je pris Héties Ceres HU “4 st ail ANNALES SCIENCES NATURELLES LOOLOGIE HIDOT OO ee Bb. ANNALES DES SCIENCES NATURELLES COMPRENANT LA ZOOLOGIE, LA BOTANIQUE, L'ANATOMIE ET LA PHYSIOLOGIE COMPARÉE DES DEUX RÈGNES ET L'HISTOIRE DES CORPS ORGANISÉS FOSSILES RÉDIGÉES POUR LA ZOOLOGIE PAR M. MILNE EDWARDS POUR LA BOTANIQUE PAR MM. AD. BRONGNIART ET J. DECAISNE QUATRIÈME SÉRIE LOOLOGIE TOME III LIBRAIRIE DE VICTOR MASSON PLACE DE L'ECOLE-DE-MÉDECINE 1855 | gs ‘ ean A EUR: ANNALES DES SCIENCES NATURELLES PARTIE ZOOLOGIQUE NOUVELLES RECHERCHES RELATIVES A L'ACTION DU SUG GASTRIQUE SUR LES MATIÈRES ALBUMINOIDES, Par M. LONGET. (Mémoire lu à l'Académie des sciences dans Ja séance du 5 février 1855.) Dans l'opinion d’un certain nombre de physiologistes , les di- verses matières albuminoïdes seraient dissoutes et métamorpho- sées par le suc gastrique en une seule et même substance. Depuis longtemps reconnue et diversement dénommée, cette substance est devenue , dans ces dernières années, sous les noms d’albumi- nose ( Mialhe } et de peptone ( Lehmann }, l’objet d’études tendant à établir que , seulement à cet état de transformation , les matières protéiques peuvent être assimilées par l'organisme. Quant aux matières saccharines , féculentes ou amyloïdes, quelle que soit leur variété, elles sont aussi réputées n'être assimilables qu'à la condition d’avoir été transformées en un produit soluble toujours le même, glucose, De ces produits ultimes de la digestion de deux grandes classes 6 LONGET. — ACDION DU SUC GASTRIQUE d'aliments, l'un peut aussi prendre naissance dans le laboratoire , au gré et sous les yeux du chimiste ; l’autre, dans l'état présent de la science, ne saurait avoir une pareille origine , l'intervention d'un principe particulier de nature organique et anhnale étant né- cessaire à sa formation : ee principe, comme chagun le sait, est la pepsine ou ferment gastrique, d'où le nom de peptone qu’on à pro-- posé de donner au produit de son action sur les aliments azotés , dénomination que parfois j'emploierai pour la rapidité de l’exposi- tion, mais à regret, parce qu'elle ne s'applique pas à un produit encore bien défini. Le but de ce travail est, en partie, de faire connaître certaines influences remarquables que le produit de la transformation des matières albuminoïdes par le sue gastrique exerce sur le glucose , influences qui existent aussi bien lorsque ces produits se trouvent seuls en présence , que quand ils ont été mélangés avec le liquide sanguin , soit artificiellement, soit physiologiquement à la suite d’une alimentation mixte. J'ai été ainsi conduit à signaler un moyen simple pour distinguer les matières albuminoïdes avant et après la digestion, et, toujours en me fondant sur l'expérimentation, à tirer de la précédente étude certaines conséquences propres à éclairer divers points encore obscurs de cette fonction. Pour me procurer la peptone nécessaire aux deux premières séries d'expériences consignées dans ce mémoire , en général j'ai eu recours aux digestions artificielles qui se rapprochent le plus de la digestion naturelle, c’est-à-dire qu'à la température de + 35 à 38 degrés centigrades, j'ai le plus souvent expérimenté à l’aide du sue gastrique lui-même, et spécialement avec celui du Chien, qu'ilest toujours facile de se procurer par le moyen des fistules stoma- cales (1). (1) Toutefois, je m'empresse d'ajouter que l'expérience m'a démontré que le suc gastrique artificiel, préparé avec de l'eau acidulée et de la pepsine provenant d'animaux carnivores ou herbivores, a sensiblement les mêmes propriétés diges- tives que le suc gastrique naturel ; aussi peut-on, suivant nous, puiser indifferem- ment à l'une ou à l'autre source d'expérimentation. Nous n'avons préféré la der- nière qu'afin d'éviter les objections des physiologistes qui ne partageraient pas notre manière de voir à ce sujet. SUR LES MATIÈRES ALBUMINOÏDES. : 7 Quant au glucose , qu'il me soit permis de rappeler que , si l'on regarde volontiers la solution de tartrate de cuivre et de potasse comme insuffisante pour démontrer sa présence (attendu que la mannite, le lactose, l'acide urique, l’aldéhyde, la sorbine, et pro- bablement bien d'autres substances organiques, sont capables de réduire très nettement la liqueur cuivreuse), il n’en est plus de même quand il s’agit de prouver , non la présence, mais l'absence du glu- cose avec le même réaclif ; à ce dernier, on accorde alors un carac- tère négatif absolu. Chacun sait , en effet, que le tartrate de cuivre dissous dans la potasse constitue un réactif si sensible, qu'il peut donner une réduction appréciable dans des dissolutions contenant des traces de glucose tellement faibles , que la potasse , la fermen- lation alcoolique, les expériences optiques à l’aide du polarimètre , ni aucun autre moyen connu, ne sauraient les y faire découvrir. Aussi quand la réduction manque , c’est-à-dire lorsqu'il n'y a pas précipitation d'hydrate d'oxydule de cuivre , a-t-on coutume de conclure qu'il n'existe aucune trace de glucose dans le liquide où l'on cherche ce principe sucré. Or, dans les expériences que je poursuis en ce moment sur la digestion, j'ai pu déterminer certaines conditions dans lesquelles une pareille conclusion serait loin d'être légitime; j'ai donc lieu d'espérer que l'exposé des faits suivants ne sera pas sans quelque intérêt. L. Dans une dissolution acidule de fibrine, d'albumine, de gluten, ou d’un autre composé protéique, il est toujours possible , à l’aide du réactif indiqué, de révéler la présence du glucose en rendant au préalable cette dissolution alcaline. — J'ai constalé qu'il n'en est plus ainsi quand ces principes immédiats azotés ont convenablement subi l’action dissolvante el transformatrice du suc yastrique. En effet, dans ce liquide filtré qui vient de les digérer, l'addition immédiate du glucose n'est plus accusée par la liqueur cupro-potassique; et, fait bien digne de remarque, ce manque de réaction ne s’observe qu'à la condition expresse que la digestion ou la métamorphose qui en résulte soit entièrement accomplie, de telle sorte qu’on peut se ser- vir de ce caractère empirique pour distinguer les aliments albumi- 8 LONGET. —— ACTION DU SUC GASTRIQUE noïdes réellement digérés de eeux qui ne le sont point, ou qui le sont seulement d’une manière incomplète. Sachant que les liquides organiques, très chargés de substances albuminoïdes, génent plus ou moins la précipitation de l'oxydule de cuivre, j'interprétai d’abord dans ce sens les faits précédents ; mais bientôt j'instituai d’autres expériences dont les résultats ne permi- rent plus une semblable interprétation. Depuis plusieurs semaines, je conservais dans l’eau sucrée de la fibrine extraite du sang de Bœuf. Devenue demi-transparente par suite de son hydratation, elle m'offrit la particularité remarquable de se dissoudre et de dis- paraître par l'agitation dans le sue gastrique naturel , en quelques minutes, par une température de + 15 à 16 degrés centigrades seulement. Une autre partie de cette fibrine fut aussi plongée dans le sue gastrique naturel, et mise pendant trois heures au bain-marie entre + 35 et 38 degrés centigrades ; ensuite j'expérimentai eom- parativement sur l’un et l’autre liquide après les avoir filtrés. A 2 grammes de chacun d'eux, j’ajoutai environ 6 gouttes d’une solution de glucose (contenant 4 parties d’eau pour À partie de ma- tière sucrée ), puis À gramme du réactif cupro-potassique , ce qui suffit pour rendre alcalines les liqueurs. Dans toutes mes expé- riences, souvent reproduites sous les yeux de chimistes exercés , les résultats furent constants : à l’aide de l’ébullition , la précipi- tation d’hydrate d’oxydule de cuivre eut lieu dans le premier cas ; elle manqua dans le second, où de plus, lors du mélange, apparut une belle coloration en violet (1). Les mêmes essais comparatifs, répétés avec l’albumine liquide simplement dissoute dans le sue gastrique (2) ou bien transformée par lui, donnèrent aussi ces résultats différentiels. Ainsi, au même liquide organique (sue gastrique naturel), chargé en quantité égale des mêmes matières albuminoïdes, j'ai ajouté du glucose qui, vis-à-vis du sel de cuivre , à pu offrir sa réaction ca- (1) Si, dans ce dernier cas, on opère sur un liquide auquel aura été ajouté un grand excès d'alcali, on pourra obtenir, par l’ébullition, une liqueur transpa- rente de couleur caramel; mais jamais on n'aura le précipité caractéristique qui résulte de l'action du glucose sur le tartrate cupro-potassique. (2) Il est utile de battre l’albumine, d'y ajouter un peu d'eau, puis de la filtrer, avant de la mettre en contact avec le suc gastrique. SUR LES MATIÈRES ALBUMINOÏDES. 9 ractéristique tant qu'il s’est agi seulement d’une simple dissolution de ces matières , qui ne l’a plus offerte, dès qu'elles ont eu subi leur transformation digestive en partie due au ferment gastrique ou pepsine. Le produit liquide de cette transformation de tout ali- ment albuminoïde , mêlé dans certaines proportions au glucose, offre, en effet, la curieuse propriété, jusqu'ici inaperçue, de masquer à linstant même et si bien la présence de ce dernier , qu'on dirait plutôt une combinaison qu'un mélange (4). Une autre conclusion à tirer de ces expériences , c’est qu'on ne saurait partager le sentiment des physiologistes qui regardent la digestion comme une dissolution simple ; en réalité, le suc gastri- que représente un menstrue spécial, apte à la fois à dissoudre les principes immédiats azotés, tant en dehors qu’en dedans du corps, et à produire une métamorphose absolue dans leurs propriétés (sinon dans leur composition chimique), métamorphose sans doute favorable à l'assimilation ultérieure de ces principes. Les expériences qui précèdent m'ont paru mériter quelque attention , parce qu'elles révèlent en même temps une propriété nouvelle de la peptone, et un moyen nouveau de distinguer les matières albuminoïdes avant et après l'élaboration digestive. Mais jusqu'à présent, pour démontrer l’action en quelque sorte neutra- lisante de la peptone sur le glucose, je n'ai fait que mettre ces pro- duits essentiels de la digestion seuls en présence ; il me reste à établir expérimentalement que la même action persiste, quand ils ont été mélangés avec le liquide sanguin soit artificiellement, soit physiologiquement par suite d’une alimentation mixte. Absorbés par un même système vasculaire qui, parti de la surface de l’in- testin, se ramifie dans le foie, la peplone et le glucose, à mesure qu'ils se forment, sont, en effet, soumis tout d’abord à ce mélange physiologique avec le sang. C’est même alors seulement que la peptone a acquis sa plus grande pureté; au contraire, dans l’esto- mac et l'intestin, elle se trouve mêlée , avec tous les autres pro- (1) En faisant usage de l'acétate de plomb tribasique et précipitant l'excès de ce dernier par le carbonate de soude, on arrive, dans ce cas, à obtenir une liqueur dans laquelle il est possible de constater les réactions ordinaires du glu- cose : preuve qu'en effet celui-ci n'est que masqué. 10 _LONGET. —- ACTION DU SUG GASTRIQUE duits de la digestion, avec des substances non modifiées par le suc gastrique et qui ne le seront que plus loin, avec des portions de matières albuminoïdes à divers états ou degrés de transformation. Aussi, dans les expériences sur les animaux vivants, pour recon- naitre la propriété caractéristique que j'ai assignée à la peptone (ce qui exige une élaboration digestive complète), ne faudrait-il pas la recueillir dans l'estomac ou l'intestin, mais bien agir sur elle dans le sang lui-même, où elle n’estadmise qu’à la condition d’être pure et suffisamment élaborée. IL. Après avoir divisé du sang frais de Chien où de Lapin en deux parts égales (environ 40 grammes), j'ai ajouté à l’une 1/4 de gramme de glucose, à l’autre la même quantité de ce principe sucré, plus 20 grammes du produit liquide de la digestion d'un aliment albumi- noïde, qui le plus souvent avait été de la fibrine ou de l’albumine, el d’autres fois de la caséine ou du gluten. Dansles deux cas, comme dans une autre série d'expériences qui seront relatées tout à l'heure, j'ai procédé de la même manière à la recherche du glucose : vu sa décomposition réputée assez prompte, je n'ai pas cru devoir atlen- dre la séparation du sérum ; mais, agissant sur du sang très frais, il m'a toujours suffi d'y ajouter un peu d’eau, de faire bouillir et de filtrer pour avoir un liquide à peu près incolore. Dans la première portion de ce liquide, le sel de cuivre a été réduit, d’où la préci- pitation d’hydrate jaune d’oxydule de cuivre; dans la seconde, il n’a offert aucun signe de réduction. III. Ces résultats, en quelque sorte préparatoires , me condui- sirent naturellement à instituer, sur les animaux vivants (Chiens et Lapin), des expériences propres à fournir les précédents produits (sang, glucose, albuminoïde transformé par le sue gastrique), mé- langés non plus par l’art, mais par la nature elle-même. A cet effet, j'administrai aux uns une nourriture exelusivement sucrée , aux autres une nourriture mixte pouvant donner ulté- rieurement du glucose et de la peptone ; puis je sacrifiai la plupart d’entre eux dans les deux ou trois heures qui suivirent l'ingestion alimentaire. Chez tous les animaux de la première catégorie, qui, après un SUR LES MATIÈRES ALBUMINOÏDES, 1 jeûne suffisamment prolongé, avaient pris des aliments où se trou- vaient exclusivement et en assez grande quantité des principes sac- charoïdes sous les formes de sucre de canne, ef parfois même de sucre d'amidon ou de glucose, je pus constater très facilement, et d’une manière non douteuse, que cette dernière matière suerée existait dans le sang de la veine porte avant son entrée dans le foie, et dans le sang des veines sus-hépatiques recueilli après son passage à {ravers cet organe. Quant aux animaux de la deuxième catégorie, ceux qui avaient été soumis à une alimentation mixte (viande hachée, pain et sucre), j'examinai, avec le plus grand soin, pour y rechercher la matière sucrée , le sang du système veineux abdominal avant le foie : Ja présence du glucose n’y fut point révélée par le tartrate de cuivre et de potasse, qui pourtant l’aceusait, de la manière la plus mani- feste, dans l'intestin, dans l'estomac lui-même, et au delà du foie. A propos de ce dernier résultat négatif, qu'il me soit permis d'extraire du journal de mes expériences l'observation suivante , qui m'a paru offrir quelque intérêt au point de vue dont il s’agit : Le 25 décembre dernier, ayant quelques expériences à faire sur du sang frais, j'en retirai 75 grammes à un fort Lapin , et y ajou- tai du glucose. Peu d'instants après, je vis avec surprise cet animal, à jeun depuis quarante-buit heures, manger non-seulement son propre sang à peine coagulé, mais encoreune égale quantité de sang de Chien, laissé après une expérience de la veille, et contenant aussi des proportions assez notables de ce principe sucré. L'animal fut tué trois heures quarante-cinq minutes après ce singulier repas. Aussitôt son abdomen fut convenablement ouvert, et j'appliquai une ligature sur le tronc de la veine porte, immédia- tement avant son entrée dans le foie. Comme le démontra le tartrate de cuivre et de polasse, l’estomac, les intestins, le foie, le sang recueilli dans les cavités droites du cœur, renfermaient des pro- portions plus ou moins considérables de glucose. Mais, fait à la fois curieux et étrange, le même réaclif n’en traduisit point la présence dans le sang du système de la veine porte. Et pourtant, on le voit, cette portion du système circulatoire était placée entre deux classes d'organes (intestin et foie) qui contenaient du glucose, offrant par- 12 LONGET. — ACTION DU SUC GASTRIQUE tout ailleurs, là excepté, ses réactions habituelles avec le sel de cuivre. Pour un observateur non prévenu de la nature du repas pris accidentellement par cet animal, etqui, sans s'inquiéter du contenu du tube digestif, avec le réactif précédent aurait trouvé le glucose dans les veines sus-hépatiques et le cœur droit, et ne l'aurait point trouvé dans la veine porte, la conclusion eût été sans doute que la sécrétion de cette substance était due aux granulations hépatiques ; et pourtant cette conclusion eût été inexacte, puisque en réalité le glucose directement administré se trouvait aussi dans le sang de la veine porte, mais voilé dans ses réactions habituelles par le produit de la transformation digestive d’aliments azotés (fbrine et albu- mine du sang avalé). Du reste, il est facile de voir qu'ici la fonction glucogénique du foie n’est pas directement mise en cause, toutes ces expériences se rapportant d’une manière exclusive au sucre d’origine alimen- taire. IV. Les faits précédemment établis me paraissent jeter encore quelque lumière sur les assertions suivantes que je soumettrai à un examen rapide : 1° Il a été dit que , chez les animaux ayant mangé à la fois de Ja viande et des matières sucrées, le sang recueilli dans la veine porte avait présenté des traces à peine appréciables de sucre, bien que l'intestin renfermât beaucoup de ce dernier principe; et la conclusion formulée à été que, dans les digestions d'aliments mixtes, la quantité de sucre absorbée est beaucoup plus faible qu'on ne le pense généralement. Je crois devoir rappeler à ce sujet que, sur des Chiens soumis à cette alimentation, la fermentation alcool - que m'a démontré, dans le sang de la veine porte , une quantité assez notable de sucre que, par la raison simple signalée dans ce travail, le tartrate de cuivre et de potasse (moyen ordinairement bien autrement sensible que la fermentation) n'avait pu y faire dé- couvrir. 2° À propos des métamorphoses des matières albumineuses, des physiologistes ont avancé, sans preuves expérimentales suffisantes, SUR LES MATIÈRES ALBUMINOÏDES. 13 que, quelles que soient les modifications moléculaires que ces matières éprouvent au moment de leur absorption, elles se recon- stituent promptement à l’état d'albumine ordinaire , et qu'on les retrouve déjà comme telle dans la veine porte, au moment même de leur entrée dans le sang. Mes expériences , en prouvant que toute matière albuminoïde n'empêche les réactions habituelles du glucose qu’à la condition d’avoir été transformée elle-même par le sue gastrique, démontrent l’inexactitude de la précédente assertion, puisque, dans ces cas, les réactions ordinaires ont en effet manqué. Le contraire aurait eu lieu si l'hypothèse en question eût été fondée. 3° Des doutes se sont élevés récemment et des négations ont été émises relativement au pouvoir qu'aurait la salive de continuer son action, dans l’estomac, sur l’empois d’amidonavec lequel elle arrive mélangée. On a prétendu que l’état alcalin de la salive était nécessaire à son action saccharifiante ; or, dans l'estomac, le sue gastrique acide neutralisant d’abord, puis acidifiant bientôt la masse avalée, arrête, dit-on , l’action de la salive. Bien des fois il m'est arrivé de faire des mélanges de sue gastrique, de salive, de fibrine et d’empois d’amidon dans des proportions convenables pour que l'acidité du sue gastrique füt dominante, et je me suis convaincu que, dans ces cas encore , on avait conclu à tort du manque de réduction du sel de cuivre à l'absence du glucose ; tandis qu’en réalité ce principe sucré existait dans le mélange, et que sa réaction habituelle n’était que dissimulée par le produit transformé de l'aliment albuminoïde. Le présent mémoire peut être résumé dans les conclusions et les propositions suivantes : 4° J'ai signalé une propriété nouvelle dans le produit de trans- formation des matières albuminoïdes par le sue gastrique. 2° J'ai fait connaître un moyen de distinguer sûrement ces mêmes matières avant et après l'élaboration digestive. 3 L'absence de réduction du tartrate de cuivre et de potasse ne prouve pas nécessairement l'absence du glucose. 4° Toute substance albuminoïde simplement dissoute dans le suc gastrique, el à laquelle on a ajouté du glucose, ne fait que gêner la réduction du précédent sel de cuivre. Ah LONGET, — ACTION DU SUC GASTRIQUE, ETC. 5° Cette réduction peut, au contraire, être tout à fait empêchée, quand la substance albuminoïde, mêlée en certaines proportions à du glucose, a d’abord subi l’action transformatrice du suc gastrique. 6° Cette influence, en quelque sorte neutralisante par rapport au glucose , de toute matière albuminoïde ainsi métamorphosée , se manifeste aussi bien lorsque ces produits se trouvent seuls en pré- sence, que quand ils ont été mélangés avec le liquide sanguin, soit artificiellement , soit physiologiquement à la suite d’une alimenta- tion mixte. 7° C'est ainsi qu'il faut s'expliquer que, dans nos expériences sur des animaux soumis à ce genre d'alimentation , la fermentation alcoolique ait pu démontrer , dans le sang de la veine porte , une quantité appréciable de glucose, que le tartrate cupro-potassique n'avait pas accusée, 8° Ce que ne saurait plus faire un simple réactif chimique , semble être accompli, toujours et à coup sûr dans l’économie, par le foie qui agit comme une sorte de filtre propre à isoler l’un de l’autre les deux produits ultimes de la digestion des matières albu- minoïdes et saccharines ; d’abord confondus et comme masqués Fun par l'autre pendant un certain parcours. Cette dernière proposition, implicitement contenue dans ce mé- moire, recevra son développement et ses preuves dans un autré travail. Je ferai connaitre bientôt les résultats divers que j'ai obte- uus en variant, dans le mélange, les proportions relatives des précédents produits (sang, glucose, albuminoide transformé par le suc gastrique). À ce point de vue, la conclusion la plus générale de mes recherches est la suivante : Lorsque, dans le précédent mélange, le produit de la transformation d’un aliment azoté par le suc gastrique est en proportions considérables et le glucose en proportions très faibles , le fartrate cupro-potassique , la potasse , le polarimètre , la fermentation alcoolique, en un mot, aucun moyen , actuellement en usage , ne peut y démontrer la présence de ce principe sucré. DE L'ACTION DU FLUIDE SÉMINAL sur LES CORPS GRAS NEUTRES, Par M. LONGET, (Note communiquée à l'Académie des sciences dans la séance du # décembre 1854.) Je me propose de publier prochainement, dans ce recueil, les résultats de mes recherches concernant l'action de divers liquides de l'économie animale sur les matières grasses. {ci, je me bornerai à donner un extrait sommaire de Ja partie de ce fravail qui se rap- porte au fluide séminal étudié sous ce point de vue. 4° Si l’on méle avec le fluide séminal une matière grasse préalablement reconnue neutre (de l'huile d'olive, par exemple), et si on les agite ensemble, le mélange se transforme aussitôt en un liquide semblable à du lait; il se fait une émulsion. Celle-ci est tellement parfaite que, jusqu'au moment même de la putréfaction avec une température de + 15 à 20 degrés centigrades, le liquide blanchâtre et crémeux ne change pas du tout d'apparence, et qu'il n'y a, par le repos , aucune séparation entre la matière grasse et le fluide séminal. 2% Lorsqu'un pareil mélange a été maintenu au bain-marie, entre + 35 et 40 degrés, pendant quatorze à seize heures, on constate que la graisse n’est pas seulement divisée et émulsion- née, mais que de plus elle est modifiée chimiquement ; ear la matière grasse neutre et le fluide séminal alcalin forment , au mo- ment de leur mélange, un liquide blane laiteux à réaction alcaline , tandis que, après le laps de temps indiqué et souvent plus tôt, le même liquide présente une réaction sensiblement acide. 3° On sait qu'une seule goutte de la solution d'une base alcaline telle que la potasse , la soude où lammoniique, suffit pour eom- imuniquer à une quantité d'eau, relativement considérable, la pro- priété d'émulsionner les graisses. Or, le fluide sérminal ne parait pas devoir cette propriété à l’aleali (soude) qu'il renferme : en effet, 16 LONGET,. — ACTION DU FLUIDE SÉMINAL, ETC. neutralise-t-on ce dernier par l'acide acétique, ou même vient-on à acidifier la liqueur , l'émulsion se produit, dans l’un et l’autre cas, comme auparavant ; seulement elle est moins persistante. h° Si, après avoir précipité, à l’aide de l'alcool, la matiere coagu- lable du fluide séminal , on la redissout ensuite dans une petite quantité d’eau à + 40 degrés centigrades, la solution offre encore le double pouvoir, émulsif et saponifiant, que j'ai signalé dans ce fluide à l’étatnormal. 5° Enfin, il résulte de mes nombreux essais comparatifs sur di- verses espèces d’albumines, mélangées avec de l'huile, du sain- doux, du beurre ou du suif, que les émulsions ainsi obtenues n’ont rien de comparable, sous le rapport de la perfection et de la du- rée, avec celles qui proviennent du liquide séminal. Si, parmi les fluides animaux, il en est d’autres qui émulsionnent les corps gras neutres , et si le fluide séminal n’est pas le seul à produire la saponification des graisses, c’est-à-dire leur décompo- sition en glycérine et en acides gras, je n'hésite pas à affirmer que, du moins, il est celui qui possède cette double propriété au plus haut degré. Je ne sache pas, d’ailleurs, que cette propriété remarquable, que je rattache en partie à certaines conditions de l'acte générateur, ait été signalée jusqu’à présent par d’autres observateurs (1). (1) Les précédents effets sur les corps gras neutres ne s'expliquant, d'après nos expériences, ni par l’alcali (soude), ni par l’albumine, contenus dans le liquide séminal, il y aurait peut-être lieu de supposer qu'ils dépendent de cette substance organique particulière à laquelle Berzelius a donné le nom de spermatine, et qui, soumise à certaines influences, pourrait jouer le rôle de ferment. « Le sperme contient, dit-il, une matière de nature particulière que nous appellerons sperma- tine, qui n'y est point dissoute, mais qui s'y trouve seulement gonflée comme du mueus, dont elle diffère par la propriété qu'elle possède, quelque temps après l'émission du sperme, de pouvoir, en vertu de causes inconnues, se dissoudre dans l'eau qui n'avait fait jusque-là quela gonfler, et de produire ainsi un liquide clair qui ne se coagule plus par l'ébullition. » C'est dans de pareilles conditions qu'il faut se placer, quand, après avoir précipité la matière coagulable du sperme par l'alcool, on se propose de la redissoudre dans l'eau, pour constater dans la solu- tion les propriétés que nous lui avons reconnues MÉMOIRE SUR L'ORIGINE DU SUCRE CONTENU DANS LE FOIE, ET SUR L'EXISTENCE NORMALE DU SUCRE DANS LE SANG DE L'HOMME ET DES ANIMAUX, Par M. Louis FIGUIER, Agrésé de chimie à l'Ecole de pharmacie de Paris, (Lu à l'Académie des sciences dans la séance du 29 janvier 4855.) M. Claude Bernard a démontré pour la première fois, en 1848, que le foie de l'homme et celui des animaux renferment une cer- taine quantité de sucre. Poursuivant l'étude de ce fait, ignoré jus- qu'à notre époque, ce physiologiste a été amené à considérer le foie comme l'organe de la production du suere chez les animaux. Selon lui, le foie n'aurait pas seulement pour fonction de sécréter la bile ; il concourrait également à produire du sucre , substance destinée à subvenir ensuile à l'entretien de la respiration. Le même expérimentateur s'est appliqué à démontrer que le sucre qui existe dans le foie ne provient pas nécessairement des aliments introduits dans l'estomac, mais qu'il se forme au sein même de l'organisme animal, indépendamment de toute alimentation particulière. Enfin, ayant soumis à une étude attentive les caractères de la fonction nouvelle qu'il attribue au foie, et qu'il désigne sous le nom de glu- cogénie, ce physiologiste a reconnu que la sécrétion du sucre dans le foie coïncide avec la période digestive. C'est ce que l’auteur appelle : « les oscillations fonctionnelles de la sécrétion du foie. » Comme conséquence de ce qui précède, il a été constaté que la même &° série. Zooz. T. TEE. (Cahier n° 4.) 2 2 18 L. FIGUIER. — DE L'ORIGINE DU SUCRE sécrétion diminue avec l’abstinence et le jeûne , et finit par dispa- raître en entier par l’inanition. Je dirai, avec la sincérité qui doit présider à toute discussion scientifique, que le fait de la sécrétion du sucre par le foie m'a toujours paru sujet à contestation. Ce résultat était d’abord en oppo- sition avec les découvertes de la chimie organique , avec ces belles et simples relations que la science moderne a si lumineusement établies entre les fonctions comparées des animaux et des plantes. Par les travaux de MM. Dumas et Boussingault , de M. Liebig, ete., on sait aujourd'hui qu'aux végétaux est dévolu le rôle de fabriquer le sucre et les substances amylacées , et que les animaux détrui- sent, en les oxydant, ces produits non azotés pendant leur respi- ration. Ainsi, la chimie était contraire à la théorie de la génération du sucre dans l'organisme animal. Cette théorie paraissait égale- ment en opposition avec les principes de la physiologie. Une sécré- tion qui ne s’éveille chez les animaux que sous l'empire, sous l’ex- citation de l'acte digestif, qui diminue par le jeune et s'éteint par l’abstinence , s’écartait trop manifestement du mode général des sécrétions physiologiques pour ne pas soulever quelques doutes sur sa réalité. Et ces doutes devenaient bien plus pressants, bien plus décisifs encore, quand à cette théorie de la fonction glucogénique, coïncidant d’une manière nécessaire avec la période digestive , on opposait cette explication toute naturelle et simple , que si le tissu du foie ne renferme du sucre que pendant la digestion, c’est qu'alors seulement le glucose lui est apporté par les aliments ingérés dans l'estomac (4). Telles sont les réflexions qui m'ont conduit à mettre en doute l'existence de la fonction glucogénique du foie, et m'ont inspiré (1) Je crois devoir noter ici que la théorie de la sécrétion du sucre par le foie a déjà été combattue par M. Mialhe. Dans un mémoire sur la destruction du sucre dans l'économie animale, lu le 24 mars 1854 à la Société d'hydrologie et dont il a paru une analyse dans les Comptes rendus de la Société d'hydrologie, M. Mialhe s'exprime ainsi : « Pour nous, le foie n'est pas un organe sécréteur du sucre, » il n'est qu'un organe condensateur dans lequel le sucre s'accumule à la suite » del'alimentation, de même qu'il n'est qu'un organe condensateur dans lequel » s'accumulent certains poisons métalliques introduits dans l'estomac. » CONTENU DANS LE FOIE. 19 le désir d'entreprendre des recherches sur ce point important de physiologie. Il est toujours utile qu'un expérimentateur fasse connaitre Ja filiation d'idées qui l'ont dirigé dans ses recherches. J’indiquerai donc quel fut mon point de départ dans ce travail. J'étais guidé, quand je commençai mes expériences, par la pensée que l'on avait pu prendre pour du glucose quelque substance aisément réductible existant dans le foie, et provenant de la bile hépatique. Considérant que l’apparition du sucre coïncidait toujours avec la digestion in- testinale , et par conséquent avec la sécrétion de la bile, i} m'avait paru que les effets de réduction produits sur le réaetif de Fromm- hertz, que l’on attribuait au glucose, étaient peut-être déterminés par quelque élément encore inconnu de la bile, ayant la propriété d'opérer la réduction des sels de cuivre, eflet que produisent , comme on le sait, un certain nombre de malières organiques qui diffèrent du glucose. Cette vue pouvait être logique, mais l'expérience m'a fait voir qu'elle n’était point fondée. En effet, examinée telle qu'on la retire de la vésicule avec le mucus abondant qui l'accompagne, ou bien séparée de ce mucus en la reprenant par l'alcool ou l'éther, la bile n'exerce aucune action réductrice surle réactif de Frommher{z. On est conduit au même résultat négatif quand on réduit la bile à ses éléments médiats, pour les soumettre isolément à l’action du même réactif. L'acide choléique, séparé de la bile par le procédé de Strecker, qui représente le véritable élément chimique du liquide biliaire, n’exerce sur le réactif de Frommber{z aucune action parti- culière. Enfin la décoction de foie concentrée ne présente jamais le phénomène précieux et intéressant signalé par M. Pelteukofer pour caractériser la bile, et qui consisle en ce qu'un mélange de bile et de sucre de canne, additionné à froid d'acide sulfurique, prend une magnifique couleur violelte analogue à celle de l'hyper- manganate de potasse (1). La prévision que j'avais conçue relafivement à la présence, dans la décoction de foie, de quelque substance provenant de Ja hile, et (4) Berzelius, Rapport de 4845 sur les srogrè: de la chimie, 6° année, 1846, p- 520. 20 L. FIGUIER. — DE L'ORIGINE DU SUCRE qui aurait pu causer illusion sur la nature des phénomènes annon- cés, élant ainsi reconnue inexacte, la seule manière d'aborder la question , c'était de soumettre à une étude chimique attentive les produits de la sécrétion du foie. J’ai entrepris cet examen, ef, comme la science ne possède encore aucune recherche sur ce sujet, cette partie de mon travail pourra être accueillie avec inté- rêt par les chimistes. Les produits solubles contenus dans le foie de bœuf, qui a fait spécialement l’objet de mes recherches, sont, indépendamment du sang : 1° une matière albuminoïde, qui ressemble beaucoup au composé étudié et décrit par M. Mialhe sous le nom d’albuminose, et qui provient, selon ce chimiste, de la commune transformation que subissent pendant la digestion les aliments azotés; ® du glu- cose; 3° un acide organique et un petit nombre de sels minéraux , parmi lesquels domine le chlorure de sodium. Pour retirer du foie le glucose ou la matière albuminoïde, il faut, dans l’un et l’autre cas, opérer sur un infusum aqueux du tissu hé- patique. Je commencerai donc par décrire la manière la plus avan- tageuse de préparer cette dissolution. Pour obtenir en dissolution dans l’eau les produits solubles du foie, je prends 2 kilogrammes, par exemple, de foie de bœuf frais, tel qu'on le trouve chez les bouchers, et je le hache avec soin. Je le laisse en contact pendant une demi-heure avec un litre d’eau distillée; au bout de ce temps, la masse est jetée sur un tamis, puis exprimée dans un linge de toile forte, et soumise enfin à l’action de la presse pour en faire écouler tout le liquide. Retiré de la presse, le tissu du foie est de nouveau haché, afin d'opérer la parfaite division des vaisseaux où sont contenues les matières solubles. On met cette masse de nouveau en contact, pendant une demi-heure, avec un litre d’eau distillée, et l’on opère comme précédemment. Le même traitement se répète une troi- sième fois, c’est-à-dire que la masse, mise en contact pendant une demi-heure avee un litre d’eau, est une troisième fois expri- née dans un linge, et soumise à la presse. CONTENU DANS LE FOIE. 21 Le tissu du foie ainsi traité cède à l’eau froide une quantité considérable de matières solubles : 2 kilogrammes de foie de bœuf épuisés de cette manière ne laissent qu'un résidu fibrineux très pâle, qui, au sortir de la presse, ne pèse pas plus de 850 grammes. Ainsi le foie a cédé à l'eau froide 1150 grammes de matières so- lubles, c’est-à-dire plus de la moitié de son poids. Les matières cédées à l’eau par le foie de bœuf sontles éléments ordinaires du sang unis à une petite quantité de sucre. Pour élimi- ner les parties coagulables du sang, on place le liquide rouge, visqueux et sanguinolent, obtenu par l’opération précédente, dans une bassine de cuivre, et on le porte peu à peu à l’ébullition, qui a pour effet de coaguler complétement l’albumine du sérum, ainsi que les globules sanguins. En ménageant la chaleur, on peut enlever avec une écumoire le coagulum brun extrêmement abon- dant qui se forme. On observe alors que la liqueur, qui était alcaline avant d’être soumise à l’action de la chaleur, prend une réaction acide prononcée , lorsque la coagulation est complète. Il ne reste plus qu'à passer le liquide à travers un tamis, à rassembler dans un linge toute l’albumine coagulée, et, pour en extraire tout le liquide que retient ce coagulum, à soumettre celui- ci à l’action de la presse; 2 kilogrammes de foie de bœuf donnent ordinairement un gâteau d’albumine du poids de 600 grammes. Le liquide, ainsi séparé du coagulum albumineux, étant ensuite éva- poré au bain-marie, contient en dissolution le glucose et la matière albuminoïde. Glucose. L’extraction du sucre contenu dans le foie présente certaines difficultés. Ni la précipitation par les sels de plomb, ni la sépara- lion par les dissolvants, ne donnent de résultats avantageux quand on opère sur des quantités un peu fortes de matière. Pendant les évaporations, même à la température la mieux ménagée, les liqueurs se colorent fortement, et quand on reprend par l'alcool chaud le résidu de l’évaporation, on n’oblient, malgré l'emploi du charbon animal, qu'une dissolution noirâtre et altérée. La seule manière d'obtenir à un certain état de pureté le sucre 22 L. FIGUIER., — DE L'ORIGINE DU SUCRE du foie, c’est d'évaporer dans le vide un infusum aqueux de foie préalablement concentré au bain-marie, En plaçant le liquide sous le récipient de la machine pneumalique, avec des fragments de cbaux que l’on renouvelle à mesure qu'ils se délitent , on obtient } au bout de sept à huit jours, un résidu à peu près sec, et qui ren- ferme sans aucune altération les substances solubles du foie ; de 2 kilogrammes de foie de bœuf, on retire ainsi de 70 à 80 grammes de résidu sec. Pour séparer le glucose de ce mélange , il suffit de le traiter à chaud par de lalcool à 33 degrés, qui dissout le sucre etune faible quantité de matière azotée dont on peut se débarrasser, mais jamais cependant d’une manière complète, par une seconde dissolution dans l'alcool. Si l’on chasse alors l'alcool soit par l’évaporation dans le vide, soit par l’évaporation spontanée, on obtient le glucose sous la forme d’une masse translucide d’un jaune brun, qui, abandonnée au contact de Pair, en attire l’humidité, et laisse quelquefois des cristaux grenus. C’est à la combinaison bien connue du glucose et du sel marin qu'il faut rapporter ces cristaux grenus, et l'absence de saveur sucrée que présente le glucose extrait du foie : en effet, cette saveur n’est point franchement sucrée , mais fade, agréable, avec un arrière-voût d'acidité. Onne saurait cependant conserver le moindre doute sur la nature de cette substance ; c’est bien à du glucose ou, pour parler plus rigoureusement, à un sucre fermentescible que l’on a affaire. La fermentation alcoolique que cette matière subit avec la plus grande facilité coupe court à toute hésitation sous ce rapport. Je rapporte- rai ici une expérience relative à ce point important. Un infusum aqueux de 2 kilogrammes de foie de bœuf évaporé à siceité au bain-marie fut repris à chaud par de l'alcool à 33 degrés. La liqueur alcoolique évaporée au bain-marie laissaun extrait brun, dont on prit 20 grammes, qui furent dissous dans 80 grammes d'eau distillée, et auxquels on ajouta 4 grammes de levüre fraiche parfaitement purifiée (4). Ce mélange, placé dans un petit bain- (1) La levüre de bière qui a servi à nos essais de fermentation a toujours été purifiée par le moyen excellent recommandé par M. Quévenne. La levüre (supé- CONTENU DANS LE FOIE. 23 marie, entretenu, au moyen d'une veilleuse, à la température de 30 à 35 degrés, donna, au bout de douze heures, un litre et quart d'acide carbonique (recueilli sur l’eau ). La liqueur, distillée au tiers, à fourni un produit d’une odeur alcoolique très reconnais- sable dans les premiers moments de la distillation, et d’une densité inférieure à celle de l’eau. Ce produit a été mis en contact avee un excès de carbonate de potasse sec et exempt de chlorures. Ce moyen de déshydratation est supérieur à celui qui consiste à faire usage de la chaux vive ; il diminue la perte d’alcool que l’on éprouve dans les rectifications de ce genre, et présente cet avantage qu’en décantant la liqueur spiritueuse de la dissolution saline aqueuse qu’elle surnage, on peut distiller isolément la partie alcoolique (4). En déshydratant de cette manière le liquide provenant de la fer- mentation du sucre dans l'expérience précédente , nous avons obtenu 3 centimètres cubes d’un alcool très combustible. Il est presque superflu d'ajouter, après les caractères précé- dents, que le glucose retiré du foie réduit avec énergie le réactif de Frommhertz. C’est à la présence de la malière albuminoïde qu'il faut rapporter un phénomène dont il importe d’être bien prévenu, quand on pro- cède à la recherche du sucre dans les liquides d’origine animale, en particulier dans le foie, et par conséquent dans le sang. Nous rieure) recueillie par nous à la brasserie était délayée dans une grande quantité d’eau. Le liquide étant abandonné au repos pendant une demi-heure, on enlève des matières étrangères qui viennent se rassembler à la surface, et l'on décante pour séparer on dépôt brun, amer , formé de débris ou d'enveloppes de graines. On abandonne le liquide à lui-même jusqu'au lendemain , et l'on décante pour séparer cette eau de lavage. On répête une seconde fois la même opération et l'on rassemble sur un filtre la levûre ainsi purifiée, et qui ne peut contenir aucune trace de matière féculente ou ligneuse. Nous nous sommes assuré que la levüre ainsi traitée ne contenait pas trace de fécule ; tenue pendant un quart d'heure en ébullition avec de l'eau, elle donne un liquide qui ne bleuit nullement par l'iode. (1) Cette partie alcoolique vient former à la surface du liquide une couche de quelques lignes et d'une couleur jaunâtre. Ainsi, la liqueur soumise à ce moyen de déshydratation présente trois couches : la première est formée de l'excès de carbonate de potasse non dissous, la seconde de la dissolution aqueuse du même sel ; la troisième est constituée par la partie spiritueuse, 9} L. KIGUIER. — DE L'ORIGINE DU SUCRE voulons parler de l'obstacle qu'apporte la présence de l’albuminose dans ces liquides à la précipitation de l’oxyde de cuivre, quand on les soumet à l’action de la liqueur de Frommhertz. L'existence de l’albuminose en proportion notable masque entièrement la présence du glucose, c’est-à-dire empêche la manifestation du précipité que le réactif cupro-potassique détermine dans les liquides sucrés. Une décoction de foie, obtenue avec les propor- tions de matière et la méthode indiquées plus haut, fournit, sans nulle concentration , un précipité très abondant d’hydrate jaune de sous-oxyde de cuivre, quand on la fait bouillir quelques instants avec la liqueur de Frommhertz. Mais la même dissolution, très concentrée, ne donnerait, par la même liqueur, qu’un précipité insignifiant, et prendrait seulement une forte coloration jaune. La réaction serait, au contraire , parfaite, si l’on étendait de huit à dix fois son volume d’eau cette même dissolution, ou mieux en- core si on la précipitait par l'alcool qui en sépare la matière albu- minoïde, et que l’on concentràt ensuile pour chasser l’alcool. L'emploi du sous-acétate de plomb, qui précipite la matière albu- minoïde, conduirait au même résultat. C’est done la matière albuminoïde qui met obstacle à la réaction du sucre sur la liqueur de Frommhertz, et qui empêche la précipitation de l’oxyde de cuivre. Je crois devoir recommander d’une manière toute spé- ciale, quand on se livre à la recherche du glucose dans des liquides d’origine animale, au moyen de cette liqueur, de commencer toujours par débarrasser le liquide de la matière albuminoïde au moyen de l'alcool où du sous-acétate de plomb et du carbonate de soude , selon le procédé bien connu des chimistes. On s’expo- serait, en opérant autrement, à méconnaître la présence du sucre. C’est encore à la présence de cette matière albuminoïde dans la décoction du foie qu'il faut attribuer un phénomène remarquable que présente le glucose provenant de cette origine , phénomène qui à longtemps apporté de grands embarras à mes recherches. Tous les chimistes savent que le glucose n’est point précipité par le sous-acétate de plomb, et que c’est même là un des caractères qui permettent le mieux de distinguer le sucre d’un grand nombre CONTENU DANS LE FOIE, 25 d’autres produits végétaux. Or le sucre de foie, le glucose, tel qu'il se rencontre dans la décoction du tissu hépatique , est, en partie, précipitable par le sous-acétate de plomb. Un infusum aqueux de foie de bœuf, simplement concentré, donne, par le sous-acétate de plomb, un précipité très abondant d’un jaune pâle, et ce précipité étant recueilli sur un filtre et lavé avec soin, si on le décompose par un courant d'hydrogène sulfuré, et que l’on sépare par la filtration, le sulfure de plomb formé fournit une liqueur acide d’un beau jaune, qui, débarrassée par l’ébullition de l'excès d'hydrogène sul- furé , réduit avec intensité la liqueur de Frommhertz. C'est la présence de l’albuminose qui a pour résultat de provoquer, dans cette circonstance, la combinaison insoluble du glucose avec l'oxyde de plomb. En effet, quand le glucose est purifié, comme nous l'indiquerons plus loin, et entièrement débarrassé de cette matière albuminoïde, les sels de plomb ne peuvent plus le pré- cipiter. Mais ce phénomène mérite d’être examiné avec plus de détails. Je rapporterai donc une expérience qui montre que non-seulement le glucose est précipitable par le sous-acétate de plomb en présence de la matière albuminoïde du foie, mais encore qu'il est possible de séparer presque en lotalité ce glucose sous forme insoluble par l'emploi méthodique du sous-acétate de plomb. Un infusum de foie de bœuf, préparé, comme on l’a indiqué plus haut, avec 2 kilogrammes de foie, a été réduit par l’évaporation au volume d’un demi-litre, et traité par de l’eau de baryte en excès, qui a produit un précipité jaunâtre, formé en grande partie de sul- fate de baryte uni à une matière organique. Séparée de ce précipité, la liqueur a été traitée par le sous-acétate de plomb en excès, qui a fourni un précipité abondant de couleur blanc jaunâtre, qui a été recueilli sur un filtreet lavé. Le précipité formé par le sous-acétate de plomb dans la décoction de foie est en partie soluble dans un excès du réactif ; ilest en même temps soluble dans l'acide acétique, et lé- gèrement soluble dans l’eau ; aussi les eaux provenant du lavage de ce précipité entrainent-elles une quantité notable de cette substance en dissolution. Les eaux de lavage ayant été réunies au liquide filtré, on a concentré le tout, et on l’a précipité une seconde fois par le 26 L. FIGUIER. — DE L'ORIGINE DU SUCRE sous-acétate de plomb, après les avoir préalablement additionnées d'une petite quantité d’ammoniaque pour rendre la précipitation plus complète. Le précipité jaunâtre, assez abondant, ainsi obtenu, a été réuni sur un autre filtre, et lavé comme le précédent. Ces eaux de lavage, réunies au liquide provenant de la filtration, ont été également concentrées, et précipitées une troisième fois par le sous- acétate de plomb avec addition préalable d'ammoniaque. La même opération a été répétée une quatrième fois, c’est-à-dire que les eaux mères etles eaux de lavage du troisième précipité concentrées ont fourni par le sous-acétate de plomb un quatrième précipité. Par ces précipitations successives, on a dépouillé la décoction de foie de la presque totalité du glucose qu’elle renfermait. En effet, le liquide filtré provenant de la dernière précipitation a été traité par du carbonate d’ammoniaque, afin d’en précipiter l'excès du sel de plomb et de baryte qu'il retenait. Celiquide, filtré etévaporé, a laissé un résidu qui a été chauffé au bain-marie pour en dégager le sel ammoniacal volatil. Or, ce résidu, redissous dans l’eau distillée, ne réduisait plus la liqueur de Frommhertz, et ne consistait guère qu'en sel marin ou en sels minéraux fixes. Son poids était seu- lement de 4 grammes; calciné à une température très ménagéé dans un creuset couvert, il a laissé un résidu partiellement incinéré du poids de 1,8. 11 ne renfermait donc que 25°,2 de matière orga- nique; ce qui revient à dire que, par le seul emploi de l’eau de baryte et du sous-acétate de plomb, j'ai pu obtenir, sous forme insoluble, la presque totalité des matières solubles fournies par 2 kilogrammes de foie. Le glucose était bien d’ailleurs contenu dans le précipité plom- bique séparé du liquide; en effet, ces divers précipités étant réunis, et délayés dans une pelite quantité d’eau distillée, on à ajouté avec précaution de l'acide sulfurique au mélange. En fil- trant de temps en temps une petite quantité de la liqueur, on s’assurait qu'elle ne contenait point d'acide sulfurique libre au moyen de l’eau de baryte, qui fournissait avec la liqueur filtrée un précipité entièrement soluble dans l'acide azotique. On à ainsi re- connu, par l'acide azolique et l’eau de baryte, le moment où il exis- tait dans la liqueur un petit excès d'acide sulfurique, dont on S’est CONTENU DANS LE FOIE. 27 débarrassé en agitant le liquide filtré avec un peu de carbonate de baryte récemment précipité. Le liquide ainsi obtenu élait d’une couleur jaune rougeàtre, et contenait le glucose en dissolution, mélangé à la matière albumi- noïde. Évaporé à siccité au bain-marie, et traité par l'alcool chaud pour le séparer de la matière albuminoïde, il a donné un résidu du poids de 12 grammes offrant les caractères du glucose. Sa disso- lution réduisaitavee beaucoup d'intensité la liqueurde Frommbhertz, et réduisait à chaud l’azotate d'argent et le chlorure d’or. Voici d'ailleurs l'action des réactifs sur celte matière une fois dissoute dans l’eau : Couleur d'un beau jaune ; saveur acide, ensuite astrin- gente ; réaction acide très manifeste au papier de tournesol , préci- pitant en brun par le lannin, en blanc jaunâtre par le sous-acétate de plomb; donnant par l’azotate d'argent un précipité chamois, que l'acide azotique dissolvait, en laissant pour résidu un dépôt blane caillebotté de chlorure d'argent; donnant enfin par la calcina- tion avec la potasse un dégagement d’ammoniaque. A tous ces caractères, il est facile de reconnaitre du glucose, mélangé avee une petite quantité de la matière albuminoïde , dont les propriétés seront énumérées plus loin. Ce qui ressort, et ce que nous voulions seulement conclure de celle expérieuce , c’est que le glucose qui existe dans le foie est susceptible d'être précipité presque en entier par le sous-acétate de plomb, par suite de la présence de la matière albuminoïde qui, pré- cipitable elle-même par le sous-acétate de plomb, l’entraine en quelque combinaison plombique double. Comme on ne connais- sait encore rien d’analogue dans l’histoire chimique du glucose, ce fait nous a paru digne d’être signalé. J'ajouterai que j'ai obtenu le même résultat, décrit dans l’expé- rience précédente, sans avoir recours à l’eau de baryte. Un infusum de 500 grammes de foie de bœufa pu être dépouillé de presque tout le glucose qu'il contenait au moyen de trois précipitations succes- sives par le sous-acétate de plomb ; seulement, j'additionnais tou- jours la liqueur d’ammoniaque, avant la précipitation par le sel de plomb, arrêtant l’affusion du sous-acétate, lorsque le précipité, qui était d’abord blane jaunâtre , commençait à paraître blanc par la 28 L. FIGUIER, — DE L'ORIGINE DU SUCRE précipitation de l’oxyde de plomb. Le liquide provenant de la troi- sième précipitation, traité par un courant d'hydrogène sulfuré, afin de décomposer l'excès du sel de plomb qu'il retenait , et porté à l'ébullition pour chasser le gaz sulfhydrique, n’exercçait plus d'action sur le liquide de Frommhertz, et par conséquent ne contenait plus de sucre. Le fait de la précipitation du glucose du foie par le sous-acétate de plomb pourrait jeter des doutes sur la nature de ce produit ; mais ces doutes disparaissent, quand on considère que le glucose , une fois débarrassé de la matière albuminoïde qui l'accompagne dans le foie, n’est plus précipité par les sels de plomb(1). D'ailleurs la fermentation alcoolique, que la décoction de foie concentrée su- bit si aisément au contact de la levüre de bière, dissipe les dernières incertitudes que l’on pourrait conserver sur ce fait. Nous avons dit que le seul moyen d'obtenir à l’état de pureté le glucose du foie, c’est d'agir sur un infusum aqueux évaporé dans le vide, après qu'on l’a faiblement concentré au bain-marie. On obtient par cette évaporation une masse visqueuse, translucide , d’une couleur verdâtre et d’une saveur agréable. Pour en retirer le glucose, il suffit de traiter ce résidu , à plusieurs reprises, par de l'alcool à 33 degrés, à la chaleur du bain-marie. La dissolution obtenue est ensuite abandonnée à l’évaporation spontanée, ou éva- porée dans le vide. Reprise une seconde fois par l'alcool, elle laisse un résidu de couleur jaune brun, d’une saveur qui n’est que très faiblement sucrée, et qui offre quelques cristaux grenus, fout à fait à la manière du sucre de raisin. On serait même porté à considé- rer ces cristaux grenus comme du glucose pur, si la présence d’une (1) Pour s'assurer de ce fait, il faut traiter une infusion de foie de bœuf par le sous-acétate de plomb, laver ce précipité et le décomposer par l'acide sulfu- rique. On obtient ainsi une liqueur acide, et d'un beau jaune, qui n'est qu'une solution de glucose uni à une certaine quantité de matière albuminoïde. Éva- porée au bain-marie, cette liqueur est reprise par l'alcool; mais comme un premier traitement alcoolique ne sépare pas toute la matière albuminoïde, il faut répéter une autre fois l'évaporation et le traitement par l'alcool. Avec le résidu de cette dernière évaporation redissous dans l’eau distillée, on constate que le sous-acétate de plomb est sans action sur le produit. CONTENU DANS LE FOIE, 29 certaine quantité de sel marin n’indiquait que l’on a affaire non à du sucre de raisin pur, mais à la combinaison de ce produit avec le chlorure de sodium. Albuminose, Les décoctions aqueuses obtenues avec le foie de divers ani- maux sont presque toujours troubles, ou d’un aspect opalin. Que l'on ait préparé la dissolution par l’eau froide , selon le procédé méthodique décrit plus haut, ou qu'on l'ait préparée en faisant sim- plement bouillir avec de l’eau le tissu du foie préalablement divisé, on obtient toujours une décoction dont l'aspect est caractéristique. Le foie de bœuf donne un liquide opalin jaunâtre ; le foie du lapin une décoction laiteuse, ete. Ce qui trouble la transparence de ces liquides, c’est l'existence de la matière albuminoïde dont il nous reste à parler , et qui a la propriété de donner avec l’eau ces disso- lutions opalines. Il suffit, pour s'assurer de ce fait, d'ajouter de l'alcool à une de ces dissolutions convenablement concentrées jus- qu'à cessation du précipité : l'alcool provoque la séparation de la presque totalité de la matière albuminoïde, et le liquide reste Jim pide et d’une belle couleur jaune. Cette précipitation de la décoction de foie par l'addition de l’al- cool est d’ailleursle moyen le plus convenable d'isoler cette matière pour en étudier les propriétés. On peut aussi l'obtenir en se bor- nant à évaporer la décoclion à siceité au bain-marie , et reprenant à chaud le résidu de l'évaporation par de l'alcool à 33 degrés, qui laisse la matière albuminoïde sous forme insoluble. Mais quand on opère sur de certaines quantités, sur une décoction qui doit, par exemple , laisser un résidu de 100 grammes, l’action de la chaleur a pour résultat d’altérer en partie celle matière, et de laisser un produit coloré. On n'obtient en opérant ainsi de bons résultats qu'à la condition d'agir sur de petites quantités, avec un foie de lapin par exemple, qui ne donne qu'un résidu total, dont le poids ne dépasse pas 5 à 6 grammes. Ajoutons que, quand il s’agit de doser dans le foie la quantité de malière albuminoïde, il ne faudrait pas se contenter de précipiter la liqueur par l'alcool. L'évaporation du liquide à siceité, et le trai- 30 L. FIGUIER. — DE L'ORIGINE DU SUCRE tement du résidu par l'alcool à 33 degrés, est dans ce cas indispen- sable , car ce n’est que par celle évaporation à siccité que la ma- tière albuminoïde devient à peu près insoluble dans l'alcool. Voici maintenant les propriétés qui distinguent la matière albu- minoïde du foie : A l'état sec, elle a l'apparence d’une gomme, et, comme les sommes, elle se gonfle dans l’eau froide , et s’y dissout en toutes proportions , même après qu'on l’a desséchée à 100 degrés. Cette dissolution est laiteuse ou opaline, et l'alcool y détermine un abon- dant précipité blane, qui ne tarde pas à gagner le fond duliquide (4). Cette dissolution filtre sans laisser de résidu sur le papier, et elle n’est point susceptible d’être précipitée par l’addition d’un sel so- luble, tel que le chlorure de sodium ou de calcium, ainsi qu'il arrive à certaines matières organiques, qui produisent ce que l’on à nommé des dissolutions apparentes, susceptibles d'être détruites par la simple addition d’un sel soluble. Cette matière est azotée et neutre aux papiers réactifs. La cha- leur ne coagule point sa dissolution aqueuse. Les acides azotique , sulfurique et acétique , ne précipitent point à froid cette dissolution, et, à chaud, la rendent limpide. L’acide chlorhydrique bouillant la dissout avec une coloration brune, mais non bleue, ainsi que le font, dans la même circonstance, l’albumine, la fibrine et le caséum, selon l'intéressante observation due à M. le professeur Caventou. Nous ajouterons seulement, en ce qui con- cerne l'acide azotique, que, bien que cetacide ne semble pas préci- piter à froid la dissolution aqueuse de cette matière une fois isolée, il produit cependant un précipité blanc assez abondant dans la dé- coction de foie simplement concentrée, et ce précipité dégage de l’'ammoniaque, par l’action de la potasse, à une température élevée. Cet effet tient sans doute à ce qu'il existe encore dans la décoction du foie un peu d’albumine non coagulée par la chaleur, et que l'acide azotique précipite. (1) Cette opalinité n'est probablement pas inhérente à l'albuminose; elle peut être déterminée par un peu de matière grasse, par du phosphate de chaux, etc.; je dirai cependant que l’albuminose du foie de lapin agitée avec de l'éther con- serve la propriété de donner une dissolution opaline. CONTENU DANS LE FOIE, 31 La potasse et la soude ne précipitent cette matière ni à froid , ni à chaud 5 mais elle est précipitée par le chlore faible, l’azotate d’ar- gent non acide, le tannin, le bichlorure de mercure et le sous-acé- tate de plomb. Avec le tannin, on à un précipité brun chocolat, un précipité blanc jaunatre avec le sublimé, et, par le sous-acétate de plomb, un précipité blane très abondant. Le précipité obtenu par le chlore est soluble dans un excès du réactif. Le réactif de Frommhertzest sans action sur cette matière ; seule- ment la coloration bleue du.liquide cupro-potassique augmente d'intensité, et tourne au violet. On a vu plus haut l'effet spécial que produit la matière albuminoïde du foie sur ce réactif, qu'elle rend impropre à déceler la présence du glucose. D'après les caractères précédents , nous pensons que l'on doit considérer le produit albuminoïde que nous venons de décrire comme identique avec un composé entrevu dans le sang par divers chimistes, composé qui diffère de l’albumine en ce qu'il n'est point coagulé par la chaleur, et du caséum en ce qu'il n’est point précipité par les acides. Ce produit intéressant a été étudié dans ces derniers temps par M. Mialhe, qui lui a donné le nom d'albuminose, et qui le considère comme provenant destransformations que l’action di- gestive fait éprouver aux matières albuminoïdes, fibrine, albumine, caséum, elc., introduites dans l'estomac. M. Lehmann, qui l’a plus récemment examiné, lui accorde la même origine, et le désigne sous le nom de peptone, pour rappeler qu'il doit sa formation à l'intervention du principe digestif, c’est-à-dire à la pepsine. En résumé, les produits solubles contenus dans le foie sont prin- cipalement conslitués par le glucose etl’albuminose. I faut ajouter à ces deux produits un acide organique, dont la présence est facile- ment accusée par le papier de tournesol sur la décoction aqueuse du foie concentrée; enfin quelques sels minéraux , parmi lesquels domine le chlorure de sodium , avec une quantité très appréciable de sulfates alcalins. Les proportions relatives d’albuminose et de glucose dans le tissu du foie doivent nécessairement varier, puisqu'elles dépendent de la quantité et de la nature des aliments ingérés. Disons seulement que le foie d’un lapin, qui pesait 90 grammes, nous a donné 25,5 d’al- 32 L. FIGUIER. —- DE L'ORIGINE DU SUCRE buminose séchée à 100 degrés, c’est-à-dire 2,7 pour 100 du poids total de l'organe, et 4#,25 de glucose, c’est-à-dire 1,3 pour 100 du poids de l'organe ; 2 kilogrammes de foie de bœuf nous ont fourni 70 grammes d’albuminose, c’est-à dire 3,5 pour 100, et 28 grammes de glucose, c’est-à-dire 1,4 pour 100. Ces rapports n'ont pas été les mêmes dans d’autres déterminations faites avec le foie du même animal, mais ces différences ne peuvent tenir qu'à la quantité et à la nature d'aliments pris par l'animal examiné. IT. Il demeurait prouvé, par les expériences qui viennent d’être rapportées, que c’est bien du glucose qui existe dans le tissu du foie. Persistant, néanmoins, dans la pensée que le sucre ne pouvait pro- venir d’une sécrétion propre de cet organe, mais qu'il était apporté en totalité par les produits de l'alimentation, ilnous restait à recher- cher si le sucre qui se trouve mêlé au sang dans le foie ne se ren- contrerait pas aussi dans le sang pris en d’autres parties du corps , et, dans ce cas, à comparer les quantités que l’on en trouverait dans la masse générale du sang avec celle que renferme le tissu hépa- tique. Je n'ignorais pas cependant que tous les résultats acquis jusqu'à ce jour à la science faisaient repousser unanimement l’idée de l'existence du glucose dans le sang normal. A la suite d'expériences spéciales entreprises sur cette question , les physiologistes et les chimistes s’accordaient, en effet, pour admettre que, dans l’état normal, il ne peut exister de sucre dans le sang, la combustion respiratoire ayant pour résultat de détruire avec une promptitude extrême tout celui qui pourrait apparaitre dans ce liquide. Si l’on interroge, en effet, les auteurs des ouvrages les plus récents de physiologie, on reconnait que l'absence complète du sucre de la masse générale du sang est un principe unani- mement proclamé par eux. Dans leur Traité de chimie anato- mique et physiologique, MM. Charles Robin et Verdeil s'expriment en ces termes au sujet de cette question : « Le sucre sécrélé par le » foie passe dans la veine cave, de là au cœur, et va en diminuant » de quantité, au fur et à mesure qu'on approche du poumon , de CONTENU PANS LE FOIE. 33 » telle sorte que, dans le sang des cavités gauches du cœur, il n’y » a déjà plus ou presque plus de ce principe (Bernard. Ce sucre » passe rapidement à l’état d'acide lactique par catalyse isomérique » où métamorphosante, de manière à former de l'acide lactique et » de l’eau (4).» M. Béclard, dans son Traité élémentaire de physiologie récem- ment publié, nous dit, à propos de la même question : «Comme » on ne retrouve point le sucre dans la masse générale du sang, il » est incontestable que le sucre, incessamment formé par le foie, » est incessamment détruit dans le sang par les combustions de » respiration (2). » On peut ajouter enfin que tous les travaux de M. Bernard sur le sucre du foie partent de ce principe, que, dans les conditions ordi- naires, c’est-à-dire à une époque éloignée de la digestion, le sang de la circulation générale ne renferme point de sucre. La même opinion de lanon-existence du glucose dans le sang était partagée par les chimistes, à la suite des efforts infructueux que l’on avait faits jusqu'ici pour saisir la présence de ce produit dansle sang normal. Le sucre ne figure, en effet, dans aucune analyse connue de sang normal. Il y a plus, et l’on nous permettra d’insister sur ce fait qui nous parait caractéristique , l’existence du glucose dans le sang des diabétiques a été le sujet de contestations prolongées , et un grand nombre de chimistes se sont refusés à admettre la pré- sence du sucre dans le sang des individus attein(s de cet état patho- logique. Il parait singulier que cette question ail pu faire l’objet d’un doute ; le sucre apparaissant en quantité considérable dans l’urine des diabétiques, il fallait bien qu'à un certain moment il se montrât dans le liquide sanguin. Tous les chimistes cependant n’ont pas ainsi raisonné , et, par suite, sans aucun doute, de l’imperfection des moyens connus à cette époque pour la recherche du sucre dans les liquides animaux, un grand nombre d’entre eux ont prononcé, à la suite d'expériences spéciales, qu'il existe peu ou point de sucre dans le sang des diabétiques, c’est-à-dire chez des malades qui ren- (4) Traité de chimie anatomique et physiologique, L. IL, p. 373. (2) Traité élémentaire de physiologie, p. 401. 4° série. Zoor, T. IE. (Cahier n° 4.) 5 3 3h L. FIGUIER. — DE L'ORIGINE DU SUCRE dent tous les jours par les urines de notables quantités de ce pro- duit. Un rapide coup d'œil jeté sur l’histoire de cette question mettra le fait dans tout son jour. Seulement, comme ce tableau ré- trospectif, tracé de notre main, pourrait sembler entaché de partia- lité, nous aurons recours pour ce récit à une plume étrangère. Dans une excellente Thèse sur le diabète sucré, soutenue, en 1844, à la Faculté de médecine de Paris, M. le docteur Contour a présenté le résumé suivant des diverses opinions émises par les chimistes de notre époque, relativement à l'existence du sucre dans le sang des diabétiques : « Rollo et Richter croyaient, dit M. le docteur Contour, à la présence du sucre dans le sang des diabétiques ; ce dernier pensait que la matière saccharine était si promptement éliminée par la voie des urines, qu’elle ne s’accumulait jamais en assez grande quantité pour pouvoir être découverte par les agents chimiques. En effet, Nicolas et Gueudeville, Wollaston , Marcet, Henry, Prout, Vauquelin, M. Thenard, Kane, de Dublin, Berzelius, et beaucoup d’autres chimistes fort recommandables, n’ont jamais pu le démontrer. D’autres cependant ont été plus heureux, tels sont MM: Am- brosiani, Maittaud, Rees, Mac Gregor, Guibourt, Bouchardat, etc. » C’est dans le mois de juin 1834 que, pour la première fois, M. Am- brosiani constata l'existence du sucre dans le sang des diabétiques. Il prit une livre de sang que lui donna le professeur Corneliani, étendit le caïllot et le sérum d’une certaine quantité d’eau , soumit le tout à une ébullition de courte durée, et sépara , au moyen du filtre, les matières coagulées. Pour dépouiller ce liquide de la matière colorante et des autres matières animales, il le traita par le sous-acétate de plomb, qui donna un précipité dense d'un blanc sale; un courant d'acide sulfhydrique, auquel il fit traverser ce mélange, précipita l’acétate de plomb en excès, et il ob- tint ainsi une masse pultacée noirâtre, qui fut elle-même étendue d’eau distillée et filtrée. Le liquide brun qu’on obtint fut soumis à lébullition avec une solution aqueuse de blanc d’œuf battu; l’albumine, en se coagu- lant, la divisa en deux parties : l’une floconneuse, brune, insoluble; l’autre liquide et incolore. Celle-ci, évaporée lentement , se convertit bientôt en un Sirop analogue à celui que donne l'urine des diabétiques ; et après quel- ques semaines de repos , il se forma de petits cristaux incolores de forme prismatique, à base rhomboïdale, se présentant, en un mot, avec tous les caractères des cristaux de sucre. Le sirop non cristallisé, exposé à une CONTENU DANS LE FOIE. 39 température de 26 degrés Réaumur, avec un peu de levûre de bière, ne tarda pas à entrer en fermentation. Les cristaux obtenus de cette livre de sang pésaient newf grains, et le sirop une once. Dans une autre expé- rience, le mêmé chimiste fut moins heureux, il ne put obtenir aucune trace de sucre; mais le sang qu’il analysa fut recueilli sur le cadavre d’une femme morte d’un diabète sucré. Ce fait me parait facile à expliquer, car, si l’on veut se rappeler que, dans les derniers temps de la vie, Furine ne contient que fort peu de sucre , on sera forcé d'admettre que la quantité tenue en dissolution dans le sang devient très minime, et peut ainsi échapper à nos moyens d'investigation. » On trouve, dans le Journal de chimie médicale, deux tableaux d'analyse du sang de diabétique contenant du sucre. Le premier est le résultat des recherches d’un chimiste du nom de Müller, l’autre appar- tient à Rees. » Mac Gregor (1) a constaté aussi l'existence du sucre dans le sang des maldes atteints de diabète , sans s'attacher cependant à en donner l’éva- luation exacte et comparative. Quarante-huit heures après une saignée, il en sépare le sérum, qui, dans une circonstance, pesait 10,33, celui d’une personne en bonne santé ne pesant que 10,26; ce sérum diabétique, coa- gulé par la chaleur et séché avec soin, est coupé en petits fragments, traité avec soin, et soumis à l’ébullition ; puis, après avoir filtré la décoction et l'avoir réduite par l’évaporation , il ajoute un peu de ferment de bière au liquide concentré, et il se développe alors, pendant plusieurs heures, une vive fermentation. Mac Gregor assure méme avoir trouvé quelques traces de sucre dans le sang d'individus bien portants, lorsqu'ils étaient soumis à une diète végétale. » Pour retrouver le sucre que contient le sang des diabétiques, M. Bou- chardat solidifie ce sang au bain-marie; traite à plusieurs reprises, par Valcool à 30 degrés, les parties ainsi solidifiées, fait évaporer les colatures alcooliques, les reprend par l'eau, et, dans les liqueurs filtrées , il ajoute un peu de levüre de bière : on voit alors s’établir la fermentation , preuve irrécusable de la présence du sucre. M. Bouchardat à cherché encore à expliquer les dissidences si grandes qui existent dans les résultats des chimistes qui se sont occupés de l'analyse du sang chez les diabétiques, et il me paraît être arrivé à ce but d’une manière fort heureuse. Examinant, en effet ; que chez les malades atteints de diabète, après un certain séjour dans les hôpitaux, la soif et l'appétit diminuent notablement, ainsi que la M) Gazelle médicale de Londres, 13 et 20 mai 4837, 1844. — Contour. 36 L. FIGUIER, — DE L'ORIGINE DU SUCRE quantité de sucre dans les urines , il pensa que le sucre tenu en dissolu- tion dans le sang devait également diminuer. Réfléchissant, en outre, que les urines ne contiennent jamais tant de sucre qu’une heure ou deux après les repas, et qu’au fur et à mesure qu’on s'éloigne de cet instant, la quan- tité de matière sucrée va sans cesse en décroissant, il crut qu’il devait en être de même pour celle que renferme le sang. Il en induit donc que, sui- vant que la saignée soumise à l'examen aura été faite lors de l'entrée du malade à l'hôpital ou après un long séjour, ou mieux encore peu de temps après le repas ou longtemps après la digestion, l'analyse devra démontrer ou ne pas démontrer la présence du sucre dans le sang. L'expérience vint confirmer bientôt sa manière de voir. Chez un malade saigné à neuf heures du matin, et qui n'avait pas mangé depuis cinq heures du soir du jour précédent , il ne put retrouver la moindre trace de sucre dans le sang; tandis qu’une saignée faite deux heures après un déjeuner léger en fournit des signes non équivoques. » Cependant M. Martin-Solon, qui, dans une première analyse faite avec M. Ossian Henry, n’avait pu retrouver le sucre dans le sang , voulut se mettre dans les mêmes conditions que M. Bouchardat. Il fit pratiquer chez un diabétique, trois heures après un déjeuner léger, une saignée qui fut, le lendemain matin, examinée par un jeune et habile chimiste, M. Fortineau, et ne donna aucune trace de sucre. » Faut-il admettre que les trois heures qui se sont écoulées depuis le repas jusqu’au moment où la saignée a été faite aient sufli au sang pour se dépouiller de l’excès de sucre qu'il contenait? Ou bien faut-il croire que, dans l'analyse chimique, toutes les précautions nécessaires pour arri- ver à un résultat heureux n'ont pas été parfaitement observées? Je me rattacherais plus volontiers à la première de ces deux suppositions. » M. Martin-Solon , qui, depuis déjà plusieurs années , se livre à des études consciencieuses sur le diabète , et fait souvent de louables efforts pour éclairer le traitement de cette cruelle maladie, a voulu encore exami- ner le sangäl’aide de l'appareil de M. Biot et du procédé de M. Frommhertz. Comme M. Biot, il n’a pu débarrasser le sérum du sang d’une certaine Opalinité qui l’a toujours empêché d'arriver à des résultats fructueux. Par le procédé de Frommhertz, il n’a jamais pu trouver de sucre dans le sang; la réduction cuivreuse a toujours été d’un bleu noirâtre, au lieu d’être d’un jaune rougeâtre, comme on le voit ordinairement quand il y a du sucre de diabète dans le liquide examiné. Mais je erois pouvoir avancer, d'après des expériences souventrépétées, que le procédé de M. Frommhertz, si sensible quand il s’agit du sucre dans les urines du diabétique , n’a plus la même CONTENU DANS LE FOIE. 37 sensibilité quand il faut en constater la présence dans le sang. En effet, plusieurs fois j'ai fait dissoudre dans le sérum normal une faible proportion de sucre de diabète, que je n’ai jamais pu retrouver à l’aide de la réaction de la potasse dans le deutosulfate de cuivre; toujours, pour obtenir la réduction jaune rougeàtre, il me fallait augmenter la quantité du sucre. N’est-il pas légitime de conclure que, chez les diabétiques , le sucre peut exister dans le sang, bien que le procédé de M. Frommhertz ne permette pas de le reconnaître ? » Nous avons eru pouvoir emprunter à l’auteur de la Thèse sur le diabète l'exposé précédent, qui fait très bien connaître l’état de la science sur cette question, et qui se termine par le trait curieux d'une certaine quantité de glucose ajouté au sang, et qui ne peut plus être décelée par le réactif de Frommhertz. Ce dernier fait cesse d’ailleurs de surprendre, quand on connait les remarques précédentes sur l'obstacle apporté à la réaction de la liqueur de Frommber{z par l’albuminose qui existe dans le sang de la cir- culation générale. Pour compléter l'historique précédent, nous devons parler de quelques résultats obtenus , dans la question qui nous occupe, par MM. Magendie et Bouchardat. En 1846 (1), M. Magendie, dans son cours au Collége de France, fit quelques expériences pour prouver que l’amidon peut être rendu soluble, et converti en dextrine et en glucose par diffé- rents liquides animaux autres que la salive, produit chez lequel une découverte récente venait de montrer celle propriété transfor- matrice portée à un degré remarquable. M. Magendie crut recon- naître que cette propriété appartenait aussi à la bile, à l’urine acide, au sperme, à des parcelles de cerveau, de cœur, de poumon, ete. Parmi les liquides animaux qui peuvent exercer la même action, il signala le sérum du sang, et le sang pris au sortir de la veine. En mêlant à 200 grammes de sang 5 grammes d’amidon bouilli dans l'eau, on reconnaissait, au bout de quatre heures , que l’'amidon s'était converti en dextrine et en sucre. M. Magendie voulut alors s'assurer si le sang jouit de la même (1) Comptes rendus de l'Académie des sciences, t. XXIIL, p. 189. 88 L. FIGUIER. — DE L'ORIGINE DU SUCRE propriété transformatrice quand il cireule chez un animal vivant. A cet effet, il injeeta dans les veines d’un lapin de l’empois d’ami- don, et constata, dix minules après cetle injection , que 'amidon avait disparu, et s'était changé en dextrine et en sucre. Voulant enfin reconnaitre si, dans le sang d’un animal, exclusi- vement nourri avee des substances féculentes , on constaterait la même transformation, M. Magendie alimenta pendant plusieurs jours un chien avec des pommes de terre cuites , et il constata, dans le sang de cet animal, l'existence de Ja dextrine et du glucose. La présence de ces deux produits organiques fut reconnue par le même expérimentateur chez des chevaux nourris exclusivement avec de l’avoine. « Je n'ai pas encore eu l’occasion, ajoute l’auteur de ces observations, de faire l'expérience sur l’homme. » M. Ma- gendie n’a pas donné suite à ces expériences : depuis cette époque, il n’a rien publié sur le même sujet (4). MM. Bouchardat et Sandras ont lu, le 28 janvier 1845, à l’Aca- démie des sciences, un mémoire sur la Digestion des matières fécu- lentes et sucrées, dont nous allons faire connaître les principaux résultats. | Etudiant les produits de la digestion de la fécule et de la dextrine, MM. Bouchardat et Sandras constatent Ja présence de traces de (1) Nous pensons qu'il y aurait injustice à se fonder sur ces faits pour attri- buer à M. Magendie, comme on l’a fait depuis la publication de nos recherches, la découverte de l'existence normale du sucre dans le sang. Dans les expériences que nous venons de rapporter, et qui résument tout le contenu de la note de M. Magendie, il ne s'agissait, comme on le voit, que de constater la réalisation , au sein de l'économie, du phénomène chimique de la transformation de l'amidon en sucre qui se passe dans nos appareils chimiques. Si les expériences de M. Ma- gendie avaient eu les conséquences qu'on veut en tirer aujourd'hui, comment se fait-il qu'on ne les ait reconnues que neuf ans après la publication de sa note? L'existence normale du sucre dans le sang constituant un argument sérieux contre la théorie de la sécrétion glucogénique du foie, c'était au moins un élément à prendre en grave considération dans l'exposition de cette découverte. Cependant M. Bernard n'a jamais fait la moindre allusion à ces résultats de M. Magendie, soit pour les réfuter, soit pour y accommoder sa théorie. C’est là une preuve sans réplique, qu'il n'attribuait pas alors aux expériences de M. Magendie les consé- quences qu'il essaie aujourd'hui d'en déduire pour réclamer en faveur de ce physiologiste la découverte de l'existence normale du sucre dans le sang. CONTENU DANS LE FOIE. 39 dextrine et de glucose dans le sang de divers animaux soumis à l'alimentation avec la fécule crue ou cuite. Le procédé pour la re- cherche du sucre consistait à coaguler par l’ébullition le sang étendu d'eau, et à le distiller dans une cornue avec environ 2 pour 400 d’acide sulfurique, afin de déceler l'acide formique qui pouvait exister dans le sang, par suite de la combustion de Ja dextrine ou du glucose effectuée pendant la respiration. — La digestion de la dextrine donna , à MM. Bouchardat et Sandras , à peu près les mêmes produits que celle de la fécule. Examinant les produits de la digestion des matières sucrées , les mêmes chimistes reconnaissent que Je sucre se change en partie dans l'intestin en acide lactique, mais qu’une autre partie ne subit point d’altération. Étudiant alors l’état des diverses sécrétions, ils reconnaissent dans le sang l'existence de « {races de sucre inter- verti. » Le procédé consistait toujours à distiller le sang, préalable- ment coagulé par l’ébullition, avec 2 pour 100 d’acide sulfurique ; c’est dans le résidu de cette distillation , saturé par la soude, que le réactif de Frommhertz indiquait ces traces de sucre. Ce procédé, qui n’aurait pas été d’un choix très heureux pour la recherche du glucose , était surtout employé pour reconnaitre la présence de l'acide formique dont les expérimentateurs se préoccupaient sur- tout , et qu'ils ont en effet trouvé dans quelques-unes de leurs expériences. En se servant du même moyen, MM. Bouchardat et Sandras constatèrent Ja présence du « sucre modifié » dans le sang de trois individus qui avaient pris, quelques heures avant Ja sai- gnée, le premier 100 grammes , le second 80 grammes, et le troi- sième 200 grammes de sucre de canne dans de l’eau ou dans une tasse de Jait. Autant qu'il est permis de formuler avec netteté les consé- quences que MM. Bouchardat et Sandras tirent de leurs nom- breuses recherches, ces expérimentateurs nous semblent, en résumé , admettre que le sucre ne peut longtemps persister en nature dans l'économie animale. Selon eux, une partie du sucre de canne introduit dans l'estomac se transforme dans l'intestin en acide lactique, lequel passe dans le sang, où il est promptement détruit par la respiration et changé en carbonate de soude. Mais, 40 L. FIGUIER, — DE L'ORIGINE DU SUCRE disent MM. Bouchardat etSandras, « ce n’est qu'une pelite quantité » de sucre qui se change ainsi en acide lactique ; la plus grande pro- » portion, introduite dans l’appareil circulatoire, y est alors, sous la » double influence de l'oxygène et des alcalis , directement détruite » en produisant de l’eau et de l’acide carbonique, et en passant par » l’état intermédiaire d'acide formique. » « Nous n'avons, ajoutent » ces expérimentateurs, à propos de ce dernier acide, isolé, il est » vrai, que des traces d’acide formique , et ce résultat n’a pas été » constamment obtenu; mais, avant l'expérience mémorable de » MM. Dumas et Prévost sur l’origine de l’urée , on sait qu’on » n'était point parvenu à extraire ce composé du sang, et cependant » il s’y forme constamment. » Aïnsi, le travail de MM. Bouchardat et Sandras confirmait les opinions généralement admises, à cette époque, par les physiolo- gistes et les chimistes , puisqu'il avait pour résultat de montrer que, même pendant l'alimentation, exclusivement composée de sucre, on ne {rouvait guère dans l’économie que les produits de la destruction de ce composé, c’est-à-dire l'acide lactique dans lin- teslin, et dans le sang le carbonate de soude provenant de la com- bastion de l'acide formique, provenant lui-même de l'oxydation du sucre, avec quelques traces seulement de glucose ayant échappé à cette décomposition. La connaissance des résultats qui précèdent n’était pas de nature à nous faire concevoir beaucoup d'espoir pour la découverte du glucose dans le sang normal. Nous avons cru cependant que l’on pourrait espérer mieux réussir dans celle recherche, si l’on avait égard aux deux précautions suivantes : Ne pas attendre la coagula- tion spontanée du sang, comme on l’a fait jusqu'ici, croyant simplifier les opérations de l'analyse chimique ; opérer sur des liqueurs rendues légèrement acides , afin de se mettre à l’abri de l’action que doit exercer le carbonate alcalin qui existe dans le sérum du sang, sur la petite quantité de glucose qu'il peut renfermer. Il est hors de doute, en effet, qu'attendre la sépa- ration en caillot et en sérum, qui s'exécute spontanément dans le sang, ce n’est point faciliter les opérations ultérieures qui se CONTENU DANS LE FOIE. hl rapportent à la recherche du glucose. Bien que la coagulation du sang commence quelques minutes seulement après que le sang s'est échappé des veines de l’animal, la séparation complète du cruor et du sérum exige un temps assez long. Si l’on opère, par exemple, sur le sang de bœuf, il faut attendre cinq ou six heures pour que cette séparation soit complète , c’est-à-dire pour que le caillot cesse de se rétracter et d'exprimer de son tissu les dernières parties du liquide où il baigne. Il est certain que dans cet intervalle, sous l'influence réunie de l’air tenu en dissolution dans le sérum, et de l’alcali carbonaté que ce liquide renferme , la petite quantité de sucre qui s’y trouve contenue peut être chimiquement altérée. Quant à l'influence fâcheuse que doit exercer l’alcali carbonaté du sang pendant l'évaporation du sérum, si l’on n’a pas la précaution de neutraliser cet alcali, elle se comprend sans peine, si l’on réflé- chit que le carbonate de potasse et de soude , par une ébullition prolongée avec le glucose, produisent le même effet que la soude caustique dans les mêmes circonstances , c’est-à-dire transforment le sucre en acide glucique et autres produits analogues qui n’ont plus rien de commun avec le glucose. C’est, je crois, grâce à l’emploi des deux précautions qui vien- nent d’être indiquées que j'ai réussi à mettre en évidence l’exis- tence d’une certaine quantité de glucose dans le sang normal, non pas simplement comme l’on fait quelques physiologistes à la suite de l’administration des féculents, et pendant la période digestive (1), mais dans les conditions ordinaires, c’est-à-dire à une époque nota- blement éloignée du dernier repas, et sans se préoccuper de l’ali- mentation de l'animal. Mes expériences ont porté sur le sang de l’homme , du bœuf, du mouton, du chien et du lapin. Voici les deux procédés qui m'ont permis de constater, sans la moindre difficulté, la présence du glucose dans le sang normal. Le premier peut servir à déterminer la quantité de sucre contenue dans le sang normal ; le second n’a pour but que d'indiquer seule- ment la présence de ce produit. Au moment où il est tiré de la veine, le sang est battu pour le (1) Magendie, Loc. cit. — Becker cilé par Béclard, Traité élémentaire de phy- siologie, p. 13%. 12 L. FIGUIER. —- DE L'ORIGINE DU SUCRE défibriner. On pèse alors la quantité sur laquelle on opère, et J’on ajoute au liquide trois fois son volume d'alcool à 36 degrés. Au bout de quelques minutes, le sang est complétement coagulé en un aillot d’un beau rouge par la précipitation simultanée des globules et de l’albumine du sérum. On passe à travers un linge de percale, on exprime, et on lave le résidu avec un peu d'alcool. Le liquide, jeté sur un filtre, passe presque incolore, en manifestant une réac- tion alcaline, qui devient sensible au papier de tournesol, après l’évaporation de l'alcool à la surface du papier. On ajoute au liquide quelques gouttes d'acide acétique , de manière à lui communiquer une faible réaction acide, et l’on évapore au bain-marie jusqu’à siceilé. On observe, vers la fin de cette évaporalion, la séparation d'une matière verdâtre , qui n’est autre chose qu'un dernier reste d’albumine coagulée. Le résidu de cette évaporation, repris par l’eau distillée, contient le glucose uni à quelques sels minéraux, parmi lesquels domine le chlorure de sodium. Ce liquide réduit, en effet, avec énergie Ja liqueur de Frommhertz, et fournit à l’ébullition un abondant précip'té jaune ou rouge-brique de sous-oxyde de cuivre hydraté. Pour déterminer exactement la quantité de glucose conte- nue dans le sang, sur lequel on a opéré, il suffit de procéder, comme nous le verrons plus loin, avec la liqueur cupro-potassique con- venablement titrée, à la détermination de la quantité exacte de sucre que renferme ce résidu , pesé et redissous dans l’eau. Le second procédé, qui n’a pour effet que de déceler la présence du glucose dans le sang, sans permettre d’en déterminer Ja quan- tité, repose sur l'emploi d’une dissolution de sulfate de soude, qui a le double avantage d'opérer la séparation artificielle des globules et du sérum , et d'empêcher , par suite de la présence d’une grande quantité d’un sel qui met obstacle à la fermentation , que le sucre ne disparaisse pendant son mélange avec les matières azotées du sang. Voici les détails, fort simples du reste, de son exécution : Le sang, défibriné au sortir de la veine, est additionné de trois fois son volume d’une dissolution de sulfate de soude, obtenue en laissant à froid l’eau se saturer du sel cristallisé. On jette ce mélange sur deux demi-filtres, et le liquide s'écoule assez rapidement en conservant une teinte rosée ou rouge, qui provient de quelques glo- CONTENU DANS LE FOIE, L3 bules qui ont {raversé le papier , coloration dont il ne faut pas s’in- quiéter. Au bout d’un certain temps, la filtration se ralentit, ce qui provient de ee que les globules du sang, agglutinés et collés contre le papier, finissent par rendre le filtre tout à fait imperméable au liquide. JI faut alors jeter celui-ci sur deux nouveaux filtres ; Ja fil- tration reprend sa première activité, et l’on finit par obtenir ainsi une quantité de sérum filtré suffisante pour les opérations à exécu- ter. Si l’on opère sur 200 grammes de sang, par exemple, on obtient, au bout de quatre ou cinq heures de filtration , assez de Ji- quide pour constater facilement la présence du glucose par le trai- tement qu'il nous reste à indiquer. Ce traitement consiste à ajouter au liquide filtré , c’est-à-dire au sérum mélangé à Ja dissolution de sulfate de soude, deux fois son volume d'alcool, qui produit Je double effet de précipiter le sulfate de soude de sa solution aqueuse, et de coaguler l’albumine et l’albu- minose du sérum. Il ne reste plus qu’à évaporer ce liquide à siccité au bain-marie, et à reprendre ce résidu par l’eau, afin de Je séparer d'un dépôt insoluble, auquel l’évaporation du liquide alcoolique a donné naissance. Cette dissolution aqueuse présente les propriétés ordinaires du glucose ; elle brunit par la potasse , et réduit avec énergie le réactif de Frommhertz. J'ai mis en usage un moyen qui diffère des deux précédents, dans le but d'obtenir des quantités plus considérables de sucre, et de bien établir, ce qui était capital dans la recherche qui m’occu- pait, que la matière qui, retirée du sang, réduit Je réactif de Frommhertz, a aussi la propriété d'éprouver la fermentation. Dans ce but, j'ai recueilli à l’abattoir du sang de bœuf, qui a été défibriné par l'agitation à sa sortie du corps de l'animal ; 2 litres 1/2 de ce sang ont été étendus de litre 1/2 d’eau, et placés dans une bassine de cuivre. Ensuite on a chauffé, de manière à porter peu à peu à l’ébulliion, qui a été entretenue deux ou trois minutes. Le coagulum, extrêmement volumineux, qui s’est formé , a été exprimé d'abord dans un linge, ensuite à la presse. Le liquide brun résultant de cette expression a été additionné d'un peu d'acide acétique, de manière à lui communiquer une légère réac- lion acide, et rapidement évaporé dans un grand bain - marie ll L, FIGUIER, — DE L'ORIGINE DU SUCRE d'éfain. Il s’est fait, pendant cette évaporation , un dépôt assez abondant d’albumine verdâtre que l’on a séparée par le filtre , et l'on a ensuite achevé de concentrer le liquide , de telle sorte que, filtré, il fut réduit à un volume d'environ 100 centimètres cubes. Ces proportions avaient été déterminées par un essai antérieur, afin que les proportions relatives d’eau et de matières dissoutes fussent à peu près : : 9 : A, condition la plus avantageuse pour la fermen- tation alcoolique. A ce mélange on a ajouté 4 grammes de levüre de bière fraiche et lavée. Le flacon étant placé dans un petit bain- marie maintenu entre la température de 30 et de 35 degrés, la fer- mentation s’y est établie avec lenteur, mais avec régularité , etil s'était dégagé, au bout de deux jours, environ 70 centimètres cubes d’acide carbonique recueilli sur l’eau. Le liquide a été ensuite distillé au tiers. Comme , d’après la petite quantité d’acide carbo- nique recueillie, la proportion d'alcool devait être extrêmement faible, je ne lai pas traité, pour le déshydrater, par le carbonate de potasse , craignant que la séparation en deux couches ne se mani- festât point. J'ai simplement rectifié sur de la chaux, et dans les premiers moments de cette rectification, on a saisi une odeur alcoolique très appréciable dans le récipient où les vapeurs se con- densaient. Le liquide condensé dans le récipient n’était point in- flammable directement ; mais en le plaçant dans un petit tube que l'on chauffait à la lampe, les premières vapeurs dégagées brülaient à l’approche d’une allumette présentée à l'extrémité ouverte du tube. Cette expérience a donc établi d’une manière irrécusable l'existence du glucose dans le sang normal. Pour terminer ce qui se rapporte à la recherche chimique du sucre dans le sang, je dirai que l’on arrive aussi à un résultat très net, en se bornant à étendre d’une fois et demie son volume d’eau le sang préalablement défibriné par l'agitation, coagulant ce liquide par l’ébullition, séparant le coagulum albumineux produit par la chaleur, et précipitant la liqueur claire par le sous - acétate de plomb. Dans la liqueur filtrée , on précipite par un peu de carbo- nate de soude l’excès du sel de plomb employé, et la liqueur, séparée du précipité de carbonate de plomb, est concentrée au bain-marie, en ayant la précaution de neutraliser par un peu d’acide CONTENU DANS LE FOIE. 5 sulfurique l'excès de carbonate alcalin. Dans le liquide concentré par l’évaporation, la liqueur de Frommhertz accuse très nettement la présence du sucre. Il restait à déterminer les proportions de glucose contenues dans le sang, et à les comparer avec celles que l’on rencontre dans le foie. J'ai effectué cette détermination en faisant usage de la liqueur cupro-potassique , titrée au moyen d’un poids connu, de glucose d’amidon purifié, et séché dans le vide. J'ai employé.cette liqueur cupro-potassique titrée de manière que 10 centimètres, cubes de cette liqueur fussent complétement décolorés à l’ébullition par 05,05 de glucose pur. On portait à l'ébullition ces 10 centimètres cubes de liqueur titrée, et, dans la liqueur bouillante, on ajoutait avec précaution la liqueur aqueuse fournie par le sang ou le foie, etrenfermant le sucre à doser. La décoloration complète du liquide Cupro-polassique étant obtenue, on calculait la quantité de sucre qui devait exister dans la liqueur examinée, d’après le volume de cette liqueur qui avait suffi à la décoloration. L’exécution de ce procédé d'analyse n'est pas sans difficulté, en raison de la lenteur avec laquelle le précipité d'oxyde se sépare du liquide. Il faut de toute nécessité laisser à chaque fois la liqueur en repos, pour que l’oxyde de cuivre puisse se précipiter et laisser apercevoir la teinte de la liqueur. Cette obligation rend l'analyse très longue ; cependant, comme la science ne possède pas pour le dosage du sucre, mélangé à des matières organiques, de procédé meilleur, j'ai dû m'en contenter. La fermentation employée comme moyen d'analyse aurait, je crois, apporté plus de causes d'erreur. Quoi qu'il en soit, c’est par ce procédé que j'ai essayé de doser le glucose dans le sang de l’homme, du lapin et du bœuf. Un lapin de forte taille a été saigné à la gorge en pleine digestion ; le sang recueilli pesait 70 grammes. Ce sang a été coagulé par l’al- cool, et le coagulum, exprimé, a été lavé deux fois avec de alcool. La liqueur évaporée à siccité a été reprise par l’eau pour séparer un dépôt verdâtre d'albumine coagulée. Ce résidu , évaporé à siceité, pesait 05,48. On l’a redissous dans l’eau distillée, et cette dissolution a été analysée avec la liqueur cupro-potassique titrée. D’après le H6 L. FIGUIER. — DE L'ORIGINE DU SUCRE volume de ce liquide nécessaire pour décolorer 10 centimètres cubes de la liqueur cupro-polassique Ütrée, ce résidu renfermait 05,40 de glucose. Le sang de ce lapin contenait, d'après cela, 0,57 pour 100 de glucose. Le foie du même animal, pesant 88 grammes, a été haché et soumis à quatre traitements par l’eau froide pour l’épuiser de toutes les matières solubles. L'infusum obtenu a été coagulé par lébulli- tion ; le liquide séparé de ce coagulum a été évaporé à siccité au bain-marie, et repris par l’alcool pour en séparer l’albuminose. La dissolution alcoolique a été évaporée à siccilé au bain-marie, et le résidu repris par l’eau distillée. Cette solution aqueuse, évaporée à siccité, à laissé un résidu du poids de 45,15, qui a été redissous dans l’eau distillée. D’après le volume de cette liqueur , qui a été nécessaire pour décolorer 10 centimètres cubes de la liqueur cupro-potassique tirée, on à conclu que ce résidu renfermait 05,9 de glucose, ce qui donnait pour là totalité de l’organe 1,02 pour 100 de sucre. Ainsi le foie de ce lapin ne renfermait pas le double de sucre que le sang pris à poids égal. En opérant de la même manière, j'ai trouvé, dans le sang d'un bœuf recueilli à l’abattoir , 0,48 pour 100 de glucose. Je n'ai pu déterminer sur le même animal la quantité de glucose du foie ; inais il résulle de beaucoup de déterminations que j'ai pu faire antérieurement dans le cours de mes recherches, que la quantité de glucose dans le foie du bœuf n’est pas supérieure à 4 pour 100 du poids de l'organe. Ainsi le foie du bœuf ne contiendrait guère que le double de sucre que renferme le sang du mème animal. Les résultats que j'ai obtenus pour la quantité de sucre contenu dans le sang de l'homme ne s’écartent pas beaucoup des précé- dents. J'ai trouvé 0,46 pour 160 de glucose dans le sing recueilli, à l’Hôtel-Dieu, d'une femme enceinte etde bonne santé, qui n'avait pris qu'un très léger repas six heures avant la saignée , et 0,38 pour 400 dans le sang d’un homme saigné en ville pour une frac- ture. Dans ce dernier cas, je n'ai pu obtenir de renseignements sur l’époque du dernier repas. A la partie de mes recherches qui concerne la détermination de la quantité exacte de sucre contenue dansle sang, je n'ai pu donner CONTENU DANS LE FOIE. 17 encore toute la précision et l'étendue désirables. Je m'occupe en ce moment de les compléter. Il ressort, néanmoins, des résultats précédents qu’à poids égal le foie ne renferme guère que deux fois autant de glucose que le sang dans les conditions normales. III. Après avoir , dans les deux premières parties de ce mémoire, exposé le résultat de nos recherches, il nous reste à en déduire les conséquences. Ces conséquences d’ailleurs ressortent assez d’elles- mêmes. Ce qui, en effet, avait contribué surtout à faire admettre là localisation de la sécrétion du sucre dans le foie, c'était le fait, régardé comme incontestable, de la non-existence du glucose dans la masse du sang pendant les conditions normales. La démonstra- tion du fait contraire doit faire tenir singulièrement en suspicion la théorie physiologique de la glucogénie. Mais quelques mots seront nécessaires pour mettre cette vérité dans tout son jour. Nous avons montré que le sang de l’homme, le sang des ani- maux domestiques, renferment du sucre, et que le foie, compara- tivément, contient à peine deux ou trois fois autant de Sucre que le sad lui-inême pris à poids égal. Cette différence n’a rien d’ailleurs qui doive étonner, et, serait-elle plus forte encore, ce résultat ne pourrait rien enlever aux conséquences physiologiques que l’on peut tirer de nos expériences. L’organe hépatique est essentielle- mént un organe de dépuration pour le sang. Les produits divers de la digestion, amenés par la veine porte de toute la surface du tube intestinal , viennent éprouver, dans cette volumineuse glande, un véritable départ, qui a pour effet de rejeter les matériaux inutiles à la nutrition, et de retenir les produits essentiels de la digestion. I n'est done pas étonnant que le sucre figure dans le foie en quantité supérieure à celle que l’on en trouve dans le sang. Tout le glucose provenant de la digestion vient s’y concentrer , pour être ensuite déversé par les veines sus-hépatiques dans la circulation générale. Parvenu dans la masse du sang, le sucre s’y détruit peu à peu par l'effet continu de la respiration , et, par conséquent, il diminue de quantité de minute en minute. Un fait du même genre s’observe 18 L. FIGUIER. — DE L'ORIGINE DU SUCRE pour l’albuminose. Contenue en proportion très considérable, comme on l’a vu, dans le foie, l’albuminose ne figure dans le sang qu'en quantité très faible. C'est que l’albuminose , comme le glu- cose, retenue dans le foie pendant un intervalle assez long après la digestion , est reprise peu à peu par les veines sus-hépatiques, et déversée dans le sang où elle doit disparaître soit par la respiration , soit par l'assimilation organique. Il est tout simple que dans le réservoir on trouve plus de produit que dans les canaux par où ce produit s’échappe, et au sein desquels il va se détruire. Y aurait-il, nous le répétons, cinq ou six fois moins de sucre dans le sang, pris en différentes parties du corps, que dans le sang qui remplit le tissu du foie, que ce résultat n'aurait en lui-même rien que de simple et de prévu. Mais nous avons vu que le rapport entre ces deux quantités est loin d’être tel que nous le supposons ici; et les diffé- rences que l'expérience a fait reconnaitre répondent parfaitement à l'idée qu'il est permis de se faire d’une sorte d'épuration physio- logique opérée par le foie sur les produits de la digestion. Si l’on admet notre opinion sur l’origine du sucre du foie, que nous croyons emprunté en entier à l'alimentation, et non à une sécrétion spéciale, on se rendra compte d’une manière fort simple des particularités qu'avait mises en lumière l'étude de ce que l’on avait appelé la fonction glucogénique. L'auteur de cette théorie physiologique a reconnu que l'apparition du sucre dans le foie coïncide avec la digestion , etil a beaucoupinsisté sur ce point, qui constitue le seul résultat saillant qu'il ait mis en évidence en étu-- diant les variations de la fonction glucogénique, selon les âges, les sexes, l'alimentation, ete. « Lorsque les phénomènes digestifs, et » particulièrement ceux de la digestion intestinale, s’accomplissent, » dit ce physiologiste, quelle que soit, du reste, la nature de lali- » mentation , la production du sucre dans le foie est excitée comme » toutes les sécrétions intestinales, et elle éprouve à ce momentun » surcroît d'activité remarquable. Cette augmentation de la sécrétion » du sucre dans le foie se fait d’une manière successive et graduée. » Dès le début de l'absorption digestive, lorsque la veine porte com- » mence à charrier une plus grande proportion de sang dans le foie, » la fonction glucogénique se réveille, Peu à peu l’activité fonction- CONTENU DANS LE FOIE. 19 » nelle s'accroit, à mesure que la quantité de sang qui traverse le tissu » hépatique devient elle-même plus considérable, et c’est environ » quatre à cinq heures après le début de la digestion intestinale que » cette production de sucre dans le foie est parvenue à son summum » d'intensité. Après ee temps , la digestion venant à cesser, l’ab- » sorplon intestinale se ralentit, et la formation de sucre dans le » foie diminue, pour reprendre de nouveau sa suraelivité au pre- » mier repas, où pour continuer à décroitre d'une manière gra- » duelle, ainsi que nous l'avons déjà vu, si lanimal est laissé à » l’abstinence (1). » Si l’on admet avec nous que le sucre n’est introduit dans le foie que par l'alimentation , tous les traits du lableau précédent n'auront rien que de naturel, et pour que cet exposé demeure dans tous ses détails l'expression de la réalité, il suffira de substituer au mot de fonction glucogénique eæcilée ou ralentie, les mots de sucre provenant des aliments ; à cela près, la peinture restera fidèle. On pourrait faire une remarque du même genre à propos du ralentissement et de l'extinction de la fonction glucogénique par le fait de l’abstinence et de la privation d'aliments. Le sucre contenu dans le foie est fourni par l'alimentation; quand toute alimenta- tion est suspendue, le sucre doit donc cesser d’apparaître dans cet organe. Nous concluons , en résumé , que le foie, chez l’homme et les animaux, n'a point reçu pour fonction de fabriquer du sucre; que tout le glucose qu'il renferme provient du sang qui gorge son lissu, et que ce glucose à été apporté dans les vaisseaux, par suile de la digestion. Le rôle du foie, comme organe sécréteur , de- meure, selon nous, borné à l'épuration du sang et à l'élaboration de la bile. I est assez singulier que cette proposition, qui remonte aux temps les plus reculés de la science, prenne aujourd'hui comme un air de nouveauté. Nous términerons ce mémoire par une courte réflexion. On a (4) Nouvelle fonction du foie considéré comme organe producteur de matière sucrée chez l'homme et les animaux , par M. Claude Bernard (Annales des sciences naturelles, 3° série, &. XIX, p. 315). 4° série. Zoo. T. LIL. (Cahier n° 4.) # k 50 L. FIGUIER. — DE L'ORIGINE DU SUCRE déjà vu que nous adoptons cette pensée émise par bien des obser- vateurs , mais précisée de nos jours par M. Mialhe, que la portion assimilable des aliments azotés se transforme, pour la plus grande parüe, par l'effet de la digestion, en un produit désigné par ce chimiste sous le nom d’albuminose, et par M. Lehmann sous celui de peptone(1). Nous adoptons d'autant plus aisément cette opinion, (1) Cette albuminose, signalée dans le sang de la circulation générale par M. Mialhe, et que j'ai retrouvée en quantité bien plus considérable dans le sang du foie , a été aperçue et bien des fois décrite sous d’autres noms par différents observateurs. C'est ce que montre suffisamment l'examen des divers travaux chi- miques effectués sur les produits de la digestion et sur quelques liquides ani- maux. Ce relevé des travaux des chimistes qui ont rencontré , sans s'en douter, l'albuminose, a été tracé, avec beaucoup de soin, par MM. Robin et Verdeil dans leur Trailé de chimie anatomique et physiologique , et nous croyons utile d'en mettre les traits principaux sous les yeux du lecteur. « L'albuminose, disent MM. Robin et Verdeil, entrevue depuis longtemps par plusieurs chimistes dans divers liquides, a généralement été confondue avec la caséine. C’est M. Mialhe qui, le premier , a appliqué à ce principe le nom d'al- buminose, créé per M. Bouchardat pour désigner un produit qu'on obtient artificiellement de la fibrine, de l'albumine et de la caséine. » Suivant M. Bouchardat, l'albumine, le caséum, le gluten, seraient formés d'un principe fondamental , l'albuminose « mélangée ou combinée , soit avec des ma- tières terreuses (phosphate de chaux ou de magnésie), soit avec des sels alcalins, soit avec des matières grasses qui en masquent les propriétés essentielles. Vient- on, par une proportion vraiment inappréciable d'acide (1/2 pour 1000 parties d’eau ), à détruire cette combinaison éphémère , la solution d’albuminose se pré- sente avec des propriétés identiques. » « La matière caséeuse, indiquée par Tiedemann et Gmelin dans l'intestin grêle des animaux nourris de fbrine, de fromage, etc., n'est certainement autre que l'albuminose. » L'albuminose paraît avoir été indiquée dans le sang, sous le nom de caséine, par Huenefeld, Gmelin et Marchand. M. Morand également observa sur une ânesse, morte peu de jours après avoir mis bas, que le sérum du sang , privé d'albumine à l'aide de la chaleur , contenait encore une substance qui offrait les réactions du caséum. » MM. Dumas et Cahours ont décrit et analysé dans leur Mémoire sur les ma- tières protéiques, un produit extrait du sang, possédant la composition de la caséine , bien qu'il n'en ait pas toutes les propriétés, et qui est certainement l’albuminose. » M. Stas dit avoir trouvé de la caséine dans l'eau allantoïdienne de la Vache, CONTENU DANS LE FOIE. ol que nous avons pu constater l'absence de lalbuminose dans le foie des animaux soumis à l'abstinence, à tel point qu'il ne serait pas, selon nous, impossible de déterminer, par le seul examen chi- mique du foie, si un animal a élé tué à jeun ou après avoir recu des aliments : la manifestation ou l'absence du précipité que l'alcool détermine dans une décoclion aqueuse de foie concentrée, préci- pité qui est constitué par l’albuminose, suffirait pour prononcer , dans ce cas singulier, sur ces conditions antérieures de l'animal. Or, de même que l’albuminose constitue le produit ultime de * digestion des aliments azotés, le glucose représente, de son côté, le résultat commun des modifications qu'ont subies dans le canal intestinal les matières féculentes ou saccharoïdes, Ce fait est depuis longtemps admis, et toute discussion à cet égard serait superflue. Mais ce qui paraitra peut-être bien digne d'intérêt aux physio- logistes , c’est de voir les deux produits essentiels de la digestion venir se condenser, s’'épurer dans le foie, S'isoler dans cet organe de toutes les substances accidentelles ou inutiles introduites par les aliments, et se répandre de là dans la masse générale du sang pour se prêter aux phénomènes de nutrition, comme aux mutations diverses qui sont la condition et la manifestation extérieure de la vie. Cette vue généraie de physiologie, qui résulte de nos recherches sur la composition des matières solubles du foie, nous à paru digne d'être soumise à l'appréciation des chimistes. plus de la fibrine et de l'albumine. Le sang placentaire aurait sa parie liquide formée presque entièrement par de la caséine (albuminose). » M. le docteur Panum de Copenhague a montré qu'il y a dans le sang une substance que précipite l'acide acétique , et qu'il redissout si l'on continue de verser l'acide goutte à goutte. Elle existerait chez certains individus bien por- tants. Enfin MM. Guillot et Leblanc ont décrit sous le nom de caséine l'albumi- nose du sang. » ANALYSES COMPARÉES DU SANG DE LA VEINE PORTE ET DU SANG DES VEINES HÉPATIQUES, ETC. POUR SERVIR À L'HISTOIRE DE LA PRODUCTION DU SUCRE DANS LE FOIE, Par M. C.