ANNALES SCIENCES NATURELLES. TROISIÈME SÉRIE. LOOLOGIE. IMPRIMERIE DE BOURGOGNE ET MART rue Jacob, 80. “à 2: a #0 di PCI (4 # CA ANNALES DES SCIENCES NATURELLES COMPRENANT LA ZOOLOGIE , LA BOTANIQUE, L’ANATOMIE ET LA PHYSIOLOGIE COMPARÉES DES DEUX RÈGNES , ET L'HISTOIRE DES CORPS ORGANISÉS FOSSILES ; RÉDIGÉES POUR LA ZOOLOGIE PAR M. MILNE-EDWAKRDS, , ET POUR LA BOTANIQUE PAR MM. AD. BRONGNIART ET J. DECAISNE. Œroisième Série. ZOOLOGIE. TOME PREMIER. SE ME ER er USE QE Là Q à PARIS. . FORTIN, MASSON ET C*, LIBRAIRES-ÉDITEURS, PLACE DE L'ÉCOLE-DE-MÉDECINE, 1, 184 out La LL A0 1 RUES ENER WE AAA ANNALES DES SCIENCES NATURELLES. PARTIE ZOOLOGIQUE. RAPPORT SUR UNE SÉRIE DE MÉMOIRES DE M. A. DE QUATREFAGES , RELATIFS À L'ORGA- NISATION DES ANIMAUX SANS VERTÈBRES DES CÔTES DE LA MANCHE; (Fait à l’Académie des Sciences, le 15 janvier 1844.) PAR M. MILNE-EDWARDS (!. Les zoologistes, dans leurs travaux de recherches, suivent deux voies principales : les uns s'appliquent à compléter le grand catalogue des êtres animés, à mettre en évidence les signes exté- rieurs à l’aide desquels les espèces peuvent être distinguées entre elles, et à grouper celles-ci de facon à en rendre l’étude plus facile et plus fructueuse ; les autres, voulant pénétrer plus profon- dément les secrets de la nature, s’adonnent de préférence aux investigations anatomiques et physiologiques, cherchent à voir comment la vie, considérée sous le double rapport de ses mani- festations et de ses instruments , se modifie chez les divers ani- maux , et dirigent leurs observations vers les points qui semblent A les plus propres à jeter quelque lumière sur les lois de l’organi- (1) Les lecteurs des Annales des Sciences naturelles verront facilement que les considérations présentées dans les premières pages de ce rapport ont été constam- ment notre principal guide dans le choix des matériaux dont se compose ce recueil. La nouvelle série que nous commençons aujourd'hui sera dirigée dans le même esprit; et c’est afin d'en indiquer la tendance générale que nous avons placé en tête de notre premier volume cet article, bien que le public en ait eu déjà con- naissance par les comptes rendus des séances de l'Académie. H.M.E. 6 MILNE-EDWARDS. — RAPPORT RELATIF sation animale. Les travaux de l’école descriptive sont d’une uti- lité évidente; on peut même dire qu’ils sont indispensables à l’exis- tence de l’histoire naturelle ; mais les résultats qu'ils fournissent sont loin de constituer cette science tout entière, et peuvent être comparés aux mots d’une langue qui seraient soigneusement in- scrits et définis dans un dictionnaire, sans avoir servi encore à la construction d’aucun édifice littéraire, La zoologie cultivée de la sorte est une étude aride qui exerce la mémoire plus que l'esprit, et qui, dans mon opinion, ne devrait être considérée que comme une sorte d'introduction à des investigations plus élevées. Mais il en est tout autrement de cette science telle que la comprennent les zoologistes qui, à raison de la direction de leurs travaux, con- stituent ce que j’appellerai l’école physiologique ; alors elle a pour objet essentiel la connaissance de la nature intime des animaux, et elle attaque , par conséquent, les questions les plus élevées de la véritable philosophie, Dans l’état actuel de la science, il est trois ordres de faits dont l'étude me paraît devoir contribuer le plus puissamment aux progrès de la zoologie envisagée au point de vue que je viens d'indiquer, et dont l’investigation me semble par conséquent de- voir mériter surtout l'intérêt et les encouragements de l’Académie, Une de ces catégories comprend les phénomènes de nutrition con- sidérée sous le rapport chimique; une autre embrasse l’histoire du développement, soit normal , soit tératologique des êtres ani- més ; et à la troisième appartient tout ce qui est relatif à l’organi- sation des espèces inférieures , chez lesquelles on voit la machine animale se simplifier à divers degrés et offrir les combinaisons les plus variées. De ces trois branches d'études, la première est pres- que entièrement du domaine de la physiologie expérimentale aidée de l’analyse chimique ; les deux dernières sont, au contraire, es- sentiellement anatomiques, et conduisent, par des routes diffé- rentes, vers un même but. Ces routes, quoique bien distinctes jus- qu'ici, sont même en quelque sorte parallèles, et les progrès que l’on fait dans l’une d'elles sont nécessairement liés à ceux qui sont effectués dans l’autre; car les modifications embryologiques de l'individu coïncident dans certaines limites avec les modifications A L'ORGANISATION DES ANIMAUX SANS VERTÈBRES. 7 zoologiques imprimées aux divers représentants du type orga- nique auquel cet individu appartient; et, par conséquent, pour apprécier toute la valeur des résultats fournis par l'étude de l’un de ces ordres de faits , il faut pouvoir les comparer rigoureuse- ment à ceux qui sont obtenus par l’examen des faits de l’autre ca- tégorie. L'étude des organismes inférieurs, de même que celle des organismes en voie de formation, est éminemment propre à nous éclairer sur la constitution fondamentale des êtres animés, à nous donner des notions exactes sur les connexions que ces êtres peuvent avoir entre eux , et à nous initier aux principes de la z00- logie générale. Le perfectionnement de nos méthodes de classifi- cation est aussi en grande partie subordonné aux progrès que l’on fera dans cette double voie; car ces classifications doivent être en quelque sorte l'expression figurée de l’ensemble de nos connais- sances relatives aux modifications imprimées par la nature à la constitution des animaux. Les formes zoologiques variées pres- qu'à l'infini, et dont le catalogue a acquis de nos jours des dimen- sions gigantesques, peuvent être comparées aux formes cristal- lines secondaires, dont on ne comprend l'importance et la loi que lorsqu'on remonte aux formes primitives qui les ont engendrées. Ce qui, dans le règne animal, correspond à la forme primitive des cristaux , c’est le type essentiel ou plan fondamental de l’organi- sation , type qui règle le mode de coordination des divers maté- riaux de l’économie, et détermine les caractères des grandes divi- sions zoologiques. Or, pour démêler ce type primitif au milieu des modifications secondaires qui, chez les animaux d’une structure compliquée, en masquent souvent les traits principaux , et pour arriver ainsi à la connaissance des affinités naturelles, on ne peut en général mieux faire que de l’étudier, soit dans sa simplicité transitoire chez l'embryon, soit danssa simplicité permanente chez les animaux inférieurs. Au premier abord, ces considérations pourront paraître étran- gères au sujet dont nous devons nous occuper dans ce Rapport ; mais il m'a semblé nécessaire de les présenter, afin de motiver l'importance que j’attache aux travaux de l’ordre de ceux qui ont été soumis au jugement de l'Académie par M. de Quatrefages. En 8 MILNE-EDXWWARDS, — RAPPORT RELATIF effet, les recherches de cet observateur ont pour objet de petits êtres qui ne présentent aucune particularité de mœurs propre à exciter la curiosité, et ne possèdent que des facultés des plus bor- nées, qui n’offrent ni les couleurs brillantes ni les formes bizarres que les zoologistes descripteurs se plaisent d'ordinaire à signaler, et qui ne doivent remplir qu’un rôle bien infime dans l’économie générale de la nature. On pourrait donc se demander pourquoi M. de Quatrefages et les autres naturalistes engagés dans la même voie étudient de pareils animaux jusque dans les moindres détails de leur organisation, et ne se bornent pas, comme on le faisait jadis, à en donner brièvement le signalement extérieur ; pour- quoi, dans cette école, on attache tant d'importance à la connais- sance du mécanisme de la vie chez des êtres en apparence si peu dignes d'intérêt, et pourquoi on discute quelquefois longuement sur la place qu’il convient de leur assigner dans la classification naturelle? Mais, si l’on tient compte des observations qui précè- dent, on comprendra facilement la raison de cette prédilection, car l’on verra que c’est à la condition d'adopter une marche pa- reille que l’on peut légitimement espérer la solution d’un grand nombre des questions les plus fondamentales de la zoologie. D'ailleurs, si nous voulions montrer, par les résultats déjà obte- nus, ce que la science est en droit d'attendre de travaux dirigés dans cet esprit, les exemples ne nous manqueraient pas ; et, pour rappeler une partie des services rendus de la sorte, il nous suffi- rait de citer les noms de M. Savigny, en France, et de M. Ehren- berg, en Allemagne. Lorsque , pour les animaux inférieurs , on se contentait d’une nomenclature raisonnée , et que l’on ne demandait à l'anatomie comparée que des notions superficielles sur la structure de ces êtres, on pouvait se borner à.les étudier dans les musées, et à les disséquer à loisir, après les avoir conservés pendant longtemps dans quelque liqueur spiritueuse. Mais lorsqu'on à voulu les con- naître à fond, on a vu qu'il était en général indispensable de les observer à l’état vivant, et comme la plupart de ces animaux habitent les eaux de la mer, on a dû aller les étudier sur place. C’est ainsi que quelques zoologistes ont été conduits à s'occuper A L'ORGANISATION DES ANIMAUX SANS VERTÈBRES. 9 spécialement de la faune du littoral de la France. M. de Quatre- fages est de ce nombre, et il a déjà communiqué à l’Académie les résultats de ses travaux pendant trois campagnes. En 1844, il est allé s'établir aux îles Chausay, rochers qui, grâce aux progrès de l'industrie, sont aujourd'hui moins déserts qu'à l’époque déjà un peu éloignée où M. Audouin et votre rapporteur y ont com- mencé une série de recherches analogues. L'année suivante, M. de Quatrefages a consacré plusieurs mois à l’étude des ani- maux marins d’un autre point de la côte de Normandie dont j'ai eu également l’occasion d’entretenir jadis l’Académie, et pendant l'été dernier, il a été chargé par le Muséum d’une mission à l'ile Bréhat. Je n'ai pas à parler ici des collections d’annélides et de mollusques que M. de Quatrefages a formées pendant cette der- nière campagne et a déposées au Muséum; je dirai seulement que, dans une des dernières réunions des administrateurs de cet établissement, ces collections ont été l’objet d’un rapport très favorable de la part de M. Valenciennes, qui, ainsi que tous les zoologistes le savent, est un excellent juge en pareille matière. Les travaux dont l’Académie nous à chargés de lui rendre compte portent sur des espèces variées appartenant aux trois grands types inférieurs du règne animal : les annelés, les mollusques et les zo0- phytes, et ces recherches ont été pour la plupart entreprises dans la vue de constater la manière dont ces types peuvent se dégrader ou se mêler sur les limites extrêmes de leurs domaines respectifs. Ainsi, dans un premier Mémoire qui a déjà été l’objet d’un Rapport favorable , M. de Quatrefages a fait voir comment les caractères anatomiques les plus saillants des Holothuries tendent à s’affaiblir ou à disparaitre chez les Synaptes (1); et, dans un se- cond Mémoire, il nous a fait connaître l’organisation d’un polype (2) qui établit en quelque sorte le passage entre les Alcyoniens et les Zoanthaires, et qui montre combien la forme extérieure de ces animaux est quelquefois loin de traduire au-dehors les particula- rités de leur structure intérieure ; car la forme générale de ce z00- . phyte est à peu près celle d’un Actinien, et la disposition de ses (1) Voyez Ann. des Sc. nat., 2° série, t. XVII, p. 19. (2) Mém. sur les Edwardsies ; Ann. des Se. nat, 2° série, & XVIII, p. 65. 10 MILNE-EDWARDS. — RAPPORT RELATIF parties intérieures rappelle tout-à-fait ce qui existe chez les AL cyons. Un troisième travail, dont l’Académie nous avait également chargés de lui rendre compte, mais dont nous ne parlerons ici que très brièvement, M. de Quatrefages l'ayant déjà fait imprimer (1), porte sur un zoophyte que ce naturaliste a découvert, comme les deux précédents, sur les côtes de la Manche, et qu'il désigne sous le nom d’/Æleuthérie. Considéré isolément, ce petit être offre déjà des particularités de structure qui ne pourraient manquer d’inté- resser les zoologistes; mais lorsqu'on le compare aux Polypes, d’une part, et aux Médusaires , de l’autre, son étude acquiert une importance nouvelle, car il est, pour ainsi dire, un représentant de l’affinité qui existe entre ces deux classes d'animaux à l’état de larve, et qui s’efface par les progrès de l’âge. Les belles observa- tions de MM. Sars, Lowen, Sieboldt, Dujardin et van Beneden nous ont appris que, d’une part, les Méduses, avant d'arriver à l'état parfait, passent par un état comparable à celui qui est per- manent chez les Polypes hydraires, et que, d’une autre part, ces derniers, subissant dans les premiers temps de leur vie des méta- morphoses non moins considérables , ressemblent à des Méduses avant que de devenir des Polypes. Mais, jusqu'ici, cette double affinité entre ces zoophytes nageurs et ces zoophytes sédentaires ne semblait exister que chez les larves , et l’on ne connaissait pas d'espèces intermédiaires établissant le passage entre ces deux types secondaires. Or, l'Éleuthérie comble cette lacune dans le réseau zoologique, et pourrait presque aussi bien prendre place dans l’une ou dans l’autre de ces deux classes. M.de Quatrefages la considère comme étant un représentant perfectionné du type des Hydraires , et fonde son opinion sur la disposition générale de l’économie de ce petit être et sur la simplicité de sa structure intérieure , tandis que votre Rapporteur croit y voir plutôt une Médusaire dont les formes permanentes seraient, à quelques égards, embryonnaires. Du reste, sije fais mention de cette dissidence d'opinion, ce n'est point parce que j’attache beaucoup d’impor- tance à la place que l’on assignera à l'Éleuthérie, mais pour mon- (1) Voyez Annales des Sciences naturelles, 2° série, Zoologie, t. XVIII, p. 270. A L'ORGANISATION DES ANIMAUX SANS VERTÈBRES. 11 trer par ces incertitudes mêmes combien doivent être intimes les liens que ce zoophyte établit entre les deux types secondaires aux caractères desquels il participe. Un quatrième Mémoire du même auteur (1) est destiné à nous faire connaître des polypes qui se trouvent souvent sur les coquilles de buccins habités par des Pagures, et qui, au premier abord, ne semblent y constituer que des croûtes rugueuses et informes. Bas- ter et quelques autres naturalistes paraissent avoir remarqué ces corps ; mais on les a toujours confondus avec le Æydra squamata de Muller, et jusqu'ici on n’en avait étudié ni la structure ni le mode de reproduction, M. de Quatrefages en a fait l’objet d’une étude attentive, et a constaté ainsi plusieurs faits nouveaux dont l'intérêt est considérable pour la zoologie générale. Ces polypes, que notre auteur désigne sous le nom de Synhydres parasites , vivent, fixés par leur base, sur un tissu commun étendu en forme de lame et soutenu intérieurement par un réseau corné, analogue au polypier des Gorgones, mais d’une structure plus simple, et comparable à celle de la charpente solide des éponges. Chacun d’eux est creusé d’une grande cavité digestive analogue à celle des Hydres, et ne débouchant pas inférieurement dans un canal commun, comme chez les Sertulaires. On pouvait donc supposer que les polypes rassemblés de la sorte en colonies étaient simple- ment agrégés par suite de la rencontre et de la soudure de la por- tion élargie de leur base, et qu'ils étaient tout-à-fait indépendants les uns des autres quant à l’exercice de leurs fonctions ; mais M.de Quatrefages a constaté qu’il n’en est pas ainsi, et que tous les indi- vidus vivant en société sont unis entre eux par un système de canaux capillaires logé dans la profondeur du tissu basilaire com- mun et établissant des communications faciles entre leurs estomacs respectifs. Cette disposition, qui permet à tous les polypes d’une même colonie de profiter des matières alimentaires digérées par l’un d’entre eux, et qui rend leur nutrition commune, est tout-à- fait semblable à celle que j'avais observée chez les Alcyons, le Corail, les Gorgones, les Cornulaires, et quelques autres polypes de l’ordre des Alcyoniens, mais elle n’avait pas encore été signa (1) Voyez Ann. des Sc. nat., 2° série, t. XX, p.230 12 MILNE-EDWARDS. — RAPPORT RELATIF lée dans l’ordre des Hydraires, et cette découverte de M. de Qua- trefages nous fournit un nouvel exemple de la tendance qu’a la nature à modifier, par des procédés analogues, les diverses séries zoologiques appartenant à un même type essentiel. Ici ce fait offre encore un intérêt particulier dépendant de la structure sin- gulière d’un certain nombre de polypes réunis de la sorte en touffes. Effectivement, M. de Quatrefages a constaté que, parmi les indi- vidus dont se compose ces singulières agrégations, les uns sont conformés de la manière ordinaire chez les Hydraires, et sont pourvus d’une bouche entourée de tentacules filiformes , de facon qu’il leur est facile de pourvoir directement à leur alimentation, tandis que les autres ne péssèdent ni bouche ni tentacules, et, par conséquent, ne peuvent puiser au-dehors les matières alibiles né- cessaires à l'entretien de leur vie; on ne comprendrait donc pas leur existence s'ils étaient isolés. Mais les polypes à tentacules fili- formes en sont pour ainsi dire les pourvoyeurs ; ils sont chargés de manger et de digérer pour toute la communauté , et, à l’aide du système de canaux dont il vient d’être question , ils distribuent aux individus astomes la nourriture dont ceux-ci ont besoin, Mais ces derniers, qui vivent en parasites , n’en remplissent pas moins un rôle important dans l’économie de ces singulières sociétés, car ils sont chargés d’une partie considérable du travail reproducteur, et paraissent être spécialement destinés à assurer l’établissement de colonies nouvelles. En effet, M. de Quatrefages a vu ses Synhydres se multiplier par trois procédés bien distincts. Tantôt le jeune individu provient d’un bourgeon qui se forme à la surface du tissu basilaire commun, et qui se développe à peu près de la même manière que les bour- geons reproducteurs des Hydres et des Sertulaires ; tantôt des œufs comparables à ceux des Spongilles naissent dans l’épaisseur de ce même tissu commun, et d’autres fois on rencontre sur la portion libre des polypes des corps reproducteurs qui ne peuvent être assimilés ni à des bourgeons ni à des ovules, car ils se con- stituent par extension de tissu comme les premiers, et, de même que les seconds, ils se séparent complétement de l’individu-souche avant que de s’être développés en individus nouveaux. Les bour- A L'ORGANISATION DES ANIMAUX SANS VERTÈBRES. 13 geons reproducteurs servent à augmenter la population de la colo- nie au milieu de laquelle elles se forment ; les œufs restent proba- blement enfouis dans le tissu basilaire après que l'hiver a amené la destruction des polypes dont celui-ci était couvert,et servent à en produire d’autres au printemps suivant; enfin les bulbiles, devenus libres, sont facilement entraînés au loin par les courants, et venant ensuite à se fixer dans quelque lieu propice à leur exis- tence, s’y développent, s’y multiplient à leur tour par bourgeons, et y fondent une colonie nouvelle, de la même manière que nous avons vu les Ascidies composées propager au loin leurs sociétés sédentaires à l’aide de leurs larves mobiles. Or, les bulbiles sont produits exclusivement par les polypes astomes, autour du sommet desquels on les trouve groupés, et les polypes pourvus d’une bou- che ne paraissent participer en rien au travail de la génération. Les premiers sont donc des individus reproducteurs comme leurs voisins sont des individus nourriciers, et les particularités de leur structure semblent être une conséquence de ces rôles différents. Chez les polypes reproducteurs, les tentacules ne sont représentés que par des tubercules , et l'appareil digestif ressemble à celui d’un polype ordinaire dont le développement n’est pas achevé et dont la cavité stomacale ne communique pas encore au-dehors. Ces individus, qui , sous le rapport de la puissance génératrice, sont bien supérieurs aux autres , semblent donc avoir été frappés d’un arrêt de développement en ce qui concerne les fonctions de nutri- tion ou de relation, et leur existence étant assurée par leurs asso- ciés, toute l'énergie de leur organisme paraît se concentrer dans les instruments de reproduction. Rien ne peut faire penser que les individus nourriciers soient des mâles, et les astomes des femelles, et la division du travail fonctionnel entre ces divers membres d’une même communauté semble correspondre aux deux grandes classes de phénomènes physiologiques: les actes nécessaires à la vie de l'individu, et les actes destinés à assurer l’existence de l'espèce. La propagation par bulbiles que M. de Quatrefages a découverte chez les Synhydres est une forme du travail reproducteur dont il n’y avait pas encore d'exemple bien constaté dans le règne animal, et par conséquent ses recherches à ce sujet intéressent la physio- 1h MILNE-EDWARDS. — RAPPORT RELATIF logie générale aussi bien que l’histoire particulière des polypes. Il a étudié le phénomène avec beaucoup de soin, et il en a représenté les principales phases à l’aide d'excellents dessins. Une autre série de travaux soumis au jugement de l’Académie par M. de Quatrefages est relative à des mollusques qui appar- tiennent à la classe des Gastéropodes, et qui, pour la plupart, ont été confondus jusqu'ici avec les Doris sous le nom commun de Vudibranches, mais qui en diffèrent beaucoup par leur struc- ture intérieure, et qui s’éloignent même de tous les mollusques ordinaires par la dégradation de leur organisation. Sous le rap- port de la forme générale du corps, de la disposition du cerveau et de la conformation des organes générateurs, ces animaux res- semblent beaucoup aux autres Gastéropodes ; mais ils s’écartent considérablement du type normal de ce groupe par la manière dont s’exercent les fonctions de la circulation, de la respiration et de la digestion. Une des grandes différences physiologiques qui se remarquent entre les mollusques ordinaires et les animaux ar- ticulés dépend de la nature de l’appareil circulatoire, qui, chez ces derniers, est constamment réduit à un état d’imperfection plus ou moins grand, tandis que, chez les premiers, il est toujours bien complet et acquiert un développement très considérable, En effet, chez les mollusques ordinaires, cet appareil se compose de deux systèmes de tuyaux membraneux réunis, par l'intermédiaire du cœur, à une de leurs extrémités, et communiquant entre eux au moyen du réseau capillaire par l'extrémité opposée. Chez les animaux articulés, au contraire, un de ces systèmes manque tou- jours, et se trouve suppléé par les lacunes existant entre les divers organes ; la circulation est au plus semi-vasculaire, et souvent elle est même entièrement vague et interstitiaire. Mais ces particula- rités physiologiques ne constituent pas un des caractères essentiels de l’un ou de l’autre type; car j'ai constaté, il y a quelques années, que, chez les Ascidies composées et plusieurs autres Molluscoïdes, la constitution de l'appareil circulatoire se rapproche de ce que l’on connaissait chez les animaux articulés, le système vasculaire pro- prement dit n’existant que dans la partie thoracique du corps, et étant remplacé par des méats ou lacunes dans toute la portion A L'ORGANISATION DES ANIMAUX SANS VERTÈBRES. 15 abdominale de l’économie ; et chez les Bryozoaires, qui, dans mon opinion , sont les représentants inférieurs du même type zoolo- gique, il n’y a plus de vaisseaux sanguins, et le liquide nourricier se trouve répandu dans les grandes cavités du corps. Jusqu'ici cependant on ne connaissait aucun mollusque proprement dit chez lequel la circulation ne fût pas complétement vasculaire, et l’on était loin de s’attendre à voir ce caractère physiologique s’effacer dans l’un des groupes les plus élevés de cette division naturelle. Mais, en étudiant les Éolidiens et plusieurs autres gastéropodes d’une forme analogue, M. de Quatrefages a constaté ce genre de dégradation porté à des degrés variés. Ainsi, dans son genre Éolidine , il existe un cœur et des artères bien constitués, mais pas de veines proprement dites, et le sang ne revient des diverses parties du corps que par l'intermédiaire d’un système de lacunes irrégulières, disposition tout-à-fait analogue à celle dont les crus- tacés nous avaient déjà fourni un exemple. Enfin , dans d’autres espèces, que M. de Quatrefages a découvertes sur les côtes de la Bretagne, le cœur ef les artères disparaissent à leur tour, de sorte que la circulation devient des plus incomplètes et ressemble à celle qu’on apercoit chez les Bryozoaires. Ces modifications de l'appareil circulatoire entraînent pour ainsi dire à leur suite une dégradation correspondante dans la structure des organes de la respiration. Chez les mollusques ordi- naires, les rapports entre l’air et le fluide nourricier s’établissent par l’intermédiaire d’un réseau de vaisseaux capillaires très déve- loppé et disposé de manière à constituer des branchies ou des poches pulmonaires. Dans les Gastéropodes dont M. de Quatre- fages a fait connaître la structure, il n’existe rien de semblable : tantôt la respiration est simplement cutanée, et paraît s'exercer par tous les points de la surface du corps; tantôt, au contraire, elle paraît être plus ou moins complétement localisée et devenir l'apanage d’appendices particuliers qui recouvrent le dos de l’ani- mal; mais, lors même que cette concentration du travail respira- toire est portée à son plus haut degré, il n'existe aucun réseau vasculaire semblable à celui dont les branchies ordinaires sont composées , et la nature supplée à l’absence de ces vaisseaux en 16 MILNE-EBWARDS. — RAPPORT RELATIF introduisant dans l’économie une combinaison organique que, jus- qu’en ces derniers temps, l’on croyait appartenir exclusivement aux Méduses et à divers Helminthes. En effet, la cavité digestive donne alors naissance à un système de canaux dont les rameaux pénètrent dans les appendices branchiformes du dos de l'animal , et y portent directement les matières nutritives qui, après y avoir subi l'influence de l'air, doivent se distribuer dans les diverses parties du corps et y servir à l’entretien de la vie. Ce système vasculo-gastrique , dont j'avais déjà signalé l'existence dans un Éolidien des côtes de Nice (1), a été étudié d’une manière très approfondie par M. de Quatrefages ; il paraît atteindre son plus haut degré de développement chez les Gastéropodes que cet obser- vateur habile a désignés sous le nom d’Éolidine ; mais chez d’au- tres mollusques , construits d’ailleurs sur le même plan général , cet appareil se dégrade à son tour, et quelques unes des formes qu'il affecte ainsi rappellent tout-à-fait la disposition de la cavité digestive chez certaines Sangsues et chez divers Planariées. Dans les genres Pavois et Chalide, par exemple, M. de Quatrefages n’a plus trouvé d’appendices rameux en communication avec la cavité digestive, mais seulement deux grandes poches dans l’intérieur desquelles les matières alimentaires pénètrent et séjournent pen- dant quelque temps. Le système nerveux de ces animaux est aussi moins parfait que dans les Gastéropodes ordinaires ; la portion céphalique de cet appareil n'offre rien d’anormal; mais les ganglions postæso- phagiens ou ventraux, ainsi que la bandelette , ou commissure transversale, qui d'ordinaire unit ces ganglions entre eux et com- plète en arrière le collier œsophagien, manquent souvent. Enfin ces mollusques sont également dépourvus de ganglions labiaux , et par conséquent la disposition générale du système participe aux caractères du même appareil chez les Gastéropodes ordi- naires et chez les Tuniciens. Des particularités d'organisation de cette importance doivent nécessairement être représentées dans nos méthodes naturelles : aussi M. de Quatrefages at-il été conduit, par les recherches (1) Voyez Annales des Sciences naturelles, 2° série, Zoologie, t. XVIII, p. 330. A L'ORGANISATION DES ANIMAUX SANS VERTÈRRES. 17 anatomiques dont nous venons de rendre compte, à proposer l'é tablissement d’un ordre nouveau dans la classe des Gastéropodes, Ce groupe, que notre auteur désigne sous le nom de Phlébenté- rées, pour rappeler l’un des traits les plus saillants du type ordi- nique, a beaucoup d’analogie avec la division des Polvbranches précédemment établie par M. de Blainville (4), mais en diffère sous divers rapports, et se compose déjà de plusieurs familles distinctes. Le genre Actéon, que l’on avait jusqu'ici confondu avec les Aphysiens , doit y prendre place, et, suivant toute pro- babilité , il faudra également y faire entrer les Glaucus, les Pla- cobranches et tous les autres Gastéropodes qui sont dépourvus de poumons et de branchies vasculaires, Enfin, certaines Planaires viendront peut-être s’y rattacher. Les recherches de M. de Quatrefages sur les Gastéropodes phlébentérés conduisent, comme on le voit, à des résultats très importants pour l'histoire des mollusques; et parmi les travaux dont cette branche de la zoologie s’est enrichie depuis quelques années, il n’en est peut-être aucun qui renferme un nombre plus considérable de faits nouveaux et curieux. Elles font la matière de deux Mémoires, dont le premier a été lu à l’Académie le 22 mai dernier, et dont le second a été communiqué par extrait dans notre dernière séance. Dans une troisième série de recherches, M. de Quatrefages s’est proposé d'étudier plus complétement qu'on ne l’avait fait jusqu'ici l’organisation des Annélides, et d'examiner comment le type dominateur de ce groupe naturel se modifie et se dégrade , soit chez les espèces inférieures de la classe , soit chez d’autres vers que la plupart des zoologistes rangent parmi les Helminthes, Dans cette vue, il a fait d’abord l’anatomie complète d’une Annt- lide errante, l'Eunice sanguine, et cette monographie, qui nous a paru exécutée avec une grande précision, renferme plusieurs observations entièrement nouvelles : aussi aurais-je demandé la permission d'en entretenir l’Académie plus longuement, si le (4) Voyez Dictionnaire des Sciences naturelles, &. XXXIT, p. 275, el Manuel le malacologie. 3° série. Zoo, T. 1 (Jans ier 184 ï). 3 18 MILNE-EDWARDS. — RAPPORT RELATIF nombre des Mémoires dont il me reste encore à rendre compte ne m'imposait l’obligation d’être bref, En effet, les recherches de M. de Quatrefages sur les autres Annélides chétopodes ont été très variées, et conduisent à plusieurs résultats que nous ne pouvons passer sous silence, Ainsi, en étu- diant d’une manière comparative le système nerveux des Eunices, des Néréides, des Phyllodocés, des Glycères et de quelques genres nouveaux, ce naturaliste a vu que, dans cette classe d'animaux , l'appareil ganglionnaire est souvent beaucoup plus compliqué qu'on ne le pensait, et présente des modifications spécifiques ana- logues à celles que M. Serres avait remarquées chez les insectes, et que M. Audouin et moi avions décrites chez les crustacés. Le système vasculaire présente, comme on le sait, un déve- loppement très considérable chez toutes les Annélides étudiées jusqu'ici par les anatomistes. Mais chez quelques uns de ces vers, cet appareil se dégrade, comme chez les mollusques et les ani- maux articulés : car M. de Quatrefages a constaté que chez cer- tains Tubicoles la circulation cesse d’être vasculaire et s’effec- tue à l’aide des lacunes situées entre les divers organes. Ainsi, dans une espèce d’Amphicora très voisine de celle découverte par M. Ehrenberg , le sang , facile à reconnaître par sa couleur verte, n’est pas renfermé dans des vaisseaux, mais se meut dans l’espace compris entre la couche musculaire sous-cutanée et l'espèce de mésentère dont le tube alimentaire est enveloppé. Enfin, dans un genre nouveau d’annélides errantes qui est très voisin des Syllis, et qui à été désigné par M. de Quatrefages sous le nom de Doyeria, il existe une combinaison organique intermé- diaire entre cet état de dégradation extrême et l’état normal de l'appareil circulatoire dans cette classe d'animaux ; car cet appa- reil existe en vestiges, mais se trouve réduit à un simple vaisseau dorsal. Le genre Æphlébine de M. de Quatrefages offre un autre exemple de dégradation organique dont la connaissance est éga- lement importante. La forme générale des Aphlébines ne diffère pas de celle des Térébelles ; mais ces animaux sont dépourvus de branchies et manquent aussi de vaisseaux sanguins, Le liquide A L'ORGANISATION DES ANIMAUX SANS VERTÈBRES. 19 nourricier, répandu dans un système de lacunes, est ici incolore ; mais la transparence hyaline du corps est si parfaite, que M. de Quatrefages a pu y apercevoir le courant circulatoire, et décou- vrir même la cause de ce mouvement. Chez les Annélides ordi- naires, le mécanisme de Ja circulation est analogue à celui de cette fonction chez les animaux supérieurs : car le mouvement du sang est toujours déterminé par la dilatation et la contraction alterna- tives d’une portion du système de canaux dans lequel ce liquide est renfermé, et, par conséquent, c’est toujours par le jeu d’une sorte de pompe foulante que l'impulsion est donnée. Mais dans l’Aphlébine il n’existe rien de semblable : le sang, au lieu d'être comprimé par les contractions d’une cavité analogue au cœur, est mis en mouvement par un système de palettes microscopiques qui le frappent à coups redoublés, et qui sont constituées par des cils vibratiles réunis en écharpes sur les parois de la cavité viscérale, en arrière de la base de chaque pied. Ce mécanisme est analogue à celui que j'avais observé chez les Béroés (1), et peut être cité comme un nouvel exemple de la tendance de la nature à intro- duire des termes correspondants dans les séries de modifications qu’elle imprime aux divers types dominateurs du règne animal. Chez les Annélides, cette disposition particulière des organes d’impulsion dans l'appareil circulatoire est également intéressante à connaître sous un autre rapport. Depuis longtemps j'avais été frappé de l’aflinité qui semble exister entre les Annélides et les Rotateurs, dont la structure intérieure nous à été dévoilée par les beaux travaux de M. Ehrenberg, et j'avais proposé de ranger ces deux classes, ainsi que les Helminthes, dans une division parti- culière de l’embranchement des animaux annelés (2). Or, les faits constatés par M. de Quatrefages établissent de nouveaux liens entre ces animaux, et viennent par conséquent à l'appui de l’o- pinion que je viens de rappeler. Mais l’hiatus qui semblait exister entre les deux premières classes du sous-embranchement des Vers estrempli d’une manière bien plus directe par une autre découverte de M. de Quatrefages. Effectivement , ce z0ologiste a trouvé sur (1) Voyez Annales des Sciences naturelles, 2° série, Zoologie, t. XVI, p. 207. (2) Encyclopédie du AIX: siècle, t. XXVI, art. Vers (1838). 