cr neeq LS , LA < | : . PMR TS NN D SUN E ES D À NN TUE EE ES LT NT NE EP SERRES RER Réel RESTE Date Conan cdd IE Er ni s RL RAR LAN SE nee 2 ARRERRS TER UNS LES CEE : : ENTRE T | NP | nn [a | SR — : M . F re. ga | Ent, 1 ES L'AD:: L'È TP ne D! + ra 2. ANNALES SUIENCE AGRONOMIQUE FRANÇAISE ET ÉTRANGÈRE Comité de rédaction des Annales. Rédacteur en chef : L. GRANDEAU, directeur de la Station agronomique de l'Est. U. Gayou, directeur de la Station agro- nomique de Bordeaux. Th. Schlæsing, membre de l'Institut. M. Th. Schlæsing, fils, membre de l’Ins- titut, directeur de l’École des manu- factures de l'État, E. Risler, directeur honoraire de l’Ins- titut national agronomique. L. Mangin, docteur ès sciences, pro- fesseur au lycée Louis-le-Grand. A. Müntz, membre de l'Institut. Ed. Henry, professeur à l’acole na- tionale forestière. E. Reuss, inspecteur des forèts à Fon- tainebleau. C. Flammarion, directeur de la Station de climatologie agricole de Juvisy. Correspondants des Annales pour les colonies et l'étranger. GOLONIES FRANÇAISES. H. Lecomte, docteur ès sciences, pro- fesseur au lycée Saint-Louis. ; ALLEMAGNE. L. Ebermayer, professeur à l’Univer- sité de Munich. J. Kônig, directeur de la Station agro- nomique de Münster. Fr. Nobbe, directeur de la Station agronomique de Tharand. Tollens, professeur à l'Université de Gôttingen. 0. Kellner, directeur de la Station de Môckern. > ANGLETERRE. R. Warington, à Harpenden (Herts). Ed. Kinch, professeur de chimie agri- cole au collège royal d'agriculture de Cirencester. BELGIQUE. Grégoire, directeur de l’Institut chi- mique et bactériologique de l'État (Gembloux). Graîftiau, directeur du laboratoire agri- cole de Louvain. CANADA. Dr 0. Trudel, à Ottawa. ÉCOSSE, T. Jamiesen, directeur de la Station agronomique d’Aberdeen. ESPAGNE ET PORTUGAL. Joâo Motta dâ Prego, à Lisbonne. ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE. E. W. Hilgard, professeur à l'Univer- sité de Berkeley (Californie). HOLLANDE. A. Mayer, directeur de la Station agro- nomique de Wageningen. NORWÈGE ET SUÈDE. Dr Al. Atterberg, directeur de la Sta- tion agronomique et d'essais de se- mences de Kalmar, SUISSE. E. Schultze, directeur, du laboratoire agronomique de l'Ecole polytech- nique de Zurich. RUSSIE. M. Ototzky, conservateur du musée minéralogique de l’Université impé- riale de Saint-Pétersbourg, rédacteur en chef de la Pédologie. Nora.— Tous les ouvrages adressés franco à la Rédaction seront annoncés dans Le premier fascicule qui paraîtra après leur arrivée. Il sera, en outre, publié, s'il y a lieu, une analyse des ouvrages dont la spécialité rentre dans le cadre des Annales (chimie, physique, géologie, minéralogie, physiologie végétale et animale, agriculture, sylviculture, technologie, etc.). Tout ce qui concerne la rédaction des Annales de la Science agronomique française et étrangère (manuscrils, épreuves, correspondance, etc.) devra être adressé franco à M. L. Grandeau, rédacteur en chef, 48, rue de Lille, à Paris, ANNALES DE LA SCIENCE AGRONONIQUE FRANCAISE ET ÉTRANGÈRE ORGANE DES STATIONS AGRONOMIQUES ET DES LABORATOIRES AGRICOLES PUBLIÉES Sous les auspices du Ministère de l'Agriculture PAR Bottes GR ANDEAU DIRECTEUR DE LA STATION AGRONOMIQUE DE L'EST MEMBRE DE LA SOCIÉTÉ NATIONALE D'AGRICULTURE DE FRANCE RÉDACTEUR EN CHEF DU « JOURNAL D'AGRICULTURE PRATIQUE » MÉTIERS PROFESSEUR AU CONSERVATOIRE NATIONAL DES ARTS ET INSPECTEUR GÉNÉRAL DES STATIONS AGRONOMIQUES VICE-PRÉSIDENT DE LA SOCIÉTÉ NATIONALE D'ENCOURAGEMENT A L'AGRICULTURE MEMBRE DU CONSEIL SUPÉRIEUR DE L'AGRICULTURE 2: SÉRIE — HUITIÈME ANNÉE — 1902-1903 Tome Il. Avec figures dans le texte. BERGER-LEVRAULT ET C*, LIBRAIRES-ÉDITEURS NANCY PARIS 18, RUE DES GLACIS 5, RUE DES BEAUX-ARTS 1903 ROYAUME DE BELGIQUE MINISTÈRE DE L'AGRICULTURE TRAVAUX DE LA COMMISSION CHARGÉE DE L'UNIFICATION INTERNATIONALE DES MÉTHODES D’ANALYSE ce PROCÉS-VERBAL de la sixième assemblée des délégués des Laboratoires belges, des Stations agronomiques néerlandaises, de la station agricole du grand-duché de Luxembourg et d’un délégué du gouvernement français, tenue à Bruxelles les 19, 20 et 21 juin 1902. Séance du 19 juin à 14 heures. Présents : MM. Petermann, directeur de la station agronomique et bactériologique de l’État à Gembloux, représentant la commis- sion de surveillance des laboratoires d'analyses de l’État belge, pré- sident ; Van der Zande, directeur de la station agricole de Hoorn ; L. Grandeau, directeur de la station agronomique de l'Est, à Paris, inspecteur général des stations agronomiques de la République fran- çaise, délégué du gouvernement français ; Sjollema, directeur de la station agricole de l'État, à Groningue ; Jacqmart, directeur du laboratoire agréé, à Carlsbourg ; ANN. SCIENCE AGRON, — 9€ &£RIE. — 1902-1903. — 11. Î 2 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Swaving, directeur de la station agricole de l’État, à Goes, secré- taire ; Crispo, directeur du laboratoire d'analyses de l’État, à Anvers, secrétaire ; Aschman, directeur de la station agricole d’Ettelbrüch, délégué du gouvernement du Grand-Duché, est absent pour motif de santé. En l’absence de M. le Ministre de l’agriculture, que les soins de sa santé retiennent à l'étranger, M. Proost, directeur général, ouvre la séance en souhaitant la bienvenue aux membres de la conférence et le succès à leurs travaux. M. Petermann, président, fait l’éloge de la conférence, et fait res- sortir la haute utilité de l’entente internationale sur les méthodes d'analyses, intéressant les différents pays liés entre eux par des rap- ports commerciaux journaliers et importants ; se félicite des résultats acquis et espère que, par l’adhésion d’autres pays, la conférence pourra rendre encore de plus grands services. Il est heureux de constater à celte assemblée la présence de son ancien maître et ami, M. Grandeau, l’un des plus illustres représentants de la science agronomique française. Il espère qu’étant tous animés du désir de trouver une formule de conciliation, cette nouvelle conférence mar- quera un nouveau pas dans la voie de l'entente et du progrès des méthodes analytiques. M. Grandeau remercie M. Petermann en particulier et les membres de l’assemblée de l'excellent accueil qu’on lui témoigne et lit la lettre par laquelle M. le Ministre de l’agriculture, en le chargeant de le représenter à la conférence, déclare que celle-ci n’ayant pas un ca- ractère diplomatique, son représentant ne peut engager le gouverne- ment français, et son adhésion aux résolutions de la conférence ne pourra avoir, pour le moment, qu’un caractère personnel, le gou- vernement se réservant de statuer, le cas échéant, après le rapport de son représentant, et l'avis du comité consultatif des stations agro- nomiques françaises. On entame l’ordre du jour en suivant le programme annexé à la convocation. UNIFICATION INTERNATIONALE DES MÉTHODES D'ANALYSE. 3 a) Revision de la rédaction des méthodes de convention. (Imprimé n° 6, janvier 1901.) L'imprimé est examiné page par page. Les modifications de rédaction et les compléments aux méthodes analytiques sont indiqués dans l’imprimé ci-joint. Des changements ont été apportés aux pages suivantes : pages 9, 12, 13, 14, 15. Au sujet du dosage de la potasse dans les sels bruts de Stassfurt, M. Sjollema propose de remplacer le chlorure de baryum par le carbonate de baryte dans l’analyse des sels bruts contenant du sulfate et chlorure de magnésium. (Voir méthodes proposées.) Des changements sont aussi apportés aux pages 17, 19, 20. A la page 21, on complète l’article relatif à l’analyse des substan- ces alimentaires du bétail par un paragraphe spécialement réservé à l'analyse des aliments mélassés. La séance est levée à 17 heures. Séance du 20 juin à 10 heures. On reprend l’examen de l’imprimé à la page 21 : Préparation des réactifs. En présence des différences entre les formules indiquées pour la préparation du nitro-molybdate d’ammoniaque, on adopte la propo- sition de M. Van der Zande ainsi formulée : On peut préparer le nitro- molybdate soit par l’acide molybdique, soit par le molybdate d’am- moniaque, en ayant soin que le réactif préparé contienne par litre : oo grammes d’acide molybdique, 20 grammes d’ammoniaque et 250 grammes d’anhydride azotique. En partant de l’acide molybdique, la formule est celle-ci : 110 grammes d’acide molybdique sont dissous dans 400 centimètres cubes d’ammoniaque à 0,96, et versés lente- ment dans 1 500 centimètres cubes d’acide nitrique à 1,20. Le mo- lybdate d’ammoniaque n’a pas une composition constante (AzH“O, Mo0* ou 3AzZH*0, 7Mo* + 4aq), et perd peu à peu de l’ammonia- que. Sa composition doit donc être vérifiée à chaque préparation. 4 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. On dissout le molybdate d’ammoniaque cristallisé dans l’eau chaude, on neutralise la solution par de l’ammoniaque et on la verse dans l’acide nitrique. b) Demande des chimistes belges d'ajouter le dosage du perchlorate dans le ratrale et celui du fer et alumine dans les phosphates. M. Petermann, sur une proposition des chimistes belges, demande à l'assemblée si elle ne serait pas d’avis de faire suivre les méthodes conventionnelles officielles d’autres méthodes de dosages complé- mentaires, indispensables dans l’état actuel du marché des engrais, telles que : la recherche et le dosage du perchlorate dans le nitrate, le dosage du fer et de l’alumine dans les phosphates, la méthode ütrimétrique pour la vérification du dosage de l’acide phospho- rique. Ces méthodes ne feraient pas partie du texte de la convention, mais lui seraient annexées comme méthodes proposées, que chacun aurait le loisir de vérifier avant de les faire entrer parmi les métho- des officielles. L'assemblée adhère à cette proposition, et on soumet à la discus- sion le dosage du perchlorate. Le dosage du perchlorate, dit M. Petermann, est devenu indispen- sable depuis que sa nocuité a été bien établie et que les gouverne- ments européens envisagent les mesures de protection à prendre pour empêcher l'introduction des nitrates perchloratés. Ses expé- riences sur les céréales ont porté la tolérance à environ 1 p. 100, limite généralement admise aujourd’hui. Il fait connaître qu’à la station agronomique de Gembloux, on emploie la méthode Breukeleveen, au chlorure de rubidium, pour la recherche microscopique du perchlorate, et la méthode Brasseur pour son dosage. M. Sjollema fait ressortir le peu d'utilité du dosage du perchlorate. Ce sel toxique ne se rencontre pas uniformément dans un charge- ment, mais il est accidentel dans le nitrate de certaines fabriques mal outillées, et souvent il est concentré dans quelques sacs seule- ment : tel sac ne contiendra rien, tel autre donnera 1, 2 et même UNIFICATION INTERNATIONALE DES MÉTHODES D’'ANALYSE. 5 15 p. 100, tandis que l’analyse moyenne de la cargaison n’indiquera généralement que des traces non dosables de perchlorate. Il croit, en somme, qu'il est préférable d’agir par voie diplomatique. M. L. Grandeau donne connaissance dés démarches faites par le gouvernement français auprès du gouvernement chilien, qui est le premier intéressé dans la question, ainsi que des mesures de défense que le gouvernement français se propose d’adopter. C’est à l’origine, en contrôlant la fabrication, qu’il sera possible de prendre des mesures efficaces ; et il faut croire que quelque chose a été fait à ce sujet, si on peut en juger par les dosages en perchlo- rate des cargaisons de ces dernières années, dosages qui sont tombés en dessous de 1/2 p. 100. M. Sjollema décrit son procédé de dosage, fondé sur le fait qu'il n’y a pas de différence entre la température de décomposition du perchlorate et celle de volatilisation du chlorure de potassium, ce qui oblige le chimiste à prendre certaines précautions pour éviter des erreurs. L'assemblée convient de proposer la méthode Breukeleveen pour la recherche, et la méthode Sjollema pour le dosage du perchlo- rate. Dosage du peroxyde de fer et de l’alumine. — Cette question avait été écartée Jusqu'ici parce que le phosphate n'avait pas encore été considéré par lui-même comme un engrais, mais seulement comme une matière première pour la fabrication des superphospha- tes ; et pour les pays où l’achat de cet engrais a lieu au titre d’acide phosphorique soluble dans le citrate d’ammoniaque, la teneur du phosphate en fer et alumine ne présente pas un réel intérêt. Mais à la suite des expériences très concluantes de M. Grandeau, le phos- phate brut devant être considéré aujourd’hui, dans certaines condi- tions, comme un véritable engrais, il y a lieu de doser dans les phosphates le fer et l’alumine. M. Crispo déclare qu’une méthode de précision pour ce dosage n'existe pas encore, qu'il a essayé toutes les méthodes proposées et qu'il a reconnu que celles où le dosage a lieu sous forme de phosphate de fer et d’alumine doivent être écartées comme ne méritant pas 6 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. assez de confiance. Il a cherché et publié un procédé qui a été suc- cessivement perfectionné, et tout récemment le professeur Gillet de Verviers a appelé son attention sur l'influence du fluor dans le dosage de l’alumine. Cette influence a été vérifiée et le procédé a subi un dernier perfectionnement. L'assemblée décide que la méthode de M. Crispo sera insérée parmi les méthodes proposées. c) Dosage de l'azote total d'aprés Forster. (Rapporteur : M. Cnisro.) M. Crispo donne lecture du résultat de ses expériences. Description du procédé : 1 gramme de matière enveloppé dans un papier de soie est introduit dans le ballon à désagrégation, on ajoute 15 centimètres cubes d’acide sulfurique à 66° B. contenant 6 gram- mes de phénol pour 100 centimètres cubes. On agite jusqu’à dis- solution complète, en chauffant doucement au besoin. On ajoute ensuite à grammes d’hyposulfite de soude, agite, chauffe dix minu- tes, et, après complète décomposition, on additionne encore de 10 centimètres cubes d’acide sulfurique, et à ce moment on ajoute le mercure ou le bioxyde de mercure. On termine comme dans la méthode Kjeldhal. Gr. C. M. RE Gu. Ru. Nitrate de potasse dosant 13,66 Ex on + D'AZODE LENS EL RON RUE MEET PISTE ES SOS DL OMES OEM SONORE Mélange en parties égales de nitrate de potasse et poudre de corne à 19, 591 'AZOÏG" 3%. ses AAA 20 LAN 20 19,20 19 20 TE TN Cette méthode donne de bons résultats, elle est un peu plus expé- ditive que la méthode Kjeldhal-Jodlbauer. M. Swaving ajoute que ce procédé a été aussi essayé à Goes sur des guanos et il a constaté que, pour des dosages ordinaires, il donne de bons résultats; mais au-dessus de 7 p. 100, il y a de sensibles différences. Il a aussi observé que la distillation a lieu plus réguliè- rement. Ce procédé donne lieu à un fort dégagement d’acide sulfureux et comme, somme toute, il ne réalise pas un grand progrès sur le procédé ordinaire, il n’est pas adopté. UNIFICATION INTERNATIONALE DES MÉTHODES D'ANALYSE. 7 d) Appréciation de la purelé des tourteaux (Rapporteurs : MM. Swavine et Crisro.) M. Swaving a reçu M. Crispo à Goes, où un mélange de farine de lin et de colza fut examiné par la méthode hollandaise. Les résultats ont été satisfaisants; cependant M. Crispo ne croit pas à la nécessité d'employer une formule, et il estime qu’en appréciant pour chaque champ microscopique exploré le pour cent de pelures étrangères par rapport au lin, on arrive au même résultat. Au laboratoire d'Anvers, on se sert à cette fin d’un quadrillé de 5 millimètres carrés divisé en cent cases. La farine de lin est séchée à 100 degrés et finement broyée. Sur une prise d’essai colorée par l’iode, on apprécie le pour cent d’amidon. On extrait la cellulose d’une autre prise d’essai, et on l’examine sur le quadrillé. La technique hollandaise est plus méthodique et consiste à explo- rer un grand nombre de champs sur trois lignes parallèles de la pré- paration, au moyen du chariot. On compte le nombre de pellicules extérieures du lin et les pellicules étrangères. Une formule donne le pourcentage. MM. Swaving et Crispo continueront à étudier cette importante question, intéressant particulièrement Goes et Anvers, et en présen- teront un rapport à la prochaine réunion, afin d’arriver à une me- sure définitive. On décide d'introduire la description de la méthode hollandaise parmi les procédés à l’étude. La séance est levée à 13 heures. Séance du 20 juin, à 15 heures. e) Titration du phospho-molybdate, d’après Pemberlon, comme contrôle rapide des dosages obtenus par la méthode officielle. M. de Molinari, directeur du laboratoire de l’État à Liège, a étudié et perfectionné ce procédé. Il a invité ses collègues pour aller le voir pratiquer dans son laboratoire, M. Petermann y a délégué son pré- 8 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. parateur, M. Grégoire, qui a eu des résultats d’une concordance très remarquable consignés ci-après : 22 janvier 4901. — Solutions différentes. NATURE DE L'ÉCHANTILLON. PESÉE. MA Superphosphate . . . . . 14,13—14,08 14,00 SODTIPS RAS AUS MT 17,13 16,95 SD HAENBCMNNS. NATS 18,48 18,35 OPA A PPS RE 13,34 13,35 RP AE pe DNA era 15,74 15,73 PR Pc ANR ART IRREE 4 Le 17,64 17,60 ES EE ENTER LT He 17,46 17,47 PER NU EM ATÉE 16,44 16,35 RS NL AN DA TS PA 19,61 19,50 ET SN STADE RTE 19,66 19,60 PhOSPha le Eee RE 21,56 21,60 == RMS TPE 24,06 24,00 Durée d’un dosage la solution étant faite : 20 minutes. M. Petermann croit que le titrage du phospho-molybdate n’est pas en défaut, mais bien la composition du précipité lui-même, qui parfois est impur ; toutefois, en opérant la précipitation à froid, on obtient un phospho-molybdate très pur, donnant des résultats exacts et concordants. Ce procédé est beaucoup employé en Belgique. MM. Van der Zande, Sjollema et Swaving le pratiquent aussi pour l'analyse des scories, mais pas pour celle des superphosphates. Pour contrôler celles-ci, ils emploient la méthode Gréte *. M. Sjollema l’a appliquée à 193 analyses de scories, avec la modification de M. Nys- sens (précipitation à froid en présence de citrate d’ammoniaque et lavage avec de l’eau saturée de phospho-molybdate). Ïl à eu : 55 résultats supérieurs à la pesée, 77 résultats inférieurs à la pesée, 61 résultats égaux à la pesée. 193 M. Jacqmart n’a pas toujours eu de bons résultats, et parfois le 1. Voir Kônig, Die Untersuchung landwirtschaftliche Stoffe, 2° édition, P. Parey, Berlin, UNIFICATION INTERNATIONALE DES MÉTHODES D’ANALYSE. 9 liquide étant bleu, la titration était très difficile. Il communique les résultats ci-dessous : NATURE DE L'ÉCHANTILLON. PESÉE. TITRE. Scories DAS Ter à 16,05 15,90 — LA MERE 17,92 17,55 — 18 RATE Le 17,66 17,40 — TL on Hé l 10,68 9,80 — DOPHÉRMRE ETES Fe 15,61 15,90 _ D FT ANA NES 16,84 16,60 — SE) SOMRERCERANE 14,66 12,90 — PH ARE AR 14,43 14,40 — RADAR re 4e 15,20 15,00 Phosphate bisodique. . . . 50,12 50,00 _— précipité 7,77. 34,66 35,00 PURITEM OS EN TS 23,86 25,00 Phosphale Ciply. . . . . . 10,17 10,10 — Diéges at rt 217,23 26,80 EY PÉTER PR de ESA 12,60 Superphosphate. . . . . . 12,68 12,70 — Foie 14,76 16,30 Fe LAELL Prat 12,86 12,80 = Ce 15,88 16,30 Les expériences de M. Crispo ont été publiées dans le compte rendu précédent. L'assemblée décide que le texte de de Molinari sera inséré dans les méthodes proposées. M. L. Grandeau donne communication de la méthode française par pesée du phospho-molybdate. La séance est levée à 17 heures et demie. Séance du 21 juin, à 10 heures. Î) Objets divers. — Analyse des aliments mélassés. M. Crispo fait remarquer que le dosage par polarisation directe n’est applicable qu'aux aliments fraîchement préparés. Peu à peu le sucre s’inverüt, et, au bout de quelque temps, on trouve plus d’in- verti que de saccharose. Cette transformation a lieu rapidement si l'aliment contient des radicelles de brasserie, ou pas assez de sucre, 10 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. ou trop d’eau. Au laboratoire d'Anvers, on invertit toujours lout le sucre, on le dose par le cuivre et on le calcule en saccharose. Ce pro- cédé, très exact, qui présente aussi l’avantage de renseigner sur la quantité exacte de sucre employé dans la fabrication, offre l’incon- vénient d’être trop long. M. Van der Zande expose le procédé employé en Hollande, procédé plus expéditif, qui consiste à opérer d’abord la double polarisation, et c’est seulement dans le cas où la différence dépasse 3 p. 100 que l’on dose le sucre par le cuivre. Ce procédé est adopté. On convient donc de supprimer les nota bene des pages 19 et 20, et de compléter le paragraphe relatif à l’analyse des aliments du bétail par l’analyse des aliments mélassés. À la demande de M. Swaving, appuyée par M. Grandeau qui apporte l'autorité de ses expériences personnelles et celles de M. Kellner, il est convenu qu’à l'avenir on ne dosera plus l'azote dans la tourbe-mélasse. L'ordre du jour étant épuisé, M. Grandeau lit la déclaration sui- vante : M. L. Grandeau a pris part, avec grand intérêt, aux discussions de la conférence. Il à fait connaître les méthodes officielles adoptées par le Comité consultatif des stations agronomiques et des laboratoires agricoles ; il a constaté avec satisfaction que les méthodes, sanctionnées jusqu'ici par la conférence, concordent, à certains détails près, avec les mé- thodes françaises. Le délégué du ministère de l’agriculture s’empressera de commu- niquer à l’administration de l’agriculture les résolutions adoptées par la conférence de Bruxelles. L’entente, si désirable au point de vue des intérêts du commerce international, sur les méthodes propres à fixer la valeur des matières fertilisantes et des denrées alimentaires du bétail, semble facile à réaliser. ‘ Cependant, la mission dont il a été chargé par le gouvernement français n’autorise pas M. Grandeau à prendre d’engagement ; il en référera au Ministre de l’agriculture, et rendra compte de la décision du ministère à la prochaine conférence internationale. UNIFICATION INTERNATIONALE DES MÉTHODES D'ANALYSE. {1 Avant de se séparer, l'assemblée charge le bureau de vouloir faire les démarches nécessaires auprès du gouvernement grand-ducal pour que la prochaine assemblée ait lieu à Luxembourg. Les secrélaires, SWAVING ET CRISPO. MÉTHODES DE CONVENTION POUR L’ANALYSE DES MATIÈRES FERTILISANTES ET DES SUBSTANCES ALIMENTAIRES DU BÉTAIL Janvier 1903. Les transactions commerciales entre les Pays-Bas et la Belgique, particulièrement le commerce des phosphates, superphosphates et tourteaux, ont pris depuis quelques années un développement im- portant. Afin d'amener une entente sur les procédés analytiques à suivre pour fixer les titres en principes actifs des produits passant la fron- tière, le gouvernement néerlandais et le gouvernement belge, de commun accord, ont réuni, en 1897, en deux conférences, des délé- gués des deux pays. Assistaient à la réunion de La Haye : M. Hoogewerff, professeur de chimie à l’École polytechnique de Delft, représentant la Commission de surveillance des Stations agri- coles hollandaises ; M. Holleman, professeur de chimie à l’université de Groningue ; M. Van der Zande, directeur de la Station agricole, à Hoorn ; M. Swaving, directeur de la Station agricole à Goes, représentant les Stations agricoles néerlandaises ; M. Petermann, directeur de la Station agronomique de Gembloux, représentant la Commission de surveillance des Laboratoires d’ana- lyses de l’État belge ; M. Crispo, directeur du Laboratoire de l'État, à Anvers, représen- tant les Laboratoires de l’État belge ; 12 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. M. de Ridder, chimiste à Bruges, représentant les chimistes agréés par l’État belge. La réunion de Bruxelles comptait les mêmes chimistes délégués, sauf M. Hoogewerff, remplacé par M. Wysnann, professeur de chi- mie à l’Université de Leyde. M. Holleman présidait la conférence de La Haye, M. Petermann celle de Bruxelles. MM. Swaving et Crispo ont rempli les fonctions de secrétaire-rap- porteur. La discussion détaillée des méthodes analytiques et les essais com- paratifs faits par les chimistes des deux pays ont donné lieu à l’adop- tion définitive de la présente convention. On remarquera que, pour la plupart des dosages, un seul procédé d'opération est renseigné. Lorsque deux méthodes sont décrites pour la détermination du même principe fertilisant ou du même principe alimentaire, le chimiste peut choisir, à sa convenance, entre les deux procédés, ceux-ci ayant été reconnus comme fournissant les mêmes résultats. Les délégués des deux pays sont convenus, en outre, de soumettre les méthodes adoptées à une revision, chaque fois que les progrès de la chimie analytique le rendront nécessaire. La première revision de la présente convention a eu lieu dans une conférence tenue en janvier 1899, à Goes. Y assistaient : MM. Holleman, Van der Zande, Swaving, Peter- mann, Crispo et de Ridder, prénommés, ainsi que M. le D° C. Aschman, directeur de la Station agricole d’Ettelbrück, délégué du souvernement du grand-duché de Luxembourg. La conférence de Goes était présidée par M. Holleman, les fonctions de secrétaire étaient remplies par MM. Swaving et Crispo. En octobre 1899, les mêmes délégués se sont réunis à nouveau à Luxembourg, sous la présidence de M. Aschman. M. Holleman était remplacé par M. le professeur Wysman; secrétaires-rapporteurs : MM. Swaving et Crispo. La réunion annuelle de 1900 a eu lieu les 5 et 6 octobre La Haye. UNIFICATION INTERNATIONALE DES MÉTHODES D'ANALYSE. 13 Étaient présents : MM. Van der Zande, Swaving, Wysman, Asch- man, Petermann et Crispo prénommés, Jacqmart, directeur du labo- ratoire agréé de Carlsbourg, remplaçant M. de Ridder, et Sjollema, directeur de la Station agricole de Groningue ; président : M. Van der Lande ; secrétaires-rapporteurs : MM. Crispo et Swaving. Une sixième réunion a été jugée nécessaire en 1902. Elle eut lieu à Bruxelles, au mois de juin, sous la présidence de M. Petermann. Y assistaient : MM. Van der Zande, Sjollema, Swaving, Crispo, Jacqmart. M. Asch- man était absent pour motifs de santé. Le gouvernement français v avait délégué M. L. Grandeau, inspecteur général des stations agro- nomiques françaises, directeur de la station agronomique de l'Est. La présente publication annule celle de janvier 1901, n° 6, des documents officiels concernant le service des laboratoires d’analyses de l’État et des laboratoires agréés par l’État. MATIÈRES FERTILISANTES I. — Azote. Azole ammoniucal (sulfate d’ammoniaque). Peser 10 grammes. Introduire avec de l’eau distillée dans un ballon d’un litre. Porter au volume. Filtrer s’il v a lieu. Distiller 90 centimètres cubes avec environ 3 grammes de magnésie calcinée. Recueillir l’ammoniaque dans 20 centimètres cubes d’acide sulfu- rique titré demi-normal. Titrer l’excès d’acide par une solution alca- line, de préférence de l’eau de baryte un quart normale. Azole nilrique. A) Méthode Schlæsing-Grandeau. a) Nitrate de soude. — Peser 16£,5. Introduire avec de l’eau bouillie dans un ballon d’un demi-litre. Porter au volume. Traiter 10 centimètres cubes dans l'appareil Schlæsing avec 50 centimètres cubes d’une solution de chlorure ferreux saturée à froid et le même 14 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. volume d’acide chlorhydrique concentré. Rincer l’entonnoir avec de l'acide chlorhydrique demi-dilué. Comparer le volume obtenu avec celui produit dans les mêmes conditions par 10 centimètres cubes d’une solution type de 33 grammes de nitrate de soude pur et sec par litre. Avoir soin de ne remplir les tubes gradués qu’avec de l’eau distillée froide, fraîchement bouillie ; chasser l'air de l’appa- reil en introduisant un peu de nitrate ; en cas de plusieurs dosages, prendre le titre au milieu de la série. b) Nitrate de potasse. — Peser 20 grammes. Introduire avec de l’eau bouillie dans un ballon d’un demi-litre. Porter au volume. Opérer sur 10 centimètres cubes. Liqueur type : 40 grammes de nitrate de potasse pur et sec par litre. B) Méthode Ulsch. Cette méthode n’est pas applicable en présence des sels ammo- nlacaux. Peser 10 grammes. Introduire avec de l’eau distillée dans un ballon d’un demi-litre. Porter au volume. Introduire 25 centimètres cubes de la solution dans un ballon, ajouter 5 grammes de fer réduit par l'hydrogène et 10 centimètres cubes d’acide sulfurique dilué (un volume d’acide concentré sur deux volumes d’eau distillée). Placer le bouchon avec déflegmateur, chauffer à petit feu, écarter la flamme pendant le dégagement des gaz, chauffer encore légèrement pendant cinq minutes. Introduire le contenu du déflegmateur dans le ballon, puis encore 100 centimètres cubes d’eau distillée. Distiller avec environ trois grammes de magnésie calcinée (ou 30 centimètres cubes d’une solution de soude caustique densité 1,25), continuer comme le dosage de l’azote ammoniacal. Azole organique. A) Méthode Kjeldahl. Quantités à peser : Sang, Corne . Cuir, laine, tourteaux, engrais de poissons. Poudre d'os . gramme D Ten 1 = UNIFICATION INTERNATIONALE DES MÉTHODES D’ANALYSE. 1) Introduire la pesée dans un ballon. Ajouter, suivant l'importance de la prise d'essai, 10 à 20 centimètres cubes d’acide sulfurique à 66° B., renfermant 10 p. 100 d'acide phosphorique anhydre, puis une goutte de mercure (environ 05,5) ou 05,5 à 1 gramme de bioxyde de mercure. Chauffer au moins une heure après la décolo- ration complète. Laïi$ser refroidir et diluer. Ajouter de la lessive de soude (390 grammes hydrate de soude dans un litre d’eau) jusqu’à presque neutralisation ; introduire 40 centimètres cubes d’une solu- tion contenant par litre 50 grammes de soude caustique et 20 grammes de sulfure de sodium et un peu de pierre ponce. Rincer le col, agiter et adapter à l’appareil à distiller. Toutes ces opérations doivent se faire rapidement. Recueillir les vapeurs dans 20 centimètres cubes d'acide sulfurique un demi-normal. Titrer l'excès d’acide par de l’eau de baryte un quart normale. Faire bouillir et refroidir avant de tirer. B) Méthode Gunning modifiée. Pesées comme ci-dessus. Ajouter 20 centimètres cubes d’acide sulfurique à 66° B., 1 gramme de mercure, 1 gramme de sulfate de cuivre anhydre ; agiter pour empêcher la formation de grumeaux ; chauffer. Quand la matière est charbonnée, ajouter 10 à 15 grammes de sulfate de potasse en cristaux. Chauffer sur de forts brûleurs. L’at- taque est finie en une demi-heure. Continuer comme ci-dessus. Azote nilrique el azote ammoniacal. Engrais composés : Peser 10 grammes à 500 centimètres cubes. Opérer sur 25 ou 90 centimètres cubes. Azote nitrique : Procédé Schlæsing-Grandeau, Azote ammoniacal : Distillation avec la magnésie. Azole organique et azole ammoniacal. Poudrette, Engrais composés : Azote total : 2 grammes. Procédé Kjeldahl. Azote ammoniacal : 5 grammes distillés avec la magnésie. 16 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Azole organique et azole nitrique. Engrais composés : Azote total : 1 à 2 grammes. Procédé Kjeldahl-Jodlbauer. Employer 20 à 30 centimètres cubes d’acide sulfophénique conte- nant par litre 60 à 100 grammes d’acide phénique cristallisé. Pour faciliter la dissolution, il est recommandable de chauffer lentement jusqu’à 40° centigrades, refroidir et ajouter par petites portions { gramme de poudre de zinc. Laisser digérer à froid pendant deux heures au moins. Continuer comme le procédé Kjeldahl ordinaire. Azote nitrique : Procédé Schlæsing-Grandeau. Azole organique, azole ammoniacal et azole nitrique. Guanos, Engrais composés : Azote total : Procédé Kjeldahl-Jodlbauer. Azote ammoniacal : Distillation de l’engrais avec la magnésie. Azote nitrique : Procédé Schlæsing-Grandeau. Azote organique — Azote total —— (Azote ammoniacal + Azote nitrique). N. B. — Pour les deux cas précédents, on peut aussi opérer de la manière suivan(e : Chasser l’azote nitrique par une ébullition avec l’acide chlor- hydrique et le chlorure ferreux. On revient alors au cas de l’azote or- ganique seul ou à celui de l’azote organique et de l’azote ammoniacal. L’azote nitrique est dosé sur une prise d’essai spéciale par le procédé Schlæsing-Grandeau. II. — Acide phosphorique. Acide phosphorique soluble dans les acides minéraux. A) Méthode générale. D grammes + 90 centimètres cubes d’acide nitrique (D. 1,20) ou d’eau régale + 150 centimètres cubes d’eau. Bouillir une demi- heure, faire volume de 500 centimètres cubes et filtrer. UNIFICATION INTERNATIONALE DES MÉTHODES D'ANALYSE, 17 Prendre : Pour phosphale riche, phosphate précipité et scories au- dessus de 20 p. 100 . CARPE HR RARES CURE Pour phosphate pauvre, superphosphate et scories de DOS D OUPPPNSRESSURS A, RL AR EST ann 100 — 25 centimètres cubes. Neutraliser par l’ammoniaque la plus grande partie de l’acid libre. Précipiter à chaud par 100 centimètres cubes d’une solution de nitro-molybdate ammoniaque ; fare bouillir et filtrer à chaud ou bien chauffer au bain-marie à 80° centigrades pendant une demi- heure. On peut aussi précipiter à froid par agitation mécanique. Laver avec 100 centimètres cubes d’acide nitrique à 1 p. 100. Redis- soudre avec le moins possible d’ammoniaque concentrée, laver avec ammoniaque à à p. 100 (0,98) et filtrer au besoin. Saturer la plus grande partie de l’ammoniaque par lacide chlorhydrique. Précipiter à froid par 10 centimètres cubes de mixture magné- sienne (voir annexe). Ajouter d’abord deux à trois gouttes de mixture. Agiter jusqu'à l’apparition d’un trouble, ajouter le restant goutte à goutte. Ajouter encore de l’ammoniaque si nécessaire. Laisser dé- poser au moins deux heures ou agiter mécaniquement une demi- heure, filtrer, laver avec ammoniaque à 5 p. 100, calciner, peser. Facteur : 0,64. N. B.—Matières fertilisantes organiques : les guanos, poudre d’os, poudrette, peuvent être directement dissous dans l’acide nitrique ou l’eau régale , les tourteaux et éngrais de poissons doivent être désa- grégés par l’acide sulfurique pur suivant Kjeldahl. Le dosage de l’acide phosphorique dans les matières incinérées n’est plus admissible. B) Méthode spéciale {dite citro-mécanique). 25 centimètres cubes de la solution précédente de phosphate, guano, poudre d’os dans l’acide nitrique ou l’eau régale sont à peu près neutralisés par de l’ammoniaque. On ajoute 30 centimètres cubes de citrate Petermann (voir annexe) et 10 centimètres cubes d’ammoniaque à 20 p. 100 (0,92) ; on place sous l’agitateur et pen- ANN. SCIENCE AGRON. — 2° SÉRIE. — 1902-1903. — 11. 2 Ta ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. dant le mouvement on verse, goutte à goutte, 25 centimètres cubes de mixture. On agite pendant une demi-heure. Laisser déposer pen- dant deux heures, filtrer, laver et calciner. Lo] Acide phosphorique soluble dans l'eau (par digestion). Peser 20 grammes. La prise d’essai, introduite dans un mortier en verre ou en porce- laine, est triturée en additionnant 20 à 25 centimtres cubes d’eau distillée froide. — Cette opération est renouvelée plusieurs fois en versant chaque fois le liquide trouble dans un ballon d’un litre. A la fin, le tout étant amené dans le ballon, on porte le volume à envi- ron 900 centimètres cubes et agite pendant une demi-heure dans un appareil spécial. A défaut d’un appareil de rotation, pour les superphosphates simples, on laisse digérer pendant deux heures en agitant quelques fois. Pour les superphosphates doubles (22 p. 100), une digestion de vingt-quatre heures, en agitant de temps en temps, est nécessaire. On porte au volume, filtre, prélève 50 centimètres cubes (soit 1 gramme de matière) ou 25 centimètres cubes (soit 05,5 de ma- tière) selon la richesse. On dose l’acide phosphorique par la méthode au molybdate. Acide phosphorique soluble dans l’eau et le citrale d'ammoniaque alcalin. (Méthode générale applicable à tous les superphosphates desséchés ou non, organiques ou minéraux.) Peser : Superphosphate riche et phosphate précipité . Lt 1 gramme. — ordinaire (10 à 20 p. 100 Ph*0°). . . . 1 ee pauvre el engrais composés à moins de 10 pe 100 PDA eee 1e) SE 4 — Allaque : La prise d'essai, introduite dans un petit mortier en verre, est d’abord broyée à sec, puis additionnée de 20 à 25 centi- mètres cubes d’eau et triturée à nouveau jusqu’à délayage complet UNIFICATION INTERNATIONALE DES MÉTHODES D’ANALYSE. 19 de la matière. On décante sur un filtre et recueille la solution filtrée dans un ballon jaugé de 250 centimètres cubes. On répète trois fois l’opération, puis on amène le tout sur le filtre. On continue à laver sur le filtre, jusqu’à volume de 200 centimètres cubes environ. On ajoute quelques gouttes d'acide nitrique, si l’on opère la précipita- tion par le nitro-molybdate ammonique; on ajoute de l'acide chlor- hydrique, si l’on emploie la méthode citro-mécanique et on met au trait. Le filtre contenant tout le résidu insoluble est introduit dans un ballon jaugé de 250 centimètres cubes avec 100 centimètres cubes de citrate d’ammoniaque alcalin et on agite fortement pour déchirer le filtre et délayer le contenu. Le phosphate précipité est traité direc- tement par le citrate. L'action à froid sur le résidu insoluble sera prolongée pendant quinze heures et facilitée par l’agitation. Puis cette action sera suivie d’une digestion à 40° centigrades pendant une heure, comptée à partir du moment où le thermomètre du bain-marie indique cette température. Précipitation : De la solution citrique refroidie, portée à 200 cen- ümètres cubes et filtrée, on prélève 50 centimètres cubes auxquels on ajoute 90 centimètres cubes de la solution aqueuse. Les 100 cen- timètres cubes du mélange sont additionnés de 10 centimètres cubes d'acide chlorhydrique de 1,10 ou 15 centimètres cubes d’acide ni- trique de 1,20 et maintenus à l’ébullition pendant cinq minutes (transformation du non-ortho en ortho). On dose finalement l'acide phosphorique par la méthode citro-mécanique en ajoutant encore 10 centimètres cubes de citrate Petermann après avoir à peu près neutralisé par de l’ammoniaque. Si on précipite par le molybdate, l’ébullition préalable avec les acides minéraux est inutile. III. — Potasse. A) Méthode générale (Dosage à l'état de chloroplatinate de potassium). Sels de potasse : Peser 10 grammes. Introduire dans un ballon de 1 litre. Porter à mi-volume, faire bouillir. Précipiter exactement l’acide sulfurique 20 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. par le chlorure de baryum. Porter au volume, filtrer. Prélever 20 centimètres cubes (chlorure et sulfate) ou 90 centimètres cubes (kaïnite). Ajouter 10 centimètres cubes de chlorure de platine à 10 p. 100. Évaporer à consistance sirupeuse. Reprendre par l'alcool à 89° G.-L., écraser avec soin les cristaux et laver à lalcool à 89° G.-L. sur filtre taré ou dans le creuset de Gooch. Sécher à 125° à l’étuve à air ou à xylol. Coefficient : 0,194. B) Méthode spéciale. On met sur le même pied la méthode néerlandaise et celle de Co- renwinder et Contamine. a) Méthode néerlandaise. — Superphosphate potassique. Engrais composés : Peser 20 grammes, faire bouillir avec de l’eau pendant une demi- heure, refroidir, porter à 500 centimètres cubes, mesurer à 50 cen- timètres cubes de la liqueur filtrée, ajouter du chlorure de barvum à l’ébullition pour précipiter exactement l’acide sulfurique. Ajouter de l’hydrate de baryum en excès, refroidir, porter à 100 centimètres cubes, ajouter à 50 centimètres cubes du filtrat, à l’ébullition, du carbonate d’ammoniaque et de l’ammoniaque jusqu’à ce qu’il ne se produise plus de précipité; refroidir ; porter à 100 centimètres cubes, évaporer à 20 centimètres cubes du filtrat, chasser les sels ammo- niacaux, reprendre par l’eau, filtrer. Continuer comme dans la mé- thode générale. b) Méthode Corenwinder et Gontamine. — 10 grammes à 1 litre. Prendre 50 centimètres cubes, ajouter 1 centimètre cube d’acide chlorhydrique, évaporer à sec, chasser les sels ammoniacaux et les matières organiques, s’il y a lieu, sans toutefois porter au rouge. Reprendre par l’eau acidulée d’acide chlorhydrique. Évaporer, ajou- ter 40 centimètres cubes de chlorure de platine à 10 p. 100. Éva- porer à consistance sirupeuse, épuiser par l'alcool à 85° G.-L. Redis- soudre par l’eau chaude, recevoir la dissolution dans 50 centimètres cubes de formiate de soude à 10 p. 100 portés à l’ébulition. Chauffer jusqu’à réduction complète. Aciduler par l'acide chlorhydrique en UNIFICATION INTERNATIONALE DES MÉTHODES D'ANALYSE, 21 évitant une quantité trop forte d’acide. Filtrer, laver à l’eau froide, calciner. Platine X 0,4837 — Potasse anhydre. La réduction peut se faire aussi à l’ébullition en solution neutre par 2? grammes de calomel, ajouter ensuite 2 centimètres cubes d’acide chlorhydrique, faire bouillir et filtrer (d’après Mercier). y ) P IV.— Préparation de l'échantillon de scories et détermination de la finesse de mouture. Tamis n° I avec des trous ronds d’un diamètre de 1"",50. Tamis n° IT d’un diamètre de 26 centimètres, à fils écartés de 0"",17, soit une grandeur de mailles de 0"®?,0280. L’échantillon entier est tamisé au tamis n° [; le résidu est consi- déré comme non-valeur, mais on le pèse pour la correction des dosages suivants : Une partie de la scorie passée par le Lamis n° I (50 grammes) est soumise pendant un quart d'heure au tamisage dans le tamis n° If. On pèse le résidu et on calcule la finesse que l’on corrige d’après le refus éliminé. Une autre partie de la scorie passée par le tamis n° T sert, sans autre préparation, pour le dosage de l’acide phosphorique et on cor- rige le dosage d’après le refus éliminé au n° I. SUBSTANCES ALIMENTAIRES DU BÉTAIL Préparation de la substance à analyser. — Les tourteaux, sons, etc., sont réduits à l’aide d’un moulin à un degré de finesse suffisant pour passer au tamis de 1 millimètre. Si l’emploi du moulin n’est pas possible on broie l’échantillon avec du gros sable épuisé et calciné. Dosage de l’eau. — 5 grammes sont desséchés dans l’étuve à air à la température de 100 à 105° centigrades jusqu’à poids constant. 22 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Dosage des cendres. — 5 grammes sont incinérés, sans être re- mués, à douce chaleur, de préférence dans un moufile, jusqu’à ce que les cendres soient blanches ou faiblement grisätres. N.B. — Tolérance, d’après la loi belge, dans le taux des matières minérales insolubles dans les acides minéraux : la proportion tolé- rable des substances minérales étrangères insolubles dans l’eau chaude renfermant environ 10 p. 100 d’acide chlorhydrique (sable, terre, etc., adhérents aux grains ou introduits par la mouture indus- trielle, substances qui ne font pas partie des cendres physiologiques) est fixée à 2 p. 100. Dosage de la matière albuminoïde brute. — 1 à 2 grammes (sui- vant la richesse) : de substance sont traités, d’après Kjeldahl, comme cela est décrit dans l’analyse des matières fertilisantes renfermant de l'azote organique (page 14). Azote X 6,25 — Matière albuminoïde brute. Dosage de la matière albuminoïde pure, d’après Stutzer (éven- tuellement). — 1 gramme est additionné de 100 centimètres cubes d’eau et porté à l’ébullition. On ajoute ensuite 2 à 3 centimètres cubes d’une solution saturée d’alun pour empêcher la production d’alcali libre par l’action de l’hydrate de cuivre sur les phosphates alcalins. On verse ensuite, avec une pipette, une quantité d'hydrate de cuivre, correspondant à environ 06,4 d'oxyde de cuivre (voir plus loin la préparation du réactif Stutzer). Après refroidissement, on amène le résidu quantitativement sur le filtre, on lave d’abord à l’eau, ensuite à l'alcool et dose l'azote, dans la substance + filtre, d’après Kjeldabl, sans dessiccation préalable. Azote X 6,25 — Matière albuminoïde pure. Si la substance contient un alcaloïde, on enlève d’abord celui-ci en faisant bouillir la matière au bain de sable avec 100 centimètres cubes d’alcool additionnés de 1 centimètre cube d'acide acétique. Après dépôt, on décante l'alcool sur le filtre qui doit servir dans la suite à la filtration du précipité cuivrique. UNIFICATION INTERNATIONALE DES MÉTHODES D'ANALYSE. 23 Dosage de la matière grasse. —3 à 9 grammes de substance sont épuisés dans un des extracteurs connus, par le tétrachlorure de car- bone ou par l’éther. L’éther du commerce doit être traité par le sodium et redistillé, et lorsqu'on emploie ce dissolvant, la substance doit être préalablement desséchée à 100° centigrades. La matière grasse réunie dans un ballon de 100 à 150 centimètres cubes est, après avoir chassé le dissolvant, desséchée pendant deux heures dans l’étuve de Gay-Lussac (98 à 100° centigrades) et pesée. Pour l’analyse des substances contenant des matières solubles dans l’éther, autres que la graisse (telles que pulpes, drèches, vinasses), le produit de l’extraction est redissous dans l’éther. On ajoute de Pal- cool en volume égal à l’éther, neutralise exactement par de la soude étendue, évapore à siccité, reprend la graisse par l’éther, filtre dans un ballon taré, sèche pendant deux heures comme ci-dessus et pêse la graisse pure. Dosage de la cellulose brute. — 3 grammes de substance sont additionnés de 200 centimètres cubes d'acide sulfurique à 1,25 p. 100. On fait bouillir une demi-heure en maintenant constant le niveau du liquide. On laisse déposer et on décante. On extrait ensuite deux fois dans les mêmes conditions, avec 200 centimètres cubes d’eau. Les liquides de décantation sont réunis dans un verre à pied et agités ; après dépôt ils sont siphonés. Le résidu est réuni à la masse principale de la substance et le tout est traité comme ci-dessus, d’abord avec 200 centimètres cubes de lessive de potasse à 1,25 p. 100, puis deux fois avec 200 centimètres cubes d’eau. Les liquides de décantation sont réunis, agités, additionnés d’eau bouillante et siphonés après dépôt. La matière est réunie au résidu contenu dans le verre à pied, le tout est lavé par décantation deux ou trois fois avec de l’eau bouillante et amené sur un filtre taré. Laver à l'alcool chaud et à l’éther, sécher à 100° centigrades et peser. On détermine la cendre dans le produit obtenu et on la déduit. La poire de Holdefleiss facilite ces différentes opérations. En em- ployant la poire de Holdefleiss, on procède comme suit : 3 grammes de matière + 200 centimètres cubes acide sulfurique à 1,25 p. 100; porter à l’ébullition pendant une demi-heure par injection de vapeur, 24 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. filtrer sur lampon en asbeste, laver à l’eau chaude jusqu’à dispari- tion de la réaction acide. Le résidu + 200 centimètres cubes lessive de potasse à 1,25 p. 100 est porté à l’ébullition pendant une demi- heure comme ci-dessus. Lavage jusqu’à disparition de la réaction alcaline. Laver à l’alcool et à l’éther, sécher et peser. Incinérer, pe- ser à nouveau. Différence de poids — Cellulose brute. ANALYSE DES ALIMENTS MÉLASSÉS Dosage de la matière albuminoïde pure. — On opère d’après Stulzer. Dosage de la matière grasse. — On place la prise d’essai sur un filtre et on l’épuise à l’eau froide. On sèche le résidu à 100° et on extrait la graisse comme précédemment. Dosage du sucre. — On peut opérer de deux façons : a) On fait un essai préalable en procédant à un dosage approximatif du sucre inverti. S'il y a moins de 2 p. 100 de sucre inverti, on fait la polarisation directe, et on dose le sucre total par inversion et pesée du cuivre. Si l’écart est plus considérable, la polarisation directe ne compte pas. b) On dose le sucre total par inversion et pesée du cuivre, sans examen préalable. 1° Examen préalable. — On dissout le poids normal à 200 centi- mètres cubes. 30 centimètres cubes de la solution clarifiée par le sous-acétate, soit donc 3€,9072 de matière pour le polarimètre allemand ou 4#,86 de matière pour le polarimètre français sont ’additionnés de carbonate de soude pour éliminer le plomb, filtrés et traités par 16 ou 20 centimètres cubes de liqueur de Fehling, à l’ébullition. Si le cuivre n’est pas entièrement réduit, c’est qu’il y à moins de 2 p. 100 d’inverti. ®% Polarisation directe. — Le poids normal est épuisé sur filtre avec de l’eau tiède d’environ 50° centigrades, sur un matras de 200 UNIFICATION INTERNATIONALE DES MÉTHODES D'ANALYSE. 29 centimètres cubes. On clarifie avec 10 centimètres cubes de sous- acétate et quelques gouttes d’hydrate d’alumine, parfait le volume et filtre. On polarise au tube de 20 centimètres. 3 Dosage du sucre lotal par pesée du cuivre réduit. 20 grammes de matières sont épuisés sur filtre avec de l’eau tiède d'environ 50° centigrades, sur un matras de 250 centimètres cubes. Après refroidissement on clarifie avec du sous-acétate, parfait le vo- lume et filtre. Dans 100 centimètres cubes du filtrat on élimine l’excès de plomb par du carbonate de soude, porte à 200 centimètres cubes avec de l’eau, et filtre. 100 centimètres cubes du filtrat sont neu- tralisés avec de l’acide chlorhydrique (indicateur méthylorange) et chauffés dans un matras de 200 centimètres cubes pendant une demi- heure, dans un bain-marie bouillant, avec 80 centimètres cubes ; É N De d’acide chlorhydrique 10 Après refroidissement, on neutralise avec 30 centimètres cubes de soude e et porte au trait. Comme la quan- tité de liquide sur laquelle on opère en dernier lieu ne doit pas contenir plus de 06,245 de sucre inverti, on n’en prend que 25 ou 50 centi- mètres cubes selon la teneur en sucre, qu’on verse dans une quantité suffisante et bouillante d’une solution de Fehling. On fait bouillir un instant, filtre de suite d’après Allihn et pèse le cuivre. Le sucre est exprimé en saccharose (inverti X 0,95 — saccharose). Dans la tourbe-mélasse on ne dose que le sucre. ANNEXES I. — Préparatif des réactifs spéciaux. 4° Nitro-molybdate d'ammoniaque : On peut préparer le nitro-molybdate soit par l'acide molybdique, soit par le molybdate d’ammoniaque, en ayant soin que le réactif pré- paré contienne par litre 95 grammes d’acide molybdique, 20 grammes d’ammoniaque et 250 grammes d’anhydride azotique. 26 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. En partant de l’acide molybdique, la formule est celle-ci : 110 grammes d’acide molybdique sont dissous dans 400 centimètres cubes d’ammoniaque à 0,96 et versés lentement dans 1 500 centi- mètres cubes d’acide nitrique à 1,20. Le molybdate d’ammoniaque n’a pas une composition constante (AzH‘0, Mo0 ou 3AzH*0, 7 Mo0° + 4aq) et perd peu à peu de l’ammoniaque. Sa composition doit donc être vérifiée à chaque pré- paration. On dissout le molybdate cristallisé dans l'eau chaude, on neutralise la solution par l’ammoniaque et on le verse dans l’acide nitrique. 2° Mixture magnésienne : Chlorure de magnésium eristallisé. . , . . . . | 80 grammes. Chlorure d’ammonium cristallisé . . . . . . . 160 — Ammoniaque à 10 p. 100 (0,96). . . . . . . 320 — Faire un volume de 1 000 centimètres cubes avec de l’eau dis- üllée, laisser déposer quarante-huit heures, filtrer. 3° Citrate d'ammoniaque alcalin (Formule Petermann) : 900 grammes d'acide citrique pur sont dissous dans l’ammoniaque à 20 p. 100 (0,92) jusqu’à réaction neutre. (1 faut environ 700 cen- timèlres cubes.) On amène la concentration du liquide refroidi à la densité de 1,09 à 15° centigrades en ajoutant de l’eau. On ajoute par litre 90 centimètres cubes d'ammoniaque à 20 p.100 (0,92), agite, laisse reposer quarante-huit heures et on filtre. (La densité du réactif achevé est de 1,082 à 1,083.) Volume total environ 1 500 centi- mètres cubes. 4° Préparation du réactif de Stutzer : On dissout 100 grammes de sulfate de cuivre cristallisé dans 9 litres d’eau, ajoute environ 2 grammes de glycérine et précipite l’oxyde hydraté par une lessive de soude étendue, ajoutée jusqu’à réaction alcaline, On filtre et délaie le précipité dans de Peau renfermant 9 grammes de glycérine par litre. Par des décantations et des filtra- tions, on débarrasse complètement le précipité de son excès d’alcali UNIFICATION INTERNATIONALE DES MÉTHODES D'ANALYSE. 27 et finalement on le triture avec de l’eau glycérinée pour le trans- former en bouillie pouvant être aspirée par une pipette, bouillie qui se conserve parfaitement à l'obscurité dans des flacons bien bouchés. L’évaporation et l’incinération de 10 centimètres cubes de la bouillie cuivrique fournissent la quantité de l’oxyde de cuivre con- tenu dans le réactif. II. — Méthodes proposées. 1° Recherche microscopique du perchlorate de potasse dans le nitrate de soude (Breukeleveen) : Dissoudre 10 grammes de nitrate dans 10 centimètres cubes d’eau chaude, ajouter 50 centimètres cubes d’alcool à 95 p. 100, chauffer jusqu’à commencement d’ébullition, laisser refroidir une à deux heures, décanter la solution alcoolique, l’évaporer au bain-marie, dissoudre le résidu dans le moins d’eau possible, en mettre une goutte sous le microscope, ajouter une goutte de chlorure de rubi- dium concentré. En présence du perchlorate il se forme après quelque temps des cristaux de perchlorate de rubidium, et en ajou- tant, après leur formalion, une goutte de permanganate dilué, ils se colorent en rouge violacé. Gette réaction découvre jusqu’à 0,2 p. 100 de perchlorate. 2° Dosage du perchlorate (Sjollema) : On dose d’abord dans le nitrate le chlore existant comme chlorure. D grammes de nitrate sont introduits dans un creuset en cuivre de 5,0 centimètres de diamètre et 8 de haut, et calcinés doucement durant une dizaine de minutes. Dissoudre dans l’eau, neutraliser par l'acide azotique exempt de chlore, faire bouillir, titrer le chlore total. La différence représente le chlore du perchlorate, qui X 3,90 — perchlorate de potasse. Observations. — Pour que le haut du creuset reste relativement froid on le place sur une plaque en cuivre percée d’un trou. Ge procédé ne peut être appliqué au caliche qu'après destruction des iodates par l’acide sulfureux ou l'hydrogène sulfuré. 28 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 3° Dosage du peroxyde de fer et de l'alumine dans les phos- phates (Crispo) : - Peser dans une capsule en platine 5 grammes de phosphate, faire une masse demi-fluide avec de l’acide sulfurique, chauffer deux heures en remuant souvent pour chasser le fluor, dissoudre dans l’eau régale, porter à 500 centimètres cubes. Prélever 50 centimë- tres cubes, neutraliser par quelques gouttes d’ammoniaque, ajouter 90 centimètres cubes de chlorure d’ammonium demi-saturé, faire bouillir ; si le liquide se trouble, redissoudre dans acide azotique goutte à goutte. Ajouter 10 centimètres cubes d’acétate d’ammo- niaque saturé, faire bouillir quelques instants, laisser complètement refroidir, pour redissoudre le manganèse, filtrer, laver deux ou trois fois avec une solution de chlorure d’ammonium (un dixième) froide. Étendre le filtre sur un verre de montre et faire tomber le précipité dans un verre de Bohême, le dissoudre dans 2 centimètres cubes d’acide nitrique et éliminer l'acide phosphorique par 50 centimètres cubes de nitro-molvbdate. Filtrer et laver avec acide nitrique à 1 p. 100. Au filtrat ajouter 50 centimètres cubes de chlorure d’am- monium demi-saturé, précipiter le fer et l’alumine par l’ammoniaque goutte à goutte à l’ébullition, filtrer, laver à l’eau bouillante. Redis- soudre le précipité dans l’acide nitrique et le reprécipiter dans les mêmes conditions. Calciner, peser. Pour doser le fer séparément on dissout les oxydes pesés dans l’eau régale et on les sépare par la potasse pure. 4° Dosage de l'acide phosphorique : Méthode de Pemberton-de Molinari modifiée et adaptée aux phos- phates, scories de déphosphoration, superphosphates, engrais, ete. Réactifs. 4° Molyhdate d’ammoniaque : On dissout 90 grammes de molyb- date d’ammoniaque cristallisé dans un peu moins d’un litre d’eau, on ajoute quelques gouttes d’ammoniaque, complète le volume, laisse déposer douze heures et filtre ; 2 Nitrate d’ammoniaque : On emploie une solution saturée et prend 10 centimètres cubes pour chaque essai ; UNIFICATION INTERNATIONALE DES MÉTHODES D'ANALYSE. 29 3° Acide nitrique : Densité voisine de 1,4; 4 Acide sulfurique : Il doit avoir le même titre, volume à volume, que la potasse caustique. On le prépare en étendant 326°%,5 d’acide normal à 4 litre ; 5° Potasse caustique : Celte solution s'obtient en étendant 326°%,5 de potasse normale (bien débarrassée de toute trace de carbonate par l’eau de baryte) à 1 litre. 1 centimètre cube correspond à 1 mil- ligramme de P°0° ; 6° Indicateur : On dissout 1 gramme de phénolphtaléine dans 100 centimètres cubes d’alcool à 60 p. 100 et on emploie au moins 0,5 de cette solution pour chaque titration. Methodes. Superphosphate. — Prise d'essai 12°%,9 de chaque solution. On ajoute 10 centimètres cubes acide nitrique pur additionné de son volume d’eau, 15 centimètres cubes de nitrate ammonique et on dilue de manière à obtenir un volume de 70 centimètres cubes en- viron. On fait bouillir dix minutes, relire du feu et précipite l'acide phosphorique à une température voisine de 95° par 20 centimètres cubes de molybdate d’ammoniaque ajouté en deux fois par fraction de 10 centimètres cubes. On laisse déposer une dizaine de minutes, filtre, lave deux à trois fois par décantation au moyen d’eau distillée. On jette le précipité sur le filtre et continue à laver jusqu’à ce que le filtrat n’ait plus de réaction acide. On place ensuite le filtre et son contenu dans le verre qui a servi à la précipitation et on verse la solution alcaline (potasse caustique) Jusqu'à ce que le précipité soit totalement dissous. On délaie parfai- tement le filtre avec un peu d’eau, ajoute douze gouttes de phénol- phtaléine et titre au moyen de l’acide sulfurique en laissant couler celui-ci goutte à goutte. On retranche le volume d’acide employé du volume de potasse : la différence donne directement la teneur en acide phosphorique, chaque centimètre cube représentant 1 p. 100 d’anhydride phosphorique lorsqu’on opère sur 0£,1 de matière. Scories de déphosphoration. — On prélève 10 centimètres cubes de la solution préparée comme d’habitude (5 grammes à 500 centi- 30 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. mètres cubes), neutralise par l’ammoniaque jusqu’à formation d’un précipité constant, ajoute 10 centimètres cubes d’acide nitrique addi- lionné de son volume d’eau, 15 centimètres cubes de nitrate d’am- moniaque et une quantité suffisante d’eau pour avoir un volume de 70 centimètres cubes environ. On chauffe jusqu’à ébullition, relire du feu et, après quelques minutes (vers 95°), on ajoute 5 centimètres cubes de solution molybdique, agite légèrement, laisse déposer en- viron une minute et verse de nouveau 10 centimètres cubes de molvbdate, on agite, laisse déposer une dizaine de minutes et con- ünue comme précédemment. Phosphate. — La précipitation se fait dans les mêmes conditions que pour les scories. On ajoute en plus 10 centimètres cubes de citrate d’ammoniaque (formule Petermann) et précipite l’acide phos- phorique au moyen de 40 centimètres cubes de molybdate d’ammo- niaque par fraction de 20 centimètres cubes. Superphosphate (acide phosphorique soluble dans l’eau). — La précipitation se fait dans les mêmes conditions que pour les phos- phates. Engrais composés. — Même méthode que pour les superphos- phates. Observalion. — Cette méthode donne des résultats plus sûrs en précipitant à froid par agitation mécanique et en lavant le précipité avec de l’eau saturée de phosphomolybdate (Nyssens). 5° Détermination approximative de la pureté des tourteaux et farines de lin (Méthode néerlandaise) : Préparation de la cellulose. — L’échantillon est broyé et passé par un tamis à trous ronds de 1 millimètre. 2 grammes de farine tamisée placés dans une capsule sont bouillis une minute avec 25 cen- timètres cubes d'acide nitrique à 10 p. 100. On passe sur une gaze n° 80, on lave à grande eau et on répète la même opération avec une solution de soude caustique à 2,5 p. 100. On mélange bien la cellulose dans un peu d’eau glycérinée. Observation. — On place un peu de cellulose entre deux porte- objets, de sorte que 5 à 10 morceaux de graine se trouvent en vue UNIFICATION INTERNATIONALE DES MÉTHODES D'ANALYSE. 31 sous un grossissement de 52 D. (objectif A, oculaire 2 Zeiss). Au moyen du chariot, on explore trois lignes parallèles de 5 centimètres de long, distantes de 5 millimètres. On compte les pelures qu’on observe (au moins 500) ; les paillettes indéterminables ne comptent que par moitié, la sous-enveloppe est négligée. Le dosage est fait en double. On calcule le pour cent de graines étrangères par la for- mule suivante : Impuretés X< 0,6 - 109. (graine de lin + impuretés) — (impuretés X< 0,4) 2 EXEMPLE : Farine de lin. — 1* examen : Farine den RAR NT 017 BTASSICA SRE 2 TA REV 40 \ RTE FRERE LE Te 4/2 SOICUIE STEP ELEMENT TES Î Polygonum. . . SPC ER E PE DN7058 GHADIRÉES PME NN nt. MM Ds ET. 6 XE 3 Cameline . . Î 58 X 0,6 (517-558) — (58x04) 100 — 6,3 p. 109 impuretés. 2e examen : DEMO SC 0 LS du Le 350 BRAS SCA RAA ne A tie 36 PSE ES ANS TE, Pr Re LR 6/2 Xe 2 } 44 Polygonum 2 Cameline . ne 1 44 X 0,6 roses ET p. 100. Cette autre formule donne directement le pour cent de pureté : 100 X graine de lin graine de lin + (0.6 X pelures étrangères). D'après la loi belge, les crucifères sont estimées à part. Si l’on veut déterminer le pour cent d’une graine seulement, la brassica, par exemple, la formule devient : 36 X 0,6 Bo 1) — (6x 0,9 10 7 32 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Cette formule a été déduite de l'expérience, en tenant compte des pertes subies par la cellulose du lin, et celle des autres graines par suite de la préparation. Si les impuretés sont de nature tout à fait étrangère au lin, la ma- tière est regardée comme falsifiée, et on ne donne pas le pour cent d’impuretés. 6° Dans l’analyse des sels bruts de Stassfurt contenant du chlo- rure et sulfate de magnésium, il est conseillé par M. Sjollema de remplacer le chlorure de baryum par le carbonate de baryte fraiche- ment précipité. On opère ainsi : 5 grammes de sel brut sont mis à bouillir pendant un quart d'heure avec 300 centimètres cubes d’eau dans un matras de 500 centimètres cubes. On ajoute environ 5 gram- mes de carbonate de baryte fraichement précipité, et on continue l’ébullition durant une demi-heure, en maintenant le volume. On laisse refroidir, parfait le volume et filtre. 50 centimètres cubes du filirat sont acidulés avec quelques gouttes d'acide chlorhydrique, el on continue le dosage comme d’ordinaire. CONTRIBUTION À L'ÉTUDE L'ASSIMILATION DES MATIÈRES MINÉRALES DU SOL EACE "LEÉSCELANTES PAR J. CROCHETELLE DIRECTEUR DE LA STATION AGRONOMIQUE DU LÉZARDEAU PREMIÈRE PARTIE RECHERCHES DE LA PBASICITÉ DES SOLS Depuis longtemps la connaissance parfaite du sol a été considérée comme l’idéal vers lequel devaient tendre tous ceux qui s’occupent d’agronomie et les efforts des chimistes se sont surtout portés vers l'analyse de la terre arable. La première étape a été marquée par la recherche des moyens propres à doser la totalité des divers éléments des terrains, en s’atta- chant principalement à ceux dont le rôle dans la vie du végétal est le plus important. On s’est vite aperçu qu'il ne suffisait pas qu’il existât dans nos sols une quantité connue de chacun de ces éléments pour les rendre fer- tiles; il faut que toutes ou partie de ces substances soient assimila- bles, c’est-à-dire susceptibles de passer dans le végétal pour que lon obtienne la fertilité désirée. Lorsque les corps considérés sont solubles dans l’eau et dialysa- bles, nous pouvons être fixés sur leur assimilabilité par un simple dosage ; il n’en est plus de même lorsque nous avons affaire à des produits peu ou pas solubles. ANN. SCIENCE AGRON,. — 2° SÉRIE, — 1902-1903. — 11. 3 34 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. M. Schlæsing fils a indiqué récemment que les eaux confinées dans le sol renferment un certain taux d'acide phosphorique soluble et que les plantes pouvaient vivre dans des solutions très pauvres en cet élément. Lorsque le titre du liquide qui baigne le sol vient à baisser, une certaine quantité d’acide phosphorique se dissout pour maintenir une richesse à peu près constante pour une terre donnée. Le même auteur a démontré que ces constatations s’étendaient aussi à un autre élément essentiel du sol, la potasse. Il ne faut pas en conclure, cependant, que les récoltes ne puisent leur nourriture minérale qu’à cette seule source; les végétaux, comme on le pense généralement, sont obligés d'attaquer les substances insolubles du sol pour les rendre assimilables; ces dernières peuvent être modi- fiées, dans ce but, de trois façons principales : 1° Par les actions chimiques, en particulier par celle des amende- ments : plâtre, chaux, etc. ; 2° Par les actions mécaniques, qui peuvent rendre les éléments du sol plus ténus, renouveler les surfaces d’attaque ; elles sont dues au travail du sol et aux agents atmosphériques; 3° Par les actions physiologiques qui résident surtout dans l’at- laque des sols par les racines elles-mêmes, soit par un processus chimique, soit mécaniquement, comme le donnait à entendre au Congrès international des stations agronomiques un savant étranger. Il est certain que ces trois sortes de causes interviennent pour métamorphoser les éléments du sol; dans quelle mesure ? Il serait assez difficile de le dire à l’heure actuelle; ce que l’on a surtout re- cherché, ce sont les procédés à employer pour connaître la quantité d'éléments susceptibles de devenir assimilables que renferment nos terres. À ce propos, il a semblé que l’on devait surtout tenir compte des actions physiologiques, et, en général, on s’est servi de l’attaque par des acides organiques ou par des acides étendus pour arriver au but. Pour l’acide phosphorique, notre regretté maître, M. Dehérain, em- ployait avec succès l’acide acétique; son procédé, très connu, est en usage dans beaucoup de laboratoires. M. Bernard Dyer a cherché à représenter le plus fidèlement pos- sible ce qui se passe dans la nature, et, en étudiant le suc des racines ASSIMILATION DES MATIÈRES MINÉRALES DU SOL PAR LES PLANTES. 3) de différentes plantes, il a montré que lon peut le remplacer par une solution au centième d’acide citrique. Le point critiquable est que la présence de l’acide citrique n’a pas été démontrée pour toutes les plantes, les unes renferment de l’acide oxalique, les autres de l’acide tartrique, très probablement un mélange de différents acides orga- niques. M. Bernard Dyer a donc recherché l’action de l’acide citrique au centième sur différents sols. Il a montré que sa méthode de do- sage de l’acide phosphorique donnait des résultats conformes à ceux qui étaient fournis par l'expérience en grande culture et que la valeur des récoltes obtenues était sensiblement proportionnelle à la quan- lité d'éléments assimilables trouvée dans les sols par son procédé. De nombreux agronomes ont employé immédiatement la méthode de M. Bernard Dyer, d’autres font à son sujet certaines réserves après avoir constaté, comme l’a fait M. Dehérain, qu’elle ne rend pas compte de tous les faits d'observations. Très partisan au premier jour de ce moyen d'investigation, qui se rapproche le mieux de ce qui se passe dans la nature, j’ai cherché à l'appliquer, à le compléter de manière à le rendre plus acceptable encore. Les expériences dont je vais tâcher de donner ici un résumé ont été commencées au laboratoire de l’École d'agriculture de Grignon, alors que j'avais encore le bonheur d’avoir les bons conseils de M. Dehérain. Elles apportent quelques faits nouveaux que je dévelop- perai dans mes conclusions qui pourront être de quelque utilité aux agronomes. Considérons deux sols renfermant une même quantité d’acide phos- phorique soluble dans l’acide citrique au centième et examinons le travail exécuté par deux plantes de même espèce, croissant dans ces deux sols, pour s’assimiler cet élément. Le végétal, dans chaque cas, va envoyer ses racines dans toutes les directions; par une sécrétion de suc acide, ces organes souter- rains vont attaquer lentement le sol contre lequel ils sont pressés. Les acides vont dissoudre une portion attaquable de la terre arable en se neutralisant. Supposons que l’un de ces sols est calcaire, tandis que l’autre, d’origine granitique, ne renferme que peu de chaux. Il est bien cer- tain qu’une partie des acides, fournis par la plante croissant dans le 36 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. premier sol, va être employée purement et simplement à dissoudre le calcaire ténu que les racines rencontrent. Par ce fait, pour satu- rer, pour explorer complètement une certaine quantité du sol, il faudra une émission d’acides d'autant plus considérable que la terre sera plus riche en carbonate de chaux. Dans le second cas, au contraire, le suc, ne rencontrant que peu d'éléments capables de le neutraliser, pourra effectuer un travail de dissolution beaucoup plus utile à la plante. Je suis persuadé que, parallèlement à la quantité d'acide phospho- rique assimilable trouvée dans une analyse au moyen d’acide citrique au centième, l'indicateur de ce que je puis appeler le degré d’alca- linité du sol pourrait apporter un précieux renseignement à l’agri- culteur. Celui-ci connaîtrait non seulement la quantité d’aliment mise à la disposition de la plante, mais il aurait encore une idée de l'effort ou plutôt de la dépense que celle-ci devra faire pour parvenir à se l’assimiler. J'ai imaginé un procédé très simple pour me rendre compte de l’action qu’exerce le sol sur le sue acide des plantes sup- posé représenté par le réactif de M. Bernard Dyer. Cette recherche du degré d’alcalinité, comme nous pourrions l'appeler, s’effectue de la façon suivante : On met en contact, dans un flacon bouché, 10 grammes de la terre à essayer avec 200 centimètres cubes d’acide citrique au centième. Cet acide est préalablement titré avec de l’eau de chaux ou de la soude étendue en employant la phénolphtaléine comme indicateur et en opérant à chaud. On agite fréquemment la fiole renfermant Ja terre et l’acide en examinant de temps à autre si la liqueur est en- core acide; au cas contraire, on ajouterait 100 centimètres cubes d'acide citrique, et l’on noterait avec soin cet apport. Au bout de sept jours, terme adopté par M. Bernard Dyer dans ses dosages, on dose l'acide libre restant en filtrant la liqueur et en opérant sur le même nombre de centimètres cubes que dans le titrage primitif. Un calcul très simple indique la quantité d’acide restant dans la liqueur. En retranchant ce chiffre de celui qui indique la quantité d’acide employée, on obtient l'acide neutralisé par 10 grammes de sol. Il est facile, ensuite, de rapporter à 100 grammes ou au kilogramme. La température agit pour augmenter l'intensité de l’attaque, mais ASSIMILATION DES MATIÈRES MINÉRALES DU SOL PAR LES PLANTES. 34 je pense qu'il est préférable, pour se rapprocher autant que possible de ce qui se passe dans la nature, de pratiquer les essais à la tempé- rature ordinaire, c’est-à-dire à 19 degrés dans tous les cas. La fré- quence de l’agitation a une certaine importance; en opérant sur la terre fine, telle que nous la préparons ordinairement pour l'analyse, l'agitation n’a pour effet que de renouveler les surfaces de contact ; pour se rapprocher encore de la réalité, je pense qu’il convient de w’agiter qu’une ou deux fois par jour légèrement, et une fois d’une façon plus complète, avant la filtration qui précède le titrage. Application du procédé à différentes terres. Le procédé de dosage élant établi, je lai expérimenté sur un cer- tain nombre de terres que j'avais à ma disposition. J'ai, dans plu- sieurs essais, toujours obtenu des nombres concordants avec la même terre. Avec les sols calcaires, le délai de sept jours est juste suffisant, tandis que l’on peut ne faire durer l’opération que pendant trois ou quatre Jours pour les sols dépourvus de chaux. Le tableau ci-dessous rend compte des chiffres obtenus avec des sols de difié- rentes natures. TABLEAU 1 Saturation de l'acide citrique au centième par différentes terres. ACIDE CITRIQUE NUMÉROS. DÉSIGNATION DES TERRES. NATURE DES TERRES, saturé par kilogr. Grammes. Vienne (sol) . . . . . .|Galcaro-siliceuse . Vienne (sous-sol). . . . Id. Guadeloupe . . . . . .|Granitique. . Saint-Nom (Seine-et-Oise). |Silico-argileuse. Rambouillet. 2 CSS. Id. [les Açores . . . . . .|Volcanique. Mattes de la Gironde. . .|Argileuse . . Fresnes (Loiret). . . . .|Argilo-siliceuse . Grignon... . 7.1.1, .|Argilo-calcaire . Grignon (prairie) . . . .|Ancien marais . Vallée d'Auge. . . . . .|Humifère . Grignon (jardin) . . . .|Calcaro-siliceuse Ë | à . ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. L'examen de ce tableau nous montre que les quantités d’acide citrique saturé par un kilogramme de divers sols mis en expérience sont très différentes les unes des autres. Le minimum est obtenu avec une terre silico-argileuse de Ram- bouillet qui ne renferme que 6 grammes de chaux totale pour 1 000. Le maximum m'a été fourni par un sous-sol provenant de terrain du département de la Vienne, où la vigne est très chlorotique. Le so] lui-rême sature une quantité presque aussi forte d’acide citrique. Il importait de savoir si la neutralisation que j’observais était due à la présence de la chaux, ou si, comme je le pensais, d’autres corps intervenaient dans l’attaque; j’ai donc calculé à quelle quantité de chaux correspondait l'acide citrique neutralisé; d’autre part, j'ai dosé la chaux qui se trouvait solubilisée dans la liqueur d’attaque, et J'ai dressé le tableau suivant, en indiquant la dose de chaux totale renfermée dans chacun des sols. TABLEAU II. CHAUX 2 — TT —| correspondant totale NUMÉROS. DÉSIGNATION DES TERRES. renfermée à retrouvée 5 Sie 1 solutio l’acide citrique Re ce Ê dans saturé 1 par pour 100 grammes 100 grammes 100 grammes de terre. de terre. de terre. ns Grammes. Grammes. Grammes. Vienne (sol), vignes chlorotiques.| 27,4 15,7 5.40 Vienne |SONSSSOIN ES RE CNE 978 15,93 5,68 Guadeloupe (granitique). . . . . 0,35 0,94 0,28 Saint-Nom (Seine-et-Oise). . . . 0,80 0,80 RamhomHet 47 2570 A TA L0860 0,34 Hés-Acores. re 1,40 ? 0,20 Mattes de la Gironde. . . . . . 2232 ë EAN! Fresnes(Loiret)- LE mSRRE 2,34 1,04 Grignon (station) 5." rc re 9,68 2,1? srignon (praitie)25 220020 9,52 1,6? Vallée d'Augé Enr Re ES 2,30 Grignon (jardin) 20", 0 e11002 3,04 Nous voyons dans ce tableau des résultats intéressants dont nous ASSIMILATION DES MATIÈRES MINÉRALES DU SOL PAR LES PLANTES. 94 pourrons tirer des conclusions importantes. Dans les terrains très calcaires, la totalité de la chaux n’a pas été dissoute par la soluticn citrique après sept jours d’attaque, et la portion soluble ne repré- sente pas celle qui correspond à l’acide citrique saturé. Dans les autres cas, nous observons des faits dignes de remarque. On voit en effet que, en général, il n’y a pas de relation définie entre la chaux totale, obtenue en attaquant les terres par les acides forts, et celle qui est obtenue par la dissolution d’acide citrique au centième dans les conditions de l’expérience. C’est surtout à la ténuité différente qui existe entre les calcaires des terres employées qu'est due la diversité des résultats; dans la terre de Saint-Nom, qui recevait des écumes de défécation, la tota- lité de la chaux se retrouve dans la liqueur citrique. Mais nous sa- vons aussi que l’on aurait tort de considérer, comme on le fait trop souvent, la chaux de nos sols comme combinée uniquement à l’acide carbonique. On passe trop aisément du calcaire d’un sol à la chaux qu’il ren- ferme et réciproquement. En examinant, en effet, ce qui se passe dans le cas des terres granitiques, on voit que l’on trouve comme chaux correspondant à l’acide citrique disparu une quantité supé- rieure à celle qui existe dans le sol, c’est ce qui arrive pour la terre de la Guadeloupe. Dans cette attaque par un acide étendu, nous avons dissous non seulement des composés à base de chaux, mais nous retrouvons dans les liqueurs filtrées de la potasse, de la magné- sie, de l’oxyde de fer, de l’alumine, etc., et nous avons donc amsi obtenu un renseignement sur la présence dans le sol de composés basiques qui jouent vis-à-vis du suc acide des plantes le même rôle que du calcaire attaquable. C’est ce que j'ai essayé de voir en atta- quant du kaolin par des solutions étendues d’acides organiques préalablement titrées à l’eau dans les conditions suivantes. Le kaolin à la dose de 20 grammes était placé dans un manchon fermé à sa partie inférieure par un parchemin de façon à former un dyaliseur. L'appareil était plongé dans une solution d’acide étendu, 400 centi- mètres cubes. Je fis une série de trois appareils renfermant du kaolin et une deuxième série dans laquelle je ne mis rien. Cette série té- moin devait m'indiquer si le verre des appareils était attaqué et par 40 . ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. son alcalinité interviendrait pour fausser les résultats. Les acides employés furent l'acide citrique, l'acide tartrique et l'acide oxalique. Le tableau suivant nous indique, comme l’expérience nous la donnée, la marche de la saturation après un mois. J'ai pris, avant l'expé- rience, 10 centimètres cubes de solution acide, que j'ai üitrée à l’eau de chaux. Après un mois, j'ai agité la liqueur de chaque vase et j’ai opéré un nouveau tilrage. Acidité en centimètres cubes d'eau de chaux de 10 centimètres cubes de liqueur. APRÈS UN MOIS. ’ TE ———— —— AU DEBUT. rémoiss Ar MARS Acide cilrique . . . 14,7 14,9 »,0 8,9 Acide oxalique . . . 33,1 33, D 17/4 16,3 Acide tartrique. . . 2150 22 14,7 [ie Ces résultats démontrent nettement l’attaquë du kaolin par les acides organiques; si nous calculons, en ce qui concerne l’acide ci- trique, la quantité qui a disparu en un mois, nous trouvons le chiffre assez élevé de 08°,107 pour 20 grammes de kaolin. Dans un mémoire très intéressant, M. H. Snyder avait publié, en 1895, ses recherches sur l’action qu’exercent les acides organiques et minéraux sur les sols. L'auteur dit en résumé : « L’acide citrique exerce la plus grande action dissolvante sur la chaux, la magnésie, les acides phos- phorique et sulfurique. » Il est à peu près certain que les feldspaths qui sont facilement attaqués par les eaux chargées d'acide carbonique doivent saturer des quantités d’acide citrique encore supérieures à celles que J'ai observées pour un kaolin. En résumé : 1° Lorsqu'une plante attaque, par le suc de ses racines, un sol quelconque, on ne peut pas savoir, & priori, par le dosage du cal- caire seul, quelle sera la dépense d’acide que devra faire le végétal pour exploiter la terre qui se trouve contre ses organes souterrains ; 1. H. Synder, Journ. amer. chem. soc., 1895, n° 2, pp. 148-151. _ ASSIMILATION DES MATIÈRES MINÉRALES DU SOL PAR LES PLANTES. 41 2° Lorsque l’on dose le calcaire par des méthodes dites rapides, en se basant sur les quantités d’acides étendus saturées par un échan- üllon de terre, on obtient des erreurs qui peuvent être considérables si l’on s’occupe de sols granitiques ; 3° C’est à tort que l’on qualifie certains sols granitiques de l’ex- pression acides; en Bretagne, des terres qui ont cette réputation sont capables de saturer, quoique ne renfermant que des traces de chaux, des doses relativement considérables d’acide citrique étendu ; les études que je poursuis à ce sujet feront l’objet d’un mémoire spécial ; 4° Dans l’étude des sols chlorotiques, l'indication de l'acide citri- que saturé dans des conditions déterminées par les échantillons, pourra être d’une très grande utilité, comme Jje l’établirai dans l’é- tude qui va suivre. DEUXIÈME PARTIE ASSIMILATION DE L’ACIDE PHOSPHORIQUE PAR DES VÉGÉTAUX CHLOROTIQUES Dans la première partie, j'ai indiqué sommairement comment on peut rechercher le degré d’alcalinité d’un sol ou plutôt le pouvoir que possèdent les terres de saturer des quantités plus ou moins no- tables d'acide citrique. J'ai pensé reprendre, à ce propos, les études que j'avais entre- prises au sujet de la chlorose des végétaux et publiées dans un mémoire présenté au Congrès international d’horticulture, en 1895. Dans ce travail, j'indiquai que la chlorose apparaît en terrains cal- caires parce que l’acide des racines était employé surtout à saturer le carbonate de chaux du sol ; je disais que le sulfate de fer agissait pour créer autour des racines une zone moins alcaline, dans laquelle le végétal trouvait sa nourriture minérale plus facilement si l’on sup- posait son émission de suc acide constante. Comme conclusion, j'indiquai comme remède qu'il fallait, en effet, pour combattre la chlorose, soit diminuer lPalcalinité du sol, 42 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. soit enrichir ce dernier en éléments assimilables au moyen d’un ap- port d'engrais. Et, à l’appui de ces allégations, je puis dire que, dans un certain nombre de cas, la maladie a cédé par l’application d’en- grais suivant des formules bien comprises, comme celles de M. Gran- deau, universellement connues aujourd’hui. Ï s’agissait d'aller plus avant dans mes investigations, c’est alors que le hasard me vint en aide de la façon suivante. Ayant fait l’analyse d’un grand nombre de sols de la Vienne pro- venant tous d’une même propriété, il s’est trouvé que deux échantil- lons, les n° 13 et 14, de parcelles voisines avaient exactement les mêmes Compositions en ce qui concerne la chaux totale, la potasse, l'acide phosphorique, l’oxyde de fer. Or, le propriétaire, M. Du- chesne, s’étonna fort du résultat, car, sur la parcelle n° 13, la vigne était plus chlorosante que sur la parcelle 14. J’eus alors l’idée de rechercher le degré d'alcalinité par le procédé que j'ai indiqué. Sur 2 grammes d’acide citrique mis en présence des deux échantillons de 10 grammes, le n° 13 en a saturé 18,72 en douze heures, le n° 14 en a saturé 15,46 pendant la même période. Dans plusieurs essais, les différences ont été du même ordre. Ces observations confirment, du reste, celles de M. Houdaille, qui, au moyen de son appareil ingé- nieux, mesure la vitesse d'attaque des carbonates renfermés dans les sols et en a tiré des renseignements très utiles pour nos viti- culteurs. I] s’agissait, toutefois, de bien montrer qu’en augmentant l’alcalinité du sol, on entravait l’assimilation d’un élément, c’est ce que Jj’essayai de faire par l'expérience suivante. Dans quatre pots à fleurs susceptibles de contenir 2 kilogrammes de terre, je créai un milieu artificiel dans lequel la quantité de calcaire très fin allait en proportion croissante. Dans chaque pot j'incorporai, le plus uni- formément possible, 10 grammes de cendres d’os qui fournissaient l'acide phosphorique à l’état insoluble. L'alimentation azotée fut ap- portée par du nitrate de potasse à la dose de 2 grammes ajoutés en solution, après la levée des plantes. Je choisis comme plante d’expé- rience le colza, dont les graines très petites renferment peu de ré- serves, et dont la végétation est assez rapide. Dix graines furent semées, mais Je ne laissai que cinq plants semblables dans chaque pot après la levée. ASSIMILATION DES MATIÈRES MINÉRALES DU SOL PAR LES PLANTES. 43 Le tableau suivant indique la disposition de l’expérience et les résultats obtenus : COMPOSITION DU SOL. RÉCOLTE VERTE MATIÈRE SÈCHE NUMÉROS Sable calcaire. obtenue. obtenue. © +, A RENTE Tiges. Racines. Tiges. Racines. Kilogr. Kilogr. Gr. Gr. Gr. Gr. De 2 » 0 » 50,900 15,330 5,292 3,500 5. 1,150 0,250 . 50,690 12,190 5,520 4,600 8 . 1,500 0,500 40,500 2,900 4,150 0,800 PL LR 1 De 19,580 3,010 1,900 0,900 Nous voyons immédiatement l'effet qu’exerce la présence d’une forte dose de calcaire sur le développement du colza. Les plantes du pot n° { étaient d’un vert superbe, celles des pots n° 3 d’un vert jaune, celles du pot n° 4 totalement blanches. J'ai complété l'expérience en faisant les dosages de la matière minérale, de l’acide phosphorique et de la chaux dans les récoltes obtenues. On remarquera quelques à-coups dans les chiffres présen- tés, je ne puis les expliquer, mais je tiens absolument à la publi- cation sincère des résultats que j'ai cherchés avec la plus grande minutie. Analyse de la matière sèche obtenue. NUMÉROS CENDRES TOTALES. ACIDE PHOSPHORIQUE. cHaAux (en calcaire). HESUOÉ: Tiges. Racines. Tiges. Rires. ee Bains Grammes. Grammes. Myr. Myr. Myr. Myr. t:. 1,163 1,850 66,4 49,2 325 330 Fri 1,350 3,211 50,8 47,2 235 530 ge 0,511 0,552 21,6 6,6 100 145 &. 0,223 0,073 10,3 4,8 30 12,50 Les résultats contenus dans ce tableau sont tout à fait concluants ; l'assimilation de l’acide phosphorique a été entravée par la présence du calcaire. Dans le pot n° 1, qui ne renferme pas de calcaire, les cendres renferment 5,70 p. 100 d’acide phosphorique pour les tiges, dans le pot n° 3 et dans le n° 4 on n’a plus que 4,22 et 4,68 p. 100 de cet élément. Lorsqu'il y à dans le sol des masses de calcaire ténu, la quantité de chaux n’augmente pas dans le végétal proportion nellement à celle du sol, au contraire. Ge résultat vient confirmer 44 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. les analyses comparées de MM. Degrully et Gastyne exécutées sur des vignes chlorotiques et sur des vignes bien portantes; d’autre part, celles que j'ai faites dans le même but, consignées dans un mémoire sur la chlorose du poirier en comparant des feuilles d'arbres chloro- sées avec des feuilles de la même variété bien portante. Ma conclu- sion serait donc celle-ci : on aurait, au point de vue de la chlorose surtout, en général pour l'étude de l'assimilation des éléments ferti- lisants de nos terres, acide phosphorique et potasse, des renseigne- ments précieux en recherchant, d’une part, comme l'indique M. Ber- nard Dyer, la quantité de ces éléments solubles dans l'acide citrique au centième renfermé dans un sol; d’autre part, la quantité d’acide citrique qui serait dépensée par la plante pour explorer ce sol. La méthode est très susceptible de perfection, elle serait applicable le jour où l’on trouverait un liquide d’attaque autre que celui indi- qué par M. Bernard Dyer, mais je serais très heureux si, apportant une modeste part à la solution d’une question très complexe, quel- ques savants, plus autorisés que moi, voulaient se lancer dans cette voie : doser les éléments solubles dans le réactif de M. Bernard Dyer ou un autre et rechercher en même temps l'effort nécessité par cette dissolution, en se rapprochant ainsi le plus possible de ce qui existe dans la nature. GLYCOGENIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE PAR MM. J. ALQUIER INGÉNIEUR-AGRONOME CHIMISTE-EXPERT PRÈS LES TRIBUNAUX DA LA SEINE ATTACHÉ AU LABORATOIRE DE RECHERCHES DE LA COMPAGNIE GÉNÉRALE DES VOITURES A PARIS D' A. DROUINEAU MÉDECIN-MAJOR DE 2° CLASSE AU 123 RÉGIMENT D'INFANTERIE (Suile‘.) II, — SOURCES ET MODES DE FORMATION DES HYDRATES DE CARBONE DE L'ÉCONOMIE ANIMALE. UTILISATION ET MODES D'UTILISATION PAR L'ORGANISME DES DIVERSES MATIÈRES SUCRÉES. Classification des aliments. Il est un fait physiologique qui résume tout ce que nous venons d'exposer au cours du précédent chapitre, c'est la persistance de la matière sucrée dans l’économie animale. L'organisme utilise pour- tant cette matière sucrée. La disparition du glycogène dans le foie et les muscles, la diminution du glucose dans le sang veineux qui revient des différents tissus et organes, nous permettent d’être affir- 1. Voir ces Annales, t, 1, 1902-1903. 46 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. matif à ce sujet, en attendant qu’il nous soit donné de contrôler, au sein même de l’organisme, celte consommation du sucre. Aux dé- penses qui se font incessamment, il faut maintenant opposer des recettes. Comment s'opère ce renouvellement de la matière sucrée? Les faits généraux d’observation et les résultats expérimentaux ont déjà répondu à la question. Ils sont d'accord pour démontrer qu’elle trouve sa source dans l'alimentation, sans qu’il y ait lieu de se préoccuper des particularités du régime alimentaire. Tout d’abord, comme la matière sucrée existe dans l'organisme sous deux formes principales, le glycogène et le glucose, est-il nécessaire de rechercher séparément l’origine de chacune d'elles? La chimie nous en dispenserait presque. Par sa composition le glycogène ne se rat- tache-t-il pas, en effet, très étroitement au glucose ? Malgré cela, ces deux substances se montrent au fond assez différentes. Le glyco- gène est insoluble, incapable de subir l'osmose au travers des mem- branes animales. Il demeure inutilisable sans transformations préa- lables, ce qui ne l'empêche pas, du reste, d’être un aliment de premier ordre, car, lorsqu'il existe dans les cellules où il est essentiellement localisé, il en disparait parfois très rapidement. Le glycogène, pour nous résumer, quoique essentiellement mobile, est dans l’économie la forme de dépôt et de réserve de la matière hydrocarbonée. Nous lui avons opposé le sucre de tous les liquides de l’organisme, le glucose directement assimilable, susceptible par diffusion de traverser rapi- dement les parois cellulaires et de se répandre dans les tissus, Le glucose qui, normalement, se retrouve toujours dans le sang en quantité constante, et constitue, en un mot, la forme de transport de la malière sucrée physiologique. | Le glycogène et le glucose sont donc en somme deux termes assez distincts, auxquels aboutit dans l’économie animale, la synthèse de la matière sucrée. Aux dépens de quels matériaux s’effectuent ces deux productions, qu’il nous faut dorénavant étudier séparément? C’est à quoi nous allons tàcher de répondre. On peut réunir tous ces matériaux sous la dénomination d'aliments, si l’on convient ainsi que nous avons déjà fait de désigner, par ce terme générique, toutes les matières premières, quelle que.soit leur nature, qui servent habi- GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 47 tuellement, ou sont susceptibles de servir à l’édification, à l'entretien et aux besoins des tissus. Devant cette définition de l’aliment, c’est même à la physiologie seule que nous devrions demander la classifi- cation de toutes les sources possibles, de glycogène et de glucose. Il faut cependant songer que le rôle physiologique des aliments, ainsi compris, est essentiellement variable. Non seulement l’utilisation d’un même principe assimilable change suivant les individus, mais elle varie suivant l’état du sujet considéré. C’est ainsi, pour donner de suite un exemple de circonstance, qu’un même organisme, pris à des jours différents et cependant dans les mêmes conditions appa- rentes, ne consomme pas dans le même temps les mêmes quantités d’une même solution d’un même sucre”. Il est donc nécessaire de chercher à faire rentrer les principes nutritifs dans des cadres un peu moins élastiques. On y arrive en se bornant à les énumérer dans un ordre plutôt chimique que physiologique. Nous avons déjà indiqué, dans le premier chapitre, les grandes lignes de la division chimique couramment adoptée. Les éléments inorganiques comme l’eau et les sels minéraux étant mis à part, on sépare en deux les principes organiques, c’est-à-dire ceux qui subis- sent, plus ou moins longtemps après leur ingestion, des modifications telles qu'il n’est souvent plus possible de les retrouver en nature dans les excreta solides, liquides ou gazeux *. Une première catégorie comprend les matières azolées ; on range dans une seconde les principes non azotés. Dans les substances azolées, il faut tenir compte des différentes formes sous lesqueiles l’azote se trouve engagé. En plus de l’ammo- niaque et des nitrates qui doivent être classés parmi les principes inorganiques, l’analyse, aidée par la physiologie, nous oblige à dis- Unguer les matières albuminoïdes des matières non albuminoïdes. Les premières, appelées également matières proléiques (de rswrasw, Je suis le premier) à cause de leur rôle prépondérant dans la nutri- 1. D' Brocard, Utilisation des sucres (en collaboration avec Charrin), Loc. cit., p. 29. — Comples rendus, 1902, t. I, p. 48 et 188. 2. Pour l'énumération et le dosage des différents principes que l’on rencontre dans les aliments complexes, voir: Alquier, Analyse immédiale des aliments du bétail, Masson, Gauthier-Villars, 1901. 48 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. tion, sont des substances fort complexes, dont on ne peut donner une définition simple. Mais, bien que différentes par leur origine, leurs propriétés et leur composition, elles peuvent être rangées dans une même famille naturelle. L’albumine du blanc d'œuf, la caséine du lait, la myosine des muscles, la fibrine du sang, le gluten de la farine, sont des exemples de matières protéiques naturelles. Par hydratation, sous l'influence, par exemple, des acides et des alcalis dilués ou des ferments, ces substances subissent des modifications et se dédoublent en différents produits artificiels qui conservent encore les caractères généraux des albuminoïdes. C’est ainsi que l’on obtient les synlonines et les protéoses parmi lesquelles se rangent les pep- tones résultant de l’action digestive des ferments analogues aux sucs gastriques ou pancréatiques. On compte également comme albuminoïdes certains principes que ces derniers ferments ne peu- vent attaquer. Les nucléines sont justement de ces résidus protéiques insolubles de la digestion. Les matières azolées non albuminoïdes comprennent tous les composés organiques, dérivés par hydratation ou oxydation des albuminoïdes proprement dits, qui se distinguent de ces derniers par leurs réactions générales. On compte dans ce groupe un grand nombre de composés basiques, les alcaloides entre autres, puis les amides et les acides amidés doués à la fois de propriétés acides et basiques, tels que l’asparagine, la leucine, la tyrosine, le glyco- colle. Ce sont des produits de décomposition avancée que lon re- trouve toujours lorsque l’on traite les albuminoïdes par les acides ou les alcalis à l’ébullition ou après action des ferments de la putré- faction. A la suite des principes quaternaires, il faut enfin citer les ma- tières dites collagènes qui, insolubles à froid, se transforment à l’ébullition en isomères solubles, telles que la gélatine, l'osséine, la chitine, la chondrine, susceptibles parfois de fournir à l’hydrolyse des matières sucrées réductrices. Ces corps, nous nous sommes déjà suffisamment étendus à ce sujet, forment une liaison toute naturelle entre les principes azotés et les principes non azotés. Quant à ces derniers, nous n’avons rien à ajouter à ce que nous en avons dit au début de ce travail. Rappelons seulement d’une ma- GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 49 nière très générale que, parmi les substances ternaires, l’on trouve d’abord les matières grasses et les corps analogues solubles dans les mêmes dissolvants que les graisses, puis le groupe, on ne peut plus étendu et complexe, des hydrocarbonés. Nous nous souvenons que les corps gras neutres sont des éthers de la glycérine, alcool triatomique. Nous savons également que, dans le langage courant, la dénomination d’hydrate de carbone s’applique à un grand nombre de principes à fonctions alcooliques et non pas seulement aux sucres vulgaires à 6 atomes de carbone, où l'hydrogène et l'oxygène se trouvent combinés dans les mêmes proportions que dans l’eau. Cette division classique des aliments, on le sent bien, nous est im- posée bien plus par l’état actuel et l’imperfection de nos connaissances que par l’ordre naturel et véritable des choses. Il serait imprudent de supposer, en effet, que les aliments complexes naturels, tels que les animaux les consomment, et qui suffisent à entretenir la vie ne sont uniquement conslitués que par le mélange des trois catégories d'aliments chimiques simples que l’analyse vient de nous révéler: la matière albuminoïde, la graisse et la substance hydrocarbonée. Il y a quelque chose de plus dans la forme, l’état physique ou chimique de la matière alimentaire naturelle. Et sur ce quelque chose, la chimie ne nous apprend rien. Cela nous démontre en passant que sa classi- fication n’est pas parfaite. Malgré ses défauts, elle va nous être cependant un guide bien précieux. Comment sans elle pourrions- nous étudier méthodiquement les différentes sources auxquelles puise l'organisme pour élaborer son glycogène et son glucose ? Étude générale de la formation du glycogène. Commençons par le glycogène. Nous l’avons localisé principale- ment dans le foie et dans les muscles. Mais celui qui se trouve 1m- prégner le foie n’est-il pas formé dans un autre organe puis amené à la glande hépatique, par le sang, où l’on constate presque tou- jours sa présence ? N'est-ce pas le sang qui transporterait de même le glycogène du foie dans les muscles? Voilà deux questions aux- quelles nous devons tout d’abord répondre, car avant de s'inquiéter de la qualité des matériaux aux dépens desquels va se former le ANN. SCIENCE AGRON. — % SÉRIE. — 1902-1903, — 11. 4 50 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. glycogène, il faut être sûr que les divers tissus qui en contiennent sont bien le siège de cette production hydrocarbonée. Sans cela, l'observation limitée seulement au foie et aux muscles n’aurait au- cune valeur. Les propriétés physiques du glycogène nous permettent de répondre brièvement : ce corps est incapable, ou à peu près, de traverser les parois cellulaires; quand ii existe dans une cellule, c’est donc qu'il y a été créé sur place. D'autre part, étant donnée la très fable quantité de glycogène incluse dans les éléments figurés du plasma sanguin, il semble peu probable que le sang puisse suffire à apporter aux muscles la réserve hydrocarbonée qu'ils contiennent. On compte beaucoup de travaux sur la formation du glycogène dans le foie. Les recherches ont été presque toutes faites sur des animaux soumis à l’inanilion, c’est-à-dire chez qui le jeûne prolongé avait, ainsi que nous le savons, entièrement ou presque entièrement privé la glande du glycogène qui y existe habituellement, ou bien encore sur des animaux auxquels on avait antérieurement admi- nistré de la phloridzine, c’est-à-dire chez lesquels le glycogène avait également disparu du foie. L'animal d'expérience ainsi préparé, l’on faisait ingérer l'aliment protéique ou la matière grasse ou l’hydro- carboné que l’on voulait étudier en tant que source de glycogène ; puis, après digestion, on sacrifiait l’animal pour y rechercher dans le foie qualitativement ou quantitativement ce dernier corps. Suivant que cel organe en contenait ou n’en confenait pas, on considérait l’aliment en question comme une source de glycogène, ou comme inapte à servir de matière première, lors de la formation de cette réserve sucrée. Devant les seuls faits sur lesquels on se base pour Pétablir, que vaut celte dernière conclusion ? Elle n’est rien moins que fort avan- turée, car l’apport alimentaire n’est pas la seule cause qui puisse influer sur la présence du glycogène en plus ou moins grande quan- üté dans les tissus. Nous savons que le glycogène est un élément es- sentiellement mobile, qui diminue et augmente sans cesse. Aliment de réserve par excellence et inutilisable sous sa propre forme, il a besoin d’être transformé pour devenir directement assimilable. Cette transformation s’opère sous l'influence de ferments hydrolysants. Or, l’un des caractères des diastases, c’est justement de n’apparaitre GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. D1 que lorsqu'elles sont utiles, c’est-à-dire lorsque le besoin d’entamer les réserves se fait sentir. D’après cela, il n’y a plus lieu de consi- dérer la présence du glycogène dans la cellule que comme la résul- tante de deux fonctions contraires, la dépense et la recette que l'organisme fait de ce principe. Qu’elles soient nulles ou très actives, qu'elles s’équilibrent, ou que la seconde n’arrive pas à balancer la première, il peut y avoir dans tous les cas absence complète de glycogène. Lorsque l’on constate par contre la présence de ce corps, cela ne peut et ne doit signifier qu’une seule chose, c’est que la production dépasse la consommation. Les expériences tenant compte à la fois de la présence ou de l’absence du glycogène dans les cel- lules observées et de la production ou de la consommation générale du sucre par l'organisme sont donc les seules qui puissent rester à l'abri des critiques et permettent de conclure sur la formation du glycogène aux dépens de tel ou de tel aliment. Effectivement, les quelques exemples qui suivent vont nous montrer que, en dehors de tout apport alimentaire, le glycogène des tissus est fonction à la fois et de la production et de la consommation de la matière sucrée par l'organisme entier. Toutes les fois qu’il y a exci- tation de la glycolyse, c’est-à-dire augmentation de dépense, ou bien modération de la glycozénie, c’est-à-dire diminution de la formation du sucre, la répercussion de ces phénomènes généraux de la nutri- tion se fait nettement sentir sur le glycogène. Les alcalins à forte dose agissent, paraît-il, sur la glycogénie. C’est pour cela que la thérapeutique les emploie. Les expériences de Dufourt * établissent qu’ils ont également de l'influence sur la réserve sucrée du foie. On prend deux chiens de même poids (6 kilogr.) et aussi semblables que possible. Après un jeûne absolu d’une durée de quatre jours, on les nourrit durant quinze jours avec exactement la même quantité de viande. L'un des sujets reçoit en outre, mélangés dans sa ration, de 2 à 5 grammes de bicarbonate de soude. Lorsque, par section du bulbe, on sacrifie simultanément les deux animaux d'expérience, on trouve que le foie du chien au bicarbonate ren- 1. Dufourt, Arch. de méd. expér. et d'anal. pathol., mai 1890, p. 424. — Comples rendus, Soc. biol., 1890, p. 146. 52 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. ferme une quantité de glycogène double de celle qui est contenue dans le foie du chien témoin. POIDS SUCRE : du foie. préexistant. SELON Re - Gr. Gr. Gr. Chien au bicarbonate . . . . . 229 3,01 3,18 Ghien témoins Ant. 0 ER 192 2,49 0,15 Cet excès de glycogène hépatique vient-il d’une production plus abondante de glycogène ou d’une destruction moins abondante de cette matière sucrée ? Il est permis de pencher pour la seconde hy- pothèse, car le bicarbonate in vitro empêche, dans une certaine limite, la transformation du glycogène en sucre par les diastases hy- drolysantes”. L’arsenic, qui, comme les alcalins, doit également comp- ter parmi les convoyeurs d'oxygène, favorise la glvcolyse lorsqu'il est absorbé à petites doses. A fortes doses, 1l diminue au contraire la olycogénie, et, dans ce cas, le foie des animaux est toujours très pauvre en glycogène *. Voici encore d’autres exemples : les subs- tances connues sous le nom d’antipyrétiques*, ainsi que la quinine * et la morphine * empêchent la formation du sucre. Quelquefois, ils ralentissent en même temps la destruction du glycogène, et la con- sommation générale de la matière sucrée, et cela, au point que les eneurs en glucose des sangs artériels et veineux, chez les sujets ayant ingéré de l’antipyrine, présentent moins d'écart qu'à Pétat normal °. L’ingestion de bicarbonate, d’arsenic, d’antipyrine, de quinine, etc, provoque en un mot l'apparition du glycogène dans le foie, et pourtant il n’est venu à l'esprit de personne de considérer les corps conime suceptibles dans ce cas de servir de matières premières ali- 1. Gans, Semaine médic., 1896, p. 168. 2, Saikowsky, Centr. BI. f. d. med. Wissensch., 11 novembre 1865. 3. Lépine et Porteret, Comples rendus, 1888, t, 1, p. 1023 ; t. Il, p. 416. 4. Martz, Circulalions artificielles à travers le foie et le pancréas. (Thèse de Lyon, 1897.) 5. Richter, Zeëlsch. f. klin. Med., 1598, t. XXXVI, p. 1. 6. Lépine, Arch. de Méd. exp. et d'Anal. pathol., janvier 1889, p. 45. — Semaine méd., 1889, p. 261. EPST Te 2 LS dt LOR GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. bp] mentaires. Mais, nous dira-t-on, ce sont là des substances médica- menteuses qui agissent directement sur la cellule hépatique et ses ferments ‘ ou qui exercent incontestablement leur action par l’inter- médiaire du système nerveux général, Sans doute, mais en quoi les médicaments se distinguent-ils donc des aliments ? Parmi ceux-ci il en est qui servent à l'assimilation et réparent les pertes que cause la désassimilation ; il en est aussi qui, en même temps, favorisent ou règlent ces deux grandes fonctions. N'est-ce pas là justement le rôle de certains médicaments, et, pour ne pas être exclusif, il faut alors reconnaitre que médicaments et aliments ne différent souvent au fond que par la proportion dans laquelle ils sont couramment employés. L'alcool, nous le verrons, est un très médiocre aliment, ce qui n'empêche pas que, pris à doses même modérées, il provoque une notable excitation des cellules hépatiques qu’il irrite. Autre fait : le pancréas sécrète un ferment, la trypsine, qui dissout et transforme les matières protéiques. Les peptones et autres produits de cette diges- tion tryptique passent normalement dans l’économie ; or, les recher- ches expérimentales viennent démontrer qu’ils favorisent assez acti- vement la destruction du sucre par les cellules vivantes. La levure de bière * en effet mise en présence d’un morceau de pancréas qui, après excitation des nerfs, est fortement imprégné des produits de sa sécrétion physiologique et notamment des peptones, fait fermenter le sucre beaucoup plus vite qu’en présence d’un morceau de pan- créas non excité. Mais, d'autre part, ainsi que l'ont démontré Gilbert et Carnot”, les peptones ont une action considérable sur les cellules hépatiques dont elles semblent exciter le fonctionnement. C’est ainsi qu’elles augmentent notamment le pouvoir d'arrêt du foie vis-à-vis du sucre. On ne peut cependant considérer les produits normaux de la digestion des albuminoïdes comme de nature médicamenteuse, et pourtant, selon toute vraisemblance, ces peptones naturelles peuvent avoir la propriété d'augmenter in vivo tantôt la mise en réserve du sucre dans le foie tantôt sa consommation par les divers tissus. 1. Lépine, Arch. de Méd. exp. et d’Anat. pathol., janvier 1889, p. 55. 2. Lépine et Martz, Comptes rendus, 1899, t. I, p. 904. 3. Gilbert et Carnot, Fonctions hépatiques, C. Naud, 1902, p. 136. 54 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. C’est ainsi que l’on découvre peu à peu mille faits susceptibles d’influencer la glycolyse et la glycogénie générales et par suite de changer dans les cellules la provision de glycogène. Ces critiques, précisées par la science moderne, ont été du reste pressenties par certains expérimentateurs qui, des premiers, ont abordé l'étude de l’origine du glycogène. Alors que les uns comme Pavy, Dock, Luch- singer considèrent l’apparition du glycogène, consécutive à l’inges- tion d’une substance alimentaire comme le résultat de la {rans- formation directe de cette substance en glycogène, les autres au contraire, et ils sont nombreux (Tscherinoff, Tieffenbach, Ogle, Weiss, Salomon, Pink, de Méring, Wolffberg, Finn, Kulz, Nebelthau, F. Voit, etc.), admettent que certains aliments, tout en ne servant pas de matière première, lors de l'élaboration du glycogène, peuvent cependant opérer par épargne ou proleclion et provoquer une aug- mentation de glycogène dans le foie’. Ces aliments, par suite de leur utilisation, permettraient l'accumulation d’une réserve de sucre qu'elles protégeraient en subvenant aux besoins de l'organisme. Malheureusement aucune donnée expérimentale ne permet de se pro- noncer nettement en faveur de la théorie de la formation directe ou de la théorie de l’épargne. Peut-être sont-elles vraies toutes les deux ? Sans vouloir trancher cette question, toute théorique au fond, cherchons plutôt s’il n’est pas possible d'indiquer parmi les divers aliments de notre classification ceux que la cellule utilise de préfé- rence pour former ou épargner son glycogène. Dans la très nombreuse bibliographie de la question, mettons de côté les recherches auxquelles les observations précédentes laissent moins de valeur, et adressons-nous seulement aux quelques expé- 1. À propos de la théorie de la formation directe et de la théorie de l'épargne, voir : Dock, Arch. f. Physiol., 1872, p. 571. — Luchsinger, Dissert, Zurich, 1875. — Tscherinoff, Sélz. d. Wien. Akad., t. LI, deuxième partie, p. 412. — Arch. f. path. Anal., t. XLVIT, p. 102. — Méd. Centralb., 1865, n° 43. — Ogle, Saint-George Hospilal Reports, t. II, 1868, p. 149. — Weiss, Wiener. akad. Silzungsb., t. LXIV, 1871; t. LXVIL, 1873. — Salomon, Méd. Centralbl., 1874, n° 12. — Pink, Dis- sert, Kænigsberg, 1874. — De Méring, PAluger's Arch., t. XIV, p. 281. — Wolf- berg, Zeilsch. f. Biol., 1876, t. XIL. — Finn, Déssert. Erlangen, 1877. — Külz, Festschrift, p. 27-35. — F. Voit, Zeilsch. f. Biol., t. XXNIIT, p. 353; t. XXIX, p. 146. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. DD riences qui peuvent être probantes. Et, à notre avis, il v en a. Ce sont par exemple celles où l’auteur a opéré par comparaison sur des lots d'animaux, assez nombreux pour que lon soit sûr d’être mis à l’abri des variations individuelles et où il a été possible de prouver que le foie des sujets mis au régime spécial renfermait plus de glycogène que le foie des témoins. Formation du glycogène aux dépens des matières azotées. En reconnaissant que la présence de la matière sucrée dans l’éco- nomie est indépendante du genre d'alimentation, nous avons déjà implicitement admis que tous les aliments sont aptes à se transfor- mer en sucre physiologique. Passons-les successivement en revue. Le glycogène peut-il se former aux dépens des matières azotées ? Dès ses premiers travaux, Claude Bernard avait reconnu que le foie et les muscles des animaux, nourris exclusivement avec de la viande dégraissée, contenaient une notable quantité de glycogène. Naunyn’ refit l’expérience sur des poules, en écartant toutes les causes d'erreur possibles. Il débarrassa entièrement les animaux de leur glycogène par un jeûne de six jours, ce dont il s’assura sur quel- ques-uns d’entre eux, puis il les nourrit exclusivement, durant quelques jours, avec de la viande maigre bouillie, abandonnée en- suite à une légère fermentation, pressée enfin, et cela pour être sûr qu’elle ne contenait ni glycogène, ni sucre, ni inosite. Les poules une fois sacrifiées, on trouva de 2 à 3 p. 100 de glycogène dans leur foie. De Mering laissa jeùner deux gros chiens durant 21 jours; l’un d’eux reçut de la fibrine pure, et, 6 heures après ce repas, on le tua. Son foie contenait alors 15 grammes de glycogène et celui du témoin 0,5 seulement. Ce glycogène n’existait pas au début de l'expérience et ne provenait sûrement pas des hydrates de carbone qui, auparavant, avaient été extraits de l'aliment. Il pouvait donc y avoir eu formation de glycogène aux dépens des matières protéiques dont la viande était presque exclusivement composée. Dans les cas de régimes mixtes, le glycogène augmente, du reste, 1. Naunyn, Arch. f. exper. Pathol. u. Phar., t. I, 1875, p. 94. 56 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. toujours avec les quantités d’albuminoïdes absorbées. Voici, à ce sujet, quelques chiffres empruntés à Wolffberg : RATION DES POULES D'EXPÉRIENCE GLYCOGÈNE ’ par vingt-quatre heures. p.100de foie. 600 grammes de sucre + S grammes d'albumine. , , . 05,474 GLOBE DUR — RER 0 ,821 (ELIDEN ne — +50 . — — RATS: 1 ,840 IL est avec cela expressément reconnu * que la quantité de viande ingérée augmente l'hyperglycémie et la glycosurie des-diabétiques. En 1881-1882, Seegen compléta ces premières données sur le rôle des protéiques et arriva à cette conclusion que, dans le foie, il y a formation directe de glycogène aux dépens des peptones provenant de Ja digestion de ces albuminoïdes. L'opinion de Seegen s’appuvait sur l'expérience suivante: des chiens, préalablement soumis à un jeûne de un à quatre jours, reçoivent de 45 à 28 grammes de peptones de Darby en dissolution dans une certaine quantité d’eau ; on les sacrifie une heure après environ, et l’on dose le glycogène dans leur foie. On en trouve 2,88 p. 100 (moyenne de dix expériences) tandis que chez des chiens pris comme termes de comparaison et privés de pep- tones, la quantité de glycogène ne dépassait jamais 1,50 à 2 p. 100. Au sujet de la transformation des nucléines que nous avons encore citées parmi les albuminoïdes, de Renzi et Reale* s’exprimaient ainsi au 8" Congrès de la Société italienne de médecine interne : «On sait que Kossel* a démontré in vitro que si l’on traite la nucléine par un acide dilué, il se sépare des hydrates de carbone. Nous avons cherché à nous rendre compte si ce dédoublement a lieu au sein des üssus. Nos expériences nous ont prouvé que cette substance doit être considérée comme une source d’hydrocarbonés dans l'organisme. » C’est ainsi que chez des diabétiques présentant une amélioration, on fait réapparaître la glycosurie par imjection de nucléine. Par les courants de haute fréquence qui augmentent la désassimilation de la nucléine on peut provoquer également de la glycosurie en même 1. Külz, Arch. f. exper. Pathol. u. Phar., t. NE, 1876, p. 140. — Naunyn, Der Diabetes mellilus. Vienne, 1898, p. 137. 2. Semaine médicale, 1897, p. 405. 3. Kossel, Chimie des albuminoides (Revue générale des Sciences), 30 mai 1902. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE, 51 temps que l’azote augmente dans les urines, signe d’une plus grande consommation de matières azotées par l'organisme. Tous les protéiques semblent donc agir très nettement sur l’appa- rition du glycogène dans le foie, mais il faut reconnaître qu’il en est de même de bien d’autres substances azotées. Les amidés qui ne sont pas de nature albuminoïde interviennent presque aussi efficacement. Rohmann! a dosé le glycogène contenu dans le foie de deux séries de lapins, dont l'alimentation ne différait que par quelques grammes d’asparagine ou de glycocolle donnés en plus à l’une des deux séries ; l'analyse a trouvé : GLYCOGÈNE p- 100 de foie. a Témoins. Quand on ajoutait dé l'asparagine . L 2,88 1A3T Quand on ajoutait du glycocolle. . . . . . 2,46 1,99 Cela se comprend si l’on songe que lasparagine est consommée comme les protéiques puisque l’on retrouve son azote dans l’urine à l’état d’urée? et de plus qu’elle semble pouvoir remplacer en partie les matières albuminoïdes. Kohn° a établi récemment par des expé- riences effectuées sur le chien que l’ingestion de leucine est de même suivie d’une notable augmentation du glycogène hépatique. Pour finir de passer en revue toutes les matières azotées que nous avons nommées, il ne nous reste plus qu’à rechercher s’il y a aug- mentation du glycogène dans le foie après ingestion de gélatine. De Méring * fit jeüner des chiens durant dix-huit jours ; après quoi il les nourrit quatre jours de suite, avec la ration quotidienne suivante : 195 grammes de gélatine et 3 grammes d'extrait de viande pour rendre l’alimentation plus appétissante. A l’examen du foie, on trouva dans cet organe 4,45 de glycogène. Tels sont les résultats brutaux de l'expérience ! Mais comment le olycogène, matière ternaire, se forme-t-il aux dépens des matières . Rohmann, Pfluger’s Arch., t. XXXIX, 1886. . Seegen, Cenlralbl. f. d. med. Wissensch., 1876, p. 849. . Voir D'J. Kuhn, 7raduc., Raquet, Paris, Asselin, 1901. . Kohn, Zeëtsch. f. Paysiol. Chem., t. XXVIIL,p. 211. 5. De Méring, Arch. f. d. gesam. Physiol., t. XIV, 1877, p. 282. CO 12 58 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. azotées quaternaires ? Aucun des faits que nous venons d’énoncer ne nous renseigne à ce sujet. Nous y reviendrons En attendant, toute réponse à celte question serait forcément hypothétique. Ce que l’on sait de positif, c’est que les principes quaternaires pénètrent dans l’économie par voie sanguine, en suivant les capillaires intestinaux, les veines mésentériques, la veine porte et les capillaires du foie, et que cet organe peut les arrêter au passage. Claude Bernard avant in- Jjecté de lalbumine d’œuf dans la jugulaire d’un lapin la retrouva dans Purine, ce qui n’arrivait pas lorsqu'il l’introduisait par la veine porte. Bouchard a constaté la même action d’arrêt du foie sur la ca- séine et les peptones, même injectées à doses massives. Plotz et Gyer- gvai ont établi en outre, par des circulations artificielles, que les peptones disparaissaient en traversant certains tissus et notamment le foie. Lehmann avait, avant eux, aussi constaté que le sang de la veine porte contenait plus de fibrine que celui de la veine hépatique. Les substances, une fois arrêtées, servent-elles alors de matières pre- mières au foie pour former son glycogène ? ne font-elles seulement que préserver de la destruction la réserve sucrée qui se serait peut- être aussi bien formée aux dépens des autres matériaux du sang, mais qui, sans leur intervention, aurait peut-être aussi été consom- mée ? Rien ne nous permet encore de choisir entre l’une ou Pautre hypothèse ; le résultat de ces recherches, au point de vue pratique, n’en est pas moins évident : après l’ingestion des matières azolées les plus diverses, on peut nettement constater l'apparition du glycogène dans le foie. Formation du glycogène aux dépens des graisses. Voyons maintenant, en suivant toujours la même méthode, s'il peut se former du glycogène aux dépens des matières grasses ali- mentaires ? [l semble très nettement prouvé que sous l’influence des corps gras ingérés seuls, non seulement la quantité de glycogène n'augmente pas dans le foie, mais qu’elle tend plutôt à baisser‘. Le 1. De Méring, Arch. Pfluger's, t. XIV, 1877, p. 282. — Kumagawa et Miura, 4rca. f. Physiol., 1898, p. 431-454. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE, D9 résultat était-il donc tant de nature à étonner pour que les expéri- mentateurs aient renouvelé maintes fois leurs recherches à ce sujet ? La première condition, nous semble-t-il, pour qu’un organe puisse élaborer un principe aux dépens de matériaux quelconques, c’est que ces matériaux arrivent à portée de cet organe et que ce dernier puisse exercer sur eux son activité. Or, que deviennent les graisses ingérées ? Si, sans nous occuper de la nature même des changements qu’elles subissent, avant d’être absorbées ou pendant qu’elles sont absorbées, nous suivons la voie qu’elles prennent pour pénétrer dans l’économie, nous les voyons (figure 9), dans les villosités intestinales, passer des vaisseaux sanguins dans les chylifères, arriver ensuite dans le canal thoracique et se déverser enfin dans le système veineux général, sans passer par la veine porte et le foie. Voilà qui nous permettrait de ne pas tenir compte des quelques expériences où l’in- gestion de graisses a été suivie presque immédiatement d’une aug- mentation de glycogène hépatique, si les faits ne nous engageaient pas d'autre part, avec une certaine insistance, à ne pas restreindre autant le rôle du foie vis-à-vis des corps gras. En premier lieu, il ne faut pas perdre de vue que la glande hépa- tique est capable d’arrêter ce dernier principe lorsqu'il arrive en contact avec elle. Drosdoff, puis Gilbert et Carnot’ ont constaté cette action d'arrêt, Les savons sont également bien retenus en masse par le foie, et lorsque l'alimentation devient excessive, on sait quelles quantités énormes de graisses cet organe est capable d’accumuler. On connait aussi à l’état pathologique la dégénérescence graisseuse du foie des alcooliques, des tuberculeux et des intoxiqués. Mais si d’une part la cellule hépatique arrête et accumule la graisse, on peut cons- tater d'autre part qu’elle l’élimine, et qu’il est possible, quelques jours après son absorption, de voir disparaître histologiquement les corps gras”. Ceux-ci sont-ils alors transformés et en quoi sont-ils trans- formés ? Lorsque, après leur introduction et leur localisation dans 1. Gilbert et Carnot, Loc. cit. 2. Il faut remarquer à ce sujet que les histologistes ont coutume de considérer comme de la graisse toutes les gouttes transparentes des cellules qui noircissent par l'acide osmique. Or, il semble que cette réaction n'offre pas grande sécurité. (Siegert, Beilr. r. chem. Physiol. u. Palhol., t. 1, p. 114.) 60 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. le foie, ils cessent d’y rester en nature, on n'a pas remarqué, jus- qu'à présent, que leur disparition ait alors été suivie d’une aug- mentation du glycogène. Un fait cependant serait peut-être de nature à démontrer la transformation de la graisse en glycogène. Nattan- Larrier a observé chez le nouveau-né que la graisse avait une topo- oraphie péri-portale, etle glycogène une topographie péri-sus-hépa- tique. Durant les premiers jours qui suivent la naissance il est possible de constater que la graisse diminue très brusquement et qu’elle est alors remplacée sur place par des dépôts de glycogène. Voilà la seule observation précise que nous puissions enregistrer en faveur du rôle que le foie jouerait dans ce cas. | Les fibres musculaires, où le glycogène se dépose également, se comportent-elles consécutivement à l’ingestion de corps gras, comme Îles cellules de la glande hépatique ? Les expériences du pro- fesseur Bouchard et du docteur Desgrez ‘ répondent à la question. Elles ont été faites sur le chien. Les auteurs ont tout d’abord déter- miné la proportion de glycogène contenue dans le foie et les muscles de chiens nourris avec un mélange de pommes de terre et de viande, c’est-à-dire recevant une alimentation mixte. Ils ont renouvelé le même dosage sur les foies et les muscles de chiens soumis à une ina- nition de deux à quatre jours. Ces animaux étaient séparés en deux séries, les uns jouant le rôle de témoins, et les autres ingérant de 300 à 1100 grammes de graisse, sous forme de lard, privé avec soin de toutes les parties maigres. Sur les animaux, sacrifiés par hé- morragie, On pratiquait immédiatement le dosage du glycogène dans 40 ou 50 grammes de foie ou de muscle de la cuisse. Voici quels furent les résultats comparatifs obtenus : | GLYCOGÈNE par kilogramme © de de foie. muscles. 1° Alimentalion mixte (viande et pommes de terre). . . . 66.30 4,20 2° Témoins à l'inanilion (ne recevant que de l'eau). . . . 2,04 2,29 3° Régime exclusif de la graisse après inanition .. . . . . 1,67 3,13 Les conclusions qui se dégagent de ces expériences sont bien 1. Bouchard et Desgrez, Comptes rendus, 1900, t. I, p. 816. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 61 nettes : l’alimentation copieuse par la graisse succédant à l’inanition n’augmente pas le glycogène dans le foie, alors qu’elle relève le chiffre du glycogène musculaire de 25,29 à 35,15. Il nous reste maintenant à interpréter. Faut-il considérer la graisse comme une source réelle de glycogène musculaire? Le professeur Bouchard se montre très affirmatif à ce sujet, et voici, d’après lui, comment il a été amené à vérifier, ainsi que nous venons de le voir, la réalité de l’origine du glvcogène aux dépens des corps gras. Des personnes ne recevant d’autres ingesta que les gaz atmosphériques et n’éliminant que les matières de la perspiration cutanée et de l’exhalation pulmonaire, les autres excreta étant retenus dans la vessie et l’intestin, peuvent, dans les- pace de une heure, présenter des augmentations de poids atteignant 106,20 et même 40 grammes, augmentations nettement enregis- trées à plusieurs reprises sur une bascule sensible". Les augmenta- tions réelles sont encore supérieures, car les sujets en question éliminaient certainement de Peau et de l'acide carbonique. Quelle est la matière empruntée à l’air et fixée par les tissus, capable de pro- duire cette augmentation de poids? Est-ce la vapeur d’eau, l'acide carbonique, l’azote ou l'oxygène, pour ne parler que des principaux gaz de l’atmosphère? Ce ne peut être la vapeur d’eau, puisqu’il est reconnu que l’air expiré en est toujours saturé ; le corps perd plus d’eau par l'expiration qu’il n’en gagne par l'inspiration. Comme il est évident que de telles augmentations de poids ne peuvent s’expliquer par fixation d’acide carbonique ou d’azote, e’est à l'oxygène seul qu'il faut imputer le phénomène. Ce gaz n'étant de nature à produire des variations de poids importantes ni par dissolution ni par combinaison avec l’hémoglobine, il fallait alors admettre qu’il s'agissait, dans ce cas, d’une oxydation incomplète survenue au cours de la destruction des albuminoïdes, des graisses ou des hydrocarbonés. Le professeur Bouchard écarta, par le raisonnement, toute intervention des pro- téiques et des sucres, et, s'étant aperçu que la souris et le chien aug- mentaient de poids, presque à volonté, lorsqu'une alimentation copieuse à la graisse succédait à un jeùne prolongé, il en arriva à con- 1. Bouchard, Comptes rendus, 1898, t. IT, p. 464. 62 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. clure que de telles variations positives de poids n’étaient certainement dues qu’à une oxydation incomplète des graisses. L’oxydation complète n’expliquerait en effet qu’une augmentation très minime de poids. En transformant la graisse en glycogène d’après l’équation suivante : G55 H104 06 + 60 O — 12 (H?0) + 7 (CO?) + 8 (GS H'° 0°) Graisse, Oxygène. Eau. Acide carb. Glycogène. pour une partie de graisse ainsi oxydée, il peut, au contraire, y avoir augmentation de poids de 0,758. Telle est l'hypothèse formulée par le professeur Bouchard. Sans faire sortir la discussion du domaine de la théorie pure, on peut lui répondre, en chimiste, avec M. Ber- thelot ‘ que les albuminoïdes de l'économie animale ne peuvent être mis hors de cause et sont susceptibles de fixer momentanément 20 et même 40 grammes d'oxygène. Quant à la transformation de la graisse en glycogène, 1l existe évidemment un nombre illimité d’é- quations qui résolvent le problème. M. Berthelot les a toutes étu- diées et parmi celles qui sont possibles? en théorie, on retrouve la formule du professeur Bouchard ; mais pourquoi l’adopter plutôt qu’une autre? Dans les sciences positives on n’admet la réalité d’une réaction, qu'autant que l’on peut en fournir la démonstration. Or, les réactions confirment non pas la formation des hydrates de car- bone aux dépens des corps gras, mais bien le contraire, la trans- formation des matières sucrées en graisses. Hanriot® a cherché à provoquer l'oxydation de la graisse à l’air, soit en la mélangeant avec du noir de platine, soit en l’additionnant d’un de ces ferments oxy- dants dont l’existence dans les tissus animaux n’est plus douteuse depuis les recherches de Jacquet et Abelous, de Conhstein et Mi- chaelis, d’Abelous et Gérard; jamais il n’a pu former du sucre, ou du glycogène, ou un corps réducteur quelconque. L'action de lo- zone n’est pas plus efficace ; dans ce cas la graisse fixe une quantité relativement considérable d’exygène, ce qui vient à l’appui de l'hy- pothèse par laquelle le professeur Bouchard explique les augmen- 1. Berthelot, Comptes rendus, 1898, t. II, p. 491, et Chaleur animale (Encyclo- pédie Léauté), p. 150. 2. Berthelot, Annal, de Chim. el de Phys., 7° série, t. XII, p. 557. 3. Hanriot, Comples rendus, 1898, L. II, p. 561. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 63 tations de poids signalées, mais en revanche il n’est pas possible de découvrir dans les produits de cette oxydation un corps ayant des propriétés réductrices, ou réagissant comme l’amidon, les dex- trines, la cellulose. Le seul fait, purement chimique, susceptible d'expliquer le changement de la graisse en glycogène nous est fourni par M. Berthelot‘. Il a observé le changement en sucre du dixième du poids d'un corps gras neutre susceptible, après dédoublement, de four#ir de la glycérine et nous verrons que l’ingestion de cet alcool triatomique occasionne une augmentation réelle de glycogène. Dans les expériences de Bouchard et Desgrez, la formation d’une réserve musculaire sucrée, sous l'influence de la glycérine est donc plau- sible, mais elle ne satisfait pas ces auteurs. Il faut du reste recon- naître que la formule indiquée par le professeur Bouchard et son école ne s’accorde pas davantage avec les faits d'expérience. Les chiffres fournis par le raisonnement et ceux que l’on observe en réalité ne s’approchent jamais en résumé les uns des autres. Devons-nous qualifier d’empiriques les formules de chimie pure imaginées à ce sujet, et l’expérience ne peut-elle pas nous fournir une interprétation démonstrative des phénomènes consécutifs à lin- gestion des matières grasses? Ne prolongeons pas cette discussion, car nous y reviendrons à propos de la formation du glucose, et con- tentons-nous de résumer les différentes solutions que comporte le problème. Les graisses peuvent préserver d’une destruction active le glycogène qui, sans leur intervention, aurait peut-être été consommé aussitôt sa formation. Il est encore admissible que sous l'influence des actes de la digestion, elles se dédoublent et régénèrent de la gly- cérme, mais alors celle-ci intervient-elle comme matière première aux dépens de laquelle les muscles savent élaborer le surcroit de olycogène observé, ou bien seulement comme élément d'épargne ? Il est enfin permis de supposer que le carbone des acides gras, qui sont comme la glycérine un des produits de dédoublement des graisses, entre également en jeu! Les points d'interrogation abon- dent, on le voit. Tout en nous basant, parmi les faits de science pure, uniquement sur Ceux qui peuvent nous donner un résultat pratique, 1. Berthelot. Annal. de Chim. el de Pays., 3° série, t. L, p. 369. 