Rules CLR CRE PE QUE MR RAR HU CHE 414.1 du HN SEE Afhrsie Si 533 } ê vera. NUE HUE NU SbEEr! 0 DORE LES tri + ANTA PORANE UT NES i MAI AU FN NAN RUN \4 UE ee VU vil QU 19 1 un np Me EX, "1 À # ( 1 wat RUE k nt AA wi ANNALES DES SCIENCES NATURELLES ZOOLOGIE PALÉONTOLOGIE Paris, — Imprimerie de E. Manriner, rue Mignon, 2. 7 b ANNALES DES SCIENCES NATURELLES CINQUIÈME SÉRIE ZOOLOGIE PALEONTOLOGIE COMPRENANT L'ANATOMIE, LA PHYSIOLOGIE, LA CLASSIFICATION ET L'HISTOIRE NATURELLE DES ANIMAUX PUBLIÉES SOUS LA DIRECTION DE M. MILNE EDWARDS ———— TOME I! e \ fe Ÿ f \BE TE T SA / f #4}, æ' RQ PARIS VICTOR MASSON ET FILS PLACE DE L'ÉCOLE-DE-MÉDECINE 1864 LUTTE ET 8 ii — EAIINAUTAN eme A side ÉLETETLIEE De , ADO JO TAOËIAI | 4 : 2 + 1è APTE LS noiradMeea so AA ,HOOIOGATHT A1 AIMOTAMAE “ | FRRAEN Aa aanor an aaOraIEU TA Ne 2 pa A Grues au es cru à REARen AA É 1. ES te Es 2 sn HWOUT ANNALES DES SCIENCES NATURELLES ZOOLOGIE ET PALÉONTOLOGIE NOUVELLES RECHERCHES SUR LA FORMATION DES PREMIÈRES CELLULES EMBRYONNAIRES, Par M. LEREBOULLET, Professéur de zoologie ét d'anatomie comparée à la Faculté des sciences de Strasbourg, L'étude du iodé de formation des prémières cellules em- brÿonnaires, de celles qui succèdent at fractionnement de la substance vitelliné, est une des plus importantes et des plus diffi- ciles de l'embryügénie. Quelques auteurs, M. Reichert entre autres, persistent à re- garder lés globes de ségmentation comine des cellules, et admet- tnt que les cellules embryonniaires né sont que les derniers termes des divisions successives qui caractérisent le fractionne- ment vitellin: D'autres, et c’est lé plus grand nombre, dénient aux amas granuleux qui résultent de la segmentation du germe le carac- tère de véritables cellules, mais ne font pas connaître. d’une manière suffisamment précise comment se constituent ees petits organites, qui vont bientôt former le corps embryonnaire fout 6 LEREBOULLET. entier, et qui deviendront plus tard la base de la plupart des tissus. Dans mes Recherches d'embryologie comparée, j'ai abordé ces questions délicates, et j'ai dirigé mon attention sur la présence ou l’absence d’une membrane propre autour des globes de seg- mentation, sur l'existence d’une ou de plusieurs vésicules trans- parentes au centre de ces globes, et sur le mode de formation des véritables cellules embryonnaires. Je crois nécessaire de grouper 11 les résultats de ces premières recherches qui ont été faites sur le Brochet, sur la Perche, sur la Truite, sur l'Écrevisse et sur le Limnée des étangs. Brochet. — J'admets iei la présence d’une membrane propre, que je dis avoir vue distinctement autour des globes de segmen- tation (1). J'ai rencontré dans ce Poisson une ou plusieurs vésicules au ceutre des globes; ces vésicules contenaient un et quelquefois deux noyaux (2). Pour ce qui est de la constitution des cellules, j'avoue «qu'il est difficile de dire si ces cellules ne sont autre chose que les globes de segmentation eux-mêmes réduits à leurs plus petites dimensions, ou si elles doivent leur existence à un travail inté- rieur plus compliqué, et qui échapperait à nos recherches (3). » Cependant, plus loin, dans l'étude des éléments constitutifs du blastoderme, je signale certaines cellules ayant un espace central clair entouré d’un petit nombre de granules (4), eir- constance qui me paraît importante pour expliquer la formation des cellules. Perche. — J'admets encore dans ce Poisson l'existence d’une membrane propre autour des lobes et des lobules de segmenta- (1) Recherches d'embryologie comparée sur le développement du Brochet, de la Perche et de l'Écrevisse. Paris, imprimerie impériale, 4862, in-4° (extrait du t. XVII, des Mémoires des savants étrangers), p. 38 et 41. (2) Ihid., p. 38. (3) Ibid., p. 4. Les recherches consignées dans ce premier mémoire ont été faites pendant les années 1849-1853. (4) Ibid., p. 44 et 46, et pl. I, fig. 28. c. RECHERCHES SUR LES PREMIÈRES CELLULES EMBRYONNAIRES. 7 tion (1); mais je n’ai pu constater, comme je l'avais fait dans le Brochet, la présence d’une vésicule centrale. Relativement au mode de formation des cellules, je dis que «les petits globules de segmentation sont remplis de granules pulvérulents, » et je retrouve parmi ces globules une forme ana- logue à celle dont il vient d’être question pour le Brochet, c'est- à-dire une cellule contenant une vésicule transparente entourée d'un petit nombre de granules (2). Malgré ces particularités, quin’avaient pas suffisamment attiré mon attention, Je regarde les cellules de la vésicule blastoder- mique comme le résultat direct et immédiat du fractionnement vitellin (3). Ainsi, en résumé, c'est cette dernière opinion que Jj'adopte dans l'histoire du développement du Brochet et de la Perche, malgré plusieurs faits qui auraient pu me conduire à une inter- prétation différente. Écrevisse. — L'étude du développement de l'Écrevisse a fait naître en moi d’autres idées. J'ai constaté le premier, je-crois, dans cet animal, la segmen- tation du vitellus générateur, et j'ai vu que, primitivement, les globes qui résultent de ce fractionnement sont dépourvus d’une membrane d'enveloppe; celle-ci paraît se former secondaire- ment au bout de quelque temps de séjour dans l’eau (4). lei la vésicule centrale à été observée dans tous les globes gé- nérateurs. Souvent cette vésicule se dédouble, et des granules vitellns s'accumulent autour des deux vésicules nouvelles. C’est dans l’Écrevisse que j'ai vu pour la première fois la disso- lution des éléments granuleux des sphères de fractionnement, phénomène que j'ai supposé plus tard devoir aussi exister chez les Poissons. Je conclus de l'étude de ce remarquable travail que « les petites sphères qui résultent de la segmentation des globes générateurs ne sont pas des cellules, et n’ont qu’une existence (4) Ouvr. cité, p. 56. (2) Ibid., p. 57 et pl. IL, fig. 4, 6. (3) Ibid., p. 58. &) Ibid., p. 240. 8 LEREBOULLET. transitoire. Ce sont des amas de matière plastique destinés à fournir les éléments nécessaires à la formation des Yraies cel- lules (1). » Ce mode de formation se voit sur l'œuf de l'Écrevisse quand oh exainine la composition de la tache embryonnaire (2). Les cellules les plus éloignées de cette tache, et conséquemment les plus récemment formées, sont composées de rares grantles vési- culeux disposés autour d’une vésicule transparente. À mesüre qu’on se rapproche de la tache embryonnaire pour observer des cellules plus anciennes, on voit que les granules se condersent de plus en plus, et s’entourent d’une membrane pour constituer la véritable cellule. Conduit, par ces observations sur l'Écrevisse, à admettre, pour expliquer le mode de formation des cellules embryonnaires, une opinion différente de celle que j'avais primitivement adoptée, j'ai étudié ce travail avec une nouvelle attention dans mon se- cond mémoire, au sujet du développement de la Truite et du Limnée (3). Truite. — Je me suis assuré qu'il n'existe aucune membrane autour des sphères de segmentation, et je n'ai pas vu de vésicule transparente dans les grosses sphères (4). Ce n’est que dans les globes plus petits que cette vésicule devient apparente, J'ai con- staté l'apparition et la disparition successives de ce noyau vésicu- leux, ainsi que des petites vésicules brillantes qu’on aperçoit au milieu des granules vitellins. Plus tard, on trouve, parmi les éléments du germe, des cellules avee un contenu granuleux, disséminé, peu abondant, et même des cellules vides, sans trace de granules, forme qui annonce une (4) Ouvr. cité, p. 245. Voyez aussi les pages 243 et 344, ainsi que les figures 22 et 23 de la planche V. (2) Ibid., p. 247. (3) Recherches d’embryologie comparée sur le développement de la Truite, du Lésard et du Limnée. Paris, Victor Masson et fils, 1863, un vol. in-8° (extrait des Ann. des sc. nat , 4° série, t. XVI, XVII, XVIII, XIX et XX). (4) Page 15 (p. 127 dut, XVI des Annales). RECHERCHES SUR LES PREMIÈRES CELLULES EMBRYONNAIRES. 9 dissolution du contenu dé la sphère, 6t représénte uni état transi- toire qui précède la formation des vraies cellules (4). Limnée. — Dans l'étude du développement de ce Mollusque, j'ai montré l'impossibilité absolue de l'existence d’une membrane autour des sphères de ségmentation, par le fait de la fusion de ces sphères, et par celui de l'expulsion d’une où de plusieurs vésicules hors des mêmes sphères (2). J'ai fait voir aussi la disparition et là réapparition dés vésicules centrales, ainsi que d’autres vésicules plus petites, brillantes, que j'appellé vésicules plastiques. C'est dans le Limnée que j'aile mieux vu le travail de ségmen- tation ét toutes les transformations par lesquelles passent lés frac- tions du germe avant d'arriver à la formation des vraies cellules. J'ai constaté que les vésictiles centrales, avant de se diviser, se remplissent dé granules. Plus tard, au lieu dé granülés, elles produisent des corpuscules brillants, que je regarde cortimé des nücléoles. Ces circonstances, que je ne puis qu’imdiquer somimairement, m'ont amené à distmguer deux phases dans lé fractionnément vitellin : 4° le fractionnement proprement dit, c’est-à-dire la division de là substance vitelliné en sphèrés avec vésicule cen- trale granuleuse ; et 2° la formation des globes générateurs, dont lés vésicules centrales renferment des nucléoles brillants. Les véritables cellules n'apparaissent dans le Limnée qué lorsque l'embryon est constitué ; elles sé montrent d’abord sous la forme d’amas granuleux rangés autour d’un noyau transpa- rent, et privés d'enveloppe propre (3). Quoiqué les faits dont je viens de donner l'analyse laissent entrevoir le mode réel de formation des premières cellules em bryonnaires, j'ai cru qu'il serait utile de reprendre ces re- cherches. Je vais relater les observations que j'ai faites cet hiver sur des œufs de Truite ét de Saumon ; j'y joindrai quelques faits obser- (4) Ouvr. cité, p. 23 (p.135 du t. XVI des Annales), et Résumé, n°5 23:27. (2) 1bid., p. 160 (p. 92 du t. XVIII des Annales): fie (3) Ouvr. cité, p. 201 (p.133 dut. XVIII des Annales), et fig. 33, n°5 7 et 8, 10 LEREBOULLET. vés, le printemps dernier, sur l'œuf de la Perche et sur celui du Meunier, et je ferai suivre ces observations des déductions que je croirai pouvoir en tirer. Première observation — Truite. — OEufs fécondés le 10 no- vembre 1863, à deux heures. 11 novembre, à onze heures du matin (21° heure). — Globes de segmentation au nombre de 16, de couleur fauve. Ces globes, coagulés avec une eau faiblement acidulée, sont composés de granules et de très-petites vésicules transparentes. Pas de vési- cule transparente au centre des globes. Quarante-cinquième heure. — Je sors un germe en piquant l'œuf, puis en le coupant en deux avec des ciseaux ; le liquide vitellin s'écoule, et j'extrais, à l’aide d'une aiguille, le disque germinateur qui était resté dans l'une des moitiés. J'examine ce disque dans le liquide vitellin. Il est composé d’une multitude de sphères d'inégale grandeur, déformées par leur pression mutuelle. Les manipulations faites avec les aiguilles les déforment encore davantage ; les sphères se confondent plus ou moins par leurs bords, et l’on voit autour dela préparation des traînées du liquide visqueux, au milieu duquel le germe est plongé. Les dimensions de ces globes sont variables ; les plus gros, rendus ovoïdes par le fait de la préparation, ont jusqu'à 0"",10 et 0"",12 de longueur. Une vésicule centrale très-apparente existe dans la plupart des grosses sphères (fig. 1, n° 2), tandis que je n’en vois pas dans les plus petites. Toutes sont composées de nombreux granules, au milieu desquels sont dispersées les petites vésicules brillantes, que, dans mes précédents mémoires, j'appelle vésicules plastiques (fig. X, n° 1 et 2). Une de ces sphères venait de se diviser en deux portions égales encore assez rapprochées l’une de l’autre, et toutes deux enveloppées par le liquide vitellin. Chacune des deux nouvelles sphères contenait une vésicule transparente (fig. 1, n° 3). Cinquantième heure. — Les globes mesurent, en moyenne, 07,09. Quelques-uns ont encore la teinte fauve du germe pri- RECHERCHES SUR LES PREMIÈRES CELLULES EMBRYONNAIRES. A mitif, mais la plupart sont déjà transparents et ont une couleur cendrée. Les uns ont une vésicule centrale, les autres en sont dépourvus (fig. 2, n° 1 et 2). Les grosses sphères ne sont pas, comme précédemment, entourées d’une enveloppe de liquide visqueux ; les amas granuleux qui les constituent sont parfaite- ment isolés au milieu du liquide vitellin. Mais les parties du germe encore entières offrent, comme à l'ordinaire, des globes déformés par leur pression mutuelle et plus ou moins confondus, etle bord de la préparation présente des traînées irrégulières produites par la matière liquide et visqueuse du vitellus. En continuant à diviser le germe avec des aiguilles, je trouve un certain nombre de sphères beaucoup plus petites que les autres, et ne mesurant que 0"*,03 et même C"”,02 (fig. I, n* 3 à 5). Les unes sont remplies de granules, et ont une vési- cule centrale, à teinte mate (n° 3) ; d’autres ne renferment qu'un nombre extrèmement restreint de granules dispersés (n° 5). Un des amas granuleux, entouré d’une enveloppe albumineuse, était en train de se diviser (n° 4). On voyait dans l’une des moitiés une vésicule centrale et deux vésicules semblables, plus petites, dans l’autre moitié, signe de la division prochaine de celle-ci en deux nouvelles portions. J'ai remarqué dans cette préparation que les vésicules cen- trales étaient tantôt d’une transparence parfaite (n° 4), tantôt d’une teinte mate (n° 3), tantôt, au contraire, visiblement rem- plies de granules (n° 2). Je n’ai pas suivi plus longtemps le développement des œufs de cette Truite. Deuxième observation. — Truite. — OEufs fécondés le 14 no- vembre 1863, à huit heures du matin. J'examine le germe au bout de huit heures, après avoir coupé l'œuf en deux, et fait glisser le germe avec le disque huileux sur le porte-objet. Il est de couleur fauve et composé de très-petits granules et de quelques vésicules transparentes éparses au milieu de la masse granuleuse. La substance de ce germe est comme visqueuse. Quand on en sépare des fragments, ceux-ci 12 LEREBOULLET. prennent, sous une légère compression, toutes les forniés pos- sibles, et s'allongent en traînées jaunâtrés. V'ingt-neuvième heure. — Le germe examiné dans le liquide vitellin ést composé de sphères irrégulières, déformées, ayant à peu près toutes un diamètre de 0°",33. Jé ne trouve nullé part de vésicule centrale. Plusieurs sphérés sont en voie de division. Cinquante et unième heure. — Sphères de 0"",06 à 0"",08, entourées d’une auréole transparéite, produite par le liquide vitellin. Plusiéurs d’entre elles viennent de se diviser, et sont encore adossées l’une à l’autre. Je traite la préparation par l’eau pour faire disparaître le liquide vitellin qui entoure les amas granuleux. Ce liquide se trouble aussitôt, et devient laiteux. Je laissé successivement tom- ber de nouvelles gouttes d’eau sur le gere, jusqu'à ce qu'il ne se produise plus de précipité. Le gérmé examiné après cette opé- ration offre un tout autre aspect. Lés sphères sont maintenant régulières, sans auréolé, et semblables à des cellules ; elles sont remplies de granules excessivement fins, comme pulvérulents. Quelques-unés ont à leur centré une tache plus foncée qui pout- rait être un noyau, où plutôt une vésicule granuleuse. Soixante-dix-neuvième heure (commencemént du quatrième jour). = Spheres de 0"",040 à 0**,045, transparentes, sans noyau distinct, remplies de grantüles pâles qui leur donnent une teinte grisätre. En ajoutant de l’eau acidulée, lés sphères de- viennent plus foncées, et l’on distingue dans quelques-uñes un noyau de grosseur variable, ayant lé quart, ‘a moitié ou les trois quarts du diamètre de la sphère. Commencement du cinquième jour (103° heure). — La plupart des sphères n’ont plus que 0"*,026. Les granulés qu’elles con- tiennent sont moins nombreux et très-pâles ; ellés ont la plupart ün petit noyau (fig. 3, n° 1). Ces sphères ressemblent patfaite- ment à des cellules. Mais à côté d'elles, j’en vois quelques-unes plus grandes, ayant jusqu'à 0°",05 ; elles sont vides, où ne ren ferment que quelques granules disséminés (fig. 3, n° 2 et 3); un noyau mat se voit dans plusieurs (n° 3). Jé crois Que ces formes indiquent la prochaine constitution RECHERCHES SUR LES PREMIÈRES @BLLULES EMBRYONNAIRES. 18 des cellules embryonnaires. Comme iln’'est pas possible de suivre sur un même œuf la transformation des globes générateurs, je ne puis savoir si les rares granules qu'on rencontre ici sont les restes des granules qui remplissaient auparavant les sphères, ou si ces granules ne seraient pas de nouvelle formation, et ne se seraient pas produits après la dissolution des précédents. L'observation des œufs de cette Truite n’a pas été continuée. Troisième observation. — Truite. — OEufs fécondés le 19 no- vembre 1863, à quatre heures. Quarante-huitième heure. — J'ouvre un œuf, j'en extrais le germe, et je le lave soigneusement pour faire disparaître tout le liquide vitellin. Les globes de segmentation mesurent 0"",07 en moyenne, et sont remplis de granules qui leur donnent une teinte jaunâtre. Je m'assure qu'ils n’ont pas de membrane d’enveloppe. Plusieurs sont confluents, et en les manipulant avec des aiguilles, il est facile de voir qu'il n'existe aucune membrane autour d'eux. Les sphères séparées de la masse commune sont parfaitement régulières, opaques au centre, faiblement transparentes sur les bords. On pourrait croire, à la régularité des contours, qu’il doit exister une membrane propre; mais quand on écrase la sphère sous le compresseur, et qu’on en fait rouler les débris, on ne parvient jamais à rien voir qui ressemble à une membrane. Aucune des sphères en question ne renfermait de vésicule cen- trale apparente. Fin du troisième jour (67° heure). — Germe préalablement lavé. Globes réguliers de 0"#,052-0%*,057-0"",065, finement granulés et transparents (fig. 4, n° 4); de petites vésicules bril- lantes (vésicules plastiques) sont dispersées parmi les granules. Ces sphères disparaissent entièrement sous l’action de l’éther, et plus promptement encore quand on emploie le chloroforme : elles ne laissent que quelques débris granuleux très-fins. Le germe d’un autre œuf est examiné dans le liquide vitellin. lei je retrouve, autour de toutes les sphères granuleuses déta- chées de la masse du germe, l’auréole transparente produite par le liquide visqueux qui entoure l’amas de granules. Je coagule la 14 LEREBOULLET. préparation avec de l'acide nitrique très-étendu, et je dégage de leur gangue les sphères ainsi coagulées. Elles sont régulières, et offrent l’aspect que j'ai décrit plus haut. Je soumets ces petites sphères à une compression graduée, et je les déchire en frottant en sens contraire la lamelle de verre contre le porte-objet. A l’aide de ces manipulations, je les réduis en petites portions et même en granules, et je vois très-clairement que les fragments détachés du bord ressemblent au reste de la sphère; aucune membrane n’est appliquée autour des granules, mais ceux-ci sont fortement retenus, collés les uns aux autres, par une sub- stance intermédiaire, coagulée. Fin du quatrième jour (91° heure). — Nouvel examen des sphères vitellines dans le liquide de l'œuf. Les plus grosses me- surent 0°" ,042; celles qui sont détachées de la masse présentent quelquefois les formes les plus irrégulières par l'effet des mani- pulations (fig. 4, n° 4 à 7). Les sphères, tout à fait isolées, sont régulières, et entourées d’un large anneau de liquide vitellin fig. 4, n° 2). L'une d'elles était double (n° 3), c’est-à-dire composée de deux globes d’égale grosseur compris dans la même enveloppe vitelline. Les autres sont déformées (n° 4, 5, 6, 7),et renferment des granules réunis en petits amas (n° 4), ou dis- persés dans toute l'étendue de la traînée formée par la fusion de plusieurs sphères (n* 5, 6, 7). De petites vésicules transparentes (vésicules plastiques) sont mêlées aux granules. Ayant traité la préparation par l’eau acidulée, j'ai vu, comme précédemment, que les sphères ressemblent à des cellules pâles, homogènes, granuleuses, la plupart sans noyau. Quelques- unes, au contraire, renferment une grosse vésicule remplie de granules, et qu'on prendrait facilement pour un noyau (n° 8). Plusieurs de ces sphères sont dépourvues de granules, et posse - dent une vésicule centrale transparente, ou offrant une teinte mate. Je répète cet examen sur plusieurs œufs dont j'étudie les élé- ments dans le liquide vitellin et après le lavage par l’eau simple et par l’eau acidulée. Toujours je retrouve le même aspect des sphères, et je constate dans tous les œufs la présence d’un cer- RECHERCHES SUR LES PREMIÈRES CELLULES EMBRYONNAIRES. 19 ain nombre de sphères entièrement vides de granules, et munies d’une vésicule nucléiforme. Fin du cinquième jour (115° heure). — Sphères de 0°",032 :ffrant le même aspect que celles de la veille, mais contenant sensiblement un nombre de granules beaucoup moindre (fig. 4, n° 9 à 12). Quelques-unes de ces sphères sont tout à fait vides; d’autres ont une vésicule granuleuse. Toutes sont formées par le liquide vitellin, au milieu duquel sont déposés les granules (n°* 9 et 10). La substance qui constitue ces sphères s’allonge, s’étire, se déforme par leur propre pression sur le porte-objet. Ordi- nairement les bords du disque germinateur ou des fragments détachés de ce disque offrent des prolongements cylindriques, transparents, qui ne sont autre chose que des traînées de la matière visqueuse qui constitue le liquide vitellin. L'eau fait, comme toujours, disparaître ces aspects, et alors ce ne sont plus des amas de granules emprisonnés dans un liquide visqueux qu'on a sous les yeux, mais des sphères bien circonscrites remplies de granules extrêmement fins et très-pàles (n* 11 et 12). ù Évidemment il y a ici non-seulement diminution considérable du nombre des éléments granuleux de chaque sphère, mais aussi rapetissement sensible de ces granules, comme s'ils étaient sur le point de se dissoudre. Le lendemain, fin du sixième jour, les sphères mesuraient, pour la plupart, 0"",026, quelques-unes 0"",021. Elles sont toujours diffluentes, et, par suite, elles affectent des formes très- irrégulières. L’amas granuleux qu’elles emprisonnent est encore plus réduit qu'hier, et n’occupe qu'une portion très-restreinte de la sphère albumineuse. Plusieurs fois je vois cet amas granu- leux glisser sous mes yeux hors de la sphère qui l’enveloppait ; ou bien‘ilfs’arrête sur la limite de cette sphère, dont 1l se trouve alors coiffé comme d’une calotte. J'ouvre unlautre œuf, et je commence par laver soigneuse- ment le germe dans l'eau, de manière à faire disparaître tout le liquide vitellin. À la suite de cette opération, les éléments du germe ressemblent parfaitement à des cellules remplies de gra- 16 LEREBOULLET. nules pulvérulents et très-pàles. L'eau acidulée rend les granules plus foncés, et fait apparaitre un petit noyau qu'on ne distinguait pas auparayant. | Les mêmes recherches pratiquées sur d’autres œufs me con- duisirent aux mêmes résultats, sans qu'il me fût possible de con cilier l'aspect des amas granuleux emprisonnés dans une goutte de liquide visqueux avec l'aspect des formes cellulaires qui appa- raissaient quand le germe avait été lavé. Je répéterai que toujours, à cette époque, le germe est dif- fluent, et que les portions de ce germe isolées de la masse se pré- sentent comme composées de gouttes visqueuses emprisonnant quelques granules réunis en un petil amas irrégulier, tandis qu'après le layage ces petits amas prennent la forme et l'aspect de véritables cellules. Quatrième observation. — Truite, — OEufs fécondés le 26 no- vembre, à huit heures du matün. Huitième heure. — Je coagule plusieurs œufs, que j'ouvre ensuite pour étudier la composition du germe; celui-ci forme un disque régulier composé de très-petits granules, entre lesquel sont dispersées des vésieules brillantes. Point de grosse vésicule centrale, Rien qui annonce la segmentation. V'ingt-septième heure. — Ouverture d’un œuf coagulé. Douze sphères de segmentation non encore complétement isolées. L'un de ces globes était partagé en quatre par une ligne en croix, et l’on voyait les quatre nouvelles sphères chevaucher l’une sur l’autre. Je ne découvre nulle part de vésicule centrale. Voulant constater de nouveau l'absence d’une membrane au- tour des globes de segmentation , je recouvre la préparation d'une lame de verre, à l'aide de laquelle je comprime les sphères lentement, graduellement, et en mprimant à la petite lamelle un mouvement de va-et-vient. Je faisais glisser de temps à autre sous la lamelle recouvrante une gouttelette d'eau, pour mieux arriver à dissocier les éléments très-cohérents qui composent les sphères, Après avoir continué quelque temps ces manœuvres, j'ai xa= RECHERCHES SUR LES CELLULES EMBRYONNAIRES. 47 miné, sous des grossissements de plus en plus forts, les contours des sphères, et j'ai pu m'assurer qu'ils étaient formés unique- ment et exclusivement par des granules collés en quelque sorte les uns aux autres. Ces contours étaient irréguliers, crénelés, quelquefois interrompus par des déchirures, et l'on voyait très- clairement que les parcelles détachées en parte des bords de la sphere, et flottant dans le liquide, étaient composées de granules adhérents les uns aux autres. Commencement du troisième jour (55° heure). — Les globes mesurent presque tous 0"*,06 ; ils sont, comme à l'ordinaire, remplis de granules et de petites vésicules brillantes (vésicules plastiques) ; quelques-uns sont en train de se diviser ; je ne vois pas de vésicule centrale. Ayant coagulé un œuf, je séparai les deux feuillets dont se compose le germe. Les sphères du feuillet supérieur sont plus petites, plus pàâles, moins chargées de granules que celles du feuillet inférieur; elles annoncent un travail plus avancé. Ces dermières sont entourées d’une couche de liquide vitellin coagulé, dont le contour est irrégulier ét comme chiffonné (fig. V, n°1 et2); on croirait voir une enveloppe membraneuse autour de chaque sphère. Quelques-unes de ces sphères sont en voie de division, et plusieurs sont munies d’un noyau que je regarde comme une vésicule centrale (fig. 5, n° 2). Commencement du quatrième jour (75° heure). — Les sphères, du diamètre de 0"",04 en moyenne, offrent un aspect remar- quable. Examinées fraiches dans le liquide vitellin, elles sont d'une grande transparence, et ne contiennent qu’un très-petit nombre de granules d’une extrême ténuité (fig. 5, n° 3 à 6); plusieurs paraissent même tout à fait vides. Presque toutes ces sphères ont un noyau, ou plutôt une vésicule centrale plus ou moins apparente, toujours très-pâle. Dans quelques-unes, ce noyau est entouré d'une quantité plus ou moins grande de gra- nules brillants (n° 3). Dans une de ces sphères, les granules qui entouraient la vési- cule centrale étaient plus nombreux, et formaient autour d'elle un anneau foncé (n° 4). 5€ série. Zooc. T. II. (Cahier nt 4) 2 2 18 LEREBOULLET. Ces granules si apparents, disposés autour d'un noyau central, contrastent d’une manière frappante avec les granules rares et pâles dispersés dans les autres sphères (n° 5 et 6). I me parait évident qu'il faut les considérer comme des corpuscules de nou- velle formation qui se précipitent dans le liquide de la sphère, et viennent se polariser autour de la vésicule centrale ou noyau. Quant à la membrane cellulaire, elle résulte probablement de la condensation de la couche la plus externe de la sphère liquide qui renferme les granules dont je viens de parler. J'examinai de nouveau les mêmes œufs après les avoir laissé séjourner vingt-quatre heures dans l'eau acidulée. Les cellules du germe étaient cohérentes et collées les unes aux autres par leurs bords, de manière à former une pellicule contmue. Quand on les sépare, on voit qu'elles sont entourées d’un étroit rebord, par lequel elles adhéraïent entre elles, Ce rebord irrégulier est cassant, comme l'enveloppe albumineuse coagulée dont 1l a été question précédemment. Plusieurs cellules libres ont encore leur auréole transparente assez étendue, mais irrégulière et comme chiffonnée, à peu près comme je l’ai représentée figure 5, n° 1 et 2. Le cinquième jour, le germe est encore composé de sphères albumineuses (1) transparentes, mesurant 0°” ,026, ne contenant que quelques granules réunis en un très-petit amas sur un point variable de la sphère. Les bords de la préparation présen- tent les prolongements cylindriques produits par les traînées du liquide vitellin, La coagulation a, comme toujours, pour résultat la production de cellules entourées d’albumine coagulée, et dont plusieurs contiennent un noyau petit et peu distinct. Le dixième jour, la membrane blastodermique est pourvue de ses cellules régulières à noyau, mesurant 0"*,044. Ces cellules, vues dans le liquide vitellin, ne sont plus entourées d’une auréole albumineuse. On peut done considérer l'absence de cette auréole comme le signe de l'achèvement complet de la cellule. (4) J'appelle ainsi les sphères formées par le liquide vitellin entourant les petits amas de granules, sans rien préjuger de la nature réelle de ce liquide vitellin qui n’est pas simplement de l’albumine, RECHERCHES SUR LES CELLULES EMBRYONNAIRES. 19 Cinquième observation. — Truite, — OEufs fécondés le 5 dé- cembre, à huit heures du matin. Vingt-sivième heure. —Germe partagé en quatre lobeségaux, sans vésicule centrale. J'ouvre plusieurs œufs qui offrent tous le même aspect. Dans l’un d'eux, les quatre sphères chevauchaient l’une sur l’autre. J'ai examiné, comme à l'ordinaire, ces lobes dans le liquide vitellin, dans l’eau simple et dans l’eau acidulée, et j'ai eu recours à la compression. Cinquantième heure. — Les sphères mesurent de 0"",15 à 0°",22 ; elles n'ont pas de membrane propre, ni de vésicule centrale. Commencement du quatrième jour (74° heure). — Sphères très-inégales : les plus grosses ont 0°",05 ou 0°",04, les plus petites 0°”,030 ou 0**,026. Elles sont formées, comme toujours, par un amas de granules entouré d’une enveloppe liquide. Ces amas occupent tantôt le centre, tantôt le bord de la sphère albu- mineuse. Quelques-uns, plus gros que les autres, n’ont pas d’au- réole albumineuse ; ces amas plus gros laissent voir à leur centre une vésicule transparente, Commencement du cinquième jour (98° heure). — La plupart des sphères ont 0°*,03 à 0"",04 de diamètre. Leur aspect est toujours le mème ; ce sont comme des gouttes de liquide vis- queux, à bords très-ombrés, renfermant un nombre variable de granules. Mais ces granules, au lieu d'être réunis en amas, comme précédemment, sont dispersés d'une manière uniforme dans toute la sphère; on voit dans plusieurs une vésicule cen- trale ; celle-c1 manque dans les autres, Je détache le germe et je le lave avec de l'eau pure, puis je l'éraille avec des aiguilles et j'isole ses deux feuillets, afin de pouvoir bien examiner les cellules. Celles-ci sont extrêmement pâles, composées de granules épars, à peine distincts, sans traces de noyau. Quelques-unes de ces cellules, en petit nombre, sont entourées d'une enveloppe chiffonnée qui a l’aspect d’une mem- brane, ce qui est dû probablement à un reste de liquide vitellin que l’eau n'aura pas fait disparaître. L'acide rend le contenu des 20 LEREBOULLET. cellules plus foncé, et permet de distinguer confusément dans quelques-unes un petit noyau central. Quelques heures plus tard, je recommence les mêmes re- cherches sur de nouveaux œufs. J'examine d’abord les sphères du germe dans le liquide vitellin, puis Je lave la préparation, et je la remets immédiatement sous le microscope. Pendant cet examen, je vois un amas granuleux considérable se détacher de la sphère liquide qui l'enveloppait, et s'isoler complétement. Je vois alors très-distinctement que cet amas est formé par des gra- nules amoncelés, sans être entouré d'aucune enveloppe particu- lière; ce n’est évidemment qu'une portion de la substance du germe, séparée, par segmentation, d'une masse plus considé- rable. Les autres parties du germe avaient, après le lavage, l’appa- rence de cellules. Voulant m'assurer si ces dernières ont une paroi propre, je les coagule faiblement , puis je recouvre la pré- paration d’une lamelle de verre, que je promène en sens con- traire sur le porte-objet en pressant faiblement. Les petites sphères roulent et se déforment sous la pression. Quelques-unes se déchirent, et me permettent de constater de nouveau que les bords, comme la sphère tout entière, sont formés de granules fortement adhérents les uns aux autres. D'un autre côté, les nombreux débris provenant de la déchirure des cellules ne mon- trent aucune trace de membrane, même sous les plus forts grossissements. Ces cellules avaient un noyau dont le diamètre ne dépassait pas le sixième du diamètre de la sphère, et qu'on ne distinguait que sur les pièces coagulées. L'état du ciel ne m'a pas permis de continuer les jours suivants mes observations sur les mêmes œufs ; ce n’est que le treizième jour que j'ai pu les examiner de nouveau. L'embryon étant formé, j'ai dirigé mon attention sur les cel- lules les plus récemment constituées. J'ai choisi pour cet exa- men les membranes délicates qui forment les lames ventrales de l'embryon, et l'expansion du blastoderme qui contient le vitellus. Les cellules de ces membranes mesuraient de 0"",043 à U0"®,045. RECHERCHES SUR LES CELLULES EMBRYONNAIRES. 21 Celles des lames ventrales étaient très-pàles, et ne contenaient qu'un nombre extrêmement restreint de petits granules à peme visibles. La coagulation rendait ces derniers plus apparents, sans en augmenter le nombre ; on voyait un beau noyau qui occupait environ la moitié de la cellule. Les cellules de la membrane périvitelline, plus anciennes que les précédentes, avaient un autre aspect. Les unes (fig. 6, n° 4, 2 et 5) ressemblaient à de jeunes cellules ; elles étaient composées d’un gros noyau entouré d’une enveloppe cellulaire très-étroite. Le noyau était granuleux, sans nucléole dans les uns (n°1), avec un ou plusieurs nucléoles dans les autres (n° 2 et 5). Ailleurs l'enveloppe celluleuse était plus grande, plus écartée du noyau, et l'on ne voyait aucun granule entre ce dernier et la paroi de la cellule (n° 3). Enfin, dans quelques rares cellules, j'ai trouvé deux noyaux granuleux Juxtaposés (n° 4). Évidemment j'avais sous les yeux des cellules en voie de mul- tiplication ; or j'ai constamment remarqué qu'après la coagula- tion, la substance de la cellule était cassante comme le liquide vitellin coagulé, et n'offrait «jamais la flexibilité d’une mem- brane. | Ces observations me conduisent donc à regarder le travail qui se passe en ce moment comme analogue au travail primitif qui à pour objet le fractionnement du germe. Ce qu'on appelle le gros noyau des jeunes cellules est un amas de granules analogues à ceux qu'on observe aux premières époques de l’évolution de l'œuf. Ce noyau est maintenant entouré d’une couche liquide, coagulable par les acides, et destinée sans doute à devenir plus tard la membrane de la cellule. L’amas de granules en question est susceptible de se fractionner pour produire des amas plus petits, et, comme on l’a vu pour la segmentation vitelline propre- ment dite, le fractionnement du noyau est précédé de l’appari- tion de nucléoles qui représentent, à mon avis, les vésicules centrales, autour desquelles viennent se grouper, comme autour d’un centre d'attraction, les éléments granuleux destinés à former des amas ou des globes secondaires. 29 LEREBOULLEN, Sixième observation. — Saumon. — OEufs fécondés le 19 no- vembre 1863, à quatre heures de l'après-midi. V'ingt-deuæ heures après la fécondation, je distingue à travers la coque de l'œuf, à uné petite distance du micropyle, ün cumu- lus jaunâtre qui repose sur un large disque oléagineux de cou- leur rouge. Ce cumulus n’est pas plus gros que celui de la Truite à la même époque. J'ouvré l'œuf, et j'isole le germe, tout en le laissant dans le liquide vitellin. Je vois qu'il se compose de seize globes de segmentation. Ces globes sont constitués par une agglomération dé granules très-fins, formant une masse com= pacte de couleur jaunâtre, dans laquelle sont disséminées des vésicules brillantes (vésicules plastiques) en plus grand nombre que dans la Truite. En déchirant les globes avec dés aiguilles pour en séparet les éléments, je vois des gouttes d'huile s'échapper de ces sphères et apparaitre à leur surface. Souvent j'ai eu l’occasion de constater la présence d’une certaine quantité de graisse liquide dans les globes de segmentation sur le Saumon ou sur la Truite. Toutes les fois que j'exérçais une certaine compression, je voyais l'huile se ramasser en une goutte plus ou moins large sur un point de la préparation. Je ne vois pas de vésicule céntrale ; seulement je trouve çà et là quelques vésicules un peu plus grosses que les autres, dispér- sées irrégulièrement. Le disque huileux est formé en grande partie de gouttes colo- rées d'un rouge magnifique. Quarante-huilième heure. — Globes de segmentation ayant en moyenne un diamètre de 0"",12; même composition que là veille. Ceux qui occupent les bords du germe se fondent en partie les uns dans les autres, preuve qu’ils n6 sont pas entourés d’une membrane. Les sphères qui sont entièrement séparées de la masse ont autour d'elles une enveloppe de liquide vitelline, en- veloppe qui disparaît par le lavage, et qui se coagule, en gardant en partie sa transparence, quand on emploie de l’eau acidulée. Malgré l'examen le plus attentif, je ne vois pas de vésicule cen- trale. RECHERCHES SUR LES CELLULES EMBRYONNAIRES. 23 Soivante-sixième heure}(fin du troisième jour). — Le diamètre des sphères n’est plus que de 0"",08 à 0"",09; elles sont trans- parentes, mais elles ont encore une teinte fauve ou jaunâtre quand on les regarde par réflexion. Quelques-unes ont une vé- sicule centrale granuleuse, semblablé à un noyau; dans l’une d'elles, je trouve deux vésicules nucléiformes écartées l’une de l'autre, et qui ont environ la moitié du volume des vésicules centrales précédentes. Malgré la ressemblance de ces sphères avec des cellules, je m'assure qu'elles n'ont pas d’enveloppe membraneuse. En effet, dans les portions du germe où ces pe- tites sphères sont amoncelées, on voit qu’elles se fondent les unes dans les autres à leurs points de contact, et qu'elles ne sont iso- lées que sur le bord de la préparation. Les sphères séparées de la masse ont seules une forme régulière; mais quand on les écrase ou qu'on les déchire, on s'assure facilement qu'elles sont composées d'une matière granuleuse, cohérente, sans mem brane d’enveloppe distincte. Le chloroforme appliqué directement sur ces sphères les dis- sout en totalité. Au bout de peu d'instants, il ne reste plus que quelques débris d'une extrème ténuité, presque imperceptibles, granuleux, et qui ne ressemblent nullement aux débris d’une membrane. Fin du cinquième jour. — Globes de 0"*,036 à 0"",039 de diamètre, encore fortement granuleux avec de nombreuses vési- cules interposées entre les granules. Je cherche en vain dans ces sphères une vésicule centrale ; je n'en trouve pas, même en les coagulant. Cependant le lendemain, sixième jour, le germe me semblait composé de vraies cellules ; mais je n’ai pu continuer l’observa- tion ni ce jour-là, ni les jours suivants. Septième observation, — Saumon. — OEufs fécondés le 7 dé- cembre, à midi. V'ingi-deuxième heure. — Le germe se compose de huit sphères indépendantes, et qui se séparent complétement les unes des autres. Plusieurs d’entre elles ont une ligne transparente qui DA LEREBOULLET. partage la sphère en deux parties égales, et annonce une pro- chaine division. Ces sphères ont la composition et l'aspect que j'ai fait connaître dans l'observation précédente : pas de mem brane propre, pas de vésicule centrale, auréole transparente formée par le liquide albumineux. Quarante-sixième heure. — Les globes de segmentation ont 0°" ,13 à 0"",14 de diamètre. Examinés dans le liquide vitellin au moment où l'œuf est ouvert, ces globes ne sont pas entourés d'une auréole (fig. 7, n° 1); mais, au bout de très-peu de temps, cette auréole apparaît, soit par suite d’un retrait de la substance granuleuse, soit par un effet d'adhésion du liquide visqueux aux parois de la sphère (n° 2). Je ne trouve une vésicule centrale que dans quelques globes; elle est transparente , entièrement vide, et son diamètre égale environ le sixième du diamètre de la sphère. Fin du cinquième jour. — Sphères réduites à de petits amas granuleux, entourés d’une couche épaisse de liquide vitellin ; elles mesurent 0"",026 à 0°" ,032. L'état du ciel ne permet pas de les examiner plus en détail. Sixième jour. — Diamètre des sphères 0**,020 à 0"",096. Ces sphères sont tantôt régulières, et alors ressemblent à une goutte d'un liquide visqueux enfermant un nombre variable de granules (fig. 8, n° 1, 2 et 3), tantôt très-irrégulières, allon- gées, et semblables à des trainées de matière visqueuse (n° 4 à 7). Très-rarement les granules occupent toute l'étendue de la sphère liquide (n° 2); généralement ils sont peu nombreux et toujours irréguliers. Le lavage donnait aux sphères un aspect tout différent (fig. 9). L'enveloppe produite par le liquide vitellin avait disparu. On voyait alors des sphères transparentes, päles, contenant des gra- nules tantôt nombreux, mais excessivement fins, avec quelques vésicules brillantes (fig. 9, n° 4), tantôt au contraire en très- petit nombre (n° 2 et 3). Dans l’une d'elles (n° 2), les petits gra- nules, qui d’abord occupaient toute la sphère, s'étaient groupés vers le centre, de manière à laisser autour d'eux un espace trans- parent. Ces granules, qui généralement ressemblent à des grains RECHERCHES SUR LES CELLULES EMBRYONNAIRES. 25 de poussière, ont quelquefois l'aspect de très-petites vésicules, comme le montre la cellule représentée figure 9, n° 3, dans laquelle j'ai compté dix de ces granules vésiculeux. L'eau acidulée faisait apparaître un noyau peu prononcé, qu'on ne voyait pas auparavant ; quelquefois ce noyau était double. Trois heures plus tard , j'ouvre un autre œuf. J'examine d'abord les éléments du germe dans le liquide vitellin ; ce sont, comme auparavant, des amas granuleux entourés de sphères liquides. J'isole un groupe de cellules, et j'ajoute une goutte d’eau aci- dulée. Le liquide vitellin est coagulé sans devenir laiteux, et sans perdre sa transparence ; les granules deviennent plus foncés, mais les cellules conservent leur mode d'agrégation, et l’on voit qu'elles sont formées par la sphère albumineuse coagulée et par l'amas de granules inclus. Je fais subir le même traitement à une moitié du disque ger- minateur, puis je le débarrasse de la substance coagulée et des gouttes d'huile qui l’enveloppent, et, après l'avoir isolé, je le déchire avec des aiguilles pour en séparer les éléments. Je vois alors que les cellules qui le composent sont unies entre elles par le liquide vitellin coagulé qui se brise au contact des aiguilles. Ces cellules ont des formes irrégulières, allongées ou angu- leuses ; celles qui n’ont pas subi de manipulations avant l’action de l’acide sont assez régulièrement sphériques ; elles n’ont pas d'autre enveloppe que la couche de liquide vitellin coagulé dont il vient d'être question ; on voit un noyau dans quelques-unes. Il me semble donc suffisamment prouvé que les amas granu— leux dont le germe se compose à cette époque manquent de membrane propre, et ne sont pas de vraies cellules. Septième jour. — Parmi les œufs que j'examine, j'en trouve un dont le germe présente un aspect singulier. Il est entièrement composé d'une matière granuleuse homogène, au milieu de la- quelle se voient des cellules vides, transparentes, avec noyau ou sans noyau. Je n'ai vu qu'une fois cette constitution du germe. Est-elle due 26 LEREBOULLET, à une dissolution de ses granules, dissolution que je crois précé- der la formation des véritables cellules ; ou serait-elle le résultat d'une maladie de l'œuf? M. Bischoff, dans ses études sur le développement du Cochon d'Inde (1), signale un état de l'œuf qui me parait analogue à celui dont je parle en ce moment. «A la fin de la segmentation, dit-il, les éléments vitellins se réunissent de nouveau en une masse d'où sortiront seulement les cellules de la membrane blastodermique. » Le germe des autres œufs offrait son aspect ordinaire, C'est-à - dire qu'il était formé par l'agglomération de sphères liquides, visqueuses, irrégulières, de 0°",013 à 0"",016, et ne contenant qu'un nombre extrèmement restreint de très-petits granules (fig. 10, n°1 à 8). La coagulation rend ces derniers plus foncés, mais n'en fait pas apparaître un plus grand nombre. Dans cer- taines sphères, je n'ai compté que quatre ou cinq de ces gra- nules. Parmi ces sphères, qui montrent de la manière la plus évidente une division extrême de la substance du germe, se voient des cel- lules régulières en assez grand nombre, d'une transparence complète, ayant à leur centre une grosse vésicule vide comme la cellule elle-même, et dont le diamètre est la moitié du diamètre de la cellule. En ajoutant de l’eau acidulée à la préparation, j'ai vu se produire autour du noyau un précipité de granules extrème- ment fins, qu'on ne distinguait pas avant la coagulation (fig. 10, n° 4). Ailleurs ces granules étaient plus nombreux, et remplis- saient la cellule (n° 5). Je trouve sur cette préparation tous les états intermédiaires, qui montrent que les granules se sont mul- tiphiés d’une manière centrifuge autour du noyau. Huitième jour. — Mème aspect que le jour précédent. Nom- breuses petites cellules dont le diamètre varie entre 0°",007, 0°",010 et 0°",013, transparentes, à peine troublées par l'eau acidulée, vides ou contenant un noyau, mais sans granules entre le noyau et la paroi cellulaire. (4) Tb. Ludw. Wilh, Bischoff, Enfwicklungsgeschichte des Meerschweinchens. Gies- sen, 4852, in-A°, p. 20. RECHERCHES SUR LES CELLULES EMBRYONNAIRES. 97 Le même jour, quelques heüres plustard, j'examine encore un autre œuf, et j'observe les éléments du germe dans le liquide vitellin d'abord, puis après le lavage par l’eau, puis enfin dans l'eau acidulée. Dans le premier cas, je trouve, comme précédemment, des sphères irrégulières de substance vitelline ne contenant que quél- ques granules, Quand le liquide vitellin a été précipité par l'eau, et que la pièce à été soigneusement lavée, je vois le germe com- posé de cellules de 0°",02 au plus, toutes régulièrement sphé- riques et transparentes, sans contenu granuleux ; quelques-unes seulement ont un noyau. Enfin les cellules coagulées ont le même aspect que les précédentes ; seulement celles qui sont nucléées ont leur noyau entouré d'une matière granuleuse très-fine. Le lendemain, neuvième jour, l'aspect des éléments du germe avait peu changé. J'ai encore retrouvé les mêmes cellules conte- nant un noyau transparent entouré de granules. Le dixième jour seulement, les cellules de la membrane blas- todermique m'ont paru être régulièrement constituées : elles se composaient d'une enveloppe; d’un contenu finement granuleux et d’un noyau. Les observations faites sur les œufs de ce Saumon me parais- sent très-instructives, je pourrais même dire presque con- cluantes. On voit d'abord la substance granuleuse du germe arriver à un état de division extrême, au point de ne plus présenter que des amas de quatre à cinq granules. On voit ensuite se produire des sphères vides avec où sans noyau, et c'est toujours après la formation de celui-ci que se dépose la substance granuleuse, qui plus tard remplira la cel- lule. Cette substance granuleuse n'existait donc pas auparavant, et dès lors on ne peut pas dire que la cellule embryonnaire résulte directement et immédiatement de la segmentation du germe. Huitième observation. — Saumon. OEufs fécondés le 21 dé- cembre 1865, à huit heures du matin. 28 LEREBOULLET . Troisième jour. — Globes de 0"*,18, sans vésicule centrale, composés, comme il a été dit, de granules pulvérulents et de quelques petites vésicules brillantes. Sixième jour. — Globes de 0"*,04, réguliers, composés de granules réunis en un amas qu'entoure une goutte de liquide vitellin. Quand on coagule la préparation, l'enveloppe albumi- neuse forme autour de l’amas granuleux une capsule transpa- rente, qui se brise et s’écaille sous les aiguilles. Dans quelques- uns de cesamas, on distingue confusément un noyau transparent. Sur un autre œuf, je lave le germe à grande eau, après avoir d'abord examiné ses éléments dans le liquide vitellin. Après le lavage, je trouve les cellules qui composent le germe d’une transparence telle, qu'on peut à peine distinguer les granules qu'elles renferment. Sous l'influence de l’eau acidulée, les gra- nules deviennent plus apparents, et, cà et là, on voit un noyau dont le diamètre est le tiers du diamètre de la cellule. On à donc encore ici sous les yeux des sphères germinatrices sans membrane d'enveloppe, et dont le contenu est devenu d’une extrème finesse. Je regarde les noyaux comme des vésicules cen- trales analogues à celles qui occupent les grosses sphères de segmentation. Septième jour. — Sphères vitellines de 0°*,026 à 0"*,031, contenant des amas granuleux peu considérables. Après le la- vage, on voit, comme précédemment, des sphères tellement transparentes, qu'on peut à peine distinguer leurs granules ; ceux-c1 ne forment plus un amas, ils sont épars dans toute l’éten- due de la sphère. L'eau acidulée rend le contenu des globes plus foncé, et fait apparaître un noyau dans la plupart. Quelques-uns de ces globes ont un noyau sans aucune trace de granules autour de lui ; le diamètre de ce noyau est le tiers du diamètre de la sphère. Le lendemain, huitième jour, même aspect que la veille. J'examine encore successivement les éléments du germe dans le liquide vitellin, puis débarrassés de ce liquide par le lavage, puis enfin traités par l’eau acidulée. Je vois toujours, dans lé premier cas, de petits amas irrégu- RECHERCHES SUR LES CELLULES EMBRYONNAIRES. 29 liers de granules entourés du liquide vitellin ; après le lavage, ils sont remplacés par des cellules régulièrement arrondies et très- pâles ; puis, quand l'acide à agi sur la préparation, je trouve des cellules granuleuses avec ou sans noyau, et des cellules à noyau qui ne renferment pas de granules. 11 paraît que l’eau, quand on à fait disparaître par le lavage le hquide vitellin, produit la dissémination des granules qui étaient auparavant groupés en amas; peut-être même se forme-t-il alors une membrane cellulaire qui absorbe l’eau, car il m'a semblé que les cellules étaient un peu plus grosses après le traitement par ce liquide qu'avant cette opération, tandis que leurs granules sont devenus moins apparents. Cependant, je doute fortement de l'existence de cette membrane ; le fait du gonflement de la petite sphère par absorption de l’eau peut se concevoir sans sa pré- sence. L'après-midi du même jour, je réitère ces recherches sur d’autres œufs. Je constate le même aspect des sphères dans les diverses conditions que je viens d’énumérer. Seulement ici je ne vois un noyau que dans quelques-unes, et encore d’une manière obscure, malgré l’emploi de l’eau acidulée. Voulant m'assurer si les sphères dont se compose alors le germe sont pourvues d'une membrane propre, je les recouvre d'une lamelle de verre, et je les déchire en les comprimant. J'examine ensuite sous de forts grossissements les fragments dé- tachés du bord des sphères, et je vois, comme dans d’autres observations, que ces fragments sont granuleux, et ne différent nullement, par leur composition, des autres parties de la sphère. Je n'ai pas suivi le développement ultérieur de ces œufs : quelques jours plus tard, le blastoderme avec ses cellules granu- leuses à noyau, était formé, Neuvième observation. — Perche. — OEufs fécondés le 24 avril 1863, à neuf heures du matin. À trois heures (six heures après la fécondation), segmentation en seize boules égales, composées de granules et de vésicules brillantes, variant pour leur grosseur de 0,002 à 0“*,010 et 350 LEREBOULLET. 0°%,013, Elles renferment, en outre, des gouttelettes huileuses qui se réunissent en gouttes plus grosses lorsqu'on écrase les sphères, tandis que les vésicules brillantes (vésicules plastiques) restent les mêmes. Point de vésicule transparente au centre des sphères. Absence d’enveloppe membraneuse propre. La ligne circu- laire bien arrêtée, qui semble indiquer la présence d’une mem- brane autour des globes de segmentation, résulte de la juxta- position des granules qui sont maintenus collés les uns aux autres par une matière unissante particulière. Vingt-cinquième heure. — Le vitellus est couvert d'une coiffe blastodermique, qui s'étend jusqu'à la grosse goutte huileuse, Cette coiffe est composée de cellules encore très-grosses, de 0°*,03 en moyenne. Sur des œufs coagulés, ces cellules sont entourées d’une membrane irrégulière écartée du contenu, et qui rappelle, par sa position et par son aspect, l'enveloppe que j'ai figurée dans la Truite (fig. 5, n° 1 et 2). Le contenu est for- tement granuleux, et 1] existe un noyau granuleux aussi. Je n'hésite pas à regarder ces corps celluliformes comme des globes générateurs, dans lesquels se répêtent les phénomènes de la segmentation vitelline, pendant toute la durée de l'extension du blastoderme. Sur des œufs de la même fécondation examinés au commen- cement du troisième jour (quarante-neuf heures après la fécon- dation), etsur lesquels on voyait de profil la saillie embryonnaire, la plupart des cellules du feuillet blastodermique avaient0"",045. Elles renfermaient un noyau vésiculeux transparent, qui occu- pait ordinairement le bord de la sphère et non son centre; le reste de la cellule était occupé par des granules pâles et de très- petites vésicules plastiques dispersées entre ces granules. Quel- quefois le noyau vésiculeux était allongé, forme qui annonce sa division prochaine. Un de ces noyaux allongés offrait une échan- crure latérale dans son milieu, ce qui le rendait cordiforme. Enfin j'ai trouvé dans quelques cellules, outre le noyau vésieu- leux transparent, un autre noyau granuleux. Ayant détaché des lambeaux du blastoderme, j'ai examiné RECHERCHES SUR LES CELLULES EMBRYONNAIRES. 31 comparativement leurs cellules, et j'ai vu qu'à la périphérie du blastoderme ces dernières étaient beaucoup moins chargées de granules que les cellules les plus rapprochées du pôle de l'œuf. Or celles-ci sont les plus anciennes, d’où il suit que les cellules, à mesure qu'elles vieillissent, se chargent de plus en plus de sub- stance granuleuse. Dixième observation. — Meunier (Leuciscus dobula).— OEufs examinés huit heures et demie après la fécondation. Le germe se composait d'une multitude de petites sphères d'égale grandeur qui annonçaient la fin de la segmentation. Chacune d'elles renfermait une ou plusieurs vésicules transpa- rentes, au milieu de l’'amas granuleux qui formait la partie prin- cipale de la sphère. La plupart de ces vésieules n'étaient pas simples comme dans les autres Poissons, mais contenaient elles-mêmes une autre vésicule très-petite (nueléole). Plusieurs fois j'ai rencontré, dans un même globe de segmen- tation, deux de ces vésicules nucléaires composées. D'autres globes contenaient un nombre considérable de vési- eules plus petites, parfaitement transparentes, et dont la gros- seur dépassait à peine celle du noyau des vésicules précédentes. Ces nombreuses vésicules, qui me paraissent jouer un rôle important dans la multiplication des cellules, sont peut-être en rapport avec la rapidité du travail d'évolution dans le Meu- nier. Le lendemain, vingt-six heures après la fécondation, je coagule un œuf pour étudier la composition du blastoderme : celui-ci re- couvrait les trois quarts de l'œuf. Parmi les cellules qui le com- posent, j en rencontre plusieurs qui sont formées de granules amoncelés autour d’un noyau central, sans qu’il me soit possible de distinguer aucune enveloppe autour de ces granules. Que l’on suppose que cette membrane d’enveloppe ait été détruite par l’eau acidulée, ou qu’elle n’ait pas encore existé à cette époque de la formation de la cellule, toujours est-il certain que, dans ce Poisson comme dans les précédents, il existe un E 2. LEREBOULLET. moment où les jeunes cellules se composent d’un noyau trans - parent, entouré d’un certain nombre de granules. Les observations que je viens de relater, sans être toutes com— plètes et suffisantes pour résoudre la question du mode de forma- tion des premières cellules embryonnaires, renferment cepen- dant un certain nombre de faits qui méritent d’être pris en con- sidération. Ces faits se rapportent : 1° À la composition des premiers globes de segmentation ; 2° Aux changements ultérieurs qu'éprouvent ces globes, et au rôle que jouent leurs éléments dans la formation des cellules proprement dites. Les faits relatifs à la composition des globes de segmentation comprennent l'examen de leur constitution, et l'étude de la ques- tion relative à la présence ou à l'absence d’une membrane parti- culière servant d’enveloppe à ces globes. Nous avons toujours vu les sphères de segmentation composées des mêmes éléments que ceux qui constituent le germe. Ces élé- ments sont des granules vitellins, de petites vésicules brillantes disséminées au milieu de ces granules, des gouttelettes huileuses microscopiques, et un liquide servant à unir entre eux tous ces corpuscules. Les granules sont très-petits, très-serrés les uns contre les autres, et ils donnent aux sphères de segmentation une teinte fauve ou jaunâtre. Les petites vésicules brillantes, plus nombreuses dans l'œuf du Saumon que dans celui de la Truite, me paraissent les mêmes que celles auxquelles, dans mes précédents mémoires, j'ai donné le nom de vésicules plastiques, parce qu’elles m'ont semblé jouer un rôle dans l'élaboration des éléments du germe. Leur pré- sence n’est pas constante dans toutes les périodes du développe ment ; elles m'ont semblé ici, comme dans le Limnée, se mon- trer et disparaître successivement. Les éléments graisseux existent constamment dans les sphères de segmentation ; mais leur extrème petitesse ne permet pas de RECHERCHES SUR LES CELLULES EMBRYONNAIRES. 35 les distinguer des éléments granuleux au milieu desquels ils se trouvent. Ce n'est qu'en manipulant la pièce avec des aiguilles ou en la comprimant, qu'on voit la graisse apparaitre sous forme de gouttelettes. Quant au liquide qui unit entre eux ces divers éléments, il est impossible de l'isoler. Ce liquide est sans doute visqueux, car les granules adhèrent si fortement les uns aux autres, qu'on ne peut les séparer ni avec des aiguilles, ni par la compression. Ce n’est qu'en coagulant la pièce qu’on parvient à en isoler quelques- uns. A ces éléments constitutifs des globes de segmentation, il faut Joindre un élément transitoire qui joue un rôle important dans le phénomène du fractionnement vitellin; je veux parler de la petite sphère vésiculeuse, transparente, signalée par tous les embryologistes au centre des globes. On a pu voir dans les obser- vations précédentes qu'elle n’est pas toujours distincte, et je suis porté à croire que, dans les Poissons comme dans le Limnée, elle paraît et disparait successivement. Quoi qu'il en soit, elle doit être considérée comme un centre d'attraction, autour duquel viennent se grouper les éléments granuleux de la sphère. Quand le glohe est sur le point de se diviser, la vésicule centrale s’allonge, s'étrangle par le milieu, et se partage en deux. Les deux nou- velles vésicules s’écartent l’une de l’autre, et chacune d'elles devient bientôt le centre d’une nouvelle sphère. Une question encore controversée aujourd’hui, malgré les faits nombreux qui sembleraient devoir la résoudre d’une manière définitive, c’est la question de la présence ou de l'ab- sence d'une membrane d’enveloppe autour des globes de seg- mentation. | Un célèbre embryologiste allemand, M. Reichert, persiste à soutenir son existence, et à regarder les globes de fractionne- ment comme des cellules (1). Un autre embryologiste non moins distingué, M. Bischoff, proclame au contraire, de la manière la (4) Voyez ses Études sur le développement du Cochon d'Inde, dans les Mémoires de l’Académie des sciences de Berlin, 1861. 5° série. ZooL. T. IT. (Cahier n° 4.) 3 3 3k LEREBOULLET. plus positive, dans tous ses écrits, l'absence d'une membrane propre autour des sphères (1). Les recherches les plus attentives et les plus minutieuses m'ont aussi conduit à ce dernier résultat. On pourra voir, par la lecture de mes observations, que je n'ai négligé aucun moyen pour arriver à la vérité. J'ai examiné les globes de segmentation dans le liquide vitellin, puis après les avoir débarrassés de ce liquide par le lavage, puis enfin dans de l'eau acidulée par l'acide nitrique. Je les ai déchirés avec des aiguilles, comprimés graduellement sous une lamelle de verre ; j'en ai éraillé la substance, et j'ai examiné leurs débris sous les plus forts grossissements. Je n'ai jamais rien vu qui ressemblât à une membrane. Quand j'avais fait glisser un germe sur le porte-objet dans le liquide de l'œuf, je voyais toujours sur les bords de Ja pièce, et par le fait de cette simple manipulation, un certain nombre de sphères soudées entre elles, et comme en partie fondues les unes dans les autres ; aucun moyen ne pouvait les séparer. Comment concilier l'existence d’une membrane avec cette fusion intime de deux ou de plusieurs sphères? Quand j'avais coagulé les globes, et que j'étais parvenu à les réduire en très-petits fragments, le microscope me montrait que ces fragments étaient positivement - constitués par des granules collés les uns aux autres. Toutes les parties de la sphère, les bords comme le centre, offraient la même disposition, et l'on conçoit que la régularité de cet arran- gement produise une netteté de contour qui puisse faire croire à la présence d'une membrane. Je crois donc pouvoir conclure avec une entière certitude que les globes de segmentation n'ont pas de membrane propre, et que leurs éléments sont unis entre eux par une substance parti- culière qui les retient adhérents les uns aux autres. J'arrive au second ordre de faits, c’est-à-dire aux changements ultérieurs qu'éprouvent les globes de segmentation après que le (4) Voyez, entre autres, Traité du développement de l'Homme et des Mammifères, trad. française, p. 72; Entwicklungsgeschichte des Hunde-eries, 1845, p. 43; Entwicklungsgeschichte des Meerschweinchens, 4859, p. 20. RECHERCHES SUR LES CELLULES EMBRYONNAIRES. 59 germe a cessé d'être mûriforme, et que sa surface est redevenue lisse. Les sphères qui le composent n'ont plus la couleur jaunâtre qu'elles offraient auparavant. Elles ont maintenant un aspect grisâtre et une grande transparence ; leurs granules sont moins nombreux et plus fins, et elles ressemblent beaucoup à des cel- lules. Cependant il faut remarquer que cette dernière ressemblance, du moins dans la Truite et le Saumon, et probablement dans tous les Salmones, n’a lieu que quand le germe a été lavé et débarrassé du liquide visqueux qui constitue le vitellus. En effet, quand on examine le germe dans ce liquide, rien de celluleux n'apparaît aux yeux de l'observateur. Ce germe est composé d'une multitude de petites sphères serrées les unes contre les autres, Celles de ces sphères qui sont séparées de la masse totale sont albumineuses, transparentes, évidemment for- mées par le liquide vitellin lui-même, et elles renferment un amas granuleux dont la grosseur diminue à mesure que le germe est examiné à une époque plis avancée de son développement. Cet amas de granules peut être réduit aux proportions les plus minimes, puisque je l'ai trouvé, dans certains cas, composé de quelques granules seulement. Ces faits montrent, ce me semble, de la manière la plus évidente, que le germe, quand il est redevenu lisse, conti- nue à se fractionner et à se diviser en groupes où amas de plus en plus petits. L'inspection de ces amas dans la petite sphère vitelline qui les contient ôte toute idée de l'existence d’une membrane particuliére autour d'eux. On voit trop bien la disposition des granules et les saillies qu'ils forment à la surface de ces amas, pour qu'on puisse admettre qu'ils sont entourés d’une membrane qu'aucun éclairage, qu'aucun grossissement, ne fait distinguer. Il est difficile d'expliquer la différence d'aspect que présentent les élémenis du germe après le lavage. On a alors sous les yeux des formes qui ressemblent à de véritables cellules: mais on remarque la pâleur du contenu de ces dernières, et l’on voit que 30 LEREBOULLET, leur contour n'est nullement membraneux; ce sont encore des sphères granuleuses sans paroi propre. Ces circonstances me portent à maintenir la distinction que j'ai faite, dans mes études sur le développement du Limnée, entre les globes de segmentation et les globes générateurs. Ceux-ci dérivent directement des premiers, et reproduisent sur une petite échelle les phénomènes de la segmentation, c'est-à-dire de la division des éléments du germe en groupes de plus en plus petits. On trouve, en effet, dans ces nouvelles sphères, des vésicules analogues aux vésicules centrales des grosses sphères de segmen- tation. Ces vésicules se divisent et se subdivisent, et servent, comme les précédentes, de centres d'attraction pour les granules des globes générateurs, de manière à déterminer le partage de ces derniers en globes de plus en plus petits. Seulement les vési- cules dont il est maintenant question sont presque toujours granuleuses, et ressemblent à des noyaux. Un fait capital et qui mérite toute notre attention, c’est la raré- faction progressive des éléments granuleux des globes généra- teurs, à mesure que ces globes se subdivisent. Cette raréfaction, déjà si apparente quand on examine les éléments du germe dans le liquide vitelln, est encore plus sensible lorsque l’action de l’eau a donné aux petits amas granuleux la forme de cellules. Les granules sont alors tellement pâles et tellement épars dans la cellule, qu'on à peme à les distinguer. Quand le nombre des granules est encore plus réduit, ceux-ci, au lieu d’être réunis en amas comme on les voit dans la sphère de liquide vitellin qui les enveloppe, sont dispersés dans la cellule, au point de pouvoir être compiés; et, chose remarquable, l’eau acidulée les rend plus foncés, mais n’en augmente pas le nombre, c’est-à-dire n'en fait pas apparaitre de nouveaux. Enfin, sur les mêmes préparations qui présentent ces sphères à contenu de plus en plus raréfié, on trouve d’autres sphères entièrement vides, ou munies d’une vésicule centrale transparente, sans granules autour de cette vésicule. U me semble donc légitime d'admettre qu’il y a eu raréfaction d'abord, puis dissolution totale des granules vitellins. RECHERCHES SUR LES CELLULES EMBRYONNAIRES. 37 Mais dans ces mêmes préparations où l'on voyait des sphères transparentes à contenu raréfié, et des sphères vides ou n'ayant que quelques granules très-pâles, j'ai souvent rencontré des sphères munies d’une vésicule centrale transparente, autour de laquelle se trouvait une couronne de granules très-apparents, et formant même quelquefois une auréole foncée. Tantôt le nombre des granules déposés autour de la vésicule centrale ou noyau était peu considérable, tantôt au contraire ils étaient entassés de manière à dessiner une couronne granuleuse, ou bien les gra- nules se portaient de plus en plus vers la périphérie de la cellule, montrant ainsi que l’apparition de ces éléments granuleux avait lieu dans une direction centrifuge. Il est impossible de ne pas regarder ces granules disposés en anneau autour d’une vésicule centrale et cette vésicule elle- même comme des produits de nouvelle formation, qui ont suc- cédé à la dissolution des anciens éléments du germe. Ces faits sont d’ailleurs conformes à ceux que j'ai mentionnés dans mes précédents mémoires, etils s'accordent avec les obser- vations de M. Bischoff, qui, lui aussi, a vu et figuré des vésicules transparentes entourées de granules (1). Cet auteur ne représente pas de membrane cellulaire autour de ces couronnes de granules. Il m'est aussi arrivé assez souvent de rencontrer des formes semblables, c’est-à-dire des cellules composées d'une vésicule transparente entourée de granules, sans membrane cellulaire, tandis que d’autres fois cette mem- brane existait. Peut-être faudrait-il en conclure que celle-ci se produit en dernier lieu ; mais dans ces formations cellulaires la succession réelle des phénomènes est tellement difficile à obser- ver, qu'il est prudent de se tenir dans une sage réserve, et d'attendre de nouvelles observations. Mais un fait qui me paraît maintenant à l'abri de toute con- testation, c'est l’atténuation progressive des éléments vitellins et leur disparition complète avant la formation des véritables cellules. 4) Entwick, des Hunde-cies, p. 52: pl. 2, fig, 21 et 22, et pl, 5, fig. 27, «. 38 LEREBOULLET. Je rappellerai à ce sujet l'aspect que présentait le germe dans un œuf de Saumon {septième observation, septième jour). Ce germe se composait d'une matière granuléuse homogène, comme celui dont parle M. Bischoff dans son développement du Cochon d'Inde (p. 20). Cet état représente le dernier degré de division des éléments vitellins, et précède la formation des cellules. Il n'est donc pas possible d'admettre, comme le veut M. Rei- chert, que le travail de segmentation forme directement les cel- lules embryonnaires. Ce travail prépare les éléments du germe qui doivent servir à cette formation. Ces éléments, de plus en plus divisés, finissent par se dissoudre, et c’est le liquide prove nant de cette dissolution qui préside à la constitution des véri- tables cellules. En résumé, je crois pouvoir établir les propositions suivantes, comme le résultat des faits observés et discutés dans ce mémoire : 1° Le travail de fractionnement du germe comprend deux phases : la segmentation vitelline proprement dite et la division ultérieure des sphères qui résultent de cette segmentation. 2° Il convient de distinguer ces deux phases, et de dési- gner sous des noms différents les sphères qui en résultent. Je conserve le nom de globes de segmentation aux sphères prove- nant des premières divisions du germe, et celui de globes géné rateurs à celles qui se produisent après que le germe est rede- venu lisse. 3° Il n'existe pas de membrane propre autour des globes de segmentation, ni autour des globes générateurs. Les granules qui composent les uns et les autres sont unis entre eux par une matière cohérente. Ces sphères ne sauraiént donc être considé- rées comme des cellules. L° Les globes générateurs suivent dans leur fractionnement la même marche que les globes de segmentation. 5° Ce fractionnement paraît toujours déterminé par l’appari- tion au centre de la sphère d'une vésicule, autour de laquelle sont groupés les éléments de cette sphère. 6° Cette vésicule, ordinairement transparente dans les globes RECHERCHES SUR LES CELLULES EMBRYONNAIRES. 39 de segmentation, granuleuse dans les globes générateurs (1), se divise en deux autres, et chacune de celles-ci devient à son tour un centre d'attraction pour la formation de nouvelles sphères. 7° Les sphères qui résultent de la division des globes généra- teurs deviennent de moins en moins granuleuses, et leurs gra- aules sont plus fins et plus pâles. 8° Ces granules finissent par disparaître complétement. 9° Les globes générateurs sont alors remplacés par de véri- tables cellules. 40° Les cellules embryonnaires sont donc positivement des formations nouvelles. 41° Elles paraissent commencer par la formation d’un noyau vésiculeux central, autour duquel viennent se grouper des gra- nules qui n’existaient pas auparavant. 12° La question de savoir si la membrane cellulaire précède ou suit la formation du noyau vésiculeux et le dépôt de granules autour de ce noyau, reste indécise. EXPLICATION DES FIGURES. PLANCHE 1. Toutes les figures ont été dessinées sous un grossissement dé 300 diametrés. TRUITE. Fig. l. Globes de segmentation à la quarante-cinquième heure, vus dans le liquide vitellin. a, amas de granules constituant le globe proprement dit ; b, enveloppe albu- mineuse. Dans le numéro 2, l’'amas de granules n’est entouré de liquide vitellin que dans une très-petite étendue. Fig. II. Sphères des mêmes œufs à la cinquantième heure, vues dans le liquide vitellin comme les précédentes, Ces sphères offrent des états de développement très-divers : les unes (n'° 4 et 2) ont le caractère de globes de segmentation; leur reflet est jau- nâtre. Les autres, transparentes et à reflet grisâtre, sont des globes générateurs, 4. Sphère de liquide vitellin remplie de granules amoncelés en grand nombre et (4) Cette règle est loin d'être absolue; les vésicules centrales sont tantôt transpa- rentes, tantôt granuleuses, quelle que soit la grosseur des sphères, L0 LERERQULLET. donnant à la sphère la teinte fauve ordinaire des globes de segmentation, Les gra- nules remplissent complétement la sphère albumineuse et ne laissent apercevoir aucune vésicule centrale, même sous le compresseur. 2. Autre sphère semblable à la précédente, mais offrant une vésicule centrale gra- nuleuse. 3. Sphère beaucoup plus petite (globe générateur), avec une vésicule centrale à teinte mate. 4. Sphère aplatie et allongée, en voie de division. 5. Sphère de liquide vitellin ne contenant qu’un très-petit nombre de granules. Fig. III. Œufs d’une autre Truite, à la cent troisième heure (commencement du cinquième jour). 1. Globe générateur ayant l'aspect d’une cellule granuleuse à noyau. Les gra- nules sont plus pâles et moins nombreux que dans les sphères précédentes, d'où résulte une transparence plus grande de la sphère. 2. Sphère ne contenant qu'un petit nombre de granules vésiculeux dispersés. 3. Autre sphère semblable à la précédente, sauf l'existence d’un noyau mat. Fig. IV. Groupe d'éléments composant le germe d’une troisième Truite, à diverses époques du développement. N 4. Globe de segmentation à la soixante-septième heure, vu dans l’eau après le lavage de la pièce. 2-7. Germe à la quatre-vingt-onzième heure (fin du quatrième jour). Aspect des globes de segmentation, ou plutôt des globes générateurs vus dans le liquide vitellin. 2. Amas granuleux vu au milieu d'une goutte de ce liquide, 3. Deux amas en train de se séparer. 4. Groupe d’amas granuleux montrant les aspects variés que présente le liquide vitellin avec les granules qu'il enveloppe. Ces derniers sont tantôt concentrés en un amas sphérique, tantôt disséminés dans toute l'étendue dela sphère liquide. Une de ces sphères est dépourvue de granules. Plusieurs renferment de petites vésicules transparentes qui n'existent pas dans les autres. 5, 6 et 7. Trainées de liquide vitellin provenant de la fusion de plusieurs sphères ; ces trainées sont remplies de fins granules parmi lesquels se voient quelques vésicules brillantes (vésicules plastiques). 8. Une sphère du mème germe traitée par de l’eau faiblement acidulée. Le liquide vitellin à disparu. Les granules sont disséminés dans toute l’étendue de la sphère au milieu de laquelle on voitune grosse vésicule granuleuse. 9-12. Éléments d'un germe de la même fécondation, à la cent quinzième heure (fin du cinquième jour). Les amas granuleux sont devenus sensiblement plus petits. Les numéros 9 et 40 montrent ces amas granuleux entourés du liquide vitellin. Les numéros 41 et 12 sont les mêmes sphères vues après le lavage du germe par de l’eau simple. Iciles gra- nules sont disséminés comme dans le numéro 8, mais beaucoup plus pâles, surtout dans le numéro 12. Les sphères ressemblent alors à des cellules. On voit dans la sphère numéro 11 quelques vésicules plastiques. Fig. V. Éléments du germe d'une quatrième Truite. RECHERCHES SUR LES CELLULES EMBRYONNAIRES. A 4 et 2. Globes de segmentation au commencement dn troisième jour (cinquante- cinquième heure), traités par l’eau acidulée. Chaque sphère est entourée d'une enveloppe irrégulière, cassante, provenant de la coagulation du liquide vitellin qui entourait la sphère. 3-6. Sphères appartenant à un autre œuf de la même fécondation examiné au commencement du quatrième jour (soixante-quinzième heure). Ces sphères sont vues fraîches, dans le liquide vitellin. Elles me paraissent consti- tuées par ce liquide lui-même, quoiqu'elles réfractent faiblement la lumière. On remarquera le petit nombre de granules qu'elles renferment, la dissémination de ces granules dans les sphères 5 et 6 et leur concentration autour d'une vésicule centrale, dans les n°5 3 et 4. Fig. VI. Groupe de cellules appartenant à l'expansion blastodermique qui entoure le vitellus et prises sur un œuf de Truite au treizième jour de la fécondation. SAUMON. Fig. VII. Globes de segmentation appartenant à un germe examiné quarante-cinq heures après la fécondation. 4. Un de ces globes vu dans le liquide vitellin au moment de la sortie du germe. 2. Le même globe vu quelques minutes plus tard. L’amas granuleux s’est rétracté, et laisse maintenant autour de lui une auréole transparente formée par le liquide vitellin. 3. Un autre globe pourvu d’une vésicule centrale très-apparente. Dans ces trois sphères on voit un assez grand nombre de vésicules plastiques dispersées au milieu des granules. Fig. VIII. Même Saumon; éléments du germe examinés au sixième jour dans le liquide vitellin. Fig. IX. Les mêmes éléments après le lavage du germe. Fig. X. Éléments d’un autre œuf de la même fécondation examinés au septième jour, dans le liquide vitellin. RECHERCHES SUR LES ORIGINES DE LA MONSTRUOSITÉ DOUBLE CHEZ LES OISEAUX, Par M. Camille DARESTE, On à admis pendant longtemps, et c'était l'opinion de Geof- froy Saint-Hilaire lorsqu'il rédigeait son Traité de teralologie, que la formation des monstres doubles chez les oiseaux résulte toujours de la soudure, et le plus souvent de la fusion de deux embryons développés isolément sur des vitellus séparés. Mes travaux sur la production artificielle des monstruosités simples m'ont permis d'étudier, dans l’espèce de la Poule, plu- sieurs monstres doubles en voie de formation ; ces monstres doubles s'étaient développés sur un vitellus unique. La science possède d’ailleurs plusieurs observations semblables qui sont dues à Wolf, au siècle dernier; puis de nos jours, à MM. de Baer, Reichert, Allen Thomson et Panum. Ce fait, qui ratta- che la duplicité monstrueuse à l'union de deux embryons déve- loppés sur un vitellus unique, est d’ailleurs bièn manifeste chez les Poissons, où les travaux de plusieurs embryogénistes, et par- ticulièrement ceux de M. Lereboullet, l'ont mis dans la plus complète évidence. Mais, dans tous les cas de monstruosité double que l’on a pu observer chez les Oiseaux pendant leur formation, l'union se faisait au-dessus ou au-dessous d’un ombilic unique, et commun par conséquent aux deux sujets. On devait donc se de- mander comment se produisent les cas de monstruosité double dans lesquels l'union des sujets est en dehors de la région ombi- licale, et où, par conséquent, 1l existe deux ombilics distincts. MONSTRUOSITÉS DOUBLES CHEZ LES OISEAUX. hè Ces deux ombilics sont-ils en rapport avec un vitellus unique, ou bien avec deux vitellus distincts ? Les monstres doubles à deux ombilics sont, d’après la nomen- clature de M. Geoffroy Saint-Hilaire, les Céphalopages, les Métopages et les Pygopages. J'ai eu occasion d'observer, 11 y à quatre ans, deux embryons développés simultanément sur un vitellus unique, et qui, bien que complétement séparés, étaient juxtaposés, et présentaient entre eux les relations de position si caractéristiques qui existent entre les deux sujets composants d'un Céphalopage. Ces em- bryons avaient péri depuis quelque temps, lorsque j'ouvris la coquille qui les renfermait. S'ils avaient survécu , ils n'auraient pu continuer leur développement sans se doubler, et ils auraient nécessairement produit ün Céphalopage. Tout récemment, M. Lavocat, professeur à l'École de mé- déeine vétérinaire de Toulouse, m'a remis un Métopage pro- duit dans l'espèce du Canard, et qui avait atteint l’époque de l'éclosion. Ce Métopagé présente, en outre de l'union immé- diate par les régions frontales, une seconde union médiate résultant de linterposition d'un vitellus unique entre les ombi- lies des deux sujets composants. Ces faits nous démontrent l'existence d’un vitellus unique dans la céphalopagie et la métopagie. Reste donc la pygopagie, que je n’ai pas eu encore occasion d'étudier chez les Oiseaux. Je ne puis donc pas dire comment ici les choses se passent; mais les conditions anatomiques de cette monstruosité ne me paraissent pas compatibles avec l'existence de deux vitellus séparés. Je crois donc pouvoir admettre comme une loi générale, que, chez les Oiseaux comme chez les Poissons, l'union immédiate des deux sujets qui composent le monstre double, est la con- séquence d'une union médiate résultant de leur formation sur un vitellus unique. Toutefois, lorsque deux embryons se déve- loppent sur un vitellus unique, cet événement n’entraîne pas nécessairement la formation d'un monstre double; car plu- sieurs embryologénistes ont vu, et j'ai vu moi-même deux em- Lk €. BARESTE. — MONSTRUOSITÉ DOUBLE CHEZ LES OISEAUX. bryons complétement distincts, et qui n’auraient jamais pu se réunir, quoique formés sur un vitellus unique. Les monstres à double ombilicsont fort rares chez les Oiseaux. Je n’en connais qu'un seul cas qui ait été signalé avant le le travail actuel : c’est un Canard métopage décrit par Tiede- mann. Mais cette grande rareté n’est probablement qu'appa- rente; les Oiseaux qui nous présentent cette monstruosité doivent périr mévitablement à une époque voisine de l’éclosion , par l'impossibilité où se trouve le vitellus de pénétrer dans la cavité abdominale. Chez les Mammifères il en est tout autrement. Ici la vésicule ombilicale, qui représente le vitellus, se sépare entièrement de l'animal avec les éléments du cordon, et cette séparation n’est pas plus difficile lorsqu'elle est en rapport avec deux ombilies par deux pédicules séparés, que lorsqu'elle est en rapport avec un seul ombilic par un pédicule unique. Rien ne s'oppose donc chez eux à l'existence de la vie extra-utérine, puisque, abstrac- tion faite de la soudure, les deux sujets composants ont une conformation régulière et normale. DE L'INFLUENCE DU SYSTÈME NERVEUX SUR LA RESPIRATION DES INSECTES, Par M. E. BAUDELOT. L'influence du système nerveux sur la respiration des Insectes n'avait que très-peu fixé l'attention des physiologistes, lorsque, il y a quelques années, M. Faivre entreprit à ce sujet des recher- ches intéressantes sur le Dytique (1). Les résultats de ses expériences, du moins par l'interprétation qu'il crut pouvoir en donner, conduisirent ce savant à admettre que, chez les Dytiques comme chez les Mammifères, les mouve- ments respiratoires ont leur principe, leur point de départ dans une région spéciale du système nerveux ; cette région chez les Dytiques correspondrait au centre ou ganglion métathoracique : ce dernier ganglion aurait ‘pour fonction d’exciter les mouve- ments respiratoires, de les coordonner et de les entretenir. Les mouvements abdominaux postérieurs liés à la respiration seraient au contraire sous l'influence du ganglion sous-æsophagien. Quant aux ganglions abdommaux, origine des nerfs respiratoires, d’après M. Faivre ils jouent simplement le rôle de conducteurs par rapport au centre respiratoire ou ganglion métathoracique ; ils ne peuvent, après la séparation des centres DS en- tretenir la respiration. Ayant depuis quelque temps dirigé mon attention d’une ma-- mère spéciale vers la physiologie comparée du système nerveux, je fus frappé des résultats auxquels était amené M. Faivre et de leur complet désaccord, tant avec les idées généralement admises relativement aux fonctions du système nerveux des Articulés, qu'avec des expériences antérieures de M. E. Blanchard sur le système nerveux des Arachnides. Je résolus de reprendre la (4) Annales des sciences naturelles, 4° série, 1860, t. XIII. 6 E. BAUDELOT. question, et, comme chez le Dytique l’expérimentation est tou- jours difficile, les résultats complexes et par cela même peu con- cluants, j'ai choisi comme sujet d'étude un insecte beaucoup plus favorable, la larve de la Libellule. Cette larve, comme on le sait, possède une chaine nerveuse formée d’une série de douze ganglions, tous parfaitement sépa- rés les uns des autres. Chez elle, le ganglion métathoracique est uni au premier ganglion abdominal par de longs connecüfs, ce qui permet de séparer aisément ces deux ganglions ; chez elle aussi, les mouvemenis respiratoires sont des plus faciles à obser- ver ; ils se traduisent de deux manières différentes, d’abord par des mouvements d’abaissement et d'élévation des arceaux infé- rieurs de l'abdomen, ensuite par l’écartement et le rapproche- ment des cinq appendices situés à l'extrémité du dernier anneau. Voici quels ont été les résultats de l'expérimentation sur cette larve : Dans une première expérience, je fis la section de la tête : il était midi; Ja respiration continua de se faire avec une très- grande régularité, on pouvait compter vingt-six inspirations par minute ; à six heures du soir, les mouvements respiratoires étaient encore forts et réguliers ; le lendemain, à neuf heures du matin, la respiration existait encore, quoique très-affaiblie ; elle ne s’est éteinte que vers trois heures de l'après-midi, Cette expérience permet de conclure avec certitude que ce n’est pas dans les lobes cérébraux que réside le principe d'action des mouvements respiratoires ; la destruction des ganglions céré- broides, en supprimant l'intervention de la volonté, paraît seu lement modifier un peu le rhythme de la respiration, qui devient moins capricieuse et plus régulière, Dans une deuxième expérience, je fis, à deux heures, une ligature un peu en arrière du métathorax, et j'opérai la section du corps immédiatement au devant de celle-ci. De cette ma- nière, j étais bien certain d’avoir enlevé le ganglion métathora- cique , lequel se trouve au centre de l'espace compris entre l'in- sertion des pattes de la deuxième et de la troisième paire. A quatre heures cependant, le nombre des inspirations s'élevait à DE LA RESPIRATION DES INSECTES. 47 dix-huit par minute; la respiration offrait seulement quelques irrégularités : le lendemain , à trois heures de l'après-midi , il était encore possible de saisir quelques mouvements respira- toires, Afin de ne laisser aucune prise à l'incertitude, je dissé- quai la portion du corps que j'avais reséquée en avant de la ligature : elle contenait les trois ganglions thoraciques, ainsi que le premier ganglion abdominal. Dans une troisième expérience, la ligature et la section ayant été faites au niveau du cinquième anneau de l'abdomen, les mouvements respiratoires, bien que très-affaiblis et devenus irréguliers, persistèrent néanmoins encore plus de vingt-quatre heures. La moitié du corps antérieure à la section renfermait cependant toute la portion de chaine nerveuse qui s'étend depuis la tête jusqu'au cinquième ganglion abdominal exclusivement. De ces deux dernières expériences il résulte bien évidem- ment que le ganglion métathoracique n’est pas le foyer premier moteur des mouvements respiratoires, puisque, après l’ablation complète de ce ganglion, la respiration a continué de s'effectuer pendant un temps dont la durée a été de vingt-quatre heures. Quant au ganglion sous-æsophagien, je n'ai découvert en lui aucune propriété coordinatrice spéciale, et, lorsque des monve- ments respiratoires se sont produits en dehors de son influence, j'ai toujours vu, comme auparavant, les einq appendices du dernier anneau concourir normalement à l'acte respiratoire, avec l'ensemble des autres anneaux de l'abdomen. J'ai répété sur la Libellule adulte les mêmes expériences que sur la larve ; ces expériences ont été tout aussi concluantes. La section complète du corps en arrière du ganglion métathora- cique n'amène pas davantage la suspension des mouvements respiratoires dans la moitié postérieure à la section. Ainsi, dans un cas Où je fis une ligature, puis la section en arrière du deuxième anneau de l'abdomen, les mouvements respiratoires persistèrent pendant huit heures ; les inspirations, très-régulières, s'élevaient à cmquante environ par minute : cependant le gan- glion métathoracique avait été retranché avec le segment anté- rieur. , L8 E. BAUDELOT, — DE LA RESPIRATION DES INSECTES. Dans une autre expérience, la respiration dura sept heures ; elle était très-régulière, et les inspirations au nombre de soixante- cinq par minute. Enfin, dans une dernière expérience, où j'avais coupé un tronçon de l'abdomen comprenant seulement trois anneaux (4, 5 et6),Je pus observer pendant quelque temps, dans ce tron- con, des mouvements d'inspiration très-appréciables. Tous ces résultats et d’autres entièrement semblables que j'ai obtenus sur des larves de Dytiques, probablement du genre Colymbeies, me paraissent de nature à prouver que, chez les In- sectes, les mouvements respiratoires ne sont pas, comme chez les Vertébrés, sous la dépendance d’un foyer spécial d’innerva- tion. Chaque ganglion abdominal est au contraire un foyer d'innervation locomotrice, et concourt pour sa part à l'accom- plissement de l'acte respiratoire dans son ensemble. Ce qu'il importe aussi de remarquer, c’est qu'après la section de la chaîne nerveuse, l’action isolée d’un ganglion paraît d'autant plus faible que ce ganglion se trouve uni à un nombre moins considérable d’autres éléments ganglionnaires. En résumé, nous voyons que l'expérience ne fait que confir- mer ici ce que pouvait faire prévoir l'anatomie : lorsque l’on considère la répartition souvent si uniforme de l'élément nerveux dans les anneaux du tronc et de l'abdomen chez les Articulés ; lorsque l’on voit, chez les Crustacés, l'appareil respiratoire occu- per les positions les plus variées, soit au niveau du thorax, soit au niveau de l'abdomen, et recevoir ses nerfs des points les plus différents, il n'était guère possible d'admettre chez les Insectes un foyer unique d'innervation pour la fonction respiratrice. RECHERCHES ANATOMIQUES, ZOOLOGIQUES ET PALÉONTOLOGIQUES SUR LA FAMILLE DES CHEVROTAINS, Par M. ALPHONSE MILNE ED AE DS. CHAPITRE PREMIER. INTRODUCTION, La petite famille de Mammifères dont le principal représen- tant est le Chevrotain porte-musce a souvent occupé l’attention des naturalistes, car elle intéresse également les pharmacologues, les médecins et les zoologistes; mais il règne encore beaucoup d’obscurité dans quelques parties de l’histoire de ce groupe, et il m'a semblé utile d’en faire une étude nouvelle. Dans ce but, j'ai comparé attentivement les nombreux matériaux réunis dans les musées zoologiques de Paris, de Londres et de Leyde; j'ai exa- miné les types de la plupart des espèces réelles où nominales dont les noms figurent dans les ouvrages systématiques, et je me suis appuyé sur des observations anatomiques aussi bien que sur la considération des caractères extérieurs; enfin, j'ai étendu mes recherches aux espèces fossiles ainsi qu'à celles de l'époque actuelle. Je regrette de n’avoir trouvé, dans aucun des musées que j'ai visités, des pièces anatomiques propres à la solution de plusieurs questions que j'étais désireux de résoudre, relativement à la structure intérieure du Porte-musc; mais à l’aide de quelques- uns des animaux apportés récemment de Siam, par l'un des voyageurs du Jardin des plantes, M. Bocourt, ou provenant de sources différentes, j'ai pu faire l’anatonue de plusieurs autres 5° série. ZooL. T. II. (Cahier n° 4.) 4 7 50 ALPHONSE MILNE EDWARDS,. espèces du même groupe et constater divers faits relatifs à la physiologie de ces petits Mammifères. Je ne me propose pas de donner ici la description de tous les organes, je me bornerai à mentionner les particularités de structure qui sont caractéristi- ques pour ces animaux ou qui nous éclairent sur leurs affinités zoologiques. Nospremières notions sur lesChevrotains datent du moyen âge. Les anciens paraissent n'avoir connu ni le muse, ni l'animal qui produit cette substance médicamenteuse dont l’usage fut intro- duit en Occident par les médecins arabes ; c’est dans les écrits de ceux-ci, sur la matière médicale, que l’on trouve les premières indications relatives à l'animal désigné sous le nom de Moschus moschiferus. En effet, vers le 1x° et le x° siècle, plusieurs auteurs de l’école arabe parlèrent de ce quadrupède, comme étant assez semblable à un Chevreuil ou une Gazelle ; le pharmacologue arabe Jean Serapion (1), et le médecin persan Avicenne, par exemple (2). Il en est également question dans la narration du célèbre voyageur vénitien Marco Polo qui parcourut l'Asie cen - trale au xm° siècle (3), et dans les écrits de quelques naturalistes de l’époquede la renaissance (4), maisils commirent, sur l’histoire de cet animal, de singulières erreurs (5), et ilfaut arriver à la se- conde moitié du xvur° siècle pour obtenir quelques données pré- (4) Serapionis Arabis de simplicihus medicinis opus, p. 126, $ 185, édit. de 1531. (2) Liber canonis de medicinis cordialibus, et cantica, lib. IL, tract, 2, cap. 460, édit. de Basle, 1556, p. 266. (3) Marci Pauli Veneti de regionibus orientalibus, édit. de 1671, lib. 1, cap. ‘62, p. 63.—Texte français du mème ouvrage, traduit au x1v® siècle, publié par la Société de géographie, in-A, 1824. (4) 11 me paraitrait inutile de m’étendre sur les renseignements très-incomplets et souvent erronés que l’on trouve, touchant le Porte-musc, dans les ouvrages de cette époque, et je me bornerai à en citer les principaux : P. Alexander, Phœbus medi- corum, p. 66 (4513). — Ruellius, De aatura stirpium libri tres, p. 134 (1536). — Hernandez, Rerum medicarum Novæ Hispaniæ thesaurus, p. 554 (1546). — Aïdro- vandi, Quadrupedum bisulcorum historia, p. 746 (1621). — Marini, Nouvelle relation des Indes orientales, trad. franç., p. 339 (1666). — Gesner, Historia animalium, lib. 1, p. 786 (1551). — Chiocco, Museum Calceolarium, p. 662 (1622). — Kircher, la Chine illustrée, chap. vu, p. 96. (5) On lit dans l’ouvrage de Marco Polo, imprimé en latin au xvi' siècle, que cet ani- mal est de la taille d’un Chat, erreur que Gesner attribua, avec raison, à une faute de RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES CHEVROTAINS. 51 cises au sujet de ses caracteres zoologiques et de la nature du produit pharmaceutique qui le fait rechercher. Segerus, médecin du roi de Pologne, et Grew, secrétaire de la Société royale de Londres, eurent alors l’occasion d'examiner, chacun de leur côté, la dépouille d’un Porte-musc (1). Peu de temps après, plusieurs anatomistes publièrent des observations nouvelles sur les poches sous-cutanées dans lesquelles le musc est contenu (2); et par l’ensemble des faits introduits ainsi dans la science, on peut se former une idée assez juste des principaux traits de l'animal qui fournit cette matière odorante. En effet, il était alors bien demontré qu'il appartenait au groupe des Rumi- copiste. En eflet, dans le texte français qui date du xiv°siècle, mais qui n’a été publié que tout récemment, c’est à la Gazelle et non pas au Chat que l’auteur compare le Porte-musC (op. cit., p.73). L'une des figures de cet animal, que donne Aldrovande, est celle d’une véritable Gazelle dont le front est armé d'une paire de grandes cornes (oc. cit., p. 745). Enfin, Siméon Sethi, d’Antioche, assure que le Porte-musc est une Licorne. (1) Les observations de Segerus datent de 1675, et furent faites sur la dépouille d'un Porte-musc qui avait été envoyé à ce médecin par Breynius. La figure que cet auteur en donné laisse beaucoup à désirer, mais est bien meilleure que celles publiées précé- demment (G. Seger., De Capræ moschiferæ exuvts, dans Ephemeridum germanicarum, dec. 1, 1775-1776, obs. 78, p. 166). En 1681, Grew donna une description assez détaillée d’un Porte -musc, dont la peau bourrée se trouvait dans le cabinet de la Société royale de Londres (Grew, Museum regalis Societatis, p. 21). (2) Des idées très-fausses avaient été répandues au sujet de la nature de la substance odorante appelée musc et des parties du Porte-musce dans lesquelles on la trouve, Ainsi Boym prétendait que les marchands la fabriquaient en triturant la chair des reins de cet animal avec son sang, et en renfermant ensuite le produit ainsi préparé dans un petit sac fait avec de la peau (Briefve Relation de la Chine, p. 27, 1652; dans Thévenot, Relations de divers voyages curieux, t, T). Fallope croyait que le muse était du sang épaissi et corrompu dans un abcès sous-cutané que l'on faisait tomber au moyen d’une ligature (De mat. med., cap. 24) ; et Highmore, sur le témoignage d’un voya- geur (Gabriel Sionita de Monte Albano, Descript. orient., cap. 5), avait avancé que les chasseurs déterminaient la production de cette matière en accablant de coups le Porte- muse et en faisant naïitre ainsi des épanchements de sang et des tumeurs partout sur le corps du malheureux animal. En 4672, Th. Bartholin publia quelques observations anato- miques sur la conformation des poches sous-cutanées contenant le muse, et en conclut que ce sont des organes normaux (Obs. sur le muse, in Collect. Acad., 1757,t. IX, p. 208). Vers la même époque, des observations analogues furent faites par Ludovicus (De Moschi folliculis, dans Ephemer. Acad. nat. curios., dec. 1, ann. 4,0bs, GCGV, 1673, p. 269). Peu de temps après, Schroeck donna de nouveaux détails sur la conformation de ces poches dans l'ouvrage spécial qu’il publia sur le Musc (Historia Moschi, 1682,cap. 10, p.45, pl. 3). D? ALPIHIONSE MILNE EDWARDS, pants dont l'illustre Linné forma l’ordre des Pecora ; mais qu'il ne pouvait être assimilé ni aux Chèvres, ni aux Cerfs, ni aux Antilopes, comme le supposaient les anciens naturalistes, ni à aucun autre Mammifère. Linné, en traçant le tableau systématique de la classe des Mammifères, plaça donc le Porte-musc dans une division géné- rique particulière à laquelle il donna le nom de Moschus, et il rangea ce genre entre les Chameaux et les Cerfs (1). La plupart des zoologistes plus modernes ont adopté les vues de Linné, relatives aux affinités naturelles du Moschus moschi- ferus, mais les limites de la division qui contient cet animal ont été beaucoup étendues. Ainsi, déjà en 1756, Brisson (2) crut devoir réunir, autour du Porte-musc, divers petits Ruminants y ressemblant plus ou moins, bien qu'ils ne produisent pas de muse, et appela Tragulus, ou Chevrotain, le groupe ainsi formé (3). L'uu et l'autre de ces noms avaient appartenu primitivement au Chevreuil (4), et 1ls ont reçu cette destination nouvelle à raison de la ressemblance qui existe entre ce petit Cerf et le Porte-musc. Ils se prêtent même mieux que ne pouvait le faire le mot Moschus, à l'emploi plus général qu'aujourd'hui on est obligé d’en faire, et c’est ainsi que dans la plupart des ouvrages récents, on dési- gne sous le nom commun de Chevrotains ou T'ragulidæ la petite famille dont l'étude nous occupe ici. Ce groupe est facile à caractériser : il se compose de Rumi- uants dont la taille est toujours tres-petite, dont la tête ne pré- sente aucun vestige ni de bois, ni de cornes, et dont la mâcioire supérieure est armée de fortes canines qui, chez le mâle, sont très-saillantes. (4) Lioné, Systema nature, edit. 6, 1748, p. 13. (2) Brisson, le Règne animal divisé en neuf classes. Paris, 14756, p. 94. (3) Klein avait avait déjà appliqué le nom de Tragulus à quelques-uns des Chevro- tains de Brisson, mais il n'employait ce nom que comme diminutif de Tragus, Chèvre, et il ne l'appliquait pas à une division générique comme le fit ce dernier zoologiste. (Voy. Klein, Quadrupedum dispositio brevisque historia naturalis, 1751, p. 21.) (4) De là le nom de chevrotines donné encore aujourd'hui au gros plomb dont les chasseurs se. servent pour tuer, non les petites Chèvres, mais les Chevreuils et autres bêtes fauves. RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES CHEVROTAINS. 98 Par leur aspect général, ces animaux ressemblent beaucoup à certaines jeunes Gazelles ou à de petits Faons. Il n’est donc pas étonnant qu'au premier abord on ait confondu avec les véri- tables Chevrotains quelques jeunes Cerfs ou Antilopes dont les cornes n'étaient pas encore apparentes, et dans la suite de ce travail nous verrons qu'effectivement Brisson, Linné, Buffon, Cuvier et beaucoup d’autres zoologistes éminents ont commis des erreurs de cette nature; mais une étude plus approfondie des caractères extérieurs et des particularités anatomiques de ces animaux suffit pour lever toute incertitude touchant la COMpPOSI- tion du groupe dont le Porte-musc est le principal membre ; aujourd'hui, on s'accorde généralement pour y ranger un nombre assez considérable d'espèces. Jusque dans ces dernières années tous ces petits Ruminants sans cornes et à pieds fourchus étaient réunis dans un même genre désigné tantôt sous le nom de Moschus, adopté par Linné, tantôt sous celui de Tragulus dont Brisson avait fait usage. Ces deux expressions avaient done la même valeur et étaient SYRO- nymes. Mais par le progrès de la science, les zoologistes furent conduits à considérer les Chevrotains comme devant constituer une famille subdivisée en plusieurs genres. Et alors réservant le nom de Moschus pour le Porte-muse et pour les autres espèces qui offrent le même ensemble de caractères génériques, on appli- qua le nom de Tragulus à une des sections établies parmi les espèces de plus petite taille qui sont toutes dépourvues de l'appa- reil glandulaire propre à sécréter le muse (1). Ces divisions pro- posées par le savant conservateur des collections zoologiques du Musée britannique à Londres, M. J. E. Gray, furent présentées d’abord comme des sous-genres seulement, c’est-à-dire comme des groupes secondaires du genre Moschus, qui pouvaient rece- voir chacun un nom particulier, mais dans lesquels toutes les espèces devraient continuer à porter un nom générique comme celui de Moschus. (4) Quelques auteurs, par exemple M. Pereira dont le traité de matière médicale est très-estimé, attribuent un appareil moschifère au Tragulus Napu et au Tragulus java. nicus, aussi bien qu'aux Moschus (Elements of materia medica, 1842, t. TI, p. 1876). 