Un AMONT Die. "te. Ù si EX 1,582 ANNALES SCIENCES NATURELLES. a MROLSIÈME SÉRIE. LOOLOGIE. LA . . ï : …. à L “LS “ “#0 : À 1 (TA | 7 7 Û DR LL OLD LILI. EL; SL AUX * = Z-D. ANNALES DES SCIENCES NATURELLES COMPRENANT LA ZOOLOGIE, LA BOTANIQUE, L'ANATOMIE ET LA PIHYSIOLOGIE COMPARÉES DES DEUX RÈGNES = ET L'HISTOIRE DES CORPS ORGANISÉS FOSSILES : RÉDIGÉES POUR LA ZOOLOGIE PAR M. MELNE-EDWAKRDS, ET POUR LA BOTANIQUE PAR MM. AD. BRONGNART ET J. DECAISNE. Troisième Série. ZOOLOGIE. TOME TROISIÈME. Y = S Ne PARIS. FORTIN, MASSON ET C*, LIBRAIRES-ÉDITEURS, PLACE DE L'ÉCOLE-DE-MÉDECINE, 1, 1845 EAN NT AN HE rates its À : M À HAMMAM 41 pl "IS a + CRAN 4 \der bak LA TIR PAPE IIEULE LE rit + MOTEUR M LRU HRMAAANIO 20 -ART MAC NE À TÉ $. Ù LA | : 3 s 14 ÿ tuer È LERC AT ER h 1m sig, « é x D F 7e CRAN RER JR MES, (T0 ni MMA AE AIR TA T à passa £a FRANHONE 42 na ÉArTE | ht ee + di 4 ps 2 (s s RUE | Sr . ARS 148 siens, pi * 2. 24 3 r | à pb + AO EOUS ADONT-AMET 1 HOBAA YT THÉ LU LLS A ANNALES DES SCIENCES NATURELLE. PARTIE ZOOLOGIQUE. 0 0 — PREMIER MÉMOIRE SUR LES ACARIENS ET EN PARTICULIER SUR L'APPAREIL RESPIRATOIRE ET SUR LES ORGANES DE LA MANDUCATION CHEZ PLUSIEURS DE CES ANIMAUX; Par M. FÉLIX DUJARDIN. ( Présenté à l'Académie des Sciences, le 25 novembre 1844.) L’étudedes Acariens, comme celle des autres animaux inférieurs, n’a d’abord porté que sur leur forme extérieure, puis sur les appendices de locomotion et de manducation qu’on pouvait aper- cevoir aisément. M. Tréviranus, le premier, dans ses W’ermischte Schriften (en 1816, t. I, p. 41), avait pénétré dans l’organisa- tion de ces petits animaux, et avait signalé plusieurs détails exacts seulement en partie; mais en même temps il avait déclaré combien lui paraissait douteuse (page 47) la structure de l’appa- reil digestif, dont il n’avait pu voir clairement les connexions. Latreille , dans le Règne animal, avait basé seulement sur des analogies supposées et sur la forme du corps et des appendices de la locomotion et de la manducation, la classification des 4carides, qu'il place, comme seconde tribu, avec les phalangiens, dans la troisième famille des Arachnides trachéennes. Dugès, en 1834, publia un travail très étendu sur les Acariens ; mais, cherchant à deviner plutôt qu’à reconnaître directement la 6 DUJARDIN. — SUR LES ACARIENS. structure interne, il se contenta d'étudier mieux qu’on ne l’avait fait auparavant les parties de la bouche, que cependant il n’a pas toujours bien connues, et d’autre part, les métamorphoses qu’on soupçonnait à peine et qui lui ont appris que les Acariens à six pieds ne sont qu'un premier âge des diverses espèces décrites précédem- ment comme pourvues de huit pieds. Dugès essaya de déterminer, comme M. Savigny et Latreille l’avaient fait avant lui, les rap- ports des Acariens entre eux etavec les autres Articulés. Il reconnut avec raison que les organes de la manducation, qui varient suivant l’âge des Acariens, ne peuvent suffire seuls pour baser la classifi- cation ; mais lui-même ensuite prit pour caractère principal dans l'établissement des ordres, les palpes, qui, moins importants que les organes de la manducation, varient cependant suivant l’âge de ces animaux , et ne peuvent souvent fournir que des caractères spécifiques tirés de leurs divers segments ou articles. Dugès chercha ensuite ses caractères génériques dans la forme des organes de la manducation et dans la disposition des pieds , dont les hanches sont isolées, ou contiguës, ou diversement groupées. Quant au caractère général des Acariens, il le veut trouver dans la disposition des organes de la manducation, où l’on voit tou- jours , dit-il, une lèvre en cuiller ou en gaïîne, qui supporte ou enveloppe en grande partie les mandibules et ne les laisse pas libres comme chez les autres Arachnides : cependant la lèvre, que d’ailleurs ce zoologiste regardait avec raison comme formée par la soudure des mâchoires palpigères, est quelquefois compléte- ment divisée en deux mâchoires , et laisse les mandibules libres. Dugès paraissait admettre aussi par analogie que les Acariens doivent, comme les autres Arachnides, avoir un collier nerveux, formé par la réunion des ganglions situés au-dessus de l’œsophage, qu'ils doivent manquer d’yeux à réseau, etc. Cependant l’obser- vation de ces petits animaux suffit déjà pour montrer que l’analo- gie ne doit pas toujours être invoquée; car à mesure qu'on re- monte aux premiers termes de la série animale , on voit l’orga- nisme se simplifier de plus en plus, et d’une manière souvent tout- à-fait différente et inattendue, par la disparition de tel ou tel système d'organes : ainsi le système nerveux, qui doit avoir DUJARDIN. — SUR LES ACARIENS, 7 disparu complétement chez les Acarus proprement dits, ne se montre plus chez les Acariens plus parfaits, comme les Trombi- dions et les Limnocharès, que comme un gros ganglion sphé- rique d'où partent des cordons nerveux en avant et en arrière. L'appareil digestif qui doit finir, comme chez les Infusoires et chez certains Helminthes, par n'être plus qu’une lacune simple ou lobée dans l’épaisseur d'un parenchyme glanduleux , doit donc aussi, chez presque tous les Acariens, manquer de parois propres etne peut plus être isolé. L’ovaire, le testicule, sont de moins en moins distincts, et chez plusieurs, les œufs paraissent se pro- duire par gemmation dans l'épaisseur même des tissus. L'appa- reil respiratoire, dont je vais parler plus loin avec détail, nous pré- sente plus clairement encore une dégradation curieuse avant de disparaître complétement. Enfin, plusieurs Acariens semblent être hermaphrodites, comme les Cypris parmi les Crustacés. Toutefois, pour compléter l'étude des Acariens , on doit attendre la solution de quelques difficultés matérielles. En effet, pour déterminer plus sûrement la disposition lacuneüse de l'intestin, il faut se mettre à l'abri de l’action destructive de l’eau sur le tissu glutineux interne que j'ai nommé sarcode chez les animaux infé- rieurs , et d'autre part, il faut tenir compte de la facile perméabi- lité des liquides et des tissus mous pour l'air contenu dans les trachées , puisque les organes cesseront d’être visibles aussitôt que l’air aura disparu. En attendant que de nouveaux moyens permettent de compléter cette étude, je crois pouvoir dès à pré- sent faire connaître les principaux résultats de mes recherches sur les Acariens, afin de montrer combien les notions que l’on possédait sur ces animaux devront être modifiées. Dans ce but, je parlerai suc- cessivement, 1° de la forme extérieure des organes locomoteurs, du tégument et de ses appendices ; 2 des organes de la manducalion et de l'appareil digestif, ainsi que des sécrétions ; 3° de l'appareil res- piratoire; 4° du système nerveux et des yeux; 5° des organes reproducteurs, et 6° j’indiquerai comment les Acariens peuvent être groupés par rapport aux genres qui sont le plus connus. 1° De la forme extérieure et des organes locomoteurs. — La forme extérieure , comme l'ont dit M. de Savigny, Latreille et b) DUJARDIN. — SUR LES ACARIENS. Dugès, résulte de la soudure ou de la coalescence des divers seg- ments qn’on voit plus ou moins distincts chez les autres Articulés ; quelquefois il en résulte une seule masse globuleuse d’où sem- blent sortir les appendices servant à la manducation et à la loco- motion; quelquefois aussi on voit une apparence de segmenta- tion produite par un sillon qui sépare en avant une ou deux paires de pieds. On croit voir aussi chez quelques uns une sorte de tête ; mais ce n’est que le résultat du rapprochement des palpes gonflés et des mandibules. Toutefois, chez quelques Oribates, un segment plus ou moms distinct et portant la première paire de pieds, envoie un prolongement en forme de capuchon au-dessus des organes de la manducation; et si l’on voulait, avec Dugès, considérer la première paire de pieds comme exprimant des palpes modifiés, ce segment serait alors une véritable tête, d’au- tant plus que l’œil ou les yeux, quand ils existent, sont toujours situés en arrière de la première paire de pieds. Les pieds ont été assez bien décrits par Dugès ; mais leurs divers modes d’inser- tion n’ont pas été remarqués suffisamment. Ils sont tous inférieurs, comme chez les Hydrachnes, ou bien les deux dernières paires de pieds seulement sont inférieures chez le plus grand nombre des Acariens, ou enfin ils sont tous insérés au bord même chez les Molqus , les Bdella et les Oribates. Les hanches sont quelque- fois très larges et contiguës en forme de plastron, comme chez les Atax, et alors elles peuvent suffire pour l'insertion des mus- cles adducteurs et abducteurs des pieds, dont les mouvements sont plus actifs; mais quand elles sont étroites, comme chez les Acarus, il faut que certains faisceaux musculaires aillent s’insérer sur des parties plus épaisses du tégument, lesquelles pourraient être prises pour des ouvertures fermées. D'un autre côté, il faut noter que les Acariens aquatiques n’ont pas toujours des pieds nageurs, mais que beaucoup d’entre eux sont simplement mar- cheurs. Le fait du développement tardif de la quatrième paire de pieds est aujourd’hui si généralement admis qu'il est superflu de s’y arrêter. Nous n’avons rien non plus à ajouter à ce que dit Dugès des métamorphoses de ces animaux. Le tégument, ordinai- rement mou, est quelquefois épaissi en plaques écailleuses dures DUJARDIN. — SUR LES ACARIENS: 9 comme chez les Oribates, les Gamases et les Uropodes ; il est alors lisse et luisant; quand, au contraire, il reste mou, il présente des stries régulières , et peut en outre être hérissé de papilles, de pointes ou de poils, comparables à ceux des Insectes et des Arai- gnées. Il existe d’ailleurs aussi chez le Limnocharès des poils capsulaires ou terminés par une sorte de pyxide qui pourraient bien être en rapport avec la sécrétion odorante de cet Acarien. Les fibres musculaires, comme chez tous les autres Articulés, sont toujours striées transversalement, et même les stries sont souvent plus nettes et plus écartées que chez des animaux plus volumi- neux. Le caractère dominant des Acariens semble donc être dans la persistence des organes locomoteurs, quant à la forme et au nombre. Cependant ce caractère lui-même présente aussi une dégradation manifeste chez un Acarien trouvé parasite sur les ailes d’un Hyménoptère, et que j'ai nommé Anætus; ce carac- ère enfin tend à s’effacer chez l’Acarien trouvé par M. G. Simon dans les follicules de la peau du visage de l’homme. 2 Organes de la manducation et appareil digestif. — La bouche des Acariens présente ordinairement deux pièces mobiles, situées à la partie supérieure, et que nous nommons, avec Dugès, les mandibules, quelle que soit d’ailleurs leur forme. En dessous, se trouve une pièce plate ou repliée latéralement en gouttière, et portant de chaque côté un palpe de trois à cinq articles, soit mobile, soit soudé. Cette pièce inférieure, qu'on nomme la lèvre, se compose elle-même de plusieurs pièces libres ou sou- dées. Les mandibules, qui sont ordinairement libres, sont, au con- traire, soudées entre elles et avec la pièce inférieure ou ligne, chez les Limnocharès , de manière à composer un tube court, un peu recourbé en manière de trompe, et dans lequel se trouvent, près de l’extrémité, deux petites pièces mobiles en forme d’ongle ou de dent, qui sont le dernier article des mandibules que Dugès n’a pas soupconnées. Quant aux mandibules entièrement mobiles, elles présentent, comme l’a vu Dugès, trois modifications princi- pales: elles sont en pince, comme chez les Scorpions, ou terminées par un ongle mobile, comme chez les Araignées, ou enfin ce sont deux longs stylets qui s’avancent alternativement comme les 10 DUJARDIN. — SUR LES ACARIENS. pièces de la tarière des Cigales et des Tenthrèdes. Les mandibules ou pinces ne sont jamais pourvues de glande venimeuse ; elles exercent leur action par un mouvement alternatif ; elles s’avancent plusou moins au-dessus de la lèvre inférieure, qui ne peut les en- velopper : elles semblent destinées à déchirer, à malaxer les sub- stances alimentaires ; mais quelquefois, comme chez les Bdelles, elles sont tellement amincies qu’elles peuvent servir aussi de sty- let. Elles sont formées de trois articles chez les Gamases, et de deux seulement chez les Bdelles, les Acarus et les Oribates ; chez ces derniers, elles sont recouvertes en dessus par une sorte de capuchon, qui est le prolongement du tégument de la nuque. Dans tous les cas, le doigt mobile de la pince est le dernier article des mandibules. Les mandibules des Ixodes , formées de trois pièces, peuvent être assimilées aux mandibules en pince, malgré la différence de leur forme. Les mandibules à ongle mo- bile , ou onguiculées, sont, au contraire, pourvues ordinairement, et même toujours, de glandes salivaires ou vénénifères, comme celles des Araignées. Elles agissent aussi par un mouvement alter- natif, mais elles ont une position différente par rapport à la lèvre : ainsi, chez les Molgues et les Trombidions, elles sont couchées longitudinalement dans la lèvre, qui se recourbe de chaque côté en gouttière ; les ongles mobiles dépassent la lèvre, mais ils se replient en dessus, à l’état de repos. Chez les 4taæ, au contraire, les mandibules sont situées perpendiculairement à la lèvre, qui, élargie en forme de masque, présente au milieu une petite ouverture par laquelle viennent sortir les deux ongles mo- biles des mandibules. Chez le Trombidion, on voit bien les deux glandes salivaires ou vénéneuses de chacune desquelles part un canal dirigé vers l’extrémité de la mandibule. M. Tréviranus avait vu ces glandes, mais non leur canal excréteur. Les mandi- bules en stylet paraissent véritablement provenir de la soudure des deux ou trois articles qu’on remarque sur les précédentes ; mais ici les muscles moteurs, au lieu d’être enfermés dans le tégument de la mandibule, s’insèrent, au contraire, à l'extérieur de la base de ce stylet. Quant au rapport de ces mandibules avec la lèvre, il n’est pas moins variable dans les divers genres; car DUJARDIN. — SUR LES ACARIENS. 11 chez les Hydrachnes , les stylets sont entièrement logés à l’inté- rieur du corps , tandis que la lèvre est fort peu saillante; et chez les Smaridies, la lèvre est prolongée en une sorte de stylet ou en une longue gouttière dans laquelle glissent les mandibules très allongées. Chez le Cheyletus, les mandibules sont en stylet, mais la lèvre n’est pas autant prolongée. La lèvre inféreure présente aussi des modifications très importantes; c’est chez les Ori- bates qu’elle se montre plus distinctement formée par la réunion de deux mâchoires ; ici, en effet, elle est bifide, et chacune des deux moitiés, articulée avec la portion basilaire , se termine par un bord épaissi et denté comme une mâchoire de Coléoptère. Du bord externe , près de la base, part de chaque côté un palpe de cinq articles, dont le premier rudimentaire en forme d’anneaux , et dont le second très grand et renflé. Mais ce palpe ne peut être appelé généralement fusiforme, comme le voulait Dugès:; car, chez certaines espèces, le renflement est bien moins prononcé, et jamais le dernier article n’est aussi pointu que chez les Atax, dont les palpes sont plus exactement fusiformes. Chez les Gamases, la lèvre est encore distinctement composée de deux mächoires, mais ce ne sont plus les mâchoires de Coléoptères ; on leur trou- verait plutôt une certaine analogie avec celles des Hyménoptères, formées également d’une lamelle aiguë ou hastée ; et cela d'autant plus que la partie interne de ces mâchoires forme en outre une languette membraneuse élégamment striée. Chacune de ces mà- choires porte en dehors un palpe qui diffère très peu des Oribates. Le Gamatus coleopteratorum , caractérisé par une plaque sternale écailleuse, présente une particularité fort curieuse. Une petite tige terminée par deux soies plumeuses est articulée sur le bord antérieur de la plaque sternale; on pourrait donc supposer que c’est le représentant des appendices inférieurs d’un segment inter- médiaire. L’Uropode, pour les parties de sa bouche, a beaucoup de rapport avec les Gamases; ses mandibules sont efilées et termi- nées par une très petite pince, et sa lèvre se compose de trois ou quatre paires de stylets plumeux très élégants, provenant de la décomposition des mâchoires. Chez le Bdella, dont les mandi- bules en pinces sont très effilées et très longues, la lèvre, égale- 12 DUJARDIN. — SUR LES ACARIENS. ment très longue et enveloppante, est uniformément membra- neuse dans presque toute sa longueur, et prend seulement à l'extrémité des indices de dentelures. Chez les Acarus et les Sar- coptes, quoique le type organique soit déjà considérablement modifié par dégradation , on reconnait distinctement la composi- tion de la lèvre inférieure : seulement les palpes formés de trois articles sont soudés au bord de chaque mâchoire , et l’intervalle de ces mâchoires cornées est occupé par une membrane au milieu de laquelle se prolonge une pointe représentant la languette. La composition maxillaire de la lèvre n’est plus visible chez les genres suivants, dont les mandibules ne sont point terminées en pinces. Chez le Trombidion, l’Erythrœus, le Penthaleus, le Molgus, etc., la lèvre forme une gaîne molle membraneuse, ou une gouttière plus étroite en avant, dans laquelle sont couchées les mandibules : alors l’analogie des genres précédents et l’inser- tion des palpes peuvent seulement faire soupconner la composi- tion de cette lèvre, qui, souvent lobée ou plissée à l'extrémité, présente d’ailleurs toute l’apparence d'un organe impair. Une structure bien plus étrange nous est offerte par la lèvre des Atax et des Limnesia, qui forme, comme nous l’avons déjà dit, une sorte de masque écailleux percé d’un petit trou pour le pas- sage seulement de la pointe mobile des mandibules. Ce masque n'offre en arrière aucune trace de sa formation binaire ; mais en avant il est prolongé par deux lobes arrondis que sépare une fente étroite qui s’avance plus ou moins vers l’orifice central. Les palpes qui naissent de chaque côté de cette lèvre sont fortement recourbés et renflés au milieu. Chez les Acariens dont les man- dibules sont en stylet, la lèvre présente aussi l’apparence d’un organe impair : c’est une gouttière élargie en arrière et plus ou moins prolongée et rétrécie en avant chez les Dermanysses , les Hydrachnes ; elle est, au contraire, très longue et protractile chez les Smaridies, comme l’a indiqué Dugès. Le Cheyletus, dont les mandibules se terminent en stylet, présente, au contraire, une lèvre très complexe , divisible en plusieurs lames longitudinales. La lèvre est impaire et hérissée de dents aiguës chez les Ixodes. Enfin une dernière modification très curieuse de la lèvre se voit DUJARDIN. — SUR LES ACARIENS,. 