce livre a été traduit en éthiopien d'après un original grec, et non sur un lexte hébreu. Dans la chronique syriaque de Grégoire Bar-Hebrœus (p. 5), on lit : Tempore Sethiy quandb filii ejus bealam vitam paradisi recordali sunt , in montent Hermon secesserunt, et vivebant moribus (et uon in deserlo , comme on lit dans la traduction imprimée) puris et sanctis à malrimoniis absti-^ nenteSy undè vocati sunt vigiles eljilii Dei. Cette tradition semble être ^ue aussi à Tinterprétation du mot hermon, dérivé de haram, mettre hors de l'usage commun, consacrer. Peut-être haram est-il l'origine du mot grec 2,;/;,«cî.

' Dans le fragment conservé par le Syncelle, ces mots appartiennent à la phrase suivante : ovtol /.xï oi Xontoï Ttâyrs, èXxëov écuroli yjvxIxx;. '

SUR LE LIVRE D'ÉNOCH. 175

Ces femmes donnèrent le jour à des géans dont la taille était 'de 3oo coudées. Ces géans dévorèrent lout le fruit du travail des hommes, de telle sorte que ceux-ci ne trouvèrent plus de nour- riture. Les géans se tournèrent contre les hommes, ils les dévo- rèrent, ainsi que les oiseaux, les bêtes sauvages, les reptiles et les poissons, et finirent par se dévorer entre eux et boire leur sang.

Alors la terre porta plainte contre les Injustes.

Ch. VIII. Cependant Azazyel, un des chefs des anges , apprit aux hommes à forger des glaives, des poignards, des boucliers et des cuirasses ; il leur enseigna le moyen de voir ce qui était der- rière eux (il leur montra l'art de faire des miroirs) ; avec son aide ils fabriquèrent des bracelets et d'autres ornemens ; ils apprirent à se servir de fard pour parer leur visage, à ajouter de la grâce aux sourcils, à faire toutes sortes de teintures, et à tailler toutes sortes de pierres précieuses. Alors le monde fut tout changé, l'im- piété s'accrut, la fornication se multiplia, tous les hommes s'aban- donnèrent à l'erreur et corrompirent leurs voies.

Amazarak instruisit les magiciens et ceux qui préparent les simples.

Armaros apprit à rompre les charmes ; Barkayal à observer les astres (pour y lire \ diSt,\x\\)\Kohabyel à tracer les caractères (magi- ques) ^; TfimicZ l'astronomie ; Asaradyel k oti%ç,xsQX les mouve- mens de la lune 2.

Les hommes voyant leur perte assurée, poussèrent des gémis- seuiens et leur voix parvint jusqu'au ciel.

Ch. ÏX. Alors Michael, Gahryel , Rafaël , Souryan et Ouryan regardèrent du haut du ciel, et virent des fleuves de sang qui coulaient sur la terre, et toutes les iniquités dont elle était cou- Verte, et se dirent entr'eux : Les cris de la terre sont parvenus » jusqu'à la porte du ciel, et maintenant, ô saints des cieux , les )) âmes des hommes se plaignent vers vous , disant : Faites-nous >> rendre justice auprès du Très-Haut.'*"' ' «"i^m ""''i aii

» Oa si^na.. On lit dans le grec : ev;/*£ia t^» y^,-... ar,ij.ùx. xqX> r,\m. Ceci paraît avoir été abrégé par le traducteur éthiopien.

- On lit ici dans le grec une ou deux phrases qui semblent néces- saires pour lier ce qui suit avec le récit précédent. Mrrà tvxizu. -/ip^civTo oi yiyavcsi mktmOUiv tk; av.f,/.«.i rw àvOpùnuv, x«i fifi^xuro oi y.vOpomoi èXotxToîj-

36x1 èm TTii yr,i...

176 NOTICE

Et les anges dirent au Seigneur leur roi :

«Vous êtes le Seigneur des seigneurs, le Dieu des dieux , le Roi » des rois; le trône de votre gloire est dans toute la génération du » siècle, et votre nom est haut et glorieux dans toutes les généra- » lions du siècle. Vous, Bénit et Glorieux , avez fait toute chose, » votre pouvoir s'étend sur toute chose, et tout est ouvert et ma- » nifeste devant vous ; vous voyez toute chose, et rien ne peut se » cacher à vos regards ; vous avez vu ce qu'a fait Azazyel , com- » ment il a enseigné toute iniquité sur la terre, et comment il a » mis à découvert tous les secrets du monde qui sont dans les » cieux. Samyasa^ à qui vous avez donné le droit de commander » à ceux qui sont avec lui , leur a appris le secret de la magie ; ils » se sont choisi des femmes parmi les filles des hommes , ils se >' sont souillés avec elles, et ils leur ont appris tous les péchés. » Ces femmes ont enfanté des géans , et c'est par que la terre a » été couverte de sang et de crimes.

>i Et maintenant voilà que les âmes de ceux qui ont péri crient, » et leurs plaintes se sont élevées jusqu'aux portes du ciel , et leurs » gémissemens redoublent, et ne peuvent cesser^, en vue de l'in- « justice qui a lieu sur la terre. Vous connaissez toutes choses avant » qu'elles arrivent et vous ne nous dites rien. Que faut-il que » nous fassions dans celte circonstance?

Ch. X. Alors le Haut, Grand et Saint, parla et enxo^d^Arsaja- lalyor au fils de Lamech Noé) avec ces paroles :

" Dis-lui en mon nom: «Couvre ta tète; » et alors annonce-lui la '■ fin qui doit arriver. Toute la terre périra : les eaux du déluge » se répandront sur toute la terre, et tout ce qui est en elle périra. » Et puis annonce-lui comment il pourra se sauver et commcj^t » sa race s'établira sur toute la terre. » j,^j,Le Seigneur dit encore à Raphacl :

« Attache les mains et les pieds à Azaziel, et lance-le dans les » ténèbres. Ouvre le désert qui est dans Dondael, jette-le en cet ') endroit : jette sur lui des cailloux aigus et raboteux; couvre-le » de ténèbres, il y demeurera jusqu'au siècle ; cache sa face, afin

' Dans le grec on lit : /.'/.i o) Zùvuty.i [h GTVJ'Ayjxhi «OrSiv^ i^-:).9î\v àrto TT^jsi'j-

r.r.u Tijv iri rr.i yf.i yivofiivcav y.Zi/.r.fi.o'.-zMv- Je crois donc qu'il faut substituer jwlcsl à poisiuil.

SUR Li: LIVRE D'É.NOClt. 177

» qu'il ne voie pas la lumitre ; Usera au jour du grand jugement » pour être envoyé dans le feu.

» Purifie la terre que les anges ont corrompue ; annonce-lui la » vie ; afin que les hommes ne périssent pas à cause des mystères » que les Vigilans ont de voilés ' , et dont ils ont instruit leurs >' fils ; toule la terre a été corrompue par les œuvres de la >• science- à^Azaziel ; mets sur son compte tout ce péché. » Puis le Seigneur dit à Gabriel :

« Vas vers les trompeurs et vers les réprouvés, et vers les » fils de fornication, et lais disparaître les fils de fornication , les » fils des vigilans du milieu des hommes. Qu'ils sortent et qu'ils n combattent les uns contre les autres ; qu'ils périssent massacrés; » l'éternité des jours ne luira point pour eux ; ils t'adresseront » leurs prières, mais pour eux , on n'accordera pas même à leurs » pères , qui espèrent la vie éternelle , au lieu de la vie e'ter- » nelle , chacun 5oo ans. » Puis le Seigneur dit à Michel :

" Annonce à Samyasa et à ses compagnons , qui se sont unis » avec des femmes pour se plonger avec elles dans toutes les ira- » puretés : lorsqu'ils auront vu tous leurs fils égorgés , et ceux " qu'ils aiment dévoués à la perdition , attache-les pour 70 géné- " rations sous les collines de la terre, jusqu'au jour de leur juge- » ment et de leur perte, jusqu'à ce que le jugement qui est pour » les siècles des siècles soit consommé.

» En ces jours ils seront conduits aux lieux les plus profonds t> du feu , pour y être tourmentés et enfermés pour les siècles » des siècles.

» Et Samyasa et ses compagnons seront consumés par le feu et » périront jusqu'à la consommation des générations.

» Fais périr toute âme livrée à la joie , et tous les fils des vigi-

1 II y a dans Télhiopien katalou, occiderunt. C'est visiblement une faute, peut-être faut-il lire baha/ou, dixcrunt. J'ai suivi le grec on lit ■• îino-j.

- In doclrinà operis ou plutôt in opaibus doclrinai , comme on lit dans le grec : h -cu ^'pyoïi -.r,^ ÔLixi/.x/;ïy.s k'i^xy,)..

•* Il y a clans le grec i'.cÙToi!,-.

Tome xvii.-N" 99. 1838. 12

178 ISOTICE

»» lans qui ont opprimé les hommes. Que tout oppresseur dis- » paraisse de la surface de la terre, que toute œuvre mauvaise soit » détruite, que la plante de la justice et de la droiture apparaisse, » et que le fruit de justice et de droiture soit en bénédiction.

» Elles seront plantées dans le siècle avec délices.

» Et alors tous les saints confesseront (mon nom) et ils seront « remplis de vie, jusqu'à ce qu'ils aient engendré mille (fils); et » les jours de leur jeunesse et de leurs fêtes se passeront en paix.

» En ces jours tous les ouvrages de la terre seront faits en jus- » tice ; elle sera toute couverte d'arbres et remplie de bénédic- » tion. Tout arbre de délice et de joie sera planté dans son sein ; » la vigne y sera semée, et cette vigne produira des fruits à sa- » tie'té. Toute semence confiée à la terre produira mille mesures » pour une, et une mesure d'olives * produira dix mesures d'huile.

)' Ainsi donc purifie la terre de toute oppression , de toute in- » justice, de tout péché, de toute impiété, de toute souillure ; fais- « les disparaître de la terre; et tous les hommes seront justes , et )' ils me reconnaîtront pour leur Dieu , et béniront mon nom; ils m'adoreront tous, et la terre sera purifiée de toute corruption , » de tout péché, de tout châtiment, de toute douleur, et je ne n leur enverrai plus de déluge à jamais dans toutes les géné- » rations. »

Ch. XI. " En ces jours j'ouvrirai les trésors de bénédiction qui » sont dans le ciel , et je les répandrai sur la terre et sur les œu- » vres et sur les travaux des hommes. La paix et l'équité seront ». les compagnes des fils des honimts dans tous les jours et dans » toutes les générations. »

Ch. XII, sec. tu. Mais avant toutes ces choses, Enoch avait été caché , et aucun homme ne savait ce qu'il était devenu ni il était , et toute sa vie s'était passée avec les saints et les vigilans. Moi, Enoch , je bénissais le Seigneur, Grand et Roi du siècle, et les Vigilans m'appelaient Enoch le scribe, et le Seigneur me dit :

« Enoch, scribe de justice, vas, et annonce aux vigilans du >• ciel qui l'ont abandonné , ainsi que la demeure sainte qui est » pour les siècles, qui se sont souillés avec des femmes, et ont fait » comme les fils des hommes, se sont choisi des épouses, et se sont

On lit dans léthiopicn elyas } c'est un mot grec.

SUR LE LIVRE D'eNOCIL 179

» livrés sur la terre à toutes sortes de corruption, que jamais sur » la terre ils n'auront ni paix , ni rémission pour leurs pêches, car » ils ne se réjouiront point dans leurs fils ; ils verront le massacre » de tous ceux qui leur étaient chers ; ils gémiront sur la perte » de leurs fils, ils feront entendre leurs prières, et on ne leur ac- » cordera ni miséricorde ni paix. »

Ch. XIII. Enoch donc dit à Azazyel :

<< Tu n'auras point de paix ; un jugement solennel a été pro- » nonce contre toi . il t'enveloppera ; il n'y aura pour toi ni ré- » mission, ni prière, ni miséricorde, parce que lu as enseigné » l'oppression , et à cause de toutes les œuvres de blasphème , '' d'oppression et de péché que tu as enseignées aux hommes. »

Alors me dirigeant vers eux, je leur dis ces paroles à tous, et ils furent tous saisis de crainte, et ils me prièrent de dresser le mé- morial de leur demande, d'écrire en leur faveur pour que misé- ricorde leur fût faite, et de faire parvenir le mémorial de leur prière au Seigneur du ciel , parce qu'il ne leur était plus permis de parler, ni même de lever les yeux vers le ciel , à cause de la confusion qui les couvrait, pour le péché dont ils avaient été re- connus coupables.

Alors j'écrivis le mémorial de leur prière et de leur supplica- tion , c'est-à-dire la demande de la paix et du repos pour leur esprit et pour chacune de leurs œuvres.

Et m'avançant, je m'arrèiai auprès des eaux de Dan^ Dan qui est à droite du couchant à''/Jermon , lisant le mémorial de leur prière, jusqu'à ce que je m'endormis.

Et voilà que dans mon sommeil, des visions se présentèrent à moi : je tombai (le visage contre terre), et je vis la vision de la plaie, pour que je la racontasse aux fils des deux , et que je leur adressasse des paroles de reproche.

M'étant éveillé, je vins à eux : ils s'étaient tous assemblés, li- vrés à la plus profonde tristesse et la face couverte, à Oubilsa- layel , lieu situé entre le Liban et Seneser. Je leur racontai toutes les visions que j'avais eues, et tout ce que j'avais appris dans mon sommeil. Je commençai donc à adresser ces paroles de justice de reproche aux vigilans du ciel.

Ch. XIV « Yoici le livre des discours de justice, et les reproches

180 NOTICE

à adresser aux vi^ilans qui appartiennent aux siècles , selon que me l'a prescrit le Saint et le Grand dans cette vision.

J'ai vu dans mon sommeil que je parlais en mon esprit et avec ma langue et ma poitrine de chair, que le Haut a données aux hommes pour qu'ils pussent converser avec lui et le com- prendre. De même qu'il a créé les hommes pour qu'ils com- prissent les paroles de l'intelligence , ainsi il m'a donné d'ins- truire et de blâmer par mes paroles les Tigilans fils du ciel.

J'ai écrit votre demande, et dans ma vision il m'a paru que ce que vous demandez ne vous sera jamais accordé dans les jours des siècles; le jugement a été confirmé sur vous : votre demande ne vous sera pas accordée; dès ce jour, vous ne monterez plus au ciel, et il a donné ordre à la terre afin que vous soyez liés dans tous les siècles des siècles.

Mais, auparavant, vous verrez la mort de vos fils chéris; vous nepourrez en jouir; ils tomberont devant vous , frappés du glaive, et votre prière ne servira ni pour eux ni pour vous : vos gémis- scmens et vos supplications ne seront pas exaucées. Telles sont les paroles du livre que j'ai écrit.

Mais voici la vision qui m'est apparue : Les nuées me tenaient embrassé , et un nuage plus léger me poussait; le cours des étoiles et la lueur des éclairs me pressaient en avant , tandis que les esprits * m'emportaient dans leur vol , tout tremblant : ils me transportaient en haut dans le ciel, jusqu^au pied d'un mur, bâti de pierres de grêle (de cristal) , et entouré d'une langue de feu ; mes craintes augmentèrent ; cependant, je traverse la langue de feu , et je m'approche d'un grand palais qui était bâti de pierres de grêle ; les lambris et le sol étaient de pierres de glace aussi ; le toit était formé d'cloiles errantes et d'éclairs, entre lesquels on voyait des chérubins ^ de feu ^ ; autour des murs brillait un feu ardent, et la porte en était enflammée.

J'entrai dans cette demeure , qui était brûlante comme le feu et froide comme la glace ; on n'y peut goûter aucune douceur ni aucune vie. La crainte s'empara de moi; ému et tremblant, je tombai la face contre terre.

' C'est-à-dire venti vehcmentcs, c'est un hébraïsme.

2 II y a dans le texte kiroubel.

* Il y a ici quorum cœlum erai agua, que nous avons passé.

SLR LF. LIVRE d'kNOCH. 181

Je vis alors en vision un palais beaucoup plus vaste, tloni toutes les portes étaient ouvertes devant inoi , et qui était bâti au milieu d'une flamme vibiante. Tout s'y trouvait en abon- dance, gloire, magnificence, grandeur, à un point qu'il est impossible de dire. Le sol est de feu; les e'ioiles et les éclairs l'entourent , et le toit est aussi de feu.

Au milieu , je vis un trône élevé , semblable aux charbons ardents , et plus éclatant que le soleil. On entendait les voix des chérubins , et des fleuves de flamme s'échappaient de ce trône , sur lequel les regards ne peuvent se fixer.

Le Grand y siégeait dans sa gloire; son manteau brillait plus que le soleil, et était plus blanc que la neige, et aucun ange ne pouvait entrer et arrêter ses yeux sur sa face, la face du Magni- fique et du Reiiipli de gloire. Aucun œil charnel ne pouvait le voir. Des fournaises de feu empêchaient qu'on n'approchât du lieu le Grand se tenait sur son trône, ayant un feu allumé devant lui ; aucun de ceux qui étaient autour de lui, ne pouvaient l'approcher; des myriades de myriades (d'anges) étaient devant

lui Les saints qui l'entouraient, ne s'éloignaient ni le jour

ni la nuit.

Il me fut donné de m'approcher jusqu'à lui , la face couverte d'un voile , et tremblant de frayeur.

Le Seigneur m'appela et me dit : » Approche, Enoch, et sois » attentif à ma voix. » Et il m'enleva et me fit arriver jusqu'à sa porte : mon visage était détourné vers la terre.

Cn.XV.Etm'adressantlaparole, il me dit: «Ecoute, ne crains » rien , Enoch , homme juste , et scribe de justice ; approche avec » confiance , et sois attentif à ma voix. Tas et dis aux vigilans » qui t'ont envoyé, pour intercéder pour eux: c'était à vous à » prier pour les hommes , et non aux hommes à prier pour vous. » Pourquoi avez-vous abandonné le Ciel élevé et saint, qui est » depuis les siècles , et pourquoi vous étes-vous souillés avec les "femmes , filles des hommes? pourquoi avez-vous pris des » épouses, comme le fout les fils de la terre, pour en avoir des » fils qui sont devenus des géans?

«\ous, spirituels, saints, vivant de la vie des siècles, vous » vous êtes souillés avec les femmes , et vous avez commis les >• mêmes souillures , les mêmes crimes que les hommes , qui sont

] 82 NOTICE

» chair et sang. Eux , sont mortels, et c'est pour cela que je leur » ai donné des femmes, afin qu'ils en aient des enlans, sur toute n la terre. Mais vous, vous avez été créés dès le commencement, » spirituels , vivant de la vie des siècles , et ne devant jamais » mourir! C'est pourquoi je ne vous ai point donné d'épouses, » puisque vous étiez spirituels , et habitant le ciel.

» Maintenant les géans qui sont nés de l'esprit et de la chair , n seront appelés les maut'ais esprits sur la terre, et ils y feront » leur séjour. Les mauvais esprits sont sortis de leur chair; ils ont été créés d'en haut ; leur commencement et leur source vien- »> nent des saints vigilans.

» Ils seront l'esprit mauvais sur la terre , et on les appellera les » esprits des mauvais ; les esprits du ciel habiteront le ciel; les » esprits de la terre, qui ont pris naissance sur la terre , y ha- » biteront.

)• Les esprits des géans seront comme des nuées, quiopprime- » ront , corrompront , tomberont , combattront , briseront tout » sur la terre, et la couvriront de deuil. Ils ne pourront manger » du froment, et ils auront soif; ils se tiendront cachés, et les » esprits ne s'élèveront pas * contre les fils des hommes et contre » les femmes , parce qu'ils viennent (d'eux) 2.

Ch.XVI. 5 « Us périront tous jusqu'au jour du grand juge- » ment qui sera consommé sur les vigilans et les impies. Main- » tenant va dire aux vigilans qui t'ont envoyé pour intercéder » pour eux, créés depuis le commencement :

« Yous avez été dans le ciel, mais ses secrets ne vous seront » plus dévoilés ; vous avez connu de vils mystères , et dans la per- » versité de votre cœur, vous l'avez révélé aux femmes , et c'est »> par ces mystères que les hommes et les femmes ont commis » toutes sortes de maux sur la terre. Dis-leur : c'est pour cela » qu'il n'y aura pas de paix pour vous. »

* Cette négation est vraisemblablement de trop. Elle ne se lit point dans le grec. En général, la fin de ce chapitre et le chapitre suivant sont remplis de fautes et peu intelligibles.

* Je supplée ces mots d'après le grec : in i^ aÙTwv è^sXr,).i)ôxtst. Mais le traducterr éthiopien a lié le mot venerunt avec les mois à dielnis, comme le prouve la division du chapitre.

^ Je passe ici une on deux lignes dont on ne peut tirer aucun sens.

SUR LE LIVRE D'ÉNOCH. 183

Sect. V, CH. XII ou plutôt XXII ! Je vis les àines des fils

des hommes qui étaient morts , et leur voix arrivait jusqu'au ciel en forme de plainte. Alors m'acin^ssant à l'ange Raphaël, qui était avec moi, je lui dis : « Quelle est cette âme dont j'entends la voix et qui se plaint? » Il me. répondit : « c'est Tàme qui sor- » tit à!Abel quand son frère Coin, le tua , et elle se plaint de lui » jusqu'à ce que sa race soit effacée de la terre , et périsse du » milieu des hommes....»

Ch. XVII. ou plutôt XXXI. Après cela je tournai mes yeux vers l'aquilon, et je les fixai sur les montagnes. Je vis sept monis couverts de nard , de purs aromates^ d'arbres odoriférans , de cinnamomon et de papyrus. De là, je regardai par-dessus les sommités des monts qui sont au loin vers l'orient, et je passai au-dessus de la mer Erythrée ^ , fort loin au-delà , et je dépassai l'ange Zetiel -^ j'arrivai dans le jardin de la Justice, et je distinguai dans les forêts qui y étaient plantées de grands et beaux arbres , admirables à la vue , et dont le parfum d'agréable odeur se ré- pandait au loin.

Il y avait Varbre de la science, dont le fruit donne une grande science à celui qui le mange. Cet arbre est semblable à une fève grecque(/rtia Grœcœ) ^, et son fruit, excellent au goût, ressemble à une grappe de vigne. Le parfum qui sortait de cet arbre se ré- pandait au loin , et je m'écriai : « Oh ! le bel arbre , et combien sa vue est agréable I » L'ange Raphaël qui était avec moi , me « dit: C'est l'arbre de la science, dont voulurent manger ton « vieux père et ta mère {'hébraïque ^ , qui t'ont précédé. Ils «connurent la science ; leurs yeux furent ouverts, ils surent « qu'ils étaient nus ; et ils furent chassés du jardin. »

C'est ici que finit la traduction de M. de Sacy. Nous formons des vœux pour que quelques-uns de nos savans , sachant le Ghéez, et aidés des traductions qui existent, traduisent tout l'ou- vrage en français. A. Bo>'NETTy.

* Il y a dans le texte Erjtri.

- Le mot employé ici répond dans la version éthiopienne du N. T. en S. Luc, ch. XV, v. 16, au mot grec riv y.=yy.-:lu-/. Ludolf dit que les Ethio- piens entendent par une sorte de tamarin. V. le Dict. e'th. de Ludolf, édit. de Londres, 1661, col. 28 et 435.

Cette expression, dit IM. de Sacy, présente un anachronisme remar- quable. M. Laurence l'a traduite par i^em-e.

184 POKSIES INKDITES

V\.Vv\'\VVV»\VvV\WV\fc%^VV\VVVvVV*(^^VVXVVV\VVVVVvV*tVVVt\VvVVVVVwVVV\^'V**V\\i\\VVVVVV*\^ '^V« AV.

Cittnnturf Conlcmporainr.

POESIES INEDITES

DE SILVIO PELLICO ; QUELQUES DETAILS SUR SA VIE ».

Trêve de Chinois et d'archéologie, monsieur le Directeur; voici venir le poète de Saluce avec sa lyre chérie , que couronnent la Foi, l'Espérance et la Charité; c'est le pocte que nous appelons de nos vœux , parce que ses vers ne sont pas tristes et pleureurs comme l'ame égarée , brusques et sauvages comme le doute , payens ou creux comme tout ce qui nous environne. Ce ne sont pas des formes orientales qu'il nous apporte, àes feuilles que Y automne enlève ; que sais-je? des chants vagues Comme le souffle du crépuscule , mais des pages de poésie historique, proclamant la vertu, flagellant le vice; des sentimens religieux et purement catholiques , d'ardentes prières que chanterait le lévite aux pieds des autels , de douces et simples paroles qui élèvent l'ame vers la beauté éternelle, de graves enseignemens surtout, parce que le vrai poète est aussi un envoyé de Dieu pour annoncer aux hommes les paroles de la vie.

En dehors du cercle au sein duquel repose l'idée , il n'y a plus que la phrase, des oripeaux, d;; spirituels mannequins, le men- songe et la faiblesse. Celui-ci fait entendre un ramage qui cha- touille l'oreille et D'y arrête sans arriver à l'ùme ; celui-là s'agite dans les airs en tous sens, comme un pauvre oiseau dont on aurait crevé les yeux; l'un rase l'infime région et s'efforce de me montrer sa joie dans la boue et la fureur; l'autre gazouille dans sa volière, pleure , rit , soupire du matin jusqu'au soir sans trop savoir pourquoi ; mais les uns et les autres sont des âmes en peine ou des esprits vains, des imaginations ravies dans des chimères

* Poésie inédite. A Pari;;, cliez Bamliy, lilirniie. fort vol. in-Jî. Prix 5 fr.

DE SILVIO PELI.ICO. 185

fantastiques, ou perdues dans les profanes endroits de la vie |'osi- live. A quelques belles exceptions près , nos poètes n'ont plus de mission , ils ont les ailes clouées aux flancs , ils parlent d'eux seuls et pour eux seuls , comme l'e'goismc; aussi les hommes ne répètent-ils plus les chants des poêles ; ils les laissent dire et passent , parce qu'ils veulent étancher leur soif , et que la poésie de ces hommes est une solitude aride et brûlante.

Silvio Pellito parle aussi de lui-même ; partout on le retrouve dans les deux volumes qu'il vient de publier ; il avoue même dans sa préface qu'il n'a pu faire autrement: non ho sapiito. Ses prisons le mettent partout en scène. Mais ce n'est pas pour lui qu'il écrit , il ne s'arrête pas au moi pour le caresser, ou le plaindre ou l'exalter ; il a des intentions plus pures et plus nobles. La vanité de parler de lui-même ne lui a pas fait écrire ses immortels Mémoires , et ce n'est pas la gloire du poète qu'il a cherchée en donnant à sa patrie et au monde ses Poésies inédites. C'est un voyageur qui revient d'un pays malheureux , il a par- couru les déserts, il a bu dans le torrent, il a vu la mort et toutes ses douleurs; et quand il en parle , c'est pour consoler ceux qui souffrent, c'est pour apporter sur nos blessures le baume qui l'a sauvé; son cœur, loin de retomber sur lui-même, rayonne en tous sens et embrasse tous les hommes. Oh I qu'il nous dise long-tems encore ce qu'il a vu et senti , et ses tris- tesses et ses joies, et toute sa vie! Il a le droit de parler aux hommes et de leur donner de graves enseignemens ; son lan- gage a la douceur du miel , sa pensée est large et profonde , et il a beaucoup souffert dans le corps et dans l'esprit : si les souftVances donnent à l'homme de la valeur, elles augmentent aussi son au- torité.

Il y eut un jour entre Dieu et le poète un sublime entretien :

Perché data mhai questa ineffabile Sete di canlo?

Perché poni tu in me questi palpiti , Ricchi d'amer? '

* Pourquoi m'as-tu donné cette ineff;;ble Soif de chant?

Pourquoi as-tu mis en moi ces transports, Riches d'amour?

186 POESIES INÉDITES

Et Dieu lui répondit :

Perche vago del bello più sancto, A tal bello tu spinga altri cor *.

Le poète a reçu sa mission dans ces paroles ; mais il s'épou- vante : >i -

10 t'ammiro, ed abi ! quelle mi mancano Yoci stupende,

Cbe dir ponno quai movi nell' anima Aiti désir ^.

Et Dieu lui répond :

11 Vangel che repisce ed accende , Par d'ingenuo fanciuUo il sospir. . . . Del Vangel l'amantissimo spirto

Luce sia a tua ragione, a'tuoi canti, etc. ^.

Et le poète rassure' marche avec une sublime simplicité dans le chemin que le doigt de Dieu lui indique, et ses chants re- lèvent l'àme abattue , donnent au cœur de nobles désirs et pla- cent l'esprit dans le paradis terrestre qui nous est ouvert , dans la paix et les délices de la foi. Pour Silvio Pellico , la poe'sie est donc autre cliose qu'un sifflement de serin, des plus agréables, si vous voulez , mais que le vent emporte ; il ne veut pas qu'après l'avoir entendUj l'on puisse dire : D'où viens-jePqu'ai-je entendu? il me semble que j'ai fait un rèvel C'est l'effet que produit cette volée de poètes croissant et se multipliant pour la plus belle glorification de la forme. Au son de leur lyre, les fibres se dé-

* Pour que, épris du beau le plus saint, Tu excites vers ce beau le cœur des autres.

» Je t'admire, mais hélas ! elles me manquent Ces voix puissantes ,

Qui peuvent dire quels naissent dans ràrae , De sublimes désirs.

2 L'Évangile qui ravit et embrase,

Semble le soupir d'un enfant ingénu

Que l'esprit d'amour de l'Evangile,

Soit la lumière de ta raison, de tes chants, etc.

[Ilpoeta,Tp. I 55.)

DE SILVIO PELLICO. 1B7

tendent ou se crispent, ou bien l'on demande des couronnes, des parfums , on chante et puis l'on s'endort. Est-ce donc le but de la poésie? Cette fille du ciel aurait-elle pour mission de nous bercer ici-bas dans des plaisirs d'une heure? IVa-t-ellc pas d'autres inspirations à souffler à l'homme ? Il n'y a de poète que celui qui aime , croit et espère , parce que l'âme et la charité ôtées, il n'y a plus de Dieu dans la poitrine.

De quoi se composent donc les deux volumes des Poésies iné- dues? L'un renferme sept ranliche , récits poétiques, petits poèmes dont les analogues n'existent pas en France et dont le nom ne peut pas même se traduire dans notre langue ; l'autre contient quarante or/es, dans lesquelles le poète a versé tout ce qu'il avait d'amour. Les Mémoires racontent sa vie de prisonnier, les dernières poésies quelques événemens de sa vie antérieure , ses impressions actuelles, et comprennent, ce me semble , deux ou trois pièces qui ont été composées dans la geôle du Spielberg.

Silvio Pellico avait eu l'intention de faire un roman dans lequel un vieux troubadour de Saiuce devait réciter de tems en tems des cantiche , probablement liées à l'action principale comme les admirables chœurs de Manzoni tiennent au fond de ses deux tragédies. Mais il abandonna son projet , en conservant toutefois le troubadour dont nous avons déjà entendu quelques touchantes histoires. Les cantiche dont nous parlons aujourd'hui sont encore du même genre et ont toutes un but moral , le progrès des ver- tus publiques et privées ; car » la poésie et la littérature , en gé- »néral, n'ont aucune valeur , dit quelque part Silvio Pellico, » si elles ne cherchent point à réveiller des sentimens de no- » blesse et d'amour, et à détourner les hommes des turpitudes » de l'incrédulité et de l'égoïsme.

A l'une de ces cantiche, Aroldo et Clara , se rattache une parti- cularité honorable pour Silvio Pellico et Alexandre Yolta ; el cette particularité même, en nous faisant mieux connaître la beauté de leur âme , nous donne une leçon véritablement chré- tienne. L'auteur composa cette canticaàans des jours de douleur et de colère , pour ployer son âme à la douceur et suivre le conseil de Volta qui , pour le détourner d'écrire des satires, lui avait dit un jour : « La poésie furieuse n'a jamais rendu per- ') sonne meilleur ; si vous vous sentez porté à verser votre colère

188 POESIES lA'ÉDITES

» sur le papier , tremblez de devenir mauvais. 11 faudrait alors )i chercher à vous calmer , en exerçant votre verve sur quelque » grand exemple de charité et d'indulgence. » Sans ces deux circonstances, peut-être n'aurions-nous pas la caniica de Clara et Aroldo , e'pisode touchant des factions italiennes du moyen-âge.

On vient d'apprendre à un baron Saluçois , vieux et aveugle, que son fils a été fait prisonnier par Tennemi de sa patrie , Man- fredo , le destructeur de Saluce , le tyran de la province , le bar- bare usurpateur de la couronne. Aïoldo prend de l'or pour ra- cheter son fils ; sa fille ne veut pas se séparer de son vieux père aveugle. Mais des bandes parcouraient le pays en tous sens ; les nobles voyageurs sont pris, dépouille's de leur tre'sor, et leurs fidèles serviteurs égorgés dans une lutte. Les brigands traînent avec eux pendant un jour entier le vieillard et la jeune fille , qui s'échappent cependant à la faveur de la nuit. Aroldo a résolu de continuer son voyage, dans l'espérance de gagner par ses pro- messes le sauvage Manfredo. Le vieux guerrier s'appuie sur le bras de sa fille; ils errent pendant la nuit; la lune les éclaire, et leur montre les villages déserts et les ruines des châteaux. A l'aube se montre le camp de l'usurpateur; ils s'avancent; Clara voit deux mâts se dresser dans la campagne ; elle frémit, car elle sait que les barbares soldats de Manfredo attachent leurs prisonniers à des arbres et les tuent à coups de flèches. La jeune fille s'est évanouie à la vue dos flèches qui volent , et le A'ieujfc baron aveugle , pour éviter des chevaux qu'il entendait courir devant lui, s'écarte et s'arrête , sans le savoir, au pied de l'arbre fatal. Il est entouré de soldats , il reconnait la voix de Manfredo et lui demande son fils. « Il n'est plus tems , lui » dit le farouche capitaine ; mais on va détacher le corps de ton » fils suspendu sur ta tête, et te le rendre; les corbeaux ne le » mangeront pas. » Le barbare soldat pique des deux et dis- paraît avec sa troupe.

Plus tard 3Tanfredo blessé, fugitif, vient frapper à une porte qu'il ne reconnaissait plus : c'était celle d'Aioldo. Clara recule d'horreur ; mais elle voit l'image de Jésus mourant sur la croix ; elle pense à son frère et se dit à elle-même :

DE SILVIO PELLICO. 189

Foi-sc qiicst' alto or chiedi. Ah, virUi somma E il perdoiiar ' I

Elle n'ose averlirsonpère, dontl'àme est encore toute brûlante. Cependant Manfredo a reconnu le toit du baron , il se trouble. « Il veut fuir! » s'e'crie un serviteur. « Qu'on selle mon cheval I » dit la jeune fille. Elle ouvre en même tems un vieux meuble , prend un des manteaux de son père , de l'or, et vient dire à l'assassin de son frère : •< Prends , seigneur I c'est ainsi » que se venge Aroldo : un cheval est à tes ordres ; si tu en as la «force, sauve-loi, et que le ciel t'accompagne I » 3Ianfredo pleure et disparaît.

A cette nouvelle le vieux guerrier entre en fureur; mais bien- tôt sa fille le calme, et le vieillard lui dit :

Oh mia Ggliuola ! Tibenedico; saatamente oprasti" 1

Tel est le canevas de la belle caniica de Clara et d'Aroldo, dans laquelle l'histoire et la poésie se donnent la main pour nous dire avec saint Paul : « Si voire ennemi a faim, donnez-lui à man- « ger; s'il a soif , donnez-lui à boire. ^'> Et tout cela est dit avec un talent de narration que n'avaient pas, à ce deyré, ce me semble, ni Foscnlo, ni 3Ionti ; avec une àme pleine de sensibilité et d'amour, qui connaît l'humanité autant qu'elle la respecte.

Le volume des cantiche se termine par un grand nom , celui de Dante, que les hommes qui n'ont pas le christianisme de Rome voudraient nous enlever , que la philosophie accapare et traîne sous ses enseignes , que les petits esprits regardent en tremblant; Dante , qui mourut dans l'exil en embrassant la croix ; le grand homme de Florence , qu'une timidité ignorante et de mesquines considérations viennent de faire interdire de la Toscane et chas- ser encore une fois de son ingrate patrie. Puissent les rapports qui m'ont été faits n'être pas exacts I A Florence , on doit savoir

' Peut-être demande-t-il mainlenaut celte action !

La vertu suprême, c'est de pardonner!... {Aroldo e Clara, p. 4i5 )

- O ma fille! je te bénis, tu as agi saintement ! {Id, p. 4 18.)

^ Sed si esucrit ininiicus luus, ciba illum\ si sitit, poiicm da ilti, Ep. ad Bom., c\i. xii,v. 20.

190 POESIES INEDITES

la langue d'Aligliieri , il est vrai ; mais ce qu'on ignore peut-être , c'est le moyen-âge, c'est la nature d'un génie de feu qui aime la vertu , sa foi et son pays au milieu des vices et des persécu- tions. Ehl voudriez-vous qu'un esprit d'homme, un coursier fou- gueux, traversât , connue un élie vulgaire et insensible , le cahos bouillonnant de son siècle ? On feint d'ignorer que la divine co- médie est la vigoureuse empreinte du moyen-âge , une statue moulée sur l'original et qui en porte en haut relief les vices et les vertus , la simplicité et les fureurs , l'allure indépendante et toute la foi. Genève et Londres ont senti cette conséquence en faisant l'apothéose du poète. Jeunes hommes , lisez la poésie de Dante avec la candeur qui vous caractérise ; partout vous trouverez dans les traces du génie et du penseur celles de l'ennemi de l'hérésie, et la foi du catholicisme. Quand vous verrez quelques monstruo- sités entées sur le vers dantesque, ne vous épouvantez pas: tournez les yeux vers la haute cathédrale gothique ; elle a sur ses parois extérieures des sphinx et des griffons , des animaux ima- ginaires aux formes salanlqnes et bizarrement contournées ; mais n'est-elle pas catholique, et le temple du Dieu vivant est-il phi- losophe? La croix domine les deux immortels monumens, celui qu'on nomme église , et celui qu'on appelle dii'inacomedia.

Aussi , Silvio Pellico , cette âme candide dont il faut prendre au sérieux tous les vers, le prisonnier poète, qui apprenait par cœur dans ses cachots les /erze//j du poète exilé qui les inventa, Pellico Ti a jamais compris ce qui, dans les œuvres de Dante, a pu engager les ennemis de la religion catholique à en faire un de leurs corvphées : non ho mai capito ; et il a chanté dans une de ses cantiche la mort catholique du poète de Florence. Dans l'im- possibilité d'entrer dans les détails de cette pièce empreinte de l'énergie de son héros ', voici seulement quelques vers qui doivent demeurer dans les Annales :

Ed assorto

We' pensieri santissimi ei giacea,

Munito già del Dio che aile fedeli

Aime è quaggiù ineffabile alimento.

' Un jeune homme, déjà connu de la plupart do nos lectenrs, s occupe d'un travail sur Dante. Nous pouvons sans indiscrétion leur dire qu'il sera igné de Deux chanceliers d'Angleterre.

DE SiLVIO PELLICO. lÔl

Et encore :

Esparve Il foco onde suffuse eran le gote, E i Canchi pii'i nol ressero, e la sacra Testa cercô dell' origlier l'appoggio, E la palpante man tieraula corse Al crocefisso, e lo porto aile labbra *.

Je quitte à regret le volume des cantiche; car il y a de belles figures : le vénérable abbé de Slaffarde, la douce Rafaella Hil- degardc, qui fut honorée des suffrages de Monti et de \orô. Byron; mais il me tarde de vous parler des odes que, pour mon compte , je préfère à tout le reste. Non pas que je veuille établir un pa- rallèle entre le commencement et la fin des Poésies inédites ; mais dans les odes, je suis plus près de Silvio ; je l'entends, je le vois, il me touche et me guérit.

Je con)mencerai par vous faire un reproche, Monsieur le di- recteur. En 1 833, un de vos rédacteurs disait 2 que les premières années du poète de Salluce s'écoulèrent paisibles et heureuses , et qu'elles furent stériles. Non, il n'en fut pas ainsi , vient nous dire Silvio Pellico; elles se passèrent dans les pleui's et la tris- tesse ; il fut malheureux, et cette souffrance qu'il nous révèle me fait plaisir, parce que la paix dont vous me parliez attaquait mes persuasions ; c'était une anomalie que je ne m'expliquais que par beaucoup d'ignorance , ce que je ne pouvais trouver dans les ou- vrages de Silvio; vous n'en serez pas fâché vous-même, j'en suis svir; nous savons tous que la paix et le bonheur n'habitent que dans la foi 5 que le doute est un élément de destruction qui

' Il restait absorbé Dans les plus saintes pensées. Déjà muni du Dieu qui

Des âmes fidèles est ici-bas l'inefiaMe aliment... Le feu répandu sur les joues disparut Et les flancs ne le rendirent plus ; la tête sacrée

Chercha l'appui de l'oreiller, la main tremblante s avança rapidement Vers le crucifix et le porta à ses lèvres.

{La morte di Dante , p. 448 , 453.)

* Voir l'article sur les mie priggioniy danS n" 4 t. vu, p. 375.

19-2 POESIES INEDITES

ronge incessamment ; c'est le vautour que la Providence pose sur la poitrine de l'homnie , quand il ne croit pas. Son enfance elle- même fut triste et maladive ; la mort mit la main sur la tète de Sihio pour l'enlever , et elle le laissa par mépris. Quand il put se tenir debout , faible toujours , il ne jouait pas avec les joyeux enfans de son âge ; il se retirait pour cacher ses larmes , et ceux qui le voyaient l'accusaient de folie : mi dicean pazzo. Il ne trou- vait de soulagement à ses douleurs que sous les voûtes de l'église de Saluce ou de Pignerol ,

, Ov io

Riposai le mie iuferme ossa crescenti I Là, nelle vespertine ombre, al cliiarore Délia lampada sauta, io colla madré Ed col fratel pregava la pietosa Degli Angioli Regina e degU afflitti, Ed in secreto a lei mi cordogliava De' malefici inûussi, onde a' miei nerbi Strazlo era dato, ed al mlo cor tristezza, Ed aita io chiedeale, ovver la tomba *.

Plus lard, il reçoit en viatique, au milieu de sa famille en pleurs , la sainte Eucharistie , le Dieu qui vient à nous pour nous consoler et nous accompagner, lorsque tous les secours de la terre sont inutiles , et que tout nous abandonne en présence de la mort :

E quai fu Io splendor d'un allro giorno ! Il giorno in oui di se nutrimmi Iddio? Ah ! non in tempio di gran pompa adorno Trarre aller mi fu dato al festin pio : Genitori e fratei piangeanmi intorno,

' je

Reposai mes membres infirmes.

Là, dans les ombres du soir, à la clarté

De la lampe sainte, avec ma mère

Et avec mon frère, je priais la compatissante

Reine des Anges et des affligés,

Et, en secret, je me plaignais à elle

Des malfaisantes influences qui à mes nerfs

Donnaient la souflVance et à mon cœur la tristesse,

Et je lui demandais du secours , ou la tombe. ( Le chicsCy p. 3o.)

DK SILVIO PKI.LICO. lOli

E vennc il Pan céleste al Ictto mio ! E l'accolsi agognando inclila sorte Dopo la sovrastante ora di morte .. '.

Silvio, déjà jeune hoinnie , arrive ù Lyon avec son cœur de jeune fille ; et c'est ici que commencent les grandes douleurs de sa vie : un prêtre apostat , un Tscariote de la révolution , séduisit cette belle àme, ébranla cette foi d'ange qui lui avait l'ail dire à Saluce avec tant de joie : lo son crisliano ! Non pas que l'enfant de Salace ait subitement rejeté' sa belle couronne, qu'il se soit attaché à la robe du moine renégat , vieux et impie non pas qu'il se soit donné à sa philosophie, corps et âme: mais il respirait l'atmosphère du dix-huitième siècle, en France, et il en souffrait. Quand il quitta sa mère , il avait la paix de la foi ; son siècle et le Judas de Lyon soufflèrent l'orage dans son esprit et dans son cœur.

Lunghe non far ira noi le avvicendato

Confidenze ed indagini, e m'invase

Giusto corruccio, et da celui mi sveisi :

Ma le illudenti sue dottrine, a guisa

Di succhiante invisibile vampiro,

Slavan su me, riedean cacciate, e furmi

A tutti i giovenili auni tormento -. Il n'était donc pas heureux. C'est dans la foi , dans la foi pro- digieuse du catholicisme, que l'âme boit la vie et trouve les éle- mens du bonheur. Par delà cette atmosphère divine, il n'y a

* Egale fut la splendeur d'un autre jour,

Le jour Dieu me nourrit de 1 ui-mcme !

Ah! il ne me fut ])as donné d'aller dans le temple

Resplendissant de ses pompes, prendre part au banquet sacré;

Les auteurs de mes jours , et mes frères m'environnaient en versant

Et le Pain céleste vint à mon lit ! [ des larmes

Je le reçus, aspirant avec ardeur au sort glorieux

Après f heure suprême de la mort... {Id. p. 56)

Les conlidences et les questions réciproques rs'e furent pas longues entre nous ; un juste courroux S'empara de moi, et je m'éloignai de lui ; Wais ses funestes doctrines, semblables A un vampire invisible qui succe notre sang ,

S'attachaient à moi ; elles se riaient de mes efforts pour les chasser, Et elles furent le tourment de toutes les années de ma jeunesse. {Id.)

Tome xvii. 99. 1838. 1.3

194 POÉSIES INEDITES

qu'une douloureuse spirale qui mène d'abîme en abîme jusqu'à la dernière de toutes les souffrances. DL-niandez à la jeunesse pro- testante et non calbolique de nos jours ; l'une et l'autx'e lèvent les mains vers la croix sous laquelle l'intelligence grandit et le cœur se dilate. Et ce n'est pas seulement rinleliigence et le cœur des bom- mes qui ont reçu toute l'é iucation du siècle : je connais des villa- geois sans lettres que la fidélité à la religion a élevés à une hau- teur vraiment extraordinaire. Il y a cbez eux une force d'âme qui étonne ; leur esprit voit loin , et leur cœur élevé à l'école du Christ sait mieux ce que c'est que la vie et ses sacrifices que les hauts personnages qui la prennent en dédain. Or c'est l'Evangile et la Foi cjui pi-oduisent ces merveilles. Otez-les du milieu d'eux, ils seront, comme leurs voisins qui se multiplient, présomptueux, égoïstes, intolérans , disposés à étendre leurs mains avides vers la propriété étrangère, ils seront cruels et dévorés par leurs passions auxquelles ils sacrifient franchement et sans remords ; ils seront Vhomme animal dans toute l'étendue de sa signification.

Non, Silvio n'était pas heureux , et il no pouvait pas l'être , parce que la foi nous est donnée autant pour l'aire la paix en nous que pour nous apprendre notre faiblesse et la grandeur de Dieu. La pensée , quand elle n'est pas ancrée dans le Ciel d'où elle comprend les choses d'ici-bas, la pensée, c'est la folle du logis qui Irouble la paix que Dieu avait faite en nous. La foi étant ce qui nous rapproche le plus de Dieu, noire centre à tous, elle est la condition essentielle du bonbeur, V/ogha de la philosophie indienne, lequel délivre l'âme des angoisses, de l'isolement et des travaux de la vie. David sentait profondément ce qu'il disait, en s'écriant : « Auprès de vous , Seigneur, est la fontaine de » vie , et c'est dans votre lumière que nous verrons la lumière*».

Je voudrais maintenant pouvoir vous citer toute l'admirable prière que Silvio adresse à Dieu :

Et anima mea illi Tirit. Ps. XXI.

D'uopo ho d'amarti, etd'uopo ho che tu m'ami, O tu che per aniar mi desti un cuore ! Son mal ferrai quaggiù tutti i legami. Tu sei solo immutabile, o Signore!... Amar vogl'io, di qiïeU' araor che avvanjpa

^ Âiuiil i'- fous \'ii(t\ et in luminr lu > vidclnmiK lumrit VyA\. xxwi, lo)

DE SILVIO PELLICO. 195

In te, e no' tuoi più nobili vienfi,

Di queir anior che ila' rei lacci scampa,

Di qucir amor che regge infra i tornienti,

Di queir amor clic alT universo è lampa

Nella chicsa infallil)il de' rodenti,

Di queir amor si pio, si ver, si forte ,

Cho abbella eviia, e gioie, csirazi, e morte ' !

Il ne faut donc pas ilire que les premières années de la vie Je Silvio furent stc'riles -^ la (rislesse et les dcchiremens de son âme sont une grande leçon que les individus donnent d'abord , et que les sociétés répètent ensuite : ce sont les signes précurseurs de l'a- vénement de Jésus-Christ.

Gardons-nous pourtant de croire qu'avant les douleurs de ses Prisons, il fut un de ces philosophes qui renversent la croix et se liguent pour déchirer l'humanité; on a confondu trop souvent le poète de Saluce avec ces larrons qui vaillent sur les avenues des capitales et de Rome surtout, pour fondre, comme un vautour, sur le chef de la religion et les couronnes terrestres. Silvio mau- dit et a maudi toujours ces carbonari dans les loges desquels on a souvent placé sa belle âme. Il a toujours aimé la Croix , la religion et ses cérémonies ; il a toujours vénéré les esprits religieux ; il revenait sans cesse s'agenouiller au pied de l'autel ; et il s'y rap- pelait son ancienne ferveur, la paix de son âme et les conseils maternels* et il [ileurait , et il priait:

Sempre la croce occultamente amai

Ed il maggior mio gaudio era allorquando

In una chiesa io stava

J'ai besoin de t'aimer et j'ai besoin que tu m'aimes, O toi qui pour aimer me donnas un cœur ! Tous les liens sont mal fermes ici-bas, Toi seul es immuable, ô Seigneur!

Je veux aimer de cet amour qui brûle

En toi, et dans les plus nobles créatures,

De cet amour qui délivre des liens coupables,

De cet amour qui soutient dans les tourmens.

De cet amour qui de l'univers est le flambeau,

D.ins l'Église infaillible des rachetés,

Cet amour, si saint, si vrai, si puissant.

Qui embellitel la vicetlainip.ptlasouffr.'ince et la nw\'\.{ADio. p. 7,9.)

196 POÉSIES I]\EDITHS

lo dentio al corportava TEvangelo,

îsè bestemmie contresso unqr.a avvcntai *. Lisez toute la pièce intitulée : La Croix -; entendez tout ce qui retentissait au fond du rœur de Silvio ; voyez-le rejetant les livres impies , fuyant les sociétés irréligieuses et allant chercher un asile sous les arches grandioses de la vieille basilique de Lyon ; vovez-le , les deux genoux en terre , sur la place publique , au moment les églises, rendues au culte, versaient pour la pre- mière fois dans les rues de la ville les flots des fidèles dans de longues processions :

Stava fra i mille

Cola prostrato un giovine infelicc,

Ch'empio non era stalo ^

Voyez-le monter l'escalier du dôme de Milan , incliner sa tête devant la Vierge, puis descendre dans la chapelle de Saint- Charles, et prier son ame bienheur-euse. Est-ce ainsi que l'on est impie? Les fumées du doute, l'orgueil delà jeunesse, les faits de l'époque , le bruit qui retentissait dans le monde et ces vapeurs infernales qui tuaient les esprits, atteignirent S, Pellico ; lui nuage monta devant ses yeux, comme devant ceux de la plupart de nos pères; il se sentait poussé, entraîné sur la pente glissè- rent et se perdirent tant d'hommes^ mais il ne tomba pas dans le gouffre, il cria sur le bord, et s'y attacha en appelant le Dieu de sa mère ; il souffrait du siècle, mais le siècle ne put l'asphyxier. Quand les serres impériales l'emportèrent sur un rocher de la Moravie, elles l'ôtèrent du milieu de l'atmosphère ténébreuse, bruyante et empestée; et, rendu à lui-même, malgré les dou- leurs il vit la lumière dans toute sa pureté, et la paix entra dans son cœur, et il vécut.

» Toujours j'aimai en secret la croix, Et ma plus grande joie était alors que Je me trouvais clans une église. . . . Je portais dans mon cœur l'Evangile,

Et jamais je ne proférai contre lui de l)laspIièmes,(Z;fl Croce, p. 3o.) 2 INous lavons déjà publiée en italien et en fran«;ais dans notre n" -p, tcm. XIII, p. 62.

'" Là, au milieu de la foule,

Se tenait prosterné un malheureux jeune liouimc

Qui n'avait ji-mais été impie. {Le proccssioin , p. di )

DE SILVIO PELLICO. 197

Dans les Poésies inédites , on voii surgir de tenis en temsun autre poète qui fut comme Silvio , et plus que lui, enveloppé dans les liens puissans de son siècle. Il avait l'àme fière comme son épèe. Foscolo, lui, ne fut | as ôlè du milieu de la puissance philosophique et anti-relij^ieuse , il demeura non-seulement sous l'influence dont il était victime, mais il se jeta tout meurtri entre les bras des prolestans anglais , dont les doctrines achevèrent de le tuer. Il y aurait ici de profondes réflexions à inscrire pour l'apologie des doctrines religieuses ; mais nous ne ferons qu'une seule question : Lequel est le plus courageux de Jacopo Ortis qui se suicide sous le toit de l'hospitalité, ou du prisonnier du Spielberg , qui triomphe des maux et vil dans les cachots en bé- nissant l'humanité ? Le héros n'est pas du côté de la philosophie ; l'un n'est plus, l'autre existe encore faisant le bien et le chan- tant sur la lyre divine, que Dieu lui a conservée par les douLurs, comme il le dit lui-même :

Facedi poesia! senza iinachiesa, ]No, non saresti in me rimasta accesa M

Foscolo, comme l'ami qui le pleure et prie pour lui , Foscolo,

tout philosophe qu'il était dans ses livres et ses discours publics , gardait au fond de son cœur une pensée secrète qui jaillissait par- fois dans les confidences de l'amiiié, et celte pensée était reli- gieuse Nous la recueillons ; les Annales doivent la mettre à côté de celle de J. J. Piousseau , répondant : « Tant pis » à ce père qui se vantait d'avoir imité Emile; à côté de celle de lord Byron , faisant élever sa fille dans la religion catholique; à côté de tous les aveux spontanés des philosophes qui nous disent ainsi que leurs persuasions sont factices et leur tranquillité mensongère. Un jour Sdvio se promenait au bois avec Borsieri ; Foscolo, qui en avait cherché la solitude pour faire une lecture, les aperçut et courut à eux en criant : « Yoici le livre des vériiés éiei- nelles I » _ C'était V Évangile! » Bùse-lel continua Foscolo, il contient les enseignemens d'un Dieu! - » Aussi admiiail-il franchement le bel ensemble de la religion, l'antique siège de saint Pierre, les saints qui ont brillé parmi les hommes, Manzoni,

' Flambeau de poésie ! sans une église, Non, ta ne serais point resté allumé en moi.

- Poésie inédite, p. i53.

198 POÉSIES INÉDITES

qui les regardait comme tles modèles, Manzoni dont il prenait la tendre piélé sous sa nrotcciion rentre les sarcasmes de l'impie. Une autre fois, Foscolo disait à Giovio, son vénérable ami : « Et inoi aussi j'ai goûté des jours heureux sur la terie , lorsque » mon âme encore brûlante d'amour voyait ce Dieu qui brille » à tes jeux. » Et il soupirait tristement , et il ajoutait avec une douleur profonde : « Je n'ose espérer d'atteindre jamais le rivage » de cet iaimense Océan ; niais ce qu'il y a de certain , c'est que » je n'ai plus de repos, depuis que le doute m'a fait violence. Je » désire avoir un jour la tranquille certitude dont tu jouis ; >' j'honore et j'aime le mystère de la croix. » Plusieurs fois S. Pellico le vit en secret gémir ; ses larmes coulaient au souve- nir de ses années chrétiennes : « Je suis frappé, s'écria-t-il , par » un Dieu terrible que je ne voudrais pas offenser cl que j'offense » cerlainemeni ! » Il reconnaissait dans la Bible des traces di- vines et avouait que dans ses heures de tristesse il n'y avait que ce grand livre qui pût consoler son cœur , et il le baisait. Un jeune homme venait-il, les lettres de Jacopo Orlis à la main , lui conter ses folles amours et lui demander le poignard de Werther: " tu es un lâche, lui disait-il, va, reprends courage sous le fardeau » de la douleur; tu dois vivre. » Foscolo avait le sentiment de l'immortalité : No, quest' aima forte , disait-il, Mai non potrà vil posto esser di morte! Il faut lire tout ce que Sdvio PelUco nous a laissé sur son malheureux ami ; ce sont, à mon sens , de pré- cieux documens^ car quoi de plus énergique pour nos petits philosophes que des paroh s, des larmes des faits émanant d'un de leurs mahris, d'un homme qu'ils prônent et portent aux cieux I Ils ne savent pas quM aimait la croix, l'Evangile, la bible, les saints, les éghses, la prière du soir, les vêpres de la Vierge, et qu'il y pleurait.

E r aniato mio Foscolo infelice, Sebben lui fede ancor non consolasse, Talor volea con iiinile ccrvice Mescersi alf aime per cordoglio lasse, Che la bel la de' cieli f mperadi ice Imploravan chc a lor grazia impetrasse; E quando al tempio a sera ei lui seguiva, Indi commosso e [)ensieiOso usciva. Oh quante volte iiisiein quella scalea Ascendemmo del duomo ÏDCsservati !

1

i

DE SfLVIO PELLTCO. 199

Quante volte inquogli archi ei mi trai-a, E susurravam detti pacati Sul benelicio d'ogni eccelsa idca, Sui vantag'i dcU' are ail' nom recati, Sulla GlosoCa maravigliosa Che délia Chiesa in ogui rito è ascosa ••

Les Annales ont donné quelque part la profession de foi du grand physicien Alexandre Volta ^. Je voudrais qu'd me fût possible de vous la transcrire ici telle que Silvio Pellico la re- cueillit des lèvres de cet homme illustre, qui ne craignait pas son siècle ni ses sarcasmes , qui s'huuàli.iil dans la foule et adorait la croix , sa seule espérance, qui lisait dans l'Evangile comme dans le grand livre de la création, et qui disait au jeune Silvio : « Ose » résister aux audaiieux qui dans l'orgueil de leur réputation » croient la religion chose vile! En vain se parent-ils des dehors » de la science , d'une scieuce qu'ils croient plus grande (pe les " lumières des autels ; et moi aussi, j'ai étudié; je les ai suivis » pas à pas dans leurs excursions....; » mais il faudrait copier tous les beaux terzelti que lui consacre S. Pellico ; il est tems de nous arrêter. Cependant pour qu'on ne nous accuse pas de n'a- voir donné que de la phdosophie en annonçant des poésies iné- dites, voici un acte de foi du prisonnier après avoir reçu la com-

* Et mon cher et infortuné Foscolo ,

Quoique la foi ne l'eût pas encore consolé,

Quelquefois voulait, avec un front humilié.

Se mêler aux âmes accablées par la douleur,

Qui imploraient la belle souveraine des cieux

Pour qu'elle intercédât en leur faveur;

Et quand au temple le soir il me suivait.

Il en sortait ému et pensif.

Oh ! que de fois ensemble ces marches

Du dôme nous montâtues inaperçus?

Que de fois il m entraîna sous ces voûtes,

Et là, nous murmurions calmes paroles

Sur le bienfait de toute idée élevée,

Sur les avantages de l'autel accordés à l'homme.

Sur la merveilleuse philosophie

Qui dans chaque rite de l'Église est cachée ! ( Le Chiese, p. 4i)

' Voir le n" 76, t. xiii, p. Soy.

200 POESIES INÉDITES DE Sir.VIO TELUCO.

inunion ; je ne vous le traduirai pas ; t'est quelque cliose de trop

simple et de trop beau tout à la fois.

Anio, G sevra il cor mio palpitô il core Del inio Diletlo, ed era ali ! la treruanle Liiigua osa diilo appena era il Signorel

Il Signer chedi gloria sfavillante Régna ne' cieli, e sua delizia è pure Il picciol uenie in questa valle errante !

Ed attonite il mirano le pure Intelligenze scendere ammantato A questo erede di colpe e sciagure,

Ed il povero verme lacerato Sanar colle sue mani, e a tutti i niondi Ridir sua gioia, se da taie è amato.

le le vidi pcr baratri prefondi JMovermi inconlro, c gridar dolcemente : « Perché cotante al mie desïe t'ascondi ? »

E più e più appressaMisi, c rideute Più e più del suo vise era il fulgere E n'arsi ed arcleronne eternamente.

Anm, e sevra il cor raie palpito il core Del mie Dilette, ed era ah si ! il proclamo Air universe in faccia era il Signore! le le vidi, il cenobbi, ei m'ama, io l'ame* !

Rossignol. ' J'aime, et sur mon cœnr a palpité le cœur De mon Bien-Aimé, et c'était ah 1 la langue Tremblante ose le dire à peine c était le Seigneur ! Le Seigneur resplendissant de gloire, Qui régne dans les cieiix, et cependant fait la félicité De ! homme chélif errant dans celte vallée de nusère ! Et renq'ilies d'éîonncmcut les pures Intelligences le centempient descendre voHé Vers cet héritier du péché et du malheur. Et vers ce pauvre vermisseau déchiré, Poui- le guérir de ses mains; et vers tous les mondes Pour rendre la joie, il se donne avec son ameiu". Je le vis dans les goullVes ])rofonds. Venir vers moi , en s'ecriant dune voix douce : « Pourquoi te cacher ainsi à mon désir? » Et plus il s'approchait, jtlns riante De son visage était la splendeur; J'en hri'dai et j'en brûlerai éternellement. J'aime, et sur mon cœur a jialpité le cœur De mon Bien-Aimé, et c était' ah! oui, je le proclanie A la face de l'univers c était le Seigneur! Je le vis, je le connus, il m'aima, je l'aime ! [Dioamore, p. lo. )

GLOSSAIRE LITURGIQUE. 201

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'2{vc\]cûiù^\c Cljrftifiinc *.

GLOSSAIRE LITURGIQUE

DES ÉGLISES GRECQUE ET LATINE.

Ctitatrihuf ^Hriicle'.

IDIOMÈLEvS (les), nom donné aux cantiques propres ou parti- culiers à une fêle, de totov et de 'J-r)-^^- On en allrihue chez les Grecs l'invention à un archevêque de Candie, nommé com- munément André de Crète ou le Jérosolymitain ^ parce qu'il se relira dans un couvent de Jérusalem, il a composé plusieurs ouvrages vers le 8*^ siècle ^.

INIîICTlO , indiction, terme de chronolofjie ecclésiastique, em- prunté par l'Eglise aux usages romains. \oir ce mot dans le Dic- tion, de Diplomalique que nous publions.

IASTRL3ÎENTA CHRISTI ou Fesiuin instrinnentorum Christi ; c'est ainsi qu'on désigne dans les anciennes liturgies la fête de l'in- vention ou conunéuioraticn des divers instrun^.ens de la passion, tels que la croix , la sainte couronne d'épines, les doux, etc.'

L'Eglise n'a conservé de ces solennités que celles de Vini>ention de la sainte croix et de la couronne d'épines parce cjue depuis long- teins elle ne regarde que ces deux objets conur.e aulhcnlique- ment reconnus; les autres sont laissés à la pieté des fidèles. Nous nous étonnons que l'historien de la Ste-Cliapelle, Morand, ait publié dans son ouvrage un inventaire de reliques qui ne peu-

' Vo'r le 3' article, gi, tome .\vi, p. ag

- Combcfis, edil. Andreœ crelcis. Allatius , in Dissertât. î^in lib- Liturg. grcec. dit: idionielon seu prosomion, est canticum vagum...

' ^ oir au sujet de ces fêtes et des choses pieuses qui en sont l'objet le Traite des fêtes mobiles, toni. i, p. 488.

202 GLOSSAIRE LITURGIQUE,

vent que prêter au ridicule, en donnant à croire aux esprits prévenus que l'Eglise reçoit comme de vraies reliques, certains objets que la crédulité a pu seule faire recueillii. Encore une fois l'Eglise ne reconnaît comme authentiques , que les reliqui s dont elle a consacré les fêtes, et nous ne voyons de ce nombre que la croix et la sainte couronne d'épines , tout le reste elle l'aban- donne aux idées des particuliers.

JEUDI I\ ALBIS , ou le Jeudi blanc, le grand Jeudi ou enfin le Jeudi saint, nommé ainsi à cause des pains blancs qui se distri- buaient aux pauvres , dans tous les couvens, les communautés , les chapitres de ihinoines , li s maisons é[>iscopales, et générale- ment partout le christianisme avait établi 'des maisons régu- lières. Nous ne saurions passer sous silence les aumônes abon- dantes et presque quotidiennes qui sortaient de ces asiles de la retraite pour soulager la misère des peuples. tout était ou- blié : le monde et ses joies fausses, les honneurs et l'ambition , tout , excepté la charité.

KALE\D.E ou DIES KALEXDARLM, le Jour des Calendes. C'est ainsi que les Romains nommaient le premier jour du mois. Ce mot vient du latin calarc ', parce que le jour des calendes le pontife publiait à haute voix le jour de la nouvelle lune et aussi des fêles qui devaient être observées dans le courant du mois*. On peut encore le tirer du mot grec /.otHoi appeler, lequel est venu probablement lui-même de l'hébreu SlH koul, voix , d'où l'arabe /iâ/a, parler,

La vulgate se sert quelquefois du mot calendes pour désigner le premier jour du mois judaique. Mais ce terme n'était pas usité chez les Hébreux. Ils appelaient le i*"' de leur mois ï?in liedxch , c'est-à-dire renout'ellement ; ce que les Grecs ont aussi appelé vouijLEvia , nouveau mois.

Les premiers chrétiens conservèrent la manière de compter

* Voir le Z>/c. latin de Robert Etienne , au mot Kalendœ.

* Macrobe, L. I. ch. i5 et i6.

LECTIONARIUM EPISTOLARUM. 203

des Romains ; seulement ils substituèrent les lettres nommées depuis (foininicaies au\ \cUves niindinalcs '^ . Nous avons déjà dit qu'à la chancellerie romaine, les bulles sont toujours datées par les Kalendes, au lieu que pour les brefs, on se sert de la sup- putation usitée dans le civil 2.

KALEXDARUM FESTUM. On donnait ce nom à 1'. spèce d'orgie qui fut si long-tems en vogue au moven-àge, plus connue sous le nom àefëte des fous ou faluorum '.

L.WATORILM, lavatoire. C'était une pierre longue de 7 à 8 pieds , creuse environ de 6 à 7 pouces de profondeur, avec un oreillir de pierre d'une même pièce que l'auge, et percée d'un trou du côlé des pieds. Elle servait à laver les corps morts dans quelques couvents et dans quelques cathédrales, à Cluny , à Lyon , à Rouen , aux Chartreux , à Giteaux , dans les diocèses de Rayonne et d'Avranches '*.

LECTÏOMARILM EPISTOLARUM 3, ou le Ihire des épitres qui se lit avant l'évangile, et même les leçons des prophètes , etc.

* On nommait chez les Romains iiundinœ les lieux se rassemblait le peuple pour les jours de marchés, et les jours de marchés étaient, comme on sait, indiqués par des tableaux dont les lettres ou signes se nommaient pour cette raison lillerœ nundinales . Les chrétiens ne pouvant tout changer à la fois et cherchant à utiliser des désignations établies , se les approprièrent enn y faisant souvent que quelques changemens conformes à leurs usages. Voir aussi \ Histoire du calendrier, par Court de Ge- belio, et Scaliger de emendatione temporum.

* Voir l'article Bulle, dans le N" 97, ci-dessus p. 3i. " Voir ce mot dans les Annales, lom. xvi p. 54-

■* On peut voir un lavalorium gravé dans les Voyages liturgiques du sieur de Moléon, p. 146, i vol. in-t»".

^ Comme monument calligraphique, l'on cite le leciionariutn qui existe à la bibliothèque de Cologne, dont l'écriture est du x" siècle. On le doit aux soins de 1 évéque Evcrgerius, qui vivait entre 9^5 et 997. Voir ce qu en dit Gercken ^ t. ni, p. 3 10, et Jansen. ii, 20. Les lettres du ma- nuscrit sont majuscules , vertes et rouges alternativement. Jansen , loc. cit.

204 GLOSSAIRE LITURGIQUE.

L'usage de celte lecture remonte aux tems apostoliques ; ces livres étaient spécialement deslinés aux diacres, sous-diaoros et lecteurs. Il y avait une sacristie tout exprès pour leur conserva- tion. Hic poterit residens sacris intendere libris, dit S t. -Paulin dans sa. lettre à Sévère. St. Ambroise,dans sa lettre 4'' fait mention d'un lectionnaire de l'évangile , qui était enfermé dans une chasse ornée d'or ^.

LETAIVI.^ ou LITAXI/E5 souvent confondues avec les ro- gations par beaucoup d'auteurs, parce qu'où clianle les litanies aux processions de celte fêle. Pour distinguer les lilanies du jour de Saint-Marc, qui tombe le aS avril , des lilanies des roga- tionSj on a nommé les premières lilaniœ majores ou litaniœ roma- 7iff, parce qu'elles ont été instituées à Rome par saint Grégoire le Grand ; les secondes lilaniœ gallicanœ , parce qu'elles ont été in- sliluées en France par saint Mamert, évèque de Vienne en Dau- pliiné, d'où elles ont passé dans les autres églises de France, avant d'être reçues dans les pays étrangers et surtout dans l'église de Rome.

LETTRES DOIIIMCALES. C'est la lettre écrite en encre rouge qui, sur les anciens abnanachs ou calendriers, indique le dimanche. Ces lettres doivent leur origine à celles dont se ser- vaient les Romains et qu'ils nommaient les nundinales ou des jours de marchés {locus mercali). C'S lettres romaines furent in- troduites dans le calendrier chrétien des les premieis siècles. C'est le classement et l'ordre de ces lettres qui forment la durée du

cvcle ."^olaire.

•/

Bede nomme la réunion et combinaison de ces lettres latercu- liiin septizonii... ^

LETTRES FORMÉES. Les auteurs ecclésiastiques sont fort par- tagés sur l'origine et l'auteur de ces kMtres. Quelques-uns ^ pré- tendent que le concile de Nicée a fait un décret par lequel il détermina la manière certaine et mii'orme de dresser les lettres

* LUurg. sacrée de Bocquillot, in-8", 209.

- Vid. Canones isago^icos Scaligeri, p. 18 r.

' Cujacius , Savaro , Priorius in LiUer. Canon , Labbe, Schotlus, elc.

LUCKKJNAUIUM. 205

de ce nom *. C'était une sorte de lettres myslérieuses en usage parmi les chrétiens pour se reconnaître au milieu des hére'tiques, et suitout pendant les tenis de persécution. Saint Basile eu parle comme d'un usage déjà ancien ^. Celles qu'on attribue à saint Aiticus , évèque de Constantinoplc en 4o4 , diffèrent de celles dont parle saint Basile. Quelques auteurs ecclésiastiques suspectent l'authenticité de ces pièces 5.

LIBELLI. Voir Tabidœ votwœ.

LICELLUM PEiXITliNTIyE. On trouve cette expression citée plusieurs fois dans la Vie des Papes et entr'aulres dans celles de Félix II, de S. Gélase etd'Iîormisdas,du catalogue du pape Libère. Ducange, qui la cite, ne l'explique pas. D'après quelques annota- teurs on voit que c'était un billet que donnaient ou recevaient ceux qui avaient apostasie dans la persécution et que l'on nom- mait lapsi la présentation de cet écrit était exiyée pour obte- nir leur réconciliation avec l'Eglise.

LIMÎNA MARTYRIS ou aiAUTYRUM , nom donne à quelques églises et surtout à celles qui étaient consacrées sous le vocable de quelques martyrs. Divers auteurs ecclésiastique donnent ce nom n des églises dédiées à saint Etienne ^.

Les portes (le l'église étaient quelquefois uommées llmina 7nrt/-/jr«?/i lorsqu'elles étaient ornées de reliques. Un capitulaire de Charlemagne fait mention de ce pieux usage : de otrio ccclesiœ cujus porta rcliqiiiis saiicloruin consecrata est^c\.c. •''. Ce seul exemple pourrait suffire à nous faire comprendre la vivacité et la gran- deur de la foi qui dislinjjue ces tems que nous qualifions si légè- rement de siècles de barbarie.

LLCERNARILM ou LLCERNALIS UORA, nommé chez les Grecs lÀXuyviov. C'était dans les anciennes liturgies le nom de la

* Quelques auteurs , tels que Sirmond et Godefroy , pensent qu'elles étaient appelées lettres formées, à sigilli forma qiia mwiitbantur, ainsi qu'on le trouve expliqué dans les manuscrits du Vatican... quœ formatant epistol. sigi/laiam interprelantur.

^ Epist. 177.

^ Voir à ce sujet Y Histoire des canons du concile de Nice'e, p. 286, t\.\ Histoire des conciles généraux, in-4'', 4 ou 6 vol., Amsterdam.

•* Thomassin [Traité des fêtes), p. 270.

^ Lib. IV, cap. 14.

206 GLOSSAIRE LITURGIQUE,

partie des vêpres du Jeudi saint qui contient la be'nëdiction du feu ou de la lumière qui, dans l'office actuel , se fait le Samedi saint. Le bréviaire mozarabique attribué à S. Isidore et rapporté par Garsias ', contient une description très détaillée de cette cé- rémonie et des prières qui s'y recitaient. Elherius et Beatus écri- vant contre Elipand , archevêque de Tolède , vers le VIII" siècle, en parlent au-si, ainsi que le concile de Mérida, en 666- Une hymne de Prudence, à ce sujet, commence ainsi : 0 res digna, Deus, quam tibiroscidœnoctis. etc. Anne Comnene 2 et Pachiniere ' en font mention tomme d'un usage pratiqué dans l'église grecque à leur époque, au xiv« siècle.

M

MAUTYRïARII , nom donné dans les anciens liturgistes aux gardiens ou préposés d'une église et spécialement du lieu re- posent les reliques des martyrs, comme cryptes, confessions^ ca- tacombes *.

MAUTYRlOiV ou MARTYR^ nom donné aux oratoires, aux chapelles élevées sur les tombeaux des martyrs, dans les premiers

siècles de l'Eglise , ainsi que le prouvent quelques passages de S. Jérôme. Ce nom est donné quelquefois au saint sépulcre et se confond avec celui di'anastasis. Valois a fait un traité fort savant sur cette matière, sur laquelle il donne des détails très mi- nutieux. Nous ne pouvons ici qu'indiquer l'auteur et l'ouvrage à la curiosité des lecteurs ^.

M\i!\TYRILM, autrement nommé co«/eww, nom donné par divers liturgistes à la partie de l'autel et surtout du maître-autel

' Jurisconsulto du xiii* siècle, dans son Commentarium in décrétai. Voir aussi Binghani, de Originibus ecclesiasticis, I. ii, iv et v, 5oi, qui cite un concile de Laodicée, il est question de l'office dit lucer- narium.

2 In Alexiadem, p. 342.

5 Lib. X, p. 25.

* Binghani, Origin. eccL, t. 8, p. q68, cite ce mot et en donne la dé-, finition.

' Voir aussi XHiero-Lexicon de Macri , cl Eusèbc , Histor. eccles. p. 3o5.

MATHEMA. 207

d'une église reposaient les reliques des martyrs. Un des plus beaux nionumens de ce genre est la confessio de S. Jean de Latran^ et celle de S. Pierre de Rome, que tout le monde con- naît; ce célèbre monument est gravé dans une foule d'ouvra- ges. On trouve dans les anciens rituels, et surtout dans le céré- monial romain et dans Eusèbe , des détails très curieux sur les cérémonies pratiquées j)Our la déposition des reliques des martyrs sous les autels, et leur enchâssement dans les autels (Voir Tahulœ itinerariœ) . Dans quelques églises, le martrrium est placé dans les constructions souterraines, et c'est ce qu'on nomme alors cryptes. Celles de S. Médard de Soissons, en France, étaient cé- lèbres. Les églises d'Angleterre en offrent aussi de très belles pu- bliées dans diverses collections. On peut avoir une idée exacte de ces sortes de constiuctions par celle de l'église de 3Iodène . pu- bliée par d'Agiucourt 2, celle de l'église cathédrale de Milan 5, celle de l'église d'Andlau (Bas-Rhin)*, celle de S. Iréuée, dans l'église S. Jtan de Lyon ^.

MAUSACDE , nom barbare de la fête V A nnonciation dans quel- ques anciens auteurs français, parce qu'elle tombe au mois de mars.

MATflEMA , nom donné au symbole dans les anciens historiens de l'église grecque (d'un mot qui signifie lectio) et que les caté- chumènes devaient réciter par cœur. Leontius deByzance cite cette expression comme existant dans les canons d'un concile de Chal- cédoine (art. YI). Quelques auteurs pensent que ce mot peut s'entendre de quelques leçons des écritures; Sed de lectione symboli inlelligamus , dit Bingham. Yalois le prouve par deux leçons manuscrites®.

* D'Agincourt, sect. Sculpture, pi. xxsvi.

* PI. 70, n^ 40 de son Hist. de l'art au moyen-âge, section Archi- tecture.

' Ib., pi. 4i> 10.

* Antiquités de l'Alsace, pi. 8. ^ Antiquités de Lyon, etc.

* Voir aussi ! historien Socrale, lib. in, cap. 26, ainsi qu'Ufseriiis in Symbolis, p. 20, et une loi du code Justinien ^tit. de Summa Triait, et

fide cath.), et une lettre de cet empereur au patriarche Epiphanes.

208 GLOSSAIRE LITURGIQUE.

M.VTRICULA , nom d'un livre clans lequel on inscrivait les noms des clercs, des lecteurs, des chanoines, des ecclésiastiques des divers degrés^; on le nommait aussi album suivant Sidoine Apollinaire 2. S. Augustin ^ le nomme tahulam clericnnnn ; on en rayait ceux qui se rendaient indignes de leur ministère, car le même saint dit : deleho euni île tabula clericorum.

MEDIANE (la), ou le dimanche de la médiane, était chez les Grecs le 5" du carcnie et même la semaine de ce dimanche ^ il cor- lesoondait, à ce qu'on croit, à ce que nous appelons maintenant la Mi-Caréme. Dès le V* siècle, le samedi de cette semaine était consacré aux ordinations dans l'église romaine, comme il paraît par une lettre du pape Gélase T', et cet usage subsistait encore au IX" siècle, puisque Suger, dans la P^ic de Louis-le-Gros, dit qu'il fut fait prêtre le samedi de la médiane *.

MEMORI.-E. On désigne souvent par ce nom, dans les pre- miers siècles de l'Eglise , des oratoires élevés eu l'honneur de cjuelques martyrs ^.

MENÉES (les). L'on nomme ainsi chez les Grecs ce que l'on nomme cl;ez les Latins, les bréviaires, les sacramenlaires, les anti' ■phonies. On reproche aux auteurs des Menées à.\so\r recueilli les abréf'és de la vie des saints d'après des sources peu exactes. Les actes originaux y sont corrompus et l'on ne peut se fiera eux lors- qu'il n'existe pas ailleurs de pièces authentiques qui confirment leurs récits ; on distingue les grands et les pedls menées. Les grands ont été imprimés à Venise en iSsS et i639, 6 vol. in-fol., sous le titre de yiridarium sanclorumex menœis. Le cardinal Sirlet a laissé en manuscrit un Ménologe grec, extrait des Menées. Ce travail a fait faire des méprises à Baronius, qui s'est trop fié à la compilation

' Concil. Agathens., cap. ii, p. i583. Mescriptiin matriculâ graduum suorum dignitatem suscipiant.

- Lib. VI, epist. 8.

^ Homel. 5o de Divers., tom. x, p. 025.

* Mabillon, Comment, in ord. Roman, et musceum Italie., prœf. u" a, Ducange, Glossar., verb. Mediana.

' S. Augustin, de civit. Dei, liv. 22, cnp. 8, et le Traite des fêtes , p. 290, en font mention en parlant du culte rendu à S. Etienne premier martvr.

MKNSIS PURGAÏORIUS. 'IW

de son collègue '. Jean de Damas, qui vivait au Vlll" sièi-lu', passe pour le premier qui ait éciit des abrégés de la vie des saints chez les Grecs '^. On a lieu de douter même si du tems de Simon le Métaphraste, qui mourut dans le X'" siècle, les Rlénologes qui sont plus anciens existaient primitivement dans la forme nous les voyons.

MENOLOGILM. Nous avons dit déjà quelques mots à ce sujet au tome XI, p. 52 , mais nous n'en parlions alors que comme mo- nument de la calligraphie grecque. Comme livre de liturgie, l'on en attribue l'origine à l'empereur Basile , que les uns nomment Basile I" le Macédonien , mort en 886 , auteur de quelques ou- vrables politiques. D'autres , et avec plus de raison , disent que c'est Basile le Jeune, dit le Porphyrogénète, mort en loao. Les BoUandistes disent que ce recueil est fait d'après de mauvaises sources : Néron y est désigné sous le nom de Saint César, ce qui peut faire juger du reste. Les actes originaux y sont de'naturcs ^. Dire qu'elle fut composée après le schisme de l'église grecque, c'est donner la valeur de cette liturgie.

MENSIS EXIEXS , STAIVS , RESTAIS , les quinze derniers jours du mois. On comptait ceux-ci en rétrogradant ; ainsi on di- sait : Âclum terlia die exeunte, ostante, stante, restante mense sep- tembris, ou bien , actiim icrtia die exitûs mensis seplembris, pour marquer le 27 septembre, en commençant à compter par la fin de ce mois et en rétrogradant, un le 3o, deux le 29, trois le 27, quatre le 26, etc. On voit grand nombre d'exemples de cette manière de compter dans le Glossaire de Ducange, et elle doit être remar- quée pour ne pas s'y tromper 4.

MExXSIS PURGATORIUS, nom du mois de février dans quel- ques liturgies , à cause de la fêle dite de la purification de la S'*. Vierge, célébrée le 2 de ce mois. Quelques auteurs expliquent cette désignation en disant que ce mois se nommait ainsi parce

* Papebroch et Henschenius sur les Annales de Baro?iiiis. Jannin" in Fit. sanct., tom. i, Meus, jun., p. 385.

® Allatius de libror. eccles. grœcor. dissert, i, p. 84-

^'lillemont, Mémoires eccles. 1, p. 6o3, m , p. 3g5. L'abbé Uf^bclli ,

Italia sacra, traduction latine de Pierre Arcadius ; Génébrard , sur la

Vie des saints.

* Extrait de l'art de vérifier les dates.

Tome xvii. N^QO. 1838. H

210 GLOSSAIRE LITURGIQUE.

que les Romains avaient coutume, à cette époque, d'offrir pour les morts des sacrifices d'expiation qu'ils appelaient yèèrua d'un vieux mot sabin qui veut dire purgamentum ; et les chrétiens , tout en conservant les désignations consacrées, trouvèrent moyen, en instituant cette fête à cette époque , de sanctifier une dénomina- tion dont l'origine était toute païenne *.

MENSIS lATRA^îS ou inlruîens. On désigne ainsi, dans d'an- ciens calendriers, les 16 premiers jours des mois qui ontSi jours, et les i5 premiers des mois qui ont 3o jours. Les jours se comp- taient par un, deux, trois, en y ajoutant le mot intrans..,.; ainsi, par exemple, die XIV maio inirante pour le i4 de mai.

MKSO-NESTIME , mot composé de fxéaoi; médius, et de Nr,ffT£ta jejunium. Le calendrier des fêtes chrétiennes, dressé par les au- teurs de VAn de vérifier les dates, l'indique ainsi et dit qu'il est employé dans les liturgies grecques pour signifier le jeudi de la Mi-Careme. On trouve ce mot cité dans une constitution de l'empereur Manuel-Comnène , au XIP siècle , qui ordonne de célébrer la Meso-Nestime sur le même pied que la Pentecôte et l'Ascension. Cette constitution est rapportée par Balsamon (Théo- dore), garde des chartes de l'église de Constaatinople, dans le Nonio-canon de Photius 2.

3IE>0-PE\TEC0STES ou la Mj'-Pentecoste chez les Grecs. On pense que ce fut vers le X" siècle, au concile d'Ligelheim tenu en 948, que la fête de la Pentecôte a été réduite à moitié pour les jours d'office La fête du mercredi , long-lenis chômée, fut re- trancbée en i5'24 par Etienne Poncher, archevêque de Sens. Le cardinal Gallon essaya, sous Philippe-Auguste, de retrancher celle du mardi , mais elle fut rétablie malgré l'ordonnance du parlement et chômée de nouveau en 1675.

METATOIlILItf. Les écrivains ecclésiastiques ne sont pas d'accord sur la véritable signification de ce mot. Théodore Anagnosies , ou le Lecteur, qui vivait au YP siècle 3, a beau- coup écrit à ce sujet , mais ne dit rien de satisfaisant. Jac-

Traite' des fêtes de Thoniassin, p. agj.

* Pag 81, édit. d'Oxford, in-fol. 16-7. Theophilact. archiepis. Bulgar. Lilurg. prœsanct., verbo MEiONUSTiMOi:

» On a de cet écrivain, oublié par Fleury, deux livres d'histoire ecclé-

MISSA OU MISSIO. 211

ques Goar , dans ses annotations sur VEuchologe , croit que c'esl un lieu venaient se reposer non loin de l'autel et se rafraîchir les chantres , qui à cette époque étaient une dignité. Ducange pense que c'était un lieu de repos , une espèce de station ou auberge l'on recevait les pèlerins , mais sur la voie publique. Grégoire de Tours veut que l'on entende par un lieu les clercs pouvaient se livrer à quelques exercices de récréation *. Anastase le bibliothécaire dit que c'était un lieu de repos les papes venaient se délasser après les offices (pro quiète); il pense même que ce pouvait être comme un ora- toire particulier. Grégoire IV fit faire quelques peintures dans celui qui lui servait près de sa chapelle. Enfin Bingham pense que c'était une espèce de vestiaire destiné aux diacres 2.

MISSA ou MISSIO : c'est la liturgie par excellt née. Tous nos lecteurs savent ce que c'est que la messe, mais quelques-uns igno- rent peut-être les sentimens des divers auteurs sur l'étymologie de ce mot , et combien de noms cette auguste institution a portés dans les premiers siècles. L'Eglise, avant de se fixer, en a donné plusieurs soit pour bien expliquer tout ce que renferme ce mys- tère , soit pour en cacher le vrai nom aux persécuteurs. On l'a nommée liturgie , sjnaxe ou la collecte , les solennels , le service , Voblation , les mystères , la supplication, etc. ^, et enfiti juissa; les auteurs sacrés sont loin d'être d'accord sur sa véritable significa- tion. Fit missa CQ,techumenis manebunt Jiàeles , dit S. Augustin*, ainsi qu'Isidore de Séville, vers le V IIP siècle... Floius de l>yon, Rémi d'Auxerre , au IX'' siècle , sont de ce sentiment. Cassien, qui écrivait vers le V*" siècle , dit que le mot missa fut donné aussi bien aux offices du jour que de la nuit , mais que vers l'an 5oo l'on se servit de missarum solemnia pour exprimer le saint sa- crifice. S. Césaire d'Arles dit: tune fiunl missœ... quando corpus et s an guis Domini ojferuntur^; quelques autres cités par Baronius,

siastique intitulés Collectanea historiée eccles. On en garde le manuscrit à Venise, à la bibliothèque S. Marc, suivant Possevin et Moreri.

* Lib. V, hist. cap. y.

* Origin. ecclesiast. ni, 266 et suiv.

* Casalius les cite tous p. 79 ^e Ritibus christianorum.

* Sermon 49. ■' Sermon 8 1 .

212 GLOSSAIRE LITURGIQUE,

(anno 34,) veulent que missa vienue de transmissa , parce que le peuple met le piètre en sa place pour présenter ses prières à Dieu, ou de ce que le prêtre présente, offre et envoie pour ainsi dire à Dieu les prières du peuple, orationem populi sacerdos transmu- tât ad Deum... Bona, d'après Etienne d'Autun, et quelques savans hébraïsans tels que Munster, Reuschlin et Génébrard, voulurent trouver l'origine du nom de la messe dans celui de missach, qui, dans le Deutéronome, veut dire ablation volontaire , et cherchè- rent à établir que c'était le motif qui avait déterminé les premiers chrétiens à choisir ce mot ; mais il ne se trouve dans aucun des écrits qui soient sûrement des trois premiers siècles. L'explication donnée par S. Augustin et S. Isidore a prévalu depuis long-tems, et il serait difficile, dit le père Lebrun *, de trouver un mot qui marquât plus sagement ce que l'Eglise voulait faire entendre en l'adoptant , à savoir qu'elle ne pouvait admettre au saint sacri- fice , au moment de la consécration, que ceux qui avaient con- servé ou du moins étaient censés avoir conservé la grâce de leur baptême. Les catéchumènes qui ne l'avaient pas encore reçu et les pécheurs publics ou reconnus par l'Église devaient donc être renvoyés; aussi le diacre criait-il alors sancta sanctis, et la missio ou renvoi avait alors lieu -.

Ce n'est que depuis environ l'an 1200 que l'on a commencé à distinguer les messes en solennelles ou grand'-messes et en messes basses ou privées, suivant qu'on les célébrait dans une grande église ou dans un oratoire. Cependant un concile de Yaison tenu en op.g ordonne que le sanctns sera chanté aux messes des morts aussi bien qu'aux messes publiques ^.

3I\ST.VGOG!E , ou actcun secrète , ou encore introduction au sacré mystère. On donnait ce nom aux cinq livres des Catéchèses

* Explication littérale, historique et dogmatique des prières et des cé- rémonies de la messe, suivant les anciens auteurs et les monumens sa- crés, etc. 1 vol. in-8°, Paris, 1786. Voir aussi Gavantus, Bona et autres.

* Voir aussi sur les noms donnés au saint sacrifice les Annales t. xiv, p. i85, note 5.

^ Claude d'Espence, de missa puhlica et privata; Lotichius, de missa publica proroganda (i556). Ce savant fut quelque tems séduit par les erreurs de Luther, mais il l'abandonna aussitôt qu'il fui mieux instruit des intentions de ce novateur.

XATATORIA. 213

de S. Cyrille de Jérusalem , dans lesquels il traite de la grandeur du sacrifice de la messe. On le trouve aussi employé par S. Jean Damascène sous le nom d'orotio pro dejunctis.

N

NARTIIEX, nom du vestibule des anciennes basiliques que l'on trouve ainsi désigné dans quelques auteurs. Eusèbe le cite dans sa description de l'e'glise bâtie par S. Paulin *.

IVATAL (le) des saints, ou \e jour de la mort des saints, et prin- cipalement des martyrs, regardé par l'Église conpme le véritable jour de la naissance des bienheureux. Pro natalis annuâ faci- mus, dit Terlullien-. S. Paulin de Noie, dans son i3« poème des Natales de S. Félix, publiées à Milan en 1701, dit :

Et merilo sanctis iste natalis dies...."

Benedictus iste sit natalis et niihi ,

Quo mihi patronus natus in cœlestibus.

S. Eucher de Lyon et S. Césaire d'Arles, disent aussi ( home- lie 5o): Beatorum martyrum pnssiones natales vocamus dies... ^

NATALICE (le). On trouve dans un concile de Laodicée tenu sous l'empereur Constance, un canon qui défend de célébrer les natalices ou jours de la naissance , au tems du carême. Ce fut à l'occasion de son natalice que S. Augustin composa son livre de la Vie heureuse. On trouve dans l'ancien sacranientaire romain attribué au pape Gélase, une messe pour la célébration du nata- lice *. Les anciens calendriers font aussi mention du natalice de Ste Agnès. Le sacranientaire de S. Grégoire, publié par Ménard, marque le jour de cette fête ; mais l'Eglise l'a remplacée par celle de son martyre, qui du reste est regardée, comme nous l'avons dit y comme le jour de la véritable naissance d'un saint ^.