20 MILNE-EDWARDS. — RAPPORT RELATIF les côtes de la Bretagne une annélide qui, par sa conformation générale, ressemble beaucoup à un jeune Syllis, mais qui porte de chaque côté du corps une série d’organes locomoteurs analo- gues aux disques vibratiles des Rotifères, et disposés de manière à simuler jusqu’à un certain point les roues d’un bateau à vapeur. Chez ce singulier annélide, que M. de Quatrefages a désigné sous le nom générique de Dujardinia , les pieds sont garnis de soie comme chez les autres annélides errantes; mais ces appendices ne sont que des armes défensives, et restent immobiles comme des chevaux de frise. Quelquefois l’animal se déplace en agitant vio- lemment sa queue à la manière d’une longue rame; mais, en général, il nage lentement à l’aide des palettes latérales dont il vient d’être question. Ges cils, disposés en couronnes sur les bords de cupules supportées à leur tour par des mamelons placés sur les côtés du corps, entre les pieds, fonctionnent à la manière des cercles ciliaires des Rotifères, et produisent comme ceux-ci li- mage d’une roue qui tourne. [l est aussi à noter que le Dujardi- nia se rapproche des Rotateurs par la forme de son tube digestif et le volume considérable de ses œufs, Le travail de M. de Quatrefages sur la structure des Thalas- sèmes et des Némertes offre aussi le double intérêt que nous venons d'indiquer en parlant des recherches de ce naturaliste sur les Aphlébines et le Dujardinia : car, en même temps qu’il nous fait connaitre d’une manière très complète l’organisation de ces ani- maux , il fournit des matériaux précieux pour l'appréciation des affinités naturelles par lesquelles les Annélides se lient aux Pla- nariées et aux Helminthes. Ainsi M. de Quatrefages fait voir que les Némertes se rapprochent des Annélides par la disposition gé- nérale de leur système vasculaire, qui ressemble beaucoup à celui des Sangsues par la structure de leur appareil buccal et par plu- sieurs autres points d'organisation intérieure, tandis que leur ap- pareil reproducteur est analogue à celui de plusieurs Helminthes, que leur système nerveux ne peut être comparé qu'à celui des Lingules, et que leur tube digestif, au lieu de s'étendre dans toute la longueur du corps et de s'ouvrir en arrière par un orifice anal, comme dans tous les animaux annelés chez lesquels le type domi- A L'ORGANISATION DES ANIMAUX SANS VERTÈBRES. 21 vateur de l'embranchement est bien marqué, se termine en cul-de- -sac vers le tiers antérieur du corps, et ne communique au-dehors que par la bouche, de la même manière que chez quelques Hel- minthes inférieurs et chez la plupart des Zoophytes. On voit donc que chez ces divers animaux, non seulement l’organisation se simplifie, mais aussi que les caractères les plus saillants du grand type zoologique auquel ils appartiennent ten- dent à disparaître tour à tour et à.se mêler à des particularités de structure empruntées pour ainsi dire à des types étrangers. La connaissance de ces anomalies zoologiques est de nature à jeter beaucoup de lumière sur les affinités existantes entre des types qui, d'ordinaire, paraissent être essentiellement distincts, et elle est aussi utile à l'honneur de la science que nous cultivons , car elle fait voir comment les naturalistes les plus habiles ont pu être con- duits à adopter des opinions très divergentes sur la place qu'il convient d’assigner à ces êtres inférieurs dans la classification méthodique du règne animal. On ne sait encore que peu de chose relativement à la géné- ralion des annélides et des autres vers d’une structure analogue, Pallas assure que les Aphrodites sont dioïques, et cette opinion à aoquis récemment un nouveau poids par les observations de M. Grube de Kwnigsberg : mais les zoologistes n'étaient pas en- core fixés sur ce point particulier, et tous s'accordaient à penser que la plupart des annélides sont hermaphrodites. M. de Quatre- fages à fait voir qu'il en est autrement; il a reconnu l'existence d'individus mâles et femelles bien distincts, non seulement chez un grand nombre d’Annélides errantes et tubicoles, mais aussi chez les Thalassèmes et chez les Némertes, qui établissent le pas- sage entre les Annélides ordinaires et les Helminthes. Il a observé également quelques phénomènes curieux relativement au mode de formation des spermatozoïdes chez les Némertes, et, par ses re- marques sur le dévelopement de l’œuf des Térébelles, il a étendu à la classe des Annélides le fait important constaté par Hérold , Rathke et quelques autres ovologistes relativement aux rapports du vitellus avec la face dorsale du corps chez l'embryon des in- sectes, des arachnides, des crustacés, etc. 22 MELNE-EDWARDS. — RAPPORT RELATIF Mais parmi les résultats que M. de Quatrefages à obtenus de l'étude des annélides, le plus singulier est celui relatif à la propa- gation des Syllis. Othon- Frédérick Muller, qui a recueilli un grand nombre d'observations sur la faune maritime du Danemark, a trouvé une annélide de la famille des Méréidiens qui paraissait être en voie de se reproduire par bouture, et qui trainait après elle un second individu auquel elle adhérait organiquement: Muller ne poussa pas plus loin ses investigations, et se borna à figurer ce double ver et à l’insérer dans son catalogue descriptif sous le nom de Mereis prolifera (4). M. de Quatrefages a rencontré sur les côtes de la Bretagne un grand nombre de Syllis agrégés de la même manière, etil à constaté que les deux individus se forment aux dépens d’un seul, dont le corps s’étrangle au milieu, et se divise après que les premiers anneaux du tronçon postérieur se sont modifiés de façon à constituer une tête. Ces deux individus sont par conséquent assez semblables entre eux extérieurement ; mais ils sont doués de facultés bien différentes. Le premier continue à se nourrir de la manière ordinaire et à exécuter toutes les fonctions nécessaires à la conservation de la vie, et, suivant toute probabilité, ne tarde pas à se compléter en reproduisant une queue semblable à celle qu'il a perdue. Mais le second individu formé aux dépens de cette queue n’est destiné qu’à la multiplication de l’espèce ; son canal alimentaire tend à s’atrophier, et il paraît ne se nourrir pour ainsi dire que des matières préexistantes dans son corps; mais il ren- ferme la totalité des organes générateurs que possédait l'individu souche, et après sa séparation, il continue de vivre pendant assez longtemps pour que ces organes , remplissant toutes leurs fonc- tions, produisent, soit des œufs, soit des spermatozoïdes, et assu- rent de la sorte la perpétuité de l'espèce. En poursuivant ses recherches sur la structure des animaux inférieurs , M. de Quatrefages a eu l’occasion d'observer diverses espèces dont les téguments sont d’une transparence parfaite, et il a profité de cette circonstance pour étudier sur des individus vivants et non mutilés quelques phénomènes physiologiques dont (4) Zoologia danica, vol. IX, p. 45, tab. Lu, fig. 5, 9. A L'ORGANISATION DES ANIMAUX SANS VERTÈBRES. 23 l'investigation présente chez les grands animaux des difficultés très considérables. Ainsi, en examinant le mécanisme des mouve- ments chez les polypes du genre Edwardsia, il est arrivé en même temps que M. Bowman à la connaissance de divers faits impor- tants pour la théorie de la contraction musculaire. Il a vu, par exemple, que les fibres d’un même muscle n’agissent pas toutes simultanément, et que celles qui se contractent, entraînant avec elles les fibres voisines restées en repos, déterminent dans celles-ci les plissements en zigzag que l’on avait considérés comme étant la cause efliciente du raccourcissement du muscle. C’est aussi en étudiant, à l’aide du microscope, de petites an- nélides transparentes, que M. de Quatrefages est arrivé à décou- vrir un rapport curieux entre certains phénomènes de phospho- rescence animale et l'influence de l’agent qui détermine la con- traction musculaire, et qui, à plusieurs égards, semble avoir tant d’analogie avec l'électricité. Il est probable que la lumière plus ou moins vive que répandent un grand nombre d'animaux infé- rieurs ne dépend pas toujours de la même cause ; que tantôt c’est un phénomène qui accompagne la décomposition des matières organiques, et que d’autres fois c’est le résultat de la sécrétion d’un liquide particulier ; mais il est probable que, dans un grand nombre de cas, la cause de la phosphorescence est entièrement physique, et se lie, comme la contraction musculaire, à l'influence nerveuse. Votre Commission n’a pas été en position de répéter les expériences de M. de Quatrefages à ce sujet, mais elle ne doute nullement de leur exactitude, et il est d’ailleurs quelques faits qui semblent corroborer les résultats présentés par ce zoologiste, et qui tendent à y donner plus de généralité. Ainsi les Béroés de la Méditerranée répandent souvent une lumière très vive, et, en les ‘examinant attentivement , j'avais déjà remarqué que ce phéno- mène a son siége dans les côtes ciliées dont le corps de ces z00- phytes est garni: or, c’est précisément là que se trouvent les organes du mouvement, Tels sont les divers travaux sur l’ensemble desquels l’Acadé- mie nous avait chargés de lui présenter un Rapport. D’après le nombre, la variété et l'importance des observations dont nous 21 MLNE-EHD WARS, — RAPPORT RELATIF, ETC, venons de rendre compte, on a pu voir que nos côtes sont riches en matériaux précieux pour la science , et qu'en étudiant d’une manière approfondie la structure des animaux en apparence les plus insignifiants , il est possible d'arriver à des résultats d’un grand intérêt. Nous devons féliciter M. de Quatrefages d’être entré dans cette voie, et surtout d’avoir pu y exécuter, dans le court espace de trois années, des travaux si considérables. Il s’est montré bon observateur et anatomiste habile; les sujets de ses investigations ont été heureusement choisis, et les conclusions qu'il en à tirées font preuve d’un jugement droit et de connais- sances étendues. Ses travaux lui assurent déjà un rang des plus élevés parmi nos jeunes naturalistes, et doivent lui valoir des encouragements de la part de tous ceux qui s'intéressent à l’ave- nir de la Zoologie physiologique en France. La Commission, dont je suis en ce moment l'organe , pense par conséquent que l’Académie doit à M. de Quatrefages des témoignages de satisfaction, et, à ce titre, nous proposerons d'accorder aux divers Mémoires dont nous venons de rendre compte la faveur la plus grande dont elle dispose, c’est-à-dire les honneurs de l’impression dans le Recueil des Savants étran- gers. Les conclusions de ce Rapport sont adoptées, Proposition additionnelle de la Commission. — La Commission est d'avis qu'il serait très important de faire, sur l'anatomie et la physiologie des mollusques phlébentérés et des annélides propres à la mer Méditerranée, des recherches analogues à celles dont nous venons d'indiquer les principaux résultats, et elle pense que si l’Académie voulait bien charger M. de Quatrefages de ce tra- vail, elle rendrait ainsi un véritable service à la Zoologie. Elle a par conséquent l'honneur de demander le renvoi de cette propo- sition à la Commission administrative. L'Académie décide que ce renvoi aura lieu, 5 L2 [1 4 BRESCHET, — SUR LES ANOMALIES DE L'O$ MALAIRE, RECHERCHES SUR DIFFÉRENTES PIÈCES OSSEUSES DU SQUELETTE DE L'HOMME OU DES ANIMAUX VERTÉBRÉS, DEUXIÈME MÉMOIRE (1). DE L'OS MALAIRE OU JUGAL. Par G. BRESCHET, Membre de l'Institut, professeur d'anatomie à la Faculté de médecine de Puris, elc. 1 Dans mes recherches sur les veines du tissu osseux , j'ai eu occa- sion d'examiner un nombre prodigieux de squelettes humains, et principalement de têtes sèches, appartenant à des sujets de tous les âges. Cet examen m'a fait rencontrer des dispositions singu- lières dans les oset dans le nombre des pièces qui les constituent. Déjà j'ai parlé de ces prétendues anomalies pour le sternum et pour l’occipital, et aujourd’hui je viens rappeler aux anatomistes des anomalies analogues, mais propres à l’os de la pommette ou os jugal, os malaire. Cet os est situé à la partie moyenne et latérale de la face, enclavé entre l’apophyse du sus-maxillaire et l’apophyse zygoma- tique du temporal ; il concourt à former l'orbite, la fosse temporale et la face. Portal dit qu'ilkse développe par trois points d’ossifi- cation, ce que la plupart des anatomistes ne veulent admettre, et J.-Fr. Meckel assure l’avoir toujours trouvé formé par un seul noyau osseux (2). Quelquefois cet os manque entièrement, ce qui, d’après la remarque du même anatomiste , établit une ressem- blance avec ce qu’on sait exister chez plusieurs Mammifères, tels que le Tanrec, le Paresseux et le Fourmilier. En cela J.-Fr. Meckel n’est pas d'accord avec lui-même , car dans son dernier ouvrage (3) il dit que le jugal est très constant chez les Mammi- (1) Le premier mémoire, ayant pour objet le sternum, se trouve dans le X° volume de la seconde série de ce recueil. (2) Manuel d'anatomie, &. L, p. 655. (3) Trailé général d'anatomie comparée, t. IV, p, 297, S 195. 26 BRESCHET. — SUR LES ANOMALIES fères ; il ne manque, suivant lui, que chez les Pangolins. Chez les autres animaux , il est presque toujours formé d’une pièce uni- que (1). Blumenbach (2) avait depuis longtemps observé que l’os malaire est divisé en plusieurs pièces chez beaucoup de Mammifères, par exemple chez la Loutre, le Castor, l'Opossum et le Cochon d'Inde. Dans un autre ouvrage (3), le célèbre professeur de Gættingue a modifié son opinion première et déclaré que l’os jugal chez ces animaux n’est qu'intercalé, comme pièce intermédiaire, entre l’a- pophyse du sus-maxillaire et celle du temporal, et qu’il ne prend aucune part à la formation de l'orbite. J.-F. Meckel (4) dit formellement que les animaux précédem- ment indiqués , ni aucun autre animal, le Morse excepté, n’ont deux os jugaux. Pour bien juger de l’état normal de l’os malaire et de ses pré- tendues anomalies , il faut le diviser en deux portions distinctes, une supérieure formant une apophyse montante, qui va s’articu- ler avec l’apophyse orbitaire externe du coronal, l’autre inférieure, archoutée entre l’os sus-maxillaire et le zygoma du temporal, Ces deux portions sont surtout très distinctes et bien séparées l’une de l’autre chez beaucoup d'animaux, mais ne se montrent jamais ou presque jamais chez l’homme, soit dans les premiers temps de la formation des os, soit lorsque ces organes sont parvenus à leur dernier degré de développement. Dans son unité, l’os malaire humain est réellement formé des deux pièces dont nous parlons, confondues de telle sorte qu’elles ne paraissent pas, et que leur existence ne peut être admise que par analogie ou d’après les ano- malies dont nous allons parler, Cependant il n’est pas sans exemple que ces deux pièces se soient manifestées à l'extérieur, et que la séparation en portion orbitaire et en portion malaire soit devenue évidente chez l’homme pour rappeler la disposition fondamentale. (1) Libr. cit. (2) Vergl. anat., p. 28. (3) Gesch. der Knochen, p. 217, 218, ete. (£) Traité général d'anatomie comparée, &. IV, p. 299 DE L'OS MALAIRE, 927 C'est done dans l’anatomie comparée et dans certaines préten- dues anomalies de composition des pièces du squelette humain qu’il faut chercher le véritable type de composition de ce squelette ; les anomalies , les monstruosités, ne sont que la persistance, le souvenir d'un état primitif que certains animaux conservent dans un état permanent. Ici encore l’anatomie pathologique vient s’é- clairer des lumières de l’anatomie comparée , et réciproquement. Nous admettons comme type originel et primitif l’existence de deux pièces distinctes constituant l’os malaire, se rencontrant réu- nies, permanentes et manifestes chez beaucoup d'animaux. Chez l’homme, ces deux pièces sont tellement confondues entre elles, qu'on ne peut plus, si ce n’est dans des cas exceptionnels formant ce qu'on nomme des anomalies, les distinguer l’une de l’autre. Dans beaucoup d’animaux, et nous ne voulons citer ici que les Mammifères, on ne trouve plus qu’une de ces deux pièces de l’os malaire, et presque toujours alors c’est la supérieure ou portion orbitaire qui manque. Chez l’homme, les deux pièces originelles réunies et confondues ne manquent jamais, tandis que, chez les animaux , une des deux pièces peut être absente, et parfois los en entier disparaît. Dans la disposition où la pièce supérieure ou portion orbitaire vient à manquer, l’os de la pommette n’a plus de rapport avec l'os frontal, et l'orbite a perdu en grande partie ou en totalité sa paroi externe, Il ne nous appartient pas de considérer les variétés de formes, d’étendue, de l’os malaire chez les animaux, n’ayant pour but dans ce mémoire que de démontrer que chez l’homme on rencontre quelquefois l’os de la pommette formé de deux pièces, comme chez beaucoup d’animaux, l’une orbitaire, et l’autre sus-maxillo- temporale, en prenant pour guide les principales articulations de ces deux portions osseuses. Nous pouvons assurer que dans l'examen que nous avons fait, soit dans les musées d'anatomie, soit dans nos laboratoires de la Faculté, soit enfin parmi les os des Catacombes , nous n’avons trouvé qu'un très petit nombre de fois, sur des têtes humaines, los malaire composé de deux pièces. 28 BRESCHET. — SUR LES ANOMALIES La première fois que nous rencontrâmes cette disposition , il nous fut difficile de donner une explication satisfaisante de la com- position de cet os en deux pièces, les anatomistes s’accordant à n’admettre qu’un seul point primitif d’ossification. Alors nous fimes les recherches dont nous venons de parler dans les grandes col- lections anatomiques ; nous fimes préparer à la Faculté de méde- cine un grand nombre de têtes dont nous avions besoin pour faire l'histoire des canaux veineux des os du crâne , histoire que nous avons donnée dans deux ouvrages; enfin nous étudiämes avec soin la disposition de cet os malaire dans les animaux vertébrés. C'est avec les résultats de ces recherches que nous composons aujourd’hui la présente note, Nous ne sommes pas le seul qui ayons trouvé et signalé cette formation de l’os de la pommette de deux pièces chez l’homme. Édouard Sandifort (1) a parlé de cette rare et singulière dis- position , et il nous en à laissé une figure (2). C’est du côté droit qu'elle existait. De dix cas que j'ai observés, six étaient à droite, trois à gauche, et le dixième présentait l’'anomalie sur les deux côtés. Je n'ai donc rencontré cette disposition sur les deux côtés qu’une seule fois sur une tête d'homme. Éd. Sandifort se borne à l'indication du fait, sans chercher à l’expliquer et à le rapporter à une loi de l’ostéogénie pour la con- firmer ou l’infirmer. Antoine Portal nous apprend, dans les notes qu'il a ajoutées à l’Anatomie de Lieutaud (3), que l'os malaire se développe par deux ou trois points d’ossification, et, chose étonnante ! il ne parle pas de cette circonstance dans son propre ouvrage sur l’anato- (1) Ed. Sandifort, Observationes anatomico-pathologice. Lugduni-Batav., 1779, lib. III, cap. vi, p. 443. (2) In facie suturæ rarissime sese exhibent: vidi tamen dextri lateris os jugale vera sutura in binas partes, superiorem et inferiorem, divisum (tabula vu, fig. 7), quod quum vix unquam observatur, dignam visum fuit, ut icone illustraretur. In sinistro latere ejusdem capitis talis sutura non conspicitur, sed leyissimum , ut videtur, ipsius vestigium. (3) Anat. histor., etc. Paris, 1776-1777. DE L'OS MALAIRE. 29 mie (1). Cette opinion de Portal sur la formation de l'os de la pommette par trois noyaux osseux primitifs est en désaccord avec ce que rapportent les anatomistes anciens et modernes , et nous ne trouvons de favorable à cette opinion que ce que dit Spix (2), qui a trouvé sur un fœtus l'os jugal divisé en trois pièces (3). J.-Fr. Meckel (4) ne paraît pas parler d’après sa propre obser- vation : « Quelquefois cet os manque entièrement, ressemblance » frappante avec ce qu’on observe chez plusieurs Mammifères, » tels que le Tanrec, le Paresseux et le Fourmilier, On l’a trouvé » partagé, par une suture, en deux moitiés, l’une antérieure, » l’autre postérieure, ou même en trois pièces. » Meckel fait mani- festement allusion ici à ce qu'ont énoncé Portal et Spix; cependant il se trompe en énoncant qu’on à vu l’os malaire divisé en deux portions , l’une antérieure et l’autre postérieure : aucun anato- miste n’a signalé cette disposition. Il aurait dû dire en portion supérieure et en portion inférieure, La science en était à ce point sur l’os jugal, lorsque, dans la deuxième édition de l’Anatomie comparée de Georges Cuvier, M. Laurillard, anatomiste aussi savant que modeste et obligeant, a signalé de nouveau l'existence de cette formation de l'os jugal en deux pièces, disposition qu'il a trouvée sur l’homme et sur plu- sieurs Quadrumanes. « Au bord inférieur du jugal , nous avons trouvé sur deux sujets un os particulier, allongé et aplati, étendu (1) Cours d'anatomie médicale, ou Éléments de l'anatomie de l'homme. Paris, 4804, t. I, p. 168. (2) Cephalogenesis, seu capitis ossei, structura formatio et significatio, ete. , auct. 1.-B. Spix. Monachi, 4815. (3) Portal idem os in duo vel tria ossicula diseretum in embryone reperiisse se aperit. Spix ajoute qu'il conserve dans son cabinet d'anatomie un fœtus sur lequel l'os malaire présente trois pièces. Voici les paroles de l'anatomiste de Munich : Quæ quidem opinio quamvis non immerito multis adhuc dubiis exposita sit, confirmatur tamen et observatione aliorum virorum et fœtu acephalico quem in collectione mea rerum naturalium asservo, et in quo os zygomaticum in illas tres partes adhuc divisum conspici potest. — $ IV, p. 49. (4) Manuel d'anatomie générale et descriptive, t. 1, p. 655, traduction de MM. Jourdan et Breschet. Paris, 1825. 50 BRESCIET. — SUR LES ANOMALIES tout le long du bord inférieur du jugal , et s’articulant en avant avec l'extrémité très saillante de l’apophyse malaire du maxillaire , et en arrière avec l’apophyse zygomatique du temporal , laquelle se trouve ainsi présenter deux sutures, une verticale avec le jugal, l’autre horizontale avec le second jugal, en faisant un angle pres- que droit avec la précédente. Dans les sujets où nous l'avons ren- contré, la forme de ce nouvel os, ses connexions avec les os voi- sins, sa proportion avec l'os malaire proprement dit, étaient les mêmes ; et comme nous avons trouvé dans certaines espèces de Singes une subdivision parfaitement semblable, nous sommes por- tés à la considérer autrement que comme une disposition pure- ment accidentelle (1). » M. Laurillard paraît considérer le jugal supérieur ou orbitaire comme la pièce principale, et nous ne pouvons partager son opi- nion, parce que cette pièce est la moins constante, tandis que la pièce inférieure se rencontre toujours lorsqu'il ÿ a quelque trace de l'os jugal, et que, si elle vient à manquer, tout l’os malaire est alors absent, la partie supérieure ou orbitaire n’existant jamais seule, c’est-à-dire sans la présence de la portion sus-maxillo- zygomatique. La pièce inférieure ou sus-maxillo-zygomatique est donc pour nous, et incontestablement, la portion principale de l'os. M. Laurillard sent avec raison que cette formation de l’os ma- laire en plusieurs pièces n’est pas accidentelle; mais il ne s’ex- plique point, ne la rapporte point à une loi générale d'évolution organique, et n’en cherche pas la démonstration dans les lois de l’ostéogénie. C’est ce que nous avons täché de faire. Une circonstance principale de la question que nous traitons est de déterminer le mode d'ossification de l'os malaire et le nombre de noyaux osseux qu'il présente primitivement. Eysson (2) prétend que chez l'enfant les os de la mâchoire supérieure ne - présentent point ou presque point de différence d’avec ce qu'ils (1) Leçons d'anatomie comparée de G. Cuvier, 2° édition, par MM. Fr. Cuvier et Laurillard. Paris, 4837, €. I, p. 381. (2) In infantibus ossa nullam aut saltem exiguam ab adultis agnoseunt discre- pantiam, — De ossibus infantis, cap. 3. DE LOS MALAIRE. 31 sont chez l’adulte. Kerkring fait remarquer avec justesse qu'il ne faut pas étendre cette proposition jusqu'au fœtus (1). Ce qu'il ya de certain, c’est que Kerkring, Mayer, Portal, Nesbitt, Senf (2), font développer le malaire par plusieurs points osseux ; et ce dernier assure que c’est la portion orbitaire du jugal qui présente le premier noyau d’ossification (3). Au troisième mois, suivant Kerkring, le malaire est osseux, fertio mense jam osseum. Mayer et Portal parlent de la même manière; mais c’est la portion inférieure ou maxillo-zygomatique qui présente le pre- mier point d’ossification. De cette différence dans les observations de ces célèbres anatomistes, il faut peut-être en conclure que l’os malaire a manifestement deux points d’ossification, et qu'ils ne paraissent pas simultanément, C’est tantôt la pièce supérieure ou l'orbitaire qui se montre la première, et tantôt l’inférieure ou sus-maxillo-zygomatique qui se manifeste d’abord par un point osseux (4). Nous espérions trouver d’une manière sûre la solution de la question dans le Mémoire si vanté de Béclard sur l’ostéose, et l’on est tout désappointé de voir qu’il se borne à dire « que les (1) Ad id saltem ætatis non esse extendenda. — Theodori Kerkringii, Opera omnia anatomica, etc. Lugduni-Batavorum, 1729 ; Ostegenia fœtuum, p. 233. (2) Nonnulla de incremento ossium embryonum in prümis graviditatis mensibus. Halæ, 1801. (3) In undecima hebdomade parvuli ossis vestigium filiforme inter maxillæ supe- rioris et ossis frontis externam partem invenimus (tab. 1, fig 5) in medio margi- nis orbitalis, oscescere incipit. Prima ejus figura semilunaris est ; undique mem- branis cireumdatur. Aptiorem ossis hujus figuram duodecima habemus hebdomade (tab. 1, fig. 7). Altitudo lineam mediam superat, sed latitudo adhuc parva est. Inferior finis processui zygomatico longo ossis maxillaris superioris ( vid. $ 41) Innititur et cum minimo processu posteriori apicem processus zygomatici { vid. $ 30) fere tangit. Totum os versus os frontis adscendit, quocum membranis con- jungitur. At figuram talem nondum habet, qualem paullo post perspicimus. Nil præter ossiculum rarum semilunare repræsentat, marginem orbitæ externum for- mans. — $ 55. (4) D'après Béclard, les os malaires se développent par un seul point d'ossifi- cation au 45° jour de la grossesse ; d'après Meckel, au commencement du 3° mois, et, d'après Senff, dans la 11° semaine seulement. Ils sont presque complets chez les fœtus à terme ; seulement les surfaces arti- culaires et les bords ne sont pas dentelés.—Hildebrandt et Weber, Anat., vol. IL. 52 BRESCHEY. — SUR LES ANOMALIES os, nasaux commencent à s’ossifier avant le quarante-cinquième jour chacun par un point, et que les os jugaux s’ossifient à la même époque et de la même manière (1). » On pourrait désirer des faits plus précis et plus rigoureux ; mais, malgré l'obscurité qui reste sur ce point d’ostéogénie, il parait certain que l’os malaire est formé de plusieurs noyaux os- seux primitifs ; et le fait une fois bien constaté, comme nous ve- nons de le voir, et par des autorités imposantes, nous pouvons expliquer le mode de formation des deux pièces dont est constitué l'os malaire chez quelques sujets humains et sur un grand nombre de mammifères. C’est la présence des deux pièces qui donne à l'orbite une paroi externe, c’est l’absence de la portion orbitaire qui fait que cette cavité est dépourvue de paroi externe, ainsi qu’on le voit chez beaucoup d'animaux. L'histoire des évolutions organiques, et l’anatomie comparée, donnent donc des lumières suflisantes pour expliquer cette dis- position de l’os malaire, qui présente parfois deux portions dis- tinctes et régulières dans leur forme, leurs rapports, leurs arti-- culations, etc, J'ai examiné un grand nombre de squeléttes de fœtus humains que j'avais fait préparer et déposer dans les collections de notre Faculté; j'en ai étudié d’autres appartenant à divers musées na- tionaux et étrangers; enfin j'ai disséqué plusieurs fœtus très jeunes que je conserve dans l'alcool, et sur la très grande majorité je n'ai vu qu'un seul point d’ossification à l’os malaire : seulement, avec ce noyau primitif, très souvent j'ai reconnu que les angles de cet os, et surtout l'angle orbitaire, étaient encore cartilagineux, et plusieurs fois je l’ai vu s’ossifier d’une manière distincte de la partie inférieure de los. Dans un petit nombre de cas, j'ai dé- couvert deux points d’ossification, et parfois j'ai rencontré trois noyaux séparés à l'os molaire de ces fœtus. J'ai fait dessiner quelques uns de ces cas, et j'en donne ici la figure (PI. 7). D'après toutes ces considérations, on peut conclure : 1° Que l'os malaire ou os de la pommette, jugal ou zygomatique, (1) Nouveau Journal de médecine, chirurgie, pharmacie, ele., t. IV, p. 329. Paris, 4849. DE L'OS MALAIRE. 39 est parfois divisé en deux ou trois portions par des sutures, dans l’homme, quelques quadrumanes, et beaucoup d’autres mammi- fères ; 2 Que celte séparation, qui parait être une anomalie ou mon- struosité, rappelle une disposition normale chez beaucoup de ver- tébrés, et s'explique par la persistance distincte des pièces ou noyaux osseux dont cet os est composé primitivement; 3° Que la structure de l’homme paraît, dans ses formes et le nombre des pièces du squelette, se rapprocher beaucoup plus, soit dans les parties molles, soit surtout dans les parties du nez, de celle des animaux. Lorsqu'on étudie les dispositions organiques dans un âge plus tendre, et particulièrement pendant la période de la vie intra- utérine, alors on découvre de nombreuses preuves de l'unité de plan des formations organiques. Beaucoup de prétendues anomalies ou monstruosités ne sont réellement que la persistance d’un état antérieur, commun à beau- coup d’animaux pendant la vie intra-utérine, état qui disparaît avec l’âge ou qui se modifie grandement dans beaucoup d’ani- maux. Ces modifications peuvent devenir des caractères dont les zoologistes tireront grand parti. L'étude attentive du dévelop- pement des organes chez le fætus de l’homme et des animaux est donc une source féconde de lumière pour la zoologie et l’anatomie pathologique. EXPLICATION DES PLANCHES. PLANCHE 7. Fig. 4. Portion de tête du squelette d'un Savoisien. On reconnaît que cette tête a été réduite de beaucoup. a — portion orbitaire de l'os de la pommette. b — portion inférieure du même os; ces deux pièces s'articulent avec l'a- pophyse zygomatique du temporal. Fig. 2. Tête du squelette d'un fœtus humain. c — partie inférieure de l'os de la pommette. d — partie moyenne de ce même os malaire. e — partie supérieure du même os malaire, s’élevant vers la partie supé- 3° série. Zoo. T. 1 (Janvier 18%). 3 3 Fig. Fig. Fig. BRESCHET. — SUR LES ANOMALIES rieure et externe de l'orbite , et allant compléter la portion externe de la base de l'orbite. 3. Tête de fœtus humain. k — portion interne et inférieure de l'os de la pommette d’une tête de fœtus humain. 1 — portion externe du même os s’articulant avec la pièce précédente, avec la portion inférieure de l'os de la pommette, et avec le sommet de l'os de la pommette. m— portion supérieure ou apophyse orbitaire de l'os de la pommette. 4. Cette figure représente la tête d'un fœtus humain anencéphale. n— portion malaire ou inférieure de l'os de la pommette. On voit que cette pièce inférieure est placée entre l'extrémité de l'apophyse de l'os maxil- laire supérieur et le sommet de l'apophyse zygomatique. o — portion orbitaire de cette même apophyse. p — partie interne de l'apophyse , formant le contour interne de l'orbite. Cette portion contribue à former l'orbite, et en avant à constituer la partie interne de l'os de la pommette. 5. Tête d'un fœtus femelle humain anencéphale. q — portion zygomatique faciale de l'os de la pommette. r — portion interne et supérieure de ce même os jugal, concourant à former la partie la plus interne des parties qui sont dans l'os jugal. Fig. 6. Tête d'un fœtus de Sixce caziricue ( Simia sabæa ). Fig. On voit que l'os de la pommette est formé de quatre pièces : une supé- rieure, une inférieure, et deux médianes. f— portion zygomato-maxillaire, allant de l'os temporal à l'os maxillaire supérieur. On doit voir que cette pièce est la plus constante. g — apophyse orbitaire, s'articulant avec le frontal. h — i — les deux pièces du centre : l'interne allant à l'orbite , et l'externe formant un bord où vient s'insérer l'aponévrose externe du muscle tem- poral. , 7. Partie antérieure de la tête du Since cauuirricue (Simia sabæa ). y — z — os de la pommette. La partie inférieure est en rapport en dedans avec le maxillaire supérieur , en dehors avec l'apophyse zygomatique, et en haut avec l’apophyse orbitaire. w — l'apophyse orbitaire, s'articulant avec la pièce précédente en bas ; en dedans avec l'os malaire, en haut avec l'os frontal : c’est l'apophyse orbi- taire. Ces deux portions sont bien distinctes ; une d'elles limite en dedans la cavité orbitaire, et en dehors la fosse temporale. . 8. Asouarre (Simia seniculus ). u — la pièce inférieure qui représente l'os de la pommette et qui s'articule, par son bord supérieur, eu dehors avec le sommet de l'apophyse zyg0- matique, et en dedans avec toute la base dela portion orbitaire. En dedans DE L'OS MALAIRE. 35 et en bas, cette première portion s'articule ayec l'os maxillaire supérieur, et en dehors elle forme l’arcade zygomatique. y — la portion orbitaire qui va s'unir à l'os frontal. Fig. 9. Jeune tête du StenToR NIGER. t —— os de la pommette, s’articulant avec l'os maxillaire supérieur et avec le sommet de l’apophyse zygomatique. © — apophyse orbitaire, s’articulant , par sa base , en ayant avec l'os maxil- laire supérieur, en arrière avec l'os malaire et l'apophyse zygomatique, et par le sommet avec le frontal. Le bord interne forme le contour de l'or- bite, et l'externe donne attache à l'aponévrose du muscle temporal. PLANCHE 8. (Toutes les figures de celte planche sont réduites de beaucoup, et diversement. ) Fig. 4. Tête du FourmLuier ( Myrmecophaga ). a — 0s malaire ou portion la plus constante de l'os, s’articulant en dehors avec l'apophyse zygomatique , et en dedans avec l'os malaire ét une pièce osseuse. b — petite pièce osseuse située dans le point de réunion de l'apophyse zygo- matique et l'os malaire. c — pièce osseuse placée entre l'os maxillaire et le frontal. Fig. 2. Tête d'Onverénore (Orycteropus), Myrmecophaga capensis. d— os malaire. e — portion placée entre l'apophyse zygomatique et l'extrémité externe de la portion malaire. Fig. 3. Tête de Tawanomm ( Myrmecophaga jubata , Buff. ). k — sommet de l'opophyse zygomatique resté libre. 