64 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. nous sommes en droit cependant de conclure que l’ingeslion d’une grande quantité de graisse provoque l'apparition d'une très minime quantilé de glycogène musculaire. Digestion et transformations chimiques du saccharose et des hydrocarbonés. La formation du glycogène aux dépens des hydrocarbonés en gé- néral et surtout des diverses matières sucrées que l’on retrouve dans les aliments habituels de lomnivore et de l’herbivore, nous retien- dra un peu plus longtemps. Cette étude, on le conçoit, se trouve à la base de notre programme. Reprenant notre classification du début, nous devons tout d’abord mettre à part les hydrates de carbone qui se distinguent par leur orande solubilité et leur aptitude à subir l’osmose. Lors de leur in- gestion, ces substances sont en effet de suite dissoutes par les hi- quides du tube digestif, tels que la salive, les sues gastriques et in- testinaux. Aussitôt après leur contact avec les muqueuses elles peuvent donc être absorbées. Cette absorption commence, mais fai- blement, dans la bouche ; elle se continue, sans beaucoup plus d’in- tensité dans l’estomac, pour n’atteindre seulement son maximum que dans l’intestin et surtout dans l’intestin grêle ; c’est donc là que la presque totalité des hydrates solubles pénètre dans l’économie. Comme cette absorption se fait uniquement par la voie sanguine, c’est-à-dire par les capillaires intestinaux et le système de la veme porte, on comprend de suite l'importance alimentaire, de ces subs- tances, susceptibles, nous allons le voir, d'apporter à la glande hépatique la matière sucrée toute formée. Parmi ces hydrocarbonés solubles on trouve : 1° Les composés à fonction alcoolique comme le glycol, alcool dia- tomique, la glycérine, alcool triatomique, l’érythrite, quatre fois alcool, les pentites à cinq atomes de carbone, enfin les hexites ana- logues à la sorbite, à la mannite, à la dulcite; 2 Les sucres réducteurs, correspondant aux alcools précédents, sucres à cinq atomes de carbone comme les pentoses ou à six atomes comme les hexoses, parmi lesquels figurent le glucose aldéhyde de la GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 65 sorbite, puis le mannose et le fructose, le premier aldéhyde et le se- cond acétone de la mannite, enfin le galactose aldéhyde de la dulcite ; 3° Les sucres hydrolysables souvent désignés sous le nom de bi- hexoses, tels que le lactose, le maltose et le saccharose, issus de la condensation, avec perte d’eau, des sucres réducteurs précédents auxquels ils redonnent du reste si facilement naissance. Pour être complet, il faudrait ajouter les produits à fonction acide, tels que les acides acétique, butyrique, lactique, oxalique, malique, tartrique, citrique, etc., tels encore que les acides galactonique, glu- conique, glycuronique, mucique, saccharique, qui, par oxydation, peuvent dériver des trois catégories précédentes. La possibilité pour tous ces corps d’arriver facilement et rapide- ment au foie étant admise, voilà le moment de nous préoccuper de leur utilisation par la cellule animale. Voilà également le moment de nous souvenir que les propriétés biologiques de la molécule sucrée sont solidaires du nombre et de la disposition des atomes qui com- po-ent celte molécule. Que deviennent donc ces hydrocarbonés so- lubles après leur absorption? Sont-ils utilisés en nature dans les échanges nutritifs ou bien, indirectement assimilables, l’organisme peut-il s’en servir quand même et comment s’en sert-il ? Diverses méthodes expérimentales permettent à la physiologie de résoudre ces problèmes. La première, la plus facile, consiste à re- chercher si la substance en question, une fois injectée dans le sang, n’y perd pas son individualité physique et chimique, ou bien si elle n’est pas au contraire, substance inerte et inutile, rejetée par les émonctoires et le rein en particulier. C’est au génie de Claude Ber- nard que l’on doit cette définition rationnelle et pratique de l « Ali- ment », ce terme désignant non pas les substances comestibles qui font journellement partie de l’alimentation, mais bien la matière première, utilisable sous sa propre forme, aux dépens de laquelle la cellule s’édifie, répare ses pertes, entretient en un mot sa vitalité. Le signe distinctif de « l’Aliment » c’est donc, après avoir été intro- duit directement et en nature dans le sang, d’y disparaître complète- ment durant son transit forcé à travers tous les tissus. Cet aliment s’élèvera alors à un niveau d’organisation supérieure et plus com- plexe et deviendra de la matière vivante ou bien il servira au fonc- ANN. SCIENCE AGRON. — % SERIE. — 1902-1903. — 71. 5 66 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. tionnement de la cellule et celle-ci, en le détruisant, l’acheminera vers l’état de matière morte pour libérer l'énergie dont elle a besoin. Dans le cas présent, le travail intime et intérieur de la cellule abou- tira toujours aux déchets normaux de la destruction de toute matière organique ternaire. [ y aura production d’eau et d'acide carbo- nique, qui seront éliminés en partie par le poumon, ou bien il res- tera un résidu alimentaire inattaquable par la cellule, quand bien même celle-ci en serait gorgée, et qui sera éliminé par le rein ou par le tube digestif. Un second procédé consiste à faire circuler artificiellement dans un organe quelconque un sérum ou du sang tenant en solution le corps que l’on veut étudier. Par l’analyse répétée à plusieurs reprises du liquide qui circule, il est facile de se rendre compte s’il y a consom- mation ou inutilisation de la substance. On peut encore rechercher si l'introduction dans l’économie de l’un des principes que nous avons à étudier n’en modifie pas ce que l’on nomme les échanges respiratoires, c’est-à-dire la production, par exemple, de lacide car- bonique, terme résiduaire inévitable de la destruction ou, pour parler le langage de la chimie, de la combustion de tout principe organique. Nous ne ferons que mentionner la méthode par laquelle on recherche si une cellule quelconque, microbe ou moisissure, peut consommer directement la substance, sans lui faire subir de transfor- mations préalables. Elle est du domaine de la physiologie végétale et, dans le premier chapitre, nous avons indiqué les principales ma- tières sucrées qui fermentent directement sous l’action de la levure. Tels sont les différents procédés que nous allons utiliser tour à tour. Il est un certain nombre d’hexoses, de la catégorie des sucres réducteurs, qui répondent à la définition donnée par Claude Ber- nard, du véritable aliment physiologique. La démonstration en a été faite. Lorsque l’on injecte dans les veines d’un animal une solu- tion de d. glucose, ou de d. lévulose, ou de d. mannose ou enfin de d. galactose”, et cela assez lentement pour ne pas provoquer brusque- 1. On est convenu d'affecter de la lettre d les sucres qui dérivent des alcools polya- tomiques dextrogyres ; c'est ainsi que le lévulose ordinaire, dont nous parlons ici, est, bien que lévogyre, précédé de la lettre d parce qu'il dérive de la mannite d ou dex- trogyre. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 67 ment de l’hyperglycémie, et par conséquent de la glycosurie, on ne retrouve trace de ces sucres, ni dans les fèces ni dans les urines. Par contre, les alcools polyatomiques tels que la glycérine, la sorbite, la mannite, la dulcite, les bihexoses solubles, c’est-à-dire le saccha- rose, le maltose et le lactose, injectés en nature dans le sang, sont éliminés comme déchets par le rein. Les pentoses à cinq atomes de carbone rangés à côté des hexoses parmi les sucres réducteurs, subissent le même sort: l’arabinose et le xylose, administrés à des hommes sains ou malades, passent rapidement et en grande partie dans l'urine *. Ces constatations d'ordre général nous obligent donc à rechercher sommairement quelles sont dans les conditions ordinaires de Pali- mentation et de la digestion, les transformations que subissent ces matières sucrées, inassimilables en nature, avant de pénétrer dans le sang et d’arriver à la cellule. Comment les alcools polyatomiques deviennent-ils des aliments physiologiques ? La question n’a encore été que très peu suivie et étudiée. La glycérine se modifie-t-elle sous l'influence des ferments oxydants et fournit-elle, comme en présence de l’acide azotique ou du noir de platine ou du brome, un mélange de corps divers parmi lesquels se trouve l'aldéhyde glycérique qui est un sucre réducteur ? Cet aldéhyde ne paraît pas, il est vrai, pouvoir être directement uti- lisé, mais Emmerling * a montré qu’il devient cependant assimilable pour la levure, après s’être condensé en un sucre en C°, qui a été étudié dans les laboratoires de Fischer * et de Berthelot‘. La glycé- rine peut encore, sous l'influence des ferments, se changer en un hydrocarboné lévogyre, à moins qu’elle ne fournisse d’autres alcools plus ou moins complexes et des acides variés comme lors de sa fer- mentation sous l'influence du Bacillus subtilis des infusions de foin, ou du Bacillus boocopricus du purin ou encore du Bacillus - 1. Ebstein, Vérchow's Arch., t. CXXIX, p. 401. — Cremer, Habilitationsschrift. Munich, p. 63. — Salkowski, Ber. d. Deuts. chem. Gesell., t. XXVI, p. 896. 2. Emmerling, Ber. d. Deuts. chem. Gesell., t. XXXII, p. 542. . Fischer et Tafel, Ber. d. Deuts. chem. Gesell., t. XX, p. 3384. . Berthelot, Chémie organique fondée sur la Synthèse, t. I, p. 649. FF O2 68 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. butylicus de Fitz'. Ge qu'il est permis de supposer, c’est que la gly- cérine ne peut conserver sa forme dans l’économie animale. Sa con- sistance sirupeuse pourrait nuire mécaniquement, et de plus elle semble assez toxique ?. En injection dans le sang, à la dose de 105°,7 par kilogramme d’animal, elle tue le lapin, alors que la survie est de règle chez le même animal, nous l’avons vu, après injection de 18 à 20 grammes de glucose, de lactose ou de saccharose. Quels que soient du reste les changements subis in vivo par la glycérine, qu’elle se transforme en sucre ou que les villosités intestinales aient, ainsi que le prouve l'observation, la propriété de régénérer des corps gras à ses dépens, il n’en reste pas moins nettement prouvé qu’elle possède des propriétés nutritives. Dès qu’elle pénètre dans l’économie, elle active la respiration et augmente l’élimination de l’acide carbonique ; cela prouve, d’après ce que nous savons déjà, qu’il y a consomma- tion de cet alcool par les cellules de l’organisme. La dulcite, la mannite que l’on trouve dans les betteraves, dans les carottes, dans le pain lui-même, la sorbite toujours présente dans la plupart des fruits (pommes, poires, cerises, prunes, pêches, etc.), doivent subir des modifications analogues à celles de la glycérine *. Tous ces alcools ne nous intéressent au fond que peu. Il n’en est pas de même des bihexoses, comme le saccharose et le lactose, dont on fait très largement usage dans l’alimentation journalière. Que deviennent ces substances après leur ingestion ? La réponse à cette question, posée à propos du sucre de canne, est, on le comprend, capitale dans cette étude. Nous avons vu, avec Claude Bernard, que le saccharose, injecté sous la peau ou dans le système sanguin, passe 1. Fitz, Ber. d. Deuls. chem. Gesell., t. IX, p. 1348; t. X, p. 2226 et 2276: t. XI, p. 18925 t. XIL p. 480: t. XIL:1p. 1311. ?. La glycérine existe bien normalement dans le sang, mais en quantité fort petite. (2 milligr. environ dans le sang du chien à jeun depuis quarante heures: 4"s,5 dans le sang de lapin nourri à volonté. Lorsqu'on l'y injecte elle disparaît avec une très grande rapidité ; elle est éliminée par l'urine en proportion notable et cela en un temps rela- tivement court. (Nicloux, Comptes rendus. 1903, t. 1. p. 559 et 764; —t. Il, p. 70.) 3. Arnschink, Zeëlschr. f. Biol., t. XXIIL, p. 413, et J. Münk, Arch. f. d. Gesell. Physiol., t. XLVI. p. 303. 4. Fitz, Ber. d. Deuts. chem. Gesell., t. XNI, p. 844. — Berthelot, Ann. de Chim. et Phys., t. L, p. 322 et 369. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 69 rapidement en nature dans l’urine. Lorsqu'il pénètre au contraire par l’une ou l’autre des extrémités du tube digestif, c’est-à-dire lors- qu’il est ingéré normalement ou introduit dans l'intestin par voie rectale, il s’inverlit, et se transforme en un mélange directement utilisable de glucose et de lévulose. Ce dédoublement est l’œuvre d’un ou de plusieurs ferments, très voisins les uns des autres par leur mode d’action, et que l’on dénomme ordinairement sucrases ou invertines. Si l’on recherche ces sucrases parmi les sécrétions nor- males des tissus animaux, on trouve qu’elles y existent parfois, mais que, néanmoins, elles semblent bien moins répandues que les autres ferments digestifs. La salive privée par une filtration de germes mi- crobiens et de cellules animales, n’intervertit pas, paraît-il *. Parfois, on n'obtient pas davantage d’hydrocarbonés réducteurs en faisant agir sur le sucre une macération de muqueuse intestinale toujours filtrée, pour se maintenir à l'abri des germes”. Ces quelques faits pourraient faire mettre en doute l’existence des invertines animales, mais on peut leur objecter que les diastases sont retenues par les filtres ou que les cellules peuvent, durant la macération, ne pas laisser exsuder leurs ferments. On connait beaucoup de levures qui n'opèrent l’interversion qu’à l’intérieur de leur protoplasma et lais- sent ensuite diffuser les hexoses auxquels aboutit le dédoublement du saccharose. Il est cependant des auteurs* qui, après Claude Ber- nard, ont trouvé une propriété inversive réelle au suc intestinal pur du chien, du lapin, des oiseaux, des poissons, des insectes même. On doit donc accorder aux glandes digestives la faculté d'élaborer ce ferment spécial, mais on n’en est pas moins conduit, de par les faits, à supposer que l’invertine peut avoir, à côté, une autre origine. Parmi les agents formateurs de cette diastase, les micro-organismes tien- 1. Goldschmidt, Zeëlschr. f. phys. Chem., t. X, 1886, p. 273. 2. Bourquelot, Comptes rendus, 1883, t. Il, p. 1000. 3. Paschutin, Arch. de Reichert, 1871, p. 305. — Eichhorst, Pfläger's Arch., t. IV, p. 570. — Demant, Vérchow's Arch., t. LXXV, p. 419. — Brown et Héron. Licbig's Ann. t. CGIV, p. 228. — Vella, Moleschott's Untersu., t. XII, p. 40. — Lehmann, P/üuger's Arch., 1. XXXIIT, p. 180. — Ellenberger et Hofmeister, Jahresb. J. Thie. Chem., 1884, p. 308. — Grünert, Centralblat. f. Physiol., L. V, p. 28. —- Pregl, Pflüger's Arch., t. LXI, p. 359. 70 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. nent une place importante ; aussi nous paraît-il nécessaire de rap- peler ici rapidement l'existence et le fonctionnement des infiniment petits dans le tube digestif, où ils pullulent. Ces micro-organismes appartiennent aux catégories les plus va- riées : champignons, moisissures, levures et surtout microbes (bac- téries, etc.). Les uns proviennent des aliments, les autres de l’atmo- sphère d’où ils passent facilement dans la bouche. Une fois introduits et déglutis avec la salive, ils se développent plus ou moins dans le tube digestif. Une infinité de causes, on le pressent, causes qu'il serait superflu d'examiner dans ce travail, influent sur la germina- tion de ce monde microscopique. Il ne rentre pas davantage dans notre programme d’énumérer toutes les espèces de cette flore mi- crobienne qui du reste n’est encore que très imparfaitement déter- minée *. Ce qu'il nous faut seulement prendre ici en considération d’une manière générale, c’est la quantité très élevée de ces microbes, c’est leur répartition suivant les régions dans le tube digestif, c’est enfin et surtout leur influence possible sur les phénomènes de la di- gestion. Il est peu probable que l’action des bactéries sur les diffé- rentes substances alimentaires soit bien marquée dans l'estomac où les aliments ne séjournent que très peu. Mais, par contre, les mi- crobes ont tout le temps d’agir dans l'intestin ; ils semblent y trouver en tous cas les conditions les plus favorables à leur développement, puisque c’est là et particulièrement dans le jéjunum et l’iléon que leur nombre atteint son maximum. Y a-t-1l lieu d'établir un rapprochement entre les actes de la di- gestion et la présence abondante des bactéries dans le tube diges- tif? Deux théories sont en présence : la première esquissée, par Claude Bernard et depuis soutenue avec tant d’ardeur par Pasteur, Duclaux?, Vignal, Nencki, Kuhne et Nothnagel, trouve que les diastases de tous ces ie suffisent pour expliquer, sans avoir recours aux sécrétions physiologiques, la transformation du bol alimentaire. 1. Voir résumé sur les parasites du tube digestif et leurs propriétés, dans Charrin (Encyc. Léaulé), Poisons du lube digestif. 2. Duclaux, Comptes rendus, 1882, L. I, p. 736, 808, 877, 976, et Annales agro- nom., 1881. — Ferments el maladies, 1882. — Traëilé de microbiologie [première édition). GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 71 L'école adverse * admet également que les sécrétions dérivées de nos propres cellules et de celle des micro-organismes présentent de grandes analogies, que leur action est évidente, puisque l’on n’a pas encore trouvé de sécrétions glandulaires capables d’engendrer aux dépens des aliments quelques-uns des produits trouvés normalement dans l’intestin, mais par contre elle n’ose reconnaitre que l’interven- tion microbienne est indispensable à l’accomplissement des digestions. Pour trancher la question, il faudrait pouvoir comparer la nutri- tion d’un sujet dont l'intestin est normal, puis ensuite privé de mi- croorganismes. Il faudrait voir comment se comporte, sans microbes dans le tube digestif, le nouveau-né, par exemple, qui n’a pas de pa- rasites intestinaux (toutes les observations sont d'accord sur ce point). Bien des expériences ont été tentées, mais sont-elles toutes à l’abri des causes possibles d’erreur *, et n’a-t-on pas souvent conclu d’après des digestions supposées stériles, et qui cependant étaient faites en présence de bactéries ? Les résultats en tout cas sont contra- dictoires, et les interprétations que l’on en donne, souvent encore plus opposées. En ce qui concerne plus spécialement les sucrases de l'intestin, quels sont les faits mis en avant par les deux théories ? Suivant Du- claux, Landois, Hoppe-Seyler, Schottelius, il faut admettre qu’elles sont surtout sécrétées par les microbes. Ceux-ci pullulent dans le tube digestif et principalement dans l’intestin ; ce sont le plus sou- vent des ferments du sucre, mais comme cet aliment n’est pas direc- tement utilisable, pas plus pour eux que pour les cellules animales, il doit tout d’abord subir un dédoublement. Cela revient à dire que lon est en droit de considérer les microbes comme d’actifs produc- teurs d’invertne. Et, en eflet, si l’on vient à faire macérer une por- tion de l'intestin grêle d’un lapin, tué en pleine digestion, et si après filtration grossière de la liqueur sur coton, on l’additionne de sucre, celui-ci, au bout de douze heures à l’étuve à 38°, est entièrement in- 1. Voir M. Arthus, Éléments de physiologie, p. 210. — Levin, Ann. de l'Inst. Pasteur, 1899. 2. Sur les expériences de Nuttal et Thierfelder et de Schottelius, voir : Duclaux, Ann. de l’Inst. Pasteur, 1895, p. 896 ; 1896, p. 411; 1899, p. 77. — M" Met- chnikoff, Ann. de l’Inst. Pasteur, 1901, p. 631. 72 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. terverti, à moins qu'il n’ait été ajouté en trop grande quantité. La s0- lution est alors peuplée d'innombrables bactéries. Nous avons vu, au contraire, qu’en opérant asepliquement on peut souvent ne pas cons- tater d'action sur le sucre. L’interversion se fait encore plus vite si l’on introduit un liquide sucré dans une anse d’in‘estin, serrée entre deux ligatures chez l'animal vivant. La solution au bout de très peu d’instants réduit la liqueur cupro-potassique. «11 semble, dit M. Du- claux*, que ce soient seulement les microbes qui interviennent avec leurs diastases ou celles dont ils ont fini par imprégner la muqueuse et le contenu du canal digestif. » L'opinion peut être acceptée, mais elle ne doit pas être acceptée à l'exclusion de toute autre. L’invertine physiologique, c’est-à-dire sécrétée par les cellules animales, existe certainement. Miura° l’a trouvée dans lintestin grêle d’enfants mort-nés, où les microbes et les aliments n’avaient pas encore pé- nétré. La question de savoir si la sucrase intestinale est d’origine animale ou microbienne nous passionnerait davantage s’il était prouvé que ce ferment constitue le seul agent d’inversion dont disposent les êtres vivants supérieurs pour dédoubler le saccharose. Or, le sucre est très peu stable et, ainsi que l’a démontré Bourquelot*, son dédoublement peut s’accomplir sous l’action des divers acides que l’on rencontre dans l’économie, ceux-ci étant employés, en solution, dans des pro- portions physiologiques et à la température du corps. Addition- nons une solution à 1 p. 100 de saccharose de 0,20 p. 100 d’acide chlorhydrique ou d’acide lactique, acides dont la présence dans l’es- tomac est sinon constante du moins très fréquente, et maintenons-la à 38°, voici ce que l’on constate : avec l'acide chlorhydrique, 70 p. 100 du saccharose sont intervertis au bout de six heures, 90 au bout de douze heures. L’acide lactique dédouble 33 p. 100 du même sucre en trente-six heures. L’acide carbonique agit de même et, au bout de cinq jours, intervertit 3,20 p. 100 de sucre à la pres- sion ordinaire et toujours à la température du corps. « Il est donc 1. Duclaux, Trailé de microbiologie, t. II, 1899, p. 501. 2. Miura, Zeilsch. f. Biol., t. XXII, p. 266. 3. Bourquelot, Comples rendus, 1883, t. Il, p. 1002. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 75 difficile de soutenir, conclut M. Bourquelot, que le sucre de canne soit dédoublé seulement dans l'intestin grêle et de ne pas admettre que les acides de l’économie soient des facteurs importants de sa di- gestion. Il y a plus : si de petites quantités de sucre de canne passent dans les vaisseaux sanguins, on peut supposer que l’acide carbonique, dont la présence est constante dans le sang, suffit pour provoquer l’interversion ». On pourrait objecter à celte thèse que l'acidité du suc gastrique n’est pas entièrement due à l’acide chlorhydrique ou à l’acide lactique, et en outre, que chez quelques animaux, les herbi- vores par exemple, l'acidité totale des sécrétions de l'estomac n’est pas équivalente à 0,20 p. 100 d'acide chlorhydrique. Mais Béchamp, reprenant des expériences de Claude Bernard‘, avait déjà démontré bien avant les travaux de Bourquelot que le suc gastrique, même étendu de son volume d’eau, intervertit rapidement le sucre de canne. Celui-ci reste au contraire inaltéré lorsque l'acidité du sue gastrique est exactement neutralisée avec du carbonate de soude. Nous savons maintenant comment le saccharose s’intervertit du- rant la digestion. Que devient dans les mêmes conditions le lactose ? Inutile de nous attarder à l’étude du rôle nutritif de ce sucre. Elle peut être entièrement calquée sur celle qui précède. Le lactose ou sucre de lait, élément important de l'alimentation de l’enfant et de tous les jeunes mammifères, n’est pas utilisé en nature par l’orga- nisme. Injecté dans les veines en solution chaude, il repasse à peu près en totalité dans les urines. Quelles transformations subit donc ce sucre avant de pénétrer dans le sang ? Pour suivre l’évolution du lac- tose dans l’économie, M. Dastre?, des premiers, a recherché d’une ma- nière comparative l’action qu’exerçaient sur lui les différents liquides digestifs de l’adulte et du jeune. Le lactose résiste à la salive, au suc gastrique, aux sécrétions du foie et du pancréas. Le suc intestinal et encore seulement celui qui provient de l'intestin grêle d'animaux jeunes ou d’enfants nouveau-nés se montre assez actif. Il attaque le 1. Béchamp, Les mécrozymas, p. 314. — CI. Bernard, Lecons de physiol. expé- rimentale, t. Il, p. 314. — Ferré, Journ. de méd. de Bordeaux, 1890, t. XX, p. 326. 2. Dastre, Mémoire à l'Acad. des Sciences (Comptes rendus, 1883, t. I, p. 932). — Arch. d. Physiol., 1889, p. 718; 1890, p. 103. 14 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. lactose et le transforme nettement en un mélange de d. glucose et de d. galactose, capables tous les deux d’entretenir les échanges ma- tériels de la nutrition. Le ferment qui dédouble ainsi le lactose et que l’on dénomme lactase ne semble donc exister uniquement que dans le suc intestinal, et encore n’y est-il pas constant, puisque les macérations d’intestin provenant seulement des jeunes animaux peu- vent agir a vitro sur le sucre’. Certains auteurs ont imaginé que la transformation du lactose avait lieu lors de son passage à travers la muqueuse intestinale, Mais nous savons, et nous reviendrons du reste sur ce sujet, que le propre des diastases est de n’apparaitre que lorsque leur présence est nécessaire. Les expérimentateurs ont peut-être alors recherché la lactase là où elle n’existait pas et n'avait nul besoin d'exister. Il semble en outre, ainsi que Fischer * l’a démontré, que ce ferment n’est que très peu diffusible en dehors de la cellule. Le maltose est le dernier des bihexoses solubles dont le rôle phy- siologique mérite de fixer notre attention. Il n’existe pas tout formé dans la nature, mais nous le retrouverons tout à l'heure comme l’un des termes auxquels aboutit forcément l’évolution dans le tube di- geslif des amylacés et en général de toutes les matières sucrées de la famille des dextrines. Le maltose diffère du sucre de canne ou du sucre de lait, en ce que, après dédoublement, il ne donne unique- ment naissance qu'à du d. glucose. Il était donc rationnel de sup- poser que son utilisation, comme celle du saccharose ou du lactose, dont il est si voisin, nécessitait son dédoublement préalable sous l’ac- tion d’une diastase appropriée. Brown et Héron ? furent les premiers à constater que le maltose est transformé au contact du suc pancréa- atique et intestinal du porc. Leurs observations se trouvèrent confir- mées par de Méring ‘. Lorsque Bourquelot* reprit la question, 1l 1. Pautz et Vogel, Zeitsch. f. Biol., t. XXXIT, p. 304. — Portier, Bull. de la Soc. de Biol., 2 avril 1898, — Rôhmann et Lappe, Ber. d. Deuts. chem. Gesell., . XXVIII, p. 2506. 2. Fischer, Ber. d. Deuts. chem. Gesell, t. XXVII, 1894, p. 2481. 3. Brown et Héron, Ann. d. chim. et de pharmac., 1880, p. 228. 4. De Méring, Zeitschr. f. physiol. Chem., 1881. 5. Bourquelot, Comptes rendus, 1881, t. Il, p. 978; 1883, {. Il, p. 1000 et 1322. — Journ. Anal. et Physiol., 1886, p. 183. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 75 trouva cependant que le maltose n’était modifié par aucun des fer- ments digestifs pris à l’état pur, c’est-à-dire séparés par filtration des microorganismes. En présence au contraire des bactéries nor- males du tube digestif ou de l’atmosphère, le liquide de macération de la portion moyenne de l'intestin grêle d’un lapin tué en pleine di- gestion dédoublait en dix-huit heures 70 p. 100 du maltose mis en expérience. Si l’on écarte l'intervention des ferments d’origine mi- crobienne, il en résulte que ce bihexose, contrairement aux autres sucres similaires, doit pénétrer en nature dans le sang. Mais inter- vient-il alors quand même dans les échanges organiques ? Pour s’en rendre compte Dastre et Bourquelot* pratiquèrent sous la peau de divers animaux des injections de maltose et constatèrent que de 75 à 90 p.100 du sucre introduit était manifestement consommé dans l'organisme. Cela ne prouvait pas que le maltose était assimilé en nature. Les recherches de Dubourg”?, succédant à celles de Bé- champ”, tranchent la question. Elles démontrent l'existence dans le sang et dans l’urine des animaux d’un ferment, connu généralement sous le nom de mallase, capable en agissant sur le maltose de don- ner naissance à du glucose. Le maltose injecté serait donc lui aussi réellement dédoublé avant son utilisation. É Nous en avons fini avec les principaux hydrocarbonés solubles : abordons maintenant l’étude de la digestion des polysaccharides. L'homme et les animaux utilisent, en effet, très volontiers toutes ces matières sucrées que les végétaux savent mettre en réserve si abon- damment. À côté des amylacés et de l’inuline nous avons rangé dans cette vaste catégorie les principes qui, dans les substances végétales, forment souvent la majeure partie des corps non azotés : ce sont les celluloses saccharifiables, gommes ou mucilages, pentosanes, man- nanes ou galactanes, lévulosanes, etc. Ces dernières incrustent la cellulose, c’est-à-dire l’hydrate de carbone qui constitue à propre- ment parler la charpente des végétaux et qui, à un autre point de vue, est le seul principe capable de donner aux aliments le volume . Dastre et Bourquelot, Comptes rendus, 1884, t, I, p. 1604. . Dubourg, Ann. de l'Inst. Pasteur, 1889. . Béchamp, Comptes rendus, t. LIX, p. 496. CIO re 76 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. suffisant pour remplir l'estomac des animaux. Notre intention étant de n’emprunter à la physiologie de la digestion que ce qui peut inté- resser le sujet tout particulier d'alimentation que nous avons choisi, nous laisserons de côté le rôle propre à chacun de ces corps dans la nutrition animale. Il nous suffit de savoir qu’il faut séparer en pre- mier lieu de cet ensemble l’amidon et l’inuline par exemple dont la disparition dans l'organisme est complète et dont on ne retrouve le plus souvent pas trace dans les excreta. Les celluloses sacchari- fiables, pentosanes, mannanes et autres, méritent ensuite de fixer notre attention, car si, d’après Aimé Girard, l’homme ne les assimile qu'excessivement peu, il en est autrement des animaux. La cellulose enfin, elle aussi, est partiellement digérée dans leur appareil digestif; cela ne fait aucun doute aujourd’hui, depuis les belles recherches d’'Henneberg et Stohmann. Que deviennent amidons, inulines, celluloses saccharifiables et celluloses à la suite de leur mgestion ? Les changements doivent tout d’abord porter sur leurs propriétés physiques. L'insolubilité, le plus souvent complète, de ces principes, est en effet incompatible avec leur absorption et leur assimilation par les cellules animales. La né- cessité de les voir se modifier chimiquement n’est pas moins évi- dente, car, même après avoir admis que ces hydrates de carbone de- viennent solubles et dialysables, on ne peut concevoir qu’ils soient directement utilisés. Claude Bernard’ ayant injecté dans le sang de lapins des solutions de dextrines et d’amidon soluble de Béchamp constala que ces matières sucrées passaient dans l’urine. En fait, l’on ne retrouve jamais trace d’amidon dans le sang de la veine porte, même pendant l’absorption intestinale qui suit un repas riche en fécu- lents. L’inuline, qui à l’hydrolyse régénère du lévulose, ne peut, une fois introduite directement dans la circulation, bien que très soluble et facilement dialysable, subvenir aux besoins nutritifs. Dans ces conditions, elle passe toujours en nature dans l’urine. Des modifi- cations d’ordre physique et chimique sont nécessaires. Voyons rapi- dement par quels processus elles s’accomplissent. La digestion de l’amidon s’opère certainement in vivo grâce à 1. CI. Bernard, Leçons sur le Diabèle, p. 539. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 77 Pintervention d’une diastase analogue à celle du malt (orge germée) dont l’action sur la fécule est analogue à celle des acides chauds dilués. On a constaté la présence d’amylases [c’est ainsi que l’on baptise les ferments doués d’un pouvoir amylolytique, c’est-à-dire saccharifiant les amidons] dans la salive mixte, qui représente le mélange de diverses sécrétions (glandes parotidiennes, sublinguales et sous-ma- xillaires). Mais là, peut-être avec raison, a-t-on le droit de mettre en doute son existence. Dans la bouche, il y a, en effet, très probablement action simultanée des microbes, et de plus chacune des glandes sali- vaires lorsqu'elle agit seule ne se montre pas active‘. Le véritable siège de la sécrétion physiologique de l’amylase, et par suite des transformations de l’amidon, c’est le pancréas. Le suc pancréatique recueilli par fistule et filtré pour écarter toute ingérence des micro- bes* manifeste un pouvoir amylolytique énergique. Le résultat ne change que peu, lorsque l’on s'adresse au suc intestinal. Tous les tissus et les liquides de l’organisme, les muscles, le foie, le sang et la lymphe, ainsi que nous l'avons déjà signalé, l’urine même possè- dent, du reste, la même propriété. Inutile d’insister sur des faits con- nus de tout le monde et que l’on retrouve développés dans les traités de physiologie les plus élémentaires. Il existe, par conséquent, dans l’économie, un réactif, susceptible de disloquer progressive- ment l’amidon, et de le transformer en maltose, sur le sort duquel nous sommes déjà fixés. C’est ainsi que l’amidon atteindra peu à peu le terme glucose, sous l’influence des maltases qui doivent succéder aux amylases et peut-être aux dextrinases, si avec M. Duclaux * l’on juge nécessaire l’intervention d’un ferment spécial pour transformer les dextrines en maltose. A l’action des diastases solubles et purement physiologiques, comme lamylase du pancréas, viennent certainement s’en super- poser d’autres, encore peu connues, mais qui doivent agir dans le même sens sur les polysaccharides, bien que les sucs digestifs des animaux supérieurs les plus divers, pris à jeun ou en pleine diges- 1. Müller, Sem. méd., 1901, t. 141. 2, Bouchardat et Sandras, Comples rendus, 1845, p. 1885. 3. Duclaux, Trailé de microbiologie, t, I, 1899, p. 392. 78 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. tion, employés seuls ou en mélange, se montrent inactifs vis-à-vis de l'inuline, des gommes, des celluloses saccharifiables, et des cellu- loses. Ces hydrocarbonés ne sont pas directement assimilables et ce- pendant ils disparaissent en partie dans le tube digestif. Que devient par exemple l’inuline ? Biéri et Portier et en même temps Richaud*' ont vainement cherché dans le tube digestif des oi- seaux, du cobaye, du lapin, du chien, du porc, du bœuf, une dias lase spécifique à cet hydrate de carbone, une inulase, analogue à celle des tubercules de topinambour en germination*. Comme les sé- crétions digestives glandulaires, même sous l'influence d’un régime inulacé exclusif, ne produisaient pas d’inulase, ils se sont demandé si les acides de Péconomie étaient susceptibles de saccharifier l’anhy- dride du lévulose. Effectivement l'acide chlorhydrique, dans des con- ditions de dilution et de température aussi voisines que possible de celles qui se trouvent réalisées dans l'organisme animal, dédouble assez rapidement et presque complètement l’inuline. En conséquence, le suc gastrique serait, chez les animaux, l'agent physiologique | normal de la transformation de l’inuline. D’après les observations de Blondlot, Frerichs, Lehmann, Bauer et Voit*, les gommes, hydrates de carbone encore très peu connus au point de vue chimique, donneraient également naissance à des sucres réducteurs sous lin- fluence des acides dilués et du suc gastrique. L’on ne peut expliquer de la même façon la dissolution dans le tube digestif des celluloses qui sont plus difficilement hydrolvsables. Si l’on sacrifie un porc quelques heures après un repas d’orge, on retrouve dans son intestin la plus grande partie de l’enveloppe ex- terne et dure des grains ; mais, dans l’amande composée, avant l’in- gestion, de grandes cellules bourrées de grains d’amidon, on constate que les parois cellulaires ont généralement disparu et que celles qui subsistent sont à moitié rompues. Comment se détruisent ces parois cellulosiques? Brown se proposa de résoudre le pro- 1. Biéri et Portier, Bull. Soc. de biol., 5 mai 1900. — D Richaud, Thèse, Paris, 1900 (Carré et Naud). 2. Bourquelot, Journ. d. phar. et chim., 5° série, t. XXVIIL, p. o, 1593. 3. Bauer, Zeilsch. f. Biol., t. 10. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 79 blème ‘. Il rechercha dans le pancréas et lintestin du porc, du cheval, du bœuf, et de la brebis une sécrétion physiologique, ca- pable de dissoudre les celluloses. Il n’en trouva point. Après s'être rendu compte que l’action mécanique de la mastication et des mou- vements péristaltiques de l’estomac n’était pour rien dans le phéno- mène, et que les microbes n’intervenaient pas davantage, 1l s’a- perçut que la graine apportait avec elle une diastase susceptible de dissoudre la cellulose. Le seigle, et surtout l’avoine à l’état de repos germinatif, contiennent le ferment. Voilà donc un premier mode de digestion de la cellulose. Le réactif qui nous intéresse 1c1, la cylase”, pour lui laisser le nom que lui ont donné Brown et Morris, préexiste- rait dans certains grains, de sorte que son ingeslion par les animaux ne ferait que le mettre dans des conditions de milieu et de tempéra- ture assez favorables pour qu’il entre de suite en jeu. On peut attri- buer, dans le même ordre d’idées, une action similaire à la sémi- nase. Le ferment que l’on trouve dans les graines de légumineuses peut généralement solubiliser les anhydrides du galactose et du mannose et régénérer ces deux derniers sucres’. Ajoulons à cela que le caractère nutritif de l’action de ces cytases d’origine végétale n’est pas douteux puisque chez la jeune plante en germination, on voit souvent la formation de l’amidon succéder à la liquéfaction des parois cellulosiques. Mais, ainsi que le fait justement remarquer M. Duclaux*, il ne faudrait pas croire que ce processus de la digestion des matières su- crées les plus condensées et les moins solubles soit très général. Chez les herbivores qui savent le mieux utiliser les fourrages fibreux, le séjour très prolongé de leurs aliments dans le tube digestif les expose à des influences microbiennes non douteuses. Pour expliquer luti- lisation réelle des diverses formes de cellulose, on n’a alors trouvé rien de mieux, en l’absence de toute sécrétion physiologique capable d'agir, que d’invoquer, avec l’école Pasteurienne, l’intervention des microbes. 1. Brown, Journ. of the chem. Soc., avril 1892. 2. Duclaux, Trailé de microbiologie, t. IL, 1899, p. 26. 3. Bourquelot, Comptes rendus, 1899, p. 228 ; 1900, p. 340 et 731. 4. Duclaux, Ann. d. l'Inst. Pasteur, 1892, p. 283. 80 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Parmi les bactéries de l'intestin il en est une voisine, par sa forme, du vibrion butyrique, qui appartient au groupe complexe des amylobacter. On appelle ainsi ces microbes parce qu'ils jouissent de la propriété de se colorer en bleu par l’iode tout comme l’a- midon. Il faut certainement voir dans ce bacille un des agents digestifs de tous les hydrates de carbone insolubles, de conden- sation un peu accentuée. Cela ressort des beaux travaux de Van Tieghem (1877-1879) ainsi que des recherches de Tappeiner'. Si l'on vient à additionner une cellulose d’un peu du contenu de la panse de bœufs nourris au foin, autrement dit si l’on vient à ense- mencer un mélange normalement alimentaire pour ces animaux avec les microbes qui pullulent habituellement dans leur tube digestif, on constate qu'il se développe rapidement une fermentation active. La cellulose disparait en même temps qu'il se dégage des produits gazeux tels que l’acide carbonique, le formène (CH*) ou gaz des marais, et il reste dans les ballons d'expérience de grandes quan- tilés d’acide acétique et d’acide butyrique et un peu d’alcools et d’aldéhydes. Tappeiner ayant justement observé que les mêmes gaz et les mêmes acides se formaient normalement dans l’estomac et l’in- testin des bêtes bovines, l'intervention des microbes dans les phéno- mênes de la digestion des celluloses et leur mode d’action étaient ainsi démontrés. Une question se posait alors : l’animal utilise-t-1l ces produits résiduaires de la fermentation cellulosique ? Parmi les termes extrêmes auxquels aboutit la transformation de la cellulose, il en est comme l’acide carbonique et le formène qui sûrement n’ont aucune valeur. Une parie des acides de fermentation échappe en outre à l’absorption. On pourrait ainsi mettre en doute l’apport par les celluloses de principes véritablement nutritifs, bien qu’une partie des acides acétique et butyrique formés puisse cependant disparaitre et être utilisée dans l’économie. Mais Ellenberger et Hofmeister?, Holdefleisz ensuite, ont reconnu que toutes les matières cellulo- siques ne participaient pas à la fermentation forménique et qu'il fal- lait considérer non seulement les termes extrêmes, mais les échelons 1. Tappeiner, Annales de biologie, t. XX et XXI (1885). 2. Ellenberger, Vergleichende Physiologie, 1*° partie. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 81 intermédiaires de la transformation de ces corps. On constate alors que, dans le tube digestif, la plus grande partie des celluloses se transforme en un principe soluble, analogue à la substance æmyloide qui prend naissance lorsque l’on fait agir sur les mêmes celluloses les acides minéraux concentrés. Ces substances amyloïdes peuvent être comparées à l’amidon auquel elles ressemblent en ce qu’elles sont susceptibles comme lui de se colorer en bleu sous l’action de l’iode, et de régénérer un sucre après hydrolyse; elles constituent par cela même une transition évidente et tangible entre les amidons et les celluloses. Et il n’est pas douteux en effet que, parmi les sécré- tions des microbes du tube digestif, et à côté des cytases capables de dissoudre les celluloses, ne se trouve un autre ferment d’hydra- tation auquel incombe le rôle d’acheminer peu à peu les celluloses solubilisées vers le terme glucose. Ne trouve-t-on pas ce dernier hexose dans le jabot des oiseaux avant l'intervention des diastases physiologiques saccharifiantes ou amylolytiques ordinaires (Duclaux)? D'une façon générale, l’utilisation des celluloses, comme celle de tous les glucosides, comporte en résumé deux grandes phases prélimi- naires : la solubilisation, à moins qu’elle ne préexiste à l’ingestion, et la saccharification. Le sucre une fois formé, l'absorption s’en em- pare et le soustrait ainsi à l’action des microbes, de telle sorte que la fermentation n’a pas le temps d’être complète et d'aboutir unique- ment aux termes qui, comme l’acide carbonique et le gaz des marais, sont arrivés ou presque arrivés au maximum de simplification. Formation du glycogène aux dépens des hydrocarbonés. Nous arrêterons là cet aperçu général sur les principales phases de l’absorption digestive des hydrates de carbone, car nous avons en main les éléments nécessaires pour étudier simplement et rapide- ment toute formation possible de glycogène à leurs dépens. Au point de vue chimique, le nombre de ces hydrocarbonés était presque 1lli- mité. La biologie et la physiologie viennent de nous démontrer qu'il suffit de porter seulement notre attention sur quatre d’entre eux, le glucose, le lévulose, le galactose et le mannose. Telles sont, en effet, les formes presque exclusives sous lesquelles les diverses ANN. SCIENCE AGRON. — 2° SÉRIE. — 1902-1903. — 6 82 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. matières sucrées pénètrent généralement dans le sang, car nous venons de nommer là les termes inévitables et presque invariables, vers lesquels convergent tous les hydrocarbonés dans le mouvement que leur imprime l’organisme en vue de satisfaire aux nécessités de sa nutrition intime. Du reste, il n’existe pas d’autres sucres que la cellule vivante puisse utiliser sans transformations préalables, et cette cellule sait fort bien nous témoigner elle-même de sa pré- férence pour les hexoses directement assimilables qui, de par leur nature, sont des substances alimentaires pour ainsi dire déjà digé- rées et transformées. Les leucocytes du sang ne sont pas, on en a maintes preuves, de simples corps inertes et passifs transportés par le courant sanguin. Ils jouissent d’une sensibilité toute spéciale et la manifestent d’une façon différente suivant la composition chi- mique du milieu qui les baigne. C’est ce que l’on nomme le chimio- Laæisme. Certaines substances les attirent toujours, d’autres au con- traire les éloignent invariablement. Comment se comportent ces leucocytes vis-à-vis des différents sucres ? Albertoni l’a recherché. Si, en prenant des précautions spéciales (asepsie rigoureuse et absence de toute hémorragie), on vient à introduire sous la peau de quelques animaux des tubes capillaires de verre très fin contenant des solu- tions de différents sucres, on constate, vingt-quatre heures après, que les leucocytes ont été attirés par exemple par le glucose et ont abondamment pénétré dans les tubes qui en contenaient, tandis que le saccharose les à laissés presque complètement insensibles. Il semble difficile, après cela, de reconnaitre les mêmes propriétés nutritives et biologiques aux hexoses pouvant être utilisés sans transformations, et aux bihexoses, comme le saccharose, qui, pour être mis en œuvre, doivent être dédoublés. Voici, dans un autre ordre d'idées une nouvelle preuve de ce que l’organisme ne fait pas le même cas des différents sucres : nous avons vu que la teneur du sang en glucose diminue rapidement dès la sortie des vaisseaux et que le phénomène est dû à l’action des ferments. M. Portier : a re- cherché si ces derniers agissaient aussi bien sur tous les sucres que sur le glucose. Le galactose et le lévulose ont pu subir la glv- 1. Portier, Comples rendus, 1900. t. Il, p. 1217. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 83 colyse en présence du sang de chien ou de lapin et disparaître même complètement, alors que le saccharose, le lactose et les pentoses étaient intégralement retrouvés après une fermentation glycolytique de quarante-huit heures. Il était du reste à prévoir que les cellules vivantes et leurs diastases devaient manifester leurs préférences dans le même sens. Quel que soit donc l’hydrate de carbone ingéré, quelles que soient son origine, sa constitution chimique et sa structure moléculaire, v/ est loujours amené à fournir comme aliment véritablement physiolo- gique du glucose, du lévulose, du galactose ou du mannose. Les al- cools polyatomiques subissent pour cela une oxydation ménagée, tandis que les hydrocarbonés de condensation sont dédoublés ainsi que nous venons de le voir. Nous nous étions précédemment posé cette question : Se forme-t-il du glycogène aux dépens des hydrates de carbone alimentaires ? Nous y répondrons, puisque nous y sommes autorisés, après l'avoir ainsi transformée : Le glucose, le lévulose, le galactose et le mannose, déterminent-ils l’apparation du glycogène, lorsqu'ils sont offerts comme aliments à la cellule animale ? Voyons ce qui se passe dans le foie. On doit à Claude Bernard d’avoir signalé le premier que cet organe est beaucoup plus riche en glycogène lorsqu'il provient d'animaux nourris abondamment et presque exclusivement avec des féculents ou des matières sucrées. C’est même en constatant que les amylacés et le sucre donnent au foie la propriété de fournir une décoction aqueuse d’apparence louche, et fort différente de celle des solutions obtenues avec les foies d’ani- maux maintenus en inanition, que le grand physiologiste, nous l’avons dit, fut amené à découvrir l’existence du glycogène. Si ce corps se forme dans les cellules hépatiques aux dépens des sucres amenés par le sang de la veine porte, rationnellement on doit constater que la glande, quand on les lui offre, retient les sucres en partie et que ces derniers ne continuent pas à être emportés par le courant sanguin dans la veine sus-hépatique. Schôpfer et Forster? après Claude Bernard , ont nettement mis en évidence que le foie arrête les matières su- 1. Schôpfler, Thèse, Bonn. (872. — Forster, Zeilsch. f. Biol., t. Il. p. 515. 84 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. crées. On pratique très lentement dans la jugulaire, c’est-à-dire dans le système circulatoire général d’un animal à jeun, dont les tissus, par conséquent, et le foie principalement sont très pauvres en glyco- gène, l'injection d’une solution très étendue de sucre, de glucose. Cette substance est susceptible de par sa nature d’être utilisée dans les capillaires généraux. Mais nous savons que malgré cela si l’on prolonge l'injection, il est possible, après avoir introduit une cer- taine quantité de sucre, de provoquer de l’hyperglycémie et par con- séquent de la glycosurie. Chez le même animal à jeun, poussons au contraire l’injection par la veine porte ou par une branche quel- conque de l’une des veines mésentériques, qui, comme le système porte, conduisent directement au foie; pour exactement la même quantité de sucre injecté, les conditions de l’injection (concentration de la solution, vitesse d'injection) restant les mêmes, on ne provoque pas trace de glycosurie et par conséquent d’hyperglycémie. Ces faits que l’on peut renouveler en employant, au lieu de glucose, le lévu- lose, ou le mannose, ou le galactose, démontrent indiscutablement que la glande hépatique arrête les sucres au passage. Peut-on invo- quer que ces hexoses demeurent immobilisés en nature dans les cel- lules hépatiques ? Evidemment non, car, essentiellement solubles, ils seraient entraînés par le courant sanguin et retrouvés par consé- quent dans la circulation générale. Puisque la formation à leurs dépens d’une matière sucrée insoluble s’impose, Pon ne saurait sup- poser alors que cette matière néoformée est autre que le glycogène. L'économie animale à l’état physiologique, nous le savons, ne donne jamais d’autres formes à sa matière sucrée de réserve. En faisant circuler artificiellement dans un foie isolé et, suivant la technique de Luchsinger, une solution de sucre, de glucose par exemple, on assiste du reste pour ainsi dire à l'élaboration du glycogène aux dé- pens de l’hexose introduit. On enlève un fragment au foie d’un chien soumis à l’inanition depuis quinze jours environ et, cela, pour y doser le glycogène subsistant malgré le jeûne ; puis on fait passer dans l'organe, une heure durant, un courant de sang défibriné addi- tionné de 1,5 p. 100 de glucose. La circulation artificielle interrom- pue, on dose de nouveau le glycogène. La proportion atteint alors 1,3 p. 100 de l'organe, tandis qu’au début il y en avait au maximum re GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE, 89 0,6 p.100. L'expérience est concluante : le foie peut arréler les sucres el les transformer certainement en glycogène. Cette néo-for- mation de glycogène se produit toutes les fois que les quatre hexoses directement assimilables traversent le foie et arrivent au contact des cellules de la glande, et cela que leur introduction dans l’économie soit pratiquée artificiellement par injection directe dans la veine porte ou les veines mésentériques, ou bien qu’elle se fasse naturel- lement à la suite de l’absorption digestive. Külz' a constaté qu’il se dépose de notables quantités de glycogène dans le foie de lapins à jeun depuis six jours et alimentés ensuite avec du glucose ou du lévulose. D’après Crémer et Meyer’, le d. mannose, ainsi du reste que tous les mannoses isomères, y compris ceux qui ne sont pas fermentescibles, provoquerait la même formation. F. Voït”, par contre, a trouvé que le galactose est peut-être moins actif, mais ses expériences ont été contredites par Weinland. Après l’étude suffisamment détaillée que nous avons faite des divers changements subis dans le tube digestif par les bihexoses et les autres anhydrides des sucres réducteurs, analogues par leurs formes très condensées à linuline et à lamidon, il devient presque inutile de se demander si l’ingestion de saccharose, de lactose, de raffinose, de maltose, de dextrines et de féculents, etc.…., provoque la formation de glycogène hépatique. Les recherches suivies de G. Voit‘ sur ce sujet ont tou- jours répondu par laffirmative. Pour suivre le processus de la for- mation du glycogène aux dépens des hydrates de carbone, tout en se maintenant dans les conditions ordinaires de l’alimentation, ce dernier auteur renouvela ses expériences de la façon suivante. Après avoir fait jeûner un lot d’oies, suffisamment pour débarrassser à peu près complètement leur organisme de tout son glycogène, ce dont il était facile de s’assurer, il donna comme nourriture à ces animaux de 1. Külz, Zeilsch. f. Biol., €. XXII, p. 191. — Pfluger's Arch., t. XXIV, 1881, ptreti19; 2. Cremer, Zeitsch. f. Biol., t. XXIX, p. 484. — Meyer, 20° congrès méd. in- terne, Wiesbaden, 1902. À 3. F. Voït, Zeëlsch. f. Biol., t. XXNIII, p. 353, et t. XXIX, p. 146. 4. CG. Voit, Ber. d. Deuls: chem, Gesell, t, XXN, p. 914, — Zeitsch. f. Biol., t. XXV, 1888, p. 543-552. — Zeilsch. f. Biol., t. XXIX, p. 484. 86 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE, la pâtée de riz, aliment très riche en amidon et pauvre en matières azotées et en graisses. L’ingestion de ces derniers principes pouvait- elle influencer les résultats? I] n’y avait pas lieu de se préoccuper des corps gras ; ils ne peuvent que très peu augmenter le glycogène hépatique, mais il fallait, nous le savons, tenir compte des protéi- ques utilisés par les animaux durant l’expérience. La chose était relativement facile. Il suffisait de doser l’azote sous ses différentes formes dans l’aliment et ensuite, après digestion, dans les excreta. Voit se rendit compte que 32 grammes environ d’albuminoïdes avaient disparu en cinq jours dans le tube digestif. Il sacrifia donc les oïes au bout de ce temps et rechercha le glycogène dans leurs divers tissus. L'analyse trouva en moyenne par tête 44 grammes de glycogène de formation nouvelle, lesquels rationnellement ne pou- vaient provenir de la décomposition des protéiques. Çe chiffre de 44 grammes était en effet de beaucoup supérieur à la quantité ma- xima de glycogène pouvant provenir d’après les calculs théoriques de la matière azotée. L'expérience autorisait toujours à conclure que le glycogène total et par conséquent le glycogène hépatique, qui d’après l’analyse atteignait presque la moitié du glycogène tolal, avait indu- bitablement une origine hydrocarbonée. L’expérimentation nous donne des résultats moins nets en ce qui concerne la production du glycogène aux dépens des alcools polyato- miques, des diverses celluloses de la nature des pentosanes, et des acides organiques dérivés par oxydation de ces alcools et des su- cres. Külz' a pu observer une légère augmentation de glycogène dans le foie d'animaux ayant ingéré de l’érythrite, de la mannite, de l’inosite, de la quercite, de la dulcite, des acides dextronique, glycu- ronique, saccharique, mucique. A cette liste de substances actives, Külz joint encore les tartrates, les lactates, ce qui est en opposition du reste avec les expériences de Luchsinger. Les gommes, telles que la gomme arabique, produit de la condensation de l’arabinose et du galactose, restent sans influence *. Les pentosanes qui sont par rapport à l’arabinose et au xylose, sucres à cinq atomes de car- 1. Külz, Festschrifl,. Marbourg, p. 27-33-35. ?, Salomon, Arch. f. pathol. Anat., t. LXI, p. 184. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 87 bone, ce qu'est l’amidon par rapport au glucose ou Pinuline par rapport à un autre hexose, le lévulose, devraient durant la digestion se transformer avec fixation d’eau en pentoses. Mais, en admettant que la digestion les dédouble ainsi, nous savons d’après Crémer” que ces derniers sucres en (° ne produisent chez les poules et le lapin qu’un fable dépôt de glycogène, et encore le résultat est-1l contesté par Frentzel”. Cet auteur, après mgestion de xylose n’est pas arrivé, sur le chien, à provoquer la formation de glycogène hépatique. N’avons-nous pas dit que l’arabinose et le xylose passent en partie inaltérés dans les urines, et qu’on les y retrouve également après l'absorption d'aliments riches en pentosanes ? Devant ces faits, il est permis de penser que les celluloses peu condensées, analogues à ces pentosanes, ont infiniment moins de valeur que les sucres et l’'amidon, en tant que sources de glycogène. Toutefois ce n’est pas une raison pour refuser toute valeur aux hydrocarbonés facilement saccharifiables, pas plus du reste qu'aux celluloses vraies, bien que ces dernières ne se laissent dissoudre in vitro que par les acides con- centrés. En résumé, parmi les diverses matières sucrées ou voisines des sucres, énumérées précédemment, les hexoses, les bi-hexoses et les amidons se rangent certainement en première ligne comme capables d'intervenir efficacement lors de la production du glycogène hépa- lique. Les autres glucosides analogues aux celluloses, les acides et les alcools d’où dérivent les acides, semblent beaucoup moins inté- ressants. Parmi ces alcools, il en est un cependant, la glycérine, qui agit aussi nettement que les sucres, pour provoquer l’augmenta- tion du glycogène dans les cellules hépatiques. Les expériences de Weiss ®, de Luchsinger et de Salomon‘ à ce sujet sont très démons- tralives. 1. Cremer. Habililationsschrift, Munich, 1893, p. 62. — Münchener Gesell. f. Morphol. u. Physiol., 1893, n° 1. 2. Frentzel, Chemiker Zeitung, 1894, p. 105. 3. Weiss, Wiener, Akad, Zitzungsber., t. LXNIT, 1873. 4. Luchsinger, PHüger's Arch., 1878. — Salomon, Centralblat. f. d. med, Wis- sens., 1874. p. 47. 88 : ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Formation du glycogène après l’ingestion de saccharose. Nous venons d'étudier successivement la production du glycogène hépatique aux dépens des divers principes de notre classification chimique des hydrates de carbone ; il ne nous reste plus, pour être complet, qu’à suivre dans le foie la marche de cette formation des réserves sucrées. Les expériences de Praustnitz’, que nous allons ré- sumer, vont nous fournir, à ce point de vue, une étude plus appro- fondie de l'influence du régime hydrocarboné exclusif sur l’élabora- tion du glycogène non seulement dans le foie, mais dans l'organisme entier. Tout en terminant ce qui a trait à l’origine du glycogène hé- patique nous commencerons ainsi en même temps l’étude du gly- cogène musculaire. Prausnitz soumet un certain nombre de poules à un Jeûne de quatre jours, afin d'obtenir la destruction à peu près complète de leur glyvcogène. L'analyse faite sur les divers tissus de quelques-uns des sujets d'expérience lui permettait du reste de déter- miner rigoureusement les réserves sucrées, contenues dans le foie, dans les muscles, dans les organes différents du foie, dans les os enfin. Le lot de poules reçut une quantité à peu près constante de saccharose, de 25 à 24 grammes environ, puis on les sacrifia plus ou moins longtemps après ce repas. L'analyse permit de suivre la quantité de sucre réellement absorbé et de se rendre compte du glycogène nouvellement formé, sous l'influence de cet aliment, dans le foie, dans les muscles ainsi que dans toutes les autres parties du corps. Pour rendre plus facile la lecture des chiffres de Prausnitz, nous avons résumé et figuré au moyen du graphique suivant (fig. 10) les résultats généraux auxquels il est arrivé. Sur la ligne des abscisses est porté l'intervalle, exprimé en heures, qui sépare la mort de l'animal du moment où ce der- nier à terminé l’ingestion de sa ration de sucre. Les quantités de glycogène, trouvées à l’analyse et exprimées en grammes, figu- rent en ordonnées. L'auteur a pris le soin de doser séparément le glycogène du foie, des muscles, des os et des autres organes, 1. Prausnitz, Zeëlschr. f. Biol., t. XXNI, 1890, p. 377 et 413. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 89 mais pour plus de clarté nous avons simplement opposé le glyco- gène total du foie, figuré par la courbe à gros trait, au glycogène to- tal du reste de l’économie, figuré par le trait pointillé. La figure ne fournit aucune indication sur les quantités de sucre réellement ré- sorbées, car il nous sera donné de revenir en détail sur l'absorption du saccharose dans le tube digestif. Quelles sont les conclusions qui découlent de la lecture de ce graphique ? On voit que la matière sucrée en pénétrant dans l’économie détermine presque immédiate- ment une notable augmentation du glycogène hépatique. Cette aug- mentation se maintient progressive et régulière durant les 19-16 premières heures qui suivent l’ingestion du sucre. Elle atteint son Heures # 8 /2 16 20 24 28 32 36 40 44 48 52 Intervalle du dernier repas e /8 mort. Fig. 10. maximum vers la vingtième heure; mais, au bout de vingt-quatre heures, 11 y à diminution tellement rapide du glycogène hépatique, qu'à la trente-sixième heure il n’en reste presque plus que des traces. Quant au glycogène du reste de l’économie, celui qui, nous le savons, est en majeure partie localisé dans les fibres musculaires, l’action de l’aliment sucré ne se fait pas de suite sentir sur lui. Il n’augmente que lorsque le glycogène hépatique a déjà atteint un taux assez élevé, c’est-à-dire six ou huit heures après le repas, Mais cette augmentation, au lieu d’être lente comme pour le glycogène hépatique, se produit au contraire très rapidement, si bien qu'entre la huitième et la vingt et unième heure,il y a beaucoup moins de glycogène dans le foie que dans le reste du corps (muscles, os et 90 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. autres organes ou tissus). C’est seulement 16-20 heures après l’in- gestion du sucre que le maximum du glycogène musculaire est atteint. À partir de ce moment, on observe une brusque diminution de l'accroissement. Celui-ci cesse entre la vingt-quatrième et la trente-sixième heure. Enfin au bout de quarante-huit heures, le glyco- gène disséminé ailleurs que dans le foie revient à son taux de départ. Il serait peut-être imprudent de généraliser ces conclusions sans aucune réserve, et de considérer le graphique qui les traduit comme l’image absolue et immuable de la formation du glycogène dans l’économie. Nous ne devons pas oublier en effet que ce glvcogène est sous la dépendance de deux fonctions contraires. Comment les poules de Prausnitz avaient-elles établi leur budget de matières su- crées, et l’animal règle-t-1l toujours ainsi son bilan ? On peut se le demander. La marche générale du phénomène n’est cependant pas sans enseignement. L'expérience de Prausnitz nous démontre nette- ment que l’augmentation du glycogène n’est pas parallèle dans le foie et dans les muscles, c’est-à-dire dans les deux principaux tissus où la réserve sucrée s’accumule de préférence. La cellule hépatique qui est la première à recevoir les produits de la digestion manifeste son activité bien avant les autres, mais cela ne veut pas dire qu’elle soit plus apte que la fibre musculaire à élaborer son glycogène aux dépens des hydrocarbonés. Formation du glycogène musculaire aux dépens du sucre du sang. Si l’on veut bien songer en effet que tous les tissus du corps sont en contact perpétuel avec le glucose du sang, on est en droit de se de- mander le rôle que joue ce dernier sucre, en tant que source du gly- cogène musculaire par exemple. Cherchons à provoquer directement dans le muscle cette transformation du glucose en glycogène. Laves' conduit son expérience de la façon suivante : il prend 3 lots de gre- nouilles, de même poids à très peu de chose près, et les laisse Jeûner une semaine. Sur les membres inférieurs des grenouilles du premier 1. Laves. Arch. f. exper. Fathol. u. Phar., t. XXII, 1887, p. 139 et 142. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 91 lot, on dose le glycogène. Aux animaux des groupes n°2 et n° 3 ou en- lève le foie, pour être sûr que dans le cas de néoformation de glyco- gène musculaire, la glande hépatique n’intervienne en rien. Ces deux groupes sans foie sont enfin maintenus à jeun durant quatre jours, mais les animaux du lot n° 3 reçoivent 05,5 de glucose, en injection sous-cutanée dorsale. À l’analyse on trouve dans les membres in- férieurs des trois séries les quantités suivantes de glycogène : Groupe n° 1 (témoin) . 1,29 p. 100 GYOUDENN PE NT ES 1,27 — Groupe n° 3 fe éetiqù se Aneose 1,60 — Il s’est donc sans l’intervention de la glande hépatique formé du gly- cogène musculaire aux dépens du glucose injecté. Les expériences de Külz ‘ confirment entièrement celles de Laves. Gomme les muscles symétriques, soumis naturellement aux mêmes conditions de travail, contiennent des quantités très voisines de glycogène, Külz irrigue artificiellement l’une des cuisses d’un chien avec un courant de sang défibriné, et l’autre avec le même sang additionné de glucose. L’ana- lyse du glycogène des deux membres dénote toujours une différence sensible, en faveur des tissus qui reçoivent le sang sucré. Tous les faits concordent pour établir que les tissus musculaires reconstituent leur réserve de matière sucrée aux seuls dépens du sucre du sang. Si ce dernier liquide cesse d'apporter aux cellules les éléments nu- tritifs qui leur sont nécessaires, l’on constate de suite une diminution du glycogène. Chandelon * a dosé ce corps dans des muscles symé- triques, dont les uns étaient irrigués naturellement et dont les autres avaient été détournés, par ligature des artères, de la circulation géné- rale. Il trouva, pour le lapin, comme moyenne de sept expériences : GLYCOGÈNE. Dans les muscles irrigués. . . . . . 0,069 p. 100 Dans les muscles non irrigués . . . . (LA Pres On obtient le même résultat lorsque l’on supprime dans le foie 1. Külz, Pfüger's Arch., t. XXIV, 1880, p. 64. — Zeilsch. f. Biol., t. XXNIT, 1890, p. 237, 2. Chandelon, Arch. f. Physiol., t. XIIT, 1876, p. 626. 92 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. l'irrigation sanguine. La ligature des vaisseaux qui intéressent les organes abdominaux et donnent naissance au système porte amène de même une notable diminution de la réserve sucrée hépatique *. Donnons enfin une dernière preuve que le glycogène prend nais- sance dans le muscle aux dépens du sucre sanguin : nous sa- vons que le muscle perd son glycogène à la suite du travail, mais qu'il sait le reconstituer durant le repos. Or, nous verrons, dans le chapitre suivant, que le sang abandonne son glucose aux tissus, sur- tout au moment où ces derniers travaillent à refaire le glycogène disparu, c’est-à-dire lors du repos qui succède au travail. Formation dans l'organisme du glycogène aux dépens du glucose. Réversibilité « in vivo ». Nous venons d'examiner successivement la transformation des di- verses catégories d'aliments en glycogène et l’accumulation de ce dernier principe dans la cellule animale. Essayons de pénétrer un peu le mécanisme qui, dans l’économie vivante, conduit à l’élabora- tion et à l’immobilisation de cette réserve sucrée. Il semble.rationnel et conforme aux principes de la chimie ét de la biologie de sup- poser qu’il doit tout d’abord y avoir, la chose est nécessaire, trans- mutation de l'aliment en glucose, puis ensuite condensation de sucre sous forme de glycogène. Soit deux temps principaux. Du premier temps, nous n’avons encore dit que fort peu de chose, nous étant presque bornés jusqu’à présent à n’enregistrer, sans commentaires, que les augmentations certaines de glycogène, consécutives à l’ingestion de tel ou tel groupe d’aliments. Mais est-il rationnel de voir les protéiques ou les graisses, par exemple, devenir des sucres? Connaît-on la théorie de toutes ces transformations ? Autant de demandes auxquelles nous répondrons dans la mesure du possible, lorsque nous passerons en revue les diverses sources du vlucose physiologique. En ce qui concerne le deuxième temps, c’est- à-dire l’évolution vers le terme glycogène des quelques formes de la matière sucrée, sous lesquelles l'aliment hydrocarboné pénètre 1. Slosse, Du Bois Raymond's Arch.. 1890, supplément, p. 162. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 93 presque exclusivement dans le sang, les théories chimiques nous en- seignent que pour passer d’un hexose quelconque, glucose, lévulose, galactose ou mannose, aux glucosides, comme la matière glycogène, il y a là acte de synthèse, doublé forcément de phénomènes de déshy- dratation. Et comme nous sommes tout à fait fondés à voir dans les ferments les moyens et réactifs si perfectionnés dont dispose la cellule vivante pour l’accomplissement de ses fonctions et de sa tâche, une question inévitable se pose de suite : Quelle est la diastase du foie ou des muscles susceptible de présider à cette synthèse et à ces déshydratations ? Cette question, Claude Bernard, Dastre ensuite, se la sont successivement posée, ainsi du reste que bien d’autres, car l'importance du problème était de nature à attirer les recherches. Mais là où l’on croyait pouvoir trouver un ferment, l’on n’a rien dé- couvert qui puisse réaliser artificiellement in vitro les synthèses opérées par la cellule hépatique et les fibres musculaires. Ge que nous savons des diastases nous conduit alors à l’une des deux hypothèses suivantes : le protoplasma vivant est si intimement uni à ces ferments de synthèse, que la technique moderne ne sait pas les extraire, ou bien, parmi les ferments solubles que nous savons isoler, parce que la cellule les laisse exsuder naturellement, il y en à dont nous ne connaissons pas encore toutes les propriétés, et dont le mode d’action est sujet à varier suivant les conditions. Peut- être le même ferment est-il capable par exemple de produire des phénomènes d’hydratation et des phénomènes de déshydratation. Les belles recherches de Croft Hill’ sur la réversibilité des dias- tases fournissent de solides arguments en faveur de cette dernière hypothèse. L'auteur en faisant agir la maltase sur le maltose, pro- duit de la condensation de deux molécules de glucose avec perte de une molécule d’eau, s’est rendu compte que le dédoublement du maltose en deux molécules de glucose tune molécule d’eau, s’arrè- tait lorsque la proportion du glucose régénéré atteignait une cer- taine limite. Si la maltase vient à agir sur une solution dont la ri- chesse en glucose dépasse cette limite, une partie de ce dernier sucre repasse à l’état de maltose. Voilà ce que l’on nomme Îa réver- 1. Croft Hill, Journal of the chem. Soc., août 1898, p. 654. 94. ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. sibilité. Cette action réversible semble être une propriété commune à beaucoup de ferments. On l’observe avec la mallase. On arrête aussi bien le dédoublement du sucre de canne sous l’action de l’inver- tine, par l'addition d’un certain mélange de glucose et de saccha- rose. Hanriot vient d’obtenir le même phénomène avec la lipase, le ferment saponifiant des corps gras et agissant sur eux comme les acides ou les alcalis’'. Puisque les liquides cellulaires remplissent sou- vent des conditions susceptibles de provoquer la réversibilité des fer- ments, il se pourrait alors que ce soit l’invertine qui préside à l’édifi- cation de la molécule de saccharose, que ce soit la lactase qui forme le lactose, la maltase, le maltose et par conséquent l’amidon et le glvcogène. Si l’on remarque en outre que cette réversibilité peut presque se prolonger indéfiniment dans la cellule, il est possible de s'expliquer ainsi la production d’aussi grandes quantités de glycogène que celles qui se trouvent accumulées dans les tissus animaux. Serait-ce là le secret de la formalion du saccharose dans la bette- rave, de l’amidon dans les grains et les tubercules, enfin, ce qui nous intéresse davantage, du glycogène dans le foie et les muscles ? Le docteur Brocard? à cru utile de s’en préoccuper. I à, suivant ses propres termes, € recherché si les phénomènes biologiques sont comparables, à cet égard, aux expériences de laboratoire, et si, après avoir fait ingérer les mélanges (glucose + galactose), (glucose + lévulose) (glucose + glucose), l’on peut retrouver trace dans l’économie de la reconstitution du lactose, du saccharose, et du mal- tose ». Voici le résumé des essais de réversibilité in vivo auxquels il s’est livré. Il a fait ingérer à une femme enceinte, arrivée au terme de sa grossesse, 79 grammes de glucose et autant de galactose. Il a pu déceler dans son urine par l’analyse chimique et la méthode optique, la présence d’une petite quantité de lactose. Dastre était arrivé au même résultat chez le lapin à la suite de l’injection intra- veineuse d’un mélange de glucose et de galactose. Mais, ainsi qu'on peut le faire remarquer justement, ces observations ne permettent pas d'affirmer avec la rigueur scientifique nécessaire qu'il y a èn 1. Hanriot, C. R., Soc. Biol., 1901, p. 70. 2. Brocard, Loc. cél., p. S5. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 99 vivo réversibilité de l’action diastasique due à la lactase. Le sujet d'expérience auquel s'était adressé M. Brocard était en effet une femme en état de grossesse. Or nous savons que dans ce cas l’orga- nisme est prédisposé à une hyperglycémie et à une glycosurie spé- ciales, et que la présence du lactose est presque normale dans l’urine des femelles pleines, au moment du part. Après ingestion d’une solu- tion de glucose ou de glucose et de lévulose à parties égales, à 40 ou 90 p. 100, les résultats furent négatifs. La coïncidence entre le pou- voir réducteur et le pouvoir rotatoire des urines était suffisante pour permettre de conclure à l'absence de maltose ou de saccharose, de formation nouvelle. Mais, dans ces conditions, la réversibilité des ac- tions diastasiques pouvait-elle se réaliser? Le raisonnement démon- tra que non. L’irruption même soudaine dans le sang de solutions de glucose aussi peu concentrées que celles que l’on donnait, 40 p. 100, ne pouvait pas provoquer la concentration saccharine, suffi- sante pour permettre à la maltase d'agir ?2n vitro et par conséquent in vivo comme diastase déshydrolvsante. En recommençant les es- sais avec des solutions très concentrées, Brocard se plaça dans des conditions plus favorables au phénomène. Il fit prendre à ses sujets d'expérience des solutions contenant de 100 à 123 grammes de glu- cose pour 100 centimètres cubes d’eau distillée, et l’observation des urines le conduisit à formuler nettement la conclusion suivante : « L’ingestion de doses élevées de glucose et en solutions très concen- trées, est suivie de l’apparition de maltose et permet de rendre évi- dente, chez certains sujets, la réversibilité in vivo de l’action diasta- sique due à la maltase. » Utilisation par l'organisme des sucres directement assimilables. Les faits, on le voit, viennent appuyer l'hypothèse et l’on conçoit combien la découverte de Croft Hill est de nature à nous éclairer sur le mécanisme des actions déshydratantes et des synthèses dont la cel- lule vivante est le siège. Il faut donc espérer que la chimie et la physiologie ont encore beaucoup à apprendre de l’étude à peine ébauchée de cette réversibilité in vivo des différentes diastases phy- 96 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. siologiques. Mais cela ne veut pas dire que nous devions demander à ce processus de réversion lexplication de toutes les obscurités que soulève la production du glycogène aux dépens des divers hexoses assimilables. Que la maltase conduise le glucose au terme maltose et que la dextrinase, lui succédant, vienne agir pour acheminer ce mal- tose vers le glycogène, il n’y a là rien de contraire à.la théorie de la réversibilité. Nous n’assistons, somme toute, qu’à la condensation de plus en plus accentuée d’un même sucre, le glucose. Mais lorsque l'animal absorbe directement soit du lévulose, soit du galactose, soit du mannose, ou, ce qui revient au même, des alcools comme la man- nite et la dulcite ou des bihexoses comme le saccharose et le lactose, les cellules ne peuvent opérer la mise en réserve de leur matière sucrée «par simple conversion directe », suivant l'expression de Claude Bernard’. Il se passe autre chose que la condensation et la déshydratation partielle de la molécule de ces sucres, sinon le glyco- oène changerait de nature suivant l’hexose générateur, or tout ce que nous savons, à ce sujet, nous autorise à affirmer que les matières sucrées les plus variées ne forment jamais qu’un glycogène unique, doué de propriétés chimiques et physiques presque invariables et ne révélant par aucun indice, évident du moins, la source ternaire d’où il dérive, Forts de cet argument que la constitution de la réserve hydrocarbonée des cellules ne se ressent jamais de la qualité de ’ali- ment sucré qui pénètre dans l’économie, les partisans de la théorie de l’épargne se sont crus autorisés à ne plus considérer le lévulose, le galactose et le mannose comme des sources possibles de glyco- oène. Suivant eux, ces substances ne feraient que préserver de la des- truction le glycogène issu d’une autre origine el élaboré uniquement aux dépens du glucose. Ce dernier sucre peut, nous le savons, être fourni en nature par le dédoublement des bihexoses ou des fécu- lents, ainsi que par la transformation des protéiques. Comme les amy- lacés, les sucres et les matières azotées font, les uns ou les autres, toujours partie de la ration alimentaire des animaux, y avait-il donc lieu de rechercher ailleurs l’origine du glycogène, presque toujours présent dans l'organisme. La thèse, pour être admissible, demandait 1. Cl. Bernard, Leçons sur le Diabète, p. 321. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 97 tout d’abord la démonstration de ce fait que l'organisme, agissant en cela comme les levures, était susceptible de montrer une préférence marquée pour les hexoses directement assimilables autres que le glucose. Il fallait prouver que si la cellule disposait de lévu- lose et de galactose, par exemple, en même temps que de glu- cose, elle utilisait d’abord pour satisfaire ses besoins les deux pre- miers sucres, le glucose ainsi épargné servant à élaborer du gly- cogène. On devait pouvoir s’en assurer facilement, en recherchant si, après l'introduction dans l’économie d’un mélange de différents sucres, l’un d’eux ne disparaissait pas plus vite que les autres. Le point établi, il devenait rationnel d’en déduire que les hexoses uti- lisés les premiers répondaient avant les autres aux besoins de la nu- trilion hydrocarbonée des cellules. On doit au D Brocard, dont le nom, on le voit, reparait si souvent et à Juste raison dans ce travail, les recherches les plus récentes et les mieux raisonnées sur Putili- sation et l’élymination des hexoses par l’économie. Voici comment l’auteur a cru devoir arrêter sa méthode. Nous avons déjà signalé que chez les organismes à nutrition ralentie, la richesse des tissus et des humeurs en sucre, augmente d’une façon sensible, Une consé- quence naturelle de cette saturation de l’économie, c’est que si l’on vient à y augmenter artificiellement cet excès déjà notable de ma- tières sucrées, celles-ci, ne pouvant plus être retenues, sortent for- cément de l’économie par les émonctoires. Leur élimination par les voies naturelles se fait alors dans des proportions telles qu’il devient relativement plus facile de les enregistrer, et de les comparer entre elles. En s'adressant au contraire à des organismes normaux et à nu- trition très active, on ne pouvait compter que sur une élimination beaucoup moins considérable des sucres introduits artificiellement en excès. Voilà pourquoi M. Brocard expérimenta sur des femmes enceintes. C’est sur elles qu’il chercha à se rendre compte de l’ordre dans lequel organisme utilisait les différents hexoses. Mais fallait-1l pour cela, faire ingérer successivement au même sujet tous les sucres à comparer? Non, car lexpérience démontrait qu'après quelques jours d'intervalle, l'élimination d’un même sucre n’était pas cons- tante chez le même individu, le régime alimentaire, entre paren- thèses, constituant un des facteurs les plus importants des variations ANN. SCIENCE AGROX. — 2° SERIE, — 1902-1903. — 11. f 98 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. observées. C’était bien là une preuve évidente qu’un organisme, pris à des jours différents et cependant dans les mêmes conditions appa- rentes, utilisait différemment le même sucre. Pour écarter toute in- tervention de ces variations de l’état physiologique, l’auteur songea à recourir à la méthode des ingestions simultanées. L'expérience consistait à administrer à une économie déterminée el par voie di- geslive, pour se rapprocher autant que possible de l'alimentation normale, un mélange de deux sucres à comparer. Ces sucres, en augmentant l’hyperglycémie préexistante, provoquaient de la glyco- surie. J1 fallait alors suivre par l’analyse chimique et les procédés optiques les proportions respectives de chacun des sucres éliminés par les urines. L’hexose que lurine rejetait en plus petite quantité était, inutile de l'expliquer tellement la chose est évidente, celui qui avait le meilleur coefficient d'utilisation. Par cette méthode, M. Bro- card, dans une première série d'expériences, a pu comparer le glu- cose au galactose, au point de vue de leur utilisation au même mo- ment, par le même organisme, et cela, tout en tenant compte, puisque l'introduction des sucres dans l’économie était simultanée, de l’in- fluence possible de l’un d’eux sur la consommation de l’autre. Les essais ont été ensuite renouvelés avec un mélange de galactose et de lévulose. Nous allons résumer graphiquement les résultats obtenus, ce qui nous dispensera de transcrire ici tous les chiffres du mémoire original. Disons de suite que la figure 11 ne représente nullement les quantités de glucose, de galactose et de lévulose réellement éli- minées par un des sujets d'expérience, après ingestion d’un mélange à parties égales de ces trois hexoses. L'étude du passage dans l’urine de deux sucres, pris en même temps, est déjà par elle-même assez compliquée pour que l’auteur n’ait jamais songé à suivre l’élimina- tion simultanée de trois sucres. Tout en tenant compte des chiffres enregistrés par M. Brocard, nous avons figuré un cas absolument fictif. Supposons un sujet, à nutrition ralentie, ingérant à la fois de 60 à 70 grammes de chacun des sucres suivants : glucose, lévulose, galactose. Il va devenir diabétique. De temps en temps nous allons recueillir de ses urines, afin de déterminer sur chaque prise, par l’analyse chimique et par la méthode optique, la qualité et la quan- tité des différents sucres éliminés par le rein. On obtient les courbes GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE, 99 d'élimination des trois hexoses à comparer, en portant en abcisses les temps écoulés depuis le repas et exprimés en heure, puis en ordonnées les teneurs de l'urine en glucose, galactose et lévulose, exprimées en grammes. On conçoit que l’aire comprise entre l’axe des abcisses et chacune des trois courbes représente l’élimination de la substance correspon- dante ou qu’elle lui est tout au moins proportionnelle. Il en découle que l’utilisation de l’un des hexoses considérés, c’est-à-dire la quan- 470 “VE 370 hi 270 LES : C : ever 1770 : Sa tité de ce sucre que l’organisme retient ou consomme doit être in- versement proportionnelle à son aire d’élimination. Ces remarques admises, le simple aspect de la figure nous montre que l’économie rejette le glucose en plus grande quantité que le galactose et que ce dernier passe lui-même plus abondamment dans les urines que le lévulose. Dans les recherches de Brocard l’écart entre les différentes surfaces a toujours été très manifeste ; c’est ainsi, par exemple, que l'aire de l’élimination du glucose n’a jamais cessé de dépasser de trois ou quatre fois celle du galactose. En faisant dire à ces diverses 100 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. observations ce qu’elles signifient au fond, l’on en arrive à classer rationnellement les hexoses, au point de vue de leur utilisation par l’organisme humain, et en commençant par le plus facilement assi- milable, dans l’ordre suivant : Lévulose. Galactose. Glucose. En d’autres termes, cela tend à reconnaître que Le lévulose joue par rapport au galactose le rôle d’aliment d'épargne et qu'à son lour le galactose peut agir de méme vis-a-vis du glu- cose. | Les faits semblent donc d’accord avec la théorie de l'épargne. Sans doute, les recherches de Brocard n’ont presque uniquement porté que sur l’organisme humain et lors d’un état un peu spécial de ce dernier ; sans doute l’utilisation des hexoses est éminemment variable et subit les influences les plus diverses, mais rien cependant ne laisse entrevoir que les conclusions de ce cas particulier ne soient pas générales et conformes aux phénomènes normaux de la nutrition. Tout est d'accord pour nous prouver que la cellule animale a des préférences, et qu’elle sait protéger parmi ses aliments ceux qui lui sont chers. Pourquoi la matière sucrée, qui circule dans l’organisme, atfecte-t-elle presque toujours la forme du glucose? Pourquoi le glycogène de réserve donne-t-il toujours naissance également à du glucose ? N'est-ce pas parce que ce dernier sucre est indispensable, et qu’il faut le protéger avant tout ? On ne s’étonne plus alors que le sujet à nutrition très active comme le sujet à nutrition ralentie et même le diabétique qui n'utilise presque plus sa matière sucrée phy- siologique, ne consomme le glucose qu’en dernier lieu, lorsqu'il ne dispose d’aucun autre hexose. En passant de état physiologique à l’état. pathologique l’organisme n’abandonne même pas ses préfé- rences. Le lévulose est moins mal assimilé par les diabétiques que le glucose, si bien que certains médecins permettent ce premier sucre à petites doses *. Le sucre de lait et par conséquent le galactose qui résulle de son dédoublement est, paraît-1l, quelquefois également bien 1. Lépine, Diabèle, loc. cit. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 101 supporté par les mêmes malades. Külz' dit avoir fait prendre à un diabétique 500 grammes de lactose en trois jours et n’avoir trouvé dans les urines que des traces de sucre. Charrin * et Œttinger* par- tagent cette conclusion. Transmutation dans l'organisme des sucres directement assimilables. Devant la réalité de cette utilisation « élective » des divers hexoses, la théorie de l'épargne sortirait-elle donc intacte de la dis- cussion ? Non, car nous avons déjà reconnu à certains tissus la faculté de remanier la molécule des différents sucres, afin d’en faire une même et unique réserve hydrocarbonée. Nous ne pouvons en effet renier maintenant la formation directe du glycogène dans le foie isolé de Luchsinger, lorsque l’on venait à injecter dans cet organe des solutions de glucose, de galactose, de mannose et de lévulose. La question suivante revient alors d'autant plus pressante que nous avions pu, un moment, mais à tort, espérer l’éviter : Par quels moyens la cellule hépatique change-t-elle en un produit unique de condensation du glucose, les divers sucres qui n’ont de commun avec ce glucose que le nombre de leurs atomes de carbone, d’hydrogène et d'oxygène ? Comment le glycogène, qui ne régénère jamais qu’un sucre déviant à droite, peut-il prendre naissance aux dépens du lévu- lose par exemple qui est lévogyre ? Puisque nous savons un peu com- ment se fait la condensation du glucose, nous sommes naturellement entraînés à admettre que tous les sucres générateurs de glycogène doivent préalablement passer par le terme glucose. C’est donc la transmutation des sucres qu’il nous faut maintenant expliquer ! La chose ne semble pas imposgible au chimiste. Représentons côte à côte la molécule des quatre hexoses directement assimilables, c’est- à-dire les seules formes que semble revêtir la matière sucrée lors- 1. Külz, Beilrage. 3. Pathologie u. Therapie d. Diabeles mellitus, Marbourg, 1874-1875. 2. Charrin, Semaine méd., 1896, p. 236. 3. Œttinger, Semaine méd., 1897, p. 57. 102 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. qu’elle se présente, par exemple, à la cellule hépatique. Nous avons simplifié la figuration précédemment employée des formules stéréo- chimiques de cès sucres, et remplacé par de simples lettres les boules blanches ou noires et les bâtons nous ayant précédemment servi à matérialiser dans l'espèce les atomes de carbone, d'hydrogène et d'oxygène. La comparaison de ces formules nous montre de suite que le H H : H | | 0 0 0 0 0 0 AU AREN) REUT HE TENUE PORN ZERE —(—*% 2 € 2 C 2 Ç 2 Érdie Re | bas | | H —(— 04 ri H—(C— 0H H0O—(C—H 12 [2 [2 12 | | | | H0O—T{—# H0O—C— H H0—C—H HO —C—H É É | | | | 4H —(C— 0H H—C— 0H H0—C—# H—C—0# É 14 | | | | H—C— où H— (0H H—C— où H—— C0 | | C C C Û H— C—H H— (—H H—C—h H— C(—H 6 * [6 .|6 16 0 0 0 0 H H H H ec, Ù Em, 0 , d.glucose d. lévulose d_galactose d.mannose galactose et le mannose ne diffèrent du glucose que par la direction des groupes hydroæyles secondaires (0 H), qui, nous le savons, sont susceptibles de tourner, à la façon d’une girouette, autour des atomes (C) de carbone asymétrique figurés par des lettres grasses. La transformation du galactose ou du mannose en glucose ne tient donc qu’à fort peu de choses. Le passage du lévulose au glucose semble au contraire beaucoup plus compliqué. Pour cette raison nous nous y arrêterons un peu et puis aussi parce qu’il nous importe de savoir comment l'organisme peut transformer le lévulose issu GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 103 du dédoublement du sucre de canne. La superposition de la formule du lévulose à celle du glucose nous laisse voir que, dans ces deux sucres, les groupes de carbone 3, 4, 5, et 6 offrent le même arrange- ment dans l’espace. Les deux groupes supérieurs du lévulose seuls subissent des changements lorsque l’on passe de ce sucre au glucose. En termes de chimie, le premier a été le siège d’une oxydation ; dans le second, il y a eu par contre réduction. Le changement consiste en un mot en un apport d'oxygène sur le premier et d'hydrogène sur le second. De semblables transformations sont-elles de l’ordre de celles que l’on observe ou que l’on peut observer dans l'organisme ; autrement dit, y a-t-il des ferments capables de les effectuer? M. A. Gautier à déjà depuis longtemps (1881) * démontré que le protoplasma de la plupart des cellules est réducteur et qu’il transforme les iodates et les bromates alcalins en iodures et bromures ne contenant plus tout l'oxygène des premiers. Le principe qui préside à ces phénomènes de réduction, d’après Bokorny, est colloïde, non dia- lysable et resté fixé au protoplasma, mais sa présence dans les or- ganes el les tissus animaux, n’en est pas moins évidente. Il est facile de s’en assurer, comme l’a fait Ehrlich, en injectant dans la cireu- lation certains réactifs, le bleu d’alizarine par exemple, susceptibles d’être décolorés par l'hydrogène naissant. Binz a de même trouvé des propriétés réductrices au sang et au suc intestinal où s’opère surtout le dédoublement du saccharose en glucose et lévulose. Tout récemment enfin, Abélous et Gérard? sont arrivés à réduire les ni- trates en nitrites d’abord, au moyen de la pulpe de divers organes, puis ensuite par des extraits aqueux ou glycérinés de ces mêmes organes. L’action, n'étant due ni à la présence des microorganismes, ni à une influence vitale des cellules, dépendait forcément d’un ferment. Au cours de leurs recherches, les auteurs s’aperçurent en outre qu'à un moment donné de la fermentation, il y avait disparition 1. À. Gautier, Chimie de la cellule vivante (Encyclopédie Léauté, p. 86). 9, Abélous et Gérard, Journ., d. phys. et chim., t. X, 1899, p. 103. — 4° Congres de chimie appliquée, 1900, t. Il, p. 626. 104 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. d’une partie des nitrites précédemment formés aux dépens des ni- trates. [ls furent ainsi amenés à se demander si cette diminution w’était pas la conséquence d’une oxydation, et à découvrir, dans les organes animaux, la coexistence certaine d’un ferment réducteur et d’un ferment oxydant. Suivant les conditions, ces diastases agissaient seules ou simultanément. Théoriquement elles peuvent donc changer le lévulose en glucose. Cette mutation n’a, 1l est vrai, jamais encore été observée in vitro, mais la présence simultanée des oxydases et des ferments réducteurs dans la cellule animale n’en est pas moins susceptible de nous donner de certains phénomènes une explication qui, certes, n’est pas une pure conception de l'esprit. La conclu- sion est de nature à encourager les recherches. La technique saura peut-être un jour conserver aux ferments leurs propriétés et nous les verrons transformer sous nos yeux en glucose soit le lévulose, soit le mannose ou le galactose. Formation comparative du glycogène hépatique aux dépens des sucres directement assimilables. Après être arrivé à rendre sinon certaine du moins très probable l'existence de divers ferments, les uns générateurs de glucose, les autres aptes à condenser ce dernier sucre à l’état de glycogène, il nous reste à étudier comparativement la résultante à laquelle aboutissent leurs activités combinées. Il nous faut, autrement dit, nous rendre compte de la rapidité avec laquelle la cellule immobilise, sous la forme qu’elle donne habituellement à ses réserves hydrocarbonées, les divers hexoses qui lui sont le plus souvent offerts par la circula- tion. Il n’est pas, en effet, sans intérêt de savoir, toutes choses égales d’ailleurs, quel est du glucose, du lévulose ou du galactose celui qui est le plus vite et le plus facilement transformé en glycogène. Les expériences de Brocard, résumées dans l’une de ces dernières pages, peuvent déjà nous fixer très nettement sur ce point. Reprenons la figure 11. Nous y voyons, qu’aussitôt l’ingestion des trois hexoses, les urines des femmes enceintes soi-disant observées ne sont que très peu sucrées et surtout que leur concentration saccharine n'est pas la même pour tous les sucres éliminés. Si l’on veut bien réfléchir GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 109 que l’aliment sucré pénètre du tube digestif dans l’économie, en passant par le foie, on comprendra facilement qu’au début de la digestion, l’un quelconque des sucres arrivera dans la circulation générale et par conséquent dans les urines en quantité d’autant plus minime qu’il sera mieux retenu par le foie. La glycosurie ne se pro- duit en effet que si cel organe laisse passer du sucre dans le sang. Les courbes nous montrent, à ce sujet, durant la première heure, alors que les sucres n’ont guère encore dépassé le foie, que l'analyse décèle dans les urines moins de lévulose que de glucose et moins de glucose que de galactose. Il en résulterait donc que sous linfluence des ferments de la cellule hépatique, le glucose se transforme moins facilement en glycogène que le lévulose, et plus facilement que le galactose. Le fait peut être vérifié directement par l'expérience ‘. On laisse jeûner, durant quarante-huit heures, plusieurs séries de co- bayes, provenant de la même portée, ayant été soumis précédem- ment à des régimes identiques, enfin de poids sensiblement égaux. Au bout de quarante-huit heures d’inanition, le glycogène chez ces animaux a presque entièrement disparu du foie. On les divise en plu- sieurs lots et l’on fait ingérer à chaque série, des solutions d’un su- cre différent mais de même concentration, 10 pour 250, prises en quantités égales ou plutôt proportionneiles aux poids respectifs des sujets d'expérience qui ne sont jamais absolument de même taille. Quarante-deux heures après le repas, on sacrifie les animaux, on extrait leurs foies, on les jette de suite dans l’eau bouillante pour enrayer toute action fermentative et l’on procède; suivant les règles, au dosage du glycogène. On trouve, par exemple, que l'animal a élaboré par kilogramme de foie et par heure : 17° expérience : Lorsqu'il est nourri au galactose . . 07,077 de glycogène — au glucose. . . 0 ,108 = 29 expérience : Lorsqu'il est nourri au galactose . . 07,076 de glycogène = au lévulose . . (LAN 172 — Et c’est sur la considération suivante dont nous verrons plus tard 1. Brocard, Loc. cit., p. 55. 106 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. les conséquences pratiques, que nous terminerons l’histoire du gly- cogène : les sucres qui, amenés au contact de la glande hépatique, y donnent lieu à la production la plus abondante de ce principe, sont justement le glucose et le lévulose, c’est-à-dire les hexoses aux- quels aboutit forcément le dédoublement du saccharose. Localisation de la fonction glycogénique. Voilà comment l'organisme emmagasine et reconstitue sans cesse sa réserve de malière sucrée. Mais ce n’est là qu’un travail prélimi- naire. Nous savons en effet qu’en outre du glycogène, la cellule ani- male élabore du glucose et qu’elle déverse ce sucre dans le sang. C’est là que tous les tissus, en parasites, viendront le chercher si cet aliment leur est nécessaire. Lorsque nous avons suivi la formation du glycogène, nous avons porté notre attention sur les cellules où les dépôts hydrocarbonés paraissaient se localiser de préférence. Si nous procédons de même ici, notre premier soin doit être de rechercher les organes ou tissus qui forment le plus facilement et le plus abon- damment du glucose. La cellule hépatique est évidemment de celles qui jouissent de cette fonction spéciale. On peut essayer de le démontrer en compa- rant la teneur du sang en glucose à son entrée et à sa sortie du foie. Mais la méthode est de nature à donner des résultats essentiellement variables. Suivant Claude Bernard, le sang sus-hépatique est toujours le plus sucré. Seegen l’affirme également. De Mehring trouve au contraire plus de sucre dans la veine porte que dans les veines hépatiques, tandis que les analyses de Pavy et d’Abeles concordent pour les deux sangs. Ces contradictions tiennent à ce que la compa- raison est fort délicate et que la technique qu’elle nécessite entraine forcément des erreurs. Avant d'atteindre la veine porte, il faut faire une laparotomie, et ligaturer la veine. Pour recueillir le sang hépa- tique, on est ensuite obligé de ponctionner la veme, ou d’y arriver en guidant une sonde par la jugulaire interne et la veine cave inférieure. Or, ces opérations déterminent un traumatisme du foie et des organes abdominaux qui, par un mécanisme réflexe, on l’a vérifié, augmente certainement l’activité de la glande hépatique et change le débit du GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 107 sucre. Lorsque Seegen a repris ses premières expériences en évitant tout traumatisme abdominal, on à encore constaté sur l'animal à jeun un excès de sucre dans le sang sus-hépatique. Malgré cela, il faut considérer la méthode comme défectueuse. Elle nous indique seule- ment le sens général du phénomène et nous démontre simplement, ainsi que le constatent Gilbert et P. Carnot, « que lorsqu'il arrive beaucoup de sucre au foie, l'excédent s’y arrête et qu’inversement lorsque les dépenses sont exagérées, le foie déverse au profit des organes qui dépensent, une plus grande quantité de sucre ». Il est dun reste possible de démontrer autrement que le foie sait former du glucose et que c’est là une de ses fonctions normales et non pas un phénomène cadavérique, ainsi que pourrait le laisser supposer lex- périence du foie lavé. Si la glande hépatique fabrique du sucre, son tissu doit en contenir davantage que le sang, où se déverse forcément le glucose formé. L'analyse faite sur des fragments de foie, détachés rapidement d’un coup de ciseaux, après ouverture de la cavité ab- dominale, et traités immédiatement de façon à arrêter toute action diastasique, le prouve nettement. Le tissu hépatique contient de 2 à 6 p. 100 de glucose et Le sang 1,5 p. 100 seulement au maximum. Autre fait : suivons avec Delprat ‘ les quantités de glucose qui se for- ment dans un foie lavé suivant la technique de Claude Bernard, les observations se renouvelant à des périodes de plus en plus éloignées de lextraction de l'organe. On trouve que 100 grammes de tissu hé- patique produisent en une minute : Chez Ie lapin : 2 minutes après l'extraction. 0%,0250 de glucose 30 minutes à { heure — : 0 ,0030 — 1 heure à 24 heures — 3 0 ,0005 — L’intensité de la glycogenèse diminue donc graduellement après la mort, ce qui prouve qu’elle n’est certainement pas la conséquence d’une décomposition cadavérique. À ceux qui viennent objecter que toutes ces observations ont été faites sur des foies exsangues, dans des conditions anormales par conséquent, on peut opposer ce qui se 1. Delprat, Jahresb. f. Thierchem., t. II, p. 321. 108 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. passe chez lP’animal vivant, lorsque l’on trouble la circulation hépa- lique de façon à la réduire à son minimum, ou lorsque l’on vient à lier les vaisseaux afférents et efférents de la glande. On constate alors une augmentation rapide et notable du sucre dans les tissus du foie (de 2 à 6 p. 100). Cela provient évidemment de ce que le glucose formé n’est plus entrainé. Cette évacuation du sucre dans le sang en circulation est encore nettement établie par l'expérience suivante due à Hoffmann : la ligature de la veine porte chez le lapin ne trouble pas la proportion normale du glucose dans le sang, tandis que la li- gature de la veine sus-hépatique abaisse tellement le taux du sucre qu'au bout de 40 minutes on n’en trouve plus que des traces dans le plasma. C’est ainsi que nous pouvons conclure à une abondante formation du glucose par le foie vivant. Mais, bien que la glycogenèse se mani- feste dans la glande hépatique avec une intensité très marquée, ne peut-il pas exister, à côlé, d’autres organes ou tissus susceptibles de concourir en même temps à la réalisation de cette fonction. Le muscle, par exemple, n’est-il pas apte, aussi bien que le foie, à produire du glucose? MM. Cadéac et Maignon ‘ se sont attachés à le démontrer. Le point de départ de leurs recherches est le suivant : l’asphyxie, de même que les lésions musculaires, consécutives à l’écrasement des tissus ou à la stase sanguine produite par ligature, de même encore que les fractures et les divers traumatismes occasionnent l’élimina- tion par l’urine de composés glycuroniques et surtout de glucose. II fallait rechercher l’origine de cette glycosurie et par conséquent de l’hyperglycémie qui la provoquait. L'étude comparative de muscles sains et de muscles altérés permit aux deux auteurs précités de ré- pondre à la question d’une façon décisive. Les liquides de macéra- tion provenant de muscles sains ne renferment pas de sucre ou n’en contiennent que des traces. Les muscles écrasés ou enserrés par une ligature donnent au contraire des liqueurs qui réduisent abondam- ment le réactif cupro-potassique. Ce sucre pouvait être déposé par le sang dans le foyer traumatique ou bien le muscle l’élaborait lui- 1. Gadéac et Maignon, Comptes rendus, 1902, t. I, p. 1000 et 1443; 1903, t. I, p. 120. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 109 même sur place. L'expérience démontra la réalité de cette dernière hypothèse, car, en se mettant à l'abri de toute action microbienne ou de putréfaction, il fut possible de constater que les muscles, comme le foie, produisaient toujours du sucre après la mort. Cette glycogenèse est exagérée, lorsque l’on modifie la respiration des tissus en les soustrayant à l’air par immersion dans l'huile, ou lors- que l’on vient à les écraser ou à les comprimer, mais la production du glucose n’en est pas moins wne fonction dévolue aux fibres muscu- laires striées, de même du reste qu’au cœur et aux muscles lisses. Suivant Cadéac, le cœur est en effet l’organe de l’économie qui, après le foie, produit les plus grandes quantités de sucre. Ilen élabore no- tablement plus que les muscles striés et surtout que les muscles lisses (tuniques musculeuses de la vessie, de l'estomac) qui n’en renfer- ment que des traces ou en sont le plus généralement dépourvus. Formation du glucose aux dépens du glycogène. Voilà qui nous engage, en somme, à considérer la glycogenèse non pas comme la propriété exclusive de la glande hépatique, mais bien comme wne fonclion très générale, commune à la presque totalité des cellules de l'organisme animal. Voilà qui nous permet en outre de remarquer que les tissus, comme le foie et les muscles, où se locali- sent de préférence les dépôts de glycogène sont justement ceux chez lesquels, nous venons de le reconnaitre, la faculté de produire le glucose se manifeste avec le plus d'intensité. Les faits nous ramènent, on le voit, à reparler de la doctrine classique de Claude Bernard qui le premier émit cette idée que le sucre du sang se forme aux dépens de la matière glycogène. L'expérience nous a déjà appris que cette transformation est des plus faciles à réaliser in vitro. Les acides étendus dédoublent à l’ébullition le glycogène en glucose. Beaucoup plus pratiquement et sans recourir à des températures plus élevées que celle du corps, on arrive au même résultat, en faisant agir cer- taines diastases saccharifiantes, maltases, dextrinases ou autres, ana- logues à celles de l’orge germée. Ces dernières sont-elles répandues dans l’économie animale? S'il en était ainsi, on pourrait songer à leur attribuer in vivo le même rôle qu’en dehors de lorganisme. 110 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Nous avons déjà rencontré ces ferments dans la salive, le suc pan- créatique et intestinal, dans le sang lui-même, aussi la transformation du glycogène en sucre s’opère-t-elle au contact de presque tous les tis- sus. Il suffit de mettre un fragment de muscle, de rein, de cerveau, dans une solution opalescente de glycogène pour la voir s’éclaireir au bout de très peu de temps puis réduire la liqueur de cuivre. Wittich et Lépine ont du reste constaté dans l'organisme la présence générale de ces ferments saccharifiants et reconnu qu'ils agissaient aussi bien dans les tissus vivants ou de récente extraction, qu’in vitro. Malgré tant d'arguments la théorie de Claude Bernard, à laquelle se rangent du reste nombre d’auteurs comme Boehm et Hoffmann’, Chittenden et Lambert*?, Kauffmann*, n’a pas toujours été acceptée sans réserves. Seegen et Kratschner ‘, Nasse° et Panormow ne s’y rallient pas. On a répondu à leurs objections en montrant que le taux de glycogène diminue dans le foie au moment même où celui-ci cède le plus de sucre au sang, c’est-à-dire dans l’intervalle des repas. Par l'emploi de bonnes méthodes de dosage, on a également toujours trouvé que la quantité de glucose formée dans le foie, après la mort, est presque rigoureusement égale à celle que l’on aurait obtenu en transformant en sucre, par les moyens chimiques, le glycogène qui a disparu de l’organe. En ce qui concerne le mécanisme intime de cette transformation, il ne semble également plus possible actuelle- ment de ne pas l'identifier à une véritable fermentation. Arthus° et Huber, opérant sur des foies broyés dans une solution de fluorure de sodium, sont arrivés à préparer des liquides doués de propriétés saccharifiantes énergiques, et il n’y a pas lieu d’invoquer ici une action vitale, ou l'intervention des bactéries et de leurs diastases, puisque le fluorure, antiseptique puissant, tue forcément les cellules 1. Boehm et Hoffmann, Arch. f. exper. Pathol., t. X. 1878. — Pfluger's Arch., t. XXIIL, p. 205. 2. Chittenden et Lambert, Stud. from the Labor. of Yale College, New-Haven, 1885. 3, Kauffmann, Soc. d. biol., 1890, p. 600. 4. Seegen et Kratschner, PAuger's Arch., 1877, t. XIV. 5. Nasse, Maly's Jaresb., 1889, t. XIX, p. 291. 6. Voir le résumé de la question dans Arthus, Éléments de physiol., p. 391 et suivanles. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 111 vivantes. Enfin, tout récemment, Permilleux en suspendant un frag- ment de foie dans un milieu rempli de vapeurs de chloroforme, et en recueillant le liquide exsudé, est arrivé à pouvoir saccharifier rapidement de l’amidon. Le glycogène, matière première du glucose, et les ferments capables de le dédoubler peuvent se trouver en pré- sence dans la cellule animale vivante, et c’est ainsi que se trouve expliqué le mécanisme de la transformation du glycogène en glucose. Formation du glucose aux dépens des matières azotées. Le glycogène constitue donc une source importante de glucose, mais, lorsqu'il vient à disparaître du foie ou des muscles, ainsi que cela arrive parfois, nous le savons, la glycogenèse ne s’en exerce pas moins, et, de plus, la fonction ne perd nullement de son intensité. Le sang de l’animal qui jeûne, ou se refroidit ou produit encore du tra- vail musculaire, conserve en effet sa teneur normale en glucose. Afanassieff, observant le foie d’un chien nourri exclusivement avec de la viande maigre, a constaté que les cellules hépatiques avaient le même aspect que les cellules d’un animal inanitié, c’est-à-dire qu’elles étaient volumineuses, à noyau assez gros, et contenaient de fines granulations dont aucunes ne se coloraient en brun au contact de l’iode : ainsi le glycogène n’existait pas dans l’organe en question, et cependant l’analyse décelait dans le sang de ce chien une dose nor- male de glucose. Ces observations nous conduisent à penser que l'animal peut élaborer son sucre physiologique aux dépens de prin- cipes autres que le glycogène, autres encore que les hydrates de car- bone alimentaires qui pénélrent dans l’économie. Les recherches d’Afanassieff nous démontrent en outre que, contrairement à l’opi- nion de Cl. Bernard, il peut y avoir dans l'organisme mutation di- recte d’une matière alimentaire quelconque en glucose sans passer par le terme transitoire glycogène. Les matières azotées, et les ma- tières grasses, nous apparaissent alors forcément comme des sources possibles de glucose, puisqu'elles constituent, avec les hydrates de carbone, les seuls principes que contienne l’organisme et que la nu- trition intime, la respiration et les sécrétions physiologiques puissent transformer, 112 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Peut-il se former du glucose aux dépens des albuminoïdes ? L’hypo- thèse sourit fort aux chimistes. Ne trouvent-ils pas tout d’abord, dans la classification chimique, des principes constituant, comme la chondrine, la tunicine, la chitine,..….. etc., de véritables termes de passage entre les matières azotées et les hydrates de carbone ! ? Sous l'influence de réactifs purement chimiques, ces corps, nous le savons, sont susceptibles, tout comme les matières sucrées dites glu- cosides, de régénérer des hydrocarbonés. C’est ainsi que Manasse a pu obtenir un sucre absolument identique au glucose par traitement de la jécorine, une véritable substance azotée découverte par Dres- chel dans les tissus les plus divers et principalement dans le foie. Et il n’y a rien là qui soit de nature à nous étonner, car tous ces prin- cipes intermédiaires répondent souvent par leur composition à une combinaison d’albumine et de glucose à poids égaux. M. Berthelot a même fait remarquer à ce sujet que, suivant ses expériences, la chaleur de combustion de 1 gramme de chitine est de 46%!,65 alors que À gramme du mélange à parties égales de glucose et d’albu- mine dégage dans les mêmes conditions 47°%*%!,64. D’après ces faits dignes de fixer l’attention, il semble à première vue que l'opinion qui fuit dériver le glucose animal des matières azotées n’est pas invraisem- blable et qu’elle cesse d’être empirique. Les travaux les plus récents sur la constitution intime des albuminoïdes viennent du reste l’établir encore plus solidement. Des recherches auxquelles nous faisons allu- sion *, il ressort d’une façon très générale, et en termes le plus simples possible, que la matière albuminoïde n’est autre chose que la combinaison, dans des proportions diverses, d’un dérivé ammoniacal, cyanate d’ammoniaque ou encore urée, c’est-à-dire carbonate d’am- moniaque déshydraté, et d’un hydrocarboné ou parfois d’un corps oras, la chose a été entrevue *. Autrement dit encore, l’albymine est une urée composée dans l’édifice de laquelle un ou plusieurs atomes 1. Voir, à ce sujet, A. Gautier (Encyclopédie Léaulé), Chimie de la cellule vi- vante, p. 113. 2. Voir la question résumée dans Kossel, Loc. cit. 3. H. Arnaud (Mémoire), Comptes rendus, t. 1, 1891, p. 148. — À. Gautier, Loc. CE D. 70: GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 113 d'hydrogène sont remplacés par le même nombre de radicaux alcoo- liques amylacés, analogues par exemple au glycogène. L'on conçoit dès lors facilement que le passage d’un albuminoïde quelconque au glucose, bien que ce dernier sucre contienne un élément de moins que la matière azotée, ne constitue pas une opération aussi compliquée qu’on pourrait le croire. Comme résidus de l’assimilation des protéi- ques l’on voit justement apparaître à leur place les deux grands groupes qui les composaient, c’est-à-dire les dérivés ammoniacaux, lesquels, se trouvant en excès, sont éliminés par les émonctoires à l’état d’urée déjà préformée en partie dans la molécule albuminoïde, puisles radicaux ternaires transformés entre autres en glucose ou en glv- cogène, ou bien en graisse. Bien que tout cela paraisse assez net, les chimistes physiologistes, pour préciser davantage et jeter un peu plus de clarté sur les faits, ont songé à mettre en équation le change- ment de la matière protéique en glucose. Ces formules hypothétiques ne sont certes pas gratuites, car chaque auteur a soin de faire re- poser sa théorie sur les faits qu’il croit avoir le mieux suivis et ana- lysés. Elles ont en outre le grand mérite de pouvoir, en vue de l’en- seignement, résumer aussi brièvement et simplement que possible ce qui peut se passer ; nous ne nous arrêterons cependant pas à les dis- cuter. Cela sortirait de notre sujet. La conclusion surtout nous serait en outre malaisée à dégager, car 1l nous paraît difficile de choisir entre les équations de Berthelot”, de A. Gautier ?, ou de Chauveau*, celle qui, dans l’économie animale, rattache véritablement le glucose à la famille des albuminoïdes. Comme il existe des preuves maté- rielles de cette transformation, c’est plutôt aux faits, toujours plus convaincants que les formules, que nous nous adresserons pour en démontrer la réalité. Bien des recherches ont été tentées afin de découvrir, par voie purement chimique, s’il y avait du sucre dans la molécule d’albu- mine, comme dans celle de la gélatine, de la chitine, de la mucine, de la jécorine, etc. Pavy ‘ est arrivé, le premier, à un résultat positif, . Berthelot, Chaleur animale, t. I (Encyclopédie Léaulté), p. 150 et suiv. . À. Gautier, Chimie de la cellule vivante (Encyclopédie Léauté), p. 77 et 94. . Chauveau, La vie et l'énergie chez l'animal, p. 54. . Pavy, Physiol. of the carbohydrales, Londres, 1894. ANN. SCIENCE AGRON. — 2° SERIE. — 1902-1903. — 11. 8 C0 19 114 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. mais sa technique laissait encore planer bien des doutes. Krawkow ! et Hofmeister ? observèrent eux aussi le phénomène ; leurs con- clusions n'étaient toujours pas absolument probantes. Blumenthal”, en soumettant l’albumine du blanc d'œuf à l’action décomposante d’une solution concentrée de soude ou d’hydrate de baryte, obtint enfin un liquide qui réduisait nettement le réactif cupro-potassique et donnait avec la phénylhydrazine acétique un précipité d’osazone en cristaux, provenant certainement, de par sa composition élémen- taire, d’un hydrocarboné à six atomes de carbone. Ce corps réduc- teur, Blumenthal ne put l'identifier ni au galactose ni au mannose, ni au lévulose, mais il arriva à prouver sa parenté avec le glucose. F. Mueller ‘, Seemann” et Zanetti° réussirent à déterminer avec cer- titude la nature de ce sucre inconnu. L’hydrate de carbone, obtenu par voie chimique aux dépens de la matière albuminoïde était une osamine, c’est-à-dire un hexose dans lequel un oxhydrile alcoolique était remplacé par le groupe azoté monovalent AzIF, et qui, en perdant son azote, régénérait un véritable sucre réducteur. On trouva ainsi une glucosamine donnant, sous l'influence de l’acide azoteux par exemple, naissance à du d. glucose selon l'équation suivante : C5 H'3 Az OL Àz 0? H — C6 H'? 05 + 2 Az + H'0 a 2 _—— D Acide d. gluco Azote Eau. azoteux Ê se E Glucosamine Une glucosamine semblable fut obtenue par action de lacide chlorhydrique sur la cellulose ; cela prouve, disons-le en passant, qu’il existe une certaine parenté entre les matières azotées et les produits très condensés du glucose et confirme l'opinion déjà émise que chez les végétaux le ligneux n’est autre qu’un produit de désassimilation des albuminoïdes. Schulz et Ditthorn reconnurent de même lexis- . Krawkow, PfAlüger's Arch., 1897. . Hofmeister, Zeëlschr. f. physiol. Chem., 1897. . Blumenthal, Charilé Annalen, 1898, et Comptes rendus, 1899, t. I, p. 117. . F. Mueller, ia Marburg, 1898, p. 11. . Seemann, Thèse, Marburg, 1898. . Zanetti, Ann. di Clim. e Farmac., 1897, n° 12. S © à © 192 GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 115 tence d’une galactosamine, tandis que Kossel, Neumann et Salkowski* mettaient nettement en évidence la présence d’un hexose, et même d’un pentose dans la molécule de nucléine. Les rapports de la matière azotée avec les hydrocarbonés sont, on le voit, multiples, ainsi qu’en témoignent ces groupes organiques spéciaux que l’on peut retirer directement du protéique originel, puis, ensuite, et si facilement, transformer en sucres réducteurs. Aussi, actuellement, depuis les re- cherches récentes que nous venons de citer et auxquelles il faut en- core ajouter celles de Mayer” et de Salkowski*, la production in vitro des matières sucrées aux dépens des matières azotées paraîl-elle absolument établie. Il est du reste possible d’opérer cette transfor- mation au moyen des réactifs dont se sert la cellule animale, et cela même en dehors de l’économie vivante. Seegen en a fourni la preuve. Il a découpé dans le foie d’un chien deux fragments de poids égaux. L’un a été placé dans du sang peptonisé et l’autre dans le même volume du même sang non peptonisé. Celui qui avait reçu de la peptone contenait à la fin de l'expérience 3,54 p. 100 de glucose, alors que l’on n’en trouvait dans l’autre que 2,506. Au contact de la pulpe hépatique, les peptones s'étaient transformées en sucre. Schmidt-Mulheim ‘ n’a pu renouveler l'expérience de Seegen. Cela provenail sans doute de ce que le sucre se détruisait à mesure de sa formation, car Lépine et Barral”, en se tenant par une technique spé- ciale à l’abri de la glycolyse, ont toujours, au contraire, constaté la néoformation de sucre dans le sang peptonisé. Le sucre produit dans ces conditions, et dosé au moyen de la liqueur cupro-potassique, correspondait à peu près au dixième du poids de peptones employé. Blumenthal, avec 100 grammes d’albumine de blanc d’œuf a pu éga- lement obtenir de 8 à 12 grammes de sucre, et, dans ces expériences, la matière réductrice régénérée aux dépens des peptones, a tou- 1. Kossel, Bericht'd. deuts. chem. Gesell., t. XXVIT, 1894, p. 22{5. — Sal- kowski, Berliner Klin. Wochenschrft, 1895, n° 17. — Neumann, Arch, f. Anal. w. Physiol., 1899, supp., p. 592. 2. Mayer, Deutsch. med. Woch., t. 25, p. 95. . Salkowski, Journ. physiol, Chem., t. XXVII, p. 305. . Schmidt-\ulheim, Arch. f. Physiol., 1880, p. 49, à C2 5. Lépine, Comptes rendus, 1892, t. I, p. 304. 116 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. jours été caractérisée comme étant un véritable sucre susceptible de fermenter. Lépine et Metroz * ont poussé plus loin leurs recherches, dans le but de découvrir le réactif dont usait lorganisme pour opérer ces transformations. En hachant après macération dans de l’eau glacée, afin d'éviter toute fermentation, les organes les plus divers, ne contenant comme la rate et le rein que très peu de glv- cogène ou ne cédant à l’eau que des matières réductrices différentes des sucres, ils ont obtenu un liquide doué, suivant leur expression, d’un pouvoir pepto-saccharifiant, c’est-à-dire contenant un ferment capable de produire aux dépens des peptones un sucre fermentes- cible et bien caractérisé. De plus, en comparant l'énergie du pouvoir pepto-saccharifiant des divers organes, 1ls se sont rendu compte qu'il ne fallait pas attribuer exclusivement au foie la production du sucre de l’économie animale. La elycogenèse, avions-nous dit, est une fonction générale et commune à presque tous les tissus, en voici une nouvelle preuve. Des faits que nous venons de résumer en der- nier lieu, il nous faut ürer encore la conclusion suivante, c’est que le glycogène n’est pas un intermédiaire nécessaire entre l'aliment el le glucose qui résulte de sa transformation. Nous n'avions osé précédemment affirmer la production certaine du glycogène aux dépens des matières azotées, les plus diverses, albumines, nucléines, amides, etc. Les faits nous conduisent dès maintenant à ne plus considérer comme une simple hypothèse cette transformation des substances quaternaires en hydrates de carbone, bien que nous n’ayons pas énoncé toutes les raisons plaidant en sa faveur. Les expériences qui viennent encore démontrer la réalité de cette transformation, et la possibilité de la voir se passer non plus seulement au niveau du foie, mais dans l’organisme enlier, sont en effet assez nombreuses. Minkowski et de Méring, en provoquant un diabète expérimental par ablation du pancréas ou par injection de phlorhidzine, ont constaté que le sucre, éliminé par les urines, ne pouvait se former qu’aux dépens des matières azotées de l’organisme*. 1. Lépine, Comples rendus, 1893, t. I, p. 123 et 419. 2. De Méring, Congress f. innere Medic., Wiesbaden, 18$S6, p. 185 et 1887. p. 349. — Voir le résumé de ces expériences. Arthus. Physiologie, p. 399. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 11? Ce dernier transformait en glucose de 45 à 60 p. 100 des albu- minoïides qu'il désassimilait, et cela sans lintervention des matières grasses, puisque les sujets d’expériences ne fournissaient pas plus de sucre qu’ils fussent très gras ou qu’ils aient été au préalable presque entièrement dégraissés par un jeûne d’une durée de un mois. Formation de la graisse aux dépens du glucose. Une démonstration indirecte de la transmutation des albuminoïdes en sucre peut être enfin donnée par ce fait qu’une notable partie des corps gras de l’organisme provient indirectement des albumi- noïides. Les expériences d’alimentation de Boussingault, de Tscher1- noff, de Szubottin, de Kemmerich et surtout de Voit et Pettenkofer ne laissent actuellement aucun doute à ce sujet *. Et cette transforma- tion des albuminoïdes en graisse s’explique facilement si l’on veut bien songer que la matière azotée fournit du sucre à l’organisme, nous venons de le démontrer, et que le glucose ainsi formé, nous allons le voir, peut à son tour se transformer en corps gras. C’est à Hanriot que l’on doit la démonstration de ce nouveau mode d’utili- sation des hydrates de carbone, que nous ne pouvions dans ce tra- vail, cela se conçoit, passer sous silence. Pour prouver que l’assimi- lation des sucres commence quelquefois par leur transformation en graisse, l’auteur s’est basé sur les changements éprouvés par le quotient respiratoire d’un même individu lorsqu'on observe ce der- nier à jeun ou après un repas de féculents et d’eau. A quoi pouvait donc servir en cette occasion l'étude des variations du quotient res- piraloire ou quotient de Pflüger, c’est-à-dire du rapport : Volume d'acide carbonique exhalé. . (GO2). Volume d'oxygène absorbé. . . . . (0?). Rappelons que lair qui pénètre dans les poumons, à chaque ins- piration, arrive par cela même en contact avec le sang auquel il 1. Voit et Pettenkofer, Zeëlsch. f. Biol. t. VI, 1870, p. 3773; t. VII, 1871, p. 433 et 487. — Voit, Zeitsch. f. Biol., t. V, 1869. 113 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. cède l’oxygène que la circulation se charge de répandre dans toute l’économie. Comme l’eau et l'acide carbonique figurent parmi les pro- duits résiduaires les plus simples auxquels aboutissent presque tous les principes alimentaires, sous l’action des procédés vitaux de méta- morphose de la matière, il y a tout lieu de croire que l'animal pro- cède à la destruction de ses aliments par voie de combustion, tout comme le chimiste qui les brüle, c’est-à-dire en utilisant oxygène emprunté à l'air. Mais il ne faudrait pas croire pour cela que les tissus consomment d'autant plus d'oxygène qu'ils en reçoivent davantage. Que l'animal respire à Pair libre ou dans l'oxygène pur, dans les deux cas, il ne retient de ce gaz que ce qui lui est nécessaire pour satisfaire aux besoins des éléments cellulaires de ses tissus. Autrement dit, les quantités d'oxygène absorbées par un animal, à des époques différentes, sont proportionnelles aux intensités des réactions chimiques qui s’accomplissent dans toute l’économie au moment de l’observation. D’après cette loi, entrevue d’abord par Lavoisier, puis nettement mise en lumière ensuite par Regnaull et Reiset et surtout par Voit et Pflüger, il serait donc permis de sup- poser que la détermination de la quantité d’oxygène absorbée suffit à faire connaître le poids de la matière organique, détruite et ut- lisée par l'animal dans un temps donné. Le raisonnement serait juste en effet si la cellule consommait toujours la même substance. Or, nous avons maintes preuves du contraire. La classification aussi simplifiée que possible des différents principes alimentaires physiolo- giques nous à déjà montré qu’il fallait les répartir en trois grands groupes bien distincts les uns des autres, et pour bràler la même quantité de chacune de ces trois sortes d’aliments, il faut in vivo comme in vitro des volumes différents d'oxygène. L’intensité de l'absorption de ce gaz ne peut donc nous fournir aucune donnée sur Ja quantité de combustible détruit. Il est cependant un point intéressant sur lequel elle nous permet de conclure ; c’est la qualité de l'aliment qui disparaît par combustion dans les tissus. Supposons que l’on brûle du glucose pur de façon à le transformer totalement en eau et en acide carbonique, et fournissons à la réaction le volume exact d'oxygène qui est nécessaire, l'équation suivante nous montre d’une part les quantités de sucre et de gaz oxydant mis en œuvre, GLYCOGËNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 119 et d’autre part le poids de l’eau et le volume de l'acide carbonique produits : CSH?06—+ 60? — 6H?0 + 6 CO? nf De me 12 vol, 12 volumes Glucose d’oxy- Eau d'acide gène carbonique. Donc, pour un volume d’oxygène employé, il y a un volume égal d'acide carbonique excrété, et cette équation est immuable, que la combustion totale se fasse dans un ballon inerte ou bien dans les tissus d’un organisme quelconque. D’après cela, lorsqu'un sujet ne consomme que du glucose, son quotient respiratoire doit rigoureu- sement être égal à l'unité. Une consommation exclusive de graisse aménerait de même le quotient de Pflüger à avoir une valeur infé- rieure à l’unité et égale à 0,70. Ceci étant admis, suivons avec Richet et Hanriot le quotient respi- ratoire d’un homme à jeun. Il est plus petit que l’unité, ce qui nous indique qu’il y a consommation de graisses ou d’albuminoides. Lors- que le sujet ingère des féculents, non seulement le quotient, durant Ja digestion, se rapproche de plus en plus de unité, mais, parfois, 1l arrive même à devenir supérieur à ['. Cela indique nettement qu'il se passe alors autre chose qu’une simple oxvdation totale du glucose résultant de la transformalion des amylacés. L’oxygène rejeté dans les molécules de l’acide carbonique (C0?) exhalé étant supérieur à celui que lindividu avait absorbé par la respiration, Hanriot en déduisit que cet excès d'oxygène ne pouvait provenir que du dédoublement du glucose par l’organisme en eau, en acide carbonique et en une substance contenant dans sa molécule moins d'oxygène que le sucre. Peut-être y avait-il formation partielle de corps gras? Le phénomène pourrait alors se traduire par une formule très rationnelle : 13 Ce H12 05 — C5 HL'04 O5 + 23 CO? + 26H? 0 md Eau. à D md Oléostéaro- Acidecar- It e ne à AUECOE palmitine bonique Cette équation signifie plus simplement que la transformation de 100 grammes de glucose en graisse ne laisse qu’un résidu de 21,8 d'acide carbonique, au lieu des 74,6 trouvés, lorsque l’oxydation du 1. Richet et Hanriot, Comp'es rendus, 1888, p. 496. 120 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. sucre est totale. L’expérimentation physiologique vérifia entiè- rement l'hypothèse. Hanriot” prit un sujet laissé auparavant à jeûn, et dont le tube digestif avait été désinfecté par une ingestion con- tinue de naphtol B, afin de se mettre à l'abri de toute fermen- falion bactérienne capable de troubler les résultats. Il lui fit boire à plusieurs reprises un litre d’eau contenant de 23 à 73 grammes de glucose. Chaque fois le coefficient respiratoire s’accrut, et arriva au voisinage de 1,25, tandis que l'acide carbonique, .exhalé en excès durant l’utilisation du glucose par l’organisme, concordait presque exactement avec celui que la formule précédente avait per- mis de calculer. La théorie se trouvait ainsi vérifiée. Hanriot en observant les variations du coefficient respiratoire chez les diabé- tiques? fut par cela même amené à trouver qu’une des caracté- ristiques de leur maladie consistait en une diminution notable de l'aptitude qu'avait normalement l'organisme à former ses graisses aux dépens du sucre. | Formation du glucose aux dépens des graisses, Rien ne s'oppose plus maintenant à nous voir conclure, sans le moindre doute, que lorganisme sait transformer en sucre et par suite en glycogène les protéiques et les autres substances alimen- taires azotées. Pour en terminer avec l’étude des diverses sources qui fournissent à l’économie son sucre physiologique, il nous reste un dernier point à éclaircir. La formation du glucose aux dépens des graisses est-elle une des fonctions normales de la cellule vivante ? Nous nous sommes déjà indirectement posé la question, en cher- chant à provoquer l'apparition de glycogène par ingestion de corps gras alimentaires. Mais, faute de preuves, nous n’avons pu conclure à une transformation certaine des graisses en glycogène pouvant par exemple se résumer sous forme de l’équation suivante : 2 C5? H110 05 67 0° = 16 C° H!? 0° + 18 CO? + 4 H° 0 TT % mm M Glucose Acide car- Stéarine > gène bonique Eau. 1. Hanriot, Comples rendus, 1892, t. 1, p. 371. 