-G. LENMANN. (Communiquées à l'Académie des sciences par M. CI. Bernard, le 12 mars 1855.) Les résultats des analyses qui vont suivre ont été oblenus sur des Chiens et des Chevaux soumis à des alimentations diverses. (On à toujours eu soin de placer convenablement des ligatures sur les vaisseaux, pour oblenir sans mélange les sangs dont on a fait l'examen chimique.) Je ne m'étendrai pas sur les procédés d’analyse que j'ai suivis : ils se trouvent décrits dans mon Traité de chimie physiologique (1). Je dirai seulement que toutes les déterminations quantitatives du sucre ont été obtenues au moyen de la méthode par fermentation, excepté dans un cas où j'ai employé comme contrôle la méthode de dosage par la réduction d’un sel de cuivre. Je négligerai égale- ment certains détails sur la composition des sangs de la veine porte et des veines hépatiques, qui sont consignées d’ailleurs dans an premier Mémoire que j'ai déjà publié sur ce sujet (2). Je n'insiste- rai ici que sur les points qui peuvent servir à éclairer la formation du sucre dans le foie. 41° Sucre. — Le sang de la veine porte ne renferme jamais les moindres traces de sucre chez les Chiens à jeun et chez les Chiens nourris avec de la viande. Les mêmes animaux nourris avee des substances végétales (pommes de terre cuites) présentent évidem- ment du sucre dans le sang de leur veine porte, mais en quantité si faible que le dosage n’est pas possible. (1) Lehrbuch der physiologischen Chimie, 1850, 3 vol. Leipzig. (2) Einige vergleichende Analysen des Blutes der Pforlader und der Leberve- nen. Berich. ü. d. Verhand, der Kæœnigl. sæch, Geselsch. der Wissenschaften. zu Leipzig, 1850. LL LEHMANN. — ANALYSES COMPARÉES , ETC. 53 Chez des Chevaux nourris avec du son de seigle, de la paille hachée et du foin, le sang dela veine porte contient des proportions très faibles de matière sucrée. J'ai trouvé dans un cas 05,055 de sucre pour 400 du résidu sec alcoolique du sang. Dans un autre cas, sur un Cheval, le sérum de la veine porte renfermait 05",0052 pour 100 de sucre. Le sang des veines hépatiques contient toujours du sucre en forte proportion. Sur trois Chiens nourris avec de la viande, j'ai trouvé les chiffres suivants calculés sur le résidu sec alcoolique du sang : 05,814 pour 100, 05,799 pour 100, 05,946 pour 400. Sur trois autres Chiens à l’abstinence complète depuis deux jours, j'ai trouvé dans le sang des veines hépatiques les quantités de sucre ci-après : 0,764 pour 100, 05,638 pour 400 et 0“,814 pour 400. Chez deux autres Chiens nourris avec des pommes de terre cuites, le sang des veines hépatiques renfermait 0#,981 pour 100 de sucre chez l’un et 05,854 pour 400 de sucre chez l’autre. Chez deux Chevaux soumis à une alimentation végétale (son, paille, foin), le sang des veines hépatiques contenait dans un cas 05,635 pour 400 de sucre, et dans l’autre cas 05,893 pour 100 de sucre. Les résultats des analyses qui précèdent se trouvent résumés dans le tableau ci-contre : QUANTITÉ DE SUCRE RE a ANIMAUX ALIMENTATION. dans le sang dans le sang de la des veive porte à l'entrée [veines hépatiques! du foie, à la sortie du foie. r. Chien, à jeun depuis deux jours. » 0764 p.100 Id. id. » 0,638 Id. id » 0,804 Id. nourri avec de la viande. » 0,814 Id. id. » 0,799 Id. id. » 0,946 Id. |nourriavec pommes de têrre cuites. [Traces imposs. à tloser.| 0,984 ln Id. id. id. 0,854 | Cheval nourri avec son, foin et paille. 05,055 p.100 | 0,893 Id. id. 05°,0052 p.100 | 0,635 9! LEMMANN, — ANALYSES COMPARÉES Il suffira de jeter les yeux sur les quantités comparatives de sucre que contient le sang de la veine porte qui entre dans le foie et le sang des veines hépatiques qui en sort, pour voir que l'opinion de la formation du sucre dans le foie, que M. CI, Bernard a annoncée le premier, est mise hors de doute, 2° Fibrine, albumine. — Le sang de la veine porte chez les Che- vaux et chez les Chiens renferme dela fibrine qui ne diffère pas sen- siblement, par ses caractères et sa quantité, de la fibrine des autres veines. Quelle que soit la nature de lalimentation, le sang de la veine porte des Chiens renferme en moyenne plus de fibrine que celui des Chevaux. Le sang des veines hépatiques, soigneusement recueilli et sans aucun mélange , ne contient pas de fibrine. Les quelques flocons qu'on obtient quelquefois par le battage , chez les Chevaux , sont presque entièrement constitués par des globules blanes qui se mon- trent en très grande abondance dans le sang des veines hépatiques comparé au sang de la veine porte. Le sang des veines hépatiques chez les Chiens se comporte de la même manière par rapport à la fibrine , c'est-à-dire que cette matière disparait presque en totalité dans le foie. Des analyses très soignées et comparatives entre le sang de la veine porte et celui des veines hépatiques m'ont prouvé qu’une quantité remarquable d’albumine disparait aussi dans le foie, et la quantité disparue est relativement plus grande chez les Chiens que chez les Chevaux. Sur ce fait incontestable que la fibrine disparaît dans le foie, j'ai établi mon opinion, déjà émise dans mon premier Mémoire, que le sucre qui se forme dans le foie prend naissance de la fibrine. 3 Graisse el globules sanguins. — Le sang de la veine porte renferme toujours beaucoup plus de graisse que le sang des veines hépatiques. Le sérum du sang de la veine porte chez les Chiens nourris avee de la viande est généralement plus riche en graisse que celui des Chevaux. Néanmoins, on ne trouve pas davantage de graisse dans le sérum des veines hépatiques chez les Chiens que chez les Chevaux. Chez les Chevaux , les globules du sang de la veine porte sont DU SANG DE LA VEINE PORTE , DES VEINES HÉPATIQUES, ETC. D9 plus riches en eau et particulièrement en fer ; au contraire, ils sont plus pauvres en globuline, en matières extractives et en sels que ceux des veines hépatiques. Chez les Chiens, comme chez les Che- vaux, le sang des veines hépatiques est beaucoup plus riche en glo- bules du sang et en matières extractives que celui de la veine porte. J'ai remarqué, sur les Chiens comme sur les Chevaux , qu'une quantité considérable de fer disparait toujours dans le sang en tra- versant le foie. Mais les différences de quantité de fer qu’on ren- contre dans le sang qui arrive au foie et dans celui qui en sort sont plus grandes encore chez les Chiens que chez les Chevaux. Il en résulte qu'une partie de l’hématine du sang disparait dans le foie, et contribue probablement à la formation de la matière colorante de la bile, ce que prouverait encore la complète analogie de la biliful- vine et de l’hématoïdine , ainsi que vient de le montrer un de mes élèves. Analyses comparatives du sang de diverses veines avec le sang artériel. (Toutes ces comparaisons ont été faites avec des sangs toujours pris sur le même Cheval.) — Le sang qui sort du foie par les veines hépatiques est toujours le sang incomparablement le plus sucré de tout le corps ; ensuite ce sang se mélange au sang de la veine cave pour remonter vers le cœur. Je ne puis ici que confirmer ce que M. CI. Bernard a déjà dit depuis bien longtemps , à savoir que le sang de la veine cave inférieure est celui qui contient tou jours la plus grande quantité de sucre après les veines hépatiques. J'ai trouvé dans le résidu solide du sang de la veine cave chez les Chevaux 0:,346 pour 100, 05,211 pour 400 et 05°,492 pour 100 de sucre. Lorsque le sang a traversé le poumon et est devenu artériel, on ne trouve généralement pas de sucre. Je n’en ai pas trouvé dans le sang artériel de Chevaux, qui avaient cependant mangé de l'ami- don et de l’avoine. Chez les Chiens et chez les Lapins, on peut seu- lement trouver du sucre dans le sang artériel, sile sang veineux renferme plus de 05,3 pour 100 de sucre. C'est ce qui arrive dans toutes les conditions qui font passer du sucre dans l'urine : par exemple , après la piqüre telle que l'a faite M. Bernard, après l’in- jection de sucre en grande quantité dans les veines ou dans l’esto- 56 LEUMWANN. — ANALYSES COMPARÉES, ETC. mac, ou enfin chez les Lapins qui ont mangé des quantités con- sidérables de betteraves ou de carottes. Mais, dans toutes ces circonstances, ce sont encore les veines hépatiques qui contiennent la plus grande quantité de sucre, puis la veine cave, ete. Le sang des petites veines, telles que la veine céphalique, la la veine digitale, la veine temporale et la veine abdominale externe des Chevaux, contient toujours moins de globules du sang, plus de sérum, et par conséquent plus d’eau que le sang artériel. Mais les veines plus grosses, et principalement la veine cave inférieure, contiennent un sang qui possède la même concentration que le sang artériel, ou qui est peut-être même encore plus concentré. Toutes mes expériences semblent montrer qu'une quantité remarquable de globules du sang disparait dans les vaisseaux capillaires généraux. L'observation que la densité du sang de la veine cave inférieure se rapproche de celle du sang artériel ou même la surpasse, ne dépend pas seulement de l'expulsion de l’eau par la sécrétion urinaire, mais principalement de l’affluence du sang des veines hépatiques ; c'est ce que m'ont prouvé d’une manière frappante les analyses du sang d’un Cheval qui n'avait pas bu depuis vingt-quatre beures quand il fut sacrifié. La comparaison de toutes ces analyses semble prouver en même temps que dans le foie deux fonctions marchent séparément, savoir la formation du sucre et des globules du sang et celle de la bile, ainsi que M. Bernard l’a pressenti et établi depuis longtemps. Le sang des plus petites veines renferme davantage de fibrine que le sang artériel, et que celui de la veine cave et de la veine jugu- laire. Dans la veine cave, j'ai trouvé deux fois moins de fibrine.que dans le sang artériel. Le sang artériel contient toujours plus de sels minéraux que le sang veineux. REMARQUES SUR LA SÉCRÉTION DU SUCRE DANS LE FOIE, Faites à l'occasion de la communication de M. LEHMANN, Par M. CI. BERNARD. Lorsque, il y a six ans, j'annonçai aux physiologistes que le sucre est un produit normal de sécrétion chez l'Homme et les ani- maux, j'établis par des preuves expérimentales diverses que cette fonction animale, restée jusqu'alors inconnue, devait être localisée dans le foie. Pour prouver que la matière sucrée est bien réelle- ment formée dans l'organisme, qu'elle ne vient pas du dehors, et qu'elle prend naissance sur place dans le foie où on la trouve, j'instituai une expérience physiologique qui est nelte et décisive. Sur des animaux carnivores, nourris exclusivement pendant des temps très considérables (trois, six ou huit mois) avec de la viande cuite à l’eau, et dans laquelle l'expérience directe ne décèle pas la moindre trace de matière sucrée , je recueillis le sang de la veine porte avant son entrée dans le foie, etje n°y constatai jamais, dans des conditions physiologiques convenables , la présence du sucre, tandis qu’en recueillant le fluide sanguin dans les veines hépatiques à sa sortie du foie, j'y rencontrai constamment du sucre en grande quantité. Depuis lors, ces résultats ont été partout vérifiés par les physio- logistes exercés qui les ont reproduitsen Angleterre, en Allemagne, en Hollande, en Amérique, ete. Les belles analyses de M. Lehmann sur la composition comparée des sangs de la veine porte et des veines hépatiques confirment pleinement au point de vue chimique, et avec une autorité des plus considérables en pareille matière, mes propres recherches physiologiques. Tous les arguments relatifs à la question de savoir si le foie fabrique ou non du sucre doivent être ramenés à cette expérience 58 CL. BERNARD. — REMARQUES fondamentale qui a pour objet l'examen comparatif des sangs de la veine porte et des veines hépatiques; et tant qu'il restera établi que le sang qui entre dans le foie ne renferme pas de sucre, et que le sang qui en sort en contient des proportions considérables , il faudra bien admettre que la matière sucrée se produit dans le foie, car on ne saurait échapper à cette conséquence de la lo- gique la plus simple : que, puisque le sucre n'existe pas avant le foie et qu'il existe après, il faut bien qu'il se soit formé dans cet organe, Mais le sucre sécrété dans le foie se répand ensuite dans tout l'organisme , au moyen de la cireulation qui le porte par la veine cave dans le cœur droit, puis dans les poumons , ete. Suivant les quantités de sucre qui s’échappent du foie , cette matière peut se trouver détruite en traversant le poumon, ou bien dans certains cas, et particulièrement pendant et aussitôt après la période diges- tive, un excès peut se répandre plus loin dans le système artériel, et même dans le système veineux superficiel. Néanmoins, dans tous ces cas, on constate invariablement que la proportion de sucre diminue d'autant plus qu’on s'éloigne davantage du foie qui est son lieu d’origine. Ce sont ces résultats physiologiques que viennent encore prouver de la manière la plus évidente les analyses de M. Lehmann. Cette diffusion du sucre dans tout l'organisme explique done comment cette matière peut se rencontrer dans le sang de toutes les parties du corps. En 1846 (4), M. Magendie a lu à cette Académie, sur la présence normale du sucre dans le sang, un Mémoire dans lequel il indique déjà que c’est surtout au moment de la digestion que l’on trouve la matière sucrée en plus grande quantité dans le sang. Ce fait était done connu et admis par les physiologistes depuis longtemps, bien qu'on ne connût pas la formation physiologique de cette matière dans le foie, ainsi que je l'ai établi. Mais il est arrivé que certains auteurs, ne répélant pas mes expériences méthodiquement et dans les conditions physiologiques requises, n’ont nécessairement pas pu comprendre le rapport qui (1) Comptes rendus de l'Académie des sciences , t. XXII, 27 juillet 1846. SUR LA SÉCRÉTION DU SUCRE DANS LE FOIE, 59 existe entre cette diffusion du sucre dans l'organisme et son point réel d’origine, C'est ainsique M. Schmidt (4), en 1850, se fondant sur ce qu'il avait trouvé du sucre en quantité variable, mais toujours très faible, tantôt dans le sang des saignées pratiquées sur l'Homme (traces de sucre non dosées), tantôt dans le sang des animaux de boucherie (05°,00195 à 0#,0074 pour 1000 dans le sang de Bœuf), ete., arrive à comparer la diffusion du sucre dans le sang avec la diffu- sion de l'urée, etpoussant sa comparaison jusqu'au bout, cet autear admet purement par hypothèse que la formation du sucre ainsi que celle de l’urée ne sont localisées dans aucun organe, mais que ces substances se forment partout dans l'organisme, l'urée aux dépens des matières azotées, et le sucre aux dépens des matières grasses. Quant aux expériences de M. Schmidt sur la présence du sucre dans le sang, et quant à celles qu'on a pu reproduire depuis dans de semblables conditions, elles peuvent avoir en elles-mêmes et au point de vue chimique la valeur qu’on leur accordera ; mais on ne saurait leur en reconnaitre aucune au point de vue physiologique, parce que les auteurs n'ayant pas tenu compte de l'examen compa- ratif du sang de la veine porte et du sang des veines hépatiques , leurs analyses restent insuffisantes, et ne peuvent s'appliquer à la question qui nous occupe. Lorsqu'on a soin , comme l’a fait M. Lehmann , d'instituer des analyses comparatives du sang dans tous les points du système cir- culatoire en se plaçant dans les conditions que là physiologie indique , toutes les expériences s'enchaïinent naturellement pour établir que le sucre , véritable produit d’une sécrétion intérieure, à laquelle j'ai donné le nom de glycogénie, prend naissance dansle foie aux dépens des éléments du sang, et indépendamment de l’ali- mentation féculente et sucrée, pour se répandre ensuite dans tout l'organisme, où il se détruit successivement en s’éloignant de son lieu d’origine. Si l'on ne fait, au contraire , que des expériences incomplètes (1) Charakteristik der epidermischen Cholera, etc. V. Carl. Schmidt, p. 463. Leipzig und Mitau, 1850. 60 CL. BERNARD, — REMARQUES en se plaçant dans des conditions non méthodiquement et physio- logiquement déterminées, on peut, par l'interprétation des résul- tats, arriver aux confusions les plus étranges. C’est ainsi, par exemple, que cette comparaison du sucre avec l’urée, qui, au point de vue chimique, paraît peut-être spécieuse, ne saurait un seul instant soutenir l'examen physiologique. Comment pourrait-on imaginer, en effet, que le foie joue, par rapport au sucre, le rôle d’un organe dépurateur, condensateur, fillrateur, où qu'il est à Ia matière sucrée ce que le rein est à l’urée, quand nous savons que le sang qui entre dans le foie ne contient pas de sucre, mais que le sang qui en sorten contient beaucoup ; tandis que pour le rein, au contraire, l’urée existe dans le sang qui entre, et ne se trouve plus dans le sang qui sort; quand nous savons enfin que, si l’on supprime les reins, on fait accumuler l’urée dans le sang ; tandis que si l’on arrête la fonction du foie en détruisant certains nerfs qui s’y rendent, le sucre disparaît com- plétement et rapidement de l'organisme ? Il y a donc là, d’une part, un phénomène de production ou de sécrétion, et, d'autre part, un phénomène d'expulsion ou d’excrétion , que l’on doit distinguer de la manière la plus radicale, au lieu de chercher à établir entre eux un rapprochement impossible. Je me bornerai à ces quelques remarques pour montrer que les recherches chimiques appliquées à l'explication des phénomènes de la vie ne sauraient être instituées vaguement et comme au hasard ; mais qu’elles doivent reposer , au contraire, sur la con- naissance de conditions fonctionnelles précises que la physiologie seule peut déterminer. En finissant, je ferai remarquer , ainsi que l'on a pu s’en con- vaincre, que la formation du sucre dans le foie n’est pas en litige. C'estune vérité physiologique parfaitement établie et complétement acquise à la science. La question qui se trouve actuellement en jeu, c’est de savoir quels sont les éléments du sang que le foie utilise pour fabriquer la matière sucrée. L'hypothèse de cette formation du suere aux dépens des matières grasses se trouve renversée par mes expériences , dans lesquelles j'ai fait voir que l'alimentation purement graisseuse diminue la production du sucre dans le foie SUR LA SÉCRÉTION DU SUCRE DANS LE FOIE. 61 el laquantité de cette matière dans tout l'organisme. Il reste à exa- iminer la théorie de la formation du sucre aux dépens des malières azotées , que les analyses chimiques de M. Lehmann et mes expé- riences physiologiques indiquent. C’est le sujet dont j'entretiendrai incessamment l'Académie. RECHERCHES SUR LA FONCTION GLYCOGÉNIQUE DU FOIE, Par M. LECONTE. Allaché au collége de France comme préparateur du cours de M. Magendie, il m'a été donné d'assister M. CI. Bernard dans la plu- part de ses expériences sur le foie , et de répéter un grand nombre de fois moi-même, soit pour les besoins du cours, soit dans d’autres circonstances, les recherches qui démontrent qu’il n'existe pas de sucre dans le sang de la veine porte d'animaux nourris de viande, tandis qu'il en existe dans le sang des veines hépatiques. La question étant aujourd'hui controversée , j'ai cru devoir soumettre à l’Aca- démie les résultats de ces recherches. Tous les animaux qui m'ont servi ont été rapidement sacrifiés par la section du bulbe rachidien ; une incision pratiquée au flanc droit permettait de lier la veine porte; l'abdomen était alors ouvert ; on liait la veine cave inférieure au-dessous du diaphragme ; puis, fai- sant une incision à ce muscle, on appliquail une seconde ligature sur la veine cave inférieure, au-dessus du diaphragme : il était alors facile de recueillir sans mélange le sang des veines hépatiques en introduisant un tube de verre dans la portion de Ja veine cave com- prise entre les deux ligatures ; en introduisant de même un tube de verre dans la portion de la veine porte comprise entre la ligature et les intestins, on recueillait sans mélange le sang provenant de ces derniers organes. L'expérience m'a démontré qu'en recueillant le sang entre la ligature et le foie, ce fluide contenait toujours une quantité notable 62 LECONTE. — RECHERCHES de sucre, par suite d’un reflux déjà et depuis longtemps signalé par M. CI. Bernard. Le sang mêlé exactement avee (rois fois son poids d'alcool à 36 degrés était jeté sur des carrés de toile fine et fortement com- primée ; les liqueurs étaient filtrées ; le contenu des toiles, les vases et le filtre étaient lavés à l'alcool. Toutes les liqueurs étaient évapo- rées au bain -marie, après avoir été acidulées par l'acide acétique pur. Les extraits alcooliques étaient délayés dans l’eau, additionnés de 4 gramme de levure de bière fraîche, introduits dans des cloches graduées pleines de mercure, et placés à une douce température ; À gramme de la même levure, délayée dans l'eau distillée, était placé dans le tube rempli de mercure, et servait à prouver que la levure seule ne produisait pas de gaz. Après dix-huit à vingt-quatre heures, on mesurait l'acide carbonique , et l'on opérait les correc- tions relatives à la pression et à la température. Le poids du sucre était calculé d’après la formule ci? H12 02 = 4 CO? + 2 (C1 HS O?). Avant de doser le sucre dans le sang, je fis les expériences qualitatives suivantes. Première expérience. —Un Chien de moyenne taille, laissé à jeun pendant vingt-quatre heures, fut sacrifié une heure après un repas composé de 4 kilogramme de viande de Bœuf crue. L’extrait alcoo- lique du sang de la veine porte ne donna rien par la fermentation ni par le cuprotartrate de potasse avec celui des veines hépatiques, réduction très notable avec le même réactif, Ia fermentation donna une quantité assez considérable d'acide carbonique. Deuxième expérience.— Un jeune Chien de trois mois futnourri de viande cuite pendant dix jours ; on le sacrifia le onzième, deux heures après un repas composé de viande de Bœuf crue : 33 grammes de sang de veine porte donnèrent un extrait alcoolique qui donna une réduction douteuse avec le cuprotartrate de potasse, et rien par la fermentation. 4 grammes de sang des veines hépatiques four- nirent un extrait alcoolique , qui donna une réduction abondante par le cuprotartrate de polasse, et par la fermentation une quantité appréciable de gaz carbonique. SUR LA FONCTION GLUCOGÉNIQUE DU FOIE. 63 Troisième expérience. — Un Chien de {rès forte taille fut nourri pendant quinze jours avec de la viande cuite; le seizième jour on le sacrifia deux heures après un repas composé de À kilogramme de viande crue de Bœuf. On recueillit : sang de la veine porte 73 gram- mes , qui donnèrent extrait alcoolique , repris une seconde fois par l'alcool, 0,60 ; ce qui donne, pour sang frais, 1000 parties, extrait sec de la deuxième solution alcoolique, 8,22. Cet extrait alcoolique ne donna aucune trace de gaz par la fermentation. On obtint de même : sang des veines hépatiques A9 grammes , qui donnèrent extrait alcoolique, repris une seconde fois par l'alcool, 05,70, ce qui donne, pour sang frais, 1000 parties, extrait sec de la seconde solution alcoolique, 14,65. Cet extrait see donna par la fermenta- tion, après dix heures, 21%,39 d'acide carbonique, qui représen- tent 05°,0422 de ce gaz , soit 05",0863 de sucre , ce qui donne, pour sang frais des veines hépatiques 1000 parties, sucre 4,774 , et pour extrait alcoolique des veines hépatiques 1000 parties , sucre 193 parties ; le tube ternaire ne donna pas de gaz. Quatrième expérience. — Un Épagneul de forte taille fat mis à la diète pendant vingt-quatre heures, puis nourri cinquante-huit jours à la viande cuite ; on le sacrifia deux heures et demie après son dernier repas. On obtint : sang de la veine porte 149 grammes, qui donnèrent, extrait alcoolique, 2,059; soit, pour sang frais, 1000 parties, extrait alcoolique sec, 13,74. Cet extrait ne donna rien par la fermentation. Le produit resté dans la toile, séché à 100 de- grés, pesait 3à grammes ; en y ajoutant l'extrait alcoolique 2,056, on obtint 35,056, ce qui donne, pour sang de la veine porte, 1000 parties eau 766,26, substances sèches 233,74. Le sang des vei- nes hépatiques pesait 545,8 ; il laissa, extrait alcoolique sec, 1,096, soit, pour sang frais, 1000 parties , extrait alcoolique sec, 24,82, Cet extrait, ainsi que le précédent, ne fut pas repris une seconde fois par l'alcool; après dix heures de fermentation, il fournit 17,9 d'acide carbonique, représentant 0",0796 de sucre : ce qui donne, pour sang frais des veines hépatiques, 1000 parties, sucre 1,344, et pour extrait alcoolique des veines hépatiques, 1000 parties , sucre 66,2, Les substances restées sur la toile, séchées à 100 de- grés, pesaient 435,21; y ajoutant l'extrait alcoolique 1,096, on 6 LECONTE. — RECHERCHES, ETC. obtient 14,306 : ce qui donne , pour sang des veines hépatiques , 1000 parties, eau 737,20, substances sèches 272,62; donc, sub- stances sèches des veines hépatiques , 1000 parties, contiennent , sucre 5,11. Cinquième expérience. — Un Chien de très forte taille fut mis à jeun pendant vingt-quatre heures , puis il fit un repas composé de 1250 grammes de viande de Bœuf crue ; on prit 61 grammes de sang de la veine porte et 61 grammes de sang des veines hépali- ques. L’extrait alcoolique du premier ne donna rien par la fermen- tation; celui des veines hépatiques, au contraire, donna par la fermentation 67 centigrades cubes d'acide carbonique, représen- tant 0%°,2715 de sucre, ce qui donne la composition suivante : sang frais des veines hépatiques, 1000 parties ; sucre, 4,452. Tableau résumant les quantités de sucre contenues dans 1000 parties de sang frais. De la veine porte, Des veines hépatiques. Are expérience. . . . 0 notable, non dosé, 2° id. 0 id. 3° id. 0 1,771 4° id 0 1,344 Lu id. 0 k,452 En résumé, il résulte des expériences précédentes : Le Qu'en se plaçant dans les conditions indiquées plus haut, et en opérant rapidement la section du bulbe rachidien et la ligature des vaisseaux, on ne trouve pas de sucre dans le sang de la veine porte d'animaux nourris de viande crue ou cuite; 2% Que, dans les mêmes circonstances, le sang frais des veines hépatiques contient de À à 4 millièmes de son poids de sucre, ce qui prouve que l'intervention des substances amylacées n’est pas nécessaire à la formation du sucre dans le foie ; 3 Que le foie est bien un organe formateur de sucre , et non pas un organe condensateur, comme on l’avail avancé ; 4° Que le sang des veines hépatiques laisse plus de substances sèches, et fournit plus d'extrait alcoolique que la même quantité de sang de la veine porte. TROISIÈME MÉMOIRE SUR LES CIRCONVOLUTIONS DU CERVEAU CHEZ LES MAMMIFÈRES, l Par M, Camille DARESTE |(!). Les deux Mémoires que j'ai présentés à l’Académie sur cette question , le 26 janvier 1852 et le 13 septembre 1853 (2), avaient pour but de démontrer que dans chaque groupe naturel de la classe des Mammifères, le développement des circonvolutions est en rap- port avec le développement de la faille. Je disais : « Lorsque dans un même groupe naturel on trouve des espèces très différentes par la aille, on arrive à reconnaître que ces espèces sont aussi très diffé- rentes entre elles par l'aspect de la surface de leur cerveau : les plus petites ont le cerveau lisse ou presque lisse; puis viennent des circonvolutions peu nombreuses, droites, et seulement indi- quées par des sillons peu profonds, symétriques sur les deux hémi- sphères ; puis enfin des circonvolutions nombreuses marquées par de nombreuses anfractuosités, très flexueuses, présentant à leur sur- face de nombreuses dépressions, et n'ayant plus de symétrie (3). » Cette loi, dont je crois avoir donné la démonstration dans les deux Mémoires que j'ai rédigés sur ce sujet (4), et qui montre que (1) Présenté à l'Académie des sciences le 26 mars 1855. (2) Voir Ann. des sc. nat., 3° série, zoologie, t. XVII, p. 34, el 4° série, 20ologie, 1. 1°", p. 73. (3) Ann. des sc. nat., 3° série, t. XVII, p. 37. (4) Cette règle avait été entrevue par Leuret, mais plutôt pour quelques cas particuliers que pour l’ensemble des groupes de la classe. J'ai indiqué le passage de Leuret dans mon premier Mémoire et dans la note additionnelle qui y fait suite (ibid., p.52). Elle se trouve énoncée d'une manière beaucoup plus nélte dans un Mémoire de M. N. Guillot (Exposition anatomique de l'organisation du système nerveux dans les quutre classes d'unimaur vertébrés, p. 281). Je dois à la justice, je me 4° série. Zooz. T, LIT. (Cahier n° 2.) ! 5 66 C. DARESTE. — CIRCONVOLUTIONS DU CERVEAU la présence ou l'absence des circonvolutions ne peut plus être con- sidérée comme un caractère de famille, me conduisait nécessaire- ment à rechercher quels sont les véritables caractères que le cer- veau présente dans chaque groupe naturel. Je me propose, dans le Mémoire actuel, de faire connaître le résultat de ces nouvelles recherches. Cette question n’est point nouvelle : l'idée de chercher dans les circonvolulions du cerveau des bases pour la classification de: Mammifères, a été émise, il y a longtemps déjà, par l'illustre Leu- ret, celui de tous les médecins qui a pénétré le plus profondément dans l'étude des affections mentales. J’ai done consulté l'ouvrage si remarquable où se trouvent consignés les résultats de ces pre- mières tentatives, ouvrage que la mort de son auteur a laissé malheureusement inachevé. Or dans ce livre, la pensée qui fait le dois à moi-même de mentionner cel ouvrage, que je n'avais pu lire à l'époque de la rédaction de mon premier Mémoire. J'étais alors attaché à la Faculté des sciences de Rennes, comme suppléant du professeur d'histoire naturelle, et je n'avais à ma disposition que des ressources bibliographiques très incom- plètes. On pourra d'ailleurs reconnaître facilement par les passages suivants que M. Guillot n'attachait pas une grande importance à cette idée, et qu'il ne l'avait point conçue dans sa généralité. « IL peut être quelquefois exact de dire, en ne parlant que d’une seule famille, que le nombre des circonvolutions est proportion- nel au volume du cerveau; mais une assertion semblable ne saurait plus être prononcée, si on |appliquait à toutes les familles des animaux mammifères. Ces assertions ne suffisent point pour la science. » (Loc. cit., p.281.) J'ai essayé d'aller plus loin. Je ferai remarquer, d’ailleurs, que les idées de M. Guillot diffèrent des miennes en ce quil rapporte le développement des circonvolutions au volume du cerveau, el non à la taille de l'animal. Or, j'ai montré dans mon premier Mémoire que le développement de la taille et celui de la masse du cerveau ne sont point proportionnels l'un à l’autre. Si l'on admet, ce que je crois pouvoir faire sans trop de témérité bien que sans faits positifs, que la densité du cerveau ne varie pas sensiblement d'une espèce à l’autre dans la classe des Mammifères, et que, par conséquent , la masse du cerveau peut être prise pour son volume, l'examen des tables, dressées par Haller, Cuvier et Leuret, et qui donnent le rapport du poids du cerveau à la taille de l'animal, semble établir que ce rapport est d'autant plus considérable que la taille de l'animal est plus grande: en d'au- tres termes, que chez les petits animaux, la masse du cerveau est plus grande relativement au poids du corps que chez les grands animaux ; d'autre part, qu'il en est de même dans le jeune âge lorsqu'on le compare avec l'âge adulte. CHEZ LES MAMMIFÈRES. 67 sujet de ce travail se trouve si nettement exprimée, que je crois ne pouvoir mieux faire, pour la faire bien comprendre , que d’em- prunter à Leuret ses propres paroles : « Le nombre, la forme, l’arrangement, les rapports des cireon- volufions cérébrales ne sont pas livrés au hasard; chaque famille d'animaux a le cerveau conformé d’une manière déterminée , et la divergence des opinions que l’on à émises à ce sujet lient à ce que l'on n'avait pas examiné attentivement le cerveau d'un grand nombre d'animaux. L'observation démontre qu'il en est ainsi : l'induction aurait dû nous y conduire... » Chaque groupe du cerveau à un type qui lui est propre , et ce Lype est surtout mani- festé par la forme des cireonvolutions (4). » Il serait assurément fort difficile de s'expliquer avec plus de netteté et d’une manière plus explicite. Aussi j'aurais pu croire qu'un, nouveau travail sur cette question était inutile, si l'examen du classement donné par Leuret ne m'avait convaincu que, tout en posant nettement la question, il était loin cependant de l'avoir ré- solue. Il suffit de jeter les veux sur le tableau de ses quatorze groupes pour voir de suite qu'à un petit nombre d’exceplions près, ils ne correspondent pas à des familles naturelles; que des espèces très voisines sont placées dans des groupes différents et des espèces très différentes dans le même groupe, anomalie frappante, et qui suffit pour faire juger le travail de Leuret, pour un naturaliste habitué aux procédés de Ja classification naturelle. Cela provient de ce que Leuret, ne connaissant qu'un très petit nombre de cerveaux, n'avait pas à sa disposition un nombre suffisant de termes de comparaison, el de ce que obéissant à certaines théories il attribuait au caractère négatif de l'absence des circonvolutions la mème valeur qu'aux caractères positifs tirés de leur disposition, La question devait done être reprise dans son ensemble. C'etait d'ail. leurs l'opinion de Leuret lui-même, car il s'exprime ainsi : «Je dois dire que je ne crois pas avoir groupé tous les Mammifères, mais seulement ceux que j'ai étudiés; car je pe voudrais pas toujours inférer des cerveaux que je connais à ceux que je né connais pas. (4) Leuret, Anatomie comparée du système nerveux, p. 368 el suive 68 C. DARESTE, —— CIRCONVOLUTIONS DU CERVEAU Je le déclare, des études ultérieures sont nécessaires pour achever le classement que j'ai entrepris. » Depuis la publication de l'ouvrage de Leuret, la collection de cerveaux de la galerie d'anatomie comparée s’est considérablement accrue. D'autre part, plusieurs anatomistes, en France et à l’étran- ger, ont publié des descriptions et des figures de cerveaux d’ani- maux rares ou peu connus. Tous ces documents m'ont mis en me- sure de reprendre le travail de Leuret, et de le compléter en ce qui concerne les Primates, les Ruminants, les Pachydermes et les Car- nassiers. Pour les cerveaux des Mammifères appartenant au reste de la classe, je n'ai pu obtenir encore que des résultats fort incom- plets et qui nécessiteront de nouvelles études. Mais ilne faut point oublier que la plus grande difficulté du travail que j'ai entrepris consiste précisément dans la réunion des matériaux , et que cette réunion dépend d'un concours de circonstances tout accidentelles , le plus souvent indépendantes de la volonté de l’auteur. Comme je ne puis prévoir si je serai jamais en mesure de compléter mon tra- vail actuel , je prends le parti de le publier tel qu'il est, en faisant observer que les cerveaux dont je connais la disposition forment des séries à peu près complètes, et qu'ainsi les résultats que j'ai obtenus ne me paraissent pas pouvoir être modifiés par des dé- couvertes ultérieures. Je dois dire iei que c’est surtout à la complaisance avee laquelle M. Rousseau, conservateur de la collection du Muséum , a bien voulu me donner toutes les facilités nécessaires pour mes études, que je dois la plupart des résultats de mon travail. Qu'il me soit permis de lui en témoigner publiquement ma bien vive gratitude. Avant d'aller plas loin, je dois rappeler les faits généraux qui résullent pour moi de l'étude des circonvoluuons. On a vu que Leuret, dans son essai de classification , attribuait aux caractères tirés de l’absence des circonvolutions une valeur égale à celle des caractères lirés de la disposition de ces replis. Les observations nouvelles nous ont montré combien cette opinion est peu fondée; et j'ai déjà, à plusieurs reprises, signalé ce fait, que dans chaque groupe naturel, les cerveaux , lisses dans les petites espèces, présentent dans les espèces de taille moyenne des sillons CHEZ LES MAMMIFERES. 69 peu nombreux, circonserivant des circonvolutions très simples ; tandis que, dans les grandes espèces, ces circonvolntions sont beau- coup plus compliquées. Je vais, pour prévenir toute difficulté ultérieure , indiquer de quelle manière se produisent ces compli- cations de la surface du cerveau. Les circonvolutions , il ne faut point l'oublier, ne sont point des organes spéciaux , distincts les uns des autres : ce ne sont que des plis de la surface du cerveau, plis qui sont partout en continuité, ce qui fait que l’on ne peut leur attribuer une existence individuelle. Le premier indice de ces plis est fourni par des dépressions et des saillies se montrant sur plusieurs points de la surface des hémi- sphères, qui nous présente alors une série d’éminences et d’enfon- cements irréguliers et mal définis. Nous avons un remarquable exemple de cetle disposition dans les cerveaux des grands Ron- geurs, le Castor, l'Agouti et le Porc-Épie, cerveaux dont Leuret formait son deuxième groupe. Lorsque ces dépressions s’agran- dissent et se réunissent les unes avec les autres, elles forment des sillons qui s'étendent sur une partie plus ou moins grande de la surface des hémisphères, et qui, lorsqu'ils ne présentent point d'in- terruption dans leur longueur, circonscrivent des bandelettes de malière cérébralequi nous présentent de véritables circonvolutions. Ces circonvolutions, souvent plus ou moins confondues entre elles, sont chez les petites espèces, où rien ne vient altérer leur forme ct masquer leur disposition primitive, séparées par des sillons à bords réguliers. C'est dans ces espèces que l’on peut facilement recon- naître la disposition fondamentale des circonvolutions pour chaque groupe. Chez les espèces de plus grande taille, les circonvolutions nous présentent une complication plus grande, etqui cache plus ou moins complétement le type primitif. Cela peut se produire de di- verses manières. D'abord les circonvolutiops, au lieu d’être droites ou à peu près droites, présentent sur leurs bords des sinuosités plus ou moins considérables, ou sur leur face saillante des dépressions, des anfractuosités. Celles-ci, dans certaines circonstances, devien- nent des sillons plus ou moins étendus, qui divisent les bandes pri- mitives pour en former des circonvolutions secondaires. Mais ce qui contribue le plus à cacher le type , ce sont de nouvelles circonvolu- 70 C. DARESTE, — CIRCONVOLUTIONS DU CERVEAU tions que l’on a désignées sous le nom de circonvolutions acces- soires , de plis de passages , el qui servent comme de trait d'union entre deux circonvolutions. Ces plis de passage sont ordinairement très peu marqués ; mais, dans certaines circonstances , ils prennent un développement considérable, et qui peut aller jusqu’à faire pré- dominer le système accessoire sur le système des circonvolutions fondamentales. Dans tous les cerveaux des grandes espèces on observe ce système accessoire, et il y a là un assez grand obstacle à l'observation du type primitif, qui n'aurait pu être déterminé si l’on n'avait eu pour se guider la connaissance des cerveaux des petites espèces. I faut d’ailleurs remarquer que tous ces détails qui compliquent le dessin primitif, et particulièrement ce système accessoire des plis de passage, ne se reproduisent pas d’une ma- nière identique dans les divers individus d’une même espèce, et qu'ils ne sont point toujours symétriques d’un hémisphèreà l'autre : aussi est-il très difficile, et souvent même impossible, d'en donner une description exacte, qui ne seraitjamais qu'une descriptionindivi- duelle, et doit-on se contenter d’en indiquer les traits les plus géné- raux. L'existence de ce système accessoire peut d’ailleurs avoir un résultat assez singulier, mais que je ne dois point omettre ici pour éviter toute confusion : c’est que son apparition , qui est un signe de complication, peut, en faisant disparaître plus où moins complé- tement les séparations qui existent entre les diverses circonvolu- tions, produire un effet analogue à celui de la simplicité même du cerveau, dans laquelle les sillons qui séparent les circonvolutions sont incomplets, et laissent des passages d’une circonvolution à l’autre. En tenant compte des conditions générales du cerveau, on pourra facilement reconnaitre si l’union de deux circonvolutions dépend de l’une ou de l’autre de ces causes. Un fait assez remarquable, que j'ai déjà indiqué dans mes pre- miers Mémoires, mais que je dois surtout signaler ici, c’est le grand développement que prend ce système des circonvolutions supplé- mentaires dans les cerveaux des animaux domestiques. Il y a là une exception très singulière à la règle de la taille , exception qui rend fort difficile la détermination du type primitif du cerveau chez ces animaux , en même temps qu'elle produit des variétés individuelles CHEZ LES MAMMIFÈRES. 71 très considérables. Je m'en suis assuré, du moins pour certains ani- maux domestiques. Comment la domesticité a-t-elle pu produire ce résultat, que personne, à ma connaissance, n'avait signalé jusqu'à présent ? Ce fait est-il général dans toutes les races , ou ne s'est-il manifesté que dans quelques races privilégiées ? Chez les animaux domestiques, les variations de la surface du cerveau sont-elles tou- jours individuelles, ou bien appartiennent-elles en propre à chaque race? Toutes questions d'un grand intérêt, surtout à une époque comme la nôtre, où les questions de l'origine des races et de la variabilité des espèces préoccupent si vivement la pensée des phy- siologistes. Je compte quelque jour les aborder, si je puis me procurer, en quantité suffisante, des cerveaux appartenant à des races bien déterminées d'animaux domestiques ; mais malheureuse- ment c’est là une condition très difficile à réaliser (1). Dans tous les groupes de la classe, le mode d'apparition et de développement des cireonvolutions est lemême. La seule différence consiste en ce que si l’on considère toutes les espèces de chacun de ces groupes comme formant des séries ascendantes depuis les plus petites jusqu'aux plus grandes, on voit que, dans chacune de ces séries , l'apparition des circonvolutions ne se produit pas au mênie moment. Ainsi, dans la série des Carnivores, l'apparition des cir- convolutions est, si l’on peut parler ainsi, plus précoce que dans (1) El est possible que ce travail conduise à un résultat fort imprévu en ren- dant compte des caractères particuliers que présente le cerveau de l'Homme. Si, comme le fait remarquer M. Is. Geoffroy Saint-Hilaire , les modifications orga- niques des races humaines, résultat de la civilisation. sont de même nature que les modifications organiques de nos races d'animaux domestiques (Comptes rendus, t. II, p. 662; Essais de zoologie générale, p. 227), ne doit-on pas se demander si les caractères qui donnent au cerveau de l'Homme une si grande complication apparente, sont réellement des attributs primitifs de l'espèce humaine , ou s'ils ne seraient point aussi une acquisition de la civilisation ? Cette question peut paraître étrange à bien des esprits; mais si l'on réfléchit aux conditions de notre existence actuelle, conditions si différentes de celles de l'existence primilive des hommes, ainsi qu'au nombre indéfini d'influences de toute nature qui peuvent agir pour modifier notre organisation, on comprendra que certe question mérite au moins d'être posée, et qu’elle est digne d'occuper les méditations des physio- logistes. 72 C. DARESTE, —- CIRCONVOLUTIONS DU CERVEAU les autres séries ; c’est-à-dire qu'elle se produit dans des espèces de taille beaucoup plus petite. Aussi, comme je l'ai déjà indiqué dans mon premier Mémoire, la loi de la relation des circonvolutions avec la taille est vraie pour chaque groupe pris à part, tandis qu'elle ne s'applique pas à l’ensemble de la classe. Ces faits étant établis, j'arrive à la question qui doit m'occuper ici, celle de la classification des Mammifères , fondée sur la disposi- tion des circonvolulions. Il y a deux méthodes pour faire une classification : on peut classer des objets d'une manière rationnelle, en appliquant à leur division des principes admis d'avance; on peut les classer d’une manière empirique , si, l'esprit dégagé de toute idée préconçue , on cherche à réunir ceux qui se ressemblent, à séparer ceux qui différent, pour déterminer ensuite, à l’aide de l'observation , les causes de ces ressemblances et de ces différences. Or, quand bien même cette dernière méthode ne serait point, dans son emploi, la plus sûre, dansla question qui m'occupe aujour- d’hui, elle me serait impérieusement imposée par les exigences de mon sujet. Dans une classification rationnelle, il faut compter et peser des caractères, et nous ne pouvons guère apprécier la valeur d’un caractère , c’est-à-dire d’une certaine disposition organique, qu'à la condition de connaitre son importance en physiologie. Que savons-nous sur les usages des circonvolutions ? Rien absolument, quoi qu’on ait pu dire et quoi qu’on ait dit depuis cinquante ans. Bien plus, quoique cette idée soit contraire aux idées admises, il me parait au moins très probable que les circonvolu- tionsn’ontaueune importance physiologique. Je n’ai donc ici qu'une marche à suivre , c’est d'étudier avec soin les dessins variés que les circonvolutions forment à la surface des cerveaux , de les com- parer entre eux, et de chercher à déduire de cette comparaison le modèle primitif qui, dans chaque groupe naturel, a servi de point de départ pour chacune des formes spécifiques particu- lières. Je viens d’ailleurs d'établir que, lorsque, dans une série, les circonvolulions apparaissent, elles présentent d’abord une sim- plicité assez grande, pour nous montrer le type primitif plus ou moins complétement dégagé de toute complication accessoire, GHEZ LES MAMMIFÈRES. 73 Cette circonstance m'a été très utile pour l'accomplissement de mon travail ; on le verra dans la suite de ce Mémoire. En cherchant à appliquer ces idées, j'ai reconnu qu'il existe dans la classe des Mammifères quatre types au moins, tous bien caractérisés par la disposition des circonvolutions; ces types sont : le type des Primates, celui des Carnivores, celui des Ruminants et des Pachydermes, enfin celui des Marsupiaux herbi- vores. D'ailleurs, quand on fait une comparaison exacte des cerveaux appartenant à chacun de ces quatre types , on reconnait dans tous l'existence de parties analogues qui sont seulement inégalement développées. Une seule famille, celle des Singes , nous présente des parties surajoutées, et qui ne se rencontrent point sur d’autres cerveaux. Mes recherches confirment done les idées que nous avions déjà sur l'unité de composition des cerveaux dans toute la classe des Mammifères. Toutefois, je dois prévenir que, dans ce travail, destiné surtout à faire ressortir les différences des types, je n’ai fait qu'effleurer la question de leurs ressemblances. Je compte la reprendre quelque jour en m'occupant de la structure même du cerveau. $ I. Type des Carnivores. Je commence mes études par les Carnivores, en intervertissant l’ordre ordinaire, parce que e’est le type le plus facile à caractériser et à décrire, et qu'il nous servira pour nous faire comprendre les types suivants. Il nous présente un certain nombre de types secondaires , qui correspondent assez exactement aux groupes principaux de cette famille (4). (4) Dans le travail de Leuret, ces cerveaux forment cinq groupes : les troi- sième, quatrième, cinquième, sixième et onzième de sa classification. Le troisième groupe correspond à la tribu des Caniens ; le quatrième à celui des Féliens ; le cinquième, aux tribus des Ursiens, des Mustéliens et des Viverriens ; le sixième à Ja Mangouste ; le onzième au Phoque, Leuret avait reconnu cependant les analogies 7h C. DARESTE, — CIRCONVOLUTIONS DU CERVEAU Le type qui nous parait le plus simple, et dontles autres peuvent êlre considérés comme dérivés , est celui de la tribu des Caniens. Je le décrirai dans l’Isatis, où je le trouve dans les conditions de plus grande simplicité (pl. 2, lig. d). Ce cerveau nous présente quatre circonvolutions, qui se confon- dent à la partie postérieure et à la partie antérieure ; tandis qu’elles sont séparées les unes des autres dans toute la partie moyenne de leur étendue. Les deux circonvolutions internes, celles qui lon- gent la grande scissure antéro-postérieure du cerveau , s'étendent d’arrière en avant, et présentent une largeur plus grande à leur partie antérieure. Les deux circonvolutions externes sont, au con- traire, pliées à angle sur elles-mêmes, de telle sorte que les bords repliés de la plus extérieure forment la scissure de Sylvius. Il y a, vers la parlie antérieure du cerveau, une nouvelle circonvolu- lon qu’on peut appeler circonvolution sus-orbitaire (A). Les cir- convolutions sont chez tous ces animaux nettement déterminées ; elles présentent seulement un développement plus ou moins grand, suivant la taille des espèces. La complication la plus fréquente qui se voie sur ces cerveaux est celle d’un sillon que l’on observe sur la partie postérieure de la seconde cireonvolution , et qui est plus ou moins long et plus ou moins ondulé. Ce type, que j'ai décrit dans les Caniens , se retrouve, avec quelques modifications, dans les autres tribus. Dansles Féliens(2), le cerveau est plus large latéralement, et plus que tous ces cerveaux présentent, car il dit ailleurs : « Le cerveau des Carnivores a un typeparticulier qui le place en dehors decelui des autres animaux (p.464). » Toutefois, il ne semble pas avoir reconnu les analogies que le cerveau du Phoque présente avec celui des autres Carnivores. (1) On voit à la partie antérieure de la circonvolution la plus interne un petit sillon venant aboutir à la grande scissure antéro-postérieure, et que Leuret dé- signe sous le nom de sillon crucial : il lui attache une assez grande importance. L'examen que j'ai fait d'un grand nombre de cerveaux de Carnassiers, me montre que ce sillon est très variable, même quant à son existence, et qu'il ne donne que des caractères sans aucune valeur. (2) Voir, pour les Chats, le Mémoire de M. R. Ovwven : On the brain of the chcetah, dans les Transactions de la Société zoologique de Londres, t. I. M. Richard Owen a signalé l'un des premiers l'extrême ressemblance des dessins CHEZ LES MAMMIFÈRES. 75 court d'avant en arrière; la scissure de Sylvius est moins indiquée. Du reste, l'examen du cerveau du Chat domestique (fig. 3 et 4) montre que la disposition générale des circonvolutions est la même que chez les Chiens, avec une seule différence , c’est que les cir- convolutions externes, au lieu d’être séparées l’une de l’autre dans leur partie supérieure, sont au contraire réunies. On peut se rendre compte de cette disposilion de deux manières : on peut dire que les circonvolutions ne se sont pas complétement formées; on peut dire également que la réunion de ces circonvolutions est le résultat de la formation d’un pli de passage. Dans le premier cas , il y aurait en quelque sorte arrêt de développement, tandis qu'il y aurait excès dans le second. Il est probable que c’est la première explica- tion qui est valable. Les cerveaux des grandes espèces de cette tribu ne diffèrent pas de ceux des petites par le type; il y a seule- ment une complication des circonvolutions, complication croissant avec la taille, et qui se manifeste par les ondulations nombreuses que présentent les sillons, par la production de sillons nouveaux et par l'apparition des plis de passage, qui n’ont, du reste, aucune fixité. Le cerveau de l’Hyène se rapproche du cerveau des Chiens par sa forme générale ; il est, comme lui, allongé d'avant en arrière , par suite du développement de la région antérieure. Mais la dispo- sition des circonvolutions qui entourent la scissure de Sylvius rapproche beaucoup ce cerveau du cerveau des Chats , quoiqu'il y ait cependant un caractère qui les distingue : la scissure est entou- rée par une seule circonvolution qui est simple en avant, mais qui présente en arrière un sillon parallèle à cette scissure, et qui la partage en deux parties (fig. 2). Dans la tribu des Viverriens, le cerveau présente encore la même disposition, mais avec cette différence, qui, du reste, pouvait être déduile de la petitesse relative de la taille des animaux de ce groupe, que les circonvolutions latérales, celles qui sont voisines de la scissure de Sylvius, sont beaucoup moins indiquées, et qu’elles ne se dessinent à la surface du cerveau que d’une manière toute des circonvolutions dans tous les cerveaux des Féliens. Mais il s'est borné à cettesimple indication, sans chercher à l'étendre à d'autres familles. 76 €. DARESTE, — CIRCONVOLUTIONS DU CERVEAU rudimentaire. Elles sont, du reste, moins marquées , comme on pouvait le prévoir d’ailleurs, chez les petites espèces que chez les grandes , chez les Mangoustes (fig. 6) et le Paradoxure, que dans la Genette (fig. 7), et surtout dans la Civette. Du reste , tous ces cerveaux peuvent très manifestement se réduire à un même type, et l’on ne s'explique pas comment Leuret à pu faire du cerveau de Ja Mangouste un type à part. Les tribus des Mustéliens (L), des Ursiens, et les familles des Potidés (2) et des Phoques, nous présentent toujours le même type de cerveau, mais avec unedifférence assez notable, consistant dans l’existence d’une seule circonvolution antéro-postérieure; tandis que, dans tous les groupes précédents, il en existe deux. Dans les grandes espèces, chez les Ours et chez les Phoques, le type primitif est un peu plus difficile à reconnaitre, parce que les circonvolutions sont très compliquées, très sinueuses , et parce qu'il se développe un certain nombre de plis de passage qui font communiquer les cireonvolutions les unes avec les autres. Cela est surtout évident chez les Phoques ; mais avec un peu d'attention, on finit cependant par y retrouverles mêmes caractères que dans tous les cerveaux précédents. Le cerveau des Phoques nous présente d’ailleurs une disposition que je dois signaler ici , parce qu'elle se rencontre dans tous les Mammifères aquatiques (3) : c’est qu'il est relativement beaucoup plus court d'avant en arrière, et beaucoup plus large dans la partie moyenne, de telle sorte qu'il est à peu près sphérique. N II. Type des Primates. Le type du cerveau des Primates, type nettement caractérisé et bien dislinct du précédent, nous offre deux types secondaires, celui des Lémuridés et celui des Singes. Leuret avait déjà reconnu les analogies que présentent les cer- veaux dans ces deux familles : il les réunissait tous dans la même Voir le cerveau de la Fouine (pl. 2, fig. 5). Voir le cerveau du Kinkajou (fig. 8), CHEZ LES MAMMIFÈRES. | section (la onzième de sa classification). Mais il se contente de mentionner ces analogies, sans chercher à les démontrer ; ear il se borne à quelques indications sur le cerveau des Singes, et quant au cerveau des Makis, il dit seulement qu'il le considère comme un embryon des cerveaux précédents. Je vais chercher à établir les caractères de ces deux types. Parmi les cerveaux des Lémuridés, les uns sont lisses comme celui du Microcèbe (1), et ne présentent d’autre sillon que la scis- sure de Sylvius ; les autres sont plus où moins profondément sillonnés. Chez les Makis, animaux d’une faille plus grande, ces sillons et les bandes cérébrales qu'ils délimitent sont beaucoup plus nettement indiqués que chez les espèces plus petites, telles que le Nycticèbe et le Loris (2). Mais il suflit d’un coup d'œil pour recon- naître que ces sillons et les circonvolutions qu'ils délimitent sont très manifestement les mêmes. Voici la description de ces circonvolutions chez un Maki, le Vari ( Lemur Macaco), que nous prenons pour exemple de ce type (fig. 14). Le sillonle plus important de ce cerveau est celui qui forme la scissure deSylvins, et qui se voit à peu près à égale distance de l'extrémité antérieure et de l'extrémité postérieure de l'organe. Ce sillon partage le cerveau en deux parties, une partie antérieure etune partie postérieure. I ne s'étend point sur la face supérieure du cerveau , où ces deux parties se continuent l’une avec l’autre. Derrière le sillon de la scissure se trouve un autre sillon paral- lèle au premier (3). Enfin il existe à la partie supérieure du cer- ( 1) Voir la note de M. Is. Geoffroy Saint-Hilaire, Comptes rendus, t. XXXIV, 77 pA27. (2) Depuis la rédaction de mes deux premiers Mémoires, j'ai eu connaissance des caractères du cerveau de l'animal si remarquable par la disposition de ses mains, que Bosman avait décrit sous le nom de Potto, et dont M. Van der Hæven a fait un genre sous le nom de Pérodictique. La figure que M. Van der Hœven a donnée du cerveau de cet animal nous montre qu'il ressemble beaucoup à celui du Loris, du Nycticébe et du Cheir. gale. Voir Van der Hæven, Bijdray tot den Kennis den Potto van Bosman (Mémoire de l'Institut des Pays-Bas, 1851, pl. I, fig. 5). (3) Ce sillon est l'analogue de celui que M. Gratiolet appelle sillon parallèle chez les Singes. 78 €. DARESTE, —— CIRCONVOLUTIONS DU CERVEAU veau deux sillons séparés, mais dont la direction est évidemment continue : le premier occupe la partie antérieure de l'hémisphère ; le second occupe la partie postérieure, et se voit au-dessus de l'extrémité supérieure de la scissure de Sylvius. L'intervalle entre ces deux sillons est peu considérable; les deux sillons séparent à droite et à gauche deux bandes de matière cérébrale, que l’on peut considérer comme deux circonvolutions étendues d'avant en arrière, et qui sont réunies l’une à l’autre par le petit espace interposé entre les sillons, espace qui représente en quelque sorte un pli de passage. La partie postérieure du cerveau est parfaitement lisse. Ces caractères se retrouvent, mais avec quelques modifications, dans la famille des Singes. Avant d'entrer dans cet examen , je dois signaler d’abord trois caractères connus depuis longtemps, et qui distinguent le cerveau des Singes de celui de la plupart des autres Mammifères. Ces carac- tères sont l'absence des tubercules olfactifs, la présence d’une corne postérieure dans les ventricules latéraux, et surtout l'existence d’un lobe occipital recouvrant le cervelet en arrière. J'ignore compléte- ment quelle peut être la valeur de ces trois caractères; je ferai remarquer seulement qu'ils paraissent être les uns et les autres dans une dépendance réciproque (4). I n’y a que le lobe occipital qui semble ne se retrouver que chez les Singes ; toutefois, les cer- veaux des Phoques et celui des Cétacés s'étendent beaucoup plus en (1) Je dis qu'ils paraissent, parce que si les descriptions de la surface du cer- veau sont peu nombreuses el très imparfaites, celles de l'intérieur même du cer- veau sont encore beaucoup plus rares, et par conséquent, je ne puis m'exprimer sur ce sujet qu'avec une très grande réserve. Cette relation existe-t-elle toujours ? ou bien, tel ou tel autre de ces caractères peut-il exister en l'absence des autres ? C'est une question qu'il m'est actuellement impossible de résoudre, faute de ma- tériaux. Je la soumets aux zootomistes. Je dois ajouter ici que Vicq d'Azir (Description anatomique des Singes, dans ses OEuvres complètes, L. V, p. 314), mentionne l'absence de la corne postérieure chez un Maki, le Mococo. Ce fait anatomique, le seul que je connaisse pour le cerveau des Makis, vient à l'appui de l'hypothèse d'une certaine relation entre l'existence de la corne postérieure et celle du lobe occipital, ou au moins d'un grand développement en arrière du lobe postérieur. CHEZ LES MAMMIFÈRES, 79 arrière que celui des autres Mammifères, et ils recouvrent le cerve- let non en totalité, il est vrai, mais en parlie. [est fort remarquable que les animaux qui nous présentent ces caractères soient, bien qu'appartenant à des groupes différents, des Mammifères aqua- tiques. Je signale ces faits fort curieux en eux-mêmes, mais dont il ne m'est point possible actuellement , je ne dirai pas de donner , mais même de prévoir l'explication. Maintenant, si nous ne considérons que la surface des hémi- sphères, en faisant abstraction du lobe occipital, il sera bien facile de reconnaitre que le cerveau des Singes reproduit, avec quelques modifications accessoires, le type cérébral des Lémuridés. Ici ma tâche a été considérablement facilitée par le beau travail de M. Gratiolet sur les plis cérébraux de l'Homme et des Pri- males. Ce travail, déjà présenté à l’Académie en 1850, mais qui ne nous était connu que par le rapport de Duvernoy (L), et qui contient des descriptions très exactes, et des figures, faites avec un {rès grand soin, d'espèces appartenant à presque tous les genres de cette famille, a été publié l'année dernière, et jugé récemment par PAca- démie digne d'une récompense. Il me dispensera d'entrer dans de nombreux détails descriptifs. J'y renvoie mes lecteurs pour toutes les descriptions purement spécifiques : il n’est pas nécessaire de refaire un travail, quand ce travail a été bien fait. J'aurais désiré , pour éviter toute confusion , pouvoir me servir des dénominalions mêmes qui ont été employées par M. Gratiolet. Mais ici je me suis trouvé en présence de grandes difficultés; car si ces dénominations peuvent s'appliquer aux Singes, elles cessent d'être applicables quand 1 s’agit des Lémuridés. I m'a done été nécessaire de modifier les descriptions de M. Gratiolet, et d'em- ployer des dénominations qui pussent faire plus facilement ressor- tir les analogies de ces deux types. Au premier abord (2), les cerveaux de la plupart des Singes (1) Voir les Comptes rendus de l’Académie, t. XXXIIL, p. 469, 1851. (2) Pour pouvoir facilement comparer cette description avec celle de M. Gra- tiolet, je dois dire que le sillon postérieur à la scissure de Sylvius, et qui lui est parallèle, est désigné par cel anatomiste sous le nom de sillon parallèle, La cir- 80 C. DARESTE. — CIRCONVOLUTIONS DU CERVEAU nous présentent, quant à la disposition des circonvolutions , une complication beaucoup plus grande que ceux des Lémuridés. Ces sillons et ces cireonvolutions, dont les Makis ne nous présentent qu'une ébauche, se trouvent chez les Singes considérablement déve- loppés, et de plus, nous voyons apparaitre d'autres sillons et d’autres circonvolutions ; mais en me rappelant le fait, si remarquable et si contraire aux idées généralementreçues, qui fut annoncé, il y a quel- ques années, presque simultanément par MM. Owen etIs. Geoffroy Saint-Hilaire, de l'absence des circonvolutions chez certains Singes américains (1), j'ai pensé que l’on trouverait parmi ces Singes des espèces à circonvolulions peu développées , et dont le cerveau re- produirait assez exactement le cerveau des Makis. Cette prévision n'a point été déçue, et j'ai effectivement trouvé une espèce améri- caine, le Callitriche moloch, dans laquelle le cerveau est exacte- ment, quant à la disposition des circonvolutions , un cerveau de Maki, en faisant toutefois abstraction de l'absence, chez ce dernier, convolution délimitée en avant par la scissure de Sylvius, et en arrière par le sillon parallèle, est le pli marginal postérieur et le pli temporal supérieur. M. Gra- tiolec a donné ces deux noms à une seule circonvolution, parce que cela était né- cessaire pour sa division du cerveau en cinq lobes, mais ces dénominations ne se rattachent point à un fait réel, et il n'y a là qu'une seule circonvolution. C’est l'inconvénient des systèmes arbitraires quels qu'ils soient. Enfin, les deux sillons qui partagent la partie antérieure du cerveau en deux branches correspondent, le postérieur au sillon qui sépare le second pli ascendant du pli courbe, et l'anté- rieur au sillon qui sépare l'étage surcilier de l'étage frontal moyen. (1) Ce fait avait déjà été indiqué par Daubenton. Il parle également, dans les descriptions anatomiques qu'il a ajoutées au grand ouvrage de Buffon, de l'exis- tence des circonvolutions dans le Cabiai, fait qu'il se borne à indiquer sans aucun détail. Si ces faits n'avaient pas été oubliés, on n'aurait point dit partout que tous les Singes ont un cerveau plissé, et tous les Rongeurs un cerveau lisse. I] n'y a que quatre ans que Duvernoy a parlé des circonvolutions du Cabiai (voir son Rapport à l'Académie sur le Mémoire de M. Gratiolet [Comptes rendus, t. XXXIII, p. 473] ). Je dois ajouter également que Daubenton connaissait le cerveau du Talapoin ou Miopithèque. Dans mes premiers Mémoires j'avais signalé ce cerveau comme devant être fort curieux pour la thèse que je soutenais alors ; car cet animal est le plus petit des Singes de la tribu des Cynopithéciens. Ce qu'en dit Daubenton esl très succinet : il dit seulement que ce cerveau a très peu de circonvolu= tions. CHEZ LES MAMMIFÈRES. 8l du lobe occipital. Je n’ai pu voir cetle pièce anatomique , mais elle est décrite et figurée dans l'ouvrage de M. Graliolet. Ce cerveau aura done pour nous un grand interêt, car il servira à nous faire comprendre les différentes modifications du type que nous présente le cerveau des Singes. J'ai reproduit dans mes planches la figure donnée par M. Gratiolet, à côté de celle du Vari (ig. 12et 13). On pourra facilement reconnaitre que ces deux cerveaux ont exacte- ment le même type, et qu'il n’y a entre l’un et l’autre que de très légères différences, qui sont, dans le Callitriche, l’obliquité beau- coup plus grande de la scissure de Sylvius , le plus grand dévelop- pement du cerveau en arrière, ainsi que l’écartement plus grand des deux extrémités du sillon que j’ai décrit sur la partie supérieure des hémisphères. Le mode de complication de ce type cérébral , et les modifica- tions qui en résultent dans ces diverses espèces, tiennent surtout à une disposition qui se rencontre chez tous les Singes, à l'exception des Hapaliens , des Callitriches et des Nyctépithèques , et qui ne se rencontre que chez eux , à l'exception peut-être de l'Éléphant, où nous trouverons quelque chose d'analogue à certains égards. L'espace qui forme la ligne de séparation entre les deux extrémités du sillon que je viens de décrire , au lieu d’être lisse comme chez les Makis ou les Callitriches , présente deux sillons qui ont une direction à peu près perpendiculaire à celle du pli courbe. Ces deux sillons circonscrivent une circonvolution supplémentaire, qui che- vauche en quelque facon sur les deux bandes cérébrales déjà dé- crites, et qui donne au cerveau des Singes un aspect étrange, si l’on peut parler ainsi , ét très différent de celui des autres Mammifères. Cette disposition peut, du reste, se modifier de diverses façons ; mais, avec un peu d'attention, il est toujours possible de la retrou- ver, même chezles espèces où les circonvolutions, par leurs ondu- lations, nous présentent la plus grande difficulté apparente. Elle a été indiquée par Leuret, et décrite avec beaucoup de soin, dans ces derniers temps, par M. Gratiolet (4). (1) Toutefois, M. Gratiolet la décrit d'une autre manière. Ma description me paraît beaucoup plus simple , et elle a surtout l'avantage de s'accorder avec ce que j'ai dit du cerveau des Makis. Je dois rappeler ici que le second sillon per- 4" série. Zooz, T. If. (Cahier n° 2.) ? 6 82 €. DARESTE. — CIRCONVOLUTIONS DU CERVEAU A côté de cette modification si remarquable que nous présente le type secondaire des Singes, il en est deux autres moins impor- tantes, mais que je dois signaler, parce qu’elles marquent plus ou moins la disposition primitive. Ainsi, chez certains Singes , la scis- sure de Sylvius et le sillon qui lui est parallèle se réunissent à leur extrémité supérieure pour former une circonvolution qui se ter- mine en pointe, tandis que, dans beaucoup d’autres , ces deux sillons ne se réunissent point à leur extrémité supérieure, et la circonvolution qu'ilseirconscrivent se confond supérieurement avec celle que M. Gratiolet désigne sous le nom de pli courbe , et qui forme la lèvre supérieure de la scissure de Sylvius (4). L'autre modification consiste en ce que le lobe occipital, qui est nettement séparé par un sillon de la partie antérieure du cerveau chez certaines espèces, ne s’en distingue point chez les autres. Cela tient à ce qu'il existe entre ces deux régions du cerveau des circon- volutions supplémentaires très petites, qui servent de trait d'union entre les circonvolutions de la région antérieure et le lobe occipital. Dans certains cas, ces circonvolutions sont cachées au fond de la scissure qui sépare le lobe occipital des régions antérieures du cerveau ; dans d’autres, ces circonvolulions prennent un assez grand développement pour apparaitre à l'extérieur, et cacher com- plétement la scissure. C’est une semblable disposition que l’on observe dans le cerveau de l'Homme, et qui a empêché pendant longtemps beaucoup d’anatomistes d'y reconnaitre la présence du lobe occipital, ou du moins de la partie qui correspond à ce lobe. Enfin je dois rappeler que le sillon qui forme la scissure de Syl- vius se prolonge en avant sur la partie antérieure du cerveau, et pendiculaire est appelé sillon de Rolando par Leuret, qui lui attribue une grande importance. La bande cérébrale qui s'étend entre le premier sillon perpendicu- laire et le second, ou sillon de Rolando, est la première circonvolution verticale de Rolando ou le premier pli ascendant de M. Gratiolet ; la bande cérébrale circon- scrite entre le sillon de Rolando et le second sillon de la face supérieure du cer- veau est la deuæième circonvolution verticale de Rolando ou le deurième pli ascen- dant de M. Gratiolet. (1) Voir, fig. 14, 15 et 16, le cerveau du Mangabey et celui du Magot. Le Mangabey nous présente la première disposition et le Magot la seconde. CHEZ LES MAMMIFÈRES. 83 qu'il sépare sur cette surface une petite circonvolution que l'on peut comparer à la circonvolution sus-orbitaire des Carnassiers. Quant aux autres modifications que ce type secondaire des Singes peut présenter suivant les espèces, je n'en parlerai point, me contentant de renvoyer à l'ouvrage de M. Gratiolet, où elles sont très bien décrites. Je dois dire que si j'ai cru devoir remplacer la description de M. Gratiolet par une description plus simple, et qui d’ailleurs se rapproche beaucoup de celle qu'avait donnée Leuret, je reconnais, et je me plais à le faire, que cet habile physiologiste a parfaitement démontré l'unité du type qui existe dans tous les cerveaux de la famille des Singes, en établissant la correspondance qui existe entre toutes les parties homologues de ces cerveaux. Il a également démontré que ce type du cerveau des Singes se retrouve au fond de Ja grande complication apparente que nous présente le cerveau de l’homme , et il a fait disparaitre les difficultés qui avaient empêché jusqu'alors de reconnaitre cette similitude. Ces faits avaient été entrevus par plusieurs anatomistes, mais, en matière de science , il y a loin d’une simple présomption à une démonstration rigoureuse, et c’est incontestablement à M. Gra- üolet qu'appartient l'honneur de cette démonstration (4). (1) Je dois toutefois prévenir mes lecteurs que je n'adopte point toutes les idées théoriques de M. Gratiolet. Il y a quelques points de doctrine sur lesquels je ne puis m'entendre avec lui, Je vais les indiquer brièvement. M. Gratiolet attache une très grande importance à ces petites circonvolutions, qui servent en quelque sorte de trait d'union entre les grandes, et qu'il désigne sous le nom de plis de passage ; il y attache tellement d'importance, qu'il y voit les traits caractéristiques des cerveaux des Singes, et qu'il cherche à les appli- quer à la classification. Si ce caractère avait une importance physiologique; si ces circonvolutions supplémentaires, ou plis de passage, avaient des fonctions nettement définies, cette tentative pourrait être fondée. Mais nous ignorons pré- cisément sil en est ainsi. Et d'ailleurs, si nous cherchons à faire des supposi- tions, le contraire serait plutôt probable. Ainsi, M. Gratiolet voit que deux Singes. le Sajou et le Saï, qui sont très semblables l'un à l’autre, différent notablement l'un de l'autre par la disposition de leurs plis de passage, et il propose d'en faire deux genres, 11 me semble que la seule conclusion à tirer de l'observation de M. Gratiolet, c'est que ces plis de passage n'ont aucune impor- tance, puisqu'ils peuvent varier considérablement entre deux espèces très voi sines. Cette opinion de M. Gratiolet n’est, d’ailleurs, que la conséquence de l'idée 8h C. DARESTE. — CIRCONVOLUTIONS DU CERVEAU Est-il maintenant possible d'aller plus loin, et, après avoir dé- terminé le type commun du cerveau pour les animaux de ces deux familles, de comparer ce type avec le type précédent, de manière à déterminer leurs ressemblances et leurs différences ? J'ai essayé de le faire, et je vais indiquer les résultats auxquels cette étude m'a conduit; mais je dois avertir que je ne pourrai considérer ces ré- sultats définitifs, tant que je n'aurai pu me rendre compte de ces détails de la surface extérieure du cerveau en les comparant avec sa structure. Nous avons vu que le cerveau des Carnivores présente à sa sur- encore trop généralement admise que les caractères doivent déterminer la classi- fication, tandis que ce sont les classifications qui doivent déterminer les caractères. Un autre point, sur lequel je ne puis me trouver d'accord avec M. Gratiolet, consiste dans l'importance qu'il attache à la prédominance de tel ou tel lobe cé- rébral, et dans l'application qu'il en veut faire à la classification. Si nous exami- nons le cerveau des singes de l'ancien continent, nous y trouvons des inégalités très marquées dans le volume du lobe occipital. M. Gratiolet voyant ce lobe assez développé chez les Macaques et chez le Chimpanzé, très développé chez les Cyno- céphales et le Gorille, en conclut que le Chimpanzé doit être classé parmi les Macaques, et le Gorille parmi les Cynocéphales. Je doute fort qu'aucun natura- liste voulût accepter une semblable conclusion. Les caractères qui distinguent ces animaux sont assez tranchés, même à l'extérieur, pour empêcher une semblable assimilation, La véritable solution de cette question se trouve, à mon avis, dans les idées émises, dans ces derniers temps, sur le parallélisme des séries et sur les affinités collatérales qui existent entre les termes correspondants de deux séries parallèles. M. Is. Geoffroy Saint-Hilaire a démontré depuis longtemps que les genres de la tribu des Cynopithéciens forment une série très naturelle, depuis le Miopithèque jusqu'aux Cynocéphales, série dont tous les termes se distinguent des termes précédents par un développement de plus en plus considérable de la face, et ila reconnu, de plus, queles derniers termes de la série doivent, pendant le temps de leur évolution, passer par un certain nombre d'états qui reproduisent d'une manière transiloire les conditions organiques de chacun des termes précé- dents. Or, ce qui a lieu chez les Cynopithéciens paraît devoir aussi se reproduire dans la tribu des Simiens. Bien qu'ici les-types soient beaucoup moins nombreux, toutefois, ceux que nous connaissons se présentent à nous comme les termes d'une série parfaitement correspondante à celle des Cynopithéciens, et l'on com- prend ainsi comment certains caractères des Semnopithèques peuvent se retrouver dans les Gibbons, certains caractères des Macaques dans le Chimpanzé, certains caractères des Cynocéphales dans le Gorille, sans qu'il soit nécessaire de faire de CHEZ LES MAMMIFÈRES. 59 face trois ou quatre bandelettes, que l’une de ces bandelettes en- toure la seissure de Sylvius , et que les deux ou trois autres en- tourent la précédente. Nous avons vu également que la bandelette qui entoure la scissure de Sylvius et celle qui lui est juxtaposée ne sont pas foujours séparées , mais qu’elles sont quelquefois réunies dans une partie plus où moins grande de leur étendue. Dans le cerveau des Primates, on peut, jusqu’à un certain point, retrouver ces diverses parlies que nous venons de rappeler du cerveau des Carnivores. Pour cela , nous n'avons qu'à examiner la manière dont, chez les Primates, les circonvolutions se groupent ces animaux des espèces appartenant aux mêmes genres. Je dois ajouter que dans ces deux séries parallèles, la taille va en croissant à mesure que la face s’allonge, et que, d'une autre part, le développement du lobe occipital est aussi en rapport avec l'allongement ou le prognathisme de la face, comm ele disent les naturalistes qui s'occupent plus spécialement de l'espèce humaine, II est fort digne de remarque que l'Homme, ou pour parler plus exactement, l'Homme blanc, dont la face, com- parée à celle des Singes, présente si peu de développement, est aussi parmi tous ces êtres’ celui dont le lobe occipital présente le minimum de développement. L'Homme blanc forme pour nous une tête de série, dont les termes ultérieurs correspondant aux Gorilles ou aux Cynocéphales n'existent point. C'est ainsi, je crois, que l'on doit expliquer les singulières analogies que présentent les cerveaux des grands Primates. Ces faits auraient pu être prévus théoriquement, puisque nous savons, depuis Tiedemann, que le développement du lobe occipital du cer- veau est postérieur au développement des régions antérieures, et que dans les diverses séries que nous venons d'étudier, les premiers termes de chaque série se trouvent dans des conditions organiques qui s'expliquent par des arrêts de développement des termes ultérieurs. Ces idées sont-elles applicables à la série des Singes américains ? Il faudrait, pour résoudre cette question, connaître le cerveau de l'Alouatte, qui paraît être le dernier terme de cette série. La forme particulière et tout exceplionnel!e du crâne de cet animal ne nous permet point de faire de conjecture à cet égard. Enfin, je ne puis admettre les idées de M. Gratiolet sur le plus ou moins de perfection des types cérébraux. Pour M. Gratiolet, un type est plus parfait qu'un autre quand il se rapproche plus de l'organisation de l'homme. Or, cette manière de raisonner repose précisément sur une pétition de principe, sur cette idée, qui formait le fond des doctrines zoologiquesde Blainville, que l'Homme phy- sique nous présente dans tous ses organes la véritable mesure de la perfection. Je n’entrerai point ici dans la discussion de cette opinion : qu’il me suffise de dire qu'elle ne me parait nullement fondée, 86 €. DARESTE, —— CIRCONVOLUTIONS DU CERVEAU autour de la scissure de Sylvius. La lèvre antérieure de cette scis- sure, formée par une bande de matièré cérébrale, que délimitent, d’une part, la scissure elle-même, et de l’autre le sillon interrompu que j'ai décrit plus haut, correspond aux moitiés antérieures des deux circonvolutions qui délimitent la scissure dans les Carnivores. C’est une disposition qui a été déjà signalée dans l'Hyène, où la scissure de Sylvius est bornée par une circonvolution simple en avant, mais qui est en arrière partagée en deux parties par un sillon parallèle à la scissure. Postérieurement à la scissure, nous trouvons , comme chez tous les Carnassiers , un sillon parallèle à celle scissure, et qui partage sa lèvre postérieure en deux circonvo- lutions. La eirconvolution la plus externe se continue toujours avec la lèvre antérieure de la seissure, en formant au-dessus du sommet de cette seissure le repli que M. Gratiolet désigne sous le nom de pli courbe. Quant à l’autre circonvolution qui forme la lèvre posté- rieure cle la scissure, elle est, presque toujours aussi, unie par son extrémité supérieure avec le pli courbe; maisfil ya certaines espèces chez lesquelles cette union n’a point lieu, et où cette circonvolütion se termine en pointe à son extrémité supérieure. Lorsque cette cir- convolution est unie à la précédente , le rebord supérieur de cette dernière forme un sillon droit et assez allongé, qui rappelle un peu par sa forme un sillon semblable que l’on trouve chez les Viverriens et les Chats (A), avec cette différence toutefois que; dans ces derniers animaux , sa direction est horizontale , tandis qu’elle est oblique chez les Primates, où elle est assez basse en avant, el au contraire assez élevée en arrière pour atteindre , dans certaines espèces, la partie supérieure du cerveau; ce qui lient, chez ces dernières, à la longueur même de la scissure. Quant aux circonvolutions supérieures des Carnivores , nous avons vu que, tandis qu'elles sont doubles chez les Féliens, les Caniens et les Viverriens, chez les Phoques, les Kinkajous , les Ours et les Mustéliens , il n'existe qu'une seule circonvolution. Cette circonvolution me parait parfaitement représentée par la bandelette cérébrale qui s'étend d’arrière en avant sur le cerveau (1) Voir, fig. 3, # et 6, la disposition du sillon qui sépare les deux circonvolu- tions externes des deux circonvolutions dans le Chat et dans la Mangouste. CHEZ LES MAMMIFÈRES. 87 des Singes, et qui est séparée, par les deux sillons mterrompus , de la circonvolution qui borde immédiatement en avant la scissure de Sylvius. [n’y a, dureste, chezles Carnivoresrien qui ressemble à la grande circonvolution supplémentaire qui rend si remarquable le cerveau des Singes. Mais nous avons vu que celte circonvolu- tion ne se rencontre point chez les Lémuridés, ni même chez cer- tains Singes. Cette bandelette cérébrale, qui s’étend ainsi d’arrière en avant le long de la grande scissure antéro-postérieure, n’a point d’ailleurs la même forme dans les Carnivores et dans les Primates. Chez les premiers, elle devient de plus en plus large, à mesure qu'elle s'approche de l'extrémité antérieure du cerveau; chez les seconds, elle à, au contraire, une forme elliptique, c'est-à-dire que, très étroite à son extrémité postérieure, elle s’élargit beaucoup dans la région moyenne pour se rétrécir de nouveau quand elle s'approche de l'extrémité antérieure. en résulte une modification fort remarquable de la forme du cerveau dans lPun et l’autre groupe. Il faut encore indiquer que, dans certaines espèces, le Chimpanzé par exemple, cette bande de matière cérébrale présente à sa sur- face, en certains points, des sillons interrompus , mais dont la direction, qui est sensiblement la même pour tous, est plus ou moins parallèle à celle de la grande scissure antéro-postérieure ; ces sillons peuvent être considérés comme l'indice de sa division en deux circonvolutions, comme cela a lieu dans certains Carni- vores. Enfin le cerveau des Primates diffère de celui des Carnivores par la disposition de la scissure de Sylvius. Elle n’a qu'un développe- ment moyen chez les Carnivores, et, dans certaines espèces, chez les Chats et chez les Viverriens par exemple, elle ne paraît plus que comme un petit sillon à peine tracé sur la face extérieure du cer- veau. Chezles Primates , au contraire, cette scissure prend un très grand développement, beaucoup plus grand chez les Singes que chez les Lémuridés ; et, par suite de ce grand développement, elle tend à prendre une direction de plus en plus oblique , au lieu de resler presque verticale, comme cela a lieu chez les Lémuridés. Chez l'Homme en particulier , celte scissure est presque horizon- tale. Ce grand développement de la scissure de Sylvius accom- 88 €. DARESTE. — CIRCONVOLUTIONS DU CERVEAU pagne toujours un développement correspondant des parties du cerveau qui lui sont antérieures. Il est à peu près inulile de rappeler que l'existence du lobe occi- pital chez les Singes est encore un caractère qui distingue leur cerveau de celui des Carnivores; mais ce caractère n'existe point chez les Lémuridés. $ IL. Type des Ruminants (1). Les Ruminants nous présentent un iype différent , mais tout aussi bien caractérisé que celui des Carnassiers. Comme tous ces animaux ont une taille considérable, et que, par suite de la relation qui existe entre la taille et les circonvolutions , celles-ci sont très développées et très compliquées , et que, surtout chez les grandes espèces , elles sont unies entre elles par de très nombreux plis de passage , il est assez difficile au premier abord de reconnaitre le type primitif. Mais une circonstance heureuse , la mort d’un Che- vrotain à la Ménagerie, m'a montré un cerveau de cette famille assez simple pour que le dessin primitif des circonvolutions puisse s’apercevoir , réduit à ses traits essentiels. J'ai décrit ce cerveau dans mon second Mémoire, et j'ai insisté sur l'intérêt tout spécial qu'il me présentait au sujet des idées que je professe. Je me con- tenterai de rappeler ici les principaux traits de cette description, et de montrer comment ce cerveau peut nous servir pour rendre compte de ceux des autres Ruminants, malgré leur complication apparente. Si l’on examine les sillons qui existent à la surface des hémi- sphères de ce cerveau, on voit que ces sillons limitent trois bandes de matière cérébrale, que l’on peut considérer comme des ébauches ou des rudiments de circonvolutions. En allant d’arrière en avant, on voit, à partir de la grande scissure antéro-postérieure, deux bandes de matière cérébrale qui ont très peu d'épaisseur, et qui s’ar- rêtent à peu de distance de l'extrémité postérieure des hémisphères. (1) Ce type correspond aux groupes neuvième (Ruminants et Solipèdes), dixième (Cochons) et treizième (Éléphants) de Leuret. Nous verrons que le caractère indiqué par Leuret pour la séparation des Cochons d'avec les autres Ruminants n'est point naturel, CHEZ LES MAMMNIFÈRES. 89 En dehors de ces deux bandes , on en trouve deux autres qui sont beaucoup plus larges, surtout à la région postérieure, où elles sont séparées de la scissure médiane par les deux précédentes ; tandis qu'en avant elles sont beaucoup plus étroites, et qu'elles sont immé- diatement accolées à la grande scissure. Enfin, on voit extérieure- ment deux larges bandes placées en dehors des deux précédentes , et qui présentent sur leur face externe un petit sillon verlical, que l’on peut considérer comme le rudiment de la scissure de Sylvius. Ces trois bandes de matière cérébrale se retrouvent assez facile- ment, bien que présentant de très grandes complications, sur le cerveau des Antilopes et des Cerfs. La première bande cérébrale forme une circonvolution qui se retrouve dans toutes les espèces , mais avec celle particularité qu’elle nese voit pas toujours sur la face convexe de l'hémisphère : dans certaines espèces, elle occupe la face interne de l'hémisphère, à l’intérieur de la grande scissure. Ainsi, parmi les Cerfs, cette circonvolulion est intérieure dans l’Axis, le Cerf de Cayenne , le Daim, le Renne ; elle commence à se manifester à l'extérieur dans le Cerf-Cochon ; elle est complétement extérieure dans le Cerf du Brésil, le Cerf de Virginie, le Cerf de la Louisiane, le Cerf du Mala- bar et le Montjac. La deuxième bande cérébrale qui se voit à l'extérieur de la précédente est partagée d’arrière en avant, principalement à la région postérieure, par un sillon qui y dessine deux autres bandes, et chacune de ces nouvelles bandes est le plus ordinairement, elle-même, séparée en deux par un sillon. Il en résulte que, dans le cerveau des Ruminants, cette circonvolution est presque tou- jours partagée dans la région postérieure en quatre bandes paral- lèles, tandis que dans la partie antérieure, toutes ces bandes sont réunies et se confondent pour n’en former qu'une seule, Quelque- fois, cependant, il n'y en a que trois (4). Ces bandes peuvent (1) Ainsi, dans une espèce d'Antilope, le Guib, la bande interne de la circon- volution moyenne est simple, au lieu d'être partagée en deux par un sillon antéro- postérieur, comme dans les autres espèces. Ceci pourrait sembler, au premier abord, un signe de moindre complication, et peut-être contraire à la règle générale de la relation des circonvolutions avec la taille ; mais en comparant ce cerveau à celui 90 C. DARESTE, — CIRCONVOLUTIONS DU CERVEAU présenter d’ailleurs pour contour, suivant la taille des espèces, des lignes droites ou des lignes plus ou moins ondulées. Enfin, la troisième bande cérébrale, celle qui occupe la face externe du cerveau, nous présente foujours une série de replis qui sont généralement très ondulés et dont il ne serait pas pos- sible de donner une description précise. On peut cependant, par la comparaison d’un grand nombre de cerveaux provenant de la famille des Ruminants, arriver à donner une idée assez exacte de la disposition générale de cette bande. Vers le milieu de cette bande cérébrale, on voit un sillon ver- tical qui est généralement assez peu marqué, et qui sépare le lobe antérieur du lobe postérieur du cerveau. Ce sillon nous repré- sente la scissure de Sylvius, mais il est fort peu développé, beau- coup moins que chez les Singes et même que chez la plupart des Carnassiers; différence de développement qui est en rapport, comme nous l'avons déjà dit, avec son obliquité plus ou moins grande. Il résulte de la grande brièveté de ce sillon, dans la plu- part des Ruminants, qu'il devient souvent assez difficile de le distinguer des sillons voisins que nous présente cette bande céré- brale; et cette distinction serait même le plus souvent impossible, si l'extrémité inférieure du sillon n’occupait le point de jonc- tion du lobe antérieur avec le lobe postérieur, point qui est indi- qué par le changement de direction des lignes qui délimitent le bord inférieur des hémisphères. On peut également, dans certaines espèces, le déterminer par l'extrémité postérieure de la eircon- volution que je décrirai sous le nom de circonvolution sus-or- bitaire. Cette scissure, qui monte verticalement sur la bande externe du cerveau, partage cette bande en deux parties à peu près égales. Chacune de ces parties est elle-même, le plus ordinai- rement, divisée d’arrière en avant, tantôt par une série inter- rompue d’anfractuosités, et tantôt par un sillon continu; tandis qu'il n'existe rien de semblable au-dessus de la scissure, si ce n'est chez quelques espèces de grande taille. Il en résulte des autres Antilopes, on voit que la circonvolution interne y est beaucoup plus compliquée que dans les espèces dont la taille est petite. CHEZ LES MAMMIFÈRES. 91 que l'on peut se rendre compte de la disposition de la bande moyenne en la considérant comme formée de deux bandelettes parallèles entourant la scissure de Sylvius, et qui sont séparées l'une de l’autre en avant et en arrière de la scissure, tandis qu'elles seraient confondues au-dessus de son extrémité supé- rieure. Cette disposition de la bande externe du cerveau rappelle, jusqu’à un certain point, ce que j'ai décrit dans certaines espèces de Carnivores, chez les Féliens par exemple. Enfin, cette bande moyenne nous présente, à sa partie anté- rieure, une disposition remarquable : elle se recourbe en avant et forme un repli qui se termine le plus ordinairement à la scissure de Sylvius. Ce repli a été désigné par Leuret sous le nom de cir- convolution sus-orbitaire. Généralement il est simple ; mais , dans certaines circonstances, et principalement dans les espèces dont la taille est considérable, il devient très large, et il présente sur sa surface plusieurs sillons qui s’y dessinent en plusieurs plis secondaires (1). On peut remarquer que, dans ces espèces, les complications qui tiennent au développement de la taille suivent une marche assez régulière de l'extérieur à l’intérieur. Ainsi, quand on s'élève des petites espèces aux grandes, on voit les complications de la bande externe se produire avant celles de la bande moyenne; et, dans cette dernière, la complication des bandelettes extérieures précède celle des bandelettes intérieures. Tel est le type du cerveau que nous trouvons très nettement reproduit dans les Antilopes et dans les Cerfs. On le retrouve, quoique déjà un peu modifié, dans les Chèvres et les Moutons. En effet, nous y voyons se produire des plis de passage entre les diverses bandes cérébrales, plis qui cachent un peu le dessin primitif. C’est ainsi que chez les Moutons la bandé moyenne et la bande externe sont unies l'une à l’autre par un pli de passage, à l'endroit où les bandelettes de la bande moyenne se réunissent pour n’en former qu'une seule. Je n’insiste pas, d'ailleurs, plus longuement sur ce fait, qui peut tenir à l’in- (1) Voir, fig. 47 et 18, le cerveau de la Corinne. 92 C. DARESTE, — CIRCONVOLUTIONS DU CERVEAU fluence de la domesticité, et sur lequel, ainsi que je l'ai dejà dit, je compte revenir dans un Mémoire spécial (4). Les grandes espèces comme le Canna, comme les Bœufs, comme la Girafe, nous présentent toutes ces circonvolulions, qui étaient encore assez simples chez la plupart des Antilopes et des Cerfs, très sillonnées, et réunies entre elles par de nombreux plis de passage ; dans le Canna et le Bœuf, la circonvolution sus-orbitaire est nota- blement développée. Dans la Girafe, la bande cérébrale moyenne est assez nettement partagée en deux circonvolutions parallèles. Ce type se retrouve, mais avec quelques modifications, dans le cerveau des Camélidés, dont la forme est déjà assez différente de celle des cerveaux des autres Ruminants. Dans les Ruminants ordinaires, le cerveau est généralement beaucoup plus étroit à sa partie antérieure qu’à sa partie postérieure. Dans les Camélidés, la partie antérieure est aussi large que la postérieure. Cela tient à la disposition particulière des bandes moyennes dont la partie posté- rieure est beaucoup moins large que dans les Ruminants ordinaires, etn’est guère plus large que la région antérieure. La disposition de ces bandes est aussi généralement plus simple ; elles ne se divisent à la région postérieure qu’en deux ou trois bandelettes présentant, il est vrai, à leur surface, de nombreuses dépressions. Au contraire, la bande externe est très développée, et présente un très grand nombre de sillons, qui même, dans le Dromadaire , la partagent assez nettement, comme dans la Girafe, en deux circonvolutions distinctes l’une de l’autre. Plusieurs de ces sillons, à la partie antérieure du cerveau, se dirigent verticalement, et indiquent une disposition que nous retrouvons plus développée dans certains Pachydermes. Enfin , les circonvolutions sus-orbitaires sont très développées; leur surface présente de nombreux sillons, comme ceux que j'ai déjà indiqués dans le Lama et dans les Bœufs, mais leur disposition diffère ; car au lieu d'occuper les faces latérales du cerveau, elles se voient sur la face inférieure. Le type cérébral des Ruminants se retrouve plus où moins exactement dans les cerveaux des Pachydermes. A) Voir, fig, 19, le cerveau du Mouton. CHEZ LES MAMMIFÈRES. 93 Ce fait, déjà entrevu par plusieurs anatomistes qui ont signalé la ressemblance de certains cerveaux de Pachydermes avec ceux des Ruminants, et dont j'espère donner une démonstration complète, acquiert de l'intérêt quand on le rapproche des opinions qui ten- dent à prévaloir au sujet du groupe des Pachydermes. Les études paléontologiques ont actuellement pour résultat de démontrer les affinités très intimes qui existent entre les Ruminants et les Pachy- dermes, et d'engager d'éminents zoologistes, M. Pomel, M. Ger- vais, M. Owen, à réunir ces animaux dans une seule division, quel que soit d’ailleurs le rang qu’on lui donne dans la classification , celui d'ordre ou de sous-classe. Cette opinion est évidemment con- firmée par l'unité du type cérébral. Maintenant, si nous allons plus loin, et si nous examinons la répartition que ces savants ont faite des animaux appartenant à l’ancien ordre des Pachydermes de Cuvier, nous voyons qu'ils les placent dans trois groupes bien distinets : le premier, contenant les différentes espèces de Cochons, ainsi que l'Hippopotame , et qui estréuni au groupe des Raminants, auxquels ces animaux ressem- blent par la forme de leurs pieds, par celle de leur astragale et par un certain nombre de détails ostéologiques (4), souvent aussi, par la complication de leur estomac (Pécaris, Hippopotames); le second, contenant les Damans, les Tapirs et les Rhinocéros, aux- quels on réunit la famille des Solipèdes ou les Chevaux, et qui forme une division spéciale et bien distincte de la précédente; enfin, le troisième, réduit à l’ancienne famille des Proboscidiens (2). I était fort curieux de savoir si cette division serait confirmée par la disposition du cerveau. Or, je crois avoir reconnu, autant du moins que mes études m'ont permis de le faire, car je n'ai pu (1) Certaines espèces, les Pécaris, ont même les os du métatarse et du méta- carpe soudés en canons, comme les Ruminants. Cette affinité des Cochons et des Hippopotames avec les Ruminants avait été déjà signalée par Cuvier dans di- verses circonstances. (2) I va sans dire que je n'indique point ici la répartition des espèces fossiles, si nombreuses aujourd'hui dans les catalogues. C'est surtout par l'étude appro- fondie de ces espèces que l'on est arrivé à reconnaître les véritables affinités des Pachydermes actuellement vivants. 94 C. DARESTE. — CIRCONVOLUTIONS DU CERVEAU observer directement les cerveaux du Rhinocéros, de l'Éléphant et de l'Hippopotame (1), que le type primitif présente des modifi- calions secondaires qui caractérisent chacun de ces groupes ; qu'il y a un type secondaire pour les Cochons ou l'Hippopotame; un type secondaire pour les Chevaux et les Rhinocéros, type que l'on retrouve, mais notablement modifié, dans les Tapirs; un type secondaire pour l'Éléphant; enfin que le type secondaire des Cochons se rapproche plus que les deux autres de celui des Ruminants. Je vais indiquer les dispositions particulières de chacun de ces types secondaires. Jai choisi le cerveau du Pécari à collier pour exemple d’un eer- veau dérivant du premier type secondaire, parce que c’est de toute celte famille celui qui se présente dans les conditions de simplicité plus grande (2). Dans ce cerveau, la bande interne est cachée dans la grande scissure antéro-postérieure. La bande moyenne s'étend, comme chez les Ruminants, dans toute la longueur des hémisphères ; elle est beaucoup plus large dans la partie postérieure que dans la partie antérieure. Ces deux parties présentent, d'ailleurs, une particularité qui n’a pas, par elle-même, une grande importance, mais qui se trouve dans toute la famille desCochons , c’est que ces deux parties sont séparées l’une de l’autre par un sillon transverse. Ce caractère m'a semblé d’une grande fréquence. Comme chez les Ruminants, la partie antérieure de cette bande moyenne estsimple, tandis que la partie postérieure est divisée en deux par un sillon longitudinal très rapproché de la scissure. Mais ces deux bandelettes ne se subdi- visent point chacune en deux autres, comme nous l'avons vu chez les Ruminants. Celle de ces bandelettes qui est contiguë à la scis- sure médiane est beaucoup plus étroite que la seconde, et elle a ses (1) Je ne parle point ici du Daman, car, bien que j'aie eu deux cerveaux de cet animal à ma disposition, leur mauvais état de conservation m'a empêché de m'en faire une idée exacte. Il serait possible que ce cerveau dérivât d’un type essentiel- lement différent de celui des Pachydermes; mais je suis encore dans le doute à ce sujet. (2) Voir fig. 20. CHEZ LES MAMMIFÈRES. 95 bords unis, tandis que la seconde, qui est beaucoup plus large, présente un bord extérieur ondulé. La troisième bande cérébrale, ou la bande externe, est très semblable à celle des Ruminants, et elle présente une assez grande analogie, qui se retrouve jusque dans les moindres détails des ondulations. Il y a toutefois une dif- férence assez importante, c’est que la scissure de Sylvius est beau- coup moins marquée , et qu'on a de la peine à la distinguer des autres sillons verticaux qui se voient sur la bande externe. De plus, cette bande cérébrale présente, chez les Cochons, une parti- cularité sur laquelle je dois insister, parce qu'elle a été mal inter- prétée par Leuret. En avant de la partie qui correspond aux circon- volutions de la scissure de Sylvius, on voit chez le Pécari à collier un espace assez grand, assez large, et qui est plat. Dans le Tajasso ou Pécari à lèvres blanches, cet espace présente un sillon dans une grande partie de son étendue, et ceci n’a rien de caractéristique, car on retrouve cet espace, et le sillon qu’il présente, chez les Ruminants. Mais chez le Sanglier et chez les véritables Cochons, cet espace devient plus grand encore; les formes qu'il présente deviennent plus variées, et il est presque toujours séparé par un sillon du reste de la bande moyenne. Il en résulte qu'au premier abord, le cerveau des Cochons présente une disposition étrange et insolite; et que Leuret, qui, probablement, n’avail pas eu à sa dispo- sition un nombre suffisant de cerveaux de Cochons, a eru voir dans cette partie de la bande externe une circonvolution particulière à ces animaux , et, en quelque façon , un organe nouveau. Or, il arrive à ce résultat singulier, qu'un cerveau de Cochon, qu'il a décrit et figuré, présenterait cet organe sur un de ses hémisphères, tandis que l’autre ne le présentera point. Mes observations sur les Pécaris me permettent de faire disparaître cette anomalie appa- rente, et de ramener la bande externe du cerveau des Cochons aux conditions de cette partie chez les Ruminants. Enfin, chez les Cochons, la circonvolution sus-orbitaire est à peine indiquée, et elle ne se manifeste à l'extérieur que par un très petit sillon , très peu différent des autres sillons de la bande externe , et qui ne suit pas l'extérieur du cerveau. Comme on le voit par ces différents caractères, les cerveaux de la famille des Cochons sont évidemment 96 C. DARESTE, — CIRCONVOLUTIONS DU CERVEAU formés par le même type que ceux des Ruminants. Les différences consistent dans l'effacement de la scissure de Sylvius, dans le développement très peu marqué de la circonvolution sus-orbitaire, ainsi que dans l'existence de deux bandelettes seulement à la partie postérieure de la bande moyenne. Je ne connais la disposition du cerveau de l'Hippopotame que par ce qu’en a dit M. Peters dans un Mémoire récemment adressé à l'Académie de Berlin (1), mais dont l'extrait seul a été publié. Cet anatomiste se borne. à dire que, dans l’Hippopotame, les circonvo- lutions, quant à leur disposition et à leur nombre, présentent la plus grande ressemblance avec celles des Cochons. Il observe toutefois qu'en un point seulement, ces circonvolutions ressemblent plus à celles des Ruminants , c’est qu’il existe à la partie antérieure du cerveau un repli de substance cérébrale qui s'étend jusqu’à la scissure de Sylvius, et qui correspond à ce que j'ai décrit sous le nom de circonvolution sus-orbitaire. Ce caractère est d'autant plus vemarquable que, d'après M. Peters, l'estomac de l’'Hippopotame se rapproche beaucoup plus de l'estomac des Ruminants que de celui des Pachydermes. J'ai, dans mon second Mémoire, dit quelques mots des moules naturels décrits par Cuvier comme les moules des cerveaux de cer {ins animaux fossiles, les Anoplothériums etles Paléothériums (2). J'ai eu, depuis, occasion d'examiner le morceau de marne que Cuvier considère comme un morceau d’Anoplothérium, et en l’exa- minant avec soin, j'y ai reconnu que ce cerveau rappelait, par sa forme et par les sillons très peu profonds, il est vrai, qui le recouvrent, le cerveau du Pécari. Ce fait nous montre donc, une fois de plus, que les lois qui régissent la nature vivante actuelle existaient déjà dans les époques géologiques antérieures à la nôtre, La division des Pachydermes à doigts impairs, qui forme la di- vision des Périssodactyles de MM. Pomel et Owen, ou celle des Jumentés de M. Gervais, nous présente un type cérébral assez (1) Peters, Ueber das Gehirn des Nilpferdes, dans le recueil Monatsbericht des Berliner Akademie, 1854, p. 367. (2) Voyez, dans mon second Mémoire, la note de la page 85. CHEZ LES MAMMIFÈRES. 