1 — portion osseuse représentant l'os de la pommette, l— portion osseuse dirigée et saillante en arrière, et paraissant appartenir à l'os malaire. Fig. 4. Tête de Castor ( Castor fiber). h— l'os malaire. —i— portion osseuse placée entre l'os malaire et le corps du maxillaire supérieur. Fig. 5. Tête de Porc-érrc D'Asre ( Hystriæ cristala ). A [— 08 malaire s'arliculant en arrière avec le sommet de l'apophyse zyge- matique —g— et en avant avec une seconde portion malaire qui se pro- longe en haut pour aller s'unir à l'orbitaire. Souvent nous avons trouvé à la hauteur de l'os malaire une petite suture indiquant que cette portion se terminait en bas, sans se continuer avec la portion g. Fig. 6. L'Uxau ( Bradypus didactylus ). m—0s malaire, ne s'articulant que par sa partie moyenne et supérieure avec l'os maxillaire supérieur. n — extrémité inférieure de cet.os malaire libre, dépassant de beaucoup le 36 DUVERNOY. — SUR UNE MACHOIRE niveau de l’arcade de la mâchoire inférieure, et portant une pièce osseuse distincte , une sorte d'épiphyse. ; o— extrémité externe de cet os malaire, libre et présentant aussi une por- tion osseuse libre, séparée du sommet de la portion zygomatique. Fig. 7. Tête d’Aï ( Bradypus tridactylus ). p — os malaire dépassant en haut l'orbite, qui est surmontée 4 — d’une portion osseuse. r — son extrémité inférieure , dépassant en dehors et en bas l'os maxillaire supérieur, vient sur la face externe de la mâchoire inférieure faire une saillie en pointe, sur laquelle on voit une épiphyse. Fig. 8. Tête d'Hiwwrororame (Hippopotamus amphibius, L.) considérablement réduite, et dont les parties antérieure et inférieure n'ont pas été représentées. s— portion postérieure de l'os malaire. t — portion antérieure ou maxillaire du même os. SUR UNE MACHOIRE DE GIRAFE FOSSILE DÉCOUVERTE A ISSOUDUN { Départément de l'Indre). NOTES communiquées à l’Académie des Sciences, Séauces des 45 mai et 27 novembre 1845; Par M. DUVERNOY. $ 1°. — Première communication, du 19 mai 1843. Chaque jour la science nouvelle des fossiles organiques , cette science fondée à la fois par l'esprit analytique , la critique sévère ” dans l’appréciation des faits, et les connaissances approfondies de G. Cuvier en ostéologie comparée, révèle au monde savant l’exis- tence de quelque espèce d’être inconnue parmi celles de l'époque actuelle. On est pour ainsi dire familiarisé avec ces découvertes qui nous montrent comme ayant vécu dans nos latitudes où même bien plus au nord, des espèces qui n'existent plus que dans les climats brülants des tropiques. Parmi ces restes d'animaux fossiles de la zone torride qui ont été retrouvés en fouillant le sol de la France, il n’en est peut-être pas de plus étrange que celui dont je vais entretenir un instant l’Académie, Il appartient au genre Girafe et à une espèce qui différait, par DE GIRAFE FOSSILE, 37 plusieurs caractères bien tranchés, de l'espèce vivant actuellement dans les contrées tropicales de l'Afrique. La mâchoire inférieure, assez complète et assez bien conservée, que je mets sous les yeux de l’Académie, m’a permis de faire avec certitude, d’après les données actuelles de la science , cette sur- prenante détermination. Cette mâchoire a été découverte etrecueillie au mois de décembre dernier, dans la ville d’Issoudun , département de l'Indre , par les soins de M, Sartin, lieutenant commandant la gendarmerie de cette ville, qui l’avait adressée à M. de la Villegille, secrétaire du comité historique pour les monuments écrits de l'histoire de France. M. de la Villegille, par l’intermédiaire duquel j’ai eu l’occasion de déterminer et de décrire ce précieux reste fossile, a bien voulu me communiquer, dans une note écrite, les détails suivants sur les circonstances de cette découverte. « La ville d’Issoudun (ainsi que s’exprime dans cette note M. de » la Villegille) renferme une tour ou donjon qui date du xur° siècle, » et dont les fondations recouvrent une chapelle et d’autres con- » structions antérieures de plusieurs siècles. C’est dans un puits » placé dans une sorte de cour, derrière le chevet de la chapelle, « que des fouilles exécutées, au mois de décembre dernier, ont » amené la découverte de la mâchoire en question. » Ce puits a une profondeur de 20 à 21 mètres au-dessous du » sol primitif de la chapelle; la partie supérieure présente un revé- » tement en maçonnerie, d'environ 4 mètres de hauteur; le reste » est creusé dans le roc. Ce puits s’élargit à sa base et forme un » bassin alimenté par une source abondante. » Cette mâchoire a été trouvée dans l’eau, avec ‘des débris de » seaux et divers ustensiles de formes particulières. » Le puits était entièrement comblé; mais le remblai n’a pu » avoir lieu qu’à une époque rapprochée, car, à la profondeur de » 16,60, on a rencontré un ornement en argent, dont le dessin » €t la forme des lettres de l'inscription indiquent le xv° siècle: et, » à 18 mètres, des jetons en cuivre, aux armes de France ef de » Dauphiné, qui, pour la forme des lettres et de la légende, appar- 38 DUVERNOY. — SUR UNE MACHOIRE » tiennent à la même époque. [ls ne sauraient d’ailleurs remonter » au-delà de la seconde moitié du x1v° siècle, puisque le Dauphiné » füt uni à la France en 1349. » Quoiqu'il soit très probable que ce fossile provienne du sol même où ce puits a été creusé, il faut avouer que les circonstances de sa découverte ne le démontrent pas indubitablement. 11 sera sans doute nécessaire de faire des recherches ultérieures dans le sol même où ce puits est situé, afin de bien déterminer la nature de ce terrain, et de voir s’il ne recélerait pas les autres parties du squelette auquel cette mâchoire a appartenu. On pourrait sans cela supposer qu’elle a été prise dans une autre localité et jetée avec les déblais qui ont servi à combler ce puits au x1v° ou xv° siècle. Dans cette dernière hypothèse , à laquelle il serait juste d’objecter l’état de conservation de cet osse- ment fossile , il faudrait chercher à Issoudun, ou non loin de cette ville, la couche de terrain tertiaire , d’alluvion ou de diluvium , qui renfermait ce précieux monument de l’organisation antédilu- vienne, G. Guvier a déjà donné une sorte de célébrité au département de l'Indre, sous le rapport des ossements fossiles. Après avoir décrit ceux d’un genre de Pachydermes voisin des Tapirs, qu'il à nommé Lophiodon , lesquels avaient été déterrés près du village d'Issel, département de l’Aude, il détermine, dans la même sec- tion de son grand ouvrage sur les ossements fossiles, quatre espèces de ce genre, découvertes à Ærgenton, petite ville du département de l'Indre , sur la Creuse. Ces derniers ossements étaient enfouis dans une marne durcie, encore remplie de Planorbes, de Limnées et d’autres coquilles d’eau douce. « Une seule de ces quatre espèces, » ajoute G. Cuvier, peut être considérée comme identique avec » une de celles trouvées à Issel, et, comme à Issel, ces restes fos- » siles sont accompagnés de Crocodiles et de Triomiæ , c'est-à- » dire d'animaux dont les genres sont aujourd’hui confinés dans » les rivières de la zone torride (1). » Il ne serait pas impossible que le fossile sujet de ce Mémoire (1) Recherches sur les ossements fossiles, t. I, d'° partie, p. 488 et 194. DE GIRAFE FOSSILE. 39 appartint au même terrain marneux à la surface duquel coulerait la source du puits de la tour d’Issoudun. Les fouilles ultérieures, qui pourront être faites incessamment , me mettront à même d'apprendre bientôt à l’Académie, j'ai lieu de l’espérer, la solution de cette question. Il me reste à justifier ma détermination par une description détaillée et comparative de cette mâchoire inférieure. Un premier coup d’œil y fait reconnaître facilement les carac- tères d’un ruminant de grande taille. Les deux branches en sont séparées. Cinq molaires existent du côté droit (fig. 3); il n’y a que la petite molaire qui manque, tandis que du côté gauche ( fig. 2) cette même dent et la suivante n'existent plus. L'extrémité de la branche droite a été brisée au niveau de l’al- véole de l’incisive interne. Un plus grand bout de cette extrémité a été conservé dans la branche gauche. On y voit des portions d’alvéoles des trois incisives externes (fig. 2 et 6), qui nous four- nissent un caractère essentiel sur lequel je reviendrai. Ici je fais simplement remarquer que les dents incisives man- quent des deux côtés. Le contour de l’angle postérieur de chaque branche a été assez fortement ébréché. Les :apophyses coronoïdes sont brisées, mais plus du côté droit que du gauche, et la face articulaire du con- dyle échancrée, surtout dans la branche gauche. Au premier coup d’œil, cette mâchoire m'avait paru être celle d’une grande espèce de Cerf. J’en jugeai ainsi par sa forme grêle et par la présence d’une petite colonne que j'avais remarquée entre les deux demi-cylindres dont se compose la première mo- laire permanente. Cependant j'avais saisi dès ce moment le carac- tère différentiel suivant : cette antépénultième dent avait seule cette petite colonne; la dernière molaire et sa pénultième en man- quaient, tandis qu’elles en sont pourvues dans les Cerfs. D'autres différences caractéristiques se présentèrent bientôt à mes observations entre la mâchoire inférieure de la plus grande espèce de ce genre que j'aie été à même de comparer, celle d’un Élan, et la mâchoire inférieure fossile que j'avais sous les yeux. 40 DUVERNOY. — SUR UNE MACHOIRE Ayant comparé, en premier lieu, ces deux màchoires dans leur forme générale, nous avons d’abord remarqué que la mächoire de l’Élan présente un talon descendant à l’angle postérieur de chaque branche, qui ne paraît pas avoir existé dans la mâchoire fossile. L La portion sans dent, entre l’incisive externe et la petite mo- laire, est plus grêle dans celle-ci et plus aplatie. La surface arti- culaire, par laquelle chaque branche se joint par son extrémité à celle du côté opposé, est un peu plus longue. Le trou sous-mentonnier est vis-à-vis de la ligne qui partage- rait cette articulation dans sa longueur, et même un peu en avant ; tandis que dans l’Élan il est, pour une partie du moins de son diamètre, un peu en arrière de cette articulation, Sa position re- culée dans cette espèce, et très avancée dans la mâchoire fossile, est très caractéristique. Enfin la dernière molaire est sensiblement plus éloignée du condyle dans celle-ci que dans la mâchoire de l'Élan. 2 Les différences que présentent les dents ne sont pas moins remarquables. La dernière molaire, dans l’Élan, a son troisième cylindre complet et exactement de même forme que les deux précédents. Il est moins grand à proportion dans la mâchoire fossile, et l’on n'y distingue pas bien la portion interne dont se composent les deux premiers cylindres; elle n’y est tout au plus qu'à l’état ru- dimentaire. La deuxième et la troisième molaire de remplacement sont plus épaisses dans notre mâchoire fossile; elles sont plus longues dans l’Élan. Cette dernière a, dans le même animal, son second CY- lindre beaucoup plus grand dans l'Élan que dans la mâchoire fos- sile, où il est très petit. La face externe de toutes les parties de ces dents, que nous désignons comme des cylindres, s'approche plus de cette forme, dans cette dernière mâchoire, que dans l’Élan, où elle est plus saillante , et tend à former une arête, du moins dans les trois mo- laires permanentes, Du côté interne, chaque face correspondant à un demi-cylindre externe, dans l'Élan, présente deux enfonce- DE GIRAFE FOSSILE. a ments séparés par une convexité médiane verticale, et une seconde arête postérieure repliée au-dehors, et ayant l’air de recouvrir, comme une tuile, le bord antérieur du demi-cylindre suivant, Cette apparence est très sensible lorsqu'on envisage la série des dents par leur face triturante, Dans notre mâchoire fossile, cette forme ne se voit qu'au som- met de la couronne, et la convexité de chaque demi-cylindre ne tarde pas à s'étendre dans toute cette face , sans être limitée par deux enfoncements latéraux. Enfin l’arête postérieure du cylindre antérieur de chaque molaire est seule bien marquée. Il y a de plus une arête saillante en avant de chaque cylindre antérieur, un peu bas dans la dernière molaire et la pénultième, plus élevée dans l’antépénultième. On en voit aussi deux au-dessus l’une de l’autre dans la troisième molaire de remplacement, dont la supérieure, plus petite, est plus en dedans. Je trouve encore cette arête dans la seconde de ces dents. Rien de semblable n’existe dans l’Élan. On trouve encore, dans notre mâchoire fossile, des traces d’une semblable arête à la partie correspondante de la face externe de la seconde et de la troisième molaire de remplacement, de la pénultième et de la dernière molaire ; il n’y a que l’antépénul- tième , si caractéristique par la colonne qu’elle présente entre les deux demi-cylindres externes, qui soit dépourvue de cette arête. L'Élan ,; Comme toutes les espèces de Cerfs, comme les Anti- lopes , comme tous les Ruminants, la Girafe seule exceptée, ainsi que l’avait déjà remarqué G. Guvier (1), a l’incisive externe plus petite que la moyenne. Si l’on en juge par les alvéoles qui subsis- tent dans la branche gauche de notre mâchoire fossile , l’incisive externe devait être au contraire de beaucoup la plus grande. Les différences que nous venons d'indiquer distinguent notre mâchoire fossile, non seulement de l’Élan , mais encore des autres espèces plus petites du genre Cerf que nous avons pu examiner. J'ai trouvé, au contraire, entre la mâchoire inférieure de la Girafe et celle fossile les plus grands rapports génériques, Il n'existe (1) Ossements fossiles, &. LV, p. 12 DUVERNOY. — SUR UNE MACHOIRE entre ces deux mâächoires que quelques différences spécifiques. Cette double comparaison des ressemblances et des différences de l’une et de l’autre mâchoire m'a convaincu que j'avais sous les yeux celle d’une espèce détruite du genre Girafe. C'est ce qu’il me reste à démontrer en détail. Disons d’abord quelques mots de l’âge de notre Girafe fossile , à en juger du moins d’après son système de dentition. Elle avait toutes ses dents mâchelières, c’est-à-dire six de chaque côté. La seconde et la troisième molaire de remplacement sont très peu usées, surtout la première, qui a encore son bord interne pointu. La dernière molaire est également peu usée. J’en conclus que l’individu auquel cette mâchoire a appartenu était adulte, mais encore jeune, quand il a péri, et que la Girafe fossile était une espèce moins grande que celle actuellement vivante en Afrique. Cette dernière conclusion est une conséquence de la comparai- son que nous ferons plus bas des dimensions respectives de leurs mâchoires. Je vais à présent comparer plus particulièrement le système dentaire de l’une et de l’autre espèce. J’examinerai ensuite la forme de ces mächoires et leurs dimensions. Un caractère qui m'a frappé au premier coup d’æil, et qui existe seulement dans la Girafe, la petite colonne qui se voit à la face externe de la pénultième molaire , entre les deux demi-cylindres , et seulement dans cette dent à l'exclusion des autres, est très remarquable dans la Girafe fossile (fig. 2, n° 4, et fig. 4). Les demi-cylindres de la face externe de chaque molaire ont une grande conformité dans les deux Girafes , et les différences qui s'observent à cet égard dans les numéros de ces dents et de ces cylindressont les mêmes, à très peu de chose près, dans l’une et dans l’autre. Je compare, à la vérité, une mâchoire de Girafe d’Afrique ayant appartenu à un individu dont les dents, un peu plus usées que celles de l’individu fossile, indiquent qu'il était plus âgé. Les trois demi-cylindres de la dernière molaire ont les mêmes DE GIRAFE FOSSILE. B] proportions , la même forme, extérieurement et dans leur surface triturante, sauf les différences qui proviennent de l'usure. Les deux de la pénultième sont un peu en crête vers le haut ; dans l’une et l’autre espèce. De même, le premier cylindre de l’antépénultième à sa surface triturante plus arrondie, et le second plus triangulaire. L'une et l’autre espèce ont encore le second cylindre petit, pro- portionnellement au précédent, dans la seconde et dans la pre- mière vraie molaire de remplacement. Une crête qui existe en avant du cylindre antérieur, du côté externe de la dernière molaire et de la pénultième, à une hauteur plus considérable dans cette dernière, ne se voit plus, dans l’es- pèce vivante, dans cette même pénultième dent; on en raies une trace daté la dernière molaire. La face interne de la série des molaires , que nous avons dit montrer quelques différences qui la distinguent de l’Élan et du genre Cerf, est de même très conforme dans nos deux espèces de Girafe. De ce même côté interne, le demi-cylindre moyen de la der- nière molaire est séparé du demi-cylindre postérieur par un petit rebord. Ce rebord appartient, en bas, au cylindre moyen de cette dent, et se trouve plus réuni, vers le haut, au petit demi-cylindre postérieur, C’est cette partie que nous avons déjà indiquée comme un rudiment de la portion interne si développée et si distincte des deux autres cylindres de là même dent et de ceux des autres dents. Il y à encore, vers le haut, un rebord saillant dans le côté postérieur du demi-cylindre antérieur de la même dent. On en voit un, également dans la même position, dans toutes les dents précédentes, c’est-à-dire la quatrième, la troisième et la deuxième. L'extrémité postérieure du croissant que forme la coupe du se- cond demi-cylindre externe de la pénultième et de l’antépénul- tième molaires pénètre entre chacune de ces molaires et la sui- vante, et apparaît à la face interne comme une crête postérieure qui caractériserait ces dents. nn DUVERNOY, — SUR UNE MACHOIRE Les crètes si remarquables qui se voient en avant de chaque molaire, dans cette même face interne, existent dans les deux espèces. Enfin, pour compléter ces ressemblances, je crois devoir ré- péter ici que l’alvéole de l’incisive externe , qui subsiste dans la branche gauche de la mâchoire fossile, a une très grande pro- portion, en rapport avec la dent qui s’y trouvait implantée, et qui distingue si nettement le genre Girafe de tous les autres genres de Ruminants. Cette dent, qui n’a pas été conservée dans notre mâchoire fos- sile, se distingue , dans la Girafe d'Afrique, non seulement par ses dimensions considérables, mais encore par son tranchant au moins bilobé ou même semi-trilobé , c’est-à-dire divisé en deux grands lobes, dont l’externe peut être encore sous-divisé, Quant aux différences que présentent les dents mächelières dans l’une et l’autre espèce, on jugera facilement par leur exposé qu’elles ne sont que spécifiques. La troisième molaire de remplacement a une forme carrée, très épaisse de dehors en dedans, dans la Girafe d'Afrique, qui.n'est pas aussi marquée dans la Girafe fossile : aussi l'émail de la cou- ronne du second cylindre de cette dent est-il un peu plus compliqué dans la première de ces espèces. . La seconde molaire de remplacement est aussi plus épaisse dans la Girafe d'Afrique. Le premier demi-cylindre, vu par sa face externe, est séparé en deux par un enfoncement dont on ne voit qu'une légère trace dans la Girafe fossile, La seconde molaire de remplacement forme , dans la Girafe d'Afrique, par sa face interne, deux cylindres très distincts, qui correspondent à chaque racine, et qui ont les mêmes dimensions. Cette dent, vue du même côté, a une forme très différente dans la Girafe fossile, qui se rapproche davantage de la forme de la suivante. Il y a un grand demi-cylindre antérieur, aplati, et un posté- rieur beaucoup plus petit. La couronne de ces deux dents présente à sa face triturante des différences correspondantes , même en tenant compte de celles DE GIRAFE FOSSILE. US que l’usure un peu plus avancée de cette couronne, dans l’exem- plaire de la Girafe d'Afrique que nous avons pris pour sujet de comparaison. Mais il paraît diflicile de faire comprendre ces dif- férences dans une description écrite; il faut qu’elle soit figurée pour les rendre évidentes. Le demi-eylindre antérieur des deuxième et quatrième molaires montre en arrière, dans la Girafe d'Afrique, une petite racine outre la principale de ce côté: il y en a aussi une, en dedans, du côté gauche seulement, dans la seconde molaire de remplacement, Enfin, dans la Girafe d'Afrique, l'émail présente des sillons flexueux, irréguliers, ou plutôt des cannelures que ces sillons li- mitent. Ces cannelures, plus saillantes à la face externe des dents qu’à leur face interne , se dirigent de haut en bas et de la partie la plus convexe des demi-cylindres de chaque dent vers les côtés, en se ramifiant ou se divisant et se rejoignant à diflérentes re prises. Une lame colorée en brun revêt l’émail de ces dents, sur- tout du côté externe, et subsiste plus longtemps dans les parties enfoncées qui séparent les cannelures. On en voit encore quelques traces dans la Girafe fossile, qui présente les mêmes caractères : on les observe d'ailleurs, mais moins prononcés, chez beaucoup de Ruminants, ainsi que la lame colorée qui vient d’être indi- quée. Nous ajouterons à ces détails les dimensions en longueur des dents correspondantes de l’une et de l’autre espèce. DIMENSIOXS EX LONGUEUR. GIRAFE D'AFRIQUE.| GIRAFE FOSSILE. LE TURN RSR ENTRE PE , 07,025 0",023 Re eu ce de leurre fe Ve 0 ,028 0 ,025 | TE 0 ,030 0 ,030 DL. EU! OI), #i ana 0,032 0 ,030 GET Le. SOU" D. 0119 -ATE 0 ,042 0 ,039 , Plus grande épaisseur de la 3° molaire. | 0 ,022 0,019 Relativement à la forme des deux mâchoires et aux différences To) DUVERNOY. — SUR UNE MACHOIRE qu'elles présentent sous ce rapport, différences par lesquelles nous terminerons cet exposé, on pourra les saisir d’un coup d'œil en comparant les objets mêmes ou leur figure, et beaucoup mieux que nous ne pourrions les exprimer, dans la description suivante. En général, la mâchoire fossile a des formes plus grêles, son contour est plus rentrant sous le condyle, plus saillant à l’angle postérieur de chaque branche. Son bord inférieur est presque dessiné en «2 renversé, c’est-à-dire qu’il est un peu rentrant en ayant de l’angle, convexe sous les molaires, rentrant en avant des molaires, et assez droit vis-à-vis de la symphise. Ce bord a les mêmes sinuosités moins prononcées dans la Girafe d’Afrique. Le bord supérieur a une fosse large et profonde ( fig. 4, a) en arrière de la dernière molaire, dans la Girafe fossile ; cette fosse est à peine marquée dans la Girafe d'Afrique. Dans celle-ci, la cavité que forment au-dessus de l’angle anté- rieur les deux branches réunies de la mâchoire est plus large; en un mot, l'angle antérieur de la mâchoire est à proportion plus épais. Les mesures ci-après serviront à préciser d’une manière posi- tive quelques autres différences de forme entre ces deux espèces. Le trou sous-mentonnier est distant du bord alvéolaire de l'in cisive externe , de 0",025 dans la Girafe fossile ; de 0,057 dans la Girafe d'Afrique. La symphyse a 0",120 de longueur dans la Girafe fossile, et 0",161 = dans Ja Girafe d'Afrique. La hauteur de la tranthe montante, depuis la partie la plus élevée de l’apophyse coronoïde jusqu'au bord inférieur correspon- dant, est d’environ 0,191 dans la Girafe fossile, et de 0,295 dans celle d'Afrique. La hauteur de la mâchoire, vis-à-vis le cylindre moyen de la dernière molaire, est de 0",047 dans la Girafe fossile, et de 0",063 dans la Girafe d'Afrique. DE GIRAFE FOSSILE. 7 La mâchoire fossile pouvait avoir, depuis le bord postérieur de l'alvéole de l’incisive externe jusqu’à la partie la plus saillante de l'angle postérieur , environ 0",465; je dis, pouvait avoir, parce que, pour cette mesure, j'ai restitué la partie échancrée de cet angle, en partant des contours, qui sont entiers, Dans la Girafe d’Afrique, la même mesure a 0",526. La distance entre le bord postérieur de la mâchoire et la der- nière molaire est de 0",120 dans la Girafe fossile, et de 0,136 dans la Girafe d’Afrique. Celle de la deuxième molaire, au bord alvéolaire de l’incisive externe, est de 0,188 dans la Girafe fossile, et de 0,215 dans la Girafe d’Afrique. Ces dernières dimensions complètent les différences que nous avons remarquées entre ces deux espèces de Girafe, et semblent indiquer que celles de la Girafe fossile étaient à peu près d’un sixième moindres que celles de la Girafe d’Afrique. Nous proposons d'introduire la première dans les catalogues méthodiques sous le nom de GIRAFE D'IssOUuDUN, Camelopardalis Biturigum. d 62. — Deutième communication, du 27 novembre 1843. J'ai eu l'honneur de lire à l’Académie, dans sa séance du 29 mai dernier, une première Vote sur une mâchoire inférieure de grand ruminant, découverte à Issoudun , département de l'Indre, au mois de décembre dernier. Quoique cette mâchoire soit un peu mutilée, que les incisives manquent, ainsi que la première molaire de chaque côté et la seconde molaire du côté gauche seulement, je crois avoir démontré qu’elle présente d’une manière indubitable les caractères du Genre GIRAFE. Ceux qui la distinguent, comme espèce, de la seule espèce vivante, reconnue du moins généralement par les naturalistes, ne sont pas moins incontestables à mes yeux. Je les ai déduits des différences sensibles que m'ont présentées pt) DUVERNOY. — SUR UNE MACHOIRE la forme et les proportions des os, celles de toutes les dents exis- tantes, el plus particulièrement de la deuxième et de la troisième molaire. Cependant, si j'en dois juger par quelques observations qui m'ont été faites verbalement , relativement à l'espèce particulière que j'avais ainsi déterminée, mes convictions n’ont pas été uni- versellement partagées, C’est que, d’un côté, on n'avait peut-être pas été suffisamment frappé des caractères spécifiques que j’annoncais avoir reconnus ; que, de l’autre, le bel état de conservation des os et des dents de la mächoire d’Issoudun, qui ne sont nullement pétrifiés (c’est-à- dire pénétrés de matières terreuses étrangères à leur composition), avaient pu laisser dans le doute quelques personnes très éclairées à la fois et très réservées dans leur jugement, mais qui n’ont pas l'habitude de cette étude spéciale des ossements fossiles. Les renseignements que j'avais pu donner à l’Académie sur le gisement de cette mâchoire au fond d’un puits, sous les déblais qui avaient servi à combler ce puits, à ce qu’on présume dans le x1v° siècle ou le xv° siècle, disposaient quelques esprits à regarder cette mâchoire comme ayant appartenu à un individu de l’espèce encore vivante en Afrique, dont les débris osseux auraient été enfouis dans ce puits à l’époque des croisades. C’est pour jeter quelques lumières sur les points restés douteux dans l'esprit de plusieurs savants, lors de ma première communi- cation, que j'ai sollicité la permission d'entretenir pour la seconde fois l’Académie de ce sujet qui m'a paru l’intéresser. Je ne lui prendrai que peu de temps pour examiner rapide- ment les déux questions zoologique et géologique qu'il comporte, et que je serais heureux de pouvoir diriger vers une solution défi- nitive, au moyen des données nouvelles que je possède en ce moment. Examinons de nouveau, en premier lieu, la question zoologique, savoir : Si la mächoire d'Essoudun « réellement appartenu à une espèce inconnue dans la science et non encore délerminée ? Cette première question se compose de deux autres, qui lui sont pour ainsi dire subordonnées : DE GIRAFE FOSSILE. 9 1° Les individus des collections de Paris et d’autres Musées euro- péens ont-ils des caractères spécifiques identiques ? Et montrent-ils les mêmes caractères différentiels si on les compare à la Girafe d'Ls- soudun ? D N'y at-il réellement qu'une espèce de Girafe vivant au sud , à lorient , à l'occident , et même au centre de l’ Afrique? Je n'ai d’abord établi les caractères différentiels entre la Girafe d'Issoudun et l’espèce d'Afrique , que par sa comparaison avec une mâchoire provenant d'un individu de l’Afrique méridio- nale, dont l’âge se rapprochait beaucoup de celui de Pindividu auquel la mâchoire fossile à appartenu. Ses molaires sont cepen- dant un peu plus usées. Cette usure plus ou moins grande des dents molaires chez les animaux herbivores en général, et chez les ruminants en parti- culier, qui raccourcit enfin la couronne de ces dents, lorsqu'elles ne croissent plus par la racine en proportion de cette usure, et qui peut modifier l’aspect de la partie triturante , fait qu’on ne doit comparer sous ce rapport, pour être très exact, que des dents pro- venant d'individus à peu près du même âge; lorsqu'il s’agit de déterminer ces ressemblances ou ces différences de détails, qui permettent d'affirmer qu’on a sous les yeux des exemplaires appar- tenant à une même espèce ou à des espèces différentes. J'avais trouvé des différences très remarquables , soit dans les dents, soit dans les os, entre ces deux mächoires, différences dont Vensemble m'a paru suffisant pour caractériser deux espèces du même genre. Elles sont imprimées, p: 1148 et 1150 du t. XVI des Comptes-rendus. La plupart frappent au premier coup d'œil , tant celles des os mandibulaires que celles des dents, toutes plus étroites à propor- tion dans la Girafe fossile. J'ai cru pouvoir déduire, de cette première et unique comparai- son détaillée, les conclusions que l’on connaît, dans la présomption qu'il n'existe qu'une espèce de Girafe vivante, quel que soit son lieu d'habitation , au midi , à l’orient et à l'occident , ou même au centre de l'Afrique. 3° série. Zooc. TL (Janvier 1844 ) 4 50 DUVERNOY. — SUR UNE MACHOIRE Mais, depuis ma première communication, j’ai cru devoir mul- tiplier, autant que possible, mes comparaisons et les étendre sura- bondamment aux individus de ces diverses contrées qui existent au Musée de Paris ou dans d’autres collections. Ainsi l'examen de deux autres mâchoires inférieures de Girafe , provenant également de l’Afrique méridionale, m'a montré toutes les différences que la première , de même origine, m'avait déjà fournies, soit dans la forme et la proportion des os, soit dans celles des dents, à part leur usure plus considérable. Des différences également caractéristiques dans les os, pour leur forme et leurs proportions, et dans les dents, existent entre une mâchoire inférieure de Girafe du Sénégal ou de l A frique occi- dentale et celle d’Issoudun. Cette mâchoire du Sénégal provient d’un individu âgé, ainsi qu’on peut en juger par les dents molaires, qui sont très usées. La convexité du bord inférieur de chaque branche mandibu- laire, vis-à-vis la série des molaires, est de même beaucoup moins sensible que dans la mâchoire d’Issoudun. La hauteur de cette branche, vis-à-vis la dernière molaire, est plus grande que dans le fossile, tandis qu’elle est moindre vis-à- vis les deuxième et troisième molaires. La fosse de la branche montante, qui commence derrière la sixième molaire, est aussi beaucoup moins prononcée que dans le fossile. Quant aux dents, la rangée alvéolaire des molaires est sensi- blement plus courte dans celle-ci, au point qu’en plaçant au niveau l’une de l’autre l'extrémité postérieure des deux dernières molaires du même côté, appartenant à chacune de ces deux mâchoires , la deuxième molaire fossile n’atteint que vis-à-vis la troisième mo- laire de l’exemplaire du Sénégal. Dans la comparaison de la forme des dents, autant que j'ai pu en juger malgré l’usure beaucoup plus avancée de celles de la mâchoire du Sénégal, il y a un peu plus de rapports entre elles et celles d’Issoudun qu'entre celles-ci et celles du Cap ; cependant ce rapprochement n'empêche pas qu’il ne subsiste encore des diffé- rences sensibles et spécifiques, outre celles des os mandibulaires , DE GIRAFE FOSSILE. 51 entre les molaires de la mâchoire du Sénégal et les molaires de la mâchoire d’Issoudun. Je ne pourrais guère les faire sentir que par des figures ou par la comparaison des objets eux-mêmes , à l'exception de leur plus grande longueur, qui vient d’être indiquée par celle de tout le bord alvéolaire, dans la mâchoire du Sénégal. La deuxième molaire est plus longue que large dans la mâchoire du Sénégal ; elle est plus grande dans la mâchoire d’Issoudun. La troisième est aussi plus forte dans la mâchoire du Sénégal. Restait à comparer avec la mâchoire fossile celles d’individus provenant de l’4frique orientale. Les collections du Musée de Paris manquant encore de sque- lette adulte de cette contrée, par suite du bonheur qu’on a eu de conserver à la Ménagerie la Girafe de Nubie, qui y vit en bonne santé depuis 1827, j'ai dù avoir recours aux collections étrangères. J'ai envoyé dans ce but à Londres et à Francfort des modèles en plâtre de la mâchoire d’Issoudun , tirés d’un moule très exact, que j'ai fait exécuter par M. Stahl, jeune artiste d’une grande habileté dans ce genre de travail. C’est à l’obligeance et à la science de M. Owen que j'ai eu recours pour la comparaison avec la Girafe de Nubie des collec- tions de Londres. Il s’est empressé de la faire et de m'en envoyer l'intéressant détail, dont j'ai transcrit l'extrait suivant. J'avais prié M. Owen de diriger particulièrement son attention sur les points de comparaison qui, dans celles que j'avais été à même de faire, m'avaient donné des différences. Il les a toutes retrouvées dans la Girafe de Nubie ; il a de plus étendu à l’Élan ses études comparées, ce que j'avais fait en premier lieu pour éta- blir entre l’une et l’autre les différences génériques. Mais la com- paraison de M. Owen fait sentir aussi quelques ressemblances que je n’avais pas exprimées dans ma première Note. Voici les différences indiquées par notre honorable collègue, Il les à réunies dans dix paragraphes. 41° La mâchoire fossile d’Essoudun diffère de celle de Nubie par 52 DUVERNOY, — SUR UNE MACHOIRE une conveæilé plus forte et plus régulière du bord inférieur de la partie occupée par les molaires. Il en est de même des mâchoires des Girafes du Cap et du Sé- négal. 2° Ce qui est dû à la moindre hauteur de la mâchoire fossile vis- à-vis la dernière molaire comparée à la hauteur de celle mâchoire vis-à-vis les deuxième et troisième molaires. Nous avons vu que la hauteur de chaque branche mandibulaire vis-à-vis la dernière molaire était aussi plus grande dans les mâchoires du Cap et du Sénégal , et plus petite vis-à-vis les pre- mières de ces dents. 3 L’enfoncement de la partie antérieure de la branche montante, qui convnence en arrière de la sixième molaire, est moins sensible dans la mâchoire de N'ubie. La même différence se voit dans celles du Cap et du Sénégal. k° La dilatation du bout de la mâchoire pour l'insertion des dents incisives commence, dans le fossile, imimédialement en avant de lorifice du canal dentaire, tandis que dans la Girafe de Nubie ce n’est qu'à un pouce en avant de cet orifice qu'elle se fait sentir. J’ai trouvé fa même différence dans les Girafes du Cap. 5° La distance entre la première molaire et la symphyse est plus grande dans le fossile. 6° La face externe de cette partie de la mâchoire, c'est-à-dire entre la molaire et la symphyse , est plus convexe dans le fossile. Elle est plate et un peu déprimée dans la Girafe du Cap. 7° La hauteur de la branche montante depuis l'angle jusqu'à l'a- pophyse condyloïide, comparée avec la longueur de la série des mo- laires, est moindre dans le fossile. 