13 chez les Limnocharès : elle forme, comme nous l’avons dit en parlant des mandibules de cet Acarien, toute la partie inférieure et le bord antérieur d’une sorte de trompe très dure, écailleuse, un peu recourbée, terminée par un orifice circulaire, bordé de cils convergents très réguliers en plusieurs rangées. Cette lèvre , à laquelle appartient tout le bord de l’orifice, laisse en dessus un large intervalle occupé par la portion basilaire des deux mandi- bules, avec lesquelles elle est soudée à partir de l’endroit où le tégument l’abandonne, c’est-à-dire, à partir du milieu de sa lon- gueur. Les palpes, chez les Acariens, présentent des modifications qui ont paru assez importantes à Dugès pour que ce naturaliste en aittiré le caractère principal de ses sept familles. Il les distingue donc par leurs palpes , 4° ravisseurs, 2° ancreurs, 3° fusiformes, L° filiformes, 5° antenniformes, 6° valvés , et 7° adhérents. Assu- rément plusieurs de ces modifications doivent fournir des carac- tères précis : les palpes adhérents et les palpes antenniformes, par exemple, suffisent pour distinguer suffisamment deux groupes d’Acariens; les palpes valvés ont une importance égale, parce que chez les Zæodes ils sont associés avec une forme particulière de mandibules et de lèvre; les palpes ravisseurs, dont le nom exprime une très fausse idée; se rencontrent avec des organes de manducation totalement différents, et d’ailleurs ils passent par degrés insensibles à la forme des palpes filiformes, dont ils sont censés diflérer par le prolongement onguiforme de l’avant-der- nier article. Quant aux trois autres modifications, elles n’ont qu’une valeur spécifique, et souvent même trop difficile à préciser. Il est encore d’autres formes de palpes qui ne peuvent être rapportées à aucune des précédentes : telle est celle qu’on ob- serve chez les Molqus, dont les palpes divergents sont terminés par ur dernier article subulé, pointu; telle est surtout celle que nous offre le Cheyletus, dont les palpes, très renflés à la base, sont écartés et recourbés comme les mandibules des larves de Dytis- cus et de Mymeleo. Chaque palpe se compose ici d’un article basilaire très grand, gonflé et un peu arqué, d’un deuxième article cylindrique, court, et d’un troisième article obliquement Al DUJARDIN. — SUR LES ACARIENS. tronqué, d’où partent un grand ongle terminal, très fort et re- courbé en faucille, deux lamelles plus courtes en forme de peigne et plusieurs soies. En arrière de la bouche, on voit chez les Trombidions et les Limnochares un pharynx cylindrique à paroi distincte, assez ré- sistante. Sur cette paroi s’implantent, en dehors, une foule de fibres musculaires destinées à opérer la succion en augmentant la capacité du pharynx. Un peu au-delà, on ne voit plus chez le Limnochares qu’un canal étroit, et qui m’a paru incomplet. Quant à l’œsophage, à l'estomac et à l'intestin, j'avoue qu'il m'a été aussi impossible qu’à M. Tréviranus de les voir distincte- ment, quelques moyens que j'aie mis en œuvre; et je suis resté convaincu que les sucs organiques dont les Acariens font leur seule nourriture viennent se loger dans des lacunes sans parois propres au milieu de la masse brunâtre parenchymateuse qui fait sans doute les fonctions de foie. Ces lacunes doivent nécessaire- ment se prolonger entre les tissus dans tous les intervalles laissés par les faisceaux musculaires, destinés à mouvoir les pattes ou à rapprocher les téguments, suivant certains plis ou certaines lignes, souvent indiquées en dehors par des sillons ou des dé- pressions. M. Tréviranus ayant ouvert un -Trombidion par le dos, « vit » sous la peau une masse de corps graisseux sur le milieu de la- » quelle était une bande longitudinale qui lui parut être l'intestin, » assez large proportionnellement, d’une structure extraordinai- » rement délicate et rempli d’une matière blanche. Il se termine, » dit-il, en arrière par un rectum en forme de sac qui se courbe » en dessous vers l’anus ; mais qui, en avant, au lieu d’atteindre » la bouche, se divise en deux prolongements latéraux qui se » courbent en dessous et se continuent par un filament délicat » dont je n’ai pu suivre le trajet ultérieur. » C’est auprès de ces filaments que M. Tréviranus vit aussi les deux glandes salivaires globuleuses dont il ne put trouver le canal excréteur. Il avait vu d’ailleurs aussi, dans la même région, plusieurs appendices blancs en forme de cœcum et qu’il suppose être des organes salivaires,. DUJARDIN. — SUR LES ACARIENS. AE De mon côté, en disséquant des Trombidions, j'ai vu égale- ment, en arrière de la bouche, des tubes ou cordons glanduleux blancs ou rougeâtres épais de 0"",08 et qui doivent avoir la même destination. Quant aux glandes rondes et blanches, je les ai trouvées larges de 0"",24 avec un canal excréteur, à parois résistantes, large de 0"*,007 et revêtu extérieurement d’une couche de sarcode. En enlevant les téguments du dos et la couche sous-jacente, j'ai vu une masse noire ou brune, grenue, toute ta- pissée de trachées, mais sans enveloppe propre. Cette masse, qui paraît être le foie, est formée de globules diaphanes de sarcode parsemé de globules noirs huileux; des fibres ou des membranes plissées traversent le foie en diverses directions et augmentent sa consistance. Quand on agite avec de l’eau, tout le foie se délaie, et il ne reste que les membranes colorées par de petits granules rouges. Une masse blanchätre, de substance huileuse, est située sous le foie et se délaie facilement aussi dans l’eau, mais sans lais- ser de membranes. Si le Trombidion est ouvert par la face ventrale, on n’apercoit d’abord que l'appareil génital et la masse brune du foie, tapis- sée de trachées. Si alors, après avoir dégagé sa surface, on délaie le foie par une affusion d’eau , on ne voit encore aucune trace d’intestin, mais il reste seulement les glandes salivaires en avant. et plus profondément vers la bouche, le gros ganglion nerveux. Dans le Limnocharès, non plus que dans les Hydrachnes et les autres Acariens soumis à la dissection, je n’ai pas mieux réussi à voir la circonscription de l'intestin ; l’eau dans laquelle se fait l'opération délaie ou altère les tissus de telle sorte qu’on ne peut reconnaître un intestin distinct. Quand on observe par transparence les Bdelles, les Gamases, les Dermanysses, etc., on voit bien que le sang ou le suc nourricier dont ces animaux sont remplis occupe un espace lobé ou multifide symétrique: mais ici encore on ne peut acquérir la notion d’une paroi dis- tincte autour de ce liquide, qui semble bien plutôt accuper des intestins ou des lacunes souvent même prolongées dans la base des pieds. Un fait qui démontre directement cette absence de paroi propre 46 DUJARDIN. — SUR LES ACARIENS. pour l’intestin, c’est la manière dont se logent dans l’intérieur les bulles d’air avalées par un Acarien, soit que l’animal ait été em- prisonné entre des lames de verre avec de l’eau et des bulles d’air ; soit que, comme les Oribates aquatiques, il ait la propriété d’a- valer à l’état de gaz l’air provenant de ses trachées. Cependant il existe un anus chez les Acariens, et l’on ne peut nier qu’il y ait une excrétion chez beaucoup de ces animaux; mais cette excré- tion, quand on a pu l’examiner, avait les caractères d’un produit sécrété : c’est ainsi que chez l’Uropode elle se consolide à l’air en une petite tige cornée par laquelle l’animal est porté comme sur un pédoncule. 11 serait donc possible de concevoir encore ce mode de digestion dans une masse agissant à la manière des glandes sur les sucs nourriciers qui lui sont transmis. On observe d’ailleurs chez les Acariens plusieurs sécrétions distinctes, en outre de celles que nous avons mentionnées. En effet, on voit une graisse blanche ou jaunâtre former, chez beau- coup de ces animaux, une bande dorsale bifurquée en avant sous les téguments. Je pense même que c’est un pareil dépôt de graisse qui a été pris par M. Tréviranus pour l’intestin du Trom- bidion. Le pigment formé de petits granules gras ou résineux est un autre produit de sécrétion. Le principe odorant, analogue à celui de la Cicindelle, et qui se fait sentir si fortement quand on dissèque un Limnochares, est encore un produit de sécrétion qui est peut-être en rapport avec les poils capsulaires de cet ani- mal. Il faut mentionner enfin comme produits de sécrétion la substance glutineuse qui sert à enduire leurs œufs, et cette autre substance au moyen de laquelle plusieurs Acariens peuvent filer une toile. 3° De l'appareil respiratoire. — Chez les Acariens les plus simples en organisation, chez les Acarus et les Sarcoptes, on ne voit aucune trace d'appareil respiratoire, et la respiration doit s'effectuer par toute la surface du tégument ; chez les Ixodes, les Gamases, et la plupart des Acariens munis de mandibules en pince, ainsi que chez les Cheyletus, on voit, au contraire, des tra. chées nombreuses élégamment ramifiées, et dont les plus grosses sont pourvues d’un filament spiral comme celles des insectes. DUJARDIN. — SUR LES ACARIENS. 44 Ces trachées doivent aboutir à quelques stigmates ; mais je n'ai pu voir avec une entière certitude ces orifices que chez l’Oribate entre les deux premières paires de pattes. Entre ces deux extrêmes du développement de l'appareil respi- ratoire des Acariens se trouvent de nombreux intermédiaires , et un mode mixte de respiration tel qu'on n’en voit pas chez les autres Articulés, ou du moins on n’a rien observé de tel jusqu'ici ; il s’agit, en effet, d’un système de trachées, aboutissant à une bouche respiratoire située à la base des mandibules et servant uniquement à l'expiration, tandis que l'aspiration a lieu par le tégument ou ses dépendances. Pour faire comprendre ce phénomène, je décrirai d’abord l'appareil respiratoire ou plutôt expiratoire du Trombidion. A la base des mandibules en dessus se voit un orifice oblong, bordé par deux lèvres d’une structure tout-à-fait curieuse : c’est un bourrelet réticulé à jour, dont la cavité interne communique avec deux gros troncs trachéens qui arrivent parallèlement d’arrière en avant jusqu'à cet orifice. L'intervalle des deux lèvres réticulées peut loger une certaine quantité d’air ; mais je ne crois pas qu'il communique avec les trachées autrement que par les lèvres réti culées. Chacun des deux troncs trachéens, à une certaine distance de l’orifice, se divise tout-à-coup en une houppe de trachées tubu- leuses, ou sans filament spiral et qui se distribuent dans tout le corps sans se ramifer: à leur base, ces trachées simples sont larges de 0"",004, et à leur extrémité elles sont larges seulement de 0°",001 (un millième de millimètre). M. Tréviranus a décrit et figuré deux faisceaux de fibres musculaires partant de la base des mandibules et qui pourraient bien être ces trachées mêmes. Si l’on observe le Trombidion vivant, on le voit agiter ses man- dibules comme pour déterminer le mouvement de l'air dans l’ap- pareil respiratoire, ainsi que le font les insectes par le mouve- ment péristaltique des anneaux mobiles de leur abdomen. Si en même temps on place une goutte d’eau sur l’orifice respiratoire, on voit quelquefois cette eau soulevée par de petites bulles d'air. D'autre part, si l’on dissèque le Trombidion, on voit, au- dessous du tégument chargé de poils plumeux, un réseau fort. 3° série Zooz. T. HIT. (Janvier 4845.) 2 15 DUJARDIN. —- SUR LES ACARIENS. élégant, à mailles rondes, presque égales, formé d’une substance diaphane, en apparence homogène, et qui rappelle le réseau sous-cutané des Amphistomes et de plusieurs Distomes parmi les Helminthes. Ge réseau, qui persiste quand on le conserve entre des lames de verre avec la gomme acidulée, paraît donc être ici en rapport avec les poils plumeux, et servir avec eux à l’absorp- tion des éléments gazeux qui sont ensuite reportés au dehors par les trachées. Cette interprétation paraîtrait sans doute hasardée si l’on n'avait en vue que le Trombidion, animal terrestre ; mais chez les Acariens aquatiques on en trouve la démonstration complète. En effet, chez les Atax, les Hydrachnes et le Limnocharès , le sys- tème expiratoire est presque semblable à celui du Trombidion ; mais comme il n’y a plus ici de poils plumeux pour agir par une grande surface sur les éléments de l'air, il y aura des stomates analogues à ceux des végétaux, c’est-à-dire fermés par une mem- brane très délicate, et sous chacun desquels se trouve une sorte de cage globuleuse que forme un réseau semblable à celui du Trombidion ; à côté de chaque stomate se trouve constamment un poil simple qui parait aussi être en rapport avec ce petit appa- reil. On voit donc que la signification du réseau sous-cutané est démontrée par celle des cages hypostomatiques des Limnochares: car pour cet Acarien, qui ne quitte jamais le fond des eaux et qui ne nage pas, le seul orifice situé à la base du rostre n’eût pu servir pour l'introduction et le renouvellement de l’air dans les trachées. Chez les Acariens nageurs, l’absorption des éléments gazeux dissous dans l’eau est facilitée par la disposition des tra chées au-dessous du tégument en contact avee le liquide renou- velé incessamment , et dans les pieds agités sans cesse el garnis de soies nombreuses ; mais les deux plaques abdominales que Dugès nommait des stigmates en écumoire n’ont aucun rapport avec cette fonctipn. La disposition et le nombre des troncs trachéens de l'appareil expiratoire varient dans les différents genres. C’est ainsi que chez. les Smaridies on voit quatre de ces troncs au lieu de deux. Dans la trompe des Limnocharès se trouve une petite pièee écailleuse, DUJARDIN. — SUR LES ACARIENS. 