97 différent du type précédent, mais qui ressemble encore, par quel- ques caractères, à celui des Ruminants. Nous pouvons nous faire une idée de ce type par le cerveau des Solipèdes. lei les bandes moyennes sont très développées dans la région postérieure , où elles sont partagées en quatre bandelettes , tandis qu’elles sont rétrécies en avant; et ces bandelettes elles- mêmes, surtout les deux extérieures, sont très ondulées, et pré- sentent des anfractuosités nombreuses à leur surface. Sous ce rapport, le cerveau desChevaux ressemble beaucoup au cerveau des grands Ruminants, des Bœufs, par exemple. Toutefois, ces cerveaux sont très différents, au premier abord, par leur forme, car le cer- veau des Bœufs est plus étroit en arrière qu'en avant; tandis que dans les Chevaux, sa largeur est à peu près la même dans toute sa longueur, comme chez les Camélidés. Mais la cause de cette dispo- sition est différente chez les uns et chez les autres. Dans les Camé- lidés, cela tient au peu de développement en arrière des bandes moyennes, tandis que dans les Chevaux , la partie antérieure des bandes moyennes est très rétrécie, et l’augmentation de la largeur du cerveau en avant lient au développement considérable que pren- nent en celte région les bandes externes. Celte partie des bandes externes nous présente plusieurs sillons verticaux circonscrivant plusieurs replis de matière cérébrale qui forment en quelque sorte des circonvolutions nouvelles, disposition qui, chez les Chevaux , ne présente rien de régulier ni de symétrique, mais qui estimpor- tante à noter, parce qu’elle nous servira à expliquer certaines par- ticularités du cerveau de l'Éléphant. Quant à la circonvolution sus- orbitaire, elle se voit sur la face latérale du cerveau, et présente un développement assez considérable qui se manifeste par la présence de plusieurs sillons longitudinaux. Le cerveau du Rhinocéros est le même que celui de l'Éléphant, autant du moins que j'en ai pu juger à l’aide des figures qui ont été publiées dans ces derniers temps par M. R. Owen, pour le Rhinocéros des Indes (4). IL m'a semblé du moins que tous les caractères que je viens de signaler chez les Chevaux se retrouvent sur ce cerveau. (1) R. Owen, Où the anatomy of the Indian Rhinoceros, dans les Zoological Society s Transactions, t, IV. #° série. Zoo. T. IL. (Cahier n° 2.) * 7 98 €. DARESTE. — CIRCONVOLUTIONS DU CERVEAU Le cerveau du Tapir n’a pas encore été, que je sache, décrit mi figuré. Je compte le décrire plus complétement dans un travail spé- cial, et je me bornerai seulement ici à dire qu'il ressemble au fond aux cerveaux des Chevaux et des Rhinocéros, mais qu’il en diffère par deux caractères très marqués. D'une part, les parties anté- rieures du cerveau ont éprouvé une très notable diminution de volume, ce qui rend ce cerveau très court d'avant en arrière. D'autre part, la circonvolution sus-orbitaire est beaucoup plus développée, et les circonvolutions qu’elle présente sont plus nom- breuses et plus marquées que dans les animaux qui précèdent. Il en résulte pour ce cerveau une forme particulière et assez in- solite : il est très court d'avant en arrière, par suite de la brièveté du diamètre antéro-postérieur, et il est, contrairement à ce qui ar- rive ordinairement, notablement plus élevé dans sa moitié anté- rieure, celle qui précède la scissure, que dans sa moitié postérieure, par suite du grand développement des circonvolutions sus-orbi- taires. Dans la partie antérieure du cerveau, les bandes moyennes présentent des circonvolutions verticales que j'ai déjà signalées chez le Cheval et le Rhinocéros, et qui sont ici relativement plus développées. Enfin les bandes internes sont un peu visibles à l'extérieur , dans l'écartement de la grande scissure antéro-posté- r eure (1). C'est à ce dernier type que se rattache celui du cerveau de l'Élé- phant. Le cerveau de l'Eléphant existe dans la galerie d'anatomie com- parée; mais son état de conservation ne m'a pas permis de l’étudier avec soin. J'ai pu toutefois m'en faire une idée assez exacte à l’aide de planches dessinées par Chazal, et qui font partie du bel atlas de l'Anatomie comparée du cerveau de Leuret. Ce cerveau présente, au premier abord, un aspect insolite dont on peut cependant arriver à se rendre compte par une étude attentive. Il a une élévation verticale relativement beaucoup plus grande que dans les autres Mammifères, et qui est en rapport avec l'élévation du crâne lui- même. Cela est surtout marqué dans sa région postérieure pour (4) Voir fig. 21. CHEZ LES MAMMIFÈRES,. 99 toute la partie qui est en arrière de la scissure. I semble que dans cet endfoit le cerveau ait été ployé en deux parties; aussi, pour le comparer au cerveau des autres Pachydermes, faudrait-il le dé- plier, en quelque sorte, pour placer la partie postérieure sur un même plan que la partie antérieure. Dans la région postérieure du cerveau, les circonvolutions, au lieu d’être horizontales, se dirigent à peu près verticalement; mais cela ne change rien à leur nature, et l’on y reconnait facilement les diverses bandes de matière céré- brale dont la disposition est la même que celle que j'ai décrite sur le cerveau des autres Pachydermes. Seulement loutes ces bandes présentent de très nombreuses et très profondes ondula- tions. La bande moyenne n’est d’ailleurs divisée qu'en deux ban- delettes. Dans la partie antérieure du cerveau, la circonvolution sus-orbitaire est fort développée , et elle présente plusieurs sillons tout à fait semblables à ceux que j'ai décrits dans le Tapir. Tous ces faits sont assez semblables à ceux que j'ai déjà décrits dans les autres Pachydermes. Mais la partie antérieure et supérieure de ce cerveau nous présente des différences très marquées; elle est occupée par des circonvolutions verticales, dont la direction croise celle des circonvolutions primitives, et qui s'étendent dans toute la largeur de l’hémisphère, depuis le sillon de la circon- volution sus-orbitaire jusqu'à la grande scissure antéro-posté- rieure. Ces circonvolutions supplémentaires, que nous pouvons considérer en quelque sorte comme formées par la réunion de plu- sieurs plis de passage entre les circonvolutions primitives, re- présentent, mais sur une beaucoup plus grande échelle, les petites circonvolulions verticales que j'ai dit exister chez les Chevaux, les Rhinocéros et les Tapirs, et qui sont formées par la partie anté- rieure des bandes externes. Elles nous offrent un remarquable exemple de ces appareils accessoires que j'ai signalés au commen- cement de ee Mémoire et qui viennent masquer le type primitif. Leuret a assez bien compris celte disposition; il la compare à la circonvolution accessoire si remarquable que l'on observe dans le cerveau des Singes (4). (4) Voy. Leuret, Anatomie comparée du système nerveur, p. 395, pl. xuret xiv. -— Pour comprendre les figures données par Leuret, je dois dire que la bucle 100 €. DARESTE. — CIRCONVOLUTIONS DU CERVEAU Il me parait très probable que c’est à ce type que se rapporte le cerveau de certains Édentés. C’est du moins ce que j'ai cru voir sur un cerveau de Pangolin (manis Temmaincki) conservé dans la galerie d'anatomie comparée, mais qui est en trop mauvais état pour me permeltre de me prononcer avec certitude. Autant que j'ai pu en juger par l'examen de cette pièce, ce cerveau nous pré- sente le type des Ruminants, avec cette différence, toutefois, que Ja bande cérébrale externe est beaucoup moins développée et qu'il ne parait pas y avoir de véritable scissure de Sylvius ; au con- traire, la partie postérieure de la bandelette moyenne est très large et très développée, ce qui rend ce cerveau beaucoup plus large en arrière qu'en avant. C’est un fait à revoir. Il résulle de tous ces faits qu'il existe un troisième type cérébral qui se retrouve dans les Ruminants et les Pachydermes et très probablement chez certains Édentés (4). moyenne y est représentée par le signe iv P ; la bande interne, par les signes nt P et 1P; la bande externe, par le signe r P ; les circonvolutions additionnelles ou supplémentaires, par les signes s, s’, s”; la circonvolution sus-orbitaire, par le signe O. (1) Je ne puis rien dire sur les autres Édentés ; ces animaux différent trop entre eux pour qu’on puisse, & priori, supposer les conditions de leur cerveau d'après celui du Pangolin. Ici, les matériaux m'ont complétement manqué. Il en est de même des Cétacés. Je n'ai pu faire à leur égard d'observations directes; et je ne connais les conditions de leur cerveau que par quelques figures données par Tiedemann (le Dauphin ordinaire; Zeitschrift für Physiologie, Bd. IT, S. 251, Taf. xu), par Leuret (le Marsouin), par Eschschricht (l'Hyperoodon de Baussard; Undersügelser oder Hvaldyrene ; fierde Afhandlung om Noebhvalern ; Mémoires de l'Académie de Copenhague, 1845, p. 358). Tout ce que j'ai pu re- connaître, c'est que tous ces cerveaux appartiennent évidemment à un même lype, type qui se retrouve encore, suivant Leuret, sur les cerveaux du Narval et dé la Baleine que possède le musée de Berlin, et qui ressemble à celui des Rumi- nants ; mais je n'ai pu me servir de ces figures pour déterminer les caractères essentiels du type, et savoir s'il diffère notablement de celui des Ruminants, ou s'il ne s'en écarte que par quelques modifications de peu d'importance. Je ferai remarquer seulement que tous ces cerveaux présentent un certain nombre de caractères communs qui sont : la diminution de volume des parties antérieures ; le développement en arrière des parties postérieures qui recouvrent plus ou moins le cervelet ; l'allongement des diamètres verticaux et transverses ; trois faits qui leur donnent une forme sphérique; et de plus, l'absence des lobes olfactifs, et CHEZ LES MAMMIFÈRES. 101 Il consiste essentiellement en trois bandes longitudinales, plus un repli situé à la partie antérieure du cerveau et qui forme la circonvolution sus-orbitaire. La bande moyenne du cerveau est fort large en arrière, où elle se divise le plus ordinairement en deux bandelettes, et chacune de celles-ci en deux autres bandelettes encore plus petites. Au contraire, elle est très étroite en avant et ne se dédouble point. La bande externe est fort sillonnée. L'un de ces sillons, peu différent des autres, forme la scissure de Sylvius. On la reconnait parce que c’est dans ce sillon que vient se terminer la circonvolution sus-orbilaire. Elle est située à peu de distance de l'extrémité antérieure du cerveau, à peu près à la jonction du tiers antérieur de cel organe avec les deux tiers postérieurs, et elle de- vient assez peu apparente (L) pour qu'il soit souvent difficile de la reconnaitre et pour qu'on n'y parvienne, dans cerlains cas, que par la comparaison de cerveaux appartenant à des espèces diffé- rentes. Ce type diffère done notablement du type des Carnassiers. Toutefois, nous pouvons encore comparer ces deux types entre eux et y retrouver les mêmes parties fondamentales. En effet, dans les Carnassiers, nous voyons la scissure de Syl- vius entourée par deux circonvolutions qui s'emboitent l’une dans l'autre. Ces circonvolutions sont souvent complétement séparées, tandis que dans certaines espèces elles sont réunies, comme chez les chats, au-dessus de la scissure elle-même. Les Ruminants nous présentent une disposition analogue, puisque nous avons vu que la bande cérébrale externe pouvait être considérée comme formée de deux circonvolutions juxtaposées qui sont le plus ordinairement probablement aussi celle de la corne postérieure du ventricule latéral, signalée chez le Dauphin par Tiedemann (loc. cit.). Il est fort curieux que ces caractères se retrouvent également chez les Phoques, qui, par le type de leurs circonvolu- tions, sont évidemment des Carnivores. Nous avons là un bel exemple des affi- nités collatérales qui peuvent exister entre des animaux appartenant à deux groupes différents. Quelle peut être la cause de cette analogie? Nous l'ignorons absolument ; toutefois, il est fort singulier que ces faits se retrouvent dans tous les Mammifères aquatiques. Déja la Loutre elle-même nous présente dans son cer= veau certaines dispositions qui tendent à le rapprocher de celui des Phoques. (1} A l'exception toutefois de l'Éléphant, où elle atteint des dimensions con- sidérables. 102 C. DARESTE, —— CIRCONVOLUTIONS DU CERVEAU unies entre elles autour de la scissure de Sylvius, mais qui, quel- quefois, restent séparées, comme dans la Girafe et le Dromadaire. La bande moyenne et la bande interne sont évidemment compa- rables aux circonvolutions supérieures du cerveau des Carnivores, puisqu'elles s'étendent d'une extrémité à l’autre du cerveau. Toute- fois, la disposition de ces circonvolutions est très différente chez les Ruminants et les Carnivores. Chez les Ruminants et les Pachy- dermes , elles sont beaucoup plus larges en arrière de la scissure qu'en avant, et elles vont en s’amoindrissant, en se rétrécissant , depuis la partie postérieure du cerveau jusqu’à la partie anté- rieure (1); de telle sorte que, dans ces cerveaux, ce sont les parties postérieures qui prédominent. Au contraire, dans les carnassiers, les circonvolutions supérieures sont beaucoup plus larges en avant qu’en arrière de la scissure ; de telle sorte que, dans leur cerveau, la prédominance appartient aux parties antérieures. La circonvolution sus-orbitaire existe chez les uns comme chez les autres. Sa longueur est plus grande chez les Ruminants que chez les Carnassiers, puisque , chez ces animaux, son extrémité postérieure atteint la scissure de Sylvius. Dans les Pachydermes, elle présente de très grandes variations dans son développement, puisqu'elle est rudimentaire dans les Cochons, assez développée dans le Rhinocéros et les Chevaux, très développée au contraire dans l'Éléphant et le Tapir. Elle présente ainsi, chez ces animaux, des conditions diverses et toutes particulières, que nous n'avons trouvées dans aucun des types précédents. $ IV. Type des Marsupiaux herbivores. Je me borne à lindication de ce type, dont les conditions me sont fort mal connues. Je n'ai pu étudier que quelques cerveaux de Kangourou géant et de Phascolome , assez mal conservés; ainsi que les figures du Kangourou données par M. Owen dans son célèbre Mémoire sur le cerveau des Marsupiaux (2). Aussi n'en- trerai-je point dans de grands détails à leur sujet. {i) A l'exception, toutefois, des Camélidés. (2) Philosophical Transactions, 1837, p. 87 CHEZ LES MAMMIFÈRES. 103 Qu'il me suffise de faire remarquer que le cerveau de ces ani- maux, comme d'ailleurs on pouvait le prévoir, se distingue très neltement des cerveaux précédents, bien qu'il présente encore avec eux des ressemblances éloignées. On y voit un sillon longi- tudinal qui s'étend d’arrière en avant sur une très grande partie de la surface des hémisphères, excepté dans la partie postérieure, et qui partage cette surface en deux bandes. La bande interne est beaucoup plus large, postérieurement, que la bande externe, tandis qu'elle s’amincit en avant; elle présente à sa surface plusieurs dépressions sans sillons véritables. La bande externe présente trois sillons verticaux, parmi lesquels il ne m'a pas été possible de déter- miner celui qui correspond à la scissure de Sylvius. Enfin, sur la partie postérieure du cerveau, on voit un sillon que l’on peut con- sidérer comme analogue au sillon parallèle des Singes (1). La disposition du cerveau du Phascolome est assez semblable à celle du Kangourou, et dérive évidemment du même type. Mais, je le répète, je ne donne ces détails que comme l'indication d’un quatrième type; je ne suis pas actuellement en mesure d’en déterminer les conditions spéciales. Conclusions. Les études que je viens de faire démontrent, chez les Mam- mifères, l’existence de quatre types cérébraux nettement déter- rminés par la disposition des circonvolutions : 4° le type des Carni- vores ; 2 le type des Primates; & le type des Ruminants et Pachydermes, auquel se rattache probablement celui des Édentés ; le le type des Marsupiaux herbivores. Ce résultat, que nous dédui- sons de l'étude des circonvolutions, est fort remarquable, en ce qu'il reproduit assez exactement les divisions établies dans la classe des Mammifères par M. Milne Edwards, d’après des con- sidérations d’une tout autre nature (2). (4) Voir, pl. 1, fig. 9 et 10, les deux figures du cerveau de Kangourou. Elles sont copiées dans l'ouvrage de M. Owen. (2) Voir le Mémoire de M. Milne Edwards, Considérations sur quelques prin- cipes relatifs à la classification des animauæ, etc. (Ann. des sc, nat., zool., 3° sér., L. 1, p- 65). 104 C. DARESTE, —— CIRCONVOLUTIONS DU CERVEAU Déjà, en 1834, M. Owen, dans son Mémoire déjà cité sur l'anatomie des Marsupiaux, faisait remarquer la coïncidence singu- lière et encore inexpliquée qui existe entre le mode exceptionnel et anormal du développement de ces animaux, et l’organisation par- ticulière de leur cerveau : l'absence du placenta se trouvant liée à l’absence du corps calleux et de la cloison transparente (4). M. Milne Edwards, en réunissant toutes les observations que l'on possède sur la forme du placenta chez les Mammifères, a montré qu'on pouvait partager ces animaux en {rois groupes , d’après la forme de leur placenta (2), ainsi qu'il suit : 1° Les Mammifères dont le placenta est discoïde, ovale chez les Primates et les Chéiroptères, arrondi chez les Insectivores et les Rongeurs, et tantôt simple et tantôt double. Ce dernier fait est fré- quent chez les Rongeurs, et il pourrait bien être la règle chez les Singes (3) ; il s'est présenté quelquefois, mais par exception, dans l'espèce humaine (4). 2 Les Mammifères dont le placenta est zonaire. Cette division comprend les Carnassiers et le Daman. 3° Les Mammifères à placenta diffus. Chez eux, toute la surface du chorion est couverte de houppes vasculaires, ce qui arrive chez les Cétacés, les Pachydermes, les Édentés, et les Camélidés parmi (1) Peut-être simplement à leur état rudimentaire. (2) Ces idées avaient déjà été entrevues par Geoffroy Saint-Hilaire. On lit dans la Philosophie anatomique : « On ne doit point perdre de vue qu'autant de pla- centas différents règlent les conditions d'existence et les formes de l'être parfait appartenant aux différents groupes de Mammifères. Ainsi, les Carnassiers ont leur placenta annulaire et répandu tout autour du corps comme une large ceinture ; les Taupes en ont le dos couvert comme d'un manteau ; il est, au contraire, rassemblé en un bouton ou en une sorte de gâteau arrondi au-devant de l'abdomen des Ron- geurs; ou bien il est épanoui chez les Ruminants et terminé par une multitude de boulettes charnues ou de forts cotylédons. Ce n'est pas le lieu de développer davantage ces idées; je me bornerai à remarquer que l'histoire comparative des placentas par âge et par espèce est toute à faire, et qu'elle est appelée à répandre un grand jour sur la constitution première des animaux (L. II, p. 514). » (3) Voir à ce sujet le Mémoire de Breschet sur la gestation des Singes(Mémoires de l'Académie des sciences, t. XIX, 1845). (4) Un de ces faits a été observé à Berlin par M. Ebert, un autre à Paris par M. P. Dubois (Cazeaux, Traile d'uccouchements, 2° édit., p. 186), CHEZ LES MAMMIFÈRES, 105 les Ruminants; ou bien les éléments du placenta sont réunis en plusieurs cotylédons charnus , éloignés les uns des autres comme chez la plupart des Ruminants, ou très rapprochés comme chez les Paresseux. Il est fort remarquable que ces trois divisions, indiquées par M. Edwards pour les Mammifères à placenta, se trouvent pré- cisément celles que nous donne l'étude des circonvolutions céré- brales. J'ai dû signaler ce rapprochement, qui me paraît fort curieux à beaucoup d'égards, bien que la cause de cette relation nous échappe si complétement que nous ne pouvons même la soupcon- ner. Mais il ne serait point logique de rejeter un rapport unique- ment parce que nous ne pourrions nous en rendre compte. Ces faits conduiront peut-être quelque jour à quelque notion impor- tante pour la physiologie des Mammifères. J'ai cherché dans ce Mémoire et dans les deux Mémoires précé- dents à coordonner tous les faits que j'ai pu recueillir moi-même sur l’histoire des circonvolutions du cerveau, et ceux qui ont été mentionnés par les auteurs, pour en faire ressortir quelques idées générales. Il se peut que dans cette seconde partie de ma tâche j'aie négligé quelques faits déjà mentionnés, quelque soin que j'aie mis à celte recherche ; mais ces omissions s'expliquent par la pro- digieuse rapidité avec laquelle, à notre époque, les productions scientifiques se multiplient dans tous les pays et dans toutes les langues, et à l'impossibilité où se trouve un auteur de se tenir constamment au courant de toutes les publications nouvelles. J'espère du moins ne pas avoir fait d’omission importante. Et cependant je suis le premier à reconnaitre que mon travail n'est point complet, etque, sur beaucoup de points, des observations nouvelles seraient nécessaires. D'une part, les cerveaux que possèdent les collections anato- miques sont encore bien peu nombreux, et leur état de conservation laisse beaucoup à désirer; de l’autre, les figures qui représentent ces cerveaux ont été souvent faites avec tant d’inexactitude, surtout dans les écrits du siècle dernier, qu'elles ne peuvent donner que 106 C. DARESTE, —— CIRCONVOLUTIONS DU CERVEAU des notions très imparfaites sur les circonvolutions (1). Ilen résulte qu'il y a dans mon travail de nombreuses lacunes. Je crois done devoir signaler à toutes les personnes qui s'intéressent aux études anatomiques, les questions que mon Mémoire a laissées indécises. Les Primates (Singes et Lémuridés), les Carnivores , les Rumi- nants et les Pachydermes nous sont aujourd’hui connus dans leurs types les plus importants. Quant à ceux que nous ne possédons point actuellement, nous pouvons, jusqu'à un certain point, nous en faire une idée en combinant la notion du type primitif avec la taille de l'animal ; cet emploi de l'induction me parait parfaitement légitime. I! serait toutefois fort intéressant de connaître le cerveau dans plusieurs animaux appartenant à ces familles , et qui, par certains caractères zoologiques, s'écartent plus ou moins des animaux près desquels on les a placés ; tels sont : le Gorille, les Hurleurs, lindri, le Tarsier, le Chéromys, le Protèle, l’'Enhydre , les grandes espèces de Phoques, le Morse et le Muse. Ce dernier présenterait un intérêt tout spécial , par suite de l’état des circonvolutions dans un animal très voisin, le Chevrotain. Un autre animal, dont le cerveau serait également fort curieux à étudier, c’est le Daman. J'ai vu trois cerveaux de cette espèce dans la galerie du Muséum ; mais leur mauvais état de conservation ne me permet pas de me prononcer à leur égard. I m'a paru seu- lement que ces cerveaux s’éloignaient du type des Pachydermes pour serapprocher de celui des Carnivores. Si celte prévision venait à se réaliser, ce serait une preuve de plus en faveur des idées de M. Edwards, qui range le Daman avec les Carnassiers parmi les Mammifères à placenta zonaire. Les Chéiroptères, les Insectivores, les Rongeurs ont générale- ment un cerveau lisse ; aussi étaient - ils nécessairement en dehors de mes études. Mais les nouvelles observations ont prouvé que (1) Je dois toutefois mentionner avec éloges l'atlas de l'Anatomie comparée du cerveau, de M. Serres; l'ancien ouvrage de Tiedemann (Jcones cerebri Simia- rum) : l'atlas de l'Anatomie comparée du système nerveux, de Leuret, atlas qui a été dessiné par Chazal, et celui de l'ouvrage de M. Gratiolet sur le cerveau des Singes, ainsi que plusieurs figures données dans des Mémoires isolés. CHEZ LES MAMMIFÈRES. 107 l'absence des circonvolutions tient, chez ces animaux, à la petitesse de la taille, puisque , d’une part, Leuret indique des circonvolu- tions dans la Roussette ; de l’autre, Daubenton, puis Duvernoy (4) les indiquent chez le Cabiai. Nous devons désirer d’avoir, le plus tôt possible, des descriptions complètes, exactes et détaillées du cerveau de ces animaux, pour décider si l'ordre des Rongeurs et celui des Chéiroptères se rattachent à celui des Primates par le type du cerveau, comme ils s’y rattachent par la forme du placenta. Enfin je signale les difficultés que nous présentent les Édentés, les Célacés et les Marsupiaux. Pour les Édentés , je mentionne principalement le cerveau du Tamanoir et celui de l'Oryctérope ; celui des Paresseux et celui des grandes espèces de Tatous, comme le Kabassou et le Priodonte ; enfin ceux des Pangolins, que je n'ai pu étudier que d’une manière fort imparfaite. Quant aux Cétacés, il n'en est pas un seul dont l'étude ne serait actuellement fort instruc- tive. Le cerveau des Lamantins et des Dugongs avait ici un intérêt tout particulier par suite des nombreux rapports qui lient ces ani- maux aux Pachydermes , et celui des Stellères par suite de leurs affinités probables avec les Édentés. Quant aux Marsupiaux , je mentionne surtout le cerveau du Thylacine. Je crois done, en terminant ce Mémoire, devoir appeler l’atten- tion des anatomistes sur ces lacunes de mon travail, et les engager à donner des descriptions détaillées des circonvolutions cérébrales chez tous les animaux dont je viens de donner la liste, et qu’ils pourraient avoir à leur disposition. Je les signale également aux naturalistes voyageurs qui pourraient, dans l'Amérique méridio- nale, par exemple, réunir assez facilement la collection des cerveaux les grands Édentés , collection qui serait aujourd'hui si précieuse à ant d’égards. Je serais heureux si cet appel pouvait être entendu , t si la possession de nouveaux documents me permettait un jour e reprendre et de compléter ce travail. 1) Lamort récente de Duvernoy l'a empêché de remplir la promesse qu'il avait faite de décrire le cerveau du Cabiai. 108 C. DARESTE, — CIRCONVOLUTIONS DU CERVEAU Considérations générales. Arrivé au terme de ces recherches , que je poursuis déjà depuis quelques années, je ne puis m'en séparer sans faire part aux lec- teurs de quelques observations qu’elles m'ont suggérées. On sait l'importance que certaines doctrines ont attribuée aux circonvolutions du cerveau dans le développement de l'intelligence. Ces idées, dont l’origine se retrouve dans les anatomistes de l’anti- quité, et qui ont été reproduites à diverses périodes de l’histoire , ont acquis de nos jours un immense retentissement par suite de l'extension des théories phrénologiques. Jene chercherai point ici à combattre ces théories ; assez d’autres l'ont fait avant moi, avec beaucoup plus d'autorité et de succès que Je ne pourrais le faire. Mais si aujourd’hui elles ne sont plus géné- ralementadmises, nous ne pouvons pas ne pas reconnaître qu’elles ont laissé en physiologie, chez leurs adversaires aussi bien que chez leurs partisans , une opinion exagérée du rôle des circonvo- lutions. J'ai déjà montré, dans mes premiers Mémoires , que cette opi- nion est en contradiction avec les faits ; qu'une même famille peut contenir des espèces à cerveaux lisses et des espèces à cerveaux plissés, si elle contient des espèces de taille très différente; et qu’on ne peut admettre que les petites espèces soient moins intelligentes que les grandes. Je ne reviendrai point sur cette question, que j'ai traitée plus longuement ailleurs. Je dois dire seulement qu'il me parait difficile, quand on à étudié avec soin cette question des circonvolutions, d'y attacher aucune importance physiologique. Je ne puis croire que des dispositions organiques qui, dans une espèce, sont variables individuellement, variables mème d’un hémisphère à l’autre d'un même cerveau; qui peuvent exister ou ne pas exisler dans des espèces fort voisines et distinctes par la taille; je ne puis croire, dis-je, que ces dispositions soient en rapport avec d'importants phénomènes physiologiques. Mais siles recherches que je viens de faire me conduisent en physiologie à un résaltat négatif, elles ont pour moi un intérêt d'une CHEZ LES MAMMIFÈRES. 109 autre nature, en ce qu'elles pourront, je l'espère du moins, nous fournir des notions importantes sur la constitution même du cerveau. Je n’ai pu me livrer aux longues études que mon travail a néces- sitées, sans que ma pensée ne fut sans cesse préoccupée des ques- tions suivantes : Ces plis de la surface du cerveau, qui, malgré leur diversité apparente, se reproduisent toujours les mêmes dans toutes les espèces d'une même famille, ne sont-ils point la traduction, le signe extérieur d’une même disposition anatomique? Ef si nous avons constaté plusieurs types cérébraux dans l’arrangement des cireon- volutions, chacun de ces types ne répond-il point à un type anato- mique spécial ? Quelles sont les conditions anatomiques qui sont, dans chaque type, le point de départ et la cause de la disposition des circonvo- lutions ? Quelles sont les dispositions anatomiques qui, dans chaque groupe pris à part, déterminent la complication croissante de la surface des hémisphères, depuis les espèces à cerveaux lisses jus- qu'aux grandes espèces qui nous présentent des circonvolutions nombreuses et très ondulées ? Enfin, la solution de ces diverses questions ne pourrait-elle pas répandre une lumière inattendue sur lune des questions les plus obscures et les plus controversées de l'anatomie, celle de la struc- ture du cerveau ? La grande complication apparente du cerveau de l'Homme ne pourrait-elle pas être éclaircie par l'étude plus facile des cerveaux des Singes, et particulièrement des Singes à cerveaux lisses, qui, comme nous l'avons vu, dérivent d’un même type? Je ne sais si je me laisse abuser par l'importance qu'un auteur attribue toujours, même involontairement, à son ouvrage; mais il me semble que ce sont là toutes questions d’un haut intérêt, et qui sont encore aujourd'hui entiérement nouvelles pour la science. J'ignore si je serai jamais en mesure de les aborder. Je crois devoir appeler sur elles l'attention des anatomistes. 110 C. DARESTE, — CIRCONVOLUTIONS DU CERVEAU EXPLICATION DES FIGURES. PLANCHES © el 5. Type des Carnassiers (N. B. Les mêmes lettres indiquent partout les mêmes cir- convolutions). Fig. 1. Cerveau d’Isatis. — a, première circonvolution entourant immédiate ment la scissure de Sylvius. b, deuxième circonvolution. c, troisième circonvo- lution, d, quatrième circonvolution. e, circonvolution sus-orbitaire. f, sillon crucial (Leuret lui donne une grande importance, mais à tort). Fig. 2. Cerveau d'Hyène tachetée. — On voit sur ce cerveau que les deux cir- convolutions qui entourent la scissurene sont séparées qu'en arrière, etqu'elles se confondent en avant pour n'en former qu'une. Fig. 3. Cerveau du Chat domestique. — Les deux circonvolutions qui entourent la scissure sont complètes ; mais elles se confondent à leur partie supérieure. Fig. 4. Le même, vu supérieurement, pour montrer l'élargissement antérieur des circonvolutions supérieures. Fig. 5. Cerveau de Fouine. — On n'y voit que trois circonvolutions. Fig. 6. Cerveau de Mangouste. — Les circonvolutions qui entourentla scissure sont peu nettement dessinées. j Fig. 7. Cerveau de la Genette. Fig. 8. Cerveau de Kinkajou. . Type des Marsupiaux herbivores. Fig. 9. Cerveau de Kangourou, vu par la partie supérieure. Fig. 10. Cerveau de Kangourou, vu de côté. — Ces deux figures sont tirées du Mémoire de M. Owen sur les Marsupiaux. Je n'ai pu avoir un cerveau de Kangourou assez intact pour être dessiné, Type des Primates. Fig. 11. Cerveau du Mangabey. — a, scissure de Sylvius. b, sillon parallèle. e, sillon que M. Gratiolet désigne sous le nom de pli courbe. d, sillon antérieur dont la direction se continue avec celle du précédent. e, sillon de Rolando. f, sillon parallèle au sillon de Rolando, et qui concourt avec lui pour former la circonvolution accessoire du cerveau des Singes. Fig. 12. Cerveau du Callitriche Moloch. — J'ai copié cette figure et la suivante dans l'atlas de M. Gratiolet, parce que je n'ai pu me procurer la pièce origi- nale. Fig. 43. Le même, vu de côté Fig. 14. Cerveau du Vari.—J'ai figuré ce cerveau à côté de celui du Callitriche Moloch, pour montrer la ressemblance de ces deux cerveaux, qui ne diffèrent l'un de l’autre que par l'existence, chez le premier, du lobe occipital. CHEZ LES MAMMIFÈRES , Ait Fig. 45. Cerveau du Magot, vu supérieurement. Fig. 16. Le même, vu latéralement. —J'ai figuré ce cerveau avec celui du Man- gabey, pour montrer les deux manières d'être qu'affectent chez ces animaux les circonvolutions qui entourent la scissure de Sylvius. Dans le Mangabey, le sillon parallèle se réunit supérieurement à la scissure de Sylvius pour former une circonvolution qui se termine en pointe, tandis que cette réunion n'a point lieu dans le Magot. Type des Ruminants et des Pachydermes. Fig. 17. Cerveau de Corinne. — a, 1"* bandelette cérébrale moyenne. b, 2° id. c, 3° id. d, 4° id. e, bandelette externe (1"° circonvolution). f, bandelette externe (2° circonvolution). Fig. 48. Le même, vu de côté. — g, circonvolution sus-orbitaire. Fig. 19. Cerveau du Mouton.— h, pli de partage entre la bande moyenne et la bande externe. — Ce cerveau, qui n'avait pas été durci dans l'alcool, était un peu aplati quand je l'ai dessiné. Aussi sa forme est-elle un peu altérée; mais cela n'a pas influé sur les dessins des circonvolutions. Fig. 20. Cerveau du Pécari à collier. — i, bande cérébrale interne. Fig. 21. Cerveau du Tapir d'Amérique. —j, circonvolutions ascendantes de la bande cérébrale moyenne. NOUVELLES OBSERVATIONS SUR LE DÉVELOPPEMENT DES TRÉMATODES. (Extrait d'une Lettre de M. DE FILIPPI à M. MILNE EDWARDS.) Ayant continué mes observations sur les larves des Trématodes, je suis parvenu à quelques résultats qui me semblent de quelque intérêt. Je dirai avant tout qu'il faut décidément distinguer deux types de Cercaires, dont l'un serait représenté par la €. armata , l’autre par la C. echinata, et peut-être un troisième pour la €. fur- cata et le Bucephalus. Les Cercaires du premier type ont toujours pourorigine de simples Sporoevstes ; les Cercaires du second type toujours de Rédies, ou Vers jaunes de Bojanus. Les premières s’en- kystent aussi bien que les secondes ; mais l'enveloppe de leur kyste est mince, et le jeune Trématode qui est dedans peut continuer à 112 DE FILIPPI. — NOUVELLES OBSERVATIONS croître, et croit en effet, se nourrissant des humeurs des tissus dans lesquels les kystes sont nichés. Dans les Cercaires du second type, les parois du kyste sont plus épaisses ; le jeune Trématode renfermé ne croit plus, et ne fait qu'attendre le moment d’une transmigralion passive dans un autre animal. Une espèce du premier type que j'ai récemment observée est celle que j'ai anciennement décrit sous le nom de Distoma virqula, et que j'ai trouvée encore en abondance dans la Paludine impure. Cette Cercaire devient un Distome enkysté dans les larves des insectes aquatiques : j'en ai trouvé qui avaient grandi dans cet état dans des larves de Perlides. J'espère maintenant parvenir à dé- terminer le Distome adulte, qui clôt la série générique de l'espèce. Mais ce quiest plus intéressant, c’est que j'ai pu voir deux fois avec la plus grande elarté et évidence la transformation directe d’un Infusoire, assez voisin des Opalines, dans les Sporocystes de cette Cercaire. Après avoir jeté le doute sur l'opinion de mon ami le professeur V. Siebold, selon laquelle le Ver jaune de Bojanus serait procréé par un embryon infusoriforme qui sort directement de l'œuf des Trémalodes, je dois faire amende honorable, et reconnaître que cette opinion mérite d'être partagée avec pleine et entière confiance. En effet, je viens de trouver dans un Lymnœus palustris, tout plein de Rédies , un corps qui avait l'aspect d’un Infusoire mort, encore couvert de ses cils, et qui présentait dans l’intérieur un autre corps assez semblable à une jeune Rédie. Il est bien sûr pourtant que Lout en appréciant à sa juste valeur la belle observation de Siebold, on doit admettre, dans les Rédies une fois formées, la faculté de se multiplier par elles-mêmes. En rapprochant ces deux faits que je viens d’énoncer , il est permis d'en déduire que le mode de formation des Sporocystes et des Rédies est différent; que les Sporocystes se forment pri- mitivement par pure et simple métamorphose d’un embryon infu- soriforme ; et les Rédies sont le produit d'une métagenèse d’un tel embryon. De belles trouvailles sont réservées à ceux qui s'adonneront à la recherche des larves des Trématodes dans les Mollusques SUR LE DÉVELOPPEMENT DES TRÉMATODES, 113 marins. J'ai commencé une suite d'observations, et déjà j'ai pu trouver dans la Vassa mut.bilis des Sporocystes , qui contiennent non pas des Cereaires , mais des Distomes armés , munis de longs cils à l'extrémité postérieure du corps. Peut-être je n'ai pas assez bien observé le Distome du Lymnœus auricularis décrit dans mor mémoire ; et je pense que lui aussi est muni d’un aiguillon : ce que je me propose de vérifier à la première occasion. Mais ce qui m'a causé le plus de plaisir, ce fat de revoir Ja Cer- caire que j'ai décrite anciennement sous le nom de Diplodisus Diesingii. Je l'ai trouvée très fréquente dans le P'anorbis vorter, près de Moncalier. C'est une des plus grandes el beiles, et des plus curieuses aussi, par son organisa ion. Dans le mémoire que j'a pub'ié dernièrement, j'ai dit que cette Cercaire pourrait être très bien l'état delarve de l'Amphistomum subelavatum. Cette supposi- tion est maintenant pleinement confirmée. J'ai trouvé dans l'in- testin du Triton punctatus, qui habite les mêmes vaisseaux, cet Amphistome , à tout les degrés de développement, depuis la forme de la Cercaire qui vient de perdre sa queue, jusqu'à celle d'un indi- vidu adulte et pourvu d'organes sexuels ; tout à fait identique dans ce cas avec l’4. subclavatum des Grenouilles. Les taches noires de la Cercaire sont des véritables yeux, avec une lentille conique et une couche de pigment. Le jeure Amphistome en est encore muni, et laisse alors clairement apercevoir que ces yeux sont suppertés par les ganglions de la masse nerveuse sus-æsophagienne. Plus tard, la lentille se dissout, et les granules pigmentaires se dispersent: I y à donc dans cette espèce une mélamorphose repressive, analogue à celle de plusieurs Crustacés (Lernéens, Cirripèdes, ete.) Turin , le 31 mars 1855. 4° série. Zoo T. III. (Cahier n° 2.) $ 8 OBSERVATIONS SUR LA CONTAGION DE LA GALE DES ANIMAUX A L'HOMME, Par M. BOURGUIGNON (1). Comme tout le monde, je croyais à la contagion de la gale entre ani- maux d'espèce différente. Cependant, quelques malades s’étant présentés à Vhôpital Saint-Louis comme atteints de la gale du Chat, du Chien ou du Cheval, sans que je pusse jamais trouver sur eux des Acares autres que ceux de l'Homme, le doute entra dans mon esprit, et je fis des expériences dans le but d'éclairer cette question. Je déposai sur ma peau des Acares de Cheval : j'en fus piqué, ils me firent éprouver des démangeaisons lo- cales, sans autres accidents ultérieurs. J’en ai conclu que les parasites aca- riens du Cheval ne vivaient pas sur l'Homme, et que le Cheval ne pouvait nous transmettre sa gale. Des Sarcoples d'homme, déposés sur des Chiens, des Chats, des Lapins , des Oiseaux, elc., n'ayant pu y vivre au delà de dix à vingt jours, ni provoquer de maladie, j’en ai conclu également que la gale de l'Homme ne pouvait se transmettre aux animaux. Ces essais de contagion ont été faits à Saint-Louis, alors que j’expérimentais le traite- ment par les frictions générales, dans le service de M. Bazin. — Quelques années plus tard, en collaboration de M. Delafond, à l’école d’Alfort, à l'occasion d’un travail important sur la gale du Mouton, nous avons fait de nouvelles tentatives de contagion entre les animaux et l'Homme et les ani- maux entre eux, et nous n'avons pu transmettre la gale d’une espèce ani- male à une autre. Des centaines d'Acares du Mouton et du Cheval ont été déposés sur la peau d’un grand nombre d'élèves de l'école d’Alfort, sans qu'il en soit résulté d’autres phénomènes que des piqüres faites par les Sar- coptes, qui ponctionnaient la peau dans le but de sustenter leur existence, et quelques démangeaisons. Des tentatives faites également pour donner la gale du Mouton aux espèces chevaline, bovine, caprine, etc., qui vivent le plus souvent avec les troupeaux, ayant de même complétement échoué, nous en avons conclu que la gale d'une espèce animale, l'Homme compris, ne pouvait se transmettre à une autre espèce animale. (1) Gazette hebdomadaire de médecine, t. IE, n° 14, p. 495. BOURGUIGNON. — UBSERVATIONS SUR LA CONTAGION , Etc, 115 Nos expériéncesétaient méthodiquement instituées, nos conclusions par- fäitement logiques, disons-nous, et cependant un fait nouveau vint apporter des doutes dans nos esprits. En effet, nous fûmes un jour étrangement sur- pris de ne pouvoir transmettre la gale de plusieurs Moutons à d’autres Moutons bien portants; et, soupçonnant alors que les parasites acarie s exigeaient peut-être avant tout un terrain favorable, une sorte de diath se psorique, pour vivre même sur l’animal auquel ils appartenaient, un ré- gime débilitant rendit chloro-anémiques ces mêmes Moutons tout à l'heure réfractaires à la contagion par le dépôt de plusieurs centaines de parasites, et, au bout de trois mois, quelques Acares furent plus que suflisants pour leur donner une gale, pour ainsi dire mortelle, de telle sorte que nous transmettions la gale à volonté, suivant l’état de santé dans lequel nous placions nos Moutons. Ce fait capital apporta nécessairement dans la ques- tion un nouvel élément, dont nous n'avions pu tenir compte lors de nos expériences précédentes. Dès que la contagion de la gale entre animaux de méme espèce et parfaitement portants était dans certains cas impossible, il pouvait se faire, à fortiori, que nos insuccès dans les tentatives de conta- gion entre animaux d'espèces différentes fussent dus en partie à l’état de santé des animaux mis en expérience, car les Chats, les Chiens, les Lapins, les Vaches, les Chèvres que nous avions choisis avaient, pour la plupart, apparence d’une santé florissante, et se lrouvaient peul-être dans le cas des Moutons bien portants, c’est-à-dire réfractaires à la contagion. De nouvelles observations de transmission de la gale du Lion à l'Hyène, à l'Ours, ainsi qu'à plusieurs autres animaux, ne tardèrent pas à éclairer nos doutes à cel égard. Le sieur Borelli achète à Marseille cinq Lions arrivant d'Afrique; leur santé, sans être absolument bonne , ne présentait rien d’inquiélant. Ils souffraient , dans leur caplivité, du manque d'exercice, d’air et de bonne nourriture, mais leur peau paraissait saine. H les conduit à Paris, ainsi qu'une Hyène et un Ours, et les dépose pro- visoirement au Jardin des plantes, en attendant que le cirque Franconi, boulevard du Temple, aux représentations duquel ces animaux étaient destinés, ait préparé un emplacement convenable pour les recevoir. Ces Lions étaient tous jeunes , le plus âgé n'avait pas deux ans. L'un d'eux meurt au Jardin des plantes; les quatre autres sont transportés au cirque et montrés en Spectacle , ainsi que l'Hyène et l'Ours. La santé de ces Lions, loin de s'améliorer, s’altérait de jour en jour, sans que l’on s'en préocceu- pät beaucoup. Un second Lion meurt, et son cadavre est envoyé à l'école d'Alfort, où MM. Goubaux et Delafond ont l'occasion d'en faire lautopsie, 116 ROURELIGNON. — OBSERVATIONS SUR LA CONTAGION et de s'assurer que la peau est couverte de sécrétions croûteuses dues à la gale, car le microscope démontre la présence d'un grand nombre de Sarcoptes. M. Delafond s’empresse de me donner avis de ce fait, et nous nous transportons à l'administration du Cirque. Nous constatons, dans une première visite, que le nommé Cyprien, entré comme garçon au service du sieur Borelli depuis trois semaines seulement et plus spécialement chargé des soins à donner aux Lions, est couvert d’un prurigo général, en même temps qu'il éprouve d'atroces démangeaisons pendant les premières heures de son séjour au lit; que le sieur Borelli ainsi que sa fille, qui entrent dans la cage des Lions lors des représenta- tions devant le public, sont atteints de la même maladie, Nous apprenons, de plus, que depuis le jour où le garçon Cyprien a pris l'éponge destinée aux pansements des Chevaux du Cirque pour laver les Lions , trois pale- freniers qui se servent de cette éponge ressentent des démangeaisons , et qu'enfin six Chevaux, pansés avec l’éponge en question, présentent sur la croupe une éruption particulière. Les Lions, visités à leur tour, portent les traces d’une maladie de peau générale. L'Hyène et l'Ours paraissent dans un bon état de santé, malgré leur contact journalier avec les Lions. Rendez-vous est pris pour le lendemain à l’administration du Cirque, où nous transportons le microscope mobile dans le but d'examiner les per- sonnes malades, et des microscopes ordinaires dans celui d'étudier les produits pathologiques. Cyprien présente d'abord sonbras au foyer du microscope, el nous trou- vons sans peine les sillons bien connus de la gale de l'Homme, et à l'extré- mité de ces sillons des Acares, qui, portés au foyer du microscope ordi- naire, nous offrent la plus grande ressemblance avec les Acares propres à l'espèce humaine : aussi lui fut-il immédiatement déclaré qu'il avait la gale, mais la gale de l'Homme, car le parasite trouvé sur lui ne permettait pas d'en douter. Le sieur Borelli est examiné à son tour, et nous trouvons également sur lui les caractères ordinaires de la psore et le parasite de l'Homme. Ne pouvant soupçonner que les Sarcoptes des Lions seront identiques avec ceux {rouvés sur l'Homme jusqu’à ce jour, notre première pensée fut donc que nous avions affaire à la gale commune à notre espèce, et le trai- tement fut formulé en conséquence pour Cyprien, le sieur Borelli et sa fille. Les trois palefreniers n'ayant encore que des démangeaisons et quel- ques papules isolées, des bains de son leur furent seuls ordonnés. Les Chevaux malades portaient tous sur la croupe une sorte d’éruption pustu- DE LA GALE DES ANIMAUX 4 L'HOMME. 117 leuse se terminant par dessiccation et par croûtes, mais sans trace appré- ciable de parasites; on leur fit de simples lotions émollientes, tant pour proportionner le traitement aux indications pathologiques, que pour observer ultérieurement la marche de le maladie dans le cas où des Acares transmis auraient pu vivre. Après avoir ainsi soumis les Hommes et les Chevaux à un scrupuleux examen, nous passämes aux Lions. Le garçon Cyprien pénétra dans leur cage réservée, qui d’ailleurs était humile, mal aérée, et bien propre à perpétuer la gale; il nous approcha les animaux des barreaux, afin de mieux nous faire voir l’état de la peau et surtout de la tête, qui étaient le siége des lésions les plus graves ; en effet, elle était couverte de squames croûleuses, qui donnaient aux oreilles et au nez un aspect éléphantiasique ; les narines, gonflées et obstruées par des croûles, devaient gêner la respi- ration. L’alfection cutanée était d’ailleurs générale, les poils feutrés et hé- rissés, la peau indurée. Le plus jeune des trois Lions était manifestement plus gravement alteint que les deux autres ; son extrème maigreur, le dé- cubitus anormal qu'il alfectait en retirant sa tête entre ses deux épaules, en cherchant du calorique auprès de l'Hyène qui vit en communauté dans la mème cage, enfin la diarrhée qui de temps à autre épuisait ses forces, tout démontrait qu'une grave consomption menaçait ses jours. Du plus au moins, l'aspect général des deux autres Lions était le même. Cyprien en- lève sur le peau, aux endroits les plus malades, à l’aide d’un peigne, une abondaute provision de produits morbides qui, examinés plus à loisir au laboratoire, nous démontrent la présence d’un grand nombre de Sarcoptes, de tous points identiques avec ceux de l'Homme , en même temps qu'ils nous expliquent comment la contagion s’est aussi facilement transmise des Lions aux personnes qui les ont touchés. Mais si le fait de contagion se trouvait ainsi naturellement expliqué, il n’en était pas de même de l'iden- tité si imprévue constatée entre les Acares de l'Homme et ceux du Lion. Comment des êtres placés à une si grande distance dans l'échelle animale, d’une organisation si différente , ayant un tégument dans des conditions si opposées, avaient-ils les mêmes parasites ?...…. On pouvait, il est vrai, prendre moins de soucis de la difficulté, et supposer tout simplement que des Hommes atteints de la gale lavaient transmise à ces Lions; mais comme la science exige autre chose que des suppositions, il fut arrêté que nous chercherions ultérieurement à nous rendre compte de cette étrange anomalie. Les Lions furent frottés avec de la benzine, qui est parasiticide au suprême degré. Quant à l'Hyène , qui vivait en communauté complète avec les Lions, on ne découvrit d’abord rien qui püt taire soupçonner lin- 118 BOURGUIGNON. —- OBSERVATIONS SUR LA CONTAGION fluence de la contagion sur sa santé; il en fut de même pour Ours. Aussi ces animaux continuérent-ils de vivre au contact des Lions. Les traitements prescrits parurent d'abord aussi efficaces pour les bêtes que pour les gens, et la vive inquiétude qu'une contagion déjà établie sur de si grandes pro- portions avail causé au Cirque se calma insensiblement. Cependant, nous ne pouvions nous en tenir aux diverses hypothèses qui semblaient rendre plus ou moins bien compte de cette étrange transmis- sion de la gale, et dans le but de substituer les faits aux théories, nous primes le parti d'aller aux Jardins des plantes demander à M. Geoffroy Saint-Hilaire s’il ne pourrait pas mettre, dans le but de tenter quelques expériences, un Lion à notre disposition. Notre requête, reçue avec bien- veillance, parut difficile à satisfaire ; néanmoins on nous fit visiter les Lions de la ménagerie, et, pendant que nous cheminions dans les galeries, notre attention se porta sur un des gardiens qui se grattait plus que de raison. Interrogé sur la cause de ce prurit, il nous répondit qu’il avait des boutons et des démangeaisons depuis qu'on avait reçu au Jardin les animaux d’un sieur Borelli ; il appela un autre gardien qui se trouvait dans le même cas. Examen fait de leur maladie, il fut constaté qu’ils avaient la gale, et que l'un des gardiens marié l'avait donnée à sa femme. Le traitement spécial leur fat conseillé. La ménagerie n'ayant pas de Lion dont on püût disposer, M. Geoffroy Saint-Hilaire voulut bien nous offrir de demander pour nous un jeune Lion d'Algérie par l'entremise du ministre de la guerre, offre que nous avons acceplée avec empressement, de telle sorte que nous espérons pouvoir donner suite à ces premières études sur la gale du Lion. Nous avons dit que l'Hyène vivait dans la même cage que les Lions, et que ces derniers allaient chercher près d’elle la chaleur qui leur faisait dé- faut. Ce contact immédiat permettait aux parasites des Lions d’envahir la peau de lHyène, et cependant elle résistait à la contagion. Nous commen- cions à croire que la gale du Lion ne pouvait lui être transmise, quand au bout de trois mois, la psore apparut enfin chez elle avec tous ses symptômes, au point qu’elle communiqua à son tour aux Lions guéris la gale qu’elle avait reçue d'eux. L'Ours, qui avait toute l'apparence de la santé, examiné avec plus de soin, parut menacé lui-même de la maladie commune, et de- puis lors ce doute est confirmé. Du reste, il faut ajouter que la guérison momentanée des Lions avait à peine amélioré leur santé générale , et que la diarrhée, si funeste à ces animaux, et entretenue par un ensemble de causes antihygiéniques, compromettait gravement leur existence ; lorsque Pabandon de ces animaux par le sieur Borelli dans des cages étroites, le défaut de soin, l'absence de tout traitement. malgré nos avertissements, DE LA GALE DES ANIMAUX À L HOMME. 119 causèrent bientôt la mort de deux Lions sur les trois survivants et celle de FHyène. La guérison des personnes contaminées s’est maintenue jusqu’à ce jour. Il résulte de l'ensemble de tous ces faits que cinq Lions amenés à Paris dans un état de santé misérable, et déjà atteints de la gale, puisqu'ils Pont communiquée à leur arrivée à Paris aux gardiens du Jardin des plantes, ont transmis directement cette maladie à cinq personnes, et qu'ils parais- sent avoir provoqué indirectement une affection cutanée moins grave sur trois palefreniers et six Chevaux; que ce fait de contagion de la gale d’un animal à l'Homme , le seul jusqu’à ce jour scientifiquement démontré ; trouve son explication dans l'identité absolue de l'élément actif de la con- tigion ou du parasite chez l'Homme et le Lion; qu'une Hyène et un Ours, souris en vain pendant plusieurs mois aux causes les plus énergiques de la contagion, ont néanmoins fini par étre réellement contaminés ; qu’enfin là spore a été, pour la plupart de ces animaux, placés, ilest vrai, dans des cenditions essentiellement propres à les frapper de consomption, une mä- ladie des plus graves, puisque la mort s’en est suivie. Ges conclusions générales ont certes leur importance; mais la question capitale de savoir si, dans ce cas particulier, c’est le parasite propre au Lion ou celui propre à l'Homme qui a été transmis, reste entière. Disons cependant que nous avons commencé quelques travaux dans le but de l’élu- cider par anticipation. Si les Lions nous manquent, nous avons des ani- maux domestiques du même genre, vous avez nommé le Chat, qui peut nous mettre sur la voie des résultats auxquels nous conduiront des études faites sur le Lion lui-même. À priori, nous avons fait ce raisonnement : tout porte à croire que le parasite de la gale du Chat et celui du Lion sont sinon absolument identiques, du moins analogues, et l’analogie d’organisa- tion des parasites doit entraîner une certaine corrélation dans les faits de contagion. Si, au contraire, l’Acare trouvé sur le Chat diffère notablement de celui observé sur le Lion, et qui est identique avec celui de l'Homme, nous aurons quelque raison de croire, dans le cas particulier qui nous occupe, que le parasite du Lion reste à trouver, et que c’est le Sarcopte de FHomme qui lui a élé transmis. Partant de ces idées théoriques , nous nous sommes procuré un Chat galeux; nous avons fait l’entomologie de son parasite, et nous avons con- stalé qu'il est en quelque sorte le diminutif de celui observé sur les Lions ; car, sauf de légères modifications dans des organes secondaires, le parasite du Chat est celui du Lion réduit à de plus petites proportions. De ce pre- mier fait, nous avons tendance à croire que le parasite trouvé sur le Lion 1920 ALVARO REYNOSO, — MÉMOIRE est bien celui qui lui est propre, et si nous avions à nous prononcer d’après ces données, insuflisantes d’ailleurs pour conclure d’une manière absolue , nous dirions que la cause première de la contagion observée au Cirque entre le Lion et l'Homme semble partir du Lion et non de l'Homme. D'autre part, par analogie, on peut supposer que le parasite du Chat sivra sur l'Homme, car il est pourvu comme celui du Lion de tous les or- ganes propres à inciser l’épiderme, à ponctionner le derme , à cheminer dans un sillon sous-épidermique. L'observation nous dira avant peu s’il en a réellement la force, car il pourrait mourir sur notre tégument, entre autres causes, faute de pouvoir l’entamer en raison de sa petitesse. Disons enfin que les Acares trouvés vivants sur les Lions et l'Hyène lors de leur autopsie ont été déposés sur le Cheval, le Chien, le Mouton , le Lapin, le Cochon d'Inde, le Singe et sur l'Homme, et que nous étudions en ce moment les effets de celle contagion directe. Ces travaux sur la contagion de la gale des animaux à l'Homme et de l'Homme aux animaux seront done continués, tant pour nous rendre au vœu émis par la commission de l'Institut, que pour arriver à des conclu- sions plus précises, et cela malgré le labeur infructueux qui s’atlache à de pareils travaux. MEMOIRE SUR LA PRÉSENCE DU SUCRE DANS LES URINES ET SUR LA LIAISON DE CE PHÉNOMÈNE AVEC LA RESPIRATION , Par M. ALVARO REYXOSO. La vie est un ensemble de formations et de décompositions sue- cessives ; nos organes se détruisent et se reforment continuellement pendant toute sa durée , bien qu’à certaines époques chacune de ces actions puisse augmenter ou diminuer séparément (4). Nous avons une preuve de la décomposition qu'éprouvent nos organes dans le besoin incessant de nourriture, besoin qui ne dépend pas uniquement de la diminution des liquides , car les parties solides y (1) Voyez Burdach, Traité de physiologie. &. VIE, p. 420, tt. IX: p 101 a. 691. SUR LA PRÉSENCE DU SUCRE DANS LES URINES. 121 contribuent aussi pour leur part. En eflet, ces parties, les museles surtout, perdent de leur masse, et leur composition normale finit par s’altérer, lorsque lanourriture manque. Une addition de maté- riauxX nouveaux suppose une consommation correspondante , et, comme le corps demeure semblable à lui-même, quand la nutrition ne subit aucune altération, celle-ci doit avoir pour antagoniste une résorption, dont là quantité proportionnelle est trop forte dans l'atrophie, et trop faible dans F'hypertrophie. Et ce renouvellement des matériaux doit accompagner tous les actes de la vie; car l'accroissement de l'activité dans une fonction de l'organisme entraine à sa suite, où bien le besoin d'une plus grande somme de nourriture et de repos , ou bien lémaciation et l'épuisement. C’est ce qu'on observe dans les fièvres , de même qu'après les exercices violents, les veilles prolongées, les travaux opiniätres de cabinet et les orages des passions. D'après cela, notre corps est assujetti à un changement continuel de sa substance, de sorte qu'au bout d’un certain nombre d'années il ne reste plus un seul atome de la matière dont il était formé. L'animal a donc besoin de matières propres à réparer les pertes que l'énergie vitale fait éprouver à ses organes, matières qui doivent présenter la même composition que ces mémes organes. D'un autre côté, nous savons que la vie est toujours accompa- gnée d’un certain dégagement de chaleur ; et, soit que nous con- sidérions cette chaleur, d'après les anciens, comme la source de la vie, ou qu'elle ne soit qu'un résultat, il est prouvé en tous cas que ce dégagement de chaleur est proportionnel à l'énergie et à l’activité de la vie. De plus, nous voyons que la respiration exerce une influence sur la production de là chaleur, et que ces deux fonctions sont en raison directe l'une de l’autre dans la série animale, dans les diverses circonstances et les différentes périodes de la vie. On sait, par exemple, que la respiration est la condition de la force musculaire, et que le développement du système respiratoire dans la série animale est en raison directe de la facilité et de la vélocité du mouvement volontaire. La chaleur dégagée est proportionnelle à la respiration. I'est également incontestable que la quantité de chaleur déve- 122 ALVARO REYNOSO. — MÉMOIRE loppée est proportionnelle, en général, à l'oxygène inspiré et à l'acide carbonique expiré. Ainsi, à un haut degré d'organisation , lorsque la vie jouit d'une grande activité, et que le développement de la chaleur est considérable, la consommation d'oxygène est plus graride. I faudra done à l'animal des substances propres à se combiner facilement à l'oxygène, et à développer le plus de chaleur dans cette combustion. Dans l'alimentation, il faut donc deux espèces de substances : les unes destinées à s'identifier avec les parties de l'organisme, à réparer les pertes qui accompagnent l'exercice de la vie et à développer nos organes ; les autres destinées à fournir la chaleur par leur combinaison avec l'oxygène dans l'acte respira- loire. Les décompositions qui accompagnent l'exercice de la vie, et la chaleur qui en est la suite ou la cause, étant toutes les deux en raison directe de l'énergie de la vie, il est clair que la quantité d'alimentation doit être proportionnelle à l'activité vitale. Liebig appelle les aliments réparaleurs aliments plastiques, et, sous cette dénomination, il range l’albumine, la caséine et la fibrine animales el végélales. Ces substances sont, en effet, les seules fouraies par ces deux règnes, qui soient capables de donner naissance, dans la nutrition, aux parties essentielles du sang qui nourrit nos organes. On comprend aussi qu'on doit ranger parmi ces aliments plastiques les divers sels minéraux qui concourent à la formation des solides et à la composition des liquides de l’économie. Liebig désigne sous le nom d'agents de la respiration les ali- ments destinés à se combiner avec l'oxygène pour développer la chaleur, et il y range toutes les matières non azotées (sucre, ami- don, graïsse). Parmi tous ces agents de la respiration, le plus con- venable, en ce qu'il brüle plus facilement et produit plus de cha- leur, c’est la graisse. Tant qu'il y a accord entre les proportions de ces substances dans l'alimentation mixte et l'énergie vitale, chacune d'elles rem- plit son but; car, dans la cireulalion, les aliments plastiques sont préservés de la combustion par la présence des substances non azotées: mais aussitôt que celles-ei viennent à manquer, il y a une certaine proportion des aliments plastiques quise détruisent, quoi- SUR LA PRÉSENCE DU SUCRE DANS LES URINES. 123 qu'ils brülent diflicilement, et produisent peu de chaleur. Il est probable que ces aliments plastiques ne sont brülés qu'après avoir été transformés en d’autres substances, en graisse par exemple (4). Lorsque, au contraire, ce sont les aliments plastiques qui vien- nent à manquer, l'animal dépérit et meurt, ear les animaux n’ont pas la faculté de transformer le sucre, l'amidon, la graisse, en ali- ments plastiques, propriété que possèdent seuls les végétaux. Si l'animal se trouve soumis à un régime mixte très abondant, alors il prend de l’embonpoint, c'est-à-dire que les organes s’accroissent par les substances plastiques accumulées et par les agents respiratoires (la graisse) déposés. Examinons la part que les aliments prennent dans la formation de la graisse. Nous avons déjà dit que la graisse est une substance destinée à concourir à la production de la chaleur; son accumulation dans l'organisme ne peut provenir que d’un manque de respiralion , d'un excès de nourriture, ou de tous les deux à la fois. La graisse peut ou provenir des aliments , ou se former dans l’économie ; elle peut aussi être déposée dans l'organisme de ces deux manières à la fois. Presque toujours l'économie en produit la plus grande partie, surtout quand l’alimentation est riche en sub- stances plastiques. Quand un animal est soumis à un régime pauvre eu substances plastiques, alors l'accumulation de la graisse est sen- siblement égale à celle que l'animal ingère. Lorsque la graisse domine dans les aliments et que les matières plastiques ne suffisent pas pour former les cellules, les museles sont résorbés et la graisse se dépose; mais une maladie s'ensuit, el Fanimal meurt. S'il est (1) Même, pendant un régime mixte, nous voyons apparaître dans les urines des principes tels que l'urée, l'acide urigre, etc., substances azotées qui ne peu- vent provenir que de matières azotées brülées. Leur origine est bien facile à expliquer. Nous avons déjà admis que la vie est une suite non interrompue de décomposilions et de recompositions. Les substances azotées de nos organes, qui ont élé modifiées pendant l'exercice de ces derniers, et qui ne sont plus aptes à concourir à leur structure, sont détruites par l'économie, brülées par l'oxygène, et rejetées sous forme d'urée, d'acide urique. Le soufre et le phosphore contenus dans ces substances sont transformés en acide sulfurique et phosphorique et rejetés sous la forme de sulfates et de phosphates, 124 ALVARO REYNOSO. — MÉMOIRE soumis à un régime mixte, riche en principes plastiques, alors on constate que la quantité de graisse accumulée est supérieure à celle qui était contenue dans la nourriture. De plus, un fait très curieux à remarquer , c'est qu'il doit exister déjà dans la nourriture une certaine quantité de graisse pour pouvoir déterminer la formation rapide d'une quantité plus considérable de cette substance dans l'économie. Ainsi, par exemple, le riz, qu'on peut considérer comme du maïs, moins la graisse, ne sert point pour l'engraisse- ment, tandis que le maïs, qui en contieat une petite quantité , est très propre à cet usage. Quels sont les aliments qui produisent la graisse ? Dans quel organe se forme-t-elle? La première question est résolue, la seconde ne l’est pas encore (1). La graisse peut provenir soit des aliments azotés , soil des ali- ments non azolés. Les aliments azotés, d'après M. Wurtz, par la putréfaction , se dédoublent en ammoriaque et acides gras (butyrique et valéria- nique), de manière qu'on peut comprendre que la graisse dérive de ces matières azotées. Si l’on se rappelle que le sucre produit de l'acide butyrique lors- qu'il se trouve en présence du caséum en putréfaction (Pelouze et Gélis), et, de plus, que ce même sucre, en présence des ferments particuliers qui se trouvent dans les pommes de terre , bette- raves, ete., produit de l'alcool amylique, d’où dérive l'acide valé- rianique, acide trouvé par M. Chevreul dans la graisse des Célacés, on concevra facilement la formation de la graisse à la faveur du sucre, S'ilen est ainsi, dit M. Boussingault, les animaux partage- aient avec les végétaux la faculté de créer des corps gras, et cela probablement par des moyens analogues. On voit, en effet, l'ami- don et la substance saecharine disparaitre graduellement dans les (1 Voir, pour la question de la formation de la graisse, Boussingault, Éco- nomie rurale, &. IL, p. 561 et suiv.— Dumas, Chimie physiologique. — Liebig , Nouvelles lettres sur la chimie, p. 118 et suiv. — Persoz, Expériences sur l'en- grais des Oies. — Annales de chimie et de physique, t. XIV, p. #08. — Jacque- lin, Remarques sur les expériences de M. Persos. — Annales de chimie et de phy- sique, 1! XXI, p. #70 SUR LA PRÉSENCE DU SUCRE DANS LES URINES. 125 plantes, à mesure que la substance grasse s’accumule dans les semences. D'après Liebig, on pourrait déduire la formation de la graisse de l’amidon par le dédoublement suivant : C2 H10 O0 — Ci H10 0 L CO? + O7. EE 7 Amidon. Graisse. Comme on sait que l'amidon n’est jamais absorbe qu'à l'état de sucre de raisin, il faudrait, pour expliquer celte formation, établir la formule suivante : C2 Hi OM — ÿHO + Ci H10 0 + O7 + COZ. L'oxygène, devenu libre dans cette réaction, se combinerait avec d’autres substances, et serait rejelé sous la même forme que l'oxygène introduit dans l'organisme par la respiration. Il s'ensui- vrait alors nécessairement qu'il y aurait dais l'organisme une source d'oxygène indépendante de l'oxygène de l'air, de manière que quelquefois la quantité d'acide carbonique éliminée serait supé- rieure à celle qui correspondrait à la quantité d'oxygène inspiré. On n’a pas encore analysé l'air dans lequel vivent les animaux soumis à l’engraissement, de manière qu'on ne peut pas encore affirmer que celte hypothèse soit vréie ou fausse. Toutefois, je rappellerai un fait qui, je pense, lui vient en appui. MM. Regnault et Reisel ont constaté souvent dans les poules soumises au régime du grain une quantité d'acide carbonique expiré , supérieure à la quantité d'oxygène qu'ils avaient fournie à la respiration (4. Si l’on admet que le sucre et l’amidon puissentse transformer en graisse par l'équation ci-dessus, on pourra aussi comprendre sa formation par les ma'ières protéiques. D’après M. Hunt (2), la protéine, qui est l'espèce normale des matières albuminoïdes, déri- verait de la cellulose, et serait une amide de cette dernière sub- stance. Il suppose que les petites quantités de soufre etde phosphore (4) Annales de chimie et de physique, t. XXVI, p. 514. (2) Comptes rendus des travaux de chimie, par MM. Laurent et Gebrardt , 450, p. 317. 196 ALVARO REYNOSO. — MÉMOIRE qu'on y rencontre y remplacent Poxygène et l'azote de l'espèce normale. M. Hunt propose pour formule de la protéine et pour l'explication de sa formation l'équation suivante (4) : Protéine. . . 2 C!2H1#010 + 3 NH3— 10 HO — C#H!NSOS. Gélatine. . . 2 CH#O10E 4 NHŸ — 12 HO — CAH2NIOS. Ce qui donne de la probabilité à la formule de la gélatine, c’est la réaction observée par M. Gehrardt : quand on fait bouillir de la colle de poisson avec de l'acide sulfurique étendu d’eau, il se forme une grande quantité de sulfate d'ammoniaque et du sucre qui fer- mente avec la levüre de bière, et produit de l'acide carbonique et de l'alcool. Ainsi done, la graisse dériverait de la protéine par uné réaction analogue à celle qui à servi pour expliquer sa production au moyen de l’amidon ; seulement l'oxygène devenu libre serait absorbé par les résidus de charbon et d'azote, pour donner naissance à des composés uriques qui se trouvent rejetés par les urines. Pour compléter l’énonciation des théories sur l'usage du sucre dâns l’économie, il faut rappeler que, d’après Tiedemann et Gmelin, il contribue à la formation de la bile ; de plus, il donnérait naissance à l'acide lactique que l’on rencontre dans l’économie. Suivant Berzelius , l'acide lactique serait aussi un produit général de la décomposition spontanée des matières animales dans l'intérieur du Corps. Quelles que soient les modifications que subit le sucre avant de se détruire dans l’économie, il est démontré qu'il finit loujours par se brüler complétement en produisant de l'acide carbonique ét de léau. De plus, il est certain qu'une grande partie du sucre disparaît pendant l'acte respiratoire dans les poumons ; car le sang qui part (1) La formule de protéine de MM. Dumas et Cahours ont trouvé M. Hunt exige : pour l'albumine : Carbone: 20e. cu 53,93 | Carbone. . . . . 53,59 Hydrogène. .. . . 6,36.| Hydrogène. . . . 7,29 Aeotes lesmxi M 15781) AZotesmem © guy MB: Oxygène. . . . 24,34 | Oxygène... . . . 23,62 SUR LA PRÉSENCE DU SUCRE DANS LES URINES. 127 du foie et S’achemine vers les poumons, contient du sucre, et celui qui en sort en est complétement exempt, ou tout au moins sensiblement. Je dis sensiblement, car il est probable que le sang artériel contient du sucre en si petites quantités que l'analyse ne peut le déceler, sucre qui est destiné à se brüler dans le reste de l’économie ; car la combustion s'opère non-seulement dans les poumons, mais aussi dans toutes les parties du corps. Si l'acte respiratoire est affaibli, si l’économie ne peut pas pro- duire la quantité de chaleur indispensable pour son entretien nor- mal, alors une partie du sucre qui existe dans l'économie s’échappe par les sécrétions, ne pouvant être brülée pour produire de la cha- leur, ni subir les autres transformations auxquelles il est assujetti dans l'exercice normal de nos fonctions. Car la formation de la graisse, par exemple, quoique indiquant un excès d’aliment com- bustible, requiert impérieusement une bonne alimentation et assi- milation de principes azotés. Or, une bonne alimentation et assimi- lation de principes azotés ne peut se faire que lorsque la nutrition de nos organes les demande, et que la chaleur dégagée dans la respiration les seconde ; conditions qui exigent l'exercice complet de nos fonctions. Ainsi, quelle que soit la forme sous laquelle le sucre disparaît dans l’acte respiratoire , il est certain qu'il s’y détruit soit en se brûlant directement, soit en se convertissant en d’autres sub- stances. De plus, soit que cette transformation ou cette combustion du sucre se trouve liée à l'acte respiratoire lui-même et primor- dialement, comme je le crois, soit que l'acte respiratoire n’y con- tribue que d’après l'énergie de la vie, par sa liaison avec d’autres fonctions , et en exerçant une influence supérieure et bien plus marquée par son importance ; en tout cas, cette destruction du sucre se trouve être proportionnelle à la quantité de respiration. Pour me résumer, ma thèse est la suivante : Étant démontré que le sucre se détruit dans la respiration, prouver que cette destruction est en raison directe de la respiration Le sucre qui n’est pas détruit dans l'acte respiratoire, ou méta- morphosé dans l'économie , passe dans les urines , et c’est par Sa présence dans ce liquide que nous jugeons de sa non-destruction 128 ALVARO RÉYNOSO, —— MÉMOIRE ou non-modifiealion ; car à l’état physiologique le sucre ne se ren- contre pas dans les urines. Jetons un coup d'œil sur les théories qu'on peut émettre sur ce phénomène : 1° La respiration reste normale; le sucre apparaissant dans les urines y serait, parce que le foie en fabrique une quantite supérieure à celle que l'économie peut consommer. d% Voici ma théorie: La quantité de sucre consommée par l’ani- mal à l'état de santé ne pourra plus l'être lorsque la respiration ne s’exercera plus comme à l'état normal. Depuis les expériences qui ont conduit à admettre une force glyeogénique dans le foie, on a imaginé de dire que chaque fois que le sucre apparait dans les urines, sa présence est due à ce que le foie en a produit une quantité plus grande que celle que l'animal à détruite. Sans vouloir relever tout ce que cette proposilion présente d’absolu, nous dirons, sans nier ni l'importance, ni l'exactitude du Lravail qui a servide base à celte théorie, que cette fonction du foie nous semble insuffisante pour expliquer ce phénomène. Cette théorie ne se préoccupe que du cas où un excès de suere viendrait à exister dans l’économie, et que celle-ci, tout en fonc- lionnant normalement, ne put l'utiliser en entier. Cette théorie, à tout prendre, n'est pas fausse, mais elle ne considère que son point de vue ; elle ne voit qu'un côté de la question, et partant de à, elle rejetle arbitrairement toutes les autres manicres d'envisager le phénomène. Du moment qu'on admet que le sucre se détruit pendant la res- piration , il faut nécessairement admettre aussi, soit que le sucre augmente au delà de la force qui le détruit, soit que la respiration diminue et ne peut plus détruire la quantité qui disparait à l’état normal. Les deux cas pourraient arriver, seuls ou conjointement ; mais nous ne croyons qu'au second, car c’est le seul qu'on puisse prouver, I faudrait prouver par des nombres que la quantité de sucre produite par le foie peut dépasser de beaucoup les énormes quantités que nous détruisons tous les jours. Il semble de prime abord incroyable que la quantité de sucre produite dans le foie quand on fait respirer de l'éther à un animal, puisse être supé- SUR LA PRÉSENCE DU SUCRE DANS LES URINES. 129 rieure à celle qu'il peut ingérer dans un seul repas de sucre en nature oud’aliments susceplibles de se transformer en sucre, quan- tité qui, cependant , est tout à fait détruite. Sans énumérer les cas nombreux où le sucre apparait dans les urines , sans que cette théorie puisse expliquer sa présence , il est des circonstances de passage du sucre qui la coutredisent entière- ment ; tandis que tous les faits s'expliquent très bien par la seconde théorie, dès qu'on admet une modification dans la respiration. Nous aurons occasion de revenir sur ce sujet. La première Note que j’eus l'honneur de présenter à l'Académie était ainsi concue : « Les fonctions du bulbe rachidien ont été étudiées par divers physiologistes, qui s'accordent tous à le eonsidérer comme le foyer central et l'organe régulateur des mouvements de la respiration. De plus, M. Flourens a trouvé qu'il y a une partie du bulbe, très circonscrite, qui est le véritable siége de la respiration. Ce point se trouve chez les lapins immédiatement au-dessus de l’origine de Ja huitième paire , et sa limite inférieure à peu près au-dessous de cette origine. M. Bernard, en piquant les lapins dans la proximité de l’origine du pneumogastrique , les rend diabétiques; et il ex- plique ce phénomène en disant que , sous l'influence de l'excitation produite , le foie fabrique une si grande quantité de sucre que, ne pouvant être consommé par la respiralion, il passe dans les urines. J'avais eru pouvoir expliquer ce phénomène en admettant que, sous l'influence de la lésion causée par la piqûre, il y avait paralysation, sinon complète, du moins partielle , de la respiration , et qu’alors le sucre normal, ne pouvant être brûlé, passe dans les urines, Pour le prouver, il fallait trouver le moyen d'empêcher la respira- tion en causant une asphyxie; l'expérience nous a prouvé qu’au moyen de l’anesthésie, on arrivait à déterminer le passage du sucre dans les urines. » Notre explication étant supposée exacte, nous devions trouver d'autant plus de sucre, que l'animal soumis à l’éthérisation avait une respiration plus active, et que ses aliments en contenaient plus, car il passait plus de sucre non brülé. Nous avons observé, eneffet, que chez les herbivores ou les animaux soumis à un régime mixte, 4° série. Zooz. T. IL. ( Cahier n° 3.) ! 9 130 ALVARO REYNOSO. — MÉMOIRE il passe plus de sucre que chez les carnassiers, nourris exelusive- ment avec de la viande ; chez deux hommes soumis à l’éthérisation, le plus vigoureux est celui dont les urines contiennent plus de sucre. » Enfin il était curieux de voir si, dans d’autres circonstances d’asphyxie, on verrait aussi les animaux devenir diabétiques. Des lapins strangulés et noyés nous ont donné du sucre dans les urines ; mais aussi il faut dire que nous n’en avons pas obtenu dans tous les cas, probablement parce que ces moyens d’asphyxie entraïnent avee eux de nombreuses causes perturbatrices dans l’économie. » Ainsi, un animal vivant qui ne respirerait pas présenterait normalement du sucre dans ses urines. M. Bernard a, en effet, prouvé que dans le fœtus il y a toujours du sucre dans les urines. » Nous pensons devoir en rechercher aussi dans les personnes soumises à un lraitement hyposthénisant. » Un mot sur la manière de faire les expériences. On peut opérer sur des animaux , ou mieux sur un homme vigoureux et bien por- tant. On le fait uriner d'abord ; ensuite on l’éthérise. On recueille les urines , on les traite par le sous-acétate de plomb, on filtre, et l’on précipite l'excès de sel de plomb par le carbonate de soude. C'est dans la liqueur fillrée et concentrée qu'il faut rechercher la présence du sucre, avee une dissolution alcaline de tartrate de po- tasse et de cuivre, ou en la mettant en contact avec de la levüre de bière, qui transforme le sucre en alcool et en acide carbonique. » Nous croyons que ces expériences éclairciront la nature de là maladie des diabétiques ; car elles établissent la relation qui existe entre la respiration , l'influence nerveuse et le sucre des urines. » Au lieu de déterminer l’asphyxie par la strangulation ou la sub- mersion, qui ne donnent pas toujours de bons résultats, nous avons maintenant recours à un procédé bien plus simple. Nous introdui- sons un pelit tube, dont le diamètre intérieur est de près de 2milli- mètres, dans la trachée-artère d’un lapin, et nous y pratiquons une ligature, de manière que l'animal ne recoive que la quantité d'air qui peut entrer par le tube. Au bout d’un quart d'heure déjà , on constate le sucre dans les urines. H faut cependant avoir soin d'éviter que le tube ne soit bouché dans son intérieur, ee qui empêcherait SUR LA PRÉSENCE DU SUCRE DANS LES URINES. 131 l'accès de l'air; pour cela il suffit d'introduire l'extrémité du tube de verre , qui doit être placé dans la trachée-artère , dans un autre tube de caoutchouc, et de faire dépasser celui-ci un peu. Action des inspirations d’éther. Comme je l'avais dit dans ma première Note, toutes les fois qu’on fait respirer de l’éther à un animal, le sucre apparait dans ses urines. J'explique ce fait par le trouble que subit la respiration qui, étant diminuée , ne peut plus détruire tout le sucre que le sang lui fournit. On a voulu expliquer ce phénomène d’une manière différente. On a prétendu que les vapeurs d’éther , en arrivant aux poumons , produisaient une irritation qui serait transmise par le preumogas- trique à l’encéphale, et de là réfléchie sur le graud sympathique , lequel, irrité à son tour, augmenterait la production du sucre dans le foie, et l’augmenterait tellement, que l'économie, ne pouvant plus détruire le tout, rejetterait l’excédant par les urines. Cependant j'ai fait une expérience qui ne s'accorde pas avec cette explication ingénieuse. Je prends un lapin et je le fais uriner. Ensuite je coupe les deux pneumogastriques au cou en enlevant au moins 2 centimètres de nerf de chaque côté, et je fais respirer à l'animal de l’éther. Je commence d'abord par l’anesthésier complétement. Quand il est tout à fait éveillé, je lui fais respirer de nouveau de l’éther pendant dix minutes, mais sans l’anesthésier complétement. Alors j'examine ses urines, qui sont très claires, et contiennent du sucre en quantité aussi notable que si l’on n'avait pas détruit les pneumogastriques. Ainsi, toutefois qu’on fait respirer de l'éther äun lapin, soit qu'il possède ses preumogastriques, soit qu'il en ait été privé, il y a toujours passage du sucre dans les urines. En faisant respirer aux lapins du chloroforme, de la liqueur des Hollandais , de l’éther iodhydrique et bromhydrique, de l’éther chloramylique, de l’éther nitrique (4), acétique, de l'aldéhyde, de (1) Cet éther nitrique était plutôt un mélange d'éther nitrique et d'éther nitreux. 132 ALVARO REYNOSO, — MÉMOIRE la benzine, de l’acétone, on obtient aussi le passage du sucre dans les urines. Il en est de même en les asphyxiant lentement par Phy- drogène sulfuré et l'acide carbonique , ou avec des vapeurs d'acide cyanhydrique. Je crois done pouvoir conclure : Toutes les substances qui déterminent l'anesthésie, el les gaz ou vapeurs irrespirables, font que le sucre passe dans les urines ; et ce passage est indépendant de l'intégrité des nerfs prneumogastriques. Je citerai un fait trouvé par M. Bernard, après la publication de mon travail, et qui rentre naturellement dans cette même classe de faits. D’après lui, quand on fait respirer du chlore à des animaux , on obtient le passage du sucre dans les urines. Feï le chlore agit d’abord, parce qu'il est respiré à la place d'air, et par là diminue la quantité d'oxygène inspiré , etensuile parce qu'il désorganise les vésicules pulmonaires qui deviennent impropres à remplir leurs fonctions. Presque toutes mes expériences sur l'inspiration des agents anes- thésiques ont été faites sur des lapins. Les meilleures conditions pour obtenir un résultat satisfaisant sont les suivantes. Les lapins qu'on achète dans le commerce sont, en général, fatigués et mal nourris ; il faut les laisser se reposer pendant vingt-quatre heures, et leur donner à manger abondamment des carottes. Au bout de ce temps on commence l'expérience , et l’on obtient d'autant plus de suere qu'on leur a fait respirer des agents anesthésiques pendant plus longtemps. Si l'on à la patience de leur faire respirer de l'éther pendant une heure et demie, on obtiendra un très bon résultat. On commence par les anesthésier complétement, on les laisse revenir, et l'on recommence à les anesthésier de nouveau, et ainsi succes- sivement einq ou six fois. Avec une simple éthérisation on obtient déjà un résulfat, mais il vaut mieux les éthériser cinq ou six fois de suite. Nœud vital de M. Flourens. J'avais prévu, dans ma première Nole, que le nœud vital devait jouer nn grand role dans le passage du sucre dans les urines, comme étant le point premier moteur du mécanisme respiratoire ; SUR LA PRÉSENCE DU SUCRE DANS LES URINES. 153 depuis , grâce à la bienveillance de M. Flourens, qui m'a ouvert les portes de son laboratoire et prodigué ses savants conseils, j'ai pu acquérir la certitude que je ne m'étais pas trompé dans ma prévision. A l'extrémité postérieure du quatrième ventricule, entre les deux pyramides postérieures de la moelle, il existe un petit V de substance grise, inscrit dans la bifurcation de ces pyramides. Ce V est la con- tinuation de la substance grise de la moelle, et s'appelle aussi calamus scriptorius. C'est dans la pointe du V de substance grise, et entre les deux côtés de l’angle formé par le V, que se trouve le nœud vital de M. Flourens. D’après lui (4), «la limite supérieure » du nœud vital passe sur le trou borgne, la limite inférieure sur le » point de jonction des pyramides postérieures; entre ces deux » limites est le point vital, et de l’une de ces limites à l'autre il y a » à peine une ligne. » M. Flourens ne s’est pas contenté de déterminer la position et les limites du nœud vital : il est allé plus loin ; et, grâce à une ana- lyse rigoureuse et rationnelle, dans ce point qui a une ligne à peine, il a distingué trois démarcalions. Voici comment il expose le résultat de ses recherches : « Je fais souvent l'expérience en procédant par sections trans- » versales. » Si la section passe en avant du trou borgne , les mouvements » respiratoires du thorax subsistent, tandis que ceux de la face » sont abolis. » Si la section passe en arrière du point de jonction des pyra- » mides , les mouvements respiratoires de la face (le mouvement » des narines et le bâillement ) subsistent , tandis que ceux du thorax » sont abolis. » Si la section passe sur la pointe du V de substance grise inscrit » dans le V des pyramides ou bec de plume , les mouvements res- » piraloires de la face et du thorax sont abolis sur-le champ et tous » ensemble. » Je fais aussi souvent l'expérience d’une autre manière. Je me (1) Comptes rendus des séances de l'Académie des sciences, t. XXXIII, p 438. 134 ALVARO REYNOSO. — MÉMOIRE » sers d’un petit emporte-pièce dont l'ouverture à à peine À milli- » mètre de diamètre; je plonge cet emporte-pièce dans la moelle » allongée, en ayant bien soin que l'ouverture de l'instrument ré- » ponde au V de substance grise et l’embrasse. J'isole ainsi tout » d’un coup le point vital du reste de la moelle allongée, des pyra- » mides, des corps restiformes, ete, et tout d’un coup les mouve- » ments respiratoires du tronc et les mouvements respiratoires de » la face sont abolis. » Ainsi, les limites expérimentales de ce point sont marquées, » au-dessous par la persévérance des mouvements inspiratoires de » la tête, et au-dessus par la persévérance de ceux du trone (2). » Lorsqu'on vient à piquer le nœud vital de M. Flourens , il y a toujours passage du sucre dans les urines; j'ai répété plusieurs fois l’expérience devant M. Flourens , et j'ai constamment obtenu le même résultat. Je prenais un lapin et le faisais uriner. Les urines étaient trou- bles comme loujours, et ne contenaient pas de sucre , je piquais le nœud vilal, et aussitôt qu'on pouvait le faire uriner de nouveau , j'obtenais une urine limpide et contenant du sucre en quantité très notable et facile à déceler par tous les moyens. C’est à tort qu'on a cru que je voulais dire , dans ma première note, que le point du bulbe où piquait M. Bernard pour faire passer le sucre dans les urines était le nœud vital de M. Flourens. Je n'avais nullement voulu dire cela ; mais je pensais alors, et je crois encore aujourd'hui, que ce point où pique M. Bernard est sous la dépen- dance du nœud vital, qui a été appelé aussi, par M. Flourens, point central, premier moteur du mécanisme de la respiration. Il est centre d'action et coordonnateur à la fois; et par un mouvement coordonné, M. Flourens entend : « Tout mouvement qui résulte du » concours, de l’enchainement, du groupement, si l’on peut ainsi » dire, de plusieurs autres mouvements, tous distincts, tous isolés » les uns des autres, el qui, groupés autrement, auraient donné un » autre résultat total. » Le point central de coordination des divers actes de la respiration (4) Flourens, Recherches expérimentales sur les propriétés et les fonctions du système nerveux, p. 201. SUR LA PRÉSENCE DU SUCRE DANS LES URINES. 135 est le foyer, pour ainsi dire, d’où émanent ses actions coordonna- trices , de manière que son action est multiple , mais unique. Elle présente de l'unité dans Ja pluralité, du simple dans le complexe. Je pense done, quoiqué le point où pique M. Bernard soit à À cen- timêtre au-dessus du nœud vital, que la piqre effectuée dans ce point intercepte quelques-uns des rayons actifs et coordonnateurs du nœud vital, et que par là il est sous sa dépendance , car elle empêche son action de parvenir [à où elle devait arriver pour entretenir l'harmonie en combinant et activant les mouvements respiraloires. J'avais oublié de faire remarquer que lorsqu'on vient à piquer le nœud vital, non-seulement les urines deviennent limpides, mais la quantité en est notablement accrue. Dans ma seconde Note présentée à l’Académie le 10 novem- bre 1851, surles rapports entre les phénomènes respiratoires et la présence du sucre dans les urines, je m’exprimais ainsi : «Dans une Note précédente, nous avons annoncé qu'il existe une liaison entre les phénomènes respiratoires et la présence du sucre dans les urines , de telle sorte que toutes les substances qui ralen- tissent la respiration en diminuant l’hématose produite dans le poumon, sont autant de causes qui pourraient, à notre avis, déter- miner le passage du sucre dans les urines. Nous avons ajouté que, suivant ce principe, on doit trouver du sucre dans les urines des individus soumis à des traitements hyposthénisants , et, pour les énumérer en un mot, nous n’aurons qu'à ciler la généralisation de M. E. Robin. D'après lui, les substances qui, après la mort, pré- servent de la combustion lente effectuée par l'oxygène humide sont , à des degrés différents, des hyposthénisants pendant la vie. Par exemple, les sels métalliques, les éthers, les sels de quinine, et en général les narcotiques. » Ayant examiné les urines de personnes soumises à des traite- ments (4) de bichlorure, iodure et sulfure de mercure, sels d’anti- moine, opium et sulfate de quinine, nous avons trouvé du sucre. » Voici la troisième Note présentée le 3 décembre 1854 : (1) J'ai su, après la publication de cette note, que M. Chevalier avait trouvé du sucre dans les urines pendant le traitement mercuriel. 136 ALVARO REYNOSO. — MÉMOIRE « Dans mes Notes précédentes, j'ai cherché à constater la liaison qui existe entre la respiration et la présence du sucre dans les urines ; de telle sorte que toute cause jetant quelque trouble dans l’accomplissement de cette fonction occasionnerait le passage du sucre dans les urines. » Nous avons parlé de la médication hyposthénisante qui pré- serve une partie du sang de l’action de l'oxygène. J’ajouterai aux exemples déjà donnés que, chez des Chiens soumis à un traitement d’arsenic, de plomb, zinc, cuivre, de sulfate de fer, chez des malades traités au carbonate de fer , j'ai toujours constaté la pré- sence du sucre dans les urines. » J’aborde maintenant la deuxième partie de mes recherches. Lorsque la respiration viendra à être troublée, soit par une maladie propre du poumon ou par l'effet d’une autre affection qui jette quel- que trouble dans son accomplissement normal, il y aura du sucre dans les urines. » J'ai constaté sa présence dans les urines des tuberculeux, et la quantité en était d'autant plus grande, que la période de la maladie était plus avancée , et que les phénomènes inflammatoires étaient moins intenses. » Dans la pleurésie, dans la bronchite chronique, il y a du sucre dans lesurines ; il y en a aussi dans l’asthme. » On en trouve aussi dans les cas d’hystérie et d’épilepsie, après les attaques. » Dans le choléra, il doit y avoir du sucre dans les urines ; car, d’après les expériences de M. Rayer, le poumon ne fait, dans cette maladie, subir à l’air aucun ou presque aueun changement. 1] serait à désirer que les médecins , qui sont à même d'étudier cette mala- die, recherchassent la présence du sucre dans les urines des malades. » Ayant eu occasion d'examiner les urines d’une femme hydro- pique, nous y avons trouvé du sucre. Nous avons aussi trouvé du sucre dans les urines après avoir bu une forte infusion de café. J'ai eu occasion d'examiner les urines de deux hommes ivres, et j'y ai rencontré du sucre, On sait, d’après les recherches de Prout, SUR LA PRÉSENCE DU SUCRE DANS LES URINES. 137 que l'alcool est une des substances qui diminuent au plus haut degré l’exhalation de l'acide carbonique , et par R la respiration. De plus, on sait, par les expériences de MM. Bouchardat et Sandras, que l'alcool empêche la transformation du sang veineux en sang artériel ; celui-ci conserve la couleur propre au sang vei- neux, et par là l'alcool peut déterminer alors tous les accidents de l'asphyxie. Ces mêmes observateurs ont constaté la présence du sucre dans le sang veineux d’un individu ivre. On comprend alors très bien les causes qui déterminent le passage du sucre dans les urines chez les personnes ivres , et j’ajouterai que le sucre existe ‘dans ces urines en quantité fort notable. Section des pneumogastriques. Ces expériences ont été faites sur des lapins, et la section a été pratiquée au cou ; on a enlevé une portion du nerf de chaque côté. Pendant les trois premières heures qui suivent celte section, on trouve peu ou point de sucre dans les urines; mais entre la qua- trième et la cinquième heure , on en constate une proportion assez notable, qu'on peut déceler facilement au moyen du tartrate cupro- potassique , en ayant soin de traiter préalablement les urines par l’acétate de plomb, etc. Cependant, comme cette expérience avait été révoquée en doute, nous avons voulu encore un résultat plus positif. A cet effet, nous avons opéré trois lapins, et recueilli leurs urines entre la quatrième et la cinquième heure qui ont suivi la section. Par la fermentation, nous avons obtenu de l'alcool, que nous avons pu faire brüler et dont nous avons senti l'odeur. A partir de la cinquième heure , la quantité de sucre décroit dans les urines. Ces résultats, qui pourraient au premier abord paraître défavo- rables à notre théorie, s'expliquent cependant facilement, et ne la contredisent en rien. Les désordres qui surviennent dans les animaux auxquels on a coupé les pneumogastriques étant progressivement croissants , il est clair que ce n'est qu'au bout d’un certain laps de temps, que le trouble respiratoire sera assez considérable pour que le sucre con- 138 ALVARO REYNOSO. — MÉMOIRE tenu dans le sang ne soit pas décomposé en traversant les poumons. Quel que soit le trouble respiratoire qui résulte de la section des pneumogastriques, toujours est-il, dira-t-on, que la quantité de sucre qui passe dans les urines ne lui est pas proportionnelle. Cette objection perd tout à fait la force qu’elle pourrait présenter au premier abord par les raisons que nous allons donner. Pour que le sucre passe dans les urines, il faut nécessairement qu'il existe dans l’économie, et que, de plus, il puisse arriver jusqu’au poumon. Si, par une cause quelconque, le sucre est détruit avant son arrivée dans l’organe respiratoire, il est évident qu'il ne se trouvera pas dans les urines, quels que soient les troubles qu'éprouve la respi- ration. C'est ce qui arrive lorsqu'on vient à couper les pneumo- gastriques. En effet, d’après lés expériences de M. Bernard, le sucre disparait du foie après la section des pneumogastriques. Je crois que cette explication pourra rendre compte d’un phéno- mène qui, pour sa complexité, semblerait au premier abord contre- dire la théorie que je soutiens. Bientôt j'espère pouvoir revenir sur ce sujet, el prouver par des expériences le mécanisme d’après lequel le sucre disparaît du foie après la section des pneumogastriques. Cette disparition me semble produite par la transformation du sucre en bile. Suivant M. Longet (Analomie et physiologie du système nerveux de l’homme et des animaux vertébrés, t. Il, p. 348), les lésions qu'on trouve dans le foie, après la section des pneumogastriques , semblent indiquer une gêne circulatoire dans l'organe, qui expliquerait alors les caractères que présente la bile dans ce cas. Ce même observateur a vu que la bile était alors moins dense, plus séreuse, beaucoup plus fluide et moins colorée que dans les conditions ordinaires. M. Ber- nard a constaté de plus que la bile, dans ce cas, devient acide. C’est conduit par ces faits, que j'ai été amené à voir, dans la pro- duetion de la bile dans cette circonstance, la cause de la disparition du sucre du foie; elles ont été publiées sous nos deux noms. Présence habituelle du sucre dans l'urine des vieillards. J'ai fait les expériences suivantes en commun avec M. De- chambre. SUR LA PRÉSENCE DU SUCRE DANS LES URINES. 139 Les modifications que la respiration subit chez les vieillards sont tellement notables et importantes, que Reveillé-Parise n'hésite pas à les considérer comme l’origine première et le point de départ de la vieillesse , ainsi que sa raison organique. La détérioration sénile des organes respiratoires empêche l’hématose de se faire conve- nablement , et la calorification générale de s'effectuer dans les limites qu'ex:ge l'exercice complet et normal de nos fonctions. Ces modifications qui entravent la respiration sont : dépression latérale du thorax, projection du sternum en avant , roideur des articulations costo-vertébrales, dureté ou ossification des appen- dices cartilagineux , parenchyme pulmonaire raréfié, parois cellu- leuses amincies ou rompues, vaisseaux oblitérés. A moins que, pour une raison ou pour une autre, le sang des vieillards ne contint pas de sucre ou n’en contint que très peu, de telles conditions étaient, dans mathéorie, on ne peut plus favorables à la production de la glucosurie. En vue de vérifier cette conjecture , nous fimes les expériences suivantes. Expérience première. — Nous choisimes d’abord , à l’hospice de la Salpêtrière, une femme âgée de quatre- vingt- un ans, dans le dernier degré de décrépitude. Nous nous assurâmes qu'elle était exemple de toux habituelle ou d’étouffement, et ne portait actuelle- ment aucun signe physique ou symptomalologique d'affection pul- monaire ou cardiaque, ou de toute autre maladie capable de gêner la respiration; de telle sorte que l'insuffisance de combustion , si elle avait lieu, ne püt être attribuée qu'à l’état du poumon engendré par la sénilité. L'urine de cette femme, recueillie le matin, à la dose de 4100 grammes environ, fut d'abord traitée par le sous-acétate de plomb, pour en séparer l'acide urique et autres matières orga- niques précipitables, puis placée sur un filtre. La liqueur filtrée fut débarrassée du sel de plomb qu'elle avait pu retenir au moyen du carbonate de soude, et filtrée de nouveau. Nous versämes enfin de la liqueur saccharimétrique (cuprico-potassique) de M. Barreswil, et nous obtinmes, après une minute d’ébullition, un précipité rou- geätre très abondant (protoxyde de cuivre). Expérience deuxième. — La même expérience fut faite sur les urines de cinq femmes âgées de soixante-huit à quatre- vingt - un 140 ALVARO MEYNOSO, — MÉMOIRE ans, couchées dans les salles de chirurgie de la Salpêtrière, l’une pour un abcès au bras, une autre pour des douleurs rhumatismales, la troisième pour une affection chronique de la peau, les deux der- nières pour des contusions ; toutes jouissant, du reste, d’une bonne santé. L'urine de chacune de ces cinq femmes, également recueillie le matin, donna un précipité très caractéristique. Ecyiérience troisième. — Pour rencontrer plus facilement des vieillards exempts d'affection du cœur ou des poumons, nous nous fimes autoriser à recueillir de l'urine hors de l’infirmerie, c’est-à- dire dans les dortoirs; nous choisimes le même jour huit femmes qui nous paraissaient offrir les conditions requises et âgées de plus de soixante-dix ans, mais étant déjà fort décrépites; deux ne don- nèrent qu'un léger nuage jaunâtre peu significatif ; six un véritable précipité rougeûtre. Expérience quatrième. — Noulant savoir si la glucosurie était constante chez ees femmes ou seulement passagère, au bout d’une semaine, nous primes une seconde fois de l'urine de sept d’entre elles, y compris les six glucosuriques ; chez deux, il n’y eut pas trace du nuage jaunâtre; chez deux autres, le nuage fut peu apparent ; chez les trois dernières, il y eut précipité. Les résultats obtenus jusque-là laissaient encore quelque incer- titude ; la fermentation nous offrait un moyen de vérification plus décisif; nous y eùmes recours avec succès. Expérience cinquième. — Les urines de quatre femmes âgées de soixante-dix à quatre-vingt-douze ans furent réunies après avoir constaté, sur échantillons, qu’elles donnaient un précipité rougeâtre par la liqueur de Barreswill ; elles occupaient un tiers de litre environ. D'abord traitées par l’acétate de plomb et le carbo- nate de soude, comme dans les expériences précédentes, elles furent réduites par évaporalion à deux ou trois cuillerées à bouche, puis mises en contact avec la levüre de bière, dans une cornue de verre dont le goulot s’adaptait à un pelit récipient. Nous n'avons pris aucune disposition pour recueillir l’acide carbonique, la for- mation d'alcool pouvant suffire pour attester la présence du sucre. La distillation à feu doux amena bientôt dans ce récipient { gramme environ d'un liquide incolore. Le récipient fut alors enlevé et SUR LA PRÉSENCE DU SUCRE DANS LES URINES. 4/1 chauffé légèrement pendant qu'on présentait à l’orifice une allu- mette enflammée ; une flamme bleuâtre courut dans toute la lon- gueur du goulot, laissant après elle une odeur non équivoque d'alcool. Expérience sixième. — La même expérience fut faite quelques jours après sur les urines de six femmes âgées aussi de plus de soixante-dix ans. La liqueur totale occupait deux tiers de litre ; elle fut réduite par évaporation à quatre ou cinq cuillerées à bouche. Cette fois, avec le premier produit de la distillation, n'équivalant pas à plus de 3 grammes, on put obtenir une flamme bleuätre qui ne cessa de couronner le goulot du récipient pendant huit ou dix secondes, et laissa une véritable odeur de punch. La fermentation alcoolique a done été évidente; partant, les urines expérimentées contenaient une quantité notable de principe sucré. Nous avions eu d'abord l'intention , M. Dechambre et moi, de rechercher s'il y avait quelque proportion entre l'intensité de la glucosurie et l'âge des sujets ou le degré de décrépitude. Il en est ainsi {rès probablement; mais les seuls essais auxquels le temps nous ail permis jusqu'ici de nous livrer n’ont pas donné de résultat satisfaisant. Dans la troisième expérience, nous avions eu soin d'employer pour tous les sujets la même quantité d'urine et la même dose de réactif, et nous les avions classés suivant le degré d’abon- dance du précipité ; procédé peu rigoureux sans doute, mais susceptible pourtant de fournir des indices de quelque valeur. Or ce classement n'était pas du tout conforme à la progression de l’âge, non plus qu'à celle de la décrépitude. Certaines femmes, très bien conservées malgré leur grand âge, ayant encore la peau souple, les seins assez développés , la poitrine peu déformée , ont donné beaucoup de sucre, tandis que d’autres, tout à fait desséchées, n’en ont donné que très peu ou même pas du tout. On comprend d’ail- leurs combien une telle recherche devait présenter de difficultés, quand on réfléchit que, chez un même sujet, la glucosurie peut disparaitre d’un jour à l’autre ou varier beaucoup d'intensité, ainsi qu'on la vu plus haut. 4112 ALVARO REYNOSO, — MÉMOIRE Diabète. J'arrive maintenant à la maladie caractérisée surtout par la pré- sence du sucre dans les urines. — Certes, on n’est pas malade parce qu’on a du sucre dans les urines, mais bien parce qu'il ne s’y trouve qu'à la suite d’un dérangement des fonctions vitales. Nous ne prétendons pas caractériser une maladie par un de ses symplômes; car on sait, depuis Hippocrate même, qui disait : una natura, una confluæio, consentientia omnia, que l'organisme est un ensemble, un tout unique, qu'aucun système des parties isolées ne sert à une fonction exclusivement, que loutes les fone- tions s'harmonisent, se coordonnent et concourent au même but final; de manière qu'un dérangement dans telle fonction réagit ensuite sur les autres. Toutefois, il y a des fonctions qui sont plus importantes, et dont l’altération entraîne plus de trouble dans les autres. Dans une maladie, il s’agit de déterminer quelle est la fonc- lion qui a été primilivement altérée, et qui a déterminé les autres perturbations. Dans le diabète, nous croyons que c’est la respira- tion qui a été altérée la première , et que tous les autres troubles qui accompagnent la maladie n'en sont que la suite. De plus, quoique, en général, les diabétiques ne meurent que par l’inter- vention des tubercules pulmonaires, on voit souvent, quand ils meurent avant la période de marasme, que les poumons sont par- faitement sains. Nous considérons cette tubereulisation comme une suite de l’altération profonde de la fonction, et nous croyons qu'une des causes les plus fréquentes du diabète est un dérangement dans les fonctions du nœud vital de M. Flourens, comme étant le premier moteur el le centre d'action de l'appareil de la respiration. — Nous examinerons ensuite lathéorie qui explique lediabète par un manque d'alealinité dans le sang, et celle qui s’en rend compte en admét- tant une augmentation dans là production du suere par le foie; mais avant, nous allons montrer qu'il y a véritablement toujours un trouble dans la respiration. D'abord la présence des tubercules en première ligne. La quantité d'acide carbonique expiré diminue pendant le dia- SUR LA PRÉSENCE DU SUCRE DANS LES URINES. 