NATATORIA , nom donné par divers lilurgisies aux espèces

* Lib. X, cap. i4, in vit. Constantin., lib. m, cap. 55.

* De Coron, martyr.

^ Voir sur cette matière Front, natii: fest.-Marshain.-Censorin ,

cap. !ii. -- M. de Roa de die natal. ^ liv. i, cap. i3.

" Thomassin, Traite des fêles, et le Codex sacramentor. t. i, p. 225, ^ Voir, outre les ouvrages cites, le discours sur la vie des saints par

Baillet, in-8°.

214 GLOSSAIRE LITURGIQUE,

de bassins ou piscines plftcés près des anciennes églises, et qui ser- vaient aux usages des fidèlfs ou des ecclésiastiques '. Procope et Théophanes, tous deux historiens ecclésiastiques, en parlent dans la Vie de Tijéodore le Jeune, mais sans préciser l'usage de ces bassins. Suidas veut que ce soit la table même de coranmnion ou V autel, mais il est évident que ce critique a été dans l'erreur. Binpjliam, dans ses Origines ecclesiasticœ , est entré dans des dé- tails très curieux , mais sans décider la question. Enfin quelques auteurs, tels que Zenon dans ses Miscellanea, veulent que le na- tatorium ou nalatoria soit les fonds de baptême : In natalorio sancti martrris Barlace.

NOTITI.'Ë iXCLESI^. On nomme ainsi des états, des catalo- gues sur lesquels étaient inscrits les grandes dignités de l'église, les patriarcliais, les évècliés, archevêchés, etc. Le premier ou- vrage de ce genre que l'on connaisse est de Leonclavius, connu sous le nom de Léon dit te Sage, qui écrivait au XVP siècle ^ sa notice se trouve d >ns son traité de Jure Grceco-Romano -. L'on cite après, celui de Charles de S. Paul dans sa Géographie sacrée, niais il n'est fait que pour les six premiers siècles. Jacques Gonr a ajouté des supplémens d'après les propres paroles de Charles de S. Paul. Ce travail a été publié par Codin dans son traité De officiis Conslantinopol. 5, qui fait partie des auteurs de la By- zantine. Enfin Schelestrate a publié de nouveau ce travail avec des notes et des augmentations dans sa Dissertation sur le concile cC A ntioche *.

NULLATEXSES. On désigne sous ce nom , dans les écrivains ecclésiastiques, les prélats qui n'ont pas de siège ils exercent , quel qu'en soit le motif, ce qui est très lare , remarque Bingham, dans la primitive église ^. C'est sans doute ce que l'on nomme dans l'église actuelle \es ê\è.(\WQsinpartibus. Guenebadlt.

* Sidonius ApoUinaris, lib. 2, epist. 2. «Tom. iT, 88.

^P. 337(1648).

* Tom. IV, cap. i5, p. 435. Bingham a donné ces dilTérentes no- tices ecclésiasliqncs tom. m de ses Origines ecclesiasticœ , p. 566 à 689.

^ Origin. eccl. n, 170.

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DESCRIPTION DE LA CATHEDRALE DE SEVILLE. 215

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ticvne iJe liur^s nouu^ausr.

DESCRIPTION DE LA CATHÉDRALE DE SÉVILLE.

Séville. . La cathédrale. Description de l'intérieur et de la nef. Le sentiment religieux seul peut accomplir de telles entreprises. Le culte religieux. Hiérarchie ecclésiastique conservée dans le cha- pitre de Sésille. L'archevêque, les chanoines. Frais du culte.

Rapport de ce temple avec celui des Juifs. Chapelles latérales.

Chapelle des rois. Tombeau de Christophe Colomb. Bi- bliothèque de livres de plain-chant. Magnificence des miniatures. ' Impossibilité de tout décrire. Magnificence des couvcns. Mo- nastère de S. -Paul. —^ D'où est venue à l'homrae l'idée de la vie mo- nastique. — But et signification d'une institution si contraire aux lois communes.

Au moment Li malheureuse Espagne , déchirée par les dis- cordes civiles, voit disparaître chaque jour, mutilés sous le mar- teau de ses démolisseurs, ou enlevés par l'or de l'étranger, ou , ce qui est plus pénible , mis à l'encan par un gouvernement sans religion et sans argent, la plupart des chefs-d'œuvre qu'avait enfantés en si grand nombre la foi de ses pères , il n'est pas sans intérêt et sans utilité de connaître quelques-uns de ces chefs- d'œuvre, et surtout de voir comment les cérémonies du culte sont pratiquées , et comment les populations y participent. C'est pourquoi nous espérons que nos lecteurs liront avec plaisir les deux extraies suivans d'un voyage * que vient de faire paraître M. le marquis de Custine.

« La cathédrale de Séville est dans le style des derniers édi-

L'Espagne sous Ferdinand VII, 4 vol. in-S". A Paris, chez 1 -s n..ir- chands de nouveautés; prix 20 fr.

216 DESCRIPTION

fices gothiques. L'extérieur de l'église n'a rien d'extraordinaire , si ce n'est vu de loin, du milieu de la promenade plantée sur le bord du Guadalquivir; les innombrables pyramides qui domi- nent les toits et terminent les pignons de cette cathédrale, res- semblent à une forêt de pins plantée sur une chaîne de collines aux cimes aiguës. Ce n'est peut-être pas très beau comme art : c'est étonnant, c'est imposant. Mais l'intérieur de ce monument, qu'on peut appeler moderne , puisqu'il n'a été terminé qu'au quinzième siècle, me paraît un prodige. L'édifice entier est au chapitre de Séville, espèce d'état-major ecclésiastique aussi riche que puissant.

» A la fin du moyen-âge , ces chanoines souvei'ains voulurent créer un monument sans pareil, sans modèle ; ils réussirent, et, de plus , ils ont fait un chef-d'œuvre. On travailla pendant plu- sieurs règnes ; au bout de quatre-vingt-dix ans l'Espagne et le monde eurent un édifice aussi étonnant que Saint-Pierre de Rome, plus pur de style que le dôme de Milan, plus complet que la cathédrale de Cologne.

» L'intérieur de cette église est composé de cinq nefs du plus beau gothique. Celle du milieu est d'une épouvantable élévation. On est sous une montagne creuse. Tout ce qui décore , on peut même dire ce qui obstrue ce temple, produit sur ITuTie une im- pression irrésistible de respect et de recueillement. Après tant d'années de voyages, tant d'habitude de la surprise , je ne me se- rais pas cru susceptible d'une émotion aussi vive que celle que j'ai éprouvée en entrant sous cette voûte vraiment chrétienne, quoique assez moderne. Figurez-vous une vallée renversée , et dont la profondeur forme une nef soutenue par les troncs des vieux arbres qui seraient restés debout pendant ce bouleverse- ment des lois de la nature. tout est grand, sévère, étonnant, sublime, comme le Dieu qu'on adore.

» C'est surtout dans ce sanctuaire qu'on reconnaît combien la créature profite de ce qu'elle doit au Créateur : Dieu n'a nul be- soin des chefs-d'œuvre de )ios arts. Mais l'homme a besoin de la foi pour faire des prodiges, ses efforts manifestent la ferveur de son amour pour son maître ; en produisant ce que le monde ap- pellera une merveille, il rend à Dieu une partie de ce qu'il lui doit ; il tire lui abîme de pierres des entrailles de la terre ; il dé-

DE LA CATHÉDRALE DE SÉVILLE. 217

pense sa vie, son génie, ses richesses, mais rien ne lui coûte ; ce n'est pas pour lui qu'il travaille ! ! Qu'importe le tems qu'on met à semer quand c'est dans l'éternilé qu'on moissonnera?

» Sans cette idée vivifiante du souverain Seigneur qui dispense la vie aux âmes , selon la mesure de leurs désirs et de leurs œuvres, l'homme , fier de se reposer sur lui-même, ne s'élèverait jamais au-dessus du rang du plus ingénieux des animaux. L'ar- chitecte qui ne bâtit pas pour le ciel n'est guère supérieur au castor, à la fourmi ; et je connais tel nid d'oiseau qui le dispute en corn fort à nos cases les mieux ornées.

» L'homme n'a pas toujours eu besoin d'être chrétien pour de- venir sublime, mais dès qu'il s'est élevé au-dessus de l'abeille, il a toujours été religieux.

» Les païens avaient pour la nature plus de vénération que notre mesqume philosophie , perdue dans le doute elle se complaît, ne nous permet d'exprimer de respect envers le roi de cette nature. Hâtons-nous de souffler sur les misérables essais du scepticisme dont notre tems est encore trop fier; chassons, chassons devant nous les œuvres de la destruction; éloignons l'es- piit qui lue, appelons l'esprit qui vivifie 1 1 1 Nous som"mes à la fin des démolitions, il ne nous reste plus qu'à expulser les démolis- seurs pour faire place à l'architecte qui viendra bâtir un nouveau temple en l'honneur de l'antique Dieu de nos pères : car ce Dieu ne change pas comme les murs de l'église, comme les décorations de l'autel.

» J'ai cru sentir que l'esprit divin habite la cathédrale de Sé- ville. Nulle part, pas même à Rome, le culte catholique ne m'a paru aussi majestueux que dans ce sanctuaire vraiment chrétien. J'y suis entré pour la première fois un dimanche. Un régiment tout entier assistait à la messe, et ce grand nombre d'hommes se perdait comme un cortège de fourmis sous les voûtes surnatu- relles. Une partie de la population de Séville disparaissait égale- ment dans ce gigantesque monument de la piété chrétienne... Là, rien n'est proportionné aux habitudes , aux besoins de la terre ; la seule pensée du ciel explique une création si extraordinaire ; l'idée de l'immensité vient de Dieu ; l'art humain à lui seul ne s'élèverait pas jusque là.

» Le prêtre qui ofticiait, assisté des diacres et des sous-diacres,

218 DESCRIPTION

était devant le maîlre-autel, comme pose' sur le haut d'une mon- tagne, et quand il s'agenouillait, il se perdait presque entière- ment dans robscurité sublime du tabernacle. Cette partie de l'église est reculée et fort élevée ; on n'y parvient qu'en montant un grand nombre de degrés. L'imagination espagnole a rendu le culte catholique aussi pittoresque qu'il était saint. Les prières de ce vieillard presque invisible, et les voix de ses jeunes acolytes, me paraissaient tomber du ciel sur la tète des fidèles, séparés du sanctuaire par un perron énorme, par un jubé et par une forte et haute grille de fer doré d'un travail massif, mais très beau.

» Dans les principales églises d'Espagne , j'ai toujours trouvé que le chœur n'était pas confondu, comme chez nous, avec la nef; le prêtre officiant reste sur un pallier soutenu par de nom- breuses marches ; cette espèce de montagne sainte , bâtie sous des voûtes, produit un effet pittoresque (|ui rappelle les pompes de la nature, et ce souvenir du monde extérieur ajoute à la so- lennité des cérémonies du culte le plus intérieur, le plus mys- tique, le plus spirituel, le plus surnaturel : du cuite catholique , culte qui ne vit que de symboles. Il me semble que dans la ca- thédrale de Séville l'office divin produit sur l'âme une impres- sion analogue à celle des vers d'Aihalie , pourvu qu'ils soient lus et ne soient pas joués. . . Si les traditions du rite catholique, étaient oubliées du reste de la terre, on les retrouverait en vigueur dans ce pays des cérémonies...

» L'archevêque de Séville a environ huit cent mille livres de rente : ce siège fut érigé du tems des Goths. La cathédrale a quatre cent vingt pieds de longueur, sa largeur est de deux cent soixante-trois, et la hauteur de la nef principale est hors de toute proportion avec ce qu'on voit ailleurs. Quatre-vingts fenêtres d'une prodigieuse élévation éclairent l'édifice entier. Ces fenêtres sont en vitraux coloriés, d'un prix inestimable, puisqu'ils ont été peints par Arnold de Flandre.

» On dit cinq cents messes par jour aux quatre-vingt-deux au- tels que contient cette église ; ce qu'on y consomme de cire, de vin, d'huile est fabuleux; un clergé considérable, assisté de beaucoup de personnes subalternes , est employé au service de Dieu dans cette république religieuse. Jamais je n'ai senti si clairement que des pierres posées les unes sur les autres pou-

DE LA. CA.THÉDRALE DE SÉVILLE. 219

valent former pour l'iiomnie une jiatrie... On compte parmi la nation de lévites attachés à ce temple merveilleux, onze digni- taires portant la mitre , quarante chanoines suj)érieurs , vingt autres chanoines d'un rang inférieur, vinj;t chanoines et trois as- sistans, deux bedeaux, un maître des cérémonies, un aide, trois sous«aides, trente-six enfans de chœur et leurs recteurs, sous- recteurs , ainsi que leurs maîtres de chapelle, dix-neuf chape- lains, quatre curés, cjuatre confesseurs, vingt-trois musiciens et quatre surnuméraires : d'après tout cela, ne vous étonnez pas si la messe m'a paru pompeuse. C'est un peuple entier qui sert Dieu dans cette enceinte vraiment digne de devenir le sanctuaire de l'esprit créateur; il faut joindre à la liste que je viens de vous donner, une légion de prêtres séculiers, qui, chaque jour, disent la messe à quelque autel de l'église méiropolitaine ; je vous le ré" pèle, rien ne m'a rappelé Aih'tlie, le temple de Salomon et la li- béralité des Juifs enveis leur Dieu, comme cette ville sainte qu'on appelle l'église de Séville... Ce n'est que que j'ai compris toute l'étendue de la puissance catholique : ce monument, et le troi- sième livre de V Imitation de Jtsus-Chi'ist, embrassent à eux seuls toutes les destinées du genre humain. Le livre indique la voie aux âmes j)rivilégiées ; le tenqjle ouvre un passage à la-foule. Ne vous inquiétez de rien, ne regrettez rien, ne pleurtz sur rien, le remède existe, et Dieu ne tardera pas à manifester de nouveau la su)>ériorité de son esprit sur la sagesse du monde : la religion est toujours vivante, et elle a toujours la puissance des miracles ! Tel est mon espoir quand je parcours la cathédrale de Séville; c'est comme si je lisais un chant des Martyrs... '

» L'orgue de Séville est un des plus fameux, des plus grands et des plus sonores de l'Europe ; il a des soufflets qui ressemblent à des machines à vapeur.

« Outre les cinq nefs dont j'ai parlé, une multitude de cha- pelles ont été accolées intérieurement aux murs de l'édifice. Ces retraites pieuses sont comme autant de petites églises renfermées dans l'enceinte principale. Le dimanche au matin , elles étaient remplies de groupes de femmes prosternées sur le pavé ; ces

* Ce chapitre est adressé par l'auteur à M. de Chateaubriand (Note duD.).

220 DESCRIPTION

femmes répondaient par leurs pi ières aux voix d'une phalange sacrée, d'une armée de lévites occupés à sanctifier leurs enfans \à^^' spirituels ; la double population chrétienne des prêtres et des disciples ne se laissait pas un moment distraire de ses pieuses fondions par notre présence.

» La chapelle des rois renferme plusieurs tombeaux remarqua- bles, entre autres celui de Ferdinand III, dit le Saint, qui reprit Séville contre les Maures en 1248, l'année même de la mort de saint Louis. L'Espagne et la France avaient l'une et l'autre , à cette époque, un roi qui fut canonisé. J'ai visite aussi le tombeau d'Alphonse X , surnommé le Sage, fils de saint Ferdinand. Près delà se trouve celui de Christophe Colomb, avec cette inscription unique dans l'histoire des mausolées et des épitaphes :

A Castilla y a Léon , Mundo nuevo dio Colon.

y/ la Caslille et à Léon, Colomb donna un monde noiit'eau.

» Le fils de ce grand homme est enterré sous une des chapelles latérales de l'église. La pensée qui a conçu celte cathédrale ne peut tarir, elle nous promet bien d'autres merveilles. On croit à tout ce qu'il y a de surnaturel devant un édifice qui est comme un monde placé entre la terre et le ciel. Les noms les plus glo- rieux de l'histoire sont gravés sur le parvis de celte cathédrale, qu'on devrait surnommer le panthéon de la chevalerie. Il est im- possible à la première vue de se faire l'idée de tout ce que ren- ferme ce dépùt des arts et des grandeurs de l'Espagne entière. Ja- mais je n'ai passé sous de plus nobles murailles. »

L'auteur, dans le chapitre suivant, termine ainsi la description de ce merveilleux monument.

« On n'a jamais fini de voir la cathédrale de Séville; c'est un royaume tout entier avec son gouvernement , avec son peuple ; on y trouve jusqu'à des chancelleries, espèces de palais habités par une foule de commis en costume de chanoines. Ces employés sont chargés de tenir les registres des diverses comptabilités né- cessaires à la direction de l'église. Il y a des salles retirées oik l'étranger pénètie par hasard , car dans ce labyrinthe sacré , on ne trouve de guide sûr que soi-même ; on arrive à ces salles en traversaut les chapelles latérales et les innombrables sacristies at-

DE LA CATHEDRALli DE SÉMLLE. 2ÎI

nantes au corps principal de l'édifice ; là, ou découvre comme

i.de'pôt des ouvrages d'un art merveilleux, ou tout au moins des

:hesses extraordinaires ; c'est un luxe de boiseries, d'étoffes,

est une profusion d'objets précieux ; , tout vous parait digne

attirer votre attention, jusqu'aux portes des armoires, qui ren-

;rinent des trésors et qui sont elles-mêmes des chefs-d'œuvre,

it parla rareté de la matière, soit par la finesse du travail.

» Les crédences qu'on a ouvertes devant moi contenaient, entre

lires choses de prix , des saints d'argent xnassif, un soleil de

jinze pieds de diamètre , un cierge de trois pieds de circonfé-

;nce, des tabernacles d'argent de douze à quinze pieds de haut;

îfin, des monceaux d'étoffes brodées en or, des tapisseries , des

écorations, des brocards d'or et d'argent. Ne croyez-vous pas

re un conte de fée? Etourdi de tant de magnificence, on sort

'une salle pour passer dans des galeries brillantes de dorures,

t dont les voûtes sont ciselées avec un soin merveilleux. On est

bloui de l'éclat des marbres , des peintures ; on se fait ouvrir

ne bibliothèque remplie de livres de plain-chanl, tous d'un

:avail précieux, et dont quelques-uns sont d'une haute anti-

uite'. Ils contiennent des miniatures sur parchemin , dont cha-

une me'riterait à elle seule un quart d'heure d'examen ; mais

es rayons entiers sont remplis de ces livres , remarquables par

.'ur ancienneté et parla beauté des peintures qu'ils renferment.

/oilà de quoi de'courager la curiosité la plus robuste. Quelque

iclif qu'il puisse être, le voyageur, étonné de tant de richesse,

'effraie de sa charge et sent l'insuffisance de son zèle, pour faire

le fût-ce que l'inventaire des raretés qu'on lui montre. Il erre à

'aventure, il parcourt d'un œil inquiet le vaste champ ouvert à

;es recherches, il s'effraie do sa tâche, il se dépite contre sa fai-

Dlesse, contre la brièveté de la journée, contre le désordre de ses

dées, contre la confusion de ses souvenirs.

» Nous avons fini notre course par une station dans l'église de saint-Paul, qui appartient aux dominicains. Elle renferme de belles peintures à fresque; on n'a pu me nommer l'auteur de ces tableaux. Le couvent est un vaste monument; il y a un beau jardin qui l'environne ; et ce couvent , tout magnifique qu'il m'a paru , n'est pourtant pas un des plus fameux monastères de Se-

222 DESCRIPTION

ville. La ville en contient, je crois, quatre-vingts, dont un grand L^^

nombre sont plus opulens que celui-ci. . LquÎo

» La personne à laquelle j'avais été recommandé et qui me ser- .^ vait de guide dans Séville, se récriait sur le malheur de voir tant Xeser de richesses enfouies chez des hommes inutiles à la société. J'ai laissé passer sans réponse les exclamations du philantrope anda- loux. Je ne parle pas assez bien l'espagnol pour attaquer la manie de mon siècle jusque dans cette langue.

» Mais je me disais tout bas : est-ce donc ne rien faire pour les hommes que de leur conserver les modèles et le sentiment du beau idéal, le goût du grand dans les arts? Puis si l'on s'élève au-dessus de ces considérations secondaires , combien ne s'éton- ncra-t-on pas de voir tant d'esprits à vues courtes condamner d'un trait de plume des instituiions inhérentes au système de ci- vilisation qui a fait le monde moderne? Le sacrifice de la vie sen- suelle est une idée qui paraît sans application possible : avoir conçu cette pensée était un effort d'imagination , l'avoir réalisée par toute la terie me semble un prodige de volonté. Des hommes dont l'existence entière se recueille au profit d'une seule vérité , méritent du moins d'être entendus avant qu'on les condamne; et quels sont les juges de ces martyrs de la méditation et du re- cueillement? Leurs juges sont des hommes dont le moindre tort est de gaspiller leur tems , leur force, et de donner à leur égoïsme mondain un masque de philosophie. Hommes des sens , homnies de l'argent, hommes de chiffres qui ne jugent de ce qui est utile que d'après le calcul de la production matérielle appliqué à la société qu'ils dissèquent toute vivante, comme on laboure une terre pour la mettre en rapport : ils ne pensent pas que la vraie association humaine est esprit et corps , et que par une loi de la nature, l'esprit se dégrade aussitôt qu'on l'emploie uniquement à poursuivre un but fini. Si vous n'imitez plus les moines, respe tez- les conmie les plus graves logiciens de la terre. L'esprit vaut mieux que la matière, disent-ils, ne vivons que pour l'esprit. .^ C'est un but (jue vous ne pourrez atteindre, leur répond le monde, parce que vous êtes des hommes. Si Dieu le veut , nous serons des anges, répliquent les pauvres moines, et leur vie humble et subUme est quelquefois la preuve de leur croyance, la justifica-

DE L\ CATHÉDRALE DE SÉVILLE. 223

ion. de leur espérance. La règle qu'ils s'imposent est instituée ur favoriser le triomphe des idées sur les choses; essayer de se onformerà cette règle, c'est déjà rendre hommage à ce qu'il y a e plus élevé dans la nature de l'homme; réussir dans cet essai, e serait devenir égal aux êtres surnaturels; ce serait prouver ce :jue le monde nie depuis que le monde existe. Ce n'est point par ies paroles, c'est "par des actes qu'on décide les questions discu- ées et non résolues.

"La vie monacale est une exception; mais par même, elle est a seule qui convienne à certains caractères poussés hors des li- îiites du monde par un besoin de retraite impossible à salis- . "aire dans la société du grand nombre. Cette vie d'exception , -endue possible à force de prières, prouve sans réplique la toute- Duissance de l'esprit. L'homme peut être heureux sans rien ac- :order aux appétits du corps ; il ne peut l'être en leur cédant fout : voilà ce qu'on dit même dans le monde, quand on est raisonnable 2t un peu philosophe; mais nul ne pourrait croire à l'application possible de ces spéculations de la sagesse , si nous n'avions sous les yeux l'exemple des premiers chrétiens renouvelé par leurs rigides successeurs, ies moines. Le moindre inconvénient des passions, c'est le mécoutt ntement qu'elles laissent dans l'âme qui leur a demandé la félicité. Voilà ce que nous disent les moralistes sans nous le prouver, et ce que les moines nous prouvent sans nous le dire.

I »Je sais qu'en Espagne on abuse des vertus religieuses, qui de-

"viennent un masque à l'usage des ambitieux , comme parmi nous

on abuse des talens qui passent aujourd'hui pour sacrés, parce

que les sociétés même les plus impies ne peuvent subsister sans

une ombre de religion : l'homme qui n'adore pas ne vit qu'à

demi. Si donc, dans un moment de délire, il s'efforce d'humilier

la divinité par ses blasphèmes, il déifie en même tems l'huma-

nilé par un genre de superstition qui survit à toute religion, parce

que cette superstition est fondée sur l'orgueil et sur l'égoïsme :

tant il est vrai que le culte des passions hérite de tout ce qu'on

i Ole au culte des sacrifices I »

I Marqitis de Custine.

224 DES COUTUMES ET DES ARTS

DES COUTUMES ET DES ARTS CHEZ LES ANCIENS ÉGYPTIENS.

Croj'ances égyptiennes.— Immortalité de lame. Arts domestiques. -^ Arts d'agrémens. Musique. Banquets. —Jeu des femmes. Combats de taureaux .

Le?lnoaumens de l'Egypte, avec les sculptures et les peintures qu'ils renferment, se présentent sous un triple point de vue. On peut les conside'rer comme ouvrages d'art , comme documens historiques ou comme témoignages , pour confirmer ou réfuter les notions que nous fournissent sans les prouver, les Hébreux, les Grecs ou les Romains, ou finalement comme des moyens de dé- terminer l'état de la civilisation à l'époque de l'érection de ces Dionumens. Sous le premier rapport, il y a peu de chose à dire ; le caractère de l'art égyptien était véritablemeiat stéréotypé , car il était sujet au contrôle de la caste sacerdotale, et toute dévia- lion des formes établies était prohibée. Sous le point de vue his- torique, ces monumens présentent nécessairement de grandes la- cunes, car tous les rois n'aimaient pas à bâtir ; leur valeur histo- rique est cependant considérable comme explication subsidiaire des docilmens écrits ; et notamment le Pentateuque en reçoit des éclaircissemeus qui dissipent merveilleusement l'obscurité de certains passages.

Quanta l'état de la civilisation, des découvertes récentes nous ont fourni les moyens de déterminer l'état social de l'ancienne Egypte ; nous avons des peintures de leur vie publique et de leurs mœurs domestiques; ces peuples nous ont légué tous les détails de leur manière de vivre depuis le conseil du roi jus- qu'au berceau de l'enfant, non point décrit en termes vagues,

CHEZ LES ANCIEINS ÉGYPTIENS. 225

mais leur pensée a^'ant pris corps parles formes de la peinture et de la sculpture, n'exigeant aucune étude préliminaire pour être comprises, ni une science bien profonde pour être interprétées.

Il y a peu de nations dont les formes extérieures de la civili- sation aient aussi clairement révélé l'opinion intime sur laquelle elles étaient basées, comme les anciens Egyptiens. Il est impos- sible de contempler tpielque grande collection de leurs anti- quités, sans apercevoir que la pensée la plus influente, dans leurs opinions religieuses et sociales, était la croyance d'une continua- lion de l'être après la mort *. Mais cette croyance était grossière et sensuelle : c'est pourquoi ils mettaient tant d'importance à la conservation des corps. L'ancienne Egypte comme la Chine mo- derne était spécialement gouvernée par le bruon. Les Musulmans qui connaissent bien son efficacité ont un proverbe favori : « Le » bâton est descendu du ciel, c'est un bienfait de Dieu. » Les maîtres de l'Egypte, dans tous les siècles, se sont évertués à faire jouir les peuples de ce bienfait. Ammien Marcellin dit que, de son tems, on se faisait un point d'honneur de supporter la bas- tonnade pour éluder le paiement des impôts. La même chose a encore lieu de nos jours.

M, Wilkinson, qui a passé plusieurs années dans les tombeaux de Thèbes et de Memphis pour dessiner les peintures cju'ils ren- ferment, nous a transmis de curieux détails sur les arts de l'épo- que la plus reculée. Ainsi, dans le tombeau de Thothmosis III, contemporain de iMoise , et probablement le Pharaon de l'Ecri- ture, on voit un cordonnier armé de l'alcne et du tranchet de la même forme que ceux dont nous nous servons, et faisant usage du tire-pied retenu par son orteil. Dans le même tableau, on voit un ébéniste incrustant un morceau de bois rouge dans une plan- che de sycomore jaune ; à côté de lui est un petit coffre mar- queté de bois de diverses couleurs. Un autre ouvrier prépare de la colle que son camarade applique à deux pièces de bois pour les léunir, et cette peinture a au moins 3,3oo ans I L'habileté des Egyptiens pour allier et travailler les métaux est suffisamment prouvée par les nombreuses pièces dont fourmillent les musées

' Nous avons décrit dans le tome v des Annales , page 260, une pein- ture égyptienne qui atteste celte croyance.

Tome xvii. ~ N" 99. ih38. 15

226 DES COUTUMES ET DES ARTS

de l'Europe. Ils avaient surtout le secret de donner aux lames de bronze un certain degré d'élasticité, comme on peut le voir dans le poignard du musée de Berlin, ce qui probablement dépendait de la manière de forger le métal, et dans les justes proportions de l'alliage. Certaines habitudes parmi les liommes de la même profession se retrouvent quelquefois dans des contrées très éloi- gnées ; et dans les tableaux en question, on voit souvent le scribe avec sa plume de roseau derrière l'oreille pendant qu^il parle à quelqu'un, comme nous le voyons tous les jours dans nos mai- sons de commerce.

Le soufflet , comme on l'emploie encore dans quelques pro- vinces du Midi, était connu des Egyptiens. C'est un sac de cuir avec une douille, sur lequel un homme presse avec le pied ; une ficelle qu'il tient à la main sert à relever la peau pour faire ren- ti-er l'air. Dans la tombe d'Amunoph II, i45o ans avant J.-C, on voit un Égyptien cjui se sert d'un siphon pour vider un vase qu'on ne peut pas remuer. Il n'est pas improbable que cette in- vention soit due à la nécessité de laisser déposer l'eau bourbeuse du Nil.

D'après la fréquente répétition de banquets et de festins que l'on voit sur les monumens, il est évident que les Egyptiens étaient un peuple très sociable ; ils n'ont rien négligé de ce qui pouvait provoquer ou augmenter la gaîté la musique, les cban- sons, la danse et même des sauteurs. Des jeux de hasard occu- paient le tems entre l'arrivée des conviés et le commencement de la fête. Les personnes de haut rang venaient en palanquin et en charriots, et escortées par une nombreuse suite ; on voit même des coureurs, comme c'était encore la mode chez nous dans le dernier siècle. Dans la première pièce on trouvait de l'eau pour se laver les mains et les pieds ; l'absence de gants et les sandales ouvertes rendaient cette pratique générale parmi les anciens. Dans quelques occasions on offrait des vêtemens aux convives, et négliger de s'en revêtir était manquer de respect au maître de la maison. Ceci explique une des paraboles de Jésus, qu'un convive fut ignominieusement expulsé parce qu'il n'était pas revêtu de l'habit de fête, circonstance qui a tant excité les clameurs des philosophes du xviiic siècle, parce qu'ils ii^^noraicnt cette particu- larité des babils fournis aux convives par le maître du festin.

CHEZ LES ANCIENS EGYPTIENS. 227

Ensuite on répandait des parfums précieux sur les invités, cou- tume que les Juifs avaient empruntée des Egyptiens, et qui se pratiquait encore en Palestine du tems de N. S. ^. Les repro- ches que le prophète Amos * adresse aux Juifs sur leur luxe de table ne sont que la description d'un banquet égyptien.

Une troupe de danseurs de profession se composait d'hommes et de femmes ; les hommes faisaient aussi des tours de force, des sauts périlleux, ou marchaient la tête en bas, etc. Parmi les jeux, on voit le jeu d'échecs et la mora des Italiens. Plusieurs des pein- tres égyptiens montrent beaucoup de talent pour la caricature. Il y a un tableau, au Muséum britannique , des dames, dans une réunion, sont représentées disputant sur la beauté de leurs boucles d'oreilles et l'arrangement des tresses de leurs cheve- lures avec une vivacité, un esprit de rivalité tout-à-fait caracté- ristiques. Dans une ou deux occasions l'artiste, peu galant, a peint des dames que le plaisir de boire avait entraînées trop loin, et qui ne peuvent plus dissimuler leur indiscrétion.

Les dames jouaient à la balle ; elles étaient assises sur le dos de celles qui avaient manqué, et lorsqu'une joueuse manquait à son tour, elle servait de siège à une nouvelle. Cette manière était connue des Grecques, qui appelaient les vaincues des ânes , parce qu'elles étaient obligées d'obéir à celles qui avaient gagné. Les escamoteurs se trouvent aussi dans les fêtes ; le professeur Ro- selliui a publié une gravure dans laquelle on voit quatre coupes renversées, et sous une d'elles une balle est cacbée par le char- latan, dont le coup d'œil rusé, et le regard plein d'intelligence malicieuse, le rendraient digue de figurer parmi les plus habiles de nos jours; on y voit même le niais qui se présente pour devi- ner sous quelle coupe est la balle. Il serait difficile de trouver dans nos tems modernes quelque coutume ou quelque amuse- ment qui ne se retrouveraient pas chez les Egyptiens du tems des Pharaons. Amsi on voit un singe, un petit chien ou une gazelle près de la maîtresse de la maison, tandis que les convives viennent la saluer à mesure qu'ils arrivent ; les jouets d'enfant sont aussi variés que chez nous, même y compris les poitsas] les

' S. Mail., wvi, ver. (5, 7. "-VI, 4,6.

228 DES COUTUMES ET DES ARTS , ETC.

nains, que nous avons vus à la cour de nos rois il y a deux siècles, étaient aussi à la cour des grands enEgypte,et quelquefois aussi par superslilion ils prenaient auprès ti'eux des créatures difforjues, ou qui avaient quelque ressemblance avec l'aspect d'un de leurs •principaux dieux , Phtah-Sokary-Osiris^ la divinité informe de Mempliis. Il est assez singulier que les Egyptiens aient eu, il y a 35oo ans, les mêmes goûts qu'on a revus depuis à Rome et dans l'Europe moderne.

Les combats de taureaux n'étaient pas oubliés , et les torréa- dores étaient plus intrépides que ceux d'Espagne, car ils atta- quaient l'animal n'ayant qu'une main de libre, et se faisaient lier l'autre pour montrer leur courage et leur dextérité. L'espace ne nous permet pas de présenter tous les rapprotliemens que les coutumes de ces anciens peuples ofTicnt avec les nôtres, et sur- tout avec celles du peuple Juif, dont les livres sacrés se trouvent ainsi expliqués de la manière la plus évidente ; car la véracité his- torique de Moïse ne peut plus, d'après cela, donner lieu au plus léger doute. Mais nous trouverons encore de nouveaux docu- mens dans le grand ouvraj^e que prépare le jirofesseur Roscllini, le digne successeur de Champollion.

J.-G.

DESRAPPORTS NATURELS ENTRE LES DEUX PUISSANCES. 229

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ijiôtoirc ccdfôiaôtiquc.

DES RAPPORTS NATURELS ENTRE LES DEUX PUISSANCES,

d'aPHÈS la tradition UMVEnSELLE, PAR M. l'aBBE BOHRBACHER , DE LA société' ASIATIQUE DE PARIS, ETC., ETC. '

Difficulté de la que^tio^. Raisons de l'opposition entre les deux puis- sacces. Anal\se du livre.' Droits de l'Église. Son action sur les peuples. Conclusion.

Un des plus grands cliâtimens infligés à la raison humaine est l'iropossibilité elle se trouve de délier seule les. questions les plus importantes à l'existence morale des sociétés. Dieu , en re'- pandant la lumière de la révélation sur tout ce qui touche im- médiatement au bonheur éternel de l'homme , a voulu couvrir d'ombres et de ténèbres mille problèmes que s'eflbrce vaine- ment de lésoudre notre insatiable curiosité. Quelquefois, il est vrai, le jour se fait , et les nuages se dissipent. Alors la vérité fille du tems se montre ; mais ces manifestations , qui ont lieu à certaines époques marquées par la Providence , sont le prix de combats longs et coûteux. Il faut en quelque sorte que l'erreur, par ses envahissemens, oblige Dieu à l'éblouir par un des rayons de l'éternelle lumière.

Parmi les points contestés jusqu'à ce jour, et qui ont occasionné le plus de recherches, soulevé le plus de querelles, ou doit mettre en première ligne l'appréciation des rapports qui subsistent entre les deux puissances. Toutefois, tant de déplorables bouleverse- mens politiques s'étaient mêlés aux luttes des théologiens et des légistes, de la cour de Rome et des pailemens , que la ques-

* 2 vol. in-8°, prix 12 fr. A Besançon, chez Outhevin-Calcndrc, édi- teur, et à Paris, même maison, rue Gît-le-Cœur n" 4-

230 DE^ Ri^PPQRTS ÎSATURELS

tiou semblait impossible à résoudre. Cependant , c'est ce qu'a voulu tenter l'auteur du traité que nous analysons en ce mo- ment : pour notre part, nous refusons d'entrer dans le fond de la question ; nous n'examinerons pas même s'il était bien oppor- tun de discuter en ce moment les droits respectifs des deux* puis- sances. INous nous borneions à analjser l'ouvrage de manière à donner le désir de le lire, toutes les fois que l'on voudra connaître les principaux faits de celte grande lutte.

Il est cependant nécessaire d'expliquer pourquoi les limites qui devraient déterminer les rapports des deux puissances n'ont pas encore été posées, et ne le seront peut-être jamais.

Nous indiquerons deux causes principales : la première résulte de la nécessité même de ces rapports , la seconde des variations que subit sans cesse l'un des deux élémens que l'on veut mettre en contact.

En effet, si l'houjme pouvait vivre à la fois dans deux mondes divers, on conçoit que brisant tous les liens qui unissent la reli- gion et l'élat, on fit de lui deux êtres à part, et conduits par des principes entièrement opposés sans que son intelligence fût cho- quée des perpétuelles contradictions, conséquence de principes contraires. Mais il faut qu'il soit chrétien, turc, juif,déiste ou athée, en même tems que citoyen; que dans le même individu l'élé- ment religieux se combine sur une foule de points avec l'élément social. D'autre part , l'influence des doctrines religieuses sur les sociétés est un fait trop évident pour que l'on songe à le mettre en discussion. Mais si les doctrines ont de l'influence , ceux qui les propagent en acquièrent par elles comme ils leur en don- nent à leur tour. Un simple moine avec la doctrine du libre exa- men mettra le feu aux quatre coins de l'Europe, tandis qu'un monarque voluptueux et cruel jouera la foi de tout son peuple contre une princesse à renvoyer chez elle, et la tête d'une de ses maîtresses. Si des doctrines absurdes soutenues par des batail- lons, si des hommes sans force par eux-mêmes, mais soutenus par la popularité de leurs enseignemens , ont amené les plus éton- nans résultats, comprend-on l'influence que peut acquérir sur les sociétés une doctrine qui, malgré six mille ans d'épreuves, plonge encore ses racines aux sources mêmes de tous les mystères de la nature, de la science et de la société, et présente aux hommes ses

ENTRE LES DF.UX PUISSANCES. 'IM

branches séculaires chargées des fruits les plus variés? Comprend- on quelle puissance cette doctrine prêtera à ceux qui sont cliargés de la distribuer aux intelligences quand ses dépositaires forment à leur tour un corps hiérarchiquement constitue, par les com- binaisons les plus merveilleuses de la liberté et de l'obéissance chaque membre peut a! river à son légitime développement, tandis que le tout lié par une chaîne divine présente aux mêmes hommes tout ce que donne de plus éclatant le génie, le dévoue- ment, la science et la charité? Or, ce corps, c'est le clergé catho- lique, dont le chef, dépositaire de la puissance spirituelle, dit aux hommes du pouvoir temporel : Pouvez-vous vivre sans au- cune vérité? Non, répondent ceux-ci. Eh bien, poursuit-il, re- jetez-nous , si vous le pouvez , et avant un demi siècle la notion même du vrai sera eftacée du souvenir de vos sujets.

Un état ne peut vivre sans morale, mais la morale n'est que la conséquence de la doctrine , et ceux qui donnent les fruits de l'arbie de la science donnent par cela même et nécessairement les fruits de l'arbre de vie. La connexion se fait ici encore plus sentir quand on considère le corps chargé d'enseigner, chargé en même tems d'expliquer les conséquences pratiques des prin- cipes qu'il enseigne; dès lors il s'empare, quoiqu'on fasse, et de la pensée et de l'action des membres de la société; et l'on pré- tendra qu'il n'a aucune influence sur son ensemble !

Remarquez enfin que le pouvoir temporel lui-même repose sur la notion des droits et des devoirs, idée toute intellectuelle; qu'il va donc prendre racine dans le monde des intelligences ; que dès lors , quels que soient les rapports qui l'uniront avec le pouvoir qui régit les intelligences, il faut nécessairement que ces rapports subsistent.

On ne peut donc évidemment supposer un état dans lequel aucun point de contact n'aurait lieu entre les deux puissances , comme dans un divorce légal chacun se retirerait de son côté emportant ce qui lui appartient. La vérité, la pensée ne se divisent pas quand une fois elles ont été mises en commun, il faut que de part et d'autre il en reste toujours quelque chose.

Mais comment fixer des rapports permanens entre le pouvoir elles sociétés, dont les perpétuelles fluctuations indiquent trop et l'instabilité des- vagues qui les supportent et les tempêtes qui

232 DES RAPPORTS NATURELS

les submergent? Au commencement, l'Eglise ne put manifester son pouvoir envers une société païenne ; au moyen-àge, quand les lois se furent imprégnées de cbiistianisnie, la puissance spi- rituelle fit sentir son action. jMais aujourd'hui , que sont les so- ciétés? Qui pourrait me réciter leur symbole?

Ainsi , nécessité des rapports entre les deux puissances, impossi- bilité de les fixer d'une manière précise^ voilà ce qui nous est bien évident. Mais si nous ne pouvons savoir ce qui devrait être, il peut être curieux de recbercber ce qui a été. Tel est le but que se propose l'auteur, M. Rohrbaclier, et ce n'a été ni l'érudition , ni la puissance tlu raisonnement, qui lui ont manqué pour l'at- teindre.

Jetant un coup d'œil sur le monde ancien, l'auteur commence par faire observer que partout la relijOjion est non-seulement la base, mais encore le lieu de la société ; que partout les législa- teurs ont donné à leurs institutions une sanction divine , et que les lois étaient en cjuclque soite un corollaire de la doctrine re- ligieuse.

La philosophie antique , appelée en témoignage , confirme le même fait, et laisse entrevoir dans l'avenir l'attente d'un état so- cial plus parfait, établi par un messager ilivin.

l'élément théocratique a prévalu , c'est assurément chez les Hébreux; mais cjuelle influence n'exercèrent-iis pas en Egypte, ils laissèrent de si profonds souvenirs ; en Asie , les popu- lations se mêlèrent avec eux, eoit dans la guerre, soit par le com- merce; en Grèce, les Spartiates se reconnaissaient issus d'A- braham • en Italie même, chez les Sabins, colonie de Spartiates I

L'action théocratique étant incontestablement reconnue comme un fait dans l'antiquité, l'auteur pose les principes suivans, cju'il confirme par des textes de l'Ecriture.

Dieu seul est proprement souverain.

Le fds de Dieu fait homme, le Christ ou Messie a été investi par son Père de celle puissance souveraine.

Parmi les hommes il n'y a de puissance ou de tiroit de com- mander, si ce n'est de Dieu ou par son Verbe.

La puissance est de Dieu , mais non pas toujours l'homme q'ii l'exerce et l'usage qu'U en fait.

Et la souvcra!ncl(= , et le souvi rain , et l'usage qu'il fait de sa

ENTRE LES DEUX PUISSANCES. 233

puissance, et les hommes sur lesquels il l'exerce sont également subordonnés à la loi de Dieu.

Dieu ayant créé le monde, lui donne des lois c(ui sont le reflet de la loi éternelle, qui est son verbe et sa sagesse, et que doit re- produire jusqu'à un certain degré la loi d'un état sous peine de perdre les conditions de la vie f|ui lui est propre. Et dans ce sens, toute loi politique n'est que l'écoulement d'une loi divine supé- rieure ; et, comme dans certains cas la loi politique est obscure, on ne peut l'expliquer que par la loi divine ; mais le dépôt de celte loi divine a été confié à l'Eglise, qui est en même tems chargée de l'interpréter ; car c'est au chef de l'Eglise qu'il a été dit : Tout ce que tu lieras sur la terre sera lié dans le ciel , et tout ce que tu délieras sur la terre sera délié au ciel.

Donc l'Eglise a le droit de montrer aux hommes ce qui est vrai et ce qui est faux, ce qui est bon et ce c[ui est mauvais dans les ordres des princes ; donc la sanction la plus forte des lois sociales c'est la sanction de l'Eglise. Dès lors point de milieu , ou la so- ciété temporelle est nulle de droit, ou bien elle est subordonnée à l'Église.

Ce que l'âme est au corps , l'Eglise l'est à l'état ; c'est ce qu'en- seignent d'une voix unanime tous les Pères de la primitive Eglise, tous les théologiens du moyen-age, tous les papes, depuis Gclase jusqu'à Pie YII.

Le pouvoir de l'Eglise est le même que celui de J.-C; mais ce pouvoir, toujours le même en soi, se manifeste diversement, selon les époques : le grain de sénevé n'est pas encore l'arbre, le gland n'est pas le chêne. Lorsque dans le monde il n'y avait encore que des individus chrétiens, PEglise ne pouvait commander à une société païenne. Plus tard, quand les é;ats sortis de la barbarie se furent placés sous l'influence de la croix , l'action de l'Eglise se fit sentir sur les sociétés d'une manière forte^ puissante et sa- lutaire « Ni l'enfance, ni l'adolescence de l'Eglise ne sont la mc- » sure de sa virilité. Les protestans reprochent à l'Eglise virile » comme des abus tout ce qu'ils ne lui ont pas vu faire naissante ; » les gallicans, tout ce qu'ils ne lui voient pas faire adolescente ; » c'est blâmer un homme fait de ne plus mettre ses liabits de ''\ douze ans, ou même de n'être plus au maillot, »

234 DES RAPPORTS NATURELS

Il nous est impossible de suivie pas à pas Tauteur dans la car- rière qui s'ouvre devant lui. S'euiparant de l'histoire de l'Eglise, il attaque toutes les objections faites contre le pouvoir des papes ; examine tous les faits qui ont pu contribuer au développement de leur puissance; accuse à son tour d'ignorance ceux qui avaient présenté la puissance papale bâtie sur l'ignorance et les ténèbres ; dévoile les effets de cette puissance sur l'Europe, sur la formation des états, sur la force des lois, sur le bonheur des peuples ; venge, à l'aide des auteurs protestans eux-mêmes, la mémoire de S. Gré- goire \II; jette un jour tout nouveau sur lés démêlés de Phi- lippe-le-Bel et de Boniface ^ III ; présente le protestantisme comme une conséquence rigoureuse de l'insubordination envers le pouvoir pontifical ; arrive à la controverse des quatre articles et se prend corps à corps avec Bossuet. L'adversaire était redou- table. A qui des deux appartient la victoire? Comme pour la plu- part du tems celui à qui elle doit finir par rester est désigné d'a- vance dans l'esprit de l'impartial lecteur, nous nous abstiendrons d'émettre une opinion qui ne pourrait être c[ue très-personnelle : nous renvoyons à l'ouvrage.

L'auteur termine par un coup-d'œil général sur les conséquen- ces politiques que , selon lui , le pbilosophisme moderne a tire'es des principes gallicans : il y voit la cause de tant de subversions récentes ; et tant de catastrophes sociales sont à ses yeux une nou- velle preuve de la nécessité d'un pouvoir modérateur placé au- dessus des constitutions purement humaines.

Parlerons-nous de la forme de l'ouvrage? Nous eussions désiré quelquefois que l'auteur se fût souvenu que son manuscrit datait de neuf ans, peut-être etit-il rett anche quelques passages un peu trop durs. Ainsi , après avoir cité un grand nombre de théologiens , même français , qui ont considéré comme suspects d'hérésie ceux qui ne croyaient pas au pouvoir indirect des papes sur le temporel des rois ., il ajoute : « Que les gallicans de nos » jours ne sachent pas cela , et qu'en conséquence ils disent des » injures à un écrivain pour avoir prétendu , non pas encore » comme les anciens évèqucs de Meaux et d'Autuu , que les gal- » licans doivent être appelés hérétiques, mais seulement que leurs » principes, suivis dans la rigueur des conséquences, mènent à » l'hérésie : cela se conçoit. Depuis assez longtems une des li-

ENTRE LES DEUX PUISSANCES. 235

» berté$ gallicanes a réglé , à ce qu'il paraît , que le savant lios- M suet est chargé d'avoir de la science et le judicieux Fleury est » chargé d'avoir du jugement pour tout le monde , et que par » conséquent nul n'est obligé d'en avoir pour lui-même. IMais » que le grand Bossuet, le plus savant de nos évèques gallicans, ») ne sache pas ou feigne de ne pas savoir ce qui se trouve dans » les docteurs les plus célèbres de l'Ecole; qu'il ne sache pas ce » que dit un de ses prédécesseurs dans le siège de Meaux ; qu'il » ne sache pas l'ancienne doctrine de sa propre église , voilà ce qui est plus difficile à concevoir. Pour moi j'aime à sup[)Oser >♦ que la défense de la déclaration n'est pas sortie de sa main , ou du moins qu'elle ne serait pas sortie telle que nous l'avons. »

Cette forme nous paraît trop acerbe. Que tout ce que dit l'au- teur soit vrai, ce n'est pas la question ; mais encore faut-il sa- voir que la vérité n'entre jamais par force.

Et maintenant si nous cherchons à apprécier la nature de l'ac- tion de l'Eglise pendant dix-huit siècles, nous nous verrons ame- nés à ces deux grands faits : le premier, que l'Eglise possédant le pouvoir le plus parfait, le plus haut et le plus fort, doit nécessai- rement être l'amie des puissances ; mais que commandant avant tout aux intelligences et l'intelligence ne subsistant pas sans la liberté, l'Eglise tend également sans cesse à affranchir les peu- ples en les appelant au triomphe de l'esprit sur la matière, de l'âme, sur les passions qui asservissent les sociétés comme les in- dividus. A elle donc est confiée essentiellement la conservation des deux éléinens sociaux : le pouvoir et la liberté. Que si on la voit , au milieu des fluctuations politiques, paraître favoriser tan- tôt les gouvernemens, tantôt les peuples, qu'on y fasse attention, elle vient toujours en aide au plus faible, à l'opprimé. Dès lors elle combat toujours les passions, et voilà pourquoi les passions entravées par elle l'ont méconnue, voilà l'explication de son im- popularité, alors qu'elle sauvait les états comme malgré eux ; voilà pourq\ioi quand le tems ramène le calme et l'impartialité, on lui rend une justice tardive sur son action dans les siècles pas- sés. Pour elle, ce ne sont pas les applaudissemens des hommes qu'elle veut, c'est leur bonheur. Voyant la balance des destinées sociales entraînée tantôt vers le despotisme et tantôt vers l'anar- chie, elle pose son puissant contre-poids dans le bassin le plus

236 DES RAPPORTS NATURELS ENTRE LES DEUX PUISSANCES, léser , et rétablit ainsi les notions éternelles du droit et des devoirs.

L'auteur nous a dit ce qu'elle a fait pour le passe' ; mais quelle sera son action dans l'avenir? Le tenis refuse de soulever ses voiles. Ce que nous savons, c'est que le Christ a recommandé à son troupeau de ne craindre jamais, quelque petit qu'il fût, parce que la main de Dieu sera toujours sur lui.

E.

ERRATA.

Nous ne voulons pas dilTéri r d'insérer la note suivante qui a été ou- bliée dans le Numéro précédent, à la fin de l'article sur rilermésianisrae.

Nous nous sommes aidés , pour la composition de cet article , d'un excellent article sur les acta Jiermesiana , composé par IVI. Pt-rrone, jé- suite de Rome, et inséré dans le N" 19 des Annali délie scienze rcli- (fiose de Rome; de plusieurs articles insérés dans \c Journal historique (le Liège; des différcns journaux qui eut publié des articles on dos pièces authentiques sur l'Hermésianisme.

Corrigez : page 9G, 1 16, e'tail à Bonn, lisez : était mort à Bonn.

NOUVELLES ET MÉLA.NGES. 237

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EUROPE.

FR.ANCE, Paris. Crc'alinn d'un e\>ëclié à Alger. Enfin voilà que la rclii,Mon catholique vase poser encore d'une manière stable sur la côte d'Afrique. Par une bulle datée du 4, avant les ides d'août (le lo août), le Saint-Père a érigé Alger en siège épiscopal, qui comprendra sous sa juridiction toute l'ancienne Piégence de ce nom. Nous croyons devoir con- signer ici la partie suivante de cette balle, qui présente une anal^'se suc- cincte des différens états s'est trouvée la religion à Alger.

«Julia Cœsarea, vulgairement appelée Alger, que les uns supposent avoir été l'ancienne Ruscurium, d'autres Icosium, doit être considérée comme la plus importante des villes d'Afrique , soit par l'antiquité de son origine , soit par ses richesses et le nombre de ses habitans. Cette ville célèbre , qui a donné son nom à tout l'empire d'Alger , a étendu sa domination sur de très-vastes pays formés de l'ancienne Numidie et Mauritanie. Mais plus la puissance d'Alger sous les Sarrasins et les Turcs étendait sou empire, plus était dure et déplorable, dans ces contrées, la condition des chrétiens. Bien qu'en effet les pontifes romains , dont la suprême puissance et la paternelle sollicitude pour toutes les Églises ne sont circonscrites par aucune limite, aient consacré les soins les plus assidus aux chrétiens établis dans ces contrées et se soient appliqués à ra- mener vers la vérité et la lumière de l'Eglise catholique ceux qui mar- chaient dans les ténèbres et dans l'ombre de la mort, on peut néanmoins aisément comprendre combien d'obstacles arrêtaient le sacré ministère sous le gouvernement farouche et superstitieux des infidèles, et quels faibles fruits pouvaient recueillir de leurs travaux les prêtres de l'Évan- gile envoj'cs dans ces lieux par notre congrégation de la Propctgandc.

» Mais enfin a brillé cet heureux jour, objet des vœux de tous les gens de bien , les troupes intrépides de la France ont soumis Alger à leur puissance , la religion catholique a paru remporter le plus brillant triomphe sur les ennemis du nom chrétien. La face des choses a été tout-à-fait changée. Il a été permis de prêcher le Christ crucifié ; un libre et sûr accès a été ouvert aux ouvriers de l'Évangile ; il a été donné à chacun d'avouer la religion chrétienne et de la professer libre- ment en présence de tous. Et pour augmenter et combler la joie notre âme, un grand temple d'Alger , qui pendant long-tems avait vu célé- brer les l'itcs profanes et monstrueux de l'Alcorau, purifié parles saintes

à3^ NOUVELLES ET MELANGES.

cérémonies de l'Église, consacré par le signe salutaire de notre religion et par l'image de la Vierge , mère de Dieu , exposée à la vénération des fidèles, est réservé désormais à leurs réunions s^icrées.

» Secondant ainsi avec un grand empressement les vœux et les de- mandes déjà énoncées du roi très-chrétien des Français, ayant concerté avec lui toutes choses , et après une mûre délibération , pour la gloire de Dieu et de Jésus-Christ, son Fils, notre Sauveur , dont , malgré notre indignité^ nous tenons la place sur la terre, pour l'exaltation de l'Eglise militante , de notre certaine science, de notre propre mouvement, dans la plénitude de notre pouvoir apostolique , nous exemptons et délivrons à perpétuité de la juridiction ordinaire de tout pouvoir ecclésiastique supérieur Julia Cœsarea et tout le territoire dont se composait autrefois l'État appelé vulgairement iîegeHce d'Alger, ainsi que toutes les églises particulières , les couvens de religieux et les pieuses congrégations, s'il en existe quelques-unes, tous les habitans de l'un et de l'autre sexe , tant clercs que laïques, enfin les prêtres de tout grade, ordre, état et condition.

Suit la création de l'évêché d'Alger, qui est rendu suffragant de l'ar- chevéché d'Aix.

M. l'abbé Dupuch, chanoine de Bordeaux, a été nommé premier évêque d'Alger.

Rapport du ministre de l'instruction publique sur te'tude de la théologie en France. Dans ce rapport, qui a paru dans le Moniteur du 3o août derniei-, M. Salvandy expose que par le décret'du 17 mars 1808, qui organise 1 Université, dans chaque académie, fut créée une faculté de théologie, dont les professeurs devaient être nommés au concours, mais que Cl tte clause ne put être remplie parce qu'il n'y avait alors ni con- currens ni juges, et qu'on en ajourna l'exécution au i" janvier 18 15. Mais alors le même inconvénient se représenta j car il n'y avait encore ni concurrens ni juges. « Les vingt dernières années, continue le mi- » nistre , loin de changer cette situation , l'ont aggravée en laissant » presque entièrement périr les facultés. Los difficultés sont donc aussi » réelles et de même nature qu'en 180^^. Nulle faculté n'est pourvue de » tous ses professeurs, et les professeurs peuvent seuls , aux termes des » décrets, former un jury de concours. De plus, les concurrens doivent » être docteurs, et se présenter au nombre de trois. Or à peine existe- « t-il trois docteurs dans le royaume, et il importe d'autant plus de » sortir de cet état de choses , qu'une ardeur récente , mais réelle, et » qu'on ne peut trop encourager, se manifeste dans le clergé pour obte- w nir ses grades , et il n'y a pas d'autorité instituée pour les conférer. «

Le moyen que M. le Minisire suggère pour sortir de cet état, est d ajourner le concours jusqu'en i83o, et de continm-r à nommer lui-

NOUVELLES ET MELANGES. SSg

même les professeurs. En outre, une chaire nouvelle, de droit ecclésias- tique, est créée dans chacune des facultés, qui déjà avaient des chaires de doçme, de morale, d'écriture sainte, d'histoire, de discipline ecclé- siastique, d'hébreu et d'éloquence sacrée. Cette chaire de droit ecclé- siastique aura pour ohjet « le droit commun de l'Église et le droit spé- V cial qui sans préjudice de l'unité de l'Eglise cathoHque régit les églises » de France, d'Allemagne, et des autres nations chrétiennes. »

Nous formons les vœux les pkis ardens et les plus sincères pour le réta- blissement des bonnes et fortes études théologiques en France, mais nous doutons que l'Université puisse jamais satisfaire en cela les désirs des ca- tholiques. <( Je suis assez heureux, dit M. le Ministre , pour pouvoir dé- w claj'er qu'aujourd'hui 1 épiscopat s'unit d'intention aux vœux si sou- » vent exprimés au sein des grands pouvoirs de l'état. Les chefs du sa- )) cerdoce savent et proclament que les bonnes et fortes études lui sont n nécessaires pour remplir toute sa mission.» Ceci est vrai, mais nous doutons de ce que le M. ministre ajoute, que les chefs du sacerdoce savent et \M-oc\siment que l'Université, par la surveillance qu'elle exerce, comme par les grades qu'elle confère, peut seule rendre de l'éclat et de l'autorité au haut enseignement ecclésiastique. Nous doutons que les évèques qui proclament cela soient nombreux. L'enseignement théologique ne doit être donné que par les évèques et les pasteurs catholiques, ne peut être surveillé que par eux. Quoi qu'il en soit , nous répétons encore que nous formons des vœux pour voir créer en France des facultés de hautes études théologiques , mais ces facultés ne doivent ressembler ni à celles de l'uni- versité actuelle, ni en bien des points à celles de l'université ancienne.

Etat de l'affaire de M. Vahhé Bautain. jN'os lecteurs se souviennent peut-être de la lettre que M. l'abbé Bautain adressa à Mgf l'évëque de Strasbourg (tome xv, p. 354), et comme cette réponse ne fut pas jugée suffisante, de la promesse que nous fîmes de les tenir au courant de cette affaire, lorsqu'il paraîtrait quelque chose d'authentique sur cette ques- tion. jNous allons mettre sous les yeux de nos lecteurs une série de faits que nous puisons dans une lettre de M. Bautain, datée de Strasbourg , le 5 août dernier.

MM. Bautain et de Bonnechose ayant appris en février dernier qu on travaillait à faire mettre à l index , à Rome, leur ouvrage intitulé Philo- sophie du christianisme, se décidèrent à se rendre dans cette ville. ils déférèrent au jugement du Saiot-Siége tout ce qu'ils avaient écrit. Ce fut Son Exe le cardinal Mezzofanti qui fut désigné pour examinateur. Mais une maladie et d'autres causes ayant fait traîner cetexamen en longueur, ces messieurs signèrent le ly mai une déclaration par laquelle ils s'enga- gèrent d'avance à adhérer au jugement du souverain pontife quel qu'il

240 NOUVELLES ET MÉLANGES.

fût, à faire loul ce qu'il ordonnerait à ce sujet ; et , en attendant à ne rien enseigner de vive voix on par écrit qui semblât s'éloigner de la doc- trine des auteurs approuvés, ou avoir l'apparence d'une nouveauté dangereuse.

Sa Sainteté Grégoire XVI a reçu avec joie cette déclaration, leur a donné une lettre confidentielle pour leur ménager un accueil favorable de la part de leur évcque, et de plus une attestation qui prouve qu'ils sont en union avec le Saint-Siège, et qu'ils ont mérité sa satisfaction parleur soumission fdiale. Aussi, arrivés à Strasbourg, ils ont été accueillis avec bonté par leur évêque. L'on ne peut que louer la conduite de MM. Bau- tainetde Bonnecb.ose; ils ont fait ce que permettait monseigneur l'arche- vêque de Cologne à ses prêtres dans le xviii<^ article de la déclaration qu'il exigeait d'eux (V.le no 97 ci-dessus, p. i07),àiavoir qu'ils n'appelleraietit du jugement de leur évêque à personne autre quau chef de toute V Eglise.

6ibliocjrapl)if.

Nous croyons devoir particulièrement recommander à nos lec- teurs la iraduciion de l'HISTOIRE DU PAPE INNOCENT III , publiée par J>I. Alex, de Saint-Cheron. Cette traduction a le grand avantage d'être la seule complète , enrichie de notes , de rectifi- cations , de communiications inédites, fournies par l'auteur. L'in- troduction de ]M. de Saint-Cheron est un curieux résumé de toutes les opinions exprimées , depuis trois siècles, sur Inno- cent III, par les principaux historiens de la France, de l'Aile-- magne et de l'Angleterre. Une biographie de l'auteur, dont ce- lui-ci a garanti l'exactitude , mérite d'être lue avec attention.

Enfin, ce qui est plus important encore, M. de Saint-Cheron a reçu de M. Hurler une lettre par lequelle celui-ci déclare pu- bliquement, qu'après avoir collationné celte traduction sur Vovi- ginal , il l'a iroiifce de la plus rigoureuse fidélité^ et quelle a vaincu avec habileté toutes les difficultés du texte. M. Hurler ajoute que V édition française de M. de Saint-Cheron , est supérieure même à Védition allemande , grâce aux rectifications et communications inédites qu^il a données. En conséquence , 31. Hurtcr n approuve cl ne reconnaît que la traduction publiée par M. de Saint-Chéron , cl proleste contre toute autre qui ne peut être présentée avec les mcincs garanties d'exactitude , cl comme étant aussi complète.

BI. de Saint-Cheron a public, en tête de son second volume, le texte de cette lettre , à laquelle se trouve jointe la légalisation , revêtue du sceau de la chancellerie d'état du canton de Schal- fouse.

ANNALES ^*

BE PHILOSOPHIE CHRETIENNE.

STbuHiéxo 100. 5 1 0ctoÉxc> 1 8 3 8.

^rWVWW'V iV\\XV'WiV\\VVVi\V\\\VV\\VV\%VW\%\\\\\\\V\\\V\,%A,Vvv\VV\\VV\VV\\VV\^V\\%VV\\«V\^V

DOCTRINE DE LA SYNAGOGUE,

SUR l'invocation des saims, et sur la foi au rédempteur

PROMIS.

CHAPITRE IL MOYEN de salut dans l'ancienne synagogue.

Foi aa Messie à venir. La circoncision n'a jamais élé le remède da péché originel. Sentimcns îles Pères à ce sujet. Opinion de quel- ques rabbins. Effet rétroactif du mérite des souffrances du Messie.

Beau dialogue entre le Messie et le Père.

Dans le précédent chapitre ', nons avons exposé tout ce que nous avons pu recueillir des traditions de la synagogue au sujet du péché originel Mais qviel remède la fille de Sion connaissait- elle alors à une plaie si grande, ivimense comme la mer ' ?

Je l'ai déjà dit. Si l'Eglise nous apprend que les fidèles de l'Ancien-Testamcnt se sauvaient par leur foi vive dans le Messie à venir, nous voyons également, par les traditions hébraïques, que la Synagogue a toujours reconnu la rétroactivité du mérite des souffrances volontaires du Christ '% en faveur de tous les' hommes de- puis Adam, sans excepter les enfans, fussent-ils nés avant terme. Car la synagogue n'a jamais mis en question le salut des enfans. Et

Voir le article dans le gi, t. xvi, p. 7.

' Lament. n, i5.

'' Oblatus est quia ipse volait, haïe. Lni, 7.

Tome xvii. 1S° 100. i85S. 16

3i2 MOYEN DE SALUT

il est bon de faire remarquei- que pour la foi dans le Messie à venir, il suffisait qu'elle fût implicite.

Anciennement la synagogue, de même qu'à présent l'Eglise, était une mère pleine de sollicitude. C'était elle qui, en qualité de iuLrice , si je puis m'cxprimer ainsi, suppléait à la faiblesse des petits enfans ', afin qu'ils ne fussent pas repoussés du sein d'Abraham. Depuis que V ea-pectation da Messie, c'est-à-dire la foi dans le Sauveur futur, a été remplacée par un sacrement for- mel, le baptême, et la synagogue par l'Eglise, celle-ci a pareil- lement pris sous sa tutelle les petits enfans. Il est vrai que le baptême peut les justifier par sa propre vertu sans leur concoui's, ou, comme dit le saint concile de Trente, ex opère operato; mais il est vrai aussi que comme ce sacrement nous rend membres de l'Eglise, celle-ci a le droit de prescrire des conditions à ceux qui se présentent pour entrer dans sa communion. En effet, elle exige du récipiendaire ces engagemens solennels que nous appelons les vœux on promesses du baptême. Or que fait cette tendre mère quand il s'agit de purifier de la iaclie originelle un de ces petits, que le Sauveur aime tant à rapprocher de son divin cœur ' ? Elle donne à l'enfant des parrains qui le représentent , et font en son nom des promesses qui devieiment obligatoires pour lui.

Quant à la circoncision^ elle n'a jamais été considérée dans la synagogue comme un moyen de délivrer les hommes de la souil- lure et du venin de Cancien serpent \ Elle était simplement un

^ On trouve également dans les Docteurs d*,- Tl^glise un indice du celle manière de suppléera l'incapacllé du premier âge. S. Grégoire k- Grand dit : a Quod vero apud nos valel aqua Ëaplismalis, hoc egit apud veteres, \e\ pro parvulis sjla fides, vcl, clc. a Moral. 1. iv, p. 102, t. 1. des Bénéd. S. Thomas : Sota ftdes parvtilos justificabat , et non circumci- sio. Sum.ô, p. q. 70, art. ^d 1. 11 es! clair que des personnes en ii'^e «le raison devaient prêter leur loi vive à ces parvuli.

» Sinite parvulos veiîirc ad me, et ne prohibueritis illos. S. Math, x,

a.

3 Voyez Genèse xvn, 2, 7< lo. 1 1, i3, i4- Le grand Docteur des Nations, avec sa loo-ique lou jours si serrée, prouve |)arfHiten»eut que la circoncision était un si'nple signe et non le moyen de justification. Abra- ham encore incirconcis était déjà justifié {Gen. xv, 6.) Et qu'esl-ce qui lui valut sa justification ? Sa foi vive. « Credidil Abraham Deo et rtputatum est

DANS l'ancienne SYNAGOGUE. 243

signe de l'alliance de Dieu avec la postérité Isaacîte d'Abraliam. Car, s'il en était autrement, comment auraient été justifiés

illi adjustitiam. » C'est ce qui fait dire à S. Paul dans la suile de ce beau chapitre : Crtrf flom., ch. IV, V, 5, lo) « Qaomodo ergo ropulata est (se.

fides Abrahte ad juslitiam)? iu circumcisioue, an in praepulio ? Non in

circumcisionc , sed in praepulio. El signura accepit ciicuracisionis, sig»

naciitum jlstiti.ï fidei quas est in praepulio. i

S. Jérôme {in Jer. ix , 25.) sVxprime ain^i : o Non gloriarî débet » Juda 80 quod prœpulium non habeat, sed ex lege Dei circumcisus sit. »Nec prodest circumcisio, quœ in signam data est.» Le même sainl Doc- tenr, qu'on ne saurait Irop ciler à cause de son excellent jugement et de sa profonde crudiliou, s'exprime de la manière suivante dans son corn- mentaire sur CEpilrc aux Calâtes, m, 7. oVii Iules Abraham in quibus tante circumcisioiicm Dco placuit, diligcns leclor «nuracra, etquoscum-

que ia simili opère rcpercris, dicilo filios esse Abraham jastificati in

praepnlio, qui circcmcisioacm non ob meritum operum, sed in signum afidet prioris accîpit. »

El S. ïhoma?,cel Hercule du 10' siècle, si puissant en Dieu par ses écrits, s'exprime dans le même sens. «Circumcisio^ sicut et alla sacrzmonla Ve-

leris ]egis,erat solum signmn fidei justificationis. o(5«»i. q. 62. a. 6. ad 5.) « Circumcisio ex opère operalo non ijabcl virtulem effectivam, neque

quantum ad rcmolioncm culpae, neque quantum ad operalionem jusli- liœ, sed eral solum injustiliœ signum.' {Com. in ep. ad R. c, iv, Icctio. 2.) Ajoukz le passage du Sainl , que j'ai cilé dans la note 1 de la page pré- côdcule.

Je pourrais encore citer à rajipui de celle doctrine un grand nombre de Pères latins et grecs qui ne voient dans la circoncision qu'un signe dis- tinctif du peuple Hébreu , figurant le sacrement de baptême, mais ne lui attribuent aucune vertu surnaturelle pour la sanclification ou la purifi- cation de l'àme. S. Justin mailyr [dial, cum Trypii.), S. Irétiée ("1, iv, c. 3.), S. Jean Clirys. (ni Gcn. Iwm. 09. et in E/ji'sf, et/ Uo?n.), S. Epipliane, {Jiœres 00.), S. Jean de Damas {de FiJe Ortliod. 1. iv, e. aS), Terlullicn qui dit {cont. Jud.) : c Accepit (se. Abraham) quidem circumcisioncm ,

sed quae esset in signum illius lemporisnon in salutis prarogativam», et tant d'autres dont je pourrais grossir ma liste. EnGn le Concile de Flo- rence en parlant dcssacremens du l'ancienne loi (in Decr. Eug. ad Arm.) dit Expressément 1 «Haec cnim non causabant graliam, sed solum pcr pas-

sioncm Christi dandam figurabant. »

St. Augustin fut le premier à relever les effets de la circoncision, et à enseigner qu'elle repietlail le péché originel, et conférait la grâce justi-

2i4 VOY^y DE SALUT

Abel le juste ', Hénoch^ et tant d'autres morts avant son institu- tion ' ? Et Dieu n'aurait point pourvu au salut des milliers d'Hébreux qui, nés après la sortie d'Egypte, moururent avant la circoncision générale de Galgala '.

Quelques rabbins modernes, en très-petit nombre, ont voulu soutenir l'opinion contraire, car quelle est l'opinion, pour extra- vagante qu'elle soit, qui ne trouve pas quelques fauteurs? Mais leur sentiment a été hautement réprouvé par la raison que tout un sexe serait resté sous le poids du premier péché; cependant, ainsi que nous verrons plus bas, la synagogue n'a pas moins de confiance en ses saintes qu'en ses saints , et ne refuse pas ses prières aux âmes des personnes du sexe mortes dans sa com- munion *.

Tous les monumens de l'ancienne synagogue attestent que

fiante. * Certè, dit-il , anliquus popiilus Dei circumcisionem pro haptismo habebat [C- Epist, Petit, 1. ii. c. 7a. lom. 9. p. 689 ries Bi-néd.^ . Et ail- leurs: • J;im circumci«us erat (se. David) qiiod paires uoslii pro baptismo habebant. Sermo 55 1. e. v. lom. 5. p. i562 des Bénéd) »

Mais je ferai observer d'abord que eoinrnc je ne di^^sertc que d'après rancienne tradition de la synagogue, donl rtnseignf.-meut resta fîsé dans la première moitié du second siècle du Cliristiauisiue , faute de docteurs accrédités (Q'DT^D) < nous nous trouvons à uce époque ou les Pères de l'Eglise regardaient la circoncision avec assez d'indifférence. Eslias, (sur YEp. aux Rom. iv, ti.) après avoir rapporlé de solides raisons, et de nombreuses et graves auloiités coulre lo| inion de S. Augustin , ajoute : « Kec facile qurnipiam reperias Augiistiuo priorem , (|ui in siguaculo cir ecumcisionis virl'ilem agnotcal animas à peccalo mundandi. Eusaitc , le raisonnement sur lequil s'appuie S. Augustin, porte entièremcut à faux . ainsi qu'on peut le voir développé au long d.ms la dissci talion sur les effets de la circoncision , insérée dans le t. sv de mon édition delà Bible de Vence , et tome vi des disserlalions dans la Iraduclion italienne de Milan.

> S. Mallh. wuï , 55. A sanguine A\n] justi. Nous avons vu dans le précèdent article, t. xvi , p. 22, que les rabbins mettent Abel du côté pur et saint.

' Elle fut instituée dans la gg innée d'Abraham. Geii. xvn, 24.

* Jos. T, 2 seqq.

* Wons en parlerons dans la section iv, nous Iraîterons des pritret pour Us morts.

DANS L'ANClKiNNE ST.NACOODK. 2'|.5

les Hébreux ne voyaient de remède conlre la souUlare du serpent que dans le Messie.

La paraphrase syro-jérusalémite de Jonathan ben-Iïuziel, qui est ordinairement le fidMc écho de l'antique tradition .', rend ainsi le verset i5 du ch. m de la Genhe , le Seigneur pro- nonce la sentence du serpent :

« Et je mettrai une inimitié entre toi et la femme , entre la «postérité de ta génilure et les enfans de sa race... [Mais à la vé- »rité à eux sera un remède, et à toi ne sera pas un remède ; et » dans un tems à venir % eux feront l'écrasement * (t'écraseront), »d la fin dans les jours du Roi-Messie 4. »

> Il faut dire cependant que, malheureuscmeut , Jéjà dans celle para- phrase la Iradilion se Irouve enlreniêlëc de quelques rêveries rabbiiiiques. Mais on y distingue facilement ce qni est altéré par l'alliage des docteurs pharisiens.

» Le texte porte : faturi sunt ut...

' Dans la polyglotte de Wallon nrW^V 12]}D'1 {^^'"crc contriiionem) est traduit fautivement : medicinam adhibebunt. Le terme elialdaïque KDVîJÏ? n'a jamais signifié 7-eijic'(^c. Voyez le Metiirglieman , lexicon elial- daïque, de Elie Hallévi , arl. ft'jj;. La même version rend K3p'iJ3 [in fine , in extremifate] par calcaneo. Celte erreur est d'autant moins excusable que la variante du thargum jérusalémile , placée en regard, ex[)Iique le sens de ce terme ; N'QV 2pV t\^D2 H2pV2 (ii2pV2 qnod est, ùi fine exU-emi- tatis diei'um.) Il est rare qu en ouvr.mt celle polyglotte on ne tombe pas sur quelque faute grossière. Mais la plus curieuse que j'aie encore ren- contrée , c't.sl Ge»èse^v, 4, xvii , 6. lauleur de la version latine du texte syriaque fait sortir Isaac du dos dAbraham , comme il fiiit sortir des rois par la même voie.

Filius tuus qui cgrcdiLlur e dorso tiio. El rogcs e dorso lue protlibunt.

Le traducteur ignorant le mot syriaque, a prubablemcul cherché dans le lexicon le mot qui signifie : Dorstim, Lumbus. En écolier Irès-mala- droif, il s'en est tenu à la première explication , s.jns peut-être même re- garder la seconde. Et maintenant, Prottslaiis! turguez-vous de votre supériorité dans les langues orientales 1

"Nn:3 n'»ynT î>31 ■]:2 n^yiî p3 «jnnx p3i i^i ""r^yns inan * ^^nv^)\y -layoS p:>N pTnyï ^DH. nih' n^ ']h^ idx k.t ;ir\\ d"i3

fii6 MOYEr* DE SALUT

Dans mes deux dernières lettres aux Israélites ' , j*ai rapporté plusieurs aulorités qui prouvent que d'après la croyance de la synagogue , dans les tems les plus reculés , la cessation de la souillure , ou tache originelle , ne devait avoir lieu qu'à l'avè- nement du Messie; ce qui veut dire que le Christ du Seigneur devait extirper ce venin '.

Maintenant, pour ce qui regarde l'effet rétroactif du mérite inHni des souffrances du fils de David, interrogeons les anciens, et ils nous diront '.

Médrasch-Yalkul *, traitant du chap. LX d'Isaïe, s'exprime ainsi :

«Satan dit devant le Très-Saint (béni soit-il), Maître de

l'univers, à qui est cette clarté qui se trouve sur ton trône «glorieux? Dieu lui répondit : A celui qui un jour te fera re- » tourner en arrière et couvrira ta face de confusion. Il (Satan) »lui dit : Maître de l'univers, fais-le moi voir. Dieu lui ré-

pondit : \ienset vois-le. Aussitôt qu'il le vit, il fut secoué

d'un grand tremblement, et il tomba sur sa face en prononçant »ces mots : Certainement ceci est le Messie qui un jour me pré-

cipitera dans la géhenne avec toutes les nations infidèles !

Alors le Très-Saint (béni soit-il), commença à faire ses con-

ditions avec le 3Iessie, lui disant : Ceux qui sont réfugiés auprès tde toi *, leurs péchés te soumettront un jour à un joug de fer

et te feront devenir comme un veau dont les yeux se ternissent,

et ils seront cause qu'on t'oppressera l'âme par ce joug ; et

par suite des péchés de ceux-ci ta langue un jour restera atta-

chée à ton palais ^ Consens-tu à cela?

«Alors le Messie dit devant le Très-Saint (béni soit-il) . Maître »de l'univers, peut-être ce tourment durera-t-il plusieurs au-

' Voyez surloat, deuat. lettre, page 5, iiole b.

» Oii peut ajoutera ces aulorilésle grand Yalkul-Réubêni io\. 16, col. 1.

' Deut,, XXXII, 7.

4 Seconde partie, n. SSg.

* Ceci désigne visiblement les Palriarriies et autres Justes de l'ancien testament.

^ Ps. XXI, (heb. XXII.) 16. Et lingua mea adhœsit faucibus mois. Le Médrasch-Yalkut déclare quelques lignes plus bas que ce psaume décrit i4S souffrances du Messie.

DANS l'ancienne synagogue. 247

»nées ? Le Très-Saint (béni soit-il), Ini répondit ; Par ta vie

et par la vie de ta têle, j'ai prononcé sur toi une semaine '. Si

ton àiTie s'en afïlige , je les ' rcjcUc des ce moment. Et il dit j) devant lui : Maîlre de l'univers , c'est avec la joie de mon cœur »et avec l'allégresse de mon ccenr que j'accepte lont, à condi- »tion que pas un seul d'Israël ne se perdra '\ Et non-seulement

les vivans devront ôlre sauvés dans mes jours, mais aussi ceux nqui seront déposés dans la terre. Et non-seulement les morts «seront sauvés dans mes jours ', mais aussi tous ceux qui sont «morts depuis les jours d'Adam, le premier homme. Et non-seu- » lement ceux-ci, mais aussi les avortons seront sauvés dans mes

jours. Voilà ce à quoi je consens, voilà ce que j'accepte. »

0 Les docteurs enseignent : la semaine ^ de l'avènement du fils de David ^, on apportera des poutres de fer et on les lui chargera sur le cou jusqu'à ce que sa taille se pliera en deux, et il jettera des cris, et il pleurera si fort que sa voix montera jus- qu'au ciel ". Il dira devant Dieu : c Maître de l'univers, jusqu'où »y pourront tenir mes membres? Ne suis- je pas de chair et de Dsang ^ ?

«C'est cette heure-là qui faisait pleurer David, et lui arrachait cette plainte 3 : o Ma vigueur s'est desséchée comme un vieux » tesson, a

« A ce moment, le Très-Saint (béni soit-il) lui répond :

' Daniel, ix, v. deruicr.

' Ceux que ta dois sauver.

' Il est lijrn cutcndiî qi c dnns ro nonihrc ne pruveiil pas éîrc compris cctix qui repoussent voIout;iir(--uieiil le bénéliee do i;i Rédemption. Qiios adodisli mihi , dit le Messie à son Père , cnstoJiui ; et nemo ex ilLis pcriit, «nisi filins perditionis. 5. Jean, xvii ; 2. -.Judas él^il devecin fils de la per- dition, non ex defecln cu?lodic« Chn«ll , sid ex propriâ inaliiià snft, comme dit Lyr.nn.

* Ceux dont les resles subsisteront encore.

' Voy. plus liaut , note i,

6 Du Messie.

7 Jésus aulcm ilerum damans voci tncpu'i. Matli. xxvu. 5o.

8 Deusmeus, Deus meus, ul quid doreliquisli me.

9 Ps., xxn, i6, iieb.

348 MOYEX DE SALUT DANS l' ANCIENNE SYNAGOGUE.

Ephraïm, mon Messie de justice ' , déjà depuis les six jours de la création tu t'es soumis à cette condition ». »

Le Chev. Dragh.

Bibliothécaire de la Propagande à Rome.

» J'ai déjà fait voir dan» la piemière note de ma deuxième lettre aux Israélites, p. a58 el suiv., que les anciennes traditions, les paraphrases chaldaïques. le talmud , et les différeus médraschim , nomment uii seul et même Messie , tantôt fils de David, tautôl fils de Joseph. Nous en voyons encore un exemple dans le présent passage. Ce sont les rabhins qui , pour échapper aux argumens prcssans des chrétiens, ont imaginé deux Messies différcns sous ces deux noms. Voyez la note entière de mou dit ouvrage.

t>iDj r-\nn î::iï? nx dVij; Sï? um n"2pn 'jîjS ji:ï? nox » r-\ï;i33 -|a>SDnSi ^nnnnS Tny ?«<inu? >oh S"n >oS -(Sï? iMjn n^iï? p»Di ims nxn nu V'n >V 'inam Dh^v ^v 1313t Vu a»j3 >h S'sn^ n>iiyï? n»ï;a inT >nt3 -idk vûû Sy Sa:! ^jrjif: iniK iSbn V'N loy njDO «in ^nn unpn S>nnn a^nun moiNn SdSi ^mN a>'»î?ii?i 'm2 Siyn iD»:DnV o'Tny on'm^ij; ihim Q>'(^2y•o "iVn Sï? Dn>m3'ii;3i Siya "]nn nx ppa^yoi v:>i; ihdï? nîrt SjyD nna ï?npn 'jaS n»ï?o ion "J33 ijiït i^na pmnS piï?b -»ny T'n n"2pn b"N an mm m:ï? ^yy i.mN nou? aSiy Su i:im Kin noK VvyDyo pmD 'as n3i*y iTuaa ax l'Vy >mT: yi3ï? t»:;nt »m D"y >hy SnpD >3x 'aS nnaï?m >ib nV:n CD^iy bw i:in v^aS o»ï13:ï; oms c]n xSk iy\t;i> iiba a'»n xSi Snt^^'q ma lax» nSu; mo'D ino'^ a»jia anix î)N nSn 'a»3 ^v^v 12^2 D>na «bi naya '\2 >D>2 lyïJV D»Sa3 .^N nha nnSn iSn nHi vu?Dy ly pusin oik r-»i"np pN>30 13 K3 m pï; yuï? nos Vapo ♦:{< pa r-iïn >:n riDim pyiy ><im inaip -{aD:u? ly tikiï Sy ib a>:m:i St-i3 Sï; noa 'HD Nn> noD aSiy Su uim vjab -iqn anoS ibip nSiyi Sy ':n Q*n nua kS nn'n nh» no3i 'naï;: ^<n» hddt 'nn xn» •ïS "iDK nv^ rmN3 >n3 uins \y3' -laiNi n3i3 im n^n n::^ nmx s n»ï?Kn3 >rj' nuua "'Sy nS3p i33 >pny n»u?o onsjx n"3pn

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£){^i0lxc.

HISTOIRE DE LA PAPAUTE,

PENDANT LES XVI ET XYII* SIÈCLES;

Par AL Léopold Rax^e, Professeur à l'Université de Berlin, traduite de l'alle- mand, par ^I. J. B. Haiber, publiée et précédée d'une introduction, par M. Alexandre de SU-Chéron.

Importance de l'histoire de la Papauté de Rante. Cause de l'influence

politique delà Papauté Cause de la reforme. Sou origine doit être

recherchée dans lesenseigneraens de l'Ecole. Jugement sur l'ouvrage deRanke. De son catholicisme. Conseils aux tiaducteurs catho- liques.

Ceci est tout simplement un épisode d'un grand ouv.rage entre- pris par M. LéopoldRanke, sous le titre suivant : Les Princes et les Peuples de C Europe méridionale, au 16' et au i'^" sit'cle. Un épisode en quatre volumes! On peut se figurer d'après cela toute l'ira- portance de l'ouvrage lui-même. Il est vrai que sans l'épisode l'ouvrage ne pourrait exister. Le fait dominant de l'histoire européenne, au 16^ siècle, c'est la réforme. C'est dans cet évé- nement capital, c'est dans la lutte du pouvoir spirituel et des nouvelles doctrines, qu'il faut chercher, pendant cette période si bien remplie, le germe des événemens politiques, dont l'in- fluence a remué l'Europe tout entière, xiinsi point d'histoire possible à cette époque si la papauté n'y trouve une large place; et en remontant l'échelle des siècles, nous trouverions qu'il en a toujours été de même depuis l'instant où, dans le vaste naufrage de l'empire d'Occident, la barque de Pierre fut reçue au milieu des conquérans barbares qui aidèrent ainsi à la régénération du monde. Dès ce moment, l'Eglise joua le prin-

ï Paris, Debecourt, 18j8 , 4 vol. in S", prix, 28 f i .

250 HISTOIRE DE LA PAPAUTÉ,

cipal rôle dans l'histoire, et nous osons dire que ce ne fut au dé- triment ni des rois ni des'peuples ! Le siège de Rome fut comme un centre lumineux d'oïi s'élancèrent, comme autant de rayons fertiles et générateurs, une foule d'apôtres, qui portèrent le flambeau de l'évang'le et de la civilisation de la Tamise au Da- nube, et des rives du Tage aux bords de la Baltique. Aussi quel grand et bel ouvrage qu'une bonne histoire générale de la pa- pauté! Ce serait une histoire universelle de l'Europe pendant dix-huit siècles , avec de curieuses et intéressantes digressions dans les annales des autres parties du globe. Ce bel édifice ne devait pas être construit d'un seul jet. Des savans de tous les pays semblent s'être partagé la besogne , et, il faut le dire à notre confusion, la France parait décidée à se laisser enlever par des nations voisines toute la gloire de ce beau monument. C'est à des étrangers, à des protesîans, que nous devons encore lesmeillcurs ouvrages publiés sur la papauté : YHistoire de latie et (lupontificatdeLéonX,pa.i\\^i\\[am Roscoe ; la vie de Grégoire VU, par M. Voigt ; VHistoire d'Innocent III et de ses contemporains, par M. Hurter; etc., etc.

Le livre de M. Ranke est à coup sûr un des plus atlachans et des plus instructifs qui aient encore é!é publiés sur cette belle partie des annales de l'humanité. L'auteur ne s'est pas contenté des matériaux que la presse avait mis jusqu'à ce jour à la portée de tous; il a fo\iillé les archives inexplorées de Berlin, de Tienne et de Venise. De il est parti pour Rome; il a voulu étudier, sur le théâtre même de son ancienne splendeur, celle puissance jadis si formidable et si vaste, réduite maintenant à n'être plus que l'ombre de ce qu'elle a été. Les portes du Va- tican ne se sont pas ouvertes devant le docte professeur; mais il a obtenu l'accès de ces riches archives privées, la haule ariHtocratie romaine conserve les souvenirs de tous les événe- mens dans lesquels ses membres ont autrefois joué leur rôle. Cent soixante-cinq manuscrits, dont on peut voir la désignation à la fin du quatrième volume, ont fourni à M. Ranke une foule de détails jusqu'alors inconnus, sur la période qu'embrasse son histoire. C'est surtout le secours de ces riches matériaux qui l'a déterminé à faire, d'un épisode de son grand travail, un ouvrage complet par lui-même, et capable h lui seul de

PAn M. LEOPOI.n nANKE. 251

fonder, s'il en était besoin, la gloire scientifique et littéraire de l'auteur.

M. Ranke ne veut, dit-il ', s'occuper que du pouroir temporel de la papauté et de son développement : les faits ecclésiastiques et purement canoniques ne sont rien pour lui, la puissance pa- pale n'exerçant plus aucune influence sur les destinées spiri- tuelles des hommes du nord, pour qui surtout Jl. llanke écrit son livre. En ceci, l'historien s'est fait illusion à lui-même, s'il a cru de prime-abord scinder la puissance papale en deux par- tics distinctes, s'occuper de l'une exclusivement à l'autre, mener à bout son enticprise en ne tenant perpétuellement compte que d'une seule donnée, et en ne considérant les questions que sous une seule face. Aussi qu'on ne se laisse point prendre à cette trompeuse annonce. Les chapitres , consacés uniquement à l'administration temporelle du pouvoir papal, sontexlrêmement rares dans l'ouvrage. Partout l'autorité spirituelle se montre tellement liée à la puissance temporelle, que l'auteur a re- noncer à les diviser. Bien plus , la plupart des péripéties, qui jettent un si grand intérêt dans l'histoire politique des i6' et jj* siècles, ont leur ressort caché dans les intérêts spirituels de l'époque. Ce qui rend si attachante la lecture du livre de M. Ranke, c'est peut-être cette sagacité avec laquelle il démêle dans la lutte prolongée de deux principes religieux, le secret des révolutions qui, pendant deux siècles, ont mis en mouve- ment presque tous les états européens. Du reste, il ne faut pas croire que, en zélé protestant, 51. Ranke fasse peser sur l'Eglise romaine toute la responsabilité des troubles religieux; rare- ment l'espiit de parti le fait transiger avec la justice et la vérité. S'il se trompe, c'est de bonne foi ; et même lorsqu'il accuse, il règne dans ses paroles une mesure et un sentiment de conve- nance qui, même de nos jours , pourraient servir de modèle.

On n'attend pas de nous sans doute une analyse détaillée de l'ouvrage de M. Ranke ; une semblable t.àclie cxigcra'it de longs et nombreux articles. D'abord , il faudrait esquisser l'état de l'Eglise au commencement du 16' siècle. A cette époque oq avait reconnu , un orateur avait même annoncé au concile de

» Tom. î, p, If .

252 HISTOIRE DE lA PAPAUTÉ,

Bâle cette maxime , que la vertu sans le pouvoir est ridicule , que le pape romain, sans le patrimoine de l'Eglise, ne repré- sentait qu'un serviteur des rois et des princes. Le même orateur trouvait bon qu'un pape eût une famille puissante capable de lui prêter main-forte contre les tyrans. Une doctrine aussi nou- velle , émise en plein concile, n'était pas, on le pense bien , l'expression d'une simple opinion individuelle. C'était la mani- festation d'une idée qui commençait à se traduire en faits po- sitifs. Les états turopéens cherchaient, sans aucun motif de justice , à dépouiller le pape de ses possessions. Le souverain pontife dut se souvenir qu'il était non-seulement évéque, mais encore prince temporel; il était donc tout simple qu'il cher- chât xin appui dans les membres laïques de sa famille. De cette direction de l'activité papale qu'on a désignée sous le nom de népotisme, et qui , fondée par Sixte lY, fut développée avec énergie et bonheur par Alexandre VI, et produisit, sous Jules II, des résultats tout-à-fait inattendus. Malheureusement ce rôle nouveau fit trop souvent oublier aux souverains pontifes leur caractère principal, et la religion eut beaucoup à souffrir de son alliance avec des intérêts terrestres. Quand la dignité su- prême eut pris une physionomie temporelle, les autres dignités ecclésiastiques ne tardèrent pas à subir une semblable méta- morphose , et les bénéfices , regardés comme de simples pro- priétés, devinrent presque un objet de trafic et de revenu. Bientôt la puissance des dogmes elle-même, la foi, cette grande base de la religion chrétienne, fut violemment ébranlée, au milieu de l'admiration fanatique dont l'Italie fut tout d'un coup saisie pour l'antiquité païenne , sous le rogne brillant de Léon X, et il se répandit, dans les écoles chrétiennes et même à Rome, un scepticisme dont l'inducnce ne tarda pas à se faire sentir au dehors.