5l ALPHONSE MILNE EDWARDS. Ce naturaliste distribua ainsi les Chevrotains en trois sections : le sous-genre Moschus proprement dit, le sous-genre Tragulus, et le sous-genre Meminna (4); puis, dans un travail subséquent il éleva ces petits groupes au rang de genres, et 1l introduisit dans là même famille, sous le nom d’Hyæmoschus (2), une qua- trième division générique pour recevoir une espèce africaine appelée Moschus aquaticus par Ogilby (3); enfin vers la même époque, Lesson, après avoir adopté les genres Moschuset Meminna de M. Gray, proposa l'établissement d’une nouvelle division géné- rique appelée Napu, pour recevoir l'une des espèces que le pre- mier de ces naturalistes avait rangée dans le genre Tragulus (h). Si toutes ces divisions étaient bien fondées, le groupe des Che- vrotains qui, dans la 6° édition du Systema naturæ de Linné, n'était représenté que par une seule espèce, serait donc composé de cinq genres; mais nous verrons qu'il n’en est pas ainsi. Le genre Vapu de Lesson n’a été adopté par aucun autre zoologiste, et après avoir comparé attentivement la structure des Tragulus et des Meminna, j'ai acquis la conviction qu'ils doivent être réunis génériquement. La famille des Chevrotains ou des Tragulidæ se composerait done de trois genres : le genre Moschus, le genre Tragulus et le genre Hyæmoschus. Je m'occuperai successivement de ces trois petits groupes, et J'examinerai ensuite les relations zoologiques qui existent entre la famille des Chevrotains et les autres Mam- mifères, tant récents que fossiles. (4) Gray, On the Genus Moschus 0f Linnœus (Proceedings of the Zoological Society of London, t. IV, 1836, p. 63). (2) Gray, Hist. of the Specimens of Mammalia in the Collection of the British Mu- seu, 1843, p. 172; — Gleanings from the Menagerie and Aviary at Knowsley-hall, 1850, p. At. (3) Gray, On the African Musk (Annals and Magazine of Natural History, 1845, t. XVI, p. 350). (4) Ogilby, Or Moschus aquaticus (Proceedings of the Zoological Society of London, 4840, p. 35). (5) Lesson, Nouveau tableau du règne animal, 1842, p. 175. RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES CHEYROTAINS. .. 09 CHAPITRE DEUXIÈME. DU GENRE MOSCHUS, OU DES CHEVROTAINS PORTE-MUSC. $ 1. Avicenne aurait donné une idée assez juste de l'aspect général du Chevrotain porte-musc si, après avoir dit que cet ani- mal ressemble à une Gazelle, dont la bouche serait armée de deux grandes dents canines (1), il avait ajouté que son front ne présente aucune trace ni de bois, ni de cornes. En effet, par sa forme générale ce Mammifère se rapproche beaucoup des Anti- lopes et davantage encore des Cerfs. Il est beaucoup plus petit que notre Chevreuil et ne mesure, du garrot à terre, qu'environ 50 centimètres. Par son aspect général, il ressemble aux Cerfs plus qu'à tout autre animal, mais ses formes sont moins élégantes. Il appartient aux régions montagneuses qui occupent l'Asie centrale, et s'étendent jusque auprès de l'océan Pacifique : d’une part, au sud-est du côté de la Cochinchine ; d'autre part, au nord-est vers la mer d’Okhotsk (où on l'y connaît sous le nom de Kabarga). À l'occident, on rencontre ces Chevrotains dans les monts Altaï, et dans les parties adjacentes de la Sibér e sur les bords de l'Obi, de l'Irtisch et même de la Toungouska ; 1ls sont abondants dans le voisinage du lac Baïkal; vers le nord, ils dépassent le bassin de la Léna supérieure; on en rencontre sur les bords de l’Indigirka, et ils paraissent être même très -com- muns aux environs de Werkhoiïjansk, au delà du cercle po- laire (2). Ils habitent également la chaîne des montagnes qui limite, au nord, le bassin du fleuve Amour et qui s'étend près du littoral de l'océan Pacifique, vers le Kamtschatka. Du côté (4) « Muschus est folliculus animalis, sicut Gazel ipse, nisi quia habet duos dentes » albos flexos ad inferiora, sicut duo cornua. » (Canonis de medicinis cordialibus, lib. IE, tract. 11, cap. 60, p. 266.) (2) L'amiral Wrangel nous apprend que dans cette partie septentrionale de la Sibé- rie, les Chevrotains porte-muse sont si communs, que le prix du musc n'est que de 40 à 15 roubles la livre, c'est-à-dire environ 40 à 60 francs. (Wrangel, le Nord de la Sibérie, t. II, 4843, p. 341.) 56 ALPHONSE MILNE EDWARDS. du sud on les trouve dans le royaume de Cachemyre, dans le Népaul, le Thibet (1), le Pégu, le Tonquin et même la partie montagneuse de la Cochinchine. Enfin, ils vivent aussi dans les parties montagneuses de la Chine qui avoisinent la Mongolie et le Thibet. Ainsi les Porte-muse s'étendent de l’ouest à l’est, sur une longueur de plus de 1600 lieues géographiques, et du nord au sud depuis le 18° degré de latitude jusqu'au 16° degré. On les trouve donc depuis le voismage du cercle polaire jusque dans la zone intertropicale ; mais partout ils habitent des régions qui, à raison de leur élévation ou de leur altitude , sont froides ou tempérées; sur quelques points 1ls sont assez communs, ainsi, Pallas nous apprend que dans certaines parties de la Sibérie, un seul chasseur peut en tuer plus de 100 chaque hiver (2), et Ta- vernier dans un de ses voyages à Patna, trouva à acheter, en peu de temps, les sacs moschifères de 1673 de ces animaux (3). Cependant ils ne sont généralement représentés que par un très-petit nombre d'individus dans les musées zoologiques même les plus riches. Les figures qui en ont été données par les anciens naturalistes sont toutes inexactes et pour la plupart très-mauvaises, car elles ont été faites d’après des peaux mal montées, etqui parfois avaient été plus ou moins dépaturées par les empailleurs (4). En 4772, Daubenton eut l’occasion d'observer, à Versailles, un Porte-musce vivant qui avait été envoyé de l'Inde, au duc de la Vrillière, et ce zoologiste profita de cette circonstance pour (4) Ils sont communs dans le bas Thibet (Turner, Embassy lo the Court of the Teschoo Lama, p. 201). (2) Pallas, Spicilegia zoologica, fase. xx. (3) Tavernier, Voyages en Turquie, en Perse et aux Indes, 1713, t. II, p. 346. (4) Ainsi, par sa forme générale, le Porte-musc figuré dans le Museum Calceola- rium, ressemble plus à un Chien qu'à un Chevrotain (op. cit., p. 666). La figure donnée par Schroeck présente un cou démesurément allongé, et les flancs sont couverts de tubercules qui n'existent pas dans la nature et qui étaient probablement destinés à représenter les prétendus abcès moschifères (His{. Mosch., p. 44, pl. 1, fig. 4). Enfin, l’une des figures données par Aldrovande a été évidemment faite d’après une Antilope, car on y a représenté une paire de cornes (De Quadrupedibus bisulcis, Lib. 1, p. 745). La figure publiée par Segerus est beaucoup moins mauvaise que les précédentes, mais - le corps de l'animal est trop allongé. RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES CHEVROTAINS. 97 faire représenter cet animal dans ses poses ordinaires et avec ses proportions naturelles (1). Peu de temps après, Buffon publia une nouvelle figure d’après le même individu, et donnant une idée plus juste de l'aspect de son pelage (2). Pallas ajouta à son mémoire des figures du Porte-muse, dont il avait vu plusieurs individus en Sibérie (3), et plus récemment la même espèce à été dépeinte d’après des préparations taxider- miques, par plusieurs auteurs, parmi lesquels je citerai Pennant, M. Brandt et M. Roulin (4). $ 2. Ainsi que nous l'avons déjà dit, les Chevrotains porte-musc ressemblent assez à certains Cerfs, mais ils sont plus bas sur pattes (5), leur cou est moins long et leurs proportions moins gra- cieuses. Leur tête est très-petite et courte, le museau pointu, nu et noirâtre; les narines, en croissant, sont très-ouvertes en avant ; la lèvre inférieure est presque dépourvue de poils et les oreilles sont grandes. Le cou est gros et de longueur médiocre ; le tronc est long et gros, surtout vers l'arrière. La queue est très-courte, épaisse, conique et molle ; chez les femelles et les jeunes, elle est poilue en dessus et laineuse en dessous; tandis que chez les mâles, dès laseconde année, elle estentièrement nue et rouge (6). Les pattes de devant sont si courtes, que la distance entre la poi- trne et le sol n'est guère plus grande que celle comprise entre le garrot et la face inférieure du thorax. Le train postérieur est (4) Daubenton, Observations sur l'animal qui porte le musc et sur ses rapports avec les autres animaux (Mém. de l’Acad. des sc., 4772, p. 215, pl. 7). (2) Buffon, Histoire naturelle générale et particulière, suppl., 1782, t, VI, p. 129. (3) Pallas, Spicilegia zoologica, fase. xx, pl. 4, 1778. (4) Pennant, History of Quadrupedes, 1793, p. 124, pl. 65. — Schrœber et Wagner, Die Süugthiere, t. V, pl. 242 à 242 b.—Brandt et Ratzeburg, Medic. zoo!., 1829, t. I, p. 7. — Roulin, Atlas du règne animal de Cuvier, MAmmiIFèRES, pl. 86. (5) Ainsi, chez des individus dont j'ai mesuré les proportions, la hauteur au garrot n'était que de 0®,54, et la longueur du tronc depuis le devant de la poitrine jusqu’au bord postérieur des fesses était de 0,63. (6) Pallas nous apprend aussi que la queue des mâles est alors constamment lubri- fiée par un liquide odorant. 58 ALPHONSE MILNE EDWARRS. beaucoup plus développé, tant sous le rapport du système musculaire que sous celui de la longueur des membres, dispo- sition qui Indique bien que ces animaux sont organisés pour le saut plutôt que pour la marche; les sabots sont petits, compri- més, subtriangulaires et pointus. Enfin, les ergots ou ongles des doigts latéraux sont forts, très-allongés et ne touchent pas à terre. L'aspect trapu des Chevrotains porte-musce dépend en partie de la nature de leur pelage qui, sur le corps principale- ment est très-épais, grossier et composé presque entièrement de jars. Ces poils, dont le diamètre atteint parfois presque un demi- millimètre, sont remarquablement cassants, et leur structure est très-spongieuse. Les uns sont droits ou légèrement courbés, d’autres présentent dans leur partie moyenne une série de petites ondulations très-rapprochées, puis deviennent droits et effilés vers le haut. Sur les oreilles ils sont courts et assez doux. Sur les côtés de la tête ïls sont plus gros, mais ne s’allongent que peu ; sur le dos et sur les flancs ils sont plus forts que partout ailleurs, ils y présentent souvent 6 à 7 centimètres de long, et à raison de l’amincissement qu'ils offrent à leur base et des on- dulations de beaucoup d’entre eux, ils ne restent pas couchés d'une manière serrée les uns sur les autres et s’arrangent de facon à emprisonner beaucoup d’air dans la couche résultant de leur assemblage. Sous le ventre, de chaque côté de la région ombilicale, ils s’allongent encore davantage, mais ils deviennent plus grêles et forment dans cette partie du tronc une grosse touffe pendante au devant des cuisses. Sur les jambes ils sont courts et serrés surtout inférieurement. La couleur générale de ces animaux est d’un brun roux mêlé de gris et de blanc; mais les teintes varient considérablement suivant l’âge et les saisons. Pallas avait très-bien constaté ce fait, et comme nous le verrons bientôt, c’est pour n’en avoir pas tenu suffisamment compte, que quelques naturalistes plus modernes ont établi parmi les Porte- muse plusieurs distinctions spécifiques qui ne me paraissent pas assez motivées. Les poils de ces Chevrotains sont toujours blancs à la base, colorés en brun ou en gris dans une étendue plus ou RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES CHEVROTAINS. 59 moins considérable, et souvent dans certaines parties ils rede- viennent blancs vers le bout, tandis que leur extrémité est plus foncée que le reste. Il en résulte des mélanges de teintes qui donnent à diverses parties ou même à tout le corps un aspect grivelé. Sur les pattes, les poils deviennent plus courts, plus serrés et plus foncés. Pour faire bien saisir la disposition des diverses teintes du pelage de ces animaux, et pour faire apprécier la valeur des caractères que l’on en a tirés pour l'établissement des distinctions spécifiques, il sera utile de nous occuper d'abord de la livrée des jeunes individus, au sujet desquels Pallas a donné d’excel- lents renseignements. Chez les individus où ces particularités de coloration sont les plus tranchées, la tête est brune en dessus et grisôtre sur les joues, le bord de la lèvre supérieure est blanchà- tre ainsi que le dessous du menton, et cette dernière parte claire se bifurque en arrière pour se prolonger vers l'angle de la mà- choire, une autre tache blanchâtre, située sur la ligne médiane et séparée de la précédente par une bande grise latérale, occupe la partie postérieure de la-région hyoïdienne, et se prolonge de chaque côté en forme de hausse-col pour remonter vers les oreilles à la base desquelles on remarque des touffes de poils d’un gris blanchâtre. Ce collier clair est bordé postérieurement par des poils plus foncés que ceux des parties adjacentes du cou, surtout dans le voisinage des oreilles et Inférieurement, cette bande brunâtre et transversale se continue sur le devant du cou et entre les pattes antérieures jusque sous la poitrme. Enfin, de chaque côté de cette bande médiane est une raie blanchâtre qui commence à peu de distance du hausse-col blane dont 1l vient d’être question, descend sur les côtés de la poitrine entre la région sternale et les régions humérales, gagne la face interne des jambes et se perd dans le voismage des doigts. Le dessus du cou, le dos, les flancs et la face externe des membres prennent une teinte générale d’un brun roux mêlé de gris; mais sur les flancs et la partie postérieure du dos cette couleur est in- terrompue d'espace en espace par des taches mal circonserites, d'un gris clair, produites, comme les bandes pectorales dont nous 60 ALPHONSE MILNE EDWARDS. venons de parler, par l’albinisme de l'extrémité des poils dont la portion subterminale seule reste brunâtre. Ces taches claires sont disposées en séries longitudinales sur plusieurs rangs, et sont plus larges sur le dos que sur les flancs; le gris jaunâtre y domine et tire sur le blanc vers les côtés de la région ombilicale. La face interne des cuisses est d'un gris clair. Enfin, les pattes sont d’un brun foncé, visant sur le noir vers leur extrémité inférieure. Par les progrès de l’âge, et probablement aussi par l'influence des saisons, ces différences de coloration dans les diverses parties du corps disparaissent plus ou moins complétement. Elles soni très-marquées dans les individus figurés par Pallas (4). Chez un individu mâle adulte, provenant de Ja Sibérie, et donné au Mu- séum de Paris par la grande-duchesse Hélène de Russie, les taches grises se voient encore sur la partie poilue des flancs et des hanches, mais ont complétement disparu du dos, et les bandes blanchâtres de la partie antérieure du cou sont très-effa- cées supérieurement. Pallas a vu des Porte-musc provenant de la même région de l'Asie, dont les taches dorsales étaient dispo- sées sans aucune régularité, et d’autres individus dont les bandes blanchâtres du cou avaient presque entièrement disparu, dont le dessous du corps était grisonnant partout, et dont le dos et le dessous du cou étaient d’un brun noirâtre. Le même auteur a décrit un mdividu mâle des environs d’Aba- kan, dont la robe était d’un jaune clair, et une femelle, tuée au milieu de l'hiver, dont tout le corps était presque entièrement blanc. Il y a donc chez les Porte-musc qui habitent la même partie de la Sibérie, des variations considérables dans le mode de coloration du pelage, et rien n'autorise à supposer que ces différences soient caractéristiques d'autant d'espèces particu- lières qui coexisteraient dans cette partie de l'Asie centrale ; elles sont de l’ordre de celles que nous savons pouvoir être détermi- nées par l'âge et par les saisons. Or, ces variétés se rencontrent plus au sud, et faute d'en avoir suffisamment scruté la valeur, on les à décrites comme autant d'espèces distinctes. (4) Op. cit, pl. &. RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES CHEVROTAINS. 61 Ainsi, au Népaul, on trouve des Chevrotains porte-musc qui ne diffèrent en rien de la variété maculée observée d’abord en Sibérie par Pallas, et désignée par plusieurs zoologistes de l’époque actuelle sous le nom de Moschus sibiricus. Le Muséum d'histoire naturelle de Paris en possède un individu provenant des collections formées dans l’Inde par Duvaucel. Chez un autre individu envoyé au Muséum par le même voyageur, et provenant également de la région montagneuse située au nord de l'Inde, la robe est d'un brun plus foncé ; on n’apercçoit sur les côtés du corps aucune trace de la livrée, et il n'existe sur le devant du cou aucun vestige des deux bandes blanchâtres, mais on dis- tingue encore sous la portion supérieure du cou quelques indices du hausse-col grisâtre. Ce Chevrotain, qui estun vieux mâle, ne diffère pas notablement de ceux qui portent dans la collection du Musée britannique le nom de Moschus moschiferus, et qui sont considérés par M. Gray comme formant une espèce distincte du Moschus sibiricus. Les particularités de coloration que l’on y remarque sont tout à fait analogues à celles signalées par Pallas chez quelques vieux Porte-musc de la Sibérie; et il nous parat- trait difficile d'admettre que des variations de teinte si légères, et existant chez des animaux d’un même pays, puissent être con- sidérées comme caractéristiques d’autant d espèces. Hodgson à donné les noms de Moschus leucogaster et de Mos- chus chrysogaster à deux autres variétés de Chevrotains porte- muse, dont il à rapporté les dépouilles du Népaul (1). Ces ani- maux ont la robe plus claire et plus grise que la variété maculée qui habite les mêmes montagnes, et quis’étend au loin en Sibérie. Sur le devant de la poitrine, la teinte claire, au lieu d’être assez bien délimitée en forme de bandes verticales, comme chez cette dernière, est diffuse; enfin chez les uns, le dessous du corps et la face interne des cuisses sont d’un gris blanchâtre, tandis que chez les autres ces parties sont, non pas d’un jaune brillant, comme cela a été dit par quelques auteurs, mais d’un gris jau- 1) Hodgson, Journ. of the Asiat. Soc. of Bengale, t. VIIL, p. 203; t. X, p. 914 ; t. XI, p. 285. 62 ALPHONSE MILNE EDWARDS. nâtre, peu différent de la teinte des mêmes parties chez quel- ques individus de la variété maculée de la Sibérie. F’ai examiné comparativement tous les caractères extérieurs de ces animaux, ainsi que la conformation de la charpente osseuse du Moschus chrysogaster et du Moschus moschiferus, sans pouvoir y découvrir aucunes différences, et les particularités de teinte que nous ve- nons d'indiquer se rapprochent beaucoup de celles observées par Pallas chez quelques mdividus de Sibérie. 1 me semble donc qu'il n'y à aucun motif suffisant pour considérer ces variétés comme autant d'espèces, et qu'il convient de les réunir sous un même nom. Enfin j'arrive à la même conclusion relativement au Moschus altaicus d'Eschscholtz (1). Dans cette variété, les bandes blanches de la partie antérieure du cou sont très-prononcées, comme chez les Porte-musc de Sibérie figurés par Pallas ; mais les taches grisâtres ne se voient pas sur les côtés du corps, oùil y a, au contraire, quelques taches d’un brun foncé; du reste, cette variété spécifique n’a été adoptée ni par M. Brandt, ni par M. Gray. En résumé, il me paraît nécessaire de rayer de nos cata- logues zoologiques toutes ces espèces réputées nouvelles, et de réunir en un seul type spécifique tous les Chevrotains moschi- fères. Cette espèce unique renferme évidemment plusieurs varié- tés, que l’on pourrait appeler la variété maculée, la variété rubanée, la variété concolor et la variété leucogaster. Peut-être trouvera-t-on que, dans les parties sud de la vaste région habitée par ces animaux, une ou plusieurs variétés, la variété concolor par exemple , est plus commune que dans le nord où les individus adultes, conservant davantage les carac- tères du jeune âge, offriraient plus souvent les particularités qui se trouvent chez la variété maculée ou la variété rubanée ; mais il ne faudrait pas en induire que ces variétés constituent de véri- tables espèces, et, dans l’état actuel de la science, les séparer _ (4) Eschscholtz; voy. Joost, Isis, 4830, p. 606, ct Bw/letin des sciences naturelles de Férussac, t. XXII, p. 46. ‘ RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES CHEVROTAINS. 63 spécifiquement me semblerait contraire aux principes fonda- mentaux de la zoologie. $ 3. La charpente osseuse du Chevrotain porte-musc, de même que la forme extérieure du corps de cet animal, ressemble à celle des Cerfs et des Antilopes, plus qu'à celle des autres Rumi- pants, mais présente plusieurs particularités importantes à signaler. La tête (1) est étroite et allongée; la boîte crânienne est très- peu développée comparativement à la portion faciale; la région frontale est très-peu élevée, et se trouve presque sur le même niveau que les os du nez, tandis que chez les Cerfs et les Anti- lopes, le crâne est beaucoup plus volumineux et plus élevé, non- seulement chez les individus dont le front est armé de cornes, mais aussi chez les femelles qui sont dépourvues de ces appen- dices, disposition qui, du reste, dépend moins de la forme de la cavité encéphalique que du développement des sinus frontaux. L'occipital, au lieu de s'élever presque verticalement comme chez beaucoup de Cerfs et d’Antilopes, se porte en arrière, de façon à donner beaucoup de saillie à la protubérance occipitale. Le trou occipital est grand, par rapport à la longueur du crâne. Les condyles n’occupent guère plus de la moitié deson diamètre antéro-postérieur ; ils sont petits, à peu près verticaux, et se touchent presque, au lieu de laisser entre eux un espace assez considérable, comme c’est ordinairement le cas chez les Cerfs et les Antilopes. Les pariétaux sont bien développés et s'étendent en avant sur la ligne médiane, à peu de distance des angles orbitaires externes. La crête pariétale qui limite en haut la fosse temporale est nette- ment marquée, surtout en arrière, où elle se continue avec les _ crêtes occipitales externes qui sont très-saillantes, et qui se pro- longent jusqu'au bord postérieur de l’apophyse mastoïde (2). (4) Planche 4, fig. 4. (2) D’après MM. Brandt et Ratzeburg, les crêtes pariétales se réuniraient toujours 6 ALPHONSE MILNE EDWARDS, L'apophyse mastoïde est sublamelleuse, comprimée latérale- ment et pointue. Il est aussi à noter qu’il existe près du bord inférieur et postérieur des pariétaux, quelques trous vasculaires quise trouvent souvent chez les Cerfs, et rarement chez les Anti- lopes. Les fosses temporales sont profondes; les os temporaux sont médiocrement développés ; le trou auditif est petit, et entre son bord supérieur et l’origine de l’arcade zygomatique il existe une grande fosse ovalaire destinée au passage des vaisseaux et des nerfs, et analogue à la cavité qui se trouve dans les mêmes rap- ports chez les Cerfs, les Antilopes etles Bovidés. Les caisses tym- paniques sont très-réduites ; elles font à peine saillie à la base du crâne, et leurs parois, loin d’être minces, comme chez les Tra- gules, sont épaisses et rugueuses. Chez la plupart des Ceris, les caisses tympaniques présentent les mêmes caractères ; cependant, chez le Cerf Duvaucel de la Cochinchine, elles sont au contraire renflées en forme d’ampoule, comme chez toutes les Antilopes d'Afrique. Le frontal offre de chaque côté, près de l’arcade sourcilière, une dépression longitudinale, se continuant avec une gouttière très-superficielle qui se prolonge jusque sur les os lacrymaux. On compte au fond de cette dépression plusieurs trous sus-orbi- taires disposés en série comme chez beaucoup de Cerfs (1). à une crête médiane avant la jonction des os pariétaux avec l'occipital *, et cette parti- cularité ne se‘retrouverait ni Chez les cerfs (Cervus capreolus, C. elaphus, C. dama), ni chez les Antilopes (Antilope dorcas, À. arabica, etc.). Mais, j'ai pu m'’assurer par la comparaison d’un grand nombre de crânes de Porte-musc d'âge et de sexe différents, que cette particularité n'existe ni chez la femelle ni chez les jeunes mâles, et ne se voit que chez les vieux individus de ce dernier sexe; il est d’ailleurs à noter que des varia- tions du même ordre s’observent chez beaucoup d’autres animaux. (4) Chez le Cerf Muntjak on ne voit qu'un seul trou sus-orbitaire communiquer lar- gement avec l'orbite, il en est de même chez notre Cerf commun, le Gerf Duvaucel ; mais chez beaucoup d’autres espèces, indépendamment du trou sus-orbitaire, on en voit d’autres tantôt communiquant directement avec l'orbite , tantôt, au contraire, très- obliques. Chez le Coassus nemorivagus de Cayenne, le C. spinosus, le Rusa hippelapha, le Cervus canadensis, il existe au moins deux trous sus-orbitaires ; il en est de même chez le Renne et l'Elan. Chez la plupart des Antilopes on n'observe qu'un seul grand trou sus-orbitaire. * Medicinische Zoologie, t. I, p. 44. RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES CHEVROTAINS. 65 Le bord antérieur du frontal est profondément échancré pour recevoir les os du nez. Chez beaucoup de Cerfs et d'Antilopes, l’échancrure ainsi formée est encore plus profonde, et s’avance en pointe au lieu d'être arrondie postérieurement. Les os nasauxsont étroits, très-longs, de la mème largeur dans presque toute leur étendue et disposés presque horizontalement. Ils dépassent la première molaire de la moitié au moins de leur longueur, et s’avancent notablement au delà de l'insertion de la canine. Chez les Cerfs, ils sont loin d'offrir une longueur aussi considérable (1). Chez les Antilopes, ils sont remarquablement courts. Le lacrymal est grand, plus long que large, et s'avance dans une échancrure du maxillaire ; sa surface est presque complète- ment plate, on n'y aperçoit pas la dépression qui existe chez les Cerfs, et chez beaucoup d’Antilopes où elle sert à loger le lar- mier (2). Le trou lacrymal est unique, situé à la partie inférieure de l’és du même nom en dedans du bord orbitaire, disposition qui ne se voit qu'exceptionnellement chez les Cerfs, mais qui existe d'ordinaire dans le groupe des Antilopes (3). Par son bord supérieur l'os lacrymal s'articule avec le frontal, et se trouve séparé du nasal par un prolongement assez large de l'os maxil- laire qui va rejoindre le frontal (4). (4) Chez le Muntjac, ces os n'atteignent pas le niveau de l'insertion de la canine. Chez la plupart des autres Cerfs, par exemple chez le C. Elaphus de France, d'Algérie et de Corse, le Wapiti (Cervus canadensis), le Cerf hippélaphe (Rusa Hippelaphus), le Samboe (Rusa equinus), le Cerf Duvaucel (Cervus Duvaucel), le Cerf daguet (Coassus nemorivaqus, le Cariacou (Coassus rufus), le Daim (Dama vulgaris), ete., les os nasaux, quoique bien développés, ne s'avancent pas autant que dans le Muntjac. Chez le Renne {Tarandus rangifer), ïls sont plus courts; enfin leur brièveté est encore plus exagérée chez l'Élan (A/ces Malchis). Chez les Caméliens, ces os sont également très-courts. (2) D'après MM. Brandt et Ratzeburg (Op. cit., p. 44), la conformation des os lacry- maux serait à peu près la même que celle de ces os chez les Cerfs; mais il en est tout autrement ; les différences sont très-grandes. (3) Chez le Cerf Duvaucel, on ne compte également qu'un seul trou lacrymal, mais chez presque toutes les autres espèces du même genre, il en existe deux, l’un au-dessus de l’autre sur le bord même de l'orbite ou plutôt en dehors. Chez le Muntjac, on trouve trois trous lacrymaux. Le Gnou et le Guib sont des exceptions à cette règle, leurs trous lacrymaux sont au nombre de deux de chaque côté. (4) L'os lacrymal s'articule directement à l'os nasal chez les Bœufs et la plupart des 5 série. ZooL. T. 1, (Cahier n° 2.) 2 5 66 ALPLONSE MILNE EDVWARDS. A la partie antéro-supérieure du nasal il existe, entre le frontal et le maxillaire, un petit hiatus analogue à celui que l’on voit chez les Cerfs ; mais, chez ces derniers, il est beaucoup plus grand et s'étend jusqu'aux os du nez. Le jugal est long et étroit, et il présente une crête qui com- mence sur l’apophyse zygomatique, et se prolonge en ligne presque droite sous le bord orbitaire supérieur et jusque sur le maxillaire. Ce dernier os est très-développé antérieurement où il est creusé d'une énorme alvéole destinée à la canine. L’orifice externe du trou sous-orbitaire est situé au-dessus du bord anté- rieur de la première molaire. : Les os intermaxillaires sont très-larges, surtout postérieure - ment, et s'articulent avec le nasal dans plus du tiers de la lon— gueur de ce dernier os en s'étendant, entre lui et le maxillaire, jusqu'à une faible distance du niveau du trou sous-orbitaire (4) ; Caprins; au contrairé, €hez les Cerfs et la plupart des Antilopes, ces os ne Sont pas en rapport. Tantôt cette séparation est due à l'existence d'un espace vide; tantôt, comme chez les Chevrotains, à l'union du frontal aux maxillaires. Chez l'Antilope Chiru, on observe cette disposition. Parmi les Antilopes, l'os lacrymal se prolonge jusqu'à l'os nasal chez le Guevei, le Grimm, le Guib, les Céphalophes, l’Antilope à quatre cornes, le Canna, le Nilgaut, le Chamois, etc. Au contraire, chez les Gazelles, l'Antilope Dzeren (A gutturosa, Pall.), le Steinbock (4. tragulus, Fors.) le Madoqua (A.sa/tiana, Blainv.), le Rietbock (4. arundinacea, Shaw), l'Antilope Kob, etc., l'os lacrymal n’est pas en rap- port avec le nasal. Cette disposition existe aussi chez la plupart des Cerfs. (4) Tantôt les os intermaxillaires s’articulent avec les os nasaux, tantôt ils ne s'y joignent pas. Cette disposition ne peut fournir des caractères génériques importants, car dans les mêmes groupes naturels on la voit varier considérablement. Ainsi les inter- maxillaires se prolongent jusqu'aux nasaux chez les espèces suivantes : Bovinæ : Bos tau- rus, B. indicus, Anoa depressicornis, Bubalus selyniceros, B. Arni, B. bufjalus. Anrizoripæ : Antilope Dorcas, À. qutlurosa, À. picticauda, À. cervicapra, À. quadricor- nis, A. Kob, A. ellipsiprymna, A. furcifer, Connochetes Gnu, Damalis Bubalus, D. senegalensis, D. Kudu, Antilope Oreas. CaApnNÆ : Capra jemlaica, C. hireus, C. pyrenaica, C. Ammon. CERvIDÆ : presque toutes les espèces. GIRAFES. — Ces os in- lermaxillaires sont plus ou moins éloignés des os nasaux chez les espèces suivantes : Bovinæ : Bos primigenius, B. brachyceros, B. cafer, B. frontalis, B. Gour, Bison europæus, B. americanus, Bos grunniens (Yack), B. moschalus. Axnirore : Antilope Saiga. — Le nasal est refoulé très-en arrière chez les espèces suivantes : À. CAiru, A. arundinacea, À. cephalophus, À. pygmea, A. bubalina, A. Goral, À; rupicapra. Carrinz : Capra pyrenaica. Genvinæ : Cervus capreolus, C. Pudu, Cariacus virgi- nianus, Conssus rufus, Cervus tarandus, C. Alces, RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES CHEVROTAINS. 67 l'ouverture des fosses nasales est très-large et courte; enfin, les trous incisifs sont larges et régulièrement ovalaires. La dis position de l'ouverture des arrière-narines varie un peu suivant l’âge et les individus ; de même que chez les Cerfs, les Antilopes et la plupart des autres Ruminants, elles sont étroites et n’occu- pent guère que la moitié de la longueur du bord postérieur de la voûte palatine, il est aussi à noter que chez tous ces ani- maux, l'aile ptérygoïdienne interne est extrèmement dévelop pée, de façon à encaisser latéralement les fosses nasales fort loin en arrière, et que chez le Porte-musc la portion médiane des os palatins qui forme le bord antérieur des arrière-narines, au lieu de s'arrêter, comme d'ordinaire, au niveau du bord adjacent des fosses ptérygoïdiennes internes, tend à se prolonger davan- tage en arrière, de façon à continuer la voûte osseuse du palais plus ou moins loin entre ces deux fosses. Chez les jeunes indivi- dus, cette particularité est peu marquée, mais chez les vieux elle devient très-sensible, sans cependant atteindre jamais le déve- loppement que nous rencontrerons chez les Tragules. Le maxillaire inférieur ressemble beaucoup à celui des Cerfs, L'espace compris entre la première molaire et les incisives est très-grand, l'angle de la mâchoire est bien marqué, le condyle est très-petit et sa surface articulaire, légèrement excavée trans- versalement, est presque horizontale; l'apophyse coronoïde est lamelleuse, très-élevée, subfalciforme, arquée en arrière, et de même que chez les Cerfselle remonte très-haut dans la fosse tem- porale. Enfin, le trou mentonnier qui sert d'orifice externe au canal dentaire inférieur est simple, et placé de manière à être caché par la canine quand les deux mâchoires sont rapprochées. Un peu plus en arrière, et tout près du bord supérieur de l'os, se trouve un trou nourricier. $ 4. Le système dentaire du Chevrotain Porte-musc ressemble beaucoup à celui des Ruminants ordinaires ; mais présente, de même que la tête osseuse, plusieurs particularités caractéristi- 68 ALPHONSE MILNE EDWARDS, ques. Sur le devant de la bouche, la mâchoire supérieure est dépourvue de dents et garnie d’un bourrelet calleux arrondi en avant, et beaucoup plus large que chez la plupart des Antilopes. La mâchoire inférieure porte huit incisives qui diffèrent peu entre elles etsont toutes construites sur le même plan (1); leur forme est identique, leur taille seule varie. En effet, elles diminuent gra- duellement de la première à la quatrième. Celles de la première paire se touchent dans toute leur longueur et ne laissent pas d'in- tervalle vide , sur la ligne médiane , ainsi que nous le verrons chez les Tragules; elles ne sont pas élargies en forme de spatule, comme chez les Cerfs et les Antilopes, et leur bord tranchant, au lieu d'être droit, est régulièrement arrondi ; elles sont légèrement excavées en arrière où elles présentent, sur la ligne médiane, une arête longitudinale peu saillante. Celles des deuxième, troi- sième et quatrième paires offrent une disposition analogue ; elles sont un peu imbriquées, le bord antérieur de l’une venant se placer sous le bord externe de celle qui est en avant. Des considérations anatomiques, tirées du rapport des orga- nes, ont conduit M. Owen à considérer la dernière paire de ees dents comme étant des canines; par conséquent, il ne compte que six incisives, et il attribue à la mâchoire inférieure, aussi bien qu'à la mâchoire supérieure, une paire de canines (2). Mais, la distinction entre ces deux sortes de dents étant fondée unique- ment sur leur conformation, il nous paraît impossible de donner des noms différents à des dents qui se ressemblent par leurs formes, par leurs usages et par leur mode d'implantation. La barre qui sépare ces incisives des molaires est longue et tranchante. Les canines qui arment la mâchoire supérieure sont petites chez les femelles et chez les jenes mâles (3); mais elles pren- nent, chez les mâles adultes, un développement énorme et con- stituent une paire de longues défenses très-saillantes. dirigées en 1) Planche 4, fig. 4e, 4f. (2) Owen, Odontography, 1845, p. 598. {3) Les canines ne commencent à se montrer au dehors que chez les mâles âgés de deux ans: jusqu'à cette époque celles sant cachées par la lèvre supérieure, RECHERCHES SUR LA MAMILLE DES CHEVROTAINS. 69 bas presque parallèlement entre elles. Elles sont régulièrement, mais faiblement arquées, comprimées latéralement, arrondies en avant, tranchantes en arrière et très-pointues ; leur face externe est plate, mais leur face interne est convexe. Ces dents sont très- profondément et très-solidement implantées dans une alvéole creusée à la partie antérieure de l'os maxillaire inférieur, et s'avancent le long du bord de cet os jusque dans le voismage du lacrymal. Elles font saillie hors de la bouche et dépassent de beaucoup le dessous de la mâchoire inférieure; leur portion libre mesure souvent 6 centimètres de longueur, et leur portion alvéolaire environ 4. Leur développement est plus considérable que chez aucun autre Ruminant de l’époque actuelle. Chez le Muntjak, qui de tous les Cervidés est celui dont les canimes sont les plus longues, ces dents sont loin d'atteindre ces dimensions extraordinaires (4). Mais, chez certaines espèces fossiles de la même famille, notamment les Dremotherium des terrains ter- tiaires moyens de l'Allier, ces défenses présentent un dévelop- pement presque aussi considérable (2). Les molaires sont au nombre de six à chaque mâchoire et de chaque côté, ainsi que cela se voit chez tous les Ruminants pro- prement dits de l’époque actuelle (3); elles ressemblent beau- coup à celles des Cerfs. Effectivement, à la mâchoire supérieure les trois vraies molaires sont constituées par deux lobes formant chacun, sur la surface triturante , une colline transversale com- posée de deux croissants d'émail séparés longitudinalement par un sillon de même forme; leur face externe est garnie de plu- sieurs crêtes mousses et verticales dont la première occupe le bord antérieur du premier lobe, la seconde, plus forte que la précédente, se trouve sur le milieu du même lobe ; la troisième, plus faible que les deux précédentes, correspond à la ligne de jonction des deux lobes, et la dernière, peu marquée, au bord (4) Les canines du Muntjak sont plus robustes que celles du Porte-musc; elles sont aussi plus arquées et se dirigent plus en arrière. (2) Le genre Dorcatherium de Kaup offre le même caractère, {3) Dans le genre fossile décrit, par M. Pomel, sous le nom d'Amphitraguius, on voraple sept molaires à ja mâchoire inférieure, 70 ALPHONSE MILNE EDWARDS. postérieur du second lobe; elle n’est visible que sur la sixième molaire, car chez les autres elle est cachée par le bord antérieur de la dent suivante. La face interne de ces molaires est lisse et ne présente que rarement des traces du tubercule interlobaire qui se voit chez tous les Cerfs etchez quelques Antilopes. Les prémolaires supérieures ne se composent que d’un seul lobe; les deux postérieures présentent sur leur face triturante deux croissants d’émail plus grands et plus écartés entre eux que ceux des vraies molaires. Sur leur face externe existent des arêtes verticales dont la moyenne est la plus grosse. Enfin, la première prémolaire, plus petite que les autres, est plus comprimée ; elle n'offre pas les deux croissants d'émail, l'interne n'étant repré- senté que par une petite crête d'émail peu saillante et bien distincte seulement à sa partie antérieure ; ce caractère n'existe pas chez les Cerfs où cette même dent est large, ressemble à la suivante et présente, comme elle, les deux croissants d’émail. A la mâchoire inférieure, les molaires sont étroites ; les trois dernières par leur conformation générale ressemblent à celles de la mâchoire supérieure ; si ce n’est que la sixième, au lieu d'être composée de deux lobes seulement, en présente trois dont le der- nier, plus petit que les autres, varie beaucoup par sa taille, sui— vant les individus. Souvent on remarque entre les deux lobes, le petit tubereule que l’on sait exister chez les Ceris, mais sa pré- sence est loin d’être constante; la particularité la plus caracté- ristique de ces dents consiste en une petite crête oblique qui part de leur angle antérieur; chez les vieux individus, l'usure des dents efface en partie ce rebord. Les trois prémolaires inférieures se simplifient de plus en plus; elles ont à peu près la même conformation que celles des Cerfs, et ne présentent aucun caractère important à signaler. Les deux premières sont relativement très-petites. $ 5. Les autres parties du squelette du Porte-musc ressemblent extrêmement à celles des Cerfs et n’en diffèrent que par quelques REÉCIHERCHES SUR LA FAMILLE DES CHEVROTAINS. 71 particularités peu importanies. Gmelin avait supposé que le nombre des vertèbres cervicales n’était que de six (1). Mais cette anomalie n'existe pas. D'après Pallas, le nombre des paires de côtes varierait de 14 à 15; tandis que chez les Cerfs leur nombre est ordinairement de 15, bien qu'on en trouve parfois 14 (2). Les différences que nous avons déjà signalées dans la longueur relative des membres antérieurs et postérieurs se manifestent mieux dans le squelette que dans l'animal recouvert de ses tégu- ments. Ainsi le canon antérieur est remarquablement plus court que le canon postérieur, la différence est dans la proportion de 3 à h. La disposition des doigts externes mérite aussi d’être notée. Aux paltes postérieures (3), ces appendices, formés de trois phalanges, s'articulent sur les os sésamoïdes de la poulie méta- tarsienne qui sont bien développés. La première phalange est très-courte, très-élargie et présente, en dedans, une facette arti- culaire oblique et très-étendue; la deuxième phalange est tra- pue; la troisième est forte et très-allongée. PARA il n'existe aucune trace de métatarsien latéral. Aux pattes antérieures (A), les doigts externes sont également très-allongés, mais au lieu de s’ar liculer avec les sésamoïdes, ils s'appliquent simplement sur eux et s’articulent chacun avec un petit os métacarpien qui a la forme d'un stylet conique assez fort, solidement attaché au canon par des ligaments, et ne se pro- longeant que sur les deux cinquièmes de cet os. A la partie supé- rieure du canon il n'existe aucun rudiment de ces stylets. La première phalange n'est pas élargie comme celle des pattes postérieures, elle est allongée, et AU la taille, ressemble à la suivante. $ 6. Ainsi que j'ai déjà dit, les musées zoologiques de France et (4) Gmelin, Descriptio animalis moschiferi Kabarga dicti (Novi Commentarit Acad. Petropolitanæ, 1752-1753, t. IV, p. 401). (2) Chez le Renne, par exemple, on en compte quatorze paires. (3) Voy. pl. 4, fig. 12, 4b. (4) Voy. pl. 4, fig. 4e, 41, -72 ALPHONSE MILNE EDWARDS. d'Angleterre ne possèdent aucune pièce anatomique qui puisse nous éclairer sur la splanchnologie des Porte-musc, mais nous devons à Pallas de bonnes observations sur cette partie de leur histoire ; il a constaté que sous ce rapport, comme sous beau- coup d’autres, ces animaux ont une grande ressemblance avec les Cerfs. L'estomac, de même que celui des Ruminants ordinaires, se compose de quatre poches, la panse ou rumen, le bonnet, le feuillet et la caillette (1). La panse est grande et présente, à sa partie mférieure, un prolongement qui se contourne en bas et en dehors pour s'appliquer, en forme de corne, sur là grande cour- bure de la portion principale de ce réservoir. Le bonnet est aréolé comme d'ordinaire. Le feuillet, parfaitement bien caractérisé, est réniforme et présente intérieurement une série de 23 à 25 grands replis en forme de croissant, disposés longitudinalement et hérissés de papilles dures et pointues; dans l'intervalle de ces lames on en voit d’autres qui sont étroites et accessoires. La cail- lette est subeylindrique et n'offre pas, à sa base, de dilatation notable. Nous verrons bientôt que, chez les Chevrotains du genre Tragule, l'estomac est plus simple et ne présente pas ce mode d'organisation. Le foie est petit, et de même que chez beaucoup d’Antilopes, il est pourvu d’une vésicule biliaire tandis que ce réservoir manque chez les Cerfs. Le poumon droit est divisé en quatre lobes; les deux supé- rieurs petits, l'inférieur plus grand; le quatrième très-réduit forme le lobe accessoire que l’on voit derrière le cœur chez tous les Ruminants. Le poumon gauche est bilobé (2). L'appareil génital femelle ne présente rien de remarquable. Pallas, qui a eu l’occasion de disséquer une femelle pleine, nous apprend que chaque corne utérine renfermait un fœtus dont le placenta était polycotylédonnaire et les cotylédons disposés en série. En cela, les Porte-musc ressemblent donc aux Ruminants (1) Voy. Pallas, Op. cit., pl. 6, fig. 6. (2) Le nombre des lobes du poumon est le même chez les Gervides, la plupart des Antilopes et les Bovidés, Chez les Chameaux et les Tragules, il est moins considérable. RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES CHEVROTAINS. 75 ordinaires, tandis qu'il en est autrement pour les Chameaux et les Tragules. Une disposition organique très-remarquable à été constatée par M. Brandt (1); elle consiste dans la présence d’une glande sous-cutanée, placée vers le milieu de la face externe de la cuisse. Cet organe se compose de cellules aréolées et sécrète une matière verdâtre sirupeuse et inodore dont on ignore les usages (2). Le cerveau du Porte-musc (3), ainsi que J'ai pu m'en assurer en examinant le moule de l'intérieur de la boîte crânienne de l’un de ces animaux, est très-allongé et ressemble par sa forme générale à celui du Chevreuil, mais les circonvolutions paraissent être moins nombreuses et plus simples ; les lobes antérieurs, limités postérieurement par la scissure de Sylvius, sont plus courts et surtout plus étroits en avant, ce qui donne à l’ensemble de l’encéphale une apparence plus pyriforme. Plusieurs particu- larités se font remarquer aussi dans la disposition des circonvo- lutions, et pour les indiquer, d’une manière précise, sans entrer dans beaucoup de détails descriptifs, je prendrai pour terme de comparaison, d'une part, le cerveau de l’Antilope Guevei dont je donne ici une figure (4), et d’autre part le cerveau du Chevreuil représenté de façon à ne laisser rien à désirer dans le bel atlas de MM. Leuret et Gratiolet (5). Chez ces trois Ruminants, le système de circonvolutions qui commence au-dessus du bulbe olfactif, et qui longe le sillon médian, est étroit etsimple en avant, tandis qu'il s'élargit beaucoup en arrière, pour constituer les replis dé- signés sous les n° ITetIV par les auteurs que je viens de citer. Chez l’Antilope Guevei, de même que chez le Chevreuil, la cir- convolution n° NT est très-large, et subdivisée longitudinalement (4) Brandt, Glande particulière du Porte-musc (Journal l'Institut, 1837, 1. V p. 262). (2) M. Brandt, n'ayant eu à sa disposition que des individus mâles, n’a pas pu cou- Stater si les femelles possèdent ou non cet organe sécréteur. (3) Voy. pl. 6, fig. 1. &) Voy. pl. 6, fig. 4. 5) Leuret el Gratiolet, Anatomie comparée du système nerveux, pl. 10, fig, 4 et 2. 2 74 ALPHONSE MILNE EDWARDS. en deux par une série presque continue d’anfractuosités, tandis que chez le Porte-musc elle est étroite et simple. La circonvolu- tion postérieure n° IV, qui est située entre la précédente et le sillon médian, est simple chez le Chevreuil ; chez le Guevei et chez le Porte-musc, elle est double ; enfin, chez ce dernier, sa portion interne est beaucoup plus développée que chez le petit Antilope dont je viens de parler. La portion sus-orbitaire du système latéral de circonvolutions, désignée sous le n°If, est plus simple et moins allongée chez le Porte-muse que chez le Che- vreuil, et même que chez le Guevei. Enfin la circonvolution latéro-inférieure, ou n° F, est moins développée que chez ces derniers. Il est aussi à noter que le cerveau du Porte-musc, quoique beaucoup plus gros que celui du Guevei, présente beau- coup moins de circonvolutions. Enfin le cervelet s'élève plus haut, et la portion antérieure de son lobe moyen est plus sail- lante chez le Porte-musc. La particularité anatomique la plus remarquable des Chevro- tains Porte-musc consiste dans l'appareil sécréteur qui, chez le mâle, est situé sous le ventre, en arrière de l’ombilic et au-devant du prépuce. La structure en à été étudiée par plusieurs anato- mistes, notamment par Schroek (1), Gmelin (2), Pallas (3) et M. Brandt (4). Mais il serait à désirer que l’on examinât au mi- croscope les caractères histologiques de ses parois, et je regrette que l'état des pièces, que j'ai eu l’occasion de voir, n'ait pas permis d'entreprendre des recherches de ce genre. Cet appareil (1) Historia Mosehi, chap. x, p. 45 et suiv. (2) Descriptio animalis moschiferi (Novi commentarii Acad. Petropolitanæ, t&. WW, p. 400, pl. 9, fig. 4, 1752-1753). (3) Spicileqia zoologica, fase. xmi, p. 29, pl. 6, fig, 4-40. {%) Brandt et Ratzeburg, Medicinische Zoologie, t. 1, p. 45, pl. 8, fig. 2. En 4836, un pharmacologue anglais, M. Pereira, publia un article sur le même sujet, mais il se borna à copier ce que Pallas et M. Brandt en avaient dit (Pereira, On the Musk Animal., in London Medical Gazette, 1836, t. XVII, p. 369). La conformation de ces poches moschifères, telles qu'on les trouve dans le commerce, a été l’objet de beau- coup d'observations plus ou moins importantes, et indépendamment des auteurs dont j'ai déjà fait mention, je dois citer à ce sujet : D. Ludovici, De Moschi folliculis (Ephemerid. Acad. nat. curios, decur. 1, ann. 1673-1674, observ. 205, p. 269), et Guibourt, Hisf, nat, des drogues simples, 1851, t, IV, p. 57 et suiv, RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES CHEYROTAINS. 75 consiste essentiellement en une poche à parois glanduleuses qui est formée par un prolongement intérieur de la peau, très-ana- logue à celle qui consütue le prépuce ou fourreau de la verge. Il débouche au dehors un peu en avant de l'ouverture sygmoïde qui laisse passer ce dernier organe, et il est logé entre les liga- ments externes et les muscles abdominaux. Sa paroi supérieure qui adhère à ceux-ei est presque plane, et sa paroi inférieure, plus ou moins bombée suivant son degré de réplétion, fait saillie au dehors, de façon à ressembler à une tumeur morbide, circonstance qui a pu faire naître l'erreur commise par les anciens médecms qui avaient pris cet organe pour un abces. Il est plus long que large, et postérieurement il repose sur la verge pour la réception de laquelle il présente, en dessous, un sillon médian assez profond. La portion de la peau qui le recouvre inférieurement est garnie de poils ; ceux-ci con- vergent obliquement vers son orifice excréteur, lequel est simple et circulaire. Cette peau en se reployant en dedans, constitue d'abord un canal oblique, puis s'étale et se modifie dans sa struc- ture pour former la paroi interne du sac moschifère. L'orifice interne est situé vers le tiers antérieur du sac, et au-dessus de ses bords on remarque encore quelques poils; mais, plus loin, la membrane pariétale se modifie davantage, elle présente une multitude de plis, d'anfractuosités et de petits renflements, ou en d’autres mots, elle ressemble à une muqueuse, dans l'épaisseur de laquelle serait logée une multitude de follicules et de glandules imparfaites, de couleur brune, ainsi qu'un réseau vasculaire extrêmement riche. On y distingue, comme dans la peau, trois couches, l’une externe très-mince et d'aspect nacré qui paraît être de nature épithéliale, une autre moyenne que M. Brandt com- pare au réseau de Malpighi, et une troisième, interne, que ce naturaliste assimile au chorion. Un panicule charnu s'étend entre la surface externe de cette poche et les téguments com- muns, de façon à constituer pour cet appareil sécréteur une tunique musculaire dont les fibres sont disposées en manière de sphincter autour de son orifice excréteur, Enfin il existe aussi, dans le voisinage de cette ouverture, un certain nombre de 76 ALPHONSE MILNE EDWARDS. petites glandules sous-cutanées; ces glandules qui avaient été observées par Schroek (1), ont échappé aux recherches de Gme- lin (2), mais M. Brandt (3), en a constaté de nouveau l'exis- tence et il les compare avec raison aux follicules préputiaux. Chez l'Antilope onctueuse de la Chine, il existe une poche préputiale assez semblable à celle du Porte-muse. Mais la matière grasse qu'elle secrète ne parait pas être odorante (4). Il est aussi à noter que les Gazelles ordinaires répandent une odeur de Musc très-prononcée qui appartient à la femelle aussi bien qu'au mâle, sans qu'on connaisse le siége de la sécré- tion de cette matière volatile (5). np On ne sait que peu de choses sur les mœurs des Porte-musc. D'après les renseignements recueillis par les missionnaires en Chine, il paraît que ces animaux vivent solitaires ou par paires, et ne se réunissent jamais en troupes; qu'ils entrent en rut en avril et en octobre (6) ; que la durée de la gestation est d’en- viron six mois, et qu'en général la portée n'est que d'un seul petit, quelquefois deux, et très-rarement trois (7). Ils sont d’une grande agilité, et, de même que nos Chamois, se plaisent au milieu des montagnes escarpées. Ils sont très-timides, et leur ouie est très-fine, de sorte que le moindre bruit les met en fuite. Leur principale nourriture parait consister en herbes aroma- tiques et en jeunes branches de rhododendrons, de sapins, de cyprès ou d’autres arbustes de la même famille. (4) Schrock, Historia Moschi, p. 49, pl. 3, fig. 5. (2) Gmelin, Loc. cit., p. 401. ) 2) (3) Brandt, loc. cit., &. I, p. 46. (4) Pallas, loc. cit., fase. xut, p. 58, pl. $, fig. 15. (5) J'ai pu constater ce fait sur plusieurs Gazelles qui ont vécu à la Ménagerie du Muséum, et j'ai remarqué que cette odeur était plus intense au printemps qu'aux autres saisons, et s'exaltait lorsque l'atmosphère était chargée d'humidité. (6) Suivant M. Brandt, l'époque des amours commencerait en novembre ou dé- cembre (Med. Zool., 1. 1%, p. 47). (7) Mémoires concernant l'histoire, les nueurs, ele, des Chinois, par les mission naires de Pékin, 1770, t. IV. p, 493, RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES CHEVROTAINS. 77 Jadis le musc était fort recherché; ainsi à l'époque des croi- sades, il parait avoir eu une grande valeur, car on le voit figurer parmi les objets précieux que le sultan Saladin envoya à l'empe- reur grec de Constantinople, Isaac l'Ange, en 1189, deux ans après la prise de Jérusalem (1). Cette substance entrait dans la compo- sition d'un grand nombre de préparations pharmaceutiques plus ou moins complexes ; on l’employait pour l'embaumement des cadavres (2), et surtout comme parfum pour les usages de la toilette ; c'est principalement cette dernière circonstance qui en a fait élever subitement le prix vers la fin du xvr' siècle. On peut s'en convaincre, en comparant la valeur attribuée à cette sub- stance, dans les édits fiscaux sous François [° et sous Henri H(3). La quantité de muse importée actuellement en France est peu considérable. On voit par les documents officiels de la douane que, de 1827 à 1845, la consommation en a été, terme moyen, d'environ 150 kilogrammes par an; dans la période décen- nale suivante, elle s’est élevée à 381 kilogrammes par an; mais de 1857 à 1862, elle a oscillé entre 102 et 246 kilogrammes, (4) I existe dans le Chronicon Reicherspergense, écrit vers la fin du xn° siècle, des renseignements fort curieux sur ces présents, parmi lesquels se trouvaient un Chevro- tain porte-muse el cent bourses à muse, comme l'indique le passage suivant: « Et per eos misit eidem viginti dextrarios latinos et pixidem ad longitudinem eubiti preciosis- simis lapidibus plenam et pixidem ejusdem longitudinis balsamo plenam et trecentos funes plenos lapidibus perforatis et magnæ magnitudinis, et scrinium plenum aloes = 2 L3 2 etarborem ligni cum suis brachiis et ramis viridem, quæ multo preciosior est, et centum folliculos musci (ou moschi), et viginti milia Bizantiorum et Elephantum parvulum et bestiolam que fert muscum (ou moscum), et Struthionem et quinque Leopardos, ettriginta quintarios de pipere et alias species sine numero et sine mensura C2 et vas quod caperet viginti metretas vini, de purissimo argento, plenum toxico for- tissimo..…. » (Chronicon Reicherspergense, Magni presbyteri.) Cette chronique mo- nastique a été publiée plusieurs fois, et en dernier lieu par M. Wattenback, dans le tome XVII des Scriptores, des Monumenta Germanie historica de M. Pertz (Hanovre, 1861, in-folio, p. 435 à 534). Le passage cité ci-dessus se trouve page 512. L2 (2) Cet usage existait déjà au commencement du x1v° siècle ; car, dans le compte des dépenses relatives aux funérailles du petit roi Jean, dressé par Geoffroi de Fleury, en 1316, on voit figurer parmi les parfums destinés à l'embaumement : pour 2 onces d'ambre, 40 sous; pour une demi-once de muse, 30 sous, etc. (Comptes de l'Argen- terie des rois de France au xiv® siècle, publiés par M. Douet d'Arcq dans la collection de la Société de l'histoire de France, Paris, 1851, 1 vol. in-8, p. 19.) (3) On trouve, dans le Recueil des édicts, ordonnances des rois de France, par 78 ALPHONSE MILNE EDWARDS, et n'a été en moyenne que de 150 kilogrammes par an (1). Du reste, ces quantités, toutes faibles qu’elles peuvent paraître au premier abord, supposent une destruction énorme de Chevrotains porte-musc; en effet, le poids de la poche moschifère, telle qu'on la trouve dans le commerce, peut être évaluée à environ 32 grammes. Par conséquent, pour fournir à la consommation de la France seulement, il faut chaque année tuer près de 4700 de ces animaux. Le prix du musc est toujours très-élevé ; mais, comparative- ment à la valeur de l'argent, il est bien inférieur à ce qu'il était vers la fin du xvr° siècle. Sous le règne du roi Henri HE, une livre Fontanon, édit. de Michel, 1641, 4 vol. in-fol., des documents très-curieux relatifs au , , ? 2 prix des articles de drogueries, d’espiceries, ete., à diverses époques. Ainsi, en 4542, François I prit, comme base, pour la fixation des droits de douane ct d'imposition foraine de ces marchandises, la valeur commerciale de chacune d'elles, et dans l’ordon- 2 , nance relative à cet impôt, on donne les évaluations suivantes pour 1 livre de matière : Masque (sie).12.1:..420414.:25. 100 livres tournois, de 24 sous la livre, AmMPre: PISE pe 4e Ed de nude 130 MNT en ee dent ee Le 60 (CS SR M 0 » 7 sous, 6 deniers. CE NATE ere EN SRE, » li sous, Opinns «Mise us. RAIN » 20 sous. (Op oil; t.'IT, p'400!) En 1581, une nouvelle évaluation de ces mêmes substances fut publiée dans une ordonnance fiscaie-de Henri IE, et elles y sont cotées de la manière suivante : NEUSQUE STE) lite ae la Re ne nt 250 livr. tourn. EMADTE GTS" NI COR HER 300 Giette assise, 08 NAS D AU 150 Camphreetursé frise: dei .sstenné » & sous. OT RU Ch fe » 25 sous. (Op. cit., t. IL, p. 491.) Ainsi, dans l'espace d'environ quarante ans, pendant lesquels le prix du camphre n'avait pas varié, et celui de l’opium ne s'était élevé que de 20 à 25 sous la livre, le muse et les autres parfums avaient plus que doublé de valeur. Il ne faut pas oublier que la valeur du numéraire, au xvie siècle, était bien différente de celle qu'il a aujour- d'hui. Ainsi M. Leber, qui a fait une étude particulière de ces changements, estimait, à 2200 francs de notre monnaie actuelle le prix attribué à la livre de muse dans l’or- donñance de 1542. (Ch. Leber, Essai sur l'appréciation de la fortune privée au moyen âge, 2° édit., 1847, in-8, p. 308.) Quoique citant l'édit de 1542, M. Leber paraît avoir pris les chiffres d’un autre édit de 1543, où le muse est estimé 150 livres tournois la livre, et l'ambre 195 livres tournois. Les prix sont déjà augmentés, MAY Tableaux du commerce de la France. RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES CHEVROTAINS. 79 de ce parfum valait autant que 240 livres d’opium ou 1500 livres de camphre, tandis qu'aujourd'hui cé rapport est pour le premier comme 1 : 25, et pour le second : : 1 : 182 (1). $ 8. Plusieurs espèces fossiles ont été, à diverses époques, rappor- tées au genre Moschus, mais toutes, après une étude plus appro- fondie, ont dû prendre place dans d'autres groupes : tel est le Muse indiqué par Laurillard, d’après l'extrémité inférieure d’un übia trouvé dans les sables du diluvium, près la barrière d'Italie à Paris, que M. Gervais croit devoir être rapporté plutôt à une espèce du genre Lepus (2). Tel est aussi le Moschus armatus établi par M. Gervais sur de grandes canines trouvées à Sansan (Gers) (3), et qui appartien- nent, ainsi que l'a fait remarquer depuis le savant doyen de la Faculté des sciences de Montpellier, à l'espèce que nous étu- dierons bientôt sous le nom d'Hyæmoschus crassus (h). M. Lartet (5) avait attribué au genre Moschus, sous le nom de M. Nouleti, divers morceaux de la collection de M. Noulet, entre autres des maxillaires supérieurs et dés moitiés de mandibules armées de dents, qui lui avaient paru se rapprocher de celles des Chevrotains. Ces fragments avaient été trouvés aux envi- rons de Toulouse. Mais M. Lartet, avec sa sagacité ordinaire, ne tarda pas à reconnaitre que ces dents appartenaient à une espèce du genre Cainotherium de Bravard (6). (4) Je prends pour base de ces calculs, d'une part, les estimations adoptées dans l'or- donnance du roi Henri III (de 1581), d'autre part, les valeurs attribuées aux mêmes denrées dans le Tableau général du commerce de la France pour 1861. Dans ce docu- ment, le muse en poches est coté à 4 fr. 25 c. le gramme ; l'opium à 45 fr. le kilogr.; le camphre à 6 fr. 25 e. le kilogr. Ces prix varient annuellement, mais restent à peu près dans les mêmes rapports, (2) Gervais, Paléont, franc, 2° édit., 4859, p. 155. (3) Gervais, op. cit., 1re édit., 1848-1859, p. 89. (4) Gervais, op. cit., 2€ édit., p. 155. - (5) Lartet, Notice sur la colline de Sansan (Ann. du départ. du Gers, 1851, p. 36), (6) En 1853, M. Pictet, dans son Traité de paléontologie, 2 édit., t. I, p. 348, émettait déjà l'opinion qne le Moschus Nouleti devait probablement être rapporté au genre Cainotherium. 80 ALPHONSE MILNE EDWARDS, CHAPITRE TROISIÈME. DU GENRE TRAGULUS , OU CHEVROTAIN PROPREMENT DIT. $ 1. Le mot Tragulus fut employé d'abord d'une manière vague par Klein, pour désigner les petites espèces de Ruminants que ce naturaliste plaçait dans sa section des Tragus, composée des Chèvres, des Antilopes et des Porte-musc (1). Brisson appliqua ensuite ce nom au genre établi par Linné sous la dénomination de Moschus, mais en étendant les limites de cette division de façon à y faire rentrer plusieurs petites espèces, dont le célèbre naturaliste suédois n'avait pas parlé (2). Pendant long- temps, ces deux expressions Tragulus et Moschus étaient syno- nymes, et désignaient tous les Ruminants unguligrades, dont le front était dépourvu de cornes et la mâchoire supérieure armée de grandes canines. Ainsi que je l'ai déjà dit, M. J. E. Gray fut le premier à scinder ce groupe, et à séparer le Porte-musce des Chevrotains auxquels il était primitivement réuni. Il conserva à la première de ces divisions le nom linnéen de Moschus, et appliqua à une partie de la seconde celui de Tragulus emprunté à Brisson (3). M. E. Gray doit donc, en réalité, être considéré comme le fon- dateur du genre connu aujourd'hui sous le nom de Tragulus, et c’est à tort que la plupart des zoologistes en attribuent l’éta- blissement à Brisson. Il est bon de faire remarquer qu'Ogilby a employé le mot de Tragulus dans une autre acception; il l’a appliqué à une subdivision des Antilopes, dont l'A. Pygmea était le type (4). Ce petit groupe naturel paraît devoir se composer de toutes les (4) Klein, Quadrupedum dispositio 4751, p. 15 et suiv. (2) Brisson, Le règne animal divisé en neuf classes, 1756, p. 94. (3) J. E. Gray, Onthe genus Moschus of Linnœus with descriptions of two new Spe- cies (Proceed of the Zoo!. Soc., 1836, t. IV, p. 63.) (4) Ogilby, On Ruminantia (Proceed. Zool. Soc., 1836, t. IV, p. 138). RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES CHEVROTAINS. 81 espèces de Chevrotains qui manquent de l'appareil moschifère, et qui sont pourvus d'un os canon aux pattes antérieures aussi bien qu'aux pattes postérieures, c’est-à-dire dont les métacarpiens ainsi que les métatarsiens moyens sont soudés de façon à ne former qu'un seul os. Ces animaux sont les plus petits de tous les Ruminants; leur taille ne dépasse guère celle du Lièvre, et leur aspect général est caractéristique : 1l rappelle les formes de beaucoup de Rongeurs plutôt que celles des Cerfs ou des Antilopes(1). Leur tête est pe- tite, fine et pointue, leurs yeux très-grands, leurs oreilles petites et peu poilues, leur cou court, leur corps gros, surtout en arrière, et habituellement très-arqué ; leurs pattes sont grèles, celles de devant comparativement beaucoup plus petites que celles de der- rière ; la face postérieure de leurs métatarsiens est chez la plupart des espèces complétement nue ; leur queue est courte et touffue. Leur démarche rappelle beaucoup celle des Agoutis, et se com- pose d’une série de petits bonds, dans lesquels la partie posté- rieure du corps s'élève beaucoup. Lorsqu'ils se couchent, au lieu d'étendre en avant l’une des pattes antériéures et de reployer l’autre, ainsi que le font habituellement les Cerfs, ou de se mettre sur le côté comme les Bœufs, ils s’'accroupissent en reployant leurs deux jambes antérieures sous eux et en redressant le cou. Hs n'ont pas de voix; le seul bruit qu'ils puissent produire con- siste en un léger petit sifflement, et ils ne le font entendre que lorsqu'ils sont effrayés. Ce groupe appartient en propre à la partie méridionale de l'Asie; il est répandu dans les îles de la Sonde, à Ceylan, dans l'Hindoustan et dans l’Indo-Chine ; jusqu'ici on ne l'a pas signalé au nord du Camboge, et il ne paraît pas s'étendre jusque dans les régions montagneuses occupées par le Porte-musc. Ses prin- cipaux représentants sont le T'ragulus javanicus, le Napu, le Kanchil, le T. Stanleyanus et le Meminna. Je reviendrai sur l'histoire particulière de ces espèces, après avoir parlé du mode d'organisation qui leur est commun. (4) Voy: pl: 2 et 3. 5° série, Zoo. T, IT. (Cahier n° 2.) 2 6 82 ALPHONSE MILNE EDWARDS, & 2. Squelette des Tragules. Les Tragules présentent dans la conformation de leur sque- lette, aussi bien que dans les caractères extérieurs, des particu- larités nombreuses et importantes à signaler. Cette partie de leur organisation a été étudiée par plusieurs anatomistes (1), mais pas d'une manière assez comparative pour nous éclairer suffisamment sur les caractères ostéologiques de ce groupe zoologique. La forme générale de la tête osseuse se rapproche beaucoup de celle du Porte-muse. Cependant la boîte crânienne est beau- coup moins allongée ; la face est notablement plus étroite dans toute la région nasale (2). L’occipital est étroit et renflé en arrière ; ce renflement n’est pas dû à un épaississement de l'os, mais il correspond à une dila- tation de la fosse cérébelleuse. Les crêtes occipitales sont assez fortement indiquées, surtout chez les mâles, et se réunissent sur la ligne médiane à une crête sagitiale qui est comprimée dès son origine, et se bifurque bientôt pour constituer les crêtes parié- tales qui forment entre elles un angle beaucoup plus ouvert que chez les Porte-musc, les Cerfs et les Antilopes ; il en résulte que le sinciput est très-large et aplati. Les pariétaux sont bien développés, et s'étendent en avant beaucoup plus près des orbites qu'ils ne le font chez le Porte- muse et la plupart des autres Ruminants. Le frontal est étroit, allongé et refoulé très en avant ; 1l s'avance beaucoup au delà du bord antérieur de l'orbite, et atteint le niveau du trou sous- orbitaire. Le bord par lequel il s'articule aux os nasaux est presque droit, au lieu d’être profondément échaneré au milieu comme chez le Porte-musc et la plupart des autres Ruminants. (4) Kinberg, Monographiæ zootomicæ. Lundæ, 1849. — Alessandrini, Osservazionti anatomiche sullo scheletro del Moschus pygmæus, 1843 (Memorie della Accademia delle scienze dell Institut di Bologna, t.1, p. 687, pl. 9 et 20). (2) Voy. pl. 8, fig. 4, 4°; pl. 9, fig. 4, 44, 4h, RÉCHERCHES" SUR LA FAMILLE DES CHEVROTAINS. 85 Enfin le trou sus-orbitaire est simple ; il n’est accompagné d’au- cun autre trou vasculaire, et il se continue antérieurement avec un sillon étroit qui est en général assez profond, et va se termi- ner à l'angle supérieur et externe des os nasaux. Les fosses temporales sont petites et peu profondes ; antérieu- rement elles s'élèvent beaucoup moins haut vers le sinciput que chez le Porte-musc et chez les Cerfs. Les temporaux sont mé- diocrement développés. Le trou auditif est rond, petit, il se trouve directement au-dessous de l'origine postérieure de l'ar- cade zygomatique, et n'en est pas séparé par un hiatus qui, chez le Porte-muse, les Cerfs et Antilopes, etc., existe toujours dans ce point. Les caisses tympaniques sont remarquablement renflées, et forment de chaque côté de la portion basilare de l'occipital une grosse tubérosité, dont la forme est ovalaire et la surface lisse. L’apophyse mastoïde, qui est mince et comprimée latéralement, ne s'applique pas sur la paroi postérieure de ces caisses, comme on le voit chez certaines Antilopes. Nous avons vu qu'il n'existe rien de semblable chez le Porte- muse ; le développement de cette partie du temporal se remarque aussi chez les Antilopes d'Asie et d'Amérique, mais il s’exagère bien davantage chez les Antilopes d'Afrique. Il existe également chez le Cerf de Duvaucel (Rucervus Duvaucellit) des Indes, et chez le Cerf Samboe (Rusa equina) de Sumatra. Chez les autres espèces de la famille des Cerfs que j'ai eu l’occasion d'observer, les eaisses sont petites et peu saillantes, et leurs parois sont épaisses et rugueuses. L'arcade zygomatique prend son origine très-près de l’occipi- tal, et s'élargit tout de suite, de facon à former une saillie considérable au-dessus du trou auditif. Les jugaux sont étroits et tres-allongés. Les lacrymaux sont beaucoup plus grands que chez le Porte-musc. Chez la plupart des espèces, leur forme est presque quadrilatère ; ils s’articulent avec le frontal dans presque toute la longueur de leur bord supé- rieur, etse terminent en avant par un bord qui descend verticale- ment sans se prolonger, de façon à échancrer le maxillaire supé- rieur, En général, on n'aperçoit aueune trace de l'hiatus qui se 8li ALPHONSE MILNE EDWARDS, trouve chez le Porte-muse, et qui est très-développé chez les Cerfs, ainsi que chez la plupart des Antilopes, dans le point de réunion du lacrymal, du frontal, du nasal et du maxillaire (1). De même que chez le Porte-muse, la surface du lacrymal est complétement plate, et ne présente aucune excavation corres- pondant à celle du larmier des Cerfs et de quelques Antilopes. Le trou lacrymal est unique, situé en dedans du bord orbitaire et à la partie inférieure du lacrymal. Dans l'orbite, cet os ne descend pas sur la portion du maxillare qui se porte sous le jugal ; 1l'en- .toure cependant une portion du trou sous-orbitaire interne. Les cavités orbitaires sont très-avancées ; leur bord antérieur cor- respond au niveau de l'intervalle compris entre la troisième et la quatrième dent molaire. Chez le Porte-muse, ce même bord correspond à l'intervalle situé entre la quatrième et la cinquième molaire. Ces fosses sont très-grandes et très-profondes , ainsi qu'on pouvait le prévoir d’après les dimensions des yeux ; aussi occupent-elles presque toute la largeur de la tête, et ne sont-elles séparées sur la ligne médiane que par une cloison très-mince et incomplète formée par le sphénoïde antérieur. Les os du nez sont étroits, très-allongés, légérement élargis en arrière, et au lieu d'être placés horizontalement comme chez le Porte-musc, ainsi que chez la plupart des Certs et des Antilopes, ils sont mclinés en forme de toit, ce qui rend l'arête du nez très-étroite. En avant, ces os sont coupés carrément, et ne se prolongent que peu ou pas en pointe médiane comme chez le Porie-musc. Ils n'ont aucun point de contact avec les lacrymaux, comme on le voit au contraire chez les Moutons. Les intermaxillaires sont très-courts, dilatés en arrière ; leur bord postérieur est presque vertical, et il ne se prolonge que tres-peu en arrière du niveau du bord antérieur de la canine. Cependant, malgré leur brièveté, ils s’articulent avec le nasal, dans une étendue assez considérable, par suite de la grande lon- gueur de celui-ci. Chez le Porte-muse, les intermaxillaires sont plus développés, et se prolongent en arrière jusqu'au niveau du (4) Le Meminna présente des traces de cet hiatns, RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES CHEVROTAINS. 85 trou sous-orbitaire. Les trous incisifs sont courts, élargis et ovalaires. Les maxillaires supérieurs s'articulent avec les os nasaux sur une tres-longue partie de leur étendue. Leur bord inférieur ou gingival est tranchant dans la partie correspondant à la barre, tandis que chez le Porte-musc il est arrondi et excavé longitudi- nalement. Le canal sous-orbitaire, d’un calibre assez faible, vient s'ouvrir au-dessus de la première molaire. La portion palatine des maxillaires est très-élargie dans la région correspondant à la barre ; en arrière, elle est très-échancrée pour la réception du palatin. Ces derniers os sont étroits; leur limite antérieure se trouve au niveau de l'intervalle de la troisième et quatrième molaire. Le trou palatin, au lieu d’être placé comme chez le Porte-musc, les Cerfs et les Antilopes, à la ligne de jonction des maxillaires et des palatins, est creusé entièrement dans ce der- nier os. Enfin la portion moyenne des palatins se prolonge beau- coup, de façon à rejeter les narines postérieures très-loin en arrière, et à transformer la portion terminale des fosses nasales en une sorte de tube, dont l'ouverture est située à une distance considérable du bord antérieur des fosses ptérygoïdiennes. Le maxillaire inférieur est faible ; son angle postérieur est très-arrondi ; 1l forme avec le bord inférieur une courbe régu- lière, et n'offre aucun prolongement postérieur, comme cela a lieu chez le Porte-musc et la plupart des Antilopes et des Cerfs. La surface articulaire du condyle ne diffère que peu de celle du Porte-musc; elle est petite, ovalaire transversalement , et regarde directement en haut et en avant. Enfin l'apophyse coronoïde est très-petite ; elle est fortement recourbée en arriére, presque falciforme, et lorsque la bouche est fermée, elle ne s'élève que très-peu au-dessus du bord supérieur de l'arcade zygomatique, disposition qui donne à la mâchoire de ces ani- maux un aspect très-particulier et permet de la distinguer au premier coup d'œil de celle de tous les autres Rumimants, chez lesquels cette apophyse est fort allongée et remonte très-haut dans les fosses temporales. Sous ce rapport les Tragules se rap- prochent davantage des Porcms, 86 ALPHONSE MILNE EDWARDS. Par plusieurs particularités de leur système dentaire (4), les Tragules différent non-seulement des Porte-musc, mais aussi de tous les autres Ruminants. À la mâchoire inférieure, les inci-- sives, au nombre de huit, comme d'ordinaire, ne sont pas en série continue, et sont séparées sur la ligne médiane par un hiatus con- sidérable qui existe à tous les âges. Celles de la première paire sont tranchantes et très-dilatées en avant, tandis que leur por- tion radicale est très-étroite, ce qui leur donne une forme très- remarquable, et qui se retrouve d’une manière plus ou moins prononcée chez beaucoup de Ceris et d’Antilopes. Leur bord tranchant est oblique et leur angle externe beaucoup plus élevé que l’interne ; les deuxième et troisième incisives sont extré- mement étroites, présentent sur leur face externe une canne- lure superficielle, et sur leur surface interne une petite saillie longitudinale ; les quatrièmes sont un peu plus larges, plus courtes et plus courbées. La canine qui, de chaque côté, arme la mâchoire supé- rieure est petite et ne fait jamais saillie chez la femelle ; mais chez le mâle, ces dents, quoique beaucoup moins développées que chez le Porte-musc, sont larges et puissantes ; elles sortent de la bouche, et elles sont légèrement courbées en arrière et dirigées un peu en dehors, de facon que plus elles s’allongent, plus leur extrémité s’écarte et se porte en arrière. Chez le Porte- muse au contraire elles sont d'abord verticales, et par le progrès de l’âge elles tendent à se rapprocher vers le bout. I est aussi à noter que les canines des Tragules, au lieu d'être arrondies en dehors comme celles des Hoschus, sont excavées longitudinale- ment. Leur bord postérieur est tranchant ; enfin leur portion intra-alvéolaire est longue , fortement arquée, et se prolonge en arrière jusqu'à l'articulation du lacrymal. Les trois vraies molaires supérieures ne différent que peu de celles du Porte-musc; cependant les lobes sont plus pointus, et les crêtes verticales qui occupent leur surface externe sont plus saillantes, La troisième prémolaire ressemble beaucoup à celle (4) Voy. pl, 8, fig. 4 et 2; pl. 9, fig. 4, 3, 4 et 5; pl. 40, fig. 4, 3et 4. RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES CHEVROTAINS. 87 du Porte-musc et des Cerfs. Mais les deux antérieures en diffe- rent considérablement. En effet, elles sont comprimées, tran- chantes, et très-allongées d'avant en arrière. La deuxième porte à sa partie antérieure et interne une sorte de collet qui s’efface en arrière. Les trois vraies molaires de la mâchoiré inférieure sont dé- pourvues du tubercule interlobulaire que nous savons exister chez tous les Cerfs, et parfois chez les Porte-musc ainsi que chez certaines Antilopes. Elles sont très-étroites, et l’étrangle- ment qui sépare entre eux leurs différents lobes est extrôme- ment marqué ; leur Couronne ne s’use que fort lentement, et elles restent longtemps très-aiguës et entièrement couvertes d'émail. Les trois prémolaires sont allongées, comprimées et tran- chantes. La troisième présente en arrière un petit repli d'émail qui ne se voit ni chez la deuxième ni ehez la première. La forme de ces trois prémolaires permet de distinguer facilement les Tragules des Moschus et de tous les autres Ruminants à l’excep- tion de l’Ayæmoschus, dont nous aurons bientôt à nous occuper. La colonne vertébrale présente, entre la tête et le sacrum, le même nombre de vertèbres que celle du Porte-muse, c’est-à- dire 26. Mais la répartition de ces os entre la région lombaire et la région dorsale diffère; car, chez les Tragules, on ne compte que 13 vertèbres dorsales au lieu de 14, et 6 vertèbres lombaires au lieu de 5. Les vertèbres cervicales sont très-courtes (1). L’atlas présente une forme plus annulaire que chez les autres Ruminants, et ses ailes latérales sont très-développées. L'axis est court; la lame médiane qui reprèsente l’apophyse épineuse est très-élevée et terminée par un bord convexe d’avant en arrière. Les trois ver- tébres suivantes sont remarquables par le développement des apophyses épirieuses, qui sont styliformes et presque verticales. Ce mode de conformation ne s'éloigne que peu de ce qui existe chez les Moschus, et ne se rencontre que très-rarement chez les autres Ruminants, qui, en général, n’ont les apophyses cer- (4) Voy. pl, 4, fig. 2e à 9. 88 ALPHONSE MILNE EDWARDS. vicales que très-peu développées, si ce n’est à partir de la cin- quième, sixième ou septième vertèbre (1). Les vertèbres dorsales n'offrent que peu de particularités in- iéressantes à noter; les apophyses épineuses sont grèles et styli- formes dans toute la partie antérieure du thorax, tandis qu'à partir de la huitième vertebre, elles deviennent de plus en plus lamelleuses. Celle de la première dorsale n’est pas plus longue que celle de la septième cervicale. Au contraire, chez la plupart des Ruminants, elle dépasse de beaucoup cette dernière. Cette disposition correspond au développement du ligament cervical, qui, très-fort chez ces derniers, est faible chez les Tragules. Les vertèbres lombaires ressemblent beaucoup aux trois der- nières dorsales, et n augmentent que peu de grosseur en appro- chant du bassin; les apophyses épineuses sont lamelleuses, peu élevées, et très-inclinées en avant, de façon à s'appuyer les unes sur les autres quand l'animal étend le corps. Les apophyses articulaires antérieures sont très-saillantes et se prolongent au delà de l’apophyse articulaire postérieure, de facon à former un tubercule qui fournit un point d'attache puissant aux muscles de la masse sacro-lombaire. Le sacrum est formé de cinq ver- tèbres très-allongées, dont la cinquième est souvent libre. La limite postérieure de la région sacrée est caractérisée non pas par la soudure des différentes pièces osseuses, qui peut varier avec l’âge, mais par l'insertion des ligaments ischio-sacrés qui sétendent des apophyses transverses des quatrième et cinquième vertèbres sacrées au bord supérieur et postérieur de la branche descendante de l’ischion , et, comme nous le verrons en étudiant le bassin, ces ligaments s’ossifient normalement chez les mâles (1) Chez les Chameaux, les Lamas, les Vigognes et les Girafes, les six premières ver- tèbres cervicales sont dépourvues d'apophyses épineuses, styliformes. Chez beaucoup de Cerfs, par exemple, le Cerf commun, le Cerf d’Aristote, le Wapiti, le Gerf de Vir- ginie, cte., ces apophyses existent sur la sixième et la septième vertèbre. Chez le Cerf des Philippines, la cinquième vertèbre en présente des rudiments. Les Antilopes Grimm et Guevei ressemblent sous ce rapport au Cerf des Philippines. Chez le Cerf Muntjac, les quatrième, cinquième, sixième ct septième cervicales sont pourvues de ces apo- physes. Enfin, chez l'Élan, la troisième vertèbre porte déjà, comme celle des Tragules, une petite apophyse comprimée, grèle et dirigée en avant. RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES CHEVROTAINS. 89 adultes. Le nombre des vertèbres coceygiennes varie suivant les espèces, et est en relation avec la longueur de la queue, qui est courte. Elles sont toujours petites, et les deux premières pré- sentent des apophyses transverses bien développées. Ces variations dans l'étendue des soudures vertébrales à amené parmi les anatomistes des divergences d'opinions touchant le nombre des vertèbres sacrées des Tragules. Rapp n’en compte que quatre (1), Cuvier trois (2), tandis que Kinberg, s'appuyant sur les connexions anatomiques indiquées ci-dessus, en admet cinq (3). Les côtes, moins nombreuses que chez le Porte-muse, sont au nombre de treize, comme chez la plupart des Cerfs et des autres Ruminants. On les divise en huit côtes vraies et cinq fausses, mais cette distinction n’a aucune importance (4). Le sternum se compose de sept pièces courtes et ne s’élargis- sant que peu en arrière ; la septième pièce qui est libre présente postérieurement une dilatation plus considérable que chez la plupart des Cerfs et des Antilopes ; enfin l'appendice xiphoïde est très-large et s'ossifie parfois. Le bassin est très-développé, et sa conformation diffère beau- coup suivant les sexes (5): Cependant les iliaques et les ischions forment chez les mâles, aussi bien que chez les femelles, une ligne presque droite, et ces derniers os ne se relèvent pas à leur partie postérieure, comme cela a lieu chez le Porte-muse, les Certs et chez les autres Ruminants. Chez la femelle, les ischions sont toujours libres, et ne se re- lent au sacrum que par des ligaments, disposition qui se retrouve dans les deux sexes chez tous les autres Ruminants. Le détroit supérieur du bassin est très-grand, très-allongé et très-oblique. Les trous sous-pubiens sont très-larges et ovalaires; l’arcade pubienne est très-large et aplatie. 5 (4) Rapp, 4rchiv für Naturgeschichte, \, Erichson, 1843, p. 52. (2) Cuvier, Anat. comp., 2° édit., 4835, 1. I, p, 182. (3) Kinberg, Monographie zootomice, 4. Tragulus javanicus. Lundéæ, 4845, p. 13. (4) Chez le Renne, on comple quatorze côtes comme chez le Porte-musce et la Girafe, (5) Voyez pl. 4, fig. 2, 2a; pl, 40, fig. 7. 90 ALPHONSE MILNE EHBWARDS. Chez le mâle, le bassin est beaucoup plus petit; les ischions sont unis aux apophyses transverses des troisième, quatrième et cinquième vertèbres sacrées par une expansion osseuse, résultant de l'ossification du ligament ischio-sacré. Cette particularité transforme l’échancrure sciatique en un grand trou ovalaire (4). Le détroit supériëur du bassin est court et presque horizontal ; le pubis est étroit ; enfin le détroit postérieur du bassin est très- rétréci, L’anomalie que je viens de signaler dans la structure du liga- ment 1schio-sacré tient à une disposition physiologique très- remarquable chez les Tragules. Ces animaux, plus que tous les autres Mammifères, paraissent avoir une tendance à transformer en tissu osseux les ligaments et les aponévroses de la région pel- vienne. En effet, chez les vieux mâles, toute la partie postérieure du cofps est souvent recouverte d’une sorte de carapace sous- cutanée, formée par une lame osseuse, dure et résistante, consti- tuée aux dépens de l’aponévrose des muscles fessiers (2). Ce bou- chier pelvien s'attache à la crête iliaque antérieure, à toutes les apophyses épineuses des vertèbres sacrées, au bord supérieur de l’arcade ischio-sacrée, et à la tubérosité de l'ischion ; en avant, il se continue avec les aponévroses des muscles sacro-lombaires, eten dehors avec le fascia crural. Cette particularité de struc- ture m'a été offerte par trois individus, dont deux font partie des collections anatomiques du Muséum d'histoire naturelle, et l’autre se trouve au Musée britannique (3). Kinberg, qui n’a pas mentionné l’ossification du ligament ischio-sacré, paraît avoir rencontré au devant du bassin deux petites languettes osseuses s'appuyant sur le pubis, et résultant de l'ossification des tendons des muscles droits de l'abdomen (4). (4) Voy. pl. 10, fig. 7. (2) Voy. pl. 4, fig. 2, 2% (3) L'un de ces Chevrotains appartient à l'espèce appelée Tragulus javanieus, V'autre au Tragulus Napu. Laurillard avait remarqué cette disposition, et il avait cru qu'elle existait chez tous les Chevrotains *. (4) Kinberg, loc. eit., p. 15. * Lecons d'anatomie comparée, de G, Cuvier, 2e édit., 4835; t, I, p. 480. RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES CHEVROTAINS. 91 Ces baguettes ne peuvent cependant être considérées comme les analogues des os marsupiaux, car ces derniers se forment aux dépens des muscles obliques de l'abdomen. L'omoplate des Tragules ressemble beaucoup à celle des Cerfs et des autres Ruminants à cornes; elle est courte et se dilate beaucoup en arrière aux dépens de la fosse sous-épi- neuse. L'apophyse coracoïde est nettement détachée du corps de l'os ; la cavité glénoïde est peu profonde ; l’épine scapulaire ne se prolonge pas en un acromion comme chez les Cha- meaux. L'humérus (4) ressemble beaucoup à celui du Porte-musce et des Cerfs; il est courtet fort. La grosse tubérosité de l'extrémité supérieure de cet os est moins élevée, et par conséquent la cou- lisse bicipitale est moins profonde (2). L’extrémité inférieure de l’humérus est très-oblique, et allongée dans le sens transversal. La portion interne de la poulie articulaire, ou trochlée, est large, oblique, et séparée de la portion externe, ou condylienne, par une crête tranchante. Cette dernière gorge de la poulie présente la forme d’un cône tronqué, ayant pour base la crête dont je viens de parler. Enfin la fosse olécrânienne est profonde, et d'or- dinaire largement perforée comme chez les Porcins, les Caino- therium, ete. (3). Chez les autres Ruminants, ce trou olécranien n'existe pas. Le radius est court, robuste et arqué ; son extrémité articuü- laire supérieure, se moulant sur la surface articulaire correspon- dante de l'humérus, reproduitles mêmes caractères, c'est-à-dire que la facette qui répond à la trochlée est grande, oblique, et plus élevée que celle qui répond à la poulie condylienne. L'ex- trémité inférieure ne présente rien de particulier à noter, si ce n’est son obliquité et la profondeur de la fossette destinée à recevoir le scaphoïde du carpe. (4) Voy. pl 8, fig. 9. (2) Chez les Porcins, la grosse tubérosité de la tête humérale est échancrée, Chez les Caméliens, cette tubérosité, de même que la petite, ne s’élève pas au-dessus de la tête de l’humérus. (3) Voy. pl, 9, fig, 10. 99 ALPHONSE MILNE EDWARDS, Le cubitus est long, mince, sublamelleux, comprimé latéra- lement, et s'étend jusqu’à l'articulation carpienne, au lieu de se réduire à un simple stylet comme chez la plupart des Ruminants, ou de se souder au radius comme chez les Girafes, les Chameaux et les Lamas. Sa portion supérieure, ou olécrânienne, est très- développée, et son angle antéro-supérieur se prolonge en une pointe qui manque chez les Cerfs et les Antilopes. Son articu- lation radiale a lieu par une surface plus large que chez les autres animaux du même groupe. Le carpe estallongé. Le scaphoïde etle semi-lunaire sont parti- culièrement étroits et hauts. L'unciforme, qui, chez la plupart des Ruminants, ne présente guère plus de hauteur que le deuxième os (résultat de la soudure du trapèze, du trapézoïde et du grand os), est chez les Tragules beaucoup plus haut, ce qui tient à l'inégalité que nous verrons exister entre les deux métacarpiens qui forment le canon. Le métacarpe se compose d’un canon et de deux os laté- raux (1). Le canon est court et assez gros comparativement à celui des Antilopes et des Cerfs ; il est comprimé d'avant en arrière, et presque aussi large au milieu qu'à ses deux extrémités. Il résulte comme chez les autres Ruminants de la soudure des deux méta- carpiens médians, mais on y distingue nettement en avant, les traces linéaires de la symphyse ; en arrière, la division primor - diale est indiquée par une gouttiére, sinon dans toute la longueur de l'os, du moins aux deux extrémités , et cette face postérieure est assez profondément creusée en forme de gouttière longitudi- nale, à bords tranchants, tandis que chez les Moschus et les autres Rumimants cette disposition est beaucoup moims marquée. La moitié du canon qui est située du côté interne, et qui corres- pond au troisième doigt, est plus longue que la moitié externe, et la dépasse en haut aussi bien qu'en bas. Il résulte de cette particularitéfque la surface de l'articulation carpienne qui cor- respond à l’unciforme est sur un plan beaucoup plus élevé que celle qui correspond au grand os, et s'en trouve nettement sépa- rée. Les deux surfaces qui servent à l'articulation des doigts ont (1) Voy. pl. 8, fig. 5 et 6; pl. 9, fig. &, RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES CHEVROTAINS. 95 une structure très-caractéristique ; la crête médiane qui forme la poule, au lieu de contourner complétement d'avant en arrière chacune de ces surfaces, n’en occupe que la moitié postérieure ; la portion antérieure est régulièrement convexe, et dirigée obli- quement ; les deux petites crêtes médianes sont très-saillantes, et comprimées latéralement ; enfin la gorge externe de chaque poule est beaucoup plus profonde et plus étroite que l’interne. Par ce mode d'organisation de la surface articulaire inférieure du canon, les Tragules diffèrent des Moschus ainsi que de tous les autres Ruminants, et paraissent se rapprocher des Cainotherium et des Porcins. Les métacarpiens latéraux, solidement unis au canon, s'étendent d'un bout à l’autre de cet os; ils sont grèles, comprimés latéralement, d’une grosseur à peu près uniforme dans toute leur longueur, et disposés de façon à concourir à la formation dela gouttière longitudinale qui loge le tendon fléchis- seur des doigts ; ils se terminent inférieurement, au niveau du bord supérieur de l'épiphyse du canon, par une petite tête com- primée, et offrant en arrière une petite poulie analogue à celle des métacarpiens médians. Leurs doigts se composent chacun de trois phalanges ; la première phalange des doigts médians n’est pas beaucoup plus longue que la seconde, et celle-ci est plus courte que la troi- sième. Chez le Porte-muse, ainsi que chez beaucoup de Cerfs et d’Antilopes, les phalanges de la première rangée sont au con traire beaucoup plus longues que celles de la seconde. Leur surface articulaire supérieure offre une forme correspondante à celle des métacarpiens sur lesquels elle s'applique ; en effet, son bord externe est beaucoup plus élevé que l’interne ; sa moitié antérieure est régulièrement concave dans toute sa largeur, et sa moitié postérieure présente deux tubérosités séparées par une gorge petite, profonde et oblique. La face postérieure de ces premières phalanges est plate, ou plutôt légèrement creusée longitudinalement en gouttière, et sur chacun des bords de cette excavation on remarque un petit tubercule servant à donner attache au tendon des fléchisseurs. Leur extrémité supérieure présente une gorge médiane oblique, destinée à recevoir une …h ALBRONSE MiLNE EDWARDS, crête correspondante qui surmonte la tête de la deuxième pha- lange. L'extrémité inférieure de cette dernière est disposée sur le même plan que la précédente ; mais en arrière elle présente un petit os sésamoïde. Les phalanges unguéales sont longues, et présentent trois faces, dont l’une, inférieure, repose sur le sol, et les deux autres sont dirigées obliquement en haut, de façon que les internes ne s'appliquent pas aussi exactement l’une contre l’autre que chez les Antilopes et les Cerfs, En arrière de l'arti- culation du canon avec les phalanges, il existe deux paires d'os sésamoïdes, dont les externes sont légèrement concaves pour s'appliquer contre les ergots. Les doigts latéraux, composés, comme nous l’avons dit, de trois petites phalanges, sont beaucoup plus courts que dans le genre Moschus et ne dépassent guère la moitié de la première phalange des doigts médians. Le fémur est remarquable par l’étroitesse et la longueur de la poulie articulaire sur laquelle glisse la rotule, et le peu de pro- fondeur de la fossette où s'insèrent les ligaments croisés. Le condyle externe est moins développé que l'interne. La rotule (4) est remarquablement allongée et étroite ; aucun autre Ruminant n'offre cette disposition portée aussi loin. Le tibia est assez long ; 1l ressemble beaucoup par sa forme générale à celui du Porte-musc et des autres Ruminants, mais il est parfaitement caractérisé par la disposition de son extrémité inférieure. Effectivement l'os malléolaire qui, dans le genre Moschus et chez tous les Ruminants, reste distinct, se soude au tibia qui, de cette façon, s'articule directement avec le calca- néum (2). Cette soudure se fait de très-bonne heure, car je l'ai trouvée déjà complète chez des mdividus dont les épiphyses étaient encore libres. Le péroné (3) est représenté par une ba- guette osseuse rudimentaire qui s'appuie en haut sur le tuber- eule externe du tibia et se prolonge plus ou moins suivant les individus. En effet, chez la même espèce, tantôt elle manque (4) Voy. pl. 8, fig. 7 et 8. (2) Voy. pl. 8, fig. 4; pl. 9, fig. 7. (3) Voy. pl. 9, fig. 9, RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES CHEVROTAINS. 95 presque complétement , d’autres fois elle descend jusqu'à la moitié de la jambe où même jusqu’à l'os malléolaire. Le tarse se compose de einq os : le calcanéum, l’astragale, le cubo-scapho-cunéiforme et deux eunéiformes simples. Le caleanéum (1) est très-long, comparativement à la lon- gueur du canon; son extrémité postérieure offre une large surface pour l'insertion du tendon d'Achille. L'astragale (2) est haute et étroite, et plus fortement eoudée que chez les Ruminants ; sa forme rappelle un peu la disposition qui est portée à un beaucoup plus haut degré chez les Poreins. Le eubo-scapho-cunéiforme, ainsi que son nom l'indique, résulte de la soudure du scaphoïde, du euboïde et du troisième os cunéiforme (3). Cette disposition est spéciale aux Tragulides, et ne se retrouve chez aucun Ruminant. Chez les Cerfs, les Anti- lopes, les Bovidés et les Moschus, le scaphoïde et le cuboïde sont représentés par un seul os, mais le cunéiforme est libre ; chez les Caméliens, le scaphoïde et le cuboïde ne se soudent pas. Chez la Girafe, de même que «chez les Cerfs, il existe un cubo- scaphoïde; mais le eunéiforme interne, bien que distinct de ce dernier os, n’est pas libre, et se confond avec le deuxième cu- néiforme. Cette soudure des trois principaux os de la deuxième rangée du tarse, se fait, chez les Tragules, de très-bonne heure ; elle est complète quand lépiphyse est encore distincte de la diaphyse. Le deuxième eunéiforme des Ruminants ordinaires se trouve représenté iei par un petit os situé en arrière et au-dessous du scaphoïde , qui présente une petite facette pour son articula- tion ; 1l répond, d'autre part, à la tête du doigt latéral interne. Enfin, l'osselet, que je considère comme le dernier cunéi- forme, est reporté en arrière et suspendu au-dessous du eubo- scaphoïde à la manière d’un os sésamoïde. Le reste du pied ne diffère que peu de la partie correspondante des membres antérieurs, mais il est comparativement beaucoup (4) Voy. pl. 10, fig. 40 et 41, (2) Voy. pl. 10, fig. 9. (3) Voy. pl. 8, fig. 3; pl. 9, fig. 6. 06 ALPHONSE MILNE EDWARDS. plus long. Le métatarse se compose également d’un canon et de deux os latéraux (4). Les deux os qui forment le canon se soudent plus rapidement que les métacarpiens moyens : aussi chez l’ani- mal adulte, on aperçoit beaucoup moins distinctement les traces de la division primordiale ; cependant sur la face antérieure 1l existe, sur la ligne de jonction, une gouttière analogue à celle que l’on voit chez la plupart des Ruminants. La face postérieure est large et régulièrement concave dans toute sa longueur , tandis que chez les Moschus, elle n'est excavée que dans sa partie supérieure et elle devient convexe inférieurement. Les deux métatarsiens qui entrent dans la composition du canon sont à peu près de même longueur, seulement l’externe descend plus bas, et se trouve porté plus en arrière dans sa partie supérieure. Il résulte de cette disposition que la surface articulaire supé- rieure présente deux facettes placées à des niveaux différents, l’une supérieure, répondant au cunéiforme soudé, l’autre au cuboïde. Les caractères des poulies articulaires inférieures sont les mêmes que ceux des métacarpiens. Les métatarsiens latéraux sont longs et grèles ; souvent, chez les vieux individus, ils se soudent au canon dans leur partie supérieure, et c'est ordinairement celui du côté externe qui présente cette particularité. La différence de la longueur de la première phalange mé- diane, comparée à celle de la seconde, est plus marquée qu'aux pattes antérieures. La conformation de ces phalanges, des os sésamoïdes et des ergots ne présente aucune particu.arité 1mpor- tante à noter. $ 3. Viscères des Tragules, » Les Tragules diffèrent également des autres Ruminants par plusieurs particularités importantes dans leurs organes inté- rieurs. La principale, celle qui semble caractéristique du groupe, est fournie par l'estomac. (4) Voy. pl. 8, fig. 3 ; pl. 9, fig. 6et 7. RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES CHEVROTAINS. 97 Ce viscère (1) est moins compliqué que chez tous les autres Ruminants. On y trouve, comme d'ordinaire, une panse, un bonnet et une caillette, mais le feuillet manque complétement, ainsi que je l'ai constaté chez le T°. javanicus, le T. Stanleya- nus, le Kanchil etle Meminna. Cette anomalie a été reconnue en 1845 par Rapp et par M. Leuckart (2). Plus récemment, elle a été révoquée en doute par d’autres anatomistes (3). Mais cette _ divergence d'opinion tient tout au moins en partie à la confu- sion que les zoologistes avaient introduite dans la délimitation du genre Chevrotain. En effet, nous verrons bientôt que le WMos- chus pygmœus de Buffon, chez lequel la présence du feuillet à été constatée (4), n'appartient pas à la famille dont nous nous oceupons ici, et doit prendre place parmi les Antilopes. La panse est grande, et occupe toute la partie inférieure de l'abdomen ; elle s'étend depuis le voisinage du diaphragme jus- qu'au pubis; elle est incomplétement divisée en trois portions par des étranglements : la portion supérieure , située à gauche, se porte d'avant en arrière , en chevauchant sur la seconde por- tion, qui est un peu plus petite; et située du côté droit; elle com- mence versles trois quarts supérieurs pour se prolonger en se con- tournant un peu plus loin en arrière. Enfin la troisième portion, beaucoup plus petite que les précédentes, a la forme d’une poche subovalaire qui naît de la partie inférieure du second comparti- ment de la panse, et se recourbe en bas et en avant pour s’ap- pliquer contre la partie inférieure de la première portion de ce viscère ; elle occupe la région hypogastrique. Considérée dans son ensemble lorsqu'elle est distendue par l’insufflation, et que les brides péritonéales qui maintiennent dans leur position normale les divers compartiments sont brisées, la panse affecte la forme (4) Voy. pl. 5, fig. 1 et 2. (2) Rapp, Anatomische Untersuchungen über der Javanischen Moschusthiere (Archiv, für Naturgeschichte von Wiegmann, 1843, t. 1, p. 43, pl. 2. — K.S$, Leuckart, Der Magen eines Moschus javanicus (Müller’s Archiv, 1843, p. 24, pl. 2, fig. 3). (3) Berlin, {st der Magen von Moschus javanicus wesentlch von dem anderer Wiederkäüuer verschieden ? (Archiv für die Holländischen Beilräge zur Natur und Heilkunde, 1858, t. I, p. 471). (4) Milne Edwards, mis sur la physiol. et l’anat. comparée, 1860, t, VI, p. 323. 