4113 bète (Coindet) (4), de même que la chaleur animale baisse (Bou- chardat). On sait que la quantité d'acide carbonique dégagée par la respiration est moindre à l'état de sommeil qu’à celui de veille ; par là, la production de chaleur est moindre pendant le sommeil, et c’est pour cela que nous sentons alors le besoin de mieux nous couvrir, et que nous sommes plus exposés à nous refroidir. Toutes choses égales d’ailleurs , la quantité de sucre augmente dans les urines pendant la nuit (Coindet), de manière que si, le malin, quand le malade vient de s’éveiller, on examine ses urines, on constate bien plus de sucre qu’à tout autre moment de la jour- née. — J'ai dit toutes choses égales d'ailleurs, car il est évident que c’est après le repas, quand on vient d’ingérer une grande quantité de féculents ou de sucre, qu'on trouve le plus de sucre dans ces urines. Nous allons voir maintenant la quantité de sucre diminuer, à mesure que la respiration augmentera. Un exercice modéré accé- lère les mouvements respiratoires , accroït la quantité d'acide car- bonique exhalé, et l'absorption d'oxygène est, en général, triple de ce qu ‘elle est à l'état normal (Prout, Shine Lascaiene), Eh bien, la quantité de sucre diminue, d’après M. Bouchardat, dans les urines, après un exercice Son , les travaux dansles chats) à l'air libre , circonstances , comme nous venons de le voir, qui augmentent la combustion pendant la respiration. On sait que le sucre disparait dés urines des diabétiques quand ils Sont en proie à une fièvre intense. Cet effet, si inexplicable (1) M. Doyère a eu la bonté d'extraire de son beau travail sur les phéno- mènes chimiques de la respiration , encore inédit, les résultats suivants, qui viennent appuyer mes idées sur le diabète. D'après cet habile expérimentateur, la quantité d'acide carbonique normale dégagée par l'homme est de 4,40 pour 100, le maximum étant de 4,77, et le minimum 4,05. Chez un diabétique, l'air expiré contenait 1,80 pour 100 d'acide carbonique quand il restait dans son lit ; mais aussitôt qu'il était levé, qu'il marchait et qu'il travaillait, la quantité d'acide carbonique expiré, sans atteindre le chiffre normal, se trouvait cependant notablement accrue : ainsi il a trouvé dans l'air expiré 3,43 pour 100 d'acide carbonique. Aux deux époques où les analyses furent faites, le malade était soumis à un régime exclusivement animal, et les urines ne contenaient pas de sucre. ah ALVARO REYNOSO. — MÉMOIRE auparavant, se comprend très bien quand on se rappelle que la quantité d'acide carbonique exhalé a augmenté, de manière que la respiration étant accrue, la production de chaleur augmentée, le sucre se détruit aussi bien que lorsque le malade est soumis à un exercice en plein air, et d'autant plus que la quantité en est moins grande, à cause de la diète que les malades sont obligés de garder. Comme dans les inflammations bien caractérisées qui ne gènent pas la respiration, l'acide carbonique exhalé augmente, il n’est pas extraordinaire que, lorsqu'une inflammation se déclare chez un diabétique, ses urines puissent ne pas contenir du sucre. Je crois que cette explication satisfait plus que de dire, que, pour être dia- bétique, il faut être bien portant (4). Examinons les deux théories principales qu'on a émises sur la cause du diabète : 4 Chez les diabétiques , il existerait une source continuelle de sucre dans l'économie, indépendamment du sucre ingéré par les ali- ments. Ce sucre serait formé dans le foie, et sa production serait tellement augmentée, que l’économie, ne pouvant pas l’utiliser,le rejetterait. Il y a un fait capital contre cette théorie, fait qui prouve que le sucre rejeté de l’économie chez les diabétiques provient des (1) Nous avons déjà admis que les éléments de nos organes qui deviennent impropres à leur structure et fonctions , par suite de leur exercice , sont brûlés par l'oxygène et rejetés sous la forme d'acide urique, urée, etc. Dans le diabète, ces substances diminuent tellement dans les urines, que longtemps on y a nié leur existence. Cela prouve que, pendant cette maladie, les matières qui leur donnent naissance ne sont pas brülées dans l'économie. Ici on peut supposer deux choses qui sont également vraies : 4° Par suite de l'abaissement du dégage- ment de chaleur, la quantité de vie diminue et la nutrition de nos organes aussi; par conséquent, les matériaux qui donnent naissance aux composés uriques diminuent, et l'on comprend facilement alors pourquoi ils se trouvent en si petite quantité dans l'urine. 2° La respiration étant diminuée, la combustion des parties de nos organes impropres à la vie ne peut plus se faire aussi bien que lorsque la respiration est à l'état normal. Ces éléments, ne pouvant être rejetés, séjournent dans l'économie, y subissent diverses transformations, et donnent naissance à des dépôts purulents, des gangrènes, etc. , que l'on rencontre souvent chez les diabétiques. M. Marchal, de Calvi, est le premier qui ait appelé l'attention sur la fréquence des gangrènes chez les diabétiques. SUR LA PRÉSENCE DU SUCRE DANS LES URINES, 4145 féculents ou du sucre ingéré ; car lorsqu'on vient à supprimer ces deux substances, les urines ne contiennent plus du sucre. Tous les médecins qui ont eu occasion d'observer cette cruelle maladie sont d'accord sur ce fait; cependant nous citerons deux autorités à l'appui de notre assertion : « La proportion du sucre contenu dans les urines est en rapport » constant avec la proportion des aliments féculents et sucrés. » (Andral, Pathologie interne, t. I, p. 447.) « C’est un fait pour moi démontré, que les urines de presque tous » les diabétiques, soumis depuis quelques jours ou à la diète, ou au » régime animal exclusif, ne renferment aucune trace de sucre. » (Loc. cit.) « C’est une circonstance favorable, et qui est, je dois le dire, la » plus commune, de voir les urines revenir à leur quantité et à leur » composition normales après vingt-quatre heures ou quarante- » huit heures d’un régime d’où les aliments féculents et sucrés » auront été sévèrement exclus. » (Bouchardat, Du diabète sucré, p- Ah.) Cette théorie ne compte en sa faveur qu'un seul fait « eæception- nel, » rapporté par M. Andral (Path. int.,t. 11, p. 450), où l’on voit un malade chez lequel le sucre apparut dans les urines, quoiqu'il fût soumis au régime animal. Mais si l’on considère que ce malade était à l'hôpital, où il ne pouvait pas être surveillé, qu’il pouvait bien, par suite, manger le pain de ses camarades , et que, de plus, il n'avait que dix-sept ans, ce qui ferait comprendre son écart de régime, ce fait perd un peu de sa valeur. Mais, même en supposant que le malade n'ait pris ni féculents, ni sucre, faudra-t-il baser une théorie sur un fait exceptionnel , exposer un grand ensemble d'observations comme des exceptions ? Il nous semble plus logique d'attendre que d’autres faits semblables soient acquis par l'expé- rience avant de se prononcer. Nous avons déjà ditailleurs, et nous le répétons ici, que le sucre étant détruit normalement dans l'économie, quand il ne se détruit pas , il faut admettre ou que sa quantité a augmenté au delà de la force destructive de l'organisme, ou que cette force a diminué. Si la quantité de sucre a augmenté, cela peuttenir à ce que l’éco- 4° série. Zoor. T. IL. (Cahier n° 3.) ? 10 146 ALVARO REYNOSO. — MÉMOIRE nomie en reçoit par les aliments féculents et sucrés plus qu'elle n'en peut détruire, et que l’économie en produit elle-même plus qu’elle n’en consomme, indépendamment des aliments féculents ou sucrés. D'abord il y a une sorte d’instinet qui nous mesure les quantités d'aliments respiratoires dont nous avons besoin; ensuite, nous avons dit ailleurs que le sucre qui n’est pas détruit immédiatement peut se convertir en graisse et se déposer dans l’économie. L’expé- rience a démontré que si, à l’état de santé, on vient à ingérer une forte proportion de sucre, il passe dans les urines, el cela arrive aussi lorsqu'on injecte dans les veines du glucose au delà de cer- taines limites. Mais cela n’est plus le cas chez les diabétiques ; chez eux, une quantité de sucre qui serait détruite à l'état de santé repa- rait dans les urines. Il faut donc admettre que c’est la force de destruction qui a diminué, et l’on sait que cette destruction est sous la dépendance de la respiration. Quant à cette production outre mesure du sucre par le foie, en dehors des féculents, nous avons déjà dit pourquoi nous ne la croyons pas nécessaire pour expliquer le diabète. > Cette théorie a pour base les observations de M. Chevreul sur l'influence des alcalis dans la transformation des matières orga- niques en présence de l'oxygène. M. Mialhe a observé que le sucre de raisin ou de diabète n’a aucune action réductrice sur l’oxyde de cuivre, soit à froid, soit à chaud, et qu'il n’acquiert la propriété désoxygénante qu'après avoir été chimiquement influencé par une substance alcaline, libre ou carbonatée ; il a déduit de là que c’est par les alcalis normalement contenus dans le sang et les liquides animaux que s’effeetue la transformation de la matière sucrée. Si l’alcalinité n’est plus suffisante , la transformation ne peut avoir lieu ; le sucre n'étant plus ni décomposé , ni assimilé, se répand dans toute l’économie , devient un corps étranger, et, comme tel, est rejeté par les glandes rénales et par tous les appareils séeré- toires. « La maladie diabétique reconnait done pour cause un vice » l'assimilation du sucre par défaut d’alealinité suffisante dans » l’économie animale. Chez l’homme sain, le sang est alcalin , et SUR LA PRÉSENCE DU SUCRE DANS LES URINES. 4117 » doit rester alcalin pour l’accomplissement des fonctions inter- » viscérales. Mais les éléments d’acidité, constamment introduits » dans l’économie, tendraientà prédominer, s'ils n'étaient équilibrés » ét éliminés par les sécrétions spéciales, les sueurs etles urines. » » Ces éléments d’acidité sont : » 4° L'ingestion des acides eux-mêmes. » % L'alimentation exclusivement azotée. Les viandes, par les » matières albuminoïdes qu’elles renferment, contiennent beaucoup » de soufre et de phosphore ; ces corps, par leur combustion dans »nos organes , donnent naissance à une grande quantité d’acides » sulfurique et phosphorique , qui se répandent dans toutes nos » humeurs, y saturent d’abord les bases alcalines qu'ils y rencon- » trent, et finissent par prédominer. » &° Le défaut de transpiration de la peau , émonctoire destiné à » éliminer les acides de l’économie. » M. Mialhe termine l'exposé de sa théorie par cette phrase : CHE Tant qu'on ne me démontrera pas la présence du glucose » dans les urines normalement alcalines des herbivores , c’est-à- »dire la possibilité de l'existence du glucose en présence d’un » excès d’alcali, je resterai inébranlable dans mes convictions. » Si nous ne partageons pas lout à fait la manière de voir de M. Mialhe, du moins nous avouerons que celte théorie l’a conduit à conseiller un traitement, dont les médecins sont à même tous les jours de constater les bons résultats. Voici quels sont les points sur lesquels je ne partage pas l’opi- mion de M. Mialhe. Pour quele sucre se détruise dans l’économie, il est évident qu'il faut la présence des alcalis, mais aussi d’autres conditions sont indispensables. Si l'oxygène ne se trouve pas dans les conditions favorables de quantité , soit par suite de l'inspiration de gaz irrespirable, ou de l'impossibilité d'entrer dans les voies pulmonaires ; si la structure des poumons se trouve modifiée, ete. ; enfin si toutes les conditions normales de la respiration ne se trou- vent pas remplies, le sucre ne se détruira pas, quelle que soit l’al- calinité du sang. En voici un exemple : J'ai fait respirer de l’éther à un lapin ; ses urines contiennent du sucre, et cependant elles sont alcalines. 148 ALVARO REYNOSO. — MÉMOIRE Parmi les éléments d’acidité, M. Mialhe place la viande, et cependant c'est cet élément qui, comme nourriture , convient le mieux aux diabétiques. Le régime de la viande est utile dans le diabète, parce que les féculents et le sucre étant éloignés de l’alimentation , ne peuvent séjourner dans l’économie , et que par là on parvient à empêcher beaucoup des troubles qui sont la suite de cette présence anormale du sucre dans lesang. Mais l'usage de la viande seule n’aboutit qu’à un mieux momentané ; car, aussitôt qu'on reprend des féculents ou du sucre , les symptômes alarmants du diabèle reviennent. Il est clair qu'il faut employer le régime animal; mais aussi il faut tâcher de détruire la cause qui empêche l'assimilation du sucre. Dans la théorie de M. Mialhe , s'il est vrai qu'il n’est pas dit le contraire de l'opinion que nous venons d’énoncer sur le régime animal, il est évident aussi, d’après cette théorie, que, par le régime animal exclusif , le malade devrait empirer au lieu de se rétablir ; car cet élément d’acidité empêcherait la présence des alealis libres ou carbonatés , et par là rendrait plus anormale la composition du sang, ce qui donnerait naissance à d’autres troubles que ceux qui se manifestent quand le sucre intervient dans l'alimentation : de manière que ce que l'on gagnerait en s’abstenant des féculents, on le perdrait en se nourrissant de viande. La cause qui détermine le défaut d’alcalinité dans le sang est, d’après M. Mialhe, la suppression de la sueur, émonctoire destiné à éliminer les acides de l’économie , lesquels , s'ils ne sont pas éli- minés, empêchent la présence dans le sang des alcalis libres ou carbonatés. Sous les divers climats et dans les différentes périodes de la vie, nous voyons foujours la sueur et l'urine avoir une relation telle dans leur production, qu’elles sont toujours en raison inverse l’une de l’autre. Nous voyons toujours que lorsque la sueur augmente, l'urine diminue, et vice versd ; et, au moyen de ce balancement, la santé se conserve, car toujours la même fonction d'élimination se fait, quoique par des organes différents. A part la relation qu'on remarque entre la production de ces deux sécrétions, on est con- vaincu qu'elles ont des liens plus étroits, si lon examine et compare SUR LA PRÉSENCE DU SUCRE DANS LES URINES. 149 leur composition chimique, ainsi que les appareils qui servent à les séparer de la masse du sang. Dans le diabète, la sécrétion urinaire est tellement augmentée , que l’on ne comprend pas pourquoi cet accroissement dans la production de l'urine ne ferait pas équilibre à l'absence de la transpiration cutanée. Je crois même que cette disparition de la sueur n’a été, dans la plupart des cas, quela suite de l'augmentation de la sécrétion urimaire. Quant à cette augmentation de lurine, on peut s’en rendre compte , si l’on se rappelle un fait déjà trouvé par Woehler, que tous les sels qui sont éliminés par les urines activent la sécrétion de ce liquide. Le sucre, dans le diabète, est une substance qui ne peut pas être utilisée par l’économie, et qui est éliminée par les urines ; il activerait la sécrétion de ce liquide , comme pourrait le faire un diurétique quelconque. La soif qui accompagne la maladie ne serait alors que la suite du besoin qu’éprouve l’économie de se débarras- ser de cette substance, et, de plus, elle serait inévitable, parce que, au fur et à mesure qu'on introduit du liquide, ce liquide serait éliminé promptement par suite de l’activité de la sécrétion urinaire. Du reste, les expériences de M. Bouchardat prouvent que le sang des diabétiques est tout aussi alcalin qu'à l'état normal. Mais, même en supposant que cette théorie ne soit pas vraie d'une manière absolue, elle aura du moins servi à faire sentir que les alcalis, comme activant et facilitant la destruction du sucre, doivent être conseillés dans le diabète. C’est peut-être parce qu'ils facilitent la combustion, et par là le dégagement de chaleur, que les alcalis sont des excitants généraux. L’alcalinité du sang, étant une des conditions de la destruction du sucre dans l’économie , peut devenir , quand elle est allérée , une cause de diabète. M. Bouchardat s’est beaucoup occupé du diabète dans ces der- niers temps, surtout sous le point de vue du traitement. Nous n’exa- minerops pas son travail; il sort un peu de notre sujet , qui est de découvrir les causes de la maladie. Dans le diabète, les éléments féculents et sucrés sont digérés de la méme manière qu'à l’état normal ; seulement , à l’état normal , ils sont assimilés et détruits pendant l'acte de la respiration, tandis 150 ALVARO REYNOSO. — MÉMOIRE que dans le diabète, ils ne sont pas détruits, par suite d’une modifica- tion dans la respiration. De manière que les causes du diabète peu- vent étre loutes celles qui jettent des troubles profonds dans l’exer- cice de cette fonction, Maïs, presque toujours , son origine est dans les perturbations des fonctions des centres nerveux qui président à la respiration. On peut encore aller plus loin, et plus tard on arrivera à trouver d’autres causes du diabète, quand on connaitra mieux les usages et les moyens de destruction du sucre dans l'économie, et alors on verra que tout ce qui entrave la destination normale du sucre peut donner naissance au diabète. Comme, dans l’état actuel de la science, c’est à la respiration qu'on attribue la destruction du sucre, et comme on peut expliquer par des troubles dans cette fonetion les cas où les urines deviennent sucrées , nous admettrons done l’altération de la respiration comme la cause du diabète. Action du curare. Une des preuves les plus concluantes de la théorie que je viens d'émettre m'a été fournie par un fait trouvé par M. Bernard, après mes premières expériences. Ce fait montre que, si le système ner- veux joue un rôle dans le passage du sucre dans les urines, il faut considérer son action comme intervenant dans la respiration , et non pas comme excitant la force glucogénique du foie. M. Bernard vient de trouver que lorsque l’on tue des animaux avec le curare, il y a passage du sucre dans les urines. Ce fait rentre naturellement dans la catégorie de ceux que j’ai précédemment observés. Le curare, en effet, agit, comme l'ont prouvé les belles recherches de Münter et Virchow, en détruisant, en abolissant la respiration , de sorte qu'il tue plutôt par asphyxie que par toute autre cause. On peut prolonger la vie plus ou moins longtemps en pratiquant la respiration artificielle. MM. Pelouze et Bernard ont prouvé, d’un autre côté, que le eurare détruit toutes les propriétés du système nerveux. On ne peut done dire qu'il les excite pour réagir ensuite sur le foie. On pourrait objecter, il est vrai, qu'avant de le détruire, le curare sur- excite à un haut degré le système nerveux ; mais alors il faudrait SUR LA PRÉSENCE DU SUCRE DANS LES URINES. 151 établir une hypothèse pour en prouver une autre. (Voyez mes Recherches naturelles, chimiques et physiologiques, sur le curare. Paris, 1855.) Sur la manière de chercher le sucre dans les urines. On peut employer trois procédés pour arriver à ce but. Le premier, le plus important, le plus décisif, celui sans lequel on ne doit jamais rien conclure, c’est la fermentation , et je crois inutile de rapporter comment on procède. Le second est fondé sur la propriété des sels de cuivre d’être décomposés par le glucose en présence des alcalis. C’est le pro- cédé le plus usité, mais c’est aussi celui qui peut induire le plus facilement en erreur; car en l’employant on peut soupçonner la présence du sucre là où il n’y en a pas, et rester dans le doute là où il en existe. Il faut done se mettre à l'abri de ces erreurs. Pour cela il faut commencer par séparer les substances albuminoïdes qui réduisent aussi les sels de cuivre en présence des alcalis. A cet effet, on ajoute aux urines de l’acélate tribasique de plomb. On verse dans le liquide filtré du carbonate de soude pour séparer l'excès de sel de plomb; on filtre de nouveau , et l’on concentre le liquide. C’est là qu'on doit chercher le sucre au moyen de la liqueur de Barreswil ou tartrate cuprico-potassique. On peut se convaincre facilement combien il est important de traiter les urines préalable- ment par l’acétate de plomb, et de les concentrer. Voici une expé- rience qui le démontre : Si l’on prend un grain de raisin see, el qu'on l’écrase dans l’eau; en divisant cette eau en deux portions, et enétendant l’une d'urine ordinaire fraichement recueillie, et l’autre d’une quantité d’eau égale à celle de l’urine, on verra que si l’on fait bouillir la portion étendue d'urine, simplement avec le tartrate cuprico-polassique , ou bien on n'aura pas de précipité, ou bien celui qui sera obtenu présentera une couleur sale ou peu apparente; tandis que si on la traite préalablement par l’acétate de plomb, il se produira une réaction aussi nette que celle qui se manifeste dans la portion étendue d’eau. Malheureusement on néglige toujours les. précautions que nous venons d'indiquer, parce qu’on ne veut pas y consacrer le temps nécessaire. Même en opérant de la manière 152 ALVAKO REYNOSO. — MÉMOIRE ci-dessus , il faut avoir recours à la fermentation pour conclure définitivement à la présence du sucre. Le troisième procédé, c’est la polarisation. Pour obtenir de bons résultats, il faut traiter aussi les urines par le sous-acétate de plomb pour les décolorer et précipiter les principes albuminoïdes. Mais il faudra encore contrôler par la fermentation le résultat ainsi obtenu. L'usage de la polarisation est assez délicat; mais heureu- sement les personnes qui voudraient être à même de l’employer ont à leur disposition pour s’éclairer les Mémoires de M. Biot et la brochure de M. l'abbé Moigno (Pratique et théorie du sacchari- mètre Soleil ). Une remarque générale que je dois faire, c’est que si l’on cherche le sucre dans les urines qui n’en contiennent qu'une petite quantité, il faut opérer au moins sur trois ou quatre onces d'urine, 4e l'on traite ensuite par les procédés ci-dessus. Note. — J'ai cru devoir m'abstenir de toute indication pour le traitement du diabète, et c’est avec regret que j'ai vu tirer de mes expériences un mode de traitement contraire à tous les résultats scientifiques. On a raisonné de la manière suivante : «Si le diabète » provient d’un manque de respiration, d'une diminution de la com- » bustion du sucre, rien ne sera plus facile pour activer cette com- » bustion que d'employer un air dans lequel l’oxygène soit en plus » grande proportion que dans l'air atmosphérique. Et pour atteindre » une combustion bien plus active, il faudra employer les inspira- » lions d'oxygène. » Il est possible que des inspirations de ce gaz aient produit de bons résultats dans la pratique ; mais je suis sûr que ces effets ne peuvent pas être attribués à ce que la combustion ait été augmen- tée; car MM. Regnault et Reiset (1) ont prouvé que la respiration des animaux des diverses classes, dans une atmosphère renfermant deux ou trois fois plus d'oxygène que l'air normal, ne présente aucune différence avec celle qui s'exécute dans notre atmosphère terrestre. La consommation d'oxygène est la même, le rapport entre l'oxygène contenu dans l'acide carbonique et l'oxygène total (1) Annales de chimie et de physique, t. XXVE, p. 517, SUR LA PRÉSENCE DU SUCRE DANS LES URINES. 153 consommé ne subit pas de changement sensible ; la proportion d'azote exhalé est la même; enfin les animaux ne paraissent pas s’apercevoir qu'ils se trouvent dans une atmosphère différente de l'atmosphère ordinaire. Je crois que si l’on voulait augmenter la respiration en chan- geant la composition de l'air, il faudrait remplacer une partie de l'azote par de l'hydrogène , et donner aux malades un mélange d'oxygène, azote et hydrogène, car alors la consommation d’oxy- gène est plus grande. Mais cependant je m'abstiens de prendre la responsabilité de cette indication, et si j'ai cru devoir le faire , c’est parce que c’est le seul cas où la composition de l’air peut augmenter la consommation d'oxygène. NOUVELLES CONSIDÉRATIONS SUR LA NIDIFICATION DES GUÉPES, Par H. de SAUSSURE (1). Les auteurs qui ont étudié les ouvrages des Guêpes, et décrit les étonnants édifices qu'elles se construisent, ont en général traité le sujet en simples curieux de la nature, en décrivant seulement, tels qu'ils leur tombaient sous les yeux, les nids de ces animaux. Chacun s’est borné à observer des faits et des objets isolés, aucun d'eux n’a cherché à s'élever à ces considérations plus générales, et à un examen d'ensemble destiné à mettre au jour les lois qui domi- nent cette nidification. IL est vrai que, pour arriver à ce résultat, il eût été indispensable d'avoir à sa disposition une collection de matériaux que personne n'a pu réunir jusqu'à présent; mais on a lieu de s'étonner cepen- dant qu'aucun observateur n'ait songé à mettre en regard les diffé- rents travaux exécutés de part et d'autre, et à soumettre à une analyse judicieuse les divers principes dont on peut constater la prédominance dans l’économie des Guêpes. IL n’est pas jusqu’à (1) Extraites de la Bibl. univ. de Genève, févr, 1855. 154 H. DE SAUSSURE. —— CONSIDÉRATIONS linimitable Réaumur, dont le livre est cependant un tresor où il a versé toutes les richessés de son génie, qui n'ait aussi négligé ce côté de la question, Il a étudié les Guêpes avec la rare sagacité qui lui était propre , mais ses observations sont demeurées à l’état de matériaux dispersés, faute d’un lien commun ; plusieurs difficultés n’ont pas même été entrevues par l’auteur, parce que, ne voyant dans la diversité des modes de nidification qu'un caprice de la nature, il n’a pas songé un seul instant qu’elle pût être expliquée et commentée à l’aide de lhypothèse d’un système complet d’un ordre régulier dans cette partie de la création. De Geer, de son côté, en continuant l’œuvre de son devancier, a fort peu ajouté aux éléments déjà connus de l’histoire dé la nidifi- cation des Guêpes. Enfin, depuis ces deux grands observateurs , cette branche de l’entomologie est restée pour ainsi dire stationnaire : ses progrès se bornent à l’acquisition à la science de quelques points de détail, à la description isolée de quelques nids jusque-là inconnus. Il manque, en un mot,sur ce sujet, un travail semblable à celui qui s’est fait pour les Abeilles, pour les Bourdons et pour les Four- mis ; les Guêpes n’ont point encore trouvé leur Huber. ARTICLE Ie, — Du RAPPORT ENTRE LES FORMES DES NIDS ET LA NATURE VARIÉE DE LEURS ARTISANS. La forme des organismes étant étroitement liée à leur mode d'application, il est évident que les différences de structure dans les organismes doivent correspondre à des différences analogues de leurs productions et de leur usage, et que les résultats de la mise en œuvre des instruments divers doivent pouvoir être classés en groupesnaturels corrélatifs à ceux établis parmi ces instruments, dont ils sont, pour ainsi dire, la traduction dynamique. Cette con- cordance logique et nécessaire existe si bien, que souvent on à vu la classification chercher ses points d’intersection et ses caractères dans l’étude des produits plutôt que dans celle des organes, et trou- ver un appui plus solide dans les résultats que dans les causes qui les engendrent : c’est à cette manière de procéder que plusieurs classes d'insectes ont dû leurs dénominations , et, pour n’en citer SUR LA NIDIFICATION DES GUÊPES. 155 qu’un exemple, e’est ainsi qu'on a distingué les Guêpes sociales des Guêpes solitaires. Je ne crois pas néanmoins, quel que soit l’usage qu'on en puisse faire dans certains cas particuliers, que les mœurs des animaux offrent un degré de fixité suffisant pour qu’elles constituent un ensemble de caractères suscepüble de servir de base à une distri- bution naturelle des espèces. Rien, en effet, n’est plus frappant que la singulière diversité par laquelle, en mainte occasion, en voulant généraliser ce système, on arriverait infailliblement à placer fort loin les uns des autres des animaux tout voisins, Je crois donc que, pour être dans le vrai et ne pas dépasser les limites d’une sage application, il faut ne faire de l'étude des mœurs qu'un auxiliaire de la méthode naturelle ; elle ne peut lui servir de base, mais son rôle est encore assez important, si, par cé moyen, on arrive à étayer solidement les faits tirés de l’organisation par une concordance judicieusement établie. Il estune circonstance que l’on ne doit pas oublier pour pouvoir apprécier sainement la valeur des caractères offerts par l’organisme, à côté de celle des caractères que les mœurs peuvent fournir. On comprend aisément que les premiers , qui dépendent de la forme , du nombre, de la présence ou de l'absence de certains instruments physiologiques, présentent une netteté relative bien plus grande : ce sont des faits permanents, soumis à l’appréciation de nos sens, par conséquent dont l'observation ne prête guère à l'erreur. Les caractères fournis par les mœurs n'existent, au contraire , comme faits que dans notre esprit, et sont le produit de l'examen rapide et difficile des mouvements fugitifs de certains organes , que nous sommes obligés de chercher au hasard, et que nous ne découvrons souvent qu'après une longue série de tentatives infructueuses. Il est des cas cependant où, par suite d'une grande uniformité de structure, les faits anatomiques manquant pour établir des sections, les faits moraux présentent, malgré cette uniformité extérieure, des différences si notables, qu'ils exigent des divisions parmi les êtres les plus voisins. C’est ainsi que les Guêpes sociales ne diffèrent presque des solitaires que par leurs mœurs ; si bien que Fabricius, cet habile naturaliste de cabinet, n’a pas su les distinguer. 156 H. DE SAUSSURE. — CONSIDÉRATIONS Ces remarques viennent, d’une part comme de l’autre, à l'appui de l'importance qu'il faut accorder aux caractères moraux; nous allons, du reste, montrer de quelle utilité ils peuvent être en esquissant à leur aide une théorie de la nidification des Guêpes. Naturellement, ce genre d'observations fournira ses données les plus instruclives en étant appliqué aux Guêpes sociales , dont un des attributs est d'établir des constructions admirablement variées ARTICLE IT. — DES DEUX MODES PRINCIPAUX DE NIDIFICATION. Coup d'œil sur les guêpiers en général. Je suppose connu l’arrangement d’un guêpier. Il consiste tou- jours dans l’ensemble d’un certain nombre de gâteaux ou rayons parallèlement disposés, chacun de ces gâteaux étant formé de l'agglomération d’une grande quantité d’alvéoles papyracés, le tout étant ou non enveloppé d’un manteau d'une matière analogue à celle qui sert à la construction des alvéoles ou d’un carton d’une consistance plus ou moins solide; du reste, il est bien difficile de donner une idée nette de ces constructions , sans le secours d’un assez grand nombre de planches. Comme je ne puis disposer ici que d’une quantité fort restreinte de figures toutes théoriques, je renvoie mes lecteurs, pour de plus amples détails sur ce point, à mon ouvrage général sur la famille des Vespides (1). Des caractères qui servent à classer les nids. 4. Il suffit d’avoir jeté un coup d'œil sur des guêpiers originaires des divers continents, pour s’apercevoir qu'il règne dans leur éta- blissement des différences assez considérables. En effet, les uns sont protégés par une enveloppe dure, les autres par de simples feuilles d’un mince papier , d’autres enfin montrent leurs alvéoles complétement à découvert. Ces différences ne sont pas des varia- tions accidentelles : chacune correspond à un mode de nidification parfaitement fixe, parce que les Guêpes ne construisent jamais au hasard, mais guidées par des principes particuliers qui varient (1) Études sur la famille des Vespides , 1. IL. SUR LA NIDIFICATION DES GUÈPES. 157 selon les espèces ; chaque espèce crée des guêpiers toujours iden- tiques entre eux , mais différents de ceux des autres espèces : les nids peuvent donc être étudiés comme des objets spécifiquement distincts. 2. Examinés avec attention , tous les guêpiers sans exception, même des natures les plus diverses, présentent des cellules toujours établies sur lemême plan. Cette portion de leur architecture n'offre done aucun caractère à uliliser pour la distribution des espèces : il en est tout autrement de la partie qui enveloppe les rayons (là où elle existe, car elle manque entièrement dans bien des cas). On pourrait donc, par l’inspeclion de ce seul caractère, créer une première division, une catégorie contenant les guêpiers décou- verts, une autre catégorie embrassant les guêpiers revêtus d’une enveloppe; mais ce n’est point là le seul mode de distinction possible : les guêpiers diffèrent encore notablement dans leur forme extérieure, leur disposition intérieure , la nature de leur tissu, leur station, le nombre de leurs rayons, etc. (4). 3. En examinant chacun de ces caractères pour en déterminer la portée , on arrive aux conclusions que voici. Les formes et le nombre n’ont rien de suffisamment certain ; ils constituent du reste, en général, en zoologie, un caractère d’une valeur très minime. La nature du tissu dépend, le plus souvent, du genre des matériaux, nécessairement {rès variables , que l’insecte trouve à sa disposition. La différence entre les nids libres et les nids habillés ne consiste que dans l'absence ou la présence d’une pièce (le manteau), mais ne repose pointsur une diversité dans les principes de construction. La disposition intérieure, au contraire, est le résultat d'un mode particulier de construction; les différences qu’elle offre seront donc celles auxquelles il faudra s'arrêter avant tout. LL. Il est évident que, pour arriver à une appréciation parfaite- ment nette des diverses nidilications , il faudrait pouvoir suivre les insecles dans le développement successil de leurs travaux, et assister à la construction de leurs demeures , depuis la première (1) C'est sur ce dernier caractère que Latreille a voulu baser sa division en espèces; mais il est facile de reconnaître qu'il ne présente rien de solide, le nombre en variant avec l'âge du guépier. 158 H. DE SAUSSURE. — CONSIDÉRATIONS pièce jusqu'à la dernière ; ce n’est qu'ainsi qu'on trouverait d’une manière assurée le nœud de nombreuses difficultés qui se présentent à l'observateur réduit au simple examen anatomique des corps arrivés à leur état parfait. Malheureusement, il n'est pas possible de saisir cette série de transformations ; le plus grand nombre des nids qui sont soumis à l’investigation du naturaliste lui viennent de pays éloignés, théâtre sur lequel il ne peut se transporter ; et ceux même placés à notre portée immédiate, ceux qui peuplent nos campagnes, ont été obser- vés si superficiellement, qu'on ne connaît pas encore, à vrai dire, leur mode d’accroissement. Le défaut de connaissances physiologiques (si l’on peut s’expri- mer ainsi) force done à s’en tenir au procédé relativement ncom- plet de l'étude anatomique des guêpiers , et à déduire de l’in- spection attentive de leur charpente les lois qui régissent leur construction. En procédant par cette voie, on trouve que les guêpiers peuvent se diviser en deux grandes catégories principales, autour des- quelles viennent se grouper la presque totalité de leurs combinai- sons variées. Du premier mode de nidification ou des nids indéfinis. 5. Un premier type se rencontre dans certains guépiers exo- tiques déjà connus fort anciennement, et qui sont l'ouvrage des insectes du genre Chartergus, ete. (pl. 4, fig. LL). Ceux-ci sont composés d’une enveloppe plus ou moins eylin- drique, fermée de toutes parts (4), percée seulement d’un trou qui établit la communication avec l'extérieur (e) ; l'intérieur est par- tagé en loges par des cloisons parallèles horizontales qui sont en connexion intime avec le tissu de l'enveloppe; les cloisons sont toutes percées d’un trou en correspondance avec celui de l’enve- loppe, et servent à supporter les alvéoles dont l'assemblage forme (1) Les figures qui accompagnent ce Mémoire sont purement théoriques ; elles ont uniquement pour but de faire comprendre le principe de la nidi£cation, et ne représentent point des nids véritables. SUR LA NIDIFICATION DES GUÉPES. 159 les rayons (fig. 3 et 11). À première vue, on est tenté de considé- rer les nids de ce genre comme cloisonnés, non comme édifiés par étages successifs : c’est ce qu'ont fait quelques auteurs, Un coup d'œil attentif sur une coupe apprend que les différents tronçons de l'enveloppe cylindrique ne forment pas un tout continu, mais que les fibres du carton d’un tronçon se prolongent avec la eloison placée au-dessous , en sorte que le premier étage (1) a dû être construit de toutes pièces avant que le second fût commencé. A ce moment-là , le premier étage devait représenter un nid complet à une seule loge (fig. 4), et ce qui s’appellerait la première cloison (fig. 3 aa’) dans un langage moins exact, n’est autre chose que la portion inférieure de l'enveloppe. Au-dessous de cette première chambre, il s’en élève une seconde par la construction d’un nou- veau tronçon du cylindre et d’un disque terminal qui le clôt au- dessous (fig, 2). Si enfin il s'en ajoute de la même manière plu- sieurs autres, on aura un nid comme celui que présente la figure 3. En même temps, à mesure que la portion inférieure de l'enveloppe du nid se transforme en une cloison intérieure par l'addition d’un nouvel étage, elle se charge plus ou moins d’alvéoles; chacune des cloisons sert successivement ainsi de plancher à un gâteau de cellules. Il existe, en outre, un autre fait qui conduit directement à la même conclusion que l'examen attentif de la charpente du nid : je veux parler de la circonstance qu'on trouve de ces nids de diffé- rentes grandeurs à différentes périodes de leur agrandissement; or, ils sont toujours également larges à la base, mais de longueurs très variables, et cette dernière dimension est toujours proportionnelle au nombre de chambres que porte le nid. Ces guêpiers (du reste très communs dans les collections) représentent done les états diffé- rents d'un même édifice; par conséquent, il ne serait point logique de les considérer comme une maison allongée coupée par des cloi- sons ; on doit, au contraire, les comparer à une maison bâtie étage par étage, en couvrant chaque étage d’un toit sur lequel s’édifie le suivant. (1) C'est-à-dire l'étage supérieur, car c’est celui-là qui tient au point d'appui. 160 H. DE SAUSSURE. — CONSIDÉRATIONS 6. J’ai donné à cette catégorie de guêpiers le nom de Phragmo- cyttaris (1), et, par ce terme, je désigne non-seulement les nids , mais aussi leurs artisans. Ceci ne peut être la source d'aucune con- fusion, puisqu'on dira, d’une part, nid phragmocyttare ; de l’autre, insecte phragmocyttare. 7. Si l’on a bien compris ce que je viens d'exposer, il sera facile d’en déduire les conséquences : 1° Dans un nid phragmocyttare, l'enveloppe sera toujours en continuité de tissu avec les cloisons qui le partagent , et ces cloi- sons seront percées d’un trou qui établira la communication d’une chambre à l’autre. 2 La portion terminale du nid, après avoir servi d’enveloppe inférieure, ou plutôt après avoir fait partie de l'enveloppe , devient partie interne , et sert à son tour à supporter des alvéoles. Il y a donc, dans ce genre de construction, une grande simplicité théorique et économie de travail, en ce sens que l'insecte trouve un plancher tout construit, lorsqu'il veut établir un nouveau rayon ; il est vrai qu’en revanche il doit construire une nouvelle enveloppe inférieure. Néanmoins il ne faut pas s’abuser sur l'étendue rela- tive de ce dernier travail, bien qu'au premier abord il puisse paraître qu'il serait moins laborieux de bâtir premièrement une autre enveloppe extérieure , puis de la cloisonner , parce que des cloisons minces semblent moins dispendieuses à établir qu'une série d’épaisses enveloppes inférieures : en effet, pour que le tra- vail soit le moins considérable possible, et exige le moins possible de matériaux, il faut que le nid soit le plus petit possible , et que, par conséquent, il soit caleulé de façon à renfermer juste le nombre d'habitants qu'il doit abriter. Or, la société allant toujours crois- sant, il est évident qu'à chaque accroissement elle réalise une éco- nomie de temps , de travail et de matériaux, à pouvoir construire une nouvelle chambre sans rien détruire , ce qu’elle serait obligée de faire avec l’autre système. (1) Spdype, cloison; xôrragoy, gâteau de miel, nid. Ce nom, comme on le voit, n'est pas bien choisi : il aurait été préférable de rappeler plutôt l'idée de nid à chambres; mais comme il exprime bien au fond l'état anatomique de ces constructions , je ne pense pas devoir changer. SUR LA NIDIFICATION DES GUÉÊPES. 161 3° L’accroissement se fera toujours dans un même sens (fig. 3), par exemple, de haut en bas, en longueur ; la largeur restera immuable , puisque les parties qui constituent cette dimension ne sont plus, une fois établies, ni remaniées, ni augmentées. L° Grâce à l'identité des parties internes et des parties externes, ainsi qu’à leur mode d’accroissement, les guêpiers phragmocyttares sont toujours simultanément achevés et incomplets: achevés, parce que, à quelque période de leur existence qu’on les surprenne, ils offrent un tout parfait ; incomplets, parce qu'ils sont continuelle- ment, quel que soit l’état de leur développement présent, suscep- tibles de l’adjonction de nouveaux étages. C’est en considération de cette propriété de s’accroitre indéfini- ment, que je nomme leur mode de construction la nidification indé- finie, de même qu’en botanique on appelle inflorescence indéfinie une inflorescence telle que, par suite de la disposition des axes floraux , la floraison peut se produire indéfiniment. 8. Les deux désignations de nids phragmocyttares et de nids indéfinis sont done synonymiques, et caractérisent également le premier mode de nidification ; il se subdivise en plusieurs variétés que je ferai connaître après avoir décrit le second mode. 9. Dans l’exposé qui précède, je n’ai pu parler d’une manière parfaitement générale, parce qu’en histoire naturelle on ne peut, comme dans les mathématiques , procéder par formules algébri- ques; j'ai dû, pour fixer les idées, prendre une forme de nid par- ticulière , et j'ai choisi la forme eylindrique comme la plus simple. Tout ce que j'ai dit ne pourrait donc s'appliquer avec la même rigueur à toutes les variétés de nids phragmocyttares ; mais il sera facile, en avançant, de rectifier dans chaque cas spécial ce que peuvent presenter de trop absolu les considérations que j'ai émises, en m'attachant uniquement à la forme cylindrique Du second mode de nidification, ou des nids définis. 10. Ce mode est commun parmi les Guêpes de l’ancien conti- nent, et notamment parmi celles de nos contrées. lei on ne voit plus construire une première chambre , qui sert de base et de noyau à un développement ultérieur ; l'appareil est * série. Zoo. T. HIT. (Cahier n° 3.) 5 11 # D. 162 H. DE SAUSSURE. — CONSIDÉRATIONS différent, il présente un simple rayon de cellules disposées sur un plan horizontal (fig. 4, ab). Au-dessus de ce premier rayon il s’en bâtit un autre (ed), et comme il n’existe dans ce cas aucune enve- loppe, aueune cloison intérieure qui puisse lui servir de support et le joindre au premier, la nature y supplée par des espèces de co- lonnes qui, s’attachant à l’un et à l’autre, les unissent et les tien- nent en même temps à distance. Au-dessous de ce second rayon il s’en construira un troisième, relié au précédent de la même façon, et ainsi de suite. Dans certains cas, ces nids sont protégés par une enveloppe cel- luleuse (fig. 5) percée d’un ou plusieurs trous (e), et c’est ce genre que je choisirai comme type du second mode de nidification, parce que c’est celui qui est le plus complet, et qui constitue la demeure la mieux établie. 41. En comparant ces nids aux phragmocyttares, il est facile de reconnaître que d'importantes différences les distinguent entre eux. Comme eux ils offrent une enveloppe générale renfermant des rayons parallèles; mais ici l'enveloppe est entièrement indé- pendante des rayons, et ceux-ci, au lieu d’être soutenus par des dépendances de l’enveloppe, le sont par des pièces fabriquées ad hoc, c’est-à-dire par les piliers décrits ci-dessus. En raison de cette circonstance, j'ai nommé stélocyttares (4) les nids de cette seconde catégorie. 12. Outre les différences essentielles qui viennent d’être men- tionnées entre ces deux modes de nidification , il en est plusieurs autres que la comparaison permet de déduire aisément. 4° A la rigueur, un stélocyttare peut se passer de son enveloppe, puisqu'elle est indépendante des rayons; tandis qu’elle est indis- pensable dans les phragmocyttares, où le manteau établit seul leur cohésion. 9° Dans cette seconde catégorie, chacune de ses deux parties a un rôle particulier et distinet : l'enveloppe ne sert que comme enve- loppe ; il y a, par conséquent, une plus grande division du travail ; mais il serait difficile de dire que ce füt ici un élément de supério- (1) Zrrhn, colonne; xhrrapo, rayon, nid. SUR LA NIDIFICATION DES GUÊPES: 163 rité. En effet, les guépiers stélocyttares sont établis à moins de frais que les phragmocyttares, puisqu'ils n’exigent pas ce gaspillage des matériaux, si évident dans l'épaisseur plus que superflue des cloisons. On ne sait ce que l’on admire le plus, de ce procédé qui écono- mise ingénieusement le travail, en profitant des parties externes , devenues inutiles, pour en faire le support des rayons intérieurs , ou de l’industrie peut-être moins savante des autres, mais plus économe de matériaux. Quoi qu'il en soit, cette double solution d’un problème difficile montre une fois de plus combien le Créateur s’est plu à varier à l'infini toutes les productions de la nature. 3° Ces guêpiers sont parfaitement définis ; car, une fois les rayons intérieurs établis et l'enveloppe elose de toutes parts, le nid ne s'accroît plus : aussi la dénomination de nid ou guêpier défini séra- t-elle le synonyme de stélocyttare , de même que celle de guêpier indéfini l'était de phragmocyttare, 4° Tandis que dans les phragmocyttares les rayons sont perforés pour la communication d’un étage à l’autre , chez les stélocyttares la communication se fait par les vides laissés entre les rayons et l'enveloppe ; en d’autres termes, dans les premiers elle est cen- trale, dans les seconds elle est périphérique. 13. Une fois ces différences comprises, ainsi que les bases des deux systèmes opposés, il sera facile de reconnaitre auquel des deux groupes apparliendra chaque nid soumis à l'observation, et l’on ne sera point induit en erreur par des apparences extérieures souvent trompeuses (1), ou tout au moins embarrassantes,. De la nomenclature des Guépiers. 14. Jusqu'ici je me suis servi, dans l'exposé des faits qui sont relatifs à la nidification , de termes très arbitraires , parce qu'il ne m'était pas possible d’en fixer la valeur sans avoir préalablement fait connaître les objets qu'ils doivent désigner ; maintenant, et avant d'aller plus loin, je dois en préciser la signification, afin d'écarter le vague des expressions que j'aurai à employer. (1) Je n'entends pas parler ici de certains guépiers tout à fait exceptionnels, et fort embarrassants , sur lesquels je reviendrai plus bas. 164 H, DE SAUSSURE. — CONSIDÉRATIONS L'ensemble d’un certain nombre de cellules , disposées sur une surface quelconque , se nomme rayon ou gâteau. Nous nommerons entrées les trous qui servent à la communi- cation entre l'intérieur du nid et l’extérieur. Termes applicables aux phragmocyttares. Quoique je me sois servi souvent des termes enveloppe, manteau, il n'existe, à vrai dire, rien de semblable dans le guêpier, puisque toutes les parties de la charpente se confondent, et que les sépara- tions intérieures appartiennent à un même tout qui forme en même temps ce qui se voit à l’extérieur. Mais comme l’idée de cet en- semble extérieur peut devoir être exprimée, on pourra conserver à cet effet le mot d’enveloppe, mais sans perdre de vue le côté arbi- traire de cette désignation. Je nomme chambre chacun des compartiments du nid considéré isolément : ces diverses chambres seront numérotées du haut en bas, en suivant l’ordre de leur construction successive. Ainsi, la première chambre sera celle qui aura été formée la première ; la seconde sera celle placée immédiatement au-dessous ; la dernière celle située à l'extrémité inférieure du nid. La paroi cylindrique qui limite chaque chambre sur les côtés est la muraille (fig. 4, a, c), le plan supérieur est le plancher (b), et l’inférieur le plafond (d). En effet, dans un guêpier tout est renversé : les cellules sont dirigées de haut en bas, et c’est le plan supérieur qui leur sert de base. Le plancher de la première chambre est aussi celui de tout le nid ; mais comme 1l prend ordinairement une forme particulière , il exige peut-être un nom spécial. De même, le plafond de la dernière chambre est celui de tout le nid; mais à raison du rôle qu'il joue comme partie de la surface extérieure, je le nomme toit. Le toit est percé de l'entrée. Chaque plafond est d’une manière semblable traversé par le trou de communication. Enfin, on peut nommer étage, au point de vue général, chacune des chambres en cheminant du bas en haut dans le sens que suit l'insecte lorsqu'il pénètre de l'extérieur jusqu'à la première SUR LA NIDIFICATION DES GUÈPES, 165 chambre : on pourra donc dire ainsi monter ou descendre les étages ; mais il ne faudra pas se servir de ce mot en l’accompa- gnant de numéros qui commenceraient en bas pour finir en haut, parce qu'ainsi le premier étage serait précisément le dernier bâti. Dans ce cas, et pour indiquer un compartiment particulier ou dans ses rapports avec les autres, il faudra employer le terme de chambre. Termes applicables aux stélocyttares. Les piliers (fig. 4, 5) sont ces petites colonnes qui relient entre eux les rayons. Celui qui sert à attacher le premier rayon est le pédicelle; il exige un nom particulier, parce que, dans certains guépiers, il prend un développement exceptionnel, et souvent très considérable. L’enveloppe (fig. 5) est la couche celluleuse et foliacée qui re- couvre les rayons, et les renferme dans la cavité qu’elle circonscrit. Souvent cette enveloppe prend une étendue considérable , et res- semble plus à un amas qu'à une couche de substances papyracées; dans ce cas, nous ne lui conservons pas moins le même nom. ARTICLE II. — Division DES PHRAGMOCYTTARES, OU NIDS INDÉFINIS. Division en deux sections. Un nid indéfini est zoologiquement caractérisé comme suit: Nid toujours protégé par une enveloppe extérieure, offrant dans son intérieur une ou plusieurs chambres séparées par des cloisons (plafonds) perforées, qui supportent les rayons sans qu'il existe un espace libre entre l'enveloppe et les rayons. Comme avant d'aborder les détails qui vont suivre il est absolu- ment nécessaire d’avoir bien saisi le mode d’accroissement des phragmocyttares, je vais y revenir encore ici. Le nid représenté dans la figure 3, et qui m'a servi de type pour la description des guépiers de ce groupe, était, si l’on s’en souvient, un cylindre ter- miné à la partie inférieure comme à la partie supérieure par un disque plan (plancher et toit); mais cette forme est complétement idéale, et je l'ai choisie seulement à cause de sa simplicité pour m'en servir à établir un principe général. Si, au lieu d’avoir comme première base un plancher circulaire 166 H. DE SAUSSURE. — CONSIDÉRATIONS plan, on à une sphère, cette sphère peut être envisagée comme une modification du plancher circulaire dont les bords se seraient infléchis sur le centre et soudés, en entraînant dans leur mouvement d’inflexion les cellules du premier gâteau : le noyau premier du nid, au lieu d’être un plan de cellules, sera une surface sphérique de cellules. Le plancher (00, fig. 3) sera une sphère ; ses bords réflé- chis en arrière se sont confondus sur un point de suture théorique , en sorte que toute la muraille de la première chambre (fig, 3, 0a, ba) se réduit à une colonne (fig. 6, oa). Le plafond (fig. 3, aa’), parallèle au plancher, suivra ce dernier dans son inflexion, s’étendra et se courbera en une autre surface sphérique parallèle à la première. La première chambre (fig. 6) sera done sphérique, et comprise entre les périmètres de deux sphères inscrites l’une dans l’autre. Le trou (€) subsistera comme dans le type primitif. Les autres chambres se circonscriront successivement autour de la première , et le guêpier se trouvera composé d’une série de sphères emboi- tées, présentant à l'extérieur l’aspect d’une sphère parfaitement énigmatique quant à son intérieur, Le toit formera une véritable enveloppe extérieure de tout le nid, et remplacera entièrement la muraille dans ses fonctions protectrices. Cette dernière se trouvera réduite au rôle d’une simple colonne intérieure, ainsi qu’il est facile de le voir à priori. En effet , la muraille suivant dans son dévelop- pement le pourtour du plancher, une fois que ce dernier n’est plus qu'un point, elle-même ne peut plus être qu’une colonne, et en même temps s'explique comment cette colonne est intérieure, tandis que la muraille était primilivement extérieure. Du reste, on pourrait également déduire du type cette espèce de nid par une autre transformation, en y voyant un phragmocyttare à planche sphérique, le toit élant assez étendu pour une sphère eom- plète. En suivant la transformation des parties du guêpier de l'exte- rieur à l’intérieur , au lieu de suivre de l’intérieur à l'extérieur, on arriverait à un résultat identique. Ces considérations , peut-être un peu abstraites , étaient néces- saires pour rendre compte de l’analogie qui unit au fond deux types en apparence aussi différents. LL SUR LA NIDIFICATION DES GUÊPES. 167 Je nomme phragmocyttares sphériques, les nids construits sur le principe que je viens d'expliquer, parce qu'ils croissent sur les trois dimensions (fig. 7), et phragmocyttares rectilignes, ceux qui m'ont servi de premier type, et qui, partant d’une surface plane comme base, ne se développent que suivant une direction en ligne plus ou moins droite. Ces deux dénominations divisent et indiquent les deux sections dans lesquelles se partagent les phragmocyttares. Ces sections une fois établies, on pourra les fractionner encore d’après les détails variés de construction qui se manifestent dans chacune d'elles ; en suivant cette voie, on finira par avoir un cer- tain nombre de genres et d'espèces de guêpiers suffisant pour former une bonne classification. Mais ce mot d'espèces ne doit pas être pris ici dans un sens zoologique : en effet, chaque espèce de Guêpe n’a pas toujours une modification assez différente de celle des autres espèces du même genre, pour que, à la seule inspection de ces guê- piers, ils puissent être distingués el immédiatement attribués à l’une ou à l’autre. D'une part, une même espèce zoologique peut admettre dans la construction de sa demeure des formes variables dans une certaine limite, comme elle peut comporter l'emploi de matériaux changeant avec les contrées et les ressources diverses qu’elles offrent à l’insecte constructeur. D'autre part, des espèces diffé- rentes, quoique voisines, bätissent souvent, d’après un même prin- cipe, avec des matériaux bruts identiques, préparés etmis en œuvre d’une manière identique. L'espèce de guépier (qui représente pour ainsi dire l'espèce morale) ne doit donc pas être mise en parallèle rigoureux avec l'espèce animale ou zoologique proprement dite. Des phragmocyttares sphériques. Cette section ne se subdivise pas. Du moins je ne connais qu’une espèce qui lui appartienne : je n'ai done rien à ajouter à son sujet dans cet article. Subdivision des phragmocyttares rectilignes. J'ai fait comprendre plus haut que le nid théorique qui sert de type à cette section est entièrement imaginaire, parce qu'il offre des éléments de régularité mathématique absolue qui ne sont point dans 168 H. DE SAUSSURE. —— CONSIDÉRATIONS les habitudes de la nature; l’insecte se plie dans la construction de son nid, et en subordonne les formes à celles des objets voisins qui le servent ou le gênent : mille autres causes insignifiantes contri- buent en outre pour leur part à introduire dans le guêpier des irré- gularités accidentelles ; il n’y a de régulier que les cellules, dont la formation suit toujours avec précision les lois mathématiques. On distingue dans les phragmocyttares rectilignes deux catégo- ries principales de constructions. Dans l’une, le guêpier s'étend en longueur, reçoit plusieurs étages ; il est toujours suspendu à des branches d'arbres : c’est le phragmocyttare proprement dit. Dans l'autre, le guêpier s'étend plutôt en largeur sur un plan; il ne pré- sente qu'un ou deux étages, et adhère à un objet plat : c’est le phragmocytlare imparfait. 1. Genre des phragmocyttares parfaits, Les nids de ce genre sont toujours construits d'un carton solide, et d'autant plus ferme que le nombre des étages doit être plus grand. Leur construction commence invariablement par l'établissement d’une couche de carton (fig. 10) qui encroûte une partie de la branche à laquelle doit être suspendu le guêpier ; ce travail achevé, la branche (ff) est prise dans un manchon de carton (ss) qu'on peut nommer anneau suspenseur, dont la face inférieure est aplatie de façon à pouvoir se tapisser d’une couche de cellules qui formera le premier gâteau. Le plan sur lequel elle repose (00') sera le premier plancher ; celui-ci une fois établi, le reste de la construction se fait comme il a été dit plus haut, et un nombre plus ou moins considé- rable de chambres s'élèvent successivement. Première espèce. Le toit est conique, et l’entrée est centrale (fig. 11). C’est dire en mème temps que les plafonds, et par suite aussi les rayons, sont tous coniques, et que les trous de communication sont centraux. En général, le cylindre est comprimé, et la configuration dominée par la forme conique, en sorte que le nid s’élargit vers le bas (Char- terqgus, Lepelletier). SUR LA NIDIFICATION DES GUÉPES. 169 Deuxième espèce (1). Le toit en plan , l'entrée latérale, la forme très conique; il s’en- suit des plafonds plans et percés latéralement. Peut-être existe-t-il une différence positive et fixe entre ceux qui ont une forme conique et ceux qui affectent une forme cylindrique (Tatua, Saussure). Troisième espèce (2). Les formes sont très irrégulières. L’anneau suspenseur est sou- vent incomplet ou nul ; dans ce dernier cas, il estremplacé par un simple accolement. Les étages sont peu nombreux; le nid complet revêt une forme plus ou moins ovoïde ou piriforme. Le toit est en calotte sphérique, l'entrée latérale ; l'enveloppe est épaisse, souvent celluleuse, et les plafonds sont relativement très minces (Polybia, Lepell. ). Cette espèce est la moins bien connue ; elle doit probablement se subdiviser elle-même. Elle n'est plus exactement phragmocyttare, en ce sens que les éléments sont distincts et séparés : la charpente et le mode de construction, moins judicieusement combinés pour un accroissement considérable, limitent à un nombre fort restreint les étages de ces guêpiers ; ils se rapprochent en cela des nids dé- finis, aussi bien parce que, à une certaine époque, on peut les con- sidérer comme complets, que parce que leurs parties internes (pla- fonds) commencent à être distinctes de l'enveloppe. Le toit se con- fond avec la muraille. 2. Genre des phragmocyttares imparfaits. Si l’on ne jetait qu'un coup d'œil superficiel sur les guêpiers de cette catégorie, cet examen fournirait si peu de points de compa- raison avec ceux que nous venons de décrire, qu'il faudrait une certaine bonne volonté pour voir en eux les variétés d’un même type : ils n'offrent, en effet, aucune analogie avec un phragmo- Cyttare parfait ; mais si l’on ramène les uns et les autres à leurs types théoriques, on ne pourra manquer de reconnaître le rapport qui les (1) Voyez ma Monographie des Guépes sociales, pl. XXXII. (2) Zbid., pl. XVL, fig. 3. 170 HW. DE SAUSSURE. — CONSIDÉRATIONS unit véritablement. Supposons que dans le nid théorique repré- senté à la figure 3, toutes les chambres, sauf la première, viennent à être supprimées (fig. 4), et que cette chambre prenne un grand accroissement dans le sens du plan qu’elle occupe, on aura, comme à la figure 43, un guêpier composé d’une couche de cellules, repo- sant sur un plancher 00’, couverte d’un plafond aa! avec une entrée quelconque en e : le nid, au lieu de s'étendre en longueur, a acquis de grandes dimensions latérales. Il est encore plus défini que la troisième espèce de la précédente section, puisqu'il se trouve com- plet lorsqu'il a un seul étage ; il peut être même considéré comme parfaitement défini ; mais on doit néanmoins le rattacher aux indé- finis, parce que son principe de construction est le même que celui de ces derniers, et qu'il n’est défini que par arrêt de développe- ment. lei on ne trouve point d’anneau , car le guêpier ne se fixe pas à un support mince comme une branche, mais adhère à une large surface (feuilles, trones d'arbres, ete.). Première espèce (1). Un plancher distinct, plus ou moins libre; le nid se fixant par des colonnettes bâties dans ce but spécial ; plafond plat, disposé paral- lèlement à une couche de cellules plane ; forme très variable suivant celle de l’objet auquel est attaché le guêpier ; un ou deux étages irré- guliers, entrée latérale (Polybia sedula, Saussure). Deuæième espèce (2). Le plancher n’est pas libre, mais ne consiste que dans un en- croûtement de la surface qui sert de base; le plafond, convexe, figure une voûte allongée ; l'entrée, latérale, est presque prolongée en goulot (Synocca, Sauss.). ARTICLE IV. — DrvisioN DES STÉLOCYTTARES, OU NIDS DÉFINIS. Division en deux sections. On sait déjà que les stélocyttares peuvent être pourvus d’une en- veloppe ou n’en pas avoir (fig. 4 et 5). Ce fait permet de les partager (1) Voyez ma Monographie des Guépes sociales, pl. XXI. (2) Zbid., pl. XX. | | SUR LA NIDIFICATION DES GUÊPES. 4171 en deux sections, pour lesquelles je propose les noms de calypto- domes (A) et de gymnodomes (2). Des stélocyttares calyptodomes. Ils sont si semblables entre eux, qu'ils ne peuvent former qu'un seul genre dans lequel on a même quelque peine à créer des espèces bien distinctes ; des observations ultérieures et plus complètes per- mettent probablement de faire mieux sous ce rapport. Première espèce (3). Enveloppe foliacée, composée de couches concentriques ; nids plus ou moins réguliers, ovoïdes sphériques, construits à l'air libre, sur les arbres ou sous les toits. Deuxième espèce (4). Enveloppe celluleuse , irrégulière ; nids construits dans des cavités souterraines, etc. Des stélocyttares gymnodomes. Les constructions de ce groupe sont les plus légères, les plus gracieuses et les plus variées de toutes celles qu'édifient les Guêpes, et, grâce à cette admirable diversité, il est possible de distinguer ici plusieurs genres. Comme les rayons sont abandonnés à leurs seules forces, et qu'ils ne jouissent pas d’une enveloppe qui leur donne, en les fixant, un point d'appui, et qui protége les cellules en s’attachant aux bran- ches ou en remplissant les cavités qui les recèlent, le nid, qui autre- ment flotterait au hasard, est toujours muni d’un pédicelle ou tout au moins accolé à quelque objet; dans certains cas , il arrive même que desrayons prennent à la fois pour axe et pour support la branche d’un arbrisseau. Les nids, ainsi exposés aux intempéries de l’air, doivent naturel- ahvrTtw, CaCNer ; gouos, demeure, MalIson. 1) Kav h d5p0c ; À j 2) Tuuvoc, nu; douos, demeure, maison. Fe pi oyez ma Monographie des Gruépes sociales, etc., pl. et : 3) Voy M h Guép l pl. XV et XVII (#) bid., pl. XVI. 172 H. DE SAUSSURE, — CONSIDÉRATIONS lement chercher , sous les feuilles des arbres ou dans le voisinage d’autres objets protecteurs , un abri contre ces intempéries ; aussi n’atteignent-ils pas ordinairement une grande étendue, parce que de fortes dimensions rendraient bien difficile une protection suffisante. Le pédicelle, qui sert à les fixer, en supporte ordinairement le poids à lui seul, et nous n’en avons jamais observé plus d’un pour un même nid. Il est évidemment l’analogue des colonnettes, puisqu'il s’étend souvent entre les gâteaux, et les supporte comme le font ces dernières. C’est dans la présence, la forme et la position relative de ce pédi- celle, que nous trouvons le caractère qui servira à établir la clas- sification des gymnodomes. Genre des Gibbinides (1). Nids sans pédicelle, composés d’une calotte en hémisphère d’une substance celluleuse, servant de plancher à une couche de cellules (fig. 15). Ces guêpiers sont fixés dans les branches des buissons ; c’est peut-être à lort que, dans ma Monographie, je les ai unis aux Latérinides à cause de leur analogie avec certains nids de Solistis. Je n’en connais qu’une seule espèce (Apoïca, Lepell.). Genre des Rectinides Les guêpiers de ce genre offrent des rayons superposés et tra- versés par un axe central, qui sert en même temps de pédicelle au nid (fig. 16). Première espèce (2). Nid à plusieurs étages (fig. 16). Deuxième espèce (3). Nid à un seul étage ; cellules généralement cylindriques (fig. 20). Genre des Latérinides. Ici le pédicelle n’est plus central, mais latéral, et les gâteaux se trouvent supportés comme à l'extrémité d’un manche (fig. 47, vu (1) Voyez ma Monographie des Guépes sociales, pl. XXVIIT. (2) Ibid, pl. IT, fig. 4. (3) Zbid., pl. LIT, fig. 9. 448000 SUR LA NIDIFICATION DES GUÉPES. 173 de profil ; fig. 18, vu en dessus). On peut considérer ces nids comme des portions de rectinides. En effet, si le cercle (fig. 19) représente un rayon ou gâteau d’un rectinide dont le pédicelle serait en p, le secteur pa b sera le gâteau du latérinide ; en d’autres termes, un laté- rinide n’est qu'un rectinide dont un segment seul existe réellement. Le pédicelle est, en général, élargi à son extrémité, comme le montre le profil de la figure 20; mais lorsqu'un segment seul du gâteau qu'il supporte existera réellement, il ne correspondra qu’à un segment du pédicelle , tel qu'il est représenté figure 21 p. La position latérale du pétiole est done normale, ainsi que sa direc- tion latérale ; seulement, dans la nature, cette direction s’exagère, et finit souvent par devenir horizontale (fig. 23). Ce phénomène est très singulier, en ce qu'il semble indiquer un fait contraire à la grande règle de l'économie du travail que la nature suit dans ses œuvres. Par suite de l’excentricité du pétiole et du poids du nid placé au bout d’un levier plus ou moins long , le pétiole doit être plus fort, plus épais, par conséquent plus difficile à construire que si le mode de suspension était mieux calculé sur les lois de l’équi- libre : aussi les latérinides n’offrent-ils jamais que de faibles dimen- sions. De ce mode de construction il résulte encore que le guépier ne peut guère acquérir plus d’un étage, parce que l’axe, étant dévié , se confond nécessairement plus où moins avec la direction des gà- teaux ; mais nous montrerons plus bas par quel artifice la nature a tourné la difficulté. Les latérinides ne sont pas tous excentriques , mais passent par transitions successives aux rectinides. Il a cependant fallu ranger dans ce genre certains nids concentriques irréguliers qui, de toute manière, se rattachent aux latérinides Première espèce. Pas de pédicelle : un simple gâteau traversé par une branche qui lui sert d'appui (fig. 44). J'ai vu un grand nid de cette espèce qui avait été trouvé au Brésil, mais dont on ne connaissait pas l'artisan. 474 H, DE SAUSSURE, — CONSIDÉRATIONS Deuxième espèce (1). Nid variable , irrégulier, oblong ou circulaire , avec un pétiole plus ou moins central, ou sans pétiole et simplement accolé à son appui. Ces nids servent de trait d’union entre les latérinides et les rectinides. Le pédicelle, lorsqu'il existe, est toujours gros el court, ce qui les distingue suffisamment de ces derniers. On voit dans Réaumur ( VI, pl. 95, fig. 2) représenté un nid de cette catégorie qui a deux étages. C’est le seul exemple à moi connu d’un latéri- nide à deux étages ; encore ici le nid est-il presque circulaire et le pétiole peu excentrique. Cette figure a été reproduite dans l'ouvrage de Lepelletier de Saint-Fargeau ; mais jamais je n’ai eu l’occasion de rien rencontrer qui lui ressemblât. Troisième espèce (2). Pétiole entièrement latéral ; nid représentant souvent un secteur parfait et triangulaire (fig. 23, 17, 18). Quatrième espèce (3). Nid entièrement latéral, réduit à une étroite bande de cellules alternes (Zcarria, Sauss.). Pour résumer le contenu de ce chapitre en un tout facile à saisir, je suis conduit au tableau suivant : PHRAGMOCYTTARES . STÉLOCYTTARES, I. — Ph. sphériques. I.— St. calyptodomes. Genre unique. Genre unique. Deux espèces. II. — Ph, rectilignes, IL.— St. gymnodomes. 1# genre. Ph, rectil. proprement dits. 1°" genre, Gibbinides, Trois espèces. Une espèce. 2° genre. Ph. rectil. imparfaits. 2° genre. Rectinides. Deux espèces, Deux espèces. 3° genre. Latérinides. Quatre espèces, NU Hs ma Monographie des Guépes sociales, pl. VU, fig. 4, 2, 3, b,a; pl. X, fig. 5. (2) Loc. cit., pl. IX. fig. 4 a, 2, 3; pL VIIL, fig. 4 a, 5. (3) Loc. cit., pl. IN, fig. 3 a, 7. SUR LA NIDIFICATION DES GUÈËPES. 475 Tel est l’ensemble des divers groupes que nos observations nous ont conduit à admettre; sans doute ce n’est à qu'une première ébauche d’un travail qui n’a pas encore été abordé , et sur ce ter- rain les faits observés et constatés sont encore bien peu nombreux pour permettre de généraliser à coup sûr : aussi ai-je peut-être été trop loin dans mes déductions. C’est aux naturalistes plus heu- reux que moi dans leurs recherches, mieux partagés dans leurs ressources ou plus habiles dans l’art de grouper les faits, que revient la tâche de corriger ce que ces lignes peuvent présenter de hasardé ou d’imparfait. ARTICLE V.— APPENDICE AUX DIVERS MODES DE NIDIFICATION. Les deux modes de nidification dont j'ai rendu compte dans les pages qui précèdent renferment presque tous les guêpiers connus. Cependant il en est un certain nombre qui sont fort embarrassants pour la théorie, et dont on ne connait pas les artisans. Ces nids semblent vouloir braver toutes les règles auxquelles on a pu assu- jettir la très grande majorité, et il est possible qu'ils exigent la forma- tion d’une section particulière. Quoi qu'il en soit, je vais essayer de les ramener d’abord à l’une des formes connues et établies. La figure 24 représente la coupe d’un guépier exotique du genre de ceux que nous avons en vue dans ce moment; cet édifice se com- pose : 1° D'un axe formé par une tige naturelle ; 2 D'un certain nombre de gâteaux pédicellés fixés à cet axe ; 3° D'une enveloppe générale. Cette construction est tout exceptionnelle ; elle devrait rentrer dans les stélocytlares, puisque les rayons sont libres et que le nid est défini. D'un autre côté, les rayons considérés isolément sont tous latérinides ; de l’autre, l'assemblage de toutes les parties du nid rappelle l'aspect propre aux calyptodomes rectinides, sans que cependant il se trouve des piliers entre les rayons. Il faudrait, pour tenir compte des deux principes qui s’y montrent réunis, le nommer latérinide calyptodome. Cependant, comme nous avons prouvé plus haut que la con- Struction se règle toujours sur des bases certaines, et qu'il n’est 176 H. DE SAUSSURE. — CONSIDÉRATIONS guère admissible que cet édifice fasse à la théorie générale une exception absolument irréductible, nous allons essayer de rattacher son principe à celui des autres nids. Voici, je crois, ce qu’on peut avancer à cet effet. Le guêpier en question doit être envisagé comme le représente la figure 24 (aa étant l'axe naturel ; pr, p'r', ete., les rayons pédi- cellés (latérinide) ; =m, l'enveloppe). Chacun des rayons étant pédicellé latéralement , nous sommes d’abord reportés aux latérinides par l’analogie. Un latérinide est, suivant notre théorie, une portion de rectinide. On peut done sup- poser par la pensée un latérinide à plusieurs étages , qui ne serait qu'un secteur du rectinide multiple figure 16, de même que la figure 21 représente un latérinide produit du rectinide de la figure 20. Ce serait le nid hypothétique représenté par la coupe figure 25. Mais on a va que, lorsque le nid devient latérinide , son axe p (fig. 21) ne conserve pas sa position primitive, mais qu'il est dévié comme le montre la figure 23. Le latérinide mul- tiple (fig. 25) devra donc être représenté par trois rayons super- posés, et relativement libres comme dans la figure 26. Ce nouveau nid n’est autre que celui de la figure 25, dans lequel l'axe aa a été détruit par la déviation de chacun de ses tronçons p, p', p', qui sont devenus les pétioles des rayons ; le nouveau nid de la figure 26 serait impossible, si rien ne reliait ses diverses parties : pour qu’il devienne possible, il faut qu'il s’établisse contre une branche d'arbre ou tout autre axe naturel. On est donc fondé à n’y voir qu'un latérinide multiple, et comme de plus il est muni d’une enve- loppe, c’est en même temps un calyptodome. Ces nids comptent plus d’une espèce. Dans ma Monographie j'en ai représenté un qui est établi au milieu de plusieurs petites branches. Je ne connais pas son intérieur ; mais il est probable que, comme il possède plusieurs axes, il doit s’y trouver plusieurs séries de rayons superposés. Première espèce (A) Axe unique ; entrée sans goulot. (1) Voyez ma Monographie des Guépes sociales , p. XX VIT. SUR LA NIDIFICATION DES GUÊPES. 177 Deuxième espèce. Axes multiples; entrée au bout d’un goulot. S'il était certain qu'il n'y eut aucune erreur dans les apprécia- tions qui précèdent, les stélocyttares devraient être soumis à une division autre que celle adoptée ci-dessus. En effet, les deux caté- gories des calyptodomes sont établies sur des principes trop diffé- rents pour qu'elles puissent figurer ensemble vis-à-vis des gym- nodomes. Cette autre division serait basée sur le fait d’être rectinide ou latérinide. On arriverait alors à la classification suivante : STÉLOCYTTARES. LI. Recninies, II. LaTÉRINIDES. IT. Gissinines. 1. Gymnodomes. 1. Gymnodomes. Genre unique. Deux espèces. Quatre espèces. 2. Calyptodomes. 2. Calyptodomes. Deux espèces. Deux espèces. Mais je n'ai pas adopté cette division dans la Monographie, parce que les latérinides calyplodomes sont trop peu connus pour être compris avec assez de certitude dans leurs affinités. Après avoir classé les productions des Guêpes en groupes qui paraissent naturels, il faut chercher si ces groupes correspondent à ceux que l’on est porté à admettre dans l’arrangement des insectes mêmes qui les construisent. Il existe à cet égard des règles et des exceptions. Ainsi, tous les nids phragmocyttares se rattachent aux Guèpes de l'Amérique tro- picale et méridionale, et sont construits par les genres Mectarinia, Chartergus, T'alua, Polybia et Synocca. Chacun de ces genres naturels a son mode de construction spécial, Aïnsi, les Vecturinia sont les seuls qui construisent des phragmocytlares sphériques ; les Chartergus les font rectilignes de la première espèce ; les Tatua rectilignes de la seconde ; les Polybia n’ont pas de règle aussi fixe : elles construisent également des rectilignes de la troisième espèce, ou des phragmocyttares imparfaits de la première; les Synocca s’en tiennent à ceux de la seconde. Le genre Apoïca est l'artisan des gibbinides; les Mischrocytharus et Ischnogaster construisent les stélocyttares ; les Zcaria des gymnodomes latérinides de la 4° série, ZooL. T. LIT. (Cahier n° 3.) 4 12 178 H. DE SAUSSURE. — CONSIDÉRATIONS, ETC. quatrième espèce ; les Polistes sont les représentants de la première et de la seconde espèce du même groupe; et enfin les espa sont exclusivement des calyptodomes rectinides. On voit done que les divers modes de nidification correspondent à des groupes naturels , et que par conséquent ils ne doivent pas rester étrangers à la clas- sification des insectes. Ces divers ordres de nids ont naturellement aussi une distribu- üon géographique correspondante à celle de leurs artisans ; ainsi nous voyons les phragmocyttares localisés dans les régions chaudes de l’Amérique; les stélocyttares rectinides , généralement répan- dus, aussi bien que les latérinides ; enfin les calyptodomes recti- nides, dans toute l'Amérique du nord et dans l’ancien continent, comme les Vespa, qui en sont les constructeurs. Mais ici vient se placer un fait des plus embarrassants. Les laté- rinides calyptodomes paraissent être spéciaux à l'Amérique méri- dionale, mais je n’ai pu découvrir quel est l'artisan de ces singuliers édifices. En énumérant les modes de nidification et les espèces des constructeurs, nous avons passé en revue successivement fous les genres de Guêpes , en sorte que nous ne savons à qui attribuer ceux qui nous préoccupent dans ce moment. Il faut donc admettre, ou bien que l’on ne connait point encore quelle est l'espèce ou le genre de Guêpes qui les construisent, où bien que ces nids appar- tiennent à un genre qui nidilie aussi et en même temps selon un autre mode : la première supposilion ne paraît guère admissible, si l'on considère que les nids sont infiniment plus rares que leurs artisans, et que les collections doivent bien plus facilement possé- der les derniers que les premiers; il faudrait donc se ranger à la seconde hypothèse , et attribuer les guêpiers en question au genre Polybia, qui est vaste, riche en espèces diverses, et chez lequel les procédés de nidification sont nombreux, il est vrai, mais tous phragmocyttares, et je ne puis admettre sous aucun prétexte que les insectes d’un même genre soient les uns phragmocyttares , les autres stélocyttares. La difficulté subsiste donc , et ne sera écartée que lorsqu'on connaîtra les artisans de tous les guépiers. EXPLICATION DE LA PLANCHE 1. Figüres théoriques des nids de Guêpes. MÉMOIRE SUR LES ANIMALCULES ET AUTRES CORPS ORGANISÉS QUI DONNENT A LA MER UNE COULEUR ROUGE, Par M. Camille DARESTE (1). Les navigateurs rencontrent fréquemment en mer des espaces plus ou moins considérables dont l'eau présente une couleur diffé- rente de la couleur ordinaire, et qui passe par toutes les nuances intermédiaires entre le jaune, lerouge de sang et le brun. Ces eaux colorées forment des bandes qui sont souvent d’une grande éten- due, et dont le bord se distingue très nettement de l’eau qui a con- servé sa transparence. Elles ont été fréquemment prises par les marins pour des bas-fonds, bien que, presque toujours, on les observe dans des localités où la profondeur est considérable. On a reconnu depuis longtemps que cette couleur n’appartient point à l’eau elle-même, et qu’elle est produite par des substances tenues en suspension dans l’eau ; mais on a généralement méconnu la nature de ces substances. L'opinion qui prévaut parmi les marins, c’est qu’elles sont constituées essentiellement par du frai de Poisson. Les naturalistes qui ont eu occasion d'étudier ces phé- nomènés (2) ont pensé , avec raison, qu'ils étaient produits par (1) L'extrait de ce travail a été présenté à l'Académie des sciences à la séance du 26 décembre 1854 (voyez les Comptes rendus , t. XXXIX, p. 1207). Je dois prévenir ici mes lecteurs que cet extrait est rempli de fautes d'impressions qui portent principalement sur les noms propres, et que plusieurs de ces noms sont complétement dénaturés. (2) Cette idée paraît avoir été conçue pour la première fois, par Banks et Solan- der, pendant le premier voyage de Cook; elle a été nettement exprimée par Pé- ron, dans le récit du voyage du capitaine Baudin. M, de Freycinet, alors enseigne de vaisseau, qui avait fait partie de cétte expédition, et qui a terminé la rédaction du voyage, interrompue par la mort de Péron; rapporte que ce savant avait conçu 180 €. DARESTE. — SUR LES ANIMALCULES des êtres organisés ; mais n'ayant pas eu, le plus souvent, de bons microscopes à leur disposition, ils n’ont pu déterminer avec précision la nature de ces êtres. Ayant eu occasion d'étudier un de ces faits au commencement de l’année dernière (1), j'ai désiré connaître les faits de même nature qui ont été mentionnés par les navigateurs et par les natura- listes; et j'en ai recueilli plus de cinquante. L'examen comparatif de toutes ces observations m'a permis d’assigner, dans plusieurs cas avec certitude, dans la plupart des autres avec une probabilité plus où moins grande, la nature des divers êtres organisés qui pro- duisent ces colorations. De plus , il m'a conduit à un résultat qui me paraît intéresser aussi bien la géographie physique que l’histoire naturelle elle-même, c'est que ces colorations sont, pour la plupart du moins, permanentes dans certaines localités, où elles se reproduisent généralement aux mèmes époques de l’année : ce qui doit ressortir avec évidence de l’examen spécial de chaque cas particulier où ces colorations ont été observées. Pour faciliter cette étude, j'ai classé ces observations d’après la nature certaine ou probable de la cause qui les produit. $ I. Eaux colorées par une petite Algue microscopique que M. Ehrenberg a décrite sous le nom de T'richodesmium erythrœum. La première observation exacte d'une coloration produite par cette plante est due à M. Ehrenberg ; elle a été faite à Tor, dans la mer Rouge. « Le 10 décembre 1893, je vis, dit ce savant, le surprenant phé- nomène de la coloration en rouge de sang de toute la baie qui forme le projet de faire un travail d'ensemble sur les colorations de la mer, mais qu'on n’a trouvé dans ses manuscrils aucun papier qui se rapportàt à cette question (Péron, Voyage de découvertes aux terres australes, t. Il, p. 241). Nous verrons d'ailleurs que, dans certaines circonstances, les marins eux-mêmes avaient re- connu que la cause de plusieurs de ces colorations était la présence de petits Crustacés, en quantités très considérables. (1) Voir mon Mémoire sur la coloration de la mer de Chine (Ann. des sc. nal., 4° série, Boranique, 1. [°'), ou l'extrait dans les Comptes rendus de l'Académie des sciences, t, XXXVIIL, p. 461. QUI DONNENT A LA MER UNE COULEUR ROUGE. 181 le port de cette ville. La haute mer, en dehors de l’enceinte des coraux, conservait sa couleur ordinaire; les courtes vagues d’une mer tranquille apportaient sur le rivage, pendant la chaleur du jour, une matière mucilagineuse d’un rouge de sang, et la déposaient sur le sable, en sorte que, dans l’espace d’une bonne demi-heure, toute la baie à marée haute fut entourée d’une ceinture rouge de plusieurs pieds de largeur. Je puisai de l’eau avec des verres, et je les empor- tai dans une tente que j'avais près de la mer. I fut facile de recon- naitre que cette coloration était due à de petits flocons à peine visibles, souvent verdàtres , quelquefois d'un vert intense, mais pour la plupart d'un rouge foncé; toutefois , l’eau sur laquelle ils nageaient était parfaitement incolore. Pendant que le soleil brillait sur l'horizon, j'observai encore que ces flocons se maintenaient à la surface de l’eau dans les verres que j'avais emportés avec moi, el que , pendant la nuit, et lorsque j'agitais le vase, ils gagnaient le fond ; quelque temps après, ils remontfaient à la surface. » Ea étudiant ces flocons au microscope, M. Ehrenberg y recon- nut une Algue appartenant à un nouveau genre, et la décrivit sous le nom de Trichodesmium erythrœum. On trouvera sa description dans le Mémoire de M. Ehrenberg et dans celui où M. Montagne a rapporté et commenté une observation analogue de M. Évenor Dupont (1). M. Ehrenberg observa de nouveau ce phénomène le 25 et le 30 décembre 1893, et le 5 janvier 1824. Près de vingt ans après l'observation de M. Ehrenberg, un fait analogue à été vu par M Évenor Dupont. « Le 15 juillet 1843, nous élions par le travers de la ville de Cosséir ; la mer fut rouge toute la journée; le lendemain 16, elle le fut de même jusqu’à midi, heure à laquelle nous nous trouvions en face de Tor. Pendant cet intervalle, le paquebot, filant huit nœuds à l'heure, comme disent les marins, à parcouru un espace de 256 milles ou de 85 lieues 1/3 (2). » (1) Voyez Ehrenberg, Ueber die Bluterscheinungen (Ann. de Poggendorf, 1836). — Montagne, Mémoire sur le phénomène de la coloration de la mer Rouge (Ann. des sc. nat., 3° série, Borax., 4844, t. IT, p. 332). (2) Ce récit a été consigné dans une lettre écrite par M. Evenor Dupont à 182 C. DARESTE, — SUR LES ANIMALCULES M, Dupont a reconnu que cette eau devait sa couleur à une substance colorante particulière qu'il a recueillie sur un filtre , et M. Montagne a reconnu dans celte substance les caractères de la plante décrite par M. Ebrenberg. Ces observations, faites avec toutle soin possible par d'éminents naturalistes, ne peuvent laisser aucun doute sur les résultats ; aussi j'ai dû les mentionner tout d’abord. Nous pouvons supposer toute- fois que ce phénomène a été beaucoup plus anciennement observé, bien qu'’iln’en soit question dans aucun des historiens ou géographes de l'antiquité (1), ear il nous donne l'explication la plus satisfaisante du terme de mer Rouge (2) ou mer Erythrée, que porte cette mer depuis Hérodote. Nous savons également que, dans les cartes géographiques du moyen âge, cette mer est ordinairement repré- M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, lettre que M. Montagne a reproduite dans son Mémoire (ibid., p. 335). (1) Je ne vois, dans les auteurs de l'antiquité, que les deux passages sui- vants qui pourraient être considérés comme faisant allusion à un phénomène de ce genre. C'est cette phrase de Pomponius Mela : « Rubrum mare Græci, sive quia ejus coloris est, sive quia ibi Erythras rex regnavit, Epiôpay Sahaccäy appellant (De situ orbis, lib, LIT, cap. vin) ; et celle de Strabon : « Kænoray ù Toy Kyrdeoy mhyns iardper Éxdidovaus es Saharrèy Épides aa pikrddes Gdwp (lib, XVI). » Cette dernière phrase semblerait indiquer l'existence d'un phénomène analogue à celui de la rivière nommée Jbrahim Nahr, dont je parle à la fin de ce Mémoire; mais je n'ai rien trouvé, dans les auteurs modernes, qui confirmât l'existence de ce fait que rapporte Strabon, d'après Ctésias, (2) Lorsque j'ai fait connaître le résultat de mes premières études sur ce sujet, M. de Paravey (voyez Comptes rendus, t. XXXVIII, p, 694) a écrit à l'Aca- démie pour donner une autre explication de ces dénominations des mers. Il prétend que les Assyriens avaient assigné des couleurs spéciales à chacun des points cardinaux, et, par suite, à chacune des mers qu'ils connaissaient; et que les Chinois, ayant emprunté toutes leurs notions scientifiques aux Assyriens, au- raient également appliqué aux mers les noms des points cardinaux correspon- dants. Je me déclare parfaitement incompétent pour décider la question; je me bornerai seulement à faire remarquer que l'opinion de M. de Parayey repose sur une hypothèse qui est encore loin d'être démontrée, celle de la transmission des notions scientifiques des Assyriens aux Chinois; que cette opinion ne rend point compte du nom de mer Vermeille donné au golfe de Californie; et enfin qu'il est assez singulier que la mer Rouge présente effectivement une couleur rouge, et la mer Jaune une couleur jaune, QUI DONNENT A LA MER UNE COULEUR ROUGE. 183 sentée de couleur rouge, Mais il est évident que nous ne pouvons voir là que de simples indications, et que nous ne pouvons en con- clure que le phénomène aurait été observé dans l'antiquité. Après beaucoup de recherches bibliographiques, je suis arrivé à rencontrer, dans les Mémoires d'Albuquerque (4), un passage très curieux, qui montre que le phénomène de la coloration de la mer Rouge a été observé dans des circonstances qui rendent cette observation fort intéressante à divers titres. On sait que le célèbre Alphonse d’Albuquerque, que ses compa- triotes surnommèrent le Grand, parce que, dans sa courte car- rière militaire , il accomplit les actions les plus mémorables avec les plus faibles ressources, avait conçu le projet gigantesque de percer une montagne d’Abyssinie , et de détourner le cours du Nil pour ruiner l'Égypte, dont la terre cultivée est un don du fleuve, comme disait Hérodote. Après avoir bombardé la ville d’Aden, il était entré avec sa flotte dans la mer Rouge pour y faire une reconnaissance. Ce fut alors qu'il eut occasion d'observer le phé- nomène remarquable de la coloration de cette mer. Je cite textuelle- ment le passage de ses Mémoires où il a consigné la relation de ce fait : « Ce nom de mer Rouge ou mer Vermeille (2) convient mieux à cette mer qu'aucun autre nom, et Albuquerque sut bien pourquoi elle avait été ainsi nommée jadis : c’est parce que tout le détroit de la mer Rouge est rempli d’un grand nombre de taches rouges comme sang, Alphonse d’Albuquerque, étant, avec toute sa flotte , arrivé aux portes du détroit, devant la porte du couchant, sur le point de retourner dans l'Inde, il vit, du château de poupe de son vaisseau, sortir du détroit, pour déboucher au dehors, une traînée d’eau très (4) Voyez Commentarios do grande Alfonso d'Albuquerque , capitan geral que foy das Indias Orientales em tempo do muito poderoso Rey dom Manoel, o primeiro desle nome, novamente emendados et acrescentados pelo mesmo autor con- forme as informaçoes mais cerlas que agora tede. Lisboa, 1576, 1. IV, cap. vu, p. #72. — Cet ouvrage a été publié par le fils d'Albuquerque ; mais, selon toute apparence, il a été rédigé, au moins en grande partie, par Albuquerque lui- même. (2) Mar Roxo où Mar Vermelho. 184 C. DARESTE, — SUR LES ANIMALCULES vermeille qui se dirigeait contre Aden, et qui s’étendait en deçà du détroit, autant qu'un homme pouvait atteindre avec la vue. Étonné de ce fait, Alphonse d’Albuquerque demanda aux pilotes maures ce qu'était celte couleur rouge si grande qui s’étendait sur la mer ; ils lui dirent qu'il ne s’étonnât pas, que le remous, qui se fait dans les eaux au moment du flux et du reflux, parce que cette mer est très hérissée d’écueils et de peu de fond, était la cause de cette co- loration rouge ; et que c’est principalement pendant le reflux, parce que la vitesse des eaux est plus grande quandelles sortent au dehors, et parce qu'il n'y a point de courant dans l’intérieur du détroit, et aussi quand les vents ont de la force, parce que les eaux courent un peu avec le vent, surtout quand les vents soufflent de l'Occident, que la mer devient plus rouge. Ces raisons parurent bonnes à Alphonse d’Albuquerque; il y donna son assentiment , et il pensa que les malières terreuses du fond de la mer étaient la cause de cette couleur. » Nous n'avons pas la date précise de cette observation; mais nous savons que la flotte d'Albuquerque parut devant Aden le 7 fé- vrier 1513. Nous voyons , par un passage du célèbre historien portugais Barros, qu’Albuquerque avait envoyé une relation de ce fait au roi de Portugal, Emmanuel (1). Cette observation aurait depuis longtemps fixé les idées des géographes sur la coloration de la mer Rouge , si elle n'avait été, quelques années plus tard, contredite par un autre Portugais dont le nom est également célèbre dans l’histoire de la conquête des Indes, Joïo de Castro. Cet illustre marin, élève du mathématicien Pedro Nuñez, qui dispute au Français Vernier l'invention de Ja règle divisée qui porte leur nom (2) et qui donne une précision si grande aux instruments de mesure, avait, comme {ous les grands navigateurs portugais de cette époque, des connaissances scientifiques très étendues. Avant d’être appelé à la vice-royauté des Indes, où il devait se (1) V. Decada segunda da Asia de Joäo de Barros dos Feitos que os Portugue- zes fezer&äo no descobrimento et conquista dos mares el terras do Oriente. Lisboa, 1628, 1. VILL, p. 486 (2° édition). (2) Le Vernier ou Nonius. QUI DONNENT A LA MER UNE COULEUR ROUGE. 185 distinguer d’une manière si brillante, il avait été chargé d'exécuter, sous les ordres du vice-roi don Estebam de Gama , fils du célèbre Vasco de Gama, une description hydrographique de la mer Rouge. La relation de ce voyage, qui n’a été imprimée en entier que depuis une vingtaine d'années, et qu'on ne connaissait jusqu'alors que par un extrait latin, contient une série d'observations de la hauteur du soleil et de sondages exécutés jour par jour, ainsi que des détails topographiques et ethnologiques du plus grand intérêt (4. On y trouve (p. 257) une curieuse dissertation sur l’origine du nom de la mer Rouge. Dans cette dissertation, Joïo de Castro rappelle que les Portu- gais qui l'ont précédé dans cette mer y ont signalé l'existence de taches rouges ; toutefois , il ne mentionne pas le nom d’Albu- querque. Voici ce passage : « Les Portugais, qui ont navigué dans la mer Rouge aux temps passés, affirmaient que cette mer était toute couverte de taches d'un rouge foncé. La cause qu'ils attribuaient à ce phénomène est la sui- vante : ils disaient que la terre sur la côte d'Arabie était de sa nature très rouge, et que, comme il s'élève sur cette côte de très forts ouragans qui soulèvent vers le ciel d’épais nuages de poussière, ces poussières, enfrainées par la force des vents, viennent tomber dans la mer, et communiquent aux eaux leur propre couleur ; c’est pourquoi cette mer a été appelée mer Rouge. » Joño de Castro cite cette opinion pour la combattre; il n’a jamais observé ni cette {erre rouge, ni ces nuages de poussière, et il n'a jamais vu l’eau de la mer colorée en rouge. Il rapporte que, presque tous les jours, pendant la durée de l'expédition, il a fait puiser de l’eau pour l’observer , et qu’il l’a toujours trouvée parfaitement claire et transparente. Mais nous savons, par les observations déjà rapportées de M. Ehrenberg et de M. Évenor Dupont, que la coloration de la mer Rouge n’est point un fait con- (4) Ce livre a pour titre: Roteiro de dom Joäo de Castro da viagem que fizeram os Portuguezes ao mur Roxo, no anno de A$41. Paris 4833. Je dois la connais- sance de cet ouvrage à M. Ferd. Denis, et je saisis cette occasion de lui témoi- gner ma vive reconnaissance pour son empressement à me seconder dens les nom- brenses recherches bibliographiques nécessitées par la rédaction de ce Mémoire. 186 C. DARESTE, -—— SUR LES ANIMALCULES stant, ni un fait général; et l’on peut s'expliquer comment, pen- le cours de son voyage (1), qui dura un peu plus de quatre mois, Joäo de Castro n’ait point eu occasion d'observer ce phénomène, bien qu'il l'ait recherché avec une attention toute spéciale, I] dit d’ailleurs , avec une bonne foi parfaite, qu'il ne prétend point nier que l’eau de la mer Rouge n’ait présenté quelquefois des colora- tions particulières; mais que, pour lui, il ne les a jamais ren- contrées. Aussi, pour expliquer l’origine du terme de mer Rouge, imagine- t-ilune hypothèse qui est devenue célèbre : celle qui attribue cette dénomination aux récifs de corail qui tapissent les bas-fonds nom- breux de cette mer, et qui se voient facilement par l'effet de la transparence de l’eau, Mais, alors même, cette hypothèse ne ren- dait pas compte des faits déjà connus du temps de Joño de Castro : car, si elle peut, à la rigueur, s'appliquer à des taches rouges et immobiles , elle ne peut évidemment expliquer le mouvement de cette grande bande d’eau colorée qu’Albuquerque vit sortir de la mer Rouge pour entrer dans le golfe d'Arabie. Il est vrai que Barros , qui adopte l'explication de Joûo de Castro , suppose que , dans ce dernier cas , la couleur de cette bande d’eau provenait de parcelles de coraux entraînées par le remous des eaux. Mais, pour beaucoup de raisons, cela est fort difficile à admettre; et d’ailleurs nous avons une explication beaucoup plus simple dans les phéno- mênes observés par MM. Ebrenberg et Évenor Dupont. Néanmoins, cette opinion de Joäo de Castro, fondée sur des faits recueillis, avec un très grand soin, par un observateur très habile pour son époque, et qui avait, il faut bien le reconnaître, des motifs très spécieux en sa faveur, a été immédiatement adoptée par les (1) Le phénomène de la coloration de la mer Rouge semble être d’ailleurs assez rare. C'est ce que l'on peut croire en pensant qu'il n'a point été observé par Nie- bubr et Forskaal, dans leur exploration scientifique de l'Égypte et de l'Arabie, bien que l'origine du terme de mer Rouge fût la première question que leur posât Michaëlis, qui avait été chargé de rédiger les instructions pour l'expédition, Il a également complétement échappé aux membres de la commission scientifique qui faisaient partie de la mémorable expédition d'Égypte vers la fin du siècle dernier, et dont plusieurs cependant eurent occasion de visiter la mer Rouge. QUI DONNENT A LA MER UNE COULEUR ROUGE. 187 contemporains. Tous les auteurs de ce siècle qui ont parlé de la mer Rouge ont reproduit plus ou moins complétement les opi- nions (1) et les phrases même du Roteiro ; et ces idées se sont transmises jusqu’à nos jours, dans la plupart des traités de géogra- phie physique (2). Au contraire, l'observation si remarquable d’Al- buquerque a été complétement oubliée. C'est un curieux exemple de la difficulté que les vérités les plus simples éprouvent souvent pour pénétrer dans la science, lorsqu'elles ont à combattre des idées accréditées depuis longtemps, et qui acquièrent une grande auto- rité par leur ancienneté même, L'observation d’Albuquerque est d’ailleurs la seule que je con- naisse avant celles de MM. Ehrenberg et Dupont (3). Il serait fort à désirer que les voyageurs nous donnassent des notions exactes sur les conditions dans lesquelles on observe ce phénomène, La mer Rouge a été explorée récemment par un bota- piste habile, M. Harvey, professeur à l’Université de Dublin, qui fait actuellement un voyage de cireumnavigation, dans le but d'étudier les Algues au double pointde vue de l'anatomie et de la physiologie. Assurément, s’il a eu occasion d'observer ce phénomène, il n'aura point manqué de l’étudier dans tous ses détails, En tous cas, l'aug- mentalion constante du nombre des voyageurs sur la mer Rouge, augmentation qui deviendra plus grande encore lorsqu'on aura (1) C'est évidemment la dissertation de Joäo de Castro, dans le Roteiro, qui a inspiré à Camoens le vers suivant des Lusiades Mar Roxo que de fundo toma as côres. La publication des Lusiudes est de 1572 ; mais il paraît que le poëme fut com- mencé vers 1 547, six ans après le voyage de Joäo de Castro. (2) Ce que dit Buffon de la mer Rouge, dans la note XI de la Théorie de la terre, est tiré de Joäo de Castro, (3) Je lis toutefois dans une description d'Abyssinie , rédigée par un jésuite portugais qui n’a point donné son nom (Recueil de divers voyages faits en Afrique el en Amérique, in-4. Paris, 1674, p. 232), qu'il a vu souvent la mer Rouge parsemée de taches rouges ; il attribue cette coloration à de grands Varechs rouges dont les feuilles flotteraient à la surface, etil voit dans ces Varechs le Suph de la Bible, qui donne à cette mer le nom de Bahr Suph, mer des Algues, 188 C. DARESTE. — SUR LES ANIMALCULES effectué le percement de l’isthme de Suez, doit nous faire espérer que d'ici à peu d'années, nous serons complétement renseignés sur ce curieux phénomène Le Trichodesmium erythrœum s’est retrouvé également dans la mer de Chine. J'ai constaté sa présence dans de l’eau colorée qui en avait été rapportée par M. Mollien, et j'ai parlé de ce fait en dé- tail dans mon premier Mémoire. 11 suffira de rappeler ici que, d'après les observations de M. Mollien , la mer de Chine présente beaucoup de places qui sont ainsi colorées en rouge et en jaune; que la couleur jaune prédomine au N. de l'ile de Formose et la couleur rouge au S., et que l’eau que j'ai étudiée provenait d'une plaque rouge, et avait été puisée par le 10° degré de latitude nord et le 106° degré de longitude orientale. A l’occasion de ce fait, j'ai rappelé le fait si curieux d'une pluie de sable observée à Shan- ghaï, le 4 mars 1846, par le docteur Bellott, chirurgien de la ma- rine royale d'Angleterre, et qui, d'après les observations de M. Pid- dington , paraît être formée, en grande partie, par une Algue microscopique (4). Ces observations , qui nous montrent , à une si grande distance de la mer Rouge, des eaux colorées par le Trichodesmium, doivent nous faire penser que ce phénomène se produit dans des stations intermédiaires. Malheureusement nous n'avons point ici d’observa- tions complètes. M. Montagne a reçu de l'ile de Ceylan des exem- plaires de cette petite plante, exemplaires qui lui étaient adressés par M. Thwaites ; mais ce dernier n’a pas donné de détails sur l'en- droit précis où ces exemplaires avaient été recueillis, On a rencontré des colorations rouges dans le golfe Arabique ou mer d'Oman. Nous avons déjà vu, dans l'observation d’Albuquerque, les eaux colo- rées de la mer Rouge passer, pendant le reflux , de cette mer dans le golfe Arabique. M Évenor Dupont rapporte que le chirurgien du steamer Atalanta lui à dit avoir vu plusieurs fois dans cette mer des (1) Je dois dire ici que M. Ehrenberg soupçonne que les Conferves de M. Pid- dington ne seraient que des débris de filaments végétaux provenant de vêtements, mais ce n'est qu'une hypothèse. Je reviendrai d’ailleurs sur ce fait dans le cours de mon Mémoire. Q DONNENT A LA MER UNE COULEUR ROUGE. 189 colorations analogues à celle qu'il observait dans la mer Rouge. D'autre part, les noms de mer Érythrée et de mer d'Édom , sous lesquels le golfe Arabique était désigné chez les Grecs et chez les Juifs , paraissent une allusion à des phénomènes de celte nature. Nous verrons toutefois que les colorations de cette mer ne doivent pas toujours être attribuées à la présence du Trichodesmium , et que, selon toute apparence, elles sont produites par des causes multiples. SIT. Colorations produites par une autre espèce du genre Trichodesmium, très voisine de la précédente, et que M. Montagne a décrite sous le nom de Trichodesmium Hindsii. Le Trichodesmium erythrœæum occupe la mer qui baigne les côtes méridionales de l’Asie ; le T'richodesmium Hindsii s’est ren- contré sur les côtes de l'Amérique méridionale , où on l’a très fré- quemment observé. La première de ces observations est due à Bougainville; elle est fort incomplète, mais elle paraît devoir s'expliquer par les observations qui viendront après. « Le 18 janvier 1767, après midi, nous traversàämes un banc de frai de Poisson , qui s’étendait à perte de vue du S.-0. £ O. au N.-E. + E., sur une ligne d’un blanc rougeître longue d'environ deux brasses. Sa rencontre nous avertissait que , depuis plusieurs jours , les courants portaient au N.-E. TE. ; car tous les Poissons déposent leurs œufs sur les côtes , et les courants les entrainent dans la haute mer (4). » Il est assez difficile de fixer le point précis de la mer auquel se rapporte ce phénomène : tout ce que nous savons, c'est que les vais- seaux avaient quitté la ligne, qu'ils se dirigeaient vers le sud à peu de distance des côtes, et que, le 29 janvier , ils apercurent l’île Lobos située à l'embouchure du Rio de la Plata Par conséquent ce phénomène a dû se passer en face des côtes du Brésil, et à peu près dans les parages où ont été faites les observations suivantes. Celles-ci sont beaucoup plus explicites. (1) Bougainville, Voyage autour du monde par la frégate du roi la Boudeuse el la flûte l'Étoile, en 1766-69, Paris 1771, p. 23. 190 C. DARESTE, — SUR LES ANIMALCULES La première est tirée du premier voyage de Cook (4). « Le 9 décembre 1768 , nous observâmes que la mer était cou- verte de grandes bandes de couleur jaunâtre, dont plusieurs avaient {mille de long et 3 ou 400 verges de large. Nous puisàmes de cette eau ainsi colorée, et nous trouvâmes qu’elle était remplie d’une multitude innombrable d’atomes terminés en pointe, et d’une cou- leur jaunâtre ; il n’y en avait aucun qui eût plus d’un quart de ligne de long. En les examinant au microscope , ils paraissaient être des faisceaux de petites fibres entrelacées les unes dans les autres , et assez semblables aux Vidus de ces Mouches aquatiques appelées Caddices, du genre des Phryganea. MM. Banks et Solander (2) ne purent pas deviner si c’étaient des substances animales ou végé- tales, ni quelle était leur origine et leur destination. On avait remar- qué le même phénomène auparavant, lorsque nous reconnümes pour la première fois les côtes de l'Amérique méridionale (3). » Cette observation est confirmée par celle de Kotzebue dans son premier voyage autour du monde. « Le 6 décembre 1815, nous noustrouvâmes dansle voisinage du cap Frio, dont je devais déterminer la latitude, conformément à mes instructions ;'mais comme là le mauvais temps continuel rendait cette observation impossible, nous dirigeñmes notre marche vers l’île Sainte-Catherme. Le lendemain, nous observâmes À la surface de la mer une bande ondulée de couleur brune obscure, large d'environ deux brasses, qui s’étendait aussi loin que l’œil pouvait atteindre. Au premier coup d'œil je pris ce phénomène pour un bas-fond ; imais on avait descendu un canot dans lequel se trouvait M. Worms- kloid, et comme ce dernier apporta de l’eau à bord, nous trotvâmes que cette bande colorée était formée d’une quantité innombrable de petits Crabes , et des graines d'une plante qui , corimie le pensent nos naturalistes, croit au fond de la mer (4). (1) Voir la Relation du premier voyage de Cook, par Hawkesworth , traduction française, t. I. (2) C'étaient les deux naturalistes de l'expédition. (3) Cette dernière phrase se rattache probablement à l’une des localités où la coloration a été observée par M. Hinds ou par M. Darwin. (4) Entdeckungreise in die Sudsee etc., auf dem Schiffe Rurick von Otto von Kot- sebue, p. 404. QUI DONNENT À LA MER UNE COULEUR ROUGE. 191 Cette observation, très incomplète quant aux résultats , se trouve heureusement complétée par les observations des deux naturalistes de l’expédition, Eschschol{z et Adelbert de Chamisso : « Le 7 décembre, dans le voisinage des côtes du Brésil, nous naviguâmes à travers une longue bande jaune large de quelques brasses. Nous puisâmes de l’eau avec un seau, et nous observèmes que la coloration provenait d’une quantité innombrable de petits filaments jaunes très fins , et longs d’une demi-ligne. Sous le mi- croscope , on voyait manifestement un grand nombre de parois transverses dans chacun de ces filaments. Deux jours après, nous retrouvàmes de semblables bandes dans la mer..... Le 10, nous aperçümes les côtes du Brésil (1). » Cette dernière observation est remarquable à beaucoup d'égards, d'autant plus qu'au lieu d’être faite par des navigateurs, elle appar- lient à d’'habiles naturalistes, dont l’un surtout restera célèbre par sa découverte de la double génération des Salpa, qui, longtemps contestée, est devenue, de nos jours, le point de départ dela théorie de la génération alternante. Les caractères du Trichodesmium s'y trouvent très nettement indiqués. Ces observations indiquent des bandes d’eau colorée à peu de distance de Rio de Janeiro. M. Darwin a observé un phénomène du même genre dans le voisinage des îles Abrolhos : « Le 18 mars 1832, nous quittâmes Bahia. Quelques jours après, à peu de distance des îles Abrolhos, mion attention fut éveillée par une coloration brune rougeâtre de la mer. Toute la surface était couverte de petits corps, qu’une faible lentille me montra sembla- bles à du foin haché, dont les brins tronqués étaient comme rongés ou dentelés à leurs extrémités. Un de ces brins les plus volumineux ayant été mesuré, fut trouvé long de + et épais de 4x de pouce (2). Examinant avec plus de soin , je reconnus que chacun d'eux était formé par la réunion de vingt à soixante filaments cylin- driques obtus aux deux bouts, et partagés , à des intervalles régu- (4) Ibid, p. 184. Ê (2) Le pouce anglais est de 2°°°°,53 192 C. DARESTE. — SUR LES ANIMALCULES liers, par des cloisons transversales, entre lesquelles était ren- fermée une matière floconneuse d’un vert brunâtre. Les filaments sont, sans doute, enveloppés d’une matière visqueuse, puisque les flocons ou fascicules adhèrent entre eux sans se toucher immédia- tement. Ce sont de petites Conferves cylindriques , formant des amas ou sortes de radeaux contenant environ de vingt à soixante filaments. Leur nombre parait infini. Le vaisseau en traversa plu- sieurs bandes, dont l’une pouvait avoir 10 verges (1) de largeur, et en juger par la couleur limoneuse de l’eau, près de 2 milles 4/2 de longueur (2). » L’explication de tous ces phénomènes se trouve dans une obser- vation de M. Hinds. Cette observation a été faite sur le Sulfur, par une mer calme , près des îles Abrolhos, le 11 février 1836, puis, quelques jours après , par 8° 52’ de latitude méridionale, et 37° 80’ de longitude occidentale du méridien de Greenwich (3). Les 15, 16 et 17 février, M. Hinds ayant recueilli plusieurs échantillons de cette plante reconnut qu’elle exhalait une odeur assez forte, qui ressemblait à celle du foin coupé, et que l’on avait attribuée d’abord à des exhalaisons provenant du navire. Cette plante a été décrite par M. Montagne sous le nom de Tri- chodesmium Hindsiü. M. Montagne l'avait reçue de M. Berkeley, qui la tenait de M. Hinds (4). De la comparaison de ces observations , il résulte qu'il existe, sur les côtes orientales de l'Amérique du sud, au moins trois bandes d’eau colorées par le Trichodesmium Hindsii , et qui sont situées du nord au sud, à peu près à la hauteur de Fernamboue (M. Hinds ), des iles Abrolhos (M. Darwin), et de Rio Janeiro (Bougainville?, Cook et Kotzebue). Toutes ces observations ont été faites d’ailleurs à peu près à la même époque de l’année, qui, pour l'hémisphère austral, se trouve être la saison chaude. Les observa- (1) La verge, yard, vaut 0",9143 ; le mille, mile, est de 1760 yards, ou 1609%,3449. (2) Darwin, Journal of researches, elc., during the voyage of H. M. Ship the Beagle round the world, 2° édition, p. 44. (3) 40° 20’ du méridien de Paris. (4) Voir le Mémoire déjà cité de M. Montagne, p. 359. QUI DONNENT A LA MER UNE COULEUR ROUGE. 