8 Proportionnément à l'étendue de la série des molaires , le fos- sile a la mâchoire plus courte et une plus courte sympluyse. 9° La dernière molaire est relativement plus petile dans le fossile, el son lobe postérieur est plus petit el plus simple. 10° Les pénullième et antépénultième molaires sont d'une gran- deur plus égale dans la Girafe fossile que dans la Girafe de Nubie. Toutes ces différences, dont celles des trois derniers paragra- phes sont de même très sensibles dans nos Girafes du Cap, con- DE GIRAFE FOSSILE. 53 firment mes premières conclusions, que la mächoire d’Issoudun appartient à une espèce distincte des Girafes originaires de l’est, comme du sud et de l'occident de l’Afrique. Voici encore plusieurs mesures prises par M. Owen sur LA GIRAFE DE NUBIE. LA G. D'ISSOUDUN. L'ÉLAN. ——— Longueur de la branche, montant au niveau de l'ouverture des (0,530 0,460 0,430 EDIT LU Id des symphyses. . . . . . . . 0",150 0",095 Id. du bord alvéolaire des molaires. 0,173 La f « Je n’étendrai pas ma comparaison à des points plus minutieux, » m'écrit M. Owen en terminant sa lettre , « et je conclus en expri- » mant ma conviction que , dans ses caractères les plus essentiels, » le fossile d’fssoudun approche davantage du genre Girafe, mais » diffère d’une manière frappante des espèces existantes du sud » et de l'est de l'Afrique, et que ses déviations tendent vers le » sous-genre Élan. » Ainsi M. Owen irait encore plus loin que moi dans l’apprécia- tion des différences qu’il a trouvées entre la Girafe de N'ubie et le fossile d'Issoudun , et semblerait vouloir les élever à des carac- tères génériques. Les expressions de sa lettre me paraissent aussi manifester l’o- pinion que les Girafes vivantes forment plusieurs espèces. Je n'ai pas de données suffisantes pour approfondir cette ques- tion; mais ce que je vais en dire servira peut-être à mettre sur la voie pour la résoudre. D'après les renseignements fournis par M. R. Owen, je trouve les plus grands rapports dans la forme et les proportions des os mandibulaires et des dents, entre les Girafes de l'est et du midi de l'Afrique. 5 DUVERNOY. — SUR UNE MACHOIRE Il n’en est pas de même de la Girafe du Sénégal; celle-ci a l’angle postérieur un peu descendant, ce qui n’est pas dans les exemplaires du Cap. Le bord alvéolaire des molaires est un peu plus long dans l’exemplaire du Sénégal, quoique la longueur totale de la mâchoire soit moindre. Cette moindre longueur est telle que le tranchant des incisives moyennes n’atteint que l'extrémité postérieure du bord alvéolaire des incisives d’une des mâchoires du Cap, lorsqu'on les met en parallèle, de manière que leur bord postérieur soit au même niveau. Dans les détails de la forme et des proportions de chaque mo- laire, autant que j’ai pu en juger, malgré l’usure bien plus avancée des dents appartenant à la Girafe du Sénégal, j'ai reconnu égale- ment quelques différences entre celles-ci et celles de la Girafe du Cap : elles consistent partout dans leur plus grande longueur re- lativement à la largeur. Ainsi la comparaison de la seule mâchoire inférieure à laquelle je devais me borner pour la question à la fois zoologique et pa- léontologique que je cherchais à résoudre, m'a montré des diffé- rences sensibles entre la Girafe du Sénégal et celle du Cap, diffé- rences qui me paraissent assez importantes pour faire supposer, ° du moins, qu'il pourrait bien y avoir plusieurs espèces de Girafes vivantes, ainsi que le présumait déjà en 1827 M. Gcoffroy Saint- Hilaire (1), qui avait remarqué des différences entre les Girafes du Cap, rapportées par Le Vaillant et par Lalande, pour les couleurs et la taille , et la Girafe de Nubie. À la vérité, des nuances dans la couleur du pelage ou des dif- férences dans la longueur des poils, telles que celles trouvées par M. J. Sundwall entre sept individus du midi de l'Afrique et au- tant du Sennaar et du Kordofan, qu'il a pu comparer, pourraient s'expliquer, ainsi que le pense ce savant, par les différences du climat, En effet, les individus au sud de l’Afrique qui ont été pris du 25 (1) Annales des Sciences naturelles , 1. I, p. 222, et l'article Grrare de M. F. Cuvier fils, qui a paru dans l'Histoire naturelle des Mammifères, 61° livraison, t. VII, in-fol. DE GIRAFE FOSSILE, 99 au 28° de latitude sud, ont le poil plus long ; les taches fauves sont moins prononcées, sur un fond d'un blanc sale; tandis que ceux du Sennaar et du Kordofan, pris entre les tropiques, ont des ta- ches plus fauves, sur un fond blanc plus net ; leurs poils sont d’ail- leurs extrêmement courts (1). Des études multipliées sur beaucoup de têtes, appartenant à des Girafes des diverses contrées de l'Afrique, seraient nécessaires pour décider cette question , sur laquelle il est à désirer que M. de Blainville puisse répandre la lumière, lorsqu'il viendra à la traiter dans son Ostéographie. Je passe à la question géologique de mon sujet. Disons d’abord deux mots de la belle conservation des os et des dents de la mâchoire d’Issoudun. Cette conservation n'a pas dû surprendre les naturalistes qui ont fait une étude particulière des ossements fossiles, Sans parler des mâchoires fossiles de Musaraignes découvertes lan passé par M. Dunoyer dans les environs de Paris, dont les dents ont encore à leur pointe la belle coloration en rouge qui distingue plusieurs des espèces vivantes, je ne citerai qu’un exemple de fossile tout aussi bien conservé, que je prendrai dans mes propres observations. On m'a remis en 1812 une mâchoire inférieure d’Éléphant fos- sile, parfaitement conservée, avec les dents, qui avait été décou- verte dans une argile diluvienne, en creusant le canal du Rhône au Rhin, tout non loin du bief de partage des eaux de ce canal, près de Montreux, arrondissement d’Altkirch, département du Haut-Rhin. J'ai déposé cette mâchoire, en 1827, dans le Musée de Strasbourg, en prenant mes fonctions de directeur de ce Musée. Elle est, je le répète, d’une admirable conservation pour la substance osseuse et pour les dents, et ne le cède en rien, sous ce rapport, à la mâchoire d’Issoudun. Quant à la nature du terrain dans lequel la mâchoire de Girafe d'Issoudun a dù être enfouie, ma première Note lais- (1) Mémoire sur plusieurs Mammifères, extrait des Actes de l'Académie royale des sciences de Stockholm pour 1842, p. 243. 56 DUVERNOY, — SUR UNE MAGHOIRE sait une lacune importante à remplir que je n’ai pas dissimulée. Afin de la faire disparaître autant qu’il serait en mon pouvoir, je me suis hâté d’aller aux renseignements immédiatement après ma communication, Ma Note était du 29 mai : voici ce que m'écrivait, le 20 juin dernier, M. Sartin, lieutenant commandant la gendar- merie à Issoudun, auquel la science aura l'obligation d’avoir re- cueilli en premier lieu, avec le plus grand soin, ce précieux débris de la création antédiluvienne : « J'ai trouvé cette mâchoire fossile dans lé grand bassin du puits » en question, enfouie dans des terres mélangées avec le sol, qui » est du tuf. Les deux gants qui manquaient ont été recueillies » dans le fond de l’eau, à 0",30 de profondeur et dans un banc » de tuf, C’est là où j’espère découvrir les autres parties du sque- » lette auquel cette mâchoire a appartenu. » S'ils n’y étaient pas, ils doivent être à la naissance du roc, » dans le tuf, à l'endroit où le mur du puits était démoli, sur une » hauteur de près de 3 mètres et dans une circonférence de 5 mè- » tres; ouverture par laquelle une quantité de marne tertiaire et » de tuf est tombée au fond de l’eau. » Peu de temps avant d’avoir obtenu de M. Sartin ces derniers renseignements, je m'étais encore adressé, par le conseil de notre honorable collègue M. Dufrénoy, à M. Mangeot, ingénieur en chef des ponts et chaussées du département de l'Indre , qui a bien voulu me répondre dès le 7 de juillet dernier, et me donner dans sa lettre des détails qui m'ont paru assez importants pour les communiquer à l’Académie. «M. Sartin m'a montré le puits au fond duquel il a trouvé la » mâchoire de Girafe fossile, et m'a fait part de toutes ses con- » jectures à cet égard ; mais nous n'avons pu descendre dans ce » puits, faute d'un treuil, D'ailleurs il faudrait préalablement épui- » ser beaucoup d’eau pour reconnaître la terre jaune et le tuf, dans » lesquels il y aurait des recherches à continuer. » La mâchoire de Girafe reposait dans une argile jaune et pres- » que à la surface, puisque c’est en travaillant dans l’eau que les > manœuvres de M. Sartin l'ont saisie avec les mains. » Cette argile formait le fond du puits: et en effet, puisqu ‘le = DE GIRAFE FOSSILE: 99 » retenait l’eau , ceux qui ont fait le puits ont dûù s’arrèter à cette » couche. » M. Sartin avait observé avec étonnement l’élargissement du » puits à la base, et n'a pas hésité d'admettre la préexistence d'une » caverne qu'on aurait régularisée. J'aurais voulu voir cette terre » jaune et vous en adresser des fragments, avec quelque peu du » tuf dont parle M. Sartin ; mais tout cela est enfoui sous une mon- » tagne de décombres, et il n’y a que de nouvelles fouilles qui » puissent permettre d’en trouver ; en même temps qu’on cherche- » rait à suivre la fissure ou la crevasse , dont je suis porté forte- » ment à admettre l’existence d’après les souvenirs de M. Sartin. » Tels sont les détails destinés à servir de supplément, sous le rapport géologique , à ma première communication. L'Académie connaît dès à présent les difficultés qui existent pour en avoir de complétement satisfaisants, et les moyens de lever ces difficultés, que je la supplie de prendre en considération. J’ajouterai, en terminant, qu'à mon passage à Neufchâtel, en Suisse, au mois de septembre dernier, M. Ægassiz m'a fait voir le modèle en plâtre d'une dent incisive de grand Mammifère, dont l'original se trouve dans la collection de M. Nicolet, pharmacien à la Chaux-de-F'omt, dent que notre collègue à déterminée comme étant l’incisive externe d’une Girafe fossile. On y trouve, en effet, les caractères si particuliers de forme et de volume que présente l’incisive externe de la Girafe. M. Nicolet l’a découverte dans un terrain de mollasse. Enfin M. Owen m’annonce dans le P. $. de son intéressante lettre, que le capitaine Cavrcey et le docteur VALEMER ont décou- vert, dans le district inférieur de l'Himalaya indien, deux espèces de Girafes fossiles, enfouies dans le miocene ou terrain tertiaire moyen, avec des restes d'Hippopotames, de Mastodontes, de Siva- therium, etc. Notre savant collègue ajoute qu'il a pu comparer ces fossiles et vérifier l’exactitude des déterminations de ces paléontologistes distingués de l’armée anglaise dans l'Inde. Ainsi, dans ces temps primitifs de notre planète; la Girafe n’6- tait pas restreinte comme à présent à une seule des trois parties de 58 NEWPORT. — SYSTÈME NERVEUX ET CIRCULATOIRE l'ancien continent; elle pouvait encore mesurer dans sa course rapide les plaines et les vallées de l’Europe et de l'Asie. EXPLICATION DES FIGURES (Pzaxcue 2). Fig. 1. Mâchoire inférieure de la Girafe du Berri, Camelopardalis Biturigum, Nob., vue par le haut, Fig. 2. Branche gauche, vue par la face externe. Elle n'a que les quatre dernières molaires. Fig. 3. Branche droite, vue par la face interne. Les cinq dernières molaires sont en place ; la seconde moitié de la cinquième et de la quatrième a été échancrée. (Ces trois premières figures sont dessinées aux 2/5 de la grandeur naturelle.) Fig. 4. Dernière ou sixième molaire, vue par sa face triturante; elle est encore très peu usée. Fig. 5. Quatrième molaire, vue par sa face externe, pour montrer la petite colonne placée entre les deux demi-cylindres. Fig. 6. Extrémité de la branche mandibulaire gauche, montrant les alvéoles des quatre incisives et la grande proportion de l'externe, numéro 4 de cette figure. MÉMOIRE SUR LA STRUCTURE , LES RAPPORTS ET LE DÉVELOPPEMENT DES SYSTÈMES NER- VEUX ET CIRCULATOIRE , ET SUR L'EXISTENCE D’UNE CIRCULATION VASCU- LAIRE COMPLÈTE CHEZ LES MYRIAPODES ET LES ARACHNIDES MACROURES ; PAR M. NEWPORT. (Extrait (1).) Ce Mémoire est le premier d'une série que l’auteur se propose de publier sur l'anatomie comparée et le développement des systèmes nerveux et circulatoire chez les animaux articulés. Son but est en premier lieu d'étudier l'anatomie la plus délicate du système nerveux des Myriapodes et des Arachnides macroures, plus spécialement sous le rapport de la (1) Ce Mémoire important vient de paraître dans la seconde partie des Transac- tions philosophiques de la Société royale de Londres pour 1843 ; il se compose de 60 pages in-#°, et est accompagné de 5 planches. Nous regrettons que le défaut d'espace ne nous permette pas d'en donner ici la traduction, car ce travail paraît avoir été fait avec un grand soin , et renferme une foule d'observations précieuses pour la science. R. DES MYRIAPODES. 59 structure du cordon nerveux et de ses ganglions, et d'en déduire certaines conclusions relatives à la physiologie de ce système et aux mouvements réfléchis ou sympathiques dans les animaux vertébrés. 11 s’est proposé, en second lieu, de démontrer l'existence d’un système complet de vais- seaux circulatoires chez les Myriapodes et les Arachnides, et enfin de signaler l'identité des lois qui règlent le développement des systèmes ner- veux et circulatoire dans toute la série des animaux articulés, ainsi que la dépendance de ces systèmes relativement aux changements qui ont lieu dans les appareils musculaire et tégumentaire , dépendance qu'il a déjà signalée dans un mémoire antérieur, en traitant des changements qui se manifestent dans le système nerveux des Insectes. La première partie de ce mémoire a pour objet le système nerveux. On y donne une description de ce système chez les Chilognathes, que l’auteur a été amené, d’après ses précédentes recherches, à considérer comme l’ordre le plus inférieur des Myriapodes et se rapprochant beaucoup des Annélides. 11 décrit les différentes formes que présente le système nerveux dans les principaux genres de cet ordre , dont les plus parfaits semblent se rattacher d’un côté aux Crustacés, et de l’autre aux vrais Insectes. Passant de cet ordre aux Géophiles , dernière famille des Chilopodes, qui présen- tent encore le type vermiforme, il décrit le système nerveux de ces ani- maux ainsi que celui des Arachnides à queue , des Scorpions , des Scolo- pendres, des Lithobies et des Scutigères, dont la dernière tribu relie les Myriapodes d’un côté avec les Insectes vrais, et de l’autre avec les: Arachnides. A l'état adulte, le cerveau des Myriapodes ne parait formé que de deux paires de ganglions, dont la première donne naissance aux nerfs anten- naires , et la seconde aux nerfs optiques ainsi qu'au collier œæsophagien ; mais dans l'embryon d'un de ces animaux (le Vecrophlæophagus longi- cornis), M. Newport y a reconnu quatre paires de ganglions correspon- dants à un nombre égal d’anneaux, qui se réunissent alors pour constituer la portion mobile de la tête. La chaîne ganglionnaire sous-æsophagienne est de même volume dans toute la longueur du corps; dans le Julus ter- restris, On y compte 96 renflements gangliformes, extrêmement rappro- chés entre eux ; dans un nouveau genre de Géophiliens (le Gonibregmatus), ce nombre s'élève à 160, tandis que dans les Scolopendres il n’y en a que 23. L L'auteur donne une attention toute spéciale à la structure du cordon et de ses ganglions, ainsi qu'à leur développement, pendant la croissance de l'animal. Dans la forme la plus inférieure des Iulides, chez laquelle les ganglions sont très rapprochés les uns des autres et difficiles à discerner de la portion inter -ganglionnaire du cordon, l’auteur a reconnu d'une manière complète quatre séries de fibres, dont deux sont longi- 60 NEWPORE. — SYSTÈME NERVEUX ET CIRCULATOIRE tudinales, l’une supérieure, l’autre inférieure, et deux commissurales , l’une transversale et l’autre latérale. La série supérieure , qu'il a décrite précédemment chez les Insectes comme siége de l'agent excito-moteur, est distincte de l’inférieure, qu’il considère comme le siége de la sensi- bilité : cette distinction devient évidente par l'examen des faces supé- rieure et inférieure des renflements ganglionnaires du cordon. Sur la face supérieure, la direction des fibres est parfaitement longitudinale, tandis que les fibres de la face inférieure sont élargies et curvilignes dans leur direction. Mais en même temps M. Newport fait remarquer qu'il est presque impossible de déterminer par l'expérience si ces structures sont séparément motrices et sensitives, ainsi qu’on l’a supposé, ou si elles par- ticipent toutes deux à ces fonctions par des échanges de filets nerveux. Les deux séries paraissent aussi séparées dans chaque renflement gan- glionnaire du cordon par la troisième série, constituant les fibres trans- verses ou de commissure, qui passent transversalement à travers les gan- glions, et dont l'existence a été pour la première fois signalée par l’auteur dans son Mémoire sur le Sphinx Liqustri, publié dans les Transactions philosophiques de 1834. L'auteur ajoute qu'indépendamment de ces séries il existe dans chaque moitié du cordon une autre série de fibres plus importante encore, qui constitue une forte portion du cordon, et qui a jusqu’à présent échappé à l'attention des observateurs. Cette série forme la portion latérale de chaque moitié du cordon, et diffère des séries supérieure et inférieure par cette circonstance que , tandis que ces dernières peuvent être suivies sur toute la longueur du cordon jusqu'aux ganglions sous-æsophagien et cérébral, la première s'étend seulement du bord postérieur d’un ganglion au bord antérieur du premier ou du second qui le suit, en limitant ainsi la paroi postérieure d’un nerf et la paroi antérieure d’un autre, et en formant partie du cordon seulement dans les intervalles entre deux nerfs. D'après cette circonstance, l’auteur désigne les fibres de cette série par l'expression de fibres de renforcement du cordon. Chaque nerf qui part d’un renflement ganglionnaire est composé de ces quatre sortes de fibres, savoir : une série supérieure et une inférieure, com- muniquant avec les ganglions céphaliques, une série transverse ou de com- missure, qui communique seulement avec les nerfs correspondants sur le côté opposé du corps, et une série latérale, qui ne communique qu'avec les nerfs d’un autre renflement ganglionnaire du même côté du corps, et qui fait partie du cordon dans les intervalles des ganglions. L'auteur a long- temps soupconné l'existence de cette dernière série de fibres ; mais il n’est parvenu que dernièrement à s'assurer de sa présence par l'observation directe. Son action semble rendre complétement compte des mouvements réfléchis (ou sympathiques) des parties tant antérieure que postérieure DES MYRIAPODES. 61 dans un membre irrité, de même que celle de la série de commissure transverse rend compte des mouvements des parties situées sur le côté du corps opposé à celui qui est irrité. Dans les ganglions du cordon des lules et des Polydesmes, les fibres de la série longitudinale inférieure sont renflées en entrant dans les ganglions; mais elles reprennent leurs diamètres primitifs quand elles les quittent, ce qui jette quelque lumière sur la structure des ganglions en général. Dans le développement des ganglions et des nerfs dans ces genres, ainsi que dans le Géophile , il se présente des changements semblables à ceux qui ont été décrits par l’auteur pour les Insectes, savoir : une agré- gation de ganglions dans certains points du cordon et occupant la posi- tion de certains nerfs, qui d’abord existaient dans la portion ganglionnaire du cordon, mais qui ensuite ont été reportés à la portion non ganglion- naire. Le cordon nerveux s’allonge, afin qu’il puisse suivre le dévelop- pement du corps, qui acquiert successivement de nouveaux segments ; et ce qui prouve que cette élongation a lieu dans les ganglions, cé sont pré- cisément ces changements de position dans les nerfs qui sont placés trans- versalement sur ces ganglions. L'auteur conclut de ces faits que les gan- glions sont des centres de croissance et d'alimentation aussi bien que des centres de mouvements réfléchis, et qu'ils sont analogues au renflement du cordon dans les Vertébrés. Une série d'expériences sur l’Iule et la Lithobie ont donné pour résultat que les deux ganglions sus-æsophagiens sont exclusivement les centres de la volonté, et peuvent être par conséquent rigoureusement considérés comme remplissant les fonctions du cerveau, de facon que, quand ces ganglions sont biessés ou enlevés, tous les mouvements de l'animal ont le caractère réfléchi. D'un autre côté, quand ces ganglions sont intacts, les mouvements de l'animal sont volontaires, et il existe une sensibilité pour la douleur. Toutefois il n’y a pas de preuve évidente que la faculté sensi- tive ne réside pas non plus dans les autres ganglions. La seconde partie du mémoire traite des organes de la circulation. Dans tous les Myriapodes et les Arachnides, le vaisseau dorsal ou cœur est divisé, comme chez les Insectes, en plusieurs compartiments, dont le nombre cor- respond à celui des segments abdominaux. Sa portion supérieure ést par- tagée immédiatement, derrière le segment basilaire, en trois troncs dis- tincts ; la portion moyenne, qui est la continuation du vaisseau lui-même, s’avance le long de l'œsophage et se distribue à la tête même, tandis que les deux autres, passant latéralement à l'extérieur et postérieurement dans une direction courbe, forment un collier vasculaire autour de l'œsophage, au-(Hessous duquel elles s'unissent en un seul vaisseau, ainsi que M. Lord l'a le premier constaté dans les Scolopendres (1). Le vaisseau médian (1) Dugès a fait des observations analogues. ( Voyez son Traité de physiologie 62 NEWPORT. —— SYSTÈME NERVEUX ET CIRCULATOIRE unique est placé au-dessus du cordon nerveux abdominal, et s'étend en arrière sur toute la longueur du corps, jusqu'au ganglion terminal du cordon, au-dessous duquel il se divise en rameaux distincts, qui accom- pagnent les nerfs terminaux à leur distribution finale. Immédiatement en avant de chaque ganglion du cordon, ce vaisseau détache une paire de troncs vasculaires, et chacun de ces troncs est subdivisé en quatre vais- seaux artériels, dont chacun se rend à l’un des principaux nerfs qui pro- viennent du ganglion, et peut être suivi avec lui jusqu’à une distance con- sidérable. Parmi eux, le vaisseau le plus postérieur se réunit de nouveau avec le grand tronc médian au moyen d’une petite branche, de manière que les quatre vaisseaux de chaque côté forment avec leurs troncs un cercle vasculaire complet au-dessus de chaque renflement ganglionnaire du cordon. Indépendamment de ces vaisseaux, qu'on peut considérer comme le grand tronc artériel qui porte le sang directement de la portion antérieure du cœur aux membres et à la surface inférieure du corps, l'auteur a découvert aussi dans chaque segment une paire de grands vaisseaux artériels qui naissent directement de la surface posté- rieure et inférieure de chacune des cavités du cœur. Ces vaisseaux, il les a nommés artères systémiques, etil les a suivis dans le Scolopendre depuis la grande cavité du cœur, qui est située dans le pénultième segment du corps, jusqu'à leurs ramifications ultimes dans les membranes des grands vaisseaux hépatiques du canal alimentaire. Après que le sang a passé dans les artères, il revient au cœur dans chaque segment du corps au moyen de deux vaisseaux transparents, exCes- sivement délicats, qui passent le long des parois des segments, et com- muniquent avec les ouvertures valvulaires de chaque cavité du cœur à sa surface supérieure, où ces ouvertures valvulaires sont situées, non seule- ment chez tous les Myriapodes, mais aussi chez les Scorpionides. Dans les Scorpions, le système circulatoire est plus complet et plus important que même dans les Myriapodes ; le cœur, divisé, comme dans ceux-ci, en cavités ou chambres séparées, s’allonge à son extrémité en une longue artère caudale, et donne, au niveau de chaque chambre , une paire d’ar- tères systémiques, précisément comme dans les Myriapodes. Ces artères non seulement distribuent leur sang aux viscères, mais envoient leurs prin- cipales divisions aux muscles des parties inférieure et latérales du corps, ainsi qu'aux sacs pulmonaires. À la partie antérieure de l'abdomen, le cœur devient aortique, descend tout-à-coup dans le thorax, et immédiate- ment derrière le cerveau se partage en un grand nombre de gros troncs qui se rendent à la tête et aux organes de la locomotion. L'un de ces troncs, le postérieur, forme autour de l'æsophage un collier vasculaire, de comparée, t. IL, Montpellier, 4838 ; et Annales des Sciences naturelles, 2° série, t. X, p. 374.) R. DES MYRIAPODES, 63 la partie postérieure duquel naît le grand tronc artériel ou vaisseau super- spinal, destiné à conduire le sang à la partie postérieure du corps, comme dans les Myriapodes. Ce vaisseau passe au-dessous de l’arcade transverse du thorax, et y est légèrement attaché par du tissu fibreux, circonstance qui a probablement déterminé M. Müller, qui a observé ce mode de structure en 1828, à le considérer comme un ligament. En s’avançant postérieure- ment le long du cordon nerveux, ce vaisseau diminue graduellement de dimension, jusqu'à ce qu'il arrive au ganglion terminal du cordon dans la queue, où il se divise en deux branches, qui suivent le trajet des nerfs termineux, et qui se subdivisent de nouveau avant d'arriver à leur dernière distribution. Indépendamment de ces parties, l’auteur a encore trouvé une structure fibreuse , qui entoure fermement le cordon et les nerfs immédiatement après qu'ils ont passé au-dessous de l’arcade du thorax. Des parois de cette gaine partent, en arrière, deux paires de vaisseaux qui rampent au-dessous des enveloppes péritonéales de l'abdomen, et se distribuent à la première paire de branchies. Un petit vaisseau passe aussi en arrière au-dessous de la veine cave, et, en s’anastomosant avec l'artère spinale, il forme le commencement d’un vaisseau que l’auteur a décrit antérieu- rement sous le nom de vaisseau sous-spinal. Ce vaisseau s'étend le long de la face inférieure du cordon nerveux, communique directement par des vaisseaux courts avec l'artère sus-spinale, et jette à certaines distances de sa face inférieure divers gros vaisseaux s’unissant les uns aux autres, lesquels charrient le sang qui a circulé dans les segments abdominaux directement aux branchies, d’où il est ramené au cœur par un grand nombre de menus vaisseaux qui partent de la portion interne postérieure de chaque bran- chie, puis, s'unissant en troncs, passent le long des parois des segments, pour gagner les ouvertures valvulaires de la face dorsale du cœur. Dans la queue du Scorpion, il y a une communication vasculaire directe entre l'artère caudale et la veine sus-spinale, ce qui, d’après la direction des vaisseaux, autorise à croire qu’il y a quelque chose de particulier dans la circulation du sang dans cette partie du corps. Enfin, indépendamment de ces vaisseaux, l’auteur a découvert un tronc artériel qui prend naissance à l'origine de l'aorte , au point où il descend dans le thorax. Ce vaisseau passe derrière le canal alimentaire, auquel il est distribué en envoyant une branche au foie. PUBLICATIONS NOUVELLES. TRAITE DES PHÉNOMÈNES ÉLECTRO-PHYSIOLOGIQUES DES ANIMAUX, par M. OC. Matteuci, suivi d'Études anatomiques sur le système nerveux et sur l'organe électrique de la torpille, par M. Savi. 4 vol. in-8 avec pl: Paris, 1844. Dans cet ouvrage important, M. Matteucci rappelle d'abord les divers travaux qui depuis la grande découverte de Galvani jusqu'au moment actuelont contribué aux progrès de cette branche des sciences naturelles ; puis il décrit les divers instruments employés dans les recherches électro-physiologiques et s'étend sur la méthode à suivre dans l'application du galvanamètre à l'étude des phénomènes physiologiques. Dans les chapitres suivants il traite de la conductibilité électrique des différentes parties des animaux, du courant électrique musculaireret de ses lois, du courant propre de la grenouille, et des fonctions du système nerveux dans ces courants ; puis il expose des vues théoriques sur la cause du courant électrique musculaire. Passant ensuite à l'examen des phénomènes électriques qu'offrent les poissons, M. Malteucci envisage ce sujet sous le rapport historique et expérimental. Dans la seconde partie de son ouvrage il s'occupe de l'influence du courant élee- trique sur les animaux vivants ou récemment tués, et il termine son travail par des considérations sur la relation qui peut exister entre le courant électrique et la force nerveuse, et sur les usages thérapeutiques de l'électricité. Enfin l'appendice anatomique par M. Savi contient une description très étendue du système nerveux et de l'appareil électrique de la torpille; des planches exécutées avec soin l'accom- pagnent, et on y trouve l'indication de plusieurs faits curieux qui avaient échappé aux recherches des autres anatomistes, et notamment de M, J. Davy, à qui l'on doit un travail important sur le même sujet. Cours DE MICROSCOPIE COMPLÉMENTAIRE DES ÉTUDES MÉDICALES : analomie MiCrOSCO- pique et physiologique des fluides de l'économie animale, par M. Al. Donne ; in-8. Paris, 1844. Dans cet ouvrage, l'auteur s'occupe principalement du sang, du mueus;, de l'urine, du sperme et du lait. Un atlas destiné à accompagner ce livre paraîtra pro- chainement et offrira une innovation intéressante, car l'auteur se propose d'y insérer un certain nombre de figures exéculées à l'aide de procédés photographi- ques. Die suparnikanISenEx Crusraceex (description des Crustacés malacrostracés du sud de l'Afrique), par M. Arauss; in-%. Stuttgard, 1843. Cette monographie contient la description de plusieurs espèces nouvelles de Décapodes et d'Edriophthalmes ; elle est accompagnée de à planches. P ; ë I MÉMOIRE SUR LES TERMITES OBSERVÉS A ROCHEFORT RT DANS DIVERS AUDRES LIEUX DU DÉPARTEMENT DE LA GNARENTE-INFÉRIEURE , par. M. Bobe-Moreuu. Saintes, 4843, et chez Roret, à Paris : in-8, 122 pages et 1 planche. ExCunrsiOx ENTOMOLOGIQUE DANS LES MONTAGNES DE LA VALLÉE D'Ossau, par M. Léon Dufour. Pau, 1843, in-8, 118 pages: extrait du Bulletin de la Société des sciences, lettres et arts de Pau. (Catalogue descriptif de 767 espèces de Coléop- tères trouvés dans cette localité.) CONSIDÉBATIONS SUR QUELQUES PRINCIPES RELATIFS À LA CLASSIFICATION NATURELLE DES ANIMAUX, ET PLUS PARTICULIÈREMENT SUR LA DISTRIBUTION MÉTHODIQUE DES MAMMIFÈRES ; Par M. MILNE-EDWARDS. ( Communiquées à l'Académie des Sciences, le 5 février 1844. ) Un des zoologistes les plus distingués de l'Angleterre, M. Wa- terhouse, vient de publier un Mémoire très intéressant sur la classi- fication des Mammifères (1); et en lisant ce travail, j'ai été frappé de la similitude qui existe souvent entre les opinions de l’auteur et celles que moi-même j'avais depuis longtemps adoptées et ren- dues publiques par mon enseignement à la Faculté des Sciences, Ce n’est pas ici une question de priorité que je veux soulever; car bien certainement si M. Waterhouse avait eu connaissance de ce que j'ai pu écrire ou enseigner publiquement à ce sujet, il en aurait tenu compte avec la loyauté dont tous ses travaux portent l'empreinte ; mais comme c’est en suivant des routes essentielle- ment différentes que nous sommes arrivés quelquefois à nous ren- contrer, j'ai pensé qu'il ne serait pas inutile de reproduire ici ce que j'ai dit ailleurs sur divers points de doctrine relativement à la classification naturelle des animaux, et d'indiquer quelques uns des résultats auxquels ces considérations m’avaient conduit. Il est deux conditions principales que l’on doit chercher à rem- plir dans toute classification naturelle du règne animal : la pre- . mière, c’est de ranger les animaux d’après le degré de cette sorte de parenté zoologique qu'ils ont tous entre eux, ou, pour me servir du langage technique , d’après leurs affinités respectives : c’est-à- dire de les distribuer de telle sorte que les espèces les plus sem- blables entre elles occupent les places les plus voisines, et que leur éloignement soit en quelque sorte la mesure de leurs diffé- rences ; la seconde, c’est de diviser et de subdiviser le groupe (1) Observations on the Classification of the Mammalia (Annals and Magazine of natural history, n° LXXIX, p. 399, décembre 1843). 3* série. Zooc. T. 1 (Février 1844). 5 GG MILNE-EDWARDS. —- SUR LA CLASSIFICATION NATURELLE ainsi formé d’une manière correspondante à l'importance relative des différences introduites par la nature dans la constitution de ces êtres, Souvent les affinités naturelles sont tellement évidentes qu’elles ne peuvent être méconnues, même des observateurs les plus super- ficiels ; mais d’autres fois il n’en est pas de même, soit parce qu’elles tendent réellement à s’effacer, soit parce qu’elles sont en quelque sorte masquées par des modifications organiques qui frappent l'attention et qui en imposent aux classificateurs, sans avoir cependant une grande valeur zoologique. De là naissent quelquefois des difficultés très considérables dans les recherches de ce genre, et des divergences d’opinion qui nuisent à la stabilité de nos méthodes. Or, ces diflicultés me semblent tenir en partie à la manière dont les zoologistes procèdent d'ordinaire dans l'étude de ces questions, Ils n’établissent guère leurs classifications que d’après la consi- dération des animaux dont le développement est achevé, et négli- gent presque toujours l’examen des états transitoires par lesquels ces êtres passent avant d'arriver à leur forme permanente; tandis que, dans mon opinion, ce sont ces espèces de métamorphoses qui révèlent de la manière la plus certaine les véritables aflinités naturelles (4). Des observations que j'ai eu l'honneur de communiquer à l’Aca- démie en 1829, et qui se trouvent développées dans un Mémoire publié quelques années après (2), m'ont fait voir que les change- ments de forme subis par les Crustacés dans le jeune âge tendent toujours à imprimer à l'animal un caractère de plus en plus spé- cial, et à l’éloigner davantage du type commun du groupe naturel dont ii fait partie. J'ai constaté , par exemple, que parmi les Iso- (1) Depuis la communication de cet écrit à l'Académie des Sciences, j'ai appris avec satisfaction que M. Flourens était arrivé de son côté à des opinions analo- gues aux miennes, et qu'il les avait exposées dans un de ses cours au Muséum. (2) Voyez Observations sur les changements de forme que les divers Crustacés éprouvent ; lues à l'Académie des Sciences , le 27 mai 1833 (Annales des Sciences naturelles, première série , t, XXX ,p. 360 , el même recueil, seconde série, . II, p.321). DES ANIMAUX. 