2, Hanriot, Comptes rendus, {. I, 1892, p. 432. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 121 La thèse qui admet que l'oxydation partielle de la graisse aboutit dans l’économie au terme glucose a de fort nombreux adeptes. See- sen, Chauveau et son école, Bouchard, Bunge, Von Noorden et, tout récemment, Rumpf” et Weiss * sont venus successivement s’y rallier et la soutenir de leur autorité. La formule n’était-elle pas séduisante ? Elle permettait en effet d'expliquer pourquoi certains organismes, ainsi que nous l’avons observé avec Bouchard, peuvent augmenter de poids en l’absence de tout nouvel apport alimentaire autre que les gaz atmosphériques. Elle était en outre susceptible de montrer com- ment l’économie, qui dépense parfois ses réserves sucrées avec une grande intensité, peut régénérer son glucose par oxydation partielle des graisses dont elle s'était auparavant approvisionnée. Voyons donc les preuves qui viennent à l'appui de cette thèse, laquelle, il faut bien le reconnaître, n’a commencé que par être une simple conception, fort ingénieuse du reste, de l'esprit. S'appuyant sur des expériences très peu probantes de Nasse, tendant à prouver que la consommation et la destruction des graisses se faisaient surtout dans le foie, Seegen altribua cette disparition des corps gras non pas à leur combustion dans la glande hépatique mais à leur transformation en glycogène. Le foie était en effet plus riche en sucre après une alimentation grasse prolongée 3 ou 4 jours. La démonstration n’avait pas de valeur, Mais, en mettant un fragment de foie en présence de graisse et d’un peu de sang, Seegen constata qu'il y avait formation nouvelle de sucre dans le mélange. L’argument aurait eu cette fois beaucoup de poids, si l’on avait pu renouveler l'expérience. Nous savons main- tenant que les faits, bien observés au laboratoire, ne répondent nul- lement à la réaction supposée, lorsque l’on cherche à la provoquer, ainsi que l’a fait Hanriot, au moyen des réactifs chimiques ou des fer- ments. Le sort des corps gras dans l’économie semble être au contraire tout autre, puisque l’on démontre qu’ils disparaissent directement par combustion, c’est-à-dire, qu’ils sont toujours finalement trans- formés en acide carbonique et en eau. C’est ainsi que l’oxygène, en se portant sur le carbone et l'hydrogène des graisses fort riches {. Rumpf, ÆZrztliches Verein., Hamburg, 15 novembre 1898. 2. Weiss, Zeëlschr. f. physiol. Chem., 1898, t. XXIV, p. 542. 122 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. en ces deux élémeñts éminemment combustibles, contribuerait pour une grande part à l’entretien de la chaleur animale. Pénétrons un peu le mécanisme de la destruction des corps gras dans l'organisme, nous voyons que ces derniers commencent par subir une véritable saponi- fication sous l’action de diastases spéciales, les lipases, analogues à celles qui furent découvertes par Hanriot dans le sang, le pancréas et le foie. Le corps gras se dédouble en glycérine et en acides gras. Que la glycérine, ainsi mise en liberté, se transforme alors en glyco- sène, l’hypothèse ne rencontre pas la moindre opposition. Elle ré- pond en effet à des observations suivies de laboratoire. Berthelot a vu la glycérine se changer sous l’influence de certains ferments en un sucre lévogyre. Elle est de plus conforme à ces expériences de physiologie qui permettent, ainsi que nous l’avons signalé, de cons- later une formation nouvelle de glycogène à la suite d’ingestions de olycérine. Quant aux acides gras, ils s’unissent aux bases du plasma sanguin pour former des savons et c’est seulement sur ces savons que porte l’action soit de l’oxygène apporté par l’hémoglobine du sang, Soil des ferments oxydants très répandus dans les divers tissus. Conformément à la loi énoncée par Woehler, cette combustion ne se- rait pas instantanée c’est-à-dire qu'il n’y aurait pas transformation subite des savons en acide carbonique et en eau. L’oxydation se ferait au contraire par degrés successifs, l’acide gras combustible perdant peu à peu son carbone et son hydrogène et, commençant par passer à l’état d'acide homologue, avec élimination simultanée d’eau et d’acide carbonique. Voilà ce que l’on enseigne, parce que tous ces faits n’ont rien d’invraisemblable et surtout parce que les corps gras soumis à une oxydation lente, sous l'influence de l'air par exemple, subissent des changements de l’ordre de ceux que nous venons d’indiquer *. Il est essentiel, en effet, conclut M. Berthelot, de tenir compte des réactions constatées par les analyses de laboratoire, lors de l’oxyda- lon lente des corps gras. On constate alors la formation d’acides gras inférieurs à l'acide stéarique, tels que les acides du beurre et analogues (caprique, caproïque, valérique, butyrique), acides acéti- que et formique et d'acides bibasiques tels que les acides succinique 1. Berthelot, Chaleur animale (Encyclopédie Léauté), t. 1, p. 139. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 123 et oxalique; or, tous ces principes existent en fait d'ans les organismes animaux. Ajoutons à ces preuves de la combustion complète des graisses dans l'organisme que les globules sanguins, d’après Cohn- stein et Michaelis, jouissent de propriétés lipolyliques, consistant en une oxydation complète des corps gras. Ceux-ci peuvent donc bien être transformés uniquement par l’action des ferments, en eau et en acide carbonique et il semble dès lors à peu près certain que nous venons de nommer quelques-uns des termes véritables par les- quels doivent passer les graisses, durant leur combustion progres- sive. Il s’ensuit que le changement en sucre d’un acide gras, résul- tant du dédoublement des graisses naturelles, est un fait qui, d’après les lois et les réactions reconnues, ne se rattache nullement à l’un des modes d’oxydation de ces acides admis par les chimistes. Bien que les faits n’y encouragent pas, nous savons cependant que certains physiologistes persistent à admettre que la graisse subit dans l’économie d’autres métamorphoses que celles qui résultent de sa combustion complète. Voici les preuves apportées par M. Chauveau à appui de la transformation possible, par l’organisme, des graisses en glucose *. Nous y joindrons les arguments que l’on est venu de toutes parts opposer à sa théorie. Nous avons vu avec Cl. Bernard que la nutrition n’est pas directe, c’est-à-dire que l'animal utilise non pas les aliments tels qu'il les ingère, mais bien les réserves de toute nature qu’il sait se constituer aux dépens de ces aliments. Reprenant l’idée du grand physiologiste, M. Chauveau l’a développée dans un mémoire devenu classique *, sur lequel nous reviendrons, et s’est attaché à démontrer qu’il en est de même chez l’animal, non ali- menté, et à jeun, depuis un temps suffisamment long pour qu'il ait pu complètement transformer à sa façon, autrement dit assimiler ce qu’il avait ingéré à son dernier repas. Or, chez les sujets privés de nourriture, comme ceux qui sont par exemple en état de veille ou même de sommeil hibernal, on constate une persistance évidente des hydrates de carbone et cela, bien que, chez eux, il continue à se faire, non moins évidemment, une consommation ininterrompue du 1. Chauveau, Comptes rendus, 1896, t. I, p. 1098, 1163, 1169, 1244 et 1303. 2. Chauveau, La vie el l'énergie chez l'animal, 1894. 124 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. glucose physiologique. Cette reconstitution incessante de la matière sucrée ne peut sûrement s’opérer, dans ces conditions, qu'aux dé- pens des autres matériaux de l'organisme, c’est-à-dire des graisses ou des albuminoïdes. Voilà le dogme qui sert de base à M. Chauveau pour établir sa théorie, et s’il s'adresse alors de préférence aux ré- serves graisseuses en tant que source de glucose, c’est tout d’abord parce que la conservation des hydrates de carbone chez les animaux en état de sommeil hibernal se présente dans des conditions toutes particulières. À la fin d’un jeûne et d’un engourdissement, d’une durée de trois mois, la marmotte endormie a perdu la presque tota- lité de sa provision de graisse, alors que son sang contient toujours du glucose et que l’analyse décèle encore 2,20 p. 100 de glycogène dans son foie et 0,37 dans ses muscles. Il semblerait donc juste d’ad- mettre que la graisse disparue s’est transformée en sucre, ou tout au moins en un hydrate de carbone quelconque. La chose parait encore moins impossible après les expériences de Regnault et Reiset sur le sommeil hibernal de la marmotte. Ces auteurs ont constaté que, dans ces conditions, l’animal augmente souvent de poids par sa seule respiration, dans les périodes où il ne rend ni fèces ni urines, et que son coefficient respiratoire descend parfois au- dessous de 0,70, chiffre que nous savons correspondre à la combus- tion complète des corps gras. Or, si, d’après l'équation proposée par M. Chauveau pour rendre compte de la transformation des graisses en glucose, on calcule le coefficient respiratoire répondant à cette formule, on lui trouve justement une valeur de 0,27, bien inférieure à 0,70. Cela permettrait donc de croire que l'oxygène consommé s’est fixé sur les graisses pour les oxyder partiellement. M. Chauveau ne pense pas que ce soit là un processus spécial aux animaux hiber- nants. Lorsque l’on suit, en effet, les variations du coefficient respiratoire d’un sujet non alimenté depuis seize heures et soumis à un certain travail musculaire, on constate que le rapport % donné par les analyses de l’air expiré croit au début jusqu’à avoir une valeur très voisine de l'unité et diminue ensuite progressivement à mesure que le travail se prolonge. De plus, si l’on veut bien admettre, par avance, que le travail musculaire, ainsi que nous le montrera le chapitre suivant, se fait principalement, pour ne pas dire exclusi- GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 129 vement, aux dépens des hydrates de carbone de l’organisme, il devient aisé de comprendre comment l’abaissement du coefficient respiratoire, survenu au bout d’un certain temps de travail, est de nature à démon- trer qu'il y a utilisation par l'organisme de matériaux autres que le glucose. La diminution du rapport % est la conséquence d’une ab- sorption plus grande d'oxygène, il faudrait done voir «dans l’atté- nuation de l'accroissement du quotient respiratoire, pendant les der- nières parties de la période de travail, indice certain d’une activité plus grande imprimée à l’oxydation de la graisse en vue de la recons- titution des hydrates de carbone qui se brülent pendant le travail ». M. Chauveau retrouve encore de bonnes raisons à l'appui de sa thèse, en observant que l’homme qui travaille après l’ingestion et durant la digestion d’une ration de beurre n’a pas un coefficient respiratoire voisin de celui de 0,70, comme cela devrait avoir lieu s’il ne faisait qu’oxyder totalement cette graisse mais bien un coefficient de 0,81. Celui-ci est assez rapproché de l’unité pour que l’on puisse supposer que là encore il y a combustion par l’organisme d’un hydrate de car- bone tel que le glucose. Tout cela constitue des faits éminemment suggestifs aux yeux de M. Chauveau, et1l lui semble difficile d'échapper à cette déduction que les hydrocarbonés de l’économie, incessamment détruits, sont incessamment reconstitués par la transformation des graisses en glucose, ou en glycogène. Les arguments que nous venons de passer en revue ont cependant une contre-partie non moins sug- vestive et non moins bien fondée. Sans doute lors du sommeil des animaux hibernants, peut-on dire en développant la thèse contraire soutenue par M. Berthelot, il y a disparition de la graisse et persis- lance du glucose, tandis qu'il se produit une notable augmentation de l'oxygène absorbé! Soil, mais pourquoi l'oxygène en excès irait-l se fixer sur les graisses plutôt que sur tout autre principe comme les matières albuminoïdes ? Si l’on veut bien songer en outre à la dis- proportion énorme qui existe normalement entre le poids des hydra- tes de carbone dispersés dans les humeurs ou les tissus et la teneur de l’économie en corps gras, on voit qu'il ne suffit plus de constater la persistance de la matière sucrée chez les sujets non alimentés, pour en conclure que la graisse des animaux se change même partielle- ment en glycogène ou en glucose. La teneur relativement élevée 126 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. des tissus de la marmotte endormie en ces deux derniers principes est du reste fort compréhensible, puisque l’on a affaire à des organismes dont les échanges sont réduits au minimum. Alors pourquoi le glyco- gène retrouvé ne serait-il pas en partie le même que celui qui pré- existait tout formé dans le foie au commencement du sommeil ? Pourquoi encore ce glycogène ne se serait-il pas formé aux dépens des albuminoïdes, dont la destruction dans l’économie est certaine puis- que, durant son sommeil, l'animal émet des urines riches en urée ? Maintenant en ce qui concerne l’abaissement du quotient respiratoire des marmottes on peut observer avec Arthus que de deux choses l’une: ou cet abaissement est transitoire, et il perd toute signification, ou bien il est constant. Mais alors s’il correspond réellement à la trans- formation des graisses en glycogène, on devrait, ainsi que nous l'avons déjà remarqué, trouver un enrichissement notable des tissus et notamment du foie en glycogène… L'analyse n’en décèle que 2,20 p. 100, ce qui est une proportion minime. Quant aux arguments tirés des variations de ce coefficient respiratoire, on peut leur objec- ter que le rapport % n’est au fond que la résultante de phénomènes très divers et qu'il peut avoir la même valeur absolue alors que les phénomènes changent complètement de sens. Il peut tout aussi bien croitre et se rapprocher de lunité lorsqu'il y a combustion de glu- cose que lorsque ce dernier sucre vient à se transformer en graisse. Son abaissement au-dessous de l’unité jusqu’au chiffre de 0,70, s'explique encore très bien par la combustion simultanée des hydro- curbonés et des graisses, Enfin l’idée sur laquelle repose toute la théorie, c’est-à-dire que la production du travail se fait toujours aux dépens du glucose n’est pas aussi exclusive que veut bien le supposer M. Chauveau. Nous verrons qu'il peut en être autrement. Au milieu de ces contradictions, il semble fort difficile de con- clure. D'une part MM. Chauveau et Bouchard proposent une thèse, nullement impossible a priori, et multiplient à l'appui de leur théorie de nombreuses conjectures qui, confirmées d’une façon gé- nérale par les faits, constituent par cela même de fortes présomp- tions. Mais d’autre part on ne peut reprocher à leurs contradicteurs d'exiger la démonstration, au moyen d’analyses quantitatives exactes ou de raisonnements plus serrés, de la transformation des matières GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 127 grasses en glycogène ou en sucre chez les animaux supérieurs. On ne peut non plus s'étonner que ces derniers se tiennent sur la ré- serve tant qu'il ne leur sera pas donné de connaître le procédé ins- trumental et le mécanisme imtime de cette oxydation incomplète de la graisse sur laquelle repose tout le litige. Il n’a encore été fait aucune réponse à ce sujet. MM. Bouchard et Desgrez soupçonnent les leu- cocytes d’être les agents de cette transformation, mais ils ont ren- contré au point de vue du dosage du glycogène dans ces éléments des difficultés expérimentales telles qu'après avoir douté de leurs méthodes d’analysé ils n’ont pas osé publier leurs résultats. L’op- position semblerait donc l'emporter, si la transformation des ma- tières grasses en sucre n'avait pas élé constatée chez les végétaux et cela d’une façon certaine, ne laissant rien à désirer au point de vue de la précision expérimentale. Reprenant les études de Maquenne ‘ sur les changements de composition qu’éprouvent les graines oléagi- neuses au cours de la germination, Mazé? est arrivé sur ce point à des résultats tout à fait probants. Ses expériences sur la graine d’arachide ont mis en évidence non seulement un gain certain après la germination en matières saccharifiables et en sucres, mais une augmentation du poids de la matière sur laquelle portaient les re- cherches. « Les substances azotées de réserve, conclut Mazé, ne peu- vent fournir un tel accroissement du poids (de 8 à 15 p. 100 du poids initial) par voie d'oxydation, au sein même des cellules, car le même fait pourrait être observé chez les graines amylacées, riches, comme les pois, en azote. » La digestion des matières grasses dans les graines, en germination, se fait donc par voie progressive d’oxydation, ainsi que le démontre l’analyse élémentaire des matières extraites de la graine par l’éther avant puis après la germination, et cette oxydation incomplète aboutit en dernière analyse aux sucres. Voilà qui con- corde avec les formules et la théorie de Chauveau et de Bouchard. Le phénomène serait donc d'ordre général en physiologie, aussi ne doit-on pas abandonner tout espoir de voir démontrer un Jour qu’il en est réellement ainsi. 1. Maquenne, Comptes rendus, 1898, t. Il, p. 62 l 9. 2. Mazé, Comptes rendus, 1900, t. I, p. 424 ; 1902, t. |, p. 309. 128 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Formation du lactose. Telle est l’histoire du glycogène et du glucose. Pour en finir avec l'étude des sources auxquelles l’économie puise ses hydrocarbonés, il nous reste quelques mots à dire sur l'origine du sucre de lait et nous allons voir qu’elle n’est autre au fond que celle du glycogène et du glucose. Tout le monde sait que pendant la lactation, qui s’établit chez la femelle après l’accouchement, le liquide issu de la glande mammaire est fortement chargé de lactose. D’où vient ce sucre ? Se forme-t-1l dans les tissus de la mamelle aux dépens d’une réserve su- crée quelconque, analogue au glycogène ; ou bien est-il fourni en nature par le sang, et la glande ne ferait alors que l’excréter ; ou bien enfin se forme-t-il au niveau de la mamelle aux dépens des matériaux que le sang apporte à cet organe ? Schützembergér a démontré l’im- possibilité de la première hypothèse. On arrive bien à extraire de la mamelle de vaches ou de chèvres de petites quantités d’une subs- tance transformable par l'acide sulfurique en un corps réducteur, mais les diastases sont impuissantes à l’hydrolyser. Il ne faut pas croire alors à l’existence d’une matière lactogène. Paul Bert’ a établi par l'expérience qu’il valait mieux au contraire porter son attention sur les deux autres hypothèses. Elles sapposent, ce que nous savons déjà être conforme à la réalité, qu’au moment de accouchement, lorsque la lactation va commencer, il y a production par l’économie d’un excès de sucre. Cette hyperglycémie de la grossesse, nous l’avons si- gnalée à la fin du chapitre précédent, se manifeste par une glyco- surie maintes fois constatée en clinique et prenant une forme toute spéciale, puisque le sucre, éliminé, est du lactose. Suivant Por- cher, la présence de ce sucre est en effet constante dans l’urine des mères, quelques jours avant la délivrance. On conçoit d’a- près cela que la lactation doit être l’un des moyens dont use la femelle pour débarrasser son économie de l’excès de matière su- crée qu’elle produit au cours de cet état physiologique spécial. P. Bert a entrevu le premier que si l’on empêche le lait de sortir, 1. Paul Bert, Comptes rendus, 1884, t. 1, p. 775. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 129 ainsi par conséquent que le sucre qu’il tient en dissolution, le lactose doit être de suite éliminé par les autres émonctoires et surtout par le rein. Effectivement, lorsque l’on enlève les mamelles à une femelle, l'expérience a été faite sur des cochons d'Inde et des chèvres, ses -urmes deviennent aussitôt susceplibles de réduire la liqueur cupro- potassique. Porcher * en arrêtant la traite chez des vaches en état de lactation est arrivé d’une autre façon à faire repasser le lactose élaboré d’abord dans le sang puis dans l’urine. Il à ensuite net- tement constaté que dès l’instant où l’on reprend la traite, le titre du lactose baisse rapidement dans l’urine et finit même par s’annuler, La conclusion s'impose : le sucre de lait doit être fabriqué par l’or- ganisme en grande partie aux dépens du sucre physiologique pro- duit en excès après la parturition. Nous avons suivi la formation de cette dernière matière sucrée aux dépens des aliments et nous avons constaté à plusieurs reprises que la glycogenèse est une fonc- tion commune à presque toutes les cellules, bien qu’elle se mani- feste avec plus d'intensité dans le foie. Mais durant la lactation, l’économie, qui à ce moment est saturée de sucre, fabrique-t-elle di- rectement son lactose ou bien continue-t-elle, suivant son habitude, à élaborer tout d’abord du glucose, dont la transformation en lactose se ferait postérieurement dans la mamelle? C’est là une question que la physiologie n’a pas encore résolue | Nous venons de détailler un peu longuement, semblera-t-il au premier abord, ce qui touche à l’origine du sucre physiologique de l’économie animale. Nous l’avons voulu ainsi. Avant d’en arriver à démontrer la nécessité et l'utilité d'introduire le sucre ordinaire dans la ration de l’homme ou des animaux auxquels ce dernier demande la production soit de travail musculaire soit de viande ou de lait, n’est-il pas utile en effet de pouvoir comparer cet aliment aux autres principes susceptibles de subvenir, comme lui, aux mêmes besoins de l'organisme. La théorie de l'alimentation au sucre, telle que l’on doit la comprendre et la mettre en pratique, est donc, on le voit, assez longue à établir, mais elle n’en est ainsi que plus rationnelle et donne d’autant moins prise aux critiques. L’esprit du public, poussé 1. Porcher, Bull. de la Soc. cent. de méd. vélérinaire, 13 novembre 1902. ANN. SCIENCE AGRON. — ?° SÉRIE. — 1902-1903. — 11. 9 130 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. par l'intérêt de l’un ou de l’autre, n’a déjà que trop tendance à défigurer les questions et à faire dire à la science ce qu’elle n’a jamais songé à affirmer et encore moins à démontrer. Faisons en sorte qu'il n’en soit pas de même ici, car si d’un côté il y va de l'avenir des producteurs de sucre c’est-à-dire d’une branche impor- tante de l’industrie agricole, il ne faut pas, d’autre part, oublier l’in- térêt de la grande masse de consommateurs. C’est au profit du bien- être général de ces derniers que l’on cherche surtout à améliorer l'hygiène alimentaire ! IV. — DÉPENSE PAR L'ORGANISME DE SON SUCRE PHYSIOLOGIQUE. LES HYDROCARBONÉS, SOURCE CHIMIQUE DE LA CHALEUR ANIMALE ET DE L'ÉNERGIE MUSCULAIRE. Preuves de la consommation du glucose par l'organisme. En regard des recettes, inscrivons maintenant les dépenses. Lorsque les cellules hépatiques et autres, auxquelles est dévolu le soin d’éla- borer la matière sucrée, ont terminé, comme nous le savons, ce tra- vail si compliqué de synthèse qui aboutit toujours à la production du sucre physiologique, le glucose, que devient ce glucose, après son passage dans le courant de la circulation”? CI. Bernard n'ayant à tort, lors de ses premières recherches, trouvé de propriétés réductri- ces qu'au sang pris entre le foie et le poumon, avait cru pouvoir conclure que lesuere tenu en dissolution dans le sérum arrivait forcé- ment au contact de l'air dans les poumons, où 1] se détruisait alors par combustion. Gette assertion fut rectifiée dès 1856 par M. Chau- veau. Des nouvelles expériences entreprises à cette époque à Lyon, il résulta, en effet, que le foie était bien un foyer de production inces- sante de sucre, ainsi que Cl. Bernard n’avait cessé de l’affirmer, mais qu'il existait, à côté de ce foyer de production, un foyer de destruc- lion tout aussi actif, qu'il fallait localiser, non pas dans le poumon, mais bien dans les capillaires de la circulation générale, autrement dit dans les tissus. La thèse reposait sur des faits si bien établis que CI. Bernard ne tarda pas à l’accepter. Il la vulgarisa même, avec tant GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 131 de chaleur, que l’on finit par la lui attribuer. Rappelons les faits nou- veaux qu’apportait M. Chauveau à l’appui de sa théorie : 1° le sang du cœur gauche est aussi sucré que celui du cœur droit, ce qui dé- montre d’une façon évidente qu’il n’y a pas de glucose détruit, pen- dant la traversée des poumons ; 2° le sang veineux est toujours moins riche en sucre que le sang artériel, preuve certaine que c’est bien dans les tissus qu'il faut localiser la destruction de la matière sucrée. Celle-ci, on le conçoit, ne peut, d’autre part, disparaitre entièrement dans le sang lui-même puisque le taux de sucre, ainsi que nous l’a- vons constaté, ne change pas ou ne varie que peu dans toute l'étendue de l’arbre artériel. | A ces preuves, rendues irréfutables par les analyses de M. Chau- veau, de la consommation du sucre du sang dans l'organisme, il faut en joindre encore d’autres. Lorsque l’on vient à supprimer la circu- lation par ligature de l'aorte, on voit la quantité de sucre décroître rapidement, durant les quelques heures de survie, dans le sang caro- tidien. Il y a donc consommation du glucose. On observe encore que, durant l'intervalle des repas, le glycogène diminue dans le foie, sans que l’on puisse observer la moindre augmentation du taux de sucre dans le sang. Comme nous sommes autorisés à supposer que ce glyco- oène hépatique, ainsi disparu, n’a pu qu'être transformé en glucose, il faut donc que l’excès de sucre, ainsi mis en circulation, ait été con- sommé aussitôt sa production. Du reste, si l’on observe le même sang, à plusieurs reprises, et en évitant que sa provision de sucre ne se re- nouvelle, on peut avoir une nouvelle preuve, encore plus certaine, de l’appauvrissement continuel du plasma en glucose. Pour la démons- tration de ce fait, MM. Lépine et Barral se sont servis de l’appareil de Jacob; ' qui permet de faire circuler artificiellement du sang défi- briné dans le membre ou l’organe que l’on a isolé et choisi pour l'expérience. Une simple poire en caoutchouc joue l'office de cœur. On peut la presser, soit à la main, soit au moyen d’un moteur, et comme elle se trouve comprise entre deux valvules, convenablement disposées, à chaque aspiration ou expiration, le liquide passe tou- 1. Voir la description et le fonctionnement de l'appareil Jacobj dans Barral : Sucre du sang, loc. cèl., p. 59. 132 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Jours dans le même sens. Pour régler la compression de cette poire, on se guide du reste sur les indications fournies par deux mano- mètres placés, l’un sur le courant artériel, l’autre communiquant avec le pseudo-système veineux. Le sang oxygéné, lancé par la poire, traverse en cours de route un serpentin, lequel plonge dans un bain- marie maintenu, ainsi que l’enceinte où se trouve l'organe à irri- guer, à la température physiologique de lanimal vivant. Au sortir des tissus, le sang qui s’échappe par la veine est de suite mélangé à de oxygène. Il peut donc en fixer une partie et se débarrasser de son acide carbonique ; autrement dit, il se transforme en sang arté- riel, tout comme s'il traversait les poumons. De cette ‘façon, on arrive à faire circuler, durant des heures, de 300 à 320 grammes d’un sang défibriné, qu'il est toujours aisé d’analyser au commence- ment, puis à la fin de l'expérience. Cette technique simule, on le voit, autant que possible, la circulation naturelle. Ainsi que M. Lépine l’a constaté *, elle entretient en outre très suffisamment les propriétés des tissus et du sang. Les muscles conservent leur 1rritabilité ; le sang venant du membre est bien noir et, grâce à l’oxygénation à laquelle on le soumet dans l'appareil, il rentre dans l'artère, parfaitement rouge ; il est, en un mot, même plusieurs heures après le début de l’expérience, aussi normal que peut l’être un sang défibriné et privé, durant ce temps, de l’incessante rénovation qui se passe chez l'animal vivant. Grâce à ce dispositif, il a été possible d’analyser à plusieurs reprises le même sang, au point de vue de sa teneur en olucose, soit lorsqu'il circulait € à blanc » dans lappareil sans tra- verser de tissus animaux, soit lorsqu'il irriguait un membre ou un organe res en expérience. Pour compléter l’observation, on a égale- ment en be les changements subis par ce sang, mis en circulation dans l'appareil de Jacobj, à ceux qu’il éprouvait lorsque, durant l'essai, on l’abandonnait inerte à la même température. Nous avons vu (p. 309, t. 1, 2° fasc. 1902-1905) que l’on constate en effet in vitro la disparition du glucose dans le sang lui-même, sous l’influence du ferment glvcolytique, et que celui-ci, autant qu'il est permis de le supposer, car les faits précis manquent à ce sujet, procède effecti- 1 Lépine et Barral, Comptes rendus, 1891, t. TI, p. 118. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 133 vement à la destruction du sucre physiologique d’abord par dédou- blement, puis ensuite par oxydation. Ce ferment existeräit-il dans le sang circulant, et devons-nous voir en lui l’un des modes naturels de la consommation du sucre physiologique par l’économie animale ? La question a donné lieu à toutes sortes de controverses’. D’un côté, l’on doit à Arthus? d’avoir réuni un certain nombre d’argu- ments paraissant au premier abord suffisants pour démontrer que le ferment ne fonctionne pas durant la vie. Il n’agirait alors que post morlem, c’est-à-dire après l’extraction du sang et seulement lorsque ce dernier n’est plus dans son milieu naturel. En se plaçant, d'autre part, avec M. Lépine, uniquement sur le terrain physiologique, il faut reconnaître que les raisons d'ordre purement chimique de M. Arthus perdent un peu de leur force. Il sérait hors de sujet d’en- trer ici plus avant dans cette discussion. M. Lépine, dans un travail actuellement en préparation, doit prochainement régler le différend et clore la polémique. Sans attendre les arguments nouveaux que cet auteur ne manquera d'apporter, il y a tout lieu de croire qu’en principe la glycolyse se poursuit continuellement durant la vie dans le sang. Mais il ne faut pas cependant supposer pour cela que le phénomène ait alors la même intensité que celle qu'il manifeste hors de l’économie. La glycolyse dans le sang en circulation est fort atténuée et celle que l’on observe in vitro n’a donc plus d’autre intérêt que celui de nous montrer la persistance et l’exagération d’un phénomène vital en train de cesser. C’est à cette conclusion que nous conduisent du reste les expériences de circulation arti- ficielle faites au moyen de l’appareil de Jacobj. Le sang qui circule € à blanc » perd toujours moins de sucre que lorsqu’il reste au repos à la même température, mais, par contre, s’il traverse un organe ou un membre quelconque, il en perd toujours plus que s’il n’avait pas circulé. 300 centimètres cubes de. sang, après la traversée d’un rein de chien pesant environ 30 grammes, contiennent, au bout de une heure, 16 p. 100 de glucose de moins qu'après un séjour de même durée in vitro. Si l’appareil est mis en communication avec l’artère 1. Voir Duclaux, Trailé de Microbiologie, t. Il, 1899, p. 528. 2. Arthus, Mém. Soc. d. Biol., 1891, p. 65. 134 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. et la veine fémorale du membre inférieur d’un chien, le sang perd, durant la première heure, environ 60 p. 100 de son sucre. Après cela, il n’est plus permis de douter que l'organisme dépense son glu- cose. Les chiffres de consommation que nous venons de citer ne donnent du reste qu’une idée très faible de ce qui à réellement lieu chez l'animal vivant, car les tissus de ce dernier sont, par rapport à la masse de son sang, comme 14 est à 1, tandis que, dans les expé- riences de M. Lépine, le volume du rein irrigué artificiellement n’est par exemple que le dixième de celui du sang mis en circulation. L'énergie potentielle des aliments. , L'organisme dépense donc le glucose qu’il élabore. Voyons le bé- néfice qu'il retire de la consommation de ce principe ; autrement dit, quel est le rôle physiologique du sucre du sang ? Jusqu'ici nous n'avons regardé l « aliment », c’est-à-dire, suivant l'expression commune, «ce qui nourrit » et, au point de vue particu- lier où nous ne cessons de nous placer, ce aux dépens de quoi l’écono- mie forme son sucre, uniquement que comme de la « matière ». Cela signifie que les protéiques, les graisses et les hydrocarbonés ne sont intervenus dans nos raisonnements que comme quelque chose qui se voit, se touche, se pèse, réagit sur les sens du goût ou de l’odorat, se montre inoffensif ou toxique et surtout comme quelque chose qui se transforme. Les mutations des trois principaux groupes organi- ques nécessaires au fonctionnement de l’économie animale nous ont fourni, disons-le en passant, la preuve certaine que la matière est indestructible. En la suivant à travers les voies nombreuses et com- pliquées que l'organisme lui fait parcourir, nous l’avons toujours vue entrer et sortir des combinaisons en conservant son poids initial, si bien que l’étude de la glycogénie pourrait presque passer pour l'un des développements les plus beaux et les plus instructifs de la phrase célèbre de Lavoisier : « Rien ne se perd, rien ne se crée, ni dans les opérations de Part ni dans celles de la nature. » L’ «aliment » nous apporte, cependant, autre chose que la matière. Il donne des forces, disons-nous couramment. Il apporte l'énergie, dirons-nous, si nous voulons adopter le langage spécial de la science. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 139 L'énergie, bien qu’elle soit impondérable et intangible, bien qu’elle soit, comme la matière du reste, indéfinissable, et se réduise à n’être qu’une notion intuitive de l'esprit, n’en existe pas moins. Elle se ré- vè'e à nous d’une façon évidente. Tout le monde connaît, par leurs manifestations positives, l’énergie chimique, l’énergie mécanique, calorifique, électrique, optique, ete. Le mouvement, la chaleur, l'électricité, la lumière ne sont en effet que des formes diverses de l'énergie transformée. La physique et la mécanique nous l’ensei- ognent ; elles nous démontrent en outre que toutes ces transforma- tions sont équivalentes. Le travail mécanique se change en chaleur, en mouvement, en lumière. etc., et cela, conformément à des règles et même à des coefficients numériques bien connus. C’est le dévelop- pement de ces notions générales qui ont conduit la science à démon- trer que l’énergie inhérente à la matière parcourt, comme cette der- nière et dans l'union la plus étroite avec elle, un mouvement circulaire sans interruption ni fin. Nous nous trouvons alors en présence de la loi qui proclame l’indestructibilité de l'énergie au cours de ses transformations. C’est ce nouveau grand principe, base de toutes les sciences positives et qui, au fond, ne fait qu’un avec celui de l’indes- tructibililé de la matière, que nous allons être amenés à appliquer à l'animal vivant. Puisque l'énergie n'a ni commencement ni fin, 1 ne faut pas de- mander à la vie de la créer. Et pourtant, d’après ce que nous savons déjà de l'énergie, nous pouvons affirmer que l'animal vivant en libère ; ne serait-ce que parce qu'il se meut. Le mouvement seul nous fait souvent deviner la vie et tout mouvement nécessite une dépense de force. Où l'organisme se procure-t-il cette force ? N'oublions pas que la matière et l'énergie ne sont peut-être que les manifestations d’un même fait ; elles ne peuvent en tout cas conserver l’une en face de l’autre une existence mdépendante. Il est de plus impossible de les séparer ou même .de les concevoir séparément, puisque la matière ne se manifeste en réalité à nous que par l'absorption ou l’émission d'énergie. On se trouve ainsi amené par ces considérations, et sans grand effort de l'esprit, à reconnaître ce que nous avions déjà avancé sans preuve, à savoir que les aliments, l’eau, les gaz de Pair, elc., en un mot tout ce que l’animal ingère habituellement, consti- 156 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. tuent pour l’organisme une source non seulement de matière, mais également d'énergie. Effectivement, l’énergie se trouve accumulée dans les aliments organiques les plus divers. Elle y est en repos, et, dans ce cas, on la dit potentielle pour la distinguer de l'énergie en aclivité que l’on nomme énergie cinétique ou de mouvement ou encore force vive. Approfondissons la nature de cette énergie potentielle alimentaire. On sait que les végétaux édifient leurs tissus et les divers principes organiques, azotés, gras ou hydrocarbonés qui les constituent, aux dépens de principes inorganiques ou minéraux comme les corps inertes du sol et de l'atmosphère. La construction de l’édifice végétal exige un certain travail, c’est-à-dire rend nécessaire l'intervention d’une certaine quantité d'énergie. La lumière et la chaleur du soleil fournissent cet apport d’énergie. Sans cela, la plante ne pourrait accomplir ces transformations de la matière qui nous surprennent ; l’acide carbonique de l’air, par exemple, ne fournirait pas aux végé- taux le carbone que nous avons retrouvé dans les protéiques, les graisses etles hydrocarbonés. Mais l'énergie calorifique ou lumineuse, présente nécessairement, lors de toutes ces opérations de la cellule végétale vivante, ne peut s’anéantir ou disparaitre une fois le travail accompli. Sonindestructibilité absolue s’y oppose. Aussi la retrouve- t-on intégralement dans la plante. Sans doute, elle échappe alors à l'observateur superficiel, car, absorbée par les principes organiques à l’élaboration desquels elle a contribué, elle devient latente, c’est-à- dire qu’elle cesse momentanément d’être apparente. Elle n’en est pas perdue pour cela. Sans changer au fond, elle a modifié sa ma- nière d’être et sa forme; elle est, en un mot, passée à l’état de force équivalente qui, après maints changements, finira peut-être, nous le verrons, par se manifester de nouveau. C’est ce que l’on exprime dans le langage courant, en disant que l'énergie calorifique ou lumineuse du soleil s’est transformée en énergie chimique potentielle ou plus simplement en potentiel. Ces considérations nous représentent donc les végétaux sous l’aspect de véritables accumulateurs d’énergie, tandis que les animaux ne seraient que des instruments susceptibles de restituer au monde extérieur l'énergie solaire momentanément fixée par la plante. Tyndall identifiait la vie de la plante à élévation GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 137 d’un poids et celle de l’animal à la chute du même poids. Sa compa- raison, bien que très expressive, ne sépare-t-elle peut-être tout de même pas un peu trop nettement les deux grands règnes de la vie? Considérons, en effet, l’acide carbonique de l’air. Il ne pourra four- nir à la plante le carbone, nécessaire à l’édification de ses tissus, que s'il lui arrive imprégné, en quelque sorte, de vibrations lumineuses et calorifiques. Cette lumière et cette chaleur pénètrent dans la plante avec la matière et, ainsi que nous le disions, on les retrouve forcé- ment inhérentes à l’albumine, la graisse et la fécule, principalement amassées dans les graines végétales. C’est là que les herbivores vien- dront prendre ces forces, pour les emmagasiner, à leur tour, dans leur sang et leur chair qui serviront dans la suite à alimenter les carnivores. Les animaux, en fin de compte, on le voit, utilisent aussi l’énergie du soleil, et s’ils se distinguent des végétaux ce n’est que parce qu’ils s'emparent de cette énergie qu'après que le végétal, qui l’absorbe directement et en nature, l’a transformée à sa façon. Il faut même noter, avec CI. Bernard, que les jeunes plantes qui vivent aux dépens des réserves de la graine se comportent comme de véri- tables animaux. Voilà comment l’on est conduit à admettre que l’éner- gie, de même que la matière, ne peut être utilisée que si elle se pré- sente à chaque être vivant sous une forme qui lui soit assimilable. Nous venons de trouver, en dernier lieu, que la lumière et la cha- leur solaires transformées se retrouvent dans les aliments organiques. Elles y constituent ce que nous avons nommé : l'énergie chimique potentielle. Cette nouvelle forme de l'énergie n’est pas plus défi- nissable que l'énergie elle-même. Il est cependant possible d’en comprendre la signification. Choisissons d’abord un exemple aussi simple que possible. Si l’on met en présence du mercure et de l’oxy- sène à froid, ces deux corps restent isolés et ne se combinent pas l’un à l’autre, mais, en chauffant progressivement entre 300 et 600P, le mercure s'empare de l'oxygène. Au-dessus de ces températures, le composé se défait et l'oxygène se dégage. Raisonnons ce double phé- nomèêne. Le mercure, lorsqu'on le chauffe sans oxygène, dans le vide si l’on veut, se contente d’emmagasiner de la chaleur. Mais lorsqu'il peut s’oxyder à l’air, tout en s’échauffant il dégage au contraire plus de chaleur qu’il n’en absorbe. Cela nous explique pourquoi il faut 138 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. chauffer fortement le mercure oxydé pour le séparer de l'oxygène, et il en résulte que le mercure métallique ainsi désoxygéné par la chaleur n’est en réalité que le mélange de sa propre matière et d’une certaine quantité de travail non réalisé, mais réalisable. C’est ainsi que le poids qu’on élève à une certaine hauteur absorbe de l’énergie qu'il restitue si l’on vient à le laisser retomber. Un gaz comprimé, un ressort bandé contiennent de même de l'énergie qui redevient libre au moment de la détente du gaz et du ressort. Ces exemples nous indiquent assez nettement ce que c’est que de l’énergie chi- mique potentielle ; mais il faut encore préciser davantage cette idée. Si nous demandons à la physique qui, parmi les sciences, s’atta- che spécialement à l’étude de l’énergie, quelles sont les transforma- tions connues de ce grand fait abstrait, elle nous répond qu’elle croit pouvoir distinguer huit forces de formes relativement différentes : la pesanteur, l'attraction, la chaleur, la lumière, l'électricité, le magné- tisme, la cohésion et l’affinité. La dernière, entre toutes, nous inté- resse ici spécialement. L’affinité n’est autre, en effet, que ce qui pousse les divers corps simples, avec plus ou moins d'intensité, à agir réciproquement les uns sur les autres. Nous avons bien affaire là à une forme d’énergie potentielle, cela se conçoit. L’affinité est en outre de l'énergie chimique, puisque les transformations sans nombre de la matière, que l’on étudie sousle nom de chimie, n’en sont, sans exception, que les conséquences. L'introduction de l’idée d’affinité va nous permettre de définir maintenant ce que l’on entend par satura- lion, et en fournissant des explications sur le sens de ce nouveau terme nous serons amenés à mieux comprendre la nature de l’éner- gie chimique potentielle telle qu’elle existe dans les aliments orga- niques complexes qu'ingèrent les animaux. Nous nous souvenons que l’atome de carbone présente quatre pointes attractives. Lorsque l’on fixe à l’extrémité de chaque aiguille un atome monoatomique de chlore ou d'hydrogène, les quatre at- tractions sont satisfaites, et l’on dit que la molécule résultante est saturée. Elle le sera encore, si l’on garnit simultanément les pointes, deux par deux, avec un bâton, atome diatomique, d’oxygène. La molécule au contraire n’est pas saturée, s’il lui reste des aiguilles libres, c’est-à-dire tant que les quatre attractions ne sont pas satis- GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 139 faites en même temps. Elle possède alors une certaine capacité attractive ou, ce qui revient au même, elle peut être saturée. Cette notion parfaitement claire de la saturation étant admise, compa- rons le carbone du diamant ou du graphite avec le même élément, tel que la chlorophylle le met à la disposition des plantes vertes, lorsqu'elles édifient leurs protéiques, leurs graisses ou leurs hydro- carbonés. Le premier nous rappelle le carbone de la molécule satu- rée, celui que l’on retrouve dans la nature dite brute ou inerte, dans l'acide carbonique par exemple. Par contre, on se figure très-volon- tiers que le carbone, engagé dans la matière organisée ou vivante, est tout à fait comparable à celui de la molécule non saturée dont certaines attractions et affinités ne sont pas satisfaites. Pouvons-nous, en effet, songer à assimiler le carbone qui, sous l’action de la chlo- rophylle, se dégage de l'oxygène avec lequel il était si solidement uni «ans l’acide carbonique de Pair, à celui qui, sous forme de dia- mant, se trouve être réfractaire à toute combinaison compatible avec la vie ? Nous sommes autorisés, par ces simples considérations géné- rales, à mettre en regard de la matière brute, inorganique, saturée, c’est-à-dire tombée dans l’inertie chimique, la matière élaborée par les êtres vivants, la matière organique qui se trouve être, nous le verrons, si puissamment chargée d'énergie. Maintenant, il nous est enfin possible de compléter la définition de l’aliment tel que nous l’'ingérons, qu’il soit albumine, graisse, ou fécule : et c’est à quoi nous voulions arriver. L’aliment n'est autre que de la malière non saturée, qui renferme en elle beaucoup d’afjinités non salisfailes, c’est-à-dire beaucoup d'énergie. Il est par conséquent instable et cela nous explique la multiplicité et la complexité des mutations récipro- ques éprouvées par les différentes catégories de matières alimentaires. Il nous reste à voir comment, en salisfaisant leurs affinités chimiques, ces dernières vont mettre au jour l'énergie qu’elles tiennent cachée. Des transformations que subit l'énergie potentielle dans l'organisme. Voilà aliment chargé de l'énergie lumineuse ou calorifique que la plante a ravie au soleil, puis transformée en énergie chimique 140 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. potentielle! Le voilà revêtu, en outre, d’une certaine instabilité, puisque, non saturé, il a par conséquent des affinités chimiques à satisfaire. Etant tel, dès qu’il pénètre dans l’organisme, il s’y trans- forme de suite. Nous savons à peu près comment. Le chapitre pré- cédent nous a mis au courant de toutes les mutations de la matière qui nous intéressent ici : passage des polysaccharides aux sucres, formation du glucose aux dépens des protéiques et peut-être des corps gras, origine hydrocarbonée des graisses, … etc. À propos de chaque mutation observée, nous avons, en même temps, établi sous forme d’équation la balance des résultats de la réaction chimique. C’est ainsi, pour prendre un exemple abstrait et général, que nous avons écrit: (a+b+c+d) + (e+f+o+h) = (a+ô+e+f) + (c+d+g+h) I I — I" a M N 0 P (a+b+c+d) et (e+f+ g+1h) représentant des molécules de deux composés M et N capables de réagir l’un sur l’autre et de former deux nouveaux composés 0 et P, égaux, le premier à (a+b+e+f) et le second à (c+ d+g+h). Cela ressemble fort à une équation algébrique où le second membre est rigoureusement identique au premier. Îl n’en est rien cependant. L’équation nous indique que la quantité de matière exactement déterminée par la balance est la même de part et d'autre, ou encore que les composés M et N en réa- gissant l’un sur l’autre forment ou deviennent d’autres composés O et P ; mais cela ne signifie pas qu’il faille donner au signe — toute la valeur qu’on lui attribue généralement en algèbre. La preuve en est qu’une nouvelle équation formée en intervertissant les deux membres de celle que nous avons écrite serait absolument fausse. Les corps 0 et P, mis en présence, sont en effet incapables de s’atta- cher spontanément l’un à l’autre et de reformer d'eux-mêmes les composés primitifs M et N. En développant cette idée on voit que les affinités réciproques de M et de N ne sont pas égales à celles de O et de P, et que l'instabilité de la matière envisagée dans notre équation à gauche du signe — est plus grande que celle des com- posés figurés à droite. Plus simplement encore, on voit que O ou P s’acheminent de la matière vivante non saturée vers la matière GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 141 inerte saturée. La suite du raisonnement s'impose d’elle-même. Pour que le second membre 0 + P soit rigoureusement identique, en tout, au premier M N, il faut lui ajouter quelque chose. Ce quelque chose, qui n’a pas de poids, n’est certes point de la matière. Ce ne peut être alors qu'une quantité dynamique. C’est donc de l'énergie, sous forme de chaleur, de lumière, d'électricité, de magnétisme, d'attraction, etc., peu importe, qui s’est dégagée pendant la réac- tion. Tout ceci se résume en quelques mots : la matière en traver- sant l'organisme y abandonne une partie de son énergie. Lorsque l’énergie, par suite des transformations de la matière, se dégage de l’aliment ingéré ou des réserves nutritives constituées par l’organisme aux dépens de l’apport alimentaire, elle cesse d’être potentielle et devient de l'énergie cinétique. Elle passe du repos à l’activité, mais cela ne veut pas dire qu’elle devienne immédiatement sensible et utile pour nous. Longtemps encore, elle gardera une forme qui, maccessible à l'observation, ne la trahira pas au dehors, et il en sera ainsi tant qu’elle restera ce que M. Chauveau appelle le Travail physiologique’. Des exemples seuls peuvent nous per- mettre de définir ce terme. Le travail physiologique, c’est le tra- vail intérieur du muscle qui se contracte mais non le travail méca- nique extérieur qui résulte de cette contraction, c’est . l’énergie mystérieuse consommée par la glande qui sécrète, par le nerf qui fonctionne pour transmettre une excitalion, c’est l'effort dépensé par la cellule qui se forme, s'organise, assimile pour vivre. C’est, en un mot, l’ensemble de ces formes essentiellement variables de l’éner- gie qui se trouvent être intermédiaires entre le potentiel chimique de l'aliment et les manifestations sensibles et extérieures (travail, chaleur, etc.), de l'énergie libérée par l'organisme. On peut encore mieux préciser cette idée, en comparant, ainsi que les physiologistes aiment souvent à le faire, le muscle à un fil de caoutchouc. Si l’on tire sur le muscle contracté ou sur le fil élastique, l’un comme l’au- tre s’allongent. La traction venant à cesser, tous les deux reviennent à la forme et à la longueur qu'ils avaient avant l’étirement. L'esprit, 1. Chauveau, Du travail physiologique et de son équivalence. Revue scientifique, 1558. 142 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. simplement guidé par ce qui se manifeste extérieurement, serait donc tenté de soutenir la comparaison. Mais, si l’on raisonne à fond, il devient facile de se rendre compte que l’analogie n’existe pas en réalité. L’élasticité, qui est la propriété caractéristique du caoutchouc et du muscle, diffère en effet notablement dans les deux cas. Dans le caoutchouc, elle est inhérente à la matière et cette dernière la con- serve indéfiniment sans la dépenser. Dans la fibre, l’élasticité ne subsiste, au contraire, que si les transformations incessantes de l'énergie chimique potentielle l’y entretiennent et la renouvellent à mesure qu'elle se libère soas une forme quelconque. D’après ce que nous savons, les tissus vivants sont traversés d’une façon continue par un courant de matière et par conséquent d’énergie, si bien que, même au repos, ils sont lom d’être absolument inactifs. Pour ne parler que d’un phénomène susceptible d'observation, c’est ainsi que le muscle reste toujours dans un état de contraction légère qu’on appelle fonicilé. Lorsqu'on coupe le nerf moteur qui se rend à ce muscle, ce dernier perd cette tonicité, il est paralysé, devient flasque. Telle est la raison qui a conduit M. Chauveau à dire que Le muscle bien que ne se contraclant pas travaille cependant physiologiquement. Le mot € travaille » n’a pas alors, cela se conçoit, le sens qu’on lui donne généralement en mécanique ; il ne signifie pas qu’il y a dépla- cement d’une force et, par conséquent, du point où cette force est appliquée. Il désigne, alors même qu’elles seraient stériles et inac- cessibles à l’observation, toutes les transformations de l’énergie loca- lisées dans les tissus vivants et qui y créent et entretiennent ce qui deviendra par exemple de la force musculaire. Le muscle travaille enfin par cela seul qu'il lutte toujours pour maintenir sa tonicité et que ses efforts de résistance sont entretenus par un courant d’é- nergie. L'expression de M. Chauveau est donc utile à retenir, si elle tend à nous indiquer que l'énergie chimique potentielle revêt dans l’or- ganisme une forme particulière, une forme vivante peut-on dire. Mais elle doit être oubliée, si l’on veut lui donner une signification précise. Le travail physiologique est-il de l'électricité, de la chaleur, du magnétisme, de l'attraction? La physiologie ne nous renseigne pas assez nettement à ce sujet, pour que nous songions à nous Y GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 143 arrêter. Il paraît du moins certain que, mise en circulation dans l'organisme, l’énergie, de même que la matière à laquelle elle est inhérente, doit varier continuellement. Des formes sous lesquelles l'organisme libère l'énergie. Travail musculaire et chaleur animale. L'énergie ne peut indéfiniment rester emprisonnée dans l’orga- nisme, puisque la vie est aussi incapable de l’anéantir que de la créer. De compagnie avec la matière, elle avance toujours, dans son mouvement perpétuel, en suivant le cycle fermé d’où elle ne peut s’écarter. [l faut donc s'attendre à ce que l’organisme la libère à un moment donné, et effectivement c’est ce qui arrive. L'observation la plus élémentaire nous apprend que l’animal crée, ainsi qu’on le dit à tort, une force nouvelle, la force musculaire, évaluable en kilo- grammes, qui elle-même donne naissance à du travail mécanique que l’on peut mesurer en kilogrammètres. L'organisme dégage en outre constamment de la chaleur qu'il fabrique forcément d’une façon continue, puisque la température reste constante chez les animaux à sang chaud », tels que la plupart des mammifères et des oiseaux. Inutile d’insister sur ce que la chaleur et le travail musculaire cons- tituent les formes de dépense les plus importantes et les plus évi- dentes de l'énergie. Travail musculaire et Chaleur animale sont deux termes qui viennent presque toujours simultanément à l'esprit, si bien que l’on finit souvent, mais à tort, ainsi que nous allons le voir, par les confondre. Depuis que Lavoisier, en effet, a songé à assimiler la respiration animale à une oxydation lente, c’est-à-dire à une combustion, il a paru séduisant de comparer les machines animales aux machines à feu. Ces dernières accomplissent leur énorme travail en utilisant la force élastique de la vapeur d’eau, l’eau recevant elle-même sa puissance du feu qui la chauffe ou, pour être plus exact, de la com- bustion du charbon de terre par exemple. Théoriquement, l’énergie dépensée par la machine à vapeur apparait ainsi au début, à l’état de chaleur, laquelle se change ensuite en travail, suivant un coeffi- cient de transformation fixe. La chaleur nécessaire pour élever de 144 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 1 degré 1 kilogr. d’eau fournit un travail de 425 kilogrammètres. D’après cela, il semblerait rationnel de conclure, en ce qui concerne la machine animale, pour laquelle les combustions respiratoires sont également une source de chaleur, que là encore l'énergie commence par être de la € Chaleur » avant de devenir du € Travail ». Mais non seulement l'hypothèse ne se trouve pas vérifiée par les faits, mais elle est contraire à la théorie. M. A. Gautier‘ le démontre, en appliquant à l'organisme animal le théorème de Sadi-Carnot, relatif à la transformation de la chaleur en travail. Carnot, ayant examiné avec soin le fonctionnemertt ordinaire des machines à feu, était arrivé à conclure qu’un corps ne peut servir à développer, d’une manière durable, de la puissance motrice, que s’il éprouve des alternatives d’échauffement et de refroidissement, ou autrement dit qu’une quan- tité de chaleur ne peut devenir une source de puissance motrice, que si elle passe d’un corps à température élevée à un corps à tem- pérature plus basse. L'eau, pour devenir force motrice, n’a-t-elle pas besoin, elle aussi, de changer de niveau? Le fait se met en équation, et la formule de Carnot donne le-travail en fonction de quelques coefficients fixes puis de la quantité de chaleur considérée, et surtout du refroidissement de la machine, c’est-à-dire de la diffé- rence entre sa température avant et après le travail. Si, dans l’équa- tion considérée, on admet que la température initiale est égale à 38°, température physiologique des muscles avant la contraction, et si l’on suppose que le tiers seulement de la chaleur intramusculaire se transforme en travail, on voit, d’après M. Gautier, par applica- tion de la loi de Sadi-Carnot, que la température finale du muscle, après un travail quelconque, devrait être de 40° au-dessousde 0°. La chose est évidemment inadmissible. La température du muscle ayant travaillé serait encore de — 20° et de — 9° en supposant que le quart et le cinquième seulement de la chaleur deviennent du travail. On ne saurait mieux démontrer que l'énergie chimique potentielle des ingesta fournit de la chaleur d’une part, et du travail muscu- laire d’autre part, sans qu’elle passe obligatoirement par l’intermé- diaire « Chaleur » avant de devenir du € Travail mécanique ». La {. À. Gautier, Chimie biologique, 1897, p. 292. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE, 149 chose n’est pas de nature à nous surprendre : dans la pile électrique, le potentiel chimique apparait de suite sous forme d'électricité. I! nous faut donc dorénavant séparer très nettement le travail mus- culaire de la chaleur animale. Ce sont deux formes différentes sous lesquelles l’animal dépense l'énergie chimique que lui apporte le monde extérieur, et l’une n’est nullement la conséquence de l’autre. La conception théorique, généralement adoptée par les mécaniciens, qui veut que le travail chimique initial fasse tout d’abord de la cha- leur, a aujourd’hui complètement vécu. La calorification n’en cons- titue pas moins une des fonctions les plus importantes de l’organisme, mais on ne saurait non plus ne pas remarquer avec M. Chauveau qu’elle n’existe pas en tant que fonction absolument indépendante, puisqu'elle est toujours liée au travail physiologique des tissus avec lequel elle varie toujours dans le même sens. La chaleur, en effet, qui représente la majeure partie de l'énergie chimique libérée, se trouve non pas au commencement, mais à la fin de toutes les transforma- tions du potentiel introduit par l'alimentation chez l’animal ; ce der- nier la disperse par le rayonnement et par la vaporisation de l’eau à la surface de la peau et des poumons, comme un véritable déchet résiduaire, Comme un excrelum, ainsi que disent les physiologistes, qui accompagne le travail mystérieux de ses tissus. De l’utilisation des hydrocarbonés pendant la contraction musculaire. — Expériences de M. Chauveau. Arrivé à ce point, et tous ces préliminaires une fois compris, il va nous être facile de pouvoir nous rendre compte du rôle physio- logique du sucre du sang. Souvenons-nous que l'énergie chimique potentielle ne se libère qu’autant qu'il se produit une combinaison, une mutation de matière, c’est-à-dire une réaction chimique. Nous l'avons suffisamment démontré. Il ne nous reste donc plus mainte- «nant qu’à rechercher : quelles sont les réactions qui engendrent de l'énergie sensible et utile, et sur quelles substances s’exercent ces réactions. N’existerait-il pas une relation entre le travail musculaire 1. Chauveau, La vie et l'énergie, p. 6, Comptes rendus, 1903, €. I, p. 851. ANN. SCIENCE AGRON. — 2€ SERIE. — 1902-1903 — 11. 10 146 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. ou la chaleur animale et les actions chimiques qui portent sur le glucose, le plus intéressant à notre point de vue de tous les prin- cipes physiologiques élaborés par lorganisme ? Considérons par exemple le muscle dont la propriété évidente est, en se contractant, de produire de l’énergie cinétique ou de mouve- ment, et d’engendrer, par cela même, de la force vive. Supposons que ce muscle soit analys avant et après sa contraction, afin de connai- tre la nature et la quantité des substances produites ou détruites durant l'expérience. Supposons que l’on analyse aussi pendant le re- pos, et ensuite pendant le travail, le sang artériel dont le rôle est d'apporter à ce muscle les éléments ou mieux les aliments qui lui sont utiles, puis le sang veineux chargé d’emporter les déchets et le surplus des éléments inutilisés. Nous aurons alors en main toutes les données nécessaires pour résoudre le problème. Le programme de cette méthode directe, qui consiste à comparer la composition du muscle au repos et en activité, est des plus simples. Son exécution n’en est pas moins fort délicate. Nous allons voir comment MM. Chau- veau et Kaufmann ont su la mener à bien, lors de ces mémorables recherches dont les résultats furent communiqués à l’Académie des sciences en 1886 et en 1887. Les expériences que comportait ce genre d’études n’étaient guère praticables sur tous les animaux. Le sujet devait offrir, à la portée de l’expérimentateur, un muscle suffisamment volumineux et assez facilement accessible pour que l’on pôt, à plusieurs reprises, prélever de quoi en effectuer une analyse aussi complète que possible. Il fallait que ce muscle eût un symétrique très voisin et astreint à peu près aux mêmes mouvements que lui. Il devenait alors possible, puisque la composition des muscles symétriques est sensiblement la même, d'analyser l’un d’eux au repos, puis l’autre après contraction. Autre condition : le muscle devait être irrigué par des vaisseaux sanguins, artères et veines, assez larges pour recevoir les canules nécessaires à la récolte du sang. Il était utile, enfin, que le muscle entrât facilement en repos ou en activité, et cela au moment voulu. Ainsi que nous allons nous en rendre compte sur la figure 49, les muscles masséler (1) et releveur de la lèvre supérieure (2) réunis- sent, chez le cheval, toutes les conditions requises. Ce fut sur GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. [47 eux que M. Chauveau porta son attention. Le releveur de la lèvre supérieure, le plus petit des deux muscles considérés, pèse déjà de 18 à 25 grammes. Le masséler est irrigué par l’une des branches de l'artère maæillo-musculaire(5) qui, issue de Partère carotide externe (4), s’épuise complètement dans son sein. De la carotide exlerne part également l'artère maxillaire externe (6) que l’on voit se terminer dans le releveur de la lèvre supérieure. Le sang, après avoir traversé le masséler, ressort par la veine mazxillo-musculaire (9) correspon- dant à l’artère (5) du même nom. Une veine (7) émerge également du releveur et correspond à l'artère maxillaire externe. Puisque cha- Fig. 12. cun des deux muscles considérés est pourvu d’une veine superfi- cielle et en outre unique, il devient alors relativement facile de recueillir tout le sang veineux qui sort du muscle et rien que ce sang musculaire à l’exclusion de tout autre. L'étude entreprise dans cette région de la tête du cheval présente un autre avantage : c’est, ainsi que le montre la figure 12, de permettre la comparaison entre ce qui se passe dans un muscle, le masséler, et dans la glande paro- tide (3), c’est-à-dire dans un organe dont le rôle physiologique est très différent de celui des fibres musculaires. La parotide, comme le masséler, reçoit, en effet, son sang de vaisseaux émanés de l’artére carotide. Le muscle et la glande ont, par conséquent, une activité cir- culatoire équivalente. En recueillant le sang qui sort de la parotide 148 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. par la veine auriculo-parotidienne, il devient aussi facile que pour le muscle de savoir quelles sont les substances qui, en traversant la glande, subissent des changements. Si l’on remarque enfin que le masséler est par excellence le muscle élévateur de la mâchoire infé- rieure et permet seul la mastication, que le releveur de la lèvre supé- rieure se contracte en même temps que lui pendant la préhension et la mastication des aliments, que les repas provoquent l’activité des glandes salivaires et de la parotide par conséquent, on conçoit sans peine qu’il suffit d'offrir ou de retirer à l’animal son avoine pour que les muscles et la glande se mettent à fonctionner ou restent en repos. Avec ces quelques notions d’anatomie, et sans entrer davantage dans le détail du manuel opératoire, il va nous être possible de suivre facilement MM. Chauveau et Kaufmann dans leurs recherches. Partis de ce fait, établi du reste par l’un d’eux : le sucre du sang se détruit dans les tissus, les physiologistes lyonnais songèrent, pour expliquer la disparition de ce dernier principe, à attribuer la production de la chaleur animale à une oxydation possible du glucose. La chaleur, forme sensible de l’énergie libérée par l’organisme, ne peut être, nous l’avons démontré d’une façon générale, que le résultat de réactions chimiques. Si donc il était possible de prouver que les üssus où se produisent les réactions chimiques les moins actives sont justement ceux où il se détruit le moins de sucre, et réciproque- ment, il devenait rationnel de prêter au glucose physiologique un rôle prépondérant dans le phénomène de la calorification animale. Pour vérifier le fait, Chauveau s’adressa à deux tissus de nature et de fonctions fort différentes : la glande parotide, qui préside en par- tie à la sécrétion salivaire, et le muscle masséter, à l’activité duquel l’on doit presque uniquement l’acte de la mastication ‘. Nous con- naissons les raisons qui l’avaient conduit à expérimenter sur ces deux organes. Alors que la parotide et le masséter étaient au repos, il ana- lysa le sang pris simultanément, autant que possible, à son entrée ou à sa sortie du muscle et de la glande. Les dosages ne portaient uni- quement que sur le glucose et sur les gaz des différents échantillons. Parmi ces gaz, deux surtout, l'oxygène et l’acide carbonique, de- 1. Chauveau et Kaufmann, Comptes rendus, 1886, t. Il, p. 974. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 149 vaient attirer l’attention. Le premier s’introduit sans cesse dans l’éco- nomie par les actes respiratoires et sa présence y provoque une série fort complexe d’actes chimiques dont un des termes est sûrement l'acide carbonique rejeté en abondance par les poumons. D’après les quantités d’oxygène absorbé et d’acide carbonique produit, on pou- vait se rendre compte de l’intensité, plus ou moins grande, des réac- tions chimiques localisées dans l’organe en expérience. Voici les résultats des analyses opérées par M. Chauveau dans ces conditions : I. Pendant la transformation de 1 000 grammes de sang artériel en sang veineux durant l'état d'inactivité des deux organes, il disparaît : GLUCOSE. MOYENNE DE Grammes. Dans les capillaires du muscle masséter. . . 0,125 6 expériences — de la glande parotide . . 0,022 13 — IL. Pendant la transformation de 100 volumes de sang artériel en sang veineux durant l'état d'inactivité des deux organes il y a : OXYGÈNE ACIDE CARBONIQUE MOYENNE D3 absorbé. produit. Volumes. Volumes. Dans les capillaires du musele masséter . 96 10,95 2 expériences. — de la glande parotide. 3,13 1,36 2 expériences. Le muscle est, on le voit, l’organe qui absorbe le plus d'oxygène et produit le plus d’acide carbonique. De plus, les réactions chimiques et la chaleur causée par ces réactions y sont plus actives que dans la glande. Or c’est justement dans le muscle qu’il disparaît le plus de sucre. Le but poursuivi par ces analyses comparatives était atteint. Il semble y avoir, concluent MM. Chauveau et Kaufmann, propor- tionnalilé entre l'intensité des réactions chimiques qui se passent dans les tissus et la dispariion du glucose dans le système capil- laire du même tissu. Cette relation entre la consommation du glucose et l'intensité des phénomènes chimiques semble déjà fort nette lorsque la glande est inactive et le muscle au repos. Aussi était-il à prévoir que le sens gé- néral du phénomène devait s’accentuer lorsque les deux organes pas- saient à l’état d'activité physiologique, c’est-à-dire venaient à exercer 150 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. leurs fonctions naturelles. Activité est, en effet, synonyme de sur- production d'énergie. Or, d’après ce que nous savons, ce surcroît d'énergie dépensée, ou mieux libérée, ne peut provenir que d’une recrudescence d'intensité des phénomènes chimiques, et, comme l'intensité des réactions est fonction de la quantité de matière mise en jeu, il était alors permis de supposer que l’organe en activité con- sommerait plus de glucose qu’au repos. La comparaison entre léchan- tillon de sang pris à l’entrée et à la sortie du muscle et de la glande, d’abord lorsque ces organes élaient à l’état de repos, puis ensuite lorsqu'ils devenaient actifs, promettait d’être intéressante. Malgré les difficultés de la méthode, M. Chauveau réussit, à force d’exercice et de patience, à obtenir, dans des conditions de parfaite exactitude, tous les faits dont il avait besoin. Il analysa comparativement les sangs artériel et veineux du #masséter et de la parotide au repos, puis dix minutes après le début d’un repas d’avoine, c’est-à-dire lorsque l’insalivation et la mastication étaient en pleine activité. Le cheval se prête bien à ces expériences et ne perd pas un coup de dent pendant l'extraction des humeurs. Maisles différences de composition des sangs ainsi analysés n'étaient pas les seules données à déterminer. Pour se représenter l’intensité des réactions chimiques dont les tissus étaient le siège il eût été imprudent, en effet, de se baser uniquement sur la teneur des divers échantillons en glucose, oxygène et acide carbo- nique. Il y avait à rechercher un autre facteur tout aussi important et de nature, à première vue, à influer sur les résultats. C'était le débit des vaisseaux explorés. La quantité de sang qui, dans un temps donné, traversait un organe changeait peut-être lorsque ce dernier passait du repos à l’activité, et si l’on voulait comparer entre eux les deux états, il fallait tenir exactement compte des différences sur- venues dans l’activité circulatoire. M. Chauveau se renseigna à ce sujet. Pour ‘cela, il ouvrit une des veines émergentes et enregistra les variations de son débit, durant un temps donné suivant l’état de l’organe, Il trouva qu’au cours de linsalivation et de la mastication provoquées par le repas de l’animal, il passait dans les vaisseaux de 2,5 à 3 fois plus de sang que pendant l’état de repos. L'observation permettait de rectifier les résultats bruts de l'analyse. Il suflisait pour cela de multiplier par le coefficient uniforme 3, dit de l’irriga- GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 191 tion sanguine, les quantités de glucose, d'oxygène et d'acide carbo- nique trouvées dans le sang des organes en activité. Le tableau sui- vant résume les résultats de M. Chauveau ‘: Pendant la transformation de 1000 grammes de sang artériel en sang veineux, il disparait : GLUCOSE. MOYENNE DE Grammes. 1° Dans les capillaires du muscle masséter : A l'état d'inactivité. . . . 0,121 3 expériences. A l'état d'activité . . . . es DR 29 Dans les capillaires de la glande parotide : A l'état d'inactivité. . . . 0,007 RAR A l'état d'activité. . . . . (0,003 X 3) = 0,009 Rte Pendant la transformation de 100 volumes de sang artériel en sang veineux, il y a : : AUIDE XYGËN CESXEERE CARBONIQUE MOYENNE DE absorbé. produit. Volumes. Volumes. 1° Dans les capillaires du musele masséter : À l'état d'inactivité. 10,2 10,2 |} 3 expé- À l'état d'activité . (13,533) —40,59 (9,65X3)— 28,95 | riences. 2° Dans les capillaires de la glande parotide : À l'état d'inactivité. 2 | 3,9 | 1 expé- A l'état d'activité . (71% 3) — 8.1 (0,2%X<3)— 0,6 |} rience. Ces chiffres ont une signification bien nette. On voit qu’il existe une relation étroite entre la somme de l’oxygène absorbé et de l'acide carbonique produit, c’est-à-dire entre les résultantes prinei- pales des réactions chimiques des tissus, et la perte du sang en glucose lorsqu'il traverse ces mêmes tissus. Prenons les résultats concernant le masséter. Au repos, il absorbe et produit en tout 20,4 volumes de gaz, nombre qui peut dans l’esprit représenter l'intensité des réactions chimiques dont il est le siège. Pendant l’é- tat d’activité du même muscle, ce nombre devient : 40,59 + 28,95, soit 69,54. Autrement dit, l’intensité des réactions est environ 3,9 fois plus grande pendant l’état d’activité que pendant le repos. Or, dans ce dernier cas, il disparaît justement dans le muscle 1. Chauveau et Kaufmann, Comptes rendus, 1886, t. Il, p. 1057. 152 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 3,0 fois moins de sucre que lorsqu'il y a mastication. En résumé, dans les glandes où les phénomènes chimiques sont moins impor- lLants et où \ ne se libère par conséquent que peu d'énergie, le glucose n’est que très faiblement consommé. Dans le muscle, au contraire, qui produit une force vive souvent considérable, la dépense du glucose devient également considérable. Le glucose n’est du reste pas le seul hydrocarboné que le fonction- nement normal et naturel des muscles fasse disparaître. Le glyco- gène, qui n'est, en réalité, qu'une matière première destinée à fournir rapidement et directement du glucose, diminue, lui aussi, sous lin- fluence du travail musculaire. Les travaux de Nasse , de Kulz, de Wittisch, de Monari, de Weiss entre autres, analysés en partie au début de ce travail, nous ont déjà renseignés à ce sujet. Chandelon *, après avoir observé que la section des nerfs d’un membre était suivie d’une notable augmentation du glycogène de ses muscles, était également arrivé à conclure que le même principe diminue indubitablement par le fait de l’activité musculaire. Manche *, en 1888, reprit toutes ces expériences avec succès. Mais, comme les auteurs précédents, il opéra sur des animaux morts, ou sur des organes qui n'étaient plus irrigués par le sang, et chez lesquels 1l fallait provoquer artificiellement le travail par l’excitation électrique des nerfs moteurs. Peut-être les résultats étaient-ils différents dans lés conditions de la vie elle-même ? Chauveau y répondit dans une nouvelle note ‘. Il analysa deux frag- ments musculaires enlevés, chez le même cheval, l’un au masséter gauche, en repos depuis longtemps, l’autre au masséler droit, après une demi-heure de mastication. Il trouva : Dans 1 000 grammes de muscle au repos. . . . 157,774 de glycogène = — mis en action . 1 ,396 — Dirénence NL TUE 0%,378 de glycogène. Tenant compte de ses propres recherches et de tous les faits que nous venons de rappeler, M. Chauveau, sans attendre d’autres preu- 1. Nasse, Pfluger's Arch., 1869, t. IL. 2. CGhande'on, PAluger's Arch., 1876. 3. Manche, Zeitschrift f. Biol., 1888, t. XXW. 4. Chauveau et Kaufmann, Comptes rendus, 1886, t. Il, p. 1153. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 193 ves, n'hésita pas à édifier la théorie générale suivante du mode d’uti- lisation du glucose : « Le sucre du sang disparu dans les capillaires en sort avec l’oxygène pour être transformé, plus ou moins directe- ment, au sein des tissus, en eau et en acide carbonique. La produc- tion de la chaleur et du travail mécanique est étroitement liée, dans l’économie animale, à la combustion de ce sucre. » Telle fut l’idée qui ne cessa de guider M. Chauveau et son école dans leurs recherches postérieures sur le travail musculaire et l'énergie que représente ce travail. Lorsqu'elle fut énoncée pour la première fois, la thèse laissait encore prise à la discussion et demandait de nouvelles preuves, mais, ainsi que le dit M. Chauveau lui-même : « Dans les sciences expéri- mentales, les vues générales sont du plus grand secours pour l’ins- piration et l'exécution de recherches nouvelles. Les résultats dépen- dent en grande partie de l’idée instigatrice d’après laquelle les plans d'étude sont établis à l’avance. » Celui que M. Chauveau s'était tracé ne tarda pas à confirmer les faits que nous venons d’énoncer. En 1887, les deux collaborateurs entreprirent, dans les laboratoires de l’École vétérinaire de Lyon, de nouvelles recherches sur le rapport existant entre les phénomènes chimiques dont un muscle est le siège et le travail mécanique produit par le même muscle. Étant donné un poids bien déterminé de tissu musculaire vivant, ils se proposèrent de déterminer, dans diverses conditions physiologiques, normales et régulières: 1° la quantité de sang qui le traverse dans un temps dé- terminé pour alimenter sa nutrition; 2° l'oxygène qu’absorbe ce tissu ainsi que l’acide carbonique excrété dans le même temps, autrement dit le poids du gaz qui, par sa présence constante et abondante, est à même, dans les tissus, de provoquer des réactions chimiques, et celui du principal résidu gazeux de ces phénomènes chimiques ; 3° enfin la nature et le poids des substances susceptibles de fournir le carbone contenu dans l’acide carbonique rejeté. Le releveur de la lèvre supé- rieure se prêtait très bien aux expériences nécessitées par ces déter- minations. Les auteurs suivirent, pendant le repos et le travail du releveur, les échanges gazeux qui pouvaient les fixer sur les phéno- mènes chimiques dont ce muscle était le siège ; ils notèrent les varia- tions du débit sanguin ainsi que le poids du sucre disparu au cours de la traversée des tissus et, cela, en comparant toujours l’état de 154 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. repos à l’état d'activité ‘. Le tableau suivant nous donne les résultats moyens obtenus par Chauveau à la suite de quatre expériences. L’au- teur les a généralement calculés pour À gramme de tissu et 1 minute de temps. Afin de grossir les chiffres fractionnaires qu’il obtient ainsi, il vaut mieux adopter comme unité de poids le kilogramme, l'heure étant l’unité de temps : REPOS. TRAVAIL. Grammes. Grammes. 1 kilogr. fs traversé par . 9440,0000 51 000,0000 de sang de muscle }prend au sang. . 0,4128 8,4474 d'oxygène pendant cède au sang . . 0,4104 14,7462 d'acide carbonique une heure has dans le sang. 2,1864 8,4142 de glucose. Tels sont les chiffres qui résument cette série de recherches. Ils re- présentent la moyenne de quatre expériences ; mais devons-nous, pour cela, les considérer comme des coeîficients rigoureusement exacts, ou à peu près, et susceptibles de ne varier que dans des limites très étroites, quel que soit le muscle considéré, ou l’état de ce muscle, ou encore le genre de travail qu’il effectue? M. Chauveau a reconnu, tout le premier, qu’il ne fallait pas se méprendre sur leur apparente précision, Certains des chiffres ayant servi à établir ces moyennes proviennent en effet de documents dont les expérimentateurs eux- mêmes ne sont pas sûrs. L'animal, parfois, s’est montré difficile et si méchant, que l’on a dû, à plusieurs reprises, suspendre les opéra- tions. Parfois aussi, des accidents sont survenus dans la manipulation des échantillons, et ont empêché d'utiliser, pour le dosage du sucre, le sang artériel recueilli en même temps que le sang veineux. Les échantillons de sang artériel pris à nouveau n'étaient peut-être plus comparables au sang veineux analysé précédemment. De telles expé- riences sont tellement hérissées de difficultés opératoires que le phy- siologiste le plus habile et le mieux entrainé se trouve presque forcé- ment arrêté en route. Une autre cause laisse aussi planer une certaine incertitude sur l’absolue rigueur des chiffres obtenus ; c’est la mobi- lité, sans règle bien fixe, du coefficient de l'irrigation sanguine sur lequel repose uniquement la comparaison de l’état de travail et de l’état de repos. M. Chauveau * a trouvé que, pendant la contraction, lacti- ke Chauveau et Kaufmann, Comptes rendus, 1887, t. I, p. de . Chauveau et Kaufmann, Comptes rendus, 1887, t. I, p. 359. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 199 vité circulatoire varie chez les sujets différents avec le poids des mus- cles, même lorsque ceux-ci accomplissent un travail identique. Sensi- blement égale chez les sujets différents dont les muscles ont le même poids et exécutent le même travail, elle s'élève considérablement dans le muscle du poids le plus faible. L’on peut alors presque conclure, à ce sujet, que, dans l’accomplissement d’un même travail, irrigation sanguine tend à être inversement proportionnelle au poids du muscle qui exécule le travail. Les données précises manquent encore plus lorsque l’on veut déterminer, durant l’état de repos, le véritable coef- ficient moyen de l'irrigation sanguine. Il varie non seulement d’un su- jet à un autre, mais encore sur le même sujet. De sorte qu’il devient impossible d'affirmer, ainsi que cela semblerait nettement ressortir du tableau précédent, que la circulation est près de cinq fois (4,6) moins active au repos que pendant le travail. Devant ces critiques, on se rend parfaitement compte qu’il serait imprudent de croire à la fixité et au sens précis des nombres fournis par les expériences de M. Chauveau, même si l’on se bornait à ne les appliquer seulement qu’au musele releveur du cheval. Ce ne sont pas là des coefficients à retenir et dont la valeur soit immuable. La chose est bien entendue. Mais si, au lieu de ne voir dans ces expériences que les imperfections du détail, Von s'emploie, comme M. Chauveau, à raisonner et à rapprocher les résul- tats, on se rend compte que tous les chiffres témoignent dans le même sens. Tous tendent à prouver que le travail accroît fortement les échanges nutrilifs el gazeux qui se passent dans l’intimilé du tissu musculaire. C’est ainsi que, pendant l’état d'inactivité, la consomma- tion du glucose n’est que le quart de celle qui se fait dans le cas con- traire. Le travail occasionne de même une absorption 20 fois plus grande d’oxygène et une production d’acide carbonique bien près d’être 86 fois plus élevée que celle que l’on observe au cours du re- pos. Cela résulte nettement de l’analyse des gaz du sang, car celle-ci suffit à mettre en évidence l’exagération des phénomènes chimiques accompagnant le travail musculaire. En interprétant autrement les faits, on peut encore conclure que le ou les principes sur lesquels portent les réactions chimiques qui libèrent du travail physiologique, transformable dans la suite en travail musculaire, sont éminemment combustibles. Il ne saurait en être autrement puisque, durant leur 156 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. activité, les tissus demandent plus d’oxygène au sang et déchargent par contre une quantité beaucoup plus grande d’acide carbonique. Le glucose disparaît, lui aussi, du sang en plus forte proportion pendant le travail : ne serait-ce donc pas lui le principe destiné à ali- menter les combustions et par suite l’énergie propre des muscles? S'il était possible de déduire des résultats numériques fournis par toutes ces expériences que l’oxygène emprunté au sang suffit pour oxyder totalement le glucose consommé par les tissus et le transformer en eau et en acide carbonique ; s’il était en outre possible de contrôler qu'il y a égalité de poids entre l’acide carbonique résultant théoriquement de la combustion totale du sucre fourni par le sang et l’acide carbo- nique retrouvé par l'analyse dans le sang veineux, il s’ensuivrait que c’est bien le glucose comburé pendant la contraction du muscle qui fournit à ces tissus et leur chaleur et surtout leur énergie mécanique. M. Chauveau a tenté ce rapprochement à la suite de ses expériences sur le masséter. Le tableau suivant résume ses calculs : REPOS. TRAVAIL. Volume de sang ayant traversé le masséter. . . 1 0003 3 000°m$ Glucose disparu du sang . . . . . ; AROEIAS 08,388 Oxygène théoriquement nécessaire pour tee complétementiie"elutuse @) Te ES NOR MMENON2S 0 ,414 Oxygène réellement disparu (b) trouvé par l'analyse. O0 ,145 Oo Oxygéne-entropAlben)ers es 7 Pa D etes MM 022 0 ,163 Sur 100 d'oxygène réellement disparu, il y en a de disponible après la combustion théorique et intégrale du glucose disparu. . . . . . . 15p. 100 28p. 100 On voit que, durant le travail, sur 100 d’oxygène emprunté au sang par le masséter, 72 de ce gaz suflisent pour oxyder complète- ment le glucose perdu par le sang en traversantle muscle. Il resterait par conséquent 28 d'oxygène que l’on ne pourrait combiner au sucre. L'écart n’est pas négligeable et la remarque serait de nature à ébran- ler un peu la théorie. Mais il ne faut pas oublier que le sucre prélevé dans le sang n’est pas le seul qui soit à la disposition des tissus. 4 ki- logr. de masséter, avons-nous vu, perd au bout d’une demi-heure de mastication 08,378 de glycogène ; or, ce dernier principe, que lon ne retrouve plus, est évidemment comburé lui aussi, soit avant, soit GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 197 après sa transformation en glucose, peu importe du reste. Il devient alors très naturel, pour oxyder ce glycogène, de faire appel au reste d'oxygène disponible. Si donc, conclut M. Chauveau, on considère le chiffre de l'oxygène non absorbé par la combustion du glucose, on comprend qu’il faille majorer l’excédent que l’on observe durant le repos et abaisser au contraire celui de l’état d’activité. L’écart réel doit être, d’après cela, singulièrement inférieur à celui que donnent les résultats bruts. D'où cette conséquence que l'oxygène employé aux combustions organiques s’attaque surtout au carbone du glucose et cela aussi bien pendant l’état d’activité des organes que pendant l’état contraire, et que celles des combustions qui sont alimentées par des matières autres que le sucre physiologique du sang n’éprouvent, au moment du travail musculaire, qu’un très faible accroissement. Renouvelons la même discussion avec les chiffres trouvés par Chau- veau lors de ses expériences sur le muscle releveur de la lèvre supé- rieure, nous allons encore arriver à des conclusions fort intéressantes. Le tableau suivant expose les calculs utiles auxquels on peut se livrer : REPOS, TRAVAIL. Gramimnes. Grammes. Glucose réellement prélevé par le muscle dans le SAR OS He ee RC de Rent Tee ae Corte 2,186 8.414 1° Oxygène théoriquement nécessaire pour comburer complètement le glucose . . . . x 2,331 8,969 Oxygène réellement cédé au muscle par le sang COTE AE te Pre me be ui 0,413 8,447 Oxygène réellement emporté sous Tone ibid carbonique par le sang veineux (B) . . . . . 0,298 10,723 Différence entre l'oxygène pris el l'oxygène cédé paiemusele ER E ST EL. 0 0 115. — 9,976 2° Acide carbonique réellement emporté par le sang à la suite de son passage à travers le muscle. 0,410 14,746 Glucose réellement prélevé par le muscie dans le sang (C) . AE . 2,186 8,414 Glucose neurones de en boit que tout l'acide carbonique fourni au sang par le musele ne provient uniquement que d'une com- buston de sucre. (D), AURA T, 0,279 9,051 Différence entre le glucose réellement pris au sang et le glucose théoriquement comburé (G-D). + 1,907 — 0,637 158 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Plusieurs conclusions fort importantes se dégagent de ces chiffres. On voit en premier lieu que, durant le repos, l'oxygène fourni au muscle n’est pas entièrement utilisé et qu'il n’y a pas combustion complète du glucose prélevé dans le sang. Cela tend à prouver que l'oxygène s’accumule alors dans les tissus, et comme il ne peut y demeurer inactif et à l’état libre, il doit forcément se combiner avec les matières azolées, grasses ou hydrocarbonées qu’il rencontre. L’ac- tion chimique se bornerait, dans ce cas, à préparer les principes or- ganiques en vue d’une combustion facile, rapide et totale, au moment où commence le travail. Lorsque l’état d'inactivité cesse, en effet, l'oxygène fourni au muscle se transforme entièrement en acide car- bonique. Il ne suffit même plus à alimenter les combustions organi- ques, réduites à celle du carbone contenu dans l’acide carbonique total excrété. Il y a tout lieu de croire que c’est l'oxygène emmaga- siné, ainsi que nous le supposions, durant le repos, qui à ce moment entre en jeu. Autre constatation : le muscle, pendant le travail, com- bure plus de glucose qu’il n’en emprunte au sang, tandis qu’au repos, il fixe plus de sucre qu’il n’en dépense réellement. Pour expliquer ces faits, il faut admettre, on le pressent, que le sucre du sang se met en réserve dans les tissus, lorsque ceux-ci sont inactifs, autre- ment dit, qu'il se transforme en glycogène et que c’est aux dépens de ce glycogène accumulé que se produit le surcroît énorme de combustions qui se manifeste subitement avec le travail. Le calcul démontre du reste que les réserves de glycogène formées pendant le repos suffisent et peuvent fournir au muscle l’excédent de glucose qu’il consomme pendant son activité et qui, sans cela, lui ferait défaut. Ces expériences sur le releveur, malgré leur extrême difliculté opératoire’, n’en furent pas moins faites dans des conditions de simplicité, de précision et de normalité tout à fait spéciales. Aussi M. Chauveau semblait-il être en droit d'affirmer que non seulement le travail musculaire accroit les phénomènes chimiques des tissus, mais que le carbone contenu dans les gaz, résultant des échanges respiratoires du muscle en activité, semble ne provenir presque uni- 1. Pour le détail de la technique et de l'exécution de ces expériences, voir Chau- veau, Comptes rendus, 1887, t. I. p. 1409. GLYCOGËNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 199 quement que du glucose prélevé par ce muscle dans le sang. On pouvait exprimer ces faits autrement et conclure : le sucre du sang el le glycogène sont les principes sur lesquels portent les réac- tions chimiques qui libèrent l'énergie potentielle dépensée, après maintes transformations, lors de la production de La force muscu- laire. Avant d’ériger ainsi en loi générale et absolue les résultats de ses premières expériences, M. Chauveau chercha à trouver de nou- velles relations entre le travail chimique et le travail physiologique du tissu musculaire. Cela pouvait lui permettre de suivre la transfor- mation de ce travail chimique en travail réellement mécanique tel que le fournit le muscle en activité. Le premier se transformait-il intégralement en l’autre ? Ou bien une partie du travail chimique était-elle destinée à revêtir des formes de l'énergie autres que le travail musculaire ? Chauveau et Kaufmann, pour y répondre, son- gèrent à supprimer complètement le travail mécanique tout en lais- sant subsister cependant les contractions qui l’engendrent '. Ils s’adressèrent toujours pour cela aux deux releveurs symétriques de la lèvre supérieure, placés, comme l’on sait, chez le cheval, de chaque côté du chanfrein. Ces deux muscles ont la propriété, pendant la préhension et la mastication des aliments, de se contrac- ter «synergiquement », c’est-à-dire que, sous l'influence de la même excitation nerveuse centrale, ils entrent au même moment en tension puis en relâchement. Si donc l’on vient à couper le tendon qui relie l’un des releveurs à la lèvre, ce muscle, ne faisant plus corps avec les tissus qu’il était chargé de faire mouvoir, se trouve dans l’impossi- bilité d'accomplir ce que les physiciens dénomment du travail méca- nique. Il se contracte à vide puisque l’utilisation mécanique de cette contraction est supprimée, mais le travail physiologique intérieur des muscles est ainsi respecté. D’après cela, en comparant, au moment du repas, l’activité de la circulation ainsi que les échanges nutritifs et gazeux du releveur avant, puis après la section de son tendon, il devait pouvoir être facile de se rendre compte de l'influence de la suppression du travail mécanique sur le travail chimique intérieur, 1. Chauveau et Kaufmann, Comptes rendus, 1887, t. 1, p. 1763. 160 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. source du travail physiologique. Une série d'accidents obligèrent les expérimentateurs à ne pas remplir jusqu'au bout leur programme. Is se crurent autorisés cependant à conclure que si Pactivité de l'irrigation sanguine est plus marquée après qu'avant la section du tendon, la suppression du travail mécanique du muscle ne diminue par contre que très peu l’absorption de l'oxygène par le muscle, c’est- à-dire lactivité des phénomènes chimiques intra-musculaires. On voit alors d’une manière plus générale : que le travail mécanique n’u- tilise qu'une faible partie du surcroît considérable d'énergie que lor- oane dégage au moment de sa contraction, ou bien que, dans le muscle, machine vivante, comme dans les machines à feu ordinaires, la majeure partie de l'énergie résullant des phénomènes chimiques intérieurs sert à meltre en tension l'appareil moteur, c’est-à-dire à accomplir l’acte même du raccourcissement des fibres musculaires. Mais dans l'expérience de Chauveau lénergie chimique du muscle ne pouvait plus, par suite de la section du tendon, se transformer en travail mécanique. Forcément elle devait donc se manifester exté- rieurement sous une forme quelconque. En implantant des aiguilles thermo-électriques dans l'épaisseur des deux releveurs, M. Chauveau constata que le muscle du côté opéré était plus chaud que l’autre. La suppression du travail mécanique dont s'accompagne générale- ment la contraction musculaire rendait ainsi disponible une certaine quantité d’énergie apparue sous forme de chaleur libre. Y avait-il équivalence entre le travail supprimé et cette chaleur libre? Chau- veau et Kaufmann se posèrent la question. Nous savons que dans le muscle contracté, la section du tendon ne change ni le débit du sang ni le travail chimique. La température, dans ce cas, est seulement plus forte que lorsqu'il travaille utilement. Pour déterminer léqui- valence calorique du travail, 1l suffisait par conséquent de comparer l’élévation de température que subissail le releveur, durant le repas de l’animal, avant, puis après la section de son tendon. Il n’était guère facile cependant de mesurer la quantité de chaleur exactement pro- duite par le muscle. Chauveau y arriva en profitant de ce que la cha- leur engendrée au sein des organes se déverse en grande partie dans 1. Chauveau et Kaufmann, Comptes rendus, 1887, t. Il, p. 297. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 161 le sang, où l’on peut la déterminer. Le poids du liquide sorti des tissus étant exactement connu, ainsi que le poids de ces tissus, il ne reste plus en effet qu’à enregistrer l’échauffement qu’il subit ; or l’on peut identifier cet échauffement à celui du muscle. Deux aiguilles thermo-électriques implantées bien symétriquement dans les deux releveurs donnent à ce sujet les renseignements nécessaires. En mul- tipliant le poids du sang qui traverse le muscle durant un temps donné et le poids du muscle par les températures observées et par la chaleur spécifique de ce sang et des tissus on peut logiquement obtenir les quantités de chaleur répondant aux conditions dans lesquelles ces températures ont été prises. Le releveur d’un poids de 225,5 et d’une chaleur spécifique de 0,82 est traversé en 10 minutes par 132,5 de sang, dont la chaleur spécifique est de 0,90. La tempé- rature de ce muscle contracté est de 0,42 plus élevée que lorsqu'il est paralysé. La quantité de chaleur produite est par conséquent de : (132,5 X 0,90 X 0,42) + (22,5 XX 0,82 X 0,42) — 57,83 Lorsque l’on sectionne le tendon du muscle, sa température aug- mente de 0°,47. La quantité de chaleur produite dans ce nouveau cas est-de : (132,5 X 0,90 X 0,47) + (22,5 X 0,82 X 0,47) — 64,72. La différence entre ces deux valeurs 64,72 — 57,83, soit 6,89, représente la quantité d'énergie utilisée sous forme de travail, c’est-à-dire que 10 p. 100 de l'énergie totale fournissent du travail, el 90 p. 100 de la chaleur. On peut également en déduire que le travail du muscle est représenté, en équivalence calorique, par un chiffre variant de 0,000 034 à 0,000 041. De l’avis même de M. Chauveau, par suite des erreurs et des pertes de chaleur inhérentes à la méthode, ces coefficients ne sont peut-être pas très exacts. Ils suffisent toujours cependant à nous fournir une autre démonstration de ce qu’une grande quantité d'énergie entre en jeu lorsque le muscle fonctionne, mais que le travail réellement mécanique fourni par ce muscle n’en absorbe qu’une très minime quanlté. Pour ne pas sortir des limites de notre programme, nous allons être obligés d'abandonner ici l'exposé, suivi par ordre chronologique, ANN. SCIENCE AGRON. — 9° SÉRIE. — 1902-1903. — nu. 1 162 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. de cette série mémorable de recherches sur la contraction muscu- laire, poursuivies depuis 1885, presque sans relâche, par les labora- toires de l'Ecole vétérinaire de Lyon et du Muséum. Mais toutes ne nous intéressent pas au même degré. Les travaux de M. Chauveau sur le travail musculaire peuvent en effet se diviser en deux parties bien distinctes. La première, dont nous venons de commencer le dé- veloppement et que nous ne perdrons plus de vue d’ici la fin de ce chapitre, est uniquement consacrée à l’étude des sources chimiques de l’énergie musculaire. La nature de ces dernières ne peut nous être indifférente, si l’on comprend combien ce côté de la question est étroitement lié au problème d’alimentation qui nous occupe. Nous avons moins à apprendre de la seconde partie où l’étude du muscle devient, au contraire, purement physique et mécanique. L'auteur y dissèque le mécanisme intime de la contraction musculaire, et tâche de pénétrer la nature même de ce travail physiologique qui consiste à créer subitement et à entretenir l’élasticité parfaite sans laquelle le muscle ne remplirait pas son but fonctionnel ; il y traite encore de la thermodynamique musculaire, c’est-à-dire des relations qui exis- tent entre le travail physiologique des tissus e! leur échauffement*. Puisque la nature du principe dépensé par le muscle lors de sa con- traction nous intéresse avant tout, car elle seule peut nous guider dans le choix de l'aliment le plus propre à fournir de l’énergie aux tis- sus, revenons donc aux premières expériences de M. Chauveau ou plutôt aux faits d’ordre général qui semblent s’en dégager. Nous avons vu que les muscles, en activité, consomment plus d’oxy- gène, et produisent plus d’acide carbonique qu’au repos. Cela lais- serait alors à penser que ce sont des phénomènes d’oxydation qui fournissent l’énergie nécessaire à l’accomplissement de cette con- traction musculaire. La comparaison de la teneur en glucose {. L'étude physique et mécanique du muscle est exposée dans l'ouvrage classique de M. Chauveau : Le travail musculaire et l'énergie qu'il représente (Paris, Asselin, 1891), et dans plusieurs communications du même auteur (Compt. rend. el Ann. de Physiol.), qui sont résumés par F. Laulanié, dans son Énergélique musculaire. (En- cyclopédie Léaulé.) — Noir aussi : G. Weiss, « Le travail musculaire d'après les recherches de M. Chauveau ». (Revue gén. des sciences pures et appliquées, 15 fév. 1903.) GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 163 du sang qui traverce un muscle pendant le repos et lors de sa con- traction, ainsi que les dosages répétés du glycogène dans ce même muscle, nous conduisent en outre à COnCiure, en vénéralisant, que ce sont les hydrates de carbone qui sont utilisés pendant le tra- vail. Tels sont les faits saillants qui résument cette série de recher- ches. Il va nous être facile de les ériger en lois générales et de les mettre à l’abri de toute discussion en montrant que l’on peut exploi- ter à leur profit presque tous les travaux publiés sur le travail mus- culaire, soit par M. Chauveau ou son école, soit par les autres physio- logistes. Nature des réactions chimiques, sources de la force musculaire. L'analyse des gaz pris ou rejetés dans le sang par le musséler ou le releveur, examinés au repos puis lors de leur contraction, vient de nous laisser supposer que l’oxydation est la réaction chimique d’où résulte la force musculaire. Ce serait donc par combustion que se libérerait l'énergie chimique potentielle inhéreate aux aliments phy- siologiques. Cela est parfaitement d’accord avec la théorie classique de Lavoisier qui fait du corps de l’animal un foyer dans lequel l’oxy- gène de l’air entretient le feu. Il est vrai que la physiologie moderne, et avec raison, s’est élevée contre cette comparaison par trop gros- sière, et a restreint la part primitivement attribuée aux oxydations. Mais s’il est vrai que les réactions d’hydratation et de dédoublement, dont nous avons donné des exemples dans le chapitre précédent peu- vent, ainsi qu'on l’a établi, fournir des quantités considérables d'énergie, et s’il n’est plus permis aujourd’hui de prétendre que tous les phénomènes chimiques qui se passent dans l’organisme sont des combustions, il ne faut pas non plus abandonner systématique- ment la vieille théorie de Lavoisier et perdre complètement de vue le sens général des réactions chimiques de la vie?. Or, ce sens général ne peut nous échapper, lorsque l’on veut bien 1. À. Gautier, Chimie biologique, 1897, p. 732-792. 2. Chauveau, Comples rendus, 1896, t. I, p. 1303. 164 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. songer que la matière organique pénètre dans l’écouomie sous forme de substance azotée, de graisse ox d'hydrocarbonés, et qu’elle en ressort à l’état d’urée, d'eau et d'acide carbonique. Après ingestion de sels alçalins à acides végétaux, malates, tartrates, etc., ne retrouve- t-on pas dans les urines des carbonates alcalins? Les sulfites ne se transforment-ils pas dans organisme en sulfates,.… etc.? On n’ob- tiendrait pas d’autres termes résiduaires en oxvydant tous ces corps dans les appareils inertes du laboratoire. Peu importe alors à celui qui néglige le détail pour n’envisager que les résultats brutaux, que l'opération se fasse en réalité in vivo par degrés successifs, et sous l'influence de phénomènes chimiques différents de la combustion théorique. Depuis les recherches de Ludwig et Schmidt’, de Bunge et Schmiedeberg?, d’Abelous et de Biarnès*, et surtout de Jacquet, le pouvoir oxydant de la cellule animale n'est-il pas du reste un fait indéniable? Pourquoi ne pas admettre alors que ce pouvoir oxy- dant puisse avoir des effets ? Il se passe certainement dans les tissus de véritables combustions, et, ainsi qu’il est facile de s’en assurer, la chose devient manifeste lorsque le muscle se contracte. L'expérience suivante est à la portée de tout le monde. Si l’on plonge, dans une masse musculaire quelconque d’un animal vivant, une aiguille de fer bien décapée, on constate qu’elle conserve son poli et son bril- lant, tant que le muscle reste au repos. Il est prouvé que, dans ces conditions, les tissus manifestent en effet des propriétés réductrices. Mais dès que l’on provoque la contraction du muscle, aussitôt l’ai- guille se ternit et se rouille. Comment nier, après cela, que le tra- vail est incapable de produire des phénomènes d’oxydation ? Car rien ne laisse croire que cette action oxydante n'ait pas aussi bien prise sur les matières nutritives qui arrivent avec le sang, que sur le fer de l’aiguille. De plus cela concorde absolument avec ce que nous ont appris les modifications imprimées par le travail aux échanges 1. Ludwig et Schmidt, Arbeilen a. d. Physiol., Anstalt zu Leipzig, 1868. 2. Bunge et Schmiedeberg, Arch., f. exper. Pathol. uw. Pharmak., t. VI, 1876, p. 233, ett. XIV, 1881, p. 288. 3. Abelous et Biarnès, Soc, de biol., 1890. 4. Jacquet, Soc. de biol., 1892, p. 55. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 109 respiratoires du masséter et du releveur et les résultats sont tout aussi évidents lorsque l’on compare les échanges gazeux, non plus d’un muscle isolé ainsi que l’on fait GC. Bernard, Sczelkow, Schoffer, Frey et Gruber’, puis M. Chauveau, mais de l’animal entier observé au repos puis au travail. Nous jugeons inutile de présenter ici les expériences faites, à ce sujet, par Prout, Scharling, Vierordt, E. Smith, Valentin, Ludwig, Hirn, Hanriot et Richet, Pettenkofer et Voit?, Zuntz et Lehmann’, et bien d’autres. On les cite avec suffi- samment de détail ‘ dans les Physiologies les plus élémentaires. Leurs conclusions seules nous intéressent. Elles ne varient guère, quelle que soit la méthode employée, et peuvent se résumer ainsi, en ce qui concerne les mammifères: Un animal consomme d'autant plus d'oxygène que le travail mécanique qu’il accomplit dans un temps donné est plus grand. La moindre dépense d'énergie sous forme de travail musculaire réagit en effet avec une sensibilité extrème sur l’ab- sorption de l’oxygène. « Si l’on suit, dit von Noorden*, les échanges gazeux d’un homme, il est aisé de se rendre compte que de légers mouvements, de simples changements de position des membres, des contractions involontaires provoquées par des attitudes ncommodes, le simple fait d'ouvrir ou de fermer plusieurs fois les mains et même des frissonnements à peine sensibles tels que les provoque le refroi- dissement suffisent pour augmenter la consommation d’oxygène. » Il faut également constater, dans le même ordre d'idées, que les tissus où se produit le plus d'énergie sensible, chaleur ou travail musculaire, sont justement ceux qui se montrent aptes à absorber le plus d'oxygène. On peut en faire la preuve. Plaçons séparément, et sous des cloches remplies d’air, afin de pouvoir suivre leurs échanges gazeux, des fragments de tissus différents (muscles, peau, graisse, sang, os, rein, rate, etc.). L'observation la plus élémentaire permet de constater qu’ils respirent tous, c’est-à-dire absorbent {. CI. Bernard, Leçons sur les propriélés des tissus vivants, 1886. — M. von Frey et M. Gruber, Arch. f. Anat. u. Physiol., 1885, p. 519. 2, Noir le résumé dans : À. Gautier, Chimie biologique, 1597, p. 475, 3. Mallèvre, Bull. du minislère de l’agriculture, 1892, p. 111-183. 4. CG. von Noorden, Pathologie des Sloffwechsels, p. 105.' 166 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. d’une part l'oxygène de l’air, et produisent d’autre part de l’acide carbonique. Si l’on veut comparer qualitativement et quantitative- ment les réactions observées dans chacune de ces enceintes closes, à celles qui se passent dans les mêmes tissus, alors qu'ils ne sont pas isolés du corps, 1l faut ne tenir aucun compte des résullats trouvés pour l'acide carbonique. D’après Tissot‘, la quantité totale de ce dernier gaz dégagé par les tissus dans ces conditions n’a, en effet, ‘aucun rapport avec les phénomènes d’activité physiologique dont ces tissus sont le siège. Le muscle, tué par la chaleur et mort, pro- duit encore de l'acide carbonique; car il en contient une certaine quantité, préformée dans son intérieur, et qui s’y trouve pour ainsi dire en solution. Mais, par contre, la quantité d’oxygène absorbée est en relation étroite avec les phénomènes physiologiques du muscle, ce qui découle de ce que cette absorption et l’activité musculaire attei- onent en même temps et parallèlement leur maximum et leur mini- mum. On peut alors accepter les chiffres obtenus par Quinquand lors de ses essais de classification des différents tissus, au point de vue de leur puissance respective de consommation de l’oxygène. OXYGÈNE. les muscles absorbent par kilogramme et par heure. . . Ton le cœur == == —= NAT 70 le foie et le rein — — — LRU 33 le poumon == = = 2 Le 24 les tissus adipeux — — — sdacbte 20 les os = = = EAASEer Ne 16 le sang TE = = NE 0,26 On voit que de tous les tissus ce sont les muscles qui consomment le plus d'oxygène ; or, c’est justement à eux qu’est dévolu le rôle non seulement de produire du travail, mais d'intervenir, pour la plus grande part, dans la production de la chaleur animale”. ” Les faits viennent tour à tour nous confirmer que ce sont bien les phénomènes d’oxydation qui libèrent l'énergie nécessaire à la pro- duction de la force musculaire. L'idée malgré cela a soulevé quel- 1. Tissot, Comples rendus, 1895, t. 1, p. 568 et 641. 2, Consulter : Arthus, Élém, de physiol., p. 448 et 450. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 167 ques objections. Hermann’, après avoir fait le vide sous une cloche contenant un muscle isolé de grenouille, bien exsangue, pour dé- barrasser tissus et enceinte de leur oxygène, est venu démontrer qu'il était possible, par excitation électrique du nerf, d'obtenir, pen- dant un certain temps, la contraction de ce muscle. Le travail mus- culaire s’effectue certainement dans ce cas, sans qu'il se produise d’oxydations. Bunge* joint l'observation suivante à celle d’Hermann : bien que le tube digestif ne contienne pas d’oxygène libre et qu’il soit le siège de phénomènes de réduction très actifs, les vers intesti- naux n’en continuent pas moins à s’y mouvoir d’une façon continue. On peut conserver en vie pendant quatre ou cinq jours des ascarides du chat, dans des tubes remplis d’une solution bouillie de 1 °/, de sel et de 0,1°/, de carbonate de soude, et renversés sur du mercure éga- lement bouilli. Les vers ne cessent durant ce temps de remuer et pourtant le milieu où ils se trouvent ne contient pas d'oxygène. C’est en se basant sur des faits analogues que certains physiologistes sont venus prétendre que l’on devait considérer les phénomènes de dédou- blement comme la source essentielle de la force musculaire. Suivant eux, les oxydations, qui augmentent durant la contraction, ne produi- raient alors que le surcroît de chaleur occasionné par le travail. L’oxygène, en un mot, servirait en premier lieu à entretenir la cha- leur. L’expérience ne démontre-t-elle pas que, dans l'espèce ani- male, chaque individu consomme d’autant plus d'oxygène que sa température normale est plus élevée? Les parasites intestinaux qui vivent dans un milieu chaud, n’ayant pas besoin par conséquent de produire eux-mêmes de la chaleur, se passent eux aussi très bien d'oxygène. Mais ces objections n’impliquent nullement que les ani- maux supérieurs à sang chaud n’empruntent pas aux oxydations l'énergie qu’ils transforment en travail musculaire. Est-il seulement bien prouvé que les ascarides, par exemple, se passent entièrement d'oxygène? Leurs besoins certainement n’en réclament que peu, mai, ce peu, ils le trouvent très probablement dans le sang des parois intes- tinales auxquelles ils sont accolés. La preuve en est qu’en présence 1. Consulter : R. Neumeister, Physiol., Chem., Jena, 1893, p. 14. 2, Bunge, Zeëschr. f. physiol. Chem., t. NII, 1883, p. 48. 168 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. d'oxygène, ils survivent dans l’eau de huit à dix jours, alors que dans l’eau bouillie ils meurent au bout de quatre ou cinq jours. On peut encore répondre à l’objection, en admettant avec Arthus’ que les muscles, semblables en cela à la levure de bière, empruntent, lors- qu'ils sont aérobies, leur énergie aux oxydations tandis que, devenus anaérobies et l’oxygène dans ce cas leur faisant défaut, ils demandent cette énergie aux réactions de dédoublement. Bunge* se rend du reste bien compte qu’il est imprudent de conclure ici, en ce qui concerne les animaux supérieurs, d’après ce qui se passe dans le muscle isolé de la grenouille ou chez les ascarides du tube intestinal. Admettant que les phénomènes chimiques producteurs de l’énergie dépensée sous forme de travail musculaire portent, ainsi que nous allons finir de le démontrer, sur les hydrocarbonés de l’économie, c’est-à-dire sur le glucose, il arrive à établir que la quantité d’énergie libérée par le dédoublement du glucose dépensé est de beaucoup inférieure à celle qui est nécessaire pour produire le travail réellement effectué. Voici les chiffres sur lesquels il base ses raisonnements : TRAVAIL en CALORIES. kilogrammètres déduit du nombre de calories, 1 kilogr. de glucose complètement transformé par oxydation en eau et acide carbonique produit. 3,939 1,674,000 1 kilogr. de glucose complètement dédoublé en alcool et acide carbonique produit . . . . . 372 158,000 1 kilogr. de glucose complètement dédoublé en acide butyrique, acide carbonique et eau, DROTUIU ed Haine me Utd ee RE Pa PEN nie U es 414 176,000 L'expérience démontre qu’un homme de 75 kilogr. qui, en six heures, fait l’ascension d’une montagne de 2000 mètres produit en chiffres ronds un travail de 180 000 kilogrammètres. Si ce travail ne provenait exclusivement que du dédoublement du glucose, il faudrait qu'il y ait eu destruction de plus de 1000 grammes de sucre. La réserve hydrocarbonée de l’économie ne suffirait pas à la dépense et de plus il est impossible de retrouver trace dans les 1. Arthus, Élém. de physiol., p. 417. 2. Bunge, Chimie biol., traduc. franç., 189{, p. 351. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 169 excreta urinaires ou respiratoires de produits résultant de ce dédou- blement. On voit au contraire que le travail total ainsi effectué correspond à peu près à l'énergie mise en liberté par l'oxydation complète de 100 grammes de glucose, quantité qui, d’après ce que nous savons, est bien inférieure à la réserve hydrocarbonée du sang, du foie et des muscles. Il ne peut non plus y avoir dédoublement du glucose puis oxydation ultérieure et transformation de ces produits de dédoublement en eau et acide carbonique, car il en résulterait un surcroît de dégagement de chaleur capable d’occasionner chez le sujet une élévation de température bien supérieure à celle que l’on observe réellement. D’après cela, la seule conclusion possible, c’est que si les phénomènes de dédoublement mettent parfois de la force vive en liberté, il n’en reste pas moins nettement établi qu’il faut considérer les oxydalions comme les seules réactions chimiques sus- ceplhibles de fournir la majeure partie de l'énergie nécessaire à la contrachon musculaire. Alimentation hydrocarbonée du muscle pendant sa contraction. Cette loi étant admise, il nous reste maintenant à rechercher quel est ou quels sont les principes dont la combustion est utilisée en vue de la production du travail musculaire. Les hydrocarbonés, avons- nous dit, semblent être les aliments immédiats des oxydations qui engendrent la force, et voici les arguments que nous avons déjà réunis en faveur de ce fait : Le glycogène du foie et des muscles qui contiennent d'autant moins de ce principe qu’ils sont plus actifs dimi- nue et peut même du reste disparaître sous l'influence seule du tra- val musculaire (page 300, t. I, 2 f., 1902-1903). On trouve toujours moins de glycogène dans le muscle au repos, que dans le muscle. symétrique qui fonctionne, et cela que la contraction se fasse natu- rellement et dans les conditions de la vie, ou qu’elle soit provoquée artificiellement et sur des tissus isolés du corps. Les expériences faites sur le masséter et le releveur nous démontrent de plus que le sang qui traverse le muscle perd plus de glucose pendant la con- traction que pendant le repos. 170 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Les deux mémoires de Chandelon' et les travaux de Morat et Dufour“ confirment entièrement les conclusions de M. Chauveau à ce sujet. Chandelon constate que le glycogène finit par disparaitre entièrement dans les muscles anémiés par la ligature de leurs vais- seaux et mis ainsi dans l'impossibilité absolue de recevoir du sang les matériaux nécessaires pour reconstituer leurs réserves hydrocarbo- nées. C’est là une preuve certaine que le travail physiologique, chargé d'entretenir la tonicité du muscle, est déjà une cause très active de dépense du glycogène. Par contre, lorsque le muscle est placé dans l’état d'inertie par la section de son nerf moteur, sa circulation res- tant intacte, on voit augmenter sa provision de glycogène. Dans ces conditions, il cesse en effet de la dépenser, tout en continuant à recevoir de quoi l’élaborer. Morat et Dufour arrivent de même par une tétanisation prolongée à faire perdre aux muscles de la cuisse d'un chien jusqu’à 80 °/, de leur glycogène. Ces auteurs opéraient sur les deux muscles cruraux symétriques, chez lesquels ils avaient déterminé simultanément de l’anémie par ligature de l'aorte et de la paralysie par section des nerfs. L'un des muscles était laissé inerte, et comme sa provision de glycogène demeurait forcément invariable, les causes de dépense et de renouvellement de ce gly- cogène étant supprimées, il servait de témoin. L'autre muscle était soumis à des excitations électriques que l’on continuait jusqu’à ce qu’il perdît toute sensibilité. En opérant dans les mêmes conditions mais sans ligature de l'aorte, pour conserver aux tissus leur cir- culation, MM. Morat et Dufour trouvèrent que ces muscles consom- maient en { minute 08,27 de glucose lorsqu'ils étaient au repos et 18,62 pendant leur contraction. Mais d’après eux, la quantité de sucre que perd le sang en traversant le muscle est sujette à d'assez grandes variations. Leur dernière expérience à cet égard est très instructive. Elle montre que les muscles anémiés et fatigués, au point de devenir inexcitables, retiennent, si l’on vient à y rétablir la circu- lation sanguine, une quantité considérable de glucose bien supé- rieure à celle que la contraction aurait consommée dans les condi- GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE, 171 tions ordinaires. Que faisait le muscle de ce glucose ? Conformément aux conclusions de MM. Chauveau et Kaufmann, il fut facile de se rendre compte que les tissus le mettaient à profit pour reconstituer leur provision de glycogène, plus ou moins entamée ou épuisée par la contraction. En résumé, le muscle qui se contracle consomme d’une façon cer- taine du glucose et du glycogène. M. Chauveau, nous Pavons vu, s'était en outre avancé à conclure que les échanges gazeux muscu- laires inhérents au travail concordent presque avec ceux que l’on obtiendrait en comburant dans la bombe calorimétrique, par exemple, le glucose et le glycogène disparus. Sile fait était vrai, on devait alors, par l’observation suivie du quotient respiratoire, pouvoir obtenir des données intéressantes sur la nature du principe utilisé par la contrac- tion musculaire. Nous avons déjà défini ce qu'il faut entendre par « quotient respiratoire » et montré que sa détermination permet de conclure sur la qualité du combustible consommé par les tis- sus. Et à ce propos, nous avons établi que, d’après l’équation théo- rique de la combustion d’un hydrate de carbone, le glucose par exemple, le quotient respiratoire de la réaction est égal à l’unité; s’il s’agit de la combustion d’un corps gras, la tripalmitine, il devient inférieur à l’unité et prend une valeur voisine de 0,70. L'étude de l'influence que pouvait exercer le travail musculaire sur le quotient respiratoire s’imposait donc. On l’aborda, en 1896, au laboratoire de physiologie du Muséum, mais sur des sujets d’expérience non ali- mentés, contrairement donc à ce qui se faisait généralement. L’abstinence constituait, en effet, la condition la plus favorable que l’on pût trouver pour observer utilement l’animal, lorsqu'il dé- pensait son énergie. Cinq ans auparavant, M. Chauveau en avait établi théoriquement la raison, dans son mémoire sur « la vie el l'énergie chez l'animal ». Lorsqu'on approfondit tant soit peu, disait l’auteur en substance, le mécanisme de la digestion, c’est-à-dire de l'apport alimentaire, on voit que son intervention n’est pas aussi nécessaire à l’accomplissement des transformations de l’énergie que la fonction respiraloire par exemple. Que l'oxygène manque, et tout mouvement énergétique cesse. L’interruption de la fonction diges- tive n’agit pas de même. Sans doute il faut se nourrir, mais l’apport 172 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. de l’aliment n’en apparaît pas moins comme une nécessité que l’on peut plus ou moins ajourner. Entre les repas, ou pendant l’état de veille, on ne constate aucune modification essentielle de ces trans- formations continuelles de l'énergie dont l’ensemble constitue le tra- vail physiologique. Si donc ce dernier s’exécute régulièrement en dehors de la digestion et de l’assimilation des aliments, c’est que ces deux fonctions ne participent pas directement à la création des forces d’où dérive l’activité de Panimal. On dit généralement de ce dernier, lorsqu'il est en état d’inanition, qu’il vit sur sa propre substance. N'est-ce pas la même chose s’il est alimenté? Évidemment si ! Quel est le but de la digestion et de l’assimilation? c’est uniquement de transformer les principes immédiats introduits dans l’économie en des matières nouvelles qui, tout en conservant parfois une composi- tion chimique analogue, n’en prennent pas moins une constitution spéciale sans laquelle ils ne pourraient être utilisés. Les protéiques des aliments, qu'ils proviennent des végétaux ou de la viande, se trans- forment toujours en sérine ou en globuline dans le sang de l’animal, en caséine dans la mamelle, en osséine dans l'os, etc. Les hydrates de carbone produisent de même du glycogène dans le foie ou les mus- cles, du glucose dans le sang. Cela revient à dire que l’aliment ne devient, à proprement parler, un aliment physiologique, que lors- qu'il fait partie de la propre substance de l’animal, si bien que ce dernier, même lorsqu'il est alimenté, ne consomme toujours que sa propre substance. La conséquence naturelle de ces raisonnements, c’est que chez le sujet qui mange, digère, assimile, il se passe non seulement les mêmes transformations de l’énergie que lorsqu'il n’est pas alimenté, mais en outre celles qui sont provoquées par le travail physiologique de la digestion, de l’absorption et de l’assimilation. Ce surcroît de dépense énergétique, qu’il est impossible de déduire et de distinguer de l’ensemble, ne peut que compliquer la question. Finale- ment, il faut donc considérer l’état de jeûne comme la condition dans laquelle les mutations de l’énergie se présentent avec les caractères de plus grande simplicité. L'homme sur lequel M. Chauveau expérimenta en 1896 "était à 1. Chauveau, Comptes rendus, 1896, t. L., p. 1163. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 113 jeun depuis seize heures. Il ne pouvait par cela même consommer que l'énergie précédemment emmagasinée dans son organisme. Le travail qu’on lui fit exécuter consistait dans une succession de montées et de descentes de l’escalier principal du laboratoire, ininterrompues et accomplies toujours dans le même temps. On l’arrêta lorsque la fa- tigue ne lui permit plus de continuer son travail sans le ralentir. L'air expiré par le sujet fut recueilli, à six reprises différentes, au moyen de l'appareil imaginé à cet effet par MM. Chauveau et Tissot *, L’ana- acide carbonique pr te oxygène absorbé lyse fixa aux quotients respiratoires ( valeurs suivantes : 1° Immédiatement avant le travail. . . . . 6 05°,75 29 Au début du travail, pendant les cinq eme nee 0 ,84 3° Au début du travail, entre la dixième et la quinzième minute. 087 4° De quarante à cinquante minutes après le début du travail. 0 95 5° À la fin du travail, d'une durée de soixante-cinq minutes . 0 .84 6° Après une heure de repos. . . . UT Avant d'interpréter, finissons de résumer complètement les expé- riences faites au Muséum dans le but d’étudier les variations des échan- ges respiratoires inhérentes à la production du travail musculaire. Dans une nouvelle série de recherches, poursuivies avec la collabora- tion de M. Laulanié*, M. Chauveau observa les conséquences de la con- traction musculaire, exécutée non plus naturellement comme dans l'expérience précédente, mais sous l’influence d’excitations artifi- cielles. Peu importait que le travail fût provoqué d’une façon ou d’une autre, la source où le tissu musculaire puisait son énergie devait toujours être la même. C’est sur le chien et le lapin que por- tèrent ces nouvelles expériences. Les animaux étaient observés tantôt en état d’abstinence, tantôt après un repas abondant, riche en hydro- carbonés, et, dans ce dernier cas, ils pouvaient emprunter de l’éner- oie non seulement à leurs réserves mais aux aliments qui venaient d’être introduits dans la circulation et étaient en voie d’assimilation. 1. Voir sa description dans : Laulanié, Éléments de physiol., 1900, t. I, p. 365. 2. Chauveau et Laulanié, Comptes rendus, t. 1, p. 1244. 174 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. On sollicitait l’activité des muscles 30 fois environ à la minute par des excitations électriques, provenant de deux électrodes, en forme d’aiguilles, placées aux deux extrémités du corps, de façon que cha- cun des chocs intéressât la totalité de l’appareil musculaire. Pen- dant l’expérience Panimal enfin était placé dans une enceinte close, que traversait un courant d’air. Un appareil à écoulement réglait et enregistrait le débit de l’air dont les altérations, déterminées à la sortie, faisaient connaître la mesure des échanges respiratoires. La méthode d'exploration du chimisme respiratoire suivie au cours de cette série de recherches est décrile par son auteur, M. Laulanié, dans un mémoire spécial”. Le tableau suivant donne quelques-uns des quotients respiratoires déterminés, ainsi que nous venons de le dire, sur un petit épagneul, d’un poids moyen de 3 kilos, lorsqu'on le faisait travailler artificiellement dans diverses conditions d’abstinence ou après un repas COPIEUX : ANIMAL ANIMAL A JEUN DEPUIS ayant pris 3 heures avant un repas copieux 24 heures. | 48 heures. | 3 jours, jours. de soupe au lait. Gr. | État de repos, immédiatement avant le (yat SANTE OS OT | Après { heure de travail musculaire. | 0,895 | Après 2 heures == 0,900 Après 3 heures — » État de repos, { heure après la cessa- tion du travail . Dre | État de repos, ? heures après la ces- sation du travail. . — Les expériences faites en même temps par M. Chauveau sur le lapin à jeun ou soumis à son régime herbivore naturel ne sont pas 1. Laulanié, Arch. de physiol. expér , 1895 et Loc, cit., p. 359. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 119 plus démonstratives, pas plus du reste que les recherches person- nelles de M. Laulanié!, que l’auteur résume lui-même ainsi : AVANT PENDANT APRÈS <. rene FRE OBSERVATIONS. le le le FPROMORANUOR EE DOrIARNER: travail. travail. travail. Lapin (7 expériences). Nourri à discrétion. . . 0,880 0,970 0,799 ( À jeun (l'inanition a duré | : : ir U On 89N T0 QUES Abondamment nourri à la soupe au lait, . . Chien (5 expériences) . Chien (2 expériences). 