193 tions de Cook et celles de Kotzebue sont dû mois de décembre ; les observations de Bougainville et de M. Hinds du mois de janvier; celles de M. Darwin du mois de mars. M. Hinds a également retrouvé cette plante pendant trois jours , au mois d'avril 1837, à la hauteur de Libertad, près de San-Salva- dor, sur la côte occidentale de la Californie, par 44 degrés de lati- tude nord. Cette fois, l'odeur fut beaucoup plus forte qu'aux îles Abrolhos, assez forte pour produire chez plusieurs passagers, et sur M. Hinds lui-même , une irritation assez vive de la conjonc- tive et de la membrane pituitaire (4). S IL. Colorations produites par une Algue microscopique d’une espèce non encore déterminée, mais qui paraît appartenir également au genre Trichodesmium. Ces colorations ont été fréquemment observées sur les côtes de la Polynésie. Elles se distinguent des précédentes par leur teinte, qui passe au brun ou au gris. Les phénomènes de ce genre ont été d’abord observés par Cook dans son premier voyage (2). La première observation est du 28 août 1770. Elle a été faite par 8° 52 de latitude méridionale, et 221 degrés de longitude orien- tale du méridien de Greenwich (3), pendant la traversée de la Nou- velle-Galles du sud à la Nouvelle-Guinée : « Nous trouvâmes la mer couverte en plusieurs endroits d’une écume brune, semblable à celle que nos marins anglais appellent communément spawn fray. Je fus d'abord alarmé, craignant que nous ne fussions parmi des bas-fonds; mais, en sondant, nous reconnümes que l’eau y était aussi profonde qu'ailleurs. MM. Banks et Solander examinerent cette écume sans pouvoir déterminer ce que c'était; elle était composée d’une quantité innombrable de petites particules qui n'avaient pas plus d’une demi-ligne de longueur, et dont chacune , vue au microscope , semblait consister en trente ou (1) Voir le Mémoire déjà cité de M. Montagne , p. 260. (2) Voir la traduction française de la Relation du premier voyage de Cook, par Hawkesworth, t, IIL. (3) 223° 20’ du méridien de Paris. 4° série, Zooc. T HT. (Cahier n # )! 13 194 €. DARESTE. — SUR LES ANIMALCULES quarante tubes. Chaque lube était partagé, dans toute sa longueur, en plusieurs cellules comme les tuyaux de la Conferva ; nos natura- listes crurent qu'elles étaient du règne végétal, parce qu'en les brü- lant elles ne produisaient point l'odeur propre aux substances ani- males. Le même phénomène avait été observé sur les côtes du Brésil et de la Nouvelle-Hollande (4). » Il est impossible de ne pas reconnaître, en lisant cette deserip- tion due à deux illustres naturalistes, qu'il s'agit d’une espèce de Trichodesmium. Cook mentionne cette plante une autre fois : « Nous apercevions toujours une grande quantité d’écume brune sur l’eau; et les ma- rins, ne croyant plus que c'était du frai, lui donnèrent un nouveau nom, et l’appelèrent sea saw- dust (sciure de bois marine). À midi, notre latitude par observation était de 8° 30° S. ; notre longitude de 292° 3: O. (2). » Une autre observation du mème genre est due à Péron pendant l'expédition du capitaine Baudin (3) : « Ce qui fixa plus particulièrement nos regards, ee fut une espèce de poussière grisâtre qui couvrait la mer sur un espace de plus de 90 lieues de l’est à l’ouest. En soumettant cette prétendue sciure de bois au foyer d’un microscope, on reconnaît dans chacun desatomes qui la composent une conformation si régulière, qu'on ne doit pas hésiter à les regarder comme autant de petits corps organiques. » Cette observation a été faite à l'endroit appelé le Banc des Amphi- nomes, sur la côte occidentale de la Nouvelle-Hollande, par 19° A1! delatitude méridionale, et 147° 3° de longitude orientale du méridien de Paris. Flinders retrouva ce phénomène, le 48 janvier 1809, sur la côte méridionale de la Nouvelle-Hollande, aux environs de Point-Culver, par 31° 52 51" de latitude, et 124° 58’ de longitude (4). (1) Nous avons déjà mentionné l'observation faite par Cook et par Banks et Solander, d'un semblable phénomène sur les côtes du Brésil, où il est produit par une autre espèce, qui est très probablement le Trichodesmium Hindsii. (2) 225° 14! du méridien de Paris. (3) Péron., Voyage de découvertes aux terres australes, L, 11, p, 239 et suiv. (4) 1270 18’ du méridien de Paris. QUI DONNENT A LA MER UNE COULEUR ROUGE. 195 « Il y avait, dit-il, uneécume rouge sur l’eau, et l’on en prit un peu pour qu'elle fût examinée au microscope par M. Brown (4). Elle consiste en particules très petites, n'ayant pas plus d’une demi-ligne en longueur, et chacune d'elles paraissait composée de quelques fibres cohérentes qui étaient unies entre elles , les articles élant d'une épaisseur uniforme, et à peu près aussi larges que longs. Ces fibres étaient généralement d'inégale longueur , et les extrémités des particules composantes paraissaient un peu déchirées. Les particules ne présentaient pas de mouvement lorsqu'elles étaient dans l’eau salée; et le seul effet produit par leur immersion dans l’esprit-de-vin était la séparation de chacune dans ses fibres com- posantes (2). » Le capitaine King, dans son voyage autour de l'Australie , a observé ce phénomène le 9 septembre 4819 : « La mer était cou- verte, dit-il, d’une écume brune, que les marins de Cook appelaient sea saw-dust, à cause de sa ressemblance avec cette substance. La position de ces bandes d'eaux colorées était entre 14° 4° 30" de lati- tude sud et 130° 27/ 30” de longitude ouest (3), et 44° 28’ 30” de latitude sud et 130° 17 15° de longitude occidentale (4). » I en est également question dans la relation du premier voyage de l’Astrolabe par Dumont-Durville, qui rencontra ces plantes pendant la traversée d'Hobart-Town aux îles Vanikoro, où, guidé par quelques vagues indications , 1 allait chercher les débris du naufrage de Lapeyrouse. « 2 janvier 1828. La brise est très faible, et, par intervalles, la mer, d'ailleurs calme, offre d'immenses espaces entièrement cou- verts d’une poussière épaisse, jaunâtre et visqueuse, qui ressemble à de la sciure de bois. Observée à la loupe, elle offre une infinité de petits corpuscules égaux, homogènes, linéaires, presque cylin- driques, et atténués aux deux extrémités, sans aueun mouvement. Dans plusieurs de ces corpuscules , une de ces extrémités semble (4) C'est le célèbre botaniste Robert Brown. (2) Flinders, t. 1, p. 92. (3) 432° 44! 40 du méridien de Paris. (4) 422 37° 15! du méridien de Paris. Voy. King, Survey of Australia. 1. 1, p. 579. 196 C. DARESTE. — SUR LES ANIMALCULES divisée en articles très déliés, qui se détachent parfois spontané- ment. M. Quoy à rapporté cet animalcule au genre Bacillaire. Cette observation à été faite par 29° 4! de latitude méridionale et 166°15'de longitude occidentale, Le même phénomène se repro- duisit, le 26 janvier, en vue de l’île volcanique Mathew, par 22° 34! de latitude méridionale et 469: 15’ de longitude occiden- tale. Une bande d’eau, tout à fait décolorée, qui se prolongeait de l’est à l’ouest, me força longtemps à manœuvrer tantôt d’un bord, tantôt de l’autre, pour l’éviter. Bien que ces eaux eussent {out à fait l'apparence de couvrir un bas-fond, il eût été imprudent d'exposer la corvette, et inutile d'envoyer un canot pour sonder (4). » Ces bandes d’eau colorée ont été également vues, près des Moluques, par M. de Freycinet, pendant le voyage de l’Uranie(2,, et par M. Darwin (3), près du cap Leeuwin, sur la côte occiden- tale de l’Australie (4). Toutes ces observations, rapportées à peu près dans les mêmes lermes, nous démontrent évidemment l'existence dans l'Océanie d'une Algue du genre Trichodesmium, qui, d'après M. Darwin qui l’a étudiée, diffère spécifiquement de celle de l'Amérique du sud. ! serait bien important qu'un botaniste fit connaitre ses caractères. S IV. Colorations produites par le Cetochilus australis. LeCetochilus australis est un très petit Cruslacé, qui a été décrit pour la première fois par Roussel de Vauzème, et qui appartient à l’ordre des Branchiopodes de Latreille ou des Copépodes de M. Edwards. M. Edwards, dans son Histoire naturelle des Crusta- cés (t. III), considère ce genre Cetochilus comme très voisin du genre Pontia, et comme devant peut-être se confondre avec lui. (1) Dumont-Durville, Voyage de l'Astrolabe, Histor. ,t. V, p. 101. Voir aussi, dans les notes, un extrait du Journal de voyage de M. Quoy, ibid , p. 303. (2) Voir le Récit du voyage de l'Uranie, p. 504. (3) Voy. Darwin, Journal, ete., 2° édit., cap. 1, p. 45. (4) C'est probablement aussi cette plante qui produisait les colorations jaunes observées par M. Lafond près de l'ile Lombock, en mars 1829 ; mais cette ob- servalion est trop incomplète pour que je puisse le décider (voyez G. Lafond, Voyages autour du monde , t. IV, p. 217). M. Lafond dit que ce phénomène est très fréquent dans ces parages. stars QUI DONNENT A LA MER UNE COULEUR ROUGE. 197 La première observalion d’une coloration produite par ces petits Crustacés date de la fin du xvr siècle. On lit dans la relation d'un voyage, fait dans la mer du Sud par une flotte hollandaise, dont les vaisseaux étaient commandés par Simon de Cordes, Jacques Mahu et Sebald de Veert, le passage suivant (1) : « Au commencement de l’année 4599 , nous partimes d’Anno- bon, pour le détroit de Magellan. Le 10 mars, non loin de la rivière de Ja Plata, par le 42e degré de latitude, la mer paraissait entière- ment rouge, de manière à faire croire qu'elle était mélangée avec du sang. En puisant de l’eau, nous Ja trouvames toute remplie de petits Vers rouges, qui, placés sur la main, saulaient comme des Puces. Quelques-uns croient qu'à des époques fixées, ils sont reje- tés par les Baleines. » Ces animaux ont été retrouvés à peu près à la même place par deux autres navigateurs hollandais, Jacques Lemaire et Guillaume Schouten, dans leur voyage aux mers australes, voyage signalé par la découverte du cap Horn (2) et de la Nouvelle-Zélande (3) : « Vers 35 degrés 1/2 de latitude, nous aperçümes ces insectes, dont nous avait parlé Sebald de Veert, qui rendent la mer toute rouge. Ce sont des Poux cornus, blanes comme du cristal, marqués sur la tête d’une tache couleur de feu. » Cette observation est du mois de novembre 1615; elle se rapporte à peu près à l’embou- chure du Rio de la Plata (4). Ces deux observations sont commentées et expliquées par les (1) Le récit de ce voyage a été donné par Bernard Janzson, chirurgien de l'ex- pédition. Je n'ai pu m'en procurer l'original ; mais il est reproduit dans le Re- cueil des grands et petits voyages de Théod. de Bry (9° partie, Francfort ), et dans la collection de Purchas ( Pilgrims, 2 book, lib. IE, cap. v, p. 79 ). Voyez aussi Kircher, Mundus sublerraneus, &. 1, p. 274. {2) D'après M. de Humboldt , le cap Horn aurait été vu, longtemps avant Schouten et Lemaire, par Francisco de Hoces, au mois de février 1526 ; mais le fait est loin d'être prouvé (Cosmos, t. IT, p. 476). (3) Si toutefois elle n'était pas la terre aperçue, en 1576, par Juan Fernandez. (4) La relation de ce voyage a été écrite par Aris Clæssen, commis de la flotte; elle est reproduite par de Brosses (Histoire de la navigation aux Terres australes, t. 1, p. 352), et par Purcbas ( Pilgrims, 2 book, lib, IT, c. v, p. 90). , 198 €. DARESTE, — SUR LES ANIMALCULES observations beaucoup plus récentes de Roussel de Vauzème, « Pendant la traversée des iles Tristan d’Acunha au cap de Horn, dans le mois de février, nous vimes un matin la surface de la mer sillonnée de bandes rouges de plusieurs lieues d’étendue, et comme ensanglantée. Les hommes de l’équipage annoncèrent que nous arrivions dans le parage des Baleines. Effectivement, nousne tardâmes pas à en voir le jour au milieu de ces bancs rougeûtres. Nous apercevions autour de nous la mer comme dans une ébullition continuelle par le mouvement de ces molécules vivantes. J'en ai recueilli une assez grande quantité, que j’ai rapportée en France. » « Le chirurgien d’un navire baleinier, M. de la Chaize , n’en a remis qui proviennent de son dernier voyage aux îles Chiloé..…. » «Ce Crustacé a été trouvé dans la mer Pacifique et au milieu’ de l'océan Atlantique, sous le 42° degré de latitude sud. If fourmille en bancs très étendus qui rougissent la mer, et servent d'aliments aux Baleines. » Roussel de Vauzème a consacré un Mémoire spécial à la description du petit animal qui produit cette coloration (4); je ne puis mieux faire que d’y renvoyer mes lecteurs. La description que Roussel de Vauzème a donnée de l’organisa- tion du Cetochilus, et des conditions où il l’a observé, explique et complète les détails qui nous ont été transmis par Sébald de Veert et Schouten. Les grandes antennes de ces animaux , beaucoup plus longues que le corps, sont évidemment les cornes dont parle Schouten. De même, leur mode de progression , consistant dans un écartement rapide des pattes de derrière, qui, pendant le repos, sont dirigées en avant, explique pourquoi Schouten et Sebald de Veert l'ont comparé au saut des Puces. Ces animaux servent de nourriture aux Baleines, et les banes qu'ils forment sont très connus des baleiniers, qui les désignent sous le nom de faux bancs du Brésil (2). R. de Vauzèmeé à donné à ce sujet quelques détails que je ne dois point omettre : « Les Baleines en dévorent des myriades , qui se tamisent à tra- (1) Roussel de Vauzème, Ann. des sc. nat., 2° série, zoologie, 1834, t. I, p. 333. (2) Voy. Dupetit-Thotars, Voyage de la Vénus, {. {, p. 27. QUI DONNENT A LA MER UNE COULEUR ROUGE. 199 vers le chevelu de leurs fanons, sur lesquels j'en ai souvent ren- contré, On trouve également ces Crustacés entre les eirrhes des Coronules et des Tubicinelles , qui les saisissent et en font leur nourriture (4). Les excréments de ces dernières, comme ceux des Baleines , sont d’une teinte rouge , semblable à celle d'Écrevisses cuites et broyées. Les pêcheurs américains appellent nourriture de Baleine (food) ces banes de Crustacés. Is m'ont assuré que, pen- dant les beaux jours de la pêche , en octobre et en novembre , ces petits animaux restent cachés dans la profondeur des mers. Plus tard, lorsqu'ils veulent pondre leurs œufs, ils paraissent à la surface de l’eau. Cette circonstance est pour les marins le signal du pro- chain départ des Baleines, qui vont bientôt se diriger vers les baies. Après la ponte , les bandes rouges qui sillonnaient la mer deviennent jaunes ; on dit alors, en terme de pêche, que le food est mûr , et que les Baleines vont partir. Ce changement de couleur , produit par la présence des œufs, s'opère peu de temps après l'apparition des bancs ; mais je n’ai pas pu l'observermoi- même , et je ne fais que rapporter ce qui m'a été dit à ce sujet par des pêcheurs expérimentés. » Les observations de Sebald de Veert, celles de Schouten, celles de R. de Vauzème, ont été faites dans des latitudes très voisines, et qui correspondent à celle de l'embouchure de la Plata (2) ; et leurs dates coïncident assez exactement entre elles. Nous avons vu, d'après le récit de R. de Vauzème, que.des faits semblables se reproduisent sur la côte occidentale de l’Amé- rique du sud, et que ces animaux ont été signalés près des îles Chiloé par M. de la Chaize. Un autre fait du même genre, et qui pourrait bien être produit (4) D'après les observations de R, de Vauzème, ces animaux, de la classe des Cirrhopodes, vivent fixés sur les fanons des Baleines. (2) Je lis dans la Géographie de Malte-Brun (liv.33), et dans la Géographie physique de madame Somerville, que Magellan, dans son célèbre voyage de cir- cumnavigation, aurait observé, le premier, les eaux colorées à l'embouchure de la Plata. 11 n'est point question de ce fait dans les trois relations qui nous restent du voyage de Magellan, celles de Pigafetta, de Barbosa et de Maximilien de Transylvanie. 200 C. DARESTE, — SUR LES ANIMALCULES par la même espèce ou par une espèce très voisine , a été signalé dans le troisième voyage de Cook, au sud du cap de Bonne-Espé- rance, à peu près par la même latitude où ont été faites les obser- vations précédentes. Cette observation estd’ailleurs trop imparfaite pour que l’on puisse déterminer avec précision l'animal qui en est l'objet. «Le 6 décembre 1766, par 39°14' de latitude S. et 23° 56° (4) de longitude orientale, les vaisseaux passèrent en divers endroits où les flots étaient d’une couleur rougetre. On puisa quelques baquets de cette eau, et nous la trouvämes remplie de petits animaux qui avaient, au microscope, la forme des Écrevisses, et qui étaient rouges (2). » $ V. Colorations produites par des Décapodes macroures du genre Grimotea. Les Crustacés de la famille des Décapodes macroures, dont le test est naturellement rouge, et qui vivent en troupes assez nom- breuses pour colorer la mer sur de grandes étendues , ont été d'abord placés parmi les Galathées, genre voisin des Écrevisses : plus tard, le docteur Leach en a fait un genre particulier sous le nom de Grimolea. L'espèce la plus anciennement connue est la Grimolea gregaria de Leach, que Fabricius avait décrite antérieurement sous le nom de Galathea gregaria (3). Les exemplaires qui ont servi aux descriptions de ces deux entomologistes ont été rapportés en Angleterre par Banks, à la suite du premier voyage de Cook, et avaient élé recueillis sur la côte orientale de l'Amérique du sud, par le 37° 30 de latitude méridionale; il n’en est point fait mention dans le récit de ce mémorable voyage. Cette espèce avait été, du reste, avant le voyage de Cook, indi- quée d’une manière très reconnaissable par divers navigateurs. (1) 26° 36! du méridien de Paris. (2) Troisième voyage de Cook, ou Voyage à l'océan Pacifique ordonné par le roi d'Angleterre, elc., sous la direction du capitaine Cook, sur les vaisseaux la Réso- lution et la Découverte, en 1776; 1780, traduit de l'anglais, L I, p. 65. (3) Leach, article Gazaraée, dans le Dictionnaire classique d'histoire naturelle, — Fabricius, Entomologia systemalica , t, IT, p. 473. QUI DONNENT A LA MER UNE COULEUR ROUGE. 201 Ainsi, c'est certainement la Grimotea gregaria qui a été trouvée sur la côte de la Patagonie, en décembre 1683, par le 40° degré de latitude méridionale, par Cowley et Dampier. « La mer, dit Cowley, nous parut aussi rouge que du sang, ce qui venait de la prodigieuse quantité de Chevrettes qu'il y avait par monceaux plusieurs lieues de suite (1). » Dampier, qui a écrit aussi une relation de ce voyage, donne beaucoup plus de détails : « Le jour que nous partimes pour ces Îles (2), nous vimes de grosses troupes de petites Ecrevisses qui rougissaient la mer à un mille à la ronde , et nous en primes quelques -unes avec des seaux. Elles n'étaient pas plus grosses que le bout du petit doigt, et les grandes et les petites avaient des pattes comme celles que les Anglais appellent Lobsters (Homards). Je n'ai jamais vu que à de cette sorte de Poisson rouge naturelle- ment... Je n'ai jamais vu non plus de celte espèce si pelite, si ce n'est peut-être des Chevrettes. Les capitaines Svan et Eaton trou- vèrent aussi quantité de ces petites Ecrevisses à la même latitude et longitude (3). » ; Ces animaux ont été retrouvés, le 31 janvier 1696, par le capi- taine de Gennes, qui commandait une escadre francaise : « La mer fut si couverte de petites Écrevisses, qu'on aurait pu lui donner le nom de mer Rouge. Nous en primes plus de dix mille avec des paniers (4).» Le point où l’on fit cette rencontre n’est pas fixé d’une manière précise; mais l’escadre se trouvait alors sur la côte de Ja Patagonie, entre le cap Saint-Antoine et le cap Saint-Ynez; aussi pouvons-nous supposer que c’est dans lamème localité où s'étaient faites les observations précédentes. Ce banc de Crustacés fut aperçu, du 20 au 21 janvier 4744, au port Saint-Julien, par l'escadre de l'amiral Anson, pendant sa (1) Cowley remarque qu'il y avait en cet endroit un grand nombre de Baleines. (2) Les iles Malouines , que l’on appelait alors les îles Sébaldes ou Sebald de Veert, du nom du navigateur hollandais dont nous avons déjà parlé plus haut, et qui les a découvertes. (3) Dampier, Voyage aulour du monde, traduction française, t [,p 106, et t. V, p. 260. (4) felation du voyage de M. de Gennes au détroit de Magellan, par le sieur Froger. Paris, 4698 , in-12, p. 88. 202 C. DARESTE, — SUR LES ANIMALCULES célèbre expédition autour du monde : « Pendant que nous demeu- rames en ce lieu, nous ne vimes point d'habitants sur la terre ferme; mais il y en avait plusieurs millions dans l'eau : c’étaient des Poissons semblables à des Crevettes rouges comme des Homards cuits, de telle sorte que la mer avait l'apparence du sang (4). » Le 8 mars 1747, un capitaine de vaisseau nommé Lehen ren- contra ces banes de Crustacés par le 47° 22’ de latitude, c’est-à-dire toujours dans la même position : « Le 8 mars 1747, on vit, sur les six heures du soir , une infinité de petits Poissons rouges de la grandeur et de la grosseur d’une moyenne Écrevisse; ils avaient au devant de la tête deux pinces fort longues (2). » Enfin nous avons, de nos jours, une dernière observation qui confirme les précédentes : c’est celle de M. Darwin (3) : «Près de la terre de Feu, à peu de distance de terre, j'ai vu des lignes d’eau d’une vive couleur rouge, par suite d’un grand nombre de Crusta- cés qui ressemblent, à certains égards, à des Langoustes(Prawns) ; les marins les appellent nourriture des Baleines (food). Je ne sais pas si les Baleines s’en nourrissent; mais les Hirondelles de mer, les Cormorans et d'immenses troupeaux de Phoques viennent sur tous les points de la côte tirer leur principale nourriture de ces animaux. » Le commodore Byron a observé de semblables banes de Crusta- cés sur la côte du Brésil : « Le 44 novembre 1764, au matin, le vent devint modéré, mais la mer était houleuse. Bientôt le vent passa au sud quart sud-ouest, et nous gouvernâmes vers l’ouest sous nos voiles majeures. Les premiers rayons du jour nous mon- trèrent la mer aussi rouge que du sang, et couverte de coquillages (1) Cette phrase est tirée de la relation donnée par un officier du Wager, p.16, vaisseau qui faisait partie de l'escadre , qui s'égara pea de temps après la sortie du détroit de Magellan , et qui revint en Angleterre après une suite d'accidents de tout genre. Il n'est point question du fait dans la grande relation du voyage d’Anson donnée par Walter. (2) Nouveau voyage fait au Pérou, par l'abbé Court de la Blanchardière. Paris, 4791. (3) Darwin, Journal, ete., p. 45. QUI DONNENT A LA MER UNE COULEUR ROUGE, 203 de Ja même couleur, assez ressemblant à nos Écrevisses, mais plus petits. Nous en primes une grande quantité avec des corbeilles. On était alors entre Rio de Janeiro et le cap Saint-Etienne (4). » Des faits analogues se produisent sur la côle occidentale de l'Amérique du sud ; ils ont été signalés par Lesson dans la relation du voyage de la Coquille (2). Ce naturaliste à vu, le 8 mars 1823, la rade de Callao, par 7° 22 31 de latitude méridionale et 82 54! 33" de longitude occidentale, rougie par de petits Crustacés longs d'un pouce. M. Guérin Méneville, qui a décrit les collections entomolo- giques rapportées par les naturalistes de la Coquille, indique ce petit Crustacé sous le nom de Grimotea gregaria, croyant y voir la même espèce que celle de Leach. Mais M. Milne Edwards { Histoire des Crustacés, 1. Il) s'est assuré que cet animal diffère spécifiquement de la Grimotea gregaria de la côte orientale de l'Amérique, et il en fait une espèce particulière sous le nom de Grünotea Durvillü, en l'honneur du célèbre navigateur Dumont-Durville, qui servait en qualité de lieutenant de vaisseau sur Ja corvette la Coguille, $ VI. Colorations produites par les Noctiluques. Le phénomène si remarquable de la phosphorescence de la mer a été de nos jours l'objet de recherches importantes. On a reconnu que, sur nos côtes de la Manche, il est produit par un animaleule dé la classe des Rhizopodes, décrit sous le nom de Noctiluque miliaire, qui, déjà signalé depuis longtemps par divers observateurs, a été très complétement étudié par MM. Suriray , Verhæghe et de Quatrefages (3). Nous ne le décrirons point ici; car les observations des savants que nous venons de citer doivent être connues de tous les naturalistes. (1) Relation d'un voyage fait autour du monde dans les années 1764, 1765, 1766, par le commodore Byron, commandant le vaisseau du roile Dauphin, par Hawkesworth, trad. franç., p. 13. (2) Lesson, Voyage de la Coquille, t. 1, p. 255. (3) Suriray, Magasin de zoologie, 1836.— Quatrefages, Ann. des sc. nul. 3° série, zoologie, t. XIV, p. 226.— Quant au Mémoire de M. Verhæghe, je ne le connais que par le rapport de M. Van Beneden | Bulletin de l'Académie royale de Bruxelles, t. XIII, n° 8). 204 C. DARESTE, —— SUR LES ANIMALCULES Or, lesobservations que Suriray a faites au Havre nous apprennent que les Noctiluques prennent, dans certaines circonstances , une couleur rouge , et qu'ils peuvent alors colorer la mer dans une certaine étendue. Nous ignorons toutefois la nature de cette colo- ration. Proviendrait-elle du développement des corps reproduc- teurs , et, dans ce cas, se manifesterait-elle à des époques pério- diques (4)? Ou bien serait-ce un fait tout accidentel, et produit par les matières que les Noctiluques auraient ingérées? C'est une question que j'indique aux naturalistes. L'abondance des Nocti- luques sur nos côtes de la Manche, depuis le Havre jusqu'à Ostende, me fait espérer que ce point important de physiologie comparée ne tardera pas à être éclairci. Quoi qu'il en soit, nous devons signaler ici la coexistence, dans certains cas, de la phosphorescence et de la couleur rouge; elle nous servira à nous rendre compte d'un grand nombre de colo- rations de la mer (2). Voiciles détails de l’observation de Suriray au Havre : «Le 7 juin 1809 et jours suivants, par le vent sud-ouest et un temps pluvieux, l’eau du petit quai et celle d'un bassin furent recou- vertes par de grandes plaques d’une teinte semblable au mélange de lie de vin et de cidre : je crus, avec quelques personnes, qu'elle provenait de vidanges de quelques euves de teinture; j'y (1) Suriray croyait que la coloration rouge est due à la production des œufs. Mais, à l'époque où il observait , on ne connaisait pas l'organisation des Rhizo- podes, qui n'a commencé à être bien appréciée que par les beaux travaux de M. Dujardin. (2) Cette relation, observée dans beaucoup de localités, entre la couleur rouge de la mer et sa phosphorescence, a été signalée, il y a longtemps, par le père Bourzes, dans le recueil des Lettres édifiantes (1730). « On trouve dans la mer cer- tains cantons où surnagent je ne sais quelles ordures de différentes couleurs, tan- tôt rouges , tantôt jaunes. A les voir on les prendrait pour des sciures de bois; nos marins disaient que c’est du frai ou de la semence de Baleines , c'est-à-dire qu'on n'en est guère certain. Lorsqu'on tire de l’eau de la mer en cet endroit on la trouve fort visqueuse, Les marins rapportent qu'il y a beaucoup de ces bancs de frai dans le nord; que quelquefois, pendant la nuit, ils paraissent lumineux , sans être agités par le passage d'aucun vaisseau ni d'aucun poisson. » Voir Debrosses, Histoire des navigations aux Terres australes, t. 1, p. 429. QUI DONNENT A LA MER UNE COULEUR ROUGE. 205 donnai d’abord peu d'attention ; mais le lendemain au soir, vers le crépuscule, outre cette couleur permanente, j'observai que le choc des rames et le sillonnage des nacelles développaient de larges zoues bleuâtres qui avaient près d’une minute d'existence ; la chute d'une grosse pierre produisait un centre lumineux, d’où jaillissaient des gouttes phosphorescentes qui s’attachaient aux corps voisins. Je n'avais jamais eu occasion de jouir d'un appareil de phospho- rescence aussi lumineux , même pendant la nuit la plus profonde. » Le 8, à dix heures du soir, le vent avait formé, dans un angle du bassin , un grand banc en forme de trapèze, sur lequel une douce pluie développa une belle phosphorescence éloilée ; les autres parties du bassin, quoique leur équilibre fût rompu par la même cause, restèrent obscures. Je remplis, au centre de la lumière même , un long tube de verre de deux pouces de diamètre , et le portai dans mon cabinet; bientot les trois quarts supérieurs furent occupés par une masse rougetre, demi-opaque, et paraissant fout enflammée dans l’obseurité , chaque fois qu’on lui communiquait une légère secousse… » Le 9, un vent nord-ouest souffla fortement, et dispersa nos globules, qui reparurent le 12 presque en aussi grand nombre; mais ce fut pour la dernière fois. », On pourrait croire qu'un phénomène de cette nature , et qui se reproduit si près de nous, a dû être fréquemment observé ; mais il n'en est rien. L'observation de Suriray est la seule que je connaisse , et qui soit parfaitement authentique. Je dois toutefois rappeler un curieux passage de Tacite, passage reproduit (extuelle- ment par Dion Cassius, et qui mentionne, pour l’année 51 de notre ère, une apparence de sang répandue sur cette partie de l'Océan qui sépare la Gaule de la Grande-Bretagne (4). Mais ce passage est trop incomplet pour qu'on puisse décider s’il s'agit d'un fait réel, ou seulement d’un récit mensonger et accrédité par la superstition. Les Noctiluques ont été trouvés sur un grand nombre de points de la surface du globe. Un auteur du siècle dernier, nommé Rigaut, (1) Tacite, Annales, L. IV, cap. xxx, Dion Cassius, LXII, 1. 206 C. DARESTE. — SUR LES ANIMALCULES qui a présenté un Mémoire à l'Académie des sciences sur la phos- phorescence de la mer en 1768, et qui a le premier reconnu l’exis- tence des Noctiluques, avait trouvé ces animaux depuis Brest jusqu'aux Antilles et à Terre-Neuve. M. Ehrenberg les a vus dans la Baltique; M. S. Rang à Alger. Enfin ils ont été trouvés au cap de Bonne-Espérance, à False-Bay, par notre célèbre ingénieur hydrographe M. de Tessan , pendant le voyage de cireumnaviga- tion de la Fénus (À). La présence, constatée par lant de personnes, des Noctiluques dans des mers si diverses nous permet de penser que, dans les points où la coloration rouge de la mer se trouve liée à sa phospho- rescence, ces deux effets proviennent de la présence des Nocti- luques, si toutefois il n’y a dans l’observation aucun détail qui s'oppose à l’admission d’une pareille opinion ; d'autant plus que, bien que l’on ait signalé un très grand nombre d'animaux phospho: rescents, et que le nombre de ces animaux doive probablement s’accroitre par les observations ultérieures, la phosphorescence de la mer sur une grande étendue, toutes les fois qu’on l’a étudiée, a toujours été trouvée appartenir aux Noctiluques , ou du moins à des animaux très voisins. Ces sortes de phénomènes ont été constatés dans la mer Rouge etdans le golfe Arabique. Le consul anglais Salt, dans son second voyage en Abyssinie, a observé dans la mer Rouge un fait de ce genre, par le 15° degré de latitude nord : « Le 7 février 1810, à une heure après midi , la mer prit, sur un espace assez considérable, à l’entour du vaisseau, une teinte si rouge que nousen fûmes extrêmement effrayés au premier moment; mais en sondant, nos craintes cessèrent, car nous nous trouvions sur plus de vingt brasses d’eau. Désirant connaître la cause de ce phénomène, nous fimes jeter dans l’eau un seau, au moyen duquel (1) Les Noctiluques observés à False-Bay, par M. de Tessan, présentaient des points noirs dont la nature ne nous est pas plus connue que celle des points rouges observés par Suriray dans les Noctiluques du Havre. C'était probablement une espèce différente, — Voir à ce sujet le Rapport déjà cité de M. Van Beneden, QUI DONNENT A LA MER UNE COULEUR ROUGE. 207 nous nous procuràmes une assez grande quantité de la substance qui flottait à la surface. Elle avait la consistance d’une gelée, et était composée d’une multitude de très petits Mollusques ; chacun d'eux avait au centre une petite lache rouge qui formait, lorsqu'ils étaient réunis, un corps de couleur brillante, et presque semblable à celle qui est produite par une dissolution de minium dans l’eau. Nos matelots furent tellement frappés de l'effet extraordinaire que cela produisait, qu'ils s’écrièrent : C’est vraiment la mer Rouge! Et notre bosseman dit, dans son langage grossier : C’est vraiment comme le sang qui coule dans une boucherie ; si nous disions cela en Angleterre, on ne nous croirait pas. » Le soir, à l'approche de la nuit, les Mollusques , que nous avions conservés exprès, devinrent lumineux, ayant, lorsque rien ne les troublait, cette apparence qu’a le vif-argent, quand on le jette sur le revers d’un miroir, Étant agités , ils donnaient une lumière argentine et brillante ; et pris à la main, puis jetés sur le pont ou sur {out autre objet, ils conservaient, durant plus d’une demi- minute, leur aspect extraordinairement lumineux (1). » L'observation de Salt est d'autant plus intéressante pour le sujet qui nous occupe actuellement, que nous possédons une observation beaucoup plus ancienne, faite dans la même latitude, d’un phéno- mène qui se rattache très probablement à celui que nous venons de rappeler; c’est une observation de la phosphorescence de la mer, faite par Joäo de Castro, pendant le voyage dont nous avons déjà eu occasion de parler, à quelques lieues au nord de la petite île Massawah (2), le 24 février 1544, C’est une des premières indica- tions que nous ayons sur la phosphorescence de la mer ; aussi, bien qu'elle ne se rattache pas nécessairement à mon travail, je crois devoir transcrire le passage où elle est mentionnée (3). (4) Salt, Voyage en Abyssinie, trad.franç. par Henry, t. 1, p, 251. (2) La latitude de Massawah est de 45° 35' au nord de la ligne. (3) Je vois toutefois dans l'ouvrage si remarquable que M. Reinaud a publié en 1845, sous le titre de Relation des voyages faits par les Arabes et les Persans dans l'Inde et dans la Chine, dans le 1x° siècle de notre ère, le passage suivant, extrait de là Chaine des chroniques rédigée d'après les récits du marchand So- leyman : « Quand les vagues de la mer de Herkend se soulèvent, l'eau présente 208 C. DARESTE. -— SUR LES ANIMALCULES « Le 21 février 1541, au commencement du second quart de la nuit, nous donnâmes sur de grandes faches très blanches qui brillaient et lançaient comme des éclairs. Épouvantés de ce phé- nomène qui paraissait étrange, nous serrâmes incontinent les voiles, et croyant que nous étions sur le haut de quelque écueil ou de quelque bas-fond, j'ordonnai de lancer la sonde, qui donna 26 brasses ; alors, comme cette nouveauté ne faisait aucune impres- sion sur nos pilotes de terre, et que nous étions dans une mer pro- fonde , nous recommençâmes à aller à la voile (1). » Sur les côtes méridionales d'Arabie, le phénomène de la colo- ralion rouge a été observé par Joäo de Castro, près du cap Fartak. Voici le passage du Roteiro où il mentionne cette observation : «Ce jour (27 juillet 4541), vers le soir, nous vimes sur la mer de grandes taches et bandes très vermeilles, qui avaient l'aspect qu'elles auraient au-dessus de bœufs décapités. J'y fis à plusieurs reprises lancer des seaux pour examiner l'eau; mais en la tirant dehors, sa couleur vermeille devenait beaucoup plus claire. II nous sembla que cette couleur rouge provenait du dépôt d'une autre eau, et comme les seaux ne provenaient pas de la surface, ils ne nous donnaient pas l'explication de ce que nous avions vu. A ce moment , nous étions au devant du cap Fartak et en dehors du détroit. Les vagues étaient très fortes. Ce que nous avons vu sem- blait provenir de ce que, comme il y a dans ces parages un grand nombre de Baleines, dans les mouvements qu'elles font avant de périr , elles laissent échapper une quantité de sang assez grande pour teindre la mer, et produire ces grandes taches vermeilles (3). » Cette observation est fort incomplète ; toutefois, diverses con- l'apparence d'un feu qui brûle ( p. 11). » On donnait alors, d'après M. Reinaud, le nom de mer de Herkend à cette partie de la mer des Indes qui se trouve entre les Lakedives, Ceylan et l'Inde. (1) Joûo de Castro, Roleiro, etc., p. 77. (2) Cette opinion que la couleur rouge de la mer serait du sang de Baleine a été souvent reproduite. Le père Feuillée, qui a donné la relation d'un voyage au Pérou, émet à ce sujet une idée assez singulière (t. 1, p. 395) : il attribue ces colorations à l'écoulement menstruel des Baleines femelles. (3) Joûo de Castro, Roteiro, etc., p. 266. QUI DONNENT À LA MER UNE COULEUR ROUGE. 209 sidérations me font penser qu'on peut la rattacher aux Nocti- luques (1). En effet, des phénomènes de phosphorescence ont été fréquemment signalés sur les côtes méridionales de l'Arabie, et particulièrement dans les environs du cap Fartak. D'autre part, le voyageur anglais Salt rapporte, au sujet de l'observation précédemment mentionnée , que l’on a fréquemment observé dans cette mer un aspect laiteux des eaux, aspect qui, ainsi que j'essayais de l’établir, parait être lié à la phosphorescence, et pro- duit par lamême cause. Si nous nous rappelons d’ailleurs la curieuse observation de Suriray sur la coloration rouge que prennent acci- dentellement les Noctiluques, je crois que l'on peut considérer comme très probable que ces animaux sont la cause de la colo- ration observée par Joäo de Castro (2). On à également signalé ce phénomène dans le golfe de Guinée : « M. du Tilleul, comnussaire de la marine, a fait, durant un voyage à la côte de Coromandel, des observations analogues le long des côtes de Guinée. La mer, pendant plusieurs jours, parut comme couverte de sang; ce phénomène, qui d'abord effraya beaucoup les matelots, paraissait dû à une couche assez épaisse d'animaux microscopiques (3). » Cette observation est fort incomplète ; il y manque le lieu et la date. Mais nous pouvons la compléter par une observation un peu plus détaillée, faite pendant la mémorable expédition du capitaine Tuckey , en 1816, pour l'exploration du cours du Zaïre. Elle est rapportée deux fois dans le récit de ce voyage, d’abord dans le journal du capitaine Tuckey, puis dans celui d'un botaniste danois, nommé Christiern Smith, qui faisait partie de l'expédition , et qui périt malheureusement, avec un grand nombre de ses com- pagnons, par suite des fatigues qu'ils éprouvèrent. Elle a été (1) Toutefois, elle pourrait peut-être aussi s'expliquer par la présence du Tri- chodesmium erythræum, qui, ainsi que nous l'avons vu, paraît exister dans ces parages. Je n'ai évidemment aucun moyen de décider la question. (2) Voir, au sujet du phénomène des mers de lait, la note qui suit ce Mé- moire. (3) J'ai trouvé cette observation dans le récit du voyage de Péron, passage déjà cité, 4" série, Zooz T. IL, (Cahier n° 4.) ? 14 210 C. DARESTE. — SUR LES ANIMALCULES faite, pendant les derniers jours du mois de juin 1816, dans la baie de Loango, près de l'embouchure du fleuve : « Depuis quelques jours, dit Christern Smith, la mer a une couleur comme du sang. Quelques-uns de nous l’attribuaient aux Baleines, qui, à celte époque, s’approchent des côtes pour faire leurs petits. C’est pour- tant un phénomène généralement connu, qui a été souvent décrit, et qui est produit par des myriades d’animaleules. J'en examinai au microscope quelques-uns pris dans cette mer couleur de sang; sous la plus forte lentille , ils ne paraissaient pas plus gros que la tête d’une petite épingle; ils avaient d’abord un mouvement rapide qui ne tardait pas à cesser, et au même insfant l’animal se divisait en petites particules sphériques (4). » Je ne classe ces observations qu'avec doute, car elles sont extrêmement incomplètes ; toutefois les détails de l'observation, jusqu’à la diffluence qui s’y trouve nettement indiquée, el qui ne se rencontre que chez les êtres les plus simples du règne animal, me font présumer que ces phénomènes sont produits par les Noctiluques. Je puis ajouter encore , à l’appui de cette opinion, l'extrême fréquence de l'aspect laiteux de la mer dans le golfe de Guinée, et qui a été particulièrement signalé dans la relation du voyage où j'ai trouvé ce dernier document (2). (1) Relation d'une expédition pour reconnaitre le Zaïre, etc., traduite de l'an glais, 4818, t. IL, p. 123. La relation du capitaine Tuckey (t. I, p. 497) est à peu près la même; seulement il dit qu'ayant puisé de l'eau et l'ayant placée dans un verre , cette eau était parfaitement incolore, et que la couleur de la mer devait provenir de la couleur du fond tenant à la présence d'une argile rougeâtre. Ce récit, comparé à celui de Chr. Smith, montre combien on doit se tenir en garde contre les observations de personnes très éclairées d’ailleurs, mais étran- gères aux observations scientifiques. Je dois rappeler ici que dans les instructions rédigées par Arago pour l'expédi- tion qui devait aller dans le nord à la recherche de la Lilloise, commandée par M. de Blosseville, l'illustre secrétaire de l'Académie, en signalant aux physiciens et aux naturalistes de l'expédition la question de la couleur de la mer, rapporte l'observation du capitaine Tuckey ; mais comme il n'avait pas pris connaissance du journal de Smith, il attribue, d'après Tuckey, cette coloration uniquement à lu couleur du fond de la mer. (2) Zbid., t. 1, p. 482; t. I, p. 116. QUI DONNENT A LA MER UNE COULEUR ROUGE. 211 C’est probablement aussi à une cause analogue que sont dues les observations suivantes faites sur les côtes du Pérou. La première est celle de l'amiral Anson ; elle a été faite au mois de novembre 1744, par 10° 36 de la latitude méridionale. « Nous trouvèmes en cet endroit (novembre 4742), à Ja hauteur de Barranca, la mer, à plusieurs milles autour de nous, d'un très beau rouge , et nous remarquâmes que celle couleur venait d’une quantité prodigieuse de frai de Poisson qui couvrait la surface de l'eau. Nous mimes tant soit peu de cette eau dans un verre à vin, et vimes que, loin d’être trouble comme elle nous avait paru, elle était claire comme du cristal, excepté qu'il y surnageait quelques globules rouges et glaireux (1). » Ce fait a été également vu par le capitaine Colnett en 4793 et 4794. Celui-ci n'indique pas les localités précises, ni les dates de ses observations; mais il parle de la coloration de la mer, comme d'un phénomène très fréquent sur les côtes du Pérou et du Chili, depuis le 1° jusqu'au 38° degré de latitude méri- dionale. Voici ses paroles : « Les courants sur cette côte sont très irréguliers. Je les ai étudiés à plusieurs reprises , et j'ai trouvé qu'ils se dirigeaient tantôt dans un sens et tantôt dans un autre, et généralement avec une vitesse de un demi-mille à deux milles par heure. Leur direction peut en tout temps être découverte par l'observation de larges lits de petits vésicules qui sont très abon- dants sur cette côte, et desquelles l'eau prend une couleur qui ressemble à celle du sang. J'ai quelquefois été engagé pendant toute une journée dans la traversée de ces différents lits (2). » Nous voyons également, dans d’autres passages de la relation du capitaine Colnett, certaines circonstances qui semblent indiquer que ces vésicules seraient des Noctiluques , bien qu'elles n'aient point été décrites. En effet, il mentionne diverses localités où la mer était blanche, et il indique même, près des iles Gallapagos, une A) Voyage autour du monde fait dans les années 1740 à 1744, par G. Anson, chef d'une escadre; tiré des journaux et autres papiers de ce seigneur, et publié par Richard Walter. Traduit de l'anglais, 1749, p. 479. (2) James Colnett, À voyage Lo the south Atlantic and round cap Horn inlo the Pacific ocean. London, 1798, p. 170. 249 C. DARESTE. —— SUR LES ANIMALCULES bande d’eau colorée contenant des Méduses couleur de crème Ceream colored blubbers ) (41. Nous pouvons supposer que ces colorations diverses sont produites par des Noctiluques ou des ani- maux très voisins qui, dans certaines circonstances, deviendraient rouges, comme Suriray l'a observé au Havre , et comme nous avons lieu de croire que cela se produit dans le golfe de Guinée etle golfe d'Arabie, et qui, dans d’autres circonstances, prendraient une teinte blanche assez marquée, ainsi que nous le verrons dans la note qui suitce Mémoire. Il ne manque à cette observation que la constatation de la phos- phorescence. Or, nous trouvons ce fait exprimé dans une obser- vation de Lesson, faite dans les mêmes parages, le 15 et le A9 mars 1893, par 5° 64/ de latitude méridionale et 83°, 32° 28’ de longitude occidentale, Lesson remarque expressément que la mer, rouge le jour, devenait phosphorescente pendant la nuit (2). Enfin nous trouvons que le même phénomène à été vu par M. Darwin près des îles de Gallapagos (3). Voici cette observation : «A la distance de quelques lieues de l'archipel des Gallapagos, le vaisseau traversa trois bandes d’une eau bourbeuse d’un jaune obseur. Ces bandes avaient une longueur de plusieurs milles, mais seulement une largeur de peu de verges, et elles étaient séparées de l’eau environnante par un bord sinueux , quoique distinet. La couleur était produite par de petites vessies gélatineuses, ayant à peu près le cinquième d’un pouce en diamètre , dans les- quelles étaient enfermés un grand nombre de petits ovules sphé- riques; ceux-ci étaient de couleur différente , les uns étant de cou- leur rougeâtre et d’une forme différente des autres. Je ne puis former de conjecture sur l'espèce animale à laquelle ils apparte- paient... Dans le cas qui nous occupe en particulier , le bord sinueux était produit par le vent. » {1) Cette observation est du 2 janvier 1794. — Jbid., p. 127. (2) Voir Lesson, Voyage de la Coquille, déjà cité. {3! Voir Darwin, Journal, ete., p. 17. QUI DONNENT A LA MER UNE COULEUR ROUGE. 213 $ VII. Colorations produites par des animalcules très voisins des Nocti- luques, mais qui en différent spécifiquement, et probablement aussi génériquement. C'est encore des animaleules très voisins des Noctiluques, mais qui diffèrent spécifiquement, et probablement aussi génériquement, de ceux que nous avons jusqu'à présent signalés (1), que sont dues, selon toute apparence, les colorations observées dans les mers du Nord, le long des côtes du Groënland. Ces colorations sont généralement vertes; mais elles sont pro- duiles par des animaleules jaunes ou d’un jaune tirant sur le brun. Les premières observations que nous ayons sur ces colorations vertes des mers arctiques appartiennent au célèbre et infortuné voyageur Hudson, et datent de son premier voyage au Groënland en 1607. Dans la relation de ce voyage, il signale ces eaux vertes sur la côte orientale du Groënland, le 6 juillet, par 77° 30° de lati- tude ; le AL juillet, par 79% 17 ; le 44 juillet, aux environs du 80° degré. Il ne donne , du reste, aucun détail sur ce phénomène, et se contente de dire qu'il n'y a point de glaces dans les régions vertes, tandis que les glaces abondent là où la mer est d’un bleu d'azur (2); ce qui tient, d’après Scoresby, à des conditions toutes locales. Je n'ai pas cru nécessaire de rapporter ici les passages de la relation d'Hudson où il parle de ce phénomène; car nous le trouvons décrit avec beaucoup plus de détails par Scoresby. Ce dernier, qui, pendant ses nombreux voyages dansles régions arctiques pour la pêche de la Baleine, a recueilli des documents scientifiques si nombreux et si intéressants en tout genre, a par- faitement décrit le phénomène en question. Je ne puis donc mieux faire que de traduire sa description : « La couleur de la mer du Groënland varie du bleu d’outre- (1) C'est l'opinion de M. Ebrenberg, qui a eu occasion d'observer et de dé- ecrire les Noctiluques, dans son célèbre Mémoire sur la phosphorescence de la mer, Uber das Leuchten das Meeres, imprimé dans le Recueil de l'Académie de Berlin (1835). Il désigne ces animaux sous le nom générique de Mammaria. (2) Voir la relation du premier voyage d'Hudson dans Purchass Pilgrims (fre part., HITS liv., chap. XIV, p. 570). 2 C. DARESTE, —- SUR LES ANIMALCULES mer au vert olive, et de la transparence la plus pure à une opacité marquée. Ces aspects ne sont point passagers , mais permanents : ils ne dépendent point de l’état de l’atmosphère , mais de celui de l'eau. Cette espèce d’eau se présente en quantité considérable, formant peut-être un quart de la surface de la mer du Groënland, entre les parallèles de 74 et 80 degrés. Elle est sujette à des chan- gements, dans sa position, par l’action des courants; mais se repro- duit constamment, dans certaines positions, d’une année à l’autre. Elle forme souvent de longues bandes , ou trainées, qui s'étendent du nord au sud ou du nord-ouest au sud-ouest, mais avec des dimen- sions très variables ; quelquefois je les ai vues s'étendre sur deux ou {rois degrés de latitude, en longueur, et quelques milles, de dix à quinze lieues, en largeur ; cela se présente très fréquemment, sur le méridien de Londres, à de hautes latitudes. Dans l’année 1817, on trouva la mer transparente et de couleur bleue dans tout l'espace qui s'étend depuis le 42° degré (1) de longitude orientale, dans le parallèle de 74 ou 75 degrés jusqu'à la longitude de 0° 12’ (2) dans le même parallèle. Là elle devenait verte et moins transparente ; sa couleur était à peu près d’un vert gazon , avec une légère teinte noire. Quelquefois la transition entre l’eau verte et l’eau bleue est progressive , passant par les nuances intermé- diaires, dans l'espace de trois ou quatre lieues ; dans d’autres, elle est subite, de telle sorte que la ligne de séparation paraît être comme la limite d'un courant, et les deux qualités de l’eau con- servent un aspect aussi distinct que les eaux d’une grande rivière limoneuse , vers son embouchure dans la mer. En 1817, je rencontrai des bandes tellement voisines d’eaux diversement colo- rées, que nous traversämes des courants de couleur vert pâle, vert olive et bleu transparent, dans un espace de dix minutes (à), (1) 9° 40’ du méridien de Paris. (2) 2° 52! du méridien de Paris, (3) Dans un autre ouvrage publié depuis, sous le titre de Journal of the voyage to the northern whale-fishery including researches und discoveries on the E. coast of Greenland made in the sommer 4822, in the ship Baffin, Scoresby rap- porte une autre observation du même genre faite dans la mer du Groënland par 74° 44%" de latitude N. et 41° 40/ de longitude occidentale (13° 50/ de longitude QUI DONNENT À LA MER UNE COULEUR ROUGE. 915 » Les animaux qui forment la nourriture des Baleines se ren- contrent principalement dans l’eau colorée en vert : aussi cette eau attire-t-elle les Baleines en plus grand nombre que toute autre qua- lité de la mer , etest-elle constamment recherchée par les pêcheurs. D'ailleurs on y prend les Baleines plus facilement que dans l’eau bleue , par suite de la grande obseurité qui empêche ces animaux de voir distinetement l'approche de leurs ennemis. » N'ayant observé dans cette espèce d’eau aucune particu- larité suffisante pour lui donner la couleur remarquable qu’elle présente , j'ai tout d’abord présumé que cet aspect dérivait de la nature du fond de la mer. Mais en observant que l’eau était {très imparfaitement transparente , de telle sorte que les langues de glace, à deux ou trois brasses de sa surface (1), ne pouvaient que difficilement être distinguées , et étaient quelquefois invisibles , et que la glace flottant dans la mer vert-olive était souvent marquée sur ses arêtes d’une teinte jaune orangée , je me convainquis que ce phénomène était produit par quelque substance jaune tenue en suspension dans l’eau, substance capable de colorer la glace et de se combiner avec le bleu naturel de la mer, de manière à produire Ja teinte particulière qui a été observée (2). » Dans le but de déterminer la nature de la substance colorante, occidentale du méridien de Paris). Cette observation n'ajoutant aucun détail nou- veau aux faits que je rapporte dans le texte, je n'ai pas cru devoir la repro- duire ici. (1) La brasse anglaise (fathom) vaut deux verges (yards), ou 1,828. (2) Scoresby dit ailleurs s'être assuré, par des observations répétées, que cer- laines eaux des mers du Groënland ont la propriété de teindre en rouge les sub- stances blanches et poreuses que l'on y plonge, telles que la neige ou la glace, ces substances agissant sur l’eau colorée à la manière d'un filtre. Il pense que c’est la cause de la couleur orangée que présentent parfois les neiges tombées en mer sur les glaces flottantes, neiges déjà observées par le capitaine Parry , et très différentes de la neige rouge ordinaire qui, depuis Aristote (rep Éoers toroplas, lib. V, cap. XIX), a si souvent occupé l'attention des naturalistes, et qui se rencontre sur le sommet des montagnes et dans les contrées polaires. Voir Scoresby : Remarques sur une espèce particulière de neige rouge observée dans les glaces arctiques, dans Jameson's ÆEdinburg new philosophical Journal; oct., déc. , 1828, p. 54, traduit. Ann. des sc. nat., A"° série, 1829, t. XVII, p. 54. 916 C. DARESTE, — SUR LES ANIMALCULES et de la soumettre à une future analyse, je recueillis une certaine quantité de neige sur un morceau de glace qui avait été entrainé par la mer, et qui était vivement coloré par le dépôt d'une substance particulière. Une petite quantité de cette neige, liquéfiée dans un verre à vin, paraissait complétement nuageuse; car il se trouva que l’eau contenait un grand nombre de substances demi-transpa- rentes , ainsi que d’autres qui ressemblaient à de petits fragments de cheveux fins. En examinant ces substances avec un microscope composé , je fus conduit à faire les observations suivantes : » Les globules demi-transparents paraissaient consister en un animal du genre Méduse. Il avait de + à + de pouce en diamètre. Sa surface était marquée de douze amas ou nébulosités distincts, formés de taches de couleur brunâtre. Ces taches étaient disposées par paires, quatre paires ou seize paires formant alternativement chaque nébulosité. Le corps de la Méduse était transparent. Lors- que l’eau contenant ces animaux était chauffée, elle émettait une odeur très forte semblable, à quelques égards, à l'odeur des Huîtres, lorsqu'on les place sur des charbons rouges, mais beaucoup plus désagréable. » J'ai ensuite examiné les différentes qualités de l’eau de mer , et j'ai trouvé ces substances très abondantes dans celle de couleur vert-olive, et aussi, mais en quantité moindre , dans l’eau vert bleuätre. Le nombre des Méduses dans la mer vert-olive fut trouvé être immense; ils avaient environ, chacun séparément, le quart d’un pouce. Dans cette proportion, un pouce cube d’eau doit en contenir 64 ; un pied cube, 110,592 ; une brasse cube, 23,857,172, et un mille cube, 23,888,000,000,000,000. D'après des son- dages faits dans la place où ces animaux furent trouvés , il est probable que la mer a à peu près une profondeur d’un mille; mais il n’est pas certain que ces substances occupent toute la profondeur. En supposant toutefois que la profondeur à laquelle elles pénètrent ne soit que de 250 brasses, le nombre immense d’une seule espèce pourrait se présenter sur un espace de deux milles carrés (4). » La description que Scoresby nous donne de ce petit animal , (1) Scoresby, Account of the Artic regions, t. 1, p. 175 et suiv. QUI DONNENT A LA MER UNE COULEUR ROUGE. 217 qu'il compare au Beroë globulus de Lamarck (4), nous montre qu'il s’agit très probablement d'une espèce voisine des Nocti- luques , mais qui appartiendrait à un genre disunet. On ne peut supposer , en effet, que les taches colorées et régulièrement disposées que présentent ces animaux, et dont parle Scoresby , tiennent à des colorations accidentelles et passagères, comme celles que nous avons signalées dans les Noctiluques de la Manche. De plus, leurs dimensions sont beaucoup plus grandes. Nous avons vu que Scoresby leur attribue en diamètre à peu près le quart d’un pouce anglais, ce qui fait 6"",34. D'après M. de Quatrefages, le diamètre des Noctiluques observés par lui à Boulogne n'est que de £ ou ? de millimètre (2). Nous voyons aussi que Rigaut, qui, dans le siècle dernier, avait observé des Noctiluques dans l'océan Atlantique, depuis Brest jusqu'à Terre-Neuve et aux Antilles, leur attribue un diamètre de + de ligne; ce qui fait à peu près un demi-millimètre , et par conséquent une taille assez supé- rieure à celle des Noctiluques de la Manche, bien qu’elle soit encore douze fois moindre que celle des Noctiluques des mers aretiques. Il y aurait ici à savoir si ces espèces des mers arcliques sont phosphorescentes. Malheureusement l'observation directe n’a pas été possible, par suite des conditions particulières du climat du nord, qui maintiennent le soleil au-dessus de l’horizon pendant une parlie de l’année, et au-dessous pendant l’autre partie. Les contrées arcliques ne présentant point les alternatives répétées du jour et de la nuit, et ne pouvant par conséquent être visitées que pendant ce jour qui dure plusieurs mois, on concoil que la question de la phosphorescence de ces animalcules n'ait pu être résolue. Je dois dire toutefois que Scoresby la considère comme probable. Ces observations de Scoresby se rattachant à des faits de colora- tion verte de la mer pourraient paraître, au premier abord, étran- gères au sujet même de ce Mémoire ; mais des observations ulté- rieurement faites par ce même navigateur ont prouvé que les animalcules décrits dans le passage que je viens de rapporter produisent également des colorations rouges ou brunes. Ce fait ( ( 1) Lamarck, Animaux sans vertèbres, 2° édit., t. LIT, p. 52. 2) Voir Ann, des sc, nat., z00l., 3° série, t. XIV, p. 227 et 230. 218 C. DARESTE. — SUR LES ANIMALCULES n'a d’ailleurs rien qui doive surprendre ; car on sait avec quelle facilité les matières colorantes vertes et rouges, qui existent dans les végétaux et dans beaucoup d'animaux inférieurs, peuvent se transformer les unes dans les autres ; on sait d’ailleurs com- bien la masse relative des matières en suspension dans l’eau peut changer sa coloration. En effet, Scoresby a eu occasion d'observer d’autres localités où la couleur de la mer, au lieu d’être vert jaunâtre, était brune, bien que par l’effet de la même cause. Nous remarquons, sans pouvoir expliquer ce fait, que cette observation se rattache à une latitude plus méridionale que les observations qui précèdent; elle a été faite par une latitude de 69e 28’ et une longitude occidentale de 13° 40" (4). Sa date est du 1° septembre 1822 (2). « Durant la navigation de cette journée, nous passämes à travers plusieurs veines où pièces d’une eau remarquablement colorée en brun, ou parfois d’un vert jaunâtre, présentant un contraste frappant avec la mer bleue qui l'entourait. Ces taches couraient dans des directions variées, formant généralement de longues raies ou de longues veines, et s'étendant aussi loin que l'œil pouvait dis- tinguer la couleur qui leur était propre. Leur largeur était petite , dépassant rarement quarante où cinquante verges, et quelquefois beaucoup moins considérable, La séparation entre les deux quali- tés de l’eau, l’eau bleue et l’eau brune , était ‘généralement bien indiquée. L’apparence des taches brunes était semblable à celle de l’eau bourbeuse provenant d’un large fleuve, à l'endroit de son embouchure dans la mer. J'ai observé de l'eau assez semblable dans la mer du Groënland, en juillet 1824. » L'eau de mer colorée en brun fut soumise à l'examen sous le microscope. La substance colorante s'était précipitée, et consistait en filaments et en faisceaux de particules. C'étaient évidemment des restes d'animaux ; mais leur forme exacte et leur grandeur ne (1) A peu près 46° 20’ du méridien de Paris, (2) Scoresby a également revu un fait de ce genre le 5 septembre de la même année à 6 lieues de Myngeness, la plus occidentale des îles Féroë , par 63° 4! de latitude et 13° 40’ de longitude occidentale (16° 20’ de longitude occidentale du méridien de Paris). QUI DONNENT A LA MER UNE COULEUR ROUGE. 219 pouvaient pas être déterminées, à cause de leur combinaison étroite et intime. Toutefois leur apparence générale m'empêche de douter ; elles étaient d’une espèce semblable à celle qui pro- duit la couleur vert jaunâtre de la mer, observée cette fois et dans une occasion précédente (1). » Cette observation, qui se rattache à un point peu éloigné de la côte septentrionale de l'Islande, acquiert pour nous de l'intérêt, en ce qu’elle nous explique, selon toute apparence, des colorations observées anciennement sur les côtes de cette île, et qui ont été rapportées par Olafsen et Povelsen dans le récit de leur voyage en Islande pendant le siècle dernier, bien qu'ils ne les aient point observées par eux-mêmes. Si, comme je le pense, ces observations se rapportent aux mêmes phénomènes, elles nous donnent un motif de plus en faveur de l'opinion qui rattache ees animaux aux Noctiluques ; ear le fait de la phosphorescence est indiqué dans les observations mentionnées par Olafsen et Povelsen. «Ce phénomène (celui du sang dans la mer) est assez connu dans les autres pays, mais plus rare en Islande. On s’en aper- cut, en 1712, sur la côte de Reykestrand, depuis le rivage jusqu'à une distance considérable dans la mer; les avirons des pêcheurs en furent teints en rouge , ainsi que l’Algue et les rochers du rivage à la basse marée, dont l'historien dit, pour nous servir de ses propres expressions , qu'ils furent teints de blod lifar, c’est-à-dire de sang coagulé, ce qui prouve que lui, ainsi que le peuple, ont pris cela pour du sang. Il y a nombre d'années, en 1649, qu'on remarqua aussi dans la partie occiden- tale, à deux lieues en mer, et la même année dans les golfes de Seidisfiord, Alptelord et les Vestfords, le même phénomène. La nuit précédente, la mer avait paru comme tout en feu , et le jour suivant elle parut rouge comme du sang. Il y avait donc quelque chose de phosphorique ; nous ne pouvons pas déterminer si cela pourrait provenir de quelque insecte de la mér, ou plante mari- time, comme par exemple la Jungermanne. Un de nous a remarqué quelque chose de pareil dans la partie du sud. » A) Scoresby, Journal of the voyage, ete., p. 351 220 C. DARESTE. — SUR LES ANIMALCULES Et ailleurs « En 1638, on ignore dans quelle saison, les pêcheurs de la côte orientale aperçurent du sang coagulé dans la mer, qu'elle poussait par bandes oblongues sur le rivage ; nous faisons mention de cette relation pour la comparer avec ce que nous avons rapporté (4). » C'est probablement aussi la même cause qui produit les colora- tions observées, dans le détroit de Davis et à l'entrée de la baie de Balfin, par le capitaine Parry, pendant son second voyage à la recherche du passage du Nord : «Le 18 juin 1819, dès le matin, en nous dirigeant vers le nord, nous renconträmes le premier bane de glace que nous ayons encore vu, et peu après nous vimes plusieurs montagnes de glace. Au lever du soleil, l'eau avait changé sa couleur ordinaire pour une teinte d'un brun sale. Nous avions eu occasion de remarquer le même fait en entrant dans le détroit de Davis en 1818... Peu après midi, étant par 59° 40’ de latitude et 47° 46’ de longitude occidentale (2), et l’eau étant de la même couleur que le matin, nous essayâmes de sonder, mais nous ne pümes trouver le fond à 260 brasses.… Dans la soirée du 21, ayant tourné vers l’ouest, par 55° 01’ de longitude occidentale (3) et 61° 26’ de latitude, nous observâmes que la couleur de l’eau avait changé, et avait passé de la teinte brune dont il vient d’être question à une teinte d’un vert bleutre pile (4). » Il retrouve également ces eaux colorées au moment où il fran- (1) Voyages en Islande faits par ordre de Sa Majesté danoise, trad. par Gautier de Lapeyronie, t. IV. (2) 50° 26’ de longitude occidentale du méridien de Paris. (3) 57° 41' de longitude occidentale du méridien de Paris. (#) Parry, Voyage for the discovery of the Northwest passage, p. 6 et A1. Le capitaine Parry, se fondant sur une diminution de pesanteur spécifique observée dans l'eau colorée, pensait que Ja coloration brune était produite par le mélange de l’eau de mer et de l'eau douce provenant de la fonte de la neige ou de la glace. Mais indépendamment des difficultés que présente cette explication, nous devons faire remarquer que la diminution de pesanteur spécifique ne s’est point retrouvée dans toutes les observations de phénomènes de ce genre dont il est question dans ce voyage. QUI DONNENT A LA MER UNE COULEUR ROUGE. 291 chit le cercle polaire arctique , par une longitude occidentale de 57° 27 (1). ; Le capitaine Parry ajoute à ces observations quelques détails que je ne dois point passer sous silence. Dans toutes les localités où la mer était colorée, la profondeur était très considérable. On retirait du fond de la mer une espèce de limon coloré en vert; de plus, dans d’autres localités, la mer était elle-même colorée en vert. Le capitaine Parry mentionne aussi, dans ces parages, l'existence d’un très grand nombre d'animalcules qu'il désigne sous le nom de Béroës, et qu'il dit se nourrir aux dépens de ce limon vert. Ces observations, quoique incomplètes, ne doivent point être oubliées, et devront être placées à côté de celles du capitaine Ross, aux terres antarctiques. $ VIII. Colorations produites par les Bacillaires. Ces colorations ont été observées par le capitaine James Clark Ross pendant son célèbre voyage aux terres anfarctiques, sur les côtes de ces terres nouvelles qui avaient été découvertes, un an auparavant, par notre illustre et infortuné compatriote Dumont- Durville. Les observations du capitaine Ross ont été faites à plusieurs re- prises et dans diverses circonstances : les unes sur l’eau elle-même, d’autres sur la glace ou la neige ; mais les unes et les autres pa- raissent produites par la même cause. L'eau colorée a été observée par le capitaine Ross, le 31 dé- cembre 4842, par 64 degrés de latitude méridionale, et 55° 28/ de longitude occidentale (2), à 30 milles de la pointe sud-est du golfe des monts Erebus et Terror (3). Cette coloration était d’un brun sale; la profondeur de la mer élait grande. Il y avait dans cette localité un nombre considérable de Cétacés (4). (1) 600 7’ de longitude occidentale du méridien de Paris. (2) 57° 48’ du méridien de Paris. (3) Le mont Erebus est un volcan en activité, que le capitaine Ross a décou- vert dans les terres glacées du pôle australe ; le mont Terror est un volcan éteint, (4) Ross, Antarctic voyages, t. IL, p. 335. 222 C. DARESTE. -— SUR LES ANIMALCULES Le capitaine Ross fit recueillir du limon à une profondeur de 207 brasses et de 270 brasses , et à son retour en Europe, il l’en- voya à M. Ehrenberg, qui en fit l'analyse, Ce limon était de couleur verte. Il contenait cmquante-trois espèces d'animaux microscopi- ques, dont plusieurs entièrement nouvelles (1); mais les espèces dominantes étaient des Bacillariées appartenant aux genres Cosci- nodiseus, Fragilara et Hemiaulus (ce dernier étant un genre nouveau). Un grand nombre de ces animaux étaient encore vi- vants; M. Ehrenberg a reconnu dans leur intérieur des espèces de grains verts qu'il considère comme des ovaires, détermination qui n’a pas élé, jusqu'à présent, généralement adoptée. Les per- sonnes qui se sont occupées de l'étude des Infusoires savent par- faitement d’ailleurs que, chez ces animaux, les couleurs vertes et rouges passen{ facilement de l’une à l’autre. La glace colorée a été trouvée par des latitudes plus méridionales encore : « Le 15 février 18414, par 76° 03 de latitude, et 166° 12 de lon- oitude orientale (2), nous apercümes plusieurs bancs de glace, et nous nous dirigeàmes vers le sud pour les éviter ; et comme nous longions la terre ferme, nous renconträmes une grande quantité de glace de couleur jaune brunätre. Nous en recueillimes une petite quantité, et nous la plaçämes sous un microscope puissant ; mais nous ne pümes déterminer la véritable nature de la matière colo- rante. Beaucoup d’entre nous crurent qu’elle provenait des fines cendres du mont Erebus, qui n’était pas à plus de 8 milles au sud. A onze heures après midi le temps était très calme; nous trou- vämes, en sondant, 38 brasses, et nous recueillimes un limon d'une couleur verdâtre et de l'argile. » Des observations semblables de glace colorée ont été faites éga- lement dans la même expédition, le 17 février 1844, par 76° 35’ de latitude méridionale, et 165° 21 de longitude occidentale (3) ; et le 18 décembre de la même année par 62° 50’ de latitude méridionale (1) Voir la notice de M. Ebrenberg dans les Comptes rendus mensuels de l'Aca- démie de Berlin, 1844, t. IX, p. 182. (2) 163° 32’ du méridien de Paris. (/bid , t. I, p. 243.) (3) 467° 41! du méridien de Paris. QUI DONNENT À LA MER UNE COULEUR ROUGE. 293 et 147° 25’ de longitude occidentale (4). Le capitaine Ross ajoute que cette matière colorante à été retrouvée dans les estomacs des Béroés et des Salpa, très abondants dans ces localités. L'eau provenant de la fonte de cette glace ayant été filtrée, et les résidus restés sur le filtre ayant été communiqués à M. Ehrenberg, ce savant y a reconnu un très grand nombre d’animalcules micros- copiques. La coloration, comme dans lobservalion précédente, paraissait tenir surtout à l'abondance des Coscinodiscus et des Fra- gilaria , et, parmi ces dernières, de la Fragilaria pinnulata (2). (4) 4509 05 du méridien de Paris. (2) Nous manquons ici, comme cela nous arrive bien souvent, de détails suffisants sur ces colorations du pôle austral. Toutefois il y a dans ces observations plusieurs circonstances d'après lesquelles on pourrait soupconner que ces colora- tions sont les mêmes que celles qui ont été signalées vers le pôle arctique par Scoresby et par Parry. En effet, il est très possible que la coloration des animal- cules décrits par Scoresby ne leur appartienne pas en propre, et qu'elle tienne à de petits Infusoires colorés servant à leur nourriture. Les observations de Scoresbv ne nous apprennent rien sur la nature du fond de la mer dans les endroits où il a observé ces pelits animaux ; mais Parry a constaté, dans ses observations, l'exis- tence d’un limon de couleur verte, qui est formé très probablement par des Infusoires. À ce point de vue, les observations du capitaine Parry et celles du capitaine Ross présentent une très grande analogie. Elle se confirme encore par le fait, indiqué par ces deux marins, de la présence de ce limon coloré dans le corps d'animaux qu'ils appellent des Béroés , et qu'ils donnent comme ayant une très petite taille. D'autre part, si l'on se souvient que Scoresby comparait les animalcules qu'il décrit au Beroë globulus de Lamarck , et que ce n'est que dans ces derniers temps que l'organisation et la place des Noctiluques dans le règne animal ont été nettement appréciées par les zoologistes, on peut soupçonner que ces animaux se retrouvent au pôle austral comme au pôle boréal, et que ce sont eux qui produisent le changement de couleur de l'eau. Nous devons faire remarquer également que les objets examinés par M. Ehrenberg n'ont point été pris dans la mer elle-même, mais dans le limon qui en occupait le fond, ou qu'ils provenaient de la fusion des glaces ; que, dans le premier cas, on ne pouvait trouver les Béroés, et que, dans le second, ils avaient dû périr par le fait de la congélation. Il eût été ici très intéressant d'étudier l'eau elle-même, pour y rechercher directe- ment la cause de la coloration. C'est une question que je soumets aux rares voya- geurs qui auront l'occasion d'explorer les régions australes. , 29, C. DARESTE. — SUR LES ANIMALCULES $ IX. Colorations dues aux Protococcus. Cette coloration a été observée par M. de Freycinet et M. Turrel sur les côtes du Portugal. M. Montagne, auquel M. Turrel avait remis une bouteille de cette eau colorée, s’est assuré qu'elle était produite par une très petite Algue microscopique, qu'il rapporte au genre Protococcus, auquel appartient la neige rouge, et qu'il désigne sous le nom de Protococcus atlanticus. « Le 3 juin 1845, vers deux heures de l'après-midi, la corvelte la Créole se trouvait près des côtes du Portugal par le travers du cap Spichel, à environ 41 kilomètres de l'embouchure du Tage, et faisait route vers le cap Rocca. On signala à l'avant du bâtiment une coloration insolite des eaux de la mer ; elles étaient, en effet, d’un rouge foncé, qui variait d'intensité et de nuance entre le rouge- brique et le rouge de sang. Aussi loin que la vue pouvait s'étendre, la mer conservait cette teinte; cependant celle-ci n’était point uni- forme partout : elle subissait çà et là des dégradations de tons. Les endroits où l’eau était plus foncée formaient de nouveaux bancs au milieu de la coloration générale. Leur étendue dans la direction N. et S. pouvait être évaluée à 150 mètres, et leur plus grande dimension , qui allait de l'O.-N.-0, à l'E.-S.-E., n’a pas pu être appréciée avec une entière certitude par M. de Freycinet. Cet offi- cier estime pourtant que le phénomène se passait sur un espace carré d'environ 8 kilomètres ou six milles. M. Turrel annonce avoir constaté la présence de six zones colorées de 400 à 500 mêtres chaque, et affirme, en outre, que ces bandes se prolongeaient dans le sens des courants produits par les eaux du fleuve , c’est-à-dire du N.-0. au S.-0., dans une étendue d'environ 5 kilomètres. Quoi qu'il en soit de l’évaluation des limites dans lesquelles se passait le phénomène, évaluation qui, comme on se l'imagine bien , ne pouvait être qu'approximative, à trois heures et demie, la corvette était hors de toute coloration intense, et il fallait une grande atten- lion pour remarquer la légère teinte rose qu’elle présentait encore en ce moment (1). » (1) Montagne, Note sur un nouveau fail de coloration des eaux de la mer par une Alque microscopique ( Ann. des sc. nat. botanique, 3° série, t. VI, p. 263 ). — Voy. aussi Comptes rendus, séance du 16 novembre 1846, QUI DONNENT À LA MER UNE COULEUR ROUGE. 295 S X. Colorations produites par les Biphores. Ce fait a été signalé par MM. Quoy et Gaymard, qui l'ont observé pendant le voyage de l’Uranie (1 « À environ cent lieues du cap de Bonne-Espérance, par 36 degrés de latitude méridionale, nous vimes sur la mer delongues zones de couleur brun rougeàtre, dont nous ne pouvions quelque- fois pas mesurer la longueur. Quelques personnes supposèrent d’abord que ce pouvait être du frai de poisson ; mais ayant traversé plusieurs de ces bandes, le filet destiné à recueillir les animaux pélagiens nous donna la facilité de reconnaitre qu'elles étaient composées de myriades de petites Biphores de 2 à 3 lignes de lon- gueur, vivant et voyageant en compagnie. I] fallait qu'elles fussent bien nombreuses pour réfléchir une couleur aussimarquée ; car leur nucléus n'était pas plus gros qu'un grain de millet. Ce qui nous surprit le plus, ce fut de voir que, malgré l'agitation des ondes , elles conservaient les rapports qu’elles avaient entre elles, au point que les lignes qu’elles formaient étaientparfaitement tranchées. Une autre fois, le même phénomène se reproduisit à l'opposé du méri- dien de Paris , en allant des iles Mariannes aux Sandwich. » Il est à regretter que ces deux naturalistes n'aient point indiqué l'espèce de Biphore qui produisait cette coloration. Il est évidem- ment impossible de le deviner d’après le récit succinet que je viens de rapporter. $ XI. Colorations produites par des animaux indéterminés, mais qui sont probablement des larves d'animaux inférieurs ou des Infusoires. L'observation la plus complète que je connaisse en ce genre a été faite par M. Quoy pendant le premier voyage de lAstrolabe : « Le 17 décembre 1898 , de trois heures à cinq heures du soir, étant sur les sondes du banc des Aiguilles, en vue de terre, vis-à- vis du banc d’Algoa, nous vimes par inlervalles, dans d'assez grands espaces et par zones, la mer devenir rouge brun. En y plongeant un filet d’étamine, nous reconnümes que cette couleur (1) Quoy et Gaymard, Observations sur les Biphores et les Béroés ( Ann. des sc. nat., Are série, 1825, t. VI, p. 34.) #° série. Zoor, T. TI, ( Cahier n° 4. ) 5 15 226 ©. DARESTE. — SUR LES ANIMALCULES était due à une énorme quantité de petits animaux, longs d’une ligne ou deux, tout blanes, si ce n’est vers la tête, où ils avaient un point rougeàtre..…. » Le corps de cet animal est anguilliforme, aplati, pointu à son extrémité, laquelle est garnie d’une nageoire qui nous a paru échan- crée. Son axe est parcouru par un canal, dans lequel ou plutôt sur les côtés duquel on voyait des granulations blanches appartenant probablement à la génération. La partie qui appartient à la tête est surmontée d’un capuchon membraneux très délié, frangé, dont la petitesse ne nous a pas permis d’examiner les organes qu’il pouvait contenir... C’est là qu'est placé le point rouge en partie entouré de jaune. » Ces êtres étant dans un mouvement perpétuel de vibration qu'ils impriment à leur corps, l'étude en devient un peu embarras- sante ; ils semblaient vouloir se débarrasser de leur enveloppe cé- phalique. Ils altèrent promptement l’eau qui les contient, et dans une demi-heure ils sont morts. Alors leur corps se recourbe dans divers sens , la tête en bas; il devient opaque , d’un blanc mat, et l’on ne peut plus rien distinguer de leur organisation (1). » M. Quoy dit qu'il a plusieurs fois rencontré ces animaux ; mais il n'indique point les localités. Il en avait d’abord fait un genre sous le nom de Fretillaria ; mais plus tard, de retour en France, il erut retrouver en eux les caractères de l'animal si singulier, et encore énigmatique, que Chamisso a indiqué sous le nom d’Appendicula- ria, et que Mertens a décrit sous le nom d'Oikopleura Chamisso- nis (2). Toutefois il ajoute, mais avec doute, que ees animaux pourraient bien être des larves. Pour nous , autant que nous pou- vons le décider par une description aussi incomplète, cette dernière opinion de M. Quoy nous paraît très probable. Les nombreux tra- (1) Quoy, Zoologie du premier voyage de l'Astrolabe, L. IV, p. 304, pl. 26, fig. 4-7. (2) Le Mémoire de Chamisso sur l'Appendicularia se trouve dans le dixième volume des Mémoires de l'Académie Léopoldo-Caroline. Chamisso voit dans cet animal une Méduse voisine du Ceste. Quant au travail de Mertens, il a été publié, en 1830, dans les Mémoires de l'Académie de Saint-Pétersbourg, sous ce titre : Beschreibung der Oïkopleura, einer neuen Molluskengattung. QUI DONNENT À LA MER UNE COULEUR ROUGE. 297 vaux qui ont paru dans ces dernières années sur l’embryogénie des Mollusques ne peuvent guère nous laisser de doute à cet égard ; car on peut reconnaitre très facilement, dans la deseription de M. Quoy, le voile céphalique des embryons des Gastéropodes branchifères (Opisthobranches et Prosobranches dans la classification de M. Milne Edwards), ou des Ptéropodes à coquille. Malheureusement nous ne pouvons aller plus loin, et déterminer d’une manière plus précise le genre auquel doivent appartenir ces larves si remarquables. Quant à l'identité de ces larves avec l'Otkopleura de Mertens , elle nous parait beaucoup moins démontrée. Bien que la description de Mertens soit fort incomplète, elle nous montre cependant un animal assez différent de celui de M. Quoy, qui présente bien, il est vrai, quelque chose d’analogue au voile céphalique bilobé des larves de Gastéropodes , mais qui a une taille beaucoup plus grande (plus de 3 centimètres), et qui est remarquable par la singulière propriété qu'il possède de sécréter du mueus en assez grande abon- dance pour s’y enfermer complétement. D'autre part, cet animal n’a encore été trouvé que dans une localité bien différente de celle où il a été signalé par M. Quoy, le détroit de Behring et le nord de l'océan Pacifique. Quant à son organisation , les observations de Mertens, faites à l’aide d’une loupe simple, sont beaucoup trop incomplètes pour que l’on puisse en tirer quelque conséquence certaine. C’est très probablement un fait analogue à celui de M. Quoy, qui a été observé, le 9 avril 1840, dans la partie occidentale du banc des Aiguilles, par le capitaine James Clarke Ross; mais cetle observation est très incomplète : « Hier et aujourd'hui, nous passämes à travers plusieurs longues lignes d’animalcules de couleur brune ; elles avaient à peu près 5 ou 6 pieds de large et plusieurs milles de longueur, restant dans la direction du vent. En les examinant, on reconnut qu'elles consistaient en une espèce de Mollusques sociaux, les animaux n'ayant pas entre eux de connexion organique ; mais il y avait {ou- jours deux points de contact fixes, et ils se mouvaient simultané- ment en lignes ondulées (4). » (1) James Clarke Ross, Antarctic voyages, t. I. 2928 C. DARESTE. -— SUR LES ANIMALCULES On a souvent mentionné sur les côtes du Chili des phénomènes analogues, mais qui paraissent être produits par des larves assez différentes des premières, ou peut-être par des Infusoires. La première observation est due aux deux capitaines espagnols don Jorge Juan et don Antonio d'Ulloa, qui avaient accompagné au Pérou, dans le siècle dernier, la commission française chargée de la mesure du méridien, et constituée par Bouguer , la Condamine , Joseph Jussieu et Godin ; elle est de mai 1735 (1). « Étant embarqués sur la frégate française la Délivrance, et la frégate se trouvant par 36° 54 de latitude et 2° 24 à l'ouest de le Sainte-Marie , une demi-heure après avoir observé, nous nous trouvàmes inopinément sur une lisière d’eau jaune; ce qui nous donna à tous un grand effroi, et nous obligea à quitter la table où nous prenions le repas, et à monter sur le pont, d'autant plus trou- blés qu'il n’était plus temps de changer la manœuvre. La frégate était au centre de cette coloration , qui paraissait être celle d’un écueil ; coloration qui s’étendait sur une longueur de près de deux lieues du nord au sud, et sur une largeur d’environ 600 à 800 (oises de l’est à l’ouest. La couleur de l’eau y était telle- ment jaune, qu'après l'avoir traversée et nous en être éloignés, elle se distinguait encore sensiblement à une grande distance. On n'avait pu sonder, parce que la sonde n’était pas prête ; et dans la crainte où nous étions que ce ne fût un banc, comme tout le faisait croire, et qu'en certains points il n’y eût trop peu d’eau, nous ne songeñmes point à mettre la frégate en travers pour apprèter la sonde. Il y avait des places où l’eau était plus jaune, comme ayant moins de fond , et d’autres où l’eau jaune était remplacée par l’eau du golfe ou par de l’eau verdàtre. Aucune carte n'indique le fait, et aucun des pilotes de cette mer n’en a eu connaissance, ce qui est fort étrange par suite de voyages si souvent répétés. C'est pour- quoi ce fait pourra servir d’averlissement aux navigateurs, de se tenir en garde lorsqu'ils iront par là. » Cette observation , fort curieuse à beaucoup d’égards , et parti- culièrement en ee qu'elle à induit en erreur deux habiles marips , (1) Relacion historica del viage a la America meridional por D. Jorge Juan et D. Antonio de Ulloa, t. IV. QUI DONNENT À LA MER UNE COULEUR ROUGE. 229 qui étaient aussi deux savants distingués, est expliquée par les observations de Pæppig et de M. Darwin. Voici l'observation de Pœppig : « Le 12 mars, vers l'heure de midi, nous ne fümes pas peu sur- pris par un cri d'alarme sur le pont, et par le commandement im- médiat de mettre en panne. La couleur rouge sale de la mer avait fait très justement soupconner que nous nous trouvions sur un bas- fond. Toutefois la sondene trouva pas encore le fond par 130 brasses. Du haut du mât de perroquet la mer paraissait entièrement à l’ho- rizon de couleur rouge obscure, et particulièrement dans un courant dont la largeur était estimée à 6 milles anglais, et qui se partageait, à droite ef à gauche , en de courtes branches latérales. En conti- nuant notre navigation, nous trouvames que la couleur se changeait en un pourpre brillant , tellement que l'écume qui se produisait à l'avant du vaisseau élait d’une couleur rouge rosé. L'aspect en était d'autant plus surprenant, que cette bande pourpre se distin- guait nettement du bleu de la mer; circonstance que nous recon- nümes d'autant plus facilement que notre voyage nous faisait traver- ser perpendiculairement cette bande, qui s’étendait dans la direction du nord-ouest. L'eau puisée dans un seau paraissait complétement transparente ; mais on apercevait un faible éclat purpurin, lors- que quelques gouttes, déposées sur un têt de porcelaine , étaient agitées légèrement de côté et d'autre , sur le passage de la lumière solaire. Un grossissement moyen prouva que ces petits pointsrouges, que l’on pouvait même, avec une grande attention, reconnaitre à l’œilnu, consistaient en Infusoires de forme sphérique qui ne possé- daient aucun organe extérieur de locomotion. Leurs mouvements très vifs se produisaient seulement en haut et en bas, et toujours en ligne spirale (4). Le manque d’un microscope puissant m'arrêta dans celte recherche délicate; et toutes les tentatives faites pour conserver ces animaux sur le papier, à l'aide de la filtration d’une goulle d’eau, échouèrent, parce que dans ces conditions la goutte d'eau paraissait s'évanouir. Is étaient surtout sensibles à l'acide nilrique; car une seule goutte de cet acide, versée dans un vase (1) Ces mouvements tenaient probablement à l'existence de cils vibratiles que Pæppig n'aura pu voir avec son microscope, 230 €. DARESTE, — SUR LES ANIMALCULES contenant de celte eau animée, terminait presque au même moment l'existence de millions de ces petits êtres. Nous naviguâmes envi- ron quatre heures, avec une vitesse moyenne de 6 milles anglais, à travers cette bande dont la largeur était environ de 7 milles, avant d'atteindre son extrémité. Sa surface était, par conséquent , d’en- viron 168 milles carrés, mesure anglaise. Maintenant, si l’on pense que ces atomes organisés pouvaient être répartis dns toute la couche supérieure de l’eau dont le diamétre était de 6 pieds, on pourra reconnaitre que leur nombre dépassait tous ceux que la raison humaine pourrait concevoir... Ce phénomène de la colora- lion de l’eau de la mer a été déjà , et à plusieurs reprises , observé dans d’autres régions ; mais il est assez rare sur les côtes du Chili. Dans la partie septentrionale de l'océan Pacifique, près de l’équa- teur, particulièrement dans le golfe de Panama, et même à peu de distance de la Californie, il se présente très fréquemment. Parmi les marins très nombreux qui font le commerce sur les côtes du Chili etdu Pérou, et que j'ai questionnés pendant plus de deux ans au sujet de ce phénomène, il ne s’en est trouvé qu'un seul qui l'ait observé dans des conditions semblables, et presque à la même époque de l’année, sur la côte de Valdivia (1). » L'observation de Pæppig a été faite, le 12 mars 1897, vers le 36° degré de latitude, environ à 2 degrés au-dessus du cap Pilares. C’est très probablement le même phénomène qui a été observé par M. Darwin sur les côtes du Chili (2) : « Le Beagle, quelques lieues au-dessus de la Conception, traversa des banes considérables d’une eau bourbeuse , exactement comme celle d’une rivière après une crue ; et plus tard , un degré au sud de Valparaiso, à 50 milles de la terre, la même apparence fut encore plus étendue. Un peu d’eau placée dans un verre présentait une teinte rougeâtre pâle; et examinée sous le microscope, elle semblait remplie de petits animalcules qui se contractaient pour s'élancer ensuite. Leur corps est ovale, et rétréci au milieu par un anneau de eils vibratiles courbés. Il était cependant très difficile de les examiner avec soin; car aussitôt que le mouvement présent ( ( 1) Pæ , Reise nach Chile, Peru, ete., t. I. 2) Se Journal, ete., 2° édition, 1845, p. 15 QUI DONNENT À LA MER UNE COULEUR ROUGE. 231 cessait, leur enveloppe crevait. Tantôt les deux extrémités crevaient à la fois ; tantôt il n’y en avait qu'une seule, et une certaine quan- tité de matière granuleuse, épaisse et brunâtre, était rejetée. L’ani- mal, un instant avant de crever, augmentait de moitié sa longueur naturelle, etl’explosion survenait environ cinquante secondes après que le mouvement de progression avait cessé ; dans quelques cas, elle était précédée, pendant un court intervalle, par un mouvement de rotation sur le grand axe. Deux minutes après qu'un certain nombre de ces animaux se trouvaient isolées dans une goutte d’eau, ils périssaient. Ces animaux se meuvent, ayantleur extrémité étroite en avant, à l’aide de cils vibratiles, et généralement par sauts brusques. Ils sont extrèmement petits, et entièrement invisibles à l'œil nu, couvrant seulement un espace égal au centième d'un pouce. Leur nombre était infini , etla plus petite goutte d’eau que j'enlevais en contenait un très grand nombre. En un seul jour nous traver- sämes deux espaces d’eau ainsi colorée, dont l’un seulement pouvait s’élendre sur plusieurs milles carrés. Quel nombre incaleulable de ces animaux microscopiques ! La couleur de l’eau, telle qu’on Ja voyait à quelque distance, était comme celle d’une rivière qui a coulé à travers un district d'argile rouge ; mais à l’ombre du vaisseau, elle était aussi obscure que du chocolat. La ligne qui séparait l’eau rouge de l’eau bleue était nettement tracée. L’atmosphère, quelques jours auparavant, avait été calme, et l'Océan abondait, à un degré inusité, en créatures vivantes. » Il nous est assez difficile d'établir ici, comme nous l'avons fait pour les observations précédentes, la véritable nature de ces pelits animaux. M. Darwin, dans la première édition de son voyage, y voyait des Infusoires du genre Trichoda de Müller, genre dont Bory de Saint-Vincent a retiré un certain nombre d'espèces pour en faire le genre Oxytricha. H y a effectivement une espèce d’Oxytrique qui est colorée en rouge. Elle a été observée par M. Ehrenberg dans la mer Baltique, et par M. Dujardin dans l’eau du canal des Étangs à Cette; mais ces naturalistes ne l'ont point trouvée en quantités assez considérables pour changer la couleur de l’eau. Ne pourrait-on pas penser cependant que ces phénomènes seraient produits par des larves d’Annélides, ou de Ptéropodes nus, ou peut- 232 €. DARESTE. — SUR LES ANIMALCULES être aussi par certaines larves d’Astéries ou d’Holothuries qui se meuvent librement dans la haute mer, à l’aide de leurs cercles de cils vibratiles (4)? C'est probablement à des Infusoires qu'est due la coloration observée par Lesson, du 26 février au 4 mars 1823, dans la rade du Callao, par 12e 3/9" de la latitude méridionale, et 790 33! 45" de longitude occidentale, pendant le voyage de la Coquille. « Un phénomène qui paraît se reproduire assez fréquemment sur les côtes du Pérou est celui de la coloration de la mer en rouge vif, et par surfaces réduites à des limites plus où moins restreintes. Nous en fümes dupes une fois en mettant en panne, eten sondant sur ce que nous primes pour un haut-fond, et qui était tout simplement le résultat d’une prodigieuse quantité d’animaleules qui teignaient la mer en rouge foncé. Pour nous assurer de leur nature, nous primes de l’eau dans l'endroit où la mer affectait une teinte rouge de sang, et celte eau, renfermée dans un verre, conserva sa couleur blanche naturelle. En examinant avee une forte loupe quelques gouttes de cette eau, nous y reconnümes des millions de petits points rouges qui, imitant des Crevettes d’une lénuité extrême, s’y mouvaient avec une grande vilesse. Cette eau filtrée laissa déposer sur le papier joseph environ 2 centigrammes d’une matière rouge , muqueuse , qui forma , en se desséchant sur le filtre , une pellicule qui passa à la couleur verte. Étaient-ce des œufs? Le mouvement de très vive locomotion ne permet pas de le supposer. Étaient-ce des Zoo- phytes ténus, ou plutôt des Crustacés microscopiques ? C’est ce que nous sommes portés à supposer (2). » Si incomplète que soit cette observation, le passage de la couleur rouge à la couleur verte, observé chez ces petits êtres, fait penser qu'ils appartenaient à la classe des Infusoires , où des phénomènes (1) Voyez, pour la description de ces larves, le Mémoire de M. Edwards sur le développement des Annélides (Ann. des sc. nat., 3° série, Zoologie, t. IL), et les Mémoires de Müller sur le développement des Échinodermes dans le recueil des Mémoires de l'Académie de Berlin, mémoires dont j'ai traduit de nombreux extraits dans les Annales des sciences naturelles (3° et 4° série, Zoologie). (2) Lesson, Voyage de la Coquille, LT, p. 255, QUI DONNENT À LA MER UNE COULEUR ROUGE. 233 de ce genre ont été fréquemment observés. Il ne nous est pas pos- sible d’aller plus loin. Je présume que c’est également à quelque espèce d’[nfusoires que se rattache l'observation suivante de Scoresby, cet infatigable explo- rateur des régions arctiques; mais elle est aussi trop imparfaite pour que l’on puisse en donner une explication satisfaisante. Elle est du 40 juillet 1823, et a été faite par 74° 15’ de latitude, et 17° 20’ de longitude occidentale (1). « Durant le trajet de ce jour, nous fümes principalement dans des bancs d’un vert sombre Nous passämes plusieurs plaques ou taches d'eau d’un brun rougeàtre, semblables à celles que j'ai observées sur la côte d'Islande l’année dernière (2). Je mis une goutte de cette eau sous le microscope. En l’examinant j'y trouvai des animalcules, principalement d’une espèce, vivants et doués de mouvements actifs ; ils ressemblaient, par leur forme paraboloïdale, à un dé à coudre. La longueur de l'animal était d'environ = (3), ce dont je m'assurai au moyen d’un micromètre de verre placé sous un fort microscope, et son diamètre de ,4,, de pouce (4). Je cal- culai, au moyen du micromètre, que la quantité d’animaux contenus dans une seule goutte d’eau était de 12,960, et mon calcul est plutôt au-dessous de la vérité ; cependant, quelque nombreux qu'ils soient, ils ne sont point serrés. Quand on examine une goutte de cette eau au soleil, chaque animaleule forme une tache brillante ; quelques- uns sont lumineux et irisés comme la Mouche à feu. Ils étaient trou- blés ou gênés par la forte action des rayons du soleil que le miroir réfléchissait (5). » (1) A peu près 20 degrés de longitude occidentale du méridien de Paris. (2) Voir plus haut. (3) Omilim. 04475. (4) Owilim.,00779. (5) Scoresby, Extrait du journal manuscrit d'un voyage au Groënland , dans la note déjà citée, intitulée : Remarques sur une espèce particulière de neige rouge, ete, (Ann. des sc. nat., A'* série, 1829, t. XVII). 23h €. DARESTE. — SUR LES ANIMALCULES $ XIT. Colorations dont la nature nous est inconnue, mais qui paraissent être produites par des matières charriées par les fleuves. De semblables faits ont été signalés à plusieurs reprises; mais leur nature n’est pas encore connue, etmême leur existence n’est pas toujours prouvée. C’est, dit-on, une cause de cette nature qui produit la coloration de la mer Jaune, Hoang-Haï. Dans tous les traités de géographie, on attribue cette coloration au limon charrié par le fleuve Jaune (Hoang-Ho des Chinois ou Karamoran des Mongols) (1). Nous n'avons point d'observations positives sur la coloration de la mer Jaune et sur la cause de cette coloration. Dans mon premier Mémoire, j'ai émis l'opinion que cette coloration pourrait être pro- duite par les Algues du genre Trichodesmium , en me fondant sur l'observation d'une pluie de sable tombée à Shanghaï, et dans lequel on aurait trouvé des débris végétaux. La question est aujourd’hui (1) On lit dans la relation, si intéressante à tant d'égards, que le père Huc a donnée de son voyage en Tartarie (t. 1, p. 54), qu'il ne faut pas confondre le Karamoran, ou fleuve Jaune de la Mongolie, avec le Hoang-Ho, ou fleuve Jaune des Chinois. Je me suis assuré que le terme de Karamoran, qui est déja em- ployé par Marco-Polo, s'applique réellement au Hoang-Ho. On pourra s'en convaincre en lisant les deux passages suivants de Marco- Polo; je les ai pris dans la traduction française de l'ouvrage de ce voyageur ; publiée dans le premier volume du Recueil de la Société de géographie : Chapitre CX. — Ci devise dou grandisme flum de Carocoron: «…. Adonc treuve un flum qe est apelés Caramoran, qe est si grant qe ne » se puet passer par pont; car il est mout large et profunt, et ala jusque à là mer » Osiane, et sor cest flum a maintes cités et chastiaus la ou il ha maint merchanz, » et hi se fait grant merchandies. Entor cest flum par la contrée naïst gengibre et » soie en grant abundance. » Et ailleurs, chapitre CXXX VIT : « Et à chief de cette jornée, treuve l'on le grant flum de Caramoran, chi viens » de la terre dou Preste Joan, qe mout est grant et large ; car sachiés que l’en est » large un mil. Il est mout profunt si qe bien hi pooient aler grant naves. » Le fleuve que le père Huc appelle Chara-Mouren est un fleuve de Mongolie; indiqué sous le nom de Sira Mouren où Leao-Ho. Il est évident que les phrases déjà citées de Marco-Polo ne peuvent s'appliquer qu'au fleuve Jaune de la Chine, ou Hoang-Ho, QUI DONNENT À LA MER UNE COULEUR ROUGE. 235 pour moi aussi indécise qu'elle l'était il y a un an, car je ne connais pas encore d'observations directes sur le fait en question. Toutefois je dois ici rapporter une opinion émise par le docteur Macgowan dans un Mémoire publié en 1850 (1), que je ne connaissais pas à l’époque de la rédaction de mon premier travail. Dans ce travail, M. Macgowan donne la description d’une pluie de sable, formée par une poussière imperceptible de couleur jaune, qu'il a eu occasion d'observer en Chine : il ajoute que ce phénomène est très fréquent, et qu'il parait même être une des conditions de la fertilité dusol ; car ce sable servirait d'amendement pour diviser les terres trop fortes des plaines d'alluvion de la Chine (2). Ce sable proviendrait des steppes désertes du nord de la Chine, qui forment les déserts de Gobi ou de Shamo. M. Macgowan pense que ce sont ces pluies de sable qui donnent au fleuve Jaune, et, par suite, à la mer Jaune elle-même , la couleur qui leur est attribuée par les géographes. Je ne puis ici qu'indiquer cette opinion sans me pro- noncér pour elle ou contre elle. Elle parait d’ailleurs en rapport avec ce que nous savons du fleuve Jaune, qui ne prend la couleur qui lui est propre qu'après avoir traversé les steppes de la Mongolie. Les annales chinoises rapportent que le fleuve Jaune étant, à une certaine époque, devenu transparent, ce phénomène aurait été suivi d’une famine (3). Si, comme le rapporte M. Macgowan, la fertilité du sol est due en Chine aux pluies de sable, on s'explique facilement comment la famine et la transparence des eaux du fleuve se seraient produites à la même époque (4). (4) Dans un recueil publié en Chine sous le titre de Chinese reposilory, juil- let 4850. Je n'ai pu me procurer ce recueil, mais j'ai eu connaissance de la note de M. Macgowan par une traduction que M. Ehrenberg en a donnée dans un de ses Mémoires. Voy. les Comptes rendus de l'Académie de Berlin, janvier 1851. (2) M. Ebrenberg rapporte à ce sujet, d'après le géographe Abdellatif, que les Arabes auraient fait des observations analogues. (3) Voyez le passage de la géographie de l'Asie de M. Ritter (Erdkunde des Asiens, t. III, p. #93) que j'ai cité dans mon premier Mémoire. (4) M. Ehrenberg, qui a étudié au microscope le sable provenant d'une de ces pluies, etenvoyé par M. Macgowan, y a trouvé six espèces de Bacillariés (Poly- gastriques) : dix-neuf espèces de ces corps d'origine végétale qu'il désigne sous le nom de Phytolithaires , et un grand nombre de débris végétaux ; formés sur- 236 C. DARESTE. — SUR LES ANIMALCULES La coloration du golfe de Californie ou mer Vermeille (mar Vermeio des Espagnols, Vermilion sea des Anglais) est également pour nous une question indécise. Dans beaucoup d'ouvrages de géographie, on l’attribue au limon charrié par le rio Colorado. Mais, depuis longtemps dejà, on a émis , à son sujet, une opinion toute différente. Ainsi, dans l'Histoire des navigations aux terres australes du président de Brosses, on lit cette phrase, dont jusqu’à présent je n’ai pu trouver l’origine : « On rapporte que, dans le’ golfe de Californie, la mer est couverte de Vers rouges. » Aussi la coloration de la mer par des substances charriées par les fleuves serait encore pour nous un fait hypothétique , si elle n'avait été constatée d'une manière certaine dans un cas particulier, quoique sur une échelle beaucoup plus restreinte. Le fait dontil s’agit ici est d’ailleurs très intéressant à beaucoup d’égards; j'ai cru devoir le rapporter avec quelques détails. C’est celui d’une petite rivière de Syrie, nommée Zbrahim-Nahr, qui vient se jeter dans la Méditerranée, près de la petite ville de Djibaïl ou Gebel, à peu de distance de Beirut, et qui, tous les ans, à une certaine époque, se colore en rouge , et communique cette couleur à la mer dans une certaine étendue. Ce qu'il y a de fort remarquable dans ce fait, c’est qu'il était connu des anciens, et qu'on l'avait rattaché au culte du dieu phé- nicien Adonis, Adonaï où Thammuz, dont Biblos, aujourd'hui Gebel, était le principal siége en Syrie (4). On en trouve une indi- cation très exacte dans le passage suivant de l’ouvrage de Lucien Sur la déesse de Syrie : « On voit encore une autre merveille dans le territoire de cette tout de filaments de coton teints de diverses couleurs , et provenant, selon toute apparence, de vêtements. Cette observation lui fait croire que M. Macgowan s'est trompé dans l'envoi du sable, qu'il lui a adressé le sable provenant de la pluie observée à Shanghaï par le docteur Bellott, et que ces filaments ne seraient autre chose que les Conferves observées par M. Piddington (voyez mon Mémoire sur la coloration de la mer de Chine). Mais ce n'est qu'une pure hypothèse. (1) Voyez pour plus de détails, au sujet du culte d'Adonis, ce qu'en dit Creu+ zer dans son ouvrage sur les Religions de l'antiquité, tome IT, et les notes savantes que M. Guigniaul a ajoutées à ce livre. QUI DONNENT A LA MER UNE COULEUR ROUGE. 237 ville, un fleuve qui descend du mont Liban, et va se décharger dans la mer. On lui a donné le nom d’Adonis. Chaque année , il s’en- sanglante, et, après avoir perdu sa couleur naturelle, il se précipite dans la mer, dont il rougit une étendue considérable ; par R , il indique aux habitants de Biblos le temps auquel ils doivent com-. mencer leur deuil. On dit, en effet, que c’estdans ces jours qu’Ado- nis est blessé sur le mont Liban; que son sang qui coule dans le. fleuve en change la couleur en se mêlant à ses eaux, et lui fait donner le surnom d’Adonis. Voilà ce que raconte la multitude; mais un homme du pays, qui me paraît en ceci dire la vérité, m'a expliqué d’une autre manière les causes de ce phénomène. Voici ce qu'il m'a dit : « Le fleuve Adonis, à étranger , traverse le Liban, mon- » fagne composée d’une terre extrémement rouge. Des vents vio- » lents, qui s'élèvent régulièrement à certains jours, transportent » dans le fleuve cette terre chargée de beaucoup de vermillon; c’est » elle qui donne à l’eau cette couleur de sang , car ce n’est point » un sang véritable, comme on le dit; la nature du terrain-est la » cause de ce phénomène. » Voilà ce que me dit l’homme de Biblos. » Lucien est le seul auteur de l'antiquité qui parle de ce fait, bien qu'il y ait, dans un grand nombre d'auteurs grecs et latins, des allusions nombreuses au culte d’Adonis, qui, de la Chaldée et de la Phénicie, s'était peu à peu répandu dans la Grèce; mais cette colo- ration si remarquable du fleuve se reproduit encore de nos jours comme du temps de Lucien (4). Ainsi elle a été observée, le 17 mai 1697, par le voyageur anglais H. Maundrell : « Une heure après avoir quitté Djibaïl, nous arrivämes à une belle (1) C'est très probablement ce passage de Lucien qui aura inspiré à Milton les vers suivants : . . . . Thammuz came next behind Whose annual wouud in Lebanon allus'd The Syrian damsels to lament his fate Ju amorous ditties all a summer’s day; White smooth Adonis from his native rock Ran purpled to the sea, suppos’d with blood Of Thammuz yearly wounded. (Paradise lost , first book.) 238 C. DARESTE. — SUR LES ANIMALCULES grande rivière. Les Tures nomment cette rivière Ibrahim-Bassa ; mais c’estassurément l’ancienne rivière Adonis , si fameuse par les cérémonies idolâtres qu'on y faisait pour plaindre le destin d’Ado- nis. Nous campames cette nuit-là sur le bord de cette rivière, après avoir fait six lieues de chemin. Nous eûmes pendant toute la nuit de grosses tempêtes de vent et de pluie avec tant de violence que nos domestiques eurent bien de la peine à soutenir nos tentes. Nous fûmes récompensés de cet accident le lendemain par une chose curieuse que cela nous donna lieu de voir. Nous vimes une chose qui pourrait bien avoir donné lieu à la relation que Lucien nous a donnée de cette rivière. …. ses eaux teintes d’une couleur extraor- dinaire, laquelle se communiquait même bien avant dans la mer. Cela procédait assurément d’une espèce de terre rouge que la vio- lence de la pluie avait poussée dans cette rivière, et pas du sang d’Adonis (1). » Un aulre voyageur anglais, nommé Browne, a également observé cette coloration en 4798 ; mais il se contente seulement de la rap- porter sans y ajouter aucun détail (2). Il serait fort intéressant de connaître cette matière colorante, qui parait se reproduire ainsi tous les ans vers la même époque. Malheu- reusement les observations de ce phénomène sont beaucoup trop insuffisantes pour pouvoir, je ne dis pas nous renseigner compléte- ment, mais même nous mettre sur la voie de la solution de cette question. M. Ehrenberg, qui cite le passage de Lucien dans son beau Mémoire sur les vents alizés, les pluies de sang et la poussière mé- téorique, fait observer qu'il n’y a dans le Liban que des terrains calcaires blancs ou gris, et que, par conséquent, l’opinion énoncée par l’homme dont parle Lucien ne peut être fondée. Il pense que ce phénomène doit être produit par une poussière météorique colo- rée en rouge, qui serait entrainée par les tourbillons du sirocco, et qui tomberait tous les ans en Syrie. I rappelle à ce sujet un passage fort curieux du Livre des Rois, où il est fait mention d’une source (1) Voyage d'Alep à Jérusalem, par H. Maundrell, traduit de l'anglais, 1706, page 57. (2) Voyage de Browne, traduction française par Castera, page 482. QUI DONNENT A LA MER UNE COULEUR ROUGE. 