Au milieu de cette déplorable désorganisation , quelques germes de réforme s'étaient développés avec assez de vigueur au sein de la communauté catholique ; mais le besoin d'une régénération spirituelle n'avait pas encore frappé tous les yeux, que déjà un hardi novateur avait jeté, en dehors de l'Eglise, les bases de celle régénération. A dater de ce moment, l'histoire peut se diviser en deux périodes principales se raltaclianl à deux

PAR M. LKOPOLD BANKE. ZbS

grandes idées , qnî ont successivement dirigé la politique de» papes : d'abord, tentative de réconciliation avec la réforme, liisîoire du concile de Trente ; plus tard , lutte avec la réforme, histoire de la fondation et des déve'.oppcmens de la société de Jésus. Autour de ces deu\ grands faits vicniicp.t se grouper une foule d'événemens secondaires, qui amènent souvent les con- trastes les plus frappans, les péripéties les plus inattendues. Par exemple, la direction de Pactivilé des papes ne s'est point tour- née brusquement de l'une à l'autre des deux idées capitales que nous avons indi(|uées plus haut. Ilj-aeu, entre les deux systèmes, une époque de transition remplie par des faits d'un autre ordre.

A la mort de Jules III, toute réconciliation avec les réformés était reconnue impossible : le concile n'avait eu aucun résultat; lesprotestans, relevés de leurs défaites antérieiires, étaient plus forts que jamais. I.e parti religieux, défenseur de la rigidité des mœurs, prévalut dans l'élection du nouveau pape, et Marcel II, homme, dit M. Ranke, d'une activité et d'une vertu irrépro- chables, fut porté au trône pontifical.

On -ne peut prévoir ce qui serait advenu . si ce prélat aux mœurs au>tères avait conservé plus long-tems la tiare; mais il mourut au bout de 21 jours, et fut remplacé par le fameux CaralTa, le fondateur des Théatins et de l'inquisition, vieillard ambitieux, ardent, inflexible, dont la téle,dit Muratori, était, en raccourci, une image du Vésuve '. Il fut redevable de son élection à la vie exemplaire qu'il avait menée jusqu'alors, à son immense savoir, au zèle avec lequel il avait défendu la pureté du dogme au sein du concile. Un homme de ce caractère de- vait poursuivre ardemment le projet de combattre par une ré- génération légale au sein de l'Eglise, la réforme arbitraire qui se développait au dehors. Il se mit donc à l'œuvre avec un zèle qui faisait présager des résultats prochains ; mais sa haine violente pour l'Espagne vint bientôt changer le cours de ses idées, et reporter vers un but d'indépendance politique la dévo- rante activité de son esprit.

Le premier résultat de ce revirement fut un retour décidé au népotisme contre lequel Paul IV, étant encore simple cardinal, s'était vivement prononcé, et que son prédécesseur, Marcel II,

' Il prit le nom de Paul IV,

2^$ HISTOIRE DE LA PAPAUTÉ ,

semblait avoir enlièrement détruit en défendant même à ses neveux de venir à Rome. La direction des affaires temporelles fut entièrement abandonnée à Charles Caraffa, neveu du pape, et la guerre commença contre l'empereur; mais quelle guerre ! D'un côté, le duc d'Albe, en bon catholique, combattait le pape avec une sorte de respect, ménageait Rome qu'il aurait pu prendre sans beaucoup de tlifficulté, et ne visait qu'à désarmer le souverain pontife. D'un autre côté, Paul IV, après un triste essai de la valeur dc> soldats romains , avait eu recours à Pierre Strozzi, qui lui amena les troupes avec lesquelles il avait ravagé la Toscane pendant la guerre de Sienne, troupes prcsqu'entiè- rement composées de profcstans allemands. S'il est un fait qui prouve combien les Imîncs personnelles de Paul IV avaient changé les tendances do la papauté , c'est à coup sûr cette triste campagne qui ne devait avoir aucun résultat. Le pape, en hostilité ouverte avec une armée catholique, soutenu par des troupes protestantes, et même, il faut bien le dire, sollici- tant du Grand-Seigneur une diversion dans la Sicile, tout cela dénote évidemment une lutte purement politique dans laquelle les intérêts religieux ne jouent absolument aucun rôle. Paul IV laissa venir les choses jusqu'à la dernière extrémité; il ne voulut se prêter à la paix que lorsqu'il vit ses projets entièrement ruinés, ses alliés battus, son étal envalii, sa capitale sérieuse- ment menacée.

Mais alors sa politique piit une nouvelle direction. La néces- sité de se soumettre à l'Espagne fit décliner rapidement le crédit des neveux dont oii n'avait plus besoin. Les anciens projets de réforme religieuse furent repris avec ardeur, et dès cet instant la papauté se lança franchement dans cette carrière delutlepermanente avec les réformes calviniste et luthérienne, lutte le zèle ardent des jésuites, la rigidité de Pie V, et le génie despotique de Sixte V, valurent à l'Eglise romaine de si grands et de si beaux triomphes.

La méthode de M. IVanke consis'.e dans l'ubscrvation exacte des faits, dans l'appréciation impartiale et le développement logique de leurs conséqucners. On sera peut-être bien aise do savoir comment ce judicieux auteur a compris et exposé les causes de la réforme. H faudrait être aujourd'hui bien ignorant ^

PAR M. LÉOPOI.D R.VNKr. 25$

en histoire pour admettre, comme cause dcterniînante , une ridicule jalousie contre l'ordre de saint Dominique chargé de prêcher les indulgences, au détriment des moines Augustins dont Luther faisait partie. Et cependant on ne peut nier que la publication des indulgences ne soit entrée, sinon comme un motif vrai, du moins comme un prétexte plausible dans la for- mation et le développement des doctrines de Luther. Mais la cause première de cette émancipation intellectuelle, il faut la chercher, comme l'a très-bien prouvéM. Guizot, dans ce besoin d'indépendance qui depuis deux siècles tourmentait intérieu- rement la raison humaine. Ce germe d'insubordination fut puissamment fomenté en Europe par la renaissance des lettres, et il est curieux de suivre, avec ^lli^lorien de Berlin, les effets divers que produisit, des deux cotés des Alpes, ce rcitour subit à l'étude de l'aiiliquité.

Les Italiens. passionnés siutout pour les beautés de la forme, imitèrent d'abord les auteurs anciens , et s'élevèrent ensuite jusqu'à la création d'une littérature nationale; ce fut une ré- génération purement liiléraire. S'ils empruntèrent aux i)hilo- sophes de la Gièce et de Rome l'indépendance de leurs pensées . ils ne franchirent point de ce côté ie.s limites d'une simple théorie; façonnés depuis iong-tcms au joug salutaire de l'auto- rité ecclésiastique, ils voile rent un sccp[ieismedé.''Ordonné,sous le masque d'une orthodoxie d'habikidc.

En Allemagne, il en fut autrement : la nature même des esprits les poussa vers des conséquences tout-à-fait diff^Mcntcs. Ils s'adonnèrent à l'élude de la littérature antique, mais seu- lement pour mieux pénétrer dans les profondeurs de la philoso- phie des anciens. Livrés avec ardeur aux méditations religieuses, ils y apportèrent ces idées d'indépendance qu'ils puisaient aux sources de la sagesse profane. Le fiein de l'autorité devint im- puissant contre les écarts d'une logique inflexible. La souverai- neté de la raison humaine fut proclamée, et le pouvoir spirituel, auquel on reprochait des torts réels ou prétendus, mais en tout cas fort excusables, perdit toute espèce de crédit.

Certes, nous ne prétendons pas que M. Ranke, dans i'appré- •ciation d'un fait aussi capital, soit parvenu à se dépouiller en- tièrement de toute prévention. Ce serait un vrai miiacle qu'un

256 HISTOIRE I)B LA PAPAUTÉ,

lecteur de bon sens n'oserait exiger comme condition essentielle d'une bonne histoire ; mais nous le répétons , l'historien alle- mand se laisse rarement entraîner par ses préjugés religieux. Il tient ordinairement la balance d'une main impartiale, et même, lorsque la force de ses convictions l'entraîne à des accusations bien ou mal fondées^ il garde toujours envers l'Fglise romaine et ses chefs spirituels une sage mesure dont nous devons lui exprimer toute notre reconnaissance.

Est-ce à dire pour cela que M. Ranke ait des tendances ca- tholiques, et sommes-nous fondés à voir dans son livre une victoire remportée parla vraie religion, sur les doctrines dissi- dentes? Non-seulement nous ne pensons pas ainsi, mais nous osons blâmer sévèrement ces insinuations hasardées dont l'influence n'a pas atteint seulement M. Ranke, mais encore tous les écrivains protestans qui ont traité le Catholicisme avec tout le respect aune institution divine. Quoi! parce que des historiens allemands, des écrivains pleins de réserve et de gra- vité n'afTectent pas envers notre sainte religion, le mépris in- sultant d'une cynique philosophie; parce qu'ils dédaignent les armes grossières dont ne rougissaient pas de faire usage les incré- dules du i8' siècle, est-ce à dire pour cela qu'ils ont reconnu leurs erreurs, et qu'un méticuleux respect humain les retient seul hors de la bonne voie? non c'est trop présumer de leur sagesse et mal reconnaître la nature du Catholicisme. Disons plutôt à la gloire de notre religion, que pour en sentir la beauté il n'est pas nécessaire d'être dans son sein, et que sa gran- deur toute divine en impose même à ceux qui n'y croient pas.

Acceptons donc pour ce qu'on nous les donne, les livres de MM. Ranke, Yoigt , Hurler et autres, et n'y cherchons pas des intentions cachées qui existent peut-être, mais que dans tous les cas ce n'est point à nous de signaler. Il faut les laisser mûrir en silence et ne point en faire un trophée gênant pour l'auteur, et pouvant par conséquent empêcher la réalisation des espérances qu'il a pu faire concevoir.

Nous avons ici à dire un mol sur un reproche fait à la traduc- tion de M. de S. Chéron ; quelques journaux, et M. Ranke lui- même, l'ont accusée de n'être pas fiJèle, et ont fait beaucoup de bruit comme si elle avait changé complètement le sens de

PAR SI. LÉOPOLD RANKK. 2W

l'ouvrage primitif. Certes, nous ne voulons pas excuser une traduction infidèle, et en rendant compte de la traduction de Grégoire VII, les Annales, avant même qu'il fût question de la traduction de l'histoire de la papauté , ont reproché à M. Jager , d'avoir changé quclqiicfois le sens de l'auleur; mais il ne faut pas cependant laisser croire que l'ouvrage de Ranke a été défi- guré : avec une bonne foi qu'il faut louer, M. de S. Chéron est convenu du fait, et a joint à son édition un appendice il rec- tifie les erreurs qui étaient échappées à la plume de M. Haiber le traducteur. Les voici :

Au lieu de : Luther arriva à la fatale doctrine de réconciliation par le Christ, appuyant sa dangereuse erreur de paroles de l'Ecriture-Sainte, bien mal comprises par lui, et trop vivement adoptées par les mauvaises passions, T. i , p. 249. Lisez : Luther arriva à la doctrine de la réconciliation par le Christ sans les œuvres; c'est de ce point de vue qu'il comprit d'abord l'écri- ture sur laquelle il s'appuyait avec force.

Au lieu de : quelle admirable opposition, lisez : quelle oppo- sition ( id. p 262 ).

Au lieu de : le pape temporisait toujours et avec raison, lisez^ le pape temporisait toujours (id. 268}.

Après ces mots nouvel ordre de choses, ajoutez et dont la pro- duction blesse notre manière de voir (t. ii, p. 54o).

Nous le répétons, nous n'approuvons pas ces additions ni ces retranchemens, mais il serait injuste de vouloir en prendre occasion d'accuser tout l'ouvrage de mauvaise foi. En atten- dant, nous recommandons de nouveau aux traducteurs catho- liques d'être très-rigides sur ce point ; il faut absolument que nous sachions quel est la propre pensée et le vrai jugement de l'auteur protestant, afin que nous puissions nous servir avec confiance et avec profit de son autorité. Un seul djoit re>!e aux traducteurs catholiques, c'est de rectifier dans les notes les erreurs de l'original.

Le besoin de pareilles notes se fait particulièrement sentir dans la traduction du livre de M. Uanke, et ici noii^ aurions quelques reproches à adresser à ?J. de S. Chéron, qui était très- capable de les donner. On ne peut trop s'étonn«r d'y lire, sans Tome xvii.~N" 100. i838. 17

358 HISTOIRE DE LA PAPAtTÉ^

aucun avertissement ni commentaire, le pompeux éloge du protestantisme , qui termine le premier livre du professeur allemand ; éloge dans lequel on attribue à l'Allemagne le mé- rite immortel d'avoir rétabli le Christianisme dans 5a forme la plus pure depuis les premiers siècles, et d'avoir découvert de nou- veau la vraie religion *. Ailleurs ce sont des accusations contre le clergé romain qu'on reproduit sans même prendre la peine de remarquer qu'elles ne sont appuj'ées sur aucune preuve ». Plus loin, l'écrivain protei^tant dénaturant le sens d'une cons- titution des Jésuites, eu tire une conséquence si extraordi- naire qu'il termine sa note erronée en s'écriant : on en croit à reine ses yeux quand on lit de pareilles choses ! et le traducteur nav-Liit d'abord fait aucune remarque sur ce passage, qui est expliqué et réfuté seulement dans l'appendice publié après coup!

C'est avec regret que nous avons vu aussi un ouvrage sj in- téressant, si instructif, écrit dans un style qui révèle chez M. Haiber \ui homme malheureusement trop étranger aux formes et aux règles grammaticales de notre langue. Nous n'insiste- rons pas sur les noms propres méconnaissables, tels que Li- vius ^ f Thuanus, sous lesquels, en France, peu d'hommes du monde reconnaîtront certainement Tite-Live et de Thou. jSous passerons si l'on veut sur les épithètes barbares comme la puis- sance borgienne pour la puissance des Borgia; mais nous ne pouvons ne pas signaler l'emploi de certaines constructions qui peuvent être dans le génie du langage allemand , mais qui ré- pugnent invinciblement à nos formes- grammaticales. Ainsi nous trouvons : Je ne puis pas me persuader que jamais le concile aurait eu lieu sous lui. Toute grande pensée, si elle ne réussit pas , elle peut lie plus vivre. On ne peut nier que les villes lui facilitaient grande- ment cette extension cC autorité, etc.; ajoutez à cette négligence de style -une grande incorrection, surtout dans la reproduction des textes latins, italiens et espagnols cités en note par l'auteur;

> Toru. i,p. 176- » W. p. 1 1 1 .

' Celui-ci d'autant moins excusable qu'il est dans le texte français et non dans unç note.

PAR H. LÉOPOLD RA^KB. 259

mais ici le traducteur peut donner pour excuse que Ranke lui- même a cilé et copié ses textes avec une extrême négligence.

Si le zèle de MM. Haiber et de Saint-Chéron avait se borner à la traduction de l'Histoire de la papauté, nous nous serions abstenu de ces observations. MaisVHistoired''IrinocentIII, qui vient de paraître sous leur nom , nous prouve qu'ils ne s'ar- rêteront dans cette belle et louable carrière, que lorsque les bons livres à traduire manqueront entièrement à leur activité; dès-lors nous avons leur signaler quelques défauts qui dé- parent trop leur dernier ouvrage, pour qu'ils ne se fassent pas vuie loi de les éviter soigneusement dans leurs futures publica- tions.

H. G.

SMk) SI LE eHRISTIANISME A NUI AUX SCrEKCES.

*^A,^*'^A^■^Av^AAAA**^»»A»A^A^A**^*^^»*'^AA^A*^^*l«^A<'^AA^^^«\»^^A^\A;^^»»v»a>vw^»»l>v^af\^>^\^

^çforb be (a UeCigiiJn d bcs Bcimces,

S'IL EST VRAI QUE LE CHRISTIANISME AIT NUI AU DÉVELOPPEiMENT DES CONNAISSANCES HUMAINES,

ou DU MOINS A CERTAINES SCIENCES.

premier 3tficf^»

De l'histoire des sciences mathémaliques en Italie, de M. Libri. De la cosmographie de M. Letronne. Du sens litle'rai de la Bible. Le» Saints Pères ont-ils puise leurs opinions cosmographiques dans la Ge- nèse? — De la structure du firmament. De la plura'ité des cieux. De la configuration de la terre el des cieux. Les erreurs côsmo- graphiques des Pères ne peuvent être altribue'es à la Bible. Con- tradictions de INI. Letronne, Les Pères n'ont point de cosmographie propre. Conclusion.

En lisant le mois passé l'ouviage que iM. Libri vient de faire paraître sous le litre d'Histoire des sciences mathématiques en 11 alie , et la religion est considérée généralement par l'auteur, comme fatale aux études, j'ai trouvé dès les premières' pages , le titre d'un mémoire publié par M. Letronne, sur la Cosmographie des pères de l'Eglise. J'avouerai ingénuement qu'assez peu curieux de journaux , j'avais à peine entendu parler dans le lems de ce procès intenté aux premiers docteurs chrétiens; et supposant qu'il ne s'agissait que d'une de» échappées théologiques de nos cours supérieurs, j'avais alors laissé passer la nouvelle sans plws m'en soucier. Mais trouvant dans un ouvrage grave, tel que celui de M. Libri, qu'on y rciiVoyait comme à la chose jugée, et que la pièce en question existait dans la Reiucdesdeux mondes (i 5 mars i854), je cédai à la curiosité de connaître cet article indiqué comme irls-iniéressant par mon auteur. Passant donc pourlemo- msutdu membre de l'académie des sciences à l'académicien de»

hèFUTATIOX DE W. LETROiirXB. 261

ÎTiscrîptions, je me mis à lire la Revue des deux mondes. J'eus lieu de reconnaître tout d'abord , aux nombreuses citations d'au- teurs ecclésiastiques et d'écrivains allemands, que le directeur delà bibliothèque du roi n'avait point dérogé, et qu'on avait fait aux Saints-Pères, l'honneur de les enterrer avec queUpe appa- reil. Toutefois ayant bien, moi aussi, une certaine teinture de ces auteurs, «t de plusieurs moyens appelés en aide par savant antiquaire, je ne me tins point pour dit tout ce qu'a- ▼ait dit l'auteur aux abonnés de la Revue. Seulement mon exa- men de l'Histoire des sciences mathématiques en Italie se trouvait ajourné par cet examen nouveau , et je savais d'ailleurs qu'il avait été répondu à M. Letronne , par M. l'abbé Delalle. Aussi n'aurais-je pas manqué de revenir à M. Libri.sison collègue de l'institut n'eût été présenté par lui comme un important au- xiliaire, dont l'appréciation, par conséquent , ne me flétournait point de mon but; et s'il ne m'eût paru qu'on pouvait dire quel- que chose après les lettres du théologien qui avait remarqué l'article de la Rexue dès son apparition.

Celui-ci , en homme entendu , avait compris que le titre donné par M. Letronne à son article, ne désignait pas précisé- ment le but de l'écrivain, mais que l'attaque couvrait une feinta plus ou moins reconnue par l'auteur ; qu'au fond, c'était la Ge- nèse qu'on attaquait sous le nom des Pères, puisqu'après avoir bien poussé ceux-ci, on leur tend définitivemant la main , en disant qu'ils étaient franchement plus à plaindre qu'à censurer, n'ayant fait réellement que de commenter Moïse et l'interpréter du mieux qu'ils le pouvaient en leur dme et conscience. Ré- pondant donc à l'intention beaucoup plus qu'aux paroles de l'a- cadémicien , .M. Delalle s'occupait surtout à venger l'Ecrilura Sainte '. Mais, tout en reconnaissant la sagacité de cette polé- mique, un certain faible pour l'érudition , ne me permettait pas de voir sans quelque cliagrin , tant de citations et de noies bibliographiques franchies comme d'un pas dans la réponse , de manière à faire croire que 51. Letronne y avait perdu sou la-

' Aussi, laissant le mot de cosmographie employé par ^L Letronne, la réponse annonce par sontitrc qu'elle estsurteat dirigé* vers la eoêmo^ gonie , ce qui n'est poiat mon Imt.

2C2 SI LE CHRISTIANISME A NUI AUX 8CIE?(CES.

tin ( pour ne rien dire du grec et de l'allemand ) . Or , quel ama- teur de recherches, n'éprouverait pas un certain dépit à voir les recherches, même d'un adversaire, écartées presque sans coup férir, fût-ce du meilleur droit du monde ' ?

C'est ce qui m'a fait commencer ma réponse à M. Libri par une discussion du témoignage qu'il invoque, afin de laisser aux laïques qui se donneront la distraction de Iraiter des matières de théologie ( bien que M. Guizot ne le leur conseille point, ni moi non plas,àvrai dire ), la consolation de penser qu'il pourra leur être répondu précisément sur le terrain ils ont eu la complaisance de s'engager. Aussi répondant encore plus aux pa- roles du savant antiquaire, qu'à ses vues, je m'attacherai à peu près uniquement à ce qu'il y avait de positif, comme on dit , dans son article. Après quoi, j'en viendrai à l'Histoire des sciences mathématiques en Italie, si rien n'y met obstacle.

Voici, ou je me trompe fort, le fond de l'article publié dans la Revue ; et pour qu'on puisse me rectifier ovi me suivre, je noterai les pages se trovivent les assertions que j'extrais.

« Les Saints-Pères n'ont voulu admettre dans l'exposition des «passages de l'Ecriture qui ont rapport à la cosmologie, que Tin- » terprétation littérale; si bien que toute interprétation prise » d'un autre point de vue , était dissimulée plus ou moins par ses sauteurs, et écartée parles théologiens '.»

Celle interprétation emporte nécessairement des consé- quences absurdes •'. »

«Cette interprétation néanmoins est la seule orthodoxe', en »ce sens du moins, que seule elle répond à la doctrine de l'ins-

» Pendant que j'écrivais ceci , on m'a fait connaître une autre réponse, insérée par M. Foisseldans les annales de Philosophie chrétienne. T. VJii, p. 210 ; article écrit avec beaucoup de ir.esiire et de sens, mais auquel il m'a semblé qu'on pou\ait ajouter quelque chose sur la question princi- pale et sur la manière dont elle avait été traitée par la lîevtie, attendu que M. Foisset se place surtout au point de vue historique , qui ne lui per- mettait point ces détails. Cet article servira donc de complément à celui qui a déjà été inséré dans les AnnaUs.

» P. 602-605. 612, 616, etc.

P. 602-605, 611, 631, etc.

RÉFUTATION DE SI. LETRONIXE. 263

»piralion absolue fie iMoïse >. Mais auloiul, on ne peut voir dans »la cosmologie de rEcrilurc, sous peine d'absurdité, que l'expres- »sion d'idées populaires '.nD'où il résulte, je crois, en bonne for- me, qu'il n'y aurait d'interprétation orthodoxe delà cosmologie biblique, qu'une interprétation absurde ; mais il n'importe. «Les pères étaient sous l'empire des opinions cosmologique»

popidaires, et des doctrines adoptées par les écoles pbilosophi- » qnes de la Grï'cc ^. »

«Cosmasa consiruit le monde d'une façon fort divertissante 4, »et ce système est une conséquence de plusieurs textes de la

Bible °. »

Le reste appartient de près ou do loin à ces divers chefs, quo je traiterai sans trop de méthode, pour ne pas affecter un appa- reil didactique.

Je demanderai d'abord ce que c'est que C interprétation littérale ou verbale d'un texte. Y a-t-il, peut-il y avoir une explication littérale absolue d'un texte donné ? Je ne dirai rien de nouveau si j'affirme qu'au moins souvent la chose est inadmissible, dès qu'il s'agit d'un texte écrit loin de nous, soit dans l'espace, soit dans le tems ^.

Quel homme ayant une idée de l'herméneutique, ^'imaginera qu'il suffise d'avoir un texte sous les yeux pour en déterminer le sens assuré, au moyen du seul texte? Tout ce que nous ap- prenons dans une expression quelconque, ne se dévoile à notre intelligence qu'en vertu même des connaissances antérieures que nous apportons à l'examen ; en sorte que la probabilité do comprendre un passage est en raison de ce que nous saviona déjà sur l'objet dont il y est traité, et de l'analogie de l'emploi qu'y reçoivent les expressions avec celui qui leur est attribué dans des passages connus. Si l'objet est inconnu et étrange, si

'P. 603, 60i. >P. 60i, 605.

^P. 605,-607,612,613, 6Î7, 619,620, 628,631. < 606,— 6tt et au-delà. «P. 611, etc.

* Voyez V. 9. Fûlleborn, Encytl. philolog., •deHt. KaaU'H»»., p. US , «le.

264 SI LE CHRISTIANISME A MI AUX SCIEXCES.

le discours, avec cela, se met peu en peine du développement des idées et de la propriété stricte des expressions , l'interprèle n'a point de prise, le texte est entre ses mains une énigme. Nous le voyons même dans les auteurs grecs ou latins qui nous sont les plus familiers, et quantité de passages échappent aux plus habiles '. On les tortiu-e parfois, on a recours à des leçons plus ou moins forcées jusqu'à l'instant ou la découverte d'un monument qui les éclaire , vient faire voir aux érudits qu'il n'y avait nul cliangement à y inlroduire, et qu'il n'y man- quait jusque qu'une chose seulement, la connaissance du fait aême, pour le pouvoir lire dans son exposition. Que de textes des écrivains les plus étudiés ont reçu et reçoivent cha- que jour une interprétai ion nouvelle par les progrès de l'archéo- logie, sans que le texle lui-même ail reçu ou perdu une lettre! Ceux qui avaient voulu traduire, et ceux qui avaient condamné les copistes ou l'auteur avai.t l'élude ou l'apparition des monu- mens, s'étaient trop pressés, et les versions antérieures, pour littérales qu'elles se prétendissent , et peut-être à cause de cela même, se sont trouvées fausses par défaut de connaissances sub- sidiaires ». Cependant l'auteur attendait en paix que le pro- grès de l'étude vînt confondre ses obscurs blasphémateurs ^. Et jus(jue là, ou était la version littérale? Il n'y en avait point,

» Fûlleborn , op. cil. , p. 57, Ceux qui ne sont point étrangers aux éludes jthilosofihiques de l'Ailemagne , ou même qui ont eu sous les yeux* un catalogue de dissertations publiées en ce pays , savent combien de dé- bals s'y cievcnt pour deux ou trois mots d'un classique.

» Cela est si \rai, que dans tout nomeau projet d'explication pour un texte, c'est la gramuiaire qui joue le moindre rôie; on en appelle toujours, et presque uui(]ueinent, 3iU\ lumières acquises d'ailleurs sur le fait qu'on propose d'y lire.

' La chose est trop fréquente pour qu'il soit nécessaire d'en citer des exemples. Ce n'est pas d'ailleurs à un archéologue qu'il faut prou^er de pareils faits; M. Lclronne cioirail à boa droit que je me mot|ue, si jo le renvoyais à ce qu'il ne peut ignorer ; aux ouvrages dos llcyne , des ]5œt- tiger, des Boeldi , etc. , pour ne parler que des travaux récens, et des allemands que mon auteur paraît affectionner. Autrement il faudrait faire la liste de presque tout ce qu'il y a jamais eu de philologuci habiles cl •cboliastes distingués.

RÉFUTATION DK M. LETROMSE. 265

par ce que sans le conlexle cl le sens du texte entier, les mots ont quantité de valeurs possibles et pas une réelle.

Mais malheureusement pour beaucoup d'hommes instruits , ce qui est palpable dans un «uteur classique ne l'est plus dans le grand livre du chrétien ; et tel qui écrirait des pages sur une ligne de Cornélius Ncpos, ou au moins d'Hérodote ', a son pari i pris antérieurement à toute étude sur des chapitres entiers de Moïse.

est le seits littéral du début de la Genèse, et qui peut se flatter de le voir? L'Église, qui certes s'en occupe depuis long- tems avec quelque sérieux, ne nous a point fixés là-dessus, nous autres; et la Revue des deux mondes prétend en déterminer le sens orthodoxe! Les saints Pères, quels hommes! n'auraient fait que tâtonner dans une pareille question , et c'est Heyne ou M. Pott •, qui viennent en lever définitiveiTient le voile! C'est à la fois bien du respect pour les docteurs de Goctiingue ou d'ilclmstadt, et bien peu pour le maître du peuple de Dieu. Or que Pott ait tranché la question dans un opuscule du siècle dernier, je l'admire plus que je ne m'y rends. Prenons de néanmoins l'occasion de faire savoir à nos professeurs que tout le monde ne plie point pour avoir entendu citer un nom alle- mand, pas plus dans un article de Revue , qu'en Sorbonne ou au collège de France '. Autrement j'aurais eu bientôt fini de

> Par exemple INL Lctronne , dans le XII« tome des Mémoires de CAca^ imie , entre autres.

^ Article de la Revue, p. G05.

' Par exemple cette année à la faculté des lettres, on s'appuyait encore d'un nom allemand pour exjjliqucr le sacrifice d'Abraham d'une manière tout-à-fait rnj'ltuijue , c'est-à-dire illusoire. Riais si les noms allemands ont un si grand poids, on pouvait en citer un autre beaucoup plus ri- cent à l'appui du contraire. Voyez une dissertation publiée à Trêves cette annceci même, je crois , l'interprétation préconisée en Sorbonne est formellement réfutée. Je sais b'en qu'à la manière dont s'élaborent au- jourdhui beaucoup des ouvrages scientifiques français, ceux qui en connaissent le mystère peu\ ent être tentés de chercher hoi's de chez eux des garanties d'érudition véritable et des conclusions toutes formulées. Mais je sais aussi que plusieurs travaux d'outre-Rhin ressemblent aux nètres, et que plus d'une réputation germanique i>Cî(1r.iit aussi à èlr?

266 SI LE CHRISTIANISME A NUI AUX SCIENCES.

nommer Botsacc , Krag, "Werchau, Engeslroem, Rambach , Kirchmaier, Sennert, Kromayer, Gramme, Meisner, Rotten- bcck, "NVeissenbach, etc, etc., auxquels la cosmologie biblique n'a pas semblé inextricable. Mais enfin, ce qu'il y a de vrais savans (et je ne dispute point du tout à l'Allemagne sa véritable gloire en ce genre) ne peuvent méconnaître que le poids de leur nom équivaut dans une quesliot? au poids de leurs raisons, ni plus ni moins; et qu'une fois la raison trouvée, ce qui n'ap- partient pas à tout le monde, l'appréciation de cette raison ap- partient à tout homme de sens.

Quoi qu'il en soit , quel est donc le sens littéral du début de la Gc?!èj'e ? pourrait me demander M. Letronne. Et qui m'empê- cherait de répondre sans la moindre hétéi'odoxie , que jusqu'à présent il n'y en a pas ? que nous attendons pour interpréter le texte que les abords en aient été déblajés. Et par qui déblayés ? De la main de M. Letronne si vous voulez, et par tout autre sa- vant, mais savant vérital)le , non pas seulement archéologue, mais naturaliste , physicien , géologue ; nous les appelons, nous les invitons, nous leur disons comme autrefois l'Ecriture : assemblez-vous , éverîaez-voas et faites-vous battre '. Compulsez, analysez , comparez , même plus sérieusement que vous ne faites jusfiu'ici , c'est nous qui vous en prions; et quand vous aurez chacun dans votre sphère poussé vos théories, les uns jusqu'à l'absurde, les autres jusqu'à l'évidence, un théologien qui ne vous vaudra pas, ni en archéologie, ni en sciences naturelles, ni en ])hysique générale, viendra, la Bible en main, expliquer au plus simple, la profondeur et la haute portée de ce que vous jugiez pitoyable, de ce que vous déclariez enfanté par l'ignorance populaire d'une nation à peine civilisée *. Quand les neptuniens et les vulcanisles auront terminé leurs déhals ; quand le soulèvement des montagnes aura été jugé sans appel; quand on saura si M. Poisson a dit vrai en terminant l'atmosphère par une couche d'eau qui lui serve de limite, etc.,

soatlée. Ceci soit dit seulement en passant; clans l'occasion je pourrais en donner des prcu\cs.

Congregamiui ,. . et vincimiai ; . . . confortamini , et vincimini; ac- ciiiyilc ^()S, cl \inciniiui. Isaie , vni. ').

» Article la /<t(t'(t«, p. GO.'i.

KÉFUTATION DE M. LETRONNE. 267

te; nous arriverons avec des textes clairs comme le jour, pour lontrcr au monde, non pas que nous savions tout cela , mais ue tout cela était déposé sous le sceau, entre nos mains, pour pprcndre par un rao\'en nouveau à rincrédulilé des derniers ges , que Dieu est le maître des sciences '. Nous expliquerons en uvrant la Genèse , sur les monceaux de vos volumes réduits dé- ormais à leur juste valeur , l'éniijme divine du passé; comme î missionnaire assis sur les ruines de Tj'r , contemplait dans saïe la ponctualité de cette histoire de l'avenir. Voilà sur quoi DUS comptons, ce dont nous nous flattons; et ce qui fait que eus vous pressons de pousser vigoureusement vos travaux pré- aratoires, car ils ne sont que cela. Kons savons déjà quel ver- Bt de Moïse ou des Saints Pères il nous faudrait prendre ^ pour ustifier la foi en adaptant vos sciences à la parole qui ne pas- era pas ; si ce n'était faire trop d'honneur à des sciences d'un )ur, à des connaissances qui ne sont que des hypothèses, lors- u'elles ne sont pas des assertions plus ou moins gratuites. '

Cependant, s'il était vrai qu'aujourd'iiui même le sens littéral es premiers chapitres de la Genlse , pût bien n'être pas assi- nable encore , comment se ferait-il que les Saints Pères eus-^ ent précisé ce sens ? C'est ce dont il s'agit, et ce que nous al- )ns voir. Y a-t-il une doctrine cosmologique commune, sinon la totalité, du moins à la généralité des Saints Pères ? on doit oir que cette question revient fout-à-fait à cette autre : y a-t-il ne interprétation de la cosmologie biblique qui ait reçu la inction d'orthodoxie ? par décision ou par consentement com- îun , il n'importe. Car on imagine aisément que les Pères de Eglise tenaient à l'orthodoxie et à l'Ecriture Sainte avant 3ut. M. Letronne répond à cette question affirmativement, et

» IRcg. 11. 3. Ps. 93 , 10.

* Quelofu'un veut-il , par manièi'e de distraction , savoir à qui l'on ourra , dans uue nouvelle e'dition de Dutems ( Origine des découvertes at- ibuées aux modernes) faire honneur de la théorie des soulèvemens? Je propose Rupert, uu abbé du 12^ siècle (m Gènes, i. 3i, etc.) ou au loins Cornélius Vandensteen , célèbre commentateur de la Bible au siècle. «Tertio mundi die fecit Deus ten'am partim subsidere , par- tim assurgere ; unde facli sunt montes cl valles. » El ils avaient vu ;ladansla Cenèsg et dans les Psaumes. Ps, 103. Gen, i.

H

268 SI LE CHRISTIAMSME A NUI AUX SCIENCES.

moi négativement. Reste à peser les preuves : voici les miennes Et comme tout le monde ne peut pas avoir entre les mains la Revue des deux mondes, j'en citerai souvent les expressions.

Structure du firmament.

Selon M. Leironne , « le plus grand nombre des Pères crut «que les eaux célestes étaient soutenues par le firmament , qvii avait des porles et des fenêtres, car c'est ainsi que l'on intcr- » préla les termes de cataractes ou de fenêtres du ciel, qui se trou » vent dans la Genhe.it

Ce n'est pas qu'il soit précisément question de fenêtres du ciel dans la Genèse , ni même à ma connaissance dans aucun livre de l'Ecriture Sainte ' ; mais enfin comme les psaumes parlent des portes du ciel , on a pu se croire autorisé à en compléter l'arcliifccture par induction. Quant à l'opinion indiquée comme appartenant au plus grand nombre des Pères, il serait absolu- ment possible que l'idée en eût été puisée par le critique, chez saint Basile, à la manière dont les théologiens novices prennent quelquefois dans la Somme de saint Thomas, les objections pour la doctrine elle-même ; car saint-Basile rapporte à la vérité cette description d'un ciel percé à jour 2, mais il termine parla traiter d'en fanti liasse et de s'implicitc ^ T:ixr.StY.Yi-... y.al «tzIyi^ Stavoixi;. Du moins saiiit Chrysostome ne connaissait point cette doctrine pour orthodoxe et obligatoire, lorsqu'il affirmait^ que per- sonne ne saurait décider si le mqt ciel, dans la Genèse, indique une voûte solide , ou des nuages épais , ou un air plus dense que le nôtre ; cl IVancliement, un peu pins de lecture des Pères, eût montré qu'ils nefaçonnaientpointle firmament en une manière de toit à lucarnes, puisque les uns ^ en font une sorte de sphère enflammée , d'autres ^ une voûte aérienne purement et simple-

' On a déji fait remarquer ( Annales de pltilos. clirét. t. vni. p. 218) pour lin autre texte, que M. Leironne, qui a certainement lu avant de citer, par:at a\oir l'ail usage d'un exemplaire de la Bible qui est peu connu.

^ Basil. Hexaem. 3.

^ Chrysost. in denes. /win. .'. . De inconipr. Dei nattirn. 2.

4 Greg. Nyss. Ile.racm. Augus!. De Gcnes. ad litt. lib, 2. cap. 3.

' Ajubr. Uêxaoïi. Hasil. IWxnein.

(lef la?

nui

RÉFUTATION DK H. LETHONNE. Î69

lent : à l'appvii tic quoi saint Aaibroisc S Olympiodorc ', saint asile V^t d'aulrcs encore, citent Isaïc : funnavit caltnn sicut fu- lum, ce qui n'est point la leçon de la Vulgate, mais ce qui ne rouve pas moins leur manière de penser, U'aulre.s ^ , n'y voient u'unc zone de nuages, ^aint Augustin ' pernicl de n'y recon- dîlre que la région supérieure aux tempêtes; auquel cas, son cm fiimameniuni lui serait donné par opposition aux a-gitalions e la région inférieure ; et il loue ' l'idée de ceux qui n'enlen- aient par ciel , rien autre chose que les nues et l'air qui les upporie; tout comme, c'est lui qui parle, nous disons les oi- eaux du ciel pour les oiseaux de l'air,

Henri de Malines 7, élève d'Albert-le-grand, Guillaume d'Au- ergne, et le cardinal Pierre d'Ailly ^ après eux, expliquent

s cataractes du ciel , si lourdement interprétées ici, par l'iu- luencc de certaines constellations sur les pluies. Et S. Cliysos- ome 9 avait dit positivement que les cataractes du ciel ne sont [u'une expression figurée ; Saint Thomas qui n'était pas un liéologien du tiers parti, à coup sur, et qui n'entendait point aîlierie sur les sentimens de la majorité des Pères ou sur l'in- erprétation orthodoxe de la Bible, décharge de tout scrupule lelui pour qui le firmament ne serait que la partie de l'atmos- hère occupée par les nuages'", ouencore tout l'espace compris intre la terre et les astres ".

* Arabr. Ihxacm. 1 6. Joann. Damasc. Otiltod. fui lib. 2. cap. G. Severianus de Gabala. de Créât. 2. etc. , etc.

' Olymp. ap. Nicetam, Cuttna in Job. ad cap. 38. ' Basil. Heraern. 3 et 6. Kilar. in p». 135.

* Théodore t in Gènes. Quœst. H. H. Anastas. sinaït. Hexaem. iyrill. hierosol. Catech. 9.

* Aiigust. lib. Jmperf. de Gènes, cap. 8.

* August. Gènes, ad lilt. lib. 2. cap. i: Id. 01 ps. lOl. serm. 2-

7 Comment. Abulmasar.

8 Petr. de Al'.iac. passim. Vide Sixt. seneas. Bibl. t. 2.

9 Chrysost in Gènes, hom. 25.

*°S. Thom. Quœst. 68, a. 1. « Potesl intelligi per firmamcntum... iila pars aeris in quà condensantur nubes ... secundum banc opinionem nihil sequitur repuguans cuicumque opinioni. » It. a. 2.

»' S. Thomas. Quœst 68. a. 1, 2. et qujest. 70. a. 1.

S70 SI LE CHRISTIAiXISME A NUI AUX SCIENCES.

S. Augustin ', s. Chrysostome encore ' , et après lui Miche Glycas ^ et Bède ^ , doutent s'il faut voir dans la création du fir marnent autre chose que le rassemblement des vapeurs. S.Ba-lP^* sile ' et Olympiodore ^, dont il a déjà été dit un mot, confon dent le firmament avec l'air ; et de fait, l'Ecriture ne parle-t-elle pas delà route de faigle dans le ciel, etc., aussi-bien que des oi seaux du ciel. S.Ambroise ^ fait venir le nom du firmament , de ce que Dieu l'a établi, quel qu'il soit, d'une manière durable ; en sorte qu'il ne tient pas à lui que vous n'y voyez une loi du inonde et rien de plus. Car , lorsqu'il explique à sa manière , comment les eaux peuvent être tenues en suspens sur le firma- ment, il termine ainsi ^ : «Ce que j'en dis, n'est que pour » montrer qu'à ce qu'on nous oppose nous avons des hypothèses ï tout aussi probables à opposer nous-mêmes, etc. Et il a si peu besoin d'un toit qui divise les eaux supérieures d'avec celles de la terre, que pour expliquer leur suspension , il se contenterait vo- lontiers d'un ordre de Dieu comme celui qui sépara les eaux du Jourdain devant le peuple Hébreu. S.Jean de Damas'° cile quatre ou cinq opinions sur la nature du firmament, sans se|

' August. Conf. lib. 13. cap. 32. clc. ï Chrvsost. in Cenea. liom. '.. '" Glyc. Annal, in pvincipio.

* Bed. Hexaein. ' Basil. Hom. 3. ^ Olymp. op. cit. loc. cit. 7 Ambr. Hexaem. Sevenanns de Gabala parle à peu près de inérae.j

De créât, or. 3.

Anibr. ibid. 9 'Ajoutons ces autres paroles plus générales de S. Augustin , pour

ceux qui croiraient que S. Aaibroise a eu peu d'imitateurs dans ce# con- cessions : « Libri Gcneseos mullipllciter quantum potui enucieavi pro- » lulique sententias , de vcrbis ad exercilationem nostram obscure po- » sitis ; non aliquid'unum temerè affirmans cum prœjudicio alterius ex- » positionis fortassè melioris , ut pro suo modulo eligat <piisrpie quod » capere possil : ubi autem inlelligere non potesl . scripturœ Dei del » honorera, sibi timorem. » Aug. de Gènes, ad. litt. lib. 1. cap. 20. Et cela n'est rien pourtant , au prix de ce qu'il dit sur l'interpvclaticn de l'Ecriture dans le livre De doctrinâ chrislianà. Damasc. Ortliod, fid. u. 6.

RÉFUTATION DR M. LETRONNE. 271

prononcer ni pour ni contre aucune d'elles; persuadé sans doute, comme S.Chrysoslome ', qu'il était téméraire de vouloir préciser ce que l'Ecriture entendait par là.

Rupert ' proposant son explication du mol finnamentum , oppose la densité des nuages à la subtilité de l'air. D'autres pensent que ce pourrait bien n'être qu'une désignation de l'at- mosphère elle-même, par opposition aux régions élhérées; mais que de fois a-t-il été répété par les écrivains ecclésias- tiques, que le mot hébreu rendu j)ar firvianientum ou c-rroîwy.c:, correspond à expansion et non à solidité.

C'est gssez de témoignages, ce semble, pour une seule ques- tion; et je ne m'arrête que pour n'avoir pas l'air de les entas- ser. On peut voir du reste, entre autres, S.Euclier (in Gènes.), S. Jérôme (passim). El cependant je n'ai rien dit de ceux qui se fondant sur plusieurs textes, et particulièrement d'après ce passage de l'Apocalypse ^ : les grandes eaux, ce sont des peu- »ples nombreux, » ont vu dans les eaux supérieures la multi- tude des anges '*. Or, quand saint Augustin (jui a cru pou- voir le dire après d'autres, semble revenir sur ce qu'il avait avancé à ce sujet, il dit ,uni({uemeiit ^ que la chose est fort obscure. Du reste, il reconnaît fort bien le droit d'entendre ce texte autrement que lui, et approuve , comme nous l'avons indiqué, rinterprétatiiiu de ceux pour qui le firmatnent cou- vert par les eavix n'est que les nuages llultant dans l'air ^.

Que veut donc dire M. Letronne, lorsque, décrivant son toit percé de fenêtres, il affirme si nettement que cette disposition fut regardée conune lacondition indispensable de toute cosmologie prétendue orthodoxe? llnedissimule pasà la vérité, un passage de Bergier ", ce théologien déclare aux incrédules que l'idée de transfor- mer le ciel en une voûte solide, recouverte d'une couche d'eau,

' Chrys. in Gènes, hom, L.

» Rupert. in Gènes, i. 22, Greg. nyss. tlexaem. 3 Jpoc.X\ni.

» August. Confess. xiii. 15 et 32. Origène cité par S, Ep'phanc, et par S. Ambr. Hexaem S, Greg. nyss. Hexaem. etc., etc. * August. Retract, ii. 6. « Res in abdito estvalde. » ^ August. , Gènes, ad litt. ii, L. 7 Diet. iliéologie. , art. ciel et enu« , cité par la Revue.

I

272 SI LE CHRISTIANISME A NUI AUX SCIENCES.

et percée de trous, est uneinvention qui leur appartient, et non pas à Moïse; mais Bergier plaisante évidemment, aussi ne fait on mention de celte réponse du savant théologien, que pour! \( y ajouter avec une assurance piquante , que le docteur de Sor- bonne r anse d'an tvcdt de plume , sans y songer , presque tous les Pères de l'Eglise parmi les incrédules. Un sorboniste relevé en fait de patristique par un archéologue du 19' siècle! il faut conve- nir que la mystification est divertissante.

Pluralité des cieiis.

« L'idée d'un double ciel qui divise le monde en deux com- ipartimens, » dit notre auteur, « n'est que la conséquence de «plusieurs textes de la liible entendus à la lettre La plu- spart des docteurs chrétiens expliquant littéralement les ex- » pressions de cieux, de ciel des citux, dans plusieurs passages des livres saints.... crurent à l'existeiicc de plusieurs cieux. » Et ailleurs : « La division du monde en deux coniparlimeiis » ou deux étages,... paraît ' avoir é!é adoptée assez générale- »ment. » A quoi on ;ijui!le que les Pères ne se sont pas bornés au nombre de deux; ce qui pourrait déjà faire préjuger, à celui dont le parti ne serait pas piis d'avance, que la Bible n'était pas pour les écrivains ecclésiasli([ucs , l'unique source du sys- tème cosmographique, nircsponsable par conséquent de toutes leurs doctrines cosmologiqucs. D'autant que M. Letronne nous fait voir peu après, que la pluralité des cieux et leur distribu- tion est due à Philolaûs. Ajoutez que (toujours, d'après M. Le- tronne ) le sens littéral paraîtrait n'avoir été obligatoire que dans les livres de l'Ancien-Teslament , puisque le troisième ciel dont parle S.Paul, ne contraint point S. Augustin ' à ad- metlreun troisième compartiment. S. Augustin cependant avait

» Paratf; quelle modestie après taut de recherches ! mais aussi (quelle condescendance après une aifirmalion pure et simple! Toutefois j'oserai dire , et mes lecteurs diront , je pense , avec moi , que cela liC parait pas, au moins, comme conséquence de l'Ecriture.

* Saint Augustin cite dans ce même article de la Revue , et à r c pro- pos , p. 6I/i. Les héncdiclins font la même remai'que pour saint Chry- sostomc, in Gènes, hjm. U.

RÉFUTATION DE 11. LETRONNE. 273

M cité ' comme un rigide partisan de rinlcrprétation littérale en dépit de la raison. 3Iais en admettant même trois cieux, les saints Pères eussent marché à la suite de Pythagore au- tant que sur les pas de Moïse.

Du reste, les Saints Pères % et S. Jérôme par exemple, sa- vaient fort bien que le mot hébreu qui désigne le ciel ou les cicux, si l'on veut, n'a point de singulier, et peut signifier entre autics choses : tes eaux supérieures , comme qui dirait la région des nuages. Mais il y a mieux, c'est que l'idée d'un double ciel est exclue en propres termes par S.Chrysostome " et par saint Grégoire de TSysse ', lequel même regarde le firmament (le plafond de 31. Letronne ^ J comme étant tout uniment une dé- signation du point la matière atteignant son plus haut point de rarél'aclion , cesse d'occuper l*espace, et il qualifie toute autre opinion de philosophie étrangère 7. De même, pour Procope de Gaza '. S.Chrysostome est si loin de lire dans l'E- criture la pluralité des cieux , qu'il reproche ' à ceux qui l'af- firment, de construire le monde à leur fantaisie. Selon S.Justin martyr '°, « Moïse ne parle ni d'un, ni de deux, ni de plusieurs cieux.%

Je suis bien trompé si ces manières de s'exprimer de-la pari de S. Chiysostome, de S. Grégoire de Nysse, etc., ne prouvent pas à elles seules que la pluralité des cieux n'était point enseignée par la plupart des docteurs chrétiens. D'ailleurs, à défaut même delà valeur que j'attribue à ces témoignages, on comprend aisément que tous ceux dont j'ai rapporté la façon de penser au .'iujet du firmament, ne réclament point le plafond que leur construit M. Letronne, et ne tiendraient tout au plus qu'à un toit, c'est-à-dire, pas plus d'un ciel, pour mettre les choses au

» Art. de la Bévue, p. 60i , 605. lien sera parlé plus bas. «Photius, Bt6<. C. 2i9.

* S. Chrysost. in Cènes. Iiom. 4- Thcodoret, in Gémi, quceit. 11. 4 Chrysost. in Gènes. L.

* Greg. Nyss. Contra Eunomium, or. 12, etc., etc. «Pag. 615.

7 Greg. Nyss. Hexaem.

* Procop. Gaz , in Gene$. •9 Chrysost. in Cènes. 3.

^'^Juslin, Quœst. ad orihodoxos. qn. i?.

ToMKXvu.— N* 100. i858 it

J74 SI LE CHRISTIANISME A NCI AUX SCIENCES.

pire '. Quant à ceux qui auraient enseigné la pluralité des cieux, S.Grégoire de Nysse * et d'autres avec lui, les expliquent d'une manière qui n'est point ridicule du tout, en disant que le mot ciel, dans l'Ecriture , indique une région dislincle ( et non pas un plancher ), c'est-à-dire, le théâtre d'un ordre de faits phy- siques spéciavix, eu sorte que les cieux distincts seraient autant de sections idéales du monde, correspondant chacune à des séries de phénomènes sai gcneris.

Pour établir ce qu'il attribue à la plupart des Pères, au sujet de la pluralité des cieux, l'article de la Revue citait Raban Maur et le vénérable Bède, lesquels ne reparaissent plus après cette mise en cause. Mais puisque Bède trouvait piace dans cet exposé de la cosmologie orthodoxe, pourquoi ne lui accorder qu'une place si étroite, el ne parler nullement de son véritable mérite scientifique ? Il n'eût pas été hors de propos, dans l'ana- lyse de la cosmographie adoptée par les docteurs chrétiens, de nous apprendre, que selon les élémens de philosophie qui por- tent le nom de Bède , le passage de la Genèse il est queslion des eaux que Dieu suspend au-dessus de la terre, est expliqué par l'évaporation qui forme les nuages dans l'atmosphère; que le docteur de la Grande-Bretagne enseignait la sphéricité delà terre, et paraît avoir soupçonné l'influence de la lune sur les marées^. Si je signale cette omission, c'est que le choix des

' Comme ceux qui n'oùt point vu l'article de M. Letroime imagine- raient dilticilement ce que vient faire ici un plafond, quoique nous ayons TU déjà établir un toit d lucarnes, je leur rapporterai l'exposé, alU-ibué aux Pères dans le de la Bévue que j'examine. « Severianus de Cabala

»> (nous verrons plus tard ce que c'était que ce saint père) compare le

ynnonde à une maison d double étage, dont la terre serait le rez-de-chaussée •, »le ciel inférieur.... le plafond et le ciel supérieur le toit. Revue, pag. 615. Cela étant, qui oserait se plaindre de ce qu'on a percé des fenêtres dans ce toit? Aussi bien on les retrouverait peuf-ètre dans quelque docteur aussi imposant que Severianus.

* Greg. Nyss. Hexaem.

' Lingard. Antiquilies of tlie Jngto^Saxon cluirch. Chapl. ?ff";J^'mc rnieux renvoyer à l'édition anglaise, ayant remarqué plus d'une fois quelques suppressions et des inexactitudes dans la traduction française. Voici le passage de Bède sur les marées ; Tamcjuam lunoe quibusdam aspi- rationibufi inviius protrahalur (Oceanus) , et iterum ejusdem vi cessante in propriam mensuram refundutur.

RÉFUTATION DE M. LKTRONNE. 275

passages empruntés aux Pères •, par M. Letronne, me paraît fait à charge, sans mention de ce qui pourrait être à décharge; d'où il résulte une espèce de factum contre les Pères, bien plus qu'un tableau de leurs opinions cosmograpbiqucs.

III. Configuration de la terre et du ciel.

Ce que j'ai dit de Bcde, et le plan du monde attribué aux Saints Pères, me conduit à l'idée que les docteurs ecclésiasti- ques ont adoptée sur la forme de la terre et des cieux. La con- nexion de ces opinions ne permet pas qu'on les sépare: si pour ces écrivains le ciel était un toit, et la terre un rez-de-chaussée, le ciel n'avait à faire que de le couvrir et à représenter tout-à- fait une toîlui'e. En effet , « ils concevaient les deux comme deshémis- »p/ihres concentriques qui venaient s''appuyer sur la terre. » La note ici nous cite pour autorité « les Manichéenst (sic). Je ne crois pas que M. Letronne compte les Manichéens parmi les Saints Pères. Que veut donc dire celte note ? Pour moi j'avoue qu'elle m'a confondu. Mais nous pourrons reparler des autorités invoquées par notre auteur. Ce qu'il y a de clair, au moins dans le texte, c'est que les Pères n'ont point voulu d'un ciel qui fût autre chose qu'un hémisphère, ou quelque chose comme cela. Quant à la terre , c'est une base, un plan; hors de point de salut. Je n'attribue point à l'écrivain ce qu'il n'a pas dit; voici ses paroles: iiCes étranges hypothèses se réunissaient toutes dans ^exclusion for^ ■tt vielle de la rondeur de la terre. Saint Augustin, Lactance, saint •D Basile, saint Ambroise., saint Justin martyr ^ saint Jean-Chrysos' » tome , saint Ccsaire , Procope de Gaza , Scverianus de Gabala, Dio- » dore de Tharse , etc., ne permettent pas que le vrai chrétien conserve »ld-dessus le moindre doute. r>

Mais saint Jean de Damas le permet > et avec lui bon nombre d'autres encore. Et quand saint Augustin semble repousser cette doctrine, il déclare qu'à son avis ', l'Ecrilure ne se prononce

' En les tenant tous pour ^alal)!es; car je ne me suis point occupé à les rechercher , de peur de paraître disputer sur drs mots.

» Il appelle le ciel en toutes lettres une Siiliére. De orihodox. fui. ii. 6, et- plus bas : Sphéroïde; plus bas encore : de figure sphérique. Et il rapporte tout cela comme doctrine reçue ; tandis qu'au sujet des partisans de l'hé- œisphéricilé , il a dit : d^ autres ont imaginé que le ciel n était quung voûte,

? August. Ggnes. ad litt. ii. 'è. le chapitre tout entier.

875 SI Li. eHRiatiASiSME à. nui aux seicNccf.

point là-dessus. donc aurait-il pris Tidée d'exiger une pra-^ fession de foi à ee sujet ? Saint Jérôme taxe d'ineptie ' l'inter- prétation de ceux qui prétendent fonder sur l'Ecriture Sainte l'hémisphéricité du ciel, en le réduisant à n'êlre qu'une voûte (le toit soi-disant orthodoxe) do la partie que nous habitons. Saint Jean de Damas, comme je l'ai fait remarquer, parait faire très-peu de cas de la doctrine orthodoxe dans son livre de la foi orthodoxe. Saint Ambroise n'est pas aussi exclusif qu'on le dit; ilse contente de citer quelques textes de l'Ecriture, et ajoute que le reste n'a que faire dans l'enseignement ecclésiastique. Saint Justin * donne de son opinion do fort mauvaises raisons, l'Ecriture n'entre pour rien absolument. St. Basile ' fuit allusion au système de Plolémée sans Tanathématiser aucunement; si bien qu'il y accommode l'interprétation d'un passage de la Bible. Et puis fiez-vous aux citations ! S. Anseime 4 dit en propres ter- mes qiie le ciel est sphérique; et s'il eût voulu s'appuyer pour cela sur les Pères et les docteurs qui l'avaient précédé, il eût pu citer saint Clément pape ^, saint Grégoire de Nazianze, saint Hilaire *, saint Ambroise " qu'on nous oppose, saint Jérôme' , saint Augustin 9 qu'on nous représentait encore comme in- traitable en ce point; Bède", etc., etc. Je crois que cela peut suffire ".

Riccioli, auquel on ne ccntcstera pas, certes, une connais-

* Hierouyni. i>i hal. lib. xi, cap. Lo.

Justin Quœst. 58. ad OrlUodox.

Basil. Comment, in Isai. 13. i Anselm. de in), Tilund.

* Clem. Rom. Reeognit, ' Hilar. in ps. 135.

7 Ambros. in ps. 113. 12.

' Hieronym. In hai, libr. xi, cap. ^o. In epist. ad Eplies. lib. 2 cap. S. etc.

August. inps. 103. i?e Gènes, ad lilt. lib.r, cap. 20. lib. 2, cap. 9. w> Bed» De Créai, 6 dicr. —De nalurà rcrum. De temporam ratione.

« Orbem terra dicinius, non quod absolu le orbis sit forma ia tanta mon" »iium carïiporumquetlisparilale; seil cujiis amplexus,si cuncla lincarura ^ comprcbeudanlur amJjilu , ûgui'ara absolut! orbis eifkiat. » Ap. Lia- gard, loc. cit.

11 Je trouverais peut-être bien à citer S. Ccsaire, indique comme fonncUement contraire , mais je n'ai poial sca œurrcs sous la maia.

nÉFUTATION DE M. LETRONNE, S77

«ance très-pa^sable de la cosmographie des Pères, n'y avait point trovivé de consentement unanime sur l'excluHon formelle de la rondeur de la terre; car voici ce qu'il en rapporte " : » tnombre des Pires qui ont admis la spliériciié du ciel et de la terre^ a est de beaucoup le plus grand. oEf, sur l'existence des antipodes, il ajoute plus bas que les Saints Pères ne sont point d'accord pnur la nier *, et que ceux ([ui la '.lient, n'em[)runtcnt point à l'Écriture leurs moyens de preuve '"; Draconlius *,poèle clirétien du je siècle , qui se proposait pour thème de ses vers le récit de la création dans la Genèse , croyait-il la terre plate, quand il a écrit :

Eriiilur terra

» Et solidaule Globo, gravior per iuane pependit. »

Or l'ouvrage de ce poète, loin d'encourir l'animadversion des théologiens , fut publié par un évêque de Tolède.

Je pense avoir traité les principaux griefs cosmographiques de M. Letronne contre les Pères. Pour la forme un peu légère de son relevé , elle ne fait pas plus l'objet de ma critique que, par exemple, la discus-^ion sur hi localité occupée par les anges ; attendu qu'aucun cosmologisîe ne sera gêné, je crois, pour leur placement, et que, d'après le savant académicien ', ce qu'il en rapporte n'est autorisé par aucun texte de l'Ecriture. L'unique chose qui importe désornjais à la question , c'est de savoir jus- qu'à quel point les erreurs plus ou moins nombreuses des Pères sur la cosmographie, peuvent les charger en tant que docteurs ccciésiasliques. M. Letronne l'a bien senti quand il s'est tant efforcé de ramener leurs erreurs à n'être qu'une interprétation de l'Ecriture. C'est que dans le fait parler d'une cosmog'raphie des docteurs chrétiens, sans le soin de montrer que leur doc- trine physique ait été la conséquence de leur doctrine religieuse, serait tout aussi ridicule que le projet d'incriminer, par exem-

» RiccioL Jlmagest. libr. ix. sfcî. i. cap. 33. ss. 7 . « Mullo plures sunt » patres qui cœli ac terrœ rolunditatem agnoverunl. u

» Voyez, V. g. Greg. Nyss. m Canlic. or. 10.

' Voyez aussi la lettre de S. Clément, publié* à Rom9 en 1S32, par l'abbé Graziani , note 1 2 f .

* Dracont. Hcxaemêron cd. CarpsoT.

* ArticU 1% B«yu»y p. 619.

278 SI LE CHRISTIANISME X NUI AUX SCIENCES.

pie, le corps des médecins pour les bévues historiques ou phi- lologiques échappées à ceux de leurs confrères qui se sont occupés d'histoire ou de philologie ». Notre auteur n'est point si mal avisé ; il va droit au fond, et son but est bien ce qu'il devait être pour sauver son titre du ridicule ou de la niaiserie, savoir : de montrer que les erreurs des Ihéol-igieiis en cosmo- graphie sont nées de la théologie. Seulement qu'il se soit proposé de le prouver et qu'il l'ail prouvé réellement, ce sont deux choses , et nous allons chercher s'il a réussi. Discussion dont il pourrait bien arriver pour conséquence qu'au lieu qu'il fallût interdire la cosmologie aux théologiens, il fallût plutôt interdire la théologie aux antitjuaires.

Supposons que je n'aie rien prouvé jusqu'à présent contre M. Letronne, il en résulterait tout au plus que la majorité des SS. Pères s'est tristement égarée dans les questions de cosmo- logie. Je n'en conviens pas , comme on le voit, et je ne pense pas qu'il n'y ait pas lieu d'en douter pour le moins, après ce que j'en ai dit. Mais, enlln, admettons qu'il n'y ait rien de fait, s'ensuivrait-il quelque chose contre la théologie ou l'oitliodoxie telles qu'ils l'entendaient '' ? je n'en crois rien. Comment cela ? M. Letronne ne dit-ii pas que tous ces bizarres systèmes avaient leur source dans l'opiniâtreté à suivre Moïse? oTout cela lirait »sa force principale de l'autorité des SS. Pères, qui se persua- sdèrent que la seule cosmographie possible était celle qu'ils «trouvaient exposée dans la Bible... » « Il faut convenir que si îles phénomènes naturels n'étaient pas pour contredire le

* Figurez-vous l'effet que produirait un article intitule : sur les cpi- nions philologiques , ou historiques des médecins; philosophiques, à la bonne heure! parce que les recherches médicales peuvent donner occa- sion de raisonner, et parlant, de déraisonner sur la philosophie. INIais tout ce qui n'est point lié aux études de la profession , ne peut retomber que sur l'individu qui s'y fourvoie , et non sur la profession qu'il exerce. Je ne me suis étendu sur celle remarque que pour faire comprendre comment un tahleau qui semblait n'appartenir qu'à l'hisloire littéraire , est nécessairement devenu une question d exégèse , sans qu'il faille , pour s'en rendre coraple , sujjposer dans son auteur un parti pris d'hostilité contre l'Eglise. Les questions ont une force logique qui leur est intriu- «èque,et qui conduit les hommes, fût-ce à leur insu.

* Et je déclare que je tiens beaucoup à l'entendre comme eux.

RÉPUTATION DK M. LETROrVNE. ' 17^

texte., l'explication que les Pères donnent de fa Bible, et »les conséquences qu'ils en tirent, seraient également incoO'- ïtestables, etc., etc '. »

Je conviens que la Revue dit cela, mais elle dit aussi le con- traire. J'ai même à choisir entre plusieurs réponses qu'elle m'offre. Commençant donc par profiler du secours qu^elle me prêle, j'indi(iuerai d'abord quelques-unes seulement des réfu- tations qu'elle me fournit.

Les Pères établissaient absolument la non-sphéricité de la terre ". D'autres pourtant (quoiqu'on ait dit que * Us hjpot fuses »se réunissaient toutes dmio C exclusion formelU de la rondeur de la » terre » ) souffraient que la terre fût ronde, pourvu qu'il n'y eût point d'antipodes ^. Selon quelques-uns, « la forme de Tunivers »doii être celle d'une grande caisse une fois plus lonqae que large *. » « Une sorte de grand coffre oblong •. » Selon d'autres, c'était a celle d''un oeuf coupé par moitié , perpendiculairement d son grand »aœe ^, » etc., etc.

Tout cela découle-t-il de Hnlerprétation littérale, et Moïse doit-ilêtre chargé de ces cosmologies si discordantes ? Notez que je m'en réfère uniquement ici à mon auteur ; car si je voulais tenir compte de ce que j'ai rapporté, il en résulterait que (tou- jours d'après Moïse, puisque les SS. Pères n'ont eu garde de s'en départir, nous dit -on) la terre est une sphère, et elle est \n\ plan; les cicux sont solides, et Jls ne le sont point ; ils sont au nombre de neuf, et il n'y en a que trois, ou.même deux, et en- fin jusqu'à un seul, etc.

» Pag. 60i. » Pag. 604.— »,Pag. 602.

4 Vous remarquerez que , d'après la Revae (p. 60i ) , ou ne gouffrait pas que le fidèle se permît de soupçonner que la terre put être sphe'rique; et que {ibid) a prendre la Bible pour autorité , il n'était pas possible de rien répliquer dans le fait. Cependant remarquez encore ceci ( p. 626 ) : Ceux des cliréliens qui persistoÂent à croire que l'écriture n était point con" traire au système de Ptolémée , expliquaient avec facilité dans leur sens les ttxtes de l'écriture,... Ils y voyaient la suspensioti de la ten-e... c'est-à-dire, C immobilité d'une sphère également sollicitée de toutes parts. J'ai pu, comra« on voit, mécontenter d'une vingtaine de textes, puisque M. Letronn* est si traitable.

«Pag. 608. « Pag. 60?. 7 Pag. 625.

V.

S80 SI LZ CHRISTIANISME A NUI ACX SCIENCES,

II* et m*. Quantités d'opinions cosmologiqnes des Pères avaient leur source dans rinterprétatiou allégorique, et toutes étaient d'ailleurs d'origine grecque, sans en excepter une seule. Je rapporterai quelques-unes des phrases de ÎM. Letronne, pour

ne pas êlre incroyable «Ces auteurs ne le cédaient pas

nbcaucoup sur llirlitle des allégories à d'aulres docteurs qui »en avaiei.t pui>é le goût chez les Alexandrins '. » Plusieurs

Pères refu.ièrcnt de s'attacher à la lettre de ces textes'.» » « (>et»e manie d'interprétaliou symbolique gagna les^théo-

ïlogiens du moyen-âge % etc » 'Voilà pour l'interprétation

allégorique ; voici maiiitenant d'autres passages qu'il s'agirait de concilier avec ceux -là. « Les Pères, forcés tout à la fois

par le sens de certain des mot«, et l'ascendant d'une convîc-

tion profonde , croyaient ne pouvoir hésiter sur les consé-

quences de l'interprélation littérale; ils fermaient les yeux

sur leur absurdilé; ce qui é;ait écrit devait êlre vrai; tant pis

pour la raison huniaine ^. » « Saint Augustin * ne se dis-

siaiul'jit pas combien cette disposition était contraire aux

plus simples notions du bon sous, mais comme elle était

appuyée par des textes dont le sens littéral lui paraissait le

seul admissible, etc....; car, ajou!e-t-il, toute la capacité de

l'esprit humain doit cédera l'autorité de l'Ecriture. Ce seul

mot explique et cxciihc tant d'aberrations n, etc., etc.

Le nioj'-en d'arranger tout cela, il faut opter entre des impu- tations contradictoires; si la majoiité des théologiens s'en tint toujours a rinterprélalion littérale ( ce que je n'examine point, mais ce que l'on afûrme ") , faut-il les faire responsables d'une

» Pag. 609. t Pag. 616. ' Pag. 600. » Pag. 605.

» Il faut avouer que >L Letronne joue de malheur dans ses citations. Leurré ici par une petite phrase, il s'empare de S. Augustin ; et c'était précise'meut S. Augustin dont il ne fallait pas prononcer le nom dans cette cause malencontreuse. Car est-il si mince commençant en théologie qui ne sache qu'un texte de l'écriture devient entre les mains de ce doc- teur, ce qu'on n'eût jamais songe à y voir. S. Augustin transformé en un rigide partisan de l'inlcrprélalion littérale! vraiment, on ne pouvait pas mieux tomber pour nous fiiirc voir ce qu'est un savant quand il sort de sa sphère.

» Pag. 618. 4 P. 602 , 003 , 60i , 60.Ï , etc.

RiÎFUTATIOrx- DF. M. LïïTRONXE. 281

cosmograpliic basée sur rinterprctation allégorique à laquelle on consacre une si granilc partie de l'arîicle ? que si l'interpré- tation allégorique a dominé ", ou au moins si c'est elle qui a causé les plus grandes absin-dilé.s ou des aijsurdilésquelconrjucs, faut-il s'en prendre à la Bible de ce qu'ont dit ceux qui s'en écartaient à leur gré ?

IV'. Même difficulté pour accorder ce que l'on avance sur les sources étaient puisées les idées cosmologiques des théo- logiens. Dans les premières pages, la faute en étriit au parti pris de trouver la science toute faite dans la Genèse; puis, comme pour enlever aux Pères de l'Eglise le mérite de l'inven- tion , on montre leur cosmographie en entier dans les ensei- gnemens des Aieilles écoles grecques. Le lecîeur dira si j'y mets du mien. <? Il fut un tems foutes les sciences devaient

prendre leur origine dans la Bible. C'était la base unique sur «laquelle on leur pcrmeltjit de s'élever.... Les sciences avaient

"•leur point de d{!part fixé et déterminé, et l'on traçait autour »de chacune d'elles un ccicled'où il leur était interdit de sortir,

sous peine de tomber à l'instant sous la redoutable censure

des théologiens, qui avaient toujours au service deleur opi- »nion, bonne ou mauvaise , trois argumens irrésistibles, la

persécution, la prison ou le bûcher. Ces obstacles que l'es- »prit scientifique rencontra dans tout le moyen-àge, et qui «retardèrent si long tems les progrès des sciences il'observalion,

tiraient leur force principale de l'autorité des SS. Pères. Ceux- »ci s'étaient persuadés que la seule cosmographie possible élait

celle qu'ils trouvaient exposée dans la Bible, et que .. toutes

les paroles de Moïse, inspirées par l'Esprit divin, devaieit » offrir le refiet de rélernelle sagesse ». « Ce n'es! vraiment ')qu'à l'aide des intcrpiélations les plus forcées qu'on peut voir

dans le texlc de la Bible autre ciiose que ce qu'y ont vu les

Pères \ » etc. J'ai déjà rapporté précédemment, et j'aurais pu

> Ai7 fond , il nVst pas douteux que les SS. Pères et les interprètes or- thodoxes de la Bible s'accordent généralement à préférer rinterprélatioa la plus simple , mais à condition qu'il n'y ait point de raison pour s'en départir , et que le texte offre réellement un sens clair. Esl-cc ie cas poul- ie premier chapitre de la Genèse?

»Pag. 60». 602.-3 Pag. 60'..

282 SI LE CHRISTIANISME A NUI AUX SCIENCES.

ajouter encore plusieurs passages qui répètent la môme asser tion avec un ton d'affirmation que l'on appréciera quand o aura vu la contre-partie dans l'auteur lui-même.

« Les Pères étaient presque à leur insu ^ sous l'influence de.' «opinions populaires qui dominaient encore les esprits mêra< » assez éclairés, et de celles qui avciicnt été soutenues dans le

«écoles philosophiques des païens La plus étrange de leur

«explications (de la Bible) a sa racine dans quelque opinion di ces philosophes païens dont ils méprisaient beaucoup la mo «raie, mais dont ils estimaient fort le savoir, et qu'ils a'nnaien t toujours à citer à l'appui de leurs propres opinions. C'est ains «que les idé.îs cosmographiques auxquelles l'autorité des SS «Pères donna tant de crédit, i emontcnt presque toutes aux école ^■philosophiques de la Grèce ^.n « Les argvimens de Cosma «datent de loin, et en toiit tems ils ont été trouvés fort bonî » Plutarque les met déjà dans la bouche d'un de ses iuterlocu «leurs , grand ennemi de la sphéricité de la terre et des anti «podes^. » « Il est curieux de voir après tant de siècles «reparaître une des notions favorites de la cosmographie d( «poètes Grecs 4. s En foi de quoi sont appelés pour témoins Pisandre , Mimnerme , Eschyle, Antimaque, Phérécyde ^. - a La théorie de Cosmas, qui nous paraît si extravagante, tii «encore sjn origine de la philosophie grecque: il s'appuie lu «môme de l'autoî-ilé de Xéuophane et d'Ephore 11 pouvait «ajouior Anaximène ^ «On peut voir encore p. 63i entre autre

Tout cela est-il clair? mais aussi tout cela est-il associabk Ici donc encore , choisissons entre des assertions opposées. ] faute en esl-elle aux inlcrprétatior.s soit littérales, soit allégoi quesPQue nous importent alors Plotin, Plutarque, Philolaù

> P)cs7Hc, n'est pas le mot; car à quelques lignes de là, M. Lelron TOUS dira que c'clait comme un plan adopté, une espèce de tactique ce venue , que de s'appuyer sur la science païenne.

» Pag. (ÎO.^ et 61)6. ' Pag. 607. - * Pag. 6?".

' Bevuc, iliid.— II faut avoir de l'érudition de reste pour la prodigi à propos de Cosmas cl de ses consorts ; mais il paraît qu'il était impos blc aux plus tristes écrivains des premier» siècles de l'Eglise, d'imagin ime niaiserie.

«Tas. 628.

J

HÉFUTATION DE M. LETRONNE. 283

Homère, Parménide, etc., elc.?Ces cosmograpliies, au contraire, jeréclameiW-ellesdespliilosophes grecs de l'antiquité ? Ne vous n prenez dont point à la Bible et aux partisans du sens verbal ou symbolique. Mieux eût valu un peu moins d'érudition et un peu plus d'ensemble, ou au moins de IVanchise; car querésul- •^sjt-il de toutes ces citations réunies par M. Lelronne? Que les '^doclevirs chrétiens n'étaient point'au niveau de la science telle '%u'elle existait de leur lems? mais on dit que leurs opinions ^' cosmographiques étaient celles d'hommes même assez éclairés "^d'alors, chose en vérité fort pardonnable; et qu'ils s'appuyaient "^Itoujours du savoir païen. Que s'ensuit-il donc ? que les Pères Sjde l'Eglise n'ont point été coperiiiciens? on nous l'eût persuadé ^' à moins de frais. Que le système co^mographique de Ptolé- méc même , a trouvé chez eux peu de faveur ? quand cela serait, celu constituerait-il contre eux une charge bien grave? Je ne H pense pas que pour avoir adopté les doctrines du cosmologiste alexandrin les docteurs ecclésiastiques s'en fussent mieux trou- vés au 19' siècle. Si cela pouvait du reste leur être de quelque avantage, nous rappellerions à 31. Lelronne ses propres paro- les • , que « des Docteurs recommandables par leur savoir osèrent » prendre ouvertement Ladéfensedes idées grecques , et se proposèrent de Ttproaxer que rien dans la Sainte-Ecriture ne s'oppose réellement au 9 systane de Ptolémée ^. » Il pouvait ajouter que Synesius appelle l'éj^ole d'Alexandrie une ccole divine.

Mais on songeait à conclure de tout cela ce que ne disait pas précisément le titre, savoir que toutes les erreurs cosmologi- ques lionnies ici, élaienl puisées dans le texte de l'Écriture. Ce but indiqué simplement çà et dans le courant de l'article, se montre enfin nettement dans un appendice qu'on a eu la bonne idée de désigner par le titre : Conclusion , en grandes lettres. Le lecteur dira s'il eût imaginé, sans cette ressource typographique, que ce fût une conclusion de ce qui avait été dit; abstraction faite même des passages par je me suis

» Pag. 603.

» Pourquoi tant de sobriété tout-à-coup dans l'érudition, dès que les citations ne conduiraient plus qu'à montrer la science des docteurs chre'- tiens égale pour le moins à celle de leur lems?

ni

284 SI LE CHRISTIANISME A NUI AUX SCIENCES,

permis de reprendre en sous-œuvre l'érudition de mon auteur m o Telles sont les principales idéescosmograpliiquesque les Père; »de l'Eglise ont tirées de l'interpréfalion liltérale de la Bible. i Ce qu'il fallait dkmoîîtrkr. Ce n'est pas qu'on ne nous ait di dans leménie page qu'il los avaient tirées de Xénophane , d'E pliore , et autres; niaisciirin telle est la conclusion , ce n'est pa moi qui lui ai donné ce nom. ]\i l'on ajoute : « La terre plaie »le ciel formant une voûte solide au-dessus de laquelle est 1; «couche des eaux oélesles % voil'i les notions fondamentales di j> la cosmologie biblique, et celles que les Saints-Pères vont vvies «parce qu'elles y sont réellement '... Tous ces vieux préjugés «tous ces vains syslèmes.... reparurent avec bien plus de force »à l'abri de l'autorité des Saints-Pères; ils firent une nouvell » invasion , et se répandirent partout à la suite du christianisme ils r('gnè:cnt pendan! tout le mo\'en-àge, etc.»

Le moycn-àge, ici conilamné en masse sans avoir été ouï et englobé dans la cause d'autruî comme par complicité, nou l'abandonnons poiu- le moment à son malheureux sort, afin d ne point quitter la question , qui est la cosmologie des Pères Pourtant nous pensons avoir plus cité de témoignages contr ce que dit .M. Leironne sur celte époque, qu'il n'en a lui-mém iippnrté pour appuyer son accusation '. Mais ne nous écarton point.

Définitivement, y Pi-t-il une cosmologie des Pères, et un cosmologie dont 1 1 Cible soit responsable ? Et s'il y en a une €sl-cîic absurde ? Voilà sur quoi on eût aimé à trouver des

* Si Ton voulait absiliimeat voir dans la Genèse d'autres eaux cc'lcslc que lcsj;magcs , les cosmoîogislcs actuels seraient autorisés à se disponst <Ie ve'rili'-r leur cxislenre aujourd hui. Voir S. Augustin , De Gcucsi , c, Un. III. 1, d'après !a 9,' épitre de S.Pierre, m. 5 , 6.

» C'est toujours Vinlcyprclution littérale, quand mcme; il y a idée fp évidemment.

^ M. i.elronuc qui porte tant d'intérêt à l'introduction des scienci phvsi(iues et mathématique.'; d'Alexruidrie, dans l'Eglise, eût vu Ptoléméi parcxemple, en possessinu dans quantité d écoles au moyen-âge. Contci tons-nous de lui rappeler rou\ragc de Théodore, grand sacellaire et ar «hidiacre dcConsl.inlinop'c au li« siècle, lequel ^ante si fort Ptolcmé* Tkcon et Pappuj. Voir l'abriciui , Uibt. Grirca, éd. Harlc». t. x.

RÉFUTATION DK M. LETROINWfi. â&5

ils plus concluans. Occupons-nous-en donc sans RLI^elronne, uisqu'il csl si malaisé de décider quelque cho!se avec les nialé- aux qu'il nous a choisis.

Je crois avoir montré que l'unanimité des Pires, en fait de

osmologie , n'est pas bien établie , priiiripalcnicnl en fait

'absurdités. M. Letroniie, après s'être chargé de montrer que

^es absurdités ont été prises* ailleurs que dans la Bible, a fait

lus encore pour avancer ma tâche, en choisissant (et il lefolLiit

ici») SCS plus absurdes cosmologislcs parmi les plus insigni-

ans des écrivains ecclésiastiques. Car, de bonne foi, que sont

osmas iridicopleustes , Sévérianus de Gabala , Théodore de

lopsueste, Diodore de Tai se ? Et quel théologien a jamais songé

jurer par ces noms-là ? Ce sont cependant les hommes dont

ll*a cosn»ologie est présentée comme type, et développée avec

n détail dont la dillusion tranche sur le reste de l'article d'une

uanière choq-janlc.

Cosmas, un marchand devetm moine, qui se donne lui-même

iil^our illétré, dont Phofius même a ignoré le nom, et qui ne nous

st peut-être connu que par une espèce de sobri(piet '; dont le

ivre, d'après Photius % annoncerait par la forme un homme ati~

^^essoiis du vulgaire , et par le fonds un faiseur de contes.

Sévérianus de Gabala, orateur assez habile, mais à qui sa Jalousie et son inimitié contre saint Chrysoslome n'ont pas procuré vm rang fort avantageux, ni un suffrage bien influent iparmi les SS. Pères. Interprète d'ailieurs de la Genèse, qui s'annonce lui-même ^ comme visant à dire des choses nouvelles et différentes de ce qu'ont dit les Pères ; hardiesse dont il a bien quelque peine à s'excuser; mais enfin il passe outre, en priant ses auditeurs, quels juges! d'examiner le mérite et non l'âge de sa doctrine.

Théodore de Mopsueslc, homme d'iuie orthodoxie pour le moins problématique, et dont plusieurs ouvrages montrent que ses idées propres étaient souvent l'unique guide qu'il suivait dans l'interprétation de l'Ecriture.

' Fabricii Bibiioth, Grcrea, éd. lîarles. t. iv. c. 25.

» Photius, Bibi. c. 3G.

* Severian. Creaiione, or. t.

286 SI LE CHRISTIAMSME A NUI AUX SCIENCES.

Diodore de Tarse, désigné, par saint Cyrille et par Photius "^ comme le précurseur de Nestorius, et qui paraît avoir poussé la passion de l'interprétai ion littérale jusqu'à nier les prophéties de l'Ancien-Testament sur J.-C, ce qui n'était pas fait pour lui mériter une place parmi les interprètes orthodoxes ^ ; et quand Photius parle de ce Diodore qui veut établir sa cosmographie sur TEcriture, il dit qu'il n'est ni clair ni exact ^ , que ses cita- tions n'ont nulle valeur "; qu'il est aussi pauvre parla logique que pieux par les intentions \

Voilà , voilà les Dieux ! et nous les adorons !

Non, ce n'est point du tout ce que nous appelons les SS. Pères. Libre à qui voudra de décrier ces hommes à son aise ; nous ne tenons nullement à leur réputation, et nous ne verrons même pas, sans quelque plaisir, ruiner le crédit de pareils docteurs. Aussi ne prendrai- je même pas la peine de vérifier s'ils ont dit tout de bon ce qu'on leiu* attribue.

Cependant pourquoi ne ciferait-on pas ces aulevirs, tout in- signifians qu'ils sont par eux-mêmes, si leur doctrine physique a été jugée admissible, ou s'ils n'étaient en cela qu'organes des idées communes ? Passe, s'il en était ainsi, mais il en va tout autrement. Cosmas ne s'appuie assurément pas de l'enseigne- ment commun, quand il nous annonce, avec une emphase pleine de bonhommie, qu'il est redevable de sa science aux leçons du grand Patrice, chaldéen, (|ui promenait cette doctrine par le monde ^, Sans cet aveu désintéressé, Cosmas courait risque de passer pour l'inventeur de la pieuse doctrine, tant elle était peu comme ; mais il s'en défend avec modestie ', ce qui montre qu'au 6' siècle la topographie chrétienne était encore ime merveille dont lui, Cosmas, était un des dépositaires privilégiés.

« Pholius, Bibl. c. 102.

' L'interprétation ortliodoxe , la cosmologie cri fiodoxe sont du style de M. Letronne, qui a par momens un langage extraordinai rement c'difiant; comme quand il parle de Van de grâce 1 820. Je lui devais ce témoignage.

* Pholius, Biblioth. c. 223, au début de son analyse. 4 Photius. toc. cit. n^libr. m.

* Photius. ib. à la fin du même paragraphe.

6 C'est encore M. I.elronne qui se charge de nous citer cela , p. Ct 1.

7 Toujours l'obligeant M. Letronne , ibid.

RÉFUTATIOiV DK M. LETRONNE. 287

Pour Diodore de Tarse, on souligne ce qu'en dit Photius ', que SCS idées « ont bien quelque connexion avec les livres 1 saints» : mais on ne souligne pas cette autre phrase qui suit: u on lui accordera difficilement qu'il ait fait preuve de sens «dans sa prétention de s'attribuer l'appui de TEcriturc » ; ni cette autre expression, «qu'il se figure avoir l'Ecriture pour lui. »

Les idées attribuées à ces écrivains et à Sévérianus de Ga- bala, ainsi qu'à Théodore de Moj)Sueste, sur la forme du monde et le mouvement des astres, sont désignées par Philoponus ' comme opinions de certaines gens , prétentions de quelques auteurs ; expressions qui sont loin de les signaler comme un enseigne- inent commun.

Que si l'on demande comment il se faisait que l'Ecriture fût alléguée par ces songe-creux et même par des hommes moins nuls, pour des systèmes de même force, nous demanderons à notre tour comment il se fait que chaque jour dans les tribu- naux ou dans les chambres législatives, ou dans les écrits po- litiques, le code et la charte soient allégués dans des sens tout opposés. Ne sait-on pas (jne, quand un suffrage est important, c'est à qui se le revendiquera? L'Ecriture étant une autorité si im- posante dans des lems la foi était forte et générale , chacun prétendait y rattacher ses doctrines, et les y adaptait de son mieux pour les ériger par la s'il se pouvait en vérités incontes- tables. La Bible, avec Virgile, Homère et la Mythologie, n'é- taient-elles point les pièces généalogiques du moyen-âge, soit pour les nations , soit pour les familles ^ ? Et l'on ne copiait assurément point ces systèmes dans ces sources , pour les y avoir réellement trouvés, mais on les y rattacliait pour donner crédita ses inventions , ou bien on les y voyait parce qu'on

» Article de la Revue, p. 62^.

« Photius, Bi'Awth. c. 223. ad libr. 3 et 8.

3 Encore l'article [de la Revue, p. 625 ,627. Car c'est plaisir de ren- contrer un ad\ ersaire aussi franc.

4 Voyez par exemple Samuel de Bochat : Méni, sur l'Itisl. ancienne de la Suisse. Fcrrario : Sloria de" romanzi. Le haron de Picden : Tableaux généalogiques de Cempirc britannique. La série des rois primitifs d'Espa- gne chejt les chroniqueurs insérés dans VHispania illustrala , etc.

SI LE CHRlSTIA^"ISiiE A M'I AUX SCIENCES.

avait pris le parti de les y voir. Tout comme tant de docteurs luthériens et calvinistes ont lu et lisent peut-être encore dans la Bible que Rome ciirétienne est la grande prostituée, la Ba- bylone anathémalisée par l'Esprit saint, et même qu'elle crou- lerait à telles et t-lles années bien précises, qui ont passé depuis sans encombre '. Toutes choses qui, pour être tirées soi-disant de l'Ecritnre-Saiîite, ne laissent pas moins le texte sacré fort innocent de ce (ju'on lui prête.

Les véritables Saints-Pères et Docteurs de l'Eglise, et mr^me lesEcrivainscccIésiasti(|uesdistingnés, quine méritent pou'Iant pointd'êlre comptésdiuis les deux preuîières classes, cesgrands hommes, dis-je , s'y prennent ditréremment. Ils avaient pré- venu ce que M. Letronne dit de vrai et de juste dans la Revue ; et, plus étudiés ou nucux compris , ils lui eussent épargné par leurs avis ce qu'il dit de faux et de hasardé.

Ainsi Théodoret = .iiî quelque part Je n'affirme point, et »il serait téméraire d'aûirnjcr, quand l'Ecriture n'offre point un «sens clair. Que qu< fju'un dise, s'il veut, le contraire de ce »que j'expose, je ne saiiiais le condamner. »

Ainsi l'hotius ^ vante surtout Théodoret pour n'avoir point tranché les questions qui étaient douteuses. Ailleuis il nous averlit * que Moïse avait une mission plus haute que celle d'en- seigner aux hommes les sciences physiques; ce qui ne veut point dire qu'il leur ait fait des contes sur ce sujet , mais ce qui montre que Photi';s ne se tenait pas pour enfermé, quant à ces sciences , dans un cercle tracé par la Genèse.

Ainsi les Saints Pères proprement dits, et les Docteurs, ne

' Par exemple l'opiscule inlituld : Bonne ruina finalis A, D. I6G6, mundique finis sab i5""' posl annum; sive Itltcrœ ad angles liomœ versanîes datœ , quiius... Babyloiiis in apocnljpsi nomine Romain ponlificiam désigna- ri, papamque romanuin ipsissinium esse anticUristum scripluris pra:dictuin,et Besliam derelinq itère et Bahjlone, urbe nempe Româ, anno jam dicto MDCLXFI, eoccidio et incendia delendà atquc fundilus eierlendà, confesliin exire odinonenlur. Londres 1665, ia-Lo, avec une érudition patrislique et biblique quasi cyclopc'enne.

' Theodorel. in Gcncs. Qiicest. k.

» Photius. Bibliolh. c. S03.

UMiolius. Bibl. c. 222. §. 19. ""

RÉFUTATION DB M. LBTRONNE. 289

sont point ei décisifs sur l'Ecriture, qu'on voudrait nous lefaîre croire. J'ai montre qu'ils interprétaient la Genèse avec une grande lalilude ; on peut s'en assurer davantage dans les ouvra- ges qui réunissent sur divers points leurs différentes manières de voir '. Or cette latitude qu'ils se donnaient, ils la laissaient aux autres. Je pourrais donner en preuve de cette largeur d'i- dées, des textes même d'où M. Letronne conclut tout le con- traire i par exemple celui de saint Augustin par mon auteur termine une tirade si tranchante contre l'étroitesse de l'inter- prétation lil^rale ^ chez les Pères. « Ils fermaient les yeux sur «l'absurdité des conséquences; ... tant pis pour la raison hu- umaine.... car, comme dit saint Augustin : Major est scripturce i»aucioritas quam omnis hamanl ingenii capacitas.B Un peu moins d'empressement eût permis de lire le passage entier, que je ré- tablis, et saint Augustin exige tout simplement que parmi toutes les hypothèses laissées à la raison , chacun conserve au fond du cœur la soumission convenable pour le véritable sens de l'Ecriture, tout en se donnant libre carrière tant que l'auto- rité n'a point pi-ononcé. Il s'agissait des opinions si divergen- tes sur la façon d'entendre les eaux supérieures. Le Saint en propose et en loue même plusieurs toutes différentes; après quoi il termine par ces mots Quoi qu'il en soit, et de quel- » que manière qu'on veuille entendre ces mots , il existe une » réalité correspondante à l'expression. L'Ecriture, garant plus «solide que toutes nos imaginations, est pour nous en répon- «dre ^l»

Si quelqu'un doutait encore du véritable sens de ce passage, il s'en convaincra par d'autres du même docteur dont je choi- sirai exprès les témoignages préférablement à d'autres, pour

' Conf. V. g. Suicer. Tliesaur, ccclesiastic. Pelau , Tanner, Molina de op. 6. dier.

' Articledelaiicwae.p. 603.— 605.

3 August. De Gènes, ad litt. ii. 5. « Quoquo modo auiem et qualeslibet aquœ ibi sint , esse eas minime dubitemus ; major est quippc scripturae hujus auctorilas , qiiam omnis humani ingenii capacitas. » On se l'ap- pellera que ces eaux supe'ricurejj avaient donné lieu à des hypothèses bien distantes les unes des autres, depuis les nuages et les couches d'eau , jus- qu'aux anges.