5€ série, Zoor. T. IT. (Cahier n° 2) 3 nl 98 ALPHONSE MILNE EDWARDS. d’une poche subcylindrique irrégulièrement bossuée contournée en forme d’S ettordue sur elle-même (1). La membrane muqueuse qui tapisse sa face interne est hérissée de petites papilles qui lui donnent un aspect villeux, comme chez les Ruminants ordi- naires (2). Le bonnet est grand et prolongé en cul-de-sac au- delà de l'embouchure de la caillette. Il n’est séparé de la panse que par un étranglement peu profond, et il se place dans l'hy- pochondre gauche entre le premier compartiment de la panse et le foie. Sa membrane muqueuse présente à sa surface interne la disposition aréolaire qui caractérise le deuxième estomac des Rumimants en général (3). L'œsophage débouche dans le bonnet, vers le milieu de ce réservoir et se continue, comme d'ordinaire, le long de sa paroi supérieure, sous la forme d’un demi-canal dont les lèvres sont très-saillantes et très-épaisses, mais dont l’ex- trémité, au lieu de déboucher dans une poche analogue au feuillet, correspond à l'entrée de la caillette. Ce dernier estomac naît directement du bonnet sans qu’il y ait à son origine, dans aucune des quatre espèces que j'ai disséquées, le moindre indice de l'existence d’une partie comparable au feuillet des Ruminants ordinaires. Il est intestiniforme, contourné sur lui-même, rétréei graduellement vers le pylore, et logé dans l'hypochondre droit au-dessous du foie, dont il embrasse par sa petite courbure le lobule inférieur ; sa surface interne est froncée comme dans la caillette des autres Ruminants, et ne présente rien de particulier. Quelques naturalistes avaient cru que les Chevrotains ne ru- minaient pas, et l'anomalie offerte par la conformation de l’es- tomac pouvait être considérée comme venant à l'appui de cette opinion. À raison du caractère craintif et farouche de ces ani- maux, il est assez difficile de les observer sans les troubler beau- coup, et alors 1l n'exécutent en effet aucun mouvement masti- catoire. Pour m'éclairer à ce sujet, j'ai conservé pendant quelque temps, dans mon laboratoire, un de ces animaux, de facon (4) C'esi sous cette forme qu’elle ñ été représentée par Rapp (Op, cit, pl. 2., fig. 8). (2) Voy. pl. 5, fig. 4. (3) Voy. pl. 5, fl Dr D, .- RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES CHEVROTAINS. 99 à le rendre assez familier pour me permettre de examiner de près. J'ai reconnu ainsi qu’il ruminait comme les autres repré- sentants du même groupe. À chaque bol alimentaire, les Chevro- tains changent le sens du mouvement masticatoire, qui se fait, par conséquent, pendant un certain temps de gauche à droite, puis de droite à gauche. En cela, les Tragules différent soit des Cerfs, des Moutons et des Bœufs, chez lesquels le sens de la mas- tication mérycique ne change qu’au bout d’un temps assez long, soit des Chameaux et des Lamas, où chaque mouvement masti- catoire se fait alternativement dans un sens, puis dans l’autre. Le duodénum reçoit à peu de distance du pylore d'abord le canal pancréatique, puis le canal cholédoque. Le cæcum est gros et court, et forme un grand cul-de-sac au-delà de l'insertion de l'intestin grêle (1). Il se continue avec le colon, qui forme une anse enroulée sur elle-même en une spirale irrégulicre. Le reste du tube digestif ne présente rien de parti- culier à noter. Le foie (2) ressemble à celui de beaucoup d’Antilopes, et no- tamment de la Gazelle. Cependant il en diffère en ce qu’il est encore moins divisé ; il est également pourvu d’une vésicule du fiel, comme chez le Porte-musc. On sait qu'au contraire ce ré- servoir manque chez les Chameaux et chez les Cerfs. Le canal hépatique se réunit au canal eystique à une petite distance du duodénum. Les poumons sont très-peu subdivisés (3) ; celui du côté droit se compose de deux lobes accompagnés d’un lobule accessoire qui se place derrière le cœur entre cet organe et le diaphragme ; le lobe supérieur est le plus petit; il s'avance beaucoup vers la ligne médiane, et recouvre la base du cœur; le lobe inférieur est beaucoup plus grand et constitue la presque totalité de ce poumon; son angle supérieur se prolonge en une pyramide à trois faces. Le poumon gauche est simple, et res- semble au lobe inférieur du poumon droit. (4) Voy. pl. 5, fig, 6. (2) Voy. pl. 5, fig. 5. (3) Voy. pl. 7,fig. 3 et 4. 100 ALPHONSE MILNE EDWARDS. Chez le Chameau, on trouve aussi deux lobes pulmonaires à droite et un seul à gauche. Chez beaucoup d’Antilopes, la Ga- zelle et le Gnou, par exemple, le poumon droit est divisé en trois lobes, sans compter le lobule accessoire post-cardiaque, et le poumon gauche se compose de deux lobes. Chez les Ceris, les Bœufs et les Moutons, il en est de même. La crosse de l'aorte donne naissance à deux troncs cépha- liques (4), l’un brachio-céphalique, constituant la sous-clavière droite et les deux carotides, l'autre formant la sous-clavière gauche. Chez les Ruminants ordinaires, les deux sous-cla- vières aussi bien que les carotides, naissent d'un tronc unique appelé aorte antérieure; chez la Girafe, cependant, la dis- position de ces vaisseaux est la même que chez les Chevro- tains (2). Les Tragules se distinguent de tous les Mammifères connus par l'extrême petitesse des globules du sang (3). Chez la plupart des Cerfs et des Antilopes, ces corpuseules ont environ 1/200°de millimètre, et chez la Chèvre, qui, sous ce rapport, se rapproche le plus du groupe qui nous occupe, ils ont, terme moyen, de 1/200° à 1/270° de nullimètre. Les globules hématiques du Tragulus Stanleyanus ne mesurent, d'après M. Gulliver, que 4/426° de millimètre; ceux du T. javanicus 1/h83° de milli- mètre. Ces dimensions sont à peu près les mêmes chez le Meminna (h). Par leur forme, ils ne diffèrent pas de ceux des Ruminants ordinaires, et par conséquent s’éloignent beaucoup de ceux des Caméliens. (4) Voy. pl. 7, fig. 5. (2) Voy. Owen, On the Nubian Girafje (Transact. of the Zool. Soc. of London, t. IE, p. 229). MM. Joly et Lavocat indiquent chez cet animal une disposition différente qui rentrerait dans le plan ordinaire des Ruminants (voy. Joly et Lavocat, Recherches sur la Girafe, dans Mér. de la Soc. d'hist. nat. de Strasbourg, t. MI, 1845, p. 103). (3) M. Owen fut le premier à constater ce fait (Contributions to the Comparative Anatomy of the Blood discases, in London Medical Gazette, new. ser., 1839-1840, t. I, p. 283 et 473). (4) Gulliver, Blood Corpuscles in Mammalia (Ann. and Mag. of Nat. Hist., 1839, t IV, p. 283). — On the Blood Corpuscles of the Stanley Musk deer (Proceed of the Zool. Soc. of London, 1843, t. XI, p. 66). RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES CHEVROTAINS. 401 Les Chevrotains sont de tous les Riminants ceux dont le cer- veau est le plus simple et le plus étroit dans sa portion anté- rieure (1). Lascissure de Sylvius est rapportée très-en avant (2) ; les lobes antérieurs sont très-petits, déprimés ; les lobes posté- rieurs sont renflés inférieurement; les circonvolutions sont en- core plus simples et beaucoup moins nomibreuses que chez le Porte-muse. Enfin les lobes olfactifs sont grands et se prolon- gent beaucoup en avant du cerveau. Le cervelet est ramassé sous le cerveau, qui s'avance au-des- sus de lui. Son lobe moyen n'est pas contourné comme chez la plupart des Ruminants et des Pachydermes ; 1l est au contraire droit et symétrique. Les lobes latéraux sont médiocremet déve- loppés, et descendent très-peu sur les côtés de la moelle allon- gée. La conformation générale de l’encéphale, bien que diffé- rente de ce qui existe chez les Cerfs, et surtout chez les Anti- lopes, ne s’écarte pas du type fondamental des Ruminants en général, et elle présente les plus grandes différences avec l'encéphale de certains animaux tels que les Cainotherium fos- siles d'Auvergne, dont les affinités naturelles ont été beaucoup discutées, et qui paraissent, par plusieurs particularités or- ganiques, se rapprocher des Chevrotains, bien que le cervelet soit chez eux nettement isolé du cerveau, comme chez les Poreins (3). Les Tragules s'éloignent davantage des Moschus et des autres Ruminants ordinaires par un caractère dont l'importance z0olo- gique est encore plus grande : le mode de connexion du fœtus avec les parois de l'utérus de sa mère (4). De même que chez tous les Mammifères ongulés ordinaires, le placenta n’est que faible- ment uni à la membrane muqueuse utérine, et il n’y a pas de (4) M. Gervais en a donné une figure dans son His{, nat, des Mammif., 4845, t, II, p. 221. (2) Voy, pl. 6, fig. 2. (3) J'ai pu étudier la structure de l'encéphale des Caniotherium à l'aide du moule interne du crâne de l'un de ces animaux, que M, Gratiolet a bien voulu me commu: piquer (voy, pl, 6, fig, 3), | (4) Voy. pl. 7, fig, 4 et 2, 102 ALPHONSE MILNE EDWARDS, membrane caduque , circonstance dont l'importance zoologique a été mise en évidence dernièrement par M. Huxley (4); mais les appendices vasculaires du chorion , au lieu d’être réunis en touffes, situés de loin en loin, et constituant des cotylédons, sont uniformément répandus sur toute la surface de l'œuf. Par con- séquent, le placenta est diffus et villeux (2), caractère qui ne se rencontre ni chez les Moschus ni chez les Cerfs, les Antilopes, les Girafes, les Chèvres et les Bœufs, mais qui se retrouve dans la famille des Caméliens, ainsi que chez les Solipèdes et les Porcins. $ 4. DES ESPÈCES APPARTENANT AU GENRE TRAGULUS. Il règne une grande confusion dans la distinction spécifique et dans la nomenclature des Chevrotains, proprement dits. Tan- tôt on a confondu sous une même dénomination des espèces distinctes ; d’autres fois on a donné des noms différents à des individus de la même espèce. Quelquefois même on a été plus loin, et on à rapporté à ce groupe des animaux qui n'y appartiennent pas. Cette confusion tient, en partie, à l'imsuffi- sance des caractères que les auteurs assignaient aux espèces dont ils parlaient, et à l'emploi ultérieur des mêmes noms, pour désigner des types différents auxquels ces caractères étaient également applicables. Je m'occuperai d’abord des espèces nette- ment déterminées, me réservant de discuter; ensuite ce qui est relatif aux espèces douteuses ou déclassées, (1) Huxley, Elements of Comparative Anatomy, 1864, p. 108 et suiv. (2) Quelques auteurs ont attribué aux Tragules un placenta zonaire (Gervais, Hist. mat. des Mammif., t. I, p. 220). Mais les préparations anatomiques que j'ai eu l’occa- sion de ‘faire, montrent que le placenta de ces animaux est complétement diffus et s’é- tend sur les deux extrémités de l'œuf aussi bien que sur sa partie moyenne (voy. pl. 7, fig. 4 et 2). RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES CHEVROTAINS. 103 TRAGULUS JAVANIGUS, (PI. 2, fig. 1.) Cette espèce est extrêmement élégante de formes. Ses pattes grèles lui donnent une apparence de légèreté dont le Tragulus Napu est loin d'approcher. Le pelage est d’une couleur fauve qui, sur les parties latérales du corps et surtout sur les pattes, tire sur le roux. Chez le T. Napu, la couleur grise domine davantage. Le sommet de la tête est presque noir, mais cette coloration , qui s'étend entre les oreilles, ne se prolonge par sur la nuque, comme chez le T. Kanchil. Les côtés de la tête sont d’un fauve roux, et on n'y remarque pas les deux lignes noires qui, chez le T. Napu et le T. Stanleyanus, s'étendent des yeux aux naseaux. Le cou est beaucoup plus gris que le reste du corps. La gorge est marquée de trois bandes blanches comme chez le T. Kanchil. Chez le Chevrotain de Stanley et chez le T. Napu on en compte cmq. Cette disposition tient, chez l'espèce que nous étudions, à ce que les petites bandes maxillaires se sont réunies et fondues avec les grandes bandes latérales; 1l en résulte que l’espace blanc sous- hyoïdien est beaucoup plus étendu ets’étale en une large plaque. La bande médiane, d’abord étroite à son origine, va en s’é- largissant, et le plus souvent se termine avant de s'être réunie aux poils blancs du ventre. Les bandes latérales, confondues d'abord avec la médiane, s'étendent le long du bord inférieur du maxillaire, puis se dirigent en divergeant vers les épaules. Les deux espaces compris entre la bande médiane et les laté- rales sont de couleur grise comme le reste du cou, tandis que chez le T. Napu les poils sont sur ce point beaucoup plus noirs. Toutes les parties inférieures du corps, la face interne des cuisses et des jambes sont blanches. Le ventre est généralement d'un blanc pur: quelquefois, mais rarement, on y remarque sur la ligne médiane ou en arrière, quelques poils bruns. La queue est assez longue, brune en dessus, blanche en dessous et à son extrémité. Chez les jeunes individus de cette espèce, tous ces caractères 104 ALPHONSE MILNE LDWARDS. sont déjà parfaitement marqués ; la couleur du pelage, la disposi- tion des bandes blanches, sont les mêmes que chez les adultes. Longueur du corps prise en ligne droite de l'extrémité du museau à la naissance de la queue, 0",49. Longueur de la tête, 0",10. Longueur du cou, 0,09. Longueur du corps, de la partie antérieure des épaules à la naissance de la queue, 0",30. Hauteur au garrot, 0",24. Hauteur À la croupe, 0",23,. Longueur de la queue, 0,075. Cette espèce se trouve à Java, à Penang et dans les iles de la Sonde. Elle parait y être commune, car on en recoit assez souvent des exemplaires en Europe; elle s’habitue facilement à la captivité, et devient même très-familière. Ce Chevrotain est bien évidemment celui que Pallas a décrit dans son Spicilegia zoologica sous le nom de Tragulus java- micus (1). Les caractères qu'il signale, et que je reproduis ici, permettent de le distinguer des autres représentants du même genre. « Magnitudine vix cuniculum æquavit. Auriculæ nudæ » ut et nasus; sinus imguinalis et ante oculos nulli; scopæ » genuum quoque desunt. Cauda longiuscula, villosa , ferru- » ginea, subtus et apice alba. Ungulæ spuriæ exiguæ. Color » fere Caviæ acuti, ferrugineus fuscis pilis mixtus. Subtus lon- » gitudinaliter albus. Cervix griseo canescente, fuscisque räis » mixtis. Collum subtus album: maculis binis, suconnexis, ei r- » vicis colore. Pili duo longi sub gula divergente. Caput ferru - » gineum vertice longitudinaliter nigricante. » La première phrase permettrait déjà à elle seule de distin- guer le 7. javanicus du T. Napu, dont la taille excède celle du Lapin. Cervice griseo canescente l'éloigne du T. Stanleyanus, €! cette phrase maculis binis, subconneæis cervicis colore, ne peut se rapporter au T°. Napu, dont l'espace compris entre les bandes (1) Pallas, Spreilegia zoologica, Vase. x, p. 18, en note, 1777, et fase, xun, p. 28, 1778, RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES CHEVROTAINS. 105 blanches et la gorge sont beaucoup plus foncées que le cou. II ne peut y avoir aucune hésitation, quant à l'application que l’on _doit faire de la description de Pallas. IL est très-probable que c’est aussi de cet animal que Buffon à parlé brièvement sous la désignation de « Chevrotain appelé à Java petite gazelle ». Cependant tout ce qu'il en dit, serait également applicable au T. Kanchil, et, par conséquent, on ne pourrait le citer avec confiance (1). Gmelin (2), Desmarest (3) et Shaw (4) se sont contentés de reproduire le diagnose que nous venons de citer. Frédéric Cu- vier, dans son travail sur les Mammifères de la Ménagerie, à donné de cette espèce une description très-exacte, accompagnée d’une bonne figure (5). Bien qu'il ait reconnu qu'il existait des différences entre ce Chevrotain et celui que Raffles avait fait con- naître sous le nom de Kanchil, il les considère tous deux comme n'étant que simples variétés d'une même espèce. Les mdividus qui avaient servi de type à Fr. Cuvier ont été rapportés vivants de Java par le général Latapie, ils ont été donnés à la duchesse de Berry, et ont vécu longtemps en captivité. Ils habitaient été et hiver une petite serre d’où ils pouvaient librement sortir dans un parc. Ils paraissaient s'accoutumer à notre climat, et la femelle avait même mis bas un petit, quand le mâle, qui, pen- dant les froids était resté en plein air, eut les pattes gelées et mourut. La femelle ne vécut que peu de temps, et aujour- d'hui elle fait partie des collections du Muséum. I est donc facile de s'assurer, comme le montre d’ailleurs la figure de Fr. Cuvier, que cette espèce est bien distincte du Kanchil de Raffles et se rapporte complétement à la description de Pallas. M. E. Gray paraît avoir confondu, sous le nom de £. javanicus, deux espèces : le javanicus de Pallas et le VNapu de Raffles (6). 4) Buffon, Hist. nat., 4764, t. XII, p. 344, pl. 43. 2) Gmelin, Systema naturæ, 1788, 13° édit., p. 174. (3) Desmarest, Mammalogie, 1820, p. 428. (4) Shaw, General Zoology, 1801, t. II, 2° part., p. 257, pl. 173. (5) Mammifères lithographiés, avril 1830. (6) Gray, Gleanings from the Menagerie at Knowsley-hall, 4850, p. 52, — Cat, of the British Museum, 1852, p. 249. 106 ALPHONSE MILNE EDWARDS. Le Chevrotain de Java varie quelquefois de couleur dans cer- taines limites peu étendues. Ainsi, comme je l'ai déjà dit, le ventre peut être d’un blanc pur ou présenter sur la ligne médiane une ligne brune. La bande blanche médiane de la gorge se pro- longe quelquefois jusqu’à l’espace blanc ventral. Les poils noirs, qui sont mélangés ordinairement en petit nombre aux poils gris et bruns clairs du corps, peuvent être plus abondants et donner à l'animal une teinte générale plus foncée. Enfin, le Muséum possède un Chevrotain que je crois devoir rapporter à cette espèce, et qui est complétement albinos; il manque de pigment sur toutes les parties du corps, etsi le séjour qu'il a fait dans l'alcool ne l'avait pas jauni, il serait d’un blanc très-pur. Dimensions des divers os du squelette d'un Tragulus javanicus méte, Longueur du canon antérieur. ...... CARNET. MAT RME 0,039 AU CNON postérieures". à QU : 52 ejspuete sé x dec, 0,059 — HUCARIDS Meuse …cleeh bre bee vue à Va . 0,056 — AROMDMEUS II. ERA AE. PRIE JERMETR EN. 7 0,070 — eme, {Me 2 RP RTE (et LISE. die, tue 0,068 DORE EEE EE nue 9 me MR ee cie oiete < eue» 2e 0,026 = duabin ctdenenemat vs ren de ets abrdtiut 7 0,093 —_ Ce RLFDEIBS ASE ER LVL AN ER ut Be cet à Lie 9 0,020 æ du fétburs . HAN IN, es HIVIRASAUINNE. 78 0,081 — do ASE ARR NAT ESS. RES, is c'es : Le 0,086 — UE MB nus D ne chi er reed * VC A 0,095 — de l'extrémité du museau à la première molaire... 0,025 — de la première molaire à la dernière. ....... pret 2105038 — de la mâchoire inférieure. .................. * . 0,075 — de la série des molaires inférieures ......,.....,.. 0,038 — de la première phalange antérieure. ............. 0,009 — de la deuxième phelange antérieure ............, 0,006 — de la première phalange postérieure ............. 0,014 — de la deuxième phalange postérieure... .......... 0,009 — de canine Et. érchtehenme cad ne s… à À 0044 Circonférence du canon postérieur prise à sa partie moyenne.. 0,017 — du canon antérieur............,. CTATUITES 0,016 TraGoLus Napu. (PL. 2, fig. 2.) Indépendamment des nombreuses particularités qui caracté- risent cette espèce, sa grande taille, ses formes plus massives et plus lourdes, son port moins élégant et moins gracieux, per- mettraient de la distinguer facilement de toutes celles du même RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES CHEVROTAINS. 107 genre; le 7. Kanchil est près d'un tiers plus petit que le T. Napu; le T javanicus par sa taille ressemble beaucoup au T. Kanchil; le T. Stanleyanus est celui qui, à ce point de vue, se rapproche le plus de l'espèce qui nous occupe ici. Le pelage est fauve tiqueté de noir, la plupart des poils étant blanchâtres à la base et noirs à l'extrémité. Le sommet de la tête, la nuque et le dos, sont plus foncés que les parties latérales du corps qui sont d’un gris jaunàtre, tandis que chez le T. javani- cus, le T. KanchiletT. Stanleyanus, la couleur brune domine sur ces régions. La tête est allongée, et de chaque œil part une petite ligne noire qui s'étend jusqu'aux nasaux. Ces lignes, qui existent chez le T. Stanleyanus, manquent chezle T. Kanchil. Les côtés de la tête sont dela couleur du reste du corps. Le couest fauve tiqueté de noir ; la gorge est marquée de cinq bandes blanches, dont trois grandes ou fondamentalés, et deux petites ou accessoires. Les deux petites suivent le bord des maxillaires inférieurs, et se pro- longent de chaque côté, en arrière de leur angle postérieur; des trois grandes bandes, les latérales partent de l’espace nu inter- maxi]lare ; étroites, et distinctes à leur origine, elles s'étendent de chaque côté du cou en s’écartant, et se prolongent jusqu’au devant des épaules ; la bande médiane qui naïît entre les deux latérales, sans se confondre avec elles, suit la ligne médiane et inférieure du cou jusqu'à la poitrine où elle va rejoindre l’espace blanc sous-ventral. Cette disposition des bandes de la gorge diffère de ce qui s'observe chez le 7. Kanchil et le T. javanicus où les petites bandes latérales accessoires manquent, ce qui tient à ce que l’es- pace qui les sépare des bandes fondamentales étant également blanc, elles se confondent en une large plaque de cette couleur. L'espace compris entre la bande médiane et les deux latérales, est beaucoup plus foncé que le reste du cou, les poils y sont quel- quefois presque complétement noirs. Au contraire, chezle T. ja- vanicus, ils étaient semblables à ceux des côtés du cou. Toutes les parties inférieures du corps, la face interne des cuis- ses et des jambes, la face postérieure des jambes de devant, le ventre, sont blancs; ce dernier est quelquefois légèrement jau- 108 ALPHONSE MILNE EDWARDS. nâtre, surtout vers la région inguinale, et souvent on voit une petite bande de poils jaunes s'étendre sur la ligne médiane. La queue est assez longue, fauve en dessus, blanche en dessous et à son extrémité. Les jeunes individus de cette espèce sont semblables aux adultes par le mode de coloration du pelage et la disposition des bandes blanches de la gorge. Longueur du corps prise en ligne droite de l'extrémité du museau à la naissance de la queue, 0",57. Longueur de la tête, C",12. Longueur du cou, 0",10. Longueur du corps, de la partie antérieure des épaules à la naissance de la queue, 0",35. Hauteur au garrot, 0°,26. Hauteur à la coupe, 0",28. Longueur de la queue, 0",085. Au premier abord, les différences extérieures qui existententre le Chevrotain javanais et le T. Napu peuvent paraître peu impor- tantes, et si on s’en tenait à cet examen superficiel, on serait peut- être disposé à considérer ces animaux comme de simples variétés d’une même espèce. Mais l'étude anatomique des diverses parties du squelette démontre de la manière la plus nette qu'il n'en est pas ainsi. Les caractères ostéologiques les plus saillants sont fournis par les membres ; les pattes de T. javanicus sont compa- rativement beaucoup plus grêles. Ainsi, pour le tibia, le rapport de la longueur à la grosseur du corps de l'os mesuré dans son point le plus étroit est comme 100 : 8,02, chez le T. Napu; et comme 100 : 6,40, chez le T°. javanicus; la proportion est à peu près la même pour les autres os. Le métatarse du T. Napu est comparativement encore plus massif, à ce point que son extrémité articulaire inférieure, pro- portionnellement à sa longueur, est presque deux fois aussi large que celui du T. javanicus; mesurée depuis l'extrémité du eal- canéum Jusqu'à l'articulation phalangienne, cette partie du pied est à peu près de la longueur du fémur ; tandis que chez le Che- RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES CHEVROTAINS. 1403 vrotain javanais, la longueur de la région métatarsienne dépasse celle du fémur de presque toute l'étendue de la branche libre du calcanéum. Les doigts sont beaucoup plus courts, leur longueur comparée à celle du canon est comme 44 : 100 ; tandis que chez le 7. Napu, la proportion est de 63 à 100. e T. Napuse distingue également du Chevrotain javanais par la forme du crâne et dela charpente osseuse de la face ; le sinciput est beaucoup plus aplati et la boîte crânienne plus large, les os nasaux forment, avec le frontal, un plan régulièrement incliné ; tandis que chez le T.Javanicus le nez est un peu busqué ; la por- ton de la face correspondante aux barres est plus pincée et moins allongée chez ce dernier. Enfin, chez le T. Napu, la deuxième prémolaire supérieure présente en dedans, chez le mâle, un tubercule qui ne se retrouve pas chez le T. java- nicus. Dimensions des divers os du squelette du Tragulus Napu.' « Mûle. Femelle, in. nm. Longueur du canon antérieur. ....................... 0,045 0,045 — du canon postérieurs. M NN 0,069 0,070: ri radius as ts ss re Rdsso its destins ot 0,069 0,070 ns OT re ne M ane Ste PS ts 0,086 0,087 TC AU LIRUMEQUS ENS AMOR ES SORTE 0,080 0,084 DS LOU) CPAM € 2 4. sie ces dass JS ad 0,037 0,037 et LA 6 0 Acicin R CR ElE Pa edn Bt cie 6,110 0,118 at derloftotulefhin dt snttm rentals die 0,027 0,027 A OU OU re ele ete à Met Ne et ste 0,100 0,104 A RUES ART M: SEIGNEUR ED: 0,120 0,118 Eten 4 44 à 0,115 0,116 — de l'extrém. du museau à la première molaire supér. 0,034 0,035 -— de la première molaire à la deuxième.......... 0,040 0,039 — de la mâchoire supérieure. .,..,,............ 0,094 0,095 — de la série des molaires inférieures ........... 9,045 0,046 — de la première phalange antérieure. .......... 0,013 0,014 — de la deuxième phalange antérieure. .......... 0,008 0,008 — de la première phalange postérieure. ...,...... 0,020 0,019 — de la deuxième phalange postérieure... ......... 0,012 0,041 re INTER ALAN AMAR), OUI TU) SU 0,022 0,003 Circonférence du cancn postérieur, prise à sa partie moyenne. 6,024 0,024 — du canon antérieur. .......,:.......... 0,020 0,020 Ce Chevrotain provient de Sumatra ; jusqu'à présent on ne l’a signalé ni à Java, ni dans les autres îles de l'Inde archipélagique. 110 ALPHONSE MILNE EDWARDS. MM. Diard et Duvaucel en ont rapporté plusieurs individus au Muséum. D'après les détails que Raffles a donnés de cette espèce et d’après ceux que Fr. Cuvier tenait deM. Duvaucel, il paraîtrait qu’elle est d’un naturel indolent et paisible ; que, pris jeunes, les T. Napu s'apprivoisent aisément et vivent dans une sorte d'apa- thie dont ils ne sortent que pour manger. À Sumatra, ils se tien- nent de préférence près des bords de la mer, et ils se nourrissent surtout des baies d’une espèce du genre Ardisia. Le caractère du '. Napu parait donc être bien différent de celui du T. Kan- chil dont l’agilité et la ruse sont passées en proverbe, et même du ', javanicus et du T'. Stanleyanus qui sont vifs et actifs. Cette espèce n’était probablement pas connue des anciens auteurs, ou elle a été confondue par eux avec la plupart des autres du même genre qui, pendant si longtemps, n'ont été con- sidérées que comme de simples variétés d’un seul et même type spécifique. Raffles, le premier, a donné du T .Napu, une description parfai- tement exacte (4) qui a servi de point de départ à tous les auteurs qui, depuis cet auteur, ont traité le même sujet; non-seulementil avait eu à sa disposition de nombreux exemplaires de cette espèce, mais il l'avait étudiée de près et connaissait sa manière de vivre et ses habitudes. Les Malais distinguent trois espèces deChevrotains, au nombre desquelles figure leT. Napu; d'après leurs récits, ces animaux ne se mêleraient jamais, et ils différeraient autant par leurs mœurs que par leurs caractères extérieurs. Une tendance générale, chez les hommes qui n’ont aucune idée de l'histoire naturelle, consiste plutôt, à confondre sous un même nom des espèces différentes, qu'à les distinguer, et lorsqu'un animal est désigné vulgairement par un terme spécial, on a déjà de fortes présomptions pour le considérer comme constituant une espèce particulière. Dans le cas qui nous occupe, ces présomptions se sont vues confirmées par une étude zoologique comparée. Raffles considérait le T. Napu comme identique avec le T. java- nicus de Pallas. (4) Raffles, Descript, Cat, of a Collect. made in Sumatra (Linn. Trans, t. XIII, p. 262). RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES CHEVROTAINS. AA Fr. Cuvier (1) donna une description parfaitement exacte du T. Napu, et il y joignit une bonne figure qui reproduit fidele- ment les particularités propres à l'animal, à cette exception pres, que les bandes accessoires blanches de la gorge sont beaucoup trop prolongées, mais ceci n’est que l’exagération d’un caractère distinctif. Les individus qui ont servi de type à Fr. Cuvier avaient été rapportés de Sumatra par MM. Diard et Duvaucel, ils sont encore aujourd'hui dans les galeries du Muséum. À. Desmoulins, dans l’article Cnevroran du Dictionnaire clas- sique d'histoire naturelle, reproduit la description que Raffles avait donnée du 7. Napu, seulement 11 l'applique au T°. javanicus de Pallas, et il ajoute que les cornes de celte espèce sont courtes et droites. Une pareille erreur semble inexplicable, lorsque l'on lit, quelques lignes plus haut dans le même article, que les Chevro- tans ne diffèrent des Ruminants ordinaires, que par l'absence de cornes. Griffith (2), dans le Règne animal-de Cuvier, distingue le T. Napu des autres espèces , et reproduit également la des- cripüon de Raffles. « M. E. Gray (3) a confondu le . Napu avec le T. javani- eus de Pallas. Cette espèce, dit-il (7. javanicus), se reconnait à sa plus grande taille et à la tete grise de son cou. Le premier membre de cette phrase se rapporte véritablement au T'. Napu, le second au T. javanicus. Cependant, le Musée britanique pos- sède deux exemplaires de cette espèce provenant de Sumatra, et d'autant plus précieux qu'ils ont été donnés par lady Raffles, et peuvent par conséquent être considérés comme les individus types de la description de Raffles. L'un est adulte; l'autre, bien que jeune, est parfaitement caractérisé. TraGuzus KANCHIL. Le Tragulus Kanchil est une des plus petites espèces du genre (4) Fr. Cuvicr, Mammifères withographiés, nov. 1822. (2) Griffith, Animal Kingdom, 1827, p. 63. (3) Gray, Proceed. Zool. Soc. of London, 1836, t. IV, p. 64. — Catal. of Mammalia of the British Museum, 1852, p. 249. 419 ALPHONSE MILNE EDWARDS, Tragulus; sous ce rapport elle ressemble au T. javanicus, et elle s'éloigne au contraire du T. Stanleyanus et du T. Napu, dont les formes sont plus massives et dont la taille est plus élevée. Le pelage est brun fauve, plus foncé sur le dos; les poils sont beaucoup plus doux et plus soyeux que ceux des autres espèces. Les côtés du corps et les pattes sont d’un brun moins éclatant que chez le T. Stanleyanus, mais plus franc que chezleT. Napu et le T'. javanicus où ces mêmes parties sont toujours mélangées de gris. La tête est, en dessus, d’un brun foncé, on n'y aperçoit pas les lignes noires qui chez les T. Napu et Stanleyanus, s'éten- daient des yeux aux naseaux. Les côtés de la tête sont de la même couleur que les flancs. Le cou est d’uu brun clair, semblable à celui des pattes. Chez le T. javanicus il est gris. Il présente en dessus une large bande noire qui s'étend sur la nuque, depuis la base des oreilles et va se perdre dans les poils foncés du dos. Cette sorte de ruban tranche sur la couleur beaucoup plus claire des côtés du cou. Le T. Kanchil est de tous les Chevrotains le seul qui offre cette particularité ; chez le T. Napu, les poils de la nuque sont plus foncés, mais ne forment pas ainsi une large bande nettement limitée. La gorge est marquée de trois bandes blanches presque semblables à celles du T. javanicus, avec cette différence que la médiane ne se réunit presque jamais à son som- met aux latérales ; tres-étroite à son origine, elle se prolonge en s’élargissant et se termine presque toujours avant d'avoir atteint l’espace blanc ventral. Les deux bandes latérales suivent le bord inférieur des maxillaires, séparées sur ce point par l’espace nu qui existe chez la plupart des espèces du genre Tragulus, elles se réunissent pour former une large plaque blanche sous-hyoï- dienne, puis descendent, en s’écartant, de chaque côté du cou, et en devenant de plus en plus étroites au lie1 de s’élargir, comme chez le T. javanicus. Nous savons que chez le T. Napu et chez le Chevrotain de Stanley, au lieu de trois bandes on en compte cinq; l'inspection seule de ces rubans blancs, suffirait donc à la rigueur, pour distinguer le T. Kanchil des autres espèces de Tragules. L'espace compris entre la bande latérale et la médiane est du RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES CHEVROTAINS. 113 même brun que les côtés du cou, au lieu d'être gris comme chez le T. javanicus, ou noirâtre comme chez le Napu. Les parties inférieures du corps, la face interne des cuisses et des jambes, la face postérieure des jambes de devant, sont blan - ches. Le ventre est ordinairement de cette couleur, et présente sur la ligne médiane une bande de poils bruns; très-souvent, chez cette espèce, la partie postérieure de l'abdomen est rousse, et cette coloration peut s'étendre sur la presque totalité de cette région. La queue est assez longue, touffue, brune en dessus, blanche en dessous et à l'extrémité (4). D'après Raffles, les canines supérieures de cette espèce seraient longues et courbées en arrière, tandis que chez le Napu elles seraient courtes et droites. Je n’ai pas retrouvé ce caractère chez les exemplaires que j'ai examinés. Le T. Kanchil peut varier dans certaines limites. Chez les jeunes individus, la couleur du pelage est la même, la raie noire de la nuque est bien marquée, mais l'abdomen est souvent presque complétement roux. au lieu d’être blanc. Ce sont des différences de cet ordre qui avaient conduit M. E. Gray à distin- guer de cette espèce le T. fulviventer ; mais le célèbre zoolo- giste anglais, dans ses travaux les plus récents, a reconnu que les caractères qu'il avait d’abord regardés comme spécifiques pou- valent varier, non-seulement avec l’âge, mais encore avec les individus. Le T. intermedius du même auteur avait été décrit d'après un jeune animal chez lequel, bien que les bandes blan- ches de la gorge fussent bien marquées, le ventre portait encore sur la ligne médiane une large ligne brune. Longueur du corps, prise en ligne droite de l'extrémité du museau à la naissance de la queue, 0,420. Longueur de la tête, 0,080. ‘ Longueur du cou, 0",09. Longueur du corps, de la partie antérieure des épaules à la naissance de la queue, 0",30. (1) Voyez, pour cette espèce, pl. 2, fig. 3. 5° série. Zoo1, T, 11. (Cahier n° 2.) # 8 ail ALPHONSE MILNE EDWARDS, Hauteur au garrot, 0,21. Hauteur à la eroupe, 0,23. Longueur de la queue, 0*,075. Le squelette du T. Kanchil est remarquable par sa gracilité et la longueur des os des membres. Le canon postérieur’est aussi long que celui du Napu et près de moitié moins gros. Les doigts sont beaucoup plus courts relativement à la longueur du méta- tarse. Leur extrémité ne dépasse guère le milieu de la deuxième phalange du Napu. Le tibia, très-grèle, est notablement plus court que chez ce dernier. Des particularités du même ordre se retrou- vent également aux membres antérieurs. Par conséquent,]les dif- férences entre le Napu et le Kanchil sont encore plus marquées que celles qui existent entre ce dernier et le Ÿ'. javanicus, Dimensions des divers os du squelette d’un Tragulus Kanchil le. Longueur du eanon antérieur. ............,.......,.1.4242 0,041 ne CL CANON DOSÉÉTIQUT . 122. Le dar cioc sPia nait must nt 0,065 PAT OUTRE PE MERS ME PO PONS PE TR 0,058 — 4 00,cHhind dt. en ed dunes nid. dat. Gift 0,070 RUE HOTELS: 2e duc ee Dan AU à ae Gun à 02 cas = le 0,068 0 du caleanéunti"t. 9. HELENE ONE AREA 0,024 A HA DME De 6 Sd Li . 0,095 ge LS AU 2 Danoise vtr le mt ut a A RS L'E ÉTEEte. . 0,089 — de l'extrémité du museau à la premièr e molaire supérieure. 0,023 — de la première molaire à la dernière................. 0,030 {de la mâchoire méférieure:, 1, AFIN EN 0,070 — de la série des molaires inférieures, .....,.......,.,.. 0,034 — de la première phalange antérieure . ................, 0,009 — de la deuxième phalange antérieure... ............... 0,006 — de la première phalange postérieure. ....,,..:........ 0,012 — de la deuxième phalange postérieure... ....,....... .. 0,007 en dela canines. CE Le taf cree ONStrE 0,012 Circonférence du canon postérieur, prise à sa partie moyenne ...... 0,016 — ducangnfantétiennti it RE AOC ATP NUE 0,044 Cette espèce se trouve à Java, à Penang, à Bornéo, dans la presqu'ile de Malacca. Enfin, en 18692, M. Hé en à rapporté au Muséum un individu du royaume de Siam, et le Musée bri- tannique en possède un exemplâire provenant du Camboge. Parmi les détails que Raffles nous a transmis sur les mœurs du Kanchil, 1 en est qui paraissent erronés, ou mieux fabuleux. « Cette espèce, dit-il, habite la profondeur des forêts, où elle » se nourrit des fruits du Gmelina villosa. Le Kanchil vit en cap- » tivité, mais ne s’apprivoise jamais aussi bien que le Napu; RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES CHEVROTAINS, 115 >» çar s'il peut s'échapper, il s'enfuit aussitôt dans les bois. C'est » un animal léger et rapide; son agilité et sa ruse sont telles » qu'elles sont passées en proverbe chez les Malais : ainsi ils » disent d'un adroit fripon, qu'il est rusé comme un Kanchil. » Les naturels de la Sonde racontent une foule d'histoires de sa » finesse : par exemple, un Kanchil se prend au piége ; à l’arri- » vée du chasseur, il fait le mort, et lorsque celui-ci, trompé » par cette manœuvre, le détache, il saute sur ses pattes et » disparaît en un instant. On raconte aussi un expédient encore » plus singulier auquel il a parfois recours : lorsqu'il est pour- » suivi par les chiens, il bondit de manière à s'accrocher à l’aide » de ses canines aux branches d’un arbre, et reste ainsi sus- » pendu jusqu'à ce que la meute soit passée. — Le Napu et le » Pelandoc n’ont ni la même finesse ni la même légèreté. Aussi » le Kanchil peut-il habiter les forêts sans craindre le tigre et » les autres animaux féroces, tandis que les deux autres espè- » ces, pour fuir les bêtes fauves, trouvent moins de danger à se » rapprocher des habitations de l’homme. » La description que Raffles a donnée du Kanchail (1) est parfai- tement exacte. Il est d’ailleurs facilement reconnaissable à la bande noire qui s'étend sur la nuque, et qui n'existe que chez cette espèce; aussi là synonymie n'en est-elle pas, à beaucoup près, aussi embrouillée que celle des autres Tragules. La plu- part des auteurs l'ont aisément distingué des types voisins. Sous le nom de Kanchil, Frédéric Cuvier (2) a décrit le T. javanicus. Il avait cependant remarqué que l'espèce qu'il avait sous les yeux ne présentait pas tous les caractères de celle du zoolo- giste anglais. Les bandes blanches de la gorge n'étaient pas disposées de mème, etc.; mais il pensait que ces particularités devaient être considérées comme de simples variétés indivi- duelles. Fischer, dans son Synopsis Mammalium (3), rapporte égale- (4) Raffles, oc. cit., p. 262. (2) Fr. Guvier, Mammifères Lithographiés, 1822, (3) Fischer, Synopsis Mammaliurr, 1825, p. 440. 146 ALPHONSE MILNE EDWARDS, ment cette espèce à celle de Pallas et reproduit complétement la description de Raffles. Dans l'ouvrage de Schreber et Wagner (4), le Kanchil est figuré d’une manière assez exacte, bien que la queue soit beau- coup plus courte qu'elle ne l’est en réalité. Cette espèce est égale- ment assez bien représentée par Reichenbach (2). M. Gray, dans ses premières publications, avait adopté pour ce Chevrotain le nom que lui avait donné Raïfles (3); depuis il l'a remplacé par celui de pygmœus (h), en le rapportant à l'espèce décrite par Linné et Gmelin sous le nom de Moschus pygmæus ; nous verrons bientôt que cette dénomination, appartenant à une Antilope, doit être rayée de la liste des Chevrotains. TRAGULUS STANLEYANUS. (PL. 3, fig. 1.) Cette espèce, par sa taille, doit se placer entre le Vapu et le Kanchil. Le pelage est brun roux très-vif, mélangé de poils noirs plus abondants sur les parties supérieures du corps, c’est à-dire la tête, la nuque, le dos, et même sur les parties posté- rieures. Les flancs et les côtés du cou sont d’un brun plus vif, ainsi que la partie externe des pattes. La tête, rousse sur les côtés, est plus foncée en dessus. Elle présente les deux petites lignes noires, qui, chez le Napu, s'étendent des yeux aux na- sceaux, et qui manquent chez les autres espèces. La bande noire qui, chez le Kanchil, s'étend sur la nuque, ne se voit pas chez le Chevrotain de Stanley. La gorge est marquée de cinq bandes blanches à peu près comme celles du Vapu; c'est-à-dire qu'il y en a trois grandes ou fondamentales, et deux petites ou accessoires. Les deux pe- (4) Schreber et Wagner, Die Saugethiere, Suppl., t. IV, p. 328, ett. V, pl. 245 c. (2) Reichenbach, Die volistandigste Naturgeschichte, 4845, pl. 15, n°5 102 et 103. (3) Gray, On the genus Moschus 0f Linnœus, with descriptions of two new Species (Proceed of the Zool. Soc. of London, 1836, t. IV, p. 64). — List of Mamm. British Museum, p. 176. (4) Gray, Knowsley Menagerie, 1850, p. 52. — Catalogue of the British Museum, 1852, p. 250, RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES CHEVROTAINS. 417 tites suivent les bords des maxillaires inférieurs et s'étendent jusqu'auprès de l'angle postérieur de la mâchoire. Des trois bandes fondamentales, les deux latérales partent de l'espace nu intermaxillaire et se prolongent, en divergeant, jusqu'au devant des épaules. Leur largeur est à peu près la même dans toute leur longueur. La bande médiane naît entre les deux latérales, avec lesquelles elle se confond souvent sur ce point, et se continue en s'élargissant, mais elle se termine avant de s'être réunie à l’es- pace blanc sous-ventral. Chez le Napu, la bande médiane se confond presque toujours avec les poils blancs des parties inférieures. Chez le Kanchil et le T. javanicus, nous ne comptons que trois bandes; les deux accessoires se confondant avec les deux latérales. Les deux espaces triangulaires compris entre la bande médiane et les deux latérales sont de la même couleur que les parties latérales du cou, c’est-à-dire d'un roux mélangé de noir. Chez le Chevrotain Napu, ces espaces sont beaucoup plus foncés, quelquefois ils sont presque complétement noirs. Chez le Kanchil et le T. java- nicus, ils sont de la couleur des côtés du cou. Les parties inférieures du corps , la face interne des cuisses et des jambes, la face postérieure des jambes de devant, la poitrine etle ventre, sont;blanes. Cette’dernière région est plus ou moins marquée de roux. La queue est touffue, assez longue, rousse en dessus, blanche en dessous et à son extrémité. De toutes les espèces du genre T'ragulus, celle-ci est une des plus variables; les jeunes différent souvent beaucoup des adultes ; leur ventre est parfois complétement roux; les bandes blanches de la gorge sont moins indiquées. Chez un mdividu né le 25 sep- tembre 1862, à Singapour, de Chevrotains de Stanley achetés par M. Bocourt pour le Muséum, et mort à Paris le 20 jan- vier 1863, âgé par conséquent d'environ quatre mois, le ventre tout entier était d’un roux pur sans aucun mélange de noir; la poitrine était blanche; des bandes de la gorge, les peti- tes bandes latérales étaient seules nettement appréciables, les autres étaient à peine indiquées par une teinte plus claire 118 ALPHONSE MILNE EDWARDS. que celle des parties latérales. Le reste du corps était d’ailleurs de la même couleur que celui des parents. J'ai observé d’autres individus plus jeuties (de deux mois environ), chez lesquels la coloration blanche était déja mieux dessinée. Le ventre était encore complétement roux ; mais les grandes batdes latérales, ainsi que la médiane, sans être d’un blanc aussi pur que chez l'adulte, étaient déjà bien visibles. À mesure que ces Chevrotains avancent en âgé, les poils roux disparaissent et sont remplacés par des poils blancs; mais il arrive souvent que des individus déjà parvenus à leur entier dé- veloppement n’ont pas encore le ventre complétement blanc. Le Tragulus Stanleyanus à l’état adulte peut quelquefois pré- senter certaines variétés de couleur : dinsi on en rencontre dont le pelage est d'un rouge orangé extrêmement brillant ; d’autres fois il est beaucoup plus clair et tire sur le jaune, mais il n'offre jamais les teintes gris fauve du Napu. Longueur du corps prise en ligne droite de l'extrémité du museau à la naissance de la queue, 0",485. Longueur de la tête, 0",115. Longueur du cou, 0",100. Longueur du corps, de la partie antérieure des épaules à la naissance de la queue, 0",270. Hauteur au garrot, 0,230. Hauteur à la croupe, 0,250. Longueur de la queue, 0",070. Le squelette du Tragulus Stanleyanus diffère des trois espèces précédentes par les proportions de ses diverses parties. Moins grêle que celui du Kanchl, et même que celui du Chevrotain javanais, il est beaucoup plus que celui du Napu. Les longueurs relatives des différents os des pattes ne sont pas les mêmes. Ainsi nous avons vu que, dans les 7”. Napuet javanicus, la région tarso- métatarsienne est au moins aussi longue que le fémur. Chez le T. Stanleyanus, elle est beaucoup plus courte. La boîte crântenne est plus bombée que celle du Napu ; sous ce rapport, elle rappelle la disposition que nous avons signalée chez le T. javanicus : le RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES CHEVROTAINS. 119 nez est moins busqué que chez ce dernier ; la deuxième pré- molaire supérieure offre en dedans, même chez la femelle, le tubercule dont nous avons déjà constaté la présence chez le Napu, et que nous avons vu manquer chez le Chevrotain javanais. Dimensions des divers os du squelette du Tragulus Stanleyanus femelle, Longueur du canon antérieur. .,.,.,......,4 ....:,....:...4. 0,041 — du canon postérieur .........,.-.,,.1440 toétte TOME 105062 EN AUTRUI SL EL : Aulas cols hoc DNS Se 0,062 — ducubitus.,,.... . PE POLAR ER Eee Le 2 à 2 EU CAS AS 0,078 —M0de Phimeten ane. ft Lars. drfe 0,075 De AR GARE AT MN Me Pethlelniaie ee ia 0,030 — AU HIER RUE AD awete rt e oct Leemi) ANA RIT IE 0,102 MO ar PORIO RER Amiga aopsletets s sLolo hole lelesfs cles ei ag » 0,026 MARINE Ce ae die ro st uieo cite OO UE 0,097 = OM ŒUADASSNT OS Me het Lt SE elle ant 'aey 0,105 delete ns, ANR NS A ich le e CR LEA — de l'extrémité du museau à la première molaire supérieure. 0,030 — de la première à la dernière molaire ...........,,.,., 0,038 —: dela mâchoire. inférieure... ..... 4... eee 0,088 — de la série des molaires inférieures .....,....,..,.,... 0,043 — de la première phalange antérieure.,.., ..,.......,.. 0,011 — de la deuxième phalange antérieure. ....,,.,.,. .,..,... 0,006 — de la première phalange“postérieure.....,,.... DA RICE 0,016 — de la deuxième phalange postérieure ...5,,.....,.... ,; 0,008 {10 dell CORDON, 20 0 CEE PO I AAA . 0,003 Circonférence du canon postérieur, prise à sa partie moyenne...,... 0,018 — ANT CHUOIL AIITORIE LM si sie ne ee maiale era scale ralleele 0e) P rie à 0,016 Le Tragulus Stanleyanus se trouve dans les îles de la Sonde, et probablement aussi sur le continent; il est d’un naturel farouche, mais cependant il s’habitue assez bien à la captivité. M. Bocourt en a rapporté, en 1862, plusieurs individus qui se sont reproduits au Muséum, et qui existent encore aujourd'hui. Malgré les deux années qui se sont déjà écoulées depuis leur arri- vée en France, ils sont toujours aussi craintifs, et ne paraissent pas connaître leur gardien. Il est possible que cette espèce soit celle que Raffles a désignée sous le nom de Peiandoc ; cependant le T. Stanleyanus est plus grand que le Kanchil, et Raffles dit en parlant du Pelandoc : «I » est le moins grand des trois ; son corps est plus gros et plus » lourd à proportion; son œil est plus grand. » Dans la description des animaux de la ménagerie de lord 8 * 120 ALPHONSE MILNE EDWARDS, Derby, M. Gray (1) mentionne, parmi les principaux carac- tères de cette espèce, la brièveté excessive de la queue ; en effet, cet appendice paraît manquer dans la planche où est représenté le T. Stanleyanus. Fai pu m'assurer, en étudiant les individus types déposés au British Museum, que ce caractère n'existait pas, que l’absence de la queue était accidentelle. Il arrive souvent des Indes des Chevrotains dont une partie de la queue a été coupée, ce qui leur donne un aspect tout particulier, et c'est un individu dans ces conditions qui à été figuré dans la ména- gerie de Knowsley. Les Chevrotains de Stanley du British Museum appartiennent à la variété chez laquelle les bandes blanches de la gorge sont peu marquées ; l’un vient des Indes, l’autre de Ceylan. TRAGULUS MEMINNA. (PL. 8, fig. 2.) Cette espèce se distingue au premier coup d'œil de toutes celles du même genre, par l'existence de taches blanches qui sont disposées en bandes sur les parties latérales du tronc. Par sa taille, elle ressemble un peu au T. javanicus, bien que, toutes proportions gardées, elle ait le corps plus massif et les jambes plus courtes. Le pelage est d’une couleur fauve olivâtre tirant sur le jaune ; les parties latérales du cou et des épaules sont plus claires que la nuque et le dos. Les flancs présentent environ trois bandes longitudinales formées par des taches plus claires, plus ou moins rapprochées et souvent confondues. Indépendamment de ces bandes, on voit souvent des taches disposées dans leur intervalle, et toujours il en existe de chaque côté du train posté- rieur, en arrière, au niveau des hanches. L'espace compris entre ces bandes claires, quelquefois de la couleur du reste du pelage, est parfois beaucoup plus foncé, de façon à former autour de l'animal une bande d’un brun plus noir. Le ventre est jaunâtre sur les côtés, blanc sur la ligne médiane. Les taches situées sur les flancs sont plus ou moins confluentes, (1) Gray, Menagerie of Knowsley, 1850, p. A3, pl. 33. RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES CHEVROTAINS. 191 de façon à former plusieurs bandes longitudinales, dont la prin- cipale, partant de la base du cou à la partie supérieure de l'épaule, s'étend presque en ligne droite jusqu’à l'articulation coxale, puis se coude brusquement pour remonter transversale - ment sur la croupe, où elle se termine presque sur la ligne mé- diane, sans se réunir cependant à sa congénère. Une seconde bande longitudinale, et assez semblable à la précédente, s'étend sur les flancs, au-dessus de celle-ci ; elle commence également à la base du cou, mais se prolonge moins loin en arrière, se coude au niveau du bord antérieur du bassin, et forme sur ce point une seconde bande transversale qui est séparée de celle du côté opposé par un espace plus considérable. Sur les parties moyennes du tronc, cette bande est moins continue que la précédente ; elle se résout en taches plus ou moins nette- ment séparées. D’autres taches, qui tendent également à affecter une disposition linéaire, sont situées entre ces bandes et au- dessous d'elles; elles deviennent plus nombreuses et plus dis- tinctes sur les fesses ; enfin on en voit quelques-unes sur les côtés de la région dorsale, au-dessus de la bande blanche supérieure. La tête est courte, les yeux placés très-en avant. Les joues sont plus claires que le vertex; on n’aperçoit pas de lignes noires s'étendant des yeux aux naseaux ; les parties latérales du cou sont de la couleur des joues. Il n'existe pas de traces de l’espace nu qui, chez les autres espèces du même genre, se trouve en avant entre les deux branches de la mâchoire inférieure. La région hyoïdienne et la gorge sont marquées de cinq bandes blanches disposées d’après le même système que celles du Vapu, mais en différant par un certain nombre de particularités très- appréciables. La bande médiane, d’abord unie aux grandes bandes latérales, descend en s’élargissant jusqu’à la région ster- nale, où elle va se confondre avec l’espace blanc sous-ventral. Les deux grandes bandes latérales ou inférieures ne se prolongent pas aussi loin en arrière que chez les autres Tragules ; elles sont courtes, et s'arrêtent bien en avant des épaules, vers le milieu du cou. Les petites bandes latérales ou supérieures, parallèles aux précédentes, suivent le bord inférieur de la mâchoire, et vont se 192 ALPHONSE MILNE EDWARDS, perdre un peu en arrière de son angle postérieur. Les pattes sont grosses et de la couleur du reste du pelage; elles ne sont pas blanches en dedans ; on n’aperçoit de poils blancs que sur la face postérieure des jambes de devant et sur la face antérieure des jambes de derrière. En arrière, les métatarsiens, au lieu d'être nus comme ceux des autres Tragules, sont garnis de poils; mais l’espace qui correspond à toute la partie postérieure et externe du calcanéum est complétement dénudé, et rouge pendant la vie. La queue est rudimentaire, plus claire en dessous qu'en dessus. Chez cette espèce, la couleur du pelage peut varier dans des limites assez étendues. La teinte générale est tantôt d’un fauve olivâtre clair, tantôt d’un fauve brun foncé ; parfois les taches claires sont très-nombreuses; d’autres fois elles manquent dans l'intervalle des deux bandes principales, ainsi qu'au-dessus, et sont peu distinctes sur les parties inférieures des flancs, bien qu’elles soient très-marquées sur la face externe des cuisses. Je suis assez disposé à croire que ces variétés dépendent de diffé- rences sexuelles; quoi qu’il en soit, elles ne se lient pas à la distribution géographique, car je les ai vues exister chez des individus provenant de la même partie de l’île de Ceylan. Longueur du corps prise en ligne droite de l'extrémité du museau à la naissance de la queue, 0*,55. Longueur de la tête, 0",12. Longueur du cou, 0°,07. Longueur du corps de la partie antérieure des épaules à la naissance de la queue, 0*,36. Hauteur au garrot, 0",24. Hauteur à la croupe, 0",80. Longueur de la queue, 0",02. Le Meminna est caractérisé de la manière la plus nette par la conformation de plusieurs parties de sa charpente osseuse. La forme de la tête s'éloigne beaucoup de celle des autres Tragules. La région faciale est beaucoup moins développée. Chez le Vapu, la distance comprise entre le bord antérieur de l'orbite et l'extré- RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES CHEVROTAINS. 125 mité du museau constitue la moitié de la longueur totale de la tête, tandis que chez le Meminna, là longueur de la région fa- ciale, mesurée de la même manière, n'excède guère là distance comprise entre le bord postérieur de lotbite ét la protubérance occipitale. La boîte crânienne S’avante davantage au - dessus des orbites ; elle est plus fortément bombéé en dessus que chez les espèces précédentes, surtout dans la région frontale, qui, entre les orbites, est très-étroite. Les crêtes pariétales sont très- fortes, et forment entre elles un aigle beaucoup plus aigu que chez les autres Tragules; toute la partie supérieure de la tête est remarquablement rugueuse, tandis que dans les espèces pré- cédentes, elle est lisse. La protubérance occipitale est forte- ment saillante ; les fosses temporales sont très-profondes, et l’arcade postorbitaire formée par la branche montante du jugal est Située beaucoup ‘plus en avant par rappoñft à la boîte crâ- vienne que chez le Napu, le Kanchil, etc. Le sillon qui continue en avant le trou sous-orbitaire est peu profond et moins nette- ment dessiné que d'ordinaire dans ce genre. Les os hasaux sont remarquablement dilatés en arrière et leur bord postérieur est régulièrement et assez fortement arqué. L’os lacrymal est petit, et sa portion Jugale, au lieu d’être quadrilatère, est triangulaire ; au devant de son bord supérieur il existe, de même que chez le Porte-musc, un petit hiatus limité antérieurement par la jonc- tion du frontal et du maxillaire. Les barres sont trèsicourtes ; le palais est large, surtout à sa partie antérieure près des barres, et sa portion postérieure comprise entre les échancrures ptéry- goïdiennes est étroite et très-allongée. Les molaires supérieures sont plus larges et implantées plus obliquement que chez les es- pèces précédentes. Les deux premières prémolaires sont plus longues et plus tranchantes ; la deuxième ne présente pas le tubercule interne qué nous avons vu exister chez le Vapu et le T'. Stanleyanus. La première vraie molaire est comparativement plus grande. À la mâchoire inférieure, la dernière prémolaire et la première vraie molaire sont relativement plus fortes que chez le Vapu et les T. javanicus et Stanleyanus. Le lobe posté- rieur de la sixième molaire est plus petit, et beaucoup plus tran- 124 ALPHONSE MILNE EDWARDS, chant que chez les espèces précitées; 1l ne forme pas, comme chez ces dernières, un croissant d’émail (4). Le trou menton- nier, au lieu d'être allongé, est tout à fait rond. Les autres parties du squelette n’offrent que peu de caractères spécifiques intéressants à noter ; il est cependant à remarquer que la fosse olécränienne de l'humérus n'est pas perforée, comme chez les espèces que nous venons de passer en revue (2). Les proportions relatives du fémur et du pied sont à peu près les mêmes que chez le Stanleyanus. Dimensions des divers os du squelette du Tragulus Meminna mâle. Im. Longueur du canon antérieur ................ St ee EP +... 0,035 == phiduicanonpostérieutees ere). MAI. M. 0 .. 0,056 M Ads M Eee peus Hobichod out Ba Lo cr .. 0,055 SM OICHRIEUS AVR ES LUS ARE do trie ete Me 0,072 AP ENT URIETUS SEE -te mie Jeebiriele Jéter Soldier: Jos tdi 0,074 et MIdHICAlICAREURE EME PR. DElRe GE LUN Re Re 0,027 =) HO DIN 7. AIS CROIRE. M ALGE NAErC 0,099 MANGA TOQUIE ER EME, AU, a peser e dre 0,021 RUE ÉTNUT EE 7 2 a lsiete srmu es M Melo dote +215 A0E0 86 PQ UDASSIN E copie 1 mes B tite Jen bie ei Fret tf =211220:1105 — ‘delatête...... EME. ÉD COS USE RES 0,100 — de l'extrémité du museau à la première molaire supérieure. 0,024 — de la première molaire supérieure à la dernière. ........ 0,042 a APN M ACROITEMIMETIEUTE LE MMS Le ee eee dde + 0,081 — de la série des molaires inférieures... .,......,..,.., 0,047 — de la première phalange antérieure.................. 0,010 — de la deuxième phalange antérieure.,................. 0,007 — de la première phalange postérieure... ...... ......... 0,013 — de la deuxième phalange postérieure. ................ 0,009 pme dla canines. tite a. ANIATÈEEGE LÉ IS MR 0,017 Circonférence du canon postérieur, mesurée à sa partie moyenne... 0,018 — déCanontanteneur A Ln0r. 286.6. MDN 280 0,017 Le Meminna est originaire de l’île de Ceylan, où il parait être très-abondant. On le rencontre aussi dans l'Hindoustan ; et, suivant une indication très-vague de M. Hodgson, il remon- terait jusqu'au Népaul : car, d’après M. Gray, le Tragulus memi- noïdes (ou Bïjay) et le Moschiola meminoides de ce voyageur ne différeraient pas de l’espèce qui nous occupe. Ce petit animal, dont j'ai pu observer les mœurs dans la mé- vagerie du Muséum, est très-timide. Toute la journée il reste (4) Voy. pl. 10, fig. 5 et 6. (2) Voy. pl. 10, fig. 8. RECHERCHESSUR LA FAMILLE DES CHEVROTAINS. 495 caché dans sa retraite, et en sort rarement avant le soir. Le lieutenant Tickell nous apprend que dans l'Hindoustan , il habite les jungles et se tient dans les crevasses des rochers (1). On ne le voit presque jamais dans les lieux découverts, et il vit soli- taire, excepté à l'époque du rut, qui a lieu en juin ou juillet. La femelle met bas vers la fin de la saison pluvieuse ou au com- mencement de la saison froide, chaque portée étant en général de deux petits dont la taille ne dépasse guère celle d’un gros rat ; à l’époque de leur naissance, ils ‘présentent les mêmes couleurs et la même disposition de taches que les adultes. Le premier auteur qui ait mentionné l'existence de ce Che- vrotain est Robert Knox (2). Il le décrit d’une maniere brève. mais parfaitement reconnaissable , sous le nom de Meminna. Buffon en parle sous le nom de Chevrotain de Ceylan (3) et en donne une figure, mais il le considère à tort comme étant le même animal que celui représenté par Seba (4) sous la rubrique de petite Biche de Surinam , rougeûtre et marquetée de taches blanches, que nous verrons ne pas se rapporter au groupe qui nous occupe. Peu de temps après, Erxleben le classa dans le même genre que le Porte-musc, et l’appela Moschus me- minna (5). En 1821, M. J. E. Gray (6) forma pour cette espèce une division particulière caractérisée par la présence des poils à la face postérieure du métatarse et l'absence de l’espace dénudé qui se voit entre les branches de la mâchoire chez les autres Tragules. Plus récemment (7), ce zoologiste éleva cette divi- (4) Tickell, Remarks on the Moschus Meminna (Calcutta, Journal of Natural History, 1841, t. I, p. 420). (2) Knox, An historical Relation of the island of Ceylan, in the East Indies ; with an Account of has captivity and escape. Hlustrated with plates and a map of the island. London, 1681. — Traduction française, Lyon, 1693, p. 90. (3) Buffon, Suppl. à l'Hist. nat., 1776, t. Li, p. 102, pl. 45. (4) Seba, Thesaurus, 1734, pl. 44, fig. 2. (5) Erxleben, Systema Regni animalis, 1771, p. 322. (6) Gray, Medical Repository, 1821. (7) Gray, On the genus Moschus 0/ Linnœæus (Proceed, of the Zool. Soc, of London, 1836, t. IV, p. 63). ‘a 196 ALPHONSE MILNE EDWARDS. sion au rang de genre sous le nom de Meminna, et il appela l'espèce que nous venons de décrire Meminna indica. Les différences organiques que nous savons exister entre ce Chevro- tain et les autres Tragules ne me semblent pas d’une importance suffisante pour motiver une distinction générique. En multi- pliant de la sorte les divisions, on arriverait à avoir presque au- tant de genres que d'espèces, et l'on perdraitun des avantages les plus considérables des classifications zoologiques. Les types qui, légerement modifiés, donnent naissance à plusieurs espèces, ne seraient plus représentés dans nos systèmes, et il faudrait créer une nouvelle catégorie de groupes répondant aux genres naturels. | $ 5. Des réformes à faire parmi les espèces rapportées au genre Tragulus par divers naturalistes. Tous les zoologistes du siècle dernier ont rapporté au groupe des Chevrotains un certain nombre de petits Ruminants figurés par Seba. L'un de ceux-ci, appelé Cervula surinamensis (4) par cet auteur, est devenu le T'ragulus surinamensis de Brisson (2) et le Moschus americanus de Gmelin (3); mais ce n’est pas un Chevrotain, e’est évidemment le faon d’une espèce du genre Cerf (4). Les animaux représentés par Seba (5) sous les désignations de Cerva parvula africana, ex Guinea, rubida, sine cornibus, de Hinnulus, et de Cervus juvencus, perpusillus, guineensis, ont été pris par Linné comme types de l'espèce qu'il appela (4) Seba, Thesaurus, 1734, t. I, p. 74, pl. 44, fig. 2. (2) Brisson, le Règne animal, 1756, p. 95. (3) Gmelin, Linnæi Systema nature, 13° édit., 4788, t. 1, p. 174. (4) Oken est le dernier qui ait commis cette erreur (Lehrbueh der Naturgeschichte, 1816, €. III, 2€ part., p. 748). En 1817, Guvier fit remarquer que le prétendu Moschus americanus n'est qu'un jeune ou une femelle d'un des Cerfs de la Guyane (Règne auünal, 1817, t..1, p. 252, note), (5) Seba, op, cit., p. 70, pl. 43, fig. 4, 2, 3, RECHERCHES SUR LA FAMILLE PES CHEVROTAINS. 197 Moschus pygmæus (4) : or, aucune de ces figures ne présente les caractères propres aux Chevrotains. Les oreilles sont grandes et poilues ; la gorge n’est pas marquée en dessous de raies blanches ; les pieds sont dépourvus d’ergots : il est probable que ce sont de jeunes Antilopes. Brisson rapporta ces mêmes figures à son Tragulus indi- cus (2), mais la description qu'il donne de celui-ci s'applique évidemment à un Tragule, bien que les caractères qu'il signale ne permettent pas de savoir à quelle espèce 1ls doivent appar- tenir. Le Tragulus quineensis du mème auteur est une espèce nomi- nale établie d’après une autre figure de Seba (8), qui, ainsi que les précédentes, est d’un jeune animal, et ne se rapporte pas au groupe qui nous occupe. Le Tragulus africanus du même auteur (4) est l’Antilope Grimm d'Afrique. Linné linserivit dans son catalogue sous le nom de Moschus Grimma (5). Cette prétendue espèce de Moschus et le M. pygmœus du mème auteur sont les seuls que celui-ci ait placés à côté du Porte-mnse dans son genre Moschus, et nous voyons que ni l’une ni l’autre ne peuvent y rester. Buffon (6), sans citer Brisson, adopta la plupart des rappro- chements erronés que ce zoologiste avait faits. Il considérait tous les Rumimants de petite taille comme étant des Chevrotains, et il fit ainsi rentrer dans ce groupe tous les individus figurés par Seba, que nous venons de passer en revue ; il y ajouta le Guevei, qui est pourvu de cornes, et qui appartient au grand genre Antilope. De plus, il décrivit avec beaucoup de détails, et figura sous le nom de Chevrotain des Indes orientales, un Rumi-- nant de très-petite taille, qui, depuis cette époque, a été consi- déré par beaucoup de zoologistes comme appartenant définitive- (4) Linné, Syst. nat., 12€ édit., 1766, t. I, p. 92. (2) Brisson, op. cit., p. 96. (3) Seba, op. cit., pl. 46, fig. 4. (4) Brisson, oc. cit., p. 95. (5) Linné, Syst. nat., 1766, t. I, p. 92, (6) Buffon, Hist. nat,, 1776, p. 346, pl. 42, 128 ALPHONSE MILNE EDWARDS, ment à ce groupe. En effet, dans la 13° édition du Systema naturæ par Gmelin (1), ce dernier donne cette espèce comme synonyme du Moschus pygmœus des éditions précédentes, qui, ainsi que nous venons de le voir, avait été établi d’après des figures de jeunes Cerfs ou d’Antilopes. Cuvier désigna également sous le nom de Moschus le petit animal figuré par Buffon (2). Enfin, dans le travail le plus récent sur le groupe qui nous occupe ici, publié par M. J. E. Gray (3), nous voyons encore figurer parmi les Tra- gules le nom linnéen de pygmœæus. Cependant l'individu qui à servi pour la description et la figure données par Buffon ne fait pas partie du genre T'ragulus, ni même de la famille des Chevro- tains : c'est une Jeune Antilope. Effectivement, on le voit encore aujourd'hui dans les galeries du Muséum d'histoire naturelle, et il est facile d'y constater les caractères suivants. Ce petit Ruminant est extrêmement jeune, car on ne compte que trois molaires à chacune de ses mâchoires; sa taille est remarquablement petite, et dépasse à peine celle d’un Chevro- tain nouveau-né. La longueur du corps entier, mesurée en ligne droite de l'extrémité du museau à la naissance de la queue, est de 24 centimètres. Un Chevrotain présente, au moment où il vient de naître, tous ou du moins presque tous les caractères de l'adulte. Les diffé- rences qui s’observent chez quelques espèces sont d’une très- petite importance. Ainsi les bandes blanches de la gorge peuvent être moins accusées ou mélangées de roux. L'abdomen n’est pas toujours d'un blanc pur, il se teint parfois de brun ; maisle corps présente à toutes les époques de la vie les couleurs qui caracté- risent l'espèce. Chez les jeunes individus, les oreilles sont déjà presque nues ou parsemées de poils courts et rares. Les pattes postérieures, depuis le calcanéum jusqu'à leur extrémité, sont également tout à fait glabres, excepté chez le Meminna. Les pha- langes sont profondément séparées jusqu'à leur articulation mé- (A) Gmelin, Syst. nal., 13° édit., 1768, t. I, p. 174. (2) Cuvier, op. cit., t. I, p. 252, et 2° édit., 4829, t. I, p. 269. (3) Gray, Menagerie of Knowsley, 1850, p. 42. — Cat. ofthe Mamm. of Brit, Mus., 1892, p. 250, - RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES CHEVROTAINS. 129 tatarsienne ; les ergots sont déjà forts et bien constitués. Enfin, dans l'angle formé par la réunion des deux maxillaires inférieurs, on voit l’espace dénudé qui se retrouve chez presque toutes les espèces du genre T'ragulus. - Aucun de ces caractères ne se montre chez le prétendu Che- vrotain décrit et figuré par Buffon. Son pelage est de couleur café au lait, sans aucun mélange de noir; les parties inférieures du corps, la gorge, le dedans des pattes, sonthlancs. Aucun TFra- gule, à quelque âge que ce soit, n’offre cette teinte jaune clair; l’espèce en litige se distingue d’ailleurs nettement par ses oreilles entièrement velues, par l'absence complète des ergots, et par la conformation des pieds, dont les phalanges sont plus étroitement unies, dont les sabots sont plus courts que ceux des Chevro- tains et rappellent ceux des Gazelles et des autres Antilopes. L'espace intermaxillaire, loin d'être nu, est garni de poils serrés. À ces particularités d'importance générique viennent s'ajouter d'autres caractères que l'on doit se garder de négliger. Ainsi, les proportions générales sont bien différentes de celles des Chevrotains. Les pattes sont plus longues, ce qui tient surtout aux dimensions des canons; l'animal est plus haut sur ses jam- bes; la forme de la tête est tout autre. Cet ensemble de particularités suffit et au delà pour marquer la place que doit occuper dans les séries zoologiques le prétendu Chevrotain des Indes orientales, et pour l'éloigner de tous les Traguliens. À ces preuves déjà si nombreuses j'ai pu en ajouter de nouvelles, d’un ordre tout différent et d'une importance encore plus grande, tirées de l'examen comparé des viscères. J'ai pu'disséquer un autre individu de la même espèce, de la même taille, et arrivé au même degré de développement, qui était conservé dansles galeries d'anatomie comparée du Muséum (1). Les trois molaires uniques qui commençaent à se montrer à chaque mächoire indiquaient que l’âge de cet animal et de celui de Buffon devait être semblable. Et ce qui prouve que ces (4) Cet individu existait déjà dans cette collection, il y à plus de soixante ans, lorsque Ét. Geoffroy Saint-Hilaire en à publié le Catalogue. (Voy. Et. Geoffroy, Catalogue des Mammifères du Muséum d'hist. nat., 1803, p. 243, n° 468.) 5e série. ZooL. T. IL. (Cahier n° 3.) 1 9 130 ALPHONSE MILNE EDWARDS. petits Ruminants étaient nouveau-nés , c'est l’existence du canal artériel: l'artère pulmonaire communique largement avec l'aorte ; le sang devait couler à plein eanal dans ce vaisseau, tandis que la branche destinée à le conduire aux poumons n'offre encore qu'un très-petit calibre; la crosse de l’aorte ne donne naissance qu'à un seul tronc qui ne tarde pas à se diviser, comme chez les Cerfs et les Antilopes, tandis que chez les Chevrotains, nous savons que de la crosse de l'aorte partent deux troncs, l'un fournissant la sous-clavière et les deux carotides, l’autre la sous-clavière gauche seulement. Les poumons sont beaucoup plus lobulés que ceux des Tra- gules. Ainsi le poumon droit présente trois lobes, sans compter le petit lobule accessoire qui se place derrière le Cœur entre cet organe et le diaphragme. Le lobe supérieur recouvre l'oreil- lette droite; le lobe moyen est long et étroit, il s’avance beau- coup en bas, presque jusqu'au niveau de la pointe du cœur. Enfin le troisième lobe, qui forme la plus grande partie du pou- mon, offre lui-même une scissure profonde qui le divise jusqu'à la partie supérieure, et dans laquelle se loge le lobe moyen. Le poumon gauche est beaucoup plus simple; ilne se compose que de deux lobes dont le supérieur se prolonge jusqu’à la pointe du cœur, comme son congénère du côté opposé. Cette disposi- tion du poumon rappelle celle de beaucoup d’Antilopes, du Grimm, du Guevei, de la Corinne. Chez la plupart des Cerfs, le poumon droit est encore plus divisé ; on y compte quatre lobes, le poumon gauche n’en présentant que deux; tandis que chez les Tragules, ainsi que nous l'avons déjà vu, les pou- mons sont très-simples : le droit ne se compose que de deux lobes (accompagnés d'un lobule accessoire), et le gauche est indivis. L’estomac est constitué sur le type de celui des vrais Rumi- nants (1); les quatre poches y sont parfaitement représentées. La (4) C'est cet individu, désigné, dans la galerie d'anatomie comparée, sous le nom de Moschus pygmeœæus, que M. Milne Edwards disséqua il y a quelques années, et chez lequel il reconnut l'existence du feuillet. (Voy. Milne Edwards, Leçons sur la physiologie, ete., t: VI, p. 323.) RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES CHEVROTAINS. 151 panse est très-petite, comme chez les très-jeunes animaux dont le régime n’est pas herbivore, et qui, par conséquent, n’ont pas besoin d’accumuler une grande masse de nourriture. Par la même raison, le bonnet est très-réduit, mais le feuillet et la caillette sont au contraire bien développés. La premiére de ces poches est parfaitement reconnaissable à la présence des replis longitudinaux qui en garnissent les parois. Enfin, par tous ses caractères, cet estomac ressemble entièrement à celui des Rumi- nants ordinaires, et diffère {beaucoup de celui des Traguliens, qui, comme nous le savons, ne se compose que de trois poches, le feuillet manquant complétement. Par sa forme, le foie ressemble beaucoup à celui du Guevei. La vésicule du fiel est comme enchâssée dans la substance hépa- tique, à une assez grande distance du bord, tandis que chez les Tragules, elle le dépasse même un peu ; mais cette particularité peut bien tenir à l’âge de l'animal. En effet, lorsque la bile n’a pas encore distendu les parois du réservoir qui doit la contenir!, ce dernier est toujours moins grand qu'à l’état normal. Malgré l’âge très-peu avancé de l'individu que nous avons examiné , les métacarpiens et les métatarsiens étaient soudés en un Canon, tandis que chez les Chevrotains, ces os restent longtemps distincts. Les dimensions relatives des os sont diffé- rentes non-seulement pour les organes appendiculaires, mais aussi pour les vertèbres, pour le crâne, etc. D'ailleurs, plusieurs zoologistes, se basant uniquement sur l'étude du pelage etdes caractères extérieurs, avaient été frappés des différences qui existaient entre le petit Ruminant de Buffon etles vrais Chevrotains. Ainsi, en 1829, Fréd. Cuvier, dans l'Hs- loire naturelle des Mammifères, range le M. pygmœus parmi les espèces qui composent le genre Moschus, mais il a soin d'ajouter: « Le Pygmée, établi d’abord par Linnæus, d'après un » animal de Seba, tout à fait étranger aux Chevrotains, ensuite » d'après le Chevrotain des Indes de Brisson, et enfin d’après » le Chevrotain de Buffon, qui ne consistait que dans la peau » d’un individu si jeune, que ses molaires commencçaient seule- » ment à paraitre. » 132 ALPHONSE MILNE EDWARDS. En 1827, Temminek (4) s'exprime d’une façon parfaitement nette en disant : «il faut rayer du genre Moschus l'animal » inscrit dans les systèmes A1. pygmœus ; toutes les indications » reposent sur des jeunes d'une espèce de très-petite Antilope, » mon À. spinigera des côtes de Guinée et de Loango. Cette » espèce est moins grande d'un tiers que l'Ant. pygmæa. En 1844, Sundevall, après avoir examiné avec som la syno- nymie du M. pyymœæus, le rapporte également à l’Antilope spinigera de Temminck. M. E. Gray paraît n’avoir pas adopté l'opinion de Temminck et de Sundevall, car, dans son Catalogue des Mammifères du Musée britannique, ainsi que dansla description de la ménagerie de lord Derby, il conserve, pour l’une des espèces du genre Tra- gulus, le nom de pygmœus, en renvoyant au type du Systema naturæ de Linné et au Chevrotain des Indes orientales de Buffon. Cependant il lui restait évidemment quelque incertitude à ce sujet, car il termine le chapitre relatif au Chevrotam pyg- mée par les lignes suivantes: « Le Moschus pygmœus est une Antilope ; la partie postérieure du tarse est couverte de poils. » Et à la page 89 du catalogue, il identifie le Nanotragus perpu- sillus au mème Moschus pygmœus de Linné. Il est maintenant de la dernière évidence que les figures et les descriptions sur lesquelles Linné et ensuite Gmelin se sont appuyés pour l'établissement de cette espèce, ne peuvent se rap- porter à aucun représentant du groupe dont l'étude nous oceupe ici. I faut donc rayer cette dénomination des cadres zoologiques, si l’on ne veut s’exposer à de perpétuelles confusions. On doit supprimer encore plusieurs autres espèces nominales de Chevrotains, par exemple : Le Moschus delicatulus, où Leverian Musk de Shaw (2), qui est un jeune faon de Cerf. Le Moschus Griffithai, établi par Fischer (3) d’après une mau- (4) Temminck, Mus. Mamm., t. 1, p, 30. (2) Shaw, General Zoology, 1801, t. II, 29 part., p. 259. (3) Fischer, Synopsis Mammalium, p. 414. RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES CHEVROTAINS. 133 vaise figure de Chevrotain pygmée, donnée dans la traduction anglaise du Règne animal de Cuvier par Griffith (4). Les Tragulus affinis (2), intermedius (3) et fulviventer (h) de M. Gray, lesquels ne sont que des variétés du Kanchil, comme ce naturaliste l’a d’ailleurs reconnu lui-même. Dans son catalogue descriptif d’une collection faite à Sumatra, Rafiles cite trois espèces distinctes de Chevrotains : le Napu, le Kanchal et le Pelandoc ; il décrit avec soin et exactitude les deux premières, maus il ne cite aucun caractère qui permette de dis- tinguer la troisième. «Le Pelandoc, dit-il, est le moins grand » des trois ; son corps est plusgros et plus lourd à proportion ; son » œil est plus grand. » Ces particularités ne suffisent pas pour per- mettre d'arriver à une détermination précise ; d’ailleurs, dans plusieurs des îles de l'Inde archipélagique, à Penang par exem- ple, on désigne sous le.nom de Pelandok, Polandoc ou Polando. toutes les espèces de Chevrotains ; il est donc impossible, d’après les renseignements des habitants du pays, de reconnaitre l'espèce que Raffles a nommée ainsi. Par conséquent, dans l'état actuel de nos connaissances, on ne doit admettre que cinq espèces de Tragules. CHAPITRE QUATRIÈME. DU GENRE HYŒMOSCHUS, 8 1. Le prmeipal caractère anatomique du genre Æyœmoschus est fourni par la structure du pied (5). En effet, aux membres an- (1) Griffith, Anünal Kingdom, 1827, t. IV. — Reichenbach, Die vollständigste Naturgeschichte, 1845, p. 52, pl. 15, n°5 104 et 405. (2) Gray, List of the Mammal. of Brit. Mus., p. 179. - (3) Gray, mss.— Waterhouse, Catalogue of the Mammalia of the Zoological Society of London, 1838, p. 38. - (4) Gray, Proceed. of the Zool. Soc. of London, 1836, p. 65. — Waterhouse, op. cit., p. 38. (5) Voy. pl. 41, fig. 4e, 4. 134 ALPHONSE MILNE EDWARDS. térieurs, les os métacarpiens sont tous libres, les médians ne se soudant jamais entre eux pour constituer le canon, qui existe invariablement chez les autres Ruminants. Ce fait a été constaté pour la première fois par MM. Falconer et Cautley (4). Aux pattes postérieures la soudure des métatarsiens se fait, mais très-tardivement, et si quelques naturalistes ont avancé que cette union ne s’effectuait pas (2), cela tient à ce qu'ils n'avaient observé que de jeunes individus. Les os des membres sont extrêmement robustes et même trapus ; les articulations sont encore plus obliques que chez les Chevrotains. L'humérus est court, comprimé latéralement dans sa partie supérieure, et plus tordu en dehors que celui des autres Rumi- nants; son extrémité articulaire inférieure est forte et très- oblique. Les crêtes qui séparent les poulies sont arrondies et peu saillantes. La fosse olécränienne n’est pas perforée comme chez la plupart des Tragules. Le cubitus (3) est remarquablement fort dans toute sa lon- gueur ; ilne se soude pas au radius comme chez les Pécaris, bien que sa conformation se rapproche beaucoup de ‘celle de quelques Pachydermes. Les os du carpe sont semblables à ceux des Tra- gules. Mais ainsi que l'ont déjà fait remarquer MM. Falconer et Cautley, toute la portion suivante du pied rappelle complétement ce qui se voit chez le Pécari, tout en conservant, à beaucoup d'égards, la forme générale du pied des Tragules (4). Les méta- (1) Falconer et Cautley, On some Remains of Anoplotherium and Girafja from the Sivalik hills (Proceed. of the Geolog. Soc. of London, 1843, t. IV, 2 partie). (2) Gervais, Paléont. franç., 2e édit., 1859, p. 153 (note). — Pictet, Traité de paléont., 2° édit., 1853, t. I, p. 279 (note) et 348. (3) Voy. pl. 11, fig. {£. (4) Falconer et Cautley, op. cit.—Voy. aussi Joly et Lavocat, Etudes paléont. tendant à ramener au type pentadactyle les extrémités des Mammifères fossiles, Toulouse, 1853, p. 23 (patte antérieure d'Hyœmoschus, pl. b, fig. 4). — Joly et Lavocat, Etu- des d'anatomie philosophique sur la main et le pied de l'Homme, et sur les extrémités des Mammifères ramenés au type pentadactyle, 1853, p. 33 (figure de la patte anté- rieure de l'Hyæmoschus, pl. 2, fig. 7). — Lavocat, Recherches comparatives sur les pièces osseuses composant la main et le pied de l'Homme et des principaux Mammi- ères, 1855, p. 13, RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES CHEVROTAINS. 135 carpiens médians sont courts et gros;]l'interne est un peu plus ong que l’externe, et son extrémité supérieure se trouve sur un plan un peu plus élevé; leurs poulies articulaires inférieures ressemblent tout à fait à celles des Tragules; enfin ces doigts sont fortement unis entre eux par du tissu fibreux. Les métacarpiens latéraux sont très-développés, et leur gros- seur augmente graduellement de haut en bas, Les doigts, plus . courts que chez les autres Ruminants ordinaires, ressemblent à ceux des Tragules, bien qu'ils soient plus robustes; les ergots sont plus forts. Les membres postérieurs sont, comparativement aux anté- rieurs, moins longs que chez les Tragules. Le fémur ne présente rien de particulier à noter. Le tibia est remarquablement fort, tordu et arqué en dedans ; l'os malléolaire y est soudé comme dans le genre précédent (1). L’astragale ressemble un peu par sa forme à celui des Porcins (2); en effet, ilest plus étroit et encore plus tordu que chez les Tragules. Le calcanéum est long, et dévié légèrement en dedans. Les autres os du tarse sont semblables à ceux des Chevrotains, c’est-à-dire que le cubo-sca- phoïde est soudé au troisième cunéiforme (3). Les métatarsiens ne se soudent pas avant que l'animal ait acquis ses dents de rem- placement, et l'os canon ainsi formé présente toujours sur la face antérieure une gouttière large et profonde, qui s'étend jus- qu’à une petite distance de l'extrémité inférieure ; en arrière, 1l estaplati. Le métatarsien externe est situé plus bas que l'interne, de sorte que, aux deux extrémités, leurs surfaces articulaires se trouvent sur des plans différents. La partie inférieure du canon est très-large comparativement à la partie supérieure de cet os. Les métatarsiens latéraux ne présentent rien de remarquable ; il en est de même des doigts. La tête des Hyæmoschus (k) se rapproche beaucoup par sa forme de celle des autres Tragulide ; elle s’en distingue cepen-+ ’ (4) Voy. pl. 44, fig. a. (2) Voy. pl. 42, fig. de, (3) Voy. pl, 11, fig. 4e et 14, (4) Voy. pl. 11, fig. 1. 136 ALPHONSE MILNE EDWARDS. dant par un certain nombre de caractères constants. Elle est étroite et allongée. La largeur du crâne, mesurée au-dessus des orbites en avant de l’arcade postorbitaire, est, comparative- ment à la longueur totale de la tête, dans le rapport de 30 à 100. Chez le Napu, elle est comme 40 est à 100; et enfin chez le Meminna, qui, de toutes les espèces de Tragules, est celle dont la tête est la plus étroite, ce rapport est de 32 à 100. La boîte cränienne des Hyæmoschus est plus allongée que chez le genre précédent ; les cavitésorbitaires étant situées plus en avant encore que celles du Meminna. Le crâne n’est pas aplati en dessus, comme chez le Vapu. Les crêtes pariétales, peu marquées dans le jeune âge, sont très-saillantes chez les mâles adultes. Le temporal est peu élevé, et les caisses sont encore plus renflées et plus sallantes que chez les Tragules. Le trou sus-orbitaire est disposé comme chez le Meminna, son sillon antérieur étant à peine marqué ; nous savons au contraire que chez les autres Tragules ce sillon est profondément creusé. Les os nasaux, médiocrement longs, sont disposés en manière de toit, et plus élevés, par rap- port aux maxillaires, que chez les Tragules; ils sont beaucoup plus larges en arrière qu’en avant, sans offrir cependant une dilatation aussi marquée que chez les Meminna. Les lacrymaux sont médiocres ; 1l existe au-devant d'eux un petit hiatus qui s'étend non-seulement entre le frontal et les maxillaires, mais entre ces derniers os et les os nasaux. Le trou lacrymal est unique, et disposé en dedans du bord orbitaire comme chez les Moschus et les Tragulus. Les os intermaxillaires sont courts, fortement dilatés en arrière ; ils ne s’articulent qu'avec le maxillaire, et ne se prolongentpas jusqu'aux osnasaux, comme cela a lieu dans les deux genres précédents. La mâchoire inférieure est épaisse, et, de même que chez toutes les espèces du groupe des Tragulides, son angle postérieur est arrondi, et son apophyse coronoïde est crochue et très-petite. Sur les mâchoires que j'ai pu étudier, il existait en arrière du trou mentonnier un trou nourricier arrondi, et d'assez fort calibre. Les dents présentent, chez l'Hyæmoschus, la même disposi- tion générale que chez les Tragules. Cependant les molaires sont RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES CHEVROTAINS. 137 plus mamelonnées, et par ce caractère se rapprochent davantage des formes que l'on observe chez certains Pachydermes. A la mâchoire supérieure (1), les colonnettes d’émail qui existent, soit au bord antérieur des lobes, soit sur la portion médiane du lobe antérieur des vraies molaires, sont très-fortement marquées. Il existe à la partie interne de ces dents un petit collet d'émail qui, chez une espèce, ne se montre pas sur toutes les molaires ; la troisième prémolaire de lait présente toujours ce caractère. Chez l'adulte, la troisième prémolaire ressemble à celle des Tra- gules. Les deux premières prémolaires n’en différent que peu; elles sont cependant quelquefois un peu plus compliquées. La canine des femelles est petite; chez les mâles, au contraire, elle prend un très-grand développement et fait saillie hors de la bouche ; elle est plus forte que chez les Tragules, dirigée légè- rement en dedans, beaucoup plus en arrière, et par conséquent elle est plus arquée; ses dimensions restent toujours bien au- dessous de celles des canines du Porte-musc, et elles s’en distin- guent aisément par leur plus forte courbure et par une cannelure longitudinale large et peu profonde qu'elles présentent sur leur faceexterne. Les molaires inférieures (2)sont conformées comme chez les Tragules; cependant chez l'Hyæmoschus, les deux premières vraies molaires présentent un petit tubercule interlo- bulaire dont je n'ai jamais constaté la présence dans le genre précédent. Les prémolaires sont comprimées et tranchantes. Les incisives sont semblables à celles des Tragules : de même que chez ceux-ci, elles sont séparées sur la ligne médiane par un espace vide ; celles de la première paire sont élargies et spa- tuliformes , les suivantes sont au contraire, très-étroites. Nous ne connaissons malheureusement aucun détail de l’or- ganisation intérieure des Hyæmoschus. Il est très-rare que l'on puisse se procurer ces animaux vivants : lord Derby est, à ma con- naissance, le seul qui en ait eu en sa possession, et leur étude ana- tomique n’en a pas été faite. Il serait cependant d’un grand in- (4) Voy. pl. 414, fig. 4. (2) Voy. pl. 44, fig. 1%. 138 * ALPHONSE MILNE EDWARDS. térêt d'examiner la disposition de l'estomac, et de chercher si les ressemblances que ces animaux paraissent avoir avec les Pa- chydermes par la disposition de leurs pieds, se retrouvent dans la conformation de ce viscère. Nous savons cependant que les Hyœmoschus ruminent (1); mais il en est de même pour les Tragules, dont l'estomac ne présente que trois poches, et nous ignorons si la disparition d’une poche de plus empêcherait cette fonction de s’accomplir. A l’aide du moule interne de la boîte cränienne de l’une des espèces de ce genre, J'ai pu constater que le cerveau ressemble beaucoup à celui des Tragules (2) ; il est cependant plus allongé, et cet allongement est dû principalement au dévelop- pement des lobes antérieurs, qui se rétrécissent beaucoup en avant. $ 2. HYOŒEMOSCHUS AQUATICUS. (PL. 3, fig. 3 et 3.) L'Hyæmoschus aquaticus est de tous les Traguliens celui qui atteint la plus grande taille. Ses membres sont courts et trapus; son corpsest gros, lourd, et très-allongé. A raison de ces particu- larités de conformation, les habitants du Gabon, où on le trouve, le désignent sous le nom de Biche cochon. En effet, la grosseur des jambes, leur briéveté, lui donnent l'aspect du dernier de ces animaux , tandis que la forme des sabots, celle de la tête, etc., rappellent ce qui se voit chez les Ruminants du genre Cerf, Le pelage est d'une couleur générale brune plus ou moins foncée, plus foncée sur le vertex et sur la ligne médiane du dos. Les flancs sont marqués de taches et de bandes blanches très-ana- logues par leur disposition à celles des Meminna. On voit tou- (1) Ge faita été constaté par le gardien de la Ménagerie de lord Derby (voy: G/ean- ings from the Menagerie of Knowsley, p. 42). | (2) Voy. pl. 6; fig. 4, RECHERCHES: SUR LA FAMILLE DES CHEVROTAINS. 139 jours une bande principale qui, partant de la partie antérieure des épaules, se prolonge longitudinalement sur les parties laté- rales du corps, puis au devant de la cuisse, se relève oblique- ment et va se terminer près de la ligne médiane du dos. Au-des- sous de cette bande principale on en voit souvent une autre pa- rallèle, mais moins nettement indiquée. Enfin au-dessus sont de nombreuses taches blanches disposées par rangées transversales sur le dos, mais ne se prolongeant jamais sur la ligne médiane. La disposition de ces taches et des bandes est d’ailleurs très-va- riable, et vu l'insuffisance des matériaux dont nous pouvons dis- poser, il est presque impossible de savoir si ces variations sont dues à l’âge, ou à des différences spécifiques, sexuelles ou indi- viduelles. Cependant, d’après l'étude que j'ai faite des Hyæmos- chus de plusieurs musées, il me paraît que plus l'animal estjeune, plus ces taches sont nombreuses et nettes (1) ; elles s’effaceraient ensuite par les progrès de l’âge, et, chez les individus adultes, on ne verrait plus que la bande principale des flancs, accom- pagnée de quelques taches. La tête est longue et réguliè- rement busquée en dessus ; tes joues sont plus claires que le vertex; une petite ligne noire s'étend de chaque côté de l'œil aux naseaux. En arrière et au-dessous de l'œil, on voit sou- vent unc petite tache blanche. Les oreilles sont peu poilues. En dessous, on n’aperçoit pas l’espace dénudé qui existe chez les autres Traguliens derrière le menton. La région hyoïdienne et la gorge sont marquées par de longues bandes blanches différant par quelques particularités de celles des Meminna et des autres Tragules. La bande mé- diane s'élargit beaucoup en arrière, et se confond largement avec l’espace blanc sternal. Les grandes bandes latérales infé- rieures sont élargies, réunies à leur base, qui prend nais- sance vers le menton. Elles vont ensuite en divergeant et se termihent en avant des épaules. Les petites bandes latérales supérieures sont fines; elles sont confondues à leur origine avec les précédentes , puis s'en séparent, suivent le bord des (4) Voy. pl. 3, fig. 38. 4410 ALPHONSE MILNE EDWARDS, maxillaires, pour se prolonger sur les parties latérales du cou, jusque dans le voisinage des épaules. Chez les très-jeunes individus, le ventre est blanc ; mais, par le progrès de l’âge, 1l devient brun en arrière, et ne reste blanc que sur la région sternale. La face antérieure des jambes de derrière et la face postérieure de celles de devant sont blanches, ou au moins plus claires que le reste du corps, surtout chez les jeunes. Les ergots sont longs et s'étendent jusqu à la base de la seconde phalange. Cette espèce se rencontre sur la côte occidentale d'Afrique, au Gabon, d’où M. Aubry-Lecomte en a envoyé au Muséum la peau d'un très-jeune individu (1). On la trouve à Sierra-Leone, dans la Gambie. Peut-être remonte-t-elle jusqu'au Sénégal, car en 18416, le Muséum en a acquis une peau qui se trouvait au milieu d’un lot d'animaux propres à cette.partie de l'Afrique. Plusieurs auteurs ont assuré que les habitudes de l’Æyæmoschus étaient à peu près les mêmes que celles des Cochons, qu'ils prenaient leur pourriture dans l’eau, et c’est pour cette raison qu'on l’a appelé H. aquaticus. Cependant lord Derby, qui a possédé dans sa ménagerie de Knowsley plusieurs exemplaires vivants, assure qu'ils parais- salent ne pas aimer l'eau. Les nègres de la Sierra-Leone désignent cet animal sous le nom de Boomorah. Dimensions des divers os du squelette de l'Hyœæmoschus aquaticus mâle. m, Longueur des métacarpiens médians....,,,,.,.,,.,.1.,......, 0,041 — des métatarsiens médians...,.,.,,.,....,........... 0,062 pt duiradiusr. A SPIP, OO, PORN, ECS ES 0,080 —= Cadu EUDURS LP MIS. ES rat NES ANS Ant re. 0,098 RS LAURE GET EE ENoleene tes PR EU Enfants dent 0,110 du enlcanEnm el FUN. ES AUS. a LORS. 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Les premiéres notions sur le Ruminant fossile dont l'étude nous occupe ici sont dues à Cuvier ; mais, par suite de quelques rapprochements inexacts, ce grand naturaliste fut conduit à méconnaitre les véritables affinités zoologiques de cet animal, et il en est résulté une confusion très-grande dans son histoire. En effet, Cuvier, ayant trouvé dans la même localité, à Mon- tabuzard, près d'Orléans, divers fragments de bois d'un petit Cerf assez voisin du Chevreuil, et des portions de mâchoires d'un Ruminant dont la taille paraissait être à peu près la même, crut devoir les considérer comme appartenant à une même espèce, qui tiendrait à la fois des Cerfs et des Chevrotains. Ce dernier rapprochement était motivé par la forme des prémo- laires, et Cuvier fit remarquer aussi que, chez ce fossile, les vraies molaires supérieures présentent des particularités qui ne se trouvent chez aucun Cerf vivant, et qui pourraient être considérées presque comme ayant une valeur générique (1). Plus récemment (en 1839), M. Lartet, en explorant le gise- ment ossifère de la colline de Sansan, dont la découverte lui est due, trouva pêle-mêle avec les débris si nombreux du petit Cerf qu'il fit connaître sous le nom de Dicrocerus elegans, des (1) Cuvier s'exprime dans les termes suivants : « Les arrière-molaires s'y distin- guent déjà de celles du Chevreuil : 1° par des pointes plus grosses à la face externe, en avant de chaque demi-cylindre ; elles surpassent même celles de la plupart des Cerfs ; 2° par un collet qui entoure leur base du côté interne : il n’existe pas dans le Chevreuil ; on le trouve dans quelques Cerfs, notamment dans celui de Timor (C. Peronni), mais il s’y élève en pointe plus saillante entre les demi-cylindres. Les différences des deux molaires antérieures sont encore beaucoup plus fortes. Ces deux dents sont simples, tranchantes, divisées en trois lobes, avec un collet à la base de la seconde seulement. Tous les Cerfs connus, comme la plupart des Ruminants, ont à leurs trois molaires anté- rieures deux croissants simples placés l'un au devant de l’autre. Les seuls Chevrotains 5€ série, Zoor. T. IL. (Cahier n° 8.) 2 10 112 ALPHONSE MILNE EDWARDS. bois et des mâchoires semblables à ceux de Montabuzard décrits par Cuvier. À l'exemple du fondateur de la paléontologie, il les regarda d'abord comme appartenant à un même animal, qu'il rapporta avec beaucoup de réserve au genre Dicrocerus, et qu'il désigna sous le nom spécifique de D. crassus (4). Plus tard, il décrivit avec beaucoup d’exactitude le système dentaire, ainsi que les principaux os du squelette de ce Ruminant ; il lui attribua de grandes canines arquées trouvées dans le même gisement, et analogues à celles des Chevrotains; enfin il fit ressortir les traits de ressemblance qu'il présente, d’une part, avec ces der- niers animaux, d'autre part avec les Pachydermes (2). Les observations ultérieures de M. Lartet lui firent reconnaitre que les bois attribués au Dicrocerus crassus n’appartenaient pas à cet animal, et provenaient de jeunes individus du Dicrocerus elegans (3). | ont, comme cet animal-ci, leurs deux premières molaires simples et trilobées, encore la seconde a-t-elle à sa base interne un tubercule plutôt qu'un collet. Ainsi, non-seule- ment ce petit Cerf des antiques carrières de Montabuzard, que l'on n'avait pu jusqu'ici distinguer du Chevreuil, n’est pas un Chevreuil, mais il diffère de tous les Cerfs connus par un caractère presque générique. » (Cuvier, Recherches sur les ossements fossiles, t. VI, p. 209, pl. 469, fig. 3-6, édit. in-8°.) (4) Lartet, Notice géologique (Annuaire du Gers, 1839). (2) Les fausses molaires du Dicrocerus crassus, dit M. Lartet, son plus simples à la mâchoire supérieure que celles des autres Ruminants ; à la mâchoire inférieure, elles sont presque tranchantes. Les arrière-molaires ont leurslobes arrondis et presque en forme de mamelons, comme celles de certains Pachydermes. C’est aussi par suite de coexistences répétées de gisement que j'ai risqué d'attribuer à cette espèce une canine arquée, très- comprimée et tranchante en arrière; elle rappelle assez bien la canine des Chevrotains. La dégradation du type Ruminant et la tendance vers les Pachydermes se fait mieux sentir à mesure que l’on descend vers les extrémités. Ainsi, le canon antérieur du D. crassus est constamment, même dans les individus adultes, divisé en deux os bien distincts. Le métatarsien, ou canon postérieur, divisé également chez les jeunes sujets, se soude avec l’âge, mais les canaux médullaires n’en restent pas moins séparés par une cloison osseuse. L'os malléolaire qui représente le péroné, au lieu d'être libre comme dans les Cerfs, reste soudé au tibia, ce que l’on voit aussi chez les Chevrotains. — Voy. Lartet, Nolice sur la colline de Sansan (Ann. départ. du Gers pour 1851, p. 3). (3) J'ai pu vérifier l'exactitude de ce fait qui m'avait été communiqué par M. Lartet. En effet, les bois du Dicrocerus elegans sont très-communs à Sansan, et dans la collection que j'y ai recucillie on-peut suivre {ous les passages entre ces bois portés sur un pédon- cule très-long, sans pierrures, ni bourrelet; et les bois ordinaires des Dicrocères adultes. RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES CHEVROTAINS. 143 M. Gervais, dans la première édition de sa Paléontologie fran- çaise, rapporta les dents canines du même animal au genre Moschus, et proposa sur ces bases l'établissement d’une espèce nouvelle sous le nom de Moschus armatus (1). Mais dans la se- conde édition du même ouvrage, ce zoologiste recennut qu'elle pe devait pas être séparée du Dicrocerus crassus de M. Lartet (2). Cette dénomination a par conséquent été rayée de nos catalogues zoologiques. A cette époque, on ne connaissait que très-imparfaitement les caractères ostéologiques du genre Hyæmoschus de M. Gray. MM. Falconer et Cautley en avaient déjà dit quelques mots en 1843 (3); mais les musées de France ne possédaient encore aucune partie du squelette de ce Ruminant, de facon qu'on ne pouvait établir aucune comparaison rigoureuse entre cet animal et le fossile dont nous venons de parler. Vers 1850, le Muséum de Paris se procura une peau d’un jeune Æyæmoschus aquaticus, dont Blainville fit préparer la tête osseuse et les os des extré- mités. À l’aide de ces matériaux, Laurillard reconnut les rap- ports intimes qui existent entre ce dernier animal et le fossile de Sansan. Bientôt après, M. Pomel, adoptant les mêmes vues, pro- posa de placer le Dicrocerus crassus de M. Lartet dans le genre Hyæœmoschus (h): il crut pouvoir y donner un nom spécifique nouveau, et l’appela Hyœmoschus Larteti. Aujourd'hui tous les zoologistes sont d'accord pour repousser de pareils changements dans la nomenclature. Si un animal, en passant d’une division générique dans une autre, devait chaque fois perdre son nom spécifique pour en recevoir un nouveau, il en résulterait une sin- gulière confusion et des synonymies non moins longues qu'inu- tiles. L'ordre chronologique règle les droits de priorité pour tout ce qui touche à cette partie de la nomenclature, et par con- (1) Gervais, Paléont. franç., 1'° édit., 1848-1852, p. 89. (2) Gervais, op. cit., 2€ édit., 1859, p. 155. (3) Falconer et Cautley, Proceed. of the Geolog. Soc. of London, t. IV, 2° partie. (4) Pomel, Nouvelles observations sur la structure des pieds dans les animaux de la famille dz: Anoplothériens et dans le genre Hyæmoschus (Comptes rendus de l'Acas démie, 1851, t. XXIIT, p. 17). Ah ALPHONSE MILNE EDWARDS,. séquent le Dicrocerus crassus de M. Lartei conserve toujours sa dénomination spécifique, quel que soit le genre dans lequel on le range. Tout en adoptant le rapprochement fait par M. Pomel, on ne peut donc accepter le nouveau nom qu'il mtroduit, et l'espèce en question doit être appelée Hyæmoschus crassus. Il est aussi à noter qu'en 1839, M. Kaup, ayant établi une nouvelle division générique pour un Ruminant fossile d'Eppels- heim, auquel il donna le nom de Dorcatherium Naui, y rapporta l'animal de Montabuzard, que nous savons aujourd'hui être identique avec l'A yœæmoschus crassus de Sansan. Mais les carac- tères à raison desquels ce paléontologiste créa le genre Dorca- therium sont mcompatibles avec ce rapprochement. En effet, ce qui fait distinguer au premier coup d'œil ce genre nouveau, dit M. Kaup, c’est l'existence de sept molaires à la mâchoire infé- rieure (1). Or, le Ruminant fossile de Montabuzard, de même que l'Hyæmoschus crassus , n'a partout que six molaires comme tous les autres Chevrotains, et par conséquent le nom de Dorca- therium Naui ne saurait lui être appliqué (2). L'Hyæmoschus fossile se rapproche extrêmement de l'Hyæ- moschus aquaticus de l'Afrique occidentale ; il n’en diffère que par les proportions et par quelques particularités peu impor- tantes. Je ne décrirai donc pas en détail les os de l'A. crassus, et je me bornerai à indiquer les différences qu'il présente avec le seul représentant vivant de ce genre. L'Hyæmoschus crassus était beaucoup plus grand que l'Æyæ- moschus aquaticus. Autant qu'on en peut juger par les os des membres et de quelques parties de la tête, il devait le dépasser d'environ un quart. De même que ce dernier, il était bas sur (1) Kaup, Description d’ossements fossiles de Mammifères qui se trouvent dans le Musée grand-ducal de Darmstadt, 5° cahier, p. 91, pl. 232, 23b et 23e, fig. 1-7 (août 1839). (2) J’ajouterai que les pattes que M. Kaup à figurées comme appartenant à son Dorcatherium Naui, sont des pattes d'un animal de la famille des Cervidés, et non pas celles d’un Chevrotain. Enfin, la tête du Dorcatherium Naui, telle qu’elle est repré- sentée dans l'ouvrage de ce paléontologiste, diffère par un grand nombre de particu- larités organiques, non-seulement de la tête de l'Hyœæmoschus crassus, mais de celle de tous les autres Chevrotains. RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES CHEVROTAINS. 