0160221027 211,083 Il est aisé de se rendre compte qu’au cours de chacune de ces expériences les chiffres, et par conséquent les phénomènes dont ils ne sont que la résultante, varient toujours dans le même sens. Si l’on prend comme point de départ les résultats de la période initiale de repos, on voit que, sous l’influence du travail musculaire, le quo- tient respiratoire augmente toujours dès la mise en activité du muscle et qu'il tend à se rapprocher peu à peu de l'unité. Le fait est aujour- d’hui nettement acquis, car il a été constaté non seulement par Pet- tenkofer et Voit, Speck, Richet et Hanriot, mais par Zuntz et Leh- mann ?, lors de leurs recherches sur le travail musculaire du cheval. Cette marche des échanges respiratoires reste constante et identi- que dans tous les cas de travail musculaire, quels que soient l’espèce et l’état du sujet d'expérience, quels que soient le régime antérieur de ce dernier, l'intensité du travail et la manière dont ce travail est provoqué ; elle a donc une signification unique que l’on peut résumer ainsi : Le sens des variations du quotient respiratoire démontre tout d’abord qu’il n’est pas possible que la combustion des matières grasses puisse concourir directement à la dépense d'énergie occa- sionnée par le travail musculaire. Les quotients respiratoires des périodes initiales de repos ont en effet, dans presque toutes les expé- riences, une valeur supérieure à 0,70, celle qui est justement atteinte au cours de la combustion théorique de la graisse. Si les corps gras étaient utilisés lors de la mise en activité du muscle, on {. Laulanié, Arch. de physiol., juillet 1896, 2, Zuntz et Lehmann, Landw. Jahrbücher, 1889, t. IL. 176 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. constaterait, contrairement à ce qui a lieu, un abaissement, notable dans certains cas, du rapport are COS Le . oxygène absorbé également demander aux protéiques l'énergie immédiatement con- sommée par le travail. Le quotient respiratoire, tiré de équation qui rend compte de la combustion théorique des albuminoïdes jusqu’au terme urée, est voisin de 0,80. C’est bien là un chiffre que nous retrouvons parmi les résultats consignés dans les tableaux précé- dents. Malgré cela, il serait illogique de considérer le fait comme une preuve certaine et suffisante de l’utilisation de la matière azotée. Nous verrons bientôt en effet, d’une façon très nette, que les albu- minoïdes ne concourent que dans des cas très particuliers à la dé- pense d'énergie qu’entraine le travail physiologique du muscle en contraction. Les matières grasses et les matières azotées n’interve- nant pas en la circonstance, il faut donc, de par la force des faits et du raisonnement, que les hydrocarbonés pourvoient, dans presque tous les cas, à cette dépense. La déduction est légitime. Elle con- corde parfaitement avec toutes les observations qui constatent l’in- fluence du travail musculaire sur la disparition du glucose et du gly- cogène. Elle cadre aussi avec ce que nous venons d'établir en dernier lieu, à savoir que la contraction est toujours accompagnée d’un ac- croissement du quotient respiratoire, lequel tend alors à prendre des valeurs voisines de l’unité. Il n’en serait pas autrement si le principe brûlé pour fournir l'énergie Source du travail était un hydrate de carbone analogue au glucose. Cet accroissement du quotient respi- ratoire, il faut le reconnaître, est quelquefois nul ou insignifiant ; mais cela n’arrive que si l'observation du sujet est postérieure à un repas copieux, riche en principes ternaires, comme la soupe au lait. L’absorption digestive, dans ce cas, est en pleine activité et gorge pour ainsi dire l’organisme de matières sucrées immédiatement disponi- bles. Comment le travail pourrait-il alors accroître notablement le quotient respiratoire, puisque celui-ci, avant la mise en jeu du mus- cle, se trouve avoir déjà sa valeur maxima ? Nous pourrions presque déjà conclure que la consommation des hy- drates de carbone par le muscle est inhérente au travail si, après exa- men plus détaillé, les résultats des tableaux précédents ne donnaient + On ne peut GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 1117 pas encore à réfléchir. Nous avons vu et répété maintes fois que le quotient respiratoire s'élève an début du travail pour dépasser même parfois l’unité. Mais il ne faut pas laisser ignorer qu'il ne garde jamais, pendant toute la durée du travail, la valeur élevée à laquelle il arrive souvent au début avec une grande rapidité. Si la contrac- tion musculaire se prolonge durant deux heures par exemple, le quotient respiratoire baisse et, lorsque le travail cesse, il continue encore à baisser, si bien qu’il peut descendre au-dessous du chiffre obtenu pendant le repos initial. Pourquoi le quotient respiratoire dépasse-t-il l'unité ? Pourquoi est-il moins élevé à la fin qu’au début du travail? Nous avons déjà répondu à ces deux questions. Les expé- riences d’Hanriot (page 117) nous ont déjà démontré que le quo- tient respiratoire ne peut s'élever au-dessus de l’unité que s’il y a formation de graisse aux dépens des hydrates de carbone. Nous voyons effectivement que l’on n’observe ici le fait que dans les expé- riences où le sujet vient de prendre un repas riche en hydrocarbonés, susceptible, par conséquent, d’apporter à l’organisme un surcroît de matières sucrées immédiatement utilisables. Nous l'avons vu éga- lement (page 125) comment M. Chauveau explique {la chute consi- dérable du quotient respiratoire qui se manifeste à la fin du travail et durant la période de repos consécutive au travail. Il y voit l’in- dice d’une oxydation rudimentaire capable, suivant lui, nous le savons, de transformer la graisse en glycogène et de reconstituer ainsi la réserve hydrocarbonée au moment où l'organisme la brûle. Les variations du quotient respiratoire, au cours du travail, sem- blent donner raison à cette thèse. Lorsque le chien d’expérience est en pleine digestion de sa ration de soupe au lait, et qu’il se trouve en quelque sorte saturé d’hydrates de carbone, la prolonga- tion et la cessation du travail n’ont que peu d'influence. Les deux derniers tableaux montrent nettement que la chute du quotient res- piratoire est loin d’avoir alors l’importance que l’on constate tou- jours chez le même animal en état d’abstinence. C’est que, dans ce cas, l’absorption intestinale ne cesse d’introduire dans le torrent de la circulation des hydrocarbonés, et par conséquent la force qui leur est inhérente. Le travail dépense bien cette force, mais l’énergic qui est à la disposition des muscles abonde continuellement sous ANN. SCIENCE AGRON. — 2° SÉRIE. — 1902-1903. — 11. 12 178 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. l'influence de la digestion. L'organisme a ce qu’il lui faut. Il n’a donc pas besoin d'élaborer aux dépens de ses graisses le glycogène qui, plus que tout autre principe, serait susceptible de lui fournir du potentiel. Chez l'animal à jeun, au contraire, les hydrates de carbone alimentaires faisant défaut, l'organisme fabrique du glycogène aux dépens de ses réserves graisseuses afin, en le brülant, de satisfaire au surcroît de dépense d’énergie causé par le travail musculaire. M. Chauveau, à la suite de ses expériences sur la nature du potentiel consacré à l’exécution du travail musculaire, se croyait ainsi en droit d’aflirmer : « que ce potentiel est toujours un hydrate de car- bone, soit celui qui est emprunté aux réserves de glycogène de Por- oanisme ; soit celui qui provient du glycogène nouvellement formé, par oxydation incomplète des réserves graisseuses ; soit enfin celui qui est fourni plus ou moins directement aux muscles par l'absorption digestive ». Si nous nous souvenons qu’il ne nous a pas été possible d'établir bien nettement que l'organisme est capable de transformer les graisses en glycogène ou en glucose, nous devons réduire un peu les conclusions de M. Chauveau, et les formuler par exemple ainsi : L’expérimentation établit : « 1° qu'il y a sûrement, au début du tra- vail, consommalion par le muscle des hydrales de carbone mis en réserve par l'organisme ou bien introduits en nature dans l'économie par l’absorplion intestinale; 2° mais que le muscle doit travailler aux dépens de principes autres que les hydrocarbonés, lorsque l'ali- mentalion n'apporte plus ces hydrocurbonés en quantité suffisante ou lorsque les réserves sucrées de l'organisme lui-même sont par trop enlamées. » Contribution des aliments hydrocarbonés dans l'apport de l'énergie dépensée par le travail musculaire. Ce simple énoncé nous laisse deviner les conséquences pratiques qu’il nous sera possible de tirer de toutes ces expériences. Bien avant, du reste, que les résultats auxquels nous venons d’être scientifique- ment conduits aient été érigés en loi absolue, l'homme et les animaux, simplement guidés par l’observation empirique ou par l'instinct, s’é- taient rendu compte des bons effets de l’alimentation hydrocarbonée GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 119 et de son influence sur le travail musculaire. Tout le monde sait que pour produire de grands travaux mécaniques l’homme utilise surtout le cheval, le bœuf, etc.; or, ces animaux sont tous herbivores, c’est-à-dire que leur ration se compose surtout d’hydrates de carbone. De même que les bêtes de somme ou de travail, une grande partie de la classe ouvrière des pays civilisés produit son travail sans manger de viande. Les populations rurales s’en abstiennent également pour ne se nour- rir qu'aux dépens d’aliments végétaux. Dans le même ordre d'idées il existe des peuples entiers qui, avant même que la civilisation moderne n'ait pénétré chez eux, ne se nourrissaient exclusivement que d’ali- ments riches en hydrates de carbone et pauvres en albuminoïdes. Pour trouver dans leur ration usuelle la quantité d’azote que les phy- siologistes jugent indispensable, ils auraient été obligés d’absorber des quantités de substances alimentaires tellement considérables que la chose leur eùt certainement été impossible. Afin de se procurer 100 grammes seulement d’albuminoïdes, un Irlandais, par exemple, d’après les calculs de M. Cathelineau , devrait manger 9 kilogr. de pommes de terre, et un paysan japonais 1 400 grammes de riz, c’est- à-dire environ 3 400 grammes de riz cuit. « En fait, conclut cet au- teur, ils n’en absorbent pas tant, personne ne l’a jamais soutenu, et pourtant il en est beaucoup qui ne prennent aucun autre aliment plus riche en azote. Le fait semble surtout bien établi pour les Japo- nais qui ont eux-mêmes étudié la question avec soin. Les travaux de Botho Scheube, de Y. Mori et Kellner ne laissent pas de doute sur ce point. Depuis des siècles les générations successives de Japonais ont conservé ce régime alimentaire insuffisant eu égard à la théorie classique, et malgré cela ils sont restés de vigoureux et robustes tra- vailleurs. » Faut-il en conclure qu’il existe une physiologie spéciale pour les Japonais et les Irlandais? Certes non, car ils ne sont pas seuls à demander aux hydrates de carbone la majeure partie de l’énergie dépensée sous forme de travail. Nous disions précédemment que les féculents tiennent une grande place dans l'alimentation de l’ouvrier. Ge sont là, sans doute, des aliments peu coûteux et que la nature ne cesse de produire en abondance ; mais il paraît fort probable, sinon 1. Cathelineau et Lebrasseur, Des aliments, Paris, Rueff, 1897, p. 137. 180 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. certain, qu'il en est ainsi parce que la santé et les muscles y trouvent leur compte. L’individu qui se porte bien, sans augmenter ni dimi- nuer de poids, est justement en effet celui auquel ses aliments jour- naliers apportent l’énergie qu’il dépense. La teneur des aliments complexes en albuminoïdes, graisses et hydrocarbonés permet, du reste, de se rendre compte que l’homme, simplement guidé par ses instincts et soumis aux conditions ordinaires de la vie, ingère, en dehors de toute considératicn scientifique par conséquent, des quan- tités d’hydrates de carbone croissantes à mesure qu’augmente le travail à fournir. Empruntons à Rubner’ le tableau suivant, où se trouve calculée l'énergie qu’apportent l’albumine, les graisses et les hydrates de carbone contenus dans la ration moyenne des vingt- quatre heures aux divers âges de la vie. La comparaison entre tous ces chiffres est très significative. Si l’on représente par 100 l’énergie totale? fournie en un jour par l'alimentation ordinaire et moyenne des sujets observés, l'organisme en trouve : Dans Dans ee l’albumine. les graisses. CRÉDORE (hez leNnOUTTISSON EE 18,7 52,9 ; 28 ,4 Chez l'enfant de 2 à 3 ans . . . 16,6 31,7 51,5 Chez: Padulle re EN ENERe ENT 16, 66,9 Chez lewvieillard er. 17,4 21,8 60,7 On voit, sur ce tableau, que la proportion relative de consomma- tion des hydrocarbonés croît lorsque l’on passe de l’alimentation du nouveau-né à celle de l'adulte, pour diminuer ensuite dans la ra- tion du vieillard. La dépense de l’énergie, qui chez les bébés esl presque nulle et atteint son maximum chez l'adulte, suit donc une marche absolument parallèle. Et à ce sujet il est intéressant de faire remarquer que si le nourrisson ne produit pour ainsi dire pas de tra- vaux mécaniques et ne trouve relativement que peu de sucre dans le lait de sa mère, il n’en est pas de même de tous les jeunes animaux. Certains, dès leur naissance, dépensent des quantités souvent consi- 1. Rubner, Zeifsch. f. Biol., t. XXI, 1885, p. 399. 2. Nous verrons, dans la suite, comment on calcule l'énergie apportée par les ali- ments. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 151 dérables de forces ; les jeunes veaux et les poulains marchent et courent par exemple presque. de suite ; aussi les laits de la vache et de la jument sont-ils plus riches en matières ternaires que celui de la femme. Le lait de la jument et de l’ânesse est particulièrement sucré. Il est probable que l’on trouverait des différences analogues dans la composition des œufs des divers oiseaux. Citons encore, pour multiplier les preuves, le tableau suivant em- prunté également à Rubner. Il est calculé d’après l’alimentation moyenne de cinq catégories d'individus adultes appartenant à des classes sociales de moins en moins élevées et fournissant par consé- quent de plus en plus de travail. Si l’on représente toujours par 100 l'énergie totale apportée dans les vingt-quatre heures aux différents sujets comparés, l'organisme en trouve : DES D De le En Chez les : FARINE 7e EAISS08" carbonés. Jeunes médecins et intendants. . . . . . REZ 29,8 51,0 Hommes de peine, menuisiers, ouvriers . . 16,7 16,3 66,9 Ouvriers fournissant un travail moyen plus DEN NADIA RU er nee 18,8 17,9 63,5 Mineurs, briqueliers, ouvriers de ferme . . 13,4 7 Ps 65,3 POCHE FOR RS as Melon a ae. © à ve 8,3 38,7 52,8 Telles sont les proportions relatives d’albumine, de graisses et d'hydrates de carbone suffisantes pour entretenir l’homme adulte en parfait état de santé, lorsqu'il se trouve soumis aux diverses condi- tions ordinaires de la vie. La comparaison des exemples judicieuse- ment choisis par Rubner nous démontre de nouveau que ce sont bien les hydrocarbonés qui fournissent à l’homme la plus grande partie de l'énergie qu’il dépense. Ils apportent par exemple au travailleur moyen 67 p. 100 du potentiel contenu dans sa ration par vingt-quatre heures. Mais ce n’est pas là la seule conclusion intéressante du ta- bleau précédent. Il nous démontre en outre que la proportion rela- tive d’énergie inhérente aux matières albuminoïdes décroit lorsque Von s’adresse aux classes peu aisées. Les travailleurs les moins for- tunés, on le sait, ne mangent en effet que fort peu de viande, ce qui tendrait à prouver que, la contraction musculaire n’utilisant pas les protéiques, ils demandent aux hydrates de carbone le surplus de 1832 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. force. Ils en ingèrent d'autant plus que la dépense augmente. Cepen- dant, lorsque ce travail dépasse la moyenne, et qu’il devient aussi considérable que celui qui est fourni par les mineurs, les ouvriers de ferme et les bûcherons, les hydrocarbonés ne suffisent plus; sil fallait que ce soient eux qui subviennent presque seuls à la dépense anormale d’énergie que l’on demande à ces classes ouvrières spé- ciales, ils devraient être ingérés en proportions telle que le volume de la ration serait exagéré. Pour remédier à cette surcharge du tube digestif le travailleur mange moins de féculents, mais l’on voit par contre que la proportion des graisses se relève dans sa ration au point de dépasser de beaucoup celle des classes aisées. La théorie donne, en la circonstance, raison à l'instinct, car les corps gras ap- portent, à poids égal, bien plus d’énergie que les autres aliments. Voilà donc deux faits qu’il nous faut examiner plus attentivement. Est-il vrai que le travail musculaire n’occasionne pas une oxydation supplémentaire de matières protéiques, et qu’il utilise parfois les graisses ? Alimentation azotée du muscle pendant sa contraction. De nombreux auteurs sont venus soutenir que le travail musculaire est fourni par la combustion des albuminoïdes. « Les muscles, dit Liebig (1871), tirent leur énergie des matières azotées qui les com- posent ». La théorie était conforme à ce fait d'observation vulgaire que celui qui mange beaucoup de viande est plus fort que celui dont l'alimentation n’est pas carnée. Il ne paraissait pas non plus irration- nel, à première vue, de supposer que le muscle trouvait dans sa propre substance (constituée presque en totalité, 96 p. 100, par des matières albuminoïdes) ou dans l’albumine du sang l’énergie néces- saire au développement de la force musculaire. Pour Playfair, c'était le muscle lui-même qui s’usait pendant la contraction, et constituait ainsi à la fois et la machine et le combustible. Cette conception sem- blait simple. Elle fut admise par Hammond, Schenk, Flint, Bleibtreu, Pfüger et même tout récemment par Arguatinski'. Nous allons voir 1. Argutinski, PAlüger's Arch., 1890, p. 592. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 183 combien elle est inexacte. Bien avant que Liebig n’ait posé la question, le D°J. R. Mayer, celui à qui l’on doit d’avoir le premier nettement éta- bli l’équivalence du travail et de la chaleur, avait reconnu qu'il était impossible que le travail musculaire utilisât les matières azotées du muscle. D’après ses calculs, il faudrait dans ces conditions moins de 80 jours à un homme de 75 kilogr. pour brûler l’ensemble de ses muscles ; le cœur, qui fournit un travail considérable, disparaîtrait de même en huit jours. Si l’on s’en tient au raisonnement, il est en effet aisé de se rendre compte qu'un adulte, produisant journellement en moyenne 300 000 kilogrammètres, devrait, de par la théorie de Lie- big, brûler dans le même temps 160 grammes de muscle ou recevoir dans sa ration quotidienne la même dose d'albumine. L'homme ne se consume pas avec cette rapidité, et comme son alimentation ne comporte généralement pas une dose aussi élevée de protéiques, on voit que la matière azotée du muscle ou des aliments est insuffisante pour répondre au travail réellement produit. Lorsque Liebig énonça sa théorie, les recherches faites de côté et d'autre sur les modifications chimiques éprouvées par le muscle au cours du travail ne lui donnaient ni tort ni raison. Ranke‘ avait trouvé la même proportion d'azote dans les muscles tétanisés et au repos. Une seule chose les différenciait : le muscle, après contraction, cédait à l’eau un peu plus d’albumine soluble que le muscle inactif. Le fait fut confirmé plus tard par Nawrocki* et par Danilewski*. D’après Sarokin *, le travail provoquait également dans le muscle une légère augmentation de la créutinine, un produit basique, voisin des alcaloïdes, qui prenait toujours naissance après dédoublement des albuminoïdes. Mais les différences constatées étaient faibles et dues peut-être aux difficultés du dosage. En tout cas, ces matériaux azotés de transformation ne s’accumulaient pas en quantité suffisante pour permettre de conclure que le travail se produisait aux dépens des protéiques du muscle. La question en était là, lorsque l’on songea à rechercher la preuve de la désassimilation possible des protéiques, au 1. Ranke, Tetanos, physiol. Sludie, Leipzig, 1865. 2. Nawrocki, Med. Centralbl., 1865, n° 27. 3. Danilewski, Med. Cen'ralbl., 1874, n° 46. 4. Sarokin, Arch. f. pathol. Anat., t. XXVII, p. 544. 184 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. cours du travail, non plus dans les tissus eux-mêmes mais bien dans l’urine. C’est là que l’on devait retrouver la totalité des déchets azo- tés que le rein éliminait du sang au fur et à mesure de leur produc- tion. Les dosages comparatifs de l'azote urinaire d’un même sujet observé au repos, puis après exercice musculaire, permirent, en effet, de résoudre la question. En 1865, Fick et Wislicenus, étant à jeun, fivent par le sentier le plus raide l’ascension du Faulhorn, haute montagne des Alpes Bernoises (1956 mètres au-dessus du lac de Brienz). Dans les 17 heures qui précédérent l’ascension, ils ne pri- rent aucun aliment azoté et ne vécurent exclusivement que de bis- cuit marin, de lard, de sucre et d’amidon. Le thé sucré constituait leur unique boisson. Ils recueillirent avec soin les urines émises dans la nuit qui précéda l’ascension, puis au cours de l’ascension, pendant les 6 heures de repos qui suivirent, et enfin dans la nuit qu’ils pas- sérent sur la montagne après un repas riche en viande. L'analyse de ces divers échantillons ‘ leur permit de constater que l’azote urinaire n'avait augmenté ni pendant ni après cet exercice musculaire consi- dérable. Les calculs faits à ce sujet par ces deux physiologistes -se trouvent consignés en détail dans presque toutes les physiologies : résumons-les ? : Fick pesant 66 kilogr. et Wislicenus 76 kilogr., les deux ascensionnistes avaient accompli respectivement un travail de 129 096 et de 148656 kilogrammètres. Ces chiffres ne tiennent compte que du travail musculaire servant à soulever le corps et négligent toutes les dépenses d'énergie inhérentes aux mouvements du cœur, à la respiration, au frottement des pieds contre le sol, etc. D’après l’azote de leurs urines Fick et Wislicenus avaient détruit, au cours de l'ascension, le premier 205,62 et le second 195°,47 de pro- téiques. Or, comme l’oxydation de 1 gramme d’albumine, c’est-à-dire la transformation de ce principe en eau, acide carbonique et urée, ne peut produire que 2061,25 kilogrammètres, l'énergie maxima four- nie aux alpinistes par leurs matières azotées se trouvait donc être pour le premier de 42 503 et pour le second de 40 133 kilogrammé- 1. Fick et Wislicenus, Viertelj. d. Züricher nalurf. Gesellsch., t. X, 1865, p- 910 2, Pour le détail, consulter : À. Gautier, Chém. biol., 1897, p. 289. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 1S9 tres. En comparant ces chiffres à ceux qui mesuraient le travail total fourni au cours de leur ascension, les deux expérimentateurs se ren- dirent compte que ce dernier était loin d’être couvert par la combus- tion des albumimoïdes. La force musculaire s’alimentait donc aux dépens des principes ternaires. L'expérience était démonstrative, mais les conditions dans lesquelles les deux ascensionnistes l'avaient entreprise ne comportaient pas une précision absolue. Pour lever le doute, de nombreux physiologistes tentèrent de résoudre définitive- ment la question en observant le phénomène au laboratoire. La mé- thode de Fick et Wislicenus était inattaquable. Ce fut donc par la détermination de l’azote urinaire et plus spécialement de l’urée, qui provient uniquement de la désassimilation des albuminoïdes et des corps azotés en général, que tous recherchèrent la part de l’énergie musculaire qu'il fallait attribuer à l’oxydation des corps quater- naires. Le chien sur lequel opéra Voit * recevait une ration de viande (1500 grammes) telle qu’il excrétait au repos, dans ses urines, autant d’azote qu’il en recevait. L’urée des vingt-quatre heures oscillait alors entre 109 et 110 grammes. On fit ensuite travailler animal une heure par jour, et durant 3 jours, sans modifier son régime alimentaire; le dosage accusa de 104,4 à 1178°,2 durée. L'expérience fut renouvelée sur l’animal à jeun, et l’excrétion d’urée qui variait, au repos, entre 105,88 et 148°,03, atteignit au maximum, pendant la période de travail, 165,6. Chez l’homme, le travail mus- culaire n’influait pas davantage sur la sécrétion azotée. Pettenkofer et Voit® s’en rendirent compte, tout en suivant, dans leur chambre respiratoire, les échanges gazeux d’un même sujet observé au repos, puis au travail. L’urée excrétée durant 24 heures était de : REPOS. TRAVAIL. Grammies. Grammes. Pendant le jeûne . . . . AS LR Ta Te 26,3 25,0 Avec une alimentation ne D RES EC 37,2 SUR Kellner* arriva plus tard aux mêmes conclusions, en analysant les 1. Voit, Zeitsch. f. Biol., t. Il, 1866, p. 339. 2. Pettenkofer et Voit, Zeëtsch. f. Biol., t. Il, 1866, p. 488. 3. Kellner, Landwirth. Jahrbüacher, t. NULL, 1879, p. 701; t. IX, 1880, p. 651. 186 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. urines d’un cheval qui, attelé à un manège dynamométrique, elfectuait chaque jour un travail défini et assez exactement mesuré en kilo- ogrammètres. Le tableau suivant nous donne les moyennes de trois périodes, de quinze jours chacune, pendant lesquelles le poids de l'animal était resté à peu près stationnaire. ? » EXCÉDENT POIDS rs re TRAVAIL PER f du cheval e l'urine azote quotidien sur la par sur la : 1e piste ou 24 heures 1re période en kilo- rte kilogrammes. en grammes. en grammes. grammètres. grammètres. L 534,1 99,0 » 475 000 » 2 529,5 109,3 10,3 950 000 475 000 3 522,5 116,8 17,8 1 425 000 950 000 Toutes les recherches entreprises depuis, au laboratoire de la Compagnie générale des voitures, par M. Grandeau et ses collabora- teurs, plaident dans le même sens, en ce qui concerne plus spéciale- ment le cheval. En 1888, Burlakow ‘ expérimenta sur lui-même et sur trois autres personnes, placées dans des conditions d’alimentation et de travail bien déterminées ; il trouva que le travail musculaire modéré augmentait l’assimilation des aliments azotés de 5,2 p. 100 environ. et que, s’il accentuait en même temps la désassimilation de l'azote, celle-ci n’augmentait guère que de 12,2 p. 100. Munk*° et Hirschfeld* confirmèrent le fait, si bien qu’en 1896, Krummacher *, après de nombreuses expériences, n’hésitait plus à conclure : 1° que, chez l'animal bien nourri, le travail mécanique détruit une légère quantité d’albumine organique, mais que l’augmentation de l’excré- tion azotée n’est nullement proportionnée à l'intensité du travail, et qu’elle est d’autant plus faible que l'alimentation est plus riche en substances non azotées ; 2 que si l’on calcule l'énergie correspondant à la combustion du supplément d’albumine consommé les Jours de travail, on constate qu’elle ne peut être considérée comme la source principale de travail musculaire. 1. Burlakow, Wratsch, 1888, n® 3 et 4. — Maly's Jahresb., t. XVIII, p. 280. 2, Munk, Du Bois Raym. Arch., 1890, p. 557. 3. Hirschfeld, Vérchow’s Arch., 1890, p. 501. 4. Krummacher, P/uüger's Arch., 1896, p. 454. — Zeilsch. f. Biol., t. X XXII, 1596. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 187 Dans les conditions ordinaires de la vie, le combustible musculaire ne serait donc pas constitué par les matières albuminoïdes. M. Chau- veau et ses élèves voulurent eux aussi apporter des arguments à l'appui de cette idée. En 1895, Kaufmann trouva’ que le muscle, en activité physiologique, ne déversait pas plus d’urée dans le sang que celui qui était au repos. Dans les deux cas, les sangs artériel et veineux avaient la même teneur en urée. Le fait n’était pas favorable à l'opinion qui voulait que l’énergie musculaire fût directement empruntée aux albuminoïdes du muscle ou du sang. Mais toutes ces expériences n'ayant pas encore convaincu les derniers partisans de la théorie de Liebig, M. Chauveau entreprit de nouvelles recherches”. Pour démontrer que le travail musculaire n’empruntait nullement l'énergie dépensée aux principes quaternaires des humeurs et des tissus, il s’adressa, suivant sa méthode, à un animal maintenu en état d’inanition. L’abstinence devait en effet écarter toutes les causes sus- ceptibles de compliquer le phénomène. Le travail mécanique qu’on demanda à la chienne d’expérience, au bout de trois jours de jeûne, consistait dans la montée et la descente répétées d’un des escaliers du laboratoire. M. Chauveau estime à 6 000 kilogrammètres environ le travail inhérent à cet exercice, prolongé durant une heure. Si ce tra- vail surexcitait l’oxydation des albuminoïdes, il devait, conséquence toute naturelle, accroître l’excrétion de l’azote urinaire. M. Chau- veau ne se borna pas, comme on l'avait toujours fait avant lui, à ne faire qu’un dosage d’azote sur l’urine totale des vingt-quatre heures, car le travail ne provoquait peut-être qu’une faible augmentation de l'excrétion azotée, augmentation qui, en se noyant dans la quantité totale de l’azote rendu par jour, pouvait fort bien échapper à l’ob- servation. Afin de rendre cette augmentation sensible, il fallait au con- traire multiplier les analyses. Cela devait permettre de comparer les taux de l’azote oxydé qu’éliminait le rein durant des temps égaux et assez courts, toutes les deux heures par exemple, lorsque l’animal était au repos, puis au travail. Mais, pour se procurer l’urine à mesure que le rein l’excrétait, on ne pouvait compter sur les émissions natu- 1. Kaufmann, Soc. de Biol., 2? mars 1895. 2. Chauveau et Contejean, Comptes rendus, 1896, t. I, p. 429. 183 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. relles de l’animal. Aussi ce dernier était-il sondé toutes les fois et aussi souvent que l’exigeaient les nécessités de l'expérience. On re- cueillait l'urine, en favorisant son expulsion par des pressions sur le ventre, puis on lavait la vessie avec un peu d’eau, afin d’avoir toute l'urine et par conséquent tout l'azote excrété. La chienne s’y habi- tue très bien, paraît-il, et n’est nullement impressionnée par 6,7 et même 12 sondages dans les 24 heures. On analysa les divers échan- tillons et il fut facile de se rendre compte que l’excrétion de l'azote urinaire ne variait ni au cours de l'exécution du travail ni après. Un jour mème, celte excrétion fut notablement diminuée pendant la période d’activité du système musculaire. On ne pouvait démontrer plus clairement que l’animal ne puise pas l’énergie qui engendre la contraction de ses muscles dans les albuminoïdes de sa propre sub- stance, incorporés aux tissus où aux humeurs de l’économie. M. Chau- veau ne s’en int pas là. Il démontra ensuite qu’il ne l’empruntait pas davantage aux protéiques de ses aliments * . La chienne d’expérience fut nourrie avec de la viande crue dégraissée. Si le travail exécuté pendant la digestion de ce repas provenait du potentiel des albumi- noïdes ainsi absorbés, l’excrétion de l’azote urinaire devait se modi- fier profondément et ne pouvait manquer de refléter fidèlement la marche du phénomène. Les expériences furent réglées de façon à faire intervenir le travail, tantôt deux ou trois heures après le repas, c’est-à-dire au début de l’assimilation des albuminoïdes de la ration, tantôt douze ou treize après, c’est-à-dire en pleine assimilation. L'animal exécutait le même travail que dans l'expérience précédente et était sondé toutes les deux heures. M. Chauveau, après avoir cons- truit la courbe exacte de l’excrétion azotée, se rendit compte que le travail n’influait en rien sur la direction de cette courbe et que la contraction par conséquent n’exagérait pas la combustion des albu- minoïdes alimentaires. L'expérience fut renouvelée, avec le même succès, en nourrissant l’animal avec de la gélatine. Puisque ie travail musculaire n’emprunte pas plus aux albuminoïdes ingérés qu'aux albuminoïdes déjà incorporés, il n’est guère possible de nier que les malières azolées ne sont nullement destinées à alimenter la dépense {. Ghauveau et Contejean, Comptes rendus, t. 1, 1896, p. 594. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 189 d'énergie occasionnée par le travail musculaire. La conclusion est cependant un peu radicale, car il y a certainement des cas où une désassimilation notable des albuminoïdes accompagne la contraction musculaire. L’urée augmente lorsque l'alimentation est insuffisante, et ne couvre pas la dépense d’énergie, lors par exemple de la pro- duction d’un travail excessif. Nous avons déjà vu que le chien de Voit, maintenu en état d'inanition, excrétait, par jour de travail, près de 2 grammes d’azote de plus qu’au repos. Kellner, en forçant con- sidérablement, sans modifier sa ration, le travail de son cheval d’ex- périence, constata de même une forte élévation de l’excrétion azotée. L’urine contenait alors en plus près de 36 grammes d’azote, pour un excédent de travail de 1 616 000 kilogrammètres. Ces 36 grammes d'azote correspondent à environ 225 grammes d’albumine sèche ca- pable de livrer une énergie égale en chiffres ronds à 264000 kilo- grammètres. Le cheval, en tout cas, n’avait donc pu, par conséquent, retirer de la combustion des albuminoïdes réellement oxydés tout le potentiel libéré pour produire l'excédent de travail constaté ; mais cela ne prouvait pas, qu’en la circonstance, les albuminoïdes ne lui avaient été d'aucun secours. S'il faut en croire Oddi', le dernier qui a étudié la question de près en se servant d’une chambre respi- ratoire, l’intervention des substances quaternaires a parfois son uti- lité. Cet auteur s’en est rendu compte en suivant les échanges ga- zeux de rats observés au repos, puis lorsqu'on les forçait à s’agiter. Il constata que, durant la période d’activité, l’acide carbonique était excrété en plus grande quantité, ce que nous savons déjà. Il con- firma en outre les résultats obtenus par M. Chauveau, relatifs à l'élévation du quotient respiratoire dès le commencement du tra- vail, puis à sa dépression presque subite lorsque l’on prolongeait un peu la période d'activité. La marche du phénomène, déclare Oddi, établit que les hydrocarbonés sont la source principale de l’énergie musculaire, mais non la source exclusive. Après de nouvelles recher- ches faites en collaboration avec Tarulli?, le même auteur fut con- duit à formuler les conclusions suivantes : « Le travail habituel ou 1. Oddi, Arch. italiennes de Biol., t. XV, p. 388. 2. Oddi et Tarulli, Arch. italiennes de Biol., t. XIX, 1893. 190 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. normal n’altère pas sensiblement l'élimination de lazote, et par conséquent n’augmente pas la consommation des substances azo- tées de l'organisme. Quand le travail, au contraire, est intense, au point d’épuiser la provision des hydrates de carbone emmagasinés dans l’organisme ou introduits en nature par l'alimentation, il pro- duit une augmentation dans l’élimination de l’azote total, et par conséquent une consommation plus forte de matières azotées. » Les phénomènes chimiques qui président à la contraction musculaire doivent donc être compris ainsi : Dans les conditions ordinaires, le muscle ulilise les substances non azolées que lui apporte le sang, el réclame jusle aux albuminoides ce qu'il lui faul pour réparer l'usure de ses tissus. La consommation des principes quaternaires est alors insignifiante. Dans les conditions anormales, lorsque l’exer- cice se prolonge jusqu’à la fatigue ou lorsque lalimentation devient insuflisante et que la matière première fait défaut à l'organisme, le muscle venant à manquer de substances non azolées el ne pouvant plus en élaborer consomme alors des albuminoïdes et fournit des produits azolés de déchet. De l’utilisation des graisses pendant la contraction musculaire. L'utilisation des protéiques est donc, pour ainsi dire, anormale et encore, lorsqu'elle se produit, est-elle toujours extrêmement faible. Le fait, on le voit, n’est pas de nature à modifier notre opinion pre- mière sur la participation directe et presque exclusive des hydrocar- bonés dans la production du travail musculaire. Avant de l’affirmer à nouveau, 1l nous reste quelques mots à dire sur le rôle des graisses en tant qu’élément susceptible d’être utilisé comme source d'énergie musculaire. Nous connaissons déjà en partie les idées de M. Chauveau a ce sujet. Une utilisation directe des corps gras impliquerait un abaissement notable du quotient respiratoire primitif pendant la mise en activité des muscles ; or, c’est justement le contraire que l’on ob- serve même lorsque l'organisme est copieusement alimenté avec des graisses. M. Chauveau expérimenta sur un homme de 90 kilogr., au- quel il fit monter et descendre, à une allure uniforme et réglée, l’es- GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 191 calier de son laboratoire. L'exercice correspondait à 60 000 kilo- orammètres environ par demi-heure d’épreuve. L'air expiré était recueilli de temps à autre, au moyen de lappareil Chauveau-Tissot. Lorsque l'observation commença, le sujet était à jeun depuis quinze heures. Son quotient respiratoire *, après trente minutes de travail, passa de 0,706 à 0,812. Le sujet avala alors en plusieurs fois 105 gr. de beurre, quantité plus que suffisante pour pourvoir à la dépense d'énergie qu'on lui demandait. Lorsqu'on recommença le travail au bout de deux heures et demie de repos, la graisse ingérée avait eu le temps de pénétrer dans le sang et se trouvait ainsi à la disposition des muscles, dans le cas où ils auraient pu l'utiliser directement comme source de force. Le quotient respiratoire était avant l’exer- cice de 0,666. [1 augmenta progressivement sous linfluence de nou- velles montées et descentes, et atteignit 0,809. Sous l'influence du travail musculaire le quotient respiratoire restait donc toujours à peu près le même, que le sujet füt à jeun ou en pleine digestion d’un re- pas exclusif de graisses. Il tendait de plus, dans les deux cas, à se rapprocher du chiffre théorique de la combustion des hydrates de carbone. Aussi, à la suite de toutes les expériences que nous venons de résumer, M. Chauveau n’hésitait-il plus à conclure que, lorsque le sang, sous l'effet de la digestion, se trouve saturé de principes gras, il n’est pas plus fait emploi de ces aliments par le muscle en contrac- tion que des réserves graisseuses qui sont déjà accumulées dans l'organisme. M. Chauveau ne nie pas pour cela que les graisses ne soient, en la circonstance, d'aucune utilité. Elles ne concourent pas, dit-il, sous leur propre forme à la dépense, mais comme elles peuvent se transformer en hydrates de carbone et fournir ainsi à l'organisme le potentiel qui est la source normale de son activité, on conçoit sans peine qu’elles interviennent indirectement, et que leur destination immédiate n’est autre que d’entretenir une provision d’énergie pour l'organisme. Il n’est guère possible d'admettre, sans réserves, sem- blable conclusion avant d’avoir pu démontrer nettement que lorga- nisme est capable de transformer ses graisses en sucre. Or, aucune expérience n’est suffisamment démonstrative à ce sujet. Nous avions {. Chauveau, Tissot et de Warigny, Comp'es rendus, t. 1, 1896, p. 1169. 192 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. déjà combattu quelques-uns des arguments chers à M. Chauveau (page 126). L'étude des variations du quotient respiratoire pendant le travail ne nous apporte pas de preuves plus convaincantes. Le quolient croit, avons-nous constaté, au début de la contraction, pour s’abaisser ensuite. Tous les auteurs sont d'accord sur ce point, mais comme il demeure généralement supérieur à 0,70, chiffre théorique de Poxydation des graisses, il est tout aussi plausible d'admettre qu'il y a combustion simultanée d’hydrocarbonés et de graisses, que de conclure à la fixation de l’oxygène sur les graisses et à la trans- formation de ces dernières en glycogène ou en sucre. Chez le sujet observé par M. Chauveau, alors qu’il se reposait, après l’accomplis- sement d’un travail musculaire et l’absorption d’une grande quantité de beurre, le quotient respiratoire tombe, il est vrai, à 0,666, mais cela ne prouve pas que l'oxygène ainsi consommé en excès soit uni- quement retenu par les graisses et serve à transformer ces dernières en matières sucrées. MM. Chauveau et Laulanié ont en effet trouvé, nous l’avons vu (page 174), chez leur chien d'expérience, après un jeûne de trois jours, un quotient respiratoire presque aussi bas (0,689, à l’état de repos). Or, dans ce cas, il ne pouvait y avoir eu transformation de la graisse en hydrate de carbone, puisque le jeûne n’augmente pas le glucose du sang et qu’il épuise très certai- nement la réserve de glycogène. Peu importe, du reste, que les corps gras se transforment avant d’êlre utilisés par la contraction musculaire. L’expérience démontre qu’ils interviennent certaine- ment et c’est là le point le plus intéressant de la discussion. Tout le monde sait fort bien que la graisse s’accumule d'autant plus facile- ment dans les {issus que l'animal reste au repos. Ranke et Danilewski ont toujours trouvé un excès de substances grasses dans les membres que l’on obligeait à rester immobiles un certain temps. Par contre, la tétanisation est toujours cause d’une diminution des mêmes principes et, lorsqu'on la prolonge, par exemple, jusqu’à épuisement complet el en suspendant dans le muscle toute la circulation sanguine, les tissus sont tellement dégraissés qu’ils ne se colorent plus sous l’action de l’acide osmique, réactif pourtant assez sensible. Bunge', enfin, a 1. Bunge, Chim. biol., traduc. franç., 1891, p. 346. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 193 pu mettre en évidence le rôle des graisses dans le travail musculaire, en continuant à faire travailler très activement des chiens à jeun, chez lesquels un travail préliminaire de quelques heures avait sûre- ment épuisé toute la provision de glycogène. L'augmentation de l’azote excrété par les urines dénotait qu’il ne fallait pas demander aux albuminoïdes détruits toute la force réellement dépensée. Puis- que dans ce cas le glycogène faisait défaut, les graisses seules avaient pu fournir la majeure partie de l’énergie transformée en travail par les muscles. Des matériaux de travail du muscle. Tel est le rôle respectif que jouent les hydrocarbonés, les pro- téiques et les graisses au cours de la production du travail muscu- laire. Il nous reste maintenant à formuler une conclusion sur l’en- semble de toutes les expériences et recherches que nous venons de rapporter. Si l’on se demande avec laquelle de ces substances orga- niques le muscle peut alimenter les oxydations ou, d’une façon plus générale, les réactions chimiques qui se passent dans ses tissus et sont susceptibles de lui fournir du potentiel, on voit qu’elles peuvent être utilisées toutes les trois, mais que cependant les aliments ter- naires, hydrates de carbone et graisses, sont tout particulièrement . destinés à apporter la majeure partie de l'énergie dépensée par le musele en travail. Lorsque l'organisme, à la suite des repas et prin- cipalement des repas riches en féculents ou en matières sucrées, se trouve gorgé d'hydrates de carbone, c’est même presque exclusive- ment aux dépens de ces derniers que le travail s’accomplit. Il en est également toujours ainsi, au début du travail, alors que la réserve sucrée de l’économie suffit très amplement à renouveler le potentiel dépensé. Mais, dès que la provision de glycogène est un peu en- lamée, ce qui, vu sa médiocre importance, arrive relativement assez vite et aussi bien au cours du travail normal que dans les cas par- ticuliers de fatigue excessive ou d’alimentation insuffisante, les graisses ne tardent pas à intervenir et à être utilisées en même temps que les hydrocarbonés. Quant aux matières azotées, elles n’entrent en jeu et ne contribuent à alimenter la dépense qu’après que les ANN, SCIENCE AGRON. — 2€ SÉRIE, — 1902-1903. — 11, 13 194 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. réserves ternaires, sucre ou graisses, ont été déjà fortement mises à contribution et ne peuvent plus suflire. Dans ce dernier cas, le tra- vail s’accomplit simultanément aux dépens des trois catégories de substances organiques de l’économie. On voit d’après cela, en renou- velant la comparaison si souvent faite entre les machines animales et à vapeur, que dans les conditions ordinaires de travail et d’alimen- tation, ce sont les hydrates de carbone qui constituent le charbon, normal et usuel, du moteur animé. Us suffisent d'autant plus facile-. ment à entretenir les réactions chimiques, sources de l’énergie, que les réserves graisseuses sont de nature également à pouvoir servir de combustible et qu’elles sont là toujours prêtes à remédier, au moment voulu, à une disette partielle et passagère des hydrates de carbone. Une autre conclusion non moins importante : c’est que les pièces mêmes du moteur vivant, c’est-à-dire la matière albuminoïde dont se compose en grande partie le muscle, ne servent à alimenter les réactions d’où dérive le travail musculaire que dans des cas exceptionnels et très rares, Elles s’usent évidemment comme dans toutes les machines, mais leur usure est fort minime. Formes d'utilisation des matériaux de travail du muscle. Ainsi, les trois grandes catégories connues de substances organi- ques peuvent être utilisées dans la contraction musculaire. C’est à peu près tout ce que l’on sait de précis ; quant aux procédés suivant lesquels les protéiques, les graisses et les hydrocarbonés disparais- sent pendant le travail, ils sont fort mal connus. Ces substances sont- elles utilisées en nature ou subissent-elles auparavant des transfor- mations ? En ce qui concerne les graisses et surtout les protéiques dont l’intervention n’est qu'accidentelle, la question ne nous intéresse qu'indirectement. Deux théories * sont en présence. Les uns admet- tent que ces principes sont transformés en sucre par le foie et que le sucre ainsi produit est brülé au niveau du muscle. Cette trans- mutation est actuellement bien démontrée pour les protéiques. Peut-être se produit-elle aussi pour les graisses ? Beaucoup d’auteurs 1. Arthus, loc. cit., p. 428. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 199 la tiennent pour très probable; malgré cela aucun d’eux n’a encore pu suffisamment démontrer la transformation des corps gras en sucre dans l’organisme. Les autres prétendent au contraire que protéiques et graisses sont utilisés sur place dans le muscle, sans changer de forme, ou que, s’il se produit des transformations, celles- ei doivent se faire dans les tissus eux-mêmes. La question de la forme d'utilisation des hydrates de carbone dans la contraction musculaire se rattache davantage à notre sujet. Nous savons que le sucre est abondamment retenu par le muscle en acti- vité et que le glycogène disparait toujours plus ou moins des tissus pendant le travail. Seegen ‘ déclare que la combustion, source de l'énergie musculaire, est alimentée par le sucre du sang et non par le glycogène. L'auteur détermine sur le muscle quadriceps du chien le glycogène disparu pendant la tétanisation, et mesure en même temps, en kilogrammètres, le travail exécuté. Sous l’influence de la contraction, le glycogène détruit dans les tissus est considérable. Malgré cela, il n’y a aucun rapport entre son importance et celle du travail réellement produit. Ainsi, un chien de 20 kilogr., exécu- tant avec son quadriceps un travail fort modéré de 24,5 kilogram- mètres, consomme d’après Seegen l'énorme quantité de 4#,6 de glycogène. Si l’on évalue la musculature de ce chien à 8 kilogr. et son contenu en glycogène à 64 grammes, on voit que ces 64 gram- mes de réserve hydrocarbonée permettent à l’animal de n’effectuer qu’un travail de 960 kilogrammètres. Or, le travail musculaire que peut exécuter un chien de 20 kilogr. représente un grand nombre de fois 960 kilogrammètres. Seegen en conclut que le glycogène ne saurait être la source de l’énergie musculaire. Mais il faut remarquer que les conditions dans lesquelles le chien consomme 15,6 de glyco- “ène en ne fournissant que 24£",5 de travail sont fort différentes de celles du travail normal et que les contractions volontaires doivent s’exécuter sans qu'il y ait un pareil gaspillage de réserves sucrées. Il ne faut pas non plus oublier que les 64 grammes de glycogène con- tenus dans l’ensemble des muscles du chien peuvent théoriquement fournir, par leur combustion, une quantité d'énergie équivalente à 1, Seegen, Arch, f. Physiol., 1895, p. 243. 196 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 108800 kilogrammètres. Pour appuyer ses premières conclusions, Seegen ‘ dose le glycogène dans des muscles normaux de chien. Il en trouve en moyenne de 0,4 à 0,5 p. 100, quantité absolument in- suffisante, d’après lui, pour expliquer comment les animaux d’expé- rience, d’un poids de 26 et de 38 kilogr., sont capables de produire de 168 000 à 959 000 kilogrammètres. Les recherches de Seegen ne peu- vent être très démonstratives, car il n’y est tenu aucun compte de ce que la provision de glycogène des muscles peut se reconstituer au fur et à mesure de sa disparition. On ne peut davantage invoquer en faveur d’une consommation exclusive de glucose que le muscle con- tinue à se contracter fort longtemps après que sa réserve hydrocar- bonée est épuisée, ce qui tendrait à prouver en effet que le sucre du sang est seul consommé par la contraction. N’avons-nous pas vu que les graisses et quelquefois les protéiques entrent en jeu dès que la provision de glycogène est entamée ? La thèse adverse n’est du reste pas plus conforme à la réalité et l’on ne peut admettre que le muscle consomme uniquement du glycogène, le glucose ne servant qu’à re- constituer ce glycogène. Sans doute les expériences de Chandelon, de Morat et Dufour nous démontrent qu’à la suite du travail le muscle retient beaucoup de sucre et qu’on assiste alors au renou- vellement de sa provision de glycogène, mais de ce que le glucose est la matière première du glycogène, il ne s'ensuit pas que les tis- sus, en se contractant, ne l'utilisent pas sous cette forme. Toutes ces questions, on le voit, sont entourées d’une certaine obs- curité et il ne s’en dégage aucune conclusion qui puisse nous être utile. Le mode de décomposition des hydrates de carbone dans les tissus et la nature des transformations qu'ils subissent durant leur combus- lion ne peuvent également rien nous apprendre qui soit d’un intérêt immédiat. CI. Bernard * admettait que le sucre du sang subit la fer- mentation lactique. Suivant lui, acide lactique, brûlé dans les tis- sus par l’oxygène du sang, se transformait finalement en eau et en acide carbonique. L'hypothèse de la destruction du sucre par fer- mentation lui paraissait d'autant plus acceptable que, contrairement 1. Seegen, Arch. f. Physiol., 1896, p. 389. 2. Cl. Bernard, Lecons sur le diabèle el la glycogénie expérimentale, 1877. . GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 197 aux recherches plus récentes de Charrin et Brocard, il avait cru remarquer que le lévulose disparaissait moins vite du sang que le glucose. Or, le glucose était justement le sucre qui se trouvait être le plus sensible à l’action des ferments. Marcuse‘ et Berliner- blau * ont, depuis, essayé de démontrer qu’il y a une corrélation significative entre la disparition du glycogène et la production de l'acide lactique dans les muscles, mais il semble difficile d’en con- clure que c’est bien du glycogène que provient l’excès d’acidité inhé- rent au travail. Monari* a pu, sans peine, établir la thèse contraire et il est actuellement bien démontré que l'acide lactique peut pren- dre naissance aux dépens de substances autres que le glycogène. Faut-il en conclure que les phénomènes de fermentation n’intervien- nent jamais au cours de la destruction du glucose par les organismes vivants ? D’après de toutes récentes recherches, le sucre fermenterait dans les tissus animaux et végétaux absolument comme en présence de la levure. Stoklasa et Cerny ont constaté la présence dans les vé- gétaux supérieurs d’une diastase alcoolique identique à celle que Buchner, Albert et d’autres sont arrivés à extraire de la levure. C’est sous l’action de ce ferment que les végétaux, lorsqu'ils vivent anaé- robiquement, fabriquent de l’alcool aux dépens de leurs réserves hydrocarbonées. A la suite de très belles recherches, Mazé“ a d’abord démontré que si lalcool s’accumule dans les plantes lorsqu'il y a asphyxie, c’ést que l'oxygène leur manque pour l’oxyder. Il faut done le considérer non pas comme un déchet provoqué par la souffrance cellulaire, mais bien comme un produit normal, n’existant le plus souvent qu’à l’état de traces parce qu'il est brülé aussitôt sa formation. Poursuivant ses recherches sur la production de l'alcool par les vé- gétaux vivants, Mazé est ensuite arrivé à cette conclusion : que les réserves hydrocarbonées ou oléagineuses sont utilisées par la plan- tule à la suite d’une série de transformations qui aboutissent toutes à 1. Mareuse, Pflüger's Arch., t. XXXIX, 1886, p. 425. 2. Berlinerblau, Arch. f. exp. Pathol. w. Phar., t, XXII, 1887, p. 333. 3. Monari, Maly's Jahresb., t. XIX, 1889, p. 303. 4. Mazé, Comptes rendus, 1899, t. I, p. 1608. — Ann. Inst. Pasteur, 1902, p. 195, 346, 423. 198 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. un même composé: l'alcool, destiné à être de suite oxydé. La fermen- tation alcoolique serait donc un des modes d'utilisation des aliments ternaires par les végétaux supérieurs. Stoklasa et Cerny* viennent de démontrer tout dernièrement que le procédé est commun au règne végétal et au règne animal. En immergeant dans une solution aseptique de glucose à 5 p. 100 un fragment de cœur de chien re- cueilli aseptiquement et en conservant le mélange dans une atmo- sphère d'hydrogène, ils ont pu recueillir au bout de dix jours près de 2 grammes d'acide carbonique, et autant d’alcool. Le ferment alcoo- lique existe dans les muscles, les poumons, etc., d’où l’on est arrivé à l’extraire. Il est en somme, on le voit, engendré par tous les tissus vivants. Comment ne pas admettre alors que cette diastase de la chair qui se trouve être identique à celle de la levure et des tissus végé- taux ne joue pas un rôle réel dans les phénomènes normaux de la vie animale? MM. Stoklasa et Cerny bâtissent sur ces faits l’hypo- thèse suivante : dans les cellules soustraites à l’action de l’oxygène, les réserves hydrocarbonées sont transformées par le ferment alcoo- lique en acide carbonique et en alcool. Et effectivement, s’il faut en croire Béchamp, le foie contiendrait de l’alcool. Cet alcool doit être rapidement entraîné par le sang, puis ensuite brûlé lorsqu'il arrive avec ce dernier dans les régions cellulaires pénétrées par l'oxygène. L'interprétation est sans doute un peu hardie. En attendant que sa valeur soit mieux mise en lumière, songeons plus simplement que même hors de l'organisme le glucose, aussi bien du reste que le saccharose, s’oxyde très facilement sous l'influence de l’ozone et des alcalins, avec formation exclusive d’acide carbonique et d’acide for- mique. Ÿ a-t-il donc tant lieu de s’étonner qu’il disparaisse dans le muscle par oxydation directe et qu’en se transformant en eau et en acide carbonique il libère ainsi son énergie potentielle ? 1. Stoklasa et Cerny, Centralbl. f. Physiol., février. 1903. (A suivre.) LE NITRATE DE SOUDE PERCHLORATÉ SES EFFETS SUR LA VÉGÉTATION ANALYSE DU NITRATE DE SOUDE PERCHLORATÉ DOSAGE ET SÉPARATION DES CHLORURES, DES CHLORATES ET DES PERCHLORATES QUANTITÉ DE POTASSE CONTENUE DANS LES NITRATES DE SOUDE PAR MM. H. PELLET et G. FRIBOURG ' PREMIÈRE PARTIE LE NITRATE DE SOUDE PERCHLORATÉ I. — LE NITRATE DE SOUDE PERCHLORATÉ EN BELGIQUE EN 1896 Depuis un certain nombre d'années on s’est aperçu que l'emploi du nitrate de soude comme engrais pouvait donner lieu à des acci- dents causant de véritables désastres. M. D. Crispo, directeur du laboratoire d’analyses de l’État à Anvers, a fait paraître à ce sujet un remarquable rapport? expliquant comment on s’est aperçu des effets funestes du nitrate de soude. Il en résulte que c’est surtout pendant l’année 1896, au printemps, 1. Mémoire présenté au V® Congrès international de chimie appliquée à Berlin, à la 7° section (chirñie agricole), dans la séance du 4 juin 1903. 2, Rapport sur les accidents provoqués par l'emploi du nitrate de soude au printemps 1896, par D. Crispo, directeur du laboratoire d'analyses de l'État à Anvers. Bruxelles, 1896. 1 brochure, 27 pages. Hayez, imprimeur, Bruxelles. 200 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. que ces effets désastreux ont été signalés par un article agricole pu- blié dans le Précurseur d'Anvers, du 30 avril 1896. De suite, plusieurs agronomes de l’État belge et directeurs de labo- ratoires d'analyses de l’État, se mirent à l'étude à l'effet de rechercher les causes de l’action nuisible du nitrate de soude. On à d’abord critiqué le mode d'emploi du nitrate de soude, puis on à examiné si le nitrate de soude employé dans la région plus par- ticulièrement alteinte de la Flandre occidentale et provenant, après recherches faites, du chargement du navire Xinross, présentait à l’ana- lyse une composition différente de celle du nitrate ordinairement employé. N'ayant aucune idée à cet égard, MM. les directeurs des laboratoires d'analyses de l’État firent des analyses plus ou moins complètes de différents échantillons de nitrate de soude. M. Crispo, qui avait eu du nitrate de soude incriminé, trouva : NiPate 6 SSONUR. AU. NE 2 Re EME eo A 95,75 Chlorure de sodium ANR 1,40 NE ee AE ET RE LS LL D 1,52 Sulfate de soude . 2 PE A CT ES LE 0,97 Dale TEL PERLE SNDLAOULE Ver NE TE RE SE Re ER 0,36 109,00 Étudiant de plus près le nitrate de soude du Xinross, M. Crispo, après avoir obtenu un échantillon moyen, a donné la composition ci- après : Humidité . 2,18 Matières insolubles . 0.30 | x £ PAR 4,90 Chlorure de sodium, . 2,08 | Sulfate de soude. NAN EE 0.34, Nitrate de PSOUUE PAL QTTeNCER A CR NE 95,10 100.00 AZOTC)CAICUIGS Er TER LCR ON TRS ES TEA PS A 15,66 AZOLC TOUS EN LENS VU re vous RS TOME Ve DUO ST LASER 15.50 M. Crispo ajoute que d’après cette analyse 1l n’y a pas beaucoup de place pour des matières étrangères en dehors de petites quantités de nitrite, d’iodate, de chaux et de magnésie, qui se rencontrent dans tous les nitrates. On trouva aussi d’autres nitrates ayant provoqué LE NITRATE DE SOUDE PERCHLORATÉ. 201 des dégâts agricoles et M. Crispo analysa neuf échantillons de nitrate de soude dans lesquels on dosa non seulement les matières ordinaires, mais encore l’iodate de soude et le perchlorate de soude. Sur neuf échantillons, six échantillons contenaient de 0,31 à 1,04 de perchlorate de soude. M. Crispo examine alors l'influence de diverses substances miné- rales étrangères renfermées dans le nitrate de soude, sur la végéta- tion : 1° nitrite de soude; 2° chlorure de magnésium ; 3° chlorure de sodium; 4° perchlorate. À cette époque on n’était pas fixé sur l’état sous lequel se trouvait l’acide perchlorique dans le nitrate de soude. On parlait aussi bien du perchlorate de potasse que du perchlorate de soude. M. Crispo fait remarquer cependant dans son rapport de 1896 que c’est M. le D: Sjollema, directeur de la station agronomique de Groningen, qui a le premier signalé la présence du perchlorate dans le salpètre du Chili, où 1l en a dosé jusqu’à 6 p. 100. Dès cette année M. le D' Sjollema attribue les effets funestes du nitrate de soude employé à la présence du perchlorate, sans préciser si c'était du perchlorate de soude ou du perchlorate de potasse. Il. — SES EFFETS NUISIBLES SUR LA VÉGÉTATION «) Essais de M. P. de Caluwe relatifs à l'influence en agri- culture de divers chlorates et perchlorates. Influence nui- sible spéciale du perchlorate de soude. Des expériences furent alors établies et M. de Caluwe, agronome de l’État dans la Fiandre occidentale, commença une série de recher- ches pratiques dans le jardin d’essais provincial à Gand. Dès 1896, M. Sjollema entreprit des essais de son côté ainsi que la station agro- nomique de Wiesbaden. Sans connaître le résultat de ces recherches expérimentales sur les effets des substances étrangères au nitrate de soude en agriculture, M. Crispo conseille cependant aux producteurs de nitrate de veiller à l’élimination aussi complète que possible de leur nitrate du perchlo- rate et de l’iode. « Ce sera autant de gagné pour eux et pour l’agri- culture. » 202 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Dans son exposé des cultures expérimentales instituées au jardin d'essais provincial de Gand pendant l’année culturale de 1895-1896, M. P. de Caluwe résume les essais entrepris avec des nitrates de soude contenant du perchlorate. Il profite de ces essais pour expérimenter l’action du perchlorate de potasse ajouté directement au nitrate à côté de nitrates plus ou moins fortement chargés de perchlorate. Un de ces échantillons ren- ferme jusqu'ici 6 p. 100 de perchlorate calculé sous forme de per- chlorate de potasse. De ses essais M. P. de Caluwe ne peut tirer aucune conclusion, les résultats n’étant pas concluants en ce qui concerne le nitrate de soude additionné de perchlorate de potasse. Il soupçonne qu'il y a peut-être une action particulière du perchlorate mais sous forme de perchlorate de soude. M. P. de Caluwe continue ses essais et, sur des navets, cet agro- nome constate l'influence nuisible du perchlorate de potasse ajouté aux engrais azotés. Les racines deviennent malades, une partie entre en décomposition, la végétation laisse beaucoup à désirer et les rendements sont fortement diminués *. Enfin, en 1898-1899, M. P. de Caluwe institue des essais sur divers sels et notamment sur le perchlorate de soude. Ces cssais remarqua- bles ont lieu sur du seigle et le rapport de 1898-1899 donne tous les détails ainsi que des planches photographiées montrant l’action nui- sible du perchlorate. Les conclusions sont très nettement formulées par M. P. de Ca- luwe (Voir la note pages 54 et suivantes de l’exposé des cultures expérimentales, pour 4898-1899). Nous en extrayons ce qui suit : Résumé de plusieurs séries d'essais sur le seigle. 1° Dans cette expérience le nitrate de soude additionné de 1 p. 100 de perchlorate de potasse a manifesté une certaine influence défa- vorable sur la végétation, mais ce n’est qu’à la teneur de 2 et 1. Voir pages 43, 44 et 45. Exposé des cullures expérimentales insliluées au jardin d'essais provincial de la Flandre occidentale à Gand, 1897-1898. LE NITRATE DE SOUDE PERCHLORATÉ. 203 3 p. 100 que ses effets toxiques se sont accentués, surtout au mois d'avril. Plus tard les traces de l’affection se sont effacées. Le perchlorate, employé seul, s’est montré peu nuisible (expé- riences sur le seigle). % Il résulte de ces observations que les effets toxiques du chlorate sont moins prononcés que ceux du perchlorate. 3° On voit que les effets toxiques du perchlorate de soude sont déjà très manifestes à la dose de 0,75 p. 100 du nitrate employé et ils s’accentuent rapidement avec les doses croissantes de perchlorate appliquées. Les observations faites en avril et les résultats de la récolte sont concordants sur ce point. 4° Il résulte de nouvelles observations que leflet du perchlor ate de potasse à été bien faible. 2° Il résulte des observations comme des résultats qui précèdent que le perchlorate de soude appliqué à très faible dose avant l'liver est déjà nuisible au seigle. Ainsi le nitrate, à la dose de 0,64 p. 100 de perchlorate de soude, a parfaitement produit des effets d’intoxication sur la première parcelle. A la dose de 1 p. 100 de perchlorate, le nitrate affecte fortement le seigle et à la dose de 2-3 p. 100 il est désastreux pour la culture. 6° La végétation du seigle a été très vigoureuse et les effets du perchlorate de soude appliqué aprés l'hiver ont été moins apparents que sur la parcelle où le perchlorate avait été mis avant l'hiver. Quoique cela, l'influence nuisible du perchlorate de soude n’a pas tardé à se manifester. | 7° Dans cette expérience, l'effet nuisible du perchlorate de potasse a été finalement à peu près négligeable. Si l’on compare les eflets du perchlorate de soude appliqué dans les mêmes conditions que le perchlorate de potasse on voit immédiatement que le premier est beaucoup plus toxique et partant plus fatal au seigle que le dernier. Ainsi donc les expériences multiples de M. P. de Caluwe démontrent “nettement l'influence pernicieuse du perchlorate de soude en agri- culture. Pour donner une idée des effets désastreux du perchlorate de 204 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. soude sur la végétation du seigle, nous reproduirons un tableau extrait des essais de M. de Caluwe : PERCHLORATE DE SOUDE _— À — RENDEMENTS en p. 100 re proportionnels du nitrate. Pre A Grammes. 11e Sans nitrate, . » » 70,2 2. Nitrate seul. . » Di) 100,0 3. Nitrate et 0,50 12,45 97,0 4. = 0,66 16,66 92,5 5. — 0,83 20,75 88,1 6. == 1,00 24,90 85,8 7e — 1,33 33,30 60,4 8. — 1,67 41,70 61.9 9. — 2,00 50,00 56,0 10. == DE 2,68 66,80 0,0 Lie Sans nitrate. . . . » 50,00 21,5! 2 == DAS NÉE » 33,30 50,0? Déjà à la dose de 0,50 et de 0,66 p. 100 le perchlorate de soude occasionne des effets nuisibles sur le seigle et ses effets ne font que s’accentuer à mesure qu’on renforce la proportion de ce sel toxique dans le nitrate. Or, dans un essai avec du perchlorale et du chlorate de potasse, la diminution du rendement a été proportionnellement bien moins faible, preuve que le perchlorate de soude est bien plus dangereux que les deux autres combinaisons considérées. En effet, alors que, dans une série de parcelles, le nitrate employé à raison de 3 kilogr. à l’are a donné un rendement total en paille et en grain de 100, la parcelle sans nitrate 77,8, le nitrate additionné de 1-3 de perchlo- rate de potasse a donné des rendements de 74-76, tandis que le chlorate de potasse, employé dans les mêmes proportions, a donné 78-80. Cette dernière combinaison potassique a bien réduit le rende- ment, mais dans une mesure plus faible que le perchlorate de potasse et ce dernier a moins contrarié la végétation que le perchlorate de soude, comme 1l résulte de la comparaison des chiffres ci-dessus. 1. Même quantité de perchlorate que sur parcelle 7. 2. Même quantité de perchlorate que sur parcelle 9. LE NITRATE DE SOUDE PERCHLORATÉ. 205 Dans la pratique, les effets sont souvent plus évidents que dans nos essais, à cause de la répartition moins uniforme des engrais dans la grande culture. Partout sur le champ où le nitrate per- chloraté tombe en quantité un peu forte, représentant une proportion sensiblement plus élevée que celle qui a fait l’objet de nos essais, l'effet nuisible est plus accentué. Cependant l’effet nuisible du perchlorate de soude ne paraît pas être le même sur toutes les plantes. Déjà M. de Caluwe a remarqué que l’avoine était moins sujette à cette substance que le seigle. Il y aurait donc intérêt à poursuivre des études dans le genre de celles de M. de Caluwe, mais en opérant sur différentes plantes et notamment le blé, la betterave à sucre, la betterave de distillerie, et bien d’autres encore pour lesquelles on fait usage d’une grande quantité de nitrate de soude. b) Essais de M. Pagnoul. Pendant ce temps, M. Pagnoul, directeur de la station agronomi- que du Pas-de-Calais, entreprenait des essais dès 1898, sur l'influence en agriculture du perchlorate de potasse contenu dans les nitrates de soude du commerce. M. Pagnoul avait analysé dix-huit échantil- lons de nitrate de soude et rarement la proportion de perchlorate de potasse avait dépassé 1 p. 100, en moyenne 0,57 et variant de 0,17 à0,64. Un échantillon, mais tout à fait normal, avait donné 1,52. D’après les expériences de M. Pagnoul, le perchlorate de potasse était « un sel nuisible aux plantes, mais sa présence normale dans les nitrates ordinaires du commerce ne peut inspirer aucune crainte » (Bulletin de la station agronomique du Pas-de-Calais de 1898, p. 3). Cela confirme les essais de M. P. de Caluwe dans un sens en ce qui concerne le perchlorate de potasse, mais on à vu par ce qui précède que le sel nocif est surtout le perchlorate de soude. Il n’en est pas moins établi que le nitrate de soude du commerce pouvant contenir des doses plus ou moins fortes de perchlorate de soude, il y a lieu de compléter l’analyse des nitrates par le dosage du perchlorate que l’on calcule tantôt sous forme de perchlorate de potasse, lantôt sous forme de perchlorate de soude. D’après ce que 206 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. M. P. de Caluwe a trouvé, il est nécessaire de calculer maintenant l'acide perchlorique sous forme de perchlorate de soude. Rappelons en passant que les essais relatifs à l’action des chlorates seuls ont démontré que ces sels étaient pour ainsi dire inoffensifs. DEUXIÈME PARTIE MÉTHODES DIVERSES POUR LE DOSAGE DES PERCHLORATES DANS LE NITRATE DE SOUDE DOSAGE DU PERCHLORATE DE SOUDE DANS LE NITRATE DE SOUDE DU COMMERCE Plusieurs méthodes ont été proposées : a) Méthode de Pagnoul. Nous trouvons d’abord la méthode indiquée par M. Pagnoul dans le Bulletin de la station agronomique du Pus-de-Culais de 1898, page 3. Nous la reproduisons : « Le perchlorate a été déterminé en dosant avec le nitrate d’ar- gent et le chromate de potasse le chlore préexistant dans le nitrate et en le dosant à nouveau sur 5 grammes de sel chauffé dans un creuset de platine, d’abord doucement jusqu’à fusion, ensuite en rouge sombre pendant quinze minutes. L’excédent de chlore était interprété en perchlorate. On a récemment proposé de mêler le ni- trate pour cette calcination avec du carbonate de chaux précipité, ce qui doit en eflet rendre l’opération plus facile. » b) Méthode officielle suivie en Belgique dans les laboratoires d'analyses de l’État. Plus tard une note spéciale a paru en Belgique donnant la méthode suivie par les laboratoires d'analyses de l'État belge pour la recherche et le dosage des perchlorates. LE NITRATE DE SOUDE PERCHLORATÉ, 207 Nous la transerivons : Recherche du perchlorale de potasse dans le nitrate de soude par la réaction microscopique du chlorure de rubidium. « Peser 10 grammes de nitrate à essayer, le faire dissoudre dans 2 centimètres cubes d’eau distillée chaude. Agiter pour dissoudre, refroidir, filtrer, prendre une goutte de solution concentrée de chlo- rure de rubidium. Porter sous le microscope et examiner avec faible grossissement. S'il y a du perchlorate on obtient après quelque temps de beaux cristaux de perchlorate de rubidium. En ajoutant, après qu'ils se sont formés, une goutte de solution de permanganate (di- luée) ils se colorent en un beau rouge violacé. « En dessous de 1 p.100 en perchlorate, les cristaux n’apparais- sent pas ou seulement très lentement. » Dosage du perchlorale dans le salpélre du Chili. « Doser d’abord dans le nitrate le chlore qui se trouve à l’état de chlorure ; d’autre part peser 5 grammes de nitrate sec, fin, pulvérisé et mélanger avec 8 grammes de chaux vive ou de chaux hydratée ou de carbonate de chaux pur. [ntroduire le mélange dans un creuset de platine ou de porcelaine, tasser un peu, couvrir le creuset et chauffer sur un bec Bunsen pendant environ quinze minutes. Re- froidir, détacher la masse du creuset, la faire tomber dans un vase de Berlin et dissoudre par l'acide nitrique exempt de chlore. Du chlorure total trouvé dans ce cas on soustrait celui trouvé avant fu- sion et l’on a ainsi celui correspondant au perchlorate. » TROISIÈME PARTIE ÉTUDE DES MÉTHODES DE DOSAGE DES PERCHLORATES DANS LE NITRATE DE SOUDE Ayant eu à analyser divers échantillons de nitrates de soude repré- sentant des quantités importantes de produit fertilisant, nous avons 208 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. recherché si ces nitrates renfermaient du perchlorate, et nous avons constaté que, en suivant la méthode officielle adoptée en Belgique, uous avions entre les mains un produit ne renfermant que des traces de perchlorate sous une forme quelconque. En effet, la quantité de chlore dosée directement représentait 1,683 p. 100 avant calcination et 1,754 p. 100 après calcimation. Cependant, par des expériences spéciales, nous avons étudié la va- leur de différentes méthodes de dosage de l’acide perchlorique et, dans ce but, nous avons préparé des mélanges de nitrate de soude pur et de chlorates. 4° On a fondu directement 25 grammes de nitrate de soude pur en chauffant au rouge sombre pendant deux heures. Après disso- lution, pas de chlore. 2% À 95 grammes de nitrate de soude pur on à ajouté successive- ment : On a retrouvé par le chlore dosé. 0,125 (ou 0.50 p. 100) de chlorate de potasse . . . 05,123 0 ,625 (ou 2.50 —) = Een 0 ,574 1 ,250 (ou 5 — ) — FIRE SE 17,158 Il y a donc une certaine perte. En effet, en fondant du chlorate de potasse seul, on n’a retrouvé ainsi que 96 p. 100 du sel ajouté. 3° En ajoutant de la chaux à la masse et en prenant 25 grammes de nitrate, 5 grammes de chaux et 15,95 de chlorate de potasse, on a retrouvé 1#,25, ce qui est bien suffisamment exact pour ce genre de recherche et de dosage. 4° Successivement on a cherché à réduire à la fois la quantité de nitrate employée et la durée du chauffage pour revenir aux quantités indiquées dans la note officielle de Belgique, et on a constaté en effet qu'il suffisait de quinze minutes de chauffage pour détruire une quantité de chlorate correspondant à plus de 10 p. 100 de la matière employée. Quant à la proportion de chaux à introduire avec le mitrate, elle est indiquée par la façon dont se comporte le mélange sous l’in- fluence de la chaleur. Si on chauffe le nitrate seul, il fond facilement LE NITRATE DE SOUDE PERCHLORATÉ. 209 et les bulles de gaz peuvent entraîner même hors du creuset avec couvercle un peu de liquide en fusion. La chaux, au contraire, modère la décomposition et maintient la masse encore assez pâteuse pour que la chaleur puisse facilement se transmettre à travers la masse. Si on met un excès de chaux, la ma- tière s’échaulle beaucoup plus difficilement. Des essais nous ont mon- tré que la proportion mentionnée dans la note officielle belge était bien sensiblement celle qu’il fallait en pratique, c’est-à-dire 8 grammes de chaux contre 5 grammes de nitrate, et qu’il est préférable d'en mettre plutôt moins que d’en augmenter la quantité. Avec un excès de chaux on risque d’avoir une décomposition in- complète au centre de la masse où pénètre difficilement la chaleur lorsque le mélange reste à l’état de poudre sans entrer en fusion plus ou moins pâteuse. Relativement à la durée, le chauffage à l’état de pâte, au rouge sombre pendant quinze minutes à partir du début de l'opération, est également suffisant pour décomposer une forte proportion de per- chlorate ou de chlorate et plus qu’il n’en existe ordinairement dans les nitrates du commerce. Une nouvelle série d’essais a donc été faite : 1 2 3. 4 Nitrate de soude pur. , . grammes 410 10 10 10 Chlorate de potasse pur. . — 0,500 0,500 0,500 0,500 Chaux en poudre , , . . = 2 2 H] 10 Durée du chauflage. . . . minutes 15 30 15 15 Dosage au moyen du nitrate d'argent titre en opérant sur 50% de 200%: total a du chlorate retrouvé. , grammes 0,505 0,505 0,500 0,500 Naturellement on peut doser le chlore par tous les procédés con- nus, directement en pesant le chlorure d'argent séché, ou fondu, ou par la méthode volumétrique au nitrate d’argent employée pour les monnaies ou enfin par la méthode avec le chromate de potasse comme témoin. Il suffit de prendre les précautions d’usage pour assurer l'exactitude des résultats et de procéder à des essais de titrage dans les conditions où l’on opère pour l'analyse du nitrate (mêmes volumes ANN. SCIENCE AGRON, — 2° SÉRIE. — 1902-1903. — 11. 14 210 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. de liquides, dilution, quantités de réactifs, et en s’assurant de la pureté des produits employés, notamment de la chaux). On peut donc terminer assez rapidement le dosage du perchlorate. En effet, après quinze minutes de chauffage, il suffit d’avoir la dis- solution complète de la masse et de la compléter à 200 centimètres cubes; après avoir employé, saturer sensiblement toute la chaux par un léger excès d'acide nitrique et la liqueur aussi froide que pos- sible. Compléter à 200 centimètres cubes, agiter. Prendre 50 centi- mètres cubes de liquide, v ajouter quelques décigrammes de carbo- nate de chaux précipité pour neutraliser, du chromate de potasse et titrer avec le nitrate d’argent titre. Retrancher le nombre de dixièmes de centimètres cubes nécessaires pour obtenir la coloration de chro- mate d’argent mélangée au carbonate de chaux et calculer, d’après le nombre de centimètres cubes de nitrate d’argent, la quantité de chlore total correspondante. De la dose totale de chlore on retranche celle du chlore préexis- tant sous forme de chlorure et on a la proportion de chlore qu’on calcule ensuite sous forme de perchlorate de soude. On complète l'essai avec le traitement spécial au moyen du nitrite de plomb pour rechercher et doser le chlorate seul. Voulant vérifier à nouveau la méthode générale de dosage des perchlorates, nous avons demandé à notre honorable collègue le D' Peterman, de Gembloux, de ‘bien vouloir nous faire parvenir un nitrate perchloraté et déjà analysé. Nous avons reçu un échantillon qui a été analysé et qui nous à donné : ET CR RE POUR Se MU re Le 1,42 INSOIUDIe EAN NE NRE E ATNE 0,42 Sulfate de soude 0,20 Chlorure de sodium . 0,90 Perchlorate de potasse . 8,21 Nitrate de soude et divers . . . . . 93,85 100,00 Potasse HoSe CR AR RARE Al 1,38 M. le D Petcrman nous avait indiqué le nitrate comme contenant 3,58 de perchlorate de potasse. LE NITRATE DE SOUDE PERCHLORATÉ. 211 QUATRIÈME PARTIE DOSAGE ET SÉPARATION DES CHLORATES ET DES PERCHLORATES I. — PROCÉDÉ EMPLOYÉ AUX POUDRES ET SALPÊTRES Îl était intéressant de savoir si le nitrate de soude du commerce renferme des chlorates à côté des perchlorates puisque l'influence sur la végétation des deux sels est complètement différente, ainsi qu’il résulte des expériences de M. P. de Caluwe. Nous avons recherché les méthodes déjà employées dans un but analogue et nous avons pu obtenir, grâce à l’obligeance de son auteur, la note que nous reproduisons ci-après et qui donne la des- cription de la méthode employée pour la recherche et le dosage du chlorate et du perchlorate dans le salpêtre raffiné destiné à l’artil- lerie *. Instruction sur le dosage du perchlorate et du chlorate de potasse dans le salpêtre raffiné destiné au service de l’ar- tillerie. Les salpêtres raffinés destinés à être livrés au service de Partil- lerie doivent satisfaire aux conditions de pureté ci-dessous indi- quées : 4° Taux de chlorure (limite actuelle) inférieur à 1/10 000 ; 9 Taux de chlorate de potasse inférieur à 1/10 000 ; 3° Taux de perchlorate inférieur à 1/1 000. Les salpêtres employés à la fabrication des poudres de guerre doi- vent satisfaire aux deux premières conditions. En outre, le taux de perchlorate de potasse qu’ils renferment doit être inférieur à 3/1 000. La vérification du taux de chlorure se fait d’après les procédés déjà réglementaires. 1, Extrait du Mémorial des poudres et salpétres, 1902, Gauthier-Villars, impri- meur, Paris. 212 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Celle des taux de chlorate et de perchlorate exige les opérations suivantes : Perchlorates. a) Calcination du perchlorate. — On pèse 10 grammes de sal- pètre sec et on les place dans un creuset de platine muni d’un cou- vercle. On leur ajoute 10 grammes environ de carbonate de soude exempt de chlore, et l’on mélange les deux matières au moyen d’un fil de platine. On couvre ensuite le creuset de son couvercle et l’on commence à chauffer très doucement. On augmente le feu progressi- vement, de manière à amener et à maintenir la fusion tranquille et complète de la masse, et en prenant bien soin de ne jamais décou- vrir le creuset. On maintient la fusion pendant un quart d’heure. On éteint enfin le feu et on laisse refroidir le creuset toujours muni de son couvercle. Le creuset étant refroidi, on vérifie que l’opération a été bien conduite. Si l’on a opéré correctement, la matière formera une masse compacte adhérant au fond du creuset et il n’y aura sur la paroi intérieure, au-dessus de la masse solidifiée, aucun bourrelet de matières indiquant un boursouflement qui pourrait soustraire une partie de la masse à la calcination. Il peut être utile de faire une pre- mière opération dans laquelle on découvrira le creuset de temps en temps afin de se rendre compte rapidement de la manière dont il faut régler la flamme pour obtenir le résultat énoncé plus haut. b) Dosage du chlore provenant du perchlorate. — On vérifie par la méthode qualitative réglementaire pour l’analyse des salpêtres raffinés que le taux de perchlorate est inférieur à 0,10 p. 100. A cet effet, la masse fondue est dissoute dans l’acide nitrique pur, étendu de la moitié de son volume d’eau. On évitera les projections en pla- çant sur le creuset un verre de montre el en se servant, pour verser l’acide, d’une pipette dont on introduit la pointe effilée entre le verre de montre et le bord du creuset. On ajoute l'acide peu à peu jus- qu'à ce qu'une nouvelle addition ne produise plus d’effervescence. Pour plus de sûreté, on vérifie avec un papier bleu de tournesol que le liquide du creuset est franchement acide. On transvase ce liquide dans un flacon jaugé de 250 centimètres cubes. On lave le verre de a LE NITRATE DE SOUDE PERCHLORATÉ. 215 montre avec quelques gouttes d’eau distillée. On lave aussi le creuset deux ou trois fois à l’eau distillée et l’on verse les eaux de lavage dans le flacon jaugé. On complète le volume à 250 centimètres cubes et l’on agite pour obtenir un liquide bien homogène. Avec une pipette jaugée on prélève 50 centimètres cubes de liqueur, et, au moyen d’une pipette graduée en dixièmes de centimètres cubes, on leur ajoute un volume de liqueur de nitrate d’argent (ol est commode de se servir d'une liqueur dont 1 centimélre cube correspondrait à 2 milligrammes de perchlorale. Celle liqueur est préparée en dissol- vant 15,56 d'argent fin dans quelques centimèlres cubes d'acide ni- trique pur et complétant à 1 litre) capable de saturer le chlorure qui correspond au taux limite de perchlorate de 0,10 p. 100 (aug- menté du taux limite de 1/1 000 de chlorure) ; on agite le liquide et l'on filtre (le filtre étant préalablement lavé à acide nitrique) en repassant le liquide sur le filtre jusqu’à ce qu'il soit clair. On essaie cette liqueur à l'acide chlorhydrique et au nitrate d'argent, afin de vérifier si elle contient plus ou moins de chlorure que la quantité fixée par le taux limite. Le reste de 250 centimètres cubes permet de renouveler l’essai ou, si on le juge utile, de fixer le taux de perchlorate du salpêtre exa- miné. Chlorates. Les deux méthodes suivantes permettent : 4° De vérifier qualitativement la présence des chlorates dans les salpêtres raffinés ; 2 De doser approximativement ces chlorates. Première méthode. — Elle est basée sur l’action de l’acide sulfu- rique concentré sur les chlorates. Si un salpêtre rafliné renferme des chlorates et qu’on le projette dans l’acide sulfurique pur à 66°, 1l se développe une coloration jaune d’autant plus intense que le taux de chlorate est plus élevé. Afin de mieux juger la coloration et en même temps de doser approximativement les chlorates d’un salpêtre raffiné, on opère de la manière suivante : On prépare des types de salpêtre à 0,1/1 000, 1 10/000 de chlorate 214 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. en arrosant des poids connus de salpêtre à O0 avec des volumes conve- nables d’une dissolution de chlorate de potasse (à 1 gramme par litre par exemple), séchant et pulvérisant pour avoir une masse bien homo- sène. Dans quatre verres de montre identiques, placés sur une même feuille de papier blanc, on verse 4-5 centimètres cubes de SO*FF pur à 66°. On projette en 1 le salpêtre type à 0, en 2 le salpêtre à 4/1 000, en 3 le salpêtre à 1/10 000, en 4 le salpêtre à essayer. La matière doit former une masse conique dont le sommet arrivera à la surface de l’acide. On n’agite pas. Au bout d’une demi-mimute, on observe la coloration des masses solides. Considérant le verre de montre qui renferme le salpêtre à essaver, on regarde d’abord si la coloration que présente la matière est d’ordre supérieur au 1/10 000. Si cette condition est remplie, l'épreuve est terminée. Si elle ne l’est pas, on intercale le salpêtre à essayer entre deux salpêtres types de la série. On obtient ainsi deux nombres comprenant entre eux la teneur en chlorate du salpêtre à essayer. La présence d’un certain nombre de types facilite beaucoup les comparaisons et est très utile, même si le salpêtre à analyser renferme moins de 1/10 000 de chlorate. Deuxième méthode. — Elle est fondée sur l’action qu’exercent les azotites sur les chlorates. On opérera de la manière suivante : On pèse 10 grammes du salpêtre à essayer. On les dissout dans 50 à 60 centimètres cubes d’eau. On ajoute au liquide 4 à 5 gouttes de liqueur neutre de nitrate d'argent (à 105,8 par litre), de manière à précipiter la totalité des chlorures. On filtre en repassant le liquide sur le filtre jusqu’à ce qu’il soit complètement limpide. On vérifie qu’une goutte de nitrate d'argent n’y produit plus de trouble. On chauffe le liquide limpide vers 90°. On y ajoute alors 15 à 20 centi- mêôtres cubes d’une solution dans l’eau d’azotite de plomb. (Il est inutile de filtrer cette solution. Pour la préparer on met dans le fond d’un verre quelques grammes d’azotite de plomb, on ajoute de l’eau. On agite vivement et le liquide obtenu est pris tel quel.) On fait disparaitre le trouble produit en ajoutant 5 à 10 centi- LE NITRATE DE SOUDE PERCHLORATÉ. 219 mètres cubes d'acide nitrique pur à 36° étendu de son volume d’eau. Si la liqueur louchit, le salpêtre renfermait des chloraies. Pour vérifier que le taux de ces chlorates est . Ghlore X 3.002 — chlorate de soude. 6. Chlorate de potasse XX 0,2903 — chlore. 7. Perchlorate de potasse X 0,257 — chlore. 8. Chlorate de soude X 0,333 — chlore. 9. Perchlorate de soude X< 0,2903 — chlore. 10, Chlorure d'argent DS 2 AT =ECHIOre; | CINQUIÈME PARTIE DE LA QUANTITÉ DE POTASSE CONTENUE DANS LES NITRATES DE SOUDE DU COMMERCE Dans son rapport de 1896, M. le D' Crispo ne mentionne pas la -potasse comme faisant partie du nitrate de soude. Cependant, il est fait mention de perchlorate et M. Crispo en a calculé la proportion à l’état de perchlorate de soude. M. Pagnoul, en 1898, parle du perchlorate de potasse. En 1896, M. P. de Caluwe donne des analyses de nitrates de soude dans lesquels le perchlorate est calculé sous forme de perchlorate de potasse et dans d’autres sous forme de perchlorate de soude. Il nous à paru intéressant de rechercher et doser la potasse dans les nitrates de soude du commerce, et nous avons eu : Pour 100 grammes de nitrate : 28 FÉVRIER 7 MARS 17 AVRIL 30 JUILLET 1901. 1901. 1901. 1901. Eau pére UTP ICNT 1,48 1,74 1,02 1,68 HSpInbles SEE ONE TES 0,40 0,28 0,08 1,39 Chlorure de sodium . 2,91 210 1,52 1,64 Sulfate de soude : 0,55 0,83 0,24 1,10 Pobisse seule, 5:23, 0,58 0,62 0,48 1,30 Nitrate de soude et non dosé. 94,42 94,43 96,66 92,93 100.00 100.00 100,00 100,00 LE NITRATE DE SOUDE PERCHLORATÉ. 221 Dans un autre échantillon du 5 décembre 1901 on a dosé la po- tasse et on a eu 0,49 p. 100 : P. 100, Perchlorate : Ghlore total. . . . . . . . . . . . .. [5502 CHORERTE SMSIRR 0 re RS UT Re 160 Sur un autre nitrale essayé en juin 1902, de provenance analogue, on a dosé : SMIOTÉPDEUS Ayant. CR M nn CT 4 4 € 157,42 — APRÈS CAICINATION. PEN Dee Lee Ve 1 ,79 (Pas de perchlorates.) À propos de potasse dans le nitrate de soude nous avons pensé un instant qu’il pouvait y avoir un certain rapport entre la quantité de perchlorates et la dose de potasse renfermée. Cela n’a pas été con- firmé, mais la question à étudier reste toujours de savoir si on peut trouver du nitrate de soude perchloraté sans potasse ou s’il existe toujours de la potasse dans le nitrate de soude perchloraté ou non. Nous avons constaté déjà un fait, c’est que les nitrates que nous avons eus renfermaient toujours de la potasse, perchloratée ou non. SIXIÈME PARTIE SOUS QUELLE FORME EXISTE L’ACIDE PERCHLORIQUE DANS LE NITRATE DE SOUDE On à vu que, suivant les auteurs, l’acide perchlorique dosé dans le nitrate de soude était calculé sous forme de perchlorate de potasse, tantôt sous forme de perchlorate de soude. D'autre part le perchlo- rate de potasse paraît avoir une action sur la végétation beaucoup moins nuisible que le perchlorate de soude, d’après les expériences agricoles de M. P. de Caluwe. Puisque enfin on a réellement constaté les effets désastreux de certains nitrates de soude perchloratés sur la végétation de plusieurs plantes, il est à supposer que c’est bien à l’état de perchlorate de 222 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. soude que lacide perchlorique existe dans le nitrate de soude, mal- gré Ja présence d’une certaine proportion de potasse. Précisément cette proportion de potasse devient une difficulté pour extraire directement le perchlorate de soude du nitrate. Si on examine les solubilités respectives des deux perchlorates on trouve que le perchlorate de soude est un sel déliquescent très solu- ble dans l’eau et dans l’alcool. Le perchlorate de potasse au contraire est peu soluble dans l’eau froide, presque insoluble dans l’alcool et insoluble dans l’alcoo!l contenant un peu d’acétate de potassium. En cherchant à éliminer par les dissolvants le perchlorate de soude, et en présence de la potasse, 1l peut y avoir une double dé- composition amenant la formation du perchlorate de potasse, le sel le plus insoluble. Il y a de ce côté quelques recherches à faire pour arriver à trou- ver une méthode sûre et certaine d'extraire directement le perchlo- rate de soude des nitrates commerciaux. Cela pourra avoir une cer- taine importance dans le cas où l’on voudrait reconnaître de suite si un nitrate renferme ou non du perchlorate de soude et s’il peut être employé sans danger en agriculture. CONCLUSIONS 1° Le nitrate de soude du commerce peut contenir des quantités non négligeables de sels perchloratés ; 2° Les proportions trouvées Jusqu'à ce jour ont été comprises entre traces et 1,50 p. 100. Cependant certains échantillons conte- naient 3,20 p. 100 de perchlorates calculés sous forme de perchlo- rate de potasse. D’autres ont, paraît-il, renfermé jusqu’à 6 p. 100 ; 9° C’est surtout en 1896 qu’on s’est aperçu en Belgique de l'effet désastreux de l'application de certains nitrates de soude en agriculture. Au début, on n’attribuait aucune influence nuisible aux perchlo- rates de potasse ; ° A la suite de divers essais spéciaux cependant, M. P. de Caluwe LE NITRATE DE SOUDE PERCHLORATÉ,. 223 a nettement établi que c’est surtout le perchlorate de soude qui es! un sel nocif pour la végétation, même à la dose de moins de 1 p. 100. Le perchlorate de potasse et le chlorate sont bien moins offensifs que le perchlorate de soude. C’est pourquoi en essayant directement l’influence du perchlorate de potasse on n’a pas obtenu les mêmes résultats désastreux en agri- culture qu’en appliquant le nitrate de soude perchloraté ; 6° Il est facile de doser les perchlorates dans le nitrate de soude du commerce ; 7° Il est également facile de rechercher et de doser les chlorates pouvant exister à côté des perchlorates. I suffit de doser : a) le chlore préexistant ; b) de doser le chlore total fourni par la calcmation complète de la matière. La différence cor- respond au chlore à l’état de chlorates et de perchlorates ; c) en trai- tant la liqueur après le dosage du chlore préexistant par du nitrite de plomb on obtient le chlore correspondant seulement aux chlorates. On a donc, par différence avec le chlore des chlorates et perchlorates, celui provenant des perchlorates ; 8° Le nitrate perchloraté paraît contenir peu de chlorate ; 9° Les nitrates de soude du commerce paraissent toujours contenir une certaine quantité de potasse qui n’a pas de rapport, du moims jusqu'ici, avec la dose de perchlorate trouvée ; 10° 11 devrait être stipulé que dans les analyses de nitrate de soude, lorsqu'on procède à une analyse détaillée, on recherche : 4° les chlo- rates; 2 les perchlorates ; 3° la potasse, et que les deux premiers résultats soient exprimés sous forme de sels sodiques. NOTE ADDITIONNELLE N° 1 Séparation et dosage des chlorures, chlorates et perchlorates. MM. N. Blattner et J. Brasseur ont déjà indiqué une méthode qui donne, paraît-il, de bons résultats (Chemische Zeitung, xx1v, 7938-75, 4900 ; voir aussi le Bulletin de l’associalion des chimistes de sucre- rie et de distillerie de France et des colonies, 1900-1901, page 496). 224 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 1° Détermination des chlorures. — On dissout dans un ballon de 900 centimètres cubes, 20 ou 40 grammes du nitrate de soude à essayer et sur 50 centimètres cubes (soit 5 ou 10 grammes) on titre le chlore de la façon connue au moyen du nitrate d'argent. 2 Détermination des chlorates. — On prend 50 centimètres cubes de la liqueur précédente, on traite par un courant d’acide sulfureux jusqu’à refus (ou bien on ajoute au liquide une solution saturée d’acide sulfureux), on fait bouillir légèrement pour chasser l'excès d’acide et à la liqueur encore chaude on ajoute du carbonate de chaux précipité pour saturer l’acide sulfurique formé, Après refroidissement on titre au moyen de la liqueur argentique en bloc le chlore des chlorures et celui des chlorates, d’où le chlore des chlorates par différence avec le premier essai, l’acide sulfureux réduisant seul les chlorates. 3° Dosage total du chlore, des chlorures, chlorates et perchlo- rates. — On obtient le chlore total en calcinant 5 grammes de ma- tière avec une certaine dose de chaux et en suivant les instructions connues indiquées dans notre texte. On a alors, par différence avec le résultat n° 9, le chlore des per- chlorates. Les auteurs ont vérifié leur procédé en analysant des produits auxquels on avait ajouté des chlorates et on a eu : CHLORURE. CHLORATE. CHLORE TOTAL, Chlore mis : Grammes. Grammes. Grammes. L'Or 0,0224 0,100 0,1224 CARE À 0,0224 0,060 0,0824 Su cie 0 ,0224 0,020 0,0424 Chlore retrouvé : ÉRArRrAS 0,0224 0,1020 0,1244 2 0,0224 0 ,0606 0,0830 3 0,0224 0,0190 “0,0414 Ces résultats sont suffisamment précis pour démontrer que la mé- thode de séparation des chlorates et des perchlorates par l'acide sul- LE NITRATE DE SOUDE PERCHLORATÉ. 225 fureux de MM. Blattner et J. Brasseur peut être également employée pour l'analyse des nitrates de soude du commerce pouvant contenir du chlore sous les trois états. NOTE ADDITIONNELLE N° 2. Recherche des chlorates dans les nitrates. Au cinquième Congrès international de chimie appliquée à Berlin en 1903, M. Vincente de Laffitte a présenté une nouvelle méthode permettant de voir s’il existe des chlorates en présence des nitrates, chlorures et perchlorates dans les nitrates de soude du commerce. Voici le résumé de cette méthode : « La base de mon procédé pour la recherche des chlorates en pré- sence des nitrates, chlorures et perchlorates consiste dans l'emploi du réactif suivant : { centimètre cube d’aniline pour 40 centimètres cubes d’eau. On ajoute à une solution de nitrate quelques gouttes du réactif et ensuite l’acide chlorhydrique à 22° B° jusqu’à doubler le volume du liquide. Il apparaît une coloration rouge violacée qui passe au bleu intense, s’il y a la moindre trace de chlorates. » ANN,. SCIENCE AGRON. — 2° SÉRIE. — 1902-1903. — 11. 15 GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE A US TC ESE PAR MM. J. ALQUIER INGÉNIEUR-AGRONOME CHIMISTE-EXPERT PRÈS LES TRIBUNAUX DE LA SEINE ATTACHÉ AU LABORATOIRE DE RECHERCHES DE LA COMPAGNIE GÉNÉRALE DES VOITURES A PARIS D' À. DROUINEAU MÉDECIXN-MAJOR DE 2e CLASSE AU 128° RÉGIMENT D'INFANTERIE (Suile'.) V. — CONSÉQUENCES PRATIQUES DES DONNÉES PHYSIOLOGIQUES PRÉ- CÉDENTES. RÔLE DES ALIMENTS HYDROCARBONÉS. DE L'ACTION DU SUCRE DE CANNE SUR L'ORGANISME ET DE SON UTILISATION DANS LA NUTRITION ANIMALE. Conséquences pratiques du rôle physiologique des hydro- carbonés de l’économie animale. Arrivés à ce point de notre étude, il n’est pas inutile de résumer ce que nous venons d'apprendre sur la glycogénie animale. Un cer- tain nombre de faits bien précis se dégagent d’un coup d’œil d’en- semble jeté sur la physiologie de cette grande fonction. Ceux-ci n'intéressent pas seulement la science pure, car ils comportent de 1. Voir ces Annales, t. 1, 1902-1903. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 227 nombreuses conséquences pratiques, fort importantes. Réunissons et condensons toutes celles de nos déductions qui peuvent présenter un intérêt général; nous allons trouver, sans de grandes explications et d’une façon toute logique, de nombreux arguments susceptibles de plaider d'eux-mêmes en faveur de lintroduction des matières sucrées, et principalement du sucre de canne, dans le régime ali- mentaire de l’homme et des animaux. Nous avons d’abord constaté que la matière sucrée revêt, dans l’économie animale, deux formes principales et presque exclusives : une forme de dépôt, c’est-à-dire de réserve fixe, le glycogène, puis une forme soluble, le glucose, constituant, au contraire, le terme ultime auquel aboutit toujours la provision hydrocarbonée en circu- lation dans l’organisme. La persistance continuelle et absolue, durant la vie de l’animal, de l’une au moins de ces substances, le glucose, nous a conduit à penser que les hydrates de carbone de l'économie devaient avoir une importance physiologique capitale. Quelle que soit en effet leur origine, ils sont toujours destinés à dis- paraître et c’est là une preuve certaine que la cellule vivante les utilise. À quoi lui servent-ils donc? Il faut, en premier lieu, consi- dérer le glucose et le glycogène comme une source et une provision d'énergie, source et provision d'autant plus précieuses que ces prin- cipes sont en contact avec les tissus et se trouvent ainsi continuelle- ment à leur disposition. C’est pour que le potentiel inhérent aux hydrocarbonés physiologiques soit libéré, c’est pour rendre ce po- tentiel utilisable et satisfaire ainsi aux besoins énergétiques de l’or- ganisme, que le glycogène se transforme en glucose et que le sucre du sang est dégradé par les diastases hydrolysantes et oxydantes en produits de plus en plus simples, jusqu’au moment où sa transforma- tion en eau et en acide carbonique sera complète. Ces phénomènes s’exagérent durant le travail musculaire. Le glycogène est alors fortement entamé et tend à disparaître des tissus, en même temps que le glucose est brûlé dans les capillaires en plus grande quantité. Avec les conditions d’existence de la vie normale, qui, au fur et à mesure des besoins, renouvellent suffisamment la provision de sucre en circulation dans le sang ainsi que les réserves de glycogène, l’é- nergie consacrée par les muscles à la production d’un travail de 228 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. peu de durée a sa source principale et même exclusive dans la com- bustion des hydrocarbonés de l'organisme. Nous avons longuement énuméré à ce sujet toute cette série de recherches qu’un physiolo- giste résumait ainsi : « Pas de glucose, pas de travail intérieur dans les muscles, pas de production de chaleur, refroidissement et mort. Le glucose est l’aliment indispensable de la vie des muscles. » C’est sur la foi de ces mêmes expériences que M. Chauveau, poussant la thèse à l’extrême, affirmait que tous les aliments physiologiques ne sont utilisés par le muscle en activité qu'après avoir été transformés en glucose. Mais peu importe que expérimentation confirme plus ou moins complètement cette opinion, il n’en reste pas moins démontré que le muscle en contraction consomme avant tout des hydrocarbo- nés, et que si le travail est proportionné à la provision de sucre immédiatement disponible ou en réserve, c’est ce dernier seul qui fournit l'énergie dépensée par la contraction. La production de la force musculaire ne réclamant l'intervention des graisses et surtout des matières azotées qu’en tout dernier lieu, le sucre physiologique constitue, en définitive, le charbon usuel el normal que le muscle consomme de préférence, tant qu’il en trouve à sa disposition pour alimenter ses réactions intra-organiques, sources de travail et de chaleur. D'où cette conclusion d’un intérêt éminemment pratique, bien qu’elle concerne la nutrition intime de l’organisme : I faut que le muscle et d'une facon générale la machine vivante, à laquelle on demande de fournir du travait mécanique, soit le plus abondamment possible pourvue des matières sucrées qui lui sont propres. On ne peut en effet mieux préparer les organes en vue de l’exécution d’un travail long ou pénible, qu’en les imprégnant d’une abondante ré- serve de glycogène et en saturant autant que possible de glucose le liquide nutritif qui les baigne. D’après ce que nous savons déjà, les hydrocarbonés, dans ce cas, suffiront presque exclusivement à la dépense d'énergie, épargnant ainsi les réserves graisseuses des muscles et à plus forte raison les albuminoïdes dont se composent les tissus. Nous avons une autre conclusion intéressante à tirer du dernier chapitre. Rappelons-nous les expériences de Chandelon, Morat et Dufour. Elles nous ont permis de constater que les membres.tétanisés retiennent dans le sang une GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 229 quantité considérable de sucre, et cela en vue de renouveler leur provision de glycogène épuisée par le travail précédent. Le fait mérite d'attirer l’attention, car il laisse espérer qu’en fournissant abondamment au muscle fatigué et épuisé de quoi se reconstituer une réserve hydrocarbonée, on peut, suivant l’expression commune, lui redonner rapidement de la force, et le mettre à même ou bien de continuer le travail ralenti sinon interrompu par excès de fatigue ou bien, s’il y a arrêt, de se charger d’énergie pour plus tard. Mais là ne se borne pas le rôle physiologique des hydrates de car- bone de l’économie. Quelle que soit encore leur origine, ils peuvent également se transformer tout à la fois, d’un côté en corps gras emmagasinés par l’organisme dans les cellules de son tissu adipeux, et d’un autre côté en acide carbonique et en eau, déchets résiduaires inutilisables que le rein et les poumons se chargent d’excréter. Voilà du moins ce qui semble résulter non seulement des recherches de Richet et Hanriot, de Bleibtreu* et de Pembrey*, car leurs observa- tions prises isolément ne seraient pas suffisamment démonstratives, mais surtout des nombreux cas d’engraissement bien étudiés, comme nous le verrons, où la graisse accumulée dans les tissus, ne pouvait avoir qu’une origine hydrocarbonée. Le fait, comme il est facile de s’en rendre compte, comporte lui aussi une conséquence pratique et ne peut être ignoré de ceux qui veulent exagérer dans l’organisme la production normale de la graisse. Celle-ci a par elle-même une haute valeur économique. De plus, elle est susceptible de constituer une source abondante d'énergie. Lorsque les corps gras disparaissent en effet, en subissant, comme le glucose, une oxvdation graduelle, ils mettent en liberté du potentiel, et cette force devenue dès lors disponible peut être utilisée, par exemple, pour produire du travail musculaire. La réserve adipeuse est même encore plus précieuse que la réserve hydrocarbonée, puisque, à masse égale, la graisse apporte au moins moitié plus d'énergie que les autres catégories d’aliments. Devant ces considérations, nous ne pouvons échapper à la déduc- 1. Bleibtreu, Arch. f. d. ges. Physiol., 1901, t. LXXXV, p. 345. 2. Pembrey, Journ. of Physiol., 1901, t. XXVIL, p. 406. 28024 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. tion générale suivante : I faut faire en sorte que les hydrocarbonés physiologiques ne fassent jamais défaut aux animaux utilisés comme moleurs ou destinés à l'en yraissement, c'est-à-dire que leur organisme soil en quelque sorle toujours saturé de matières sucrées. Pour utiliser cette idée, voici le moment de nous souvenir que c’est la fonction glycogénique qui assure à l’animal sa provision hydro- carbonée, et que cette fonction se trouve sous la dépendance immé- diate de l'alimentation. Nous pouvons alors nous demander : que faut-il faire ingérer à l’animal pour provoquer, dans son économie, sans nuire naturellement à sa santé, la production la plus abon- dante possible de glycogène ou de glucose ? Nous savons que, d’une façon générale, la cellule animale vivante Joue un rôle fort important vis-à-vis des principes assimilables que le sang lui apporte après s’en être chargé au niveau de l'intestin. D'une part, elle sait les accumuler. D’autre part, elle peut les trans- former en opérant les transmutations les plus diverses et les plus étonnantes. Cette chimie de la cellule, nous avons tenu à l’étudier en détail au cours d’un des chapitres précédents. Peut-être nous at-elle souvent paru bien obscure et mystérieuse, mais il nous a presque toujours été permis de constater que ses réactions tendaient, entre autre but, à fabriquer du sucre, même si cette substance était absente de l’alimentation. Quelle que soit en effet la qualité de la matière assimilable introduite dans l’économie, que l'animal ingère des protéiques sous forme de viande maigre et même des corps gras, si l’on se résout à adopter les conclusions de Seegen, de Chau- veau et de Rumpf, la cellule, après avoir arrêté les matériaux au passage, sait réaliser à leurs dépens la synthèse du sucre du sang et du glycogène, si facilement transformable, comme l’on sait, en glu- cose. Et 1l devient alors logique de considérer ce dernier sucre comme le terme ullime des différentes catégories d'aliments et de leurs trans- mulations réciproques dans la cellule vivante. Pouvait-il en être autrement? Certes non, puisque nous avons été conduits, en tout dernier lieu, à reconnaître que cet hexose est une source indispen- sable d'énergie pour les Lissus vivants? Ainsi se trouve résumé aussi simplement et exactement que possible ce qui touche au mécanisme de l’origine et du caractère de la fonction glycogénique. L'œuvre de GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 231 CI. Bernard nous en avait déjà laissé entrevoir les conséquences pra- tiques et toute la philosophie. Nous comprenons mieux maintenant comment la vie cellulaire se trouve soustraite à la variabilité inces- sante des conditions et de la qualité de l'alimentation et comment, en fin de compte, la nutrition intime conserve cette fixité relative sans laquelle elle manquerait son but. Mais toutes ces notions du début, c’est-à-dire le fait de savoir que la formation des hydrocarbonés dans l’économie animale est une réaction nécessaire, nullement localisée et susceptible de s'effectuer aux dépens de n'importe quelle catégorie de substances, sont beau- coup trop générales et ne peuvent être d’une application pratique immédiate. Pour les compléter, il faut maintenant reporter notre attention non plus sur la possibilité qu’a toute cellule vivante de fabriquer du sucre, mais plus particulièrement sur la glycogénie hépatique. Cest elle, en effet, qui pourra le mieux nous renseigner sur la qualité du régime alimentaire susceptible, entre tous, de reconstituer ou d'entretenir le plus facilement, le plus rapidement et surtout le plus abondamment possible cette provision de chaleur et d'énergie latentes que constitue la matière sucrée physiologique. Nous avons vu que la cellule hépatique est le type de ces éléments à utilité générale qui, tout en vivant et assurant comme les autres leur propre nutrition, ne travaillent cependant pas toujours dans des vues personnelles et égoistes et élaborent des substances que l’asso- ciation entière utilise. Par cela même, le foie constitue donc un véritable laboratoire, préposé à la transmutation des diverses caté- gories d'aliments. Nous savons qu’il joue en outre le rôle de réser- voir alimentaire, qu’il est en quelque sorte le grenier de réserve ou mieux le garde-manger de l’organisme et voici comment. Lorsque le sang lui apporte un excédent de matériaux, ainsi que cela arrive après les repas, au cours de la digestion, il l’arrête afin, comme nous le savons, d'élaborer à ses dépens une matière sucrée unique, de propriétés physiques et chimiques presque invariables et ne révélant par aucun indice, apparent du moins, la source d’où elle dérive. Cette matière sucrée étant, de par sa composition et sa nature physique, un aliment de réserve, inassimilable sous sa propre forme, le foie en toute logique la garde et l’emmagasine. Mais ce qui pré- 232 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. sente autant d'intérêt c’est que plus tard, lorsqu'il s’en dessaisit et la rend directement utilisable, il ne le fait qu’en proportionnant son débit aux besoins de l’organisme. Voilà pourquoi l’une de nos pre- mières observations concernant le glycogène a-t-elle été de constater Justement que sa proportion variait fréquemment dans les tissus et qu'elle semblait dépendre avant tout des dépenses dynamiques et calorifiques de l’organisme. Le travail musculaire fait disparaitre en quelques heures la plus grande partie du glycogène musculaire et la presque totalité du glycogène hépatique. L'entretien de la cha- leur animale provoque de même la disparition des réserves glyco- géniques, ainsi que Cavazzani a pu le démontrer tout récemment. Pour étudier les rapports de la thermogénèse et de la glycogénie hépatique, il empoisonna des chiens avec de l’acide prussique. Ayant noté dans le foie les variations simultanées de la température et du glycogène, il constata que le thermomètre montait tant que le glu- cose formé augmentait. Dès qu'il n’y avait plus formation de sucre par la glande, il ne se produisait plus de chaleur. Autrement dit la quantité de chaleur développée se montra toujours proportionnelle à la quantité de glucose excrétée par le foie. Nous comprenons maintenant d’une façon très nette pourquoi l'exercice musculaire et le refroidissement augmentent les combustions intraorganiques et occasionnent forcément la surproduction par le foie du glucose néces- saire à l’alimentation de cette suractivité des réactions. Toutes ces idées s’enchainent fort bien. Puisque la production du travail musculaire et l'accumulation de l'énergie sous forme de réserves hydrocarbonées ou graisseuses, ainsi du reste que l’entretien continuel et obligatoire de la constante thermique, sont aussi intimement liés, dans l’économie animale, à la mise en circulation du glucose par le foie, on voit que l’on peut ne porter son attention que sur la glycogénie hépatique. En assurant au foie une large provision de réserve hydrocarbonée, nous serons sûrs, car cet organe est régulateur parfait, qu’il fournira le sucre aux différents organes sans le gaspiller, c’est-à-dire en quantité d'autant plus grande, que ceux-ci fonctionneront plus activement. Comment donc approvisionner ce grenier au mieux des intérêts de l'organisme ? Comment « recharger à refus » la cellule hépatique GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 233 que nous sommes autorisés à considérer comme un véritable accu- mulateur d’énergie ? Nous avons eu l’idée de chercher à opérer directement cette charge ; pour cela nous avons injecté lentement dans le foie, par la veine porte, des solutions étendues de diverses substances reconnues auparavant assimilables, qualité sur la significa- tion de laquelle les travaux de CI. Bernard ont bien précisé nos idées, et appartenant à l’un des trois groupes fondamentaux des albumines, des graisses et des hydrates de carbone. L'expérience a été très dé- monstrative. Nous avons constaté que, dans ces conditions, les pro- téiques et les corps gras étaient arrêtés, puis accumulés et peut-être ensuite très probablement transformés, mais nous avons aussi acquis la certitude que la cellule hépatique était loin de jouer à leur égard un rôle d’arrêt et de transformation aussi net que vis-à-vis de cer- tains hydrates de carbone. La circulation artificielle dans le foie d’une solution de l’un des quatre hexoses directement utilisables a toujours en effet provoqué sous nos yeux une charge glycogénique presque immédiate de la glande. Cela signifiait que, lorsque cet organe reçoit beaucoup de sucre en nature, une partie tout au moins de cet excédent alimentaire s’y arrête et s’y accumule sous la forme réglementaire, peut-on dire, des réserves hydrocarbonées de l’économie animale. Rôle des hydrocarhbonés alimentaires. — Le besoin d’albumine. Il nous est possible de résumer maintenant en une conclusion générale, toutes les notions que nous avons acquises au cours des chapitres précédents et que, dans ces dernières pages, nous avons essayé d’enchaîner aussi logiquement que possible. Voici la théorie que les observations et expérimentations scientifiques nous autorisent à admettre. Nous savons, d’une part, que les capillaires de l’intestin sont des voies ouvertes à la pénétration de toutes les substances solubles et que, dans ces conditions, l’on ne peut douter de l’ab- sorption certaine des quelques sucres assimilables auxquels abou- tissent toujours, sous l’effet de la digestion, les divers et nombreux hydrates de carbone alimentaires. Nous avons vu d’un autre côté que le foie, de par la place qu’il occupe sur le trajet de la circula- 234 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. tion générale, se trouve forcément traversé par les principes qui, résorbés daris l'intestin, pénètrent dans le sang. La glande hépatique reçoit ainsi forcément et arrête, comme nous le savons, les sucres résultant de la transformation des hydrocarbonés dans le tube diges- if. Les utilisant presque directement et en nature elle en fait du sucre physiologique. Associons à ces idées tout ce que nous avons appris sur le rôle de la matière sucrée propre à l’économie animale et nous voici obligés de conclure que les hydrocarbonés (sucres, féculents, glucosides et celluloses) doivent constituer l'alimentation dynamique par excellence. Plus que les aliments des deux autres catégories, 1ls seront capables de fournir à l'organisme de l’énergie immédiatement disponible soit pour alimenter le travail mécanique soit pour entretenir la constante thermique du corps. Plus que les protéiques et les graisses, ils mettront en outre l’animal à même d’accumuler de l’énergie, en vue de besoins futurs, sous forme de réserves hydrocarbonées ou 2raisseuses. Ainsi se trouve justifiée physiologiquement la prédominance des aliments hydrocarbonés dans les rations qui, au dire des statistiques, sont susceptibles de maintenir les hommes et les animaux en équili- bre matériel et énergétique, autrement dit en équilibre nutritif. L’ins- ünet guide donc bien l’organisme humain en le poussant, ainsi que nous l’observions dans le dernier chapitre, à s’alimenter d'autant plus volontiers de féculents que l’âge ou la situation sociale obligent l’in- dividu à fournir plus de travail. C’est également parce qu'ils se sont toujours inspirés de ces idées que M. Grandeau et ses collaborateurs, au cours des essais poursuivis depuis 1880 dans l’écurie du labora- toire de recherches de la Compagnie générale des voitures, n’ont jamais eu d'échec en cherchant à augmenter le plus possible l'ami- don, les celluloses saccharifiables, les celluloses et le sucre de la ration du cheval de trait. Le cultivateur enfin a observé juste :en constatant l’utile intervention des aliments hydrocarbonés et en les faisant entrer, plus abondamment que ne le lui permettait la routine, dans l'alimentation des femelles laitières et des animaux de bouche- rie à l’engrais. En la circonstance la pratique confirme la théorie. Et lorsque l’on songe que le glycogène et le glucose de l’économie animale se rattachent directement, par leur composition chimique, GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 239 aux sucres résultant de l’hydrolyse digestive des aliments hydrocar- bonés, toutes ces conclusions semblent, sans démonstration, natu- relles et évidentes. C’est donc bien surtout au niveau du foie que doivent s’accumuler les sucres ingérés en nature ou sous une forme susceptible de régénérer des hexoses assimilables, et si l’apport a été copieux on peut compter sur la réserve ainsi formée pour fournir à l'organisme son sucre physiologique au moment des disettes alimen- taires et des dépenses dynamiques. | Voilà pourquoi et comment nous sommes conduits à admettre fina- lement que l’animal, en ingérant plus ou moins d’'hydrocarbonés, est maitre d'accroître ou de diminuer l'énergie dont son organisme peut immédiatement disposer. Mais puisque la vie consiste à un cer- tain point de vue en une transmutation continuelle d’énergie, pour- quoi la ration alimentaire ne se composerait-elle pas alors exclusi- vement d’hydrates de carbone ? Celui qui vivrait ainsi commettrait, faute de réflexion, une grosse erreur. Quelle est en effet la desti- nation finale de laliment hydrocarboné ? Est-ce d’apporter les maté- riaux nécessaires à la réparalion et à l'entretien des organes? Four- nit-il des principes essentiellement susceptibles de faire partie intégrante des tissus eux-mêmes ? Évidemment non. L'organisme n’é- labore guère aux dépens des principes ternaires que des substances de passage, destinées, soit qu’elles cireulent dans le sang ou s’accu- mulent dans les tissus sous forme de réserves sucrées et de graisses, à ne constituer pour l’organisme qu’une source d’énergie, source sinon exclusive du moins prépondérante, nous le savons. « Pas plus que le charbon, disait Buñge, l'aliment hydrocarboné ne fait partie de la machine motrice dans laquelle il est introduit ». Or, celte ma- chine s’use. Prenons l’homme comme exemple. La chimie nous apprend qu'un adulte perd chaque jour par les urines, les excré- ments, l’évaporation cutanée et respiratoire de 2 à 3 litres d’eau dont 0/6 proviennent de l’eau de boisson et 1/6 de l’eau formée au cours des combustions intra-organiques. Par les urines, les excréments, la sueur, etc., il élimine encore de 30 à 35 grammes de matières minérales. Dans ses excreta (acide carbonique de l’air expiré, excré- ments, urine) on trouve avec cela près de 300 grammes de charbon et pas loin de 20 grammes d’azote éliminé par le rein sous forme 236 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. durée, d'acide urique. fl faut couvrir ces pertes. Vu sa composition chimique, peut-on demander à l'aliment hydrocarboné de rétablir à lui seul l'équilibre matériel? Admettons qu’il puisse suffire à rem- placer tout le carbone perdu, la ration de l’homme, en plus natu- rellement des 10 mètres cubes d’air qu’il inspire environ par Jour, n’en doit pas moins comprendre également une quantité suffisante d’eau, de sels inorganiques et enfin d’azote. La sensation de la soif pousse l’homme à boire, c’est vrai! De plus les substances orga- niques de provenance animale ou végétale ingérées habituellement par les animaux contiennent toujours, sous une forme convenable, les sels minéraux indispensables à la vie. Aussi, pour abréger le rai- sonnement, nous pouvons ne pas tenir compte parmi les aliments nécessaires de l’eau et de la matière minérale. Reste l’azote. Nous en trouvons dans les principes organiques azotés et nous avons vu que parmi ces derniers les albuminoïdes peuvent seuls, ou à peu près, fournir cet élément sous une forme réellement assimilable. L'organisme a besoin d’albuminoïdes et, quand on l’en prive, même s’il reçoit copieusement des aliments ternaires, l’affaiblissement et ensuite la mort surviennent toujours finalement. Ce n’est pas le lieu de discuter ici les causes de ce besoin d’albumine et de se demander pourquoi nous perdons par jour plus d’une centaine de grammes de notre propre matière azotée alors que la desquamation de la peau, des organes et des tissus est tout à fait minime. La physio- logie ne s'explique guère le phénomène. Peu nous importe du reste ! Il nous suffit de savoir que toute ration doit contenir une certaine dose de protéiques et alors le seul côté intéressant pour nous de la question c’est de rechercher dans quelle proportion il faut associer l'aliment azoté aux autres principes nutritifs. Tout d’abord le régime exclusivement albuminoïde peut-il présenter quelques avantages ? Il est des faits qui plaident en sa faveur. On sait par expérimentation, du moins en ce qui concerne les carni- vores, que l’albumine, ingérée seule, suffit à entretenir la vie. Cet aliment peut en effet servir à la fois à la réparation des tissus et à la production de l'énergie, c’est-à-dire répondre à tous les besoins physiologiques. Rien de cela n’est de nature à nous étonner. Nous savons que l'organisme sait élaborer du sucre aux dépens de la ma- GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 237 tière quaternaire et que ce sucre, tout aussi bien que celui qui pro- vient des hydrates de carbone, est apte à produire de la chaleur, à fournir du travail musculaire ou à se transformer en graisses. Une alimentation exclusive à la viande est théoriquemeut suffisante pour les carnivores, mais si l’on veut appliquer le raisonnement aux om- nivores et aux herbivores, autrement dit à l'homme et aux animaux exploités comme moteurs ou comme producteurs de viande, de graisse ou de lait, on se rend facilement compte qu’il n’est pas pos- sible de toujours accorder à l’aliment azoté une importance aussi considérable. Il ne suffit pas que la ration calculée apporte à l’orga- nisme la matière et l'énergie nécessaires pour éviter la déchéance organique-et satisfaire aux dépenses dynamiques, il faut que cette ration théorique soit pratiquement supportée sans accidents par le tube digestif. Or, après ingestion à poids égaux, tous les aliments organiques ne sont pas tolérés de même. Avec un régime quotidien de 1 500 à 2 000 grammes de viande, l'homme, au bout de quelques jours, est pris de vomissements et de diarrhée. Que serait-ce s’il mangeait 3 kilogrammes de chair musculaire, quantité théorique- ment nécessaire pour satisfaire à ses besoins physiologiques nor- maux ? Un régime carné exclusif serait à plus forte raison encore moins bien supporté par le tube digestif des herbivores. Ceux-ci de même que l’homme doivent en somme et de toute nécessité ingérer des substances ternaires, graisses ou hydrates de carbone. Pour clore cette discussion sur la composition chimique qualitative du régime susceptible dans la pratique courante de présenter, entre tous, le plus d'avantages, il ne nous reste plus, le minimum néces- saire d’azote étant assuré, qu'à savoir mélanger en proportions con- venables les aliments gras et les hydrates de carbone. La chose est simple, car il est des faits d’observation et de raisonnement suscep- tibles de guider en toute sécurité notre choix. L’expérimentation nous apprend tout d’abord que les fortes rations de graisses sont infiniment moins bien utilisées et supportées par le tube digestif que les doses massives d’hydrates de carbone. Il est impossible avec cela de ne pas faire entrer en ligne de compte que la plupart des substances végétales ligneuses et même amylacées ont une valeur marchande bien inférieure à celle des graisses alimentaires. Devant de sem- 238 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. blablés raisons, du moins en ce qui concerne l’homme et les herbi- vores, On ne saurait alors ne pas admettre que pour salisfaire aux conditions physiologiques el économiques d’une bonne alimentation il faut établir aussi largement que possible la ralion hydrocarbonée. De cette conclusion découlent inévitablement les deux corollaires sui- vants. Le premier c’est que les graisses ne sont là que pour remplacer sous un moindre volume une partie des hydrales de carbone, lorsque la quantité à ingérer de ces derniers aliments peut surcharger outre mesure le tube digestif. Le second corollaire concerne la matière azotée et s’énonce ainsi : Puisque l'albumine ne joue qu'un rôle secondaire dans les dépenses énergéliques de l'organisme, elle ne doil | plus figurer dans le bilan total des recettes après que l’on a lenu comple, en établissant la ration, du besoin impérieux d'un minimum d'azote. Gela signifie en termes moins scientifiques que la viande est loin de mériter, comme aliment, la faveur surfaite dont elle jouit dans l'opinion générale et que ce n’est pas elle qui donne de la force et permet d'accomplir le travail le plus considérable, C’est là une loi d'hygiène sociale qu'il faut-s’efforcer de répandre et cela avec d'autant plus de vigueur qu’elle est encore aujourd’hui presque entièrement méconnue du grand public. Depuis Liebig, nom- breux en effet ont été les physiologistes et les médecins qui ont vanté outre mesure les effets de l'alimentation carnée ; on lui attribuait une certaine action excitante sur les principales fonctions de nutrition. Sans elle, disait-on, pas d’élan, pas d'énergie physique et morale. Sans elle point de salut pour le convalescent. Ce sont là des phrases que tout le monde a entendu dire et redire. Dans un autre ordre d'idées, c’est en raisonnant de même que Boussingault fut conduit à admettre que la valeur nutritive d’un fourrage est proportionnelle à sa teneur en azote, et l’alimentation du bétail est encore souvent régie par ces conclusions étroites et incomplètes. Les laboratoires de recherches continuent à travailler sur la composition et les méthodes analyti- ques permettant de doser les diverses matières azotées, alors qu’on se contente le plus souvent de déterminer par différence la teneur des aliments en principes ternaires. La question de l'azote a trop hypnotisé le monde savant et l'hygiène alimentaire s’en ressent. Heureusement que les idées changent et cèdent aux bonnes raisons. GLYCOGËNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 239 On commence aujourd’hui à abandonner les premiers errements, et les médecins se mettent, d'eux-mêmes, à suivre le mouvement imprimé par les physiologistes. Ils comprennent que l'organisme n’a rien à craindre de la combustion des substances ternaires, car Peau et l’acide carbonique ne peuvent être des déchets dangereux, ce dernier gaz n'étant, de par sa volatilité, retenu qu’en très minime quantité dans les liquides et les tissus. L’albumine, au contraire, est autrement nocive. Son oxydation, toujours incomplète, fournit de l’urée, de l’acide urique, des toxines, des corps amidés, des leuco- maines, des ptomaines, etc.'. Ce sont là, il est vrai, des résidus que les organes d’excrétion entrainent d’une façon régulière, mais qu’un état pathologique quelconque vienne à entraver les fonctions d’éli- minations, il en est peu parmi ces substances qui n’agissent pas alors comme de véritables poisons*. Pour diminuer les chances d’intoxica- tion, on doit logiquement commencer tout d’abord par n’ingérer qu’en aussi petite quantité que possible la matière première d’où dérivent les corps les plus dangereux. Nous n’arrivons parfois même pas à détruire où à éliminer ces toxines d’origine interne que les tissus ou les organes font naître aux dépens de leur propre substance azotée par excès d'activité ou défaut de fonctionnement*. N’aggra- vons pas encore l’aulo-intoxication en demandant aux protéiques plus que ce qui en est nécessaire pour satisfaire notre besoin d’albumine. Passé cette limite, l'aliment azoté ou, pour être plus explicite, la viande ne peut que constituer une cause de danger. C’est dans ce sens que plaide en ce moment le monde médical et souvent avec tant d'ardeur qu'il arrive à ranger l’alimention carnée excessive, à côté de l’alcoolisme par exemple, au nombre des plaies sociales. En toutes choses, l’exagération n’a jamais raison et il ne faudrait pas en con- clure que si nous ne devenons pas tous végétariens c'en est fini de l'individu et de la race! De même que les herbivores, gardons notre alimentation naturelle. Que l’homme reste omnivore, mais qu’il 1. À. Gautier, La chimie de la cellule vivante (Encyclopédie Léauté). 2, Charrin, Poisons de l'urine, poisons du tube digestif. ? volumes (Encyclopédie Léauté). 3. Charrin, Poisons des tissus (Encyclopédie Léguté). 240 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. n'oublie pas que ce sont les classes peu fortunées, celles justement dont le régime semble le moins enviable, qui se nourrissent ration- nellement et savent se combiner les rations les plus avantageuses, alors que l'alimentation carnée dont abusent les classes aisées ne peut être pour elles qu’une source de tares, malheureusement en grande partie héréditaires. Voilà ce qu'il faut bien faire comprendre et le moyen le plus sûr de convaincre tout le monde c’est de prouver que dans la pratique comme en théorie les hydrates de carbone consti- tuent le meilleur combustible dont l'organisme puisse se servir et celui qui se trouve le mieux convenir à la machine animale. Combustibilité des divers principes alimentaires. Nous sommes déjà suffisamment documentés à ce sujet, car les faits accumulés dans le dernier chapitre arguent tous sans exception en faveur du rôle énergétique des hydrates de carbone. C’est presque exclusivement à leurs dépens, avons-nous conclu, que s’accomplit le travail musculaire. Sans doute le muscle peut utiliser pour sa con- traction les substances organiques les plus diverses, mais ilne le fait pas indistinctement. Il s'adresse en tout premier lieu aux hydrocar- bonés et n’emprunte les protéiques et les graisses, dont il dispose du reste aussi facilement, que dans les cas d’alimentation insuffisante ou d’épuisement trop accentué de sa propre réserve sucrée. Telle est la loi dont M. Chauveau a su fournir tant de preuves directes. Les expériences suivantes du professeur Mosso’ vont nous confirmer d’une façon encore plus frappante ce fait que ia destinée des hydrates de carbone est bien d’entretenir, dans l’organisme animal, les réac- tions qui se trouvent être les sources les plus avantageuses d'énergie. Si l’on compare les combustibles que l’industrie minière ou autre nous fournit, on voit qu'ils se comportent très différemment à la combustion. Les uns s’échauffent rapidement, puis s’enflamment et brûülent presque spontanément. Les autres, au contraire, n’ont aucune tendance à l’inflammation spontanée; il faut une forte chaleur pour les allumer et pour qu’ils continuent à se consumer. Chez ces derniers 1. Mosso, Bericht d. K. med. Akad. Genua. 1900. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 241 la combustibilité est plus faible que chez les autres. Eh bien! repre- non$ la comparaison classique entre le moteur animé et la machine à feu, et par conséquent entre l'aliment et le charbon, et examinons la combustibilité des diverses catégories de substances organiques, après leur introduction dans l’organisme-foyer. Gelui des protéi- ques, des graisses ou des hydrocarbonés qui, mis dans ce moufle spé- cial, sera, suivant l’expression des chimistes, le moins dur, le moins long à se brûler, sera évidemment, ce nous semble, l'aliment doué de la meilleure combustibilité, le principe qui, par ses propriétés et sa composition chimique, mettra le plus vite la machine sous pression et semblera prédestiné à être consommé et à produire des effets éner- gétiques utiles avant les autres. Les expériences de Mosso permettent de comparer à ce point de vue les trois grands groupes fondamentaux de substances organi- ques. Elles reposent sur ce fait que chez les sujets maintenus à l’état d’inanition, les repas sont toujours suivis d’une notable élévation de la température du corps, ce qui ne se produit jamais avec un régime alimentaire normal. Il est facile de comprendre pourquoi. Dans le: cas d’une alimentation suffisante, l’organisme, largement pourvu de réserves, dispose d’une riche provision de combustible. En raison de cette abondance tout nouvel apport, quelque copieux qu’il soit, doit logiquement passer inaperçu et rester sans eflet. Après les repas l'absorption de l’oxygène et l'élimination urinaire azotée augmentent bien, il est vrai, mais cetle suractivité des réactions intra-organiques n'implique pas nécessairement que l’organisme gaspille ce qu'il reçoit à ce moment. Il faut en effet que les substances froides ingé- rées se mettent au niveau thermique du corps et lui empruntent de la chaleur. Le tube digestif ne peut non plus fonctionner et secréter sans dépenser de l’énergie. Si donc la consommation croit à ce moment, c’est surtout pour satisfaire au travail physiologique de la digestion, et de ce fait la température ne peut augmenter. La consommation dite de luxe, qui succéderait au repas, ne repose sur aucune observation fondée, bien qu’elle ait encore actuellement des partisans ? 