67 podes, les particularités propres à l'espèce ne se montrent que lorsque l’animal a déjà recu ses caractères génériques , et qu’à une période moins avancée de son développement il offre déjà le mode d'organisation propre à sa famille, sans porter encore le cachet distinctif du genre auquel il appartient. J'ai établi aussi que les métamorphoses du jeune âge ne sont que la suite et le complément des modifications qui s’opèrent toujours dans la constitution de l'embryon, et qui, tantôt s’achèvent presque entièrement avant la naissance, tantôt au contraire sont loin d’être arrivés à leur terme dans certaines parties de l’économie , lorsque dans d’autres parties le développement est déjà assez avancé pour que le petit animal puisse quitter les membranes de l’œuf et vivre dans le monde exté- rieur. Ces résultats s'accordent parfaitement avec les principes que le célèbre Baer venait de poser dans un ouvrage (1) dont je n'ai eu connaissance que plus tard; principes qui à cette époque ne reposaient guère que sur l’embryologie des animaux supé- rieurs, mais qui ont acquis depuis lors des bases plus larges. Effectivement des faits nombreux sont venus de toutes parts con- firmer la justesse de ces vues: et en jetant les yeux sur l’ensemble du règne animal, il est facile de se convaincre que ce qui est vrai pour les Crustacés et pour les Mammifères l’est aussi pour les autres classes. Les recherches de MM. Thompson et Burmeister sur les Cirripèdes, les observations de M. Nordmann sur les Ler- nées, celles de M. Sars et de plusieurs autres savants sur les Mol- lusques, les Acalèphes et les Polypes, laissent apercevoir une tendance analogue chez tous les animaux inférieurs; et pour s’as- surer qu'il en est encore de même chez tous les Vertébrés, il suffit d'étudier, au point de vue de la zoologie, les beaux travaux ana- tomiques dont l’embryologie s’est enrichie depuis vingt ans, les écrits de MM. Tiedemann, Serres, Rathke, Vogt et Bischoff, par exemple, D'après l’ensemble des faits que la science possède aujourd’hui, il est bien démontré que l’organisation de chaque animal éprouve, soit dans son ensemble, soit dans certaines de ses parties, une 1) Uber Entwickelungsgeschichte der Thicre ; in-4. Koninsberg , 4828-37. sq 5 68 MILNE-EDWARDS. — SUR LA CLASSIFICATION NATURELLE série de modifications dont les unes appartiennent exclusivement à l’espèce, et dont les autres sont analogues à celles qui se mani- festent chez un nombre plus ou moins considérable d'animaux différents. Il paraîtrait aussi que ces dernières, en ce qu'elles ont d’essentiel, sont communes à des êtres d'autant plus variés qu’elles occupent elles-mêmes, chronologiquement, un rang plus reculé dans la série des phénomènes génésiques. Enfin il me sera, je crois, facile de prouver que la tendance générale de la nature est de faire correspondre l'étendue de ces ressemblances primordiales des êtres en voie de formation, avec les divers degrés de parenté ou d’aflinité zoologique que les espèces animales parvenues au terme de leur développement conservent entre elles. Les modi- fications qui se manifestent successivement dans la constitu- tion du jeune animal ou du germe dont il sortira sont celles qui déterminent successivement son existence comme membre de son embranchement, de sa classe, de sa famille, Je suis loin de croire qu'il y ait jamais identité entre les germes (1) ou les em- bryons d'animaux d’espèces différentes; mais il y a similitude, et cette similitude est d'autant plus grande qu’on remonte plus haut vers l’origine de ces êtres. Toutes les espèces qui dérivent d’un même type général se montrent d’abord avec la même constitution apparente ; les particularités essentielles du type secondaire se prononcent ensuite, puis celles dont l'importance zoologique est moindre, et ainsi de suite jusqu'à ce que chaque partie de l’orga- nisme ait acquis sa forme spécifique. On voit donc que, puisque les ressemblances entre les divers animaux constituent une portion de moins en moins considérable dans l’ensemble des propriétés de ces êtres, à mesure que ceux-ci s’approchent de l’âge adulte, on facilitera singulièrement l'étude des affinités naturelles, si, au lieu de s’en tenir à l'examen des espèces dont le développement est achevé, on prend en considé- (1) Des différences se manifestant sous l'influence de circonstances analogues , chez des êtres qui jusqu'alors paraissaient identiques, supposent l'existence de différences correspondantes dans l'état antérieur de l'organisation. (Voyez à ce sujet les Considérations sur la philosophie de l'anatomie, insérées par M. Chevreul dans le Journal des savants, année 1840, p. 527, elc.) | | À DES ANIMAUX. 69 : ration leur histoire embryogénique ; c’est de la sorte, je n’en doute pas, que l’on parviendra de la manière la plus sûre à appré- cier la valeur relative des différences qui se remarquent dans la structure des animaux, et à déméler les véritables caractères essentiels de chaque type organique. Pour les petites distinctions de genre à genre ou de famille à famille, il n’est pas toujours nécessaire d’avoir recours aux faits de cet ordre ; mais pour cir- conscrire d’une manière juste les limites des groupes d’un rang élevé, et pour reconnaître les relations des divers types entre eux, il me paraît indispensable de tenir compte des formes primor- diales, quelque transitoires qu’elles puissent être. C’est dans la constitution de l'embryon qu'il faut chercher les caractères essen- tiels des grandes divisions zoologiques, comme c’est dans la constitution de l’animal, parvenu au dernier terme de son déve- loppement spécifique, c’est-à-dire presque toujours dans le mäle adulte (1), que l’on rencontre les caractères les plus tranchés de l'espèce. Une des premières questions qui se présentent lorsqu'on cher- che à perfectionner les méthodes naturelles à l’aide des études embryologiques, est celle de la série animale, question qui a vive- ment préoccupé les zoologistes, et qui a été jugée de la manière la plus contradictoire par des hommes dont les opinions font au- torité dans la science. Pendant longtemps elle était restée tout entière dans le domaine des conjectures vagues ; mais elle a pour ainsi dire pris corps depuis que les anatomistes ont constaté la similitude qui existe entre les formes permanentes des organismes inférieurs et les états transitoires des organismes supérieurs en voie de formation. Une certaine concordance entre la constitu- tion des animaux d’une structure plus ou moins simple et les états embryonnaires des animaux plus élevés avait été entrevue, mais mal interprétée par quelques anciens naturalistes: Ocken y a (1) Les animaux parasites font en général exception à cette règle; chez eux, c’est ordinairement la femelle qui présente de la manière la plus marquée les parti- cularités caractéristiques de l'espèce où même du genre; mais alors ces particu- larités consistent presque toujours dans le développement excessif et anormal de certaines parties. 70 MILNE-EDWARRS. — SUR LA CLASSIFICATION NATURELLE ramené l'attention, et les travaux de M. Tiedemann , de MM. Geof- froy Saint-Hilaire, de M, Serres et de quelques autres sayants, en ont démontré l'importance, La théorie des arrêts de dévelop- pement à été pour ces derniers observateurs un instrument puis- sant dans l’investigation des questions les plus ardues de l’anato- mie; et M, Serres à parfaitement peint l'aspect nouveau que la question à pris entre leurs mains lorsqu'il a dit : « L’organogénie » humaine est une anatomie comparée transitoire, comme, à son » tour, l'anatomie comparée est l’état fixe et permanent de l’or- » ganogénie humaine (1).» S'il était vrai, comme la plupart des embryologistes semblent le penser, que, chez les animaux les plus parfaits, l'économie passe successivement par une série de formes correspondantes à tous les grands types que nous offre l’organisation définitive des animaux inférieurs; si ces derniers étaient en quelque sorte des embryons permanents des premiers, il faudrait admettre, pour les types au moins, une série progressive et linéaire s'étendant depuis la Monade jusqu’à l’homme; l'échelle des êtres imaginée par Leibnitz et Bonnet serait pour ainsi dire réalisée en ce qui con- cerne les types principaux, sinon pour les espèces considérées in- dividuellement, et les efforts des classificateurs devraient (tendre à assigner à chaque groupe son véritable rang dans cette longue file zoologique. Mais, comme l’a très bien établi Baer, les choses ne se passent pas ainsi dans la nature, et, soit que l’on compare entre elles d'une manière rigoureuse les diverses espèces parvenues à leur forme définitive , soit que l’on considère les phases de leur déve- loppement , on rencontre à chaque pas des obstacles insurmon- tables qui s'opposent à la distribution sériale dont il vient d'être question, Est-ce à dire qu'à l'exemple de Cuvier (2), il faut rejeter toute idée d’une classification naturelle correspondant aux divers degrés de perfectionnement des êtres animés? Non certes; mais (1) Précis d'anatomie transtendante , t. 1, p. 90. Paris, 4842. (2) Voyez Hist. nat. des poissons, t. I, p. 568, ete.; et Leçons sur l'histoire natu- relle des sciences, rédigées par M. Magdeleine de Saint-Agv, t. I, p. 56. DES ANIMAUX. 71 seulement qu'il me paraît impossible de représenter à l’aide d’une ligne les affinités zoologiques. Je suis très porté à croire que tous les animaux, ou, ce qui revient au même, les germes dont ils doivent naître, affectent dans le principe une forme analogue, celle d’une cellule peut-être ; mais il me paraît évident que ce n’est pas en suivant la même voie’ qu'ils passent de cet état primordial à leur état définitif ; ils avan- cent de front pendant un temps d'autant plus long qu'ils ont entre eux des affinités plus intimes; mais tôt ou tard ils s'écartent entre eux, et s'engagent alors dans des routes diflérentes, qui tantôt s'élèvent presque parallèlement entre elles, tantôt divergent plus où moins, et qui d’autres fois peuvent aussi faire retour sur elles-mêmes. C’est ainsi que l'embryon d’un mammifère, par exemple, ne présente jamais les caractères essentiels du type des Radiaires, des Mollusques ou des Insectes; il peut, dans l’o- rigine, être comparé à l'embryon de l’un ou l’autre de ces groupes avant que celui-ci ait recu le cachet de sa classe, ou même peut-être à l’état permanent de quelques zoophytes inférieurs, tels que les Amibes; mais dès qu’il fait un pas de plus, il se con- stitue comme animal vertébré, et affecte des formes qui ne se ren- contrent pas ailleurs dans le règne animal. Il s’avance alors dans une route qui me paraît être essentiellement distincte de celle où s'engagent les embryons appartenant aux autres embranchements zoologiques , et les modifications qu'il subit tendent à l’éloigner de plus en plus de ces derniers, qui cependant s’élèvent aussi de leur côté, et passent comme lui de l’état d'animaux inférieurs à celui d'animaux plus parfaits. Or, ce qui a lieu pour l’ensemble du règne animal a lieu aussi, quoiqu’à un moindre degré, pour chaque embraïchement, et ensuite pour chaque classe dont cet embranchement se compose. Ainsi les animaux vertébrés comparés entre eux présentent dans la: seconde période de leur développe- ment des phénomènes analogues à ceux que je viens de rappeler comme caractérisant le premier état de l’embryon de tout être animé, c’est-à-dire que pendant un certain temps encore ils se ressemblent entre eux, quelle que soit leur destination définitive, qu’ils appartiennent à la classe des Mammifères ou à celle des 72 mIENE-Epwarps. — SUR LA CLASSIFICATION NATURELLE Reptiles, par exemple, Mais bientôt leur organisation subit des changements qui diffèrent suivant les animaux, et, à raison des particularités qui se manifestent ainsi dans l’ensemble de leurs caractères , ils se partagent en deux ou en plusieurs groupes dis- tüincts. Dès lors l'embryon d’un poisson ou d’un batracien ne peut plus être confondu avec celui d’un oiseau ou d’un mammifère, et par les progrès ultérieurs du développement, la différence entre ces êtres deviendra de plus en plus profonde. Puis, ce que nous venons de voir dans l’ensemble de l’embranchement des verté- brés, considéré au début de la carrière embryogénique, se répète dans chaque groupe secondaire, et plus tard ces groupes se divi- . sent et se subdivisent à leur tour à mesure que la diversité orga- nique se prononce davantage, Il en résulte que les métamorphoses de l’organisation embryon- naire considérées dans l’ensemble du règne animal ne constituent pas une seule série linéaire de phénomènes zoogéniques, mais une multitude de ces séries qui paraissent s’embrancher les unes sur les autres à des hauteurs différentes, ou plutôt qui sont réunies en faisceau à leur base, et qui se séparent en faisceaux secon- daires, ternaires, quaternaires, à mesure qu’en s’élevant pour approcher du terme de la vie embryonnaire, ils s’écartent entre eux et prennent des caractères distincts. L'application de ces principes d’embryologie à la classification des animaux serait facile ; mais, pour arriver au but que je me suis proposé dans cet écrit, il est nécessaire d'entrer dans quelques détails plus circonstanciés touchant le mode de développement de ces êtres; car, à moins de bien poser ses prémisses, il est im- possible de discuter avec clarté, et, dans les questions de ce genre surtout, il est nécessaire de définir les termes employés, car les anatomistes varient entre eux quant à la valeur qu'ils y attri- buent. Les changements successifs qui s’opèrent dans l’organisation de chaque animal dépendent de plusieurs séries de phénomènes, qui peuvent être rangées en trois catégories principales. Ainsi il est essentiel de distinguer les procédés génésiques à l’aide desquels les tissus se forment des phénomènes qu'offre l’économie lorsque DES ANIMAUX. 73 ces matériaux organiques sont mis en œuvre pour constituer des instruments physiologiques, et ceux-ci à leur tour ne doivent pas être confondus avec les modifications résultant de leurs combinai- sons diverses, et destinées à produire l’état final de l'être consi- déré comme unité zoologique. Il y a donc parmi les phénomènes embryogéniques des séries que l’on pourrait nommer histogéni- ques, organogéniques et zoogéniques. Les séries histogéniques se subdivisent suivant la nature du tissu à la formation duquel elles tendent, comme les séries organogéniques se distinguent d’après la nature de l'appareil auquel elles se rapportent; enfin les séries zoogéniques diffèrent à leur tour suivant les espèces dont elles déterminent la constitution. Or, les divers termes dont se com- pose chacune de ces séries partielles paraissent être, pour chaque classe de phénomènes, d’autant plus semblables entre eux que le travail génésique est moins avancé. Ainsi deux séries de phéno- mènes histogéniques de même nom observées chez deux animaux différents ou deux séries de phénomènes de cet ordre ayant des noms différents, étudiées chez le même individu, offriront d’abord un certain nombre de termes correspondants ; mais, à une période plus ou moins avancée, ces termes cesseront d’être analogues, et, en général , ces différences se prononceront de plus en plus à mesure que le produit approche de son état final. Il en résulte que les différences qui existent entre des tissus adultes dont les pro- priétés paraissent semblables dans le principe peuvent dépendre d’une déviation dans la marche ascensionnelle des séries des phé- nomènes histogéniques; mais elles peuvent tenir aussi à un arrêt de développement qui frappe l’un sans affecter l’autre, et qui rend permanent pour le premier un des termes de la série au-delà duquel l’autre continue à s’avancer ; et il en résulte que, si l'arrêt se déclare à une époque où les séries étaient parallèles et les termes correspondants , il y aura analogie entre l’état permanent du tissu que l’on peut appeler inférieur et l’une des formes tran- sitoires par lesquelles aura passé le tissu supérieur avant que d’avoir achevé son développement. Dans divers cas particuliers, ce même arrêt de développement peut se déclarer à des époques variées du travail histogénique, et, par conséquent, on concoit la 71 MILNE-EDWARDS. — SUR LA CLASSIFICATION NATURELLE possibilité d’une suite de tissus permanents dont les formes cor- respondent aux états en quelque sorte embryonnaires d’un tissu plus parfait, et il en résulterait ce que l’on pourrait appeler une série naturelle de tissus animaux. Mais cette suite naturelle ne comprendrait pas tous les tissus, et il devrait y avoir autant de ces files histogéniques qu'il y a de séries distinctes dans les phé- nomènes offerts par le travail constitutif de ces produits de l’or- ganisme , et la direction de ces files pourrait être plus ou moins divergente ou même en sens inverse, car les progrès du dévelop- pement n’amènent pas toujours le perfectionnement du produit, et celui-ci peut de la sorte descendre au lieu de s’élever. Ge que je viens de dire relativement à la formation des tissus me paraît également applicable aux diverses séries de phénomènes organogéniques; mais ici nous n'avons à nous occuper que de la comparaison des séries de mêmes noms chez des êtres différents. Les premiers termes de ces séries se correspondent chez un cer- tain nombre d'animaux, mais ces termes deviennent dissemblables à des hauteurs déterminées suivant les types; au lieu de s’élever comme un faisceau, elles s’écartent alors entre elles et forment des faisceaux secondaires, qui à leur tour se diviseront et se subdi- viseront de plus en plus, à mesure qu'ils s’éloignent de leur point de départ commun. Enfin la même tendance se laisse encore apercevoir dans les séries formées par les phénomènes zoogéniques , ou , en d’autres mots, dans les états par lesquels l’ensemble de l’économie animale passe avant d'acquérir sa forme permanente, séries complexes qui résultent de l’assemblage des deux ordres de phénomènes plus simples dont il vient d’être question, mais qui revêtent des formes typiques variées longtemps avant que la plupart de ces derniers aient cessé d’être uniformes chez tous les animaux. Effectivement, les premiers termes d’un certain nombre de séries zoogéniques se correspondent toujours , tandis que les termes suivants deviennent d'autant plus dissemblables que les animaux chez lesquels on les observe ont entre eux moins d’affinité naturelle. Mais les diffé- rences qui, dans le principe, se manifestent entre les embryons, ne portent pas également sur toutes les séries histologiques ou DES ANIMAUX. 75 organogéniques; elles se déclarent dans une où dans un petit nombre de ces séries, qui deviennent dès lors dominatrices dans l'économie et impriment au jeune être un cachet particulier ; les autres séries de mêmes noms peuvent continuer pendant un certain temps à être composées de termes correspondants chez des espèces dont la marche zoogénique s’est déjà écartée de la sorte, et cela paraît même avoir lieu toutes les fois que la divergence n’est pas devenue très considérable entre les directions suivant lesquelles s'opère le développement des organes dominateurs. Ainsi deux ou plusieurs animaux appartenant à des séries zoogéniques dis- tinctes peuvent, quant aux parties de l’organisation dont l’impor- tance est secondaire , subir des métamorphoses analogues, et offrir à diverses périodes de leur existence embryonnaire certaines formes correspondantes, malgré les différences essentielles dont ils portent déjà l'empreinte. Si maintenant nous appliquons à ces séries zoogéniques la théorie des arrêts de développement, nous verrons quelle pourra être la concordance entre les formes permanentes de certains animaux, et les états transitoires de l'embryon chez d’autres espèces dont la carrière métamorphique est plus longue. Je ne connais aucune espèce qui à l’état adulte ne possède pas en propre certains caractères organiques, et qui présente avec l'embryon de quelque autre animal une identité parfaite, La marche génésique de chaque espèce doit donc s’écarter plus ou moins de’ celle des espèces voisines; mais cette divergence pourra ne se prononcer que dans la dernière période de la vie embryon- naire, et ne déterminer que des différences légères, de l’ordre de celles qui servent à la distinction des espèces ou des genres, par exemple ; et alors l'animal, frappé d’un arrêt de développement, pourra représenter, quant aux caractères dominateurs de son organisation , l’un des états transitoires communs à tous les em- bryons, dont la formation s’est effectuée de la même manière, jusqu’au moment où la divergence s’est déclarée. Ces espèces à court développement jalonneront alors la route suivie par celles qui les ont laissées en chemin, et constitueront des séries naturelles , correspondantes aux séries zoogéniques dont il a été question il 76 MILNE-EDWARDS. — SUR LA CLASSIFICATION NATURELLE y à quelques instants, De même que celles-ci, elles représentent en quelque sorte un arbre qui, en sortant du sol, se sépare en plusieurs troncs, dont chaque tronc se divise ensuite en branches principales secondaires, et se termine par des ramuscules innom- brables ; mais de même que les feuilles dont un pareil arbre se couvrirait, les espèces animales ainsi produites ne pourront ja- mais, sans violation flagrante de leurs rapports naturels, être rangées en une seule ligne, Les animaux dont la carrière embryogénique est de longueur : inégale constituent done, sous le rapport de leur mode d’orga- nisation, une multitude de séries séparées entre elles par des caractères d'autant plus importants que les différences dans leur marche zoogénique sont plus anciennes et plus considérables, Dans ces séries, de même que dans l'embryon aux diverses périodes de son développement, l’organisation tend en général à se perfec- tionner à mesure qu'elles s'élèvent, de telle sorte que les espèces les moins parfaites occupent les rangs les plus inférieurs ; mais ce perfectionnement, qui a toujours pour résultat une division crois- sante du travail fonctionnel, ne se fait pas toujours de la même manière, et ce n’est pas en revêtant des formes semblables que des animaux engagés dans des routes zoogéniques essentielle- ment différentes s'élèvent, Ce qui, à mes yeux , caractérise la supériorité dans une série quelconque , c’est l'empreinte plus pro- fonde du cachet propre à cette même série, et l'adaptation plus complèle du plan organique ainsi constitué à la division du tra- val physiologique. Ainsi, pour moi, les Radiaires les plus élevés dans leurs séries ne sont pas les espèces dont la forme se rapproche plus ou moins de celle des animaux binaires ; au contraire, ce sont les espèces qui, en réunissant dans leur économie le plus grand nombre d'instruments physiologiques divers, présentent au plus haut degré le caractère dominateur de leur série, c’est-à-dire la disposition radiée. Or, ce genre de supériorité s’oblient en général par les progrès du développement, et par conséquent ce sont les espèces inférieures qui d'ordinaire représentent approximativement les formes embryonnaires les plus jeunes : mais il n’en est pas toujours ainsi. Par les progrès du DES ANIMAUX. pl développement, l'organisation se dégrade souvent, et la marche zoogénique représente alors une courbe dont le maximum ne correspond comme d'ordinaire à la forme permanente de l’orga- nisation, mais à l’une de ses formes {ransitoires ou embryon- naires. Pour les espèces appartenant à ces séries récurrentes, un arrêt de développement devrait donc amener un résultat contraire à celui qui est produit par la même cause dans les séries ordi- naires; les espèces les plus dégradées, et par conséquent les plus inférieures, sont celles dont le développement s’est poursuivi le plus loin. Ainsi les larves ou embryons de Lernées sont des Crusta- cés plus élevés que ne le sont ces mêmes animaux à l’âge adulte ; et si leur développement s’arrêtait à cette période , ces singuliers animaux occuperaient un rang correspondant à peu près à celui des Cyclopes ; tandis qu'en achevant leurs métamorphoses, ils descendent au-dessous de tous les Crustacés ordinaires. C’est aussi un phénomène de cet ordre qui me semble déterminer les anomalies qui se remarquent chez les Spongiaires, et qui les éloignent des Polypes d'une part et de certains Infusoires de l’autre. Lorsqu'on cherche à démêler les affinités naturelles qui peuvent exister entre divers animaux, et que l’on applique à cette étude les considérations tirées de l’'embryogénie, il faut donc distinguer avec soin les formes zoologiques qui peuvent être assimilées à celles que produirait un arrêt de développement chez d’autres animaux de la même série, et celles qui résultent d’un dévelop pement récurrent. C'est par la théorie des arrêts de développe ment que l'on peut s'expliquer la forme du Lampyre femelle, si différent de celle du mâle, et les caractères si remarquables des Sirènes , des Axolotls et des Protées; mais c’est par la théorie des développements récurrents seuls que l’on comprendra comment l'Ornithorynque acquiert son bec de canard et l'Orang son museau saillant. Si, au lieu d'interroger l’embryologie , on cherche à résoudre la question de l'échelle zoologique à l’aide de l’anatomie comparée des animaux adultes où même par la seule investigation des ca- ractères extérieurs de ces êtres, on arrive aussi au même résultat. 78 MALNE-EDWARDS. — SUR LA CLASSIFICATION NATURELLE Effectivement, on est encore conduit à reconnaître de la sorte l'existence , non d’une série unique, mais d’une multitude de sé- ries partielles, et cela non seulement dans le règne animal consi- déré dans son ensemble; mais aussi dans chaque embranchement, dans chaque classe, et souvent même dans les groupes dont l’im- portance est moindre, les familles et les genres, par exemple. Les rapports que ces séries zoologiques ont entre elles sont aussi en- tièrement semblables aux rapports que j'ai signalés il y a quelques instants en parlant des séries de phénomènes zoogéniques ; et, si je ne me trompe , il y a même identité entre les résultats fournis par ces deux ordres de considérations. Les séries naturelles en zoologie ne sont autre chose à mes yeux que l’ensemble des êtres dont la direction génésique a été essentiellement la même, mais dont le développement s'arrête à des périodes différentes, et les affinités naturelles sont déterminées par une marche plus où moins longue dans une route génésique commune. Mais, pour admettre cette conclusion , il faut étudier avec soin les caractères de l’afinité zoologique, et ne pas confondre cette sorte de parenté avec des ressemblances d’un autre ordre, qui se remarquent souvent chez des animaux dont le type essentiel est extrêmement différent, et qui constituent seulement des analogies plus ou moins importantes. Il faut aussi distinguer entre elles les affinités directes de celles que l’on peut appeler des affinités colla- térales. Effectivement, lorsque la direction générale de la série de phé- nomènes zoogéniques vient à changer, il y à tendance à la pro- duction de deux ou de plusieurs séries naturelles, dont la distinc- tion est déterminée par les différences dominatrices ainsi intro- duites dans l’organisation; mais après que ces différences se sont déjà manifestées, la marche des phénomènes histogéniques pourra, comme je l'ai déjà dit, continuer à être la même dans ces diverses séries , et une concordance semblable pourra persister d’une ma- nière plus ou moins complète entre certaines séries de phénomènes organogéniques de même nom, qui, remplissant en quelque sorte un rôle secondaire dans la constitution de l'être, ne déterminent pas des caractères typiques essentiels. Il en résultera que deux ou DES ANIMAUX. 79 plusieurs de ces séries zoogéniques, quoique distinctes, pourront continuer à marcher presque parallèlement entre elles, et offrir des termes correspondants quant aux modifications secondaires de l'organisme. Enfin ce parallélisme et cette concordance de termes semblables devra, suivant toute probabilité, être d'autant plus marquée que les différences z0ogéniques auront exercé une influence moins grande sur l’ensemble de l'être. Or, si l’on ap- plique à ces considérations la théorie des arrêts de développement, on comprendra comment, dans diverses séries zoologiques, il peut y avoir des termes correspondants, ou , en d’autres mots, com- ment chacune des modifications secondaires de l’organisation qui s’observent dans une série naturelle pourra se répéter dans d’autres séries , et comment, par conséquent, les divers membres d’un groupe zoologique auront des représentants plus ou moins com plets dans les groupes voisins. Cette tendance de la nature à varier par des modifications cor- respondantes les types secondaires dans divers groupes dérivés de types essentiels plus ou moins différents, avait été depuis long- temps entrevue par les classificateurs ; mais elle a été pour la pre- mière fois mise en évidence dans les écrits de Macleay (1), où se trouve déjà nettement indiquée la théorie des représentants zoolo- giques, théorie qui a été ensuite développée par M. Swainson (2), et qui me semble être appelée à rendre de véritables services à la zoologie, bien que l’on en ait beaucoup abusé, et qu’on la trouve d'ordinaire mêlée à des idées bizarres relatives à de prétendues lois numériques que la science ne peut adopter. Lorsque quelques unes de ces ressemblances organogéniques ou histogéniques secondaires, ou d’un rang plus inférieur encore, se montrent chez des animaux dont le plan général est d'ailleurs essentiellement différent, il en résulte de simples analogies qui ne sont indicatives d'aucune affinité réelle; mais ilen est autrement quand elles nous sont offertes par des espèces construites à peu (1) Horæ entomologicæ or Essays on Amnulose animals. London, 4819-1821. (2) A Treatise on the geography and classification of animals (Cabinet cyclo- pædia), in-18. London, 1835. Part. 3 : On the first principles of natural classifi- calion. 80 MILNE-EDWARDS. — SUR LA CLASSIFICATION NATURELLE près sur le même modèle, quoique appartenant à des séries dis- tinctes : elles sont alors l'indice d’un parallélisme important à noter, et elles caractérisent ce que j'appelle l’afinité collatérale, pour la distinguer des liaisons plus intimes, qui semblent tenir à des arrêts de développement agissant successivement sur une même série Zoogénique, de facon à déterminer la production d’une suite naturelle d'animaux où les espèces à court période em- bryonnaire représentent, quant aux caractères dominateurs, les états transitoires de l’organisation chez les espèces dont le déve- loppement se poursuit plus loin, liaisons que l’on peut désigner sous le nom d’affinités directes. ; Quelques exemples rendront ma pensée plus facile à saisir. Les Sirènes, les Protées, les Axolotls , les Tritons et les Gre- nouilles constituent , à mes yeux, une série naturelle linéaire où les affinités directes me semblent évidentes. Les affinités qui exis- tent entre les Marsupiaux, d’une part, les Rongeurs et les Insec- tivores, de l’autre, sont, au contraire, des affinités collatérales ; car ces mammifères appartiennent à deux séries naturelles parfai- tement distinctes. Ce sont aussi des aflinités collatérales, mais à un degré plus éloigné, qui existent entre les Crustacés, les Arach- nides et les Insectes suceurs. Enfin il faut ranger dans la catégo- rie des analogies éloignées, qui ne décèlent aucune espèce de parenté zoologique, les ressemblances qui se remarquent dans la couleur des appendices tégumentaires chez les oiseaux de nuit et les Lépidoptères nocturnes, par exemple. L'influence toujours croissante des caractères dominateurs, ou typiques, de l’organisation dans chaque série ou dans chaque groupe naturel, agissant en sens inverse de cette tendance au parallélisme dans la marche des phénomènes génésiques secon- daires, nous explique pourquoi les ressemblances entre des êtres dérivés de deux types essentiellement distincts ne sont fortement prononcés que chez des espèces inférieures de l'une et l’autre série, Enfin ce serait peut-être aussi en appliquant ces considé- rations à l'étude des séries récurrentes que l’on arriverait à com- prendre comment certaines espèces d’un groupe naturel peuvent, en perdant quelques uns des caractères les plus saillants du type DES ANIMAUX. 81 commun , se rapprocher des formes dominatrices dans d’autres groupes, et établir de la sorte des liens accessoires entre deux ou plusieurs séries zoologiques qui n’ont cependant entre elles au- cure parenté , les mollusques et les vers, par exemple. Mais ce serait prématuré d'entrer ici dans la discussion de ces questions, et si je les signale, c’est seulement pour montrer comment j’en- visage les rapports qui existent entre les divers animaux, et pour expliquer comment j'ai été conduit à chercher à représenter ces rapports, non par une ligne droite, mais par une multitude de lignes dont les directions varient. Un groupe naturel considéré d’une manière générale peut, ceme semble, être défini en disant que c’est la réunion de tous les dérivés d’un même type : ainsi un embranchement zoologique comprend tous les dérivés d’un même type primaire, et chaque grande division de cet embranchement se compose de tous les dérivés de l’un des types secondaires résultant des modifications fondamentales impri- mées à ce type essentiel. Le type particulier à une classe subis- sant à son tour des modifications d’un ordre inférieur donnera naissance à des types propres à des groupes nouveaux dont la réunion constitue cette classe ; et, de même que la classe com- prend tous les dérivés de son type général, chacune de ces sub- divisions renferme tous les dérivés de ces types d’un rang infé- rieur. Il y a donc des types de premier, de second, de troisième, de quatrième ordre, etc., et les groupes correspondant à chacun de ces types se composent de. tous les types d’un rang inférieur qui en dérive. Chaque groupe naturel, quel qu’en soit le rang , peut se com- poser d’un nombre plus ou moins considérable de séries naturelles, qui y formeront autant de groupes d’un ordre plus inférieur, et ces groupes secondaires pourront, à raison de leurs affinités res- pectives et de leur perfection relative, s’y placer parallèlement sur le même rang ou s’y élever à des hauteurs inégales. Ils pourront aussi avoir entre eux des affinités collatérales très variées, suivant les combinaisons diverses dans la divergence ou le parallélisme de telle ou telle série de phénomènes organogéniques secondaires, combinaisons par suite desquelles le type À pourra avoir de l’af- 3° série. Zooc. T. I (Février 1844). 