145 pattes, et ses membres étaient robustes et fortement musclés, comme l’indiquent les saillies d'insertion et la profondeur des coulisses destinées au passage des tendons. Les pièces découvertes jusqu'ici ne nous permettent pas de nous former une idée exacte des proportions de la tête osseuse. Les molaires supérieures (1) sont très-grosses, la dernière surtout, et très-fortement mamelonnées; sur les vraies molaires, les crêtes verticales de la surface externe sont très-saillantes et arrondies, celles du bord antérieur de chaque lobe formant un véritable tubercule:; mais, ainsi que l’a fait remarquer Cuvier, leur caractère le plus important consiste dans l'existence d'un bourrelet saillant, qui garnit du côté interne la base de chacune de ces trois dents, ainsi que celle de la troisième prémolaire de lait. Chez l'Hyæmoschus aquaticus, ce bourrelet est rudimentaire sur la dernière molaire, et n’est que médiocrement prononcé sur les autres. La troisième prémolaire ne présente rien d'important à noter, mais les deux premières sont très-fortes, aiguës et tran- chantes. La deuxième porte du côté interne, et en arrière de son lobe principal, un tubercule très-saillant, et plus en avant un repli marginal d’émail. La première est distinctement trilobée ; elle offre du côté interne un tubercule analogue à celui de la deuxième prémolaire, mais beaucoup moins marqué. Les canines (2) ont été trouvées en place sur une mâchoire récemment découverte par M. Lartet; elles sont fortes, médio- crement allongées, beaucoup moins recourbées en arrière que chez l'H. aquaticus. Leur face externe lisse, et régulièrement convexe, ne présente généralement pas de cannelure longitudi- nale, comme dans l'espèce précédente ; le bord postérieur est très-tranchant. Les vraies molaires de la mâchoire inférieure (3) sont tuber- culeuses, et comparativement beaucoup plus larges que chez (4) Voy. pl. 41, fig. 2. (2) Voy. pl. 11, fig. 2 4. (3) Voy. pl. 41, fig. 2 0. 146 ALPHONSE MILNE E0WARDS, l'H. aqualicus; elles portent un petit tubercule interlobulaire peu saillant, et en avant, sur la face externe de leur lobe anté- rieur, On remarque un petit pli d'émail analogue à celui que nous avons rencontré chez les Moschus, et qui se voit aussi, mais moins nettement, chez l'A, aquaticus. Le tibia est très-trapu ; il porte à sa partie supérieure (4) une : petite languette osseuse soudée à sa tubérosité externe et repré- sentant le péroné; enfin il est remarquable par la puissance de ses crêtes et la profondeur des gouttières qui existent de chaque côté à sa partie inférieure, et qui logent les tendons des muscles extenseurs du pied. L’os malléolaire est complétement soudé au tibia. La poulie astragalienne est profonde et oblique. L’as- tragale (2) est plus fortement tordu que chez l'A. aquaticus. Le cuboscaphoïde est également soudé au cunéiforme (3). Le calcanéum (4) se distingue aisément de celui des Cerfs par le peu de largeur de la surface articulaire qui se trouve unie au tibia. Le canon postérieur (5) est gros, et s’élargit inférieurement. Dans le jeune âge, il est formé de deux os distincts, que l'on trouve fréquemment isolés. Mais ces métatarsiens se soudent bientôt, en présentant d’une manière permanente les traces de leur division primordiale, qui se traduit extérieurement par une gouttière profonde sur la face antérieure du canon, etintérieure- ment par l'existence d’une cloison parfaite qui divise en deux la cavité médullaire de cet os. La portion externe du canon est reportée encore plus bas, relativement à la portion interne, que chez l'A. aquaticus. Les premières phalanges (6) sont remar- quables par la puissance des saillies destinées à l'insertion des tendons fléchisseurs. Je n’ai trouvé que des fragments des os des doigts latéraux. (4) Voy. pl. 12, fig. 1, 4 a, 1 b. (2) Voy. pl. 12, fig. 1 e. (3) Voy. pl. 12, fig. 1 d. (4) Voy. pl. 12, fig. 1 f et 4 g. (5) Voy. pl. 12, fig. 1 4. (6) Voy. pl. 12, fig. 1h et 1 à. RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES CHEVROTAINS. 147 L'humérus est court, tordu sur lui-même ; sa poulie inférieure est oblique ; la fosse olécrânienne n’est pas perforée. Le cubitus, le radius (1) et les os du pied antérieur (2), sont semblables à ceux de l’Æ. aquaticus, sauf leur taille, qui est plus grande. Dimensions des différentes pièces du squelette de l'Hyœmoschus crassus. m. Longueur de la série des molaires supérieures. ..,..., o'vaE 0,063 — * detlalpremièretmolaire-fspurenenr. amts 4h à de à 0,013 —. de la deuxième molaire..,.......,,......,.,,,, 0,011 — delatroisième molaire ...,.,,.,.........., 1700 0,009 — de la quatrième molaire .....,,.,,,.,,,.... ss, 0,010 — dela cinquième molaire ....,.... 2.0. 0,011 — de la sixième molaire ..,.,,.4..44 4 mea cet 0,012 — de la série des molaires inférieures. .,.......,..... 0,075 — de la première molaire ,.,,, .:,..,.,..... HE. LPO; 042 — de la deuxième molaire... ,,..,,.,.,,..... sas \D:042 — UE IA CTOISIENE MOIAIPE NS ete as eilesteie lee le ele s tes e des 0,012 — de la quatrième molaire. ...,.,.,.,,,. ve NÉ PTT 0,010 — dela cinquième molaire....,.,.....,.,..,.,: en DUR — : dela sixième molaire .....,4..,..,4,4,,,.544 0,018 — de la canine mesurée avec la racine...,...,.,.,.. 0,052 — 7 du tibia. 0/5. tué bot: Ltée Scra MES sr Us AU Largeur de son extrémité supérieure... ,,., CS Br +0 10702 —. de son extrémitéinférieure …. ....,..,...4..... ses AD Longeurdufcalcanéumn tm nie, DA, ARLON RES 0,058 Hauteur de l'astragale, mesurée sur son bord externe. ,.....,, 0,031 ER NSUT ADIL DOPTE ITÉÉIN s mes eos : eee ele of n 8 0 0 M9» 6 8 09 à 0,023 Largeur de l’astragale à sa partie moyenne. ..... comtes À . 0,016 Cubo-scaphoide dans sa plus grande largeur ....,....,...,.. 0,020 Diamètre antéro-postérieur (le plus grand) de cet 0s.....,.. 0,175 Hauteur de sa face antérieure...,..,.,,., eds chriots sf 1012 EE PTESHUIACE DOSLETIEMEE sets store des see 0 solo ss s ele ee ee 0,015 Longueur du canon postérieur. . ...,,.,. ANUS ON SEEN .. 0,085 Largeur à sa partie supérieure... 4.4.0 ee ti: .. 0,048 —) àsa partie moyenne.....,.,,,...,,,...,,. Eng ni ti 0,016 — àsa partie inférieure. ..,.,.,.,,.,.,,44, ba ee salue 0,025 Longueur de la première phalange Média postérieure . ester Un 28 — dela deuxième phalange....,..,., Le CHEN PEN CI DILS —%# de la phalange unguéale. , ..:,,,4.,,.,.4o 0,022 — duradius.. AM Pre eh EAN Creer 0e LOU — des métatarpiens médians . 1h 4 used rest 05062 Cette espèce de Chevrotain vivait à l'époque miocène ou ter= tiaire moyenne ; elle se trouve à Montabuzard, à Sansan, à Simorre, etc. C'est dans le dépôt de la colline de Sansan qu'ont été trouvées les pièces les mieux conservées et les plus nom- (4) Voy. pl. 12, fig. 17. (2) Voy. pl. 42, fig. 4 X. 148 ALPHONSE MILNE EDWARDS, breuses ; du reste, cet animal est loin d'y être commun. Jus- qu'ici l'A. crassus est le seul représentant du genre Hyæmos- chus, et même de la famille des Tragulides, qui ait été trouvé à l’état fossile, Mais, puisque ce type zoologique se montre déjà dans la période miocène, et qu'il existe encore de nos jours, on doit s'attendre à en trouver d’autres représentants qui viendront combler la lacune chronologique et relier ces deux époques si éloignées entre elles. CHAPITRE CINQUIÈME. DES GENRES FOSSILES QUI ONT ÉTÉ RANGÉS DANS LE GROUPE DES CHEVROTAINS. M. P. Gervais a rangé dans sa tribu des Moschiens, à côté du Porte-muse et des autres Chevrotains, un certain nombre de Ruminants fossiles, qui en effet, par quelques-uns de leurs carac- tères, paraissent s’en rapprocher (1). Les premiers constituent le genre Dremotherium, les autres le genre Amphitraqulus, les derniers le genre Lophiomeryæ. Le genre Dremotherium a été établi par Ét. Geoffroy Saint- Hilaire (2) pour un Ruminant propre aux terrains tertiaires moyens du département de l’Allier, dont le front serait dépourvu de cornes, et dont le mâle serait armé de longues canines ana- logues à celles du Porte-muse. Ce genre paraît représenté par plusieurs espèces, dont la plus grande atteignait à peu près la taille d’un Chevreuil. Le genre Amphitragulus de M. Pomel (3) présente, d’après cet auteur, une formule dentaire différente de celle de tous les Rumipants de l’époque actuelle ; en effet, il a sept molaires à la mâchoire inférieure et six à la supérieure. La plus grande (1) Gervais, Paléont. franç., 22 édit., 1859, p. 153. (2) Et. Geoffroy Saint-Hilaire, Revue encyclopédique, 1832 : Etudes progressives d'un naturaliste. (3) Pomel, Bull. de la Soc. géol, de France, 2° série, t. V, p. 369, et t. IV, p. 385. Ce genre avait été appelé antérieurement Tragulotherium par l'abbé Croizet, dans le catalogue manuscrit de sa collection. RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES CHEVROTAINS. 119 espèce d'Amphitragulus devait présenter à peu près les mêmes dimensions que le Porte-musc, et suivant M. Pomel, il y aurait quatre espèces de ce genre qui auraient vécu à l'époque miocène dans la Limagne. Enfin, on doit probablement placer ici le genre Dorcatherium de M. Kaup (L), dont l'espèce type a été trouvée fossile à Eppels- heim. Cet auteur lui donne pour caractères une longue canine, - six molaires à la mâchoire supérieure et sept à la mâchoire inférieure. Dans l’état actuel de la science, il est difficile de bien fixer les affinités naturelles de ce fossile, et la place qu'il doit occuper dans les cadres zoologiques. M. Kaup en fait figurer une tôte, reconstituée et restaurée, où se trouvent réunies les parti- cularités d'organisation les plus dissemblables, et qui, suivant toute probabilité, ne peuvent exister chez le même animal. Il serait aujourd'hui nécessaire de faire de ce genre une étude nouvelle et approfondie. Je serais assez porté à croire que les Dremotherium d'Étienne Geoffroy, Amphitragulus de Pomel et Dorcatherium de Kaup, doivent se placer à côté du Porte-musc. Cependant je pense qu'avant de se prononcer définitivement à ce sujet, il faudrait que l’on fit un examen sérieux et détaillé des diverses pièces réunies dans les collections, soit d'Angleterre, soit de France, soit d'Allemagne ; et l’on pourrait alors discuter les affinités de ces animaux. Bien que les débris de leur squelette, réunis aujour- d'hui dans les principaux musées d'Europe, soient en nombre considérable, ils n’ont jamais été coordonnés, et leur étude ana- tomique rigoureuse n'a pas encore été entreprise ; on a décrit des espèces et l’on a formé des genres, sans se préoccuper de ceux qui avaient déjà été proposés. Les caractères qu'on leur a assignés sont insuffisants pour permettre de les distinguer ; beaucoup n'ont pas été figurés , et les figures qui ontété données des autres sont en petit nombre ou incomplètes. £' Quant au genre Lophiomeryæ (1) établi par M. Pomel, et que (4) Kaup, Description d'ossements fossiles de Mammifères qui se trouvent au Muséum de Darmstadt, 5° livr., 1839, p. 94, pl, 28. 150 ALPHONSE MILNE EDWARDS. M. Gervais range avec doute à côté des Moschus, je pense qu'il ne peut conserver cette place, et qu'il ne fait pas partie du groupe que nous étudions. M. Pomel lui assigne les caractères sui- vanis : « La mâchoire inférieure présente sept molaires et quatre » incisives devant une barre assez courte. Première molaire » petite, un peu séparée des autres; les trois suivantes très- » dilatées. Arrière-molaires assez différentes de celles des Rumi- » nants pour serapprocher un peu de celles des Chœroïdiens. Le » croissant externe du premier lobe est réuni à linterne en » arrière pour former une sorte de colline transversale, tandis » qu'en avant ils sont très-séparés. L’externe, très-court, ne » forme qu'un tubercule, etne ferme pas la vallée, de manière à » produire une forme analogue à celle des dents inférieures des » Lophiodons. Le second lobe présente la même structure, mais » en sens inverse , sa vallée étant ouverteen arrière, mais beau- » coup moins cependant que l’antérieure, à cause du plus fort » développement du tubercule interne etdu prolongement interne » de l'aile du croissant externe. La dernière arrière-molaire a un » troisième lobe très-développé. » Ces particularités de structure suffisent et au delà pour éloi- gner les Lophiomeryæ des Chevrotains, et il est probable que, lorsque les autres pièces du squelette seront mieux connues, les différences se prononceront encore davantage. CHAPITRE SIXIÈME, DES AFFINITÉS ZOOLOGIQUES DU PORTE-MUSG ET DES AUTRES CHEVROTAINS. Les faits que nous venons de passer en revue montrent que lesanimaux désignés sous le nom commun de Chevrotainsne for- ment pas un groupenaturel, comme le pensent la plupart des z00- logistes. M. Pucheran fut le premier à insister sur la valeur des dif- (4) Pomel, Catalogue méthodique, 1854, p, 97. RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES CHEVROTAINS. 4151 férences organiques qui séparent les Tragules des Moschus (1). Se fondant principalement sur la structure de l'estomac, il pro- posa d'en former deux familles distinctes, les Tragulidés ét les Moschidés. Ces vues ne furent pas adoptées par les auteurs qui depuis cette époque ont traité de la classification des Rumi- nants (2) ; cependant elles me semblent parfaitement fondées, et rendre de la manière la plus vraie les affinités naturelles de ces animaux. Beaucoup de zoologistes, attachant une importance exagérée à l'absence des cornes et au développement des canines, ont placé les Chevrotains dans la même division que les Camé- liens ; ce rapprochement me semble impossible à admettre. Les Chameaux, les Lamas, etc., forment une famille parfaitement distincte de tous les autres Ruminants, et caractérisée par un grand nombre de particularités organiques d’une haute impor- tance, telles que la formeelliptique des globules du sang, la struc- ture de l'estomac, la disposition du système dentaire et la con- formation des pieds. Les Chevrotains, de même que les Ruminants ordinaires, sont des animaux unguligrades, dont les globules du sang sont circulaires comme ceux des Mammifères en général, dont les incisives sont au nombre de 8 à la mâchoire inférieure, et les molaires au nombre de 6 à chaque mâchoire et de chaque côté. Dans une classification naturelle, l'ordre des Ruminants me semble donc devoir être divisé d’abord en deux sections : celle des Ruminants phalangigrades où Camélidés, et celle des Rumi- nants unguligrades (3), comprenant : L°les Girafidés, ® les Bovi- dés, 3° les Capridés, 4° les Antilopidés, 5° les Cervidés, 6° les Mos- chidés, T° les Tragulidés. Les Moschidés se rapprochent beaucoup (1) Pucheran, Monographie des espèces du genre Cerf (Comptes rendus de lAcad. des sciences, 1849, t. XXIX, p. 773, et Archives du Muséum, 1852, t. VI, p. 285). (2) Voy. Gray, Cat. Brit. Mus., 1852, p. 241.—Gervais, Hist. nat. des Mammif., 4855, t. II, p. 220.— Van der Hoeven, Handboek der Dierkunde, Amsterdam, 1855, t. IL, p. 931.— Giebel, Die Süugethiere, 1855, p. 327 et suiv. (3) La division des Ruminants en Unguligrades et Digitigrades a déjà été proposée par Sundevall (Kong!. Vetensk. akad. Handl., 4844-1846, et Hornschuch Archiv, I, 1848). 452 ALPHONSE MILNE EDWARDS, des Cervidés. Nous avons vu que la conformation du placenta est la même dans ces deux familles ; que le cerveau , l'estomac et la charpente osseuse sont conformés sur le même plan. L'absence de cornes n'est pas un caractère d’une importance aussi grande que l’on pourrait le croire au premier abord. En effet, chez cer- tains Cervidés, ces appendices existent dans les deux sexes; chez les autres, les femelles en sont privées, et il est des espèces où les bois sont très-peu développés : en sorte que l'absence com- plète de ces prelongements frontaux chez les Moschidés peut être considérée comme un arrêt de développement sans influence sur le type essentiel. Les Moschidés diffèrent aussi de la plupart des Cervidés par le grand développement des canines supérieures ; mais le Cerf Muntjac en présente de presque aussi grandes, et beaucoup d’autres Cerfs n’en sont pas complétement dépourvus : le Cerf commun entre autres. Le principal caractère anatomique qui distingue les Moschidés des Cervidés consiste dans l'existence de l'appareil moschifère; et encore cette particularité de struc- ture n'existe que chez le mâle. Les différences qui séparent les Moschidés des Tragulidés sont beaucoup plus nombreuses et plus importantes. Ces derniers s'éloignent non-seulement du Porte-muse, mais aussi de tous les Ruminants ordinaires, par la structure du placenta, particu- larité qui les rapproche des Camélidés, des Solipèdes, et surtout des Porcins, chez lesquels cet organe fœtal est dépourvu de coty- lédons et présente sur toute sa surface des villosités. L'estomac est conformé sur un plan différent chez les Tragulidés, d’une part, et chez les Moschidés et tous les autres Ruminants unguli- grades, d'autre part. Chez ces derniers, de même que chez les Caméliens, il existe un feuillet bien caractérisé, tandis que les Tragulidés en sont complétement privés, et n’ont par conséquent que trois estomacs. Nous ne connaissons pas les globules du sang des Moschidés, mais ces corpuscules, chez les Tragulidés, diffè- rent de ceux des Cervidés etde tousles autres Ruminants par leur extrème petitesse. Plusieurs autres caractères particuliers aux Tragulidés, et qui ne se rencontrent chez aucun Mammifère du même ordre, nous’sont fournis par la structure des pieds. RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES CHEVROTAINS. 153 Les métatarsiens et les métacarpiens latéraux, au lieu d’être plus ou moins incomplets, ou rudimentaires, ou nuls, comme chez les autres Ruminants, sont complets, c’est-à-dire s'étendent d’une extrémité à l’autre du canon. Chez les Ruminants ordinaires, le cubo-scaphoïde du carpe est distinct du troisième cunéiforme. Chez les Tragulidés, ces deux os sont soudés. Dans ce dernier groupe , l'os malléolaire se soude au tibia, au lieu de rester distinct comme chez les autres représentants du même ordre. Enfin, le cerveau des Tragulidés est plus simple que celui du Porte-musc et des autres Ruminants. Ajoutons que les Tragu- lidés ne présentent jamais d'appareil moschifère. La famille des Tragulidés semble établir le passage entre les Ruminants ordinaires et certains groupes de l’ordre des Pachydermes, principalement celui des Porcins. La ressem- blance entre ces deux types se prononce surtout dans le genre Hyæmoschus et dans quelques Pachydermes fossiles, les Caino- therium des terrains tertiaires de l'Allier, par exemple. Si l’on avait trouvé d’abord une patte isolée de l'Æyæmoschus, on l’au- rait certainement considérée comme appartenant à un animal fort voisin des Pécaris. Il est à regretter que l'on n’ait pas encore pu étudier les viscères de l’Hyæmoschus, car il est possible que l'estomac soit encore moins compliqué que celui des Tragules, et ressemble davantage à l'estomac pluriloculaire du Pécari. Je proposerai donc de classer les Chevrotains de la manière indiquée dans le Conspectus suivant : ORDRE DES RUMINANTS. Sous-0oRDRE DES PHALANGIGRADES. Famille unique : CAMÉLIDÉS. Sous-orDRE DES UNGULIGRADES, 4. Famille des GIRAFIDÉS. 2. Famille des BOVIDÉS. 154 ALPHONSE MILNE EDWARDS. 3. Famille des CAPRIDÉS. h. Famille des ANTILOPIDÉS. . Famille des CERVIDÉS. . Famille des MOSCHIDÉS. . Famille des TRAGULIDÉS. J OO cc Famizze pes MOSCHIDÉS (MOSCHIDÆ). Placenta polycotylédonaire. Point d’appendices frontaux. For- mule dentaire : Incis. 22; can. +; mol. 5< 4-4 ? 6-6° Canines très-développées chez le mâle; incisives en série con- tinue, semblables et spatuliformes. Quatre estomacs. Un appa- reil moschifère chez le mâle. | GENRE MOSCHUS. Moscaus, Linné, Systema naturæ, 6° édit., 1748, p. 43, TraGuzus (pars), Brisson, Aègne animal divisé en neuf classes, 1756, p. 94. Moscuus (pars), Gmelin, Linnæti Systema naturæ, 43° édit., 4788, . I, p. 472. Moscuus, Gray, On the genus Moscuus of Linnœus (Proceed. of the Zoo. Soc,, 1836, &. IV, p. 63. — List Mamm. of the Brit. Mus., 1852, p. 242. Espèce unique : MOSCHUS MOSCHIFERUS. 1° Variétés indéterminées. Moscuus mMoscuirERus, Avicenne, Liber canonis de medicinis cordialibus et cantica, lib. Il, tract. 11, cap. 460 (édit, de Bâle, 1556), p. 266. …— Serapion, De simpicihus medicinis opus, p. 126, S 185, édit. de 1531. — Marco Polo, De regionibus orientalibus, lib. I, cap. 62, édit. de 4674, p. 95. — Alexandrus, Phœbus medicorum, 1513, p. 66. — Nieremberg, Historia naluræ, Anvers, 1535, p. 184. RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES CHEVROTAINS. 155 Moscnus moscaitreRus, Ruellius, De aatura stirgrium, lib. IT, 1536, p. 134. | Hernandez, Rerum medicarum Nove Hispanie thesaurus, 1546, p. 554. Moscnus CarreoLus, Gesner, Historia Animalium, 1551, lib. TI, p. 786. Moscuus, Aldrovande, Quadrupedum bisulcorum historia, 1624, p.746 (avec une très- mauvaise figure). — Chiocco, Musœæum Calceolarianum, 1622, p. 662. — Du Halde, Description géographique, lustorique, etc., de l'empire de la Chine, Paris, 1635, in-folio, p. 107 et 408. — Jonston, Historia naturalis de Quadrupedibus, 4650, p. 83, pl. 29, fig. 3 (tres- mauvaise Égure). -— Boym, Briefve relation de la Chine, 1652, dans Thévenot, Relation de divers voyages curieux, t. I. — P. della Valle, Les fameux voyages, 1662, p. 387. — Nicuhoff, L'ambassade de la- Compagnie orientale des Provinces-Unies - vers l’empereur de la Chine, etc., 22 part., 1665, p. 96 (avec figure). — Maxini, Nouvelle relation des Indes orientales, contenant une description exacte des royaumes de Tonquin el de Lao, trad. franc., 1666, p. 339. — Kircher, /a Chine illustrée, 4667, chap. vu, p. 256 (avec une figure). — Nieuhovius, Legatio Batavica ad magnun Tartariæ, 1668, p. 124. — Charleton, Onomasticon zoicon, 1668. — Exercitationes de differentiis et no- minibus Animalium, 1677, p. 40. — Tavernier, Voyages, t. Il, p. 346 (avec une figure). — Bartholin, Observation sur le muse (Acta Hafniensia, 4672, t. [l, obs. xx.) — Hudovici, De Mosch folliculis (Ephemerid. Acad. nat. ourios., 1673, déc. 1, ann. IV, obs. ccv, p. 269). — Grew, Musæum regalis Societatis, 4681, p. 24. — Schrœck, Historia Moschi, 1682, chap. x, p. 45, pl. 5. — Isbrandt, Reise ne Chine, 1704, in-40, pe 45 (avec une figure). — Chardin, Vogages en Perse et autres dieux de l'Orient, 1711, t, 1, p. 16. — Ruysch, Theatrum Animalium, 1718, t. 1, p. 29 (avec une mauvaise figure). — Muller, Sammlung Russichen Geschichte, 1732, in-89, t, II, p. 564. — Strahlenberg, Description of the North and Eastern parts of Europa and Asia, traduct. angl., 4738, p. 335. Moscuus moscaiFeRus, Linné, Systema natur®, 6e édit., 1748, p. 13. TRAGUS MOSGHIFERUS, Klein, Quadrupedum dispositio, 1751, p.48. Carra moscuirenA, Seger, De Capræ moschiferæ exuvis (Miscellanea Acad. natur. curios., sive Ephem. german., 1775-1776, dec. 1, obs. Lxxviw, p. 466). Moscnus MoscuirErus, Erxleben, Systema Regni animalis, 1777, p. 349. 156 ALPUONSE MILNE EDWARDS, Moscuus moscmirERus, Missionnaires de Pékin, Mémotres concernant l'histoire, les sciences, ete., des Chinois, 1779, t. IV, p. 493, fig. 2. — Shaw, Syst. natur. histor., 4801, t. II, p. 249, pl. 471. — Oken, Lehrbuch der Naturgesch., 1816, t. IUT, 2€ part., p. 747. Cuvier, Règne animal, 1e édit., 4817, t. I, p. 251; 2° édit., 1829, t. I, p. 259. .— Fréd. Guvier, Dictionn. des sciences nat., 1817, t. VIII, p.518. — Griffith, Animal Kirgdom, 1827,t. 1V, p. 60. Huet, Collect. des Mammif. du Muséum d'hist. nat., dessinée par Huet, pl. 36, n° 1. Brown, Biographical Sketches and authentic Anecdotes of Quadrupeds, 1831, p. 523, pl. 10, fig. 3. — Swainson, Classif. of Quadrup., 1835, p. 298. — Schinz, Synopsis Mammalium, 1845, t. II, p. 370. Van der Hoeven, Handboek der Dierkunde, 1855, t. II, p. 931. — Gervais, Hist. nat. des Mammif., 1855, t. II, p. 221. — Giebel, Die Säugethiere, 1855, p. 327. 2° Variétés déterminables, A. Var. maculée. Tue Truger Musc, Pennant, Hist. of Quadrupeds, 1793, €. I, p. 124, pl. 21. Moscuaus SIBIRICUS, Pallas, Spicilegia zoologica, fase. xin, p. 29, pl. 4. — Reichenbach, Die vollständigste Naturgeschichte, 1845, p. 52, pl. 15, n°° 93, 94, 95. Moscaus MOSCHIFERUS, Schrœber, Die Süugethiere, t. V, p. 914, pl. 242 (d'apres Pallas). B. Var. rubanée. Moscaus ALTAICUS, Eschscholtz, Isis, 1830, p. 606. — Bulletin des sciences nat. de Férussac, 1830,t. XXII, p. 446. MoscHUs MOSCHIFERUS ALTAICUS, Brandt, Medicinische Zoologie, Bd. II, p. 347 Suppl., pl. 7à. GC. Var. concolor. Le Porte-musc, Daubenton, op. cit. (Mém. de l’Acad. des sciences, 1772, p. 215, pl. 7. Le Musc, Buffon, Hist. nat., 1764, t. XII, p. 361; et Suppl., 1776, t. VI, p. 221, pl. 29. LA RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES CHEVROTAINS. 157 Moscaus MoscuiFERUs, Schræber, Die Säugethiere, pl. 242b (d'après Buffon). — : Brandt, Medicinische Zoologie, t. 1, pl. 7. — Roulin, Atlas duRègne animal de Cuvier, Mawwrères, pl. 86, fig. 1. — Reichenbach, op. cit., pl. 15, n°5 90-92, — Gray, Cataloque of the Mammalia in the Collection of the British Museum 1852, part. 3, p. 244.— Gleanings from the Menagerie at Knowsley-hall, p. 41. — Guibourt, Histoire des drogues simples, 4° édit., 1851, &. IV, p. 54, fig. 437. Famizze Des TRAGULIDÉS (TRAGULIDÆ ;. Placenta diffus. Point d’appendices frontaux. Formule den- taire : DENT TENANES 1-1. 6-6 Incis. =; can. +; mol. <<. 4- 0—0 ? Canines très-développées chez les mâles; incisives en série interrompue, les médianes très-élargies en palettes. Trois esto- macs. Pas d'appareil moschifère chez le mâle. GENRE TRAGULUS. TrAGuLus (pars), Brisson, Règne animal, 1756, p. 94. TraçuLus et MEMINA, Gray, Catalogue of the Mammalia ofthe British Museum, 1843, xxvit, et 1852, p. 246 et 218. Métatarsiens et métacarpiens médians soudés en un os canon. Doigts latéraux bien développés et prolongés d’une extrémité à l’autre du canon. Os intermaxillaires s’unissant aux os nasaux. 1. TRAGULUS JAVANICUS, Palas. Gpral ‘ TRAGULUS JAVANICUS, Pallas, Sprcilegia zoologica, 1777, fasc. xu, p. 18 (note), et 1778, fase, xut, p. 28. NS rturé — Gmelin, Systema nature, 1778, p. 174. ox Poil. Moscuus Javaxicus, Desmarest, Mammalogie, 1820, p. 428. — Fischer, Synopsis Mammalium, 1829, p. 440. TRE Java Musk, Shaw, General Zoology, 1801, t. II, pars 2, p. 257, pl. 173. o° série. ZooL. T. IT. (Cahier n° 3) 5 11 vohan l 158 ALPHONSE MILNE EDWARDS. CHEVROTAIN DE JAVA ou Kaxcniz, Fréd. Cuvier, Mammif. lithogr., avril 1830. Moscxus JAVANICUS, Schinz, Synopsis Mammalium, 1845, t. II, p. 370. — Osbeck, Jter, p. 273. TRAGULUS JAVANICUS (pars), Gray, Proceed. Zoo!. Soc., 1836, p. 64. — Cat. Mammalia Brit. Mus., 1859, p. 249. — Cantor, Catalogue of Marmalia inhabiting Malayan Peninsula and Islands (Jour- nal of the Asiatic Society, 1846, t. XV, p. 62). Péraxpoc, Reichenbach, Die vollständigste Naturgeschichte, 1845, pl. 16, n° 98 et 99. Moscaus Kaxcuic, Règne animal de Cuvier, Mamur., pl. 86, fig. 2 (d'après Fréd. Cuvier). Le CaevroTAIN ADULTE ?, Buffon, Hist. nat., 1764, t. XII, p. 346, pl. 43. Le GHEYROTAIN DE JAVA ?, Buffon, Hist. nat., suppl.,t. VI, p. 219, pl. 50. Taille pêtite. Pelage de couleur fauve mélangée de noir en dessus et de roux sut les côtés. Cou gris; gorge marquée de trois bandes blanches ; espace compris entre ces bandes de la couleur du cou. Tête noire en dessus; la coloration noire ne se prolon- geant pas sur la ligne médiane du cou. Queue assez longue, brune en dessus, blanche en dessous et à son extrémité. Méta- tarse dénudé à sa face postérieure. Espace compris entre les deux maxillaires inférieurs, en arrière du menton, également dénudé. 2. TraGuzus Naru, Raffles. TC A C9 Moscaus say, Raffles, Descriptive Catalogue of « Zooloy. Coll. made in Sumatra (Linn. Transact., t. XIII, p. 262). Mate Lana à EE CaevroraIx Napu, Fr. Cuvier, Mammif. lithos gr 4 “nov. 1822 (bonne figure). Moscaus Napu, Lesson, Manuel de mammalogie, 1827, p. 353. Le CHEVROTAIN DE Java, A. Desmoulins, àrt. CHEvroraix du Dictionnaire De vd d'hist. nat., 1893, t. IT, p. 586. s: Tue Napu Musk-Deer, Bennett, The Gardens of the Zool. Soc., 1830,. t4 I, p. 41 (bonne figure). — Waterhouse, Catal. of Maïnm. of Zool. Soc., 1838, p. 37. Tue Napu, Fennell, À Naf. Hist. of Quadr., 1841, p. 457 (avec une figure). TRAGULUS fAvANICUS (pars), Gray, Proceed. Zool. Soc., 1836, p. 64.— Cat. Mamm. Brit, Mus., 1852, p. 249. RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES CHEVROTAINS. 159 Moscaus Napu, Griffith, Anénal Kingdom, 18927, & IV, p. 63. — Reichenbach, Die volist. Naturg., 1845, n°$ 100 et 104. — Giebel, Die Süugethiere, 1855, p. 329. — Règne animal de Cuvier, Mammirères, pl. 86, fig. 3 (d’après Fréd. Cuvier). — Fischer, Synopsis Mammaliumn, 1829, p. 440. Grande taille. Couleur fauve mélangée de noir. Tête, nuque et . dos plus foncés. Gorge marquée de cinq bandes blanches ; une médiane, deux grandes latérales et inférieures, deux petites laté- rales et supérieures s'étendant le long des maxillaires. Espace compris entre les grandes bandes presque noir; une ligne noirâtre s'étendant de l'œil aux naseaux. Queue assez longue, fauve en dessus, blanche en dessous et à son extrémité. Méta- tarses dénudés en arrière. Un espace nu en arrière du menton, à l'angle du maxillaire. 3. TracuLus KanNcuis. Moscuus Kana, Raffles, loc. cit., p. 262. — Schrœber ct Wagner, Die Säugethicre, suppl, t&. IV, p. 328, t. V, pl. 245€. — Reichenbach, Die volist. Naturg., 1845, pl. 16, n° 102 et 103. — Gray, Proceed. Zool. Soc., 1836, p. 64. — List Mamm. Brit. Mus., p. 176. — Fischer, Synopsis Mammatium, 1829, p. 440. — Waterhouse, Cat. of Mamm. of Zool. Soc., 1838, p. 38. TrAGuLUS AFFINIS, Gray, List Mamm. Brit. Mus., p. 176. Moscaus inrERMEDIUS, Gray, mss. — Waterhouse, Cat. Mus. Zool. Soc., 1838, p. 38. Moscaus FULVIVENTER, Gray, Proceed. Zool. Soc., 1836, p. 65. TraGuLus PyGMÆUS, Gray, Knowsley Menagerie, 1850, p. 52. — Catal. Mamm. of Brit. Mus., 1859, p. 250. KaAxcini, Griffith, he Animal Kingdom, 1827, p. 64. — A. Desmoulins, art. Caevroraix du Dict. classique d'hist. nat., 4823, {. IIL, p. 586. — À. de Quatrefages, urt: CHevrotaiN du Dict. univ. d'hist. nat., 1843, t. II, p. 532. TraGuzus Kancrir, Cantor, Catalogue of Mammalia inhabiting Malayan Peninsula and Islands (Journal of the Asiatic Society, 1846, t. XV, p. 601. Kant, Van Wurmb., Het Duerg-bokje van t’eiland Java in batav, Verhand., t, WU, p: 356. 160 ALPHONSE MILNE EDWARDS, Moscaus JAVANICUS, Fischer, Synops. Mamm., suppl., n° 440. KaxcxiL?, Pennant, History of Quadrupeds, 1793, p. 424. — Brown, Sketches and authentic Anecdotesof Quadrupeds, 1831, p. 524, pl. 40*, fig. 5. Moscaus KaxcuiL?, Schinz, Synops. Mammal., 1845, p. 370. Le CHEvrOTAIN ADULTE ?, Buffon, Hist. nat., 1764,t. XII, p. 346, pl. 45. Le CHEVROTAIN DE JAYA?, Buffon, Suppl, t. VI, p. 219, pl. 30. Petite taille. Pattes élevées. Couleur rousse plus foncée sur les parties supérieures du corps; ligne médiane et supérieure du cou marquée d’une bande noire bien distincte. Gorge traversée longitudinalement par trois bandes blanches. Espace compris entre ces bandes de la même couleur que les côtés du. cou. Queue assez longue, brune en dessus, blanche en dessous et à son extrémité. Métatarses dénudés en arrière. Un espace nu en arrière du menton, à l'angle des maxillaires. k. TRAGULUS STANLEYANUS, Gray. TRAGULUS STANLEYANUS, Gray, On the genus Moscuus 0f Linnœus, with description of two new species (Proceed. of the Zoo!. Soc. of London, 1836, {. IV, p. 65).— Gleanings from the Menagerie and Aviary at Knowsley-hall, 1850, p. 43, pl. 33. — Catalogue of the Mammalia of the British Museum, 1852, p. 249. Moscuus ECAUDATUS, Temminck, mss. Mus. Leyden, 1845. — Sundevall, Pecora (Kongl. Vetensk. Akad. Handl., 1844, p. 63). Taille moyenne. Couleur d’un roux vif, mélangé de noir sur le dos et le dessus du cou; côtés du cou et flancs roux. Gorge marquée de cinq bandes blanches, dont trois grandes et deux petites supérieures. Espace compris entre les grandes bandes de la couleur des parties latérales du cou. Joues rousses; tête mélan- gée de noir en dessus. Queue assez longue, rousse en dessus, blanche en dessous et à son extrémité. Face postérieure des métatarsiens dénudée. Espace intermaxillaire situé en arrière du menton,dénudé. 5. Tracuzus MEMINNA. MeminxA, Robert Knox, Relation du voyage de l'ile de Ceylan, Amsterdam, 1698, t. I, p. 53. RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES CHEVROTAINS. 161 Mein, l'abbé Prévost, Hisf. gén. des voyages, t, VII, p. 545. Le Cnevroraix DE CEYLAN, Buffon, Suppl. à l'Hist, nat., 1776, t. III, p. 1402, pl. 45. Moscaus Meminx4, Erxleben, Systema Regni animalis, 1777, p. 322, — Gmelin, Linnæi Syst. nat., 18° édit., 1788, t. I, p. 172. MEMINNA, Shaw, Systema natur. Hist., 1801, t. Il, p. 256 (avec unc figure). — À general List of Quadrupeds, London, 1800, p. 409 (avec une figure). Moscaus MEuNA, E. Geoffroy Saint-Hilaire, Cataloque des Marmmif. du Muséum d'hist. nat., 1803, p. 244. Inpran Musk, Pennant, History of Quadrupeds, 1793, p. 124. Moscaus MEmNA, Schræber, Die Süugethiere, 1775-1792, t. V, p. 944, — Schrœber et Wagner, Die Süugethiere, 1834-1836, t. IV, p. 328, t. V, pl. 243. Memixa, Lesson, Manuel de mammalogie, 1827, p. 354. — Nouveau tableau du Règne animal, 1842, p. 175. Moscaus MEmINA, Gray, On the genus Moscaus of Linnœus (Proceed. of the Zool. Soc., 1836, p. 63). TRAGULUS MIMENOIDES, Hodgson, Classified Cataloque of Mammals of Nepal (Journ. of the Asiat. Soc. of Bengale, 1841, t. X, p. 914, et Calcutta Journ. of Nat. History, t. IV, p. 292). Moscaus Mewixa, Tickell, Remarks on the M. Memina (Calcutta Journ. of Nat. Hist., 1841, t. I, p. 420.) : Meminxa, Brown, Biographical Sketchesand authentic Anecdotes of Quadrupeds, 1831, p. 525, pl. 40", fig. 4. Moscaus Memnva, Reichenbach, Die voliständigste Naturgeschichte, 1845, p. 52, pl. 15, n°5 96 et 97, — Giebel, Die Süugethiere, 1855, p. 325. Moscaus MEwiNA, Schinz, Synopsis Mammalium, 1845, €. II, p. 370. Memia, Griffith, Animal Kingdom, 1827, t. IV, p. 63 (avec une planche). MEMINNA INDICA, Gray, Menagerie of Knowsley, 1850, p. 42, pl. 32.— Catal. Mamim., Brit. Mus., 1852, p. 247. Pissay, Hamilton, Voyage East Indies, t. 1, p. 261. Mucée, Tickell, Calcutta Journ. of Nat. Hist., 1841, t. I, p. 420. Gaxpwa, Tickell, loc. cit. Taille moyenne. Corps marqué de bandes et de taches blan- ches. Couleur générale du pelage fauve, plus foncé sur la tête et le dessus du corps. Gorge marquée de cinq bandes blanches, dont les latérales supérieures sont très-longues et les latérales 162 ALPHONSE MILNE EDWARDS. inférieures plus courtes que chez les précédentes espèces. Espace compris entre les bandes blanches de la même couleur que les parties latérales du cou. Queue très-courte, fauve en dessus, blanche en dessous et vers son extrémité. Face postérieure des métatarsiens garnie de poils. Espace intermaxillaire situé en arrière du menton, poilu. Genre HYŒMOSCHUS. Moscaus (pars), Ogilby, Proceed. of the Zool. Soc. of London, 1840, p. 35. Hyogmoscaus, Gray, On the African Musk Moschus aquaticus, Ogilby (Ana. and Mag. of Nat. Hist., 1845, t. XVI, p. 350). Métacarpiens médians distincts à tous les âges. Métatarsiens médians d’abord distincts, mais se soudant ensuite en un os canon. Doigts latéraux bien développés, robustes, et s'étendant d'une extrémité à l'autre des doigts médians. Os intermaxillaires ne s’unissant pas AUX OS nasaux. Une espèce vivante : HYoEMoscHus AQUATICUS, Ogilby. MoscHus AQUATICUS, Ogilby, Op. cif., p. 35. — Falconer and Cautley, On some remains of Anoplotherium and Giraffa from the Sewalik hills (Proceed. of the Geolog. Soc., 1843, t. IV, 2€ part.). — Wagner, Wiegmann's Archiv, t. VIII, p. 54. Hyoemoscaus AQUATIQUS, Gray, 0p. cit, — Gleanings from the Menagerie and Aviary at Knowsley-hall, 1850, p. 52, pl. 31. — List of the Mammalia of Bri- tish Museum, 1852, p. 248. Bicar cocon des colons français du Gabon. Water DErR des colons de Sierra-Leone. Boomorau des nègres de Sierra-Leone. Corps gros, long et bas sur pattes, de couleur brune, marqué sur les flancs de bandes et de taches blanches. Gorge traversée longitudinalement par cinq bandes, dont les latérales supé- rieures sont très-longues. Espaces compris entre les bandes de RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES CHEVROTAINS. 163 la couleur des parties latérales du cou. Queue assez longue, brune en dessus, blanche en dessous et à son extrémité. Méta- tarses garnis de poils sur leur face postérieure. Espace sous- mentonnier situé à la réunion des maxillaires, garni de poils. Une espèce fossile : Hyomoscaus crassus, Lartet. CERF DE MonTABuzARD (pars), Cuvier, Ossem. foss., 4° édit., 4835, t. VI, p. 209. Moscaus, Blainville, Rapport sur un nouvel envoi de fossiles provenant du dépôt de Sansan (Comptes rendus des séances de l'Acad. des sciences, 1837, t. V, p. 425). Drcrocerus cRassus, Lartet, Ann. du départ. du Gers, 1839, ct Notice sur la colline de Sansan (extr. de l’Ann. du départ. du Gers, 1851, p. 135). Moscaus ARMATUS, Gervais, Paléontologie française, 1848, t. I, p. 89 (espèce supprimée dans la 2° édition du même ouvrage, 4853, p. 155). Hvyormoscaus LarTeri, Pomel, Nouvelles observations sur la structure des pieds de la famille des Anoplothériens et dans le genre Hvozwoscaus (Comptes rendus des séances de l'Acad, des sciences, 1851,t. XXXIIT, p, 17). — Pictet, Traité de paléontologie, 1853, 1. I, p. 352. Dicrocerus? cRAssus, Gervais, Paléontologie française, 2° édit., 1855, p. 151. Se trouve fossile dans le dépôt tertiaire moyen de Sansan. EXPLICATION DES PLANCHES. PLANCHE 2. Fig. 1. Tragulus javanicus Pallas, mâle adulte, de l'Inde. Fig. a. Jeune individu de la même espèce. Fig. 2. Traqulus Napu Raffles, mâle adulte, de Sumatra. Fig. 3. Tragulus Kanchil Raffles, mâle adulte, de Siam. Fig. 34. Jeune individu de la même espèce. ÿ PLANCHE 5. Fig. 4. Tragulus Stanleyanus Gray, mâle adulte, dessiné d’après le vivant, provenant de Singapour. 164 ALPHONSE MILNE EDWARDS, Fig. 12. Jeune individu de la même espèce. Fig. 2. Tragulus Meminna Erxleben, de Ceylan, dessiné d'après le vivant. Fig. 2,4. Variété de la même espèce. Fig. 3. Hyæmoschus aquaticus Ogilby, mâle adulte, du Gabon. Fig. 34. Jeune individu de la même espèce. PLANCHE A. Fig. 4. Moschus moschiferus du Bengale. Tête d’un mâle adulte (un peu réduite, ainsi que les figures suivantes). Fig. {a. Pied postérieur vu en avant. Fig. 4h. Pied postérieur vu de côté et montrant la disposition des doigts latéraux. Fig. 1e. Pied antérieur vu en avant. Fig. 19. Pied antérieur vu de côté et montrant la disposition des doigts latéraux. Fig. 4e. Li] Incisives de la mâchoire inférieure vues en avant. Fig. 4f. Les mêmes, vues en dedans. Fig. 18. Astragale vu en avant (de grandeur naturelle). Fig. 2. Bassin du Tragulus Napu, sur lequel on voit d’un côté l'espèce de carapace formée par l’ossification de la lame fibreuse des muscles fessiers. (Cette lame a été enlevée du côté droit.) Fig. 2a, Le mème, vu en dessus. Fig. 2e. Première vertèbre cervicale du Tragulus Napu vue par sa face inférieure. Fig. 21. Les six vertèbres cervicales suivantes et la première dorsale vues de côté. PLANCHE D. Fig. 4. Estomac du Tragulus Stanleyanus Gray, vu de côté et {rès-réduit : 4, œsophage ; b, panse; c, bonnet; d, caillette; e, pylore, Fig. 2, Ie même, ouvert et montrant la gouttière œæsophagienne (y) qui se prolonge jusqu'à la caillette : a, œæsophage; b, panse; €, portion appendiculaire de la panse ; d, bonnet ; €, caillette; /, pylore. Fig. 3. Villosités de la membrane muqueuse du bonnet (très-grossies}. Fig. ‘4. Villosités de la membrane muqueuse de la panse (très-grossies). Fig. 5. Foie vu par sa face inférieure et très-réduit. Fig. 6. Cæcum (très-réduit). PLANCHE 6. Fig. 4. Cerveau du Chevrotain porte-muse, vu en dessus, de grandeur naturelle. Fig. 2. Cerveau du Chevrotain de Stanley, vu en dessus. RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES CHEVROTAINS. 165 Fig. 24. Le même, vu de côté, montrant la scissure de Sylvius et les rapports de position du cerveau et du cervelet. Fig. 3. Cerveau du Cainotherium des terrains tertiaires moyens de l'Allier, vu en dessus. Fig. 3a. Le même, vu de côté. Fig. 4. Cerveau de l’Antilope Guevei, vu en dessus et légèrement réduit. Fig. 5. Cerveau de l'Hyæmoschus aquaticus, vu en dessus et de grandeur naturelle. La plupart de ces figures ont été faites d'après les moules internes de la boîte crânienne que M. Grafiolet a bien voulu me communiquer. PLANCHE 7. Fig. 1. Fœtus de Tragulus Stanleyanus, arrivé presque à terme, montrant le placenta, vu par sa face externe et uniformément couvert de villosités. Fig. 2. Le même, montrant la face interne du placenta. Fig. 3. Poumons du Tragulus Stanleyanus déployés pour montrer leurs différents lobes. Fig. 4. Poumons dans leur position normale. Fig. 5. Grosse de l'aorte et vaisseaux qui en naissent : @, b, crosse de l'aorte; c,tronc brachio-céphalique ; e, /, artères carotides; 4, g, sous-clavières. PLANCHE 8. LL Fig. 4. Tête d'un Tragulus Napu de Sumatra, mâle, vue de côté, de grandeur natu- relle, et portant encore sa première dentition. Fig. 2. Tète d'adulte vue en dessous, montrant les dents de remplacement. Fig. 3. Pied postérieur vu en avant. Fig. 4. Portion tarsienne vue en dehors et montrant la soudure de l'os malléolaire au tibia. Fig. 5. Pied antérieur vu de face. Fig. 6. Pied antérieur vu de côté et montrant les doigts latéraux. Rotule vue par sa face postérieure. La même, vue par sa face antérieure. r; el Ci Le] [o] LS! Humérus vu en avant. PLANCHE 9. Fig. 1. Tête osseuse du Tragulus Kanchil mâle, vue de côté et de grandeur naturelle. Fig. 2. La même, vue en dessus. . La même, vue par sa face inférieure. + el ce us . Dents incisives vues de face. "x eo LE A = Mâchoire inférieure vue de côté. 7 e a 166 ALPHONSE MILNE EDWARDS. Fig. 6. Pied postérieur vu en avant et montrant la soudure du cunéiforme au cubo- scaphoïde. Fig. 7. Le même, vu de côté, montrant les doigts latéraux et la soudure de l’os mal- léolaire au tibia. Fig. 8. Pied antérieur vu en avant. Fig. 9. Portion supérieure du tibia montrant le péroné, Fig. 10. Portion inférieure de l’humérus montrant le trou olécränien. PLANCHE 10. Fig. 4. Tète osseuse d'un Tragulus Meminna, mâle adulte, de l’ile Ceylan, de grandeur naturelle. Fig, 2. Tête vue en dessus. Fig. 3. La même, vue en dessous. « Fig. 4. Incisives de la mâchoire inférieure vues de face. Fig. 5. Dernière molaire inférieure vue en dedans et grossie, Fig. 6. La même, vue en dedans et grossie. Fig. 7. Bassin du Meminna male, vu en dessus et montrant l’ossification du ligament ischio-sacré. Fig. 8. Portion inférieure de l'humérus, montrant que la fosse olécrânienne n'esti pas perforée. Fig. 9. Astragale vu de face et grossi. Fig. 10. Calcanéum vu de côté et grossi. - Fig. 11. Le même, vu en dessus. PLANCHE 11. Fig. 4. Tète d'un Hyæmoschus aquaticus, mâle adulte, de Sierra-Leone (grandeur naturelle). Fig. Aa. Série des molaires de la mâchoire inférieure. Fig. 14b. Série des molaires de la mâchoire supérieure. Fig. 4c. Pied postérieur de grandeur naturelle, Fig. 4. Région tarsienne vue de côté, montrant la soudure de l'os malléolaire au tibia. Fig. 4e, Pied antérieur. Fig. A4f. Patte antérieure vue de côté. Fig. 145. Rotule. Fig. 4b, La même, vue de côté, RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES CHEVROTAINS. 167 Fig. 2. Maxillaires supérieurs de l'Hyæmoschus crassus Lartet, fossile à Sansan, montrant la série des molaires, de grandeur naturelle. La troisième prémolaire de lait existe encore du côté droit, mais elle a été remplacée du côté gauche, (Cette pièce fsit partie de la collection particulière de M. Lartet.) Fig. 24. Canine supérieure de l'Hyæmoschus crassus Lartet, de grandeur naturelle. (Cette pièce m'a été également communiquée par M. Lartet.) Fig. 2, Mâchoire inférieure de l Hyæmoschus crassus, montrant la série des molaires, de grandeur naturelle. PLANCHE 12. Fig. 4. Extrémité supérieure du tibia de l'Hyœmoschus crassus Lartet, des terrains ter- tiaires moyens de Sansan (Gers), de grandeur naturelle. Fig. 4. La même, vue par sa face postéricure. Fig. 4b. Extrémité inférieure du tibia vue de face. Fig. 40. La même, vue par sa face externe et montrant la soudure de l’os malléolaire au tibia. Fig. 44, Pied postérieur montrant la soudure du cubo-scaphoïde du tarse au cunéi- forme. (Les doigts latéraux manquent.) Fig. 4e, L'astragale vu de face. Fig. 4f, Le calcanéum vu en dessus. * Fig, 44. Le même, vu de côté. Fig. 4h. Première phalange des pieds de derrière vue par sa face postérieure, Fig. 1i. Deuxième phalange vue par sa face postérieure, Fig. 4j. Radius vu par sa face antérieure. Fig. 4k, Pied antérieur montrant que les métacarpiens médians ne se soudent pas. (Les métacarpiens latéraux manquent.) RECHERCHES SUR £ LA FERMENTATION DE L'URÉE ET L'ACIDE HIPPURIQUE, Thèse soutenue devant l'Académie des sciences de Paris, le 8 juin 1864, Par M, Van TIEGUEM., (Extrait.) L'auteur tire les conclusions suivantes des faits exposés dans son tra- : vail : 1° Toutes les fois que l’urée, dans un milieu quelconque, se convertit en carbonate d’ammoniaque sans que cette transformation puisse se rap- porter à l’action des acides, des alcalis, ou d’une température très-élevée, c'est que dans ce milieu vit et se développe un petit organisme végétal, formé de globules sphériques rangés en chapelet. Toutes les conditions qui gènent ou favorisent le développement de ce petit végétal, gênent ou favorisent à un égal degré la conversion de l’urée; enfin, ce corps reste indéfiniment inaltéré, même dans lés liquides lesmieux appropriés, quand, par une cause quelconque, ces petits chapelets ne s’y développent pas. Ils ne peuvent être suppléés dans leur rôle par aucune autre production organisée; ils constituent donc ce que nous appelons le ferment ammo- niacal, au même titre que la levüre de bière est le ferment alcoolique du sucre, les articles étranglés le ferment lactique, les vibrions le ferment butyrique, etc., etc. ; 2° Le dédoublement de l'acide hippurique en acide benzoïque et en glycoliammine, avec fixation de 2 équivalents d’eau, est produit dans la nature par une vraie fermentation, et il est corrélatif de la vie et du développement d’un petit organisme végétal qui se montre identique avec celui que provoque le dédoublement de l’urée en acide carbonique et en ammoniaque. « En étudiant ainsi le mécanisme qui ramène les deux formes prin- cipales sous lesquelles l'azote est éliminé de l’organisme, à des composés plus simples, assimilables aux végétaux, j'ai apporté de nouveaux faits qui confirment pleinement les idées que M. Pasteur a, le premier, démon- trées touchant la nature et le mode d’action des ferments, ainsi que le rôle que jouent les êtres organisés microscopiques dans l’économie de la nature. » MÉMOIRE SUR LES ANTIPATHAIRES (GENRE GERA RDIA, L. D.). Par lc docteur H. LACAZE-DUTHIERS,. Les animaux qui produisent ces nombreux objets de collec- tions désignés par le terme général de Polypiers sont loin d’être encore tous bien connus. L’attention des naturalistes s’est surtout portée sur leur charpente sèche et dénudée, dont les formes si variées, si élégantes, ont tout d’abord semblé suffisantes pour conduire aux distinctions spécifiques. Quant aux animaux eux- mêmes, 1ls sont d’une délicatesse et d’une mollesse extrêmes : ils ne se rencontrent que peu ou en très-mauvais état dans les musées; aussi ont-ils été négligés, ou sinon, il faut bien le reconnaitre, assez mal étudiés. Ce n’est qu'à l’état vivant que l'on peut en prendre une connaissance complète, et cette con- dition ne se rencontre que lorsqu'on se rend sur les lieux mêmes où ils vivent; encore faut-il que le naturaliste soit favorisé dans ces lieux par l'activité d’une pêche à de grandes profondeurs. Le séjour prolongé que j'ai fait sur les côtes d'Afrique, parti- culiérement près de Bone et à la Calle, m'a fourni l’occasion d'étudier en détail l'animal curieux, jusqu'ici à peu près inconnu, dont on va lire l'histoire, et qui appartient à ce groupe. Voici comment j'ai été amené à m'occuper de lui. Les corailleurs italiens avec qui j'ai eu de si nombreux rap- ports pour mes études sur le Corail m'apportaient à peu près tous les objets qu'ils pêchaient, lorsqu'ils les supposaient curieux. Ils me montraient un jour ce qu'ils appellent des Palmas neras 170 LACAZE-DUTRIERS. (des Palmes noires) : ils donnent en général le nom de Palmes à tout ce groupe des CoraALLIAIRES que les naturalistes nomment GorGoxes. Leur intention était de me faire faire connaissance pour ainsi dire avec un compagnon du Corail, car , disaient-ils, là où croit cette plante, le Corail pousse aussi. Je reconnus bien vite, à la ramure, à la couleur noire, à l'aspect lisse et dru, à la flexibilité fort limitée, je devrais dire à la fragilité, enfin à la nature comme cornée de cette Palme, un ANTIPATHAIRE. Je résolus de le déterminer, mais j'éprouvai une grande diffi- culté. Ma curiosité étant piqué par ce fait, je priai les pêcheurs de m'apporter des échantillons tels qu'ils les retiraient du fond de la mer. Bientôt j'eus de magnifiques Palmas neras, ramenées à la traine plongeant dans l’eau à l'arrière des barques, et les diffi- cultés de la détermination, au lieu de diminuer, devinrent encore bien plus grandes; il ne m'était plus possible d'arriver avec les animaux au même nom qu'avec le Polypier dénudé. Comment, en effet, reconnaitre, dans la description d'un Poly- pier noir, branchu et fort lisse, la magnifique couche de fleurs jaunâtres, parfois orangées, de l'être vivant? Combien il y à loin de ces échantillons desséchés des musées, ayons servi aux des- criptions, à ces splendides colonies animées où chaque individu épanouit sa corolle gracieuse ! Il y avait évidemment là un sujet de recherches plein d'intérêt, car je me trouvais en face d'animaux dont les ouvrages ne don- naient aucune idée. Aujourd'hui on le reconnaît généralement, non sans avoir fait cependant quelques difficultés pour l’admettre, la Zoologie n'est plus une science isolée et purement de description ; l'étude des Coralliaires en fournit la preuve la plus évidente. A part quelques groupes, dont la charpente solide, le polypier, porte l'empreinte de la forme de l'animal qui l'a produit, il est impos- sible d’avoir à priori une idée quelconque de l'être vivant quand on n a que sa dépouille desséchée. Entre la forme des axes des Gorgones et des Antipathes et celle de leurs animaux, il n’y a aucune relation qui puisse, en n'ayant pas vu ceux-là et voyant MÉMOIRE SUR LES ANTIPATHAIRES. 171 ceux-ci, faire juger de ce qu'ont pu être les Polypes produc- teurs. Cela est si vrai, que, tant que l’on n'a pas vu les animaux, on a placé les Gorgones et les Antipathes à côté les uns des autres ; aussi les erreurs que l’on rencontre dans les ouvrages ne doivent pas étonner : elles ne pouvaient pas ne pas exister, elles étaient forcées. On S'en convaincra, je l'espère, par les détails qui vont suivre. Il Il'est tout d'abord nécessaire de rappeler quelques distinctions importantes. Le but que je poursuis en ce moment est de faire connaître dans une série de monographies les Polypes et les Polypiers coral- liaires qui vivent dans la Méditerranée. Aussi, dans la première, la plus étendue sans contredit, qui a paru, celle qui a pour objet le Corail, j'ai cherché à désigner par des termes exacts, autant que possible, les choses qui étaient assez vaguement indiquées. C’est, il faut bien le dire, un des inconvénients des sciences mo- dernes que de créer presque à plaisir des expressions nouvelles : cependant les termes précis ont une grande valeur, et leur avantage étant incontestable, il n’y à pas à hésiter, il faut en donner de nouveaux quand il s'agit d'apporter la clarté dans les descriptions. Je rappellerai donc ici succinetement le sens des termes qui seront employés, et qu'on retrouvera plus longue- meht exposés dans l'Histoire naturelle du Corail (1). Le zoanthodèmé est l'ensemble de toute une colonie de Polypes, le polypier y compris ; c'est une peuplade d'animaux fleurs, et tout ce qu’elle produit. Le sarcosome, où corps charnu, représente la totalité des issus mous formés par les corps des Polypes et les parties inter- médiaires qui les unissent ; il recouvre le polypier, qui lui est {1) Voy. Lacaze-Duthiers, Hist. nat. du Corail. Paris, 4864, p. 94. 172 LACAZE-DUTHIERS. sous-jacent, et qu'il sécrète. Celui-ci à reçu son nom de de Jus- sieu et de Réaumur ; on ne saurait sans inconvénient le rejeter, car 1l est consacré. La blastogénese est la force ou la faculté qu'ont les animaux de produire d’autres êtres semblables à eux par un véritable bourgeonnement de leur tissu; aussi les blaslozoïtes sont-ils les animaux nés par l’activité de cette force, et sont-ils tout à fait distincts par leur origine des oozoïles nés d’un œuf formé et fécondé, comme dans tous les cas où la reproduction est sexuée. On le voit, chaque zoanthodème, pris dans son ensemble, est dû au développement d’un oozoïte, dont la force blastogéné- tique a fait rapidement un être complexe et semblable à un arbre, si l'on compare dans celui-ci chaque bourgeon à un animal, à un Polype. L'oozoïte multiplie le nombre des zoan- thodèmes, comme la graine multiplie le nombre des pieds d'arbres ; la blastogénèse les étend. Le mot Polype désigne un animal indépendamment de son origine. Dans les mémoires qui suivront, il me suffira de renvoyer, soit à l'Histoire naturelle du Corail, soit à ce qui vient d’être dit ici, sans qu'il soit besoin de revenir sur les distinctions qui précèdent. III Espèce. On ne saurait se faire une idée de la difficulté que l’on éprouve, quand on observe les êtres vivants, à retrouver un Coralliaire dans les ouvrages les plus justement accrédités : je parle de ceux qui ont été faits exclusivement sur les objets des collections. Dans les travaux français les plus estimés à tant de titres, dans les ouvrages de MM. Milne Edwards et Jules Haime (1), l'espèce (4) Voy. Hist. nat. des Coralliaires, 1. T, p. 322, Suites à Buffon. MÉMOIRE SUR LES ANTIPATHAIRES. 175 qui va nous occuper se trouve décrite sous le nom de Leiopathes Lamarcki. Cela ne peut faire aucun doute. Mais ce genre Leiopathes est-il bien celui dans lequel il faut pla- cer l'animal objet de nos études? C'est là ce qu'il faut décider. Pour être plussür des déterminations, j'ai prié M. Valenciennes de vouloir bien me laisser constater dans la collection du Muséum quels étaient les échantillons qu'avait pu y observer Jules Haime. Les doutes qui sont nés daus mon esprit, et que J'ai été assez heureux pour faire partager par le savant professeur, l'ont con- duit à m'engager à revoir toute la collection des Antipathaires du Muséum. Je me propose de publier une révision de ce groupe d'après l'étude que j'en ai faite au Jardin des plantes; mais d'abord je tiens à faire connaître l'anatomie de deux types de cette grande famille aussi peu connue que difficile à étudier. Je me borne aujourd'hui à montrer que le genre Leiopathes de M. Gray a été fait pour autre chose que pour l'animal qui nous occupe. Cet animal ou son polypier se trouve, dans les ouvrages, dans les collections, désigné par eing noms différents, et, chose re- marquable, aucun d'eux ne lui est applicable. On va en juger. M. Gray à formé pour les Antipathes glabres, sans spinules sur leur polypier, le genre £eiopathes. Il est facile de s'en convaincre par la lecture du passage sui- vant: «Itis not to be observed that this species» (il est ici ques- üon d'une autre espèce que l'Antipathes glaberrima; M. Gray parle de l'Antipathes dichotoma) « has been separated from the » others of the genus because the surface of the axis is smooth » and not covered with à number of minute, uniform, eylin- » drical spines, like the true Antipathes, and has been called » for that reason, Leiopathes (1). » L'Antipathes glaberrima présente ce caractère par excellence, puisque son nom spécifique avait été tiré par Esper (2) de l’ab- sence mème des spinules. A ce titre, J. Haime avait raison de (1) Voy. Proceedings of Zoological Society, 1857, p. 413. (2) Voy. Esper, Pflansenthiere, t. WI, p. 160, pl. 9. o° série. Zoo. T. IT. (Cahier n° 5.) 4 12 474 LACAZE-DUTHIERS . faire entrer dans ce groupe, appelé Leiopathes par M. Gray, le polypier de notre espèce. «Elle est voisine, dit-il, de l’Antipathes » glaberrima (Esper), et doit certainement rentrer dans le genre » Leiopathes de Gray, dont ce dernier polypier est le type; on » pourrait la désigner sous le nom de Leiopathes Lamarcki (1). » Jules Haime avait senti la différence spécifique qui la séparait du véritable 4ntipathes glaberrima ; mais n'ayant point étudié l'a- nimal vivant, 1l n'avait pu reconnaitre la différence générique. Quant à Lamarck, 1] avait fait deux choses distinctes du poly- pier nu et du polypier recouvert du sarcosome ou écorce polypi- fère. On trouve dans les galeries du Muséum, étiqueté de sa man, un échantillon du premier sous le nom d’Antipathes gla- berrima (2), et plusieurs échantillons du second sous le nom de Gorgonia tuberculata (3). H y à là plusieurs erreurs : d’abord faire rentrer le polypier dans l'espèce glaberrima, ce n’est pas exact ; ensuite distinguer le polypier nu du polypier couvert des animaux, c'est une autre erreur ; enfin faire de ce dernier une Gorgone, c'est encore s'éloigner davantage de la vérité. Les animaux épanouis, bien conservés dans l'alcool, ne res- semblent absolument en rien à ceux des échantillons desséchés ; aussi ont-ils pu conduire à faire regarder le sarcosome seul, avec les Polypes épanouis, comme étant un animal entier non produc- teur d’un polypier, et on l’a désigné dans les collections sous le nom de Polythoa et de Zoanthe. Voilà donc cinq noms, Anti- pathes glaberrima, Leiopathes Lamarcki, Gorgonia tuberculata, Polythoa denudata et Zoanthus, qui désignent une seule et même chose à des états différents de conservation. D'après les études anatomiques que j'ai faites sur les Antipa- thaires, sans empiéter 1ei sur ce qui suivra, il convient de con- server le genre Leopathes (Gray) pour l’Antipathes glaberrima ; mais ce genre tres- voisin des vrais Antipathes ne peut renfermer, ainsi que le voulait 3. Haime, l'espèce qui nous occupe. L'appa- (4) Voy. Ann. des se, nat., Zoo1., 3° série, 4849, t. XII, p: 235 (Note sur le poly- ptéroïide d'un Leiopathes glaberrima, 3. Haime). (2) Voy. Lamarck, Hist. nat. des anim, sans vert., 1. 11, p. 306; 2° édit:, p. 479: (3) Voy, 1hid,, p. 315; 2° édit., ps 49 4, MÉMOIRE SUR LES ANTIPATHAIRES. 175 rence extérieure et une observation même très-superficielle du polypier pourraient seules motiver une semblable maniere de voir, qui ne supporte pas, du reste, un examen sérieux. Tous les vrais Antipathes, y compris le Leiopathes (Antipathes glaberrima), n'ont quesixtentacules simples, mais ilsles ont toujours. L'espèce qui nous occupe en a vingt-quatre, jamais plus, jamais moins. Les distinctions de Lamarck et les idées particulières qui ont _ pu faire prendre ces animaux, bien conservés dans l'alcool, pour desZoanthe ou des Polythoa, étant mises de côté, nous nous trou- vons en face de cette nécessité, ou d'imposer un nouveau nom générique, ou de faire rentrer les espèces comprises par M. Gray sous le nom de Leicpathes dans le genre Antipathes. Je recule devant cette dernière alternative, car l'absence de spinules sur les grosses branches me parait être un bon caractère générique légitimant la séparation de l’ancienne espèce À. glaberrima, Esper, pour en faire un genre spécial. J'appelle donc l'être dont il est ici question : GerarniA LamArcxt, Nobis (4). ANTIPATHES GLABERRIMA (pars), Lamarck, AHist. nat. des ani- maux Sans vertèbres, t. IE, p. 306 et 2° édit., p. 479. GORGONIA TUBERCULATA, Lamarck, Ars. nat. des animaux sans vertèbres, t. I], p. 315, et 2° édit., p. 491. LEIOPATKES GLABERRIMA (pars), Gray, Proceedings of the Zoolo- gical Society, 1857, p. 289. LetopaTHEs LAmarcki, Haime, Note sur le polypiéroïde d’un Leiopathes (Ann. des sc. nat., ZooL., 3° série, t. XIT, 1849, p. 225.) — Milne Edwards et Jules Haime, Æist. nat. des Coral- liaires, t. {, p. 322, n° 1. Il m'a paru convenable de conserver le nom spécifique déja imposé par Haime. | (4) Le nom de Gerardia est l'un des prénoms latins de mon excellente ei respectable mère que j'ai eu le malheur de perdre, alors que j'étais en Afrique à faire des recherches sur ces Antipathaires, 476 LACAZE-DUTHIERS. Ce nouveau genre est donc créé pour représenter un seul et même objet, qui, suivant qu'il était incomplet ou plus ou moins bien conservé , avait été confondu avec des espèces très-dis- tinctes de lui ou distingué sous des noms différents. IV Du zoanthodème. La ramure de la Gercrdia Lamarcki n'a rien de particulier, quand ses échantillons ne sont pas très-anciens; mais avec l’âge, elle prend des caractères qui lui sont propres. Quand les individus sont peu développés, ils rappellent tout à fait par leur port certaines Gorgones, et plus particulièrement les Muricées, dont les rameaux s’étalent dans un même plan sans se toucher, ni se souder, ni se confondre. Cette analogie, on le comprendra, est forcée, puisque bien souvent c’est le polypier de la Gorgone elle-même, encore à peine recouvert par celui de la Gerardia qui l'a envahie en véritable parasite (1), qu’on observe. C'est là une chose des plus intéressantes et curieuses dans l’histoire de ce genre ; elle n'avait pas été signalée, cela va sans dire, et Jai dû apporter toute mon attention sur l'examen d'un grand nombre d'échantillons, dans des conditions diverses, pour être bien assuré de la vérité des faits de parasitisme que j'avance ici. Plus tard, quand les parties ont pris un grand développement, on trouve fréquemment des ponts jetés entre les branches ; on rencontre des soudures établies sans rien de régulier ni de fixe, et résultant du hasard; le plus souvent des fractures ou des blessures ayant intéressé les tissus mous du zoanthodème ont produit ces soudures. Tout cela ne peut et ne doit pas être considéré comme caractéristique, ainsi qu'on en jugera un peu plus tard. (A) Voy. Ann. des se. nat., Zooz., 5° série, t. IL pl. 13, fig. 1. MÉMOIRE SUR LES ANTIPATHAIRES. 177 C'est pour n’avoir point connu ces faits que Jules Haime a, dans l’article déjà cité (1), considéré comme caractère spécifique la disposition de la ramure, ce qui l'a conduit à faire son espèce Leiopathes Lamarcki, qu'il distinguait du L. glaberrima, «principalement par les branches plus arrondies. » Il y a en effet un gros et bel échantillon au Jardin des plantes, étiqueté de là main de Lamarck, et auquel J. Haime faisait allusion, et qui présente des branches fort courtes terminées en boutons. Nous reviendrons sur cet échantillon remarquable à plus d’un égard. La base et l'axe principal sont les parties qui prennent rela- tivement le plus grand développement ; aussi rencontre-t-on assez souvent des troncs de Gerardia gros et volumineux, bosse- lés et noueux, enfermant ou recouvrant des morceaux irrégu- liers de rochers ou d’autres corps étrangers. Par la dessiccation, le zoanthodème prend une couleur noirâtre souvent des plus foncées, et quelques échantillons sont d’un noir de jais le plus caractérisé. Au contraire, au moment de sa sortie de l’eau, quand Ja couche molle animale a disparu, le tissu offre une teinte bronzée d’un noir un peu cuivreux et verdâtre. Cette teinte, quoique légère, n’en est pas moins carac- téristique, et rappelle certaines nuances d’un bronze antique foncé. En se desséchant, la partie dure acquiert aussi une bien plus grande fragilité que lorsqu'elle est encore tout abreuvée de liquide. Les proportions en hauteur que peuvent atteindre les zoan- thodèmes de la Gerardia Lamarcki sont considérables : on en trouve de plus d’un mêtre d’élévation, et je ne doute pas qu’il n'en existe de plus grands encore. En effet, le tissu du polypier est fort cassant, et les filets des pêcheurs doivent les ébrancher, les ébouter incessamment ; de là, la forme trapue, courte, quoique très-développée, que présentent la plupart des échan- tillons rapportés par les corailleurs. J'en ai vu un exemplaire à la Calle qui avait été donné à un (4) J. Haime, Loc. cit., p. 225, la note, 178 LACAZE-DUTUHIERS, amateur, et qui était à sa base aussi gros que la jambe d’un homme : un matelot vigoureux le comparait à son mollet. Il m'a été fréquemment rapporté des échantillons dont la base était bouillonnée, ondulée, et grosse comme le pomg, tandis que les ramures avaient tout au plus 1 à 2 décimètres de long. Cette forme n’est qu'accidentelle, et elle ne se présente pas, j'en suis convaincu, dans des lieux où Ja pêche du Corail ne se fait point avec une activité aussi grande que dans les eaux de l'Algérie. Je me trouve conduit à supposer cela, par ce fait que toutes les fois qu'il m'est arrivé de recevoir des Palmes noires venant d'un banc de Corail nouveau non encore exploré, elles étaient très-rameuses, fort élancées, et tout à fait différentes de celles que j'avais obtenues des bancs incessamment exploités. Les pè- cheurs le savent d’ailleurs très-bien, et ils en tiennent compte pour leur pêche. Là où vient la Palme noire, disent-ils, 1l y a du Corail, et un jour où l’on m'apporta des Palmes non tronquées, très-entières, tous les patrons de la Calle surent qu'il y avait un banc nouveau de trouvé. Le lendemain, à sa sortie du port, le pêcheur qui m'avait apporté ces beaux échantillons fut suivi par tous les autres, et s’il n'avait employé une ruse pour éviter qu'on ne connût le point où il avait fait sa pêche, il aurait perdu le fruit de ses fatigues et de ses recherches. Tant que le zoanthodème de la Gerardia est jeune et à peine moulé sur le polypier de la Gorgone qu'il a étouffé, 1l est vrai de dire avec les auteurs, que son «polypier est arborescent, que ses » branches tendent à s’étaler sur un même plan, et sont parfois » coalescentes, mais ne forment pas un réseau bien caracté- » risé (1). » Lorsque la Gerardia a longtemps vécu, et que son polypier s’est étendu bien au delà des limites de celui qui lui avait servi de premier soutien, alors sa croissance se faisant dans tous les sens, conduit à une touffe, à un véritable buisson, très-variable du reste avec les accidents qui ont pu arriver. (4) Voy. Milne Edwards et J. Haime, Coralliaires, t. 1; p. 322. MÉMOIRE SUR LES ANTIPATHAIRES. 179 Si l'on à des échantillons très-âgés, un fait relatif à la dispo- sition et aux proportions particulières des rameaux anastomo- tiques ne peut manquer d'attirer l'attention. Tantôt, en effet, les rameaux descendent d'une partie supérieure, et se soudent à une partie inférieure ; tantôt ils marchent presque parallèlement à la branche sur laquelle ils s'unissent, et leur diamètre est le même dans toute leur étendue. Souvent on voit des branches tres-longues s'unir avec celles du côté opposé du polypier , et former des traverses et des courbes que rien n’expliquerait, si l’on ne rencontrait, en y regardant avec attention, les traces d'une fracture primitive accompagnée d'une soudure secon- daire. Il faut le répéter encore, plus le zoanthodème est âgé, plus aussi ses formes, prises dans leur ensemble, différent de ce qu'elles étaient à l’origine. Ainsi, on voit dans les galeries du Muséum le plus volumineux de tous les échantillons, étiqueté de la main de Lamarck sous le nom de Gorgonia tuberculata, qui avait dû être vivant quand il fut sorti de l’eau, puisqu'il est couvert de son sarcosome, pré- senter des rameaux courts et terminés en moignons. Il avait dû être évidemment ébranché, et toute l’activité vitale, s'étant reportée sur le tronc, avait rendu celui-ci énorme, relativement à ses branches devenues courtes et tuberculeuses. La forme de chaque tige ou tigelle n’est pas entièrement cylin- drique. La régularité de l'épaisseur du dépôt des couches n'existe pas partout. Le plus souvent les tiges sont un peu déprimées ; elles ressemblent à des cylindres aplatis, et sur la face répondant à leur aplatissement, il existe une gouttière très-marquée. La description de l’Antipathes compressa, Esper (1), pourrait presque s'appliquer ici. M. Milne Edwards en a fait un Leiopathes com- pressa (2). N'ayant point vu cette espèce, je ne saurais me pro- noncer ; mais Je puis dire que, sur de vrais Antipathes, la même dépression des gros troncs se rencontre quelquefois, et ne parait (1) Voy. Esper, Pflanzenthiere, t. 1, p. 187, pl. 48. (2) Voy. Milne Edwards, Coralliaires, t.1, p. 342, 480 LACAZE-DUTUIERS. pas avoir une valeur spécifique sur laquelle il convienne de trop s'appuyer. Les ramuscules entiers sont ordinairement renflés à leur extré- mité libre; jamais ils ne se terminent en pointe, ou fil délié, comme dans la plupart des Gorgones. I n'est pas rare de rencontrer sur la longueur des moyennes et petites tiges, des tubercules même assez volumineux, qui sont, soit l’origine de ramuscules commencant à se détacher de la tige qui les porte, soit des bases de branches cassées dont la sur- face résultant de la cassure est déjà recouverte par une couche de tissu du polypier. Dans un échantillon que j'observe en faisant cette description, j en rencontre une quia 2 millimètres de longueur et tout autant de largeur ; elle se termine par une petite calotte sphérique qui est évidemment la cicatrice d’une fracture d’un ébranche- ment (1). V De la Gerardia vivante. I est toujours plein d'intérêt de savoir où vit un animal que l’on veut étudier, afin de se le procurer avec facilité, et tout autant qu'il est nécessaire. On l’a vu, les fonds coralligènes sont les lieux qu'habite la Gerardia dans la Méditerranée, où je n'ai pu rencontrer qu'une seule espèce, mais où elle est com- mune, surtout dans les eaux d'Afrique que j'ai particulièrement explorées. Les marins affirment tous qu'ils n'en prennent que sur les bancs peu fatigués par la pêche, et tous disent d’ailleurs que c’est au large qu'ils la trouvent. Quand je disais aux patrons des petits bateaux qui rentraient tous les soirs de m'apporter des Palmas neras, ils me répondaient invariablement : Fuéra, signor, fubra (dehors, au large). Malgré cette exclamation , qui (4) Voy. Ann, des se, nat., Zoor., 5° série, {. 1, pl. 44, fig. 3 (d). MÉMOIRE SUR LES ANTIPATHAIRES. 181 souvent n'était qu'une réponse en vue d'une excuse pour ne rien apporter, ou d'un avantage pour faire sentir la valeur de l'objet porté, j'en ai eu beaucoup par les petits bateaux eux-mêmes, surtout quand ils rencontraient des bancs imex- plorés. Les côtes d'Afrique, dans les parages de Bone et de la Calle, sont plus riches en Gerardia qu'en Antipathes proprement dits, si du moins j'en juge par des études qui n'ont pas duré moins de deux étés. Pendant tout ce temps, je n'ai eu que trois échan- tillons en bon état bien vivant d'Antipathes subpinnata, deux d'A. larix, et un desséché d'A. dichotoma, tandis que j'ai eu des Gerardia par centaines. En Corse, en Sardaigne, au contraire, en abordant les corail- leurs dans les golfes de Propiano et de Valinco, j'ai toujours eu des Antipathes lariæ; et quand je montrais cette espèce aux pêcheurs de la Calle en leur en demandant, ils me répondaient tout de suite que cette plante venait en Sardaigne. Les Polypes de la Gerardia vivent facilement ; ils s'épanouissent bientôt après leur imihersion dans l'eau claire et pure. Pendus à l'arrière d’une embarcation dans le port de la Calle, ils s’éta- laient, et prenaient une taille que l’on ne pourrait supposer en voyant les tubercules résultant de leur contraction. Cepen- dant, pour les conserver longtemps dans les aquariums, on éprouve de grandes difficultés, car il faut un renouvellement d’eau très-considérable. La raison en est facile à comprendre. Les moindres blessures font périr le sarcosome dans le point où il est atteint; et quoique la cicatrisation se fasse avec la plus grande facilité tout autour de la blessure, la partie morte ne s’en putréfie pas moins très-rapidement, et l'eau devient prompte- ment infecte. La matière décomposée se dissout et se mêle à l'eau, et si on ne la renouvelle beaucoup et beaucoup, les Polypes sains sont bientôt empoisonnés. 1l est une observation qui ne doit pas être négligée : si l’on veut conserver dans l'alcool les zoanthodèmes chargés de Polypes épanouis, 1l faut, quand ils sont bien étalés, les laisser dans 182 LACAZE-DUTHIERS. l'eau où la putréfaction commence. Leur irritabilité et leur sensibilité semblent un peu paralysées par l'influence du milieu infecte, et l’on peut plus facilement les retirer de l’eau et les plonger dans le liquide conservateur, sans que les étoiles, les couronnes tentaculaires, se contractent autant, et disparaissent sous le bourrelet péristomique en formant les tubercules qui leur succèdent. VI Des Polypes. Le blastozoïte, car il ne m'a pas été donné d'observer l’oozoïte isolé et considéré indépendamment de ses voisins , offre une forme particulière qui mérite d'être indiquée ; on trouve en effet dans les caractères qu'il présente des données précieuses pour la classification. Sa taille, relativement aux dimensions de la portion de l’axe qui le porte, est souvent considérable : on trouve des Polypes ayant jusqu’à 1 centimètre dans le plus grand diamètre de leur base, bien que le polypier ou le corps étranger sur lequel ils sont, soient à peine d’un demi-millimètre de diamètre ; ils sont d’ailleurs aussi développés aux extrémités des branches qu'à la base du polypier. Cette disproportion entre l’axe et les animaux frappe dès qu'on la voit, car elle ne se présente pas d'ordinaire à un si haut degré dans les autres espèces du groupe. La base de chaque Polype est irrégulièrement polygonale, et les lignes droites qui la limitent sont le résultat des compres- sions nées des rapports latéraux qu'ont les animaux entre eux. Cependant, vers les extrémités des ramuscules, la grandeur des Polypesne permet pas que plusieurs soient placés circulairement autour de l’axe si délié qui les porte; aussi les voit-on se placer à la suite les uns des autres, tantôt du même côté, tantôt sur le côté opposé de la tigelle ; mais entre eux on voit des bourgeons MÉMOIRE SUR LES ANTIPATHAIRES, 183 qui, produisant les nouveaux blastozoïtes, finissent bientôt par les disposer circulairement tout autour des axes (1). Sur les gros troncs, on rencontre en nombre infiniment moins grand les bourgeons destinés à l'extension de la colonie ; cela devait être. C’est là surtout qu’on voit ces bases polyédriques des Polypes, dont les limites (2) sont plus nettes et tranchées qu'aux extrémités. Les corps des animaux sont transparents, mais ils ne le sont pas uniformément partout. On en verra la raison quand on apprendra à connaître la structure intime des tissus. Les cavités sont tapissées par une couche jaunâtre opaque, qui donne la cou- Jeur générale au zoanthodème. Dans les parties où le tissu des cavités n'existe pas ou bien n’est que peu développé, le reste du corps laisse voir par transparence ce qui est au-dessous de lui; de là les apparences particulières que présentent les zoanthodèmes, surtout dans les espaces restés entre les Polypes (3) ; là, en effet, on voit comme un pointillé de taches noirâtres et de lignes de la même teinte, qui sont dues à la couleur noire du polypier parais- sant en dessous des tissus transparents. Le sarcosome entre les Polypes paraît réticulé, et les mailles du réseau qu'il présente sont de la couleur du reste des tissus des animaux, tandis que les espaces qu'il imite sont noirâtres. La forme du corps des animaux rappelle un cylindre plus ou moins long, plus ou moins rétréci ou étranglé à son sommet, quelquefois se changeant en un cône fort allongé, etse terminant en haut par une belle couronne de tentacules, dont le nombre constant est deux fois douze (4), etla longueur fort variable avec l’état de contraction ou d’épanouissement. Le corps lui-même peut s'allonger de 2 ou 3 centimètres ; (4) Voy. Ann. des sc. nat., Zoor., 5° série, t. I, pl. 13, fig. 4 ; pl. 14, fig. 4. (2) Voy. ibid., pl. 14, fig. 3 (b, c). (3) Voy. ibid., fig. 3 (b,c); fig. 4. (4) Voy. ibid., fig. 5 et6.' 184 LACAZE-DUTHIERS. mais quand il prend ces dernières proportions, son diamètre diminue vers le milieu de sa hauteur ; il semble s'étrangler, et sa base et son sommet prennent relativement plus d’étendue. Quand les tentacules se contractent, ils se recroquevillent en se courbant du côté de la bouche ; alors il se forme un bourre- let en dehors du point où ils s’attachent à l'extrémité supérieure du corps, etquandils sont assez rentrés etraccourcis, ce bourrelet- se contracte, et se ferme au-dessus d'eux comme une bourse dont on tirerait le cordon. Aussi l'animal qui se contracte commence- t-il par devenir d'abord conique ; puis si on le tracasse de ma- mére à le faire rentrer aussi complétement que possible, il finit bientôt par ne plus former qu'un gros mamelon tuberculeux qui ne s’efface jamais (1). Du reste, tous ceux qui ont étudié les Polypes, et qui connais- sent leur puissante contractilité, se feront une idée des formes extrèmement variées que peuvent présenter les animaux de la Gerardia. La couleur générale des parties molles est jaune verdâtre ; mais la partie de chacun des cylindres représentant chaque ani- mal offre, surtout à l’époque de la reproduction, une nuance rouge hriquetée, terne, qu’assombrit encore davantage la cou- leur jaune des tissus extérieurs. Prenons chacune des parties des animaux, et voyons quelles en sont les dispositions particulières. Les tentacules, a-t-il été dit, sont au nombre de deux fois douze ; je dis deux fois douze, parce que toujours douze sont plus grands et douze plus petits (2), alternant les uns avec les autres, et formant deux séries distinctes. Leur ensemble forme une rosette parfaitement conformée et régulière, mais extrêmement variable avec l’état de contraction de l’animal. Souvent on voit les douze tentacules les plus courts (1) Voy. Ann. des se. nat., Zoor., 5° série, t. IL, les différentes figures des planches 13 et 14. (2) Voy. ibid. pl. 14, fig. 5 et 6, MÉMOIRE SUR LES ANTIPATHAIRES. 155 se rabaisser vers la base du Polype (4), tandis que les plus grands se relèvent en sens inverse. Mais dans l'épanouissement le plus grand qu'il m'a été pos- sible de voir, tous les tentacules retombaient et semblaient prendre une position commandée par leur pesanteur (2). La fleur du Polype ressemblait à un paquet de longs filaments, à des franges pendantes. Cette disposition m'a surtout semblé se présenter lorsque les Polypes étaient eux-mêmes dirigés en bas. Quand l'épanouissement n’est pas poussé aussi loin qu'il vient d'être dit, si l'on regarde le péristome (3) de face, on voit que les tentacules s'insèrent tous sur une même circonférence, qu'ils rendent manifeste par la partie un peu bombée et gontlée de leur origive; qu'en un mot, ils limitent un cercle très-évident, très-net, un peu déprimé, et au milieu duquel s'élèvent les deux lèvres de la bouche. La fente buccale n'a pas plus ici que dans d’autres Zoan- thares une forme symétrique semblable à celle du péristome ; en un mot, elle n'est pas circulaire , elle est oblongue-allongée, et ses deux lèvres réunies représentent un ovale (4). Ce fait n’est pas particulier à la Gerardia ; il a déjà été indi- qué à propos du Corail. D'ailleurs 1l suffirait de jeter un coup d'œil sur les dessins qui ont été publiés, pour se convaincre de sa généralité. Les auteurs représentent tous la bouche allongée et non circulaire. Ce fait-là est fort intéressant au point de vue de la symétrie générale des Polypes; il à une relation directe avec le développe- ment, et son importance est bien plus grande qu'on ne pourrait le supposer. (4) Voy. Ann. des sc. nat., Zoor., 5° série, &. IH, pl. 14, fig. 6. (2) Voy. ébid., pl. 43, fig. 1 (a, b). (3) 11 convient d'appeler ainsi l’espace qui entoure la bouche et termine en haut le cylindre représentant le corps de l'animal. (Voy. Lacaze-Duthiers, Histoire naturelle du Corail, p. 46.) (4) Voy. Ann. des se. nat., Zoo1., 5° série, L. Il, pl. 14, fig. 5. 186 LACAZE-DUTRIERS. Il faut remarquer encore que c’est un tentacule qui correspond à chacune des extrémités de la fente buccale, et non une sépa- ration de deux tentacules, ou, pour mieux dire, une cloison ou un repli intestiniforme, comme on pourrait le croire. Je montrerai,en traitant du développement des Actinies, toute l'importance morphologique de ce détail. Les tentacules sont simples, et rappellent tout à fait ceux des Zoanthaires, et particulièrement ceux des Actinies et des Zoanthes. Il suffit de voir leur figure pour être bien fixé sur leur caractère que l'on ne connaissait pas; aussi il était impor- tant d'en donner une représentation fidèle propre à servir aux besoins de la classification. Il ne m'a pas été possible de faire vivre assez longtemps la Gerardia dans des aquariums pour la voir bourgeonner et pro- duire de nouveaux blastozoïtes ; aussi je ne saurais dire si les tentacules plus petits, qu'on peut appeler de la seconde rangée, naissent en même temps que ceux plus grands de la première. Il serait intéressant de savoir si, dans leur ordre d'apparition, il y a un rapport analogue à celui qui s'observe chez les Polypes à polypier présentant des calices radiés. Il eût été de même fort utile de voir dans les oozoïtes naître les cloisons et les loges qu'elles séparent : cela n’a pas été possible. Les deux lèvres saillantes de la bouche sont dues, quand l'ami- mal est bien épanoui, au renversement en dehors d’une partie du tube central qui fait suite à la fente buccale du péristome, et que les auteurs désignent tantôt par le nom d'æsophage, tantôt par celui d'estomac, suivant les idées qu'ils ont sur ses fonctions. Dans les Actiniaires, la cavité générale, grande et spacieuse, est divisée circulairement en loges incomplétement formées par des cloisons qui, de la circonférence où elles adhèrent, rayonnent vers le centre où elles sont libres. Le bord libre ou interne de ces réplis rayonnants se soude en haut avec le tube dont il vient d’être question. Le corps tout entier d'un Polype peut donc être représenté MÉMOIRE SUR LES ANTIPATHAIRES. 187 comme étant formé par deux cylindres concentriques de longueur différente et partant du même point, c’est-à-dire le péristome. Le cylindre extérieur le plus grand forme les limites du corps ; de sa face interne naissent les replis rayonnants qui, sans s'avancer jusqu'au centre, arrivent cependant à rencontrer le cylindre in- terne ; celui-ci s'étend bien moins bas que le premier, et se soude avec eux. De là deux zones dans le corps du Polype : l’une infé- rieure, radiée, où tout autour de la cavité on trouve des com- partiments , de véritables stalles disposées symétriquement à la périphérie ; et l’autre supérieure, où les loges sont complétement distinctes les unes des autres, puisque chaque repli est soudé en dedans avec le tube œsophagien. À chacune de ces loges correspond un tentacule, qu’on peut même considérer comme étant leur prolongement en cul-de- sac au delà du péristome. Ainsi un liquide ou un corps quel- conque qui se trouve dans un tentacule a dû pour v arriver pénétrer par la bouche, descendre dans le tube central cylin- drique ou æsophagien, pénétrer dans la cavité générale, et de là entrer dans la loge ou stalle correspondant au tentacule, re- monter dans l'espace clos limité placé en dehors de l'œsophage, et pénétrer enfin en haut dans le tentacule. La disposition que j'indique n'a rien de particulier ni de spécial à la Gerardia (1) ; on la retrouve dans les Zoanthaires comme dans les Alcyonaires. Il était utile de la rappeler ici . car dans l’animal qui nous occupe rien n’était connu. Les replis rayonnants (2) qui partagent ainsi la cavité générale en stalles périphériques, au-dessous de la terminaison de l’æso- phage, rappellent sous tous les rapports ceux que l’on trouve dans les Actinies. Les Zoanthaires, dans notre espèce, sont minces et transparents; leur bord libre porte dansleur partie la plus élevée, la plus voisine de l’æsophage, un cordon cylin- drique, gros et long, qui se pelotonne. Il faut remarquer que ce cordon pelotonné n'occupe pas certainement le quartde la hau- (4) Voy. Ann: des sc. nat., Zoon.; 5° série; t. Il, pli 17, fig. 29; (2) Voy: ibid: (c); 185 LACAZE-DUTRIERS. teur du repli, lorsque le Polype est assez fortement contracté ; aussi, dans un animal fort distendu, allongé, il n'occupe qu'un espace fort restreint et tout près de l'œsophage. Les circonvolutions ne sont pas nombreuses ; elles sont loin de ressembler à celles que l'on trouve chez quelques Actinies, ou les tours, les anses, forment de gros paquets qui rappellent les intestins appendus à un mésentère. On vient de voir que les loges périphériques communiquaient en häut avec les tentacules, qu’en bas et en dedans elles étaient largement ouvertes dans la cavité générale ; ce n'est pas tout, vers leur partie la plus inférieure, tout pres du plancher du corps, elles s’'abouchent en dehors avec des tubes qui rayonnent dans tous les sens et s’anastomosent entre eux (1), au milieu des parties intermédiaires des différents Polypes, c'est-à-dire dans la portion commune du sarcosome du zoanthodème. Remarquons enfin que les replis rayonnants s’avancent sous forme de trainées peu saillantes sur la base inférieure de la cavité générale, sur son plancher, et qu'elles viennent au con- tact, au centre même du cercle que représente cette base (2). C’est, du reste, quelque chose d'analogue à ce que l’on voit dans les grosses Actinies de nos côtes. Ainsi, en résumé, dans la description qui précède, on ne ren- contre que des faits propres à rapprocher la Gerardia des Acti- nies ei des autres Coralliaires zoanthaires. VII Du sarcosomc. On vient de voir ce que sont les Polypes en eux-mêmes; 1l faut (4) Vos. Ann. des se. nat., Zoor., 5° série, {. IE, pl. 17, fig. 29. Un polype fendu verticalement et montrant sur le plan antérieur les orifices des vaisseaux au fond de chaque loge. (2) Voy ibid. MÉMOIRE SUR LES ANTIPATHAIRES. 189 maintenant apprendre à connaître ce que sont les parties qui les unissent. Quand on à sous les yeux une Gerardia vivante, dont les animaux sont contractés, on remarque (1) que chaque Polype forme un mamelon ou tubercule percé à son sommet d'un ombilie, et qu'il occupe le milieu d'une figure hexagonale ou polygonale irrégulière. Cela s'observe surtout sur les bases des zoanthodèmes bien développés. Le mamelon représentant réellement le corps n'arrive pas jusqu à la ligne qui limite ces espaces polygonaux; de sorte qu'entre tous les animaux, il existe des espaces, même assez étendus, qui sont formés d'un tissu intermédiaire que parcourent en tous sens des vaisseaux. Nous reviendrons plus tard sur la texture intime et les rapports du réseau vasculaire. H faut d'abord résoudre cette question importante : La GERARDIA Lamarcki est-elle un Antipathaire à spicules? Il était tout naturel que Jules Haime, en étudiant les polypiers avec le soin qu'il apportait dans ses recherches, voulût trouver des caractères propres à faire reconnaitre les espèces si voisines de la famille des Antipathidées ; aussi chercha-t-il si le micros- cope pourrait fournir pas des données précises. En analy- sant les enveloppes coriaces que conservent après leur des- siccation quelques Antipathaires, il avait «vu (2) que le derme » d'une espèce voisine de l’Antipathes glaberrima d'Esper est » consolidé par un polypiéroïde (3) formé de filaments très- » abondants et résistant à l’action des acides. Ces fils sont très » longs, très-grèles, cylindroïdes, extrêmement enchevètrés et » très-rarement ramifiés; quelques-uns offrent une série d’étran- » glements également espacés, mais ne paraissent pas différer » autrement de ceux qui sont régulièrement cylindriques. La NA (4) Voy. Ann. des se. nat., Zoon., 5° série, t. IT, pl. 13 ct 14. (2) Voy. Jules Haime, Ann. des sc. nat., Zoov., 3° serie, 1849, t. XII, p. 225. (3) On sait que d'accord avec M. Milne Edwards, M. J. Haime donnait le nom de polypiéroïide à l'ensemble des spicules solides que l'on trouve dans les tissus mous que nous nommons sa/cosome. 5° série. Zoo. T. II. (Cahier n° 4.) 1 13 190 LACAZE-DUTHIERS. C2 )] » » » » » » » grosseur de ces filaments varie très-peu, et leur diamètre moyen est à peu près d'un trente-cinquième de millimètre ; ils sont hyalins, et paraissent creusés d’un canal longitudinal. Leur aspect et leur insolubilité dans l'acide chlorhydrique m'ont fait penser qu'ils étaient formés de silice ; mais pour que ce résultat méritât toute confiance, j'ai eu recours à mon savant ami M. Ad. Wurtz, qui a bien voulu me seconder dans cette recherche. » Ce qui prédominait dans ces spicules, c'était, d’après ces expériences, la silice. « J'ai dû recher- » » » A Ÿ cher, continue Jules Haime, si les autres espèces de la famille des Antipathidées présentaient un polypiéroïde semblable, et j'ai trouvé également des filaments résistants à l’action des acides dans une espèce du genre Antipathes proprement dit. Malheureusement, les échantillons que j'ai examinés étaient presque entièrement dépouillés de leur derme, et Je n'ai pu obtenir des quantités de matières suffisantes pour les soumettre à une analyse complète. Néanmoins le fait que je constate aujourd'hui m'a semblé intéressant sous un double rapport : d'une part, il touche à une question générale fort importante, celle de la composition des tissus des animaux ; et d'un autre côté, s’il est général dans la famille des Antipathidées, comme j'ai tout lieu de le croire, il apportera un caractere de plus à un groupe dont les affinités avec les Zoanthaires ne sauraient plus être mises en doute, mais dont le polypier épithélique, ou sclérobase, est très-diffieile à distinguer de celui d'un grand nombre d'Alcyonaires. » Il y a dans cette note de regrettables lacunes ; il n’est pour ainsi dire pas possible, d’après les descriptions qu'elle renferme, de saisir bien nettement ce qu'avait de particulier la forme de ces spicules. Était-elle une et toujours la même, voilà ce qu'il eût fallu établir, car on va voir Justement que c’est sa diversité qui conduit à penser que ‘ces éléments n'appar- tiennent pas au Sarcosome de la Gerardia. Il est aussi fort à regretter qu'il ne soit point dit si ces spicules ont été rencontrés en nombre égal et avec la même forme sur tous les individus de la même espèce. On trouve ici une preuve de l'insuffisance des MÉMOIRE SUR LES ANTIPATHAIRES. 191 études faites seulement sur les échantillons des collections : la nature vivante est si différente de la nature morte ! Dès que je fus à peu près certain que la Gerardia correspon- dait à la Gorgonia tuberculata de Lamarck, dont Jules Haime, adoptant le genre de M. Gray, avait fait le Leiopathes Lamarcki, mon attention fut dirigée d’une façon toute spéciale sur les spi- cules. Plus tard j'ai eu entre les mains les différents échantillons que possède le Muséum, et qui ont certainement dû être l'objet des observations de Jules Haime, et j'ai pu me convaincre qu'il y ‘avait eu erreur de la part de mon bien excellent et regrettable ami, dont les nombreux travaux méritent à tant d'égards de si justes éloges. Cette erreur est la conséquence des conditions mêmes où il se trouvait pour faire son travail ; ce n'était qu'aver des échantillons à la fois nombreux et fraichement sortis de la mer qu'il lui eût été possible de se faire une idée juste de ces cor- puscules scléreux. Dans des conditions tout autres que celles où il s'est trouvé , Jules Haime n'aurait certainement pas comnus l'erreur que je relève ici avec regret, parce qu'elle est d’un ami qui fut pour moi le plus intime ; mais que lui-même aurait été le premier à reconnaitre, tant son amour pour la science, je dis la vraie science, était grand, et son zèle à connaître la vérité était ardent. Les spicules, quand ils font partie du corps des animaux, peuvent sans doute présenter des différences de coloration et de forme, mais au fond on les retrouve toujours les mêmes avec leur couleur et leur caractère, suivant les places qu'ils doivent occu- per. Or, dans la Gerardia Lamarcki, ou Gorgonia tuberculata de Lamarck, les spicules sont fort variés, et n’offrent jamais une dis- position constante en rapport avec la position qu'ils occupent. On ne les trouve pour ainsi dire qu'exceptionnellement dans l'épaisseur des tissus, soit entre les vaisseaux du sarcosome, soit entre les parties constituant les parois du corps des Polypes ; on ne les rencontre qu'à la surface des animaux, et, pour les obtenir, il suffit de gratter les parois externes, où ils sont englués dans une substance filante et visqueuse, et mêlés aux cellules de l'organisme, 19 [el LACAZE-BUEGIERS, Si l'on fait une étude détaillée de leur forme, on est bientôt frappé de la diversité des figures qu'ils offrent, et il ne faudrait avoir aucune idée de la faune maritime, pour ne pas reconnaitre au milieu d'eux non-seulement les espèces les plus distinctes, mais encore les groupes les plus éloignés. Ainsi j'ai trouvé, en grattant la surface des Gerardia qui m'avaient été rapportés baignant dans l'eau de mer, des spieules de Corail, de Bébryce (1), de Gorgone, c’est-à-dire de toutes les espèces qui vivent dans son voisinage. Jai trouvé de longues baguettes (2), qu'il était facile de rapporter à la famille des Pennatulides ; des portions de tiges d'Antennulaires microsco- piques; des spicules spiniformes à trois branches (3), ou bien müriformes (4) et sphériques, de diverses Éponges. J'ai ren- contré constamment des coquilles de deux espèces appartenant évidemment à des Foraminiferes (5); des grains de gravier (6) et quelques carapaces siliceuses de Radiaires (7) analogues à ceux que lon trouve dans le guano. Les grains de sable abon- daient, et se mêlaient à tous les produits de forme si variée, mais constante, dont il vient d'être question. Quelques corpuscules m'ont semblé avoir une disposition toute spéciale, et les ayant rencontrés presque exclusivement sur un grand échantillon (8), je me demandais s'ils n'avaient pas été sécrétés et produits par lui. Leur forme était entièrement diffé- rente de celle des précédentes ; elle variait avec les degrés du déve- loppement. Les plus petits (9) ressemblaient à de petits bâtonnets, dont les deux bouts, très-légèrement renflés, étaient mousses. Is étaient groupés au nombre de six, ou moins ou plus, etsemblaient ravonner d'un centre, en laissant toutefois comme un intervalle (4) Voy. Ann. des se. nat., Zoor., 5° série, €. 11, pl. 16, fig. 20, 21. (2) Voy. ibid., fig. 17, 48. (3) Voy. ibid., fig. 16. (4) Voy. ibid., fig. 15. (5) Voy. thid., fig. 23: (6) Voy. thid., fig. £ (7) Vor, ibid., fig. (8) Voy. tbid., fig. 24. (9) Voy.thid., fig. 24 (a). MÉMOIRE SUR LES ANTIPATHAIRES. 193 entre eux, ce quiles rendait semblables à un double groupement. Mais à côté de ces sortes de corps élémentaires, on trouvait des masses rapprochées deux à deux (1) ou trois à trois, suivant une ligne, et représentant deux corps réniformes rapprochés par le hile, sur lesquels il était facile de reconnaître des stries rayonnant d’un point central plus obscur, qui correspondait très-probable- ment dans l’origine aux extrémités réunies des baguettes unies en un groupe circulaire. Ces corpuseules, d'une teinte noirâtre, à bords très-accusés et de nature probablement inorganique , semblaient donc s'être formés par l'addition d'aiguilles nouvelles suraJoutées et si rapprochées, qu'elles formaient des lamelles. Plusieurs de ces corpuscules, réunis et comme soudés, formaient des trainées moniliformes irrégulières. À quels animaux appartenaient ces éléments? étaient-ils caractéristiques des Gerardia ? Je l'avais cru un moment; mais je n'ai pas tardé à être désabusé, leur présence n'ayant pas même été aussi constante que celle des autres corpuscules. Leur origine est restée tout à fait inconnue pour moi. Il résulte des faits qui précèdent, que les Gerardia sont dépour- vues de ces corpuscules calcaires auxquels MM. Milne Edwards et Jules Haime donnent le nom général de sclérites, et que s’il a paru en exister dans leur écorce, cela tient à ce que la matière visqueuse qui entoure presque continuellement la surface du sarcosome de ces espèces, retient et englue tous les corps infiniment petits que le hasard porte à sa surface. Voilà pourquoi on y trouve à la fois réunis les spicules des Gorgores, du Corail, des Pennatules, des Éponges, qui vivent dansles mêmes parages. I ma été pénible de venir montrer les erreurs de mon meilleur ami Jules Haime, dont le savoir et les vastes connais- sances n'avaient été mis en défaut que par les conditions mêmes où il avait fait ses études. Mais il eût été le premier à reconnaitre les erreurs involontaires qui s'étaient glissées dans sa note. I n'y a donc pas lieu d'employer les spicules pour carac- tériser une division des Antipathaires, comme cela a été fait, (4) Voy. Ann. des sc. nat., Zooc., 5€ série, {. IT, pl. 16, fig. (e). 494 LACAZE-DUTHIERS. d’après Jules Haime, dans l'ouvrage des Coralliaires par M. Milne Edwards; et, du moins pour les espèces connues et rapportées dans cet ouvrage, iln y a plus à distinguer les Anti- pathaires ayant un polypiéroïde (notre sarcosome) pourvu de filaments siliceux, des Antipathaires ayant un sarcosome charnu sans spicules. Il est fort probable que les échantillons, en se desséchant, per- dent une grande partie des corpuscules solides agglutinés à leur surface; car, dans la collection du Muséum, je les ai rencontrés infiniment moins souvent que dans les échantillons frais. Quant à l'observation relative à la nature chimique, elle est positive ; toutefois il eût été nécessaire de suivre sous le micros- cope la dissolution des particules calcaires dans les acides ; car si l'on a pour ces analyses pris des portions de tissu, et si l’on a dé- truit la partie animale, puis dissous par les acides la substance minérale, il n’a point été étonnant de retrouver une forte propor- tion de silice; puisque, je l'ai dit, 1l y a autant de grains de sable accolés au sarcosome de la Gerardia que de spicules calcaires appartenant à d’autres animaux. Si je ne m abuse, les spiculesallongés décrits par Jules Haime, paraissant avoir un canalicule central, seraient bien analogues à ceux qui ont été dessinés ici dans la planche 16, fig. 17 (u, b). Mais est-ce bien eux qui renfermaient la silice; 1l eût été, on le sent, encore fort utile de savoir si l'on avait suivi leur dissolu- tion sous le microscope. J'ai cherché avec soin au Muséum dans les échantillons que je pouvais supposer avoir été observés par Jules Haime, et je n'ai trouvé que très-peu de spicules, je puis dire même pas du tout, la plupart du temps. Mais un échantillon fort petit conservé avec soin, qu'ilne me parait pas possible de ne pas rapporter au genre Gerardia, est littéralement couvert d'une couche de spieules aciculaires, longs, grèles, transparents, blanchâtres, ayant un canalicule central et répondant tout à fait à la descripuon de Jules Haime. Serait-ce cet échantillon encore indétermimé, et que prudemment il faut dire encore imdétermimable, qui aurait donné naissance à l'opinion de mon ami? C'est possible ; toujours MÉMOIRE SUR LES ANTIPATHAIRES. L 195 est-il que dans ce cas encore, d’après les observations précé- dentes, on doit admettre que les éléments spinuleux dont 1l est question ont été agglutinés par la viscosité du corps des animaux. Ainsi on le voit, lesobservateurs doivent fournir tous les détails nécessaires pour conduire à la vérité, car les omissions les plus légères en apparence produisent souvent une incertitude qui devient une cause d'erreur regrettable. VII Histologie. Cherchôns maintenant dans l'étude des tissus à trouver des analogies ou des différences, s'il en existe, entre la Gerardia et les autres Coralliaires. Les choses dont on est le plus frappé en abordant Fhistologie de la Gerardia sont d’abord la délicatesse et le peu de résistance des parties ; ensuite la présence d’une couche de viscosité qui vient recouvrir les zoanthodèmes aux moindres irritations por- tées sur leurs animaux vivants. Tout cela gène beaucoup les observations, en empâtant les objets dont on veut dissocier les éléments. Le moyen qui parait réussir le mieux est celui-ci : On approche avec précaution des ciseaux fins, très-effilés, d’un Polype bien épanoui, et l'on coupe rapidement l'un de ses bras. Naturelle- ment, à ce moment, il se produit une vive contraction dans la partie coupée ; mais en la portant sur une plaque à observation, et la recouvrant d’une légère lame mince de verre, il est possible d'obtenir, en absorbant peu à peu l’eau par imbibition à l’aide d'une étoffe, un degré de compression suffisant pour voir, par transparence et sans désagréger les tissus mous, toutes les particularités de texture, Il me paraît difficile qu'une section, quelque habilement qu’elle puisse être faite, conduise à un pareil résultat. Lorsqu'ils sont dans une assez grande quantité de liquide pour n'être pas comprimés, les bras paraissent un peu cannelés trans- 496 . LACAZE-DUTUIERS. versalement; cela tient aux contractions irrégulierement plus fortes et plus faibles que subissent les différentes parties des tissus; mais cela ne parait point coïncider avec une particu- larité de structure. A un faible grossissement (1), on voit distinctement dans leurs parois deux couches entièrement différentes ; elles sont faciles à reconnaitre à cause de leur teinte. L'une, interne (2), est jau- nâtre, et rappelle par sa couleur la teinte générale du zoantho- dème ; elle est relativement opaque, et forme comme une bande plus sombre à la face interne du tentacule. L'autre, toujours évi- dente, est placée à l'extérieur (à) ; elle est transparente, et si l'on voulait lui assigner une coloration, on ne pourrait trouver d'ana- logie qu'avec une légère nuance de teinte neutre. Ces deux couches comparées l’une à l’autre ne peuvent être confondues d’après ces caractères ; d’ailleurs leur épaisseur est aussi très-différente. Dans quelques cas où les tentacules étaient parfaitement conservés et le moins altérés qu'il fût possible, on aurait pu penser que la couche interne ne mesurait guère plus d’un tiers de la couche externe ; mais le tentacule était con- tracté, et, comme on va le voir, tout doit faire supposer que les contractions se passaient dans sa couche externe. Les éléments de ces deux couches présentent des différences très-marquées. La couche interne renferme exclusivement ou à peu près un tissu cellulaire formé de cellules (4) ayant en moyenne 4/100° à 1/100° et demi de millimètre de diamètre. Ces cellules sont rem- plies de granulations jaunâtres qui donnent la teinte à la couche, et quise trouvent mêlées à la matière fluide et pâteuse formant le contenu des cellules. Un granule ordinairement plus volumineux, plus distinct que les autres, et que l’on peut considérer comme le noyau de la cel- (1) Voy. Ann. des se. nat., Zooz., 5° série, €. I, pl. 15, fig. 7. (2) Voy..ihid., fig. 7,8, 9 (a, &.a). (3) Voy. ibid., pl. 15 (b, b, b). (4) Vos. ibid., pl. 4, fig. 8, 9, 40 (4, à, a). MÉMOIRE SUR LES ANTIPATHAIRES. 