19 dressée comme un chevalet de violon, et qui est le point de réu- nion de quatre troncs trachéens, dont deux arrivent latéralement par les fentes entre la lèvre et les mandibules, et les deux autres viennent d’arrière en avant parallèlement à l'axe jusqu’au che- valet , situé précisément sous l’orifice expiratoire. On doit remarquer encore avec quelle rapidité l'air contenu dans des trachées si minces peut disparaître en traversant les tissus et le liquide ambiant aussitôt que la vie a cessé ; car c’est cette perméabilité des liquides pour les gaz qui sert à expliquer lout le phénomène de la respiration dans l’eau. L° Du syslème nerveux et des yeux. — Le système nerveux du Trombidion, formé d’un seul gros ganglion globuleux, d’où par- tent des nerfs en avant et en arrière, avait déjà été vu par M. Tréviranus, qui n’avait pas parlé de ganglion sus-æsophagien ni de collier nerveux. J’ai revu plusieurs fois ce ganglion et ses nerfs, et il m'a toujours paru bien certain qu'on ne doit point admettre ici un autre ganglion ni un collier nerveux. J’ai revu cet organe avec la même forme chez le Limnochares, dont les nerfs presque transparents sont élastiques comme ceux des Tar- digrades. On voit ordinairement aussi un faisceau de trachées qui vient aboutir au centre même du ganglion, et qu’on pourrait prendre pour un œæsophage traversant le ganglion, si on n’y fai- sait pas assez attention. Les yeux des Acariens sont ordinairement au nombre de quatre, sessiles et réunis, ou rapprochés par paires sur la face dorsale entre la première et la seconde paire de pieds; les Trombidions seuls sont indiqués comme ayant les yeux pédonculés comme les Crustacés podophthalmes ; mais ces yeux, qu’on a crus simples jusqu'ici, sont doubles ou terminés chacun par deux cornées iné- gales. Le Penthaleus se distingue par une autre particularité qui contredit la définition donnée précédemment pour les Arachnides. En effet, il porte sur la nuque un seul œil composé de huit à dix petites cornées : c'est donc un œil composé comme celui des Crustacées édriophthalmes. Quelques autres Acariens ont un œil unique sur la nuque; tels sont certains Oribates et Molqus. 5° et 6° De l'appareil reproducteur, et résumé. —Le Trombidion 20 DUJARDIN. — SUR LES ACARIENS, est le seul Acarien chez lequel j'aie vu, ainsi que M. Tréviranus, un ovaire tubuleux à deux branches; chez la plupart des autres animaux de cet ordre, les œufs se produisent dans l’épaisseur des tissus sans qu'on ait vu préalablement un ovaire à parois dis tinctes. Une Bdelle m'a montré de gros corps globuleux qui pa- raissaient être des œufs naissant par gemmation du bord interne de la vulve. L'Oribate preduit des embryons vivants, mais revêtus d’un tégument mou et ridé qui ne deviendra dur et crustacé que par suite de son développement : aussi a-t-il fallu que cet Acarien, pour mettre au jour ses petits, fût pourvu d’un orifice vulvaire d’une dimension extraordinaire : c’est une large ouverture ovale occupant le tiers ou le quart de la longueur totale et fermée par deux volets comme un diptyque. En avant de ce large orifice, qui occupe la partie postérieure, se trouve un autre orifice rond, éga- lement fermé par des volets, et donnant issue à un long tube membraneux plissé longitudinalement et muni de muscles rétrac- teurs. On pourrait donc penser que c’est un pénis et que l’Oribate est hermaphrodite ; car les petits naissant vivants, on ne peut voir là un pondoir ou un appareil de sécrétion pour la protection des œufs. Parmi les autres Acariens on observe tantôt deux, tantôt trois orifices à la face ventrale, et il est souvent difficile de décider lequel doit servir pour la ponte des œufs, toujours assez volumineux, quand ces orifices sont égaux. Chez quelques uns, comme le Penthaleus, on fait sortir de l’orifice antérieur par la pression un gros tube blanc plissé, terminé par des papilles, et qu'on pourrait prendre pour un pénis. Chez le Bdella aussi, la pression fait saillir un appareil analogue d’où sort un liquide blanchâtre rempli de corpuscules fusiformes, ce qui pourrait faire penser que c’est un liquide spermatique. En résumé, il reste encore beaucoup à faire pour connaître l’organisation des Acariens ; mais de ce qui précède on peut déjà conclure qu'un caractère artificiel comme celui que Dugès avait cru trouver dans la forme des palpes ne peut fournir une classi- fication rationnelle de ces animaux ; et d’autre part, on voit que les appareils de la respiration et de la manducation ont chez les AGASSIZ. — SUR LES POISSONS FOSSILES, ETC. 21 Acariens des rapports tels qu'en s'appuyant sur les caractères fournis par les organes relatifs à ces deux fonctions, on aura bien plus de chances pour grouper ces animaux d’une manière plus naturelle. Il faudrait donc admettre d’abord une série pour ceux qui ontles mandibules en pince, et chez lesquels la dégradation dans les fonctions peut être suivie depuis les Gamases, qui ont un sys- tème trachéen complet, jusqu'aux Acarus. Une autre série com- prendrait tous ceux dont les mandibules sont onguiculées, et qui généralement ont à la fois un système de respiration double pour l’aspiration et l’expiration. Une troisième série serait pour les espèces à mandibules en stylet. Enfin deux ou trois genres comme l’Ixode, le Limnochares et le Cheyletus, feraient provisoirement autant de groupes intermédiaires. MÉMOIRE SUR LES POISSONS FOSSILES DE L'ARGILE DE LONDRES ; Par M. L, AGASSIZ. (Présenté à l'Association britannique pour l'avancement des Sciences, à York, en septembre 1844.) Les fossiles de l'argile de Londres ont attiré depuis longtemps l’attention des géologues par le nombre considérable et la variété de leurs espèces, qui appartiennent à toutes les classes du règne animal et végétal, ainsi que par le bel état de conservation dans lequel se trouve un grand nombre d’entre eux. Depuis les Re- cherches de Sowerby sur les coquilles de ce terrain, nous avons vu paraître plusieurs Mémoires d’un mérite éminent sur les fos- siles de différentes classes. M. Owen a décrit, avec sa supériorité habituelle, les Reptiles, les Oiseaux et les Mammifères qu’on trouve épars cà et là dans les couches de ce terrain, et ses sa- vantes investigations ont jeté un jour tout nouveau sur les rap- ports qui lient les êtres fossiles de cette formation aux espèces de la création actuelle. Tout le monde connaît le beau travail de 22 AGASSIZ. — SUR LES POISSONS FOSSILES M. de Bowerbank sur les fruits de ce même terrain. L’ichthyologie seule avait été à peu près complétement négligée. Ce n’est pas qu'il y ait pénurie de Poissons fossiles dans ce dépôt; car il n’est pas de gîte à Poissons connu qui en compte autant d'espèces, et au- cune collection de fossiles tertiaires d'Angleterre qui n’en renferme au moins quelques exemplaires. L’ignorance dans laquelle nous avons été jusqu'ici à l'égard des Poissons de Sheppy n’a d’autre cause que les difficultés toutes particulières qu'offre l'étude de leurs débris. Aïlleurs, et notamment dans les couches des terrains pri- maires et secondaires, dans les schistes, les calcaires, les grès, les ichthyolithes sont plus ou moins entiers, et il est rare qu’un frag- ment n'offre plusieurs parties du corps, différentes parties des na- geoires, de la cuirasse écailleuse, de l’appareil operculaire, etc., ou bien, si les pièces elles-mêmes ne sont pas conservées, leur empreinte indique au moins la forme générale et les contours du corps, en sorte qu'avec une connaissance suflisante des Poissons vivants, de leur forme et de leurs caractères extérieurs, on peut arriver à des déterminations exactes et rigoureuses. En outre, la plupart des Poissons anciens ont des écailles osseuses, plus dures même que les os, et leur enchevêtrement contribue à conserver la forme générale du poisson, quand même les os ont disparu et que les autres parties sont détruites. Ce sont ces caractères extérieurs, entre autres la forme, le nombre et la position des nageoires , la structure des écailles , les rapports des différentes parties du corps entre elles, la dentition, l’arrangement des pièces operculaires, etc., sur lesquels on à basé jusqu'à présent les classifications en ichthyologie. Que l’on parcoure les ouvrages les plus estimés de notre temps sur l’his- toire naturelle des Poissons, on ne rencontrera dans les dia- gnoses des. familles , des genres, des espèces, que des caractères extérieurs, faciles à saisir et suffisants aussi pour le but qu’on se propose. Si je parle de lacunes que présente encore cette branche de la science, à laquelle je me suis voué depuis tant d'années , ce n’est pas que je veuille amoindrir le moins du monde le mérite de tant d'ouvrages que la postérité la plus reculée regardera encore comme des chefs-d’œuvre de sagacilté, d'application et d'étude; DE L'ARGILE DE LONDRES. 23 inais C’est qu'ayant choisi une branche toute spéciale de l'ichthyo- logie , j'ai peut-être été plus à même qu’un autre d’entrevoir tout ce qui reste à faire dans ce vaste domaine. Cela est surtout vrai à l'égard des Poissons de Sheppy, qui n’ont plus rien de ces for- mes et de ces caractères bizarres, propres à la plupart des Pois- sons des anciennes formations. Tout en eux rappelle au contraire les Poissons de nos mers actuelles, en sorte qu'avant d’en avoir fait une étude détaillée, on croirait avoir affaire à des espèces récentes. Leurs débris sont enfouis dans un limon plus où moins durci, qui quelquefois prend la dureté des roches calcaires, tan- dis qu’en d’autres endroits il est resté parfaitement mou. La plu- part des Poissons se sont pourris dans ce fin limon, leurs os se sont détachés et les parties molles ont été remplacées par du limon. Or, comme ce ne sont plus des Ganoïdes à corps cuirassé recouverts d’écailles osseuses enchevêtrées , mais des Cicloïdes , des Cténoïdes à écailles minces, fragiles, leur enveloppe n’a pas été assez solide pour mainteuir l'intégrité de leur forme et de leurs contours. Leur corps s’est décomposé , leurs nageoires se sont défaites, leurs écailles désagrégées, il n’est resté du plus grand nombre que les boîtes crâniennes qui se sont conservées en entier, gräce à la soudure de leurs pièces osseuses. Si, au lieu d’appartenir à des Poissons , ces crânes provenaient de Mammi- fères ou de Reptiles, il est à présumer qu'on en tirerait tout le parti possible, et que le paléontologiste n'aurait pas de peine à les déterminer, car, pour ces classes, les matériaux de comparaison ne manquent pas , les points de départ sont fixés; on connaît les traits caractéristiques des crânes des Mammifères et des Reptiles, on sait quelles sont les variations que tel os, telle crête, telle fosse peut subir dans telle ou telle famille, et du premier coup d'œil déjà on peut s'assurer si l'animal qu'on a devant les yeux est un carnivore , un ruminant ou un solipède. Mais rien n’est variable comme les formes du crâne et de la tête des Poissons : les multitudes d’arêtes et d’épines qui servent d'attache aux muscles, cette infinie variété de formes dans les familles elles-mêmes, donne aux crânes des Poissons une telle diversité que lichthyologiste désespère souvent de pouvoir les 24 AGASSIZ. -— SUR LES POISSONS FOSSILES ramener à leurs types respectifs, et en effet une cräniologie com- parée des Poissons n'existe pas, et il n’est personne que je sache qui puisse dire d'emblée si tel ou tel crâne appartient à un Per- coïde , à un Sparoïde , à un Chétodonte, etc. La grande majorité des fossiles de Sheppy, avons-nous dit, con- siste en vertèbres détachées ou en crânes isolés. Ces derniers sont en outre ordinairement dépourvus des os de la face; les mâchoires, les appareils operculaires et branchiaux manquent, et il n’est resté le plus souvent que la boîte crânienne proprement dite, et très souvent même il manque toute la partie antérieure, le mu- seau, formé par la réunion des naseaux et du vomer, de sorte qu’on n’a d’autre point de départ que la boîte cérébrale dégagée de tous ses. appendices. Pour déterminer ces débris , j’ai suivi le même procédé que la nature a employé pour mettre ces fossiles dans l’état dans lequel nous les trouvons. Des squelettes ordi- naires, tels qu'on les a dans les Musées d'histoire naturelle et d'anatomie comparée, n'auraient pu suffire à mon but. J’ai donc commencé par préparer un certain nombre d’ossements détachés de différents Poissons marins, et je possède maintenant une cen- taine de crânes isolés avec les autres os détachés, collection que j'augmente journellement. Comme il importe que les différents os du crâne ne soient pas isolés, mais que la boîte cränienne con- serve sa forme naturelle, tous ces crânes ont dù être préparés avec le plus grand soin ; et ici s’est présentée une grande difliculté qui résulte de la manière dont les os du crâne sont joints chez les Poissons. Chez les autres vertébrés, cette jonction se fait par sutures, les bords crénelés et dentelés se correspondent, et il est facile de reconstruire un crâne démembré. Chez les Poissons, il n’en est point ainsi. Le plus souvent les os sont appliqués sur une boîte cartilagineuse interne, souvent très épaisse , d’autres fois plus mince, et leurs bords, si toutefois ils se touchent, sont appli- quésles uns sur les autres par leurs faces, ou bien séparés par de larges bandes de cartilage. La forme générale du crâne est donc souvent tout-à-fait différente de ce qu’elle serait si l’on essayait de reconstruire le crâne avec des ossements isolés, en rapprochant ces derniers par leurs bords. Dans les Poissons de DE L’ARGILE DE LONDRES. 12 5 Sheppy, les cartilages ont disparu, le limon les à remplacés, mais pas entièrement, de manière que les crânes ont la forme que prennent des crânes à demi séchés de Poissons vivants. C’est ce point de dessiccation que j'ai cherché à atteindre dans mes crânes de Poissons vivants. Ces moyens de comparaison pourraient paraître suffisants, si l’on ne rencontrait une autre difficulté, qui s'oppose à l’applica- tion directe de ces matériaux au but que l’on se propose. Les Poissons de Sheppy appartiennent aux dépôts tertiaires; ils se rapprochent par conséquent des types qui vivent maintenant. Mais on sait, et l'étude des Poissons de Monte Bolca l’a suffisam- ment prouvé, que plus les familles et les genres remontent à des terrains anciens, moins ils comptent de représentants dans la création actuelle, et encore ces représentants se trouvent-ils en général dans des parages très éloignés. Ainsi, de toute la puis- sante famille des Sauroïdes qui anciennement peuplait les mers, il n’est resté que deux représentants dans les eaux douces de la création actuelle, tandis que les familles les plus nombreuses de notre époque, les Siluroïdes, les Cyprins, les Gades et plusieurs autres, ne comptent que peu ou point de représentants parmi les. fossiles. Ce n’est donc pas parmi les Poissons les plus communs de nos côtes qu’il faut chercher les analogues des Poissons fossiles tertiaires. En passant en revue les Ichthyolithes de Monte Bolca, on rencontre une quantité de Poissons , faisant partie de familles peu nombreuses dans nos parages, dont les représentants ne vi- vent pour la plupart que dans les mers des Indes ou de l'Océan austral, tels que les Squamipennes, les Aulostomes, les Gym- nodontes , les Sclérodermes, etc. , etc. Pour déterminer rigoureusement les Poissons de Monte Bolca ou des autres dépôts tertiaires , j’ai pu appeler à mon secours les matériaux rassemblés dans les musées, et surtout les squelettes du musée de Paris. Les comparaisons devaient surtout porter sur le corps, les nageoires, tous points qui sont assez bien conservés dans ces fossiles, et que les squelettes mettent en évidence. Pour déterminer les Poissons de Sheppy, je devrais avoir à ma disposition une collection non moins riche de squelettes démem- 26 AGASSIZ. — SUR LES POISSONS KFOSSILES brés, de crânes détachés, d’ossements isolés. Or, une telle col- lection ne peut se faire que lentement et à grands frais, surtout lorsque celui qui la forme vit éloigné de la mer et n’a à sa dis- position qu’un petit musée destiné plutôt à acquérir des exem- plaires typiques de genres que des séries d'exemplaires de la même espèce. Si, malgré ces diflicultés, je puis présenter aujourd’hui un apercu assez complet sur les Poissons fossiles de Sheppy, je le dois à l’obligeance des géologues anglais, en particulier de lord Enniskillen, de sir Ph. Egerton, du Docteur Buckland, du rév. M. Hope, de MM. Bowerbank, Cumberland, des directeurs du Musée britannique, du collége des Chirurgiens, etc., qui tous m'ont communiqué à l’envi les pièces originales de leurs collec- tions, que j'ai pu de cette manière comparer directement avec des crànes de Poissons vivants. Le travail a ainsi été fait sur des bases toutes neuves. Les travaux des Ichthyologistes anté- rieurs n’ont pu m'être que d’un faible secours, et même les grands ouvrages d'anatomie comparée de Guvier, de Meckel et de tant d’autres m’ontrarement fourni des renseignements suffisants, car ils ont pour but de faire connaître les os du crâne et de la tèle en général, d'indiquer la part que ces os prennent à la formation du squelette osseux de la tête, de décrire les variations qu'ils peuvent subir en composant les types les plus extravagants, et enfin de faire ressortir l’analogie des os avec ceux des autres classes des vertébrés, plutôt que d'indiquer la forme précise de chaque os dans tous les genres. Il en est de même des grandes discussions anatomiques du commencement de notre siècle qui ont porté sur l’analogie de la tête des Poissons avec les autres verté- brés, plutôt que sur les détails nécessaires à la détermination des os fossiles, Le but que j'ai dû me proposer dans ces nouvelles études sur l'ostéologie des Poissons, est, avant tout, de connaître les formes de la tête et du crâne, d’en déterminer les arêtes , les fosses, le relief dans tous leurs détails, et de retrouver, dans ces différentes formes, des types généraux de la famille, du genre, de l'espèce. Si mes prédécesseurs se sont attachés à un type régulier, la DE L’ARGILE DE LONDRES. 