6 82 MILNE-EDWARDS. — SUR LA CLASSIFICATION NATURELLE finité avec le type B à raison de la similitude de ses caractères secondaires Z, se lier au type G par les propriétés Y, au type D par des analogies de la série X, et ainsi de suite. Pour indiquer d’une manière figurée les rapports qui existent entre les divers groupes zoologiques, il faudrait, pour être exact, pouvoir distribuer ceux-ci dans l’espace et les lier entre eux par des lignes dont la direction serait susceptible de varier à l'infini. Ce ne serait pas une surface seulement, mais une figure à trois dimensions, qui résulterait de l’ensemble de ces groupes. Cepen- dant, à l’aide des moyens graphiques ordinaires, on peut s’appro- cher beaucoup du but proposé, et on y parvient, ce me semble, en distribuant les divers groupes zoologiques sur un plan à peu près comme le seraient des îles dans un vaste archipel, où, les distances entre les terres variant beaucoup, on distinguerait des archipels secondaires formés à leur tour par des groupes différents. C’est ce que j'ai essayé de faire dans un tableau dont je me suis servi dans mes cours publics depuis l’année 1841, et dont une portion se trouve jointe à cette note, J’y reviendrai dans quel- ques instants; mais ; avant d'entrer dans ces détails, je crois nécessaire de n’arrêter sur un point que j'ai souvent mentionné dans cet écrit, mais que je n'ai pu jusqu'ici discuter suflisam- ment : c’est la concordance qui existe, suivant moi, entre la marche des phénomènes génésiques et les divisions naturelles du règne animal, S'il est vrai que les caractères les plus essentiels de chaque type zoologique apparaissent dans l'embryon avant les caractères secondaires d’après lesquels les dérivés de ce type se subdivisent en groupes d’un ordre inférieur, il faudra que, chez les animaux appartenant à des embranchements distincts, il y ait des diffé- rences fondamentales dès la première période de la vie embryon- naire, Baer a, depuis longtemps, parlé de particularités géné- siques de cet ordre, mais elles ont jusqu'ici peu fixé l'attention des naturalistes; et quelques auteurs plus récents, qui à juste titre font autorité dans la science, en nient implicitement l’exis- tence, puisqu'ils admettent que des animaux appartenant à des embranchements distincts, peuvent représenter divers termes DES ANIMAUX. 83 d’une seule et même série de formes embryonnaires ; qu’un mol- lusque , par exemple, correspond à l'embryon de l’homme et des autres vertébrés, dont le développement se serait arrêté de bonne heure (1). Pour juger de la valeur des applications que je voudrais voir faire de l’embryologie à l’étude des affinités zoologiques, il faut donc avant toutes choses chercher de quel côté est la vérité, et examiner si, comme je l’ai déjà avancé plusieurs fois dans cet écrit, les différences z0ologiques les plus fondamentales, c’est-à- dire les traits distinctifs des grands embranchements du règne animal , se prononcent effectivement au début de la vie embryon- naire, Or, pour résoudre cette question , il suffit de comparer le mode de développement d’un animal vertébré quelconque avec les premières formes embryonnaires d’un animal annelé, d’un mols= lusque où d’un zoophyte. En effet, le premier phénomène organogénique qui se montre dans l'œuf d’un animal vertébré est la formation de la gouttière médiane, ou ligne primitive qui divise la portion centrale du blas- toderme en deux moitiés symétriques, et qui, dans sa simplicité originelle, correspond déjà à l'appareil rachidien si compliqué des animaux adultes, appareil qui se compose de l’axe nerveux céré- bro-spinal ainsi que de là colonne vertébrale et des annexes, et qui n'existe que dans l’embranchement des vertébrés, où son rôle est évidemment dominateur ; rien de semblable à cette ligne primitive n'a été observé dans l’œuf des Crustacés, des Insectes, des Arach- nides, des Mollusques ni des Polypes, tandis que chez les Mammi- fères, les Oiseaux, les Reptiles, les Batraciens et les Poissons, elle ne manque jamais. Ainsi le premier caractère qui se prononce chez l'embryon des vertébrés est précisément celui qui domine dans l'organisation de tous ces êtres, et qui fait qu'aucun d’entre eux ne puisse désormais être assimilé avec raison ni à un mollusque ni à aucun autre animal des classes inférieures, D’autres particu= (1) Voyez Recherches sur l'anatomie comparée des animaux invertébrés (Annales des Sciences naturelles, deuxième série, 1834, t. IJ, p. 238), et Recherches sur l'anatomie des Mollusques comparée à l'ovologie et à l'embryogénie de l'Homme et des Vertébrés, par M. Serres ( Ann. des Sc. nut., deuxième série, 1837, t. VIII, p: 168). 8 MILNE-EDWARDS. — SUR LA CLASSIFICATION NATURELLE larités zoogéniques viennent bientôt s'ajouter à ce caractère fon- damental, et séparent encore davantage le type vertébré des types propres aux autres embranchements du règne animal. Mais comme ces caractères secondaires paraissent avoir moins d'importance dans l'organisation, il est possible qu’ils soient moins constants. Tels sont les rapports qui s’établissent entre l'embryon et le vitel- lus. Chez les vertébrés, ce dépôt de matières organisables est tou- jours placé du côté ventral du jeune animal, et se trouve en con- nexion avec la portion abdominale de son corps ; tandis que chez les animaux non vertébrés il n’est jamais placé de la sorte : en général, sinon toujours, il se trouve du côté dorsal de l'embryon, et lorsque sa position paraît changer à cet égard, ses connexions n’en sont pas moins différentes de celles que nous venons de rap- peler, car il est alors en rapport avec la tête, et non avec l'abdo- men de l’être en voie de formation. Les premiers phénomènes qui accompagnent le développe- ment de l’embryon paraissent être également caractéristiques dans l’embranchement des animaux annelés. Là, le blastoderme n’a offert aux observateurs aucune trace du sillon vertébral, et les premiers linéaments de l'embryon se dessinent transversale- ment aussi bien que longitudinalement, de facon à indiquer déjà quel sera le plan général de l’organisation. Ce qui me semble caractériser essentiellement le type des Annelés, c’est la disposition symétrique des parties de chaque côté du plan médian développé suivant une droite, la division transversale du corps en zoonites, ou systèmes anatomiques homologues, et l'existence de centres nerveux ganglionnaires seulement. Ce dernier caractère se ren- contre également chez les Malacozoaires et les Zoophytes, et les deux premiers sont plus ou moins apparents dans la conformation des vertébrés, Mais la combinaison organique que je viens d’indi- quer ne me paraît appartenir qu'aux Crustacés, aux Myriapodes, aux Insectes et aux autres animaux construits d’après le plan gé- néral qui est commun à ces trois classes. Or, c’est précisément l'indice de ce mode d'organisation qui se montre lorsque l’em- bryon commence à se constituer, et, par conséquent, dans l’em- branchement des Annelés, de même que dans la grande division DES ANIMAUX. 85 des Vertébrés, ce sont les caractères typiques essentiels qui, dans le principe, se montrent dégagés de tous caractères secondaires , et qui, dans la constitution ultérieure de l'individu, se présente- ront toujours au premier rang comme y étant appelés par droit d’aînesse aussi bien que par l'importance du rôle zoologique dont ils sont chargés. Nos connaissances relatives à l’embryologie des Malacozoaires sont extrêmement bornées ; mais, d’après le peu que nous en savons, on voit que dans cet embranchement les premiers phéno- mènes organogéniques diffèrent en même temps de ce qui existe chez les vertébrés et chez les animaux annelés. Aïnsi que je l'ai déjà rappelé, on n’a apercu chez l'embryon des Mollusques au- cune trace de la ligne ou gouttière primitive, circonstance qui coïncide avec l'absence du système nerveux rachidien et des en- veloppes de cet axe médullaire dans ce grand embranchement. Il n’y à également aucun indice de ces divisions transversales et de cette répétition longitudinale de parties homologues qui se re- marquent chez l'embryon des animaux annelés ; et les diverses parties de l’organisation , au lieu de se constituer symétrique- ment de chaque côté d’un plan médian droit, paraissent tendre à se grouper d’une manière incomplétement symétrique par rap- port à une ligne médiane courbe, de facon que le corps de l’ani- mal semble être pour ainsi dire tordu ou reployé sur lui-même. Ici les divers systèmes de l’économie paraissent aussi se dévelop- per d’une manière beaucoup plus indépendante les uns des autres que chez les vertébrés ou chez les annelés, et le travail génésique, au lieu de se prononcer d’abord dans le sens longitudinal, comme dans les deux embranchements précédents , s'étend circulaire- ment, de facon que le jeune être, en s’individualisant, n’affecte pas d’abord la forme d’une bande sarcodique, mais celle d’un disque ou d’un sac. Enfin, dans l'embryon des Zoophytes , il y a de même absence de tout vestige de gouttière primitive, et, de même que chez les Malacozoaires , le développement est circulaire ; mais le tissu sar- codique primitif, au lieu de s'étendre en une lame mince dont les bords se rapprochent peu à peu pour circonscrire des cavités et 86 MILNE-EDWARDS. — SUR LA CLASSIFICATION NATURELLE limiter ainsi le corps du nouvel individu, se constitue dès le prin- cipe en une masse arrondie, dans la profondeur de laquelle se creusent les cavités et se développent les organes spéciaux. Ceux- ci n'apparaissent que très tard, et, en se multipliant, se rangent cireulairement autour d’un point ou d’un axe, de facon que le corps, d’abord plus ou moins binaire, prend bientôt une forme sphéroïdale ou radiaire, Ainsi, dans chaque embranchement, le jeune animal présente, dès les premières périodes de son existence embryonnaire, un mode de conformation spécial, et ce cachet particulier est à mes yeux le caractère zoologique essentiel du type auquel il appartient. Nos classifications doivent être l'expression des divers degrés de la sorte de parenté qui se montre ainsi dans la constitution pri- mordiale des êtres, et le groupe des vertébrés, par exemple, doit comprendre, selon moi, tous les animaux dont l'embryon offre, dans le principe , un sillon rachidien et les autres caractères dont cette disposition est toujours accompagnée, que ces animaux ac- quièrent ou n’acquièrent pas des vertèbres, ou même un axe nerveux cérébro-spinal, Chez les uns , le type peut se compléter, et son empreinte peut devenir plus profonde , tandis que, chez les autres, il peut rester faible et confus ; mais chez tous il doit exis- ter une affinité zoologique fondamentale dont il est indispensable de ténir compte. Nos connaissances embryologiques sont trop incomplètes pour que, dans l’état actuel de la science, il soit possible d’asseoir sur celte base la distribution méthodique des types secondaires ou tertiaires, résultant des grandes modifications imprimées par la nature à tous les types principaux dont il vient d’être question. Four les Annelés, les Malacozoaires et les Zoophytes, nous devons nous en tenir pour le moment à ces résultats généraux ; mais nous pouvons aller au-deii en ce qui concerne les Verté- brés ; et en appliquant à la classification de ces animaux les prin- cipes dont il vient d'être question , nous obtiendrons de nouvelles preuves de la concordance qui existe entre la chronologie des phé- nomènes génésiques et la hiérarchie des affinités zoologiques, Dans les premiers temps de son existence , l'embryon, avons- DES ANIMAUX. 87 nous dit, présente les mêmes caractères chez tous les vertébrés ; mais bientôt cette identité apparente cesse, et des différences importantes se manifestent suivant les animaux dont ces embryons proviennent. Tantôt la totalité du feuillet externe du blastoderme entre comme élément constituant dans la formation de l'embryon, et celui-ci demeure à nu dans la tunique vitelline; d’autres fois, au contraire, ce même feuillet du blastoderme acquiert un développe- ment beaucoup plus considérable; sa portion centrale seulement entre dans la constitution de l'embryon, et sa portion périphérique est employée à la formation de tuniques qui s’interposent entre le corps du jeune animal et son enveloppe vitelline ; le sac amnio- tique se produit de la sorte ; et par suite de cette espèce d’exu- bérance génésique , il se développe aussi en dehors de l'embryon un autre organe dont le rôle est également transitoire dans l’éco- mie , l’allantoïde. Si les principes que j'ai énoncés sont vrais, des différences de cette importance, se prononcant à une époque où l'embryon com- mence seulement à se former, doivent correspondre à des diffé- rences considérables dans la constitution permanente des vertébrés, et doivent être indicateurs de l’existence de deux groupes natu- rels secondaires. Voyons s’il en est réellement ainsi, Les zoologistes ne sont pas d'accord sur le nombre de types secondaires ou classiques qui existent dans l’embranchement des vertébrés. La plupart des auteurs, à l'exemple de Cuvier, divi- sent ce groupe en quatre classes : les Mammifères, les Oiseaux, les Reptiles et les Poissons; mais depuis longtemps M. de Blain- ville s’est élevé contre cette marche, et a proposé l'établissement d’une cinquième classe pour recevoir les Batraciens, dont l’orga- nisation dans le jeune âge s'éloigne tant de celle des Reptiles ordinaires. Je ne m'étais pas d’abord rangé à l'opinion de mon savant collègue; mais d’après un examen plus approfondi de la question, je me suis convaincu de la justesse de ses vues, et j'ai reconnu que dans une classification destinée à représenter les affi- nités naturelles des animaux, il fallait en effet ne plus confondre dans une même classe des êtres si dissemblables. Il existe done parmi les vertébrés cinq types principaux, dont 88 MILNE-EDWARDS. — SUR LA CLASSIFICATION NATURELLE les dérivés constituent : la classe des Mammifères, la classe des Oiseaux , la classe de Reptiles (proprement dits), la classe des Batraciens où Amphibiens, et la classe des Poissons, Mais ces types sont-ils également éloignés entre eux, ou bien peuvent-ils à raison de leurs aflinités réciproques se rapprocher inégalement, de facon à constituer deux ou plusieurs groupes ? Pour résoudre cette question , il suffit de les comparer sommairement entre eux, En effet, nous trouvons d’un côté les Poissons et les Batraciens, qui, dans le jeune âge, sinon pendant toute la durée de leur existence, sont conformés pour vivre dans l’eau, et possèdent des branchies pour y respirer; tandis que de l’autre côté nous voyons les Mammifères, les Oiseaux et les Reptiles proprement dits, dont la respiration est toujours essentiellement aérienne, et s’effectue dès la naissance au moyen de poumons. Tous ces derniers ont entre eux des liens multipliés dépendant d’analogies de struc- ture qu'il serait trop long d’énumerer ici, mais s’éloignent con- sidérablement des Poissons. Les Batraciens , au contraire, sont tous conformés d’abord à la manière des Poissons , et plusieurs d’entre eux conservent toujours une partie des caractères les plus remarquables du type ichthyologique; enfin le passage de l’un à l’autre de ces groupes s’opère par des nuances si graduées, que les zoologistes sont incertains sur les limites qui les séparent, et qu'aujourd'hui encore il est difficile de décider si le Lépidosiren, dont l’organisation a été étudiée avec beaucoup de soin, est réellement un Poisson ou un Amphibien. Les vertébrés dont la respiration est plus ou moins compléte- ment branchiale d’une part, et les vertébrés à respiration essen- tiellement pulmonaire d'autre part, semblent donc former deux groupes dont le rang est intermédiaire aux divisions d’embranche- ment et de classes proposées jusqu'ici; et si nous comparons maintenant ce résultat obtenu par les procédés ordinaires de la zoologie aux résultats déduits des investigations ovologiques , nous les verrons se prêter un mutuel appui. Effectivement les Poissons et les Amphibiens , qui après la nais- sance ont entre eux des liens si intimes , ont un mode de dévelop- pement analogue pendant qu'ils sont encore dans l’intérieur de DES ANIMAUX. 89 l'œuf, et diffèrent sous ce rapport de tous les autres vertébrés ; car, dans le groupe formé par ces deux classes, l'embryon ne porte ni allantoïde ni amnios , tandis que, dans l’autre division du même embranchement, les Reptiles proprement dits, les Oiseaux et les Mammifères, l'embryon est à peine distinct, que déjà il est pourvu de ces deux organes appendiculaires. Ainsi les vertébrés allantoïdiens d'une part et les vertébrés anal- lantoïdiens de l’autre part constituent deux sous-embranchements, dont les caractères se prononcent immédiatement après que ces êtres se sont constitués comme animaux vertébrés, et dont les types restent désormais distincts (1). Ces deux groupes sont par- faitement naturels, et il me semble essentiel de les indiquer dans nos méthodes. Les Poissons et les Amphibiens continuent pendant longtemps à s'élever dans la même route zoogénique, et ces derniers, comme chacun le sait , ont encore après la naissance, à l’état de Têtards, un mode d'organisation presque identique à celle des Poissons; mais à une certaine période cette route se bifurque, et les parti- cularités classiques se montrent par les modifications différentes imprimées aux organes de la sensibilité, de la locomotion , de la circulation, etc. Pour les vertébrés allantoïdiens, la marche génésique paral- lèle est de moins longue durée : aussi les différences sont-elles plus profondes entre les trois classes formées par ces animaux. Les premières modifications qui se montrent dans la direction des phénomènes embryologiques paraissent avoir rapport au rôle que les parties transitoires extérieures sont destinées à remplir ; chez les uns la membrane vitelline tend à disparaître, dès que le blastoderme a donné naissance à des tuniques nouvelles, tandis que chez les autres elle s’unit à une portion de ces tuniques (4) Il paraîtrait même que les différences entre ces deux groupes remonteraient à une époque encore plus reculée, car dans les œufs des Poissons et des Batra— ciens on a constaté l'existence de plusieurs taches germinatives, tandis que, chez chez les Vertébrés allantoïdiens , la vésicule de Purkinge ne semble en renfermer qu'une seule; mais les observations à cet égard ne sont pas assez multiphiées pour que nous puissions en tirer aucune conclusion , et d'ailleurs nous ignorons quelle peut être la valeur d'un pareil caractère. 90 MILNE-EDWARDS. — SUR LA CLASSIFICATION NATURELLE propres pour constituer le chorion, dont Ja surface se couvre bientôt de nombreuses végétations organiques, tandis que chez les premiers la superficie de l'œuf n'offre rien d’analogue. Cette différence est en rapport avec le mode d’existence du jeune ani- mal, qui chez les uns se suffit déjà à lui-même, et ne tire pas sa nourriture du dehors, tandis que chez les autres il a besoin d’en recevoir de sa mère, et d’absorber ces matières étrangères par l'intermédiaire des membranes dont il est enveloppé. L'existence ou l’absence de villosités à la surface de l'œuf au début du travail zoogénique est, comme on le voit, liée à l’un des points les plus importants de l’histoire de l'embryon, et correspond avec des états particuliers de l’appareil reproducteur. Effectivement, là où l'œuf se couvre de ces appendices absorbants , il existe un utérus ou une chambre d’incubation , et la tendance à des rapports intimes entre la mère et son petit, qui détermine ces particularités de structure , se continuant par la suite, semble entraîner la nécessité d’autres organes éducateurs. C’est de la sorte que l'existence de mamelles coïncide avec le caractère ovologique que nous venons de rappeler, et que, dès les premières périodes de la vie, les Mam- mifères s’éloignent des autres vertébrés allantoïdiens. Ces der- niers continuent pendant plus longtemps à se ressembler entre eux, et ils conservent en effet toujours une sorte de parenté plus intime que celle existant entre les Mammifères et l’une ou l’autre classe des vertébrés allantoïdiens ovipares. En effet , les Oiseaux et les Reptiles ont entre eux des affinités très étroites, et ces ani- maux semblent être tous des dérivés d’un même type zoologique particulier, bien qu'il y ait aujourd’hui entre ces deux classes un hiatus considérable. Dans l’état actuel de nos connaissances relativement au déve- loppement des animaux, il serait difficile de préciser le moment où l'embryon d'un reptile commence à différer de celui d’un oiseau, et de dire en quoi cette différence consiste primitivement ; mais la divergence dans la direction des phénomènes génériques ne tarde pas à déterminer des modifications si considérables dans la con- stitution de ces êtres en voie de formation, qu’il devient impos- sible de les confondre entre eux, et que, par conséquent, les prin- DES ANIMAUX. 91 cipes dont je viens de faire l’application à la distribution générale des animaux doivent être également applicables à la classification intérieure du groupe naturel formé par les vertébrés allantoïdiens ovipares, En ce qui concerne les Mammifères , la science est assez riche de faits embryologiques pour nous permettre d'avancer davan- tage dans cette voie, et de montrer la concordance qui existe entre les affinités zoologiques et le parallélisme des phénomènes géné- siques. Les observations importantes de M. Owen sur le mode de dé- veloppement des Kanguroos et sur la constitution du cerveau chez les Monothrèmes aussi bien que chez les Marsupiaux, c’est-à-dire chez tous les Didelphiens , nous fournissent des éléments précieux pour cette investigation. Get habile anatomiste a fait voir, en effet, que dans l’œuf de ces animaux les connexions entre l'embryon et l'utérus ne s’établissent très probablement qu’à l’aide des villosités du chorion et des vaisseaux vitellins, sans que l’allantoïde inter- vienne directement dans la constitution de ces liens organiques, et sans qu'il y ait, par conséquent, production d’un véritable pla- centa; tandis que, chez tous les Mammifères ordinaires, les con- nexions entre la mère et l'embryon, établies primitivement à l’aide du chorion et de la vésicule ombilicale seulement , ne tardent pas à se compléter par le développement des vaisseaux allantoïdiens et la production des appendices placentaires qui en est la consé- quence. Le caractère génésique primitif de la classe des Mammi- fères paraît donc revêtir des formes différentes par les progrès du développement embryonnaire, et ces différences coïncident avec d'autres modifications non moins importantes dans la constitution des organes permanents du jeune animal : car, chez les Mammi- fères ordinaires, le cerveau de l'embryon se complète par la for- mation de la grande commissure transversale connue sous le nom de corps calleux, et chez les Mammifères qui, suivant toute pro- babilité, sont dépourvus de placenta, cet organe ne se montre pas, et l'encéphale conserve, à l’état parfait, une forme pour ainsi dire embryonnaire, Or, les Mammifères ordinaires, d’une part, et les Mammifères didelphiens, de l’autre, constituent deux groupes na- 92 MILNE-EDWARDS. — SUR LA CLASSIFICATION NATURELLE turels que M. de Blainville (1) avait depuis longtemps caractérisés zoologiquement, et que tous les auteurs s'accordent aujourd’hui à admettre, Ainsi, là encore les affinités naturelles coïncident avec la marche des phénomènes génésiques, et semblent même en être une conséquence. Ce qui caractérise essentiellement la sous-classe des Mammi- fères ordinaires, c’est, avons-nous dit, l'existence d’appendices placentaires et la structure de l’encéphale ; mais ces organes do- minateurs n’aflectent pas toujours la même forme, et des diffé rences dans des parties dont l'importance zoologique est si consi- dérable doivent , suivant toute probabilité, entraîner à leur suite des modifications profondes dans les propriétés de ces êtres, et devenir, par conséquent, à leur tour, dominatrices pour les types variés qui dérivent de ce type principal. Effectivement, les rapports vasculaires qui s’établissent entre l’allantoïde et le chorion, rapports que déterminent les caractères des appendices placentaires, peuvent être rangés en trois catégo- ries : tantôt la totalité de la surface interne du chorion est envahie par l’allantoïde, qui envoie d'espace en espace des rameaux vas- culaires dans la substance de la tunique externe de l'œuf, et y donné naissance à de simples villosités ou à des cotylédons dissémi- nés dans toute son étendue ; tantôt l’allantoïde s’enroule seulement autour de l'embryon, et tapisse ainsi le chorion sans atteindre aux deux pôles de l'œuf, d'où résulte un placenta continu et de forme zonaire; enfin, d’autres fois encore, l’allantoïde ne s'étend pas de la sorte, mais s'étale circulairement sur un point de la surface interne du chorion, et y donne naissance à un placenta discoïde, Or, à en juger par l'ensemble des faits connus, ces trois formes de l'organe placentaire me paraissent correspondre à trois types distincts parmi les Mammifères ordinaires, et devoir caractériser, par conséquent , trois groupes naturels (2). (1) Prodrome d'une nouvelle distribution systématique du règne animal ( Bul- letin de la Société philomatique, A816, p. 4115. — Principes d'anatomie comparée, t. I, table 2. Paris, 1822). (2) Sir Everard Home a déjà appelé l'attention des zoologistes sur les différences qui existent dans la conformation du placenta des divers Mammifères , et il à DES ANIMAUX. 03 Le placenta discoïde se rencontre chez les Bimanes, les Qua- drumanes, les Chéiroptères, les Insectivores et les Rongeurs. Les affinités qui existent entre les Bimanes et les Quadrumanes, et même entre ces derniers et les Chéiroptères, sont tellement évi- dentes qu'elles sont reconnues par tous les zoologistes. Les liens qui existent également entre les Quadrumanes et les Chéiroptères, d'une part, et les Insectivores, de l’autre, n’ont pas échappé à l'attention de quelques auteurs; mais, en général, on a considéré ces derniers animaux comme ayant avec les Carnivores une pa- renté beaucoup plus étroite et comme ne devant pas en être sé- parés ordéniquement. Enfin, dans la plupart des classifications , les Rongeurs se trouvent relégués très loin des Insectivores, et séparés des autres Mammifères à placenta discoïde par les Car- nassiers, chez lesquels le placenta est zonaire. Au premier abord, on pourrait donc croire que la coïncidence présumée entre les ca- ractères génésiques et les affinités naturelles ne se rencontre pas; mais un examen plus attentif de la question me semble conduire au résultat contraire, et donner une nouvelle confirmation de la justesse de la thèse que je soutiens. Effectivement, abstraction faite de toute considération embryologique, l’intercalation des Carnassicrs dans la série formée par les Bimanes, les Quadru- manes, les Chéiroptères, les Insectivores et les Rongeurs, me paraît rompre les aflinités les plus intimes, et être, par consé- quent, contraire aux principes de la méthode naturelle; c’est un point que j'ai cherché à établir dans mon cours de zoologie à la Faculté des Sciences , en 1841, que j'ai indiqué dans un ouvrage élémentaire publié plus récemment (1), et sur lequel je suis heu reux de me trouver d'accord avec M. Waterhouse (2), qui, sans cherché à classer ceux-ci d'après le nombre de lobes dont cet organe se compose ; Mais ce caractère étant mal choisi a conduit à des rapprochements qui sont tout- à=fait inadmissibles. (Voyez Lectures on comparative anatomy, vol. TL, p. 461. London, 1823.) On doit aussi à M. Flourens des vues particulières sur la division des Mammi- fères d'après la nature des communications vasculaires existant entre le fœtus et l'utérus de sa mère. (Voyez Annales des Sciences naturelles, 2° série, €. V, p. 67.) (1) Cours élémentaire d'histoire naturelle, Zoologie, seconde édition, p. 319. (2) Observ. on the classif. of Mammalia, loc. cit. 91 MILNE-EDWARDS. — SUR LA CLASSIFICATION NATURELLE avoir connaissance de mes idées à ce sujet, est arrivé au même résultat. La première considération qui milite en faveur de cette opinion est tirée de la conformation de l’encéphale chez ces divers mam- mifères, Effectivement , le cerveau d’un Rongeur diffère à peine de celui d’un Insectivore, et cet organe, examiné dans ce dernier ordre et dans le groupe des Chéiroptères, offre les mêmes carac- tères principaux ; il existe aussi une ressemblance extrême entre l'encéphale d’un Insectivore et celui de certains Quadrumanes ; enfin le passage entre la forme de ce grand centre nerveux, chez ces derniers et chez les Mammifères les plus élevés, s’opère de genre à genre par des nuances graduées. Le cerveau d’un Gar- nivore , comparé à celui d’un Insectivore ou d’un Chéiroptère, offre, au contraire, des différences des plus considérables : chez l'un, les hémisphères présentent , dans leur partie antérieure et moyenne, un développement transversal considérable, et leur surface est sillonnée par des circonvolutions nombreuses ; tandis que, chez les premiers, de même que chez les Rongeurs, cette portion antérieure se rétrécit et se raccourcit de plus en plus, et que les circonvolutions s’effacent de façon à représenter à peu près la forme embryonnaire d’un cerveau humain vers le cinquième mois de la vie utérine. Sous le rapport de la structure du système nerveux , les Ron- geurs , les Insectivores, les Chéiroptères, les Quadrumanes et l'Homme me semblent former une série continue dans laquelle un même plan se présente à divers degrés de développement. Des considérations tirées de l’ostéologie viennent également à l'appui du rapprochement que j'ai proposé : ainsi une clavicule étendue de l'épaule au sternum constitue une espèce d’arc-bou- tant chez les Bimanes, les Quadrumanes, les Chéiroptères, les Insectivores et la plupart des Rongeurs, tandis que cet os manque ou se trouve réduit à l’état d’un vestige inutile chez les Garni- vores , de même que chez les Pachydermes, les Solipèdes et les Ruminants, La disposition des surfaces articulaires de la mâchoire inférieure dont dépend la direction des mouvements masticatoires est aussi très différente chez les Carnivores, d’une part, et chez les DES ANIMAUX. 95 Quadrumanes, les Chéiroptères, les Insectivores et les Rongeurs, d’autre part. On remarque également chez les Rongeurs, les Insec- tivores , les Chéiroptères et les Lémuriens des points de ressem= blance dans la structure des organes de la reproduction, ressem- blances qui ne se rencontrent pas chez les Carnivores , et des ana- logies physiologiques non moins saillantes existent chez les quatre groupes que j'ai cru devoir rapprocher. Enfin, lorsque, sans tenir compte de l’organisation intérieure de tous ces mammifères ni de leur genre de vie, on a égard seulement à leurs caractères exté- rieurs, on ne peut méconnaitre les liaisons intimes qui existent entre les divers termes de la série que je viens d'indiquer. Ainsi le passage entre les Lémuriens et les Chauves-Souris s'établit de la manière la plus naturelle par les Galéopithèques, qui lient égale- ment les Quadrumanes aux Insectivores, et de ces derniers à l'ordre des Rongeurs, la transition la plus naturelle s'établit par l'intermédiaire des Musaraignes, d’une part, et la famille des Rats, de l’autre. Ces dernières aflinités ont été depuis longtemps signalées à l'attention des zoologistes par mon savant collègue et ami, M. Isidore Geoffroy-Saint-Hilaire (1), et ont même conduit M. de Quatrefages à proposer de classer les Soreciens en tête du groupe des Rongeurs (2). Ainsi, en étudiant à l’état adulte les Quadrumanes , les Chéi- roptères , les Insectivores et les Rongeurs, soit par les procédés ordinaires de la zoologie, c’est-à-dire par la considération des caractères extérieurs, soit par des investigations anatomiques et physiologiques, on arrive, ce me semble, à reconnaître que ces divers mammifères constituent un groupe naturel dans lequel les Carnassiers ne peuvent prendre place sans rompre des afinités évidentes, Et, pour se convaincre davantage des obstacles qui s'opposent à une pareille intercalation, il suffit de voir la discor- dance qui existe entre les zoologistes les plus distingués relative- ment à la place que les Carnivores doivent occuper dans cette (1) Voyez l'article Musaratcxe du Dictionnaire classique d'histoire naturelle, t. XI, p. 313. (Paris, 4827.) (2) Thèse sur les caractères zooloyiques des Rongeurs, par M. A. de Quatrefages. (In-4°; Paris, 4840.) 