497 lule, a une couleur presque rougetre, et ses bords sont très- obscurs, tant ils réfractent vivement la lumière (4). Ces cellules, en se rapprochant, constituent des masses si peu denses et serrées, qu’elles conservent leurs formes ovoïdes ; elles sont à peine déformées, et les lignes qui les séparent n’accusent que bien rarement les dispositions polyédriques. On comprend d'après cela combien le tissu doit être délicat, et combien les éléments doivent se désagréger facilement. On n'observe pas habituellement au milieu d'elles d'éléments fibreux, et les nématocystes, S'ils existent, ne se trouvent qu'en très-petit nombre. Quand les cellules sont séparées du reste du corps, elles s'en- dosmosent facilement, se gonflent et se crèvent ; leur matière devient une sorte de mucosité filante, surtout dans quelques par- ties de l'organisme. ILest bien difficile de faire la préparation comme il vient d’être dit, sans voir dans l'intérieur de la cavité des bras des masses de ces cellules jaunâtres, ou bien des cellules isolées se mouvoir, chassées qu’elles sont par les tourants du liquide. La surface in terne de toute la cavité est tapissée par un épithélium vibratile, épithélium dont les cellules sont absolument identiques avec celles dont 1l vient d’être question, et ne présentent que cette différence qu’elles sont couvertes du duvet moteur. Il faut ajouter enfin que ces éléments sont un peu ovoïdes, et que leur plus grand diamètre est parallèle, et non perpendiculaire à la surface; aussi les croirait-on disposés par couches stra- üfices. La seconde couche est fort différente de la précédente. D'abord sa teinte et sa transparence la caractérisent nettement : on voit bien semés au milieu des éléments qui la composent quelques corpuscules granuleux jaunâtres, analogues aux précédents , mais ils sont relativement en très-petit nombre et comme per- dus au milieu de son tissu, dans lequel on trouve des paquets de (4) Voy. Ann. des se. nat., Zoo, 5° série, t. IT, pl. 45, fig, 11 (a). 198 LACAZE-DUTRIERS, nématocystes et des cellules grandes, oblongues, assez transpa- rentes, avec quelques autres plus rares, et fortement granulées. Celles-ci rappellent celles de la couche précédente ; seule- ment elles ne sont pas jaunes, et les corpuscules tout à fait sphé- riques qu'elles renferment sont assez voisins les uns des autres pour se toucher et masquer l'existence du noyau. Elles sont oblongues, et cette fois leur grand diamètre est dirigé perpendi- culairement à la surface du tentacule. Aussi quand on a sous les yeux les deux couches internes et externes, la direction des élé- ments qui les composent suffirait pour les faire distinguer, si la nuance ne les différenciait déjà suffisamment. Ces grandes cellules oblongues et granuleuses sont unies par d'autres plus petites, mais distinctes, dont les contours échappent facilement à l'observation, car leurs parois semblent se confondre ; aussi a-t-on de la peine à bien en saisir les limites. Extérieurement les tentacules sont couverts de cils vibratiles, peut-être même plus développés que ceux qui couvrent la couche interne. Lorsque les Polypes sont jeunes et encore libres, on sait que leur corps est couvert de ces organes locomo- teurs, qui plus tard, devenant inutiles, tombent et disparaissent entièrement. Ici donc nous rencontrons des organes locomoteurs à la surface du corps, à une époque où on les retrouve ordi- nairement en moins grand nombre. Nématocystes (4). — Les éléments qui sont désignés par ce nom, préférable à celui de capsules urticantes, sont fort nombreux dans les Gerardia, et disposés d’une certaine façon qui semble constante. Ils sont formés par une capsule allongée, plus large à l’une de ses extrémités qu’à l’autre ; en un mot, ils représentent des ovoïdes, dont la longueur égale au moins cinq fois la largeur. Is ne sont presque jamais absolument droits, mais toujours plus ou moins courbés en faucille. Il ne faudrait pas croire que, pour cette comparaison, on voulût dire qu'ils sont fortement arqués ; ils le seraient plutôt peu que beaucoup. (4) Voy. Ann. des se, nat., Zoor., 5° série, t. Il, pl. 45, fig. 14 (4). MÉMOIRE SUR LES ANTIPATHAIRES. 199 Leur fil est probablement très-long, car les tours de spire qu'il décrit dans leur intérieur sont à ce point serrés, que l'effet qu'ils produisent même à de forts grossissements est celui de fines stries transversales : on croirait la capsule rayée perpendi- culairement à son grand axe. Le fil, en s'échappant, montre bien que les stries sont formées par lui, car celles-ci disparaissent dans la partie de la capsule vidée, tandis qu'elles persistent à où il est encore pelotonné. On doit remarquer qu'il se déroule en s'échappant par le gros bout de sa capsule. Les nématocystes ne sont pas isolés et semés comme dans beaucoup d’autres Coralliaires; ils sont très-nombreux , et se groupent en faisceaux de sept, dix et davantage, en ayant tous leur grosse extrémité du même côté; quelquefois le faisceau n’est pas formé par des nématocystes arrivant à la même hau- teur ; il y a comme des trainées qui peuvent occuper la moitié de l'étendue tout entière de la couche externe. La grosse extrémité de la capsule correspond toujours au dehors, de sorte que les paquets, dont la forme est plus ou moins conoïde, ont leur sommet tourné en dedans. On comprend, du reste, cette position, si le fil a un rôle à remplir extérieurement ; comme il s'échappe par la grosse extrémité, il est tout naturel que celle-ci soit dirigée en dehors. Le nématocyste et les grosses cellules ovales sont parallèles, et leur disposition comme aussi leur transparence et leur couleur contrastent vivement avec l'apparence de la couche interne. Existe-t-1l dans l'épaisseur de ces couches des fibres contrac- tiles musculaires ? Si l’on remonte de l'effet à la cause, il est tout naturel de répondre par l’affirmative; mais quand il s’agit de l'observation directe, la chose devient extrêmement difficile. On voit bien, à la limite des deux couches, une trainée transparente dirigée parallèlement à la surface, et qui semble être comme la charpente de tissu résistant de l'animal ; elle à même une appa- rence fibrilleuse ; mais la nature de ses fibres, si elle en renferme, est fort difficile à reconnaître au milieu des débris des cellules 200 LACAZE-DUTRAIERS. qui les entourent, et des viscosités qui les baignent dès qu'on veut procéder à une analyse anatomique et faire quelque prépa- ration. L'étude qui précède permet maintenant de pouvoir se faire une idée précise de ce qu'est la texture interne du reste de l'or- ganisme. Entre les parois du corps et celles des tentacules, il n°y a de différence que dans l'épaisseur des parties, c'est-à-dire des couches cellulaires, épaisseur très-variable avec l’état de con- traction ou de relâchement. On aperçoit aussi des traînées d'appa- rences fibreuses qui correspondent évidemment aux éléments contractiles, et qui se multiplient surtout au sommet du tube cylindrique représentant le corps des Polypes vers la circonfé- rence du péristome et autour de la bouche. Ces parties jouent le rôle de véritables sphincters, dont tout devait faire prévoir l'existence dans des points semblables de l'organisme. Nous réservons de parler de la structure des replis rayonnants pour le moment où nous nous occuperons des organes de la reproduction. IX De l'appareil vasculaire. La dénomination de sarcosome, on l'a vu, sert à désigner l’ensemble des parties molles, par opposition au polypier, qui est la charpente dure, solide et résistante. On vient d'apprendre à connaître les animaux en eux-mêmes, restent les parties qui les unissent et leur servent d'intermédiaire. L'écorce du zoanthodème, entre les bases des Polypes, pré- sente l'apparence d'un réseau à mailles irrégulières, au travers desquelles on distingue (1) vaguement la couleur noire du polypier. Quelle est la cause de cette apparence ? (4) Voy. Ann, des se, nat., Zoo1., 5° série, t. I, pl. 13-14. MÉMOIRE SUR LES ANTIPATHAIRES. 201 Pour s'en rendre compte, il convient de faire une préparation dans de bonnes conditions. On doit chercher entre les Polypes les plus distants (ce qui se rencontre le plus ordinairement à la base des zoanthodèmes) un espace très-mince, qu’on reconnaît à l'in- tensité de la teinte noirâtre des lacunes du réseau. Tout autour du point que l’on veut détacher, on coupe le tissu à l'aide d’un scalpel bien tranchant et tenu perpendiculaire ; alors on peut par une légère traction, en rompant les faibles adhérences avec ce polypier, enlever une pellicule qu'il devient facile de soumettre à l'examen microscopique. Cette épreuve est d'autant plus facile, que ces parties sont beaucoup moins contractiles que les corps des Polypes eux-mêmes. Les lignes qui paraissaient, à la loupe ou à un très-faible gros- sissement, s'anastomoser et former ce réseau (1), se décomposent à un grossissement d'une vingtaine de diamètres, en vaisseaux dont les parois elles-mêmes se dédoublent en couches différentes qui limitent la cavité (2). La paroi interne est composée de cellules absolument identiques avec celles que l'on a vues dans l'intérieur des bras et du corps des Polypes (3); elle est formée de deux, trois, quatre couches de cellules superposées et unies tout aussi lichement que dans les autres parties de l'organisme. Du reste, l'épaisseur de cette couche est toujours en rapport avec le diamètre du vaisseau, et par conséquent le nombre des rangs de cellules est va- riable. Mais, ce qu'il importe de bien remarquer ici, ©'est que cette couche est continue avec celle qui tapisse la cavité générale du corps. Ainsi, non-seulement il n’y a aucune différence de struc- ‘ture, mais encore il n'existe aucune interruption entre la couche (4) Voy. Ann. des sc. nat., Zoor., 5° série, €. If, pl. 15, fig. 42. Cette figure repré- sente une parcelle d’écorce enlevée comme il vient d’être indiqué, et vue à un (rès- faible grossissement. Les lignes ombrées sont les vaisseaux; par-dessus le tout on voit des spicules de Spongiaires. (2) Voy. ibid. fig. 13. (3) Voy.ihid., fig. 18, 44, vaisseaux du réseau grossis de plus en plus, 9202 LACAZE-DUTHIERS. interne des cavités de l'organisme, depuis l'extrémité d’un ten- tacule jusqu'aux dernières ramifications des vaisseaux (1). La face interne de cette couche jaune qui donne sa couleur au sarcosome intermédiaire aux Polypes est tapissée par un épithé- hum vibratile très-vif, qui détermine des courants dans les liqui- des de la cavité des vaisseaux. Je n’ai jamais rencontré une pré- paration qui n’offrit dans ses canaux des groupes de cellules jau- nes transportées d'un £analicule à l'autre avec une assez grande rapidité. La cavité de ces vaisseaux est toujours en communication avec la cavité du corps. On a vu que c’est très-exactement entre les cloisons, et tout à fait au niveau du plancher inférieur, que leur ouverture a lieu. Il ne paraît pas exister plusieurs couches superposées de vais- seaux, comme cela existe dans les Alcyonaires et le Corail en par- ticulier. I n’y a pas non plus de distribution régulière et spéciale dans la forme des réseaux, car elle est modifiée par le nombre et les rapports des Polypes. Ces rapports sont complétement l'effet du hasard et du développement plus ou moins grand de tel ou tel individu; d’ailleurs, la naissance des blastozoïtes entre les Polypes adultes est une cause de perturbation incessante dans les dispositions qu'au premier abord on aurait pu croire quelque- fois caractéristiques. Les mailles sont polygonales quand les polypes, gros et bien développés, sont à peu près à égale distance les uns des autres et sur une large base de sustentation ; tantôt, on les voit allongées à ce point, que les vaisseaux qui les forment semblent parallèles à la fois entre eux et à l'axe : dans ce cas, il existe des commu- nications transversales qui leur sont perpendiculaires (2). Les canaux vasculaires sont recouverts et unis entre eux par un tissu absolument analogue à celui que l'on a vu recouvrir les teniacules et former la eouche externe. Ce tissu, on se le rap- (4) Voy. Ann, des sc. nat., Zoor., 5° série, t, IL, pl. 17, fig. 29, (2) Voy. ihid., pl. 15, fig. 13. MÉMOIRE SUR LES ANTIPATHAIRES. 203 pelle, est bien plus transparent et renferme les nématocystes et les éléments contraciiles ; il remplit ici les espaces intervascu- laires, il recouvre toutes les parties intermédiaires, et c’est par transparence, au travers de son épaisseur, que l'on distingue la teinte noirâtre du polypier (1). Telle est la structure intime du sarcosome de la Gerardia. On trouve dans les descriptions qui précèdent un fait digne de remarque. La circulation bien connue et étudiée dans le groupe des Alcyonaires n’est plus une exception ; car 1e1, comme dans le Corail, les blastozoïtes d'un même zoanthodème ont entre eux des relations extrémement intimes en ce qui touche l'accomplis- sement des phénomènes de la nutrition générale. Chaque arrière-fond des cavités ou loges latérales de la cavité générale s'ouvre du côté externe, dans un des conduits du réseau (2). Il n’y à donc pas ici, comme dans le Corail, les Alcyons et iles Gorgones, des orifices de vaisseaux s'ouvrant sur la paroi interne de la grande cavité générale, à des hau- teurs diverses et en nombre variable ; 1] n’y a qu'un seul vais- seau pour chaque espace mtercloisonnaire, qui, à la base du Polype, représente ce qui a lieu autour du péristome, en haut, pour les tentacules. Ainsi que cela a été indiqué, il n'y à qu'un plan de vaisseaux ; cela tient évidemment au peu d'épaisseur de la couche sarcosomi- que. Dans les Alcyonaires, cette couche est épaisse et véritable- ment charnue , les Polypes sont immergés dans sa profondeur ; ici, au contraire, la faible épaisseur de la base des animaux sem- ble se répéter dans le sarcosome. Si on le voulait, on pourrait, en face du peu de faits connus sur la circulation des Coralliaires, trouver une analogie entre les Alcyonaires et la Gerardia ; mais ne vaut-il pas mieux voir dans ce qui précède une preuve de l'existence, dans toute la classe, d'un réseau circulatoire établissant des communications réces- (4) Voy. Anm: des se, nat., Zoo1., 5° série, & LH, les différentes figures, pl. 13, 14. (2) Voy. sbid., pl. 17, fig. 29, 204 LACAZE-DUTBIERS. saires et immédiates entre tous les animaux souvent éloignés d’un même zoanthodème. Ainsi, dans les Dendrophyllia ramea, D. coringera, etc. lorsqu'elles atteignent de grandes proportions, les blastozoïtes sont fort éloignés, souvent à 3, 5, 10 cen- timètres de distance. Or, le tissu de leur polypier s'accroît dans les points qui ne portent pas de calices polvpifères. Ce n'est sans doute qu'à l’aide des liquides nourriciers que cet accroissement doit avoir lieu. Comment ces liquides pourraient-ils arriver partout, si des vaisseaux ne parcouraient le sarcosome? Il doit nécessairement exister des moyens d'irrigation organique. Ce n’est donc pas exagérer les déductions permises par l'ana- logie, que d'admettre que, chez tous les Coralliaires vivant en colonie, il doit y avoir un appareil crreulatoire. Il y a là des sujets de recherches qui méritent l'attention des naturalistes ; mais ces recherches sont loin d’être faciles, car les tissus sont à ce point contractiles et délicats, que leur dissection est hérissée des plus grandes difficultés. On doit surtout chercher à voir ces vaisseaux dans les animaux bien épanouis, bien vivants. Mais comme ces conditions sont toujours fort difficiles à rencon- trer, on comprend pourquoi les données nous manquent encore sur ce point délicat de l'histoire naturelle des Coralliaires. J'es- pére cependant, dans les publications qui vont suivre, pouvoir faire connaître l'organisation de ces animaux au point de vue que j'indique ici. Déjà, depuis quelques années, on ne s'occupe plus de la discussion du phlébentérisme, et il n’est certes point dans mes intentions de la faire renaître; mais, cependant , il n'est pas possible de ne pas voir ici la communication directe de la cavité digestive et des canaux appelés à faire circuler dans l'organisme les fluides nourriciers. Le mot phlébentérisme a été malheureusement choisi, en ce sens qu'il a, par l'interprétation forcée de ses racines, permis à la critique d’exagérer sa signification. Mais qu'importe, au fond, le sens exagéré du mot, cause de MÉMOIRE SUR LES ANTIPATHAIRES. 205 l'acharnement des querelles passées ? restons en dehors de tout cela, et ne voyons que l’idée. Sans doute, ce n'est pas ici l'intestin qui Joue le rôle de veine ; mais vouloir nier le passage direct des matières élaborées par l'action de la cavité digestive, dans les vaisseaux, serait nier l'évidence la plus éclatante. C’est pour s’en tenir trop aux idées puisées dans l'anatomie et l'étude des animaux supérieurs que quelques personnes ont trouvé dans l'interprétation du mot phlé- bentérisme le sujet d’une si vive opposition. Quand on aborde l'observation des Invertébrés, et plus particulièrement des Inver- tébrés inférieurs, 1l faut bien se pénétrer de cette vérité : on est en face d’un monde tout nouveau, dans lequel on rencontre des faits si différents de ceux que l’on constate dans les êtres supé- rieurs, que souventils étonnent, si même ils ne sont mis en doute ou niés par ceux qui ne les voient pas. Ainsi, dire qu'il existe une continuité non interrompue entre la bouche, l'œsophage, l’esto- mac et l'appareil circulatoire, c’est bien là avancer une chose faite pour étonner et surprendre des personnes qui ne connai- traient que l'anatomie des Vertébrés: que l’on donne à cette disposition le nom qu'on voudra, peu importe. Le mot de phlében- iérisme à soulevé des discussions si nombreuses, que je laisse le soin, à ceux-là mêmes qui l'ont tant critiqué, d’en proposer un autre qui vaille mieux. Mais, en tout cas, on ne saurait nier le fait sur lequel je viens d'appeler l'attention. X Des organes de la reproduction. «Jusqu'ici on n'a pas étudié l'anatomie des Antipathes, et l’on ignore la disposition des lamelles mésentéroïdes et des organes générateurs (1). » D'après cela, il y avait encore beaucoup à faire dans l'étude de la Gerardia, car rien n’a été publié depuis que M. Mine Edwards a écrit ces lignes. (4) Voy. Milne Edwards, Loc. cit., t. I, p. 3114. 5° série. Zoo. T. IT. (Cahier n° 4.) à 44 206 LACAZE-DUTHIERS. Des recherches longuement poursuivies en Algérie m'ont fait reconnaître, après bien des fatigues et des déceptions, qu'il ne faut point se hâter de conclure d’une espèce à une autre quand il s’agit de la reproduction des Zoophytes. Tantôt on en ren- contre qui se développent sans qu'on prenne, pour ainsi dire, la peine de les soigner ; tantôt, au contraire , on en trouve d'autres pour lesquels, quoi qu'on fasse, on ne peut dépasser certaines périodes de la reproduction. La Gerardia vit longtemps et bien dans les aquariums, mais pour cela elle demande un renouvellement d'eau énorme qu'il est bien difficile de pouvoir régulièrement contmuer. Aussi ne m'a-t-il pas été possible d'obtenir sa ponte et la naissance de ses jeunes. On ne trouvera donc ici que des faits qui se rapportent aux organes mêmes de la reproduction. Si l'on ouvre un polype en état de gestation, ou bien si, en le plaçant dans de bonnes conditions on le voit s'épanouir etse gon- fler beaucoup, on observe que ses replis rayonnants, à cordons pelotonnés, portent vers le milieu de leur hauteur des tumeurs mamelonnées, d’une teinte un peu rougeàtre, qui donnent leur couleur aux Polypes et aux zoanthodèmes. Ce sont les organes femelles et fondamentaux de la reproduction. La lame du pli rayonnant, considérée indépendamment du gonflement génital, offre une teinte jaune verdâtre, légére, moins intense que celle du sarcosome ; elle est franchement et nettement cellulaire ; elle renferme des nématocystes plus volumi- neux que ceux dont il a été question, mais surtout non courbés et relativement moins longs et plus lar ges, contenant un fil à tours beaucoup moins rapprochés. Le bourrelet ou cordon du bord du repli est dE assez volumineux, mais pas assez long pour décrire de nombreuses cir- convolutions ; il est placé très-haut et près de la fin du tube œsophagien. Les cellules qui le forment sont les plus grandes du corps des Polypes ; elles sont granuleuses et moins généralement jaunâtres que celles du sarcosome et des vaisseaux; quelques- unes participent à la couleur rougeâtre des masses ovariennes. MÉMOIRE SUR LES ANTIPATHAIRES. 207 Quant aux nématocysies, ils sont aussi plus ovales que ceux des parois du corps, et peu ou point courbés suivant leur axe ; ils ne sont pas, à beaucoup près, aussi nombreux que dans les autres Coralliaires zoanthaires; ils ne sont pas non plus groupés en paquets comme dans les téguments. Un épithélium vibratile recouvre les replis dans toute leur étendue. La ligne d'union du bourrelet ou cordon et de la lamelle mésentéroïde est très-transparente, elle semble limitée des deux côtés par le bord convexe des cellules rangées en ligne. On à discuté et l'on est encore lom d’être d'accord pour savoir si, à la base ou au muheu du bourrelet, il existe un canal. L'apparence dont il est ici question pourrait porter à croire que le canal existe réellement ; mais, malgré tous mes efforts, je n'ai pu arriver à une démonstration ne laissant aucun doute. Quoi qu'il en soit, on retrouve sur les replis rayonnants la même couche qu'à l'intérieur des vaisseaux, des tentacules et des parois du corps. Couche éminemment cellulaire, dont les élé- meñts semblent ici encore plus développés et plus lâchement unis. Ajoutons que, si les cellules des téguments peuvent se résou- dre en une mucosité épaisse, celles des replis rayonnants en produisent une encore bien plus visqueuse (4) ; aussi, quand on fend un polype de Gerardia, la cavité générale de son corps est bientôt envahie par un liquide filant qui gène beaucoup l’obser- vation. Les ovaires, et en particulier les œufs, sont d'un rouge-brique terreux ; ils se développent dans l'épaisseur des lames rayon- nantes, vers le milieu de la hauteur, par conséquent au-dessous du point où commencent les cordons pelotonnés. Un repli vu de champ, quand l’ovaire qu’il renferme est bien développé, parait lenticulaire (2), un peu irrégulier et bosselé à sa surface ; vue de face, la portion où sont les éléments génitaux (4) Voy. Ann. des sc. nat., Zool., 5° série, t. 11, pl. 17, fig. 33. (2) Voy. tbid., pl. 18, fig. 34. 208 LACAZE-DUTEBIERS. est oblongue, et ne représente en définitive qu'une partie de son étendue assez limitée et un peu irrégulièrement gonflée (1). Soumise à un faible grossissement, on reconnaît que sa struc- ture est cellulaire, et l’on voit des taches rouges ayant un milieu clair transparent noyées dans ses tissus ; celles-ci suffisent seules pour faire reconnaître un ovaire, ou plus généralement une glande génitale. La structure de lovaire est simple, elle ne différe en rien de celle du repli. Çà et là, au milieu des cellules ordinaires, se dé- veloppent les œufs (2), caractérisés par leurs éléments habituels, et il suffit de comprimer légèrement pour les voir se dégager de la gangue cellulaire qui les a produits (3). I ne m'a pas été possible de discerner, au milieu de ces cel- lules, des éléments particuliers qui fussent en rapport avec la sécrétion ou la formation des germes. Cependant on ne saurait douter que, dans cette portion hmitée et particulière du repli, il n'existe et ne s’accomplisse une sécrétion toute spéciale. Les œufs les plus développés que j'ai pu rencontrer étaient ovales (4) et renfermaient les parties ordinaires bien connues : le vitellus granuleux et coloré ; la vésicule transparente, et dans celle-ci la tache germinative. Le vitellus est pâteux. Quand on rompt, par une pression exa- gérée, son enveloppe (la membrane de l'œuf ou la membrane vitelline), on le voit s'échapper en une trainée (5) visqueuse, mais fluide, d'où peu à peu, quand on opère dans l’eau, les granulations se détachent, par suite, sans doute, de la dissolu- tion de l'élément qui les tenait rapprochées. La vésicule de Purkinje (6), dont la présence se manifeste au milieu du vitellus par un grand espace clair, occupe souvent l'extrémité la plus large de l’ovoïde. Quelquefois même elle semble appliquée contre la membrane vitelline et la soulever; (4) Voy. Ann. des sc. nat.,Zoor., 5° série, t. If, pl. 17, fig. 29, ct pl. 18, fig. 35. \ (2) Voy. ibid., pl. 48, fig. 35. (3) Voy. thid. (c, c, c). (4) Voy. ibid., fig. 36 (c, a), fig. 39. (5) Voy. ibid., fig. 40. (6) Voy. ibid., fig. 40 (a). MÉMOIRE SUR LES ANTIPATHAIRES. 209 elle apparaît de très-bonne heure et caractérise très-rapidement l'œuf. L'enveloppe vitelline m'a semblé offrir toujours, vers la petite extrémité, des irrégularités, des apparences de déchirures qui pourraient indiquer, soit le micropyle, soit plus d’adhérence, et une union plus intime dans cette partie (4) avec le parenchyme de l'ovaire ; il est de fait que, lorsque l’on comprime la lame remplie d'œufs, ceux-ci s'échappent non par leur petit bout, mais par leur grosse extrémité (2). Les ovaires ne m'ont jamais paru être mêlés avec les testi- cules dans un même polype. Aussi l’hermaphrodisme, s'il existe, doit évidemment être rare ; il serait toutefois imprudent d'affir- mer qu'il n’existe pas, bien qu'il n'ait jamais été rencontré. Car il est difficile de pouvoir anatomiser un nombre d'animaux immense, surtout de passer en revue, dans chaque Polype, tous les replis, et d’oser affirmer qu'on n’en à oublié aucun; que, dans chacun d'eux, on n’a pas omis l'observation d’une partie qui aurait pu renfermer un élément contraire à celui que l'on trouvait prédominant. C'est pour avoir vu dans le Corail (3), et bien d’autres Coralliaires, combien la connaissance exacte du sexe demande de soins précis et minutieux, que j'insiste sur la réserve que l’on doits’imposer quand on veut, dans ces animaux, indiquer la séparation des sexes. Il me paraît très-probable, d’après ce que J'ai vu, que les deux sexes sont séparés et leurs organes portés par des polypes différents. Mais 1l n'y aurait rien d'étonnant et d’impossible que des blastozoïtes hermaphrodites fussent rencontrés. Quant à la distinction des sexes relativement à toute une colo- nie où à un Zoanthodème tout entier, la même difficulté se pré- sente. Comment pouvoir dire qu'un grand zoanthodème ne ren- ferme que des Polypes mâles ou des Polypes femelles ? II faudrait, pour cela, avoir passé tous ses blastozoïtes en revue. C’est là un (4) Voy. Ann des sc. nat., Zoor., 5° série, t. II, pl. 18. fig. 37, 38 (b, b). (2) Voy. ibid., fig. 35 (c, c, c). (3) Voy. Lacaze-Duthiers, Histoire naturelle du Corail. MO LACAZE-DUTUIERS. travail considérable. Quand il s’agit d'affirmer, on peut toujours craindre que quelques individus d’un sexe différent à celui qui domine n’ait échappé à l'observation. Cependant la condition la plus constante paraît être la diœcie pour les zoanthodèmes comme pour les Polypes, c’est-à-dire l’unisexualité pour les colo- nies comme pour les animaux. Quand on a examiné les glandes génitales à l’aide du mieros- cope, et constaté que la coloration rougeûtre est surtout due au développement des ovaires, alors on peut être fixé assez rapide- ment sur la présence de l'élément caractéristique de l’un ou l’autre sexe ; mais il faut encore que cette condition se présente. Les testicules se développent dans une partie essentiellement identique avec celle où l’on vient de voir se former l'ovaire ; entre lui et la glande femelle, on ne trouve extérieurement aucune différence de forme, de volume, de position et d'apparence géné- rale, si ee n’est la coloration. Il est à peu près blanc ou incolore, et tandis que les cellules composant le parenchyme ovarien parti- cipent, quelques-unes du moins et de lom en loi, à la couleur rougeâtre du vitellus, dans les individus mâles on ne voit que des cellules grosses et granuleuses, ayant une teinte un peu jau- nâtre. Les éléments spermatiques se développent dans l'intérieur de capsules, semées comme les œufs çà et là au milieu du reph dans le parenchyme formant la glande testiculaire. Ces capsules ont, quand elles sont encore peu développées, une apparence toute particulière (4); leur milieu, plus clair, semble creusé d’une cavité centrale : c’est là quelque chose de tout à fait analogue à ce qu’on observe dans les testicules du Corail et des autres Alcyonaires. Cette apparence est très-mar- quée. Une grande différence néanmoins sépare à ce point de vue les Antipathaires et les Aleyonaires, et rapproche les premiers des Zoanthaires. Dans ceux-ci, en effet, l’œuf et le testicule, ou, si (4) Voy. Ann, des se. nat., Zoo, 5° série, t, IL, pl. 18, Gig. 41 (4). MÉMOIRE SUR LES ANTIPATHAIRES. 211 l'on aime mieux, les capsules ovariennes et testiculaires restent, jusqu'à leur maturité et leur déhiscence, immergées compléte- ment dans le parenchyme glandulaire de la lame mésentéroïde. Au contraire, dans les Alcyonaires, les œufs, comme les testi- cules, ne restent point plongés dans le tissu qui les a produits ; ils deviennent saillants, et on les trouve suspendus à de longs pédoneules. Les capsules (1) mâles sont ovales, transparentes , minces et sans structure appréciable. Leur plus grande longueur est de 12/100% de millimètre. C'est par l’une des extrémités de leur plus grand diamètre qu’elles se rompent pour laisser échapper leur contenu ; eelui-ci, avant d’être arrivé à son entier déve- loppemeni, est formé de véritables cellules, dans l'intérieur des- quelles se forment les granulations et les corpuscules qui s’en échappent à la maturité, ainsi que les spermatozoïdes qu’elles produisent. * Les spermatozoïdes (2), lorsqu'ils sont entièrement formés, ont une tête assez volumineuse, réfractant vivement la lumiere. Leur queue est longue, très-évidente, et même facile à voir ; on sait qu'il n'en est pas toujours ainsi. Leur longueur totale mesure de 8 à 10/100% de millimètre ; la tête, dans sa plus grande étendue, offre un tiers ou un quart de 1/100° de millimètre. Leur progression s'accomplit par deux sortes de mouvements : d’abord par les ondulations sans grande amplitude de la queue tout entière, ensuite par des mouvements brusques de flexion à droite et à gauche de la partie voisine de la tête (3). Du reste, ce mode de progression se retrouve absolument identique chez les spermatozoïdes des Actinies (par exemple, chez l Actinia equina). Eu résumé, la structure des glandes qui caractérisent les sexes est fort simple ;' elle est en rapport avec ce que l’on connaissait (4) Voy. Ann. des sc. nat., Zoo., 5° série, t. IL, pl. 48, fig. 42. (2) Voy. tbid., fig. 43 et 44. (3) Voy. ibid., fig. 44. Ce spermatozoïde n’est pas à deux têtes; il est représenté dans la position qu’occupe successivement son globe céphalique pendant les contrac- tions de la première portion de la queue. 212 LACAZE-DUTHIERS. dans les autres groupes, tels que les Actinies, le Corail, les Gor- gones, etc. D'après ce qui précède, on peut prévoir que la fécondation s’accomplit dans des conditions qui, pour la plupart du temps, sont abandonnées au hasard. Lorsque les zoanthodèmes sont dioïques, 1l faut que l’émis- s'on de la semence du mäle coïncide avec l'existence de cou- rants favorables qui puissent diriger la liqueur fécondante vers les femelles. Quant à ce qui est de l'évolution des germes, mieux vaut s'abstenir , quoique cependant l'analogie autorise déjà des suppositions très-légitimes. XI Du poivpier. Le polypier de la Gerardia est fort intéressant à étudier; long- temps on l'a connu seul. On a même fait de lui des choses différentes quand il était dénudé de ses animaux, ou lorsqu'il était couvert par eux. Du reste, il faut le dire, on rencontre de véritables difficultés à reconnaître toutes les particularités qui se rattachent à son histoire. Voici la première question qui se présente : La Gerardia at-elle un axe qui lui appartienne en propre? en un mot, les zoantho- dèmes se composent-ils d’un polypier et d'un sarcosome; ou bien ne présentent-ils qu'un sarcosome ayant envahi et recouvert un polypier étranger? Voilà ce qu'il s'agit de décider. Un exemple fera mieux comprendre les données du problème. La Bebryce mollis, Phil., l'ancienne Gorgonia coralloides, re- couvre les axes ou polypiers des autres Gorgones, et les entoure si complétement, que longtemps on a considéré ceux-ci comme lui appartenant. Cependant cette espèce, à aucune époque de son MÉMOIRE SUR LES ANTIPATHAIRES. 21 existence, ne sécrète de substance dure et cornée. Jamais elle ne produit de polypier ; aussi est-elle regardée à bon droit comme véritablement parasite. Quand on voit une Gerardia bien développée couverte de ses animaux ; quand plus tard, après sa mort, on trouve un polypier noirâtre sous ses tissus mous, la première pensée qui vient à l'esprit, c’est qu’elle a produit ces charpentes dures et rameuses, plus ou moins fragiles qui se rapprochent à tant d'égards, quoique à peine chagrinées, des polypiers des Antipathes. Pour peu que l’on examine de nombreux échantillons, on en trouve qui différent tellement les uns des autres, que l'on se prend bientôt à douter. Ainsi un pêcheur m'apporta un jour un petit zoanthodème qui avait des animaux fort grands et tout aussi développés que ceux d’un échantillon des plus grandes dimensions. Cet échantillon vécut quelque temps dans mes aquariums, et quel ne fut pas mon étonnement, quand il mourut, de rencontrer sous son sarcosome un polypier grisâtre, flexible et non cassant, qui rappelait par tous ses caracteres, en particulier par ses stries, le polypier d’une Gorgone fort commune de la Muricea placomus. I n'y avait dans ce cas aucun doute possible ; le zoanthodème de la Gerardia était exclusivement formé par le sarcosome, sa char- pente était d'emprunt. Naturellement je fus conduit par cet exemple à me demander si les polypiers noirs dont il vient d'être question appartenaient bien réellement à la Gerardia; en un mot, si celle-ci n’était pas purement et simplement un parasite. J'étais partagé entre ces deux opinions, quand des études d’un autre ordre firent naître la lumière et me tirèrent d'embarras. La Gerardia nourrit un parasite qui se loge dans ses tissus, et qui, en grandissant, finit par être à son tour recouvert par le sarcosome. Ce parasite est un Crustacé des plus curieux, dont bientôt je ferai connaître l'histoire. Or, cet animal, après avoir pénétré dans les tissus de la Gerardia, et grandi au point qu'il atteint la taille de 3 ou 4 centimètres de long, finit par être recouvert en entier par le sarcosome, qui suit son développement. I devient le support, le soutien, des colonies de la Gerardia, et 21h LSCAZE-DUTHIERS. celle-ci le recouvre d'une couche de substance cornée analogue à son polypier proprement dit. Ce fait me mettait évidemment sur la voie de la vérité ; mais comme le Crustacé se détache souvent sans être encore couvert par la couche dure du poly- pier, comme ordinairement il ne vit pas assez longtemps pour être englobé, on ne trouve que peu de masses résultant de son encroûtement. Un autre exemple me permit de mieux apprécier les faits, et d'arriver plus sûrement à la vérité. Un corailleur fort intelligent, à qui j'avais montré et bien expliqué ce que je voulais, m'ap- porta une Muricea placomus dont les principaux rameaux, sur- tout vers la base, étaient parfaitement vivants, mais dont deux branches secondaires du sommet étaient envahies par la Gerar- dia. Fobservai vivant, aussi longtemps que possible, ce double zoanthodème , et je trouvai après sa mort, sur la partie du polypier correspondant à la Gerardia, une légère couche de üssu brunâtre qui recouvrait le polypier de la Muricea. H n'y avait plus de doute possible. Définitivement je m'arrêtar à cette opinion, que la Gerardia était d’abord à son origine un parasite, mais que plus tard elle sécrétait un axe et déposait un polypier sur les charpentes qui lui avaient servi de premier soutien. Si cette opinion était vraie, au centre des branches principales je devais trouver une moelle, un tissu particulier différent de celui du polypier même : c’est en effet ce qui arriva. Il est, je puis dire, facile d'observer, de retrouver toujours au centre des polypiers des Gerardia, les rameaux de la Gorgone qui fut pri- mitivement envahie et recouverte ; ils sont comprimés et sou- vent filiformes, ordinairement jaunâtres, mais toujours moins foncés que le tissu qui les environne. Trouver le premier fait important est, dans tout travail, la chose difficile; en commençant, les cas démonstratifs semblent rares, plus tard ils deviennent aussi fréquents qu'ils étaient d'abord peu nombreux. Les Squales et les Raies pondent, on le sait, de gros œufs à vitellus supplémentaires. Ces animaux les enferment dans des MÉMOIRE SUR LES ANDIPATHAIRES. 9219 coques, qu'ils attachent par des filaments qui ressemblent à des vrilles entortillées aux branches des polypiers. Lorsque ces œufs sont attachés sur des zoanthodèmes de Gerardia, et j'en possède des échantillons, ils sont envahis par le sarcosome qui s'est étendu, et les filaments, surtout ceux fort rapprochés, sont transformés en une véritable masse qui est recouverte plus tard par le dépôt corné. Cet exemple est aussi démonstratif que possible de ces deux faits, à savoir : que la Gerardia envahit comme un véritable parasite les corps étrangers, et qu’elle finit par sécréter un polypier dont elle les recouvre. On pourra peut-être s'étonner de voir que j'ai autant insisté sur ces faits ; car, en fin de compte, rien n’est fréquent comme de voir des corps étrangers recouverts par du Corail, des Gorgones, des Zoanthaires madréporaires, etc.; et j'arrive à prouver que pour la Gerardia il en est comme pour tant d'autres espèces. Sans doute, mais l'étendue des détails m'a semblé devoir être en rapport avec la difficulté même que l'on éprouve à constater ces faits ; difficulté que l'on ne saurait mettre em doute, puisque la Gerardia à été désignée par cinq noms différents, tant elle offre de différences à divers états de développement et de con- servation. Peut-être même éprouverai-je de la difficulté à con- vaincre tous les naturalistes, car déjà les objections ne m'ont pas fait défaut. | Ce qui fait naître ce doute dans l'esprit, quand on examine les échantillons peu âgés de la &erardia, c'est que cette espèce pré- sente une particularité biologique remarquable : elle étend plus rapidement son sarcosome qu'elle ne sécrète son polypier, de sorte qu'à un moment de sa vie, elle semble parasite, parce qu’elle n'a pas encore produit sa charpente dure. Ceux qui borneraient leur observation à cette première période supposeraient, avec juste raison, qu'elle est parasite, et simplement charnue ; mais ils se tromperaient s'ils en concluaient qu'il en est toujours ainsi, et qu'elle ne produit pas de polypier, car plus tard elle forme celui-ci. | Il semble même qu'elle a besoin presque toujours, au début de 216 LACAZE-DUTHIERS,. son développement, d’un soutien, et qu’elle affectionne plus par- ticulièrement les Muricées, qu'elle prend presque constamment pour premier support; je parle, bien entendu, de l'espèce habitant les localités où j'ai fait mes observations. Il serait certainement fort curieux de voir comment la larve vient se fixer sur ces Gor- gones, et Comment son sarcosome, en s'étendant, les étouffe et les fait périr. Ce parasitisme tout particulier doit faire prévoir que, dans le polypier de la Gerardia, on peut trouver enfermés des éléments appartenant aux animaux qui ont été victimes de ses envahisse- ments. J'ai en effet fréquemment rencontré sous une mince pel- licule de dépôt corné des spicules de la Muricea placomus. Je ferai enfin une dernière remarque pour répondre à quel- ques objections. Si les polypiers noirâtres, déposés sur des poly piers d'emprunt, n'appartenaient pas à la Gerardia, comment se ferait-il que, sur des centaines d'échantillons qui m'ont été apportés, je n'eusse jamais rencontré l'animal qui les produi- rait ? cela serait bien extraordinaire. Les Bebryces, qui sont réelle- ment parasites, et qui ne sécrètent jamais d’axe, m'étaient rap- portées sur toutes sortes de corps étrangers; mais ces corps n'étaient connus, et si quelquefois ils étaient séparés des êtres qui les avaient produits, souvent aussi ils m'arrivaient en parfait état de conservation à la fois avec les animaux qui les sécrétaient et les parasites qui les envahissaient. Cette question résolue, voyons comment se dépose le polypier, et quelle est sa structure. Quand on examine à une forte loupe, et avec un objectif faible du microscope, la surface du polypier de la Gerardia, on voit qu'elle est couverte de très-petits mamelons ombiliqués (1), rap- pelantun petit cône de volcanavec son cratère, et que tout autour de ces petites éminences, la surface est irrégulièrement ondulée, sans qu'il soit possible de trouver toujours dans ces ondulations quelque chose qui rappelle les dispositions des vaisseaux du (4) Voy. Ann. des se. nat., Zoor., 5° série, t. IL, pl. 16, fig. 25 : portion de surface d'une tige cylindrique pe EE vingt fois. MÉMOIRE SUR LES ANTIPATHAIRES. 217 sarcosome ; toutefois, sur quelques échautillons, on croirait voir un moulage en creux indiquant vaguement l'empreinte de l'appareil vasculaire. La surface du polypier est donc un peu chagrinée, et cet état se traduit à l'œil nu, ou sous une faible loupe, par un pointillé délicat qu'accuse à peine une différence de teinte. Dans le véri- table Antipathes glaberrima, Esper, il n’y arien de semblable ; le tissu des grosses branches et des troncs est lisse, brillant, sans élévation, sans apparence analogue, même très-éloignée. Ces caractères séparent bien nettement les deux espèces : si l’on avait étudié plus attentivement, en les comparant, leurs polypiers, on aurait certainement reconnu les différences qui les distinguent, et évité non-seulement de les confondre dans un même genre, mais encore d'en faire une seule espèce. Sur la carapace du Crustacé parasite dont il a été question, on observe plus facilement le dépôt de la substance cornée du polypier que partout ailleurs. Au milieu des tissus mous du sar- cosome, à la surface du corps du parasite couverte de filaments étoilés (1), on voit des noyaux de substance brunâtre, renfermant à leur centre, tantôt un spicule, tantôt des granulations (2). Ces noyaux grandissent, et forment autant de petits flots qui, s'éten- dant dans tous les sens, finissent par se rencontrer et s'unir. Le bord, en se développant, ou prenant plus d’accroissement que le - mileu, peut donner à ces petits îlots l'apparence de petits mame- lons creusés à leur centre d'un ombilic. C’est là une supposition qui, pour être légitime, n'a cependant pas été vérifiée par l’ob- servation directe. Du reste, le dépôt, quand il se fait avec activité, ne laisse pas les nodules dont il est ici question isolés. Cependantilarrive assez fréquemment qu’en décorticant un zoanthodème, on trouve à la surface interne du sarcosome des petits points brunâtres, qui sont les objets dont nous venons de parler. Vers les extrémités de la ramure, le dépôt forme des calottes (4) Voy. Ann. des se. nat., Zoor., 5° série, t. IE, pl. 46, fig. 28 (p). (2) Voy. ibid, (i, 1, 1,0). 218 LACAZE-DUTHIERS, qui s’avancent en se recouvrant les unes les autres et allongent ainsi les branches. Les couches qu’elles forment sont continues, et rappellent par leur disposition celles qui forment les poly- piers flexibles des Gorgones. Dans un cas, les extrémités d’un polypier de Muricea placo- mus étaient recouvertes de tissus du polypier de la Gerardia comme d'une sorte de vernis, et par transparence au travers de celui-ci on voyait leur structure. Je cite encore cet exemple pour montrer avec quel soin j'ai cherché à reconnaître tout ce qui à trait au parasitisme de la Gerardia , afin d'éviter l'erreur et de présenter ces observations avec plus de confiance. Quant à la structure intime du tissu du polypier, voici ce qu'il est possible de reconnaitre : Quelquefois, mais pas toujours, on trouve, dans les tranches minces enlevées parallèlement à la surface, des apparences de cellules plus grandes, quoique analogues à celles des tissus mous; il m'a semblé ne pas les retrouver dans toute l'étendue d’un même zoanthodème : à part cela, le tissu paraît compacte et bien homogène. Tantôt, on l’a vu, le polypier est noir ; tantôt il est d’un vert jaunâtre de bronze approchant beaucoup du noir; quel- quefois enfin il présente des couches alternativement brunes et jaunâtres. Dans ce dernier cas, une coupe faite par le centre et passant par l’axe montre sur la tranche bien polie des lignes parallèles (1) au bord du cylindre qui répondent aux couches d’accroissement, et des lignes qui, perpendiculaires à celles-ci, se dirigent de la circonférence vers le centre, en s’arrêtant à des hauteurs variables , et ne mesurent presque jamais toute l’éten- due qui sépare la surface du milieu du cylindre (2). Ces lignes perpendiculaires aux axes sont, quand on y regarde de près, des sortes de tubes répondant aux petits cratères de (4) Voy. Ann. des sc, nat., Zoo1., 5° série, t. Il, pl. 16, fig. 26 (g, g). (2) Vox. ibid. (h, h). MÉMOIRE SUR LES ANMDIPATHAIRES. 219 chacun des mamelons de la surface. Ces tubes semblent remplis d’une substance moins colorée que celle qui forme leurs parois. Leurs bords plus foncés, de couleur presque noirâtre, sont d’au- tant plus évidents, que la nuance du polypier dans son ensemble est moins sombre. Quand on fait les coupes presque perpen- diculairement à la surface, alors ils paraissent comme des pores (1), ayant le centre clair jaunâtre, tandis que leur circon- férence est noirâtre. me serait difficile, pour le moment, de donner une autre explication que celle qui précède sur la formation de ces petits mamelons cratériformes ; car si, dans la structure intime du sar- cosome, 1l existe quelques particularités pouvant en donner rai- son, je ne l'ai point reconnue. Toujours est-il que la dépression semble persister pendant assez longtemps. Son centre déprimé se remplit d'une substance moins colorée que ses bords, et tant que cela dure, le tube paraît s’allonger ; si une couche continue se dépose sur son sommet, alors il finit. Cela explique l'appa- rence d’une coupe faite dans le sens indiqué, sur laquelle ces traînées perpendiculaires s'arrêtent à différentes hauteurs. Sur les échantillons très-noirs, on a de la peine à reconnaitre ces stries tubulaires transversales, parce que la couleur de Ja matière dans l'intérieur du tube et sur ses bords est semblable, et l'on ne distingue que très-difficilement la disposition des choses. IL'est, à propos de la structure du polypier, une remarque que je dois faire, en me proposant de revenir sur elle plus longuement dans l'étude d’un Antipathe vrai dont je publierai l’histoire après celle-ci. La Gerardia peut allonger ses rameaux indépendamment de tout soutien ; aussi on doit se demander par quoi est occupé le centre desesramuscules indépendantsde tout parasitisme. Presque toujours on trouve au centre du cylindre un canal, le plus souvent très-grêle, occupé par une substance moins dense que le reste du tissu ; mais ce canal ne devient évident que par la dessiccation. (4) Voy. Ann. des sc. nat., Zoo, 5° série, t. II, pl. 46, fig. 27, (h). 220 LACAZE-DUTHIERS. Il semble que le premier dépôt de la substance du polypier, de celle qui se dépose à l'extrémité dans le sens de la longueur, est moins dense que les couches qui le recouvrent plus tard; de là. quand la dessiccation arrive, la sorte de retrait qu'elle éprouve et l'apparition d’un canal. Cette substance est aussi toujours peu colorée. Pour quelques Antipathes vrais, la chose est encore bien plus marquée, car le canal est quelquefois très-développé; et cepen- dant, sans aucun doute possible, les extrémités des tiges s’allon- gent par l'emboîtement de calottes ou de doigts de gant de sub- stance cornée déposés à leur sommet. XII De la loi de destruction réciproque des êtres. Le polypier de la Gerardia est souvent trapu, très-gros à sa base et à branches fort courtes. Le Muséum de Paris possède un échantillon qui offre ces conditions à un haut degré. J'ai déjà dit qu'à la Calle les échantillons vivants et ainsi con- formés m'étaient apportés au grand jour; tandis que lorsqu'ils offraient une ramure élancée, c'était toujours à la nuit, le soir en cachette, que je les recevais, et cela parce que les premiers avaient été pêchés sur des bancs épuisés, et les seconds sur des bancs vierges, ou du moins fort peu exploités ou nouvellement découverts. Dans le premier cas, les filets des corailleurs avaient rompu les extrémités des branches toujours fragiles des zoanthodèmes, qui n'en avaient pas moins continué à vivre, peut-être même à cause de cela à vivre plus activement; d’où un accroissement fort consi- dérable des bases et des troncs. Les extrémités, en se séparant, sans jamais pouvoir acquérir les formes élancées, grêles et déliées qu'elles ont quand elles sont moulées sur les charpentes des Gor- gones, deviennent simplement tuberculeuses et mamelonnées. Cet accroissement disproportiouné des bases présente un fait fort curieux et très-intéressant qui me suggère les remarques et réflexions suivantes. MÉMOIRE SUR LES ANTIPATHAIRES. 271 Si l'on divise ces gros troncs bosselés, noueux, ondulés, on les trouve formés par des couches suecessives de polypier, de dépôts calcaires et de Bryozoaires. Il y a eu en effet, entre cette partie du zoanthodème de la Gerardia et les êtres qui l'ont envi- ronnée, une lutte acharnée, aveugle, où tantôt elle a eu le dessus, où souvent elle a été vaincue. C'est là un exemple de ce combat que M. Darwin a nommé le sæuggle for life (4), et que, dans l'Histoire naturelle du Corail, j'ai considéré comme une loi de destruction réciproque des êtres (2). Le livre de M. Darwin a eu un immense succès; il est déjà célèbre, et la théorie de l'origine des espèces basée sur la lutte pour la vie ou le struggle for life conduisant à la selection des caractères des espèces nouvelles, est si pleine de séduction, qu'elle n’a pas manqué de faire de nombreux prosélytes. En publiant l’/fistoire naturelle du Corail, je me suis contenté de formuler la loi de destruction réciproque des étres, ne voulant, ne pouvant, dans un livre de cette nature, entrer dans une dis- eussion ayant pour objet un sujet de science pure. Aussi je saisis l’occasion d’une nouvelle publication pour dire quelle différence existe entre la pensée de l’auteur anglais et la mienne. Il est d’abord certain que ce combat, que cette lutte peuvent exister. Les nier, serait nier la lumière du jour ; car partout dans la nature, pour peu qu'on cherche, on en rencontre les preuves les plus éclatantes. Sans être toujours et absolument nécessaire, le fait est vrai. Mais ses conséquences sont d’une nature tout autre, à nos yeux, que celles qu'en à déduites le savant et séduisant auteur anglais. La lutte a lieu entre les individus de la même espèce. Cela ne peut être mis en doute, puisque l’on a admis, à l’origine du monde, quatre ou cimq types primitifs, peut-être un seul, d’où dériveraient toutes les formes que nous avons actuellement sous les yeux. Elle existe aussi entre les êtres de genres et de groupes (4) Voy. Darwin, On the origin of Species. (2) Voy. Lacaze-Duthiers, Hist. nat. du Corail, p. 92. 5° série. ZooL, T. IT. (Cahier "n° h.) 5 45 292 LACAZE-DUTHIERS. différents. Ceci était tout d'abord important à établir; car on pourrait objecter aux faits qui vont suivre que la lutte se passe exclusivement, comme le pensent quelques personnes, entre des êtres d'espèces différentes. Certainement, dans la nature de nos jours, bien des luttes ont leu surtout entre des espèces différentes ; mais cependant, pour tout un ordre de fonctions chez les animaux libres et indépen- dants, la lutte pour la reproduction est incontestable, et elle est tout aussi acharnée pour la possession de la nourriture entre les individus de la même espèce. Ce struggle ou combat a des mobiles bien déterminés : telles sont la possession de l’espace, la possession de la nourriture, la possession de la femelle, la défense de l'existence. Vivre et se reproduire, voilà pourquoi les animaux luttent. Conserver l'indi- vidu, propager l'espèce, voilà leur but à tous. Or, peut-on bien réellement comprendre que ces mobiles soient toujours et nécessairement en jeu? Si l’on admet que la lutte est cause d’une sélection qui exagère, accumule les carac- ières, et produit des espèces nouvelles, il faut bien que, dans tous les êtres, on retrouve ce combat pour en apprécier les résultats. Cependant cela n’est pas. Dans quelques animaux les plus inférieurs, on voit d’abord la lutte cesser entre les êtres de même espèce, quand il s’agit de la possession de l'espace, par conséquent de l'existence. Chez les Zoophytes à zoanthodème, la blastogénèse, ou force d'expansion par bourgeonnement, étend les colonies dans des directions qui sont propres aux espèces. Tant que l’espace et la force blastogé- pétique ne font pas défaut, le zoanthodème s'accroît. Mais que, par l'effet du hasard, deux colonies se rencontrent et arrivent au contact, la lutte s'engage et conduit à des résultats tout diffé- rents, suivant que les individus sont d'espèces différentes ou de même espèce. Dans le premier cas, si la force est inégale, l'un des deux êtres est vaincu, recouvert, étouffé par l’autre ; si elle est égale, les deux lutteurs, se redressant et s’accolant l’un à l'autre,s’élèvent en se fournissant réciproquement une base. MÉMOIRE SUR LES ANTPAÏHAÏRES, 299 Mais, que l'espèce soit la imêtne, et alors tout change. Il ÿ à fusion, soudure, union intime des tissus arrivés äu contact, les deux êtres n’en forment plus qu’un. Cela s'observe à chäque instant pour les rameaux du Corail qui se touchent. Non- seulement le bourgeonnement qui était la cause de l'extension cesse, mais encore les deux êtres distincts n’en font plus qu'un. Si la lutte avait toujours en vue l'existence, la possession de l’espace dans le monde, ne trouverait-on pas, dans la parti- cularité signalée ici, quelque difficulté à lui reconnaître le but que l’on a voulu lui attribuer. Pour qu’une espèce passe à une autre par la sélection de quelques caractères, il faut que la lutte les lui fasse acquérir : of celle-ci s'arrête dès que les individus de la même espèce arrivent au contact; on ne peut donc pas dire qu’elle existe entre les individus de l'espèce Corail, pour expliquer leur passage à une autre espèce. Mais à l’origine, quand il n'y avait que quatre ou cinq types, où même un, la lutte avait done un autre caractère ; on ne dit d’ailleurs pas ce qu'étaient ces types, pour que l’on puisse saisir en quoi consistait alors leurs combats. Pour la reproduction dans l'exemple qui nous occupe, il ne peut être question de lutte, puisque les animaux sont fixés par leur base de sustentation, puisqu'ils sont souvent hermaphro- dites, ou bien, s'ils ne le sont pas, que le hasard seul conduit la semence du mâle, emportée au loin par les courants d’eau, véfs la femelle à féconder. Ïl n’y aurait done ici combat et lutte que pour résister à l’ac- tion destructive des autres espèces qui envahiraient l'espace habité par les premiers occupants, ou chercheraient à se nourrir de leur corps. Ainsi, dans ces conditions, on arrive ou bien à nier qu'il puisse y avoir lutte entre des individus d’une même espèce, ce qui devient très-embarrassant, si l’on remonte à l’origine des choses, alors qu'il n'y avait que quatre, cinq ou même un seul type primitif; ou bien, à soutenir qu'elle n'existe pas toujours, si l’on admet qu'elle se passe, ce qui est incontestable, entre les individus d'une mème espèce. Si l’on veut forcément que les 29/ LACAZE-BUTRIERS. espèces changent parce qu'elles sont créées par sélection, il faut bien cependant trouver l’origine de cette sélection, c’est-à- dire la lutte ; or il n’est pas possible d'admettre que, dans des conditions analogues, les espèces aient toutes à lutter. Quant a la nourriture, pourrait-on, oserait-on bien dire en quoi consiste ce combat dans cette immense cohorte d'êtres in- férieurs, vivant fixés au sol, dont la bouche béante attend que le hasard lui apporte une proie qui pénètre passivement, poussée par les courants que produisent les cils vibratiles ? Sans doute, ces êtres bornés dans la manifestation de leur existence privée et individuelle, auraient à lutier contre ceux qui voudraient faire leur proie de leur corps. Mais verrait-on, dans les moyens de résistance qu'ils opposeraient à leurs ennemis, des causes de modification suffisantes pour changer, par exemple, les caractères d’un Polype à polypier et en faire tout autre chose? Quand on formule une loi, il faut qu'elle se prête à toutes les conditions qui se présentent, sans cela, le fait mème de la loi, la généralité, n'existe plus. | La lutte pour la possession de la femelle est incontestable dans un grand nombre d'animaux supérieurs. Le mäle le plus robuste, le plus vigoureux, le plus fort, est celui qui l'emporte et qui parvient seul à créer les descendants de son espèce; aussi iransmet-il les caractères les plus purs de sa race. Si l’être le plus faible et le plus mal conformé eût été chargé de la propa- gation de l'espèce, celle-ci eût pu dégénérer, perdre ses qua- lités de grandeur, de force, de taille, de propagation ; sa place eût été plus modeste au soleil. H y a done sélection du repro- ducteur , et il faut ajouter du meilleur reproducteur. Ces com- bais, pendant la reproduction, sont si manifestes, si vrais, que depuis bien longtemps les agriculteurs ont donnés le nom de lutte à l'époque du rut chez quelques animaux domestiques. La sélection peut done exister comme le séruggle for life, nul ne saurait le nier, c’est un fait ; mais quelle doit être leur inter- prétation quant à leur cause finale? Ici mon opinion diffère complétement de celle du savant naturaliste anglais. MÉMOIRE SUR LES ANTIPATHAIRES. 225 Le but de la sélection, conséquence du combat pour la vie ou la reproduction, est la conservation des espèces pures et intactes. Sans aucun doute, le choix fait parmi les individus d’une même espèce à un but, et ce but est de maintenir constamment à un haut degré de perfection relative les êtres qui composent le groupe. La faiblesse est une condition de destruction, de dispa- rition des espèces; aussi, pour éviter cette condition à laquelle conduirait là dégénérescence des types, la nature a placé dans les mâles cette ardeur si pressante, si irrésistible pour la généra- tion, et alors les forts, les robustes peuvent seuls l'emporter sur les êtres chétfs, qui n'auraient procréé que des êtres sem- blables à eux, c'est-à-dire des êtres dans les plus fâcheuses condiiions pour résister aux chances de destruction si nom- breuses qui les entourent eux et leurs descendants, Mais, dira-t-on, si l'on admet la dégénérescence des espèces, pourquoi nier leur perfectionnement? La dégénérescence ne s'entend pas du changement des caractères, mais de leur atté- puation. Est-ce qu'un Chêne de quelques pieds de haut n’est pas un Chêne comme celui qui domine toute une forêt? Quels changements lui ont fait subir les mauvaises conditions où il s’est développé? Ses proportions ont diminué comme sa force. Il est chéüf, rien de plus, et, sans aucun doute, nul ne le pren- drait volontiers pour reproducteur avec la même confiance qu'un individu de la plus grande taille. Je n’entends done pas par être dégénéré, un être dont les caractères sont transformés, mais bien un être dont toutes les qualités sont seulement amoin- dries, et non modifiées. Ainsi, on le voit, un même fait peut être l’objet de deux inter- prétations bien différentes et absolument opposées. Lutte et sélection, voilà, quand cela est nécessaire, les sym- boles de la perpétuité des espèces avec leurs caractères dans toute leur intensité. Sans doute, dans la nature il n’y a que des individus élus et des individus délaissés, comme dans sa critique M. Flourens semble le reprocher à M. Darwin. Cela est certain, et la nature nous présente sur la plus grande échelle qu'il soit possible d’ima- 296 LACAZE-DUTHIERS, giner cette loi fatale de l'inégalité. Mais faut-il voir dans cette inégalité le but qu’on lui attribue et la fin qu'on lui suppose? Je ne le pense pas, Comment comprendre d’ailleurs, dans cette théorie, que la lutte pour la vie et la reproduction puisse conduire à tant de formes variées. Quelque effort d'esprit que l’on puisse tenter, on ne voit, après ce combat des êtres qui composent le monde organisé, qu’un seul résultat : l’accroissement des forces nécessaires pour résister aux conditions de destruction. Gr, la relation entre l'accroissement de la force et les formes si variées, si multiples, les caractères si nombreux et si différents des êtres, ne sont pas faciles à saisir. Je l'avoue, je ne vois pas, entre la lutte et les changements des caractères, une relation de cause à effet qui soit si évidente, qu'elle me touche, Tandis que je comprends très-bien que cette lutte à laquelle ne résisteront que les individus les plus forts, les mieux constitués, conduit par cela même à la perpétuation des qualités les plus parfaites maintenant la pureté des races. L'une des raisons qui conduisent les naturalistes à admettre la mutabilité est facile à reconnaître, elle est tout entière dans la difficulté qu ils éprouvent à comprendre la création d’une mul- titude de types, d'autant de types qu’ils comptent d'espèces. C’est une tendance de l'esprit humain : quand une chose l’em-- barrasse, il cherche des éclaircissements dans des hypothèses qu'il n’explique pas davantage que la chose elle-même, mais il se trouve satisfait. Comment pouvoir admettre, me disait un homme qui ne peut voir dans les nombreuses espèces autant de souches primitives que de cas spéciaux, de formes caractéristiques, comment admettre que la puissance créatrice ait, à l’origine, formé autant de types! H ya là, pour cet esprit éminent et distingué, une grande difficulté, et il préfère admettre la mutabilité, qui explique plus facilement les formes si variées de la création. Pour moi, en examinant cet argument avec tout le soin qu’il mérite, Je vois bien moins de difficulté à faire autant de types MÉMOIRE SUR LES ANTIPATHAIRES. 227 que d’espèces qu'à créer un être organisé, quel qu'il soit. Quand on arrive, et l'on est bien obligé d'y arriver, à admettre une force première, un être qu’on nommera comme on le voudra, mais toujours assez puissant pour pouvoir créer de toutes pièces un animal ou un végétal, j'avoue que rien ne me paraît plus impossible pour lui, et que la création d’une multitude de types, quelque immense qu'on veuille la supposer, me paraît être pour cette force ou cet être un jeu véritable, et n'offrir aucune diffi- culté. | La raison porte à supposer la force ou puissance créatrice incommensurablement intelligente et capable de tout faire, et j'avoue n'avoir pas, dès lors, à me préoccuper du plus ou du moins de travail qu’elle aurait eu à accomplir pour arriver à produire les différents types des espèces du monde actuel. Mais dans ces régions inconnues où l'esprit aime tant à se hasarder à la recherche des faits qui lui échappent, il s’'éblouit, ou bien plutôt il place devant ses yeux un bandeau d'hypo- thèses, et ne voit pas que, pour mettre à profit des interpréta- tions plus ou moins incertaines de quelques faits positifs, il prête le flanc tout aussi bien à la critique que les théories qu'il attaque. Admettre que primitivement le règne animal et le règne vé- gétal ont commencé par être représentés par quatre ou cinq types, ou même peut-être par un seul, et que la lutte qui s'est établie entre les individus de ces types à pu les modifier tellement, qu'il s'est produit en eux des variations telles, que toutes les formes de la nature actuelle en sont le résultat, c'est faire une hypothèse purement gratuite. Car, enfin, où sont les preuves de ces assertions ? On prend un fait : la lutte, et on l'in- terprète, puis c’est cette interprétation que l’on donne comme une démonstration. Sans doute, la lutte a pu faire disparaître des espèces, à cela rien d'étonnant, mais ce qui est bien autrement difficile et surprenant, c’est qu’elle en ait fait naïtre. D'ailleurs, quelle idée peut-on avoir des types primitifs. Évidemment aucune. Ici, on peut juger de la prudence de M. Darwin. On ne sent pas, malgré tous les efforts de qüelques zoologistes classificateurs, comment les types Rayonnés, Mollus- 228 LACAZE-BUTNIERS. ques, Annelés, Vertébrés, peuvent passer des uns aux autres. Aussi M. Darwin, dit-il, que primitivement il a existé quatre ou cinq types, et ce n’est qu'à la fin de son ouvrage qu'il ajoute, ou mieux qu'il se hasarde à dire que l'analogie pourrait le conduire même à n'en admettre qu'un. Et s’il n'admet qu'un type, sans doute la forme était et devait être la plus inférieure de toutes ; car les êtres, au moment où ils furent créés, entrèrent en lutte, et la lutte chez eux produisit la sélection; or, la sélection con- duit aux améliorations, et celles-ci à toutes les formes du monde organisé. J'avouerai très-humblement, quelque effort d'imagination que je fasse, ne pas être capable de suivre la série des améliora- tions, il faut dire le mot, des métamorphoses que la Monade ou tel autre Microzoaire de l'extrémité de l'échelle animale qu'il plura de prendre comme Protozoaire, a dù subir pour arriver à l'organisation si belle de l'Homme, à cette organisation dont le tableau aussi splendide que sublime nous écrasera toujours comme conception. Sans doute, on dit que, dans cette transfor- mation lente et progressive des êtres, marchant d'améliorations en améliorations, les siècles ne comptent pas même pour des heures rapides, et que les changements, presque insensibles, accumulés lentement, ont produit les êtres que nous voyons aujourd'hui, et qui semblent séparés par des hiatus immenses que nous ne savons expliquer que par la distinction des espèces. Soit, mais où sont les faits? Y a-t-il autre chose, en tout cela, que des hypothèses, des vues de l'esprit, des interprétations per- sonnelles ? Lamarck était logique, il faut dire hardiment logique; ilexpli- quait les modifications des formes des êtres par les actions des milieux. Il faisait dériver l'Homme de l'animal le plus inférieur, de la Monade, qui, en luttant contre les milieux qui l’entou- raient, avait fini par prendre des formes nouvelles propres à lui permettre de résister à l’action de ces milieux, et qui, de proche en proche, lui avaient fait gagner les degrés supé- rieurs de la série animale. C'est bien le cas d'appliquer à ces vues du célèbre naturaliste, ces paroles si justes de Cuvier : «Les o faits. restent, les théories passent. » Qui soutient aujourd'hui la théorie de Lamarck?. Pour nous done, il existe dans la nature une loi de destruction réciproque des êtres organisés ; cette loi, nous la retrouvons par- tout, jusque chez les hommes, qui luttent incessamment et se détruisent ; des races disparaissent, mais ee n'est pas au bénéfice des qualités de celles qui restent victorieuses. Des animaux eux- mêmes peuvent être entièrement anéantis dans quelques contrées, mais ceux qui survivent n’y gagnent guère, au point de vue de leurs caractères ; du moins il ne nous est pas possible d'appré- cier les changements qui s’opèrent dans nos temps historiques. Encore une fois, la loi de destruction réciproque des êtres, quand elle se manifeste, favorise ceux qui sont les plus riche- ment dotés, et par là concourt à perpétuer les caractères réels de l'espèce. Je suis loin de me le “AM Et il y à, dans la théorie de la fixité de l'espèce, bien des côtés faibles dont la critique peut s'emparer à bon droit. Mais enfin si, entre les opinions qui, au- jourd’hui, présentent les espèces comme variant dans de certaines limites, sans passer des unes aux autres, et celles qui s'élèvent contre la fixité, il reste à choisir, j'avoue ne pas pouvoir me ranger du côté de M. Darwin, malgré sa brillante et séduisante interprétation des faits que j'admets tout comme lui. M. Darwim s'étonne que les naturalistes ne veuillent pas admettre la mutabilité des espèces, et 11 se demande pourquoi cela? La raison en est bien simple, lui répond M. Flourens, parce que vous ne la leur montrez pas. Et, sans doute, tant qu'on ne fera qu'interpréter des observations, tant qu'on ne montrera pas des faits parlant par eux-mêmes, comme en fin de compte on ne voit pas cette mutabilité, il semble toutaussi sage de s’en tenir à une doctrine qui, pour être difficile à soutenir sur quelques points, n’en concorde pas moins avec la majorité des faits observés. Certes, ilest loin de ma pensée de vouloir combattre systéma- tiquement le livre de M. Darwin; cet ouvrage est trop riche en observations, en faits de toutes sortes, pour mériter une critique La MÉMOIRE SUR LES ANTIPATHAIRES. 2: 230 LACAZE-DUTHIERS. aussi vive que celle que quelques personnes en ont faite. Pour ce qui est des éloges, M. Darwin est un naturaliste émérite ; quand on est posé comme il l’est, toute louange est inutile et superflue. J'ai voulu ici montrer que les faits sur lesquels il a certaine- ment le premier appelé l'attention, avec la plus grande origi- nalité, avec le talent le plus incontestable, si bien que son livre a été un véritable événement dans les sciences naturelles, la lutte pour l'existence et la sélection naturelle, peuvent être interprétés tout autrement qu'il ne l'a fait. Loin de ma pensée encore de vouloir faire la guerre aux étu- des générales d'histoire naturelle. C'est à elles seules qu'on doit le progrès; car nulles, plus qu'elles, ne sont faites pour exercer l'esprit de l’homme à la résolution du grand et difficile problème de l’origine des êtres. Mais, il faut le dire, dans ces questions si difficiles, on est conduit peu à peu à remonter à l'origine des choses; le natu- raliste ne s’en tient plus à l'étude du monde qui l'entoure, il est entraîné dans les champs de la philosophie, ses études touchent à la métaphysique, et sur ce terrain où les déductions du rai- sonnement ou les hypothèses les plus vraisemblables servent de point de départ, les discussions, aujourd’hui comme aux temps les plus reculés, sont interminables, et les esprits les plus féconds, les plus hardis et les plus brillants, arrivent à côté des génies les plus positifs et les plus sages à des conclusions opposées et toujours trop exclusives. Discuter sur le nombre des espèces ou types primitivement créés ; sur la position, le nombre et les époques des centres de création, c’est au fond chercher à faire prévaloir des appré- ciations personnelles, des vues de l'imagination plus ou moins heureusement accommodées aux faits dévoilés par l’observa- tion ; c’est toujours raisonner sur des bases inconnues. Aussi, dans la grave question objet des réflexions qui précèdent, tout esprit prudent évitera de se jeter dans des opinions exclusives et de donner des conclusions absolues. En histoire naturelle, les progrès sont et doivent être lents; ils MÉMOIRE SUR LES ANPIPATHAIRES. 231: marchent au jour le jour et peu à peu ; nier à priori tout ce que l’on éprouve de la peine à expliquer, c’est faire de l’absolu- tisme, et en science, comme en toute chose, l’absolutisme con- duit à l'erreur. Quant à moi, je me trouve en face de deux alternatives oppo- sées, la fixité et la mutabilité; l’une et l’autre s'appuient sur des faits qui semblentleur être favorables, et l’une et l’autre prêtent à la critique. Je rapproche et pèse les raisons en faveur de l'im- mutabilité et de la non-fixité, et je trouve que la somme est plus grande pour la première; que les arguments, en faveur de la seconde, sont moins nombreux et plus faibles. Je me laisse entraîner, résistant, non sans regrets peut-être, anx sollicitations si séduisantes qui me conduiraient à la mutabilité. Qu'on prouve la théorie de la mutabilité par des faits et non par des arguments tirés de l'impossibilité où l'on est d'expliquer telle ou telle chose, etje ne demande qu’à me rendre à l'évidence. Mais il faut que les preuves soient matérielles comme les choses dont elles s'occupent; il faut qu’elles ne soient pas seulement des interprétations : car, siles faitssont toujoursdes faits immuables et réels par leur nature même, les appréciations sont essentiellement changeantes avec la nature de l'esprit des hommes qui les portent. Il est impossible de s'occuper de la question des espèces, sans tenir grand compte des tendances qui partagent les naturalistes en deux catégories bien distinctes. Les uns, aux idées larges, à l'esprit généralisateur, s’attachent aux grandes coupes, aux grandes divisions des êtres ; s’ils descen- dent jusqu'aux spécifications, ils n’en conservent pas moins ce coup d'œil pénétrant qui leur permet de bien juger les faits. De la position élevée que leur donne leur esprit supérieur, ils dominent et laissent de côté ces mille et une variations qui n'ont qu'une valeur secondaire et ne doivent point servir à déli- miter les groupes. On peut citer Linné, entre tous les natu- ralistes, comme possédant ce coup d'œil si vif, si juste, si péné- trant, qui le conduisait à caractériser les espèces avec la plus heureuse précision, ( 232 LACAZE-DUTHIERS, Les autres, étudiant avec la plus scrupuleuse minutie îes moindres particularités, se laissent absorber par les détails, perdent de vue, au milieu des faits secondaires, l'importance des faits capitaux, et alors ce qui n'avait qu’une valeur du second ordre devient pour eux d’une importance primordiale. Aussi l'appréciation portée par les uns et les autres sur une même particularité est-elle toute différente. Pour les premiers, elle ne peut servir qu'à caractériser de simples variétés, tandis que pour les seconds elle conduit à des espèces nouvelles. Et, comme le nombre des naturalistes purement classificateurs de la seconde catégorie est le plus grand, nous voyons multiplier à l'infini les espèces, par cette raison bien simple, que l’on prend trop souvent des caractères secondaires pour des caractères d'une véritable valeur spécifique. Cette tendance à exagérer, à multiplier toujours le nombre des divisions fait le plus grand tort à la science; car, entre les fausses espèces mal circonscrites, non limitées, il est toujours facile, on le comprend, de trouver des passages insensibles, et cela conduit à conclure que l'espèce varie et se transforme. Sans doute, il est utile de faire connaître les êtres dans les moindres détails de leur organisation ; mais il ne faut jamais oublier les grands traits de leurs caractères, et se laisser absor- ber par l'observation trop exclusive des choses qui doivent se trouver sur un second plan ; sans cela, la science s’encombre de noms, se hérisse d’une nomenclature fastidieuse, inutile et nui- sible, et tend à devenir une science de mots. A l’époque où Linné parut, une grande réforme était néces- saire, Il devint, comme l'appelait Häller, le tyran de l’histoire naturelle, tant 1l apportait de précision, de netteté à! où n'existait que l'encombrement et l'incertitude. L'apparition d’un nouveau Linné se fera bientôt sentir, si les sciences natu- relles persistent dans la voie funeste de la multiplication des espèces, en prenant comme parfaitement distinctes les variétés qui sont dans la nature même des groupes spécifiques. Il y aura certamementun nouveau travail à entreprendre pour la conden- sation de ces prétendues espèces, comme jl ÿ à aujourd'hui MÉMOIRE SUR LES ANTIPATHAIRES. 233 un travail constant des zoologistes et des botanistes pour leur multiplication. Mais ce travail ne peut ètre fructueux, car la science n’est pas assez avancée : bien des découvertes sont encore à faire chez les animaux etles végétaux inférieurs; la notion de l’indi- vidu, qui est la première à acquérir, quand il s’agit de l'espèce, est loin d’être encore dégagée de toutes les inconnues. Qui ose- rait aujourd’hui, pour les êtres inférieurs, définir dans tous les cas l'individualité? L'étude de la zoologie n’a plus, comme autrefois, pour seul but de classer et de nommer les êtres pris isolément. De nos jours, la connaissance entière d’un être est nécessaire ; ce n’est plus la forme à un moment donné de son existence qui représente l'individu, mais l’ensemble des formes qu'il revêt depuis qu'il sort du germe jusqu’au moment où lui-même il peut se reproduire, et cet ensemble peut seul donner une idée précise, exacte, des caractères. Dans cette voie on se trouve en face des générations alternantes, des migrations des êtres qui changent de forme avec les différents milieux où ils séjournent ; des métamor- phoses, qui ont fait regarder par les naturalistes les pluséminents un même individu à diverses périodes de sa vie, non comme appartenant à des espèces, des genres, des familles différentes , mais bien comme formant des classes distinctes et souvent très- éloignées. | Ces découvertes qui nous ont montré ces transformations d’un même être sont encore trop nouvelles ; elles datent d’une époque trop rapprochée de nous; elles ont bèsoin d'être müries, éten- dues, avant de pouvoir, avec chances de succès, servir à ce tra- vail synthétique. XIII RÉSUMÉ. Les animaux qui produisent ces polypiers auxquels Lamarck avait donné le nom de Gorgonia tuberculata, d’'Antipathes glaberrima, et pour lesquels M. Gray a fait le genre Leïopathes, n'étaient pas connus. Les études qui précèdent ont pour but de 23h LACASE-DÜUTRIERS, combler cette lacune, de définir un genre nouveau, et de déter: miner nettement les objets décrits par les auteurs sous les noms qui viennent d'être indiqués. Dans la collection des Antipathes du Muséum, j'ai pu constater, en examinant les étiquettes écrites par Lamarck lui-même, que cet illustre naturaliste avait äppelé Antipathes gluberrima le poly- pier dénudé de l'espèce qu'il avait nommée, quand elle avait sa couche animale, Gorgonia tuberculala ; que M. Gray avait créé le genre Leiopathes pour l'Añtipathes glaberrima d'Esper; et qu'enfin Jules Haime avait désigné la même espèce par le nom de Leiopathes Lamarcki. . De plus, il m'a été facile de voir que si Lamarck avait séparé sous des noms différents une seule et même chose à des états divers de conservation, il avait, sous le nom d’Æntipathes glaber- rima, confondu deux choses distinctes. Sans parler des noms de Zoanthus et de Polythoa donnés dans les collections aux échantillons de la Gorgonia tuberculata, Lamk., conservés dans l'alcool, et ayant les Polypes épanouis, 1l est facile de constater qu'il existe, relativement à ces objets, une grande confusion. Toutefois il est juste d'ajouter qu’on est forcé- ment conduit à cette confusion, quand on n’a sous les yeux que des échantillons conservés à différents états; mais qu'aussi tout s'explique quand on étudie les animaux vivants, et qu’on voit ce qu'ils deviennent par la dessiecation. L'Antipathes glaberrima d'Esper et de Lamarck est une espèce bien distincte des Antipathes proprement dits, aussi le genre Leiopathes de M. Gray peut-il être admis pour elle ; mais il faut bien se garder de considérer comme lui appartenant le polypier soit dénudé, soit couvert de sarcosome desséché, de la Gorgonia tuberculata, Lamk, ainsi que l'avait fait à tort Jules Haime. D'un autre côté, la Gorgonia tuberculata, Lamk, représente un type très-nettement défini, qu'il convient de considérer comme un genre qu’un nom spécial doit désigner ; car elle n’est point un Antipathes, encore moms une Gorgone, et son polypier lisse, très-glabre, examiné isolément et superficiellement, a pu seul la faire prendre pour une espèce du genre Leiopathes. MÉMOIRE SUR LES ANTIPATHAIRES, 255 Le gente nouveau Grrarnia que je propose présente un en- semble de caractères positifs qui le distinguent à la fois des Anti- pathes, des Leiopathes et des Gorgones ; sa valeur ne semble point douteuse. Quant à l'espèce, il convient de lui conserver le nom que lui avait déjà imposé Jules Haime. . À l’origine de son développement, la Gerardia Lamarcki, L.-D., étend son zoanthodème, formé seulement par du sarcosome sur des polypiers d'emprunt; alors elle est entièrement parasite. Plus tard, elle recouvre ces corps étrangers de son propre poly- pier ; elle produit des branches, des rameaux, et dès lors elle est indépendante , son parasitisme cesse. Cela explique pourquoi on trouve au centre des gros troncs de son polypier les tiges grèles des Muricea placomus, Gorgonia subtilis, etc. Un Crustacé qui vit en parasite dans ses tissus mous finit quel- quefois par avoir sa carapace recouverte par ses dépôts cornés. Les œufs de Squales, de Raïes, dont les filaments suspenseurs enlacent ses zoanthodèmes, sont d’abord couverts par les expan- Sions de son sarcosome, et puis énglobés dans son polypier. Ce n'est qu'après beaucoup de recherches qu'il a été possible de reconnaitre la véritable part qu'il fallait faire au parasitisme. L'anatomie de la Gerardia Lamarcki, L.-D., offre le plus grand intérêt au point de vue des rapports zoologiques. Le corps de ses animaux et le tissu intermédiaire qui les unit sont formés de deux couches cellulaires : l’une, interne, jaunâtre et granu- leuse, tapisse toutes les cavités, elle est couverte de cils vibratiles ; l’autre, externe, presque incolore, dont les éléments également cellulaires sont plus confondus , est contractile et bourrée de nématocystes rapprochés en paquets. Les Polypes ressemblent à de jeunes Actinies; ils ont vingt- quatre tentacules simples, disposés sur deux rangs autour de la bouche ; dont les lèvres oblongues et retroussées forment un mamelon (1). Dans leur cavité générale, on trouve autant de (4) Je dois faire ici une remarque fort importante : il s’est glissé une ctreur dans Mon Histoire naturelle du Corail et dans les deux extraits de mes Mémoires relatifs à 236 LACAZE-DUTAIERS. replis mésentéroïdes analogues à ceux des autres Coralliaires qu’il y à de tentacules. Un réseau vasculaire fort riche occupe tout le sarcosome, et s'ouvre dans la cavité du corps des Polypes, qu'il fait communi- quér les unes avec les autres. Un fait semblable était déjà connu pour les Alcyonaires, mais il n’avait pas encore été indiqué par les auteurs pour les autres groupes des Coralliaires. Il doit faire supposer qu'une disposition analogue existe pour toutes les espèces vivant en colonies, c’est-à-dire formant des zoantho- dèmes. Le sarcosome sécrète une humeur visqueuse et plastique capable d’agglutiner tous les corps ténus qui viennent à son con- tact ; aussi trouve-t-on sur les zoanthodèmes de la Gerardia des grains de sable et des spicules des Bebryces, des Muricées, des Gorgones, des Éponges, qui vivent à côté d'elle. C’est à cela sans doute qu’il faut rapporter l’origine de l'opinion de Jules Haime, qui considérait, à tort, son Leïopathes Lamarcki (la Gerardia Lamarcki, L.-D.) comme un Antipathes à spicules. Les organes de la reproduction se développent dans l’épais- seur des replis radiés, en arrière des cordons pelotonnés, abso- lument comme dans les Actimies. Les sexes sont le plus habituel- lement portés par des zoanthodèmes distincts; cependant des la Gerardia et à lAntipathes subpinnata (voy. Histoire naturelle du Corail, p. 53, et Comptes rendus, juillet 1864, p. 192). Je ne puis m'expliquer comment le texte peut renfermer une description que contredisent en tout point les planches. Dans le Corail (page 53), il est dit : «Les deux extrémités de la bouche correspondent, non à la base des deux tentacules, mais bien à l'intervalle de quatre d’entre cux. » Tous les dessins montrent le contraire, et je prie les lecteurs de vouloir bien rétablir ainsi cette phrase : « Les deux extrémités de la bouche correspondent à la base de deux tentacules, et non à l'intervalle de quatre d’entre eux, comme on pourrait le croire.» De même pour l’'Antipathes subpinnata (page 194, à l'alinéa avant-dernier, 31 ligne, Comptes ren- dus, 1864), il faut « et ne correspondent pas aux angles des commissures de la bouche. » Je ne m'explique point une crreur typographique que tous les dessins con- tredisent, et qui a dû certainement étonner ceux qui ont comparé le texte aux planches, MÉMOIRE SUR LES ANTIPATHAIRES. 237 Polypes mâles et des Polypes femelles peuvent se rencontrer dans une même colonie. Je n’ai point rencontré de Polype hermaphro- dite, mais il pourrait en exister. La Gerardia par la forme de ses Polypes ressemble beaucoup plus aux Actiniens qu'aux Alcyonaires. Ce rapprochement établi par M. Dana pour un véritable Antipathes, et adopté par MM. Milne Edwards et Jules Haime, se trouve donc ici confirmé par une étude minutieuse et ne peut plus laisser aucun doute. Dans un prochain mémoire, je m’appliquerai à faire connaître l'anatomie d’un Antipathes vrai, et je montrerai quelle analogie et quelles différences existent entre le genre nouveau Gerardia d’une part et les genres Antipathes et Leiopathes de l’autre. EXPLICATION DES PLANCHES. PLANCHE 13. Fig. 4. Un zoanthodème de Gerardia entier et de grandeur naturelle, Il donne une idée fort exacte du port des animaux dans leurs différents états d’épanouissement et de contraction. C’est ainsi que les Polypes (a et b) ont des tentacules fort allongés qu'ils abandonnent à l’action de la pesanteur. Fig. 2. Un œuf de Squale (c) fixé sur les branches d'un zoanthodème de Gerardia par de nombreux filaments semblables à des vrilles qui ont été recouvertes par le sarcosome (4) (e). Dans quelques points de cet échantillon, les filaments déjà recou- . verts par une couche de tissu du polypier, prouvent d’une façon incontestable que la’Gerardia sécrète bien un polypier après avoir été pendant un certain temps con- stituée seulement par un sarcosome. PLANCHE AA. Fig. 3. Base d’un gros zoanthodème, destinée à montrer en (a) la ‘coupe du polypier dont le centre est occupé par une tige de Gorgone, ayant primitivement servi de soutien au sarcosome. (b) Polypes, (c) partie intermédiaire du sarcosome, laissant voir les canaux qui le parcourent, et entre eux par transparence la couleur noire du polypier. (d) extrémités rompues du polypier restaurées et arrondies par les calottes de matière cornée déposées à leur surface. La cassure a disparu. 5° série. Zooz. T. II. (Cahier n° 4) # 16 238 LACAZE-DUTUHIERS. Fig. 4. Extrémité d’une. branche où les Polypes présentent des formes particulières tenant à l’état de leur développement et de la contraction des tentacules. Fig. 5. Forme de la rosette qui entoure la bouche. La disposition des tentacules rappelle entièrement les Acfiniens. Fig. 6. Un Polype, dont les tentacules de la seconde rangée sont abaissés comme on l’observe souvent dans les animaux peu épanouis. PLANCHE 15. Fig. 7. Deux tentacules grossis cinquante fois : (a)} couche interne; (») couche externe. Fig. 8. Extrémité d’un tentacule grossi cinq cents fois: (a) couche de tissu interne jau- nâtre; (b) couche externe. Fig. 9. Portion de tissu de la paroi du tentacule. Les mêmes lettres désignent les mêmes choses que dans les figures précédentes. Fig. 40. Un paquet isolé de cellules de la couche interne (a). Fig. 41. Cellules de la couche interne (a), grossiessix cents fois pour montrer les noyaux; (c) autres cellules plus petites ; (b) les nématocystes dont le fil très-délicat se traduit par des stries fines transversales. Fig. 42. Une portion du sarcosome intermédiaire aux Polypes, grossie quinze fois, montrant le réseau des vaisseaux et par-dessus des spicules étrangers à la Gerardia. Fig. 143. Une partie de la même, grossie cinquante fois: (e) cavité des vaisseaux ; (d) parois formées de tissu jaune. : Fig. 44. Une partie de la même, grossie cinq cents fois, montrant l’organisation cel- lulaire des parois des vaisseaux. PLANCHE 46. Fig. 145 et 16. Spicules d'Éponges trouvés sur le tissu du sarcosome et agglutinés sur lui par ses mucosités, Fig. 47 et 18. Portions de spicules fort longs creusés d'un canal et quisemblent bien répondre à la description donnée par J. Haime. Fig, 19. Un corps indéterminé trouvé sur le sarcosome. Fig. 20 et 21. Spicules de Gorgones et de Bebryces, trouvés de même dans les tissus. Fig. 22. Coquille de Foraminifères microscopique, trouvée de même dans les tissus. Fig. 23. Grains de sables, trouvés dans les mêmes conditions, Fig. 24. Corpuscules indéterminés à divers degrés de développement, de (a) en (), et qui se trouvaient encore dans les mêmes conditions que ceux des figures précé- dentes. Fig. 25. Apparence de la surface du polypiet de la Gerardia: (h) petites élévations “ombiliquées cratériformes. MÉMOIRE SUR LES ANTIPATHAIRES. 239 Fig. 26. Coupe longitudinale passant par l’axe du polypier: (2) sommets des petites élévations ombiliquées continuées par des traînées en forme de tubes ; (g) lignes cor- respondant aux stratifications des couches. Fig. 27. Coupe oblique du polypier. Les mêmes lettres désignent les mêmes choses que dans la figure précédente. Fig. 28. Portion de la carapace d’un crustacé parasite de la Gerardia offrant les nodules (1, ë, t,t) des premiers dépôts du tissu du polypier. PLANCHE 17. Fig. 29. Un Polype coupé par un plan vertical, et montrant sa cavité générale (a) ouverte, communiquant en (b) avec les vaisseaux du sarcosome intermédiaire ; en (b’) on voit les orifices qui existent dans le fond entre chaque cloison; (c) cordon pelotonné ; (d) æsophage ; (e) lèvres buccales ; (f) tentacules contractés. Fig. 30. Une cloison avec le cordon pelotonné (c), faible grossissement. Fig. 31. Portion du bourrelet pelotonné, grossi cinq cents fois. Fig. 32. Portion de la cloison, grossie cinq cents fois, pour montrersa structure : (c) cor- don; (g) partie transparente entre le cordon et la lame ; (4) la lame de la cloison; (ë, t) nématocystes plus gros que ceux qu’on trouve dans les téguments du corps. Fig. 33. Mucosité produite par la matière contenue dans les cellules. PLANCHE 18, Fig. 34. Une cloison, vue de champ, au moment où elle est gonflée par le développe- ‘ment de la glande génitale. Fig. 35. La même, grossie cinquante fois, vue de face: (c, c, c) œufs sortant du stroma contenu dans la lame jouant le rôle d’ovaire. Fig. 36. Une portion de la même, cinq cents fois grossie : (c, c) œufs, Fig, 37, 38, 39, 40. Œufs à différents états de’développement : (a) vésicule transpa- rente. Fig. 41. Portion de stroma d’une lame mäle; (f) capsule testiculaire. Fig. 42. Capsule testiculaire isolée et déhiscente. Les spermatozoïdes s’échappent par son extrémité: Fig. 43. Paquet de spermatozoïdes, Fig. 44. Un spermatozoïde grossi six cents fois, et la tête supposée dans les deux positions extrêmesqu’elle occupe quand elle s’agite brusquement de droite à gauche et de gauche à droite. Il est bien entendu que ce n’est pas un spermatozoïde à deux têtes. DÉVELOPPEMENT DES INFUSOIRES CILIÉS DANS UNE MACÉRATION DE FOIN, Par M. COSTE. Un naturaliste des plus distingués et qui a rendu d’éminents services à la science, mon ami M. Pouchet, a décrit la genèse spontanée des Infusoires ciliés au sein de la matière organique qui se dispose en pseudo-membrane à la surface de l'eau où l’on met à macérer une certaine quantité de foin. Pour rendre sa démonstration plus facile à saisir et à vérifier, ce naturaliste a pris soin de représenter par des figures les phases successives de cette évolution. Il a bien voulu me montrer, soit dans le labora- toire de M. Fremy au Jardin des plantes, soit dans mon atelier du Collége de France, sur des lambeaux de la pseudo-membrane placés sous le microscope, les agglomérations plus ou moins régulièrement sphéroïdales de Monades, de Vibrions, de Bacté- ries, qu'il désigne sous le nom de nébuleuses ; puis, à côté de ces groupements de molécules organiques, j'ai vu les corps qu'il con- sidère comme ces mêmes nébuleuses transformées en œufs. Les Monades, les Vibrions, les Bactéries, seraient les granules vitel- lins de ces œufs spontanés, d’où sortiraient tous les Microzoaires ciliés que nous voyons dans les infusions. La pellicule qui se forme à la surface des infusions deviendrait donc, dans cette théorie, une sorte de couche proligère comparable au stroma de l'ovaire des animaux. Telle est, en effet, la pensée de M. Pouchet. Posé dans ces termes, le problème devient une question d’em- bryogénie comparée, et cette question entre si directement dans la sphère habituelle de mes travaux et de mon enseignement, | DÉVELOPPEMENT DES INFUSOIRES CILIÉS. 2141 que je ne pouvais me dispenser d’en faire l’objet d’un examen approfondi. M. Gerbe et M. Balbiani m'ont assisté dans cette étude. Une grande part leur en revient. Que se passe-t-il dans un récipient où l’on a mis du foin macérer ? Si la pellicule formée à la surface de l’eau y est réellement la gangue génératrice des Infusoires ciliés, ces Infusoires ne doi- . vent apparaître dans le liquide qu'après la formation de cette pellicule ; or j'en rencontre et en abondance au début même de l'expérience, c’est-à-dire trois jours avant la formation du pré- tendu stroma proligère ; ils ont donc une autre origine. D'où viennent-ils ? du foin. Nous verrons tout à l'heure comment ils en dérivent, et dans quelles conditions ils s’y trouvent. Exami- nons d’abord par quelle succession de métamorphoses ces nfu- soires préexistants ont pu: donner naissance à toutes les appa- rences qui ont fait croire à leur génération spontanée. Je prends le Kolpode, qui est celui qui fourmille dans les infusions de foin, pour sujet de cette étude. Le Kolpode est un Infusoiré cilié d’une assez gr ande taille, ayant la forme d’un rein ou d’un haricot, armé de cils vibratiles à toute sa surface. On le voit sous le microscope introduire, par une bouche placée dans son échancrure, les Monades, les Bacté- ries, les Vibrions, dans son estomac, et expulser par une ouver- ture anale, placée à la grosse extrémité de son corps, le résidu de sa digestion. Près de cette ouverture anale se trouve une vésicule contractile, prise pour le cœur par certains micrographes, mais qui me parait l'organe propulseur d’un appareil aquifére. Au centre de son organisme apparaît un assez volumineux organe de la reproduction. Quand la pellicule, prétendue proligère, se forme dans le réci- pient où l’on expérimente, les Kolpodes répandus dans le vase se dirigent vers la surface pour y assouvir leur faim sur les Monades, les Vibrions, les Bactéries, dont cette pellicule est com- posée, ou bien encore pour s’y mettre au contact de l'air; puis on en voit qui s'arrêtent tout à coup, se mettent à syrer sur place, se courbent en boule, et continuent cette gyration jusqu'à ce 249 COSTE. qu'une sécrétion de leur corps se soit coagulée autour d'eux en une membrane enveloppante : ils s’enkystent en un mot ; alors ils deviennent complétement immobiles dans leur enveloppe, comme un insecte dans son cocon. Les plus petits, à cette période de leur existence, ont une grande ressemblance avec un ovule. C'est: là, en effet, ce que M. Pouchet a pris pour un œuf spon- tané. L'illusion est facile, car l'animal enkysté à toutes les appa- rences d'une sphère organique passant à l’état de cellule. Bientôt ces Kolpodes enkystés et immobiles se segmentent en deux, en quatre et quelquefois même en douze Kolpodes plus petits qui, une fois séparés et distincts, entrent en gyration, cha- cun pour leur compte, sous leur commune enveloppe. Les mou- vements auxquels ils se livrent finissent par user le kyste en un point quelconque, et, dès qu’une fissure y est pratiquée, on les voit sortir de leur prison et se mêler à la population dont ils accroissent le nombre. Je désigne ces kystes sous le nom de kystes de multiplication, par opposition à un autre enkystement, qui se rattachera à la conservation de l'individu. Telle est l'explication du peuplement des infusions. M. Pouchet nie la scissiparité des Kolpodes enkystés, phéno- mène si bien décrit et si exactement figuré par M. Stein. Pour lui, ce n’est là qu’une simple apparence, produite exceptionnelle- ment par la rare coexistence de plusieurs œufs sous une même enveloppe, et qui, à son sens, n’a rien de commun avec la multi- plication des individus par scission. J'ai eu la patience de tenir l'œil sur des sujets que je venais de voir s’enkyster sous le micros- cope, dans un verre de montre rempli d'eau; j'ai assisté à la formation des sillons qui les ont divisés en deux, en quatre et même en douze segments, d’où sont résultés autant d'individus nouveaux, La scissiparité des Kolpodes enkystés est donc un fait évident. Les agglomérations de molécules organiques désignées sous le nom de nébuleuses y restent complétement étrangères à toute création directe. Quand on les observe dans un verre de montre rempli d'eau, elles se désagrégent, tandis que les Kolpodes y subissent toutes leurs évolutions, En voici une preuve directe, DÉVELOPPEMENT DES INFUSOIRES CILIÉS. 243 l'y a des infusions, celle de la pulpe de la pomme de terre par exemple, dans lesquelles les Infusoires ciliés ne se développent jamais tant qu'on évite que des germes ne $ y introduisent. Les membranes dont elles se couvrent offrent aussi des nébuleuses. Ces nébuleuses se dégradent et se décomposent au bout d’un cer- “tain temps, comme la pellicule dont elles font partie, sans jamais engendrer ni œufs, ni animaux ciliés. Mais si l’on sème quelques Kolpodes dans le récipient, l’infusion se peuple avec une éton- nante rapidité, exactement de la même manière que dans les cas précédents, et les mêmes apparences s’y produisent. 1] ne saurait donc y avoir rien de commun, je le répète, entre ces apparences et la formation des Microzoaires ciliés. Quand, dans les infusions. les Kolpodes ont épuisé leur pou- voir reproducteur par segmentation ou que l’évaporation les menace de tarir le récipient, ils s’enkystent pour se mettre à l'abri des causes de destruction. On peut alors les faire sécher sur des lames de verre et les conserver indéfiniment en cet état; ils reviennent à la vie dès qu’on leur rend l'humidité. J'ai répété cette expérience sous les yeux de plusieurs de mes confrères qui ont été émerveillés de ce eurieux spectacle. J'ai remis à M. Gustave Flourens une de ces lames de verre couvertes de kystes desséchés, qu’on a humectée devant lui. IN l’a empor- _tée dans son laboratoire, et une heure après il est revenu avec la même lame peuplée de Kolpodes mobiles. M. Balbiani conserve de la sorte depuis sept ans des individus qu’il rend à la vie active, et qu'il dessèche chaque année. M. Pouchet ne croit pas à cette résurrection ; il considère l'en- kystement comme une préparation à la mort, et, pour exprimer cette pensée, il désigne les kystes sous le nom de sépulcres, parce qu'il suppose qu'ils ne renferment que des cadavres. Toute cette période fondamentale de l’histoire naturelle des Kolpodes a donc complétement échappé à son observation ; aussi se refuse-t-il à admettre que les Microzoaires ciliés des infusions puissent émaner des kystes adhérents au foin, parce qu'il suppose que la vie y est irrévocablement éteinte. Dans cette conviction, le savant natu- raliste de Rouen n'a écrit les lignes suivantes : «C’est une idée 244 COSTE,. » complétement erronée que de supposer que ce sont les végé- » faux qui apportent, dans les macérations, des Microzoaires » enkystés. » Ces graines animales impalpables s’attachent comme la pous- sière à la surface des corps, sur les feuilles, les branches, les écorces des arbres, sur les herbes, au fond des mares taries, dans le sable ou la vase desséchés. Elles passent donc tour à tour dans cette succession de mort apparente et de résurrection. Ceci nous explique comment les Microzoaires ciliés se rencon- trent dans certaines infusions. Le foin porte sur ses feuilles des myriades de kystes ; c’est donc aveclui qu'ils sont introduits dans les récipients. Je le prouve par des expériences décisives. Une botte de foin secouée au-dessus d’une grande feuille de papier y laisse tomber une poussière impalpable. J’humecte cette poussière dans un verre de montre, et au même instant j'y dé- couvre des myriades de kystes, d’où s'échappe bientôt toute une population d’Infusoires ciliés de diverses espèces et de Kolpodes en particulier. | J'ai fait secouer également une botte de foin près d’une carafe remplie de glace ; la poussière arrêtée sur la paroi humide m'a présenté le même spectacle. Il ne saurait donc y avoir de doute, et voilà pourquoi, toutes les fois qu'on met à macérer des végé- taux dont on n’a pas eu le soin d'enlever l’épiderme, on introduit * des kystes ou des Microzoaires ciliés dans le récipient. Voilà pourquoi il ne s'y en montre jamais quand on fait macérer les parties internes, à la condition, bien entendu, qu’on tiendra les vases couverts et à l'abri des courants d'air qui pourraient y en- trainer des germes. On a attaché une grande importance aux expériences faites avec des infusions filtrées, et l’on a dit : «Les Microzoaires ciliés » ne peuvent avoir passé à travers le filtre, et cependant le liquide » filtré se peuple de ces animaux. Il faut donc qu'ils s’y soient » spontanément produits. » J'ai fait passer des infusions à travers trois filtres, et sur chaque feuille j'ai trouvé des Infusoires ciliés. Le troisième en présen- tait comme le premier. Dans une seconde expérience, le liquide DÉVELOPPEMENT DES INFUSOIRES CILIÉS. 