Tome XVII. loo. i838. iq

èéfO SI LE CHRISTIÀNISSIE A NCl AUX SCIENCES.

faire voir ce qu'était rinflexibilité de celui que nous cite M. Le- Ironne comme plus intraitable des Pères sur le sens verbal.

« imaginer , dit M. Lelronne , que Moïse a pu n'être pas ins- spiré en tout ce qu'il a écrit; distinguer, comme l'ont fait quel- » ques modernes, ce qui est de loi et ce qui est de science , c'est j)là ce qui ne vint pas et ne pouvait venir dans la pensée des »t*ères...» Les Saints Pères, il est vrai ne paraissent pas avoir imaginé que Moïse ne fût point inspiré en tout ce qu'il a écrit; mais distinguer dans rÉcriture-Sainte ce qui est de foi et ce gai est de science, ils l'ont fait, ainsi qu'an peut le voir dans saint Au- gustin : 0 Dieu en parlant aux hommes, proportionne ses paro- dies à leur intelligence '. » « Disons en deux mots, pour ce «qui est de la configuration du ciel, que les auteurs sacrés, tout Dcn la connaissant fort bien, inspirés qu'ils étaient par l'Esprit ))de Dieu , n'ont point voulu enseigner aux hommes ce qui ne » pouvait procurer en rien leur salut '. » C'était s'exprimer, non seulement comme Ïycho-Braché ', mais même comme Rep- pler ^. Cette idée, au fond , n'est pas une merveille parmi les anciens Docteurs. Saint Augustin dit encore ^ : « Il n'est point »dit dans l'Evangile : Je vous envoie l'Esprit-Saint pour vous «enseigner le cours des astres ; c'était des chrétiens qu'il s'agis- »sait de faire , non des cosmologistes. »

Voici qui est encore plus formel, ce me semble, et c'est tou- jours S.Augustin. Qu'on dise s'il faisait abstraction de la science, même profane, même païenne, pour l'interprétation de l'E- criture, lorsqu'il blâme si hautement ceux qui prétendent

» Augusl. m Gènes, i. 39. Rïere humano in scriplnris Dens ad homi- nes loquitur.

' Aiigust De Gènes, ad litt. u. 9. » Breviter dicendum est de figura » cœli, hoc scisse auclorcs nostros rjuod veritas habel; sed spiritum Dei » qui per îpsos loquebatur, noluisseisla docere bomines, nullius saluti » profutura. »

' Tycho. apud Riecioli. Almagest. lib. ix. sect. i. §. 10.

4 Keppler. not. ad cap. 1. Mysterii cosmograpkici, et Epitome asironO' nniœ.

* August. conira Fclic. 'Manich. i. ÏO. «Non legîtuf in evangelio Do- » nainum dixisse : rnitlo vobis pavacletum qui vos doceat de cursu soli* » et lunse ; christianos enim volebat facere , non mathematicos. »

RéFUTATIO?( DE M. LF.TRONNE. 291

trouver dans les livres saints un sens certain ( comme celui de M. Letronne), contraire aux démonstrations scientifiques, pré- cisément en fait de cosmographie et de connaissances phy- siques '. < Souvent des hommes non chrétiens doivent à l'ex- npérience et à des études solides, la connaissance incontestable «des faits physiques; et c'est chose déplorable, qu'entendant » là-dessus déraisonner des chrétiens qui prétendent s'appuyer »de l'Ecrilure dans leurs assertions, ils prennent en pitié, non » pas seulement les fidèles , ce qui serait tolérable, mais l'Ecri- »ture- Sainte, au détriment de leurs dmes, dont l'intérêt nous «est cher. Comment, en effet, assurés qu'ils sont des résultats ode leurs ob^ervalions, se soumettraient-ils pour les vérités » éternelles à un livre qu'ils jugent en défaut dans ce qui est

' Augiist. De Gènes, ad litt. i. 19. « Plerumque'accidit ut aliquid de » terra , de cœlo , de ceeteris hujus modi démentis , de motu et coda er- » sioDC, vcl etiam magnilutidine et intervaUis siderum, de cerlis defecti- » bus solis et lunse , de circuitibiis annorum et lemporum, de naturis » aDinialiuTn, fruclicum, lapidura, atque hujnsmodi caeterîs, etiam non » christianus ita noverit, ut cerlissimà ratione vel experieatià tencat. «Turpeautem est nimis et perniciosnm , ac maxime cavendura , ut » christianum de his rébus quasi secundum christianas litteras loquen- » tem, ila delirare quilibel intidelis audiat, ut loto cœlo errare conspi- » ciens, risum tenere vixpossit. Et non tara molestum quod errans homo » deridelur , sed quod auctores nostri ab iis <jui forî's sunt talia sensisse » creduntur ; et cum magno eorum exitio de quorum salute satagimus, » tamquam indocti reprehenduntur atque rcspuuntur. Quum enim » quemqaam de numéro christianoTum in requam oplime norunt er- » rare deprehenderint, et vanam sententiam suam de nostris libris asse- » rere , quo pacto illis libris credituri sunt de re^urreclione mortuorum » et de spe vitœ aeternse regnoque cœlorum ! quando de iis rébus quas t> jam experiri , vel indubitatis numeris percipere potuerunt , fallaciter » putaverint esse conscriptos. Quid enim molestiae trislitiœque ingérant n prudentibus fratribus temerarii prsesumtores , satis dici non potest; » quum si quando de pravà et falsâ opinione suà reprehendi etcon^inci » t ae péri n t ab iis qui nostrorum librorum auctoritate non tenentur, ad detendendum id quod levjssimà temeritate et apertissimà falsitate dixe- » runt, eosdem libros sanctos unde id probent proferre conantur , etc. » Je suis honteux de citer quelques lambeaux d'un si grand auteur ponr lui reveadiquer une doctrine dont toutes ses pages sont empreintes.

292 SI LE CHRISTIANISME A NUI AUX SCIENCES.

»de leur ressort à eux! ToiU ce qu'il y a de sage parmi nous, «gémit plus amcremenl qu'on ne saurait dire, sur la présomp- )) tiou de ceux qui compromettent ainsi les intérêts de notre «foi, en attribuant aux auteurs sacrés, par une témérité cou- »pab!e, ce qu'il leur a plu y lire, ou ce qu'ils y cherchent «pour couvrir des assertions has*ardées. »

Née de cette école si large, la théologie du moyen-âge n'avait point forligué, quand elle disait au i5^ siècle, parla bouche de S.Thomas ' : « Celui qui interprète ces sortes de passages dans l'Ecriture, doit bien se rappeler, d'abord la véracité du «texte, que rien se saurait ébranler, puis que le sens qu'il » renferme ne saurait être en contradiction avec une certitude «obtenue par d'autres voies que celle de l'interprétation. Car y »le cas échéant, s'obstiner à une exi>lication différente, serait »enlêlement et manque de respect pour l'écrivain inspiré. » Et Melchior Cano,vin dominicain espagnol du 16' siècle,est bien plus explicite encore quand il formule ce principe avec tant de net- teté ° : Tous les sahiis ensemble ne seraient point reccvables dans les questions qui n'appaHiennent point à la foi. En quoi on peut voir si la condarïmation de Galilée, dont parle M. Lctronne, l'eût beaucoup embarrassé '.

* S. Thomas. Qu. 68. a. 1. «lu hujusmodi quœstionrLus Juosuntob- » servanda. Primo quiilem ut verilas scripturée inconcussè teneatur. » Secundo , quam scriptura divina multipliciter expont possit, quod » nulli expositioni aliquis ita pi'jecisè inhîereat , ut si certà ratioae cons- » lilerit hoc esse falsum quod aliquis sensum scripturse esse credebat , id » nihilominus asserere prœsnmat; ne scriptura ex hoc ab infîdelibus » derideatur , et ne eis via credendi prohlbeatur. « Ce u'est que la doc- trine exprimée cent fois par S. Augustin. Couf. August. episl. U3. ad MarceUin.—Jmpcrf. de Gènes. 8.- De Gcnes. ad litt. 1. 8, 19. 20. et n. 9. Ce dernier chapitre suffirait à lui tout seul.

» Canus. L. Th. \u. cap. 3. concl. i, « Omnium cliam sanctorum » auctorilas in co génère ([uocsiionum quas ad fidem diximus minime per- » tinere, fidcm non facit. »

•' Gassendi , huit ans après le décret de l'inquisition que nous rappelle M. Letronnc, appelle la doctrine des inquisiteurs une opinion {placitum) tout uniment; et ajoute eu propi-es termes, tout en professant son respect pour ce qu'elle exprime , <[u'il ne la lient nullement pour article de foi, te n'a pas ouï dire qu'on ait jamais prétendu la qualifier ainsi dans l'E-

KÉFUTATIOX DE M. LETRONMt. 393

Mais enfin, qne répondre aux quelques textes des véritables SS. Pères qui resteraient Intaets dans l'article de la Revue? INous répondrons que nous les admellons sans clierehcr à les vérifier trop minutieusement, et que nous les recueillons même soigneusement , comme un témoignage de l'esprit qui a guidé CCS grands maîtres et qui doit nous guider nous-mêmes. ^ oici en (|uoi : cV>;t qu'ils nous apprennent que l'élément de liberté représenté par un grand nombre des premiers docteurs , n'a jamais été poussé jusqu'à se jouer du texte sacré. Toujours a prévalu l'élément principal, cckii de la foi et de la soumission profonde k la parole divine qui ne saurait errer. Respect que quelques-uns ont pu porter jusqu'à l'excès, en croyant pouvoir construire la science de la matière, la science de curiosité, svu- ce qui était destiné à fonder la science intellectuelle et mo- rale par excellence, la science de devoir; mais respect dont nous prions Dieu de nous taire les héritiers, en nous rappelant que la condescendance pour l'aveuglement de cœur vivent bien des hommes à esprit éclairé, ne doit jamais aller jusqu'à iious faire souscrire aucune altération, aucune modification, aucune composition dans le texte inspiré. Souveno-ns-nous que tout ce qui ressemble à de tels accommodemens, ne doit être entrepris qu'aux risques et périls de celui qui condescend à ces éclaircissemciis , sqns qu'il puisse rien eu résulter contre la

qMsc {Epistf ad Petr. Put,apud RiccioU : Almagest lib. ix. sect. i, cap, 38^. Quoi qu'il en soit du reste, de Galilée, puisju'on !e faisait apparaî- tre ici, on ue devait pas franchir si rapidement l'espace qui le séparait des Pères et du moyen-âge ; il ne fallait pas dissimuler , ou Lien il aurait été op[o.lun de savoir (jue Copcroic était chanoine, qu'il a\ait dédié son ouvrage au pape Paul III, et l'avait publié surtout d'après les instances du cardinal de Sclionberg et de rarche\ èque de Cuira ; que ses doctrines Irouvcrcnt des partisans parmi lesthiologiens (par exemple Didacus Stu- nica, Fosçarini et Clavins même, (pioiqu'en mo'.s un peu couverts) , en même lems que des adversaires parmi les sav.ins; enfui, que l'inquisition elle-même, qui s'effraya plus lard du ton alfu'matit" de Galilée , n'avait marqué pour l'ou\rage de Copernic ([ue des suppressions extrêmement légères, auxquelles ou ne se fût assurément pas borné si on l'eût consi- déré comme une doctrine vraiment théologique.

*- On sait que nul Père ne représente à lui seul la doctrine de l'E^liskO; -c'est leur nombre et leur accord qui est quelque chose.

S94 SI LE CHRISTIANISME A KUI AUX SCIENCES. |

Genèse elle-même, que nul n'a le droit de livrer au bras sécu- culier '. Engageons d'abord les géologues et autres savans qui

» Sans vouloir , ni relever toutes les inexactitudes de M. Letronne , ni pre'juger sur les re'sultats de la science qui n'est pas faite encore, ni adopter exclusivement aucune interpre'tation du premier chapitre de la Genèse y je ne puis m'empêcher de signaler l'intrépidité d'assertion a\ec laquelle l'article de la Bévue se prononce sur la manière d'entendre les jours de la création, n Ce n'est vraiment , nous dit il , qu'en changearit » le sens naturel des mots, en bouleversant la suite des idées, que les géo- » logues bibliques , depuis Burnet et Wisthon jusqu'à Kirwan et Deluc, » ont pu réussir à faire accorder la Genèse avec leurs idées. Telle est par » exemple leur explication du mot jour dans le récit de la création. Selon » eux , ce n'est pas un espace de vingt-quatre heures , c'est un intervalle » de tems indéterminé.,.. Mais c'est acheter bien cher l'avantage de faire » de Moïse un géologue, car cette fameuse interprétation, contraire à » l'ensemble du texte, le rend complètement inintelligible...... Elle ne

y donne à Moïse l'apparence du savoir géologique, qu'en lui ôtant jusqu'à i> l'ombre du sens commun {sic). Ce récit demeure véritablement inexpli- * cable lorsqu'on part du point de vue scientifique, etc. » p. 60i.

Burnet et Wisthon n'avaient que faire avec les Pères de l'Eglise, et ne sont point considérés du tout comme interprètes orthodoxes. Aussi leur apparition ne saurait-elle s'expliquer que par l'idée qui perçait dans tout cet article , celle d'opposer à l'Ecriture sainte une fin de non recevoir dans toute question scientifique. Mais puisqu'il s'agit de la cosmographie des Pères , et par incidence de leur cosmogonie , les études faites par M. Letronne sur cette partie , auraient lui faire découvrir qtfe l'idée d'une semblable explication remonte plus haut que Burnet et \Tisthon. Car il ne peut manquer de l'avoir aperçue dans S. Athanase ( or. contr. j4rianos , 3), dans Photius (Bibtioth. c. 222. §. 26 j , dans S. Augustin (De civit. Dei, xi. 30. Imperf. de Gcnesi. 7. 9. De Gènes, ad Utt. iv. 22, etc. ) dans Prccope ( in Gènes. ) , etc. Comme aussi dans Philon ( de viundi opificio. éd. Pfeiffer, J785, p. Ui.—Allegor. i. ibid. p. 122, 12i), pour ne rien dire d'Origène.

Voilà pour la question d'érudition ; quant à celle de la cosmogonie bi- blique, qui, si elle était justiciable d'un tribunal humain, ressortirait bien plutôt à l'académie des sciences qu'à celle des inscriptions, je me contenterai de citer à M. Letronne deux hommes qui devaient s'y con- naître : le religieux et savant André-Marie Ampère , qui se plaisait à faire remarquer l'accord de la science avec la Genèse; et le célèbre Geor- ges Cuvier, qui pour s'être parfois affranchi du joug de l'Ecriture , n'en

RÉFUTATION LE M. LETRONNE, ^^

«e portent pour tels, à s'entendre entre eux avant d'appeler la Genèse à leur tribunal, et tenons-nous-en à ce fait, que plu- sieurs d'entre eux expriment parfois avec un air de candeur dont Je ue veux point percer l'écorce , savoir : qu'une vérité ne saurait nuire à la vérité. Lo vérité, nous l'avons, nous, dans ri£criture;que ces messieurs clierchent la portion de vérité qui appartient à leurs études, et quand ils auront bien trouvé , ils aduiirerout combien était avisé notre acquiescement pai^ sible aux oracles éternels. C'est l'homme qui court après la for- tune, et l'homme qui l'attend dans son lit.

Terminons : il résultera je pense, de tout ceci :

1" Que les erreurs cosmographiques attribué*» aux Pères, n'étaient pas aussi générales qu'on le dit.

2* Que le fussent-elles autant, et plus encore, l'Ecriture Sainte n'a rien à souffrir de ce qu'il y aurait d'erroné dans les opinions cosmographiques enseignées par plusieurs d'entre eux. J'aurais pu montrer que les SS. Pères au contraire, doivent à l'Ecriture des aperçus extraordinaires, cosmologiquement par- lant ; mais ce n'est pas le lieu, et notre science n'est pas assez avancée pour rendre ce triomphe suffisamment éclatant.

5* Que l'Ecriture Sainte reste intacte au milieu des ténèbi'es quelconques des premiers siècles de l'Eglise et des lumières quelconques du nôtre.

Que les plus habiles gens peuvent s'égarer beaucoup quand ils veulent traiter eu passant ce qui mériie et exige des études sérieuses.

Celle dernière conclusion a |)lus d'élendue que les autres, au moins pour la pratique ; et celui qui voudrait l'appliquer à

a pas moius écrit ceci entre autres choses : 3Joise nous a laissé une cos- mogonie doni i'exaclilude se vérifie chaque jour d'une manière admirable. ( Disc, sur les rcvol. du globe ). Or j'a\oue que je ne suis pas assez au fait des progrès de la science, pour m'expîicjucr commuent elle aurait si fort débordé Cuvier depuis lors , qu'il ait pu être mis au vieux papier dés le 15 mars i83i. INIais S. Augustin nous avait prévenu d'avance de ces différences produites par la lecaire des livres saints , quand il écri^ ait (^Pe Cènes, ad li(t.\. 3,) que «l'Ecriture a des profondeurs qui se » jouent des esprits dédaigneux , en même tems qu'une hauteur qui coa- » quicrt les âmes élevées. »

296 SI LE CHRISTIANISME A NUI AUX SCIENCES.

tous les écarts théologiques de ceux qui occupent nos chaires publiques à titre d'enseignement profane, trouveraient peut- être tant de faits à glaner en ce genre , qu'ils renonceraient bientôt à en faire le relevé. C'est sans doute ce qui a fait qu'on s'en occupât si peu jusqu'à présent. Cependant, ne fût- ce que pour empêcher la prescription, il pourrait n'être pas inutile d'en signaler une çà et là. Aussi ne veux-je point répon- dre que moi ou d'autres n'en prennent la peine quelque jour , ou du moins quelquefois en passant. Cela pourra former une série d'articles qu'on intitulerait, à l'imitation de M. Letronne : De quelques opinions théologlqueSy etc. y des hommes chargés W enseigner la jeunesse de France au igl* siicle.

£. ACHERI.

ATHANASE, PAR I. GOERRCS. 307

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^^fj^airs t>« (50i0i^ni,

ATHANASE,

PAR J. GOERRES , PROFESSEUR A l'uNIVERSITÉ DE MLNICU. •.

But de l'écrit. Les mariages mixtes. Bref de Pie VIII. Empiéte- ment du roi de Prusse. Faiblesse des e'vêqucs. Convention de Berlin. Cle'ment-Auguste, archevêque de Cologne. Explication de sa conduite. Service qu'il a rendu à l'Eglise. Conclusion.

« L'arrestation de l'archevêque de Cologne n'a nullement surpris ceux qui. sans se laisser abuser par une apparente tran- quillité, ont depuis vingt ans suivi la marche des choses au-delà du Rhin; mais l'explosion a été si subite qu'elle a paru plus qu'étrange à ceux qui ne s'y attendaient pas, et- qu'elle a, comme de raison, fixé à l'instant l'attention de tout le monde catholique.

» Le premier prélat de la Basse-Allemagne , selon l'ancienne hiérarchie ecclésiastique, homme connu d'ailleurs comme un prêtre pieux , consciencieux , iiTéprochable , est tout-à-coup , mèche allumée , arrêté au milieu de son palais archiépiscopal et conduit au loin dans une citadelle ; ses papieâ-s sont mis sous le scellé , et de grièves accusations publiées contre lui à la face de l'Allemagne. C'est plus qu'il n'en faut pour justifier la vive sym- pathie du parti religieux que frappent ces mesures. Pareille à l'éclair, cette sympathie a éclaté dans toutes les directions. C'est donc une affaire grave, qui commande une parole gra- ve, et nous vovxlons que telle soit la nôtre dans ces feuilles.

» Cet écrit ne cherche pas àsoulever des passions, son seul but est d'examiner consciencieusement et d fond tout ce qui s'est

» Traduit de l'allemand d'après la 3' édition , par M. Albert de Rcsse- gner; vol, in-8°, prix , 2 fr. 50 c; à Paris , chez Debécourlt

,298 ATIIANASE, PAR 3. COEftRBS.

passé. L'anteur veut le droit'ct la justice, sjans pourtant manquer à aucune convenance. Nulle part il ne peut blesser par la forme , bien qu'il puisse le faille en Prusse par le fond; mais il n'était pas au pouvoir de l'auteur que des faits accomplis ne fussent pas accomplis. Cette brochure ne passionnera donc personne , car la vérité ne passionne pas ; tout au contraire , elle calme , parce qu'en donnant droit à qui a droit , elle accoi'de un commence- ment de satisfaction. Ce qui irrite et passionne, c'est l'opinià- trelé dans le mal, c'est cet endurcissement dans l'injustice qui, cherche de tous côtés quelque palliatif sophistique pour refuser satisfaction , et par enflamme ei) le blessant de plus en plus le sentiment du droit. »

A ces austères paroles , le lecteur a déjà, senti qu'il ne s'agit point ici d'une production subalterne.

Gœrres s'empare de l'appel fait à l'opinion par le gouverne^ ment prussien. Il voit une provocation directe aux catholi- ques de descendre à leur tour dans la lice , et il va au fait sans plus tarder.

Dès le pontificat de Léon XII, les évêques de la Prusse-Rhé- nane (Cologne, Trêves, Munster et Paderborn) sollicitèrent de Rome, à la demande instante du roi, une décision plus douce sur la question des mariages mixtes. On sait avec quelle douleur l'Eglise a toujours vu ces sortes d'union , dont la conséquence immédiate est d'affaiblir le sentiment catholique en celui des époux qui est dans l'orthodoxie, avec péril imminent d'ÏE»- différence ou môme d'apostasie viltérieure. Dans sa condescen- dance maternelle, l'Eglise n'a point cru devoir toutefois piohi- ber ces mariages d'une manière absolue; mais elle ne les tolère qu'autant que, par des promesses catégoriques, elle est assurée (autant qu'elle peut l'être) de l'éducation catholique des enfans. Or, sans égard pour la foi religieuse des cinq douzièmes de ses sujets, il a plu au contraire au roi de Prusse, de statuer que les enfans seraient toujours élevés dans la religion du père, et que tout engagement eu sens inverse était nul devant la loi civile. C'était porter à la commiuiion calholique en Prusse, le coup le plus habile et le plus sur; il siiilisait au roi de disposer des emplois à e:çercer dans les provinces catholiques en faveur de pi-olestaus la plupart célibataiies , pour multiplier avec le tcms les alUuuoc*

ATHANVSE, PAR J. COERRRS. 299

mixtes, et par conséquent aecroîlrc la population et l'influence protestante. Tel fut en etret le plan de la politique prussienne sur les bords du Rhin comme sur ceux de l'Oder et de la Yistiile, Les garnisons placées dans les villes catholiques furent invaria- blement sous les ordres d'ofûciers protestans. Les fonctionnaires de l'ordre civil étaient presque tous choisis sous la même inspi- ration, et le petit nombre de catholiques qui avaient trouvé grâce devant l'ilotisme infligé ia petto à leurs coreligionnaires se trouvaient plus généralement relégués au milieu dépopulations toutes protestantes. Jamais la haine de la vraie religion ne fut plus froide, plus savante, plus avisée. La sagesse du goviverncr ment prussien (cette phrase était devenue proverbiale) laissait bien loin derrière elle la sagesse du Pharaon dont parle l'Exode : opprimamus Israël sapientcr ' .

La mort enipêcha Léon XII de répondre aux quatre évêques. Mais Pie YTII, son successeur, vivement sollicité par le résident prussien, donna, le 21 mars i85o, un bref par lequel, poussant la condescendance aux dernières limites, il tolérait jusqu'à un certain point les mariages mixtes en toute hypothèse , allant même jusqu'à suspendre implicitement en leur faveur un canon d'un Concile général (le Concile de Trente), qui déclai'e nul le ma- riage contracté hors de la présence du curé catholique. Le pon- tife déclarait ces unions coupables, mais valides; seulement il refusait au conjoint rebelle à l'Eglise la bénédiction qu'elle ac- corde au conjoint Adèle à ses lois; il prescrivait même l'assis- tance passive du prêtre à de tels mariages, toutes les fois qu'elle serait réclamée, mais en interdisant à ce témoin passif tout ce qui pourrait être interprété comme une approbation quelconque d'une alliance accomplie au mépris de la loi catholique.

Chose prodigieuse ! ces concessions ne satisfirent pas le roi de Prusse. Il ne permit point la publication du bref. Lien plus, il conçut la pensée d'en fausser l'application , à Ciasu du Pape et des populations tout ensemble. Ce n'était pas assez que le prêtre catholique assistât à des apostasies matrimoniales, il fallait qu'il étendit la main pour les bénir, qu'il concourût ouvertement ainsi à séduire les peuples , à persuader aux familles que l'Eglise

' Ëxod. I. 10.

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voit (lu même œil le mariage qui doit lui donnei' des enfaus de plus et celui qui ne peut devenir fécond que pour l'erreur.

Pour consommer cette énormité, que fallait-il au roi? Quatre hommes d'un caractère faible ayant sur le front l'auréole épisco- pale. Sa politique y avait pourvu depuis long-tems.

C'est trop souvent le crime des gouvernemens qui ont l'ini- tiative ou le veto sur le choiv des évéques , de ne considéi-er celte dignité toute spirituelle que sous un point de vue égoïste et misérable, sous le point de vue du parti que le pouvoir civil en pourra tirer dans telle ou telle circonstance. Ainsi, quand le gouvernement est habile, comme ils disent (en Prusse, par exemple), il ne laissera tomber la mitre que sur des prêtres d'une vie régulière, mais à condition d'exploiter cette régularité de mœurs et de s'en faire un instrument pour tromper la vigi- lance du S. Siège et suspendre la confiance des peuples. L'esprit de l'Eglise est d'appeler partout le plus digne ; la pente du pou- voir civil est en général d'inaugurer le plus commode. Aux hommes capables, les gouvernemens préfèrent volontiers les hommes traitablcs, surtout quand il s'agit de l'épiscopat, de toutes les dignités la plus indépendante en soi, puisqu'elle se meut dans une sphère supérieure, dans une sphère toute mo- rale où la force matérielle n'a point de prise,

Emu d'une terreur secrète par la conscience intime de cette indépendance de l'épiscopat catholique, le gouvernement prus- sien avait rempli les quatre sièges dont se compose la province ecclésiastique du Rhin par des hommes de sang noble, tous ou la plupart du moins irréprochables, mais, par-dessus tout, hommes pacifiques, faciles à gagner par un vain simulacre de concorde , plus faciles à effrayer par la menace de maux près de fondre sur l'Eglise, Deux ans avaient sufli pour renouveler en^ iièrement le personnel des évèchés rhénans, et les secours pé- cuniaires accordés pour des reconstructions d'églises, joints à d'autres faveurs purement extérieures, contribuaient à endor- mir de plus en plus la vigilance épiscopale sur les arrière-pen- sées du gouvernement prussien.

Dix années s'étaient écoulées dans ce calme trompeur, lors- que le 19 juin 1854, le roi de Prusse en personne, le défunt archevêque de Cologne (comte de Spiegel) , un des cvêqucs 7ioirs

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de Napoléon, et !M. Bunsen, ambassadeur de Prusse à Rome, sans consulter aucun évéquo, arrêtèrent une convention pour terminer au gré du roi l'affaire des mariages mixtes. Celte con- vention ccrles était rédii^ée par le machiavélisme le plus subtil. Non content d'en avoir imposé au S. Siège en déclarant que sa cour était satisfaite du bref de Pie YIII, M. Bunsen s'emparait de quelques expressions de ce bref, les isolait avec soin du corps de l'acte pontifical, et les tournait si bien contre l'esprit général de cet acte, que, dans la pratique, le cas auquel l'assistance pas- sive du prêtre était prescrite devait paraître un cas vraiment chimérique, de telle sorte que la bénédiction de l'Eglise ne de- vait manquer, de fait, à aucun mariage, quelle que dût être l'éducation des enfans ù naître. Cette convention demeura un secret d'état; on ignore même jusqu'à quel point elle fut connue des ministres du roi. M. de Spiegel se chargea d'obtenir l'adhé- sion de ses collègues dans l'épiscopal. Il vit successivement et séparément chacun d'eux, sans leur donner le tems d'en réflé- chir et d'en conférer, obtint leurs signatures une à une , et leur fit adopter une instruction qui, sous prétexte d'interpréter le bref (dont le texte n'était nullement rendu public) , en paraly- sait tout-à-fait l'exécution sur les points les plus essentiels.

Tout allait bien jusque-là pour la politique prussienne. Mais, quelques vingt mois après, la convention du ig juin i854 com- mence à transpirer. Le chef suprême de l'Eglise demande des explications. M. Bunsen nie elfrontément que la convention existe. Le Saint-Siège insiste ; le gouvernement prussien, fort de la faiblesse des évêques et de la fausse position qu'ils se sont faite, obtient de trois d'enfr'eux l'attestation que cette conven- tion n'existe pas. Un des trois, toutefois, se rétracte sur son lit de mort; le lo novembre i836, l'èvêque de Trêves adresse à Rome l'original de la transaction conclue à Berlin par l'arche- vêque Spiegel.

Par un aveuglement providentiel du gouvernement prussien, M. de Spiegel, mort dans rintervalle, avait eu pour successeur à Cologne un évèque digne des plus hauts siècles de l'Lglise. C'est celui que Gœrres et toute l'Allemagne ont salué du nom d' -/i/mnasf, Clément-Auguste de Droste, de Yischering. Issu d'une des plus nobles familles catholiques de la AVesfphalie, le plus

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jeune des frères Drosle avait administré sous Napoléon, comme vicaire-général capitulairc, le diocèse de Munster. Eloigné de ce poste , à raison de son attachement à Pie \ II captif, il y fut naliu-ellement rappelé en 1814, et réclama, en cette qualité, contre l'inslitulion d'un consistoire mixte cliargé de surveiller le culte et l'instruetion publiqiie dans cette province, contre la déclaration royale relative aux mariages mixtes, contre la créa- tion de l'université de Bonn , la plus perfide de toutes les combi- naisons imaginées par le ministère prussien pour inoculer sans bruit le protestantisme à l'élite de chaque génération. Un évêqiie fut nommé à Munster, en 1821. A partir de cette époque, Clé- ment-Auguste se retira des affaires, fonda un hôpital, et ne chercha plus qu'à s'enfoncer chaque jour plus avant dans une retraite sanctifiée par toutes les vertus sacerdotales. Sa profonde obscurité désarma insensiblement les préventions du roi de Prusse. Le monarque avait eu bon marché , à ce qu'il croyait d'ailleurs, du frère aîné de Clément- Auguste , illustré comme ce dernier par sa résistance à Napoléon , enlacé depuis des pièges diplomaliques de l'archevêque Spiegel , dont il s'est no- blement dégagé par une manifestation récente. Tout était con- sommé, si le moderne Athanase consentait, lui aussi, à couvrir du manteau archiépiscopal et de tout l'éclat de ses vertus privt'es le travail souterrain de la sape luthérienne. Ln si éblouissant espoir fit pleine illusion à la clairvoyance vantée du ministre de l'instruction publique et des cultes, M. d'Altenstein : infatuaiuvi est consilium Aclùiopliel. Cet homme public se persviada que le laps de lems, la contagion de l'exemple, l'alfaiblissement de l'âge, avaient modifié les convictions de Clément- Auguste. Désigné aux suffrages du chapitre de Cologne comme le candidat ' du gouvernement , celui-ci fut élu archevêque et préconisé à Rome le i" février i850.

se présente une accusation grave, qui balance encore dans beaucoup d'esprits le senliment d'indignation que ne pouvait manquer de soulever la violence faite en dernier lieu à l'arche- véquc. M. d'Altenstein accuse le prélat d'avoir, avant son élec- tion, accepté par écrit la convention conclue par M. de Spiegel, et d'avoir ensuite violé sa parole en résolvant en secret, dans un sens coniraire à cette convention et aux lois du royaume, toutes

ATIIANASE, PAR J. COF.WnCS. 3Ô3

les questions que laisaiciit naître les mariages mixtes, tmit en confirmant, par sa correspondance, le {i,oiivcrnement dans la pensée que lui Clément-Auguste se considérait comme lié par la promesse à laquelle il avait sa promotion à l'archiépisco- pat. Laissons la réponse à Gœrres.

« Sur ces entrefaites, l'archevêque de Cologne (comte de Spiegel) fut appelé devant le tribunal de Dieu, et il fallut lui trouver un successeur. Mais, si ce successeur ne suivait pas la même ligne que son devancier, toute la peine, tous les ?oins qu'on avait pris étaient en pure perte. Non-seulement l'arche- vêché reprenait ranciennc observance sur les mariages mixtes, mais encore il la communiquait, par le droit de censure, aux trois autres diocèses de la province du Rhin. Il fallait donc s'assurer à l'avance des sentimcns du candidat, et faire de l'ac- ceptation la condition de son investiture. On avait jeté les yieux sur le baron de Droste \ischering; il dut subir l'épreuve. En conséquence , le ministre lui fit demander par une tierce per- sonne s'il serait disposé et décidé , non-seulement à ne pas atta- quer, mais encore à maintenir et à exécuter, suivant l'esprit de conciliation qui l'avait dictée, la convention conclue le 19 juin 1854 et conforme au bref du pape. On suppose donc qu'il connaît déjà cette convention ; et , comme c'est une interpellation verbale qu'on lui adresse , c'est une déclaration verbale aussi qu'on lui demande, et non une réponse écrite, comme on l'a exigée des autres évêques. On ne veut lui imposer aucune obli- gation légale, car on sait qu'elle serait nulle dans tous les cas ; on ne sollicite de lui qu'un engagement moral.

» Le baron de Droste répond que depuis long-tcms il désii-e qu'on puisse trouver un moyen d'accommodement, dans celle question diflicile ; qu'il apprend avec joie que son désir est rem- pli ; qu'il se gardera bien de ne pas maintenir cet accord <ju'on lui annonce avoir été conclu conformément au bref et déjà en exécution dans les quatre diocèses, et qu'il l'exécutera lui-même en esprit de ci.arité et de paix. C'est sur cette réponse que se fonde l'accusation de parjure ; sur cette réponse seulement, car nous ne sachions pas qu'il se soit rien passé de plus entre les parties.

» Si l'archevêque a comni toute la transaction de 1 854 ■< et

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toutes les conséquences qu'on en a déduites; si elle était réelle- ment, et dans cette intention, exécutée dans les quatre diocèses» et particulièrement dans celui auquel il appartenait; s'il a jugé d'abord qu'elle était conciliable avec les devoirs que lui imposait l'épiscopaî ; si, par suite de cette conviction (fondée sur un examen profond ou non, il n'importe), il a fait la déclaration dont il s'agit dans le sens que le gouvernement lui prête, alors, sans contredit , il a, en le faisant , contracté une obligation mo- rale dont il devait s'acquitter, mais jusqu'à quand! Jusqu'à ce qvi'un autre examen plus profond encore de l'état de la question provoquât lui combat dans sa conscience. Il eût été , sous ce rapport , dans le même cas que les autres évêques, s" étant engagé comme eux à une chose que son devoir Lai défendait d'accomplir, et l'évcque de Trêves lui avait montré la route à suivre : confesser son erreur et se soumettre à la censure du Chef de l'Eglise.

»Mais si au contraire il n'a pas connu ces transactions, s'il ne les a acceptées que sur la parole qu'on lui donnait qu'elles avaient été dressées conformément au bref du pape ; si dans le diocèse auquel il appartenait elles n'étaient point passées en pratique de manière à ce qu'il pût se convaincre du contraire, alors il n'a pas reçu sa charge à une condition inadmissible; et comme il ne pouvait ainsi être tenu à l'accomplissement d'un accord incompatible avec le bref, il ne devait pas non plus par ces motifs se démettre de la dignité dont il était revêtu.

»0n a pu d^abord hésiter entre ces deux suppositions; mais l'exposé oiliciel du gouvernement prussien a démontré claire- ment que la seconde était la vérité. Cet exposé accorde en eflet que rarclicvêque n'a connu ni convention ni instruction ; seu- lement il repioche au prélat de n'avoir pas interpellé le gou- vernement siu" la teneur de ces actes. Mais il s'agit ici d'une transaction d'un sujet avec son roi. L'archevêque connaissait le bref; on lui fait savoir que le gouvernement et les évêques ont l'ail lui arrangement amiable sur son exécution; il doit naturel- lement prési'.mer que tout a été réglé avec bonne foi et loyauté, en se conformant , ccnnme on l'allirmait, à l'esprit et à la lettre du bref. Supposer le contraire, eût été également injurieux pour le roi et pour les évêques , et le baron de Drostc ne pouvait guère se hasarder à exprimer un tel soxipeon. Si donc il consentait à

ATDANASE, PAU J. COERRES. 303

observer tout ce qui a été conclu conformément au ùref^ il se plaçait par sur un tenain parfaitement sûr; car il obtenait ainsi la garantie formelle que le gouvernement n'exigerait rien de lui qui n'y fût conforme, et cette garantie lui suffisait. »

Bien loin clone que l'Athanase allemand ait manqué de sincé- rité envers le ministère prussien, c'est M. d'Altenstein au contraire qui a joué au plus fin avec Clément-Auguste; car si l'archevêque ne voulait rien du gouvernement, le gouverncnemcnt voulait quelque chose de l'archevêque. Celait donc de la part d'un ministère loyal une précaution nécessaire que de communiquer tous les documens de l'afFaii-e à M. de Droste, afin que les devoirs qu'on voidait lui imposer fussent claii-ement établis. Mais loin de , le gouvernement a voulu tendre lui piège au baron de Droste , le placer à son insu dans une situation équivoque et fausse. C'est au ministre à s'imputer de n'avoir point posé la question plus franchement; il est juste qu'il porte la peine de sa réticence calculée. C'est vme des règles générales du droit : in sti/mlatiombus , verba contra stipalatorem interpretenda sunt. Et ail- leurs : vetcribus plaçait pactionem obscuram tel ambiguam iis nocere in quorum pal cstate fuit legcm aperliàs conscrihere '.

o Qviant à l'appel du ministre à la pratique des diocèses , il n'est pas valable non plus; car, poursuit G œrres (et nous insis- tons sur l'avitorité d'un tel témoignage ) , celte pratique n avait encore, en ArccxE façon, été reçue, a cette ipoqi'E,dans te diocèse du signataire. En effet, les auteurs de la transaction n'avaieuL; aucune hâte d'exposer à la clarté du jour ce qui avait été ourdi dans le mystère , pour ne s'infiltrer qu'insensiblement dans la pratique. Aussi, n'est-ce que peu-à-pcu, et par fragmens qu'on l'a publié, et ne l'a-t-on communiqué au clergé qiie sous la condition expresse de n'en point donner connaissance aux laïques. A cette époque encore , la chose était donc secrète à Munster comme dans les autres diocèses, et l'archevêque a protesté à plusieurs reprises qu'elle avait été également secrète pour lui. Il faut ajouter foi à un homme véridique. jusqu'à ce que des preuves évidentes nous aient donné le droit de lui reti- rer notre confiance. Nous savons de plus, de bonne part, que ce

L. 39. ff. depactis.

TouExvu. ÎS" 100. i858. 20

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«'est qu'après son arrivée à Cologne, que Clément-Auguste a été, par son chapelain Michaëlis, instruit de la teneur de la transaction, et que, le premier mouvement de stupéfaction passé , son premier moi a été une exclamation de douleur de ce que son frère avait donné son assentiment à une telle convention. Clé- ment-Aviguste, d'ailleurs, menait à Munster une vie si retirée, si notoirement éloignée de toutes les affaires , qu'il n'avait pas été difficile de cacher tout ce qui s'était passé en i854- E" toute simplicité de cœur, il a donc pu, il a même faire en i8o5 la déclaration que sollicitait de lui le ministère prxxssien. C'est ainsi que la Providence confond la prudence des hommes quand elle la rencontre sur leurs chemins tortueux. »

Franchement, nous ne voyons pas ce que laisse à désirer vme justification aussi complète. M. d'Altcnstcin a-t-il donc au reste oublié l'axiome le plus élémentaire du droit : nemo tenctur paeiis inhoncsiis? L'archevêque eùt-il promis, il ne serait point tenu. S.Thomas de Cantorbéry avait juré les fameux articles de Clarendon ; dès qu'il sut que le pape les réprouvait , il cessa de se croire lié par un serment contraire à son devoir d'évêque , et de chrétien. Le 19' siècle, par la voix de MM. Augustin Thierry et Mfchelet, ne l'a-t-il point relevé de ce serment injuste ? ne l'a-t-il point loué de sa résistance intrépide à l'oppression nor- mande?— Mais pourquoi raisonner dans une supposition dé- mentie pas les faits ? Plus encore que le saint martyr de Cantorbéry, le confesseur de Cologne n'a rien promis qu'il n'ait pti tenir et qu'il n'ait tenu. Disons-le avec Gœrres, a la con- wduite de Clément- Axiguste a été d'un homme d'honneur, et, «comme elle est sans tache, elle doit être aussi sans reproche. » «Puis, ajoute excellemment le professeur de Munich, ce n'est ici que la question secondaire.

» Choisi comme instrument par le Très-Haut , qui s'est si bien servi de lui pour rendre sa cause victorieuse , il eût été douloureux que Clément- Auguste eût trempé seulement du bout du doigt dans cette dégoûtante affaire. Mais que firait cela encore à ta (luestion principale? Celle question ne vil pas, ne meurt pas avec la personnalité de tel ou tel archevêque. An fond, il imporle peu que celui de Cologne ail résisté ou suc- combé à la Unlalion : la question principale, en effet,, est celle-

ATHANARB, PAR J. GOERRES- 307

ci : D'où peut venir le droit h un gouvernement protestant de pénétrer dans le domaine de la liberté solennellement garantie à une autre communion , pour présenter aux évéques, avant leur entrée en charge, une tentation semblable ? D'où lui vient le droit de leur imposer comme condition de leur dignité un engagement pareil, et partant une faute si flagrante? Est-ce donc respecter la religion que d'entreprendre ainsi d'obliger ses dignitaires à des capitulations aussi subversives de l'ortho- doxie et de la discipline, et dont le refus doit inévitablement les brouiller avec le gouvernement, l'acceptation , avec leur conscience? Est -il concevable qu'un gouvernement chrétien suive luie conduite qui exclut nécessairement tous les prêtres vi-aiment religieux et consciencieux des dignités supérieures, qu'il jette comme une proie aux gens sans conscience et aux hypocrites ?

En effet, si M. d'Altensteinnesefût pas publiquement vanté de ces marchés, de ces achats de consciences, le croirait-on? Et qu'est-ce donc que la raison d'Etat, si elle peut à ce point per- vertir ou oblitérer le sens moral en des hommes estimables par ailleurs, et qui ne croient par que servir honorablement leur prince et la communion dominante ?

« Si l'on souffrait cette pernicieuse influence, s'écrie Gœrres, combien d'années encore la pro\-ince ecclésiastique rhénane poxirrait-elle y résister? Ces hommes iniquement enti'és en pos- session de leur charge, se verront conti-aints de la, remplir plus iniquement encore, et après avoir fait valoir et augmenté ce fonds d'iniquité, ils le transmettront à leur successeur, qui à son tovir l'augmentera et le fera valoir pendant sa gestion. Au- jourd'hui ce sont les mariages mixtes pour lesquels on veut extorquer à l'Eglise une sanction de telle ou telle sorte ; ce point une fois gagné et passé dans la pratique, on ne tarderait pas, certes, à aller plus loin. On n'a déjà pas craint de nous dire que le repos et l'ordre de l'Etat, la sûreté du trône ne doivent pas être abandonnés au caprice du premier fanatique qui vou- dra s'emparer du confessionnal. On reconnaît ainsi clairement de quel côté'sera dirigée la prochaine attaque. Passant ainsi de sacrement en sacrement, de dogme en dogme, d'une instiîu- lion religieuse à une autrC; on verra se consommer rapidement

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l'œuvre de destruction. 'C'est le jugement que porte le peirpîé^ et que peut-on lui répondre en présence des faits?

» 3Iais ce n'est pas encore le dernier anneau de cette longue chaîne d'iniquités.

» L'archevê([ue , à qui la main secoiuable de la Pi'ovidence a fait traverser la tentation, sans quU Cait seulement a/ercue, l'ar- chevêque entre dans l'exeiTice des fonctions de sa charge ; il apprend bientôt ce qui s'est passé, et après avoir long-tems combattu avec lui-même , il prend pour règle de conduite, non pas les parties de la transaction qvii ne sont point conformes au bref, mais seulement celles qui sont en harmonie avec cet acte, mettant de côté tout le reste, comme contraire à sa conscience- Cela déplut; on s'en plaignit amèrement. Des négociations s'engagent, et ici les fils du nœud s'embrouillent aussi mer- veilleusement, aussi providentiellement qu'ils s'étaient noués d'abord. Vovis avez violé votre parole, lui dit-on. Je n'ai rien promis, répond-il; je ne pouvais rien promettre que de me conformer à ce que le chef suprême de l'Eglise a permis et dé- fendu ^. Au lieu de trouver dans le ton et dans la teneur de ces paroles l'empreinte d'une conviction calme, tranquille, sûre d'elle-même, on n'y voit que le faux-fuyant d'un caractère malveillant, fourbe et perfide, qui, maintenant qu'il faut ac- complir ses promesses, cherche à force de ruses et de détours à se soustraire à ses obligations. Oubliant quelle réputation, quelle célébrité même lui ont acquises sa conduite et sa vie ^ on se tient pour dupé par sa dissimulation et par sa malice, et l'irritation qu'éveille cette pensée, rend impossible tout examcu calme et réfléchi. En vain le prélat rappellei'a-t-il que déjà un des évêques signataires de la convention de i854 a quitté ce monde, en proie aux amers reproches de sa conscience; en vain réclamera-t-il pour lui et pour l'Eglise la liberté de conscience solennellement garantie : on lui répondra : « nous respectons i^tes sci-upules, mais ils ne peuvent en aucun cas te dispenser » d'obéir aux lois. »

»11 est impossible que ceux qui ont prononcé ces paroles en aieiît bien compris toute l'atrocité. Non-seulement ils élèvent

» Voir la lettre de reproche de M. d'Altenstein cl la ferme réponse de l'archcvi-que , dans notre 98, ci-dessus, p. 112.

ATU.VNASE, 1V\R J. GOEURES. 309

une loi conventionnelle faite pour les hommes , au-Hessus de cette loi éternelle et innée que Dievi lui-même a gravée dans nos âmes [non scripia , sed naia lex. Cicér. ) , comme au-dessus de celle que la parole divine nous dicte; mais encore à une loi toute partiale, à une loi qui est contre le droit , qui viole toute espèce de droits , moralement nulle par conséquent , nulle quant à la forme, nulle qtiant au fonds, nulle devant le droit et devant Dieu, ils donnent une force obligatoire absolue, exigeant une soumission aveugle delà conscience qui se révolte dans ce qu'elle a de plus intime et de plus sacré. Ah ! si une pareille tyrannie doit triompher, si, pesant déjà sur le monde d'au- jourd'hui comme un cauchemar effroyable, qui, à chaque mou- vement extérieur que nous essayons de faire, nous arrête, nous presse, nous oppresse, nous tenaille, nous étreint, cette bureau- cratie prétendeucore pénétrer dans le sanctuaire de notre foi poiu" y trancher du maître , aussi, avec sa force brutale, .... alors sans doute les choses en viendront à un état désespéré , et cette attaque insensée , dirigée contre les fondemens les plus profonds delà nature morale^ provoquera et justifiera la plus vive des réactions

»En présence de pareils principes, l'archevêque ne voulait, ni ne pouvait céder. Aussi la catastrophe ne pouvait-elle long- tems se faire attendre. La ruse étant à bout de voie , la violence est venue. Ici encore on a fait une fausse application de cet axiome de géométrie , la ligne droite est le plus court chemin d'un point à un autre. Or, dans les choses morales, la voie la plus courte, ce nest pas toujours la ligne droite ; mais c'est la ligne dî; DROiT. C'est au reste un spectacle qui se reproduit sans cesse dans toute l'histoire. Quand les hommes ont épuisé toutes les courbes possibles pour atteindre un but coupable , ils tentent enfin ce dernier élan en ligne droite , qui met tin pour cette fois à tous leurs efforts. »

En effet l'enlèvement de l'archevêq^ie Clément-Auguste a été le salut de l'Eglise dans toute l'Allemagne. On connaît l'éloquen- te et majestueuse pi'otestation de Grégoire XYI contre cette inexcusable brutalité ». Des queslionneiu-s ne manqueront point

» Elle a été insérée dans noire N"^ 92 , t. xvr , p. i 39.

310 ATHANASE, PAR J. GOERRES.

pour demander à quoi bon ce manifeste. A quoi bon ? Eh ! quand la voix du vicaire de Jésus-Christ aurait se perdre en vains sons dans les airs , il eût été digne encore du représentant de celui qui juge les justices de se tenir debout en face de la ty- rannie triomphante et de l'appeler tout haut par son nom. Mais les accens du Chef de l'Eglise n'ont point été sans retentissement et sans puissance. Que dis-je ? Il a suffi de ces quelques paroles échappées des lèvres d'un vieillard, pour éveiller toute l'Alle- luagne comme en sursaut. In seul évêque était resté ferme et pur dans toute la monarchie prussienne , et à l'heure j'écris, un seul au contraire n'a pas rejeté loin de lui la chaîne dorée qui lui liait les mains. Toutes les populations catholiques se sont émues; à Cologne, le jeudi saint, les fidèles tombaient à genoux par centaines en passant devant le palais désert de l'ar- chevêque. Le roi de Prusse lui-même s'est troublé et s'est hâté de protester qu'il n'entendait nullement imposer au clergé la bénédiction des mariages mixtes. Athanase est captif encore sans doute, peut-être moiura-t-il dans ses fers, qu'importe ? Il y aura un martyr de plus dans le ciel. Et sur la terre, la foi que ce martyr a confessée, les principes pour lesquels il a souffert, auront triomphé par sa prison même. Ceux qui ne voient que le côté matériel des choses ne comprendront rien à nos paroles; Mais ceux qui vont au fond des faits savent que dès à- présent le principe est sauf, rindépendance religieuse de l'épiscopat en Prusse assurée povir long-tems, et la victoire rempQrtée en plein par l'Eglise. Ils saventque l'Eglise n'apas la prétention derégnersur des bayonncttes , mais sm' des consciences. Partout donc les consciences se déclarent pour elle , il est bien clair que l'Eglise a vaincu ; car ce sont ses champs de bataille à elle, je devrais dire ses champs de victoire. Est-il vrai, oui ou non , qu'il no se fasse plus de mariages mixtes sur les bords du llhin ? Est-il vrai, oui ou non , que le cabinet prussien ait ostensibleiuent re- culé sur cette question ? Est-il vrai qu'il ait moralement perdu un terrain immense, et que les catholiques l'aient gagné; que la popularité, la force morale aient en grande partie passé du côté de ces derniers? En eût-il été ainsi, je le demande, si le Pape s'était ? la question est là, il faut répondre.

Assurément tout n'est pas fait encore, la lutte sera longue

ATIIANASE, PAR J. COERRES. 311

sans doute et mêlée de tristes vieissitudes. Ce n'est point en vain que l'Eglise ici-bas s'est elle-même appelée du nom de militan- te. Mais elle a des promesses qui ne passeront pas; elle sait qui est avec elle jusqu'à la consommation des siècles , et c'est à ses enfans qu'il a été dit : confidite, ego vicl mundum.

En attendant, remercions Dieu du Chef, du Pèi'c qu'il nous a donné. Remercions-le de ce qu'il a en même lems suscité dans la Prusse rhénane un homme digne d'adresser à Frédéric-Guil- laume III les paroles de S. Basile-le-Grand à l'empereur Valons: numqudm forsan in Episcopum incidistil Remercions-le d'avoir permis que , sur tous les points de l'Europe , des voix puissantes s'élevassent powr venger l'attentat commis en la personne de Clément-Auguste , contre ce que Tacite appelait si bien la cons- cience du genre humain.

Entre tous ces ehampions'd'une noble cause, nul n'a mieux mérité que Gœrresdeladignité humaine et de la Religion. Atlia- nase est un opuscule de peu d'étendue , mais l'auteur a su y jeter des considérations de la plus haute portée sur la nature de l'ac- tion du christianisme dans le monde, sur l'union de l'Eglise et de l'Etat au moyen-âge et depuis , sur le système qui veut la sé- paration de ces deux choses, sur l'état intérieur de la société allemande et sur les partis qui s'agitent dans son sein. Nous au- rions souhaité dans le traducteur une plume plus ferme et plus exercée , dans l'auteur un tour de pensée moins profondément germanique. Mais Aihanaae n'en est pas moins le livre le plus instructif, le plus éloquent et le pkis complet qui soit sor- ti de la guerre si glorieusement soutenue par l'Eglise par de-là le Rhin \

Th. Foisset, Juge an tribunal de Bcaunc (Côte-d'Oi) Docteur en Droit.

» Voir dans l'article sur V Histoire de CHermésianisme , inséré dans le N*» 98 ci-dessus , p. 85, le complément de la vie de l'archevêque de Co- logne et des services qu'il a rendus à l'Eglise.

312

NOUVELLES ET MELANGES. » ^^ ^^ ^^ ^S> 3 ^E* <^^ <^ ^^ ^^ ^B>- <£» !

H0uvf((i'$ d il\iU\\^c$.

EUROPE.

FRANCE. PARIS. Progrés de l'étude de la langue chinoise. Arrivée d Paris de deux corps complets de caractères chinois mobiles. Pro- jet d'édition des livres sacrés chinois. Daus la séance du 16 du mois de juillet, M. Julien, professeur de chinoisj a fait part à l'Académie de l'arrivée ea France de deux corps de types mobiles do caractères chinois, au nombre de 85 mille.

Voici, sur ces caractères, quelques détails authentiques qui n'ont été donnés par aucun autre journal.

La principale difficulté qui s'oppose à l'étude de la langue chinoise , provient, non pas tant de la difficulté d'apprendre la langue elle-même, que de celle de se procurer des livres élémentaires. D'abord ces livres sonlenbien petit nombre, et puis ils sont ici d'un prix Irès-élevé ethorsde la portée des éludians. La cherté de ces ouvrages est causée par le manque de caracleresnecessAirespourlesimprimer.il n'existait enFrance, à l'im- primerie royale, que deux corps en bois qui ont servi à imprimer le grand Dictionnaire chinois, dit de M. de Guignes; or ces caractères sont trop gros et ne pouvaient servir pour la publication d'ouvrages élémenlaircs.

11 est vrai qu'un habile graveur, M. Marcellin-Legrand , avait depuis plusieurs années commencé à graver un corps de caractères chinois , dont nos lecteurs connaissent les beaux échantillons que nous avons souvent donnes dans nos Annales ; mais il y avait encore ici plusieurs difficultés ; d'abord , toutes les lois que l'on avait besoin d'un caractère, il fallait le faire graver , ces caractères coûtaient très-cher. Il fallait encore un long espace de lems avant que l'on en eût assez pour im- primer un ouvrage de longue haleine ; et puis, comme il u'y avait qu'un seul corps, on ne pouvait assez faire la différence du texte et des notes.

M. Jidien , voyant toutes ces difficultés, et désirant doter la France d'une imprimerie chinoise qui n'existe on aucun autre pays, imagina de faire graver à ses frais en Chine même deux corps complets de carac- tères. Mais ici noiivcUe difficulté : les Chinois ne se scrveul pas de carac

NOUVELLES ET MÉLANGES. 313

tores mobiles comme uous ; ils gravcul loules les pages Jo leurs livres sur des jîlanches de bois, cl en lireut des exemplaires à-peu-près comme nous faisons pour nos gravures, ou nos volumes slLiéolypés , cl ensuite il csl défendu par le gouvernement chinois de graver des caraclères mobiles jiour les Européens: mais celle dilïicnllé ne larrêfa pas , parce qu'il sa- vait qu'il aurait, pour le seconder, d'habiles et de zélés auxiliaires.

En effet , il fit part de son projet à M. Voisin , directeur au séminaire des missions étrangères, et le pria d'écrire à ses confrères de la Chine pour les engager à prendre tous les moyens pour procurer à la France ces caraclères, si la chose était possible.

Celle proposition a été acceptée avec Tempressemenl que mettent ces honorables prêtres à tout ce qui peut contribuer à la gloire de la France, cl au progrès dos sciences , qu'ils savent faire tourner à la gloire et au progrès du christianisme. Les instructions de M. Julien ont été envoyée» à M. Legrégeois, procureur des missions élrangèresà Macao. M. Le Gré- geois chargea alors de ce soin un Français qui habile le Su-tcliiten , M. Jac. Léonard Perrochol, sacré à Paris évêque de Maxula el coadjuteur du Su-tchuen. C'est ce saint prêtre qui , au milieu des soins qu'il donne aux Chrétiens qui sont dispersés dans son vasle diocèse , a trouvé le moyen do faire graver les 85,ooo caractères qu'on lui demandait , de les dérober à la surveillance des agens du gouvernement, de les souffraire, ce qui était bien plus difficile , à la vue des nombreuse ligues de douane qu'il a fallu traverser, et de les faire arriver à Macao , d'où ils ont été adressés en France par Bordeaux.

Le prix des 85,ooo caraclères, qui en France auraient coûté près de 3o,ooo francs ne s'est élevé qu'à une somme minime.

M. Julien s'est empressé de les céder au prix coûtant à l'Imprimerie Royale, l'on s'occupe en ce moment à les mettre en ordre, et à les disposer à entrer en service. Pour cela voici ce que l'on fait.

Ces caractères sont en bois; on commence par les tremper dans un enduit chimique qui les préserve de l'aclion immédiate de la chaleur, puis on les enfonce dan? du plomb préparé cl fondu exprès, chaque type laisse son empreinte exacte; celle empreinte sert de matrice pour fondre le nombre de types qui est nécessaire , comme on le fait pour lus types ordinaires. Nous espérons pouvoir un jour en offrir des modèles à nos abonnés.

Maintenant voici l'usage que M. Julien se propose de faire de ces ty- pes. D'abord il a l'intention de publier un Dictionnaire plus usuel , plus commode, plus complet, que celui de M. de Guignes. Une Gram- maire plus accessible que celle de M. Abel Remusat , ou plutôt du Père Prémare. 3' Il donnera successivement une Iraducliun de tous les livres

314 NOUVELLES ET MÉLANGES.

classiques -et canoniques chinois. Ces livres, pour la commodité dcsélu- diaos, seront accompagnés des textes; peur cela c'est en chinois encore qu'il fera faire une édition de ces textes, lesquels arrivés à Paris, cou- leront moins cher que les volumes français, et correspondront page par page à la traduction française. Cette traduction sera faite d'après un procédé tout nouveau. Il y aura, la traduction de chaque caractère chinois sans liaison , ni lems , ni cas , etc. , comme est le chinois même. 2" Une traduction avec les liaisons de la syntaxe française , accompagnée des commentaires qui autorisent ces liaisons. On comprend combien une pareille méthode sera utile h ceux qui étudient la langue , et qui veulent s'en former une idée. Alors seulement nous connaîtrons aa juste le sens des livres chinois.

C'est par le Chi-king que M. Julien commencera cette publication. Kous ne doutons nullement qua le gouvernement ne lui fournisse les moyens de la mettre à cxécntion , mais ce que nous demandons surtout , c'est que ce soit une édition in 8" d bon viarchê , et non point un format in-4° ou in fol. , comme sont faites la plupart des éditions des ouvrages orientaux, qui ainsi restent hors delà portée des bourses ordinaires, et 6ont ensevelis dans les bibliothèques.

Puisque nous avons parlé du zèle de nos missionnaires pour le pro- grès des sciences, qu'il nous soit permis de mentionner ici le projet qu'ils ont formé d'établir dans leur maison de Paris nu musée chinois et indien, et ce projet a déjà reçu un commencement d'exécution. Pour la Chine on voit un grand nombre de livres imprimés et manuscrits. Nous y avons déjà vu des habillcmens complets civils rapportés par M. Voisin; puis quelques objets de co«tnmes de femmes, entre autres des souliers entrerait à peine une main fermée, des étoffes, deux grandes pièces de toile damianthe, un fam-fajn magnifique, un grand bouclier en o.Mcr, un sa- bre à double lame, etc. Pour lliule, des livres, des objets dhabillemcnl, quelques-uns de ces souliers en bois qui se portent au moyen d'une che- nille entre quatre doigts du pied, etc.

Nous espérons que le gouvernement trouvera quelque moyen pour reconnaître le service que les missionnaires ont rendu a la science. Voici d'ailleurs une occasion bien propice. Nous savons qu'ils sont persécutés à IVIacao par le gouvernement portugais , qui veut leur faire quitter cette ville. Que notre gouvernement n'oublie pas de les appuyer auprès de son alliée et de sa protégée la reine du Portugal.

Découverte de livres de la Bible en langue égyptienne. «M. le docteur Dujardin , envoyé en Egypte par M. le ministre de l'instruction publique pour recueillir des manuscrits cophtcs , a écrit du Caire , en date du 3

NOUVELLES ET MÉLANGES. 315

uillel, ponr annoncer les résultais qu'il ayait oblcnus déjà, en moins l'un mois de séjour dans celte ville. Il avait recueilli chez divers particu- iors une trentaine de mjnuscrits manquant tous à la bibliolhèque royale, il dont quelques-uns sont en dialedoracmpliiliquc cl les autres en dialecte aîdique. Parmi ces manuscrils, dont les copies vont être envoyées aa ninislre, se trouvent: \c prophète Isaie , le prophète Jéréuile (y compris es Lamentations), Baruch et la lettre aux Juifs emmenés captifs à Dabylo- le, le livre de Job, les quatorze premiers chapiUes des Proverbes , et des ragraens des livres des Rois , de la Sagesse de Salomon , de l'Ecclésiaste , itc. , en dialecte rnemphitique.

Les manuscrits en dialeclc saïdique ont été découverts par hasard dans

ine liasse de vieux parchemins. Ce sont les deux premiers livres des Rois,

me partie des Psaumes, de Jérémie , des Evangiles de saint Marc et de

ainl Luc j VEpilre aux Calâtes , les ^ctes de saint André , de sîiint Geor-

'es, de s»\a\. Ptelème , la Vie de sainte II ilaric , fille de l'empereur Zé-

lon , le Panégyrique des quarante martyrs, des fragmens de saint AthU'

ase, de saint Jean-Chrysostome , de saint Basile , etc.

»M. Dujardin était occupé à copier ces manuscrils chez les Cordeliers

u couvent de Terre-Sainle , quand a eu lieu l'incendie terrible qui a dé-

oré 4^7 maisons autour du couvent, resté seul debout au milieu des

aine«. Il espère augmenter encore considérablement , pendant son sé-

)ur en Egypte, la masse des matériaux qu'on possédait déjà pour arriver

la connaissance parfaite de la langue égyptienne. »

C'est ce que des journaux ont raconté ; nous avon?, nous, à ajouler ne bien triste nouvelle ; c'est que ÀM. Dujardin vient de mourir au Caire 1 milieu de ses travaux , après quelques jours de maladie.

IRLAIVDE. DUBLiX. Lecture des inscriptions étrusques des tables tgubicnncs avec le secours de la langue irlandaise. Découverte des Iles ritanniqucs par les Etrusques, Usage de la boussole avarit la fondation de orne. A Gubbio, ville e'piscopale des États du Pape, on conserve des scriptions connues dans le monde savant sous le nom d inscriptions eu- tbiennes; elles sont gravc'cs sur sept tables de bronze découvertes en ex- vant les cryptes d'un ancien temple en 1 d^^ . Cinq de ecs inscriptions sont rites dans l'ancien caractère étrusque, écrites de droite à gauche , comme lèbrcu et les autres langues se'mitiques; deux autres, la 6^ et la 7^ sont avécs en langue étrusque , avec le caractère qu'on appelle maintenant ro- tin , et écrites de gauche à droite. Deux autres tables , trouvées en même ns, furent envoyées à Venise en 1505 , mais n'en sont plus revenues. jDans la séance de V Académie royale irlandaise du 22 janvier dernier , r William Betham a lu une note dans le but de prouver que l'ancienne iigue étrusque était identique a\ ec V ibernoceltique , et que la langue irlan-

816 NOLVELLES ET MELANGES.

dai se teWe qu'on la parle aujoui'd'hui dans le pays, offre le vrai movcn d'interpréter ces inscriptions, qui ont rendu vains les efforts de tant de savans. L'auteur a lu à l'Académie sa traduction des 6^ et 7e tables , qu'il a choisies comme contenant les matières les plus intéressantes. C'est un récit de la découverte des Iles Britanni([ues par les anciens Étrusques , et de l'usage de l'aiguille aimantée dans la navigation. La 6" table est un vrai prospectus , et qui pourrait servir de modèle à nos fondateurs de modernes colonies; elle commence par une invitation aux gens de se par- tager ou d'affermer les terres de l'ouest , il y a trois îles d'un sol riche et productif, avec des bœufs et des moutons en abondance, et de grands daims noirs.

Le pays contient des mines avec de jolis cours d'eau , et tout ce qui peut rendre une résidence agréable. On y lit ensuite : «que les navires qui avaient été préparés pour transporter les colons , avaient des magasins » de vivres et des provisions en abondance pour le voyage , et de Ceau dans t> des peaux (des outres) pour l'usage journalier ; que la science et l'habileté » nautique des capitaines et des équipages gai-antissait le succès de la na- » vigation , et qu'on pouvait en toute sûreté et avec toute confiance s'aven » turer sur le désert inconnu de la mer. »

Puis on décrit le misérable système de la navigation le long des côtes qui confinait le navigateur au rivage , parmi les bas-fonds , les rochers les ressacs et d'autres dangers imminens.

Tous ces accidens étaient évités par la découverte du petit pointeu (piAC lu) , par le moyen duqiiel on pouvait traverser d'un côté à l'autre en suivant toujours le même trajet, établi d'une manière certaine; et I haute mer que le marin contemplait avec épouvante , quand il perdait ] côte de vue , pouvait cire maintenant traversée avec certitude en évitai tous les dangers. «La mer est devenue la plaine du commerce , un nob «espace, un facile espace, un espace raccourci , un espace que l'on pai «court, le propre espace de l'homme, le moyen du progrès du con «raerce , le trésor de l'homme , la source de l'augmentation de la richcss « La navin^ation est devenue sûre et agréable au moyen des vivres emm » gasinés et du petit pointeur. »

Ce passage est répété plusieurs fois dans l'inscription. Le petit poiniel et les vivres conservés sont indiqués comme les moyens par lesquels oi découvert les trois îles de l'ouest. Les événemens des premiers voya{ sont décrits avec beaucoup d'emphas<^ : dans une occasion, il paraît q les navires avaient été tellement au nord , que l'eau avait gelé dans outres, qui s'éUiient rompues, ils arrivèrent sur un poinlqu'iis croyaii être la terre; mais après examen , ils virent, à leur grande consternatû que r'ciail seulement de la glace. Ils continuèrent leur route d;

NOUVELLES ET MELANGES. 3J7

l'anxiclc, se gaulant sur le soleil clans le jour, et par les sept (la grande Ourse) pendant la nuil. Enfin ils arrivèrent aux trois îles, sur la pre- mière desquelles ils virent des moulons.

Le passage qui termine l'inscription de la 7<^ table rappelle aux Pliéni- ciens (car Lien que ces peuples résidassent certainement en Italie , on les appelait partout Pum) que les îles que l'on venait de découvrir , pou- V aient former un beau pays pour le commerce, protégé par la mer contre toute agression hostile, et pourrait par la suite devenir un asile, en cas que leur propre pays fiïf envahi et conquis par un ennemi ; ils pourraient alors se retirer dans leurs na\ ires et aller rejoindre leurs amis déjà éta- blis dans la colonie. Dans le dernier paragraphe nous voyons que l'ins- cription a été écrite trois cents ans après le grand bruit souterrain et la commotion qui l'accompagna '^tremblement de terre).

ASIE.

Nivellement entre la Méditerranée et C Euphrale. Géologie de la Syrie septentrionale. Les travaux pour la navigation do l'Euphrate se conti- nuent. Voici une des études qui ont été faites pendant l'expédition du co- lonel Chesney dont nous avons déjà parlé. Pendant que ce voyageur descendait le fleure, ^L Thompson entreprit un niveileuTent du pays situé entre la Méditerranée et ce lleu\ e à travers la Syrie septentrionale , dans le but de connaître la possibilité d'établir une ligne de communi- cation par des routes, des canaux ou des chemins de fer. Le principal résultat de ce grand tra\ ail a été de déterminer que le lit de l'Euphrate est élevé de 628 pieds anglais (191"' i) au-dessus du niveau de la Médi- terranée.

Tout le pays sur lequel la ligne de nivellement a été menée peut se di- viser naturellement en quatre régions caractérisées chacune par son élé- vation relative, par sa sti'ucture géologique , par sa végétation et par les mœurs de ses habitans.

La première région, en partant de l'Euphrate, présente un terrain de ci^aie supérieure qui atteint une élévation de 1300 pieds (395 mètres) et n'est que faiblement ondulé. Le sol en est léger , un peu pierreux , peu profond et très-fertile en grains et en coton , les hauteurs sont habitées par des Turcomans sédentaires et par des Arabes qui sont une race mixte deFellahs. Les grandes plaiacs de cette région sont parsemées dans toutes les directions de monticules nombreux d'une forme plus ou moins circu- laire, en partie naturels, en partie artificiels. Un village se trouve au pied de la plupart de ces monticules.

La seconde région comprend le pays du calcaire à ostracitcs et des ro-

318 NOUVELLES ET MELANGES.

ches fchlspathiqnes cl pyroxcniques dans la vallée de Gl'uideries , ayant une élévation moyenne de i50 pieds. Ce district est extrêmement fertile, et, pour la plus grande partie, habité par des Kurdes cultivateurs.

La troisième région est la plaine lacustre de Kouk , élevée d'environ 305 pieds au-dessus de la Méditerranée, et couverte en majeure partie de plantes graminées servant de nourriture aux troupeaux des Turcomans pasteurs et nomades.

La quatrième région , formée par la vallée d'Antioche , est rocheuse , irrégulière et d'une hauteur qui varie de 220 à iiO pieds Elle comprend aussi les plaines alluviales de l'Oronte qui s'abaissent graduellement jus- qu'au niveau de la Méditerranée. Cette région est cou\ erte de broussailles et d'arbustes toujours verts , et habitée par quelques familles de Syriens qui, dans ces solitudes pittoresques . suivent une idigion mixte.

Adoration des idoles imposée dans L'Inde par la cvmpagnie de marchands qui y domine. Voici ce que nous lisons dans un journal anglais , le Times. Il paraît que les directeurs de la compagnie des Indes-Orientales mon- trent des prétentions lout-à-fait extraordinaires à dominer les consciences de leurs subordonnés , si l'on en j uge par la letli-e suivante adressée par Robert Nelson , à la date du 19 mars tS3S, au secrétaire de la cour des directeurs.

«Les instructions de Notre Seigneur J.-C. portent que je dois me tenir «éloigné du culte des idoles et m'abslenir de tout acte d'idolâtrie. La «compagnie des Indes-Orientales exig^au contraire que j'adore les idoles » et que je m'associe à leur culle. Les commandemcns de ces deux maîtres «sont eu opposition directe ; et j'ai à choisir enîre les deux, ne pouvant »> faire acte d'obéissance à chacun d'eux simultanément. Comme je pré- fère suivre les préceptes de Notre Seigneur J.-C. , je renonce à servir ula compagnie des Indes- Orienlafes. Ainsi veuillez me faire rayer de La »liste des fonctionnaires civils de l'établissement de Madras; je renonce M à tous les privilèges attachés à ces fonctions. »

Il est remarquable que les directeurs ont mis une opiniâtreté sans excmp'e à vouloir perpétuer les abus. Le sacrifice affreux des suttees au- rait continue d'être en vigtieur sans les réclamations des propriétaires, quiontenfin arraché l'abolition de celle odieuse pratique aux répugnances des directeurs de la compagnie.

;;>ô®^«

KIBLIOCRAIIIE. 319

Oi(5Cîi5(}va,p§K,

ÉTl DES MORALES ET REUGIEISES; SOl'VEMRS ET MEDITATIONS,

avec cette épigraphe : Dieu a moi))s d'égard à ce que l'on fait , qu'an désir et à l'amour avec lesquels on le fail.[ luiilalion). Un volume in , à Paris , cliez Débécourt li braire; prix, 5 fr.

Voici un de ces lirres, si rares aujourd'hui, d'une lecture agréable et utile en même tems. On y trouve réunies sur la plupart d.js positions de la vie, une suite de pensées justes, religieuses et délicates. Voici quelques extraits du chapitre VI , sur l'amitié et l'amour. II n'est pas besoin de dire que l'an- leiir est une femme.

«11 n'est pas mal que deux amis aient des caractères un peu différcns ;le même courant ne les empoite pas. Placés à quelque distance, l'un saisit ce qui échappe à l'autre ; on aperçoit mieux ses délauts réciproques , et l'on est plus apte à se servir mutuellement.

Quand les amis cessent de s'entendre, l'orgueil en est presque toujours la cause ; c'est encore la tour de Babel.

Les grands et les riches sont condamnés à ne voir souvent autour d'eux que des amis de leur fortune , des courtisans de leur grandeur. Quelquefois pourtant ils peuvent renconti'er , des amis véritables , qui bravent la prospé- rité apparente, pour se dévouer aux misères cachées sous la pourpre , qui consentent à être confondus dans l'opinion publique avec les faux amis. C'est une des sublimités de l'amitié.

N'attendez pas que votre ami dise : je m'en vais ; prévenez plutôt son désir, dites-lui : il est tcms de vous en aller. N'attendez pas non plus qu'il vous dise : partez; dites : je pars.

Que l'amitié et l'amour se montrent parés de tons les charmes les plus purs, force sera toujours de donner la préférence à l'amitié. L'amour aussi bien que l'espérance finit par s'éteindre à une époque plus ou moins rapprochée. L'a- mitié subsiste dans tous les âges de la vie , comme la charité survivra même par de les tems.

Apprécier dans une âme ce qu'elle a de beau , de grand , d'aimabie , sans retour sur le bien que nous pouvons en retirer, voilà le véritable amour. Aimer de la sorte c'est nobless;; et désintéressement.

Les sacrifices et la contrainte sont des gages de durée pour l'amour, qui se fortifie par la contrainte et s'ennoblit par les sacrifices.

Le respect , considéré souvent comme le frein de l'amour, en est aussi l'auxiliaire ; par lui le sentiment conserve ce qu'il y a de plus pur et de plus délicieux.

Si l'amour ne finit point par se transformer en une amitié délicieuse, ce n'était point un amour véritable.

Aux élans vifs et impétueux de l'amour , substituer l'allure sage de l'ami- tié, tâche noble et même facile pour In femme, si elle est tout à-la-fois ver- tueuse et spirituelle. Hélas! la vanité y vient trop souvent mettre obstacle.

L'amour ennoblirait l'esclavage si l'on pouvait, si l'on savait surtout bien choisir son maître ; mais hélas ! il en est rarement ainsi.

De tous les sentimens, le plus jiarfait et le plus doux c'est celui qui tient tout àla-fois de l'amour et de l'amitié : enthousiasme et solidité, préoccupa- tion et sagesse, vivacité et constance : voilà le beau idéal d'une afTeclion humaine. Femme chrétienne , c'est ù vous qu'il appartient de le réaliser ; de tels prodiges vous sont réservés.

320 BIBLIOGRAPHIE.

Quand on aime fortement, on songe peu à plaire. Le cœur d'une femme coquette est comme frappé d'interdit ; il est inhabile à aimer.

Liiomme délicat ne devrait pas révéler son amour à celle t^ui l'inspire ; Teut-il que son sourire ne brille plus qu'à travers les pleurs? oui.... il le veut. . . et trop souvent elle le lui pardonne. ■>

CliUOMQlE D'El.\S!Dr.r.\ {-^otre-Daïue des Ermites , canton de Scb- witz en Suisse}, par Joseph Régnier, ouvrage publié par les ordres deMon- seigneur doin Célestin I, abbé actuellement régnant, et revêtu de l'appro- bation de Monseigneur l'evèque de Largren. Vol. iu-S° , à Paris. La lettre suivante du vénérable abbé d'Einsidlen , fera connaître et le but de l'ouvrage et les moyens employés par l'auteur pour le remplir parfaitement. 0 Le besoin d'une aouveilti notice /■istoriqiie sur Notie-Dame des Ermites, déjà senti depuis bien des années, n'avait jusqu'ici engendré que des vœux sté- riles. En vain d'illustres voyageurs et de pieux pèlerin» français nous deman- daient-ils un récit plus étendu sur le célèbre sanctuaire de la mère de Dieu. Un petit résumé de ce qu'il y a de plus remarquable dans la fondation et la conserva- tion du monastère et quelques détails îiès imparfaits sur le pèlerinage, étaient tout ce qu'on pouvait leur offrir pour satisfaire^leur pieuse curiosité; il n'exis- tait plus des anciennes cliioniques que de rares exemplaires : ces ouvrages, d'ailleurs précieux par les documens liistoriques , ne pouvaient plus conve- nir à notre époque par leurs furm(;s et leur style. Il fallait qu'une plume exer- cée en retouchât l'ensemble et les détails , et yen ajoutât d'autres pour sortir ce genre d'ouvrage , en même tenis historique et tbéologique , de la défaveur sont tombes, par la faute des auteurs , les livres communs de dévotion.

Un jeime catholique de France, M. Joseph Régnier , ayant bien voulu s'imposer celte tâche, et se disant mênje t"ort honoré d'avoir à secouer la pous- sière des œuvres publiées à la louange delà Vierge sainte, nous l'avons autorisé de tout notre pouvoir, et nous l'avons fait avec autant plus d'empressement que nous connaissions déjà de lui un livre sur cette ville de Rome , vers la- quelle se portent nos affections et nos respects. En conséquence nous avons ouvert h l'auteur de la nouvelle chronique d'EinsidUn nos bibliothèques tt archives, lui avons fait donner par nos capitulaires tous les renseignemens qu'il pouvait exiger. Espérant que ses efforts ne seront pas sans succès, et que bien (les personnes en seront édiliées , nous laissons aux autorités ecclésia^ti- queslesoiu d'approuver ou de desapprouver selon l'Esprit Saint qui les anime. En foi de quoi nous avons délivré la présente autorisation. De notre abbaïe d'Einsidlen , août, iSô6.

CÉLESTIN, abbé. Nous n'ajouterons qu'une chose, c'est que M. Josepii Régnier a été dou- blement fidèle au mandement : il a fait à la fois une bonne action et un bon livre; un de ces livres , rares , vogtvit sur la mer profonde de la littérature , et qui joignent tout l'intérêt du roman à toute la dignité de l'histoire. JN'ous le recomioandons à tous les amis des bonnes et belles lettres, et surtout à tous les amis de la religion.

EI.iXiK Ii!STOKl<)l E de > aint-Bernard, présenté à l'Académie des Jeux floraux, (concours de iS3jj par M. Dessalte-Régis, à Paris , chez Ebrard , libraire éditeur , rue des Maihurins , n" j4- » l'STij. Brochuie de6o pages. A part quelque passages sur les croisades et les mœurs du clergé , c-'eit un ouvrage louable que celui de M. Dessalle-Régis. Il y a des recherches, du dis- cernement dans le choix des autorités et de la profondeur dans le jugement. L'auteur s'il continue ses travaux historiques appai tiendra à cette école qui eu Fiance travaille à reformer les jugemeus poités par le philosophismc contre l'Eglise catholique.

ANNALES '^'

DE philosophie: chriïtieinne.

^uuiixo 101. 5o T&o<'eiiiBxc l838.

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11

cvû^n.

VOYAGE EN ABYSSINIE

EN 1835-1837 ., DANS LE PAYS DES GAI.LAS , DE CIIOA ET d'iFAT,

Précédé d'une excursion dans T Arabie-Heureuse, et accompagné d'une carte da ces diverses contrées; par M. Ed, Combes et i\/, Tahisieu '.

Origine ilu nom Je TAbyssinie. Célébration de la PAqno, Coslnme des jeunes lillcs. Un tneurlrier. Cour dn roi Oubi. Cosluincs et coutumes des Abyssiniens. Axonm et ses inonumens. Fuite. Juifs Abyssiniens. CheCdes Gallas. Danger de mori Arrivée dan s le pays de Choa.

En faisant i'iiisloirc du Saint-Simonisme, nous avons raconté comment riuelques-iius de res généreux jeunes gens, qui s'é- taient épris d'un bel amour pour l'apostolat , voyant leur œuvre stérile et incomprise en France, passèrent en Eg}'pte pour v liouvcr la /Vmme libre . celle MERE, qui devait donner une ré- vélation nouvelle. Nous avons dit aussi comment, après y avoir fait quelques travaux sur le Nil ou dans le désert, la plupart revinrent en France, ils ont repris une conduite et des idées un peu plus sages «. Deux de ces apôtres, MM Combes et

' 4 ^ol- ÏQ 8», avec caries ; prix, 52 fr. , et 56 fr. par la posle. A Paris, cliez ilcsessart , éditeur; rue dos Beaux-Arls, no i5.

> Voir le dernier article sur le Saiut-Simonisme , t. xu, p. 85. Nous donnerons à nos lecteurs, h celle occasion, des uouTcl!es du célèbre /jeVe Enfantin, cl nous leur apprendrons qu'il est en re moment maitrs de poste sur la roule de Lyon.

Tome XVII.-— iS° 101. i858. ai

332 YOTAGiE EN ABYSSIMEJ

Tamisier, ayant à peine un peu plus de vingt ans, conçurent le piojcl aventureux d'aller visiter l'Abyssinie, et en effet ils «.Tit mis ce projet à exécution; et ils viennent de nous donner le îésiiitat de leur voyage en quatre beaux vol. in-S". Quoique leur jeunesse, ie peu de secours qu'ils onl pu relircr de leur propre science, les idées qui duminaienî alors leur intelligence, les aient emptVJiés de rcnili e leur voyai^e aussi utile qu'il eût pu l'èlre, cependani il sera inléressanl, nous eu sommes assurés, pour nos lecteurs, de suivre dans l'Elliiopieles pas de nos aven- tureux jeunes gens.

L'Abyssinie est cette contrée de l'Afrique située au midi de Ja îvubie, le long des côîes de la mer llonge, peu[)lée d'abord par les fils de Cusch, fds de Cluim; ses premiers liabitaiïs furent des trcglof/ites , c'est-à-dire habitant des cavernes creusées dans les flancs des montagnes ; des Juifs vinrent s'y fixer du tems de Xabuehodonosor ; puis des Eg}'jitiens, des Ethiopiens, des Arabes s'é'ant répandus dans ces contrées en fuyant l'aridité des sables et des déserts de la Nubie, les Orientaux donnèrent à cette contrée le nom de Habesch, c''cst-èi dire peuple mélangé, d'où nous avons fait le nom (W'^byssinie, que ces peuples au reste repoussent; ils se nomment eux-mêmes Amharites o\\ Ti- gireiis , d'après leurs provinces, ou plus généralement Casclitans, c'est-à-dire chrétiens ; dans leurs livres ils sont appelles Ethio- piens; mot dont se sert Homère, les Romaiîjs les nommèrent ^aumiies, du nom de leur capitale.

Leurs annales remontent jusqu'à Maqueda^^ qui est celte reine de Saba (jui vint à Jérusalem pour admirer la puissance et la gloire de Salomon. Elle en eut un fils uominé Menilck , qui fut leur premier roi après Maqueda, et dont M. Bruce nous a donné l'histoire.

iSous avons déjà longuement parlé de l'histoire ancienne de ce pays, de ses croyances, de la colonie juive qui y pénétra à la suite de l'invasion de Nabuchodonosor en Judée, des bibles liebraïipies que l'on y a trouvées; enfin de foutes les traditions bibliques ou évangéliques qui y ont été conservées *; aujour-

Nommée aussi Belkis par les écrivains arabes.

ï Voir les t. iv , p. 119, t. vi, p, 2G1, el le t. lï, p. 45 des Annales .

PAR MM. ED. COMBES ET TAMISIER. S2$

d'huî nous allons suivre rapidement les deux voyageurs français, ciler quelques-unes des pittoresques descriptions qu'ils ont faites de ce curieux pays, et quelques-unes des esquisses qu'ils ont tracées des mœurs aciuelles des habitants.

C'est un singulier spectacle que celui de deux jeunes gens, à peine âgés de 21 ans, qui, sans être poussés par l'amour du gain, ou le zèle religieux, forment le projet de pénétrer dans le sein de l'Afrique, et de visiter des peuples sauvages et inhospi- taliers, poussés parle seul désir d'augmenter la masse des con- naissances acqiu'ses, et par cette curiosité et cette inquiétude insatiable de l'esprit oui tourmente la génération actuelle! honneur à eux ! car c'est à eux que nous devons déjà beaucoup, et que nous devrons avant peu d'années encore davantage.

MM. Combes et Tamisier nous transportciit au commence- ment de leur voyage, à JJjedda ou Jedcla dansFArabie-Heureuse, ils étaient arrivés en janvier i835.

A l'occasion du Ramadan ou carême des Musulmans , ils eurent lieu de remarquer que la proximité de la ville sacrée ou de la Mecke, n'a pu soustraire la religion musulmane à cette dissolution qui la menace de toutes parts. Le voisinage des Européens, et surtout les fréquens rapports avec les Anglais, effacent tous les jours les vieilles mœurs et les vieux préjugés des Turcs. Maintenant les Européens chréticiis peuvent sortir sans courir aucun risque? ils peuvent même pénétrer jusqu'à la Mccke, sans être obligés, comme Burckhard, de se déguiser en Musulmans , et on les voit ayant chez eux des femmes mu- sulmanes sans courir l'alternative de se faire circoncire ou de subir le supplice du pal.

Munis d'un firman de Méhemet-AU, pacha d'Ei;ypte, les voya- geurs partirent de Djedda, le 11 février, visitèrent le littoral de r Yemen jusqu'à Moka ou ils s'embarquèrent, et arrivèrent le 4 avril à Massaouah ou Port des Pasteurs, petite île dans la mer Kouge, en face (VJrkeko, village d'Abyssinie, qui n'est séparé de Massaouah que par un canal d'à-peu-près une lieue de large.

JbdouUah-Jga, gouverneur par intérim de Massaouah , reçut avec vénération le firman du vice-roi d'Egypte, promit de pro-

52'l VOYAGE EX abyssime:

téger les voyageurs, qui font observer que Bruce et Sait avaient trop gâté ces gouverneurs par les riches présens qu'ils leur firent. Maintenant il suffît, pour les rendre trailablcs , de leur faire voir qu'un n'a pas besoin d'eux. C'est ce que firent nos voya- geurs à Massaouah et à Arkeko , ils curent un peu plus â lutter pour se tirer des mains rapaces du naîb , et d'où ils parti- rent le 17, au matin, fournis de mules et de chameaux, et n'ayant pour tout instrument qu'une boussole et une montre. Le pays qu'ils allaient parcourir était la province du Tigré, pays de vallées et de hautes montagnes d'un accès difQcile, d'une physionomie pittoresque et d'une végétation vive et luxu- riante. C'est au milieu d'une de ces vallées, nommée Manta- Sagla (ou des Deux-Arbres), qu'ils célébrèrent, à la manière du pays, la Pâque de cette année i835. Voici les cérémonies pratiquées par les Abyssiniens chrétiens et par les Musulman? qui étaient à leur suite :

Désirant en cet endroit célébrer la Pâque que les fidèles d'Abyssinic aUendui" lït avec impatience, nous livràrues l'un de nos moutons aux musulmans et l'autre aux chrétiens, et nous nous réservâmes une !é;^ère portion de chacune des viclimes. On procéda sur-le-champ au sacrifice ; les Djusulmans lournèrenl la lêle de l'animal vers la Meckc, les chrétiens ■vers Jérusalem; les deux bouchers firent une courte prière, et les mou- lons furent immolés : on les dépouilla anssilôl ; ou dressa les bûchers que l'on couvrit de pierres plates, la flamme s'éleva , et, lorsque le bois fut consumé, on plaça la chair des viclimts sur ces pierres rougics, qu'on avait soigneusement balayées , et dans un instant la viande fut rô- tie : les chrétiens d'un côlé , et les musulmans de l'autre , se rassasièrent en manifestant une joie qui prouvait que ni les uns ni les autres n'étaient guère habitués à de semblables festins. Nous mangeâmes les premiers, et l'on nous donna une singulière représentation. La superstition de ce qu'on appelle le mauvais œil est universellement répandue eu Orient : tout le tems de notre repas, deux Abyssiniens déployèrent devaut nous une toile en guise de rideau, afin, disaient-ils, de nous préserver de tout regard salaniqu? ; et, malgré nos rires et nos plaisauteries , ils ne vou- lurent l'enlever que lorsque nous eûmes fini de manger •.

Arrivés peu après au joli village cVHalaïy ils y sont reçus patriarchalement pour le choum ou chef, dont les filles leur ver-

l Tome I. p. \k\'

PAR MM. ED. COMBES ET TAMISIEH. 125

strent de l'eau sur les mains; ils prennent de occasion de décrire leur coslume , que voici :

Leur costume, que nous pûmes alors examiner à notre aise, nous fi dppa «ingulièremeiit : elles portaient un tablier court en cuir de bœut à peu près semblable à celui de nos sajieurs: sur leurs épaules était jetée aïec négligence, mais avec grâce, une peau dt; uioulun noire, ornée de co- quillages blancs: elles étaient parées de bracelets en verroterie blanche, et un collier à plusieurs tours de même couleur entourait leur cou noir. Leur chevelure était douce et leur physionomie agréable : lorsque, pour les remercier de leurs bous offices, nous voulûmes leur sourire, elles re- culèrent effrayées et n'osèrent plus se rnpprochor '.

A Emni-Harmas (la Pierre-de-l'Eléphant) , ils firent la ren- contre de WSl. Isemberg et Gobât ^ missionnaires protestans qui leur rendirent toutes sortes de services, et qui voyageaient avec leurs femmes, dont l'une, madame Gobât, Suissesse d'origine, avait dans ses meubles un fort joli piano qu'elle faisait réson- ner au milieu de ces montagnes pour en adoucir les habitans et charmer les fatigues apostoliques de son époux.

Le 2 mai, les voyageurs arrivèrent à Adoua, ca-pitale de la province, ville de j,ooo habitans , ils visitèrent trois églises dédiées hMariam (Marie), à l'archange Gabriel et à Medinaalem (Magdeleine). Celle-ci, bâtie par Saba-Gadis, dernier roi du Tigré, n'est pas achevée; cellede Godas Michacl (S. Michel), bâtie non loin d' Adoua, est ornée en dedans de fresques grossières qu'ils ne décrivent pas. Ils y trouvèrent trois blancs, un armé- nien, Joanncs^ armurier, qui espérait y faire fortune; Bethléem, natif de Tiflis , bon homme venu riche de Java, avec l'intention de se faire ordonner prêtre à Jérusalem, et qui, marié aune grisctle d'Adoua, y avait mangé toute sa fortune ; enfin Gor- ^oWos, cosmopolite ruiné, rêvant de venir à Paris établir un commerce de peaux de tigres.

Dejay (le général) Oubi , roi du Tigré, n'était pas alors ù Adoua ; il était à Faarsara, occupé de poursuivre les fils de l'an- cien roi Saba Gadis, qui s'y défendaient dans des rochers inac- cessibles et ravageaient le pays. Les voyageurs voulurent aller lui vjndre visite; ils se réunirent donc à une troupe de soldats qui,

' Toiu'. I , p. 157.

326 VOYAGE EN ABYSSINIE;

pêle-mêle avec leurs femmes, couraient, pillaient et brûlaient le pays. Comme ils étaient campés à lalia, ils y furent frappés d'une singulière coutume concernant les meurtriers.