27 Carpe ou la Perche, en décrivant leur ostéologie et en indiquant combien ces types peuvent varier dans les genres irréguliers, j’ai dû , au contraire, m'attacher principalement aux types peu dif- férenciés, rechercher les petites déviations qui peuvent accom- pagner les différences spécifiques, étudier le caractère général du genre, indiquer les variations que peut subir le type encore plus général de la famille et arriver ainsi à pouvoir dis- tinguer les familles, les genres, les espèces , d’après l’ostéologie du crâne. Cette étude, on le sent bien, est presque sans fin, car —(et c’est là une nouvelle manifestation de l’infinie variété de la nature) — chaque genre, chaque famille, a ses traits caractéristi- ques, et ses variations spécifiques ont lieu dans des limites déter- minées. Chez telle famille, l’absence d’une crête mitoyenne du crâne peut être un trait caractéristique commun à toute la famille, tandis que, chez telle autre, cette crête ne formera qu'un caractère de genre ou d’espèce , et ainsi de suite. Pour arriver à la connaissance exacte et détaillée des lois qui président à toutes les variations qui peuvent survenir dans les espèces, les genres, les familles, il faudrait posséder les crânes de toutes les espèces, de Poissons connus jusqu’à présent. Espérons qu’on y arrivera quelque jour. Pour le moment, nous en sommes encore fort loin. Pour donner un apercu de la manière dont il faut traiter l’os- téologie des Poissons, dans le but d'éclairer l’étude des Poissons fossiles et de ceux de Sheppy en particulier, je vais indiquer en peu de mots les traits caractéristiques des principales familles dont on a rencontré jusqu'ici des représentants dans l’argile de Londres. Si je ne dis rien des autres familles, ce n’est pas que je les aie négligées ; mais ne voulant pas allonger ce Mémoire, je m'en tiendrai exclusivement à celles qui ont des représentants parmi les fossiles de Sheppy. La famille des Percoïdes se distingue par le développement considérable de l’occiput, tandis que les parties antérieures du crâne sont très étroites et peu développées. La crête mitoyenne du crâne ne s'élève presque jamais au-dessus du plan incliné du front. Les frontaux eux-mêmes ne présentent jamais de crête bien 28 AGASSIZ. — SUR LES POISSONS FOSSILES marquée, et dans aucun cas la crête mitoyenne ne se continue sur les frontaux. Il y à même toujours une partie plus ou moins considérable de l’occipital supérieur qui s’intercale entre les petits pariétaux et l'extrémité des frontaux, et qui est aplatie comme le front. Les crêtes pariétales ou intermédiaires sont toujours bien prononcées et aplaties à leur extrémité postérieure. Les crêtes temporales sont fortes et séparées des précédentes par une fosse temporale profonde, au fond de laquelle on aperçoit une lacune plus ou moins grande entre l’occipital externe et le tem- poral. Gette lacune est bouchée par du cartilage. Jamais aucune de ces fosses ne s’avance au-delà du bord postérieur de l'orbite, ou, en d’autres termes, jamais les fosses temporale et occipitale ne se continuent sur les frontaux principaux. La partie inférieure du crâne n’offre presque jamais de traits caractéristiques. J’ai trouvé jusqu'ici parmi les Poissons de Sheppy sept genres de Per- coïdes, dont l’un, le Cæloperca, se rapproche beaucoup du genre Perca proprement dit, tandis que les quatre autres, Podocephalus, Brachygnathus , Percostoma et Synophrys ressemblent davantage aux Serrans, et le genre Ewrygnathus aux Centropomes. Le septième genre est le seul qui existe aussi dans la création actuelle, c’est un véritable Myripristis, appartenant à ce curieux groupe de Percoïdes à plus de sept rayons à la membrane bran- chiostège et aux ventrales, et qui probablement devra former à l'avenir une famille à part, à cause de la structure tout-à-fait différente de ses écailles et de sa vessie natatoire. Je n’ai pas encore pu trouver des restes de Sciénoïdes. On sait que la tête de ces poissons se reconnaît facilement à ses boursou- flures caverneuses, qui sont dues à un développement énorme des canaux mucifères de la tête. Les Joues cuirassées ne figurent pas non plus dans les couches de Sheppy. La famille des Sparoïdes compte plusieurs représentants dans l'argile de Londres. Ce qui distingue cette famille, c’est la forme de la crête occipitale qui s’avance jusqu’au milieu de l'orbite, mais ne la dépasse jamais. Dans les Sparoïdes ordinaires, tels que les Dentés, les Spares, les Pagres, la face supérieure du crâne forme une ligne brisée sur deux points, en sorte que le DE L'ARGILE DE LONDRES. 29 nasal et le vomer avec la crête supérieure tranchante représen- tent un plan-incliné, tandis que la partie moyenne des frontaux est presque horizontale et l’occiput descend de nouveau en ar- rière. Les crêtes intermédiaires sont assez hautes, mais très minces et tranchantes, comme la crête occipitale; elles s’avan- cent au-delà du bord supérieur de l’orbite et forment en général un angle aigu dont la pointe se réunit au milieu du front avec la crête occipitale mitoyenne. Les crêtes temporales sont en général plus épaisses, et offrent de nombreuses ouvertures pour les ca- naux mucifères, d’où résulte parfois un aspect voisin des Scié- noïdes. La crête temporale est séparée du bord postérieur de l'orbite par une fosse assez profonde qui conflue avec la fosse _mastoïdienne. J’ai pu m’assurer, au moyen de ces caractères, que le genre Sciænurus, que j'avais placé provisoirement parmi les Sciénoïdes, appartient effectivement aux Sparoïdes, et doit être placé dans le voisinage des Dentés, La famille des Teuthies est caractérisée par une séparation assez tranchée entre l’occiput et la partie antérieure de la tête comprenant les frontaux et les autres os contigus. Les formes générales de la tête varient beaucoup; cependant il y a toujours une petite crête occipitale assez mince et fragile, ainsi que des crêtes pariétales et temporales. Les intervalles qui séparent ces crêtes ne sont pas de véritables fosses, ou du moins elles ne sont pas plus profondes que la surface du crâne en général, et les crêtes ressemblent plutôt à de petites lames tranchantes posées sur cette surface uniformément bombée. Les frontaux sont en général grands et vigoureux ; ils sont plus épais que dans aucune autre famille , et montrent des dessins variés dans l’arrangement de leurs fibres osseuses. Le plus souvent ils présentent de fines mailles ou des pores très serrés. La surface inférieure du crâne forme une quille tranchante tout le long du sphénoïde. Je connais jusqu'ici trois genres appartenant à cette famille, qui se trouvent dans l’argile de Londres. L'un, le Ptychocephalus radiatus, se rapproche assez des Amphacantes. L'autre, le Pomo- phactus Egertoni, paraît former un type à part par ses grands sous-orbitaires qui recouvrent les joues. Les exemplaires de Calo- 30 AGASSIZ. — SUR LES POISSONS FOSSILES pomus, que j'ai dû placer provisoirement dans cette famille, sont trop incomplets pour que je puisse me prononcer définitivement sur la place que ce poisson doit occuper. Les écailles assez grandes qui distinguent ce genre, et qui ne se retrouvent pas dans la famille des Teuthies, devront être soumises à un examen approfondi, lorsqu'on possédera un plus grand nombre d’échan- tillons mieux conservés. Les autres familles de Cténoïdes n’ont pas encore de repré- sentants dans l’argile de Londres. Parmi les Cycloïides acanthoptérygiens, la famille des X'iphioïdes est largement représentée par quatre genres, dont l’un, le Tetra- plurus, compte aussi un ressortissant vivant, tandis que les autres, les genres Acestrus, Phasganus et Cælorhynchus , n’ont existé que pendant l’époque tertiaire. Les caractères des Xiphioïdes sont tellement tranchés qu’il est presque inutile d'y revenir. L'absence totale de crête quelconque sur toute la face supérieure du crâne, qui est uniformément incliné et rectiligne , fera toujours facilement distinguer cette famille de toutes les autres et surtout des Scombéroïdes, avec lesquels on les a confon- dus jusqu'ici. La famille des Scombéroïdes, restreinte aux limites que je lui ai assignées dans les Recherches sur les Poissons fossiles, v. 1, p. 16 et suiv. , présente deux types de crânes assez différents, en rap- port avec la forme générale du corps. Dans les vrais Scombé- roïdes, la face supérieure du crâne est presque toute d’une venue. La crête occipitale mitoyenne est haute; elle avance toujours sur les frontaux, où elle est double, et très souvent les frontaux eux- mêmes sont relevés au milieu jusque vers le nasal. Les crêtes pariétales sont minces et considérablement relevées; elles sont parallèles à la crête mitoyenne, et viennent se perdre le plus sou- vent au milieu du bord supérieur de l'orbite. Les frontaux sont très souvent squameux dans leur partie antérieure, et ce carac- tère est développé d’une manière extraordinaire dans le genre Cœlopoma de l'argile de Londres. Les crêtes temporales sont très fortes ; elles se réunissent au haut de l'orbite avec les crêtes pariétales, et sont presque aussi minces et tranchantes que ces DE L’ARGILE DE LONDRES. 31 dernières. Une fosse latérale externe est encore formée par le bord externe du frontal postérieur, qui descend séparément de la crête temporale, Il est assez difficile de distinguer de prime abord les Sparoïdes des Scombéroïdes, qui ont les uns et les autres les mêmes crêtes à l’occiput:; cependant, dans la plupart des Scombéroïdes , la crête mitoyenne se prolonge sur les frontaux, ce qui n’est pas le cas dans les Sparoïdes. D'un autre côté, les crêtes pariétales conver- gent en avantchezlesSparoïdes, tandis que, dans les Scombéroïdes, elles sont parallèles à la crête mitoyenne ou bien même diver- gentes en avant. Enfin, ce qui distingue encore les Sparoïdes, c’est le museau prolongé en quille, et la ligne brisée de la sur- face du crâne , tandis que, dans les Scombéroïdes, cette surface est toute d’une venue et le museau beaucoup plus court. Le second type des Scombéroïdes n’est représenté que par la Dorée (Zeus Faber) et quelques poissons peu nombreux qui s’en rapprochent. Malgré la forme comprimée et élevée de la tête, la crête occipi- tale manque complétement à ce poisson. Les pariétaux, qui, dans les autres Scombéroïdes, sont séparés par l’occipital supérieur , se touchent ici sur la ligne médiane. J'ai déjà indiqué dans les Recherches sur les Poissons fossiles qu’il serait possible que le Zeus Faber devint le type d’un groupe à part, et cette prévision paraît confirmée par l’ostéologie de la tête. Les Scombéroïdes sont représentés par plusieurs genres dont Fun, le Cybium, compte aussi des représentants dans l’époque actuelle , tandis que les Cælopoma, les Bothrosteus et les Cœæloce- phalus n’ont encore été trouvés jusqu'ici que dans les terrains tertiaires. Les Sphyrénoïdes sont représentés dans Fargile de Londres par le genre Sphyrænodus , dont les dents formidables rappellent les véritables Sphyrènes, mais dont je ne connais jusqu'ici que des mâchoires. Quoique je n’aie pas encore eu l’occasion de com- parer de nouveau le crâne des Sphyrènes vivants avec celui des Sphyrénoïdes tertiaires et crétacés, n'ayant pas les fossiles sous la main , je crois cependant devoir en éliminer dès à présent le genre Hypsodon, qui, par son crâne aplati et dépourvu de fosses, 32 AGASSIZ. — SUR LES POISSONS FOSSILES me paraît plutôt appartenir à la famille des Scombérésoces. Le genre Sphyræna, au contraire, a des fosses occipitales distinctes, séparées par une crête mince, et des fosses temporales très pro- fondes de forme triangulaire, qui s’avancent jusqu’au-dessus de l'orbite. Il n’a point cette dépression frontale qui distingue le genre Hypsodon. Les Labroïdes ont l’occiput conformé à peu près de la même manière que les Scombéroïdes. On y trouve les mêmes crêtes, mais beaucoup plus raccourcies. La crête mitoyenne ne s’avance jamais sur les frontaux; elle est limitée à l’occipital supérieur. Les crêtes pariétales n’atteignent jamais le bord supérieur de l'orbite, mais s'arrêtent vis-à-vis de son bord postérieur. Les fosses pariétales sont beaucoup moins profondes. Une fosse assez profonde se trouve aussi sur la partie antérieure des frontaux et s'étend jusque vers l’endroit où le nasal se joint à ces derniers. Il yaen outre une articulation particulière des pharyngiens au-des- sous du grand trou occipital. Les Blennioïdes se reconnaissent au premier coup d'œil à la singulière conformation de leur crâne. L’occiput est aplati en arrière et forme un triangle presque équilatéral, dont le sommet est tourné en avant et se continue en une crête mitoyenne qui s’avance jusqu’au-dessus de l'orbite. Ici, en arrière de l’orbite, le crâne est tellement comprimé latéralement qu’il y a à peine un espace entre ces parois osseuses pour la partie antérieure du cerveau. Les bords postérieurs de l'orbite s'étendent latérale- ment sous forme de deux ailes triangulaires. L'espace compris entre les orbites est allongé et assez étroit. Les bords de l'orbite sont relevés, de sorte qu'il y a un sillon quelquefois assez profond au milieu du front. Cette absence de crête mitoyenne sur locci- put, tandis qu’il en existe une au-dessus des fosses mastoïdiennes, est un caractère tout particulier qui n’existe que dans cette fa- mille. La séparation des Blennioïdes d'avec les Gobioïdes ne pourrait être mieux justifiée que par les types si entièrement dif- férents de leurs crânes. La face inférieure du crâne forme une quille tranchante, qui est surtout relevée entre les yeux. Le seul représentant de cette famille , que j'ai trouvé dans l'argile de DE L'ARGILE DE LONDRES. 393 Londres, le Laparus alticeps, se rapproche par la forme de son crâne du Loup de mer, Anarrhichas Lupus. Je ne connais pas encore sa dentition. La famille des Scombérésoces, établie dernièrement par M. Müller pour plusieurs poissons malacoptérygiens, dont les os pharyngiens inférieurs sont réunis en une seule pièce, a pour représentants principaux les Exocetus, les Hémiramphus et les Orphies (Belone). Quoique les formes extérieures de ces genres soient très différentes, je n’en trouve pas moins une grande ana- logie dans l’ostéologie de leur tête. La face supérieure du crâne est entièrement aplatie, sans crête saillante, ni fosse distincte. L'occipital supérieur est extrêmement petit, prolongé en arrière, non point en une crête, mais en une pointe assez grêle et courte, Le milieu du front est un peu déprimé. Le bord de l’orbite, au lieu d'être relevé, comme dans les Joues-cuirassées, avec les- quelles les Scombérésoces ont le plus d’analogie, est abaissé vers les côtés. Le genre Æypsodon paraît appartenir à cette curieuse famille, et la preuve en sera fournie irrévocablement dès que l’on trouvera un exemplaire dont la face inférieure du crâne of- frira cette articulation propre, sur laquelle les pharyngiens sont fixés dans tout ce curieux groupe que M. Müller a désigné sous le nom de Pharyngognathes. Les Clupéides se distinguent par un caractère tout particulier de leur crâne, la prolongation de deux .crêtes pariétales en ar- rière, sous forme d’épines émoussées, ce qui fait que la petite crête occipitale se trouve placée dans le sinus antérieur d’une profonde entaille triangulaire. De ce sinus partent en même temps deux saillies divergentes qui viennent mourir au milieu du bord supérieur de l’orbite, et entre lesquelles se trouve placé un enfon- cement assez considérable de forme triangulaire qui occupe le milieu du front. Les fosses temporales sont assez considérables : leur extrémité antérieure s’efface au bord postérieur de l’orbite. Les frontaux antérieurs et postérieurs forment de grandes émi- nences latérales. Ce qui caractérise surtout la face inférieure, ce sont deux prolongements en forme d’aile qui partent de l’extré- 3° série, Zoo. T. IT. (Janvier 4845.) 