239 qui se serait instantanément colorée en rouge (1). Je ne puis que rappeler ici cette explication , sans me prononcer ni pour elle ni contre elle. Je me contenterai seulement de faire remarquer qu'il existe en Syrie des terrains formés presque entièrement par du sable rouge, et que cela pourrait rendre compte de l’opinion de Maundrell, et de celle de l’homme dont parle Lucien. En terminant ce Mémoire , je dois dire que je n'ai point la pré- tention d’avoir recueilli tous les faits de coloration de la mer dont il est question dans les navigateurs, ni même d’avoir énuméré toutes les localités où de semblables faits se produisent. A plus forte raison, j'ai dû, dans bien des circonstances, ne point me prononcer sur les causes de ces colorations, ou au moins n’exprimer d’opi- nion qu'avec une grande réserve. Je n’aurais done point publié ce travail si je n’avais cru que dans toutes les questions scientifiques , il était souvent nécessaire de recueillir et de comparer les résultats obtenus, pour mieux savoir dans quelle voie on doit diriger les re- cherches. J'ai suivi d’ailleursici l'exemple tracé par M. Ehrenberg , qui, dans une série d’admirables Mémoires sur des questions analogues (2), a montré tout le parti que l’on pouvait tirer d’une alliance entre la science la plus profonde et la plus vaste érudition historique et bibliographique. C’est aux navigateurs qu'il appartiendra maintenant de compléter ce travail, en recueillant, autant qu'ils le pourront, des notions précises sur les circonstances dans lesquelles ces colorations se produisent, et sur les êtres organisés qui en sont la cause. (4) Liber Regum IV, cap. 3, vers. 22 : « Primoque mane surgentes, et ortojam » sole ex adverso aquarum, viderunt Moabitæ econtra aquas rubras quasi san- » guinem. » (2) Voyez le recueil des Mémoires de l'Académie des sciences de Berlin. NOTE suR LES PHÉNOMÈNES DÉCRITS PAR LES NAVIGATEURS SOUS LE NOM DE MERS DE LAIT, ET QUI TIENNENT A LA PRÉSENCE D 'ANIMALCULES PHOSPHORESCENTS, Par M. Camille DARESTE (!) Avant été obligé , pour les études que je viens de faire sur les colorations de la mer, de lire un grand nombre de relations de voyages maritimes, jy ai rencontré beaucoup d'observations se rapportant à une coloration blanche qui donne à l’eau de la mer l'aspect du lait; et bien que je n’en aie point fait une étude spé- ciale, je puis cependant indiquer quelques conséquences géné- rales qui me semblent résulter de la comparaison de ces faits particuliers. Et d’abord ces phénomènes sont très fréquents, beaucoup plus que les colorations rouges ; tellement qu'il n’y a peut-être pas actuellement de relation de voyage qui n’en fasse mention. Je ne crois pas être très éloigné de la vérité en admettant que le nombre de ces observations est à peu près trois fois plus grand que celui des colorations rouges. C’est surtout dans les mers intertropicales que ces phénomènes se produisent. Ils me paraissent surtout très fréquents dans le golfe de Guinée (2) et dans le golfe Arabique. La plupart des observations (1) Je reproduis, en la modifiant, une note que j'ai présentée à l’Académie des sciences (séance du 5 février 1855 ; voyez Comptes rendus , t. XL, p. 315), au sujet de la relation d'un phénomène de ce genre, faite par un voyageur an- glais, M. Grafton Chapman, relation fort incomplète, et qui ne donne ni la date, ni le lieu de l'observation. (2) L'observation la plus remarquable que je connaisse au sujet de ce phéno- mène, est celle qui est due au capitaine Tuckey, dans son exploration du Zaire. Cet aspect insolite de la mer fut observé sur une étendue de près de 15 degrés en longitude, dans les derniers jours du mois de mai 4847. « Après avoir doublé C. DARESTE. — PHÉNOMÈNES, ETC. 2/1 se rattachent à ces deux localités. Dans cette dernière , le phéno- mène était déjà connu des anciens plus d’un sièele avant l'ère chré- lienne , comme on le voit par un curieux passage du géographe Agatharchides : « Le long de ce pays (la côte d'Arabie), la mer a un aspect blane comme un fleuve; la cause de ce phénomène est pour nous un sujet d'étonnement (4). » On peut, du reste, s’en rendre compte par les belles expé- riences sur la phosphorescence de la mer, qui ont été faites à Bou- logne , en 4850 , par M. de Quatrefages (2). Ce savant a reconnu que les Noctiluques qui produisent ce phénomène ne donnent pas toujours des étincelles vives et brillantes, et que, dans certaines circonstances, qu'il a étudiées avec beaucoup de soin, cette lumière est remplacée par une clarté fixe et peu intense qui donne à ces animalcules une couleur blanche. On comprend ainsi comment , lorsque ces animaux sont en masses considérables, beaucoup d’entre eux peuvent présenter cette elarté fixe et colorer la mer en blanc sur une grande étendue. Les Noctiluques ne paraissent pas être les seuls animaux qui jouissent de cette propriété. Ainsi, dans une observation de M. Grafton Chapman (3), les animaleules, produc- le cap des Palmes, et être entré dans le golfe de Guinée, dit le capitaine Tuckey, la mer prit une couleur blanchâtre, qui augmenta jusqu'à la hauteur de l'île du Prince; elle parui aussi devenir lumineuse; de sorte que, pendant la nuit, nous semblions voguer sur une mer de lait {Relation d'une expédition pour reconnaître le Zaïre, etc., tradaction française, t. 1, p. 182). » D'après les observations du capitaine Tuckey, ce phénomène serait produit par certaines espèces de Crabes: mais nous voyons dans la relation du professeur Chr. Smith, qui faisait partie de l'expédition, qu'il tenait surtout à des petits êtres microscopiques, dans lesquels nous pouvons reconnaître les Noctiluques : « La principale cause de cette lumière qui jaillit de la surface de la mer vient de la dissolution d’une matière visqueuse qui y est répandue, et qui produit une clarté semblable à celle que jette le phosphore: les plus petites particules brillantes, vues au mi- croscope, paraissent des petits corps solides et sphériques (ibid, t. II, p 116). » (1) [za de AOpOY Tadtrs, M Er Sahara heux DOLVET > T2TOUG EUPEC NS, OITE raganhirtecoze ob yrouiysu rh sitias. Agatharchides, de Mari rubro, dans la collection des Geographi minores, t. I, p. 65, édit. d'Oxford, 1698. (2) Quatrefages, Mémoire sur la phosphorence de quelques invertébrés marins (Annales des sciences naturelles, 3° série, Zoouocie, t. XIV, p. 260). (3) Voyez Comptes rendus, t. XL, p. 198. 4° série. Zooc, T. III. (Cahier n° 4.) 4 16 212 €. DARESTE. — PHÉNOMÈNES, ETC. teurs de la teinte blanche et de la phosphorescence , seraient des animaux agrégés, et probablement des Salpa ou des Pyrosomes. Enfin, comme j'ai cherché à le démontrer pour les colorations rouges, ces couleurs blanches se présentent fréquemment, je n'ose dire toujours, dans les mêmes localités. Je n’en citerai qu'un exemple, qui a été observé dans le voisinage des îles du cap Vert; il est tiré de la relation du voyage de la Fénus, par M. Dupetit- Thouars (4). « Le 13 janvier 4837, à deux heures, nous étant aperçus que la » mer avait changé de couleur, nous sondämes, el nous ne trou- » vâmes point de fond à 300 brasses. La couleur altérée de l’eau ne » semblait done pas devoir être attribuée à la qualité du fond, mais » plus vraisemblablement à la présence de petits animaleules on » Mollusques nommés Squid par les Anglais. Ces eaux, qui parais- » sent colorées , ne changent pas de place d’une manière sensible. » En effet, dans plusieurs voyages, je les ai rencontrées dans la » même position ; mais ne voulant pas me contenter de citer ce que » j'ai pu reconnaitre par moi-même, je dirai que dans celte traversée »nous les avons trouvées par 21° 29° 39” de latitude nord, et » Ze 45 30" de longitude occidentale de Paris; que Frésier, dans » son Voyage au Chili, en 1712 (2), les trouva par 21° 21 de la- » titude nord et 21° 39! de longitude occidentale ; et le capitaine » américain Fanning les rencontra, le 42 juillet 4797, par 24° 48" » de latitude nord, et 23° 50° de longitude de Greenwich. Toutes » ces observations tendraient à prouver que ces eaux colorées sont » limitées, et il me semble presque impossible qu'elles ne soient pas » les mêmes que celles qui furent vues dans les voyages que nous » venons de citer, puisque les positions sont presque identiques. » (1) Dupetit-Thouars , Voyage de la Vénus, t. I, p.26. , (2) Voici le passage de Fresier, auquel cet article fait allusion : « Par 20° 24" de latitude et 21° 39/ de longitude occidentale, ou de différence du méridien de Paris, nous trouvAmes pendant cinq ou six heures la mer fort blanche; nous lilâmes quarante brasses de sonde sans trouver de fond; après quoi, la mer re- prenant sa couleur ordinaire, nous crûmes avoir passé un baut-fond qui n'est pas marqué sur les cartes. » (Voyage aux {erres australes, p. 8) DEUXIÈME MÉMOIRE A PROPOS DE LA FONCTION GLYCOGÉNIQUE DU FOIE, Par le Dr FIGUIER, Agrégé de chimie à l'École de pharmacie de Paris, etc. J'aurais désiré ne pas entretenir encore l’Académie des expé- riences qui m'occupent en ce moment, et par lesquelles j'espère achever de démontrer que c’est à tort que l'on accorde au foie la propriété de sécréter du sucre. Mais la communication qui lui a été faite dans son avant-dernière séance me décide à publier, dès à présent, la partie de mes recherches qui se rapporte au point déci- sif qui vient d’être soulevé. La communication faite à l'Académie se compose : 4° de la pré- sentation d’une série d'expériences dues à un chimiste étranger, et qui prouvent que, dans certaines conditions , le sang de la veine porte est privé de sucre, tandis que celui des veines sus-hépatiques contient de notables quantités du même produit; 2° de réflexions qui consistent à montrer que les résultats obtenus par M. Lehmann tranchent sans retour la question qui s’agite. Fétablirai à la fin de ce mémoire que les résultats obtenus par l'habile chimiste de Leipzig ne déposent nullement en faveur de la théorie glycogénique ; mais j’exposerai d’abord les faits qui sont l'objet de mon travail. Dans la Note présentée à l’Académie, il est dit que le phénomène de la formation du sucre dans le foie est «une vérité physiologique parfaitement établie et complétement acquise à la science. » La démonstration de cette vérité repose, dit-on, surtout sur ce fait, depuis longtemps reconnu , que le sang de la veine porte est dépourvu de sucre, tandis que le sang qui sort du foie est chargé de ce produit : « Tous les arguments relatifs à la question de savoir si » le foie fabrique où non du sucre doivent être ramenés, dit Panteur 24h L, FIGUIER, » de ce travail, à cette expérience fondamentale qui à pour objet » l'examen comparatif des sangs de la veine porte et des veines » hépatiques. Tant qu'il restera établi que le sang qui entre dans le » foie ne renferme pas de sucre, etque le sang qui en sorten con- » lient des proportions considérables, il faudra bien admettre que » la matière sucrée se produit dans le foie; car on ne saurait » échapper à cette conséquence de la logique la plus simple, que, » puisque le sucre n'existe pas avant le foie et qu'il existe après, il » faut bien qu'il soit formé dans cet organe. » Or, je viens annoncer à l’Académie l'existence certaine , incon- testable, du fait que l’on révoque en doute, c’est-à-dire prouver que le sang de la veine porte, au moment de la digestion d’un repas de viande crue, renferme une notable quantité de sucre. Voici le détail des expériences qui établissent le fait quej’annonce, et que je serais heureux de pouvoir répéter, dans un bref intervalle, sous les yeux de la commission nommée par l'Académie pour l'examen de mon précédent travail. 1. Un Chien jeune et de forte taille a été privé de toute nourri- ture pendant trois jours. On a commencé alors à le nourrir avec de la viande de bœuf crue, et l'on a continué pendant huit jours ce régime. Au bout de ce temps, le Chien a été laissé à jeun pendant quarante heures. On lui a donné alors un repas composé de deux livres et demie de viande de bœuf, et, deux heures après, on a procédé à l'opération qui consistait à recueillir séparément le sang de la veine porte et celui des vaisseaux situés au-dessus du foie. A cet effet, uneincision a été pratiquée au flanc droit de l'animal ; le doigt indicateur, introduit par cette ouverture, et suivant le bord inférieur du foie, a permis de saisir le paquet des nerfs et des vais- seaux qui pénètrent dans cet organe ; la veine porte élant saisie, on l’a liée. Après cette ligature, on a ouvert l'abdomen, ce qui a permis d’apercevoir les vaisseaux de l’inteslin noirs et gonflés par la stase du sang, suite de la ligature. En incisant la veine porte, on a recueilli le sang de ce vaisseau. On s’était procuré de même celui des veines mésentériques. Après ces diverses opérations , la poi- trine de l’animal a été ouverte, et l’on a recueilli le sang du ventri- FONCTION GLYCOGÉNIQUE DU FOIE. 245 cule droit du cœur et celui de la veine eave inférieure à son entrée dans cet organe. Enfin, on a extrait le foie. L'estomac du Chien contenait encore une assez grande quantité de viande non digérée et d’une couleur grisâtre. Voici maintenant les résultats auxquels a conduit l’analyse chi- mique comparée du sang de la veine porte et du sang pris au-des- sus du foie. Sang de la veine porte. — Ce sang pesait 102 grammes. Il a été coagulé par l'addition de trois fois son volume d'alcool. Le liquide, passé à travers un linge, a été rendu acide par quelques gouttes d'acide acétique et évaporé à siccité. Le poids de ce résidu était de 15,07. En reprenant par de l’eau distillée, on a obtenu une liqueur limpide qui a été évaporée à siceité, Le poids de ce dernier résidu était de 05,61. Une partie de cette liqueur, traitée par le réactif de Frommhertzs, a fourni un précipité abondant de sous-oæyde de euivre, ce qui indiquait la présence d’une notable quantité de sucre. Le lendemain, avant la liqueur cupro-potassique titrée à 5 cen- tigrammes de sucre d’amidon pour 10 centimètres cubes de li- queur, j'ai procédé à la détermination de la quantité de sucre con- tenue dans un poids connu du résidu de l’évaporation. J'ai trouvé ainsi que le sang sur lequel j'avais opéré contenait, sur 100 parties, 0,248 de sucre. Ajoutons que le sang des veines mésentériques renfermait aussi du sucre, mais la proportion n’en a pas été dosée (1). Sang pris au-dessus du foie. — Le poids de ce sang lait de 25 grammes. Traité comme le précédent, il a laissé après l'évapo- ration de la dissolution aqueuse un résidu du poids de 05,150. Le réactif cupro-potassique n’a indiqué dans ce résidu que des traces à peine appréciables de sucre. La quantité en était si faible, qu'ayant (1) On s’est assuré, sur un autre Chien placé dans les mêmes conditions, qu'après un jeûne de quarante heures, la veine porte ne contenait pas de sucre. A cet effet, le Chien a été tué par la section du bulbe rachidien. L'abdomen étant ouvert, on a appliqué une ligature sur la veine porte, et l'on a recueilli le san, de ce vaisseau. Ce sang ne renfermait aucune trace de sucre; on s’en est assure en le traitant par l'alcool suivant le procédé ci-dessus décrit. 216 L. FIGUIER. essayé de la doser avec la liqueur cupro-potassique qui avait servi à l’analyse du sang de la veine porte, je n'ai pu y parvenir; car la coloration bleue de la liqueur titrée a été à peine altérée par l’affu- sion de la presque totalité du liquide. Dans le sang pris au-dessus du foie , deux heures après le repas, il n'existait donc que des traces de sucre. Quant au foie, qui pesait 315 grammes, il était chargé d'uné quantité notable de sucre. 1 résulte de cétte première expérience que, chez un Chien nourri de viande crue et tué deux heures après le repas, on trouve dansla veine porte une quantité notable de sucre, et qu'il n'existe que des traces de ce produit dans le sang qui sort du foie, bien que ce der- nier organe soit lui-même chargé de sucre. IT. La même expérience a été répélée, quatre heures après le repas, sur un Chien placé dans les mêmes conditions que le précé- dent, et nourri exclusivement depuis douze jours avec de la viande de bœuf crue. Au bout de quarante heures de jeüne, on à donné à ce Chien un repas composé de deux livres de viande de bœuf crue, et, quatre heures après, on l’a opéré comme le précédent. On à recueilli, par incision , le sang de la veine porte. La poitrine étant ouverte, on à pris le sang du ventricule droit et celui de la veine cave inférieure. La digestion était presque entièrement terminée, car l'estomac ne contenait plus que quelques morceaux de viande au milieu d’une masse demi-liquide et pultacée qui n'occupait qu'une partie du viscère. En procédant à l'analyse comparée de ces deux sangs, j'ai oblenu les résultats qui suivent : Sang de la veine porte. — Le sang recueilli pesait 76 grammes. Après l'avoir défibriné par l’agitation, on l'a coagulé par trois fois son volume d'alcool. La liqueur claire, séparée du coagulüm, a été acidulée par quelques gouttes d'acide acétique et évaporée À siecité. On a repris ce résidu par l’eau distillée. Cette dernière dissolution, évaporée à siccité au bain-marie, a laissé un résidu du poids de 05,39. J'ai trouvé, en traitant un poids connu de ce résidu par la liqueur cupro-potassique titrée, que le sang analysé renfermait 0,231 pour 100 de sucre. FONCTION GLYCOGÉNIQUE DU FOIE. 247 Sang pris au-dessus du foie. — Ce sang pesait 25 grammes. Il a élé, comme le précédent, coagulé par trois fois son volume d'alcool, évaporé à siceilé et repris par l’eau. Cette dernière dissolution , évaporée à siccité, à laissé un résidu du poids de 05,165. On à trouvé, par le même procédé d’analvse, que ce sang contenait 0,304 pour 100 de sucre. Le foie renfermait une quantité notable de sucre. Ainsi, chez un Chien nourri de viande crue, et tué quatre heures après le repas, on trouve du sucre dans le sang de la veine porte, et le sang qui sort du foie renferme alors une quantité plus considé- rable de ce produit que quand on l’a recueilli deux heures seule- ment après le repas. Examinons maintenant les conséquences auxquelles condui- sent ces deux expériences si importantes dans la question qui nous occupe. Ce que tout le monde remarquera certainement dans leur résul- tal, c’est la démonstration de ce fait capital, que le sang qui pénètre dans le foie pendant la digestion renferme déjà dusucre, etque, par conséquent, le foie ne joue point dans la production de ce principe le rôle qui lui est attribué. Une seconde particularité, qui ressort des mêmes expériences , frappera peut-être moins que la précédente, mais elle est pour nous tout aussi précieuse, car elle démontre avec évidence que le foie est bien, comme nous l'avons dit, un organe dans lequel les produits de la digestion viennent séjourner un certain témps, s’y accumuler, s’y réunir, pour être ensuite répandus et distribués dans la cireula- tion générale. Rapprochons, en effet, les résultats de ces deux expériences. Dans la première, quand on recueille le sang deux heures après le repas, le sang qui provient du foie ne renferme encore qu'une quantité insignifiante du sucre , bien que cet organe soit rempli de matière sucrée. Dans la seconde expérience, faite quatre heures après le repas, le sang qui s'échappe du foie contient des propor- tions notables de ce produit. Ne voit-on pas là la démonstration évidente de ce fait, que le foie arrête quelque temps dans son tissu 218 L. FIGUIER, les matières qui lui sont apportées de l'intestin? Par suite de l'extrême lenteur de la circulation dans l’organe hépatique, par la nature même du tissu spongieux de celte glande, le sang est con- traint de subir dans le foie une stagnation qui a pour effet d'y rete- nir pendant un temps plus ou moins long les produits de l'action digestive. Aussi, lorsque, dans la première expérience, nous avons recueilli le sang deux heures seulement après le repas, nous avons saisi le moment précis où le sucre, arrivant du tube intestinal par suite de la digestion , avait pénétré dans le foie, mais n'avait pas eu le temps d'en sortir, et se trouvait encore arrêté dans le réseau vasculaire de cette glande. Et c'était un spectacle remarquable et plein d'enseignements physiologiques que de voir s'échapper d'un foie gorgé de sucre un sang presque dépourvu de ce produit ! Mais lorsque, dans la seconde expérience, on a recueilli le sang quatre heures après le repas, on a laissé au sucre le temps de s'échapper par les vaisseaux sus-hépatiques, et l'analyse a permis de constater dans le sang de ces vaisseaux l'existence d’une notable proportion de matière sucrée. Si quelques doutes pouvaient subsister sur la réalité du méca- nisme physiologique que nous signalons, il nous suffirait de rappeler que le glycose n’est pas la seule substance qui, dans les conditions normales , se trouve en quantité notable dans le foie et en faible proportion dans le sang de la circulation générale. Un fait tout semblable s’observe pour l’albuminose. Nous avons trouvé dans le sang du Bœuf et des Lapins jusqu’à à pour 100 d’albumi- nose , tandis que le même produit ne figurait dans le sang des mêmes animaux qu'en très faible proportion. C’est que l’albumi- nose, comme le glycose, retenue dans le foie pendant un intervalle assez long après la digestion , est reprise peu à peu par les veines sus-hépatiques et déversée dans le sang, où elle doit disparaitre soit par la respiration, soit par l'assimilation organique (1). Je rappelle- rai enfin, à l'appui de Ja même opinion, que, depuis Orfila, les (1) 11 faut ajouter que ces deux matières servent aussi probablement à la sécrétion de la hile , et aux autres sécrétions d'un ordre secondaire qui s'accom- plissent dans le foie. C'est ce qui concourt à expliquer la prédominance du sucre et sa longue persistance dans l'organe hépatique. FONCTION GLYCOGÉNIQUE DU FOIE. 249 toxicologistes ont posé le principe de chercher dans le foie, de préférence à tout autre organe , les substances vénéneuses qui ont pénétré par absorption dans l'économie. La réunion de ces divers faits nous paraît suffisante pour établir la vérité de la proposition que nous avions avancée dans notre premier mémoire, en disant que le foie est un organe dans lequel les produits de la digestion doivent séjourner et être tenus un cer- tain temps en réserve. Cette idée a été, en effet, considérée par beaucoup de personnes , qui jugeaient d’ailleurs la question avec impartialité, comme une simple explication , comme une théorie mise à la place d'une autre. On voit aujourd’hui que ce n’est pas en vertu d’une idée préconçue que nous avons adopté cette opinion , mais que nous n'avons fait que traduire et exprimer par là un fait organique susceptible d'être vérifié par l'expérience. Il y a lieu de supposer que les expériences que nous venons de rapporter deviendront l’objet de critiques ; nous croçonsutile d'aller au-devant de ces objections. Contre la certitude de leurs résultats, on invoquera cet argument bien connu, du reflux possible du sang du foie dans les vaisseaux abdominaux situés au-dessous de lui, c'est-à-dire dans la veine porte et la veine cave inférieure. On sait que l’auteur de la théorie glycogénique s’est efforcé de prouver , par des expériences spéciales, que quand on ouvre l'abdomen d’un animal sans avoir fait, au préalable, la ligature de la veine porte, il peutarriver, par suite de la pression atmosphérique qui vient alors s'exercer à la surface des viscères abdominaux, que le sang contenu dans le foie reflue dans la veine porte. Il ne nous sera pas difficile d'échapper à cette objection. I1 nous suffira , pour cela, de faire remarquer que nous avons eu le soin de n’ouvrir l'abdomen, pour inciser la veine porte, qu'après avoir préalablement lié ce vaisseau, grâce à une incision étroite pratiquée au flanc droit de l'animal , conformément aux précautions qui sont recommandées dans ce cas. Néanmoins, comme les raisons qui précèdent pourraient peut- être paraitre insuffisantes, il nous a paru utile d’instituer une expé- 250 L. FIGUIER. rience spéciale pour démontrer que, dans le cas où nous nous étions placé, le reflux du sang dans l’intérieur de la veine porte ne peut avoir les conséquences que l’on pourrait lui prêter ; nous avons voulu prouver, par l'expérience, que le sang du foie, quand on ouvre l'abdomen d’un animal, ne se mêle pas forcément avec celui des vaisseaux abdominaux, Pour cela, à un Chien de moyenne taille, nous avons donné uñ repas presque entièrement composé de sucre ou desubstances pouvant se transformer en ce produit, c’est- à-dire une soupe au lait à laquelle on avait encore ajouté une cer- taine quantité d'empois d’amidon et de glycose en nature. Ajirès ce repas, le Chien fut laissé trente-six heures sans recevoir d'autre aliment. L'’abdomen fut alors largement ouvert de haut en bas sans pratiquer préalablement aucune ligature. Après cette ouverture de l'abdomen , l'animal , vivant , fut abandonné à lui-même pendant quelques minutes, et alors seulement la veine porte fut liée au- dessous du foie et le sang recueilli. Or, le foie, examiné aussitôt, contenait une quantité notable de glycose ; au contraire, le sang de la veine porte était entièrement privé de sucre, ce qui prouve suffisamment que le mélange n'avait pu S'opérer entre le sang de l'organe hépatique et celui de la veine porte, car, s’il en eût été ainsi, le sang de la veine porte eüt renfermé du sucre comme celui du foie. Les expériences que nous venons de rapporter amènent aux conclusions suivantes : 4° Chez les Chiens nourris de viande crue, tués deux et quatre heures après le repas, il existe du sucre dans le sang de la veine porte. 2 Le sucre introduit dans le foie par la veine porte séjourne un certain temps dans cet organe ; après cet intervalle, ilcommence à être charrié par les vaisseaux sus-hépatiques, et transporté dans le système général de la circulation. 3° Quand la digestion intestinale est accomplie, et que le tube digestif s'est entièrement débarrassé de la matière sucrée fournie par les aliments, le sang qui, après avoir parcouru le cercle de la circulation, retourne au foie par la veine porte, est privé de sucre ; FONCTION GLYCOGÉNIQUE DU FOIE. 251 mais, en traversant le foie, il reprend une nouvelle quantité de ce produit , de telle sorte que le sang des veines sus-hépatiques versé dans le cœur droit par la veine cave inférieure renferme nécessai- rement une certaine quantité de sucre. l° 1 résulte de à que, chez les animaux à jeun depuis deux ou trois jours, il ne peut exister de sucre dans la veine forte, mais que les veines sus-hépatiques en renferment une certaine quantité; ee dernier principe a été cédé au sang de ces vaisseaux par le foie, qui conslitue dans l’économie un véritable réservoir de glycose, Après avoir entendu la lecture de ces conclusions, l’Académie n'aura aucune peine à reconnaître que les faits contenus dans la communication qui lui à été adressée, dans l’avant-dernière séance, au nom de M. Lehmann, ne sont point contraires à nos propres résultats, ni à la manière dont nous considérons l’origine et la distri- bution successive du sucre dans l’économie animale. Que dit, en effet, M. Lehmann en rapportant le résultat de ses trois premières expériences ? Qu'il n’a point trouvé de sucre dans la veine porte de trois Chiens à jeun depuis deux jours, et qu'il en a trouvé, chez les mêmes animaux, dans le sang des veines sus-hépatiques. Ce résul- tat n’a rien que de conforme à nos propres conclusions. On sait depuis longtemps que le foie conserve du sucre pendant plusieurs jours chez les animaux laissés à l’abstinence. C’est le résidu des digestions antérieures qui ne disparait que très lentement du tissu de cette glande , et dont on peut retrouver des traces même après dix ou douze jours de jeûne absolu. I est done tout simple que dans le sang de la veine porte d’un Chien à jeun depuis deux jours, on ne trouve point de sucre, et qu'il en existe dans celui des veines sus-hépatiques. Ce principe à été lout Simple- ment emporté par le sang dans son passage à (ravers un organe sucré. Dans les expériences qu'il a rapportées ensuite, M. Lehmann dit qu'il n’a point trouvé de sucre, où qu'il n'en a trouvé qué des traces dans la veine porte, chez des Chiens et un Cheval soumis à des régimes de différente nature. Mais je dois faire observer que, dans 9252 L. FIGUIER, l'extrait du travail de M. Lehmann qui à été communiqué à l’Aca- démie, on a négligé de faire mention du nombre d'heures qui se sont écoulées entre le repas et le moment de la saignée de la veine porte. Cette circonstance était pourtant indispensable à établir. Supposez, en effet, que le sang ait été recueilli à une époque éloignée de la digestion , par exemple, sept à huit heures après le repas, et, d'après ce qui a été dit plus haut, l’absence du sucre dans le système de la veine porte n'aura plus rien que de simple et de très naturel. Il est done indispensable que l'oubli que nous signalons soit réparé. Nous ajouterons que , d’après la manière dont sont représentés , dans l'extrait du même travail, les résultats numériques, il est presque impossible de les comprendre. En effet, dans le tableau récapitulatif, les chiffres paraissent se rapporter à 100 parties de sang pris dans sa (otalité ; de telle sorte que, pour prendre un exemple dans le premier résultat inscrit sur le tableau, on attri- buerait au sang des veines sus-hépatiques du Chien à jeun 05,764 pour 100 grammes du liquide sanguin. Mais, d'un autre côlé, dans le cours de la rédaction, M. Lehmann annonce qu'il rapporte ses résultats au poids du résidu alcoolique du sang. Laquelle choisir de ces deux manières si opposées de représenter les résultats d’une analyse chimique ? On comprend que, jusqu’à ce que l’auteur même de ces expériences ait indiqué nettement ce qu'il a obtenu, il faut renoncer à discuter de pareilles ambiguïtés. Ces éclaireissements une fois fournis, nous espérons que l'opposition qui semble exister entre les résultats de M. Lehmann et les nôtres disparaîtra, et nous nous applaudirons vivement de cet accord (1). (1) Ce n'est pas la première fois qu'une confusion de ce genre est commise à propos de cette question. Le Moniteur des hôpitaux a publié une analyse des leçons faites les 10 et 13 février au collége de France; l'auteur de cette analyse s'exprime ainsi dans le numéro du 22 février de ce journal : « Avant de rendre compte des deux leçons où ont été élucidées par de nou- velles expériences plusieurs des questions relatives à la fonction glycogénique du foie, nous croyons devoir rappeler en quelques mots des expériences de Lehmann, auxquelles il a été fait allusion depuis quelques jours. Le Mémoire dans lequel ces expériences sont relatées a été lu dans la séance du 30 novembre 1850 de la FONCTION GLYCOGÉNIQUE DU FOIE. 253 Qu'il nous soit permis d'ajouter , en terminant, que le fait du dépot temporaire du sucre dans le tissu hépatique permet de recti- lier une expérience qui a été invoquée récemment dans des lecons publiques pour démontrer la sécrétion du sucre par le foie. Voici en quoi celte expérience consiste : On prendun Chien à jeun depuis deux à trois jours ; on recueille Société royale des sciences de Leipzig, et publié dans les comptes rendus des séances de cette Société. » Chez un Cheval nourri avec du foin et de l'avoine et assommé pendant la digestion, l'analyse du sang a donné les résultats suivants : Sucre contenu dans 400 grammes de sang de la veine porte. . . . 0,055 gr. Sucre contenu dans 1 00 grummes de sang des veines sus-hépatiques. 0,635 » Chez un autre Cheval nourri de même et assommé après la digestion , on a trouvé : Sucre dans le sang de la veine porte. . . . . . . . . . . . . 0,0052 gr. Sucre dans le sang des veines sus-hépatiques. . . . . . . .. 0,893 » Chez un autre Cheval, le sang des veines sus-hépatiques contenait : Burton mise ones CAO nee Modes N.wec. José 0,776 gr. » Chez un animal carnivore, nourri avec de la viande, le sang des veines sus- hépatiques contenait pendant la digestion : iront theme 0,838 gr. » Ces résullats confirment pleinement ceux de M. Bernard, dont nous allons maintenant reprendre les leçons. » Dès la lecture de cette note, nous avons été surpris de l'énorme quantité de sucre que M. Lehmann aurait trouvée, selon l'auteur de cet article, dans le sang qui s'échappe du foie. Si dans 100 grammes de sang des veines sus-hépatiques il pouvait exister, comme on le fait dire au chimiste allemand, 0‘",893 de sucre, il en résulterait ce fait étonnant, que le sang des veines sus - hépatiques renfer- merait trois fois plus de sucre que le sang de la circulation générale ne renferme de fibrine. Nous avons donc voulu nous assurer de l'exactitude des nombres cités dans ce journal , et nous avons eu recours au Mémoire original de M. Lehmann. Ce travail , intitulé : Analyse comparalive du sang de la veine porte et des veines hépatiques (Einige vergleichende Axalysen des Blutes der Pfortader und der Le- bervenen ), se trouve imprimé dans le 2° volume , année 1851, du Journal für pracktische Chemie, page 205. Or, il est facile de s'assurer, en parcourant ce tra- vail, que l'auteur rapporte le résullat de ses analyses, non à 100 grammes de sang, comme on le lui fait dire, mais à cent parties du résidu de l'évapo- ration du liquide sanguin. Une courte citation suffira pour mettre le fait en évidence . « 26,872 grains de résidu bien séché du sang de la veine sus-hépatique d'un 254 L. FIGUIER le sang de la veine porte, et l’on constate que dans ce sang il n'existe aucune {race de sucre. Au contraire, le sang des veines sus-hépatiques, traité par les mêmes procédés chimiques, fournit des signes non douteux de la présence du glycose. De cetle expé- rience, on tire la conséquence que le glycose trouvé dans les veines sus-hépatiques provient du foie, qui à la propriété de le sécréter, puisqu'il n'en existait point dans le sang pris au-dessous du foie et qu'on en trouve dans le sang recueilli au-dessus de cet organe. Cette expérience et la conclusion que l’on en tire pourraient être citées en exemple pour montrer qu’en physiologie, pas plus qu’en chimie, il ne faut se hâter de conclure. Quand on sait, en effet, que le foie est un véritable réservoir de matière sucrée, qui pen- Cheval , repris par l'alcool addilionné de potasse, neutralisé ensuite par l'acide tartrique , et mis enfin en contact avec la levüre de bière, me donnèrent, dit M. Lehmann, 0,093 grains d'acide carbonique. D'après ce résultat, ce résidu contenait donc, sur cent parties, 0,635 de sucre. » 21,276 grains de résidu solide du sang de la veine hépatique d'un autre Cheval, donnèrent, par la même opération, 0,093 grains d'acide carbonique. D'après ce résultat, le résidu solide du sang contenait , sur cent parties , 0,893 de sucre. » 31,704 grains du même résidu de sang , provenant d'un troisième Cheval, donnèrent 0,120 grains d'acide carbonique, c'est-à-dire 0,776 de sucre pour cent parties du résidu de ce sang desséché. » Cette citation ne laisse aucun doute sur la singulière erreur qui a été commise par l’auteur de l’article du Moniteur des hôpitaux. Si, maintenant, le lecteur est curieux de connaître à quels chiffres exacts con- duisent les résultats obtenus par M. Lehmann , il ne nous sera pas impossible de satisfaire à ce désir. Dans son Mémoire , M. Lehmann admet que 100 parties de sang de la veine porte chez le Cheval laissent, en moyenne, 20 parties de résidu sec. Si l'on calcule, d'après cette donnée, les résultats de M. Lehmann, on trouve, pour le premier cas cité plus haut, que le sang de la veine porte contenait sur 100 parties de sang liquide 0,12 de sucre : c'est-à-dire que sur 400 grammes de sang, par exemple, il existait 05,12 et non 05,635, comme le pense l'auteur de l'article dont nous parlons; pour le deuxième cas, 08",17 et non 04,893, comme le dit le même auteur; enfin, pour le troisième cas, 0,15 pour 400, ou 05,15 pour 100 grammes de sang de la veine sus-hépatique, et non 05,776, comme le dit le même critique. L'auteur de l'analyse des leçons faites au collége de France est bien justifié, d'après cela, de s'écrier dans le cours de sa critique : « Il ne faut pas confondre la physiologie avec la chimie! » FONCTION GLYCOGÉNIQUE DU FOIE. 255 dant plusieurs jours conserve ce produit dans son lissu, cette expérience perd toute sa valeur; ear on voit tout de suite que le glycose trouvé dans les veines sus-hépatiques provient fout sim- plement du foie, où il se trouvait emmagasimé. Lorsque le sang a parcouru tout le cercle cireulatoire, lorsqu'après avoir subi, pen- dant tout ce trajet, l’action chimique de la respiration , il retourne au foie par la veine porte, il est tout simple qu'il soit dépourvu de sucre. Cette expérience, qui est présentée comme un argument presque sans réplique en faveur de la théorie glycogénique, ne prouve done rien ef ne peut rien prouver. Pour arriver à une conclusion expé- rimentale à l’abri de toute objection, il faudrait agir sur un ani- mal deux à trois heures après le repas , et rechercher alors si le sang de la veine porte contient ou non du sucre. Bien entendu que, pour chercher le sucre dans le sang de Ja veine porte , on ne se contenterait pas de faire bouillir ce sang avec l’eau et du sulfate de soude. En effet , en opérant ainsi on n'élimine point l’albumi- nose, qui existe en grande quantité dans le sang de la veine porte pendant la digestion, et en très faible proportion dans le sang des veines sus-hépatiques. Or, la présence de l’albuminose dans le sang est un obstacle, aujourd'hui bien connu, à la manifestation du sucre par le réactif de Frommhertz, et l'emploi de ce procédé chi- mique , vicieux et illusoire, est précisément ce qui a causé toutes les erreurs, toutes les confusions que nous nous attachons à com- battre. On trailerait les deux sangs par l'alcool, selon le procédé que nous avons fait connaître, ef qui a pour résultat de précipiter l’albuminose, et par conséquent de laisser le sucre accessible au réaclif cupro-potassique qui sert à déceler sa présence. Le sous- acétate de plomb précipitant plus complétement que l’alcool les matières albuminoïdes, il serait encore préférable d'étendre le sang défibriné de deux fois son poids d’eau, de le coaguler par l’ébulli- tion et de précipiter le liquide clair par le sous-acétate de plomb. L'excès du sel de plomb étant précipité par un peu de carbonate de soude, on constaterait alors, sans la moindre peine, à l’aide de Ja liqueur cupro-potassique, Pexistence d’un principe sucré dans le sang de la veine porte PUBLICATIONS NOUVELLES. Fabricia Entomologia. —- Recueil d'observations nouvelles sur les Insectes, Monographies, descriptions d'espèces nouvelles, etc., par H. JExeL, in-8. Paris, 1854, Ar partie. L'auteur de ce recueil, afin d'éviter les frais de typographie , et de pouvoir faire à très bon marché une publication qui ne s'adresse qu'à un petit nombre de lecteurs, a adopté le procédé de l'autographie typomorphe, et en a obtenu de très bons résultats, La première livraison se compose principalement d'un tra- vail sur le genre Lordops, de la famille des Curculionides. Histoire naturelle des Mammifères, avec l'indication de leurs mœurs, et de leurs rapports avec les arts, le commerce et l’agriculture, par M. Paul Gervais, professeur de zoologie et d'anatomie comparée à la Faculté des sciences de Montpellier. Le tome I qui vient de paraître comprend les Mammifères à placenta discoïde ; de nombreuses figure intercalées dans le texte et des planches zoologiques et ostéologiques accompagnent cet ouvrage. Le second volume est sous presse. Description des fossiles des terrains secondaires de la province de Luxembourg, par MM. Cuapuis et DewaLque; 4 vol. in-4. Bruxelles, 1853. Ce travail, couronné par l’Académie de Bruxelles en 1851, a été fait avec beaucoup de soin. Il est accompagné de 32 planches, et sera très utile aux pa- léontologistes. Sur des Mammifères nouveaux et remarquables du musée de Berlin, par MM. H. Licarensoren et W. Perers ; in-4, 1855. Ce Mémoire se compose de trois parties; la première est relative au genre Centurio, établi par M. Gray, et à la description d'une nouvelle espèce de Chauve-Souris appartenant à cette division, et provenant de Cuba. Dans la seconde partie, les auteurs établissent, sous le nom de Hyouicteris, un genre nouveau, d'a- près une autre espèce de la même famille de Mammifères provenant de l’Amé- rique centrale. Enfin, dans la troisième partie, on trouve la description d'une nou- velle espèce d’antilope (4. leucotes) propre à l'Afrique orientale. Ce Mémoire est accompagné de trois planches. Traité de paléontologie. ou Histoire naturelle des animaux fossiles, par M. Picrer, 2° édition. Le troisième volume de cet ouvrage vient de paraître; il est consacré à l'his- toire des Mollusques fossiles et est accompagné de nombreuses planches. Diptères exotiques nouveaux ou peu connus, par M. Macquarr, 1859. Ce volume forme le cinquième supplément de l'onvrage de M. Macquart , sur les Diptères exotiques ; de même que les précédents, il est tiré des Mémoires de la Société des sciences de Lille et accompagné de plusieurs planches. La plupart des espèces nouvelles qui y sont décrites font partie de la collection entomolo- gique de M. Bigot. RECHERCHES t SLk L'ANATOMIE DES ORGANES REPRODUCTEURS ET SUR LE DÉVELOPPEMENT DES MYRIAPODES, Par M. FABRE. Professeur au Lycée d'Avignon. Tantôt rapprochés des Annélides, tantôt groupés avec les Insectes aptères, avec les Crustacés ou les Arachnides, tantôt constitués en classe à part, les Myriapodes sont comme un défi jeté par la nature à nos arrangements systématiques. Aussi, depuis quelques années, ces animaux bizarres ont-ils attiré, de la part des naturalistes, toute l'attention qu'ils méritent au point de vue de la zoologie phi- losophique ; et de nombreux et savants travaux se sont rapidement succédé pour nous dévoiler leur organisation. Après les habiles investigations des maîtres de la science, MM. Treviranus, Léon Dufour, Stein, Brandt, Newport, etc., la moisson est achevée ; on ne peut plus espérer que de glaner quelques épis oubliés. Glaneur attardé, j'apporte à la gerbe commune les résultats de deux années de patientes recherches ayant pour objet le développement des Myriapodes et l'anatomie de leur appareil reproducteur. Mon travail est naturellement divisé en deux parties : l’une ayant rapport aux Chilognathes, l’autre aux Chilopodes. PREMIÈRE PARTIE. CHILOGNATHES. CHAPITRE PREMIER. ORGANES DE LA GÉNÉRATION, $ I*'. Organes femelles. Ovaires. — Chez les Polyxenus, Glomeris, Lulus, Polydesmus, les organes préparateurs el éducateurs des ovules forment un sac 4° série, Zoo, T. III. (Cahier n° 5.) ! 17 258 FABRE. — ANATOMIE impair, fermé à sa partie postérieure , et dirigé d’arrière en avant , entre le canal digestif et la face abdominale. C’est exclusivement à la paroi inférieure de ce sac ovarique que se produisent les ovules (fig. 1). Sur cette paroi , depuis l’extrémité postérieure du sac jus- qu’à une certaine distance du point où il se divise en deux oviducles, s'étendent côte à côle deux stroma ovuligènes, deux placentaires en forme de cordons blanchâtres, intimement unis à la membrane du sac, et revêtus d’un bout à l’autre d'innombrables ovules à des de- grés divers de développement. Des filaments trachéens très déliés viennent en grand nombre se ramifier sur cette paroi inférieure, plongent dans la masse des deux placentaires, et maintiennent tout l'appareil dans une position invariable. Le reste du sac, c’est-à-dire sa paroi dorsale, l'intervalle plus ou moins large qui sépare les deux placentaires et sa portion antérieure où ces derniers n'arrivent pas, est formé par une tunique diaphane très délicate. Chaque ovule se développe dans une capsule spéciale formée aux dépens du placentaire, et rattachée à ce dernier par un pédicelle très court. Avant larupture de ces capsules, les deux cordons chargés d’ovules, quoique très rapprochés, ne sont pas moins nettement distinets lun de l’autre. Le sac qui les enveloppe est en outre affa ssé, presque invisible, et l’on a sous les yeux un organe double. Mais, à mesure que leur contenu est mür, les capsules ovariennes se rompent, et les ovules , devenus libres, s’entassent peu à peu dans le sac qu'ils finissent par distendre. A cette période, l'organe reproducteur à tout à fait l'aspect d'un organe impair. En erevant alors sa paroi dorsale, les ovules s'en échappent, et les deux placen- taires apparaissent de nouveau à nu, mais appauvris. C'est probablement à ce double aspect du sac ovarique , suivant qu'on l’examine plein d'ovules mürs , où qu'on l’étudie à l’époque où ces ovules sont encore attachés aux placentaires , c'est à cette double apparence qu'il faut attribuer la divergence d'opinion parmi les auteurs qui se sont occupés de l'anatomie des Chilognathés. M. Treviranus (2 ) a vu un ovaire double chez les fules; M. Brandt (2) (1) Verm. Schrifl. (2) Müller's Archiv., 4837. DES ORGANES REPRODUCTEURS DES MYRIAPODES, 259 chez les Glomeris; M. Slein (1) chez ces deux mêmes genres; M. Duvernoy (2) chez l'Zulus maximus. Pour M. Newport (3) l'ovaire des lules est simple, et M. Siebold (4) partage cette manière de voir. Les premiers ont évidemment appelé ovaires les organes que j'ai désignés jusqu'ici par le nom de placentaires , en les assi- milant aux placentaires des végétaux; les seconds ont voulu parler du sac ovarique considéré dans son ensemble. Faut-il appeler ovaire cet appareil mulliple? Je ne le pense pas. Le nom d'ovaire doit être réservé à l'organe où s’élabore l'ovule , et non à celui qui le reçoit après la rupture de la capsule ovarienne, et le garde en dépôt jusqu'au moment de la ponte. Si les deux placentaires, au lieu d’être enveloppes dans un sac ovarique commun, avaient cha- eun leur sac spécial, ne dirait-on pas que l'ovaire est double? Ce dédoublement a lieu chez le Craspedosoma polydesmoides (fig. 2. Deux sacs ovariques, indépendants entre eux et parallèles, s’éten- dent d’un bout à l’autre du corps, séparés par un intervalle assez considérable. Ils ne se réunissent qu'à une petile distance des vulves pour se séparer de nouveau, et former chacun un oviducte correspondant. Chaque sac ne renferme qu'un seul cordon chargé d’ovules, c’est-à-dire qu'un seul placentaire, qu'un seul ovaire. — Il me parait done rationnel de réserver le nom d'ovaires aux deux stroma ovuligènes, aux deux organes que j'ai appelés provisoire ment placentaires. Le sac, tantôt simple, tantôt double, qui les en- veloppe de toutes parts, et qui forme un réceptacle pour les ovules el la première partie de leur canal vecteur, rappelle les trompes des animaux supérieurs, comme les deux placentaires en rappellent les ovaires. Je continuerai à le désigner par le nom de sac ovarique. Ainsi l'ovaire des Chilognathes est double, comme l'ont vu MM. Treviranus, Brandt, Stein, Duvernoy ; mais tantot les deux ovaires sont enveloppés dans un sac ovarique commun (Polyxenus, Glomeris, Lulus, Polydesmus), tantôt chacun est revêtu d'un sac ovarique particulier (Craspedosoma). (1) Müller's Archiv., 1842. (2) Cuvier, Anat, comp., 2° édit, t. VI. (3) Philos. trans. (4) Anat, comp. 260 FABRE,. -— ANATOMIE Dans le sac ovarique commun aux deux ovaires, on pourrait s’attendre à trouver une cloison médiane, divisant sa cavité en deux loges. Vainement j'ai cherché cette cloison dans les divers genres qui présentent cette organisation. Je me suis convaincu qu'elle n'existe point. Les deux ovaires, ai-je dit, n’occupent qu'une portion plus ou moins longue du sac ovarique. La partie antérieure de ce sac, ré- duite ainsi à ses propres parois, se rétrécit graduellement, et ne tarde pas à se diviser en deux oviduetes fort courts qui divergent dès leur origine, se courbent en formant ensemble un demi-cercle, et se rendent directement, sans aucune flexuosité, chacun à l’ori- fice génital du même côté. Leurs parois sont assez fermes, opaques et d’un blane opalin. Réceptacles séminaux.—Ves Glomeris, Tulus, Polydesmus, n'ont point de réceptacles séminaux. M. Stein signale cependant dans les Jules deux courts cœeums ou deux petites glandes, dont l’une se dilate en vésicule à son extrémité, et qui aboutissent dans lavu ve par un orifice commun. J'ai trouvé, en effet, dans l'épaisseur des vulves de l'Zulus aterrimus (1) et du Polydesmus complanatus, des cœcums, mais si petits, qu'il n’est guère croyable que ce soient des réservoirs où s’amasse le sperme. Ces organes me paraissent avoir une autre destination sur laquelle je reviendrai bientôt. Les seuls (1) N'ayant pu reconnaître dans les auteurs l'Iule que j'ai choisi pour mes recherches, comme étant le plus gros et le plus abondant de ces contrées, je le désignerai sous le nom d'/ulus aterrimus. En voici la description : I. aterrimus, lisse, luisant, d'un noir profond: segments au nombre de 47 à 52, ornés de stries longitudinales fines et serrées, et bordés postérieurement d'un étroit liséré cendré. Tête, antennes et segment anal entièrement noirs: ce dernier Lerminé par une pointe aiguë; patles hyalines, un peu brunes à leur extrémité. Long., de 40 à 50 millim. Les jeunes ont de chaque côté une raie noire formée par une série de gros points noirs, correspondant aux pores par où suinte l'humeur rousse à ‘odeur de chlore qu'ils rejettent pour leur défense, et sur le dos une large bande pâle. Cette espèce est très abondante sur les collines boisées des environs d'Avi- gnon. Les détritus de feuilles mortes, dans les fourrés de Chêne vert, ou de Chêne au kermès. sont sa demeure habituelle. Je l'ai évalement trouvée à Ajaccio. | DES ORGANES REPRODUCTEURS DES MYRIAPODES. 261 Chilognathes chez lesquels j'aie observé de véritables réservoirs spermaliques sont le Craspedosoma polydesmoides etle Polyxæenus lagurus. Chez le Craspedosoma (fig. 2), les réceptacles séminaux sont au nombre de deux, et insérés chacun sur l’oviducte correspondant , à peu de distance des vulves. Chaque réservoir forme un boyau cylindrique doublé en boucle, dont les deux branches sont conti- guës. Leurs extrémités s’atténuent graduellement et se rattachent ensemble à l'oviducte, qui, dans la région de cette confluence, est hérissé à l'extérieur de piquants très courts , microscopiques. En juin, époque de l'unique observation que j'aie pu faire sur le Cras- pedosoma adulte, à cause de sa rareté dans ces contrées , les ré- servoirs spermaliques élaient remplis de spermatozoïdes capillaires très longs, et formant un feutre inextricable. Je n'ai également trouvé qu'un petit nombre de Polyxenus adultes.Cette rareté , et surtout la difficulté de bien voir l’organi- sation d'animaux si pelits, ne me permettent pas des détails bien circonstanciés. Cependant j'ai pu m'assurer de l’existence au moins d'un réceptacle séminal. En comprimant sur le porte-objet une femelle dont le sac ovarique était gonflé d'ovules murs, j'ai apercu- dans le voisinage des vulves une vésicule ovalaire , transparente , dans laquelle tourbillonnaient des spermatozoïdes capillaires comme ceux des Chilopodes. Chaqne filament spermatique se terminait par un renflement piriforme , transparent, d'une grosseur démesurée relativement au diamètre du filament. Les spermatozoïdes, plu- sieurs fois repliés anguleusement, formaient un polygone étoilé irrégulier qui paraissait tourner rapidement sur lui-même en lon- geant les parois du réceptacle séminal. Cette rotation est illusoire , et produite par une vive trépidalion des filaments spermatiques ; car, malgré le mouvement très rapide de rotation du polygone, les renflements terminaux des spermatozoïdes exécutent, sans se dé- placer, de simples oscillations. Vainement j'ai cherché une seconde vésicule pareille. Serait-ce un organe impair ? L Voilà done deux Chilognathes munis de réceptacles terminaux ; et, chose remarquable, dans ces deux genres les spermatozoïdes sont capillaires comme chez les Chilopodes , tandis que chez les 262 FABRE. — ANATOMIE Jules, Polydesmes , Glomeris, les spermatozoïdes ont la forme de cellules sans appendices el sans mouvement. Vulves.—L'orifice génital femelle des Chilognathes a été placé, par quelques auteurs, à la partie postérieure du corps. C'est ce que MM. Treviranus et Brandt ont fait pour les Tules et les Glomeris. Il est vrai que M. Brandt a reconnu plus tard l'erreur où il était tombé au sujet des Glomeris (1). Latreille avait déjà cependant reconnu sa véritable position chez les Polydesmus (2), et, dans le Règne animal, il place, d'une manière générale pour tous les Chilognathes, cet orifice sous le (troisième anneau (3). M. Savi avait également, chez les lules, trouvé la vraie position de l’orifice sexuel femelle (4). Mes propres recherches m'ont appris que ce qu’on avait reconnu chez les Glomeris, Lulus et Polydesmus à également lieu chez les Craspedosoma et les Polyxenus. Ainsi pour ces cinq genres , et probablement alors pour tous les Chilognathes, les vulves sont au nombre de deux, et se trouvent à la partie antérieure du corps , immédiatement en arrière de la seconde paire de pattes La dispo- sition de cet appareil peut se ramener à deux types : le premier est commun aux lulines; le second appartient aux Glomeris et Polyæenus. PREMIER TYPE. Polydesmus complanatus. Le premier segment où segment elypéal, un peu plus large que les suivants, est incomplet; il manque d’arceau ventral. Néanmoins il recouvre la première paire de pattes. Les deux anneaux suivants sont complets ; ils ne portent pas cependant de pattes à leur areeau ventral. C’est entre ces deux anneaux que se trouvent les vulves et deux pattes qui me paraissent jouer un rôle dans l’accouplement et pendant la ponte, et que j'appellerai patles génitales. Le qua- trième anneau est complet, et muni d'une seule paire de pattes; les suivants sont aussi lous complets et munis de deux paires de 1) Recueils de mémoires relatifs à l'ordre des Insectes myriapodes, 1841. Hist. nat. des Fourmis. 3) Cuvier, Rèyne animal. ) Isis, 1823. DES ORGANES REPRODUCTEURS DES MYRIAPODES. 263 pattes, à l’exception de l’avant-dernier et de l’anneau anal, qui sont apodes. Le second anneau est apode, et échancré à son bord postérieur. Le troisième présente à son bord antérieur une échancrure corres- pondante plus large, qui, par sa réunion face à face avec la pre- mière, circonserit une cavité ovalaire et transversale. C'est au fond de eette fossette que sont logées les vulves, en même temps que la partie basilaire des pattes de la seconde paire ou des pattes géni- tales. Ces dernières sont de même forme que les pattes ordinaires, mais un peu plus grêles. Les vulves sont accolées à leur base, immédiatement en arrière. Pour peu que l'animal se contracte, les deux lèvres de la fossette génitale se rapprochent, et cachent com- plétement les vulves, en ne laissant qu'une étroite fente pour l'issue des pattes qui les accompagnent. En outre, une légère modification de ces pattes et du troisième anneau permet de rendre plus efficaces les fonctions protectrices de cet appareil. En effet, l’article basilaire des pattes porte un petit tubereule dirigé d'avant en arrière. Le bord échaneré du troisième anneau est muni de deux dents saillantes qui laissent entre elles un vide sur la ligne médiane. Lorsque les pattes génitales s'infléchissent léxérement en arrière, leurs tubercules basilaires s'engagent entre ces deux dents , et la fossette occupée par les vulves se trouve ainsi herméliquement elose. Pour voir les vulves il faut distendre l’apimal, et faire bâiller Ja fossette génitale. On aperçoit alors, de chaque côté et au fond de la fossette, un corps jaunâtre en forme de conoïde tronqué (fig. 3. L'animal peut à volonté les faire saillir hors de la fosselle, ou les relirer dans sa profondeur. Leurs parois sopt revêlues d'une Jame cornée fort mince, ambrée et hérissée de poils. Au microscope on voit dans leur épaisseur un vaisseau très étroit serpentant d'un bout à l’autre de la vulve, et débouchant à son orifice. Ce vaisseau est évidemment trop exigu pour être regardé comme un réservoir spermaltique. Sa posilion et son mode de terminaison me font croire que c’est une glande destinée à déverser à l'orifice génital une humeur apte à faciliter l'accès de la machine compliquée que nous trouverons dans le mâle. 264 FABRE. -— ANATOMIE lulus aterrimus. La disposition de ses vulves est à peu près la même. Le premier anneau est beaucoup plus grand que les suivants, et largement échancré à la face ventrale. Dans cette échancrure se trouve la pre- mière paire de pattes. Le second anneau est également incomplet, mais son échancrure est étroite; le troisième est complet et apode ; le quatrième, complet et muni d’une paire de pattes ; les suivants, complets et munis de deux paires de pattes , excepté le pénultième et l’anal. C’est entre le second et le troisième que se trouve la fos- selte qui loge les vulves, et du fond de laquelle s'élèvent les pattes de seconde paire. Ces pattes génitales n’offrent rien de particulier. La fossette génitale se ferme par la contraction de l'animal ; mais l’ocelusion consisle en un simple rapprochement des deux lèvres. Les deux vulves sont, comme précédemment, logées au fond de la fossetle, une de chaque côté ; leur orifice est percé obliquement au sommet, et bordé de deux lèvres roussâtres (fig. 4). Le microscope fait découvrir dans leur épaisseur une sorte d’ampoule formée de deux loges communiquant par un goulot large et court. La loge inférieure est ovoïde et diaphane, la supérieure conoïde et jaunâtre. Celle-ci se termine par un court déférent , qui aboutit à l’orifice vulvaire. Ces ampoules sont les analogues des vaisseaux sinueux des Polydesmes, et je leur attribue les mêmes fonctions. Craspedosoma polydesmoïdes. Le premier anneau, incomplet en dessous, porte un paire de pattes dans sa large échancrure ; le second est complet et apode ; le troisième est complet et muni d'une paire de pattes; il en est de même du quatrième et du cinquième ; le sixième et les suivants ont deux paires de pattes, excepté les deux derniers qui sont apodes. La fosselte génitale est toujours placée entre le deuxième et le troi- sième anneau. Du fond de cette fossette s'élèvent les pattes géni- tales en forme de petits crocs recourbés qui paraissent impropres à la locomotion, et différent notablement des pattes ordinaires. Je regrette vivement, préoccupé que j'étais de l’organisation interne, d’avoir négligé l'examen plus approfondi des parties externes dans DES ORGANES REPRODUCTEURS DES MYRIAPODES. 265 le seul individu que j'aie pu observer, et de ne pas trouver dans mes notes quelques détails sur les vulves. DEUXIÈME TYPE. Glomeris marginala. Les vulves sont à nu , et ne peuvent s'abriter dans une fossette génitale. Elles se montrent immédiatement en arrière et à la base de la seconde paire de pattes, sous forme de pelils mamelons distincts, mais très rapprochés de l’article basilaire de ces pattes. Elles sont légèrement (fig. 1) prismatiques , à trois angles émous- sés. Leur surface est couverte de nombreuses ponctuations micros- copiques, et leur orifice est bordé de quelques cils roides. Dans leur épaisseur, on ne trouve rien qui rappelle l'ampoule et le vaisseau sinueux précédents. Polyxenus lagurus. Les vulves se montrent encore à la base des pattes de seconde paire, sous forme de deux petits mamelons portant un léger sillon transverse à leur extrémité. Ce que je viens de dire des Glomeris s'applique ici mot pour mot. $ II. Organes mâles. Polydesmus complanatus. La glande spermagène est formée de deux branches longitudi- nales, cylindriques , réunies de distance en distance par des tubes transverses, de manière à figurer une échelle qui commence dans l'avant-dernier segment et se prolonge jusque vers le septième. J'ai compté tantôt treize, tantôt quatorze mailles dans cette échelle testiculaire. Elles sont rectangulaires , un peu plus longues que larges, et généralement égales. Chacune porte bilatéralement et à l'extérieur une vésicule arrondie de même nature que le reste de l'échelle , et attachée à la branche longitudinale par ün pédicule très court. Dans sa partie supérieure , environ vers le septième an- neau, la glande spermagène perd ses tubes transverses et en même temps ses vésieules latérales; tandis que les deux tubes longitudi- 266 FABRE. — ANATOMIE naux se prolongent parallèles l'un à l’autre, puis se séparent de nouveau pour former deux canaux éjaculateurs fort courts et légè- rement renflés, qui viennent aboutir chacun à un orifice perforé dans l’article basilaire de la patte génitale correspondante (fig. 5). Ilest remarquable que ces pattes génitales soient, comme dans la femelle, celles de la seconde paire. Elles sont portées par le troi- sième segment. Le premier segment porte la première paire, et le second est apode. lulus aterrimus. Le mâle se distingue au premier abord de la femelle par sa taille bien moindre. Les {eslicules (fig. 6) se composent encore de deux branches longitudinales reliées par des échelons transverses. La partie la plus reculée est la plus large, et porte de chaque côté une série de vésicules, au nombre de sept ou huit. Dès que cette série de vésicules cesse, les deux branches longitudinales se rapprochent peu à peu, et l'intervalle qui les sépare devient enfin insensible. Cependant elles sont {toujours reliées, de distance en distance, par des échelons lransverses qui diminuent graduellement de longueur, et finissent par s'évanouir ; alors les deux canaux longitudinaux marchent côle à côle, puis se séparent pour se rendre chacun à l'orifice génital correspondant. Ces deux orifices sont, comme les vulves, placés au fond d’une fossette située entre le second et le troisième segment. L’extrémité des déférents ne se termine pas, comme chez les Polydesmes , dans l’article basilaire des pattes de seconde paire, mais dans deux mamelons particuliers placés en arrière de ces pattes, dans la fossette dontje viens de parler ; chaque mamelon a la forme d'un court eylindre surmonté d'un petit cône aigu. L'animal peut les rentrer au fond de la fossette génitale, ou les laisser légèrement saillie au dehors. Lorsqu'ils sont rétractés, il est difficile de les apercevoir. Je ne connais pas l'organe mâle des Craspedosoma. Glomeris marginata. La structure de la glande spermagène me parait avoir mis en défaut l’habileté des auteurs qui se sont occupés de l’anatomie des Glomeris. M. Brandt décrivit d'abord comme ovaires, ce qu'il DES ORGANES REPRODUCTEURS DES MYRIAPODES. 267 reconnut plus tard être deux testicules. Pour M. Stein, les Glome- ris possèdent deux tubes testiculaires , agglomérations distinetes et allongées de vésicules sphériques soudées ensemble. Un examen minutieux et plusieurs fois répélé ne m'a rien montré de binaire dans la glande spermagène du Glomeris marginata. Elle se com- pose (fig. 7) d’un sac impair, élendu d'un bout à l'antre du corps, et portant de chaque eûté, dans sa moilié postérieure, une trentaine de vésicules sphériques ou piriformes, qui, pressées à la file les unes des autres, n’adbhèrent pourtant pas entre elles, mais commu- niquent par un très court pédicule avec le canal médian ou sac commun. Ce sac s’atténue peu à peu en avant, et se divise enfin en deux courts déférents courbés en are, qui se terminent dans deux mamelons placés à l’aisselle des pattes de la seconde paire. Le mâle ressemble à la femelle par sa coloration, par ses plaques dorsales au nombre de douze, comme chez la première; mais il en diffère par une taille beaucoup plus petite : car, roulé en boule, il n’a que 5 millimètres environ de diamètre , tandis que la femelle en à 9. Il en diffère surtout par ses pattes, au nombre de dix- neuf paires ; chez la femelle, il n'y en a que dix-sept paires. Les dix-sept premières paires du mâle sont pareilles à celles de la femelle ; celles de la dix-buitième paire sont grêles et courtes ; enfin celles de la dix-neuvième paire sont courtes, mais (rès fortes, et d’une structure différente des autres. J'ignore le rôle qu'elles peuvent remplir dans l’accouplement , si toutefois elles sont desti- nées à un pareil usage. M. Paul Gervais, qui en a donné une figure (1), les appelle forcipules copulatrices. West vrai qu'il place l'orifice des organes génitaux à l'extrémité postérieure du corps. Ces palles servent peut-êtreau mâle pour façonner les boulettes de terre où les œufs sont renfermés un à un après la ponte. Polyxenus lagurus. . Il n'y a encore ici qu'un tube tesliculaire , vésieuleux sur les côtés dans sa moilié postérieure, lisse dans sa moitié antérieure. I se partage en avant en deux courts déférents, qui se rendent chacun (4) Ann. des sc. nat., 3° série, t. II. 268 FABRE. — ANATOMIE dans l'un des deux pénis. Ces organes sont placés à l’aisselle des pattes de la seconde paire, et forment la partie la plus remarquable de tout l'appareil. Ils consistent en deux appendices coniques, aigus, très longs et très gros, relativement à l’exiguïté de l'animal. Leur longueur dépasse celle des pattes, et leur largeur mesure de trois à quatre fois la largeur de leur plus gros article. L'animal ne peut pas les rétracter; aussi, pour ne pas être embarrassé dans sa marche par cet énorme appareil copulateur , il replie ses pénis d’avant en arrière entre les pattes de la troisième paire. Il peut, à volonté, les redresser perpendiculairement au plan de sa face ven- trale, qui paraît alors armée de deux pointes menaçantes. Ces deux pointes coniques font au premier aspect reconnaitre le mâle, qui, extérieurement, n’est différencié de la femelle par aucun autre caractère. On ne retrouve plus ici les deux paires de pattes supplé- mentaires des Glomeris mâles. Les deux sexes en ont également treize paires. Spermalozoïdes On n'avait encore reconnu chez les Chilognathes que des Sper- matozoïdes rappelant ceux des Crustacés décapodes, c’est-à-dire privés de mouvement et de forme cellulaire. Ce caractère, basé sur l'observation du produit des testicules chez les Zulus, Polydesmus, Glomeris, est incomplet, puisque nous avons déjà reconnu des Spermatozoïdes capillaires dans les réceptacles séminaux des Craspedosoma et des Polyxenus, et mème des Spermatozoïdes très mobiles dans ce dernier genre. C’est vers la fin d'octobre que j'ai fait mes observations sur les Polyæenus. Après avoir constaté, chez les femelles, la présence d’un réservoir spermatique où tourbillonnaient très vivement des spermatozoïdes, j'ai procédé à l'examen des mâles, croyant bien trouver dans Jeur appareil reproducteur les mêmes spermato- zoïdes ; mais je n'ai pu y en découvrir un seul. Le tube testiculaire rompu sur le porte-objet a laissé écouler un torrent de menus cor- puseules hyalins, en partie libres, en partie agglomérés en flocons. Dépouillés d'une couche protectrice formée par ces corpuseules , les flocons se résolvent en autant de grandes vésicules diapbanes, DES ORGANES REPRODUCTEURS DES MYRIAPODES. 269 réniformes, et renfermant chacune un filament opaque entortillé ; c’est sans aucun doute le spermatozoïde capillaire que j'ai vu dans le réceptacle séminal. Vainement j'ai poursuivi ces vésicules jus- qu'à l'origine des pénis, je n'ai pu en trouver une seule rompue dans les divers mâles que j'ai examinés. Le sperme est donc éjaculé sous cette forme, et c’est dans le réceptacle séminal de la femelle que le spermatozoïde sort de sa cellule en y laissant cependant son extrémité engagée, ce qui explique le renflement énorme et hyalin qui termine le filament spermalique dans le réceptacle séminal. Je n’ai pu observer de Craspedosoma mâle adulte , et j'ignore si les spermatozoïdes capillaires que j'ai trouvés dans les réservoirs de la femelle y arrivent sous cette forme, ou encore renfermés dans leur cellule mère. Chez les Glomeris, j'ai vu, comme M. Stein, des spermatozoïdes cellulaires, fusiformes. Pêle-mêle avec ces corpuscules se trou- vent des vésicules sphéroïdes, hyalines, de dimensions un peu plus grandes. Chez le Polydesmus complanatus je n'ai trouvé que de menus corpuscules anguleux, sans forme déterminée , réunis plu- sieurs ensemble en pelites peloles mamelonnées. Enfin chez l’ulus aterrimus , je n'ai vu que des corpuseules arrondis, trans- parents. S IT. Appareil copulateur et accouplement. La partie la plus remarquable de l'appareil génital mâle des Julines est, sans aucun doute, l'organe compliqué qu’on trouve à la face abdominale, entre le sixième et le septième segment, organe qui, d’après mes recherches, constitue un appareil copulateur et fournit un troisième exemple du mode bizarre de fécondation reconnu chez les Aranéides et chez les Libellulides. Polydesmus complanatus. C’est le seplième segment qui porte les organes copulateurs, en même temps qu'une paire de pattes. Les deux segments qui pré- cèdent, et tous ceux qui suivent, ont deux paires de pattes ; chez la femelle, ce septième segment en a également deux paires. Les organes copulateurs sont done formés aux dépens de sa première 270 FABRE. — ANATOMIE paire de pattes. Son arceau ventral est profondément excavé au bord antérieur , et creusé dans cette échancrure de deux fossettes longitudinales où se logent les organes copulateurs, en s'y cou- chant d’arrière en avant, lorsque l'animal ne s’en sert pas. Les bords latéraux de l'échancrure sont surmontés chacun d’un tuber- cule saillant qui protége tout l'appareil, en même temps qu'il porte à sa face interne la base de l'organe copulateur du même côté. Cet organe (fig. 8) est d’un jaune ambré, et se compose, dans sa partie supérieure ou libre, de deux branches. La branche externe est la plus longue, et se termine par un appendice figurant un long ero- chet. La seconde branche, ou intérieure, se renfle dans sa partie moyenne en une vésicule diaphane , et se termine par une pointe aiguë formant une pince avec une dent correspondante de la branche opposée. Un peu au-dessous du sommet, cette pointe porte un tout petit faisceau très touflu de cils, au centre desquels se trouve un pore microscopique. Les deux branches, dans leur partie inférieure, se réunissent en un tronc commun, qui se renfle à sa base en un genou hérissé de cils roides et longs. Un peu en avant de l'organe copulateur, on voit, sur le flanc de la fossette qui le loge, un appendice en forme de pelit crochet qui parait avoir pour usage de saisir cet organe, et de le maintenir en place couché dans sa fosselte. Lulus aterrimus. La complication est encore ici plus grande. Le septième segment est apode ; e’cst done aux dépens de ses deux paires de pattes qu'est formé l'appareil copulateur. Cependant ce n'est pas l’arceau abdo- minal de ce segment qui porte ces organes : ils sont logés dans une large fossette ovalaire placée entre le sixième et le septième seg- ment. On trouve, en avant, dans la fossetle, deux petites lames hyalines, planes, un peu recourbées en croissant, el placées côte à côte. Elles peuvent rentrer presque enlièrement dans la fossette ou s’avancer légèrement au dehors. Leur fonction est, sans doute, de clore la fossette et de protéger les organes copulateurs. Ceux-ci; de couleur ambrée, se trouvent immédiatement en arrière des deux lames prolectrices, et se composent chacun d’un corps principal DES ORGANES REPRODUCTEURS DES MYRIAPODES. 271 irrégulièrement conoïde , portant un court appendice filiforme à l'extrémité. En dehors, ce corps conoïde est armé de deux autres appendices grèles, allongés, dont l’un se termine par un petit renflement. Craspedosoma polydesmoides. Bien que n'ayant jamais eu l’occasion d'examiner un mâle adulte, je crois cependant pouvoir déduire l'existence , chez cette espèce , d’un organe copulaleur pareil aux précédents, non-seulement des analogies de forme avec les Polydesmes, mais encore d’une obser- vation faite sur deux jeunes n'ayant encore que 28 segments, tandis que les adultes en ont 57. Chez ces jeunes j'ai trouvé ane seule paire de pattes à chacun des quatre premiers segments, deux paires au cinquième, une paire au Sixième ainsi qu'au seplième, puis deux paires à tous les suivants Ces jeunes devaient être des mâles, puisque la femelle a deux paires de palles au sixième et au septième segment. Cette intercalation de deux segments à deux paltes entre des segments à quatre pattes rappelle ce qui a lieu pour le septième anneau des Polydesmes. Sur l'un des deux, peut-être même sur tous les deux , devaient done plus tard se développer des organes copulaleurs, ainsi que cela arrivé chez les Polydesmes, qui n'acquièrent leurs organes copu- lateurs que lorsqu'ils ont atteint leur complet développement. Après m'être assuré, à diverses reprises, qu'il n'existe au- cune communication , chez les [ules comme chez les Polydesmes , entre la glande spermagène et l'appareil que je viens de décrire ; après m'être convaincu que les déférents déversent uniquement le produit des testicules par les orifices situés à la base de la seconde paire de paltes , ét non , comme le dit M. Duvernoy (1) au sujet de l'Tulus maximus, par des orifices perforés dans l'appareil placé entre le sixième segment et le septième, j'ai cependant regardé longtemps cet appareil comme servant simplement à un prélude destiné à exciter les désirs sexuels, prélude qui devait être suivi du véritable accouplement par le rapprochement des ouvertures gé- hitales placées chez les deux sexes dans la même région. Pour me (4) Cuvier, Ana. comp., 2° édit., t. VIII. 272 FABRE, — ANATOMIE rendre témoin de cet accouplement, j'ai gardé en captivité des cen- taines d'Iules et de Polydesmes , et j'ai assidûment suivi leurs actes, surtout dans le mois de septembre, époque de leurs amours. A cette époque , dès que j'ouvrais le vase où je tenais mes prison- niers avec du terreau ou du sable et de la mousse légèrement humide, je ne tardais pas à voir les mâles se mettre à la recherche des femelles. A l'ouverture du vase aucun accouplement n'avait encore lieu; mais dès que la lumière y pénétrait, surtout un rayon de soleil dont je modérais l'éclat par un rideau, les couples se for- maient rapidement, et dans peu de temps j'en comptais un grand nombre étendus sur le flanc, et complétement immobiles. Après plusieurs tentatives infructueuses du mâle pour gravir sur le dos de la femelle, il y parvient enfin, et la saisit à la nuque avec ses mâchoires. Il se renverse ensuite, se laisse glisser de manière à se mettre ventre à ventre avec elle. — Dans cette position, il dépasse un peu en avant la femelle ; sa bouche est appliquée sur la nuque de celle-ci, tandis que la femelle saisit le col du mâle avec ses mâchoires. L'intervalle entre le sixième segment et le septième du mâle se distend alors, se gonfle, laisse saillir l’appareil qu'il renferme, et se place en face des vulves qui reçoivent enfin cet appareil. Pendant cet acte, toute la partie postérieure du corps, dans l’un et l’autre sexe, est dans une com- plète immobilité ; les pattes surtout sont remarquables par leur fixité. Mais les antennes et les pattes voisines des organes génitaux sont, au contraire, dans un mouvement continuel, qui ne permet guère de se méprendre sur l'importance de l'acte qui s’accomplit. On peut très bien alors observer le couple, le manier même, sans qu'il y ait séparation. Au bout d’un quart d'heure environ, cette séparation a lieu. De même que chez les Aranéides, ce rapproche ment a lieu plusieurs fois à des intervalles fort rapprochés. Peu après la séparation, le mâle se met à la recherche d’une autre femelle, en même temps que sa première compagne est loin d’être insensible aux caresses d’un second mâle. Ceci se répète presque pendant tout le mois de septembre, ce qui doit porter bien haut le nombre des accouplements. A plusieurs reprises, j'ai eu la patience de tenir constaniment le regard armé d’une loupe sur deux indivi- L DES ORGANES REPRODUCTEURS DES MYRIAPODES. 275 dus accoupl's ; toujours je les ai vus se séparer, sans qu'il y ait eu le moindre rapprochement entre les orifices génitaux du mâle etles vulves de la femelle. D'un autre côté, parmi le nombre considé- rable d’accouplements observés , soit accidentellement entre des individus vivant en liberté, soit journellement, comme ceux que je faisais naître, pour ainsi dire à volonté, en ouvrant à la lumière le vase de mes prisonniers, je n’en ai pas vu un seul qui s’opérât autrement que je viens de le dire. Enfin le soupçon m'est venu qu'il se passait ici quelque chose de pareil à l’accouplement étrange des Aranéides et des Libellulides , et que l'acte , que je regardais comme un simple prélude, était réellement l'acte fécondateur, qui n'était suivi d'aucun autre rapprochement effectué d’une manière différente. Pour confirmer ce soupçon, j'ai attentivement surveillé le même male , lorsqu'il vient d'abandonner sa première femelle pour se mettre à la recherche d'une autre. Avant de procéder à un nouvel accouplement , il relève la partie antérieure du corps, et, bouelant cette partie en S, il rapproche le second segment du septième, c'est-à-dire qu'il met en contact ses orifices génitaux et son appareil copulateur. J'ai pu même, chez les Polydesmes où l'observation est plus aisée, saisir le moment où une gouttelette de sperme est distillée par chacun des pores perforés dans l’article basilaire des patles de seconde paire, et aussitôt balayée par la touffe de cils que portent les branches internes de lorgane copu- lateur. Alors, sans doute, la goultelette retenue par la brosse s’in- filtre par le pore ouvert au centre des cils , et pénètre dans le ren- flement vésiculeux placé en dessous. Ce renflement remplit donc le rôle d'une vésieule séminale. Chez l'Hule, je ne me rends pas aussi bien compte de ce que devient la gouttelette spermatique ; elle est peut-être simplement retenue à la surface du corps conoïde par les appendices qui l'entourent, et les lames qui couvrent tout l'appareil la protégent du contact des corps extérieurs et la préservent de toute souillure. C'est après ces préliminaires indispensables que le mâle se met en quête d’une femelle, préli- minaires qu'il renouvelle invariablement pour chaque accouple- ment. Rien de pareil n’a lieu chez les Glomeris et les Polyxenus, dont 4° série. Zoo. T. III, (Cahier n° 5.) ? 48 27h FABRE. — ANATOMIE l'accouplement s'opère, comme à l'ordinaire, par le rapprochement des ouvertures génitales des deux sexes. CHAPITRE II. DÉVELOPPEMENT. Un des traits les plus curieux de l'histoire des Chilognathes, ainsi que des autres Myriapodes , a rapport à la manière dont ces ani- maux se développent, et acquièrent, en avançant en âge, un nombre plus grand de segments, de pattes, d'yeux et d'articles antennaires. D'abord observé par De Geer (1), ce développement insolite a été étudié par MM. P. Savi (2), P. Gervais (3), Newport(4), Waga (5). Cependant, malgré les recherches de ces habiles phy- siologistes , l'histoire de ce d‘veloppement est encore loin d’être complète. Deux années d'observations suivies me permettent de joindre quelques faits nouveaux à ceux qu'on a déjà recueillis. Polydesmus complanatus. N'ayant pu obtenir de ponte en captivité, je ne connais pas l'éclosion de l'œuf. Mes observations ont été faites sur des jeunes que j'ai trouvés vivant en famille sous l'écorce d’un morceau de bois à demi pourri, et couvert de quelques pouces de terre. Les plus petits ont 3/4 de millimètre environ de longueur. Leur couleur est d’un blanc pur. Les segments sont au nombre de sept, non compris la tête, et les pattes au nombre de trois paires. MM. WagaelP. Gervaisavaient déjà observé le même fait. Chacune de ces paires de pattes est portée sur un segment différent ; elles correspondent done aux trois premières paires qui, chez l'adulte, sont également disposées une à une sur trois segments différents, aussi bien chez le mâle que chez la femelle. Les trois segments pédigères sont le premier, le troisième et le quatrième. Enfin les (4) Mémoire pour servir à l'histoire naturelle des Insectes. (2) Isis, 1823. (3) Ann. des sc. nat., 2° série, t. VIL, et 3° série, €. IL. (4) On the organs of reproduction and the developpement of Myriapoda, dans les Philosoph. Transact. (5) The Cyclopædia of ana. and phys. de Todd. DES ORGANES REPRODUCTEURS DES MYRIAPODES. 275 antennes ne sont formées que de quatre articles. Ce stade d’évolu- tion parait être le premier, si toutefois il n'y à pas un stade apode pareil à celui des lules. Avec ces jeunes s'en trouvent d'autres un peu plus développés, et comme je ne trouve aucune forme intermédiaire, ces derniers doivent avoir atteint le second degré de leur évolution. Leur cou- leur est encore d’un beau blane, et leur longueur mesure 4 milli- mètre 1/3. Les segments sont au nombre de neuf, non compris la tête, et les pattes au nombre de six paires. Les trois nouvelles paires sont portées, deux par le cinquième segment, et l’autre par le sixième. Or, à l’état adulte, le sixième segment, dans les deux sexes, porte toujours deux paires de pattes. Ce segment est donc remarquable entre tous les autres, parce que ses deux paires de pattes n'apparaissent pas simultanément, mais Fune après l'autre, à deux stades consécutifs du développement. M. P. Gervais a encore observé ce degré d'évolution; mais, de ce que le sixième anneau ne porte qu'une paire de pattes , il déduit que l'individu observé fût devenu un mâle. Il n’en est rien; les deux sexes pré- sentent la même particularité, et il est impossible, à cette période, de les distinguer. L'erreur de M. P. Gervais tient à ce qu'il place les organes copulateurs , ou forcipules génitales, comme il les appelle, sur le sixième anneau, tandis qu'ils sont sur le septième. Au troisième slade, le jeune Polydesme à 2 millimètres de lon- gueur. C’est actuellement que les deux sexes se distinguent lun de l’autre, non à cause des organes copulateurs qui ne se développent pas encore, mais à cause de la répartition des pattes sur le septième segment. Les segments sont au nombre de douze, les pattes au nombre de onze paires chez les femelles, de dix paires chez les mâles. Le sixième anneau a acquis, chez les deux sexes, sa seconde paire de pattes ; le septième en porte deux paires chez la fcmelle, une seule paire chez le mâle. Les anneaux 9, 10, 41 et 12, ou anal, sont apodes. Pour ne pas entrer dans des détails fastidieux, je mels sous forme de tableau les divers degrés ou stades d'évolution. Chaque ligne horizontale donne le nombre de segments développés et le nombre de pattes. £ signifie une paire de pattes pour l'anneau 256 FABRE, — ANATOMIE correspondant ; 2, deux paires ; 0, anneau apode; A, anneau anal. La colonne verticale 7 porte le double signe 3, qui signifie une paire de pattes chez le mâle, deux paires chez la femelle. La lettre C désigne les organes copulateurs. Tableau du développement du Polydesmus complana tus. NUMÉROS D'ORDRE DES SEGMENTS , NON COMPRIS LA TÈTE. STADES.| LONG. | te SOL O OT OUR Q Le passage d’un stade à l’autre ne se fait pas évidemment d’une manière brusque. C'est ainsi que le quatrième, par exemple , qui est terminé par 0001 , est précédé par des degrés intermédiaires où le corps se termine par OA ou par OOA. Je n'ai jamais vu ce- pendant A immédiatement précédé par des anneaux pédigères ; je n'ai jamais vu non plus les pattes en nombres différents de ceux que je viens de donner. Ainsi les nouvelles pattes qui apparaissent à chaque stade se développent simultanément. Après l'apparition de ces nouvelles pattes et des nouveaux segments apodes , l’évo- lution subit un temps d'arrêt considérable pendant lequel l'animal grossit, mais sans acquérir de nouveaux segments où de nouveaux appendices. Ces temps d'arrêt forment les limites des périodes que j'ai appelées stades. Plusieurs choses sont à remarquer dans le tableau précédent : 4° Chaque nouvel anneau apparait entre l'avant -dernier et l'anneau anal. DES ORGANES REPRODUCTEURS DES MYRIAPODES, 277 2 Tous les anneaux apodes d’un stade deviennent pédigères au stade suivant. 3° Les nouvelles paires de pattes acquises à chaque stade sont successivement au nombre de 3, 3, 4, 6, 6, 4, 2, 2; série d’abord croissante qui atteint un maximum aux deux stades moyens, puis décroit en suivant à peu près une même loi, mais inverse, C'est lorsque la série devient décroissante que l'animal marche le plus rapidement vers les dimensions de l’état adulte. 4° Les organes copulateurs du mâle ne se développent qu'en dernier lieu, lorsque toutes les pattes et tous les segments de l'état adulte sont formés. Avant leur apparition on reconnait leur place future à une aréole ovalaire , divisée par un profond sillon longi- tudinal en deux moitiés légèrement saillantes. Cette aréole est plus lisse, plus luisante que le reste de la face ventrale du septième anneau. Lulus aterrimus. Le développement des lules à été observé par MM. De Geer, Savi, P. Gervais, Newport et Waga. Je rapporterai cependant mes observations qui, ayant pour sujet une espèce différente, pourront servir à corroborer les résultats déjà obtenus. Ayant recueilli au mois d'août une centaine d’Zulus aterrimus , j'ai été témoin, vers les premiers jours de septembre , de l'accou- plement que j'ai décrit plus haut. La ponte s'opère vers la fin du même mois. La femelle enfouit ses œufs dans la terre, et les réunit en un seul tas; ces œufs, faiblement agglutinés entre eux, sont arrondis et d'un blanc sale. Une quinzaine de jours après a lieu l'éclosion. L’enveloppe de l'œuf se fend suivant un grand cercle , et se sépare en deux calottes encore adhérentes entre elles par un point de leurs bords. L'œufse vide ainsi, non d'un jeune lule hexa- pode, comme le dit De Geer et comme le veut M. P. Gervais (4), malgré l'opinion contraire de MM. P. Savi et Newport, qui ont vu que les lules naissent apodes , mais bien d’un corps singulier en- tièrement dépourvu de tout organe appendiculaire , et ne rappelant en rien la forme des lules. Ce corps est réniforme, profondément (4) Ann. des sc, nat., 3° série, t. TE. 278 FABRE, — ANATOMIE excavé en dessous, convexe en dessus, gros et arrondi à une de ses extrémités, un peu effilé et conique à l’autre. Sa surface est lisse, luisante et d’un blanc pur. Aucun mouvement ne S'y mani- feste, pas même lorsqu'on le pique avec la pointe d’une aiguille. Je le nommerai corps pupoïide , parce que, s’il était précédé par l'état transitoire de larve, il rappellerait assez bien les pupes des Insectes hexapodes. Cinq jours après on voit assez distinctement des traces de seg- mentation dans la partie convexe, et, dans l’épaisseur du bout renflé, on commence à distinguer la tête repliée contre l'abdomen. Enfin, sept à huit jours après, ces’ corps pupoïdes se fendent, et le jeune animal se dépouillant, de la tête à la queue, de la tunique délicate qui l’'emprisonne, apparaît tel que l’a vu De Geer, et trai- nant encore quelque temps, appendue à ses derniers anneaux , l'enveloppe ridée dont il vient de se débarrasser. 15 octobre. Nouvellement éc'os, le jeune Tule a 4 1/2 millimètre de longueur. Il est complétement blane , formé de sept segments, non compris la tête, et pourvu de trois paires de pattes. Ces trois paires sont portées une à une par un segment différent et corres- pondant aux trois premières paires, qui offrent la même disposition chez l'adulle. Les antennes, courtes mais grosses relativement à l'animal, sont composées de quatre articles. Une toute petite tache ferrugineuse, première ébauche de l'organe de la vue, se dessine de chaque côté de la tête. Un ou deux jours après, le sixième ség- ment est marqué sur chaque flanc d'un point rougeñtre correspon- dant à la première vésicule où se forme le liquide roux à odeur de chlore que F'lule fait distiller de ses flancs pour sa défense. C’est, en effet, sur le sixième segment de l'adulte que commence la double rangée de ces glandules latérales , et des pores qui en déversent le produit. Graduellement, entre le segment peint de deux points roux et l'anneau anal, il nait d'abord un, puis deux, trois, elc., segments nouveaux, en même temps que le cinquième et le sixième acquiè- rent chacun deux paires de pattes , dont la première {race consiste en aréoles cireulaires, disposées quatre par quatre sur chacun de ces deux segments. 20 octobre. Lorsque ces quatre nouvelles paires de pattes sont DES ORGANES REPRODUCTEURS DES MYRIAPODES. 279 complétement formées, le jeune Tule a 2 millimètres de longueur, douze segments et sept paires de pattes. Les antennes ont acquis tout leur développement, et sont composées de six articles comme chez l'adulte. I n’y à qu'un œil de chaque côté , en forme de petit point arrondi, luisant et d’un noir intense. Chez l'adulte, j'en ai compté jusqu’à quarante-quatre pour chaque côté. Enfin le corps a perdu sa teinte d'un blane mat ; les six premiers segments sont légè- rément enfumés ; les autres, de formation plus récente , sont hya- lins. Quelques jours après, les cinq anneaux apodes acquièrent sur chaque flanc une tache rousse; et, à leur suite, entre le dernier d’entre eux et l'anneau anal, il apparait d’abord un, puis deux, trois, quatre, et enfin six nouveaux segments, qui se distinguent des pré- cédents par leur teinte hyaline et l'absence des deux points roux. Lorsque ce nombre est atteint , les cinq derniers anneaux à taches rousses ont acquis chacun deux paires de pattes chez les femelles. Chez les mâles, les quatre derniers seuls deviennent pédigères , le premier d’entre eux, ou le septième de toute la série, devant fournir plus tard les organes copulateurs, et par suite restant apode. 43 novembre. Le jeune Tule est alors formé de dix-huit anneaux, et porté quinze ou dix-sept paires de pattes , suivant le sexe. Les yeux sont au nombre de {rois, et disposés en triangle ; les deux nou- veaux sont plus petits que l'œil primitif, et placés un peu plus en avant. Tous les trois sont arrondis, noirs, brillants, nettement distincts l’un de l’autre. 2% novembre. Un nouveau segment s’est intercalé entre lan - néau anal et le dernier segment apode de la forme précédente, de manière que le corps est terminé par sept anneaux apodes, non compris l'anneau anal. De ces sept anneaux, les six premiers por- ténl bilatéralement une tache rousse encore très faible : le dernier n'offre rien de pareil. Mes jeunes [ules ayant tous péri en proie aux Æcarus, mes observations éprouvent ici une interruplion. On peut cependant détérminer le nombre de pattes de l’Inle au stade suivant. Nous avons vu, en effet, qu'à la suite des segments marqués de deux points roux, il en naissait d'abord un certain nombre qui ne présen- faient point ce caractère, et qu'enfin les nouvelles pattes apparais- 280 FABRE, — ANATOMIE saient exclusivement sur les segments munis de ces points; de sorte qu’au commencement de chaque stade, le dernier segment pédigère était aussi le dernier dont les flancs fussent marqués de ce signe. Les individus observés à la fin de novembre ont six anneaux apodes à tache rousse , suivis d’un septième qui n'a pas ce carac- tère. Il se serait donc encore développé un certain nombre de seg- ments pareils à ce dernier ; puis les six , maculés de roux, seraient devenus pédigères , et l'animal aurait eu 27-29 paires de pattes, suivant le sexe. Cela résulte encore de ce que les segments apodes, contemporains d’une formation de pattes, deviennent tous et exelu- sivement pédigères à la formation suivante. Quant aux ocelles et aux nouveaux segments apodes, rien ne peut m'en faire soupçonner le nombre. Pris à leur début, les cinq premiers stades de l’évolution de l’Lulus aterrimus sont donc ainsi caractérisés : A® stade. Corps pupoïde , réniforme , sans appendices, sans traces de segmentation, sans mouvement. 2e stade. 7 segments non compris la tête; 3 paires de pattes; antennes de 4 articles ; une tache oculaire diffuse, rougeàtre. 3° stade. \2 segments ; 7 paires de palles; antennes de 6 arti- cles ; un œil de chaque côté. Le stade. 18 segments ; 15, 17 paires de pattes ; 3 ocelles de chaque côté. 5° stade. 27, 29 paires de pattes. Au mois d'août, j'ai repris mes recherenes sur le développement de cette espèce. Observé à cette époque, l'ulus aterrimus présente deux formes parfaitement reconnaissables à leur coloration diffé- rente. Les plus jeunes ont de chaque côté une raie noire, formée par une série de gros points noirs correspondant aux pores par où suinte l'humeur à odeur de chlore. Ces points commencent au sixième anneau et finissent toujours sur le dernier anneau pédigère, ce qui confirme pleinement ce qui a été déjà dit au sujet des seg- ments peints de deux points roux. Enfin, sur toute la longueur du dos, règne une bande très pile. Les autres sont d’un noir intense. Chez ceux -ci également , les pores latéraux finissent sur le dernier anneau pédigère, DES ORGANES REPRODUCTEURS DES MYRIAPODES. 281 Les premiers ont de 43 à 48 segments, dont les 4 derniers sont toujours apodes; les mâles n'ont pas encore leurs organes copulateurs, ni les femelles, des ovules. Les seconds ont de 47 à 52 segments , dont les 2 derniers seu- lement sont apodes. Les mâles ont leurs organes copulateurs par- faitement visibles, et les femelles, leurs ovaires remplis d’ovules mûrs. Les premiers doivent appartenir à la génération de l’année pré- cédente; les seconds sont plus vieux d’une année , ou même da- yvantage. Le fait le plus important qui résulte de cet examen, c'est que l'Lulus aterrimus n’acquiert la forme adulte et ne devient apte à la reproduction qu'au bout de deux ans. Son corps est alors d’un noir profond, et composé au moins de 47 anneaux, dont les deux der- niers seuls apodes. Maintenant, comment se rendre compte des varialions du nombre des segments de l’adulte, depuis 47 jus- qu'à 52? Faut-il admettre que, même pendant la période adulte, leur nombre peut s’'accroitre, et passer successivement, suivant l'âge, de 47 à 48, 49, etc. ? Je ne le pense pas. La forme adulte doit être essentiellement stable, et, par une sorte de balance- ment génésique, la procréation de l'espèce doit mettre un terme à la formation de nouvelles zoonites chez l'individu. D'ailleurs n’avons-nous pas vu, chez les Polydesmes, toute formation de nouveaux segments cesser brusquement et pour toujours à l'appa- rition des organes sexuels? J'aime mieux voir, dans ces varia- tions , une suite des variations que présentent les Jules à teinte pâle , dont le nombre de segments oscille entre 43 et 48. Quant à ces dernières, elles doivent provenir de la formation de nou- veaux segments en nombre plus ou moins inégal, suivant les in- dividus , pour chaque stade de l'évolution. Le Polydesmus com- planatus est remarquable, il est vrai, par la fixité de l'accroissement qui caractérise chaque stade ; mais il n'y a rien d'étonnant si les lules, dont les segments sont beaucoup plus nombreux, ne présen- tent pas cette fixité. Les variations doivent surtout se présenter aux stades où il se développe le plus d'anneaux ; j'ai pu cependant en copstaler quelques-unes, même chez les plus jeunes Tules. C’est 289 FABRE, — ANATOMIE ainsi que je trouve dans mes noles des exemples d'Tules femelles avec quinze paires de pattes au lieu de dix-sept. I manquait done ici le onzième segment. D'après M. P. Savi, deux ans après leur naissance, les Tules subissent une mue, et c'est alors seulement que se montrent au dehors les organes de la génération. Mes observations m'ont con- duit au même résultat : l'Iule devient peu à peu d'un blane mat, puis ses téguments se fendent longitudinalement sur le dos , et il sort de cette enveloppe vicillie avec une coloration du plus beau noir, Après la mue, les deux derniers segments sont seuls apodes, tandis que la dépouille rejetée a ses quatre derniers 2podes. Outre cette mue, qui amène l'lule à la forme adulte, M. P. Savi en admet d’autres, précédant chaque nouvelle formation de pattes et de segments. De Geer admet également que ces formations doivent être précédées d’un changement de peau. L'espèce que j'ai étudiée ne m'a rien présenté de pareil. Pendant plusieurs mois, j'ai Suivi avec un vif intérêt l'évolution de mes jeunes lules éelos en capti- vité, et, malgré mes observations assidues , répétées même plu- sieurs fois par jour, je n'ai jamais été témoin d'un changément de peau. Les Chilopodes, dans leur développement, ne m'en ont pas offert davantage. I n'y a pour moi de démontrées que deux mues : la première , lorsque l'Iule rejette son enveloppe en abandonnant la forme pupoïde ; la seconde, lorsqu'il acquiert sa forme définitive, et qu'il devient adulte. Ces changements de peau s’opèrent done lors du passage de l'une à l’autre des trois périodes dont se com- pose la vie de l'ule, et qui sont: 4° La période pupoïde, dont la durée est d’une semaine. 2 La période évolutive, pendant laquelle l’lule acquiert succes- sivement de nouvelles zoonites ; sa durée est de deux ans. 3° La période adulte employée à la reproduction de Pespèce, et pendant laquelle cesse la formation de nouvelles zoonites. Sa durée m'est inconnue ; elle doit cependant embrasser plusieurs années , ear j'ai déjà conservé pendant deux ans les mêmes lules adultes. DES ORGANES REPRODUCTEURS DES MYRIAPODES. 9283 Glomeris marginala, On doit à M. P. Gervais une note intéressante sur le développe- ment de cette espèce. Cet observateur a constaté que chaque œuf est isolé, et enveloppé dans une petite boule de terre ; que le jeune Glomeris, à son éclosion , a moins d'articles aux antennes et au corps que n'en ont les adultes, et qu'il n’a que trois paires dé pattes. C'est au commencement de juillet qu'a lieu l’éclosion ; chaque jeune est alors enfermé au centre d'une boulette ovoïde de terre de 2 à 3 millimètres de diamètre. I est roulé en boule, et n'exé- cute aucun mouvement. Ainsi roulé, il mesure environ 4 milli- mètre. Sa couleur est d’un beau blanc de lait. En tirant le jeune Glomeris du fond de son berceau, on est frappé de son immobilité ; à peine lui voit-on exécuter quelques faibles mouvements, tendant à entr'ouvrir ou à resserrer la sphère qu'il forme en s'enroulant, Les anneaux du corps, non compris la tête, sont au nombre de Sept; les pattes au nombre detrois paires. Les antennes sont com- posées de quatre articles. Enfin les veux sont formés de trois petits points rougeälres, disposés en (riangle de chaque côté. En cet élat, il séjourne encore quelque temps au fond de sa boule dé terre. Dans cet intervalle, il lui viert cinq autres paires de paltes, et un nouveau segment s'ajoute aux sept premiers ; il a alors huit paires de pattes et huit segments. Mais les yeux et les antennes ne subissent encore aucun changement : les premiers Sont toujours au nombre de 3, et les secondes sont composées de quatre articles, comme au sortir de l’œuf. En même temps, la cou- leur laiteuse du corps disparait peu à peu, surtout dans la région dorsale, qui devient hyaline, et permet de voir par transparence le tube digestif formant une anse brunâtre ; c’est alors que le jeune abandonne sa boulette de terre, et en sort par un trou rond qu'il y pratique lui-même. Ce globule n'est pas simplement une demeure construite par la prévoyance des parents pour abriter le jeune au sortir de l'œuf. En grande partie formé de matières végétales décomposées, il consti- fue aussi un magasin de vivres analogue aux boules que la mer: 284 FABRE, — ANATOMIE veilleuse industrie des 4teuchus, des Copris el autres Scarabées , sait façonner avec d’immondes matériaux. Le long séjour que le jeune Glomeris fait dans ce berceau ; le développement avancé qu'il y acquiert; la cavité spacieuse qu'il s'y creuse, sans y laisser de débris; enfin les matières brunâtres qui remplissent son intestin , lorsqu'il l’abandonne, tout démontre qu'il se nourrit quelque temps aux dépens des parois mêmes de sa boulette natale. Les pattes supplémentaires du mile, surtout celles de la dernière paire, ser- vent apparemment de larges el vigoureuses palettes pour pétrir l’humus , et le rouler en globule autour de chaque œuf, à mesure que la femelle opère sa ponte. Mes jeunes Glomeris étant morts quelque temps après, je n’ai pu continuer le journal de leur développement. Polyxenus lagurus. De Geer à fait connaître en partie le développement de cette espèce (1). Mes observations, complétées par celles que nous devons à. cet habile investigateur , embrassent toutes les formes dont se compose l’évolution de ce Myriapode en miniature. 1% stade. 3 anneaux en dessus, non compris la tête ; 3 paires de pattes (De Geer). Il manque probablement ici l’énumération du segment anal qui est très court, et enseveli sous son pinceau de poils blancs, ce qui porterait à quatre le nombre des annneaux. 2e stade. Longueur, 4 millimètre ; 6 anneaux en y comprenant l'anal ; 6 paires de pattes. Un petit point rougeätre, première ébauche des yeux, de chaque côté de la tête. De Geer , qui a aussi observé cette forme, n’a compté que 5 anneaux, toujours appa- remment en négligeant l'anneau anal. 3° stade. 8 anneaux; 8 paires de pattes. L'appareil oculaire est dans le même état que précédemment. h° stade. 9 anneaux ; 40 paires de pattes. Les yeux n'ont pas changé. 5° stade. 8 anneaux ; 12 paires de pattes (De Geer). Je n'ai pas (1) Observations sur une espèce singulière de Millepieds ou Scolopendre (Acad. des sc. Savants étrangers, 1750). DES ORGANES REPRODUCTEURS DES MYRIAPODES, 285 observé celte forme ; le ncmbre des anneaux doit être de 9 pour les mêmes raisons que précédemment. 6° stade. Longueur, 2? millimètres ; 10 anneaux ; 13 paires de pattes; deux points oculaires rougeûtres et diffus de chaque côté ; pénis du mâle très saillant. La couleur n’a pas encore varié; elle est constamment restée d’un beau blanc. Mais sans acquérir de nouveaux segments, ni de nouvelles paltes, le Polyxène change graduellement de teinte, et devient grisätre. En même temps, les ocelles se mulliplient et se perfectionnent. Dans l'adulte, j'ai compté de chaque côté 5 ocelles très pelits, noirs, luisants, et {rès rapprochés. Ees plus grands Polyxènes observés par De Geer n'avaient que 12 paires de pattes. Cette forme a été prise pour la forme adulte, et, dans tous les ouvrages descriplifs, on trouve pour caractère de ce Myriapode 12 paires de pattes. J'en ai cependant reconnu 13 paires aux adultes, tant mâles que femelles. DEUXIÈME PARTIE. CHILOPODES,. CHAPITRE PREMIER. ORGANES DE LA GÉNÉRATION, $ 17. Organes femelles. Ovaire. — Mes recherches embrassent les genres Lithobius, Scutigera, Scclopendra, Cryplops et Geophilus. Dans tous, l'or- gane préparateur et éducateur des ovules forme un long sac impair, s'étendant de l'extrémité postérieure du corps jusque vers l’origine des glandes salivaires et vénénifiques. Cet organe est placé à la partie dorsale, au-dessus du tube digestif; fandis que, chez les Chilognathes , il est situé au-dessous de ce tube. Le sac ovarique est plongé dans du tissu adipeux de forme variable , et se trouve maintenu en place par de nombreux ramuseules trachéens qui se répandent dans l'épaisseur de sa paroi inférieure. En l’ouvrant longitudinalement, on reconnait que les ovules ne se développent que sur celle paroi occupée par un stroma unique ou placentaire, 286 FABRE, —- ANATOMIE qui s'étend presque d’un bout à l’autre du sac (fig. 9). Comme chez les Chilognathes, les ovules sont enfermés chacun dans une capsule ovarique , rattachée au placentaire par un très court pédicule. Ils sont fort inégalement développés d’un bout à l’autre du stroma ovuligène , les plus gros pêle-mêle avec les moins avancés. A mesure que leurs capsules se rompent, les ovules murs et libres s'entassent dans le sac ovarique qu'ils boursouflent irrégulière- ment. Pas plus que chez les Chilognathes, ce sac ne pouvant être comparé aux tubes ovariques des Insectes, je continuerai à le désigner par le nom de sac ovarique, en réservant le nom d'ovaire au stroma ovuligène unique qui double sa paroi inférieure. L’ovaire est donc unique chez les Chilopodes, contrairement à ce qui a lieu chez les Chilognathes. M. Léon Dufour , qui a donné l'anatomie du Lithobius forcipatus (A), est porté à croire que l'ovaire (sac ovarique) de celte espèce est divisé intérieurement en deux loges par un diaphragme longitudinal. Il n'en est rien, pas plus chez les Lithobies que chez les autres Chilopodes. D'ailleurs , l'existence d'un seul stroma ovuligène s'oppose évidemment à la présence d'un diaphragme. A cause de l’uniformité de cet appareil chez les divers Chilopodes , il est inutile d'en donner une descriplion par- ticulière pour chaque genre. Obviductes. —— Le stroma ovuligène s'arrête à une certaine distance de l'extrémité postérieure du corps; maisle sac ovarique se prolonge encore un peu en se rélrécissant, et se termine, enfin, soit par un oviducte double (fig. 10), dont les deux branches for- ment une anse qui embrassele rectum (Lithobius, Scutigera) ; soit par un oviducte simple (Scolopendra, Cryplops, Geophilus), qui, d’abord supérieur au rectum , plonge enfin au-dessous de lui, de sorte que, dans le cas d'un oviducte simple comme dans celui d’un oviducte double, l’orifice génital est inférieur à l'anus (fig. 44, 12 et 13). M. Léon Dufour n’a pas vérifié chez les Lithobies la manière dont l'ovaire se comporte en s’approchant de la vulve ; il admet, d’après les observations et les figures de M. Treviranus, que cet (1) Ann. des sc. nat, A"° série, t. IL. DES ORGANES REPRODUCTEURS DES MYRIAPODES. 