1. Ch. Richet, Diclion, de Physiol., art. « Aliments ». ANN. SCIENCE AGRON. — 2° SÉRIE. — 1902-1903. — x. 16 242 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. À la suite d’une inanition un peu prolongée, les réserves ont au contraire disparu; aussi, dès qu’une substance nutritive pénètre dans l’économie, elle est consommée le plus vite possible. Dans ce cas de disette tout aliment est le bienvenu. L’inanition occasionnant en eflet un abaissement de la constante thermique, les éléments anatomiques, qui se conduisent en cela comme toutes les machines à feu, n’ont plus leur activité normale et sont moins aptes à fonc- tionner. Dès qu’un aliment leur arrive, il n’est done pas pour eux de meilleure utilisation du potentiel disponible que d’en faire de la chaleur et de relever ainsi la température du corps. Mosso opéra sur des chiens à jeun seulement depuis trois ou cinq jours, afin qu’ils ne soient ni trop épuisés ni trop refroidis par l’ina- nition. Tout en les obligeant à rester immobiles sur une table pour ne libérer que le moins possible d'énergie en vue de satisfaire aux contractions musculaires, il leur fit ingérer diverses substances et, au moyen d’un thermomètre, laissé à poste fixe dans le rectum, nota presque continuellement la température de l’animal. Avec ces don- nées, il lui fut facile de construire des courbes analogues à celles de la figure 13. Ces trois courbes, extraites du mémoire de Mosso, représentent les variations de la température du corps chez des chiens auxquels, après un jeûne d’une durée relativement minime, on faisait ingérer soit des corps gras sous forme de beurre, soit des albuminoïdes sous forme de chair musculaire, soit enfin des hydrocarbonés sous forme de sucre ordinaire ou de pain. Les tempéralures ont été comptées sur l’axe des ordonnées, le trait horizontal le plus gras indiquant la constante thermique normale de 37°, et les heures sur l’axe des abscisses. Les flèches verticales marquent le repas et le point noir le moment où la température cesse de croître. L’on voit, d’après ces données, que les traits horizontaux pointillés représentent sur ces graphiques le temps qui s'écoule entre l’imgestion et l'effet ther- mique maximum. Dans la comparaison de ces courbes, nous ne nous préoccuperons pas du poids d’aliment donné par kilogramme de poids vif, pas plus que du potentiel fourni ou utilisé dans les différents cas. Nous nous abstiendrons de même de toute discussion relative à l'intensité de l’élévation de la température, car, à la fin de ce chapitre, GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 243 nous verrons avec plus de profit quelle est la quantité brute d’éner- gle apportée par chacune des diverses catégories de substances et = LES 4 a) 1 gramme de sucre b) 4 grammes de pain 30 Hydrocarbonés | { par kilogramme de poids vif, FIGURE 13, comment l’animal utilise cet apport. L'intérêt de la juxtaposition de ces courbes, c’est de nous permettre d’embrasser du même coup 244 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. d’œil l'influence sur la marche du thermomètre des trois alimenta- lions expérimentées. Il est impossible de ne pas remarquer de suite des différences frappantes. Chaque aliment se comporte à sa façon. Les corps gras n’agissent qu’à la longue et ce sont eux qui produi- sent le moins rapidement le maximum de chaleur. Dix heures après leur ingestion le thermomètre monte encore. Avec la matière azotée l'élévation de la température est un peu plus rapide. Le pointillé horizontal ne s’étend que sur un intervalle de sept heures et demie. Avec les hydrocarbonés, la courbe monte au contraire brusquement. L'effet est presque immédiat et la température s'élève même dans un cas moins de vingt-cinq minutes après le repas. Aussi les pointillés horizontaux ne couvrent-ils qu'une période de trois heures et demie pour l’amidon et de une heure quarante minutes seulement pour le sucre. La conclusion est facile et d'autant plus certaine que Mosso, dans ses nombreux essais, a toujours obtenu des résultats analogues à ceux que nous venons de figurer. L'influence comparée des diverses catégories d'aliments sur les variations thermiques du corps dé- montre nettement que les hydrocarbonés libérent leur énergie et par conséquent sont ulilisés bien avant les albuminoïdes el les graisses. Cela signifie qu'ils se trouvent doués, vis-à-vis de l’organisme, de la plus grande combustibilité, autrement dit que la nature ne met pas à notre disposition de charbon se brûlant mieux et plus vite. L’examen particulier de la dernière courbe nous suggère une autre remarque que nous ne pouvons passer sous silence, puisqu'elle va nous avancer vers la conclusion finale que nous visons : c’est que les hydrates de carbone, bien que toujours supérieurs aux albuminoïdes et aux graisses par leur rapidité d’action, ne se comportent pas tous de même. La courbe de température monte beaucoup moins brusquement après un repas amylacé de pain qu'après l’ingestion de sucre. Certains hydrates de carbone manifestent donc leur effet beaucoup plus vite que les autres, et cela nous prouve qu'il faut encore savoir choisir entre eux. Rapidité et intensité de l'absorption du sucre. D’après les expériences précédentes de Mosso, le sucre ordinaire serait préférable à l’amidon, et il ne pouvait en être autrement. Les GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 245 corps doués d’une grande solubilité, aptes par conséquent à subir l’'osmose, pénètrent en effet plus facilement et plus rapidement que les autres dans l’économie animale. Mais, comme le sucre de canne n’est pas la seule matière sucrée soluble qui, dans les conditions normales de l'alimentation, puisse être absorbée par lestomac ou - l'intestin, nous ne pouvons, sans de nouvelles recherches, lui accor- der dès maintenant la préférence. La quantité et les limites de l’ab- sorption du glucose, du maltose ou du lactose sont peut-être aussi élevées que celles du saccharose? Devant l’importance toute pratique de la question, le professeur Albertoni' a cru devoir déterminer la rapidité et l'intensité de cette absorption, après avoir introduit natu- rellement dans le tube digestif diverses substances sucrées en solu- tions de concentration variée. Le chien, dont le tube gastro-entérique se rapproche beaucoup de celui de l’homme, lui parut devoir être le meilleur animal d’expérience. Le sucre était administré après un jeûne de vingt-quatre heures environ. L'animal l’avaiait spontané- ment ou bien on l’introdusait avec la sonde dans l’estomac puis on laissait ensuite s’écouler un certain temps avant de sacrifier le sujet d'expérience. Le contenu de l’estomac et celui de l’intestin grèle étaient recueillis à part, après ligature immédiate du pylore pour empêcher tout retour de estomac dans le duodénum. Cette technique permettait de déterminer par l'analyse le sucre de ces liquides et d'établir la quantité exacte de ce principe qui avait pénétré dans Péconomie. Albertoni expérimenta successivement avec les diverses matières sucrées solubles dont l’homme ou les animaux absorbent normalement de grandes quantités soit comme produits de la diges- tion de l’amidon ou des principaux glucosides, soit parce qu’ils les imgèrent en nature. Il porta tout d’abord son choix sur le glucose, le sucre physiologique du sang, celui que l’on obtient artificiellement par la saccharification des amidons et qui constitue toujours un des termes du dédoublement chimique ou diastasique des principales substances alimentaires sucrées solubles et msolubles. 1 trouva qu’en une heure et dans des conditions naturelles, le tube digestif du chien 1. Albertoni, Manière de se comporter des sucres dans l'organisme, Arch ilalien- nes de Biol., t. XN, fase. 2, 1891, p. 321; t. XVIIL, fase. 2, 1892, p. 266. 246 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. pouvait absorber 60 grammes sur 100 de glucose environ, absorption déjà très rapide et très intense, mais que le maltose et surtout le saccharose disparaissaient encore plus facilement et rapidement. En une heure, sur 100 grammes ingérés il y en avait de 70 à 80 d’ab- sorbés. L’absorption, que ne favorisait nullement, au contraire, la température élevée de la solution déglutie, était beaucoup plus con- sidérable immédiatement après le repas que pendant les heures sui- vantes, Ce qui signifiait que lorsque l’organisme est saturé jusqu’à un certain point de sucre, celui-ci pénètre moins rapidement. L’absorp- tion se faisait du reste aussi bien pour les solutions plus denses que le sang que pour celles qui l’étaient moins, et comme la diminution de la masse ou la dilution du sang la contrariaient, bien qu’une sous- traction même notable de sang (2 p. 100 du poids du corps) n’exerçât aucune influence sur la destruction ou sur la transformation des sucres dans l’organisme, Albertoni crut pouvoir conclure que le phénomène était surtout réglé par des lois physiques et ne subissait aucune influence vitale. Quant au sucre de lait, il se comportait très différemment. Sur 100 grammes ingérés on en retrouvait toujours dans le tube digestif de 60 à 80. L'expérience établissait en résumé que le saccharose est la qualité de sucre qui s'absorbe le plus facilement et le plus promptement. Cet argument nous autorise à penser dès maintenant que pour répondre aux desiderata formulés plus haut, reconstilu- lion rapide et entrelien des forces de l'organisme, mise en réserve de la plus grande quantité possible d'énergie, le sucre de canne doit prendre la première place parmi les hydrocarbonés. La cause du sucre est déjà presque gagnée. Elle le sera d’une façon irréfutable lorsque nous aurons mis en lumière l’action bienfaisante de cet ali- ment une fois qu’il a pénétré dans l’économie. Rappelons auparavant par quelles voies se fait cette absorption. Elle commence dans l'estomac. Smith Meade’ put le démontrer sur des grenouilles auxquelles il liait le pylore et établir que les solutions concentrées de sucre disparaissent dans cet organe plus rapidement que les solutions étendues; malgré cela, au bout de vingt-quatre 1. Smith Meade, Dubois-Reymond's Arch., 1884, et Centralbl., 1885, p. 260. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 247 heures l’absorption y est presque toujours complète. Anrep * expéri- menta sur des chiens à fistulc gastrique, auxquels on fermait le pylore au moyen d’un tampon de gomme introduit par la fistule. Sur 10 grammes de sucre dissous dans 60 centimètres cubes d’eau il n’en retrouva plus que 65,4 au bout de une heure et demie. Tap- peiner*, en opérant sur le chien et le chat, trouva au contraire que l'absorption stomacale était insignifiante, ce qui concordait avec les recherches de Cl. Bernard. Il est en ‘effet plus que probable que les substances sucrées solubles passent surtout par les capillaires de l'intestin et, s’engageant par la veine porte, arrivent ainsi au foie. Seegen et de Mering ont toujours du reste constaté une augmenta- tion considérable de sucre dans le sang porte au moment de la diges- tion des féculents, et la présence du saccharose et de l’inuline v a été souvent démontrée après l’ingestion de ces substances. Mais peu nous importe que ce soit l'estomac ou l’intestin qui laisse pénétrer le saccharose dans l’économie ; les expériences d’Albertoni n’en démontrent pas moins que le tube digestif du chien absorbe en une heure de 70 à 80 grammes de sucre de canne, c’est-à-dire une quantité beaucoup plus grande que de maltose, de glucose ou de lactose. Ce fait bien établi, et l’on comprend sans peine toute son importance dans la pratique de l'alimentation, il nous reste mainte- nant à rechercher dans quelle mesure l’organisme utilise le saccha- rose pour satisfaire aux besoins de sa nutrition intime et s’il l’utilise mieux ou au moins tout aussi bien que les sucres analogues, le lac- tose du lait ou le maltose, qui fait suite aux dextrines dans l’évolu- tion digestive normale de l’amidon. L'utilisation du sucre et les ferments de l'organisme. Nous nous souvenons que pour se rendre compte de l’utilisation respective des divers hexoses assimilables (glucose, lévulose, ga- lactose) le D° Brocard, s'adressant à des sujets à nutrition ralentie, expérimenta sur des femmes enceintes chez lesquelles il était facile 1. Anrep, Dubois-Reymond’s Arch., 1881. 2. Tappeiner, Cenfralbl. f. Nied. Wiss., p. 854, 1581. 248 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. de provoquer de la glycosurie. I] leur fit ingérer simultanément et à poids égaux deux des sucres à comparer. L’hexose le plus mal assi- milé était logiquement celui qui passait dans les urines en plus grande quantité. Cette méthode des ingestions simultanées, appliquée aux bihexoses solubles, peut-elle ici nous rendre les mêmes services ? Si l’on se souvient des propriétés biologiques communes au saccharose, au lactose et au maltose, on n’est pas sans remarquer de suite que l'élimination urinaire de ces sucres ne peut servir à mesurer leur pouvoir d’assimilation et cela pour eette excellente raison qu’ils ne sont pas directement assimilables. Injectés sous la peau ou dans les veines 1ls sont excrétés en totalité ou à peu près par les urines comme des corps inertes et inutilisables, aussi avons-nous été amenés à re- connaître que dans les conditions ordinaires de l'alimentation il était de toute nécessité qu’ils soient transformés avant de passer dans le sang. Pour être utilisés par l'organisme, il faut que les saccharides soient préalablement dédoublés. Si donc, afin de les comparer, l’on fait ingérer simultanément à un sujet, prédisposé à la glycosurie, deux bihexoses, du saccharose et du lactose par exemple, l’élimi- nation urinaire de ces sucres ne mesurera en réalité que l'intensité d’action des ferments ou, d’une façon générale, des réactifs d’hydra- tation propres aux tissus vivants. Lorsque les ferments de dédou- blement ne sont pas sécrétés assez abondamment ou ne sont pas assez actifs pour agir sur l’un des sucres, avant qu'il ne soit entraîné dans la circulation, ce sucre passera en eflet en nature dans les urines. On ne ly trouvera pas au contraire si les ferments appropriés sont abon- dants et de Eonne qualité, et, sans autre explication, l’on comprend facilement que plus un bihexose hydrolysable sera complètement dé- doublé en hexoses directement assimilables, plus il sera utilisé, et moins par conséquent il sera excrété par le rein. Er suivant l’élimi- nation urinaire du saccharose et du lactose ou du saccharose et du maltose ingérés simullanément, il est donc possible non pas de mesu- rer le pouvoir d’assimilation de ces sucres, mais de comparer l’in- tensité d'action des réactifs et ferments capables de dédoubler les bihexoses conformément à leurs affinités. La question est du plus haut intérêt pour nous, car avant de créer un mouvement d'opinion en faveur de Paccroissement de consommation du suere, 1l faut être GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 249 certain que organisme est à même, par ses propres moyens, d’en dédoubler d'assez grandes quantités. S'il n’en était pas ainsi cette alimentation serait loin d’être recommandable. Or, en recherchant parmi les sécrétions normales des tissus animaux les sucrases ou invertines susceptibles d’agir sur le sucre de canne, nous avons constaté qu’elles existaient parfois, mais que néanmoins elles sem- blaient bien moins répandues dans lorganisme que les autres fer- ments digestifs. Nous serions-nous un peu trop avancés en supposant que l’mvertine fait partie de tout suc intestinal? Les travaux du D° Brocard sur Putilisation des bihexoses sont heureusement de nature à nous rassurer à ce sujet. En comparant l'élimination uri- naire du saccharose, du lactose et du maltose, après ingestion simul- tanée et à poids égaux de deux de ces sucres, l’auteur remarqua que c’était tantôt l’un, tantôt l’autre qui dominait dans l’urine, mais que le bihexose qui y apparaissait en moins grande quantité était juste- ment celüi qui entrait dans le régime alimentaire habituel du sujet considéré. L'enfant, après un usage exclusif de lait lactosé, utilisait mieux le lactose que le saccharose. Chez le chien habitué au sucre, le saccharose était plus activement dédoublé que le lactose. Les sujets chez lesquels l’apparition du lactose dans les urines était le plus faci- lement obtenue, n’aimaient généralement pas le lait ou prétendaient que cet aliment ne leur réussissait pas. Pour provoquer la présence du saccharose dans les urines il fallait faire ingérer des quantités de ce sucre d'autant plus élevées que les sujets d’expériences étaient, par leur régime antérieur, habitués aux sucreries: Chez l’adulte omnivore qui use continuellement et en abondance de l’alimentation amylacée, le mallose était enfin toujours mieux utilisé que les autres sucres. Rapprochant ses propres observations des faits analogues signalés de part et d'autre dans le règne animal et dans le règne végétal, le D' Brocard se crut autorisé à conclure que d’une manière générale la facilité du dédoublement des bihexoses semble intime- ment liée au régime antérieur et que la physiologie de la digestion repose presque uniquement sur cette formule : c’est l'aliment qui fait le ferment’. Ainsi donc l'usage du lait et du lactose ne pourra 1. D' Brocard, Loc. cil., p. 81. 290 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. manquer de donner naissance à la lactase. L’abondance des amy- lacés provoquera de même la production d’amylase et de maltase. Quant à l’invertine sans laquelle le saccharose ne peut être dédoublé et dont l’activité est peut-être parfois un peu faible, elle apparaîtra, ainsi et autant qu’il le faut, dès que le sucre de canne fera partie du régime alimentaire quotidien. Le moyen de mettre l’organisme à même de dédoubler le sucre est simple et à la portée de tous. En admettant que les ferments physiologiques ne puissent suffire à l’in- version, nous savons du reste que l’utilisation de cet aliment sera quand même complète. Les microbes de l’intestin interviennent avec leurs propres diastases et ils sont en outre secondés par les acides de l’économie, y compris l’acide carbonique du sang. La digestion du saccharose est de toute facon toujours assurée. Nous avons reconnu que ce sucre, doué d’un très grand pouvoir osmotique, se fait remarquer par la rapidité de son absorption. II pénètre très facilement à travers les parois des cellules et passe pres- que subitement dans le sang. Ne séjournant que peu dans le tube digestif, il est impossible de le retrouver dans les excréments. Sa digestibililé par conséquent est complète. Nous venons de démontrer en dernier lieu que l’inversion, sans laquelle le sucre serait mutili- sable, peut normalement s'effectuer avant qu'il ne pénètre dans la circulation et ce dédoublement s’accomplit certainement très vite, car le saccharose est la moins stable de toutes les matières ternaires saccharifiables. Devant de semblables raisons, et sans pour cela mé- connaître que le rôle physiologique des hydrates de carbone est au fond uniforme, il n’est plus possible de refuser au sucre la première place parmi les aliments dont la combustion intramusculaire engen- dre de l’énergie, parmi ceux que l’on doit considérer à juste raison non seulement comme le charbon normal du muscle, mais aussi comme une source immédiate de réserves énergétiques et nutritives, autrement dit comme un actif producteur de poids vif. Comment se comporte le sucre dans l'organisme? Suivons en effet ce que devient le sucre et quelle est son action et son influence générale sur l'organisme, lorsque, très peu de temps GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 291 après son ingestion, le sang de la veine porte l’amène tout interverti ou à peu près à la glande hépatique. Celle-ci, dont nous connaissons le rôle prépondérant vis-à-vis des hexoses assimilables, doit immédia- tement reconstituer ou compléter sa réserve aux dépens de cet apport subit. La chose est d’autant moins douteuse que le lévulose et le glu- cose résultant du dédoublement du saccharose sont justement les sucres qui donnent lieu à la formation Ja plus abondante de glyco- gène hépatique. Mais la totalité du sucre inverti, surtout si l’inges- tion en a été copieuse, ne peut entièrement se localiser dans le foie. Cet organe, chez l’homme par exemple, renferme au maximum 150 grammes de glycogène. Après un repas riche en sucre le sang porte doit donc avoir vite fait de provoquer la charge glycogénique maxima de la glande. Ceci nous conduit à admettre qu’une notable partie des hexoses provenant de la digestion du sucre mgéré en quantité notable ne fait que traverser le foie et se répand dans la circulation générale. C’est en réalité ce qui arrive. CI. Bernard s’en est rendu compte par l'analyse. Il résulte aussi des expériences d’Al- bertoni‘ que durant l'absorption du sucre, la densité du sang aug- mente sensiblement. Cette augmentation est plus grande pour les solutions de sucre très concentrées (30 grammes dans 100 d’eau : densité du sang 1160) que pour les solutions étendues (60 grammes dans 300 d’eau : densité du sang 1 065) ; de plus elle coïncide préci- sément avec la période durant laquelle se produit le maximum d’ab- sorption, c’est-à-dire, comme nous le savons, pendant l'heure qui suit l’ingestion. La densité du sang décroît ensuite et redevient nor- male trois heures environ après le repas, au moment donc où tout ou du moins presque tout le sucre est absorbé. D’après ces dernières remarques l’ingestion du sucre serait suivie de deux phases assez distinctes. Durant la première, c’est-à-dire peu de temps après le repas, dès que l'absorption commence, la teneur du sang en principes sucrés tend à s'élever rapidement. Mais le phé- nomène ne dure pas, et durant la deuxième phase, l'absorption une fois terminée, le sang de la grande circulation reprend sa richesse saccharine normale, c'est-à-dire que l’excès de sucre précédemment 1. Albertoni, Arch. italiennes de Biol., t. XXX, fasc. 3, 1898. p. 465. 252 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. répandu dans l’économie se dépense ou se localise, après transfor- mation, dans les tissus. Occupons-nous d’abord de lhyperglycémie passagère du début. Elle nous intéresse, ne serait-ce que par son influence sur les fonctions de nutrition et de désassimilation de l'organisme. Albertoni, le premier, a nettement mis en lumière qu’elle agit sur la circulation et sur la sécrétion urinaire‘. Chez les chiens l’injection intraveineuse d’une solution de saccharose, de glu- cose ou de maltose augmente la fréquence du pouls de quinze à vingt pulsations par minute. Chez l'homme, l’administration par la bouche de 100 grammes de sucre de canne produit de même une augmentation de quatre à huit pulsations et l’effet se manifeste sou- vent moins d'un quart d'heure après l’ingestion. La pression san- ouine s'élève en même temps de quinze à vingt millimètres de mer- cure et non pas, comme on pourrait le croire, parce que l’absorption d’une solution sucrée augmente la masse sanguine ou parce que le sucre attire l’eau des tissus dans le sang. Ce n’est pas en effet le con- tenant, c’est-à-dire les vaisseaux, qui s'adapte à l'augmentation du contenu. C’est au contraire le fait inverse qui a lieu. Sous l’action directe du sucre le contenant change de capacité. Les vaisseaux se dilatent, ainsi que le démontrent et l'augmentation du volume des organes, vérifiée pour le rein et les membres, et l’augmentation de la quantité de sang double de la normale qui s’écoule d’une même veine pendant l’unité de temps. C’est ainsi que l'absorption de doses de sucre, assez massives pour que le foie ne puisse les retenir entiè- rement, élève la pression sanguine et parfois accroît d’un üiers environ la rapidité de la circulation. Et si l’on réfléchit que, d’après Chau- veau, il passe trois fois plus de sang dans le masséter durant la con- traction que lorsqu'il est au repos, n’est-il pas alors permis de sup- poser que le travail musculaire n’augmente l'irrigation sanguine que parce que les tissus consomment à ce moment plus de sucre etqu'un excès nécessaire de glucose est alors versé dans la circulation par les muscles et le foie. Autre effet de cette hyperglycémie alimentaire : elle tend à augmenter le volume d'urine produit et dans des limites telles qu'Arrous, après s'être documenté expérimentalement sur les po- 1. Albertoni, Arch. italiennes de Biol., t. XXXV, fase. 1, 1901, p. 142. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 293 lyuries consécutives à l'introduction dans le système veineux de di- verses solutions sucrées, en est arrivé à conseiller en thérapeutique l'emploi des injections de glucose ou de saccharose dans le but de provoquer une diurèse abondante et immédiate’. Ces faits, conclut Albertoni, démontrent que le sucre ne doil pas étre seulement consi- déré comme un aliment, mais encore comme un ageni modificateur el un stimulant de l’élat fonctionnel du syslème circulatoire. L’hyperglycémie consécutive à l’ingestion et à l'absorption immé- diate du sucre excite donc la circulation au travail et par conséquent influence utilement la nutrition générale ; elle constitue d’autant moins un trouble morbide qu’elle disparaît peu de temps après la fin de la digestion. L'organisme sain sait en effet lutter contre cette rupture de l'équilibre physiologique du sang et nous allons voir que ce retour à la glycémie normale lui est profitable. Le sucre, après avoir traversé le foie, même lorsqu'il ne s’y arrête pas, a perdu sa forme et n’est plus qu’un mélange de glucose et de lévulose ; si l’in- terversion, en effet, n’a pas été complète au niveau de l'intestin, elle s’achèvera certainement, nous le savons, dans le liquide sanguin au cours même de la circulation. Or les deux hexoses issus du dédou- blement du saccharose sont justement de ceux que la cellule utilise directement. Le lévulose est même un aliment de tout premier choix. D’après les recherches du D' Brocard, les tissus montrent à son égard une avidité particulière et l’assimilent plus volontiers que le glucose, bien que ce dernier constitue la réserve hydrocarbonée qui circule normalement dans l'organisme. Étant donnée la transformation né- cessaire et mvariable du sucre, son utilisation sera donc certaine. Cela ne fait aucun doute, mais, suivant les circonstances, cette utilisation s’orientera différemment, de façon à satisfaire le plus avantageu- sement possible aux besoins immédiats ou futurs de organisme. Différents modes d'utilisation du sucre. Si l’excès de sucre interverti, non transformé en glycogène hépa- tique, dépasse le foie lorsque l’animal produit du travail, c’est lui presque exclusivement qui entretiendra les combustions d’où dérive 1. Arrous, Comptes rendns, 1899, t. Il, p. 781. 254 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. l'énergie nécessaire à la contraction de la fibre musculaire. Celle-ci n'aura qu'à arrêter au passage le mélange sucré, qui Jui est, à ce moment, très abondamment offert par le sang. Les albuminoïdes pas plus que les graisses ni même que les réserves hydrocarbonées fixées dans les tissus ou préexistant dans les liquides de l’organisme n'auront à intervenir. Puisque, dès l'intervention du sucre alimen- taire, les combustions, sources d'énergie, y trouvent un aliment immédiat et que les autres ressources ou réserves deviennent presque inutiles, il devient ainsi presque possible d'utiliser à volonté l'up- litude de l'organisme animal à la production du travail. Notons en passant que cette utilisation presque directe et subite du sucre est légèrement en contradiction avec les idées de M. Chauveau. D’après la théorie qui admet la permanence chez l’animal alimenté Jes procédés de l’imanition, une substance en effet ne serait nutritive qu'après avoir fait partie des tissus, c’est-à-dire qu'après avoir re- vêtu une forme vivante. Le sucre par exemple ne serait pas brülé dès sa pénétralion ; il se transformerait au préalable en glycogène ou en graisse et les réserves le restitueraient à leur tour à l’or- ganisme par des procédés plus ou moins compliqués. Depuis que CI. Bernard nous a donné maintes preuves de ces faits d’emmaga- sinement, de cet état de réserve sous lequel les matériaux nutritifs peuvent être conservés dans l’organisme, il y a lieu de croire qu'il en est souvent ainsi. [l serait néanmoins excessif de soutenir que par- fois il ne peut en être autrement. La rapidité avec laquelle le sucre intervient après son ingestion ne nous laisse-t-elle pas entièrement libre de penser que sa combustion peut être directe et immédiate ? C’est même en reconnaissant que tel est le procédé fondamental de son ulilisation pendant le travail que l’on voit clairement appa- raître la haute valeur énergétique de l'alimentation sucrée. La com- bustion possible du sucre, aussitôt son entrée dans l’économie, n’em- pêche pas du reste l’intervention certaine de sa mise en réserve dès que les dépenses énergétiques de organisme sont réduites au minimum. Si l’animal ne produit plus de travail musculaire, l’excès de sucre qui traverse le foie sans s’y localiser échappe en grande partie à la destruction immédiate. Il se dépose dans les tissus sous les deux formes principales que nous savons, le glycogène ou la graisse. Rappe- GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 29 lons-nous les expériences de Prausnitz. Elles nous ont permis de nous rendre comple où et comment se dépose le glycogène, sous l'influence digestive du sucre. Le foie se charge le premier, mais la formation du glycogène ne s’y exerce avec autant d'intensité que parce que cet organe est le premier à recevoir les produits de la digestion. La réserve hydrocarbonée se forme en effet tout aussi bien dans les autres tissus et particulièrement dans le muscle aux dépens des sucres que leur amène le sang. Aussi, huit heures après l'ingestion du sucre, la quantité de glycogène disséminée dans tout l’organisme est-elle beaucoup plus considérable que celle du foie. Il est aisé d’en déduire que l’alimentation au sucre peut être d’un grand secours, lorsqu'il faut dans la pratique recharger Paccumula- teur vivant en vue des dépenses énergétiques futures. Nous avons dit que le tissu adipeux, de même que le foie et les muscles, représente également un appareil de régulation destiné à modérer l’hyperglycé- mie. Il constitue un autre réservoir non moins vaste où ira Inévita- blement se jeter l’excès de sucre mis en circulation, car la transfor- mation des hydrocarbonés en graisse est l’un des phénomènes les mieux établis de la nutrition animale. Mais, il ne faut pas l'oublier, elle ne se fait qu'aux dépens du sucre surnuméraire, c’est-à-dire une fois seulement que l'organisme est saturé et que ses réserves hydro- carbonées sont largement assurées. D’après les recherches si origi- nales d'Hanriot, elle se produirait même avec d’autant plus d’inten- sité et de facilité que la teneur du sang en glucose est subitement supérieure à la normale. Le sucre, qui, mieux que les autres ma- vières sucrées, pénètre dans l’économie par doses assez massives, doit donc avoir une puissance adipogëne beaucoup plus grande que celle des amylacés ou des divers hydrocarbonés alimentaires. Ces derniers, vu leur hydrolyse digestive relativement assez lente, ne peuvent cer- tainement que déverser progressivement le sucre dans la circulation”. Jetons maintenant un coup d’œil d'ensemble sur les différents modes d'utilisation du sucre. Nous voyons qu'il n’est pas seulement 1. D'après des travaux tout récents de Kellner, il semble cependant en être autre- ment ee ce qui concerne exclusivement les ruminants. Chez eux 1 kilogr. d’amidon produirait 248 grammes de graisse, alors que 1 kilogr. de sucre en fournirait seu- lement 188 grammes, soit 24 p. 100 de moins. Le kilogramme de sucre contenant 256 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. de la destinée physiologique de cet aliment d’engendrer par sa com- bustion immédiate de la chaleur ou du travail musculaire et de satis- faire ainsi à ce que l’on peut appeler les dépenses d'entretien. En se transformant en glycogène et surtout en graisse, le sucre est en outre la cause directe d’une variation de poids de l’animal. Ou doit alors logiquement le classer parmi les matières alimentaires capables de faire du tissu vivant. C’est ainsi que le sucre, qui ne produit ni chaleur, ni force, ni glycogène, sert à assurer en partie les dépenses de construction de l'organisme. Ce n’est que lorsque toutes ces mo- dalités de dépense ne sont pas satisfaites que, l'hyperglycémie sub- sistant, il peut y avoir consécutivement glycosurie. Le diable est de par cela dans la pratique une conséquence presque impossible de l'alimentation sucrée. L'homme ou l’animal auquel on fera ingérer du sucre comme aliment dynamique aux doses que nous conseillerons, le brülera certainement de suite, ou le transformera en glycogène pour subvenir à ses besoins futurs. Chez l’animal à l’engrais la glycosurie sera de même fort difficile à provoquer. Les expériences du D Bro- card démontrent que l'assimilation du sucre diminue au fur et à me- sure de la formation des réserves adipeuses, la glycosurie ne doit done apparaître qu'après que la mise en réserve de la graisse, poussée à son maximum, subit un arrêt; or, à ce moment, les règles économiques les plus élémentaires conduisent l’éleveur à livrer l’animal au commerce, Rôle d'épargne du sucre. Nous voici enfin rationnellement autorisés à donner au sucre une large part dans ia ration alimentaire de l’homme et des animaux. Loin de l’excréter en partie par les urines comme un déchet imutili- sable, l'organisme animal le mettra au contraire toujours à profit, à moins naturellement que l’on ne vienne à en abuser. Autre action bienfaisante du sucre : quand bien même le reste de la ration ne con- tiendrait que le minimum indispensable d’albuminoïdes, par suite de cet excédent alimentaire, l'organisme, en utilisant le sucre, saura 421 grammes de carbone contre 444 dans l'amidon devrait théoriquement provoquer la formation de 235 grammes de graisse. Kellner attribue ce faible rendement aux fermentations actives qui se produisent dans la panse des ruminants. L'homme, le cheval, le porc, utilisent beaucoup mieux le sucre. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 297 économiser une certaine quantité de la matière azotée que charrie son Sang ou qui compose presque en totalité sa propre substance. Il épargnera ses muscles et sa chair, et l'usure inévitable de la ma- chine diminuera. De nombreuses expériences le démontrent très nettement. En 1855, F. Hoppe* s’aperçut qu’en ajoutant du sucre à la ration de viande d’un chien, ce dernier éliminait moins d’urée que d'habitude. Voit? arriva à mettre encore mieux en évidence cette action toute spéciale des hydrates de carbone : son sujet, lorsqu'il recevait 2000 grammes de viande, éliminait une quantité d’azote correspondant à la destruction de 1 991 grammes de cette viande. . En ajoutant à la même ration carnée 200 grammes d’amidon, il constata que l’organisme ne détruisait plus que 1 825 grammes de viande. Il y avait eu épargne de la matière albuminoïde. En ce qui concerne plus spécialement le sucre de canne, il est intéressant de citer à ce sujet les recherches entreprises par Deiters*, sous la direc- tion de G. von Noorden. Un apport azoté de 195,572 inclus dans la ration quotidienne suffisait à entretenir l’homme mis en observation. Il y avait alors élimination par l’urine de 105,37 d'azote. On ajouta 200 grammes de sucre à la ration. L’azote urinaire tomba à 98,01, ce qui correspondait à une économie de 85,5 d’albuminoïdes en cluffres ronds. Dans un autre essai, l’ingestion de 200 grammes de sucre fit tomber la quantité d’albumine détruite de 945,4 à 478,1. Les expériences de Zirkounenko et Tchernavkine‘ nous montrent encore l'influence du sucre de canne sur l’assimilation de l'azote et des graisses et sur les échanges nutritifs de l’homme sain. Dix sujets âgés de vingt-deux à vingt-cinq ans reçurent par jour et pen- dant cinq jours 795 grammes de sucre, puis de nouveau pendant cinq autres jours 150 grammes du mème aliment. Une moitié du lot d’ex- périence commençait par la dose la plus faible de sucre. L'autre moitié, au contraire, ingérait pendant la première période la dose la plus forte. Prenant les moyennes des résultats obtenus, les au- 1. F. Hoppe, Arch. f. path. Anat., t. X, 1855, p. 144. 2. Voit, « Physiol. d. allg. Stoffwechsels », in Hermann’'s Handb, d. Physiol., t. VI. 1° partie ; Leipzig, 1881, p. 140. 3. G. von Noorden, Beiträge zur Lehre vom Sloffwechsel. Berlin, 1892, p. 7{. 4. Vracht, 1894, n°° 45 et 46. ANN. SCIENCE AGRON. — 9° SÉRIE, — 1902-1903 — 11. 17 258 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. teurs trouvèrent que sous l'influence du sucre le taux d'échange des matières azotées diminuait de 2,84 p. 100, alors que le taux de l’as- similation des graisses augmentait de 1 à 3 p. 100. Ces recherches mettent nettement en évidence l’action générale d’épargne des hydro- carbonés et du sucre vis-à-vis de l’albumine. Une ration azolée in- suffisante pour couvrir les besoins de l'organisme deviendra donc suffisante, si on lui ajoule une certaine quantité de sucre. Au con- travre, lorsque la ration donnée d'albumine est déjà suffisante par elle-même, le sucre contribuera à activer la formution de la substance vivante, c’est-à-dire de la chair. Voit, Rubner et Kayser', entre autres, ont démontré que les graisses étaient loin d’exercer une in- fluence aussi favorable sur l’emmagasinement de Palbumine. La ration d’azote restant la même, chaque augmentation de la quantité de sucre ingérée diminue toujours de plus en plus et presque proportionnelle- ment la décomposition de Palbumine. On n’observe jamais pareil fait avec des rations croissantes de graisse. Ce rôle protecteur du sucre n’est pas sans avoir des conséquences pratiques fort importantes. Si nous voulons écouter les hygiénistes, lorsqu'ils cherchent, avec rai- son, à nous détourner de l’alimentation carnée excessive, n’est-ce pas, ce nous semble, en mangeant du sucre que nous nous ressen- tirons le moins possible du changement de régime et que nous sub- viendrons à cette diminution voulue des recettes azotées ? Dans un autre ordre d'idées, puisque le sucre prévient la destruction de lal- bumine, il ne pourra qu’intervenir utilement au cours des exercices musculaires pénibles, alors que l’excès de travail entraîne forcément la destruction d’une certaine quantité de matière azotée organisée. La machine s’usera moins et cela lui permettra d'accomplir une plus orande somme de travail. Si l’animal enfin n’est pas utilisé en vue de la production du travail, sous l'influence heureuse du sucre, non seulement il fabriquera de la graisse, mais il fixera de l’azote pour en faire du muscle, de la chair. Il se développera, deviendra donc un outil de transformation de plus en plus puissant et l’éleveur de bétail, par exemple, ne pourra que profiter de cet accroissement de poids vif. 1. Voit, Zeitsch. f. Biol., t. V, 1869, p. 392. — Rubner, Zeifsch. f. Biol. t. XV, p. 122, 173. — Consulter : G. von Noorden, Loc, cit., 2° fase., p. 4. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 209 L'énergie potentielle du sucre comparée à celle des autres aliments. C’est ainsi que se comporte le sucre dans l’organisme, et, devant ses bons effets physiologiques, nous pouvons presque conclure dé- finitivement en lui accordant la première place parmi les hydrocar- bonés. Il nous faut cependant, pour mieux préciser cette notion, que nous venons d'acquérir, de la haute valeur nutritive du sucre, recher- cher le rendement utile exact de cet aliment, lorsque lon vient à l'introduire dans la machine animale. Les produits fournis par les animaux supérieurs sont matériels ou dynamiques. Les deux grandes lois de la conservation de la force et de la matière, qui régissent tous les phénomènes naturels, veulent que les uns comme les autres aient pour source unique les aliments ingérés. Parmi les produits matériels, il en est d’utilisables, à cause de leur valeur physiologique ou économique, comme la viande, le lait, etc. Il en est aussi qui ne sont d’aucun profit pour l'organisme et, parmi ces derniers, l’on peut compter tous les ercreta (fèces, urine, eau expirée ou perspirée, acide carbonique, etc.). En ne tenant compte que des termes extrêmes des diverses transformations opérées par l'être vivant, on peut dès lors résumer ainsi en une équation sché- matique la transmutation matérielle et dynamique des aliments : { a) Ulilisables renfermant beaucoup d'énergie potentielle {albumi- noïdes, hydrocarbonés, graisses de [ 1° Produits la viande, du lait). Matière alimentaire | matériels. . . . { b) De nature excrémentielle renfer- renfermant beau - mant peu ou point d'énergie coup d'énergie potentielle {fèces, urines, acide potentielle (albu- carbonique , excrété par les pou- minoides, DRE \ mons, eau). ; ‘ : Chaleur PONS OrASSERL Travail physiolo- ; : animale. 29 Produits gique et ses deux : à HS Travail \ dynamiques. . résultantes princi - muscu- pales . ; laire. Il ressort de la discussion générale de cette équation que les échanges matériels et dynamiques, dont l’ensemble constitue les 260 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. échanges nutritifs de l’économie animale, sont enchaïinés les uns aux autres. De lobtention des uns dépend l'obtention des autres. Si un aliment fournit en fin de compte beaucoup d’énergie sensible (cha- leur, travail mécanique), cette énergie ne pouvant être libérée que par des réactions intra-organiques, il en résulte que l’on verra appa- raître en grande quantité les résidus excrémentiels, auxquels aboutit la destruction ou la transformation de la matière qui provoque la libération de l'énergie. Par contre, les produits matériels utiles (viande, graisse, lait) seront fort minimes. Ces relations étroites entre les échanges matériels ou dynamiques de l’organisme étant admises, puisque le sucre, de mème que tous les hydrocarbonés en général, se révèle surtout comme un agent producteur d'énergie, cherchons à nous rendre compte de la valeur exacte du potentiel contenu dans cet aliment. C’est cette valeur que nous ferons figurer dans le pre- mier membre de notre équation. Nous évaluerons ensuite successi- vement et en prenant la même unité de mesure dynamique les diffé- rents termes du second membre, dont la somme évidemment sera égale au potentiel total trouvé dans cet aliment. Lorsque lon reconnut lutilité de comparer entre elles les quan- tités d'énergie contenues dans les divers composés organiques, il fallut recourir aux conventions. Malgré son existence et son indes- tructibilité indéniables, l'énergie n’était guère susceptible, en effet, d’être exprimée numériquement. Ce qui parut alors le plus simple, ce fut de prendre comme mesure du potentiel d’une substance, celle- ci étant naturellement d’une pureté chimique absolue, la chaleur dé- gagée par sa combustion intégrale. La méthode était rationnelle. Si lon brûle totalement et instantanément du sucre, par exemple, en présence d’un grand excès d’oxygène dans un de ces calorimètres spéciaux que l’on appelle une bombe calorimétrique, les produits ultimes de cette oxydation, rendue aussi complète que possible, sont forcément saturés d'oxygène ; et l’on ne retrouve dans l’appareil que des corps inertes, sans affinités, réfractaires par conséquent à toute réaction et incapables de fournir dans la suite de l’énergie. Le prin- cipe de l’équivalence des transformations dynamiques permet de supposer que tout le potentiel du sucre s’est alors converti en cha- leur. Il ne reste plus qu’à déterminer directement cette dernière au GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 261 moyen des méthodes propres à la calorimétrie. C’est ainsi que l’on a trouvé les valeurs suivantes aux chaleurs de combustion des prin- cipes fondamentaux dont se composent les aliments et les animaux. Le pouvoir calorifique y est rapporté, par le calcul, à 1 gramme des principes eux-mêmes, l’unité de mesure étant la calorie, c’est-à- dire la quantité de chaleur nécessaire pour élever de 1 degré un kilogramme d’eau : D'APRÈS TT BERTHELO'T!. RUBNER. Calories. Calories. Moyenne pour les corps gras . . 9,5 JD === hydrocarbonés. 4,2 4.1 = albuminoïdes . Ent 4,1 Les chiffres de Berthelot et de Rubner concordent, on le voit, sauf pour les albuminoïdes, ce qui provient non pas de la détermi- nation calorimétrique elle-même, mais des différents modes de calcul adoptés par ces auteurs. Rubner fixe à 4*!,1 au lieu de 5°*!,7, chiffre proposé par Berthelot, la valeur calorimétrique de 1 gramme d’albu- mine, afin de se rapprocher autant que possible de ce qui se passe dans lPorganisme. La combustion de la matière albuminoïde n’y est en effet jamais complète ; elle laisse comme résidus, en plus de l’eau et de l’acide carbonique, une foule de produits azotés, non saturés d'oxygène, dont l’urée est le plus important. Le chiffre de Rubner, plus conforme à la réalité des faits, est égal en somme à la valeur calorifique totale de la matière albuminoïde diminuée de celle des produits de transformation physiologique de cette albumine suscep- tibles, par une oxydation plus avancée, de fournir encore de la cha- leur. Le chiffre 5,7 de Berthelot suppose au contraire que l’oxydation est totale et qu’elle ne laisse aucun résidu analogue, par exemple, à l’urée. Si l’on voulait modifier, comme l’a fait Rubner, les données de Berthelot relatives à l’albumine, il faudrait les diminuer de plus d’un sixième. Quant aux matières grasses et hydrocarbonées, elles s’oxydent au maximum dans l’organisme comme dans le calorimètre et ne donnent uniquement, dans l’un comme dans l’autre, que de Peau 1. Les chiffres de Berthelot supposent que les principes, avant d'être brûlés, ont été privés d'eau par une dessiccation à 120°, que la combustion en est totale et que l'acide carbonique qui en résulte reste à l’état gazeux. 262 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. et de l’acide carbonique. Il n’y a pas lieu, en ce qui les concerne, de corriger a priori les chiffres directement fournis par la calorimétrie. De ces premières données découlent plusieurs déductions qui vont être pour nous d’une grande importance. On voit tout d’abord que de par leur potentiel les substances nutritives organiques se divisent en deux groupes bien distincts. Dans le premier figurent les graisses. Sous un poids donné, elles ont la valeur calorifique maxima et doi- vent par conséquent dégager le plus d'énergie. Cela tient à ce que ces principes sont très riches en carbone, l’élément combustible par excellence ; mais par contre, comme il ne rentre que peu d’oxygène dans la constitution des corps gras, il leur faut bien plus de gaz com- burant qu'aux autres principes pour être brûlés totalement. Les ma- üères albuminoïdes et les hydrocarbonés, dont la valeur calorifique, à peu près égale, n’atteint pas la moitié de celle des graisses, forment le second groupe et cela seul suffit à démontrer combien il est exa- géré de supposer, ainsi qu’on le croit si volontiers, que dans les sub- slances nutrilives azolées il y a bien plus d'énergie accumulée que dans les hydrocarbonés. À ce point de vue, ces derniers les valent largement. Il est même facile de démontrer qu’ils leur sont supé- rieurs. L’oxygène se trouve contenu dans les hydrates de carbone en des proportions telles, qu'il suffit à transformer en eau tout l'hydrogène de la combinaison. La dénomination seule d’hydrates de carbone ne signifie-t-elle pas que l’on doit, au point de vue empiri- que, considérer cette classe de matières ternaires comme du carbone uni à de l’eau ? Pour brûler dans ces substances tout ce qui peut s’oxyder, il ne faut donc relativement que très peu d'oxygène. Le sucre est par cela même un corps qui se consume des plus facile- ment. Il est en outre possible de prouver qu’il constitue un accumu- lateur plus précieux et mieux chargé d’énergie que les matières azotées. Cela tient à ce que sa chaleur de combustion totale est supérieure à la chaleur de combustion de son carbone, le seul élé- ment combustible, semble-t-il, qui entre dans sa constitution. Pour bien faire comprendre limportance pratique de cette remarque, raisonnons avec des chiffres. La combustion intégrale et complète de | gramme de saccharose dégage, d’après Berthelot, 3 962 calories. Ce gramme de sucre contient 08,421 de carbone qui, si on le brûlait GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 263 seul dans les mêmes conditions, ne dégagerait que 3 317 calories. (D’après Berthelot, la chaleur de combustion de 1 gramme de carbone est environ de 7,88 calories.) Retranchons 3 317 de 3 962; cela fait un écart de 0,645 calories. On voit que le sucre, en brûlant, dégage, en plus de la chaleur inhérente à la combustion de son propre charbon, une quantité de chaleur égale, à peu près, au cinquième de la chaleur de combustion de ce carbone constitutif, Cet excédent thermique a son importance, car, d’après nos conven- tions, 1l représente forcément une réserve supplémentaire notable d'énergie. Il y a donc lieu de distinguer, d’une part, les hydrates de carbone, qui accumulent aussi parfaitement le potentiel et le libèrent ensuite intégralement, et, d'autre part, les aliments quaternaires, accumulateurs beaucoup moins puissants et dont la combustion in- parfaite de la partie azotée de leur molécule est forcément cause de l'inutilisation partielle de leur énergie. Ge sont là des aliments qui ne peuvent être équivalents. Les chiffres de Berthelot et de Rubner, sur lesquels nous venons de raisonner si utilement, puisqu'ils plaident en faveur du sucre de canne, ne sont, nous l'avons dit, que des chiffres moyens. Mais nous pouvons admettre qu’ils ne différent guère des chaleurs de combus- tion de toutes les substances de mème nature susceptibles de jouer un rôle alimentaire. Un examen détaillé nous montrerait, par exemple, que les divers hydrates de carbone dégagent des quantités de chaleur presque identiques, lorsque l’on en brûle des poids égaux. Voici, d’après Berthelot, la valeur calorifique de 1 gramme des principales matières sucrées, le calcul les supposant sèches et non dissoutes : Galactose 3,7215 calories. Saccharose . . . 53,9620 calories. Lévulose, . 3,1500 — Dextrine. : 41180 — CICOSCR EEE CCS ST 6201 GINCOSENO MERE EI OO Lactose cristallisé . DIR Cellulose. . rio DURE Maltose . 3,9490 — AUOT D’après cela, les chaleurs de combustion des hydrocarbonés, dont on fait le plus largement usage dans l'alimentation journalière de l’homme et des animaux, seraient voisines, mais ne sauraient être rigoureusement identifiées; le fait s'explique du reste rien qu’en 264 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. songeant que le glucose, le sucre de canne, le glycogène, la fécule, si voisins de formule comme l’on sait, ne contiennent pas tous la même quantité d’eau de constitution chimique. Si nous avons cité ces chiffres, c’est que, considérés isolément, ils offrent, malgré leurs faibles différences, un certain intérêt pratique. Ce sont eux qui ont servi à dresser le tableau des poids isodynamiques de toutes les substances nutritives. Ce qualificatif d’isodynamique s’applique aux différents poids des divers composés organiques qui, en s’oxvdant, dégagent sous forme de chaleur des quantités égales d'énergie. Autre- ment dit, dans les poids isodynamiques se trouvent accumulées des quantités égales de potentiel, et l’on conçoit de suite Pimportance de leur détermination. Voici quelques chiffres extraits du tableau calculé par Rubner dans cet ordre d'idées ; ils indiquent en grammes les poids des composés quaternaires ou ternaires ci-dessous mentionnés, ayant la même valeur calorifique que 100 grammes de graisse : Graisse. . . . . . . . . .. 100 gr. Substance musculaire (dépour- Syntonine (matière albumi- Vue dorerdsse) CE AMIS 5 br: noïde pure du muscle). . . 213 — Sucre de canne... . . . 235 — AMONT LE SR ES CU APN DIT Lactose NE de te RE GCOSÉ ECO MR RDS Nous voyons que pour fournir an apport égal de potentiel, il faut, par exemple, moins de sucre de canne que de lactose ou de glucose, ce qui, entre parenthèses, nous démontre encore la supériorité du saccharose sur les autres sucres solubles. Nous voyons en outre que dans le sucre il y a autant d’énergie accumulée que dans la substance musculaire, celle qui, composée en majeure partie d’albuminoïdes, constitue presque la moitié du poids vif des animaux. Sommes-nous maintenant entièrement renseignés sur les quantités d'énergie chi- mique inhérentes aux divers aliments simples ainsi qu'aux matières constituantes du corps animal? Certes non, car il ne suffit pas que le principe de l’isodynamie soit, une fois posé, consacré par les recher- ches purement physiques de la thermochimie. Il faut l'introduire en physiologie et cesser de ne raisonner qu’en physicien. Ces données ne peuvent en eflet servir à calculer a priori les quantités d’énergie qu’apporte l'alimentation, que si elles sont vérifiables pour un orga- nisme en activité normale, Au calorimètre substituons donc, comme GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 269 appareil de combustion, le corps lui-même de l’animal vivant, autre- ment dit démontrons que, lorsque ce dernier produit de la chaleur ou du travail, il peut, conformément aux données précédentes, uti- liser indistinctement, pour arriver au même but, 235 grammes de sucre, par exemple, à la place de 235 grammes de substance muscu- laire ou de 100 grammes de graisse. La question de lisodynamie physiologique, bien qu’elle nous oblige à sortir un peu des limites où le présent résumé devrait demeurer contenu, ne doit pas nous laisser indifférents. Mieux que tous les autres faits, elle va contribuer à fixer nos idées sur la libération véri- tablement physiologique, peut-on dire, du potentiel contenu dans le sucre et sur la valeur énergétique de cet aliment. Raisonnons sur des expériences faites non plus ?n vitro, mais in vivo. Rubner avait re- marqué qu’un jeûne de quatre ou cinq jours ne troublait aucune- ment la régularité de la fonction de calorification. Comme l’animal privé de nourriture évitait instinctivement toute cause d’excitalion ou de dépense, qu'il s’abstenait, par exemple, autant que possible de se mouvoir, 1l y avait lieu de croire que l'énergie libérée ne servait alors uniquement qu’à entretenir sa chaleur. La température, résultante supposée unique de ses dépenses dynamiques, conservant toujours la même valeur, il devenait logique d’admettre également que l’or- ganisme consommait chaque jour la même quantité d'énergie. D’où provenait cette énergie ? Certainement, puisque l’animal était à jeun, de réactions ne portant uniquement que sur ses propres tissus. Les réserves hydrocarbonées de l’économie ne pouvaient intervenir. Nous savons qu’elles atteignent seulement 1 p. 100 environ du poids du corps et, de plus, qu’elles disparaissent progressivement avec le jeûne. Les matières albuminoïdes et les graisses seules alimentaient et entretcnaient la chaleur pendant le jeùne. Il fut facile à Rubner de s’en rendre compte en établissant le bilan de l’azote et du carbone désassimilés par l’animal et excrétés dans ses urines, ses fèces et les produits de sa respiration. L'expérience démontrait que chaque gramme d'azote urinaire correspondait à la destruction de 55,321 d’albumine contenant 5%,28 de carbone. En retranchant le carbone de provenance quaternaire ainsi calculé du carbone total des excreta et en fixant par le calcul à 15,29 le poids de graisse correspondant à 266 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 1 gramme de carbone, on avait la possibilité d'établir, après le bilan des albuminoïdes, celui des corps gras détruits chaque jour par l’ani- mal. Le dosage direct de l'oxygène libre absorbé par la respiration permettait du reste le contrôle de ces premières données ; il devait fournir un chiffre à peu près égal au poids d'oxygène théoriquement nécessaire pour oxyder les quantités d’albuminoïdes et de graisses déterminées au moyen des analyses précédentes. Tel est le principe de la méthode grâce à laquelle Rubner se rendit compte de la nature et de la quantité de substance organique décomposée au cours du jeûne. Le bilan nutritif de l’inanition une fois établi, l’animal d’expé- rience reçut une quantité de sucre de canne insuffisante pour entre- tenir à elle toute seule sa chaleur. Le régime des combustions intra- organiques n’en était pas pour cela modifié et Rubner s’assura que Panimal continuait à vivre avec le même bilan total de calories. Ainsi donc, la consommation d’énergie restait constante et égale à ce qu’elle était lors du jeûne absolu, mais malgré cela il était impos- sible, après le changement de régime, de reconnaître à cette énergie la même origine. L'utilisation du sucre permettait certainement à l'organisme de diminuer les emprunts précédemment faits à ses ré- serves. Pour comparer la valeur énergétique du saccharose à celles des autres principes, il suffisait de déterminer le poids d’albuminoïdes et de graisses épargné par l’ingeslion du sucre. Voici les données d'une des expériences de Rubner. Un chien désassimila par jour : ALBUMINE GRAISSE détruite. détruite. grammes. grammes. PeEndANR A INANITION PR APR ER 10,269 40,673 Pendant l'alimentation (77,1 de sucre)! . . 6,651 8,075 DiFPÉRENCES 0.50, 3,618 32,098 Ces chiffres signifient que 775,1 de sucre permettent à l’animal d'économiser : 38,618 d’albumine + 398,598 de graisse, car, mis à la disposition de l’organisme, ils fournissent la même quantité de chaleur. Des expériences analogues, mais portant sur une alimenta- tion azotée à la viande, conduisirent d’autre part Rubner à admettre 1. On tenait compte évidemment du carbone qui était introduit dans l’économie par le sucre. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 267 que l’albumine épargne, pour chaque gramme d’azote qu’elle ap- porte, 2,64 de graisse. Utilisant ici ce facteur, on voit que l’écono- mie totale de graisse causée par les 775°,1 de sucre a été de 345,39, autrement dit que 234 grammes de sucre ont pu remplacer 100 gram- mes de graisse. Or, le calorimètre nous a appris que 235 grammes de sucre contiennent sous forme de chaleur la même quantité d’éner- gie que 100 grammes de graisse. L'écart entre les deux chiffres, obtenus par. des méthodes si différentes, est faible. Dans l’organisme soumis au jeûne, les matières organiques constituantes du corps ainsi que les principes nutrilifs assimilables introduits dans le cou- rant sanguin peuvent done se substituer à quantités calorimétrique- ment égales. Que devient le principe lorsque l'animal est dans des conditions normales et reçoit de la nourriture ? Rubner a également démontré que l’alimentation ne lui fait rien perdre de sa valeur et de sa signification. Il semblait difficile qu’il en fût autrement, car lor- ganisme, nous l’avons déjà dit, règle toujours l’utilisalion de ses aliments non d’après la quantité de principes nutritifs dont :l dis- pose, mais bien d’après ses besoins éventuels. Aussi, en recueillant dans le calorimètre la chaleur produite par des chiens soumis avec changement de régime à la ration d’entretien, Rubner a-t-il trouvé que les calories perdues par rayonnement étaient constantes pour chaque sujet et égales à la somme des chaleurs de combustion des aliments consommés pendant la durée de l'expérience. Le corps de l’animal se comportait finalement comme une véritable bombe calo- rimétrique, où les hydrocarbonés et les graisses se brülaient jusqu’à combustion complète et où l’albumine se transformait en eau, acide carbonique et urée. Les chaleurs de combustion des substances ter- naires mesurées directement au moyen de la bombe calorimétri- que concordaient par conséquent avec les quantités de chaleur, c’est-à-dire d'énergie, dégagées par les mêmes principes, lorsqu'ils s'oxydaient au maximum dans l’économie animale. Le mode suivant lequel s’opérait l’oxydation différait seul dans les deux cas ; les hydro- carbonés et les graisses subissent bien dans l’organisme des trans- formations multiples, mais celles-ci, conformément au principe de thermo-chimie dit de l’état initial et de l'état final, restent sans in- fluence. D’après le théorème de Berthelot, la quantité d’énergie po- 268 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. tentielle perdue sous forme de chaleur par une substance organique est en effet indépendante de la nature, du nombre et de la suite des états intermédiaires revêtus par cette substance, lorsqu'elle s’ache- mine progressivement vers les termes auxquels aboutit finalement l'oxydation. Le résultat est le même, que l’on passe directement ou sans transition de l’état initial à l’état final constaté. Rubner démon- trait ainsi en un mot que dans tous les cas les éléments nutritifs se substituent entre eux pour les besoins de la nutrition suivant des poids capables de libérer, sous forme de chaleur, le même potentiel. x De l'aptitude du sucre à maintenir l'équilibre nutritif. Afin d'évaluer l'énergie contenue dans le sucre, nous pouvons profiter de celte notion des valeurs isodynames. Nous voyons alors, pour raisonner d’une façon qui frappe davantage lesprit, que les deux morceaux de sucre, d’un poids moyen de 8 grammes chacun, que l’on met dans sa tasse de café, comme consommation d’agré- ment, représentent un apport de 65 à 66 calories. Que vaut compa- rativement, par exemple, l'œuf, d’un poids moyen de 40 grammes, coquille déduite, que tout le monde considère comme un aliment infiniment plus précieux que les sucreries? De par sa teneur en albu- mine, en corps gras et en hydrates de carbone, il n’apporte pas tout à fait 63 calories, c’est-à-dire fournit 2 calories de moins que les deux morceaux de sucre. En supposant que chez l'homme le poten- tiel devienne surtout de la chaleur, il est déjà possible de se rendre compte que, contrairement aux croyances communes, le sucre repré- sente un appoint joliment précieux de calorique. Continuons notre comparaison entre l’œuf et le sucre. De ce que le premier est à peu près isodyname des deux morceaux du second, s’ensuit-1l que l’un et l’autre de ces aliments, ingérés dans des proportions respectives, aient la même valeur nutritive, c’est-à-dire apportent à l'organisme des quantités de matière et d'énergie physiologiquement égales? Com- ment s’en assurer ? S'il en est ainsi, lorsque nous ajouterons à une même ration, suffisante pour couvrir largement le besoin d’albumine, tantôt du sucre, tantôt autant d'œufs que nous aurons précédem- ment donné de fois deux morceaux de sucre, le bilan des échanges GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 269 matériels et dynamiques ne devant hypothétiquement pas varier, il s’ensuivra, en admettant naturellement que ses dépenses soient uni- formes, que le sujet ne changera pas de poids. Malgré la simplicité de la méthode, la pesée de l’animal est donc un moyen très suffisant pour apprécier l'aptitude respective des aliments à maintenir l’équi- libre nutritif. Si le poids augmente, c’est l’indice que l'organisme trouve dans sa ration plus qu'il ne lui faut pour alimenter ses réac- tions et ses travaux intérieurs ; il met l’excédent en réserve. Si le poids diminue, l’apport ne suffit plus à couvrir les pertes. L'égalité de poids indique enfin qu'il y a équilibre entre les entrées et les sorties, c’est-à-dire que les rations produisent identiquement le même ré- sultat. Or, si l’on remplace l’œuf et le sucre suivant des poids isody- names, l'équilibre de poids ne sera jamais atteint. L'expérience n’a peut-être pas été précisément faite avec ces deux aliments, mais on a constaté un grand nombre de faits analogues permettant d'affirmer a priori qu'il ne peut en être autrement. La chienne observée par M. Contejean * était constamment tenue à l’état de repos, enfermée dans une cage et placée dans une salle à température à peu près constante. L'identité de ses échanges maté- riels et dynamiques était ainsi assurée aussi exactement que possible. Sa ration, variable, nous allons le voir, lui était donnée en une seule fois et toujours à la même heure. L'administration de sa boisson avait toujours lieu dans la période la plus éloignée du moment des pesées. Celles-ci étaient faites le matin avant le repas et après l’extrac- tion de l’urine de la vessie. Les fèces émises élaient toujours pe- sées avec l'animal. Le graphique suivant résume les résultats prin- cipaux de l’expérience. On y trouve consigné tout ce qui concerne la composition de la ration, les poids quotidiens de l’animal, de l'azote entrant (courbe à traits pleins), de l’azote sortant (courbe à traits pointillés), enfin la valeur calorimétrique de la ration reçue pour chaque régime pendant une période consécutive de quatre jours. — A. Nous voyons que soumis, pendant la première période du 24 au 28 décembre, au régime quotidien de 4 000 grammes de viande maigre, contenant à peu près 20 grammes de graisse d'infiltration, Le 1. Contejean, Arch, de Physiol., n° 4, octobre 1896, p. 803. 2170 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. sujet augmente de 395 grammes + 147 grammes de fèces. L’azote des urines donne la mesure de l’albumine utilisée par l’animal, et permet de calculer que la chienne dépense de 3777 à 4547 calories. — B. Du 28 décembre au 6 janvier la ration se compose de 500 gram- mes de viande additionnés de 40 grammes de saindoux. La ration D] x ERELRLS RTE LA 2 A LL + CET Name] HER RES NPA RIRE RRRREE ae Il STILL MM rates RD RSR E FRS 24:25 26 21 28! Décembre 1895. : ——_—_—_—_ 2000 gr. de viande. ‘ Jour. A Jr M2 SRE Re ECRÈTES M 67 8 9 10/11 12 13 14115 16 17 18:19 20 1 0 Q Janvier 1896. 8 1 ” © © , | Scogr de viande * Soo gr deviande Soogr deviande ‘ Soo gr de viande ‘ + éogr de graisse + 609r de graisse +100 gr: de grakrse +100 Te SUCIE Par jour. PAT Jour : Par jour: ie F1G. 14. est insuffisante, l'animal perd 170 grammes et 1l sort légèrement plus d’azote qu’il n’en rentre. — C. Avec 300 grammes de viande et 80 grammes de saindoux, l’équilibre se rétablit : la chienne fixe un peu d'azote et gagne environ 50 grammes + 52 grammes de fèces ; elle dépense alors de 4950 à 5326 calories. — D. Pendant la qua- trième période, la ration est augmentée de 20 grammes de saindoux. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 271 L'animal gagne beaucoup en poids (335 grammes) à ce régime ; il fixe de l’azote dans ses tissus. La dépense atteint 5 486 calories. — E. Du 15 au 18 décembre, l’animal reçoit toujours 500 grammes de viande, mais la graisse est remplacée par 100 grammes de sucre. Cette ration, cela se voit sur le graphique, est à peu près isodyname de celle de la deuxième période (B), comportant un régime de 500 gram- mes de viande et 40 grammes de saindoux [858 939 calories au lieu de 881861], mais alors qu'avec cette dernière le sujet perdait en poids, il augmente au contraire ici de 192 grammes + 197 grammes de fèces. Nous devons alors conclure avec Contejean que des rations alimen- taires isodynames contenant, comme l’œuf et les deux morceaux de sucre, la même quantité d'énergie potentielle peuvent, appliquées dans les mêmes conditions sur le même sujet, donner des résultats inégalement avantageux. Avec le sucre 1l y aura très proboblement abondance et l'organisme formera des réserves. L’œuf ne couvrira au contraire peut-être pas les dépenses journalières ; le poids baissera, l’azote sortira des tissus en plus grande quantité qu’il n’y entre. Notre comparaison entre les divers aliments qui, d’après des calculs basés sur les valeurs isodynames tournait en faveur du sucre, serait- elle par cela même erronée et serions-nous autorisés à déclarer, de concert avec M. Chauveau, que devant des faits semblables, 1l- ne faut plus hésiter à jeter la suspicion sur les théories de Rubner ? Celles-ci, prétend la nouvelle école, sont fausses 4 priori, et le pou- voir nutritif des substances alimentaires ne peut, de même que leur pouvoir énergétique, être identifié à leur pouvoir thermogène, c’est- à-dire rester proportionnel à leur chaleur de combustion. Les ali- ments, tels qu’ils sont ingérés, sont, en effet, incapables, sans avoir subi une transformation préalable, de pouvoir servir à l'entretien des fonctions de l’organisme et à l’accomplissement des travaux qui s’y effectuent. Or, cette transformation met en jeu une certaine quan- iité d'énergie variable avec lu nature de l'aliment considéré; les phénomènes dont accompagnent les réactions chimiques qui portent sur les aliments pendant leur assimilation ne sauraient par cela même être identiques pour les albuminoïdes, les hydrocarbonés et les oraisses. [ n’y a rien à objecter à de semblables considérations. Elles 272 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. sont rationnelles et indiscutables, mais elles ne paraissent nullement de nature à mettre la notion de l’isodynamie en défaut. Lorsque M. Chauveau les sortit de ombre, croyant, suivant ses propres ex- pressions, € qu’elles étaient de nature à heurter les habitudes d’esprit des partisans systématiques de la théorie des substitutions isodyna- mes », Ceux-ci, pour y répondre, n’eurent qu’à se reporter aux pre- mières conciusions générales de Rubner. L’éminent physiologiste de Munich n’avait pas été sans s’apercevoir que son principe fondamental était en réalité le plus souvent masqué par des phénomènes secon- daires, que les éléments nutritifs passaient par le tube digestif avant de pénétrer dans la cireulation générale et que le travail auquel ils étaient alors soumis ne pouvait de toute évidence être identique dans tous les cas. Afin de tenir compte des perturbations apportées par le travail de la digestion, Rubner spécifia donc en propres termes « que la valeur nutritive d'un aliment se trouvait mesurée non pas par l'énergie totale qu'il dégage dans l'organisme, mais seulement par la parte de celte énergie que ce dernier peut utiliser ». N'est-ce pas là, en principe, le sens des rectifications demandées par M. Chauveau ? Effet physiologique utile de l'énergie potentielle contenue dans le sucre. Nous avions fixé aux chiffres suivants le pouvoir calorifique ou dynamique de À gramme des diverses substances : Pour les matières azotées et hydrocarbonées en moyenne . 4,{ calories. POUPHES MANIÉLOS ETASSES EN EE LT TR A AT TN Ce ne sont là, d’après ce que nous venons de dire, que des valeurs brutes servant à calculer Papport total d'énergie. Il nous faut main- tenant les corriger et en déduire l’énergie que l'organisme va réelle- ment utiliser. La soustraction opérée, rien ne s’opposera plus alors à nous laisser adopter les nouveaux chiffres comme des valeurs nelles, susceptibles de nous renseigner sur l'effet physiologique réellement utile des divers aliments, valeurs, cela se conçoit, qui auront bien au regard de lorganisme la même signification que les anciennes au regard du calorimètre. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 213 La recherche des pertes d’énergie subies par les aliments dans l'organisme, et dont ce dernier n’a pas profité, nécessite, pour être exécutée avec certitude, l'établissement du bilan complet des échanges nutritifs. Il a donc fallu procéder, en vue de cette détermination, à des expériences fort compliquées dont il est impossible, dans ce ré- sumé, de donner le détail. Les résultats seuls de ces travaux nous intéressent du reste ici. Rubner, entre autres, a expérimenté sur l'enfant avec l’alimentation lactée, sur l’homme adulte soumis à divers régimes, et sur le chien. Le tableau suivant résume celles de ses conclusions qu'il est intéressant de connaître d’une manière gé- nérale et qui peuvent ici nous servir indirectement. PERTE D'ÉNERGIE pour EFFET 100 calories brutes de j l'aliment. physiolo - MODE D’ALIMENTATION. nn . | gique Par Par les | | excré- | Total. utile. l'urine. | ments. Lait maternel (enfant) . Lait de vache (adulte) . t (7 © Alimentation mixte (jeune garçon) : Pain de seigle complet (600 à 800 grammes). | Pain de farine de seigle (600 à S00 grammes). . Alimentation riche en graisse . Once Pommes de tere (25,756 associés à du beurre et dussel) est; LE D Mn PA) CRE Viande chez l'homme (2 kilogr. associés à du pentebsel Sel ne hate es) 0230 Vnitecher le chiens 95e. : vou 591.240 Ü æ, . Æ 19 OT Cr 'OMSMCES mA CS 19 19 19 Qt … we) —1 Avions-nous assez raison de nous élever contre l'habitude que l’on a de dépasser de beaucoup, lors de l’établissement de la ration, la dose d’albumine nécessaire au fonctionnement général de l’orga- nisme ? Le minimum d’azote salisfait, on ne peut, n’en déplaise à opinion que professe le grand public, attendre grand’chose d’an 1. Rubner, « De la valeur énergétique de l'alimentation &e l'homme » (Zeësch. f, Biol., t. XLII, 1901). ANN. SCIBNCE AGRON. — 2° SÉRIE, — 1902-1903. — ri. 18 274 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. excédent de matière azotée. Laissant même de côté le mauvais effet sur la santé de tous les produits de combustion incomplète, auxquels conduit forcément l’utilisation de l’albumine, nous ne pouvons en effet oublier que la combustibilité de ce principe est aussi médiocre que celle des corps gras. Mais alors que la graisse, d’après le tableau précédent, compense ce défaut de qualité par un coefficient élevé d'utilisation physiologique (90,40), la viande est l'aliment qui, au point de vue énergétique, laisse le plus grand déchet. Sur 100 calo- ries qu’elle apporte, l'organisme n’en utilise guère que 75 environ, et cela non seulement chez l’homme omnivore, mais même chez les carnivores comme le chien. Les chiffres de Rubner nous confirment, par contre, la haute valeur dynamique des hydrocarbonés, et c’est pour cela que nous ne pouvions nous dispenser de les citer. Lorsque la matière sucrée se trouve condensée à l’état de celluloses plus ou moins saccharifiables, elle échappe sans doute en partie chez l’homme au travail de la digestion et, ne pouvant être absorbée, passe dans les excréments ; il n’y a donc nullement lieu de s’étonner que l'effet utile du pain complet de seigle, riche en ligneux non digestible, n’atteigne qu'un taux assez bas (73,5) et voisin du coefficient de la viande. Mais lorsque la digestibilité des hydrates de carbone est totale comme celle de l’amidon de la pomme de terre, dont il est assez rare de constater la présence dans les fèces, l’utilisation de l’aliment atteint son maximum (92,1). Le rapprochement des chiffres de Rubner parle sans restriction aucune en faveur des hydrates de carbone en géné- ral. Il ne contient malheureusement pas de renseignements sur la va- leur physiologique spéciale du sucre, celui entre tous les hydrocar- bonés de digestibilité complète que nous voulons, pour ainsi dire, réhabiliter ici, afin d’en rendre l’usage aussi courant que possible. Mais il va nous être facile de suppléer à cette lacune en raisonnant, au sujet du sucre, d’après ce que Rubner vient de nous apprendre sur la fécule de pomme de terre. L'effet physiologique utile de ce der- nier aliment est de 92,1 p. 100. Cela porte à 7,9 p. 100 le nombre des calories apportées qui, libérées au cours de l'assimilation, ne seront pas directement utiles à l’organisme. Voyons quelles sont les fonc- tions ou les divers phénomènes susceptibles d’occasionner ce déchet. Le travail de la digestion commence par la préhension, la mastica- GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 279 tion buccale, l’insalivation et la déglutition de l'aliment. Ces actes . consomment de l’énergie, mais en quelle quantité ? Zuntz et Lehmann s’en rendirent compte en suivant les échanges respiratoires du che- val au repos, puis lorsqu'il mangeait. Le repas était cause d’un supplément de consommation d'oxygène et d’exhalation d’acide car- bonique. Des chiffres fournis par l’analyse des gaz de la respiration, il résulta que 10 p. 100 du potentiel du foin et 4 p. 100 seulement de celui de l’avoine, aliment assez riche en amidon, étaient dépensés par la mastication et la déglutition. La perte d’énergie est certaine- ment moindre lorsque l’on ingère de la pomme de terre, autrement plus facile à mâcher et à digérer que l’avoine. Quant au sucre qui se «croque » avec d'autant moins de peine que la salive le dissout de suite, sa valeur calorifique, à son entrée dans l’estomac, ne sera que. fort peu amoindrie. Devons-nous en conclure que le travail de la digestion consécutif à l’ingestion de sucre est absolument négligeable ? La physiologie ne nous y autorise pas. Lœæwv, en introduisant dans le tube digestif des substances inertes et nullement alimentaires, a constaté que l’excita- tion seule qu’elles produisaient sur les paroïs de l'intestin avait tou- jours pour résultat d’accroître le bilan des échanges nutritifs. Pen- dant la période des sécrétions salivaires, gastriques et pancréatiques, c’est-à-dire souvent bien avant le début de l'absorption digestive, il y à toujours en effet plus d'oxygène consommé. Le fait, nous l’avons déjà dit au cours de ce chapitre, a même été exploité au profit de la théorie qui soutient, bien à tort, que l’organisme gaspille l’énergie lorsque les repas lui fournissent des aliments en abondance. Si le sucre était directement introduit dans les vaisseaux, il n’y aurait très probablement pas exagération de la consommation énergétique, mais lorsqu'il passe par le tube digestif, par suite tout d’abord de son action gustative et condimentaire, il se produit certainement une sécrétion gastrique et intestinale énergique que l’action directe de l'aliment sur les muqueuses digestives doit prolonger tant que l’ab- sorption n’est pas complète. Or, s’il faut en croire les expériences de M. Chauveau sur la parotide du cheval, les réactions chimiques aug- mentent avec l’état d'activité de la glande, preuve certaine que les sécrétions consomment de l’énergie. Malgré cela, nous sommes auto- 276 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. risés à admettre que l’influence exercée par la digestion et l’interver- sion intestinale du sucre n’occasionnera qu’une inutilisation très minime des calories contenues dans cet aliment. Comme autre cause importante de perte d'énergie subie par l’amidon depuis son ingestion jusqu'à son passage dans le sang, il faut citer l’action des microbes. Au cours de leur digestion, les hydrocarbonés fermentent, dans l'intestin particulièrement, sous l’in- fluence des microbes qui, introduits de l'extérieur, y pullulent. Tap- peiner même a montré que la cellulose n’était alimentaire pour les herbivores qu'après avoir subi des métamorphoses fort compliquées, dues exclusivement aux ferments figurés. Les infiniment petits ont ainsi à un certain point de vue une action bienfaisante, mais d’un “autre côté comme ils ont besoin d'énergie pour vivre, ils n’opèrent ces transformations que pour en profiter. C’est pour cela qu'ils dé- composent les hydrocarbonés et plus particulièrement les sucres en hydrogène, en acide carbonique, en hydrogène sulfuré, en méthane ou gaz des marais (hydrogène carboné), en acides organiques (lac- tique, butyrique, acétique, propionique, succinique) et quelquefois en alcools divers. Si l’on songe que tous ces dédoublements ne libè- rent que peu d'énergie, on voit que les microbes sont obligés, pour satisfaire à leurs besoins, d'agir, chacun à sa façon, sur des quan- dités considérables de matière perdues désormais pour l’organisme animal. Parmi ces résidus de fermentation, il en est un certain nombre, comme les gaz, éliminés par animal avec ses fèces, qui ne sont que des corps saturés, Imertes, et incapables de constituer une source d'énergie. Quant aux composés solubles à fonction acide ou alcoolique que nous avons nommés, ils subissent l’absorption et pénètrent dans le sang ; Speck, de Mering et Zuntz, Mallèvre, avec expériences à l'appui, affirment qu’ils sont ensuite réellement brûlés, mais ceci ne doit pas nous faire oublier que leur valeur calorifique s'élève à peine à la moitié de celle des hydrates de carbone d’où ils proviennent. Les microbes sont done en résumé des parasites coû- teux, car ils dépensent pour leur compte personnel, au détriment de l'organisme, une notable partie de l'énergie des aliments sucrés. Kellner a trouvé, par exemple, que chez le bœuf plus de 10 p.100 du potentiel de la fécule ou de l’amidon est consommé rien que par la GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 211 formation de méthane dans la panse. Le déchet serait-il encore plus fort pour le sucre, l’aliment préféré des microbes ? La rapidité et la facilité, si grandes nous le savons, avec lesquelles cet aliment tra- verse les parois de l'intestin et pénètre dans le sang nous laissent une entière sécurité à ce sujet. Le sucre ne demeure que très peu de temps dans le tube digestif; il échappera alors presque entièrement aux fermentations intestinales et en tout cas bien plus facilement que les autres hydrates de carbone dont la solubilisation, la saccha- rification, la digestion en un mot, sont difficiles et exigent un séjour assez prolongé dans l'intestin. Aussi Kellner a-t-il pu parfois constater que la mélasse, et par conséquent le sucre qu’elle contient (0 p. 100), ne donne pas lieu dans la panse du bœuf à la même formation de méthane. L'analyse des divers phénomènes suscep- tibles de diminuer la valeur dynamique du sucre, avant son absorp- tion, nous laisse en résumé l'impression que, au moment où cet ali- ment pénètre dans l’économie, le travail digestif n'a que fort peu entamé La somme d'énergie qu'il contenait avant son ingestion. Continuons à suivre ce que devient l'énergie du sucre après sa diffusion dans le sang. Par suite du mouvement nutritif, le glucose et le lévulose, issus de son dédoublement, subissent certainement dans l’organisme de multiples transformations. D’un côté, l’assimila- tion sait les utiliser comme matériaux de construction et en faire des réserves. La désassimilation d’autre part les détruit, soit de suite, soit après leur mise en réserve, pour satisfaire aux dépenses d'entretien. Les opérations de construction, transmutation du glucose et du lévulose en glycogène ou en graisse, nécessitent toujours un certain travail ; elles empruntent alors très probablement du potentiel à une réaction inverse, c’est-à-dire à la destruction d’une certaine quan- tité de matière organique, à moins cependant qu’elles ne soient l’œu- vre des ferments diastasiques. Ceux-ci dégagent de énergie plutôt qu'ils n’en consomment. Le bilan exact des pertes inhérentes à la 1. Malgré cela, s’il faut en croire les dernières recherches de Kellner, certains ani- maux, ainsi que nous le disions dans une note précédente, n'utilisent qu'imparfai- tement le sucre pur. Ce dernier, malgré la rapidité de son absorption, subil certai- nement une fermentation très active dans la panse des ruminants. Il en est autrement chez l'homme et, parmi les animaux, chez le cheval, le porc, ete. 278 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. transformation du sucre en réserves et en tissu vivant est, on le conçoit, fort difficile à établir ; voici cependant quelques données numériques bien faites pour fixer nos idées sur la part de l’énergie totale des divers aliments utilisée par l'animal, soit pour son entretien, soit pour son croit, c’est-à-dire pour la formation de sa chair et de sa graisse. Les chiffres que nous citons sont empruntés au volumi- neux mémoire où Kellner rend compte des expériences poursuivies de 1895 à 1899 à la station agronomique de Môckern sur les échanges matériels et dynamiques du bœuf”. Le tableau ci-dessous concerne le bœuf à l'entretien, c’est-à-dire dont le poids vif est constant : Nombre de calories utilisées par l'entretien sur 100 fournies à l'animal. EFFET physiologique utile. Huile araChiTe PEER 100,0 p. 100. MÉLASS ETES PAM ES es UeUR 95,1 — ADO RES ALU rE Lee MEL Ses 89,9 — GellaloSeypnre SRE 86,0 — Gluten (matière azotée pure d'ori- gine Wégétale) Nora URSS, 80,7 — Nous y joignons les chiffres, également donnés par Kellner, qui nous indiquent l’utilisation physiologique, pour le bœuf à l’engrais, des mêmes substances alimentaires : RÉPARTITION DE L'ÉNERGIE ans contenue dans la substance organique SR digérée et absorbée.’ physiologique | ar utile. PERTES. = ALIMENT. ÉTAPE Énergie Dans les Total récouvrée urines et par par le formation croît. de méthane. p. 100. p. 100. p. 100. p. 100, | Huile d'arachide . . . . 43,7 : . MES Li Rat se 39,1 Cellulose pure . . . . . 31,7 Amon: RH Au dns 36,9 CUTED EE END PANNE 44,2 Fonctions des diverses. pertes 1. D° 0. Kellner, Untersuchungen ù. d. Slofÿ- und Energie-Umsatz d. erwachse- nen Rindes. Librairie Paul Parey, Berlin, 1900. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 219 Le rapprochement des chiffres particuliers à la mélasse”, fort riche en sucre comme nous l'avons dit, et des autres données nous démon- tre, sans plus d'explications, que le sucre est l'un des aliments dont l'énergie est le micux utilisée par l'animal, el cela aussi bien pour son entretien que pour la production du croit. Pour terminer, envisageons maintenant les effets du sucre lorsqu'il est appelé à jouer un rôle énergétique ou thermogénique immédiat. Nous savons que c’est en brülant le glucose et le lévulose, en les- quels cet aliment se décompose, que l'organisme libère de l'énergie sous forme de chaleur ou de travail musculaire et mécanique. On enseigne avec raison que ces sucres disparaissent par oxydation, c’est-à-dire après leur transformation finale en acide carbonique et en eau. Mais cette combustion, nous le savons, n’est pas brusque et instantanée comme dans la bombe ca'orimétrique. Les sucres sont au préalable transformés, et ce n’est seulement que sur les produits de leur dédoublement qu’agit, par l'intermédiaire des oxydases, l’oxy- gène fixé sur l’hémozlobine. Les transformations de laliment sucré, antérieures à la fin de son oxydation, ne seraient-elles pas une cause de perte d'énergie? Voilà ce dont il est intéressant de s’assurer. MM. Bach et Battelh*® ont étudié tout récemment les mutations que l'organisme fait subir au glucose pour mettre en liberté l'énergie potentielle de cet aliment physiologique. Leur théorie est loin d’être classique; peut-être est-elle même en contradiction avec les idées généralement admises, mais elle repose néanmoins sur des bases assez sérieuses pour être prise en considération. Suivant ces auteurs, la dégradation des hydrocarbonés se ferait grâce à l’action alternante de deux sortes de ferments. Les uns ne produiraient que des dédou- blements aboutissant, entre autres termes constants, à l’acide car- bonique, et laisseraient comme résidus des substances facilement oxydables que les autres se chargeraient d’oxyder en produisant de l’eau. L’acide carbonique ne résulterait, d’après cette doctrine, que 1. Pour les ruminants, toujours d'après les travaux les plus récents de Kellner, la mélasse est supérieure au sucre : { kilogr. de substance organique de la mélasse (sucre et non-sucre ternaire réunis et abstraction faite de la matière azolée) fournit 207 grammes de graisse, alors que le kilogramme de sucre pur n'en produit que 188 grammes. 2. Bach et Battelli, Comptes rendus, 1903. n° 22, p. 1351. 280 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. de dédoublements et non d’oxydations, et l’oxygène se porterait sur l'hydrogène et non pas sur le carbone, que l’on considère volontiers cependant comme l'élément combustible par excellence. Il en résul- terait que la plus grande partie de l'énergie serait ainsi libérée par l'oxydation directe de l'hydrogène sous l'influence de l'oxygène du sang. Voici quelles seraient les différentes phases de la dégradation du glucose : celui-ci serait dédoublé en acide lactique, puis en alcool et en acide carbonique grâce à ces deux diastases spéciales, décou- vertes dans les tissus animaux par Stoklasa et Cerny et susceptibles de produire, l’une la fermentation alcoolique, l’autre la fermentation lactique. L'alcool naissant serait ensuite aussitôt oxydé et deviendrait de l'acide acétique, lequel serait à son tour dédoublé en méthane et en acide carbonique. Le méthane oxydé fournirait de l’acide for- mique, dont l'acide carbonique et l'hydrogène sont des produits normaux de dédoublement. Finalement lhydrogène se combinerait avec l’oxygène pour donner de l’eau. « Ces corps, ainsi que le re- marquent MM. Bach et Batelli, se trouvent en plus ou moins grande quantité dans l'organisme et d’une manière générale toutes ces réac- tions peuvent être accomplies par des diastases. » Ce qui, dans cette théorie, va peut-être effrayer, sinon faire réfléchir certains physiolo- oistes, c’est la présence de l'alcool parmi les termes auxquels abou- irait cette dégradation hypothétique du sucre physiologique du sang. L'alcool est un poison ! Comment admettre alors qu’à l’état normal l'organisme, par cela même qu’il consomme continuellement du glucose, ne soit pour ainsi dire pas constamment imprégné d’alcool ? Cela se remarquerait ; bien plus, l’odorat seul permettrait de s’en apercevoir. Mais le premier étonnement disparaît assez vite, si l’on veut bien se donner la peine de distinguer l'alcool naissant, issu de la fermentation intra-organique du glucose, se transformant immé- diatement par oxydation et par conséquent incapable de se répandre et de porter le trouble, de l'alcool des boissons qui, lui, pénètre subi- tement dans le sang et, ne pouvant, comme le sucre par exemple, re- vêtir momentanément tout au moins une forme de réserve, se trouve ainsi à la disposition de l’organisme et en trop grand excès pour pouvoir être brûlé rapidement. Quoi qu'il en soit, voyons rapide- ment ce qui va se passer au point de vue thermochimique en admet- GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 281 tant que le glucose subit dans les capillaires des tissus une dégra- dation progressive analogue à celle que nous venons d'exposer. La formation à ses dépens d’alcool et d’acide lactique se fait théori- quement avec dégagement de chaleur, mais les calories ainsi mises en liberté seront à très peu de chose près absorbées par les dédou- blements qui aboutissent à la formation de méthane et d'hydrogène. Il n’y a de ce fait ni dégagement ni absorption d'énergie. Quant aux oxydations successives de l'alcool, du méthane et de l'hydrogène, les données thermo-chimiques classiques nous montrent qu’elles déga- gent exactement le même nombre de calories que la combustion totale du glucose. Nous sommes ainsi amenés à reconnaitre, et le fait a une grande importance pratique, que l'énergie inhérente aux hexoses répandus en excès dans le sang, conséculivement à l’ingestion et à l'absorp- lion d’une dose assez massive de sucre, sera intégralement libérée au profit de l'organisme lorsque celui-ci les utilisera immédiate- ment pour salisfaire au surcroit de dépenses occasionnées par le travail musculaire. C’est en se basant au fond sur cette idée que M. Chauveau propose de substituer aux vues de Rubner, comme étant plus rationnelle, sa théorie des poids isoglycosiques *. Le glu- cose, dit-il en substance, étant l’aliment nécessaire et exclusif'de la force musculaire, le seul qui intervienne au cours de sa production, l’énergie seule contenue dans ce principe intéresse la physiologie de la nutrition. Toute la partie du potentiel d’un aliment que l’orga- nisme utilise en vue de transformer cet aliment en glucose ne doit pas en effet rentrer en ligne de compte. C’est un déchet définitive- ment perdu pour le muscle. Les quantités des diverses substances, équivalentes au point de vue du travail musculaire, ne sont donc pas isodynames ou susceptibles de libérer par combustion le même nombre de calories, mais bien isoglycosiques, autrement dit, capa- bles de fournir à l'économie le même poids de glucose. La thèse de M. Chauveau ne fait en réalité que compléter la théorie de Rubner. Ce dermier se borne à constaler que la notion des poids isodyna- 1. Chauveau, Comples rendus, 1897, t. Il, p. 1070 ; 1898, t. I, p. 795, 1072, 1119. 282 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. miques n’est vraie qu'autant que l’on tient compte de la portion d’éner- gie non utilisée ; M. Chauveau indique le moyen de calculer 4 priori ce déchet et voici comment. En résolvant par l'algèbre, car ses chiffres ne reposent sur aucune détermination expérimentale, les équations de la transformation en glucose des divers principes alimentaires, M. Chauveau calcule les rendements suivants : GLUCOSE. 100 grammes de graisse fournissent . . . . . . 16157,0 100 — d'amidon fournissent. . . . . . . 110 ,0 100 — de sucre de canne fournissent . . . 105 ,0 100 — d'albumine fournissent . : . . . . 80 ,0 puis, à l’aide de ces chiffres, 1l établit les poids isoglycosiques des mêmes substances, en regard desquels se trouvent placés, pour la comparaison, dans le tableau suivant, les poids isodynamiques de Rubner : POIDS 2 isodynamiques. isoglycosiques. GRAISSE SN MR TE 100 100 ANIOONS EMEA TT De 229 146 SUCER RENTE Nr 235 153 AIDUMINE EP CNE. 235 201 GIRCOSE REMPARTS 20) 161 Les valeurs sont très différentes dans les deux colonnes et l’on n’est pas sans remarquer qu’il est plus avantageux d’opérer les substitu- tions en partant des équivalents glycosiques qu’en se conformant aux équivalents thermiques. Si l’on ne considère que la production du glucose dans l’écono- mie, la chose semble toute naturelle. Il est évident qu'à valeurs énergétiques égales, l’aliment qui apporte le sucre tout formé vaut largement celui qu'il faut transformer et « cuisiner », peut-on dire, pour en faire de la matière sucrée. Les mutations chimiques se sol- dent en effet presque toujours par une dépense d’énergie. Consultons le foie dont le rôle est capital lors de la transformation des hydro- carbonés, des albuminoïdes et peut-être des graisses en glucose. Get organe étant chargé d'élaborer le sucre, le combustible le plus em- ployé par l'organisme, il est naturel que son importance soit propor- tionnée d’un côté à celle des tissus qui brûlent ce sucre, et qu’elle GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 283 dépende d’un autre côté des difficultés mhérentes à la production de ce charbon physiologique. Effectivement, il y a chez l’animal un rap- port constant entre le volume de son foie et l’étendue de sa surface cutanée par où les deux tiers des calories dépensées par l'organisme rayonnent ct se perdent ; de plus, on remarque que la nature de l’ali- mentation est l’une des causes les plus importantes des variations de poids du même organe ‘. C’est toujours avec l’alimentation animale ou azotée que l’on constate la plus forte proportion de foie par kilo- gramme de poids vif (52,8 de foie par kilogramme de chien; 55 grammes par kilogramme de hérisson). A l'alimentation végé- tale, et principalement à l'alimentation par les graines, riches en amidon, correspond au contraire la proportion la plus faible (de 37 à 58 grammes de foie par kilogramme de lapins nourris avec de l'herbe — de 28 à 31 grammes chez les granivores comme le poulet et le pigeon). Ces chiffres nous démontrent que dans le foie envisagé en tant que laboratoire nutritif, 1l y a, pour exécuter le travail, un personnel de cellules actives, d’autant moins nombreux que l'organe reçoit de l’intestin plus de sucre en nature. Preuves expérimentales de la valeur nutritive du sucre. Ce sont là des faits qui laissent prévoir la loi de l’équivalence glycosique; en voici de nouveaux qui, suivant M. Chauveau, permet- tent d’en vérifier exactitude. Pour éprouver expérimentalement les deux théories en présence, celle de Rubner et la sienne, M. Chauveau se base sur ce que les substitutions faites en partant des poids isogly- cosiques, assurent seules l’invariabilité de poids des sujets d’expé- rience. La preuve est-elle impeccable? On objecte à la méthode qu'équilibre de poids n'est pas synonyme d'équilibre nutritif, que l’organisme ne retient pas toujours en outre les mêmes quantités d’eau. Mais la critique est loin d’enlever toute signification aux expé- riences de M. Chauveau. Nous allons voir qu’elles nous révèlent avec une très grande netteté l’aptitude bien spéciale du sucre à remplir le rôle d’un aliment parfait, et c’est pour cette raison qu’elles ont tout naturellement leur place à la fin de ce chapitre. 1. Maurel, Comptes rendus, 1902, t. Il, p. 1002; 1903, t. I, p. 310. 284 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. La chienne d'expérience recevait une ration fondamentale de 500 grammes de viande, capable de l’entretenir, pendant le repos, DOS 5 5 5 5 ë 5 RATIONS © © e) a O 2 +. e) complémentaires + — SN = S = _ Gr do G 5 Grise Su. Gr. ts Se RE PE | ” AT ent Ne _ “li HAUT AD NUE 600 ALL De | 500 | 4) LUE | | os LEE F1G. 15. en équilibre nutritif. Le sucre ou la graisse constituaient la ration complémentaire chargée d'alimenter le travail demandé à l'animal. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 285 Le sujet ne faisait qu’un seul repas le matin, et lorsqu'il était en pleine digestion, et toujours à la même heure après le repas, on l’obligeait à marcher au trot allongé à l’intérieur d’une roue, ac- tionnée par un moteur et munie d’un compteur permettant la mesure du travail. Inutile de dire que la chienne était parfaitement dressée et entraînée à ce genre d'exercice. Dans les deux séries d’expériences (A et B) auxquelles se rapporte le graphique ci-contre (fig. 15), le sucre et la graisse étaient administrés alternativement. On voit que Panimal conserve un poids stationnaire. durant les périodes de cinq jours où 1l reçoit 110 grammes de graisse sous forme de saindoux. Cet aliment n'apporte donc aux muscles en activité que l’énergie strictement nécessaire à l'exécution des travaux intérieurs accomplis par les divers organes. Lorsque l’on remplace le saindoux par 200 grammes de sucre, bien que l'énergie potentielle contenue dans cette nouvelle ration complémentaire soit bien inférieure à celle des 110 grammes de graisse, l'animal augmente de poids; l’apport dépasse par conséquent les exigences de l’organisme. Dans la série d’expé- riences B, la dose journalière de sucre étant réduite à 168 grammes, le poids oscille autour de la même movenne. Cela signifie que l'animal retire un bénéfice égal de 110 grammes de graisse et de 168 grammes de sucre, bien que cette dernière ration ait une valeur énergétique moindre. La supériorité du sucre sur la graisse est de toute évidence. Elle se manifeste toujours et en toute circonstance, conclut M. Chau- veau à la suite de nouvelles expériences, aussi bien chez le sujet qui travaille que chez le sujet au repos, mais surtout lorsque l’organisme épuisé édifie des tissus nouveaux et reconstitue ses éléments anato- miques. La valeur nutrilive du sucre résulle en effet non seulement de son aptitude à fournir de l'énergie direclement et immédiatement uli- hsable,mais aussi de l'influence indirecte qu'il exerce sur l'assimila- hon des autres principes alimentaires pris concurremment, ainsi que sur le processus de la désassimilation. Nous l'avons démontré en mettant en lumière le rôle d'épargne si accentué que joue le sucre. M. Chauveau a comparé de même le sucre à la viande crue, Pali- ment albuminoide par excellence, et à l’amidon, celui des hydrocar- bonés qui entre le plus couramment dans la constitution des rations. Le graphique suivant (fig. 16) nous montre l'aptitude respective de 286 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE, 16 9 R aons & le D & à 36 0SZ 9puerl S) PUEIA (@ a 1S SI Ra | | | F1G. 16. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 287 ces divers principes à entretenir le sujet pendant le travail. La ration fondamentale était toujours de 500 grammes de viande. Chacune des trois rations complémentaires indiquées était donnée pendant cinq Jours consécutifs. Dans les trois cas, l'identité du travail fut presque absolue. Les courbes supérieures sont celles des poids du sujet après le repas, les courbes pointillées celles des poids sept heures et demie après le travail. Les courbes pleines, les plus intéressantes, donnent les poids dix-neuf heures et demie après le travail. Les ordonnées renforcées indiquent enfin les pertes de poids subies pendant le tra- vail. Sans autres commentaires, on voit que l’animal s’est à peu près aussi bien entretenu avec chacune des trois rations complémentaires, mais que le sucre semble cependant avoir une légère supériorité sur Pamidon et sur la viande. Or, pour remplacer 750 grammes de viande, lanimal n'ingérait que 176 grammes de sucre ! EU maintenant que nous sommes fixés sur la valeur nutritive du sucre, nous pouvons et nous devons conclure, avec M. Chauveau et M. Grandeau, que les pouvoirs publics et les consommateurs n’ont nullement raison de traiter le sucre comme un aliment de luxe et qu'il conviendrait, au contraire, de le mettre à la portée de toutes les bourses et d’en étendre considérablement l’usage. Tous ceux qui se seront bien pénétrés des faits et des idées que nous venons d’accumuler dans ce chapitre sentiront de suite ce qu'il y a d’irra- tionnel dans les mesures fiscales et les préjugés qui tendent à res- treindre la consommation du sucre. (A suivre.) SUR LE ROLE DES FORÉÊTS AU POINT DE VUE DES SERVICES INDIRECTS Par HENRY LAFOSSE INSPECTEUR DES EAUX ET FORÊTS Mille brælerea sunt usus earum sine quis vita degi non possil. (PraNE.) Les forêts ne sont pas précieuses seulement par le bois, les écorces, les résines et les autres produits qu’elles nous donnent; elles jouent dans la grande harmonie des forces de la nature un rôle des plus importants et des plus utiles. C’est de ce rôle des forêts, envisagées au point de vue des services indirects, de ceux qui ne peuvent être évalués en argent, que nous voulons parler. On à beaucoup disserté sur les services indirects des forêts; on discutera sans doute encore beaucoup sur ce sujet et nous n’avons pas la prétention de faire la lumière sur cette question si complexe ; nous nous bornerons à exposer, à grands traits, l’état actuel des con- naissances en cette matière. Parmi les problèmes variés qui se posent, dans l’ordre d'idées où nous nous plaçons, nous devons examiner l’action des grandes masses boisées sur le climat, sur le régime des eaux, sur le maintien des terres sur les pentes, sur la salubrité publique, ete., etc. Voyons d’abord quelle peut être l’action des forêts sur le climat : Le climat, d’après la définition de notre illustre maître Parade, RÔLE DES FORÈTS AU POINT DE VUE DES SERVICES INDIRECTS. 289 est l’état de l'atmosphère d'un lieu donné du globe, eu égard à sa température, à son degré d'humidité et aux courants qui s’y agitent. On considère la température comme étant la caractéristique du climat; viennent ensuite, parmi les autres éléments qui le cons- tituent, la répartition des pluies, le degré d'humidité de Pair, lim- tensité de la lumière, les vents dominants, les orages, l'électricité atmosphérique, etc. La température moyenne de l’ensemble du globe ne paraît pas avoir varié d’une manière sensible pendant les temps historiques. Les divers arguments que l’on invoque à l'appui de prétendues modifications ne sont que des témoignages ou des opinions et n’ont pour base aucune observation scientifique rigoureuse. D’ailleurs, ils se contredisent, puisque les uns concluent à un refr oidissement, les autres à un réchauffement. On dit que le Groenland se refroidit. Ses glaciers sont en effet en progression et envahissent l’étroite bande côtière de l’ouest. « Mais, selon Nordenskjôld, il ne doit pas y avoir bien longtemps que la surface de cette bande a été abandonnée par la glace, car aucun des petits lacs du Groenland septentrional n’a encore été comblé par de la tourbe, même sur 1 mètre d'épaisseur ; et pourtant le climat de la contrée est éminemment favorable au développement des mousses tourbeuses’. » Il parait donc y avoir au Groenland un phénomène d’oscillation dans l’extension des glaciers, analogue à ceux que l’on remarque dans d’autres régions, et qui n’est Pi l'indice d’un refroidissement permanent du climat. On a invoqué comme preuve des modifications survenues dans le climat de certaines contrées, le recul de l'habitat de quelques plantes cultivées. C’est un argument sans valeur. Une plante cultivée n’est pas identique à elle-mème pendant plusieurs siècles successifs ; il se produit constamment dans les cultures des variétés, soit plus déli- cates, soit plus robustes, qui se substituent au type primitif. Il n’est nullement certain que les plantes que nous cultivons actuellement ont exactement les mêmes exigences climatologiques que celles qui portaient les mêmes noms au moyen âge. Nous avons vu et nous 1. De Lapparent, Trailé de géologie. ANN. SCIENCE AGRON. — 2° SÉRIE. — 1902-1903. — 11, 19 290 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. voyons encore disparaitre des plantes cultivées sans que le climat y soit pour rien. La vigne française a été, dans les trente dernières années, détruite par le phylloxéra et remplacée par une vigne amé- ricaine. Le châtaignier est en voie de disparition ; dans deux ou trois siècles, on prétendra peut-être que c’est en raison d’un changement de climat. L’abandon de certaines cultures se rattache très souvent aussi à des causes économiques. La culture de la vigne a cessé d’être rémunératrice dans les portions septentrionales de sa zone d’exten- sion depuis que l’abaissement du prix des transports permet d’y vendre à très bon marché les vins de la région méditerranéenne. Si certains prétendent que nos climats se sont refroidis, d’autres soutiennent qu'ils se sont adoucis. Ils s’appuient sur le témoignage des historiens latins qui décrivent la Gaule comme un pays froid. Mais il est évident que ceux-ci jugeaient le climat de la Gaule par comparaison avec celui de l’ftalie. En examinant les causes qui auraient pu faire varier la température moyenne dans le court laps de temps qu’embrassent les archives de l'humanité, on n’en voit que deux : 1° Le refroidissement du globe ; 2° D'importants événements géologiques qui auraient modifié la répartition des mers et des continents ou changé notablement les altitudes. On a calculé qu'à l’époque actuelle la chaleur émanant de l’inté- rieur du globe et traversant son écorce ne contribue que pour un trentième de degré à peine à l'entretien de la température extérieure et que la chaleur intérieure ne diminue que de 57 OUU de degré par siècle. Il s’ensuit que, depuis quatre mille ans, le refroidissement de la terre par la perte de la chaleur centrale a été msensible. Pendant cette même période de quarante siècles, on n’a signalé aucun événement géologique important. Les mers et les continents ont, à peu de chose près, conservé leurs emplacements et les mou- vements du sol, surélevant ou abaissant certaines régions, ont été peu considérables. L’émersion progressive du nord de la péninsule scandinave, que l’on cite souvent comme exemple, n’a été que de 0",915 de 1730 à 1849, soit de 0",77 par siècle. RÔLE DES FORÊTS AU POINT DE VUE DES SERVICES INDIRECTS. 291 Nous ne parlons pas de l’effet produit par le phénomène de la précession des équinoxes. Il doit être extrèmement lent, puisque la période de la précession totale est de vingt et un mille ans, et d’ailleurs il n’est pas généralement admis que ce phénomène puisse avoir toutes les conséquences qui lui ont été attribuées. En résumé, il semble que, si la température moyenne du globe a subi des variations dans les temps chronologiques, elles ont été trés faibles. Toutes les théories que l’on à formulées au sujet de l’in- fluence des forêts sur cette température moyenne peuvent donc être négligées. Si les forêts n’exercent aucune action sensible sur le climat général, leur influence, au point de vue local, sur la température est aujour- d’hui bien établie. Il nous est agréable d’avoir à constater que les démonstrations faites à ce sujet reviennent à des forestiers. C’est, en effet, au commencement de l’année 1866, à la suite de l'appel lancé par le maréchal Vaillant à Vallès dans une lettre bien connue, que notre vénéré maître Mathieu entreprit des recherches à l’École forestière de Nancy. Poursuivies et rappelées par nos collègues MM. Bartet, Claudot, de Bouville, etc., ces observations ont démontré que le climat des forêts est plus froid que celui des terrains non boisés. Les recherches postérieures faites en Allemagne ont abouti aux mêmes constatations. Pour les journées les plus chaudes, il y a entre la température sous bois et celle hors bois un écart d’environ 3 degrés. Cette action réfrigérante des forêts ne se fait pas sentir seulement dans l’intérieur des massifs, elle s’exerce dans l’atmosphère jusqu’à 1 500 mètres de hauteur. Le fait a été constaté par les aéronautes ; en passant au- dessus des forêts, ils ont éprouvé à maintes reprises un refroidissement marqué, entraînant le ballon dans une brusque descente. Ce refroi- dissement est dû à la puissance de transpiration des forêts. Les arbres pendant la période active de végétation aspirent du sol, pour la rejeter ensuite dans l'air, une quantité d’eau considérable. Cette énorme évaporation ne peut se faire qu’en empruntant à l’atmosphère une grande quantité de chaleur et il en résulte un abaissement important de la température. Le travail de la végétation est aussi, mais dans une moindre mesure, une cause de refroidissement. Les 292 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. réactions chimiques qui se produisent dans la chlorophylle pour dé- composer l'acide carbonique de Pair, ne s’accomplissent pas sans enlever à latmosphère un nombre appréciable de calories. Le car- bone accumulé dans les tissus ligneux n’est donc, en somme, que de la chaleur solaire emmagasinée que la combustion saura faire re- naitre. A l'inverse de ce que l’on constate pour les Journées chaudes, il fait moins froid dans l’intérieur des forêts que hors bois quand la température est basse. Pour les jours les plus froids, la différence atteint 1 degré. Gette action réchauffante de la forêt, son pouvoir émissif de chaleur, disait Becquerel, est dù au rayonnement. Les arbres agissent, en la circonstance, comme tous les corps mauvais conducteurs de la chaleur. Pour l’ensemble de l’année, il y a abaissement de température ; la différence entre les températures moyennes sous bois et hors bois est d'environ À demi-degré. En résumé, les forêts abaissent la température d’une façon sen- sible pendant l'été ; elles l’élèvent un peu pendant l'hiver, et pour l’année entière leur imfluence se traduit par un abaissement d’environ 1 demi-degré de la température moyenne. En déprimant les maxima et en relevant les minima, elles exercent une action régulatrice sur le climat. Elles agissent comme le feraient les grandes masses liquides et si, comme elles, elles s’étendaient sur de très grandes surfaces, leur action sur le climat général deviendrait très appréciable. Passant à un autre élément du climat, nous allons examiner l’action des forêts sur l’état hygrométrique de l'air. Les arbres aspirent l’eau du sol à une profondeur que nul autre végétal ne peut atteimdre pour la rendre à la circulation générale. Les forêts fournissent ainsi à l'atmosphère de la vapeur d’eau d’une façon continue, et contribuent à entretenir cette couche d'humidité qui nous enveloppe et dont le rôle est si indispensable à la vie. À la suite d’observations qu'il a faites dans les massifs forestiers des environs de Senlis, notre collègue, M. Fautrat, a reconnu que l'air au-dessus des bois contient en dissolution plus de vapeur d’eau que dans la plaine et que les forêts résineuses ont sur l’état hygro- métrique une plus grande influence que les autres essences : « de RÔLE DES FORÊTS AU POINT DE VUE DES SERVICES INDIRECTS. 293 sorte, dit M. Fautrat, dans son travail sur les « Observations météo- « rologiques », que si les vapeurs dissoutes dans l’air élaient appa- rentes comme les brouillards, on verrait les forêts entourées d’un vaste écran humide, et chez les résineux, l’enveloppe serait plus tranchée que chez les bois feuillus ». Les recherches d'Ebermayer l'ont conduit à déclarer que les plantes. agricoles évaporent plus que les végétaux forestiers. M. Risler croyait que la forêt rejette trois fois moins d’eau que les plantes fourragères ; les expériences faites en Russie montrent, au contraire, que la forêt évapore plus que la végétation herbacée. M. le professeur Henry, de l’École nationale des eaux et forêts, estime ‘également que, « même en dehors de la saison de végétation, les forêts, surtout les résineuses, doivent projeter plus de vapeur que n'importe quelle culture, en raison de la ramification des cimes (et de la présence des aiguilles pour les résineux) sur lesquelles s'arrêtent, en partie notable, les précipitations ». M. Henry trouve la preuve de son opinion dans ce fait que les forêts agissent seules sur les ballons jusqu’à 1 500 mètres de hauteur ; il faut donc que leur force d’évaporation soit plus grande que celle des autres cultures. Cette puissance de transpiration est, comme nous l’avons dit, considérable; mais on n’a, à cet égard, aucune donnée précise ; d’après von Hœhnel, un peuplement de hêtres de cent quinze ans dégage, pendant la période de végétation, une quantité de vapeur d’eau qui représente une lame de 400 milli- mètres de hauteur, soit plus de la moitié de l'épaisseur de la couche d’eau qui tombe annuellement sur l’Europe centrale. M. le profes- seur Buhler, dans ses recherches sur Pinfiltration, faites à la Station centrale suisse, a reconnu que l’évaporation était égale au quart environ de la lame d’eau d’imbibition. Ses expériences ne portaient, il est vrai, que sur de jeunes plants. Quoi qu’il en soit, il est acquis que la puissance d’évaporation des végétaux forestiers est très grande : c’est à elle qu’est dû le pouvoir desséchant des arbres qui est mis si souvent à profit dans les endroits marécageux : c’est aux plantations que l’on doit, comme on sait, l'assainissement des Landes, de la Sologne, des marais Pontins, etc. Les forêts augmentent-elles humidité absolue de l'atmosphère ? On peut, à la suite des recherches faites en Allemagne et en Autriche, 294 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE, répondre par la négative : l'humidité absolue est la même hors bois que sous bois. Ce qui varie, c’est l'humidité relative ; l'atmosphère est plus refroidie au-dessus des forêts, la vapeur d’eau se trouve par suite plus près de son point de saturation, par conséquent, l'air parait plus humide. Cette action de la forêt sur l’état hygrométrique agit, comme nous allons le voir, sur la formation des pluies. La question des pluies, a dit Becquerel, est une des plus complexes de la météorologie, à raison des causes nombreuses (latitude, altitude, situation, direction des vents, etc.) qui agissent sur leur production, On comprend, par suite, que l’action des forêts ait pu, à cet égard, être très controversée. Arago, de Humboldt, Becquerel, etc., reconnaissaient aux massifs boisés une action utile pour la formation des pluies. Vallès ne partageail pas cette opinion ; il croyait, au contraire, que les forêts contribuent à diminuer la quantité d’eau de pluie annuelle; « le déboisement, disait-il, nous donne plus de pluie dans l’année, moins d’eaux torrentielles, plus de blé ». Surell ne reconnaissait aux forêts qu'un rôle très négligeable, leur action devait, d’après lui, être reléguée parmi les infiniment petits de la météorologie. La question est aujourd'hui entièrement éclaircie : les forêts favorisent la production des pluies. C’est Mathieu qui, le premier, l’a établi expérimentalement. A la suite de ses recherches dans les forêts voisines de Nancy, notre savant Maître a pu établir, d’une façon indiscutable, que la couche de pluie recueillie en forêt est plus haute de 15 centimètres que celle obtenue en dehors des massifs. Ainsi donc, en Lorraine, où la lame pluviale est de 600 millimètres, la pluie tombe, en quantité, un quart en plus sur les forêts que hors bois. Les recherches d’Ebermayer, en Bavière ; de Blanford, aux Indes; et celles des savants russes, MM. Ototzky, Vynotzky, etc., n'ont lait que confirmer les expériences de Mathieu. En Amérique, on a reconnu également qu’à mesure que les déboisements s’avançaient, la zone des pluies s’éloignait sur les campagnes voisines. Comment agit la forêt sur les pluies ? Les précipitations atmosphériques proviennent, comme on sait, du refroidissement brusque d’une masse d’air saturée de vapeur RÔLE DES FORÊTS AU POINT DE VUE DES SERVICES INDIRECTS. 299 d’eau. Le mécanisme de la pluie a donné lieu à plusieurs théories parmi lesquelles nous citerons celles de Fulton et de Babinet. La théorie de Fulton est celle du mélange. Quand deux masses d’air de température différente, portées à leur maximum de satura- tion, se mélangent, la tension de la nouvelle masse se trouve être plus grande que celle qui correspond à sa température ; une partie de la vapeur d’eau revient à l’état liquide et donne, en se conden- sant, du brouillard, de la pluie ou de la neige. Pour Babinet, la pluie est causée par le refroidissement produit par la délente. Lorsqu'un gaz se dilate, 1l absorbe de la chaleur, la détente abaisse la température ; par contre, quand il y a compression d’une masse gazeuse, 1l se produit un dégagement de chaleur; si donc une masse d’air chargée de vapeur rencontre un obstacle, elle s'élève, se détend, la pression diminue, la température s’abaisse et lorsque le point de saturation est atteint, la condensation se pro- duit. Si l’obstacle est constitué par une montagne élevée, il se forme, à la partie inférieure, du brouillard ; plus haut, des nuages, puis de la pluie, puis de la neige. D’après Becquerel, une différence d’alti- tude de 200 mètres amène une différence de température de 3° ; une hauteur de 30 mètres produit un obstacle capable d’abaisser la température de 0°,4. Les forêts peuvent donc agir dans une certaine mesure comme les reliefs du sol. Cette théorie de Babinet doit être admise dans le plus grand nombre de cas ; mais elle ne doit pas faire écarter toutes les autres causes qui, amenant un refroidissement des masses d’air, peuvent occasionner des précipitations atmosphériques. Comparons, en effet, au point de vue de la pluviosité, l’action de deux montagnes de même forme, de même allitude et de même situation, recevant les vents humides. L’une, dénudée, est surchauffée par le rayonnement de ses pentes. L’aulre, couverte de végétation forestière, se trouve refroidie par la transpiration des arbres. Quand les vents rencontrent la première montagne, ils se réchauffent, le point de saturation s'éloigne, Peffet de la détente est amoindri et la condensation peut très bien ne pas se produire. Sur l’autre montagne, au contraire, les vents subissent l’effet du refroidissement des arbres ; à cette action réfrigérante vient s'ajouter celle de la détente, le point de 296 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. saturation se rapproche et les précipitations se manifestent; ainsi donc, comme l’a dit M. Henry, « les montagnes boisées attirent les pluies ; les montagnes nues, chauves, n’ont à cet égard qu’une action très faible ; c’est ce que montrent, d’une façon frappante, les con- trées qui bordent l’Adriatique et une partie de la Méditerranée et qui sont connues pour leur sécheresse ». Toutes les forêts, même celles de plaine, exercent sur la pluie une action bienfaisante. Nous avons vu, d’après Becquerel, qu’un obstacle de 30 mètres de hauteur produit un abaissement non négli- geable de température sur les masses d’air qui s'élèvent pour les dépasser ; d’autre part, la grande exhalaison des arbres, pendant la période de végétation, occasionne un refroidissement très sensible de la couche atmosphérique qui les enveloppe, et c’est ce refroidis- sement qui, s’accusant jusqu'à 1 500 mètres de hauteur, amène la condensation et la pluie. Les forêts de plaine constituent done, comme l’a dit M. Henry, « des montagnes artificielles de 1 500 mètres de hauteur ». Actuellement, les Russes mettent à profit cette propriété des massifs boisés. Ils sillonnent de bandes de forêts les immenses plaines du Tchernozem, non seulement pour former des abris contre les vents, mais aussi et surtout pour attirer sur celte « mer de blé » le supplément de pluie qui est souvent si nécessaire à sa fécondité. Les forêts, nous venons de le voir, atürent la pluie, mais on a dit qu'elles gardaient pour elles, au détriment des autres cultures, l’eau qu’elles faisaient tomber. Ce reproche est immérité. La forêt exerce sur les précipitations atmosphériques une action qui ne s’arrête pas à son périmètre, les terres voisines en recueillent aussi le bénéfice ; elle a surtout l'avantage d’agir sur la répartition des pluies, de les rendre plus fréquentes et principalement d’en régu- lariser la distribution par saison. Ce rôle des forêts sur les pluies étant établi, voyons quelle peut être leur influence sur l’approvision- nement des réservoirs souterrains et sur le débit des sources. Par des exemples puisés dans lantiquité, on montre que les forêts contribuent à la formation des sources et au régime des cours d’eau. L’Euphrate, rapporte Strabon, roulait, au temps de la pros- périté de Babylone, un volume d’eau considérable; des travaux RÔLE DES FORËTS AU POINT DE VUE DES SERVICES INDIRECTS. 297 importants défendaient la ville contre les crues du fleuve ; de nom- breux canaux d’assainissement rejetaient loin de la grande cité les eaux que la fonte des neiges amenait près de son enceinte. Ce danger des inondations n’existe plus depuis longtemps en Babylonie et il faut en voir la cause dans les déboisements exagérés qui ont dénudé les montagnes d’Anatolie. « Depuis Sésostris jusqu’à Maho- met IF, a dit Becquerel, l’Asie-Mineure a été principalement le théâtre de guerres dévastatrices qui ont contribué à la! ruine des forêts et à la transformation des pays voisins en désert par le manque d’eau. » Par des faits qui se rattachent à notre époque, Boussingault nous a prouvé l’heureuse influence des forêts sur le régime des eaux : rappelons l’exemple connu qu’il a cité du lac de Tacarigua, au Venezuela. Ce lac s’asséchait à mesure que les déboisements s’accen- tuaient dans son bassin ; à la suite de guerres sanglantes qui déci- mérent la population, les forêts, avec la force de végétation des tropiques, reprirent bien vite leur place et l’on vit l’eau s’élever dans le Jac au-dessus de son ancien niveau et couvrir des terres autrefois cultivées. . Vallès affirmait que l’action des forêts sur le régime des eaux était nuisible : « Au point de vue du mouvement des eaux à Ja surface de la terre, a-t-il dit dans son Étude sur les inondations, la disparition des forêts a été chose utile et le reboisement ne serait qu’une nuisible opération. » Belgrand a également conclu, à la suite de ses belles recherches sur l’Hydrographie du bassin de la Seine, que les forêts avaient sur les sources une influence négative. Surell, lui non plus, ne croyait à l’action hydrologique des forêts qu’en montagne pour modérer l’écoulement des eaux et empêcher la for- mation des torrents. Mais l'opinion générale est que les forêts exercent une influence utile sur les sources ; la législation de tous les pays s’inspire de ce sentiment. Les sources sont dues, comme on sait, le plus souvent à l’infiltra- üon des eaux pluviales qui s’enfoncent dans le sol, jusqu'à ce qu’elles Soient arrêtées par une couche imperméable sur laquelle elles glissent pour venir couler à la surface du terrain. La totalité des eaux pluviales ne parvient pas dans les réservoirs 298 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. soulerrains, une partie retourne à l'atmosphère par l’évaporalion ; une autre s’écoule à la surface du terrain : c’est la perte du ruissel- lement; une partie, enfin, après saturation du sol, parvient par infiltration, à la nappe phréatique. L'alimentation des sources, toutes circonstances étant égales, dépend donc de l’évaporation, du ruissellement et de l’infiltration. Envisageons successivement ces différents facteurs. Le feuillage des arbres retient une certaine quantité des eaux atmosphériques qui sont reprises ensuile par l’évaporation ; cette quantité varie de 0,1 à 0,3 pour les bois feuillus ; elle est d’environ moitié de la tranche pluviale pour les forêts résineuses. Mais les forêts augmentent l'importance des précipitations ; il s’ensuit que le sol forestier, malgré cette sorte de parapluie que forme au-dessus de lui la cime des arbres, est aussi bien arrosé que le sol nu. D'autre part, ainsi qu’on le comprend facilement, l’évaporation sous bois est moins active qu’à l'air libre. Les expériences de Mathieu, qu'a rappelées M. Jolyet, ont établi que lorsque la couche d’eau évaporée en forêt est de 1, elle est hors bois de 2 pendant l’hiver et de # pendant la saison chaude. Quant à la puissance de lévaporation en elle-même, Marié Davy l’a évaluée, pour Paris, à la moitié de la couche annuelle de pluie. Gasparin avait trouvé que, sous le climat d'Orange, elle atteignait les 4,5 p. 100 de la hauteur de la tranche pluviale. Les forêts, qui diminuent l’évaporation, agissent aussi d’une façon utile pour les sources, en ce qui touche le ruissellement. Les eaux tombant sur des terrains dénudés, peu perméables, ne sont pas toutes absorbées par le sol; elles coulent à ia surface en formant de petits ruisselets qui vont dans les thalwegs augmenter le volume des cours d’eau, au détriment des sources. Sur les terrains boisés, au contraire, les eaux sont recueillies, comme le ferait une éponge, par les feuilles mortes et l’humus ; elles s’infiltrent dans le sol, l’imbibent jusqu’à saturation, et vont ensuite alimenter la nappe qui donne naissance aux sources. Quand les eaux pluviales se pro- duisent en abondance ou quand la fonte des neiges a lieu brusque- ment, les eaux peuvent ne pas être absorbées en totalité par le feutre de la couverture ; elles glissent alors à la surface du terrain ; RÔLE DES FORÊTS AU POINT DE VUE DES SERVICES INDIRECTS. 299 mais elles sont constamment entravées dans leur marche par le réseau des racines qui les arrêtent, comme le feraient de petits bar- rages et les forcent à pénétrer dans le sol. L’infiltration est d’ailleurs facilitée par l’action des racines qui, en divisant, en ameublissant le sol, le rendent plus perméable. En fait, le ruissellement n’existe pas sur les terrains forestiers. La perte ainsi évitée pour l’approvisionnement des sources est considérable. Les observations de M. l'ingénieur Imbeaux l’ont déter- minée exactement ; c’est une économie qui n’est pas moindre du tiers et qui peut atteindre la moitié de la hauteur de la pluie tombée. Des eaux qui pénètrent dans la terre, une fraction est retenue, jusqu’à saturation, par la couverture morte et par le sol; le reste s’infiltre jusqu’à la première couche imperméable. Les racines des végétaux vont reprendre, par aspiration, à la nappe phréatique l’eau nécessaire à leur nourriture et à leur transpiration, et c’est le sur- plus qui fôrme l'alimentation des sources. Les expériences des savants russes, jetant un jour nouveau sur la question, ont pu faire croire un instant que l’action des forêts sur les sources était plutôt nuisible qu’utile. Ces expériences, qui sont dues à MM. Vermicheff, Kramoff, Ismausky, Vyssotzky, Morosoff, Ototzky, etc., ont porté sur le pouvoir d'aspiration des arbres sur les eaux du sol. Elles ont établi que, pour les régions de plaine, la présence des forêts abaisse d’une manière très sensible, parfois de 10 mètres, le niveau de la première nappe souterraine. Le fait a été constaté en Russie, sous toutes les latitudes, même dans les forêts septentrionales; mais, dans ces régions, la forêt n’abaisse plus la nappe d’eau que de 0,50 à 1 mètre environ. M. Henry à entrepris dans la forêt de Mondon, près de Nancy, des expériences qui ont abouti aux mêmes constatations ; mais les différences qu’il a reconnues entre le niveau de la nappe phréatique hors bois et sous bois sont bien moins importantes, puisqu’elles n’oscillent qu'entre 0",15 et 0",75. Ces expériences se poursuivent encore ; en Suisse, en Allemagne, en Autriche, on en fait aussi d’analogues. Doit-on conclure des données actuelles de la question que les forêts nuisent à l’alimentation des sources ? 