3 3h AGASSIZ. — SUR LES POISSONS FOSSILES mité postérieure du sphénoïde et s'adaptent latéralement sur les côtés de la colonne vertébrale. Je n’ai trouvé que deux genres dans l’argile de Londres, dont l'un, le genre Megalops, a des représentants vivants ; tandis que l'autre, le genre Halecopsis, est complétement éteint. J’ai rangé provisoirement dans la famille des Characins, sous le nom de Brychetus Mulleri, une énorme tête fossile, dont les mâchoires sont armées d’une série de dents très allongées. Cette tête se distingue en outre par un caractère très tranché : c’est que le pourtour de la bouche est formé en avant par les inter- maxillaires et en arrière par les maxillaires supérieurs, qui por- tent également des dents. C'était le caractère qui distinguait mon ancienne famille des Halécoïdes, que M. Müller a si heureusement divisée en plusieurs familles très bien caractérisées. Le Bryche- tus ne peut appartenir qu'aux Characins ou aux Célacanthes ; mais n'ayant pas encore pu me procurer de squelettes d’un Cha-, racin vivant, ni des écailles de ce fossile, je dois attendre, pour le classer définitivement, de plus amples renseignements, qui ne manqueront point, je l'espère, puisque la grandeur de cette espèce doit nécessairement attirer l’attention des collecteurs. La famille des Gadoïdes présente des variations assez notables à l'égard de la crête occipitale, dans des genres qui, sous d’au- tres rapports, sont assez rapprochés. C’est ainsi que chez les Mo- telles, les Merluches, les Lottes et les Phycis, la crête s'étend en arrière, sans s'élever au-dessus du plan général de l’occiput, tandis que dans les Merlans et les Gades proprement dits, la crête s’avance jusqu'au-dessus des orbites en s’élevant sensible- ment au-dessus de l’occiput. L’occiput en général est large, de forme triangulaire et a, comme tout le crâne, un aspect foliacé. Les os, en général, sont très minces, retenus dans leur position par le développement considérable des cartilages crâniens. Les crêtes sont des lames très minces ; mais les fosses de l’occiput sont en général très peu accusées; le front est rétréei entre les orbites, et des prolongements particuliers du frontal forment, chez la plu- part des genres, de doubles bords autour des orbites. Les fron- taux antérieurs s'étendent latéralement sous forme d’aile. La DÉ L’ARGILE DE LONDRES. 39 partie inférieure de l’occiput est large et très bombée, sans au- cune quille médiane, et c’est la boursouflure générale de cette partie qui fait qu’on distingue facilement les Gadoïdes des aatres familles et surtout des Gobioïdes , dont ils se rapprochent le plus par la conformation des os du crâne. Je connais jusqu'ici quatre genres de cette intéressante fa- mille dont j'ai trouvé les premiers fossiles dans l'argile de Lon- dres: ce sont le Rhinocephalus planiceps, qui, par la formation de son cräne, tient le milieu entre les Merluches et les Phycis ; les genres Merlinus et Goniognathus, qui se rapprochent davan- tage des Merlans, et le genre si curieux que M. Kônig a appelé Ampheristus , et qui paraît constituer un nouveau type dans la famille des Gadoïdes. . Les Anguilliformes forment un type tout-à-fait à part qui se distingue au premier coup d'œil des Ophidioïdes, dont ils doivent être séparés comme famille à part. Toute la face supérieure de la tête est unie et lisse, sans crêtes saillantes. La surface posté- rieure de l’occiput se détache à angle droit de la face supérieure, et présente souvent des fosses latérales, au-dessus desquelles le bord supérieur de l’occiput s’avance en forme de toit. Le tem- poral s’avance en pointe entre les frontaux principaux et posté- rieurs, qu’il sépare complétement, et le frontal postérieur est relé- gué derrière l'orbite, où il forme une saillie très considérable en forme de crochet. Le nasal se prolonge en arrière jusqu’au- dessus du milieu de l'orbite. Le crâne, en général, est très solide, et présente la forme d’une pyramide à base triangulaire et à faces très allongées. Le genre Rhynchorhinus, qui est le seul représentant de cette famille dans l'argile de Londres, tient à peu près le milieu entre les Murènes proprement dites et les Congres. Pour donner une idée de l'exactitude à laquelle on peut ar- river en étudiant comparativement les poissons de Sheppy, je vais donner ici une description de l’une des espèces les plus répandues dans cette formation, le Sciænwrus Bowerbankii. Ce poisson a le corps court, haut et très comprimé, à la ma- nière des Sargues ou même des Dorées (Zeus). Sa hauteur, 36 AGASSIZ. — SUR LES POISSONS FOSSILES prise au bord antérieur de la nageoire anale, est contenue deux fois et demie dans sa longueur ; son épaisseur, même en tenant compte de la pression habituelle aux fossiles de Sheppy, est comprise quatre fois dans sa hauteur. Sa tête participe des mêmes caractères que le tronc; elle est haute, comprimée et tron- quée en avant. Elle est aussi longue que haute, et sa longueur est à la longueur totale du corps comme deux est à sept. Le front forme une ligne droite descendant obliquement depuis une saillie au-dessus des yeux. La nuque est presque horizontale, s’élevant insensiblement vers la nageoire dorsale. Le museau est tronqué presque verticalement, et forme une carène tranchante. L’œil est très grand , et comprend plus du tiers de la hauteur tôtale de la tête. Il est placé très haut, presque à fleur du front, au milieu, entre le bout du museau et le bord postérieur du préoper- cule, La capsule sclérotique qui l'entoure est assez forte et conser- vée dans la plupart des exemplaires. La constitution du crâne offre quelques particularités frap- pantes ; sa face supérieure présente une ligne brisée en trois par- ties presque égales. La partie postérieure ou la nuque est oblongue, insensiblement rétrécie d’arrière en avant et divisée en deux par- ties par la crête mitoyenne du crâne, qui, à ce qu'il paraît, était très mince et très haute. Cette crête mitoyenne s'étend en arrière, jusque vers le premier rayon de la dorsale. Les deux crêtes pa- riétales qui circonscrivent cette partie oblongue supérieure de la nuque sont très marquées, mais assez minces; elles s'étendent considérablement en arrière, où elles forment l'articulation du supra-scapulaire ; elles se prolongent également dans l’angle sail- lant au-dessus des yeux. Il en est de même de la crête mitoyenne. Les deux fosses pariétales s’étendaient ainsi jusqu'au-dessus des yeux en se rétrécissant insensiblement et en s’élevant au niveau du front. La surface de la nuque formait par conséquent une es- pèce de toit allongé, relevé sur la ligne médiane, et bordé des deux côtés par les crêtes pariétales. L’os occipital supérieur s’a- vance en biseau aussi loin que la crête mitoyenne, entre les deux frontaux, qui s'étendent en arrière jusqu'à la moitié de la lon gueur de la nuque. Trois os participent à la formation des crêtes DE L'ARGILE DE LONDRES. 97 pariétales : l’occipital externe en arrière , los pariétal au milieu et l'os frontal dans la partie antérieure. Les faces latérales de la nuque descendent presque perpendiculairement pour se relever ensuite de nouveau et former les puissantes crêtes temporales, sur lesquelles sont articulés les opercules. Les fosses temporales qui sont formées par ces crêtes s'élèvent insensiblement vers la saillie du front; mais elles n’atteignent pas la longueur des fosses pariétales. Enfin, au-dessous de ces fosses se trouvent encore deux petites fosses mastoïdiennes comprisesentre le frontal posté- rieur et la crête temporale, qui se continue, derrière le préoper- eule, sur l’opercule. Le front est entièrement formé par les deux frontaux ; il forme une surface tout-à-fait plane, qui est même un peu déprimée sur la ligne médiane, au lieu d’être relevée comme dans beaucoup d’autres poissons. Les frontaux sont plus larges en arrière qu'en avant, et leurs parties orbitaires descendent en arc des deux côtés. Cet arc est complété en avant par le frontal antérieur, au-dessus duquel les frontaux principaux finissent brusquement , comme tronqués. Le nasal s’enchâsse entre les deux frontaux principaux par un bouton aplati dont la face supérieure continue la surface du front: mais plus loin il descend presque verticalement, formant une crête tranchante et très étroite; entre cette crête et le frontal antérieur se trouve une fosse très profonde qui est limitée en avant par les sous-orbitaires et la mâchoire supérieure. Le premier sous-orbitaire est énorme, en forme de trapé- zoïde à bords arrondis. Sa partie antérieure est poreuse, sa partie postérieure squameuse et plissée en rides rayonnant de haut en bas. Le préopercule est long, étroit, surtout en haut, où il forme une arête qui descend verticalement. Sa partie horizontale est très courte ; le limbe qui borde le coin de l’équerre est plissé grossièrement en rides rayonnantes. Toute la fosse orbitaire entre le préopercule et le sous-orbitaire est recouverte d’écailles sem- blables à celles du corps. Les maxillaires supérieurs sont presque entièrement cachés sous les sous-orbitaires; ils sont élargies en arrière et engrenés en 38 AGASSIZ. — SUR LES POISSONS FOSSILES avant avec la branche montante de l’intermaxillaire. Celui-ci est court, courbéen arc et garni sur son bord inférieur d’une rangée de fortes dents crochues, dont la longueur diminue d’avant en arrière. Les maxillaires inférieurs sont courts et hauts; ils sont garnis, comme les intermaxillaires, de dents crochues qui, en arrière, sont en simple rangée, tandis qu'à la symphyse il y en a plusieurs placées les unes derrière les autres, Ces dents diminuent en ar- rière de la même manière que celles de l’intermaxillaire ; on ne remarque pas de canines plus saillantes que les autres. Je ne saurais dire si le palais et la langue étaient aussi garnis de dents ; mais la position générique de notre poisson me fait présumer qu'ils étaient lisses, Les pièces operculaires sont couvertes de plusieurs rangées d’écailles tout-à-fait semblables à celles du corps. L’opercule lui- même était beaucoup plus haut que long et formait un trapézoïde à angles postérieurs arrondis. Son bord libre est mince , mais entièrement lisse, aussi bien que celui du préopercule. La cein- turethoracique est extrêmement forte ; elle forme en arrière, vers la gorge, un coin arrondi, au-devant duquel se trouve, dans un creux, l'articulation de la nageoire pectorale, qui était assez petile, à ce qu'il paraît, mais dont je ne saurais rien dire de plus, ne l’ayant jamais vue conservée en entier. Les nageoires ventrales étaient placées au-dessous de la gorge, peut-être même un peu plus en avant que les pectorales. La dorsale commence immédiatement derrière la nuque par des épines très fortes et longues; elle paraît finir au commencement du dernier tiers de la longueur totale. Je présume que ses der- niers rayons étaient mous et qu'il n'y avait pas de séparation dans la nageoire entre les deux espèces de rayons. L'anale commence presque au milieu du corps; elle est étroite, mais longue, et pouvait avoir une quinzaine de rayons , dont les trois premiers sont épineux. La caudale n’est pas encore connue en détail ; ses rayons sont couverts à la base par de petites écailles très serrées. La ligne latérale décrit une courbe parallèle à celle du dos occupant en DE L'ARGILE DE LONDRES. 39 haut le premier tiers dé la hauteur totale du corps. Les écailles qui recouvrent tout le corps sont assez grandes et très minces, de sorte que le bord postérieur est rarement conservé. Examinées à la loupe, ces écailles présentent de nombreuses lignes concentri- ques, très serrées les unes contre les autres, et munies, dans leur partie antérieure, d’une douzaine de sillons en éventail, qui sont visibles à l’œil nu. Les lignes concentriques se perdent sur le champ postérieur de l’écaille, où l’on voit de petites granulations qui deviennent des dentelures extrêmement exigués sur le bord libre de l’écaille, et qui devaient tomber facilement même pendant la vie, car je ne les ai trouvées conservées que sur quelques écailles peu nombreuses. En résumé, le Sciænurus Bowerbanki est un Cténoïde acan- thoptérygien thoracique, ayant les joues écaillées , le bord posté- rieur des pièces operculaires lisse , les mâchoires armées de dents crochues et égales, les os du crâne assez solides, à crêtes minces. Un caractère particulier réside dans les sous-orbitraires énormes et dans la présence d’une seule dorsale et d’une seule anale. Si maintenant nous cherchons à déterminer la place de ce poisson dans la classification actuelle, nous ne trouverons qu’une seule famille d’Acanthoptérygiens Cténoïdes à laquelle il puisse être associé, celle des Sparoïdes , qui, tout en ayant les bords opercu- laires lisses, participe des autres caractères des Percoïdes. En effet, voici quels sont les caractères assignés par Cuvier à ses Sparoïdes : « Les pièces operculaires sont dénuées de dentelures »et d’épines ; les os de la tête sont solides, mais non point caver- »neux, comme chez les Sciénoïdes. Le palais est dénué de dents ; »les rayons épineux et les rayons mous réunis en une seule »dorsale. Les joues et le corps sont couverts d’écaillés qui, d’après »mes recherches, ont pour caractère d’avoir peu de dentelures »au bord postérieur; encore ces dentelures sont-elles très faibles »ettombent-elles facilement. LesSparoïdes se distinguent des Scié- »noïdes par l'absence de creux caverneux dans les os de la tête, » par le manque d’écailles sur lés nageoires, l’absencé d’épines où »de dentelures sur les pièces operculaires. Ce dernier caractère lès h0 AGASSIZ. — SUR LES POISSONS FOSSILES » distingue aussi des Percoïdes.» C’est donc parmi les Sparoïdes qu'il faut placer le genre Sciænurus. Cuvier a déjà divisé cette famille en plusieurs tribus d’après leur dentition; iln’y en a qu'une seule, celle des Dentés (Dentex) qui soit entièrement dépourvue de molaires arrondies et chez laquelle on ne trouve que des dents crochues et coniques, ordinairement sur un seul rang. J’ai com- paré le squelette du Dentex vulgaris avec celui du Sciænurus. On y retrouve les mêmes caractères ; mais la division de la sur- face supérieure du cràne en trois parties n’est pas aussi bien mar- quée et surtout le front n’est pas aussi bien développé que chez le Sciænurus. En revanche, on y retrouve la même quille du nasal ; les fosses pariétales formant un oblong allongé et bordé par deux crêtes pariétales relevées et minces, les mêmes fosses temporales profondes et séparées des fosses mastoïdiennes particulières. On rencontre en outre chez les Dentés la même forme du préopercule avec son arête verticale et son limbeétroit , et dans toute la famille des Sparoïdes, cet énorme sous-orbitaire qui cache presque la totalité du maxillaire supérieur. Cuvier a distingué des véritables Dentés le genre des Pentapodes, qui comprend des espèces à bouche moins fendue , à tête très écailleuse et à caudale écailleuse jusqu'au bout. C’est à côté de ce genre qu'il faut placer notre Sciænurus. Ce qui le distingue, c’est son corps comprimé et élevé , tandis que les Pentapodes ont le corps fusiforme et allongé. 