Pendant que nous élicns campés dans ce Heu, nn Tigrécn cnoîiaîné et conduit par un soUl;it vint [ncndier à leiilréc de noire lenle : étonnés d'une semblable bizarrerie, nous en demandâmes lexplicalion, et no>is apprîmes que le prisonnier mendiant aTail assassiné le frère du soldat qui raccompagnait; et, comme il ne se trouvait pas assez riche pour payer le pris du sang qu'il avait répandu , il était à la disposilion des parcns de la Tictime , qui le faisaient aller de porte en porle pour solli— ciier la pitié des gens qui, dans ces circonstances, s-i monircnl toujours généreux. Tout ce que le meurlrier amassait dans ses courses a|)pailen.iit à la famille du mort, ^\.\\ devait perdre ses droits sur l'assassin, dès que celui-ci aurait payé la somme exigée en jiareil cas. Nous lui donnâmes une toile d'Adoua , et il se relira satisfait; On nous dit , en même lems , qne les homicides qui avaient le lems de se réfugier dans cis asiles in- violables répandus en Abyssinie, se liâtaienl de sonner la cloobe dès([;i ils étaient sauvés, pour annoncer qu'ils étaient entrés dans ces lieux sacrés, comme meurtriers et non comme voleurs. Ils s'appliquent eux-inêmes peine d'un»" réclusion perpétnelle. elles prêtres sont cliargés de jiourvoir à la nourtiture des assassins qui n'ont pas de familfe. L'église d'Axoum 1 1 celle de la Madeleine, à Adoua, sont des refuges pour les coujiables' .

Le i5, enfin, ils arrivèrent au village de Farsara^ aux alen- tours duquel le roi du Samen, Oubi, avait dressé les tentes de son camp. On sera curieux sans doute de connaître la cour de ce successeur du fils de Saiomou.

Le jour de notre arrivée à Farsara, nous filmes présentés à Oubi : il était sous unt grande tente tlivisée en deux compaiiimens dont l'un ser- vait de chambre à coucher et l'autre de salie de réception. Le prince, ù demi renversé sur un sarir recouvert d'un tapis de s-ilin , reposait sa tête sur un énorme coussin d'une éloITe d'un ronge écltlaut. Ses pieds r-lom- baient sur les genoux de run de ses ministres assis sur les joncs (|ui la^ pissaient le sol. Dcnièro lui , à lun des bamboiis qui soulciiaieni sa ten- te, on remarquait un gracieux faisceau couq)Osé île sa belle lance, de son sabre, de cette peau de moiilon que portent tous les soldats abyssin uieus , et de son bouclier orné , par dessus, de plaques d'argent et dou- blé , en dedans, de velours rouge. Quelques pers«)iinages importans for- maient uû groupe séparé, cl quelques jeunes garçons, dont l'emplai est

» Tome 1 , p ai 5.

PAR MM. El). COÎIBES ET TAlllSH.n. 327

analogue à celui des pages des cours d'Europe, claie»! ranges près du siège du roi , prêts à obéir à ses moindres volonlis.

La phvsioiiOiTiie d'Onbi n'a ili: lype abyssinien f|nc sn roi-.le chevelure; il rcs>en)l)lt' parfaiicment à un citéiit ar;il)e : son aspect plirsicpic est ra- bougri , el sa figure annonce un profond cl rusé poliliqne. Il nous reçu* avec les plus grands égards; il se souleva des que nous pjirfinies, et nous présî^nta sa main ; il nous fil asseoira ses côlés , et, après avoir échansc qael'iucs paroles de politesse, nons lui offrîmes noire tente qu'on déploya au.>Sflôt devant lui . et il l'accepta avec une joie qu'il ne piil dissimuler: il causa famllièremonl avec nous jusqu'à l'Iienre du dîner; lorsqu'on ser- vit, nou« nous levâmes pour nons retirer, m.'iis il ne voulut pas v con- sentir, el nous fit même promettre de venir Ions les jonrs mHngerà sa table. Kous nous assîmes à une placi; d'iiùnncur ; on inlrodiiisil pirisieurs grands personnages , et nous fûmes bien agréablement surpris en vov.int paraître les princesses suivies de quelques courtisanes dune beauté mer- veilleuse: nous admirâmes la majesté de leur purt et ii finesse de leur physionomie; nous avions vu de jolies femmes depuis noire entrée en Abyssiuie, mais celles-ci étaient belles. Lear costume se composait dune clnmise de toile de coton brodée en soie au collet et au bas des manches et (.lune grande toile blanche, avec une bordure ronge, qui les enve- loppait enlièremcnt. Elles portaient des bracelets eu aro-eut, avaieiit aux jambes de grands anneaux du même mêlai, cl leurs mains étaient ornées de bi.gues qui ne dépassaient pas la seconde phalange des doigts; avant d'entrer, elles déposèrent leurs souliers à la porte. Oubi était lui-même nn-pitds; son coslumc ne se composait que d'un caleçon très-court, d'une ceinture d'une longueur démesurée et d'une toile Irès-fine sortie des ateliers de Gondar. Il ne portail rien à la tête. Les courtisanes étaient accompagnées de leurs soubrettes qui se tiorenl debout derrière elle? lont le lems du repas.

Dès que tous ceux qui devaient [>arliciper au festin furent introduits et que chacun cul pris sa place , ou apporta le pain dans de grandes cor- beilles ; on servit plusii'urs plats composés de farine de fèves ou de pois cliîches et de pimens brovés ou délayé* dans de l'eau ; ce mels, qu'on ap- pel.lit chearo , et que les .Abyssinieos trouvaient délicieux , nous bridait le palais de la bouche. Bienlôl on nous arma de grauds couteaux et on nous présenta une énorme portion de boeuf cru que nous mangeâmes comme les autres tt qui nous parut bien mi'illeur que nous ne l'avious supposé d'abord. Oubi, qui savait que les Européens ne mangent pas de broundou , avait eu l'allerilson de nous faire présenter des côtelettes noircies à nue flamme ardente et qu'on disait êlre rôties ; il avait sans cesse les jeni sur nous 1 1 nous es'ilail souvent à manger : il nous prépara

32S VOYAGE EN ABVSSIME ;

lui-même quelques bouchées qu'il nous ofl'rit Je sa propre main; c'était, nous dil-oi» , uue laveur insigne. La table était servie par les principaux courtisans.

Quand tout le monde fut rassasié , ou enleva les débris, et alors seu- lement on jcommeuça à ])oire. L'hydromel , le vin et l'e.iu de-vie furcul généreusement distribué». A l'exception des prêtres qui se servaient Je grandes corues dans la forme de nos verres oroinuircs , tous les convives buvaient dans des breuUis au ventre arrondi et au long cou. Nous étions arrivés fatigués, poudreux , et nous nous étions immédiatement présen- tés chez le roi ; nous avions besoin de repos et nous nous retirâmes d'as- sez bonne heure. Oubi nous répéta qu'il comptait nous voir tous les jours, et il chargea, en outre, un de ses hommes de nous envoyer, chaque malin, dix pains et deux chèvres ou un bœuf; ses ordres furent ponctuellement exécutés ' .

Bien accueillis par le roi Oubi, MM. Combes et Tamisier vécurent au milieu de son camp , prirent part à ses festins de chair crue; puis, lorsque le prince vint prendre ses quartiers d'hiver, ils se décidèrent à l'accompagner à Adoua. C'est ici qu'ils donnent encore quelques détails sur le costume et les usages abyssiniens.

Avant de revenir sur nos pas, nous allons parler encore du costume des Abyssiniens et de quelques usages de leur pnys : le vêtement des hommes se compose d'un caleçon collant qui ne dépasse janiais le ge- nou; d'une ceinture et dune toile dont ils se drapent à la ronuiine et qui diffère do Gnesse et de beauté , selon l'importance ou la fortune des indi- vidus. II est , en Abyssiuie, trois classes dhoinmes : les soklats , les agri- culteurs et les commcrçans ; leur co^lume est le même; les gens de guerre seulement jettent sur leurs épaules la peau de mouton dont nous avons parlé. Les grandes dames, les mustdmaus et quehjues prêtres portent des souliers , le reste de la populaliois va nu-pieds ; tout le monde a la lêle découverte, excepté les musulmans et hs piètres chrétiens , qui s'affublent d'un turban d'un goût ridicule ; la toile dis moines est ordi- nairement jaune, et ils ajoutent uue tunique au costume déjà décrit : une toile et une chemise composent le vêtement des femmes : en voyage, les dames de condition portent un long caleçon avec des broderies eu soie rouge cl bleue. Celles qui sont obligées d'alkr à pieJ fout de leurs loiles une espèce de jujiou court à plis llottans et lelenu à la taille par une ceinture blanche. Les princesses et quelques courtisanes se couvrent de manteaux de drap ornés de riches broderies ; ils ont la forme des ca-

> Tome 1, p. 234.

PAU MM. ED. COMBES ET TAMISIKP.. 329

pes dont nos prêtres se revêlent dans les graïuhs cérémonies. Lorsque ces femmes sont obligées de paraître en public, elles sont voilées jus- qu'aux yeus et elles ont le front ceint d'une bandelette en dentelle; elles ne se caelient ainsi que dans la crainte du mauvais ail. Pour rendre leurs cheveux plus moelleux , les hommes et Us finîmes se couvrent la tête de beurre frais , ils en répandent aussi sur leur corps pour adoucir la peaa et l'empêcher de se rider : quand la civilisation aura pénétré dans ces contrées lointaines, ou y fera une immense consomuialion de pomma- des et d Imites |>arfumées.

Les Abyssiniens prisent beaucoup, et pctils et grands se mouchent avec les doigts : les dames se servent (|ue!quefois des toiles de leurs sou- brettes ou de leurs domesliques comme de mouchoir, et ceux-ci, loin d'en être fâchés, en paraissent au contraire très-fl:illc's. On fume le ma- tetclia., espèce de narghilé grossier qu'on trouve aussi dans l'Arabie. Le toumbac d Abyssinie est excessivement fort. Les |)rinces demandaient souvenl du tabac à noire interprète, qui en réclamait d'eux à son tour lorsqu'il les voyait priser ou fumer.

Lorsqu'on reçoit une personne, on est libre de la congédier sous un prétexte quelconque, sans qu'elle ait le droit de s'en formaliser, et ce n'est pas une raison pour lempêclier de revenir. Les visiteurs ne se re- tirent jamais sans en avoir demandé la permission, (pi'on leur accorde toujours sans cherclier à les retenir. Lorsqu'un inférieur se présente devant son su|>érieur, il découvre ses épaules en signe de respect. Les Abyssiniens qui se revoient après une absence se baisent à la bouche, La coutume si répandue et si anciesine de saluer quand on élernue se retrou- ve encore chez ce peuple. Lorsque les Abys^i:ùens voiis demandent une grâce, une faveur, ou vous font une invilation , c'e>t toujours au nom de Marie ; ce mol est continuellement dans leur bouche.

Les Abyssiniens disent que la r.ice blanche est supérieure à la race noire : les chefs eux-mêmes croient que leur couleur est celle des escla- ves. « Nous sommes noires, » nous répétaient souvent les femmes; «que votre peau blanche est belle!» El assis un jour à côlc de nous, dans la tente d'Oubi , le grand-piêlre de Scmen nous disait : « Nous autres, Afri- » cains, nous sommes pélris de terre : mais vous, blancs, vous êtes formés d'une matière parliculière; trouver un limon assez pur pour faire uuo » aussi belle chair. »

Il a déjà été question de la superstition du mauvais œil; mais nous ajouterons que nulle part elle ne nous a paru si exagérée que dans le camp d'Oubi. Comme on suppose que c'est surtout lorsqu'on agit qu'on attire les regards de ceux qui nous entourent, le prince ne pouvait pa» faire un mouvement qu'où ne s'cn)pres^àt de le cacher à tous les yeux;

3S0 YOYAGE El» ABYSSiîdE;

qu'il bût, qu'il mangeât , on seulemeni qu'il crachât, on l'enveloppait aussitôt d un voile , et le gombo lui-même , dans lequel ou puisait son lijdromel, clait couveit dune loile, commesi quelquemalin regard eût été capable d'empoisonner cette boisson.

Les Abyssiniens aiment beaucoup les choses iriilautcs. leurs plats sont toujours poivrés et épic'js, et ils ne mangent rien de f.jdc ni de dons; ce goût s'explique facilement dans un pays chaud , le corps. alT.iihli par les transpirations conlinuellts , a besoin d'une nouriilure cxcilanlc pour no pas trop perdre de sa viguiur '.

C'est le 1 1 juin, qu'ils arrivèrent à Acloiia avec le roi Oubi ,. au milieu d'une armée dont les soldats mourant de faim criaient Sghio (Dieu); ils y allèrent \isiter la ville d'Axiim, si célèbre dans les annales abyssiniennes, et dont ils font une description qui nous parait beaucoup trop courte, mais sur la- quelle, il est vrai, il y avait peu à dire après les pages de Bruce et de Sait '. Voici au reste dans quel état elle se trouve d'après nos voyageurs.

Axoum est la plus jolie ville du Tigré : son enceinte sacrée est déli- cieuse de fraîcheur et d'ombre; au centre s'élève son église, la plus remarquable de l'Abjssinie. rpioiqu'elîe soit même inféiicure à nos gre- niers ordinaires. La descri|Uiou qu'eu a donnée Sait dans sa relation est fort exagérée , et Bruce nous a paru beaucoup plus exact. Cet édibce est dominé par dénormrs sabiues et de grands oliviers, 3ssembla;^c le plu'* heureux que la nature ait pu fournir au christianisme : toute lenceinlCi est couverte de ces arbres qui soiiliennent des treilles. Les maisons; d'Axoum ont la forme d'un cylindre surmonté d'un cône ; celte ville couchée au pied d'une montagne qui l'abrite, semble se reposer dans cil, calme profond, dejîtiis que les rois ont cessé d'en faire leur capilale. A Test de I église, on aperçoit , auprès d'un arbre immense et bien veit, un obélisque élancé et hardi, haut squelette coiitraslanl admirablement avec la fraîcheur de cet arbre nnssif. Quelcpics piliers , qui n'ont rien dinlé- r(S>ant, et deux autres obélisques pareils à celui qui se lient cncotc de- bout, gisent brisés sur le sol. C'est tout ce qu'Axoum po«-sède encore de remarquable comme antiquités. Les tables et les débiis du trône dort patient les autres voyageurs n'offrent rien do curieux. La plupart des maisons renferment des puits.

Nous reçûmes dans cette ville une hospitalité brillante, que nous ne dûmes peut-être qu'au voisinage du prince, dont on nous disait les amis,

» Tome 1 , p. 240.

» Voir ce qu'en oui dit ces voyageurs daus notre tome vi.

PAR MM. El). COMP.ES ET TAMISIER. 331

Noos fumes sonvcul viiiilf's par dts prêtres ilonl riguor.TdCe cl rorgucil nous (lûiincrcnl une liisic iiiée du clcrg<^ îibyssniicii. Leur supérieur, qui avait la prétention de descendre de l'rn des principaux Israélites qui ac- co'npagncreiil Rléiiilck à son retour de Jérusalem, ne jiislifiait, en au- cune manière, son titre île chef dont il f lisait paraJe. Pour utiliser noire séjour .i Axoura , nous arcaMâines dr; questions toules les personnes qui nous approcLtîrenI : les [)rèlres nous parlèrent heam'oup de leur sémi- naire, qui renferiîie une ciiiquant.iine de jeunes gens do !:i ville et des environs, et dont les él^jdes consistent à apprendre à lire les livres saints qu'ils possèdent en langue élliiopiquc. Tons ces enfans sont destinés aa sacerdoce ou à d'autres fonctions subaliernes, mais d'église : on nous vanta beaucoup l'importance <Ie ce collège; mais ceux qui le dirigeaient nous parurent si incapables, que nous ne pûmes en concevoir une haute opinion. Ce que nous recueillîmes Je plus précieux à Axoum fui les ren- BcJgucmcns historiques que nous donna un deftéra ' qui ne nous quittait presque jamais: i! possédait une grande quanlilé de manuscrits, cl con- naissait tiMites les Ir.idilions de son pays : il se montra avec nous d'une complaisance et d'un désintéressement rarts,ct c'est à lui que nous devons, en grande pai lie , ce que nous avons écrit sur 1 histoire d'Ethiopie -.

Mais le roi Oubi avait formé le projet (le retenir pjès de lui les deux jeunes français; aussi fallut-il avoir recours à la ruse pour lui éclïapper. Après avoir feint d'être malades, le 3o juin, ils partent lout-à-coup, suivis d'un interprète et de deux domes- tiques, et ont le bonheur démettre le Tarazc (ancien Aslaboras, aujourd'hui le Tannack - Abhal ou Pclii-Mil) entre eux et le roi du Samen. De la vallée du Tacazé , avec des fortunes di- verses, ils suivent une compagnie de soldats indisciplinés qui se retirent par bandes, volant et pillant les malheureux habi- tans. Ayant rencontré dans ces montagnes quelques jeunes filles gallas esclaves, ils s'aperçoivent qu'ils excitent leur frayeur d'une manière extraordinaire ; et comme ils en demandent la raison, ils en reçoivent l'agréable réponse que ces peuples regar- dent les blancs comme des anthropoplurges qui se nourrissent de la chair des jeunes filles. C'est qu'ils retrouvèrent ces felas/ins ou fatlacitas dont nous avons parlé dans les Jnnales (tomes iv et vi) comme possédant des Bibles du tems de Salo- mon. Voici leur état actuel d'après nos voyageurs.

* Le mot {lefléra correspond au mah(em arabe. ' Tome I , p. aGj.

232 VOYAGE EN abysskme;

La plupart des montagnes da Sémea étaient autrefois habitées, en grande partie, par des Juifs, que les Abyssiniens ^ppcWcnl Fallacha; niais leur nombre diminue tous les jours, et, selon toutes probabilités, ils ne tarderont pas à disparaître entièrement en se cou fondant foit avec les cLréliens , soit avec les mu'sulnians, qui tous les jours en attirent quelques-uns dans leurs rangs. Quoique dans leurs actions, les Abyssi- niens fassent preuve d'une lolcrancc admirable , ils haïssent les Juifs par habitude ; et ces derniers, en butte à dus tracasseries continuelles , sont assez disposés à abandonner leur foi , dont rien n'alimente la ferveur, et à s'affilier aux croyances encore vivanles dnns le p<'iy^. Si presque tous les musulmans sont commerçans , les Faliachas exercent le monopole de 1 industrie: ils sont agriculteurs, charpentiers, tisserands, maçons , po- tiers et forgerons, et les ouvrages qui sortent de leurs mains sont, en général, supérieurs à ceux que confectionnent les autres Abyssiniens : ce peuple superstitieux, qui ne peut concevoir qu'une race que Dieu re- pousse se montre si habile , n'explique sa supériorilé qu'en l'accusant sorcellerie. Tant que les Juifs ont été asseï puissans et assez nombreux pour former entre eux des corporations , ils ont vécu isolés des autres habitans , et leurs villages étaient toujours situés sur des hauteurs et éloi- gnés des roules ordinaires, pour éviter, autant que possible, d'entrer eu communication avec personne '.

Le 22 sept, nos voyageurs échappent par la fuite au Ras Ail, et seuls, sans domestique, sans interprète, n'ayant qu'une mule pour porter leurs bagages, ils se disposent à entrer dans le royaume de Choa; mais avant d'y arriver il fallait passer par le pays des terribles Gallas. Arrivés à Gouël, le roi Hassan Doullo les fait arrêter et leur reproche d'être des idolâtres, c'est-à-dire de ne pas croire au Dieu de Mahomet; ils répondent qu'ils croient à Dieu et à son Prophète, qui a donné la connaissante de Dieu aux nations plongées dans l'idolâtrie. Mais le roi qui espérait retirer d'eux une riclie rançon , les dépouille de tout ce qu'ils possèdent et les fait enfermer dans une cabane. Bien- tôt ils apprennent qu'ils sont condamnés à mort , et il paraît qu'ils auraient subi leur triste sort, si la reine Zaliab, jeune femme de i5 ans, n'avait intercédé pour eux cl ne les avait lait mettre en liberté.

Partis de Gouël sans armes, sans effets, mais ayant encore conserve parbonheur leur montre cl leur boussole, ils airiveul

> Tomci , p. ô/ig.

PAR MM. ED. COMBES KT TAMîSlER. 333

à Déil ils trouvent Abbié, dernier chef des Gallas, dont voici le portrait :

Ln physionomie de ce chef, tout son aspect plivsiquc, san? doute en rapport avec son moral, u'élaient pas faits pouriiispirer la couGancc.Son •visage élail empreint de celte férocité ualurelie qui devait caiaclcrifcr le» hommes de l'époque primitive : les tresses de sa chevelure crépue se re- dressaieut sur sa tête , comme les scrpens de la Gorgone : l'expreision de son œil était farouche ; le son de sa voix était pras et sombre , son corps él.'it pesant et compacte. Il était assis fur une grande peau de bœuf, à l'ombre dune verte mimosa , qui s'élevait vers le centre d'une cour spa- cieuse. Près de lui on remarquait sci deux eiifans, espèce de jeunes monstres (jue le [icre caressait et 5einl)lait couviir de cet amour protec- teur de l'ours pour ses petits. Une haie de guerriers moius sévères que lui l'entourait: ils se tenaient debout, armés de leurs lances et de leurs boucliers : c'était un spectacle digne du piaccan d un artiste. Jamais ta- bleau n'avait si vivement frappé notre imagination ; il nous semblait que nous assistions à l'une de ces assemblées do sauvages tenant conseil pour décider du supplice de quelques malheureuses rictimes. Placé, parle hasard de la naissance, à la frontière des Gallas, .\bbié nous parut digne d'être leur geôlier '.

Après avoir passé par la province de Guéché ils trouvèrent des chrétiens, charmés en les recevant de xoirdes hommes de Jé- rusalem , ils anivèrentà Dher, chez les Chao, ils trouvèrent Sammcu-iSougyus , vaillant guerrier, la terreur des Gallas, qui reçut nos voyageurs avec toute l'effusion de l'hospitalité antique, leur donna des habits et les protégea de tout son pouvoir.

Le 28 novembre, ils quittent Dher pour aller visiter le roi Sahlé-Sellassi, tenant sa cour à Angolala, dans le royaume d'Ifat. Sur leur route ils font rencontre d'un prêtre, dont la conversation leur donna une bonne idée de l'intelligence du clergé de Choa. Enfin le 1" novembre ils arrivent au château d'Angolala , après avoir traversé un pays bien cultivé, au mi- lieu d'une population qu'ils décrivent. Ici finit le volume du voyage de MM. Combes et ïamisier. Nous les retrouve- rons aux deux volumes suivans, dans lesquels ils font l'histoire de l'Abyssinie , et tracent plus en détail Tétat des moeurs et de la religion en ce pays. A. li.

' Tome n . p. 278.

334 COURS DE raiLOLOGiE ET d'archéologie.

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Qixç^hicfjK

DICTIONNAIRE DE DIPLOMATIQUE,!

ou COURS PHILOLOGIQUE ET HISTORIQUE

d'antiquités civiles et ecclésiastiques.

DU C.

En commençant à parler de la lettre C , la première clios que nous ferons observer c'est le changement qu'a subi l'alphi bet Icilin : tandis que tous les alphabets sémitiques et le gre ont pour 5' lettre le G, le latin met à celte place le C et rer voie le G à la 7' place, après la lettre F. Nous expliquerons l'c rigine et les causes de ce changement , mais auparavant comme nous l'avons fait pour les A et pour les B, examinoi Jusqu'à quel point il est probable que la 5' lettre sémitique tii son origine des écritures hiéroglyphiques, c'est-à-dire du ch nois et de l'égyptien.

Origine chinoise el égyptienne du G et du C sémitiques (PI. VII), La S'' hciue, exprinféeen lettres sémitiques et grecques par G, comprend, chez les Chinois, de 5 à 5 heures du malin ( nos heures, et est représentée par le caractère 1 de la plaTiche\l et par les variétés 2, 3,4- Ce caractère se prononce yn ou / en chinois, iiy en japonais qui ont lu de gauche à droit gand ou dan en cochinchinois. Il signifie rtf/t^/^r, prier, assembl ce qui avait lieu au lever du jour. On voit , en effet que le c ractère est composé du grand comble ou toit représentant le ci, et par extension Dieu; il signifie de plus vase et trépied y dont 1

> Voir le 10» art. dans le 97, ci-dessus, p. 18.

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PlimcKeVlI./'^;/

Origuve Chinoise et Egyptiexne des O et des C SEivaTiçiTS

Z/ Zf Jff- ^ 3Z 33 J'f SJ J(f 37 39

Gde tol's les Alphabets Semitiçites .

1 11 111 IV V VI- vil Vlg IX X ^ XI

xu xm XIV XV XVI xvn xvin xix xx xxi xxn xxm

, XXIV XXV XXVI xxvn xxvm xxix

Xxxiv xrxv ^

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G Grecs Anciens

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Formation DTJ C Latin, Capital Minuscule et Cïjrsif

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C Latin Capital des Inscriptions

DU G F.T DU C StMITIQUES. 335

se servait pour brûler de rciiccns el faire des sacrifices. Il prend sa place sous la clef des voûtes. Or, bien que sa forme iModerne n'offre qu'imparfaifcment la forme de ces divers objets, on la retrouve plus dislinclemcnt dans les formes antiques de Tseu^ goey et de Moiisson, notamment dans les figures 5 , G, 7, 8, 9.

11 n'est [)as besoit» de faire remarquer que le son de ing In sé- viiliquement , c'est-à-dire à rebonrs, a pu donner naissance au son du g , ainsi (jue le son gond des cochincliinois.

Quant à la forme, il est bien évident que les figures 1,0,^ ont pu donner naissance aux nombreux caractères sémitiques exprimant le G , et qui tous sont formés par une ligne droite , recourbcc par le liaat , notamment le G des alphabets I , II, IV, IX, Xîil, XIV, XY, XVI, XXXIV et XXXV de la pianchc que nous donnons ici, et dont nous citons plus particulièrement, pour exemple les fig. 12, i3, i4 et i5. Nous retrouverons en outre le ioit^ ou comble, ou ciel dans l'hébreu des médailles, fig. 20 , et dans le grec ancien, fig. 17 et 18, dans Tétrusque, 19, et dans notre C, 21. De plus nous retrouvons encore le iré] pied dans le clialdaïque, fig. 21 et lij, et dans le runique 24 » qui ont pu être formés par les figures chinoises 7, 8 et 9. Enfin nous voyons la croix simple et double des formes chinoises 6 et 7 , dans les alphabets sémiti jue.s XXII et XXVII.

Quant à la signification , nous trouvons celle de voûte, de pointe , de dos , de bosse^, de gliibbe, dans les mots hébreux aa gab ou ghib ; el même celle de vase et gobelet, dans ''^2.Z,gabali et gkibha; le nom de la o' lettre, ghimel, signifie chameau îi cause de la bosse de son dos.

En outre, comme le caractère chinois, la lettre hébraïque a , signifie 5 ou la place.

Quant à Vegy/dien, nous trouvons d'abord que le G y est re- présenté comme en chinois par desraîcsou des trépieds, fig. 20, 2G , 18 , 29 el 00 ', et de plus par des va^es ou trépieds avec un comble, toit ou couverture , comme dans la fig. 26, qu'il est diûicile de ne pas trouver ressemblant aux figures chinoises 10 et 11, et en particulier pour la forme égyptienne 27, que l'on

» Voir l'Analyse gramvimaticale raisounéc de diffJrcns textes anciens égyptiens, par F. Salvolini, alphabets u"'^ 226, 227, 67, 8i, 69 et le vase fig. U i .

336 COURS PHILOLOGIE ET d'aRCITÉOLOCLT:/

croirait copiée de la figure ii , qui, comme l'égyptien, res- semble à une sorte de nœud ou plutôt de trépied.

Quant à la ressemblance de l'égyptien et de l'hébreu, M. Sal- volini fait observer avec raison que la forme 5o ou le vase de- venu en hiératique 3 , a formé le nestorien 32 et le hiérosolyrni- iain 33. De plus , nous retrouvons encore ici dans l'égyptien, pour signifier le G, la ligne droite recourbée par le haut, dans le pédum, ou sceptre, ou crosse fig. 34. H y a encore d'autres formes dont nous parlerons à l'H aspirée, au Iv et au Q, toutes lettres du même organe , de la même valeur , et qui souvent ont été prises les unes pour les autres. Nous nous bornons ici à les signaler dans les fig. 35, 56,07, ^^ ^t 39, que tout le monde reconnaîtra pour des K.

D'après toutes ces similitudes de forme, de son et de signi- fication, il nous paraît difficile de nier l'étroite liaison qui lie les langues anciennes, et leur filiation de l'une à l'autre. Changement du G en C dans le Latin.

Puisque les Latins tirent leur alphabet et leur langue du grec , la troisième lettre de levu' alphabet a du être primitive- ment un G. Or, c'est ce que nous apprennent les débris de l'ancienne langue latine, et les auteui's qui se sont occupés de l'origine des lettres latines.

En effet, dans les fragmens des lois de Numa, conservés par Festus, nous voyons qu'on écrivait Cenua pour Genua et T«w- citor pour Tangilor ; et dans l'inscription de la colonne rostrale élevée à Duillius Nepos, l'an 494 ^^ Rome, nous trouvons en- core exfociont pour effugiunt. Cette similitude de prononciation du C et du G s'est conservée dans la langue latine formée, l'on écrivait et l'on prononçait Gncius pour Cneius, Gaius pour Caius , dans les composés de centum , l'on trouve vigesimus pour vicesimus, etc. % et dans les composés de quelques verbes comme ago , qui fait à son prétérit actus (pour agtus,) rego qui fait rexi (pour rcgsi). D'ailleurs les auteurs latins nous le disent expressément : Ausonne s'exprime ainsi : "'■' Preraluit postquam Gamma , vice functâ prias C.

> Festus, au mol Erciius el Schœl. Hisi. de la Litt. lat,, tome i, p. 43.

^ Ausonner/« iWhrù. Pîeriiis, hierogtj., lir. vu, ch. a3.— Vo,5siu«, <f« Graium.

G DES ALPHABETS SÉMITIQUES. 337

Festusdit plus explicitement : G olun qaod nunc C ; et Qiiin- tilicn avertit que conwie il n'y avait pas anciennement de C ni de T, ils étaient adoucie en G et en D '.

Plutarquedit que ce fut Spurius Carvilius qui, après la pre- mière guerre punitjue fut invenleur de la forme actuelle du G latin , et probablement lui assigna place qu'il occtipe en ce moment, dans l'alphabet, tandis qii^anparavant il était confondu avec le G ^; mais nous renvoyons au Ci cl au K pour d'autres détails ^.

G des alphabets des langues sémiti(|ues , d'après la dîvisicn du tableau ethno(rraph{(/ue de Balbi.

I. LANGUE hébraïque, divisée

En hébreu ancien ou hébreu par, lequel comprend :

Le I" alphabet , le samaritain ^.

Les" id. liuhlié par Edouard Dernnr((.

Le III' par VEncyclopédie.

LeIV% celui des î;ià/at7/f5, donné par M. Mionnet.

Le Y*^ , publié par Duret.

Le Vî% l'alphabet ({''Abraham.

Le ¥11% l'aphabet de Salomon.

Le VIII*, à'' Apollonius de Thyanc. En chaldéeu ou liebreu carré, lequel comprend :

Le IX*, celui qui est usité aujourd'hui dans les livres im- primés.

Le X% dl[ judaiqac.

' Quiutilien : et cum C ac similiter T non valuerunt , in G ac D mol- liuntur. ^ oir Fictorinas an liv. i*"' de orthograp.

' Voir sur tous les changemens subis parles lettres grecques et latines; un excellent ouvrage de INI. l'abbé Bondit, intitulé : Introduction d la lan- gue latine au moyen de l'étude de ses racines et de ses rapports avec le fran- çais , in-8o, p. 'i38. Paris , chez Hachette et Chamerot : prix, 6 francs.

2 Voir, de plus , ci-après, comment dom de Vaines explique la forma- tion du C latin.

4 Nous ne croyons pas devoir répéter ici quels sont les ouvrages ou les auteurs qui nous ont fourni ces divers alphabets ; ceux qui ^oud^ont les connaître, pourront recourir à l'arlicle nous avens traité des A , t. xir, p. 273.

Tome xvm.— loi. i838. aa

338 COURS DE PHILOLOGIE ET D*ARCnÉOLOGlE.

Le XI% usité en Perse et en Médie.

Le XIP, usité en Babylonie. En hébreu rabblniqae , lequel comprend :

Le XÏÏI° le chaldéen cursif. Une deuxième division de la langue hébraïque comprend lephé' niclen qui est écrit avec les Irois alphabets suivans :

Le XIV", d'après Edouard Bernard.

Le XV% d'après le même auteur, et qui ressemble toul-à- fait au lliuus ou crochet égyptien.

Le XV% ù'd^rh^iV Encyclopédie. Une troisième division comprend la langue pan/^uc, karchédo- nique ou carlhaginoise , laquelle était écrite avec

Le XV1I% d'après Hamaker , n'a point encore de G.

LeXVIlI% dit Zeugitain.

Le XIX», dit Melitain, n'a point encore de C.

Le XX« n'a point encore de C. II. La langue SYRIAQUE ou ARAMÉEXNE , laquelle com- prend :

Le XXr, VEsiranghelo.

Le XXI r. le Nf-storien.

Le XXîIP, le Syriaque ordinaire ^ dit aussi Marouile.

Le XX1V% le Syrien des chrétiens de saint Thomas.

Le XXV*, le Palmyrénien.

Le XXVI*, le Sabécn, Mendalte ou Mendéen.

Le XXVIIe et le XXVII1% dits Maronites.

Le XXIX' le Syriaque majuscule , et cursif.

III. La langue IMÉDIQUE, laquelle était écrite avec Le XXX*, le Peldii^ lequel est dérivé, DuXXXI%leZcm/.

IV. La langue ARABIQUE, laquelle est écrite avec

Le XXXIP, dit Y Arabe littéral, et Le XXXII1% dit le Couphique.

V. La langue ABYSSINIQIJE ouETHïOPIQUE, laquelle com- prend,

V A .Tumiie ou Gheez ancien; le Tigré ou Gheez moderne} Z'VAhmarique , lesquelles langues s'écrivent toutes avec

Le XXXÏV* alphabet, VAbyssinique, Ethiopiqu* , Gheez. Enfm vient le Copte, que Balbi uc fait pas entrer dans le»

DD C LATIN CAPITAL. 339

laivgues sémitiques, mais qui cependant doit y trouver place, et qui est écrit avec

Le XXXV, alphabet, le Copte.

G grecs anciens. Nous ferons peu de remarques sur les G grecs anciens. Il suf- fit, en effet, de jeter les yeux sur les différentes séries de G sémitiques pour voir que les G grecs sonl, ou exactement sem- blables, eu seulement retournés. La ressemblance des G latins et des G grecs est également frappante.

Quant à leur âge, les G composant la divisioim" I, compren- nent les tems les plus anciens de la Grèce jusqu'à Alexandre; le 2, ceux depuis Alexandre jusqu'à Constantin; le n" 5, depuis Constantin jusqu'à la ruine de Constantinople ; le 4" quelques G curi?ifs d'une charte du 6' siècle , ce qui prouve qu'ils remontent au-delà.

Formation rlu C lalin capital , minuscule cl cursif. Planche VIL

Presque toutes les plus anciennes écritures de l'Europe, dit Dum de Vaines, ont un troisième élément qui approche du Gamma des Grecs, fîg. i, et du C carré, fig. 2, ou rond, fig. 3, des Latins.

Le C carré, fig. 2 , bien plus rare que l'autre , se voit cepen- dant plusieurs fois avant et surtout depuis l'ère chrétienne : on le trouve souvent aux G* et 7* siècles sur les médailles de nos I\ois '. Vers le 11* siècle, il était assez fréquent dans les ins- criptions, mais plus élancé.

L'usage de retrancher le bout des lettres majuscules, comme on l'a observé à l'article B, fit du c naturel un c fermé comme un q , mais sans queue, fig.^, et qu'on appelle C gothique des bas tems; cela forma , depuis, le C double en arrondissant le haut et le bas de Ja figure à la jonction des deux carac- tères, fig. 5 et 6.

Le C majuscule cl minuscule brisé à deux traits, fig. 7, fut reçu très-favorablement aux 6' et jr« siècles. De cette brisure vint, dans le même tems, le C fig. 8 , qui n'est pas rare dans les monumens lapidaires de ces mêmes siècles , et qui se rencontre même dans certains manuscrits. De ce dernier, dont la forme

Le Blanc , Traili des Mtnnaits , p. 44t '^>

346 corts r»E p»ilolo«ie et d'archéologie.

approchait beaucoup d'un double G, vint réellement un G composé de deux l'un sur l'autre, fig. 9, dans le goût de nos grands E cursifs. Il fut très-ordinaire dans les écritures cursives romaines, franco-galliques et carolines, quelquefois dans la cursive visigolhique , mais jamais dans la saxonne. Le G de cette dernière forme varia dans ses grandeurs ; au j' siècle il s'éleva quelquefois au-dessus de la ligne; au 8% cette élévation devint fréquente et ordinaire au 9». Quoique fort haute, elle n'égala pourtant jamais celle des lettres à montans, dont nous avons parlé à l'article B.

G tninuscule.

Le c miniiscule des manuscrits de plus de mille ans , res- semble assez à Ve de notre italique , à cela près que l'extré- mité supérieure eu rentrant dans la panse ne la touche pas tout-à-fait : il fut très-arrondi en proportion de sa petitesse; mais son élévation successive lui fit perdre de sa rondeur. Au 12* siècle sa liauteur est très-sensible, après il commença à se hérisser de pointes et d'angles qui nous annoncent le rè- gne du gothique.

Le c minuscule dont îa tête est relevée pas un trait courbe, fig. 10, parait, surtout au 9' siècle , dans nombre de manus- crits. Le petit c de même forme, fig. 11, employé dans les chartes ne devient un peu constant qu'aux 12e et 1 5* siècles.

c c'irsif.

Les c cursifs ont d'autres caractères. Ceux de la romaine du 6" siècle sont parfaitement arrondis par le haut et par le dos qu'ils ont un peu allongé. Le c cursif est antérieur au i5« siècle, lorsque, composé de deux pièces, il ressemble à- peu-près à nos x dont la partie gauche inférieure manque, et dont la partie gauche supérieure est liée avec la lettre priicé - dente, comme la /Z^. 12.

Le c cursif en forme d'f, tel qu'on le voit fig, 9, est Méro- vingien : il est la base d'une infinité de variantes, dont il est cependant aisé de voir l'origine. Les figaresid, i4» i5, iG, 17, 18 et ig, qu'on peut voir également dans la planche de l'E , en descendent assez naturellement : tel fut l'état du c cursif Franco-Gallique. Sous la seconde race les cursifs parurent

c crnsiF. 3'i l

moins iiiconslans dans leurs figures : sur un simple petit c s'en élevait un oblongsans rondeur inférieure, qui rcsscmbl;iit quclqjiefois à une l fermée par le liant, figures 20, 21 et 11. Voilà l'idée des c cursifs sous Charlemaa^ne. Sous Louis-lc-Dé- bonnaire et sous Chorles-le-(;hauve , ils iie difl'érèrent pas de beancoup. Sous le roi Eudes, dans le teuis de l'étriture allon- gée , la partie inférieure fut deux fois aussi haute que la supé- rieure. Ce n'est qu'en 1108 que le c surmonté d'une espèce d'e tronqué, fig. 23, semble disparaître.

L'UG boucle ou frisure au haut du c, de Te, de Ts et de 1'/", caractérisent très-bien le 10° siècle, même la fin du g^ Celle forme s'abolit au 11% excepté en Allemagne on la con- serva jusqu'au douzième.

Le petit c purement minuscule s'établit dans la cursive au 9"= siècle ; il s'y multiplia dans le io« : il s'écrasa un peu, et dès 93 1 il prenait même en Allemagne la figure d'un r minuscule,

fis- 24.

En général le c ancien éprouva en France des variations continuelles : celui de l'écriture allongée y fut encore plus su- jet. Vers le milieu ilu 1 1' siècle le petit c chassait des diplômes le c cursif pour se mettre à la place. Plus de trente ans avant la fin de ce siècle, à peine restait-il quelque trace de l'ancien E bouclé, fig. 25, si l'on en excepte la liaison du c et du t, fig. 26. Il est fort douteux que le i 2* siècle puisse fournir quel- que exemple du C antique. En Allemagne il n'était déjà plus connu à la fin du 10* et au commencement du 1 1% ou dès Tau luôo , même dans Técriture allongée.

Jusque vers le milieu du 12^ siècle, le c, quel qu'il pût être, était toujours tremblant dans l'écriture allongée : dans ce siècle les traits gothiques el bizarres pour former le c se mul- liplièrenl en France.

Il n'est pas hors de propos d'observer que le c et le t des chartes et des manuscrits se confondirent depuis le i'6* siècle.

A la tête des diplômes des empereurs d'Allemagne du moyen âge , on trouve un grand C majuscule ; cette lettre , qui a été énigmatique pour bien des auteurs qui n'ont pas réussi dans leurs conjectures, est un reste de l'invocation en sigles I. C.X. in Christi nomine. Le monograijime de cette invocafion'sé rap-

342 COURS DE PHILOLOGIE ET ©'ARCHÉOLOGIE.

procha toujours de plus en plus, dès les commenceraens, de la figure du C. Sous les Othons celte figure dominait ; et sous le troisième empereur de ce nom on n*y aperçoit plus que ce C : celle forme était ordinaire au 12* siècle, mais au i5« oa commença à l'omettre.

ExpUcatioa du C capital latin des iascriptions.

La !'• division du C capital, inscrit sur les matières dures, contient les C qui forment un angle dans leur contour, et qui sont semblables tantôt au r grec, tantôt à L latine, et tantôt à un angle ouvert du côté droit. Ils sont tous fort anciens, ex- cepté les trois derniers de la i'*et de la 5* subdivision.

La II* est composée de G plus ou moins carrés , dont les figu- res appartiennent presquetoutes au moyen-àge , quelques-unes à la haute antiquité, comme plusieurs de la 2" subdivision ; et quelques autres aux bas tems comme la dernière de la 6*.

La III^ division renferme des G diversement arrondis. Les 1", 2% 5*, 4* subdivisions conviennent assez aux premiers siècles, quelquefois au moyen-àge, et rarement au bas tcms. La 5' dé- signe une grande antiquité, lorsque quelques-unes de ces figures reparaissent constamment. La G^ et la indiquenl les quatre premiers siècles.

La l\^ division, uniquement consacrée au gothique, ne s'é- lève pas au-dessus du 12^ siècle, et descend presque jusqu'au nôtre.

Du C capital des manuscrits, du C minuscule et du C cursif. Planche VllI.

Pour abréger, et pour ne pas nous répéter inulilemenl, nous devons renvoyer, pour l'explication de celle planche , d'abord, à ce que nous venons de dire, de la formation duC tatin capital, minuscule et cursif, et ensuite aux longs détails que nous avons donnés pour l'explication de la planche VI, celle duB '. Toutes les divisions, toutes les dénominations y sont expliquées ct- classées.

» Voir le 94 , tome xvi , p. 2iO.

?]anc\ve\'\îl/' y^i'

C Latin, Capital DE s Maîcuscrits 11

c Minuscule Lati\

c/ Carlm^in^î^X^Ê'^Z'^r CCtC^^^^i^à^CG tC^C<''CtÇ:

ijctliXJLC <^^^^rtctTrf crrcrrcccco'itcxjcc^é:

c CURSIF DES DlPLOiMES

iincê''''ej&cr^r "^^'fl^c^'Vcrcrrra {J^M^af^g

^C^^^ÇCC^^^t vert x{^Dcla(r^rela^^^C ""^CS^Z '\' C

CABALE. SZlS

CAABAH, nom arabe, signifiant un dais, un toit ou maison carrée; c'est le nom assigné au temple de la Mecque, qui est regardé comme le toit ou la viaison par excellence. On retrouve ici le grand comble ou toit^ par lequel les Chinois expriment Dieu : voir, ci-dessus, la formation de la ici Ire G.

CABALE vient de l'hébrey "!'::]:•» qui signifie réception par tradi- tion. Ainsi, d'après son nom, la cabale serait le recueil des tradi- tions juives antiques, conservé de père en fils et de génération en génération, depuis iMoyse et même depuis Adam , auxqijels ils croient que Dieu donna non-seulement la loi. mais encore l'explication de cette loi. Ce serait une espèce de théologie se- crète , transmise de bouche en bouche, enseignant à découvrir dans l'Ecriture- Sainte des sens mystiques et allégoriques. C'est de que sont venus les Rabbins cahalistcs, qui définissent ainsi la cabale:* Vue science qui élève à la contemplation des choses » célestes, et au commerce avec les esprits bienheureux ; elle «fait cor.naître les vertus et les attributs de la Divinité, les or- »dres et les fonctions des anges, le nombre des sphères, les pro- » propriétés des autres, la proportion des élémens; les vertus des s plantes et des pierres, les sympathies, l'instinct des animaux, les pensées les plus secrètes des hommes. »

Il y a trois parties dans la cabale, la i'" appelée Beresith est la science des vertus occultes que le monde renferme. La 2% nommée Mercana, est la science des choses surnaturelles. La 3*, tout-à-fait superstitieuse et méprisée des Juis mêmes, con- siste à faire des conjurations ou à porter des amulettes pour se préserver de tout malheur.

Cincpiante entrées différentes, d'après les Rabbins, condui- sent à la connaissance générale des mystères; c'est ce qui s'ap- pelle les 5o portas de l'intelligence '. Dieu en fit connaître 49 a iMoyse; celui-ci renferma toute cette doclrifie, toute l'étendue de la science que Dieu lui avait donnée, dans les cinq livres du Fentateuque; elle y est contenue, ou dans le sens littéral, ou dans le .«-ens allégori(jue , ou dans la valeur et la combinai- son arithmétiques des lettres, dans les figures géométriques des caractères, dans les cor.sonnances harmoniques des sous. C'est

' Reuch!ia,^« arU Cabiiisticâ , qu'il dédia au pape Léon X.

34i COURS DE PHILOLOGIE ET d'aRCUÉOLOGIE.

à l'y découvrir que travaillent tous ceux qui se sont occupés de la cabale. On comprend par ce court exposé que s'il est 5o portes ouvertes à l'intelligence , le nombre de celles qui sont ouvertes à l'erreur doit être infini.

On trouve des vestiges écrits de la cabale dans le Thalmud , compilé vers le 6"^ siècle, et plus particulièrement dans les écrits du rabbin Hai-Guon, mort l'an 1057; mais celte science remonte bien plus haut.

Quelques savans même chrétiens se sont occupés de la ca- bale, et ont voulu lui assigner une place dans les études sérieu- ses. Le fameux Pic de la Mirandole a composé un livre tout ex- près pour en faire sentir l'importance '.

Il y dit sérieusement que celui qui connaît la vertu du nombre 10, et la nature du premier nombre «phérique, qui est 5, aura le secret des 5o portes d'intelligence, du grand jubilé de 5o ans des Juifs, de la millième génération de l'apocalypse et du règne de tous les siècles dont il est parlé dans l'Evangile. îl enseignait en outre que pour son compte, il y avait ti-ouve toute la doctrine de Moyse, la religion chrétienne, les mystères de la Trinité et de la Rédemption, les hiérarchies des Anges, la chute des Démons, les peines de l'Enfer, etc. Toutes ces asser- tions forment les 72 dernières propositions des goo qu'il soutint à Rome, avec l'admiration générale, à l'âge de 24 ans.

L'abbé Bergier croit que la cabale n'a commencé que vers le 10' siècle '; mais il est dans l'erreur. La science de la ca- bale , surtout dans les deux premières parties , est très-an- cîenne; elle se lie avec la doctrine astrologique des Chaldéens, «ivec la vertu des nombres et des élémcns , que l'on trovive dans les plus anciens livres chinois , avec la philosophie des nom- bres de Pythagore et de Platon. Il nous paraît prouvé, en effet, que les anciens avaient attaché des vérités fort importantes aux nombres et aux élémens ; mais la tradition et l'explication de ces vérités se sont altérées et perdues. Aucun critérium, aucune règle sûre n'existe plus pour les retrouver. Il serait cependant à souhaiter qu'un homme d'un sens droit et d'un esprit positif et

» Il est intitulé : Porta lucis.

* Dans son dict, de Théologie , au mot Cabale,

CABALE. 345

non systémaliquc, voulût remuer cette masse de conceptions plus ou moins hétërocliles et les comparer ensemble. Nous sommes assurés qu'il sortirait de cet examen une connaissance curieuse et nouvelle des doctrines métaphysiques, physiques et psychologiques des anciens peuples.

Parmi les modernes, Lcibnilz, Malebranche se sont occu- pés de la science des nombres ; plus récemment encore, MM. d'Etchegoyen et de Lourdoueix ' ont recherché et trouvé quelques-uns de ces rapports qui forment la grande harmonie de toute la création. iMais ces travaux ont été laits en dehors des traditions juives ou grecques, et rentrent dans la classe des conceptions philosophiques.

Nous terminerons cet article par ce que dit de la cabale, M. Caheu , traducteur moderne de la bible. On sait que M. Cahen est rationaliste et ne croit pas aux traditions révélées; on verra cependant qu'il ne nie pas la réalité des traditions précieuses qui se trouvent renfermées dans l'antique recueil des traditions juives.

« La Cabala/i, tradition mystique du Judaïsme, renferme des mystères identiques pour le fond à ceux du Christianisme, et en différant par l'énoncé. Ainsi Clwmme antérieur (r"2~p) des cabalistes n'est évidemment autre que le Logos , le yerbe incarné de TEvangile , qui porte le nom de St. Jean. Ce qu'on lit dans le verset 3 du chapitre i" du même Evangile, se lit également, mais en d'autres termes, dans le Zoar, nouveau testament de cabalistes. Des théologiens ont entrepris de nous convertir en démontrant par le Zoar les mystères chrétiens; le moyen est excellent auprès des Juifs qui admettent le Zoar. Il est même à remarquer que la secte cabalisti(|ue , qui a fait tant de bruit au dix-septième siècle, et avait pour chef le célè- bre SabtaiSevi{^2':i 'nziL'), a disparu et s'est fundue presque tota- lement dans le Christianisme. Toutefois, il serait possible que la secte toujours subsistante et si nombreuse des ChaiidinCpo-

» DerUn/te, ou aperçus philosophiques sur l'idenlitc des principes de mathématiques, de la gramm. ge'nérale et de la religion chéticnne. 2 vol. in-8o, Paris, Debéconrl; prix : 12 fr.

' De la Vérité universelle , pour servir d'introduction â la pitilosopltie du Verbe, \ vol. in-S", Paris, chez Sapia ) prix, 7 IV. 50 c.

SftS COURS DB PHILOLOGIB ET d' ARCHÉOLOGIE.

tonais (D^TDn) fût une branche des Sabtaiens. La Cabalah a exercé une influence puissante et funeste sur la vie du Juif, depuis son entrée dans le monde jusqu'à la dernière pelletée de terre qui ferme son tombeau. Nos momeries les plus ab- surdes , nos superstitions les plus honleuses sont uniquement fondées sur des pratiques cabalisliqvies, en opposition même avec le vrai esprit du ThalmucL Car, quoique cette collection renferme des idées et des faits mystiques, on ne les rencontre que dans la partie dile Hagadtha [Hm2r\)^ peu estimée et décriée en plusieurs endroits du Thalinud même, ce qui rend probable l'opinion que cette partie a été ajoutée plus tard et subreptice- ment. Elle ne se rattache d'ailleurs directement nia la Mischnah nia la Guemarah '. >

CALATRAVA (ordre militaire de). Un de ceux qui, au moyen-âge, défendirent le Christianisme et la civilisation con- tre les conquêtes du Mahomélisme. La ville de Calatrava, prise sur les Maures en 1147 avait été donnée aux Templiers pour la garder; ceux-ci désespérant de la conserver la rendirent au roi Sanche III. Alors un religieux de Cîteaux D. Didace Yelasquez la fit demander par son abbé D. Raimond, qui passe pour l'instituteur de l'ordre. D. Sanche accéda à sa demande en 1 1 58. Le nouvel oVdre fut d'abord composé de frères convers de Cîteaux; mais, à la mort de l'instituteur, en 1 i65, les che- valiers, tout en restant soumis à Cîteaux, ne voulurent plus de moines parmi eux Les chevaliers de Calatrava rendirent de gr.mds services et se distinguèrent dans un grand nombre de combats et de sièges jusqu'à la malheureuse bataille d'Alarcos, en 1 193 , ils restèrent presque tous sur le champ de bataille. Leur ville mrme fut prise. Le siège fut transplanté alors à Cir- vclos, et en 1198 à Salvafierra, puis à Quirita, puis retourna à Calatrava en 12 13. Le grand-maître de Calatrava était très- puissant en Espagne; c'est ce qui donna de l'ombrage au roi Ferdinand et à la reine Isabelle, qui, en i486, firent signifier aux chevaliers, qui allaient élire un grand-maître, une bulle d'Innocent VIII, qui déclarait se réserver cette nomination.

A. BONNETTY.

» La Biblt , trad. nouv. par S. Cahcn , t. ix , liai» , p. 70.

SI LS CH&ISTIAMSVE X NUI AUX SC1E:«CES. 3^7

;2lfC(Jrv> bc U Ufd'^îVn t>f5 Sciences,

S'IL EST VRAI QUE LE CHUTSTIAMSME AIT yVl AU DÉ^ELOPPEMEiNT DES CONNAISSANCES HUMAINES.

iDcttxicme 3v(îc(e.

BÉFUTATION DES ERREURS DE M, I.IBIlI.

Motifs qui ont déterminé la priorité donnée au sujet du \^^ article. M. Libri : qualités qui distinguent son ou\rage. Préjugés qui dépa- rent et faussent souvent ses travaux historiques. Opinion du jour- nal de V I nslriiclion publique sur son Histoire des Sciences malhéinaliques etc. Espèce d'exaraen ({u'on se propose d'en faire ici. Extraits du premier volume. Passages sur le nioyen-àge en parficulier. Mor- ceaux qui semblaient promettre une appréciation plus juste et plus gé- néreuse. — Un mot sur les bibliothèques ecclésiastiques des premiers siècles. Projet d'une notice sur les bibliothèques du moyon-àge.

I. En commençant la critique de M. Libri par celle d'un opus- cule de M. Letronne, je crois m'être conformé à l'ordre deslems et à celuides idées, aussibien qu'à la mareliesuiviepar M. Libri, qui invoque le témoignage de son savant collègue dès les premiè- res pages de son Histoire. Je ne pouvais d'ailletirs, avec le but que je me propose, laisser passer une accusation d'ignorance portée si affirmativement contre les docteurs des premiers siècles chré- tiens; Leibnilz n'était pas plus endurant à ce sujet, lui qui écrivait à un autre protestant ' :t Je suis. Monsieur, de la partie savec vous, contre ceux qui s'émancipent de maltraiter les

Pères en toute occasion Le mépris des Pères , poussé à

outrance, rejaillit sur la religion chrétienne, et si elle n'a

»Voir dans le N" précédent, l'article intitulé Uéfulalion de M. le- tronne, p. 260.

» Lettre à Veyuière de Lacroze. Op., t. v, p. i81.

3^8 SI LE ÊHRISTIANISME A NUI AUX SCIENCES.

«jamais eu de propagateurs vérilablement pieux et éclairés, «quelle opinion en doit-on avoir? »

II. Venons-en à l'ouvrage qui est l'objet direct de ces arti- cles. Et comme il pourra nous occuper quelque tems, des éclair- cissemens une fois donnés sur la nature et l'esprit de ce livre, ne seront point de trop. UHisioire des sciences mathématiques en Italie s'ouvre par un discours l'auteur se propose une œu- vre assez distincte de l'ouvrage lui-même. Là, traçant d'abord le tableau des époques principales qui dominent l'histoire litté- raire de tous les peuples, sous le rapport des sciences physiques et mathématiques, il élève comme le portique du temple qu'il a voué au mérite scientifique de sa patrie; et l'érudition ré- pandue par lui sur ce sujet, suppose , j'aime à le dire, des étu- des plus sérieuses qu'on n'a coutume d'en faire aujourd'hui. Aussi notre écrivain ne se reclame-t-il que fort peu du 19^ siècle: l'avertissement qui précède le premier tome, annonce un hom- me qui ne s'enthousiasme que tout juste pour la civilisation actuelle dont on fait parfois tant de bruit , et qui ne craint pas de porter le doigt sur plusieurs plaies de notre état social. La dessus il exprime çà et une indignation généreuse à laquelle jem'associede grand cœur; mais je ne saurais adhérer de même à certaines autres idées qu'il expose du reste sans fard, bien diderent de certains esprits cauteleux dont le mauvais vouloir contre la religion , revêt, par respect pour une certaine opi- nion publique, toute faible qu'elle est en ce point, les formes qu'eût pu leur inspirer le régne absolu de Tinquisition , si une inquisition eût laissé à de pareils hommes un penser indépen- dant. Ames du tiers parti qu'appréciait ainsi la grande âme du Daute » :

Qu«l cattivo coro

Dcgli angeli che non furon ribelli

Ne pur fedeli a Dio ma per se foro. Quant à M. Libri, il n'en est point aux cxpédiens pour mor- dre dans l'ombre, et certes, s'il est un défaut qu'on puisse lui reprocher, ce n'est pas d'avoir manqué de franchise. Il se pose à découvert comme tenant les chrétiens ( c'est la désignation ,

> Infcrno. m.

RÉFUTATION DE M. LIBRI. 349

égalcmeut très-nette, qu'il substitue aux vieilles expressions de cour de Rome , papes , clergé , ou encore hiérarchie , comme diraient les Allemands) pour une race funeste, ennemie née de tous les progrès intellectuels '. Et comme il ne paraît pas homme à se plier, du moins sciemment, à des opinions d'em- prunt , il expose ses idées avec la verve d'une conviction vive et profonde.

III. Tout ce que le journal de l'Instruction publique trouve à redire en cela , c'est un peu de dureté pour le Catholicisme , reproche même V'' "^ serait applicable qu'au cas on juge- rait l'ouvrage du point de vue français. Cela veut dire, comme on l'explique en etTet , que l'auteur, dans une contrée les esprits en sont encore aux opinions qui nous dominaient en 89 , ne peut pas apprécier les résultats des institutions chrétien- nes avec la modération qu'y apporte un français de i858.

Que la France actuelle apprécie à leur juste valeur les œuvres du Christianisme, ce n'est pas mon affaire, mais pour ce qui est du jugement porté sur l'historien àù?isciences mathématiques en Italie, il est à la fois faux, lorsqu'on ajoute que son hostilité con- tre C Eglise est le plus souvent justifiée par les faits; et peu honora- ble à M. Libri, quand on nous le représente comme un homme qui n'avait qu'à naître quelques six degrés plus à l'ouest, sous le même parallèle, pour penser tout autrement qu'il ne le fait. II est à déplorer que des hommes faits pour rendre contagieuse, en quelque sorte , la manière de voir qu'ils ont une fois adop- tée, en prennent une fausse sur les objets les plus importans à l'humanité; mais quand de tels hommes s'égarent par le cœur, il ne faut point énerver les âmes déjà trop incapables d'efforts, en leur offrant cet exemple comme une preuve de l'empire, si exa- géré des tems et des lieux , excuse des lâches et refuge de ceux qui ont peur de prendre leur point de départ dans la cons- cience. Il ne faut point non plus conniver à l'insouciance des

' Celle façon de penser avait déjà été indiquée au public par M. Libri dans un mémoire lu depuis iong-lems à l'hisliUit, et inséré dans les an- nales de physique et de chimie , au sujet de la dispersion des académiciens del Cimenta. Voir dans les Annalts de philosophie chrétienne , t. x , p. 17. la réfulatioH qu'en a faite nn savant compatriote de M. Libri , le P. OU- Tieri de Rome. oerm aa 3Ï. '

350 SI LE CHRISTIANISME A NUI ACX SCIENCES.

esprits pour des sujets les plus relevés , en leur donnant à croire que la mode d'un pays ou d'un siècle peut excuser l'erreur en ce genre; il faut , s'adressant franchement à celui qui s'égare ainsi de la vraie roule au détriment des autres , lui montrer qu'il se fourvoie, et que son amour pour le vrai doit avant tout s'éprendre du vrai social, du vrai utile à la vie morale de l'hom- me et des nations. L'écrivain que je critique ici, n'est pas , je pense , jaloux d'une flatterie ni d'une excuse , et je m'assure qu'une réfutation aussi positive que son attaque lui plaira plus que des critiques doucereuses.

IV. Toutefois comme il n'est point ici question de personnes, mais défaits, je ferai le plus souvent abstraction de l'auteur, pour nera'oecuper que de ce qu'il avance, et traitant bien plus ses erreurs que son livre , je lui associerai parfois d'autres écrivains qui partagent sa manière de voir, et je montrerai qu'ils se trom- pent les uns et les autres; trop heureux d'éviter en des discus- sions si sérieuses l'apparence même d'une polémique person- nelle. Je déclare avant tout, sans aucune affectation de modes- tie, que je suis loin de me croire comparable à M. Libri pour l'érudition : je me permettrai plus tard , peut-être, de discuter la valeur de quelques-unes de ses assertions relatives exclusive- ment àl'histoire littéraire, mais je ne me propose actuellement que de traiter la question religieuse. Et imitant mon auteur, qui ne résume l'expression de son animosité vigoureuse en traits fortement accentués et soutenus , qu'après quelques attaques isolées , je m'attacherai à repousser les inculpations partielles, pour n'arriver au corps de la place, qu'après avoir désemparé les ouvrages avancés Donnons d'abord une idée de la nature de ces charges et la manière dont elles sont arliculées «.

Y. « Il ne faut pas voir dans le Christianisme un fait isolé, >ni la puissance d'un seul homme. Ce fut peut-être une grande » nécessité; déjà dutems de la république, Rome avait été ébran- > lée par les associations religieuses *. Plus lard, lorsque des mons-

> Vlii$toire des Sciences malliémaliquesen Italie, n'étant encore qu'à son second volume , je me bornerai à-peu-près au Dicours préliminaire qui fait la matière du premier.

* Je ne pense pas que ce ^oit Catilina ou Spartacus , ni même le»

RÉFUTATION DE W. LIBRI. 351

fres couronnés eurent répandu la désolation et l'effroi da »Tage à l'Euphrate, on embrassa avidement une religion d'éga- »lilé qui promettait le paradis aux malheureux et menaçait les B Césars. D'autres sectes tentèrent en vain de lutter contrôle wChrisliaiiisrae ; ce n'élait ni la subtilité grecque , ni les tours «d'Apollonius de Thyatie, (jui devaient accomplir la grande ré-

volution. Il n'élait donné qu'à des hommes non corrompus, » accoutumés par tiadition au martyre, doués d'une immense

énergie et d'iuie imagination puissante, de pouvoir sorlir d'une

écurie de Nazarelli ", pour aller s'asseoir sur le trône impérial,

Cette religion qui devait remuer si fortement le monde, fut,

dès l'origine , ennemie de la science La lecture même des

anciens auteurs fui défendueaux chrétiens: elle ne fut permise r qu'à ceux qui voulaient combattre le paganisme, et à ceux

qui cherchaient (chose inconcevable!) dans les écrivains grecs «et romains, des prédictions de l'arrivée du Messie. Aussi dans

les premiers siècles de l'Eglise, on ne rencontre pas un seul

chrétien qui ait laissé un nom dans les sciences ». »

C'est ici que vient la citation de M. Lelronnc, que nous avons examinée dans le numéro précédent. M. Libri conti- nue:

« Sans l'arrivée des barbares, on ne saurait concevoir com-

ment l'Europe serait sortie de l'état d'abrutissement oii l'a-

vait plongée la corruption des mœurs, une ignoble tyran- anie , et l'action d'une religion qui absorbait toutes les forces

sociales. La nullité des Bysanlins qui, sans avoir STibi aucune «invasion, et malgré les trésors littéraires hérités de leurs pères,

meurtriers de Ce'sar pas plus que les partisans de Marins et de Sylla oa des triumvirs , qui aient clc des mystiques,

' Je ne partage point la pensée de ceux qui verraient ici un refour au style voltairien pour ridiculiser le berceau du Christianisme. M. Libri me paraît trop grave pour avoir songe à s'armer d aussi pau\rcs moyens: mais il est italien , et dans sa langue raalernelle le mot slalla signifie également étable et écurie. Quant k Nazareth , c'est J5e//t/eem qu'il fallait dire : nouvelle preuve entre mille que les hommes les plus instruits se donnent la liberté' de traiter de la religion sans avoir pris la peine d'en connaître les enseigaemens les plus communs.

P. 65-67.

352 SI LE CIiniSTIANISME A NUI AUX SCIENCES.

s dégénérèrent sans cesse sous l'influence du Christianisme * , «nous fait prévoir quel aurait été le sort de l'occident, si la sau- »vage énergie de ses nouveaux conquérans, n'y eût pas retrem- wpé le sang corrompu des Romains.... Rome n'attira plus l'ani- wbition des savans, et, livrée à la toute-puissance ecclésiastique, selle vit disparaître peu à peu ce qu'on appelait les lettres pro- ï) fanes. Une religion qui, étant encore au berceau, avait auto- »risé un autodafé littéraire ^ , et qui admettait le dogme de la » dégénération morale de l'homme, ne devait ni croire aux pro- j>grès de l'esprit humain, ni les encourager, elle devait au con- « traire craindre les idées nouvelles. D'ailleurs, les persécutions «dont les chrétiens avaient élé si longtems l'objet, l'intolérance umême de Julien qui leur défendit l'élude des lettres, devait les «portera haïr également les payens et leurs écrits. Les succes- seursdugrandapostal se chargèrent d'assouvir cette haine... ^)>

« En occident, les guerres civiles Enfin les canons de

iTEglise qui défendaient la lecture des livres payens; toutes » ces causes réunies préparèrent les ténèbres dans lesquelles sse trouvait plongée l'Italie lorsqu'arrivèrent les Goîhs , qui , » selon l'expression d'un illustre historien (Gibbon) , furent

» M. Libri ignore peut-être que Jésus -Christ a dit : qui non est mecum contra me est ; et comme les Byzantins furent le plus souvent séparés de l'église de J.-C, il n'y avait point lieu à les citer pour modèles de l'in- fluence du Christianisme. Voici comme l'entendait St. Jérôme écrivant au pape St. Damase : « Quicumque Iccum non colligit, spargit : hoc «est qui Christi non est, anlicliiisti est. »

» On cite ici le fait rapporté dans les Actes des J pâtres, XIX. 19, , du reste, il n'est point dit du tout que St. Paul ait conseillé l'autodafé en question , mais la conduite de ceux qui vinrent brûler publique- ment leurs livres est rapportée comme l'effel spontané d'une ferveur sou- daine. Ajoutez que selon des auteurs très-graves , indiqués par M. Libri lui-même , le texte parle de livres sur la magie , et que notre auteur qui s'oppose ici (j). 269) à cequ'on les brûle, avait indiqué plus haut (p. G5) l'étude de la magie comme funeste au i-ccherrhes scientifiques dont il fait l'histoire. En sorte que V autodafé littéraire d'Éphèsc eût été précisément un avantage pour les sciences physiques.

2 P. 67-69.

RÉFUTATION DES ERREURS I)E Sf. LIBRI. 853

» moins nuisibles aux lettres que ne le fut l'établissement du » Chrislianisme ', netc, etc.

VI. « Après la mort de Cliarlcniar;ne..., les écoles furent fer- omées ou négligées; on oublia les sciences et la philosophie des » anciens sans y rien substituer. L'ignorance dans les arts fut ex- «trênie: les livres devinrent déplus en plus rares; on laissa périr «les plus imporlans sans les copier , et on ne s'attacha qu'à la «conservation des ouvrages ascétiques comme le prouvent *les manuscrits de cetle époque qui nous sont restés. Un problème » remarquable, et qui mériterait toute l'attention des historiens, » c'est celui derechercherpourquoiles plusépaisses ténèbres n'ar- » rivèrent pas en Europe avec la grande invasion des barbares, »el pourquoi elles n'en furent pas la suite immédiate. Ce fut Dseulement après que Charlemagne eut dompté les Saxons, re- D poussé les Mores d'Espagne, rendu l'éclat à l'Eglise, et rétabli «l'empire d'occident, que l'Europe tomba dans le dernier degré ))de l'abrutissement ^. Cette question est trop vaste pour que «nous puissions la traiter ici ; mais on doit remarquer qu'après » Charlemagne, l'ignorance augmenta avec l'agrandissement de nia féodalité et du pouvoir des pontifes... ^. »

a Les successeurs de Charlemagne essayèrent de relever

»le royaume d'Italie; mais comment rendre l'unité à cette ag- «glomération de Francs, d'Allemands, de Goths, de Lombards, 3 de Grecs et de Sarrasins, agités à la fois par les discordes civi- »les et par l'ambition papale ? Pendant que les débris de tous »ces peuples se déchiraient entre eux, les prêtres, voulant que «toutes les facultés de l'homme fussent exclusivement appliquées B au triomphe de l'Eglise, s'opposaient au libre développement de » l'intelligence. On sait que Gui d'Arrezzofut récompensé par une

, P. 71-73. Voyez encore, par ex. p. 186, 187.

' J'espère montrer qu'ils prouvent tout le contraire.

5 Ici l'auteur rael une note qui semble prouver que l'abrutissement ne fut point complet du tout. Je le reconnais seulement; il était haineux dans le texte, mais le savant se fait jour dans la note à tra^ers ses pro- pres préjugés.

4P. 90-91.

Tome xvu. N" loi. j838. 23

3j4 Sr LE CURISTfANISME A NUI AUX SCIENCES,

«persécution, de la découverte qui fait la base delà musique mo- «derne '. En ouvrant les Annales ecclésiastiques, on y voit les «maux qu'eurent à souffrir les Virgilistes ', accusés surtout d'ê- »tre trop enthousiastes du grand poète, qui plus d'unefois porta smallieurà ses admirateurs. Il y avait sans doute au fond du » cloître des hommes qui se vouaient à l'étude; mais leur talent, «consacré à des controverses religieuses et à la lecture des

Pères de l'Eglise , était perdu pour les sciences. On formait

> Ceux qui savent cela ne seront pas sans doute restés en chemin , et passant outre , ils n'auront pas manqué d'apprendre aussi que , pour quelques querelles de couvent, il .'e pourrait bien que sa sagacité mu- sicale ne l'eût pas dispensé de certains travers de caractère , Gui reçut en dédommagement les bonnes grâces du Pape , à l'aide de quoi il rentra en bonne intelligence avee sa communauté.

> Si vous ouvrez les Annales eccièsiastic/ues à l'endroit indiqué (Baro- nius éd. de Lucques, t. xvi , p. aOO, ad ann. 1000), vous trouverez ceci (extrait des chroniques de Giaber) : « Quidam ^'ilgardus dictus , studio »artis grammaticEc magis assiduus quara IVequens , sicul Italis mos sem-

* per fuit artes négligera esteras , illam scclari ; is , quum es scientià suœ oartis cœpisset intlatus superbià slultior apparei'e , quàdàm oocte as- »sumpsêre deemones poetarum spccics, Virgilii et Horatir atque Juve- » nalis : appareutesque illi , fallaces rclulerunt grates quoniara suorum « dicta voluminum chariùs amplectens exercerai ... promiser unt ei insu- » per suae gloriae poslmodum fore participera. Hisquc daemonum fallaciis »depravatus , cœpit multa turgidè dacere fîdei sacrœ contraria, dictaque V poetarum per omnia esse credenda asserebat. Ad ultimum vero hereti- «cus est repertus, atque à ponlifice ipsius urbis (Ravennse) Pelro dam- «natus. » D'où il consle qu'un pauvre grammairien à qui l'opiniâ- treté de l'étude avait brouillé la cervelle, se fit condamner pour avoir prétendu trouver des articles de loi dans les paroles de ^ irgile, d'Horace et de Juvénal. Y a-t-il rien de concluant sur les rigueurs de l'Eglise contre les classiques? Encore ne dit-on pas s'il fut condamné à autre chose qu'aux PetitesMaisoos

Il est vrai qu'on a condamné au moyen-àge la manie de tirer la bonne aventure dans Virgile cl dans Homère ^ coutume fort ancienne, du reste, et antérieure au Christianisme; mais on ne fil pas plus d'honneur à la Bible, puisque les conciles réprouvèrent également la pratique de chercher des pronostics dans l'Écriture-Sainte. Con. Agat. An 506. Ea. iâ.

RÉFUTATION DIS ERREURS DE M. LIBRI. 355

0 des bibliothèques, il est vrai, mais elles se composaient presque n uniquement 'de livres ascrtiques », « etc., etc.

"MI. Vous croiriez parfois, en lisant ces tirades, avoir rencon- tré une de ce? plumes subjngu<^es par des opinions d'école qu'on adopte toutes faites, pour ne se charger que d'y mettre la forme. Que vous dirai-je ? j'ai lu l'ouvrage de M. Libri, et j'admire comment il a pu se faire qu'un homme vraiment instruit, ou'un homme d'un caractère indépendant , qu'un homme à pc.jsécs nobles, ait été fasciné à ce point , et comme érudit, et comme penseur , et comme appréciateur des grandes choses, iiuriez- vous eu la pensée de reconnaître dans ces saillies d'humeur, l'âme qui a dicté le morceau suivant, par exemple? « Si j'ai su » rendre dans cet ouvrage les impressions que j'ai éprouvées, ou » sentira que rien n'est plus injuste que ce mépris que l'on af- ofecte pour la science imparfaite de nos aïeux. Sans leurs es- »sais nous serions encore dansl'ignorance ; et peut-être ce savoir »dont nous sommes si fiers, est- il destiné à exciter bientôt uu

sourire de pitié chez une postérité injuste à son tour. Ni les » hommes, ni les nations ne sauraient mépriser leur propre en-

' A cet endroit une note affirme que, sauf quelques rares exceptions, les bibliothèques monastiques du moyen-àge ne contenaient ([ue des ou- vrages de di'votion. Je puis dire par anticipation que mes recherches à ce sujet ne m'ont pas conduit aux mêmes résultats. Les lecteurs en juge- ront quand nous en serons ^euus à cet endroit. Coiitentons-nous pour le moment d'indiquer ce qu'en ont pensé des hommes non supecis. Lei- bnitz e'crit à INIagliahecchi (tome v, ép. 1 i) sur le sentiment de l'abbé de ïlancé, qui prétendait interdire l'étude aux moines: « Si ea iuvaluisset

opinio nuUam hodie eruditionem haheremus. Constat enim libros et lit^ B teras wonasteriorum ope fuisse conservatas. .. Corbeia ad ^ isurgim nobis » \icina, monachisdoclnna non minus quam pietate prastantibus fidei lumea opertotum septenlrionera sparsit. » Seloa JNL EUendorf, sortede catho- lique-prussien comme il y a des catholiques-français (die Karolinç^er und die Hiérarchie titrer Zeit , t. i , c. i), « Sans le clergé, et spécialement wsans les moines, nous n'aurions conservé ni les Pères de l'Église, ni les « classiques : il ont d^ ailleurs fait de grandes choses pour les sciences , » etc. Voir Hurter : Kirchliche Zustande zu Pabst Innocent des dritten Zeilen , lome I, livre 21, chap. 7. Passim. Henry, history ofgreat Britain (pas- stm), écrivain que Hume n'aurait pas àû faire oublier, dit Heeren.

' P. 156,160.

356 SI LE CHRISfl.VMSMli; A NLI AUX SCIENCES.

»l"auce, et iifaut que les plus puissantes et les plus glorieuses n'ou" eblient pas qu'elles auront aussi leur vieillesse. Tous les siècles »comme tous les peuples, contribuent aux destinées de l'hunaa- »nité : il y en a eu de plus obscurs, de plus malheureux, mais «c'est un motif pour les plaindre, et non pas pour les mépriser.

)>Et d'ailleurs, sommes-nous sûrs de valoir en tout mieux que «nos ancêtres ? on le proclame sans cesse , mais moi je n'ose- »rais pas l'affirmer. Tout ce qui est nouveau n'est pas un per- » fectionncmeut : souvent ce n'est qu'un retour vers les choses Ddéjà oubliées ; et puis à présent, nous changeons si vite en tout, «nous passons si brusquement d'une extrémité à l'autre, que par » cette continuelle mobilité, nous donnons un démenti continuel B à nos prétentions. Que dirait-on si l'on voyait les géomètres , «les astronomes, changer sans cesse toutes leurs méthodes, tous «leurs systèmes, et parcourir rapidement le cercle des opinions j>les plus opposées ? on dirait sans doute que les sciences qu'ils » cultivent sont dans l'enfance. Que faut-il donc penser de ces «peuples qui se proclament maîtres en science sociale , et qui B changent à chaque instant de constitution et de tendance po- «litique? on flatte les nations et les siècles; mais malheureuse- Bmeutl'homme semble avoir toujours eu les défauts inséparables » d'une grande et rude énergie, ou les qualités qui accompagnent ndes mœurs plus douces, il est vrai . mais plus molles D'ail- » leurs , dans des circoastances analogues , les mêmes causes «produisent encore les mêmes résultats. Nous avons vu, dans »le siècle des lum'ùres , au centre des villes les plus policées , le peuple se ruer (comme au m^yen-àge) sur les passans, et «les déchirer en lambeaux , leur attribuant l'apparition d'une «terrible épidémie... Dans un autre continent, des nations qui «prétendent servir de modèle à la vieille Europe, traitent leurs «semblables comme des bestiaux, et transforment en système, »la destruction graduelle des anciens maîtres du sol. N'insultons «donc pas à la mémoire de nos ayeux! »

)>.... L'iiistoire diraun jour qu'au foyer de la civilisation , aux «portes de nos capitales, on nous enjoignait insolemment d'em- j> porter d'un cimetière les ossemens de nos pères pour abréger »le chemin auxcharreltcs des rouliers. Elle dira aussi que dans «celte Italie qui se repose si volontiers sur d'anciens lauriers.

rxÉFUTATFON DES EP.nilLT.S DK M. LIERI. 357

et qu'on accuse d'être la terre des morts, les hommes les plus «illustre}» atJendent encore une pierre tumulaire, tandis qu'il y »a des villes opulentes les médailles et les statues sont pro- » diyiiécs aux chanteurs et aux danseurs. Elle dira suitout qu'a- ïiprtsune lulle qui a soulevé tous les peuples de l'Europe , les

champs gisaient nos soldais fuient livrés à des compagnies »qui transformèrent en engrais animal les restes de ces vaillante? B cohorles... Le cœur bondit au souvenir de ces profanations ! » Voilà nous mène le principe exagéré de l'utilité. Quelques népis sacrilèges l'emportent sur le respect que l'on doit aux tré- » passés; et l'on compte pour rien l'exemple et rinlluencc des » honneurs rendus à la mémoire des grands citoyens. Je l'ai «déjà dit: trop souvent l'homme n'est considéré que comme un B animal de rapport. Ce principe peut être favorable à la pro-

duction dans les manufactures ; mais si on l'adopte, il ne «faudra plus demander ni grandes pensées, ni grands senti- «mcns, ni grandes actions à ceux que l'on traite comme des «brutes >", etc., etc. »

Mil. Jî'iis je ne me suis point donné pour tâche de faire l'éloge de 31. Libri ; loin de là, et si je fais la part de l'éloge, c'est pour ne point comprendre tout son ouvrage dans un mô- me blâme, ou plutôt, car je ne sais point flatter, pour prier qu'on m'explique comment il peut arriver qu'à une allure «i franclie en face des travers de notre époque , il associe une souplesse si docile aux préjugés atrabilaires du siècle passé ; comment , si respectueux pour nos pères, il les repousse et les méconnaît dès (ju'il les trouve disciples de Jésus-Christ. Quoiqu'il en soif, ve- nons-en à l'appréciation des griefs qu'il proclaîne si aigrement, ctpournepoint paraître éviter îesengagemens sérieux, commen- çons par tine des charges les plus chaleureusement articulées. Les autres trouveront leur place successivement , clûl-îl en résulter une série d'articles.

Parmi les chrctlens, les moines surtout, et en général tout le moyen-âge, avaient comme conspiré l'annihilation des cliefs- d'œuvre de l'esprit humain; et tout ce qui tenait à l'Eglise pro- céda d'une manière continue à celle œuvre jusqu'au 14' siècle, menaçant les classiques d'une destruction totale; fails que l'on

' P. xjxjxxij. Cfr,, p. 6' ; xvj. etc.

358 SI LE CHRISTIAMSME A KLI AUX SCIENCES.

lie saurait nier , attestés qu'ils sont par d'irréfragables témoi- gnages ,. Sans nier ni prétendre infirmer ces témoignages, je me permettrai denier les faits qu'on y veut trouver, et je recule si peu devant les auteurs invoqués en cet endroit particulière- ment, que je me propose bien de puiser la réfutation aux mêmes sources. Disons un mot d'abord sur le soin qu'on prit dans lEglise, dès l'origine, pour former des bibliotlièques.

Les plus anciens monumens de l'histoire ecclésiastique ' , parlent déjà de bibliothèques et de livres d'étude réunis aux égli- ses. Ces collections renfermaient , d'abord, nécessairement les cm/5 ccclésiasticjues eX liturgiques , tels que matricules , actes des viartyrs, diptyques , lectionnaires, etc. Puis les teœtes et versions de fEcriture-Sainte , les constitutions ecclésiastiques , homélies , ca- iécheses , etc. Eusèbe et St. Jérôme qui avaient consulté entre autres les bibliothèques de Jérusalem et de Césarée , nous ap- prennent qu'il 5' en avait de fort importantes. Ces témoignages qui ne remontent guère plus haut que le o' siècle, se mulli- plient à mesure que la paix accordée aux fidèles permit à l'E- glise de remplir librement sa mission. A Rome , à Constaiiti- nople, à Alexandrie , des bàtimens considérables près des ba- siliques furent coi:sacrées à cet visage; celle de sainte Sophie à Constanlinople, fondée par Conslanlin, et augmentée de beau- coup parThéodoseie jeune, renfermait quelque cent mille volu- mes qui furent brûlés dans une sédition '". A Rome, S. Grégoire, consulté parEulogius, évèque d'Alexandrie ^ , lui répond que l'ouvrage demandé par lui ne se trouvait ni dans les archives de

» P. 160, 161, etc.

3 EusÈcE, ///st. eccL \i. 20. viii. 2. HrEno>"yM. adv. Rufin, lib. .^, Cfr. Scholi.i. Ed. Erasm. Francof. et Lips. 16iii, tom. x, p. 90). It. ca- lalog. Script, ecdcs. {Orig. Pawpliil., etc.) Augustin de Ilœrcs. 80 , etc., etc. Voir aussi !e mot bibliolhccaire dans le Dictionnaire diplo- matique (le uos Annales , t. xvf.

^ Cfr. Augiisli , Sicgel , manuels J' Archéologie ecclésiastique. Hospi- KIAKUS, de (emplis Cparliculièremcat , de origine et progressa bibliothcea- 7-HrH_). KoMEiER , (le bihlïothccis. RiNGiiAM , de ecclesiarum scholis et bibliolhccis, ftom. m.) Ceueim, disscrtatio de archiviis , sive tabula- riis veterum christianorum. Goetz, de charte phylacibus vctcris Eccle- siae (Inter MisccU. Hist. crit.) Ebcrt. Encyclop. d'Ersch et Gruher.

4 Gregor. Ep. vjii. 20.

nÉFUTATJON DES KUREliRS DE JU. LiliUl. 359

TEglise Romaine (bibliothèque de Lalran ) , ni clans les autres coUoclions delà ville. L'Eglise de Lolrau avait une bibliot!ît;(jue double, Icndt^e au 5' siècle, par le Pape Ililaire ', et il était assez ordinaire que les Eglises eussent deux bibliothèques ' ; l'une in- térieure consacréeaux livrcsccclésiasli(jnes ou ascétiques, etau:t archives; l'autre extérieure , se plaçaient les ouvrages d'étu- des profanes et (lephilosopliie. Je ne saurais nj'ex[t]i;jucr que par cette dislinctioiJ de bibliothèques sacrées et profanes, comment un homme aussi habile que M. Libri , peut avoir cru que les catalogues des bibliothèques du moyen-âge annonçassent des collections presque exclusivement ascétiques.

S. ramphilc avait réuni à Césarée près de trente mille volu- mes, selon le récit de saint Isidore ^, e( les écrits de saint Isidore lui-même, qui rappellent l'érudition d'uiî Varron, montrent qu'il avait pu disposer de bibliothèques vraiment remarquables. En Angleterre, les évèchés fondés au 7' siècle (Cantorbéry surtout), devinrent par leurs monasicres épiscopaux [cha^xiies ^ séminaires ou maîtrises , etc.) de véritables centres littéraires , en même tems que des chaires apostoliques '*.

Dans l'empire d'Orient, quand Léon l'Arménien voulut tenter la voie scientifique, contre la doctrine catholique sur les sain- tes images , qui avait résisté à la violence de ses prédécesseurs, ce fut dans les Eglises et les monastères qu'il envoya faire des re- cherches 5 pour réunir dans les auteurs ecclésiasliqxies des docu- mens dont l'hérésie pût tirer [)arti contre renseignement or- thodoxe. (V r-i 1 f

Le lieu se déposaient les livres des Eglises faisait partie des bûlimon^ annexés à la basilique elle-même, et désignés sous le nom général de sacrarium , paxtoplwrla , diaconlcum , etc. La bi-

* Anastas. in vita Hilarii. Cfr. CanceUieri, de Sccrctariis : Disqui- silio cle Bibliothec.

" Filloison, Prolcgomena ad Honierum , p. xl; ap. Heeren , Gcs h. der Lilleralur. 1. 69, 83. Canceu-ieri , op. c, syiifagm., p. 3 , ch. â.— Petit-Radel, Liblioth., p. 3i.

3 IsiDou. Origin, vi. 65, ap. Heeren, op. c.

* Heeren , op, c. i. 65 II cite Henry, Hisiury of Grcat 'ir-tan. 1. 2, p. 135, etc. I5i, 320, etc.

* Heeren , op. c. 1. 79.

360 Sr LE CllRISTIAMSME A NCI AUX SCIENCES.

bliothèque en particulier est communément indiquée par quel- qu'une des expressions suivantes ; sccretarium , chartilogium , chartophylacium , cliarlarium, chartularium , armarium, archivium, ou archivum, tabularium, taOlinum, scrlniam, Ubrarium , gramma- iophylacium, etc '.

Je traiterai, Dieu aidant,des bibliothèques du moyen-âge, dans la continuation la plus prochaine de ces articles ; mais sans prétendre donner sur ce sujet autre chose qu'une ébauche. Un semblable travail exécuté tout de bon , serait assurément un important service rendu à l'histoire littéraire; mais pour cela , il faudrait un loisir et djs moyens d'étude que je ne puis avoir à ma disposition '. En attendant qu'un savant laborieux s'im- pose cette utile mais pénible tâche, ce serait chose curieuse que de réunir comme par manière de programme , les matériaux bibliographiques dont il importerait de s'entourer pour l'entre- prendre avec quelque chance de succès. J'essaierai peut-être de le faire au moins sur quelques parties; mais celui qui , pourvu des connaissances suffisantes pour tracer la route dans son entier, ferait part au public de ces indications préparatoires , aurait la consolation peut être d'avoir frayé le chemin à un ouvrage dont les résultats ne sauraient manquer d'être glorieux pour l'Eglise.

C. ACHERY.

^ Cfr. Cancelieri. Op. c. Syntagm., p. 3, ch. i et p. i ch. fO.

' Les Annales de philosophie chrétienne ont semé déjà dans leur collec- tion d'intéressans détails sur ce sujet (voir la table générale des douze pre- miers volumes, à la fia du xu') surtout en 1830 (t. i, p. 96 , etc.) Maia les auteurs de ces divers articles n'ayant point en tète des adversaires aussi e'rudits et d'une hostilité aussi prononcée que M. Libri, n'ont pas pu se croire obligés à un svslème d'apologie complet. La mienne, sans l'être entièrement, présentera , si j'ai rempli mon dessein, un front plus étendu. La circonstance l'exigeait , et je tâcherai d'y satisfaire.

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APOLOGIE DE ST. JÉnOME. 361

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APOLOGIE DE SAINT JÉRÔME ,

ou EXPLICATION DU MOT HÉBREU ALME, A^■^•o^•çA^•T A l'ava>'Ce

LA VIRGIMTÉ DE LA MÈRE DU CHRIST.

Importance de la question. Texte de saint Jérôme. Passages de l'Ecriture ce mot est cité. Discussion du texte d'Isaïe. Des Pro\crbes. Autorité de saint Jérôme. De RosenmuUer. Com- paraison avec les langues sémitiques. Tradition dans l'Eglise et dans la Genlilité,

L'article que nous insérons ici a été publié en latin dans les Annales des Sciences religieuses de Rome, recueil précieux, au- quel nous avons emprunté plusieurs articles, et qui lui-même veut bien aussi citer quelquefois les travaux de nos Annales avec des éloges dont nous sommes fiers et que nous nous fe- rons un devoir de justifier de mieux en mieux chaque jour '. Cette dissertation est d'un jeune ecclésiastique de Turin , l'abbé Vercellone , qui l'avait lue à Rome en iSj/ji dans une réu- nion de V^cdiàérnie jeromienne '. Nous l'avons analysée en quel- ques endroits qui nous ont paru un peu longs.

« Cet essai a pour but de défendre une opinion importante de St. Jérôme contre l'interprétation des Juifs , des nouveaux liébraïsans et des Sociniens, interprétation qu'ont adoptée en Allemagne les savans que l'on nomme philo-biblistes. En détrui- sant la doctrine de St. Jérôme, ils tendent à ruiner dans ses fondemens le dogme catholique. Les difficultés qu'ils soulèvent

' Voira la bibliographie la table des matières, delà dernière livraison, qui reproduit l'article sur la géologie publié dans notre d'août der- nier. — Cet article-ci est extrait du n*' 8 des Annali, septembre 1836.

= L'ouvrage a été public à part à Turin en 1 836.

362 APOLOGIE DE ST. JEROME.

ne sont pas nées pour la première fois sous leur plume; mais présentées avec un art nouveau , ces questions exigent de nou- velles réponses; et nous défendons avec le sentiment du saint docteur, celui ds l'Eglise universelle atteinte dans ses croyan- ces les plus élevées.

Les langues orientales me seront d'un grand secours dans cette discussion, et je saisis celte occasion d'exprimer ma re- connaissance à notre Président, lorsque je dois à sa pieuse muni- ficence d'avoir pu acquérir quelques notions de la langue sainte.

Toici les paroles de St. Jérôme à ce sujet : « Le mot hébreu » ALME (n^Sy) ne se dit jamais que d'une vierge : il signifie une » jeune fille vierge qui se lient cachée '■ »

Cette assertion est très-remarquable, en ce que, si elle est reconniie vraie , il demeure constant qu'Isaïe a prophéîisé (jue le Christ devait naître d'une Vierge pure et immaculée; si elle est fausse, l'autorité de l'Evangile se trouve ébronlée et le dogme catholique gravement altéré.

Pour établir, autant qu'il est en moi, cette vérité, je vais parler, de l'emploi de ce mot, de son origine. enfin de l'interprétation des anciens; c'est là, en effet, d'après tous les philologues, la seule voie à suivre pour découvrir la vraie si- gnification d'un mot.

L Emploi dans l'écriture du mot HQ />?• Cette expression se trouve employée seulement sept foi'^ dans les écritures, et toujours dans le sens que lui a donné saint Jé- rôme. Aussi ce grand docteur s'écrie avec assurance : « Que » l'on me cite un endroit ce nom soit donné à une femme «mariée, et je reconnaîtrai mon erreur! ' » Les faits viennent à l'appui de son assertion. Ce nom est donné à la jeune vierge Rebecca , dont rÉcritnre atteste qu'elle était , à cause de sa grande chasteté, inconnue à tout homme ^. Ce mot est em^

* Hebraïcum t\ul]} nunquain nist de virgine scribitur, Quœst. Uebr iaGen. xxiv, i3; significat caim Ptiellam virginenif absconditam, lib. i, adv. Jo^in.; Lib. adv. com. in Isalam. Ilelvid. vn, Ht.