300 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Nous répondrons sans hésitation par la négative. La végétation, 1l est vrai, diminue la proportion des eaux superficielles et supprime les eaux stagnantes et peut-être les petites sources qui suintent dans les moindres plis de terrains, mais en revanche, en facilitant l'infiltration et en diminuant l’évaporation, elles alimentent avec abondance les nappes profondes, celles qui donnent lieu à des sources à grand débit. A la fonte des neiges, sur un terrain nu en pente, les eaux descendront rapidement dans les thalwegs. Si au con- traire le terrain est boisé, elles s’infiltreront en grande partie et, en raison même de leur abondance et de la saison, elles traverseront la région où puisent les racines sans être absorbées par la végétation et, s’enfonçant de plus en plus, aboutiront aux couches d’alimenta- tion des sources. Il en sera à peu près de même quand tomberont de fortes- pluies donnant une lame d’eau supérieure à ce que peuvent absorber les racines pendant la durée de linfiltration à travers l'épaisseur sur laquelle s’exerce leur action. D'ailleurs, ce qui importe surtout pour les sources, c’est la régu- larité de leur débit, et il n’est pas nécessaire de rappeler des exem- ples connus pour affirmer que les bois seuls peuvent l’assurer. Gardons-nous donc de conclure contre l’action des forêts dans la question des sources. Les forêts exercent une action efficace contre les vents : elles en brisent la violence, elles amoindrissent ou annulent leur pouvoir desséchant. Personne n’ignore que derrière les rideaux d’arbres ou même derrière de simples haies, des cultures s’établissent et pros- pèrent qui n'auraient pu exister sans ces abris. Cette action protec- trice s'étend à une zone qui varie de 5 à 10 fois la hauteur des arbres. D'autre part, les forêts, par l'obstacle qu’elles opposent aux vents qui soufflent près de terre, contribuent à en ralentir la marche; elles occasionnent ainsi des remous qui, se faisant sentir dans les couches d’air supérieures, peuvent amener une diversion dans les mouvements de l'atmosphère et dévenir un préservatif contre les orages. Cette influence des forêts sur les orages et notamment sur les orages de grêle n’est pas encore exactement connue. RÔLE DES FORÊTS AU POINT DE VUE DES SERVICES INDIRECTS. 301 Ce serait sortir des limites de cet exposé que de reprendre toutes les théories émises sur la formation des orages de grêle ; il n’est pas besoin de se référer aux travauxde Volta, d’Arago, de Becquerel, etc., pour affirmer que la grêle a une origine électrique ; personne n’en a Jamais douté ; aussi de tout temps l’idée est-elle venue de soutirer la « matière fulminante » pour empêcher la grêle de naître et pour lui substituer de la pluie ou du grésil inoffensif. Arago avait eu, pour cela, l’idée de lancer à de grandes hauteurs des ballons captifs qui, en permettant l’écoulement de l’électricité dans le sol, auraient déchargé les nuages orageux. Actuellement, dans le même ordre d'idées, on fait, dans différents pays et notam- ment en Italie, des expériences de tir au canon et mieux encore de fusées paragrêle contre les nuages de grêle; on cherche ainsi à provoquer dans les masses nuageuses des ébranlements violents qui, modifiant leur état moléculaire et amenant la diffusion dans l'atmosphère des éléments électriques, ont pour effet de transformer les nuages orageux en nuages ordinaires. Les nuages de grêle, comme on sait, sont de couleur cendrée ou noirâtre, à bords frangés et à protubérances irrégulières. Sous l’action des tirs ou des fusées dont nous parlons, on à vu ces nuages s’étirer dans leur longueur, passer de la couleur foncée à la teinte blanchâtre et prendre l’aspect des nuages ordinaires; à la suite de cette transformation, de la neige et non plus de la grêle s’est parfois produite en plus ou moins grande abondance. Malgré les observations des professeurs Marconi, Tamaro et Sandri, 1l semble qu’on doive se montrer encore réservé sur l'efficacité des tirs contre la grêle. Les arbres, à la façon des paratonnerres, peuvent enlever aux orages l'électricité dont ils sont chargés ; cette décharge des nuages s'explique par la différence de tension des éléments électriques. D'autre part, la puissance de transpiration des arbres se fait sentir dans l’atmosphère à une hauteur certainement plus grande que celle où se tiennent d'habitude les orages qui, en général, ne sont pas trés élevés. La colonne d’humidité lancée dans l’atmosphère permet amsi un écoulement dans le sol de la matière électrique contenue dans les nuages. Ce qui permet de donner créance à cette hypothèse, c'est que, comme l’a reconnu M. l'inspecteur des forêts suisses 302 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Rinicker, les forêts résineuses et les futaies pleines, mieux que les simples taillis, ont le plus d'action sur les orages de grêle. Or, les forêts résineuses sont entourées de plus d’humidité que les forêts feuillues (expériences Fautrat) et les massifs pleins et âgés transpirent plus que les jeunes peuplements. On a cherché aussi à expliquer la déviation que subissent les orages de grêle à l’approche des forêts par les courants d’air laté- raux qui se produisent le long des lisières et qui sont dus à la différence de température des arbres des bordures et de ceux de l’intérieur des massifs. On a voulu voir encore dans les cartes des orages de grêle, une. preuve de l'efficacité des bois contre leurs ravages. Mais ces obser- vations ne sauraient être bien concluantes ; elles reposent surtout sur les données des compagnies d’assurances. Or, on n’assure jamais les forêts contre la grêle; on manque donc de faits précis à leur sujet et on ne peut conclure sûrement de ces statistiques qu’il tombe moins de grêle en forêt que hors bois. Quoi qu'il en soit, il est très probable que les forêts agissent sur les orages; mais ces phénomènes sont fort complexes et on ignore encore aussi bien les causes de leur formation que les circonstances locales qui peuvent les influencer. C’est par un ensemble de recherches, embrassant une longue période et s'appliquant à des régions différentes, qu’on pourra connaître l’action que les forêts peuvent exercer sur eux. Des expé- riences, dont nos collègues MM. Claudot et Jolyet ont rendu compte, sont poursuivies à l’École forestière de Nancy; elles s'étendent aujourd’hui à toutes les formations orageuses. Nous ne doutons pas qu’elles aboutissent à apporter la lumière sur cette question. En dehors de leur influence sur les éléments constitutifs du climat, les forêts agissent puissamment comme agents mécaniques de résis- tance contre l’action des eaux, contre les éboulements des terres et des rochers. Nous laisserons de côté les effets produits par la végétation fores- tière pour empêcher l’érosion, éteindre les torrents et remédier aux désastres des inondations. Ce vaste sujet ne rentre pas dans le cadre de cette étude. Nous ne nous occuperons que de la question du maintien des terres sur les pentes. RÔLE DES FORÊTS AU POINT DE VUE DES SERVICES INDIRECTS. 303 Par leur enchevêtrement, les racines des arbres forment un réseau serré et puissant qui retient dans ses mailles les terres et les rochers. A cette force mécanique des racines, agissant simplement contre la pesanteur, s’en ajoute une autre, celle de lattraction moléculaire. La puissance d’adhérence des molécules de terre aux racines est, comme on sait, très grande et à qui voudrait en douter, il suffirait de rappeler l'effort qu'il est nécessaire de développer pour arracher du sol un simple arbrisseau. Ce pouvoir qu'ont les végétaux ligneux de consolider et de fixer les terrains en pente, est utilisé non seulement dans les montagnes, il sert encore à arrêter les mouvements des sables sur les rivages de la mer et à défendre l’envahissement des oasis. On a ainsi procédé en France à la fixation des dunes de l'Océan. Ces dunes, qu'on a si justement comparé à des vagues gigan- tesques de sable, ont été arrêtées dans leurs mouvements destruc- teurs par des plantations de gourbet et de pin maritime. Le succès obtenu est trop considérable pour que nous ne citions pas de chiffres. Pour ne parler que des dunes de Gascogne, nous rappellerons que derrière la digue de protection établie par les travaux de fixation, on à pu créer, en moins d’un siècle, une immense forêt aujourd’hui en plein rapport qui s'étend sur 800 000 hectares. Les forêts d’avant- garde qui protègent cette masse énorme n’ont que 70 000 hectares. Au point de vue de la salubrité et de la santé publiques, le rôle des bois est très important. Élisée Reclus a vu dans le déboisement la cause de la propagation des maladies épidémiques ; c’est une opinion aussi exagérée que celle qui affirme que lPexistence des forêts est une cause d’insalu- brité ; à ce dernier point de vue, il est cependant prouvé que sous certaines latitudes, la présence de trop grandes masses boisées, entretenant dans l’air une humidité constante, ne procure pas le climat rêvé par des hygiénistes. Mais dans nos contrées, si l'équilibre est rompu, c’est aux dépens de la propriété forestière ; les surfaces boisées n’y sont pas trop étendues pour compromettre la salubrité et la santé publiques. À cet égard et d’une manière générale, les masses boisées agissent comme nous l'avons dit, en régularisant la température moyenne 304 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. des saisons, en agissant sur la répartition des pluies, en assainissant les terrains trop humides et en brisant la violence des vents. Elles ont d’autres effets utiles. Les forêts purifient l'air; elles agissent, comme le ferait un immense filtre, pour en retenir les impuretés, Les poussières en suspension, avec les germes morbides qu’elles transportent, sont arrêtées par le réseau des tiges, des branches et des feuilles. Sous l’action de la lumière et de la dessiccation, les bactéries perdent leur virulence et, quand elles sont reprises de nouveau par le vent, elles ne constituent plus que des corps sans nocuité. C’est surtout à proximité des marais que la forêt joue, à ce point de vue, un rôle utile. Un simple rideau d’arbres suffit pour préserver des atteintes du paludisme. Le fait avait déjà été constaté pour les marais Pontins ; il a été confirmé par les observations pré- cises qu'a faites, il y a quelques années, dans le Loiret, notre collè- gue, M. l'inspecteur des forêts Chancerel, docteur en médecine, etc. Les forêts ne nous protègent pas seulement contre le microbe des lèvres paludéennes, elles tamisent aussi les autres micro-organismes pathogènes et peuvent exercer une protection efficace contre les atteintes du choléra, de la fièvre jaune, etc. Des expériences récentes ont prouvé ce qu'avait avancé Becquerel à ce sujet. Ajou- tons que la végétation ligneuse ne purifie pas seulement l’air ; elle le vivifie, en décomposant l'acide carbonique et en produisant de l'oxygène et de l’azote. Certains végétaux dégagent des essences aromatiques qui sont quelquefois toxiques, mais qui, presque toujours, agissent avec efli- cacité sur les maladies infectieuses. Personne n’ignore l’action salutaire des émanations balsamiques des conifères sur les affections des voies respiratoires. La propriété que possède l’eucalyptus de détruire le microbe du paludisme est également très connue. La croyance populaire dans certaines régions, comme en Lorraine, prête encore au tilleul le pouvoir de chasser le choléra, etc. Mais tous les végétaux ligneux ne sont pas utiles au point de vue de la salubrité et de la santé. Sans rappeler les exhalaisons d’acide carbonique dans l’obscurité, sans parler des arbres qui, comme le mancenillier, peuvent, au moment de la floraison, émettre des efluves RÔLE DES FORÊTS AU POINT DE VUE DES SERVICES INDIRECTS. 309 nuisibles, il en est dont il serait avantageux d'éviter la plantation, au moins dans certaines circonstances. Le platane, par exemple, au moment où se fait le développement de ses feuilles, a l’inconvénient de disséminer des poils rameux, qui se détachent du dessous des feuilles et des nervures. Ces poils se fixent aux muqueuses de la gorge et peuvent occasionner des irritations et des inflammations ; certains pays en ont interdit la plantation dans les cours des collèges, et 1l serait bon de généraliser celte mesure. L’ailante, au drageon- nement si puissant, est aussi à éviter à proximité des puits, car ses racines émettent des sécrétions plus ou moins toxiques qui commu- niquent aux eaux non courantes une odeur nauséabonde. L’eucalyp- tus, cette essence si précieuse, dont la grande puissance de transpi- ration est utilisée pour assécher les marais et dont les émanations garantissent de la fièvre, n'aurait peut-être pas toujours l'efficacité qu'on lui prête vis-à-vis de la malaria ; il n’est notamment pas cer- tain qu’il puisse empêcher la multiplication des moustiques, qui, on le sait, sont les plus sûrs propagateurs des maladies contagieuses ; mais le fait reste controversé. Arrêtons là cette nomenclature, qui ne vise d’ailleurs que des cas particuliers. Les forêts ont aussi un rôle des plus utiles au point de vue de l'alimentation en eaux potables. Nous avons vu qu’elles favorisent l’approvisionnement des sources et qu’elles en régularisent le débit ; elles contribuent également à maintenir la pureté de leurs eaux et à en empêcher la contamination. Dans les pays déboisés, les eaux, avant d'arriver aux sources, ruissellent à la surface du sol; passant souvent sur des terrains couverts d'engrais, elles peuvent parvenir aux réservoirs souterrains chargées de matières nocives, par suite d’un filtrage insuffisant ; alors c’est la mort que les sources déversent avec le microbe de la fièvre typhoïde. Au contraire, quand le bassin de réception des sources est boisé, les eaux arrivent à la nappe phréa- tique, entièrement débarrassées des matières organiques qu’elles avaient pu entraîner avant d’imbiber le sol. Leur pureté est assurée, non seulement par un filtrage complet à travers des terrains que la végétation forestière rend très perméables, mais aussi par l’action des acides de Phumus qui attaquent et détruisent les germes morbides. Le rôle utile des forêts s’étend encore à d’autres objets. ANN. SCIENCE AGRON. — 2° SÉRIE. — 1902-1903. — 1. 20 306 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. L’arbre est lié à la vie de loiseau ; il porte son nid, il lui sert d'asile et d’abri. La forêl, avec ses fourrés, est donc nécessaire pour conserver les petits oiseaux, ces auxiliaires si précieux de l’homme, sans le concours desquels il ne pourrait jamais se défendre contre les atteintes des insectes, ni lutter contre les maladies parasitaires dont le développement devient inquiétant pour l’agriculture. Le Congrès international d’agriculture à eu le premier l’honneur de faire entendre un appel en faveur des petits oiseaux ; le vœu émis par le Congrès de La Haye en 1891 a été entendu ; une convention internationale, récemment signée, à la demande de la France, qui ne comprend peut-être pas tous les États qu’on eût désiré voir par- liciper à cette entente, assurera aux petits oiseaux la protection qu'ils méritent à tant de titres. Si les forêts sont, à ce point de vue, utiles pour l’agriculture, nous ne chercherons pas à dissimuler que leur voisinage est parfois nui- sible. Les forêts servent de repaire aux grands carnassiers; elles abritent et protègent aussi les espèces qui s’attaquent à l’homme, aux troupeaux, aux basses-cours et aux récoltes. Mais, si l’agricul- teur peut charger la forêt d’anathèmes, le chasseur viendra chanter ses louanges et la remercier de lui procurer les plus belles chasses en lui ménageant les plus beaux gibiers. Voyons, dans un autre ordre d’idées, le rôle des forêts. De tout temps leur présence a agi sur l’humanité. « N'est-ce pas, a dit un penseur, la grandeur mystérieuse de la forêt qui, la pre- mière, jeta l’homme dans ce recueillement où il sentit se faire l'essor de sa pensée, et où il eut conscience du vrai lui-même, en face du grand être dont il comprit l’incompréhensibilité ? » Chateaubriand nous à dit aussi que « les forêts ont été les premiers temples de la divinité ». Hæc fuere numinum templa, avait écrit Pline avant lui. Écoutons encore sur ce même sujet les vers du poète des Méditations : Quand je suis parmi vous, arbres de ces grands bois, Dans tout ce qui m’entoure et me touche à la fois, Dans votre solitude où Je rentre en moi-mème, Je sens quelqu'un de grand qui m’écoute et qui m’aime. Les anciens nous ont montré leur culte pour les bois en consacrant RÔLE DES FORËTS AU POINT DE VUE DES SERVICES INDIRECTS. 307 des arbres aux divinités. Nous voyons de nos jours revivre cet amour des forêts : aux États-Unis, c’est l’Arbor Day; en Italie, c’est la Fête des Arbres, érigée en institution nationale. La forêt mérite en effet qu’on l’aime ; elle nous offre de merveil- leux spectacles qui élèvent la pensée et l’âme et nous imvitent à l’ad- miration et au respect. Quels sentiments n’éveillent pas la beauté changeante de ses fron- daisons courant de colline en colline, la majesté de ses grands arbres menaçant les nuées et les douces rumeurs et les délicieuses chansons que nous apportent ses échos! Les poètes, les peintres, les musiciens, tous ceux qui ont le culte du beau trouvent, dans les grandes har- monies de la forêt, les plus purs modèles et les plus grands ensei- onemenis. Ce n’est pas seulement sur la grandeur morale des peuples qu’agit la conservation des forêts, c’est sur leur prospérité même. « La des- truction des forêts, a déclaré M. de Martignac, en présentant le pro- jet de Code forestier, est souvent devenue pour les pays qui en furent frappés, une véritable calamité et une cause prochaine de décadence et de ruine. » « Les forêts précèdent les peuples, les déserts les suivent », a dit encore Chateaubriand. L'histoire nous offre, à ce sujet, les plus grands exemples ; elle nous montre tous les phénomènes de détresse, de désolation et de misère qui ont suivi la ruine des forêts : c’est l’Asie-Mineure, qui était justement fière de sa fécondité, qui a vu le désert prendre la place de ses riches cultures ; c’est la Palestine, la plus belle contrée de l'univers, la terre de Chanaan de la Bible, qui nous donne le spec- tacle de ses plaines désolées et stériles; c’est la Grèce, autrefois si florissante, la Grèce, patrie des arts et des lettres, qui ne nous montre plus que des ruines et des tombeaux. C’est, avec bien d’autres pays encore, l'Afrique romaine qui a perdu sa prospérité d’autrefois. Mais, pour cette dernière région, les avis sont divergents sur les causes de sa décadence. L'opinion générale est que la disparition des forêts est la cause du desséchement de l’Afrique du Nord ; mais des esprits très distingués, très au courant des choses africaines, ont avancé que les déboise- 308 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. ments n’ont agi, ni sur le régime des eaux, ni sur les conditions économiques de l’Afrique romaine. Du temps de l’occupation de Rome, a-t-on dit, cette contrée était ce qu’elle est aujourd’hui. Les forêts n’y étaient pas plus nom- breuses, la sécheresse y était aussi grande ; les eaux n’existaient pas en plus grande abondance. On à cité, à l'appui de cette affirmation, le témoignage de Salluste qui, comme on sait, a fait campagne en Afrique avec César, et qui a résumé ses impressions dans une phrase connue : « Ager frugum fertilis, bonus pecori, arbore infecondus, cœlo terraque penuria aquarum » (de Bello Jugurthino, Sall.). Les grands travaux d'aménagement et de retenue des eaux, a-t-on ajouté, les canaux d'irrigation, les aquedues, les citernes, dont on voit encore les traces, auraient-ils existé, si les eaux avaient été abondantes ? Ces puissants ouvrages témoignent au contraire que l’eau était rare et qu’on cherchait, à l’époque, à recueillir et à mé- nager, au prix de grandes peines, une chose que les seules forces de la nature ne procuraient pas en suffisance. La condition favorable de l'Afrique du Nord, en somme, a été le résultat des efforts des hommes ; la grande œuvre de colonisation, commencée par les Phéniciens, continuée par Carthage, a été déve- loppée et complétée par Rome ; elle est tombée sous les coups des Vandales et des Arabes. Ce que les hommes ont créé, puis anéanti, ils peuvent le reconstituer : c’est donc par le {ravail qu’on rendra à cette contrée, si belle autrefois, sa prospérité d’antan. Cette thèse est celle qu’a soutenue M. le général Faure-Biguet dans son discours de réception à l’Académie du Dauphiné ; c’est également celle qu'a développée M. de la Blanchère, dans son travail sur « l'aménagement des eaux et l'installation rurale dans l'Afrique ancienne ». On à avancé aussi une autre opinion sur la cause des modifica- tions économiques survenues dans l’Afrique du Nord. Nous allons l’'exposer sommairement. Il est indéniable que la sécheresse s’accentue dans cette région et que la zone des déserts se rapproche de plus en plus de l'Algérie et de la Tunisie, pour ne parler que de nos possessions. Le Nord du Sahara a été, à une époque qui n’est pas loin de nous, une immense jungle marécageuse ; de grands fleuves y ont coulé, dont les larges RÔLE DES FORÊTS AU POINT DE VUE DES SERVICES INDIRECTS. 309 lits asséchés témoignent encore la puissance ; de grands végétaux y ont prospéré, la race nègre y étendait son habitat. L’éléphant, la girafe, le crocodile, y vivaient en compagnie d’une faune aujourd’hui repoussée vers les régions équatoriales. Cette situation s’est main- tenue relativement récente ; Hannon la mentionne ; Pline nous ap- prend que léléphant se trouvait dans la Mauritanie et au delà des Syrtes : «€ Élephantes fert Africa ullra syrlicas solitudines et in Mau- rilania. » Les grands fleuves n'existent plus ; la jungle a disparu avec l’hu- midité qui l’entretenait ; l’éléphant a suivi le recul de la végétation puissante sans laquelle il ne peut vivre, et c’est le désert qui s’étend aujourd’hui au pied même de l’Atlas saharien. Dans le sud de l’an- cienne Afrique romaine, le desséchement s’accentue, les sources y ont tari, le niveau des puits y a parfois baissé de plusieurs mètres, et si l’on restaurait les ouvrages hydrauliques des Romains, ou bien ils ne seraient plus aujourd’hui d'aucune utilité, ou bien ils se trouve- raient hors de proportion avec le faible volume des eaux qu'ils ser- viraient à recueillir et à conduire. . Notre collègue, M. Tellier, a fait dans le sud de la Tunisie des vbservations qui confirment les progrès du desséchement dans cette région. Après avoir fait réparer, entre Gafsa et Fériana, sur un pla- teau où il n’y a pas de trace de sources, des citernes romaines, il a constaté que l’une d’elles, qui restait exposée à l'air libre et dans laquelle on ne puisait pas, perdait par évaporation une hauteur d’eau égale à celle qu’elle recevait annuellement. Cette situation ne devait certainement pas exister à l’époque romaine ; si elle se füt produite, les Romains n'auraient pas manqué, comme à Carthage, de protéger par des voûtes leurs réserves d’eau contre les ardeurs du climat. L’explication de ce phénomène de desséchement progressif, qu’on connaissait déjà du temps de Byzance, ne saurait être trouvée dans la seule intervention humaine. Sans doute les déboisements et d’au- tres causes ont pu aggraver la situation ; mais il faut, pour expliquer un phénomène de cette importance, une raison plus forte que celle du fait des hommes. On a dit que la modification constatée dans le régime des eaux de l'Afrique du Nord, de l'Arabie, de la Perse, etc., était le résultat de 310 ! ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. mouvements géologiques qui, depuis le Maroc jusqu’à l’Asie centrale, avaient bouleversé les assises du sol et avaient changé le régime hydrologique de cette partie du globe. C’est une hypothèse que rien n’est venu confirmer. On a avancé une opinion plus hypothétique encore d’après laquelle la sécheresse du Sahara tirerait son origine dans la formation du continent saharien. On a parlé aussi de phé- nomênes astronomiques : des oscillations des cycles cosmiques. Mais ce ne sont là que des conjectures. On ignore encore la plus grande cause de ce desséchement progressif. Il n’est pas d’ailleurs spécial à l'Afrique ; le Sahara, comme on sait, est le dernier anneau d’une chaine de déserts, qui s'étend de la Sibérie à l'Atlantique, pour ne parler que de l’ancien continent, et dont la condition désertique tend toujours à s’aggraver. Nous ne conclurons pas que l’homme doit rester impassible devant cette situation ; autant vaudrait dire que nous n'avons plus qu’à allendre la fin du monde, parce que la terre se refroïdit par le rayonnement céleste. Le desséchement de l'Algérie et de la Tunisie, bien qu'il s’accentue, se trouve enrayé dans ses effets par la barrière que dressent devant lui les hauteurs de l'Atlas; il n’a d’ailleurs, pour ainsi dire, pas encore affecté sensiblement la région de l'Afrique romaine où la colonisation était autrefois très intense. Nous sommes, au contraire, convaincus que c’est par des efforts persévérants qu’on rendra meilleure la condition de Afrique du Nord. Mais, pour être certain de recueillir le prix de son labeur, l’homme doit se rappeler les enseignements de la nature, et notamment ne pas oublier qu’elle sait toujours corriger les inégalités qu’accidentellement elle peut présenter. L'œuvre de colonisation, proprement dite, dans l’Afrique du Nord ne doit donc pas être seule entreprise. Pour être parfaite, elle a besoin d’être complétée par des travaux dirigés de façon à corriger ce qu’il y a d’excessif dans le climat et tendant à retarder la marche du phénomène de desséchement. C’est par le reboisement entrepris d’abord en dehors de la zone de sécheresse qu’on arrivera au but ; à côté des terrains à mettre en valeur par les cultures agricoles et arbustives, 1l y a place encore, là où l'humidité est suffisante, pour créer, sur les sommets et les. plateaux notamment, de grandes forêts qui viendront agir effica- RÔLE DES FORÊTS AU POINT DE VUE DES SERVICES INDIRECTS. 311 cement sur les vents brülants du sud, sur la formation des pluies et sur le régime hydrologique, et qui assureront ainsi, pour ORRÉRDS encore à ces belles contrées, la vie et la fertilité. Nous venons de voir que les forêts exercent une influence des plus heureuses sur l’état moral et matériel de l'humanité. Mais, nous ne le dissimulons pas, ce résultat est moins l’œuvre des forêts elles-mêmes que la conséquence de l’action merveilleuse qu’elles exercent pour le maintien de l’équilibre des énergies naturelles, sans lesquelles les forces vives d’un pays ne peuvent se produire, ni se développer. En dehors de leur valeur économique, les bois sont souvent une cause de richesse. La végétation forestière donne aux pays, dont elle est une des plus belles parures, un charme et un attrait tout particuliers. « Nobis placent ante omnia sylveæ », à dit Virgile. Mas les beaux arbres n’agissent pas seulement sur l'idéal de beauté pure ; ils ont un domaine plus positif. Ils attirent et retiennent les visiteurs et sont ainsi une source de profits pour les contrées dont ils sont le plus bel ornement. Nous pourrions aussi envisager sous d’autres aspects, au point de vue des services mdirects, l’influence des forêts, parler notamment de leur action à l’égard de la défense nationale, de la protection contre les avalanches, etc., nous verrions que partout et toujours, leur action est utile et bienfaisante. Et après avoir rappelé leur très grand rôle économique que notre éminent collègue, M. Mélard, a mis en lumière d’une façon si éclatante dans son beau travail sur « l'insuffisance des bois d’œuvre dans le monde », nous serions heureux si nous avions réussi à montrer tous les titres qu'ont les forêts à notre protection. Conservons-les donc précieusement, entourons-les de vénération et de respect. Sachons nous. souvenir des enseignements.de notre illustre maître M. Tassy. « Dans ce laboratoire, disait-il, d’où tout sort et où tout rentre, qu’on appelle la terre, il y a un élément essentiel surtout pour ses services immatériels, qui mérite avant tout qu’on s’en occupe : c’est la forêt. Rien ne saurait être négligé de ce qui la concerne, puisque jusqu’à présent, les hommes n’ont point réussi à se passer d'elle, 512 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. et que, un peu plus tôt ou un peu plus tard, ils ont dû quitter tous les lieux d’où ils Pavaient chassée. « Ce fait incontestable est peut-être celui qui, dans l'histoire des nations, marque de la manière la plus saisissante les funestes con- séquences de l’imprévoyance humaine. Parmi les contrées rendues désertes, stériles et inhabitables par cette imprévoyance, il y en a cependant où la nature, usant de sa force éternelle, a ramené la fertilité et la vie. Les forêts v ont repris leur ancien empire, elles ont regarni peu à peu les montagnes et rempli les vallées de leur épaisse végétation ; et alors, quand des hommes nouveaux viennent explorer ces régions régénérées, 1ls sont étonnés de rencontrer, dans les profondeurs silencieuses des bois, de vastes espaces jon- chés de pierres tumulaires, où sont gravées des inscriptions en langue inconnue, dernier vestige de la civilisation disparue. « Si nous ne voulons pas que nos tombes montrent, à leur tour, ce qu’il en coûte à l'humanité, quand elle prétend maîtriser la nature au gré de ses désirs, faisons à nos forêts la place nécessaire pour la protection de nos cultures, l’alimentation de nos cours d’eau, la purification de l’air que nous respirons, la satisfaction et les besoins de notre outillage et rétablissons entre elles et les terrains cultivés un équilibre qui est plus désirable pour ces terrains, au profit des- quels il a été rompu, que pour les forêts elles-mêmes. » FIXATION DE L'AZOTE ATMOSPHÉRIQUE PAR LES FEUILLES MORTES EN FORÊT NOUVELELEMS EXPÉRIENCES Par E. HENRY ++ Dans un mémoire précédent, après avoir rappelé quels sont les sains et les pertes d’azote éprouvés par les sols forestiers, je disais que les causes de gain l’emportaient de beaucoup en culture fores- tière sur la déperdition, puisque l’on voit des sols de sable pur sans matière organique ni azote (dunes et landes de Gascogne par{exemple) supporter de magnifiques futaies de pin maritime — qui représentent déjà un chiffre important de matière azotée — et s'enrichir constam- ment en azote comme le montrent les analyses. Outre les sources d’azote combiné déjà connues, j'en signalais une nouvelle, sur laquelle on n’avait pas encore appelé l'attention ; c’est la ficalion de l'azote utmosphérique par les feuilles mortes. « En résumé, disais-je à la fin de ce mémoire, d’après ces pre- miers résullats d'essais que Je poursuis en variant le matériel et les 1. L'Azote et la végétation forestière (Annales de la Science agronomique fran- caise el étrangère, 1897, t. If, p. 359-381), 314 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. conditions d'expérience, je crois avoir montré l’une des raisons, la plus importante peut-être et, en tout cas, la plus générale, pour les- quelles la forêt enrichit le sol en azote. » En décembre 1895, après un an d'exposition à l'air dans le jardin de l'École forestière de Nancy, les feuilles mortes de chêne placées sur une plaque de calcaire qui garnissait le fond d’une caisse en zinc recouverte d’un filet, renfermaient 1,993 p. 100 d’azote et les feuilles mortes de charme placées sur une plaque de grès bigarré conte- naient 2,246 p. 100 d’azote, les feuilles étant supposées desséchées à 100°. Comme les taux initiaux étaient de 1,108 pour le chêne et de 0,947 pour le charme, le gain a été de 08,815 d’azote par 100 grammes de feuilles de chêne et de 18,299 par 100 grammes de feuilles de charme. Mais, pendant celte année, les feuilles de chêne ont perdu 21,62 p. 100 de leur poids primitif à 100° et les feuilles de charme 23,01 p. 100. Si nous rapportons les chiffres d’azote trouvés après un an d’expo- sition à l'air, non plus aux feuilles déjà décomposées qui ont perdu le cinquième de leur poids, mais aux feuilles mortes prises au début de l’expérience, le taux de 1,993 devient 1,508 pour le chêne, accu- sant un gain d’azote de 18,508 — 18,108 —05",400 pour 100 gram- mes de feuilles mortes pesées au moment de l’installation. Quant aux feuilles de charme, le taux de 2,246 devient 1,727 avec un gain d'azote de 15°,727 — 08,947 — 05,780 pour 100 grammes de feuilles fraichement mortes. Ces gains sont très importants, puisqu'ils s'élèvent à la moitié ou aux deux tiers du taux primitif. En admettant que le sol de la forêt reçoive à chaque automne 3 000 kilogr. de feuilles mortes (desséchées à 100°), c’est un poids de 23*,4 d'azote pour le peuplement de charme et de 12 kilogr. pour la futaie de chêne que l’atmosphère fournit à la couverture, c’est-à- dire presque le quantum absorbé par la fabrication du bois. Les feuilles de deux autres caisses identiques (chêne sur plaque de grès bigarré, charme sur plaque de calcaire) furent laissées deux ans à l’air, de décembre 1894 à décembre 1896. De plus, en mai FIXATION DE L’AZOTE ATMOSPHÉRIQUE. 315 1896, j'ai ajouté à chaque caisse 90 grammes de terre fine de la forêt de Haye (près Nancy) dont j'avais préalablement dosé l’eau et les ma- tüières organiques. Les dosages d’azote donnèrent des résultats abso- lument concordants avec les précédents : 1,73 p. 100 de feuilles mortes séchées à 100° pour le chêne sur grès bigarré ; 2,15 p. 100 pour le charme sur calcaire, c’est-à-dire un peu moins (0,1 à 0,2 p. 100) que le chiffre trouvé à la fin de la prernière année ; mais ces chiffres sont toujours, on le voit, très supérieurs aux taux pri- mitifs. Pendant ces deux ans, les feuilles de chêne ont perdu 29,64 p. 100 de leur poids à 100° et les feuilles de charme 28,61 p. 100. En tenant compte des 28 à 29 p. 100 disparus, c’est-à-dire en rap- portant ces taux aux feuilles initiales, on constate néanmoins un en- richissement absolu de 05,11 d'azote p. 100 du poids primitif des feuilles de chêne et de 08,58 pour le charme. Ainsi donc, si les choses se passent dans la nature comme dans les essais dont je viens de parler, les 3 300 kilogr. de feuilles mortes reçues annuellement par un hectare contiennent, au moment de leur chute, 1 p.100 d’azote, soit 33 kilogr. d’azote ou 206 kilogr. de ma- tières albumimoïdes. | Un an après, ces 3 300 kilogr. se sont réduits à 2 640 kïogr. à 2 p. 100 d’azote en moyenne, ce qui équivaut à 53 kilogr. d'azote ou 391 kilogr. de matières azotées du type albuminoïde par hectare. Le gain d'azote par hectare s’élève donc à 20 kilogr. Au bout de deux ans, les feuilles de chêne et de charme qui avaient subi comme en forêt toutes les influences atmosphériques et qui reposaient sur une dalle calcaire ou gréseuse horizontale de façon que l'humidité s’y maintint le plus longtemps possible, étaient com- plètement noires, mais parfaitement reconnaissables, les feuilles de charme aussi bien que celles de chêne, malgré ce que l’on dit de leur plus grande altérabhilité. Elles étaient loin d’être réduites à l’état d’humus. Les dalles de calcaire ou de grès, très propres au début, s'étaient peu à peu recouvertes d’un enduit verdâtre (algues et même petites mousses). Grâce à l’horizontalité, à l’épaisseur et à la porosité du substratum, l’humidité s’y était maintenue presque à toutes les sai- 316 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. sons, favorisant le développement de cette végétation chlorophyllienne qui, s’installant sans doute aussi sur les feuilles, à peut-être un peu contribué à l'augmentation de leur teneur en azote. Il était intéressant de voir ce que deviendraient, au point de vue de la captation d’azote, les feuilles mortes, soit placées à même sur le sol en forêt, soit disposées sur un substratum tel que le sable siliceux pur (sable de verrerie) qui se dessèche complètement avec une si grande facilité. I était à prévoir que, dans ces conditions, les bac- téries fixatrices d'azote seraient tout aussi entravées dans leur déve- loppement que les bactéries de l’érémacausis. On sait que Wollny à prouvé que les matières organiques se décom- posaient d'autant plus vite c’est-à-dire étaient d'autant plus envahies par les bactéries — qu’elles étaient plus humides, à condition pourtant (cela va de soi) que l’eau n'obstrue pas les pores au point d'empêcher l'accès de air. D'autre part, Müller a montré que des feuilles de charme, des aiguilles de pin noir d'Autriche desséchées au soleil et mélangées à du sable quartzeux desséché de la même façon ne donnaient pas d'acide carbonique ; dès qu’on eut ajouté de l’eau, le gaz se produisit abondamment. Expériences de 1897. — Au moment de la chute des feuilles, j'ms- tallai le 1% novembre 1897, en pleine forêt de Haye (massif doma- nial de 6 000 hectares situé entre Nancy et Toul), à la pépinière de Bellefontaine, dans le petit enclos sous bois où se trouve l’évaporo- mètre, quatre cadres en bois de 0",50 sur 0,50 renfermant ‘chacun 100 grammes de feuilles de chêne, hêtre, charme, tremble et recou- verts d’un filet. Quatre autres, garnis de même, furent placés en plein air dans le jardin du brigadier. J'avais eu soin de faire balayer longtemps à l’avance les emplacements pour voir si des vers de terre ou des larves d'insectes ne viendraient pas bouleverser le sol, ce qui arriva au début ; mais au bout de trois semaines les places balayées restèrent bien nettes et je pus croire le sol complètement nettoyé de rongeurs souterrains. Ces feuilles avaient été cueillies le 17 octobre 1897 par un temps très chaud et leur dessiccation à 100° donne le taux d’eau des feuilles au FIXATION DE L'AZOTE ATMOSPHÉRIQUE. 2 DK | moment de leur chute, taux inscrit avec celui de l'azote dans le ta- bleau ci-dessous !: CHARME. CHÊNE. HÊTRE. TREMBLE. AU HAE 51509 53,3 HONTE 26,2 AZULBTTO LAINE EME 1,152 1,402 1227 0.876 Au mois de mai, les jeunes feuilles renferment 70 à 78 p. 100 d’eau, puis ce taux s’abaisse et reste sensiblement constant de juin à la fin de la période de végétation, oscillant entre 50 et 60 p. 100. Étalées sur une surface sèche dans un endroit chaud et aéré, les feuilles perdent encore de l’eau et leur teneur tombe invariablement, comme on le voit plus loin, entre 14 et 16 p. 100. Mais lorsque les feuilles furent mises en place, les vers de terre, attirés par cette nourriture, revinrent visiter les emplacements qu’ils avaient abandonnés et, après l’hiver, le 10 mars 1898, il y avait des trous de ver dans les cadres de l’enclos de l’évaporomètre et plus encore dans ceux placés en plein air. Dès cette époque il ne restait . presque plus rien des feuilles de charme. Donc les vers avaient tra- vaillé activement pendant l’hiver, peu rigoureux, il est vrai, et 1l leur avait suffi de ces cinq mois d'hiver pour détruire les quatre cinquièmes environ des feuilles de charme. Le 17 juillet, il n’y avait plus trace de feuilles de charme, soit sous bois, soit en pleim air, tandis que les feuilles de chêne, hêtre, tremble, plus ou moins ron- oées, rassemblées en autant de tas qu'il y avait de gros vers (Lum- bricus Lerrestris), présentaient encore quelques débris. Cet accident m’a amené à faire des recherches sur les préférences qu'ont les vers de terre pour les feuilles de certaines espèces. Il m'a permis de démontrer que, si les feuilles de charme disparaissent dès le printemps qui suit leur chute, ainsi que tous les forestiers le cons- tatent, ce n’est pas du tout parce qu’elles se décomposent plus vite que celles des autres essences (ce que montrent du reste les essais décrits ci-après), c’est parce que les vers de terre les recherchent de préférence et ainsi se trouve expliquée l’apparente contradiction qu’il 1. Les feuilles de charme et de chêne ont été cueillies sur de jeunes rejets, tandis que celles de hêtre provenaient d'un baliveau; les feuilles de tremble étaient à la veille de leur chute et se détachaient au moindre effort. 318 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. y avait entre mes recherches sur la décomposition des feuilles mises dans des caisses en zinc et les faits naturels”. Rapportons brièvement l’une de ces expériences. Le 1% août 1898, je remplis une petite caisse en bois de 0,50 sur les trois côtés avec de la terre du jardin de l'École forestière qui abonde en gros vers, mais qui en avait été débarrassée en l’émiettant et la séchant au soleil, J’y mis cinq gros vers et je disséminai à la sur- face : 50 feuilles de charme pesant (à 100°). . . . . . . 38,295 50 feuilles de chêne — ART TT RES 10 .500 20 feuilles de hêtre = HSE el 5 ,120 187,915 Le 5 août déjà les vers avaient travaillé et, le 7 octobre, soit soixante-six Jours après, on retrouve : 7 feuilles de charme pesant (à 1002). . . . . . . 057,330 46 feuilles de chêne = DÉS De 7 ,470 45 feuilles de hêtre — RÉEL HER 3 .7170 115,570 Dans ces soixante-six jours, les vers ont mangé 65,475 de feuilles, soit plus du tiers de la matière organique qui leur à été fournie, mais tandis qu’ils ont laissé sur le sol 71 à 73 p. 100 des feuilles de hêtre ou de chêne, ils n’ont rebuté que la dixième partie des feuilles de charme ; il ne restait guère que les nervures. Chaque ver a détruit en deux mois 1#,53 de matière organique desséchée à 100°. Il serait facile, en installant aussitôt après la chute des feuilles sur divers points d’une forêt des cadres d’une surface connue et recouverts d’un filet, de déterminer le poids de feuilles mortes absorbées annuelle- ment par les vers et rendues au sol sous forme d’humus et la répar- tition, suivant les sols et les régions, de ces obscurs, mais si utiles, travailleurs du sol. Sur chacune de ces places préalablement nettoyées de toute matière organique et bien limitées par ces cadres, on dispo- 1. Voir : Les vers de terre en forêt (Bulletin des séances de la Société des Sciences de Nancy, 1900). FIXATION DE L’AZOTE ATMOSPHÉRIQUE. : 319 serait un poids et un nombre connus des feuilles des diverses essences du peuplement; en les recueillant au bout d’un an, on verrait d’abord quelles sont les préférences des vers et la différence de poids donne- rail la somme des décompositions par les microbes et par les vers de terres: En installant une autre série d’expériences où l’on se mettrait à l'abri des vers de terre, on ferait la part exacte de chacun des deux facteurs dans l’ensemble du phénomène. En tout cas cet essai, mfructueux au point de vue de la recherche de la fixation de l’azote atmosphérique par les feuilles mortes in silu, cet essai et plusieurs autres qui ont eu le même résultat m'ont con- vaincu qu'il était impossible, dans ces conditions, de se mettre à l'abri des vers de terre, tant ils sentent de loin la nourriture qu'ils aiment. Il faut opérer, comme je l’ai fait l’année suivante, dans des caisses placées en forêt, mais au-dessus du sol et il n’est pas encore facile d'empêcher les vers de s’y rendre. Si les vers n’ont jamais été considérés comme des animaux fixa- teurs d'azote, ils ne jouent pas moins, sous le rapport de l’assimila- bilité des matières azotées, un rôle des plus utiles dans le sol fo- reslier. | Déjà Wollny avait montré que la quantité de matières azotées solubles et de principes minéraux solubles est plus grande dans la terre garnie de vers. Tout récemment M. Duserre, directeur de l'établissement fédéral de chimie agricole à Lausanne, s’occupant à nouveau de cette question, vient de déterminer d’une façon précise l'influence des lombrics sur les matières azotées et minérales du sol”. Il ressort de ses analyses que, pour l'azote, la transformation en pro- duits ammoniacaux et la nitrification finale sont activées par le pas- sage de la matière azotée dans le corps du ver*. En même temps que j'installais les essais de Bellefontaine, je dis- posais (3 novembre 1897) dans le jardin de l’École forestière quatre 1. Voir Journal d’agricullure pratique, t. HI, 1902, p. 700. 2, Je me suis assuré qu'à Nancy et dans la forêt de Haye les vers de terre tra- vaillent pendant tout l'hiver, du moins quand il n’est pas rigoureux et que la neige ne couvre pas le sol. 320 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. caisses en Zinc garnies de dalles calcaires ou gréseuses et recouvertes d’un treillis métallique et deux caisses en bois remplies, l’une de sable pur, l’autre de craie, et couvertes d’un filet en ficelle. Voyons ce que sont devenues ces feuilles au bout d’un an (9 octobre 1898) au point de vue du taux d’azote. De 50 grammes de feuilles de hêtre, contenant 215,65 de matière sèche, disposées dans une caisse en zinc garnie d’une dalle calcaire on n’a plus retrouvé que 164,78, ce qui accuse une perte de 22,5 p. 100. Le taux d’azole, qui était primitivement de 1,227, s’est élevé à 1,783, ce qui correspond à une fixation d’azote de 0,200, puisque, en tenant toujours compte des 22,5 p. 100 disparus, le taux nouveau ne devrait être que 1,583. Les feuilles de tremble de la caisse remplie de craie pesaient à la fin de l'expérience 24 grammes, tandis que leur poids primitif à 100° était de 455,8. Il à disparu 19#,8, soit 45,2 p. 100 du poids initial. Le taux d'azote a doublé; il s’est élevé de 0,876 à 1,701, tandis qu'en tenant compte des 45,2 p. 100 disparus, il ne devrait s’élever qu'à 1,598, Le gain d’azote a donc été ici de 4,791 — 1,598—0,158. Un même poids de ces feuilles de tremble a été disposé dans une caisse en zinc garnie d’une dalle de grès bigarré. A la fin de l’expé- rience, elles pesaient 30,5, tandis que leur poids primitif à 100° était de 43%°,8. Il a disparu 135,3, soit 30,36 p. 100 du poids initial. Les deux taux d'azote, au début et à la fin, sont les mêmes que pour les feuilles sur craie, c’est-à-dire 0,876 et 1,791. Au lieu de ce dernier taux, on n'aurait dû trouver, en rapportant toujours le chiffre d’azote au poids primilif, que 1,258. La fixation d'azote a donc été de 1,751 — 1,258 — 0,493 p. 100 de feuilles de tremble desséchées à 100°. Dans les deux cas suivants, feuilles de chêne sur calcaire et feuilles de charme sur grès bigarré, on a soumis à plusieurs lavages les feuilles noircies pour les débarrasser de cet enduit et voir ce que donnerait l'analyse faite dans de telles conditions. Ces lavages ont certainement enlevé des matières azotées qui constituaient une partie du résidu noir dont l’eau s'était chargée. Aussi n°y a-t-il rien d’éton- FIXATION DE L’AZOTE ATMOSPHÉRIQUE. 221 nant à voir le taux d’azote devenir pour les feuilles de charme quel- que peu inférieur au taux primitif. Ce taux de 1,752 est devenu 2,860 et le poids s’est abaissé de 485,1 à 24 grammes, accusant une perte en matière sèche de 49,9 p. 100. Avec une disparition si considérable, le taux final aurait dù s'élever à 3,497 pour qu’il n’y eût point de perte en azote. Les feuilles tendres et minces du charme ont plus perdu dans ces lavages, comme on devait s’y attendre, que les feuilles plus épaisses et plus coriaces du chêne, iesquelles accusent encore, malgré ce trai- tement, une légère augmentation d’azote. Les 465,7 du début se sont réduits à 285,5, ce qui correspond à une perte de 38,54 p. 100. Le taux d’azote passe de 1,155 à 1,991. D’après la proportion es a on devrait trouver pour & Ho L'analyse donne 1,991 ; il y a donc eu gain très faible de 1,991 — 1,879— 0,112 p. 100 d’azote. Expériences de 1898. — Le 20 octobre 1898, on a cueilli des aiguilles à la veille de leur chute sur de jeunes pins noirs d’Au- triche de la pépinière de Bellefontaine (forêt domaniale de Haye). Le 25 octobre, on a pris sur le même arbre que l’année précédente des feuilles de hétre prêtes à tomber. En secouant l'arbre, bon nom- bre de feuilles se détachaient et la plupart des hêtres voisins étaient déjà défeuillés. Ce même jour, on a cueilli des feuilles de peuplier- tremble, de chêne, de charme, d’épicéa se détachant au moindre effort. Les feuilles de charme, cueillies sur de jeunes rejets, sont celles qui par leur teinte et leur aspect ressemblent le plus à des feuilles vi- vantes. Séchées à l’air au laboratoire, elles deviennent d’un beau jaune. Après viennent celles de hêtre, puis celles de tremble, jaunes, par- semées de taches brunes. Les feuilles de chêne, pin d'Autriche, épi- céa, ont tout à fait l'aspect de feuilles mortes. On a ensuite pesé trois ou quatre lots de 30 grammes ou de 50 grammes de ces diverses feuilles, munies encore de l’eau qu’elles renfermaient sur l'arbre. L’un des lots a servi à la détermination de l’eau et de l'azote ; les autres ont été mis en expérience dans des conditions diverses. ANN. SCIENCE AGRON. — 2° SÉRIE. — 1902-1903, — 11. 21 322 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Le tableau suivant donne les taux d’eau et d’azote des feuilles mortes de différentes essences, cueillies sur l'arbre el desséchées à l'air au laboratoire : CHARME. CHÊNE. HÊTRE. TREMBLE. ÉPICOÉA. PAR EAU 14,81 15,47 15,00 16,00 13,89 14,00 Azote total. . 1,389 0,987 0,884 0,821 0,821 0,442 Donc les feuilles des arbres feuillus ou résineux, cueillies sur l'arbre par un temps sec à la veille de leur chute et desséchées à l'air autant que possible, contiennent invariablement 14 à 16 p. 100 d'eau qui ne disparaît qu'après dessiccation à 100°-110°. Nous venons de voir que, si on les pèse aussitôt après la cueillette, on y trouve 92 à 56 p. 100 d’eau. Quant au taux d’azote que renferment les feuilles à leur mort, il varie pour celles qui ont été analysées du simple au triple. Le pin d'Autriche, essence peu exigeante aussi bien au point de vue de l’azote que des principes minéraux, présente, on devait s’y attendre, le taux le plus faible. Ses aiguilles ne contiennent que la moitié des matières azotées que l’on trouve dans celles de l'épicéa et dans les feuilles des autres arbres, à l’exceplion du charme qui est trois fois plus riche que le pin d’Autriche, ce qui tient en partie à l’état jeune des tiges qui portaient les feuilles. Car ces or- ganes, analysés en 1894, n’ont donné que 0,947 p. 100 d’azote. I est superflu d’ajouter que ces chiffres n’ont qu’une valeur rela- tive ; ils montrent ce qu'est la teneur en azote des feuilles à leur chute pour une essence, un âge, une région, un sol, une année donnés ; mais il est certain qu'ils varient avec ces divers facteurs et d’autres encore’. En novembre 1898, les lots de feuilles, exactement pesés, furent mis en expérience dans le jardin du brigadier de Belle- fontaine, en pleine forêt, de la façon suivante : On a pris de la terre de la pépinière qu’on a purgée avec le plus grand soin des vers et larves qu’elle pouvait contenir, afin d'éviter Là 1. Nos analyses le montrent nettement, puisque, suivant les années et les tiges qui ont été défeuillées, on a trouvé, pour les feuilles de chêne à leur chute, des taux d'azote de 15,108, 1%,402, 0%,987; pour le charme, 05,947, 1%,752, 15,589 : pour le hêtre, 1*,227 el 0,884; pour le tremble, 0*°,876 et Ofr,821. FIXATION DE L’AZOTE ATMOSPHÉRIQUE. 323 l'intervention de toute pâture animale qui avait fait manquer les expériences de 1897. Cette terre a été placée dans des caisses en zinc ou en bois, bien arrosée, puis recouverte d’une couche de 9 centimètres de sable blanc pur, sur lequel on a disséminé les feuilles. Ce revêtement de sable avait un double but : Il s'agissait de voir si, sur un sol si filtrant, si sec, si pauvre, si peu favorable à la pullulation des bactéries, la captation d’azote aurait lieu néanmoins. En outre, sur le sable blanc les galeries des vers ou larves souterraines, s'il y en avait encore ou s’il s’en intro- duisait, devaient se voir nettement. Les caisses, au nombre de douze, furent recouvertes de filets à mailles serrées et abandonnées à l’air libre. Le 30 juillet 1899, il n’y en a déjà plus que quatre en bon état. Les vers ont senti les feuilles de charme et se sont introduits dans les quatre caisses où elles se trouvaient, les entraînant dans leurs galeries et gâtant par suite les résultats relatifs à cette essence ‘. Certaines caisses contenant des feuilles de chêne, de tremble et de hêtre ont été aussi envahies par les vers, si bien que, le 22 octobre 1899, quand on mit fin à l'expérience, il n’y avait plus que trois caisses intactes dont l’une était garnie de feuilles de hêtre, l’autre d’aiguilles d’épicéa, et la troisième d’aiguilles de pin noir. Il résulte de ces constatations qu’il est très difficile, sinon impos- sible, de se mettre à l'abri des vers si l’on veut placer les feuilles dans des conditions semblables à celles de la nature, c’est-à-dire en forêt, sur du sol, füt-1l de sable pur, et presque à ras terre. On récolta avec le plus grand soin les feuilles de pin, d’épicéa et de hêtre. On vérifia, en passant la terre au crible, s’il ne restait pas de débris de feuilles dans le sol et s’il n’y avait pas de vers dans les caisses : On n’en trouva pas. Voici les résultats des analyses : Hêtre. — Les feuilles de hêtre pesaient au début de l'expérience 1. Bien que les feuilles de charme placées dans une caisse en zinc dont l’eau ne pouvait s'écouler aient été immergées dès la première pluie, les vers aiment tellement cet aliment, que j'en ai trouvé, au mois d'octobre, une quarantaine noyés dans l'eau de la caisse. 324 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 30 grammes, ce qui équivaut à 256,5 à 100°, puisqu'elles conte- naient 15 p. 100 d’eau. Au bout de onze mois, ces 254,5 sont réduits par l’érémacausis à 178,9 : donc 32,55 p. 100 de matière organique desséchée à 100° ont été enlevés par les actions microbiennes et chimiques. Le taux d’azole sur cette lerre recouverte de sable pur n'a pas varié. Car le taux trouvé a été de 1,314 d'azote p.100 de feuilles de hêtre prises à la fin de l'expérience, ce qui correspond à 675,45 des feuilles imi- tiales, puisque 32,55 p. 100 ont disparu. En calculant le taux d'azote 67,45 100 (82 on trouve pour æ 1,310, c’est-à-dire le chiffre donné par l’analyse. æ dans les feuilles laissées à l’air d’après la formule Pins d'Autriche. — Les 50 grammes mis en expérience corres- pondent à 43 grammes à 100°, puisqu'il ÿ a 14 p. 100 d’eau. Ces 43 grammes sont devenus 386,5 par l’érémacausis ; il a disparu seulement 10,46 p. 100. On sait que ce sont les aiguilles de pin, riches en résine, qui résistent le mieux à la décomposition. Le taux d'azote primitif était de 0,442. Au bout d’un an, 1l s'élève à 0,611 ; mais les 100 grammes primitifs sont devenus 895°,54. Donc = — ee d'où x, le Laux d'azote qui devrait exister en tenant é z compte de l’érémacausis, — 0,495. — Le chiffre donné par l’ana- lyse est 0,611. Il y a donc eu un faible gain d’azote de 0,611 — 0,493 — 0: 118 p. 100 de la matière primitive. Autrement dit, 100 grammes d’aiguilles de pin d’Autriche ont gagné 118 milli- grammes d'azote équivalant à 740 milligrammes de principes albu- minoïdes. Épicéa. — Les 50 grammes mis en expérience correspondent à 438,05 à 100°, puisqu'il y a 138,9 p. 100 d’eau. Ces 435,05 sont devenus 39 grammes par l’érémacausis ; il a disparu 18,6 p. 100. Le taux d’azote primitif était de 0,821. Au bout d’un an, il s'élève à 1,162 ; mais les 100 grammes primitifs sont devenus 815,4. Donc _. —= po ; d’où +, le taux d’azote qui devrait exister en tenant U compte de l’érémacausis et en supposant que celle-ci n’ait altéré en FIXATION DE L’AZOTE ATMOSPHÉRIQUE. 325 rien les matières azotées, — 1,008. Le chiffre donné par l'analyse est 1,162. Il y a donc eu un faible gan d'azote de 1,162 — 1,108 — 08,154 p. 100 de la matière primitive. Conclusions. — En s'appuyant sur les trois séries d'expériences précédentes, il semble qu’on soit en droit de conclure que : 1° Les feuilles mortes (chêne, hêtre, charme, tremble, pin d'Au- triche, épicéa), soit seules, soit mélangées à de la térre, ont la pro- priélé, surtout quand elles sont sur des substratums humides (lerre argileuse, plaques de grès ou de calcaire), de fixer en proportions nolables l’azole de l'air’ ; 2 Les feuilles mortes (hétre, pin, épicéa) placées en forél sur du sable siliceux pur, constituant un substratum très pauvre el très sec, ou bien ne s’enrichissent pas en azote (hélre), ou bien s'enri- chissent dans une proportion insignifiante (pin, épicéa). En tout cas, Ù n'y a jamais perte d’azole ; 3° Il est trés difficile de faire des expériences de ce genre en forét à cause de la quasi-impossibilité où l’on se trouve de se meltre a l'abri des vers de terre ; 4 Ceux-ci s’altaquent à toutes les feuilles, mais ont des préfé- rences manifestes pour certaines espêces, el c'est bien cerlainement à eux que doit étre attribuée la disparilhion si prompte dans la cou- verlure morle des feuilles de charme, méme quand le peuplement est en majeure parlie conslilué pur celle essence. Dans mon premier mémoire’ je citais, à l’appui de mes conclu- sions, outre les expériences de M. Berthelot sur la fixation de Pazote par les sables argileux, le kaolin, la terre végétale, la découverte récente faite par M. Vinogradsky d’un microorganisme fixateur d’a- z0te, le Clostridium pasteurianum et l'opinion de M. Kossowitch, celle de M. Bouilhac sur la fixation de l'azote par l’association de certaines algues et de bactéries. Depuis, les hactériologistes ont fait avancer la question. M. Neu- mann* a recherché si les bactéries qui se trouvent dans le sol en 1. Annales de la Science agronomique française et étrangère, €. Il, 1897. ?. Annales agronomiques, 1902, p. 378. 326 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. contact direct avec les nodosités ou les microorganismes existant sur les organes aériens sont capables d’assimiler l'azote libre de l’atmos- phère. Il a utilisé dans ces essais la terre adhérente aux nodosités du Vicia faba. — Il y eut, dans tous les cas, assimilation d'azole. D'autre part, MM. Beijerinck et Van Delden viennent de démon- trer* que les cultures pures d’Azotobacter chroococcum assimilent réellement l'azote libre de atmosphère. Le maximum de gain d'azote observé a été de 7 milligrammes pour 1 gramme de sucre con- sommé. Le mécanisme de l’assimilation de l'azote par ces associa- tions serait, d’après Beïjerinck, le suivant : les organismes assimila- teurs de l’azote libre (Granulobacter, Aerobacter) sont symbiotiques de l’Azotobacter. Celui-ci accumule l’azote mis en combinaison par d’autres bactéries (telles que Granulobacter) et, comme les essais l'ont montré, sous une forme facilement transformable en ammo- niaque et qui peut alors être nitrifiée. En somme, ce fait de la fixation de l’azote par les feuilles mortes des forêts, fait sur lequel j'ai appelé le premier lattention, devient de jour en jour moins surprenant à mesure que s’élargit le champ des découvertes en bactériologie. Sur une trentaine d’essais, ins- tallés dans des conditions diverses, onze seulement n’ont pas été troublés par des causes d'erreur (vers de terre, excès d’eau) et ont pu être utilisés. Neuf ont accusé une captation d'azote plus ou moins intense ; un autre (hêtre sur sable pur) n’a pas varié dans son taux d'azote ; dans le dernier, il y a eu diminution; mais on se rap- pelle qu'il s'agissait de feuilles de charme qui, à la fin de l’expé- rience, ont été soumises à plusieurs lavages. En présence de ces résultats”, je considère comme démontré le {. Voir le Centralblatt fur Bacteriologie, t. Il, 1902 (Analysé dans Bolanische Zeitung, numéro du 1° janvier 1903, p. {{). 2, Pour plus de sûreté, la plupart des analyses ont été faites à la fois au labora- toire de l'École forestière, à la Station agronomique de l'Est, à Paris (43, rue de Lille), et à la Stalion agronomique de Nancy. La critique qu'Ebermayer a faite des conclusions de mon travail (voir Fortslich- Naturwissenschaftliche Zeilschrift, 1898, p. 180-182) u’a aucune valeur, puisqu'elle ne s'inspire que d'idées théoriques, d'opinions a priori, sans fondement, telles que celle-ci : « Un enrichissement en azote ne serait possible que si les nombreuses bac- téries participant à la décomposition avaient, à l'état isolé, la propriété d'assimiler fédidur … FIXATION DE L’AZOTE ATMOSPHÉRIQUE. SEAT fait de la fixation de l’azote de l'air par les feuilles mortes de nos arbres forestiers. Par quel mode, par quels intermédiaires s’opère celte captation? C’est ce que je ne puis préciser. Il est probable qu'outre les bactéries fixatrices d’azote, dont nous ne connaissons encore qu’un très petit nombre (Clostridium pasteurianum, Granu- lobacter, Azolobacter), les végétaux inférieurs (algues, hyphomycètes, lichens, mousses) qui se développent si aisément sur les substratums les plus divers, surtout en présence de l'humidité, interviennent dans une certaine mesure. l'azote, ce qui est très invraisemblable, d’après tout ce que l’on sait jusqu'ici des con- ditions biologiques des bactéries et ce dont il faudrait d’abord fournir la preuve expé- rimentale. » Or, on sait que cette preuve vient d'être fournie par les savants cités plus haut. Ebermayer ajoute : « Jusqu'ici nous ne connaissons que les algues vertes du sol qui aient le pouvoir de transformer de faibles quantités d'azote libre. » Je crois aussi que certains végétaux inférieurs autres que les bactéries jouent un rôle dans le phé- nomène. « Les algues pourvues de chlorophylle, dit M. Dehérain (Chimie agricole, 1902, p. 465), créent de la matière organique et peuvent dès lors nourrir les bacté- ries fixatrices d'azote. » Voir, au surplus, pour la fixation de l'azote dans le sol par l'action microbienne et par les algues, le Trailé de chimie agricole, par P. P. Dehérain. Paris, Masson, 190?, p. 458-465. SUR LA DÉCOMPOSITION DES FEUILLES MORTES EN FORÊT PARLE: HENRY Pendant longtemps on n’a attribué qu’à des réactions chimiques (combustion, dissolution) l’altération progressive de ce tapis de feuilles mortes qui recouvre le sol des forêts et que les forestiers appellent la couverture morte. Ces feuilles mortes se désorganisent peu à peu el finissent par se transformer en grumeaux pulvérulents, noirs où bruns, qu’on appelle terreau ou humus et qui s’incorporent bientôt intimement à la terre minérale. € Ce terreau ou humus a une composition complexe incessamment variable et ne peut être nettement défini. » (Schlæsing.) En forêt on n’a qu’à examiner atten- tiverment les feuillets successifs dont se compose la couverture pour se rendre compte des diverses phases de la décomposition, depuis les feuilles récemment tombées jusqu'aux grumeaux noirs d'humus qu’on voit en soulevant la couverture et chez lesquels toute trace de structure organisée a disparu. La matière végétale perd du car- bone à l’état d'acide carbonique, mais elle perd beaucoup plus d'oxygène et d'hydrogène’, de sorte que le taux du carbone s'élève. Celui de l'azote s’augmente aussi et atteint souvent 9 p. 100, quel- 1. Rappelons que les feuilles mortes renferment à peu près 45 p. 100 de carbone, 48 p. 100 d'oxygène et d'hydrogène, { à 2 p. 100 d'azote et 5 à 10 p. 100 de cendres, SUR LA DÉCOMPOSITION DES FEUILLES MORTES EN FORÊT. 329 quefois 10 et 15 p. 100. Mais c’est surtout la proportion des cendres . qui s’exagère. Des aiguilles mortes d’épicéa et de pin sylvestre prises à la surface de la couverture’ contenaient 8,7 p. 100 de cendres, tandis que l’humus sous-jacent en renfermait 33 p. 100. Le tiers de l’humus était constitué par des substances minérales dont près de la moitié (46,3 p.100), formée par des silicates et phosphates, était inso- luble dans l'acide nitrique. Dans les aiguilles de la surface, 21 p. 100 seulement du poids des cendres ne se sont pas dissous dans l'acide. Bien qu’une portion des matières minérales, entre autres la po- tasse, se dissolve en notable quantité, la volatilisation des matières organiques est si rapide, que les cendres finissent par former le tiers et quelquefois les quatre cinquièmes du grumeau d’humus. Pendant longtemps, disions-nous, cette humification (qu’on appelle maintenant érémacausis) était assimilée à une combustion lente. Mais on sait — depuis une trentaine d’années — que c’est un fait biologique exigeant l’intervention d'organismes vivants, spécialement de bactéries. En 1883, au laboratoire de l’École forestière, on mit des feuilles mortes dans quatre cristallisoirs placés chacun sous une cloche tenant le vide et renfermant de la potasse. Deux de ces clo- ches contenaient de l'air ordinaire, les deux autres de Pair mélangé de vapeurs d’éther ou de chloroforme dans le but d’anesthésier les ferments organisés. Au bout de sept jours, sous les cloches avec air ordinaire, il s'était fixé 3#,115 et 5,304 d’acide carbonique et moins d’un demi-gramme dans chacune des cloches avec éther ou chloroforme. L'intervention des ferments organisés dans la décomposition des feuilles mortes était évidente. Dans le but de constater avec quelle vitesse se fait cette décompo- sition quand les feuilles mortes sont exposées à l’air et quelle est Pinfluence du substratum, je mis, le 7 mars 1894, dans une caisse en zinc de À mêtre carré placée horizontalement sur un toit en face du laboratoire, 2 kilogr. de feuilles mortes (presque toutes de hêtre) provenant de la forêt de Haye. Le fond de la caisse était garni de pierres calcaires sur lesquelles reposait le lit de feuilles. 1. Plantations de Dommartemont, près Naney (février 1900). 330 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Ces feuilles contenaient 12,70 p. 100 d’eau et équivalaient à 1746 grammes de feuilles séchées à 100°. Pendant six mois elles sont restées exposées aux intempéries ; l’eau de pluie s’écoulait par un tube de dégagement. Au bout des six mois de printemps et d’été pendant lesquels se fait surtout la décomposition microbieune, ces feuilles (pesées le 18 sep- tembre) avaient perdu 221 grammes, soit 12,6 p. 100 du poids pri- mitif à 100. Dans une caisse identique, voisine de la précédente, mais dont le fond était garni de cailloux de quurtz et de granit, on disposa égale- ment ? kilogr. des mêmes feuilles. Six mois après, ces feuilles avaient perdu 205,4, soit 11,8 p. 100 de leur poids primitif à 100°, c’est- à-dire sensiblement autant que les feuilles sur substratum ealcaire. Pendant l’automne et l'hiver qui suivirent, du 18 septembre au 18 mars, la neige a couvert le sol sans interruption du 28 décembre au 12 mars. Durant ces six mois, la décomposition fut insignifiante : 3,14 p.100. Enfin dans la seconde période de chaleur (printemps et été de 1895, du 18 mars au 18 octobre), la perte en matière organique a été de 12,92 p. 100. Donc, dans un an et demi, du 7 mars 1894 au 18 octobre 1895, les feuilles mortes exposées à l’air dans une caisse métallique garnie de pierres, soil calcaires, soit siliceuses, ont perdu 28,71 p. 100 de leur poids à 100°, soit moins du tiers de leur poids primitif. Dans la première année, du 7 mars 1894 au 18 mars 1895, la dé- composition microbienne (érémacausis) a détruit 12,65 + 3,14 — 15,79 p. 100 du poids primitif des feuilles mortes. Ces chiffres sont très inférieurs à ceux qui ont été obtenus par le D° Ramann et par Kostytcheff. Le premier, après avoir étalé sur un pluviomètre 500 grammes de feuilles de chêne fraichement tombées, puis desséchées, a cons- taté qu’au bout d’un été ce poids s’était réduit à 225 grammes et à 135 grammes après deux ans. La perte de poids avait été de 99 p. 100 pour la première année et de 18 p. 100 pour la deuxième, ce qui donne 73 p. 100 de perte en deux ans. Kostytcheff a trouvé que des feuilles de bouleau avaient perdu SUR LA DÉCOMPOSITION DES FEUILLES MORTES EN FORÊT. el après six mois 37,6 p. 100 de leur poids primitif, dans les six mois suivants 24,6 p. 100 de ce même poids, et dans les six mois suivants 13,9 p. 100, soit pour les dix-huit mois 76,1 p. 100 de perte totale, soit plus des trois quarts du poids initial. I y a loin de là aux 28,7 p. 100 obtenus à Nancy. Il est vrai que, dans les deux essais précédents, il s’agit de feuilles fraichement tombées, tandis que j'ai opéré sur la couverture morte où se trouvaient avec les feuilles de l'automne précédent des débris plus anciens. Or on sait, et l’on voit par les chiffres ci-dessus, que la marche de la décomposition est d’abord rapide (il y a au début une sorte d’explosion), puis lente, puis de plus en plus lente, jusqu’à la formation de l’humus à peu près inaltérable. En tout cas, puisque les feuilles placées, soit sur du calcaire, soit . sur du granit étaient absolument comparables, on peut déduire des chiffres rapportés plus haut que la nature du substratum a fort peu d’action sur la vitesse de décomposition, et c’est ce point qu’il s’agis- sait d’éclaircir. Dans une autre série d'expériences, on exposa à l’air libre, dans des caisses en zinc munies d’une dalle soit de calcaire, soit de grès bi- garré, des feuilles mortes d’une même essence et cueillies sur de jeunes arbres, en novembre 189%, un peu avant l’époque de leur chute naturelle. Un an après (15 décembre 1895), les feuilles de chêne sur le cal- caire ont perdu 21,62 p. 100 de leur poids primitif à 100° et au bout de deux ans, 29,64 p. 100. Les feuilles de charme sur le grès bigarré ont perdu dans le même laps de temps 23 p. 100 et en deux ans (15 décembre 1894-28 décembre 1896), 28,61 p. 100 du poids pri- mitif à 100°. Ce sont des chiffres encore sensiblement inférieurs à ceux que donnent le D° Ramann et M. Kostytcheff. Est-ce à la présence du zinc qu'il faut attribuer cette différence, ou à des périodes de dessiccation pendant lesquelles, comme on sait, toute décomposition est suspendue *? 1. Trois caisses en bois remplies d'un poids déterminé de feuilles mortes séchées à 1002 restèrent deux ans et demi à l'obscurité au laboratoire. Deux furent arrosées de 332 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Pour déterminer l'influence des sels de zinc, je disposai en no- vembre 4897 des feuilles dans des caisses en bois remplies, l’une de sable pur, l’autre de craie et recouvertes d’un filet en ficelle, par conséquent sans aucun contact métallique, et d’autres dans les caisses en zinc des essais précédents. Je voulais, en comparant la décomposition dans les deux genres de caisses, déterminer l'influence de l'enveloppe métallique. Onze mois après, le 9 octobre 1898, les 100 grammes de feuilles de tremble étalées sur le sable et sur la craie ont perdu sur le sable 52,05 p. 100 de leur poids primitif et 45,20 sur la craie. Ces mêmes feuilles placées dans une caisse en zinc avec dalle de grès bigarré n’ont perdu que 30,36 p. 100 du poids primitif. Il est done hors de doute que l’action nocive des sels de zinc sur les bactéries de l’érémacausis est la cause dominante du peu d’inten- sité de la décomposition. De mème, des feuilles de hêtre placées dans une caisse en Zinc n’ont volatilisé en un an que 22,5'p. 100 de leur poids primitif, chiffre très voisin de ceux (21,62 et 23,02) trouvés en 1895 pour le chêne et le charme, tandis que le poids de feuilles de ces deux essences restant un an en plein air en dehors de tout contact métallique a di- minué de 38,54 p. 100 pour le chêne et de 49,9 pour le charme. Ces derniers résultats : 45,20 p. 100 de diminution de poids en un an pour les feuilles de tremble ; 38,54 pour celles de chêne ; 49,90 pour celles de charme, se rapprochent beaucoup de ceux qui ont été obtenus par les autres expérimentateurs. Conclusions. -— 1° L'action des sels de zinc entrave dans une large mesure l’activilé des bactéries de l’érémacuusis : landis que lu décomposition s'élève à 40 ou 50 p. 100 dans la premiere année temps en temps, l'autre ne reçut jamais d'eau ; dans cette dernière, le poids des feuilles resta le même, tandis que les deux autres caisses perdirent, l'une 9 p. 100, l'autre 10,5 p. 100 du poids primitif des feuilles. 1. Malheureusement, un ver s'est introduit dans la caisse de sable, si bien que le chifre 52,05 p. 100 est trop fort de ce que le ver a dévoré. On ne peut faire état que du second nombre. SUR LA DÉCOMPOSITION DES FEUILLES MORTES EN FORÊT. 933 en dehors de tout contact métallique, elle s'abaisse à 15-23 p. 100 — soil moins de moitié — dans les caisses en zinc. 2 Confirmant un fuit bien connu, nos essais montrent que la dé- composilion, intense en été, est à peu près nulle en hiver. 3° Les feuilles de charme (Carpinus betulus, L.), beaucoup moins coriaces et lannifères pourtant que celles du chéne (Quercus robur, L.), ne se délruisent pas plus vile qu’elles, si elles ne sont soumises qu'aux aclions chimiques el microbiennes. Les chiffres donnés ci-dessus le prouvent ainsi que des recherches encore inédites de M. Fliche, qui, voulant déterminer le poids de matière organique se volatilisant dans des feuilles soumises in vitro aux mêmes conditions, a trouvé 45,2 p. 100 pour les feuilles de charme et 49,1 pour celles de chêne: Si les feuilles de charme disparaissent si vite de la couverture morte et se transforment si rapidement en humus, c’est uniquement dû, je viens de le montrer, aux vers de terre. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE PAR MM. J. ALQUIER INGÉNIEUR-AGRONOME CHIMISTE-EXPERT PRÈS LES TRIBUNAUX DE LA SEINE ATTACHÉ AU LABORATOIRE DE RECHERCHES DE LA COMPAGNIE GÉNÉRALE DES VOITURES A PARIS D' A. DROUINEAU MÉDECIN-MAJOR DE 2€ CLASSE AU 123° RÉGIMENT D’INFANVERIE (Suile*.) RE DEUXIÈME PARTIE EFFETS DE L'INTRODUCTION DU SUCRE DANS LA RATION DE L'HOMME ET DES ANIMAUX I. — OBSERVATIONS EMPIRIQUES SUR LE RÔLE ALIMENTAIRE ET DYNAMIQUE DU SUCRE, ET SUR SES PROPRIÉTÉS. Nous venons, dans la première partie de ce travail, de passer en revue toute une série de données physiologiques, établissant que les substances hydrocarbonées en général et le sucre en particulier ont une influence marquée sur le travail musculaire, le croît et l’engrais- sement. Si ces données sont véritablement exactes, il est à prévoir 1. Voir ces Annales, t. 1, 1902-1903. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 99D qu’elles doivent être corroborées par des faits d'observation journa-. lière, relevés en dehors de toute préoccupation scientifique. Ges faits existent, en effet, nombreux, et c’est à leur réunion que nous consa- crons ce chapitre. La faculté nutritive du sucre est connue depuis fort longtemps. Elle remonterait même à la plus haute antiquité, s’il faut en croire l’article suivant extrait d’un dictionnaire des sciences médicales du commencement du xix° siècle’. Sans prétendre décider si le céxyagou des Grecs et le saccharum des Latins étaient identiques avec notre sucre, et alléguer en faveur de ses propriétés le témoignage de Dioscoride, de Pline, de Galien, ete., ne voit- on pas, au x° siècle, Ali-Abbas, lun des médecins arabes les plus célèbres, parler de son utilité comme aliment des nouveau-nés ? Il serait sans doute exagéré de dire aujourd’hui avec Rouelle l'aîné que le sucre est le plus parfait des aliments, ou même avec Cullen qu'il est le principe nourris- sant par excellence, mais il ne le serait pas moins de lui refuser, comme on l’a fait aussi, toute propriété nutritive, et surtout de lui attribuer une action vraiment nuisible. L'expérience a prononcé. Sans rapporter ici les exemples souvent cités de Costerus, jurisconsulte célèbre, qui vécut quatre-vingt-dix ans, quoiqu'il fût grand mangeur de sucre,fdu due de Beaufort, mort plus que septuagénaire après avoir pendant quarante ans de sa vie pris au delà d’une livre de sucre par jour, et ceux dont parlent Fr. Hoffmann, Bergerius et Leyser (voyez J. A. Murray (Appar. medic.), nous dirons qu’il n’est peut-être point de médecin qui, dans sa propre pratique, n’ait eu l’occasion d'observer des faits plus ou mois sem- blables. L'article date de 1821! Comme nouvelle preuve de ce que lutilité du sucre n’est pas de récente découverte, nous pouvons encore invo- quer le témoignage de M. M. F. Le Breton, inspecteur général des remises des capitaineries royales. Dans la préface de son traité Sur les propriétés et les effets du sucre (1789)°, il préconise tout d’abord le sucrage des vins comme un des meilleurs correctifs, lorsque ceux-ci sont âpres et verts; puis, après avoir désigné cet «aliment » (le terme 1. Dictionnaire des He médicales. par une société de médecins et de chirur- giens. Art. Sucre, t. LIT. 2, Communiqué par M. Hélot. 13° congrès de l'Alimentation rationnelle du bétail, 1903. 390 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. existe dans l'ouvrage) sous le nom de panacée des vieillards, il le recommande dans nombre de maladies et tout particulièrement dans les affections de poitrine comme le stimulant le plus efficace et comme le meilleur adoucissant que l’on possède. Le Breton cite entre autres l’exemple de F. Hare, dont l'habitude était de mettre du sucre dans la nourriture des poulets pour les faire engraisser plus rapide- ment. « Je connais, dit-il, un autre fermier des environs de Londres, qui ajoutait du sucre blanc dans le lait donné aux cochons de lait; il les vendait beaucoup plus cher que les autres et leur chair était plus délicate que celle des animaux de la même espèce nourris de la ma- nière ordinaire. Scaliger assure également que la chair des cochons nourris des parties les plus épaisses du sucre (avec de la mélasse très probablement) n’est pas inférieure à celle du poulet. » Aprés avoir raconté l’étonnement des Indiens, surpris que les Européens n’emploient pas plus de sucre dans leurs aliments, le même auteur ajoute qu'il tent de source certaine que « les gardes de l’empereur de Cochinchine ont chacun trois livres de sucre dans la ration de la Journée, comme ce qui peut le mieux les nourrir ». Nos pères avaient donc notion de la valeur du sucre. Pourquoi ce précieux aliment n’a-t-il pas toujours eu la place qui doit lui appar- tenir dans le régime de l’homme et des animaux ? Question de pré- jugés populaires ! Il est encore fort difficile, actuellement, de faire comprendre, même aux personnes relativement instruites, que le sucre n’est pas seulement un condiment agréable au goût, analogue au sel, au poivre et à la moutarde, mais qu'il constitue avant tout un aliment de premier ordre. En dépit de ce qu’ils entendent répéter fréquemment, les enfants et les vieillards, seuls, ont su, de tout temps, échapper à ces errements. L'instinct chez eux est de force à lutter contre la routine, et ce que nous savons sur le rôle physiolo- gique du sucre suffit à nous expliquer pourquoi l'enfant qui dépense beaucoup en mouvements inutiles et qui, par le fait de sa croissance, a également besoin d’assimiler beaucoup, manifeste quelquefois très énergiquement son penchant pour les sucreries. Celles-ci sont égale- ment une excellente nourriture pour les vieillards, et s’ils les aiment, c’est qu’elles les réchauffent et combattent le refroidissement auquel ils sont enclins. Il ne faut pas non plus oublier que le sucre est com- GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 9331 plètement oxydé dans le corps, et ne peut par conséquent charger de déchets le système rénal fort usé des vieilles gens. Aussi, dans un travail sur la manière de vivre des centenaires, le D° Javal s’expri- mait-il ainsi : « Quelques-uns des sujets examinés appellent particuliè- rement l’attention par un usage excessif du sucre. Ils en prennent sous toutes les formes : aliments sucrés, boissons sucrées, sucre en morceaux. Contrairement à la croyance populaire, le sucre parait donc être pour eux un aliment de premier ordre ‘! » Le D° d'Hôtel, de Charleville, nous signalait dernièrement le cas d’une vieille femme qu’il avait soignée pendant fort longtemps et dont le sucre formait la nourriture presque exclusive. Atteinte par la cata- racte, elle avait été contrainte, peu de temps après le début de son infirmité, à ne plus sortir de chez elle et c’est alors qu’elle prit goût aux sucreries, Nous tenons de la bouche mème de ses enfants qu’elle mangeait, par semaine, 2 kilogr. environ de sucre cassé par tout petits morceaux. Elle en avait toujours à portée une boîte que son entourage remplissait au fur et à mesure. Le goût de cette femme pour le sucre était tel, que la nuit où, par caprice de vieillard, elle avait habitude de boire du sirop de gomme, jamais elle ne manquait d'ajouter encore quelques morceaux de sucre à cette boisson pourtant déjà très sucrée par elle-même. En plus de ces 200 à 300 grammes de sucre, elle ne prenait uniquement par jour que trois petites tablettes de chocolat, semblables à celles du goûter des enfants, puis quelquefois des biscuits à la cuiller et des gâteaux d’œufs et de farme qu’elle se faisait préparer toujours fortement sucrés. Le D° d'Hôtel avait été appelé à donner ses soins à cette femme que ses enfants n’osaient laisser à un pareil régime. 1 les engagea au con- traire à respecter les goûts de la malade. Celle-ci vécut ainsi encore au moins trois ans, sans autre nourriture que son sucre et son cho- colat. Lorsqu'elle mourut, elle avait 82 ans. Ce qui ajoute encore de l'intérêt à cette observation, c’est que cette femme, du jour où elle adopta l’alimentation sucrée, cessa d’être éprouvée par les coliques hépatiques, dont elle souffrait depuis longtemps. Parmi les individus qui, dans notre vieille Europe, se sont égale- 1. D' Javal, Inlerméd. des biol. et des médec., 20 avril 1899. ANN. SCIENCE AGRON, — 2° SÉRIE. — 1902-1903. — x. t& tr) 338 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. ment peu souciés de l’influence néfaste prêtée au sucre, maux de dents et d’estomac, augmentation de la soif, il faut citer les ouvriers des ports, des usines ou des entrepôts, dont le travail consiste juste- ment à manutentionner le sucre. Lorsque les hommes en déchargent sur les docks, ils en mangent généralement beaucoup, et il est notoire qu'ils se développent alors au point de vue musculaire et que leur santé s’améliore. Vaughan Harley, à qui l’on doit d’avoir réuni à ce sujet un certain nombre d'observations, cite le cas suivant. L’équi- page d’un navire rapportant du sucre des tropiques, ayant épuisé ses provisions à cause du mauvais temps, eut recours à la cargaison pour s’alimenter. Non seulement les hommes purent se soulenir, mais le scorbut dont ils souffraient s’améliora sensiblement. Autre fait : L’un de nous ayant eu dernièrement à faire vider un magasin rempli de sacs de sucre en litige constata avec plaisir, il faut l'avouer, que les ouvriers, fort peu nombreux pour exécuter le travail et pres- sés par les experts, désireux de terminer leurs opérations dans la journée, mangeaient continuellement le sucre qui s’écoulait des sacs percés. Ces manœuvres étaient ruisselants de sueur et sur l’obser- vation, conforme à la croyance commune, que le sucre allait les altérer, l’un d’eux répondit : « C’est le meilleur petit coup que l’on puisse boire. » Nous savons que le sucre soutient les organismes épuisés et que le travail s’alimente presque exclusivement à ses dépens. Nous verrons au cours de cette étude qu’il calme la soif. De semblables faits sont encore ignorés du public, aussi n’est-il pas étonnant de voir combien le sucre est peu prisé de ceux qui pei- nent et fatiguent. M. Cagny, vétérinaire à Senlis, prétend cependant avoir connu dans son enfance, où l’on allait beaucoup plus à pied que maintenant, des personnes âgées marchant vite et longtemps et ne consommant en cours de route que du sucre. « Elles en emportaient toujours, dit-il, une petite provision, la chose m’avait frappé, et cependant, comme elles avaient connu les rigueurs du blocus continental, le sucre était resté pour elles une denrée de luxe. Cela ne m'étonne plus, continue M. Cagny?, maintenant que je 1. Vaughan Harley, British. med. Journ., 1895, t. Il, p. 128?. 2. Gagny, Compt. rend. Congrès Tuberculose, 1898, p. 301. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 999 sais personnellement qu'avec un peu de sucre un homme peut rester longtemps sans manger, tout en faisant une dépense musculaire manifeste : « En 1887, j'ai déjeuné comme d'habitude un jour à midi, je suis parti de Paris sans dîner pour Albi. À cette époque, il n’y avait pas de wagons- lits, je n'ai donc pas pu dormir aussi bien qu’on le fait maintenant. Parti à 8 heures du soir de Paris, je suis arrivé à Albi vers 10 heures du matin. Mon confrère S. m’attendait pour visiter une écurie de chevaux morveux, et faire des autopsies, ete.; de 10 heures à { heure et demie, j'ai cireulé avec lui à pied, allant de l’écurie infectée au clos d’équarrissage. Je suis donc resté vingt-cinq heures sans consommer autre chose que quelques mor- ceaux de sucre. Ce que je trouve intéressant, c’est que je ne me sentais ni fatigué, ni affaibli, et que je n’avais pas une faim exagérée. Depuis j'ai fait des expériences analogues qui m'ont toujours donné le même résultat. Elles prouvent non pas que l’homme peut vivre uniquement avec du sucre, mais qu’il peut, tout en fatiguant, suppléer momentanément à l'absence d'aliments au moyer de sucre.» C’est aux sports et principalement au sport nautique que l'on doit d’avoir, dans ces dernières années, contribué à faire un peu apprécier le sucre par ceux qui fournissent du travail musculaire, et cela en dehors de toute considération scientifique. D’après Leitenstorfer ‘, le sportsman et physiologiste G. Kolb relatait déjà en 1890 cette obser- vation que les gens entraînés à un haut degré avaient un penchant spécial pour les hydrates de carbone ; nous l’avons nous-mêmes bien souvent constaté. Au cours de ses explorations sur le territoire du Kenia, il avait été également frappé de la sobriété et de l’endurance de ses porteurs noirs. Ceux-ci emportaient à peine de provisions et pouvaient vivre d’une poignée de miel sauvage qu’avec un flair infail- lible ils savaient trouver dans les forêts. Kolb songea donc à com- battre l'opinion généralement admise que l’usage des hydrocarbonés est nuisible à l'entrainement des gens de sport et le premier, en Alle- magne, conseilla, pour prévenir le surmenage, l'entrainement avec le sucre. Son conseil fut suivi à Mayence, dont la société nautique sou- leva bientôt une curiosité générale par la constance de ses succès. {. Leitenstorter, Deutsch. milil. Zeilsch., 189$, p. 505 340 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Presque en même temps, le Club des rameurs de Deventer remporta victoires sur victoires et l’on fit connaître qu'il le devait à l'usage du sucre. € Le Hollandais Birnie, raconte à ce sujet Steinitzer, avait observé à Java que les bateliers ne prenaient comme seule nourri- ture que des morceaux de sucre et que cela leur suffisait pour exercer leur métier très pénible de rameur. Dans certaines contrées de Java, les gens n’entreprennent Jamais de longs voyages sans se munir également de sucre contre la faim. Les cochers, dans leurs courses à travers la montagne, l’emploient aussi, sous forme de mélasse, pour nourrir leurs chevaux. » Birnie, pour ces raisons, persuada à un cerlain nombre de jeunes gens, cultivant le sport de la rame, de se servir de sucre. Ils remportèrent des prix aux concours de Leyds, Amsterdam, Ostende, sans que l’entrainement amenât chez eux du surmenage, aussi leur conduite fut-elle imitée en particulier par le towing-Club de Berlin. Birnie fit même une expérience : deux jeunes gens, lun de dix-sept et l’autre de dix-neuf ans, s’entraînèrent au sport de l’aviron, l’un avec de la viande, Pautre avec du sucre. Au bout de trois semaines, le premier dut abandonner son régime parce qu’il avait des lourdeurs de tête, de l’inappétence et une incapacité totale pour le travail intellectuel. Il se mit au sucre et, en trois jours, tous les symptômes morbides furent dissipés. Le médecin inspecteur Vin- cent rappelle également que les rameurs de Palembang se donnent des forces en absorbant du sucre. Parmi les rares sportsmen qui, d'eux-mêmes, sont venus au sucre, il faut encore citer les alpinistes. Lhomme ‘ rappelle qu’ils mächent souvent des pruneaux secs, fort riches en sucre, et, en fait, Lout le monde peut se rendre compte qu’on les voit, en cas de fatigue, aban- donner de plus en plus Palcool comme stimulant et restauratif et prendre à la place des sucreries et principalement du chocolat ou des fruits confits. Bonnette * signale que Jansen, dans son observatoire du Mont-Blanc, offrait toujours à ses visiteurs des infusions chaudes très sucrées, afin, disait-il, de leur « donner des jambes à la descente ». Le comte Russel et Spont ont, eux aussi, noté l’heureuse influence du 1. Lhomme, Bulletin médical, 1899, n° 29. 2, Bonnelte, Hygèène des sports (Quinzaine médicale, depuis le 1 décembre 1898). GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 941 sucre au cours de leurs ascensions dans les Pyrénées. Les chasseurs suisses de chamois en font, paraît-il, également usage. On lit dans le Bulletin pyrénéen de maï-juin 1905, l'article suivant, extrait de la Saison médicale du Midi et approuvé par le Journal des alpinistes des Pyrénées : « Pour combattre la fatigue des mon- tagnes, il faut s'arrêter et absorber une infusion de thé très chaude et très sucrée. A la fin des rudes étapes, comme il est quelquefois utile de recourir à l’ingestion de substances toniques stimulantes, dites accélératrices, on pourra prendre de la kola, de l’arsenic et surtout du sucre ». Après avoir rappelé les qualités de la kola et de l’arsenic, l’auteur ajoute : « Mais le véritable viatique des alpinistes est réellement le sucre, dont la haute valeur nutritive a été bien mise en relief par les expériences si concluantes des Chauveau, des Kaufmann et des Laulanié. En raison de sa prompte assimilation, cette substance constitue un moyen rapide de combattre l’épuise- ment, de faire disparaître la sensation de fatigue, de relever le po- tentiel nerveux et de favoriser de nouveaux efforts. » Pagès' prétend avoir assez souvent trouvé, parmi les vainqueurs des grandes épreuves de courses pédestres, des individus qui con- sommaient du sucre. « En ce qui concerne cet aliment, dit-il, les coureurs de vitesse et ceux qui pratiquent des exercices deman- dant un effort brusque mais non prolongé l’évitent en général”. Par contre, nous avons vu un coureur de fond, tel que Touquet, le vain- queur du prix de Marathon (40 kilomètres), en user largement au contraire pendant l'entrainement ; il en prenait en nature jusqu’à 160 grammes par jour, sans compter les autres aliments sucrés. » Citons enfin, d’après le D” Jaensch”, l'exemple de cette famille qui se suralimentait avec du sucre à l’époque du patinage ; les enfants, dont l’âge variait entre 12 et 14 ans, restaient huit heures de suite sur la glace sans être Jamais fatigués. Les propriétés nutritives du sucre sont donc bien connues et depuis {. Pagès, Correspondant méd., 1903. 2. Nous verrons, dans la suite, ce qu'il y a de vrai dans cette assertion. 3. D' Jaenseh, der Zucker in seiner Bedeulung fir die Votksernährung. Berlin, 1900, 342 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. fort longtemps, et s’il n’est pas encore entré dans nos habitudes d’en user comme d’un aliment courant, c’esLuniquement à cause de son prix élevé. Lorsque le sucre, originaire des Indes, pénétra en Grèce à la suite des expéditions d'Alexandre, pour de là se répandre dans les autres pays de l’Europe, il était rare. On ne l’emplova alors que comme médicament antidéperditeur. Les malades et particulièrement les fiévreux ont toujours eu une grande affinité pour le sucre. Les tisanes sucrées, préparées religieusement suivant la recette de la orand’mère, font du reste encore partie de l’arsenal thérapeutique de la famille. Lorsque les plantations de cannes des Antilles permirent d'amener d’assez grandes quantités de sucre sur les marchés de PEu- rope, on se décida à en usér pour sucrer. Depuis, industrie sucrière s’est créée en Allemagne, en France, en Russie, en Autriche ; elle n’a cessé de progresser, grâce à l'amélioration des variétés de betteraves et aux perfectionnements sans cesse apportés à la fabrication, mais le sucre n’en est pas moins resté un condiment. Son prix, surélevé par les impôts qui n’ont cessé de le frapper dans presque tous les pays, est certainement le seul obstacle qui se soit opposé au développement de sa consommation. Afin de mieux lutter contre son instinct el contre le penchant naturel qui, en lui faisant aimer cet aliment, l’en- traînaient à la dépense, l’homme peu à peu en est arrivé à découvrir au sucre mille défauts cachés. Voilà pourquoi l’esprit, par intérêt, n'a presque cessé chez nous de lui refuser une valeur nutritive, et de le considérer toujours comme une denrée de luxe. Dans les pays chauds, là où, sans être contrariés par des considé- rations économiques, les habitants ont pu largement profiter pour leurs besoins de la canne et des fruits mis avec tant de prodigalité par la nature à leur disposition, le sucre au contraire a été presque toujours apprécié à sa juste valeur. À l’ile de Java, on à remarqué que les ouvriers des sucreries en absorbaïient beaucoup au moment des grands travaux, et jouissaient alors d’une santé florissante. Le D° Holwerda, médecin de l’armée hollandaise, note que dans ce même pays les soldats supportent bien les fatigues des marches et évitent les coups de chaleur parce qu'ils prennent du sucre à leur œuise. Au cours de la dernière guerre des Philippines, les chevaux amé- GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 343 ricains, d’après le D° L. Seainan , devinrent éliques et refusèrent de manger. Se conformant au mode d’alimentation adopté par les indigènes, on arrosa le foin ou l’herbe fraiche avec de l’eau addi- tionnée d’une forte quantité de mélasse. La cavalerie fut ainsi très vite remise en état. Les soldats, de même que les chevaux, ajoute le D° Seainan, eurent besoin de recourir au sucre pour se soutenir. Le sucre est également une nourrilure très populaire parmi les nègres des plantations de canne des Indes occidentales. Le laboureur s’alimente, pendant son travail, en suçant un morceau de canne; une fois sa Journée finie, il rapporte des tiges chez lui et cela suffit pour le repas du soir de toute la famille. Vaughan Harley ajoute à ces détails que c’est pendant la moisson de canne que le nègre, homme, femme ou enfant, est le plus gras et le mieux portant. Dans l'Inde, les animaux reçoivent souvent du sucre : on cite le cas de l’empereur Azbar qui donnait par Jour à ses chevaux une livre et demie anglaise de sucre. Lorsque les chameaux ont de longs voyages à faire, on leur composerait, paraît-il, aussi une espèce de pâte avec de la mé- lasse, de l’alun et de l’opium. En Amérique, vu le voisinage des Antilles, le sucre est d’un usage encore plus courant qu'aux Indes. Les coolies et les travailleurs en sont tellement avides à Cuba, que les planteurs se sont vus obligés de limiter leur consommation ; ils en reçoivent près de 200 grammes par Jour. La valeur du sucre est alors très visible, car, la moisson terminée, et bien que le travail des champs soit excessivement pé- nible, les nègres faibles et d'aspect chétif sont devenus sans excep- üons gros et forts. D’après Vaughan Harley, les coupeurs de bois du Canada, tous de beaux hommes très musclés, mangent abondamment du sucre sous forme de mélasse. Ils en mettent dans leur thé; ils en font des gâteaux et même l’ajoutent, en guise d’extra, à leur rôti de porc salé, la seule viande qu’ils puissent conserver dans les bois, où ils passent la moitié de l’année. Leur nourriture à la maison ne diffère guère, et les Indiens civilisés de l'Amérique du Nord, grands chasseurs comme 1. D' Livingstone Seainan, major et surgeon, 1° W. S, Vol. Engineers, 13° con- grès méd. (Méd. navale.) Paris, 1900. 344 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. eux, adoptent la même nourriture. Au point de vue de la solidité et de l’endurance, il y en a pourtant peu qui puissent les égaler. Dans l’Amérique du Sud, le sucre fait régulièrement partie de l’ali- mentation de l’homme et des chevaux. M. Enfantin donne à ce sujet les détails suivants *. De temps immémorial on administre aux che- vaux la panéla toutes les fois qu’ils vont fournir une longue course. Cette panéla n’est autre chose que du jus de canne à sucre, évaporé à feu nu jusqu’à consistance sirupeuse, puis coulé sous forme de bri- quettes assez consistantes pour pouvoir être transportées. On donne aussi parfois aux chevaux des tiges et des feuilles de cannes fraiches, mais, en voyage et surtout dans la région montagneuse des Andes, on n'emporte pour les montures uniquement que de la panéla (5 kilogr. par Jour). Les indigènes sont même assez friands de ce sucre brut dont Parome est un peu plus prononcé que celui de la cassonade. Depuis longtemps, on a du reste cessé, dans ces pays, de brüler les mélasses issues de la fabrication du sucre. On les mélange, à parties égales, avec du maïs ou de l’avoine, puis, après dessiccation, on com- prime le tout pour en former une sorte de gâteau. Les neuf dixièmes des animaux sont nourris dans la Louisiane avec ces tourteaux. Les mulets en reçoivent plus particulièrement et ils forment, dit-on°, un type spécial à ce pays et très recherché. Le prix aux États-Unis des € mulets à sucre » — c’est ainsi qu’on les dénomme — est supérieur de 25 à 30 p. 100 à celui de leurs congénères. Cela tiendrait aux aptitudes spéciales, à la plus grande vigueur, à l'endurance com- muniquées à ces animaux par l'alimentation sucrée. En Afrique le sucre est encore plus prisé. Les races nègres l’aiment et en consomment dès qu’elles peuvent s’en procurer, ce qui expli- querait leur aptitude spéciale à supporter les fatigues prolongées. Les Arabes, de même que tous les Orientaux, boivent le café et le thé très sucrés. Serait-ce là le secret de leur proverbiale sobriété ? Tout le monde sait qu'ils s’alimentent souvent de figues et principa- lement de dattes pressées sous forme de gâteaux, contenant jusqu’à 60 p. 100 de sucre ; cette nourriture est commune aux hommes, 1. Grandeau, feuilleton du journal Le Temps, 25 octobre 1902, 2. H. d'Anchald, Journ. Agr. pral., 29 janvier 1903. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 345 aux femmes, aux enfants, aux chevaux, aux ânes et aux chameaux pendant les longs voyages que les indigènes effectuent dans l’extrème Sud algérien, et il y a déjà longtemps que Morin proposait les dattes comme susceptibles de devenir une ressource précieuse pour nos troupes dans les expéditions lointaines. En Afrique, le sucre à du reste fort souvent été d’un grand secours aux Européens. Le célèbre ex- plorateur Stanley déclare, dans son journal de voyage, qu'un mor- ceau de sucre, fondant lentement dans la bouche, soutient les forces lorsqu'il faut marcher sous le soleil brûlant. M. Neuville, sous-offi- cier de la mission Foureau-Lamvy, à pu également, dans des circons- tances on ne peut plus dramatiques, apprécier l’heureuse influence du sucre pour calmer la faim et surtout la soif. Voier un extrait de son journal de route‘: Vendredi 11 août 1899. — Réveil à 11 heures du soir ; départ à minuit. Nous quittons le camp de Tebalat à 25 kilomètres au sud d’Agadez. Nous marchons toute la nuit sur un terrain assez facile; la marche, quoique sans arrêt, est très lente à cause de l'obscurité. Quand le jour paraît, nous nous trouvons toujours sur le même plateau désert qui s'étend à perte de vue ; beaucoup de pâturages cependant. Vers 7 heures du matin, on aper- çoit une montagne au loin, c’est au pied de cette montagne que se trouve le point d’eau. À partir de ce moment, la colonne commence à s’éche- lonner, les bourriquots ne peuvent plus suivre. L’allongement devient si considérable, que ce n’est plus une colonne qui marche, c’est une troupe en débandade. Du reste, vers 8 heures, la soif commence à se faire sentir pour les hommes et pour les animaux qui n’ont pas bu hier. Les hommes sont partis depuis minuit avec un bidon d’eau. Or, à cette époque, dès que le soleil se lève, à 6 heures, on est très altéré dans ce pays de malheur! Aussi, à 8 heures et demie, personne n’a plus une goutte d’eau. Le com- mandant Lamy part en avant avec M. Dorian pour découvrir l’eau; des hommes de l’avant-varde et des flanqueurs les suivent. Les moutons et les bœuls, devinant l’eau, prennent les devants; on sent que la situation va devenir inquiétante. Je commence à « crever » de soif ; sur seize hommes que j'avais comme flanqueurs, cinq me suivent encore. Je prends également les devants et finalement j'arrive seul vers 11 heures à l'endroit où le commandant s’est arrêté et où les puits sont à sec; c’est terrifiant. . 1. Nous adressons nos bien sincères remerciements à M. Neuville pour avoir mis si obligeamment à notre disposition son journal de route, ainsi qu'à M. le lieutenant de Maistre qui a bien voulu être notre intermédiaire en cette circonstance, 346 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Le commandant demande aux rares hommes qui sont déjà là, s’il ne s’en trouve pas deux de bonne volonté pour creuser le sol et trouver de l'eau ; il leur promet, à chacun, 10 fr. s'ils ramènent un quart d'eau, Deux tirailleurs sahariens et deux spahis sahariens se mettent à l'œuvre, mais en vain: l’eau ne paraît pas. Le commandant recommande à tous ceux qui sont là de se mettre à l'ombre et d'attendre l’arrivée des animaux : il a l'intention d’envoyer vingt des meilleurs méharistes chercher de leau ; la situation n’est pas du tout brillante. Pour tromper la soif qui me dévore, je me mets à grignoter mon sucre de réserve (douze morceaux ordinaires); j'éprouve immédiatement un grand soulagement. Je suis heureux d'avoir découvert ce moyen de calmer ma soif, et je ménage mon sucre; je mets à peu près deux heures à le consommer, et je me sens tout ragaillardi. Nore. — J'ai su par la suite que beaucoup de mes camarades avaient fait la mème chose que moi. Du reste, il nous est arrivé très fréquemment en route, lorsque nous avions faim, de grignoter du sucre, et à chaque fois nous avons éprouvé un grand soulagement. Ainsi que nous allons le voir, le sucre s’est fait en Afrique de nom- breux amis. Voici une observation inédite que M. le médecin princi- pal Lepage, directeur du service de santé du 9 corps, a bien voulu rédiger à notre intention : En 4884, à Gafsa, dans le Sud tunisien, région où la température moyenne est fort élevée pendant la période des grandes chaleurs, tout Île personnel de l’hôpital éprouvait le matin, au réveil, une impression mar- quée de vide cérébral avec sensation de faim que calmait momentané- ment l’ingestion d'aliments légers, mais qui se reproduisait assez rapide- ment. On chercha le moyen de faire cesser cette sensation de besoin, et, après différents essais, M. le pharmacien-major D' Gessard fit préparer une boisson vineuse (vin — 100 à 150 grammes, eau — 850) sucrée plus ou moins suivant les goûts individuels et dont l'usage fit disparaître chez tous la sensation désagréable précédemment constatée. En raison de la faible quantité de vin destinée surtout à masquer le uoût d’une eau légèrement saumâtre, je crois qu’on peut attribuer au sucre l'effet utile obtenu. Plus récemment, en 1895, à Madagascar, obser- vant les mêmes sensations de faim, je conseillai l’usage de la boisson sucrée et le résultat fut également satisfaisant. Le capitaine Bourke, du 10° régiment des Indes occidentales, est devenu, lui aussi, tout naturellement un partisan très convaincu du sucre. Lorsqu'il était en Afrique, il remarqua, au cours des marches GLYCOGÉNIE. ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. :47 longues et fatigantes, que ses soldats, tous nègres, estimaient leur ration de sucre autant que leur ration de viande. « Lorsque, dit-il, mes hommes n’avaient ni thé, ni cacao dans lequel ils pussent mettre leur sucre, ils le mélangeaient avec de l’eau et le buvaient ainsi. Ils mâchaient également de la canne à sucre, toutes les fois qu’ils en 'ouvaient sur leur route. » Le D’ Gardner” signalait enfin assez récemment que les Boers, dont le courage et l’énergie ont fait, pendant la guerre du Transvaal, Padmiration du monde entier, aiment lout particulièrement le sucre. Grands buveurs de café, avant de le verser dans leur tasse, ils ont l’habitude de remplir celle-ci de sucre. On en voit beaucoup qui, tout en buvant ce sucre au café, mangent encore du sucre candi. M. Gran- deau cite le cas d’un malheureux ingénieur-géologue qui, se trouvant bloqué, au cours de la guerre du Transvaal, entre les lignes boers et anglaises sans pouvoir bouger sous peine d’essuyer des coups de fusil, vécut blotti pendant six semaines, en compagnie de six lapins auxquels il attachait un grand prix, sans autre nourriture que du sucre mêlé à de la sciure de bois. Ce dernier aliment est très cellu- losique et fort pauvre en matières azotées assimilables. Le besoin d’albumine ne devait donc être que fort imparfaitement satisfait chez cet ingénieur et ses six lapins, mais ils ne s’en trouvèrent pas plus mal pour cela, paraît-il. Cette petite expérience contrainte d’alimen- tation ne nous étonne qu’à demi, car nous avons suffisamment mis en lumière dans le précédent chapitre l’action énergique d'épargne du sucre vis-à-vis de l’albumine désassimilée par l'organisme. Pour clore cette série d’observations empiriques sur la valeur alimentaire et dynamique du sucre, il faut signaler que certains au- teurs ont attribué la supériorité des Anglo-Saxons sur les autres races à l’usage fréquent qu'ils faisaient de cet aliment. La théorie est tout au moins assez originale pour que nous la citions ici. Déjà dans le travail de Schumburg nous avions remarqué ce pas- sage : « Hirschberg, après avoir établi la statistique de la consomma- on du sucre en 1892, note qu’en Allemagne la consommation est de 10 kilogr. par tête et en Angleterre de 398,95. Il se pourrait que la 1. D' Gardner, British Med. Journ., 27 avril 1901, p. 1010. 348 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. puissance de travail et l'endurance des Anglais viennent de cette con- sommation très forte de sucre et non pas des albuminoïdes, comme on le pense en général. » Gardner a repris avec plus de développe- ment la même idée. Il note d’abord l'augmentation de la consom- mation de sucre en Grande-Bretagne. De 30 livres par tête en 1863, elle se trouve être de 86 livres en 1890. « On peut prétendre, dit-il, que celte augmentation constante de la consommation du sucre est la cause principale de l’accroissement de taille, de poids, de la santé meilleure et de la vigueur plus grande que le peuple anglais a pré- senté d’une manière si remarquable pendant ces trente ou quarante dernières années. » Dans cet ordre d’idées, il devenait intéressant de comparer la consommation du sucre dans les divers pays. Gardner cite les chiffres suivants pour l’année 1896 : Consommation moyenne par tête en livres anglaises. En Grande-Bretagne . . 86,50 En Hollande . 25,90 Aux États-Unis . . . . 65,50 — Belgique . . . . . 22 00 En Danemark. . . . . 43,60 — Autriche 16.80 MOSS APS ANS 42,90 — Russie . ue 11,25 = OPA Ce MER Le 28, 14 — Italie et Espagne . 1400 — Allemagne. . . . . 27,14 On voit que les Américains sont, avec les Anglais, le seul peuple qui mange réellement du sucre dans toutes choses et en assez grande quantité. En fait, conelut Gardner, les Anglo-Saxons peuvent être regardés comme la race mangeant du sucre. Les caractéristiques de cette race ! sont : son énergie, sa robustesse, sa vigueur, sa force et sa puissance d'endurance ; el encore nous devons noter que c’est surtout durant la dernière moitié du siècle que celte race s’est multipliée énormément et à envahi tout le globe; or nous venons de voir que c’est durant cetle même moitié de siècle que sa consommation en sucre a tant augmenté. En regardant la liste, nous notons que les Allemands ne consomment que peu de sucre; nous ne devons pas oublier cependant qu'ils boivent une grande quan- tité de bière qui contient un sucre similaire, le maltose. Tout près de la fin de la liste nous trouvons les Russes. Il y a quelque temps, 1. Il faut remarquer que c’est un Anglais qui parle, GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 9349 le Spectalor donnait un article sur les caractéristiques slaves, dans lequel il était dit : « Un de leurs défauts est un certain manque d'énergie. Le Russe a de l’énergie, il est vrai, mais pas comme les Occidentaux qui vont malgré les obstacles, déterminés à ne s’arrêter qu'après les avoir franchis. L'énergie du Russe est celle d’un homme d’une vitalité infé- rieure qui ne sait ni s'arrêter, ni modifier son plan, mais qui avance tou- jours avec de nombreux arrêts et très lentement, au risque de mourir avant d’avoir achevé son œuvre. Les armées russes hors de leurs frontières se fondent peu à peu sans que leurs propres généraux puissent en donner la raison. La cause en est à ce qu’ils ne possèdent pas une réserve sufli- sante d'énergie plutôt qu’au manque de bonne alimentation. Cette grande vitalité, cette même énergie possédée par les Anglo- Saxons et qui manque aux Russes, ce serait donc le sucre qui la donnerait ! LE SUCRE DANS L'ALIMENTATION DE L'HOMME II. — INFLUENCE DU SUCRE SUR LA PRODUCTION ET L'ENTRETIEN DE L'ÉNERGIE MUSCULAIRE A) ERGOGRAPHIE. Différents auteurs ont cherché à mesurer expérimentalement Pac- lion du sucre sur l'énergie musculaire. Pour effectuer ces mesures, ils ont choisi l’étude des contractions et des relàchements successifs des muscles fléchisseurs d’un des doigts de la main et se sont servis dans ce but de l'appareil appelé ergographe, imaginé par le professeur Ugolino Mosso, de l’Université de Gênes. Avec cet appareil on enre- gistre sur une feuille de papier les hauteurs auxquelles le sujet d’ex- périence peut élever, au moyen soit du second doigt, soit du médius, un poids qui diminue d’autant plus la facilité de traction que la fati- gue musculaire va en augmentant. La figure 17 nous montre le dispositif de l’ergographe Dubois ana- logue du reste à celui de Mosso*. L’avant-bras repose naturellement 1. D' Schnyder et Dubois, Archives de Pfluger, 1903, t. IG. — L'ergographe de Mosso se compose de même d'un appareil contenseur de la main et d’un enregistreur 290 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. sur la surface cubitale. Une armature fixe (M) l'empêche de faire les mouvements latéraux. La main est immobilisée par le taquet H. Dans le doigt indicateur se trouve engagé, à la hauteur de la phalange inter- médiaire, un anneau auquel est reliée une corde de boyau. Celle-ci passe sur une petite poulie folle (R) et supporte un poids. Le doigt conservant Ja liberté de ses mouvements, les contractions volontaires des muscles fléchisseurs élèvent ce poids à des hauteurs variables suivant les conditions de lexpérience ; le relâchement des mêmes F1G. 17. muscles abaisse ensuite progressivement le poids, dans des inter- valles de temps mesurés, et la course du doigt s'inscrit à laide d’un crayon (B) sur une plaque (T) qui se meut automatiquement à chaque traction. Le travail du muscle et sa durée sont exprimés par le tracé de l'élévation et les abaissements successifs d’un poids connu, 9, 6, 7 kilogr., suivant les cas. | des contractions : seulement la main et l'avant-bras sont posés sur le dos, et c’est Le médius qui travaille. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 391 Expériences de Vaughan Harley. Les premières expériences ergographiques furent faites à Turin en septembre et octobre 1892 par Vaughan Harley. En voici les détails* : ; Les contractions avaient lieu toutes les deux secondes. Le poids utilisé était de 3 Kilogr. pour le médius gauche et de 4 kilogr. pour le médius droit, capable de soulever un poids plus fort. Afin que les résultats fussent aussi exacts que possible, on caleulait en kilogram- mètres d’abord la quantité totale de travail, puis la quantité de tra- vail accompli pendant trente contractions musculaires. Il est intéressant de reproduire ici in extenso les conclusions de ce travail : Les périodes de la digestion de même que la nature des aliments ont une influence marquée sur l'énergie musculaire volontaire. En dehors de l'influence de l'alimentation, il y a dans le pouvoir muscu- laire un maximum et un minimum diurnes. L’aptitude au travail est plus grande dans la seconde moitié du Jour ; le minimum est Île matin vers 9 heures, le maximum vers 3 heures de l’après-midi. L'exercice régulier retarde le moment de la fatigue. La consomma- lion de grandes quantités de sucre accroît le pouvoir musculaire de 26 à 33 p. 100, et, en tenant compte du retard apporté à la fatigue, cet accroissement peut atteindre pour la journée de 61 à 76 p. 100. Lors de l’addition de sucre au régime ordinaire, le pouvoir museu- laire augmente de 9 à 21 p.100 et le travail total, de 6 à 39 p. 100. L’addition de sucre à un régime mixte abondant donne encore des accroissements du pouvoir musculaire de 2 à 7 p. 100, et de 8 à 16 p. 100 pour le travail total. L’addition de 250 gramines de sucre au régime normal suffit pour accroître le travail quotidien. L’acerois- sement est alors de 6 à 28 p. 100 pour le travail de trente contrac- lions musculaires, et pour la journée entière de 9 à 36 p. 100. Le sucre pris tard dans la soirée peut enfin faire disparaître la chute diurne et augmente la résistance à la fatigue. 1. Vaughan Harley, The Journ. of Physiol., 1594, t. XNI, p. 97 352 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Expériences de Mosso. En 18953, le professeur Ugolino Mosso, au cours de ses études sur l’action des principes actifs de Ja noix de kola vis-à-vis des contractions musculaires *, trouva à la caféine, au glucose et à l’amidon une action marquée sur la contraction, influence qui se faisait sentir sur les muscles, sans le concours du système nerveux central. Le glucose et l’amidon, ces deux composants de la noix de kola, concluait-il, unissent leurs effets à ceux de la caféme pour rendre les muscles plus résistants à la fatigue. Le fait était conforme aux expériences d’Albertoni tendant à démontrer que le glucose, le maltose et le saccharose agissaient d’une façon marquée sur la circulation. Ces premières recherches incitèrent Mosso à entreprendre soil seul, soit avec son élève, le D' Paoletti, de nouvelles expériences sur l’action du sucre vis-à-vis de l'énergie musculaire, au triple point de vue des quantités de sucre à ingérer, du degré de concentration des solutions et de l’influence du fractionnement des doses, c’est-à-dire de l’espacement de l’ingestion du liquide sucré. Il avait choisi pour effectuer ces mesures l'étude des contractions et des relächements successifs des muscles fléchisseurs du doigt du milieu de la main. Les expériences étaient faites sur des individus complètement à jeun ou assez longtemps après le repas pour que les phénomènes de la diges- ton n’influencent plus le système musculaire. Après avoir introduit son doigt (le médius) dans l’ergographe, le sujet soulevait un poids (toujours le même pour le même observateur durant l'expérience). Lorsque deux minutes s'étaient écoulées, il le laissait retomber pour le soulever de nouveau une minute après. Un métronome servait à mesurer la durée de ces intervalles. La hauteur d’élévation du poids diminuait forcément avec chaque contraction jusqu'au moment où le doigt ne pouvait plus soulever la charge. On obtenait ainsi un groupe de contractions rythmiques décroissantes susceptibles d’ex- primer la courbe de fatigue. Toutes les dix minutes, on recommençait une nouvelle courbe, jusqu’à ce que, après dix ou quinze semblables, 1. Mosso, Archives ilalienves de Biol., 1893, (. XIX. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 393 le doigt devint incapable de fournir du travail. À ce moment même, le sujet absorbait une solution sucrée, et continuait, sans interrup- tion, à tracer de dix minutes en dix minutes de nouvelles courbes. Le travail produit, on l’exprimait en kilogrammètres en multipliant la hauteur de chaque élévation par le poids du corps soulevé à cha- cune de ces hauteurs *. Mosso fit une première série d’expériences avec de fortes doses de sucre : 100 grammes dans 50 centimètres cubes d’eau, ce qui cons- titue un véritable sirop, — Le 21 août 1893, à 1" 5, il commence à soulever, toutes les dix secondes, un poids de 6 kilogr. Le travail tombe de 1*#",950, chiffre du début de l’expérience, à 0%",702. À 495, il prend le sirop et recommence le travail. La courbe repart de 0*s",804, mais elle décroît très vite jusqu’à atteindre 0%8",462. A 2"15, Mosso boit 300 centimètres cubes d’eau pure ; le travail dé- croit toujours et passe de 08%,490 à 0%" 319. Voici les courbes tracées par le crayon au cours de cette expérience. La flèche indique le moment où le sirop est ingéré. I IL Influence d’un sirop concentré Influence de 300 centimètres cubes d’eau. (100 grammes de sucre dans 50 centimètres cubes d’eau). | | il | , L y AA à | 1 1) (IN il ll | Heure 315 425 ” la. LH. ja La. sd (M li Fi&, 18, On peut en conclure que le sucre ingéré en une fois, à doses massives, n’influence pas sensiblement l'énergie musculaire et que l’eau prise seule reste sans action. Toutes les expériences analogues que firent Mosso et Paoletti confirmèrent ces résultats. 1. Mosso. Der Einfluss des Zuckers auf die Muskelarbeit, Berlin, 1901, Thor- mann et Goetsch. ANN. SCIENCE AGRON. — 2% SÉRIE — 1902-1903. — 11. 93 394 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Le graphique suivant (fig. 19) nous montre l'influence des doses moyennes de sucre. il } 1945 1955 | il Heure 1125 35 45 F1G. 19. Influence de doses moyennes de suere (60 grammes dans 60) centimètres cubes d’eau), Le 6 août 1893, Paoletti, à jeun, place dans l’ergographe à 10"35 son médius droit, supportant un poids de # kilogr. Le travail passe de 1*5%,984 à 055,104. À midi cinq minutes, il ingère 60 grammes de sucre dissous dans 600 centimètres cubes d’eau. Le travail re- monte, atteint 1*#",900, puis décroit assez lentement, en prenant successivement les valeurs suivantes : 1,968 ; 1,476 ; 1,490 ; 1,194; 0,616 pour atteindre 0,044. A la suite d’expériences analogues, Mosso conclut que les doses de 30 à 60 grammes de sucre, prises en une fois, restituent l’énergie du muscle fatigué beaucoup mieux que des doses plus considérables. La dilution du sucre dans six à dix fois son poids d’eau produit l'effet le plus sensible. L'influence maxima du sucre se manifeste alors de trente à quarante minutes après l’ingestion; quelquefois même elle se produit au bout de dix minutes. Les faibles doses (de 5 à 20 grammes de sucre) sont particulière- ment favorables ainsi qu’en témoigne l’expérience suivante, l’une de celles que Mosso cite dans son mémoire : Le 4 août 1893, le travail commence à l’ergographe à 830. Sa valeur passe successivement de 1,244 à 0K",044. À 100, le sujet prend 15 grammes de sucre dissous dans 120 centimètres cubes d’eau. La courbe partie de 0%®,040 atteint de suite 1%",924. Pour contrôler ces premières expériences et répondre à ceux qui mettaient sur le compte de la suggestion la suractivité musculaire observée consécutivement à l’ingestion de doses minimes de sucre, GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 399 Mosso, à l’insu du sujet, substitua de la saccharine au sucre de canne. Ilen mettait juste ce qu’il fallait pour donner à la boisson une saveur sucrée comparable à celle des autres dissolutions d'expérience. Jamais l'énergie musculaire ne s’accrut après l’ingeslion de saccharine. Après s'être rendu compte de l'influence des diverses doses de sucre et après avoir déterminé les dilutions les plus favorables dans le cas où la dose de sucre était ingérée en une seule fois, Mosso en- treprit une nouvelle série d’essais pour voir ce qui se passait lorsque, à l’aide du sucre, l’on restiluait petit à petit au muscle l'énergie pré- cédemment dépensée par le travail. Il fit donc prendre successivement de faibles quantités de sucre dans des volumes variables d’eau, et mit ainsi en évidence ce fait: qu'il fallait fractionner l'absorption pour oblenir les meilleurs résullals. Voici, par exemple, le graphique de l’expérience 51 : E——— = (Eee ruse = F1G. 20. Influence de petites doses de sucre ingérées toutes les dix minutes (10 grammes dans 30 centimètres cubes d’eau). Les données de cette expérience sont les suivantes : Le 1% septembre, Mosso se met au travail et commence, à 150 à soulever, avec sa main gauche, un poids de 5 kilogr. La courbe du travail, partie de 1*#",620, tombe à 0*5",379. À 3"10, il prend 10 grammes de sucre dans 80 centimètres cubes d’eau. Le travail remonte à 0*%,930. II continue, à partir de ce moment, à absorber la même dose de dix en dix minutes; les chiffres successivement trouvés sont : 4*%,110 ; 4%5%,660 ; 2: 665. A partir de 3"40, Mosso cesse de prendre du sucre ; la courbe redescend de 1,080 à 0,195. Voici, textuellement traduites, les conclusions de Mosso sur l’en- semble de ses recherches. « Les doses minimes et moyennes de sucre (de 5 à 60 grammes) 396 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. prises en une seule fois développent dans le muscle fatigué le maxi- mum d'énergie. Si les doses sont supérieures à 60 grammes, la pro- duction du travail diminue dès que la quantité de sucre ingéré aug- mente. Avec les doses moyennes, le muscle est capable d’un effort plus considérable. « Le sucre à la dose de 5 grammes, poids moyen des petits mor- ceaux cubiques que l’on emploie dans les ménages, est déjà capable de communiquer au muscle fatigué une activité notable, mais de courte durée. De la quantité d’eau qui sert de véhicule au sucre dépend l'influence heureuse de ce dernier sur le muscle. On obtient les meilleurs effets en dissolvant le sucre dans six à dix fois son poids d’eau. Avec les solutions concentrées, le résultat est médiocre ; l’action baisse de même avec les solutions trop étendues. Le muscle produit le maximum de travail mécanique quand le sucre est pris à petites doses, 5 à 15 grammes, de dix en dix minutes. C’est là le meilleur moyen de restituer au muscle l’énergie que lui a fait perdre le travail. La rapidité du phénomène est remarquable. Cinq ou dix minutes après l’ingestion du sucre, l’état du muscle est déjà amélioré. « L'influence est donc maxima après l’emploi de doses moyennes. L'énergie musculaire ne persiste que très peu de temps après l’in- gestion de petites doses ; elle dure une heure et plus après emploi de doses moyennes. Avec les petites doses qui agissent dans un court intervalle, on peut, durant un temps assez long, garder au muscle en activité son énergie primitive. Il en résulte que tous ceux qui font travailler les muscles de leurs jambes, comme les soldats, les alpi- nistes et les cyclistes, et dont les forces commencent à manquer, doivent trouver dans le sucre une nouvelle source d'énergie. Cette beureuse influence se manifestera, nous l’espérons, dans le domaine de la thérapeutique pour stimuler, par exemple, les contractions de l'utérus au cours de l’accouchement. » Expériences de Langemeyer et Lechensen. Les conclusions de Mosso ne furent pas admises par tout le monde. Le D' Stokvis', d'Amsterdam, leur opposa les expériences entreprises, 1. Stokvis, British Med, Journ., 1895, t. Il, p. 1280. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 9397 à son instigation, par les D‘ Langemeyer et Lechensen, expériences qui prouvent, disait-il, que l’effet bienfaisant du sucre n'existe pas ou que, s’il existe réellement un peu, il est impossible de s’en rendre compte au moyen de l’ergographe. Dans une de leurs séries d’expé- riences, les médecins hollandais firent ingérer, avant le travail ergo- graphique, tantôt différentes espèces de sucres (glucose, saccharose, lactose), tantôt des substances de saveur sucrée n’appartenant pas au groupe des hydrocarbonés (saccharine, dulcine). Ils ne purent mettre en évidence l’effet bienfaisant du sucre ct n’y arrivèrent du reste pas davantage pour l’une quelconque des substances sucrées expéri- mentées. La quantité de travail ergographique était parfois plus grande après l’ingestion de sucre, ou de lactose, ou de saccharine, mais les résultais variaient suivant que l’on considérait une seule expérience ou la moyenne d’une série de recherches prolongées pen- dant quarante jours. L’entrainement, variabie pour les deux mains, était de nature, par exemple, à fausser les résultats, car 1l pouvait augmenter la quantité totale de travail sans que les substances ingé- rées interviennent en quoi que ce Soit. Langemeyer el Lechensen recherchèrent tout particulièrement l'effet du sucre sur les muscles presque épuisés. Leurs expériences durèrent cinq à six semaines et furent faites par quatre individus dif- férents. L’un d’eux, un grand garçon, bien venu, de seize ans, ne comprenant pas du tout la signification de ce qu'on lui demandait, fut le seul qui montra au début tous les signes d’une réelle fatigue. Après seize ou dix-sept expériences, il ne pouvait plus faire de travail ergographique. C’était donc un sujet parfait pour démontrer l'effet du sucre sur les muscles fatigués. Dans son cas, cependant, comme dans tous les autres, cet effet bienfaisant manqua complète- ment, tout au moins pendant les premières semaines, car, dans les dernières, l’entrainement ayant continué, il arriva que ce garçon fil preuve de temps en temps d’un grand gain de travail musculaire. Une fois on observa un gain de 3 kilogrammètres sans qu’il n’eût rien mangé, une autre fois un gain de 2 kilogrammèires après l’usage du sucre, puis un gain extraordinaire de 18 kilogrammètres après avoir bu un verre d’eau fraîche. Une nouvelle série d'expériences permit d'examiner l'influence de 398 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. grandes doses de sucre sur des muscles non fatigués. Le D' Lange- mever compara le travail ergographique de la matinée à celui de l'après-midi, après avoir pris à son déjeuner de midi 100 200 grammes de sucre en plus de son repas ordinaire. Les expé- riences avec 100 grammes de sucre durèrent pendant dix-sept jours, celles avec 200 grammes onze jours. Le tableau suivant en résume les résultats : TEMPS MOYEN pendant lequel TRAVAIL le poids est soulevé. total moyen secondes. kilogrammètres. Matin (pas de sucre) . . . : 226 13,200 Après-midi (100 grammes de real 235 12,612 Matin (pas de sucre) . . . 2 261 13,322 Après-midi (200 grammes de es) ) 266 12,483 D’après ces chiffres, 1l ne pouvait plus être question d’une in- fluence marquée de l'usage du sucre sur le travail musculaire. Dans une expérience finale, Langemeyer nota la quantité journa- lière de travail ergographique prise toutes les heures de 930 à 530 ; on effectuait un tracé séparé pour chaque main. Certains jours, le sujet prenait 250 grammes de sucre en quatre portions égales à 9 heures, 11 heures, 1 heure et 5 heures, ajoutés à sa nour- riture ordinaire, toutes les autres conditions restant les mêmes. En comparant la quantité totale de travail des jours à sucre avec celle obtenue les Jours où l’on n’en prenait pas, on trouva, pour les pre- miers, comme temps total pendant lequel le poids était soulevé 148 avec un travail de 302 kilogrammètres, pour les jours sans sucre 918 avec un travail de 394*#",98. Cela faisait une différence de 28 minutes et 52 kilogrammètres en faveur des jours sans sucre. Chaque jour séparé et chaque main séparée montraient des écarts analogues. Le professeur Stokvis n’hésita plus à conclure que l’on n’avait jamais pu donner de preuves expérimentales satisfaisantes de l’heu- reuse influence du sucre sur le travail musculaire. « Chez les personnes sames, dit-l, la fatigue et l'épuisement ne sont jamais causés par un manque de nourriture, mais seulement et exclusive- ment par un manque de repos. Bien que l’on ne puisse contester que GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 9399 l'énergie chimique produite par la combustion du sucre est une des principales sources du travail musculaire, il n’y à cependant pas de raison plausible pour ajouter du sucre à la ration journalière afin d'augmenter le travail musculaire. Tout autre hydrate de carbone servira aussi bien à approvisionner le muscle de la quantité néces- saire d'énergie chimique. » Le professeur Mosso protesta contre les assertions de Stokvis. Les expériences de Langemeyer ne démontraient en effet qu’une seule chose, c’est que l’on obtient des résultats positifs de l'usage du sucre chez les sujets entraînés, tandis qu’il n’y à aucun effet quand le sujet est au début de l'expérience. Ce fait, involontairement démontré par les physiologistes hollandais, n’est pas sans intérêt pratique. I signifie qu’un muscle non entrainé peut fort bien élre faliqué, alors même qu’il dispose d’une quantité considérable d'énergie potentielle. L'in- fluence du système nerveux que l’on doit considérer comme l’un des principaux facteurs de la nutrition et de la contraction musculaire en est très probablement cause. Dans ce cas, le sucre n’a pas d'effets évi- dents. Si le sujet, au contraire, est bien entrainé au travail, lorsque la fatigue survient, le sucre, ainsi que le prouvent nettement les expé- riences de Mosso, ne tarde pas à fournir de l'énergie dynamique et donne au muscle la force qu’il a perdue. Expériences de Schumburg. Pour lever le doute soulevé par les objections de Stokvis et de Lan- gemeyer, de nouvelles expériences ergographiques furent entreprises, au printemps de 4895, dans le laboratoire de physiologie de l’École impériale d’agronomie de Berlin. La section médicale du ministère de la guerre chargea Schumburg de rechercher si réellement le muscle fatigué pouvait être rendu apte à un nouveau travail par l'usage de petites doses de sucre. L’expérimentateur prit de grandes précaulions pour éviter toute influence de la volonté du sujet d’expé- rience. « Je fis mes recherches, dit-il, non seulement sur moi, mais sur un autre sujet qui, chaque fois, devait rester ignorant de la suite 1, Deutsch. milit. Zeilsch., août 1896. 