287 ovaire se termine par un oviduete simple et dilaté à son extrémité postérieure. M. Straus-Durckheim est plus heureux, lorsqu'il décrit cet ovaire comme produisant deux ovidueles qui reçoivent le rectum entre eux (1). Quant au Scutigera araneoïdes, M. Léon Dufour, qui s’est également occupé de l'anatomie de ceïte es- pèce (2), ne parle pas de ses oviductes. Comme chez les Litho- bies , il y a deux oviductes qui embrassent le rectum dans leur anse. Réceptacles séminaux. — Chez les Lithobies, ces réceptacles ont été pris comme des réservoirs des quatre glandes génitales postérieures par M. Léon Dufour, qui admet que les déférents de ces glandes s'insérent au bout antérieur des réservoirs. Chez les Scultigères, ce savant apalomiste n’a pas aperçu les réservoirs spermaliques. Le disque lenticulaire opaloïde, qu'il décrit comme glandes sébacées, est, en effet, formé par les glandes accessoires, et non, comme le pense M. Siebold (3), par les réceplacles sémi- maux eux-mêmes. M. Stein a parfaitement reconnu ces réservoirs chez le Lithobius forcipatus et le Geophilus sub'erraneus. J'ai trouvé ces deux réceptacles séminaux chez tous les Chilo- podes. Ils sont constamment placés côte à côte sur la ligne médiane, dans les derniers anneaux du corps, au-dessous du tube digestif, et se composent de deux ulricules de forme variable, d’un blanc amylacé au centre et hyalins sur les bords. En les déchie rant, on reconnait qu'ils sont formés d'une tunique transparente fort délicate, et que leur contena consiste en un noyau blane com- posé de myriades de Spermatozoïdes capillaires, très longs et enche vêtrés en feutre serré. Chaque utricule se termine par un déférent capillaire, un peu rigide et tortueux. Ces réservoirs sont eylin- driques , arrondis aux deux bouts, chez le Lithobius forcipatus ; piriformes, chez le Sculigera araneoïdes (fig. 10); en massue, dont la partie étroite est capricieusement contournée, chez le Sco- lopendra complanata (lg. 11); en massue droite, chez les Cryplops hortensis et Savignyi (lig. 12); ovalaires, chez les Geophilus (4) Anal. comp., t. IL. (2) Ann. des sc. nut., 1. 11, 1834. (3) Anat. comp., p. 480. 288 FABRE. — ANATOMIE electricus, ilicis, convolvens (1); sphériques, chez le Geophilus Gabrielis (fig. 16). La paroi supérieare du vestibule génital porte, à une très petite distance de la vulve, deux petits mamelons charnus, placés sur la ligne médiane l’un à côté de l’autre. C’est dans ces mamelons que débouchent les déférents des réceptacles séminaux. Dans toutes mes observations, et j'en ai fait à toutes les époques de l’année , j'ai constamment trouvé les réservoirs séminaux des Chilopodes adultes remplis par un noyau de spermatozoïdes. C’est apparemment une pareille observation qui a porté M. Stein à annon- cer cette circonstance fort extraordinaire , qu’on trouve dans les (1) Ne pouvant rapporter ces deux Géophiles à aucune des espèces décrites par les auteurs, j'en donnerai ici les caractères : A. Geophilus ilicis. Tête ferrugineuse, cachant en entier les forcipules, Antennes pâles, de deux à trois fois aussi longues que la tête, composées de 4 4 articles diminuant graduellement de longueur de la base au sommet. Corps d'un jaune-paille, très pâle dans la région postérieure. Mâle: 96 paires de pattes ; appendices postérieurs sans onglet. Longueur, 80 millimètres. Femelle: 72 paires de pattes ; appendices postérieurs avec onglet. Longueur, 70 milli- mètres, Dans les deux sexes les appendices postérieurs sont conformés comme les pattes ordinaires, mais plus longs et composés de 6 articles, tandis que les pattes n'en ont que 5.— Commun autour des souches d'yeuse, et sous les pierres des collines boisées des environs. 2. Geophilus convolvens Tête très petite, ferrugineuse, couvrant en entier les forcipules. Antennes deux fois environ plus longues que la tête, ferrugineuses , composées de 14 articles moniliformes. Corps graduellement acuminé aux deux extrémités, plus large au milieu. Dos brun avec une ligne étroite et médiane pâle. Les flancs et le ventre pâles. Mâle : 66-68 paires de pattes ; appendices postérieurs élargis en palette, ferrugineux , de 6 articles sans onglet. Longueur, 62 millimètres. Femelle : 75-86 paires de pales ; appendices postérieurs con- formés comme les pattes ordinaires , de 6 articles avec onglet terminal. Lon- gueur, 70 millimètres. Reconnaissable au premier aspect par la manière dont il se pelotonne en boule en s’enroulant sur lui-même lorsqu'on l'irrite. 11 diffère , en outre, des trois au- tres Géophiles mentionnés dans ce travail par ses deux glandes vénénifiques en forme d utricules, dont les canaux excréteurs débouchent vers la pointe des for- cipules. Ces glandes sont accompagnées de deux glandes salivaires, qu'on re- trouve seules chez les trois autres espèces. — Commun dans les jardins. DES ORGANES REPRODUCTEURS ES MYRIAPODES. 289 réceplacles séminaux des Lithobies et des Géophiles, sans accou- plement préalable, des spermatozoïdes qui se développent dans ces organes en suivant les mêmes phases d'évolution que dans les tes- ticules des mâles. Le fait annoncé était par trop exceptionnel pour ne pas me faire désirer de m'en convaincre par mes propres re- cherches. A cet eflet, j'ai étudié Ja formation des spermatozoïdes dans les testicules des mâles ; j'ai décrit, dessiné les vésicules épi- théliales dans lesquelles se développent les filaments spermatiques, et, après m'être familiarisé avec les diverses formes de ces vési- cules , j'ai soumis les réservoirs des femelles à un examen compa- ralif, Sans entrer dans des détails fastidieux, je me bornerai à dire que, dans ces réservoirs, j'ai toujours trouvé des spermatozoïdes complétement développés, et jamais rien qui rappelàt de près ou de loin les vésicules mères des testicules. D'ailleurs les spermato- zoïdes des réceplacles étaient, la plupart du temps, rigides et im- mobiles , preuve manifeste qu'ils provenaient d'un résidu non employé à la fécondation précédente, et non d'une procréation sur place. Pas un seul Chilopode , quelle que fût l’époque de mon exa- men, n'a fait exception à celte règle. Je me crois donc fondé à conclure que l’assertion de M. Stein est erronée. Glandes accessoires. — À sa terminaison, le canal vecteur des ovules reçoit les déférents de deux ou de quatre glandes sur la na- ture desquelles les auteurs sont loin d’être d'accord. Pour M. Tre- viranus, les grappes sécrétoires qui accompagnent les oviductes des Lithobies ne sont que des masses adipeuses; pour M. L. Dufour, elles sont destinées à revêtir les œufs d’une sorte de vernis; en d’autres termes, ce sont des glandes sébacées. M. Straus-Durck- heim , considérant que ces organes se trouvent également chez les deux sexes, admet que les glandes qui terminent l'appareil génital mâle ou femelle des Lithobies et des Scolopendres ne sont autre chose que des organes urinaires. J'ai soumis les glandes de la Sco- lopendre à l’action de l'acide azotique et de l’ammoniaque sans jamais oblenir la moindre trace de muréxide. En traitant au con- traire de la même manière les vaisseaux de Malpighi, et surtout le produit blanc qu'ils déversent dans le rectum, j'ai toujours obtenu une belle couleur rose. L’acide urique est donc sécrété par les vais- 4° Série, Zoo. T. II, (Cahier n° 5.) 5 19 290 FABRE. —— ANATOMIE seaux de Malpighi, et les glandes terminales de l'appareil génital ont un autre usage que celui que leur attribue M. Straus. Leurs déférents n’ont aueun rapport avec les conduits séminaux des réservoirs. On ne peut donc pas les considérer comme sécré- tant un liquide destiné à préserver les spermatozoïdes de la dessic- cation et à les maintenir en bon état. D'ailleurs elles rempliraient fort mal leurs fonctions ; car, comme je Fai déjà dit, les spermato- zoïdes observés dans les réceptacles sont le plus souvent compléte- ment rigides et morts. Elles me paraissent destinées à revêtir les œufs d’un léger enduit, à les agglutiner, et surtout à faciliter l'accès du sperme dans les organes de la femelle, en faisant éclater les spermatophores que nous verrons déposer par les mâles. Chez les Lithobies et les Scutigères, on trouve deux paires de ces glandes ; chez les autres Chilopodes, 11 n’y en a qu’une seule paire. Elles sont toujours placées au-dessous du tube digestif. Dans le cas de quatre glandes, les déférents des deux du même côté se rendent ensemble à un orifice commun, qui déverse leur contenu dans le vestibule génital à une frès petite distance de son orifice. S'il n’y en a que deux , leurs déférents débouchent à part, l’un à droite , l’autre à gauche de la terminaison de l’oviduete. Lithobius forcipatus. Les glandes accessoires sont allongées, lancéolées, tantôt dia- phanes, tantôt d’un blanc amylacé, suivant leur degré de turges- cence. Leur contour est vésiculeux et comme festonné. Les deux paires sont inégales : l’interne est beaucoup plus petite. Scutigera araneoides (fig. 10). M. L. Dufour a vu chez cette espèce un disque lenticulaire semi- diaphane ou opaloïde , se terminant par un gros pédicule ; mais la seconde paire a échappé au savant anatomiste, ainsi que les récep- tacles séminaux. Les glandes internes sont diaphanes, minces, discoïdes, et four- nissent chacune plusieurs conduits capillaires groupés en faisceau , et se réunissant bientôt en un déférent commun. Les deux disques sont placés côte à côte, et adhèrent par leur côté interne aux ré- DES ORGANES REPRODUCTEURS DES MYRIAPODES. 294 servoirs spermatiques placés sur la ligne médiane. C’est probable- ment cette adhérence qui a mis en défaut l’habileté ordinaire de M. L. Dufour. Ces mêmes disques adhèrent par leurs bords externes aux glandes de seconde paire. Celles-ci sont allongées, lancéolées, d’un blanc amylacé, et festonnées sur les bords : tel est du moins leur aspect au mois d'août. A d’autres époques, elles sont hyalines, et parfois si appauvries, qu’elles peuvent facilement passer ina- perçues. Chez les autres Chilopodes, on ne trouve plus qu'une seule paire de glandes. Scolopendra complanata (6g. 14). Elles sont étroites, allongées et vésiculeuses sur les bords, comme chez les Lithobies. Cryptops Savignyi et C. hortensis (fig. 12). Les glandes accessoires prennent ici une forme lout à fait inso- lite. Elles se composent de deux vaisseaux d’une excessive lénuité et d’une longueur démesurée, car ils s’étendent depuis fes derniers segments jusque vers la base des glandes salivaires. Chacun porte sur sa face interne, et à des distances égales, une quinzaine de petites *vésicules rondes , blanches et sessiles. Ce double cordon de vési- cules est enchässé dans le tissu adipeux au-dessous du tube digestif. Bien que chaque vaisseau, à cause de sa ténuité, soit diffeile à dé- mêler au milieu du tissu adipeux avec lequel il se confond par sa coloration , on peut cependant l’isoler entièrement en suivant de proche en proche les vésicules qu'il porte, et qui, malgré leur exi- guité , se dessinent parfaitement bien par suite de leur teinte d’un “beau blanc. Dans leur partie terminale, les deux vaisseaux devien- nent blancs, parce qu'ils sont remplis d’une humeur d’un blane mat où flotte une pulviscule à grains transparents d’une extrême ténuité. Les vésicules renferment la même humeur. Geophilus Gabriclis (fig. 13). Cette espèce a deux glandules étroites, allongées , à paroïs vési- culeuses. 299 FABRE, — ANATOMIE Geophilus electricus, G. Ilicis et G. convolvens. Chez ces trois espèces, les glandes accessoires sont des plus pe- tites, et ce n’est pas sans difficulté qu’on peut les observer dans le dernier segment du corps. Elles sont formées d’une houppe blanche et arrondie de vésicules microscopiques, inégales et pédiculées. $ II. Organes mâles. On peut répartir les Chilopodes en deux groupes sous le rapport des organes reproducteurs mâles. Le premier groupe comprendles Lithobies et les Scutigères ; le second embrasse les Scolopendres , les Cryptops et les Géophiles. PREMIER GROUPE, Lithobius forcipatus (fig. 14). Cette espèce a déjà exercé le savant scalpel de M. Léon Dufour. MM. Treviranus et Stein ont également fait connaitre l'appareil reproducteur mâle de ce Chilopode ; aussi passerai-je rapidement sur la description de ses organes génitaux. Testicule. — La glande spermagene forme un tube impair, plu- sieurs fois replié, opaloïde et rigide. Son extrémité supérieure est. très déliée, et fixée par un ligament suspenseur d’une grande ténuité ; son extrémité inférieure est également capillaire , mais sa région moyenne se renfle graduellement. Ce tube est la seule partie de l'appareil où j'aie observé les cellules mères des spermatozoïdes ; aussi Jui donnerai-je le nom de testicule. M. Treviranus l’a égale- ment pris pour l'organe spermagène ; il le désigne sous le nom de vaisseau séminal du centre. C'est aussi l'opinion de M. Stein. M. Léon Dufour a vu des vésicules séminales dans ce boyan médian, et dans les deux tubes latéraux qui l’accompagnent. V'ésicules séminales. — Ces deux tubes sont cylindriques, par- tout d'égal diamètre et de moitié plus courts que le tube testiculaire. Dans leur état de turgescence séminale, ils sont d’un beau blane de lait, et si gonflés de sperme, qu'à la moindre piqure ce liquide s'écoule rapidement en jet d'apparence soyeuse. Pris dans ces tubes, le sperme se compose de pulviseule à grains très menus, et DES ORGANES REPRODUCTEURS DES MYRIAPODES. 293 d’écheveaux de spermatozoïdes complétement développés. Mais on n'y trouve jamais les vésicules spermagènes observées dans le tube médian , et dans celui-ci on ne voit pas non plus la pulviseule qui gonfle les premiers. M. Stein n’a pas trouvé de spermatozoïdes dans les tubes latéraux ; je les ai vus quelquefois moi-même uniquement remplis de pulviseule ; mais le plus souvent ils contenaient, en outre, d'innombrables faisceaux de spermatozoïdes. M. Treviranus les nomme réservoirs latérauæ. M. Léon Dufour, qui les confond sous le même nom avec le tube testiculaire , les appelle vésicules séminales. M. Straus les prend pour deux testi- cules ; M. Stein leur réserve le nom d’épididyme. Parmi toutes ces dénominations, la plus convenable me paraît être celle de M. Léon Dufour. J'appellerai donc vésicules séminales les tubes latéraux des Lithobies. Leur fonction est de servir de réservoir au sperme, et de sécréter le liquide Ruteux et la pulviseule qui se mélangent avec lui ausortir de la glande spermagène. Déférents. — Les deux vésicules confluent en arrière en une anse, dans la concavité de laquelle s’insère le tube testiculaire , tandis que de sa convexité partent deux canaux déférents, grêles et courts, formant eux-mêmes une autre anse qui embrasse le rectum, de manière que le tube digestif, placé au-dessous de l'appareil reproducteur dans la partie antérieure, passe au-dessus de lui dans les derniers segments, et que l'anus est supérieur à l’orifice géni- tal. Les deux déférents débouchent dans un court renflement ova- laire qui termine l'appareil, et que M. Treviranus prend pour un pénis, mais qui ne constitue qu'un simple renflement éjaculateur. Scutigera araneoïides (fig. 15). C’est encore M. Léon Dufour qui, dans ses infatigables investi- gations, nous à dévoilé la structure étrange des Sculigères ; aussi l'anatomie de ce Chilopode laisse-t-elle bien peu à désirer. J'ai été cependant assez heureux pour apercevoir quelques nouveaux détails d'organisation. Testicules. — Ns sont au nombre de deux, et se composent de deux utricules ovoïdes, rigides, semi-diaphanes, et terminés cha- eun par un conduit capillaire, capricieusement entortillé , et se 294 réuñiskant bientôt au conduit capillaire voisin pour former un tronc commun. Ce canal, d'un diamètre un peu plus considérable , se replie un grand nombre de fois, d’une manière fort élégante , de droite à gauche et de gauche à droite, et forme ainsi une sorte d’épididyme, qui recouvre d’une large bande la partie moyenne du tube digestif. En arrière, l’épididyme se divise en trois déférents : l’un médian rectiligne, les deux autres grêles et très flexueux. Le premier se rend dans un sinus profond, formé par la confluence des deux vésicules séminales ; les seconds relient le déférent moyen avec la partie supérieure du canal éjaculateur du même côté. Ces canaux latéraux ont échappé à M. Léon Dufour. Vésicules séminales. — Ce sont deux sacs oblongs portant sur leur côté externe une vingtaine de petites vésicules sessiles qui rén- dent ce côté tout festonné. A issue de ces sacs commencent les deux conduits éjaculateurs qui se renflent peu à peu, et finissent par acquérir, dans leur état de turgescence, un diamètre considé= rable. Leur portion renflée est remarquable par son élasticité, qui fait jaillir violemment le liquide laiteux dont elle est gonflée , lorsque avec la pointe d’une aiguille on pique sa paroi. M. Léon Dufour appelle testicules ces deux sacs festonnés, et il donne le nom de vésicules séminales aux deux utricules que je prends pour les glandes spermagènes. L'examen microscopique ne permet pas de se méprendre sur la nature de ces deux organes: A la fin de l'été les deux utricules terminaux renferment d’innom- brables faisceaux de spermatozoïdes et des myriades de cellules spermatiques. Les deux conduits capillaires quiles continuent ren- ferment aussi des spermatozoïdes, mais pas de cellules. Cette pre- mière partie de l'appareil reproducteur est opaloïde ; Je reste, épi- didyme, vésicules séminales , conduits éjaculateurs , est d’un blanc de lait, et ne renferme pas encore de spermatozoïdes, mais un liquide tenant en suspension un nombre immense de corpuseules elliptiques, diaphanes et très menus. Parmi ces corpuscules s’en trouvent d’autres, en plus petit nombre , régulièrement ovales , parfaitement diaphanes , et d’un diamètre une dizaine de fois plus grand. Entre ces deux extrèmes on voit d’autres corpuscules de grosseur intermédiaire, et qui démontrent qu'ils sont tous de FABRE, —— ANATOMIE s DES ORGANES REPRODUCTEURS DES MYRIAPODES. 295 même nature. C’est un spectacle admirable que ces myriades de petits corps : les uns, plus petits et plus nombreux, formant comme un fond de tableau tout semé de points diaphanes ; les autres, beau- coup plus grands , étalant çà et là leurs transparentes et larges ellipses. Les sacs festonnés doivent sécréter ce liquide laiteux et ces corpuscules elliptiques , car ils en contiennent encore plus que les autres organes. Les utricules terminaux, au contraire, n’en renferment pas la moindre trace, mais simplement des spermato- zoïdes et leurs cellules mères. Je regarde donc ces derniers comme des testicules, et les sacs festonnés comme des vésiculesséminales, comme les analogues des deux tubes latéraux des Lithobies, tubes qui sécrètent eux-mêmes un liquide laiteux tenant en suspension de menus corpuscules. DEUXIÈME GROUPE. Les autres Chilopodes présentent une uniformité remarquable dans leur appareil génital mâle. Les glandes spermagènes sont for- mées d’un nombre variable d’utricules fusiformes, tantôt isolés, tantôt réunis deux,par deux, et toujours terminés aux deux extré- mités par un conduit capillaire d’une grande ténuité, qui se rend dans un canal médian commun également très délié. Scolopendra complanata (fig. 16). Les utricules testiculaires, au nombre de 24, sont intimement accolés deux par deux, et forment ainsi 42 couples disposées en chaîne longitudinale , dans la première moitié des 19 derniers segments qui logent l’ensemble de l'appareil reproducteur. Chaque utricule produit à ses deux extrémités un canal capillaire assez court, qui s’unit étroitement avec le canal correspondant du second utricule de la même paire, mais sans se confondre avec lui. Enfin les deux canaux excréteurs d'une même extrémité de chaque couple plongent ensemble dans un canal longitudinal commun à toute la série. Ce canal commun se termine en avant par un bout délié, aveugle , qui sert de ligament suspenseur et s’attache sur le dos du jabot, entre les glandes salivaires. Son extrémité inférieure se continue avec l’épididyme. 296 FABRE. — ANATOMIE Épididyme. — Je donne ce nom à un canal fort long, mais très étroit, d’un blane jaunâtre , très snueux , et entortillé un grand nombre de fois sur lui-même. Bourse des spermatophores. — L'épididyme est suivi par un large boyau noduleux, irrégulièrement replié sur lui-même, où se forment les spermatophores, et qui sécrète l’enveloppe albumi- neuse de ces singuliers appareils fécondateurs. Vésicule séminale. — À la bourse des spermatophores fait suite un canal droit ou conduit éjaculateur qui, à peu de distance de l'orifice génital , produit un boyau flasque , irrégulier, formant une anse dont les deux bouts communiquent à des hauteurs un peu inégales avec le conduit éjaculateur. FPai fréquemment trouvé ce boyau plein d’une substance blanche formée de pulviseule à grains très menus, substance qui, dans la bourse aux spermatophores, se mélange avec le produit testiculaire. Cet organe me paraît être l’analogue dégénéré des tubes latéraux des Lithobies et des sacs festonnés des Sculigères. Je lui donne done, comme aux premiers, le nom de vésieule séminale. Son rôle doit être fort secondaire , car on n’en trouve plus de traces chez les autres Scolopendrites. L’anse fermée que décrit celte vésicule séminale est traversée par le rectum. Plusieurs auteurs se sont occupés de l’anatomie des Scolopen- drites. Müller (4) et Kutorga (2) nomment Scolopendra morsitans l'espèce qui fait le sujet de leurs recherches. M. Straus (3) donne également quelques détails sur une Scolopendre à laquelle il applique le même nom. Comme le dit M. Lucas (4), on doit avoir confondu sous le même nom de Scolopendra morsitans des espèces diffé- rentes, car il serait impossible de se rendre compte autrement des résultats contradictoires où sont arrivés les anatomistes qui ont porté le scalpel dans les entrailles de ce roi des Chilopodes. Les deux tubes variqueux, reliés par des anastomoses, de la figure que donne J. Müller, ne rappellent en rien l'appareil testiculaire que Zür anatomie der Scolopendra morsilans (Isis, 1829). Anat. comparalive, 1) 2) Scolopendræ morsitantis analome. ) Hist. nat. des Crustacés, des Arachnides el des Myriapodes. ( (3 n DES ORGANES REPRODUCTEURS DES MYRIAPODES, 297 je viens de décrire. La description que je trouve dans Straus con- corde mieux avec ee que j'ai vu. Cet habile anatomiste ne décrit cependant que huit paires d’utricules testiculaires, tandis que j'en ai trouvé constamment douze paires. Enfin il décrit, dans la partie terminale de l'appareil, (rois paires de glandes , dont deux ressem- blent à deux petites masses de graisse , et dont une est filiforme. Je ne m'explique pas cette troisième paire, à moins que la vésicule séminale n'ait donné lieu à cette illusion. Pour éviter toute confu- sion, bien que le nom de morsitans soit appliqué par quelques au- teurs à la Scolopendre du midi de la France, j'ai adopté la dénomi- nation de Scolopendra complanata que Latreïlle lui donne (4). Sa description est d’ailleurs la seule que j'aie trouvée convenant par- faitemént à l'animal que j'ai étudié, el qui abonde sur les collines boisées des environs d'Avignon. Cryptops Savignyi et C. hortensis (fig. 17). L'appareil reproducteur mäle a la même conformation chez ces deux espèces congénères. Les testicules sont au nombre de quatre. Comme chez les Scolopendres, ils ont la forme d’utricules graduel- lement acuminés, et terminés par un conduit capillaire à chaque bout; mais, au lieu d’être groupés par couples, ils sont indépen- dants l’un de l’autre. Le canal capillaire qui les relie se renfle brus- quement vers l’origine du ventricule chylilique, et donne naissance à un conduit tortueux ou épididyme, suivi d’une portion encore plus large où se forment les spermatophores. Enfin l'appareil se termine par un canal éjaculateur droit et dépourvu de la vésicule séminale que possèdent les Scolopendres. Geophilus (fig. 18). Les quatre espèces que j'ai étudiées possèdent toutes deux ufri- cules tesliculaires fusiformes , reliés par les deux bouts à un canal capillaire commun. L'épididyme est formé par un vaisseau délié , plié et replié dans tous les sens d’une manière inextricable. Lorsqu'il est développé , sa longueur est démesurée dans quelques espèces. Chez le G. Ga- (1) Nouveau Dict. d'hist. nat. 298 © FABRE. — ANATOMIE brielis, il atteint presque L décimètre , et chez le G. Ihcis il égale en longueur le corps de l'animal. Chez le G. convolvens, il est beau- coup moins long, capillaire à ses extrémités, et un peu renflé dans sa partie moyenne. Après l’épididyme, survient subitement un boyau beaucoup plus large et plus court, tantôt à peu près droit (G. convolvens), tantôt pelotonné. De ce boyau , part une arcade qui fournit deux conduits plus ou moins flexueux, de même diamètre et de même apparence que le canal unique d’où ils émanent; c'est dans ces deux branches et dans la partie élargie du canal simple qui les précède que s’or- ganisent les spermatophores. Les deux branches s’atténuent insen- siblement en arrière , et se rejoignent de nouveau pour former un canal éjaculateur très court. Avant d'effectuer cette jonction, cha- cune se renfle, chez le G. Gabrielis, en une petite ampoule. Le rec- tum s'engage toujours dans l’anse allongée formée par cette partie terminale de l'appareil reproducteur. Glandes accessoires. — M. Léon Dufour a vu quatre de ces glandes chez les Lithobies , mais il a laissé passer inaperçues celles des Scutigères ; Kutorga en a reconnu également quatre chez les Scolopendres ; Stein n’en attribue que deux aux Géophiles. D'après mesrecherches, les Lithobies, Scolopendres, Cryptops etGéophiles, en ont qualre ; les Scutigères n’en ont que deux. Rien n’est plus varié que l'interprétation qu'on a donnée des glandes génitales postérieures des Chilopodes. J'ai déjà dit, en décri- vant les organes femelles, que M. Treviranus les a prises pour des mässes adipeuses ; M. Straus pour des organes urinaires, M, Léon Dufour les prend, chez les Lithobies mâles, pour les testicules ; M. Duvernoy (1) les compare aux prostates des Mammifères. Le mode de terminaison de leurs conduits excréteurs peut jeter quel- que jour sur leurs fonctions problématiques, en démontrant que leur produit n’est pas déversé dans le canal vecteur du sperme, et ne peut être par conséquent assimilé soit au sue prostatique, soit à tout autre fluide destiné à se mélanger avec le fluide séminal. Chez les Chilopodes, l'anus et l’orilice génital sont renfermés (1) Cuvier, Anal. comp., 2° édit., & VILLE. DES ORGANES REPRODUCTEURS DES MYRIAPODES,. 299 ensemble dans un petit étui corné, composé de deux faibles écailles concaves placées l’une au-dessus, l'autre au-dessous. Cet étui génito-exerémentiel est rétractile , et l'animal peut le faire légère- ment saillir ou l’abriter sous la dernière plaque dorsale. Sa eavité est divisée transversalement par une cloison charnue qui sépare les deux orifices. L'orifice supérieur est l’anus , l’autre est l’orifice génital. Chez la Scolopendre, l'écaille inférieure formant le plan- cher de l'orifice génital est revêtue à l'intérieur d’une lame char- nue, linguiforme, et creusée d’une goultière sur sa ligne médiane. De chaque côté de cette gouttière se voient, couchés contre les bords latéraux de l'écaille, deux petits tubes rigides et libres en arrière , et qui, en avant, plongent dans l'épaisseur des tissus. Leur extré- mité libre arrive au même niveau que le bord postérieur de l’écaille qui les porte. En les suivant de proche en proche, on ne tarde pas à les voir se diviser chacun en deux canaux capillaires, qui sont les conduits excréteurs des deux glandes du même côté : l’une interne, plus petite ; l’autre externe , plus grande (fig. 16). Puisque leurs canaux sécréteurs se terminent à l'extrémité même de l’étui génito- excrémentiel, il est évident qu’elles ne fournissent pas un liquide complémentaire du sperme, destiné à se mélanger intimement avec lui. D’après une observation que je rapporterai bientôt , je crois qu’elles sécrètent une sorte de nidamentum, sur lequel le mâle dépose son produit, et, pour ainsi dire, pond ses spermatophores. Lithobius forcipatus (fig. 14). Les quatre glandes sont allongées, lancéolées, en forme de sacs conoïdes , aplatis , et irrégulièrement vésiculeux à la surface. La paire externe est deux fois environ plus longue que l’autre ; ses déférents sont très courts. La paire interne a, au contraire, deux longs conduits excréteurs. Scutigera araneoïdes (fig. 45). I n'y a ici que deux glandes ; elles sont fort petites, et compo- sées de vésicules groupées à l'extrémité d’un pédicule assez gros, mais très court. 300 FABRE. — ANATOMIE Scolopendra complanata (fig. 16). Elles rappellent par leur forme celles des Lithobies. Cryptops Savignyi et C. hortensis (fig. 47). La paire interne a la forme remarquable des glandes des femelles, et se compose de deux longs vaisseaux sinueux portant latérale- ment une quinzaine de vésicules arrondies. La paire externe est formée de deux longs vaisseaux pareils aux premiers, mais dépour- vus de vésicules. Geophilus (fig. 48). Les quatre espèces étudiées ont toutes deux paires de glandes. M. Stein n’en a vu qu'une paire chez le Geophilus sublerraneus. Les glandes internes sont environ trois fois plus courtes que les autres et flexueuses ; elles sont formées, les unes comme les autres, d’un sac cylindrique, très étroit relativement à sa longueur, et dont l'axe est parcouru par un canal diaphane, émettant de toutes parts, sur son trajet, des houppes glanduleuses, très touffues, en forme d'arbuscules. C’est ce canal qui, en se continuant hors du sac, forme le conduit excréteur. Spermatophores. Les spermatozoïdes des Chilopodes sont capillaires, et d’une longueur démesurée. Ceux des Géophiles sont contournés en pas de vis fort lâche, ce qui leur donne à plat une apparence régulière- ment ondulée ; les autres n’ont jamais cet aspect. Chez les Lithobies et les Scutigères, les spermatozoïdes se groupent simplement en papillotes plus ou moins régulières, en écheveaux d'autant mieux formés qu’on les observe plus près de l’orifice génital. Mais chez les Scolopendres, les Cryptops et les Géophiles, ils sont renfermés dans des capsules communes d’une structure très remarquable, et analogues aux spermatophores des Céphalopodes et de quelques Crustacés. Scolopendra et Cryptops. C'est dans la partie la plus renflée du canal vecteur du sperme, partie que j'ai appelée bourse aux spermalophores, que se forment DES ORGANES REPRODUCTEURS D4S MYRIAPODES. 301 ces appareils singuliers. Les spermatozoïdes traversent lentement l'épididyme, groupésen longs écheveaux. Arrivés dans cette bourse, ils se roulent en papillotes, qui se réunissent en grand nombre pour former un petit noyau blanc. Ce noyau se revêt d'abord d’une couche de pulviscule blanche , et enfin de deux tuniques super- posées. Le nombre des spermatophores n’est pas considérable : je n’en ai jamais trouvé plus de sept, le plus souvent même moins. Complétement formés , ils ont 3 millimètres de diamètre chez la Scolopendre, et 4 millimètre chez les Cryptops. Leur forme est la même chez les deux genres, etse rapproche de celle d'un rein tri- cuspide (fig. 19, 20, 21) au côté concave. Leurs tuniques sont au nombre de deux. L’extérieure est très épaisse, transparente comme du cristal, et douée d’une grande élasticité qui la fait se tordre et se contourner même dans l’eau, quand on la découpe par lambeaux. Elle enveloppe étroitement de toutes parts le spermatophore, en laissant cependant au côté concave une boutonnière béante. A chaque coin de celte boutonnière, la tunique externe se renfle en petite dent cristalline. La seconde tunique est très fine, flasque, et forme une poche sans issue qui renferme des myriades de papillotes spermaliques. Par la boutonnière ou orifice de Ja première tunique, le sac interne fait hernie, et laisse échapper un mamelon d’un blane mat, placé entre les deux dents cristallines (fig. 19-21). Dans l’eau , ce mamelon se gonfle , devient de plus en plus saillant, et finit par crever en vomissant un torrent de faisceaux de Spermato- zoïdes convolutés. En un instant, le spermatophore est vidé par la contraction de la membrane élastique (fig. 20). Geophilus (fig. 22). Les spermatozoïdes, au lieu de se convoluter en papillotes, s’enroulent plusieurs ensemble cireulairement, et superposent leurs divers tours de spire, de manière à figurer un anneau, ou mieux un court eylindre ereux de cordes enroulées. Chaque cylindre se revêt alors d'une couche protectrice, formée de pulviseule hyaline, faiblement agglutinée. Au moindre contact, cette enveloppe fugace se dissipe en légers flocons. On trouve ces cylindres par milliers dans les deux tubes parallèles terminant l'appareil reproducteur, et 302 FABRE. — ANATOMIÉ dans la portion renflée du canal qui les précède. Dans l’épididyme et plus haut, les spermatozoïdes sont simplement groupés en fais- ceaux. A l'œil nu, ces cylindres apparaissent comme de petits points blancs, arrondis, à contour très net; avec un peu d'attention, on peut même reconnaitre que le centre de ces points cireulaires est évidé. Mais ce n’est qu'avec le secours du microscope qu’on peut contempler tout ce qu'a de merveilleux cette admirable archi- tecture spermatique ; alors, en effet, chaque point devient une cou- ronne, un anneau où plutôt un cylindre, rappelant on ne peut mieux la forme d’un tas de câbles empilés. Bientôt le spectacle s’anime ; une mystérieuse impulsion est communiquée à ces éton- nantes machines, et chaque cylindre se met à tourner rapidement autour de son axe. Peu à peu les extrémités caudales des sperma- tozoïdes qui le composent se dégagent du groupe, s’échappent tan- gentiellement, et rayonnent en plus ou moins grand nombre dans toutes les directions , et, pendant que le cylindre tourne , chaque spermatozoïde enroule autour de lui sa partie libre, tout en exécu- tant des mouvements de reptation onduleux comme ceux d’un serpent. D’autres fois le cylindre se divise en deux, trois parties reliées par un filament; alors la gyration de deux fragments voisins se fait en sens contraire , l’un s’enroule, l’autre se déroule, et le filament qui les relie accroît le premier aux dépens du second. Ces mouvements durent près d’une demi-heure avec la même vivacité , puis se ralentissent graduellement ; alors la gyration, au lieu de s'effectuer toujours dans un même sens , devient alternative , et à périodes d’autant plus courtes que le phénomène touche plus à sa fin. Un même cylindre s’enroule ou se déroule tour à tour , et les filaments qui s’en échappent tangentiellement s’en rapprochent ou s’en éloignent. Enfin toutrentre dans le repos, sans que le cylindre soit déformé. Mais il n’en est pas toujours ainsi : au moment de la plus grande violence de la gyration, les spermatozoïdes font effort pour se dégager, desserrent leurs tours de spire, et émettent loin du eylindre des boucles, dont les deux branches se tordent ensemble, autant que le permet leur longueur, puis se détordent pour recom- mencer immédiatementune nouvelle torsion. Lorsque ces boucles deviennent abondantes, le eylindre se détruit peu à peu; les divers DES ORGANES REPRODUCTEURS DES MYRIAPODES. 303 filaments spermatiques s’enlacent , s’enchevêtrent d’une manière inextricable , et avec tous ces mouvements discordants le désordre est bientôt au comble ; dans ce cas, la fin du mouvement s'annonce par de lentes oscillations , que les boucles exécutent en se tordant faiblement dans un sens, puis dans l’autre. Enfin, disons-le, ce spectacle étrange, ces cylindres qui tour- nent sur eux-mêmes, qui s’enroulent ou se dévident, ces spermato- zoïdes qui progressent en serpentant , tout cela n’est qu'une illu- sion , mais une illusion si parfaite, que ce n’est qu’en tenant des heures entières le regard attentivement fixé sur le microscope, que j'ai pu me rendre compte de ces bizarres apparences. En examinant l'extrémité eaudale d’un spermatozoïde qui paraît s’enrouler sur un cylindre, on reconnaît que, malgré l'apparence d’une vive pro- gression du filament, son point terminal n'avance pas, et fouette constamment les mêmes corpuscules en suspension dans le liquide. En outre , un examen soutenu de cette extrémité démontre que le filament spermatique n’a pas la forme d'une ligne ondulée située dans un même plan, comme le font croire les premières appa- rences , mais bien celle d’une hélice à tours de spire largement distants. Cette forme hélicoïde explique parfaitement l'illusion pro- duite. Qui ne sait, en effet, qu'un tire-bouchon qu'on fait tourner autour de son axe paraît progresser dans un sens ou dans l’autre , suivant le sens de sa rotation, sans réellement changer de place. Les spermatozoïdes des Géophiles n’ont donc pas de mouvement de translation, mais simplement un mouvement révolutif autour de leur axe , mouvement qui, combiné avec la forme hélicoïde , pro- duit Ja gyration illusoire des cylindres, et la reptation apparente des filaments spermatiques. Fécondation. Pourquoi tout ce luxe de précautions au sujet de l’élément fécon- dant ? Pourquoi ces spermatophores, ces capsules hermétiquement closes, qui ne doivent éclater qu’à un moment donné; ces glandes génilales postérieures, si constantes dans leur nombre, si variables dans leur forme, mais toujours remarquables par leur grand déve- loppement? Pourquoi ces grappes sécréloires , ces sacs glandu- 304 FABRE, — ANATOMIE laires, ces cordons de vésicules, qui attendent le sperme à son passage pour le revêtir, sans doute, d’une nouvelle enveloppe pro- teetrice ? L'élément mâle n’est done pas introduit directement dans l'organisme de la femelle , puisqu'il est si soigneusement prémuni contre les agents extérieurs; en d’autres termes, iln’y a done pas d’accouplement ? Aucun Chilopode ne possède d’organe copulateur, car on ne peut donner, comme le fait M. Treviranus , le nom de pénis au léger renflement qui termine le canal vecteur séminal des Litho- bies. Si l’accouplement à lieu, ilne peut s'opérer que par le retour- nement de la portion terminale du conduit éjaculateur. D'un autre côté, personne, que je sache, n'a été témoin de cet accouplement. Je n’ai pas été plus heureux. Deux années entières j'ai poursuivi mes recherches sur ces animaux; jamais je n’en ai vu d’accouplés, pas même parmi les nombreux individus de tout genre que je tenais en captivité, et que j'avais sans cesse sous les yeux. Ce n’était pas, du reste, sans difficulté que je parvenais à main- tenir dans chaque vase un nombre de mâles en rapport avec celui des femelles. La cohabitation des deux sexes donnait invariable- ment lieu à d’atroces tragédies, car les femelles, plus vigoureuses, rongeaient impitoyablement la tête de leurs mâles. Les Scolopen- dres surtout montrent à un haut degré cette étrange antipathie tra- hissant des amours sanglantes que le mâle ne saurait satisfaire sans encourir de graves périls pour sa vie. En liberté, cette antipathie s'étend même entre des individus de même sexe. Il ne m'est pas arrivé une seule fois de rencontrer deux Scolopendres au même gite, si jeunes qu'elles fussent. On sait que chez les Aranéides, les amours sont tout aussi tragiques, ce qui n'empêche pas le mâle de fléchir sa femelle et d'opérer la fécondation ; aussi je me hâte d’ar- river à un fait plus concluant. A la fin de septembre , en examinant des Geophilus convolvens , que je lenais depuis quelque temps en captivité, j'aperçus dans les couloirs pratiqués par ces animaux, au sein du terreau qui leur ser- vait de demeure, de très petits réseaux formés de filaments ara- néeux et disposés de loin en loin (fig. 23). Leur trame se composait d'un petit nombre de fils tendus en travers d’une paroi à l’autre du DES ORGANES REPRODUCTEURS DES MYRIAPODES, 305 couloir , et irrégulièrement croisés. D'autres réseaux pareils se montraient hors du terreau, et étaient tendus entre quelques brins de mousse dont j'avais achevé de remplir le bocal. Au centre de chacun était appendu, loin du contact de tout corps étranger, un globule sphérique blanc de la grosseur d'une petite tête d’épingle , et que je pris d'abord pour un œuf. Ayant détaché un de ces ré- seaux , je soumis au microscope le globule dont l'enveloppe déli- “ale éclata au premier contact. Quel ne fut pas mon étonnement en reconnaissant dans ce globule une gouttelette de sperme avec ses cylindres de spermatozoïdes en pleine giration ! Plusieurs au- tres furent recueills , les résultats furent les mêmes. Quelque inex- plicable que fût ce fait si exceptionnel , le doute était impossible ; j'avais bien sous les veux du sperme de Géophile. Au bout de deux ou trois jours, ces premiers globules avaient disparu, soit desséchés, soit ravagés par des Acarus, qui s'en montraient friands. Mais de nou- veaux réseaux étaient déjà tendus avec leur gouttelette au centre , et ainsi de suite pendant un mois et demi environ; de sorte que malgré leur prompte destruction, il y en avait constamment cinq ou six dans le flacon. J'observai les derniers le 42 novembre. Ce fait s'est done répété trop souvent et avec trop de régularité pour pouvoir être regardé comme accidentel. Ainsi il est démontré expérimentalement que les Géophiles, et par suite les autres Chilo- podes, déposent leurs spermatophores sur un réseau aranéeux, sur un nidamentum qui les isole et les protége du contact des corps étrangers qui pourraient les souiller. Le fluide séminal devant ainsi rester quelque temps livré à l’action des agents extérieurs, on se rend compte de ces glandes génitales postérieures dont on ne savait que faire, el qui doivent servir à lisser le nidamentum; on s'explique enfin la nécessité de ces capsules protectrices du sperme si solides, si soigneusement closes chez les Scolopendres et chez les Cryptops, capsules d’ailleurs contradictoires avec un accouplement. Que devient ce spermatophore ? L'observation m'a fait défaut au moment où, après de nombreuses tentatives infructueuses , je commencçais à espérer la révélation de ce mystère physiologique. Bien qu’il y eùt des femelles dans le même vase, aucune n’a répondu à l’appel du mâle, car je n'ai pas obtenu de ponte. À en juger par 4° série, Zoor, T. HIT, (Cahier n° 5.) 4 20 306 FABRE. — ANATOMIE leur taille, et par leurs ovaires que j'ai examinés quand les mâles ont cessé de filer leurs réseaux spermatiques, j'ai lieu de croire qu’elles n'avaient pas encore atteint l'âge nécessaire à la maturité des ovules. On pourrait croire que la femelle vient déposer ses œufs autour du spermatopbore qui, ramolli au moyen des humeurs sécrétées par les glandes génitales, éclate et chasse son contenu. La fécondation s'opérerait alors par l'infilration du sperme à travers le tas d’ovules. Mais alors d'où proviendrait le sperme des réservoirs séminaux des femelles ? Faut-il, avec M. Stein, admettre qu'il se forme dans ces appareils ? L'observation m'a prouvé le contraire. Je crois plutôl qu'avant la ponte, la femelle en possession d’un spermatophore le fait éclater, soit sur le réseau nidamentaire , soit dans sa vulve , en l'arrosant du produit de ses glandes génitales, et en conserve le con- tenu dans ses réservoirs jusqu'à l'expulsion des ovules, qui seraient fécondés au moment de leur passage devant les mamelons où se rendent les déférents de ces réservoirs. Les spermatozoïdes, que ces derniers conliennent dans toutes les saisons, proviennent ainsi du fluide séminal non employé. Leur rigidité, leur manque de mouvement démontrent qu'ils ne forment plus qu'un résidu désor- mais impropre à la fécondation : c’est ce que l'expérience confirme pleinement. En juin, un Geophilus electrieus pondit même sous mes yeux. Les œufs, au nombre d'une trentaine, étaient ronds, blan- châtres, et groupés en petits tas. La ponte achevée, la mère s’est roulée en spirale autour de ses œufs, qu’elle paraissait surveiller ; mais quelques heures après, je l'ai surprise à les dévorer avec avi- dité. Je suis cependant parvenu à en sauver la majeure partie que j'ai mise en surelé, et j'ai soumis au scalpel les entrailles de la mère dénaturée. J'ai constaté que les vésicules séminales renfermaient des spermatozoïdes, aussi ai-je compté sur la prochaine éclosion de ces œufs précieux. Vain espoir! en peu de temps ils se sont moisis et complétement détruits. Is n'étaient done pas fécondés, et la mère n'a pas été aussi dénaturée que je le croyais : elle n’a fait que détruire une ponte stérile, J'ajouterai que, dans le vase qui renfer- imait celte femelle, je n'avais jamais observé de réseaux sperma- tiques. C'est Ià, sans doute, la cause du peu de succès de celte ponte. Quelle que soit la manière dont s'effectue la fécondation , il me DES ORGANES REPRODUCTEURS DES MYRIAPODES. 307 paraît établi qu'elle se fait sans accouplement. L'absence complète d'organes copulateurs, les capsules protectrices du sperme, lanti- pathie de ces hideux animaux , les réseaux spermatiques des Géo- philes, tout me fait croire que le mâle dépose furtivement les sper- malophores sur des réseaux tendus dans les couloirs souterrains; et que c’est là que la femelle, guidée par son instinet et pressée par son fardeau , doit venir trouver l'élément complémentaire de ses ovules. CHAPITRE II. DÉVELOPPEMENT. Lithobius forcipatus. M. P. Gervais a fait connaître en partie l’évolution de cette espèce (1). Mes observations confirment et complètent celles du savant professeur. Ayant recueilli, dans un Saule à demi pourri, du terreau où j'avais vu beaucoup de Lithobies, je fus assez heureux pour y trou- ver des jeunes en abondance, et même des œufs qu'il me fallut rechercher un à un. Ces œufs sont ronds, d’un blane jaunâtre, et de 1 millimètre environ de diamètre. En ayant ouvert un, je pus en extraire une jeune Lithobie possédant six paires de pattes, et les rudiments d’une seplième paire sous forme de deux petites pointes coniques. Ainsi, dans l'œuf même, l’évolution des pattes n’est pas simultanée, et s'opère d'avant en arrière comme après l'éclosion. Les œufs recueillis ne tardérent pas à éclore, et, le 1% mai, je pus observer quelques Lithobies qui en provenaient. 1° stade. Au sortir de l'œuf, le jeune est composé de 10 seg- ments, non compris la tête, et possède 7 paires de pattes et 7 ar- ticles aux antennes. Sa couleur est uniformément d'un beau blane, excepté deux petits points rougetres placés de chaque côté de la tête, et qui sont les deux premiers ocelles. Sa longueur atteint 2 millimètres au plus. Sur l'avant-dernier segment appa- raissent bientôt deux tubercules , qui s’allongent peu à peu en s’accolant aux côlés de l'anneau anal, dont ils atteignent l’extré- milé. Ces deux pointes coniques deviennent enfin des paltes. (4) Ann. des sc. nat., 2° série, t. VII. 308 FABRE. — ANATOMIE de stade. 44 segments; 8 paires de pattes; 2L articles aux antennes ; 2 ocelles rougeâtres de chaque côté. La couleur a changé. La tête est légèrement ambrée, et le reste du corps faiblement vio- Jacé. Deux paires de patles rudimentaires apparaissent ensuite en arrière , et le nombre des articles antennaires augmente ainsi que celui des ocelles. 8e stade. 13 segments ; 10 paires de pattes; 17 articles aux antennes; 4 ocelles de chaque côté, dont deux plus grands en arrière de Ja série. Deux nouvelles paires de pattes se forment bientôt à la suite des autres, et l'animal arrive au stade suivant. L° stade. 45 segments; 42 paires de pattes; 22 articles aux antennes; 4 ocelles de chaque côté. En peu de jours, sous la qua- torzième plaque dorsale, se montrent simultanément 3 paires de pattes rudimentaires. Au stade suivant, le nombre des pattes doit donc être complet. 5° stade. 47 segments; 15 paires de pattes ; 26 articles aux antennes; 6 ocelles de chaque côté sur deux rangées, el d'autant plus petits qu'ils sont plus antérieurs. Longueur, 6 millimètres. C’est à la fin de juin que j'ai observé ce dernier degré de déve- loppement. Les Lithobies mettent done à peu près deux mois pour acquérir les buit paires de pattes et les sept anneaux qui leur man- quent au sortir de l'œuf. Les ocelles et les articles antennaires con- tinuent encore longtemps à augmenter en nombre, sans qu'il y ait même de limite bien précise à cette augmentation. Sculigera araneoides, Je n'ai pas été témoin de l'éclosion des œufs de Seuligère ; mais en recueillant, au mois d'août, des jeunes plus on moins avancés dans leur évolution, et en les élevant , j'ai reconnu chez eux cinq stades comme chez les Lithobies, stades caractérisés par 7-9-11-43 et 45 paires de pattes. Les individus munis seulement de 7 paires de pattes se rapportent bien certainement à l’éelosion. Leur couleur pâle faiblement violacée , leur longueur de 2 millimètres à 2 milli- mètres 1/2 ne permettent pas d’en douter. D'ailleurs la conformité remarquable d'organisation des Scutigères et des Lithobies, leur mode commun de développement, démontrent à priori que le pre- D a... DES ORGANES REPRODUCTEURS DES MYRIAPODES. 309 mier stade des Scutigères doit être le même que chez les Lithobies. Ainsi l’évolution des Seutigères offre une grande ressemblance avec celle des Lithobies; mais elle est plus régulière , car l’accrois- sement du nombre de pattes est constamment de deux paires d’un stade à l’autre , tandis que, chez les Lithobies, il est d’abord d'une paire ; puis à plusieurs reprises de deux paires, et enfin de trois. Le nombre des articles des antennes et celui des ocelles participent à cet accroissement, Dans les individus les plus jeunes, j'ai compté de 60 à 70 ocelles de chaque côté. J'en ai reconnu environ 150 chez un adulte. Enfin les articles des tarses croissent également en nombre ; les jeunes, possédant 7-9-11 paires de pattes, ont seule- ment de 20 à 22 articles aux tarses. Dans un adulte, j'ai obtenu les nombres suivants, qui présentent ce fait remarquable d’être sensiblement égaux à égale distance des extrêmes d’une série, dont le premier terme est le nombre d'articles des antennes , et le der- nier le nombre d'articles des larses postérieurs : ÉMIDONER 4 - penser 400 art. A5 farses tt . . « A80 art. REANS .". à =... 49 à Lac at Vs PME 47 NL ANEe HE LITE 43 EMEA EU LIN 43 PT AU) « ta ul 41 DAPAUNCTELS DATE vs 44 NOR RATIO 40 AA RO RES Sas AS 39 DRE nier Le 40 MEET le AOC Ê 39 ee pote ni CA, 200 38 Wa Euee ace LATE 37 js), LUE URL TS GUReE 36 A M MU d'A Feb 36 H n’est pas moins remarquable que la première moitié de la série embrasse l’ensemble des organes appendiculaires du jeune au sor- tir de l'œuf, et la seconde moitié les appendices qui proviennent du bourgeonnement. Dans la première moitié du corps sont con- tenus les organes des sens et les parties essentielles de l'appareil digestif, en un mot ce qui est nécessaire à la conservation de l’in- dividu ; dans l'autre moitié est logé lappareil qui a rapport à la conservation de l'espèce. Ne dirait-on pas qu'à partir de sa région médiane l'animal se répète, mais en sens inverse ; qu'à la suite de l'individu, tel qu'il sort de l'œuf, et capable de se suffire à lui-même, mais impuissant pour l'espèce, il s’en forme par bourgeonnement un autre chargé de la propagation ? Une profonde modification de 310 FABRE, — ANATOMIE l’écusson dorsal de la région médiane marque la séparation de la partie antérieure d’origine ovulaire, et de la partie postérieure , d'origine gemmaire. En effet, le dernier écusson du jeune, au sortir de l'œuf, est précisément le plus grand de tous chez l'adulte, etsi différent des autres que Linné l’a appelé élytre (4). Cet écusson recouvre trois paires de pattes, dont les deux premières appar- tiennent au jeune dès l’éclosion, et la troisième à la partie du corps produite par bourgeonnement. Il est frappant de retrouver une modification analogue chez les Lithobies.Chez ces Chilopodes, les écussons dorsaux sont alternativement étroits ef élargis, à partir de celui qui recouvre les pinces. Cette loi se maintient parfaitement jusqu’au huitième qui est large ; mais le neuvième, qui devrait être étroit, est au contraire large comme le huitième; par delà, la loi d’alternance reparaît sans nouvelle interruption. Il y a done après le huitième éeusson une interversion dans la loi qui préside à la première moitié; or ce huitième anneau recouvre précisément la septième paire de pattes, c’est-à-dire qu'il est le dernier pédigère de ceux que possède le jeune lors de l’éclosion. L'évolution produit chez les Insectes deux organismes successifs et complémentaires : la larve qui vit pour l'individu, l’insecte par- fait qui vit pour l'espèce ; organismes qui passent de l’un à l’autre par les mystérieuses transformations de la nymphose. Il me semble voir un intime rapport entre la partie d’origine ovulaire des Chilo- podes et la larve, entre la partie d’origine gemmaire et l’insecte parfait. Mais ici la larve n’est pas transformée de fond en comble pour atteindre l'état parfait ; elle est continuée par l'organisme reproducteur ; il n’y a pas métamorphose d’un organisme relatif à la conservation de l'individu en un autre ayant rapport à la pro- création de l'espèce, il y a simple gemmalien du second par le premier. À ce point de vue, les modifications que l'âge amène chez les Chilopodes ne méritent pas le nom de métamorphose. Ces traces de dualité qui se manifestent dans la structure des Lithobies et des Seutigères ne rappellent-elles pas aussi d’une manière frappante ce qui se passe chez les Syllis , chez les Myrianides ? Supposons (4) Systema nature. DES ORGANES REPRODUCTEURS DES MYRIAPODES. all que, chez ces Annélides, l'organisme , l'individu reproducteur produit par bourgeonnement, soit unique, et ne se délache pas de la souche mère, n’aurons-nous pas à peu près la structure de ces deux Chilopodes ? Mais je me hâte de quitter ces considérations, qui, n'étant pas encore suffisamment muries, laissent un champ trop libre à l'imagination. Cryptops hortensis. Dans un vase où je tenais des Cryptops hortensis, j'apercus , au commencement de juillet, des jeunes qu'il m'est impossible de rapporter à un autre Chilopode que le précédent, bien que M. Paul Gervais en ait fait un genre nouveau sous le nom de Scolopen- drella, genre qu'il place dans sa famille des Géophilides (2). N'ayant pas été témoin de l’éclosion , j'ignore si j'ai réellement observé le premier stade de l’évolution. Les plus petits ont { millimètre 1/2 de longueur , huit paires de pattes et treize articles aux antennes. Le dernier segment (fig. 25) porte deux appendices exactement terminaux , rangés côle à côte parallèlement à l'axe du corps, et dirigés en arrière. Is sont for- més d'un seul article lancéolé, tout hérissé de cils, et portant au sommet un piquant roide, aigu et fort long. Ces appendices sont évidemment les rudiments des deux longues et grosses pattes qui terminent le corps des Cryptops, pattes que l'animal projette en arrière, sans les employer pour la marche. L’avant-dernier segment porte de chaque côté un petit mamelon conoïde, eou- ronné par quelques cils, et muni au sommet d'un cirre long et roide, courbé en are, et dépassant l'extrémité la plus reculée des appendices terminaux. Ce cirre exécute des mouvements trépida- toires, des oscillations plus ou moins rapides, et pourrait bien être de quelque usage pour la locomotion. Les deux mamelons cirri- fères forment les rudiments d’une nouvelle paire de pattes. Tous les autres segments sont pédigères, et ne présentent rien de parti- culier. Ce que la tête présente de plus remarquable, c’est l'absence des diverses pièces de la bouche. Je suis simplement parvenu au (4) Ann. des sc. nat., 3° série, {, II, 312 FABRE. — ANATOMIE microscope à apercevoir, à l'extrémité de la fête, un ostiole arrondi, un peu rembruni, et cilié sur les bords. Par Ja compression, j'ai mis à nu deux tubereules hyalins, très courts, faiblement recourbés, et placés de chaque côté de l’ostiole. Ces deux pointes obtuses pourraient bien être les rudiments des foreipules. M. Paul Gervais signale deux petits stemmates sur la tête de sa Scolopendrella. J'ai, en eflet, trouvé en arrière de la base des antennes deux points ronds, {rès bien cireonscrits, mais qu’il m'est impossible de prendre pour des yeux. À la lumière réfléchie, ces points sont d’un blanc mat, et se détachent nettement sur le fond hyalin de la tête. Vus par réfraction , ils deviennent sombres , presque noirs. On ne peut expliquer ces apparences qu'en admet- fant que les deux prétendus stemmates sont simplement deux points où les téguments de la tête ont une plus grande opacité qu'ailleurs ; au reste, ces deux points ne se montrent quelquefois ni par ré- flexion, ni par réfraction. Depuis le mois de juillet jusqu’au mois de décembre, j'ai vu mes jeunes Cryplops successivement avec 8, 9, 40 et 11 paires de pattes. Les articles des antennes étaient en même temps au nombre de 43, 44, 14 ou 45, 44 à 19. Muni de 11 paires de pattes, l’ani- mal a à millimètres de longueur. Sa couleur est encore d’un beau blane. Cryplops Savignyi. Je rapporte à celte espèce de jeunes Chilopodes , qui offrent la plus grande ressemblance avec les jeunes du Cryptops hortensis. Je les ai recueillis sous les pierres des collines boisées des envi- rons. Ils différent des premiers par leur plus grande taille, leurs antennes plus longues, et surtout par leurs plaques dorsales profon- dément échanerées en arrière et bordées d’un liséré d’un blane mat. Ils ont de même les deux taches pseudo-oculaires , les deux pattes rudimentaires terminales et les deux mamelons cirrifères. Les pièces de la bouche leur manquent également. Je crois pouvoir les rapporter au Scolopendrella notacantha de M. Gervais (4). En juin, un jeune de 4 millimètre 1/2 de longueur m'a [1 Ann, des se. nat., 3° série, {, IT, DES ORGANES REPRODUCTEURS DES MYRIAPODES. 313 montré 8 paires de paltes, les deux tubercules cirrhifères, les appendices terminaux et enfin 13 articles aux antennes. Ce résultat concorde en tout point avec ce que j'ai observé chez les jeunes du Cryptops hortensis. De cette époque jusqu’en décembre, j'ai pu recueillir des jeunes de 4 millimètre 1/2 à 4 millimètres de lon- gueur et portant de & à 12 paires de pattes. Enfin j'ai vu les an- tennes acquérir dans cette période jusqu'à 28-29 articles. Les Cryptops adultes n'ont que 47 articles aux antennes. Nous avons donc ici un fait inverse de fous les précédents, c’est-à-dire un plus grand nombre d'articles antennaires chez les jeunes que chez les adultes. Il faut done qu'avee lâge ce nombre diminue, soil par la soudure, soit par la chute de quelques articles. Après avoir acquis 11-12 paires de pattes, les jeunes, tant du Cryptops hortensis que du Cryptops Savignyi, entrent dans une longue période stationnaire dont j'ignore encore l'issue. J'ai tenté d’en élever dans un flacon rempli de terre. La plupart ont péri; cependant , après plus de six mois de captivité, il m'en reste en- core quelques-uns, et pendant ce long espace de temps, leurs di- mensions, leur couleur, ainsi que le nombre de leurs paltes et de leurs articles antennaires, n’ont pas varié. Cette lenteur de l’évo- lution des Cryptops est d'autant plus frappante que nous avons vu les Lithobies et les Scutigères atteindre rapidement, au contraire , la forme adulte. Scolopendra complanala. J'ai vainement tenté fort longtemps d'élever cette espèce pour suivre son évolution; le massacre des mâles par les femelles a rendu infructueuses foutes mes tentatives, et je n’ai pu obtenir de ponte. Je n'ai pas été plus heureux en recherchant des jeunes ; la plus petite Scolopendre que j'aie vue avait 24 millimètres de lon- gueur, c'est-à-dire environ le cinquième de la longueur de l'adulte ; elle était d’ailleurs absolument conformée, sous tous les rapports, commeles individus ayant leur entière croissance. Mais il y a loin de cette taille de 24 millimètres à celle que le jeune doit avoir à l'éclosion ; aussi la parfaite ressemblance, {ant pour l’organisation interne que pour l'organisation externe, des Cryptops et des Scolo- à 31h FABRE. — ANATOMIE pendres ne permet pas de douter que ces dernières ne subissent avec l’âge des modifications aussi profondes que les Cryptops. M. P. Gervais a cependant observé une femelle de Scolopendre qui, placée encore vivante dans un flacon d'alcool, y pondit non des œufs, mais des petits déjà développés, et ayant leur nombre nor- mal de pattes et d’anneaux. L'espèce qui a présenté ce fait si exceptionnel d’ovoviviparité doit considérablement différer dans son organisation de celle qui m'a occupé, et qui, ne possédant aucun organe d’incubation interne, est certainement ovipare. Geophilus. Je ne connais pas non plus les premières phases de l’évolution des Géophiles. J'ai pu cependant constater que le nombre de leurs anneaux et de leurs pattes croit avec l’âge. Un jeune Geophilus Ilicis de 6 millimètres de longueur possédait seulement 37 paires de pattes ; la même espèce adulte en a jusqu’à 97 paires. Les autres espèces m'ont fourni des résultats analogues. J'ai constaté, en outre, chez le Geophilus electricus, que les nouvelles paires de pattes apparaissent une à une comme chez les Cryptops, et non plusieurs paires ensemble comme chez les Lithobies et les Seuti- gères. La nouvelle paire se développe sur l’avant-dernier segment, et apparait d'abord sous forme de deux mamelons pareils à ceux des Cryptops, mais dépourvus de cirre. Quant aux articles anten- paires , je les ai toujours vus au nombre de 14, même dans celui qui n'avait que 6 millimètres de longueur. Il était admis, comme règle générale, que les Myriapodes nais- sent avec trois paires de pattes. Celle règle parait être sans exceplion pour les Chilognathes ; mais elle ne s'applique nulle- ment aux Chilopodes. Les observations précédentes, quoique très incomplètes encore, démontrent que les Lithobies et les Scutigères naissent avec sept paires de palles; les Cryptops , et par suite les Scolopendres, très probablement :vec huit paires ; et les Géophiles, suivant toute apparence, avec un plus grand nombre. DES ORGANES REPRODUCTEURS DES MYRIAPODES, 315 EXPLICATION DES FIGURES. PLANCHES 6, 7, 8 ET 9. Chilognathes. Fig. 1. Organes génitaux femelles du Glomeris marginata. Le sac ovarique est ouvert pour montrer les deux ovaires. Fig. 2. Organes génitaux femelles du Craspedosoma polydesmoides. Fig. 3. Vulves et oviductes du Polydesmus complanatus. Fig. 4. Vulves et oviductes de l'/ulus aterrimus. Fig. 5. Une des deux pattes génitales du Polydesmus complanatus mâle. L'un des deux orifices génitaux est perforé dans son article basilaire. Fig. 6. Organes génitaux mâles de l'/ulus aterrimus. Fig. 7. Organes génitaux mâles du Glomeris marginata. Fig. $. Un des deux organes copulateurs du Polydesmus complanatus mâle. Chilopodes. Fig. 9. Portion ouverte du sac ovarique du Scolopendra complanata pour montrer l'ovaire unique. Fig. 10. Organes génitaux femelles du Scutigera araneoides. Fig. 14. Organes génitaux femelles du Scolopendra complanata. Fig. 12. Organes génitaux femelles du Cryptops Savignyi. Fig. 13. Organes génitaux femelles du Geophilus Gabrielis. Fig. 14. Organes génitaux mâles du Lithobius forcipatus. Fig. 15. Organes génitaux mâles du Scutigera arancoides. Fig. 16, Organes génilaux mâles du Scolopendra complanata. Fig. 17. Organes génitaux mâles du Cryptops Savignyi. Fig. 18. Organes génitaux mâles du Geophilus Gubrielis. Fig. 419. Spermalophore du Scolopendra complanata. Fig. 20. Le mème au moment de sa déhiscence. Fig. 21. Spermatophore du Cryptops Savignyi. Fig. 22. Cylindres spermatiques du Geophilus convolvens dépouillés de leur enve- loppe pulvérulente. Fig. 23 Spermatophore du Geophilus convolvens déposé sur son réseau aranéeux. Fig. 2% Derniers segments d'un jeune Lithobius forcipatus, à un degré d'évolu- tion intermédiaire enire le 1‘* stade et le 2". La dernière paire de pattes com- plétement développées est la 7° paire, et est portée par le 8° segment. La 8° paire, qui doit être parachevée au stade suivant, alteint déjà l'extrémité anale. La 9° paire commence à poindre sous forme de deux très petits mame- lons. ; 316 DUMAS. —- RAPPORT SUR DIVERS MÉMOIRES Fig. 25. Derniers segments d'un jeune Cryplops hortensis muni de 8 paires de pattes parachevées. L'avant-dernier sezment porte deux mamelons cirrifères, rudiments des pattes de la 9° paire. Les appendices du dernier segment sont les rudiments des grosses pattes terminales de l'adulte. RAPPORT SUR | DIVERS MÉMOIRES RELATIFS AUX FONCTIONS DU FOIE, Par M, DUMAS. L'Académie nous a chargés , MM. Pelouze , Rayer et moi, de lui rendre compte des expériences relatives aux vraies fonctions du foie, instituées dans ces derniers temps par MM. Figuier, Poggiale et Leconte (1). Votre commission a pensé qu’elle devait, laissant de côté toute préoccupation théorique, réduire la question qui lui était soumise aux simples termes d’une vérification de faits. Elle a donc porté toute son attention sur les moyens à prendre pour donner à cette vérification les garanties de précision dont l’état de la science lui permettait de les entourer. Un de nos confrères, M. Bernard, avait fait connaitre, conjoin- tement avec M. Barreswil , l'existence dans le foie d’une quantité considérable de sucre. Poursuivant les conséquences de cette dé- couverte, M. Bernard à prouvé que le sucre existe dans le loie de tous les animaux, que sa présence est conséquemment un témoin de la nature même des fonctions de cel important organe. Jusque-là , les observations nouvelles de M. Bernard et la con- séquence qu'il en lire ne sont contestées par personne; elles con- slituent l’une des plus sérieuses acquisilions de la physiologie moderne. Mais d'où vient ce sucre qui existe si constamment dans le foie? Comment disparait-il de cet organe ? Quel est son emploi? Lei les opinions se montrent divergentes, les difficultés apparais- sent, et les expériences elles-mêmes ne seraient plus d'accord. 4) Voyez les cahiers n° 4 de ce volume des Annales. RELATIFS AUX FONCTIONS DU FOIE. 317 M. Bernard pense que la formation du sucre a lieu dans le foie. Bien entendu que notre savant confrère ne met point en doute la production de sucre qui à lieu par le fait de la digestion dans l’ese tomac aux dépens des aliments amylacés, moins encore le passage du glucose et de ses analogues de l'estomac ou de l'intestin dans les veines. Mais il admet qu'en dehors de celte source intermittente , par laquelle le glucose peut s'introduire dans le sang au moment où la digestion s'accomplit, il y en aurait une autre permanente et tout à fait spéciale : ce serait la fabrication du sucre dans le foie même. Ce qui démontrerait cette fabrication, c’est l'absence du sucre dans le sang de la veine porte d’un animal soumis au régime de la viande ; c’est la présence de ce sucre dans le sang des veines sus- hépatiques de ce même animal. M. Figuier a élevé contre celte doctrine diverses objections. Reprenant une opinion déjà émise par M. Mialhe, M. Figuier fait remarquer qu'il serait plus naturel de considérer le foie comme un organe séparateur, à la facon des reins, que d’en faire un organe créateur. Dans cette hypothèse, le foie, véritable régulateur de la composition du sang, arrêterait au passage le sucre provenant de la digestion qui se {trouverait en excès dans le sang , comme il arrête certains poisons métalliques, etle restituerait peu à peu à ce liquide lorsque celui-ci en serait dépourva, ou que la proportion de sucre y serait descendue au-dessous de la moyenne, pendant les heures de repos de l'estomac. Comme le rôle attribué au foie par M. Bernard repose sur quatre données, savoir : 1° la présence constante du sucre dans le foie des animaux herbivores ou carnivores; 2° Ja présence non moins con- stante du sucre dans les veines sus-hépatiques; 3° l'absence du sucre dans le sang de la veine porte chez les animaux nourris avec de la viande ; 4° apparition momentanée du sucre dans le sang de la veine porte sous l'influence de la digestion des matières su- crées ou féculentes, votre commission devait s'attacher à examiner si ces données étaient contestées , et si elles l’éfaient avec quelque raison. Or de ces données il en est deux que l’on ne conteste pas, la pre- mière et la quatrième. est admis que le foie contient toujours du 318 DUMAS. RAPPORT SUR DIVERS MÉMOIRES sucre, même chez les animaux carnivores. Il ne l’est pas moins que, sous l'influence de la digestion des matières féculentes ou sucrées, le sang de la veine porte en contient aussi. Reste done à savoir si le sang de la veine porte contient ou non du sucre chez les animaux nourris de viande. A cet égard, les expé- riences de votre commission lui ont semblé décisives. Elle n’a pas trouvé trace appréciable de sucre dans le sang de la veine porte d’un Chien nourri à la viande crue. Reste encore à décider si, indépendamment de la digestion des matières végétales , le sang des veines sus - hépatiques contient du sucre; si, sous l'influence de la digestion de la viande , le sang de la veine porte en est dépourvu ; si enfin, lorsque le sang de la veine porte n’en contient pas, celui des veines sus-hépatiques en contient au contraire. Il suffit, pour éclairer tous ces points, d'examiner, comme l’a fait M. Bernard , sur le même animal, le sang de la veine porte et celui des veines sus-hépatiques , sous l'influence de la digestion , après un repas uniquement composé de viande, succédant soit à une abstinence prolongée , soit à quelques journées d’un régime pure- ment animal. Dans une expérience faite dans celte dernière condition, votre commission s'est assurée que le sang de la veine porte ne renfer- mait pas trace de sucre, tandis que celui des veines sus-hépatiques en contenait des quantités parfaitement appréciables, ainsi que M. Bernard l'avait annoncé. Comme la difficulté se concentre tout entière sur ce point, y a-t-il où non du sucre dans le sang de la veine porte pendant la digestion après un repas formé de viande, l'animal ayant été con- venablement soustrait à l'influence d’une alimentation sucrée ? Votre commission a examiné, avec tout le soin dont elle était capable , les produits extraits par M. Figuier du sang de la veine porte chez un animal sacrifié dans ces conditions, et où l’auteur croyait recon- naitre la présence du sucre à l’aide du réactif Frommherz. Votre commission n'en à pas trouvé en employant, il est vrai, la fermen- tation. Aïnsi tous les faits annoncés par notre confrère M. Bernard , au RELATIFS AUX FONCTIONS DU FOIE. 319 sujet de la fonction qu'il attribue au foie, ont été vérifiés par nous, et nous ne pouvons qu'applaudir à la rare habileté du savant phy- siologiste qui les a mis le premier en évidence. Sur la question de doctrine, votre commission n'avait pas à se prononcer. Le foie fabrique-t-il le sucre ? Le fabrique-t-il aux dé- pens des éléments albumineux du sang ? Le sucre serait-il, au con- traire, un produit de la digestion des aliments ou de l’élaboration des éléments du sang pendant le cours de la circulation, qui reste- rait masqué par la présence de quelque substance étrangère jusqu'à son arrivée au foie chargé de le rendre libre ? Ces questions méri- tent assurément d’être débatiues , mais c'est à l'expérience seule à les résoudre définitivement, et nous verrions avec plaisir les jeunes savants qui les ont abordées persévérer dans leurs travaux. Jusqu'ici, la doctrine professée par notre confrère parait intacte. Les recherches sur ce sujet important n’ont pourtant pas tout appris sans doute, et nous dirons ici à ceux qui voudront s’en occu- per, qu'on ne doit pas accorder une confiance trop complète à des réactions semblables à celles qu’on obtient avec la dissolution de tartrale de cuivre dans la potasse. Tous ces phénomènes de colora- tion, de réduction produits par des matières organiques, sont trom- peurs et incertains. Lorsqu'on ne peut pas isoler lesucre en nature, il faut au moins s'assurer de sa présence par l’action du ferment et par le développement d'acide carbonique que la fermentation produit. Il faut, s'il se peut surtout, extraire l'alcool lui-même du résidu de la fermentation, comme l’a fait la commission de l’Aca- démie qui a examiné les travaux de M. Bernard. Votre commission , sans entrer plus avant dans l'examen spécial des notes que l'Académie lui a renvoyées, se borne donc à établir comme conséquences de son travail : 1° Que le sucre n'a pas été appréciable dans le sang de la veine porte d'un Chien nourri de viande crue; 2 Que la présence du sucre a été facile à constater, au contraire, dans le sang des veines sus-hépatiques recueilli dans le même mo- ment Sur le même Chien. Comme les Mémoires de M. Figuier, ceux de MM. Poggiale et Leconte, ont élé publiés, l’Académie n'avait plus, d’après les règle- 320 DUMAS. —— RAPPORT SUR DIVERS MÉMOIRES, ETC. ments, à se prononcer sur leur mérite respectif ; mais votre com- mission à cru qu'il éfait de son devoir néanmoins de lui faire con- naître le résultat de ses propres expériences sur le fond même de la question que ces savants ont étudiée. PUBLICATIONS NOUVELLES. À MonocraPny.…... Monographie des Corallières fossiles de l’'Angle- terre, par MM. Mie Enwanrps et J. Hame. 5° partie, in-A. Lon- dres, 1854. La cinquième et dernière livraison de cet ouvrage, imprimé par les soins de la Société paléontographique de Londres vers le milieu de l'année dernière, vient de paraître. On y trouve la description des polypiers des terrains siluriens et les tables générales. Le nombre total des planches contenues dans cette monogra- phie s'élève à 72. Leçons de physiologie expérimentale appliquée à la médecine , faites au Collége de France en 1854-1855, par M. CL. Bernarn. 1 vol. in-6. L'auteur traite spécialement de la formation et de la destruction du sucre dans l'économie animale, Ce livre sera lu avec beaucoup d'intérêt par les physio- logistes. Notice sur un genre nouveau de Brachiopodes, suivie de la description de quelques espèces nouvelles de la grande oolithe et du lias de la Normandie, par M. E. Desconxcaamps. Caen, 1855. Le genre nouveau établi ici porte le nom de Suessia, et appartient à la famille des Spiriferidæ ; il se distingue par l'expansion en forme de pelle du septum médian de la grande valve, et par la disposition du processus en forme de T qui relie les deux branches de l'appareil apophysaire. L'auteur y rapporte deux espèces trouvées dans le lias supérieur de May. Ce Mémoire est extrait de l'Annuaire de l'Institut des provinces, et accompagné d'une planche. Recherches naturelles, chimiques et physiologiques, sur le Curare, poison des flèches des sauvages américains, par M. ALvaro REYNOS0; in-8. Paris, 1855. Ce poison anéantit la puissance nerveuse, et empêche l'artérialisation du sang. Notice sur quelques anomalies de l'organisation, par M. Prcrer ; in-4. Genève, 1855. Ce travail est relatif : 4° à un Cochon monstrueux qui forme un genre nou- veau dans la famille des Monstres doubles monomphaliens; 2° à un Mouton monsirueux appartenant à la famille des monstres polyméliens, et formant aussi un genre nouveau. Il est accompagné de # planches. DESCRIPTION ’ D'UN POISSON FOSSILE DU TERRAIN CRÉTACÉ DE LA DROME, SUIVIE D'UNE LISTE DES POISSONS FOSSILES QUE L'ON A RECUEILLIS EN FRANCE, Par M. Paul GERVAIS. Je dois à M. Paul Gervais de Rouville la communication d'un gros bloc amygdaliforme renfermant le squelette d'un Poisson sur lequel il a bien voulu m'engager à publier quelques détails. Ce bloe, dont il a lui-même entretenu la Société géologique (1), et quel- ques autres blocs analogues, ont été recueillis auprès de Beaufort, dans le département de la Drôme. M. de Rouville, qui en a visité le gisement , le rapporte aux dépôts qui sont intermédiaires entre les assises supérieures du lerrain néocomien inférieur (2) et le gault. L'examen de ce Poisson m'a montré qu'il appartenait à l'ordre des Malacoptérygiens abdominaux, et qu'il avait, comme Ja plupart des Poissons de cet ordre, des écailles cycloïdes. La com- paraison de son squelette avec celui des Salmones et des Clupes doit le faire regarder comme allié aux espèces que l’on nomme ainsi; et jusqu'à ce qu'on ait pu l’étudier sur des exemplaires plus complets encore que celui que j'ai eu à ma disposition, je le classe- rai à côté des Aloses, en donnant au genre nouveau qu'il me paraît indiquer le nom d'Aistialosa. On verra par la liste des Poissons osseux qu’on a trouvés à l’état fossile en France , qu'aucune espèce analogue n'avait encore été signalée dans les mêmes terrains par les naturalistes, et que l'Osméroïde de Lewis, qui est de la craie blanche, était encore notre seul Malacoptérygien de l’époque crétacée. (4) Bulletin de la Société géologique de France, 2° série, t. XII, p. 172. (2) Le néocomien supérieur manque dans cette localité. #° série, Zooz, T. III. (Cahier n° 6.) 1 21 1 329 P, GERVAIS. — POISSON FOSSILE Je dédierai l'espèce encore unique du genre Histialosa à M. Thiollière , de Lyon, qui a publié une excellente monographie des Poissons fossiles des terrains jurassiques du département de l'Ain. L'Histialosa T'hiolhieri est long de 0,53. Sa tête seule mesure 0,12 jusqu'au bord postérieur de l’opercule ; celui-ei est arrondi : les mächoires ne paraissent pas garnies de dents. Les vertèbres sont au nombre de cinquante ; les côtes et les apophyses vertébrales paraissent disposées comme dans les Aloses. La caudale est ana- logue à celle de ces dernières et également échancrée. On voit très bien l'emplacement des nageoires pectorales et celui des ventrales, qui sont placées les unes et les autres comme chez les Clupes. La dorsale, dont les rayons sont multiarticulés comme dans les Mala- coptérygiens, a 0,08 ; ses premiers rayons s'élèvent et se prolon- gent plus que ceux des Aloses, ce qui nous fournit le principal caractère du genre Æistialosa, dont le nom rappellera cette disposi- tion véliforme et jusqu’à un certain point filamenteuse. La dorsale est placée au-dessus des nageoires ventrales ; l’anale est triangulaire, mais moins grande et à rayons plus courts. Elle a 0,02 de lon- eueur. Nous donnons dans ce recueil la figure de ce Poisson réduite au tiers de la grandeur naturelle (pl. 4, fig. 2). J'ajouterai à la description qu'on vient de lire une liste des Pois- sons fossiles, non Sélaciens, qui me sont connus dans les différents gisements de la France. Il s’en faut de beaucoup que cette liste soit aussi complète que celles qu'on a dressées pour l'Angleterre et pour l'Allemagne ; la cause n’en est pas uniquement dans le peu de ri- chesse, pourtant trop évident, dans beaucoup de cas, de nos roches fossilifères ; elle réside tout autant dans l'indifférence avec laquelle on à traité les débris fossiles des Poissons dans la plupart des mu- sées, et dans le petit nombre des travaux dont ces animaux ont été jusqu'à présent l’objet dans notre pays. La science parait cependant entrer sous ce rapport dans une phase nouvelle, et l’on verra, par les détails qui vont suivre, que M. Thiollière (4) a récemment ajouté (4) Voyez ses trois mémoires intitulés : Sur un nouveau gisement de Poissons fossiles dans le Jura du département de l'Ain, in-8 , 1848. — Seconde notice sur le gisement et les corps organisés fossiles des calcaires lithographiques dans le Jura DU TERRAIN CRÉTAGÉ DE LA DROME. 323 d'excellentes observations à celles que de Blainville et M. Agassiz avaient publiées antérieurement. M. Graves et quelques autres naturalistes ont aussi réuni au sujet des Poissons fossiles des indi- calions fort utiles, ef que nous avons enregistrées. IL. Liste des espèces fossiles de Poissons observées en France (1). [. — TERRAINS HOUILLERS ET PERMIENS. LÉPIDOSTÉIDÉS. Palæoniscus Blainville, Agassiz. — De Muse, près d’Autun. Palæoniscus Voltzii, Ag. — De Muse, près d’Autun. Palæoniscus angustus, Ag. — De Muse, près d’Autun. Palæoniseus (indéterminés). — A Commentry , près de Montluçon (Allier); à Rive-de-Gier, d'après M. Locard, cité par M. Fhiollière. Pygopterus Bonardi, Ag. — De Muse, près d'Autun. I. — TERRAIN TRIASIQUE. LÉPIDOSTÉIDÉS, Gyrolepis Alberti, Ag. — Du muschelkalk de Lunéville. Gyrolepis tenuistriatus, Ag. — De Lunéville. Saurichthys Mougeotii, Ag. — De Lunéville. CÉLACANTHES. Cælucanthus minvr, Ag. — De Lunéville. PYCNODONTES, Placodus gigas, Ag. — De Lunéville; d'Obernon (Bas-Rhin); des environs de Metz ( Moselle). ; Lolobodus Hogardi, Ag.— De Lunéville. (P. Gerv., Zool. et Pal. franç., pl. 77, fig. 15.) Colobodus scutatus, P. Gerv. (Loco cit., fig. 16). — Des environs de Metz. du département de l'Ain, in-4, 1854. — Description des Poissons fossiles prove- nant des gisements coralliens du Jura, dans le Bugey, in-fol., 1854. (4) Je n'ai point fait figurer ici les Poissons sélaciens, dont je me propose de faire l'objet d'un travail à part. Quant aux Cyclostomes, on sait qu'ils n'ont pas encore élé observés à l'état fossile. 324 P. GERVAIS, — POISSON FOSSILE JIL. — LIAS ET ÉTAGES JURASSIQUES. LÉPIDOSTÉIDÉS, Dapedius politus, Ag. — De l'Oxford clay de Baron (Calvados). Tetragonolepis Magnevillei, Ag. — De l'oolithe inférieure de Caen. Pachycormus macropterus, Ag. — Du lias des environs de Beaune ( Bour- gogne). Lepidotus gigas, Ag. — Du lias de Bourgogne, etc. Lepidotus undatus, Ag. — De l'oolithe de Caen (1). Lepidotus radiatus, Ag. — Du Jura. Lepidotus palliatus, Ag. — De l'argile kimméridgienne de Boulogne-sur-Mer. Lepidotus minor, Ag. — De marnes kimméridgiennes du département de l'Oise. Lepidotus Fittoni, Ag. — De l'oolithe de Poitiers. Lepidotus notopterus, Ag. — Du calcaire lithographique du Bugey (Ain), d'après M. Thiollière. Lepidotus (autre espèce). — Du calcaire lithographique et des schistes bitumineux de l'Ain, d'après M. Thiollière. Notagogus imimontis, Thioll. — Ibid. Ophiopsis macrodus, Thioll., — calcaire lithographique du Bugey (Ain). Eugnathus prælongus, Thioll. — Ibid. Caturus furcatus? Ag. — Ibid., d'après M. Thiollière. Caturus elongatus? Ag. — Ibid., d'après M. Thiollière. Caturus latus, Munster. — Jbid., d'après M. Thiollière. Caturus velifer, Thioll. — Ibid. Caturus Driani, Thioll. — Ibid. Amblysemius bellicianus , Thioll. — Jbid. Belonostoma tenuirostris, Ag. — Ibid., d'après M. Thiollière. Aspidorhynchus (indéterminé). — Ibid. Macrosemius rostratus, Ag. — Ibid., d'après M. Thiollière, Macrosemius Helene , Thioll. — Ibid. LEPTOLÉPIDÉS, Leptolepis Bronnii, Ag. — De l'oolithe de Curcy (Calvados). Leptolepis (indéterminé). — Calcaire lithographique du Bugey (Ain), d'après M. Thiollière. Leptolepis spraltiformis , Ag. — Ibid. d'après M. Thiollière. Megaturus idanicus , Thioll. — Jbid. Thrissops macropodius , Ag. — Lias de Bourgogne. (1) Le musée de la Facullé des sciences de Caen possède de très beaux Pois- sons jurassiques, provenant des environs de cette ville, et appartenant à diffé- rents genres. Ces échantillons mériteraient certainement d'être figurés et décrits. DU TERRAIN CRÉTACÉ DE LA DRÔME. 225 Thrissops salmoneus? Ag. — Des cale. lith. du Bugey, d'après M. Thiollière. Disticholepis Fourneti, Thioll. — Jbid. Oligopleurus esocinus , Thioll, — Jbid. CÉLACANTHES. Undina striolaris, Munst, — Du cale. lith. du Bugey, d'après M. Thiollière, PYCNODONTES. Pycnodus gigas, Ag. — De Châtillon-sur-Seine, dans l'étage oxfordien ; de Ma- mers (Sarthe) ; de Salins (Jura), étage kimméridgien; de Flavigny (Yonne), dans l'oolithe. Pycnodus Bucklandi, Ag. — De l'oolithe de Caen. Pycnodus Nicoleti, Ag. — De Salins, d'après M. Marcou. Pycnodus Hugii, Ag. — Ibid. Pycnodus umbonatus , Ag. — Oolithe de Normandie. Pycnodus Sauvanausi, Thiollière. — Calcaire lithographique du Bugey (Ain). Pycnodus Itieri, Thioll. — Jbid. Microdon elegans , Ag. — Ibid., d'après M. Thiollière. Microdon hexagonus , Ag. — Ibid., d'après M. Thiollière. Sphærodus gigas , Ag. — De Flavigay (Yonne), dans l'oolithe; de Salins, dans l'étage kimméridgien ; de Boulogne-sur-Mer, même étage. Gyrodus Cuvieri, Ag. — De Boulogne-sur-Mer, étage kimméridgien. Gyrodus radiatus , Ag. — Oolithe de Caen. Gyrodus macrophthalmus , Ag. — Du calcaire lithographique du Bugey, d'après M. Thiollière. Gyrodus jurassicus, Ag. — De [Salins, dans l'élage kimméridgien , d’après M. Marcou. IV. — ÉTAGES DIVERS DE LA FORMATION CRÉTACÉE. LÉPIDOSTÉIDÉS. Lepidotus striatus, Ag. — De la craie des Vaches-Noires (Calvados). CÉLACANTHES. Macropoma Mantellii, Ag. — De la craie blanche du département de l'Oise, d'après M. Graves. PYCNODONTES. Pycnodus (divers). — Grès verts de la Drôme; calcaire à Chama ammonia d'Orgon (Bouches-du-Rhône) , et craies de Touraine, de Saintonge (1), du bassin de Bordeaux et du Mont-Aiïmé (2). (4) Voyez P. Gervais, Zool. et Pal. franç., pl. 67 et 69. (2) Voyez pour ce gisement : Heckel, Séances de l'Académie des sciences de 326 P. GERVAIS. —- POISSON FOSSILE Sphærodts (divers). — Des terrains néocomiens et crétacés supérieurs de l'Aube, de l'Yonne, du Gard, etc. (1) ACANTHOPTÉRYGIENS CTÉNOÏDES. Lates Heberti, P. Gerv. (2). — Du Mont-Aimé, près de Châlons-sur-Marne. Bery& 6rhatus, Ag. == Craie de Paris, dé l'Oise, etc. Beryx Gravesü, P. Gerv. (3). — Craie blanche de la Somme. ACANTHOPTÉRYGIENS CYGLOÏDES. Hiÿb&ôdon léwsiensis , Ag. — Craie de Paris et de l'Oise. Saurocephalus (indéterminé). — Du terrain aptien de Gargas (Vaucluse). MALACOPTÉRYGIENS CYCLOÏDES. Histialosa Thiollieri, P. Gerv. — De l’étage des grès verts du département de là Drôme (décrit dans ce mémoire). Osmeroïdes lewisiensis, Ag. — Craie blanche de l'Oise, d'après M. Graves. V. — DIVERS ÉTAGES TERTIAIRES. 1. AssISES ORTHROCÈNES OÙ TERRAINS TERTIAIRES LES PLUS INFÉRIEURS, TELS QUE LES LIGNITES DU SOISSONNAIS. Lepidosteus suessionensis, P. Gerv. (4). — Des lignites à Coryphodons du Sois- sonnais. Sphyrænodus priscus, Ag.? — Ibid., d'après M. Graves (5). 2. Assises ÉOGÈNES, comprenant les sables marins du Soissonnais , le calcaire grossier et les grès de Beauchamp. LÉPIDOSTÉIDÉS. Lepidosteus Maæimiliani, Ag. — De la glauconie de Cuise-Lamotte (Oise), et du calcaire grossier parisien. Vienne, 1854, Ce savant ichthyologiste y décrit l'espèce fossile au Mont-Aimé sous le nom de Palæobalistum Ponsorti. (1) Voyez P. Gervais, loc. cit., pl. 69. (2) Loc. cit., explication de la planche 67, page 3. (3) Loc. cit., pl. 70, fig. 1-2. (4) Loc. cit, pl. 59, fig. 3-4. — J'ignore s’il faut rapporter au même étage ou à celui des sables du Soissonnais , un poisson lépidostéide dont M. Watelet, de Soissons, a trouvé une belle empreinte dans un grès des environs de cette ville, grès qu'il m'a dit être d’origine fluviatile. (5) Les pièces d'après lesquelles M. Agassiz à d'abord décrit cette espèce pro- viennent de l'argile éocène de Sheppy. DU TERRAIN CRÉTACÉ DE LA DRÔME. 327 PYCNODONTES ? Phyllodus marginalis, Ag. — De Cuise-Lamotte (Oise) et de Rhéteuil (1). ACANTHOPTÉRYGIENS CTÉNOÏDES. Sargus? armatus, P. Gerv. (2). — De Conques (Aude). Sargus serratus, P. Gerv. (3). — De Cuise-Lamotte. Chrysophrys (diverses espèces ?). — A Cuise-Lamotte, à Soissons , etc. (Aisne) ; à Passy, près Paris (4). Dentez Faujasii, Ag. — Du calcaire grossier de Nanterre, près Paris. Lates macrourus, Ag. — À Sèvres, près Paris, dans le calcaire grossier. Labrax major, Ag, — A Passy, près Paris, dans le calcaire grossier. On trouve des Labrax plus petits dans la couche à Zostères du même calcaire. (P. Gerv., loc. cit., pl. 71, fig. 1.) Acanthurus Duvalii, Ag. in P. Gerv., pl. 71.— De la couche à Zostères de Vau- girard, assises du calcaire grossier parisien. Scienu?.… Des sables d'Auvers, près Poissy. (P. Gerv., loc. cit., pl. 68, fig. 32.) Zanclus eocænus, P. Gerv. (5). — Du calcaire grossier parisien. Holacanthus microcephalus, Ag. — Du calcaire grossier parisien, à Châtillon. Scarus tetrodon, Pomel (6). — De Cuise-Lamotte (Aisne). (1) Dans la Topographie géognosique de l'Oise, publiée par M. Graves, M. Pomel admet plusieurs espèces de Phyllodus, sous le nom de Ph. Duvahi, inconstans, latidens et Levesquei, mais il ne les décrit pas. (2) P. Gervais, loc. cit., pl. 67, fig. 5, et 68, fig. 30. (3) Loc. cit., pl. 69, fig. 4-13. Je dois à feu M. Requien la communication des restes de ce poisson que j'ai décrits; ils ont été trouvés à Conques (Aude), dans le terrain éocène. Je ne sais pas s'ils viennent de la même couche que le Lophiodon que j'ai signalé (ibid., pl. 18). (4) Les Chrysophrys des terrains éocènes, et même ceux des dépôts miocènes, ont été quelquefois désignés comme étant des Sphærodus; mais aujourd'hui on réserve ce nom générique pour les dents en pavés arrondis qui sont fossiles dans les couches jurassiques et crétacées. J'ai décrit une plaque dentifère d’un Sphæro- dus crétacé, qui montre bien la différence existant entre ces deux genres, et la pièce extraite du pliocène de Montpellier, qui est représentée dans mon ouvrage (pl. 68, fig. 21), ne laisse aucun doute sur les affinités qu'ont avec les Chryso- phrys actuels les poissons dont proviennent les dents en forme de bouton, que l'on trouve dans la mollasse et dans les sables marins. C'est l'opinion que Scilla et Antoine de Jussieu avaient admis il y a plus de cent ans. (5) Loc. cit., pl. 72, fig. 3-5. (6) Dans l'ouvrage de M. Graves, loc. cit., espèce non décrite. 328 P. GERVAIS. — POISSON FOSSILE ACANTHOPTÉRYGIENS CYCLOÏDES. Hemirhynchus Deshayesi, Ag. — Du calcaire grossier parisien, à Nanterre. Macrostoma altum, Ag. — Du calcaire grossier parisien, à Nanterre. Cælorhynchus rectus, Ag. — De Cuise-Lamotte. 3. Assises PROÏCÈNES, ou calcaires, marnes, ligniles et gypses à Paléothériums. Ces dépôts sont tous d'origine lacustre. ACANTHOPTÉRYGIENS CTÉNOÏDES. Sarqus Cuvieri, Ag. — Gypse de Montmartre, Smerdis macrourus, Ag. — Lignites des environs d'Apt; marnes calcaires de Saint-Martin de Castillon (Vaucluse). Smerdis ventralis, Ag.— Gypse de Montmartre. Smerdis minutus (Perca minuta, Blainv.). — Des marnes gypsifères d'Aix ( Bou- ches-du-Rhône ).— Le même Poisson, ou une espèce voisine, se trouve aussi à Bonnieux (Vaucluse); à Ronzon, près le Puy (Haute-Loire); et auprès de Château-Thierry (Aisne). Perca Beaumontiü, Ag. — Des marnes gypsifères d’Aix (Bouches-du-Rhône). — Des marnes calcaires de Saint-Martin de Castillon (Vaucluse). Cottus aries, Ag.— Des marnes gypsifères d'Aix (Bouches-du-Rhône). MALACOPTÉRYGIENS. Lebias cephalotes, Ag. — Des marnes gypsifères d'Aix (Bouches-du-Rhône); des marnes feuilletées de Bonnieux (Vaucluse). — Se retrouverait, d'après M. Po- mel, dans les dépôts miocènes de la Limagne (Puy-de-Dôme). Sphenolepis squammosseus , Ag. — Des marnes gypsifères d'Aix ( Bouches-du- Rhône ). Sphenolepis Cuvieri, Ag. — Du gypse de Montmartre, près Paris, et, d'après M. Graves, des marnes à Paléothériums du département de l'Oise. Notœus laticaudus, Ag.— Du gypse de Montmartre. Anguilla multiradiata, Ag. — Des marnes gypsifères d'Aix (Bouches-du-Rhône). 4. Assises MIOCÈNES, comprenant les mollasses el les marnes lacustres qui sont supé- rieures aux assises à Paléothériums, et inférieures aux dépôts des sables ma- rins ou des marnes fluvio-marines de Montpellier, ainsi que les mollasses, les marnes, les dépôts faluniers, elc., qui sont dans le méme cas. a.) Dépôts fluvio-lacustres. Smerdis (analogue au minutus). — Lignites de Menat (Puy-de-Dôme). Cyclurus Valenciennesit, Ag. (4).— Des lignites de Menat (Puy-de-Dôme’, (1) M. Pictet, d'après une observation de M. Heckel, rapporte ce Poisson à la même famille que les Amies. DU TERRAIN CRÉTACÉ DE LA DRÔME. 329 Acanthopsis Michelini, P. Gerv. (1).— Des lignites de Chadrac, près Saint-Amand de Tallende (Puy-de-Dôme). Lebias perpusillus, Ag. — Des marnes du Puy-de-Dôme, d'après M. Pomel, qui y cite aussi le L. cephalotes (2). (Poissons indéterminés.) — À Sansan, etc. b.) Dépôts marins. ACANTHOPTÉRYGIENS CTÉNOÏDES. (Percoïde indéterminé.) — Recueilli dans les marnes de la Vérune, près Montpel- lier, par M. P. Gervais de Rouville. Sandroserrus Rebouli, P. Gerv. (3). — Des marnes bleues de Pézénas (Hérault), Sargus incisivus, P. Gerv. (4). — Mollasse coquillière de Sommière et de la Va- querie (Gard); faluns de Dax et de la Touraine. Chrysophrys…. (5).— Des mollasses de Bonifacio (Corse) ; de Saint-Jean de Vé- das, de Poussan, etc. (Hérault); de Sommières (Gard); de Beaucaire, d'Uzes, de Villeneuve-lez-Avignon, etc. (Gard); des mêmes couches dans le départe- ment des Bouches-du-Rhône, et dans celui de Vaucluse; de Romans, etc. (Drôme) ; des faluns de la Touraine, et de plusieurs terrains du bassin de Bor- deaux. Chætodon pseudo-rhombus, P. Gerv. (6). — Des marnes bleues des environs de Montpellier. ACANTHOPTÉRYGIENS CYCLOÏDES. Sphyræna (indéterminé).— Des sables du Poussan (Hérault). (P. Gerv., loc. cil., pl. 68, fig. 1-2.) 5. Assises PLIOCÈNES, comprenant les sables marins et les marnes fluviatiles de Montpellier. Chrysophrys…. (7). — Des sables marins de Montpellier. Balistes?..….. — Ibidem, P. Gerv., loc. cit., pl. 68, fig. 33. (4) Loc. cit., explication de la pl. 73, p. 9, avec fig. Ce Poisson est le même que M. Pomel a décrit plus récemment dans son Catalogue des Vertébrés fossiles de la Loire, sous le nom de Cobitopsis eæilis. (2) Les lignites de Menat n'ont pas encore fourni de débris des Mammifères miocènes de-la Limagne, ce qui laisse quelque incertitude sur leur véritable âge. (3) Loc. cit., pl. 73, fig. 1. (4) Loc. cit, pl. 69, fig. 44-16. (5) Voy. P. Gerv., loc. cit., p. 68. Les dents de Chrysophrys miocènes por- tent, dans quelques collections, le nom de Sphærodus cinctus, Ag., et dans d'autres celui de Chrysophrys mitrula, id. (6) Loc. cit., pl. 72, fig. 2. (7) M. Sismonda (Descrizione dei Pesci et dei Crustac. foss. nel Piemonte) si- gnale des dents de Chrysophrys pliocènes sous le nom de Chrysophrys Agassizi. RECHERCHES SUR LES MAMMIFERES FOSSILES DE L'AMÉRIQUE MÉRIDIONALE, Par M. Paul GERVAIS. Extrait présenté à l'Académie des sciences le 14 mai 4855 (1). I. En comparant les Mammifères qui vivent dans l'Amérique mé- ridionale avec ceux de l'Afrique et du midi de l'Asie, Buffon fut frappé de leur nombre moins considérable, de leur moindre taille, et, plus encore, des différences, constamment de valeur spécifique, par lesquelles ces animaux se distinguaient de ceux qu’on avait alors reçus des deux parties de l’ancien continent que nous venons de citer. Après avoir insisté sur ces remarques, il ajoutait : « Plus » On fera de recherches et de comparaison à ce sujet, plus on sera » convaincu que les animaux des parties méridionales de chacun » des continents n’existaient point dans l’autre, et que le petit » nombre de ceux qu'on y trouve aujourd’hui ont été transportés » par l’homme. » Les découvertes des naturalistes modernes ont entièrement jus- üifié cette prévision de Buffon; mais en s'étendant aux animaux fossiles, elles ont montré que l'Amérique méridionale avait eu aussi ses espèces gigantesques , et qu'elle pouvait, comme l’ancienne Europe, être mise en parallèle avec l'Afrique actuelle ou avec l'Inde, si l’on complétait la liste de ses animaux existants par celle de ses espèces éteintes. Les Mammifères sud-américains n’en sont pas (1) Le trâvail, dont nous donnons ici un extrait paraîtra prochainement dans le Voyage de MM. de Castelnau et Weddell *, dont le gouvernement à ordonné la publication ; il sera accompagné de dix planches lithographiées, qui ont été mises sous les yeux de l’Académie. * A la librairie de M, P. Bertrand. MAMMIFÈRES FOSSILES DE L AMÉRIQUE MÉRIDIONALE. 391 moins restés très différents de ceux des autres parties du monde par l’ensemble de leurs caractères , car, dans beaucoup de cas, ils constituent des genres où même des familles dont on ne retrouve ailleurs aucun représentant. J'ai réuni, dans ces recherches sur les Mammifères fossiles de l'Amérique méridionale, des données pouvant servir à résoudre quelques-unes des questions générales qui se rattachent à ce sujet, et j'ai cherché à y faire voir comment Buffon , après avoir si heu- reusement contribué à la solution de plusieurs d’entre elles, est au contraire tombé dans une grave erreur, lorsqu'il a voulu établir quelle était l’origine des Mammifères américains. Il dit, en effet , dans son Discours sur les animaux communs aux deux continents, «qu'il ne serait pas impossible que tous ces animaux du nouveau » monde ne fussent, dans le fond, les mêmes que ceux de l’ancien, » desquels ils auraient autrefois tiré leur origine. » Comme des auteurs célèbres ont admis plus récemment des mi- grations analogues, et, dans quelques cas, de semblables transfor- mations opérées par le temps dans les caractères des animaux après leur changement de pays, il nous a paru utile de faire ressortir avec quelle évidence l'étude des espèces sud-américaines peut servir à réfuter de pareilles suppositions, Un examen sérieux des caractères distinctifs de ces Mammifères, et, plus particulièrement, une étude minutieuse des débris que les animaux dé cette classe ont laissés dans le sol de cetté partie du monde antérieurement à l’époque moderne, devaient, en effet, conduire sous ce rapport à des résultats tout à fait concluants. C’est pourquoi , tout en faisant connaitre mes propres observations sur les Mammifères fossiles de l'Amérique méridionale, j'ai rappelé dans mon travail les principales découvertes qu'ils avaient fournies antérieurement à G. Cuvier et à de Blainville, ainsi qu'à MM. Lund et R. Owen (1). Cesrecherches et celles qu'on a faites sur plusieurs autres points du globe très éloignés les uns des autres : en Europe, dans l'Inde, à la Nouvelle-Hollande et encore ailleurs, contredisent aussi com- (1) Les travaux de MM. Lund et Owen sur les Mammifères fossiles de l'Amérique méridionale ont paru en partie dans ce recueil. 392 P. GERVAIS, — MAMMIFÈRES FOSSILES { plétement que possible les suppositions qu'on avait émises au sujet de ces prétendus déplacements de populations. Elles n’autori- sent pas davantage à admettre que des modifications aient eu lieu dans les caractères des espèces animales. Les documents que j'ai réunis de mon côté relativement aux Mammifères fossiles de l’Amérique sont assez nombreux. J'ai disposé pour ce nouveau travail de la belle collection d’ossements que le savant botaniste M. Weddell a formée pendant son séjour en Bolivie, et qui provient du célèbre gisement de Tarija. Ces fossiles ont été donnés par M. Weddell au Muséum d'histoire naturelle de Paris. Jai joint à leur description celle de quelques pièces intéres- santes que M. de Castelnau a découvertes dans une caverne du Pérou, située à 4000 mètres au-dessus du niveau de la mer. Grâce aux facilités que M. Flourens, alors chargé par intérim de la collec- tion des Vertébrés fossiles du Muséum , a bien voulu me donner, avec une libéralité dont je ne saurais trop le remercier, j'ai pu étendre mes comparaisons sur une partie des belles pièces extraites des dépôts pampéens de Buenos-Ayres ou des cavernes du Brésil, que feu l'amiral Dupotet et MM. Villardebo et Claussen ont déposées il y a déjà plusieurs années dans le même établissement. Mes recherches concourront à prouver qu'aucune des espèces de Mammifères qui vivent naturellement dans l'Amérique méridio- nale, ou qui y ont vécu à l’époque où les Elephas primigenius, les Rhinoceros tichorhinus , les grands Ours, les Hyènes, le Felis spelæa , et tant d’autres espèces depuis longtemps anéanties, fou- laient le sol de l'Europe, ne peut être regardée comme ayant aussi existé dans l’ancien continent. Il n'en est pas même ainsi pour l'espèce de Mastodontes européens, nommée Mastodon angusti- dens, à laquelle G. Cuvier avait cru devoir attribuer certains osse- ments rapportés du Pérou par Dombey. Ces ossements ne diffèrent pas de ceux du Mastodonte des Andes (Mastodon Andium), qui sont enfouisen si grande abondance dans le dépôt de Tarija (2). (1) C'est ce que M. Laurillard avait déjà reconnu. De Blainville, qui ne fai- sait qu'une seule espèce sous le nom de Mastodon Humboldti, avec les Mastodon Humboldtii et Andium de G. Cuvier, dont il a décrit beaucoup de nouveaux osse- ments , séparait aussi le prétendu Mast. angustidens de l'Amérique méridionale DE L'AMÉRIQUE MÉRIDIONALE. BE] Les Mammifères éteints dont on rencontre les ossements dans les cavernes et dans les dépôts pampéens de l'Amérique méridio- nale sont, comme ceux encore existants que les Européens ont trouvés dans les mêmes contrées , tous différents par leurs espèces de ceux des diverses parties de l’ancien continent, et beaucoup d’entre eux rentrent aussi dans des genres, dans des familles même qui ne sont point représentés ailleurs , ou qui ne le sont que dans quelques parties de l'Amérique septentrionale. La comparaison des Mammifères sud-américains avec ceux de la population , probablement miocène , que les beaux travaux de M. Leidy (1) sur les fossiles du Nebraska, aux États-Unis, nous ont fait connaitre, conduit à des résultats non moins coneluants. Les fossiles du Nebraska différent également des espèces fossiles dans l'Amérique méridionale et de celles qui peuplent les deux Amériques ; ils ont, au contraire, des analogies incontestables avec les Mammifères du miocène européen (2), ainsi qu'avec ceux du proïcène, et un certain nombre de leurs espèces étaient ou con- génères , ou seulement peu éloignées de celles qui ont vécu en Europe pendant lamême partie de la période tertiaire. Toutefois on ne trouve au Nebraska aucune des espèces européennes, ni aucune de celles de l'Inde. On doit en conclure qu'à cette époque déjà l'hémisphère boréal nourrissait simultanément {rois populations bien distinctes d'animaux mammifères, et qu'aucune des espèces propres à ces populations n’a passé dans l'Amérique méridionale. Il. Mais revenons aux Mammifères fossiles qui font l’objet spécial de notre travail. Parmi ceux qui ne rentrent dans aucune des familles connues ailleurs que dans l'Amérique, et qui n’ont même de celui de l'Europe, et il en rapportait les ossements à l'unique espèce admise par lui dans le continent sud-américain. (1) The ancient Fauna of Nebraska, or a description of extinct Mammalia and Chelonia from the mauvaises terres of Nebraska, by 3. Leidy. In-4. (2) Cependant on n'y a encore observé ni restes de Mastodontes, ni restes de Dinothériums. 33 P. GERVAIS., — MAMMIFÈRES FOSSILES aucun représentant actuel sur ce continent, nous devons citer d’abord les genres Toæodon, Nesodon et Macrauchenia, qui ren- trent tous les trois dans la grande catégorie des Ongulés (1). L. Je donne dans mon Mémoire la description et la figure des principaux os du Toæodon, que M. Owen n'avait pu observer. Leur examen confirme l'opinion émise récemment par ce savant anato- miste, sur la nécessité d'établir pour le Toxodon un ordre nouveau, dont les Nésodons, que je ne connais que par les pièces qu'a décrites M. Owen, paraissent devoir faire également partie. Le Toxodon était grand comme les Hippopotames, dont il avait sans doute les allures et, à certains égards du moins , le genre de vie. Son fémur était dépourvu de troisième trochanter, comme celui des Proboscidiens et des Bisulques; mais son astragale était établi sur un modèle assez différent de celui qui caractérise ces deux ordres d'Ongulés, et il ne ressemblait pas non plus à celui des Ongulés périssodactyles dont je fais l'ordre des Jumentés. Jai fait reproduire sur l’une des planches de ce recueil des figures représentant les principaux os des membres du Toxodon : ce sont l'humérus, le cubitus, le fémur et l’astragale. J'ai mis en regard de ce dernier l’astragale de l'Éléphant, auquel il ressemble sous quelques rapports. La description détaillée que j'ai faite de ces différentes pièces osseuses est précédée de quelques détails historiques, dans les- quels je rappelle les différentes opinions émises par les auteurs sur les rapports zoologiques du même animal. Leur divergence est jusqu'à un certain point justifiée par les affinités, en effet, assez (1) Les Mégalonycidés et les Mégathéridés , animaux de l'ordre des Édentés, constituent aussi des familles éteintes uniquement propres à l'Amérique. Parmi les familles encere aujourd'hui existantes, qui sont limitées au même continent , on peut citer les Cébidés, les Phyllostomidés, les Bradypidés, les Myrmécophagi- dés et les Didelphidés. Les Bradypidés et les Myrmécophagidés sont les seuls dont les dépôts pampéens et les cavernes n'aient point encore fourni de débris. Ainsi que nous allons le dire plus loin , les Bradypidés se rattachent intimement aux Mégalonycidés par les Lestodons; mais ceux-ci étaient gigantesques comme les autres Mégalonycidés : leurs pieds étaient plus fouisseurs que grimpeurs, et leur dernière molaire inférieure était bilobée , comme celle des Mylodons, des Scélidothériums , etc. DE L'AMÉRIQUE MÉRIDIONALE. 335 évidentes , que ce genre montre en même temps avec les Pachy- dermes herbivores, avec les Pachydermes omnivores, et avec les Sirénides ou Cétacés herbivores. 2. Le Macrauchenia était aussi grand que le Toxodon; mais il avaitdes formes beaucoup moins lourdes. Son fémur, qui est pourvu d’un troisième trochanter ; ses pieds, qui diffèrent peu de ceux des Rhinocéros ordinaires ou des Paléothériums , et les autres carac- tères qu'on a pu lui constater, montrent que ce genre, dont la pre- mière descriplion est également due à M. Owen, doit devenir le type d’une famille à part, qui prendra le nom de Macrauchénidés. La place de cette famille est marquée à côté de celle des Rhinocéros, et le Macrauchenia a été le représentant de ces derniers animaux dans l'Amérique méridionale. Je donne la description et les figures d’un pied antérieur du Macrauchenia que M. Weddell a trouvé à Tarija. L'ordre des Jumentés, ou Pachydermes herbivores, a aussi fourni à la population éteinte de l'Amérique méridionale des Che- vauæ, différents de ceux de l'Europe, et sur lesquels je donne de nouveaux renseignements, ainsi que des Tapirs que je ne connais que par la mention qu'en à faite M. Lund. C'est au genre de ces derniers qu'appartenaient les seuls animaux du même ordre que les Européens rencontrèrent dans l'Amérique, lorsqu'ils s'y éta- blirent. 