96 MILNE-EDWARDS. — SUR LA CLASSIFICATION NATURELLE série, Car on à eu recours alternativement à toutes les combinai- sons, Ainsi Cuvier (1) place les Insectivores et les Chéiroptères dans l’ordre des Carnassiers, immédiatement à la suite des Quadru- manes, et range les Carnivores entre les premiers et les Rongeurs. M. de Blainville (2) a placé une portion des Carnivores de Cuvier entre les Quadrumanes et les Insectivores , tandis que les Chéi- roptères se trouvent relégués plus bas, sans cependant toucher encore aux Rongeurs, Frédéric Cuvier (3). tout en conservant la place que son illustre frère avait assignée aux Insectivores et aux Chéiroptères, en forme un ordre particulier, que M. Duvernoy (4) a divisé ensuite en deux ordres distincts. M. Isidore Geoflroy- Saint-Hilaire a maintenu le rapprochement généralement admis entre les Chéiroptères et les Quadrumanes, mais a placé les Carni- vores entre les Chéiroptères et les Insectivores, à la suite desquels il range les Rongeurs (5). Enfin, le prince Musignano a réuni en série les Chéiroptères , les Insectivores et les Rongeurs, tout en les séparant des Quadrumanes par les Carnivores, les Éden- tés, etc. (6). C’est qu’effectivement ces rapprochements sont tous commandés par la nature des choses, à l'exception de ce qui tient à la place, si variable, assignée aux Carnivores de Cuvier, et que, pour mettre d'accord, quant aux points essentiels, les divers auteurs dont j'ai cité les opinions, il suffit de retirer ce groupe de la série formée par les dérivés des cinq types ordéniques sur les affinités desquels je viens de rappeler l'attention. (1) Règne animal, &. I. (2) Voyez Bulletin de la Société philomatique , 846 ; et Principes d'anatomie comparée, tab. 3. (3) Dictionnaire des sciences naturelles, art. ZooLoGie, t. LIX (1829). (4) Tableaux des ordres, des familles et des genres de Mammifères adoptés par M. Duvernoy; rédigés sous ses yeux, par M. Lereboullet. Hém. de la Soc. d'hist. nat. de Strasbourg, t. I, partie 3 (1834). (5) Voyez Keepsake d'histoire naturelle, par M. Ch. d'Orbigny, part. vu. Cette marche a été également adoptée par M. de Blainville. ( Voyez Classification des Mammifères ; Annales d'anatomie, t. IL, p. 268 (1839). ) (6) Synopsis vertebratorum systematis. Cette marche a été également suivie , à peu de chose près, par M. Gervais, dans l'article Zoozoc18 de l'ouvrage intitulé : Un Million de faits. (Paris, 1843.) DES ANIMAUX. ÿ7 Ainsi les Rongeurs, les Insectivores , les Chéiroptères, les Quadrumanes et les Bimanes, forment parmi les Mammifères à parturition ordinaire un groupe naturel distinct ; mais pour carac- tériser cette division d’une manière nette, il ne suffit pas des tendances organiques que l’on y remarque chez les animaux adultes ; il faut remonter vers l’origine de ces êtres, et alors on voit apparaître clairement les signes de cette sorte de parenté zoologique. En effet, ce groupe correspond précisément à l’une des divisions chez lesquelles j'ai signalé, il y a quelques instants, l'existence de particularités ovologiques très remarquables ; car tous les Mammifères à placenta discoïde y prennent place, et jus- qu'ici on n’a rencontré aucun Rongeur, Insectivore , Chéiroptère ou Quadrumane , chez lequel ce caractère , dont l'espèce humaine offre aussi un exemple , ait manqué. Les Mammifères à placenta diffus me semblent constituer égale- ment un groupe bien naturel ; en effet , les animaux chez lesquels cette disposition des appendices vasculaires du chorion a été observée, appartiennent aux ordres des Ruminants, des Pachy- dermes, des Édentés et des Cétacés. Or les liaisons qui existent entre ces animaux sont bien connues deszoologistes, surtout depuis que M. de Blainville a appelé l'attention sur les rapports qui exis- tent entre les Pachydermes et les Siréniens où Cétacés herbivores, Enfin les Carnivores et les Amphibies se distinguent de tous les précédents par leur placenta zonaire ; mais des trois groupes ainsi caractérisés, la division des Mammifères à placenta discoïde me paraît être plus éloignée de celle-ci que ne l’est la division des Mammifères à placenta diffus, et le passage de l’une à l’autre me semble établi par le Daman, qui, dans la série des Mammifères à placenta zonaire , représente le type des Pachydermes ordinaires dans la série des Mammifères à placenta diffus, et le type des Rongeurs dans la série dés Mammifères à placenta discoïde. Il y aurait donc parmi les Mammifères à parturition ordinaire trois types génésiques principaux , dont les dérivés constitueraient autant de groupes zoologiques intermédiaires entre les divisions primaires de la classe et les divisions ordéniques; et dans chacun de ces groupes les dérivés de ces types principaux constitueraient 3° série, Zoor. T. L. (Février 18#4 7 98 MILNE-EDWARDS. — SUR LA CLASSIFICATION à leur tour des types secondaires, ternaires , etc., lesquels for- meraient des séries tantôt simples, tantôt multiples , tantôt parallèles, et d’autres fois divergentes. Pour le moment, je ne poursuivrai pas davantage cet examen de la concordance des modifications du travail zoogénique avec les affinités naturelles des animaux. Le but que je me suis proposé dans cet écrit n’était pas l'établissement d'une classification géné- rale du règne animal fondée sur embryologie , car nous man- quons encore de faits pour entreprendre un pareil travail; mais j'ai pensé qu'il n’était pas inutile d'appeler l'attention des natu- ralistes sur l'influence que cette branche de la science me semble être destinée à exercer sur les études auxquelles elle est demeurée jusqu'ici presque entièrement étrangère, et de montrer par quel- ques exemples la manière dont j'entends faire l'application des principes que j'ai énoncés. Il est possible que je me sois quelque- fois trompé dans l'appréciation des caractères génésiques que j'ai considérés comme étant dominateurs dans l'économie, et de pareilles erreurs seraient, je crois, excusables dans l’état d’imper- fection extrème de nos connaissances relatives au mode de déve- loppement des animaux ; mais ce qui me paraît bien démontré et important à signaler, c'est le principe dont je suis parti. Effec- tivement , l'embryologie , je le répète , me paraît être appelée à nous servir de guide dans la recherche des affinités zoologiques , dont nos classifications doivent être l'expression, et je m’estime- rai heureux si les considérations exposées dans cet écrit excitent quelques naturalistes à entreprendre dans cette direction des tra- vaux plus étendus (1). Dans le tableau ci-joint , j'ai cherché à représenter par la posi- tion relative des groupes et par les lignes qui unissent ceux-ci, (1) Au moment de mettre sous presse les dernières pages de cet écrit, j'ai recu de M. Kôlliker un travail très important sur l'embrÿologie Ces Céphalopodes, dans lequel cet habile observateur expose non seulement les recherches auxquelles il s’est livré sur cette classe de Mollusques, mais présente aussi des vues générales sur le développement des êtres animés, vues qui pour la plupart cadrent parfai- tement bien avec les opinions dont je viens de rendre compte. Je regrette de n'avoir pu profiter des résultats obtenus par M. Kolliker, mais j'ai eru devoir les signaler à l'attention des zoologistes. ool ANIMAUX VERTÉI VERTÉBRES Zool ALLANTOIDIENS GÉLPUIENS on WAMMIFERES PLAICENTAIRES EE — à (Bimane «et nuileres à placenta > Te ES (Chéioptére — SR 1 Inscctivores ) x { Ruminans DIDELPHIZ CS Up) 7 \ Saurien à NL: ( Chéloniens } ( Ophidiens }/ VERTEBRES a ANA LLANTOIDYENS/ / / / lt Cu gaulle test nait D'AUL fl A fit 4 LAC H 4 7 DES ANIMAUX. 99 les divers degrés d'aflinité que les animaux vertébrés offrent entre eux et la place qui leur appartient, à raison de la perfec- tion plus ou moins considérable de leur organisation. Le défaut d'espace ne m'a pas permis de graduer suflisamment les distances entre divers types , ni d'élever toujours ceux-ci proportionnelle- ment à leur rang zoologique ; mais ce tableau, tout incomplet qu'il est, suflira, je crois, pour donner une idée approximative des véritables rapports naturels de ces animaux, et sera plus fidèle que ne pourrait l'être toute méthode linéaire. DESCRIPTION DE QUELQUES DENTS FOSSILES DE POISSONS TROUVÉES AUX ENVIRONS DE STAOUELI, DANS LA PROVINCE D'ALGER : Par M. VALENCIENNES. Non loin d'Alger et de Sidi-Ferruch , lieu devenu célèbre par le débarquement de l’armée française, à l’époque de la conquête de notre nouvelle colonie, on trouve Staoueli, endroit dont les Francais conserveront aussi le souvenir , puisque c’est près de là qu'ils établirent leur premier camp, pour se rendre , par une route qu'ils protégèrent de leurs batteries , vers la capitale de la Régence, dont ils se rendirent bientôt maîtres. Tous les voya- geurs s'accordent à dire que la campagne environnante est aussi agréable que pittoresque ; elle offre aussi au naturaliste et au géo- logue plus d’un intérêt scientifique. M. Medoni, lieutenant de vaisseau de la marine royale, en se promenant autour de Staoueli, découvrit dans le calcaire sur lequel cette ville est assise des dents fossiles, qu'il rapporta en France. À son retour à Paris, il les remit à M. Lenormant , membre de l'Institut. Ge savant , voulant satisfaire au goût très vif que le jeune fils de M. Guizot a pour la géologie, lui donna ces fossiles pour sa collection, déja commencée avec autant d’ac- tivité que de sagacité. Ayant été consulté sur la nature de ces fossiles, je reconnus 100 vaLENCIENNES. — SUR QUELQUES DENTS FOSSILES bientôt leur intérêt scientifique, et je demandai la permission de les décrire. Le calcaire où ces dents ont été trouvées a été observé et déterminé par les travaux géologiques de M. Rozet et de M. Puillon de Boblaye, dont la géologie regrette la perte récente et inattendue, Ce calcaire madréporique existe à la partie tout-à-fait supé- rieure des terrains tertiaires subapennins de la côte d'Afrique ; c'est la Brèche blanche à coquilles spatisées d'Oran. M. Boblaye l'avait observée sur plusieurs points des environs d'Alger, et ce savant géologue la placait au même étage que la couche conte- nant les Poissons fossiles d'Oran. La plus grosse de ces dents est tranchante et comprimée comme une incisive humaine : elle a une couronne convexe en dehors; la partie supérieure de la face interne est un peu toncave, et la base est convexe. Elle est haute de 0,014, et large de 0",012; la racine n'a que 0,005 de hauteur. La couleur de l'émail de cette dent est jaunàtre, avec quelques taches noirâtres, plus foncées sur le tranchant de la couronne. Elle est représentée PI. 44, fig. 4. Une seconde dent, semblable à une incisive, a la couronne également convexe en dehors, plus concave sur toute la face interne ; elle est plus petite, car elle n’a de hauteur que 0",009, et de largeur que 0,007 ; la racine a 0",004 ; l'émail est aussi jaunâtre , mais avec de grandes marbrures noires. Elle est repré- sentée PI. 1 4, fig. 2. £ Une troisième dent, PI, 1 #, fig. 3, à couronne comprimée, n'a plus la forme régulière des deux précédentes. L'un des bords est rectiligne, et fait avec le bord tranchant un angle droit ; l'autre bord suit une ligne brisée de dehors et dedans , dont l'angle est vers la milieu de la hauteur de la couronne ; d'où il résulte que la hauteur de la dent est de 0",008, et que la largeur mesurée de la base est de 0,009 ; que celle prise à l'angle ren- trant n’est plus que de 0",006, et celle du bord supérieur, 0",004. L'émail est presque entièrement noir. Je trouve maintenant deux très petites incisives qui ne doivent pas appartenir à la même espèce que les précédentes, DE POISSONS. 101 L'une d'elles, PL 4 4, fig. 4, a une couronne de même forme que celle représentée fig. 2; elle est convexe en dehors, et tout-à-fait concave en dedans ; la hauteur de la couronne est de 0",003 , et la largeur de 0,002, La couleur est toute noire, Une autre dent comprimée, PI 1 4, fig. 5, n’a plus le bord tranchant ; le milieu fait une petite saillie, de sorte que la cou- ronne est terminée par une sorte de petit chevron : elle est d’ail- leurs de même hauteur et de même largeur que la précédente, J’observe ensuite des dents coniques semblables aux canines de nos Daurades ; la plus grande , PI. 1 1, fig. 6, est un peu cour- bée en dedans ; sa hauteur est de 0",010, et la largeur du cône à la racine a 7 à 8 millimètres. Puis j'en ai une autre beaucoup plus basse, PL 124, fig. 7, car la hauteur n’est que de 0",006, tandis que la base à encore 0",008 de diamètre. L'émail de ces deux dents est noir, avec un cercle jaune à la base. Une autre de ces dents coniques devient encore plus surbaissée, PI. 1 4, fig. 8 ; elle conduit évidemment aux formes des dents molaires et arrondies, La base à 0",006 de diamètre, tandis que la hauteur n’a que 0",003. Toutes les autres dents ont la couronne arrondie, comme nos dents de sparoïdes à molaires en pavés ronds et grenus. L'une d'elles, PI. 4 4, fig. 9, à encore de la hauteur; elle est de 0",008 ; la largeur est de 0",010. Cette dent forme par sa couleur un bel onyx, composé de cercles alternativement noirs et jaunes ; le centre de la couronne était noir. Une seconde à couronne ronde est beaucoup plus aplatie, PI: 1 4, fig. 10; le plus grand diamètre est de 0",014 ; la hau- teur n’est que de 3 à 4 millimètres. Le dessus de la dent est d’un beau jaune, et la base de la couronne est entourée d’un cercle blanc. Je trouve une troisième molaire dont le cercle est un peu irré- gulier; son plus grand diamètre est de 0",009; sa hauteur de 0",004. La couronne, d’un jaune plus foncé, à deux cercles noirs ; elle est représentée PI. Lf, fig. 11, Enfin il y en a trois 102 VALENCIENNES. — SUR QUELQUES DENTS FOSSILES autres beaucoup plus petites, PI, 4 4, fig. 19, 43, 14; leur dia- mètre varie de 3 à 4 millimètres ; elles sont un peu irrégulières. Il faut maintenant conclure de l'examen de ces dents, que nous avons sous les yeux les restes de plusieurs espèces de genres dif- férents de Sparoïdes a dents en pavés arrondis. En effet, les dents, fig. 1, 2, 3, 4, 5, sont celles de poissons du genre Sargue. Il ne me parait pas probable que les dents , fig. 4, 2, soient de la même espèce ; il y a trop de différence de grandeur entre elles pour admettre que l’une, fig. 4, serait une grande dent mitoyenne, et l’autre, fig. 2, une dent latérale, Je trouverai encore une raison de cette différence spécifique dans la forme et les propor- ions de la dent, fig. 3; celle-ci est une dent latérale de l’es- pèce, qui avait pour dent incisive mitoyenne celle qui est repré- sentée fig. 2, La dent figurée n° 4 est aussi celle d’un Sargue très petit; et je n’oserais dire si celle de la figure 5 est de la même espèce , ou si elle est différente. Ce dernier poisson n’était pas plus grand que nos Sargues ordinaires, vivant actuellement dans la Médi- terranée. Quant aux deux premières espèces, elles étaient beaucoup plus grandes, Ainsi, en comparant la largeur et la hauteur des dents de nos Sargues à leur longueur, et en établissant par une proportion la longueur du corps des Sargues fossiles que je viens d'indiquer , on peut admettre que ces poissons avaient 1 mètre à 1 mètre 1/2 de longueur ; cette taille est beaucoup au-dessus de celle des Sargues actuellement vivants sur le globe, mais elle n’est pas supérieure à celle de plusieurs autres Sparoïdes, Les molaires , fig. n° 9, 10, 11, 12, 13 et 14, appartiennent aussi à des Sargues, parce que les petites molaires des Daurades sont en général plus coniques, et que les grandes sont ellip- tiques. D'ailleurs si les dents de ces Sargues fossiles avaient entre elles les mêmes proportions que celles de nos Sargues vivants, il y a lieu de présumer que l’on n'aurait pas encore trouvé les plus grandes molaires de ces poissons. Les fossiles représéntés, n° 6, 7 et 8, sont analogues aux DE POISSONS. 103 dents coniques de nos Daurades (Chrysophrys). Il me paraît probable qu'elles sont toutes trois de la même espèce de poisson, dont la longueur aurait pu être de 70 à 80 centimètres ; nous con- naissons plusieurs Daurades, même sur la côte d'Afrique, dans le golfe de Guinée , qui atteignent à cette laille. Toutes ces dents ayant été trouvées près d’Alger , j'ai eu l’idée de désigner les espèces perdues aujourd’hui, et auxquelles elles ont appartenu, par des noms tirés de ceux de la géographie an- cienne de cette province : aussi je propose de nommer ces poissons : L'un Sargus Jomnitanus , fig. À: L'autre Sargus Rusuccuritanus, fig. 2 et 5 ; Le troisième Sarqgus Sitifensis , fig. 4 et probablement fig. 5 ? L'espèce de Daurade pourrait être appelée Chrysophrys Arse- naritana. La même collection renferme aussi une dent de la famille des Squales , remarquable par sa bonne conservation ; elle a la forme d'un triangle isocèle à bord lisse, dont la base a 0,044, les côtés 0,055, la hauteur 0,048 ; une des faces est très convexe, l'autre est tout-à-fait plane, Cette dent est d’une espèce qui appartient au genre OxYRHINA d’Agassiz, puisque les bords sont lisses et sans aucune dentelure ; elle est très voisine de l’espèce figurée dans l'ouvrage des Poissons fossiles, vol, V, pl. 33, n°7, sous le nom d'Oxyrhina Mantel- li. Mais je trouve que les ondulations des bords ne sont pas assez semblables pour croire que ces deux dents aient appartenu à deux poissons de même espèce, Je propose alors pour ce nouveau Chondroptérygien le nom de Oxyrhina N'umida. Il est bien entendu que pour caractériser convenablement ces espèces, il faut attendre que de nouvelles recherches aient fait comaître une plus grande partie de leur squelette ; ce sont au- jourd'hui de simples renseignements que nous voulons donner aux naturalistes qui se rendront à Staoueli. 104 GRUBY. — OBSERVATIONS EXPLICATION DES FIGURES (Praxcue | 4). Fig. 4. a, dent du Sargus Jomnitanus, vue de face. Fig. 1. b, la même, vue par le tranchant de la couronne. Fig. 2. a, dent incisive moyenne du Sargus Resuceurilanus , vue de face. l 2 Fig 2, b, la même, vue par le tranchant de la couronne. 3. Dent incisive latérale de la même espèce. k. a, dent incisive moyenne du Sargus sitifensis, vue de face. Fig. 4. b, la même, vue par le tranchant de la couronne. g. 5. Dent inoisive latérale de la nouvelle espèce ou d'une espèce très voisine. Fig. 6. Dent du Chrysophrys Arsenaritana. £ 10,11, 12, 13, 14. Dents molaires de Sargues. Fig. 15. Dent de l'Oxyrhina Numida. RECIERCHES ET OBSERVATIONS SUR UNE NOUVELLE ESPÈCE DE HÆMATOZOAIRE (1) ( Trypanosoma sanguinis }: PAR M. GRUBY. ( Présentées à l'Académie des Sciences, le 13 novembre 1843. ) Les efforts des physiologistes modernes ont mis en évidence l'existence de parasites vivant dans le sang des animaux ; et : nous avons même prouvé {tout récemment avec M. Delafont, devant l’Académie , l'existence d'un nombre considérable de Vers cir- culant dans le sang des Mammifères. On sait que les Vers dont il s'agit sont tous du genre L'ilaire ; il est done du plus grand in- térêt pour la science de savoir si le sang des animaux contient (1) En insérant ici cette Note de M. Gruby, je crois devoir dire que l'existence du Trypanosome comme espèce zoologique ne me semble nullement prouvée ; je suis même porté à croire que les corps décrits sous ce nom ne sont pas de véri- tables animaux, mais des produits de l'organisme, qui. pendant un certain témps après leur individualisation, conservent de la contractilité, comme cela arrive pour de petits fragments de tissu garnis de cils vibratiles, par exemple. S'il en était ainsi, il faudrait probablement les comparer aux Spermatozoïdes plutôt qu'à des Helminthes. R. SUR LE TRYPANOSOME DU SANG. 105 plusieurs espèces d’Entozoaires, aussi bien que leurs intestins, et si on doit attribuer leur existence dans le sang à un certain état physiologique , ou bien à un état pathologique quelconque. Pour arriver à résoudre cette question, j'ai fait de nombreuses re- cherches sur le sang des animaux, et j'ai trouvé qu'il circule dans le sang des grenouilles une nouvelle espèce d'Hæmatozoaire , qui, à cause de ses formes et de ses mouvements particuliers , mérite d'attirer l'attention des physiologistes. L'Hæmatozoaire dont je parle ici se trouve dans le sang des gre- nouilles vivantes et adultes, pendant les mois du printemps et de l'été. Son corps allongé est aplati, transparent, et tourné comme une tarière (PL 1 B, fig. 1, 2, etc.). Sa partie céphalique est terminée en filaments minces et allongés ; sa partie caudale se termine également en filaments pointus. La longueur de l'animal est égale HYERES , 5 —10 4000 millimètres ; sa largeur à 1000 phalique filamenteuse, pointue, est douée de la plus grande mobilité. La longueur du filament céphalique est égale à 10—12 71000 une lame de scie, sur toute la longueur de lun de ses bords. Il est, comme je l’ai mentionné ci-dessus, lisse, et tourné deux ou trois fois autour de son axe , comme une tarière ou un tire- x à millim. ; la partie cé- millim. ; son corps est allongé, aplati et dentelé, comme bouchon; c’est pourquoi je propose de nommer cet Hæmato- zoaire : TRYPANOSOME (1). La locomotion du Trypanosome est très remarquable : d'abord on doit admirer la rapidité avec laquelle il remue chacune de ses parties, pour produire le mouvement autour de son axe longitu- dinal , c'est-à-dire le mouvement de la tarière , et ensuite l’adresse qu'il met à éviter tous les obstacles qu'il rencontre dans sa marche. On peut compter quatre mouvements autour de son axe par seconde , et 14,400 circonvolutions par heure. Lorsque cet animal est en repos, il se contracte de telle sorte qu'il forme un cylindre compacte et lisse, dont l’un des bouts est arrondi, et l’autre terminé en pinceau, (1), PI. 1 B, fig. 6, Au (1) Trypanon, larière, 106 RUBY. — OBSERVATIONS SUR LE TRYPANOSOME DU SANG. premier abord on croirait qu'il s'agit d’un animal d’une autre espèce , tant sa forme est changée ; mais en l’observant pendant qu'il se contracte, on voit qu'il se place de manière que le bord lisse de son corps forme la surface et le bout arrondi du cylindre ; tandis que les appendices se trouvent en partie enfermés et com- primés à l'intérieur du cylindre, et constituent, en outre, avec leurs pointes oflilées, l’autre bout en forme de pinceau. Les Trypanosomes de sang ne sont pas aussi communs que les Filaires, Sur cent Grenouilles on en rencontre chez deux ou trois; et dans chaque goutte de sang il se trouve deux ou trois de ces animalcules, On les rencontre quelquefois dans le sang des Gre- nouilles avec les Filaires ; mais ces derniers sont toujours plus nombreux, Les jeunes Grenouilles n’ont point de Trypanosomes dans le sang, On les voit plus souvent dans le sang des femelles que dans celui des males, Ces observations, jointes à celles de MM. Valentin (1) et Gluge (2), mettent hors de doute l'existence de différentes espèces d'animalcules dans le sang des animaux à sang froid, Leur forme particulière et les mouvements dont ils sont pourvus prouvent que ce sont des animalcules de sang proprement dits, et non des animalcules d’un tissu quelconque entraînés par hasard dans la circulation ; ce qui paraît d'autant plus vraisemblable, qu'on ne les rencontre jamais dans aucune substance solide de l'animal , de sorte qu'on peut les considérer comme des Enthelmintozoaires de sang. Les organes des Grenouilles ainsi infestés, examinés attentivement, ne présentent aucune lésion pathologique. Ges animaux n'offrent même aucun symptôme d’une maladie quel- conque ; et comme on rencontre ordinairement ces vers chez les adultes, il en résulte qu'on doit avec raison aitribuer leur pré- sence à un éfat particulier, mais physiologique, de ces animaux adultes, (1) Mullers, Arehie., ann. 1841, p. 435. M. Valentin a découvert dans le Sing d'un Salmo un Hæma'ozoaire particulier, qu'il dit appartenir au genre Amæba Ehrenberg. {2) Mullers, #rchiv,, 4842, p 148. M. Gluge a vu dans le cœur d'une gre- noville wn & njrialcule particulier avec {rpis appendices latéraux. GOODSIR. — SUR LES SEXES DES CIRRIPÈDES. 107 EXPLICATION DES FIGURES (Piaoue 1 B). 1. Trypanosoma sanguinis à trois tours de spire. Fig. 2. Trypanosome à deux tours de spire. 3. Trypanosome à un tour de spire. Fig. 4. Trypanosome en forme d'hydre. Fig. 5 et 6. Trypanosome en forme de cylindre. Fig. 7. Trypanosome en forme d'anneau. NOTE SUR LES SEXES ET LES ORGANES DE LA REPRODUCTION DES CIRRIPÈDES ; Par M. H-D.-S. GOODSIR ||) On n'a pu s'assurer jusqu'à présent d’une manière positive si les sexes sont séparés chez les Cirripèdes ou si les organes mâles et femelles sont réunis chez un même individu, et les opinions relatives à ce sujet sont en même temps très nombreuses et con- tradictoires. Il n’y à pas deux auteurs qui s'accordent dans leur manière de voir à cet égard, et cette contradiction suflit pour remettre en doute toutes les hypothèses qu'on à avancées jusqu’à présent sur la nature des organes reproducteurs chez ces ani- maux. Jusque dans ces derniers temps, les Cirripèdes ont été regardés comme des mollusques, et c’est là la cause de tant de confusion et d'incertitude. » Hunter, le premier auteur qui ait examiné ces animaux avec un peu de soin, expose ses opinions relativement aux organes de là génération de la manière suivante : « Les Balanes sont proba- blement tous des hermaphrodites de la première classe, c'est-à- dire de ceux qui se fécondent eux-mêmes, car je ne leur ai jamais trouvé deux espèces d'organes que j'aie pu croire être l’un mäle et l'autre femelle.» Puis il décrit ce qu'il suppose être la portion tubuleuseé du testicule, les vaisseaux déférents et le pénis ; mais (1) On thé sexes, organs of reproduction and développement of Cirripeds (Edin- Dürgh ner Philosophieal Journal, avril 1843, p. 88) 108 GOODSIR. — SUR LES SEXES sans faire mention d’un ovaire. La méprise de Hunter relativement à la véritable nature de ces organes paraît dépendre de ce qu'il n'avait examiné que des individus non fécondés. Cuvier avance la même opinion relativement à l’hermaphro- disme des Cirripèdes; mais il diffère de Hunter dans ses vues sur l'anatomie et la physiologie des organes générateurs. Les par- ties que Hunter suppose être les testicules sont regardées par Cu- vier comme des ovaires ; les conduits déférents du premier sont des oviductes pour celui-ci, et l'organe décrit par Hunter sous le nom de pénis devient pour Cuvier un oviscape. Ce dernier zoologiste suppose que les œufs sont fécondés pendant leur trajet le long de l'oviscape , et il a concu cette opinion en voyant l’organe qu'il croyait être l’ovaire rempli de petits granules qui lui paraissaient être des œufs. D’autres auteurs, parmi lesquels se trouvent sir Everard Home, pensent que les parties déjà mentionnées, et que Hunter et Cuvier ont pris pour les organes uniques de génération, sont simplement les organes mâles; que l’ovaire est situé dans le pédoncule , et que la fécondation a lieu au moyen de l'organe que Hunter appelle le pénis. Cette opinion relative à l’existence des ovaires dans le pédoneule de l’animal est inexacte. Cette méprise a été commise évidemment par le fait qu'on a pu trouver dans cette partie du corps des œufs après leur sortie des ovaires; mais ils y sont déposés par l’oviscape, pour y séjourner jusqu’à l'époque à laquelle ils seront assez mûrs pour être expulsés hors du corps de la mère. De plus, on n'apercoit dans cette partie de l'animal aucune struc- ture glanduleuse favorable à l'hypothèse dont il vient d’être question. ÿ En examinant ces diverses opinions, nous trouvons que celle de Cuvier se rapproche le plus des faits en ce qui concerne les or- ganes femelles de génération. Si l’on prend sur les rochers, au mois d'avril, une Balane commune (Balanus balanoïdes), et qu'on exa- mine l’animal renfermé dans son intérieur, on y voit les oviductes (ou les organes que Hunter avait appelés des conduits déférents ) remplis d’un nombre immense de très petits granules jaunes : ce sont les œufs, Après un certain espace Ce temps, ces œufs par- DES CIRRIPÈDES. 109 courent les oviductes et l’oviscape (ou pénis, suivant Hunter), et de la sorte parviennent dans J'intérieur de la coquille, ou plutôt dans la cavité qui existe entre le corps et le manteau de Panimal. Les œufs sont rangés en masses irrégulières, et dis- posés comme par couches au fond de cette cavité, qu'ils rem- plissent quelquefois complétement. A cette saison, l’oviscape est constamment recourbé en bas et en dedans, le long du côté droit du corps de l'animal. Les œufs sont, comme nous avons déjà dit, d’une forme sphérique pendant qu'ils sont renfermés dans les ovi- ductes ; mais à mesure qu’ils en échappent, ou peu de temps après, ils deviennent ovoïdes, étant plus pointus à leur extrémité posté rieure qu'à leur extrémité antérieure. Quand les œufs sont assez mûrs pour être expulsés du corps de la mère (ce qui peut être au moment même ou peu de temps après que le jeune animal s’est fait jour à travers les parois de l’ovisac ), ils sont entraînés suc- cessivement par des courants déterminés par la rétraction des cirrhes. On voit, d’après ce que nous venons de dire , que l'opinion de Cuvier touchant la nature des granules qu’il avait observés dans l'ovaire est exacte : ce sont en effet des œufs. Ainsi l'organe que Hunter a pris pour le testicule est un ovaire véritable. La seule partie qui semblerait pouvoir remplir les fonctions d’un organe fécondateur est la portion tubuleuse en forme de trompe , dont la portion basilaire offrirait, selon plusieurs auteurs , une structure glanduleuse d’après laquelle on à cru qu’elle remplissait les fonc- tions du testicule. Cependant rien dans cet organe n'offre une structure glanduleuse ni aucune apparence de nature à appuyer cette opinion. On voit donc, d’après ces remarques, que cet animal, qu’on a considéré jusqu'à présent comme hermaphrodite , n'offre que des organes générateurs essentiellement femelles , et que les organes mâles manquent complétement, Nous devons donc conclure, d’a- près ces considérations : 1° que les Cirripèdes ne sont pas herma- Phrodites et que les sexes doivent être distincts, et 2° que le mâle doit exister comme individu séparé et distinct. M. J.-V. Thompson, dont l'opinion, relativement à l’histoire de 110 GOODSIR. — SUR LES SEXES ces animaux, est du plus grand poids, dit, en parlant d’un petit animal ayant l’aspect d’un crustacé, et qu'il a reconnu plus tard pour être la larve des Balanés : « Certaines circonstances m'ont fait croire que ce sont des larves de quelques crustacés , ou (puisqu'on a déjà établi que les Girripèdes sont des crustacés) les mâles de ces derniers animaux, car je n'étais pas disposé à croire que chez ces êtres les deux sexes sont réunis dans un même individu. On peut remarquer encore en faveur de cette manière de voir que les mäles d’un grand nombre de crustacés sont d’une petitesse remarquable comparés aux femelles de la même espèce, et que l'aspect du mâle est très différent de celui de la femelle, comme dans les Caliges et les Bopyres ; enfin que, chez certains autres, les mäles sont rares, et se montrent seulement à une cer- taine saison de l’année.» Le même auteur dit encore : « Devons- nous conclure , d’après toute l’histoire de ces animaux, qu’ils ont les sexes réunis chez un méme individu ? Une telle assertion , en discordance avec ce que nous voyons chez tous les autres Crus- tacés, est bien propre à nous inspirer des doutes, » M'étant donc assuré que les Cirripèdes n'étaient pas hermaphro- dites, et voyant en même temps qu'à raison de l’organisation des jeunes ou des larves, ces animaux sont de véritables Crustacés, et de plus ayant devant moi les opinions de M. Thompson, j'ai été conduit à supposer que les sexes doivent se trouver sur des indi- vidus distincts, et que le mâle existerait sous la forme d’un Crus- tacé Syphonostome inférieur analogue aux Lernées. Le mâle des Lernées se trouve toujours attaché près des oviductes externes, et, dans quelques cas, sur cette partie du corps dans laquelle l'ovaire se trouve, comme dans lÆnchorella uncinata. Gela étant ainsi, j'ai pensé que le màle des Balanes se trouverait dans une situation analogue. Conformément à cette supposition, l’oviscape à été examiné avec soin chez un très grand nombre de Balanes et dans toutes les saisons de l’année, mais inutilement : rien ayant la forme d'un animal distinct n’a pu être découvert. Cependant, au commencement de mai 1843, pendant que j'examinais quelques individus du Balanus balanoides , dans l'es- pérance de voir mes suppositions confirmées, j'ai trouvé un petit DES CIRRIPÈDES, A corps charnu non sur les oviscapes , mais sur le corps de l'animal, immédiatement au-dessus des ovaires. Ce corps adhérait avec assez de ténacité, et en le placant isolément dans un vase d’eau de mer , on voyait qu'il était vivant, et qu'extérieurement il res- semblait beaucoup à une Lernée. Par un examen plus approfondi, je me suis assuré que la partie antérieure du corps de ce petit être est grêle et crustacée , et composée de six articles. Les yeux, au nombre de deux, sont noirs, luisants et pédonculés. Les antennes sont au nombre de quatre , et offrent presque toujours des mouvements continuels. Par suite d’une disproportion apparente des deux portions de son corps, cet animal est complétement impropre à la locomotion ; mais le segment antérieur ou testacé se balance continuellement d'avant en arrière et d’arrière en avant. Dans la conviction que j'ai que cet animal n’est rien autre que le mâle du Balane , je vais en donner une description détaillée, — Foyez PI 15, fig. 1. Tout l’animal est d’un jaune paille, le segment antérieur ou testacé étant d’un jaune un peu plus clair que les autres parties, Le corps, comme j'ai déjà dit, est composé de deux portions, lune antérieure et l’autre postérieure ; la première est grêle , tes- tacée , et à six articles ; la portion postérieure du corps, non arti- culée, est volumineuse, charnue; lobulée et contractile; elle offre également plusieurs prolongements charnus , qui en appa- rence correspondent à des pattes. Sur la ligne médiane, en arrière, fait saillie un appendice long et charnu semblable à une queue. La partie antérieure de cette portion du corps offre trois lobes , et fait saillie au-dessus et au-devant de la portion testacée, qu'elle cache complétement, quand Fanimal se trouve dans sa position naturelle. Le premier segment de la portion testacée est le plus volumi- neux des six, et a une forme demi-circulaire. I porte l'appareil masticateur , deux paires d'antennes, les deux yeux , une paire d'organes fortement dentés en forme de peigne, et une paire de membres, allongés , aigus et semblables à des grilles, Fig. 2. Les veux sont gros, luisants, noirs et pédonculés, et autant 112 GOODSIR. — SUR LES SEXES qu'on a pu s’en assurer, ils sont jusqu'à un certain point mobiles, La première paire des antennes , celle qui est antérieure , est formée de chaque côté d’un seul article large et aplati semblable à une écaille , et dont l'extrémité est garnie de sept ou huit fila- ments longs et déliés, dont les deux premiers sont à deux articles. Les antennes externes sont formées de neuf articles, dont les deux premiers peuvent être considérés comme le pédoncule ; les sept derniers sont plus grêles et plus déliés, et ont tous à leur extrémité antérieure une épine; le neuvième est armé à son extrémité terminale de deux ou trois épines très longues et très déliées, La bouche se trouve à la partie postérieure de ce segment ; elle paraît être organisée pour la succion ; mais à raison de la petitesse extrême de cette partie, sa forme n'a pas encore été compléte- ment déterminée. “Une écaille très fortement découpée en peigne s'élève de chaque côté de la base de la première paire des antennes, tout près de la ligne médiane, et couvre ces appendices ; leur bord postérieur est armé de sept ou huit dents allongées , aiguës et très fortes. Une autre paire de forts appendices sem- blables à des griffes prennent naissance également de la base des antennes antérieures et se dirigent en arrière. Les pattes sont au nombre de dix, cinq de chaque côté. Chaque patte est formée de six articles, dont le dernier est armé d’une forte griffe terminale. Celles des première , seconde et troisième paires sont un peu courtes, et leur dernier article est sphérique ; la quatrième paire est volumineuse et forte ; la cinquième est beau- coup plus grèle. Ces membres sont en apparence impropres à la locomotion, et sont en général rétractées et ployées sur la surface abdominale, à l’exception de la dernière paire , qui semble être toujours en mouvement. Les quatre segments moyens du corps ont leurs bords externes infléchis sous le corps, de facon à atteindre à une petite distance de la ligne médiane ; leurs bords postérieurs sont fortement dentés en peigne , de la même manière que le sont les organes situés à la base de la première paire des antennes, Cette structure DES CIRRIPÈDES. 113 est évidemment destinée à permettre au mâle de se cramponner fortement à la femelle dans l'acte de la copulation. Les organes externes de la génération sont situés à la base de la dernière paire de pattes (fig. 6) ; ils sont articulés, et un canal délié, le conduit déférent , s'étend de la base de chacun de ces organes jusqu’à la surface dorsale de ce segment, pour gagner le testicule, qui est probablement situé vers la partie charnue du corps. La partie charnue du corps est formée de trois portions , sépa- rées les unes des autres par des étranglements semblables à des cols, qui la divisent en trois sections égales entre elles. La pre- mière est à trois lobes, comme nous l’avons déjà dit; la seconde offre deux appendices semblables à des bras situés de chaque côté, et simulant pour ainsi dire des extrémités antérieures. Ces appendices se dirigent en arrière et s’amincissent graduellement pour se terminer ensuite en pointe. La troisième ou dernière section de cette partie molle du corps offre des appendices ayant la même apparence que les prolongements dont nous venons de parler; et de plus un troisième appendice en forme de queue , naissant sur la ligne médiane, et placé par conséquent entre les deux autres appendices. En parcourant cette description, nous ne pouvons qu'être frap- pés de certains points de ressemblance entre ces animaux et les larves décrites par M. Thompson ; ce sont des caractères impor- tants, tels que des yeux pédonculés, etc. L'animal qui nous occupe se lie encore aux autres Crustacés par des affinités nombreuses ; il ressemble aux Lernées par son corps mou et charnu , et aux Crustacés supérieurs par ses yeux à pédoncule et par ses antennes. Il ne peut guère y avoir de doute, d’après les recherches de M. Thompson relatives aux métamorphoses des Cirripèdes, que ces animaux se rapprochent des Crustacés. Le seul point qui rend ces rapports douteux est le caractère tiré de l’hermaphrodisme supposé des Cirripèdes ; car une des grandes distinctions fonda- mentales entre les articulés supérieurs et les articulés inférieurs est l'existence de sexes séparés chez les premiers, et l’hermaphro- disme chez les derniers. Or, d’après cette considération, il semblait 3° série. Zooz. T. 1 (Février 1844). 