' Ostendent iiiihi ubi hoc vcrbo appcllcntur et nuptx , et impcril am con&lcbor.

- Jncognita viro , Cciu, xxiv, 1G.

EXPLICATION DU MOT VIERGE EN HÉSHEU. 363

ployé en parlant de la jeune fille, sœur de Moyse, enfant, lorsqu'elle dcmeuroit encore auprès de ses parens '.Ce mot se trouve répélé deux l'ois dans le Cantique des cantiques, savoir, dans le chap. i^'", vers. 3 , à propos des jeunes filles qui, selon l\isagc antique, aecompognaientlVpou'^c, et dans le chap. vi, vers. 8, trois classes de femmes sont clairement distinguées, les femmes mariées, les concubines et les vierges.

Le même mot se lit dans le psaume lxviii", v. 2(>, il ne peut s'entendre que des jeunes fdles chastes et pud.viucs ; il s'agit, en effet, dans ce passage, des jeunes filles qui, selon la cou- tume des Juifs, jouaient du tympanon dans les jours de solen- nités. Enfin pour la 6^ et y' fois, on le rencontre dans haie, chap. vu, V. i4? et dans les Proverbes, eh. xxx, v. 19, nos adversaires élèvent les doutes les plus graves sur le sens qui doit y être attribué à cette expression. De leur opinion admise, il résulterait la ruine d'une vérité consacrée par rassentimenl de l'Église.

Ce que doit signifier le mot r\X2hv ALSIE dans le passage d'Isaïe nous est clairement démontré partouie la suite et l'en- chaînement de son discours, ainsi que par le but qu'il se pro- pose; le sens que nous adoptons, bien loin de répugner au texte, s'y accorde parfaileuîent. Le prophète promet à Achaz, qui redoute la chute de Jérusalem et de son trône, une déli- vrance assurée, et, pour rendre plus dignes de foi ses paroles, il lui fera voir tel miracle qu'il souhaitera. Celui-ci refusant par hypocrisie et ensemble par l'effet d'une mauvaise vo- lonté, le prophète s'adresse à la maison de David et lui donne pour gage de sa promesse le prodige de la conception et de l'enfantement d'une Vierge restée pure et intègre.

Aussi, afin de conserver toute sou importance ^lu signe mira- culeux que le prophète a<înonce d'un ton si solennel , sommes- nous conduits à y recannaitre la naissance de cet Emmanuel qui devait un jour sortir d'une Vierge pure et étrangère au lit nu[)lial. Car alors le prophète rompt son discours au roi Achaz et parle pour la race de David, à laquelle il impostait tant alors de connaître l'événement qu'il va annctuer. 11 serait

' Exod. II, 8.

36i APOLOGIE DE ST. JÉRÔME.

trop long de citer ici les prédictions des autres prophètes on le même prodige est prévu et exprimé, quoiqu'avec moins de clarté et de précision. Celles ci éclaircissent le passage d'Isaïe et en reçoivent elles-mêmes une nouvelle lumière. Ainsi tontes les ressources de l'exégèse concourent à nous démon- trer qu'Isaïe s'est servi du mot ndl'J dans le même sens que l'Ecriture l'emploie dans les autres endroits précédentiment indiqués. Ceci nous suffit, sans entrer nous-mêmes dans une explication plus étendue.

Il reste à examiner le passage des Proverbes, cli. xxx, 19, Salomondit : «Trois choses sont difficiles pour moi, et une qua- «trièmeque j'ignore entièrement : la voie de l'aigle dans le «ciel; la voie de la couleuvre sur la pierre; la voie du navire «surles mers, et la voie de l'homme dans son adolescence.' »Le texte hébreu, au lieu de in adolescentiâ, porte rîDSîfl in rirgine adolescentatâ. Cette parabole de Salomon présente une grande difficulté aux commentateurs de la Bible. Mais comme un passage obscur doit s'expliquer par un plus clair, sans réci- procité, assurément on ne peut rien conclure contre nous de cet exemple unique, qui ne peut, en aucune façon, tourner à l'avantage de l'opinion contraire. Car le sens le plus générale- ment admis est : « il est plus difficile encore de connaître si une fdle réputée vierge no^Ti? ou récluse, est en effet sous- traite à l'atteinte des hommes. » Pour exprimer cette idée , l'é- crivain sacré s'est servi du mot ï^îJlV qui exprime à la fois l'âge et la condition d'une vierge. Plusieurs ont pensé, dit Sixt. Amama ' qu'il s'agit en cet endroit d'une femme dissolue qui voudrait passer pour vierge; et l'on trouve en effet fréquem- ment dans l'Écriture des noms qui se rapportent à l'apparence d'un objet ou à l'idée que l'on peut s'en former. D'anciens commentateurs ont donné à viamviri un sens analogue à l'union des sexes. La version des Septante, la version Syriaque et la

» Tria sunt difP.cilia mihi, et quartiim penilus igaoro : viam aquilae in cœlo , viam coliibri super petram, viam navis in medio mari , et viam \iri in adolescentiâ.

> lu antibarb. adhunc 1.

EXPLICATION DU MOT VIERGE EN HEBREU. 365

Vulgate, ou traduction de St. Jérôme, ont lu in adolescenilâ , et ont regarder comme fautive la leçon du mot rirgine. 11 y a aussi des interprètes, même d'une certaine autorité, qui voient dans ce passage une prophétie de l'enfantement virginal de Marie. Je ne chercherai pas ici à approfondir cette question; peut-être je pourrai un jour, dans une autre dissertation, ré- pandre quelque lumière sur cette parabole de Salomon ; quel que sens qu'on lui donne, le mot qui nous occupe aura toujours la même signification que dans les autres passagesde l'Écriture. "Winer lui-même n'a osé le nier '.

Je conclus avec S. Jérôme « que le mot no /iT ALME ne s'em- ploie jamais qu'eu parlant d'une vierge; que les Juifs montrent «dans les Ecritures, ce mot signifumt seulementyeHne /?//eet non t jeune vierge, et nous leur accorderons que cette prédiction d'I- saïe: « voici qu'une vierge coticevrael en fantei'a » ne doit pas s'enten- dre d'une vierge récluse, mais d'une jeune fille déjà mariée *. Aussi RosenmùUer dil-il avec raison : le sens dans lequel le motri'^X* est constamment employé , montre évidemment qu'il ne signifie jamais une fille mariée '. On ne doit "pas même entendre seulement une jeune fille non mariée, « car cette » expression , dit saint Jérôme , me semble plus relevée et plus

glorieuse que le simple mot de vierge; car, selon l'apôtre, on

peut être vierge de corps et non d'esprit. Tandis que le mot » ALIViE (cachée), qui est la perfection de la virginité, comprend «en même tems vierge et cachée 4. » Et danslei"iivrecontreJovi- nien: « que signifie le mot ri'ZTJ' ?une vierge cachée, absconditaniy

» Voir son à Lexicon liebr. ce mot.

' Verbum X\DTJ numquan nisi de virgii\e scribitur. .; ostendantigitur Judxi in scripturis alicubi positum Uul'J ubi adotescentulam tanlum et non virginem sonel : et concedimus eis , illud quod in Isaïa apud nos dicilur : Ecce virgo concipiet et pariet , non abscondilam ^i^ginem sed adolescentulam significare jani unptam. héb. quœst. Iieb. in Gen.

'^ Scliolies sur Isaie, 1. c. Ex solo usu loquendi evideulissimè constat no 7y nunquam de nuptà dici.

* Nam nO/i? raajoris mihi viJetur laudis esse, quam vivgo. Virgo qulppe,ju\ta apostolum, polcst esse corpore et non spiiilu, abscondila \ero quae est f'£7x«v Airginitalis habct, ut et virgo sit et abscondita. (/w. cit.)

366 APOLOGIE DE ST. JÉRÔME.

n c'est-à-dire, non seulement une vierge , mais une vierge en n perfection ; car toute vierge n'est pas caclîée et à l'abri de tout «regard des hommes.» 11 s'exprime de même dans le livre lu, des commentaires sur Isaie, \ii , i^ j et il ajoute:» r\'2^'J signifie une vierge qui est jeune et dans l'âge de radolcscence '. » II. Origine du met naSy ALME. Ceci suffirait pour établir sur une base incontestable , l'opi- nion de saint Jc'^rôrae ; mais pour lever tous les doutes , recher- chons l'origine de ce mot, elsoumettoJis-le à l'analyse: l'exemple de Rosenmùller nous encourage à poursuivre cet examen ; et rét5'moiogie du mot va nous découvrir son sens intime , sa vraie signification que dénaturent à présent les novateurs. On sait que r.*2V.r vient de la racine L:S";or, si nous parvenons à bien préciser le sens du mot radical , nous en tirerons avec certitude celui du dérivé, car dans la langue iiébraïque les déri- vés d'un verbe conservent une significaîion analogue à leur ra- dical. !^X' est employé par les Chaldécns en kal , et par les Hé- breux seulement en niphal;i\ signifie toujours et uniquement il fut couvert ou caché , ou enterré^ et en liiplul, il a couvert^ caché ou enterré; il se trouve quelquefois en hitpahcl, et signifie il se cacha, il se couvrit. Je ne m'arrête pas sur ce point , puis(jue nos adver- saires conviennent que ce mot ne se rencontre jamais dans l'Ecriture, si ce n'est dans ce sens ; et que dirai-jc de ces nou- veaux interprètes qui veulent ajouter au mot hébreu l'acception impudique de l'arabe *U, pour appuyer leur opinion erronée;

allégation foute gratuite, puisque l'on ne trouve pas dans l'Ecriture un seul exemple à l'appui.

Je remarquerai cependant que d'après les dictionnaires de Goilus et de Casîel , l'hébreu u7>7 ALAM répond plutôt à l'arabe *ii qu'à i'cxprcssion jLi , et pour la forme et pour la

signification, ainsi que nous le verrons plus bas. Au reste, nous pensons qu'en ce cas, comme cela se voit souvent, le mot arabe ne répond pas exactement à la racine hébraïque; puis il n'a ja- mais été d'une saine critique de chercher la signification ou l'é-

' Dicilur ea quac non solum \ irgo est . sed virgo jiinioris aetatis , et in .nanis adolesccnlia; ; polcst enim fieri ut virgo sit vctula , i.sta auteni virgo erat in annis puellaribus.

EXPLICATION BU MOT VIERGE EN HÉBREU. 367

tymologie d'un mot séniilique , dansîes dialectes dérivés, îoutes les fois que la langue mère fournil celte étymologie avec certi- tude et clarté. « Il faut se garder de chercher aux mots dont la «signification est sûre quelque sens puisé dans les dialectes, a dit Akermann '; » c'est aussi le sentiment de Gaspard Un- terkircher, dans son Herméneutique de la Bible. Ceux donc ne méritent point d'atlenlion , qui, en s'écartant de ce principe, cherchent dans les langues dérivées des preuves pour élaj'crune grossière erreur , et il ne faut pas dire que l'hébreu conserve dans les mots dérivés une significalion qui s'accorde avec l'ara- be; ce serait un préjugé mal fondé , comme nous le verrons bicnlôt , et quand cela serait vrai en partie , il ne s'ensuivrait pas que la signification primitive du mot, fut celle que'lui at- tribuent nos adversaires.

Venons aux mots qui, dérivés de lamêmeracine, ont tousia même signification. D'abord les Hébreux en dérivent le mot DiVJ AOtJLAlM, qui signifie/cmscac/ie, on inconnu, c'est-à-dire un tems très-éloigné du tems présent; d'où siècle, éternité. Comme ici les langiies de la même famille , savoir: le chaldéen, le syriaque, le samaritain, l'éthiopien et le persan, offrent une déduction analogue, ainsi qu'on \a\ovt à?Li\?,\e. dictionnaire àe\a Polyglotte Ag Wallon; qu'il en est de même de la langue rabbinique, selon letémoignage deBuxtorf; on en tire une preuve irrécusable pour confirmer la signification attribuée à la racine hébraïque. Je ferai observer eu passant, ce qui n'a, je crois, été observé par aucun aviteur, que telle a été proprement la signification primi- tive du mot dont il s'agit, puisqu'il est le seul les dialectes qui ont de l'affinité s'accordent unanimement avec l'hébreu; surtout la racine éthiopienne ou abyssinienne qui signifie ater- narit. Il me semble que celles qu'on retrouve dans le chaldéen elle syriaque, ont pu eu découlera savoir : roboravit, adolevit ; mais le samaritain a formé ccrnivit de l'hébreu latitavit. Quant à la racine arabe Us qui signifie scivit. cognovit ; elle se dit , il

me semble, par antiphrase et par cuphonisme. On en voit des

Cavencliim est, ne vocibus quarum cerla est significalio qua;ranUir notioncs ex dialectis. hdrod. in .'iOr. \' . F.

368 APOLOGIE DE ST. JEROME.

exemples analogues dans l'opuscule de Rannius de vocaùulorum Er^antiosemia ; cela résulte évidemment des autres dialecles et des noms dérivés qui s'accordent de nouveau avec l'hébreu : ceci soit dit, non pour infirmer , mais pour confirmer l'accep- tion énoncée pins haut.

L'autre racine arabe Js> ne contredit nullement le sens donné au mot hébreu; car elle signifie proprement l'état de l'adolescence et ses effets. J'admets volontiers que l'hébreu a ce sens dans le mot en question, sans toutefois exclure les autres acceptions qu'il ofiVe constamment ainsi que je l'ai démontré.

De la même source, c'est-à-dire du verbe qV^ vient le nom masculin obi? qui signifie sans nul doute un adolescent non marié qui ne sort pas encore de la maison, puer uni cœlibem, qui n'a pas contracté d'union , vivant encore dans le secret de la vie privée , qui enfin ne s'est pas encore révélé au dehors par des actes virils, ainsi que tous le reconnaissent d'après Buxtorf; signification en parfaite harmonie avec les expressions analogues arabe, chaldaïque, samaritaine, syriaque, enfin rendue pleinement évidente par l'emploi constant de ce mot dans les Ecritures.

Du nom masculin se forme par l'addition de la lettre n finale, le féminin qui est celui que nous éludions; ce qu'a ex- pliqué assez bien Rabbi Rimclii par niSy ou nabpj, c'est-à- dire celata, abscondita. Car la signification d'un mot au masculin se reproduit exactement au féminin selon la logique grammati- cale. Le premier exprime liors l'état de mariage, extra conjugium; donc le second le signifie également. Ainsi le mot HQ .y se rap- porte évidemment à Cage, mais encore plus spécialement à l'état de la ftmme , et il exprima virtuellement une vierge vivant dans la solitude, ■/.5<T«x).ê'.'7-ov -/.xl xTzoy.ovoov, inclusam, conclusam, en- close, enfermée, c'est-à-dire qui n'a pas encore paru en public, qui n'a jamais paru aux yeux des hommes, qui est non-seulement chaste de corps , mais encore est entourée de mystère et vit dans une parfaite pureté, qui, séparée de la société des hommes est gardée par ses parens avec sollicitude , ainsi que l'explique S. Jérôme. Il n'y a pas lieu de s'étonner (jue le mot qui signifie vierge indique aussi \c jeune âge. Chez les Hébreux , les jeunes filles étaient les seules non-mariées, leur âge devant les sous- traire encore à la loi du mariage, de sorte que , comme le re-

EXPLICATION DU MOT VIERGE EN HÉBREU. 369

marque St. Jérôme dans rEcriture ces noms : paella, adolescent tula niyj s'entendent toujours d'une vierge n nD^ '• Puis enfin les Latins eux-mêmes donnaient ce nom de vierge aux filles à la fleur de Tài^e, ainsi que l'observe Isidore ^ et les Allemands disent aussi Jiingfraa, c'est-à-dire, Juvenis-fimina. Joignez à ce témoignage l'autorité d'un dialecte : dans la langue punique qui, selon St. Jérôme, était dérivée de l'hébreu, une vierge élait nommée Aima ^, et il ajoute (\\\Alma, eu latin, s'emploie pour Sancia et Virgo. Je rappelle aussi l'opinion de Martorelli ', qui pense que le grec «.jx\'j.ot. a la même origine; de sorte que par quelque vue mystérieuse de la Providence, la pureté virginale de la mère du Rédempteur se trouverait ainsi exprimée par le concert de toutes les langues.

Je pourrais parler aussi de cet instrument de musique des hébreux , appelé m^/y ALMOUTH qui tire son nom de notre mot nD*7y, On l'appelait ainsi parce que les vierges seules s'en servaient ou parce que, selon une autre opinion, il rendait un son qui ressemblait à la voix des jeunes filles; comme les La- tins avaient les Tibiœ puclla(oriœ, et les Grecs leurs «v).oi -aoOs^jioi. On peut consulter à ce sujet les Acta erudUorum publiés à Leipsig.

Les Hébreux dérivent aussi du mot qui nous occupe les mots Q'mSy et noSyn- Le premier signifie la Virginité au propre ou au figuré, en désignant cette époque de l'âge qui est encore cachée, occulta, abscondita, telle qu'est l'enfance. Le second si- gnifie aussi ce qui est secret, secretum, arcanum ; en dehors de ces significations de la racine Qi'j, nos adversaires en cherchent vainement d'autres dans les Ecritures.

Celte signification la plus exacte du mot n.tD/y. non-seule- ment se déduit avec rectitude et correspond au terme primitif, mais se trouve corroborée de quantité de ternies accessoires que je vais indiquer rapidement. Ainsi les Juifs appelaient les

' Comment, sur Isale, 1. c.

' Voir la Genèse, 34, 12; Deutéronom. 25, 2.^; Bois, i. 3.

^ Dans son Etymolo-gicon , livre xi, chap. 2.

* Propriè virgo aima appeliatur (Jer. lieu cite).

5 De tliecà calamarià.

ToMixvii. N' joi. i838 a4

370 APOLOGIE DE ST. lÉROME,

vierges occidlœ du verbe occuUare, parce qu'elles él aient soi- gneusement retenues à nntérieur, dans la demeure des parcns, elles étaient soustraites aux regards des jeunes gens de l'au- tre sexe, soit que Tàge le plus tendre dût être consacrt^ aux soins de leur éducalion , ou que les lois de la pudeur ei de la décence ne perml6S*nt pas qu'elles parussent en publiiï. « Les «anciens, dit Huct ', avaient grand soin de retenir dins l'in- stérieur ies eni'ans et les jeunes gens; ils redoublaient de sur- »veiliance pour les jeunes filles dont l'approche était interdite »à tous les hommes. »

Le savant évéque d'Avranches, ainsi que Saubert, Grotius et Gasaubon, prouvent cette coutume par une fovile d'exemples et de traits empruntés à l'Histoire Sainte et à l'histoire des nations. Car ce n'était pas seulement chez les Juifs, mais clicz les Grecs, les Bomains et les autres naîions civilisées que les vierges étaient renfermées dans des habitations séparées, que lefi Hébreux et les Arabes nomment pQ"lK APiMOL'N, conclave tirginum, les- Grecs 7rao6£vevp«75c ( cellœ virginales). C'était la partie la pins secrète du gjnécée. C'est de que les Grecs appelèrent otviovpoL et les Latins Domisedœ ou Casariœ les jeunes filles qui y vivaient renfermées. De aussi celte épi- thète de y.K-ar'AcKj-Bt ou c.-oy.p-jmoi constamment donnée chez les Grecs aux Vierges sages, qui exprime très-bien le sens de notre mot hébreu. Les Grecs teur donnaient aussi le nom de 6a.\«u.zvou.tvxi . in thatamis eclucatce, comme ayant été élevées dans l'appartement de levus parens. Les Latins , comme l'observe Huet% appelaient la jeune fille qui garde la mai- son et les pénates , 5/ o-nafam, c'esl-à- dire caduc, enclose, ren- fermée, et en quelque sorle scellée. Le Thargiim clialdéen ex- prime par une périphrase le mot hébreu rtJlî (ZOUNE), 5cor- tum : sa circonlocution Î41D 71p33 signiGe précisément se produisant au dehors ^, par opposition à l'état de solitude et de réclusion ordinaire aux vierges. 11 serait superflu d'ajouter à toutes les preuves (fue tant de savans ont recueillies; je ne puis

» Démonstr. Evangél. prop. nt , chap. 9. » Démonstr. Eva.igél. prop. ix, chap. 9. 3 Genea. xxxiv, 31 .

EXPLICATION nu MOT VIERGE EN HEBREU. 371

toutefois quitter ce sr.jot sans tirer quelques conclusions nsul- taut de l'analogie de la lancfue. On a souvent recherché la raison étymologique du mol hébreu 77iy AOULL qui signifie l'âge de fcnfancc; mais peut-être ne l'a-t-on pas encore trouvée : elle me semble en effet ne se retrouver que dans la racine du

dialecte éthiopien (JuLi. qui signifie // sépara; or un enfant, puer, se diten hébreu 77iy, p:irce qu'il était renfermé dansla maison paternelle ou dans le gynécée. De même, les Hébreux appellent une vierge nSin3 BETHOULE, mot dont on ne trouve point l'étymologie dans la langue sainte. Mais elle s'est conservée dans le syriaque elle dialecte arabe J^, // sépara, segregavit; une vierge est caractérisée en ce qu'elle est tenue à l'écart, scgre- gala, de toute société des hommes. Ces remarques jettent un nouveau jour sur le génie et le sens du mot hébreu nQ7>, tel que j'ai cherché à l'établir.

On pevit enfin ajouter que ce mot ne s'emploie que pour les seules n'cr^e,s, par opposition à l'état et à la condition àc^ femmes mariées; car il faut donner attention à cette simplicité propre à la langue hébraïque d'exprimer les idées opposées par les mots opposés. Ainsi, pour exemple, du verbe 'CT, ZaKoR (il se souvint) recordaias est , est venu le nom de D^13~ ZaRoRIM , les mâles; par contre, selon Buxtorf, le nom de la femme n^w: TSuCIilM a eu pour radical "1" KuCHE oblilus est, {il oublia). De même , de la racine T»S AOUR, lucescere, clm^escere , est dérivé le nom qui signifie l'intelligence , la connaissance; tandis que le mot "wH HESCHK , obscuratus, obtencbratus esl^ a fourni, selon AYiner (lex. heb.) le nom de l'ignorance. Ainsi pour revenir à notrecxpression, il existe une belle antithèse entre r\D^'J ALME, virgo abscondita ou autrement non cognita , et nyp: NOL DAE , nom de la femme, muUer cognita viro. De même que l'état opposé à la virginité est rendu par les mots qui signifient connaissance et révélation , la virginité est parfaitement désignée par le mot contraire. Si ensuite nous considérons cette locution souvent reproduite dans l'Ecriture pour désigner une femme après son union avec l'homme , cognita, l'on comprend pourquoi le nom qui signifie abscondita, est dérivé du verbe qui affirme l'opposi- tion à la clarté cl à la manifestation ; il se trouve ainsi appro-

372 APOLOf.ir. DE ST. jérome.

prié à la notion des vierges encloses , selon la coutame hé- braïque, et non connues des hommes. Car l'union des deux sexes est chastement exprimée par le verbe nbj GHiLE, revelavit; et pour exprimer non cognosci rira , la Bible se sert du verbe abscondi i; ainsi celles dont la pudeur était restée intacte étaient parfaitement appelées par les Hébreux, riloSy ALMOUTH, absconditœ. De vient que cette phrase erat ou non erat cognita viro est rendue par la Vulgafe d'une façon plus simple et plus claire '. Marie, en s'adrcssant à l'ange, se sert d'une expression semblable : virum non cognosco , c'est-à-dire virgo abscondita sum ; ce qui se disait en hébreu : noSy >JN '. En effet , la langue sainte, comme l'observe Maimonide, n'a point de mots pour exprimer une chose ou une action déshonnête. C'est pourquoi saint Paul dit aux Ephésiens ( v. 5), «Qu'on n'en- » tende pas même parler parmi vous de fornications , ni «de quelque impureté que ce soit..., comme il convient à des saints *. » Ce qui a donné occasion de dire : la langue hébraïque qui exprime les choses obscènes par des |mots chastes, mérite bien d'être nommée la langue sainte. Enfin les écrivains grecs et romains eux-mêmes emploient souvent celte façon déparier figurée. Yous en rencontrez des exemples dans Horace , César, Plutarque , Catulle , Jamblique, Justin , Ovide , Ménandre et autres qui ont quelquefois voulu exprimer sous un voile chaste, une chose déshonnête; aussi saint Jérôme a-t-il eu raison dédire, selon l'idiome de la langue hébraïque, « celle qui est cocliée est ^essentiellement vierge ^ »

Quelques auteurs docnent une autre origine à cette expres- sion qui, selon eux, ferait allusion à une coutume des orien- taux opposée à celle des R omains eux-mêmes. Chez les premiers,

' On trouve dans \aPlidoi gie Sacrée de Salomon Glassius, publiée par Dalh , plusieurs exemples qui prouvent que des adverbes de négation joints à ua verbe, s'emploient pour affirmer le contraire avec plus de force.

» Nom. 3f , 18 ; Jug. 21,12. Levit. 21 , 3.

3 Luc 1 , U.

* Fornicatio et immunditia nec nominenlur in vobis, sicut decet sauctos.

^ » Qnae abscondita est, juxta idioma lioguse hebraicœ , conse(][ueuter »el virgo est.» Lib. quœst. lab. 1. c.

ÏXPLICATION DU MOT VIERGE EN HÉRHEl. 37j

les vierges se couvraient d'un voile ; de les Ilt^broiix les au- raient nommées ^]^D1V ubsconditas , c'est-à-dire voilées.

En résumé , si le mot riDvj; ALiME , ne signifiait pas vierge parfaite , selon l'opinion de saint Jérôme, la langue hébraïque manquerait d'un terme exact pou»- exprimer la virginité , ce qui ne se peut présumer dans la langue sainte. Elle a , il est vrai, «nS?3 INAllE; mais ce mot désigne une jevme fille, puella, vierge ou ayant perdu la virginité ; il indique l'âge , nullement les mœurs. 11 en est de même du mot rnV IL DE, L'hébreu a aussi nSin3 BeTHOULE, mol qui s'emploie pour désigner une vierge; mais il n'a point la signification de HD/'J ALiME , pviisqu'il n'ex- prime pas à la fois la virginité et la jeunesse, et qu'il ne désigne que l'état extérieur du corps: on sait qu'il se dit quelquefois d'une femme qui a vécu avec un homme ou d'une veuve '.Lors- qu'il s'agit des vierges dans les Ecritures , ces différens mots sont employés chacun dans leur acception , pour caractériser avec justesse et précision, comme dans la Gen., xxiv, iG, après CCS mots n"1i?J et n 71713» on lit de plus et vir non cognovit eam ; comme si ces mots ne donnaient pas une notion'assez expresse de la virginité de celle dont il est parlé; de même dans le iéri- tique XXI, 5 ; les juges xxi , I2, et ailleurs; tandis que notre mot ne se voit nulle part accompagné d'une pareille piirase, possé- dant ce sens complet en lui-même. Ainsi l'unique terme par lequel la langue hébraïque désigne la virginité dans l'adoles- cence, dans une acception exacte et précise, est notre mot nûSjJ. Voilà pourquoi Isaïe , par une prévoyance de l'Esprit-Saint , s'est servi de ce terme, de préférence à tout autre, dans sa ce» lèbre prophétie. L'usage constant et avéré de la langue hé- braïque, l'analogie des dialectes issus de cette langue, la force intrinsèque, l'origine et l'acceplion de ce mot, attestées par la coutume antique et rendue évidente par l'examen des mois qui expriment un état opposé, tout concourt à justifier l'opinion de saint Jérôme.

On peut corroborer encore cette opinion en rappelant l'assen- timent que lui ont donné les plus savans hommes des siècles

t * Voir Joe/, i, S; on pourrait y ajoiifer Dcuiéron. xxii , 19 ; Eiéchiei xxm ) 3 , 8.

olU APOLOGIE DE ST. JÉHOME.

passés et la sanction de plusieurs conciles œucuméniqiies. On pourrait citer Celse, Luther, Calvin et Mahomet lui-même, qui, en abandonnant la foi de leurs pères et en devenant ses ennemis, ont cependant, ou passé sous silence, ou défendu ouvertement celle croyance. Ou sait d'ailleurs, etGasp. Unterkircher l'a fait valoir avec force contre les prolestans ', on sait quelle autorité obtient ce qu'on appelle l'analogie de la fvi dans l'interprétation'dcs Ecritures saintes. Je pourrais citer contre la nouvelle opinion le sentiment des théologiens proteslans les plus érudits des iC" et 17e siècles. Je pourrais arguer contre le senlimeiit de la nation juive, du concert unanime de leurs anciens qui, sur l'endroit cité d'isaïe , ont cru généralement qu'un Dieu Sauveur, Deas camp devait naître d'une Vierge, de sorte que celle opinion se trouvait répandue même chez les autres nations ^.

PiCvenons à l'autorité des Septante, que l'on ne peut accuser sur ce point de préjugé ou de zèle partial. Leur version a été composée bien des siècles avant que cette question n'ait été soulevée. Dans cet endroit d'isaïe, si maltraité, les Septante ont traduit TTxpOs-joz- Ceux qui, ainsi que Tryphon, rejettent cette version, ne méritent pas notre attention, et Justin les a blâmés avec justice, comme des hommes qui s'efTorcent de pcr- verlir les choses consacrées par leur antiquité et un mérite universellement reconnu. Interrogeons l'évangéliste St. Ma- thieu, qu'au moins nul homme de bon sens n'a pensé à rejeter en celte matière; parcourons les plus anciennes versions: quand le mot HQ/y se rencontre dans l'hébreu, nous le voyons traduit par NJIO'^j; mot qui, dans la langue chaldaïque, si- gnifie une jeune vierge, /.'Hf.'/a virgo; mêmes preuvi:s dans la version syriaque et arabe, et je pourrais ajouter à ces témoi- gnages ceux des pîvîs ancieuiies traductions qui aient été faites dans un si grand nombre de langues. Tant de preuves doivent bien être accueillies cantre celte interprélalion judaïque. i>-î

Toutefois quand nous prétendons que le mot ilDTj signifie-

I Herméneutique BiH. partie 1 , à la fin. 'V *"'*£f>l'

» Voyez S. Jérôme contre Jovinien , liv, i, cli. 26, et Huet a démon- tre aussi ce point avec sou talent ordinaire. Demonstr. Eviingcl. prop. 1*, c. IX, s. 4ct(/"tcs/. Alnct. îib. u. c. 15.

EXPLICATION DU MOT VIERGE KN 1|LCP.;:U, 375

une vierge intègre, nous ne contestons pas à ce terme son nuire acception de jeune fille vîy.vjç, adolesccutula, mais nous considérons racceplion de paella abscondila, comme une signi- fication dérivée de l'usage, dans son principe, et reconnue constamment par tous les interprètes comme offrant le sens de virgo. Enfin, il nous est permis de ne pas adopter ce vîKvt^ , qui n'od're qu'une acception incomplète et qui peut s'entendre également d'une jeune fille pure ou ayant perdu la virginité.

ÎSous ne poursuivrons pas l'opinion ridicule de ceux qui prétendent qu'Isaïe n'a parlé en cet endroit du Christ que par allégorie; nous conviendrons qu'il n'y est point ques- tion de lui, s'ils peuvent citer ime femme devenue mère en conservant sa virginité, autre que la Bienheureuse Marie. Avissi csî-il plus sage de se confier à l'autorité universelle el de re- connaître la vérité dans l'opinion de St. Jérôme, corroborée des suffrages de tant de savans hommes. Et c»mme le dit lui- même ce saint docteur, dans ses reproches ai-.x Juifs ' : « En » voyant cet assentiment du monde entier, les démons eox- B mêmes devraient croire que le Fils de Dieu est de la Vierge » Marie. »

L'abbé YERCELLO^E.

Nous ajouterons à cette dissertation que les Annales ont déjà recueilli de nombreuses traditions cor.servéeschez tous les peu- ples sur une femme-vierge qui devait enfanter le Libérateur des nations. Voir les écrivains profanes cités dans le tome vu , page io5; de plus, les Traditions Druidiques, p, 1 1^ et ov.^, et en particulier les Traditions Chinoises , tome xiv, p. 203.

^ Livre II , contre Rufm , nnni. i. Toto credente jani roundo piilo tjuod et dœmones contiteantur Filiam Dci aalum de Maria Yirgiae.

376 PLAN d'un cours d'histoire

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ŒUVRES PHILOSOPHIQUES

DE M. LE PRÉSIDENT RIAMBOURG;

Publiées par MM. Thomas Foisset et l'abbé S. Foisset , anciea supérieur de séminaire.

Plan d'études historiques pour une maison d'éducation.

Il n'est pas un des lecteurs des Annales qui ne connaisse M. Riambourg, qui ne se souvienne des articles si remarquables qu'il nous a fournis, et qui n'ait regretté que la mort soit venue le surprendre au moment môme il travaillait à com- pléter les travaux qu'ils avait commencés sur les traditions chinoises. Lorsque dans ce journal nous lui payâmes dans une notice très-courte un juste tribut d'hommage et de reconnais- sance, nous formâmes le voeu de voir tous ses écrits, épars dans divers recueils, ou inédits encore, et restés en portefeuille, réunis dans un ensemble complet; bien assurés que tous les amis des bonnes doctrines religieuses, philosophiques et littéraires, se- raient jaloux de les posséder dans leur bibliothèque. Notre vœu vient d'être réalisé : deux hommes de science etdefoi, MM. Fois- set frères, amis de M. Riambourg, liéritiers de ses manuscrits, ont coordonné , annoté et édité tout ce que Al. Riambourg a écrit, et c'est cette édition que nous venons annoncer ici.

Avec un homme tel que M. Riambourg, la lâche d'un cri- tique est très-facile. 11 n'y a pas de meilleure manière de le louer que de citer ses travaux: c'est ce que nous allons faire , d'abord ; mais comme plusieurs de ces travaux ont été insérés déjà dans notre recueil , après en avoir sommairement exposé le litre, nous citerons en entier un travail inédit que M. Riam- bourg avait préparé sous le titre de Plan d'un cours tCHistoire

POUR UN PETIT SÉMINAIRE. S77

pour un petit séminaire. Nous sommes assurés que les nombreux professeurs d'établissemens ecclésiastiques ot laïques qui reçoi- vent notre journal, liront avec fruit un semblable travail. L'é- tude de l'histoire nous paraît en effet l'objet le plus essentiel et le plus important de l'éducation actuelle» soit cléricale, soit laïque. C'est qu'est notre force et aussi notre vie ; et à ce sujet qu'il nous soit permis de nous étonner que dans quelques élablissemens ecclésiastiques, cette étude soit mise au-dessous de celle des sciences physiques et matlié7natiques. C'est une grande erreur. Loin de nous de vouloir ralentir le zèle et l'ardeur que manifeste pour la science la portion la plus élevée et la plus instruite du clergé; mais il ne faudrait pas que ce zèle et cette ardeur tournassent en curiosité et en amusement.

Ce que nous avons de plus cher et de plus précieux, notre religion, notre foi, nous viennent par tradition. Dieu en nous créant, en nous rachetant, nous a donné des enseignemens et des préceptes, que notre intelligence doit croire et notre vo- lonté pratiquer. Tout cela, confié à nos pères, a être trans- mis de main en main à leurs descendans. Obscurcies, égarées dans leur course parmi les nations, conservées avec intégrité dans le peuple fidèle, transmises à l'Eglise, c'est sous la conduite de cette dernière que nous devons travailler à connaître le plus que nous pourrons de ces divines paroles, étudier leur diffusion sur la terre, l'influence qu'elles y ont exercée, la vie qu'elles ont répandue partout. Voilà pourquoi l'étude de l'histoire sera toujours la plus nécessaire, la plus utile; voilà pourquoi elle entre pour une si grande part dans les travaux des Annales.

Donnons d'abord l'indication des travaux qui remplissent les trois volumes que nous annonçons.

Le !"■ volume s'ouvre par une vie de M. Riambourg , par M. Th. Foisset : c'est celle qui a été insérée dans le tome xu de nos Annales, sauf quelques additions et quelques changemeus.

Puis vient une Introduction générale, les éditeurs résument très-bien quelle était la pensée et quel était le but de M. Riam- bourg. Tous ses travaux, qu'il a laissés imparfaits, se résument dans ces trois propositions : la religion chrétienne est possible, elle est probable, elle est prouKcc. C'est pussi d'après cette pensée que

378 PLAN d'un cours d'histoire

les éditeurs ont classé les matières qui entrent dans ces vo- lumes.

Le premier ouvrage est Vécole fVJthhus - c'était dans l'idée de l'auteur un chapitre d'une vastiè (encyclopédie des philoso- plries et des religions, qu'iî vovdait examiner et mettre en face dt; christianismie. Elle se compose de trois parties, le prologue , le dialogue et Vepilogue ; dans le dialogue sont exposées avec jus- tesse et clarté les difréreiit< s opinions des philosophes grecs sur les grandes questions religieuses qui ont toujours agité le monde. Dans le prologue et dans Vépilogue, l'auteur compare ces opinions avec les croyances chrétiennes, et en faitressortir l'in- suCQsance et le vide.

Sous le titr 3 à^école de Paris viennent ensuite différentes dis- sertations que M. Riambourg avait insérées dans différens journaux de pi-ovince et de Paris, tels que le Provincial de Di- jon , le Correspondant de Paris, et il réfutait svicccssive- mcnt MM. Jouffroy, Cousin, Royer-Collard, Daaiiron, le Globe. -Il y traite successivement de Véclecticme, de V école écossaise et de Y école progressive ou saint-simonie une '.

Dans le 2' volume on trouve des mélanges de philosophie chrétienne : ils comprennent, i" le problême insoluble sur l'ef- fort de l'esprit humain de conserver la croyance de Dieu, tout en éliminant les mystères », a" faut-il s''étonner qu^il y ait des mystères '"? 5* De la certitude, à propos du système de M. de La Men- nais. Esquisse d'un cours de philosophie chrétienn^e inséré dans nos Annales, tome xi. 5" Du Livré d'instruction morale et reli- gieuse par M. Cousin, inséré dans nos Annales , tome ix. Un chapitre de l'Apocalypse commenté par M. Victor Cousin, extrait du Correspondant, i85i. 7" Théorie nouvelle sur C histoire , dirigée contre les prétentions de quelques historiens modernes de faire de l'histoire d priori, insérée dans wo^ Annales, tom. vu.

Sous le titre de Fragmens on lit ensuite , plan cf histoire pour U7i petit séminaire , dont nous insérons ici la première partie. Quelques idées générales sur le beau, et le goût.

» Gazelle de Bourgogne de 1 832.

' Extrait du recueil de l'Académie de Dijon , 1826.

^ Idem, 1827.

4 Lu à l'Acadcmie de Dijon en iSiZ.

POUR UN PETIT SÉMINAIRE. S79

Le 5* volume s'ouvre par riniporlant ouvrage intitulé : Rationalisme et tradition, dont les Annain ont rciulu compte dans le tome x, et dont elles ont cité la conclusion en forme d'a- nalyse, par M. Riambourg, dans le tome ix.

Traditions chinoises rapproclices des traditions bibliques, insé- rées d'abord dans les tomes xu et xiu de nos Annales.

5" Traditions Scandinaves rapproclices des traditions bibliques^ que nos lecteurs retrouveront dans notre tome x. ^nccn».

4" Enfin, pour conclusion, on lit un article intitulé : de ta direction d donner à la polémique chrétiejuie, insî^ré dans ïUniversîté catholique.

Le volume est terminé par une table des maiicres bien faite, attention qu'il faut louer dans les éditeurs, à cause des secours^ qu'offrent ces sortes de tables pour l'étude et pour les recherches.

Voici maintenant le programme d\\n cours d'éludé pour un petit séminaire, telles que les entendait M. Fiiambourg ;^nous y ajouterons quelques remarques; et pour la commodité "de nos lecteurs, nous aurons soin de rappeler les volumes des Annales sont cités la plupart des documens que M. Riaaâbourg re- commande à l'attention des élèves et des professeurs *.

PLAN D'UN COURS D'IîlSTOlEE

POUR UN PETIT SÉMINAIRE. ' 'if{

« La pensée de comprendre au nombre des études qu'on siiit'au petit séminaire , celle de l'histoire, est sous tous les points de vue saine et juste '.

' Cet article sera le complément de ceux qui ont été publiés clans les Annales par M. l'abbé Foisset, sous le litre de i'Ê(/«ca/(t>H cléricale. Obser- vations préliminaires, t. II, p, 233, ui.3S8,iv, 68. Plan sommaire et générai d'études pour un petit séminaire, p. 432. Etude classique des Pères, ^. 453. Ces articlesonl été reproduits par M, Foisset, en partie dans un journal ;^ant pour titre le Correspondant des Ecoles Catholiques , lequel a cessé de paraître. Nous avons protitJ des nou'. elles indications qui v sont données.

* Nous prions le kricur de ne pas perdre de v ne que M. lUambourg tra- çait ce plan d'étude il y a sept ou huit ans. —S. F.

380 PLAN D'UN COURS Ï>'hISTOIRE

Il est toujours entré dans les principes d'une bonne éducation de mettre la jeunesse sur la voie des traditions historiques, et aujourd'hui plus que jamais , il est important de tourner ses regards vers les traditions du premier âge ; car c'est désormais sur ce terrain , vu le discrédit dans lequel les théories d priori tombent , que les grandes discussions s'établissent. Un jeune homme qui sortirait du petit séminaire sans être pourvu suffi- samment de connaissances historiques, n'entendrait plus rien à tout ce qui se dit et s'écrit présentement '.

On ne peut donc qu'applaudir au projet que Monseigneur a manifesté de donner à l'étude de l'histoire dans son petit sémi- naire, une extension qui soit en rapport avec les besoins de l'é- poque.

Mais dans l'exécution de ce plan , il ne faut pas perdre de vue :

Que se sont des enfans et non pas des hommes faits qu'on initie à la science historique.

Que ces mêmes enfans ont d'autres éludes à suivre qui ne doivent pas souffrir de la concurrence de ce nouveau travail.

Sous ce double rapport il me paraît convenable de ne pas entreprendre pendant le cours des études au petit séminaire, d'arriver jusqu'à la philosophie de l'histoire. L'esprit des jeunes élèves n'est point assez fort pour concevoir et saisir un système historique; d'ailleurs ce système, comme ils n'ont pas assez de données pour en faire eux-mêmes la critique, serait accepté par eux de confiance; et plus tard , il serait abandonné légèrement et échangé facilement contre un autre qui leur semblerait plus spécieux, quand la parole du maître aurait à leurs yeux perdu son autorité.

Ces systèmes aujourd'hui abondent , et pour celui qui n'a pas un bon fonds de connaissances historiques , il est difficile de distinguer est le vrai.

Au lieu donc de préoccuper l'esprit des jeunes élèves de tel ou tel système historique , il me semble qu'il est bien mieux qu'on les mette à même de les juger tous d'après une règle qui

' Voir dans les Ânnala ., tome xn , p. 360, un excellent article de M. Laurenlie, sur l'utiHlc et le progrès des éludes historiques.

POUB UN PETIT SÉMINAIRE. 381

ne peut pas tromper, c'est-à-dire d'après la réalité et l'ensemble des faits.

Ainsi , il importe que leur mémoire soit bien assurée sur les laits, qu'ils en connaissent l'ensemble et la suite; en sorte que sur ces différens points on ne puisse leur l'aire^illusion.

Il ne faut pas imaginer toutefois de donner aux études histo- riques du petit séminaire nn trop grand développement ; l'es- prit des enfans s'embarrasserait, le tems d'ailleurs manquerait.

Les faits saillans de l'histoire développés suffisamment pour laisser trace , les époques bien précisées, les lieux indiqués et reconnus sur la carte à mesure que les événemens se déroulent; voilà à quoi il faut s'attacher principalement.

J'approuve donc l'usage des extraits historiques pour former les jeunes élèves à recevoir les premiers rudimens de la science, et de tous ces extraits , c'est à ceux du Père Loriquet que je donnerais la préférence '.

J'indiquerai tout-à- l'heure la manière dont je désirerais que l'on en fît usage.

Mais auparavant je dois vous prévenir que bien que je re- pousse l'idée de systématiser l'histoire dans renseignement qu'on suivra au petit séminaire, je n'enlends pas exclure par une instruction solide et forte; car je désirerais au contraire que les élèves en sortant de la maison , après avoir fait leur rétho- rique, fussent tellement affermis sur les points fondamentaux de la science historique, que tous les paradoxes et les menson-

» Ces abrégés, désignés par A. M. D. G., plus courts et plus clairs que la plupart des Précis publiés plus tard par des professeurs de l'Université, ont le mérite incontestable, tout imparfaits qu'ils soient, de s'apprendre avec facilité. Nous avons respecter les indications de M. Riambourg : toutefois nous recammanderons pour l'histoire sainte, celle de M. l'abbé Didon ; pour l'histoire ancienne , l'abi-égé récemment publié par M. Le- franc; pour l'histoire romaine et celle des empereurs les Cahiers de M. Edouard Dumont; et pour le moyen-âge le Précis de M. Lefranc on les Cahiers de Casimir Gaillardin , ainsi que le Manuel que publie présentement 'M..Moëller , professeur de l'université catholique de Louvaîn.— S. Foissef.

Il faut y ajouter un excellent ouvrage de M. de saint Félix, intitulé: Précis de Chistçire des peuples anciens, 3 \ ni, à Pétris, chez Le\ rault , 1 858.

582 PLAX d'un cours d'histoire

ges de l'école vollairienne el de toutes celles que le même es- prit dirige, ne fussent pas capables de les ébranler.

Mais ce n'est pas de prime-abord qu'on peut espérer de les amener là; et ce n'est à vrai dire que dans la dernière année de leurs études classiques , qu'ils seront mis en possession des connaissances qui leur serviront d'anlidote pendant tout le ceursde leur vie , contre les doctrines fausses qu'on voudrait appuyer sur l'iiisloire.

Aussi les fonctions du professeur d'histoire, que je suppose devoir être un homme intelligent et laborieux, se réduiraient suivant moi, au cours de l'année correspondant à la rhétori- que : de cette manière , toute son atîenliou se concentrerait sur le travail important qui serait le complément des études historiques. Non-seulement je raffrancliirais de toute coopé- ration aux études étrangères à l'histoire , mais je voudrais en outre qu'il n'eût point à s'occuper des premiers rudimens de cette science et qu'il ne fût mis en rapport qu'avec les élèves de la rhétorique , occupé lui-même sans cesse du soin de per- fectionner l'enseignement qu'il serait chargé de leur donner.

D'après cela , voici comment je distribuerais pour les élèves el les maîtres, les études et l'enseignement de l'iiistoire.

ES SEPTIÈME.

Les enfans apprendront par cœur le Traité par demandes et par réponses, ayant pour titre Histoire sainte.

ES SIXIÈME.

Le Traité rédigé dans la même forme, intitulé Histoire ecclé- siastique.

EN CINQUIÈME.

Les enfans apprendront encore par cœur l'Extrait de l'if/V-

ioire ancienne.

EN QUATRIÈME.

L'Extrait de V Histoire romaine.

Tous ces petits trailésdu Père Loriquct étant peu volumineux, pourront être appris par cœur , sans que la mémoire des en- fans soit surchargée. Le professeur pourra d'aillcius , par des explications données verbalement, étendre le texte.

POUR UN PETIT SEMINAIRE. 383

EN TROISIEME.

L'enseignement de riiistôire qni portera sur nos propres an- nales, prendra une autre forme. L'élèVC ne doit plus apprendre par cœur, mais il doit élrc en élal de rendre des événemens consignés dans l'Extrait de Vlilsiûire de France un compte salis- laisant ; le professeur ensuite étendra par des explications la partie de l'Extrait sur laquelle les élèves auront se préparer; à la leçon suivante, chacun des élèves donnera sa composition ([iii résumera ^Extrait et les explications données.

EN SECONDE.

Wémc exercice que l'année précédente.

C/'est pendant le cours de ces deux années, que l'Histoire de France passera sous les yeux des élèves. L'étude en sera divisée en deux parties : la première, dont les jeunes gens qui sont en troisième s'occuperont, sera conduite depuis le commencement de la monarchie jusqu'à la dernière croisade , c'est-à-dire jus- qu'à la mort de gaint Louis ; la seconde , depuis la mort de saint Louis jusqu'à l'année 1800.

Les élèves de troisième et de seconde suivront toujours les abrégés historiques du Père Lori(}uet , mais les professeurs de ces deux classes, pour les explications à donner, auront à con- sulter quelques ouvrages la matière est plus étendue.

Ainsi jusqu'à Charlemagne ils pourront se servir utilement " des Annales du moyen-âge , par M. Frantln ; pour la seconde race * et la troisième jusqu'à Henri IV, de V histoire de France du Pire Daniel ; pour Henri IV, de V histoire que Pérèfixe a donnée de son règne; pour Louis XIIÎ, du Pcre Griffet , mais en le par- covu-ant seulement; pour Louis XIV, dvi Siècle de Louis XIV, pur Voltaire ; en le lisant avec précaution; pour Louis XV, de La- cretcllc , pour la révolution française , du même, sans adopter aveuglément sesjugcmens '. Ces désignations, au surplus, sont

' Nous recommanderoDS encore, pour le xi" siècle, Vhistoire du pape Grégoire VII , traduite de l'allemand de Voigt, par M. l'abbé J.^gcr (2 in-30, 1817) "; pour l'époijue des croisades, Vhistoire de M. ]\Uchaud\f

" Voir les Annales, t. xv, p. 288 cl xu , p. 1 72.

384 PLAN d'un cours d'histoire

celles qui me viennent à l'esprit présentement. Si les profes- seurs chargés de cette partie de l'enseignement ont quelques auteurs plus recommanJables à substituer à ceux que je viens de nommer, ils feront bien d'en faire usage.

Jusqu'ici les jeunes gens n'ont reçu l'instruction historique que du professeur chargé de leur enseigner en même tems le grec et le lalin , mais eu rhétorique ils passent sous la direction du professeur chargé spécialement de leur donner des idées plus étendues sur la matière et de les prémunir contre les doc- trines qui tendraient à fausser l'histoire. De ce moment l'ensei- gnement prend un haut caractère; c'est une histoire universelle assise sur des fondemens solides, dont ils doivent en quittant l'établissement , emporter l'idée et recevoir l'impression , de telle sorte qu'en supposant même en eux l'affaiblissement mo- mentané de la foi, cette impression soit ineffaçable. Ici je n'ai

pour la longue période des guerres de l'Angleterre contre la France et pour le règne si important de Louis XI , M. de Barante , hist. des ducs de Bourgogne ; pour Charles YIII , la brillante Monographie de M. le Comte Philippe de Ségur ; pour Louis XII , le travail de M. Rœderer ; pour Fran- çois I, V histoire de Charles-Quint , par Robcrlson ; pour les guerres de religion, M. Capefigue ( histoire de la réforme , de la ligue et du régne de Henri JV^ 8 vol. in-b°); pour Louis XIII et Louis XIV, les rapides compi- lations du même écrivain , sont enregistrés nombre de faits curieux et peu connus. Ces travaux di\ ers ne font pas tous autorité au même de- gré ; mais le bon esprit des professeurs, hommes de foi et hommes desens, leur fera démêler sans effort ce qui peut manquer à chacun de ces histo- riens. MM. Thierry, Michclet », Guizot, ont publié sur V histoire de France des livres fort remarquables , mais , dans les deux premiers surtout , le vrai et le faux y sont mêlés avec un talent tel que l'accès de leurs ouvra- ges n'est pas sans danger pour quiconque n'y serait pas préparé par de fortes études préliminaires. S. F.

ï Nous ajouterons à cetlelisle, pour le ^^° siècle, V histoire d* InnocentUl , par Hurter, traduite par M. de Saint-Cheron ("3 vol. in-8o, 1838) , dont nous avons rendu compte, tom. xvi , p. 278 , ^ f i, et V histoire de la pa- pauté pendant les 1 eM 7= siècles , de Ranke , (i vol. in-S", 1 838), dont nous avons rendu compte . tom. xvii , p. S/iO. A. B.

= Les Annales ont analysé Vhistoire de France, de M. Michelct, dans les tomes IX, X et xr.

POUR UN PETIT SÉMINAIRE. 885

plus de guide à suivre et je suis obligé de tracer moi-même un plan ; car l'excellent discours deBossuetne peut pas mêle four- nir tel que je le conçois.

L'enseignement reçu par les élèves n'a porté jusqu'à présent que sur des histoires particulières et délacliées. C'est l'ensemble qu'il faut embrasser maintenant, C'est l'histoire universelle à tracer,

C'est l'histoire du genre humain à faire, en la considérant parliculièrement sous son aspect moral.

Il faut la prendre à son origine, Il faut la conduire jusqu'aujourd'hui. Pour peu qu'on remonte, on trouve bien des difficultés. C'est déjà une grande affaire^ même pour les siècles qui ne sont pas très-éloîgnôs de nous , que de concilier les historiens, et de faire accorder les dates.

Que sera-ce donc pour les tems l'histoire n'était point écrite ?

Car il fut un tems les souvenirs historiques étaient con- fiés à la mémoire seulement , les événemens principaux n'é- taient constatés que par des monumens.

Il y a des nations, on pourrait citer les nations Celtiques, par exemple, qui n'ont jamais eu d'autre mode de transmission que la parole.

Les traditions primitives, de même que les grands trails de leur histoire particulière étaient conservés dans des hymnes sa- crés qui se transmettaient seulement dans la classe sacerdotale. Maisles nations civilisées ont pris soin de fixer leurs traditions. Elles ont d'abord employé l'écriture symbolique qui peignait sous différens emblèmes les choses elles-mêmes et les idées. Les Chinois en sont encore '. Ensuite on a représenté la parole En se servant de l'écriture symbolique, Les monumens égyptiens en font foi. Grâce au découvertes de M. Champollion, La chose est constatée. Enfin l'écriture ordinaire a remplacé l'écriture symbolique '.

» Sur Vécriiure de» Chinois , voir Annales vil, Ail , xii, 137. a Sur Yieriture symbolique des Egyptiens et sur les travaux de Cham- ToME XVII. N" 101» ilJ38. 25

386 PLAN d'un cours d'histoire

les premiers livres qui oui été écrits , ce sont les livres sacrés. On y trouvait confondus avec l'histoire des tems primilifs, Les principes de la religion, de la morale , de la législation. C'est qu'en effet ces principes ne sont eux-naêmes que des tra- ditions.

Plus tard,

L'histoire s'est séparée de la religion.

Les peuples ont eu leun annales .

Qui voudrait s'en tenir à ces dernières, en partant du point

elles commencent à avoir de la certitude et de la suite, ne

remonterait pas bien haut.

M . Rlaproth , dans un ouvrage très-estimé qui a paru depuis peu {Jsia Polyglotta), a essaj'é de fixer pour l'Asie les diverses époques auxquelles les annales des peuples de cette contrée ont acquis une certitude historique •.

Voici le résultat de ses savantes recherches :

Chinois , Q" siècle avant J.-C.

Japonais, 7' siècle id.

Géorgiens, siècle id.

Arméniens, 2' siècle id.

Tibétains, 1" siècle depuis J.-C.

Persans, 5' siècle id.

Arabes , 5' siècle id.

Indous et Mongols, 12° siècle , id. M. Rlaproth n'a pas étendu aux peuples d'Occident son tra- vail ; mais s'il l'eût fait, à coup sûr il n'eût point accordé l'a- vantage sur les Chinois, ni aux Grecs, ni aux lîomains, qui sont les seuls qui puissent présenter des annales, pour les tems antérieurs à l'ère chrétienne.

Les Romains partaient de la fondation de Rome (8' siècle

avant J.-C.J*

Chez les Grecs, les tems historiques ne pouvaient, d'après Varron, partir que de Tère des Olympiades 776 ans avant J-C).

pollion, \oir Annales, v. 185, 11, i22, 1, i2, m, U8. Voir en outre \'al~ phabet Egyptien hiéroglyphique et démotique , tome 11, pag. i30.

» Les Jnnales ont pubUé le Iravail entier de M. KJaprolk dans le tome lY, pas. loi.

POUR UN PETIT SÉMlSAinR. 387

C'est une queslion de savoir si les Fgyplicns avaient, dans les Jems anciens, d'antres annales hisîoriques que ics hiéro- glyphes inscrits sur les monumens publics. Cette question est résolue négativement par M. Cuvicr dans son discours sur (a théorie de la terre ^ servant d'introduction aux recherches sur les ossemens fossiles ".

Il pense aussi que les Perses et les Chaldéens en manquaient. Dans tous les cas, leurs annales ne sont pas venues jusqu'à nous.

Si l'on dépasse les limites de l'histoire certaine pour les peu- ples que nous venons d'indiquer , on entre dans un système de traditions on il n'y a plus rien de suivi.

Quelques faits saillans seulement se détachent. En avançant toujours. On ne trouve plus que des fables. Par delà, c'est une espèce de chaos. Mais il est un peuple dont riiistoire remonte par un fil con- tinu jusqu'à la création du premier homme.

C'est une suite de faits qui se lient, De générations qui se succèdent. C'est l'histoire de l'humanité, A partir de son origine , Jusqu'au siècle d'Auguste. Elle est nourrie de détails. Purgée de toute extravagance monstrueuse. On conçoit très-bien que nous voulons parler de l'histoire des Hébreux.

File est écrite en prose. Ce qui est particulier pour les tems antérieurs à Cyrus. Il serait difficile de faire une distinction dans cette histoire, entre l'histoire certaine et riii:5t<iire incertaine.

D'un bout à l'autre elle est vraisemblable, D'un bout à l'autre elle est vraie. A partir du 1 5" siècle, les annales du peuple Juif ont été écrites par des auteurs contemporains.

> Ce beau discours de M.Cuvier a e'té inscre'en eutier dans le* JnnaUs, t.], .^77,11, 35, lu, 1G8, 282. ' Ibid.

58S PLAN d'un colrs d'histoire

Le fil esl bien suivi, Les faits très-distincts; L'ne foule de détails se groupent à l'entour : Il n'y a que très-peu de difficulté pour la chronologie. L'histoire antérieure qui n'appartient plus au peuple Juif, Mais qui est bien plutôt l'histoire de l'humanité, Se trouve consignée dans le Pentateuque, le livre sacré des Hébreux.

C'est Moïse qui l'a rédigé •. Il a commencé de l'écrire après sa sortie d'Egypte (1491 a"* avant J.-C).

Pour la partie historique , Il aura été guidé parla tradition , Ou bien il aura suivi d'anciens mémoires. Ce livre non-seulement raconte l'histoire de l'homme; Mais en outre il décrit la création.

ISous pourrions comparer ici La cosmogonie de Moïse, Avec celles qui ont eu cours chez les peuples de l'antiquité. D'un côté se serait un tableau qui se déroule magnifiquement; De l'autre un assemblage monstrueux '.

Nous ferions intervenir la science humaine qui reconnaît de nos jours que le fluide de la lumière et les astres sont distincts , pour démontrer que Moïse n'a rien dit qui ne fût exact, quand il fait créer la lumièreavant les astres destinésà la mettre en action'. D'un autre côté la géologie viendrait nous prêter son secours pour constater que la création a été successive , marquée par des époques bien distinctes, et s'est faite dans l'ordre que la Ge- nèse indique [Discours de M. Cuvier déjà cité ^).

» M. Cuvier n'hésite point à le reconnaître. M. Charles Lenormant à fait le même aveu dans son cours récent fait à la Faculté des lettres de Paris, et qui a e'té publié celte année même (1837 »). L'érudition Alle- mande l'a également proclamé de nos jours (Voir r/usfotVe universelle de l'antiquité de Schlosser. ) S. F.

' Hist. universelle àes Anglais: Introduction.

3 Cette question est traitée dans les Annales, t. i, 37i, v. i05. Voir encore x, 1 25.

4 Nous avons inséré dans les Annales , les principaux travaux géologi-

« Les Annales ont inséré la partie la plus essentielle de ce cours dans le t. xni, p. 50. Voir également la dissertation de Janssens sur inéine 4ujct,t, v, 30^4, 370.

POUR L.>- PETIT SÊMINVIRC. 389

Mais nouis ne devons pas perdre de vue que nous devons nous renfermer dans les limites de l'histoire.

Or, en considérant le Pentateuque comme un simple monu- ment historique,

Mettant de côté son caractère délivre divinement inspiré.

C'est un monument infmiment respectable ;

Il est en tout supérieur aux monumens du même genre que présentent quelques autres nations.

Car ily a d'autres livres sacrés,

Et les auteurs de ces livres ont essayé de remonter à l'origine première.

Le Zend-avesta ', les Védas " , les Ring *, l'Edda ^, le livre de Lao-Tseu % le Coran ^

ques de Cinior. de Deluc , d'André de Gy fie P. Chrvsologue). Voh' les tomes 1 , II, m , iv , et l'article géologie à la table générale des f -2 premiers volumes.

' Nous avons parlé du Zend-'avesla et des iraJitious des Perses dans les tomes II , IV, xif.

' Sur ks Fedas et sur la religion et les Iradilionsnes Imlotts . \oic :Jeur antiquité jugée par Cuvier, i, 386. Leurs libres, leurs traditions , d'a- près la Société asiatique de Calcutta, n. 50. Leurs déluges, ib., 215. Leurs diffdrens systèmes philosophiques, par M. Cypiien Robert, ^08 , Jii. 81, IV. 218, 289. Examen de leur astronomie, par Cuvier^ 17i, iv. i5. Quelques-uns de leurs zodiaques comparés et expliqués, vn , ii9. Unité de Dieu, trouvée dans les Vedas par le brahme P.am-Mohun-Rov, IX, i22. Extrait des lois de Manou sur la Création , xu , 53.

' Les Annales ont recueilli tout ce qu'il y avait de remarf[uahle dans les Kings, dans les articles snr les CItinois. N'oir dans la table générale les mois Chinois, Confiicius,elc.,et principalement les articles de >L Riam- l.ourg sur les traditions climoises mises en rapport avec celles de la Bible , tome XII ; les travaux si importaus de M. de Para\ey sur les zodiaqu.cs chinois et sur leur histoire , iv , su , xvi , etc., et enfin les articles esl analysé l'ouvrage du P.Fremare, intitulé : Choix de qmlques vestiges des principaux dogmes chrétiens , relrouucs dans les anciens livres chinois , xv,

XM , XVII.

4 Les Annales ont cité fort au long Tes traditions conservées dans V Edda dans les articles ayant pour titre : Truditions et Mythologie du iSonl, tv. 1'j3. VEdda : les traditions Scandinaves mises en rappoit acte les Iradilioni 6(6/<</«fs, par ^L Riamhourg, X , 117,267.

' Elles ont analysé le l'vre de L-io-tseu dans les articles : vie et opinions de Lao-tseu , par Ahel Remusat , iv, 168. Traditions chinoises comparées aux traditions bibliques, par ^î. Riambourg, xii, 2i:6,

6 Elles ont analysé le Coran oans l'article : histoire et exposition de la foi musulmane , çav yi Eug. I^ore , xn,321.

390 PLAN D'tiN COURS D'hISTOIUE

Il faut écarter d'abord les trois derniers '. Comparaison des trois premiers avec le Pentatenque. Pourles caractères extrinsèqueSjlePentateuque est supérieur: Pour les caractères intrinsèques, il est éminemment au-des- sus .

Ain^i le même livre que le chrétien reçoit avec la soumission qui est due à la divine parole écrite, est placé d'autre part au- dessus de tous les monumens historiques des premiers tems par une critique judicieuse,

Comme étant le plus ancien , Comme étant le plus authentique , Comme éîant le seul qui supporte rexamcn. Que nous dit ce livre ? Tous les hommes sont frères , Ils sont tous issus d'un seul couple. Les destinées de l'humanité étaient grandes. Roi sur la terre , Ayant l'empire sur tout ce qui a vie, Revêtu de l'immortalité , L'homme aurait vécu dans l'innocence et la paix. Il en a été ainsi d'abord. Dans l'innocence, vie heureuse. Plus tard, infraction à la loi de Dieu ; Ses suites, mort, souffrance, désordre. L'état actuel des choses vient à l'appui de cette tradition. Contrariétés dans la nature » Contradictions dans l'homme : L'ordre actuel inexplicable, si l'on n'admet pas que l'horamo est déchu \

Le genre humain se multiplie.

Longue vie des premiers hommes.

Race de Seth.

Race de Gain.

Mélange des deux races.

Les géants, êtres puissans, audacieux, malfaisans .

> Voir au tomeiu. Rationalisme et Tradition, I" partie.

» Id , ibid,

' Voir les Pensées de Passai, c'dilion de M. Frantip.

POUR UN PETIT S^MIMAIRE. 391

Les hommes se pervertissent entièrement. ,,1

La terre est couverte de crimes; .^,\) r,y,;.

Déluge universel. ig

La race humaine éteinte, A l'exception de Noé et de ses enfans. Il est resté des vestiges dans les fables du paganisme de ces faits de l'histoire primitive.

Le genre humain issu d'un seul couple. Age d'or. Infraction et malheur à la suite. Puis en tête de toutes les traditions Des hommes extraordinaires, A formes gigantesques , Qui vivent des siècles , Méchans et psrvers ordinairement. Mais le fait historique qui a laissé dans les annales des an- ciens peuples la trace la plus profonde, C'est le déluge. Les circonstances mêmes, quoique altérées, ont Jaissé leur empreinte.

Le tems même se rapporte. Le synchronisme des quatre grands déluges des Chinois, des Indiens, des Mexicains, des Juifs peut s'établir; et M. Cuvier, si compétent en celte matière, l'a constaté d'une manière in- contestable '.

* Les Annales oût donné sur le déluge les documens les plus corapltts <jue l'on puisse trouver dans la science actuelle , l'extrait du Discours sur les révolutions de la surface du globe et sur les cliangemens quelles ont produit dans le régne animal, par INI. le bar. Cua ier, i, 377, et t. li y p. 55; et, déplus, sa dissertation sur le déluge de Deucalionetd^Ogygés , t. v, p. 46, ce célèbre géologue prouve, par l'élat actuel de la terre et par lessyn- chronismes de la chronologie, que le déluge a réellement existé. Un travail de la Société asiatique de Calcutta qui prouve que les livres indiens en par- lent dans des termes semblables à ceux de la Bible , u , 57. Les souvenirs qui en restent chez les Chinois et les Indiens, 2f5. En Arménie et aa Tibet, par Klaproth, 216. Pour la partie géologique, eWes ont cité on ana- lysé les dissertations de Cuvier, de Deluc, d'André de Gy (le P. Chryso-< logue) dans les volumes 1 , II , m, iv, v. Enfin quant aux monumens

392 PLAN I>'UN COURS Ï)'h1STÔIRE

Dans le dernier siècle on a fait des objections : Avec des raisonnemens on a heurté de front cette tradition générale ;

Tout cela dans le seul but de contredire la Genèse.

Dans le nombre de ces objections ,

Il en est de si misérables ,

De si minutieuses et de si futiles,

Qu'il ne faut pas s'y arrêter.

Il en est d'autres qn'il faut examiner.

A en croire la Genèse, Tous les hommes seraient issus de Noé. Mais les Nègres ? Mais les Américains? On ne met plus en doute que les Nègres ne soient delà même race que les blancs.

Le climat seul fait la différence >. On fait tous les jours des découvertes qui amènent à consla~ ter la fraternité des habitans du nouveau monde avec ceux de l'ancien *.

curieux qui nous en restent , elles ont reproduit , les deux médailles dites cCApamée , Mil f 1i6; les quatre e'poques ou bouleversemens de la nature conservées dans les traditions des Aztèques, x , 50, Monu- ment hiéroglyphique rappelant le souvenir du déluge universel et de la dispersion des peuples, conservé au Mexique , planche demi-in-folio, xv, iiL7 . ^'Différens objets trouvés dans un vase, et ayant rapport au déluge, xvn,p. 46. Concordance des traditions des différens peuples du moude sur le déluge et sur les six générations qui l'ont précédé , par M. Bon- netty , xni, 107. Identité du déluge d'Yao et de celui de la Bible , ou le patriarche Noé retrouvé dans l'empereur chinois Ti-ko , par M. le chev. de Paravey, xv, 380, xvj, 115.

Le Annales ont éclairci longuement cette question en citant les tra- vaux de Leibnitz, Linné, Bnft'on, Kant, Ilunter, Zimmermann , Mei- ners , Klugel, Virey , Blummembach , dans les tomes ni , v, ix , xir, xv. Elles ont donné en particulier comme monumens à l'appui les portraits êtes cinq principales variations de l'espèce humaine, la (.aucasienne , la Mon- gole, l'Ethiopienne, l' Américaine, et la Malaie , tom. ix , p. 4i8 , et les figwes servant à faire connaître l'angle facial de Camper, et celle de la configuration des crânes de Blummembach , xv, 120.

^ Les Annales sont le premier journal qui ait laitseatir l'importance que

POUR WS* PETIT SÉMINAIRE. 393

L'Amériqwe septentrionale du côté de l'est Tient au Groenland. Par ce point elle est très-rapprocliée de l'Europe. Du côté de l'ouest elle est très-voisine de l'Asie. Elle n'en est séparée que par le détroit de Berhing, Qui n'a pas vingt lieues de largeur '.

Ainsi l'Amérique était accessible aux hommes du nord de l'Europe ,

Aux hommes du nord de l'Asie. Bien des circonstances d'ailleurs démontrent qu'elle a été a- bordée au centre par des Asiatiques et même par des Européens, avant Colomb '.

Il" Mais l'époque assignée pour le déluge est trop récente.

Avant que d'examiner cette objection

Il importe de fixer la date que la Genèse donne au déluge.

Ici se présente une difficulté : Texte hébreu. Texte Samaritain. Version des Septante. Exacte conformité des trois textes par rapport Aux faits,

pouvaient avoir pour la religion les de'couvcrtes récenles faites en Ame'- rique. C'est aussi dans leurs colonnes que l'ou trou\era réunis les plus anciens docuraens sur cette importante question. A oir en particulier, L mémoires de M. Maltebrun sur les antiquités améiicainesj tom, i et ii. La plupart des travaux de M. de Humboldl , dans les tom. ii , ui , iv, vu, IX, xr, XII.

On peut voir dans les Annales de philosophie chrétienne (t. iv, etsq.), les identités nombreuses que -M. de îiumboldt a signalées entre les tradi- tions religieuses de l'ancien monde et celles de Toltèques des Tlastaltèques et même des Péruviens. Six des signes du zodiaque des Mandchoux se retrouvent dans le zodiaque mexicain. Niebiihr est frappé de la confor- mité du cycle séculaire des Etrusques a^ec celui des anciens Aztèques, dont l'almanach, dit-il , était pour l'usage civil , le plus parfait qui ait été employé avant le calandrier grégorien. Th. F.

Voir le troisième voyage de Cook. A ce double itinéraire des pre- mières colonies américaines, nous pouvons ajouter l'Océanieetses innom- brables archipels. Ainsi ce monde éteint que nous appelons le nouveau monde se rattache â l'ancien par mille endroits. S. F.

Voir deux preuves de ce fait dans les t. xti, 315 etxwr, 7 7 ^ies Jnnales.

i^^, PLAN d'un cours D'uISTOIRE

Aux dogmes, A la morale. Ils diffèrent seulement par rapport à la chronologie des pre- miers âges.

On doit être peu élonné de cette dissemblance

Pour des tems aussi anciens. Quand les autres peuples n'avaient que des fables et point de chronologie.

Qui ne serait au contraire tenté d'admirer la concordance sur tout le reste,

Quand on considère que le Samaritain et l'Hébreu, Depuis près de trois mille ans, marchent séparément; Et qu'étant confiés depuis lors à des sectes opposées. Ils présentent cependant les mêmes faits. Les mêmes dogmes, La même morale? Rapprochement des trois textes par rapport aux deux pre- miers âges.

La durée du premier âge qui s'arrête au déluge, est:

De i656 (texte Hébreu). De i5o7( texte Samaritain). De 2262 (version des Septante). La dernière du second âge qui s'arrête à la vocation d'Abra- ham , est :

De 427 ans (texte Hébreu). De 1077 (texte Samaritain). De 1207 (version des Septante '). 11 y a beaucoup desavans qui croient devoir préférer la chro- nologie du Pcntateuque Samaritain.

Dans l'usage ordinaire,

Sans rejeter les autres textes,

L'Eglise catholique se sert de l'Hébreu.

Au surplus , quel que soit ]e parti qu'on adopte, le récit de

Bloïse ne peut être entamé par la seconde objection.

Notre monde n'est point ancien.

* Iliit. universelle des Anglais, liv. 1, ch. I et 2.

POtR IN PETIT SÉMINAIRE. 395

Preuves physiques de la uouveaulé de l'état actuel du conti- nent ».

Preuves historiques du même fait *. L'antiquité de certains peuples est fabuleuse *. Le Zodiaque de Dendérah est récent *,

Le déluge est un fait inconlestable. L'époque assignée par la Genèse, Est à l'abri d'une critique importante. Ce sont des points que la science se charge elle-même d'éta- blir, indépendamment de l'autorité de la révélation.

RlAMBOrUG.

» Discours de !\I. Cuvier , cité en entier dans les Annales, t. ir , ni.

» Jbid.

3 Ibid.

* Annales de pliil. chrét., t. iv, 39; vin, 117. Les /^nna^es ont édaîrci à fond la question de l'antiquité des zodiaques en publiant sur cette ma- tière les travaux de IM. Cuvier, tom. i , ni, iv, vu ; de Delambre , iv ; de M. de Paravey, iv , v , vit. Elles ont donné comme monument la figure du Zodiaque de Dendérah , tom. vu , p. 80.

396 NOUVELLES ET UELANOES.

Xi0tivdU$ (t fHv'fan^ci.

EUROPE.

FRAIVCE. BAYEUX. Lettre pastorale de MgrCévêque de Bayeuts sur le besoin d'études plus fortes pour le Jeune clergé. Fondation d!un cours de haute philosophie au petit séminaire de Sommervieu. Cette lettre datée du 9 octobre a été lue au prône dans toutes les églises du diocèse le jour de la Toussaint. Nous nous faisons un plaisiret un devoir d'eu publier Icx- trait suivant :

«Jusqu'à présent, les vides du sanctuaire ne permettaient guère do songer à ces utiles projets déjà heureusement exécutés dans plusieurs diocèses de France, avec l'applaudissement et le concours de tous les hommes vraiment religieux ; il fallait avant tout pourvoir aux besoins les plus pressans. Mais aujourd hui que le nombre des prêtres se trouve à peu près suffisant, nous pouvons sans inconvénient prolonger les études de nos jeunes lévites , et ne les admettre aux saints ordres qu'après des travaux qui leur assurent des connaissances plus étendues et plus appro- fondies.

«Enhardi parles vœux que nous ont manifestés les personnes les plus éclairées, tant parmi le clergé que parmi les fidèles de notre diocèse ; encouragé par les offrandes de quelques mains généreuses, nous avons cru , de l'avis unanime de nos digues conseillers, pouvoir fonder à Som- mervieu un cours de haute philosophie qui prolongeât celui qu'on suit dans les petits séminaires , et préparât plus directement les élèves aux sciences ihéologiques. Gel établissement, nous l'avonsdéj^ commencé avec l'agrément du gouvernement, et nous nous proposons de le conliuuor. Mais pour approprier à l'usage auquel nous le destinons, les l'âlimens déjà construits, pour en élever quelques autres Joui la uécessilc est évi- demment reconnue, nous avons besoin du concours de voire générosité; et c'est avec une entière confiance que nous venons aujourd'hui le sol- liciter.

Nous n'ignorons pas les nombreux sacrifices que vous faites chaque année pour entretenir nos petits séminaires, sans lesquels le sacerdoce serait bientôt anéanti, parce que sans eux il ne pourrait se perpétuer; et nous saisissons avec empressement celle occasion de vous en lémoi- gner notre reconaaissance. Eh bien! c'est sur cette même charité que nous nons appuyons; c'est sur votre zèle à soutenir les petits séminaires

NOUVELLES ET MELANGES. 397

que nous fondons nos espc'-ranccs pour rciablisscmcnt de Sommervicu. Oui, gént^reux bienfaiteurs des pelils séminaires, tocs voudrez nous ai- der à achever un établissement qui va en devenir le complément indis- pensable , parce qu'il est destiné à rendre les éludes sacerdotales plus profondes et plus miillipliéos , en mettant les élèves sortis des pelils sémi- naires à même déludier plus long-tems les sciences malliémaliques et naturelles, de se perfectionner surtout dans cette philosophie toute chrétienne qui leur fournira des armes pour combattre ces vains systè- mes qu'on voudrait substituer aux inébranlables vérités de noire sainte religion. »

Le prélat recommande de la manière la plus pressante cette œuvre à la prévoyance et à la charité de ses diocésains. Les aumônes seront re- mises aux curés qui les transmettront à l'éïêché. {Ami de la Religion^.

PARIS. Médailles et moninnens bactriens arrivés à Paris. Le gé- néral Court , français d'origine, chargé de la direction de l'artillerie dans les armées du roi de Lahore, s'occupe depuis plusieurs années, avec une louable persévérance, de recueillir tous les objets d'art qui se ren- contrent dans ces contrées lointaines et si peu connues.

Dans l'une des fouilles entreprises par les ordres du général Court, oa a découvert un tombeau qui renfermait quelques objets duce haute antiquité.

Une partie de la pierre de grès qui fermait ce tombeau, et sur laquelle étaient gravés des caractères bactriens inconnus, a été transportée à Pa- ris, Dans ce tombeau se trouvait : une boite en bronze, fermée par un couvercle du même métal. Dans celte boîte, autour de laquelle étaient disposées circulairement plusieurs médailles, on en trouva une seconde eu argent dont il ne restait que des fragmens ; elle élail entourée de sept médailles romaines consulaires et impériales également en argent. Celte seconde boîte en contenait une dernière en or de la dimension d'une pe- tite montre. Dans la boîte d'or, se trouvaient quelques perles et de petites médailles en or, au type baclricn, d'une conservation parfaite.

Au moment de l'ouverture , ces divers objets étaient plongés dans une pâte liquide qui s'est complètement desséchée au contact de l'air.

Ces objets d'art sont du reste indépendans de la riche collection nu- niismaliq'ie confiée par le général Court à son ami , et composée de qua- tre à cinq cent médailles diverses. C'est un événement pour le monde savant que l'arrivée de ce monument liisloriquc, soumis en ce moment à M. le ministre de l'instruction publique, qui a provoqué un rappoit pour constater l'importance de cette grande collection destinée à enrichir la Bibliothèque royale. On doit savoir gré au gcaéral Court d'avoir réserve

398 NOt'VELLES ET MELANGES.

pour la France ces auliquités que l'Anglolerre fait rccLercLer partout avec laut de soins et de dépenses.

La coIlectioQ comprend : des médailles d'Aleiandre-le-Grand ; 20 des rois connus delà Bactriane Eulhydème; des rois Indo-Scjles* 4" des médailles incertaines de la Ba'^t.-iane ; 5" des médailles indiennes ; des rois Parles Arsacides ; des rois Perses Sassanides ; 8* des mé- dailles impériales romaines ; 9* euCu des monnaies arabes, persannes et îndiennnes.

iBiKii^^ra^^k

ANXAU DELTESC1E\ZE RELU.IOSE compilali dall ab. AuL deLuca; à Piome , via délie convcrlile al Corso u" 20. i3 paoli pour six mois,

N" 21. Novembre et décembre.

I. XII« conférence de Mgr. Wiseman sur l'union de la science avec la religion révélée. Conclusion.

II. Règles pour Ic.^ élèves du séminaire de Farfa , publiées par S. Êm. le cardinal L. Lambruscliiui. Règles de civililé et de bonne conduite parle même. OEuïres Spirituelles, du même.

III. Sur 11 s prœlectiones tlieologicce du P. Jean Péronne, de la société de Jésus, par G. Rresthi.

IV. Sur la vie de Grégoire VU , par M. Vidaillan.

(Excellente réfutalion de celle compilation indigeste et déclamatoire.)

V. De la coï^mogoiiie de Moyse , comparée ani faits géologiques, par M. M.irceldc Serres. Arlicle de M. l'abbé Flottes.

(C'est h traduction de l'article que nous avons inséré dans le 98 des Annales, ci-des<us , p. i58).

Appendice. Allocution prononcée par Noire Saint-Père le Pape dans le cousisloire secret du i3 septembre dernier. Analyse des séances de l'académie catholique de Rome. Nécrologies de M. Sylvestre de Sacy. Du professeur Moeliler. Du chanoine Louis Wagner. Du cha- noine Brokmanu. Bibliographie de l'Italie, de la France, etc. \OY AGE AÉRIEN (IcJié aus jeunes étudians ; un petit volume În-12.

Chez Gaume fiàres , rue du l'ol-de-lcr-St. Sulpice . n" 5 , à Paris.

Ou fait beaucoup de livres en France, beaucoup trop assurément, et cependant ou se plaint d'en manquer pour certaines classes de lecteurs , comme seraient les eufans par exemple. C'est que satisfaire à toutes les conditions nécesssaires dans un ouvrage destiné à cet âge, est une chose rare, est un genre de niénte auquel bien peu d'auteuis peuvent attein- dre, quoique les esprits superficiels s'imaginent que rien u'cst plus aisé que de faire des histoires aus eufans.

Celle difficulté nous pareil vaincue dans un petit livre qui nous sur- vient du fond d'un de nos départemens de l'ouest. Son auteur, homme estimabit qui sacrifia à de respectables scrupules des fyuctioas de magis—

BIBLIOGRAPHIE. S99

trature qail remplissait dans une Tille importante, n'a pas cra déro- ger en se dévouant à cet'e espèce de sacerdoce que revêt tout homme qai se dévoue à l'éducation des enfans.

Sou petil livre réveille une partie dis merveilles de la [gracieuse féerie qui berça noire enfance; ce n'est rien moins qu'un voyage «d/vVn. Enlen- dei-vous bien, eulaus, un voyage aérien avec tous ses accideus, toutes les aventures qui peuvent se rencontrer en pareille proujcuade? Ou se rajipclle cpie notre aimable Fénelon a fait aussi voyai^cr à travers les airs ses jeunes lecleurs : mais son voyage à l'ile des plaisirs n'est tout entier qu'un badinage le plus frais, le plus riant, tel que pouvait l'écrire aa surplus l'auteur de Téléinaque et A' Aristonons, avec cette plume magique qui laissait des fleurs partout elle passait : mais dans le voyacre aérien dont nous parlons, il y a près de la féerie et de la fielioti qui doivent at- tacber le jeune lecteur, la morale religieuse et chrelienue qui doit l'ia- struire. L'opuscule est en résumé le mot d'Horace qui est d'ailleurs l'épi- graphe du livre delectando pariterque monendo: c'est ce mut catholicisé par M. Revel dans une gracieuse application. Seulement nous reprocherons à l'auteur un peu trop d'admiration pour M. de Lamarliue, si sa jusliS- cation ne se trouvait dans la date même de l'ouvrage; il fjt composé à une époque la chute d'un ange n'était pas encore venue aiDiger la re- ligion el la morale; le poète des méditations et des harmonies n'av.iit point encore failli de celle chute scandaleuse que Jocelyn et quelques lignes du voyage en or/enf pouvaient malheureusen)ent faire pressentir. Nous en- gageons l'auteur du voyage aérien à modilier quelque chose à cet é'^ard dans la nouvelleéditiou qu'il nous donnera sans doute ; nous l'engaceous à persévérer dans cet amour de l'enfance, qui reçoit de lui des leçons aussi pures que gracieuses; il aura bien mérité de la religion et de la société. J.

LE JAnDl\ DES RACINES ALLE.^ANDES, mises en vers français, par

M. Ch. Nicolas, professeur à Nancy.

On s'est demandé plus d'une fuis pourquoi la langue française est gé- uéralemenl connue et pailée daus les classes un peu élevées de l'Allema- gne » taudis que rallemanJ est presque ignoré dans toute l étendue de notre territoire. Aujourd'hui que l'élude des langues vivanles est obli<Ta- loire pour les élèves de nos collèges, il n'est peut être pas inoppurtua d'agiter la même question. Prétendre trouver la soluliou du problème daus la différence des caractères naliouaux , ce serait tomber dans une erreur grave et décourageaule. Le fait doit s'expliquer par la nalure même de cet idiome, dont la moindre difficulté résulte de sa construction , et qui, daus son caraclère tout homogène , entièrement différent des lan- gues uéolaljues , présente avec autant d'acceptions particulières une mul- titude d'expressions composées. Cette considération ne permet point de douter que la counai?sance des ujols allemands soit eslrêmemenl difficile Jt actiuérir, el il n'y a pas lieu d être étonné qus les uns n'osent aborder une telle difficulté, et que les autres cèdent au découragement après de longs el pénibles efforts.

Ou saura donc gréa M. Ch. Nicolas , professeur à Nancy, d'avoir cher- chéa simplifier une étude si ardue, en appliquant à la langue allemande la méthode ingénieuse qui a si puissamment contribué aux progrès des études grecques. Mais ne s'est point boruée sa lâche , le Jardin des racines ai-

400 BIBLIOGRAPHIE.

lemandeSf fruit de huit années de travaux consciencieux , n'est pas scn!e- meut une nomenclature des radicaux mis en vers français, c'est, si l'on peut s'exprimer ainsi, la langue tout entière géucralisée : au système de la déclinaison dont son ouvrage est précédé, se trouvent jointes des rè- gles complètes sur la dérivation et la composition: de sorte que de la connaissance d'un noœbre assez limité d expressions simples rendues faciles par le rhythme, on arrive naturellement à celles de tous les mots qui en sont formés.

Parmi les modifications utiles que notre auteur a apportées dans le plan tracé par Laucelot , il en est une surtout dont on m: saurait méconnaître la haute importance : c'est un moyen mnémotechnique propre à faciliter l'élude jusqu'aujourd'hui si ingrate du genre d(;s substantifs allemands. Ce moyen qui tient à la coutexture du vers, est tel qu'il est impossible à l'étudiant d'apprendre la signification d'uu nom sans en connaître en même temps le genre.

L'auteur n'a pas seulement travaillé pour les élèves : l'homme instruit lui-même ne dédaignera pas de consulter les notes savantes dont l'ou- vrage est enrichi, et les explications étymologiques qu'il y trouvera res- serrées dans un cadre fort étroit, pourront lui épargner de longues et laborieuses recherches.

M. Charles JNicolas, disons-le enfin, a rendu un service signalé à la science ; il a surtout bien mérité des élèves qui, se trouvant dans l'alter- native d'apprendre l'anglais ou l'allemand , se sont déterminés pour l'i- diome de nos voisins d'outre-Rhin ; et si nos |iiévisions ne nous (rompent pas, son livre, destiné à populariser en France la langue allemande, aura dans peu rempli cette importante mission.

RÉrLEXIONS SUR LV CHUTE DE M. L'ABBÉ DE LA MEN9JAIS, par M. l'abbé Gerbct, vol. in-S" ; au bureau des Annales : prix 4 f""» ^^ 4 fr. 5o par la poste. Kous rendrons compte dans le prochain de ce volume qui est tout-

à-fail de circonstance.

LETTRES A UN CURÉ SUR L'ÉDUCATION DU PEUPLE, par M. Laa- rcntie , ancien inspecteur-général des études ; i vol. in-S", prix : i fr. Soc. Cher. Lagny frères, librairis, rue Bourbon-le-Cbateau , n" i. Le livre que nous annonçons aujourd'hui est le complément de conx que l'auteur a déjà pidiliés sous les titres de Lettres à un fère sur Cédu- calion de son fils, et Leltres à une mère sur Véducation de sa fille, ouvrages dont nous avons rnulu compte fort au long dans nos Annales (tomes I, page 299, xiit , page oyp). Dans cette nouvelle production , M. Lauren- tie traite eu maître de cette matière si délicate ri si défigurée parles pas- sions anii-religieuscs et anti-monarchiques, Céducation du peuple. Mais M. Laurentie a examiné la qui^stion avec les lumières que fournit le christianisme, et avec ce secours on ne court pas risque s'égarer. Que tons les curés, que toutes les |iersonnes qui ont à cœur de renouveler la société et de l'asseoir sur ses véritables bases, lisent donc ces lettres;i\s y verront comment on peut en même tems être sincère ami du peuple sans être révolulionaairc, et sincère ami de l'ordre et de l'Eglise sans cesser d'être dévoué à la partie souffrante et malheureuse de I^umanité.

ANNALES '''

DE PHILOSOPHIE CHRETIENNE.

Tîf>uiMéio 1 02. 5 1 CDecemuxc 1 858.

A\^^^AV\v4*av^%vi^^v*,vvvvvit-v^vv\'\^vvv\v\a\^ax*v/vv\^\Aavvl\vvx\A'V\vvvvvv^*vvvvvv\%vvvM^vv^

^tc^eo^if fîiOCt((nc.

LE LIVRE DE LA VISION D'ElNOGH.

Dans notre premier article ', après avoir donné une notice sur ce livre d'après M. de Sacy, et avoir exposé comment il avait été retrouvé en Abyssinic, nous avons publié la traduction des premiers cliapitres d'après la traduction latine de M. de Sacy; mais en même tems nous avons annoncé qu'une traduction complète de tout l'ouvrage avait été publiée il y a quelques années en anglais par M. Laurence, et nous avons promis de faire connaître cette traduction. Notre ami et collaborateur, M. Daniélo, a bien voulu se charger de tenir cette promesse en traduisant de l'anglais la fin du livre d'Enoch. C'est ce travail que nous donnons ici.

Considérations préliminaires sur la mention qui y est faite des personaes de la Trinité. Comparaison avec la cabale et les doctrines indien- nes. — Vision d'Enoch; le Jugement et le Châtiment des méchans. Sé- jour des anges et des âmes. Secrets des cieux et de l'univers. Chan- gemens de la lune et des cieux. L'ancien des joui-s et le fils de l'homme. La fontaine de justice. La vallée et les anges du châ- timent. — Le déluge, Repentir de l'ancien des jours. Des saints et des élus, Les anges mesurent la terre. Enlèvement du prophète. —Séjour des aacêtres, des esprits et de la dinni té.— Comparaison avec

» Voirie 1*' artich dans le 99 ci-dessus, page 16t.

ToMBxvu. W 103. i838 26

370 LE LIVRE DE LA VISION d'eNOCH.

les traditions indiennes. —Prière d'Enoch. Marche du soleil , delà luoe , etc. Système astronomique du monde anté-denuvien. Vision de la destruction du monde. Division du lems par semaines. Allu- sion à la venue du Christ et à son Eglise. I.es cieux nouveaux. Ré- cit de la naissance de Noé. Prodiges qui l'accompagnent. Vision du de'Inge. La science per%erse des hommes en fut cause.

Le livre d'Enoch traduit par Laurence contient environ 200 pages in-8". Après avoir lu le travail qui a déjà été inséré dans les Annales et celui que nous publions ici, le public pourra se flatter de le connaître en entier, car nous en mettrons la pres- que totalité ou du moins les passages les plus curieux et les plus imporlans à la portée du lecteur français; quant aux passages que nous omettons, ils sont en petit nombre et peu intéressans : cependant nous en donnons encore un précis et un résumé fidèles. Ainsi, après nous avoir lu, on pourra reconnaître que l'on vient d'acquérir quelques idées, quelques connaissances nouvelles sur les antiquités religieuses et humaines , sur les choses (les tems primitifs et sur les traditions du genre humain.

J'ai lu ce livre, pour mon compte, avec une atlention toute particulière, espérant y trouver des rapports avec les autres livres sacrés de la Judée, de l'Egypte , de la Perse et de l'Inde. Ce n'est pas que mon espoir ait été entièrement rempli, mais il n'a pas été entièrement trompé non plus. Pour ce qui est d'abord des rapports du livre d'Enoch avec ceux des Juifs, j'y ai trouvé un ton, une doctrine, un style même très-ressem- blans et des passages entiers presque identiques. Celle traduc- tion en donnera la preuve, et j'aïu-ai soin d'appeler par des notes l'attention du lecteur sur les ressemblances. Quant aux rapports du livre d'Enoch avec les livres des nations payennes, ils sont moins grands et moins nombreux.