245 passé à travers six filtres a déposé des Infusoires ciliés, même sur la dernière feuille. Cecis’explique aisément. Il y a des Kolpodes de diverses tailles, de très-grands et de très-petits : ceux de grande taille restent en général sur les premiers filtres, ceux de petite taille sur les der- niers. Mais il ÿ a une autre raison qui explique leur passage : ils sont d’une structure molle ; ensuite, quand ils s'engagent à tra- vers un pore de papier, leur corps s’allonge comme à travers une filière. C'est ce qu'on observe lorsqu'ils se dégagent de leurs kystes par d'étroites ouvertures. On juge alors jusqu’à quel point ils sont susceptibles de se laisser déprimer. Que deviennent, en présence de tels faits, les conséquences dé- duites d'expériences dans lesquelles l’infusion n’a traversé qu’un seul filtre ? Mais quand on à démontré que les Infusoires ciliés passent facilement à travers les filtres, et expliqué ainsi leur apparition dans les infusions filtrées, on n'a pas épuisé tous les moyens de démonstration. Ces animaux à organisation complexe ont un appareil de reproduction ; i$ doivent produire des œufs, et ces œufs doivent être bien autrement petits que les individus dont ils émanent. Leur passage par les pores du papier est aussi facile que celui du liquide lui-même. Je borne là mes observations ; elles portent non sur des induc- tions, mais sur des faits matériels. Je puis en rendre témoins, en deux heures, toutes les personnes qui voudront en vérifier l'exactitude ; je leur offre de venir s’en assurer dans mon labo- ratoire. J'entends dire que, sans la génération spontanée, on ne sau- rait expliquer les phénomènes de la nature, et se rendre compte de la multiplication indéfinie des Infusoires. Mais quand on voit, comme l'a montré M. Davaine, une inoculation de quelques Bac- téries envahir de leur reproduction le torrent cireulatoire d’un animal, et faire périr cet animal en quarante heures avec tous les symptômes d’une affection charbonneuse, lorsqu'on connaît l'intarissable fécondité de la génération pär scissiparité ou par œuis, il n'est besoin d'aucune hypothèse pour comprendre le 246 COSTE. redoutable antagonisme qui existe entre le monde invisible et le monde apparent. En résumé : 1° Les Infusoires ciliés apparaissent dans l’eau d’une infusion bien longtemps avant la formation de la pellicule, à laquelle on a cru devoir donner le nom de stroma ou de membrane proligère, en lui attribuant une fonction qu’elle n’a pas. 2 Ils y sont introduits, soit à l’état d'œufs, soit à l’état de kystes, avec le foin, la mousse, les feuilles d'arbres que l’on met à infuser. | 3° Quoique la pellicule dite proligère se produise dans les infu- sions faites avec des substances qui ne sont pas exposées au con- tact de l'air, telles que la pulpe de pomme de terre, celle des fruits, des racmes charnues, etc., jamais ces infusions ne pré- sentent d’Infusoires ciliés, pourvu qu’on ait le soin de couvrir le récipient d’un disque de verre. Cependant si, dans ces infusions, où, pendant dix, quinze et vingt jours, on n’a pu constater la présence d’un seul Infusoire. - cilé, on introduit quelques sujets seulement soit de Kolpodes, soit de Chilodons, soit de Glaucomes, ces espèces ne tardent pas à s'y mulüplier et à s’y montrer en quantité prodigieuse. l° L'invasion rapide d’une infusion par des Infusoires ciliés est une conséquence de leur mode de multiplication immédiate par division. 5° Les uns, tels que les Glaucomes, les Chilodons, les Para- mécies, se segmentent sans s'enkyster ; d’autres, comme les Kol- podes, s’enkystent pour se diviser. 6° Après s'être multipliés par division dans l’intérieur de leur kyste, les Kolpodes s’enkystent une dernière fois, et demeurent dans cet état jusqu’à la complète dessiccation de l’infusion, pour ue revenir à la vie active qu'après une nouvelle humectation. 7° Les filtres laissent passer les Infusoires ciliés de petite taille, tels que les Kolpodes, les Chilodons, etc., leurs kystes et leurs œufs. En communiquant à l’Académie cette première étude sur le développement des Microzoaires ciliés, je n’en veux pas faire un DÉVELOPPEMENT DES INFUSOIRES CILIÉS. 247 argument absolu contre la théorie des générations spontanées. Je n'ai hi l'espoir ni le désir de décourager ses partisans. La science est le domaine réservé du libre examen. Ceux qui affirment et ceux qui nient y tendent au même but, c’est-à-dire à la décou- verte de la vérité. Je convie donc les hétérogénistes à continuer l'œuvre d’agitation salutaire qui {est un appel au travail. Je les suivrai le microscope à la main partout où ils placeront la ques- tion sur le terrain de l’observation directe. Je traiterai dans un second travail des infusions soumises à l'ébullition et des poussières organiques. EEE mm OBSERVATIONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE MOUVEMENT CHEZ LES ÉPONGES, Par M, LIEBERKÜHN. Extrait (1), Les mouvements observés jusqu'ici chez les Éponges concer- nent, les uns, des parties plus où moins étendues de la peau et des tubes d'éjection, les autres, les cellules isolées. Dans la contraction des tubes déjecteurs, la paroi de ces orga- nes s’épaissit en se raccourcissant et sa surface se mamelonne, permettant d'apercévoir les limites des cellules auparavant in- distinctes. Les mouvements de la peau consistent en un rappro- chement ou un éloignement du parenchyme du corps, ainsi que dans l'ouverture ou l’occlusion des pores d’ingestion. Quant aux cellules considérées isolément, elles sont susceptibles de changer de forme, de présenter alternativement une apparence sphéri- que ou étoilée, par exemple. Jusqu'ici cependant personne (4) Bibliothèque universelle de Genève, juin 4864, 2118 LIEBERKUHN, n'avait observé de déplacement de ces cellules. Ce sont des mou- vements de cette nature que M. Lieberkühn décrit dans un nou- veau mémoire sur les Spongilles. Le parenchyme du corps des Spongilles présente une distribu- tion tres-variable, tandis que le squelette siliceux conserve tou- jours dans tous les exemplaires la même forme caractéristique. Tantôt ce parenchyme présente une structure caverneuse : 1l renferme des cavités plus ou moins isolées les unes des autres et en connexion avec les ouvertures d'ingestion ou avec le tube d’éjection ; tantôt ces cavités sont remplacées par un système de canaux qui s'étendent dans une grande partie de l'Éponge pour s'ouvrir, en définitive, directement dans le tube déjecteur, et dans ce cas, une grande partie de la peau est privée d'ouvertures d'ingestion. Dans d’autres cas, les pores cutanés sont semés en très-grand nombre sur toute la surface de l'Éponge et condui- sent d'ordinaire dans une grande cavité, appartenant au terri- toire d'ingestion. Les parois des cloisons, qui limitent ces cavités, portent les appareils vibratiles. Dans d’autres Spongilles il n'existe pas de cloisons membraneuses délimitant les cavernes, mais le corps est parcouru en tous sens par des trabécules d’é- paisseur variable s'appuyant souvent sur la peau. Les unes ont une apparence complétement lisse sans contour de cellules ap- préciable, et les plus fortes portent les appareils vibratiles. D'au- tres sont étranglées en chapelet, étant formées par une simple rangée de cellules juxtaposées. D’autres encore sont formées par plusieurs rangées de cellules juxtaposées dont les limites sont visibles seulement à la surface (de manière à simuler un revêtement épithélial) ou bien seulement dans le centre de la trabécule. Toutes ces apparences si différentes peuvent se présenter suc cessivement dans une même et seule Spongille. Des cloisons parenchymateuses homogènes se sont contractées sous les yeux de M. Lieberkühn en trabécules à structure celluleuse et en forme de chapelet. I à vu en revanche des trabécules voisimes s’étaler et se souder ensemble de manière à constituer une paroi membraneuse. Les cavités s'ouvrent les unes dans les autres et PHÉNOMÈNES DE MOUVEMENT CHEZ DES ÉPONGES. 2h19 se séparent de nouveau. Les fragments de Spongilles excisés arti- ficiellement enseignent que les cellules du parenchyme peu- vent se réunir en quelques heures pour former une enveloppe cutanée. Les pores d’ingestion ne sont d’ailleurs point caractéristiques de la peau puisqu'on en voit naître de tous semblables dans les cloisons membraneuses de l’intérieur du corps. Les tubes d’éjec- tion sont le siége de mouvements tout particuliers. L'auteur a vu des cellules de la couche la plus interne monter en glissant le long de la paroi du tube pour redescendre ensuite. M. Lieberkühn a constaté d’une manière positive un fait qui n’était que soupconné depuis les observations de Laurent, celui de la reproduction des Éponges par division spontanée. Sur des individus conservés dans des vases pleins d’eau de source, il a vu le corps se contracter et émettre çà et là des prolongements qui ne tardent pas à se détacher et à se glisser sur des parois vides du squelette siliceux et même sur le fond du vase. Cette pro- duction paraît n'avoir lieu que chez des individus près de périr. Mais les fragments ainsi mis en liberté continuent de vivre, et, au bout de quelques semaines, ils ont produit dans leur intérieur des aiguilles de silice et des cils vibratiles. Chez ces fragments de Spongilles et chez les individus complets en voie de périr, M. Lieberkühn a été témoin de phénomènes qui peuvent facilement donner lieu à des méprises. Des cellules de l'animal se détachent de la masse et restent dispersées tout autour. Une partie d’entre elles finissent par se dissoudre, mais d’autres, ou du moins des corps qui par leur apparence ne peu- vent s’en distinguer, commencent à émettre des filaments trans- parents tres-minces comparables à ceux des Actinophrys. Quel- ques-uns de ces corps s’enkystent même à la manière des Actinophrys et des Amœba. De ces kystes on voit sortir quelque- fois plus tard quatre ou cinq monades uniflagellées, susceptibles, soit de ramper à la manière des Amæba, soit de nager à l’aide de leur flagellum. Ces êtres sont quelquefois en si grand nombre dans l'intérieur des Spongilles en voie de périr, qu'on pourrait être tenté de les prendre pour des amas de cellules des Spon- 250 BOURGEOIS. gilles, 11 faudrait alors revenir à l'idée de Dujardin qui ne voyait dans les Spongilles que des amas d’Amœba habitant une sorte de polypier siliceux. Toutefois M. Lieberkühn montre que ces êtres ne font point partie intégrante des Spongilles et qu’ils apparaissent aussi en grande quantité dans des œufs de poissons et d’autres animaux en voie de périr. Il laisse incertame la question de savoir si les Monades sont les embryons de ces espè- ces d’Amæba et si l'on ne doit les considérer que comme les parasites de ces parasites. Il n’est pas sans intérêt de rapprocher ces faits d'observations qui ont été faites d'autre part (par Jæger chez les Hydres). On a prétendu, en effet, que ces animaux seraient susceptibles de se résoudre en petits êtres unicellulai- res amœæbiformes susceptibles de reproduire des Hydres. N'y aurait-il point là-dessous un cas de parasitisme analogue mal interprété ? NOTE SUR LES INSTRUMENTS DE SILEX TROUVÉS DANS LE DÉPARTEMENT D'INDRE-ET-LOIRE , Par M. BOURGEOIS, Professeur à Pont-Levois, J'ai visité récemment le nouveau gisement de silex taillés, découvert au Grand-Pressigny (Indre-et-Loire) par M. le docteur Léveillé et signalé à l’Académie des sciences, le 17 août dernier, par M. l'abbé Chevalier. Je vous adresse le résultat des observations que j'ai faites dans le but de savoir à quelle époque de l’âge de la pierre on peut rapporter ces instru- ments dont les dimensions sont vraiment colossales. Comment pouvons-nous distinguer l’âge relatif des instruments de pierre? La science, dans son état actuel, ne paraît offrir que trois moyens : le gisement, la forme et la nature du travail. Le gisement est sans contredit le moyen le plus sûr, et dans certaines conditions qu'il est inutile d’énumérer il devient infaillible. NOTE SUR LES INSTRUMENTS DE SILEX. 251 Mais les instruments de pierre se rencontrent fréquemment à la surface du sol, sous des éboulis modernes ou dans un terrain remanié; c’est alors qu'il faut recourir à d’autres caractères, savoir : la forme et la nature du travail. Ce double criterium ne me paraît pas applicable à certains instruments très-communs, tels que les simples éclats, les couteaux retaillés sur les bords, les grattoirs, les têtes de lances, les marteaux, etc., qui sont à peu près les mêmes à toutes les époques. Je ne parlerai done ici que de ceux qui sont vulgairement connus sous le nom de haches. Les haches de la période quaternaire peuvent se rapporter à trois prin- cipaux types : 1° Le type en tête de lance, commun dans le diluvium de la Somme, et autres dépôts analogues ; 2° Le type ovalaire, toujours associé au précédent, mais plus rare; 3° Le type subtriangulaire, plus petit, plus mince et presque toujours plus finement travaillé. M. l'abbé Delaunay et moi nous avons trouvé cette forme dans la grotte de la Chaise (Charente), avec le Renne, l’Au- rochs, le Æhunoceros tichorhinus et l'Hycæna spelwa. Mais elle n’est pas propre aux cavernes; car, entre Pont-Levois et Contres (Loir-et-Cher), elle gît à la surface du sol diluvien où sa belle patine blanche la fait recon- naître de loin. Toutes ces haches quaternaires se distinguent facilement, ainsi que l’a fait remarquer M. John Evans, des haches beaucoup plus récentes, appe- lées vulgairement celtiques. Chez les premières c’est toujours l'extrémité la plus petite qui est destinée à trancher ou à percer, tandis que chez les secondes c’est l'extrémité la plus grosse. Entre les haches de la période quaternaire et les haches polies, ou desti- nées à être polies, de l’époque. celtique, nous devons placer chronologi- quement, il me semble, les haches grossières des tourbières de la Somme, et peut-être aussi des Kjükhenmüddings du Danemark. Parmi les types des tourbières, que je dois à la générosité de M. Boucher de Perthes, j'ai remarqué des formes assez voisines de celles qu’on rencontre à Saint-Acheul, mais la nature du travail diffère. Les éclats ont été déta- chés par le marteau de fabrication, plus largement, plus profondément, d’où il résulte que la surface est toujours plus inégale et plus grossière. En outre, il y a des types spéciaux, par exemple, ces gros prismes trian- gulaires terminés à chaque bout comme des grattoirs. Pendant l'excursion que j'ai faite au Grand-Pressigny, en compagnie de M. Franchet, géologue très-expérimenté dans la connaissance des silex ouvrés, je crois avoir trouvé des types représentant les trois époques signalées plus haut, Sur la rive gauche de la Claise, près de la ville, et un peu plus loin sur le 292 BOURGEOIS. coteau de la Claisière, nous avons recueilli #n situ dans un diluvium par- faitement caractérisé des éclats travaillés et un nucleus. Dans la dernière localité où le diluvium est à peine recouvert par quelques traces de terre végétale, nous avons trouvé à la surface un grand nombre d'instruments, tels que couteaux, grattoirs, marteaux, et enfin de très-belles haches ovales et en tête de lance comme à Saint-Acheul. En montant vers le sommet de la colline on rencontre sur le sol, ou mêlés à la terre végétale, ces milliers d'instruments remarqués, pour la première fois, par M. le docteur Léveillé. Plus bas, près de la Chattière, ils sont recouverts par des éboulis, mais toujours ils se montrent supé- rieurs à cette argile mêlée de cailloux siliceux, que M. l'abbé Chevalier rapporte à l'époque des grès de Fontainebleau. Quelles que soient les raisons pour ou contre cette opinion empruntée. à la paléontologie ou à la stratigraphie, la question présente reste la même. Les silex taillés de la Claisière sont presque tous d’une dimension pro- digieuse. Quelques-uns atteignent 36 centimètres de longueur et pèsent jusqu’à 8 kilogrammes. Des éclats de 25 à 30 centimètres ont été déta- chés de leur surface d’un seul coup et avec une grande hardiesse. Parmi les quatre ou cinq variétés qu’ils présentent, j’en ai remarqué deux qui appartiennent à l’âge des tourbières de la Somme. Ces prismes triangu- laires terminés comme des grattoirs, dont j'ai parlé plus haut, se retrou- vent à la Claisière, et ne diffèrent de ceux de la Somme que par des dimensions plus considérables. Je suis donc porté à croire, en considérant la forme de ces instruments et la perfection du travail, qu'ils appartiennent au même âge que ceux qui ont été recueillis, également en si grand nombre, par M. Boucher de Perthes, dans les tourbières des environs d’Abbeville. Doit-on considérer la race qui fabriquait ces gros instruments comme une race plus forte que celles des grottes? Je n'ose pas l’affirmer, car le le volume de ces sortes de casse-têtes peut tenir à ce que les modules siliceux de la craie sénonienne, en cette localité, sont plus développés que partout ailleurs. Enfin, j'ai rencontré aussi à la surface du sol, une hache grossière destinée, sans aucun doute, à être polie, car elle appartient au type cel- tique. M. l'abbé Chevalier a fait observer qu’on y avait recueilli plusieurs exemplaires de haches polies. À mon avis, le gisement du Grand-Pressigny, quoique très-remarqua- ble, n'offre rien de contraire aux faits reçus, soit en géologie, soit en archéologie; et s’il présente plus d’intérêt que les grottes du Périgord par le volume des instruments, ilen présente beaucoup moins pour la variété des types et la perfection du travail. OBSERVATIONS SUR LE DÉVELOPPEMENT DES PLEURONECIES, Extraites d'une lettre adressée à M. Milne Edwards, Par M. STENSTRUP. Copenhague, le 41 juillet 1864. «Comment se fait-il que le Turbot, la Plie et les autres Pleu- ronectiens aient les deux yeux placés du mème côté du corps?» Voilà la question à laquelle j'ai tâché de répondre par les observations et les recherches dont j'ai l'honneur de vous donner un résumé dans cette lettre. Cette question n’est pas posée 1c1 pour la première fois. Elle a au contraire souvent été discutée, et chaque fois on y a répondu d'une manière très-simple et très-naturelle en apparence. Chaque manuel, traitant de la zoologie générale ou de l’ana- tomie comparée, au moins sal est d’une étendue assez considé- rable, nous dit, comme vous le savez, que la tête de ces poissons plats est tordue ou tournée sur son axe vers le côté coloré ou velu, qui reste supérieur, quand l'animal nage. Chez la Plie commune, la tête est donc tournée du côté droit, chez le Turbot et la Barbue du côté gauche. Selon l'opinion la plus généra- lement adoptée, cette torsion de la iête (à gauche ou à droite) serait tout simplement la cause, et la seule cause, de la position anormale des deux yeux, qui sont placés de l’un ou de l’autre côté du corps. Cependant il est bien à remarquer que quelques auteurs, voyant que la situation et la direction de plusieurs os du crâne s'opposent à la supposition que toute la tête ait été soumise à cette torsion, se sont contentés à limiter la torsion à la région moyenne de la tête où sont placés les yeux. Ce qui est bien certain, c'est qu'une torsion a lieu, en partie au moins; mais suffit-elle pour nous expliquer les phénomènes que les deux yeux de la Plie ou du Turbot nous présentent quant à leur position dans la tête ? Je déclare que non! 5€ série. ZooL. T. IL. (Cahier n° 5.) 1 17 254 STENSTRUP, La torsion, la partielle comme la totale, a été évaluée beau- coup trop haut; elle a été exagérée. Un tout autre procédé, un déplacement ou migration d'un des yeux, intervient ainsi, et ce procédé est bien plus essentiel, quoiqu'il paraît avoir passé en- tièrement inaperçu jusqu'à ce jour. On n’a qu’à regarder attentivement la situation relative des os dans le crâne d’un Poisson plat, pour se convainere de ce qui s’est indubitablement passé. Examinons quelques crânes de la famille des Pleuronectiens. Des deux yeux situés chez tous les Pleuronectiens d'un même côté du crâne, l'œil inférieur se trouve sous l'os frontal auquel il appartient, ou sur le côté extérieur de cet os; par conséquent, sa position vis-à-vis de son os frontal est la même que chez tous les autres Poissons et chez les animaux vertébrés en général ; elle est donc normale. Mais l'œil supérieur se trouve, au con- traire, dans une tout autre relation avec son os frontal ou avec l'os frontal de l’autre côté de la tête. Il est pour ainsi dire placé du côté interne de cet os; il y siége de manière que la partie la plus grande de l'os frontal ou tout l'os frontal se trouve du côté externe de l'œil. Dans le crâne des Pleuronectiens il n’y a, comme vous le savez, qu'une orbite, et l'œil supérieur y est tou- Jours placé, que les yeux soient portés du côté droit ou du côté gauche. Cette orbite unique ne répond pas à l'orbite d'aucun ani- mal vertébré quelconque, c’est une orbite anormale et surnumé- raire, percée pour ainsi dire au milieu du front. Chez plusieurs espèces du grand genre Rhombe (Rhombus argus), l'œil supé- rieur se trouve même placé entre les deux os frontaux. Les Pleu- ronectes sont donc tous, quant à l'œil supérieur, une sorte de Cyclopes : des Hémicyelopes, des Hétérocyclopes. De tout cela il s'ensuit que, pendant un âge bien jeune, l'œil supérieur a dû quitter sa place primitive en se dirigeant vers l’inté- rieur et en haut, percer la voûte formée sur l'œil par l'os frontal, el se préparer un nouveau lit, soit dans ce trou, soit dans la région interne de los frontal du méme côté de la téte, soit entre les deux os frontaux. Ce déplacement de l'œil supérieur n’est pas indiqué seule- DÉVELOPPEMENT DES PLEURONECTES. 259 ment par la position bien différente des deux os frontaux par rapport à leurs yeux respectifs ; le cours et la direction des nerfs optiques, l'insertion des muscles des bulbes ovulaires mettent aussi ces singuliers phénomènes hors de doute. Je vous prie de bien regarder lesfigures jointes à cette lettre, et représentant des crânes osseux des différents genres defla famille des Pleuronectiens (1); elles prouveront à l'instant la justesse des remarques que je viens de faire. Vous verrez'que, sans un déplacement complet de l'œil supérieur relativement à son os frontal, il n’y a pas moyen de se rendre compte des rapports remarquables existant chez tous les Pleuronectes. Une observation que j'ai faite sur des jeunes individus de la famille des Pleuronectiens, et dont je vous parlerai maintenant, nous prouve d’une manière directe le passage de l'œil supérieur du côté aveugle au côlé opposé de la téte et à travers celle-ci. Deux capitaines, MM. V. Hygem et A. Andréa, qui, l'un et l’autre, ont donné au Muséum zoologique de l'Université de, Copenhague, de riches collections d'animaux océaniques, "nous ont apporté de la mer Atlantique (et de plusieurs localités) quel- ques petits poissons Pleuronectiens d’une grande transparence et d'un pouce à peu près de longueur. Ces Poissons (2) ont le corps extrèmement comprimé et les yeux tournés du côté gauche ; la pageoire dorsale prenant son origine presque à la pointe: du museau, touche à la caudale comme celle-ci à l’anale. Leur bouche tordue présente cette grande obliquité qui caractérise le - groupe des Soles. Par conséquent, je n’ai pas cru pouvoir mieux désigner cestrois petits Pleuronectiens que comme des Plagusiens ou des Rhombes-Soles. Nous avons encore reçu de ces mêmes marins et de quelques autres voyageurs, amis des sciences naturelles, un assez grand nombre d'exemplaires d’un autre groupe de petits Poissons d’une forme tres-singulière. Ils ont été pris aussi dans la’mer Atlan- tique, et dans les mêmes localités que les Plagusiens mentionnés ci-dessus, avec lesquels ils ont des rapports et des similitudes (4) Voy. pl. 49, B, fig. 9, 10 et 41. (2) Voy. pl. 19, B, fig. 9, 10 et 41, 256 STENSTRUP. frappantes. Leur corps est ainsi extrèmement comprimé et transparent, et leurs nageoires impaires règnent presque sur tout le pourtour. Sous le rapport de l'étendue de ces nageoires, surtout de l’origine de la nageoire dorsale, sur la tête plus ou moins près de la bouche, du développement des nageoires pectorales, et de la grandeur et de l’obliquité de la bouche, il y acependant des différences assez grandes, ce qui indique que les individus appartiennent à des espèces différentes ou même à des genres différents. [ls se distinguent pourtant tous des vrais Pleuronectiens par la forme du corps, qui, au premier coup d'œil, vous paraîtra complétement symétrique, et par la situation des veux placés un de chaque côté de la tête (qui est fortement comprimée), et lun vis-à-vis de l’autre; car on admet facilement qu'une obliquité à peine perceptible n’est qu'accidentelle. Parmi ces dernières formes, il y en a justement quelques-unes qui répètent d'une manière très-frappante la forme et l'appa- rence des Plagusiens déjà mentionnés (1). On dirait qu’elles appartiennent à une espèce très-voisine, mais symétrique du même genre que Ceux-Ci, ou à une variété symétrique de la mème espèce. Or cette impression est à peu près juste. Notre Poisson symétrique deviendra sous peu, par un changement subit dans la situation de l'œil, un vrai Pleuronectien, et sera donc jeté sur un côté, le côté droit. J'ai des états intermédiaires qui sous ce rapport sontfrappants. J'ai, entre autres, un individu qui semble avoir trois yeux, deux du côté gauche et un du côté droit, mais ce dernier est en réalité le même œil que le supé-- rieur, du côté opposé, bioculaire. I est placé en travers de la tête même, et comprimé avec la demi-part inférieure encore visible du côté droit (qui devient plus tard aveugle), et le bord supé- rieur perçant à travers une fente du côté gauche, qui est bi- oculaire (2). Peut-on se fiqurer une démonstration plus éclatante du passage de l'œil à travers la tête, qu'un œil arrété dans cette position ? Un autre individu nous présente un œil bien formé de chaque (4) Voy. pl. 19, B, fig. 4, 5, 6. (2) Voy. pl. 49, P, fig. 7 et 8. 2 DÉVELOPPEMENT DES PLEURONECTES. DA à côté de la tête; mais du côté gauche, ou plus tard un second œil paraîtra, on voit au-dessus de l'œil inférieur un court sillon ou fente, accusée comme une boutonnière. C'est la fente par laquelle l'œil du côté opposé va paraître. En tenant le Poisson en biais, contre le jour, on voit une trace transparente, frayée obliquement à travers la tête, de l'œil du côté droit jusqu'au sillon du côté gauche. C'est une chose bien naturelle que notre œil, exercé par ces formes transitoires à découvrir les différents degrés de diver- gences entre les formes asymétriques et celles dites symétriques, ne tarde pas à reconnaître que les dernières ne sont pas d’une symétrie parfaite, et que surtout un côté du corps, quelque peu que ce soit, est cependant toujours plus plat que l’autre, ete., etc. Mais, en faisant allusion à l’état complet des Pleuronectiens, qui plus tard se manifestera, je me bornerai à citer seulement un fait intéressant : c’est que ces petits Poissons, dits symétriques, ont cependant les deux côtés de leur bouche bien différents, et que la bouche, suffisamment agrandie, rappelle déjà décidément celle des Soles. . Les autres petits individus, d'un extérieur bien ressemblant et dont j'ai déjà fait mention, sont-ils aussi des formes jeunes sy- métriques appartenant à d’autres Pleuronectiens? Nous ne sau- rions en douter ! Je n'en suis pas seulement parfaitement con- vaincu, mais j'espère aussi, sous peu de temps, recevoir, par l'entremise de mes amis, des exemplaires de l’état transitoire. Je n'hésite pas à déclarer que l’une de ces formes doit être l’état antépleuronectien d’une espèce au genre Rhombus, tant elle a les rapports et l'apparence du Rhombus diaphanus de Rafinesque qui se trouve dans la mer Sicilienne. Comme vous le voyez, mon très-honoré collègue, ce ne sont pas seulement les formes jeunes symétriques d’un seul groupe des Pleuronectiens (celui des Plagusiens) que je possède; mais j'en ai aussi de la nombreuse tribu des Rhombiens, et peut être aussi des Plies vraies. Quoi qu'il en soit, je soutiens que, chez tous les Pleuronectiens, le déplacement de l'œil supérieur a lieu de la même manière, et cette opinion je la soutiens avec d'autant 9258 STENSTRUP. plus d'assurance, que dans tous les groupes des Pleuronectiens, les crânes osseux m'ont prouvé le même déplacement de l'os frontal principal, quant à la situation de l'œil supérieur, et pré- senté la même orbite abnormale et surnuméraire, ne corres- pondant ni à l’une des orbites d'aucun autre Poisson, ni à l’orbite d'aucun autre animal vertébré en général. Je n'oublie pas que M. Malm, à Gothenberg , en Suëde, et M. Van Beneden, à Louvain, ont donné des observations sur des petits Turbots, chacun de ces zoologistes ayant décrit un seul individu très-petit et plus symétrique que ne le sont, en général, ces Poissons plats ; je sais très-bien que les descriptions et les figures données par ces messieurs semblent constater que la situation des deux yeux du même côté du corps, et la forme asymétrique du corps pleuronectien sont entièrement dues à la torsion de la tête sur son axe, ainsi que l'opinion généralement adoptée l’admet. Mais je prétends qu’il y a beaucoup à objecter contre les conclusions tirées des observations de ces deux natu- ralistes. Cela me menerait cependant trop loin de vous commu- niquer tout ceci dans cette lettre, qui n’est destinée qu’à vous faire part du résultat principal de mes recherches et observa- tions ; mais, si Cela ne vous fatigue pas, je vous communiquerai, dans une prochaine lettre, des remarques que j'ai faites au sujet des observations de MM. Malm et Van Beneden, et de quelques autres phénomènes quis"y rapportent de lamanière la plus étroite, et des résultats que j'en ai obtenus. EXPLICATION DES FIGURES. PLANCHE 19, B. Fig. 1. Tête osseuse d’un Poisson symétrique comme terme de comparaison (le Gadus cellarius, L.). Fig. 2. Tête osseuse d’un Pleuronecte (Platissa vulgaris) montrant le déplacement de l'œil gauche. La planche indique le trajet supérieur pou l'œil (o') qui se déplace pour aller en 0// près de son congénère 0. Fig. 3. Tête osseuse du Turbot (Rhoculeus marimus). Fig. 4, 5et 6. Jeune Pleuronecte symétrique. Fig. 7 et 8. Individu dans l’état transitoire. Fig. 9, 10 et 11. Jeune individu plus avancé en développemen et ayant les deux yeux du même côté, ÉTUDES SUR LA CIRCULATION DU SANG CHEZ LES ARANÉES DU GENRE LYCOSE, Par M. Edouard CLAPARÈDE. Extrait (4). La circulation du sang chez les Arachnides a déjà fait le sujet de recherches approfondies. Celles de M. Newport (2) sur les organes circulatoires du Scorpion, jouissent en particulier d’un crédit qu’elles méritent au plus haut degré. Elles ont été com- plétées en même temps que corrigées sur quelques points de détail par M. Blanchard. Ce dernier a doté, en outre, la science de magnifiques recherches sur les organes circulatoires d’autres types d’Arachnides. Il a consacré, en particulier, une bonne partie de ses mémoires à une Aranée du genre Mygale. Il publie en ce moment de superbes planches sur l'anatomie des Arachnides (3), et, bien que le texte relatif aux Aranées n'ait point encore paru, il est facile de reconnaître, par les planches déjà publiées, les résultats auxquels il est arrivé en dernier lieu. On verra que sur plus d’un point je ne puis être d'accord avec M. Blanchard. Je n’en accorde pas moins mon tribut d’admira- tion aux travaux de ce savant anatomiste, et cela sans aucune réserve. M. Blanchard a eu recours à la méthode d'injection déjà suivie par Dugés, Newport et d’autres. Je crois qu'il en a tiré tout ce qu'on pouvait lui faire rendre. Grâce à elle, ila reconnu avec une parfaite exactitude tous les principaux troncs vasculaires. (1) Ge mémoire est accompagné d'une planche et tiré du XVII® volume des Mémot- res de la Société de physique et d'histoire naturelle de Genève, 1863. (2) On the structure, relations and developpement of the nervous and circulatory systems, and on the existence of a complete circulation of the blood in vessels in Myria- poda and Macrourous Arachnida, by George Newport (Philos. Transact., 1843, part. II, p. 213). (3) L'organisation du règne animal, par Émile Blanchard. Grand in-4°, Arachnides, livr. 1-16. 260 CLAPARÈDE, Toutefois cette méthode n’a pas toujours pu le renseigner avec une parfaite certitude sur la direction de la circulation du sang dans les vaisseaux. En outre, elle lui a souvent tendu un piége, auquel se sont laissé prendre tant d’anatomistes dans d’autres circonstances. M. Blanchard a trop souvent cru trouver des ré- seaux sanguins là où il n'avait sous les veux que les mailles d’un réseau artificiel creusé par la matière injectée dans des tissus délicats. Une fois de plus il a montré combien il est nécessaire que la méthode des injections soit contrôlée d’une manière sévère, sous peine de faire reparaître le discrédit exagéré dans lequel elle était tombée aux yeux de plus d’un anatomiste. J'ai suivi une marche tout autre. J'ai cherché à me pro- curer des Araignées jeunes et assez transparentes pour per- mettre l'étude du cours du sang dans sa pleine activité. L'ob- jet le plus favorable que j'aie rencontré jusqu'ici est la Lycosa saceata, Hahn. On sait que les femelles de cette espèce por- tent leur sac ovigère appliqué à la partie postérieure de leur abdomen. C’est aux jeunes individus déjà éclos, mais encore contenus dans ce sac, que je me suis adressé pour mesrecherches. Il ne sera peut-être pas inutile, pour ceux qui voudraient répéter mes observations, de rappeler que les jeunes Lycoses subissent une mue dans l'intérieur du sac ovigère comme la plupart des autres Araignées. Les individus qui ont déjà subi cette mue, ou qui sont près de la subir, sont défavorables à l'observation. Les premiers sont en effet hérissés de poils opaques, et les seconds présentent déjà, sous le tégument qu'ils sont près de rejeter, les poils qui signalent la phase suivante. C'est donc immédiatement après l’éclosion et avant les préparatifs de la mue qu'il faut étu- dier les Lycoses pour reconnaitre avec clarté leur appareil cireu- latoire. Les jeunes individus ont déjà à cette époque une grande ressemblance avec l'adulte. Tous les organes sont formés, à l'exception de la partie abdominale du tube digestif avec ses annexes et des organes reproducteurs. L’intestin et les glandes qui en dépendent (foie, glandes urinaires) sont représentés par une masse. d'un jaune brun fortement réfringente, reste non encore assimilé de l’émulsion vitelline qu remplissait naguère la CIRCULATION DU SANG CHEZ LES ARANÉES. 261 membrane de l'œuf. Dans le céphalothorax, on trouve aussi un reste de vitellus renfermé dans l'estomac annulaire et dans ses diverticulums aveugles. Le cœur, ou vaisseau dorsal, est placé sur la ligne médiane, suivant exactement la courbe de la surface tergale. Vu de profil, il parait décrire presque la moitié d’une circonférence de cercle. ILoffre son maximum de largeur dans le voisinage immédiat du pédoncule abdominal, et à partir de ce point il diminue gra- duellement de calibre jusqu'à son extrémité postérieure. Sa sec- tion transversale n'est du reste point circulaire, mais elliptique ou plutôt réniforme; la grande convexité de cette section étant tournée du côté supérieur. De distance en distance, le cœur pré- sente des dilatations ou plutôt des diverticulums latéraux disposés par paires. Ces diverticulums ont la forme de larges cônes, dont la base se continue dans la paroi du cœur. Is sont au nombre de trois paires, dont la dernière est beaucoup moins développée que les précédentes. Quelquefois j'ai cru en apercevoir une quatrième plus en arrière, cependant je n'ai pu acquérir aucune conviction à cet égard. Au niveau de chaque paire de diverticulum se trouve une paire de ces ouvertures en forme de boutonnière, que M. Straus a été le premier à découvrir chez les Insectes, et que tant d’anatomistes ont retrouvées depuis lors chez les Arthro- podes les plus divers. Je leur conserverai le nom de boutonnières ou d’orifices veineux, plutôt que celui d'ouvertures atrioventricu- laires qui leur a souvent été donné. Ces ouvertures ne sont point exactement transversales, mais obliques, leur angle dorsal ou interne étant dirigé un peu en avant et leur angle externe un peu en arrière. Ce dernier s'avance légèrement au delà des limites du cœur proprement dit, et se trouve par conséquent découpé dans le dos de la base des diverticulums coniques que je viens de décrire. La paire de boutonnières la plus antérieure est la plus grande ; la suivante est un peu plus petite, la troisième encore moindre. Toutes trois servent à l'afflux du sang dans le cœur au moment de la diastole. On voit sous le microscope les globules sanguins s'y engouffrer à chaque dilatation. A cette époque de la vie, le cœur n’est point divisé en plusieurs 262 CLAPARÈDE, chambres par des replis intérieurs ou des valvules. En est-il de même chez l'adulte ? C’est ce que je ne saurais dire. Je sais que MM. Newport et Blanchard ont trouvé ces valvules dans le cœur du Scorpion, et je ne doute pas que leurs observations ne soient parfaitement justes. Il n'existe dans tous les cas rien de sem- blable chez les jeunes Lycoses. Les boutonnières, largement béantes pendant la diastole, se ferment pendant la systole, et empêchent ainsi le sang auquel elles ont livré passage de revenir sur ses pas. Cette fermeture paraît être effectuée par l’action des fibres musculaires qui forment les bords de la boutonnière. Ces fibres présentent un gros nucléus ou une agglomération de nucléus vers le milieu des bords de chaque boutonnière. Au mo- ment de la fermeture de la boutonnière, fermeture qui précède immédiatement la systole du cœur, on voit les nucléus des deux bords opposés de chaque boutonnière s'appliquer énergiquement les uns contre les autres. Du reste, la paroi entière du cœur est semée de nucléus, il est vrai, un peu moins apparents que les premiers. Ce sont sans doute les noyaux de cellules musculaires dont la présence est indiquée par les stries transversales de la paroi cardiaque. Le cœur ne reçoit de sang que par les six orifices que je viens de décrire, à moins qu'il n’existe encore une quatrième paire de boutonnières. En effet, M. Blanchard, qui représente le cœur des Mygales comme simplement cylindrique, lui attribue quatre paires d’orifices atrioventriculaires. Mais la place où cette qua- trième paire d'ouvertures devrait se trouver chez les Lycoses est généralement si bien masquée par les granules vitellins, que je n'ai jamais réussi à la voir. Considérons maintenant les issues par lesquelles s'échappe le sang qui, du cœur, se rend aux organes. D'abord nous trouvons l'aorte thoracique naissant de l'extrémité antérieure du cœur, comme tous les anatomistes qui ont étudié ce sujet l'ont reconnu. Mais ce n’est que d’une petite partie du cœur que le sang est chassé dans ce vaisseau. Lorsque la jeune Araignée est placée de profil, on reconnaît en effet que le seul cul-de-sac compris entre la première paire de boutonnières et la naissance de l'aorte en- CIRCULATION DU SANG CHEZ LES ARANÉES. 263 voié son sang dans ce vaisseau. Le courant pneumocardiaque, qui pénètre dans le cœur par cette boutonnière, se divise immé- diatement en deux branches, dont l’une se courbe en avant pour gagner l’aorte, et l'autre se courbe en arrière pour continuer son chemin jusqu'à l'extrémité postérieure du cœur, recevant sur sa route des affluents par les boutonnières suivantes. Ce n’est donc, comme on le voit, que la plus courte partie du cœur qui chasse le sang dans le même sens que le cœur des autres Arthropodes. Il est vrai que si cette partie est courte, elle est en même temps la plus large du vaisseau dorsal. La partie postérieure du vaisseau dorsal est simplement tubu- laire, et pourrait porter le nom d’aorte postérieure ou caudale. Elle pénètre jusque dans l’apex de l'abdomen qu’on peut appeler le pygidium, où on la trouve largement béante dans une lacune qui occupe ce pygidium et la base des filières. La forme dé cet orifice est ovale ; on la voit sousle microscope donner continuelle- ment passage à un large courant sanguin qui se déverse dans la lacune du pygidium. é Ce ne sont point là sans doute les seules ouvertures par les- quelles le sang quitte le cœur. J'ai décrit plus haut les processus coniques ou diverticulums latéraux que ce viscère présente au niveau de chaque paire de boutonnières. Ces processus se pro- longent en bandes blanchâtres qui contournent les côtés du corps, et descendent vers la région ventrale de l'abdomen. Je considère ces bandes comme des artères. Je dois cependant dire que ces organes n'étant que d’un faible diamètre, et reposant sur une masse vitelline peu transparente, je n'ai jamais réussi à voir des globules sanguins se mouvoir dans leur intérieur. Je ne puis donc avoir une certitude complète sur ce point. Je n’ignore point que, d'après M. Pappenheim (1), le cœur des Araignées ne présente- rait aucune trace de vaisseaux latéraux, et ne donnerait naissance à des troncs vasculaires qu'à ses deux extrémités. Toutefois, je ne saurais attacher trop d'importance aux assertions de cet ana- tomiste ; il représente, en effet, le cœur des Aranées comme en- fermé dans un péricarde ne présentant aucune ouverture. Il (1) Comptes rendus de l’Académie des sciences de Paris, 1848, t. XXVII, p. 159. 26h CLAPARÈDE. paraît done admettre implicitement que l’une des extrémités du cœur est veineuse et l’autre artérielle, et semble n'avoir eu au- cune connaissance des boutonnières. Cette manière de voir est radicalement erronée , et M. Pappenheim pourrait tout aussi bien s'être trompé à l'égard des artères latérales. J'aime mieux m'en tenir aux résultats des anciennes mais habiles dissections de Treviranus, qui a trouvé des artères latérales au cœur de la Tégénaire domestique. Ce serait, du reste, une disposition tout à fait conforme à celle que M. Newport a fait connaître chez les SCOTPIOns. Ilest vraique M. Blanchard, reprenant une thèse que Dugès (1) n'avait émise qu'avec doute, considère ces organes comme des vaisseaux pneumocardiaques ramenant le sang des organes res- piratoires au péricarde , et par conséquent médiatement aux boutonnières du cœur. Toutefois cette opinion est décidément fautive en ce sens que ces vaisseaux arrivent directement au cœur. Leurs origines cardiaques que nous avons décrites comme formant des diverticulums latéraux du cœur appartiennent si peu au péricarde, que les boutonnières sont en partie découpées dans la base de ces diverticulums. Si done ces organes sont des vaisseaux et non des ligaments, ce sont des artères et point des veines. J'hésite d'autant moins à me prononcer en faveur de l’an- cienne opinion de Treviranus (2), que l'existence d’artères laté- rales du cœur est un desideratum, la quantité de sang sortant par l'orifice postérieur du cœur étant évidemment très-infé- rieure à celle qui traverse les régions antérieures de cet organe. Le cœur etses artères latérales sont les seuls vaisseaux artériels de l'abdomen. Le sang est déversé par eux dans les lacunes inter- organiques, et baigne tous les organes. Le cœur lui-même est baigné par une masse de liquide sanguin qui chemine en sens inverse du sang contenu dans le cœur, c’est-à-dire d'arrière en (4) Additions au mémoire de M. Dugès sur les Araignées (Ann. des sc. nat., 1836, t. VI, p. 355). — Voyez aussi le Règne animal distribué d'après son organisation, pa Georges Cuvier. Édition illustrée. Arachnides, pl. III. (2) Ueber den inneren Bau der Arachniden, von G. R. Treviranus. Nürnberg, 1812, p. 28. CIRCULATION DU SANG CHEZ LES ARANÉES. 265 avant. Ce liquide est aspiré par les boutonnières à chaque diastole du cœur. Cette lacune péricardiaque est-elle la cavité d’un pé- ricarde? C’est ce que je ne saurais affirmer. Je n'ai jamais rien aperçu qui parût révéler la présence d’un semblable organe ; je dirai même que j'ai été plutôt conduit à douter de son existence. L'enveloppe tégumentaire de la jeune Araignée présente plu- sieurs arceaux tergaux, vagues indices d'une segmentation dorsale. Leur nombre paraît être de six ou peut-être même de sept. À chacun d’eux vient s'attacher un ligament musculaire du cœur, correspondant sans doute aux muscles dits ailes du cœur chez les Insectes. Ces muscles paraissent s'attacher d’une part aux tégu- ments, et d'autre part à la paroi méme du cœur. Rien n'indique là l'existence d’un péricarde ; du reste, c'est une question d'ordre secondaire que de savoir si le sang est ici renfermé dans une lacune interorganique ou dans un péricarde. Le fait important et au-dessus de toute attaque, c'est que le cœur est baigné de toutes parts dans une masse de sang contenue dans un espace que je nomme provisoirement et sans attacher aucune importance à cette dénomination lacune péricardiaque. Un fait également important à noter, c'est que les origines des artères latérales, auxquelles j'ai donné le nom de diverticulums latéraux du cœur, sont baignées à l'extérieur par le sang de cette lacune. Or c’est ce qui ne devrait pas avoir lieu si les vues de M. Blanchard, re- lativement à ses vaisseaux prétendus pneumocardiaques et au péricarde, étaient fondées. Ï y à bien, il est vrai, en quelque sorte des vaisseaux pneumo- cardiaques et même des espèces de veines pulmonaires. Toutefois ces vaisseaux ont ceci de particulier qu'ils sont fort larges, qu'ils ne s’abouchent jamais avec des artères ni avec le cœur, et que leurs deux extrémités s'ouvrent dans des lacunes inter- organiques. Je les appellerai des sinus, voulant indiquer par là qu'ils ont des parois propres incontestables. Je vais décrire ces sinus en commençant par ceux qui ont pour fonction de conduire le sang aux organes respiratoires, et en finissant par ceux qui raménent le sang oxygéné au cœur. Nous avons vu que la région postérieure du corps présente une vaste 266 CLAPARÈDE. lacune occupant en particulier le pygidium et les fihéres. Le sang qui remplit cette lacune s'engage à la partie ventrale de l’abdo- men dans deux sinus, les sinus longitudinaux de l'abdomen qui le portent en avant. Ces deux sinus sont à peu près parallèles l'un à l’autre, et leur paroi est d’un blanc soyeux lorsqu'on les consi- dère à la lumière incidente. Le sang y circule constamment d'arrière en avant. Ces deux sinus occupent toute la longueur de l'abdomen, et se réunissent l’un à l’autre en un sinus médian à * sa base. Toutefois, dans leur partie antérieure, ces sinus présen- tent une circulation précisément inverse de celle que je viens de décrire. Le sang y chemine toujours d'avant en arrière; c'est qu'en effet ils ramènent dans cette partie le sang des lacunes intrathoraciques. En réalité, ces sinus longitudinaux de l'abdo- men sont formés de deux parties qui, anatomiquement, sont la suite immédiate l'une de l’autre, mais qui n'en conduisent pas moins le sang en sens contraire. Le point de jonction de ces deux parties est l'angle interne et postérieur du poumon; là chacun des sinus longitudinaux donne naissance à un prolongement transversal, qu'on pourrait appeler sinus pulmonaire postérieur, car il longe le bord postérieur du poumon. Les deux courants du sinus longitudinal se jettent dans ce sinus transversal où ils se fondent l’un avec l’autre; arrivé à l'angle externe et postérieur du poumon, le courant sanguin change de direction presque à angle droit pour former ce qu'on pourrait appeler le sinus pulmonaire latéral qui suit le bord externe du poumon. Ce sinus s'infléchit alors vers le haut de l'abdomen pour s'ouvrir dans la lacune péri- cardiaque, à peu près au niveau de la première paire de bouton nières. La plupart des globules sanguins passent du sinus pul- monaire postérieur au sinus pulmonaire latéral en décrivant l'angle que je viens d'indiquer. Quelques-uns cependant coupent cet angle en glissant obliquement sur le poumon. Cela prouve que les sinus pulmonaires postérieur et latéral ne sont que les bords d'un large sinus dans lequel plonge le poumon tout entier. Jamais les globules sanguins ne pénètrent entre les feuillets de l'organe respiratoire , et c’est sans doute au plasma du sang qu'appartient la fonction d'absorber l'oxygène et d'émettre l'acide carbonique. CIRCULATION DU.SANG CHEZ LES ARANÉES. 267 Grâce à la disposition des sinus que je viens de décrire, la plus grande partie du sang passe par le poumon avant de revenir au cœur. C'est le cas pour tout le sang veineux du céphalothorax arrivant par la partie antérieure des sinus longitudinaux médians ; c'est aussi le cas pour une grande partie du sang de l'abdomen revenant de la lacune pygidienne par la partie postérieure de ces mêmes sinus. Il est possible que la quantité de sang abdominal arrivant au poumon soit plus grande encore ; en effet, chaque sinus longitudinal de l'abdomen reçoit vers le milieu de sa lon- gueur un sinus transverse (fig. 2, s) qui lui amène peut-être un nouvel affluent. Cependant il ne m'a jamais été possible de re- connaître la direction de la circulation dans ce sinus, et il se pourrait aussi qu'il ramenât du sang non oxygéné puisé dans Le smus longitudinal jusqu'à la lacune péricardiaque. Quoi qu’il en soit, 1] semble vraisemblable qu'une grande partie ou même la presque totalité du sang de la lacune péricardiaque en arrière de la première paire de boutonnières n’a point passé par le pou- mon. Îl ne faut, en effet, pas oublier que le sang se meut dans cette lacune d'arrière en avant. Tout le sang qui revient des pou mons pénètre dans le cœur par la première paire de boutonnières. Les sinus longitudinaux de l'abdomen, dans lesquels on voit le sang se MOuvoir avec rapidité, paraissent avoir échappé jus- qu'ici à presque tous les observateurs. Il est cependant probable qu'on parviendra à les démontrer même avec l’aide du scalpel chez les grosses espèces. Leur position est en effet facile à déter- miner ; ils reposent exactement sur les bandes musculaires longi- tudinales que Treviranus (1) a été le premier à signaler, que M. Brandt (2) a décrites plus tard sous le nom de tendons, et que les anatomistes récents, M. Blanchard entre autres, ont revues comme leurs devanciers. Le seul Dugès paraît avoir eu connais- sance de ces sinus : « Chez l'Épéire commune de Walkenaer, dit-il (3), la peau de l'abdomen est fort transparente, peu colorée après une mue récente, et alors on voit tout l'abdomen transver- (4) Loc. cit., p. 45. (2) Recherches sur l'anatomie des Araignées, par M. Brandt (4nn. des sc; nat., 2e série, 1840, t. XIII, p, 180). (3) Loc. cit., p. 359; 265 -_ CLAPARÈDE. salement et obliquement vergeté de ramifications vasculaires très-superficielles partant de toute la longueur des bords latéraux et supérieurs du cœur et de son extrémité postérieure. On les voit moins distinctement chez l'Épéire diadème. Ces innom- brables vaisseaux, trop minces, trop pellucides pour pouvoir être disséqués, se recourbent en dessous et en avant vers les pou- mons; ils s’élargissent et semblent se confondre à mesure qu'ils s’en rapprochent pour constituer une lacune parallèle aux grands muscles longitudinaux qui occupent la région inférieure du ventre. Cet espace est transparent et rempli de fluide chez le Pholcus (4). » Cette description concorde tout à fait avec ce que nous avons dit des Lycoses, sauf en. ce qui concerne «les mnom- brables vaisseaux ». Dugès ne paraît du reste pas avoir vu le sang en circulation. Il y eut un temps où M. Blanchard n allait pas aussi loin que Dugès dans la multiplication des vaisseaux sanguins chez les Araignées. «Ce qui paraît remarquable dans le système vascu- laire de l'Épéire, disait-il à cette époque (2), c’est le petit nombre de ramifications que présentent les artères, car mes recherches et mes expériences ont été répétées sur un très-grand nombre d'individus souvent avec succès ; je pense donc qu'il a dû m’échapper peu de détails. » La manière de voir du savant ana- tomiste s’est bien modifiée depuis ce temps-là. Quoi qu'il en soit, M. Blanchard dessinait alors chez l'Épéire diadéme deux vais- seaux à peu près dans la position des sinus longitudinaux que nous avons décrits ; seulement il les considérait comme des vais- seaux pneumocardiaques chargés de ramener le sang oxygéné à la partie postérieure du cœur. Il admettait donc que le mouve- ment du sang se faisait dans ces vaisseaux dans un sens précisé- ment inverse de la direction réelle de ce mouvement. Loin de moi la pensée de lui reprocher de s'être mépris sur ce point, car la méthode des injections seules ne pouvait trancher la question de la direction du mouvement. Jusqu'ici je n’ai considéré que la circulation abdominale. Par- (4) Cette remarque relative aux Pholques est parfaitement juste. (2) De l'appareil circulatoire et des organes de la respiration dans les Arachnides, par M. Emile Blanchard (Ann. des sc, nat., 3° série, 1849, t, XII, p. 324). CIRCULATION DU SANG CHEZ LES ARANÉES. 269 lons maintenant de la circulation céphalothoracique. La partie artérielle de cette circulation est aujourd’hui bien connue, grâce aux recherches de Dugès et surtout de M. Blanchard. Les rami- fications de l'aorte chez la Lycose à sac sont à peu près identiques avec celles que M. Blanchard figure chez la Mygale avicu- laire. Ce gros vaisseau traverse le pédoncule abdominal au- dessus du canal digestif, suit une direction ascendante sous la région dorsale postérieure du céphalothorax, et pénètre dans l'anneau stomacal. A ce point il se divise en deux aortes secon- daires qui ne tardent pas à se recourber vers le bas en formant une crosse. Immédiatement après la crosse, chaque aorte secon- daire s'étale en patte d’oie donnant naissance à plusieurs ra- meaux. Ceux-c1 sont d'abord l'artère ophthalmique, puis les quatre artères pédieuses, l'artère du deutognathe et l'artère du protognathe. Chacune de ces six dernières où au moins cinq d'entre elles (l'artère du protognathe exceptée) donnent nais- sance sur leur trajet à un rameau qui se dirige vers la région ventrale, et va se jeter dans une des lacunes que nous désigne- rons tout à l'heure sous le nom de lacunes sternales transverses. Enfin l'artère du protognathe donne naissance à une branche qui se dirige vers le haut et l'intérieur, et qui va se jeter dans un réservoir sanguin que nous désignons sous le nom de lacune ter- gale médiane. Ce sont là tous les vaisseaux du céphalothorax. M. Blanchard décrit en outre, sous le nom d’aorte postérieure, une mince artère médiane naissant par une racine de chaque aorte secondaire, et retournant en arrière dans l'abdomen. Je n’ai pas réussi à l’aper- cevoir, sans que je veuille pour cela contester son existence. Les Lycoses sont certainement très-défavorables à la recherche d’un vaisseau ainsi placé. En revanche, M. Blanchard ne décrit ni les artères sternales, ni la branche tergale de l'artère du proto- gnathe que j'ai signalées. Je dois dire d’ailleurs que leur re- cherche n’est pas exempte de difficultés, et que pendant long- temps je ne me suis point douté de leur existence. Tous ces vaisseaux artériels sont fort bien délimités par des parois évidentes, et tous offrent le phénomène de pulsations 5e série. Zoo. T. IT. (Cahier n° 5.) 2 18 270 CLAPARÈDE, rhythmiques synchroniques avec celles du cœur. Ces pulsations, dont l'observation est encore plus facile que celle du passage rapide des corpuscules du sang dans le calibre des vaisseaux, facilite beaucoup l’étude du système artériel. Le prenuer fait qui frappe les yeux de l'observateur, soit qu'il observe l'animal par sa surface inférieure, soit qu'il considère sa surface dorsale, c'est l'existence de deux taches claires parfaitement circulaires : l'une à droite, l’autre à gauche de la ligne médiane. Ces taches offrent un mouvement alternatif de diastole et de systole très-évident ; elles représentent la section transversale des crosses aortiques par le plan focal du microscope. On peut en effet facilement s'assurer par un mouvement alternativement ascendant et des- cendant du tube du microscope, que ces cercles sont l'expression de tubes verticaux dans lesquels le sang se meut de haut en bas. Réservant pour plus tard la circulation du sang dans les extré- mités, examinons le trajet du sang veineux dans le céphalo- thorax. Les veines sont ici de simples lacunes interorganiques, sans paroi appréciable, dans lesquelles les artères débouchent. En considérant le céphalothorax par sa surface ventrale, on ne tarde pas à reconnaître un système très-régulier et très-élégant de courants veineux placés immédiatement sous la couche chiti- nogène. Ces courants sternaux sont à peu prèsexactement recti- lignes, et cheminent dans des rigoles qui subsistent entre les muscles du sternum. On distingue une rigole ou lacune mé- diane donnant naissance à dix rigoles latérales ou transverses disposées par paire, et s’écartant de la rigole médiane sous des angles de plus en plus ouverts à mesure qu’on s'approche du bord antérieur de l'animal. Au point de jonction avec chaque rigole latérale, la rigole médiane subit un élargissement, du fond duquel on voit émerger des corpuscules sanguins arrivant de la profondeur. Ces corpuscules continuent leur chemin à droite ou à gauche dans les rigoles latérales, ou bien en avant dans la rigole médiane jusqu à la lèvre inférieure oùils se jettent aussi dans des rigoles latérales. Seuls les corpuscules, émergeant de l’élargisse- ment de la rigole médiane qui correspond à l’origine de la paire de rigoles latérales la plus postérieure, continuent en grande CIRCULATION DU SANG GHEZ LES ARANÉES. 274 partie leur chemin d'avant en arrière dans la partie postérieure de la rigole médiane. Ils traver ent ensuite le pédoncule abdo minal, et viennentse jeter dans le sinus de la base de l'abdomen. Le sang, qui de la rigole médiane passe dans les rigoles laté- rales, atteint les côtés du céphalothorax, où 1l se réunit aux cou- rants revenant des pattes dans une lacune sous-cutanée, occu- pant tout le bord latéral de ce céphalothorax. Le sang, dans cette lacune, se meut d'avant en arrière; il arrive au pédicule abdo- minal où il se jette avec le sang de la rigole médiane dans le sinus de la base de l'abdomen. Les rigoles latérales du sternum ne revoivent, du reste, pas seulement le sang de la rigole médiane; elles présentent elles - mêmes de distance en distance des places élargies, du fond des- quelles on voit émerger des corpuscules sanguins venant de régions plus profondes. Ces corpuscules continuent leur chemin avec le sang provenant de la rigole médiane. Les places élargies que je viens de signaler dans les rigoles médianes et latérales établissent une communication entre ces rigoles et des lacunes plus profondes. Ces lacunes existent entre les masses musculaires qui, à la surface, sont délimitées par les rigoles elles-mêmes; cela est si vrai, que les interstices de com- munication sont en partie temporaires. On les voit parfois se fer- mer, tandis que d’autres se forment à côté. Dans tous les cas, leur diamètre varie continuellement suivant les mouvements de l'ani- mal. Ces lacunes reçoivent leur sang des artères sternales qui y débouchent sans s'être ramifiées. Le céphalothorax, considéré par sa surface tergale, présente un système veineux moins complexe. Les yeux sont baignés en arrière par une lacune qui reçoit son sang des artères ophthal- miques, et qui le conduit dans. les lacunes des côtés du thorax dont nous avons déjà parlé. En outre, une rigole sous-cutanée, la rigole tergale médiane, ramène le sang en ligne directe au pédoncule abdominal. Cette rigole recoit son sang en partie de la lacune ophthalmique, mais principalement de lacunes médianes profondes ; elle s’élargit momentanément à une place ou à l’autre, et c'est à ces points que les corpuscules sanguins émergent de la 272 CLAPARÈDE. profondeur. Le sang est déversé dans ces lacunes médianes par la branche interne et ascendante de l'artère du protognathe. I ne me reste plus maintenant, pour compléter ce tableau de la circulation chez les Lycoses, qu'à décrire la marche du sang dansles pattes. On voit facilement les artères pédieuses et l'artère du deutognathe dont nous avons parlé plus haut pénétrer dans les extrémités. Chaque artère a ses parois distinctes et ses pulsa- tions régulières; on la poursuit aisément à travers le coxopodite et le basipodite jusqu'au milieu du méropodite. À partir de ce point, je n'ai jamais réussi à reconnaître ni ses parois, ni ses pul- sations. Le sang artériel semble, au premier abord, dans les articles suivants se mouvoir seulement dans les lacunes inter- musculaires. Il paraît immédiatement juxtaposé au sang veineux qui se meut en sens inverse, sans que les deux courants semblent jamais se contrarier l’un l’autre. L’artère, aussi longtemps qu’elle a des parois propres, occupe le centre de la patte, et se trouve baignée de tous côtés par le courant veineux. Mais à partir du milieu du méropodite, le courant artériel occupe le côté de flexion et le courant veineux le côté d'extension. On ne tarde pas à reconnaître qu'une petite partie seulement du sang amené dans la patte par l’artére pénètre jusqu’à l’extré- mité du membre. La plus grande partie des corpuscules du sang a déjà passé dans le courant veineux sans pénétrer aussi avant dans la patte. Une étude attentive enseigne d’ailleurs bientôt que le passage des globules sanguins du courant artériel dans le cou- rant veineux a lieu à des places parfaitement déterminées. Celles-ci sont au nombre de cinq, et se présentent sous la forme de taches circulaires ou plutôt ovalaires lorsqu'on examine le membre par le côté de flexion ou par celui d'extension. La pre- mière est située tout auprès du bord périphérique du méro- podite’; la seconde occupe une position toute semblable dans le carpopodite ; la troisième est placée dansle propodite, mais à une distance un peu plus grande de son extrémité périphérique ; la quatrième appartient au premier dactylopodite, mais se trouve relativement encore plus éloignée du bord périphérique de cet article ; enfin la cinquième est placée à peu près au milieu de la CIRCULATION DU SANG CHEZ LES ARANÉES. 273 longueur du second dactylopodite. Ces taches claires, à contour parfaitement net et franc, sont des ouvertures dans une mem- brane qui sépare le courant veineux du courant artériel. Si l’on fixe l’une de ces ouvertures, par exemple l’orifice du propodite, tout en faisant attention à la manière dont se comporte à ce point le courant artériel, on remarque qu'une partie des corpuscules sanguins continuent leur chemin directement pour passer dans le dactylopodite, mais que quelques-uns cependant , arrivés au niveau de l’orifice, s’y engagent, passent dansle courant veineux, et reviennent avec lui dans une direction opposée à celle qu'ils suivaient d’abord. La même chose se passe pour chacun des autres orifices. Ces orifices artério-veineux des pattes ont exactement le dia- mètre des corpuscules du sang. Quelques-uns de ceux-ci ont même de la peine à les traverser ; on les voit s'arrêter subitement au passage dans l'ouverture qu'ils oblitèrent en entier; ils parais- sent osciller quelque temps dans le cadre membraneux qui les enserre, puis tout d’un coup Febstacle étant surmonté, ils passent vivement dans le courant veineux. Il est naturel de se demander quelle est la nature de cette membrane dans laquelle les orifices artério-veineux sont prati- qués. Je n’ai jamais pu y reconnaître qu'une simple membrane amorphe, cloison délicate qui divise le calibre de la patte en deux cavités parallèles. Il y aurait donc ici une disposition parfaitement semblable à celle que j'ai décrite ailleurs pour les extrémités des Læmodipodes (1); dans ce cas, l'artère pédieuse viendrait dé- boucher dans la cavité artérielle, vers le milieu du méropodite. Il peut se présenter cependant une autre interprétation ; l'artère pourrait pénétrer jusqu'à l’extrénuté du membre comme on l’admet d'ordinaire, et dans ce cas les orifices que j'ai décrits seraient pratiqués dans la paroi de ce vaisseau. Si je neme range pas à cette hypothèse, c’est parce que je n'ai jamais aperçu ni les parois, ni les pulsations de l'artère au delà du milieu du méro- podite. Le carpopodite et le basipodite dans lequel l'artère est distincte paraissent ne présenter aucun orifice artério-veineux. (1) Beobachtungen, ete., p. 101. 97h CLAPARÈDE. J'ai examiné comparativement la circulation des pattes du Phoicus phalangioides chez des individus presque adultes. Les rapports du courant artériel et du courant veineux sont les mêmes que chez les Lycoses. Malheureusement la transparence de ces extrémités, quelque grande qu'elle soit, n’est pas suffisante pour qu’on puisse reconnaitre les orifices artério-veineux. Je puis seulement dire que chez ces Arachnides l'artère pédieuse m'a paru se prolonger au moins jusqu'à l'extrémité du mésopodite, c’est-à-dire plus loin que chez les Lycoses. Telle est la circulation du sang chez les Araignées du genre Lycose ; elle est essentiellement lacunaire, comme Dugès et M. Blanchard l'ont justementreconnu. À une époque récente, ce dernier a, il est vrai, revendiqué en faveur des Arachnides un système circulatoire beaucoup plus complexe qu'il ne l'avait fait dans le principe. Il figure en particulier dans son Organisation du règne animal une richesse de réseaux vasculaires inattendue dans tous les tissus des Araignées. Des rameaux veineux sont censés reprendre le sang de ces réseaux capillaires, etle déverser dans les lacunes imterorganiques. Jose affirmer que ces réseaux n'existent ni comme vaisseaux, ni Comme lacunes. Rien de plus inexact, par exemple, que les réseaux figurés par M. Blanchard dans l’intérieur des muscles, en particulier dans les muscles des pattes. Ces muscles sont, il est vrai, baignés par le sang des lacunes, mais jamais un seul globule sanguin ne pénètre entre les fibres d’un muscle. Il est possible, j'en conviens volontiers, que, chez les Araignées adultes, le système sanguin soit un peu plus complexe que chez les jeunes individus qui n’ont pas encore subi leur première mue ; toutefois cette augmentation de complica- tion ne va certainement pas jusqu'à faire apparaître des réseaux dans les organes. On peut s'en convaincre par l'étude de la cir- culation dans les pattes de Pholcus à peu près adultes. Il est en effet facile de reconnaître dans ces pattes qu'il n'existe qu’un seul : courant artériel et un seul courant vemeux sans ramification aucune. MÉMOIRE SUR DES CRUSTACÉS RARES OÙ NOUVEAUX DES COTES DE FRANCE, Par M. HESSE. 4° ARTICLE, SACCULINIDÉS. Nous nous voyons forcé, par la difficulté que nous éprouvons de nous procurer le mémoire que M. Thorell a publié sur les Crustacés parasites qui vivent dans l'intérieur des Ascidies, dont nous avons absolument besoin pour comparer les espèces qu'il a décrites avec celles que nous avons découvertes, et pour éviter des doubles emplois, dè différer la publication des recher- ches sur le même sujet, que nous avons commencée dans un précédent article, Jusqu'à ce que nous ayons pu consulter de nouveau cet intéressant travail que nous n'avons eu qu'un instant à notre disposition. En attendant, nous allons nous occuper de deux Crustacés appartenant à la famille des Sacculinidés, laquelle renferme cer- tainement les parasites les plus singuliers que lon ait encore découverts. Le premier que nous décrirons est le Sacculina Carcini, qui a déjà été étudié par de nombreux naturalistes, dont nous ne con naissons les noms et les travaux que par l'analyse succincte qui nous en à été donnée par M. le professeur Van Beneden (1) ; l’autre n'a pas été décrit : il appartient au genre Peltogaster ; nous le désignerons sous le nom de tau (+), à raison de sa forme qui à de la ressemblance avec celle de cette lettre de l'alphabet grec. (4) Voy. La littérature des recherches sur la faune du littoral de la Belgique, p. 108. 276 HESSE, C’est surtout en étudiant les métamorphoses de ces singuliers Crustacés, que l’on sent l'indispensable nécessité de suivre pas à pas leurs évolutions embryonnaires, et l'impossibilité de faire des travaux complets si l’on n’a pas été témoin des transforma- tions qu'ils subissent. Celles dont nous allons parler sont des plus bizarres et des plus inattendues, et en ne connaissant qu'un des termes de ce singulier problème on ne se douterait jamais de la solution de l’autre. Qui pourrait, en effet, croire qu'un petit embryon qui ressemble à la larve d’un Caligien, finirait par pro- duire une masse inerte et presque informe comme celle des Sacculinides, ou que cet être, qui n'a absolument rien d'un Crustacé, commencerait par être un embryon assez agile, pourvu de moyens de locomotion qui ne sont propres qu'à des individus appartenant à des classes d’une organisation infini- ment plus élevée? SACCULINA CARCINI Rathke (1), Bien que ce Crustacé jouisse d’une assez grande contractilité et que, par conséquent, il puisse s’allouger ou se raccourcir dans tous les sens, il n’en est pas moins constant qu'il conserve ordi- nairement une forme qui lui est particulière, et qui, vue de profil, est à peu près celle d’un triangle renversé, ayant sa base en haut et son sommet en bas, et tous ses angles arrondis. Les deux pointes latérales sont : l’une horizontale; l’autre, qui est plus mince, est légèrement relevée ; celle qui sert de base est appuyée au milieu sur un tube gros et court, qui est ter- miné par un disque rayonné, en forme de ventouse, d’un tissu membraneux et corné. Un peu au-dessous du bord supérieur, à peu près au milieu du corps, se trouve un orifice arrondi et saillant muni d’un pour- tour en relief, dentelé et contractile, qui, à l’aide d’une sorte de sphincter, peut se fermer complétement ou s'ouvrir considéra- blement de manière à constituer une large fente verticale dont 4) Planche 49, fig. 4. CRUSTACÉS PARASITES. 9277 les lèvres se retournent sur elles-mêmes (1). Cet orifice peut, par suite des mouvements de contraction dont nous avons parlé, changer facilement de place et se trouver tantôt au milieu du corps, tantôt à sa partie supérieure (2); mais 1l est à remar- quer qu'il est toujours en dedans gt tourné du côté du thorax du Crustacé sur lequel 1l est placé. Le corps de cet animal est recouvert en entier d’une peau parcheminée, glabre, ridée, rugueuse, très-épaisse et difficile à déchirer. Elle lui sert de première enveloppe (3), et, sous ce rap- port, elle remplit les mêmes fonctions que celles des Ascidies. Les plis nombreux qu’elle présente et qui se font surtout remarquer aux sommets des angles supérieurs, sont le résultat des con- tractions qu'elle subit. Cette première enveloppe est suivie d’une deuxième qui est très-mince, transparente et sert à renfer- mer les œufs et la partie viscérale de ce parasite. Les œufs ont en outre un involucre particulier dans lequel il n’existe qu'un seul vitellus, et de plus, ils sont contenus dans des canaux musculeux, d’une très-grande ténuité, qui sont extrêmement serrés, et comme feutrés à leur base, et vont en s’'épanouissant et se dichotomant à leur extrémité, ce qui leur donne l’äspect d'un flocon laineux qui semble entourer une cavité, de laquelle nous avons fait sortir, par la compression, deux corps blancs, ovales, assez gros, de dimension différente et d’une assez grande densité, qui, pressés eux-mêmes, ont laissé échapper d’autres corps ovales aussi, mais mfiniment plus petits, qui étaient termi- - nés par des tubes grèles et assez courts. Quels étaient ces corps ? Les deux premiers sont-ils les testicules dont parle Thompson, et les autres sont-ils des spermatozoaires ? C’est ce que nous ne saurions décider. Nous avons également constaté que la cavité dont nous venons de parler, était suivie d'un tube assez long dont nous n'avons pu ni voir ni déterminer le trajet. Les œufs de ce parasite sont, eu égard à sa taille, d'une dimension extrêmement petite, qui échappe à la vue et ne (1) Fig. 4 et 2. (2) Fig. 2. (3) Fig. 1. 278 HESSE, s'aperçoit qu'à l’aide de la loupe ; cependant lorsqu'ils sont accumulés en grand nombre on les prendrait, à leur couleur jaune sale, pour un amas de sable. Le corps du Sacculina est tellement rempli d'œufs que l’es- pace qui reste pour les autres organes doit se trouver très- restreint. Nous avons été témoin de leur ponte ou pour mieux dire de leur expulsion. Pour nous en rendre compte, nous avons placé dans un vase rempli d’eau de mer, le Crustacé et son parasite, et nous l’avons tourné au jour de manière à voir très-distinctement sur le ciel, le profil de l’orifice médian dont nous avons parlé. Nous avons alors constaté qu'un courant très-actif d'aspiration et d’expira- tion occasionné par la dilatation ou la contraction de cette ouver- ture se manifestait, et que l’eau, en entrant ou en sortant de cette cavité, entrainait avec elle les œufs dont les uns étaient éclos et d’autres ne l’étaient pas; on voyait aussi des portions assez considérables de tubes remplis d'œufs expulsées par la même impulsion, qui se renouvelait alternativement à des inter valles très-rapprochés. Les embryons, lorsqu'ils ‘sont encore contenus dans leur enveloppe, sont composés de cellules arrondies de méme dimen- sion et paraissant couvertes de vaisseaux ramusculeux. A la sortie de l'œuf (1) ils sont pourvus de trois paires de pattes robustes, biramées et ciliées comme dans les Caligiens ; l'abdo- men est en outre dilaté à son extrémité, et pourvu de tenta- cules arrondis dépourvus de cils. En dessous on aperçoit, non loin du bord frontal, un point oculaire rouge et diffus, et, plus bas, la bouche qui se trouve à l'extrémité d’un rostre con- tractile. Dans les métamorphoses qui suivent (2), nous avons cru aper- cevoir que les pattes étaient remplacées par des appendices larges et foliacés, qui entourent l'abdomen et laissent l’ouver- ture buccale au centre de cette enceinte, qui semblerait destinée à former la base de la ventouse dont nous avons parlé. (4) Fig. 8, 4. (2) Fig. 5. CRUSTACÉS PARASITES. 279 Cet organe est, comme nous l’avons dit, composé d’un tube parcheminé court, assez gros et annelé, terminé par un disque rayonné, en forme de ventouse, et bordé d’un cercle et de stries cornées qui en consolident l’ensemble. C’est par cet orifice que s'opère la succion qui sert à alimenter ce parasite. Quelques naturalistes ont pensé qu’elle pouvait avoir lieu par l'ouverture de laquelle nous avons vu sortir les œufs, et ont cru que cet orifice était la bouche de ce parasite; mais il nous sera facile de démontrer qu'ils se trompent, en faisant remarquer qu'elle n'est environnée dans son pourtour, que de substances molles et conséquemment incapables d'opérer une perforation ou une mastication énergique. Or, si l'on considère que cette issue est précisément tournée du côté du sternum du Crustacé sur lequel il vit; que, dans cette situation toutes les parties de la ca- rapace qu'il peut atteindre, sont des plus robustes et ont une épaisseur telle qu'il lui serait impossible de les entamer ; on voit évidemment, que cette supposition est inadmissible. C’est donc bien par cette ventouse que-*s’opère la succion ; cependant, pour expliquer comment elle s'exécute, nous sommes réduits à recou- rir aux suppositions, car nous ne savons rien de précis à cet égard. En disséquant avec précaution le point d'attache qui réunit le parasite au Crustacé sur lequel il vit, nous nous attendions à y rencontrer des races dans le genre de celles qu'émettent, en pareille occurrence, les polypes et les fongus, pour les animaux, ou certains cryptogames et végétaux pour se fixer sur les plan- tes (1); mais nous n'avons rien aperçu de ce genre: il nous a paru, au contraire, qu'il existait entre le parasite et sa victime une solution de continuité qui nmdiquait un tout autre ordre de choses ; nous avons pensé alors que la bouche de ce parasite étant placée dans ce tube, elle y exercçait, à l’aide d’une conformation qui lui était propre, une succion qui appelait à elle les substances qui lui étaient nécessaires pour sa nourriture; aspiration que du reste la forme de cette ventouse tend à faciliter. (4) Le Gui, l'Orobanche, la Guscute, etc. 280 DESSE, Cette supposition nous paraît d'autant plus admissible, que cette manière de vivre est usitée chez tous les Crustacés suceurs qui n'ont pas d'autre moyen de prendre leur nourriture; nous avons d’ailleurs constaté une perforation qui existe à la base de cette ventouse, et qui est sans doute destinée à laisser passer les substances qui y sont attirées par les aspirations de la bouche. D'après ce qui précède, il est facile de voir que les Crustacés que nous décrivons doivent former une catégorie bien distincte, non-seulement à raison de leur conformation exceptionnelle, mais encore de leur manière de vivre, qui les éloigne de tous ceux auxquels on pourrait les comparer. Ils diffèrent en effet des Crustacés mobiles, précisément par l'impossibilité où ils sont de changer de place; et de ceux qui sont fixés à demeure, comme les Lernées par exemple, à raison du mode tout particulier de leur adhérence. Les Lernées émettent, comme on le sait, un système radici- forme destiné seulement à les maintenir dans l'arcade branchiale des Poissons ; mais ces racines ne sont pas, comme celles des plantes, des organes qui servent à la nutrition, elle s'opère par la bouche qui est profondément enfoncée dans les chairs et y puise tous les fluides nécessaires à l'alimentation. On ne saurait non plus les mettre sur la même iii que les Cirrhipèdes qui, quel que soit leur mode de fixation sur les Cétacés où sur les corps immobiles ou flottants, s’en servent seu- lement comme de points d'appui, mais ne les mettent nullement à contribution pour leur existence. Telles sont les observations qu'il nous a été donné de faire sur ce singulier parasite ; nous avons essayé à plusieurs reprises de le conserver vivant pour en suivre les métamorphoses; mais il arrivait presque toujours que le Crustacé sur lequel il était fixé mourait avant que nous ayons pu obtenir ce résultat, et que cet accident ne tardait pas à faire périr aussi son parasite. C'est du reste, pour ceux qui en sont atteints, une affreuse cala- mité, qui se manifeste visiblement par des indices de souf- france qu'il est facile de constater. Nous avons remarqué que les Crustacés qui nourrissent ces parasites sont errants et comme CRUSTACÉS PARASITES. 281 poursuivis par cet ennemi intime dont ils ne peuvent se débarras- ser ; leur allure décèle l'inquiétude, les femelles ne portent pas leurs œufs, et dans l’un ou l’autre sexe ils tiennent toujours avec une certaine appréhension leur abdomen soulevé, en ayant l'air de craindre de presser leur parasite dont le moindre froissement activerait peut-être la succion, ou serait puni d'une terrible représaille ; on les voit, à cet effet, marcher sur le bout de leurs pattes, de manière à éviter le contact du sol, et toutes les fois que l'on comprime leur parasite, les mouvements de celui qui le porte redoublent d'activité, comme si l’on avait touché à un endroit des plus sensibles. Nous ne l'avons rencontré que sur le Cancer mœænas, bien que d'après ce qui a été observé par plusieurs naturalistes, il habite d'autres Crustacés. La coloration du Sacculina Carcini varie du jaune plus ou moms vif au brun rougeàtre; on remarque souvent une tache noire sur un côté, laquelle paraît due au contact du parasite avec le Crustacé sur lequel il vit. La couleur jaune pâle est aussi celle des œufs et des embryons, elle est également celle des jeunes ; elle ne devient plus foncée que chez les adultes. PELTOGASTER TAU (1). Ce parasite est de petite taille ; il a la forme d'un T dont le Jjambage d'en bas serait très-court; son corps se compose de deux tiges cylindriques qui se coupent à angles droits, dont l’une, qui est horizontale, a 5 millimètres de longueur sur 4 mil- limètre de largeur ; et l’autre, qui est verticale et qui sert de soutien à la première qu'elle partage en deux portions de lon- gueur inégale, n’a que 1 millimètre de hauteur et se trouve placée aux deux tiers de sa longueur transversale. Le corps entier est recouvert d'une peau parcheminée trés- résistante et transparente, au travers de laquelle on aperçoit les œufs qui sont relativement assez gros et entassés sans ordre, (4) Fig. 14. 282 LESSE. dans toute son étendue, à l'exception toutefois des extrémités horizontales et verticales du dessous et du pourtour du corps, qui restent transparentes et offrent une marge inoccupée, ce qui prouve péremptoirement que la masse ovaire est d’abord con- tenue dans une première enveloppe qui la maintient et l'empêche d'être immédiatement en contact avec celle du dessus. On remarque dans le vide qui se trouve au-dessus du corps, un cordon nerveux qui parait destiné à provoquer les mouve- ments de soulèvement et d'abaissement qui se manifestent fré- quemment dans les deux extrémités horizontales. On voit en outre que la masse entière du corps est soumise à des mouve- ments péristaltiques et ondulatoires qui font que tantôt une de ses parties se tuméfie considérablement et qu’elle se contracte ensuite d'une manière très-apparente, de sorte que les parties les plus minces deviennent les plus grosses, et successivement les plus larges les plus étroites. En dessous de ce cordon nerveux s'aperçoit, par transparence, une sorte de petite protubérance qui paraît divisée par des lignes verticales qui la font ressembler à l'orifice anal que l’on remarque dans les Sacculinides. Celle-ci est-elle pourvue d'un orifice comme l'autre ? C’est ce que nous ne sauriors dire, nous n'avons, du reste, pas pu constater de perforation au-dessus d'elle, dans la peau qui sert d’enveloppe au corps, de sorte que nous sommes très-incertain sur les fonctions qu'elle peut remplir. Lorsque l’on regarde ce Peltogaster du côté du dos, on aper- çoit que la masse ovaire est divisée en deux parties par un con- duit qui va d'un bout à l’autre du corps. C’est peut-être le tube intestinal? Et si l’on examine ensuite ce parasite en dessous, on remarque que la ventouse buccale est entourée d’un bord corné, et qu à sa base rayonnent, plus en long qu'en travers, des ner- vures qui sont destinées à la consolider et aussi à favoriser les mouvements de contraction ou d'extension du corps. L'ouverture de la ventouse buccale (1) nous a montré un ori- (4) Fig. 1. CRUSTACÉS PARASITES. # 283 fice médian bien caractérisé, qui, examiné à la loupe, a 4 milli- mètre et demi de diamètre et est rempli d’une matière dont il nous a été impossible de préciser la nature. Autour de cette ouverture existe un bourrelet circulaire, inscrit dans une marge de la même forme et comprise dans un bord saillant et plissé terminant et renfermant dans cette triple enceinte toutes ces divisions concentriques. Sachant tout l'intérêt qui s'attache à connaître les moyens à l’aide desquels ces parasites opèrent leur nutrition, nous avons dû chercher avec soin à les découvrir. A cet effet, nous avons éli- miné successivement et en nous rapprochant le plus possible de l’orifice buccal, toutes les parties qui y étaient étrangères; mais, malgré toutes nos précautions, nous n'avons pu le faire d’une manière assez précise pour que nous ayons distingué suffisam- ment ce qui appartenait, en propre, à chacun des individus que nous avions à isoler, de sorte que nous sommes resté dans un doute que nous commande la crainte de commettre une erreur ; cependant nous sommes disposé à penser qu'aucun système radiciforme n'est émis par le parasite dans le sein de son hôte, et que c'est par un appareil de succion que son alimentation s'effectue. En examinant la peau du Pagure sur lequel s'étaient fixés ces parasites, et que nous avions rendue parfaitement transparente par l'ablation des viscères qu'elle contenait, nous avons facile- ment reconnu l'endroit qu'ils avaient occupé par l'impression, très-visible, de leur ventouse dont le contour du cercle extérieur était représenté par une large marge circulaire frangée et en relief, encadrant une légère excavation cupuliforme, tapissée d’un diaphragme mince et strié, au milieu duquel se trouve une ouverture irrégulière dont les bords étaient frangés comme s'ils étaient le résultat d’une déchirure ; il paraît très-probable que c’est par cette ouverture que s’établissent les relations qui existent entre le Pagure et son parasite. Il ne nous reste plus, pour terminer la description du Corps de ce Peltogaster, qu'à faire celle des deux extrémités de la tige horizontale. 28h BESSE. L'une d'elles est, comme nous l’avons dit, d'un tiers plus courte que l’autre. Nous avons pensé d’abord, avant que nous ayons pu examiner la structure de la ventouse, que la bouche pouvait bien y être placée; et, en effet, nous remarquions qu'elle prenait un aspect cuniforme et qu'elle s’abaissait fréquemment sur le corps du Pagure, comme si elle voulait y puiser sa nourri- ture ; et nous constations que, dès que le contact avait lieu, 1l se manifestait chez ce Crustacé un mouvement de tressaillement et un abaissement de la partie touchée, semblant indiquer un sentiment de douleur occasionné par une piqûre où par une morsure ; il cherchait même, à l’aide de son avant-dernière patte thoracique, à saisir son parasite et à s'en débarrasser ; mais quelque som que nous ayons pris pour nous en assurer, Nous n’avons Jamais pu constater la trace de la moindre lésion faite à la peau ; nous sommes donc resté persuadé que ce mouvement était dû à une autre cause et coïncidait peut-être avec une accé- lération dans celui de la succion opérée par la ventouse, et qui pouvait être douloureux pour le Pagure. L'autre extrémité du corps reste, par contre, presque toujours éloignée du Crustacé sur lequel vit ce parasite; elle est égale- ment susceptible d'un grand nombre de modifications résultant de sa contractilité, et, ainsi que celui-ci, on la voit tantôt former une sorte d'ouverture circulaire et dentelée, comme une ventouse, tantôt émettre une sorte de tube ou de protubérance pointue ou arrondie au bout ; enfin, elle est quelquefois striée de rides parallèles, ou elle présente l'aspect d'un orifice dont les bords sont contractés. Ces deux extrémités sont-elles terminées par des ouvertures ou sont-elles simplement des impasses ? C'est ce que nous ne pouvons affirmer ; toutefois nous avons cru voir que l'extrémité la plus longue, celle dont nous venons de parler, exerçait une sorte d'aspiration, et il nous a paru que les objets d'un très-petit volume qui étaient en suspension dans l'eau près d'elle, obéissaient à cette attraction et entraient et sortaient de cet orifice; mais ce mouvement était-il dù à l'existence d'une ouver- ture ou à l'aspiration ou à l'expiration produites par l'allongement ou la contraction de ce tube? C’est ce que nous ne saurions affir- CRUSTACÉS PARASITES. 285 mer ; toutefois nous devons dire que les deux extrémités du corps sont également susceptibles de modifications dans leur forme, et que, par suite, il est impossible de leur en assigner une qui soit constante. Les œufs sont, comme nous l'avons dit, relativement tres- gros, et en cela ils se distinguent de ceux des Sacculinides, qui sont au contraire très-petits et composés de granulations de la même dimension et de la même couleur, ce qui n’a pas lieu dans ceux de notre Pellogaster, où ils sont d’inégale grosseur, et où il y en a de blancs, de jaune pâle et de jaune foncé. La place de l'œil est indiquée par une tache rouge diffuse. Il n’y a qu’un vitellus dans chaque œuf, et leur enveloppe ressemble à celle des œufs de Mol- lusques, et elle est seulement déformée en certains endroits, pro- bablement par la compression; les globules dont ils sont com- posés sont très-résistants, et bien que désagrégés de la masse, ils n'en conservent pas moins leur sphéricité. Les œufs ne sont pas non plus enfermés dans des tubes ovifères, comme dans l’autre espèce ; ils sont entassés sans ordre dans une enveloppe qui leur est commune. < Dans une période de transformation plus avancée, l'embryon prend la forme qu'ont d’autres Crustacés parasites (1); il est pourvu de trois paires de pattes natatoires biramées, très-larges, très-plates et terminées par une pointe accompagnée de cils ; enfin la bouche se montre à l'extrémité d'un tube proboscide, et, chose bien digne de remarque et sur laquelle nous devons appeler l'attention, c'est que tous ces globules colorés en blanc, en jaune et en orangé qui remplissaient le corps de l'embryon, lorsqu'il était encore à l’état d'œuf et renfermé dans son enve- loppe spéciale, ont été, pour ainsi dire, l’objet d’une résorption presque complète, puisqu'on n’en rencontre plus que quel- ques-uns épars, à d'assez grandes distances l’un de l’autre, tandis qu'ils se touchaient auparavant. Comment expliquer ce fait qui nous parait très-curieux, si l’on ne considère pas ces utricules comme étant remplies d’une substance qui, na- (1) Fig. 13 et 44. 5° série. Zoo. T. II. (Cahier n° 5.) 3 19 286 HESSE. turellement, à sa raison d'être et son emploi détermimé et qui est destinée aux mêmes usages que ceux du jaune, dans les œufs des ovipares, c’est-à-dire à servir de nourriture à l’em- bryon. Nous devons signaler encore un autre fait qui démontre chez ceux-ci une extrème vitalité : c’est que l’incubation, ou pour parler plus exactement, {a période de transformation, n'est pas totalement suspendue par l'extraction des œufs du milieu dans lequel ils avaient été placés pour parcourir toutes ces phases ; nous les avons vus, en effet, continuer à se développer successi- vement pendant une dizaine de jours, au bout desquels ils ont été envahis par une sorte de moisissure qui en a déterminé la dést rganisation. Les mouvements de l'embryon sont très-lents et ne se déceèlent que par le soulèvement alternatif des pattes natatoires, et par des contractions viscérales ; mais peut-être sont-ils plus actifs lors- qu'ils se trouvent dans des conditions plus favorables que celles dans lesquelles nous les avons observés. Le Peltogaster tau est d'un beau rouge vermillon ; une marge transparente existe tout autour de son corps et se fait remarquer à ses extrémités et au pédoncule de sa ventouse, qui est entourée d'un cercle corné de couleur brune. Il habite sur l'abdomen des Pagurus pubescens et Bernhardus, sur lesquels 1l n’est ni rare, ni commun. On en trouve géné- ralement plusieurs fixés l’un à côté de l’autre et dans le même sens, mais je n'en ai jamais vu plus de quatre et quelquefois qu'un seul sur le même individu (4). Ils se placent de manière à éviter les atteintes du Crustacé aux dépens duquel ils vivent, et, à cet effet, ils choisissent de préfé- rence la partie supérieure et moyenne de l'abdomen qui est hors de la portée des pattes thoraciques, lorsque surtout le Pagure se trouve renfermé dans la coquille d'emprunt qu’il a choisie pour l'habiter. L'étude de ces parasites nous a suscité des difficultés, contre (1) Fig. 12. CRUSTACÉS : PARASITES. 287 lesquelles nous voulons prémunir ceux qui, après nous, vou- dront ou vérifier ou continuer nos observations. Dans l'intention de les étudier avec plus de facilité, nous avons pensé qu’il était mdispensable d'extraire de sa coquille le Pagure sur lequel ils étaient fixés, et nous les renfermämes, à cet effet, l’un et l’autre, dans un vase rempli d’eau de mer, espérant qu'en nourrissant le Pagure, nous verrions les œufs dont ses parasites étaient abondamment pourvus, suivre toutes les périodes de l'in- cubation, que l’éclosion s'ensuivrait,et qu'enfin nous assisterions au parcours complet des phases embryonnaires. Malheureu- sement nos prévisions ne se réalisèrent pas. Une fois le Pagure libre de ses mouvements, qui auparavant étaient limités parl'exi- guité de son domicile, il était parvenu, à l’aide probablement de ses dernières pattes thoraciques, à détacher ses parasites, et usant à leur égard d’un juste droit de représailles, 1l les avait dévorés. Averti par ce qui venait de nous arriver, nous résolûmes d'employer un autre moyen, qui consistait à enlever au Pagure ses deux premières pattes, qui, étant pourvues de fortes pinces, étaient les plus redoutables’ Ce moyen ne nous réussit pas encore; l'épanchement des sécrétions occasionnées par ces mutilations ne tarda pas à corrompre l’eau et à faire périr le Pagure et son parasite. Nous croyons donc, et nous comptons employer ce moyen lorsque nous aurons réussi à nous en pro- curer d’autres, qu'il faudrait ne pas le retirer de la coquille, dans laquelle il ne peut rien contre les douloureuses hostilités de son hôte, et, en le nourrissant, attendre patiemment l'éclo- sion des œufs du Peltogaster pour en observer les transfor- mations. EXPLICATION DES FIGURES. PLANCHE 19 A. Fig. 1. Sacculina Carcini, amplifiée de deux fois et demie, montrant son orifice anal au haut du corps et sa ventouse buccale en bas. Fig. 2, La mème, moins grossie, représentée fixée sur l'abdomen d’un Cancer mænas. 288 HESSE. Fig. 3 et 4. Embryons à diverses phases de leur développement. Fig. 5. Embryon montrant les plaques qui succèdent aux pattes, et qui forment une enceinte autour de la bouche. Fig. 6, 7, 8, 9 et 10. Pattes ou portions de pattes très-amplifiées. Fig. 11. Peltogaster tau, amplifié, d'environ douze fois, vu de profil, montrant sa ven- touse, buccale et en dessus (son orifice anal?). Fig. 12. Pagure sur l'abdomeu duquel on voit des Peltogaster tau dans la position qu'ils occupent ordinairement. Fig. 13 et 44. Embryons du même, très-grossis. Fig. 15. Extrémité d’une patte d'embryon. Fig. 16. Extrémité du corps du parasite. MÉMOIRE SUR LES GENRES LIRIOPE ET PELTOGASTER Rare, Par M. W. LILLIEBORG, Professeur de zoologie à l’université d’'Upsal (1). Ces deux Crustacés parasites, appartenant à des sous-classes différentes, sont déjà connus depuis longtemps. Ils ont été trouvés ensemble, et par suite de cela on a quelquefois présumé qu'il existait entre eux un rapport d’affinité intime. Mais, man- quant d'observations directes, on n’a pu décider cette question, et l’on s’est trouvé par conséquent dans un grand embarras en voulant les classer d’une .manière nette et précise. Ayant fait en 1858 un voyage scientifique en Norvége, j'ai eu l’occa- sion de découvrir le vrai rapport entre ces deux animaux, de voir l'animal maternel du premier, de connaître les formes primitives de son développement, et enfin d’en décider la classi- fication avec plus de netteté. Ayant aussi acquis quelques con- naissances de plusieurs formes du Pellogaster, je me suis pro- posé de faire part de mes observations pour débrouiller ce sujet, qui jusqu’à présent était resté plongé dans les ténèbres. Mais avant de toucher à la description, je veux premièrement jeter un coup d'œil sur la manière dont on a traité ce sujet auparavant. Le professeur H. Rathke séjourna pendant l'été de 1839 en (1) En insérant dans ce recueil le mémoire précédent sur les Peltogaster et les Sacculinés, par M. Hesse, nous avons cru devoir placer sous les yeux des lecteurs des Annales un travail sur le même sujet, qui a été publié, il y a quelques années, en Suède, par M. Lilljeborg, et qui n’est que très-peu connu en France. Ce mémoire a paru dans le traisième volume des Acta nova Regiæ Societatis scientiarum Upsaliensis (1862), et a été rédigé en français par son auteur, circonstance qui explique l'emploi de diverses locutions peu usitées ici. Nous reproduisons les principales figures qui accompagnent cette publication intéressante. (M. E.) 290 LILLJEBORG. Norvége, et y trouva sur l'abdomen du Carcinus mænas (A) et du Pagurus Bernhardus deux animaux vermiformes et parasites, qui, selon sa pensée, étaient inconnus jusqu'alors. Il croyait qu'ils appartenaient à la classe des Entozoaires, mais point au groupe des Trématodes, quoique offrant quelques analogies avec eux quant à leur forme extérieure. Il en forma un nouveau genre qu'il nomma Peltogaster (2), et qu'il décrivit en 1841 dans ses Reisebemerkungen aus Skandinavien (insérées dans les Weueste Schriften der Naturforschenden Gesellschaft in Danzig, t. IX, p. 105-111); et plus tard il en donna une description plus détaillée dans ses Beitrage zur Fauna Norwegens, publiées dans les Acta Acad. Cæsareo-Leopold, nat. eurios., t. XX, p. 241. Dans la cavité digestive de l’un d'eux (Peltogaster Paguri), le même auteur trouva huit petits Crustacés, presque d’une ligne de lon- gueur, qu'il croyait appartenir à l’ordre des Amphipodes, et en fit la description comme d’un nouveau genre et d’une nouvelle espèce sous le nom de Liriope (3) pygmæa (p. 60-63 du susdit tome des Acta Leopoldina), prétendant qu'ils étaient auparavant inconnus. Cet Amphipode présumé ne vivait pas, d’après son idée, comme parasite dans le Peltogaster Paguri, mais il l'envi- sageait comme dévoré par ce dernier. Quoique M. Rathke ait le mérite d’avoir, le premier, d’une manière plus détaillée, fait la description et le dessin de la Liriope et du Peltogaster, il n’est pourtant pas le premier qui en ait parlé. En traitant ce sujet dans le Oversigt over det Kongl. Danske Widenskabernes Selskabs Forhandlinger (1854, p. 115-148), le professeur J. Steenstrup remarque que ces animaux, ou d’autres qui leur ressemblent, ont été déjà décrits, en 1787, par un Ita- lien nommé Philippo Cavolini, dans son Memoria sulla genera- zione dei Pisci e dei Granchi (Napoli), traduit en allemand, en 1792, par E. A. W. Zimmermann, sous le titre de : Philipp (1) Il avait déjà une fois trouvé cette espèce sous l'abdomen d’un Carcinus mænas trouvé dans la mer Noire. (2) De Tékrn, bouclier, et yz67%9, ventre, parce que l'organe d’accrochement du Peltogaster présente un petit bouclier corné sur la partie inférieure du corps. (3) Nom mythologique. GENRES LIRIOPE ET PELTOGASTER. 291 Cavolini's Abhandlung über die Erzeugung der Fische und der Krebse. Après avoir comparé les descriptions et les figures de Rathke et de Cavolini, Steenstrup a montré que Cavolini a le mérite d'avoir le premier exposé à quelle classe appartiennent ces Pellogastri, que Rathke envisageait mal à propos comme des Vers énigmatiques, en les attribuant à la classe des Crustacés. Ceci une fois établi, l'idée vint à M. Steenstrup (p. 155-158) que le Liriope de Rathke (qui ressemble à un petit Crustacé, que Cavolini appelait Oniscus squilliformis, Pallas, et qu'il trouvait être développé d’une partie, probablement sacciforme, étant attachée au ventre d’un Cancer, par conséquent comme para- site) n'était pas dévorée par le Peltogaster, mais qu’elle était ou un Crustacé parasite, approchant des Bopyrides, qui vivait dans le Peltogaster, ou plutôt une larve du Peltogaster, qui y avait par conséquent sa place naturelle; et que le Peltogaster, à cause de la forme distinctive de la Liriope, était donc un Isopode appartenant à la famille des Bopyrides. Quoique cette suppo- sition de Steenstrup parût très-vraisemblable, elle fut pourtant plus tard abandonnée par lui-même (loc. cit., p. 214), par suite des observations de O. Schmidt, qui trouva et décrivit la larve du Peltogaster (Pachybdella). Cette larve ressemble à une autre que Cavolini a figurée, et elle prouve clairement qu'il y a une affinité des plus étroites entre le Peltogaster et les Entomostracés (1). Des recherches de Steenstrup sur ce sujet, il paraissait pourtant assez clair que la Liriope n'avait pas pu entrer dans le Peito- gaster de la manière que Rathke le présumait, vu que Cavolini avait prouvé qu'elle était un Crustacé parasite. Il resta donc tou- jours à montrer leur rapport mutuel, et aussi longtemps que ce sujet ne fut pas débrouillé, la vraie nature du Peltogaster ne put être mise au jour, quoiqu'on eût trouvé ses larves semblables dans leur développement primitif à celles des Lernéides. (1) « Paa samme Sted har Prof, Schmidt givit en meget forstorret Figur af den » nylig udklækkede Yngel, ogaf denne Figur, der stemmer ret vel med den af mig oven- » for omtalte Fig. 16, c, hos Cavolini og saaledes i det Hele viser dennes Rigtighed, » fremgaaer det, att Pachybdellaen ikke ret vel kan være omdannet af en anden Krebs- » form, end af et Entomostracon. » (Steenstrup.) 