360 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. de celles-ci. Par principe, aucun mot sur l'expérience n’était prononcé en présence de la personne mise en expérience. Celle-ci avait à boire, pour chaque série d’essais, 200 centimètres cubes d’une solution sucrée ; seulement cette solution contenait un jour 30 grammes de sucre, un autre Jour de la dulcine ou un corps sucré quelconque de la série aromatique, en quantité telle que la saveur était à peine différente de celle de la solution de sucre. De cette façon, le sujet pouvait avoir deviné l’expérience, ce qui n’était pas trop difficile à la longue, mais il croyait ne prendre que du sucre et se figurait que le travail à fournir devait être constamment plus considérable qu’au début où il ne prenait aucune boisson. -» Les résultats furent concluants et démontrérent que, pour atteindre un travail musculaire considérable, l’usage du sucre, ingéré même en quantité relativement minime (30 grammes) est particulièrement in- diqué. « Gomme confirmation de ces résultats, ajoutait Schumburg, des expériences pratiques pourraient être faites sur une grande échelle, dans lesquelles, un quart d'heure ou une demi-heure avant le grand effort musculaire à produire, ou dès que les premiers signes de fatigue se montreraient, on absorberait 30 grammes de sucre, soit en solution rafraichissante avec du citron, soit en nature ou sous une autre forme convenable. » Étant donné le travail minime fourni avec l’ergographe, il semblait en effet assez difficile de conclure sur la valeur énergétique que pouvait avoir le sucre dans la pratique. Le D° Hirschberg s’avançait peut-être trop en se basant sur les expé- riences ergographiques pour recommander d'ajouter à la ration des soldats allemands, pour les jours de marche, de 400 à 150 grammes de sucre. B) EXPERIENCES COLLECTIVES Expériences faites dans l’armée allemande. La demande que nous venons de voir formulée par Schumburg fut favorablement accueillie par lautorité militaire allemande. Il fut décidé que des expériences en grand sur l'influence du sucre seraient faites dans l’armée. Ges essais commencèrent en automne 1897 sous la direction du GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 361 D' Leitenstorfer. En voici les détails : « Pour étudier la question de l'introduction du sucre dans alimentation de la troupe, on ne pouvait, nous dit Leitenstorfer ', se servir des méthodes ergographiques; il ne fallait pas non plus songer à faire œuvre de chimie biologique, ni à suivre les différentes transformations de l'aliment essayé. » On se donna done comme règle « de reconnaitre la différence de capacité de travail et d'endurance des hommes entrainés avec le sucre et des hommes témoins prenant la nourriture ordinaire, par la comparaison du poids, du pouls et de la respiration ; d'établir ensuite pratiquement si l’on possédait dans le sucre un moyen de donner rapidement et nettement de la force aux soldats commençant à être épuisés par la marche ». Dans une compagnie de chacun des trois bataillons, dix hommes furent désignés pour manger du sucre et dix autres servirent de témoins. Comme hommes d'expérience, on prit les malingres afin de mieux voir les bienfaits du sucre. Les sujets d'observation étaient tous de bonne volonté. On nota, avant l’expérience, le poids, le pouls pendant le repos et après le travail, puis la respiration des deux lots placés dans les mêmes conditions. Le pouls de travail fut établi, comme on l'avait fait déjà précédemment dans l’armée pour d’autres recherches, par dix flexions très profondes des genoux. Après ce mouvement de gymnastique, ainsi que Leitenstorfer l'avait élabli, les hommes forts dont le pouls au repos est inférieur à 80 ont une augmentation de huit à quinze pulsations ; les gens moins forts, bien que sains, dont le pouls est au repos de 90, 100 et plus, ont une augmentation minima de trente pulsations. L'expérience commença le 4 août 1897 en garnison et finit le 10 septembre, dernier jour des manœuvres. Cet intervalle de trente- huit jours comprit des manœuvres de régiment, de brigade, puis les grandes manœuvres d'automne et enfin les manœuvres impériales de Wetteravie. Les opérations ne furent pas en général extraordinaire- ment fatigantes. Il v eut cependant quatre jours pendant lesquels le podomètre indiqua, pour le régiment, des marches de 40, 57, 65 et 1. D' Leitenstorfer, médecin de l'État-major à Metz. Deutsch. milit. Zeitsch., 1898, p. 305. 362 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. et 67 kilomètres. Le temps fut ordinairement favorable, un peu plu- vieux et frais à la fin; du 23 au 31 août, chaleur et orages surtout dans les régions des forêts de Hassberg et de Mainthal. Les morceaux de sucre cubiques employés pesaient environ 5 grammes. On devait commencer avec sept morceaux par jour, mon- ter rapidement à huit et neuf et arriver en moyenne à dix ou douze, donc 50 et 60 grammes, dans quelques cas 70 et plus. Voici quels furent les résultats : Le poids des hommes en expérience augmenta en moyenne pendant l'expérience de 1,95, celui des témoins de 1*,10. Cette petite diffé- rence n’est pas aussi insignifiante qu'elle paraît l’être à première vue. On ne pouvait l’attribuer qu’au suere ; les hommes d'expérience, étant fort nécessiteux, n'avaient pu en effet dans aucun cas améliorer, de leur poche, l'ordinaire réglementaire. Le nombre des pulsations, après un même nombre de kilomètres, était de 92,27 par minute chez les hommes mangeant du sucre, de 95,09 par minute chez les témoins. Cette différence de trois pul- sations par minute est également digne d’attirer l'attention si l’on songe qu’au début de l’expérience les hommes du groupe au sucre avaient 2,5 pulsations de plus que les témoins, 98,8 contre 96,3 chez les derniers. Après trois journées fatigantes de manœuvre, la moyenne des pulsations fut de 92,8 chez les hommes en expérience, et de 96,6 chez les témoins. Le travail du cœur avait donc une plus grande force chez les gens entraînés avec du sucre. Le nombre des respirations après le travail, donnée qui n’est pas sans importance, parle également en faveur du sucre : 21,6 respi- rations contre 22,9, soit une différence de 0,6 en moins par minute. I n'y eut pas de différence appréciable dans la température du co ps . Le résullat pratique de ces expériences, conclut Leitenstorfer, peut se résumer en ces quelques mots : « Elles établissent scientifique- ment l’heureux effet d’une addition journalière de 50 à 60 grammes de sucre à la nourriture des soldats, sur la capacité de travail des hommes, sur le nombre des pulsations et des respirations, moindre, après le travail, chez les soldats qui prennent du sucre, enfin sur l’augmentation du poids du corps. Cette influence favorable du sucre GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 363 sur les organes de travail, muscles et cœur, est tout à fait remar- quable. » En 1898, pendant les manœuvres d'automne, de nouvelles expé- riences furent entreprises au 145° régiment d'infanterie par le D’ Leis- tikow *, de la garnison de Metz. Les hommes devaient prendre, comme ration des premiers jours, six morceaux, soit o0 grammes de sucre ; mais, par suite d’une erreur, ils ingérérent dès le début huit mor- ceaux, soit 66%",5 ; le dernier jour on leur distribua dix morceaux, soit 83 grammes. Le sucre était mangé quand l’ordre en était donné, une heure et demie à deux heures avant la fin présumée de la marche, et pendant une pause ou même en marchant. Voici les résultats obtenus : 4o Poids du corps : Le groupe témoin perdit en moyenne. . . . 0k3,780 Le groupe d'expérience perdit en moyenne. . OK 800 2° Nombre de pulsations pendant le repos : PULSATIONS par minute. a GROUPE GROUPE TÉMOIN. D'EXPÉRIENCE. SURESNES ENS 60,8 61.0 ADD SEPÉCMIDER.. "200 A ERP NNEN 635% 63,5 SOIAEILDIUS 02 PUS DENT DS 3° Nombre de pulsations aprés le même travail : AE SeDIeMBTE MIE CR LC 1209 AE eT AT E SOIENT EN LME io 119,6 Donc en moins . . . . dE 4,1 Ces chiffres ne permettent pas de conclusions bien fermes. Le D’ Leistikow trouvait du reste que l'introduction du sucre dans l’armée était a prioriimpralicable, parsuite de limpossibilité d’accroitreencore la charge de la tenue de campagne, par suite également du prix de revient trop élevé de cet aliment. Aussi n’hésita--il pas à conclure que linfluence favorable du sucre sur l’accomplissement dés marches 1. D Leistikow, Deutsch. milil, Zeilsch., mars 1899. 364 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. et le poids des soldats n'était pas aussi nette qu’on avait bien voulu le dire. Ces affirmations, il faut le reconnaître, ne concordaient guère avec les impressions des sujets d'expérience, qui, presque tous, firent l'éloge de l’alimentation sucrée et trouvèrent qu’elle leur donnait un regain d'activité. En mars 1900, le ministre de la guerre allemand ordonna de nou- veaux essais. Mais les résultats n’étant pas encore concluants, le D° Letz, médecin-major à Metz’, entreprit de comparer à nouveau deux lots d'hommes, dont l’un servait de témoin et dont l’autre rece- vait du sucre une fois par semaine pendant les marches-manœuvres de plus de 20 kilomètres. On constata une diminution de poids des deux groupes, mais elle fut plus grande chez les soldats qui recevaient du sucre. Il ne faut pas en conclure, nous dit le médecin allemand, que le sucre fait maigrir et favorise la désassimilation. La petite quantité de sucre prise une fois par semaine ne saurait en effet avoir de l'influence sur le poids. En outre, la répartition de la nourriture à la cantine offre inévitablement de grandes fluctuations journalières, et l’on ne peut contrôler si les hommes mangent tout ce qui leur est donné. Il faut également tenir compte de l’appétit de chacun en par- ticulier. Aussi les expériences faites au cours des manœuvres donnè- rent-elles des résultats tout opposés. Les hommes ne fréquentaient alors presque pas la cantine et élaient complètement séparés de l’élé- ment civil. Le groupe d'expérience auquel on ne donnait que 30 grammes de sucre par jour engraissa ; les soldats témoins perdirent de leur poids. On observa en outre une diminution de l'intensité des pulsations chez les premiers, tandis que pour les hommes de con- trôle les pulsations avaient augmenté considérablement. « Mes obser- vations, conclut le D° Letz, constituent donc de sérieux arguments en faveur de la distribution du sucre en temps de grande fatigue. » Expériences faites dans l’armée française. Les premières expériences tentées dans l’armée allemande furent suivies en France avec intérêt par le ministère de la guerre. En 1899, 1. Voir : Caducée, 1901, n° 3. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 369 le général de Galliffet communiqua aux 9° et 9° corps d’armée le pro- gramme qui devait guider leurs chefs au cours des essais d’ali- mentation au sucre, ordonnés par la dépêche ministérielle du 6 août 1899. Dans chaque régiment, quinze hommes de bonne volonté étaient soumis au nouveau régime ; quinze autres hommes du même bataillon ou escadron et de conditions identiques aux premiers consti- tuaient le groupe témoin. La quantité de sucre à administrer attei- gnait au début 40 grammes par jour ; on pouvait ensuite la porter rapidement à 60 grammes et même au delà, mais sans toutefois dépasser la dose de 100 grammes. Les hommes restaient libres de choisir la forme sous laquelle ils préféraient ingérer le sucre et de le prendre soit dans le café du matin, soit en solution dans les bidons, soit de le manger sec ou légèrement humecté d’eau. Les es- sais devaient durer quinze jours sous la surveillance directe des officiers, des sous-officiers et surtout du médecin. A ce dernier reve- nait le soin d'enregistrer les variations journalières de poids, le nom- bre des respirations et des pulsations. Les résultats de ces expériences n'étant guère connus, nous croyons ulile de transerire ici textuellement et sans aucun parti pris, on le verra, les conclusions de quelques-uns des rapports fournis à ce sujet par les médecins des régiments où eurent lieu les essais. À part quelques maux de dents chez les sujets à mauvaise denti- lion, on ne constata, dans aucun corps, de troubles de la santé géné- rale. La recherche du sucre dans les urines fut toujours négative, même lorsque la dose atteignait 100 grammes. Le sucre naturelle- ment fut toujours consommé avec plaisir. 68° Régiment d'infanterie ({ssoudun). — Pas de changements appré- ciables du poids, du pouls et de la respiration. L'effet du sucre sur l’endu- rance à la fatigue n’a pas été constaté. 90e Régiment d'infanterie (Châteauroux). — Le sucre a déterminé chez quelques-uns une augmentation de vigueur et de poids; la respiration est plus calme. Le médecin se déclare partisan du sucre. 114 régiment d'infanterie(Parthenay).— Pas de conclusions fermes pos- sibles ; il faudrait des fatigues sérieuses pour voir les résultats. Le sucre a fait légèrement augmenter le poids. Pas d'influence sur la vigueur. Pouls, respiration : invariables. 366 ANNALES DE LA SUIENCE AGRONOMIQUE. 32° régiment d'infanterie (Châtellerault).— À la dose de 59 à 75 grammes, le sucre a diminué la perte de poids. Sous son effet, les pulsations ont paru plus nettes et mieux timbrées. La respiration est plus aisée. Dimi- nution de fatigue notée. L'expérience demanderait à être continuée pour permettre de conclure. 06° régiment d'infanterie (Tours). — Augmentation du poids ou plu- tôt diminution moindre avec le sucre. Peut donner de l’endurance à la fatigue. 11° régiment d'infanterie (Cholet). — Dose de 40 à 100 grammes. D'une façon générale, augmentation du poids sous l'influence du sucre. Quelques hommes au sucre ont cependant perdu ou peu varié. 135° régiment d'infanterie (Angers). — Quelques hommes seulement ont accusé plus d'énergie, mais en général pas de modification de la vigueur. 31° régiment d'infanterie (Romorantin). — Aucun phénomène particu- lier après quinze jours d'expérience, à la dose de 60 à 80 grammes par jour. L'emploi du sucre n’a présenté que des avantages, mais ceux-ci n’ont pas été suffisamment considérables pour modifier le poids, la respiration, la circulation et augmenter beaucoup la vigueur musculaire. 46° régiment d'infanterie (Auxerre). — Les hommes ont été incapables de traduire leurs impressions et de se rendre compte de ce qu’ils ont éprouvé à la suite de l’ingestion de 100 grammes de sucrè. Les hommes qui ont consommé du sucre ont sensiblement augmenté de poids. 76° régiment d'infanterie (Orléans). — Le sucre a peu agi sur la fatigue et cela s’explique par la somme minime de travail qui a été demandée. II æ semblé avoir eu une influence d'épargne assez marquée, car la déperdi- Lion de poids constatée a été moindre et moins fréquente chez les hommes au sucre que chez les témoins. Les expériences ont été trop courtes, trop irrégulières pour qu’elles aient permis d'aboutir à une conclusion autre que le désir de les voir reprendre d’une façon plus sérieuse. 82 régiment d'infanterie (Paris). — L'absence d'exercices pénibles n’a pas permis de mesurer l'endurance des hommes soumis à l'alimentation sucrée. Au détachement de Nogent-sur-Marne, le sucre a semblé produire chez un certain nombre d'hommes une diminution de la fatigue. C'est le résultat le plus net qui ait été constalé; mais le nombre des cas où cet heureux effet s’est fait sentir a été insuffisant pour qu'on ait pu le donner comme une règle. Le pouls et la respiration ont semblé diminuer, ce qui laisse supposer que le sucre serait capable de prévenir les accidents d’adynamie cardio-pulmonaire classés sous le vocable de « coup de cha- leur ». GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 367% 89° régiment d'infanterie (Montargis). — Regrets de n’avoir pu faire l’ex- périence au cours des manœuvres ou d’une période active. Il n’est pas pos- sible d'admettre d’une facon précise et ferme que les augmentations de poids constatées chez l’immense majorité des hommes soumis à l’expé- rience soient exclusivement dues au sucre, car au moment où l’ordre a été donné de commencer les essais, le travail intense avait cessé. Il n'y a eu que deux jours de manœuvres de garnison peu fatigantes, séparés par. plusieurs jours de travail fort modéré. Néanmoins, les chiffres recueillis el les réponses des hommes soumis à l'alimentation au sucre montrent que cet aliment a favorisé la fonction digestive et a augmenté dans une mesure appréciable la vigueur du soldat. Sous l'influence du sucre, il y a certainement eu stimulation de l’or- ganisme et peut-être augmentation du poids du corps. 113° régiment d'infanterie (Paris). — Il y a peu à conclure : le poids a peut-être eu une tendance à augmenter par suite de l’usage du sucre. Le pouls était nettement diminué de fréquence. Beaucoup d'hommes ont trouvé, en consommant du sucre, un accroissement de vigueur et une plus grande résistance à la fatigue. Le sucre est certainement un stimu- lant qui donne des effets très rapides. 131° régiment d'infanterie (Paris).— Le rôle réparateur du sucren’est pas du tout nettement ressorti de la consultation de ceux qui en ont consommé pendant quinze jours à doses assez massives. L'expérience, incomplète à vrai dire, à paru dans son ensemble peu favorable au sucre alimentaire et réparateur. 4° régiment de hussards (Meaux). — L'expérience, très peu rigoureuse du reste, a montré que l'alimentation sucrée semblait soutenir les forces el permettait aux hommes de n'être pas fatigués lors de marches et de manœuvres qui dans d’autres circonstances les auraient un peu éprouvés. 90° régiment d'artillerie (Orléans). — La consommation du sucre a augmenté le poids des hommes. Une augmentation de la vigueur générale et d'endurance à la fatigue a été éprouvée par plusieurs hommes prenant du sucre. 32° régiment d'artillerie (Orléans). — La sensation de vigueur donnée par le sucre n’a guère pu être appréciée par les hommes eux-mêmes. Le seul qui, par son emploi de forgeron, était appelé à exécuter un travail un peu fatigant, a trouvé un très réel bénéfice dans la consommation du sucre. L'influence de ce dernier aliment sur le poids, la respiration, la circulation n'a pu donner lieu à une appréciation bien nette, étant donné que, pendant les expériences, il n’y a pas eu de travail ou de surcroît de travail. Les résultats obtenus ont été excessivement variés. 368 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Les divers rapports des médecins, chefs de service dans les régi- ments qui ont concouru à l’expérience, nous laissent, on le voit, cette impression bien nette que l'introduction du sucre pendant quinze jours dans le régime du soldat n’a donné lieu, à part une ou deux ex- ceptions, à aucune remarque désavantageuse. C’est là un point bien acquis et il a son importance si l’on songe combien sont rares les nouveautés qui reçoivent d'emblée un accueil aussi favorable. Malgré cela, il ne ressort pas du tout nettement des avis formulés par le service de santé, que le sucre à donné tout ce que l’on était en droit d'attendre de lui, à la suite des expériences de Chauveau, d’Alber- toni, de Harley, de Mosso, de Paoletti, et l’on sent très bien qu’il serait imprudent de baser sur ces rapports le C. Q. F. D. demandé. Les uns n’ont rien observé de bien particulier, les hommes ne sachant guère manifester ce qu’ils ressentent exactement ct les chif- fres concernant les poids, le pouls et la respiration ne donnant que peu de différences. Les autres constatent que les expériences sont incomplètes, critiquables et peu susceptibles de démontrer grand’- chose. Beaucoup enfin demandent à recommencer et dans d’autres conditions. C’est, en un mot, ce que l’on peut appeler de hésitation. A ceux qui ne savent qui croire, puisque les essais officiels n’ont fourni aucun résultat probant ou même digne d’un intérêt pratique, à ceux qui, n'ayant vu relater nulle part les conclusions des expé- riences faites en 1899 dans deux corps d'armée, en concluent qu’elles n’ont pas donné satisfaction à leurs promoteurs, nous allons pré- senter nos observations personnelles. Observations personnelles. Voici le résumé des divers essais tentés par l’un de nous au bataillon du 193° régiment d'infanterie tenant garnison à l’île de Ré. Le 11 avril 4909, au cours d’une manœuvre, un peloton, com- posé de : un officier, deux sous-officiers et trente-neuf hommes, part de la caserne à 5"30 du matin. Pour se rendre à l’endroit qui lui est assigné, il parcourt 19 kilomètres à une allure de 4,750 à l'heure. Un quart d’heure après son arrivée, ce peloton reçoit l’ordre de venir occuper de suite un nouvel emplacement ; pour GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 3069 s’y rendre, les hommes sont obligés de traverser des marais par des chemins très difficiles ; ils franchissent ainsi 5 kilomètres en cin- quante minutes et sans s’arrêter, soit à une allure de 6 kilomètres à l'heure. Arrivés à leur nouveau poste au moment de l’action, les hommes y prennent part et ne mettent sac à terre pour la halte qu'à 11°45, ne s'étant donc reposés qu'un quart d'heure depuis le ma- tin. Les soldats étaient exténués et le commandement se préoccupait de les faire revenir en chemin de fer. A la demande du D’ Drouineau, on distribua, par homme, 40 grammes environ de sucre, que chacun fit fondre dans un quart d’eau et but après le repas froid consommé sur le terrain. Quand, deux heures après, le bataillon se remit en route, ces soldats firent les 14 kilomètres qui les séparaient de leur garnison sans laisser un trainard, et se sentant, disaient-ils, plus frais et plus dispos qu’à l'aller. C'était là une indication en faveur du sucre plutôt qu’une preuve très convaincante de la valeur énergétique de cet aliment. L’expé- rience pouvait, en effet, laisser croire au premier abord que le repas froid, pris sur le terrain de manœuvre par le peloton en ques- tion, devait entrer en ligne de compte, mais nous en appelons aux souvenirs de ceux qui « ont porté le sac ». Un repas ne « retape » guère, suivant l’expression commune et ne relève généralement pas les forces d’une façon immédiate et appréciable, surtout lorsqu'il faut se remettre en marche après une heure et demie ou deux heures de grand’halte. L'un de nous, un des derniers conditionnels d’un an, se souvient encore combien il était pénible, au cours des manœuvres, après le repas qui succède à l’action et au commen- cement de l'après-midi, de regagner ses cantonnements en pleine digestion. Pour opérer avec un peu plus de précision, le D° Droumeau expé- rimenta, en octobre 1902, sur des hommes de l’armée territoriale, l’action d’une petite quantité de sucre ajoutée quotidiennement à la ration, Quinze hommes étaient en expérience, quinze autres servant de témoins. L’âge des sujets variait entre trente-trois et trente-six ans. Comme profession, presque tous étaient cultivateurs ; il y avait seulement un forgeron, un boucher, un tonnelier, un boulanger, un arpenteur, un épicier. ANN. SCIENCE AGRON. — 2° SÉRIE, — 1902-1803, — 11. 24 310 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Les quantités de sucre distribuées furent les suivantes : 40 grammes les 1°, 2°, 5°, 4° jours ; 50 grammes les 5°, 6°, 7°, 8° jours; 60 grammes les 9° et 10° jours. Il n'y eut en effet que dix jours de présence effective, les territo- riaux étant arrivés un lundi à midi et étant partis un samedi matin ; le dimanche, ils ne venaient pas à la caserne. Le sucre fut pris avec une certaine hésitation ; quelques hommes gardèrent même une partie de la première distribution pour la don- ner le soir à leurs enfants ; aussi, les jours suivants, fut-on obligé de faire consommer toute la ration prescrite en présence des officiers ; en raison de cela, on ne put varier la manière de l’ingérer. Le sucre fut toujours pris en morceaux. La première moitié de la dose était absorbée le matin avant le commencement des exercices, l’autre moïi- tié l’après-midi, une demi-heure environ avant la manœuvre du soir. Les hommes furent incapables de dire s'ils avaient remarqué une différence quelconque au point de vue de la faim ou de la soif, et s’ils avaient supporté la fatigue mieux que dans les conditions ordi- naires. Pour apprécier l'influence de l’alimentation sucrée, on nota, le premier et le dernier jour de l’expérience, le poids, puis le nombre des pulsations et des respirations de chaque homme, après lui avoir fait effectuer un certain travail, le même pour tous, environ 600 mè- tres au pas gymnastique. Le sujet était pesé mdividuellement, puis 1l allait faire son tour de pas gymnastique et revenait se faire examiner. Le tableau de la page suivante résume toutes les données de nos observations. Nous avions cru bien faire en les complétant par la détermination de l’urée, mais l’analyse des urines ne pouvait a priori permettre de conclusions sérieuses. Les territoriaux avaient chez eux une nourri- ture variable et en tout cas fort différente de celle du régiment. Les dosages du premier jour montrèrent, en effet, que le taux d’urée variait d’un sujet à l’autre dans d’assez fortes proportions. La pré- sence à la caserne égalisa le taux d’urée; il y eut même une légère diminution chez les hommes soumis au régime du sucre, ce qui était, AVEC SUCRE. I. Poids. _ Ont augmenté de 2 kilogr.. Ont augmenté de 1K5,500 . Ont augmenté de 1 kilogr. Ont augmenté de 0k5,500 . Sont restés stationnaires. Ont diminué de 0k3,500. . | Ont diminué de { kilogr. . | Ont diminué de 145,500. Soit en totalisant les résultats : 19 mt mé Q2 Re 19 — Ont augmenté. 7,69 p. 100) Nana CHARS RATS TM ET 4 M AT se 9 (69,23 p. 100) | Ont diminué 3.(< 3 07 p: 100; II, Puls tions. Ont diminué de 28 pulsations par minute aprèsle travail. Ont diminué de 24 pulsations par minute . . Ont diminué de 20 pulsations par minute . Ont diminué de 16 pulsations par minute . Ont diminué de 12 pulsations par minute . Ont diminué de 8 pulsations par minute . . | Ont diminué de 4 pulsations par minute . . : N'ont pas changé : | Ont augmenté de 4 pulsations par minuts | Ont augmenté de 8 pulsations par minute . | Ont augmenté de 12 pulsations par minute . Ont augmenté de 16 pulsations par minute O OV OM mm mm mé 19 19 KO 19 Soit en totalisant les résultats : CRAQUER DE Na eu Po mn eue p. 100)! 4 (30,76 p. 100) NIINAS ERANRÉS AS TT RL RTL UE T LTE, £ 3 (23,07 p. 400) | Ont augmenté. 6 (46,15 p. 100) III. Respirations. Ont diminué de 8 respirations par minute après le travail. | Ont diminué de 4 respirations par minute. | N'ont pas changé Rs : | Ont augmenté de 4 respirations par minute. | Ont augmenté de 8 respirations par minute. Ont augmenté de 12 respirations par minute. ei mt C2 en À Soit en totalisant les résultats : DORE MINT 5 E-.cH e ME NQI, LR + 7 5 . 4001! 4 (30,76 p. ! 00) RÉDHIPDAS CHANGE AT A NE EX | 6 (46,15 p.100). AAA SH UTE L EreR N nENn Ee T ! 3 (23,07 p. 100) ot ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. du reste, conforme au rôle d'épargne que joue cet aliment vis-à-vis de l’albumine détruite dans l’organisme. Voici les chiffres moyens concernant ces dosages d’urée, opérés avec l’uréomètre de Molmert : HOMMES AU SUCRE. TÉMOINS. Taux d'urée diminués chez. . 9 (69,23 p. 100) 7 (53,84 p. 100) Taux d'urée augmentés chez. 4 (30,76 p. 400) 6 (46,15 p.100) L'expérience, bien qu’en faveur du sucre, n’était pas encore des plus probantes, et ne permettait guère de conclusions fermes. Mais alors, de deux choses l’une : ou l’action du sucre n’était pas nette, ou la méthode était défectueuse. Si l’on raisonne sur la plupart des expériences que nous venons de rapporter, ainsi que sur celles des 5° et 9° corps d'armée et sur nos essais concernant les territoriaux, on se rend de suite compte qu’elles ne pouvaient répondre catégoriquement aux questions sui- vantes, intéressantes entre toutes : L'énergie musculaire est-elle notablement accrue par l’ingestion du sucre ? Cet aliment recule- t-il la fatigue en rétablissant promptement l'énergie normale de lor- ganisme ? Lorsque l’on essaye un remède, on ne l’expérimente géné- ralement que sur des malades atteints du mal que l’on veut soulager, sinon guérir, Ici nous voulions lutter contre l'épuisement musculaire, et devions, par conséquent, provoquer des conditions d'expérience susceptibles de causer de la fatigue, et même une fatigue anormale. Autrement dit, les hommes que l’on voulait soumettre au régime du sucre devaient, avant tout, fournir un travail sinon excessif, du moins particulièrement fatigant. C’est ce que l’on n’a pas toujours fait en Allemagne. C’est également une condition que l’on n’a pas suffisam- ment réalisée dans les régiments des 5° et 9° corps d’armée. Les mé- decins-majors le reconnaissent eux-mêmes. Nos territoriaux étaient, eux aussi, trop ménagés. Une marche-manœuvre par semaine ou même tous les deux jours passe inaperçue pour des troupes entrai- nées. Il fallait, au contraire, opérer ainsi que nous allons le voir au cours, par exemple, des marches d’épreuve se succédant sans inter- ruption durant quatre jours. Mais comment reconnaitre alors que le sucre atténuait réellement la fatigue ? On se contente généralement pour cela de comparer lout d’abord les variations de poids des GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 9313 hommes en expérience à celles d’un lot témoin. L’indication est pré- cieuse, si les sujets mangent réellement leur sucre et à la dose indi- quée, ce dont on ne peut être sûr qu’en le faisant ingérer en sa pré- sence ; elle n’a également de valeur que si les deux lots sont soumis au même régime alimentaire, observés longtemps avant l’expérience et de plus et surtout si les hommes ne fréquentent pas la cantine. La surveillance doit être longue et continuelle. On note aussi, en même temps, les pulsations et les respirations. Lorsque les observations sont faites dans les mêmes conditions pour les deux groupes, ce qui n’est pas toujours facile, elles ont en effet une signification. Mais tout cela ne permet pas encore de distinguer, à la fin du travail im- posé, celui qui se trouve fatigué de celui qui reste dispos. Pour y arriver, voici comment nous avons réglé le protocole de notre expé- rience : le lot témoin recevait de la saccharine, à l’insu de tout le monde ; les deux groupes et surtout leur entourage immédiat, offi- ciers et sous-officiers, croyaient donc que les vingt hommes, mis en observation, ingéraient du sucre. Au cours de chaque marche, et tout particulièrement à la fin, le médecin ainsi que les gradés qui en avaient été priés, observaient les hommes paraissant, à leur idée, se fatiguer davantage, et cela sans naturellement se préoccuper si le sujet était au sucre ou à la saccharine. La chose, d’après ce que nous avons dit, eût été du reste impossible aux officiers et aux sous- oñiciers. Les marches se faisant dans la matinée, les hommes, tout en ne quittant pas la caserne, restaient libres de leur après-midi. Les gradés pouvaient donc les surveiller, sans éveiller leur attention, et notaient l’emploi exact de leur temps. Les uns ne sortaient pas de la chambrée, demeuraient, par exemple, étendus sur leur lit, se cou- chaïent de bonne heure, avaient en un mot cette allure trainarde si particulière à l’homme fatigué ; les autres au contraire étaient dis- pos. La délimitation entre un homme fatigué ou dispos ne semble pas à première vue très nelte. Malgré cela, lorsque l’on réunit les impressions ressenties à ce sujet par des observateurs différents, il est rare (le ne pas les voir concorder. C’est ainsi qu’il nous fut per- mis de classer nos hommes d’expérience en deux groupes : 4° celui des hommes paraissant fatigués ; 2° celui des hommes paraissant dis- pos. La suggestion n’a pu influencer les observateurs, ceux-ei étant 314 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. persuadés que le sucre faisait partie du régime spécial à tous ceux qui avaient été mis en expérience. De plus, comme l’on rangeait un sujet dans l’une ou l’autre catégorie en tenant compte de toutes les observations le concernant et en en prenant la moyenne, notre clas- sification, bien qu’artificielle, était au fond très exacte. Voici maintenant les détails et les résultats de cette expérience : Nous avons pris dans une compagnie dix hommes d’expérience et dix hommes témoins. Il n’y en a eu en réalité que neuf par groupe, un de ceux au sucre étant tombé malade le jour de la première marche et l’un des témoins ayant été incapable de continuer après la deuxième. Dans la semaine précédant la première marche, on pesa les hommes tous les matins et à la même heure ; la pesée était faite avec la même bascule, par le même aide, l’homme pesé étant nu. On avait soin de faire uriner les hommes auparavant et de noter les émissions de fèces produites entre le réveil et la pesée. On comp- tait en outre au même moment les pulsations et les respirations. Les marches eurent lieu le matin, quatre jours de suite ; on re- nouvelle les mêmes observations chaque jour au départ, puis à l’ar- rivée de la marche. La veille au soir, les bidons étaient envoyés à l'infirmerie et préparés par le médecin. Celui-ci mettait une boisson sucrée dans les uns et une boisson saccharinée dans les autres, si bien que tous les hommes pouvaient se croire en expérience. Le médecin seul connaissait les noms des témoins. Le D' Drouineau fit toutes les marches de façon à pouvoir surveiller lui-même la prise de la boisson. Il nota comment les hommes se comportaient en cours de route. Dès leur rentrée à la caserne, témoins et sujets d’expé- rience furent enfin, sans s’en douter, ainsi que nous l’avons dit, l’objet d’une surveillance sérieuse de la part de leurs sous-officiers. Les quantités de sucre données furent les suivantes : 1° jour, 50 gr. dissous dans 300 grammes d’eau; 2° jour, 70 grammes dissous dans 420 grammes d’eau; 5° jour, 80 grammes dissous dans 480 grammes d’eau ; 4 jour, 100 grammes dissous dans 500 grammes d’eau, le bidon ne contenant pas davantage. Cette boisson était prise par quarts de façon à ce que la dose totale füt absorbée avant les deux tiers de la marche et qu’à chaque dose la quantité de sucre absorbée fût de 20 à 30 grammes. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 9349 Voici les résultats que nous avons obtenus : a) Poips 4° Différence de poids entre le poids moyen de l'homme obtenu à l’aide de toutes les pesées antérieures à la première marche et le poids noté après la quatrième marche. Gain . Équilibre. . Perte . SUCRE. SACCHA- RINE. + 0,250 Î » 0 1 1 : — 0,100 » 1 — — 0,250 1 » = — 0,300 1 » — — 0,400 Î { = — 0,500 3 » == — 0,600 l » — 0,700 »” 9 — — 1,000 » 2 — — 1,500 » l — — 2,250 » Î 2° Différence pour chaque marche entre le poids de départ Gain . Équilibre . Perte. et le poids d'arrivée. 1re MARCHE. 2e MARCHE. 3° MARCHE. 4e MARCHE. a TT RE — RE — _ q Saccha- { . Saccha- Saccha- & Saccha- Kilogr. Sucre, : Sucre. re Sucre. : Sucre. née — 0, 5 » » » » Î » » » 0,0 2 » » » 3 2 2 2. ETS 1 2 3 1 1 3 4 3 1,0 3 4 3 6 3 2 2 3 ME ee PEER. 1 1 2 1 1 0 Î Î { il » » » » e 3° Différence entre le poids à l’arrivée d'une marche et le poids au départ Perte , Équilibre. Gain . de la marche suivante. ENTRE EEE 1re et 2e marche. 2e et 3e marche. 3e et 4e marche. ne CO = — a 2 — G Saccha- & Saccha- &.. Saccha- Sucre. re Sucre ne Sucre. ne. AE 2 » » ” » » 0 ,0 { » » Î 2 » 0 9 4 3 i , 9 HURU 2 3 3 4 4 À 9 1 1 9 9 3 SERA 2 fl ° 1 1 » 316 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. b) Différence entre le nombre moyen de pulsations obtenu à l'aide de toutes les numérations antérieures à la première marche et celui des pulsations constatées à la fin de la quatrième marche. BUCRE. SACCHARINE. 4 pulsations . . . il » 5 — Î » 6 — Î » 11 — 1 » 13 — » 1 14 — Î » Ont augmeuté par minute de © 16 — 2 Il 17 == » Î 18 — Î Î 19 — » l 21 —- l » 28 — » 3 | 33 = » Î c) Différence entre le nombre moyen de respirations obtenu à l’aide de toutes les numérations antérieures à la première marche et celui des respirations constatées à la fin de la quatrième marche. SUCRE. SACCHARINH. Ont diminué par minute de — 4 respirations . . » L == =.) — 1 » — — 2 — 2e 1 n — — 1,5 — ee 1 1 — | — 2 » Sont restés en équilibre 0 — 3 Î Ont augmenté par minute de 0,4 — » Î — + 2 — » 1 — + 3 — 1 2 Ps SL — » 2 a) Les hommes ont, en outre, subi un petit interrogatoire qui à donné les résultats suivants : SUCRE. SACCHARINK. augmentée ?. . . . . » { oui La sensation de soif est-elle { diminuée? . Ye 7 Oui 3 oui Fran à l'ordinaire ?. 2 oui o oui Rene : 5 oui 2 oui La sensation de faim est-elle { diminuée ? . ee 2 oui ) re à l'ordinaire ?. 2 oui 7 oui augmentée ?. 3 oui 1 oui La sensation de fatigue est-elle ‘ diminuée ? , . . . . à oui ? oui comme à l'ordinaire ?. { oui 6 oui La boisson est-elle bue avec plaisir ?. , . , . , . . 9 oui 9 oui GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 3717 e) Résultats de l'observation des sous-officiers. SUCRE. SACCHARINE, “ Hommes paraissant fatigués une fois à la caserne . . 1 oui 8 oui Hommes paraissant très dispos. . .. . . : . . . . 8 oui 1 oui Ces derniers résultats sont d’autant plus concluants que les ser- sents, ainsi que nous l’avons répété à maintes reprises, ignoraient complètement ceux d’entre ces hommes qui n'étaient pas soumis à l’expérience et croyaient que tous ingéraient du sucre. Leurs obser- vations concordèrent d’ailleurs complètement avec celles que le mé- deein-major avait personnellement faites au cours des marches. Comme observations complémentaires, il faut ajouter celle du médecin lui-même. Celui-ci fit à pied, ces quatre marches de 20, 22, 24 et 26 kilomètres sans être nullement entrainé, et en prenant chaque matin, avant le départ, sept à huit morceaux de sucre dans une tasse de café au lait; il put surtout les faire sans ressentir aucune fatigue. En outre, un lieutenant du bataillon, nullement convaincu d'avance, au contraire, vint, de lui-même, avouer au D° Drouineau que le sucre empêchait nettement la sensation de soif. « Jamais, dit-il, je n’avais eu la bouche aussi peu sèche que pendant ces marches. » Ces essais personnels ne laissent, on le voit, dans leur ensemble, aucun doute sur la haute valeur énergétique du sucre, et lorsque cette dernière ne se manifeste pas nettement, il ne faut pas en accuser le sucre lui-même, mais bien les conditions défectueuses de l'expérience. Lors de la discussion à la Chambre du budget de la guerre de 1904, M. le ministre de la guerre, pressenti sur lutilité d’augmenter le sucre de la ration du soldat, a déclaré qu'il avait l’intention de faire procéder à de nouvelles expériences sur les hommes, dès que les essais d'alimentation mélassée, tentés actuellement dans la cava- lerie, seraient terminés. Nous espérons que les expériences seront cette fois bien faites et qu’elles permettront enfin des conclusions définitives. C) EXPÉRIENCES INDIVIDUELLES Lorsque les recherches ergographiques de Mosso et de Paoletti vinrent confirmer vers 1893-1894 l’idée maitresse des premiers 3178 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. travaux de M. Chauveau sur l’énergétique musculaire, quelques médecins allemands, Hirschberg entre autres, classèrent le sucre comme un aliment de force. En France, l'opinion publique suivit le mouvement, mais avec beaucoup plus de lenteur et surtout d’hési- tation. Il est très probable que beaucoup de jeunes gens qui, dans les écoles, avaient entendu parler du rôle dynamique des hydrocar- bonés el du sucre en particulier, s’essayèrent, leurs études termi- nées, à en manger pour combattre les fatigues de la vie journalière. Quels furent au juste les résultats de ces petites expériences imdivi- duelles? La théorie était nouvelle; chacun garda ses impressions pour soi et n’osa ouvertement rompre la lance contre les préjugés populaires, en affirmant la haute valeur du sucre. M. A., médecin- vétérinaire à la Compagnie générale des voitures, nous racontait que, lorsqu'il arriva en 1897 à Oran pour y faire dans l'artillerie son année de service militaire, il ne pouvait au début fournir de pas gymnastique. L’essoufflement et la fatigue arrivaient vite et le para- lysaient complètement. Fraîchement sorti de l’École d’Alfort, il se souvint des recherches de Chauveau et de Kaufmann, l’un de ses maîtres, et songea à manger deux ou trois morceaux de sucre quelquesinstants avant de commencer le pas gymnastique. L’essai lui réussit. Dans la suite, M. A. remplaça le sucre en morceaux par des figues sèches, fort riches en sucre comme l’on sait; il en mangeait 100 grammes environ, le matin, avant l’exercice et autant l’après- midi, et M. A. se souvient très bien avoir pu parfaitement supporter, peu de temps après, vingt-cinq minutes consécutives de pas gym- nastique. Combien d’essais analogues ont dû être tentés dans l’armée, sans que personne n’en ait rien su ! Il fallait que l’expérimentateur s’in- téressât particulièrement à l’industrie sucrière pour oser faire con- naître son opinion. M. Lambert, chimiste à la sucrerie de Toury, communiqua, par exemple, au Journal des Fabricants de sucre les essais personnels qu’il entreprit au cours des manœuvres de Beauce en septembre 1898. La température, véritablement sénégalienne, en- levait toute résistance aux hommes. M. Lambert avait perdu l'appétit dès les premières marches. I] absorba le matin, au départ, puis pen- dant les haltes quelques morceaux de sucre trempés dans du café noir. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 319 Le résultat fut excellent et M. Lambert arriva à manger par jour ses trente morceaux, soit au moins 240 grammes de sucre. Il put ainsi amoindrir, dit-il, considérablement la sensation douloureuse bien connue qu’occasionne dans tout le thorax et dans les muscles du cou et des bras le port du sac et du fusil à la bretelle. Parmi les essais tentés individuellement, il en est qui ont été suivis avec beaucoup plus de soin et de précision que ceux que nous venons de citer. Quelques observations ont même été si bien prises, comme l’on dit à l'hôpital, que le public en a compris de suite la sincérité et, il faut bien le dire aussi, l'importance pratique. Nous trouvons tout d’abord dans cet ordre d’idées les expériences poursuivies en décembre 1898 par Prantner, médecin de régiment, et Stowasser, de Gratz', pour étudier l'influence de la consommation d’une certaine quantité de sucre. Ils ont examiné méthodiquement leur force musculaire en faisant des exercices avec des haltères en fer. Bien entendu, toutes les précautions furent prises pour exclure l'influence de l’autosuggestion. Les deux expérimentateurs faisaient des essais de contrôle et tenaient compte du surcroît d'énergie dû à l'entrainement. Les quantités d’albumine désassimilées étaient égale- ment enregistrées en regard du sucre consommé et du travail mé- canique fourni. Ces essais prouvèrent qu’une addition relativement petite de sucre à la nourriture ordinaire a pour effet d'économiser de l’albumine, même lorsque le travail peut être cause d’une désassi- milation anormale d’azote. En 1902 parut à Berlin une brochure * du capitaine A. Steinitzer, dans laquelle ce dernier relatait une série d'expériences fort pro- bantes qu’il avait faites lui-même. Nous y trouvons d’abord rapporté le fait suivant : Un médecin français, le D' Coulton, a entrepris de mettre prati- quement à l’épreuve la valeur du sucre. Avec deux de ses amis, il fit un voyage à bicyclette de cinq jours en emportant un bagage, assez lourd, d'environ 50 kilogrammes. Il régnait alors une forte chaleur et le pays présentait de nombreuses montagnes à pentes raides et 1. Centralb. f. inn. Medic., 18 février 1899. 2, Steinitzer, Die Bedeutuny des Zuckers als Kraftstoff. Berlin, 1902, Paul Parey. 380 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. élevées. Coulton prit alternativement une nourriture ordinaire et une nourriture sucrée; cette dernière consistait en 400 grammes de pain et 250 grammes de sucre. Les jours de nourriture sucrée, il pouvait faire, pour ainsi dire sans fatigue, 60 kilomètres par jour, malgré des circonstances pénibles, alors que les autres jours, dans le même pays et avec la mème vitesse, il était profondément exténué. Voici maintenant les expériences de Steinitzer. Elles sont de nature à intéresser et surtout à convaincre l’opinion publique. Aussi n’hési- tons-nous pas, malgré la longueur de la citation, à les traduire ici textuellement et en entier : [. — Le 31 mars 1898, avec mon ami le lieutenant (Godin, j'ai fait l’as- cension du Hirzer (2 785 mètres) près Méran (Tyrol). Nous sommes partis de la halte du Hirzer à 6 heures du matin pour arriver au sommet à 11"30. Après un repos de quarante minutes, nous redescendimes pour arriver à Méran à 930 du soir. A la descente, nous n'avons pu nous arrêter à la halte que juste le temps nécessaire pour nous restaurer et faire le thé ; nous n'avons donc pas eu la possibilité de nous asseoir ; aussi le repos pris au sommet fut-il le seul! La neige, que nous avons seulement quittée à 6"30 du soir, était dans la matinée très pulvérulente, puis plus tard très molle, si bien que, pendant des heures entières, 1l nous arriva d’en- foncer jusqu'aux hanches; cela rendait l’ascension extraordinairement pé- nible. Godin, le plus affamé (c'était vendredi-saint), ne mangea dans toute sa Journée que 250 grammes de chocolat et 200 grammes de sucre; je pris la même chose avec, en plus, 400 grammes de lard. Cette nourriture fut tellement suffisante qu’elle nous permit d'atteindre Méran sans la moindre fatigue. Le lendemain, nous pouvions faire l'ascension du Riltnerhorn. IL — Le 23 octobre 1893, j'ai fait l’ascension du pie d'Ackerl (2335 mètres). Par suite de l’état de la montagne, le chemin habituel, le plus court, m'était pas praticable, et je dus aller de Gasteig au pie Mauk et du pic Mauk à Saint-Jean. Je pris une heure et demie de repos à la mon- tée vers 4 900 mètres. La veille à midi, j'avais mangé un peu de viande; je pris, comme nourriture : 250 grammes de sucre le soir, 250 grammes le matin et 500 grammes pendant la route avec un peu de pain. Grâce à cette abondance d'hydrocarbonés (en trente heures j'avais ingéré 1000 grammes de sucre et 300 grammes de pain), je me sentis notablement plus apte à développer de l'énergie musculaire qu'avec une alimentation mixte à la viande. Le soir, je pris un repas de farineux, et le troisième jour à midi de la viande. C’était la première fois que j’en mangeais depuis quarante- GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 9381 huit heures. Ce qui m’a le plus frappé, c’est que, contre toule altente, je n'ai nullement souffert de la faim. IT. — Le 6 septembre 1899, par une matinée orageuse, sous un soleil torride et par une chaleur accablante, je suis parti, avec un sac de touriste assez chargé, pour aller de Nebelhornhaus (dans l’Allgau) à Luitpoldhaus. Jy arrivai à 1 heure de l'après-midi, passablement fatigué. Mon ami se déelara incapable, avec la chaleur du Jour, de monter encore jusqu'au Hochvogel. J'ai alors pris 200 grammes de sucre et me suis reposé pendant une demi-heure. Toute sensation de fatigue disparut si bien, que je me sentis plus dispos et plus apte à faire l'ascension que le matin. Le chemin m'était inconnu, et je dus employer pas mal de temps à tailler des marches dans la glace; malgré cela, j’arrivai en deux heures au sommet, alors que, d'après les guides, il en faut trois. L'action du sucre se continua assez longtemps pour me permettre de revenir à la halte sans la moindre trace de fatigue. IV. — Dans une autre ascension, je fus surpris à Holzgau par une chute d’eau qui causa de grands ravages. Comme tout espoir d’ascension était évanoui, je résolus d'aller sur l’Obermädelejoch par Oberstdorf, la plus proche station de chemin de fer. Après trois jours d'attente à Holz- gau, je me mis en route le 10 septembre, à 9 heures du matin, n'ayant pris exclusivement que de la viande comme nourriture. Après un court trajet, je rencontrai de la neige jusqu'aux genoux; elle atteignait même parfois une telle épaisseur (jusqu’à 2 mètres), que mon guide et moi nous devions, toutes les dix minutes, changer de chemin. Une avalanche vint encore aug- menter les difficultés de l'ascension. Arrivé à la halte de l’autre côté de la cime, mon guide jugea le retour vers Oberstdorf impossible, à cause de l’avalanche. Je rebroussai chemin et arrivai à Holzgau à 3 heures du matin, très fatigué. Comme la diligence de Reutte ne partait que le lende- main matin et mettait neuf heures pour faire les 47 kilomètres de route, je résolus d'aller ce même jour de Holzgau à Reutte sur une bicyclette de louage. Cette machine, toute rouillée, fut un véritable instrument de sup- plice. La route neuve était sans fond, empierrée fraîchement sur 8 kilomè- tres et non passée au rouleau ; en outre, il pleuvait à torrents. À T heures du soir, à Rauth, il me fut impossible de faire un kilomètre de plus. Après avoir absorbé 200 grammes de sucre et m'être reposé vingt minutes, je pus reprendre ma route et, à mon arrivée à Reutte, à 10 heures du soir, je ne sentais plus la moindre fatigue. V.— En été 1900, j'entrepris deux excursions à peu près analogues que je pouvais faire dans cette saison. Le 28 juillet, j’allai du village Künigssee à la hutte du Münchner sur le Watzmann et je fis l'ascension du pic moyen et du pie sud du Wimbachtal ; l'après-midi, je revins à Kônigssee. Le 382 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 10 août, j'allai au Zugspitz à travers le Hollental en passant par Eibsee. La première excursion fut faite en prenant du repos et avec une nourriture mixte ordinaire. La deuxième me démontra la rapidité de l’action forlifiante du sucre sur un organisme très fatigué et surtout son influence excitante sur l’activité du cœur. Dans ces deux ascensions, la différence de hauteur du point de départ à la cime est la même. L’ascension du Watzmann est vrai- semblablement moins pénible que celle du Zugspitz, car la hutte du Münch- ner est à 4000 mètres, celle du Hollental à 1 381mètres. En outre, cette dernière ascension est réputée pour n'être pas toujours aisée. La route du Wimbachtal est cependant beaucoup plus longue et moins facile que celle d'Eibsee. En fait, les deux ascensions se valent. Pour lPascension du Watzmann, de la hutte de Münchner à Hocheck, par un chemin très facile, je mis une heure vingt minutes pour une diffé- rence de hauteur de 750 mètres, soit donc 450 mètres à l'heure ; je ne pus aller aussi vite que j'aurais voulu, car le brouillard cachait la vue. Poar l'ascension du Zugspitz, je me suis entraîné d’une façon toute spé- ciale. Couché très tard et levé de bonne heure, je fis quelques heures de marche, puis après 500 flexions du genou; pendant le voyage de Münich à Partenkirchen (quatre heures), je restai debout sur la plate-forme, me ba- lançant d’une jambe sur l'autre jusqu’à fatigue complète. À Partenkirchen, je bus deux verres de bière, puis je pris la route de la hutte du Hollental (quatre heures d’après Purtscheller) en courant tant que cela me fut pos- sible, Grâce à cela, j'arrivai à la hutte à 8 heures et demie du soir, mort de fatigue dans toute l’acception du mot. Je pensais avec une secrète appréhension au lendemain. Après une mauvaise nuit, je partis à 2 heures du matin. Je pris, à ce moment-là, 100 grammes de sucre et la même dose à 2 heures et demie. À 3 heures, toute sensation de fatigue avait dis- paru ; les muscles des jambes seuls étaient encore douloureux. De la hutte du Hollental, qui est à 1381 mètres, jusqu'au Brett (1620 mètres), je mis cinquante minutes. Les douleurs musculaires avaient disparu. Là, et une seconde fois un peu plus loin, je me reposai dix minutes et ingérai chaque fois 60 grammes de sucre. De Brett j’allai au pic Est en deux heures vingt minutes ; ce qui fait en tout, avec vingt minutes de repos, trois heures dix, alors que Purtscheller indique six heures pour la durée du trajet. Comme la différence de hauteur de Brett au pic Est est de 1342 mètres, je faisais donc 530 mètres par heure. Ce résultat est remarquable, car Baedeker : donne 320 mètres comme moyenne pour les ascensions faciles. La respiration, le pouls et le cœur à mon arrivée au sommet n'étaient pas plus accélérés qu’en temps ordinaire dans les ascensions faciles ; toute trace de douleur musculaire était effacée et je ne ressentais pas le moindre signe de fatigue. Comme il y avait du brouillard, je visitai sans prendre de repos la guérite d'observations météorologiques; je pris encore GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 383 100 grammes de sucre avant de repartir. Je n'éprouvais aucune fatigue à la descente, à peine quelques douleurs musculaires dans le haut des cuisses. VI. — En été 1901, j'entrepris comme première excursion de l’année d'aller de Galtür à Paznauntale et de faire de suite, en six jours, les ascen- sions du pic Buin (3912 mètres), du Gamshorn (3 080 mètres), du Fluch- thorn (3408 mètres), du pie Corvatseh (3458 mètres), du pic Bernina (4052 mètres) et du mont Pers (3211 mètres). Pendant cette excursion, commencée à Galtür et finie le septième jour à Saint-Moritz, je n’usai seulement de la voiture qu'entre Ardetz et Samaden (dans l’Engadine). Tant que dura mon voyage, sauf un repas de table d’hôte que je fus invité à partager à Ponteresina, Je pris chaque jour 50 grammes de viande pour me mettre en goût et tout le reste du temps rien que des hydrates de car- bone. Le matin, j'ingérais du cacao et 150 grammes de sucre, 250 grammes pour quelques ascensions, et rien de plus ; au principal repas, pris à la fin de l’ascension de la journée, un mets de farineux, quelquefois une soupe aux pois, environ 290 grammes de pain el de beurre et 250 grammes de sucre. Pour l'ascension du pic Bernina, ma nourriture, en plus des 250 grammes de pain et de beurre, se composa de 1750 grammes de sucre, dont 750 grammes la veille au soir, 500 grammes le matin et 500 grammes pendant l’ascension. Je peux dire que je n'ai jamais été si gai et si dispos pour monter que pendant cette excursion qu'il me fallut interrompre par suite du mauvais temps. Les avantages de l'alimentation sucrée se déduisent mathémathique- ment de la comparaison du temps de mes ascensions avec celui que je mettais pour des excursions analogues les jours où je ne prenais pas de sucre et avec celui que les guides indiquaient. Il n’y a pas à se demander si un alpiniste plus jeune que moi (j'ai quarante ans). plus expérimenté, est capable de faire en montagne les mêmes marches dans un temps plus court ; il faut simplement considérer si la capacité de travail d’un même individu est augmentée par le sucre. Dans toutes les ascensions que j'ai décrites, je suis toujours monté juste assez vite pour ne pas m'incommoder ni me gêner ; 1l n°v eut qu’une exception, pour l’ascension du Watzmann, où je ne pris pas de sucre. J’ai enfin remarqué que l’activité du cœur, du poumon et du pouls n’était pas plus accélérée que cela arrive d'habitude au cours d’une ascension de montagne tout à fait facile ou d’une longue montée. La comparaison des chiffres concernant mes ascensions donne les ré- sultats suivants : Expérience 5 : Ascension courte et facile du Watzmann. Montée accélérée Le plus pos- 384 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. sible à cause d’un brouillard imprévu. Différence d'altitude de Pabri au pie nord: 750 mètres. Temps de l'ascension : 1"40, Donc 450 mètres par heure. Je fis cette ascension dispos et sans prendre de sucre. Ascension longue et difficile du Zugspitz. Montée commode. Différence d'altitude : 1581 mètres. Temps de l’ascension : 3"10. Donc, 498 mètres par heure. Temps de l'ascension d’après les guides : 5 heures et demie. Différence du point 1 620 au sommet: 1 342 mètres. Temps de l’ascen- sion : 220, Donc 530 mètres par heure. Nourriture sucrée. Expérience 6 : Temps de mon ascension du pic Buin: 25; d’après les guides : de à 4 heures; Temps de mon ascension du Fluchthorn : 3"15 ; d’après les guides : 430 ; Temps de mon ascension du pic Bernina : 5" 20 ; d’après les guides : de 6 à 7 heures. Si je note les différences d'altitude et le temps employé pour les ascen- sions suivantes : Wiesbadener Hutte au pic Buin, Jamtalhutlte au Gams- born, Jamtalhutte au Fluchthorn, Fourela Surlej au pic Corvatsch, Boval- hutle au pic Bernina, je trouve que je suis monté en moyenne de 450 mètres par heure. Or, à l'exception du Gamshorn, ces ascensions se firent dans la glace ; le pic Bernina passe pour un des plus difficiles. Au Flucht- horn, je dus tailler environ 1950 marches dans la glace. Aussi, en compa- rant ces ascensions avec celles que je fis sans sucre, je constate une aug- mentalion de travail de 20 à 30 p. 100, toutes les fois que je prenais une alimentation sucrée ! ! — Et lorsque l’on songe au nombre incalculable des observations plus ou moins empiriques qui viennent confirmer les expériences ergographiques et les autres données scientifiques, il devient impos- sible de nier que le sucre augmente notablement l'énergie musculaire et qu'il empêche la fatigue. II. — LE SUCRE DANS L'ALIMENTATION GÉNÉRALE DE L'HOMME Nous estimons avoir suffisamment établi, dans les chapitres précé- dents, l’utilité de l'introduction du sucre dans la ration alimentaire de l’homme. Nous nous proposons maintenant de spécifier les cas particuliers où l'alimentation sucrée se trouve plus spécialement indiquée. GLYCOGÉNIE EL ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 389 A) LE SUCRE DANS L'ALIMENTATION DU SOLDAT Les considérations précédentes sur la valeur nutritive et énergé- tique du sucre font de suite songer à la place importante que cet aliment devrait occuper dans la ration du soldat, et cela pour les raisons suivantes : On sait qu’en ajoutant du sucre au régime réglementaire quotidien, il y aura épargne d’albumine, et la ration ne s’en trouvera que mieux utilisée. L'homme par conséquent sera rendu plus apte au travail. En outre, comme le soldat doit parfois, à certains moments, donner un grand effort, il est nécessaire de savoir s’il peut, et comment, dis- poser, le cas échéant, d’un moyen rapide de ranimer momentanément ses forces épuisées et de poursuivre son élan. Enfin, dans l’éven- tualité d’une guerre, 1l y aura forcément concentration d’un très grand nombre d'hommes dans un endroit restreint et peut-être déjà dévasté. Combien, dans ces cas-là, l'alimentation de ces troupes sera chose difficile ! C’est un problème dont la solution n’est pas en- core trouvée, bien que l’on étudie depuis longtemps le moyen de trans- porter des substances alimentaires sous un petit volume. Là encore on devra se rappeler que le sucre peut, pendant un certain temps, remplacer d’autres aliments. Voilà en somme trois raisons qui rendent indiscutable le principe de l'introduction du sucre dans les rations du temps de paix et du temps de guerre. Le sucre dans la ration du temps de paix. L’adjonction du sucre à la ration du temps de paix a plus d’im- portance au point de vue économique qu’au point de vue militaire proprement dit. Théoriquement, en effet, la ration actuelle du soldat est suffisante, à la condition toutefois qu’elle soit ingérée en totalité, ce qui n’est pas toujours le cas’. Le rapport relatif qui y existe entre les albuminoïdes, les graisses et les hydrocarbonés est conforme aux 1. Voir à ce sujet les articles du D' Drouineau (Caducée, 21 mars et 6 mai 1903) relatifs aux nombreux déchets de pain et d'aliments qui restent après les repas de la troupe et aux moyens de les éviter. ANN. SCIENCE AGRON. — 2° SÉRIE. — 1902-1903. — 11. 25 386 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. données d’une bonne hygiène alimentaire, mais s’ensuit-il que cette ration ne puisse être remaniée au fur et à mesure des progrès de la science ? Cela est une tout autre chose, et dans ce cas, comme l’un de nous l’a déjà dit ailleurs ?, il faut accepter complètement la manière de voir de M.le médecin-major Ricoux * : « Si l’on propose, dit ce dernier, de remplacer, dans la ration du temps de paix, une partie des hydrates de carbone insolubles que le soldat trouve dans le pain et les légumes sous forme d’amidon et de fécule, par un hydrate de carbone soluble, agréable au goût et rapidement assimi- lable comme le sucre de canne, nous répondrons que cette substitu- tion ne peut avoir que des avantages. » Or, le sucre ne fait partie constituante de la ration du soldat que dans peu d’armées. En France, le soldat touche : dans la ration forte de campagne, 31 grammes ; dans la ration normale de campagne, 21 grammes ; dans la ration du temps de paix, à à 10 grammes de sucre; Le marin français touche 25 grammes de sucre (cassonade) dans la ration dite de journalier aussi bien que dans la ration de campagne ; En Angleterre, la ration comporte 385,7 de sucre. Lors de la cam- pagne d'Égypte en 1882, elle était de 64 grammes®. Aux colonies, en temps de guerre, le soldat anglais reçoil en outre une ration journa- lière de confitures enfermée dans une petite boîte de fer-blanc, d’un poids variant entre 100 et 250 grammes, susceptible donc de se placer facilement dans le sac ; Le règlement allemand indique pour les expéditions dans les con- trées tropicales une ration de 50 grammes de sucre * ; En Suède, dans la ration de réserve, on trouve 33 grammes de chocolat ; Enfin, la ration de l’armée russe en campagne renferme du sucre au taux journalier de 1928°,80. Nous pensons qu’en France la quantité de sucre allouée par jour 1. D' Drouineau, Gazette des hôpitaux, 9 septembre 1899. 2. Revue d'hygiène, mars 1899. 3. Archives de médecine mililaire, 1885, p. 233. 4. D'après Braune, Marine Stabsartzt, (Archives de médecine militaire, 1883. 28.) { GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 38 au soldat pourrait être augmentée avec avantage dans certaines cir- constances, comme, par exemple, les jours de marche ou de ma- nœuvre. Cette conclusion a élé adoptée par les différents médecins militaires qui se sont déjà occupés de cette question. En admettant que le suere prenne ainsi place dans la ration du soldat, à quel moment ce dernier doit-il le consommer ? Leistikow demande que ce soit dans le café du matin; c’est aussi l'avis de Lei- tenstorfer, mais ce dernier fait une restriction, fort rationnelle si l’on s’en rapporte aux expériences de Mosso. Les Jours de fatigue, pense- t-il, il vaudrait mieux donner le sucre pendant le travail à exécuter. Dans ses recherches, il avait divisé les hommes, sur qui portait l’ex- périence, en deux groupes. Le groupe A prenait son sucre dans le café du matin ou au début de la marche, le groupe B pendant la marche, l'estomac étant sensiblement vide, ou au début de la fatigue. Or, dit Leitenstorfer, l’influence du sucre chez les gens du groupe A étail plus-latente et moins évidente que chez le groupe B; cela con- corde avec les recherches de Schumburg. Ce dernier fut amené à conclure que c’est après un travail musculaire fatigant que la capa- cité de travail se trouve manifestement accrue par l’ingestion de 30 grammes de sucre. Pour compléter et appuyer ces quelques remarques générales sur l’atilité qu'il y aurait, même en temps de paix, à augmenter considé- rablement la ration de sucre du soldat, citons la lettre suivante que l’un de nous recevait tout dernièrement (octobre 1903) du capitaine _ Proteau (123° régiment d'infanterie). Elle nous montre, malgré ses conclusions parfois quelque peu hésitantes, que le jour où, rompant avec les préjugés, lon voudra bien tenter de semblables essais, les hommes et les chefs reconnaîtront d'eux-mêmes les précieux avan- tages de l'alimentation sucrée et la considéreront presque comme indispensable au métier des armes. C’est avec beaucoup de plaisir que je vous adresse les renseignements que vous voulez bien me demander sur l'introduction du sucre dans Pali mentation de ma compagnie au cours des manœuvres que nous venons d'accomplir. Ainsi que je vous en avais prévenu avant notre départ, mon intention, en augmentant la ration journalière de sucre allouée aux hommes, n’était nullement de faire une expérience. La nécessité où je 388 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. me trouvais de ne pas rompre l’homogénéité de ma compagnie ne me permettait guère de prendre comme témoins un certain nombre d'hommes qui n'auraient reçu qu’une ration réduite. Les résultats des premiers essais d'alimentation sucrée ont été, tant à l'étranger qu’en France, je ne dis pas assez concluants, mais cependant assez satisfaisants pour que j’eusse depuis longtemps l'envie d’entrer dans celte voie. Les renseignements que vous m'avez communiqués ne pou- vaient que m’encourager. La diminution récente des droits établis sur le sucre et l’abaissement de son prix ‘ m'ont enfin, pour la première fois, permis d'augmenter pendant les manœuvres, d’une façon très sensible, la ration journalière de sucre accordée par les règlements. Ainsi qu'il ressort du tableau ci-annexé, la ration réglementaire de 21 grammes à élé presque quadruplée pour chaque journée de manœuvre, plus que quintuplée même les 14 et 17 septembre. Le sucre a été, selon mes instructions, consommée de la façon suivante : 1° un quart de la ration dans le café pris le matin avant le départ du cantonnement ; 2° un quart dans les bidons individuels qui, avant le départ, étaient remplis de café léger ; 3° le reste (moitié de la ration) dans le café fait et pris sur le terrain à la grand’halte qui suivait la manœuvre. Chaque caporal d’escouade était en outre constamment pourvu de 100 à 150 grammes de sucre en morceaux, qu'il distribuait au cours de la marche ou de la manœuvre à ceux de ses hommes qui se sentaient le plus fatigués. Il résulte de cette dernière disposition que les hommes les moins résistants, sur mes indi- cations, ont vu certains jours leur ration s’augmenter encore de 50 grammes et même davantage. Quelques hommes même se sont munis à leurs frais d’une petite provision de sucre qu’ils consommèrent en supplément. Faute, comme je vous l’ai dit, de pouvoir prendre dans ma compagnie des témoins d'expérience, il ne m'est pas permis de tirer de cet essai d'alimentation au sucre des conclusions réellement scientifiques. Il m’a été donné cependant de suivre quelques hommes que j'avais trouvés moins robustes que leurs camarades et que j'étais loin de considérer au départ comme capables de pouvoir accomplir intégralement les manœuvres. Ils l'ont fait cependant, ainsi qu’il ressort du tableau ci-joint, d’après lequel l'effectif de ma compagnie n’a diminué dans le cours des manœuvres que d’une unité (à la suite d’un accident d'arme à feu). {. Au cours de l'impression de notre travail, la loi du 28 janvier 1903 est en effet venue réduire à 25 fr, par quintal l'impôt de 64 fr. qui pesait encore en France sur le sucre rafliné, au moment où nous écrivions notre avant-propos et réclamions avec M. Grandeau la suppression de toute entrave fiscale à la consommation de cette denrée de première nécessité. Gette loi a reçu sa première application en septembre 1903, et le capitaine Proteau a certainement été le premier qui, dans l’armée, en ail profité aussi largement. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 989 L'énergie dont les quelques hommes, moins vigoureux, ont fait preuve et leur résistance un peu inespérée doivent-elles être attribuées à l’usage du sucre ? Il ne m'est pas permis de Paffirmer, mais le sucre en tout cas ne leur à certainement pas nui. Plusieurs de mes sous-officiers avaient également adopté l'alimentation sucrée intensive. L'effet qu’ils ont le plus généralement constaté est la diminution de la soif, etc. 2 , MALAD DÉPART ARRIVÉE SUCRE DES FIN autorisés du au consommé | à monter de la EFFECTIF. en voiture! ÉVACUÉS. cantonne- cantonne- par au cours manœutre. de ment. ment, homme, el marche, Septembre, | Heures. Heures. Heures. | Hommes. | Grammes. 4 40 10 05 EATE 129 4 30 9 00 A0, 129 5 30 9 45 83, 40 129 5 30 11 30 45 129 REPOS 129 30 9 50 D 129 14! 30 Midi ©S © © © © mm © (Accident) 15 45 10 35 16 REPOS 2 2 172 5 30 | în | 1 i 1. La Compagnie prend les avant-postes jusqu’au lendemain matin. — 2. Étape de 32 kilomètres. Bien que ces manœuvres aient été fort peu pénibles, les observa- tions du capitaine Proteau n’en sont pas moins intéressantes et ins- tructives. Espérons que lexemple sera suivi. Le sucre dans la ration normale de campagne. Tout ceci nous démontre que le sucre est encore plus nécessaire en temps de guerre qu’en temps de paix. Il constitue en effet un moyen temporaire de relever les forces des hommes fatigués. Les auteurs sont d'accord sur ce point. L’un de nous s’en est rendu compte par lui-même et a pu vérifier ce fait allégué par le D'Schum- burg : que 30 grammes de sucre suffisent pour redonner pendant 9390 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. plusieurs heures, à des soldats exténués de fatigue, une énergie sufi- sante pour continuer la manœuvre. De Moltke ne prétendait-il pas que si les Poméraniens, à Gravelotte, avaient pu avoir du sucre, ils seraient entrés en ligne une demi-heure plus tôt. Mais ce n’est pas là le seul point de vue à considérer : Le sucre peut momentanément suppléer à l'absence d’autres aliments. Au cours de la guerre de 1870, on vit souvent, dans des villages complè- tement dépourvus de vivres, des bataillons entiers se rassasier avec des réserves de sucre qu’ils avaient découvertes. Souvenons-nous également des expériences faites par Steinitzer sur lui-même et du cas de cet ingémeur boer qui, ainsi qu'il écrivait à M. Grandeau, put s’entretenir pendant six semaines sans perdre de vigueur ni d’embonpoint, en ne mangeant presque exclusivement que du sucre. Le fait est important, car le ravitaillement des troupes est une des grosses questions de la guerre. Quand, après la bataille, un grand nombre d'hommes se trouvera rassemblé dans une contrée forcément dévastée, on se demande avec anxiété comment les transports de vivres pourront arriver assez nombreux et assez vite. Ne serait-il pas à désirer que les troupes puissent alors disposer d’une forte ration de sucre ? lei se pose la question de savoir comment et sous quelle forme il faut transporter le sucre en campagne et de quelle manière il est préférable de le faire absorber aux hommes. Dans les expériences de Leitenstorfer, les morceaux de sucre avaient la forme de dés pesant environ 9 grammes et le caporal du groupe en faisait, chaque jour, le partage. L’empaquetage en marche était très primitif. Peu d'hommes prenaient, avant le départ, le temps et la peine de faire dans leur bidon une solution sucrée. Quelques-uns dissolvaient le sucre dans leur quart pendant la marche, au moment où ils en avaient besoin. Mais la plupart préféraient mouiller le morceau, ou même le manger sec puis le faire glisser dans l’estomac avec une gorgée d’eau du bidon. Leitenstorfer interrogea les hommes sur leurs préférences. En marche, les deux tiers aimaient mieux croquer le sucre et boire ensuite une gorgée d’eau; un tiers emportait de l’eau sucrée dans le bidon. La plupart, les officiers spécialement, réelamaient même pour cela des morceaux de sucre de forme allongée, susceptibles 0 GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 391 d'entrer facilement dans le bidon. La boîte de métal, surtout celle qui était en aluminium, mise dans le sac à pain, constituait, au dire des hommes, la meilleure manière d’empaqueter le sucre. Dans les expériences de Leistikow, ces boîtes, munies d’un couvercle mobile à charnières, avaient à centimètres de long, 4°",6 de large et 4 cen- ümètres de hauteur; elles pesaient vides 435,5. Leur prix était de 28 pfennigs l’une. Elles renfermaient juste huit morceaux de sucre dits dominos, et comme chaque morceau pèse 8#°,3, l’homme dispo- sait de 66,5 de sucre. Les commandants de compagnie préféraient faire porter les boîtes dans les cartouchières plutôt que dans le sac à pain. Ces récipients métalliques se conservèrent bien. Par contre, l’empaquetage en caisse de 25 kilogr. se montra défectueux. Lors- qu'une partie de la caisse était consommée, de nombreux morceaux s’émieltaient pendant le transport. Il faut done recommander d’em- baller le sucre par petits paquets. On fera peut-être valoir contre Pintroduction de cet aliment dans l’armée que l’homme aura, de ce fait, à porter en plus une pièce d'équipement d’un poids minimum de 100 grammes. En temps de paix, la boîte à sucre trouve facile- ment sa place dans les cartouchières, mais où la mettre en cam- pagne ? Dans une poche spéciale de la musette, par exemple, où elle ne constituera pas plus une gêne, nous semble-t-1l, que le pain. Action du sucre sur la faim et la soif. Le soldat ne songera du reste pas à se plaindre, du jour où il saura, par expérience, que non seulement le sucre donne de l'énergie, mais qu'il apaise momentanément la faim, calme la soif et prévient le coup de chaleur. Tels sont, en effet, les avantages principaux re- connus au sucre. Ils sont trop importants pour que le médecin mili- taire et l'officier ne songent pas à en profiter. Leitenstorfer chercha à se rendre compte de l’impression produite par le sucre e+ l’estomac à jeun. Presque tous les hommes d’expé- rience lui répondirent que son usage calmait la sensation de faim. Un sergent-major l’informa même qu’à la rentrée à la caserne les hom- mes au sucre avaient peu d’appétit. Leistikow est aussi du même avis, Nos observations personnelles, jointes aux essais des 9° et 9° 392 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. corps, ne nous permettent pas d’être aussi affirmatifs en ce qui con- cerne l'efficacité absolue du sucre sur la faim. Cet aliment, croyons- nous, n’enlévera pas complètement aux hommes l’idée du repas subs- tantiel qui succédera à l'exercice pénible ; mais, pris même à petites doses, il fera disparaître dans l'estomac à jeun l’impression de vide. Il permettra, en un mot, de reculer le moment où la faim devient une véritable gène et impressionne péniblement le moral de celui qui fatigue. Par contre, le sucre calme réellement et indubitablement la soif. Tous les hommes, d’après Leistikow, louent ses propriétés stimulantes et désaltérantes. « Une des observations les plus extraordinaires de mes expériences, lisons-nous également dans le mémoire de Leiten- storfer, est la suivante : Lorsque l’on mâche ou avale plusieurs mor- ceaux de sucre, de deux à dix, non seulement cela n’augmente pas du tout la soif, mais la chose.est agréable, même pendant les chaleurs et au moment de l'effort, et, de plus, enlève l’envie de boire. » La cavité buccale, par suite de l'augmentation de la sécrétion salivaire due à l’ingestion du sucre, est rapidement désempâtée ; la langue et le voile du palais sont de nouveau humides, et presque immédiate- ment, il part de l’estomac une sensation apaisante de rassasiement. On ne sent plus le besoin de boire de l’eau. Nos expériences person- nelles nous ont montré que les hommes ingérant du sucre accusaient le plus souvent une diminution de la sensation de soif, alors que la plupart des sujets à la saccharine ne trouvaient de ce côté aucun changement à ce qu’ils éprouvaient d'habitude au cours des longues marches. Cela concorde avec les observations faites dans la com- pagnie du capitaine Proteau, au cours des dernières manœuvres. Nous serons également conduits aux mêmes résultats en expérimen- tant sur les animaux. À la plus forte ration de sucre correspond généralement le minimum d’eau de boisson prise par l'animal. Les recherches rigoureuses de Werechtchaguine et Nosenko', déjà cilées, témoignent enfin dans le même sens. Ces auteurs ont trouvé que, chez l’homme, sous l’influence de l'alimentation sucrée, léli- mination de l’eau était notablement plus restreinte. Nous verrons 1. Vratch, 1894, n° 45. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 9393 que la sudation a alors tendance à diminuer considérablement et comme la sensation de soif n’apparaît que si l’organisme perd plus d’eau qu’il n’en reçoit, il en résulte logiquement que le sucre ne peut que retarder le moment où l’on sent le besoin de boire. C’est, en effet, ce qui arrive contrairement aux préjugés. Nous lavons suffisamment démontré ; nous y reviendrons du reste. Le sucre et les coups de chaleur. Le sucre prévient enfin le « coup de chaleur », la € Hungerneu- rasthénie » des Allemands qui, même sous nos climats tempérés, fait malheureusement trop de victimes dans les rangs, pendant les longues marches d'été, lorsque le temps est orageux, couvert, et que l'air manque. 4 Pour lutter contre l’échauffement résultant du travail et de Paug- mentation de température du milieu ambiant, l’organisme dispose de divers procédés. La peau présente tout d’abord une vaso-dilata- tion, nettement visible à sa rougeur et destinée à rapprocher la température de l’épiderme de celle de l’air. L'intensité des com- bustions intra-organiques décroit en même temps pour diminuer la quantité de chaleur produite. Mais ces deux modes de lutte de- viennent insuffisants dès que la température ambiante dépasse celle du corps et que ce dernier ne rayonne plus que faiblement. C’est alors que l'organisme fait intervenir l'augmentation de Pévaporation de l’eau soit à la surface de la peau, comme chez l’homme ou le cheval qui suent abondamment, soit dans les voies respiratoires, comme chez le chien qui ouvre la gueule, tire la langue et fait par minute de 300 à 400 respirations courtes, précipitées et peu pro- fondes. Si l’on muselle un de ces chiens haletants, la température du corps augmente progressivement et la mort ne tarde pas à survenir. Le fantassin qui marche en rangs serrés, par cela même encore que sa lourde charge gène sa respiration et entrave l’évaporation de la sueur, a bien vite fait, lui aussi, tout comme le chien, d’altein- dre la limite de la résistance à l’échauffement. Il tombe. Le cheval ne résiste guère mieux que lui. Le D° Bonnette ‘ préconise contre ces 1. D' Bonnette, Quénsaine médicale, depuis 15 décembre 1898. 394 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. accidents thermiques, souvent mortels, une infusion fortement sucrée de café chaud à donner au moment où la troupe commence à fléchir. En 1898, il accompagnait en Algérie un détachement de 400 légion- naires envoyé de Bel-Abbès à Saïda. Le deuxième jour de marche, après la quatrième pause, vers 9 heures du matin, la chaleur aug- menta; il n’y avait plus d'air. Les hommes, congestionnés, baignés de sueur, ralentissaient la marche ; les trainards devenaient nombreux et tombaient sur le bord de la route. Trois d’entre eux furent même pris de malaises sérieux, et il fallut employer les injections d’éther, les frictions, la réfrigération et la respiration artificielle. On arrêta la colonne et, sur les conseils du D' Bonnette, on fit le café pendant que l’on réquisitionnait tout le sucre du village voisin. Chaque homme en reçut, dans son quart de café, 35 grammes environ. Après une halte d’une demi-heure, la colonne put finir sans essoufflement et sans souffrance les sept derniers kilomètres de l'étape. Il faut aussi ne pas oublier, à ce propos, que la sudation produite sous l'influence de la température extérieure ou du travail muscu- laire est une cause de perte d'énergie, car la quantité de chaleur nécessaire pour évaporer la sueur, même supposée vaporisée à 37° (la température du corps), n’est pas négligeable. Un homme, par exemple, qui produit, par heure, près de 30 grammes de sueur, en exécutant en plein soleil d’été des mouvements violents, consomme dans le même temps pour évaporer cette sueur plus de 16 calories. Ainsi donc, le sucre ingéré au cours des périodes de sudation géné- ralisée préserve du coup de chaleur, et de plus, en diminuant l’éva- poration cutanée, empêche l’organisme de s’affablir et de dépenser de Pénergie qui pourrait dans la suite lui faire défaut. Rôle du sucre dans les expéditions et explorations des pays chauds. À côté du rôle que le sucre doit jouer, sous nos climats tempérés, dans Palimentation du soldat, il nous faut envisager, comme ques- lion connexe, s'il peut être de quelque utilité pendant les expé- ditions coloniales et les explorations dans les pays chauds. Tous les auteurs compétents sont unanimes dans leurs appréciations. Consul- GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 399 tons le D' Holwerda, médecin en chef de l’armée hollandaise des Indes orientales, qui a une pratique de plus de vingt années à Java et à Sumatra. « Pendant l'expédition militaire dans la contrée de Pidié, nous dit- il‘, on ne fit pas, à proprement parler, d'expériences, mais mes ob- servalions parlèrent en faveur du sucre. Je ne cherchai tout d’abord qu’à savoir si le soldat en marche aime le sucre, s’il en profite, el quelle est la préparation qu'il préfère. Chacun était libre de prendre du sucre ou de le refuser, et pouvait le consommer de la façon qui lui convenait le mieux ; or, en général, on en prenait plus que je ne l'aurais cru. Beaucoup louaient cet aliment avec chaleur, et c'était généralement ceux qui ne buvaient que peu ou pas d'alcool. Ils attes- aient qu’ils supportaient mieux les fatigues de la marche en prenant du sucre. [ls le préféraient dissous dans le thé froid et en mgéraient une grande quantité dès que la soif les tourmentait. Généralement, pendant la journée ils n’en buvaient que quelques gorgées entre les repas. De cette manière, ils n'avaient jamais soif, se sentaient plus résistants, n'étaient pas atteints par la fièvre de marche, demeuraient toujours éveillés et bons pour le travail, même lorsque les repas se faisaient attendre. Les soldats indigènes aimaient, eux aussi, à mâcher de la canne à sucre pendant la marche, surtout lorsqu'il faisait très chaud. Aussi le coup de chaleur fut-il très rare pendant l'expédition… Je n’hésite donc pas à recommander, aussi bien pour les expéditions que pour les explorations dans les pays chauds, d’ajouter à une bonne alimentation 100 à 150 grammes de sucre de canne par tête et par jour. Je n’ai jamais entendu dire que cette pratique ait eu un désa- vantage quelconque. Le sucre est en outre facile à transporter et, ce qui est très important pour les expéditions tropicales, ne se gâle pas lorsqu'on le met, dans des boites, à abri des insectes. » Le D' Vincent *, médecin inspecteur de l’armée coloniale, partage entièrement les conclusions du D' Holwerda. Au Congrès interna- tional d'hygiène tenu à Bruxelles en septembre 1903, MM. Van der Barg, officier de santé des Indes néerlandaises, et Reynaud, médecin 1. D' Holwerda. Congrès d'hygiène, 1900, VI section. 2. D' Vincent, Caducée, 6 juillet 1901. 396 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. en chef du corps de santé des colonies, dans leurs rapports respectifs sur l’alimentation des Européens et des travailleurs indigènes dans les pays chauds, se sont nettement prononcés pour l'introduction du sucre dans la ration. Ges données pourraient même nous servir d’ar- euments en faveur de l’usage du sucre dans nos climats tempérés, car, au fond, pendant certaines marches où manœuvres de lété et de l’automne, il faut bien se dire qu'on dépense son énergie dans des conditions presque identiques à celles des pays chauds. Nous voici, en tout cas, à même de conclure que l’on peul et que l’on doit, sous tous les climats, enrichir son alimentation par l’adjonc- tion de sucre. Nombre d’auteurs compétents viennent de nous prou- ver, par l’expérience, que cet aliment était des plus utiles en Afrique, dans les Indes et aux Antilles. Le sucre est du reste tout aussi précieux dans les pays froids, et Nansen, pendant son fameux voyage, n’hésita pas à remplacer le brandy par des fruits et diverses espèces de sucre- ries dont il s'était largement approvisionné à bord du Fram. Sans remonter au Pôle nord, ne voit-on pas les Anglais consommer le sucre en très grande quantité sous forme de cristallisés, de bonbons, de con- Hilures, ou même de «sirop d’or » qui n’est autre chose que le résidu des mélasses désucrées. Sous cette gourmandise apparente se cache certainement un besoin instinctif de prendre à bon marché le calo- rique nécessaire pour lutter contre le froid malsain des brouillards. B) LE SUCRE DANS L'ALIMENTATION DES DIVERSES CLASSES SOCIALES. Le sucre dans la ration journalière de l’ouvrier. Les véhicules du sucre dans l'alimentation courante. L'alimentation au sucre est également bien indiquée dans toute une série de métiers et de professions qu’il serait trop long de passer en revue, ce qu'on ne pourrait faire, d’ailleurs, sans s’exposer à de nombreuses redites. Il suffira de réfléchir à ceci : toutes les fois qu'un individu accomplit, par métier ou par plaisir, des exercices musculaires où des travaux mécaniques plus ou moins pénibles, 1l a avantage à prendre du sucre. Dans cet ordre d'idées, nous devons envisager deux cas : ou bien GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 5397 l'effort se reproduit chaque jour, ou bien il n’est qu’accidentel ou du moins n’a lieu que de temps à autre. Dans le premier cas, celui de l’ou- vrier obligé de gagner sa vie, et par conséquent le plus intéressant, le sucre doit être régulièrement ajouté à la nourriture quotidienne, car il est aisé, en raisonnant, de se rendre compte que cet aliment doit faire partie constituante de la ration de tous ceux qui se livrent journellement à un travail fatigant. M. Gautier ‘ a calculé, en tenant compte des observations fournies par les statistiques, que l’homme adulte moyen, au repos ou du moins ne fournissant qu’un travail très modéré, ingêre, instinctivement, peut-on dire, et par Jour, les quantités suivantes de principes ali- mentaires organiques : PRINCIPES NUTRITIFS. AIDUMINOIUES EE Venensn er MOUTUE: 108 gr. (RAÏSS ES RE RER LEE MM 49 HNALOCATDONÉS SE PTE MERS ETS 403 SOIR SPA TOR NES 560 Le même auteur Lrouve dans la ration moyenne et Journahère des travailleurs de diverses catégories et de pays différents : PRINCIPES NUTRITIFS. AIDEMIROI ESA EAN EEE RAA E7 150 gr. GRAS SN MI En re EU 2e 60 HYUrOCATDONÉS EME ENT 7 263 SD be EMA ANR tue D’après ces chiffres nullement théoriques, puisqu'ils sont tels que les a fournis l'observation pure et simple, 1l est aisé, en se servant des coefficients de Rubner, de calculer, dans les deux cas considérés, l’apport total de calories fourni en vingt-quatre heures par l’alimen- tation à l’organisme humain. L'énergie de la ration quotidienne est équivalente à : 3 481,3 calories dans le cas de l'homme qui travaille ; 2 550,8 = —= au repos. Différence . 930,5 Pour subvenir uniquement au travail, il faut introduire en plus 1. A. Gautier, Chimie biologique, 1897, p. 795. 398 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. dans l’économie 930,5 calories. Au moyen de quelles quantités d’ali- ments simples, albuminoïdes, graisses et hydrocarbonés, l’homme couvre-t-1l ce surcroît de dépense ? Si l’on examine attentivement les chiffres donnés par M. Gautier, on voit que pour 100 d’albumi- noides contenus dans la ration moyenne de l’homme, il y a: : :C 1 Tel J rer HYDROCAR- DANS LK CAS DE L ALIMENTAMXION ÜRAISSES. BOXÉS. DIETODOS SR RETIRE re 45,4 373 Durtra va PET PE TE Der 40,0 375 Cela signifie que les rapports entre les albuminoïdes, les graisses et les hydrates de carbone de la ration ne changent pas sensiblement, que l’homme soit au repos ou qu'il fournisse un travail un peu fatigant. D'après cela, l’ouvrier et, en général, le travailleur ne s’adresseraient pas de préférence à l’une des trois catégories fondamentales de prin- cipes alimentaires pour trouver le surcroît d'énergie dont ils ont besoin. Quand ils travaillent, ils ne modifient guère leur régime et se contentent de manger, en supplément, un peu moins de la moitié des matières alimentaires dont ils se contentent au repos. Nos raisonne- ments, il faut bien le spécifier, ne s’appliquent qu’à ouvrier moyen. Lorsque le travail devient considérable et au-dessus de la moyenne, comme cela a lieu pour les mineurs, les bûcherons, nous savons, en effet, qu’afin d'éviter une surcharge exagérée du tube digestif, l'aliment gras intervient toujours en plus grande quantité, puisqu'il est sus- ceptible d'apporter sous un volume moindre autant d'énergie que les autres aliments. Cette alimentation de l’ouvrier est-elle rationnelle ? Le surplus de potentiel que réclame le travail à fournir est équiva- lent, avons-nous dit, à 930 calories en chiffre rond. Mais c’est là la valeur calorifique totale du supplément de ration ingéré et non point celle de la partie de cette ration additionnelle qui est réellement absorbée et utilisée. De cette valeur de 930 calories, il faut tout au moins déduire l'énergie de la portion non digérée de chaque aliment. Il est dès lors facile de comprendre que l'apport brut pourra être d'autant moins élevé que les substances alimentaires qui le fourniront seront mieux utilisées. Or, toutes les expériences de digestibilité nous démontrent d’abord que le déchet est toujours plus fort pour les albu- GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 399 minoïdes que pour les deux autres catégories d'aliments. Nous savons également que l'effet physiologique utile de l’albumine réellement absorbée, est fort peu élevé. Les protéiques ne servent à alimenter les réactions intra-organiques qu'après maintes transformations. Celles-ci nécessitent un travail chimique, nullement négligeable, et qui ne peut se réaliser sans un emprunt d'énergie fail aux autres principes immédiats. Le travailleur n’est donc pas alors bien inspiré, en continuant à faire figurer les albuminoïdes dans son supplément de ration en aussi grande proportion que dans sa ralion d'entretien au repos. Le travail musculaire normal n'augmente Jamais loxy- dation des protéiques, et ne demande qu’exceptionnellement de l'énergie aux matières quaternaires. Lorsque l’on a tenu compte du besoin d’un minimum d'azote, l’albumine n’a, en somme, qu’un rôle fort secondaire à jouer. C’est là une loi dont la physiologie moderne a donné assez de preuves imdiscutables pour qu'il ne soit plus permis de la perdre volontairement de vue. De ce qui précède il découle, par conséquent, que, pour parfure la somme totale de calories nécessaires à l’accomplissement de son travail, l’ouvrier doit s'adresser avant tout aux aliments ternaires. Tout supplément de viande, ou du moins tout supplément notable ne pouvant être d’une grande utlité, il reste, comme nous venons de le dire, à choisir entre les corps gras et les hydrates de carbone. Si l’ouvrier écoute son goût, il n’hésitera pas à les associer, car les fari- neux et les légumes, rehaussés de beurre, d'huile, de graisse, se prè- tent à des formes culinaires appétissantes et assez variées. Mais il est évident que les hydrates de carbone vont dominer dans le mélange. L'organisme supporte mal, tout d’abord, les fortes doses de graisses et, de plus, ces dernières sont d’un prix trop élevé pour les bourses modestes. Aussi, trouve-t-on d'ordinaire dans l’alimentation des pau- vres 1 de corps gras pour 10 d'hydrocarbonés. Nous en arrivons alors, par déduction, à demander aux hydrates de carbone la presque tota- lité des 930 calories à parfaire dans le cas de travail. Est-ce con- forme à ce qui a heu dans la pratique courante ? Les statistiques et les observations nous apprennent que ce sont bien effectivement les hydrocarbonés, si abondamment représentés dans les aliments végé- taux, les moins coûteux entre tous, qui fournissent à l’ouvrier la 400 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. plus grande partie de l'énergie supplémentaire dont il a besoin. La théorie est satisfaite dans ses grandes lignes et, en principe, l'on n’a rien à demander de plus au travailleur qui se gorge d’hydrocarbonés. Nous savons qu'il n’est pas de meilleur aliment pour les muscles en activité. Malgré cela, il nous faut encore intervenir ici, car l’ouvrier se trouvera bien d’être guidé dans le choix de ses aliments ternaires. Pour tout le monde, l'alimentation hydrocarbonée, c’est l’alimen- tation purement végétale. Bien que l’estomac la supporte assez facile- ment et à doses relativement élevées, il faut reconnaitre cependant qu’elle augmente considérablement le volume de la ration. Les ali- ments végétaux tiennent, en effet, beaucoup.de place, pèsent, comme l'on dit, sur l'estomac et nuisent par cela même imdirectement, pendant toute la digestion, à la puissance du travail musculaire. Ce dernier et le travail digestif s’excluent en quelque sorte l’un l'autre. Qui ne s’en est pas rendu compte nombre de fois? Une autre carac- téristique de l'alimentation végétale, les expériences de digestibilité nous l’apprennent, c’est d’exposer à des déchets souvent considérables. Les protéiques qu’elle apporte ne sont que très imparfaitement absorbés. De plus, chez l'homme, les celluloses passent en grande partie inaltérées dans les excréments, et augmentent encore de ce fait la proportion des matériaux réfractaires à la digestion”. Or, l’expé- rimentation nous apprend qu’une mauvaise digestibilité générale fait baisser, d’une façon très sensible, l’utilisation de tous les principes nutritifs et particulièrement de l’albumine. Remarques qui nous amè- nent à conclure que si, d’un côté, louvrier a raison de préférer à une ration carnée surabondante, doublée d’une quantité insuffisante d'aliments ternaires, une alimentation ne renfermant que la dose nécessaire d’albumine, mais couvrant largement par ses hydrocar- bonés le besoin total de calories, d’un autre côté, il ne saurait trop abuser des végétaux dont l'effet physiologique utile peut alors parfois être inférieur. L'alimentation végétale est cause d’une augmentation de volume de la ration et, prise en très grande quantité, n’est que {. Le poids des excréments devient alors énorme. Dans les expériences de Rubner sur l'alimentation exclusive par les pois et par les carottes, il s'est élevé respeclive- ment à 927 grammes et { 092 grammes (à l'état humide) par 24 heures. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 401 tout juste tolérée. D’un coefficient de digestibilité souvent faible, elle impose en outre au tube digestif un travail considérable qui entre pour une grosse part dans le bilan des dépenses. L'usage du sucre ne paraît-il pas alors naturellement indiqué pour permettre au tra- vailleur de ne pas demander tous les hydrocarbonés de sa ration supplémentaire à l'alimentation dite végétale? En même temps qu'il augmenterait la saveur des mets et permettrait de restreindre le volume de la ration, le sucre, dont la digestibilité est intégrale, agi- rait encore par épargne, ainsi que nous le savons, vis-à-vis des autres principes nutritifs. De plus, il mettrait immédiatement de énergie à la disposition de celui qui, par métier, doit en dépenser continuel- lement. Il faut que la classe ouvrière consomme chaque jour une cer- laine quantité de sucre, et sous la dénomination générique d'ouvriers nous comprenons les travailleurs de tous genres, ceux dont le gagne- pain consiste à produire de l’énergie mécanique. Leur énuméra- tion ne servirait ici à rien. Disons cependant, car on les oublierait peut-être, qu'il faut ranger dans cette catégorie les ruraux et en général tous les travailleurs de la terre, puis les marins des côtes et les pêcheurs du large dont l'alimentation est, sinon insuffisante, du moins fort défectueuse. Le sucre à bord présente ces deux grands avantages: de se conserver facilement et indéfiniment et, ce qui est encore plus précieux, de n’occuper que peu de place. Aussi nous demandons, avec le D' Bonafy”, que l’on pousse les gens du large à prendre du café fortement sucré. N'est-ce pas effectivement le meil- leur moyen de faire entrer dans le régime courant des gros travail- leurs l'aliment qui influera le mieux et le plus vite sur leur énergie, tout en permellant de diminuer le volume de leur ration? Il est un proverbe qui dit « que l’on doit sortir de table ayant encore faim ». Ce dicton ne conseille pas de pousser la sobriété au point de ne pas couvrir largement le besoin total d'énergie ; l'organisme ne peut, de toute évidence, être mis en déficit. Il signifie encore qu'il faut éviter les rations massives susceptibles, par leur volume et leur poids, de 1. D Bonafy, Assistance sur mer à nos marins des grandes pêches. (Médecine mo- derne, 26 février 1902.) ANN. SCIENCE AGRON. — %° SÉRIE. — 1902-1903. — 11 26 402 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. constituer une lourde charge, un véritable impedimentum et de gêner pendant leur digestion celui qui travaille. L’ouvrier a tendance à trop « se lester », suivant son expression imagée. Grâce au sucre, il lui sera possible d'améliorer son hygiène alimentaire, légèrement défectueuse ainsi que nous venons de le démontrer. « J’observe de- puis 1884, nous dit M. Bardet*, un homme qui a aujourd’hui 70 ans et que j'ai toujours vu jouir de la santé la plus égale ; ce sujet m’af- firme n'avoir, depuis qu'il est adulte, jamais varié sa ration, et il attribue à sa sobriété la bonne santé dont 1] jouit et grâce à laquelle il peut suffire à un labeur écrasant, dix heures par Jour environ de travail intellectuel ou physique. Cette ration est ainsi constituée : à 7 heures du matin, une tasse de thé avec trois morceaux de sucre, un nuage de lait et un croissant. À midi, 60 à 75 grammes de viande, 100 grammes de légumes farineux ou verts, un morceau de fromage de 15 à 20 grammes, 100 grammes de pain, une tasse de café noir avec trois morceaux de sucre. Enfin, à 7 heures du soir, même repas qu'à midi avec en plus un peu de potage. Or, le sujet est un homme de 1°,65, du poids de 80 kiïlogr., c’est-à-dire qu'il penche vers l'obésité. » Voilà une ration qui a permis à l'organisme de faire des réserves, malgré la faiblesse apparente du régime. Elle contenait régulièrement de 9 à 10 morceaux de sucre. Souhaitons, pour le bien-être général, que la consommation quo- tidienne atteigne chez nous cette dose pourtant minime de 70 à 80 grammes par tête. Dans la classe aisée, c’est à peine si l’on arrive à prendre régulièrement dans sa journée cinq ou six morceaux de sucre ! Quant à la population ouvrière, tout le monde sait qu'actuel- lement cette denrée est presque entièrement bannie de son alimenta- tion courante. Il est vrai que son prix élevé ne l’a pas encore mise à la portée des petites bourses. Il y a donc tout lieu de croire que le chiffre de la consommation du sucre se relèvera déjà notablement, dès que la loi ratifiera la réduction des droits, demandée par M. Rouvier, ministre des finances, dans son projet de budget de 1903. Malgré cela, sans nous faire illusion, ne comptons pas uniquement sur le simple {. D' Bardet, Journal de médecine et de chirurgie pratiques, 10 décembre 1902, p. 907. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 403 abaissement du prix du sucre à 60 centimes le kilo, pour lutter contre les vieux errements et orienter différemment les idées. Au début de la réforme fiscale, le bon marché pourra peut-être attirer le consom- mateur, mais la nouveauté du régime à venir ne dispense nullement d’instruire les classes pauvres et de les convaincre de la haute valeur énergétique et nutritive de l’alimentation sucrée. Or, tant qu’il res- tera un doute à ce sujet dans l'esprit du public, la consommation ne pourra s’élever autant qu’il faut le désirer pour le bien général. Les Chambres ne tarderont pas à approuver la proposition de M. le Ministre des finances'. Pourquoi alors ne pas faire dès maintenant l’éducation de la société sur ce point particulier d’hygiène alimentaire ? Pourquoi ne pas mettre de suite tout le monde à même de connaitre les raisons pour lesquelles il faut profiter des avantages du dégrèvement futur ? La leçon à faire aux diverses classes sociales et surtout aux classes les moins élevées n’est ni longue mi difficile. « Vous connaissez le sucre, doit-on dire en substance aux ouvriers des villes, aux ruraux ct aux travailleurs agricoles. Pour des raisons économiques, vous en avez été privés jusqu’à ce Jour, mais dorénavant il ne coûtera que deux fois plus que le pain. Par contre, pour trouver l’équivalent ali- mentaire et énergétique du litre de vin à 50 centimes, il suffira de 10 à 15 centimes de sucre. Ce dernier est donc un aliment à bon marché. Il présente en outre cet avantage bien connu qu’on le consomme avec plaisir, à de rares exceptions près, et qu'il peut s’ab- sorber de mille façons variées toutes plus agréables les unes que les autres. En vous le recommandant, nous ne sommes nullement pous- sés par les producteurs de sucre, en quête d’un débouché capable de les aider à traverser la crise actuelle. Nous n’avons en vue que l'intérêt seul de la classe ouvrière, et si, aujourd’hui, nous vous en- gageons avec autant d’insistance à faire entrer le plus possible le sucre dans votre alimentation courante, au même titre que le pain, le vin, par exemple, c’est qu'il n’est pas de meilleure nourriture pour le muscle en activité, de source plus immédiate, plus active et 1. La loi relative au régime des sucres, ramenant à 25 fr. par quintal de sucre raffiné les droits sur les sucres de toute origine livrés à la consommation, a élé pro- mulguée le 28 janvier 1903 et est entrée en vigueur le 1° septembre de la même année. 404 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. plus économique d'énergie, c’est que rien ne peut mieux entretenir le corps lui-même, réparer les forces et, par conséquent, convenir davantage à celui qui, tout en travaillant beaucoup, veut ménager sa santé ou à celui qui, pendant ou après le surmenage inhérent aux conditions modernes de l'existence et de la lutte pour la vie, a besoin d'un tonique et d’un réconfortant. » Supposons maintenant qu’aussilôt l’abaissement des droits, la con- sommation du sucre ne tarde pas à se développer, demandons-nous alors comment les ouvriers des villes et les travailleurs de la terre vont introduire cet aliment de premier ordre dans leur nourriture de tous les jours ? Bien que la majorité des consommateurs en soit très friande, on sait que le sucre ne peut s’absorber seul en assez grande quantité. On lutilise beaucoup mieux en le faisant dissoudre dans la boisson ou en le mélangeant aux divers aliments bien connus qui gagnent à lui être associés. La population ouvrière a la déplorable habitude de commencer le plus souvent la journée par « tuer le verre ». Cela signifie que le premier repas du matin comporte de l’alcool, sous forme de cognac, d’eau-de-vie, de rhum, de mare, soit pur, soit coupé d’autres spiritueux qualifiés de cassis, de curaçao, etc. Nous savons ce que vaut l’alcoo! comme source d’énergie et comme aliment. Quelques-uns, ceux-là plus soucieux, sans le savoir, de leur santé, se contentent d’un verre de vin. Mais combien ce verre de vin leur serait autrement profitable, si, suivant un vieil usage des Cha- rentes, ils y mettaient six ou sept morceaux de sucre. Une bonne tartine de pain trempée dans un bol de ce vin fortement sucré, un bon « mijot », comme l’on dit en Saintonge, et l’ouvrier partirait à son travail muni d’une forte provision de calorique et de force pour la journée. La recette est simple ; elle a lavantage, au point de vue de l’économie générale du pays, de profiter à la fois au vigneron, au producteur de betterave et au fabricant de sucre, et si elle était connue, on y prendrait certainement vite goût, car elle est excellente. Pendant les manœuvres du Sud-Ouest, combien de fois avons-nous vu les hommes se confectionner d'eux-mêmes le fameux « mijot », dès l’arrivée au cantonnement. Il n’y a rien de tel pour faire oublier la fatigue, remonter le moral et redonner une certaine pointe d’entrain et de saine gaieté. Qui ne connaît du reste et n’apprécie le vin GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 405 sucré ? Qui, pour combattre le frisson par les journées froides, n’a Jamais eu recours au même vin sucré, mais bu chaud et débarrassé en partie de son alcool par l’ébullition ? Le matin, l’ouvrier à jeun ne saurait rien prendre de plus profitable et de moins nuisible à sa santé. L’après-midi, à la collation qui coupe la journée, aucune nourriture, mieux que le « mijot » des Charentes, ne réparera ses forces, ne fera disparaître chez lui la fatigue et ne lui permettra de se remettre au travail dans de meilleures conditions. En ce qui concerne les femmes et les enfants, ces derniers pren- dront avec le même profit, au premier repas du matin comme au soûter de l’après-midi, du lait largement sucré et coupé, si le mélange leur plait davantage, soit de café, soit de chicorée. Pour encourager la consommation du sucre, l’on ne saurait trop, en effet, pousser les ménages ouvriers à faire entrer de plus en plus les laitages dans leur alimentation courante. La soupe au lait très sucrée est un mets excel- lent et les enfants, surtout, ne peuvent trouver une nourriture plus appropriée aux exigences de leur croissance. Le riz au lait, les bouillies au lait, sont encore des aliments recommandables au même titre ;ilsne coûtent pas cher et, bien que leur saveur propre soit peu prononcée, lorsqu’ils ont été sucrés copieusement, ils n’en constituent pas moins des plats que tout le monde accepte volontiers. Il ne faut pas non plus oublier les œufs au lait et les crèmes classiques à la vanille, au café, au caramel, le parfum le plus économique et peut- être l’un des plus agréables. Nous considérions autrefois ces entre- mets comme un dessert de luxe, mais l’abaissement du prix du sucre leur permettra certainement, dans un avenir prochain, de figurer de temps à autre sur les tables les plus modestes. Tout d’abord le prix de revient de la crème ou des œufs au lait est loin de dépasser, à poids égal, le prix de la viande de qualité moyenne ; de plus, 1l est aisé de se rendre comple que ces plats sucrés fournissent, toujours à poids égal, bien près de deux fois plus de calories brutes que la viande crue. Est-il donc alors si irrationnel de conseiller à l’ouvrier et au paysan de remplacer parfois la viande de son repas principal par une bonne assiette de crème et d’y tremper son pain comme dans la sauce d’un ragoût? Parmi les boissons ou aliments qui s’associent le mieux au sucre 406 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. et sont susceptibles d’en développer la consommation, nous ne pou- vons oublier de citer le chocolat, le café et le thé. Le chocolat s'obtient, on le sait, en broyant avec du sucre des semences de cacao décortiquées et torréfiées, et en aromatisant la pâte avec de la vanille ou de la cannelle. Il est de règle que le bon chocolat con- tienne parties égales de sucre et de cacao, mais on en fabrique de qualité plus inférieure où le sucre peut atteindre la proportion de 70 p. 100. Les analyses suivantes vont du reste fixer nos idées sur la composition des différentes sortes de cacao du commerce et du chocolat bien préparé : CACAO He Re CHOCOLAT. par- tiellement. p.100. p. 100. p- 100. JDE PNR APE AR EUE 4,16 4,54 1,89 Alcaloiïde (théobromine) . . 1,96 1,74 0,67 Autres malières azotées. . 13,97 19,66 6,18 Matières grasses. , . . . 23,03 31,60 21:02 GÉDTOS ER NSE 3,40 5,59 1,39 Autres matières non azotées et indéterminées. . . . ‘20,25 28,13 67,00 (dont sucre : 54,40 DÉMOS TENTE AU LEE 3.63 8,48 1,89 On voit que le chocolat vendu en tablettes, de même que celui que l’on prépare soi-même avec du cacao en poudre, n’est pas seule- ment une friandise dont l’arome agréable plait à tout le monde; c’est un aliment véritable et même un des plus précieux que l’on connaisse, puisque, sous un faible volume, il contient une forte pro- portion de graisses et de sucre et que sa teneur en matières azotées est loin d’être négligeable. Le chocolat, par l’alcaloïde (la théobro- mine) que lui apportent les semences de cacao, est en outre un exci- tant capable d’agir sur le tissu musculaire et le système nerveux. En se servant des chiffres que nous venons de donner, il est facile de se rendre compte que les aliments simples fournis par une ration moyenne de chocolat — c’est-à-dire 40 grammes environ — simple- ment cuit à l’eau, constituent presque à eux seuls un véritable petit repas. Voici, comparé à la teneur en principes nutritifs d’un œuf moyen, pesant lui aussi 40 grammes, sans la coquille, ce que nous GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 407 apporte une bonne tasse de chocolat à l’eau. L'avantage est nette- ment en faveur du chocolat, qui fournit 38 grammes de principes organiques contre 10 seulement contenus dans l’œuf. CHOCOLAT. ŒUF. grammes. grammes. Alcaloïde (théobromine) . . . . . . 0,28 » MAtIreStarOLÉ SE ME SAUCE 2,47 5,4 MATICTES TASSE TRE ENS Ne 8,40 4,7 SCT RAM EU Ne meurs! 21276 » HNArOCANDONÉS "2 LS MN RTE 5,00 0,1 ancre nee Lt RE 2 09 29,8 40,00 40,0 Ces chiffres nous montrent que le cacao est réellement par lui- même un excellent aliment, et que, étant donnée la commodité de son emploi, l’on ne peut guère trouver de meilleur véhicule pour le sucre. Il serait donc à désirer que son usage, ainsi que celui du cho- colat, se répandit dans les ménages pauvres. Mais les cacaos sont frappés, à leur entrée en France, de droits de douane! tels, qu’ils ne peuvent figurer dans l’alimentation courante autrement que comme une denrée de luxe. Lorsque le prix du sucre sera diminué, les mé- langes à base de .cacao ne bénéficieront que très peu de la mesure ; ils se vendront de 10 à 15 centimes de moins la livre, ce qui n’em- pêche que le kilogramme de chocolat le plus ordinaire du com- merce, de chocolat dit de santé, ne descendra guère au-dessous de 2 fr. le kilogramme. Aussi, quoique relativement assez riche en principes nutritifs, la ration de 40 grammes de chocolat ne vaut-elle pas en réalité les 7 ou 8 centimes qu’elle va coûter au budget si restreint de l’ouvrier. Les infusions de café et de thé sont loin d’être aussi nourrissantes, 1. Le tarif général des douanes comprend un droit de : 10i fr. par 100 kilogr. nets de cacao en fèves ou en pellicules ; 150 fr. par 100 kilogr. nets de cacao broyé en pâte, en tablettes ou en poudre. Lorsque le chocolat est bon marché, c'est done que le cacao employé à sa pré- paration à été imparfaitement décortiqué et que l'on introduit avec l'amande dans le melange une certaine proportion de coques. La proportion de ces débris non diges- tibles ne doit jamais dépasser 10 à {2 p. 100 dans les chocolats de bonne qualité. 403 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. dans le sens vrai du mot, que le cacao. Voici la composition de l'extrait abandonné à l’eau chaude par 19 grammes de café torréfié, c’est-à-dire la dose moyenne employée pour une grande tasse, ou par > grammes de thé, ce qu’il faut environ pour préparer deux tasses d’une infusion assez forte. EXTRAIT DE A — 15 grammes 5 grammes : de À de thé café torréfié. 4 grammes. grammes. Gale (alcaloïide) EST EM RE ne 0,26 0,07 Autres matières organiques azotées . . . . . . » 0,47 COTPSINUHEUXTATOMALIQUES EMMA 0,78 ” Matières organiques non azotées et indéterminées. 217 0,96 CENATÉS RARE ET PES CE PER NS 0,61 0,18 ERPRAIDA SE ete ve leu 3,82 1,68 L'apport, on le voit, est minime, mais l’on ne peut conseiller, pour l’augmenter, de doubler et de tripler les doses. Le café et le thé, si l’on en abuse, déterminent des troubles gastriques et surexcitent l'énergie cérébrale, mais pour la diminuer ensuite. L'on ne saurait cependant ne pas reconnaitre que, pris à doses modérées, 1ls sti- mulent la digestion et l’influencent favorablement. Il est donc permis de recommander l’usage du café et du thé à ceux qui produisent du lravail musculaire, ne serait-ce, comme nous le disions précédem- nent, que parce qu’ils constituent des véhicules du sucre fort appré- ciés de la grande masse des consommateurs. Malheureusement, le café et le thé sont frappés, à leur entrée en France, de droits de douane? autrement plus élevés que ceux du cacao. Ce sont la des tarifs que le législateur doit abaisser autant que le permettent les exigences du Trésor *; la mesure contribuerait certainement à accroi- tre la consommation du sucre. 1. Les tarifs des douanes comportent un droit de : 300 fr. par 100 kilogr. nets (tarif général) de &afé en fèves et pellicules ; 136 fr. par 100 kilogr. nets (tarif minimum) de café en fèves et pellicules : 400 fr. par 100 kilogr. nets (tarif général) de café Lorréfié et moulu. ?, La commission des douanes à combattu à l'unanimité moins une voix Particle 5 de la loi de finances du budget de 1904 portant le relèvemeut à 156 fr. du droit GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 409 Il existe encore un excellent moyen de faire manger du sucre toute l’année aux ouvriers des villes et des campagnes. Bien que ce moyen ne date pas d'aujourd'hui, il mérite cependant que nous en parlions un peu longuement. C’est d'apprendre aux ménagères qu’elles ne doivent plus considérer les confitures comme un dessert, une denrée de luxe, et qu’elles seraient bien inspirées en les faisant figurer plus souvent sur la table. Nous allons voir que les confitures n’ont pas en effet pour seule qualité de plaire au goût. Par leur composition, elles constituent une nourriture concentrée et sont susceptibles, à poids égal, de remplacer, même avec avantage, la plupart des aliments qui, par suite de leur bas prix relatif, forment la base du régime courant de l’ouvrier. Mais pour que la classe pauvre consente à substituer de temps en temps aux pommes de terre et aux autres farineux communs les non moins saines et savoureuses confitures, il faut avant tout que ces dernières soient à la portée de toutes les bourses et, ainsi que le fait remarquer M. Hélot dans son rapport sur les confitureries', que cette nouvelle alimentation s'impose par l’économie qu’elle apportera dans le budget des ménages peu fortunés, la qualité des confitures à bon marché restant au moins égale à celle des produits soi-disant de luxe que nous mangeons actuellement. Que l’on se serve du seul jus des fruits afin d'obtenir l’une de ces gelées que tout le monde connaît (gelées de groseille, de cerise, de framboise, de pomme, de coing), ou bien que les fruits soient écrasés comme dans les marmelades ou simplement divisés en fragments ou même conservés entiers, comme dans la plupart des confitures pro- prement dites, personne n’ignore que d’une façon générale toutes ces préparations culinaires se font en chauffant dans une bassine le Jus passé à travers un tamis de crin ou les fruits eux-mêmes addi- tionnés des trois quarts de leur poids ou même de leur poids de sucre blanc. Pour les gelées, on fait cuire rapidement en ayant soin d’écu- mer jusqu’à ce que le mélange sirupeux, mis sur une assiette, se de douane sur les cafés. Il est, en effet, tout à fait illogique de vouloir compenser par de nouveaux impôts sur le café la moins-value occasionnée par la suppression des droits sur le sucre. Plus on prendra de café, plus on consommera de sucre ! 1. Hélot, Congrès des fabricants de sucre, mai 1903. 410 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. prenne par le refroidissement. Cette prise est due à la présence dans les fruits de pectines et d’autres matières gélatineuses qui perdraient en partie la propriété de donner de la consistance si le suc n’était pas employé de suite après son extraction. Quant aux confitures pro- prement dites, elles sont plus cuites que les gelées, mais chaque mé- nagère, chaque confiturerie a sa recette. Les uns laissent le fruit en contact avec le sucre avant de porter le mélange au feu, les autres jettent le fruit dans le sirop bouillant ; le point de cuisson varie éga- lement et il y a mille tours de main d’où dépendent la qualité du sirop et sa conservation future. Mais peu nous importe ; il nous suffit de savoir que tous ces aliments, qu'ils soient sous forme de gelée, de marmelade ou de confitures, se composent finalement de sucres et des divers principes contenus dans les fruits employés, c’est-à-dire de matières azotées et de matières grasses en faible quantité, puis de sucres préexistants dans la pulpe, de corps pectiques, de celluloses et enfin d’acides organiques végétaux. Cette acidité naturelle, rela- tivement assez élevée dans les groseilles et les cerises (0,90 p. 200) par exemple, n’est pas sans agir sur la composition finale du produit. Sous son influence, jointe à celle de la chaleur, le sucre ajouté s’in- tervertit, pendant et après la fabrication, c’est-à-dire se transforme en un mélange à parties égales de glucose et de lévulose. L’inter- version peut même à la longue devenir complète, mais la transfor- mation ne nuit guère à la qualité du produit et surtout à sa saveur, car si, d’une part, le glucose sucre moins à poids égal que le saccha- rose, il faut, d'autre part, plus de ce dernier sucre que de lévulose pour impressionner également le goût; au fond, le résultat est le même. Malgré cela, on cherche souvent, en confiturerie, à réduire le plus possible la quantité de sucre cristallisable et l’on ajoute au besoin de l'acide tartrique, lorsque l’acidité des fruits n’est pas par elle-même assez inversive. C’est là une question d’œil et non de goût, car l’on ne cherche de la sorte uniquement qu’à éviter les eristallisa- tions désagréables qui, on le sait, se produisent inévitablement à la longue dans les pots de confiture. Théoriquement, il semblerait pour- tant préférable que le sucre restât autant que possible en nature, puisque le sucre interverti semble se comporter vis-à-vis de l’orga- nisme autrement que le saccharose. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 411 Voici, à titre d'exemples, l’analyse détaillée des sucres libres con- tenus dans diverses confitures préparées avec du sucre pur: : POUR 100. — Cerise. Fraise. Groseille. Framboise. Saccharose 25,46 18592 UE | del Glucose. . 23,39 2256 18,13 14,89 Lévulose 23,33 22,64 17699 15,21 Toraz des sucres. T2 ALS 64,12 63,93 62,87 On voit que les poids de glucose et de lévulose étant sensiblement égaux, les sucres libres sont à l’état de saccharose et de sucre inter- verti. Si, pour être mieux fixés sur la valeur des confitures de bonne qualité, nous nous inquiétons d’en déterminer la composition centé- simale moyenne, voici des chiffres qui vont nous renseigner à ce sujet : POUR 100. PORT EM PS SR Te I 2 M) Re de 18,0 à 20,0 Cendres . . DRE AE LES EST RE LES LE RUN PORN YVES Se À der0;21a056 Sucres libres : Saccharose et sucre interverti. . . de 50,0 à 65,0 Mahèrestazotées totaless. 07 20 TN EE: de 2,0 a3:0 MAMÉRES RTS SES en dents Mare dt tee de0 6 rad 0 GeMMescibrnte ns UPPER TE UE de 2,0ù 4,0 Indéterminés (matières pectiques, acides, ete.). . den10: 012250 Ils nous montrent qu’il est absolument rationnel de considérer la confiture non plus seulement comme une nourriture saine et savou- reuse, mais bien comme un aliment de premier ordre valant très largement par ses hydrocarbonés son poids de pain. Nous parlons, bien entendu, de la confiture de bonne qualité, de la confiture de ménage pur sucre et pur fruit, et non pas de ces mélanges de fan- taisie que l'on voit dans les quartiers pauvres exposés à l’élalage des épiceries. Ce sont là des produits qui séduisent, il est vrai, le petit consommateur par leur aspect engageant, leur belle coloration et surtout leur prix minime, mais qui n’ont de la confiture et du fruit indiqué que le nom. Quand les mélanges sont à base de glucose, de 1. Villiers, Analyse des substances alimentaires, Doin, 1900, p. 826, 412 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. mélasse, ou sont fabriqués avec les déchets des produits fins, il n’y a encore que demi-mal; mais, fort souvent et cela pour le malheur des enfants et des malades auxquels on les donne dans le peuple comme aliments journaliers, le fruit employé pour la fabrication de ces con- fitures inférieures est vert, piqué et sans arome, quand il ne manque pas totalement. Il existe, en effet, des confitures artificielles, cons- tituées par un mélange de glucose, d'acide tartrique, de colorants divers, que l’on fait prendre en gelée en y ajoutant de la gélatine ou de la gélose, substances qui ne peuvent entretenir les forces et sont loin, comme la bonne confiture, de favoriser la digestion. Lorsque le sucre sera à bon marché, il faut espérer que toutes les officines où se fabriquent de pareilles « cuisines » verront peu à peu leur clientèle disparaître et seront rapidement remplacées par de véritables usines ne livrant que des produits naturels exempts de toute falsification. Il y a donc une industrie qu’il serait des plus inté- ressants de voir prospérer en France, c’est celle de la confiturerie. Elle existe, mais n’est pas ce qu’elle devrait être, puisque des raisons multiples, nous allons le voir, tendent aujourd’hur à lui donner de l’essort et nous poussent à la faire bénéficier d’une nouvelle activité. Remarquons tout d’abord que, pour un même poids de produits livrés à la consommation, la confiturerie emploie une quantité de sucre autrement considérable que les industries analogues, comme la chocolaterie et la biscuiterie, c’est-à-dire qu’elle ne peut qu’in- fluencer favorablement l’accroissement de la consommation du sucre en France. Par cela même, elle mérite que tous ceux qui sont inté- ressés à la vente du sucre ne lui ménagent pas leurs capitaux et, surtout, que l’État, par une réglementation des plus libérales, assure une tranquillité et une sécurité bien légitimes à exploitation de deux de nos plus importantes richesses nationales : le sucre et les fruits. Ne sont-ce pas là des matières premières fort intéressantes à tra- vailler ? Tout d’abord elles n’ont, l’une dans l’autre, que très peu de charges fiscales à supporter. L’abaissement du prix du sucre est déjà chose faite, on peut le dire sans crainte de trop s’avancer. Quant aux fruits, ils ne paient pas d'impôt. Or la France tient une des premières places dans le monde par sa culture fruitière. Nous trouvons chez nous tout ce qu’il faut pour approvisionner les GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 413 confitureries, car en admettant même que la mode réclame l’intro- duction dans le sirop de fruits exotiques, couramment employés au- jourd’hui en Angleterre, nos colonies sont là pour faire face à la demande. Comment ne pas reconnaitre que la France jouit à cet égard d’une situation absolument privilégiée, qu’il en a toujours été ainsi, quoi qu’on ait dit’, et que nous allons nous trouver on ne peut mieux placés, lors de l’abaissement prochain du prix du sucre, pour concurrencer dans le monde entier les pays producteurs de confitures? Notre production, conclut M. Hélot dans son rapport, ne doit pas avoir plus de limite dans Pexportation ? que dans la production pour la consommation indigène. C’est ce dernier point surtout qui doit fixer ici notre attention, car l'établissement en France de grandes 1. On parle à chaque instant du sucre et des fruits que nous envoyons se faire confiturer en Angleterre et qui reviennent ensuite sur nos tables où leur supériorité défierait toute concurrence. Il y a heureusement du vrai là-dedans, car nous ne pou- vous que souhaiter le maintien du chiffre de nos exportations de sucre et de fruits. Quant à l'excellence des confitures anglaises, nous dit M. Hélot, seuls les admirateurs de tout ce qui n'est pas national ou les gourmets de friandises exotiques persistent a consommer les produits d'outre-Manche; nous faisons aussi bien en France et nos confitures de luxe atteignent une perfection rare ou du moins suffisante, puisque les importations sont actuellement infiniment moins élevées que les exportations. Le tableau suivant suffit à nous le démontrer. IMPORTATIONS EXPORTATIONS FRA EE CORRE en milliers de francs. en milliers de francs. à EE TT 1900. 1901. 1902. 1900. 1901. 1902. Fruits confis au sucre. . . . . . . 4 10 18 4 666 3 357 3 932 Confitures au sucre et au miel. . . 194 176 159 936 8357 787 2. L'article 4 de la loi des finances (budget de 1903) fixant le régime des sucres est ainsi conçu : « Les sucres destinés à entrer dans la préparation des produits alimen- taires en vue de l'exportation, pourront être reçus et travaillés en franchise des droits dans les établissements spéciaux affectés à cette fabrication. Ges établissements, érigés en entrepôls réels, seront soumis à la surveillance permanente des employés des contributions indirectes ; les frais seront à la charge des ‘fabricants. Des décrets détermineront les conditions d'agencement des fabriques, les obligations à remplir par les fabricants et d'une manière générale toutes les mesures d'application du présent article. » Quels seront ces décrets ! Espérons qu'ils tiendront compte de ce que la même confitureric doit travailler aussi bien pour l'intérieur que pour l'exportation et qu'il est indispensable que la confiture en magasin puisse aller indifféremment au consom- mateur français ou à l'étranger. Le compte d'exportation ne sera-t-il pas alors bien diflicile à établir ? Voir à ce sujet le rapport déjà cité de M. Hélot. 414 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. usines, analogues aux confitureries anglaises si souvent citées, à Juste raison, comme des modèles, à cause de la variété infinie, de la per- fection et du prix de vente si peu élevé des produits qui en sortent, ne peut que contribuer à l'accroissement de la consommation du sucre et par conséquent à l’amélioration de l'hygiène alimentaire générale. Nous avons déjà fait observer que la confiture, considérée jusqu’à pré- sent comme un dessert de luxe, n’arrivera à conquérir les tables mo- destes que du Jour où elle sera mise à la portée de toutes les bourses. Or, les usines importantes, seules, peuvent maintenir la bonne qualité tout en vendant moins cher. Seules, en effet, elles ont la possibilité de réduire leurs frais généraux, et les économies réalisées de ce chef dans leur exploitation auront certainement une répereussion sur le prix de revient, autrement avantageuse pour le consommateur que la réduction même des droits sur le sucre”. Les confitureries s’établiront, par exemple, dans les régions de culture fruitière, de façon à réduire au minimum les avaries et les frais inhérents au transport. Placées en plein pays de production, il leur faudra s'organiser pour faire des conserves de fruits, ce qui leur permettra de s’approvisionner les années d’abondance et de ne pas ralentir le travail lorsque la récolte sera mauvaise. Le fruit pasteurisé se garde très bien deux ou trois ans, et les réserves confiturées au fur et à mesure des besoins, tout en permettant de ne livrer au commerce que des produits de fabri- cation récente, rendront possible, grâce au travail continu, la répar- tion des frais généraux non plus sur quelques mois, mais sur l’année entière ?. M. Hélot, dans son rapport sur l'installation des confitu- reries, croyait pouvoir affirmer au dernier congrès des fabricants de sucre, qu'une grande affaire bien menée devait, tout en fabriquant honnêtement et en vendant bon marché, procurer d’une façon régu- 1. Le dégrèvement promis du sucre ne peut abaisser les cours actuels que de 20 à 25 p. 100 au maximum. 2. Il faut cependant faire observer que la conservation des fruits par le procédé Appert ou tout autre procédé analogue ne peut rendre de grands services aux indus- triels qui préparent des gelées. Le jus de fruits qui a le plus souvent fermenté avant qu'on ne l’extraie et le pasteurise, est privé des matières pectiques susceptibles juste- ment de lui donner la propriété de se prendre en gelée. Les fabricants savent remédier à cet inconvénient en mélangeant au suc conservé une proportion plus ou moins consi- dérable de mucilages végétanx quelconques. Ces derniers sont loin d'avoir la saveur et a GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 415 lière un bénéfice de #0 p. 100 environ de son capital. Souhaitons donc que l'État facilite le développement de cette industrie par une réglementation libérale, bien faite pour lui assurer les facilités dési- rables. Il le faut pour le bien-être des classes les moins aisées, car la confiture, par cela même qu’elle est une nourriture saine, savou- reuse et de plus économique, si l’on sait la fabriquer rationnelle- ment, doit cesser de compler parmi les denrées de Lure. L’ouvrier ne peut comme les gens de la campagne se procurer les fruits à bon marché; vivant au jour le jour, de son travail de la veille, il ne peut non plus faire de provisions et garnir, à la saison des fruits, les rayons de la traditionnelle armoire à confiture ; il n’adoptera défini- tivement l'aliment confiture, qui lui est aujourd’hui presque interdit, que si le commerce le Lui ivre tout préparé et à bon compte. On ne saurait dès lors trop encourager ceux qui s’efforceront de donner une nouvelle impulsion à l’industrie dont nous parlons. Puisque nous savons maintenant pourquoi celui qui dépense de l'énergie musculaire doit apprécier le sucre et sous quelle forme il peut user de cet aliment dans la vie courante, nous ne saurions mieux terminer ce Chapitre qu’en donnant un exemple de ration journalière fortement sucrée mais sans excès cependant. Utilisant ce que nous venons de dire, voici quelle pourrait être la composition des quatre repas que l’ouvrier prend généralement dans sa journée, sans tenir compte de l’eau de boisson, du sel et des autres condiments habituels : BOISSONS. ALIMENTS. litres, grammes. AMIS NUE EURE ET ETS 0.150 » mier repas s é à 4 P Vin sucré. { Sucre (cinq morceaux). . . » 40,00 du matin. | e PÉTITION UT ON RON RARE LRER » 100,00 qualité des principes gélatineux naturels du fruit. De plus, comme le jus conservé en bouteille perd à la longue sa belle couleur, il faut avoir recours aux colorants, lors de la fabrication de la confiture. Sans méconnaitre les services que peut rendre la pasteu- risation, on devra donc pousser la confiturerie moderne à travailler comme dans les ménages au moment de la saison des fruits et à éviter ainsi l'introduction dans ses produits d'un tas d'ingrédients qui appartiennent plutôt au commerce de la droguerie qu'à celui de l'alimentation. Sans doute, le mode normal de préparation immobilise, sans que l'on en tire bénéfice de suite, une grande quantité de sucre, mais il faut savoir faire des sacrifices pour respecter la qualité et la saveur de la vraie confiture, 416 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. BOISSONS. ALIMENTS. litres. grammes. MIRE NT ER Re Te 0,400 » PALERME dE NU ROR UR LOT PRO PC » 250,00 Bifteck. \ Viande de bœur crue. . , . » 100,00 |'RéuEre tube 4 l'A ee » 15.00 Déjeuner. { Pommessde: terre fntes re MER ne n 200,00 CONTE EM RENE TR ARR AE PRES » 60,00 Ê | Extrait de 15 gr. de café. . 0,200 » Café sucré. { : Sucre (cinq morceaux). . . ” 40,00 RUE | NL STRESS er PC ES 0,150 ” Vin sucré. « Sucre (cinq morceaux). . . » 10,00 or -midi. | pain SU SUPER EE PP Te » 100,00 | Soupe LEE FRS TMES AL 0,500 » au ait Panier LAURE » 50,00 sucrée. RE (cinq FAT A n » 40,00 œuf (sans coquille) AMEN » 40,00 Diner.n:: Benne AFS NÉE TR RU TeNTER » 15,00 Paint ten EURE ele Lt pe) EME » 200,00 VDO AS US IE CAUE EAGLE 90 Fvr TR D er 0,300 » ; , (Extrait de 15 gr. de café. . 0,200 » | Café sucré. s Sucre (cinq morceaux}. . . » 140,00 La ration quotidienne, ainsi composée, conlient les éléments sim- ples suivants : : : SUCRE ; MATIÈRES AÉTTÉRES ORGANIQUES MESURE DÉSIGNATION ET POIDS NON AZOTÉES rose) ALCOOL HAUSSE Hydrocarbonés Line CENDRES. de l’aliment ou de la boisson, différents du sucre ex du vin, | AZOTÉES, | GRASSES. et indéterminés. ; | nature. | ee | | CREER | ns | CREME | OEEEE | ns gr. gr. gr. gr. gr. gr. gr. Rain FEU . 