1] se distingue, en outre, par sa dentition ; les Dentés ont , comme les Pentapodes, des dents inégales ; les Pentapodes ont deux fortes canines qui eurgissent entre plusieurs autres dents crochues plus petites, pla- cées en arrière entre des dents en velours ras. Le genre Sciœænurus n’a point de canines; ses dents diminuent d'une manière égale d'avant en arrière ; elles sont toutes crochues. Mais tout en se rapprochant des Pentapodes par la caudale écaillée à la base, il se place, d’un autre côté , près des Dentés par son corps comprimé. Mon genre Sparnodus, dont j'ai décrit plusieurs espèces de Monte Bolca, se rapproche aussi du genre Sciænurus par l’uniformité de ses dents; mais il diffère en ce que ces dents sont courtes et très obtuses,. DE L'ARGILE DE LONDRES. hA Je connais maintenant deux espèces du genre Sciænurus, pro- venant toutes deux de l’argile de Londres , de Sheppy. Il faut être sur ses gardes pour ne pas confondre avec les Sciænurus les fragments d'une espèce de Myripristis qui s’en rap- proche beaucoup par sa forme générale , mais qui en diffère par les rides saillantes de l’opercule et par la structure des écailles. Ce n’est que par un examen très approfondi de tous les exem- plaires que j'ai eus à ma disposition que j'ai réussi à déterminer exactement ce genre ; maisil se pourrait bien qu'entre les échan- tillons que j'ai étiquetés dans les collections d'Angleterre, il se trouvât quelque fragment de Myripristis sous le nom de Sciæ- nurus. J'ai fait, d’après l’excellente Monographie des Poissons anglais de M. Yarrell, le relevéde tous les poissons des côtes d'Angleterre. La comparaison de ce relevé avec celui des poissons de Sheppy donne des résultats assez curieux. Voici les chiffres auxquels je suis arrivé : Les côtes d'Angleterre sont habitées par 155 espèces qui se répartissent dans 81 genres. Les différentes familles sont repré- sentées de la manière suivante : Cténoïdes. Bercoïdes\(M)remn$ mire à 7 espèces dans 5 genres. Sparoïdes . 7 — 5 — Sciénoïdes. SE a: 2 —— 2. — COROIAES 20 eee à 16 — 6 — Gobioïdes (2) . 6 — 1 — Aulostomes. . 1 — 1 — Mugiloïdes. 3 — 1 — Pleuronectes . . . .:. . 48 — 5 — 60 — 26 — (1) Je range dans cette famille le genre Capros , et j'en sépare le genre Tra-- chinus. (2) J'en ai séparé les Blennioïdes. 2 AGASSIZ. — SUR LES POISSONS FOSSILES Cycloïdes acanthoptérygiens. Scombéroïdes (1) . . . . 11 espèces dans 9 genres. Xiphioïdes . 1 =: = Tænioïdes . 5 — 5 — Athérines . | — 1 — Labroïdes . 13 — & — Blennioïdes (2) 10 — 7. — Lophioïdes. ; 1 — 1 — Trachinides (3) . 2 — oz Discoboles . 5 — 3 — Echénéides 1 —_ A — 42 — 28 - — Cycloïdes malacoptérygiens. Scomberésoces. . . . . . & espèces dans 3 genres. Clupéidesenbhaercemeh fre ne 8 — dopraqtl SAIMONITES 5 2. 2 — 2 — CAdOIdES ET 6, | 20 — 8 — Anguilliformes . . . . 8 — 6 — 42 — AA je Ganoïdes (types récents). Lophobranches . . . . . 7 espèces dans 2 genres. Gymnodontes. . . . . . 3 — 2 — SCIÉLODELMES 1 — A — 11 — 5 — Les Cténoïdes, sur 8 familles et 26 genres, comptent 60 espèces. Les Cycloïdes acanthoptérygiens en comptent 42 sur 28 genres et 10 familles ; les Malacoptérygiens 42 sur 22 genres et 5 fa- milles, tandis que les Ganoïdes ne comptent que 3 familles, 5 genres et 11 espèces. Les familles les plus nombreuses sont les Gadoïdes , les Pleuronectes, les Cottoïdes, les Labroïdes, les Scombéroïdes et les Blennioïdes , tandis que les Sciænoïdes , les (1) Le genre Brama me paraît devoir être reporté dans la famille des Scom- béroïdes. (2) Famille distincte des Gobioïdes. (3) Famille séparée des Percoïdes. DE L'’ARGILE DE LONDRES. L3 Xiphioïdes et plusieurs autres ne comptent qu’un fort petit nombre de représentants. Comparons maintenant ce tableau avec celui que m’a fourni jusqu'ici l'étude des poissons osseux de Sheppy. Comme le dépôt de Sheppy appartient à des couches relativement très récentes, l’on pouvait s'attendre à trouver dans la répartition des espèces une certaine conformité avec la manière dont les poissons vivants sont répartis de nos jours sur les côtes d'Angleterre. C’est en eflet ce qui a lieu dans certaines limites ; car si l’ensemble de la faune a un caractère un peu différent, il n’en est pas moins vrai que la localisation et l’association des types étaient soumises, durant l’é- poque tertiaire, à peu prèsaux mêmes lois que de nosjours. Je dois cependant rappeler ici ce que j’ai déjà dit au commencement de ce Mémoire : c’est que les études que j'ai pu faire jusqu'ici portent essentiellement sur les têtes fossiles, [1 reste un autre travail , que je n’ai pas encore pu entreprendre, et qui sera tout aussi indispen- sable que ce premier : la comparaison des écailles avec celles des poissons vivants, travail encore plus difficile, puisque ces recher- ches nepourront être faites qu’à l’aide du microscope. Ayant réuni depuis longtemps pour mes études ichthyologiques un grand nombre d’écailles ; les moyens de comparaison ne me feront pas défaut, Il est un autre inconvénient plus grave : c’est que, dans la plupart des échantillons qui me sent confiés, les bords postérieurs libres des écailles sont usés et brisés : or, ce sont précisément ces bords qui fournissent les caractères les plus saillants pour la déter- mination rigoureuse des espèces. Quoi qu'il en soit, voici le relevé des espèces que j’ai pu déterminer jusqu'ici. Les poissons osseux de Sheppy , que je connais maintenant, se rapportent à 37 genres, représentés par 44 espèces, et peuvent être répartis dans les familles suivantes : Cténoïdes. FARCUMpS UE MS Cr 7 espèces en Sparoïdes . ON # 2 TOME RAA sal se tacle à — ll AGASSIZ. — SUR LES POISSONS FOSSILES Cycloïdes acanthoptérygiens. Scombéroïdes . . . . . . A2 espèces en 9 genres. XIPRIOITES RE 5 _ # — SPOYFÆNOITES ME. 0 2 — 1 — Labroïdes. 1 — 41 — Blennioïdes 1 — 1 — Athérines:#g sal toc cuis 1 — 4. — 21 — 16 — Cycloïdes malacoptérygiens. Scomberésoces. . . .,. . 3 espèces en 2 genres. Clupéides. . . . . : 2 — 2 — SCO DEJES Rs 2 ne der ee 72. 1 — 1 — Gadoïdes . dan dit int à ‘af: 4 — & — 11 — . A10 — Il est à remarquer que, dans ce tableau, les Cténoïdes ne comp- tent que 3 familles représentées par 11 genres et 12 espèces. Il se trouve que la famille des Percoïdes est de beaucoup la plus nombreuse, tandis que les familles les plus nombreuses des pois- sons actuels, savoir, les Pleuronectes, les Cottoïdes et les Go- bioïdes, manquent complétement dans les argiles de Sheppy. Les Teuthies, par contre, cette famille essentiellement méridionale , qui ne se trouve que dans les mers du Sud , et qui n’a aucun re- présentant dans la faune actuelle de l'Angleterre , ne compte pas moins de trois genres dans la faune de Sheppy, d’où il faut con- clure que cette faune doit avoir vécu dans des conditions clima- tériques différentes de celles des côtes actuelles d'Angleterre. Cefait, qui est d’une haute importance pour toute la géologie, se confirme aussi par l'étude des autres groupes de la classe des poissons. Les Cycloïdes acanthoptérygiens comptent 10 familles dans la faune vivante de l'Angleterre. La faune de Sheppy en compte six, en y comprenant un poisson encore quelque peu dou- teux, voisin des Athérines. Il n’y a que les Lophioïdes et les Tæ- noïdes , les Trachinides , les Discoboles et les Echénéides, toutes familles peu nombreuses de nos jours, qui n'auraient pas existé DE L’ARGILE DE LONDRES, 45 dans l’époque tertiaire en Angleterre. Les Sphyrènes, qui appar- tiennent surtout ax mers tropicales, et qui ne se trouvent pas maintenant sur les côtes d'Angleterre, sont représentées par un genre très voisin de la Sphyrène commune , et les Xiphioïdes, qui habitent de préférence les parages des pays chauds, ne comptent pas moins de 4 genres à Sheppy. La seule espèce qui se pêche quelquefois sur les côtes d'Angleterre, savoir, l'Espadon commun, n’y est qu’en passage ; sa vérilable patrie est la Méditerranée, Les Xiphioïdes de Sheppy ont tous le bec arrondi comme le Tétrapture et les Histiophores : or, ces derniers ne quittent jamais les mers du Sud. On ne peut rien conclure des Labroïdes , qui sont à peu près dans la même proportion dans la faune d'Angleterre que dans celles des mers du Sud; il est pourtant digne de remarque que le seul Labroïde que j'aie trouvé jusqu'ici à Sheppy se rapproche davantage des vrais Labres, qui habitent encore maintenant ces parages , que des formes que l’on trouve dans les mers du Sud. Les Cycloïdes malacoptérygiens enfin comptent 5 familles dans l'argile de Sheppy et le même nombre dans les mers d'Angleterre; mais ce ne sont pas exactement les mêmes. La famille qui fait défaut dans le terrain tertiaire est celle des Salmonides. En re- vanche, une famille essentiellement méridionale, celle des Cha- racins, qui n'existe pas dans les parages anglais, est représentée dans l'argile de Londres par une et peut-être par deux espèces de taille très considérable. C’est à Sheppy que j'ai découvert les premiers Gadoïdes fossiles connus, et ce fait est d'autant plus curieux que la famille des Gadoïdes appartient presque exclusive- ment aux mers froides, et ne compte que fort peu de représentants dans les mers chaudes et tempérées de l’époque actuelle. II a fort bien puen être autrement aux époques tertiaires ; car les argiles de Sheppy sont le premier dépôt septentrional de formation récente dont on ait examiné les poissons. Les dépôts d’Oeningen sont des terrains d’eau douce et ne contiennent aucun Gadoïde ; les schistes de Monte Bolca n’en recèlent pas non plus , et en ceci ils se mon- trent d’accord avec le caractère essentiellement tropical de leur faune. Les Gadoïdes, avec leurs nombreuses espèces si utiles à l’homme, sont encore maintenant les habitants des mers du Nord : h6 AGASSIZ. — SUR LES POISSONS FOSSILES la faune d'Angleterre en possède un grand nombre, et il n’est pas sans intérêt de retrouver dans ces mêmes lieux les premiers re- présentants d’une famille que je croyais jusqu'ici exclusivement récente. Ce fait, joint à celui de la nature du Labre fossile que je viens de mentionner, prouve que, nonobstant la physionomie plus méridionale du dépôt de Sheppy, dans son ensemble , il ÿ à pourtant déjà dans les poissons de cette intéressante localité un acheminement vers le caractère actuel de la faune ichthyologique d'Angleterre. Quant à la détermination générique de ces fossiles , je n’ai pu faire rentrer que fort peu d’espèces de Sheppy dans les genres vivants. Il n’y en a que 4 genres, les Mégalops, Cybium, Te- trapterus et Myripristis dont on connaît encore des représentants dans la faune actuelle des mers d'Angleterre ; c’est dans les mers plus méridionales que se trouvent les espèces qui se rapprochent de celles qui ont vécu en Angleterre pendant l’époque tertiaire. En me voyant ainsi contraint d’éloigner des genres de notre épo- que un grand nombre de poissons des temps tertiaires, j’ai concu quelques doutes sur la détermination générique de plusieurs poissons de Monte Bolca que j'ai rapportés à des genres vivants. H importera de les revoir , en tenant compte des moindres diffé- rences qu'ils présentent, pour s'assurer si, comme la faune ich- thyologique de Sheppy, celle de Monte Bolca ne renferme pas un nombre de types génériques éteints plus considérable qu’on ne Pa cru jusqu'ici. Pour compléter cet apercu, je joins ici la liste des poissons fos- siles de Sheppy que je suis parvenu à déterminer jusqu'ici. Les espèces déjà mentionnées dans mes recherches sont marquées d’un astérisque, même celles qui ne sont que simplement indiquées sans être décrites. CTÉNOÏDES. Synophrys Hopei. ” * Brachygnathus tenuiceps Percoïdes. Percostoma angustum Myripristis toliapicus. Cœæloperca latifrons. Eurygnathus cavifrons. * Sciænurus Bowerbanki. Podocephalus nitidus. % — crassior. Sparoïdes. LU DE L’ARGILE Teuthies. Ptychocephalus radiatus. Pomophractus Egertoni. Calopomus porosus… ? CYCLOÏDES ACANTHOPTÉRYGIENS. Scombéroïdes. Cybium macropomum. Cælopoma lolei. læve. Bothrosteus latus. brevifrons. minor. Phalacrus cybioides. Rhonchus carangoides. Cechemus politus. Scombrinus nuchalis. * Cœlocephalus salmoneus (1). Naupygus Bucklandi (2). Xiphioïides. * Tetrapterus priscus. Cælorhynchus rectus. sinuatus. Phasganus declivis Acestrus ornatus. #, de # 4 & , 5 : Sphyrænoïdes. LR Sphyrænodus priscus. crassidens. Labroïdes. Anchenilabrus frontalis. Blennioïides. Laparus alticeps. CYCLOÏDES MALACOPTÉRYGIENS. Scomberésoces. k: “Hypsodon toliapicus. : oblongus. Labrophagus esocinus. DE LONDRES, ME * L2 h7 Clupéides. Halecopsis lævis. Megalops priseus. Characins. Brychetus Mülleri. Gadoïdes. Rhinocephalus planiceps. Merlinus cristatus. Ampheristus toliapicus. Goniognathus coryphænoides. Anguilliformes. Rhynchorhinus branchialis. (Famille douteuse.) Pachycephalus cristatus. Rhipidolepis elegans. Glyptocephalus radiatus. Gadopsis breviceps. Loxostomus mancus. Ganoïpes (3) (types anciens ). Pycnodontes. Pycnodus toliapieus, Periodus Kænigi. Gyrodus lævior. Phyllodus toliapicus. planus. polyodus. marginalis. irregularis. medius. Pisodus Owenii. Acipenserides. Acipenser toliapicus. PLACOÏDES. Raïes. Myliobates Owenii. acutus. 1-2) J'ai quelques doutes sur la position systématique de ces deux Poissons.» 3) Si je n'ai rien dit des, familles suivantes, dans ce Mémoire, c’est que je n'ai, pour le moment, rien à ajouter de nouveau à ce que j'ai publié à leur sujet dans mes Recherches. h8 HOæsoN. — GLOBULES DU SANG DE L'ORNITHORHYNQUE. — canaliculatus. — lateralis. Saualides. : — marginalis. Notidanus serratissimus. — toliapicus. Glyphis hastalis. — goniopleurus. Carcharodon toliapieus. # — Dixoni — subserratus. * — striatus. $ Otodus obliquus. — punctatus — macro{us. — gyratus. Lamna elegans. — jugalis. — compressa. : — nilidus. — (Odontaspis) Hopei. ps — lolei. — — verticalis. — heteropleurus. UT Ætobatis irregularis. Chimérides. * — subarcuatus. * Elasmodus Hunteri. Pristis bisulcatus Psaliodus compressus. — Hastingsiæ. * Edaphodon eurygnathus. On voit par là que le nombre des poissons fossiles de l'argile de Londres s'élève à 92, dans la seule localité de Sheppy, sans comp- ter une dizaine d'espèces auxquelles je n’ai pas encore donné de noms , n'ayant pas encore pu les caractériser d’une manière suffi- sante. OBSERVATIONS SUR LES GLOBULES DU SANG DE L'ORNITHORHYNQUE ; Par M. E.-C. HOBSON. ( Extrait.) Dans cette note, insérée dans le second cahier d’un journal d'Histoire Naturelle qui se publie actuellement à Hobart-Town, dans l’île de Die- men (1), l’auteur rend compte de ses observations microscopiques sur les globules du sang de l’Ornithorhynque, du Kanguroo élégant et du grand Phalanger volant. Chez l'Ornithorhynque, ces corpuscules ont la forme de disques circulaires, comme chez la plupart des autres Mammifères, et leur diamètre diffère peu de celui des globules du sang humain. L'auteur, en les mesurant à l’aide d’un micromètre d’Oberhauser, les évalue à 14/3000 de pouce anglais. Dans le Kanguroo, ces corpuscules sont un peu plus petits, etdans le Phalanger ils sont environ de 1/3500 de pouce. L’au- teur ajoute que, depuis la rédaction de sa note, il a examiné avec M. Bed- ford le sang d'un Échidné vivant, et qu'il a trouvé ces corpuscules extrêmement semblables aux globules de l’Ornithorhynque. (1) The Tasmanian, Journal of Natural Science, Agriculture and statics. Terre de Van Diemen, 1841, n° 2, p. 94. L. DUFOUR. — SUR LES PUPIPARES. h9 ÉTUDES ANATOMIQUES ET PHYSIOLOGIQUES SUR LES INSECTES DIPTÈRES DE LA FAMILLE DES PUPIPARES ; Par M. LÉON DUFOUR. ‘_ La science est comme le fleuve, crescit eundo; à mesure que les faits sévèrement observés se multiplient et se classent , ils vien- nent modifier, redresser, les explications prématurément enfan- tées, et c’est de ce moment que date son véritable progrès, J'aurai, dans ce Mémoire, plus d’une occasion de démontrer la justesse de cette réflexion. Dans le cadre immense de l'Entomologie, il existe des groupes ou des familles que l’imperfection comparative de leur organisme a fait reléguer au dernier poste de la série naturelle, et qui forment ainsi le passage, le chaînon d'une grande division à une autre. L'étude de ces Insectes limitrophes offre à l’anatomiste, avide de constater les décadences et les transitions organiques, un intérêt de la plus haute portée scientifique. La famille des Pupipares, qui termine l’ordre des Diptères, est précisément dans cette catégo- rie. Contiguë à l’ordre des suceurs, elle se compose d’Insectes qui se nourrissent du sang des animaux, dont ils sont parasites, et présente, dans les genres qui la constituent, cette particularité de structure extérieure que les uns ont des ailes, d’autres des demi-ailes ; enfin , il en est de si complétement aptères qu'on les a pris pour des poux. Ces traits positifs et négatifs d’Insectes que la classification a rapprochés dans une même enceinte confirment ce que je viens de dire sur la décadence successive des orga- nismes, et nous préparent à trouver, dans la splanchnologie de ces animaux, les modifications, les nuances anatomiques qui éta- blissent cette admirable échelle zoologique où toutes les créations, malgré leurs dissemblances génériques, se lient et s’enchaînent. Ainsi , l'Homme et le Singe, le Mélophage et la Puce ont une foule de traits qui les rapprochent, une foule d’autres qui les séparent. La généralité des Insectes est ovipare, quelques familles de 3" série. Zoon T. IL. (Janvier 1845 ) 4 0 L. DUFOUR. — SUR LES PUPIPARES. diptères