3. Les Lamas et les Pécaris , de l’ordre des Bisulques, sont des animaux qu'on ne trouve pas ailleurs qu'en Amérique. Cette partie du monde en possédait déjà lorsqu'elle était peuplée par les genres perdus dont il vient d’être question, et par les grands Édentés dont nous parlerons bientôt. MM. Lund et de Blainville ont mis ee fait hors de doute pour les Pécaris , et le premier de ces naturalistes a observédes Lamas fossiles dans les cavernes du Brésil. J'en recon- nais trois espèces parmi les ossements que M. Weddell a décou- verts à Tarija. L'une de ces espèces était intermédiaire, par ses dimensions, à la Vigogne el au Lama ordinaire ; une autre dépassait un peu ce dernier , et la troisième était beaucoup plus grande , sa taille égalant à peu pres celle du Cheval, F'ai donné à cette grande espèce le nom d’Auchenia Weddellii 336 P.GERVAIS. — MAMMIFÈRES FOSSILES h. Mes observations relatives aux Édentés portent sur plusieurs des genres qui rentrent dans la même famille quele Mégalonyx et les Mylodons ; plus particulièrement sur le Scelidotherium de M. Owen. M. Weddell en a rapporté une très belle tête du gisement de Tarija, et M. de Castelnau en à recueilli d’autres débris dans la caverne dont nous avons déjà parlé, qui est connue au Pérou sous le nom de Samson Machaï, signifiant caverne de Samson. Le gisement de ces derniers offre cela de particulier, qu’il renferme en même temps et pêle-mêle, d’après M. de Castelnau, des ossements du Scelido- therium, des os d’une espèce de Cerf qui m'a paru être le Cervus paludosus actuel, et, ce qui est plus curieux encore, des os du Bœuf domestique. Ceux-ci ne peuvent y avoir été introduits qu'à une époque récente, puisque le Bœuf n'existait pas parmi les animaux américains avant la conquête espagnole , et alors les grands Éden- tés étaient depuis longtemps éteints. La caverne de Samson nous montre done un exemple des plus évidents du mélange que les eaux opèrent encore, dans les cavités de ce genre, entre les ossements des animaux qu’elles ontrecus pendant l’époque diluvienne et ceux des animaux morts depuis le commencement des temps historiques. C'est de la même manière, sans doute, que des débris humains ont élé associés, dans beaucoup de cas, à ceux des grands Mammifères éteints soit dans les cavernes de l’Europe, soit dans celles de l’Amé- rique, et M. de Castelnau a aussi recueilli des ossements humains dans la caverne de Samson. G. Cuvier et de Blainville n’ont pas eu la même opinion au sujet des affinités, qui semblaient, au premier de ces naturalistes, devoir faire rapprocher des Paresseux les grands Edentés fossiles dont nous venons de parler, et qui servent de types aux deux familles des Mégalonycides et des Mégathéridés. Le nouveau genre d'Édentés sud-américains, auxquels je donne dans mon Mémoire le nom de Lestodon, doit faire cesser tous les doutes qu'on aurait pu conserver à cet égard. Il joint, en effet, à des formes ostéologiques analogues à celles de ces deux groupes d'animaux, et en particulier assez peu différentes de celles des Mylodons, pour qu'on l'ait jusqu'à présent confondu avec eux, le caractère remarquable d’être pourvu à l’une et à l’antre mâchoire DE L'AMÉRIQUE MÉRIDIONALE, 337 d'une paire de dents caniniformes qui rappellent celles du Pares- seux Unau (Bradypus didactylus). Les collections du Muséum ont reçu de Buenos-Ayres des restes de deux espèces de ce nouveau genre, l’une et l’autre grandes comme le Mylodon et le Scélidothé- rium. Je donne à celle qui a les canines les plus fortes et la barre plus considérable le nom de Lestodon armatus ; l’autre prendra le nom de Lestodon myloides, rappelant une analogie plus grande avec les Mylodons. Je décris aussi un fragment du cràne d’un Tatou que M. Wed- dell a retiré de la couche à ossements de Tarija. Ce Tatou ne sau- rait être distingué de l’'Encoubert actuel, que l’on n'avait point encore observé à l’état fossile. 5. On trouvera encore dans mon travail la détermination de quel- ques débris appartenant à d’autres animaux. Quelques-uns indi- quent un Cabiai (Hydrochærus) très semblable à celui d’aujour- d'hui, mais provenant du dépôt de Tarija. 6. D'autres pièces que je fais aussi connaître sont les os d'un Felis presque aussigrand que le Smilodonou Machaïirodus neogœus. Elles sont aussi de Tarija. J’y ai ajouté la description de plusieurs parties très caractéristiques (deux molaires inférieures, un astragale et des os du métatarse }qui viennent d’un Ours presque égal en dimensions aux Ursus spelœus et arctoïdeus, fossiles en Europe. Ces ossements d’Ours ont été découverts aux environs de Buenos-Ayres; leur espèce était bien plus grande que celles que l'on voit maintenant dans l'Amérique méridionale : c’est la même que j'ai précé- demment indiquée sous le nom d'Ursus bonariensis (1). Je donne dans ce recueil (pl. 5, fig. 1) une représentation des deux dents molaires que le Muséum en possède. EXPLICATION DES FIGURES. PLANCHE 9. Fig. 4. La carnassière inférieure et la première arrière-molaire de l'Ursus bona- riensis, de grandeur naturelle. On voit en avant les deux alvéoles de la der- nière avant-molaire. (4) Zoologie et Paléontologie françaises, L. 1, p. 189. 4° série. Zoo. T. LIL. (Cahier n° 6.) ? 22 338 P. GERVAIS. Fig. 2. L'humérus du Toæodon platensis réduit à 4 de la grandeur naturelle, Fig. 3. Cubitus du même animal. Même réduction. Fig. 4. Son fémur, vu par la face antérieure ; ou fig. # a, par la face, posté- rieure. Réduit à 1/9. Fig. 5. L'astragale du même animal, vu par la face supérieure. Fig. 5 a, le même os vu par sa face inférieure. Ces deux figures sont réduites à 1/3 de la grandeur naturelle. Fig. 6 et 6 «. L'astragale de l'Éléphant d'Asie vu comparativement avec celui du Toxodon et à la même réduction. SUR UNE ESPÈCE DE RORQUAL FOSSILE, Par M. Paul GERVAIS. L'existence des Cétacés du genre Rorqual pendant l’époque ter- taire supérieure a été mise hors de doute pour la première fois par la découverte de débris très caractéristiques trouvés en Lom- bardie, et dont Cortesi a donné la description, en 1809, dans son Mémoire sur les fossiles du Plaisantin. G. Cuvier en parle dans un des paragraphes de son ouvrage sur les Ossements fossiles, et Des- moulins, dans un des articles du Dictionnaire classique, impose aux deux espèces que ces débris représentent les noms de Balæna Cuvieri el Cortesir. De son côté, M. Van Beneden a reconnu pour appartenir à des Rorquals certaines caisses auditives de Cétacés , que l’on recueille de temps en temps dans le crag d'Anvers; et, plus récemment, M. R. Owen a fait la même observation pour celles qui proviennent du crag d'Angleterre. J'ai moi-même signalé dans ma Paléontologie française (A) plu- sieurs gisements de Rorquals propres au midi de la France. Voici le passage où il en est question : « À en juger d’après quelques vertèbres trouvées auprès de Montpellier, dans les sables marins pliocènes, et d’après quelques os analogues découverts dans la mollasse de Saint-Didier (Vaucluse), dans le falun de Romans (Drôme) et dans le falun de Salles (1) Tome I, p. 158. SUR UNE ESPÈCE DE RORQUAL FOSSILE. 339 (Gironde), il a évidemment existé dans les mers miocènes supé- rieures et pliocènes des Cétacés approchant des Baleines actuelles par leur taille, et de la même famille qu’elles. Cependant nous n'avons pas toujours le moyen d'assurer le genre précis auquel ces espèces ont appartenu , et dans quelques cas il est difficile de les distinguer des Cachalots. Des dents trouvées à Montpellier (Hérault) et à Sainte-Foix (Gironde) nous prouvent, en effet, que les Cacha= lots (£) existaient à la mème époque. Une mâchoire, déterrée dans Montpellier même, au cul-de-sac des Pénilents bleus, et qui a été signalée comme une côte de Baleine, nous montre d’autre part que les Cachalots n'étaient pas les seuls grands Cétacés de cette époque, puisqu'elle a tous les caractères des Baleines, et plus particulière: ment ceux des Rorquals. Ce sont encore des Rorquals, ou peut: être des Cachalots, mais certainement des animaux différents dés vraies Baleines, que nous indiquent deux vertèbres atlas non sou- dées à l’axis, dont lune a été découverte à Saint-Didier par M. Eugène Raspail, et l'autre à Romans par M. Chalande, Cette dernière m'a offert les dimensions suivantes : Largeur, 0",250 ; hauteur, 0®,175 ; largeur du canal rachidien, 0",070; hauteur du même canal, 0",100. Une vertèbre lombaire, trouvée aussi dans le terrain miocène supérieur dé Romans, a son corps long de 0,185, large de 0®,155, et haut de 0",195. » Un fragment de caisse auditive que j'ai reçu du gisement mio- eène de Poussan (Hérault, indique aussi un Rorqual, dont les dimensions élaient peu considérables. Il est fâcheux qu'on n'ait point encore pu faire une comparaison exacte de ces différentes pièces les unes avec les autres, et avec leurs analogues, dans les Rorquals actuels. Je regrette aussi de n'avoir pu comparer en nature le maxillaire inférieur que je vais décrire, et dont je donne ici la figure (pl. 4, fig. 4 et A a) avec celui des Rorqualus Cuvieri et Corlesii; mais j'ai pensé qu'il ne serait cependant pas inutile d'en publier dès à présent la descrip- {4} M. Bourlier, pharmacien militaire, m'a remis depuis lors une portion de l'os maxillaire d'un Cachalot, qui a été trouvé dans le gisement de Mont- pellier. 340 P. GERVAIS. tion. Les Cétacés fossiles sont encore trop incomplétement connus pour qu’on laisse échapper les occasions qui se présentent d’ajou- ter quelques nouveaux délails à ceux que la science à pu réunir à leur égard. Le maxillaire inférieur que j'ai cité plus haut, comme ayant été trouvé dans Montpellier même , est de longueur ordinaire , et sa forme ainsi que ses proportions rappellent ce que l’on voit dans les Rorquals actuels. Celui que je vais décrire est également entier ; mais il a une longueur beaucoup moindre, et il est proportionnel- lement plus grêle. Il a été retiré des sables marins aux environs de la même ville, et appartient au dépôt pliocène dont nous avons déjà décrit tant d'espèces. Ses proportions semblent le distinguer des Rorqüalus Cuvieri, dont G. Cuvier reproduit la figure d’après Cortesi. Ce nouveau Rorqual de Montpellier était aussi plus petit que celui-ci, et, sous le rapport des dimensions, on peut tout au plus comparer l'animal dont il provient au Rorqualus Cortesü, auquel on suppose une longueur totale de 4 mètres. Eu effet, le maxillaire inférieur qui nous le fait connaître n’a que 0,83 de longueur, tandis que celui du Rorqualus minor du Muséum, qui est cependant bien inférieur en dimensions aux Ror- qualus rostratus, longimanus et capensis,a1%,65. En supposantque le rapport entre la longueur de la mâchoire inférieure et celle du reste du corps soit la même que chez cette espèce, on aurait pour le petit Rorqual des sables marins de Montpellier une longueur de 3°,50 environ. Celle du Rorqualus minor est de 7 mètres. Ce maxillaire provient bien d’un Rorqual, car il a comme celui des animaux de ce genre l’apophyse coronoïde très marquée, tan- dis que celle des Baleines est tout à fait surbaissée. Ses proportions rappellent aussi d’une manière plus exacte celle du maxillaire infé- rieur des Cétacés du même genre ; c’est ce que nous avons reconnu en le comparant aux pièces de l’un et l’autre genre que l’on con- serve dans la galerie ostéologique du Muséum. Quoiqu'il paraisse provenir d'un individu adulte ou à peu près adulte, la rainure de son bord dentaire est mieux marquée. Ce caractère pourrait faire supposer que les petites dents qu'il possédait sans doute pendant SUR UNE ESPÈCE DE RORQUAL FOSSILE. 3 son Jeune âge comme les autres Rorquals , disparaissaient moins promptement. La plicature de son bord interne est plus appa- rente, ce qui n'aurait pas lieu si ce Rorqual était aussi jeune que pourrait le faire supposer sa petite dimension. J'ai déposé celte pièce dans les collections de la Faculté des sciences de Mont- pellier. Le dessin que je donne (pl. 4) est réduit à 4? de la grandeur naturelle ; la figure 1 en montre la face externe , et la figure 4 a le bord supérieur, ainsi que la rainure dentaire. NOTE SUR LE CARACTÈRE OSTEOGÉNIQUE DE LA PERFORATION QUI AFFECTE, DANS UN GRAND NOMBRE DE CAS, LA CLOISON DES FOSSES OLÉCRANIENNE ET CORONOÏDE DE L'HUMÉRUS. Par H. HOLLARD, l'rofesseur à la Faculté des sciences de Poitiers. M. Cuvier, dans sa notice sur la Vénus hottentote , et à propos des particularités que présentait le système osseux de cette femme, faisait remarquer que « la lame qui sépare la fossette cubitale anté- rieure et la postérieure de l’humérus n'était pas ossifiée : il existe, dit-il, un frou à cet endroit comme dans l’humérus de plusieurs Singes, des Chiens et de quelques autres Carnassiers. » Cette parti- cularité, remarquée aussi sur des squelettes de momies guanches, était donnée comme un point de contact entre deux races, d'ail- leurs fort différentes, et indiquée comme un signe de dégradation vers l’animalité. Bory de Saint-Vincent et Desmoulins allérent même jusqu'à faire de la présence du trou olécranien de l'humé- rus un caractère spécifique , et le second de ces auteurs s'exprime sur ce sujet d’une manière très catégorique : « La fosse olécranienne de l’humérus, dit-il, au lieu d’être une simple cavité, est un trou comme dans les Guanches.... On ne voit pour ces différences 342 H. HOLLARD. — PERFORATION DE LA GLOISON aucune nécessité mécanique tirée de la quantité d'action, de la direction, de la position des muscles. C'estun fait primihif, ete. » Cependant on reconnuf bientôt, comme je le rappelais dans mon ouvrage sur l'Homme et les races humaines , que la conversion de la fosse olécranienne de l'humérus en trou n’était ni constante chez les peuples dont on en faisait un caractère essentiel, ni exelu- sivement propre à ces peuples. D'une part, M. Dubreuil, dans un mémoire présenté à l’Académie des sciences (Sur les caractères des races pris de la tête osseuse), signalait des momies guanches chez lesquelles manquait le trou en question ; et M. Flourens, dans son rapport sur ce mémoire , annonçait lavoir (rouvé sur une momie égyptienne et sur une femme mulâtre, ajoutant qu'il n'était pas très rare de le rencontrer sur des sujets européens. Une fois l'attention dirigée sur ce point, les observations du même genre se mul- tiplièrent, et les anatomistes, comme le remarque très bien M. R. Wagner, ne sauraient plus attacher au fait en question sa première importance comme caractère de race. C’est ce dont m'ont aussi pleinement convaincu mes propres observations, en me présentant des exemples nombreux de l'existence du trou olé- cranien de l’humérus chez des Nègres et chez des Européens , et en me montrant ce trou à tous les degrés de développement, man- quant même quelquefois à un bras, tandis qu'il existe à l’autre , comme on peut le voir en ee moment sur le squelette de la collection de MM. Verreaux. Mais cette particularité anatomique , pour n'être pas ce qu'on la croyait, n'en existe pas moins. Quoique accidentelle dans lespèce humaine , elle y revêt peut-être un caractère de constance relative dans quelques races , et doit être d'autant moins oubliée sous ce rapport, que nous la retrouvons comme fait régulier dans quelques animaux supérieurs. Les Chimpanzés et les Gorilles se distinguent sous ce rapport par la largeur du trou olécranien ; il est moins constant où manque même chez les Orangs, si je puis m'en rappor- ter au petit nombre de sujets de ce groupe que j'ai eu l'occasion de voir, et qui étaient tous jeunes. Nous le retrouvons ensuite dans quelques autres Singes; chez plusieurs Carnassiers , tels que les Chiens ; chez des Pachydermes, comme le Sanglier; enfin chez le DES FOSSES OLÉCRANIENNE ET CORONOÏDE DE L'HUMÉRUS. 343 Chevrotain porte-muse, parmi les Ruminants. La perforation de la fosse olécranienne n’est done pas un simple accident plus ou moins rare, rentrant dans la catégorie des particularités individuelles ; c'est un fait dont la fréquence et quelquefois la constance indiquent une tendance générale, un fait qui se présente comme le terme extrême de cette tendance, dans un cas particulier du déve- loppement ostéogénique , et qui mérite certainement un moment d'attention. M. Cuvier considérait la perforation de la fosse olécranienne comme une simple lacune, par défaut d’ossification - de la lame interposée entre les deux fossettes inférieures de l’humérus. Les lois d’ostéogénie formulées par M. Serres, et plus spécialement la loi de conjugaison, semblaient confirmer et compléter cette expli- cation , en donnant à penser que la fosse olécranienne résultait de la rencontre ou conjugaison du corps de l'humérus avec les épi- physes qui forment l'extrémité inférieure de cet os. La première question à résoudre est donc celle du vrai caractère ostéogénique de Ja fosse olécranienne et de la fossette, qui, sur la face antérieure de lhumérus , reçoit l'apophyse coronoïde où cubitus. Ces fosses sont-elles ou non des traces de la conjugaison de plusieurs centres d'’ossification , et le trou oléeranien a-t-1il la valeur d’un trou de conjugaison ? Je n'avais qu'une chose à faire pour résoudre cette question : suivre le développement del’humérus, en commençant dès l’époque où l'on ne voit encore que le corps de cet os, et en arrivant jusqu'à celle où les quatre noyaux épiphysaires qui complètent son extré- mité inférieure se réunissent à celle-ci. Cette dernière époque est tardive, comme on le sait ; les noyaux épiphysaires n'apparaissent que dans le cours des premières années qui suivent la naissance ; ils ne se réunissent que vers l’âge de neuf à quatorze ans, et ne se soudent à l'os lui-même que beaucoup plus tard encore. Or je me suis convaincu que la fosse olécranienne précède toute cette longue période, et qu’elle appartient exclusivement au développement du corps de l’humérus. Sur un fœtus de deux mois, l'extrémité infé- rieure du corps de cet os est simplement élargie dans le sens transversal , et faiblement amincie d'avant en arrière, sans porter 344 H. HOLLARD. — PERFORATION DE LA CLOISON encore aucune trace de dépression; mais bientôt elle se creuse légèrement sur le milieu de sa face postérieure, où l’on commence à apercevoir une fosse superficielle et triangulaire, dont la base aboutit à l’extrémité de l’os. Dans les mois suivants , cette fosse , qui est destinée à recevoir l’olécrane , devient de plus en plus pro- fonde ; puis vient un moment, vers le dernier mois de la vie fœtale, où l’amincissement de l'os sur ce point s'arrête pour le bord infé- rieur , et plus ou moins arrondi, qui le termine , en sorte que ce bord semble se relever en talus, à partir de la partie la plus pro- fonde de Ja fosse, et que celle-ci se trouve complète, bien circon- scrite de toutes parts, avant la première apparition du premier noyau épiphysaire. Lorsque la poulie articulaire (la trochlée), sur laquelle glissera le cubitus, est formée et complète, elle ne fait que s’adosser contre le bord inférieur d’une dépression déjà parfaite- ment limitée. La fossette opposée, ou coronoïdienne, est plus tardive que l’olécranienne ; mais elle se forme de la même manière. Ces deux fosses, en se creusant, finissent par n'être plus sépa- rées que par une mince cloison osseuse qui représente deux lames superficielles de tissu compacte venues peu à peu à la rencontre l'une de l’autre des deux faces de l'os, par la disparition du diploé ou tissu spongieux qui les séparait d’abord. Ces deux lames, ados- sées l’une à l’autre sur une étendue qui dépasse souvent un centi- mètre de droite à gauche, forment ainsi une cloison oblorgue à grand diamètre transversal, qui se dessine très nettement au milieu du tissu spongieux qui l'entoure sur une coupe longitudinale de l’épatement terminal de l'humérus. Elle s’amincit plus ou moins , et,sijene me trompe, proportionnellement à l'étendue du diamètre transversal de l'os et de la fosse olécranienne. On voit, en effet, la cloison intacte, et même tout à fait dépourvue de translucidité sur quelques os dont la fosse est généralement plus haute que large ; sur d’autres on la trouve translucide , et même entamée sur une de ses faces par une lacune qui laisse voir l’autre lame intacte; enfin l’amincissement, porté plus loin encore , amène la perforation des deux lames et un trou olécranien plus ou moins étendu, dont le grand diamètre est comme celui de la cloison dirigée transversale- DES FOSSES OLÉCRANIENNE ET CORONOÏDE DE L'HUMÉRUS. 915 ment. Ces derniers cas concordent en général avec un élargisse- ment prolongé de la fosse olécranienne, puis de l'extrémité humé- rale dans laquelle celle-ci est creusée, et enfin de l'olécrane lui-même. C’est ce que l’on peut observer dans une proportion fort remarquable sur les articulations huméro - cubitale du Gorille et du Chimpanzé, chez lesquels le trou olécranien offre des dimensions considérables ; c’est encore ce que je vois, d’une manière très sensible, sur un squelette de nègre dont j'ai fait l'acquisition. Ainsi le trou olécranien se rattache au développement de la fosse du même nom, et résulte essentiellement de l’extrème amincisse- ment de la cloison qui sépare cette fosse de la fossette coronoï- dienne ; il est comme le terme extrême, mais non nécessaire, d’une tendance ou d’un fait de progression , et ne rentre pas sous l’em- pire de la loi de conjugaison qui préside à la formation des cavités normales du squelette. Il s'ensuit que le trou olécranien se dé- pouilleune fois de plus de cette apparence de fait primitif ‘qui sem- blait l’élever à la valeur d’un caractère spécifique. En tout état de cause, nous avions besoin d'en connaître la vraie signification ana- tomique et ostéogénique ; et s'il se trouve que la perforation de l'extrémité de l’humérus soit à la fois plus fréquente dans certaines races que dans d’autres, et qu'elle se rattache à certaines modifica- tions générales de l'articulation huméro-cubitale, comme j'ai quel- que raison de le penser d’après mes observations , la dépendance de ces deux ordres de faits pourra rendre à celui qui m'a spéciale- ment occupé dans cette note plus de valeur qu'on ne lui en accorde aujourd’hui dans l’histoire anatomique des races humaines. DE QUELQUES FAITS PATHOLOGIQUES PROPRES À ÉCLAIRCIR LA QUESTION DE LA PRODUCTION DU SUCRE DANS L'ÉCONOMIE ANIMALE, Par M. ANDRAL. Les découvertes sans nombre dont la physiologie est redevable aux expériences tentées sur les animaux vivants prouvent suffi- samment toute l'importance et toute la fécondité de cette méthode d'investigation qui, depuis Galien jusqu'à nos jours , tour à tour abandonnée et reprise, a marqué par ses progrès divers ceux de la physiologie elle-même. Cependant il y a encore pour cette science d’autres sources de lumières, et sans parler ici des renseignements de toutes sortes que peuvent lui fournir, soit la simple observation de l’homme qui vit de sa vie normale, soit les recherches de l’ana- tomie comparée, qu'il me soit permis de rappeler qu’une autre source de lumière pour la physiologie, c’est l'observation de l’homme malade. Un fait physiologique, quel qu'il soit, ne me paraît pouvoir être regardé comme hors de toute contestation et avoir acquis toute la certitude désirable que lorsque , repris tour à tour par l'expéri- mentation, par l'observation de l’homme sain ou malade, par l’ana- tomie comparée , il est resté inébranlable , et s'est présenté tou- jours le même. Il y aurait à écrire quelques pages qui ne seraient pas sans intérêt sur les avantages de chacun de ces moyens d’in- vestigation, sur leur puissance et leur portée respective, sur le parti que l'on peut tirer de chacun d’eux, sur la manière dont il est néces- saire de les contrôler l’un par l’autre. Aujourd’hui, je veux seule- ment, en me plaçant au pointde vue pathologique, apporter quelques matériaux à l'étude de la question si intéressante de l’origine du sucre dans l’économie animale. Je vais, dans ce but, soumettre à l'Académie quelques observations relatives à ce sujet, que j'ai eu occasion de faire chez des diabétiques. Je parlerai d’abord de l'influence exercée par la privation des ali- ANDRAL, — DE LA PRODUCTION, ETC. 347 ments sur la quantité de sucre contenue dans l'urine de ces malades. A cet égard, j'ai observé ce qui suit : Lorsqu'un malade dont l'urine contient du sucre cesse, par une cause quelconque , de prendre des aliments , j'ai vu, sans pré- tendre qu'il en soit ainsi dans fous les cas, le sucre de son urine diminuer ou disparaitre, A l’appui de cette assertion je citerai quel- ques chiffres, en rappelant, comme garantie de leur exactitude, que, dans tous les cas dont il va être question, l'extraction et le dosage du sucre ont été faits, sur mon invitation, par M. Favre, dont l’Académie connait depuis longtemps le nom et les travaux. Ainsiune femme, dont l'urine était analysée chaque jour, rendait chaque vingt-quatre heures, avee ce liquide , de 40 à 70 grammes de sucre par litre. Le régime à la fois abondant et excitant auquel elle était soumise amena chez elle une affection gastro-intestinale caractérisée par une perte complète d’appétit et de la diarrhée ; on diminua d’abord ses aliments, puis on les lui supprima entièrement. L'urine, la veille du jour où le régime alimentaire fut rendu plus ténu, avait donné 54 grammes de sucre par litre : quarante-huit heures après, elle n’en donnait plus que 34 grammes; puis, après vingt- quatre autres heures écoulées, 28 grammes. La malade fut soumise à ce moment à une diète absolue : au bout de quarante-huit heures d’abstinence complète, il n’y avait plus dans Purine un atome de sucre. L'amélioration des fonctions digestives permit alors de rendre quelques aliments ; cependant le sucre ne reparut pas sur-le-champ. Ce ne fut que trois jours après la rupture de la diète absolue, que l’on commenca à en retrouver dans Purine : la première fois il n°y en avait que 20 grammes par litre ; puis très rapidement sa dose revint à ce qu'elle avait été avant la suspension de l'alimentation. Ainsi, tandis que M. CI. Bernard montre dans ses expériences que le foie et les veines sus-hépatiques contiennent beaucoup moins de sucre lorsque les animaux ne prennent plus d'aliments , les faits donnés par la pathologie marchent dans le même sens; et, en mon- trant que la soustraction des aliments fait disparaitre le sucre de l'urine, ils autorisent à admettre que si alors il n’y à plus de sucre dans ce liquide, c'est qu'il s'en forme au moins une quantité plus faible dans l’économie. 5418 ANDRAL, —— DE LA PRODUCTION Mais ici une autre question se présente : c’est celle de savoir si, en l'absence des substances alimentairessusceptibles, pour la science du chimiste, de se transformer en matière sucrée, celle-ci n’en peut pas moins se produire, dans l'organisme, aux dépens des matières albuminoïdes prises exclusivement pour aliments. On sait que les expériences de M. Bernard l'ont conduit à une solution affirmative de celte question ; on sait qu'il trouve dans le foie et dans les veines sus-hépatiques une quantité considérable de sucre chez des Chiens qui depuis longtemps n’ont pris que de la viande pour nourriture. Or les faits pathologiques vont nous conduire à une conclusion ana- logue : ils nous apprennent, en effet, qu’en soustrayant de la nour- riture des malades atteints de glycosurie toute espèce de matière sucrée ou amylacée, on peut bien, à la vérité, diminuer, momenta- nément du moins, la quantité de sucre que contient leur urine; mais dans l’immense majorité des cas, on ne la réduit pas à zéro, ou du moins on ne l'y réduit que d’une manière passagère , et l'on peut même voir, avec un régime animal exelusif, la proportion de sucre dans l'urine aller croissant. Un des faits de ce genre les plus re- marquables et en même temps les plus probants, en raison de la rigueur absolue avec laquelle le régime fut suivi, est celui d’une femme qui, dans la persuasion intime où elle était qu'un régime exclusivement animal pourrait seul la guérir , eut le courage de s’y soumettre pendant près de deux mois, sans en dévier un seul Jour ; pendant ce lemps elle ne prit d'autre nourriture que de la viande bouillie ou rôtie, et elle ne but que de l’eau à laquelle on ajoutait une petite quantité d'alcool : au bout de ce temps elle dut abandonner ee régime qui lui était devenu insupportable, et d'ail- leurs elle n’était pas mieux. Au moment où elle commença à y être soumise , l'urine donnait 27 grammes de sucre pour un litre ; pen- dant les premiers temps , la proportion de sucre diminua à ce point qu'on n’en trouva plus successivement par litre que 20, 15, 42, et enfin 10 grammes seulement; puis tout à coup, et sans qu'à coup sûr aucune infraction au régime eut eu lieu, la proportion de sucre s’éleva de nouveau. Nous la vimes progressivement monter de 10 grammes à 15, 20, 30, 44, 49 grammes par litre; il n’y eut pas d’ailleurs un seul jour où ce principe disparut compléte- DU SUCRE DANS LE FOIE. 349 nent. En outre, ce qui est fort digne d'attention, c’est que pendant les premiers temps où l’on commença à mêler à la viande des œufs, du lait, un peu de pain ordinaire et de légumes, et qu’on remplaça l’eau alcoolisée par de l’eau vineuse , la quantité de sucre, contre toute prévision, se mit à diminuer de nouveau ; on n’en trouva plus que 30, 26, 15 grammes par litre ; puis au bout de quelques jours, le régime restant le même, elle augmenta, et trois semaines après l'institution de ce régime mêlé, on trouvait dans l'urine 54 grammes de sucre par litre. De tout cela ressort un fait remarquable : c’est que, toutes les fois que chez cette diabétique le régime est brusque- ment changé, soit qu'on lui enlève les féculents pour ne lui donner que de la viande, soit qu'on mêle de nouveau des féculents à sa nourriture, la quantité de sucre commence par diminuer momen- tanément, puis de nouveau elle s’accroit. Il résulte de ce qui précède, et c’est là la conclusion principale sur laquelle je veux appeler l'attention, qu'une nourriture exelusi- vement composée de matières albuminoïdes n'empêche pas chez l'homme le sucre de se produire, comme cela a eu également lieu chez les animaux soumis aux expériences de M. CI. Bernard. J’ajou- terai que le fait dont je viens de soumettre quelques détails à l’Aca- démie n’est pas pour moi un fait isolé et comme solitaire ; j’en ai vu plusieurs autres semblables , et il n’y a pas encore longtemps que j'ai trouvé, chez un diabétique qui se nourrissait exclusivement de viande, jusqu'à 82 grammes de sucre par litre d'urine ; et comme il rendait 8 litres d’arine en vingt-quatre heures , il s’en- suit que , dans cet espace de temps, il expulsait de son économie , et par conséquent il produisait 656 grammes de sucre, Si, comme il est permis de le déduire des expériences de M. Ber- nard, le sucre se forme dans le foie , et si le sang qui sort du foie chargé de sucre n’en contient plus lorsqu'il a traversé le poumon , on peut se demander si le sucre que l’on trouve dans l'urine et dans d’autres liquides des diabétiques provient, ou de ce que le foie malade en forme une quantité surabondante qui échappe à l’action du poumon , ou de ce que ce dernier organe , altéré lui-même , laisse passer intact le sucre qui y arrive avec le sang hépatique. Mais on ne trouve dans le poumon des diabétiques aucune altération 350 ANDRAL. — DE LA PRODUCTION spéciale ; seulement on y rencontre presque toujours des tuber- cules. À coup sûr ce ne sont pas ceux-ci qui produisent le diabète, car l'urine des phthisiques ne contient pas ordinairement de sucre ; et quant à la question de savoir si, dans les cas où la respiration est gènée, l'urine renferme du sucre, ainsi que l'a établi M. Alvarez Reynoso, c’est encore là un sujet à l'étude. On ne trouve pas non plus habituellement de sucre dans l'urine des individus atteints des différentes affections du foie décrites jusqu'à ce jour. Mais , tandis que le poumon ne présente rien de spécial chez les diabétiques , il m'a paru ne pas en être de même du foie, En effet, depuis la publica- tion des travaux de M. CL. Bernard, j'ai fait cinq ouvertures de corps de diabétiques ; dans ces cinq cas, le foie ne présentait pas évidéem- ment ses conditions anatomiques normales , et l’altération qu'on y reconnaissait était toujours la même : c'était une coloration d'un rouge brun tellement prononcée, que le foie, au lieu de présenter cefle apparence de deux substances qu'on y retrouve toujours, l’une jaune et l’autre rouge, n'offrail plus, dans toute son étendue, qu'une teinte rouge parfaitement uniforme. Il y avait Ià évidemment tous les caractères anatomiques d’une hypérémie fort intense, et d’un autre aspect que les hypérémies ordinaires du foie, hypérémies qui, sous l'influence de causes très diverses, se produisent si faci- lement et si fréquemment dans cet organe. Ainsi, chez les diabé- tiques, le foie se fait remarquer par la très grande quantité de sang qui partout gorge son lissu. La constance de ce fait est une preuve de son importance, et si le foie sécrète du sucre, il est logique d'admettre que l’hypérémie du foie des diabétiques est le signe ana tomique d’une suractivité survenue dans sa fonction glycogé- nique ; et ici encore nous voyons la physiologie et la pathologie se contrôler et s’éclairer l’une par l'autre. Et qu'on ne dise pas que la nourriture substantielle et fortement azotée qu’on donne aux dia- bétiques est la cause de cette hypérémie; car parmi les cinq cas dont il vient d’être question, il y en a deux relatifs à des malades chez lesquels l’alimentation resta à peu près l'alimentation ordi- naire; chez ces deux malades, cependant, le foie présentait un aspect analogue. Que si toute eongestion hépatique n’est pas suivie d’une augmentation dans la production du suere ; si, par exemple, elle DU SUCRE DANS LE FOIE. 391 a pour eflet plus fréquent de répandre dans toutes les parties de l'organisme les matériaux de la bile, on trouvera peut-être la raison dé ce que ces faits paraissent avoir d’étrange dans la différence du siége de la congestion. N'est-il pas possible, en effet, que, suivant que tel ou tel élément anatomique du foie, que tel ou tel ordre de vaisseaux capillaires de cet organe se sera plus spécialement con- gestionné, il survienne tantôt une altération de la sécrétion de la bile, tantôt une altération de la sécrétion du sucre, tantôt une mo- dification de telle autre action organique dont le foie peut encore être l'instrument ? Ce sont là des questions d'avenir dont il faudra demander la solution, soit aux injections anatomiques, soit aux recherches microscopiques. Aujourd’hui, tout ce que je prétends établir, c’est que chez les diabétiques le foie ne présente pas anato- miquement son état normal, que l’altération qu'on y constate est toujours identique , et que ce fait , trouvé depuis la découverte de la fonction glycogénique du foie , peut à son tour en devenir une des preuves. LETTRE RELATIVE À DE NOUVELLES EXPÉRIENCES SUR LE DÉVELOPPEMENT DES VERS INTESTINAUX, ADRESSÉE A M. MILNE EDWARDS Par M. L.-R. LEUCKART. Monsieur , aisée Je ne veux pas parler ici de mes expériences sur la méta- morphose des Cysticerques en Tænias , quoiqu'elles soient nom- breuses et si conformes, qu'elles seules sufliraient pour ne plus mettre en doute la réalité de cette métamorphose. Il y a presque deux années que je me suis appliqué à produire les Cysticerques des œufs de Tænia pondus dans l'intestin, et à en suivre le développe ment. C'estavec beaucoup de raison que M. Valenciennes demande celte manière d'observation pour décider la question qui nous agite. Je suis bien aise d’être à même de vous annoncer que mes 352 L.-R. LEUCKART, — LETTRE travaux ne sont pas restés sans résullat; non-seulement j'ai trouvé bien souvent des Cysticerques dans les Mammifères nourris avec des proglottides mürs, et j'ai produit de cette manière le Cysticercus fasciolaris (du Tænia crassicollis), le Cysticer- cus cellulosæ (du Tœnia solium), le Cysticercus pisiformis (du Tœnia serrata vera), le Cysticercus tenuicollis (du Tæœnia cysti- cerci-tenuicollis), le Cæœnurus cerebralis (du Tœnia Cœnurus), observation aussi faite par MM. Van Beneden et Küchenmeister ; mais encore j'ai acquis une connaissance à peu près parfaite du développement du Cysticercus pisiformis. Presque tous les jours, j'ai disséqué des Lapins infectés pour observer les changements successifs de l'embryon. Les embryons de T'œnia serrata arrivent presque tous, avant la métamorphose en Cysticerques, dans le foie, dans lequel on trouve, huit à dix jours après avoir fait avaler les œufs, un-très grand nombre de corpuseules blanes de la grandeur d'un grain de mil. J'ai vu des foies contenant des milliers de ces corpuseules dissémi- nés dans la substance entière, tellement qu'on pourrait soupconner que le Lapin est affecté d’une tuberculeuse miliaire. Ces corpus- cules sont les jeunes Cysticerques dépourvus de leurs crochets, et entourés d’une exsudation granuleuse. Le Ver a une organisa- lion très simple et la forme ronde. Je regrette de ne pouvoir pas encore indiquer assurément la voie par laquelle les embryons parviennent dans le foie | n'ayant pas encore été assez heureux jusqu'à présent pour trouver l'em- bryon voyageur (c’est la seule lacune qui se trouve dans la série de mes recherches, mais j'espère bientôt la remplir avant de publier mes observations in extenso). Il y a néanmoins des raisons pour présumer que les embryons , après avoir percé les parois de l’in- testin, entrent dans les vaisseaux sanguins, etsont introduits par là dans le réseau capillaire de la veine porte. Les embryons les plus petits que j'aie trouvés dans le foie avaient 4/12 de millimètre ; mais la plupart de ces parasites ne restent que quelque temps dans cet organe ; ils croissent en s’allongeant beaucoup, et s'approchent de plus en plus de la surface du foie, jusqu'à ce qu'ils rompentla paroi pour tomber dans la cavité abdominale. C’est dans la troisième SUR LE DÉVELOPPEMENT DES VERS INTESTINAUX. 353 semaine qu’on trouve tous les jours des émigrants plus ou moins dépendants du foie , quelques-uns nus, quelques autres enveloppés de l’exsudation dont j'ai déjà fait mention, et de la membrane séreuse du foie. Après la sortie, les ouvertures des galeries se fer- ment, et celles-ci se contractent. Les cicatrices qui restent sont bien longtemps après encore visibles, surtout quand le nombre des jeunes Vers est considérable. Au temps de l’éclosion , les Cysti- cerques ont à peu près À à 2 millimètres. Leur forme est très allon- gée, ainsi ils ressemblent plus à un jeune Nématoïde qu'à un jeune Cysticerque. Le corps est bien parenchymateux , principale- ment au bout antérieur où l’on trouve (fig. 11) un point blanc nu- cléiforme, qui devient d’autant plus distinct que le centre du corps est clair et liquide, et d'autant plus épais que le Ver grandit davan- tage. Ce nucléus est le premier vestige de la tête, qui, jamais (comme on l’a dit), ne naît des parois de la vésicule recourbée en dedans. D'abord le nucléus est ferme et solide ; mais bientôt il change d’une manière remarquable. On observe au milieu de la base une impression (fig. 41) qui se prolonge en un canal, dont la dernière partie s’élargit beaucoup. Enfin le nucléus contient dans l’intérieur une cavité de la forme d’une bouteille ventrue (fig. 12). La membrane mince qui tapisse la cavité est en continuité directe avec la paroi de la vessie, et présente la face extérieure de la tête recourbée du Cysticerque. C’est au fond de la bouteille que la couronne des crochets prend son origine , presqu'en même temps que les quatre ventouses naissent par-dessus (fig. 13). Ceux-ci sont formés d’abord par des prolon- gements obscurs, dont le bout se couvre d'une large couche muscu- laire en forme de bonnet (fig. 14). Les crochets ont au commen- cement l'aspect de petits tubercules, qu’on trouve serrés au fond de la bouteille. Les tubercules s’allongent en épines, creusées en dedans, qui prennent la forme spéciale des crochets en produisant les deux rames basilaires. Au lieu de l'insertion, le fond de la bouteille forme un petit bouclier saillant, le rostellum (fig. 14). Pendant le développement de la tête, durant environ quinze jours (de la quatrième jusqu’à la sixième semaines), les jeunes Cysti- cerques on fait bien des progrès. Le corps, très élargi, a pris de 4° série, Zooz. T. III, (Cabier n° 6.) 5 23 351. L.-R. LEUCKART. — LETTRE plus en plus la structure d’une vésicule lymphatique, dont les parois sont parcourues d’un riche réseau des vaisseaux presque inconnus jusqu’à présent. Les vaisseaux de la tête, qui sont en communication avec ce réseau, existent déjà après que la bouteille s’est formée. Quand la couronne des crochets est complétement développée, le jeune Cysticerque peut se métamorphoser en Tænia dans le canal intestinal des Chiens. L'expérience de transplantation faite plus tôt ne réussit pas; généralement c’est la règle que les expériences sont d'autant plus sûres et plus heureuses que le Cysticerque est plus complétement développé. Les changements ultérieurs des Cysticerques ne sont pas de grande importance ; ils regardent l’agrandissement du corps et le développement d’une espèce de cou qui se forme à la base de la tête, et présente au bout de quelques mois une embouchure saillante en avant du nucléus. Chez le Cysticercus fascrolaris , c’est le cou qui forme en s’allongeant beaucoup le corps annelé de ce Ver fænioide. J'espère que vous serez persuadé de la justesse de mes observa- tions , si vous voulez bien vous donner la peine de les répéter. Le fait le plus intéressant est sans doute la sortie des jeunes Cysti- cerques du foie dans la cavité abdominale. Beaucoup de ces ani- maux émigrés restent libres, pendant que d’autres s'entourent d'an kyste les agglutinant au mésentère , etc.; mais cependant je crois pouvoir soupconner que quelques-uns de ces Vers se développent dans le mésentère sans avoir parcouru le foie. C’est aussi par les résultats de mes expériences que j'ai acquis Ja conviction bien certaine que le Tœnia solium, le T'œnia serrata, le Tœnia e Cyslicerco tenuicolli et le Tœnia Cœnurus, ne sont nullement identiques , et ne sont nullement des variations d’une seule espèce, comme une autorité bien respectable l'a prétendu derniérement. Les œufs du Tœnia solium ne produisent jamais le Cœnurus, ni le Cysticercus pisiformis, mais seulement le Cysti- cercus cellulosæ, etc. On n’est pas plus autorisé à appeler les Cysticerques des Vers hydropiques, ce que j'ai fait moi-même auparavant. Les Cysti- SUR LE DÉVELOPPEMENT DES ARS INTESTINAUX. 355 cerques à vessié lymphatique présentent une phase de développe- ment tout à fait normale , et ne sont pas plus hydropiques que les Folliculi Graaffiani remplis de liquide. PLANCHE 10. Fig. 11. Le jeune Cysticerque ayant le nucléus presque solide. Fig. 12. La partie antérieure du corps renfermant le nucléus creux, en forme de bouteille. Fig. 13. Le nucléus montrant les premiers vestiges des crochets et des ven touses. Fig. 44. Le nucléus complétement développé, en tête recourbée. NOTE SUR LE CERVEAU DES RONGEURS ET PARTICULIÈREMENT SUR LE CERVEAU DU CABIAI, Par M. Camille DARESTE. Dans le Mémoire que j'ai présenté récemment à l’Académie, j'ai cherché à établir les caractères typiques que présentent les eir- convolutions du cerveau dans chaque groupe naturel de la classe des Mammifères ; mai j'ai été obligé de laisser de côté plusieurs de ces groupes faute de matériaux. Depuis la rédaction de ce Mémoire, j'ai pu , par l'étude du cer- veau du Cabiai, combler une de ces lacunes, et indiquer les carac- tères typiques du cerveau des Rongeurs. Daubenton, dans la description anatomique du Cabiai, rédi- gée pour l'Histoire naturelle de Buffon, avait déjà dit que le cerveau de cet animal présente de nombreuses anfractuosités ; mais ce passage élait resté ignoré , et, jusqu'à ces derniers temps, on avait considéré l'absence des circonvolulions cérébrales comme l’un des caractères de l’ordre des Rongeurs. 356 C. DARESTE, — NOTE Tout récemment, Duvernoy, en rendant compte du Mémoire de M. Gratiolet sur les plis cérébraux de l’ Homme et des Primates, avait de nouveau annoncé le fait; mais il se borne à cette courte phrase : « Son cerveau a de fortes circonvolutions, mais peu si- nueuses. » Ayant eu, depuis la mort de Duvernoy, communication de deux cerveaux de Cabiais qu'il avait fait préparer, mais que sa mort l'a empêché de décrire , j'ai pu reprendre ce travail, qui nous pré- sente, à beaucoup d’égards, un assez grand intérêt. Ce cerveau est beaucoup plus large que long ; il a à peu près 5°",5 de largeur, tandis qu'il n’a en longueur que 4,5. Il est beaucoup plus large à sa partie postérieure qu’à sa partie anté- rieure où il présente un notable rétrécissement ; de sorte que cha- cun de ses hémisphères, vu par sa face supérieure, représente un triangle rectangle dont l’hypothénuse serait parallèle à la grande scissure antéro-postérieure. Il est également beaucoup plus élevé dans la partie postérieure que dans la partie antérieure. La surface de ce cerveau présente supérieurement des sillons très profonds qui délimitent des circonvolutions très prononcées. Mais ces circonvolutions diffèrent de celles que nous observons chez les autres Mammifères, en ce qu’elles ne s'étendent point sur toute la surface de l'hémisphère, et qu’elles ne paraissent que sur une de ses moitiés. Voici la disposition générale de ces sillons : D'abord nous voyons sur la face supérieure un sillon qui s'étend d’arrière en avant, parallèle à la grande scissure antéro-postérieure qui sépare les deux hémisphères. Ce sillon est interrompu dans sa partie moyenne. Entre ce sillon et la grande scissure longitudinale ‘est interceptée une circonvolution , qui, en arrière de l'interruption, est située un peu plus profondément que les parties latérales du cerveau. L'interruplion du sillon extérieur vers la partie moyenne laisse une espèce de pont , qui forme un pli de passage entre cette circonvolution et les circonvolulions extérieures. Sur la partie postérieure du cerveau , qui est la plus large, on voit, de dedans en dehors, un second sillon très profond, et parallèle au précédent, mais beaucoup plus court. L'espace cérébral, inter- SUR LE CERVEAU DES RONGEURS. 397 posé entre ce sillon et le précédent, est une nouvelle circonvolution parallèle à la précédente. Ce second sillon n’est point symétrique des deux côtés de l’hémisphère. Puis vient un troisième sillon extérieur aux deux précédents , et qui leur est encore parallèle. Il est également très profond; mais ilest un peu plus long que le précédent. Ce sillon se réunit à son extrémité antérieure avec le second sillon vertical, à compter d’arrière en avant; il circonscrit une troisième circonvolution longitudinale sur la moitié postérieure du cerveau. Sur la partie externe de cette moitié postérieure de la face supérieure du cerveau, on ne voit plus de sillons longitudinaux, et par conséquent de circonvolutions longitudinales ; mais les sillons et les circonvolulions ont ici une direction à peu près perpendieu- laire surcelledessillons etdescirconvolutions que je viens dedécrire. Nous avons ici, d’arrière en avant, d'abord un sillon assez court, mais très profond, qui a ses deux extrémités libres supé- rieurement et inférieurement; puis un second sillon beaucoup plus long que le premier, et qui vient se réunir à son extrémité supé- rieure avec le troisième sillon longitudinal sur l'hémisphère droit, tandis que sur l'hémisphère gauche il en est séparé par un petit intervalle. Ces deux sillons forment sur la partie postérieure du cerveau deux circonvolutions beaucoup plus larges que les circon- volutions longitudinales. En avant de ce dernier sillon , toujours sur la partie latérale de cerveau, mais en se rapprochant de la partie antérieure , on voir deux autres sillons, dont la direction est de plus en plus oblique sv, celle des sillons parallèles à la grande scissure antéro-postérieure, à mesure qu'ils se rapprochent de l'extrémité antérieure du cer- veau. Ces deux sillons viennent aboutir au sillon longitudinal anté- rieur, et délimitent trois circonvolutions latérales, qui, d’abord presque verticales, deviennent de plus en plus horizontales, et dont la dernière, antérieure et interne, devient presque parallèle à la circonvolution longitudinale antérieure. La dernière de ces cir- convolutions s’unit à la circonvolution interne à l’aide d’un pli de passage qui est frès marqué. 398 €. DARESTE. — NOfE La circonvolution antérieure et interne présente sur son bord un prolongement qui se replie en arrière, et qui est comparable à ce que nous connaissons dans les autres cerveaux sous le nom de circonvolution sous-orbitaire, Sur la face inférieure du cerveau, la cireonvolution des hippo- campes présente un développement considérable , et elle est très élargie, En dedans de cette circonvolution, est un sillon qui délimite le petit appareil des corps striés et des couches optiques, appareil qui donne naissance au chiasma des nerfs optiques qui est ici très développé. En avant de cette partie, fort évasée, et qui est formée par les corps striés, les conches optiques, et la circonvolution de l'hippocampe, on voit la racine des nerfs olfactifs , racine qui pré- sente dans le Cabiai un développement énorme, plus grand peut- êlre relativement que chez aucun autre Mammifère. Cette racine en sortant du tubercule olfactif, et en arrivant sur la face inférieure du cerveau, s’aplatit et S'élargit considérablement ; puis elle envoie un grand nombre de rameaux, qui viennent aboutir en s'épanouis- sant sur l'extrémité antérieure de la circonvolution de l'hippoeampe. Immédiatement derrière le chiasma du nerf optique, on voit un tubereule saillant et assez gros, qui, d’après M. Duvernoy, repré- sente les éminences mamillaires , ici confondues, comme chez beaucoup d’autres espèces , en une seule éminence, Toutefois, je dois dire que, n'ayant point disséqué les pièces que je décris, je ne puis ici me prononcer qu'avec doute ; car les personnes qui se tiennent au courant des travaux de l'Académie des sciences ne doivent point avoir oublié la discussion qui s'est élevée dans sôn sein, au commencement de l’année dernière, entre deux anato- mistes illustres, M. Duvernoy et M, Serres, au sujet de ces émi- nences. D'après M. Serres, les éminences mamillaires seraient des organes propres à l’homme; les parties que l'on a décrites chez les Mammifères, et même chez plusieurs Vertébrés des autres classes comme étant les éminences mamillaires , ne seraient autre chose que le {uber cinereum. Entre deux si grandes autorités , et n'ayant pour établir mon opinion qu'une étude imparfaite faite au travers d'un bocal et d'une masse d’esprit-de-vin, je ne puis évi- demment pas me prononcer. SUR LE CERVEAU DES RONGEURS. 359 Je n'ai pu étudier les tubereules quadrijumeaux qui sont ici presque entièrement cachés entre les sillons des hémisphères. Le cervelet est très développé, et il présente sur la surface des lamelles très nombreuses et peu symétriques, comme cela a lieu dans tous les cervelets des Mammifères dont la taille est considé- rable. Le lobe moyen présente quatorze lamelles ; les lobes latéraux ont également un assez grand nombre de lamelles. Le pont de Varole est très développé; il présente sur sa partie moyenne un enfoncement assez marqué. Derrière le cervelet, on voit sur la partie postérieure de la moelle épinière un sillon médian et longitudinal assez profond. Tels sont les caractères que m'a présentés le cerveau du Cabiaï. En étudiant comparativement plusieurs cerveaux de Rongeurs, j'ai pu reconnaitre que les modifications de ces cerveaux reproduisent , mais sur une échelle beaucoup plus petite, les modifications que nous avons indiquées dans le Cabiai. I n'existe point dans les autres Rongeurs de véritables circonvo- lutions; mais les anfractuosités et les dépressions que l’on observe à la surface du cerveau de leurs grandes espèces, sont manifeste- ment, dans leur disposition, l’ébauche et comme l'indication des circonvolutions si développées et si nettement dessinées du Cabiai. Cela se voit surtout dans la petite famille des Cavidés , dont le Cabiai est le type le plus remarquable pour la taille. Dans ces es- pèces, dont la taille va en diminuant du Paca à l’Agouti, et de l'Agouli au Cochon d'Inde, on retrouve toujours, seulement plus ou moins marquée, une anfractuosité qui rappelle le sillon parallèle à la grande scissure antéro-postérieure que nous a présenté le cer- veau du Cabiai, De plus, chez le Paca, nous voyons l'indice du se- cond sillon latéral qui vient se réunir perpendiculairement à l’un des sillons longitudinaux de la face supérieure. Dans la famille des Hyslricidés ou des Pores-Épies , du moins, dans le Porc-Epic ordinaire et le Coendou à queue prenante, les seuls que j'ai pu étudier, le cerveau nous présente l'indice des sillons perpendiculaires, tandis que nous n’y retrouvons point celui des sillons latéraux. Dans les familles des Castoridés et des Léporidés, nous ne trou- 260 C. DARESTE, — NOTE vons plus rien de semblable ; de plus, chez ces animaux, la forme du cerveau est un peu différente : il est beaucoup plus élargi en avant que dans les Cavidés. Du reste ces anfractuosités n’ont ici aucune espèce d'importance ; et il aurait été inutile de les décrire si je n’avais cherché dans ce travail à montrer comment le développement des circonvolutions , et la disposition des dessins qu’elles forment à la surface des hémi- sphères était commandée par la disposition des hémisphères eux- mêmes ; et comment, par conséquent, l'étude des circonvolutions pourra nous conduire quelque jour à la connaissance de la structure même du cerveau en nous faisant remonter de l'effet à sa cause. Je tenais à établir, par un exemple remarquable , comment le même type cérébral peut exister dans les espèces à cerveau lisse et dans les espèces à cerveau plissé. Je crois en avoir donné la démonstration. Maintenant, il faudrait pouvoir établir les caractères de ce type, en les comparant à ceux des types que j'ai décrits dans mon précé- dent Mémoire. Je ne puis le faire ici d’une manière certaine, parce qu'il est assez difficile d'établir ces caractères d'après une seule espèce. Toutefois je ferai remarquer que ce type diffère notable- ment des trois types que j'ai décrits en détail, et principalement du type des Carnivores et de celui des Ruminants. Nous avons vu dans ces types les circonvolutions se disposer avec une régularité assez grande autour de la scissure de Sylvius. Dans le Cabiai, nous n'avons point trouvé de sillon qui püt, par des caractères tranchés, être comparé à cette scissure, et par suite le cerveau nous pré- senter le caractère de n’avoir qu’un seul lobe. Cette disposition par- ticulière du cerveau nous parait done devoir indiquer l'existence d’un nouveau type cérébral ; mais, avant de pouvoir admettre ce résultat, il serait nécessaire de se rendre compte des conditions du cerveau dans les deux familles voisines des Chéiroptères et des Insectivores. Malheureusement ces familles ne nous présentent , jusqu’à présent du moins, qu'une seule espèce ayant des circonvo- lutions; et la petite taille des animaux de ces deux familles ne nous vermet pas d'espérer que ce nombre s'augmentera. Cette espèce est la Roussette. Leuret à indiqué dans cet animal l'existence des SUR LE CERVEAU DES RONGEURS. 261 circonvolutions ; mais il ne les a point figurées, et la descriplion qu'il en donne est tellement incomplète qu'il ne m'a point été possible de m'en servir pour mon travail. J'ai vainement cherché à me procurer un cerveau de Rousselte, dont l'étude aurait été pour moi de la plus grande importance. Je signale cette lacune aux ana- tomistes qui auraient des animaux de cette espèce à leur dispo- sition. Il y aurait une autre méthode pour décider la question : ce se- rait de chercher à établir les caractères anatomiques de ces cer- veaux au lieu de s’en tenir à l'étude des caractères superficiels. Mais cette méthode ne pourra donner de résultats certains qu'autant qu'un pareil travail aura élé fait pour la classe entière des Mammi- fères; et c’est là un travail qui présente des difficultés de toute nature, et pour la réussite duquel le temps est un élément essentiel. J'ai toutefois déjà réuni quelques éléments à celte question, et je ne négligerai aucune occasion de me procurer de nouveaux docu- ments; mais je ne puis encore entrevoir le moment où j'arriverai à des résultats précis. En attendant, je dois me borner à indiquer le résultat le plus saillant de mon travail actuel : c’est que le cerveau des Rongeurs nous présente, selon toute apparence, un type disüncet de celui des Primates, des Carnivores et des Ruminants; type princi- palement caractérisé par l'absence de la scissure de Sylvius, et par suite par l'absence de la division du cerveau des deux lobes, l'un antérieur, l’autre postérieur à la scissure (4). Je ferai remarquer ici ce fait singulier, que si l’on voulait com- parer ce cerveau à un type déjà connu, c’est probablement dans le type des Marsupiaux herbivores qu'il faudrait aller chercher des termes de comparaison. En effet, si nous jetons les yeux sur le cerveau du Kangourou, nous voyons que ce cerveau ne présente point de scissure de Sylvius, et qu'il offre sur la face supérieure (4) Je ne me sers point ici des expressions de lobe antérieur et lobe posté- rieur, parce qu'elles présentent certaines difficultés dans leur application. En effet, nous savons que dans les Singes il y a trois lobes ; or, le lobe postérieur de la plupart des Mammifères correspond au lobe moyen des Singes, chez lesquels le lobe postérieur ou lobe occipital est une partie surajoutée. 362 C. DARESTE, — NOTE des sillons longitudinaux et parallèles à la grande scissure antéro- postérieure, et sur les faces latérales des sillons qui s’insèrent plus ou moins obliquement sur le précédent. Ce fait, d’ailleurs, n’a rien qui doive nous surprendre , car depuis longtemps on a signalé les analogies nombreuses qui unissent les Rongeurs et les Marsupiaux herbivores qui forment les termes correspondants de deux séries parallèles. Les cerveaux de ces deux espèces sont d’ailleurs différents l’un de l’autre par l'absence du corps calleux et de la cloison transparente chez les Marsupiaux. Est-il possible maintenant d'appliquer ces résultats, si imparfaits qu'ils soient, à la classification des Mammifères? Les documents nouveaux que j'ai pu recueillir sont beaucoup trop incomplets pour que je puisse l’entreprendre; mais je ne crois pas devoir passer sous silence quelques rapprochements curieux. La pensée de chercher dans l’organisation du système nerveux des caractères pour la classification des Mammifères a été émise, il y a longtemps, par M. Is. Geoffroy Saint-Hilaire (Dicl. classiq. d'hist. nat., t. XIV, p. 659). « Le système nerveux, dont l'étude a été depuis quelques années poursuivie avec tant d’ardeur par les anatomistes , mais en même temps si négligée par les zoologistes, est l’un des systèmes où se lisent avec le plus de netteté les conditions essentielles de l’orga- nisalion, parce que nul n’a des rapports physiologiques et analo: miques plus multiples; parce que les modifications, les habitudes et les conditions vitales d’un être, sont nécessairement en rapport avec l'organe central de la vie, et que le cerveau en porte pour ainsi dire l'empreinte. » Sans doute, une classification , fondée uniquement sur les modifications du système nerveux, serail vicieuse, comme l’est toute classification basée sur un système exclusif. Mais il nous semble que, après les belles recherches entreprises depuis quelques années par plusieurs anatomisies, on pourrait dès aujourd’hui déduire ce fait zoologique très important, que chacune des grandes divisions d’une classe de Vertébrés, tous les ordres, peut-êtré mème les familles, présentent, dans certaines parties de leur encé: phale , des modifications qui peuvent servir à les caractériser , et SUR LE CERVEAU DES RONGEURS. 363 ont, si l’on peut s'exprimer ainsi, leur constitution cérébrale propre, de même que toutes les grandes divisions du règne animal peuvent être caractérisées par les modifications de l'ensemble de leur système nerveux. » Ce fait aurait pour premier résultat de nous permettre d’appré- cier les véritables rapports de ces êtres désignés ordinairement sous le nom d’anomauæ, et que l’on a si souvent introduits dans des familles auxquelles ils n'appartiennent pas, et dont ils empêchent qu'on en puisse assigner avec rigueur et précision les caractères et les limites : tels sont l'Ave-Aye parmi les Rongeurs, l'Or- nithorhynque et l'Échidné parmi les Édentés, et une foule d'au {res. » Ce passage est très explicite : il exprime très nettement la pensée qui m'a guidé dans mes recherches, etsous l'inspiration de laquelle j'ai rédigé mon précédent Mémoire, Or cette pensée a déjà guidé plusieurs naturalistes dans des tentatives de classification. M. Jourdan, professeur de zoologie à la Faculté des sciences de Lyon et directeur du Musée d'histoire naturelle de cette ville , a présentéà l’Académie, en octobre 1837, un travail ayant pour litre: Note sur le Muséum d'histoire naturelle de Lyon, sur sa classifica- tion zoologique, classification basée sur le système nerveux. Ce travail n’a pas été publié, à ma connaissance du moins. Je vois seulement dans une note d’un mémoire de M. Is. Geoffroy Saint- Hilaire (Archives du Muséum, 1. W, p. 518) que M. Jourdan cherche dans le nombre des lobes cérébraux, le degré de développe- ment des lobes optiques, et la présence ou l'absence des circonvo- lutions, les bases principales de la classification. Mes recherches m'ont appris , au contraire, que ce dernier caractère au moins ne peut être employé pour la classification, et confirment pleinement Jes doutes que M. Is. Geoffroy Saint-Hilaire avait élevés à leur sujet. Mais si les idées de M. Jourdan n’ont point élé publiées, nous pouvons toutefois les connaitre d’une manière approximative par les tableaux de la classification des Mammifères, qui ont été donnés, il y a dix-huit ans, parle prince de Canino, Dans un travail sur la classification des animaux vertébrés, lu à la Société linnéenne de 364 C. DARESTE, — NOTE Londres, le 7 novembre 1837 (1), ce naturaliste dit formellement qu’en essayant de classer les Mammifères d’après la structure de leur cerveau, c’est-à-dire d’après le nombre deslobes de cet organe, il a suivi les divisions établies au Musée d'histoire naturelle de Lyon par M. Jourdan. Or nous voyons dans cette classification du prince de Canino, qui reproduit les idées de M. Jourdan, les Mammifères à placenta (placentalia), divisés en deux grandes divisions, d’après le nombre de leurs lobes latéraux; ces subdivi- sions sont les suivantes : 1° Æducabilia, dont le cerveau a deux ou trois lobes (cerebrum bi vel trilobum), comprenant les ordres sui- vanis : Primates, Feræ, Pinnipedia, Cete, Belluæ, Pecora ; 9e Jneducabilia. dont le cerveau n’a qu’un seul lobe (cerebrum uni- lobum), comprenant les quatre ordres : Bruta,Cheiroptera, Bestiæ, Glires. Il serait fort intéressant de savoir si les animaux qui forment cette dernière subdivision , et qui présentent dans leur cerveau la particularité de n'avoir qu’un seul lobe, ont le même type cérébral ; ou s'il existe un type particulier pour chacun de ces ordres, comme nous l'avons constaté chez ces Rongeurs. Si la première de ces suppositions était vraie, nous y trouverions la confirmation des idées de M. Jourdan et du prince Ch. Bonaparte sur la elassifica- tion des Mammifères. Ces idées paraitraient devoir éloigner ces trois derniers groupes du groupe que les naturalistes ont toujours placé à la tête de la classe, celui des Primates , près desquels on les place d’après la considération des placentas. lei je ferai remarquer que, sans cher- cher à atténuer l'importance que ces caractères présentent dans la classification des Mammifères , importance sur laquelle j'ai insisté dans mon précédent Mémoire, toutefois l'assimilation des Ron- geurs et des Insectivores, que l’on s'accorde généralement à con- sidérer comme ayant une organisation inférieure à celle de la plu- part des Mammifères ordinaires, avee les Primates, qui, de l’aveu de tous, forment la tête de la série, peut ne pas satisfaire tous les (4) À new systemalic arrangement of vertebruted animals, by C.-L. Bona- parte, prince of Musignano — Transactions of the Linnean society, t. XVNIII, p. 248. SUR LE CERVEAU DES RONGEURS. 365 naturalistes. Il est possible qu'il y ait dans le mode de développe- ment de ces animaux certaines particularités qui les éloignent des Primates, auxquels ils se ratlachent par la considération des placentas. Mais je me borne ici à indiquer ces questions. Si quelque jour je puis arriver à établir les caractères anatomiques du cerveau pour tous les groupes de la classe des Mammifères , je reprendrai cette question dans son ensemble, et je chercherai à montrer , ce que j'entrevois dès à présent, comment les caractères du cerveau coïn- cident avec d'autres caractères pris dans le mode de développe- ment des animaux, ainsi que dans leur organisation tout entière (4). EXPLICATION DES FIGURES. PLANCHE 11. Cerveau du Cabiai. Fig. 4. Vu par la face supérieure. Fig. 2. Vu par la face inférieure. Fig. 3. Vu de coté. Cerveau du Chevrotain de Java. N. B. Je donne ici la figure du cerveau du Chevrotain de Java, que j'ai décrit dans mon second Mémoire sur les circonvolutions , mais que je n'avais pu figu- rer. Je renvoie, pour celte description à ce travail, aux Annales des sciences naturelles, 4° série, ZouLocie, t. I. Fig. 4. Cerveau vu supérieurement. Fig. 5. Cerveau vu inférieurement. Fig. 6. Vu de côté. (1) Je dois dire ici que M. Paul Gervais m'a dit être arrivé, par ses études sur l'ostéologie des Mammifères, à des résultats très semblables à ceux que j'ai ob- tenus par l'étude du cerveau, et que M. Milne Edwards a obtenus par l'étude des placentas. 11 serait fort à désirer que le savant professeur de Montpellier pu- bliât ce travail, que nous ne connaissons encore que d'une manière fort incom- plète par le Règne animal édité par Curmer. MÉMOIRE SUR LES SPERMATOPHORES DES GRILLONS , Par M. Charles LESPÉS, Docteur ès sciences naturelles. (Présenté à l'Académie des sciences le 2 juillet 1855.) Le mode d'accouplement des Grillons m'a présenté des faits tellement singuliers, que j'ai eru nécessaire de l’étudier avec soin et d’examiner leurs organes mâies. C’est le résultat de ces recher- ches que je vais exposer aussi exactement qu'il me sera possible, Qu'il me suffise de dire en commencant que chez ces Insectes il n'existe pas de véritable accouplement, que le mâle possède des spermatophores dont il introduit seulement extrémité dans les organes de la femelle , et que cette manœuvre per se renouveler un grand nombre de fois. Mes recherches ont porté sur deux espèces, les Grillus cam- pestris et domesticus, les seules dont j'ai pu me procurer un cer- tin nombre d'individus adultes vivants. I. — Accouplement du Grillon. I y a quelques jours j'avais rapporté chez moi trois Grillons pris à la campagne ; deux mâles et une femelle. J'ai eu soin , connais- sant leurs habitudes carnaässières, de les mettre dans des flacons différents. Un des mâles a chanté pendant toute Ia nuit. Le lendemain , mes Grillons ont paru complétement faits à leur nouveau genre de vie; ils ont mangé de grand appétit les Insectes que je leur ai donnés. Après ce repas, eurieux de voir l'aceueil que mon mâle chanteur ferait à la femelle, mais ne voulant pas leur per- mettre de se mutiler, je les réunis sans les perdre de vue. Je les mis done ensemble dans un petit vase de porcelaine, dont les bords lisses leur opposaient une barrière infranchissable. Le MÉMOIRE SUR LES SPERMATOPHORES DES GRILLONS. 367 Mâle, qui était silencieux depuis le matin, ne tarda pas, après avoir reconnu sa compagne de captivité, à relever ses élytres ; peu d’instants après , il entonnait un de ses plus beaux morceaux de chant. Mais ceci ne dura que peu de temps; en disposant mal ses élytres , il n’obtenait que des sons sans suite , faibles et saccadés. En même temps, il s’agitait très vivement autour de la femelle, qui paraissait peu se soucier de ses agaceries. Mais quel ne fut pas mon étonnement de voir que, parvenu à une petite distance, il se retour- nait brusquement en dirigeant toujours son abdomen vers la tête de sa compagne. Ce singulier manége dura une dizaine de minutes ; elle toujours immobile et lui produisant des sons peu forts et entre- coupés, et se présentant toujours à reculons. Enfin la femelle parut sortir de son apathie : elle s'avança un peu, et se mit à caresser avec la bouche l'extrémité de l'abdomen du mâle, qui s'arrêta court en remuant encore ses élytres avec rapidité; son ventre élait trainant à terre , el il faisait des efforts évidents pour l’aplatir de plus en plus , position peu ordinaire chez ces Insectes, qui se tiennent le plus souvent à une certaine distance du sol sur leurs fortes pattes. Presque aussitôt la femelle monta sur son dos, pendant qu'il faisait des mouvements violents pour se glisser sous elle. A ce moment ses élytres étaient abaissées ; la femelle en avançant fit par avoir sa vulve au-dessus de l'extrémité de l'abdomen du mâle. La plaque (décato-tergite) qui recouvre l'ouverture de l'anus et les pièces de l’armure génitale futsoulevée; un crochet de cette armure pénétra dans la vulve; immédiatement après, l'extrémité d’un petit corps brun conduite sur le crochet fut introduite dans cette ouverture. La femelle abandonna alors son mâle, entrainant le petit corps brun dont je viens de parler ; mais je la pris sur-le-champ, et, sans le moindre effort, je pus retirer ce petit appareil, dont la partie antérieure était seule engagée dans la vulve. Je l'ai trouvé composé d'une pelite ampoule cornée, et d’une sorte de lame mince transparente et curieusement contournée. Le mâle parut triste et fatigué, et, quoique je lui aie rendu la femelle quelques heures après, il n'a pas recommencé ses manœuvres. 368 C. LESPÉS. — MÉMOIRE En examinant le flacon dans lequel était enfermé le second mâle, celui qui n’avail pas encore chanté, je fus surpris de voir sur la paroi un petit corps brun en tout semblable à celui que son compagnon venait de me fournir. J'ai pu m'assurer depuis que ce fait n'était pas exceptionnel : les mâles privés de femelle se débar- rassent de leurs spermatophores par des mouvements très lents. Cet appareil tombe plutôt qu’il n’est rejeté , et l'animal n'a même pas l’air de s’en apercevoir. C’est dans ce cas la vésicule qui sort la premiére, et pendant longtemps elle reste suspendue par la lamelle, qui demeure engagée dans l'organe producteur. Les manœuvres dont j'avais déjà été témoin se sont renouvelées bien souvent sous mes yeux ; chaque accouplement m'a fourni un nouveau spermatophore, que j'ai retiré immédiatement de la vulve de là femelle; j'ai pu ainsi obtenir plusieurs de ces organes, et par conséquent j'ai été à même de les étudier. Avec un peu de patience, j'ai pu saisir tous les détails de cesin- gulier accouplement. Le spermatophore est situé à l’extrémité postérieure de l'abdomen du mâle ; la vésicule dirigée en arrière est maintenue de chaque côté par une pelite palette charnue ; la lamelle est encore engagée dans l'organe producteur, et toutes ces pièces sont recouvertes par la plaque triangulaire dorsale qui ter- mine l’abdomen. Il est assez facile de les voir en place : en pressant lentement le ventre d'un mâle, on le force à écarter les pièces terminales de l'abdomen , et l’on peut, avec un peu de patience et de douceur, pousser au dehors les diverses parties qu'elles recouvrent. Vers le haut se montre d’abord un tubercule volumineux (1); c'est l'anus, au-dessous des pièces cornées en forme de crochets (2), apparte- nant à l’armure génitale. Enfin plus bas, et placée dans la conca- vité de la pièce terminale inférieure (octo-sternite), on voit la vé- sicule du spermalophore (3) maintenue de chaque côté par une lamelle molle (4). Re = = = RU SAN = — BR, œ 8 | SUR LES SPERMATOPHORES DES GRILLONS. 369 Au moment de laccouplement, la plaque dorsale se relève , et l'on voit très facilement la vésicule du spermatophore. Le crochet de l’armure génitale étant introduit dans la vulve, les deux insectes son{ solidement unis. C’est à ce moment que commence l'émission du spermatophore ; l'extrémité de la lamelle d’où sort le filet glisse dans une sorte de rainure creusée en arrière du crochet, par un mouvement analogue à celui que produisent les chirurgiens quand ils conduisent un bistouri sur une sonde cannelée ; puis, par un mouvement rapide d’arrière en avant, la lamelle est introduite, les deux palettes qui maintiennent la vésicule s’écartent , et celle-ci reste fixée par la lamelle qui seule a pénétré dans le vagin. Dix minutes après un accouplement, j'ai vu des mâles qui avaient un nouveau spermatophore en place. En examinant avec soin un de ces appareils, au moment où il venait d’être ainsi placé, j'ai pu assurer qu'il est blanc et très mou ; mais en peu de temps il acquiert la solidité et la couleur qu'il doit conserver. Une heure suffit pour que ce changement soit complet. Je n'ai pas besoin de dire que rien n’est facile comme de s’em- parer de ce pelit corps chez le mâle; il suffit de le prendre douce- ment avec des pinces, et l’on peut ainsi se rendre compte de sa position. Peu de temps après qu'un de ces appareils a été perdu, soit à la suite d’un accouplement, soit artificiellement, l’insecte se livre à des mouvements assez forts, et analogues à ceux de la défécation ; il y a bientôt un nouveau spermatophore visible, et ces mouve- ments s'arrêtent. La femelle transporte pendant quelques heures le petit appareil partie dans le vagin (Ja lamelle), partie au dehors (la vésicule); il m'a semblé qu'elle ne fait aucun effort pour s’en débarrasser, et qu'il tombe tout seul. J'ai vu une femelle, que j'avais prise à la campagne vers une heure de l'après-midi, et qui alors portait un de ces corps, s’accoupler vers sept heures du soir. Le spermatophore tomba au moment où elle venait de monter sur le mâle. Si j'ai pu souvent observer l’accouplement du Grillon champêtre, il n’en a pas été de même de celui des maisons; ce n’est jamais qu'artificiellement que j'ai obtenu le spermatophore. J'ai pourtant 4° série, Zooz, T. III. (Cabier n° 6.) # 24 370 C. LESPÉS. — MÉMOIRE vu une fois chez un boulanger un mäle poursuivre sa femelle en chantant. IT. — Description des spermatophores. Le spermatophore du Grillon champêtre se compose d’une vési- cule (1) presque globuleuse, d’un brun plus ou moins foncé, termi- née à une extrémité par une papille blanche (2), et qui se continue à l’autre avec une lamelle (3) transparente, à peu près quadrilatère, formée par une membrane mince, tendue sur trois petites pièces cartilagineuses ; l’une de celles-ci est médiane , et fait directement suite à la vésicule ; elle est tubulaire, et contient un filet corné qui se continue bien au delà de la lamelle (4); les deux autres, situées à droite et à gauche, sont arciformes, et leurs deux extrémités, recouvertes par la membrane, forment de chaque eûté deux dents d’hamecon (5) qui doivent fixer l'appareil dans le vagin. Le volume du spermatophore varie un peu ; mais ordinairement il atteint près de 4 millimètres, depuis la papille jusqu’à l'extrémité de lalamelle. Le filet paraît plus ou moins long , suivant qu'il sort plus ou moins de son tube. Il offre une consistance differente dans ses diverses parties ; tandis que la vésicule est extrêmement solide et ses parois fort épaisses, la lamelle et ses filets cartilagineux sont très mous au moment de l’accouplement : elle est en outre couverte d'un liquide blanc el épais qui m'a présenté tous les ca- ractères du sperme. La vésicule est, ainsi que je l'ai dit, très solide, et ses parois sont épaisses et dures : vers les extrémités, il semble qu'elles sont com- posées de deux couches. Elle est creusée à peu près au centre d'une cavité arrondie pleine de sperme (6), qui se termine par un tube large dans la papille dont j'ai déjà parlé (7). Du côté opposé elle se PI. 10, fig. 2 a. PI. 10, fig. 2 b. PI. 10, fig. 3 c, et fig. 3. PI. 40, fig. 2 d. PI. 40, fig. 2e 3e, f. PL. 40, fig. 5 a. PI, 40, fig. 5 b. SUR LES SPERMATOPHORES DES GRILLONS. 374 continue en forme de canal étroit (1) dans toute la longueur de la lamelle : c’est ce tube qui contient le filet corné. Au moment où l’on retire le spermatophore de la vulve de la femelle, la lamelle porte ordinairement une gouttelette de liqueur blanche et épaisse ; en l'examinant avec un fort grossissement, j'ai pu y apercevoir un grand nombre de zoospermes filiformes et très petits (2) : ils ont environ 0®,04 de longueur et 0"*,0012 de lar- geur. Dans la vésicule du spermatophore, on trouve ces mêmes corps en grand nombre : jamais je ne les ai vus formant ces longs faisceaux penniformes décrits depuis longtemps; je n'ai jamais non plus observé leurs mouvements, de quelque manière que j'aie opéré. Placés dans l'eau, plusieurs se sont courbés en forme de nœuds (3). J'ai pris dans les testicules de plusieurs mâles , ainsi que dans la vésicule copulatrice d’une femelle, du sperme que j'ai trouvé en tout semblable à celui qui découle de la lamelle, et qui remplit l'ampoule du spermatophore. J'ai toujours trouvé un grand nombre de zoospermes ; j'ai pu constater sur eux les principaux faits qu'ils présentent chez les Insectes, excepté le mouvement que je n'ai jamais aperçu distinctement. Quand, après l'accouplement, la femelle laisse tomber ce petit appareil, les parois de la vésicule paraissent légèrement ridées ; mais elle contient encore une certaine quantité de sperme. Le filet corné ne se trouve plus dans le tube de la lamelle. Le spermatophore du Grillon domestique est entièrement blanc, plus gros et plus court que celui de son congénère des champs. La vésicule (4) est terminée postérieurement par une papille très grosse (5). La lamelle (6) est relativement plus petite , et presque pliée en deux dans le sens de la longueur. Je n'ai pu y apercevoir de filets cartilagineux latéraux. Elle présente en arrière un fort crochet (7), tandis que l’épine courbe antérieure, si marquée chez (1) PI 40, fig. 5 c. (2) PL. 40, fig. 6 a. (3) PL 40, fig. 6 b. (4) PL. 40, fig. 4 a. (5) PL. 40, fig. 4 6. (6) PI. 40, Gg. 4 c. (7) PI. 40, Gg. & e. 372 €. LESPÉS. — MÉMOIRE le Grillon ehampêtre, manque chez celui-ei. En comprimant la vésicule, on voit facilement la cavité ronde dont elle est creusée , et qui ressemble à ce que lon trouve chez le Grillon champêtre. J'ai pu encore ici observer les zoospermes, mais toujours ils étaient immobiles. JIL. — Appareil producteur des spermatophores. L'organisation interne des Orthoptères a été décrite avec tant de soin par M. L. Dufour (A), qu'il ne reste que bien peu de choses à connaître dans l'anatomie de ces animaux. Quant à l'appareil re- producteur mâle des Grillons, j'ai trouvé sa portion interne exac- tement teile qu'elle à été décrite par ce savant naturaliste. C'est à l'extrémité postérieure du canal déférent que l’on peut voir un organe remarquable chargé de la formation des spermatophores. Il peut être considéré comme faisant partie de l’armure génitale. Chez leGrillon champêtre, cette armure est formée par une lame courbe composée de plusieurs pièces situées à droite et à gauche, et qui sont unies par une membrane résistante, ef par une pièce indépendante inférieure, très remarquable. La lame se compose de six pièces solides. On trouve en dessus une sorte de bouclier, qu’il est facile de partager en deux sur la ligne médiane (2). Il se ter- mine par trois crochets : celui du milieu (3) joue un grand rôle dans l’accouplement ; à droite et à gauche il fournit un long filet (4), sur lequel s’insèrent les lames charnues qui soutiennent la vésicule du spermatophore. Au-dessous de cette pièce, on en aperçoit deux autres (5) minces et courbes, qui forment un contour irrégulier. Enfin, à la face inférieure du bouclier dorsal, on voit deux petites lames crêles (6). Pendant l’accouplement, c’est le crochet médian seul qui pénètre dans la vulve, ef qui sert de conducteur à la lame du spermatophore. (1) Anatomie des Orthoptères, dans les Mémoires des savants étrangers à l'Académie des sciences, VII, 1841. (2) PL. 10, fig. 7 aa, et fig. 9 a. (3) PL. 10, fig. Te, etfig. 9e. (4) PI. 10, fig. 7 bb, et fig. 9 b. (5) PI. 10, fig. 7 cc, el fig. 9 c. (6) P 7 dd, et fig. 9 a. SUR LES SPERMATOPHORES DES GRILLONS. 379 La pièce indépendante est formée en avant par une sorte de stylet aigu (1), qui est appliqué à la face inférieure de la lame dont je viens de parler. À la base, ce stylet s'élargit, change de nature , et forme une lame blanche et striée en travers (2); cette lame , pliée en deux dans sa longueur, se contourne pour former un circuit irrégulier. Elle est renfermée dans une vésicule très mince située au-dessous de l’armure génitale et au-devant des deux palettes qui soutiennent l’'ampoule du spermatophore. Cette poche est large- ment ouverte en avant et au-dessous de l’armure génitale. C’est pres de celle ouverture que débouche le canal déférent (3), après avoir contourné la partie inférieure de la vésieule (4). La lame dont je viens de parler est l'organe producteur du sper- matophore ; elle présente, sur sa face convexe , une ligne transpa- rente, sur laquelle se forme le tube qui contient le filet de cet appa- reil : sa largeur est plus considérable aux deux extrémités. A la partie terminale de la portion élargie inférieure débouche le canal éjaculateur. J'ai vu un spermatophore en voie de développement ; il était constitué par une membrane très minee. Quand un de ces appareils est complétement formé , la vésicule abandonne l'organe qui l’a produite, elle est chassée par l'ouverture dont j'ai parlé, et vient prendre place entre les deux lames charnues ; mais la lamelle reste placée au-dessous du stylet de l'armure. L'armure génitale du Grillon domestique a la plus grande ana- logie avec celle de son congénère des champs. On peut y recon- naitre une lame complexe supérieure et un stylet inférieur. La lame supérieure se compose encore chez cet insecte d'u bouclier (5) facile à diviser sur la ligne médiane, mais dont le bord libre ne présente aucun crochet. On trouve de même les deux ares qui forment un cireuit irrégulier (6), mais ils portent chacun une 1) PI. 10, fig. 9 . 2) PI 10, fig. 9 Im. 3) PI. 40, fig. 9 n. PI. 40, fig. 9 k; gg. PI. 10, fig 8 aa, et fig. 40 « PI, 10, fig. 8 ce, et fig. 10 c. 970 C. LESPÉS. — MÉMOIRE lamelle (4); en outre les deux lames grêles qui, chez le Grillon des champs, sont placées à la face inférieure du bouclier, se pré- sentent ici sous la forme de forts crochets (2). Je pense que pen- dant l’accouplement ils servent à fixer la femelle, et remplacent le crochet unique du Grillon champêtre. Le stylet inférieur (3), qui est extrêmement mince, se continue avec une lame blanche (4), dont la forme seule diffère de ce que nous avons trouvé chez le Grillon champêtre : cette lame produit le spermatophore. À son extrémité inférieure débouche le canal éja- culateur (5). Après avoir étudié cet appareil, il devenait nécessaire de recher- cher la signification des pièces si remarquables qui le composent. On sait, depuis les travaux d’Audouin et ceux de M. Milne Edwards, que les anneaux des Articulés sont formés de six pièces solides , et peuvent portér deux paires d’appendices. M. Lacaze- Duthiers a démontré que l’armure génitale des femelles peut tou- jours être ramenée à ce type, et que les pièces qui la composent appartiennent au neuvième segmentde l’abdomen, l'ouverture géni- tale étant toujours située entre le huitième et le neuvième anneau. Je crois qu'il est facile de déterminer les pièces qui conslituent larmure génitale mâle des Grillons. Le neuvième anneau est formé par le neuvième arceau dorsal (ennato-tergite). Chaque moitié de la pièce médiane de l’armure est une épimérite (6) ; les deux arcs représentent les épisternites (7). Chacune dé ces pièces porte un crochet dans le Grillon domestique : ce sont le sterno-rabdite (8) et le tergo-rabdite (9). Celui-ci existe seul chez le Grillon champêtre. ) PL 40, fig. 8 ee, et fig. 410 e. 2) PI. 10, fig. 8 dd, et fig. 10 d. ) PI. 40, fig. 10 h. (4) PI. 40, fig. 40 Um. (5) PL. 40, fig. 10 gg, nu. 6) PI. 10, fig. 7, 8, 9, 10 a. 7) PL 10, fig. 7, 8, 9,40 c. (8) PI. 10, fig. 8et10 e. (9) PI. 40, Gg. 7, 8, 9, 40 d. SUR LES SPERMATOPHORES DES GRILLONS. 979 Toutes ces pièces sont groupées à la partie supérieure de l’appa- reil ; mais au-dessous sé trouve le stylét (1) et la lamé productive du spérmalophore qui ne font qu'une seule pièce (2): par ses con- nexions il est facile de la réconnaître pour un sternile. C'est à sa partie inférieure (antérieure si nous la supposons dé- roulée) que se termine le canal éjaculateur (3). Ce canal s'ouvre donc entre l’octo-sternite et l’ennato-sternite, exactement comme le vagin chez les femelles. Le stylet corné joue un rôle important : il m'a semblé qu'au mo- ment de l’accouplement il contribue en grande partie, si ce n’est seul, à pousser én haut la lamelle du spermatophore, ét, par consé- quent, à intraduiré cet appareil. Le canal éjacülateur dirigé horizontalement, d'avaht en arrière dans sa partie antérieure, s'incline vers le bas au niveau du septième anneau abdominal, puis il se relève en contournant la poche dans laquelle est sécrété le spermatophore (4). Parvenu à sa face posté- rieure , il s'ouvre dans cetté cavité par un pore dirigé l'arrière en avant (5). Dans le Grillon champêtre cé canal est coloré en brun ; il est transparent dans le Grillon domestique. IV. — Conclusions. Il résulte des faits que je viens d'exposer, et qui m'ont semblé dignes de l'attention des naturalistes : 1° Que les Grillons possèdent des spermatophores ; 2% Que l’accouplement chez ces Insectes est tout à fait anormal relativement à ce qui se passe chez les animaux de la même elasse ; 9 Que les spermatophores sont sécrétés par une dépendance de l’armure génitale, et qu'ilen est produit un nouveau pour chaque accouplemient. Ces faits sont-ils présentés uniquement par les Grillons ? Je suis porté à croire que non. Déjà M. von Siebold a décrit chez les (4) PI 40, fig. 9 et 10 h. (2) PL 10, fig. 9 et 10 Im. (3) PL 10, fig. 9 et 10 n. (4) PI. 10, fig. 9 et 10 gg. (5) PL. 10, fig. 9 et 40 n. 376 €. LESPÉS, — MÉMOIRE Locustaires des corps qu'il considère comme des spermato- phores (L); mais comme ces réservoirs spermatiques étaient ren- fermés dans la vésicule copulatrice des femelles, il est probable qu'ils diffèrent beaucoup de ceux des Grillons. Il est possible aussi que d'autres Orthopières offrent des faits analogues, qu'il serait intéressant de connaître. C’est une étude que je me propose de faire dans le courant de cet été EXPLICATION DES FIGURES. PLANCHE 10. Fig. 4. Extrémité de l'abdomen d’un Grillon champêtre que l'on a forcé à ouvrir les plaques terminales. — a, anus à l'extrémité d'un tubereule. — b, crochets de l’armure génitale. — c , ampoule ou vésicule du spermatophore. — d, lame charnue du côté droit qui la soutient. Fig. 2. Spermatophore du Grillon champêtre vu de profil. — a, vésicule. — b, papille postérieure. — c, lamelle avec ses crochets e et f. — d, filet corné. Fig. 3. Lamelle du même spermatophore vu par dessus; le filet a été enlevé. — ee, crochets postérieurs. — ff, crochets antérieurs plus courbés que les postérieurs. Fig. #. Spermatophore du Grillon domestique vu de profil. — a, vésicule. b, papille. — c, lamelle avec ses deux crochets e et f. Ce dernier existe à peine. — d, filet corné. Fig. 5. — Coupe longitudinale de l'ampoule du spermatophore du Grillon cham- pêtre. — a, cavité. — b, large canal qui se dirige vers la papille. — c, canal de la lamelle. Fig. 6. Zoospermes du Grillon champêtre. — «, deux de ces corps pris dans le spermatophore. — b, un zoosperme contourné par l’action de l'eau. Fig. 7. Plaque dorsale de l'armure du Grillon champêtre. — ua, les deux moi- tiés du bouclier (épimérites).— 6b, les deux filets sur lesquels sont portées les lamelles charnues qui soutiennent la vésicule du spermatophore. — cc, les deux ares inférieurs de l'armure (épisternites). — dd, les deux lames minces mobiles (tergo-rabdites). — e, crochet médian de l'armure. Fig. 8. Plaque dorsale de l’armure du Grillon domestique. — aa, les deux moi- tiés du bouclier (épimérites). — bb, les deux filets qui supportent les lamelles charnues. — ce, les deux ares inférieurs (épisternites). — dd, les deux cro- chets supérieurs (tergo-rabdites). — ee, les deux crochets inférieurs (sterno- rabdites). (1) Carl. Th. von Siebold, Ueber die Spermatozoïden der Locustinen, in Nav. Act. Acad. Carol. Leop. nat. cur., XXI, pars 1, 1845, p. 249. Le 4 SUR LES SPERMATOPHORES DES GRILLONS. 377 Fig. 9. — L'armure génitale du Grillon champêtre vue de profil, pour montrer la disposition de la lamelle qui sécrète le spermatophore; la moitié gauche de la plaque supérieure de l'armure a été enlevée. — a, épimérite du côté droit. — b, son filet corné qui porte la lame charnue. — c, épisternite du même côté. — e, crochet médian de l'armure. — gg, canal éjaculateur. — h, filet corné inférieur ou sternite, qui se dilate pour former la lame Im. — k, dilata- tion qu'il présente ayant de s'accoler à l'armure. —n, point où s'ouvre le canal éjaculateur. Fig. 10. L'armure génitale du Grillon domestique vue de la même manière, — 4, épimérile du côté droit. — 6, son filet corné. — c, épisternite. — d, grand crochet (tergo-rabdite). — e, petit crochet (sterno-rabdite), — 9g, canal éjaculateur. — h, filet corné inférieur ou sternite qui se dilate pour former la lame Im. — n, point où s'ouvre le canal éjaculateur. Nota. — Depuis l'impression de ce mémoire, j'ai pu m'assurer que le Grillon des bois présente des faits analogues. J'ai pu aussi voir le développement des zoospermes du Grillon domestique ; en suivant les modifications de ces petits corps dans la vésicule copulatrice de la femelle, j'ai fini par les trouver mobiles, {ŒÆEXTRAIT D'UNE LETTRE SUR DES EXPÉRIENCES RELATIVES À LA TRANSMISSION DES VERS INTESTINAUX CHEZ L'ESPÉCE HUMAINE, ADRESSÉE À L'ACADÉMIE DES SCIENCES Par M. KUCHENMEISTER, de Zittau. Au mois de mars 1853, j'avais demandé inutilement l’autorisa- tion d'administrer des Cyslicerques à une femme condamnée à mort; mais une occasion vient de m'être fournie pour tenter une expérience de ce genre, et j'en ai profité, quoique le temps dont je pouvais disposer ne devait être que de six à huit jours. Environ cent trente heures avant le moment fixé pour l’exécu- tion d’une femme condamnée à la décapitation pour assassinat, je Jui fis avaler, à son insu, un Cysticerque ténuicolle, et, au bout de vingt heures, je lui donnai six Cysticerques pisiformes, n'ayant pas à ma disposition des Cysticerques cellulaires. Ces vers, dépouillés de leur vésieule caudale , furent administrés dans un potage , dont la température était à peu pres celle du corps humain. Environ 978 KUCHENMEISÆER, — TRANSMISSION quatre-vingt-quatre heures avant l'exécution , j'ai pu me procurer de la viande de Cochon, contenant des Cysticerques cellulaires provenant d’un animal tué depuis soixante heures, et le lendemain je fis servir à la condamnée du boudin dans lequel j'avais introduit douze de ces vers; cnifin d’autrés Cysticerques cellulaires, au fiombre de dix-huit, puis de quinze, ensuite dé douze et dix-huit, lui furent administrés avec les aliments, qu’elle prit dans divers repas qui précédèrent son exécution de soixante-quatre heures, de vingt-quatre heures, et de douze heures. Le lendemain de l'exécution, je me rendis à l’Institut anato- mique où le cadavre avait été déposé; mais je n'ai pu faire l’au- topsie qué quarante-huit heures après la mort. Ayant fait tremper les intestins dans de l'eau pendant quelque temps, je parvins à découvrir dans le duodénum quatre jeunes Tænias, qui tous avaient encore sur la tête une ou deux paires de crochets. L'un de ces vers avait encore la couronne de crochets presque complète. Tous avaient déjà leurs proboscides (rostellum), et les crothéts, à l’aide desquels ils s'étaient fixés aux parois de l'intestin ; enfin ils avaient tous à l'extrémité postérieure de leur corps une échancrure et une inversion , comme on en voit sur les Cysticerques ingérés dans le tube digestif des chiens. Ces parasites avaient de 4 à 8 millimètres de long, et ressemblaient au Tœnia solium par le nombre , la grandeur et la forme de leurs crochets ; mais les fossettes qui logent ces appendices étaient dépourvues de pigment, et peu distinctes. Je trouvai aussi dans la lavure des intestins six autres Tænias qui manquaient de crochets, mais qui, du reste, ressemblaient tout à fait aux précédents. Cette expérience a donc fourni les résultats suivants : 4° Le Cysticerque cellulaire est le scolex du Tœnia solium de l'homme. 2 L'infection de l’homme par le T°. solium est produite, comme tous les autres phénomènes du même genre , par l’ingestion de Cyslicerques. o° Celte ingestion peut se faire à notre insu , ainsi que je l'avais avancé dans mon Mémoire présenté à linstitut pour le concours DES VERS INTESTINAUX CHEZ L'ESPÈCE HUMAINE. 279 de 1853, et dans mon ouvrage sur les Cestoïdes, publié en alle- mand, à Zittau, en 1853. 4° Les règlements de police relatifs à l'hygiène publique doi- vent être modifiés, en ce qui concerne la vente de la viande in- féclée de Cysticerques. Jé profiterai encore de celte circonstance pour revenir sur le sujet de l'éducation des Vers cyslicerques à l’aide d'œufs de Tæñias. Il a été constaté, par moi d’abord, puis par le professeur Hubner et moi, ensuite par MM. Van Beneden, Gurlt, Eschricht, R. Leuckart, Roll, etc., que les œufs mürs de Tænia produisent des Cysticerques. M. Van Beneden à nourri deux cochons avec des œufs du T. solium , et il a vu un de ces animaux devenir ladre. Le gouvernement a chargé M. Hubner et moi de répéter cette expérience ; nous avons fait avaler des œufs de ce Tænia à trois cochons , et nous avons reconnu que deux de ces animaux sont devenus ladres; nous pouvons done confirmer le résultat obtenu par M. Van Beneden. Nous avons fait avaler à des moutons des œufs de T. solium et du véritable T. serrata, mais nous n'avons jamais réussi à obte- nir ainsi des Cysticerques. I en fut de même dans les expériences où nous donnions à des chiens des œufs de T'. sérrala et de T. so- lium, et à des lapins des œufs de T. solium, de T. mediocanellata etde T. cœnure. RECHERCHES SUR LES RAPPORTS NUMÉRIQUES QUI EXISTENT CHEZ L'ADULTE, A L'ÉTAT NORMAL ET À L'ÉTAT PATHOLOGIQUE , ENTRE LE POULS ET LA RESPIRATION, Par M. le D‘ MARCÉ. Ce travail, établi d’après l'analyse de nombreuses recherches statistiques, est résumé ainsi par l’auteur : Chez l'adulte en état de santé, la moyenne des respirations est de 20 par minute, la moyenne des pulsations étant de 72. 380 PUBLICATIONS NOUVELLES. Le chiffre qui, à l’état normal, exprime le rapport entre le nombre des pulsations et le nombre des respirations, est, en moyenne, de 3 À Ce rapport n’est pas constant. Quand le nombre des pulsations tombe au-dessous de la moyenne normale, le nombre des respira- tions reste proportionnellement supérieur; quand le nombre des pulsations s'élève de beaucoup au-dessus de l’état normal, le nom- bre des respirations, tout en augmentant d’une manière absolue , reste proportionnellement inférieur; en un mot, le chiffre, du rap- port augmente avec le nombre des pulsations. Étant donné, chez l'adulte et chez le vieillard, un même nombre de pulsations, le nombre des respirations chez le vieillard est in- férieur au nombre des respirations chez l'adulte. La douleur des parois thoraciques, qu’elle tienne à une névrite, à une névralgie, à un rhumatisme ou à toute autre cause, est le seul symptôme qui puisse augmenter, hors des limites normales, le nombre proportionnel des respirations. Les affections cérébrales comaleuses et les pertes de sang su- bites et considérables sont les seules causes qui amènent le ralen- tissement proportionnel des mouvements respiratoires. (Archives générales de médecine, 1855, juillet, p. 72.) PUBLICATIONS NOUVELLES. Chimic appliquée à La physiologie et à la thérapeutique, par M. MnaALuE, in-8, 1855. Ce livre contient l'ensemble des recherches expérimentales de l’auteur sur les phénomènes chimiques de la digestion et sur l'absorption. Monografia delle Nereidi fossili del monte Bolca, del prof. Massa- LONGO , in-8. Vérone, 1855. Plusieurs des espèces fossiles décrites, pour la première fois, dans cet opus- cule, sont très bien conservées, et ont été ligurées avec soin par l'auteur dans six planches lithographiées. Des ossements humains des cavernes et de l’époque de leurs dépôts, par M. Marce DE Serres, in-4. Montpellier, 1855. L'auteur traite successivement des cavernes à ossements où l’on découvre des restes de l'espèce humaine el des produits de l'industrie; de l'influence que les pee PUBLICATIONS NOUVELLES. 381 carnassiers peuvent avoir exercée sur la dissémination des herbivores dans les cavités souterraines: de la population des brèches osseuses comparées à celle des cavernes à ossements ; des phénomènes qui accompagnent le remplissage des cavernes, ‘elc. Voyage d'exploration sur le littoral de la France et de l'Italie, par M. Cosre, in-4, 1855. Dans ce livre l’auteur fait l'histoire des industries qui se pratiquent à Comac- chio, au lac Fusaro, à Marennes et à l’anse de l’Aiguillon, et qui ont pour objet la pêche et l'élevage des anguilles, des huîtres, des moules, etc. Genera des Coléoptères, par M. LacorpAIRE, 8° volume. Cet ouvrage , qui fait partie de la collection des Traités d'histoire naturelle édités par Roret sous le titre de Suites à Buffon, est un exposé méthodique et critique des genres proposés jusqu'ici dans l'ordre des Coléoptères. Le volume qui vient de paraître est consacré aux Pectinicornes et aux Lamellicornes. Essai sur les déformations artificielles du crâne, par le docteur Gosse, de Genève, in-8, 1855 (avec 7 planches). Les recherches de l'auteur l'ont conduit à penser que les déformations artifi- cielles du crâne, déterminées de la même maniere sur les deux sexes pendant plusieurs générations successives, tendent à devenir héréditaires , et que par conséquent , parmi les caractères distinctifs des races humaines , ceux qui sont basés sur la permanence de forme du crâne et de la face ont moins de valeur qu'on ne l’admet généralement. Monographie des Sangsues médicinales, par M. FERMON, pharmacien en chef de la Salpêtrière à Paris. L'auteur, après avoir exposé l’état actuel des connaissances du naturaliste au sujet de ces Annélides, traite avec beaucoup d'étendue de loutes les questions rela- tives à leur conservation et à leur multiplication. Il consacre aussi un chapitre à l'histoire du commerce des Sangsues et de l’industrie nouvelle qui a pour objet l'élevage de ces animaux. Memoirs of the Geological Survey. Decade VIII. Cette livraison contient la description et des figures de plusieurs espèces nou- velles de Poissons fossiles de l'Angleterre, par sir P. Egerton. Ces espèces appartiennent aux genres Asteracanthus, Agassiz, Pholidophorus, Ag., Hislio- notus, Egert., Aspidorhyichus, Ag., Legnonotus, Egert., Piycholepis, Ag., Oxygnathus, Egert., et Pycnodus, Ag. FIN DU TROISIÈME VOLUME. TABLE DES ARTICLES CONTENUS DANS CE VOLUME. PHYSIOLOGIE. Recherches relatives à l'action du suc gastrique sur les matières albumi- noïdes , par M. Loxcer. À ; BE De l'action du fluide séminal sur les corps gras neutres, par M. Loxcer. Mémoire sur l'origine du sucre contenu dans le foie, et sur l'existence normale du sucre dans le sang de l'homme et des animaux, par M. Fi- GUIEB. . . : : ; : = Deuxième Mémoie sur # finutidas éossnieue du foie, par js tés Analyses comparées du sang de la veine porte et du sang des veines hé- patiques, etc., pour servir à l'histoire de la production du sucre dans le foie, par M. Leumanx. : Remarques sur la sécrétion du sucre de le Fo par \. ARE Recherches sur la fonction glycogénique du foie, par M. Leconte s Mémoire sur la présence du sucre dans les urines, et sur la liaison de ce phénomene avec la respiration, par M. Reyxoso. ci Rapport sur divers Mémoires relatifs aux fonctions du foie, par M. aile De quelques faits pathologiques propres à éclaircir la question de la pro- duction du sucre dans l'économie animale, par M. Anpra. . : Recherches sur les rapports numériques qui existent entre le pouls et la respiration, par M. Mancé. . . . . . . . . ANIMAUX VERTÉBRÉS. Deuxième Mémoire sur les circonvolutions du cerveau chez les Li par M. Danesre. L F Note sur le cerveau des re , et Eu PES sur le cerveau += Cabiai, par M. Daresre. . . SH en . Note sur le caractère ostéogénique rs la ent qui “pr es un grand nombre de cas, la cloison des fosses olécranienne et coronoïde de l'humérus, par M. Hozrann. . . . . . cal Ai “Ho Recherches sur les Mammifères fossiles de l'Amérique méridionale, par M. Gervais. . . . APT Re ge) oh Sur une espèce de Rorqual SON par M. Gervais. . . . : Description d'un, Poisson fossile du terrain crétacé de la Doi suivie d’une liste de Poissons fossiles que l'on a recueillis en France, par ME GRAN Le ue pi QE oi ATX 17 24 51 57 61 120 320 347 379 TABLE DES MATIÈRES. Lettre relative à de nouvelles expériences sur Île AERaIEPAUPERE À des Vers intestinaux, par M. R. Leucxant. Extrait d'une lettre sur les expériences relatineé à Fa transmission Ge Vers intestinaux chez l'espèce humaine, adressée à l'Académie des sciences par M. Kucexuerster, de Zittau. . . . . . ANIMAUX SANS VERTÈBRES. Nouvelles observations sur le développement des Trématodes , par M, ne Ficipri. . . - 5 à < Nouvelles nations, sur la midifcation des Gubpes, par À we DE : Sins SURE. Mémoire sur les ca DURS 1e Grillons Observations sur la contagion de la gale des animaux à l'homme, par M. Boureuiénox. . . . ENS : Recherches sur l'anatomie des organes Emnductatt et sur le Cloppst ment des Myriapodes, par M. Fanre. Ps 4 TL D 4 - Mémoire sur les animalcules et autres corps organisés si donnent à la mer une couleur rouge, par M. Daresre. : Note sur les phénomènes décrits par les navigaleurs sous le nom dé mers de lait, et qui tiennent à la présence d’animalcules phosphorescents , par ; par M. Ta ME M. Danesre. Publications nouvelles. TABLE DES MATIÈRES PAR NOMS D'AUTEURS. Axpraz. — De quelques faits pa - donnent à la mer une couleur thologiques propres à éclaircir rouge. . : la question de la production du — Note sur les phénomènes ‘dé- sucre dans l'économie animale. 347 Berxann.—Remarques sur la sé- crélion du sucre dans le foie. Bourçuiexox.— Observations sur la contagion de la gale des animaux à l'homme. : Daneste. — Deuxième Mémoire * sur les circonvolutions du cer- veau des Mammifères. . — Note sur le cerveau des Ron- geurs, et particulièrement sur le cerveau du Cabiai. b — Mémoire sur les animalcules et autres corps organisés qui crits par les navigateurs sous le nom de mer de luit, et qui tiennent à la présence d'ani- malcules phosphorescents. Dumas. — Rapport sur divers Mé- moires relatifs aux fonctions du foie. . . . Fare. — Recherches s sur l anato- miedes organes reproducteurs, et sur le développement des Myriapodes. Ficuier, — Mémoire sur l'origine du sucre contenu dans le foie, et sur l'existence normale du 377 111 153 366 240 256, 320 80 179 240 320 257 381 sucre dans le sang de l'homme et des animaux. — Deuxième Mémoire sur | les fonctions glycogéniques du foie. Fier. —Nouvelles observations sur le développement des Tré- malodes. . GERVAIS. — Recherches sur [es Mammifères fossiles de l'Amé- rique méridionale. — Sur une A de Rorqual fossile. . — Description d'un Poisson ‘fos- sile du terrain crétacé de la Drôme , suivie d'une liste des Poissons fossiles que l'on à re- cueillis en France. Hozcanp. — Note sur le carac- tère ostéologique de la perfora- tion de la cloison des fosses olécranienne et coronoïde de l'humérus. Kucasnmeisren, de Ziltau, — E x- trait d'une lettre sur les expé- riences relatives à la transmis- sion des Vers inteslinaux chez l'espèce humaine. à Leconte. — Remarques sur la fonction glycogénique du foie. TABLE 17 111 330 338 341 ee 1 Qu DES PLANCHES, Leamann. — Analyses comparda- tives du sang de la veine porte et du sang des vemes hépati- ques, etc., pour servir à l'his- toire de la production du sucre dans le foie. AUS Lespés. — Mémoire sur les sper- malophores des Grillons. Leucxanr.— Lettre relative à de nouvelles expériences sur le développement des Vers intesti- naux. Loncer.— Recherches relatives à à l'action du suc gastrique sur les matières albuminoïdes. — De l'action du fluide séminal sur les corps gras neutres. Mancé. Recherches sur les rapporls numériques qui exis- tent entre le pouls et la respi- ralion. S ReyNoso.— Mémoire « sur la pré- sence du sucre dans les urines, et sur la liaison de ce phéno- mène avec la respiration. Saussure.—Nouvelles considéra- tions sur la nidification des Guëêpes. TABLE DES PLANCHES RELATIVES AUX MÉMOIRES CONTENUS DANS CE VOLUME. 1. Architecture des Guêpes. 2, 3. Circonvolutions du cerveau, 4. Rorqual fossile. — Histialosa Thiollieri. 5. Ursus Bonariensis. — Toxodon platensis. — Elephas. 6, 7, 8, 9. Organes reproducteurs des Myriapodes. 10. Armatures génitales et spermalophores des Grillons. — Développement des Cysticerques. (LR FIN Cerveau du Cabiai et du Chevrotain des Indes. DE LA TABLE. 51 366 379 Zoo. Tom. 3. PCR Architecture. des Cucpes. M Aémont impr. das Mavers. 65, Tri — Ki \8H 1: BE e 2 Ann des Sen. nat. $° Série. Zoot, Zom. 3 PL 2 LIT Guyard se Crconvolulions du Cervcat |. VAémond tmp. r des Myers 65, Paris Ann des Seienc. nat. 4° Série Circonvolutions du Cerveau. D Hémond imp r der Movers. 65. Paré n su LC PPT TE à ASS in , à or + 0 Art. des Seéerc. nat. 4 Série Zoo T3. PL 4 à. Rorqual fossile. 2. FHistialosa Thiollieri Ann: des Suenc nat. 4° Séree Zoo 73. 71, 5 Délshay dl rirt-Fisguet fe Far 6 Elephas LT Zool. Tome 8. PL 6. ASTON LATE (IT COMORES des Myriapodes. Novers 66 Juris A'Rénond impr dar Organes reproducteurs Ann. des Seine. nat. 4° Série. D M 0 Or + Ann. des Seëne. nat. ÿ"Série Zool. Tome 3. FE, Organes reproducteurs des Myrapodes. M Hémand imp. r der Nevers, 68 Parèr Ann. des décerne met, 4° Verre. Zoot Time. Pl. Organes reproducteurs des Myrtapodes. L Aomsat due re et Maven. 65 Hrrér. | Ann. des Scene nat. $° Série. Zool. Zome 3. Pl. Organes reproducteurs des Myriapodes . Ne Aémendt tmp r dar Navenr. 66 lurér SE ———_—— Anita Joe nt Je Zrol. Tom. 8. PL 2 Lig.1-10. Armalures gehitales el sy crmalophores des Crdlons Lg. 14. Developpement des Cyshcerques. N émorl cmp.r. dec Moyor:s. GE Paris. sal de Cérvoere due Cabriat et du Chevrotain de Lrvu H #