299 LILLJERORG. Presque en même temps que M. Rathke, le professeur H. Krüyer trouva le Peltogaster sur l'abdomen de | Hippolytes pusiola et du Pagurus Bernhardus et pubescens, mais il n’en parla que fort peu dans les pages 56 et 57 de son Monographisk Fremstlling af Slægten Hippolyte’s nordiske Arter (Copenh., 1842). Il y dit pourtant qu'il en connaît plusieurs espèces, ayant d'un côté de l’analogie avec les Lernéides, et de l’autre avec les « Hirudinées et les Entozoaires », et qu’il en a vu des petits avec «thorax et abdomen ou queue, la dernière pourvue de pieds ou de soies nageoires, etc. » Cette dernière observation, s'accor- dant, d'après ce que nous avons dit plus haut, avec celle de Cavolini et de O. Schmidt, contribue à prouver sa parenté avec les Crustacés parasites, et non pas avec les Hirudinées et les Entozoaires, avec lesquels il ne montre qu’une analogie dans sa forme extérieure. Krüyer n’a pas observé la Liriope. Probablement en suivant la description et les figures de Rathke, M. Diesing a en peu de mots, dans son Systema Helmin- thum (3° ordre, Myzelmintha, 3° sous-ordre, Bdellidea, p. 43h et 135), parlé des deux espèces de Peltogaster déjà décrites de Rathke, mais il a distingué celle qui fut trouvée sur le Carcinus mænas comme type d’un genre différent, qu'il nomme Pachyb- della, à laquelle paraissent aussi appartenir les deux formes décrites par Cavolini, qui sont probablement aussi des espèces différentes. La description que Cavolini avait faite de ces ani- maux était inconnue de Diesing. Bell raconte dans le British stalkeyed Crustacea (p. 108), qu'il a trouvé sous l'abdomen du Portunus marmoreus et du Carcinus mænas un animal parasite bien remarquable, qui, d'après le peu qu'il en dit, paraît être le Peltogaster Carcini ou la Pachybdella Carcini de Rathke. Dans le Zeitschrift für die gesammien Naturwissenschaf- ten (1853, t. Il, p. 101), O. Schmidt raconte, seulement en passant, que ses recherches prouvent que le Peltogaster est un Crustacé parasite, et ajoute à la fin : « Peltogaster ist und bleibt » Von nun an eine parasitische Crustacé. » Selon. Steenstrup, O. Schmidt a exposé l’année suivante, dans Das W'ellail, Zeit- GENRES LIRIOPE ET PELTOGASTER. 292 schrift fur populare Naturkunde, par Giebel et Schaller, 1854, n° 3, une figure trés-grossie d'un petit de la Pachybdella (pro- bablement P. Carcini) nouvellement éclos, et Steenstrup dit qu'il s’accorde avec le petit que Cavolini a dessiné dans la 16° figure, par conséquent très-proche de ceux des Cirripèdes. N'ayant pas eu l'occasion de voir ce traité de Schmidt, je ne le cite que d’après Steenstrup, Pendant l'été de 4855 le docteur G. Lindstrôm trouva, sur la côte de Bohuslän, en Suëde, et sur la côte méridionale de la Nor- vége, plusieurs exemplaires du Peltogaster, tant sur le Pagurus Bernhardus que sur le Pagurus cuanensis Thompson, Bell, etil fit dans le Ofversigt af Kongliga Wetenskaps-Akademiens Forhand- lingar (1855, p. 362 et 363), la description de la larve nouvel- lement éclose, prise en dedans du Peltogaster, ainsi qu’un dessin. Mais il ne dit pas si cette larve, qu'il a décrite et figurée, avait été prise dans le Peltogaster du Pagurus Bernhardus ou dans celui du Pagurus cuanensis. Mais cette larve ressemble complétement à celle que Cavolini a dessinée sur la 16° figure, prise dans une Pachybdella. Tous les deux se distinguent de la forme habituelle des larves des Lernéides, par une apophyse à chaque côté de la partie antérieure du corps, qui contient le germe des antennes extérieures. Cette dernière particularité, c’est-à-dire le germe des antennes, n’est pas figurée dans les dessins de Cavolini; mais il en parle pourtant dans sa description (loc. cit., p.163). On voit donc, comme M. Lindstrüm le remarque, que ces petits montrent une affinité assez grande avec les Cirripèdes. Ce n’est qu'à présent qu’on a retrouvé la Liriope depuis que Rathke en a fait la trouvaille. Mais M. Dana a décrit et figuré dans l'United States exploring Eæpedition (Crustacea, part. If, p.801, et sur la planche 53, fig. 6) un animal très-proche de la Liriope, sous le nom de Cryptothir, pour lequel, ainsi que pour le genre Liriope, il a établi une sous-famille particulière : Lirio- pine, sous la famille des T'anaideæ. I] a par conséquent, ainsi que Steenstrup, fait la remarque que la Liriope de Rathke n'était point un Amphipode, comme ce dernier le présumait, mais un Isopode. Mais Steenstrup n’est pas pourtant d'accord avec Dana, 99/ LILLJEBORG. car il la place dans la famille des Bopyrides, à laquelle, d’après ce que nous allons prouver, elle doit en vérité appartenir. Trois ou quatre exemplaires de Cryptothir ont été trouvés sur diffé- rents individus d’un Balanide : Creusia, au «Feejee Islands » . C'est dans un Cancer, probablement dans une partie sacciforme, que Cavolini a trouvé des œufs et des petits d’un Crustacé parasite, les derniers ressemblant à la Liriope, d'après ce que nous avons dit plus haut. Ils étaient attachés au ventre; ils furent décrits par lui (loc. cit., p. 165), et représentés par la figure 18. Cette figure correspond pourtant mieux avec le Cryptothir de Dana. Ayant rapidement parcouru la partie historique de ce sujet, nous passerons Immédiatement à la partie descriptive. LIRIOPE PYGMÆA, H. Rathke. (Beitrage zur Fauna Norwegens, in Nova Acta Academiæ Cæsareo-Leopoldinæ naturæ curiosorum, 1843, vol. XX, pag. 60, tab. I, fig. 8-12. Sine dubio mas junior, tamen non ineunte ætate. — Fig. 1 a, 2a, 3-23.) Ce fut le 93 juillet 1858 que j'eus l’occasion de trouver dans la mer, non loin de la ville de Molde, en Norvége, dans une pro- fondeur de 5 à 6 mètres, parmi d’autres Paguri, un exemplaire d'une grandeur inférieure du Pagurus pubescens, Krüver, qui avait sur son abdomen un Peltogaster. Ce qu'il y avait de curieux chez ce Peltogaster (voy. pl. 20, fig. 1, a, b), c'était qu'il parais- sait être double où composé de deux. Comme seulement l’un des deux (a), quiavait une couleur rougeâtre ou de chair, contenait des œufs et des petits, je croyais aucommencement que cette partie était un sac d'œufs attaché au corps, comme nous en voyons en. général deux chez les Cyclopides et les Lernéides : et comme on n'a pas auparavant trouvé un sac d'œufs chez le Peltogaster, je croyais que cela pourrait s'expliquer par là que c'était un état de développement jusqu'alors inconnu, et que les deux parties avaient été enveloppées d’une peau commune et extérieure, et GENRES LIRIOPE ET PELTOGASTER. 295 enfin que c'était par la perte de cette peau que le sac d'œufs était mis à nu, comme nous voyons les femelles de l'Evadne et du Polyphemus se débarrasser de leurs petits en se dépouillant de leur peau. [aurait aussi pu être mis au dehors par une ouverture génitale extérieure, et puis être resté suspendu au corps, comme nous le voyons chez le Cyclops, le Diaptomus et les Suctoria. Mais, comme il y avait un seul sac d'œufs, il s’écartait des Suctoria, où lon en trouve ordinairement deux, quoique le Peltogaster, au premier coup d'œil, parût s'approcher de ce groupe par la structure des petits. Il y eut, par conséquent, des doutes s'il existait le même rapport entre ces deux parties, comme entre un animal maternel et une matrice ou un sac d'œufs. Ce doute se confirma davantage lorsque ce sac d'œufs présumé présentait des contractions assez vives, quoique de pareils mouvements ou d’autres ne se manifestassent pas chez l'animal maternel supposé ou dans le corps même du Peltogaster. Ces contractions se répétèrent, quoique plus lentement, jusqu'au quatrième jour, c’est-à-dire jusqu'au 27 juillet, et même après que l’an:mal maternel avait été disséqué et après que l'abdomen du Pagurus fut passé en putréfaction. Après avoir examiné les petits contenus dans la matrice présumée, je vis qu'ils étaient d'une tout autre forme que celle des petits du Peltogaster connue jusqu'à présent, et en examinant la forme et l'organe d'accroche- ment de la susdite matrice ou du sac d'œufs (voy. fig. 3-5), je vis clairement qu'il ne pouvait être un sac d'œufs, mais un ani- mal particulier, qui existait en parasite sur le Pellogaster, c’est- à-dire comme parasite sur parasite! La structure des petits prouva qu'ils étaient des Isopodes, et comme elle s’accordait complétement avec celle de la Liriope pygmæa de Rathke, lors- qu'on en excépte les différences sexuelles et les dissemblances qui peuvent être une suite d’un développement différent, on conçoit facilement sa présence en dedans du Peltogaster Paguri de Rathke (qui certainement est de la même espèce que celui que j'ai trouvé sur le Pagurus pubescens) et le rapport qui existe entre la Liriope et le Peltogaster. La Liriope est donc un . Isopode qui vit comme parasite sur le Peltogaster, et probable. 4 296 LILLJERORG, ment aussi sur d’autres Crustacés. Les observations de Cavolini montrent que cette forme, ou une autre qui lui est bien proche, se trouve quelquefois attachée en dedans du corps de certains Crustacea brachyura ; et Dana a plusieurs fois trouvé chez un Balanide un Crustacé parasite, le Cryptothir, appartenant à la même famille que la Liriope. Ces deux animaux sont si proches l'un de l’autre, que le premier pourra peut-être plus tard être placé dans le même genre, lorsque ses phases de développement seront parfaitement connues. Descriprio. — Femina matura, ovis et pullis nuper exæclusis impleta. — Longitudo ab ore (fig. 3, a) ad partem corporis oppositam (b), ubi anus esse videtur, cire. 4 millim.; latitudo, quæ major est (c-d), ere. 7 millim.; crassitudo vel altitudo a latere superiore ad latus inferius 3 millim. — In specimine mor- tuo et in spiritu vini asservato. Corpus partes duas distinctas, quarum anterior cephalothora- cem — si velimus — et posterior matricem, vel saccum ovife- rum efficit, præbet (1). Pars anterior corporis — cephalothorax — quæ organum adfi- gendi (2) efticit, superne convexa et lævis (fig. 3, a), inferne concava (fig. 4, a), supra quatuor segmenta diversa, quorum duo media ceteris majora, præbet. Hæc segmenta antice in medio sunt sinuata, et versus latera de- et reflexa, et duo poste- riora ad marginem posteriorem angulata, et segmentum secun- dum infra margine antico angulato. Supra et subtusne minimum quidem indicium antennarum nullosque oculos inveni. Subtus inter segmentum primum et secundum observavi maculam trans- versalem fuscam, orem sine dubio significantem. In latere infe- riore suturæ inter segmenta sunt parum distinctæ. Cephalothorax basin versus multo angustior, et quasi collum præbens, et hic subtus margines porrecti valvularum vel partium lateralium matricis divergentes sunt et utrinque processum parvum for- (4) Nullam aliam partem abdominalem quam matricem videre potui, (2) Ilæc corporis pars est in integumento corporis Peltogastri profunde infixa, ut etiam membrana, cavitatem interiorem corporis vestiens, sit perforata. GENRES LIRIOPE ET PELTOGASTER. 9297 mantes. Nulla organa manducationis externa, vel laminas buc- cales vidi (1). Pars posterior corporis— matrix —vivæ nec sese contrahentis feminæ (fig. 4 a latere inferiore), sacciformis, reniformis, supra impresionibus, plicis et suturis carens, supra et infra convexa, infra fissura longitudinali vel apertura matricis, per quam sese contrahens pullos emittebat, prædita. Hæc major corporis posterior pars, quæ saccum ova et pullos continentem efficiebat, rubicunda vel carnea erat, quia pulli et ova rubida per cutem vel integumentum matricis pellucidum videbantur. Ad locum, ubi anus esse videbatur, erant plures maculi fuscei. Quum ani- mal se contrahebat, plures plicæ transversales supra videban- tur (fig. 1 et 2, a), quæ plicæ apud animal mortuum in spiritu vini adservatum, media parte maxime convexa excepta, perma- nent (fig. 3), et fortasse quodammodo annulos diversos cutis significant. Ad finem posteriorem matricis fissuræ est foramen rotundum, sine dubio apertura analis. Integumentum matricis sat pellucidum, tamen firmum et crassiusculum. Ad cephalothoracem, dum animal Peltogastro adhuc adfixum erat, membranam tenuem et pellucidam pen- dentem, fortasse cutem rejectam, inveni. In latere superiore pone collum est cutis opaca et crassa, et hic duas areas structura fibrosa videmus. Fortasse evolutio valvularum sive integumen- tum matricis ab his areis incipit. Itaque deformationem et evolutionem regredientem apud hoc animal adhuc majorem quam apud Bopyrum invenimus : nullæ antennæ, nullæ laminæ buccales, nulli pedes et nullæ laminæ _branchiales. Le mâle. — Je n'ai pas eu l’occasion de trouver de mâle sur ou en dedans du Peltogaster, sur lequel la femelle était fixée, ou sur la femelle elle-même, comme on le voit chez les femelles du genre Phryxæus de Rathke. Mais il me paraît tres-vraisemblable que la Liriope pygmæa décrite et figurée par Rathke est un jeune (1) Quum tantummodo unum exemplar obtinui, id dissecare nolui. 298 LILLJEBORG. mâle. Lorsqu'on la compare avec la description et les figures de Krüyer, représentant un mâle plus jeune de son Bopyrus abdominalis (1), qui est le même que le Phryæus hippolytes de Rathke, nous voyons que la ressemblance est frappante. Le jeune mäle du Bopyrus avait, d’après Krüyer, une demi-ligne, et la Liriope de Rathke à peine une ligne de longueur. Ainsi, à juger d'après la grandeur, la dernière est un peu plus développée que l’autre. La forme du corps, les antennes, les pattes, les appen- dices caudals, ou les rami caudales,se ressemblent infiniment. Il y a quelques différences dans la forme de la paire postérieure des pattes thoraciques, mais leur forme est du reste très-caracté- ristique et conforme à celle qui est propre à la Liriope, et c'est cette forme qui m'a fourni une des meilleures raisons pour 1den- üifier le petit de cet Isopode parasite, que j'ai trouvé sur le Pelto- gaster Paguri, avec la Liriope de Rathke. Mème la forme et le nombre des pattes abdominales présentent des dissemblances. Rathke a trouvé chez sa Liriopesix paires de pattes abdominales, tandis que Krüyer n’en a trouvé que cinq paires chez le jeune mâle du Bopyrus; mais Rathke en a représenté seulement quatre sursa figure de la Liriope, etchez les petits de cette espèce je n'ai pu trouver plus de cinq paires. Quant à la forme, les pattes abdominales sont birameuses chez la Liriope, mais simples chez le jeune mâle, ainsi que chez les autres petits du Bopyrus, d'après Ratbke et Krüyer; mais j'ai trouvé moi-même que les derniers les ont birameuses, avec cette distinction seulement, que la rame intérieure est la plus petite (2). Nous voyons donc qu'une parue de ces dissemblances dans la forme et dans le nombre des pattes abdominales pourra être attribuée à des fautes d’observa- tion (3); et, du reste, c’est naturel que, entre deux genres dif- (1) Naturhistorisk Tidskrift, 3° Bd., 1840-41, pag. 291, tab. I, fig, 21-24, tab. IT, fig, 123. — Voyage en Scandinavie, CawsrAcEA; pl. 29, fig. 1, {-u. (2) Dans le Voyage en Scandinavie, etc., Krüyer a pourtant figuré les pattes abdo- minales chez le petit du Bopyrus abdominalis birameux. (3) Si la Liriope de Rafhke avait six paires de pattes abdominales, non compris la dernière paire ou les pattes caudales, elle devrait par conséquent en tout avoir sept pai- res de pattes abdominales, ce qu'aucun Isopode ne peut avoir. L’assertion de Rathke, que la Liriope n'a que sixsegments abdominaux, parait du reste contredire l'autre, car on Li GENRES LIRIOPE ET PELTOGASTER. 299 férents l’un de l’autre, il y doit exister quelques différences. Il paraît aussi que Dana a supposé que la Liriope de Rathke était un mâle, parce que sans donner d’autres preuves que celle du rapport intime de la forme avec celui-ci, il déclare son Crypto- thir pour un mâle. QueRathke ait trouvé sa Liriope chez le Pelto- gaster sans que la femelle développée y fût aussi trouvée, est une circonstance qui n’affaiblit pas cette supposition, car nous trouvons, d'après Krôüyer, un fait équivalent chez son Bopyrus abdominalis où Phryœus hippolytes de Rathke. Krôyer raconte (1) qu'il trouva une fois sur une Æippolytes, qui n'avait point de femelle du Bopyrus sous l'abdomen, un mâle qui s'était accroché à l’un des yeux. Krüyer prétend aussi que les jeunes femelles du Bopyrus ont toujours été trouvées sur des jeunes Hippolytes, et conformément à cela, les jeunes femelles de la Liriope devraient se trouver sur de jeunes individus du Pelto- gaster. Il ÿ a encore une circonstance qui parle beaucoup pour l'idée que la Liriope de Rathke doit être un mâle, et qui mériterait par conséquent quelque attention. La femelle de la Liriope est assujettie à une transformation plus grande que celle du Phryœus de Rathke, ou du Bopyrus de Krôyer, et ses petits, nouvellement éclos, sont bien moindres que ceux du dernier (2), mais pourtant, malgré leur petitesse, présentent un assez haut degré de développement (ayant les pattes abdominales ou nata- toires comparativement plus développées) ; il est donc peu croya- ble que les petits du genre féminin, ayant même la longueur d'une ligne, ne se seraient pas accrochés et n'auraient pas com- mencé à subir quelque transformation, mais seraient encore restés, à peu de chose près, sous leur forme de larve, quand au contraire une jeune femelle du Bopyrus de 1 3/10 ligne de lon- gueur, en exceptant les yeux et les pattes thoraciques, a peu de ressemblance avec une larve. Que l’on compare Krüyer (loc. cüt., ne peut guère présumer que les pattes caudales et la paire pénultième des pattes soient fixées sur le même segment. (4) Loc. cit. (2) La longueur du premier est à peine un quart de millimètre; et le derniet a un tiers de millimètre. \ 200 LILLJEBORG. tab. I, fig. 9 et 10, avec tab. IE, fig. 4-6). Il appartient, au con- traire, aux mâles de cette famille de garder une partie de leurs caractères de larve, non-seulement plus longtemps que les femelles, mais même pour toujours, ou, en d’autres termes, de garder la forme distinctive des Isopodes, forme qui, par la métamorphose ou développement rétrograde, se perd complé- tement chez les femelles. Pullus nuper exæclusus in matrice (fig. 5). — Longitudo vix 4/4 millim. — Forma corporis et partium appendicularium — antennarum et pedum — plane alia, atque apud pullos et larvas Copepodorum et Lernæidarum, el jam cum forma Zsopodorum typica congruens, nec metamorphosin progredientem signifi- cans. Corpus supra admodum convexum , infra concavum , mortuorum et in spiritu vini adservatorum incurvatum, et mar- ginibus lateralibus inflexis; supra visum ovale vel oblongo- ovale, antice rotundatum, postice attenuatum ; individua magis evoluta magis elongata. Segmenta corporis 14, quorum pri- mum (caput) ceteris majus, et ultimum minimum tantum- modo laminam minutam, basin pedum ultimorum sive pedum caudalium (pinna caudalis) obtegentem, formans. Caput seg- mento sequente paullo latius. Segmentum penultimum antece- dente longius et postice coarctatum et rotundatum. Sub margi- nibus segmentorum thoracicorum lateralibus appendices parvas acuminatas et retro flexas, sine dubio epimera, videmus. A latere visus elongatior, margine superiore convexo, inferiore fere recto, capitis parte anteriore de- et reflexa, et fornicata. Oculi pleramque nulli; interdum utrinque unum fusco- rubrum observare mihi visus sum; et si nullus oculus adesset, plerumque duas cellulas, pigmento fusco-rubro, oculi loco vidi. Præterea tale pigmentum pluribus in locis, præsertim postice, in corpore vidi. Antennæ primi paris, sive Interiores minimæ, A-articulatæ , setas circ. 5, quarum duas apicales, gerentes. Antennæ secundi paris magnæ, setis apicalibus exceptis circ. dimidiam partem lopgitudinis corporis — a capite ad caudam — attingentes, GENRES LIRIOPE ET PELTOGASTER. 501 5-articulatæ, articulo tertio ceteris longiore, et articulo ultimo setis apicalibus tribus vel quatuor, quarum una longissima.. Regio ovis protracta, et apertura oris fissuram transversalem præbens. Ad latera oris appendicem maudibuliformem — man- dibulam — observavi. Pedum thoracicorum 6 paria, annulis 6 thoracicis adfixa , omnia, pari sexto excepto, inter se similia, sed posteriora ante- rioribus paullo longiora. Quinque paria anteriora subchelifor mia, manu sat magna fere ovali, intus denticulis duobus mini- mis, unge curvato, acuto, apicali. Pedes sexti paris graciliores et longiores, neque subcheliformes ; manu longa et attenuata, ungue longo fere recto neque retractili. Pedum abdomimalium sive spuriorum 5 paria, aunulis 5 anterioribus abdominis adfixa, omnia inter se similia — posteriora tantummodo paullo breviora — biramosa, trunco biarticulato, ramis fere æqualibus, exte- riore tribus, interiore duabus longis setis apicalibus ciliatis instructo, itaque veri pedes natatorii, minimeque respirationt servientes. Pedum uitimum par, sive pedes caudales (pinna caudalis) (1) sunt majores‘et crassiores, pluribus magnis et crassis setis ciliatis præditi, et hi etiam biramosi. Truncus uni- articulatus, admodum crassus et apice oblique exciso, et subtus una vel altera seta tenui instructus. Ramus exterior interiore paullo brevior et crassior, ille tribus crassioribus setis curvatis apicalibus, hic ad apicem oblique excisum duabus setis tenuio- ribus præditus. Ad basin rami interioris seta longa et fere recta est trunco adfixa. Hi pedes et eorum rami et setæ apicales plerumque extrorsum et deorsum vergunt. Nullum intestinum perspicuum videre potui, quia partes non plane pellucidæ erant, sed in intestini loco plagam fuscescentis et rubidi, præsertim postice, coloris, et in corpore hic etillic majores et minores vesiculas oleosas, sine dubio residuas e vi- tello, observavi. Supra dixi, me pullos plus vel minus evolutos una invenisse, (4) Etiam hi pedes sunt re vera pedes abdominales, et magis sunt evoluti, quia func- tionem pinnæ caudalis susceperunt. 5° série. ZooL. T, II. (Cahier n° ñ.) # 20 902 LILLJEBORG. inter quos etiam eos, qui in cute rejicienda versarentur, reliquis vero similes essent, quare perspicuum est, hos pullos nullam metamorphosin subire. Imo inter pullos etiam ova, plus (fig. 7) vel minus evoluta, observavi. Inter pullos non mares et feminas discernere potul. Segnes erant parumque vividi. Lorsque l'on compare ce petit individu à la Liriope pygmæa de Rathke, on ytrouve tant de rapport, que les différences, compa- rativement à ceux que l’on trouve entre les petits nouvellement éclos et le jeune mâle du Bopyrus abdominalis, Krôyer, pourront difficilement contribuer à faire naître quelque doute sur leur identité générique ou même spécifique, et que ces différences peuvent être attribuées à des différents âges, et peut-être au sexe. Le petit décrit par moi n'a qu'un douzième de la grandeur de la Liriope de Rathke. Celle-ci à un corps plus allongé, une paire de pattes thoraciques de plus que le petit individu, les antennes de la première paire pourvues de plusieurs soies, la plupart des pattes thoraciques en apparence plus courtes, les pattes abdomi- nales aussi un peu plus courtes, et les pattes caudales autrement formées, étant simples, tandis que les petits individus les ont birameuses. Nous trouvons cependant les mêmes différences si nous comparons les figures du jeune mâle du Bopyrus abdomi- nalis chez Krôyer (1) avec un petit assez développé (plus que le petit de la Liriope) de la même espèce. La Liriope de Rathke a les yeux plus développés, mais le jeune mâle du Bopyrus les a aussi plus gros, lorsqu'on le compare avec les petits que Krüyer a figurés et auxquels il n’attribue point d’yeux. La lon- gueur relative des antennes est la même, ainsi que la proportion entre les antennes de la seconde paire et la longueur du corps. La dernière paire des pattes thoraciques, qui ont une forme si particulière, présente beaucoup de conformité, quoique l’on y trouve quelque différence. M'appuyant sur cette conformité du petit avec la Liriope, je n’ai pas hésité à considérer l’Isopode parasite, que j'ai trouvé sur le Peltogaster Paguri, comme appar- tenant à la même espèce que la Liriope pygmæa. (4) Loc. cit., pl. I, fig. 21-24, ct pl. ET, fig. 4-3: GENRES LIRIOPE ET PELTOGASTER. 305 Or, comme celle-ci vit en parasite sur le Peltogaster Paguri, il ne paraît point difficile d'expliquer sa présence dans la cavité du corps du dernier, ouverte à l’une des extrémités, où Rathke en a fait la découverte. Peut-être ce Peltogaster a été chargé d’une femelle de la Liriope entièrement développée, qui, après avoir rempli ses fonctions de reproduction, en est tombée, tandis que quelques-uns des petits (des jeunes mâles qui n’ont point eu de femelles pour s’y cramponner ?), échappant à la chute, y sont restés plus longtemps, ont passé sur le Peltogaster, et s'y sont promenés (comme Krôyer a vu faire au mâle du Bopyrus sur les Hippolytes), jusqu’à ce qu'ils aient trouvé l'ouverture sur l’extré- mité antérieure du corps, etsoient entrés par à dans la cavité du corps où ils se sont à la fin arrêtés. Ils auront aussi pu, pour trouver des jeunes femelles, les chercher pendant leur marche dans les endroits où elles se trouvent en général, c'est-à-dire chez le Peltogaster, et s'y seront arrêtés ; de même que Krüyer à une fois trouvé un mâle du Bopyrus, attaché à l'un des yeux d’une Hippolyte qui n’était point chargée de femelle. Je suis d'autant plus porté à adopter cette dernière opinion, que, vu l'influence de ladite femelle de la Liriope sur le Peltogaster sur lequel elle était fixée, il est peu croyable que M. Rathke eût manqué de voir des marques de violence extérieure sur ce Peltogaster, dans lequel il trouva la Liriope, si celui-là avait été chargé d’une femelle de la dernière ; il parait même douteux que le Peltogaster survive à son hôte. Lorsque j'eus Ôté la femelle de la Liriope du Peltogaster, il se trouva un grand trou sur le flanc de celui-ci, et en dedans de la cavité du corps je trouvais seulement des glo- bules huileux, ainsi qu’une masse sans structure, probablement des aliments sucés de l'abdomen du Pagurus; enfin, le Pelto- gaster était tout à fait dépourvu de petits ou d'œufs. Sans doute, sa propagation, ainsi que son accroissement, est retardée par un si grand et cruel parasite. Nous voulons enfin dire quelques mots sur la place de la Liriope dans le système carcinologique. Il a été dit plus haut queM. Rathke s’est trompé en la regardant comme un Amphipode : aussi 1l se o04 LILLJEBORG. contredit lui-même en prétendant qu’elle ressemble aux Iso- podes : «In der Form hat das zu beschreibende Geschôpf viele » Æhnlichkeit mit emigen Isopoden aus der Gattung Zdothea. » L'Américaindg. Dana futle premier qui vit qu’elle était un Isopode, mais il fit erreur en la plaçant dans la famille des T'anaidæ, qui se distinguent par le développement considérable de la première paire de pattes, lesquelles sont pour la plupart pourvues de mains didactyles, et parce que les autres paires ne sont point propres à se cramponner, C'est-à-dire ne sont pas subchéliformes, tandis qu'au contraire les cinq ou six paires de pattes antérieures de la Liriope sont presque de la même forme et toutes subchéliformes. Il parait aussi que M. Steenstrup, sans connaître l'opinion de Dana, a pensé que la Liriope est un Isopode, et qu'elle ressemble le plus aux Bopyrides. Sa supposition de la parenté de la Liriope avec les Bopyrides, aussi bien que le premier des deux moyens alternatifs qu'il expose pour en expliquer la présence dans le Peltogaster et le rapport avec lui (c’est-à-dire qu’elle pourrait exister sur lui comme parasite), sont complétement conformes avec le véritable état des choses. J'en ai déjà fait la comparaison, telle qu'elle est décrite et figurée par Rathke, avec le jeune mâle du Bopyrus abdominalis de Krüyer, de sorte que je n'aurai plus besom de détailler la frappante ressemblance entre eux. Si l'on compare les petits nouvellement éclos de l’un et de l’autre, on trouve la même ressemblance. Lorsque les vieilles femelles de la Liriope et du Bopyrus ont été jusqu'à un tel point défigurées, qu'il y est impossible d'y retrouver le type des Isopodes, on est bien obligé d’avoir recours aux mäles et aux petits pour pouvoir déterminer la place de ces animaux dans le système ; et en se lais- sant conduire par la forme de ceux-ci, il n'est pas difficile de voir que la Liriope a sa place dans la famille des Bopyrides où Bopy- riens de Milne Edwards (1). où elle peut être placée avec la carac- téristique suivante : (4) Histoire des Crustacés, t. I, p. 281. GENRES LIRIOPE ET PELTOGASTER. 305 GEN. LIRIOPE, H. Rathke. Animal e Crustaceorum classe, Isopodorum ordine et Bopyri- darum familia. Femina adulta corpore in partes duas distinctas diviso ; ante- rior, sive Cephalothorax, caput et tria segmenta sequentia com- prehendens , est cum posteriore indivisa parte majore, sive matrice, quasi per collum connexa. Nulli oculi, nulli pedes nul- læque appendices branchiales. Pullus et sine dubio mas iisdem Bopyri admodum similes, et fere tantummodo pedibus thoraci- cis postremi paris, ungue longo et recto neque retractili armatis, diversi. GEx. PACHYBDELLA, Diesing. (Systema Helminthum, vol. I, p, 435.) La caractéristique que Diesing a donnée de ce genre, en le pla- çant parmi les Vers intestinaux, est prise de la description et des figures que Rathke a données de son Peltogaster Carcini; mais comme Rathke ne dit rien de la structure intérieure, ni de son développement, et comme il n’en avait pas même quelque con- naissance, la caractéristique donnée par Diesing est devenue très- incomplète. Par la bonté du professeur S. Loven, j'ai eu l’occasion d'acquérir quelques connaissances à l’aide d’un exemplaire de cet animal conservé dans l’esprit-de-vin, et quoique ces connais- sances laissent beaucoup à désirer, elles m’ont pourtant, ainsi que les observations de Cavolini sur son développement, donné des moyens de faire quelques additions aux caractères de ce genre. J'en présente donc une nouvelle caractéristique : Animal e Crustaceorum classe et Cirripediorum subelasse, ectoparasitum sub abdomine Crustaceorum Decapodorum Bra- chyurorum degens. Animal adultum crassum, sacciforme, transverse ellipticum, cute (pallio) lævi, molli, sed firma, corpus crassum, carnosum, intus glanduliforme et sine cavitate digestionis distincta, instar pallii circumdante, vestitum. Os in organo adfigendi, vel aceta- 206 | LILLIEBORG. bulo, subinfundibuliformi, corneo perforatum, et in œsophagum transiens. Anus nullus? Ovaria externa numerosa, ramosa, cæci- formia, circa corpus adfixa et membrana tenui involuta. Ovaria interna in Corpore carnoso sita. Cavitas inter ovaria externa et pallium per foramen sat magnum, ori oppositum et plicis cutis circumdatum, aperta. Organa masculina ignota. Pullus entomostraciformis, pullo Cirripediorum processibus ad latera partis anterioris corporis similis. La forme de ces petits prouve que ces animaux parasites appartiennent à la classe des Crustacés et à la sous-classe des Cirripèdes, quoiqu'ils paraissent, étant développés, beaucoup différer de l’un et de l’autre. L'animal, complétement développé et apte à se propager, présente, au moins quant à l’exté- rieur, la structure la plus simple. Il a la forme d'un sac (fig. 26) sans segments, sans yeux et sans membres appendiculaires, comme, par exemple, antennes, membres buccaux et pieds. Le sac, complétement égal et lisse, à pourtant deux parties saillantes. Il y a premièrement du côté du sac où il est attaché à l'animal sur lequelil vit comme parasite, ou du côté inférieur, un organe d'accrochement corné en forme d'entonnoir ou de jatte (fig. 6). Cet organe d’accrochement, supporté par un petit col, et fixé sur la peau de l'animal qui le porte, est au fond ou au milieu perforé par la bouche. Secondement, on trouve au côté opposé un tube court, formé des plis de la peau ou du pal- lium qui entoure une assez grande ouverture; celle-ci conduit à la cavité où se trouvent les ovaires extérieurs, et parait être destinée à faire sortir les petits. Par rapport à ces deux ouver- tures, la dimension transversale est la plus grande, et la forme du corps est transversalement elliptique. Pour ce qui regarde les parties intérieures, la Pachybdella a un petit et court œsophage, ou tube pour sucer les aliments (fig. 7, a), qui, sur l'individu examiné, était courbé en forme de spiral, et qui était fixé au côté inférieur d’une grande partie charnue. Cette partie était en dedans d’un aspect glanduleux ; elle manque de cavité de digestion distincte, et je suis obligé de GENRES LIRIOPE ET PELTOGASTER. 307 l’envisager comme le corps transformé et probablement occupé pour la plus grande partie parles organes de la génération (1). 1 se continue en se resserrant beaucoup jusqu'à l'ouverture supé- rieure du pallium (fig. 7, b), mais n°y aboutit pas et n’y présente non plus aucune ouverture anale, au moins d'après ce que j'ai pu voir ; mais son épaisse couverture extérieure ou pariétale s’élar- git ici, et forme de gros plis qui, étant fixés au pallium, entou- rent la susdite ouverture. La membrane qui entoure le corps paraît être à l’un des côtés (fig. 7, c) un peu plus compacte et pourvue de plusieurs plis distincts, et là elle s'attache au côté intérieur du pallium. En exceptant la partie dernièrement nom- mée, où la couverture extérieure s'unit au pallium, le corps est entouré de toutes parts des ovaires extérieurs, qui ont la forme de cæcums rameux (fig. 7, d). Ils sont très-nombreux et longs, aboutissent l’un dans l’autre (inosculating, Darwin), et rem- plissent l’espace entre le corps et le pallium. Ils sont placés dans un ou peut-être dans deux sacs qui sont formés d'une membrane mince et transparente, Celle-ci présente sous le microscope un épithélium avec des cellules irrégulières. Cavolini a (tab. I, fig. 15) figuré une partie des ovaires exté- rieurs et rameux, et (fig. 16) le petit nouvellement éclos, qui, à cause de son extrémité caudale acuminée et fendue, ressemble plus à la forme ordinaire des larves nouvellement écloses des Cirripèdes que les petits du Peltogaster ne le font, d'après mes observations et celles de M. Lindstrüm. Que l’on compare la figure citée de Cavolini avec celle qui est donnée par Spence Bate. PACHYBDELLA CARCINI, H. Rathke. Animal supra et infra leviter sinuatum ; partes laterales obtusæ; acetabulum rhomboideum, marginibus simplicibus, non multum expansis. Color rufescenti-flavidus. Latitudo cire. 17-20 et crassitudo 9-12 millim. (4) J'ai vu assez clairement les volumineux et acineux ovaires intérieurs, mais je n'ai point observé d'organes masculins. 308 LILLJEBORG. Sub abdomine Carcini mœænadis supra canalem intestinalem adfixa, plerumque sola, interdum duæ una. Ad Bahusiam, Nor- vegiam, Tauriam, et ad Britanniam etiam sub abdomine Por- tuni marmorei, et secundum Steenstrup in mari Mediterraneo sub abdomine Portuni hirtelli. Secundum S. Loven (in epistola) interdum sub abdomine Hyadis mventa. (Fig. 6 et 7.) PELTOGASTER CARCINI, H. Rathke, Beitrüge zur Fauna Norwegens, Acta Leopold, t. XX, p. 247, tab. XII, fig. 18 et 19. PacayBDELLA RarTaket, Diesing, Systema Helminthum, vol. T, p. 435. La forme paraît en général être très-constante. Il n’est pas décidé encore s’il y en a plusieurs espèces, mais on peut le consi- dérer comme certain. D'après les différentes figures de Cavolini, il paraît bien clair qu'il en a eu sous les yeux plus d’une espèce. GEN. PELTOGASTER, H. Rathke. (Reisebemerkungen, in Neueste Schrift. der Naturforschenden Gesellschaft in Danzig, Bd. I, p. 105.— Beitrage x. Fauna Nor- wegens, in Acta Acad. Cæs.-Leopold. Carol. nat. curios., 1843, vol. XX, p. 344.) La découverte de plusieurs espèces, ainsi que les observations sur les petits, a beaucoup contribué à la connaissance de la vraie nature de ces animaux. Il sera donc nécessaire de faire quelques modifications et additions à la caractéristique que M. Rathke a donnée de ce genre. Nous le caractériserons donc de la manière suivante : Animal e Crustaceorum classe et Cirripediorum subclasse, ectoparasitieum, in abdomine Paguri degens. Animal adultum : Corpus sacciforme, elongatum, teretiuscu- lum, vel depressiusculum, cute (pallio) plus vel minus pellucida sed firma obtectum, minime segmentatum, et partibus appendi- cularibus articulatis destitutum. Os in organo adfigendi subin- fundibuliformi vel acetabuliformi, plus vel minus corneo, ahsque appendicibus bucealibus , in latere inferiore corporis situm. Ad extremitatem unam (anteriorem) corporis apertura, interdum GENRES LIRIOPE ET PELTOGASTER. 309 magna, interdum parva, cavitatem generalem corponis internam aperiens adest (1). Nullum corpus internum carnosum adest nullusque ventriculus à cavitate corporis distinctus, quare hæc cavitas, quæ intus, sub cute firma et transverse fibrosa, mem- brana tenui pellucida sat vero firma est vestita, et ad alimentum digerendum vel saltem adservandum, et ad ovaria complectanda servit. Genitalia bisexualia ? Partes duæ subelavatæ vel sacculi- formes (?testes vel vesiculæ seminales) pedunculo vel canali ad membranam internam cavitatis corporis sub ovariis adfixæ (2). Ovaria duo, in prineipio in fundo cavitatis corporis supra et inter partes illas duas sacculiformes adfixa, juxta sese posita, extus sacciformia, intus acinosa, membrana cellulosa circumdata, et demum totam cavitatem corporis explentia, et inter se ita coales- centia, ut vix disjungi possint. Pulli sdem antecedentis similes, entomostraciformes, cum Cirripediorum pullis processibus lateralibus a parte anteriore et inferiore corporis exeuntibus congruentes, sed tamen etiam for- mam pullorum Lernæidarum referentes. A cause de leur plus simple structure intérieure, c’est-à-dire à cause du défaut d’un corpsintérieur charnu, et à cause des ovaires sacciformes qui occupent enfin toute la cavité du corps, ces ani- maux s'écartent tellement de ceux du genre précédent, qu'on est autorisé à en former non-seulement un genre à part, mais même une famille distincte. Cette famille offre dans certains cas des analogies avec l’ordre des Apoda de Darwin. La structure de la larve et de l'animal maternel, probablement hermaphrodite, et si différente de celle des Lernéides, et l'analogie de la larve avec les larves des Cirripèdes en général , paraissent prou- ver également que le Peltogaster, aussi bien que la Pachybdella, sa place parmi les Cirripèdes. Pour l'extérieur, le premier (4) M. Rathke a considéré cette ouverture comme une bouche. (2) M. Rathke regarde, probablement avec raison, ces organes comme étant des organes sexuels masculins, et, par conséquent, il croit ces animaux hermaphrodites, ce qui est aussi le cas pour le Cirripède qui leur est le plus proche, quoique encore très- différent : le Proteolepas de Darwin. 310 LILLJEBORG. diffère de la Pachybdella par sa forme, qui est allongée cylin- drique et quelquefois un peu aplatie, et par l'ouverture qui mène dans la cavité du corps, et qui est située à l’une des extrémités de celui-ci. Pour le reste, ils ressemblent au genre, c’est-à-dire qu'ils sont sacciformes, entourés d’une peau molle et lisse, plus ou moins compacte et transparente, qui a extérieurement un épiderme bien fin et transparent, chitineux et sans structure, et sous celui-ci un derme plus épais et moins transparent, d’une structure fibreuse, et pourvu de fibres transversales. Cette peau ou pallium parait être, chez différentes espèces, d’une épais- seur et d'une opacité différentes ; elle paraît même assujettie à des variations individuelles, à mesure que le développement des parties intérieures est plus ou moins avancé. Ainsi, par exemple, elle paraît être plustransparente lorsque la matrice est très-déve- loppée, et que le corps est rempli d'œufs jaune rougeâtre que l’on aperçoit à travers la peau, de manière que l'animal en prend la couleur. En dedans du derme se trouve une membrane mince et transparente sans épithéllum, et légèrement attachée au derme par un tissu cellulaire ; elle tapisse la cavité intérieure du corps, et embrasse par conséquent les ovaires; elle paraît donc fonctionner comme une matrice, lorsque les ovaires ont acquis assez de développement pour remplir toute la cavité du corps. C'est probablement cette membrane que M. Rathke prend pour un ventricule ; et lorsqu'il y trouva des œufs, il fut porté à croire que le ventricule de ces animaux fonctionnait aussi comme ma- trice (zum Brüten der Eier). Mais, comme nous le verrons plus loin, les œufs, inclus dans ce sac, sont entourés de leur propre membrane sacciforme, de manière que le ventricule supposé n'est point une matrice. Dans un jeune Peltogaster Paguri, je trouvai ce sac d'une couleur vert jaunâtre, contenant des glo- bules huileux, ainsi que d’autres substances sans structure. C'était le même qui portait la Liriope, et qui avait les ovaires encore tout petits ; d’où il résultait que la cavité du corps n’était point distendue par eux, mais qu’elle était très-petite. IL est donc évident que lesdites substances sans structure étaient des matières alimentaires. Mais je n’ai pourtant pas eu l'occasion GENRES LIRIOPE ET PELTOGASTER. 311 de découvrir, chez aucun des Peltogaster que j'ai examinés, que la cavité du corps fût, par une ouverture quelconque sur la membrane tapissante, en communication directe avec l’ou- verture de la bouche, quoique celle-ci pénètre non-seulement l'organe d’accrochement et la peau extérieure sur laquelle le dernier est fixé, mais aussi la peau intérieure. Les deux parties qui, d'après M. Rathke, ainsi que selon ma _ pensée, paraissent appartenir aux organes génitaux masculins (?vesiculæ seminales), ont chez le Peltogaster sulcatus, où je les ai vues, la forme d'un sac opaque rempli d’une matière cellulaire, et pourvu d'un col qui se prolonge en forme d’un canal assez long. Ce canal est fixé sous et à côté des ovaires primaires, à la face inté- rieure de la susdite membrane, qui tapisse la cavité du corps. Ces parties sont fixées sous l'organe d’accrochement, à la place dont M. Rathke a fait mention. Leur direction est celle que Rathke indique, c'est-à-dire qu'elles ont la partie sacciforme ou opaque à l'avant du corps et le fin canal dirigé en arrière. Chez l'espèce (Pellogaster Paguri) où il les à observées, elles avaient une autre forme, car elles étaient seulement un peu plus grosses et cylin- driques à l'extrémité cæcale, par conséqueut d’une forme elavée, peut-être à cause d’un plus faible développement, et parce qu’elles étaient moins distendues par leur contenu. Comme je n'ai eu l’occasion de voir ces organes que chez des exemplaires con- servés dans l’esprit-de-vin, je n'ai pu découvrir si elles con- tenaient des spermatozoïdes ou non. Il se peut qu'elles soient des organes de cimentation (cement-glands de Darwin). Mais, comme elles ne paraissent pas être en connexion avec les ovaires, desquels, à ce que prétend M. Darwin, les glands cimentaires prennent leur source, et comme je n'ai pu voir de liaison entre elles et l'organe d’accrochement, qui devrait être formé par leur sécrétion du ciment, je trouve difficilement des probabilités en faveur d'une détermination pareille, Que le Peltogaster contient de pareils organes cimentaires, c'est une chose assez certaine, car la structure de l'organe d’accrochement, ainsi que la manière dont cet organe est fixé à la peau de l'abdomen du Pagurus décide en sa faveur. Si l’on compare le disque élargi ou le bou- 312 LILLJEBORG. clier (rer) du Peltogaster Paguri avec la figure 1 a de la planche XX VII du second tome du Monograph on Cirripedia de Darwin, qui représente la membrane basale avec l'appareil cimentaire de la Coronula balænaris, on trouvera que le disque élargi de cette dernière présente dans sa structure beaucoup de ressemblance avec le premier. Les bords de l'organe d’accroche- ment sont aussi plus ou moins unis à la peau de l'abdomen du Pagurus, de manière que lorsqu'on le sépare de celui-ci, des lambeaux de la peau ou au moins de l'épiderme restent attachés aux bords de cet organe (1). C’est ce qu'on observe surtout chez l'espèce (Peltogaster Paguri) qui a-l'organe d’accrochement ra- meux. Le cas n'est pas le même avec les Lernéides; chez eux, l’organe d’accroissement pénètre la peau , et devient entouré d’une pseudo-membrane qui n’est pas unie avec cet organe. Les ovaires présentent primitivement la forme de deux sacs très-proches l’un de l’autre, allongés, opaques et un peu plus épais en arrière. Ils sont situés sur la paroi inférieure de la cavité du corps, et immédiatement derrière l'organe d'accroche- ment, sur la membrane tégumentaire, qui est bien plus épaisse dans cet endroit. Tous les deux sont séparément enveloppés dans une membrane cellulaire avec différentes matières for- matrices. Les parois de ces sacs sont épaisses et opaques. Lorsque je les ouvris, j'en trouvai le contenu d’une structure acineuse. En les comprimant et les grossissant de 200 fois, je vis clairement les ovules, avec leur vésicule germinative, enveloppés d’une matière tenace et très-conglutinée, probable- ment un ciment futur, lequel, d’après Darwin, sous une forme pareille, sort des ovaires primitifs (incipient) des Cirripèdes. Pen- dant la durée du développement, les ovaires ou les sacs d'œufs s'élargissent à mesure que les œufs grossissent et se multiplient, de manière qu’ils remplissent à la fin toute la cavité du corps. En même temps ils s'unissent si étroitement entre eux, ou même ils se confondent à un tel point, qu'il est impossible quelquefois de découvrir (chez le Peltogaster sulcatus et le microstoma) quel- (1) D’après M. Darwin, le ciment de la Coronula balænaris pénètre dans l’épiderme des Baleines et se confond avec lui de la même manière qu'ici. GENRES LIRIOPE ET PELTOGASTER. ais que limite entre les deux sacs d'œufs primitifs. Tous les deux présentent alors un seul sac entouré en debors par la membrane intérieure de la cavité du corps. Mais chez le Peltogaster Paguri, j'ai pu découvrir au moins à la partie postérieure du corps une limite entre eux; quoiqu'ils étaient si grands, qu'ils remplis- saient tout le corps (1). Lorsque l'animal est dépouillé de sa peau, les sacs d'œufs se présentent comme un seul sac, dont les parois sont formées par la membrane qui a tapissé la cavité du corps. Mais en les examinant avec plus de précision, on les trouve avoir sous ce sac extérieur leur propre vêtement ou leurs propres sacs. Les parois en sont moins transparentes, d'une consistance moins solide, d’une structure cellulaire, et contenant des substances formatrices. Au moins, c’est le cas pour le Pelto- gaster sulcatus, représenté ici. Il s'ensuit donc que ce sont les sacs d'œufs eux-mêmes qui fonctionnent comme des matrices, et non pas la cavité du corps, ou le ventricule, comme M. Rathke le présumait. Lorsque la membrane qui enveloppe antérieure- ment les sacs d'œufs éclate, les petits en sortent directement par l'ouverture antérieure de la cavité du corps et s’échappent par cette voie. Probablement l'existence de l’animal maternel finit avec l’accomplissement de la destination propagatrice, comme c’est le cas avec d’autres parasistes. Et par là nous pou- vons nous expliquer la transformation des ovaires en ces énormes sacs d'œufs , qui contiennent une infinité d'œufs ou de petits. J'ai une fois trouvé deux exemplaires du Peltogaster sulcatus qui étaient morts et complétement vidés , mais encore fixés sur l’ab- domen du Pagurus chiracanthus, Lili. J'ai trouvé dans la même matrice, et des petits nouvellement éclos, et des œufs non éclos. I parait donc quele développement des œufs ne se fait pas simul- tanément, quoique la différence à cet égard soit peu considérable. L'organe d’accrochement, ayant en général la forme d'une jatte ou d’un entonnoir, et étant fixé sur un col plus ou moins long, (1) Surle Peltogaster que représente la première figure et qui est vu sa face supérieure, j'en ai observé la limite tout le long du corps ; mais chez celui que représente l’autre figure et qui est vu par sa face inférieure, dépourvue de l'organe d’accrochement, je ne l'ai distinguée qu’à la partie postérieure du corps. ll LILLJEBORG. est toujours d’une consistance plus dure que la peau environnante, et plusou moins corné, selon l’âge de l’animal. Chez des individus plus jeunes, où la sécrétion du ciment n’a pas été si grande, cet organe est moins dur et d'une couleur plus claire. Chez les plus âgés, il est au moins en partie dur et solide, et la couleur en est alors d’un brun plus ou moins foncé (1). Il offre toujours au milieu une ouverture par laquelle le Peltogaster suce probable- ment ses aliments sur l'animal auquel il est adhérent. Cette ouverture se prolonge par le col de l’organe d’accrochement, ainsi qu'au travers de l’épiderme et du derme qui est en dessous. M. Rathke nie l'existence de cette ouverture, croyant que la susdite ouverture, à l’une des extrémités, conduisant dans la cavité du corps, et étant probablement destinée à faire sortir les petits, est au contraire la bouche. Comme il à été dit plus haut, la forme de l'organe d’accrochement, ainsi que la manière dont il est fixé sur son hôte, paraît prouver qu'il est, comme chez les autres Cirripèdes, au moins en partie formé par uue sécrétion du ciment (2). Conformément à ce qui a lieu chez les autres Cirripèdes, selon Darwin, cet organe paraît être aussi formé par une transformation des antennes de la seconde paire ou extérieures (prehensile), qui, chez les larves, sont formées dans les apophyses latérales de la partie antérieure du corps ; et comme la bouche est située dans cet organe, il parait qu'il a aussi été formé par la transformation de la bouche tubuleuse de la larve. Chez les différentes espèces, cet organe présente des formes différentes, et parait fournir un bon caractère pour les distinguer. Là où il est fixé, l'épiderme est toujours plus solide et plus épais, et il s’étend parfois même comme un bouclier sur l’épiderme. Quelquefois on ne voit sur l'épiderme, autour de sa base, qu'un anneau de tissu plus solide. Lorsque les Pellogaster qui ont l'or- gane d'accrochement arrondi et non rameux ont été séparés de l'abdomen du Pagurus, j'ai trouvé un trou arrondi dans la peau de (4) La substance (ciment) de laquelle il est formé est probablement chitineuse. (2) J'ai une fois observé chez le Peltogaster Paguri une partie du canal attachée par lune des extrémités à la partie inférieure de l’épiderme, qui pourrait être un canal de ciment (fig. 35). Je croyais y voir en et en à des élargissements glanduleux. GENRES LIRIOPE ET PELTOGASTER. 315 celui-ci, là où l'organe d’accrochement était fixé. Ils ont sans doute sucé leur nourriture par ce trou, et par conséquent on ne doit pas seulement envisager cet organe comme un simple mstrument d’accrochement, mais aussi comme un organe servant à recevoir la nourriture, quoique M. Rathke ait été d’un avis opposé. Quant à l'ouverture de la cavité du corps, située à l’une de ses extrémités, nous l'avons déjà déerite, et n'avons plus besoin d’y revenir. La larve, ou le petit nouvellement éclos, est moins allongée que les larves des autres Cirripèdes. La partie postérieure du corps n'est pas pointue, comme chez celles-ci, mais arrondie et obtuse, comme celle des larves des Lernéides ou des Copé- podes. Mais la larve du Peltogaster diffère de ces dernières par une apophyse proéminente de chaque côté de l'avant-corps, qui en sort inférieurement. Chez les petits nouvellement éclos, elle est accolée au corps, de manière qu'il est difficile de la voir. Comme les antennes de la seconde paire ou extérieures se for- ment dans ces apophyses, et que c’est avec elles que le Cirripède s'accroche plus tard, il est évident que ces apophyses sont de la plus grande importance, et que l'on peut envisager leur présence comme caractérisant complétement l'animal. Les larves des Cirripèdes se distinguent aussi de celles des Lernéides et des Copépodes par la prompte présence de la première paire des antennes sous une autre forme que celle de pattes. Chez les larves nouvellement écloses, ainsi que chez celles qui ne l’étaient pas encore, je n'ai pu découvrir ces antennes (1). (4) D’après M. Claus (Zur Anatomie und Entwickelungsgeschivhte der Copepoden, in Troschels Archiv für Naturgeschichte, 24° Jahrg., 1858, 15 H., p. 1; et Ueber den Bau und die Entwickelung parasiticher Crustaceen, Cassel, 1858, p. 5), les parties de la bouche, chez les Copépodes,'se forment de la troisième paire de pattes des larves dans les premiers degrés du développement, et les antennes de la première et de la seconde paire de pattes de ces larves. Comme chez les larves des Cirripèdes, les pattes, d’après Darwin, n’ont point de signification comme des antennes futures, les parties appendi- culaires de la bouche des Cirripèdes devraient, par analogie avec l’ordre du dévelap- pement des parties chez les Copépodes, se former de la première paire de pattes de leurs larves. Mais Darwin pense que cette paire de pattes répond à la seconde paire de pattes ou cirres, chez les individus développés. Nous voyons cependant qu'il y a ici une grande différence dans le développement des Cirripèdes et des Entomostracés, 316 LILLJEBORG. Jusqu'à présent on n’a pu découvrir aucun individu de ce genre qui füt fixé sur d’autres Crustacés que des espèces du genre Pagurus. Hs sont ordinairement placés sur le côté gauche de l'abdomen , de manière que l'ouverture qui conduit à la cavité du corps est dirigée vers la partie antérieure du corps du Pagurus, et par conséquent vers l'ouverture de la coquille où le Pagurus demeure. C’est probablement pour que les petits, qui viennent de la première ouverture, puissent en sortir avec d’au- tant plus de rapidité. Is sont dans un rapportdirect avecla gran- deur du Pagurus ; de sorte que sur de grands Pagures on trouve de grands Peltogasier (qui, pour la plupart, sont de l'espèce du Pellogaster Paguri), et vice versâ. Sur la plus petite espèce du genre Pagurus (Pag. chiracanthus), qu'on trouve parfois dans des coquilles aussi petites que celle du Cerithium reticulatum, j'ai trouvé des exemplaires du Pellogaster microstoma qui n'avaient que 2 millimètres de longueur. Ceux-ci ne contenaient point d'œufs, mais j'observais tout près de leur organe d’accroche- ment, qui était peu développé, quelques longs et fins fils qui paraissaient être creux et former des canaux, appartenant peut- être à l'appareil de cimentation. M. Rathke a aussi trouvé des fils semblables placés dans deux mamelons sur là membrane du «sac digestion », et probablement en communication avec les parties que nous avons déjà décrites, dans la supposition qu'elles sorent des organes génitaux masculins. Peut-être ces organes, aussi bien que les organes génitaux féminins, contribuent-ils à la produc- tion du ciment. Après cet exposé du caractère général du susdit genre, nous passons à la description des trois espèces qui nous sont connues. Le tableau ci-joint facilitera leur distinction. PELTOGASTER. FUMER ee eee usuel: E ef) P. Pagquri. Organum adfigendi sive magna, marginata. ... P. sulcatus. acetabulum. simplex. Apertura corporis antica..] minima, neque margi- HE Goo re . P. microstoma. GENRES LIRIOPE ET PELTOGASTER. 317 PELTOGASTER PAGURI, H. Rathke. Diagn. Acetabulum in medio latere ventrali situm, ramosum. Longit. maxim. cire. 16 millim. (Fig. 1, 2, 8.) PELTOGASTER PAGURI, H. Rathke, Reisebemerkungen, loc. cit., p. 105, tab. VI, fig. 12-15 — Beiträge z. Fauna Norw., loc. cit. p. 245, tab. XII, fig. 17. Celui-ci est la plus grande des espèces connues jusqu’à présent. Il est assujetti à des variations non-seulement dans sa forme, mais aussi dans la structure de l'enveloppe du corps; même la structure de l'organe d’accrochement et de l'ouverture à l’extré- mité antérieure du corps varie jusqu’à un certain point. La forme du corps des deux exemplaires que j'ai pris moi-même était telle que la figure 1 b le présente, vu d’en haut, et la figure 2 6, vu du côté gauche. Mais c'était des individus assez petits ; l'un était long de 8 millim., etl’autre de 4. Le dernier avait des œufs, mais le premier en manquait. La forme est plus lourde que chez les deux autres espèces, presque cylin- drique, la partie antérieure bien plus grosse que la postérieure. Le corps est très-courbé dans une direction parallèle à la cour- bure de l'abdomen du Pagurus, ou plutôt à la courbure de la coquille. La peau est égale, en exceptant quelques plis longitu- dinaux et transversaux, et est en général épaisse et peu transpa- rente, surtout chez les plus jeunes individus. L’épiderme, qui est particulièrement transparent, paraît en général un peu élevé au-dessus de la couche dermique. Du côté inférieur se trouve une area allongée où la peau est moins transparente, probablement par suite de l'épaisseur et de l’opacité de la peau intérieure. Les quatre exemplaires plus âgés que M. le professeur S. Loven a eu la bonté de me prêter, étaient remplis d'œufs et avaient la partie postérieure du corps un peu moins amincie que les autres exemplaires. Sur la peau supérieure et intérieure de l’un d'eux, j'ai trouvé aux deux extrémités du corps de petites épines. C'était aussi le cas pour les deux autres ; mais le quatrième exemplaire, qui était le plus grand (fig. 7), n'en présentait pas même de 5e série. Zoor. T. IL. (Cahier n° 6.) 1 21 918 LILLJEBORG. traces, de sorte que ces épines ne peuvent pas être considérées comme distinctives pour l'espèce. Du reste, tous les quatre se ressemblaient presque entièrement, et furent trouvés sur la même espèce du Pagurus, le P. cuanensis, et dans la même localité. L'’organe d’accrochement (acetabulum) est plus grand chez cette espèce que chez les autres, et en diffère beaucoup sous deux rapports. Premièrement, il est fixé sur un bouclier élargi, corné et allongé, ayant la pointe des deux extrémités obtuse, et placé sur la partie médiane et inférieure du corps. Secon- dement, les bords en sont plus élargis et se dispersent en plu- sieurs rames, qui se confondent peu à peu avec la peau exté- rieure de l'abdomen du Pagurus. Le bouclier s'étend seulement un peu sur la partie inférieure du corps. Chez les individus plus âgés, on trouve cette matière cornée, cette chitine ou ce ciment dont cet organe est formé, plus solide et d'une cou- leur plus foncée. Leur bouclier est aussi plus grand. On observe chez les individus plus jeunes, autour de la partie centrale plus foncée et solide du bouclier, quelques raies claires et con- centriques, qui, quoique différant de l'épiderme, n’ont pourtant pas encore recu cette solide consistance qu'on trouve à la partie centrale. Il est donc clair que le bouclier est formé par une addi- tion de nouvelles couches concentriques de ciment à l’entour des parties centrales, ainsi que par une addition de substance de ciment à ces dernières. On remarque encore, entre le bouclier et l'acetabulum, un petit col creux de la même substance et de la mème couleur que ces deux parties auxquelles il est étroitement uni. Ce col est visible au-dessus de la peau de l'abdomen du Pagurus. J'ai déjà dit que cet organe est probablement formé par suite d’une transformation et d'une union des antennes exté- rieures et des parties de la bouche chez les larves, et enfin par suite d’une sécrétion de ciment, comme chez d’autresCirripèdes. L'ouverture qui se trouve à l'extrémité antérieure du corps, et qui conduit à la cavité intérieure, est située à peu près au milieu de cette extrémité, qui est plus obtuse. J'ai trouvé que non-seulement la grandeur de cette ouverture, mais aussi que le nombre des plis de la peau qui forme le tube entourant la sus- GENRES LIRIOPE ET PELTOGASTER. 319 dite ouverture, sont assujettis à des variations. La même mem- brane qui tapisse les parois intérieures de la cavité du corps, lapisse aussi les parois iutérieures du tube. La couleur en est variable. Chez ceux de la figure 1 et 2 elle était jaune verdàtre ; chez les autres, qui étaient remplis d'œufs bien développés, elle était rougeûtre. Ii a été trouvé sur le Pagurus Bernhardus, pubescens, cuanen sis et sur le P. chiracanthus, près des côtes de la Norvége, et de Bohuslän, en Suède. M. Rathke l’a trouvé sur lepremier, et moi sur le Pag. pubescens et chiracanthus, et, d'après Krôyer, il paraît que c'est la même espèce que ce naturaliste a trouvée sur le Pagurus Bernhardus et pubescens. M. Loven l'a trouvé sur le Pag. cuanensis à Bohuslän, et probablement aussi sur le Pag. Bernhardus. On le trouve ordinairement tout seul, mais quel- quefois avec un autre individu, sur le même Pagurus. PELTOGASTER SULCATUS, nov. sp. Diagn. Acetabulum pone medium situm, simplex, margine expanso, radiato. Infra inter acetabulum et aperturam corporis anteriorem magnam et marginatam bisulcatus. Longit. cire. 7-8 millim. (Fig. 9.) Celui-ci est bien plus petit que le précédent et a une forme plus cylindrique (fig. 9). Il paraît en général être plus gros à l'endroit où l'organe d'accrochement est fixé. Les deux extré- mités du corps sont courbées vers le bas, quoique pas beaucoup. La partie du corps qui est derrière l'organe d’accrochement est plus courte et plus mince que la partie antérieure. Dans le voisi- nage de l'organe d'accrochement se trouvent quelques plis transversaux. Entre cet organe et l'ouverture antérieure se trouvent deux sillons longitudinaux et parallèles, Parfois on y découvre plusieurs plis longitudinmaux sur la peau, et celle-ci est assez épaisse et à peine transparente. L'organe d’accrochement est très-développé, quoique plus petit que celui de l'espèce précédente. On y peut très-bien dis- tinguer le col, etles bords en sont tournés en dehors et présentent 320 LILLJEBORG. des sillons rayonnants. Au milieu se trouve une élévation, où l’on découvre une petite ouverture (la bouche) entourée d’un anneau brun et corné. Le reste, quoique en apparence d’une consistance plus solide que la peau, est pourtant de la même couleur que cette dernière. On ne remarque point de bouclier à sa base, mais l’épiderme forme un bord plus dur et élevé autour de celle-ci, et en dehors de ce bord on découvre dans l’épiderme une raie d’une substance plus solide et plus opaque. La partie antérieure du corps présente un tube court, courbé en bas et pourvu de plis longitudinaux, et qui entoure la grande ouverture qui s y trouve (fig. 9, 6). Au-dessus de cette ouver- ture j'ai trouvé, entre la peau et le sac d'œufs qui remplit le corps, une petite lacune (espace vide). Comme je n'ai pas eu l'occasion de voir des exemplaires vi- vants, je ne puis en préciser la couleur, mais celle de ceux qui se trouvent dans l’esprit-de-vin est jaune blanchâtre. Il a été trouvé sur le Pagurus cuanensis, Thompson, Bell, et sur le Pag. chiracanthus, Liljeb., sur les côtes de la Norvége. Le doc- teur G. Lindstrôm en trouva jusqu'à sept sur le même mdividu du Pag. cuanensis. La partie antérieure du corps est pour la plupart dirigée un peu vers la droite, au-dessus de l'abdomen du Pagurus. . PELTOGASTER MICROSTOMA, nov. sp. Diagn. Acetabulum pone medium situm, minimum, margine vix expanso et radiato. Apertura anterior minima, vix visibilis, neque marginata. Longit. 5-6 millim. (Fig. 11.) Ce Peltogaster est plus petit que le précédent, et se distingue des autres par son très-petit organe d’accrochement et par sa petite ouverture antérieure du corps à peine visible. J'en ai trouvé la forme bien changeante. Tantôt je l'ai trouvé cylindri- que, ressemblant beaucoup au précédent (fig. 11); tantôt je l’ai trouvé aplati, surtout vers l’endroit où est placée l'ouverture, et parfois même courbé en dedans. Ces variations sont probablement une suite de la pression plus où moins grande de la coquille qui GENRES LIRIOPE ET PELTOGASTER. 321 l'entoure, à laquelle l'animal est exposé. Elles doivent dépendre aussi de ce que la peau est très-mince et même beaucoup plus mince que chez les autres, et qu'elle offre par conséquent moins de résistance. L’organe d’accrochement ne se trouve pas, de même que chez le précédent, sur le milieu du corps, et la partie du corps qui en est en avant est la plus grande et la plus longue. La peau est égale et très-transparente. L'organe d'accrochement est très-petit, pourvu d'un col fort court et de bords peu pliés en dehors et à peine rayonnés. Ils ont la même couleur que la peau du Peltogaster. On pouvait croire par là qu'ils étaient des individus assez Jeunes, mais comme je les ai trouvés pleins d'œufs et de petits, ils doivent être complétement développés. La peau forme, comme chez le pré- cédent, un anneau élevé autour de l'organe d’accrochement. L'ouverture antérieure (fig. 11, a) est très-petite et à peme visible ; elle ne se trouve pas au milieu de l'extrémité du corps, et elle n’est pas entourée d’un bord élevé et plissé.… La couleur en est jaune blanchâtre ou d’un rouge clair. Le petit, ou la larve, n'étant pas encore sorti de l'œuf ou ne l’étant qu'à peine (fig. 11), ressemble beaucoup à celui que M. Lindstrüm a figuré. Il n’est pas encore assez développé pour que l’on puisse voir le germe des antennes dans les apophyses de la partie antérieure du corps. On n’y voit qu'une raie formée de la même matière dont se forment les antennes. Ces apophyses étaient appliquées contre le bord du corps et ne furent visibles qu'après une forte pression. De même que MM. Spence Bate (1) et Darwin les ont trouvées chez les larves des Cirripèdes, elles sortent certainement aussi, chez cette larve, du côté inférieur du corps, de même que les antennes qui s’y forment, et n'appartiennent par conséquent point au bouclier dorsal. Chez la plupart des in- dividus, la partie postérieure du corps manquait des deux petites parties proéminant du côté inférieur, qui se trouvaient chez celui qui est figuré sur notre planche. On pourrait donc les envisager (4) On the Development of the Cirripedia (Annals and Magazine of Nat. History, 2e series, 1851, vol. VIIT, p. 324). 322 LILLJEBORG. comme une marque d’un développement plus avancé. La tache de pigment, à la place de l’æil, étant d’une couleur brun rou- geätre, ne peut être qu'un œil rudimentaire. Il a beaucoup de ressemblance avec l’œil des larves des Copépodes. Il a été trouvé surle Pagurus chiracanthus et surle Pag. levis, Thompson, Bell, en Norvége. Il n'y paraît pas être bien rare. Enfin, jetons un coup d'œil sur le rapport entre la Pachy- bdella et le Peltogaster, ainsi qu'entre eux et les Crustacés, qui leur sont le plus proches, et par conséquent aussi sur leur place dans le système. Les descriptions données ci-dessus, quoique incomplètes et fondées sur des individus conservés dans de l’esprit-de-vm, prou- vent pourtant que les animaux formant ces deux genres diffè- rent tellement l’un de l'autre, qu'ils appartiennent non-seule- ment à des genres différents, mais qu'ils forment deux familles distinctes. Tout concourt à prouver que la Pachybdella est sur un point de développement bien plus haut que le Peltogaster, et quant à la structure, la première présente plus d’analogie avec les Cirripèdes ordinaires que le dernier. Si nous examinons là Pachybdella ouverte, nous voyons qu'elle a un manteau ou sac comme les autres Cirripèdes, et que ce sac entoure le corps gros et charnu qui, quoique bien transformé, présente pourtant dans sa forme quelque ressemblance avec celle du corps (#horax) d’un Balanide, lorsqu'on en a ôté tous les membres appendiculaires, qui ont disparu complétement chez la Pachybdella. Nous trouvons chez celle-ci, ainsi que chez les Cirripèdes en général, des «cæcums ovariens» extérieurs et ra- meux, situés entre le manteau et le corps (thorax). La forme exté- rieure ne diffère pas trop de celle du Cryptophialus mâle, de Darwin (1). L'état en est tout autre avec le Peltogaster (voy. par (1) Quant à la structure intérieure du Cryptopmalus , elle paraît plus ressembler à celle du Peltogaster. Comme Darwin le dit de certains mâles (vol. II, p. 23), qu'ils sont par rapport à la structure tellement réduits, qu'ils ne représentent que des sacs remplis de spermatozoïdes (bags of spermatozoa), on peu taussi dire des Peltogaster compléte- ment développés, qu'ils ne sont que des sacs remplis d'œufs. GENRES LIRIOPE ET PELTOGASTER. 823 exemple la fig. 9). La couverture extérieure du corps, ou la peau, peut bien ici être comparée au manteau des Cirripèdesordi- uaires, ayantiei, comme chez la Pachybdella, une ouverture (en b). Mais ce manteau n'enveloppe pas un corps charnu séparé, et l'on ne trouve en dedans de lui qu'une cavité tapissée d’une mince membrane. Dans cetie cavité on trouve parfois accumulés les aliments que l'animal à probablement sucés du corps de son hôte, et sur le fond on trouve les deux ovaires primitifs sacci- formes, qui s’enflent en se développant, de manière à constituer deux sacs d'œufs qui remplissent toute cette cavité. Comme on peut trouver des analogies entre la Pachybdella et les Cirripède ordinaires, on peut en trouver entre le Peltogaster etles Cirripèdes extraordinaires, comme Proteolepas de Darwin. La forme exté- rieure du corps chez celui-ci ressemble beaucoup à celle du Pelto- gaster, excepté qu'il a le corps segmenté. Comme le dernier, il n à point de ventricule distinct et presque toute la cavité du corps est occupée par un grand sac d'œufs (peut-être par deux?). Outre ce sac, il a encore deux ovaires sacciformes, ressem- blant aux deux ovaires primitifs que j'ai trouvés chez le Pelto- gaster. Après ces comparaisons, 1l est évident que, si l’on peut envisager la Pachybdella et le Peltogaster pris ensemble comme étant inférieurs à tous les autres Cirripèdes, et par conséquent à tous les autres Crustacés, le Peltogaster est le plus inférieur de tous. Is paraissent, en général, montrer le plus d’affinité avec l’or- dre des 4poda de Darwin ; mais le corps segmenté chez ceux-ci, la bouche pourvue de parties appendiculaires, et les antennes préhensiles, jusqu'à un certain point permanentes, les éloignent des premiers, que je voudrais appeler Cirripedia sucloria , parce qu'ils sucent certainement leur nourriture de l'animal sur lequel ils sont fixés. Si l’on met les Cirripèdes sur une ligne parallèle avec les autres Crustacés, les Cirripedia sucloria doi- vent être considérés comme analogues aux Lernéides, parmi ces derniers. 324 LILLJEBORG. EXPLICATION DES FIGURES. PLANCHE 20, Fig. 1, a. Liriope pygmæu femelle, contenant des œufs et des petits, et attachée au Peltogaster Paguri, b, lequel est fixé à son tour sur le Pagurus pubescens, Krüyer, vus du côté supérieur. Fig. 2, a. Liriope pygmæa femelle, et b, Peltogaster Paguri sur l'abdomen du Pag. pubescens, vus du côté gauche; €, l'ouverture antérieure du corps du Pe/to- gaster Paguri. Fig. 3. Liriope pygmæa femelle, vue du côté supérieur, morte et conservée dans l’esprit-de-vin : a, l'extrémité antérieure du corps, ou céphalothorax ; b, la partie postérieure du corps, ou la matrice ; e, le côté droit ; d, le côté gauche. Fig. 4. Liriope pygmæa femelle, vue du côté antérieur : a, céphalothorax ; b, le côté inférieur avec la fissure de la matrice. Fig. 5. La larve vue du côté supérieure : a, a, les antennes antérieures ou de la pre- mière paire ; b, b, les antennes postérieures ou de la seconde paire; c, c, les pattes thoraciques des cinq paires antérieures ; d, d, les pattes thoraciques de la sixième ou dernière paire ; e, e, les pattes abdominales des cinq paires antérieures ; f, f, les pattes abdominales de la dernière paire, ou les pattes caudales. On voit des vésicules d'une grandeur différente, et au milieu du corps des taches continues plus sombres, marquant le tube alimentaire. Fig. 6. Pachybdella Carcini, animal vu du côté antérieur (la figure donnée par le professeur S Loven): a, acetabulum ; #, l'ouverture du pallium. Fig. 7. L'animal ouvert : a, acetabulum; à, l'ouverture du pallium; €, le corps charnu ; d, d, les ovaires extérieurs rameux. Fig. 8. Peltogaster Paquri, un exemplaire rempli d'œufs, d’une longueur de 43 millim., vu du côté supérieur: @, acetabulum; b, l'ouverture antérieure du corps ; ce, l'extrémité postérieure du corps, avec une fissure et une ligne de démar- cation intérieure entre les deux sacs d'œufs, qui se continue vers l'extrémité anté- rieure. Fig. 9, Peltogaster sulcatus, l'animal vu du côté gauche: a, l'organe d'accrochement ; b, l'ouverture antérieure du corps. Fig. 10. L'animal rempli d'œufs, et après que la couverture du corps ou le pallium aété détaché. On voit les deux sacs d'œufs complétementunis et entourés de la mem- brane mince qui tapisse la cavité du corps, et qui, au moyen d'un tissu cellulaire, adhère au côté intérieur du pallium ou de la peau. Cette membrane se prolonge à b, sur les côtés intérieurs du tube court qui entoure l'ouverture antérieure du corps ; a, a, les deux parties que j'ai supposé être des organes génitaux masculins, et peut-être des vesiculæ seminales, Fig. 11. Peltogaster microstoma, l'animal vu du côté latéral gauche, la forme cylin- drique : a, l'organe d'accrochement ; d, l'ouverture antérieure du corps. SUPPLÉMENT AU MÉMOIRE SUR LES GENRES L/RIOPE ET PELTOGASTER, PAR M. W. LILLJEBORG. Parmi les collections que j'ai emportées en 1858 des côtes de la Norvége, j'ai trouvé encore un exemplaire un peu moins déve- loppé de la femelle de la Ziriope, fixé sur le Peltogaster Paguri, Séjournant aux bords de la mer de Bohuslän, en Suède, pen- dant l’été de 1859, j'eus l'occasion d'examiner un exemplaire vivant de la Pachybdella Diesing, ou Sacculina Thompson, ainsi que plusieurs exemplaires du Pellogaster Paguri, et du P. sul- catus. J'obtins en outre deux genres nouveaux appartenant à ce groupe d'animaux, dont l’un s'approche de la Sacculina et l’autre du Peltogaster. Je vais à présent exposer, comme sup- plément à mon mémoire précédent sur le même sujet, les obser- vations que m'ont fournies ces nouveaux matériaux. LIRIOPE, H. Rathke. Sur un exemplaire assez petit du Pagurus pubescens, pris à Bergen, en Norvége, j'ai trouvé un Peltogaster Paguri, long seu- lement de 5 nullimètres 1/2, qui avait sur lui une femelle de la Liriope pygmæa, large de 2 millimètres 1/2. Toute la partie antérieure de la Liriope, que j'ai représentée dans mon mé- moire précédent sur la planche 20, fig. 3, a, a pénétré au tra- vers de la peau du Peltogaster, de manière à ne pas être visible au dehors de ce dernier. La partie du corps où la Liriope est fixée se trouve enflée, ce que l’on doit sans doute attribuer à l'influence de cet animal. Le Peltogaster était opaque et d’une couleur blanchâtre, mais il manquait d'œufs, au moins d’après ce que j'ai pu observer. Il offrait par conséquent la même forme que celui 326 LILLJEBORG. sur lequel j'ai trouvé la Liriope, dont j'ai parlé dans mon mémoire précédent. Le corps de la Liriope dernièrement trouvée est plus distenduet arrondi que celui de l'individu précédent, et n’a point de plis ou de rides. En la voyant d’en haut, elle est presque trans- versalement ovale, ayant une convexité assez régulière et une déclivité plus marquée en arrière. La partie la plus élevée ou la plus convexe est le petit col, qui paraît complétement traverser la peau du Peltogaster. Par derrière, elle est plus arrondie. A la partie postérieure, on voit dans un petit enfoncement l'ouverture anale, entourée de points foncés et d’un bord un peu saillant. Au-dessous le corps est moins convexe qu'au-dessus, et n'a point une fissure longitudinale, comme l'avait l'exemplaire compléte- ment développé que nous avons décrit dans le mémoire précé- dent ; elle parait donc être bien moins développée que ce dernier. La couleur en est blanc-jaunâtre. L’abdomen du Pagurus était au contraire plus foncé qu'à l'ordinaire, presque noir. SACCULINA CARCINI, J, V. Thompson * (Entomol. Magaz., vol. HI, page 452, London, 1836). Depuis que mon dernier mémoire sur ces animaux a été im- primé, j'ai eu l'occasion de voir trois mémoires touchant le même sujet, lesquels m'étaient alors inconnus. Je vais done pre- miérement en exposer le contenu. Le premier est celui de M. Thompson que j'ai cité ci-dessus, et sur lequel M. Leuckart (dans Troschel's Archiv für Naturgeschichte, 25. Jahr. 1859, T. Bd., p. 234) avait fixé notre attention. Cet auteur distingué, qui a enrichi la science de plusieurs recherches très-importantes, entre lesquelles je veux surtout nommer sa description du déve- loppement des Décapodes et des Cirripèdes, a donné, dans le mémoire que nous venons de nommer, à l'animal en question, le nom de Saceulina Carcini. I en a décrit la structure tant exté- rieure qu'intérieure, et enfin le développement. Il paraît qu'il a eu de riches matériaux, et il raconte qu'il a quelquefois trouvé trois exemplaires de la Sacculina fixés sur le même Carcinus mænas. Comme il a trouvé ce parasite sur le mème Crustacé que GENRES LIRIOPE ET PELTOGASTER. 327 Rathke, Loven et moi nous l'avons fait, 1l paraît certain que le sien est de la même espèce que le mien, malgré la petite diffé- rence qu'offrent ses figures. Cette différence, qui consiste princi- palement en ce que les parties latérales de la Sacculina sont plus étroites et plus proéminentes, peut avoir sa cause dans un dessin moins exact, fait peut-être d'apres un exemplaire aplati et con- servé dans l’esprit-de-vin. Mais ce qui peut aussi en être une cause, c’est que la forme de la Sacculina est sujette à un change- ment assez remarquable à mesure qu'elle resserre plus ou moins le pallium, ou qu’elle absorbe une quantité d’eau plus ou moins grande, ce que j'aieu moi-même l’occasion d'observer. En plon- geant la Sacculina fixée sur le Carcinus mænas dans de l'esprit de-vin, ce dernier animal, en resserrant fortement l'abdomen, occasionne chez la Sacculina une forme aplatie. En absorbant une plus grande quantité d’eau, elle reçoit une forme plus enflée et arrondie, comme la figure 13 le représente. Après avoir vidé et abandonné les tubes ovifères, l'animal prend une forme plus rétrécie. La description des parties mtérieures est bien courte ; ce qu'il y a à observer, c’est que tout le corps intérieur a été en- visagé comme une glande testiculaire, quoique l’auteur n’y ait pas trouvé de spermatozoïdes. L'organe d'adhésion y est décrit comme rameux et articulé, malgré les figures qui n’en démon- trent rien. Quant à des articulations, je n’en ai rien observé, mais bien quelquefois que les bords en sont un peu rameux. Les observations sur le développement sont d’un intérêt bien grand ; aussi sont-elles les meilleures qui aient été faites jusqu'à présent ; elles confirment d’une manière évidente mon opinion que la Sacculina est un Cirripède. Thompson a eu l’occasion d'examiner et de figurer deux larves de degrés de développement moins avancés. La première figure, qui montre la larve telle qu'elle était en sortant de la mère (probablement sous une com- pression légère), correspond parfaitement avec la larve nouvel- lement éclose que Cavolini avait représentée; elle est un peu plus grossie et d’une forme plus allongée, ce qui peut avoir sa cause dans un développement un peu plus avancé. La seconde figure est probablement aussi prise d’une larve trouvée chez la 328 LILLIJEBORG. mère, (quoique rien n’en soit dit précisément. Thompson s'ex- prime de la manière suivante : « Several years elapsed before I » discovered this same larva in its advanced state, which I have » since found to abound in the harbour of Cove during the spring » months, etc. » Comme Thompson connaissait bien les larves des autres Cirripèdes, il a dù concevoir qu'il était possible de confondre la larve en question avec celles-ci, en cas qu'il ne l’eût trouvée que nageant au port de Cove. Cela posé, on pourra expliquer la citation ci-dessus de la manière suivante : il a pre- mièrement trouvé cette larve chez la mère, et puis à l’état libre dans le port de Cove. Le dessin qu'il présente de cette larve diffère extrèmement de celui de la première, et il aurait cer- tainement trouvé leur commune origine douteuse, s'il ne les avait pas trouvées toutes les deux chez la mère. Cette larve présente tous les signes caractéristiques d’une larve de Cirri- pède, mais diffère pourtant de la forme ordinaire d'une telle larve au même degré de développement, en ce que le tégument dorsal présente à la partie postérieure trois apophyses aiguës au lieu d’une seule. La larve plus jeune diffère aussi de la larve ordi- naire des Cirripèdes, en ce qu'elle présente à la partie postérieure et supérieure du corps deux apophyses aiguës au lieu d'une seule. M. Thompson a compris que cette larve à la plus grande analogie avec celles des Cirripèdes, mais il considère pour- tant ce parasite comme différent, soit des Cirripèdes, soit des autres Crustacés. Quant à son affinité avec les Lernéides, il n’en exprime pas la moindre supposition. L'exposé du mémoire de Thompson dans les Archives de W'iegmann pour l'année 1837, p. 248, parait donc être inexact, en ce qu'il fait entendre que M. Thompson a considéré la Sacculina comme un Lernéide. A cause de la difficulté que la plupart de mes lecteurs trouveront peut-être pour se procurer ce mémoire, 1l me sera permis d'ex- poser ce qu'ildit de l’affinité de la Sacculina avec lesautres Crus- tacés. Page 455, il dit: «Some important results and reflections » naturally present themselves from a consideration of the fore- » going detail, but they derive of tenfold degree of interest by GENRES LIRIOPE ET PELTOGASTER. 329 » the subsequent discovery of the metamorphosis in the peduncu- » lated Cirripedes, as developed in the Memoir read before the » Royal Society. Without this we should still remain ignorant of » the real affinities of this curious parasite, and the mystery of its » procreation. That it agrees with no tribe of the Crustacea is » apparent, not even with the Cirripedes ; nevertheless, its con- » cealed affinity to these latter becomes evident, on a comparison » Of the respective larvæ ; and yet how different and masked is » the perfect animal, which presents us with another point of » affinity in à union of the two sexes in the same individual ; » indeed the Sacculina furnishes the only example in nature » of an animal all generative organs, to the apparent exclusion of every other, — its body being entirely filled with the ovaria, and an enormous testicular gland. » De ce qui vient d'être cité, 1l paraît donc bien clair que la dénomination de Sacculina, donnée par M. Thompson à ce genre, à la priorité sur celle de Pachybdella donnée par Diesing, qui du reste est fondée sur-une idée fausse de la nature de l’ani- mal. Thompson et H. Rathke ont tous les deux, sans le savoir, donné le même nom de Carcini à cette espèce. Dans le mémoire cité ci-dessus, M. Leuckart a, d'après ce qu'il dit lui-même, donné une description bien défectueuse de la structure intérieure de la Sacculina, fondée sur l'examen d’un exemplaire qu'il a trouvé près de Helgoland, sous l'abdomen d'un Hyas araneus. Cette description est néanmoins la plus détaillée que nous possédions, et correspond pour la plus grande partie avec les observations que J'ai eu l’occasion de faire moi- même. Toutefois Leuckart n'a pas observé que l'animal en question est un Cirripède. Dans les Actes de la Société des sciences de Danemark (année 1855, p.127), M. H. Krôyer a publié une notice sur ses observa- tions sur la Pachybdella et le Peltogaster, dans laquelle il rap- porte qu'il a trouvé deux espèces du premier genre et quatre ou cinq du dernier. Sur des Hippolytes il a trouvé une forme appartenant à ce groupe d'animaux, à laquelle il a donné le nom de Sylon. Quant à des descriptions, iln°y en a point. DA > 330 LILLJEBORG. À la description dans le mémoire précédent nous ajouterons ce qui suit. La figure 13 représente une Sacculina vivante, de grandeur naturelle et étant un peu enflée par suite de l’eau qu'elle a absorbée. La largeur en est plus grande que la hauteur et l'épaisseur. Elle montrait à peine quelque mouvement, sinon qu'elle resserrait de temps en temps l'ouverture b, de manière que les rides sur le pallium autour de cette ouverture devenaient plusnombreuses et formaient au pallium un enfoncement, comme la figure le représente. Le pallium était un peu transparent, de manière que l'on pouvait indistinctement apercevoir les tubes oviferes. Dans le pallium, ou dans la partie de la Sacculina qui enveloppe les tubes ovifères et le corps intérieur, j'observais trois membranes distinctes. Extérieurement, se trouve une membrane chitineuse assez épaisse et opaque, et d’une couleur blanc- jaunâtre, ayant à la face intérieure une couche cellulare très- épaisse. Dans cette couche cellulaire j'observais des tubes rameux et anastomosants, contenant une matière plus foncée, qui sont probablement des tubes musculaires. Une membrane épaisse et opaque, légèrement attachée par du tissu connectif, se trouve au-dessous de cette couche, et paraît présenter une struc- ture plus compliquée. A l'extérieur, elle avait une mince lamelle chitineuse où l’on observait un grand nombre de bandes d'une structure plus solide, s'élevant un peu au-dessus de la lamelle, etse confondant avec celle-ci aux extrémités et quelquefois même au milieu. Sous cette lamelle chitineuse se trouvait une couche épaisse d’une substance intercellulare et de cellules peu dis- tinctes, entre lesquelles se trouvaient des fibres musculaires plus ou moins évidentes, faiblement liées ensemble et manquant de stries transversales. Cette membrane se détachait facilement des autres. Leuckart l'envisage comme, «eine art Fettkorper» ou «ein mit Fett durchwirkter Hautmuskelschlauch ». A l'intérieur de cette membranne musculaire se trouvait une autre, mince et transparente, contenant des cellules petites et irrégulières, et se détachant facilement de la précédente. A la partie supérieure du tube qui mène à l'ouverture de la bouche, les deux de ces mem- branes qui sont situées à l'intérieur s'unissent entre elles et avec GENRES LIRIOPE ET PELTOGASTER. 991 les membranes qui entourent le corps intérieur. Elles forment aussi le tube qui tapisse la face intérieure du col de l'organe d'adhésion. Tant à l'ouverture opposée de la bouche qu'à l’un des côtés du corps intérieur (le côté droit), ces deux membranes sont unies à celles qui entourent le corps intérieur. Le tube qui descend dans l'organe d'adhésion n’est pas contourné en forme de spirale. Le corps intérieur (corpus carnosum), chez l'animal vivant, dif- fère un peu de celui que j'ai décrit précédemment. Il est plus enflé et arrondi. Une coupe longitudinale par l'organe d'adhésion et l'ouverture opposée est à peu près elliptique. Le corps est entouré en dehors par une membrane chitineuse mince et transparente, sur laquelle on voit de petites cellules élevées et irrégulières, pro- bablement les nuelei des cellules, qui sont restés après que la mem- brane est devenue chitineuse. Cette membrane entoure le corps bien légèrement, et ressemble complétement à la membrane inté- rieure ou troisième du pallium. Elle est unie à cette membrane à la partie inférieure du corps, à l'ouverture du pallium ainsi qu’à la partie droite du corps, et peut en être considérée comme une continuation. Entre ces deux membranes se trouvent les tubes ovifères, légèrement fixés à l’une et à l’autre, sans être entourés d'aucune autre membrane sacciforme, de manière que les œufs étant éclos, les petits, après avoir quitté les tubes ovi- fères, peuvent sortir directement par l'ouverture du pallium. Dans un exemplaire où tous les tubes oviferes étaient vidés, j'ai seulement observé les restes des membranes qui les avaient for- més, et qui étaient alors placés au côté droit de l'ouverture du pallilum. Quelques rameaux de ces membranes s’étendaient avec leurs bouts déchirés jusque dans l'ouverture du pallium. Près de l'endroit dont nous avons parlé, et dans le voisinage de la glande rameuse, nous avons observé, dans le corps du même exemplaire, des tubercules cornés d’une couleur brunâtre et d'une forme irrégulière et variable. Peut-être ont-ils été pro- duits par une sécrétion de la glande rameuse. Tout près du côté droit de l'ouverture du pallium, j'ai observé l'ouverture au moyen de laquelle les ovaires intérieurs communiquent 092 LILLJEBORG. avec les tubes ovifères, et auprès de cette ouverture se trouvait un grand tronc de ces tubes. La partie mférieure du corps qui avoisine le tube qui descend dans l'organe d'adhésion est d'une couleur blanchâtre, et les ovaires intérieurs n’y pénètrent pas. La membrane musculaire qui forme les parois de cette par- tie est de la même nature que celle qui les forme dans les autres parties du corps intérieur, mais plus compacte qu'à l'ordinaire, à l'exception de la partie qui entoure l'ouverture du pallium. Elle offre une grande quantité de fibres musculaires pour la plupart peu connectées. Dans deux petits morceaux de cette membrane j'ai observé quelques fils plus gros et plus longs, enflés çà et là, et n'ayant point de stries transversales. À la place où ils étaient déchirés, ces fils présentaient une structure fibreuse. Un des fils était à l’une des extrémités un peu plus épais, et les renflements étaient plus fréquents et plus grands. Si ces fils ne sont pas des fibres nerveux, 1l m'a été impossible de découvrir la moindre trace d’un système nerveux. J'ai aussi trouvé de pareils fils chez les espèces du Peltogaster. Dans ladite partie inférieure du corps j'observais deux organes placés tout près l’un de l’autre, qui avaient la forme de sacs allongés. Vers le bout fermé, les parois étaient épaisses et compactes et d'une couleur blanchâtre, tandis que vers l’autre elles étaient minces et cellulaires. De petits glo- bules manquant de noyaux et d’une grandeur variable formaient le contenu de ces parties sacciformes. Un de ces organes a été observé par Thompson, qui dit qu'il est transparent; il sup- pose même que cet organe pouvait être un estomac. Sa forme a done certainement été différente de celle que j'ai observée, et l'organe doit avoir été plus grand. Ces organes paraissent répon- dre complétement à ceux que, dans mon mémoire précédent, j'ai regardés comme des ovaires primaires chez le Pellogaster Paguri, et comme des organes de génération masculins chez le Peltog. sulcatus. Par des observations sur le contenu des organes correspondants chez une forme voisine du Pellogaster, je suis porté à croire que ce sont des testicules. Il est bien à observer que chez le Peltog. sulcatus je les ai toujours trouvés plus grands chez des exemplaires qui étaient plus petits, et qui avaient les GENRES LIRIOPE ET PELTOGASTER. 333 ovaires et les œufs moins développés. Entre les cellules ayant un noyau distinct j'y ai aussi vu des globules plus ou moins grands, dont quelques-uns étaient d’une couleur brunâtre. Quant aux organes de digestion, je n’en ai rien vu de distinct. Mais si l'animal a un ventricule, il me paraît qu'il doit avoir sa place dans la partie inférieure du corps. La partie restante du corps intérieur est plus grande et d’une structure bien compliquée, et consiste principalement en un tissu musculaire et des ovaires, ainsi qu'en une glande assez grande qui, d'après Leuckart, paraît être une glande cimen- taire. La membrane musculaire qui forme les parois du corps ressemble à la deuxième membrane du pallium, mais j'y ai clai- rement vu que les fibres musculaires avaient des stries transver- sales. Extérieurement, elle est couverte d'une membrane extré- mement mince, probablement chitineuse, qui offre des bandes pareilles à celles de la seconde membrane du pallium. Le tissu intérieur, étant formé de fibres musculaires faiblement hées ensemble, est plus ou moins dense. Il est le plus dense près de l'ouverture du pallium, et forme une sorte de sphincter autour de celle-ci. En dedans le corps est partagé en plusieurs compar- timents où sont logés les ovaires rameux. La membrane musculaire qui couvre le corps intérieur, tout près de l'ouverture du pallium, ressemble à la précédente. Elle s'élève un peu au-dessus de la membrane musculaire voisine, et s'étend jusqu’à l'ouverture du pallium. Au-dessous de cette même membrane se trouve une grande glande formée de tubes rameux. Je n'ai pas observé son canal efférent, mais les tubes en étaient dirigés vers la partie supérieure, et donc probablement vers l'ouverture au moyen de laquelle les ovaires intérieurs communiquent avec les tubes ovifères. Ses tubes rameux étaient beaucoup plus minces que les tubes ovifères. La largeur en était à peu près de 0"",04. Les parois sont formées par des cellules irrégulières. Leuckart prétend qu'elles sont formées de cellules cylindriques. Cette glande était vide. Probablement le contenu en avait été déchargé lorsque les œufsquittaient les ovaires inté- rieurs et que les tubes ovifères se formaient. Cuez un autre 5° série, Zoo1. T. II. (Cahier n° 6) 2? 22 334 LILLIEBORG. exemplaire, j'ai trouvé cette glande remplie d’une matière cellu- laire, et les parois étaient, comme Leuckart le dit, formées de cellules cylindriques. Leuckart a envisagé cette glande comme un organe cimentaire. Les tubercules cornés qui se trouvaient dans son voisinage le rendent aussi probable. D'ailleurs, si les deux organes sacciformes allongés ne sont des testicules, on pourrait croire que cette glande est un testicule, puisqu'elle présente quelque ressemblance avec les testicules des Cirripèdes ordinaires. CLISTOSACCUS (1) PAGURI, nov. gen. et spec. (Fig. 4.) Sur deux exemplaires assez petits du Pagurus Bernhardus pris au mois de juillet de l'année précédente (1859), à Christineberg, en Bohuslän, j'ai trouvé le parasite en question. Il était fixé sur l'abdomen au même endroit où les Peltogaster se fixent ordi- nairement, C'est-à-dire au côté gauche et non loin de la base de l'abdomen. Il n'y avait qu'un seul exemplaire sur chaque Pagurus. L'animal (fig. 4, a), qui a la forme d’un sac complétement fermé, et plus ou moins arrondi, était fixé par l'un des côtés sur l'abdomen du Pagurus. La forme extérieure en était par conséquent si simple, que j'étais sur le point de l'envisager comme une excroissance maladive du Pagurus, avant que de voir sa structure intérieure ; mais lorsque les tubes ovifères me tombèrent à l'instant sous les yeux, ils me rappelèrent ceux de la Sacculina. Chez l’exemplaire le plus grand, qui avait une longueur de 5 millimètres, la forme était ovale, et chez celui qui était plus petit, elle était arrondie. La surface du pallium était lisse, et, chez l'exemplaire le plus grand, présentait à la pare inférieure, où il était fixé, une petite sinuosité. Chez le même exemplaire, l'un des bouts était un peu plus large que l’autre, et tous les deux également arrondis. Le pallium était assez épais, quoique plus transparent que chez la Sacculina. (14) De xAetorès, fermé, et oxxxce, sac. GENRES LIRIOPE ET PELTOGASTER. 3239 Chez le plus grand, on voyait un vide au-dessous du pallium, à l’un des côtés de l'extrémité plus large. Quant à la structure, le pallium ressemble à celui de la Sacculina. La partie du parasite qui était fixée sur l'abdomen du Pagurus était fortement con- vexe, et avait traversé la peau de ce Crustacé. La membrane extérieure et compacte du pallium ne s'étend pas sur la partie de l'animal qui a pénétré dans cette peau, mais s'arrête auprès de celle-c1 en offrant un rebord relevé, corné et brunâtre, qui se confond avec la peau du Pagurus, de la même manière que les bords cornés de l'organe d'adhésion de la Sacculina et du Peltogaster sont unis à la peau des Crustacés, sur lesquels ils sont fixés. Ce bord corné est donc complétement analogue à ces derniers bords, et peut, par conséquent, être envisagé comme l'organe d'adhésion de cet animal. On peut avec d'autant plus de raison le présumer, que, d’après ce que nous montrerons plus tard, la peau qui enveloppe l'organe d'adhésion chez les exem- plaires plus jeunes du Peltogaster, s'attache absolument de la mème manière sur l’'abdomén du Pagurus. Peut-être les exem- plaires plus jeunes de la Sacculina sont-ils aussi fixés de la même manière. Chez des Peltogaster plus jeunes, j'ai aussi quelque- fois trouvé l'ouverture antérieure du pallium fermée ; mais ils ont toujours eu une ouverture buccale. I est donc évident qu'il y à beaucoup d’analogie entre le Clistosaceus et les exemplaires les plus jeunes du Pellogaster, et probablement aussi de la Saccu- hna, mais le Chsiosaccus diffère néanmoins toujours de ceux-ci en ce qu'il manque d'ouverture buccale. H paraît donc être resté à un degré de développemeut inférieur, quoique, comparé au Pellogaster, 11 représente, quant à la structure intérieure, un degré plus élevé, et s'approche davantage de la Sacculina. La partie du Clistosaceus qui avait traversé la peau du Pagu- rus était entourée d'une membrane musculaire et cellulaire qui était épaisse, mais non compacte, et qui me paraissait être une continuation de la seconde membrane du pallium, et répondre à la même de la Sacculina, quoique je n’y aie pu observer la mince lamelle chitineuse avec des bandes que j'ai trouvée chez celle-ci. Immédiatement au-dessous de la peau du Pagurus, se trouvait 396 LILLIEBORG. fixé sur la partie pénétrante du Clistosaccus un anneau d’appen- dices mous et rameux. Ces appendices avaient extérieurement une membrane bien transparente et mince, et au-dessous de celle-ci des grandes et de petites vésicules rondes, sans noyau distinet. Au-dessous de cet anneau le tégument du corps deve- nait plus épais, de manière que la partie la plus épaisse était près de la base, et y présentait une surface très-mégale. Quant à la structure de la partie qui pénètre dans l'abdomen du Pagurus, nous y trouvons une analogie frappante avec l’'Ane- lasma squalicola. Le pédoncule de cette dernière, qui pénètre au travers de la peau du Squale, ressemble beaucoup à la partie du Clistosaccus qui traverse la peau du Pagurus. Le premier est aussi pourvu de semblables appendices rameux. Comme le Clistosaccus manque d'ouverture buccale, il faut admettre que c'estau moyen de l'absorption qu'il se procure la nourriture ; par conséquent au moyen d'une faculté absorbante dans la partie qui pénètre dans l'abdomen du Pagurus. I paraît donc vraisemblable que les appendices rameux fonctionnent comme des organes d'absorption, et qu'ils peuvent être comparés aux villosités dans les intestins des animaux supérieurs. Peut-être que ces appen- dices chez l’Anelasma ont aussi une pareille fonction. Le pallium étant ouvert, l'animal présente en dedans une structure presque complétement semblable à celle de la Sac- culina. Nous y trouvons un corps intérieur musculeux, ovale et blanchâtre, entouré de tous côtés de tubes oviféres. Ce corps avait un petit col au moyen duquel il était fixé à la partie basi- laire de lanimal. Mais ce corps était comparativement plus petit que celui de la Sacculina, et je ne pouvais pas observer sil était, comme chez cette dernière, attaché au pallium. En dedans du corps, j'ai trouvé des ovules plus ou moins dévelop pés, mas ils n'étaient pas, à ce j'ai pu observer, renfermés dans des tubes rameux, comme chez la Sacculina. Comme le pallium est complétement fermé, il faut qu'il s'y forme une fissure quel- conque pour faire sortir les petits. Cette description faite, nous pourrons aractériser de la manière suivante le Cléstosuccus : GENRES LIRIOPE ET PELTOGASTER. 337 CLISTOSACCUS, nov. gen. Animal e Crustaceorum classe et Cirripediorum subclasse, generibus Sacculinæ et Peltogasteris affine, ectoparasiticum, in abdomine Paguri degens. Animal sacciforme, saccum rotundum vel ovale, clausum et leve præbens, latere uno (inferiore) in abdomine Paguri im- merso, molli et appendieibus ramosis (absorbentibus?) prædito, ibique pallii tunica extima chitinosa cum eute Paguri coalita. Pallio aperto corpus parvulum carnosum, ovaria interna conti- nens, et tabulis oviferis cæciformibus obtectum, videmus. CLISTOSACCUS PAGURI, nov. sp. Specimina duo, quorum majus 5 millim. longum, in abdomine Paguri Bernhardi, mense julii ad littus Bahusiæ accepta. + PELTOGASTER PAGURI, H. Rathke. La membrane extérieure du pallium est formée de deux lamelles chitineuses, dont l’extérieure est la plus épaisse et a des lignes ou des bandes longitudinales plus ou moins dévelop- pées, ressemblant un peu à celles que nous trouvons dans la membrane qui entoure intérieurement le sac ovarien. Sur différentes places du pallium, j'ai trouvé le développement de ces bandes assez variable ; de même la lamelle elle-même est de temps en temps d'une épaisseur et d'une opacité diffé- rentes. Sur la face intérieure de la lamelle intérieure et plus mince, j'ai trouvé un épithélium plus ou moins évident, avec des cellules irrégulières, et cette lamelle à été elle-même quelque- fois composée de cellules hexagones. Cet épithélium a été le plus distinct précisément entre les bandes. Au-dessous de cette lamelle et y étant légèrement fixée, ou quelquefois séparée, nous trouvons une membrane, ou un sac épais plus ou moins opaque, 388 LILLJEBORG. qui à une structure tant cellulaire que fibreuse. Cette mem- brane a en effet une couche cellulaire assez épaisse, sur la face intérieure de laquelle on voit des faisceaux de fibres muscu- laires faiblement liées ensemble et dirigées transversalement vers l’axe longitudinal du corps. Il est bien naturel que ces fibres se forment de la couche cellulaire, et chez le Peltogaster sulcatus j'ai clairement vu fes cellules prendre la forme de fibres. Chez ce dernier, les fibres musculaires étaient évidem- ment striées, mais chez le Peltogaster Paguri elles étaient lisses. Dans la couche cellulaire de cette membrane, j'ai observé un système de canaux lacunaires, quoique moins développé que chez l’Apeltes. Cette membrane ou ce sac répond complétement à la seconde membrane musculaire du pallium chez la Sacculina, et comme, de même que la membrane extérieure, elle entoure toutes les parties intérieures, et qu’elle est souvent placée tout près de cette membrane, nous l’envisagerons aussi comme appartenant au pallium, quoique, lorsque le Peltogaster ne contient point d'œufs, elle soit quelquefois rétrécie et forme un sac qui est éloigné de la membrane extérieure du pallium (fig. 15, d). Elle s'étend dans l'ouverture antérieure du pallium , où elle est très-épaisse et richement pourvue de fibres musculaires qui servent à rétré- cir cette ouverture (sphincteres). Elle forme aussi un tube qui descend dans le col de l'organe d'adhésion. C'est probablement ce sac que M. Rathke a envisagé comme un organe de digestion ou un ventricule, et en même temps comme une matrice. C'est la membrane de ce sac que j'ai appelée «derme » dans mon mémoire précédent, en l’envisageant comme la seconde couche tégumentaire de l'animal. Lorsque l'animal, contenant des œufs, a été privé de ces mem- branes qui forment conjointement le pallium, il présente, vu d'en bas, la forme que montre la figure 19. Cette figure a été faite d’après un exemplaire conservé dans de l’esprit-de-vin. Le long de la partie médiane on observe un corps blanchâtre ou jaunâtre, que nous voulons appeler sac ovarien, et qui est bordé au-dessus et le long des côtés par un grand sac ovifère. A la partie infé- GENRES LIRIOPE ET PELTOGASTER. 