sont vivipares ; mais ce qui est tout-à-fait exceptionnel , c’est que ce dernier ordre se termine par un groupe qui, au lieu d'œufs ou de petits vivants, met au monde un gros corps oviforme qui est le berceau, d’abord d’une nymphe, puis de l'Insecte parfait, et ce corps porte le nom de pupe, synonyme de chrysalide. Le fondateur des familles naturelles en entomologie, Latreille, imposa à ce groupe la dénomination significative de Pupipares , après lui avoir donné celle de Coriacés. Déjà, avant lui, notre observateur modèle, Réaumur , avait consacré un de ses beaux Mémoires à l’histoire des curieuses métamorphoses du type le plus saillant de cette famille, l'Hippobosque, qu’il plaçait dans les Insectes nymphipares (1). La science était pauvre de faits anatomiques sur ce dernier Insecte, lorsqu'il y à vingt ans, je publiai mes recherches sur son organisation viscérale (2). Après cette longue série d’années, pen- dant laquelle je ne suis point resté oisif en entomotomie, j'ai repris les vivisections de l’Hippobosca equina , et simultanément celles du Melophagus ovinus et de lOrnithomya viridis (ou biloba). J'ai vu plus et mieux que je ne l'avais fait autrefois. Je comprends les exigences actuelles de la science ; je sais qu'il faut en même temps exposer l'organe et la fonction, la matière et l'esprit, la cause et l'effet, en un mot, l'anatomie et la physiologie. Et ce n’est point dans l'espèce seulement que je me livrerai à ce double examen, je signalerai les rapports de l'organisation de ce groupe avec les Insectes des autres familles et avec les animaux plus haut placés dans l'échelle. On verra que bien des parties dont on n'avait pas soupconné l’usage ont été soumises à une étude approfondie qui m'a permis de les ramener, soit par le raisonnement, soit par l'observation directe , à leur véritable fonction. Comme la splanchnologie de l’Hippobosque est déjà un fait acquis, j'ai pris aujourd’hui pour type de mes descriptions et de mes dessins le Mélophage. Ce sera un parallèle utile à la science. J'y ai ajouté quelques autopsies sur l'Ornithomvie. Nous allons (1) Hist des Ins., tom. VI, Mém. 1%, pl. #8. (2) Ann. des Sr. nat., tom. VI, p. 299, pl. 13 L. DUFOUR. — SUR LES PUPIPARES, 51 voir, à la gloire de la classification, la remarquable, la conso- lante conformité anatomique qui existe entre ces Insectes, dont deux sont ailés et un aptère, mais ayant tous trois le même genre de vie, sucant tous trois le sang des animaux vivants. Malgré ma longue pratique des dissections délicates , j'ai eu à surmonter de grandes difficultés pour placer les faits dans une évidence incontestable. Les autopsies les plus scrupuleuses ont été faites par centaines dans la même espèce, et comme les tégu- ments de ces parasites sont d’une texture serrée, coriace, con- tractile, fort rebelle à la pince et au scalpel , il m'a fallu recourir, pour constater certaines compositions d'organes ou certaines connexions , soit à l’insecte au sortir de la pupe, soit à la nymphe dans les diverses phases de son incubation, soit enfin aux em- bryons ou au fœtus. Je vais examiner dans deux chapitres l'extérieur et l’intérieur des Pupipares, CHAPITRE 1. CONFORMATION ET STRUCTURE EXTÉRIEURES. Je n’entends pas exposer ici la description et l’histoire des Pupipares soumis à mes études anatomiques; elles se trouvent dans tous les ouvrages d’entomologie. Ce qui concerne les détails, soil de configuration, soit de structure tégumentaire, a, en grande partie, été épuisé par Réaumur, De Géer et Lyonet. J'ai déjà dit que le premier a illustré l’Hippobosque. Le second à traité du même insecte, ainsi que de l’Ornithomyie (1). Lyonet, dans son livre posthume (2), a consacré cinquante et quelques figures à une iconographie parfois minutieuse des traits extérieurs du Mélophage qu'il appelle le Pou du mouton. Cet œuvre, d’une habile patience , est peu substantiel pour la science à cause de la sécheresse du texte. Il est vrai qu’il peut trouver une excuse dans sa date antérieure à la publication de la célèbre anatomie de la chenille du saule , c’est-a-dire à bien près de cent ans. (1) Mém., tom. VI, p. 275, pl. 16. (2) Recherches sur l'anat. et les métamorph. de différ. Ins., ouvrag. posth. de Lyonet, publié par M W. de Haan (1832). p. 1, pl. 1-3. 52 L. DUFOUR. — SUR LES PUPIPARES. Tout, dans la composition et dans la structure des Pupipares, témoigne de la décadence organique de ces animaux, et justifie de la place qu’on leur a assignée au dernier degré de l'échelle ertomologique. Mais cette même structure, étudiée d’un peu haut, va dérouler à notre admiration ces transitions graduelles , ces échelonnements que l’on retrouve dans toute la série animale, depuis l'Homme jusqu’à la Monade. Nous verrons aussi comment la Providence , toujours conséquente à ses harmonies de création, a su accommoder les instruments de ce singulier organisme aux besoins de l'individu et à la conservation de l'espèce, Son ingé- nieuse sollicitude semble se manifester avec d’autant plus d'éclat que les êtres ont de plus minimes dimensions et qu'ils s’éloignent davantage du type que nous appelons parfait. Nos Pupipares sont parasites et suceurs de sang : c’est là leur mission irrévocable, leur condition d'existence, et ils sont orga- nisés pour ce double but. Ils ont le corps aplati, le tégument ferme, coriacé, doublé de puissants muscles peauciers et revêtu de poils arqués élastiques , pouvant servir au besoin d’arcs-bou- tants mobiles sur leur bulbe radical , les pattes robustes, solide- ment articulées et très étalées. À la faveur de ces conditions, ils peuvent supporter sans inconvénient les pressions que leurs hôtes inquiets exercent sur eux ; ils s’appliquent, adhèrent sur le plan de support par de nombreux points de contact ; ils évitent les chocs, les chutes, par leur peu de relief et surtout par leurs fortes griffes, qui sont des harpons, des ancres, au moyen desquelles ils s'accrochent à la peau ou aux poils. L’ambulation de l'Hippo- bosque et de l’Ornithomyie est rapide, et se fait avec la même prestesse, la même facilité en avant, en arrière ou sur les côtés. Celle du Mélophage aux habitudes funambules s'opère avec mesure et à pas comptés. L’Hippobosque, pourvu d’ailes , peut, dans certains cas, déserter son habitat et se transférer sur d’autres individus de la même espèce ou du même genre. Le Mélophage, complétement aptère , est obligé de suivre constam- ment la fortune de son hôte , et si, par quelque accident, il est expulsé de son gite, sa vie est compromise. Une toison touffue est done son élément, sa sauve-garde , tandis que lHippobosque L. DUFOUR, — SUR LES PUPIPARES. 55 ne peut vivre que sur le poil ras du cheval : ses ailes se trouve- raient enchaînées dans la laine buissonneuse de la brebis. Les antennes, qui ne manquent dans aucun insecte hexapode, et qui déjà ont éprouvé dans la série des Diptères une sensible dégradation, finissent par ne présenter dans les Pupipares qu’une existence rudimentaire. Elles ne consistent qu’en un seul article vestigiaire immobile, enchatonné dans une excavation de la face et terminé par trois ou plusieurs poils plus ou moins difficiles à me ttre enévidence. Cet organe est encore plus contestable dans le Mélophage que dans l'Hippobosque. Les palpes ont aussi dis- paru dans nos parasites, et c’est évidemment un rapprochement forcé que de les croire représentés par les deux valves de la gaîne du sucoir. Celui-ci n’est pas, comme dans le plus grand nombre des Di- ptères, un organe souple, rétractile, coudé , bilabié, propre à lé- cher : c’est en même temps un instrument vulnérant et une pompe aspirante. Mais sa composition diffère beaucoup de celle du Cou- sin, du Taon, du Stomoxe, diptères sanguisuges comme les Pupipares. Dans ceux-ci, un étui corné sétiforme, recu entre les deux valves allongées et velues d’une gaine, renferme une langue tubuleuse élastique, plus déliée que le plus fin cheveu et s’abou- chant à l’œsophage (1). Cet instrument buccal, susceptible, dans le Mélophage , de s’allonger ou de se raccourcir au gré de l’ani- mal, prend un peint d'appui en arrière sur un bulbe charnu sphéroïdal où Lyonet a trouvé un noyau formé de plusieurs par- ties solides. À ce bulbe charnu se fixent en arrière des tiges cor- nées brunes, garnies d'innombrables muscles. Ces tiges, qui sont l'analogue de l'os hyoïde des grands animaux, règlent les mou- vements du sucoir. Il existe là un admirable mécanisme dont Lyonet a bien représenté les pièces solides, mais fort mal les puissances motrices. Mais, voyez comme le génie créateur a su (1) Le bout de l'étui du suçoir m'a semblé, dans le Mélophage, dentelé dans la moitié de son orifice , ainsi que l’exprime une de mes figures. Cependant, comme ce trait n'est point mentionné par Lyonet, qui avait un œil très exercé et des lentilles peut-être plus puissantes que les miennes, je me renferme encore dans le doute - 5 L. DUFQUR. — SUR LES PUPIPARES. adapter les moyens à la fin! L’Hippobosque , destiné à vivre sur le poil ras du cheval, et recherchant les parties du quadrupède plus ou moins dénudées, avait assez d’un sucoir court pour puiser sa nourriture; le Mélophage, au contraire, errant dans l’épaisse fourrure d’une toison, dont les brins dans le voisinage de la peau sont enchevêtrés et difficilement pénétrables à cause du suint qui les encroûte, avait besoin d’un dard grêle, long et souple pour atteindre la surface vulnérable : aussi, quoique plus petit que l’Hippobosque, le Mélophage a un sucoir deux ou trois fois plus long que celui de ce dernier. La même décadence organique se retrouve encore dans les yeux et avec des nuances remarquables entre l’Hippobosque et le Mélophage. Le premier de ces parasites est exposé, comme je J'ai dit, à changer de domicile, et il lui devenait indispensable de voir au loin pour choisir son nouvel habitat. Son organe de la vue a toutes les conditions propres à atteindre ce but. Les yeux, assez grands, ont une certaine convexité et sont évidemment ré- ticulés avec des milliers de cristallins. Dans le Mélophage, qui est condamné à des habitudes sédentaires et qui se traîne pénible- ment dans ses obscurs buissons laineux, il n’y a que des yeux rudimentaires. La cornée transparente est étroite, plane, à peine distincte du tégument et dépourvue de toute réticulation. Les globes oculaires y sont en petit nombre, bien séparés les uns des autres et au nombre seulement d’une centaine, suivant Lyonet, ce qui est bien peu, comparativement aux yeux réticulés de l’Hip- pobosque. On sait que les Diptères ailés sont pourvus , au-dessous et en arrière de leurs ailes, de balanciers ou baguettes mobiles qui jouent un rôle actif dans le vol. Nous allons trouver, sous ce rapport, dans les Pupipares des dispositions demeurées inaper- çues aux Entomologistes. Ainsi l'Hippobosque a des balanciers ; mais à la place de ces cueillerons membraneux, ou sortes d'ailes avortées que l’on observe dans un si grand nombre de Diptères, le métathorax présente de chaque côté, pour abriter ces balanciers, une grosse saillie signalée par De Géer, convexe en dessus, plane en dessous et bordée de longs cils. Je ne connais aucun autre dé ‘an L. DUFOUR. — SUR LES PUPIPARES, 29 Diptère qui offre un semblable trait. Admirez comme la nature procède par nuances à ses créations inférieures ou aux déca- dences organiques déjà si souvent mentionnées, et que je repro- duirai encore! Dans l’Ornithomyie, où les balanciers existent, il n'y a même plus de simulacre de cueilleron; les balanciers sont aus , et des cils du bord postérieur de la carapace thoracique les protègent seuls. Les balanciers devenaient superflus -dans les insectes aptères : aussi le Mélophage en est-ik totalement privé. Ce signe négatif vient à l’appui de la fonction attribuée aux ba- lanciers que l’on regarde comme suppléants d'une seconde paire d'ailes dans les Diptères. L'abdomen des Pupipares, susceptible d'acquérir une si grande ampleur pendant la gestation, n'offre point de segmentation comme celui des autres insectes, et c’est là un des traits origi- naux de ce groupe. Mais ici, comme dans toutes les transitions organiques , la nature ne passe pas brusquement d’une forme ou d’une structure à une autre; elle imprime souvent sur le présent quelque indice permanent ou fugitif du passé. Ainsi on trouve à la base dorsale de l'abdomen de l'Hippobosque une sorte de crête ou de bourrelet transversal, plus ferme, plus dur que le reste du tégument, et qui arrête souvent le scalpel pendant les dissections : c’est un vestige de segment. On voit au même endroit dans le Mélophage deux plaques cornées, noires, glabres, rapprochées: ce sont encore les restes d’un segment. Le ventre de l’Hippobosque, distendu par la grossesse, présente aussi dans la ligne médiane trois petites plaques transversales cornées dis- tantes qui sont les débris survivants d'une segmentation effacée. Enfin, à la base ventrale de l'abdomen du Mélophage, se voit une pièce particulière, cornéo-coriacée, hérissée de piquants, tron- quée en avant, divisée en arrière en deux lobes oblongs, diver- gents. Cette pièce, collée contre le ventre et immobile, est encore un vestige de segment. Lyonet n'a pas manqué de la représenter (/. c., PI. 2, fig. 18), mais sans lui donner un nom et sans indiquer ses attributions. Voici un fait des plus piquants, un trait qui, quoique âcci- dentel et fugace, proclame bien haut cet enchaînement successif 56 L. DUFOUR. — SUR LES PUPIPARES. des créations. Par l'effet d’un accouchement récent où par celui d’une diète prolongée, l'abdomen de l’Hippobosque, considéra- blement diminué de volume, se flétrit, se ride, et si vous y portez une loupe attentive, vous découvrez dans ces plissures transversales un ordre constant et assez régulier, qui, aux yeux de l’appréciateur des échelonnements organiques, est l'indice positif, la signification d’un abdomen annelé. Et ce qui devient con- firmatif de ce dernier trait, c’est que justement à chacun des plis correspond une paire de stigmates comme dans les abdomens à véritables segments. Certainement ces plissures ne sont déter- minées d’une manière aussi régulière en travers que par une différence de consistance ou de texture dans la portion linéaire du tégument qui leur correspond. Cette différence est la première condition de la duplicature permanente qui constitue le segment. Elle a survécu à la disparition de celui-ci. Ces plis sont done les signes passagers et fugitifs d’une structure déchue, un héritage illusoire de la segmentation abdominale des familles d’un rang plus élevé, en même temps qu'ils deviennent un de ces jalons si intéressants à mettre en relief dans l'étude des dégradations organiques. CHAPITRE IX. CONFORMATION ET STRUCTURE INTÉRIEURES. Je vais exposer dans ce chapitre les principaux appareils de la vie, tels que ceux de la respiration, de la sensibilité, de la digestion et de la génération dans les deux sexes. ARTICLE [°°. — Appareil respiratoire. Organisé sur le même plan général que celui des autres Di- ptères, il va nous offrir néanmoins, dans l'étude des détails, quel- ques traits, quelques apercus propres à cette famille. $ 1. Stigmates. — Le Mélophage, qui est aptère, à neuf paires de ces orifices respiratoires, tandis que l'Hippobosque et l'Ornithomyie, qui sont pourvus d'ailes, n’en ont que six. Nous rechercherons la cause ou le motif de cétte remarquable diffé- rence, L. DUFOUR. —— SUR LES PUPIPARES. 57 Dans ses figures, Lyonet paraît avoir bien saisi la différence de structure des stigmates thoraciques et abdominaux ; mais dans le texte on ne peut plus s’y reconnaître. Ou le manuscrit de l’au- teur était incomplet sur ce point, ou, ce qui est plus vraisem- blable, l'éditeur ou l’imprimeur en ont égaré ou mal ajusté quel- que partie. 