Cependant j'aurai encore occasion d'en faire remarquer quelques-uns au lecteur, et ils seront peut-être assez frappans.

On trouvera dans le livre d'Enoch des allusions claires et fréquentes au Fils de C homme, à !'£/«, c'est-à-dire au Messie, comme on le verra ci-après dans les chap. 45, [\Q, 48 et 5 1 . Dans ces deux passages, comme le dit très-bien Laurence, la prée- xistence du iMessie est déclarée en termes qui n'admettent pas

LE LIVRE DE LA YISION D'E^ÎOCH. 371

l'ombre la plus légère d'ambiguïté '. On peut aussi remarquer que cette préexistence attribuée au Messie est une préexistence divine. « Car, dit Enoch, avant toutes les choses son nom «était invoqué en la présence du Seigneur des Esprils , etc. » Ce n'est pas seulement au Messie qu'Enoch l'ait ainsi al- lusion, mais encore à une autre pcrsoniîe divine ou pouvoir divin. Celte autre personne ou pouvoir divin, Énocli la joint au Messie sous la dénomination de seigneurs : ces seigneurs qui passent pour avoir été ceux qui planaient sur les eaux, c'est-à- dire, selon M. Laurence , sur la masse liquide de la matière in- forme aux premiers lems de la création ». Ce passage, selon Lau- rence, peut être un commentaire sur le récit de la création par Moyse, tout aussi bien que ce qu'Enoch dit ailleurs du fils de l'homme en peut être un sur ce qu'en dit aussi Daniel. Ainsi, ajoute Laurence, nous n'avons pas seulement ici la déclaration d'une pluralité , mais d'une triniié de personnes en Dieu sous la dénomination suprême de Seigneurs ". Deux d'entre ces person- nes, appelées, l'une rElu et l'autre le Pouvoir^ sont repré- sentées comme n'étant pas moins occupées que- le Dieu su- prême, le Seigneur des esprits lui-même, dans le grand œuvre de la formation du monde, et l'on pourrait ajouter qu'une classe d'Anges leur est donnée pour aide et compagnie comme aux agens immédiats de la Création *. Cet argument qui prouve qu'avant la naissance du Christ les Juifs croyaient à la dcclrine de la Trinité, continue Laurence, me paraît beaucoup plus important et plus concluant que celui qui a été si souvent et avec si peu d'avantage , selon moi, déduit des anciens prin- cipes philosophiques de l'ancienne cabale. La philosopliie cabalistique a, je le sais, ^esuziluth ou émanations de la Divi-

Admits not the slightest shade of ambiguily. Laurence prétimlnary Dissertation , p. XLU.

* Areslated to ha^e been on the water that is , as I conceive , ovcr the fluid mass of uuformed matterat the period of création. Idtbid. P. xLni.

' Hère then \ve hâve nor mercly the déclaration of a piuraiitv, buj that is a précise and distinct trinity of persons under the suprême ap- pellation of lords, idtbid. p. xliv.

4 Are represenled as not byengaged ihan the lords of spirits himself ia the formation of the world. idibid.

372 LE LIVRE DE LA VISION d'ëNOCH.

nité ; mais ces émanations ou aziluth , j'en suis convaincu mal- gré la persuasion de plusieurs chrétiens , n'ont jamais été regar- dées par les Juifs eux-mêmes comme des persomines distinctes y mais comme des forces, comme des énergies (^Sacti chez les Hindous) distinctes en la Divinité. Du reste , si l'argument tiré de ces aziluth ou éTnanations a quelque valeur, il prouve plus que ceux qui le soutiennent ne désirent ; car il ne va à rien moins qu'à démontrer que les Juifs croyaient à dix et non à <m,$ émanations personnelles de la Divinité ; car dix est le nom- bre de tes Séphiroth, c'est-à-dire de ces émanations ".

L'imagination est toujours prête à découvrir des ressem- blances où il n'en existe réellement point. Mais un raisonne- ment sobre ne peut cefte» jamais approuver l'effort indiscret qui

» Les Hiadous qui professent aussi la doctrine des e'manations appellent ces émanations ou ces énergies , les Sacti ou \ ertus , forces de la Divinité. Il est remarquable que la doctrine cabalistique admette dix séphiroth ou émanations de ce genre , tandis que l'Inde admet aussi dix avatars prin- cipaux , qui ne sont autre chose que des descentes ou des émanations de la Divinité sous le nom de Vicbnou; les trois premières et principales éma- nations de la Divinité dans l'Inde s'appellent trimourti, ce qui signiBetrotj parties, trois puissances , trois formes. Mais ceux qui trouvent, dit Lau- rence, la doctrinede la Trinité-Chrétienne dans les séphiroth oixémanations de la cabale, la renferment dans les trois premières de ces émanations, ne pre- nant pas garde que toutes les dix sont regardées par les cabalistes comme des émanations ài\ines , et composent l'idée multiple de Dieu, manifestée à nos yeux dans ses œuvres. Avant que la plus grande cause de toutes les causes , que le plus secret des êtres secrets eût créé le monde , avant qu'il eût produit les objets de la connaissance par son intellect , avant qu'il eût produit les formes, il était lui-même , disent -ils , seul, sans figure et sans ressemblance. Mais quand la création commença, son existence ne se pou- vant démontrer que par ses énergies, alors de l'immensité de sa propre essence sortit la première des divines séphiroth ou énumérations des éner- gies divines, communiquant par divers degrés et par un incessant efûuve de la Divinité avec les neuf autres qui, combinées ensemble, nous développent la décuple idée de Dieu. Cependant la même union est suppo- sée exister entre toutes les dix , aussi bien qu'entre les trois premières ou entre les sept dernières , toutes étant considérées comme séparées dans les modifications que l'action leur imprime , mais comnce inséparables dans leur nature.

LE LIVRE DE LA VISION d'bNOCH. 373

tendrait à représenter la vérité chrétienne comme engagée dans le fouillis impur de la cabale judaïque; ce singulier, et pour ceux qui n'en pénètrent que la surface extérieure, ce fasciua- teur système de subtilités allégoriques , a sans doute son côté brillant aussi bien que son côté ténébreux, ses véritables aussi bien que ses fausses allusions; mais au lieu de vouloir grouper sous l'étendard de l'Ecriture ses crevises combinaisons, je suis persuadé que l'on se tromperait beaucoup moins en les rap- portant à l'ancienne philosophie qui a dominé dans l'Orient, d'où elles semblent être originellement sorties , et dont elles sont inséparables comme l'ombre l'est du corps'.

Cependant le passage en question n*est sujet à aucune ob- jection de ce genre : il n'y a rien ici de cabalistique, il n'y a point d'allégorie, mais une pleine et claire, quoique légère allusion à une doctrine, celle de la croyance à la Trinité divine qui, si elle n'avait point fait partie de la croyance populaire de ce tems, eût été inintelligible. On y compte trois Seigneurs ; le Seigneur des Esprits, le Seigneur ïElu et le Seigneur pou- voir ». Les deux derniers sont, aussi bien que le premier, repré- sentés comme Créateurs ; cette énuméralion de trois Créateurs implique évidemment la connaissance de trois personnes, participant à la Divinité par leur pouvoir et leur nom ^. Telle nous paraît donc avoir été la doctrine des Juifs sur la nature

' Je suis entièrement de l'avis de sir Laurence en ce point , et je puis dire que les tloctriaes de la cabale ont 'e plus grand rapport avec celles de l'Inde. Les Brahmanes comprennent Dieu par ses émanations dans l'u- nivers, comme dans la note ci-dessus nous venons de voir la cabale le comprendre et l'cxyliquer , tandis que les doctrines de Moïse et des pro- phètes sont plus pures et pjus simples, li s'y lrou^ c bien aussi quelques rapports très-frappans entre leurs doctrines et celics de "Inde , de la ca- bale et de toute la philosophie orientale en un mot; il est même impossi- ble qu'il n'y en ait pas, puisque les unes sont l'aitération des autres, mais il y en a peu. On voit que l'on y a mêlé un autre système intellectuel , une autre famille de pensées.

» Three lords are enuracrated , the Lord ofspirits , the Ixjrd the Elec. tone, et the Lord the other Poncr. Ici. p. xtvi.

' Evidently implies the aknowledgmend of t'nree d'stinct persons par^ licipating in the name , and in the power of ihe godhead. Idibid.

374 LE LIVRE DE LA VISION d'eKOCH.

divine antérieurement à la naissance et à la promulgation du Christianisme.

Ajoutons au raisonnement de M. Laurence, dit le docte Silvestre de Sacy, qu'on ne saurait supposer que les passages qu'il cile du livre d'Enoch à l'appui de son opinion y aient été introduits par les Chrétiens. Si ces textes avaient élé des inter- polations faites au profit du Christianisme, les auteurs de ces interpolations se lussent expliqués d'une manière plus claire et avec plus de développement. »

Mais il en est tems, reprenons le texte d'Enoch, et conti- nuons chapitre par chapitre la traduction commencée dans le premier article. Voici comment le prophète continue à parler : Le livre de la vision d'Enoch.

Chap. XXXII. 0 De je me transportai vers les extrémités de la terre, et je vis de grandes bêtes différant les unes des autres, et des oiseaux de formes, de chants et de plumages divers.

»A l'Orient de ces bêtes, j'aperçus les extrémités de la terre cessait le ciel '.Ses portes étaient ouvertes, et j'en vis sortir les étoiles célestes; je les comptai à mesure qu'elles sortaient de ces portes, et je pris note de chacune d'elles à mesure qu'elles passaient devant moi. Je pris note de leurs noms, de leur tems et de leurs saisons à mesure que l'ange Uriel, qui était avec moi, me les montrait; il me les montra toutes, et prit note d'elles toutes; il m'écrivit aussi leurs noms, leurs révolutions et leurs opérations.

Chapitre xxxiii. » De je m'avançai vers le Nord jus- qu'aux extrémités de la terre, et à l'extrémité de la terre je vis une grande et glorieuse merveille; j'y vis les portes célestes s'ouvrant dans les cieux ; elles étaient séparées et au nombre de trois : les vents du nord sortaient par elles soufflant le froid, la glace, les frimats , la neige , la rosée et la pluie. De l'une de ces portes, ils soufflaient avec douceur; mais des deux autres , c'était avec violence.»

Dans les x\xiv', xxxv* et xxxvi* C hap. , le prophète porte les yeux vers l'Ouest et le Sud il voit comme ailleurs des portes ouvertes dans les cieux, et des pluies, desvents, desétoiles qui y passent.

* Where heaven ceased. ch. 33 , p, 2.

LE LIVRE I>E LA VISION d'eNOCH. 375

Avec le commencement (le la sixième section, Cu. xxxvii, commence une nouvelle série de visions, qui ne paraît se termi- ner qu'avec la fin de la douzième section. Cette nouvelle série de visions commence ainsi : Voici la sccomle vision de sa- gesse que vit Enoch fils de Jared , fils de Malaléel , fils de Canau (Caïnan).fils d'Enos.filsde Seth , fils d'Adam. C'est ici le com- mencement delà parole de sagesse que j'ai reçue pour la déclarer et l'enseigner à ceux qui habitent sur la terre. Écoute depuis le commenceraentetcomprendsjusqu'àlafin les saintes choses que je profère en la présence du Seigneur des Esjuits. Ceux qui nous ont précédés ont trouvé bon de parler; nous donc qui venons après eux ne celons pas le commencement de la sagesse. Jus- qu'à l'époque actuelle, personne n'a été gratifié devant le Sei- gneur des Esprits de ce que j'ai reçu d'une sagesse proportion- née à la capacité de mon intelligence et au bon plaisir du Seigneur des Esprits : ce que j'ai reçu en don de lui est une portion de la vie éternelle, et était compris daiîs cent trois pa- raboles que j'ai rapportées aux habitans du monde '.»

Cbapitre xxxvin'. Ce cli;ipilre contient In pi-emière des cent trois, ou plutôt comme l'a dit M. de Sacy, des trois para- boles. — « Quand l'assemblée des Justes aura lieu, s'écrie le prophète, quand les pécheurs seront démasqués , mieux aurait valu pour ceux-ci n'être pas nés. Alors, dit il, les secrets des Justes seront aussi révélés, alors les pécheurs seront jugés et les impies châtiés en la présence des Elus et des Jr.stcs. De ce mo- ment, ceux qui possèdent la terre cesseront d'être pnissans et superbes; ils ne pourront môme supporter la vue des Saints.

> Le nombre de cent trois paraboles , dit M, de Sacy , me semble uue faute dans le manuîcrît, et je suis tenté de croire que l'auteur a^aiI dit trois paraboles ; en effet on ne trou\e dans ce long morceau surcharg:; d q fastidieuses répétitions , que trois paraboles : la preraiiTC comprend les chapitres 38-i4, c'est-à-dire tout le reste de la sixième section; la deuxième commence a^ec le chapitre ''i5 et occupe toute la septième et l.i huitième secdon ; enlîn la troisième commence a^ec la nemièrus section et finit avec la onzième. La douzième section qui, est assez courte, forme la cou- clusion de ce long morceau. Elle a pour objet l'enlèvement d'Enoch au séjour qu'habite la Divinité, et sa présentation devant la divine majesté.

J76 LE LIVRE DE Ll VISION d'eNOCH.

Les rois ne seront pas encore détruits, il est vrai, mais mis entre les mains des Justes et des Saints.

Chapitre XXXIX. » En ces jours-là la race des Élus et des Saints descendra des cieux supérieurs, et leur semence alors sera avec les enfans des hommes. Enoch reçut les livres de l'indignation

et de la colère, les livres du trouble et de l'agitation Un

nuage m'entoura et le vent m'éleva au-dessus de la surface de la terre et me plaça à l'extrémité des cieux. je vis une autre vision. Je vis le lieu d'habitation et de repos des Saints. Oui, j'y vis leur habitation avec les Anges, et leur repos avec les Jus- tes. Ils intercédaient, suppliaient et priaient pour les fils des hommes, tandis que la justice coulait vers eux comme un fleuve, et que la miséricorde était répandue sur la terre comme la rosée; et il en sera ainsi pour eux à jamais. Au même instant mes yeux virent l'habitation des Élus, de la vé- rité, de la foi et de la droiture. Innombrable était le nombre des Élus en la présence éternelle de Dieu. Je vis leur demeure sous les ailes du Dieu des Esprits : tous les Saints et les Élus chantaient devant lui comme des étincelles de feu. Leurs bou- ches étaient remplies de bénédictions et leurs lèvres glorifiaient le nom du Seigneur des Esprits. J'étais désireux de demevu-er là, et mon âme soupira après ce séjour; car c'était mon ancien héritage. Long-tems mes yeux restèrent en contempla- tion de ce lieu ; je bénis Dieu et je dis : Béni soit-il depuis Je commencement jusqu'à la fin. Dans le principe, et avant que le monde fût, la science était, et elle n'aura jamais de fin. Qu'est-ce que le monde? De toutes les générations, celles-là te béniront qui ne dorment point dans la~ poussière , mais qui se tiennent debout devant ta gloire, te bénissant, te glorifiant, t'exaltant et disant le Saint, le Saint Seigneur des Esprits rem- plit d'Esprits le monde entier. mes yeux virent tous ceux qui se tenaient sans sommeil devant lui en lui disant : Béni sois-tu et béni le nom du Seigneur pour toujours; alors ma position changea jusqu'à ce que tout disparut à ma vue.

Chapitre xl. »Je vis des mille et des mille, des myriades et des myriades, et un nombre infini de gens qui se tenaient de- bout devant le Seigneur des Esprits , et sur les quatre côtés j'en yis d'autres à côté de ceux qui se tenaient devant lui ; je sus

LE LIVRE DE LA VISION D*ENOCH. 377

même leur nom parce que l'Ange qui marchait avec moi me les apprit, en me découvrant toutes les choses secrètes, alors i'enfendis les voix de ceux qui étaient sur les quatre côtés, exaltant le Seigneur de gloire. La troisième voix , je l'enlcndis solliciter et prier poiir ceux qui habitent sur la terre ; elle sup- pliait le Seigneur des Esprits. La quatrième voix que j'entendis chassait les anges impies et les empêchait d'entrer devant la présence du Seigneur des Esprits pour porter des accusations contre les peuples de la terre.

Après cela je mandai àl'Ange de paix qui marchait avecmoi de m'expliquer tout ce qui était caché. Je lui dis : Qui sont ceux que j'ai vus sur les quatre côtés, dont j*ai entendu et copié les paroles.

»I1 me répondit : iLe premier, c'est le miséricordieux, le pa- » tient et le saint Michael ; le second, celui qui préside à toutes «les souffrances et à toutes les afflictions des fils des hommes, > c'est le saint Raphaël; le troisième, celui qui préside à tout ce «qui est puissant, c'est Gabriel; et le quatrième qui préside au » repentir, à l'espérance de ceux qui doivent hériter de la vie B éternelle, c'est Phanael. «Tels sont les quatre Anges du Dieu Très-Haut, telles sont leurs quatre voix que j'entendis alors.

Chapitee xli. » Après cela je vis les secrets des cieux et du Paradis selon ses divisions, je vis le secret des actions des hom- mes tandis qu'elles pesaient dans la balance. Je vis les habita- tions des Elus et les habitations des Saints; je vis aussi tous les pécheurs qui nièrent le Seigneur de gloire et que l'on chassait, que l'on poussait hors de ce lieu oii ils se tenaient auparavant. Et pourtant aucun châtiment ne leur advint de la part du Sei- gneur des Esprits, aussi mes yeux virent les secrets de l'é- clair et de la foudre , les secrets des vents et la manière dont ils sont distribués quand ils soufflent sur la terre ; je vis les secrets des vents, de la ro.-ée et des nues ; je vis le lieu par ils sor- tent et par ils reviennent saturés de la poussière de la terre. je vis le réceptacle des bois d'où sortaient les vents ; j'y vis le réceptacle de la neige , des nuées et même de ce nuage qui enveloppait la terre entière avant la création du monde. Je vis aussi le réceptacle de la lune, d'où toutes les lunes sortaient, elles allaient dans leur marche glorieuse; je vis commeut

378 LE LIVRE DE LA VISION d'eNOCH.

l'une devenait plus brillante qu'une autre. Je marquai leur marche brillante, leur marche invariable, leur marche isolée et toujours la même; leur exactitude à tenir le serment de fidélité mutuelle qu'elles s'étaient jurées; leur sortie avant le soleil et leur ferme direction dans le sentier qui leur avait été tracé, direction qu'elles suivaient par obéissance au comman- dement des esprits. Puissant est son nom pour toujours et toujours.

» J'aperçus en même tems la route cachée et visible de la lune. La voie brillante de la lune est pour les Justes; mais la voie ténébreuse est pour les pécheurs. L'Ange lui-même n'y peut rien changer,car le Juge voit tout et juge tout en sa présence.

Chapitre xlii. La sagesse n'a point trouvé de lieu ou elle piit habiter; sa demeure est par conséquent dans le ciel; cependant la sagesse vint pour habiter avec les enfans des hommes , mais elle n'y trouva point d'habitation. Alors la sagesse resta à sa place et s'établit au milieu des Anges. Mais l'iniquité vint après la retraite de la sagesse et sans le vouloir, en quelque sorte elle trouva une demeui-e parmi les hommes comme la pluie dans le désert et dans un sol embrasé.

Chapitre xliu. » Je vis une autre splendeur et les étoiles des cieux; je vis que le Seigneur les appelait toutes par leurs noms respectifs et qu'elles entendaient cet a[)pel. Je vis que dans de justes balances il pesait leur lumière avec l'amplitiule de leur orbite, le jour de leur apparition et de levir révolution. La splendeur produisait la splendeur, et leurs révolutions égalaient le nombre des Anges et des Fidèles. Alors je questionnai l'Ange qui marchait avec moi, et il m'expliqua les choses secrètes; il me dit quels étaient leurs noms ; il me répondit : « Le Seigneur »t'en a montré la ressemblance, ce sont les noms des Justes qui demeurent sur la terre et qui croient au nom du Seigneur »des Esprits pour toujours et toujours. »

Section vii% chapitre xlv. Voici la seconde de ces trois para- boles dont nous avons parlé plus haut.

«Parabole seconde, concernant ceux qui nient le nom de l'habitation des Saints et du Seigneur des Esprits : ils ne mon- teront point dans les cieux et ils ne viendront pas sur la terre. Us seront au nombre des pécheurs qui nient le nom du Sei-

LE LlVnS DE LA VISION D'ENOCH. 379

gneur des Esprits et qui sont par conséquent réservés pour le jour de la punition et de l'affliction. En ce jour, les Élus seront

assis sur un trône de gloire et choisiront leurs conditions et

leurs habitations innombrables (tandis que leur esprit serafor-

tifié en eux-mêmes à la vue de mon Élu). Oui, ils choisiront

ces demeures pour ceux qui ont eu recours à la protection de

mon nom saint et glorieux : ce jour-là je ferai à mon Elu habi- »ter parmi eux : je changerai la face des cieux ; je le bénirai et

rillumincrai pour toujours; je changerai aussi la face de la terre

et j'y ferai habiter, ceux que j'aurai élus; mais ceux qui ont

commis le crime et l'iniquité n'y hahiteront pas, car j'ai

compté leurs jours Je comblerai mes Justes de paix en les

plaçant devant moi; mais la condamnation des pécheurs suî-

vra de près, afin que je puisse les faire disparaître de la face » de la terre. »

Chapitre xlvi. I,à je vis l'Ancien des jours dont la tête était comme une laine blanclie, et un autre avec lui dont le main- tien ressemblait à celui de l'homme. Son mainlien était plein de grâce comme celui d'un des saints Anges. Alors -je m'infor- mai à un des Anges qui venait avec moi, et qui me montrait toutes les choses secrètes concernant le Fils de l'Homme, qui il était, d'où il était, et pourquoi il acconjpagnail TAncien des jours. Il répondit et me dit : « celui-la est le Fils de l'Homme, «auquel appartient la justice, avec lequel elle a demeuré, et il

révélera tous les trésors de ce qui esl caché, car le Seigneur des » Esprits l'a choisi et sa part a surpassé tout devant le Seigneur

des Esprits dans ime éternelle justice. Ce Fils de l'Homme que

tu vois fera lever les rois et les grands de leur couche, et les «puissans de leurs trônes : il lâchera les rênes aux puissans et «mettra en pièces les dents des pécheurs. Il précipitera les rois

de leur empire et de leurs trônes, parce qu'ils ne l'auront ni » exailé, ni loué, parce qu'ils ne se seront point hiuiiiliés de- wvant celui par qui leur empire leur avait été donné. Il jet-

tera bas la superbe des grands et les remplira de confusion. » Les ténèbres seront leur habitation et les vers seront leurs lits,

et de ce lit ils n'oseront plus se relever parce qu'ils n'ont point » célébré le nom du Seigneur des Esprits. Ils condamneront

les étoiles des cieux, ils lèveront leurs mains contre le Très-

380 LE LIVRE DE LA VISION d'eNOCH.

Haut ; ils fouleront et habiteront la terre, praitquant touled les » œuvres d'iniquité. Ils placeront leurs forces dans leurs richesses »et leur foi dans les dieux qu'ils ont formés de leurs propres » mains. Ils nieront l'existence du Seigneur des Esprits, et ils le «chasseront du temple ils se rassemblent. Et avec lui seront

les fidèles, ceux qui souffrent en sou nom, au nom du Sei- Bgneur des Esprits. »

Chapitre xlvii. o Ce jour-là la prière du Saint et du Juste, elle sang de l'homme de bien monteront de la terre jusqu'en la présence du Seigneur des Esprits : ce jour-là aussi s'assemble- ront les Saints qui demeurent au-dessus des cieux, et d'une voix, d'une prière unies, ils supplieront, loueront et béniront le nom du Seigneur des Esprits à cause du sang du Juste qui a été répandu, afin que la prière des Justes ne soit point inter- rompue devant le Seigneur des Esprits, afin qu'il exécute le jugement en leur faveur et que sa patience ne dure pas toujours.

» Alors je vis l'Ancien des jours assis sur son trône de gloire , le livre de vie ouvert devant lui, et toutes les puissances qui sont au-dessus des cieux se tenaient autour de lui et devant lui. Alors le cœur des Saints fut rempli de joie parce que la con- sommation de la justice était arrivée, les svipplications dos saints entendues et le sang des Justes apprécié par le Seigneur.

Chapitre XLVi II.» Dans le même lieu je vis unefoutaine de justice entourée de source de sagesse et ne tarissant jamais : tous ceux qui avaient soif y burent et furent remplis de sagesse, ayant leur habitation avec les justes, les élus elles saints. A la même heure, je vis le Fils de l'homme invoqué des esprits : et son nom était en présence de l'ancien des jours, avant que le soleil et les astres fussent créés : avant que les étoiles du ciel fussent for- mées, son nom était invoqué en la présence du Seigneur des Esprits. Usera un appui pour le saint et le juste, et cet appui ne lui manquera point; et il sera la lumière des nations. Usera l'espérance de ceux dont les cœurs sont troublés : tous ceux qui demeurent sur la terre tomberont devant lui et l'adoreront , ils le béniront et le glorifieront et chanteront de.*» louanges au nom du Seigneur des Esprits. Ainsi l'Élu et le Caché existaient en sa présence avant <jue le monde fût créé, cl il existera tou- jours. Il existait et il révéla aux saints et aux justes la sagesse

LE LIVRE DE LA VISION D'ENÔLfi. 881

du Seigneur des Esprits; il a conservé aux justes leur part par- ce qu'ils ont haï et rejeté le inonde d'iniquité et qu'ils ont détesté toutes ses œuvres et ses voies au nom du Seigneur des Esprits. Aussi sera-ce en son nom qu'ils seront préservés , et sa volonté sera leur vie. En ce jour les rois et les puissans de la terre qui ont gagné le mon.le par les œuvres de leurs mains, deviendront humbles, car d^ns ces jours d'angoisse et de trouble leur âme ne sera point sauvée et ils deviendront les sujets de ceux que j'aurai choisis ; je les jeterai au feu comme une paille et dans l'eau comme du plomb. Ainsi brûleront-iis en présence des justes, ainsi s'abîmeront-ils en présence des saints: mais au jour de leur trouble le monde obtiendra ia tranquillité. Ils tom- beront (n la présence du Seigneur, et ne se relèveront plus; il n'y aura personne pour les arracher de leurs mains et pour les enlever , car ils ont nié le Seigneur des Esprits et sou Messie. Le nom du Seigneur sera béni.

Chapitre xlviu bis. » Sa sagesse se répand comme l'onde et la gloire ne tombe point devant lui, car il est puissant dans tous les secrets de droiture; mais l'iniquité passe comme une ombre et ne possède aucun séjour fixe : car l'Elu se tient devant le Seigneur des Esprits , et sa gloire est éternelle, et son pouvoir dure de génération en génération. Avec lui demeure l'esprit de la sagesse intellectuelle, l'esprit d'instruciiou et de puissance et l'esprit de ceux qui dorment dans la justice.

Le XLix' CHAPITRE contient quelques détails sur le sort des bons et des méchans ; le chapitre i,' n'est que la suite de ces mêmes détails; au chapitre li' le prophète revient sur les secrets des cieux et de ia terre ; il y ajoute cette curieuse particularité que nous notons avec d'autant plus de soin qu'elle a des rapports frappans avec le mont Mérou des Indiens >.

» Je vis, dit-il, une montagne de 1er, une monîague de cuivre et une montagne d'or, une montagne de métal fluide et une mou-

» Cependant il faut se garder de croire que ces montagnes soient la même chose que le Méiou. Toute la resscmblauce <juil y a , c'est que le Me'rou a quatre côtés qui sont, Tua de fer, l'autre de cuivre, l'autre d'argent et l'autre d'or : mais tous ces métaux ne sont (jue les côtés d'une même monlagne, ils forment ici autant de montagnes diverses.

382 LE LIVRE DE LA VISION d'eNOCH.

tagne de plomb. Et je demandai à l'ange qui m'accompagnait, quelles sont ces choses que je vois en secret? Il dit : Ch. li. «Toutes ces choses que tu vois sont pour la domination du Mes- » sic, afin qu'il puisse commander et se montrer puissant sur la » terre. » Et cet Ange de paix me répondit disant : « Attends un «instant et tu comprendras , et toutes ces cîioses secrètes qu'a «décrétées le Seigneur des esprits te seront révélées. Ces monta- Bgnes que lu as vues, cetle montagne de fer, cette montagne de «cuivre, cette montagne d'argent, cette montagne d'or, cette «montagne de métal fluide et cette montagne de plomb, toutes »ces montagnes seront en face de l'Elu, comme un rayon de cire «devant le feu ; et. comme l'eau qui descend d'en haut sur ces «montagnes, elles s'abaisseront devant ses pieds. En ces jours, «les hommes ne pourront être sauvés ni par l'or, ni par l'argent; «ilsn'auront ni fer pour la guerre, ni une cotte de mailles pour «leur poitrine. Toutes ces choses seront rejetées et périront, «quand l'Elu paraîtra en présence du Seigneur des esprits, »

Chapitre lu. Ici mes yeux virent une profonde vallée dont l'entrée était aride; tous ceux qui vivent sur la terre, sur la mer et dans les îles y apporteront des dons, des présens, des offrandes, et la vallée ne sera point remplie. Je vis les anges du châtiment qui y demeuraient et préparaient tous les instru- mens de Satan. Alors je demandai à l'Ange de paix qui marchait avec moi pour qui étaient préparés ces iustrumens? Il dit : «On «les prépare pour les rois et les puissans de la terre, afin qu'ils «puissent périr par eux. »

CnAPiTBELiii. Alors je me tournai d'im autre côté de la terre, oii je vis une vallée profonde et brûlante de feu. Et mes yeux virent les inslrumens qui se fabriquaient, des chaînes de fer sans pesanteur. Alors je ni'enquis de l'Ange de paix qui m'ac- compagnait pour qui étaient ces fers et ces instrumens prépa- rés? Il répondit : a C'est pour l'armée d'Azazael, afin qu'elle soit «livrée et condamnée à la dernière punition, et que leurs anges «puissent être écrasés sous des monceaux de pierres, comme le » Seigneur des Esprits l'a commandé. M ichacl et Gabriel, Raphaël » et Phanuel verront redoubler leurs forces en ce jour, et ils jet- » teront tous les coupables dans une fournaise de feu, afin que le «Seigneur des Esprits soil vengé de leurs crimes, parce qu'ils

LE LIVRE DE LA VISION D'eNOCH. 383

filaient devenus les ministres de Satan et avaient séduit les habif ans de la terre.

i»En ces jours, le châtiment sortira du Seigneur des Esprits, et » les réceptacles des eaux qui sont au-dessus des cieux seront ou- i verts, ainsi que les lontaines qui sont sous les cieux et sous la »terrc< Toutes les eaux qui sont dans les cieux et au-dessus se «mêleront onsembie. L'eau qui est au-dessus des cieux sera Ta- Bgent ou le uiàle, celle qui est sous la terre sera la femelle ou le «récipient ; et tous ceux qui demeurent sur la terre et sous les

extrémités des cieux seront détruits. Par ce moyen , ils com- » prendront l'iniquité qu'ils ont commise sur la terre; et, par »ce moyen, ils périront.

Chapitre liv. Après cela, l'Ar.cien des jours se repentit et dit : «En vain ai-je détruit les habilans de la terre; »et il jura par son grand nom, disant : « Dorénavant je n'agirai plus ainsi avec tous »ceux qui habitent sur la terre ; mais je placerai un signe dans »les cieux, et il sera pour toujours un fidèle témoin entre eux et

moi, aussi long-tems que dureront les jours du ciel et de la pierre '. »

Dans le Chapitre lv^, il parle des chariots remplis d'hommes qui viennent à grand bnsit des quatre points cardinaux.

Sectiok neuvième. Chapitre lvi. Ici commence la troisième parabole, concernant les saints et les élus.

dLcs saints vivront dans la lumière du soleil, et les élus dans la lumière d'une vie éternelle, vie dont les jours ne fmissent jamais. Ainsi, les ténèbres étant détruites et le jour brillant tou- jours, les saints n'auront pas à compter le tems, et la lumière ira toujours croissant devant le 6'eigneur.

Dans le Chapitre lvu , le Proplièle revient sur les secrets de la foudre , dont il nous a déjà parlé. Dans le Chapitre lviii, il parie de la force , de l'esprit des élémens et <ies divers météores. Dans le lix% il peint un ébranlement si grand dans le ci^l et une si grande agitation parmi les anges, qu'il en tomba lui- même sur la face. Dans le lx% il voit les anges armés de longues

' Il est supertlti, je pense, de faire ressortir lasimilitude qui existe entre ce passage et celui du is* ch \. 1 3 de la Genèse , Dieu dit : je placerai mon aie dans les nues.

S8i LE LIVRE DE LA VISION d'bNOCH.

cordes, et s'envolant vers le nord pour mesurer la terre. Dans le 1X1% il fait entendre les menaces et fait le tableau de la gloire des justes. Dans le lxii*, les menaces contre les rois continuent. Dans les aulres, il n'y a rien de frappant ; et , dans le lxviii% il parle d'inventions diverses, mais d'une manière vague et qui n'apprend rien. Dans la Section xu , Chapitre lxix, il nous peint son enlèvement de la terre , parmi les anges et au ciel des cieux. Après cela il prédit l'arrivt^e future du Messie :

«Le nom du Fils de l'homme vivant avec le Seigneur des Es- prls fut exalté par les hahitans de la terre : il fut exalté dans les chariots de l'Esprit et ce nom vint au milieu d'eux ( des hommes ) ; mais moi depuis ce tems je ne fus plus au milieu d'eux, je fus assis au milieu de deux esprits , entre le septen- trion et l'occident ' les anges recevaient leurs mesures pour mesurer une place pour moi , pour les élus et pour les justes. Là, je vis les pères des premiers hommes et les saints qui de- meurent pour toujours en ces lieux.

Cha PITRE Lxx.i» Après cela montant dans les cieux, mon esprit fut caché, je vis les fds des saints anges marchant sur un feu flamboyant , dont les vètemens et la robe étaient blancs , et dont le corps était transparent comme du cristal. Je vis deux

» Voilà encore un trait qui a du rapport avec la doctrine indienne. Dans l'Inde aussi, comme on le ^erra dans le 3* volume de V histoire et tableau physiques de C Univers, à l'article des Pouranas , on place toujours le sie'ge de la Divinité sur la grande montagne, le Mérou, du côté du Nord. Nous y verrons que le prophète Daniel connaissait aussi celte don. née et y fait aussi allusion en parlant de la montagne du Seigneur. C'é- tait aussi dans le Nord, c'était entre le nord et Vouest, c'était auprès de l'Etoile polaire, c'était dans la constellation de la grande ourse (qu'à causedeses septctoiles dont chacune représentait pour eux, des patriarches ou Ricins, ilsappelaicnt iaiseptarcliie), quelesHindousplaçaientlesPèrcsdu genre humain qui étaient les richis eux-mêmes, jadis vivant sur la terre, maintenant contemplateurs silencieux et brillant dans le ciel aux pieds du trône du grand Dieu , mais n'étant pas encore indifférens aux choses de la terre peuplée par leurs entans; et y cxtrrant même encore une direction on du moins une influence puissante. C'est pour cela que dans ;eur conversation et dans leurs livres, les Brahmanes vous disent sans cesse qu'ils viennent du Nord.

I.E LIVnE DE LA VISION i>*ÉNor.n. 385

rivières de feux brillantes eommc riij'acinllic; alors je tombai sur la face devant le Seigneur des rsprils, et Micliaël, l'un des Archange,*;, me prit par la maiu droite, me releva, et me trans- porta où «e trouvaient tous les secrets de la miséricorde et de la justice ; il me montra toutes les choses cachées des extrémités du ciel, tous les réceptacles des étoiles, toutes leurs splendeurs, et d'où elles venaient devant la face du Saint. Et il cacha l'es- prit d'Enoch lions le ciel des cieux. lia, je vis au milieu de cette lumière un édifice bâti de pierres de glace , je vis vibrer les lan, gués d'un feu vivani ; mon esprit vit autour de cette habitition flami)oyanle , et à l'une de ses extrémités, des rivières rem- plies d'un feu vivant qui l'entourait ; alors les séraphins, les chérubins et les ophanims entourèrent le Seigneur: ce sont eux qui jamais ne dorment, mais qvii veilleiu nu pied de sa gloire : et je vis des anges innombrables , des mille de mille , des my- riades de myriades qui entouraient celte habitation. .Michael, Raphaël, Cabriel. l'hanuel et les autres anges ([ui étaient dans les cieux supérieurs, en sorîaient et y rentraient sans cesse ; avec eux était l'Ancien des jour-; dont la tète élnit blanche et pure comme de la laine : sa robeéiait iudescrîplil»le. Alors tombant sur la face, je sentisse dissoudre mon eorji'^ et se changer mon esprit ; je m'écriai d'une voix haute et d'une intention pui.ssante: bénédiction, gloire et louange. Ces bénédictions qui sortaient de ma bouche furent agréés de l'Ancien des jours. 11 vint à moi avec un de ses anges, et un de ses anges me dit : « tu es de la race «des hommes, tu es pour la justice et la justice s'est repo'^ée »en toi; la justice de l'Ancien des jours ne t'oubliera point. »

Les sections i5, i4« '5, ou du moins ime partie de celte der- nière jusqu'à la fin du chapitre, coiitiennenl :

Un traité de la marche du .soleil et de la lune, de la division du tems en années, en mois et en jours : il contient aussi un traité sur la lumière du soleil et de la lune, traité rempli d'ab- snrdiiés, et de la plus grossière ignorance, selon M. de Sacy. Nous croyons M. de Sacy trop sévère en ce point : ce traité commence ainsi :

«Le livre des révolutions des luminaires suivant leurs diverses classes, leurs pouvoirs respectifs, leurs périodes, leur nom, les places ils coramenoent leur cours, toutes clioses que m'a

TOMB XYII N" 102. l83Ô. 2--

Î86 LE LIVBE DE LA VISION î>'e?îOCH.

expliquées Uricl le saint ange qui les conduit ^ et qui était avec moi ; exposition complète de tout ce qui les conrerne confor- mément à chaque année du monde et pour toujours jusqu'à ce

que sait effectué un nouvel ouvrage qui sera éternel '

('/est le vent qui pou?5sc le char du soleil il monte. Le soleil se couche dans les cieiix et il retourne à l'ouest parle nord *. Le prophète montre ensuite le passage du soleil par chacun des signes du zodiafjue qu'il appelle des portes. Ce qui est dit dans Te traité relativement au plus court et au plus long jour de l'année, a servi à M. Laurence pourindiquerapproximativement à quelle latitude vivait l'auteur de ce livre. Quelques assertions singulières qui méritaient peut-être un examen plus sérieux, dit M. de Sacy,- m'ont frappé. Je ne citerai que ce passage duquel il résulte qpe l'auteur fait l'année solaire de 564 jours, et qu'il semble connaître des périodes de 5, de 5 et de 8 ans.

8 La lune, dit-il, ramène toutes les années exactement, en sorte que leur station n'avance ni ne retarde d'un seul jour, mais que le changement d'année a lieu avec une exacte pré- cision en 564 jours. En trois ans il y a 1092 jours, en cinq ans, 1820 jours; et en huit ans 2,912 jours; en cinq ans elle a cin- quante jours de moins que le soleil, car en ajoutant aux 1062 jours (ceux de deux années) cela fait en cinq ans 1770 jours; les jours de la lune en huit ans montent à 2852 jours, car en huit ans elle a quatre-vingts jours de moins que le soleil, et ces quatre-vingts jours sont la quantité dont les années de la lune sont diminuées en huit ans. Alors l'année de- vient vraiment complète conformément à la station des lunes et à la station du soleil qui se lève dans les différentes portes du ciel, qui s'y lève et s'y couche pendant trente jours : ce sont les conducteurs des chefs de mille qui président à toutes les choses créées et à toutes les étoiles, avec les quatre jours qui sont ajoutés et ne quittent jamais la place qui leur est assignée conformément à la supputation complète de l'an- née. Ces quatre-là servent quatre jours qui ne sont point com- pris dans la supputation de l'année. »

Au milieu de tout ce verbiage , ajoute M. de Sacy , on voit

» Until a new work shall bc eCFected , wich will be «ternal. ^ Telle est aussi la marche du soleil selon les Hindous.

LE LIVRE DE LA VISION I>'eNOCW. 387

que l'auleur ne compte que dix jours i)leîns cl sans aucune frac- tion pour l'excès de l'année solaire sur l'année lunaire, qu'il fait tous les mois de l'année solaire de trente jours, et qu'aux douze mois de trente jours il ajoute quatre jours complémen- taires, qui, dans son système, paraissent être ceux des équi- noxes et des solstices. Je ne sais, en réfléchissant sur de pareilles absurdités, si on ne sera pas porté à penser que ce qu'il dit de la durée du jour le plus long et du jour le plus court de l'année, ne peut guère servir d'argument pour reconnaître approxima- tivement, comme l'a fait M. Laurence, la contrée ce livre a été écrit; et ce qui détruit encore, ce me seiuhle , la confiance que l'on pourrait mettre dans cette donnée, c'est que l'auteur suppose que les jours et les nuits croissent ou décroissent pen- dant chaque mois solaire d'une dix-huitième partie, précisé- ment de vingt-quatre heures. Je ne vois qu'un seul moyen de pallier toutes ces absurdités; c'est de supposer que l'auteur ex- pose un système purement imaginaire, qui a exister avant q\ie l'ordre de la nature eût été altéré à répcquc du déluge universel. On pourrait fonder cette conjecture sur le chapitre 79 , dans lequel l'ange Uriel dit à Enocli :

«Je t'ai , ô Enocli , montré et révélé toutes choses; tu as vu le soleil , la lune, et ceux qui conduisent les astres du ciel, et qui causent le retour périodique de toutes leurs opérations, des saisons et de leur arrivée. Dans les jours des pi-chcurs les années seront raccourcies ', la lune changera ses lois et ne se montrera pas à l'époque convenable. » Je dois avouer cependant que cette solution me paraît plus ingénieuse que solide, et je reviens à l'analyse du livre d'Enoch, à ces condudeurs des jours et des nuits , à la lune et au soleil , à tous les ministres du ciel qui font leurs circuits avec les charriots du ciel, que l'ange Uriel montra à notre prophète.

Ainsi continue Enoch : « Uriel me montra douze portes ou- vertes pour la circulation du sol, il dans les cieux , par sor- taient les rayons du soleil. C'est de ces portes que vient la

' Il faut bien remarquer ce passage : les années ont été raccourcie» en effet, le malheur est qu'on n'en sache pas la proportion. (3n serait tenté de croire qu'elle est immense, comme on pourra le voir plvis bas à pro- pos de la naissance de Noé.

388 LE LIVRE DE LA VISION D*ENOCH.

chaleur sur la terre , quand elles sont ouvertes dans leurs sai- sons respectives; elles sont pour les vents et l'esprit de la ro- sée lorsque dans leur saison elles sont ouvertes dans les cieux à ses extrémités. Je vis donc douze portes dans le ciel , vers les extrémités de la terre, à travers lesquelles le soleil, la lune, les étoiles, et tous les ouvrages du ciel pa>!sent à leur lever et à leur coucher. A une certaine saison, l'une de ces fenêtres de- vient extrêmement cliaude. Telles aussi sont les portes d'où les étoiles sortent selon l'ordre qu'elles reçoivent , et dans les- quelles elles so couchent selon leur nombre. Je vis aussi les chariots du ciel roulant sur le monde au-dessus des portes sous lesquelles tournent les étoiles qui ne se couchent jamais. Une d'elles est plus grande que toutes les autres, et die tourne autour du monde entier.

StCTiON 15% CHAPITRE LXKv% » Et à l'cxtrémité de la terre, je vis douze portes ouvertes pour tous les vents qui sortent de pour souiller sur la terre. Trois de ces portes sont ouvertes au fond du ciel , trois dans l'ouest, trois à la droite, trois à la gauche du ciel. Les trois premières sont celles qui sont vers l'est, il en est trois aussi vers le nord, il en est trois qui sont sur la gauche vers le sud et trois dans l'ouest. De quatre d'en- tr'cUes sortent les vents de bénédictions et de santé; des huit autres procèdent les vents de punition quand ils sont envoyés pour détruire la terre et le ciel qui est au-dessus d'elle, tous ses habitans et tout ce qui vit dans les eaux ou sur la terre sèche.

» Le premier de ces vents vient de la porte appelée Voricntate, à travers la première porte qui est dans l'est et qui incline vers le sud ; de cette porte sort la destiuctiou, la sécheresse, la cha- leur et la perdition. De la seconde porte, de celle du milieu procède l'équité; de cette porte sortent pluie, l'abondance, la santé et la rosée ; et de la troisième porte vers le nord sortent le froid et la sécheresse. Après cela viennent les vents du sud à travers les trois principales portes; à travers la première de ces portes tournée au sud, passe un vent chaud; mais de la porte du milieu sort une odeur agréable, la rosée, la pluie, la santé et la vie. De la troisième porte regardan t vers le sud , sortent la rosée, la pluie, la bénédiction et la destruction. Après

LE LIVUK HK LA VIStON d'kNOCW. 389

cela viennent les vents du nord que l'on appelle la mer; ils sortent de trois portes : la première est celle qui est à l'est , inclinant ou regardant vers le sud; de celte porte sortent la rosée et la pluie, la bénédidion et la destruction, de. (]e que l'avais à dire sur les douze portes du ciel est fini; je t'en ex- plique les usages et les lois, 6 mon fils Mathusala !

CuAPiTBB Lxxvi. Lc prcmicr vent est appelé Voriental , parce qu'il est le premier; le second est appelé le méridional parce qu'il est très-haut, et y descend fréquemment, Vocciclenial a le nom de diminution, parce que c'est à l'occident que diminuent, descendent et disparaissent tous les luminaires; le quatrième vent qui est appelé le nord, est divisé en trois parties dont une est pour riialjitalion de l'iiomme , l'autre pour les mers, les vallées, les bois , les rivières, les lieux ombragés et la neige; la troisième partie contient le paradis. Je vis sept hautes mon- tagnes , plus hautes que toutes les montagnes de la terre d'où vietit la gelée , tandis que les années passent et s'en vont. Je vis sept fleuves plus grands que tous les fleuves, dont l'un prend sa course de l'ouest : ses eaux débouchent dans une grande mer. Deux autres viennent du nord vers la mer, leurs eaux marchant à l'est vers la mer Erythrée : quant aux quatre autres deux se déchargent encore dans la mer Krythrée, et deux au- tres dans nue grande mer , où, dit-on, il y a un désert. Je vis avissi sept grandes îles sur la mer et sur la terre, et sept dans la grande mer '.

Dans le Lxxvii' chapitre, viennent les noms divers du soleil et delà lune. Pendant son déclin, nous dit-il, la lumière delalune diminue le premier joiu- d'un quatorzième; le second d'un trei- zième ; le troisième d'un douzième ; le quatrième d'un onzième; le cinquième d'un dixième; le sixième d'un neuvième ; le sep- tième d'un huitième ; le huitième d'un septièmes ; le neuvième d'un sixième ; le dixième d'un cinquième , le onzième d'un q«art; le douzième d'un tiers; le treizième d'un second tiers ; le quatorzième de la septième partie ; et le quinzième tout ce qui reste de lumière est consommé.

Dans le lxxvih' chapitre viennent quelques observations que continue le Lxxix''sur cet exposé du système du monde. Ce sont

1 Les Hindous partagent aussi l* globe en sejil iie* ou douipas.

390 LE LIVRE DE LA VISION D'iilHOCH.

ensuite des considérations morales et des menaces contre les médians.

Dans le lxxx* chapitre, l'ange dit à Enock: regarde dansle livre qne le ciel fait descendre comme une pluie sur les yeux; j'y re- gardai, je connus tout, toutes les œuvres de l'homme, et rendis grâce au Seigneur des mondes. Le même sujet continue jusqu'à la section 16', chapitre txxxii'.

Là, Enoch raconte à son fils Maihusala une vision puissanle qu'il eut pendant un songe, vision il vit le ciel se découvrir et se déchirer comme une tente qu'on emporte : la terre absor- bée par un grand abîme , et des montagnes suspendues sur des montagnes, des collines s'écroulaient sur des colh'nes, de hauts arbres étaien'4 rasés à leiu- tronc, ils tombaient ou étaient lancés dans l'abîme. Lorsque je sortis de la prière qui suivit mon rêve et que je regardai au ciel, je vis le soleil monter dans l'orient, la lune descendre dans l'occident , quelques étoiles éparses, et toutes les choses que Dieu connaît depuis le commencement: alors je bénis le Seigneur parce qu'il a envoyé le soleil des cham- bres de l'orient, le soleil qui s'éJovant et montant en face du ciel, s'élance au-dessus et poursuit la course qui lui a été marquée. Ce Lxxxni* chapitre n'est guère qu'une prière et quelques ma- lédictions.

Dans les lxxxiv lxxxviii' chapitres, Enoch rend compte d'un nouveau songe, lui apparaît d'abord une vache et ensuite plusieurs animaux divers. C'est, dit-on, l'hisloirecmblématique du monde, depuis Caïn jusqu'à Hérode.

Le xc'chapifre renferme les conseils du prophète à sesenfnns.

La 19" et dernière section, chapitre xci" , commence ainsi ^

«Voici ce qui a été écrit par Enoch ». Et après «5uel((ues ob- servations viennent ces mots : « après cela , Enoch lisant dans, lui livre commença à |)arler ainsi ».

Il est remar<piable que dans ce morceau qui est une ju-édic- lion abrégée de tt»is! ce qui doit arriver depuis En«)ch jusqu'à la fin du monde et rétablissement du règne parfait de la justice^ toute la durée «les lims est divisée en semaines, ce qui , selon M. de Sacy, est incontestablement imité de Daniel , sans que l'on doive supposer |»our cela, avec M. Laurence, que rauteur,en divisant toute la durée des tems en semaines, ait entendu par des périodes de sept cents anS;, ou en géuéral des périodes

LE L1VK£ DE LA VISION d'eNOCH. S91

"égales entre elles, et d'une longueur déterminée. Mais je ne vois pas , quant à moi , que la division des teni^n en semaines , soit une preuve de rimitation de Daniel : c'en est une probabi- lité, il est vrai , mais non une preuve pi>sîlive; car Daniel ne doit point être l'inventeur de cette manière de com{>ter; elle existaitâvant lui. puisqu'il l'a emplnyée et s'est fait comprendre. Et pourquoi donc Enocli n'aurait-il pas pu s'en servir aussi auparavant ? et pourcjuoi ne pourrait-un pas dire que c'est Daniel qui a imité ^noeli, tout aussi bien que c'est Enoch qui a imité Daniel ?

Enoch dit dans ce clia|)itrc, qu'il est le septième jour de la première semaine ; le déluge arrivera dans la seconde se- maine, l'élection d'Abraham dans la troisième. La deslruclioH du temple et la captivité de Babjlone aj)partiennent à la sixième; la destruction de toute iniquité et le rèi^ne de la justice sont les caractères de la neuvième; et le jugement général suivi de l'ap- parition d'un ciel nouveau , est fixé an septième jour de la di- xième semaine. Voici le texte d'un des passages de ce chapitre : «Après cela dans la sepliènie semaine, il s'élèvera une généra- tion perverse, ses œuvres seront en grand nombre, et toutes ses œuvres seront perverses. Durant la fin de cette semaine, l'Elu, le Juste choisi de l^i plante de l'éternelle justice, sera récom- pensé et il leur sera donné une septuple instruction concernant les parties de la création. Ensuite il y aura une autre semaine, la huitième semaine de justice, à laquelle sera donné le glaive pour exécuter le jugement et la justice , contre tous les oppres- seurs. Les pécheurs seront livrés entre les mains des justes, qui pendant la fin de celte semaine , acquerront des habitations par un eliet de leur justice, et la maison du grand roi sera construite et élevée poin- toujours. »

Ou je me trompe bien , dit i>l. de Sacy, ou cette génération perverse ce sont les Juifs. L'Elu , le rejeton de la tige de l'éter- nelle justice, est Jésus-Christ, récompensé par sa résurrection et sa glorification, de ses souflrances et de sa mort. Le glaive indique la destruction de Jérusalem et la venseance divine exercée sur la nation juive. Enfin l'Église chiéticnne est la maison du grand Roi élevée pour ilurer éternellement. Si l'on n'admettait pas cette explication , l'iilu pourrait être Judas Macliabée, et la maison du grand i;oi le dernier temide ic-

392 LE LIVRE DE LA VISION c'tîKXlH.

construit par Hérode-le-Grand. Pour moi J'avoue que la pre- mière explication me plaît d'avantage. Voici comment le poète termine ce chapitre remarquable.

« Après cela, après le septième jour de la septième semaine il y aura un jugement éternel cpii sera exécuté sur les vigilans, et un vaste ciel éternel se formera au milieu des Anges. Le ciel ancien s'en ira et dis()araîtra : un ciel nouveau viendra prendre sa place, et toutes les puissances célestes brilleront pour jamais d'une septuple splendeur. Après cela «ussi il y aura plusieurs semaines qui seront éternelles dons la droiture et dans la bonté. Jamais même un seul pécheur n'y sera nommé. Quel est celui des enfans des hommes qui est capable d'entendre sans émotion la voix du Très- Haut ? Qui est capable de sonder ses f.ensées, de contempler toutes le.-» œuvres des cieux et d'en comprendre toutes les actions. L'homme peut voir le mouve- ment et la vie du ciel; mais il ne peut en voir l'esprit ; il pourra en converser mais non y monter. Il pourra voir tous les liens des choses et méditer sur ces liens, mais il ne pourra rien faire qui leur ressemble. Datons les hommes, lequel est capable de comprendre la longueur et la largeur de la terrei* Par qui a été vue la dimension de toutes les choses ? Est-il un homme qui soit capable de comprendre l'étendue des cieux ? Quelle en est l'élévation et quel en est le support? Combien est grand le nombre des étoiles, et quel est le lieu tous les luminaire» restent en repos ? »

Si M. de Sacy a vu dans le calcul des teins par semaines une imitation de Daniel , il avirait pu voir aussi une imitation de Job dans ce que nous venons de citer : c'est ainsi, en effet, c'est par ces mêmes questions sur la grandeur de la terre et des cieux que Dieu harcèle l'homme dans le poème sublime de cet illustre pénilent. Quant à moi qui ne suis point sûr (|ue Job et Daniel soient plus anciens que le livre d'Enoch , je m'abstiens dédire quiaété imitéou aimité.Lneaulre chcse à remar'|uer ici c'est que ces cieux nouveaux qui apparaissent si brillans après les aniiqucs cieux effacés, ont le plus grand rapport avec les idées chrétiennes et même avec celles des Hindous ' qui pié-

* Nous attendons , sclou ses [)roraesses , des nouveaux cieux et une terre nouvelle, habile la justice. St. Pierre, ch. iir, v. 13. \'oir aussi Isiûl', th. Lxv, v. Î7, et /Ipoc , ch. xxi, v, 1.

LE I.IVKE DE LA VISION D'UNOCH. S9S

tendent que lorsqu'un ciel et un monde ont lait leur leins, ces cieux et ces mondes se dissolvent pour faire place à un autre ciel et à un autre monde plus brillans. Les dieux ont une fin et se renouvellent à ces grandes ép0(jues chez les Hindous, et ici nous voyons également le» pouvoirs célestes renouvelés briller d'une septuple splendeur. La vache joue aust.i vin grand rôle dans les mystères et la foi des Hindous, et nous la voyous figurer en tête du principal songe d'Enoch , de sa ijuissantt vinion comme il le dit lui-même. Cependant je dois avertir que la vache n'est point ici posée comme elle l'est dans les écritures de l'Inde ; il est vrai aussi que les di>;solutions des mondes ou les pralayas sont un peu autrement décrites '; mais s'il y a des différences il y a aussi des ressemblances assez grandes pour faire voir que ces idées partent d'un même fond, et que ce fond a été la base de toutes les idées humaines et des systèmes des doctrines de tous les peuples.

Les Chapitres xcui et suivans , jusqu'au civ* inclusivement, font la suite de ce qu'Enoch lit dans un livre ; ce sont des exhortations aux justes et des menaces auxpécheurg : les mêmes idées y reviennent sans cesse, et souvent presque dans les mê- mes termes.

Le Chapitre cv contient le récit du mariage de Lamech, fils de Mathusala, de la naissance de Noé et des prodiges qui l'ac- compagnèrent. Enoch, consulté par Mathusala, explique ces prodiges, ordonne de donner à l'enfant le nom de Noé, et prédit le déluge et la corruption du genre hiunain, qui sera encore plus grande après le déluge qu'auparavant. Citons quelques passages du texte de ce chapitre.

a JMon fils Mathusala, dit Enoch, prit une femme poiu' son fils Lamech; elle devint grosse et fut bientôt mère d'un enfant dont la chair était blanche comme la neige , rouge comme la rose, dont la chevelure était blanche et longue comme de la laine, et dont les yeux étaient si beaux que , lorsqu'il les ouvrit , il illumina toute la maison comme le soleil : toute la maison resplendit de lumière; et, quand on le prit des bras de Tuc- coucheuse, il ouvrit aussi la bouche et parla au Seigneur de la

' Voir pour ces descriptions et pour l'exposé du système indien d'après les textes originaux et les livres sanscrits, les 2' et 3c \uliimes de Vhistotre el tableau pfijsirjius de CUiticcrs.

194 LE LIVRE DE LA VISION d'eNOCH.

justice. Alors Lamech son père fut effrayé de cet eufant et, prenant la fuite, s'en vint auprès de son propre père Malhusala, et îui dit : « J'ai enj^endré un fils qui ne ressemble point aux «autres enfans. Il n'est pas humain ; il ressemble à la race des «anges du ciel ; il est d'une nature diiférente de la nôtre, el ne «nous res.s:;mble pas. Ses yeux sont brillans comme les rayons «dusolejl ; son extérieur est glorieux, et il ne semble pas être de >rna nature, mais de celle des anges. ^J'en suis effrayé, à moins »que quelque chose de miraculeux ne soit arrivé en ce jour. Et «maintenant, mon père, je vous prie d'aller aussi trouver Enoch «votre père, et de lui apprendre ce (jui vient d'arriver, car il de- » meure avec les anges. » En entendant ces paroles de son fils, Malhusala vint à moi, Enoch, aux extrémités de la terre ; car il avait été informé que j'étais là, et il m'appela en criant. J'enten- dis sa voix et je vins à lui, disant : «Regarde, mon fils, me voici ! «Pourquoi es-tu venu vers moi?» Il réponditetdit >C'està cause «d'un grand événement , à cause d'un prodige difûcile à com- » prendre que jesuis venu près de vous, et maintenant, mon père, » écoutez-moi. A mon fils Lamech est un fils qui ne lui res- «semble pas, et dont la nature n'est point comme la nature ds «l'homme. Il est d'une couleur plus blanche que la neige et «plus rouge que la rose; la chevelure de sa tête est plus bianelM; »que la laine blanche '; ses yeux sont comme les rayons du so- «leil, et, quand il lésa ouverts, il a illuminé toute la maison ; et » même, lorsqu'on le prit des mains de l'accoucheuse, il a ouvei t »la bouche et béni le Seigneur du ciel Son père Lamech a eu «peur et s'est sauvé près de moi, croyant que son fils n'était «point de sa nature, mais qu'il ressemblait aux anges des cieux, «et voici que je suis venu près de vous, afin que vous me puissiez «dire la vérité sur ceci. »

Alors Enoch répondit et dit: «Le Seigneur fera une chose «nouvelle sur la terre ; c'est ce que j'ai déjà expliqué et vu en «vision, je l'ai fait voirdans les générations de Jared, mon père; «ceux qui étaient des cieux méprisèrent la parole du Seigneur, «voilà qu'ils ont commis des crimes, oublié leur caste et se sont «mêlés aux femmes de» hommes, ont péché avec elles, se sont

' Ce passage est curieux en ce qu'il prouve d'abonl la prcéminciicoquc U'I» Aby&$inicus nègres accordent à la race de coultur blanche , sentiment

LB MVRE DE LA VISION û'EÎ^OCn. 195

»mariësavec elles et en ont eu des enfans '.Une grande dcslruC' I) lion doit donc fondre sur la terre; un déluge, une grande des- «truction aura lieu dans un an *. L'enfant qui vous est survivra sur la terre, et ses Irois fils seront sauvés avec lui; quiud tout »lc genre humain qui est sur la terre aura péri, lui il serasau» » vé, et sa postérité engendrera sur la terre des géans, non spi- sritiicls mais charnels. Informe donc Laniech maintenant que »le fils qu'il a eu est bien véritablement son fils; il l'appellera j)Noé, car il vous seraunsarruvinf à tous ; lui et ses enfans seront » sauvés de la corruption qui aura lieu dans le monde, de tous »les péchés et de toutes les iniquilés qui seront consommés du- »rant sa vie. Après cela il y aura encore une plus grande impiété » que celle qui avait eu lieu auparavant, car je connais les mys- stères futurs; le Seigneur lui-même me les a découvertset ex- wpliqués, et je les ai lus dans les tablettes des cieux. J'y vis écrit »que les générations après les générations transgresseraient les «lois divines, jusqu'à ce qu'une race vertueuse arrive, jusqu'à »ce que la transgression et le crime disparaissent de dessus la «terre, et que la bonté l'y remplace. »

qui s'est encore conservé vivant dans ce pays, comme l'ont remarqué MM. Combes et Tamisier, voir le dernier N"' des Annales, ci-dessus, page 329, et en second lieu à cause de celte chevelure blanche que l'on donne ici à Noc. Est-ce que l'auteur du livre d'Enoch aurait e'té frappé de la chevelure blanche que portent les Albinos? ou bien ces cheveux blancs ne sont-ils qu'un mythe pour marquer la sagesse précoce du second père du genre humain?

' On sait que l'on n'est pas fixe sur le sens qu'il faut attacher au mot ange dans ce passage. On ignore si par il s'agit des anges ve'ri- tables , tels que les entendent les Chrétiens ou bien les grands de la terre. D'après ce passage d'FInoch, ce seraient les grands el non-seule- ment les grands, mais surtout la classe ou la casle des prêtres et des saints; casle correspoudan te dans l'Ethiopie, en la langue et sans doute selon les mœurs de laquelle est écrit ce livre, à la caste des Brahmanes dans les Indes, et à celle des Lévites en Judée, caste à laquelle, en sa qua- lité de pure, de surhumaine, d'angcliipie en quelque sorte cl de ruiasi- divine, il était si scvi-ieineot défendu de se mésallier, c'est à-dire, de s'unir a^ ec les impurs et les profanes des autres pays et des autres castes-

' On voit d'après ce passage quelle immense étendue il faut donner à Vanne'e antique , puisque Noé avait beaucoup plus de cent ans quand ad~

Î96 LE LIVRE DE LA VISIO?* d'eNOCH.

Voici maintenant la vi.sion qu'eut Noé du déluge : En ces jours, Noé vil (juc la terre était inclinée, et (jue la destruction approchait; alors il leva le pied et vint au bout de la terre, à l'iiabilalion de son grand-père Enoch; il cria par trois fois d'une voix torto, écoule-moi , écoute-naoi, écoute- moi, et lui dit : apprends-uioi ce qui se passe hur la terre, car la terre travaille et se trouve fortement ébranlée; siirement je périrai avec elle. Il y eut ensuite une grande perturbation sur la terre, et une voix se fit entendre des cieux. Je tombai sur ma face quand Enoch, mon grand père parut devant moi. Pourquoi as-tu crié vers moi d'une voix si forte et si lamen- table?— -Un ordre est sorti du Seigneur pour la destruction do ceux qui demeurent sur la terre, car ils ont connu tous les se- crets des anges , toute la puissance secrète et oppressive des dé- mons, et toute la puissance de ceux qui commettent la sorcel- lerie aussi bien que ceux qui font des images par toute la terre. Ils savent comment l'argent se forme dans la poussière de la terre, et comment le liquide métallique existe sur la terre; car le plomb et l'étain ne sont point formés de la terre , comme première source de leur production. Il est un ange qui se tient debout sur elle, et cet ange s'efforce d'y dominer. Alors mon grand-père me levant dans ses mains me dit : « J'ai consulté le

Seigneur sur cette perturbation de la terre, et il m'a dit qu'à «cause de leur impiété leur jugement est consommé. Ceux qui »ont découvert les secrets de la nature, ce sont ceux qui ont été «jugés; mais ce n'est pas toi, ô mon fils ! Lui, le Saint, placera

ton nom parmi les justes, et il le préservera de ceux (jui de-

meurent sur la terre. Il établira la race dans la justice, avec

puissance et grande gloire, et de la race sortiront des hommes

justes sans nombre et sans fin. d Après cela, il me montra les anges de la punition qui étaient préparés à venir et ouvrir èous

vînt le déluge , ce qui n'empêche pas notre auteur de dire au moment de la naissance de ce même Noé, que ce déluge arrivera dans un an. On a dit (jue par un an d'alors on entendait cent ans d'aujourd'hui. Mais on se trompe s'il faut en juger par te passage , car Noé , avons-notis dit, avait plus de cent ans d'aiiiourd'hui , c'est-à dire, plus d'un rt/i d'alors, (junnd le Déluge arri\a. Ou ^uil (jurlic dilTôrcucc ceci jcUcrail dans la chronolo- gie de ranli<i«ilc, si clic lifail rd'ailc d'apris ces bases.

Llî LIVRE DE LA VISION n'KKOCn. 597

la terre toutes les puissanles eaux, afin quVIles puissent ficrvir au jugement et à la destruction de Ions ceux qui demeurent sur la terre. Et le Seigneur ordonna aux anges devenir, mais non pas pour prendre les hommes sous leur protection et pour les préserver, car ces anges présidaient aux grandes eaux. Alors je quittai la présence d'Enoch. »

Voilà comment finit le fameux livre d'Knoch.

Une chose remarcjuable dans celte explication qu'Enoch donne à Noé de son rêve, c'est la cause qu'il assigne au déluge. La cause généralement connue et généralement signalée jus- qu'ici, c'était la corruption; mais à la corruption Enoch ajoute la science, et il met cette dernière cause en premier lieu. Celle race lunnaine a péri sous les eaux, parce qu'elle savait com- ment tout se formait de la poudre de la terre, comment le fluide métallique y restait, parce qu'elle savait le secret des choses, et voulait même élever sa science jusqii'aux astres et à Dieu. C'est de sans doute, c'est de ce passage du livre d'Iinoch. très-connu dans l'antiquité et égaré depuis, qu'est venue cette rumeur de la haute science de nos pères aniédiluviens; comme c'est d'un autre passage du livre du même prophète que nous est venue celle de l'union criminelle des anges avec les femmes des hom- mes. Dieu , dit-on , se repentit d'avoir submergé le monde et détruit les hommes. On eu comprend la raison si, comme nous le dit Enoch lui-même, les races qui devaient suivre cette ca- tastrophe devaient être encore plus corrompues que celles qui l'avaient précédée. Et en eflet je crois bien que, sous ce rapport, nous ne sommes pas bien loin de la méchanceté de nos antiques aïeux, toutgéans qu'ils étaient et toute séculaire que fut leurvic. Nous nous croyons très-savans aussi ; nous croyons aussi savoir le secret des choses et de Dieu; mais, quelles que soient nos pré- tentions à cet égard , je ne crois pas, pour mon compte , que nous en sachions encore assez pour alarmer le ciel et pour mériter d'être exterminés de nouveau.

0 A tout prendre, nous dirons avec sir Laurence, cm fini,^- sant, si l'on critique ce livre singulier, comme rempli dans quelques-unes de ses parties de fables et de fictions , il convient de se souvenir toutefois que les fables et les fictions peuvent quelquefois offrir en même tcms et de l'amusement et de i'in-

S^8 LE LIVRE DE LA VISION I)*ENOCH.

slrnclion, et qu'elles ue soûl dangereuses et condamnables que lorsqu'on les fait tourner au profit du vice et de rincrédulitë. Nous ne devons pas non plus perdre de vue que plusieurs de ces fables, qui sont l'objet de noire censure, et peut-être même la plus grande partie, étaient fondées sur une tradition nationale <pie, toute autre considération à part, son antiquité seule avait rendue respeciaide. Que cet auteur ail été inspiré, ce sera à peine aujourd'iiui l'objet d*uue question; mais, de ce que son ouvrage est apocryphe, il ne s'ensuit pas nécessairement qu'on doive le flétrir d'une honteuse condamnation. Incapable de jamais devenir une règle de foi , il peut néanmoins contenir beaucoup de vérités morales et religieuses , et l'on peut avec justice le considérer comme un exposé fidèle de la doctrine des tems il a été composé. 11 ne faut pas sans doute tout passer à l'antiquité ; mais, si l'on prend la peine de lire ce monument d'un âge reculé et d'une contrée éloignée de nous, on y trouvera au milieu de beaucoup de choses condamnables plus de choses encore à approuver, à moins d'être difficile à l'excès. Si quel- quefois on fronce le sourcil, plus souvent encore on sera lente de sourire ; on se sentira même plus d'une fois entraîné à ad- mirer, dans cet écrivain, une vivacité d'imagination qui le transporte au-dclù des limites enflammées du monde , et dé- ploie devant lui tous les secrets de la création, les splendeurs du ciel et les terreurs de l'enfer, le séjour des âmes séparées des corps qu'elles ont animés , les myriades d'habilans dont se peuple la voûte céleste, les chérubins, les séraphins, les opha- nims (c'est-à-dire les roues vivantes du char de l'Eternel) , qui entourent le trône éblouissant et célèbrent le saint nom du souverain Seigneur des (sprits, du l'ère tout-puissant, du Père tout-puissant des anges et des hommes, d

M. de Sacy n'est point en ceci de l'opinion de M. Laurence ; mais, malgré tout noire respect pour lui, nous ne pouvons pas être non plus de la sienne. S'il y a de l'obscur et de l'absurde , il y a aussi de la curiosité, il y a de l'intérêt et du beau dans le livre d'Enoch. Du reste , le lecteur jugera ; les pièces sont maintenant sous ses yeux.

J.-F. Daniélo.

Sr LE CnniSTIANISHE A NUI AUX SCÏENCES. 303

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Qiçi0x\) bc (a ïlf(i^i(jn et bc5 Sciences.

S'IL EST VRAT Q^E LE CHRISTIAÎ4TSME AIT NUI AU DÉVELOI'l'EIMENT DES CONNAISSANCES UCMAINES.

^xoièimc ^rficCc *.

DES BIBLIOTHÈQUES DU MOYKN-AGE. 1" PARTIE.

Les Eglises et les monastères eurent des bibliothèques rasseinble'es avec une sollicitude extrèine. Ces bibliothèques furent souvent très-aonsi- de'rables pour leur leras. La formation des bibliothèques n'était pas un luxe arbitraire, mais une sorte de ne'cessité qui permet d'e'tendre par analogie les faits positifs, et qui s'oppose par conséquent aux con- clusions générale? qu'on voudrait inférer des faits négatifs. Indica- tion de quelijuesunes des bibliothèques les plus remarquables.

IX. La religion, quels que fussent les enseigncmens qu'on lui attribuât , a toujours paru dans le fait, la gardienne née des connaissances humaines. On sait que riiisloire des civilisa- tions nous montre d'abord le corps des piètres, dépositaire de la science"; Vûge sax'erdotal , Vcpoquc religieuse est son âge antique et primitif, comme l'a fait remarquer Cuvier, si je ne me trompe. Aussi, soit que les plus hautes occupations de l'es- prit humain dans les choses profanes semblassent par leur élé- vation même devoir occuper un rang voisin des vérités célestes, qui d'ailleurs ont l'imprescriptible droit de les contrôler pour

» Voir le 2' article dans le précédent ci-dessus, page ùM .

' Hérodote consulta surtout les prêtres; et l'on sait que son récit ac- quiert chaque jour une nou^elle valeur, à mesure que les progrès des connaissances nous permettent de l'entendre. Car , qu'on me laisse rap- peler encore ce que je disais dans le premier de ces articles ( page 26i ), les faits expliquent les textes bien plus que les textes n'apprennent les iaits.

400 SI LE CHRISTIAMISME A NUI AUX SCIEÎCCES. =

ainsi dire, el de leur servir comme de garde-foti '; soit, si l'on 5' vent quelque chose de plus matériel, qu'on ait tout simple- ment cherché à donner aux monumens de la science les plus grandes garanties de durée et d'assurance contre les accidens , les dépôts scientifiques et les documens d'un intérêt général * , ont communément cherché l'asile du sancluaire. Celait dans les bàtimensdes temples que les nations d'autreiojs % mais par- ticulièrement les rois d'Egypte el les empereurs romains avaient rassemblé des archives , formé des bibliothèques el des lieux d'étude pour les savans.

Sans entrer dans aucune des considérations philosophiques qui devraient faire juger, antérieurement à tout témoignage , que la religion véritable dans son plein développement, la re- ligion de Jésus-Christ, ne pouvait manquer de projeter un éclatant reflet sur toutes les études dignes d'occuper l'intelli- gence, montrons que toujours le Christianisme a répandu parmi les hommes une lumière aussi intense que le compor- taient les circonstances données. Ici, pour nous borner à des faits palpables, bien qu'ils aient été niés , arrêtons-nous à faire voir que le clergé (c'est-à-dire l'action ecclésiastique en quel- que sorte personnifiée) a toujours^dans^ les âges les plus téné-

' Je me permets d'emprunter cette expression à un homme célèbre dont le nom surprendrait ici peut-être , si je disais l'avoir entendu décla- rer que VEgUse est le garde- fou de la philosophie.

' C'était sans doute ce qui engageait Juslinien (Nov. S, cap. 'Kv.ou'^oOcirj-nç, Nov. 7i.c. iv , v. 2) à exiger qu'un exemplaire de ses lois fût conservé dans le trésor de l'Eglise, avec les vases sacrés, ou du

moins parmi les meubles pi'écieux des basiliques (ev ~olç apyjtoi^ îv

Tw evwyst tiu.-nuorf'j/M/.y.îût.

' Sous Auguste, le temple d'Apollon Palatin, et sous ses successeurs le temple de la Paix , le Capitole. Déjà auparavant, Asinius Pollion avait placé sa bibliothèque dans les bâtimens du temple de la Liberté. A Alexandrie , le Serapeum ; à Antioche , le temple de Trajan ; etc. "^"^ojez d'autres exemples dani l'ouvrage de Petit Radel , intitulé Recherches sur les bibliothèques, p. 2, i, etc. 11. Girolamo Fabri , Sacre memoric di lia- venna antica (Venise 166'». L") , p. 10. Mabillon , De re Piplomaîicâ. i. Fontanini , Findiciœ, i.

DES BIBLIOTHÈQUES DIT HOTEK AGE. 601

breux, rassemblé avec soin, et recueilli avec une infatigable persévérance les instrumens de la science, les livres.

Les moines, en particulier, n'avaient pas attendu pour s'a- donner à l'étude et réunir des collections d'ouvrages, que la science, chassée de la société, cherchât son dernier abri dans l'enceinte des monastères. La règle de St. Pacôme (5' siècle) entre dans de curieux détails » sur la distribution des livres entre les solitaires, sur leur classement dans la bibliothèque, sur le soin qu'en devaient prendre les lecteurs ' etc.; et, ce qui parait supposer une quantité considérable de livres, il veut que deux religieux soient chargés de la bibliothèque. On ne le trou- vera pas étrange , bi l'on songe que chaque solitaire devait avoir son livre de lecture, d'après la règle, et que les monastères de St. Pâcôme étaient ordinairement formés de 3o ou 40 maisons habitées chacune par une quarantaine au moins de religieux '.

Et cependant les solitaires d'alors n'avaient nullement pour objet de cultiver leur esprit par ces études que recommandè- rent dans la suite les fondateurs de plusieurs ordres : unique- ment occupés de leur sanctification propre, et rarement élevés à la prêtrise, ils pouvaient passer leur vie dans une sainte sim- plicité, où la prière et le travail des mains remplissaient leurs journées et leurs vies 4 . Mais l'étude de la vie chrétienne

' Cfr. Mabîllon, Etudes monasti<}ues,U^ partie, ch. 6. Comme je n'au- rai à citer que la première partie de cet ouvrage, je m'abstiendrai d'ea répeter riiidication désormais.

* Par exemple, la recommandation de ne pas les laisser ouverts ea quittant sa cellule.

' Mabillon, 1. c.

4 Grand nombre des premiers moines d'Orient étaient des hommes simples et sans lettres , dont la rudesse et le fanatisme parfois ne fait rien du tout à la profession monastique en elle-même. Mais quant à l'emploi que Heeren, entre autres {op. cl. i, 31 ] fait de son érudition pour montrer, par le témoignage deLibanius (pro tempUs), que ces moi- nes étaient des oisifs de profession et des emportés, c'est ce qui approche du comique , ou plutôt c'est ce qui le dépasse. Comment donc ? est-ce que les recherches des Bénédictins de Saint-Maur, par exemple el les plus grossières déclamations des Protestaus contre l'état monastique u'out pas été contemporaines r Plaisante manière d'écrire l'histoire que ToMB xvu. N* 10a. i858. 38

402 SI LE CHRISTIANISME A NUI AUX SCIENCES.

toute restreiiUe qu'on la suppose , et le soin de se perfeclionnei soi-même, pour exclusif qu'il fût , ne pouvait être séparé de la lecture des livres saints, et des modèles laissés par les premiers héros du Christianisme '. L'étude des maîtres de la perfection, des saints Pères, s'y joignait naturelleujent, et l'on voit qu'à réduire cts bibliothèques au pur nécessaire, on n'en a pas moins un résultat vraiment remarquable, ne fût-ce que pour la quantilé. Si vous faites réflexion, en outre, que malgré cet état (le ciioses ordinaire, il s'en fallait bien que tous les moines de ce lems fisseuî profession d'ignorance S vous imaginerez aisément que les écrits rassemblés parles cénobites d'alors pou- vaient se recommander par (juciqu'autre titre encore que par celui du nombre.

Quant aux Eglises et au clergé séculier, dont il a été dit un mot * précédemment , certaines circonstances y nécessitaient et y facilitèrent la formation des bibliothèques. C'était par

de puiser ses titres dans les plus décidés calomniateurs ! Mais c'est une loi de notre nature et un arrêt de la PrG^ itloiice , que les hommes les plus savans et les plus distingues du reste, deviennent comme par enchante- ment les hommes les plus communs cl les plus petits , quand ils tombent sous l'empire dt's préjugés, et surtout des préjuges anti-chrétiens.

» S. Augusijn raconte que des courtisans entrant près de Trêves, chez des solitaires, y rencontrèrent la vie de S. Antoine {Conf. 1. vin, cap. vi). Je parlerai plus au long (N" xi) de cette espèce d'exigence de la pro- fession religieuse.

» Outre qu'on vit plus d'une fois des hommes illustres et habiles em- brasser, comme S. Arsène par exemple, la vie cénobitique, l'histoire littéraire a conservé le nom et les travaux de plusieurs solitaires : ainsi Anianus ou Annianus , moine d'Egypte , imagina vers la tin du L^ siècle ou au commencement du , un cycle semblable à celui qui prit depuis le nom de ^ iclor d'Aquitaine. Cfr. Ideler , d. Handbuch , chronologie. t. n,p. iôl, i5 3et27f>. Syncelle , Chron .p. 35 . Pour ce qui est des sciences plus spécialement ecclésiastiques, il peut suGGre en ce moment de rappeler Isidore de Péluse , et avant lui les deux Macaires contempo- rains de S. Antoine. D'ailleurs, bien que la cléricature ne fût point né- cessairement unie à l'état monastique, il est certain qu'un grand nombre d'évèques distingués furent dès lors choisis parmi les moines. Cfr. Ful- gentii , viia cap. xiv. Mabillon . op. c. cap. xv.

^ A la fin du second article , dans le N" de novembre.

DES BIBLIOTHÈQUES DU MOYEN- .VGE. ÛOS

exemple la réunion des prêtres de la cathédrale en une même communauté sous la conduite de l'évêque ' ; mais surtout les écoles, ordinairement dépendantes des églises * non-seulement épiscopales, mais d'un ordre inférieur. Il serait hors de propos de s'étendre ici sur l'origine ancienne et l'universalité de ces deux instilulious, qu'il suffise de les avoir rappelées avec une indication sommaire des monumcns qui nous les attestent.

Mais ce qui aurait pu n'être d'abord que le moyen d'une pieuse occupation , devint une nécessité lorsqu'après l'invasion des barbares , les églises et les cloîtres se trouvèrent devenus le seul refuge des ouvrages de l'antiquité sacrée et profane. Le grand Cassiodore (6* siècle) malgré tous les soins qu'il se don- nait pour civiliser les coofjuérans de l'Italie, avait bien com- pris que seulement étail la semence -Vune vie nouvelle pour la société, et tout en intéressant les princes gotlis pour les res- tes de la civilisation romaine , c'était à des solitaires qu'il re- mettait le dépôt de la science mourante 3; c'était à préparer minutieusement dans l'ombi'e et le siler.ce des monastères, ces démiurges du monde moderne, qu'il consacrait les derniers

» Les communautés de chanoines dans l'Eglise latine [ monastères épiscopaux) remontent pour le moins au siècle. On les trouve sous S. Eusèbe de Vercell (368-370'j , sous S. Martin de Toui-s ( 37 l-iOO) , et à Hippone , sous S. Augustin. Au moyen-àge , leur (organisation lut ré— gle'e par Chrodegand , évèque de Metz ( 760-769) , mais cette iuslilûtion ne paraît pas avoir jamais cessé entièrement , depuis les exemples donnés par le ^t^ siècle (Cfr. Lingard Antiqult. '/f ilie anglo-saxon Cliurch. ch. Qetpassim). Et Ruhkopf ainsi que Heeren , conviennent que la désué- tude de la ^ ie commune parmi les chanoines vers le 1 siècle , eut une influence extrêmement lâcheuse pour les études. Cfr. Nardi , Da Parro- chi, passirn. - Thomassiu. - Binterim. - Ferraris. - Durr. etc.

> L'histoire des écoles ecclésiastiques et des écoles cléricales surtout, n'a pas été traitée , que je sache, d'une manière complète, quoiqu'il existe des ouvrages utiles sur ce sujet. Cf. Thomassin. -Theioer. - Joly. - Launoi.- Nardi.- Piuhkopf. - Lingard.- Meiners. - Thiersch. -Savi- gny , etc., passirn . Mieux vaut indiquer cette question importante que «Je la traiter superficiellement.

^ Cassiodor. de musicâ, dernières lignes. De institut, du in. scrip- iuarum, prœf. , Prœf. ad. libr. de oriliograph. etc.

ZiO^ SI L6 ABRISTIâNISME à NUI AUX SCIENCES.

efforts d'une main accoutumée au gouvernail de TÉtat, et d'une activité que n'avait pu décourager la chute de l'Empire. En même tems, les évêques travaillaient au même but par de* moyens tout semblables •; l'unique testament de St. Augustin (43o) fut de recommander à ses prêtres le soin des livres qu'il leur avait rassemblés à Hippone; et St. Grégoire-le-Grand ne croyait point dérober à l'Église des momens trop précieux, ni compromettre en rien la dignité du vicaire de Jésus-Christ, en s'entremettaut auprès d'un officier public ' pour faire restituer à un monastère des livres qui en avaient été détournés (SgS)» Aussi voit-on les missionnaires envoyés par cet homme de Dieu dans la Grande-Bretagne, porter aux Anglais le flambeau de la science en même tems que celui de l'Evangile. D'anciens do- cumens donnent le détail des ouvrages que l'Angleterre tenait de ses Apôtres; et ceux qui ne savent pas, ou ne veulent pas croire que le Christianisme marche toujours accompagné de& lumières même profanes, ne verront point peut-être sans quel- que surprise que l'un de ces livres fût un Homère ^ dont le manuscrit était d'une beauié extrêmement remarquable *.

X. Héritiers de Tesprit qui avait animé ces propagateurs de la foi , leurs disciples continuèrent à suivre la voie frayée par eux. Saint Benoit Biscop (v. 674)' qu» avait été sur le continent étudier au sein des anciens ctottres le véritable esprit monas- tique *, fonda avec Tabbaye de Weremouth , en Northumber- land , une sorte d'établissement modèle pour la civilisation de sa patrie, dans les arts et dans les sciences ^ eu même tems que

Cfr. vita Fulgentic, c. viji , xiv , xix, xx , xxvir* » Possid. in vit. S. Âugustini, lib. viii . cap. xi. Off. t. xi,. col. 491. ' Gregpr. m. Ep. x, U (éd. venet. 1768-76. in-^o), alia» 15, 4 Lingard, Antiquiiies , ch. x. Godwin. prœsul, AngUœ (1743)» page 41.

* On peut déjà présumer par ce trait et par plusieurs autres qui se rencontreront dans cet article , que les bibliothèques ecclésiastiques ne renfermaient pas seulement des livres de liturgie ou de dévotion. Une autre partie de ce travail sera exclusivement consacrée à ce point, oa n'en trouvera d'exemples ici , que ceux qui se présenteront d'eux-mêmes»

* Lingard, op. c. ch. iv.

' Cfr. Biogr. univ. art. Benoit (Bennet) Biscop.

DES BrBLIOTIlÈQUES DU MOYEN-AGE. ^05

dans la piété. Ces mêmes vues lui firent enlreprendre cinq voyages outre-mer, avec des recherches infatigables pour for- mer à son monastère une bibliothèque énorme en ces tems-là, et dont il s'occupait avec une sollicitude touchante sur son lit <le mort , rendant ses disciples responsables devant Dieu des perles qu'elle pourrait éprouver par leur négligence '. Céolfrîd, successeur de saint Benoît Biscop dans le gouvernement des abbayes de Jarrow (ou Gyrve) et de "Weremouth , prît encore à tâche d'augmenter la bibliollvèque commencée par ce saint qui avait été son maître, et dont il avait partagé les voyages et les recherches sur le continent *. Alcuin nous montre , dans son maître Ecbert % le même zèle des expéditions scientifiques et des recherches littéraires 4 :

« Non semel externas peregrino tramite terras » Jam peragravit ovans, sophiae ductus amore^

Si quid forl€ novi librorum aut studiorum

» Quod sccum ferret, terns reperiret in illis.» Aussi l'espèce de catalogue de la bibliothèque d'Yorck qu'il décrit en vers, annonce-t-il une collection assurément extraor- dinaire pour le 8* siècle ^. Le même Alcuin , écrivant aux

Lïngard, ch. x. Mabillon, op. c. vi. et Ann. ^ened. t. i. Heeren, Geschtclite der class, Litieratur im mitlelaUer. i. 65. Bede parlant de son quatrième voyage : « Eum inHumerabilem librorum omnis generis co- piam apportasse.»

D. CeiUier, t. xvii , ch. xûti. tO.

' Alcuin. De Pontif. eborac. v. 1i53, sq.

* Ecbert, frère d'uu roi saxon, avait e'té e'ievé par le vénérable Bède , et devint archevêque d'York.

* Voici ces vers d' Alcuin, qui pouvait parler de cette bibliothèque, pour en avoir été le gardien :

» Illic invenies veterum vestigia patrum ,

Quidquid habet pro se lalio Romanus in orbe , » Grœcia vel quidquid transmisit clara Latinis ;

» Hebraicus vel quod populus bibit irabrp superno :

» Africa lucifluo vel quidquid lumine sparsit.

» Quod pater HieronjmuSf quod sensit Hitarius , atqire

y> Ambrosius praesul , simul Augustinua , et ipse

» Sanctus Aihanasius ; quod Orosias edit avilus ,

» Quidquid Gregorius summus docet , et Z.f« papa;

UQ6 SI LE CHRISTIANISME A NUI AUX SCIENCES.

moines de Jarrow », pour les exciter à ne point dégénérer de ia science et de la vertu qui avaient distingué leurs prédécesseurs, leur rappelle surtout la bibliothèque formée par ces pieux cé- nobites, comme un éclatant témoignage de ce qu'avaient été leurs études.

Il ne faut donc point s'étonner si, un siècle et demi seule- ment après la conversion de l'Angleterre, cette île fut le foyer auquel recourut ' surtout Charlemagne, pour rallumer dans ses provinces les sciences qui menaçaient de s'y éteindre. C'était vers l'Angleterre encore que se tournaient parfois les regards de l'abbé de Ferrières (Servatus Lupus, g* siècle), ce zélateur des lettres; et, pour être plus à portée d'en recevoir les livres qu'il y demandait ^, il se servait de son monastère de Saint- Josse-sur-mer comme d'un entrepôt. Dans une de ses deman- des, il emploie, pour réussir auprès de l'abbé d'Yorck (Allsig),

»Basiliua quidquid , Fulgentius atque coruscant. » Cassiodorus item , Clirjsostomtis atque Johannes ; » Quidquid et Altilielmus docuit , quid Beda magister , »Quae Victorinus scripsêre , i?oe<A(MS, atque » Historié! vetcres, Pompeius, PUnius, ipse » Acer Aristoteles, rhelorquoqne Tullius ingens : »Quid quoque Sedulius y vel quid cauit ipse Jiivencus, y> Alevinas ^ et Clemens, Prosper ^ Paulinus , Aralor , » Quid Forlunatus , vel quid Lactantius edunt, » Quae Muro Virgilius , Sta'ius, Luc mus, et auctor Artis gramnialicie , vel quid scripsêre inagislri : » Quid Probus atque Phocas , Donatus, Priscianusve , ^ServiuSf Etiticius , Pompeius, Comminianus. »Invenies alios perplures , lector, ibidem » Egregios studiis , arle et scrmone magistros » Pluriraa qui claro scripsêre \olumina sensu : »Nomina sed quorum praesenti in carminé scribi Longius est visum quam pletri postulet usus. »

De Puulif. et sanctis eborac. Ecctcs. v. 1535 , sq. - Alcuin. ep. 13 (edil. Froben).

Alcuin, (éd. Froben) ep. 38.

* Lupus Ferrar. Ep. 62, 1i.

» Ou Alcimus, Cfr. Freben. ad. h. 1.

DES BIBLIOTHÈQUES DU MOYEN- AGB. 407

des expressions qui moutrcul combien il avait à cœur dYtre exaucé. Il s'agissait cuire autres ouvrages, de ceuxdeQuintilien qu'il n'avait pu réussir à compléter Jusque 1.^; et, craignant peut-être que les hasards du trajet ne fissent balancer son ami, il finit sa lettre en ces termes : o Quod si omnes non potueritis, »at aliquos ne graveinini destinare, receptiiri à Deo prsemium pimplctae caritatis, à nobis autem quaracumque possibilcm , duntaxat cesseritis, vicem tanti laboris. Valele. nosque mox »ut se opportunitas obtulerit, exoptabili respouso lœtificate. »

Les rechcrclies empressées des moines anglais tournèrent, il est vrai, au détriment des lettres, comme Ta lait remarquer Heeren ', parce que les manuscrits rassemblés de tout le con- tinent semblèrent n'avoir été portés dans leur île que pour préparer à la barbarie danoise une satisfaction semblable au plaisir que souhaitait Caligula , quand il eu; voulu trancher d'un seul coup le fil de toutes les vies. Mais, outre qu'une pa- reille prévision n'avait guère pari aux pensées de ces hommes si pleins d'avenir, ils ne s'abîmèrcut qu'après nous avoir arra- chés nous même? au naufrage; et l'Angleterre de saint Augustin et de Bède mit à couvert les germes de civilisation recueillis par elle, en nous donnant Alcuin et saint Boniface; car je ne parle point de Columbkill et des moines irlandais, autre jet de la sève chrétienne , qui partout eût réalisé les mêmes prodiges, si partout elle eût trouvée le champ libre. 3iais je n'ai sur cette partie de mou sujet que des notions trop imparfaites, et il peut suffire, ce semble , pour en juger avantageusement, de voir ce que furent à Bobbio, à Lux<uil et à Saint-Cail, les disciples formés par cet enfant de l'ile des saints '.