100 gr.| 231,0 47,0 3,0 410,6 » » 8,4 | Viande de Sr (one 100 —| 72,0 19,5 6,8 0,5 » » 1,2 Pommes de terre frites. 200 —| 76,0 8,0 13,0 93,9 » » 4,5 DICO MRC . +. +200 — 0,8 » » » 197,8 » 1,4 Sucres libres di-| | Confitu 60 ii SAN 0 HAL AUARERS » 0,3 COUSSINS — ‘ < } E » APE TES ? 3 7" Jautres hydrocar-| D è | bonés . 13,3 | 1 œuf (sans coquille). . 40 —| 29,4 5,4 4,7 0,1 » » 0,4 BOUETET. enr OU 4,1 0,2 25,3 0,2 » » 0,2 | Vin de coupage . . . . 1litre| 892,0 2,0 5 21,5 » 80,0 2,5 RESORT RME 1/2—| 447,3 | 18,6 | 20,7 25,8 (lactose) » » 3,6 | Extrait de 30 gr. Le caté ie » 0,6 1,6 4,4 » » 1,2 DOTAT SL: UE STE » 102,8 80,6 602,9 197,8 80,0 23,7 Voilà qui nous fixe sur l'apport matériel. [l nous est facile mainte- GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 411 nant de déduire de ce tableau ce que sera l'apport énergétique. li suffit d'utiliser les chiffres de Rubner concernant la valeur moyenne du pouvoir calorifique des divers aliments simples. La ration contient : GRAMMES,. CATORIES. Albuminoïdes. . . . . . . 102,8 fournissant (102,8 X4,1 )]— 421,48 RMS Te At ue O0 6 — CSC 9,35 V7 749,58 Sucre (en nature). . . . . 197,8 197,841) —=1tr 810,98 Hydrocarbonés autres que le SUBRE A ea B02,9 — (602,9%X4,1 )}—2471,89 On UE est 8010 — (S0,0X7,054)— 564,32 FOR een pet 25 018525 Ce n’est là évidemment qu’une détermination approximative, car, pour ne pas compliquer, nous avons, contrairement à la réalité, classé toutes les matières azotées des aliments et des boissons parmi les albuminoïdes, et considéré l’ensemble des matières organiques non azotées comme identique aux hydrocarbonés. Malgré cela, l’er- reur est négligeable et nous pouvons admettre qu’un semblable régime apportera en nombre rond 5 000 calories. Or, au début de ce chapitre, nous avons estimé, en dehors de toute considération scientifique et en tenant compte seulement des observations fournies par les statistiques, que la nourriture habituelle des travailleurs de diverses catégories et de pays différents contenait par jour 3481,3 ca- lories brutes. La conclusion est nette. Notre ration fournit 1 500 calo- ries environ de plus que celle qui, dans des conditions normales de vie et de travail, suffit largement à l’ouvrier. Pourquoi alors ce der- nier ne l'adopterait-il pas‘? Le sucre, nous l'avons maintes fois répété, est l’aliment énergétique par excellence, célui qui agit avec le plus d’activité et de rapidité pour entretenir ou réparer les forces. En prenant 200 grammes de sucre par jour, l’ouvrier dispose d’un peu plus de 810 calories et nous savons que cetle énergie est inté- gralement libérée au profit de l’organisme, quand celui-ci l'utilise pour satisfaire au surcroît de dépense occasionné par le travail mus- culaire. Ce dernier, d’après nos précédents calculs, exige toujours, {. Le prix de cette ration quotidienne serait à Paris de 2 fr. 50 c. À la campagne, il ne dépasserait guère 2? fr. 12 En | ANN. SCIENCE AGRON. — 2° SüRië. — 1902-1903. — 11, 418 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. en dehors de toute considéralion scientifique, l'introduction dans l’économie de 900 calories brutes supplémentaires environ, mais il ne faut pas perdre de vue que, si l’on demande, comme cela a toujours lieu, cet apport aux aliments ordinaires d’origine animale ou végétale, quelle que soit du reste leur qualité, du fait seul de leur absorption imparfaite dans le tube digestif, il se produit un déchet énergétique d'environ 10 p. 100 de la chaleur de combus- Lion totale de ces aliments. La valeur nette des calories suffisantes, dans la vie courante, pour subvenir entièrement au travail n’est donc en réalité que de 900 — 90, soit de 810, c’est-à-dire exac- tement le potentiel réellement utile de 200 grammes de sucre, et c’est là l’une des particularités les plus intéressantes de notre ration : le sucre qu’elle contient suffit à lui seul à entretenir le travail que produit habituellement l’ouvrier. Le sucre dans la ration des sportsmen. Il est une autre catégorie d'individus qui, d’après ce que nous sa- vons, est à même de ressentir les effets bienfaisants de l'alimentation sucrée. C’est celle des sportsmen, bicyclistes, alpinistes, nageurs, ra- meurs, joueurs de tennis et de foot-ball, etc. Le lieutenant Deremetz, l’un des vainqueurs du raid Bruxelles-Ostende, nous écrivait derniè- rement à ce sujet : € J’emploie le sucre pour l'alimentation de mon cheval, parce que j'en use moi-même depuis environ six à sept ans. Je montais autrefois beaucoup en course et, comme je suis assez grand, je pesais quelquefois trop. Aussi je me faisais maigrir par l’exercice, le pas gymnastique, la natation, la bicyclette. Je faisais couramment à bicyclette des courses de 200 à 250 kilomètres. Pendant l’entraine- ment, je prenais toujours du sucre sous forme d’eau sucrée, de café ou de thé sucré. J’y suis arrivé naturellement sans avoir le conseil de personne. Lorsque j'élais faliqué, le sucre était pour moi un be- soin. » Le lieutenant Bausil, du 28° dragons (Sedan), s’est également mis au sucre avec le même succès. Homme de sport par excellence et recordman par tempérament, son témoignage nous semble non moins précieux. Nous parlerons, à propos de l'introduction du sucre dans GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 419 la ration des animaux, du régime auquel M. Bausil avait soumis son cheval Midas, lorsqu'il gagna si brillamment avec lui en août 1903 le raid militaire Paris-Deauville. Nous ne nous occuperons ici que du cavalier. Dans ces sortes d'épreuves, il doit montrer tout autant de courage et d'énergie et être auparavant aussi bien entrainé que sa monture, surtout si, pour soulager cette dernière, 1l met, comme le lieutenant Bausil, souvent pied à terre et marche ou court aux côtés du cheval en le tenant par la bride. Le vainqueur de Paris-Deauville soigna done sa préparation non moins énergiquement que celle de Midas. En plus de sept ou huit heures de cheval, son programme d'entrainement comportait chaque jour de la course à pied, de les- crime et des mouvements d’assouplissement. Le lieutenant Bausil suçait alors ou croquait de temps en temps quelques morceaux de sucre, mais sans méthode, sans s’astreindre à une certaine dose et simplement pour ne pas avoir soif. En employant le sucre de la même façon en juin 1903, pendant le raid Sedan-Bruxelles, 400 kilo- mètres en quarante-sept heures, dont 80 environ faits à pied, il était déjà arrivé à ne boire que très peu. Satisfait de la recette et peul- être également encouragé par les conseils de l’un de nous, il en usa largement au cours du raid Paris-Deauville. Sur les 130 kilomètres composant la première partie de l'épreuve, de Paris à Rouen, le lieu- tenant Bausil en fit à pied, moitié au pas, moitié au pas gymnastique, Jo environ, c'est-à-dire presque la moitié. Et quand nous parlons de pas gymnastique, pour être exact nous devrions dire pas de course, car toutes les côtes étaient montées à la vitesse de 200 mètres à la minute, et l’allure portée à 220 mètres en palier et à 240 et même souvent 260 aux descentes. Cela fait de 12-15 kilomètres à l’heure. Le pas était non moins rapide, car la marche atteignait facilement aux côtes la vitesse de 7,5 à l’heure. Pendant le trajet, M. Bausil absorba avec du café ou croqua la valeur de quarante- cinq à cinquante morceaux de sucre, soit environ de 350 à 400 grammes. Ce fut là, avec trois œufs crus, la seule nourriture qu’il prit en route. A l’arrivée à Rouen, malgré l'effort fourni, nous retrou- vons le cavalier de Midas on ne peut plus dispos. En compagnie de ses concurrents et camarades du 28° dragons, le capitaine Branca et le leutenant Allut, qui suivant son exemple et confiants dans son expé- 420 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. rience, s’élaient mis eux aussi au sucre *, M. Bausil soigne lui-même son cheval, alors que la plupart des autres officiers s’empressent de profiter de suite des quelques heures de repos prévues par le pro- gramme. La seconde étape, Rouen-Deauville, comportait 85 kilo- mètres à faire à toute allure. Le vainqueur de l'épreuve ne mit pied à Lerre que sur 7 ou 8 kilomètres, et seulement aux descentes, de façon à pouvoir courir le plus vite possible. I prit alors deux œufs crus et au moins vingt-cinq ou trente morceaux de sucre, ce qui fait environ 200 grammes. Nous verrons comment Midas, également alimenté au sucre, arriva à couvrir ces 82 kilomètres en 4"14 soit à une vitesse soutenue de plus de 20 kilomètres à l’heure, mais, au dire de ses concurrents, la solidité des jarrets de M. Bausil fit pour sa victoire autant que celle des membres du cheval. Ces derniers exempies joints aux expériences du capitaine Stei- nitzer, Joints également aux diverses observations faites sur le soldat, nous montrent nettement et en dehors de toute considération scien- tifique, que le sucre tient une place prépondérante comme source immédiate d'énergie, comme producteur actif de réserves de forces et qu’il empêche en même temps, ou du moins diminue, la fatigue, la soif et peut-être la faim. N'est-ce pas là le rêve pour l’homme de sport, professionnel ou amateur ? Les hygiénistes et les économistes se plaignent de ce que le Français ne mange guère dans son année que 14 kilogr. de sucre. En pous- sant le monde sportif à adopter l’alimentation sucrée, on contri- buerait certainement à accroître de beaucoup cette consommation par trop minime. Les sports sont à l'heure actuelle plus en honneur que jamais. Le peuple commence à leur consacrer les quelques heures de liberté que lui laisse son travail ; 1l les aime, suit assidü- ment les réunions, se passionne pour ses coureurs favoris. Un pareil engouement laisse dès lors à penser que le jour où les recordmen et les équipes, connus par leur succès dans les vélodromes ou sur les 1. Le capitaine Branca et les lieutenants Bausil et Allut avaient résolu de toujours marcher ensemble. Il a fallu pour les séparer un accident survenu à Rouen au cheval du capitaine Branea et. à Deauville, une distraction du lieutenant Allut, qui n'a passé le but que troisième. Sans cela les trois cavaliers du 28° dragons seraient arrivés hotte à botte. Ge double dead-heat est bien à regretter ! GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 421 pistes, adopteront l'alimentation sucrée, toute la galerie suivra l’exem- ple. Le public préfère ce genre de leçons à celui des conférenciers et des écrivains les plus autorisés. Mais pour provoquer ce mouvement d'opinion, si désirable à tous les points de vue, il faut logiquement commencer par convaincre les sportsmen eux-mêmes. Or, les argu- ments qu'on leur sert d'habitude, nous nous en sommes rendu compte, sont insuffisants pour retenir utilement leur attention. « Le sucre, leur dit-on, est l’aliment d'énergie par excellence ; consultez plutôt Steinitzer, Bausil, les soldats sur lesquels on a expérimenté. » Presque tous vous répondent que ce sont là des cas particuliers qui sortent des conditions normales de la pratique des divers sports, et il faut, en effet, convenir finalement que Palpiniste ou l’homme de troupe ne travaille pas comme le eyeliste de nos vélodromes ni comme les spécialistes des courses ou des marches à pied. «€ Nous vous croi- rons, concluent les sportsmen, lorsque vous nous aurez démontré que l’action du sucre est susceptible d’avantager visiblement celui qui use régulièrement de cet aliment, lorsque vous nous aurez affirmé, après essai, que le sucre convient aussi bien aux « coureurs de vi- tesse » qu’à ceux qui, comme l’ascensionniste et le soldat, entrent dans la catégorie des « hommes de fond » et mettent plusieurs heures et même plusieurs jours pour dépenser leurs réserves d'énergie. Nous ne consentirons à essayer le régime que si vous nous dites enfin comment nous devons employer le sucre. Suffit-il d’en manger dans la période d’entrainement, ou seulement avant ou pendant l'épreuve, et à quelles doses ? » Le monde sportif se méfiait en un mot de nos déductions plus ou moins théoriques. Il voulait voir *. De telles considérations ne pouvaient que nous encourager à la formation d’une équipe de bonne volonté, acceptant en toute con- fiance de représenter dans une ou deux épreuves les couleurs du sucre. Nous avons tout d’abord songé à nous adresser au monde cycliste, mais on nous a laissé comprendre qu’il ne pouvait & priori nous être de la moindre utilité. Le grand coureur de vélodrome 1. Les observations concernant les sociétés nautiques de Berlin, de Mayence, de Deventer, qui, nous l'avons déjà signalé, du jour où leurs équipes ont adopté l'alimen- tation sucrée, n'ont cessé. paraît-il, de remporter des succès, ne sont encore que peu connues en France. On n'a du reste aucun détail précis à leur sujet. 422 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. appartient, en effet, surtout à la marque de sa ‘machine; abdiquant presque toute volonté, il est en outre sous la coupe sévère de ses entraîneurs et de son € manager ». Allez donc faire entendre raison à tous les satellites qui, pendant l’entraînement et les courses, gravi- tent autour de l’homme aveuglément confié à leurs soins plus ou moins routiniers! Jamais nous n’aurions pu réunir un lot suffisant de «bonnes pédales » et les avoir assez en mains pour les guider à notre idée, pour leur inculquer un certain esprit de corps et pour savoir ce qui se faisait exactement. Assuré par avance d’un échec, nous avons alors cherché à recruter nos hommes parmi les « racers », c’est-à- dire parmi ceux qui pratiquent le sport de la course à pied. Le jour- nal le Vélo faisait justement courir, sur la distance de 40 kilomètres, l'épreuve annuelle de Marathon (2 août 1903). L'un de nous fit appel à l’obligeance de la presse sportive, et, dans deux articles de tête’, encouragea les concurrents à user de l'alimentation sucrée. Le résultat fut absolument négatif. Des centaines cependant s’étaient mis en ligne ! Peut-être quelques-uns avaient-ils profité des conseils, mais, en dépit de enquête la plus mnutieuse, il ne nous fut pas possible de recueillir une seule observation, tant soit peu précise, favorable au sucre. Il est du reste de règle que le coureur se cache toujours de ce qu'il fait, et aime à laisser croire qu’il possède la formule secrète d’une boisson soi-disant réconfortante, conduisant infailliblement à la victoire. Nos articles du Vélo nous amenèrent cependant, mais ce fut le seul, un homme de bonne volonté, un cycliste d'Orléans qui se déclara prêt à nous écouter. Il avait l’intention de participer le 9 août à une épreuve de fond, 100 kilomètres sur route, et de s’en- gager, pour le dimanche suivant, dans la course de vingt-quatre heures organisée par le vélodrome de Roubaix. Laissons-le nous raconter lui-même comment les circonstances récompensèrent mal la confiance qu’il avait dans le sucre. Voici quelques passages extraits d’une lettre assez détaillée qu’il adressa à l’un de nous : Après avoir lu les articles du Vélo, j'ai commencé par absorber régu- lièrement sept ou huit morceaux de sucre ; mais, dès réception de votre 1. Alquier, « Aux coureurs de Marathon », journal /e Vélo (n° des 29 juillet et 1° août), GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 423 lettre, j'ai augmenté la dose. Je me suis mis à prendre deux fois par jour, le matin et le soir, environ de douze à quinze morceaux, soit avec un peu de pain, soit fondus dans un demi-verre d’eau. La veille de la course de 100 kilomètres, j’ai augmenté encore la dose d’une dizaine de morceaux, pris à midi dans mon café ou eroqués à mon bureau. Le lendemain, le départ de la course ayant lieu à 7 heures, vers 6"35, j'ai fait fondre douze morceaux de sucre dans ma tasse de café... J'avais mis sur mon guidon, dans mon sac, trois tablettes de chocolat, vingt-cinq morceaux de sucre et une demi-livre de pruneaux. J'ai tout mangé et ai croqué le sucre sec; je dois vous dire, cependant, que je ne l'ai fait que vers le soixantième kilomètre et tout d’un coup. Certes, j'ai eu lort, mais la pluie nous accompagnait depuis le départ. Vêtu légère- ment en maillot de coton, je grelottais, et quand en course on a l’esprit tendu, les muscles fatigués et l’eau qui vous coule dans le dos, on ne pense guère à se régler ; on ne réfléchit pas. Au soixante-quinzième kilo- mètre, je ne pus résister à un démarrage du groupe de tête. Là j'eus une véritable défaillance, plutôt morale que physique... Je n’en ai pas moins couvert les 400 kilomètres en trois heures quarante et une mi- nutes (27 kilomètres à l’heure), sans aides ni soins, et j'étais si peu fatigué, à l’arrivée, que je suis revenu sur ma machine à moyenne allure jusqu'à Orléans, soit 200 kilomètres dans un peu plus de la demi-journée... Le sucre ne m'ayant fait aucun mal et n'ayant rien changé à mes habi- tudes, j'ai continué, en vue de la course de Roubaix, à prendre en trois fois par jour une quarantaine de morceaux quand je m’entrainais, el vingt- cinq seulement quand je ne pouvais sortir avec ma machine. J’arrivai donc aux vingt-quatre heures de Roubaix en bonne forme, mais avec une forte bronchite prise le dimanche précédent. La veille, j'absorbais cinquante morceaux de sucre dans ma journée. A la fatigue du voyage d'Orléans à Roubaix s’ajouta une insomnie complète ; je toussais continuellement et me présentai donc en mauvaise condition... J'avais montré votre lettre à mon soigneur qui, n'étant pas convaincu, se refusa presque d'avance à me donner du sucre. Néanmoins, je lui don- nai l’ordre de s’en procurer. ]l ne le fit pas, si bien qu’au bout de deux heures, quand je demandai du sucre, il n’en avait pas et me passa du pou- let et de l’eau de Vichy. Le découragement m’a pris... Voilà, aussi détaillées que possible, les deux courses où, suivant vos con- seils, j'ai pris du sucre. Vous voyez que ce dernier n’est pour rien dans mes échecs, et que ce sont plutôt les circonstances qui ont été contre moi. J’ai dix-neuf ans et ne suis pas coureur de profession, car Je travaille de 7 heures du matin à 8 heures du soir dans un bureau, ce qui ne me per- met de m’entraîner que le soir à 9 heures, ou bien le matin à 5 heures. 424 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Mais revenons aux coureurs de Marathon. En écrivant pour eux, uous ne nous élions presque uniquement adressés qu’à la catégorie des « professionnels », c’est-à-dire à ceux qui vivent du sport et dont c’est presque toujours l’unique métier. Or, si nous avions été tant soit peu renseignés sur l’état d'esprit des sportsmen spéciaux que nous voulions convaincre, nous n’aurions même pas tenté de les ral- lier à la cause du sucre. Le professionnel, qu’il soit cycliste ou racer, n’écoute par principe que ses soigneurs et entraîneurs. La lettre du Jeune cycliste d'Orléans vient de nous montrer d’une façon frappante combien il est difficile de lutter contre l’inertie routinière de tous ces aides, pourtant indispensables. Instruits donc par notre non-réussite, il ne nous restait plus qu’à nous adresser aux sportsmen que l’on qualifie à juste raison «€ d’amateurs », car il en est heureusement qui considèrent uniquement le sport comme un art d’agrément et comme un moyen de recueillir des lauriers, le plus souvent honorifiques, sans sacrifier pour cela leur métier, leur profession ou leur santé. Chez ces derniers, d’un niveau intellectuel nullement comparable à celui des professionnels, nous avions peut-être chance de trouver enfin un peu de bonne volonté. Il nous fallait chercher une occasion favorable de renouveler utilement notre appel ; elle ne se fit pas trop attendre. La presse venait de remettre en honneur le sport, absolument délaissé depuis longtemps, de la marche : une marche nullement naturelle et semblable à celle du soldat par exemple, mais une marche toute sportive, nécessitant un certain apprentissage et grâce à laquelle, sans courir, faute d’être disqualifié, les bras aidant à la rapidité du mouvement des jambes, le buste restant presque immo- bile et les membres seuls fonctionnant, on arrive à soutenir, nous allons le voir, pendant plusieurs heures consécutives la vitesse sur- prenante de 10 kilomètres à l'heure, c’est-à-dire celle d’un cheval au trot”. Notre attention se porta de suite sur deux des épreuves annon- 1. Le record de l'heure sur piste est de 11K",410.- Telle est la distance que vient de couvrir dernièrement, dans l'heure, un marcheur du « Sport athlétique de Mont- rouge », C’est donc là le maximum de vitesse atteint, mais il faut remarquer que cette allure n'a été soutenue que pendant une heure et sur une piste d'un parcours autrement moins pénible qu'une route ordinaire. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 425 cées pour le mois d’octobre et qui, bien qu’organisées par des jour- naux différents, étaient cependant ouvertes à des coureurs de même profession. Le 18 octobre 1905, le Vélo faisait marcher « les em- ployés des chemins de fer » sur 25 kilomètres, de la Porte-Maillot à Maisons-Laffitte, en passant par Suresnes, Rueil, Chatou, Le Vési- net, Le Pecq et Saint-Germain. De son côté, le journal le Matin pré- parait pour le dimanche suivant, 25 octobre, une marche dite « des transports » où pouvait figurer également le personnel des diverses compagnies de chemins de fer. La distance de cette seconde épreuve était de 40 kilomètres environ, le départ ayant lieu à l'hôtel du Matin et l’arrivée au Raincy en passant par la place de la République, la place de la Basülle, la porte de Charenton, le bois de Vincennes, Joinville-le-Pont, Bry, Neuilly, Chelles, Le Pin, Courtry, Coubron et Clichy. L'occasion était peut-être unique de pouvoir comparer les effets du sucre chez des coureurs mesurant leurs forces, à une semaine d'intervalle, sur 25 puis 40 kilomètres, la première marche étant plus favorable aux champions de vitesse, les hommes de fond étant forcément en meilleure condition dans la seconde. Les listes d'engagement se couvrirent très rapidement, et il fut aisé de se rendre compte que, le Midi et les petites compagnies de chemins de fer mises à part, le Nord, l'Ouest, l'Orléans, le Paris-Lyon et PEst fournissaient dans les deux épreuves autant de concurrents les unes que les autres. Profitant donc de l’accueil particulièrement obligeant que la Compagnie du Nord avait bien voulu faire à notre idée et à notre programme, nous nous sommes employés à y recruter la pre- mière équipe française au sucre. Notre tâche, disons-le de suite, a été considérablement simplifiée grâce à M. Stehlin, chef du bureau des services électriques, qui s’est on ne peut plus heureusement chargé de l’exécution de notre plan. L'un de nous est heureux d’asso- cler 101 à son nom celui de ce nouveau collaborateur, à qui revient seul honneur de l’organisation et de la réussite de l’essai. Sportsman accompli et de longue date et, comme tel, président de l'Union cycliste de la Compagnie du Nord et de l'Association sportive des grandes compagnies de chemins de fer, très au courant des habitudes et sur- tout de la tournure d’esprit des amateurs de sport, à même par con- séquent d’aplanir les mille difficultés que soulève toujours la mise au 426 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. point d’une expérience comme celle que nous voulions tenter. M. Stehlin nous a permis de suivre, heure par heure, on peut presque le dire, et aussi bien pendant leur entrainement qu’au cours même des épreuves, un lot d’une dizaine de marcheurs, sou- mis au régime de la suralimentation par le sucre, toutes les autres conditions de ces sujets en observation étant exactement les mêmes que si nous n’étions pas intervenus. En nous adressant au Nord, nous avons du reste élé bien inspirés à tous les points de vue, car les idées que nous apportions étaient loin d'être une nouveauté pour le groupe sportif de cette compagnie”. Non seulement PU. C. N. (Union cycliste du Nord) était au courant de ce que l’on avait écrit et dit sur le sucre, mais elle avait mis ce dernier à l'épreuve en maintes circonstances. Tout dernièrement encore, vingt-trois de ses membres, profitant des congés du 14 juillet, avaient pu, grâce au sucre, accomplir à bicyclette une randonnée hors de proportion avec le temps dont ils disposaient. Voici sur cette excursion quelques dé- tails qui méritent d’être connus. Partie de Paris le 11 juillet au soir, la petite troupe était le 12, à 7 heures du matin, à Luxembourg, après une nuit passée en chemin de fer. Une heure après, tout le monde prenait, sur sa bicyclette, le chemin d’Ettelbrück et de Die- kirch par la vallée de l’Alzette. Le déjeuner et la sieste arrêtèrent nos cyclistes deux heures à peine dans cette dernière ville. On mar- cha le reste de la journée pour arriver à 8 heures du soir à Echter- nach sur la frontière allemande, soit un parcours d'environ 84 kilo- mètres dans un pays assez fortement accidenté. La caravane dans la matinée du lendemain remonta la vallée de la Sure et se dirigea sur Trèves qu’elle put atteindre avant le déjeuner, ayant fait ainsi une 1. À vrai dire, il faut reconnaître que les propriétés du sucre ne sont pas entiè- rement méconnues du monde sportif. Depuis deux ou trois ans, les masseurs et soi- gneurs sont les premiers à recommander le sucre, mais à petites doses, trois ou quatre morceaux, pour combattre les défaillances. Dans diverses épreuves, il nous a été donné d'entendre à chaque instant des concurrents demander du sucre à leurs entrai- neurs. M. Stehlin estime que sur les 3 S00 éngagés de la marche des corporations, organisée le 8 novembre 1903 par le Monde sportif, un bon tiers avait une provision de sucre pour la route. Nous avons du reste déjà constaté que depuis quelques années les touristes, les alpinistes ont abandonné l'alcool comme stimulant, et se sont mis aux sucreries (sucre en nature, fruits confits, fruits secs, chocolat), GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 427 quarantaine de kilomètres. L’après-midi du 15 fut consacré à la vi- site de Trèves. Le lendemain l’U. C. N. se mit en route à 4 heures et demie du matin et arriva à Luxembourg dans la soirée, assez à temps pour reprendre le train et rentrer à Paris. La distance parcou- rue dans cette dernière journée fut d'environ 98 kilomètres. Pendant ces trois jours, les excursionnistes consommèrent régulièrement par jour une moyenne de vingt-cinq à trente morceaux de sucre. Pas un ne resla en route et tous arrivèrent au but, absolument frais, sans s'être plaints une seule fois de la fatigue. Ce qui fait l'intérêt de l’ob- servation, c’est que les membres de PU. C. N., presque tous em- plovés dans les bureaux de la Compagnie, mènent forcément une vie sédentaire, et sont loin de pouvoir s'entraîner rationnellement et d’une façon continue comme le font d'habitude les gens uniquement adonnés aux sports. Dans ces conditions, étant donné qu'il est toujours dangereux de vouloir faire la leçon à des gens convaincus par avance, sans plus de préliminaires, nous avons rédigé avec M. Stehlin, en termes aussi simples que possible, la petite note suivante et l'avons communiquée à un certain nombre d'employés de la Compagnie du Nord, engagés dans les marches des 18 et 25 octobre. Nous croyons devoir repro- duire ici textuellement cette note, d’abord parce qu’elle nous résume le programme de l’expérience et surtout parce qu’elle permet de se rendre compte avec quel soin nous avons évité de changer en quoi que ce soit le mode d’entrainement et le genre de vie des concur- rents mis en observation. Il n'existait du reste pas d’autre moyen acceptable de rechercher si, dans la pratique courante des sports, l'alimentation sucrée avait réellement l'heureuse influence sur la- quelle on était en droit de compter. AUX ENGAGÉS DES MARCHES DES CHEMINS DE FER ET DES TRANSPORTS (18-25 octobre 1903). Pour accomplir dans de bonnes conditions une longue marche, il ne suffit pas de se préparer par un entraînement sérieux et méthodique, il faut encore suivre une hygiène sévère, permettant de se prémunir contre la fâcheuse défaillance, lessoufflement et ia soif. Nous croyons être utiles à nos camarades engagés dans les épreuves de 428 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. marche organisées pour les 48 et 25 octobre, en leur donnant les conseils qui suivent : Pendant la période d'entrainement, éviter la consommation exagérée de viandes, dont il ne faut attendre aucun surcroît d'énergie ; forcer, au con- traire, lalimentalion en farineux (pain, pommes de terre, etc.). Ne pas boire d'alcool, sous quelque forme que ce soit, vin compris. Si la suralimentation par les féculents esl à recommander, il faut cepen- dant lui en préférer une autre, meilleure encore, et qui a fait ses preuves depuis quelques années : c’est la suralimentalion par le sucre. Les socié- taires de l'U. C. N, la pratiquent couramment et elle leur a toujours fort bien réussi; au cours de leurs excursions, le sucre leur a infailliblement donné des forces et leur a permis d'accomplir de longues étapes sans fatigue. Nos marcheurs se trouveront fort bien de suivre le régime dont voici les conditions : : Un sportsman qui, en vue d'une épreuve, a besoin d’accumuler de l'énergie, doit porter à 200 grammes sa consommation quotidienne de sucre ; chaque morceau de sucre pesant environ $ grammes", il doit donc en absorber vingt-cinq environ dans le courant d’une Journée. Ce chiffre peut être atteint facilement de la manière suivante : Une demi-heure avant la séance d'entraînement, prendre une boisson chaude quelconque, thé ou lait, déjà fortement sucrée, puis y tremper huit ou dix morceaux de sucre et les croquer. Pendant l'entrainement, s’habituer également à manger, sans interrompre son travail, des morceaux de sucre humectés d’eau, et ceci en vue d'éviter que, le jour de l'épreuve, le sucre ne provoque de malaise pendant sa déglutition. Après l’entrainement et le massage, croquer encore de temps en temps du sucre, de façon à finir de manger, dans le courant de la journée, ses vingt-cinq morceaux. Ce nombre peut être augmenté sans aucun danger ; en progressant gra- duellement, on arrive à absorber facilement et utilement jusqu'à 300 gram- mes de sucre par jour, et même 500 grammes la veille de lépreuve. Le jour de la marche, prendre, quelques heures avant le départ, de 100 à 120 grammes de sucre, puis au cours de l'épreuve, absorber au plus, toutes les demi-heures, quatre morceaux de sucre humectés ; un peu d’eau, le contenu d’une cuiller à café, sera donné en même temps au marcheur par ses entraîneurs. Nous avons la certitude qu’en suivant ce régime vous verrez vos forces s’accroitre sensiblement, et que vous vous classerez honorablement dans les épreuves qui vous sont ouvertes. Tels sont les conseils qu'ont reçus les marcheurs de la Compagnie 1. Les morceaux de sucre employés pour l'expérience pesaient, en réalité, 87,6. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 429 du Nord. Ils sont bornés, on le voit, aux seules indications indispen- sables. Pour être à même de présenter un certain nombre d’obser- vations bien suivies et de conclure sur les effets réels du sucre dans la pratique des sports, nous avons en outre cherché à faciliter Pexé- cution de cette note à quelques-uns, tout au moins, de ceux qui se déclaraient prêts à suivre strictement le régime indiqué. Le Syn- dicat des fabricants de sucre, informé sur ces entrefaites de nos es- sais par son directeur de laboratoire, M. Saillard, que nous sommes heureux de remercier ici de son obligeance, s’empressa de mettre généreusement à notre disposition le sucre dont nous pouvions avoir besoin. Rien ne s’opposait plus dès lors à la formation d’une équipe telle que nous la désirions. Le 7 octobre, M. Stehlin nous présenta, mais sur le vapier seulement, car nous ne voulions pas intervenir afin d'éviter toute influence morale, un lot de douze agents, différant autant que possible nar leur tempérament, leur structure physique, leur profession et disposés, de leur propre volonté, à nous servir de sujets d'observation. Le 9 octobre eut lieu la première distribution de sucre, et, à parür de ce jour, tous les marcheurs « de l’équipe au sucre », comme on les appelait à la Compagnie du Nord, furent individuellement suivis d’aussi près que possible. La plupart de ces agents travaillaient dans des bureaux ou des ateliers voisins de celui de M. Stehlin. Ce dernier, tant que dura l’expérience, en profita pour rester en relation cons- tante avec eux, recueillant régulièrement et au jour le jour les im- pressions de l’un, ce que l’autre avait dit et fait pendant les séances quotidiennes d’entraînement. Le Jour de l’épreuve, chaque marcheur était flanqué de quatre camarades appartenant à l'Union eyeliste de la Compagnie et chargés à tour de rôle de l’entrainer à pied, de le soigner ou de porter à bicyclette les provisions de route. Ces auxi- liaires notèrent, eux aussi, exactement et avec détails tous les inci- dents de la course, et le point du parcours où ils s'étaient produits, puis la consommation de sucre ou de tout autre aliment ou boisson, faite par celui qu’ils escortaient. Les observations individuelles sui- vantes résument les points intéressants des nos notes. L’équipe com- prenait au début douze marcheurs, mais l’un d’eux crut constater, au bout de trois Jours, qu'une addition quotidienne à son régime 430 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. normal de vingt-cinq morceaux de sucre, augmentait chez lui la constipation à laquelle il était sujet depuis longtemps. Ce réfractaire, le seul, « déclara alors forfait » dans les deux épreuves et se con- tenta de servir d’entraineur à son frère, enrôlé comme lui dans l’équipe au sucre. 1. — M. P..., trente ans, taille 1,7, buste très peu développé, jambes fortement musclées et très longues. À fait son service militaire dans l'artillerie, ne pratiquait avant aucun sport et ne s’est préparé à faire les marches des 18 et 25 octobre que dans les premiers jours du même mois ; n’avait donc à la première course que quinze jours environ d'entrainement, consistant à accomplir quoti- diennement, sans méthode ni conseils et en deux fois, un parcours de 15 à 46 kilomètres, soit 7 à 8 kilomètres le matin et autant le soir. Commence seulement l’alimentation au sucre le 9 octobre et suit exac- tement les indications de la note remise aux coureurs, c’est-à-dire ingère par jour régulièrement de 200 à 250 grammes de sucre, pris moitié le matin avant la séance d’entraînement et laprès-midi pour se préparer à la marche du soir ; n’a ressenti aucune gêne du fait de cette consomma- tion de sucre ; l’appétit est resté le même ; aucune tendance à la soif. La sudation à l’entrainement diminue beaucoup dès le premier jour de la mise au régime sucré ; le 16 octobre, c’est-à-dire une semaine après, elle est presque nulle ; n’a aucune répugnance à prendre le sucre en nature ; préfère le croquer et boire un peu d’eau ensuite, plutôt que d’absorber des boissons fortement sucrées. Le 17 octobre, veille de la marche de 25 kilomètres, porte sa ration de sucre à 360 grammes; prend, le matin de l'épreuve, du thé et environ 130 grammes de sucre qu'il croque; quelques instants avant le départ, mange encore huit morceaux, soit 69 grammes, et boit une gorgée d’eau; part, dans le peloton de tête, ayant pris en tout 200 grammes de sucre, el se maintient dans les cinq premiers jusqu’à Rueil (9 kilomètres), où il passe second malgré un petit effort du tendon qui le gêne au début. Ne pouvant raltraper le concurrent qui le précède, maintient sans forcer l'avance le 200 mètres qu'il à sur le reste du peloton de tète et arrive second à Maisons-Laffitte, très frais, ne ressentant aucune fatigue, bien qu’il ail marché en moyenne à la vitesse de 10*",6 à l’heure', sous la pluie, tantôt sur une route détrempée, tantôt sur des pavés gras; n’a pris dans toul le parcours que quelques gorgées de thé et 170 grainmes de sucre, soil à peu près un morceau tous les kilomètres. N'ayant jamais participé à 1. Nous avons dit que le record sur piste de l'heure était de 11Xm,410. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 431 une épreuve de ce genre, ne peut faire de comparaison, mais son impres- sion personnelle est que le sucre lui a fort bien réussi et donné de l’en- durance ; lui attribue d’ailleurs nettement l’effet précieux d’avoir sup- primé la sudation. Prend part le dimanche suivant à la marche de 40 kilomètres. Déjeune à 6 heures et demie du matin avec du bouillon, deux œufs à la coque, une côtelette, et boit, dissous dans deux tasses de thé, dix morceaux, soit 86 grammes, de sucre; croque, en plus, une demi-heure avant le départ (8 heures), la valeur de 34 grammes de sucre (quatre morceaux). Se joint immédiatement au peloton de tête, bien que son effort du tendon le gêne toujours au départ, mais laisse échapper un concurrent qui prend une avance de plus de 100 mètres ; passe neuvième à la barrière de Charen- ton (6“",200), trente-six minutes après le départ, et prend à ce moment trois morceaux de sucre (26 grammes) humectés d’eau; à Joinville (12 kilomètres) profite d’un arrêt forcé, au passage à niveau du chemin de fer, pour avaler un verre de bouillon mélangé à un jaune d’œuf, puis se met à la poursuite du peloton de tête, rejoint plusieurs concurrents et marche à partir de Bry (16 kilomètres), à la hauteur du futur vainqueur de l'épreuve, arrivé du reste également premier le dimanche précédent ; le suit dans son effort pour dépasser le concurrent qui tient la tête de- puis le départ et auquel ses entraîneurs font prendre du champagne, de la kola, de la caféine, du thé, ce qui ne l’empêche pas de s’effondrer en traversant le Perreux (18 kilomètres) ; abat 7 ou 8 kilomètres sans inci- dent, en croquant de temps en temps un morceau de sucre, est rejoint à Chelles (27 kilomètres) par un concurrent qui marche dans ses foulées et donne alors un très grand effort pour se maintenir second, car le futur vainqueur de la course est arrivé à le devancer dans une montée. Prend un second verre de bouillon avec jaunes d'œuf et poursuit courageuse- ment ; passe au Pin, voit l’heure, doute de pouvoir tenir jusqu’au bout et est pris de suite d’une défaillance morale que ses entraîneurs ont mille peines à combattre. Se laisse devancer mais marche cependant dans les pas de son concurrent passé second et entame la lutte avec lui; donne à ce moment des signes complets de détresse et ralentit son allure en abor- dant une côte après Courtry (35 kilomètres). Ses camarades lui font prendre 26 grammes de sucre (trois morceaux); les forces lui reviennent. Repris par ses entraîneurs, suit très facilement leur train et, rejoignant à Coubron (36 kilomètres) le concurrent qui l'avait dépassé au Pin, se louve avoir à ce moment 1 200 mètres d'avance sur le quatrième ; est deuxième après Clichy (38 kilomètres), mange deux morceaux de sucre el boit un premier verre de champagne, puis un second dès qu’il arrive en vue du Raincy (42“",500), où se trouve le contrôle d'arrivée; se classe second, précédant le troisième de onze minutes et à trois minutes du 432 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. premier, alors que ce dernier l'avait battu le dimanche précédent de dix minutes sur 25 kilomètres. En résumé, a marché à la vitesse de 9*,77 à l’heure pendant 435 et a pris en tout 155 grammes (dix-huit morceaux) de sucre, plus un demi- litre de bouillon avec deux jaunes d’œuf et deux verres de champagne dans les trois derniers kilomètres; arrive au but très frais, a bien un moment de faiblesse lorsqu'il s’arrête, mais, aussitôt massé, il n’y parait pas ; dix minutes après, va déjeuner n’éprouvant déjà plus aucune lassi- tude des jambes. 2. — M. Q.., vingt-six ans, laille moyenne, bien proportionné, trois ans de service militaire, faisait auparavant de la bicyclette et a même participé avec succès à des courses d'amateurs, a pris part également à des courses à pied ; depuis son retour du régiment, ne s’est soumis à aucun entraîne- ment et n’a jamais couru ; est à même, malgré cela, de comparer son an- cienne méthode à la suralimentation par le sucre. Est convaincu, vu son manque de préparation, qu'il ne figurera pas honorablement dans une épreuve de marche; ne se serait pas engagé dans la course des 25 kilomètres si on ne lui avait pas certifié que le sucre pouvait le mettre rapidement en forme. S’entraîne régulièrement chaque jour sur 10 kilomètres, sauf deux fois où il couvre sans fatigue 14 kilomètres en 1"32 et 126 ; consomme de vingt-cinq à trente morceaux de sucre (soit de 200 à 250 grammes) qu'il croque peu à peu dans sa journée, étant absolument rebelle aux boissons sucrées ; ne ressent, sous l’effet de ce régime, aucun malaise ; n’est nullement altéré, mais voit son appétit diminuer considérablement ; est, il est vrai, en temps normal fort petit mangeur ; d’un tempérament très sec, n’est pas sujet à la transpi- ration. Le 17 octobre, veille de la marche de 25 kilomètres, prend dans sa journée quarante morceaux de sucre, soit 340 grammes, et, n'habilant pas Paris, couche près du lieu de départ de la course, dans un bôtel de Neuilly où il ne peut dormir par suite du bruit que lon y fait. Est très fatigué le matin de l'épreuve ; mange deux œufs sur le plat et boit deux tasses de thé, avec huit morceaux de sucre par tasse, soit 137 grammes environ de sucre absorbé, croque encore trois morceaux (26 grammes) avant le dé- part. S'est refusé à prendre du sucre en cours de roule et n'a mangé dans tout le parcours qu’une livre de raisin et une tablette de chocolat. Part en tête, mais en arrivant à la Cascade (4 kilomètres) est pris d’un point de côté qu'il attribue à l’insomnie de la nuit précédente ; suit péniblement, monte cependant la côte de Suresnes en conservant son rang, mais est dépassé par de nombreux concurrents sur la route stratégique. Signe qualre-vinglt- douzième à Rueil (9 kilomètres) et, à partir de ce moment, sent peu à peu GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE, 433 disparaître son point de côté, reprend de suite avance qu’il a perdue ; a regagné vingt places avant Chatou, en reprend vingt autres avant le Vési- net, dépasse dans la côte du Pecq tous les marcheurs qui le précèdent de près et passe dix-huitième à Saint-Germain (18“",200). À maintenant af- faire aux meilleurs marcheurs du lot, mais, stimulé par ses entraîneurs, pousse à fond ; laisse dix concurrents derrière lui et signe huitième au contrôle d'arrivée de Maisons-Laffite ; arrivé excessivement frais, se fait masser puis revient de suite à Paris. Est étonné lui-même de la performance qu’il vient d'accomplir après avoir été si fortement handicapé au départ par son point de côté ; attri- bue sincèrement au sucre l'énergie qu’il a montrée sur la fin du parcours et dit n’avoir jamais donné d’effort semblable et ne s’être jamais trouvé aussi peu fatigué après une course ; a fait preuve en outre d’un grand cou- rage et de volonté, car il est arrivé les pieds complètement écorchés et en sang; ne s’est enfin nullement ressenti de cette suralimentalion au sucre qu’il a cessée le 19 octobre, ne devant pas prendre part à la course de 40 kilomètres. 3. — M. Le..., vingt ans, taille moyenne, plutôt petite, constitution peu robuste, nerveux, pratique comme sports la bicyclette et le foot-ball. Commence à s’entraîner dès les premiers jours d'octobre et ne s'engage que pour la course de 40 kilomètres ; se met au régime à partir du 10 octo- bre et consomme régulièrement vingt-cinq morceaux de sucre, soil 215 grammes par jour ; aime le sucre sous toutes ses formes el s’accom- mode facilement de ce régime ; prend le matin du thé ou du chocolat for- tement sucré, et croque le reste de sa ration dans le courant de la jour- née ; n’a rien constaté d’anormal à partir du jour où il s’est soumis à cette suralimentation ; appétit resté le même; n’a jamais souffert de la soif; accomplissait chaque matin, comme entraînement, un parcours de 10 à 12 kilomètres, et a fait deux marches d’essai huit jours puis cinq jours avant l'épreuve, de Pontoise à Paris (30 kilomètres); est arrivé ces deux fois à son bureau sans la moindre transpiration et, aussitôt changé, à pu se mettre au travail dans des conditions normales d’esprit. Prend trente morceaux (258 grammes) de sucre la veille de la course ; le matin, déjeune avec deux œufs à la coque, du chocolat et du thé très sucré ; ayant remarqué une certaine gêne de respiration quand il man- veait du sucre en plein train de course, s’abstient d’en croquer au dé- part; se maintient jusqu’à Neuilly (22 kilomètres) le trentième environ, en prenant de temps à autre un peu de sucre; croit bien faire, à ce moment, en gobant deux œufs complets ; ressent aussitôt un empâtement dans la bouche et demande à boire ; prend plusieurs gorgées de café très sucré, puis du thé et du lait malheureusement caillé, ce dont on s’apercoit trop ANN. SCIENCE AGRON. — 2® SÉRIE. — 1902-1903. — 1. 2S 434 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. tard, perd une vingtaine de rangs entre Neuilly et Le Pin (31 kilomètres); se sentant mieux à partir du Pin, accélère lallure et regagne plusieurs places dans la montée de Coubron; rejoint encore cinq concurrents, sur la fin du parcours, entre Choisy et Le Raincy et arrive trente-cinquième. À l’arrivée, a très faim, ne ressent aucune fatigué et est très peu en sueur; d’un tempérament déjà nerveux, a pourtant donné sur tout le par- cours des signes évidents d’énervement, causant beaucoup et se dépensant en mouvements inutiles et saccadés des bras et du buste. 4. — M. B..., vingt ans, taille au-dessus de la moyenne, bien découplé, nature exubérante, se dépense beaucoup, pendant la marche, en mouve- ments désordonnés, pratique le foot-ball d’une manière assidue. S’est mis au régime du sucre le 10 octobre, mais s’entrainait depuis le commencement du mois en accomplissant chaque soir douze fois environ le tour de l'hôpital Lariboisière (928 mètres); prend donc tous les matins de 100 à 120 grammes de sucre dans son thé et croque, l'après-midi, des morceaux préalablement humectés d’eau ; arrive ainsi très facilement à manger 250 grammes de sucre par jour ; n’en est nullement incommodé ; conserve son appétit et ses habitudes. Prend seulement part à la course de 40 kilomètres ; déjeune le matin avec du chocolat, du café, des œufs sur le plat ; absorbe, une heure avant le départ, dix morceaux, soit 86 grammes de sucre ; en croque encore trois morceaux un quart d'heure avant de se mettre en ligne ; se place de suite dans le peloton de tête, car il a une forte pointe de vitesse sur les petites distances et reste huitième jusqu’à Joinville (12 kilomètres); perd alors plusieurs rangs dans la traversée du Perreux et est pris d’un point de côté en marchant sur le pavé gras à l'entrée de Neuilly (22 kilomètres) ; doit ralentir l'allure et monter sur le trottoir, ce qui le fait rétrograder à la cinquantième place ; commence à boire du chocolat au lait et finit d’en absorber une petite bouteille en arrivant à Chelles (27“*,200) ; croque ensuite quatre morceaux de sucre et, à partir du Pin (32 kilomètres), boit du madère, un demi-litre environ dans les dix derniers kilomètres ; signe vingt-sixième au contrôle d'arrivée. N'est nullement fatigué et se serait certainement mieux classé sans le point de côté qui l’a gêné sur près de 10 kilomètres ; le lendemain, n’a ressenti qu'un peu de raideur dans les jambes. 9. — M. G..., vingt ans, taille moyenne, maigre, aspect plutôt maladif'; n’a jamais pratiqué aucun sport; se croit bon marcheur et s'engage dans la marche de 40 kilomètres sans songer à se préparer en vue de cette épreuve. Entend dire qu’il est nécessaire de s’entraîner, demande des renseigne- ments et accepte, sans grande conviction du reste, de se mettre au régime ; GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 439 manifeste de suite la crainte de voir le sucre lui causer des troubles intes- tinaux et lui donner le diabète ; se rend peu à peu à l'assurance qu'il n’a rien à craindre, étant absolument libre de cesser l’alimentation indiquée dès qu'il en sentira les mauvais effets. Suit cependant très ponctuellement les instructions de la note et mange ses vingt-cinq morceaux (215 grammes) de sucre chaque jour ; est tout étonné de ne pas tomber malade et de ne pas, tout au moins, ressentir les effets de la soif; fait tous les jours, comme entrainement, deux mar- ches de 9 kilomètres, l’une le matin pour venir à son bureau, l’autre le soir pour rentrer chez lui. La veille de la course, se repose complètement et lui, qui était si scep- tique au début, prend dans sa journée, sans en être aucunement incom- modé, le chiffre énorme de cinquante-huit morceaux de sucre, soit à peu près une demi-livre. Le jour de l'épreuve, déjeune d’abord avec du café, qu’il qualifie de sirop, y ayant mis vingt morceaux de sucre (170 gram- mes), mais a la mauvaise idée d'écouter sa mère, qui croit bien faire en lui faisant manger une omelette au lard. Ressent au départ un violent mal d'estomac; se maintient quand même dans les premiers et passe quarante-huitième à la porte de Charenton (6:%,5); est pris de vomissements dans le bois de Vincennes ; essaye de continuer, mais, épuisé par une soif intolérable, demande à s’arrèêter à Joinville ; boit du café sucré et se remet en route en croquant régulière- ment toutes les demi-heures deux morceaux de sucre humectés d’eau. Passe au Perreux (18 kilomètres) soixante-troisième à 10 heures, ayant done, malgré son indisposition, marché à la vitesse moyenne de 9 kilo- mètres à l'heure. Trouve son père qui lui passe des pastilles de kola; en croque quelques-unes avec le sucre qu’il continue à prendre régulière- ment. À partir de ce moment, l’énergie lui revient ; regagne des places et, après Chelles (27 kilomètres), aperçoit la tête de la colonne au moment où elle prend le tournant du Pin; reprend courage et gagne plusieurs places dans la côte qui précède le Pin (32 kilomètres), où il passe trente- troisième ; dépasse encore lrois ou quatre concurrents et aborde franche- ment la côte de Coubron (36 kilomètres); ne prend toujours que son sucre humecté et quelques pastilles de kola ; ne souffre plus de la soif et finit pas se classer vingt et unième, ayant ingéré dans les trois dernières heures plus de 1450 grammes de sucre. Arrive assez épuisé, les traits tirés, et se ressent toute la journée de _son indisposition. 6. — M. V..., vingt et un ans, 1",80, forte ossature, n’a jamais pratiqué de sport; utilise quelquefois la bicyclette, mais pour faire des parcours n’excédant pas 10 kilomètres. 436 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Sollicité par un de ses camarades de prendre part avec lui à la marche de 40 kilomètres, commence à s’entraîner le 10 octobre et adopte de suite le régime au sucre dès qu’il a connaissance de la note ; accomplit chaque jour des marches variant entre 6 et 14 kilomètres et prend régulièrement vingt-cinq morceaux (215 grammes) de sucre; n’en éprouve aucun trouble, garde son appétit et ne souffre nullement de la soif. La veille de la marche, porte sa dose de sucre à 500 grammes et la consomme facilement sans en être incommodé. Le matin de l'épreuve, prend du café au lait dans lequel il met douze morceaux de sucre (103 grammes), puis une tartine de pain et de beurre ; part à lallure de 8“",5- 9 kilomètres à l'heure et ne s'inquiète pas des nombreux concurrents qui le dépassent; maintient régulièrement cette marche ; croque au début, toules les cinq minutes, un morceau de sucre sec et boit de temps en temps une gorgée de kola liquide ; est cent-dix-septième au contrôle du Perreux, mais, à partir de Neuilly, commence à dépasser ceux qu’il atteint et se classe soixante-douzième au Pin (32 kilomètres); continuant à une allure mécanique de 8“",5 à l'heure, traverse Courtry et Coubron (36 kilo- mètres), en laisse plusieurs derrière lui, n’est plus que quarante-neu- vième à Clichy et, dans les trois derniers kilomètres, gagne encore quinze places. Se classe trente-quatrième au contrôle d'arrivée, ne présentant pas la moindre trace de fatigue, causant très librement sans essoufflement, n'ayant ni faim ni soif; est certainement un des concurrents les plus frais et donne l'impression de quelqu'un qui vient de faire un petit tour de promenade ; n’ayant pas trace de transpiration, prend à peine le temps de se faire masser avant de quitter le Rainey; aurait pu se classer dans les premiers sans son ignorance complète de la tactique à adopter, mais, d’un tempérament par trop calme, n’a même pas voulu faire le moindre effort dans les derniers kilomètres. 7. — M. J.., vingt ans, taille moyenne, plutôt râblé, ne s’adonne à aucun sport. Ne s’est entraîné que pour accompagner l’un de ses camarade, mais con- sent à s'engager dans les deux courses. Prend du sucre à partir du 10 oc- tobre et en consomme en moyenne, par jour, de 150 à 160 grammes, dont plus de la moitié est pris dans le thé du matin. La veille de la première course, absorbe dans sa journée soixante-deux morceaux de sucre (933 grammes). Déjeune le matin de l’épreuve avec trois œufs crus et du thé sucré; n’a consommé pendant toute la marche que six morceaux de sucre et, après chaque morceau, a bu une gorgée de café fortement sucré ; s’est maintenu, dès le départ, dans le peloton de tête comprenant environ cinquante coureurs, gagne cinq places à la GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 4317 montée de Rueil sur un parcours de 300 mètres et maintient son ran2 jusqu’au pont du Pecq; fait son effort en abordant la côte, dépasse en- core huit marcheurs et se classe onzième au contrôle de Saint-Germain : vagne de nouveau trois places dans le trajet de la forêt, se fait dépasser par son camarade (.... de l’équipe au sucre, et signe neuvième à l’ar- rivée. Devant courir le dimanche suivant, se repose un jour puis recommence les marches d'entrainement pendant trois jours et, l’avant-veille ainsi que la veille, n'effectue que de simples promenades ; mange toujours réguliè- rement par jour les mêmes doses de sucre que précédemment. Le matin de la course de 40 kilomètres, gobe, pour son premier déjeuner, trois œufs crus et en mange trois à la coque, puis boit du thé fortement sucré ; part avec le groupe de tête et se maintient tout d’abord dans les trente premiers ; ne mange que quelques morceaux de sucre et boit la valeur d’un verre de café sucré. Avant de traverser Chelles (27 kilomètres), un de ses entraîneurs lui passe un flacon de caféine dont il prend inconsciemment six cuillerées à café environ ; ressent peu de temps a près de violentes douleurs d’entrailles et ne marche plus qu'avec peine. Se classe, malgré cela, cinquante-sixième, mais doit le jour même s’aliter et garder la chambre quatre jours durant, pour attendre d’être ocmplète- ment remis de son empoisonnement. 8. — M. M.…., vingt-sept ans, taille moyenne, bien charpenté, ajusteur de son métier, n’a que peu de temps pour faire de l'entrainement ; profite de l’heure de son déjeuner et marche le long du quai de la Seine à Saint- Ouen ; prend part aux deux courses. Adopte le régime le 12 octobre et prend régulièrement de dix-huit à vingt morceaux de sucre (172 grammes) qu’il croque dans le courant de la journée. Le matin de la première épreuve, déjeune avec deux œufs sur le plat, un bifteck et du thé très sucré ; ne peut suivre au départ le train du pe- loton de tête et passe cent onzième au pont de Suresnes (4*",5), maintient ce rang jusqu’à Rueil, où il commence à dépasser quelques concurrents ; n’est plus que soixante-dix-huitième au Vésinet et cinquante-seplième à Saint-Germain ; prend pendant tout le parcours du café, du bouillon, et croque du sucre ; en maintenant son allure, arrive à dépasser trente-trois concurrents dans la forêt de Saint-Germain sur une distance de 8 kilo- mètres et signe vingt-troisième au contrôle d'arrivée ; est légèrement en sueur, mais sans essoufflement ni fatigue. Augmente sa ration de sucre la semaine suivante en vue de la course de 40 kilomètres, prend 160 grammes le matin et 80 l’après-midi, le plus 438 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. souvent dissous dans du café ou du thé ; prend aussi quelques morceaux humectés d’eau. Déjeune le malin de la seconde marche avec du bouillon, des œufs et du thé sucré ; ne peut toujours pas suivre au départ les coureurs de tête dont le train est trop sévère pour lui; est cent soixante-deuxième à la porte de Charenton et ne commence à regagner des places qu'à partir du Perreux (48 kilomètres), point où beaucoup de marcheurs sont à bout de forces ; est quatre-vingt-treizième à Neuilly (22 kilomètres); prend quatre morceaux de sucre et un demi-litre de bouillon ; rejoint de nombreux marcheurs dans la montée de Chelles au Pin (32 kilomètres), n’est plus que cin- quante et unième à ce dernier contrôle ; dépasse de nombreux concur- rents entre Courtry et Coubron (36 kilomètres), rejoint deux de ses cama- rades de l’équipe au sucre et signe trente-troisième au contrôle d'arrivée du Raincy. À donc fourni au fond une meilleure performance que pour la première épreuve. Arrive très frais ; se fait frotter, étant quelque peu en moiteur, prend un bouillon puis un verre de vin et, s’étant mis de suite à table, déjeune avec son appétit normal. 9. — M. Lu.., dix-huit ans, petit, maigre, nerveux, fait de la bicyclette et, sans avoir suivi d'entrainement régulier, a eu l’occasion de se rendre compte qu'il pouvait marcher longtemps à l'allure de 8 kilomètres à l'heure ; travaillant dans un atelier d’ajustage avec le coureur dont l’ob- servation précède, s’entraîne avec lui tous les jours, après son déjeuner, entre midi et une heure. Commence à prendre du sucre le 12 octobre; en consomme chaque jour de 100 à 120 grammes, dont il prend la plus grande partie, le matin, dans son café au lait. Déjeune, avant la marche de 25 kilomètres, avec du café au lait sucré, des œufs brouillés et du café également sucré; part dans le deuxième peloton et reste quarantième environ jusqu’au Vésinet ; à partir de ce mo- ment, gagne des rangs, passe vingt-sixième à Saint-Germain et signe dix- septième au contrôle d'arrivée de Maisons-Laffitte. S'habille aussitôt sans éprouver le besoin de se faire soigner et de se reposer, et revient à Paris. Encouragé par le résultat, se prépare plus sérieusement et porte sa consommation de sucre à 200 grammes par jour, remarque alors que son appétit augmente mais que, par contre, il boit moins. S’entraine jusqu’au dernier jour. Le matin de la course de 40 kilomètres, ne prend que des œufs et du café ; se trouve distancé au début, comme dans la course précédente, et reste dans le groupe du milieu avec lequel il marche jusqu'à Chelles (27 ki- lomètres) ; boit du café sucré, du thé el du bouillon; lâche alors son GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 4239 peloton, améliore peu à peu son rang et arrive vingt et unième au Rainey après avoir fourni un violent effort dans les dix derniers kilomètres ; prend du thé sucré, se repose une demi-heure puis déjeune. Est très satisfait de sa course, car il a regagné beaucoup de places à la fin ; a le mérite d’avoir su résister aux instances de ses parents qui élaient effrayés de le voir consommer autant de sucre. 10. — M. Br..., dix-neuf ans, grand, bien découplé, tempérament fou- gueux et nerveux, pratique le sport du foot-ball. S’est entraîné au commencement d'octobre ; faisait tous les matins une dizaine de kilomètres suivis d’une course de 400 à 500 mètres ; se met le 10 octobre, mais sans conviction, au régime du sucre et en mange néan- moins régulièrement par jour de seize à dix-huit morceaux (146 gram- mes); est tout étonné de ne pas boire davantage ; conserve son appétit et ne change en rien ses habitudes. Part en tête dans la marche de 25 kilomètres et mène ainsi jusqu’à Rueil; prend à partir de ce moment soit du sucre, soit des œufs, du café ou du thé ; se laisse dépasser par quelques concurrents, s’énerve beau- coup, perd encore trois places en traversant la forêt de Saint-Germain et n'arrive que vingt-quatrième à Maisons-Laffitte. 11. — M. P..., trente-six ans, vétéran, petit, très maigre, a l’habitude de marcher longtemps à allure modérée. Commence à s’alimenter au sucre en vue de la course de 25 kilomètres, mais, deux jours après, souffre des dents (abcès dentaire); attribuant son mal au sucre, ne continue pas le régime et fait la marche sans préparation spéciale ; se classe quatre-vingt-treizième (huitième de la catégorie des vétérans). Voyant le résultat obtenu par ses camarades soumis au régime de la note, se remet dès le lendemain au sucre; en prend par jour de dix à quinze morceaux (100 grammes); le matin de la course de 40 kilomètres, déjeune avec des œufs et du thé, part en emportant vingt morceaux de sucre (172 grammes) qu’il croque en route, prend également dans les derniers kilomètres un verre de vin blanc sucré ; se trouve trois centième à la bar- rière de Chirenton et garde son rang jusqu’à Joinville ; à partir de Bry, commence à gagner régulièrement des places, arrive quatre-vingt-troi- sième, cinquième de la catégorie des vétérans dont le premier a le n° 49 dans le classement général. À ces quelques observations nous pouvons joindre celle qui con- cerne M. Stehlin lui-même. Il comptait prendre part, comme vétéran, à la course de 40 kilo- 410 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. mètres, et s’'entrainait pour cela depuis le commencement d'octobre, mais, au dernier moment, «il a déclaré forfait », parce qu’on lui de- mandait, avec instance, d'être Juge-arbitre, et surtout parce qu'il désirait suivre de près tous les marcheurs de l’équipe au sucre. Prenait le matin, tant qu'il s’entraina, un demi-litre de lait avec huit morceaux de sucre ; une demi-heure après, marchait, pendant une heure, à vive allure, se faisait masser et déjeunait avec des viandes blanches, du fromage et en buvant du thé sucré ; croquait à midi quatre morceaux de sucre et en mettait six autres dans son café ; mangeait de nouveau à 4 heures six morceaux de sucre et s’entraînait de 5 heures et demie à 1 heures et demie ; absorbait encore, pendant l'exercice, de quatre à six morceaux, soit donc 300 grammes environ dans la journée ; est arrivé à couvrir 28%,800 (huit tours de Longchamp) en 3"20, ce qui représente une allure soutenue de 8,6 à l’heure ; n’a jamais rien ressenti d’anor- mal ; déjeunant avant d'aller à son bureau, avait l'habitude de ne boire dans le courant de la journée qu’une tasse de café à midi; ne voit nuile- ment la soif augmenter, a plutôt meilleur appétit. Le jour de la che de 40 kilomètres, prend le matin un demi- litre de lait après y avoir râpé une tablette de chocolat et mis huit morceaux de sucre, en croque encore huit autres avant le départ, monte à bicyclette à 8"5 et suit lentement la colonne dont il rejoint la tête à la barrière de Charenton ; descend de machine et, étant juge-arbitre, pointe les deux cents premiers marcheurs, mange deux morceaux de sucre et remonte à vive allure la colonne jusqu’à Neuilly, procède à un nouveau pointage, et à partir de ce moment, surveille les coureurs de tête en allant et revenant continuellement sur ses pas, descend souvent de machine et fait ainsi de 10 à 12 kilomètres à pied ; arrive au Rainey avec le premier et reste au contrôle jusqu'à 4 heures sans prendre autre chose que deux verres de café; a donc absorbé dans toute sa journée jusqu’à 7 heures du soir, heure de son dîner : un demi-litre de lait, une tablette de chocolat, deux verres de café et trente-deux morceaux de sucre (275 grammes); n’a pas eu la moindre défaillance et n’a éprouvé le besoin ni de boire ni de manger. Bien que ces observations, dont nous pouvons, en toute conscience, affirmer la sincérité, soient déjà par elles-mêmes des plus sugges- üves, 1l nest pas inutile cependant, au | moment de conclure, de les résumer en quelques lignes. L'équipe que nous avons suivie, comme on vient de le voir, se composait de onze agents de la Compagnie du Nord, choisis d’âge, de tempérament, de structure physique et de profession différents GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 441 autant que possible, nous l’avons déjà dit. La plupart faisaient, comme tout le monde, de la bicvelette en touriste ou pour aller à leurs affaires. Tous, en tout cas, sauf un, n'avaient aucune notion et aucune pratique de la marche sportive ou même de la course à pied, et, de plus, l’entrainement ne leur était pas chose facile. Ceux qui élaient employés dans les bureaux se sont vus obligés, en effet, de vaincre leurs habitudes sédentaires ; il leur a fallu se lever de très bonne heure pour s’entraîner avant de venir à la Compagnie, car, en cette saison, les soirées n'étaient pas assez longues ni très propices à ce genre d'exercice. Le temps manquait encore plus aux agents des services actifs et aux ouvriers, car leur Journée commence très tôt ou finit très tard; mais nos sujets étaient, à ce point de vue, dans la même situation que leurs camarades des compagnies de chemins de fer. Ils n’ont, en tout cas, il faut également bien le faire observer, été l’objet d’aucune faveur spéciale leur donnant le temps et les moyens de se préparer mieux que les autres aux diverses épreuves qu’ils voulaient aborder. Voilà donc notre équipe soumise au régime du sucre conformé- ment aux indications de la note. Nos onze sujets d'observation pren- nent chaque jour et régulièrement, peu importe du reste comment et à quel moment de la journée, de 200 à 500 grammes de sucre. Quelques-uns portent celte consommation à 400, 500 et même 553 grammes la veille des épreuves. Bien que cette réelle suralimentation sucrée ait duré dix-sept jours, aucun des hommes mis en observation n’est obligé de chan- ger en quoi que ce soit ses habitudes ou son service ; l'appétit se maintient normal chez la plupart ; pas un seul ne souffre de la soif. Quant aux troubles pathologiques, intestinaux ou autres, nous ne les voyons signalés nulle part dans les douze observations individuelles précédentes. Il paraît même que le service médical de la Compagnie du Nord a eu la curiosité de faire analyser les urines de l’un des agents soumis depuis une semaine au régime ; les réactifs n’ont pu y déceler la moindre trace de sucre. Envisageons maintenant les résultats des deux épreuves de marche où les membres de l’équipe, entraînés comme nous le savons, se sont mesurés avec leurs camarades du Nord et des autres compagnies de 449 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. chemins de fer, après avoir au moins absorbé, avant le départ, une centaine de grammes de sucre. Le tableau suivant nous indique l’âge et le classement de chacun de nos onze sujets dans les courses des 18 et 25 octobre. RANG OBTENU DANS LE CLASSEMENT GÉNÉRAL. | NOM DU MARCHEUR. L, ER TL UT Re Marche de 26 kilomètres. Marche de 43 kilomètres. MM: P'0:0e 228120 ansts Lr|22, 2e. IN'a pas couru. 56° (empoisonné par de la caféine) | N'a pas couru. 20°, | (7E: 2 4: N'a pas couru. 26° 23°. N'a pas couru. INA VASTES N'a pas couru. Brie route 248, N'a pas couru. P. vétéran .|: 93° (8° des vétérans). 183€ (5° des vétérans). [Ne prend pas de sucre.] [Prend du sucre.] Il n’est pas besoin de se livrer à de bien longs commentaires pour démontrer que, d’une façon générale, les résultats sont des plus satisfaisants. Nous parlons, bien entendu, de l’ensemble des résultats, car nous aurions hésité à conclure de même si les succès s’élaient réduits, par exemple, aux prix remportés par M. P..., arrivé second dans l’une et l’autre épreuves. Mais l’ensemble, il faut bien le re- connaître, se tient on ne peut mieux. Dans la première course, sur six partants, notre vétéran étant mis à part, le dernier arrivé de l’équipe se classe vingt-quatrième dans un lot de trois cent trente- huit concurrents. Lors de l'épreuve de 40 kilomètres, quatre cent soixante-deux marcheurs se mettent en ligne; M. J..., qui signe bien après ses camarades au sucre, est cinquante-sixième dans le clas- sement général. Nous avons vu, il est vrai, qu'ayant abusé incons- ciemment de la caféine, il a subi un commencement sérieux d’em- poisonnement. Tout le reste de l’équipe figure avant le trente-sixième, et l’on peut dire sans crainte d’être démenti que notre petite pha- lange marche et arrive comme un seul homme. D’après les chiffres GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 443 du chronométrage officiel, il n’y a eu, dans la marche de 40 kilo- mètres, que à minutes d'écart entre le temps du vingtième et celui du trente-cinquième. Tous nos hommes, pour cette épreuve, étaient au régime depuis dix-sept jours. Est-ce la suralimentation par le sucre de la période d'entraînement ou de la matinée de l’épreuve qui leur à permis de toujours figurer en tête du classement, ou bien se sont-ils tous, sans exception, aussi bien maintenus, grâce au sucre pris au cours même de l’épreuve ? Ceux de l’équipe qui ont consommé régulièrement 50 grammes de sucre par heure de marche ne semblent pas avoir toujours été supérieurs à leurs camarades n’ayant croqué que quel- ques morceaux dans toute leur route. Le contraire serait même plu- tôt vrai. Il faudrait donc admettre que le sucre agit plutôt lorsqu'il est pris d’avance et en tant que source de réserves d'énergie, mais que lon doit, dans le cas présent, attendre de lui de moins bons effets lorsqu'il est utilisé immédiatement après son ingestion. Et ce qui nous confirme cette opinion, c’est que, dans les deux épreuves, la marche a été aussi régulière chez ceux qui ont absorbé du sucre tout le long du chemin que chez ceux qui se sont montrés réfrac- taires à l'alimentation sucrée prise en cours de route. Au départ, nos hommes n’ont généralement pas eu de ces excès de vitesse qui ne servent que sur les toutes petites distances et ne dépendent, croyons-nous, uniquement que de l'aptitude spéciale de l'individu. Presque tous se sont même laissé tout d’abord dépasser, puis sont revenus peu à peu et ont graduellement regagné des rangs, témoi- onant ainsi que leur provision d'énergie était sinon intacte du moins à peine entamée, alors que les autres concurrents avaient depuis longtemps déjà complètement épuisé la leur. En consultant les notes individuelles, nous voyons, et cela vient toujours à l’appui de la même idée, que les marcheurs de notre équipe qui ont forcé leur consommation de sucre soit entre les deux épreuves, soit la veille ou le matin de l’épreuve, déclarent avoir très facilement et sans fatigue fourni un effort bien plus grand et beau- coup plus soutenu. Prenons l'exemple de M. G... La veille de la course du 25 octobre, il a consommé sa demi-livre de sucre et est parti ayant absorbé près de 200 grammes de sucre dans sa matinée, 444 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Il se classe vingtième, quoique très fortement handicapé au début par une indigestion... nullement occasionnée, du reste, par cette forte consommation de sucre. En résumé, il semble que ce qu'il faut surtout demander au sucre c’est de constituer des réserves et d’accu- muler par conséquent de l’énergie. Autre fait : le vétéran de notre équipe n’use pas du sucre en s’entraînant pour la première épreuve ; il arrive quatre-vingt-treizième du classement général et huitième de sa série. À peu près convaincu par les succès de ses camarades de l'utilité du sucre, il en prend régulièrement, à la dose pourtant mi- nime de 100 grammes par jour. Il signe quatre-vingt-troisième au contrôle d'arrivée de la marche de 40 kilomètres et se trouve être ainsi le cinquième de la catégorie des vétérans, bien que cette se- conde épreuve ait été beaucoup plus dure, à tous les points de vue, que la première. Nous voici en droit d'affirmer que Le sucre esl sus- ceplible d'avantager nettement et d'une facon évidente celui qui en use pendant l'entrainement et quelques heures avant l'épreuve. L'observation des onze marcheurs de la Compagnie du Nord nous démontre en outre que le sucre combat très énergiquement la fatigue et la dépression fâcheuse qui résultent inévitablement de l'effort accompli. Cette heureuse influence ne saurait passer ina- perçue. L'état de fraîcheur indiscutable des hommes de l’équipe au sucre a été très remarqué à l’arrivée des deux épreuves de marche, tellement il contrastait avec l’aspect lamentable des adversaires qu’ils avaient dépassés sur la fin du parcours. Il nous à été donné d’as- sister maintes fois à des épreuves sportives du même genre, et nous avons constaté que, le plus souvent, les vainqueurs eux-mêmes arrivent, « complètement vidés », suivant l'expression très justement consacrée. [l n’est pas rare d’en voir qui ne tiennent littéralement plus debout et, la feuille de contrôle signée, tombent dans les bras de leurs soigneurs. Ces malheureux sont à bout de forces et de souffle et l’on serait presque tenté de ne pas applaudir à leur succès, tellement ils font pitié. Quelle peut être l'utilité du sport ainsi compris et ne faisons-nous pas fausse route, lorsque nous encourageons la jeunesse à sacrifier sa santé en échange de quelques branches de lauriers? La surali- mentation par le sucre est certainement un remède tout trouvé à GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 445 cet état de choses. Nos hommes, avons-nous dit, sont arrivés dans un état de fraicheur remarquable ; deux seulement faisaient excep- tion à la règle, mais nous savons que l’un d’eux était sous l'influence d’une digestion pénible et que l’autre s’était empoisonné avec de la caféine. Ce ne sont là que des accidents. Les autres marcheurs de l’équipe, à part une légère raideur dans les jambes, avaient oublié, le soir même, la fatigue de la journée et, dès le lendemain, ont pu reprendre leur service à la Compagnie. A les voir aussi dispos, on ne se serait jamais douté de l'effort qu'ils s'étaient imposé la veille. Pour compléter cette discussion, il nous reste encore à comparer nos sujets d'expériences, d’abord avec leurs camarades de la Compa- gnie du Nord et ensuite avec les agents des autres compagnies enga- sés comme eux dans les épreuves des 18 et 25 octobre. Le tableau suivant indique le rang d’arrivée des dix coureurs de la Compagnie dû Nord qui se sont le mieux classés : MARCHE DE 26 KILOMÈTRES. MARCHE DE 43 KILOMÈWVRES. (18 octobre.) (25 octobre.) A — ©" —— — — Rang Rang . du £ d Nom: classement Nom. a général. général. LOU SES 54 Core EN EM Le 2° MMM RARE RE 2° Pie Nr ae C 4e® QE Re 8° G 20° JR mer Es Ce 9e ÉTAT EL Pere Re rer 10°* BH AMAST+E 26° 1 MOYEN? TES 47° H 1 DEN ads M 33° BU ne LV LE M MEME APPEL" DE 1 PRE ANNEES 2 Hein Ts at 35° S'ÉNDSEREEREe net 39° IDE QYRRCES EAST AE 392 Les coureurs dont la lettre initiale du nom et le rang d'arrivée sont en caractères gras appartenaient à l’équipe au sucre. Ce sont ceux qui font l’objet des observations précédentes. Les coureurs dont le numéro de classement est doublé d’un asté- risque ont eu en mains la note distribuée à leurs camarades ; nous avons la certitude qu'ils s’v sont à peu près conformés, mais nous les classons à part, car nous ne les avons pas suivis et ne sommes nulle- ment fixés sur leur régime. 446 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Au simple aspect du tableau, nous voyons que parmi les dix agents de la Compagnie du Nord qui se sont ie mieux classés, deux seule- ment dans chacune des épreuves n’ont pas, à notre connaissance, usé du sucre pendant l’entrainement. En admettant donc, et nous nous demandons pourquoi il n’en serait pas ainsi, que tous les agents d’une même compagnie sont comparables, nous sommes obligés de conclure que les marcheurs soumis à la suralimentalion par le sucre se sont beaucoup mieux classés que leurs camarades qui s'élaient entraënés et avaient couru sans conseils. Pour comparer, enfin, entre elles les différentes compagnies de chemins dé fer, additionnons, suivant les règles du sport, le rang d'arrivée des six, puis des dix premiers marcheurs classés de cha- cune d'elles, l'avantage restant naturellement à la compagnie dont le nombre de points est inférieur à celui des autres. Nous arrivons aux résultats suivants : MARCHE de 26 kilomètres. de 43 kilomètres. 1'eNord : 49 points. 1° Ouest: 98 points. 2e Ouest : 73 points. 2° Nord : 104 points. "3° Est : 108 points. 3° Est : 123 points. En tenant compte des six pre- \ miers classés . En tenant compte des dix pre- { 1*°Nord : 167 points. 1 Nord : 245 points. miers classés . . . . .{12° Ouest: 199 points. 2° Ouest: 357 points. Comme il est d’usage de ne faire compter que les six premiers classés, le Nord à donc perdu dans la marche de 40 kilomètres le challenge qu’il avait gagné à l'épreuve précédente, mais 1l ne l’a perdu que de six points, alors qu'il avait eu le dimanche précédent une avance de vingt-quatre points. Malgré cette petite, mais très honorable défaite !, ainsi qu’il est facile de s’en rendre compte sur le tableau précédent, la Compagnie du Nord n’en a pas moins conservé, 1. Si l’un des meilleurs coureurs de l'équipe, M. J..., n'avait pas été mis hors de course par son empoisonnement, il se serait certainement classé dans les vingt pre- miers et le Nord n'aurait pas perdu le challenge dans la course de 40 kilomètres. Cette défaite est donc le résultat d'un accident. Il faut également faire remarquer que les coureurs de l'Ouest qui se sont mis en ligne le 25 octobre n'avaient pas couru le dimanche précédent et se trouvaient ainsi forcément en meilleure forme que l'équipe au sucre du Nord. Cette dernière a figuré daus les deux épreuves. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 447 dans les deux épreuves, une supériorité très marquée sur ses collè- gues. Est-il dès lors possible de ne pas reconnaitre l’heureuse influence du sucre ? S’il reste encore des incrédules, c’est qu'ils veulent bien ne pas se rendre à l’évidence, car on ne peut nous reprocher de nous être éloignés, lors de nos expériences, des con- ditions usuelles et normales de la pratique des sports. Tout essai comportant un enseignement pour l'avenir, 1l nous reste maintenant à faire profiter le monde sportif de nos obser- vations, autrement dit, à lui indiquer comment il faut se servir du sucre. A celui qui désire se mettre en bonnes conditions pour résister à la fatigue et au surcroît de dépense d'énergie que doit lui imposer soit une course à pied ou à bicyclette, soit une marche forcée, soit une excursion, soit une partie de chasse dure ou prolongée plusieurs jours de suite, nous recommanderons de prendre tous les jours, et au moins une semaine avant l’épreuve, de 150 à 200 grammes de sucre. Le mode d’absorption nous a paru indifférent. Les uns accep- tent les sirops les plus écœurants, ils n'auront alors qu’à boire trois ou quatre fois dans la journée du thé ou du café sucré à raison de six à huit morceaux par tasse. Si l'estomac s’accommode mal de ce genre de boissons, il suffit de croquer peu à peu la ration de sucre, en humectant chaque morceau, au moment de le mettre dans la bou- che, soit avec du thé ou du café, soit plus simplement avec de l’eau. Lorsque le sujet, et c’est là le cas de tous les vrais sportsmen, se soumet chaque jour à un entraînement physique de même nature que l'épreuve qu'il va subir, une heure où une demi-heure, dernière limite, avant la séance d'entraînement, il doit absorber la valeur de 50 à 100 grammes de sucre suivant les cas et, selon son goût, soit en nature, soit en dissolution dans un peu de liquide. Il devra se munir également de sucre afin de pouvoir en consommer pendant le travail et prévenir ainsi les défaillances. Le jour de l’effort, on usera différemment du sucre suivant qu'il s'agira d’une épreuve athlétique ou d’un exercice quelconque : marche, excursion à bicyclette, partie de canot, de chasse, etc. Dans le premier cas, le cycliste ou le racer, nons l’avons nette- ment observé, a tout intérêt à prendre le moins d'aliments possible. 448 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Le travail musculaire et le travail de la digestion s’excluent l’un l’au- tre. Trois heures au moins avant la course, il déjeunera avec du bouillon, des œufs, un peu de pain et du café fortement sucré. Une heure avant l’épreuve, il pourra en prendre encore un peu et pous- sera sa Consommation de façon à avoir absorbé, au moment du dé- part, la valeur de 150 à 200 grammes de sucre. L’approvisionnement et la mise en réserve de toute l'énergie nécessaire seront ainsi large- ment assurés. Pendant l’épreuve, à moins naturellement que celle-ci ne dure plus de sept ou huit heures, le sujet ne doit plus ressentir ni même manifester le moindre besoin. Quand ille fait, c’est smplement le moral qui agit. Nous avons constaté que toute ingestion de bouil- lon, d’œufs gobés', amène de suite une dépression et une diminution de vitesse, et ne sert qu’à réveiller l’estomac, c’est-à-dire à troubler le sujet. Que le coureur se contente donc de màcher, par exemple, des pruneaux ou de manger quelques grains de raisin s’il a besoin de s'occuper la bouche, mais, moins il prendra, mieux il s’en trouvera. Ses entraîneurs seront seuls juges de ses besoins. S'ils sentent venir la défaillance, ou s'ils peuvent prévoir le moment où leur homme devra fournir un effort anormal (côte, mauvaise route, etc.), ou bien encore s'ils veulent tenter un démarrage, mais seulement dans ce cas, ils se trouveront bien de faire prendre un peu d’avance à celui qu'ils accompagnent trois ou quatre morceaux de sucre bien humec- tés d’eau. Quant aux médicaments stimulants, tels que la caféine, la théobromine, les extraits de kola, il ne faudra s’en servir qu’à la dernière extrémité et à très petites doses, 15 centigrammes au maxi- mum dans toute l'épreuve. Lorsque le sujet, grâce à la suralimenta- tion par le sucre, dispose d’abondantes réserves d'énergie, la caféine, par exemple, qui diminue réellement la sensation de fatigue, peut en effet rendre quelques services el n’est pas à condamner en principe. S'il s’agit d’un exercice ordinaire, excursion, chasse, dont les con- ditions sont absolument différentes de celles des courses et des épreuves sportives où chacun donne ce qu’il peut, le sujet, loin d'en ètre incommodé, se trouvera au contraire très bien d’emporter une petite provision de sucre et d'y puiser régulièrement de temps à 1, Surtout lorsque l'on conserve les blancs. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 449 autre. Le meilleur moyen de manger son sucre — c’est également le plus pratique — consiste à l’humecter avec un peu d’eau avant de le croquer, puis de boire ensuite une bonne gorgée d’eau. L’'in- fluence favorable du sucre se manifestera surtout dans ce cas, lors- qu'on renouvellera souvent les ingestions ; la bonne dose est d’envi- ron trois à quatre morceaux toutes les quarante minutes. Nous avons donné la recette à de nombreux chasseurs. Tous l'ont trouvée des plus efficaces, surtout au moment des grandes chaleurs, et le sucre a tel- lement fait la conquête de certains d’entre eux qu'ils en donnent, dès le matin, à leurs chiens 100 grammes environ, toutes les fois que la journée promet d’être dure. Bêtes et gens s’en trouvent, paraît-il, fort bien et nous connaissons maintenant des chasseurs qui se sont fait faire, à portée de la maim, de petites poches spéciales pour y mettre leur sucre de route. Espérons qu’ils feront école, ainsi que les vaillants marcheurs de l’équipe du Nord. Le sucre et l'alcool. Malgré toutes les bonnes raisons qui plaident en faveur de lali- mentation sucrée, les statistiques les plus récentes nous apprennent que de 1899 à 1902 le Français n’a consommé par an que 16%,7 de sucre. Cela ne fait pas tout à fait six morceaux ordinaires par tête el par Jour. Il serait pourtant facile de faire doubler et même tripler cette minime consommation, si seulement chacun voulait bien con- sentir à subslituer les boissons savoureuses_ fortement sucrées aux breuvages alcooliques que l’on absorbe, sous le fallacieux prétexte qu'ils sont toniques. Le sucre ne paraît-il pas, en effet, tout indiqué pour remplacer l'alcool dans les diverses circonstances où l’on sent le besoin de stimuler l'organisme ? Pour l’ouvrier, le soldat’ et pour 1. Le troupier s’est de tout temps imaginé ne pouvoir bien marcher qu'après avoir pris son petit verre d’alcool, qu'il considère comme faisant presque partie de sa ra- tion réglementaire. Ce préjugé existait bien avant que l'industrie ne répandit dans le commerce tous les spiritueux qualifiés d'hygiéniques que l’on y trouve actuellement. Voici à ce sujet un document assez curieux. Il date du commencement du xix° siècle. C'était en Belgique, en 1814, alors que Bruxelles était occupée par les troupes prus- siennes. Le commandant de place, exerçant ses réquisitions, demanda, par procla- mation, aux Bruxellois, de nourrir de la sorte les soldats de Sa Majesté le roi de ANN. SCIENCE AGRON, — 2° SÉRIE. — 1902-1903. — 11. 29 450 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. la majorité de ceux qui produisent du travail musculaire, l’alcool réconforte, autrement dit donne des forces. Il est temps de s’atta- quer à ce préjugé, l’un de ceux qui a le plus activé l’alcoolisme. Les physiologistes se plaisent à travailler encore sur la valeur ali- mentaire de l’alcool. Ils ont raison, puisqu'ils ne sont pas fixés. Mais, comme leurs réponses dépendent surtout du sens que chacun attache au mot « aliment » lui-même, il est permis de se demander s'ils arri- veront jamais à s'entendre. Quoi qu'il en soit, leurs discussions sont de celles qui doivent se passer à huis-clos et entre gens capables de se comprendre. Lorsque le public intervient, il a vite fait de déna- turer les conclusions les plus modérées et c’est le parti du marchand de vin qui s’arroge toujours la victoire, en sachant découper dans les travaux scientifiques les phrases qui peuvent servir ses intérêts. Quand il y a des restrictions, le ciseau a vite fait de les laisser dans le mémoire. Aussi est-il fort imprudent de croire que l’on parle toujours entre collègues. Il y a des choses que l’on ne doit pas énon- cer sans réticences immédiates, et entre autres « qu'il est permis de dire aujourd’hui que non seulement l'alcool n’est pas un poison, mais qu'il doit être placé à côté de l’amidon et du sucre, qu’il les dépasse même par sa valeur alimentaire puisque, à poids égal, il contient plus d'énergie‘ ». La phrase a été malheureusement et à maintes reprises livrée au public. Elle est, à l'heure actuelle, imprimée en gros caractères sur les murs des cafés de province. On s’étonnerait de ne pas y trouver réponse dans ce travail. Notre but n’est pas de trancher ici cette question tant agitée de la valeur alimentaire de l’alcool, mais simplement, ainsi que nous y invitent entre autres les conclusions de M. Duclaux, de comparer le sucre à l'alcool. Puisque l’un dérive de l'autre, il est naturel que l’on s'inquiète avant tout, en consultant le bilan de la fermen- Prusse : « Le matin, une soupe ou un verre de schnaps, c'est-à-dire d'alcool, plus une demi-livre de pain et du beurre. — À midi, une soupe aux légumes, une demi-livre de viande, une livre de pain et un verre de schnaps. — Le soir, une soupe et encore du schnaps. » La fourniture de l'alcool semblait donc être alors de première nécessité, toul comme le pain et la viande. 1. Duclaux, Ann. Inst. Pasteur, 25 novembre 1902, p. 858. — Hedon et Roos, Revue générale des sciences pures el appliquées, 30 juin 1903, p. 671. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 491 tation alcoolique, de ce que l’on peut gagner ou perdre à l’opéra- ion. Raisonnons par exemple, sur 100 grammes de sucre. Qu'ils soient livrés à l’organisme animal ou à la levure, ils vont être tout d’abord dédoublés par les ferments. Dans les deux cas, ils donneront 1055",26 de sucre interverti, c’est-à-dire d’un mélange à parties égales de glucose et de lévulose. Comme l’inversion du saccharose est exo- thermique, on voit, en premier lieu, que la chaleur ainsi produite est récupérée par les tissus animaux, tandis que dans la cuve elle ne sert qu’à amorcer la fermentation. Continuons à suivre parallèlement ce qui touche aux transmutations matérielles. D’après ce que nous sa- vons, ces 1095°,26 de sucre interverti ont vite fait de pénétrer dans l’économie animale où ils vont être totalement et directement utilisés sans que le travail digestif ou l’action des microbes ne les entame par trop. Soumis à l’action de la levure, le mélange sucré au lieu de servir, tout au moins, à la nourriture de cette dernière, c’est-à-dire de rester entièrement alimentaire, au sens propre du mot, va au contraire se comburer en partie pour dégager la chaleur, sans la- quelle la fermentation n'aurait pas lieu. Le Groënlandais brûlant, pour chauffer sa hutte, une partie de la graisse dont il se nourrit est, d’après M. Duclaux, l’image fidèle de la cellule de levure, vivant d’une vie anaérobie. La partie du sucre servant au chauffage n'est pas du reste la seule qui soit soustraite à la fermentation alcoolique. La création de la levure en multiplication ainsi que la formation de matières organiques analogues à la glycérine, à l’acide suceinique, empruntent aussi du carbone à la matière première, si bien que les 105,26 de sucre interverti qui figurent dans la colonne des entrées ne livrent finalement comme produits utilisables que 51 grammes d'alcool. Les 49 grammes d’acide carbonique dégagés pendant la fermentation ne peuvent, en effet, compter dans le bilan terminal parmi les résidus utiles ou utilisables de l'opération. Celle-ci nous laisse en résumé un déchet matériel sans valeur intrinsèque alimen- taire, dont le total atteint au minimum 49 grammes pour 400 gram- mes de sucre mis en œuvre. Afin de nous rendre compte dans les deux cas considérés du résultat des échanges dynamiques, évaluons maintenant les quantités de cha- leur résultant, d’un côté, de la combustion complète du sucre inter- 452 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. verti el de l’autre de la transformation de ce sucre en alcool et en acide carbonique. La chaleur de combustion complète de 1 gramme du glucose dissous, qui, après l’interversion, compose la moitié du mélange sucré, est, dans le calorimètre, de 3,762 calories. Lorsque ce glucose se dégrade dans l’organisme animal, nous savons que l’énergie qu'il met en liberté est exactement équivalente au même nombre de calories. Pendant la fermentation, le même gramme de glucose ne dégage que 0,183 calories. Il en résulte, suivant la re- marque de M. Duclaux, que la valeur, comme force vive alimen- taire, du sucre consommé aérobiquement par l'organisme animal est plus de vingt fois supérieure à ce qu’elle est dans la vie anaérobie de la levure. Il est vrai que, dans ce dernier cas, il y a production d’al- cool, lequel à une valeur thermique fort élevée, un peu plus de 7 ca- lories par gramme. Oubliant alors au prix de quels sacrifices de ma- tière et d'énergie on fait fermenter le sucre, certains n'hésitent pas à proclamer, par exemple, que le litre de vin, à 10° d’alcool, apporte, rien que par son alcool, 568 calories, c'est-à-dire le quart environ de la quantilé totale d'énergie que dépense journellement l’organisme humain soumis aux conditions moyennes de la vie. Ce qu’il faudrait faire savoir en même temps, c’est, qu'en ingérant directement 185 grammes de sucre, on fournirait à l’organisme au moins autant d'énergie qu’en buvant 102 grammes d’alcool, dont la production nécessite la mise en œuvre de 200 grammes de saccharose. La sous- traction nous montre que l’ingestion directe du sucre économiserait 17 grammes de cet aliment. Nous venons de raisonner sur l’alcool fourni par un litre de vin, mais il n’entre nullement dans nos inten- tions de déclarer la guerre à ce produit national. Le progrès, en hygiène alimentaire, ne tend pas à prendre dans la poche du vigne- ron ce que l’on va donner au cultivateur du Nord et au fabricant de sucre, La vigne et la betterave ont droit toutes les deux à avoir leur place au soleil. Il faut même qu’il en soit ainsi, pour l’économie géné- vale du pays. Nous désirions seulement bien spécifier que le passage du sucre à l'alcool entraine une perle de matière et d'énergie. Si le sucre est consommé directement, son potentiel, nous le savons, se transforme en chaleur, en force ou se fixe dans le corps. S'il sert de. malière première pour la fabrication de l'alcool, à poids égal et après GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 493 transformation en ce dernier principe, il ne peut forcément libérer, en se comburant, qu'infiniment moins d'énergie. Nous allons voir qu'il est également moins bien utilisé lors de la rénovation des tis- sus. On ne trouvera donc jamais de meilleure destination pour le sucre que d’entrer en nature dans l'alimentation. Ce premier point admis, comparons le sucre à l’alcool au point de vue de leur effet physiologique utile. Comment se comporte l’orga- nisme suivant qu'il reçoit sous l’une ou l’autre forme la même quan- tité d'énergie ? L'alcool et le sucre pénètrent facilement dans l’éco- nomie et arrivent également vite au contact des tissus. Cette grande rapidité d'absorption, nous l’avons démontré, présente pour le sucre de grands avantages. Avec l'alcool elle a ses inconvénients. Si l’acti- vité musculaire a besoin d’une source immédiate d'énergie, la matière sucrée est là, toute prête, pour la lui fournir. Lorsque la dépense n’est pas immédiate, nous assistons à la mise en réserve du sucre, sous forme de glycogène ou de graisse. Toute perte ou gaspillage est impossible, car la matière ternaire, ainsi mise en dépôt, n’inter- vient ensuite que s’il y a lieu. Avec l'alcool le mode d'utilisation change. La mise en réserve de ce principe étant impossible, la dé- pense commence dès qu'il pénètre dans le sang et ne cesse qu'avec sa disparition. Cela seul suffit à expliquer la rapidité avec laquelle l’al- cool disparait de l’organisme. Tout d’abord une partie du spiritueux ingéré, un dixième environ, prétend-on, et encore dans les cas où l’organisme n’en reçoit pas de grandes quantités, passe inaltérée par le poumon ou dans les urines. Ce premier déchet n’attire même pas l'attention du consommateur, alors qu'il se garde bien dé manger beaucoup de sucre, le préjugé réclamant qu’il devienne immédiate- ment diabétique. Les neuf dixièmes de l'alcool restant sont brülés, et c’est ici qu’il s’agit de bien préciser ce que l'organisme retire de leur combustion et de l’énergie qu’elle libère. Se substituent-ils aux combustibles normaux de l’économie? Paul Bjerre, Strassmann ‘ nous ont déjà montré depuis longtemps, expériences à l’appui, que l’al- cool, ajouté à une ration suffisante, provoque l’engraissement et l’on a maintes fois signalé l’obésité de certaines catégories de buveurs. 1. Strassmann, Pflüger's Arch., t. XLIX, 1891, p. 329. 454 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Plus récemment, A. Clopatt’ a trouvé que lalcool économise les substances ternaires ainsi que l’albumine, mais, car il y a une res- triction qu’il ne faut pas oublier, le phénomène ne se produit qu’une fois que l’organisme s’est habitué à cet agent. Le dernier travail de Benedict et Atwater*, celui qui, par suite des commentaires de M. Duclaux, a si violemment ému l’opinion publique au commence- ment de l’année 1903, nous apprend encore que l’on peut, sans incon- vénient, remplacer dans le régime alimentaire de trois hommes va- lides et aussi bien lorsqu'ils sont au repos que lorsqu'ils travaillent, le beurre, l’amidon, le sucre et autres aliments analogues par de l'alcool sous forme de vin, d’eau-de-vie de grain ou de wisky. Il suffit que les substitutions soient faites suivant des poids isodynames, 795,5 d'alcool prenant, par exemple, la place de 37 grammes de corps gras associés à 45 grammes d’hydrocarbonés, et que la dose journalière soit de 72 à 73 grammes environ, administrés en plusieurs fois et en solutions étendues. Mais sont-ce là des raisons suffisantes pour permettre que l’on fasse à l’alcool toutes ses excuses sur la façon par trop légère dont les physiologistes le traitent d'habitude ? Écoutons à leur tour les adversaires de tout procès de revision en faveur de l’alcool. L'expérience de Miura* est déjà ancienne ; nous la citons, car elle comporte justement l’entrée en lice successive du sucre et de l'alcool. Dans une première période, le sujet, un Japonais, nullement habitué, il est vrai, à l'alcool, reçoit une ration d’entre- tien, d’une valeur d’environ 41 calories par jour et par kilogramme, déterminée par tâtonnements, et capable de réaliser un léger emma- gasinement d'azote. Dans la période suivante la ration est légère- ment modifiée. On substitue 65 grammes d'alcool à une fraction ca- lorifiquement équivalente de sucre. Le bénéfice d’azote est de suite remplacé par une perte qui, le quatrième jour d’expérience, atteint déjà 26,7 par vingt-quatre heures. On revient au régime primitif et la statique de l’azote se solde par un bénéfice, comme durant la pre- 1. Clopatt, Skandin. arch. f. Physiol., t. XI, 1901, p. 354. 2, Benedict et Atwater, Mémoires Académie des sciences, t. VII, Washington, 1902. 3. Miura, dans C. von Noorden, Beträge zur Lehre vom Sloflwechsel, 1° fasci- cule, Berlin, 1892. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 499 mière période. Dans une quatrième période, on supprime enfin le sucre sans le remplacer par de l’alcool. La perte journalière d’azote reprend la valeur qu’elle avait au cours de la période à alcool. L'expérience, quoi qu’on ait dit, parle toujours dans le même sens, et aussi bien avec des rations pauvres qu'avec des rations riches en albumine. Cela nous prouve, on ne peut plus nettement, que l'alcool n'a pas vis-a-vis de la matière azotée la même action d'épargne que le sucre; comme ce dernier, il ne peut intervenir ni au cours de la rénovation des tissus ni pour enrayer la désassimilation inhérente à tout excès de travail musculaire. L'expérience de Miura se trouve confirmée par les conclusions de Rosemann'. « 90 p. 100 de Pal- cool, nous dit ce dernier, sont brûlés dans l'organisme ; ils épargnent alors certainement de l’albumine, du moins après un usage de quel- ques jours, mais, en même temps, l’alcool non brûlé exerce une action destruclive sur les tissus. » Rappelons-nous maintenant que la réparation et l’accroissement des réserves du corps constituent, au contraire, un des rôles fondamentaux dévolus à la matière sucrée dans la vie animale. Passons à la partie la plus intéressante de la comparaison du sucre et de l’alcool. L'énergie dégagée par la combustion intra-organique de ce dernier est-elle de quelque utilité lors de la production du travail musculaire ? Suivant la réponse, l'usage si répandu des spiri- tueux comme source de forces, comme réconfortant, sera plus ou moins rationnel. Le D° Schnyder et le professeur Dubois * ont tout dernièrement songé à utiliser l’ergographie pour se rendre compte de l'influence, sur l'énergie musculaire, du vin, c’est-à-dire de Ja meilleure et de la plus hygiénique des boissons alcooliques. Nous connaissons la méthode. Elle nous a servi à mesurer avec Harley, Mosso, Paoletti et Langenmever le travail réel du muscle chez l’homme, placé dans diverses conditions, alors qu'il était soumis au régime du sucre. Voyons ce qu’elle donne dans le cas où le sujet d'expérience ingère de lalcool, sous forme d’un verre, 150 centi- mètres cubes, d’un vin de Bordeaux titrant 9,8, c’est-à-dire à la 1. Rosemann, Arch. f. d. ges. Physiologie, t. LXXXVI, 1901, p. 307. ?, Schnyder et Dubois, Archives de Pflüger, 1903, t. LXXXIX. 456 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. dose de 145,7. Les conclusions des deux physiologistes suisses sont fort nettes. Les voici réduites à leur plus simple expression. Lorsque le sujet est à jeun, l'alcool, ingéré sous forme de vin et en petite quantité, a certainement une influence favorable sur l’activité mus- culaire. C’est, en effet, ce qui résulte des chiffres suivants, fournis par l’expérience : ÉNE HAUTEURS AsoRS ns : x Pa moyennes kilogram- d'élévations Géléyations mètres. du poids. du poids. alcool. 39,566 172 39.85 Dr Schnyder (poids de 8 kilogr. de H 4 LA Ë Es alcool. 37,534 155 36,60 alcool. 30.146 253 38,15 D' Dubois (poids de 5 kilogr.). s 2 4 ? (P gr) | éns aleoolt .: 21,378 232 37,15 Mais, pour qu’il en soit ainsi, il faut que l’ingestion de l'alcool pré- cède immédiatement le (travail ; sinon, lorsqu’elle n’a lieu ne serait-ce que trente minutes avant, l'accroissement de la force musculaire n'existe déjà plus. Autre fait fort intéressant : un mélange farineux, pris quinze minutes avant le début du travail et en quantité telle qu'il est calorifiquement égal à la dose uniforme de 145,7 d'alcool, agit d’une façon bien plus eflicace que le vin et son alcool. Pour le D' Schnyder, par exemple, le travail, après ingestion d'alcool, ne dépassait seulement que de 0,77 p. 100 les kilogrammètres fournis lors de l’abstinence complète. Avec le mélange farineux en question, le travail excédait de 5,9 p. 100 celui qui était fourni sans l’inter- vention de l’alcool. Avec le même mélange, l’expérimentateur put élever le poids vingt-six fois de plus que lorsqu'il ne prenait rien, au lieu de dix seulement de plus avec l’alcool. Dans une autre série d'expériences, lingestion du vin, absorbé quinze minutes avant le début du travail, produisit un accroissement de force musculaire de 3,6 p. 100. La même dose, prise une demi-heure avant de placer le doigt dans l’anneau de l’ergographe, resta sans effet, alors que la fa- rine, ingérée dans les mêmes conditions, agissait encore d’une façon fort nette et conservait toujours une grande supériorité sur Palcool pris immédiatement avant le travail. Le D° Schnyder remarqua même que lorsque l'alcool n'était pas utilisé, aussilôt son ingestion, par la conlruction musculaire, il avait de suile une action déprimunte tres GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 4517 nelle. Nous venons de dire que le verre de vin pris trente minutes avant le travail n’augmentait pas le nombre de kilogrammètres four- nis; dans ce cas, la fatigue survenait après 184 élévalions successives du poids, alors que, sans alcool, le sujet exécutait facilement 191 élé- vations et même 218 après ingestion du mélange farineux. Ce dernier, bien que d’un potentiel égal à celui de l’alcool seul du vin, permet- tait au muscle de fournir un travail bien supérieur, 45“",5 environ au lieu de 42“",7 lorsque l’absorption de l'alcool avait lieu une demi-heure avant le travail. Le vin consommé au moment des repas, la ration étant plus que suffisante pour l’entretien, n’augmentait pas enfin davantage l'énergie musculaire et continuait à manifester son action déprimante. Voici le nombre moyen de kilogrammètres effec- tués par les deux médecins bernois : DUBOIS. SOHNYDER. Sans VIMtaux repas a ini ee, 37,580 26,613 AVEC AUX TEpAS LL eee 35,344 25,729 Quand l'organisme est saturé de potentiel, le vin n’est d’au- cune valeur énergétique ; il nuit même au travail. L'alcool n’a donc d'utilité que s’il est pris à jeun, et encore, dans ce dernier cas, se montre-t-il inférieur, à valeur calorifique égale, aux aliments fécu- lents el a fortiori au sucre. Est-il dès lors possible de ne pas déjà s'opposer formellement aux cenclusions de M. Duclaux et de sou- tenir que la physiologie assigne à l’alcool et au sucre des valeurs ali- mentaires et dynamiques voisines ? La comparaison entre le sucre et l’alcool a d’ailleurs été poursui- vie scientifiquement pendant plus d’une année (389 jours), et sans la moindre discontinuité, par M. Chauveau. L'auteur rechercha, tout d’abord’, non pas si l’ingestion de l'alcool était, d’une manière vague et générale, de quelque profit, mais si le sujet qui travaille lorsque son sang est saturé de cette substance, fait contracter ses muscles en puisant dans la combustion de l’alcool l'énergie néces- saire à ce fonctionnement. Pour s’en rendre compte, il enregistra, après les avoir déterminés, les quotients respiratoires d’un chien 1. Ghauveau, Comples rendus, 1901, t. IT, p. 65. 458 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. soumis à un certain travail et absorbant alternativement une nourri- ture normale composée de viande et de sucre, puis une nouvelle ration semblable à la précédente, mais dans laquelle on avait substi- tué 48 grammes d'alcool à 84 grammes de sucre, quantités déga- œeant dans la bombe le même nombre de calories. Le rapport du volume d’acide carbonique excrété à celui de l'oxygène absorbé de- vait donner des renseignements précieux. Le quotient théorique de combustion du sucre est en effet de 1, tandis que celui de alcool atteint seulement 0,666. Si l’animal brülait de l'alcool, on devait s’en apercevoir à ses échanges respiratoires. Avec la première ali- mentation, le quotient respiratoire fut en moyenne de 0,963; pen- dant la période d’alcoolisation, il ne tomba qu’à 0,922. Or, même en admettant que les combustions aient porté simultanément sur lal- cool et le sucre pris au cours du repas et cela proportionnellement aux poids respectifs des deux aliments ingérés, le quotient respira- toire n'aurait jamais dù être supérieur à 0,765. M. Chauveau se crut, d’après cela, autorisé à conclure que l'alcool absorbé, dont l’orga- nisme s’imprègne si rapidement, ne participe que très peu, si tou- tefois il y participe, aux combustions d’où le système musculaire puise de l'énergie pour fonctionner, qu'il n’est donc pas un aliment de force et que son introduction dans une ration de travail se pré- sente avec toutes les apparences d’un contresens physiologique. De plus, les observations renouvelées sur lanimal au repos ne chan- œeant pas le sens des chiffres, l'alcool ne semblait pas devoir être mieux utilisé pour satisfaire aux dépenses physiologiques ordinaires. C'était nier en quelque sorte sa combustion dans l’organisme. L'idée ne nous arrêlera pas, Car nous savons qu'elle est en opposition for- melle avec les résultats de toutes les expériences entreprises jusqu'à ce jour. L'alcool est réellement brûlé dans le corps et les quotients respiratoires théoriques qui servent de bases aux raisonnements de M. Chauveau prêtent à la critique. Les recherches du Muséum n’en sont pas moins intéressantes, car elles ont permis à M. Chauveau de constater que le chien d'expérience qui fournissait, pendant la période sans alcool, une moyenne journalière de 23**,924 en deux heures, ne put, avec l'alcool, faire par jour et dans le même temps que 18:",666. Avec le régime viande et sucre, il gagna en cinquante- GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 459 quatre jours 1,245. Pendant les vingt-sept jours où l'alcool fit partie de la ration, le poids baissa de 115 grammes. M. Chauveau', dans une nouvelle série d'expériences, fit alterner semaine par semaine les deux régimes adoptés, viande et sucre, puis viande, sucre et alcool; les résultats de cette double comparaison sont résumés dans le tableau suivant : 4e semaine, | 3e semaine, Âre semaine. 2e semaine, Viande : 500 gr. Sucre :168 gr. Alcool : 48 gr. Viande : 500 gr. Sucre :168 gr. Alcool : 48gr. Viande : 500 gr. Viande : 500 gr. Sucre : 252 gr. Sucre :252 gr. 14, 152,456 14 110,244 | | Temps consacré au travail . heures. 10,416| 81,186 10,833 , Parcours total dans la semaine, kilom. 74,892 | } Parcours moyen en une heure de VEAVALL ENS SE Le petite . kilom. Différence entre le poids initial et | le poids final kilogr. 10,888 Gain + 0,400 7.874 Perte — 0,800 7,794 Gain + 0,780 po l Perte — 0,425 Les chiffres sont des plus significatifs. Ils nous démontrent nette- ment que la substituhion de l'alcool au sucre dans l’alimentation constitue, suivant l'expression même de M. Chauveau, une opération désavantageuse. Elle a, en effet, pour conséquence certaine de dimi- nuer la valeur du travail fourni par le sujet, lequel, d'autre part, est loin de s'entrelenir aussi bien. Si tout le monde était sensé, on s’en tiendrait à cette conclasion fort raisonnable. Pour lutter avec succès contre l'alcoolisme, et cela sans trop brusquer les vieilles convictions, il ne faut pas faire afficher que lalcool est un poison ou bien qu’il n’a aucune valeur énergétique, qu'il ne nourrit pas, qu’il réchauffe encore moins. Ce sont là des raisons brutales que l’on n’admettra jamais d'emblée. On arrivera à un bien meilleur résultat en conseillant aux travailleurs de tenter l'expérience de M. Chauveau. Peu à peu ils se convaincront d’eux- mêmes que l'aptitude au travail faiblit dès que ie régime contient de l'alcool et qu’elle augmente avec le sucre. Mais les sujets dangereux qui ont une mauvaise presse trouvent 1. Chauveau. Comptes rendus, 1901, t. [%, p. 110. 460 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. généralement de bons avocats. MM. Hédon et Roos' sont venus sou- tenir encore, tout dernièrement, que l’alcoo!l à une action protectrice fort nette vis-à-vis des tissus organiques. Ils se basent sur les expé- riences de Strassman et sur leurs propres recherches. Roos* soumet six couples de cobayes au même régime alimentaire, et donne à quatre d’entre eux une notable quantité de vin, 30 centimètres cubes par kilogramme de poids, ce qui correspond à une ration journalière de deux litres pour un homme de 70 kilogr. Après trois mois de ce régime, l'augmentation de poids, les fonctions de repro- duction, la force musculaire étaient en faveur des animaux ayant reçu du vin. Autre fait : des poissons, cyprins, ombres, perdent moins de poids dans de l’eau alcoolisée à 0,4 0,45 p. 100 que dans l’eau pure et, de plus, l'analyse ne peut retrouver dans le premier milieu artificiel tout l'acide carbonique résultant de la combustion théorique de l’alcoo! disparu. Une partie de celui-ci n’aurait-elle pas alors, avant de se comburer, revêtu dans l’organisme une forme de réserve, tout comme le sucre? L'hypothèse est émise. Altendons qu’elle soit démontrée. Et s’il est vrai que des animaux soumis à un régime alimentaire insuffisant maigrissent moins si l’on ajoute à ce régime du vin, nous ne disons pas de l'alcool, d'autre part les expé- riences de Miura, de Rosemann, que nous avons citées, mais qui, dans l’article de MM. Hédon et Roos, n’entrent pas en ligne de compte, nous démontrent encore plus nettement qu'il ne faut attendre de l’alcool aucune action spéciale d'épargne vis-à-vis de l’albumine, c’est-à-dire de la véritable matière vivante. Comment maintenant défend-on l'alcool en tant que source d'énergie, comparable aux aliments dont se composent nos rations ordinaires? Les conclusions de M. Chauveau sont l’objet d’une critique serrée dans l’article que nous visons. M. Chauveau n’a pas tenu compte, paraît-il, de ce que l'alcool, à certaines doses, est un véritable poison et agit défavo- rablement sur le système nerveux général. En effet, dès qu'il y a, par suite d’un excès d’ingestion, action nocive évidente d’une subs- tance, celle-ci cesse d’avoir des propriétés alimentaires avérées. 1. Hédon et Roos, loc. cit. 2. Roos, Comples rendus, 1901, t. [°*, p. 428. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 461 C'est pour avoir méconnu le sens véritable du mot « aliment », nous dit-on, que M. Chauveau aboutit à des conclusions forcément inac- ceptables. MM. Hédon et Roos lui reprochent donc, tout d’abord, d’avoir introduit dans la ration du chien d’expérience 25,5 d’ai- cool par kilogramme de poids vif. L’animal était chaque jour, du- rant quelques heures, dans un léger état d’ébriété. Soit, mais en somme il ne prenait que 48 grammes d’alcool pour un poids de 20 kilogr. Or, l’homme moyen de 70 kilogr. qui boit par jour deux litres de vin, lui apportant environ 160 grammes d’alcool, se trouve dans des conditions à peu près analogues. Cette ration journalière de deux litres de vin est-elle donc si anormale ? Sans doute, l’opinion médicale dominante n’accorde qu’une consommation quotidienne de un litre de vin ou l'équivalent d'alcool, mais pourquoi M. Roos ou- blie-t-1l que ses cobayes, recevant une ration correspondante à celle de deux litres de vin pour l’homme d’un poids moyen de 70 kilogr., se sont fort bien trouvés du régime ? Ces raisonnements et ces expé- riences ne sont pas faciles à concilier. Admettons, malgré cela, que M. Chauveau raisonne à tort sur une dose toxique de 28°,5 d’alcool administrés en une seule fois par kilogramme de poids vif et pre- nons les expériences d’Atwater et Benediet. La dose est ici deux fois et demie moindre, elle n’est pas toxique et n’est ingérée qu’en plu- sieurs fois ; autrement dit les conditions se rapprochent beaucoup de la normale, puisque les expérimentateurs ne donnent, par jour, que 73 grammes d'alcool, c’est-à-dire la quantité habituellement conte- nue dans une bouteille de vin de Bordeaux. Transcrivons textuelle- ment leurs conclusions : « Qu’une partie de l'énergie potentielle de l'alcool ait été transformée en énergie cinétique de travail muscu- laire, nous disent-ils, nos expériences ne le prouvent pas, bien qu’elles le rendent très probable. Elles impliquent qu’en ce qui concerne l’uti- lisation de l'énergie totale de la ration, il y avait un léger avantage, en économie, en faveur du régime ordinaire, comparé avec celui de l’alcool, spécialement quand les sujets étaient soumis à un travail musculaire pémible. Mais la diflérence était comprise dans les limites des erreurs d'expérience et trop petite pour être d’une conséquence pratique. » N'est-ce pas là, au fond, ce que veut nous démontrer M. Chauveau. Dans ses expériences, celte petite différence en faveur 462 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. du régime sans alcool que nous signalent Atwater et Benedict ne fait que s’accentuer, parce que, en augmentant la dose d'alcool, l’action déprimante de cette substance re se fait que mieux sentir. Les re- cherches ergographiques de Schnyder et Dubois parlent encore dans le même sens, alors que ces derniers auteurs n’expérimentaient qu'avec un seul verre de vin. On aura beau discuter, et renouveler l'essai de mille façons, l'alcool interviendra toujours avec un coefficient négatif et par conséquent nuira à la production du travail musculaire. Passons, pour terminer, aux considérations empiriques qui chan- tent les louanges de l'alcool. « La notion si générale du réconfort apporté à l’organisme par les boissons alcooliques, nous disent Hé- don et Roos, n’a évidemment pas la valeur d’un fait expérimental précis : cependant c’est de l'observation, et celte opinion eût eu beaucoup de peine à se transmettre d’âge en âge si elle eût élé radi- calement fausse. » Voilà bien le préjugé dans toute sa force bru- tale et irraisonnée ! Consultons pourtant le monde militaire, offi- ciers et médecins! Tous nous diront qu'il est un fait que les marches et les manœuvres ont, de tous temps, mis en évidence : c’est que les bommes qui arrivent à pénétrer dans les débits, ou se procurent autrement de l'alcool ou même des boissons naturelles fermentées, sont justement ceux qui sont incapables de suivre la colonne Jjus- qu'au bout et se montrent le plus prédisposés aux coups de chaleur. Consultons encore le monde sportif. Quel est le coureur de vélo- drome, le « racer » qui, au moment de l’épreuve, consentirait, pour se donner des forces, à boire la plus petite gorgée de boissons fer- mentées ou de spiritueux. Tous les sportsmen, sans exception, vous diront en propres termes que « l'alcool coupe les jambes ». C’est un fait bien connu. Pourquoi s’entêter à le nier. Laissant tout à fait de côté la question générale de la nocivité ou de l'utilité de l’alcool, souhaitons pour conclure que le consomma- teur comprenne dorénavant tout ce qu’il peut retirer de la substitu- lion du sucre à lalcool, lorsqu'il a besoin de produire du travail musculaire. Cela permettrait à l'humanité de reconnaitre à l’alimen- tation sucrée un nouvel avantage, autrement important et élevé que tous les autres, celui de contribuer avec une certaine chance de suc- cès à la prophylaxie de l’alcoolisme. GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 463 Le sucre, l'enfant et les vieillards. Après avoir essayé de convaincre les grandes personnes sur l'utilité de l'introduction du sucre dans l’alimentation générale, occupons- nous maintenant de l’enfant. Tout le monde connaît le penchant instinctif qui le pousse à aimer les sucreries. Par contre, combien de fois n’entend-on pas répéter que « le sucre ne lui vaut rien »? On sermonne de même vertement les vieillards sur leur soi-disant sourmandise, mais, alors que ceux-ci peuvent ne pas tenir compte du conseil, l'enfant, au contraire, est obligé d’obéir..... au préjugé. Le sucre est-il done véritablement nuisible à la santé de l’enfant, ou bien n'est-il mauvais que pour le porte-monnaie des parents ? Certes, il est peu de médecins, de pères, de mères qui ne connais- sent, pour en avoir soigné fréquemment, les indigestions causées chez les enfants par l’abus des bonbons. La maladie devient épidémique au moment des fêtes du jour de l'an. Mais, ce sont là des faits parti- culiers, accidentels que l’on ne peut faire entrer en ligne de compte. Qui ne sait en effet, sans qu'il soit besoin d’insister, qu’il est mauvais de manger du sucre, comme de toute chose du reste, plus qu'on ne le doit? Ingéré en grandes quantités, l'absorption ne peut se faire assez rapidement pour empêcher les phénomènes de fermentation. La digestion devient forcément anormale. Tout le monde est d'accord là-dessus. Le point qui reste en litige est alors celui-ci: le sucre, oui ou non, est-il utile à l’enfant ? Quelle est la conduite que doivent tenir à ce sujet les parents? Faut-il qu’ils continuent à se montrer aussi sévères, ou bien est-il de l’intérêt même de l'enfant qu’on lui laisse manger raisonnablement du sucre ? Le D° Gardner raconte que dans une école publique le maitre s’avisa un jour d'interdire les sucreries et fit fermer la petite bou- tique de confiseries où s’approvisionnaient ses élèves. Les résultats furent tellement désastreux pour la santé des enfants que ie médecin intervint et l’on fut obligé de rappeler le marchand de friandises. € Pour les garçons et les filles, ajoute Gardner, le sucre est très re- commandé et leur nutrition se trouve souvent en souffrance à cause du préjugé populaire qui met cet aliment à l'index. » Il est, en effet, 464 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. facile de démontrer que l'enfant n’a rien à craindre de l’alimentation sucrée. Nous savons que le sucre est un aliment de tout premier ordre. Par sa combustion immédiate, il engendre de la chaleur et du travail musculaire, c’est-à-dire satisfait à ce que l’on peut appeler les dépenses d'entretien. Or celles-ci sont très élevées chez l’enfant ; Rubner a trouvé que ce dernier consommait par kilogramme de poids vif et par Jour: 91,3 calories +. à 1 mois 2 RONDE NO URENA à 2ans 1/2? AU ART AT à 5 ans DO D UMR DR à 10 ans CD ANS CON a LOL AREA à 12 ans 1/2 DAS A Ne Ne à 14 ans {1/2 Au lieu de 42-13 — . .. chez l'homme adulte. La dépense énergétique varie, on le voit, avec la taille, ce qui ne lempèche pas de rester sensiblement proportionnelle à la surface cutanée par où se perd, sous forme de chaleur, la majeure partie de l'énergie libérée. Chez les jeunes, la surface du corps est, relative- ment à lear poids, plus étendue et il en est forcément de même de la radiation cutanée. La presque totalité du calorique ainsi dégagé provient très vraisemblablement de la combustion du glucose san- guin el la preuve en est, que la grosseur du foie, dont le rôle est si important lors de la formation du sucre physiologique et par consé- quent de l'élaboration du combustible le plus employé par lorga- nisme, varie avec la surface cutanée qui, par rayonnement, . dépense une erande partie de ce combustible. Le foie est Loujours propor- tionnellement plus volumineux chez les jeunes. On comprend alors facilement que le sucre doit, tout d’abord, intervenir comme source de chaleur pour alimenter les réactions intraorganiques. Celles-ct, chez l’enfant, ne peuvent être que très actives. Il interviendra en outre et encore plus utilement lors de la production du travail mus- culaire et ce ne sera pas là le moindre de ses bienfaits, car l'enfant ne peut, suivant l'expression courante, tenir en place du matin au soir et excelle, le plus souvent sans raison, à dépenser son énergie. Nous avons reconnu précédemment que la valeur nutritive du sucre atteignait son maximum dans certains cas particuliers comme, GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 4695 par exemple, lors de l’édification de tissus nouveaux. Ces conditions physiologiques sont, par excellence, celles de l'enfance. En épar- gnant les autres aliments et particulièrement l’albumine, en se trans- formant en glycogène et surtout en graisse, le sucre fait du tissu vivant et est la cause directe d’une augmentation de poids vif. 1! serait donc illogique de ne pas le ranger parmi les substances ali- mentaires capables de salisfaire en partie aux dépenses de construc- lion et de croissance du premier äge. Le sucre, enfin, peut être d’une grande utilité, en permettant de diminuer, dans une certaine mesure, le volume de la ration de l’en- fant. D’après Rubner, le régime quotidien normal, pris en dehors de toute considération scientifique, apporle : 131 grammes d'hydrocarbonés à l'enfant de 2 ans 1/2. 165 — — — 5 ans. 215 — — —— {0 ans. LAN ES — << 12 ans {/?. 271 — — — 14 ans {/?. Dans la seconde enfance, les calories fournies par les féculents aug- mentent, on le voit, assez rapidement et atteignent d’assez fortes pro- portions. À quatorze ans et demi, l’enfant ingère 271 grammes d'hy- drates de carbone, alors que, toujours d’après Rubner, l'homme adulte de condition aisée et ne fournissant qu’un faible travail mécanique se contente pour son entretien de 300 grammes des mêmes principes. N’est-il pas alors tout indiqué de faire intervenir le sucre, puisqu'il nous permet de ne plus bourrer et gaver les pauvres petits, ainsi qu'on a le tort de le faire si souvent. Les vieillards se trouveront de même fort bien, et pour les mêmes raisons, de la substitution du sucre à une parc des 300 grammes d’hydrates de carbone qu’ils ingèrent, à peu près, par jour, car elle leur fournira l’alimentation légère et facilement digestible qui con- vient aussi bien aux personnes âgées qu'aux enfants. Au début comme au déclin de la vie, l’organisme doit être ménagé et toute dépense inu- tile d'énergie ne peut que lui nuire. Il devient donc rationnel de con- seiller de préférence aux âges extrêmes les aliments dont l'effet phy- siologique utile est maximum. Le sucre est certainement de ceux-là. ANN. SGIENCE AGRON, — 2° SERIE. — 1902-1993. — 11. 30 466 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. D'aussi bonnes raisons ne peuvent que satisfaire l'opinion pu- blique. En lout cas, elles sont complètement en désaccord avec le préjugé vulgaire qui veut que le sucre rende les enfants anémiques. Von Bunge : fait remarquer à ce propos que le sucre est un aliment simple et non complet et que, livré par l’industrie à l’état de pureté absolue, il ne contient que peu de cendres et, entre autres, de fer et de chaux, si utiles à enfant. Si ce dernier consomme beaucoup de sucre, conclut Bunge, 1l mangera moins des autres aliments, seuls susceptibles de l’approvisionner en matières minérales. Sa nutrition de croissance en souffrira et il en sera de même, ajoule-il, pour l’ado- lescent qui grandit, pour la femme enceinte, pour la nourrice, pour l’homme adulte même. L’objeclion n’est pas sérieuse, car en pré- conisant d'augmenter la ration journalière de sucre, il n’est dans l’es- prit de personne de conseiller aux travailleurs, aux enfants et à l’hu- manité entière de s’en saturer au point de dédaigner toute autre nourriture. De plus, comme le fait Justement remarquer le D° Lépine ?, il est inadmissible que quelques morceaux de sucre puissent empêcher l'enfant de boire le lait qui lui apporte la chaux nécessaire, d’ingérer les quelques jaunes d’œuf qui lui fournissent le fer dont il a besoin. Les craintes de voir le rachilisme et lanémie se développer avec la consommation du sucre sont, on le voit, légèrement arbitraires. Ce qu'il y a de certain, c’est que les enfants peuvent ingérer régulière- ment cet sans le moindre inconvénient des doses de sucre relative- ment fortes. L'un de nous a introduit le sucre dans le régime de son bébé, qui, à trois ans, prenait déjà de 56 à 60 grammes de sucre par jour*. En admettant qu’on n’augmente pas sa ration sucrée avec l’âge, cela porte sa consommation annuelle à près de 22 kilogr., alors que celle du Français, de 1899 à 1909, n’est que de 16*8,7. L'enfant doit être considéré comme un consommateur sérieux de sucre et, ce qui à une importance au moins égale, comme un consommateur sus- 1. D' von Bunge, Zeëlschrift f. Bilogie, 1901, t. XLE, p. 155. 2. D' Lépine, Semaine médicale, 26 juin 1901. 3. D'après le D' Barbier, médecin des hôpitaux de Paris, un enfant de huit mois, pesant plus de S kilogr., pourrait être nourri ainsi : lait de vache, 300 grammes: eau, 400 grammes ; crème, 50 grammes: sucre, 50 grammes, un jaune d'œuf. (Socié!'é de lhérap., {1 novembre 1903.) GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 467 ceplible de très bien se trouver de ce genre d’alimentation. Depuis cinq mois environ que dure notre observation personnelle, l’enfant ne s’est jamais mieux porté et pourtant, de deux à trois ans, il avait élé assez fatigué par des troubles gastro-entériques. Il est toujours resté un « petit estomac », ne connaissant jamais la faim, assez difli- cile sur la nourriture, mais, malgré cela, le sucre a pu être ajouté progressivement à sa ralion, sans que l’on ait été obligé de dimi- nuer cette dernière. L’enfant, en somme, prend un supplément de 60 grammes de sucre, qu’il serait impossible de remplacer par une quantité équivalente de pain ou de pommes de terre ou d'œufs ou de soupe, et ce nouvel apport n’est pas à dédaigner lorsque le manque relatif d’appétit oblige à restreindre le plus possible le vo- lume de la ration. On ne réfléchit pas assez souvent que, pour four- nir à l’économie le même nombre de calories que celui qui est con- tenu dans ces 60 grammes de sucre, il faut ingérer, à la place, près de 100 grammes de pain ou bien quatre œufs complets, ou encore une demi-assielle à soupe d’un bon potage au tapioca. Dès que le sucre entre dans une préparation culinaire quelconque, la valeur énergétique de cette dernière est de suite accrue dans des propor- tions qui ne sont pas sans étonner lorsqu'on s’en rend compte pour la première fois. 100 grammes, autrement dit sept ou huit bonnes cuillerées à bouche de la crème elassique à la vanille, contenant pour un litre de lait: huit jaunes d’œuf et 200 orammes de sucre, apportent autant de calories (150 environ) que 180 grammes de viande crue ou 440 grammes de viande rôtie maigre. Tout ceci nous démontre combien il est rationnel d'ajouter au régime quotidien des enfants de trois ans par exemple, puisque nous avons expérimenté sur cet âge, de sept à huit morceaux de sucre ordinaire ainsi distribués : un morceau et demi dans la soupe du matin, autant dans le lait bu au déjeuner, un morceau dans un peu d’eau à la fin du même repas de midi, encore un morceau et demi dans le lait du goûter, vuis dans le lait du diner, plus un morceau à la fin du dernier repas. Les 60 grammes sont, de la sorte, très facilement ingérés. Quand l'enfant orandit, rien n’est plus simple que d'augmenter cette dose ; sans doute le lait, qui était un véhicule tout trouvé pour le sucre, cesse de constituer la boisson principale, mais il est possible de sucrer assez 468 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. fortement le chocolat ou le café au lait du matin. La confiture peut également figurer sur la table à tous les repas. A la fin de chacun d'eux, Penfant ne dédaignera pas non plus un demi-verre de vin plus ou moins étendu d’eau suivant son âge et bien sucré ; il se fera enfin toujours une fête de prendre au café le traditionnel « canard », mais, alors que celui-ci ne dépasse guère ordinairement la grosseur d’un demi-morceau, cette ration pourra être même quadruplée sans aucun inconvénient. Il faut pousser les enfants à user du sucre à tous leurs repas, mais Jamais en dehors, car c’est là ce qui les empèche le plus souvent de manger à table comme il convient. Le sucre ingéré dans ces conditions constituera alors un supplément de nourriture qu’il eûL été assez difficile de leur faire prendre sous une autre forme. EL c’est ainsi qu’en l'habituant au sucre dès le jeune âge, on obtien- dra que l'homme adulte, et surtout celui qui travaille, trouve tout na- turel de consommer par jour ses 20 ou 25 morceaux, c’est-à-dire de 160 à 200 grammes. (À suivre.) Le Directeur-Gérant : L. GRANDEAU. TABLE DES MATIÈRES DU TOME DEUXIÈME (1902-1490) = Travaux de la commission chargée de l'unification internationale des méthodes d'analyse. | J. Crochetelle. — Contribution à l'étude “ ter Ha ma- tières minérales du sol par les plantes. J. Alquier et D' A. Drouineau. — Glycogénie et cent ra- tionnelle au sucre (suile) . : H. Pellet et G. Fribourg. — ne nitrate de soude crehlrate se effets sur la végétation . ; J. Alquier et D' A. Drouineau. — the ogénie a nn in ra- tionnelle au sucre (suite) . Henry Lafosse. — Sur le rôle des forêts au point de vue des : ser- vices indirects. E. Heury. — Fixation de l'azote aunosphérique par les feuilles mortes en forêt. — Sur la décomposition des iles mortes en forèt. J. Alquier et D' A. Drouineau. — Glycogénie et alimentation ra- tionnelle au sucre (suile) . . Nancy, impr. Berger-Levrault et Cie, 4 ae «ve are