399 rieure du sac ovarien, on voit deux parties cylindriques et allon- gées, entourées de tissu connectif par lequel elles sont aussi atta- chées à ce sac. J'ai dû envisager ces deux parties comme des testicules, par suite de ce que j'ai observé chez une forme assez proche, Apeltes. De l'extrémité plus obtuse et blanchâtre, qui est entourée d'une membrane cellulaire assez épaisse, serpente un canal étroit et compacte, qui se fixe à chaque côté dans la membrane du sac ovifère. Le sac ovarien est attaché par un tissu connectif au sac ovifère qui l'entoure, et par devant (a) et par derrière (b) à la membrane intérieure du pallium; 1l envoie un petit tube dans le col de l’or- gane d'adhésion. Ce sac est entouré extérieurement par une membrane chitineuse qui est pourvue de bandes longitudinales élevées et régulières. Ces bandes paraissaient avoir en dedans un canal longitudmal. Sous eette membrane extérieure s'en trouve une autre cellulaire et fibreuse qui ressemble à celle que nous avons vue dans le pallium, à l'exception du tissu musculaire, qui est un peu plus dense. Ce sac ovarien présente donc, quant à sa structure, beaucoup de conférmité avec le sac du pallium. Chez l'exemplaire qui est figuré ici, l'extrémité antérieure (a) se pro- longeait dans l'ouverture du pallium, de manière qu'elle était visible avant que le pallium eût été ôté. A l'extrémité antérieure je n'ai point pu apercevoir aucune ouverture, mais le tégument y était seulement un peu plus mince. Il ne m'a non plus été pos- sible de voir l'ouverture par où les œufs doivent sortir du sac ovarien. Les ovaires qui sont renfermés dans le sac ovarien ont la forme de deux sacs parallèles à l'axe du corps. Dans les parties latérales ces sacs ont des lobules ou des rameaux plus ou moins longs, et ils se confondent dans la partie postérieure. Il paraît qu'ils sont sujets à des variations assez grandes quant à leur forme et à leur volume, à mesure que les œufs se développent. Chez l'exemplaire représenté figure 19, ces sacs étaient volumineux, et le sac ovarien était par conséquent assez grand et distinct. Il arrive quelquefois qu'il est bien plus petit. Dans les ovaires, je voyais des œufs, des cellules et de la substance intercellulaire. Une 340 LILLJEBORG, partie des œufs étaient assez grands et remplis d'un grand nombre de vésicules. La couleur du sac ovarien était blanchâtre, et par derrière un peu tirant sur le rouge jaunâtre. Le sac ovarien, chez le Peltogaster, répond complétement à la partie de la Sacculina que J'ai appelée « corpus carnosum », ou «le corps transformé », dans mon mémoire précédent. Le con- tenu en consiste, d’après les observations données ci-dessus, en ovaires, au moins quant à la plus grande partie. Il est donc clair que c’est le sac ovarien, de même que le corps de la Sacculina, qui doit absorber les aliments. Les deux testicules (fig. 22, c) ont toujours été de la même forme, c’est-à-dire celle d'un sac allongé, cylindrique et ayant l’une des extrémités fermée. De l’autre, qui est plus grosse, il sort un canal long, étroit et tortueux. La couléur en est jaune verdâtre, avec des lignes transversales plus foncées. Les parois sont compactes, épaisses et opaques, et formées de plusieurs cou- ches de cellules. Ils sont entourés d’un sac de tissu connectif, qui est très-épais et cellulaire à la partie d'où sort le canal, et qui entoure ce canal même. Je les ai trouvés vides chez les exemplaires qui ont eu le sac ovifère très-développé, mais chez ceux qui en manquaient, je les ai vus avoir un contenu cellulaire ettenace. Il ne m'a pas été possible de les voir pendant leur développement, où ils contiennent des spermatozoïdes. Le canal qui en sort est bien compacte et fort, de même qu'étroit et tor- tueux, ayant à la partie qui est fixée au testicule une dilatation en forme de flacon, dont la consistance est moins solide. Chez l'exemplaire représenté figure 19, j'ai trouvé l'un de ces canaux pourvu au milieu d’une courte branche aveugle, et ayant aussi une apophyse à l'extrémité qui était fixée sur la membrane du sac ovifère; tandis qne l’autre canal ne présentait point de pareilles branches ou d’apophyses. La membrane qui entourait le sac ovifère était, à l'endroit où le canal aboutissait, plus épaisse, inégale et rugueuse, ainsi que d'une couleur brunâtre, ce qui paraît prouver qu'une déposition de ciment y avait eu lieu. Cette partie se trouvait au bord inférieur du sac ovifère, tout près du sac ovarien. La circonstance que le canal est fixé GENRES LIRIOPE ET PELTOGASTER. sl sur le sac ovifère parait montrer que les œufs ne sont fécondés qu'après avoir abandonné l'ovaire, et être venus dans le sac ovifère. Le sac d'œufs (fig. 19, d), qui est grand et gros, entoure le sac ovarien d'en haut et le long des côtés, et forme la plus grande partie du contenu du Pellogaster. I est partout entouré d'une membrane mince et pellucide, ayant de petites cellules irrégu- hères et plus ou moins évidentes, et se trouve légèrement atta- ché par un tissu connectif tant à la membrane musculaire du pallium qu'au sac ovarien: La membrane qui entoure le sac d'œufs paraît être complétement analogue à celles qui, chez la Sacculina, sont placées le plus près des tubes ovifères. En dedans de cette membrane se trouvent les œufs unis par du ciment, de la même manière que dans les sacs d'œufs chez le Cyclops. Ce sac d'œufs répond aux tubes ovifères de la Sacculina. La couleur en était rouge Jaunâtre, mais varie pourtant selon le développe- ment des œufs. Par suite des recherches renouvelées que je viens d'exposer, il me faut supprimer tout ce que j'ai dit des ovaires dans mon mé- moire précédent. Les parties que j'y ai décrites comme des «ovaires primaires », sont les testicules, enveloppés des sacs qui les entourent. J'y ai par conséquent passé par-dessus les vrais ovaires. J'y ai aussi exprimé la supposition que ces animaux cessent de vivre, la ponte une fois faite; mais à présent jai eu l’occasion de me convaincre que le cas n’en est pas le même. J'ai, en effet, trouvé dans le sac d'œufs, chez le même exem- plaire du Peltogaster sulcatus, des petits déjà éclos, et dans les ovaires des œufs assez grands et remplis de vésicules jau- nâtres. Ces œufs étaient par conséquent destinés à entrer dans le sac d'œufs, ou à en former un nouveau, après que les petits éclos seraient sortis du sac d'œufs précédent. Les petits une fois sortis, ce sac d'œufs se détruit probablement, comme c’est le cas pour les sacs d'œufs du Cyclops, et comme cela paraît être, selon l'observation ci-dessus, pour les tubes ovifères de la Sacculina. Une fois jai trouvé un exemplaire plus petit de cette même espèce, chez lequel il m'a été impossible de découvrir aucune 342 LILLJEBORG. trace d'une ouverture antérieure du pallium. Aussi, pensais-je au commencement que c'était une espèce distincte; mais la forme de son organe d'adhésion, ainsi que les testicules, qui ressemblaient . complétement à ceux du Peltogaster Paguri, montraient qu'il devait être de la même espèce. Sa longueur était de 3 millimètres ; la couleur du sac d'œufs était d’un rouge brunâtre extrêmement foncé. Il était fixé sur un Pagurus chiracanthus, Lij. Comme j'ai fait l'observation que l’ouver- ture antérieure du pallium chez le Peltogaster sulcatus présente des différences assez grandes quant à son développement, et qu'elle est même quelquefois fermée chez des exemplaires moins développés, il me paraît très-probable qu'une telle conformation n'appartient qu'à un certain degré de développement. Le bou- chier de l’organe d'adhésion du petit exemplaire en question prouvait que l'animal n’était pas très-avancé en âge. La partie intérieure en était opaque et brunâtre, mais la partie exté- rieure était pellucide et d’une couleur claire, par suite de ce que la sécrétion du ciment n'avait pas encore eu le temps de s’y étendre dans la même proportion. Les rameaux qui étaient fixés sur la peau du Pagurus avaient à l'extrémité une structure fibreuse. PELTOGASTER SULCATUS, Lilljeborg. Quant à la disposition des parties du corps, ce Peltogaster cor- respond au précédent, mais il en diffère quant à la forme de ces parties. Le pallium en est formé de membranes analogues; il a un pareil sac ovarien qui est entouré en haut et sur les côtés par un sac d'œufs. Au-dessous du sac ovarien et vis-à-vis de l'organe d'adhésion on rencontre aussi une paire de testicules, qui ont chacun leur canal aboutissant à la membrane qui entoure le sac d'œufs. Quant aux membranes du pallium, on trouve cette diffé- rence que la membrane chitineuse et extérieure manque de ban- des longitudinales ou de lignes élevées, et la membrane muscu- laire à la couche cellulaire plus mince, mais la couche fibreuse, au contraire, bien plus développée et formant une couche com- GENRES LIRIOPE ET PELTOGASTER. 33 pacte de fibres musculaires évidemment striées. La membrane extérieure du sac ovarien manque aussi de bandes longitudi- pales, et la membrane musculaire qui se trouve au-dessous d’elle est bien plus mince que chez le Peltogaster Paguri. Les testicules ont une forme un peu variable. Quelquefois je les ai trouvés si petits, qu'ils étaient à peine plus grands que les œufs. C'était surtout le cas chez des exemplaires qui avaient un grand sac d'œufs. Tantôt je les ai trouvés vides, tantôt remplis de granules et de cellules avec des noyaux évidents, et enveloppant un sac plus petit, ou ayant de doubles parois. Is ont alors le plus souvent contenu des granules bruns. Il est bien remarquable qu'ils ont toujours été les plus grands chez des exemplaires moins dévelop- pés, qui manquaient de sac d'œufs, et alors ils ont été d’une couleur blanchâtre. Comme je n'ai pu observer la position de la membrane, à laquelle le testicule était fixé au moyen de son col, je ne puis dire, si cette membrane est la même qui devait plus tard envelopper le sac d'œufs. Le testicule lui-même avait un contenu cellulaire avec des cellules bien évidentes, dont une partie avaient des noyaux. Entre les cellulesse trouvaient, comme d'ordinaire, des granules de pigment noir brunâtre. Quelque- fois j'ai aussi trouvé dans les testicules des gouttes jaunâtres, probablement huileuses. Les parois étaient inégales, minces et transparentes. En sortant du testicule, le canal était un peu plus épais et opaque. Il était, du reste, un peu plus inégal et moins compacte que je ne l'ai trouvé chez des exemplaires plus âgés, où il était très-solide. L’extrémité qui était fixée à la membrane était un peu élargie, ayant les bords inégaux et un peu épais. À cet endroit, le canal paraissait avoir traversé la membrane, et de l’autre côté de celle-ci était une vésicule qui en contenait une autre plus petite, fixée à l’orifice du canal et paraissant être pous- sée en dehors de l'intérieur du dernier. Les cellules spermogènes, dans ces testicules, étaient moins développées que dans celui de l’'Apelles, où elles faisaient clairement voir leur nature. Les ovaires présentent à peu près la même forme que ceux du Peltogaster Paguri, et prennent, au moins pendant un certain de- gré de développement, la forme de deux sacs parallèles et rameux. ähl LILLJEBORG. Ïl m'a été impossible de trouver dans le sac ovarien de celui-ci ou du précédent quelque organe qui puisse répondre à la glande cimentaire de la Sacculina (1); et je n y ai non plus pu voir l'ou- verture par laquelle les œufs sortent des ovaires dans le sac d'œufs. La forme des exemplaires adultes diffère un peu de celle que j'ai présentée dans mon mémoire précédent, d'après un exem- plaire conservé dans de l’esprit-de-vin. Ils sont plus également cylindriques et manquent de sillons sur la peau. A la figure 15 nous présentons le dessin d’un exemplaire complétement déve- loppé, mais conservé dans de l’esprit-de-vin, dont les petits étaient déjà sortis, et qui manquait d'œufs dans les ovaires. Il paraît en grande partie vide, et le petit sac ovarien (e) se présente au fond de la cavité du corps, en s'étendant de l’extrémité anté- rieure du corps (a) à la postérieure (b). Il est entouré d'assez près de la membrane musculaire (d) que j'ai considérée comme appartenant au pallium, et qui s’y est resserrée et séparée beau- coup de la membrane chitineuse extérieure du pallium. A l’ex- trémité antérieure (a) nous voyons comment la partie antérieure du sac ovarien a été forcée à travers l'ouverture du pallium, et comment elle s’est rompue et a laissé sortir une partiede son con- tenu. À l'extrémité postérieure du corps (b), le resserrement de ladite membrane musculaire ou du sac ovarien a changé la forme ordinaire de cette partie. D'ailleurs cet exemplaire ressemble, quant à sa forme, à peu près à l'animal vivant. Quelquefois j'ai trouvé de pareils exemplaires vidés encore vivants, ce qui m'a donné lieu de croire que cet exemplaire vivait encore lorsqu'il fut plongé dans de l'esprit-de-vin, et que la grande contraction des parties intérieures en était une suite. Je suis pourtant tenté de croire qu'un exemplaire tellement vidé, et contenant un si petit sac ovarien, ne saurait plus se propager, et qu'il tirait à sa fin. J'ai trouvé des exemplaires nombreux de cette espèce, et j'ai (4) Cette circonstance semble donner quelque appui à la supposition que cette pré- tendue glande cimentaire chez la Sacculina pouvait être les testicules. GENRES LIRIOPE ET PELTOGASTER. 35 été par conséquent en état de faire quelques observations inté- ressantes sur son développement ultérieur. En général, la vivacité est en proportion de la petitesse, de manière que plus petits ils sont, plus ils ont de vivacité. Ils se courbent alors dans des direc- tions différentes, et présentent des mouvements vermiculaires, resserrant continuellement le corps du derrière en avant. Le tube court qui entoure l'ouverture du pallium s'étend et S'élargit un peu, et de temps en temps quelqu’une des membranes intérieures fait saillie au dehors en forme de sac, par cette ouverture. Quelquefois ils retirent le petit tube, et alors l'ouverture ne se présente que comme un enfoncement. J'observai de pareils mou- vements chez ceux qui ont été représentés figures 16 et 18, des- quels celui de la première figure n’était que de 2 millimètres et celui de la dernière de 4 millimètres de longueur. La dernière figure a été prise d’après un exemplaire conservé dans de l’es- prit-de-vin, mais dont la forme n'avait subi aucun changement. Ces petits exemplaires sont encore remarquables à cause de la grande différence, qnant à là forme, entre eux et les exemplaires complétément développés. Du plus petit (fig. 16), J'ai une fois trouvé huit exemplaires sur l'abdomen d’un petit Pagurus cua- nensis. [ls avaient tous la même grandeur et la même forme. La figure 16 représente un d’eux sous un grossissement assez fort, après qu'il a été détaché de l'abdomen du Pagurus. Par suite de cela, la partie postérieure (e) a été courbée et les membranes du pallium se sont contractées, de manière qu’une quantité de rides et de plis se sont formés sur le pallium. Après s'être détaché, il a vécu dans cet état à peu près deux heures. Ce qui tombe premièrement sous les yeux, c'est qu'il porte à l'extrémité antérieure (6) la carapace d’une larve de Cirripède au dernier degré de développement (c), fixée dans l'enfoncement du tube retiré du pallium. La figure 17 représente cette carapace sous un grossissement plus grand. La longueur en est de 0,16 millim. On voit facilement que ce n’est qu’une dépouille, puisque le corps y manque. La forme en est complétement semblable à la forme ordinaire des larves des Cirripèdes au dernier degré de leur développement, appelé le «pupal stage » par Darwin. Cette 3116 LILLJEBORG. larve a six paires de pattes, ainsi qu’un appendice caudal. Les antennes préhensiles sont grandes et attachées dans l'ouverture du pallium du Peltogaster. La dépouille était lisse. Comme trois de ces huit exemplaires portaient chacun une semblable dépouille fixée à la même place, et comme cette dépouille a seulement été trouvée sur des Peltogaster qui étaient les plus petits et les moins développés que j'aie vus, je n'hésite pas à admettre qu'elle appartient au dernier degré de développement de la larve du Peltogaster même, et qu’elle est resté fixée quelque temps après que le Pellogaster en est sorti. Là où la larve à son dernier degré de développement s’est fixée avec ses antennes préhensiles, elle reste encore lorsqu'elle est complétement développée ; et comme il n’y a point ici d'autre Cirripède que le Peltogaster lui- même qui eût pu être développé de la larve à laquelle apparte- nait la dépouille, cette dépouille doit par conséquent appartenir au Peltogaster. J'ai dit que ces petits Peltogaster diffèrent beaucoup, quant à la forme, de ceux qui sont complétement développés. Nous exami- nerons premièrement celui qui a été représenté par la figure 16. Avant tout il diffère par la structure de son organe d'adhésion et de la partie du corps voisine de cet organe. La structure de ces parties est d’un intérêt particulier, parce qu’elles se mon- trent ici comme des organes de succion plus développés que chez les individus adultes. Ceci correspond aussi, d’après ce que nous allons bientôt montrer, avec la vivacité plus grande de l'animal, ainsi qu'avec les changements auxquels l’attache du Peltogaster sur la peau du Pagurus est soumise. Il correspond aussi avec ce qu'on voit ordinairement chez les organismes, que les fonctions de nutrition sont toujours les plus actives pendant la croissance. En comparant la figure 16 avec la figure 15, nous voyons que le tube (a), par lequel ce Pellogaster à été fixé sur le Pagurus, et qui est par conséquent son organe d'adhésion, diffère beaucoup, quant à la grandeur et à la structure, des organes d'adhésion des autres (fig. 15, c). Ce tube est bien plus grand et d’une consistance plus tendre, en exceptant les bords inférieurs, qui ont été fixés au Pagurus. En dedans de ce GENRES LIRIOPE ET PELTOGASTER. 347 tube on en observe un autre avec des parois épaisses et cellulaires, formées de la membrane musculaire du pallium et, comme il pa- raît, aussi du tube qui sort du sac ovarien et qui s’unit au précé- dent. Les bords des deux tubes, mais principalement du pre- mier, sont pliés en dehors. En plaçant le bout du tube inté- rieur sous le microscope, je voyais qu'il était, pour la plus grande partie, composé de cellules plus ou moins grandes et d’une sub- stance intercellulaire. Il offrait deux différentes couches concen- triques, desquelles l’extérieure appartenait probablement à la- dite membrane du pallium, et l'intérieure au sac ovarien. Dans la couche extérieure les cellules étaient plus grandes et plus transparentes, et n'étaient pas si fortement liées ensemble que celles de la couche mtérieure. Au bord extérieur de la même couche je voyais une ou deux rangées de cellules cylindriques qui étaient plus grandes que les autres. La couche intérieure avait une couleur plus foncée, tirant un peu sur le jaune ou le brun. La structure cellulaire en était moins évidente, et n’était point apercevable au bord extérieur, qui était un peu fibreux et dis- tinctement limité. Ce bord avait déjà quelque ressemblance avec celui de l'organe d'adhésion de la Sacculina. Cette couche était aussi d'une consistance plus compacte, et toutes ses parties étaient cohérentes, lors même d’une forte pression. Tout paraît donc contribuer à prouver que c'est cette couche qui, chez l'animal complétement développé, se transforme en ce bord ou disque corné qui est attaché à la peau du Pagurus. Là où le tube intérieur était fixé, se trouvait un trou à travers les deux la- melles chitineuses dont cette peau est formée, et lorsque le Peltogaster fut détaché, j'aperçus une partie des tissus inté- rieurs de l'abdomen du Pagurus pendante audit tube. De tout ce qui a été dit 1l résulte clairement que c’est avec le tube inté- rieur que le Peltogaster suce sa nourriture sur l'abdomen du Pagurus. Les testicules, comme on le voit fig. 16, sont particulièrement grands et placés à la partie supérieure du tube que nous venons de décrire. Ce développement considérable des testicules à un âge si peu avancé donne lieu de croire qu'ils ont alors une autre 318 LILLJERORG. fonction que celle des testicules en général. Comme J'y ai trouvé des grains de pigment bruns, et comme leur contenu était for- tement cohérent, je suis tenté de croire qu'ils sécrètent alors du ciment, de même que ce fait a lieu, d’après Darwin, pour les ovaires chez les Cirripèdes ordinaires. Ce Peltogaster avait le pallium hérissé de courtes épines. La fig. 18 nous présente un exemplaire plus développé et à peu près deux fois aussi long que le précédent. Le corps en est un peu plus allongé, et le sac ovarien avec son contenu est plus évident. Le tube de l'organe d'adhésion, quoique encore grand, est pour- tant diminué, en devenant aussi plus étroit à l'extrémité infé- rieure. Les testicules sont aussi plus petits. Dans cet état, il offrait peu ou point de contractions vermiculaires, mais se courbait avec assez de vivacité dans différentes directions. La membrane qui entoure cette ouverture est la lamelle mtérieure chitineuse de la peau. Elle est très-mince et transparente, et n’a été encore que fort peu imprégnée de ciment. On n’y voit que çà et là quelques taches foncées. Immédiatement autour de l'ouverture, la lamelle présente une structure de stries concentriques, et le bord en est extrèmement mince. En dehors, autour de cette lamelle, on voit un bord circulaire assez épais et brunâtre, appartenant à la lamelle extérieure de la peau du Pagurus. Ce bord marque les hmites de l’ouverture sur cette lamelle extérieure, et il a déjà été assez fortement imprégné de ciment. Du même bord vont en dedans des lignes radiées formées d'un ciment brun, et le bord du tube de l'organe d'adhésion du Peltogaster y à été fixé. En faisant une comparaison entre cette attache et celle du vieux Pellogaster sulcatus, nous y trouvons de grandes diffé- rences. Sur cette dernière, la lamelle intérieure de la peau du Pagurus à été fortement imprégnée de ciment. L'ouverture centrale a été bouchée par une couche de cette matière com- plétement opaque et d’une couleur brun foncé. Les stries con- centriques autour de cette ouverture bouchée sont bien plus marquées. Le bord élevé de la lamelle extérieure de la peau est plus grand et plus élevé, d’une couleur plus foncée et d’une structure fibreuse. GENRES LIRIOPE ET PELTOGASTER. 319 En rapport avec ce qui vient d'être dit nous examinerons aussi l'organe d'adhésion d'un Peltogaster sulcatus compléte- ment développé et contenant des œufs, parce qu’il montre de l’analogie avec l’attache dernièrement décrite. Cet organe est limité en dehors par un anneau sinueux, et ce qu'on observe en dehors de celui-ci est la peau ordmaire du Peltogaster. Tant cet anneau extérieur que toutes les parties qui sont placées en dedans de lui sont d’une couleur brunâtre et fortement impré- gnés de ciment. L'anneau intérieur et snueux désigne la circon- férence de la partie qui est fixée sur la peau du Pagurus, et qui se trouve sur un petit col, et forme, dans une signification plus limitée, l'organe d'adhésion. L'anneau extérieur, qui est un peu élevé et qui ressemble à un canal de ciment quise serait figé, ren- voie vers l'intérieur des rameaux conduisant le ciment, et borne en dehors un bouclier quise trouve dans la peau, et qui entoure le col de l'organe d'adhésion. Ce bouclier est inégal et a des rami- fications de ciment irrégulières et plus ou moins évidentes. Le bord de la partie de l'organe d'adhésion qui se trouve à l’extré- mité inférieure du col est plus foncé que le reste de cet organe ; et de ce bord de nombreuses lignes de ciment radiaires et plus ou moins évidentes se dirigent vers le centre. L'ouverture centrale a été fermée par du ciment, qui s’est rompu par suite de la pression, de manière qu'une fente s’y est formée. Autour de cette partie on voit, ainsi que sur l’attache, des stries concentriques ; elle est placée un pen plus profondément que le bord. a, a, est la peau du Peltogaster en dehors de cet organe. L'attache sur la peau du Pagurus ainsi que l'organe d’adhé- sion prouvent clairement que le Peltogaster, étant à ce degré de développement, ne suce point de nourriture du Pagurus, puis- que l'ouverture par laquelle la nourriture doit passer, se trouve bouchée par du ciment. Ainsi les fonctions de nutrition chez ces animaux doivent s'arrêter quand ils sont compléte- ment développés. Il leur faut done, pendant une période moins avancée de la vie, se procurer les matières nutritives qui leur sont nécessaires pour les fonctions de la reproduction. Sur un exemplaire très-Jeune, quoique plus développé que ot série. Zoo. T. 11. (Cahier n° 6.) 8 23 390 LILLJERORG. celui qui est représenté figure 18, nous voyons que la forme est moins allongée, et que le tube d'adhésion est plus court. La longueur de cet animal est à peu près de 5 millimètres. L'ou- verture antérieure du pallium est fermée. Les ovaires sont bien plus développés et se présentent distinctement sous la forme de deux sacs allongés et rameux. Les testicules sont plus petits et à peine apercevables. Chez un exemplaire encore plus développé, ayant une lon- gueur de 5 millimètres et demi, le tube d'adhésion est devenu plus étroit, et son bord, plié en dehors, à commencé à s'unir au tube intérieur, pour prendre la forme ordinaire de l’organe d'adhésion complétement développé. Le sac ovarien est très- grand et bien développé, contenant des œufs distincts, et ses rameaux se sont transformés en des lobules courts et saillants. Une petite ouverture se trouve à l'extrémité antérieure du corps. Tous les exemplaires de cette espèce, qui ont été trouvés aupres de la côte de Bohuslän, étaient fixés sur le Pagurus cuanensis. APELTES (1) PAGURI, nov. gen. et sp. Le parasite qui est le type de ce genre et de cette espèce ressemble, quant à la forme, presque au Peltogaster Paguri, mais il est un peu plus allongé (fig. 20, d'après un exemplaire conservé dans de l’esprit-de-vin).Ilest d’une longueur de 414 mil- hmètres et d’une largeur de 3 millimètres et demi. On voit, au premier coup d'œil, qu'il diffère tant du Pellogaster que des formes précédentes par la structure de la partie avec laquelle il est fixé sur la peau du Pagurus. Derrière le milieu, à la face inférieure du corps, sur le pallium, se trouve une grande ou- verture arrondie. Le bord de la membrane chitineuse du pallium autour de cette ouverture est un peu relevé, corné et brun. et avec ce bord l'animal est fixé à la peau du Pagurus. Ce qui le caractérise encore, c'est qu'il a à l'extrémité postérieure du corps un petit tubercule ou tube (b), qui fait supposer qu’une ouverture (4) De à privatif, el réxrn, bouclier. GENRES LIRIOPE ET PELTOGASTER. 391 s’y est trouvée. En effet, la membrane extérieure du pallium forme un bord saillant autour d’une ouverture qui est fermée par les membranes intérieures. A cet endroit conduit aussi un tube court et corné du sac ovarien. À l'extrémité antérieure du corps (a) se trouve une ouverture grande et béante, dont le bord inférieure forme une pointe obtuse. Si le tube postérieur est jamais ouvert, nous avons alors ici une ouverture antérieure et une postérieure, qui paraissent offrir quelque analogie avec la bouche et l’anus, lors même que ces ouvertures n'en auraient pas les fonctions. Le pallium est composé des membres ordi- paires. Dans la membrane musculaire on voit tant sur la face supérieure que sur l'inférieure du corps, mais surtout sur cette dernière, un système de vaisseaux lacunaires, qui offre des troncs assez grands, desquels des rameaux nombreux se ramifient par- tout dans le pallium. Le sac ovarien ressemble à celui du Peltog. Paguri. La mem- brane extérieure avait des bandes longitudinales, comme chez ce dernier, et au-dessous de celle-ci se trouvait une membrane musculaire avec des fibres frès-fines et faiblement liées ensem-— ble. Cette membrane formait à l'extrémité antérieure (fig. 21, b) une couche épaisse d’un tissu lâche et cellulaire. Les deux ovaires sacciformes (c, c) étaient entourés d’une membrane extrêmement mince et sans structure. Ils paraissaient être ré- cemment vidés, et ne contenaient que fort peu d'œufs, qui ressemblaient à peu près à ceux du sac d'œufs. À l’extrémité postérieure (d) se trouvait un tube court. Au devant de celui-ci les deux ovaires étaient unis. Entre les ovaires, que l’on voit déployés à la figure, se trouvait un seul testicule attaché avec du tissu connectif plus près de l'extrémité antérieure. Ce testicule (fig. 21, a) était grand, ovale et opaque, et d’une couleur jau- nâtre. Les parois en étaient formées d’une membrane mince et sansstructure, qui à sa face intérieure était revètue d’une couche épaisse de matière formatrice. A l'extrémité antérieure il en sor- tait deux canaux efférents. Les parois de ces canaux, dont j'ai seulement vu la partie qui est le plus proche des testicules, étaient d’un tissu lâche, contenant une très-grande quantité de 392 LILLJEBORG. fibres fines, mêlées de matières cellulaires. Le testicule était rem- pli de cellules spermogènes, toutes presque également dévelop- pées, plus ou moins arrondies, et contenant plusieurs globules ou gouttes graisseuses de différente grandeur. A cause de cela il est probable que les œufs, qui se trouvaient dans le sac d'œufs, n'étaient pas encore fécondés. Ils contenaient des gouttes nom - breuses et plus ou moins grandes. Le sac d'œufs était aussi encore fort petit. De cette nouvelle forme je n'ai obtenu qu'un exemplaire, trouvé sur un petit Pagurus Bernhardus, auprès de la côte de Bohuslän; et les figures ici données ont été prises d’après l’ani- mal conservé dans de l'esprit-de-vin. J'ai dit dans un mémoire précédent que ces Cirripèdes dif- fèrent tellement des autres, qu'ils doivent former un ordre parti- culier de la sous-classe des Cirripèdes, et c'est pourquoi j'ai pro- posé de leur donner le nom de Cirripedia suctoria, par la raison qu'ils sucent leur nourriture sur les animaux auxquels ils sont adhérents. J'ai aussi dit que la Sacculina (Pachybdella) et le Peltogaster paraissaient devoir former deux familles distinctes. Les nouvelles formes que j'ai trouvées depuis lors, dont l'une s'approche de la Sacculina, et l'autre du Peltogaster, paraissent confirmer cette opinion. Nous voulons par conséquent les ranger en deux familles: Sacculinidæ et Peltogastridæ, et nous livrons le tableau suivant sur ces familles : CIRRIPEDIA. Ordo SUCTORIA. Genera : in fubulisramosis 1. Familia : fapertura suctoria, cæciformibus .. SaccuuixinÆ. Cor-\ siveore præditum. Sacculina. Ova pus subtus, ..,... &= apertura suc- d OS EEE Clistosaceus. portntur) in sacco simplici 2. Familia : tubulo postico nullo; MAgNO. + ....., PELroGasrrinæ. Cor-) testes duo. ..... . Peltcgaster. LOTS CRE PE tubulo poslico bre- vissimo; testisunus. Apeltes. Dans ce tableau j'ai exposé quelques-uns des caractères prin- GENRES LIRIOPE ET PELTOGASTER. She) cipaux par lesquels les formes de l’ordre Suctoria diffèrent l’une de l’autre. Dans mon mémoire précédent j'ai, avant de faire les descriptions des genres Pachybdella et Peltogaster, donné en latin un exposé de leur structure. Comme les observations dernière- ment faites occasionnent quelques modifications dans ces expo- sés, Je vais pour Chacun d’eux en donner un nouveau. GEN. SACCULINA, Thomps. (Pachybiella, Diesing). Animal e Crustaceorum classe et Cirripediorum subclasse, ectoparasiticum, sub abdomine Crustaceorum Decapodorum Brachyurorum degens. Animal adultum : Crassum, sacciforme, transverse ellipticum, cute (pallio) lævi, molli, sed fiema, corpus internum crassum, carnosum, genitalia continens et sine cavitate digestionis dis- tincta, instar palli circumdante, vestitum. Os in organo adfi- gendi subinfundibuliformi et corneo perforatum, et in æsopha- gum vel tubulum suctorium transiens. Genitalia bisexualia. Testes duo, sacculiformes, elongati? vel fortasse tubuliformes et ramosi?, in Corpore interno positi. Ovaria ramosa, tubuliformia, in corpore Interno sita. Tubuli oviferi numerosi, ramosi, cæci- formes, cirea corpus internum ad duas membranas tenues adfixi. Cavitas inter corpus internum et pallium per foramen sat magnum, Ori oppositum et plicis pallii circumdatum, aperta. Pullus entomostraciformis, pullo Cirripediorum processibus ad latera partis anterioris corporis similis, et tantum processibus pluribus posterioribus diversus. GEN. PELTOGASTER, H. Rathke. Animal e Crustaceorum classe et Cirripediorum subclasse, ecloparasiticum, in abdomine Crustaceorum generis Paguri degens. Animal adultum : Corpus sacciforme, elongatum, teretiuscu- lum, vel depressiusculum, cute (pallio) plus vel minus pellucida sed firma vestitum, minime segmentatum, et partibus appendi- 351 LILLJEBORG, cularibus articulatis destitutum. Os vel apertura suctoria in organo adfigendi subinfundibuliformi, vel acetabuliformi, vel etiam tubiformi, plus vel minus corneo, in latere inferiore corpo- ris situm, appendicibus buccalibus nullis. Ad extremitatem unam (anteriorem) corporis plerumque apertura, interdum magna, interdum parva, cavitatem intrapallialem aperiens, adest. Nul- lum corpus internum crassum et carnosum, ut apud Sacculinam, nullusque ventriculus adest, saceum vero internum musculo- sum, ovaria amplectens, invenimus. Genitalia bisexualia. Testes duo simplices tubiformes vel sacculiformes, infra saccum ovario- rum positi, uterque canaliculo ad saccum oviferum adfixus. Ovaria duo sacciformia, plus vel minus ramosa vel lobata, et sacco communi inclusa. Ova, quum ex ovariis exierunt, In saCCo magno, ovariorum saccum communem supra et ad latera obte- gente, adservantur. Pulli pullis antecedentis similes, entomostraciformes, cum Cirripediorum pullis processibus lateralibus a parte anteriore et inferiore corporis exeuntibus congruentes. EXPLICATION DES FIGURES. PLANCHE 20. Fig. 43. Sacculinn Carcini, l'animal, de grandeur naturelle : a, l'organe d'adhésion ; b, l'ouverture du pallium. Fig. 44. Clistosaccus Paguri, un exemplaire fixé sur l'abdomen du Pagurus Ber- nhardus : a, Clistosaccus ; b, Vabdomen du Pagurus. Fig. 15. Peltogaster sulcatus, un individu adulte dépourvu d'œufs et de petits: a, l'ex- trémité antérieure, où le bout du sac ovarien a été poussé dehors ; à, l'extrémité pos- térieure du corps, un peu resserrée ; €, l'organe d'adhésion ; d, la meinbrane muscu- laire du pallium ; e, le sac ovarien. Fig. 16. Le même individu plus grossi et avec des rides et des plis occasionnés par le rétrécissement de l'animal: a, le tube de l'organe d'adhésion ; b, l'extrémité anté- rieure, où une dépouille, €, de sa larve un dernier degré de développement est fixée, avéc les antennes préhensiles dans l'ouverture du pallium ; d, le tube intérieur et cellulaire de l'organe d'adhésion ; e, l'extrémité postérieure, qui a été courbée. Fig. 47. Ladite dépouille : a, les antennes préhensiles; à, l'extrémité antérieure du Peltogaster (avossie de 200 fois). GENRES LIRIOPE ET PELTOGASTER. 999 Fig, 48. Un individu jeune, un peu plus développé que le précédent : a, l'extrémité antérieure avec l'ouverture du pallium. Fig. 49. Peltogaster Paguri, un exemplaire ovifère, depuis que le pallium a été déta- ché : a, l'extrémité antérieure du sac ou corps ovarien ; à, l'extrémité postérieure du même ; €, €, les testicules ; d, d, le sac ovifère (grossi de 25 fois). Fig. 20. Apeltes Paquri, l'animal vu d'en haut: à, l'extrémité antérieure ; b, l'extré- mité postérieure avec un petit tube. Fig. 21. Les deux ovaires sacciformes un peu déployés, et le testicule, vus par la face inférieure: 4, le testicule avec deux canaux efférents ; d, b, la couche cellulaire épaisse à l'extrémité antérieure des ovaires ; c, c, les deux ovaires; d, leur extrémité postérieure, JHYXYSYSKYKYKYKYKYFSFSS”.S. DDO——_—O—O—OO—————_—_—_—_—_——_—_—_—_—_—_——_—_—_—_—_—_—_—_—…—…—…—…"…"….….….…—.….….….….".…."."_._.——————————— —— REMARQUES SUR LES OBSERVATIONS DE M. LEUCKART RELATIVES A DES ORGANES OCULIFORYES CHEZ QUELQUES POISSONS, Par M. LEREBOULLEN. Au congrès des savants de l'Allemagne réunis à Giessen, au mois de septembre dernier, M. Leuckart a mis sous les yeux de la section de Zoologie un poisson de la Méditerranée, le Chauliodus Sloani, du groupe des Scopélides, qui porte sous le corps et dans toute sa longueur, une multitude de points brillants disposés en séries et dont le nombre est estimé approximativement à un millier. Des recherches microscopiques, auxquelles M. Leuckart a soumis ces petits organes, le portent à les regarder comme des organes oculiformes. Il leur a trouvé un cristallin, une $orte de corps vitré, un nerf dont les ramifications se terminent en massue, et du pigment, et il n'hésite pas à leur donner le nom d’yeux accessoires. Une autre espèce de Chauliodus, le Ch. Field, Val. (Hist. nat. des Poissons, t. XXIE, p.391), et plusieurs espèces du genre Scopelus, portent aussi sous le ventre des points saillants, argentés ou dorés. Il serait inté- ressant d’en faire l'examen microscopique, pour voir si tous ces organes sont en réalité des points oculiformes, et en quelque sorte des yeux accessoires MÉMOIRE SUR LES HOMMES DES CAVERNES, Par John LUBBOCK (!). Depuis l'apparition de l'Homme en Europe, les principales espèces de mammifères qui sont, les unes entièrement éteintes, les autres devenues très-rares dans leur rayon géographique, sont : L'Ours des cavernes ...... siens Ursus spelœus. L'Hyène des cavernes......... or d: Hyæna spelæa. LeTigre -pystetels dosette bts Felis spelæa. Le Mammouthe "00. ce-cse Elephas primigenius. Le Rhinocéros à poils laineux .,........, Rhinoceros tichorhinus. L'Hippopotame % ensuite lof Hippopotamus major. 1Hlap ilrlande.2i7- mtueu-cre Megaceros Hibernicus. Ne Bœufamusqué 2. A dite Ovibos moschatus. Be Renne PER EL CE Cervus tarandus. LAUTOCRS Een RER 20 PC CDR Bison Europæus. L'Urus..... A MONET PAT E TL 2 100 Bos primigenius. Parmi ces espèces, les sept premières semblent être tout à fait éteintes ; mais comme, actuellement, 1l est évident que leur dis- parition a été due à un changement graduel de circonstances plutôt qu'à un cataclysme soudain ou à une destruction générale de la vie, il devient aussi fort improbable que leur extinction ait été simultanée, et, se basant sur cette opinion, M. Lartet a entre- pris d'établir une chronologie paléontologique (2). Les restes de l’Ours des cavernes sont très-abondants dans l'Europe centrale et dans les parties méridionales de la Russie. Il est douteux qu’on en ait encore découvert, soit au nord de la Bal- (4) Traduit de l'anglais (The natural History Review July, 1864). (2) Ann. des sciences nat., 1861, p. 217. SUR LES HOMMES DES CAVERNES. 397 tique, soit au sud des Alpes. Le plus ancien spécimen connu sem- ble être celui que M. Owen mentionne comme ayant été trouvé mêlé à des débris du Trogontherium, du Palæospalax (1), ete., dans les dépôts pliocènes de Boston et Norfolk. L'Ours des cavernes est aussi compris dans la liste des espèces trouvées dans les graviers de transport fluviatiles près d’Abbeville. Mais M. Lartet suppose qu'il y a là quelque erreur, car 1l lui a été impossible de rencontrer un seul os appartenant à cette espèce dans aucune des collections provenant de la vallée de la Somme. Il ne connaît aucun cas bien authentique de la présence de ce mammifère, si ce n'est dans les tourbières ou dans les graviers de transport fluviatiles. Il regarde l’Ours des. cavernes comme étant le premier des mamnufères quaternaires qui ait disparu. Dans les cavernes, on trouve l'Hyène des cavernes, le Tigre des cavernes, réunis à l'Ursus spelœus. M. Delesse en à aussi découvert, mêlés à des Aurochs et à des Rhinocéros à poils frisés, dans une couche qu'il rapporte aux assises inférieures du dilu- vium. Jusqu à présent il ne paraît pas qu'on en ait rencontré dans les couches supérieures des graviers de transport fluviatiles, n1 dans les marais tourbeux. D'autre part, M. Lartet pense que, peut-être, les Lions de Thessalie qui, d'après Hérodote, attaquaient les bêtes de somme qui suivaient les armées de Xerxès, peuvent avoir appartenu à cette espèce. Il cite même, à ce sujet, l'opinion du docteur Fal- coner, suivant lequel le grand Felis du nord de la Chine et des monts Altaï aurait été trop légèrement rapporté au Felis tigris, et pourrait bien être définitivement le descendant en droite ligne et le représentant vivant du Felis spelæa. Lerayon géographiqueoù vivaitleMammouth était très-étendu. Non-seulement on trouvedes restes de cetanimal dans l'Amérique septentrionale, depuis le détroit de Beering jusqu’à la Caroline du Sud, et dans l’ancien continent, depuis les confins les plus reculés de la Sibérie jusqu'à l'extrême ouest de l'Europe ; mais il avait encore passé les Alpes et s'était établi enltalie. Ni le Mam-— (1) Hist. of British fossil Mammalia and Birds, p. 166, 358 LUBBOCK. mouth, ni le Rhinocéros à poils frisés, n'ont encore été rencon- trés dans les couches antérieures aux graviers de transport flu- viatiles. M. Lartet, se rangeant à l’avis de MM. Murchison, de Verneuil et Keyserling, croit qu'ils vécurent, en Sibérie, long- temps avant de s'étendre en Europe, et que par conséquent ils appartiennent à la faune tertiaire de l'Asie septentrionale, quoi- que n'ayant apparu en Europe que pendant la période quater- naire. En ce qui regarde cette partie du monde, ces deux espèces se sont donc montrées à une date postérieure et ont vécu jusqu’à une époque plus récente que l'Ursus spelœus. Ces restes sont un signe caractéristique des dépôts de transport fluviatiles, et on les rencontre aussi dans les lacs du Rhin et de ses affluents; mais, jusqu’à présent on n’en à vu aucune trace dans les marais tourbeux. Jamais il n’en a été trouvé dans les Kjÿkken- môddings, dans les habitations lacustres, ni dans les tumuli, et il n'existe pas la plus légère tradition indiquant, même d'une manière obscure, l'existence, en Europe, de ces deux gigan- tesques pachydermes. Le superbe Élan d'Irlande, ou Megaceros hibernicus, qui attei- gnait une hauteur de 10 pieds 4 pouces (anglais), et dont les cornes mesuraient 11 pieds d'envergure, vivait dans un rayon beaucoup plus restreint. On a de ses restes en Allemagne jusqu'en Silésie ; en France, jusque dans les Pyrénées ; et 1l paraît même avoir traversé les Alpes. Malgré cela, c'est dans les îles Britan- niques, et surtout en Irlande, qu'il semble avoir été le plus abondant. Il en a été trouvé à Walton, en Essex, et à Happisburgh, dans des couches que l'on regarde comme appartenant au crag de Norwich, et par conséquent cette espèce faisait, origmairement, partie de la faune tertiaire. On dit même qu'on en a rencontré dans les marais tourbeux ; mais le professeur Owen, qui à fait de nombreuses recherches à ce sujet, croit qu'en réalité les osse- ments se trouvent dans la marne coquillière lacustre qui sup- porte les terres tourbeuses et marécageuses (1). (1) Owen, Zoc. cit., p. 465. SUR LES HOMMES DES CAVERNES. 399 Dans les lieds des Viebelungen du n° siècle, il est question d’un animal mystérieux sous le nom de Schetch : « Après cela, il tua coup sur coup un Bison, un Élan, quatre » Urus vigoureux et un Schelch farouche. » Quelques écrivains ont supposé que le Schelch était réellement le Megaceros hibernicus ; mais, il n’y à pas de raisons suffisantes pour baser cette hypothèse, et nous devons nous souvenir, comme le fait remarquer le docteur Buckland, que ce même poëme con- tient de nombreuses allusions à des géants, des nains, des pyg- mées et des dragons flamboyants. Ni César, ni Tacite, n'ont parlé de l'Élan d'Irlande, et certainement ils n'auraient pas oublié un animal aussi remarquable s'il avait existé de leur temps. En outre, quoiqu'on ne puisse plus douter que cette espèce ait coexisté avec l'homme, l'évidence n’en a été obtenue que par les osse- ments trouvés dans les cavernes et dans des couches appartenant à la période des graviers de transport fluviatiles. On n’a pas encore trouvé de restes de l'Élan d'Irlande conjom- tement avec des débris de, l'âge de bronze, et même nous ne croyons pas qu'on en puisse rapporter aucun à l'âge de pierre polie. Le Renne existe encore dansle nord de l'Europe, en Sibérie et dans les districts montagneux du Caucase. Même du temps de Pallas on pouvait encore en rencontrer sur les sommets boisés des monts Ourals. Une espèce très-voisine, si même elle en est distincte, setrouve très-répandue dans l'Amérique septentrionale. Mais, en ce qui concerne l'Europe occidentale, le Renne peut être regardé comme une espèce éteinte. Nous ne savons pas encore s’il a passé les Alpes et les Pyrénées ; mais certainement, il abondait en Angleterre et en France, d'où, il semble inutile de le dire, il a depuis longtemps disparu. Même actuellement, le Renne, comme les Lapons, se retire graduellement vers le nord. Pendant les dix dernières années quelques familles de Lapons ont encore été trouvées à Nystnen, sur le Pillefjed, et dans divers autres endroits du midi de la Norvége ; mais on n'en peut plus rencontrer aucune de ce côté de la rivière Namsen. Les Rennes sauvages sont également dispersés sur les Fjelds les 360 LUBBOCK. plus élevés et les plus déserts où ils sont protégés par de sévères lois sur la chasse. La langue du Renne est un mets fort délicat ; mais, d'après notre propre expérience, nous n’en pouvons dire autant de la chair, quoique en ayant goûté lorsque nous étions fort affamé, et n'avions pas mangé d'autre viande depuis plu- sieurs Jours. Îlest très-possible, du reste, que la faute en soit plus au Cuisinier qu'à la venaison. Autant qu'on en peut juger par ce que nous savons actuelle- ment, l'apparition du Renne en Europe a coïncidé avec celle du Mammouth, et a eu lieu à une époque postérieure à celle de l'Ours des cavernes ou de l'Élan d'Irlande. On le trouve généra- lement dans les mêmes endroits que le Mammouth et le Rhino- céros à poils laineux; mais, d'autre part, comme ses restes sont abondants dans quelques cavernes à ossements où ces grands pa- chydermes manquent, il est probable qu'il provient d’une époque plus ancienne. On n'a pas encore rencontré le Renne dans les Kjôkkenmüddings ni dans aucun des tumuli; il fait aussi défaut dans les habitations lacustres de la Suisse, quoique nous sachions que pendant un temps il a habité ce pays, des ossements ayant été trouvés dans une caverne à l’Échelle, entre le grand et le petit Salève, près de Genève, où ils étaient mélés à des silex travaillés, à des cendres et à des restes de Bœufs et de Che- vaux. Tous les os étaient brisés de la manière caractéristique ordinaire. Comme on pouvait s’y attendre, on a parfois trouvé le Renne dans des tourbières de Suède, mais je ne crois pas que jusqu'à présent on ait constaté sa présence dans celles de France ou d'Angleterre, et l'on ne voit son image sur aucune des monnaies gauloises ou bretonnes. Ii est vrai que César en parle comme existant dans la vaste forêt Hercynienne, mais la description qu'il en fait est tout à la fois incorrecte et imparfaite. Il ne paraît pas s'être rencontré avec quelqu'un ayant vu par lui-même l’un de ces animaux, mais plutôt tenir ses renseignements de seconde source. On peut supposer que le Renne n’a jamais paru dans les cirques romains. L'Aurochs était très-répandu dans l'Europe centrale et même SUR LES HOMMES DES CAVERNES. 961 en Italie, et 1l semble remonter à une époque de beaucoup anté- rieure à celle de l’arrivée du Mammouth ou du Rhinocéros à poils frisés. Il existait en Angleterre à l’époque du crag de Norwich, et il se rencontre dans les graviers de transport fluviatiles, les caver- nes à ossements, les habitations lacustres de Suisse et dans les marais tourbeux, mais on ne l’a pas encore découvert dans les monticules de coquillages du Danemark. M. Lartet a vu, chez M. de Saulcy, une monnaie de Santones sur laquelle il croit que l'on à voulu représenter l'Aurochs. Pline et Sénèque constatent sa présence, de leur temps, conjointement avec l'Urus dans les grandes forêts de la Germanie. Quoique César n’en parle pas, il en est question dans les lieds des Viebelungen, et l'on dit qu'il a vécu en Russie jusqu'en 1775. Ien existe bien encore quelques-uns dansles forêts de la Lithua- nie, où ils sont conservés par l'empereur de Russie, et aussi, selon Nordmann et van Baer, dans quelques parties de l'Asie occidentale. I semble que l'Urus ait occupé un rayon géographique encore plus étendu que celui de lAurochs. On en a trouvé d'un bout à l'autre de l'Europe, en Angleterre, en Danemark, en Suède, en France et en Allemagne, au delà des Alpes et des Pyrénées, en ftalie, en Espagne, et même, selon M. Gervais, dans le nord de l'Afrique. On peut voir au musée de Lund un squelette appartenant à cette espèce, et dont une des vertèbres porte encore la trace d’une blessure faite, selon l'opinion du professeur Nilson, par une flè- che de silex. On à aussi trouvé des restes de cette espèce dans d’anciens-tumuli, ainsi que dans les habitations lacustres (1) et les Kjükkenmüddings (2). César mentionne particulièrement | Urus comme existant dans la forêt Hercynienne ; il y est fait allusion dans les lieds des Viebe- lungen, et, selon Heberstem, 11 à vécu en Germanie jusqu’au xvr° siècle, après lequel il semble avoir disparu, à moins que (4) Nat. Hist. Rev., 1862, p. 86. 3 {(2) Nat. Hist. Rev., 1861, p. 497. 562 LUBBOCK. l'on ne regarde, comme son représentant actuel, le célèbre Bœuf sauvage de Chillingham ou quelqu'une de nos races domestiques. Comme le résultat pratique de cette chronologie paléontolo- gique est basé sur les mammifères qui caractérisent la période quaternaire, M. Lartet considère que l’on peut établir quatre divisions dans «la période de l'humanité primitive : l'âge du grand » Ours des cavernes, l’âge de l'Éléphant et du Rhinocéros, l’âge » du Renne et l'âge de l’Aurochs. » Nous pouvons admettre, je crois, que l’apparition de ces mammifères n’a pas eu lieu simul- tanément, et que leur extinction a été successive. Il y a presque certitude que l'Aurochs a survécu au Renne dans l’Europe ocei- dentale, et aussi que ce Renne est apparu à une époque posté- rieure à celle du Mammouth ou du Rhinocéros laineux. Mais la distinction chronologique entre ces deux espèces et l'Ours des ca- vernes ne paraît pas aussi bien établie. Admettant que l’Ours des cavernes n'ait pas encore été trouvé dans les sables de la val- lée de la Somme examinés avec tant de soin, nous devons nous rappeler que cet animal était essentiellement un hôte des cavernes, et que son absence provient peut-être du manque com- plet de ces demeures plutôt que de l'extinetion de l'espèce. Nous devons nous souvenir aussi que les os qu’on trouve dans les sables sont trés-cassés, et qu'il n’est pas facile de distinguer ceux de l'Ursus spelæus de quelques-uns des os des grands spécimens de l'Ours brun. Pour ce qui concerne l'âge de l’Aurochs, les cavernes à osse- ments n’ont encore rien ajouté aux connaissances que l’on en avait déià acquises en étudiant les tumuli et les habitations la- custres de Suisse. Il ne serait pas possible, dans les limites d’un article tel que celui-ci, de mentionner toutes les cavernes où des restes humains appartenant, selon toute apparence, à la même période que ceux des mammifères éteints, ont été trouvés mêlés à ces derniers. Nous appellerons seulement l'attention sur quel- ques-unes de celles qui ont été le plus minutieusement étudiées, et d’après lesquelles on a pu établir les conclusions les plus satis- faisantes. ( SUR LES HOMMES DES CAVERNES. 365 I est inutile de dire qu'il est de toute évidence qu'un grand nombre de cavernes ont été habitées à des époques bien posté- rieures à celles dont nous nous occupons maintenant; mais pour l’âge de pierre le plus reculé, aussi bien que pour les périodes ultérieures, nous avons, comme il vient d'être dit, d’autres sour- ces d'informations qui nous permettent d'arriver à de meilleures conclusions que celles que l’on pourrait tirer de l'examen des cavernes. Quelques écrivains ont été même jusqu'à mettre en question la valeur de ce qu’on peut appeler le témoignage des cavernes. Ils ont suggéré que les ossements des animaux éteints pouvaient être là depuis dessiècles avant l'apparition del'Homme, etqu'ainsi des restes appartenant à des périodes très-différentes avaient été mêlés et déposés là où nous les trouvons maintenant. C'était l'opi- nion qu'énonçait M. Desnoyers, il y a peu de temps encore, en 1845, dans son mémoire sur les cavernes à ossements (1). Nous croyons pourtant être à même de répondre victorieusement à cet argument. Pendant l’année qui vieñt de s’écouler, M. Lartet, accompa- gné de M. Christy, a examiné avec grande attention un cer- tain nombre de petites cavernes et d’excavations dans les rochers propres à servir comme abris (2) dans le département de la Dor- dogne, dont quelques-uns avaient déjà attiré l'attention des archéologues (3). Ces cavernes ont un intérêt tout particulier en ce que, autant du moins qu'on en peut juger par les preuves actuelles, elles appar- tiennent à l'âge du Renne (établi par M. Lartet), et tendent ainsi à relier l'âge de pierre polie à la période des terrains d’allu- vions fluviatiles et des grands mammifères éteints, et qu’elles re- présentent une époque sur laquelle nous n'avons jusqu'ici que fort peu de renseignements. Les cavernes qui ont été examinées (4) Recherches géologiques et historiques sur les cavernes, particulièrement sur les cavernes à ossements (Dict. univ. d'hist. nat.). (2) Rock-shelters. _(3) De l'origine et de l’enfance des arts én Périgord, par M. l'abbé Andicrne, N.H.R., 1864. 96! LUBBOCK. avec le plus de soin sont au nombre de dix, savoir : Laugerie, la Madelaine, les Eyzies, la Gorge-d'Enfer, Moustier, Liveyre, Pey-de-l’Azé, Combe-Granal et Badegoule ; nous avons eu l’avan- tage de visiter la plupart d’entre elles. La rivière de la Dordogne court dans de profondes vallées tail- lées au milieu d'assises calcaires, et tandis que généralement, dans les terrains crayeux, les flancs des vallées sont inclinés, là ils sont presque toujours coupés à pic, en raison probablement de la dureté de la roche. On rencontre souvent des grottes et de petites cavernes; en outre, comme les influences atmosphériques ont plus ou moins d'action sur les différentes couches, la face du rocher est creusée en maints endroits, et forme ainsi des abris dans le roc (rock- shelters). Dans des temps très-reculés, ces cavernes et ces trous de rochers étaient habités par des Hommes qui ont laissé, après eux, des traces évidentes de leur présence. Mais à mesure que la civilisation avançait, l'Homme, ne se contentant plus des de- meures naturelles, mais ncommodes, qui lui étaient ainsi offertes, se creusa lui-même des habitations, et l’on voit des endroits où le roc ressemble à un rayon de miel, tant il est percé de fenêtres et de portes conduisant dans des chambres, quelquefois au nombre de trois les unes au-dessus des autres. Dans les temps de trouble du moyen âge, un grand nombre de ces habitations servaient, sans aucun doute, de réduits fortiliés, et mème maintenant on fait encore usage de quelques-unes. Nous avons vu, à Brantôme, une ancienne église qui avait été taillée dans le rocher, et qui nous rappela quelques-uns des célèbres temples souterrains des Indes. Elle sert maintenant de cellier pour le vin, et tout près de là se trouve toute une rangée de mai- sons auxquelles le rocher sert de fond et de toit. À part l'intérêt scientifique, il était impossible de ne pas admi- rer la beauté du paysage qui se déroulait sous nos yeux lorsque nous descendions la Vezère. Comme la rivière serpente à travers la vallée, elle nous portait tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, et nous nous trouvious alternativement entourés de riches prairies, ou tout auprès de la haute falaise, dont le sommet surplomblait SUR LES HOMMES DES CAVERNES. 269 au-dessus de nostêtes. Çà et là apparaissait quelque vieux chà- teau, et quoique les arbres fussent un peu dépouillés, le rocher était, en beaucoup d’endroits, embelli par la verdure du buis, du lierre et du chêne vert, qui s’harmonisait admirablement avec la riche teinte brune de la pierre. Mais revenons aux cavernes à ossements. On a trouvé à Pey de l’Aze des restes de l’'Ours des cavernes, et à Moustier ceux de l'Hyène. On a rencontré aussi à Moustier et à Laugerie des lames séparées des molaires du Mammouth, et dans ce dernier endroit un fragment de bassin y était joint. Quant aux deux premières espèces, MM. Lartet et Christy les regardent comme appartenant évidemment à une époque plas ancienne que les restes humains trouvés dans les mêmes cavernes. On a regardé la présence de ce bassin comme une preuve de la contemporanéité du Mam- mouth et des chasseurs de Rennes de Laugerie; en effet, il est ‘difficile de deviner pourquoi ils auraient apporté dans leurs ca- vernes un os fossile qui, en raison de la lâcheté de son tissu, ne convient pas, comme cela est plusmarqué pour les os d’'Éléphant, à la fabrication d'aucun instrument. Pourtant MM. Christy et Lartet n’ont pas donné leur opinion à ce sujet, s'étant, comme ils l’ont dit eux-mêmes, « fait une loi de ne procéder dans nos inductions que par témoignages incontestables » . Pour ce qui regarde le Felis spelæa, on a trouvé dans la ca- verne des Eyzies un os du métacarpe, appartenant probablement à cette espèce, et portant des marques évidentes d'instrument tranchant. Cependant les preuves zoologiques positives de l'antiquité des restes humains trouvés dans ces grottes se basent simplement sur la présence du Renne. Mais ces preuves, quant à ce qui regarde cet animal, sont concluantes. Les os ont tous été cassés pour en extraire la moelle, beaucoup d’entre eux portent des traces de couteaux, et aux Eyzies on a trouvé une vertèbre qui avait été percée avec une lame de silex. Nous pouvons à peine croire que cela ait été fait pendant la vie de l'animal. Mais, MM. Lartet et Christy sont tout à fait convaincus que l'os devait être frais lors- qu'ila été ainsi transpercé. Nous verrons bientôt qu'il existe dans 5° série, Zoo. T, IL. (Cahier n° 6.) 4 24 366 LUBB0CK. cette localité des preuves encore plus curieuses de la contempo- ranéité de l'Homme et du Renne. Mais 1l est nécessaire aussi d'étudier les preuves zoologiques sous leur aspect négatif. On n’a rencontré aucun reste pouvant appartenir à des animaux domestiques. Il est vrai qu'il se trouve des ossements de Bœuf et de Cheval; mais rien ne prouve qu'ils proviennent d'individus domestiques. Les restes de Sangliers sont aussi trés-rares, et l'on peut croire que si cet animal avait été do- mestique, on en aurait trouvé en plus grande abondance. La Brebis et la Chèvre manquent complétement, et ce qui est encore plus remarquable, le Chien même est absent. Les collections recueillies par MM. Christy et Lartet, ou celle de M. le vicomte de Lastic, provenant de Bruniquel, nous mon- trent que la plus grande partie des restes d'animaux consiste en dents, en mâchoires inférieures et en cornes. On trouve évidem- ment d'autres ossements, mais ils ne forment qu'une très-petite fraction du tout. Pourtant, nous ne pouvons attribuer cela à la présence des Chiens, en partie parce qu'on n’a pas encore décou- vert de débris de cette espèce; puis, parce que les os qui restent ne sont pas rongés ; enfin, principalement par la raison que les Chiens ne mangent que certains os et certaines parties des os, choisissant toujours les portions spongieuses, et laissant de côté les parties moyennes solides. Nous tenons de M. Galton que quelques tribus sauvages de l'Afrique ne se contentent pas de la chair des animaux qu’elles tuent, mais qu'elles empilent encore les os dans des mortiers, afin d'en retirer le suc qu'ils contiennent. Selon Leems, c’est aussi l'usage, chez les Lapons danois, de casser, à l’aide d’un maillet, tous les os contenant de la graisse ou de la moelle, puis de les fure bouillir jusqu'à ce que la graisse en soit compléte- ment extraite (1). Les proportions dans lesquelles on trouve les différents os peuvent être regardées, je crois, comme une preuve indirecte que cette coutume était établie parmi les habitants de la France méridionale. (1) Account of Danish Lapland , by Leems (Copenhagen, 1767), translated in Pin- kerton’s Voyages, vol, 1, pa 396. SUR LES HOMMES DES CAVERNES. 367 Quant aux silex taillés trouvés dans ces cavernes, nous devons d'abord appeler l'attention sur leur extrême abondance ; on peut dire, sans aucune exagération, qu'ils sont innombrables. Ce fait ajoute naturellement beaucoup à la valeur des conclusions, mais il ne doit pas nous surprendre, car le silex est tellement cassant, que les instruments qui en étaient faits devaient se briser très- facilement, et les morceaux jetés au loin comme inutiles, surtout dans un district crayeux où le silex était inépuisable. Un grand nombre d'instruments ont dû aussi rester inachevés, soit à cause d'un coup mal dirigé, soit en raison de quelque défaut dans le silex. En outre, on doit naturellement s'attendre à ce que les silex taillés soient beaucoup plus abondants dans une caverne à ossements de cette nature que dans un kj‘kkenmôddimg. Chaque Huitre ne fournit qu'une petite bouchée, et, proportionnellement à l’entier, les parties mangeables sont beaucoup plus considé- rables chez les Mammifères que chez les Mollusques ; par consé- quent, les kj‘kkenmüddings devaient s’accroître, celeris paribus, plus rapidement que les brèches osseuses, et en supposant les instruments de silex aussinombreux dans un cas que dans l’autre, ils devaient se trouver plus dispersés dans le premier que dans le dernier. Les objets de pierre trouvés dans les cavernes à ossements dont nous nous occupons maintenant consistent en éclats simples ou travaillés, en grattoirs, en noyaux, en poinçons, en têtes de lance, en coupoirs et en marteaux. Les éclats simples et travaillés sont naturellement très-nom- breux, mais ils n'ont rien de particulier qu'on puisse mention- ner ; ils présentent les variétés ordinaires de formes et d’aspects. Les grattoirs, quoique moins nombreux que les éclats, sont encore très-abondants; ils me paraissent en général plus longs et plus étroits que le type danois ordinaire. Quelques-uns ont été faits probablement dans l'intention de servir à la main, car les deux bouts sont façconnés pour gratter. On peut donner à ces derniers le nom de doubles-grattoirs. Selon toute apparence, d'autres étaient fixés à des manches, le bout opposé au grattoir étant cassé quelquefois sur l’un des côtés, quelquefois sur les 368 LUBBOCK. deux, de manière à former une extrémité effilée, que l’on pou- vait fixer à un manche de bois; d’os ou de corne. Peut-être em- ployait-on le bois pour cet usage, car aucune trace de manche n'a encore été découverte. Beaucoup d'éclats sont aussi coupés de cette manière à l’une de leurs extrémités. Là où 1l y avait une manufacture de lames de silex, il devait naturellement se trouver aussi des noyaux ou nuclei dont on les lirait. J'étais, malgré cela, étonné de la quantité que j'en voyais, et pendant une courte visite J'en ai ramassé moi-même plus de quatre-vingts. Les poinçons et les scies sont beaucoup plus rares, pourtant on en à découvert quelques beaux spécimens. Quant aux mar- teaux qui se rencontrent en assez grande quantité dans les cavernes, 1l semble que, pour les faire, les chasseurs de Rennes aient usé tout à l'entour des pierres de quartz. Ces instruments pouvaient aussi servir de chauffoirs. Nous savons que les indiens de l'Amérique du Nord n'ayant pas de poterie, mais se servant seulement de vaisselle de bois qu'ils ne peuvent mettre sur le feu, font chauffer des pierres qu'ils jettent ensuite dans l'eau qu'ils veulent faire bouillir. On à trouvé aussi trois ou quatre marteaux de silex. Tous ces Instruments de silex qui sont les plus communs se rencontrent en grande quantité dans toutes les grottes indistinc- tement ; mais il y à d’autres types qui semblent être moins géné- ralement répandus. Ainsi, à Laugerie et à Badegoule, on a trouvé une certaine quantité de têtes de lance en forme de feuille, presque aussi bien travaillées que celles de Danemark. Si nous essayions de fare une classification des grottes d'après les époques de leur occupation, nous serions disposé à rapporter celles-ci à une période ultérieure à celle de la plupart des autres, tandis qu'au contraire, à en juger par les instruments de silex, la caverne de Moustier serait la plus ancienne. Une telle classifi- cation serait peut-être prématurée, mais il est certain que Moustier nous a donné quelques types qui n’ont encore été trou- vés dans aucune autre caverne. Un de ces types particuliers a l'un de ses côtés resté rugueux, SUR LES HOMMES DES CAVERNES. 369 comme s'il devait être tenu dans la main, tandis que l’autre a un bord tranchant fait au moyen d’un grand nombre de petits coups. Quelques-uns de ces instruments sont très-grands, et MM. Lartet et Christy supposent qu'ils servaient à couper le bois, et peut- ètre aussi les gros os des mammifères. Un autre type fort intéressant nous est offert par un échan- tillon travaillé des deux côtés, quoique le plus souvent l’un des deux soit laissé tout plat. Ce type est regardé par MM. Christy et Lartet comme iden- tique avec les têtes de lance trouvées dans les terrains de trans- port. Nous ne pouvonsfpartager leur opinion, car non-seulement les silex de Moustier sont plus petits, mais le travail diffère en ce qu'il est moins hardi. En outre, la surface plate n’est pas une particularité indivi- duelle ; elle se présente souvent, pour ne pas dire presque tou- Jours, et se voit aussi sur un instrument à peu près semblable trouvé par M. Boyd Dawkins dans un repaire d'Hyènes à Wokey, et décrit par lui dans le Journal géologique (mai 1862, n° 70, p. 119). Cet échantillon très-intéressant semble plutôt devoir être rapporté aux tranchoirs décrits ci-dessus, et, dans ce cas, sa ressemblance avec les formes des silex des terrains de transport ne serait qu'’accidentelle et msignifiante. MM. Lartet et Christy donnent à ce ‘type le nom de tétes de lance ; mais nous doutons un peu que tel fut l'usage auquel ils étaient destinés. Enfin, quoique ces spécimens trouvés à Moustier soient d'un grand intérêt, il faut attendre encore avant de les classer comme se rattachant aux types des terrains de transport. On n’a pas encore découvert dans ces cavernes de traces d’in- struments polis, quoi qu'ils soient assez répandus dans cette partie de la France. La collection de M. Mourcin, à Périgueux, contient à elle seule, parmi 5025 objets de pierre, 3002 haches polies, dont beaucoup, il est vrai, sont imparfaites. Il n'y a pas de doute que, parmi l'immense variété de formes que présentent les mstruments de silex trouvés dans ces cavernes, on n'arrive à découvrir d'autres types qui jetteront une nouvelle lumière sur le sujet dont nous nous occupons, 370 LUBBOCK. Aucun instrument fait avec des ossements n'a pu encore être recueilli à Moustier ; mais on en a trouvé une assez grande quan- tité dans les autres cavernes. Généralement ce sont des ciseaux, des aiguilles ou des harpons. A l'exception peut-être des têtes de lance bien travaillées de Laugerie et de Badegoude, toutes les preuves que nous avons obtenues jusqu’à présent par les recherches opérées dans ces cavernes marquent une période très-ancienne, plus ancienne que celle des premières habitations lacustres de Suisse ou des amon- cellements coquilliers danois, et iln y aaucun fragment de métal ou de poterie que l’on puisse rapporter à l'âge du Renne. Mais il se trouve dans ces cavernes une sorte d'objets qui, con- sidérés seuls, nous aurait conduit à des conclusions toutes diffé- rentes. On n’a encore découvert dans les habitations lacustres de l’âge de pierre, ni dans aucun amoncellement coquillier danois, de représentations, même grossières, d'animaux ou de plantes. Is sont même si rares parmi les objets de l’âge de bronze, que c’est à peine si l'on en peut produire un seul exemplaire authen- tique. Et pourtant, dans ces cavernes archaïques, on a trouvé plu- sieurs belles ébauches tracées sur la pierre ou sur des os, au moyen de la pointe aiguë d’un mstrument de silex probablement. Dans quelques cas on distingue même une intention d’ombrer, Dans les Annales des sciences naturelles (A), M. Lartet donne la descrip- tion de quelques dessins grossiers découverts dans la caverne de Savigné, et il est question dans son dernier mémoire d’autres objets de même genre que lui et M. Christy ont eu la bonté de me montrer. Un d'eux, trouvé aux Eyzies, représente un qua- drupède à cornes d’une espèce difficile à définir. Dans la station inférieure de Laugerie en a rencontré diverses ébauches semblables : l'une représente un grand animal herbi- vore, mais auquel malheureusement il manque la tête et les jambes de devant; un autre à aussi l'apparence d’une espèce de Bœuf ; un troisième représente un animal plus petit, dont les cornes sont verticales; dans un quatrième, on a évidemment (4) Ann. des se. nat., 1864, vol. XV. SUR LES HOMMES DES CAVERNES. 871 voulu faire un Cheval ; enfin, un cinquième, fort intéressant en ce que, par la forme de la tête et des andouillers, il a plus de res- semblance avec le Renne qu'avec le Cerf commun. Mais le spécimen le plus remarquable est peut-être un poi- gnard taillé dans une corne de Renne, et auquel l'artiste a ingé- nieusement adapté les formes de celles de l'animal représenté. Les cornes sont rejetées sur le cou, les jambes de devant repliées sous le ventre et celles de derrière étendues le long de la corne. Malheureusement il semble que ce poignard ait été abandonné avant d'être terminé, quoique quelques-uns des détails indiquent qu’on a eu l'intention de représenter un Renne. Quoiqu'il y ait parmi les sauvages actuels des exemples d’une certaine adresse pour le dessin et la sculpture, jointe à une igno- rance complète de la métallurgie, on ne peut s'empêcher de res- sentir quelque surprise en découvrant ces ouvrages d'art. En songeant à la condition probable de ces anciens hommes des cavernes, nous pouvons leur accorder un grand amour de l'art tel qu'il existait alors; tandis que, d’un autre côté, l'absence de tout métal, d’'instruments‘de silex poli et même de poterie (4), l'ignorance de l’agriculture et le manque d'animaux domestiques, même du Chien, semblent certainement indiquer un degré de civilisation très-peu avancé et une antiquité très-reculée. Je ne doute pas que de nouvelles recherches de MM. Christy et Lartet ne viennent bientôt nous permettre de parler avec plus de certitude. Mais, jusqu’à présent, tout semble indiquer l'exis- tence d’une race d’Hommes vivant à peu près comme les Esqui- maux actuels et les Lapons d'il ya quelques siècles, etune période intermédiaire entre celle de l’âge de pierre polie et l'époque des grands Mammifères éteints, et plus ancienne même, selon toute apparence, que celle des amoncellements coquilhiers danois. Si, par de nouvelles découvertes, on arrive à démontrer que ces Hommes des cavernes ont été contemporains du Tigre, de l'Hyène, de l’Ours des cavernes et duMammouth, dont on a trouvé (4) Les poteries sont très-rares dans les cavernes d'Irlande, et ne sont nullement abondantes dans les dépôts. 372 LUBBOCK. des restes mêlés aux leurs d’une manière assez douteuse, il fau- drait alors les faire remonter à une époque beaucoup plus ancienne (1). Il est déjà bien établi que quelques cavernes d'Europe ont été habitées par les Hommes du temps des grands Mammifères éteints. En 1828, MM. Tournal et Christol ont découvert dans le midi de la France des fragments de poterie, ainsi que des dents et des ossements humains mêlés avec des restes d'espèces disparues ; M. Tournal fait expressément remarquer que ces débris n’ont pu être entraînés là par quelque catastrophe diluvienne, mais ont dû y être apportés peu à peu. Le docteur Schmerling a publié, il y a plusieurs années (1833 et 1834), un mémoire sur ses recherches dans quelques cavernes des environs de Liége, en Belgique (2). Ia trouvé des ossements humains dans trois ou quatre de ces cavernes, et dans toutes on arencontré des outils grossiers, et principalement des éclats de silex tellement dispersés parmi des restes de Mammouth, de Rhinoceros tichorhinus , d'Ours et d'Hyènes des cavernes, que le docteur Schmerling n'a pas hésité à les rapporter tous à la même époque. On éprouva d’abord quelque surprise, en pensant que de semblables animaux étaient originaires de France et d'Angleterre, et erraient jadis dans nos forêts et le long de nos fleuves; mais l'incrédulité succéda à l’étonnement, lorsqu'on vint dire qu'ils étaient contemporains de l'Homme. Pourtant ces recherches dans les cavernes semblent avoir été conduites avec beaucoup de soin, et des découvertes plus récentes sont venues en confirmer les principaux résultats. Il'est probable que l’hésitation avec laquelle les hommes de science ont accueilli les assertions du docteur Schmerling pro- (4) Le British Museum possède maintenant la plus grande partie d’une collection recueillie par M. le vicomte de Lastic dans une caverne à ossements du midi de la France, à Bruniquel. Le professeur Owen ayant entrepris de décrire cette collection, je n’en dirai rien ici. (2) Recherches sur les ossements fossiles découverts dans les cavernes de la province de Liëge, par le docteur P. C. Schmerling. | SUR LES HOMMES DES CAVERNES. 3173 vient en partie de ce que quelques-uns des restes fossiles qu'il a découverts ont été évidemment rapportés à tort à certaines espèces, en partie parce qu'il exprime l'opinion que les débris de plusieurs des espèces éteintes, et principalement du Mammouth, ont été apportés de loin, probablement entraînés par les eaux et proviennent d’une couche plus ancienne. « Nous n'hésitons » point, dit-il, à exprimer ici notre pensée, C'est que nous » doutons fort que l'Éléphant, lors de l’époque du remplissage » de nos cavernes, habitât nos contrées. Au contraire, nous » croyons plutôt que ces restes ont été amenés de loin, ou bien » que ces débris ont été déplacés d’un terrain plus ancien et ont » été entraînés dans les cavernes. » Quoique le docteur Schmerling puisse être tout à fait dans la vérité en disant que les restes humains ont été «enfouis dans » ces cavernes à la même époque, et par conséquent par les » mêmes causes qui y ont entraîné une masse d'ossements de » différentes espèces éteintes» , il ne s'ensuit pas nécessairement que l'Homme ait eæisté à la même époque que ces espèces éteintes. à M: Godwin Austen a communiqué en 1840, à la Société géologique de Londres, un mémoire sur la géologie du sud-est du Devonshire (1), et dans sa description du « Rent'o hole », près de Torquay, il dit que « les restes humains et les objets » travaillés, tels que des têtes de flèche et des couteaux de silex, » se rencontrent dans toutes les parties de la caverne et dans » l'épaisseur entière de l'argile, et qu'on ne peut observer au- » cune différence de condition, de distribution ou de position » relative entre les débris humains et les autres restes, qui » comprennent des os d'Éléphant, de Rhinocéros, de Bœuf, » de Cerf, de Cheval, d'Hyène, d'Ours et d’un Felis de grande » taille. » Il ajoute avec raison : «que la valeur d’un tel état de choses » repose entièrement sur le soin avec lequel les terrains ont été explorés. Or, je puis affirmer que mes propres recherches ont CA CA C4 (1) Transactions of the Geol. Soc., 2° sér., vol. VI, p. 433. 37! LUBBOCK. » été toujours dirigées dans des parties de la caverne qu » n'avaient pas encore été exploitées, et chaque fois il à fallu » retirerles os de dessous une épaisse couche de stalagmites : » ce qui prouve que les restes de l’'Homne et de son mdustrie » ont été déposés dans la caverne avant la formation de ces » stalagmites. » En mai 1858, le docteur Falconer appela l'attention de la Société géologique sur une caverne nouvellement découverte à Brixham, près de Torquay, et l'on nomma un comité pour l'aider dans ses investigations. On obtint aussi quelques dons d'argent de la Société royale et de miss Burdett Couth. M. Pengelly, M. Prestwich et le docteur Ramsay se joignirent au docteur Falconer, pour explorer la caverne. Un rapport prélimmaire fut fait à la Société géologique en septembre 1858, mais il est fort à regretter que les résultats n'aient pas encore été publiés en entier. Malgré cela, on ne peut douter que le soin qui a pré- sidé aux observations, et que l'autorité éminente sur laquelle elles reposent, n'aient donné une forte impulsion à l'étude de l’archéologie préhistorique. Dans cette caverne, les dépôts se suivaient ainsi, par ordre des- cendant : 1° Stalagmites d’une épaisseur irrégulière ; 20 Terre ocreuse des cavernes, avec des brèches de calcaire; 3° Terre ocreuse des cavernes, avec du schiste concassé ; 4° Gravier roulé. Les débris organiques appartenaient aux espèces suivantes : 49 Rhinoceros tichorhinus, un nombre considérable de dents et un astragale, 2° Bos, sp., dents, màchoires et autres os. 3° Equus, sp., restes rares. 4° Cervus tarandus (Renne), le crâne et cornes. 5° Cervus, sp., cornes. 6° Ursus spelœus. (Ours des cavernes), mâchoires inférieures, dents, et les os d’une jambe de derrière. 7° Hyœna spelæa, mâchoires inférieures, dents, fragments de crâne et autres ossements. Plusieurs éclats de silex se trouvaient mêlés indistinctement à ces divers os, et, selon toute apparence, ils remontaient à la SUR LES HOMMES DES CAVERNES. . 0 même époque. La profondeur à laquelle on les rencontre varie de 10 pouces à 11 pieds, et quelques-uns d’entre eux étaient dans le gravier au-dessous de la totalité des terrains ocreux. On en a trouvé un tout près des os de la jambe de derrière gauche d’un Ours des cavernes; le squelette de cette dernière ne comprenait pas seulement le fémur, le tibia et le péroné, mais la rotule et l’astragale étaient encore à leur place res- pective. Cela semble prouver, avec évidence, que le membre a été enterré lorsqu'il était encore frais, ou au moins quand les os étaient encore retenus par les ligaments. Puisque ce fait a dû avoir lieu peu de temps après la mort de l'animal, il s’en- suit que, si l’homme et l'Ours des cavernes n’ont pas été con- temporains, ce dernier n'est venu qu'après. Le docteur Falconer a encore trouvé des traces humaines dans la grotte de Macagnone, en Sicile. Elles consistent en cendres et en instruments grossiers de silex qu'on rencontre dans une brèche contenant des ossements d’Elephas antiquus, d'Hyène, d'un Ursus fort grand, d’un Felis (probablement le F. spelæa ) et d'Hippopotame ; ces derniers sont très-nombreux. À une certaine époque, les « ceneri impastati» , ou cendres soli- difiées, remplissaient la caverne, et l’on a trouvé un large mor- ceau de brèche ossifère qui était encore cimenté à la voûte par des stalagmites ; mais la plus grande partie a été entraînée par quelque changement dans l'écoulement des eaux. La présence de l'Hippopotame nous prouve clairement que les conditions géographiques du pays différaient complétement de ce qu’elles sont maintenant; mais je ne puis faire mieux que de citer les propres paroles du docteur Falconer à ce sujet : « Le grand nombre d'Hippopotames démontre que les condi- tions physiques du pays devaient être, à des périodes géologiques peu éloignées, très-différentes de ce qu'elles sont actuellement. » Il considère que tous les dépôts qui se sont formés au-dessus de la brèche ossifère jusqu’à la voûte proviennent de matériaux en- traînés d'en haut à travers les crevasses sinueuses ou des fissures dans le calcaire, et que la couche supérieure, consistant en bré- ches de coquilles, esquilles d'os, objets siliceux, argile brûlée, 376 LUBBOCK. morceaux de charbon et coprolithes d'Hyènes, a été cimentée à la voûte par des‘infiltrations stalagmitiques. La conservation entière de ces grandes et fragiles Hélices prouve que l'effet a été produit par l'influence tranquille des eaux, et non par quelque action tumultueuse. On n'a rien découvert indiquant que les différents matériaux formant la brèche de la voûte n'avaient pas une origine contemporaine. Depuis ce temps, il s'est produit des altérations physiques du contour, qui, en changeant le cou- rant des eaux superficielles et des sources souterraines, ont altéré toutes les conditions existant primitivement, et ont entraîné au dehors la totalité des matières sans cohésion, ne laissant que les parties agglutinées à la voûte. Des débris provenant de ces ma- üeres expulsées ‘étaient encore visibles dans des morceaux de « cenert impastati » trouvés au-dessous de l'entrée de la caverne et contenant des ossements fossiles. Il est évident qu'une longue période s’est écoulée avant l'extinction des Hyènes, des Lions des cavernes et d’autres espèces fossiles, mais nous n'avons aucun moyen de la mesurer. L'auteur appelle la scrupuleuse attention des géologistes sur les déductions suivantes : Que la caverne de Macagnone fut remplie jusqu'au faite pendant la période de l'Homme, et que la couche épaisse d’esquilles d'os, de dents, de coquilles terrestres, de coprolithes d'Hyènes et de restes hu- mains, était agglutinée à la voûte par des infiltrations d’eau contenant du carbonate de chaux en dissolution. Que, ultérieu- rement, pendant la période humaine, il est survenu de si grands changements dans la configuration physique du pays, que ces débris ont été entraînés, et la caverne vidée, à l'exception des parties agglutinéesà la voûte, et qui, par la suite, ont été recou- vertes de stalagmites. M. Lartet a décrit, avec son talent ordinaire, une grotte ou petite caverne qui a été découverte, il y a quelques années, à Aurignac, dans le midi de la France. Un paysan, nommé Bon- nemain, voyant un Lapin rentrer dans un trou creusé sur un talus escarpé, plongea sa main dans ce trou, et, à sa grande sur- prise, en retira un os humain. La curiosité lui fit continuer ses explorations, et après avoir enlevé une grande quantité de dé- SUR LES HOMMES DES CAVERNES. 377 blais, il arriva à un gros bloc de pierre qui fermait presque com- plétement l'entrée d’une petite chambre dans laquelle se trou- vaient dix-sept squelettes humains. Malheureusement pour la science, le maire d’Aurignac entendit parler de cette décou- verte, et fit réunir et enterrer ces ossements. Lorsque M. Lartet explora la caverne quelques années plus tard, on ne put les retrouver. Après avoir soigneusement examiné la localité, M. Lartet con- clut que l'on se servait de cette petite caverne pour déposer les morts, et 1l rapporte aux repas que ces cérémonies entraînaient, | les restes d'os brisés pour en extraire la moelle, et les traces de feu trouvées dans l'entourage immédiat de la grotte (1). La liste suivante contient les espèces déterminées par M. Lar- tet, ainsi que le nombre approximatif d'individus appartenant à chacune d'elles : Nombre des individus. 1. Ours des cavernes (Ursus spelœæus) ..,..,......,.. . 5-6 2e lROursEUnanctos A). rx Ce MO UE 1 +, Blaireau, (U/es ) far. te li -éenour 2 A rte (0. tels MRUIOISAUPUIOP US CUIGATIS)2E 21e mure des nietet= » dans ee duue 1 5. Lion des cavernes (Felis spelæa)........,......,... 1 LLC SauNaS el ACTUS NAN TERESA SERRE [l Zyene(Hyenalspelec) at htc GrEOAad 5-6 Se LOURDE (C O2 UDUS) 2... « dise ie cu AE 3 RCE UM UIDES) ee se sie eelele + ele ac mel is 18-20 10. Mammouth (E/ephas primigenius), deux molaires et nnfastrasale sf. LINE Es LR AO 11. Rhinocéros (Rhinoceros tichorhinus). .......... Et MCE TN EAUTES CHOAUUS)S A eune ee scene: -sece 12-15 MORALE NE ES TAUS Ne etais t meraheo ee otate à 18 de een oo 14. Sanglier (Sus scrofa), deux incisives...........,..... 45 ACexf{Cervusselaphas) hrasseols cena dal prb 1 16. Élan d'Irlande (Megaceros hibernicus)........,... PER | FPMO NT EUR C MCLMEDEUS) ae ee notes pleine ne aiororsie selon à à 3-4 48: Renne (C: farandus). :... 29 2... ut LE ET 1 19. Aurochs (Bison europæus) ,...:.,.....,......... 12-15 Quelques-uns de ces ossements ont été trouvés dans l’intérieur (1) Ann. des sc. nat., 1864, p. 177. (2) Il doit y avoir quelque erreur au sujet de cette espèce. Ce point d'interrogation existe dans l'original. 378 LUBBOCK. de la grotte et d'autres en dehors; ces derniers avaient été ron- gés par quelque animal carnivore, des Hyènes probablement, dont on a trouvé des coprolithes’parmi les cendres ; tandis que ceux de l'intérieur n'avaient pas été touchés : ce qui semble prou- ver, comme l'indique M. Lartet, qu'après les repas des funérail- les, les Hyènes venaient pour dévorer ce que les hommes avaient laissé, mais qu'elles ne pouvaient pénétrer Jusque dans la caverne, dont l'entrée était fermée par la large pierre que Bonnemam à trouvée encore à sa place. Outre l'Hyène, les animaux qui se trouvent sur cette liste, et qui n'existent plus en France depuis longtemps, dont même on ne retrouve aucune trace historique, sont : le Renne, l'Ours des cavernes, le Rhinocéros, le Lion des cavernes, l'Élan d'Irlande et le Mammouth. Quant à ce qui concerne le Renne, les preuves sont coneluantes ; tous les os sont cassés pour en retirer la moelle, et 1l y en à un grand nombre portant des marques de couteau ; puis, la plupart des outils d'os sont faits avec les ossements ou les cornes de cette espèce. M. Lartet suppose que le Rhinocéros était aussi contemporam de l'Homme. Il se base, premièrement, sur la composition chimi- que des os, ceux du Rhinocéros, du Renne, de l'Aurochs, ete., contenant la même quantité d'azote que les ossements humains trouvés dans le même endroit; secondement, sur ce que les os semblent avoir été brisés par l'Homme et portent dans quelques cas des traces de couteau. En outre, il à fait ingénieusement remarqué que ces os ont dû appartenir à un individu récem- ment tué, parce qu'après qu'ils eurent été brisés par l'Homme, des Hyènes les rongèrent ; ce qui n'aurait pas eu lieu, s'ils n'a- vaient pas été frais et encore pleins de leur suc naturel. L'Éléphant n’était représenté que par quelques lames déta- chées de molaires et un calcanéum. Ce dernier était le seul os rongé trouvé dans l'intérieur de la caverne. On ne peut douter que ceslames n'aient été séparées exprès, et le calcanéum semble avoir été placé sous la voûte à l'époque des dernières mhuma- tions; mais, il n'y a aucune preuve qu'il fût alors à l’état frais, les traces de dents peuvent même faire supposer le contraire. SUR LES HOMMES DES CAVERNES. 379 Les restes de l’Ours des cavernes (Ursus spelœus) étaient beau- coup plus abondants, et l’on en a trouvé quelques-uns dans la grotte. Il est bien connu qu'anciennement on enterrait des vivres avec les morts ; et M. Lartet croit que l'on pourrait rapporter à cette coutume la présence des os de quadrupèdes trouvés dans la grotte d'Aurignac. On devait dans ce cas les enterrer avec la chair, ce qui, du reste, à été évidemment le cas pour la jambe d'un Ours des cavernes, car les différents os du membre étaient réunis. ‘ Nous aurions donc ainsi une sépulture humaine appartenant à la période pendant laquelle l’Ours des cavernes, le Renne, le Rhinocéros à poils laineux, et probablement aussi le Mammouth, vivaient encore en France. Il est bien regrettable que M. Lartet n'ait pas été présentlors dela première exploration de la caverne, car s'il avait vu les dépôts avant qu'on les ait remués, la contemporanéité des squelettes humains et des autres restes au- rait pu être affirmée d’une manière beaucoup plus positive. Le repaire d'Hyènes à Wokey-Hole, près de Wells, qui a été examiné et décrit par M. Boyd Dawkins (1), présente aussi un cas fort intéressant. La caverne était remplie de débris jusqu’au sommet, et cette accumulation de matières semblait avoir été produite d'une part par la désagrégation du conglomérat dolo- imitique formant la voûte et les murs de la grotte , de l'autre par le sédiment entrainé par les pluies et de faibles courants. Il est évident que les ossements et les pierres n’ont pas été apportés dans la caverne par l’action de l’eau : d’abord, parce qu'il n’y a pas un seul os roulé ; ensuite parce que, quoiqu'on ait trouvé dans la grotte plusieurs outils grossiers, on n’a découvert qu'un seul silex non travaillé ; enfin, parce que, dans quelques cas, on a trouvé réunis les fragments d’un même os, tandis qu'il n'est pas admissible qu'ils aient été déposés à côté les uns des autres s'ils avaient été amenés de loin. Il y a aussi plusieurs couches d'album græcum, c'est-à-dire d'excréments d'Hyènes, les unes au-dessus des autres. Chacune indique naturellement un los (4) Geol, Journal., May 1862, p. 145. 380 | LUBBOCK, ancien et une période différente d'occupation. Ainsi seulement la présence d’un de ces sols au-dessus de quelques instruments de silex prouve deux choses : que les Hyènes qui produisaient l'album græcum occupèrent les cavernes après les sauvages qui se servaient d'outils de silex ; ensuite que ces instruments n'ont pas été déplacés par les eaux depuis la période des Hyènes. Nous n’avons malheureusement que peu de renseignements quant à ce qui concerne les Hommes des cavernes eux-mêmes. Il est inutile de dire que nous n'employons pas ce terme comme indiquant une différence d'espèce, ainsi que cela a lieu pour l'Ours ou l'Hyène des cavernes. Quoique des restes humains assez nombreux aient été trouvés, il n’y a que deux cas où des crânes en assez bon état pour qu'il soit possible de les restaurer, aient été découverts dans les cavernes à ossements : une fois dans la caverne d'Engis, près de Liége, explorée par le docteur Schmerling ; l’autre fois dans le Neanderthal, près de Dusseldorf (docteur Fuhlrost). Il serait impossible de tirer des généralités de ces deux spéci- mens, même si leurs caractères s'accordaient parfaitement, et si leur antiquité était indubitable ; mais 1l se trouve que les preuves de l'ancienneté de l'échantillon du Neanderthal sont loin d’être concluantes, et que les deux crânes diffèrent beaucoup l’un de l'autre. Le docteur Schmerling croit reconnaitre le caractère éthio- pien dans le crâne d'Engis ; mais il ressemble à ceux de beau- coup d'Européens modernes. «Aucune de ses parties ne porte » de marques de dégradation ; c’est en somme un crâne humain » d’une bonne moyenne, qui peut aussi bien avoir appartenu à » un philosophe qu'à un sauvage sans cervelle. » Le crâne du Neanderthal a déjà été décrit (1), et l’on ne peut douter que ce ne soit «le crâne humain le plus simiesque de forme ‘qu'on ait encore découvert ». Il n'y a pourtant aucune raison de supposer qu'il ait appartenu à un idiot. Quoique la forme du crâne soit si remarquable, le cerveau semble avoir (4) Huxley, Man's place in natura, p. 156. SUR LES HOMMES DES CAVERNES. 381! occupé une place considérable, et le professeur Huxley estime qu’il devait mesurer 75 pouces cubiques (anglais), ce qui est la capacité moyenne des crânes des Polynésiens et des Hottentots. Mais il faut reconnaître que l'antiquité de ce spécimen est loin d’être bien établie, et même le professeur Meyer a été jusqu'à dire, du reste sans raisons suffisantes, que ce crâne pouvait avoir appartenu à un Cosaque, et ne pas remonter au delà du commencement du siècle actuel! Mais lors même que le crâne de Neanderthal serait ancien, nous ne croirions pas devoir tirer de conclusions définitives de ce seul spécimen. Enfin, quoique nous ne puissions pas encore déterminer quelle était la variété ou les variétés d'hommes qui existaient alors, nous trouvons dans les cavernes à ossements des preuves suffi- santes que l’homme était, en Europe, contemporain du grand groupe des Mammifères quaternaires. En effet, nous voyons que la présence, dans les cavernes à ossements, de restes humains mêlés à ceux des Mammifères éteints, n’est pas un fait rare et exceptionnel, et il n'y a là rien qui doive exciter notre étonne- ment, si nous regardons la question au point de vue scienti- fique. Les changements qui ont eu lieu depuis l’époque où ces cavernes ont été remplies ont eu bien plutôt pour résultat l'ex- tinction que la création d'espèces. Tous nos Mammifères existant actuellement, tels que le Cerf, le Bœuf, le Cheval, le Sanglier, le Chien et beaucoup d’autres, vivaient déjà à cette époque, et nous pourrions justement nous étonner si l’homme seul n’y avait pas été représenté. FIN DU DEUXIÈME VOLUME. 5° série. Zoo. T. IT. (Cahier n° 6.) ÿ 25 PUBLICATIONS NOUVELLE . Mémoires de la Société de Biologie, 3° série, t. V, 186. Les principaux artieles de physiologie contenus dans ce volume sont : 4° Um m moire sur l'inosurie, par M. Gallois. — 2° Des recherches sur l’origine du principe colorant, les suppurations bleues, par M. Delore. — 3° Sur les lésions des nerfs ét des muscles liés, et Id contraction tardive ét permanente des membres dans les hémiplégies, par M. Coxnil, — 4° Sur uñe tumeur volumineuse formée par hypergénèse de: la substance grise de la moelle épinière chez un fœtus de six mois, pær MM. Rayer et Balt. — 5° Nouveau procédé pour mesurer le volume de l’encéphale, par M. Jacquart. — 6° Contribution à l'étude des altérations anatomiques de la goutte, et spécialement dhx rein chéz lés goutteux, par M. Cornil. — 7° Des fissures congénitales des joues, par M. Peluet. — 8° Nouvelles recherches sur la maladie du sang de rate, considérée prin- cipalement au point de vue de sa nature, par M. Dumaine. On trouve aussi dans ce volume le compte réndu des séances de la Société pendant l’année 1863, et une notice sur Ernest Godart, jeuné anatomiste qui à institué par testament un prix pour « le meilleur mémoire sur un sujet se attachant à la Biologie ». Histoire naturelle de La famille des Baleines, par Escaricar. Dans un précédent numéro des Annales, nous avons exprimé la crainte que la mort dé M. Eschriéht n’empéchät [4 continuation de l'impression du fravail que ce zoologiste distingué avait préparé en langue française, sur l’objet prineipal de ses intéressantes recherches; mais on nous écrit de Copenhague que cet ouvrage ne tardera pas à être publié par les soins de M. Steenstrup, et nous nous empressons de consigner ici cêtte nonvelle. Mémoire sur les Pranizes et les Ancées et sur les moyens curieux à l'aide desquels certains Crustacés parosites. assurent la conservation de leur espèce. In=4° avec 5 planches, par M. E. Hesse. (Baïllière ét fls.) Ce travail, éxtrait du 18€ numéro des Mémotres de l’Académie des sciences (savants étrangers), est le développement du mémoire sur le même sujet publié, ily a quelques années, dans les Annales des sciences naturelles. Die Crustacen des Sudlichen Europa. — Crustacea podophthalmia, von D' Cawice Heccer, Wien., 1863. [n-8°, 336 pages (10 planches litho- graphiées). Dans ce travail, l’auteur étudie successivement tous les Crustacés podophthalmaires qui vivent dans les mers de l'Europe méridionale. Les principales espèces y sont figu- rées ainsi que les caractères des genres. Enfin, il est des types intéressants dont on doit la connaissance à l’auteur, et qui se trouvent décrits avec détails dans cet ouvrage. Tels sont: le Calliaxis Adriatica, Macroure fouisseur de la famille des Thalassiniens, et le Polycheles typhlops, Astacien assez voisin des Crangons. en ——. TABLE DES ARTICLES CONTENUS, DANS CE VOLUME. ANIMAUX VERTÉBRÉS. Recherches sur la formation des premières cellules embryonnaires, par M. Le- partement d’Indre-et-Loire. . . . 9250] foin. . RTE T PERL) es less a à. REROPRRMR AU AUDIO — AMEMUIUSÉ MMS le à +0 à e 5 Recherches sur les origines de la monstruosité double chez les Oiseaux, par AR Camille, DARSSUE. |... + , . ; der 2 pe 42 Recherehes sur la fermentation de Furée et de l'acide Eat: par M. Van TiechEn. (Extrait.). + ae Foie 168 Recherches anatomiques, zoologiques et paléontologiques sur la famille des Che- vrotains, par M. ALPuoNsE Mie Epwanps. . 49 Mémoire sur les Hommes des cavernes, par M. LuBBocx. DER 436 Note sur les instruments en silex trouvés dans le département d’Indre-et-Loire, par M. BourGEo1ïs. .» Alt 14 CAC AAHEE : : 250 Observations sur le développement des rte par M. STEENSTRUPr. 253 Remarques sur les observations de M. Leuckart relatives aux organes oculiformes * chez quelques Poissons, par M. LEREBOULLET. . . . . . 4 « . « 399 ANIMAUX INVERTÉBRÉS. De l'influence du système nerveux sux la respiration des insectes, par M. E. Bau- DECO à PME NON ORNE NA: RÉORRNRE 45 Études sur la circulation du sang chez les Aranées du genre Lycose, par M. Édouard CLAPARÈDE. . DES ITA TON SAR 4 AU ER SRE . 257 Mémoire sur des Crustacés rares ou nouveaux des côtes de France, par M. Hesse. 275 Mémoire sur les genres Liriope et Peltogaster, par M, W. LiLLIEBORG. 289 Supplément au mémoire précédent, par le même. SuaTRE 325 Mémoire sur les Antipathaires (genre Gerardia), par M. n. HG Dorarers. 169 Développement des Infusoires ciliés dans une macération de foin, par M, Coste. 240 Observations sur les phénomènes de mouvement chez les éponges, par M. Lig- ERPAUNBNEIE ELA) eee. Le NN CUS 0217 BABHCAHONSMONtEES M, 1 NU. 5101,00.0 0x d va) 26. 12882 TABLE DES MATIÈRES PAR NOMS D'AUTEURS. BanpeLoT. — De l'influence du sys- CLaparëne. — Études sur la circula- tème nerveux sur la respiration des tion du sang chez les Aranées du Insectes. NON) : 45| genre Lycose LANGER avc . 257 BourGEois. — Note sur les instru- Cosre. — Développement des Infu- ments en silex trouvés dans le dé- soires dans une macération de 580 Dareste. — Recherches sur les ori- gines de la monstruosité double chez les Oiseaux. . . EpwaRDs (ALPHONSE MILNE). — Re- cherches anatomiques, zoologiques et paléontologiques sur la famille des Chevrotains. .. . . Hesse. — Mémoire sur les Crustacés rares ou nouveaux des côtes de France... .. . .: Lacaze-Duraiers. — Mémoire sur les Antipathaires (genre Gerardia). LEREBOULLET. — Recherches sur la formation des premières cellules embryonnaires. . . . . . . . . . — Remarques sur les observations de M. Leuckart relatives à des sæote) cour ol TABLE DES MATIÈRES. organes oculiformes chez € Poissons. . . . . : A2|LIEBERKUEUN. Sos sur 1 L phénomènes de mouvement chez les éponges. LiLLJEBORG. — Mémoire sur les gen- res Liriope et Peltogaster. . . . . — Supplément au mémoire précé- 275|Lussocx. — Mémoire sur les Hom- mes des cavernes . . 469! STeexsrrur.—Observations sur le A e] veloppement des Pleuronectes. . , Vax TiEGHEM. — Recherches sur la fermentation de l’urée et de l’a- cide hippurique. . .. TABLE DES PLANCHES RELATIVES AUX MÉMOIRES CONTENUS DANS CE VOLUME. Planche 1, 3 ! — 5. 6 7 Gerardia, histologie. . Gerardia, reproduction. Crustacés parasites. Gerardia, spicules et polypier. . Gerardia, anatomie ; histologie. FIN DE LA TABLE, Paris, — Imprimerie de E, Martinet, rue Mignon, 2, Éléments des germes embryonnaires dans l’œuf de la Truite et du Saumon. 2. Tragulus Javanicus, T. Napu, T. Kanchil. . Traqgulus Stanleyanus, T. Meminna, Hyœæmoschus aquaticus. . Ostéologie du Moschus moschiferus, etc. Viscères du Tragulus Stanleyanus. . Cerveau du Moschus, du Tragulus, etc. . Anatomie du Tragulus Stanleyanus. & et 9. Ostéologie du Tragulus Kanchil. . Ostéologie du Tragulus Meminna, Hyæmoschus aquaticus, H. crassus . Ostéologie de l'Hyæmoschus aquaticus, H. crassus. Hyœæmoschus crassus, fossile à sansan. 43. Zoanthodème de Gerardia. Gerardia, polypes et polypier. A, Crustacés parasites ; B, développement de la tête des Pleuronectes, Ana des Sience mat - 5° Série Zovl Tomez FL Eléments de germe eméryonnate dans l'es de le Truite de de Sumen. shape ER 2 L'Napu ST Kanchil 1 Tragulus ja Sn PR CUS Vernunna Ÿ Ayant aguatets 1T à Ann/des Scien nat 59 Sérte Zool. T 2. PL.Y ni & Le ee ». Aph. M Edwr ad nat dal. et Louveau Lt Jp Beoquet à Paris} Viscéres du Trafulus stanleyanus des Serennat $/Werie Zoo! T2. PL VIII. b M Edw.ad rat del. et Lowveus lit Dstéologie du Tragulus Napu #P Ostéologie du Tragulus Kanchil Zoa T2 PL XI 1 Üstcologie de l'Hyæmoschus Aquaticus 2 MH. Crassus (fossiei) —p ansan Cr ns 210 nn Zuol, Ponea paresme de Crrariir, Zoanthoteme Cerardia — Histologie. À me imp à Fée Aatrapunte lors 7 Zool. Tone 2 PE 1 Han des Viens. met. Sri Cerantés— Anatomie Hirtelogte. Zoul, Tomes! LE 18. Ann. dur Ness: nat. Série Cerartir — Hoprotustun. A mn on + Fonte Lago 5 Pa B Zéveloppement de la tte des P'leuroneetés A Crustacés parties à mn. op eVtRaregude ot Pine Crustacés parasites P? Li "3 et EU ETS e! SORTE KE ae SE es per LS (1 HET Te Hp 3° Boni } , Ci