XI. Quantité de détail qui pourraient être rapportés ici, trouveront place plus naturellement dans la suite de ces re- cherches : quelques traits sulïiront actuellement, d'autant (|ue

' Op. c.

» On sait que l'Irlande, l'aîuee de l'Angleterre dans la foi , ëtail des le 6* siècle (moins de cent ans après sa conversion) renommée pour ses écoles monastiques et épiscopales. Cfr. \^ are, De scriploribus Hibemice, 1. 1 , c. 1 4. et 1. u, c. 2. Thom. Moore , histoire de l'Irlande , tome i. Rehm, Handbuck d. Gesch. d, Miltelalters, t. i^' , p. 346.

â08 SI LE CHRISTIANISME A NUI AUX SCIENCES.

(et il importe de le remarquer) ce zèle dont nous trouvons tant d'exemples ne saurait être regardé comme le goût particulier de quelques prélats ou abbés qui se distinguassent ainsi de la foule. Il appartenait aux principes mêmes qui devaient les mouvoir, et loin que la conduite de ceux-ci puisse être prise pour une exception , c'était l'indiflférence et l'incurie qui déro- geaient: en sorte que cette insouciance ne pouvait avoir lieu sans qu'on eût oublié les modèles , les leçons et l'esprit qui de- vaient servir de guide. Un siège épiscopal ne se fondait pi>int sans qu'auprès de lui ne fût jetée à la fois la semence d'une in- stitution littéraire et scientifique. St. Anscbaire (9* siècle) déposait à Hambourg une bibliothèque apportée de Corvey •, en même tems qu'il y élevait sa catliédrale ; ces deux établis- semens furent l'un et l'autre détruits par les Normands. Quand l'empereur Henri II fonde la cathédrale deBamberg(i i* siècle). il prend soin d'y commencer une bibliothèque ' également. Une des plus anciennes et des plus riches de l'Allemagne rhé- nane était celle de Cologne, fondée surtout par les soins de l'archevêque Hildebald ^ au 8' siècle. Celle de Fulde * dont les précieuses collections ont disparu comme par enchantement, remontait au tems des Carlovingiens, et possédait encore au 16» siècle des manuscrits de 794 ^. Quand l'église métropoli- taine de Milan fut la proie de flammes en 1075 , on eut à y re- gretter entre autres désastres la perte de la bibliothèque 7 ; et

» Mabillon, Annal. Bened. t. vi. f^ita Anscharii, c. G. ap. Klemm, zur Geschichte der sammlungen fur voissenchafl und kunst , m Deutschland. 2«édit. (Zerbst, 1838).

» Corwey,Coraei [Corheiaà Visurgim, ou Saxoaica), la nouvelle Corbie.

* Kleium. op. c.

4 Cfr. Hartzheim, Catalogua historicus criticus codicum macr. bihliothe' metropolitanœ Coloniensis. Cologne, 175!?. fi°. Gercken , Reisen durli Schwaben, etc. t. m. ap. Klemm. op, c.

» Cfr. Schannat, Iliit. FulJ.

^rEbert, art. Bibliothèques dans VEncycl. d'Ersch et Gruber.

7Tiraboscbi, Sloria délia litteratura italiana. 1. iv, c. 1. J'avouerai toutefois que je n'en ai pas trouvé un mot dans Arnulphus , qu'il donne comme l'un de s«s garans. Quaùt aux autres ^citations qu'il indique, je n'ai pasjpu les vérifier.

DES BIBLIOTHÈQUES DU MOYEN-AGK. 609

nous avons encore le catalogue des livres qne possédait en i x35 la cathédrale de Trévise '. L'incendie des bibliothèques épisco- pales de Paderborn en ioo6, et d'Hildesheim en ioi3,fnt d'autant plus fâcheux que ces églises avaient eu des écoles et desévêques célèbres par leur zèle pour les lettres ».

Quant aux monastères, celui qui n'aurait pas possédé une bibliothèque, eût été une espèce de monstruosité dont ces tems d'ignorance avaient à peine l'idée. Aussi Baldric de Bourgueil (il* siècle) invitant Godefroi de Loudun à prendre l'habit mo- nastique, lui représente 3 qu'il y pourrait satisfaire amplement son goût pour l'étude par la quantité de livres qu'il aurait à sa disposition. Un abbé de Beaugency, au 12* siècle, s'exprimant d'une manière générale à ce sujet % pense qu'un arsenal n'est pas plus nécessaire à des gens de guerre, que ne l'est à des re- ligieux une bibliothèque. Expression qvii paraît avoir été comme proverbiale parmi les moines d'alors , car les écrivains semblent y faire allusion plus d'une fois à de grandes distances de tems et de lieu. Ainsi, dans la vie de St. Bernward, évêque d'Hildesheim ^ , l'historien déplore en ces termes les ravages d'un incendie qui savait dévoré les livres rassemblés par les soins du saint prélat : « Perpetuô est lugendum quod inexplicabilis

librorum copia ibi periit, nosque spiritaalium armorum inermes

reliquit.B C'était l'esprit des Pères de l'Église et des maîtres de la vie monastique; Évagre (ou Ruffîn) dès le 4' siècle, rap- portait d'eux cette maxime * : « Conversalionem monachi cus-

todit scientia; qui autem ab ea discedit, incidit in latrones.s

» Cfr. Tiraboschi , 1. c.

» Chronic. staindelii. Hceren, op. c. n, 9, 25.

Ann. Bened. t. iv, p. 1i7. ap. Lebœuf. Dissertations iur l'histoire de Paris, t. 2e.

4 Dans la correspondance du chanoine Gaufrid ou GeofiProî. Ep. fS. ap. Martène, Thésaurus anecdot. t. i. col. 51 1. Claustrura sine armario « (bibliothèque) quasi castrum sine armameotario , etc. >•

* Tanemarus , ap. Heeren , op. c. n , 9.

«Evagrii Codex regiilarum. a^. MnhWiou , Etudes monasti(/ues , thap. vin. Cfr. Holsten. Cod. regul. 3fonast.

410 SI LE CHRISTIANISME A NUI AUX SCIENCES.

Sï. Jérôme > faisait la même recommandation aux solitaires : « Ama scientias scripturarum et vilia carnis facile superabis. » Les mêmes maximes se retrouvent d'âge en âge dans les écri- vains qui ont traité des obligations de la profession religieuse, depuis les Pères du désert jusqu'à ce prieur delà chartreuse de Pruel ( près de Ratisbone ) , qui, rédigeant ( à la fin du 16' ou au commencement du ly' siècle ) pour ses frères, un manuel de leurs devoirs, formule ainsi la même prescription ' : « Ho-

nesla lilterarum studia nunquam deponas. Obmutescit enim

animus, indeque studium pietalis languescit. Intellectuenim >malè feriato, voluntas sanè quid appetet?» Et il ajoute en développant cet axiome : « Docemur mentem erudire, ne otio »aut sensualitatibus oppressa obtundatur. Ignorautia ubique mullorum malorum est mater. »

Dans le fait, le sort des livres fut communément le même que celui de la règle; l'assiduité à la lecture et l'ardeur pour le travail, même de l'esprit, y marchèrent toujours de pair avec la ferveur de la discipline religieuse, faiblissant, s'éteiguant et se rallumant avec elle comme par une société naturelle et insé- parable. Le Dante, ce grand peintre, l'avait bien saisi , et dans son magnifique chant du Paradis si peu apprécié du vukaire des amateurs, il trace en quelques mots, avec sa grande ma- nière, la décadence des études jointe à celle de la régularité \

« E la rcgola mia

» Rimasa è giù per danao de le carte. »

» Hieronym. Ep. ad Ruslicum.

* Matthias Mittner, Encliirldion eartusianorum. Jphor. i9. fl/).B. Pez, Bibiiothec. ascetic. t. v. Celle collection, trop peu connue , renferme des opuscules extrêmement curieux , à mon avis , quoique peu propres à intéresser bien des lecteurs , à cause de leur tendance ascétique. Mais tandis qu'on exhume à grand bruit de tristes rapsodies du moyen-àge, j'admire qu'un homme sérieux n'ait point signalé ce recueil comme Mé' moires de la vie intime citez nos Pères ; sujet qui mérite bien quelque inté- rêt aussi. Je me contenterai d'y faire remarquer un petit traité de Nico- las de Strasbourg (15^ siècle) , qui a plus de rapport à mon sujet. Il y indique la manière de sanctifier les études de mathématiques , d'astrono- mie, de littérature , etc. ; t. 3, particulièrement ch. xi.

* Dante, Paradiso ^ xxu, 74.

DES BIBLIOTHÈQUES DU MOYEN-AftE llli

Ne soyez donc point surpris si les règles monastiques des- cendent parfois jusqu'à une sorte de minutie sur le soin qu'il faut prendre de la bibliothèque. Le coutumier de Citeaux, ré- glant l'ordre à suivre pour le tems de la lecture, s'exprime ainsi* : o Quod si (juis nccesse habuerit divertere alicubi, li- obrum suum in armario reponat; aut si in sede suà eum di- smittere voluerit, faciat signum iratri juxtà «cdenti, ut illum Dcustodiat.» La règle de St. Isidore voulait que les livres fus- sent rendus tous les soirs : o Omnes codices cuslos sacrarii ' «liabeat deputatos, à quo singulos singuli fratres accipient, squos prudenter lectos vel habitos, semper post vesperam red- s dent. Prima auteuî hora codices singulis dicbus petantur, » etc ''.» Celle des Chartreux (Statala Guigonis) au sujet de l'a- meublement de chaque cellule : « Adhuc cliam libros ad nlcgendum de armario accipit duos, quibus omnem dili- «gentiam curamque adhibere jubelur, ne fumo, ne pul- » vere, vel aliâ quâlibet sorde maculentur ; libros qiiippe tamquam » animarum nostrarum cibum cautissbnc cuslodiri , et studiosis- tsirne voLumus fieri ^ , etc.» Pandes qui rappellent la'manière dont Ilariulph termine le catalogue des livres «le St. Riquier «

au 11" siècle. « Omnes igilur codices in commune faciunt

nnumerum cet et vi. Ita videlicet ut non numerenlur libri Bsigillatim, sed codices, quia in uno codice diversi libri mul- «tulies.... habentur; quos si numeraremus quingentorum co- "piam superarent. Uœc ergo dixiticc clauHrales ^ licc sunt opulentiœ cœiestis vitœ, dulcedine animam saginantes, per quas in ceniulensibas i

' Ap. Marlenc , Antiqui monaclioi iim i-itus. 1. x. c. 7. 10. ^ Ap. Martene , 1. c.

5 On verra plus tard (N° li) pourquoi !e bibliothécaire est designé par les expressions : armarius , custos sacrarii , c'est-à-dire . chargé du trésor de l'Eglise, oa de la Sacristie.

4 Ap. Martèae, 1. c. ^ Ap. Martene. 1. c.

6 Spicilegium de d'Achery (éd. iQ-4°) t. i.

7 Centula est le nom du lieu avait été fondé le monastère de Saint- lliquier.On a prétendu trouver l'origine de ce nom dans la multitude des tours qui flanquaient les murailles de l'abbaye, et dont un bon nombre subsiste encore. «Turribus à Cenium Centula. dicta fuit. «

£|12 SI LE CHRISTUniSME A NUI AUX SCIENCES.

imputa est salubris itla sentenlia : Ama scientiam seripturarum ^ »et viiia non amâèis '. »

Ces vicissitudes des bibliothèques monastiques , liées à celles de l'esprit religieux, nous sont attestées par l'histoire, bien que les chroniqueurs n'en aient point fait ordinairement la remar- que expresse.Maisïrithème, bon juge en cette matière, ne man- que pas de lefaire observer * : «Mortuo"W'illichone...non fuit qui

monaslicae institulionis integritalem curarel, caeperuntque mo- nachi post divisionem generalem , quilibet etiam pro se habere ttperculium... Bibliothecam à principio fundationis monasterii

satis locupletem variisque voluminibus refertam turpiter dex- «truxerunt , vendentes preliosa volumina pro vili pretio,ut »suis comcssalionibus et voluptatibus satisfacere possent. > Ici c'est avec l'esprit de pauvreté ' que se dissipe la collection des livres du monastère ; ailleurs c'est bien un autre dégât, quand la règle est tout-à-fail bannie. C'est encore Trithème *, parlantde l'abbaye d'Irsauge (Hirschau) envahie par les séculiers (i i* siè- cle) : «Monasterium..., monachis vaccuum... proslibulura me- » relricum faclum est. Interea si quid remansit quod Cornes ' et scaeteri fures non rapuerunt , cierici.... ita paulalim cousu-

' On voit par ces derniers mots que les moines du moyen-âge , avaient pris pour eux l'avis donné par S. Jérôme aux solitaires de son teras.

» Trithem. , Chron. spanhemense , ad A. 1337.

» Ce doit èlre chose singulière pour ceux qui , privé» de foi , ne se font point d'idéedefétat religitnix, de voir que les communautés les plus réglées aient communément allié la pratique d'une pauvi-eté étroite relativement aux aises de la ^ io , avec une sorte de profusion pour les livres. L'abbé Guibert, contemporain des premiers disciples de S. Bruno (I1« siècle) , exprimait aussi son admiration à ce sujet : iQuum in omuimodà pauper- » tate se déprimant, ditissimam tamen Hbliothecam coaggerant : quo » enim minus panis hujus copia materialis exubérant , tanlo magis illi qui non périt, sed in aelernum permanet cibo operosè insudant.» Gm- bertus. De vtta sud. 1. i. c. 10.

* Trithem. Chron. Hirsaug. ad A. 1002.

* Un seigneur s'était d'abord emparé du monastère , comme il arriva si souvent à cette époque; puis des ecclésiastiques séculiers y remplacè- rent les moines expulsés par la violence et les mauvais traitemens ; en sorte que l'abbaye dexinl le théâtre de desordres malheureusement trop fréquens durant ce siècle parmi le clergé.

DES BIBUOTnÈQUES DU MOTEN-AGE. 415

»iUentes in nîhilum redegerunt , ut ncc (ibris , quorum ingens co- mpia ibi collecta fuerat,per diligentiam veterum monacliorum... parcere «potuissent. Nam quum illo teinporc, qiiando împrimendi libres

scientia necdum fuit in usu , volumina cariore vcnderentur tprefio, indocli nebulones pretiosi>simum illum thesaurum

bibliolliecae in paucis annis lam turpiler vendeiido et consu- »mendo dislraxerunt , ut nec unum cjuidem codicem alicujus »ponderi»el pretii reliqnissent.

On voit (jue selan le pieux et savaui Trilhème , on pouvait en quelque sorte juger dans un monastère, la vie religieuse de ceux qui l'habitaient par l'état de la bihliolhèque, ou du moins par l'estime qu'on y faisait des livres. Pour lui , quant après avoir quitté sa première abbnye , il énumère à ses anciens re- ligieux les titres qu'il croit avoir à leur reconnaissance , il in- siste principalement ' sur l'augmenlation de leur bibliothèque procurée par ses soins (fin du i 5' siècle); « Nemo vestrùm inve- »nit me otiosum, nemo vidit vel auilivit... vagis discursibus vel «spatiationibus. ., inutiliter occupatum In testimonium stu-

diorum nostrorum voco ciloque bibliothecam illam solemnem quâm »meis laboribus, studio et impensis comportavi, non sine vigi- «lantià et fatigatione continua voliiminum, in omni varietate

studiorum non modicam muliiliidinem corigregans..., quorum

nnmerus omnium duo millia exccdit.»

Dans une autre lettre ', il considère le sacrifice auquel il lui a

' Trithemii Epist. 1. n. Ep. 2*. Sa lettre est datée de Wurzbourg en 1506.

« Trithemii Ep. , lib. ii, ep. 3. « Scio quidem non paucos mirari qood ahbaliam diniisi spanhemensem quam libris et structuris offecipulcher-

rimam.usque adeo ut in tolàGermanià nunquam rcperialurbibliotheca

in quâ tôt habeantur in omni scienlià scripfiirarum nova simul et anti-

qua volumina pretiosa atque rarissiraa . non solam latina , sed hebraica

quoque et graeca , charactere scripta \etustissimo. Nam ut vidisti , plus

quam duo voltnnintnn mill.ia ex dioersis muudi regnis tara et anlinuissiuba

comportavi , quae omnia , cum sedificiis el rébus variis , amore pacis di-

misi.Si quis x eorum amissionedolor anitnum pulsare caepisset, mortis

mihi sirailitiidinem formavi.quà non soliim oblivionem iibrorum, «««« nquibus aliquando vivere non />o/«<, sedetiam conlemptum, utdixerim ita,

mihimetipsi persuasi. Magno ,fiJleor,hib(iotliecœrfiioiidum tenebar amore

et cunctis mundi opibut Libros meos anteferebam : std postea quam rerun^

mutationem perpendi adesse mearum, onuiia qnae prius ama\eram stcr-

Zjlii SI LE CIIRISTIANISIIE A NUI AUX SeiENCES.

fallu se résoudre en quittant avec Sponlieim, sa chère biblio- thèque, comme la plus amère privation qu'il ait eu à subir pen- dant toute sa vie. Et ce n'était point une singularité: St. Nil le le jeune ( 10' siècle), apprenant la dévastation de son monastère de Rossano , par les Sarrasins, fut si profondément affligé de la destruction de ses livres ', qu'il se relira à Rome, fuyant les lieux ce douloureux souvenir semblait devoir le poursuivre sans cesse On voit en cITet la première pensée des religieux se porter sur cet objet, lorsqu'un danger sérieux menaçait leurs monastères. En 883 ', dans un incendie qui fit perdre aux moi- nes de Fleury tout ce qu'ils avaient de mobilier, ce fut à sauver les livres qu'ils s'attachèrent de préférence. Au lo' siècle, l'abbé de saint Gall fuyant devant les Madjars, voulut qu'avant tout on dérobât les livres aux dévastations de ces farouches conqué- rans ',elles fil transporter dausles montagnes. Les Bénédictins du mont (lassin, obligés dès le premier siècle de leur existence , (vers 58o ou 586), d'abandonner leur monastère à la fureur des Lombards, sauvent leurs livres 4, avec les monumens de leur règle. C'était le trésor des abbayes; et saint Fulrad , abbé de Saint Denis, n"en juge pas autrement, lorsque, dans la liste de ce qu'il laissait à sa mort (8' siècle), il place les livres immé- diatement après l'or et l'argent ^.

«coris aestimatione contempsi, animoque imperavi mconihilpraeter seîp- » sum deinceps suum credere, el quae in morte necessario esset relicturus, «multo magis vi\ens in carne disceret non amare , etc. » Je me suis étendu à dessein sur Tritheine, parce qu'il appartient à un tems (fin du 1 S' siècle et commencement du I i)<î) que l'on considère volontiers comme ayant été , sans contredit, l'âge de l'ignorance la plus épaisse pour les monastères. Clr. Blurae, lier Ilalicum, t, i^r (licrlin I82i), Einleitung

> Cfr. Rodotà. Del rito greco tn Itatia, I. u , c. 6, 7.

> JctaSS. Beneiitctin. Saec. iv, part. 2, pag. iO'J. ap. Petit-Radel, op. c. p. 80. La date pourrait bien n'être pas exacte. Voyez l'opuscule inti- tulé : Souvenirs liistonqucs sur Cancienne abbaje de Saint-Benott-sur-Locre, par L.-A. Marcbaud. Orléans, J838, ia-8°.

3 Bruschius. Hi$t. Boliemic. ap. Petit-Radel, op. c. p. 86.

4 Paul. Diacon. De gestis Longobardorum , lib. iv, c. Î8, ap. Muralori, J\er. halic. script, t. i.

* Aurura , argenlum , codices, aeramen delegavi. Acta SS. Ben.

S«ec. m, part. 2,, pag 3i2.

DES BIBLIOTHÈQUES DU MOYEN-AGE. 1x15

Plus indépentlans que les abbés, et pouvant diposer librement de leurs livres, de saints évèques voulaient les conserver auprès d'eux eu voyageant. Je n'en choisirai d'exemples que parmi ceux qui ayant été religieux, ou du moins formés dans les cloîlies, y avaient puisé cet amour de l'étude; l'hisloire de S. îlurkard, évc- que de "Wuizbourg racontant sou abdication (en 751 ), ajoute *: « Assumptis sex lanlum exomni multitudine discipulorum suo- »ruminonac!iis, navim conscendit ' ,co(Iices eliara quos vel ipso Hconscripserat , vel undecumque conquisicrat, secum deportari efecit.» Saint Boniface ne portait avec lui que des livres et des reliques * ; aussi le rcprésente-t-on souvent avec un livre tra- versé d'un glaive, parce qu'il opposa aux coups de ses meur- triers un évangile qu'il tenait à la main , lorsqu'il se jetèrent sur lui *. Saint Brunon , archevêque de Cologne (mort en 960), fils de Henri 1" l'Oiseleur, et qui avait reçu les leçons du savant Rathérius de Vérone, ancien moine de Lobes *, faisait transpor- ter ses livres à sa suite, durant ses nombreux voyages, afin de n'en être jamais séparé; et comme on pourrait croire que c'é- taient seulement des ouvrages de piélé , il n'est pas"inutile de faire remarquer, avec les historiens de sa \ie, qu'il faisait vo- lontiers sa lecture de Piaule et de Térence ^.

XII. Je voudrais pouvoir indiquer ici , au moins sommaire- ment les bibliolhèques les plus remarquables du moyen-âge. Dans l'impossibilité de le faire d'une manière complète, je ren- verrai aux indications qui se trouveront disséminées çà et dans les articles suivans, el me contenterai d'en nommer pour le moment un certain nombre.

Leiand, bibliothécaire de Henri VIII, et qui avait mis à profit

' Lecolnte, Annal, ecciesiaslici Fravcorum, t. v, ad A. 75 f, a" 58. . * Il s'embarquait sur le Mein , pour se retirer à lîuhenbourg. - \TillebaId , In ej. vitd. Cfr. Schaunat, Vindcinlœ litterariœ t. i.

* Othlon, ib. ^cta sanctorunijunii, i. 1,

* Les e'tudes llorissaient à Lobes (ou LaubeJ au commencement du 10= siècle.

« D. Ceillicr, t. xix, ch. xlv, n" f el i. Quoique M. Graesse (Lehrbuch einer lilleraergeschichle.... 2* vol Dresde 1638.) attribue aux docteurs du moyen-âge la proscription de ïérence ; mais nous aurons occasion d'en parler.

Û16 SI LE CHRISTIANISME A WUI AUX SCIENCES

pour son maître la dépouille des maisons religieuses, et au- tres témoins oculaires, racontent , que l'on comptait 1,700 manuscrits à Péterborough ; que la bibliothèque des moines gris (Franciscains, je pense) d Londres, avait 12g pieds de long sur 5i de large, et était très-bien fournie {JVell filled with books); qu'à TVells , la salle occupée par les livres , avait 25 fenêtres de de chaque côté. Selon Iiigulph ", dans un siècle appelé commu- nément le siècle de fer ou de plomb (en 109»), on perdit 700 volumes quand la biî)liothèque de CroyiandïuX brûlée. Et ce- pendant il semble qu'au 12* siècle, on en avait rassemblé de nouveau goo autres ^ En Piémont l'abbaye de la Novalaise, s'il fallait s'en rapporter au témoignage d'un de ses moines * , au- rait possédé au 10' siècle 6,666 volumes. Il est vrai que ces quatre fois six ont quelque chose de bien symétrique qui pourra paraître tant soit peu suspect, chez un chroniqueur connu pour son emphase. Libre donc au lecteur de réduire ce chiffre, je ne m'y oppose point; déduction faite , il demeurera , je pense , un nombre encore passable, Mais pour ne plus paraître adopter des exagérations de chroniques, contentons-nous de rappeler les abbayes de saint Riquier (^\)\xis de 5oo volumes au 1 1" siècle), et de Sponheim (plus de 2,000 au i5» siècle), elc, et passons en revue sans autre détail, les bibliothèques dont la réputation in- contestable est attestée par les monumens s.

En France : saint Bénigne de Dijon , saint Berlin S. Omer), Grande Chartreuse, Citeaux , Cluny, Corbie, Fleury ( S. Be- sur- Loire), saint Germain-d'Auxerre, saint Germain-des-Prés à Paris, Lérins, Luxeuil, Marmoutier( près de Tours), Murbach en Alsace, saint Rcmi de Rheims, Sénones, saint Vanne de

* Alban Butler, Vie des ancient Pères , etc. Note à la Tie de saint Au- gustin (26 mai) , ou il cite ses autorités. L'édition que j'ai sous les yeux est celle d'Edimbourg, 1 798.

* Ibid.

* Heeren, op. c. 1. n, 39.

* Cfr. Eugenii de Levis, Anecdola sacra. Turin, 1789, in L*, Praef. xxviij,

* On trouvera une liste beaucoup plus considérable dans Ziegelbauer, Hi$t. Utterar. ord. S. Dened. t. i , quoiqu'il se borne aux monastères de bénédictins.

DES BIBLIOTHÈQUES DU MOYEN-AGF,. fil 7

Verdun , saint Viclor de Paris, saintVincent de Besançon, saint Vincent de Laon,etc.

Espagne: Alvelda (près deLo^rono), saint lîenoît de Sahagnn, saint Paul de Barcelone, saint Vincent d'Ovij-do, etc.

En Portugal : Alcobaça, etc.

Ilalie : Bobbio, Mont-Cassin, Grolta ferrata, sainte Marie de Florence, Polirone (dans le Aianlouan), Poniposa (près de Ra- vcnne) , etc.

Angleterre : saint Alban, Cantorbéry, Chestcr, Rainsey (dans le Hnulini^tonshire), elc.

Pour l'Ecosse et l'Irlande, comme pour la Suède, le Dane- mark, la Pologne, la Hongrie et les pays slaves, les docuniens ne se sont point rencontrés sous lua main.

Boliême : Brzeunow, Poslelpford (ou Poslelberg), Prague (les Prémontrés et la cathédrale), etc.

Suisse : Einsiedeln (Notre-Dame dcseimites) saint Gall, Mûri (ou Mouri) , Pfeffers, etc.

Allemagne : Bibliothèques de chapitres : Rreslau, Cologne, Francforl-sur-le-Wein , Gandersheim, Hambourg,- Mayence, Munster, Ratisbonne, etc. ^" Dibliot/icqaes monastiques (ou de communautés religieuses) : saint Alban de Mayence, Nieder- altaich, Ober-allaieh , Benediet-Beuern, Bergen (près de Mag- debourg) , saint Biaise (dans la Ibrôt noirel. Chartreuse de Buxheim(en Souabe), saint Emmeramn de Ratisbonne, Fulde, Gottweih, S. Jacques de Mayence, Michelsberg (près de Ban- berg), Moelk, Oltobeuern, Tegernsce, saint Ulrich et sainte Affre d'Augsbourg, ^Veingarlen, etc., etc., ete *.

Je ne parlerai guère que de l'Occident, soit parce que les reli- gieux de l'empire grec, ayant , après quelques luHes , passé à l'ennemi, n'ont point encouru comme les moines latins, l'ani- madversion de la raison (comme parlait Voliaire): les religieux catholiques étant, comme il convenait, ceux qui ont eu à por- ter le principal poids de la colère des novateurs; soit surtout à cause du silence des monumeus historiques '. Disons au moins,

» Voir Klcmm , op. c.

^ Heeren (op. i et xi passim) se pl.Ti'nt à plusieurs reprises des ge'méra- litdsdont se contentent le plus souvent les e'crivains iiatiouauxderhistoire ToMEXvu. 102. i838. 39

7jl8 SI CaniSTlAMSME A ^L•| KV\ SCIENCES.

que les bibUoShèqucs monastiques les plus célt-bres du bas em- pire, paraissent avoir élé celles de l'Archipel, durant le 9* siè- cle ; à Andrcs , à Pai/nnos , à Lisbos ', soustraites pcut-êîre par leur isolement auxiir.eurs des préfets iouncclastesduS'siècle >; et sur le continent , dans les mona.stères d'jmont Àthcs , les religieux de diverses langues c^mmencèrentà s'établir en grand nombre durant les (j' et 10" s-iècies.

La continuation de cet article exposera les moyens auxquels on eut recours pour rassembler des collections de livres dans ces tems difficiles. Après quoi , nous verrons de quels ouvrages se composaient ces collections, cl s'il est vrai que l'érudition et la science prolanesen fussent bannies, ou n'y fussent admises que par une sorte de rare exception.

C. A CHER Y.

Ittéi'aire byzantine; et , sur un pareil objet, i! serait téméraire de vouloir ralïiner un houirae aussi habile conlesse sou igaorauce. C'est sur- tout au sujet des bibliothèques que ces auteurs suppritaent opiniâtrement les détails; mais le même sa%ant lait remarquer , en outre, que les mo- nastères d'Orient, et surtout ceux de Constanlinople , paraissent avoir été fort inférieurs pour l'élude à ceux d'Occident. Op. c. n , 29.

' Heerea,op. c 1, 83.

» Sur le vandalisme de Constantin Copronyme et de ses préfets. Voir Theophan, p. 371, 373 , 375 , etc. Cedren. p. 45i , i66. En citant les auteurs byzantins , c'est ordinairement à l'édition de Paris que j'ai re- cours.

PLAN ET DESCRIPTION D^UNE BASILIQUE. 419

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:3iït arijvaicn.

PLAN ET DESCRIPTION D'UNE BASILIQUE

DES PUETîHEBS SIÈCLES, Pour servir à l'inlelligence des ailleurs qui traitent de l'art clirétien.

■-a^S<s^g»

Nous avons déjà parlé des Bnsiliqaes •, et dit que ce mot si- gniHait chez les Grecs et les Romains de grands édifices, l'on traitait des affaires de la nalion, et ou siégeait le chef delà jus- tice qui en grec se nommait Baaàsuç. (lonslantin ayant donné plusieurs des ces édifices aux chréliens, pour leur servir de lieu de réunion, l'ancien nom leur resta *. La vaste étendue de ces bàtimens convenait en effet bien mieux aux assemblées des chrétiens, que la forme exrguë de la plupart des temples payens, dont peu de personnes remplissaient l'espace , et dont l'idole , comme le dit spirituellemcut un auteur moderne, disparaissait souvent dans la fumée d'un grain d'encens ^.

On parle beaucoup aujourd'hui de l'art chrétien, et l'on re- cherche avec curiosité tout ce qui peut contribuer à en faire connaître l'origine et les diiférLUtes destinées; on parle donc biensouvent de Basiliques et d'Eglises ; on lit les auteurs qui en ont conservé le souvenir; on compare entre elles les descrip- tions laissées par Euscbe, par S. Paulin, par Anaslase; mais faute d'un plan, qui en mette les parties sous les yeux, on ne saurait s'en former une idée juste ; bien plus nous osons dire qu'on ne peut se former absolument aucune idée de quel-

Voir le 9i, tome xvi , pag. 253.

» On sait que ce prince donna même un de ses palais , situe' sur le mont Cœlius, pour en faire la première église ; malheureusement il n'en existe plus depuis long-tems aucune trace.

3 Des temples anciens et modernes , par L. May., î vol. in-S", p. 17.

Z|2l) PLAN ET DESCniPTION d'lNE BASILIQUE.

(|ue*-unc.s des pailu's de ces édifices, puisque les termes mêmes, dont se sont servis les anciens, pour les exprimer, ou les ficcrirc, manquent dans la plupart de nos dctionnaires. C'est ainsi qu'on chercherait vainement dans Henri Etienne y oudans nos dictionnaires clussirjucs Grecs ou /^fl//ns, plusieurs des termes qui désigjicut quelques-unes des parties des anciennes églises.

Nous avons donc cru faire une chose agréable et utile aux lecteurs des Annales, en faisan! graver une planche qui mît sous leurs yeux les différentes divisions de l'ancienne basi- lique chrétienne; et afin que cette explication fût plus claire et plus facile à saisir, non-seulement nous allons donner ici l'explication des différens noms des divisions de ces édifices pri- mitifs, mais nous avons fait graver ces noms dans le plan même, afin que la destination de chacune des parties s'aper- çoive de prime- abord et sans le secours d'aucune explication.

Pour atteindre le but que nous nous proposions, nous avons parcouru les ditférens ouvrages qui on été publiés sur cette matière; Ciampini S Alemanus », d'Agincourt ', etc., mais nous n'en avons trouvé aucun qui donnât un plan qui fît aussi bien comprendre cette question , que celui que nous trouvons dans le traité de Godefroy Voigt sur les anciens autels des chrétiens 4. C'est celui que nous offrons ici à nos lecteurs.

' Veiera monimenta De œdificiis sacria à Constantino constructis.

* De parietinis Lateranensibus restitutis.

* Histoire de Cart ^ t. i et ii , plan i, 8, H, 16, 17.

* L'ou^rage de Voigt est intitulé Golhof. Voigti tliysiasterriotogia, sive de altaribus veterum christiatwrum liber posthumus editus à J. Al- berto Fabricio, etc., in-S'Haraburgi 1 709. Voigt était recteur dcl' école de saint Jean , à Hambourg , et son li\ re est peu connu. Il cite Hospi- nianus de origine templurum, Joa.-Hildebraudus, Enchiridion de sacris publicis primœ et primitivœ eccUsiœ. Gui!. Beveregius de templis grœcorum auquel il a emprunté le plan que nous donnons ici.

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w»/<âr^ï'rr't'*j

A22 PLAN ET DESCRIPTION D'uNE TiASILIQUE

Basilique ancienne et ses diverses parties.

Les églises les plus anciennes étaient divisées, comme on le voit dans le plan joint à cet article, en quatre parties prin- cipales, qui étaient :

I. Le UpaiTÛlKiov , ou atrium , ou portique. II. Le NajoSïiÇ , on Vesiibulum-, ou vestibule.

III. Le Nkoi;, ou Ecclesia, OU nef.

IV. Le Byj/AK , ou Sacrariuniy ou Sanctuaire.

I. La première partie de la basilique était le nPonVAAiON, que les Latins ont appelé ATRIUM, ou arca, ou catacumba, on para- disus ; c'est ce que nous appelons péristyle, ou PORTIQUE, ou porche '.

C'était un endroit carré ou oblong, comme on le voit ici, formé de colonnes, couvert, et ouvert primitivement, puis fermé de tapisseries très-riches '. Quand on eut cessé d'ensevelir dans les catacombes, c'est que furent enterrés les chrétiens; et alors on y mit une inscription qui portait : KotpiïjTrîptov, ctcme- terium , cimetière, lieu de repos.

C'était encore que se tenaient les pénitens publics, revêtus d'habits de deuil, la tète couverte de cendres, prosternés, pleu- rant, et priant ceux qui entraient dans l'église d'intercéder pour eux auprès de Dieu. Aussi nomma-t-on ce lieu orao-t; tûv tt^oh- xîiatovTwv , Statio lugentium , la place des pleurons ^ ?

II. Venait ensuite la seconde partie, ou plutôt la première partie de l'église proprement dite, appelée NAPGIIz:, ou ttjoovko-, Vestibulum, vestibule, ou avant-nef, à laquelle on parvenait par une grande porte, ^.tyoÙMi -nvlai. Dans le narthcx ou avant- nef, partie la plus humble de ['rglise, se tenaient d'un côté , à gauche, les possédés, o>. ^^-luoc^oiiévoi, hiemantes '', ou ener-

» Voir ce qu'en disent saint Paulin, saint Jérôme, Prudence, Vl^epist. ad Heliodorum. In epiphanla. Ilj'tnn. ad S. Laurenttiim.

» Voir son traité sur tes porches des églises. Vour le droit d'asile, voir le code théodosien , liv. ix , 45. ^ Voir Sirmond de penitentià pubUcâ. ;

4 Quelques auteurs ont traduit /ji^iK^oii-évoi par hibernantes ; celte

DES PREMIERS SifcCLES. 423

gumeni, et les lépreux^ oi Xsz^ooi , leprosi ; à droile, les cal/iécU' m^ncs, o't. y.v.--nyovj.vjoi. . catecitumeni ; au-dessus d'(Mi\. et plus près de la 2* parlie de l'ri^lise ou de la net', étaient les écoutans ou auditeurs, ol ùxpoMy.évoi., atidicntes , c'esl-à-diic . t )u^ ceux qui pouvaient enfendie révanj:;ilo et les éj)iti(;s, mais qui n'a- vaient pas le droit d'assister au saint Sacrifiée. Près de là, et sur la droile, était le baptisirre , CjKxnTiaTr,pi.ov ou 7.o').'Jif.SriOp« , l'on administrait le sacrement du baplème.

Pendant le moyen-âge on donna de grandes dimensions et de grands développemens au Uoplislère; aussi fut-il iong-tems sé- paré de l'église , pourtant toujours auprès d'elle, et ibrma-t-il comme une espèce d'église à part. Nous citerons comme mo- dèles de ces deux disposiii!)us, celui dePisc, placé hors de l'église, et celui de S. Marc do Venise, situé dans sou enceinte et admirableuicnt décoré.

III. Du Narthcx ou avant-nef, on passait à la troisième partie de la basilique, appelée NAOS ou £xx),r/(7ta , en grec, et en latiu ECCLE.SIA, lUtrcna, grcmium, tesltido, navis y et en français, nef et vaisseau '.

Le Naos éJaiî divisé en trois parties. Celle du milieu, propre, ment appelée naos, et à droite et à gauche , deux nefs , ou ba;.- câiés, ou galeries, appelées etiÇo/oc, portiques, ou ylizal, places, ou ^spoi , cotés.

Trois portes conduisaient du narihex dans le naos , celle du milieu, appelée ûpaîut u-jlxi, spe.ciosœ portœ , les belles portes ,ser- vaient pour les processions et pour les personnes qui entraient dans la nef; la porte de droile coiîduisail au portique de droile,

expression est bien la traduclion litlriraîe rlti grec, mais nous doutons qu'elle soit suffisammcni intel!ig"b!r. le mot grec, tiré d'une racine qui signifie hiver et tempête, a reçu luic extension de ce dernier seus , et signifie tourmenté, par conséquent /)05.stf(/t;. Le mol liihc<-iiaitles, liivernuDt , nous paraît destiné à indiquer ce dernier sens. Sur îes énergiim^-nes et les exorcismes dont ils étaient l'objet, voir Durandus rationaic divhw- rum cfpeiorum.

' Sur la forme mystique donnée aux églises, voir Raronius de myslicQ rexpcctu veterum cliristianorum in cotidendis, templis ad ann. 3 1 d. Iloswci- dus rtf/ PauUnum, p 862.— Et Michciet, Histoire de France, t. n, dernier chapitre.

k2h PLAN ET DESCRIPTION d'l'NE BASILIQUE

destiné aux hommes, et la porte de gauche au portique degauche, se réunissaient les femmes. Ces deux bas-côtés, destinés , comme on le voit, au peuple, étaient quelquefois plus élevés et quelquefois plus abaissés que la nef du milieu, qui ainsi servait comme de lieu de Scène au spectacle religieux des cé- rémonies, des processions et des prédications, que le peuple contemplait et entendait pieusement des deux côtés.

A l'entrée du naos se trouvait d'abord la place des prosternés^ prostrati, LiCTOCTtcrrûvre- , c'est-à-dire, de ceux qui, après avoir accompli les pénitences publiques, étaient admis dans l'intérieur de l'église, mais ne participaient pas encore aux saints mys- tères.

En avançant et à peu près au milieu du naos, se trouvait l'Ap-ocov, Suggestus , on jubé , ou pupitres. Autour d'eux et sous les yeux du peuple siégeaient les lévites et les trois chœurs de chant, composés de l'orchestre et des psalmistes, de» sous-diacres chantant l'épilre , des diacres pouvant seuls lire l'évangile, les lettres et les édiis des évêques. Os ambous étaieiït ordinairement des chaires de marbre octogones ou car- rées, ornées de sculptures ou de mosaïques. On en voit encore à Rome, dans les églises de San Clémente, de San Lorenzo et de Suîicta Maria in cosmcdin. 11 serait difiicile de préciser à quelle époque l'ambon fut placé, comme on le voit ici, à l'entrée du naos. Dans l'église S. Clément de Rome, qui date du 4* siècle, l'ambon se trouve dans le sanctuaire '; dans l'église de Saint Michel de Pavie, on le voit au milieu de la nef*; mais dans les églises des i3' et 14*' siècles l'ambon est placé à l'entrée du chœur. Plusieurs auteurs ont écrit de gros volumes pour ex- pliquer ces différences. Qu'il ne us sr.ffisc de faire remarquer que dans les églises, comme celle que nous examinons ici, il y avait différentes parties séparées, il a fallu nécessaire- ment que le chœur et la tribune l'on chantait les psaumes elles épities, fussent placés de manière que ceux qui étaient dans le narthex ou avant-nef pussent les entendre. D'ailleurs il paraît qu'il y a toujours eu un chœur séparé plus rapproché du

* D'Agincourt , architeeturc , tome 1 et u , pi. xn , n^ t. ' Ibid, p. XX , a"* 6 à 15.

DES PREMIERS SIÈCLES. 625

sanctuaire, deslîné à aider les offîcians qui étaient dans le Bêma; c'e-.t ce que nous remarquerons bientôt sur ce plan. On n'a donc pas fait assez d'atîention aux destinations et à l'usage de ces différentes tribunes de l'église chrétienne, lorsqu'on en a parlé.

Il faut ajouter que quelques fidèles privilégiés , et ceux des pénilens qui étaient arrivés au 4' degré , se tenaient aussi aux environs de Tambon.

Au-dessus de l'anibon était la place occupée par les moines, les solitaires et les enfans ; et ainsi se trouvaient réunis au même lieu, et par une pensée digne de la haute philosophie ciiré- tienne, les deux extrémités de la vie humaine, l'enfance et la vieillesse, le commencement et la perfection des vertus chré- tiennes.

Plus haut, près du sanctuaire , était la place du chef de l'état et de sa famille ' ; au côté opposé, mais à la même hauteur, se tenaient les chantres et les lecteurs, ordinairement nommt-s clerici minores , nécessaires pour soutenir et prolonger les chants intérieurs du Sanctuaire, et dont la plate nécessitait un pu- pitre ou un ambon diflerent de ceux qui étaient à l'usage des fidèles.

IV. Enfin venait la quatrième partie de la basilique , la par- tie la plus sainte et la plus vénérée , celle il n'était pas per- mis aux laïques de pénétrer , et que l'on appelait BILMA ou h- puz£îo-j , à-li- , Sanctaarimn , le Sancluaire , VAbsiile. Elle était sé- parée du naos par des grilles ou des treillis en fer ou en bois, ■/.OL") -/.ùl^i ou v.t^ -//'.îc- , cancelli ; on y entiait par la porte Sainte â} ICI zjvlxi , qui n'était ouverte qu'aux ministres de l'église.

Le Berna, ou lieu élevé, ou lieu Sacré, se divisait lui-même en trois parties. Dans celle du milieu , proprement dite Sa- crée ou Sanctuaire , était l'autel, la table sainte , «7 çcarTÉ^K, qui durant les premiers siècles était le swil qui fût destiné aux saints mystères. C'est pour cela qu'il est nommé par l'apôtre S. Jude cœlestis mensa, par S. Grégoire de Nysse inensa sancta, par d'autres pères , mensa îrirstica , thronus Dei , requies et offî-

* Cette indication importante ne se trouve p.ns sur lo plan d'une hjsi- lique publié par Spsnheim , Hist. EccL, p, 861.

û26 PLA^ ET DEscniPTiON d'une basilique

cina sacrifiai ^ tahernaculum glorice. C'était mie table oblongiie élevée sur quatre pieds ' et toujours en pierre , en souvenir de ce texte de l'Evangile, et sur cette pierre je bâtirai mon église ; ce qui , au reste, se pratique encore aujourd'hui, car, bien que les autels soient de bois ou de marbre et plus ou moins magnifiqueiuent ortié.s, la consécration et le sacrifice se font toujours sur une pierre carrée que Ton nomme la pierre consacrée.

Ces autels étaient ou portatifs, ou solidement attachés aux sol, il n'y avait pas de degrés, comme sur nos autels pour por- ter des chandeliers; souvent il y avait un dôme, soutenu par des colonnes, ou un riche baldaquin.

Derrière l'autel, faisant face aux grandes portes, et domi- nant ainsi toute l'église, se trouvait le siège de Cetêque^ ôoôvoç tcrtc-'/ocTov , élevé de trois degrés au-dessus du sol; à droite et à gauche de Tévêque étaient les sièges, ou stalles des archiprèlres et des prêtres officiant à l'autel. Car les autres prêtres ainsi que les fidèles se tenaient debout. Peu à peu on permit l'usage de s'appuyer sur des bàlons que l'on appelait pour cela miseri- cordiœ; ce n'est que vers le 12' siècle, que les »Sfa//e5 à l'usage des prêtres et les bancs à l'usage des laïques se sont introduits dans les églises. Celte forme du siège épiscopal se trouve en- core partout, chez les Grecs et les Russes, et à Rome à san Pe- tro in viacœii et à san Slcphano Piotondo. L'espace en hémicycle se trouvait le trône et les slalles s'appelait presbyterium, par- ce que c'était que se tenaient les prêtres assislans

A droite et à gauche du Bêma , se ti'ouvaient deux chambres ou dépendances à l'usage du clergé, et des chargés de rodicc divin ; celle de droite. Atxxovc/.ov , la Dlaconie, était celle les diacres déposaient et gardaient les ornemens et les vases sacrés ; c'est ce que nous appelons maintenant la sacristie. A gauche était le upoOiTi^ , sccreiarium , ou préparatoire , étaient préparées et conservées, les provisions de pain et de vin nécessaires au sacrifice et à la communion des fidèles.

Ces deux dépendances ont été aussi nommées çt-^o^jùXa/ctov ; c'étaient de vastes bàtimens, destinés aux étrangers, comme

' Sur la forme et la inaticre des anciens autels, voir Fabricius, Biiliot. anùquaria , p. 420. Thicrs , sur le» autels , p. 7 7, 88.

DES PREMIERS SIÈCLES. ^27

l'indique leur nom, sorte de grande hôJeilcrie. pour les prêtres qui voyageaient. C'est même que se sont Icnus quelques conciles '.

Telles étaient les principales parties de l'ancienne basiliqtie chrétienne. No\is espérons que ces explications et le plan que nous y avons joint, serviront à fixer les idées de nos lecteurs sur cette matière, et à leur donner une !ntell!i;once facile des passages des auteurs anciens et modernes qui parlent des anti- quités chrétiennes '.

J.-L. Gi"E>"EBirr.T.

' VoirMacrî et du CangP, aumot secrelarlum. Spanhcim inliist. ecel. t. i;p. 862,

On peut encore consulter le plan d'une basilique que Spanheim'a donne' dans son Hlst. Eccles,, p. 811 ; il est conforme à celui-ci , à la ré-» serve qu'il ne parle ni de la place réservée au prince, ui de celle se tenaient les chantres près du sanctuaire.

K^S4^-;

ft28 COMPTE -RENWJ,

(î^mpfc-vcnbn.

A NOS ABONiNÉS.

De riuflucnce des Jra\aus (les Annales.

Arrivés aujourd'hui à la fin du dix-septième volume, c'est-à- dire à huit ans et demi d'existence , ce qui ne s'était pas en- core vu pour un journal scicnlKujue religieux, nous avons cru qu'il serait agréable à nos lecteurs de jeter un coup d'œil en arrière, et d'examiner quelle a pu être l'influence des travaux des rédacteurs des Annales sur l'état actuel de la science et sur ce qu'on appelle le mouvement des esprits.

Et d'abord, loin de nous de vouloir prétendre que c'est à nos travaux que sont dus les changemens heureux qui se sont ma- nifestés dans les livres, dans la science, et jusqu'à un certain point dans les esprits. >on, mais il nous sera permis de liirc que, lorsqu'on i85o, sous le bruit du canon de Juillet, nous écri- vions notre prospectus et annoncions la conversion qui s'était faite dans les hautes sciences, alors, aucun journal, aucun or- gane religieux n'avait énoncé aussi positivement ce fait, et n'avait dit que le changciwent qui s'était opéré dan.< les sommités scientifiques descendrait nécessairement et serait mis poiu* ainsi dire en circulation. Depuis, tous les journaux, même les jour- naux dits libéraux et opposés au christianisme, ont reconnu cette amélioration qni s'est faite dans les esprits, dans les scien- ces et dans les livres. Les journaux religieux ont pris acte de ces aveux ; et si quelques-uns ont nié la réalité de la conver- sion des individus, aucun cependant n'a méconnu que dans la plupart des sciences modernes , l'on ne découvre des preuves nouvelles cl nombreuses delà vérité des récits de la Bible et de-; services immenses que le catholicisme a rendus à l'humanili et à la civilisation.

Et ici, qu'il nous soit permis de constater que c'est dans nos

A KOS ABOMSÉS. k29

Annales que l'on trouve recueillies toutes ces preuves, et qu'ainsi avec peu de frais et peu de peine on peut se rendre propres les travaux de tous nos grands hommes En confirmation de ce que nous avançons ici, examinons rapidement quelques-uns des ouvrages qui ont été composés avec les matériaux qu'elles ont recueillis dans leurs pages.

Le premier en date est le Christ devant le siècle, par M. Ro- selly de Lorgnes; l'auteur a bien voulu nous dire lui-même que c'est avec le secours des Annales qu'il a lait son livre, comme il le reconnaît avec beaucoup de bienveillance. C'est aussi les Annales qu'il met entre les mains du prêlre qui dé- fend la cause de la religion, dans son autre ouvrage : CÈcokj le Presbytère et la Mairie, ouvrage dont nous nous reprochons de n'avoir pas encore parlé comme il le mérite, en notant toute» fois quelques passages qui ont encouru avec raison la désap- probation de quelques-uns des membres les plus distingues du clergé, et qu'aussi nous signalerons à l'auteur.

Nos idées et quelques-uns de nos travaux ont été aussi réali- sés dans l'ouvrage de M. de Saint Félix intitulé Précis de Chis- toire des peuples anciens, dans les chapitres sur la Géologie de la. Genèse^ le Monde primitif et le Déluge; sur la Race humaine ^ sur la Religion des anciens peuples -et sur les Langues anciennes. M. de Saint Félix «désire, dit-il, nous exprimer sa gratitude pour les renseignemens précieux qu'il a recueillis dans les An- vnales. »Nous ne pouvons nous-mème qu'applaudir à l'excellent livre de M. de Saint Félix ; nous nous reprochons de n'avoir pas consacré à une œuvre aussi consciencieuse, un article dé- taillé; nous y reviendrons, et nous lui témoignerons notre re- connaissince en lui empruntant un de ses chapitres pour que nos lecteurs soient à même de connaître le livre et l'auteur.

Après l'ouvrage de M. de Saint Félix , nous nommons avec plaisir VHistoirc du J7onde, que viennent de publier deux jeunes frères, MM. Charles et Henri de Riancey. Dans cet ouvrage, ces jeunes écrivains ont fait ce que les Annales ont souvent appelé de leurs vœux, ils ont raconté l'histoire du monde, en rappelant à côté de chaque événement, de chaque époque de de l'histoire de l'humanité les traditions qui y ont quelque rap- port. Ainsi, ils suivent pas à pas la Gencse^ et au milieu de leur

iiSO COMPTE-RENDU.

récit ils intercallent les témoignages historiques, les traditions, les monunieiis, les légendes même, qui en rappellent le sou- venir. Ainsi, pour le déluge, ils parlent des médailles d'Apamée, des traditions Chnldéennes, Indiennes, Grecques et Mexicai- nes. Nous regrettons pour ces deruièrcs qu'ils aient passé sous silence le Grand tableau des M'u^raLions aztèques , que nous avons publié et qu'ils n'aient pas nommé de Coxcox qui est le nom le plus connu du Noé mexicain, qui, au reste, s'appelle aussi Teo CipaclU^ au lieu de parler de Tepzi ou plutôt Tezpi, comme l'écrit Al. de Humboldt: mais nous les louerons sans restriction pour avoir les premiers fait usage des travaux publiés dans les Annales par M. de Paravey, sur l'histoire de la Chine, et sur les premiers empereurs qui sont à la tète de cette histoire. MM. de Uiancey en ont parlé d'une manière Irès-convenable, et nous nous proposons de citer ce passage dans le compte que nous rendrons de leur ouvrage.

Nous retrouvons encore nos principes et nos vues avec de longues pages tirées des Annales dans un ouvrage fort bien fait, intitulé les Destinées du Christianisme, à la plume et au zèle de M. l'abbé Tolge, professeur de Dogme à la faculté de théologie d'Aix.

Nous ne saurions oublier rexcellent opuscule que M. Guer- rier de Dumast a composé pour l'inauguration à Nancy de la Société Foi et Lumière»; on ne pourrait en moins de paroles comprendre plus défaits; on ne pourrait surtout mieux fondre en un seul corps la masse de preuves que la science fournit à la religion. Nous avons k le remercier en particulier de la part qu'il fait aux travaux àc^ Annales. Mais nous reviendrons sur un opuscule si substantiel.

Apres ces ouvrages, qu'il nous soit permis de citer quelques- uns des articles de nos Annales <jui ont été reproduits dans d'autres journaux; et d'abord, nos articles sur les Saint-Simo- uiens ont été reproduits en partie dans VHistoire de l'Eglise de M. Hcnrion , et dans un article inséré dans la Rtvue de Dublin, et tout récemment dans icPragmalogia CuitoUca dont nous allons parler.

Notre article sur ï liermésianisme , inséré dans le présent vo- lume , a été réimprimé à Metz par les directeurs de la Gazette de

A NOS ABONNÉS ^31

Met: , et distribué à plus de huit mille exemplaires, dans les villes liniitroplics du illiiu et dans les provinces rhénanes. La Prapiialogia de Luqnes , journal italien , l'a reproduit aussi.

Enfin nous devons dire encore que dans un grand nombre de séminaires et de maisons d'éducation, on se sert des travaux des Annales pour corroborer et détendre les principes de notre foi. Que l'on nous pardonne d'ajouter que le vénérable M.Gar-- nier, supérieur du séminaire de St. Sulpice, a bien voulu nous citer dans sa docle chaire; ceci est peut-être une indiscrétion ; mais c'est qu'en eiret c'est un fait qui honore trop nos travaux et les rédacleurs des Annales pour que nous le passions sous silence. D'ailleurs ce sera une réponse au supérieur du sémi-

'iiaire d'un évêché très-voisin de la capitale, qui, après avoir reçu les Annales pendant iS mois, nous a fait dire qu'il n'enten- dait pas être abonné. 11 est vrai que le docte supérieur noua avertissait en même tems qu'il n'avait pas lu un seul de nos cahiers, et nous le croyons sans aucune peine.

Parmi les œuvres qui réjouissent la religion, et qui doivent donner de la confiance et de la force à ceux qui défendent,

a faut mettre en première ligne la Société Catholique pour Cal- liance de la Foi it des Lumières , fondée à Nancy et autorisée du gouvernement, sous ce titre, le i3 juillet de cette année i858. Or le but et le plan de celte société est précisément celui des Annales, comme veulent bien le reconnaître les fondateurs mê- mes qui, dans une brochure toute scintillante de foi, d'érudi- tion et de talent , exposent la raison de leur œuvre et du titre qu'ils lui ont donné. Ceci ne doit pas passer inaperçu. Des hommes du monde, qui publiquement se réunissent dans une

"des principales villes du royaume, dont la répulation n'est pas d'être très-facile ou trop portée pour le clergé , qui se réunissent

"pourtant, eux, hommes du monde, occupant un rang très-élevé dans la société et remplissant différentes fondions sociales, pour proclamer à haute voix le projet de prouver , envers et contre tous, que la foi est unie aux lumières ou plutôt que les lu- mières conduisent à la foi; ce fait, disons-nous, est d'ui.e portée immense. Nous reviendrons sur cette brochure courte de pages, mais pleine de faits, et faisant tourner à la {;ra tique les docu- mens et les principes que nous avons semés dans les Annales.

632 COMPTK-RENDU.

Houneur aux fondateurs d'une telle société , et surtout à son digne président, AI. Guerrier de Dumast ! Ils en trouveront leur récompense dausle bien qu'ils feront, et surtout dans l'exemple qu'ils donnent, et qui, nous l'espérons, sera imité dans notre France.

Influence des Annales à l'e'trangcr.

Après avoir parlé de l'influence des Annales eu France , nous croyons que nos amis aimeront à voir comment elles sont ac- cueillies à l'étranger. Et d'abord, quant aux personnes, nous dirons que tout récemment encore, elles viennent d'avoir pour abonnés, h. Koxne, son Excellence rexérendissime Mgr. CadoUni, secrétaire actuel delà Propagande, et qui était depuis long- tems notre abonné, lorsqu'il occupait le siège de l'archevêché <le Spolète; puis le R. P. Root/iaam, général des Jésuites.

Mais il faut surtout parler des journaux qui , lus avec avidité à l'étranger, y sont les véritables propagateurs des découvertes et des travaux scientifiques.

Parmi les journaux scientifiques qui tiennent le premier rang , il faut compter les Annales des sciences religieuses de Rome , fondées et dirigées par le savant abbé .^/nf. de Luca, membre de la congrégation de VIndex. Nous ne nous étendrons pas sur leur mérite, d'autant plus que nous en avons déjà parlé à nos abonnés; et d'ailleurs, nous leur avons fait si souvent des em- prunts, notamment, dans le dernier numéro , l'article sur le mot aime, que nos abonnés ont été à même de juger de leur mérite. Dans l'année elles ont ci é de nous :

De la prétendue origine indienne attribuée au Christianisme , de RI. Bonnetty , et la cosmogonie de Moise comparée aux faits géolo- giques ^ par M. labbé Flottes.

L'exemple donné à Rome, par M. l'abbé de Luca,a eu de l'é- cho en Italie. A Luques, il vient aussi de s'établir un journal scientifique s'occupant presque des mêmes questions que les Annales de pliilusop':ie , et rédigé dans le même esprit. Il est in- titulé : Pragmalogia Cuttolica , giornale storico e scientifico , pa- raissant en un cahier in-8" de cinq feuilles d'impression ; dans les six numéros que nous avons reçus, nous trouvons que le savant abbé Berloto—i. directeur de la Pragmalogia. a emprun-

A NOS ABONNÉS. 635

à nos Annales, Y histoire du Saint-Simonisme ; Vhisloirede ' l' Hermès ianisme ; V article sur la découverte d'une histoire des Arabes, par Ibn Rhaldun ; 4" de la rose de Jéricho.

De la part que prend le cierge à la rédaction des journaux sciealifiquea en France et en Italie.

Et puisque nous venons de nommer quelques-uns des jour- naux scientifiques qui sont consacrés à la défense de la foi catholique, il ne sera pas hors de propos de donner ici quelques détails sur la part que prend le clergé en France et en Italie à la rédaction de ces journaux. Ce travail a entore deux buts, ie premier de justifier les ecclésiastiques qui consacrent leur plume à ces travaux; le second, d'en encourager quelques autres qui semblent dédaigner cette lice, comme indigne de la gravité d'un prêtre. Les noms et la qualité des rédacteurs que nous allons citer démontreront l'erreur de ces derniers.

Les deux principaux journaux scientifiques consacrés à la défense de la religion en Italie, sont ceux que nous venons de nommer. Les Annali délie scienze religiose de Rome, ont été fondées par le directeur actuel, M. l'abbé Ànt. de Luca, sous la protection de S. Em. le cardinal "NVeld. Elles se continuent maintenant sous celle de S. E. le cardinal Lembrusc/Uni, secré- taire d'état de sa Sainteté.

Nous voyons d'abord au nombre des principaux rédacteurs, des personnages qui sont à la tête des différenles congrégations religieuses, i" Le R. P. Rosani, général des clercs réguliers des écoles pies. Le R. P. Bini, procureur général des R. P. Bé- nédictins du Mont-Cassin. Le P. Ungarelli, assistant général de la congrégation des clercs régviliers de Sahit-Paul et profes- seur émérile de théologie , l'un des glus savans orientalistes de Rome. Le P. Lojacono, procureur général des Théatins, Trois membres de la compagnie de Jésus, qui sont : 5" Le P. Per- rone , professeur de théologie au collège romain, auteur d'une théologie réimprimée récemment en Belgique, et que nous nous étonnons de ne pas voir connue en France. 6" Le V.Pianciani, professeur de physique et de chimie au collège romain, et l'un des quarante de la société italienne des sciences. 7°,LeP. Se«chi, gardien du musée Kircheiren, et l'un des plus habiles hellénistes Tome XVII. iN" iob. i838 3o

hZU COMPTE-RENDU

de ce tems.— Et en oulre parmi le clergé séculier, M. l'abbé Baroia, professeur de philosophie au collège urbain de la Pro- pagande. — L'abbé Bonelli, professeur de philosophie. lo" L'abbé Breschi, docteur eu théologie. i L'abbé Mazio, doc- teur en philosophie, en droit canon et civil. 12° L'abbé Theiner, également docteur en philosophie, en droit canon et civil. Enfin iJ° Mgr. Jl^iseman, recteur du collège anglais et professeur de langues orientales à l'université de Rome. Et 14° M. Cw/^erj, recteur du collège irlandais et professeur d'écriture sainte au collège urbain de la Propagande.

Le second journal scientifique , la Progvialogia caiiolica de Luques , a été fondé et est dirigé par M. le chanoine Paul-Joseph 5cr<o/orri , maître en théologie. Les principaux rédacteurs sont : Mgr. J.-B. Barletton-i , curé de la cathé- drale de Luques ; M. Jules Beninsegni , vicaire-général de Ravennes , professeur d'histoire ecclésiastique à l'univer- sité de Pise; Const. Bianuccl, bénéficiaire à la cathédrale et chapelain honoraire de S. A. Roy. le duc de Luques; 4** le doct. T. Bini, gardien de la bibliothèque publique et profes- seur de philosophie au séminaire archiépiscopal ; le R. docteur Léon Cardella^ chanoine de la cathédrale; le P. Joach. Llucli cU 3Ianresa, carme, professeur de philosophie ; ;* le P. Louis Marlia^ doct. et chan. théologal de la calh., profess. de théologie dogmatique à l'archevêché; S. Ex. le mar. Ant. Mazzarùsa, conseiller d'état et directeur de l'instruction publique; M. Pardi , avocat du diocèse; io° le Rev» Tierre Pera, bibli. de S.A.R. et chanoine de la cathédrale; et enfin les professeurs du lycée royal dont les noms suivent : 11* "Barth. Bacci; 12" Bctloîti, professeur Je ihèol. morale; i5° Michel Bertini , clerc régulier de la mère de Dieu , professeur d'hydraulique ; 14° Mgr. Paul DinelU, professeur de dogme; 1 Louis Fwnaciari, profcs. émèritc; 1 G" Laurent Tomei, profes, de métaphysique ; et parmi les rédacteurs étrangers : ly" M. Vabbé Ant. de Luca, direct, des Annales des sciences h. Rome, et dont le nom, parmi les collaborateurs de ce journal, prouve qu'il n'y a en Italie aucune de ces jalousies de publication que l'on ne rencontre que trop souvent en France ; 18° le D. délia Bianc/iina, directeur du Catholique de Lugano; 19° le savant

A NOS AïîONNÉS. AS5

obbé lios77tini-Serbali h Domodossola ; eo" le R. Cl. Saimielli, prof. dV'ciihire sainte à l'université de Pise;— arle d. Ranieii SOragia, prof, de théol. dogmat. à l'université de Pise ; enfin 22" iMgr. jSicol. Jl'iseman, recteur du collège anglais et profes- seur de langues orientales à l'université de Rome.

On voit par les noms que nous venons de transcrfre qui sont ceux qui s'occupent du progrès des sciences , et qui se roeltesiit à la tête des publications religieuses en Italie. Voilà ce que nous désirerions voir en France; et malheureusement il nous serait bien difficile de compter vin égal nombre de personnes qui s'occupent avec quebjue attention des publications religieuses scientifiques. Voici, en eftet, quels sont les noms des membres du clergé qui, à notre connaissance, écrivent dans ce moment dans les feuilles scientifiques religieuses.

Kous le répétons , nous ne voulons parler ni des ouvrag* s publiés à part, ni des journaux politiques, quotidiens ou lidj- domadaires;mais seulementdes journauxqui, publiés njensuel- lement, comportent de longs articles, et des travaux d'érudition et de science. En commençant par les Annales de philosophie , à •cause de leur priorité de date, on sait que leuï directeur est un laïque. Les ecclésiasliques qui , depuis leur création , ont pris une part active à leur rédaction sont : Mgr. l'ércfjue du Mans , lorsqu'il n'était encore que supérieur de séminaire, dont nous avons publié trois ou quatre lettres sur l'enseignement des sé- minaires; 'Sl.Yabbé Poisset; M. Vabbé Sionnet , dont nous avons inséré plusieurs articles, qui font connaître en lui le plus savant orientaliste que possède le clergé; M. Vabbé Affrc^ clianoine et vicaire- général de l'église de Paris, lequel a inséré un seul ar- ticle qui n'est pas signé; M. Vabbé Flottes, professeur de phi- losophie au collège de Montpellier, pour un article; M. Vabbé ■d'Alzon, chanoine honoraire de Nîmes, pour un article non signé. Nous avons publié un article de M. Vabbé Gerbct, m,ais il avait élé extrait du Livre des Saintes ; un aussi de M. Vabbé Doney , mais extrait de la Revue d^s deux Bourgognes . 31. Vabbé Rhorbac/ier , directeur du séminaire de Nancy, nous a fourni quelques articles non signés; M. Vabbé Blassoi, de Pouzauges , pour un seul article; enfin M. Vabbé Dedoue , secrétaire actu,cl de l'administration capilulairc de Tévêché de Digne, qui nous

1

/t36 COMPTE-RENI>U.

ft adressé un seul arliclc. Parmi les étrangers , nous avons à citer RI. Vabbé Arri ^ de l'académie des sciences de Turin, et le R. P. Olivieri, commissaire du Saint-Oûicc et général des Dominicains à Rome.

Onelques personnes croyaient que M. l'abbé Bautain avait été rédacteur des Annales. Nous ne pouvons revendiquer cet honneur ; on y a parlé de quclipies ouvrages de M. Bautain, on a cilé de lii récemment une lettre déjà imprimée à part , mais il- lie nous a jamais favorisé de ses travaux. Les journaux il a écrit, sont : le Correspondant, la Uevue Européenne qui ne parais- sent plus, et l'Univers Religieux, journal quotidien.

V UniversUé Catholique, fondée par MAI. les abbés Gerbet, de Salinis et de Scorbiac et dirigée en commun par les mêmes per- sonnes, qui se sont adjoint, Tannée dernière, iM. Bonnetty, signa- taire de cet article, compte aussi peu de rédacteurs ecclésias- lifiucs. En dehors des directeurs du journal, dont les Cours forment la partie la plus brillante et la plus recherchée de ce recueil, il n'y a que M. l'abbé de Genoude qvii y ail inséré de loin en loin quelques articles; tous les avitres sont des laïques.

Il se publie en province quelques journaux scientifiques, nous avons vu avec plaisir figurer le nom et les articles de quelques prêtres instruits : ce sont les Annales Religieuses et Lit- téraires d'Aix, qui comptent au nombre de leurs rédacteurs, M. l'abbé Polge., professeur de dogme à la faculté de théologie d'Aix; M. l'abbé Bonnevil le , y'^ol'csseixr de droit canon à la même facullé ; M. l'abbé Kspieua' ; M. l'abbé Sibour, chanoine et vicaire-général de l'évèché défîmes; M. l'abbé Sibour, cha- noine, professeur d'histoire ecclésiastique à la même facullé. Ces articles sont bien pensés, bien é<;rils, et sont conformes à nos Annales et aux besoins du siècle, tout-à-fait dignes d'ecclé- siastiques distingués. Nous mentionnerons encoie M. l'abbé P. C quoiqu'il ne se soit pas nommé, mais seulement pour lui dire, (ju'il faut laisser aux profcsseui-s émériles ou non émé- rites de l'univer.silé le soin de relever les défauts ou de faire ressortir les beautés de la r% 2' cl 5'' période du Thc'âlre Latin. Il est encore un journal, la Revue du Nord , recueil pliiloso- p!ii(iue, historique e( lilléiairc, qui paraît à Lille, lequel est ré- digé dans le même esprit et dans le même but que nos AnnaUs;

A NOS ABONNÉS. &37

ses articles sont profonds, écrits avec verve, foi et science, mais nous ne pouvons dire s'il est quelque ecclésiastique qui se ca- .che sous les initiales qui signent la plupart des articles.

De ces documens, il résulte qu'en France ce sont les laïques qui s'occupent spécialement de soutenir la polémique scientifi- que contre les incrédules et les philosophes ; et le clergé qui les laisse faire est bien, peut-être, fondé en raison; car de cette manière si dans cette guerre active il s'échappe quelque pa- role moins juste et moins précise qu'il ne convient, elle est sans conséquence ; et d'ailleurs, il entre peut-être dans les vues de la providence que ce soit des laïques qui réconcilient les prêtres avec cette génération, bien imbue encore de ces préjugés qui faisaient crier à ses pères : d bas ta calotte, d bas les prêtres.

Des travaux des Annales.

Quoique cet article soit déjà bien long, qu'il nous soit permis de dire quelques mots des travaux publiés dans ce volume et de ceux que nous projetons pour le volume suivant; Les arti- cles de M. Àc/iery SUT M. Letronne , ont été jugés victorieux par plusieurs confrères de l'illustre académicien ; ils nous ont attiré de nombreuses lettres de félicitation. L'essai sur les Bi- bliothlques du moyen âge inséré dans le présent cahier, travail en- tièrement neuf, est destiné à changer les idées du monde savant et à venger l'Église, du reproche d'ignorance , même pour une époque on était presque convenu de passer condamnation sur ce point. Nous pouvons annoncer que le zèle de ce savant Pseudonyme n'est pas refroidi, et qu'il nous prépare une longue suite d'articles qui se succéderont sans interruption. Le prochain cahier contiendra sur le Pant/iè'sme , une des questions les plus difTiciles de la philosophie et de la théologie , une dissertation , destinée à éclaircir cette matière et à faire autorité , car nous prévenons qu'elle a été envoyée manuscrite à Rome , et qu'elle porte l'approbation de deux théologiens romains.

La Traduction du livre d'Enoch est un service renilu à ceux qui aiment à suivre et à recueillir les traditions éparses du genre Iiumain. Les théologiens y puiseront _surtout une curieuse preuve de la croyance de la Trinité répandue chez les juif-

438 CQSIPTE-RENDU

avant la venue du Messie. Quelque peu authentique que soil ce livre , c'est une bonne fortune pour les annales, que d'avoir pu remettre en lumière \\n ouvrage regardé authentique par un grand nombre de pères, etq«e l'on croyait perdu pour toujours.

Quant à nos travaux futurs, nous continuerons d'abord ceux qui sont coipmencés , en particulier la traduction du livre du P. Prémarc , qui nous découvre, pour la première fois, quelques-unes des traditions chinoises inexplorées jusqu'ici. M. de Paraveynous annonce aussi la communication de quelques-uns de se» travaux si curieux, sujets à contestation sans doute, mais dignes de toute l'attention des savans. Et qu'il nous soit permis à cette occasion de dire ici ce que nous a appris, il y a peu de jours, M. Julien, professeur de chinois, qu'un prêtre jouissant d'un rang élevé dans la hiérarchie ecclésiastique , est venu à Paris tout exprès pour apprendre le chinois , afin de pouvoir vérifier, par lui-même, si les étonnantes découvertes de M. de Paravey sont fondées en raison.

Quant à notre Cours d''arrkcologie ci de philologie ^ nous rappe- lons que noas touchons à la lettre i?, où, au mot Ecriture, nous donnerons une dizaine de planches , offrant des modèles des écritures de *ous les tems.

Kous continuerons encore la rcclicrche des traditions, en analysant les Livirs apocryphes de C Ancien-Testament^ connus sous le nom de Livre d'Adam , à'Eve, de Caln, de Seth^ de Noé^ etc., ouvrages que nous sommes très-éloignés de regarder comme authentiques, mais qui, discutés seidement jusqu'ici sous le rapport de l'authenticité, et dédaignés avec raison à ce titre , n'ont jamais été examinés sous le rapport des traditions (ju'ils l'enferment , et qvii sont ce qui nous reste de plus curieux sur l'ancien monde après la Bible; traditions qu'il est indispensable de comparer avec les livres sacrés des peuples de l'Orient , (pii ne sont aussi que le recueil d'autres traditions plus ou moins altérées, et nous ne saurions les passer sous silence. Elles en- trent de droit dans le cadre et le plan desAnnates , qui doivent renfermer toutes les traditions du genre humain. Ce travail semble réservé à. ce siècle qui a fait tant de progrès dans l'étude des langues.

M. Etienne Quafrcmère nous a promis aussi une Disserlalion

A NOS AIîOMNKS. ^39

sur rOp/iir, les floltcs de Salomon allaient clicrchcr leur or. Elle aurait clé insc-ri'c dans ce cahier, mais, lorsque ce célèbre orientaliste l'a relue pour nous la remelire, il Ta trouvée, nous a-t-il dit , trop iaiparfaile, et il va la remanier et la compléter pour les Annales.

En finissant, qu'il nous soit permis de remercier nos abonnés du concours fidèle et constant qu'il nous ont accordé. Nous le disons ici, sans flatterie, mais comme l'expression sincère de la vérité : si les Annales ont fait quelque bien, si ce recueil doit rester comme une espèce d'arsenal l'on pourra trouver réu- nies les armes les plus modernes pour la défense de notre foi, c'est à nos abonnés que revient une grande partie du mérite. Car nous l'avons dit souvent, les Annales n'ont eu ni prolecteurs influens , ni actionnaires qui aient fourni de l'argent pour les Soutenir; ce sont les abonnés qui les ont soviteiuies, et qui les soutiennent encore. Voici, selon notre coutume, le nombre de ces abonnés classés par département.

ABONNÉS DES ANNALES DE PHILOSOPHIE CHRÉTIENNE.

Au5l DÉCEMBRE l858.

Aiit,

Aisne.

Allier.

AI(.es(B. ).

Alpo, (II.).

Anicciie,

Ardennes.

Arrii-ge.

Aub(^

Aude.

A ve^ roii,

B •Ju-Rliùiie.

CaUadus.

Caillai.

Cliaienle.

Cliaieule-IuKliei

Clier.

Corrôze,

Corse.

C.ile d'Or.

C.lcs du-Xord.

Dordogiie.

noui.s.

Drùnie.

Euro.

Kure-el-Loir.

Fiiiislère.

Gard.

Garoune(U.-).

Gers.

Gironde.

Hérault.

IIJec(.Villaiiie.

Totut.

5

nepotl.

iSo

r.Lporl.

3C.^

1

Ii.dre.

0

r.hune.

Il

o

liiilie-cl-Loire.

7

Sanne ( Il . ).

4

•9

Ifère.

6

Sa.M.e el.I.oire.

8

4

Jura.

8

Sarihe.

13

Landes.

1

Seine.

8o

3

Loir elCIier.

6

Sei'ie. Inférieure.

C

t

Loire.

9

Seiiic-el-.Manie.

4

4

Loire (II.-).

4

Seine el-Oise.

lo

7

Loire-Infirieure.

10

Sé>res ( Deus ).

4

S

Loiret.

>o

Somme.

7

l6

Loi.

1

Tarn.

7

L..t el Garonne.

I

Tarn-el Garonne.

5

4

Lnzcre.

1

Var.

an

5

Maine .l-Loire.

8

Vaiicluse.

5

A

Manche.

4

Vendée.

8

1

Maine.

5

Vienne.

|8

a

Marne (II..)

4

Vienne (II.-).

8

I

MDVenne.

11

Vosges.

n

9

Meuillie.

iC

Yonne.

1

7

Meuse.

n

Anslclerie.

î

i

Morbiliai».

6

Anlriclie.

7

o

Moselle.

7

Belgique.

8

a

Nièvre.

2

Elalsde-l'Eglise.

>4

6

Noid.

)S

P.dogue.

3

l3

Oise.

4

Prusse.

3

X

Orne.

9

Russie.

4

o

Pasde Calaî.s.

8

Savoie.

>7

10

Pu.vdeDOnie.

4

Suisse.

S

8

l'vrénées fK.-)

7

Canada.

4

S

l'j renées ( 11.- )

1

Cavcnne.

a

3

P\réiiées-Orieiilales.

1

Eials Unis.

7

21

lîliin(R.-) lll.iu(U.-).

7

Chine.

''

3

Total général.

CC5

iSn

T'ilul.

Oiii

440 COMPTE-RENnU A NOS ABONNÉS.

On le voit ce nombre , est bien modeste. Nous ferons même observer que nous avons perdu un seul abonné sur le tableau précédent, et pourtant, grâce au désintéressement des rédac- teurs et à une administration strictement réglée, le journal se soutient et se soutiendra encore. Que nos abonnés en soient assurés, les Annales ont encore une longue vie; car leur tâche n'est pas encore achevée, et ni abonnés, ni rédacteurs ne se reposeront qu'ils n'aient vu le triomphe complet de leur cause.

Le Directeur et seul propriétaire ,

A. BOSNETTY, De la Société asiatique de Paris.

N.B. La Nccrolof^ie du2« semestre de 1838 paraîtra dans le prochaiaNv

TABLE DES MAT., DES AUTEURS ET DES OUVR.

4/ll

TABLE GÉNÉRALE

DES MATIÈRES, DES AUTEURS ET DES OUVRAGES.

Voir page 3 Id Table des ailicle».

A.

Abbayes. Leurs bibliothèques dès les premiers siècles. 399.

Abréviations, commençant par la lettre B. 34.

Abyssinie (Voyage en). 321.

Achéry (M. C.}. Réfutalion des asser- tions de M. Letronne , au sujet du prétendu système des Pères sur la cos- mologie. 260. Réfutation des as- sertions de M. Libri , touchant l'ac- cusation intentée au Christianisme de nuire au développement des connais- sances humaines. 2' article , 347. 3'^ article, notions sur les bibliothèques des églises et des monastères. 399.

Album religieux de M. Haliez. 62.

Alexandre-le-Grand. Du titre du pre- mier roi des Grecs, qui lui est donné par le livre des Macchabés. 37.

Alger. Bulle pour la création d'un évéché. 237.

Annali délie scienze religiose, de Rome.

Art. empruntés. Ses rédacteurs.

Zl33.

Anliochus Sidètes. Epoque de sa mort

37.

Atlianase , ou relation de l'afTaire de- rarche\êque de Cologne, par J. Goër- res. 297.

Augustin (Saint) soutient le premier que la circoncision remet le péché origi- nel. 243.

Axum. Description de celte ville. 330,

B.

Bactiiaue Monument et médailles delà).

397.

Basile (Saint). Sur le ciel. 268.

Ba-ili(iue des premiers siècles. Son plan et description de ses parties. 419.A20

Baulain (M. l'abbé). Etat de son af- faire à Rome. 239. 436

Bible. Ses récits confirmés de nouveau par divers mouumcns. 3ô,

Bible en langue égyptienne, découverte au Caire. 314.

Bibliothèques des couvens. S'il est vrai qu'elles ne renfermaient que des livres de dévotion. 355. Recherches sur l'evistence des plus anciennes, ei au- teurs qui en ont écrit. 358. Noms latins donnés aux bibliothèques an- ciennes. 360. Recherches critiques sur les bibliothèques des églises et des monastères au n'.oyen-ùge. 39D.

Bonnetty (M.). Cours philologique cl historique d'antiquités civiles et ec- clésiastiques. lO"^ article, 18. 11^ art. 334. Analyse de plusieurs monu- mens confirmant la vérité du déluge, 35. Sur le livre d'Enoch. 161. Traduction de quelques chapitres de ce livre. 172. Compte-rendu aux abonnés. 428.

Boussole. Connue des Etrusques. 316.

Bovet (Mgr. François). Notice de ses ouvrages. 7?,

Bref. Ce que c'est en diplomatique. 18. Des rois. 19. Des papes. 20. Exemple d'un bref en français. 21*

Brigitte (Ordre militaire de sainte-). 21.

Bulle. Ses dill'éreutes espèces. 22.

C

c. Origine et forme variée de cette lettre tirée des écritures Chinoises et égyptiennes. 334. Minuscule et cursif. 339. Capital des inscriptions. 342. Et les planches VII. VIII.

Caabah. Signification de ce mot. 343.

Cabale. Ce ([ue c'est. 343.

Calatrava. (Ordre militaire de). 346.

Cathédrale. (Description d'mie) Voir Sévilleet Basilique.

Chinois. Progrès de leur langue et foute de deux corps complets de carac- tères chinois mobiles. 312.

Christianisme. S'il est vrai qu'il nuise au développement des sciences. 1'^ ar- ticle — 260, RéfutiUiou de celte siu-

h'-l^ TABLE DES MATtÈRES,

giiliôre assertion , dans le livre de M. Libri. 2' urLide. 347. S' article. 399. Voir BibliotUùqnes et Letroniie.

Christiauisnie. Son introduction dans les Gaules 7. HT,

Circoncision ( la ). N'a jamais été le rcaùde du péché Originel. 242.

Cologne. Relation de la persécution dirigée contre l'arcbevèque de cette ville. 113. 297.

Cosmas. Pris pour un père de l'E- glise , par .M. Lctrcnne. 285.

Cosmogonie. Caractère de celle éta- blie par Aloïse. i5S.

Cosmographie. S'il est vrai que les Pères aient eu à ce sujet quelque svs tème qui leur soit propre. 288. El leurs erreurs sur cette matière n'in- firment en rien les testes de l'écriture. Voir Pères.

Cosmologie ( la ). Basée sur la Genèse n'ajamais été l'objet d'aucune sanction ou condamnation de la part de l'Eglise. 267. Peut-on dire qu'il y ait une Cosmologie biLlique? 268.

Cusline (M. le marquis de). Descrip- tion de la cathédrale de Séville. 215.

Cyprien ( St. ). Lettre de ce Père au Pape Etieune, touchant les Tombes.

126.

D

Daniélo ("M.). Examen de son tableau de runi\ei-s. 132. Examen et ana- lyse du livre de la vision d'Enoch. 369.

Dante. Preuves incontestables de sa mort chrétienne. 190.

Déluge. Piouvé par divers monumens trouvLS dans un colîre avec figures de ces monumens. 46. Opinion de Mabi'lon sur la non-univei-salité. 49

Denis ( Saint ). Evèque de Paris est-il le même que Denis l'aréopagite ? 124.

Dictionnaire de diplomatique, par M. lîonnclty. JO' art. 18, 11^ art. 334.

Drack. Sur les moyens de salut dans l'ancienne Synagogue. 24J

Droste de ^Vi^.chcring Archevêque de Cologne. Son zèle contre l'hermésia- nisuie. 101. Sa lettre au ministre prussien. 112. Sou arrestation. 113.

E

Ecoles ecclésiastiques et cléricales.

Leur histoire est encore incomplète.

403.

Eglises. Preuves qu'elles possédèrent

de belles bibliothèques. 402. Noms des plus célèbres. 416.

Egyptiens. Recherches sur les coutu- mes , les usages , les jeux et les arts chez ce peuple. 224.

Enoch. Recherches sur le livre intitulé Fiston d^Encch , retrouvé en Abyssi- nic. 161. Analyse et traduction de ce livie. " 172. 369.

Epoques historiques.— Tableau synopti- que. 158.

Euphrale. Travaux pour la navigation sur ce fleu^ e. 317.

Eutiope (Su). Sa mission à Orange 9. F

Flottes (M. l'abbé). —Sur la cosmogo- nie de -Moïse, comparée aux faits géo- logiques. 153.

Eoissft (Th.). Examen de l'ouvrage de l'Athanase de Gœrres. 297.

Fortia d Urban (M. de). Sur l'époque de l'introduction du Christianisme dans les Gaules. 7. 119.

G

Genèse.- Passage de ce livre conOrmé par une monnaie ancienne. 36. Dif- ficulté d'entendre le vrai sens littéral de son début , et si l'on peut dire qu'il soit réellement fisé. 265. 266.

Genoude (^L l'abbé de). Liste de ses diverses publications. 35. 82.

Géologie ( la ) d'accord avec la Bible. ^Voir cosmogonie et Moïse.

Glossaire liturgique des Eglises grecque et latine , 4'' article. 201.

Grégoire de Tours j^istifié contre les Bé- nédictin» au sujetdeS.Trophyme.12 2.

Guénebauit (M.). —Glossaire litui-gique, Voir glossaire. —Recherches sur la forme des aucieunes Eglises. 419»

U

Hallez. —Son album religieux. 62.

Ilecren. - Injustice de cet écrivain contre les moines d'Orient. 401 (note 4).

Hermès. —Voir Hermésianisme.

Hermésianisme (1'). Histoire de son origine , de sa coiulamnation et de sou étal actuel en Allemagne. 85.

Hérodote.— Rectifié par la Bible. 43.

Histoire (cours d') à l'usage d'un petit séminaire. 379.— Et choix d'une suite d'ouvrages appropriés à toutes les branches de l'histoire. 38;5.

Homère.-Manuscrit d'une grande bcAulé appartenant à unmonas 1ère. 404.

DES AUTEURS ET DES OLVJlAGES.

m

Hospices des cnfans trouvés» Leur or- ganisation eslducauChristianisnie.70.

Iles Britanniques. Leur découverte par les Etrusques. 315.

Inscriptions prouvant la mullilude des martyrs. /y2.

Interprétation littérale ou verbale d'un Texte. 263.

Invocation des Saints'docirine sur r).2Zi 1

Irénée (St.) apôtre de Lyon. 14.

Irlande.— Célébrité de ses écoles monas- tiques dis le siècle. 407.

Isidore (St.) de Séville. Ce que prou- vent ses ouvrages. 359.

J

Jacquemet (Jules). Examen de l'ou- vrage de M. Remacle sur les hospices d'enfans trouvés. 70.

Jérôme (SU ). Sur la circoncision qui était un signe et non un moyeu de justification. 243. Défense de l'expli- cation qu'il a donnée du mot hébreu aime (vierge). 361.

L

Lazare (St. ). Apôtre et 1" Evêquc de Marseille. 8.

Lettre pastorale de l'Evêque de Bayent. Sur le besoin d'études nécessaires au clergé. 396.

Letronne ( M. ). Sa cosmographie des Pères n'est qu'une attaque dégui- sée contre la Bible. 261. Fait dire à la Genèse ce qu'elle n'a jamais dit 268. Met sur le compte des Pères de 1 Eglise les idées des anciennes éco- les grecques et d'écrivains de peu de valeur, 275. Sa méprise au sujet des Pères. 285. 288

Libri ( M. ). Réfutation de ses asser lions sur l'inRuence du christianisme sur les sciences. 260. 347. 399

Lithographies. Bifférens objets relatifs au déluge, trouvés dans un vase. 46. Caractères chinois et égyptiens ayant servi à former les G sémitiques ; G de 35 alphabets sJmiliques ; G grec ancien ; formaliou du C latin capital. 334. C latin capital des manuscrits; C minuscule du diplôme. 342. Plan d'une basilique chrétienne des premiei^ âges. 421.

Loriquet (Père). Mérite de ses abré- géj d'études et d'histoire. 381.

M

Mabillon. Exposition de son opinion sur la non-universalité du déluge. 49.

Machabécs. Deux passages dece livre confirmés par les médailles. 37.

Manuscrits égyptiens de la Bible. 'Voir Bible.

Marcel de Serres (M.). Son ouvrage sur la cosmogonie de Moïse. 153.

Médailles servant à prouver la vérité des laits de la Bible. 36, Relatives au Déluge. 40é

Meurtriers. Usage singulier à leur égard. 326.

Moïse, sa cosmogonie comparée aux faits géologiques. 153.

Monastères. Beauté de leurs biblio- thèques. Voir abbayes.

Monumens religieux (statistique des). par l'abbé Souchet. I60.

Nécrologie de 1838. 7g^

Xotre-Dame-dcs-Ermites. Notice histo- rique sur ce pèlerinage. 320,

P.

Papauté (histoire de la).' par M. Léo- pold Ranke. 249. Reproches faits à cet ouvrage. 256.

Pères de l'Eglise. Idées confuses de M. Letronne à leur sujet. 275. Si l'on peut dire qu'ils aient puisé leuis opinions particulières sur la cosmo- graphie, dans les textes de l'Ecriture? 279. S'il est vrai que les Pères aient eu un système quelconque de cosmographie qui leur soit propre. 295. M. Letronne donne la quali- fication de Pères de l'Eglise à divers personnages qui n'ont rien de com- mun avec eux. 285,

Perrone (M. l'abbé). Sur l'hermésia- nisme. 1 15. Note sur son article des ac(a hcrmesiana. 236.

Pluralité des Cieux. Ce qu'il en faut penser. 272. -— Et s'il est vrai que Moïse adopte cette assertion. 27?,

Potliin (S.). Sa mission à Lyon. 11.

Puissances temporelles et spirituelles ; de

de leurs rapports d'après la tradition

universelle, par l'abbé Rohrbacher.

Examen de cet ouvrage. 229.

II.

Régnier ( M. Joseph ). Chronique d'Einhsidlen. 320,

Uh!i

ÏABLE DES MATIÈRES.

Remacle (M.). Son ouvrage sur les hospices. Voir hospices.

Revue des deux monrfcs.— Assertions de ce journal louchant la Genèse. 262. Touchant la cosmologie de quel- ques Pères. 268.

Riambouig (M. ). Publication de ses oeuvres philosophiques. 376. Plan d'études historiques pour un petit sé- minaire. 380. S.

Sacy fM. de). Traduction du livre d'Enoch» Fragmens. 172. 369.

Salut (des moyens de). Chez les Juifs.

2/il.

Salvolini. Notice de ses ouvrages. 80.

Severianus de Gabala. Méprise de

M. Letronne au sujet de cet écrivain.

285.

SéAille (cathédrale de). Sa description. 215. Orgue. 219. Tombeaux. 220. ' Crédences. 221. Manuscrits. ib.

Silvio-Pellico. Poésies inédites et dé- tails sur sa vie. 184.

Souchet ( Tabbé). Statistique des mo- numens religieux. 1 60.

Synagogue (doctrine de la). Sur Tin- vocation des Saints et sur la foi du Rédempteur promis. 2^1.

T.

Tableau des principales époques histo- riques calculées depuis l'apparition de l'homme. 158.

Tableaux religieux du salon 1838. Examen critique de leur style, esprit, etc. 53.

Tables eugubiennes. Ce que c'est. S15«"

Théodore de Mopsueste. Pris pour un Père de l'Eglise par M. Letronne, et ce qui en est résulté. 285.

Théodoret. Réserve de ce Père dans les questions douteuses, 288.

Théologie.— Rapport de M. Salvandi sur son étude. 238.

Thomas (saint) pense que la circoncision était un signe et non pas un moyen de justification. 243. Sur l'interpré-" talion de l'Ecriture. 292*

Trophyme Sa mission à Arles. 9. Sa chute et sa pénitence. 123. S'il y en a deux. 124*

u.

Univers ( études et tableau de ). Voir Daniéio.

V.

Vase avec des peintures relatives au déluge. Planche et explication de ce curieux monument. 46.

Vercellone (M. l'abbé). Son explication du mot Aime. 361.

Viiginilé de la mère de Jésus-Christ, si on doit en trouver l'annonce dans un mot hébreu. 361.

Vision d'Enoch. V. Enoch.

Voigt. Plan d'une basilique des pre- miers siècles. 419.

Vossius (Isaac). Son opinion sur l'uni- versalité du déluge. 61.

VV.

Wiseman (M.). Ses travaux scientifi- ques sur l'histoire, l'archéalogie, la littérature sacrée. 25.82.

FIN DE LA TABLE DU DIX-SEPTIÈME VOLUMR.

I

S^::^fiL