8 11 GOODSIR. — SUR LES SEXES impossible de réunir les Cirripèdes aux Crustacés, qui , en effet , ont été, jusque dans ces derniers temps, considérés comme appar- tenant à deux classes séparées. Mais si nous regardons l'animal décrit plus haut comme le mâle du Balane, la seule objection valable qu’on puisse opposer à l'opinion que les Cirripèdes sont des Crustacés disparaît, et la question se trouve complétement résolue. On peut avancer plusieurs objections contre l'opinion que cet animal est le mäle du Balane : ainsi on peut demander pour- quoi on ne l’a pas observé depuis longtemps. Mais la réponse à cette question est facile. Il est un fait constant dans l'histoire des Crustacés, c’est que les mâles d’un grand nombre d'espèces ne sont visibles que dans certaines saisons, et qu'une seule féconda- tion suffit pendant plusieurs générations. Ces faits sont connus, et ont été constatés précisément chez les espèces de Crustacés à côté desquelles il faut ranger les Cirripèdes. Ges faits sont par con- séquent propres à nous fortifier dans notre opinion relativement à la place que les Cirripèdes doivent occuper dans une classifi- cation naturelle du règne animal. Le mäle du Balane se montre, sans doute, à certaines saisons seulement. Pendant la saison des amours, la partie postérieure du corps, qui paraît renfermer les organes de la génération, se gonfle, et, après que la fécondation a eu lieu, ces organes s’atrophient jusqu'à la saison suivante. En regardant donc cette supposition comme la vérité, on ne doit pas s'étonner que la partie antérieure du corps, si déliée, ait pu échapper à l'observation , ayant été en- sevelie dans le corps de la femelle, C’est encore un fait curieux , et favorable à notre manière de voir, que, chez les Balanes dont les œufs sont arrivés jusqu’au manteau, le mâle ne se rencontre pas; on ne l’a trouvé que chez ceux qui n’ont pas été fécondés en appa- rence, Comme il y a un grand nombre de points de ressemblance entre cet animal et les crustacés, examinons actuellement quelques unes de ces analogies. Notre animal a, en général, beaucoup de rapports avee les Ler- nées; mais c'est principalement avec les Lernées appartenant aux DES CIRRIPÈDES. 115 tribus des Ergasiliens de M. Milne-Edwards , et il a une ressem- blance des plus frappantes avec l'espèce unique du genre Nicothoé de cette tribu. Les Cirripèdes ont aussi des rapports multiples avec cette tribu. Les larves des Lernées et celles des Cirripèdes se res- semblent’ beaucoup pour la structure intérieure aussi bien que pour leur forme extérieure, Les larves de tous sont libres; mais, en arrivant à l’état adulte, les femelles se fixent d'une manière permanente, et deviennent monstrueuses, et les mäles s’attachent au corps de la femelle, sur les organes générateurs ou dans leur voisinage. Les organes de la locomotion sont placés autour de la bouche, et prennent une part assez active dans les fonetions de la respiration, Les petits de tous les deux sont pourvus d'organes de la vue qui disparaissent à mesure que ces animaux avancent en âge; ce fait est constant pour les Cirripèdes, et a lieu presque toujours chez les Lernées. En effet, les Cirripèdes peuvent être considérés comme des Lernées : seulement ces dernières s'atta- chent aux corps animés : les premiers, au contraire, aux corps inanimés. Cette dernière assertion n’est pas cependant constam- ment exacte, car on trouve des espèces de Cirripèdes attachés à la peau des Cétacés. Il y a plusieurs autres points de ressemblance entre les mâles des Cirripèdes et les Crustacés, mais ils sont d’une moindre im- portance. Ils se rapprochent des Podophthalmes par les veux, et des Isopodes par la structure des pattes et par l’organisation des segments antérieurs du corps. La grandeur naturelle de cet animal (au moment où les organes de la génération sont dans leur plus grand développement) est d'environ une ligne de longueur sur une ligne en largeur. Dans quelques cas cependant, il devient plus volumineux quand il est infesté par un crustacé parasite. Ce parasite est un Îsopode ap- partenant à la famille des Toniens de M. Milne-Edwards, et doit former le type d’un nouveau genre dans cette famille. Je vais maintenant donner une courte description de ce parasite, Il attaque seulement la partie molle de sa victime, qui est souvent infestée par un nombre très considérable de ces animaux, En l’exa- minant au microscope, on voit qu'il appartient au groupe des 116 GOO0DSIR. — SUR LES SEXES DES CIRRIPÈDES. Crustacés Isopodes sédentaires de M. Milne-Edwards, 11 a environ un quart de ligne en longueur; il est presque incolore , excepté au milieu du corps, qui est d’une couleur brune foncée. Le corps est formé de sept segments, dont le second paraît être le plus allongé, et semble même être articulé d'une manière obscure, étant probablement sous-divisé en cinq articles, car les cinq paires de pattes prennent naissance sur cette partie du corps de l'animal. On voit naître une longue antenne à trois articles de chaque côté du premier segment, près de son angle postérieur et externe. Les deux premiers articles de cette antenne sont les plus épais, et tous deux réunis sont presque aussi longs que le troisième, dont l'extrémité terminale est armée de deux épines. Cinq paires de pattes, très courtes, mais grosses et puissantes, sont fixées aux segments suivants. Chaque paire de pattes est à trois pointes : le premier article est court et épais ; le second, beaucoup plus grêle, et le troisième, ou dernier, est sphérique et armé à son extré- mité d’une petite grille. De chaque côté des six segments suivants se trouve une écaille longue et aplatie, ayant son extrémité armée de deux, trois ou quatre épines longues, grèles et filamenteuses, qui sont tout-à-fait raides et dirigées en arrière, Les deux dernières écailles sont les plus fortes et les plus longues, et les épines diminuent graduelle- ment de longueur à mesure qu'elles avancent vers l'extrémité an- térieure. Quand cet animal est retiré de sa place naturelle, ses mouve- ments sont très faibles, et il paraît être tout-à-fait incapable de suflire à ses besoins. Les organes de la vue semblent manquer ou sont extrêmement petits, et d’ailleurs les mœurs de ce parasite les rendent peu utiles. Les œufs sont volumineux , et s’allongent gra- duellement en prenant la forme d’un double cône quand l'animal est sur le point de s'échapper de l’ovisac. CARPENTER, — SUR LA SYRUCTURE, ETC. 117 EXPLICATION DES FIGURES (Praxone 15 C) + Fig. 1. Le mâle du Zalanus Balanoïdes, gross. Fig. 2. Portion céphalique vue en dessous. Fig. 3. Portion antérieure du corps, vue en dessus 1. 2. 3. Fig. 4. Patte de la troisième paire. 5. Pattes de la quatrième paire. . 6. Pattes de la dernière paire el organes de la génération. OBSERVATIONS SUR LA STRUCTURE MICROSCOPIQUE DES COQUILLES , etc : Par M. CARPENTER. ( Extrait (1) ). L'auteur établit que toutes les coquilles solides calcaires des animaux mollusques possèdent une structure organique, de même que les dents des animaux des ordres plus élevés. Parmi les co- quilles vivantes, cette structure est caractéristique pour divers groupes naturels, et fournira probablement de précieux éléments pour la détermination des genres et des espèces fossiles. Les prin- cipales variétés de structure sont présentées par M. Carpenter comme consistant en modifications de deux formes simples : la forme cellulaire et la forme membraneuse. La Pinna présente un bon exemple de la première structure, qui consiste en cellules prismatiques semblables aux utricules du (1) General results of microscopie inquiries into the minute structure of the skeletons of Mollusea , Crustacea and Echinodermata. Annals of Natural History, décembre 1843, vol. XII, p 397 (avec 2 planches). è En reproduisant ici un extrait du Mémcire de M. Carpenter, je crois devoir ré- parer une omission que l'on peut reprocher à ce naturahste, qui ne fait aucune mention des travaux de ses devanciers. En 1786, Hérissant "publia dans les Mémoires de l'Académie des sciences un travail remarquable sur l'organisalion des coquilles, et arriva à des résultats très voisins de ceu : que M. Carpenter tire de ses propres expériences, E. 118 CARPENTER., — SUR LA STRUCTURE MIGROSCOPIQUE tissu cellulaire des végétaux , et remplies de carbonate de chaux. Si on la plonge dans un acide, la chaux est enlevée , et la mem- brane reste seule en conservant sa structure cellulaire. Dans les vieilles coquilles de Pinna, la matière animale est parfois détruite, en laissant seulement la portion calcaire de la coquille composée d’aiguilles déliées de carbonate de chaux qui se désagrègent sous le doigt. La structure cellulaire se retrouve dans tout l’ordre dés Margaritacées. C’est dans cet ordre qu'il faut ranger la Pinna , puisque les Mytilacées, avec lesquelles on l’a classée jusqu’à pré- sent, possèdent une structure différente. M. Deshayes, dans la nouvelle édition de Lamarck, après une comparaison des caractères du genre Pinna, la considère comme plus voisine des Avicules que des Moules. Dans le genre fossile Znoceramus, on peut décou- vrir des traces de la membrane cellulaire en dissolvant la coquille dans un acide faible. Le genre anormal Pandorus présente aussi cette structure cellulaire dans ses couches épaisses extérieures, tandis que les Couches internes sont nacrées. M, Carpenter pro- pose de placer ce genre avec les Margaritacées, La seconde classe de coquilles décrites par l’auteur renferme toutes celles qui possèdent la structure membraneuse. Dans ces coquilles, la matière calcaire est déposée en lamelles séparées par une membrane excessivement fine, qui forme dans le fait une sur- face sécrélante, Cette membrane n’est pas étendue à plat, mais est ordinairement très ridée et plissée, et les plis, répétés régu- lièrement , donnent naissance à l'éclat nacré de ces coquilles, Des fragments d'Haliotide, après être restés une semaine plongés dans un acide, étaient encore nacrés. On retrouve encore cette structure dans le Cowry et autres coquilles porcelainées qui sont composées de trois couleurs, où la direction des plis est différente, ainsi qu'on peut s'en assurer en fracturant la coquille, Uné autre particularité dans la structure interne de quelques coquilles est la présence de tubes très fins, qui se ramifent en abon- dance sur les différentes couches de membranes et envoient des rameaux dans les lamelles adjacentes. On retrouve la structure membraneuse ainsi que la tubulaire dans le {vicula cygmipes du lias, ce qui démontre qu’elle appartient à l'ordre naturel des DES COQUILLES: 119 Pectinidées, et non aux Margaritacées, M. Phillips s’est apercu, quand il a publié cette espèce, qu'elle était très voisine du genre Lime et autres Pectinidées. La structure des Brachiapodes est plissée d’une manière particulière, et, dans les Térébratules vraies, toutes les lames sont perforées de trous déliés qui percent toute la coquille. Dans une section transverse , on voit ces perforations s’élargir à mesure qu’elles s’approchent de la face interne, où elles forment des ouvertures infundibuliformes bordées par un prolon- gement membraneux du manteau qui adhère à cette surface interne de la coquille. Dans une espèce vivante, la Terebratula psittacea, les perforations manquent; mais, dans cette espèce, la structure de la charnière est aussi différente, et la rapproche d’une division particulière des Brachiopodes fossiles (Ætrypa Dolman). La plu- part des Térébratules fossiles, qui sont profondément plissées, manquent aussi de perforations, et il est probable qu’elles consti- tuent un groupe distinct. En terminant, le docteur Carpenter signale quelques particula- rités de structure que présentent les Échinodermes qui ont été mentionnées par M. Agassiz dans sa Monographie. Les plaques calcaires d’un Æchinus consistent en nombreuses lamelles minces, réunies entre elles par de petits colliers ; et comme ces lamelles sont percées de trous sur toute leur surface, il en résulte qu'en quelque sens qu’on opère une section, on aperçoit un réseau déli- cat. Cette structure, qui domine dans toutes les parties solides des Échinodermes , explique la facilité avec laquelle ils absorbent les liquides. M. Carpenter a aussi présenté des figures de diverses formes très élégantes de structure dans les épines de différentes espèces de Cidaris et dans les plaques qui forment la colonne de divers Pentacrinites fossiles et vivants, et qui font voir que chaque espèce possède un arrangement différent dans les particules in- ternes. Cette structure est bien conservée dans les espèces fossiles, quoique possédant un clivage particulier et cristallin, (Journal de l'Institut, n° 530, 22 fév. 18/44.) 120 LEBERT, — RECHERCUES RECHERCHES SUR L'OSTÉO-GEÉNÉSIE: Par M. le docteur LEBERT. PREMIER MÉMOIRE (1) : DE LA FORMATION DU CAL. Les sciences médicales ne constituent qu’une partie des sciences naturelles ; mais ayant suivi en général une marche assez isolée de ces dernières, beaucoup de doctrines y existent encore que la physiologie de la nature organique a depuis longtemps réfutées. On peut se convaincre de la vérité de cette assertion en jetant un coup d'œil sur son langage métaphorique , sur sa terminologie peu rationnelle, et sur une foule de lois encore assez généralement adoptées en pathologie, parmi lesquelles nous citerons entre autres celle de la transformation des tissus morbides , loi que nous chercherons ailleurs à combattre. Depuis que l'observation exacte à commencé à être plus géné- ralement suivie, cet isolement de la pathologie tend de plus en plus à cesser, et la médecine comme science s'appuie davantage sur les notions exactes de la physiologie. Mais les premiers pas sont seulement faits dans cette voie, et tant que la médecine et la chirurgie ne chercheront pas pour toutes leurs doctrines fonda- mentales les bases dans la physiologie, tant, en un mot, que la physiologie pathologique ne sera pas élevée au rang d’une science généralement cultivée, tous les efforts de rapprochement et d’ap- plication resteront stériles et n'auront qu'une portée restreinte. Pénétré depuis longtemps de ce besoin ; nous avons fait depuis plusieurs années un grand nombre de recherches cliniques , expé- rimentales et microscopiques , sur diverses parties de la patholo- gie, dans lesquelles nous avons surtout täché de comparer les (1) Ce travail vient d'être publié, avec tous les détails des observations sur les- quelles la partie pathologique s'appuie, dans les Annales de chirurgie, & X. SUR L'OSTÉO-GÉNÉSIE. 121 altérations morbides des organes et des tissus avec leur structure moléculaire et microscopique à l’état sain ; et pour mieux com- prendre la valeur de ces éléments , il nous a fallu, comme com- plément de cette anatomie raisonnée, étudier tout particulière- ment l’organogénie et l'histogénie dans l'embryon. Cherchant de cette manière à toujours nous tenir dans le domaine de l’observa- tion positive, et à ne tirer de nos expériences que les conclusions rigoureusement déduites des faits, nous avons reconnu une analo- gie bien grande entre beaucoup de formations pathologiques para- sitiques et la formation primitive, l’embryogénie soit du règne animal , soit du règne végétal. Nous avons ainsi de plus en plus reconnu que la pathologie ne constituait nullement un ordre de phénomènes particulier, un règne de la nature à part, comme s’exprimait d’une manière plus spirituelle que juste un célèbre médecin allemand (Autenrieth ansichten über Natur und Seelen- leben) ; mais que les altérations morbides des organes , jusqu'aux dégénérescences les plus destructives, n'étaient qu'une série de phénomènes soumis aux mêmes lois physiologiques que tout le reste de la nature organique. Le travail dont nous allons communiquer ici un extrait four- nira un exemple de l'application de nos principes pathologiques. Les détails de ce Mémoire sur la formation du cal , basés tout entièrement sur nos propres observations , intéresseront plutôt les chirurgiens que les naturalistes : aussi omettons-nous ici les obser- vations rapportées dans les annales de chirurgie francaise, en nous bornant à donner surtout le résumé physiologique de nos re- chérches faites en partie sur des animaux , surtout des lapins et des cochons de mer , en partie composées d'observations recueil- lies dans les hôpitaux. En examinant le membre lésé quinze heures après la fracture , nous trouvons un épanchement sanguin récent avec déchirure des muscles profonds et du périoste, détachés de la surface de los sur une étendue de plusieurs lignes ; la moelle et la membrane médul- laire contiennent aussi du sang infiltré et épanché. À quarante-cinq heures, l'épanchement superficiel sous-cutané offre un aspect plus liquide et plus séreux que celui qui se trouve entre les parties 122 LEBERT. —- RÉGIHERCHES plus profondes , et qui offre davantage les caractères de caillots, Les extrémités des muscles déchirés sont arrondies et enflées ; le périoste, toujours décollé; offre des bords frangés, ayant contracté à sa surface des adhérences avec les muscles ambiants ; entre ses fibres se trouve une exsudation granuleuse ; entre le périoste et l'os, on rencontre déjà aussi une exsudation plastique liquide, jaune, contenant des globules de 0",0033 ; les fragments n’ont point éprouvé de changements , la moelle est enflammée et gon- flée et dépasse le niveau des os fracturés. A quatre jours, l'épanchement sanguin est en partie résorbé ; les muscles déchirés adhèrent au périoste et forment avec lui la cap- sule qui emboîte la fracture, ce qui rapproche à la fois la solution de continuité et du périoste et de l’os. Le périoste lui-même est rouge et vasculaire, L’exsudation entre lui et la surface de los a pris une consistance gélatineuse , et au moyen du microscope on y reconnait déjà les fibres et les globules dü cartilage ; la surface dénudée de l'os est plus vasculaire, et paraît participer à l’exsu- dation osséo-plastique ; la surface des fragments , ainsi que la membrane médullaire, ne participe pas encore à ce travail ; lhypérémie médullaire a diminué. A six jours, l’ecchymose sous-cutanée est en grande partie ré- sorbée ; les muscles et le périoste sont pour ainsi dire cicatrisés par une substance fibrineuse et granuleuse intermédiaire, L'adhé- rence entre le périoste hypérémié et les muscles persiste ; le cal a pris la consistance du cartilage, ne montrant plus que dans peu d’endroits l’état mou et gélatiniforme à teinte jaunâtre. Les élé- ments microscopiques du cartilage , surtout les corpuscules qui Jui sont propres, deviennent tout-à-fait évidents : l'extrémité libre des fragments, ainsi que la membrane médullaire, ne montre pas de traces du cal, A sept jours, tout l'épanchement a disparu , à l'exception de quelques vestiges autour de la fracture. Un tissu cellulaire fibro- vasculaire réunit solidement les muscles déchirés ; le cal montre une structure réticulaire et un commencement d'ossification et de formation de canaux. Entre les extrémités libres des fragments se trouve un {issu rouge, fibreux et grenu, très vasculaire: Ta surface SUR L'OSTÉO-GÉNÉSIE, 123 de l'os est ramollie, et les vaisseaux qu'on rencontre dans le cal sont fournis soit par le périoste, soit par la surface de los. La membrane médullaire , qui avait fourni la substance entre les fragments , ne contient pas d'éléments du cartilage. À dix jours, nous trouvons le cal en pleine voie d’ossification ; sa structure dans les parties ossifiantes est poreuse , canaliculée et alvéolaire, et les réseaux des canaux contiennent dans leur inté- rieur des sels calcaires, tandis que les alvéoles contiennent en- core des globules du cartilage, dans l'intérieur desquels cepen- dant les sels calcaires sont déjà déposés sous forme de granules; Possification est moins avancée du côté du périoste que vers la surface de l'os. La substance rouge et vasculaire entre les frag- ments provenant de la membrane médullaire , tend à contracter des adhérences de plus en plus intimes avec le cal. A dix-huit jours, nous voyons l’ossification encore bien plus avancée ; les canaux longitudinaux et transversaux tendent à se joindre, pour former la substance spongieuse de l'os nouveau. Les globules du cartilage passent de plus en plus à l’état de cor- puscules osseux. La substance entre les fragments a contracté des adhérences intimes ave le cal. A vingt-deux jours, l’ossification est à peu près complète ; elle est surtout plus avancée près de la surface de l'os qu'immédia- tement au-dessous du périoste. Le cal a envahi non seulement la surface libre des fragments, mais il oblitère même la cavité de l'os , où la membrane médullaire lui adhère intimement. A trente-trois jours, nous ne iencontrons plus de traces d'é- panchement ; tous les muscles ont repris leur jeu libre et leur mouvement ; le périoste est revenu à son état normal ; la masse du cal a déjà considérablement diminué ; son ossification est com- plète, il est plus vasculaire que l'os ancien ; le canal médullaire est oblitéré dans une certaine étendue par un cal solidement ossi- fié. La moelle de l'os est dans son état normal. À quatre mois enfin, nous trouvons le canal médullaire rétabli, et le cal diminué au point que l'os au niveau de la fracture n'offre guère plus de volume que danse resté de sa longueur. Dans le courant de nos observations sur le cal; nous avons cité 12/ ‘ LEBERT. — RECHÉRCHES plusieurs faits intéressants de formation pathologique du cal, dont voici les traits principaux : 1° Dans un cas, une vive inflammation de toutes les parties qui entouraient la fracture a eu pour conséquence une entrave telle de la formation du cal, que l’intérieur de la capsule renfer- mait à peine quelques vestiges de cartilage, et que presque tout son intérieur était rempli d’un liquide rougeâtre contenant beau- coup de globules de sang déformés , et tant le périoste que les muscles, et les parties superficielles dans un état d’hypérémie inflammatoire. 2° Dans un autre cas, dans lequel le cal était très difforme, des tendons entiers passaient à travers sa masse, et au milieu de sa substance existaient deux cavernes remplies de matière tuber- culeuse, qui étaient entourées d’une membrane fibro-cellulaire de nouvelle formation. 9° Un fait intéressant de guérison d’une fracture avec formation d’une fausse articulation, : une substance ligamenteuse unissait les fragments recouverts et entourés de cartilage ossifiant en pe- tite quantité. L h° Un dernier fait de cal pathologique fort remarquable enfin est la prompte résorption du cal déjà assez solidement formé chez un enfant qui avait succombé à la variole , survenue dans la qua- trième semaine après la fracture. Probablement dans ce cas la variole à eu pour suite l’inflammation de toutes les parties qui en- touraient la fracture , et de là sa disparition presque complète, Nous arrivons à présent à la théorie générale de la formation du cal, qui, chez l'homme , est la même que pour les Mammi- fères, offrant seulement des différences plus ou moins notables pour le temps. Les os recoivent à l’état normal de nombreux vaisseaux, qui passent en grande partie par le périoste avant de se ramifier dans la substance de l'os. Ces vaisseaux ont le double but d'entretenir leur nutrition et de présider à leur accroissement lent, mais con- tinu,, ainsi qu'à la résorption des parties qui doivent faire place à de la substance osseuse nouvelle. Rappelons de plus les traits principaux de la formation fœtale SUR L'OSTÉO-GÉNÉSIE. 125 de l’os. Dans l'embryon de poulet, par exemple , on commence à en voir les premiers vestiges bien différenciés vers le sixième jour, Avant cette époque , le cinquième jour , leurs contours sont déjà visibles ; mais leur substance est encore composée de globules organo-plastiques , élément commun dans le principe à tous les tissus et à tous les organes. Depuis le sixième jour, nous voyons tous les os constitués par du cartilage montrant une substance intercellulaire homogène et des globules cartilagineux. Plus tard, se forme dans la sub- stance intercellulaire des canaux une vascularité abondante qui s’y ramifie ; les canaux se remplissent de sels calcaires, et ainsi la substance osseuse prend son origine du cartilage, sujet sur lequel nous avons fait des observations très détaillées dans les diverses classes d'animaux vertébrés, et que nous communiquerons plus tard dans un travail spécial. Or, ces deux éléments, savoir : la formation embryonale des os et les phénomènes principaux de leur nutrition, constituent la base de la régénération des os lésés, de la formation du cal. L'6- panchement des éléments du sang qui survient immédiatement après la fracture n’a rien à faire avec la sécrétion spéciale du cal. Cette dernière n'a lieu que lorsque la réaction inflammatoire a commencé à passer, et même une inflammation trop vive en em- pêche ou en retarde le développement. Cependant linflammation primitive n’est pas sans quelque utilité pour la formation du cal. En réunissant par une substance granuleuse gluante toutes les parties qui entourent la fracture, elle forme des attelles élastiques, qui, précédant les attelles cartilagineuses et osseuses que la nature prépare, ont au moins, outre quelque mérite contentif, celui de circonscrire d’une manière nette les limites de la nouvelle sécré- tion. La première période de la formation du cal commence donc par une exsudation provenant essentiellement des vaisseaux qui, chargés, avant la fracture, d'entretenir la nutrition de l’os, ren- ferment plus particulièrement les éléments futurs du cal, mais dans un état de dissolution parfaite. Ces éléments, en sortant des Vaisseaux par exosmose capillaire, sont surtout fournis par les 126 LEBERT. — RECHERCIHES SUR L'OSTÉO-GÉNÉSIE. vaisseaux du périoste et de l'os, à l’endroit où le périoste a été détaché, mais ni par la surface libre dés fragments ni par la mem- brane médullaire. Cette exsudation, d’abord liquide, ensuite gé- latineuse , est le vrai sarcode du cal, qui, par son origine et par son développement ultérieur, montre qu'il renferme déjà virtuel- lement tous les éléments de l’os nouveau. La seconde période est l’organisation cartilagineuse de cette exsudation liquide, que nous appellerons osséo-plastique. La ma- tière liquide devient de plus en plus compacte et organisée ; la couleur jaunâtre passe à une teinte blanche et lactescente; sa substance contient beaucoup de corpuscules du cartilage analogues à ceux de l'embryon, et de nombreux réseaux canaliculés , ainsi que des vaisseaux provenant du périoste et de l'os. La troisième période est l’ossification du cal. Nous apercevons d’abord au milieu du cartilage un certain nombre d’ilots de sub- stance ossifiante , qui, du reste, ne sont nullement accompagnés d’une vascularité particulière correspondante. Ces îlots finissent par se réunir en une trame réticulée et aréolaire, et par envahir toute la substance du cal ; les globules du cartilage se remplissent de granules calcaires, et finissent par se transformer en corpuscules de l'os. Un fait sur lequel nous ne pouvons pas assez insister est que le cal prenant son origine de l’espace entre l’os dénudé et le périoste , fourni par les vaisseaux des deux , procède de dehors en dedans, atteint l’espace qui sépare les fragments, et finit par en- vabir et par oblitérer des deux côtés le canal médullaire, Le rôle que joue pendant tout ce temps la membrane médullaire n’est que tout-à-fait secondaire , et consiste seulement dans le développe- ment de vaisseaux , et d’une substance fibreuse qui, allant pour ainsi dire à la rencontre du cal, ne fait que cimenter, d’un côté son union avec le cal, et d’un autre côlé avec les parois de la cavité médullaire. Les vaisseaux du périoste et de l'os y jouent donc le rôle principal ; ceux de la membrane médullaire, un rôle tout-à-fait secondaire, dans la sécrétion et dans l’ossification du cal, La quatrième période commence par l’ossification complète de l'exsudation osséo-plastique: elle se termine par la disparition ZOOLOGIE. — PRIX DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 497 d'une grande partie de sa masse et par le rétablissement du canal médullaire. Le cal diminue à mesure qu’il devient plus solide ; la substance cartilagineuse y disparaît tout-à-fait ; les aréoles se dé- veloppent davantage ; la circulation y devient plus facile et plus continue, soit en dehors, du côté du périoste, soit en dedans, du côté de la membrane médullaire , et nous ne voyons pas moins diminuer le cal extérieur que l’intérieur. Nous avouons que d’at- tribuer sa résorption partielle à l’action de la membrane médul- laire est une hypothèse bien séduisante, mais qui ne nous paraît pasrigoureusement démontrée, vu que le cal placé entre le périoste et l’os ne diminue guère en beaucoup plus faible proportion que la partie du cal contenue dans le canal médullaire. La formation du cal est donc, en résumé, une régénération fœtale de l'os lésé. PRIX RELATIF A LA ZOOLOGIE PROPOSÉ PAR L'ACADÉMIE DES SCIENCES. L'Académie propose pour sujet du grand prix des sciences physiques, qui sera décerné, s’il y a lieu, dans sa séance publique de 4845, la question suivante : Démontrer par une étude nouvelle et approfondie et par la description , accompagnée de figures des organes de la reproduction des deux sexes , dans les cinq classes d'animaux vertébrés, analogie des parties qui constituent ces organes , la marche de leur dégradation , et les bases que peut y trouver la classification générale des espèces de ce typ'. Une espèce bien choisie dans chaque classe, et telle que les fais avancés puissent être vérifiés et appréciés facilement : par exemple, un lapin ou un cochon d'Inde pour la classe des Mammifères; un pigeon ou un galli- nacé pour celle des Oiseaux ; un lézard ou une couleuvre pour celle des Repliles ; une grenouille ou une salamandre pour celle des Amphibiens, et enfin une espèce de carpe, de loche ou même d’épinoche et de lam- proie pour celle des Poissons : animaux que l’on peut tous se procurer Partout en Europe, sufiront sans doute pour fournir aux concurrents les bases de la démonstration demandée par l'Académie ; toutefois ils devront s'aider habilement des faits acquis à ce sujet, dans l'état actuel 128 PUBLICATIONS NOUVELLES. de la science de l’organisation, sur des animaux plus rarement à la portée de l'observation, comme les Didelphes, les Ornithorhynques, les Raies et les Myxinés, sans la considération desquels, en effet, la démonstration resterait nécessairement incomplète. Les Mémoires devront être parvenus au secrétariat de j’Institut avant le 31 décembre 1845. PUBLICATIONS NOUVELLES. Traité complet de l'anatomie , de la physiologie et de la pathologie du système nerveux cérébro-spinal, par M. Fovicze. In-8. Paris, 1844. Dans le volume qui vient de paraitre, M. Foville traite de l'anatomie du sys- tème nerveux , et s'attache spécialement à faire connaître le cours des faisceaux médullaires dans l'encéphale et les moyens de communication que ces parties ont entre elles. Son livre est, sans contredit, un des plus remarquables qui aient paru sur ce sujet , et l'atlas qui l'accompagne est d’une très belle exécution. Hisroine NATURELLE des animaux sans vertèbres, par Lamanex; nouvelle édition, augmentée de notes, par MM. Desuayes et Mizxe-Enwanps. Cette publication avait été retardée par le voyage de M. Deshayes en Algérie, mais se poursuit maintenant et paraît devoir être promptement achevée. Le 9° volume, qui vient de paraître, est consacré aux Mollusques de la famille des Macrostomes, de celle des Plicacés, des Scalariens , des Turbinacés, des Cana- lifères et des Aïlées. C'est à M. Deshayes qu'on en doit la révision. Diprènes EXOTIQUES nouveaux où peu connus, par M. Macquanr. In-8. Tome Il, partie 3. Ce fascicule, extrait des Mémoires de la Société des Sciences de Lille, est accompagné de 35 planches, et termine l'ouvrage. Recuencues sur les Podurelles, par M. Nicorer. Dans ce travail ( qui est extrait du 6° volume des Mémoires de la Société hel- vétique des Sciences naturelles , imprimé à Neufchâtel), l'auteur décrit avec beaucoup de détails l'organisation des Podurelles, et donne les résultats de ses observations sur l'embryologie de ces insectes ; enfin il termine sa monographie par la description des genres et des espèces. Ce Mémoire est accompagné de 9 planches. A. DE QUATREFAGES. — SUR LES MOLLUSQUES , ETC, 1929 MÉMOIRE Sur les GASTÉROPODES PHLÉBENTÉRÉS (PAlebenterata Nob.), ordre nou- veau de la classe des Gastéropodes, proposé d’après l'examen anato- mique et physiologique des genres Zéphyrine (Zephyrina Nob.), Actéon (Acteon Oken), Actéonie (Acteoniæ Nob.), Amphorine ( Amphorina Nob.), Pavois (Pella Nob.), Chalide (Chalidis Nob.) ; Par À. DE QUATREFAGES, ., Dans un de mes précédents Mémoires (L), j'ai fait connaître un genre nouveau de Mollusques, auquel j'ai donné le nom d’Eoli- dine, pour indiquer les rapports de voisinage qu'il me paraissait avoir dans la méthode naturelle. On 2 | 7 #i Pepe opperruerd du Lloutet | V Aémond imp Ann des Saene nat. J° Jerte 14 À 13 6 . 2 ” ë b C4 e a a [4 #. d x d A e r: 16 ; 7 17: \t à [1 a a 2 : e x e STE CA F c d d 29 à 20 # S e ë a a F e d & [4 Ce e c 4 23 e 22 È g F x É e a ë At e 5 d a e /] evelopp 17277774 du Ve ou let Zool . Tom . 1. PI ë JS € s né ; d 18 ë e r Ê à m 27 x TE Tin aa a LA : d 24 a ë a e 44 Ann .der Seine nat. 2° Serie Zool . Tom . 1. Pl. 15. À. Developpement du Poulet . B. Œufi de lu Sagilta C. Dalane male . D. Anatomie de ln Priophilte Ann. des Jeienc nat I Jert Zool . om . 1. Pl .16. Anatomie de la Pioplile - m« Ann der Seine nat. 3° Serie Zool Tom. 1. PL 17 VINAUEE) 10° Wii 1) sur P re Dates vos CPR) CUT RTE URL ! v CP70 DE PPEPTELLL ET did , LIT OUI TT PP EEE ‘n TE CEUITTT PEN MIEL DTPPPTELLLLLLOU 2... Coris 40068 1078 yes voi RE Ps nnis tva 3 558 vtt 110 RE 44 CETTE PTE + ts OEUTTEPTPT ET" 4 2 2 J = 2 vies 1774 Developpement de lx Pace de Surinam. (Læcilit Surinamensis. Va.) a obin et Lachenbauer del A Menus cs 7-D Ver? MX AU EME L * . ca É 0] . i EL \l (b L# "h PL = = #2 FA id L , *.. ‘HA % . : \ 14) ER NT 22 ets PRET TENSES