1° Stigmates thoraciques. — Il y en a deux paires dans le Mé- lophage, et une paire dans les Pupipares ailés (1). Ceux du Mélophage sont situés sur les côtés de la région dor- sale du thorax. La première paire se voit entre les origines des pattes antérieures et intermédiaires sur la limite fictive du pro- thorax et du mésothorax : on peut l'appeler méso-prothoracique ; l’autre est métathoracique , et confronte à la base de l'abdomen. Elles ont toutes deux une parfaite conformité de grandeur, de forme et de texture. Cesstigmates sont orbiculaires. Leur disque ou leur aire est à découvert, à nu, plane et même un peu au-des- sous du niveau du tégument. Si, par une adroite excision prati- quée sur l’insecte vivant, on enlève une lamelle avec le stigmate incrusté et qu’on soumette ce dernier à la lentille microscopique, voici ce qu’on apercoit. Le pourtour du stigmate est un cerceau corné brunâtre auquel, d’après Audouin, j'ai donné dans mes publications le nom de péritrème. L’aire de celui-ci est une mem- brane blanchâtre, non pellucide, glabre, conservant par la des- siccation sa continuité, offrant dans son milieu une ouverture dont la forme et le diamètre varient suivant quelques conditions fonc- tionnelles. J’ai vu souvent, surtout dans les individus desséchés, que ce diaphragme membraneux est un peu bombé avec un ori- fice central béant et rond. Avec le secours d’une forte lentille, on aperçoit à travers cet orifice , dans le creux du stigmate , des cils ou paillettes qui, dans la position inclinée de l’organe , ne débor- dent qu’une partie de l’ostiole. J’ai figuré cette conformation. Dans d’autres circonstances, soit que la membrane eût été dé- truite accidentellement, soit plutôt que, par une extrême contrac- (1) Déjà, avant la publication de l'ouvrage posthume de Lyonet, j'avais reconnu et figuré les stigmates du Mélophage ( Ann. des Sc. nat., tom. 22 (1831), pl. 13, fig. 9-10). 8 L. DUFOUR. — SUR LES PUPIPARES. tion, elle ne formât plus qu'un liseré au bord interne du péri- trème, les paillettes sous-jacentes étaient intégralement évidentes. Alors on pouvait juger de leur disposition radiée ou concentrique sur un même plan. Elles sont planes, élargies vers leur insertion au péritrème et effilées par leur bout libre, ce qui justifie ma dénomination de paillettes. Lors de l’inhalation ou de l’exhala- tion de l’air, les cils, en se raccourcissant par la contraction de leur base, s’éloignent du centre par leur pointe, et alors l’orifice est arrondi, plus où moins grand ; c’est une sorte de pupille. Dans la condition contraire, c’est-à-dire quand le stigmate se refuse à l’accès de l’air, les cils, peut-être livrés à leur élasticité, s’allongent outre mesure, et non seulement deviennent conver- gents, mais se croisent par leurs pointes, ou peut-être s'enchäs- sent entre eux, et l’occlusion de l’organe se dénote extérieurement par un léger trait linéaire qui simule une fente. Ainsi l'exercice fonctionnel des paillettes sous-jacentes se concerte avec celui de la membrane. J’ai représenté ces deux états du stigmate. Lyonet a vu aussi cette membrane stigmatique du Mélophage ; mais il ne fait point une mention explicite des cils rayonnants situés au-dessous de cette membrane, quoique ses dessins sem- blent les exprimer assez bien. Il se contente de parler de nervures ondoyantes (1). L'Hippobosque et l'Ornithomyie n’ont au thorax qu'une seule paire de stigmates, l’antérieure. Le stigmate métathoracique n'existe pas. C’est une anomalie d’autant plus bizarre que les deux Pupipares ailés ont une prééminence organique sur le Mé- lophage. Ce stigmate, au lieu d'être orbiculaire, est ovale avec son grand diamètre oblique à l’axe du corps, et superficiellement enchatonné dans le tégument. Quant à sa structure intime, que j'avais déjà entrevue, il y a vingt ans, mais non étudiée à fond, comme aujourd'hui, elle a beaucoup d’analogie avec celle des stigmates du Mélophage , tou- tefois avec quelques traits qui lui sont propres. L'aire membra- neuse est divisée, suivant le grand diamètre, en deux moitiés (1) Lyonet, !. c., pl. 2, fig. 12-43. L. DUFOUR. — SUR LES PUPIPARES. 59 que sépare une fente médiane linéaire. Une forte loupe, bien éclairée par le soleil, constate, à la face externe de cette mem- brane, un très fin duvetbrillant de la même nuance qu’elle. Ce duvet est formé par des poils couchés, uniformément répandus ; c'est plutôt une pubescence qu'une villosité. Le microscope, lorsque la fine lamelle du stigmate est convenablement placée sur l’objectif, met en évidence d’abord les poils en question, puis, dans la trame de la membrane, des points ronds qui constituent sans doute la texture celluleuse dont parle souvent Sprengel (1) sans que j'aie jamais pu constater une massa semi-fluida que cet au- teur dit exister dans divers stigmates. Cette texture présente un aspect insidieux quand on l’explore sur des individus desséchés. L'humidité propre à la membrane vivante s’évapore après la mort, et il arrive parfois que le diaphragme contracté, flétri, éraillé, présente alors comme des lambeaux irréguliers, séparés par des vides et débordés par quelques poils. Ces lambeaux peu- vent en imposer pour ces houppes, ces pinceaux élégants qui s’observent dans les stigmates de plusieurs insectes (2). Je ne serais même pas surpris que de pareils pinceaux existassent réellement au-dessous de la membrane stigmatique, dans une moitié seulement de celle-ci. J’ai cru le voir ainsi dans un stig- mate desséché dont l’autre moitié de la membrane avait été complétement détruite. J’ai très positivement constaté dans ce cas que le bord interne de la moitié du péritrème, mise à nu, était garni de cils ou paillettes de la même forme, de la même struc- ture que celles du Mélophage, mais infiniment plus courtes, ainsi que le démontre la figure que j'en donne. L’analogie viendrait à l'appui de ma présomption, car dans les stigmates des Dytiques dont j'ai cité les figures dans la note, c’est à la moitié seulement de ces organes que correspondent les plus grandes houppes. (1) Curt. Sprengel ; commentar. de partib. quib. Insecta spiritus ducunt (1815), tab. 2-3. (2) J'ai représenté de semblables houppes dans le Dytiscus marginalis ( Anat. des Coléopt., Ann. des Sc. nat., pl. 21, fig #4), et Sprengel dans le D. circum- flexus (Le. pl. 3, fig. 29). 60 L. DUFOUR. — SUR LES PUPIPARES. L'autre moitié du péritrème n’a que des pinceaux rudimentaires, comparables aux courtes paillettes de notre Hippobosque. La fente médiane du diaphragme, ou l’orifice du stigmate, n’at- teint pas tout-à-fait par ses extrémités le péritrème. Elle pré- sente à celles-ci une commissure qu’il n’est pas rare de voir légèrement dilatée, La physiologie de cet organe respiratoire est toute simple. La membrane stigmatique étant à découvert à la surface du tégument et exposée ainsi aux injures du temps, la sage prévoyance de la nature a protégé la délicatesse de son tissu par un duvet qui, d’une part , le rend imperméable à l’humidité et, de l’autre, empêche l’'abord des atomes hétérogènes qui nagent dans l’air. Cette pré- caution était peu nécessaire dans le Mélophage, qui, retiré dans la profondeur de la toison de la brebis, ne se trouve presque jamais en contact avec l'humidité de l'atmosphère. Quant à l’acte méca- nique de la respiration au moyen de la fente médiane bilabiée, il rentre dans la loi commune. Il est surtout facilité par la sou- plesse de la membrane, Mais pourquoi l'Hippobosque, qui, par la seule existence des ailes, a une supériorité d'organisation sur le Mélophage , n’a-t- il que deux stigmates thoraciques, lorsque ce dernier en a quatre? Voyons si leur genre de vie respectif, qui est une conséquence de la présence ou de la privation des organes de locomotion aérienne, ne nous mettrait pas sur la voie d’une explication rationnelle de ce fait. Et, avant tout, je dirai que la somme de respiration, à en juger par le nombre et le calibre destrachées, diffère peu dans les deux espèces, et, s’il y a quelque avantage, il est en faveur del’Hippobosque, dont les ailes sont pénétrées d’une grande quan- tité de vaisseaux atrifères. Le nombre des trachées n’est donc pas réglé par celui des bouches respiratoires. La solution du problème pourra bien plutôt nous être fournie par le rapport du nombre des stigmates, avec la facilité, l'opportunité de l’inhalation de l’air. Aïnsi l’Hippobosque , parasite d’un quadrupède à poils ras, a toujours le corps complétement émergé, soit qu’il parcoure avec une surprenante vélocité les diverses régions de l’hôte qu'il tour- L. DUFOUR. — SUR LES PUPIPARES. 6t mente, soit qu’à la faveur de ses ailes il s’envole de celui-ci sur un autre individu. Ses stigmates , en contact direct et incessant avec l'atmosphère, y puisent donc largement et avec facilité tout l’air né- cessaire à la fonction respiratoire. Son thorax, muni intérieurement de muscles puissants qui, pour présider à sa vive locomobilité, devaient être stimuléspar une circulation aérienne des plus actives, avait moins besoin de la quantité que de la qualité des stigmates, et, s’il ne lui en est échu en partage qu’une seule paire , c'est qu’elle lui suflisait à cause de sa grandeur et de l'énergie de sa fonction. Le Mélophage , au contraire , privé des organes de locomotion aérienne, destiné à vivre et à mourir au fond de sa retraite touf- fue, condamné à ramper péniblement au milieu de cet épais et sale buisson où l’air a bien de la peine à s’infiltrer, le Mélophage était dans l’impérieuse nécessité de saisir toutes les occasions de humer à la dérobée le peu d’air qui se trouvait à sa portée : aussi la Providence, qui ne faillit jamais à son éternelle loi de la conser- vation de l’espèce, quelque chétive qu’elle nous paraisse, a-t-elle doté l’obscur Mélophage d’une paire de stigmates thoraciques de plus que son parent , l'Hippobosque, et, dans l’un comme dans l’autre, elle a été conséquente au but de ses créations. Notre explication fondée sur l’inopportunité de l’inhalation de l'air pour le Mélophage , acquiert un degré de plus de probabilité par l’exemplede la Vyctéribie du Vespertilion, insecte appartenant aussi à la.famille des Pupipares , et aptère comme le Mélophage. Le pelage ras de la chauve-souris, dont il est parasite, lui permet à tous les instants de humer l'air, surtout pendant la nuit où le cheiroptère voltige sans cesse : aussi la Nyctéribie, quoique aptère, n’a qu'une seule paire de stigmates thoraciques comme les pupi- pares ailés (1). C’est donc, comme je l’ai déjà insinué, le plus ou moins d’op- portunité de l’inhalation de l'air qui a décidé du nombre des (4) Voy. ma Descript. et fig. de la Nyctéribie du Vespertilion, et Observations sur les stigmates des Insectes pupipares, Ann. des Sc. nat., tom. 22, p. 372, { (1831) 62 EL. DUFOUR. — SUR LES PUPIPARES, stigmates thoraciques dans les Pupipares dont j'ai esquissé le pa- rallèle. 2° Stigmates abdominaux. — Leur différence numérique dans le Mélophage et l’Hippobosque va nous fournir encore une heureuse application de ce que je viens d’exposer sur les stigmates du tho- rax; c’est le même principe, les mêmes conséquences. Dans ces deux Pupipares, la forme, la grandeur et la texture de ces orifices de la respiration ont une exacte conformité ; mais il y en a sept paires dans le Mélophage, et cinq seulement dans l’Hippo- bosque. Is sont si petits et tellement perdus au milieu des poils du té- gument, qu'ils avaient complétement éludé mes recherches dans l'Hippobosque , il y a vingt ans. Il est facile de les confondre avec les bulbes de ces poils. Ce sont des boutons orbiculaires saillants, à bourrelet corné, brun, lisse, à ombiliccentral ouvert. Ils ont une singulière ressemblance de forme avec les pessaires ronds em- ployés en chirurgie. Leur texture est très différente de celle des stigmates thoraciques. Je n°y ai aperçu ni aire membraneuse ni paillettes ; mais Lyonet, dans la miscroscopie duquel j'ai grande foi, a vu, dans le fond de l’ombilic de ceux du Mélophage, quel- ques poils rares qui servent, dans l'acte respiratoire, à tamiser l'air (1). Ce même auteur a bien représenté aussi la face interne de ces stigmates et la manière dont le tronc trachéen s’y adapte. 11 faut une attention des plus minutieuses pour découvrir dans le Mélophage le premier stigmate abdominal , qui est tout-à-fait inférieur et placé à la base ventrale de l'abdomen confrontant au thorax. La seconde paire, fort rapprochée de la première, est visible sur les côtés un peu inférieurs de la base dorsale. Les trois suivants sont situés sur les côtés du tégument dorsal à égale dis- tance les uns des autres. Les deux derniers occupent la dépression échancrée qui termine le corps. Ils sont bien plus rapprochés entre eux que les précédents et placés dans une ligne oblique à l’axe du corps. Dans l’Hippobosque, le stigmate basilaire inférieur du Mélo- (4) Lyonet, L e.. pl. 2, fig. 13 L. DUFOUR. — SUR LES PUPIPARES. 63 phag en’existe point. Les quatre premières paires ont absolument la même position, la même distance entre elles que les quatre qui, dans le Mélophage, succèdent au stigmate basilaire. Quant à la cinquième paire, elle est nichée à la partie supérieure et un peu externe du premier tubercule velu du bout de l’abdomen. $ 2. Trachées. — Les Pupipares, tant ailés qu'aptères, sont dépourvus de ces trachées utriculaires, de ces aérostats qui s’ob- servent à la base de la cavité abdominale, dans les Diptères des- tinés à fournir à une longue et active locomotion aérienne, et à un bourdonnement plus ou moins aigu. Leurs trachées abdominales sont toutes de l’ordre des tubuleuses ou élastiques, et observent dans leur distribution la symétrie com- mune à tous lesinsectes. Ainsi, il y a sur les côtés un grand canal latéral, une frachée-artère, où viennent s’aboucher les troncs ou souches stigmatiques, et d’où partent les innombrables trachées nutritives qui vont répandre partout le bénéfice chimique de la respiration. Le thorax, centre des grandes puissances musculaires , a, indé- pendamment de son système vasculaire aérifère, des trachées mem- braneuses ou utriculaires, tantôt d’un blanc mat non nacré, tantôt d’une teinte enfumée. Les plus superficiels de ces utricules forment de chaque côté un canal allongé ; les plus profonds sont des bulles plus ou moins ovoïdes. Ces trachées utriculaires exis- tent dans le Pupipare ailé, comme dans l’aptère, avec le même nombre, le même développement. Ce fait ne laisse pas que d’être d’une solution physiologique assez embarrassante. Sans doute, dans l'Hippobosque, ces utricules tendent par leur gonflement à augmenter sa légèreté spécifique dans l’acte du vol, comme dans tous les insectes ailés ; mais cette explication ne saurait convenir au Mélophage, qui est tout-à-fait privé d’ailes. Cependant, je le répète, ces utricules n’ont pas, dans le parasite aptère, le caractère simplement vestigiaire , puisqu'ils sont tout aussi développés que dans l’Hippobosque. Elles semblent donc, dans le Mélophage, de- voir faire seulement l'office de réservoirs d’air. Rappelons à ce sujet que son habitat dans le fourré de la toison ne lui rend pas toujours facile la prise de l'air , et, quand une occasion favorable 64 L. DUFOUR. — SUR LES PUPIPARES. se présente, il faut qu’il en profite pour emmagasiner le fluide res- piratoire. | La tête des Pupipares a un nombre vraiment prodigieux de trachées nutritives, ce qui témoigne hautement de l'importance physiologique de l’organe qu’elle renferme. Mais il y a aussi, comme dans tous les insectes, au-dessus et surtout au-dessous du cerveau, des bulles trachéennes destinées à faire l'office d'édredon, de coussinets élastiques pour protéger, contre les secousses brus- ques , la délicatesse de l’encéphale. ARTICLE II. — Appareil sensitif. Le cerveau et un ganglion rachidien unique sont, dans les Pupi- pares, les centres principaux d’où partent les nerfs qui distribuent, dans les divers tissus, la sensibilité et le mouvement. C'est là aussi la composition du système nerveux de la plupart des Diptères de la grande nation des Muscides. Comme dans les animaux du rang le plus élevé, le cerveau des Pupipares, destiné à présider aux fonctions sensoriales, est étroite- ment, hermétiquement enfermé dans sa boîte cränienne tégumen- taire. Cetorgane importantest ainsi à l’abri et des influences exté- rieures, et des secousses qui pourraient offenser sa texture délicate. Je suis bien aise de mettre en saillie ce trait remarquable d’unifor- mité organique aux deux extrêmes de l’échelle zoologique. Observez encore que le cerveau de l’Hippobosque, comme celui de l’homme, malgré la fermeté de son enveloppe, qui le touche dans tous les points, malgré sa texture pulpeuse, est pourtant susceptible d’une certaine élasticité, et peut supporter, sans que son état nor- mal en soit notablement dérangé , quelques pressions, quelques légers changements de rapports dans ses éléments constitutifs. C’est ainsi que les vaisseaux artériels ou veineux de notre encé- phale peuvent, en se gorgeant plus ou moins de sang, presser, refouler la substance cérébrale sans trouble sérieux de la santé ; c’est ainsi que, dans nos Pupipares, les trachées nutritives et les bulles aériennes produisent le même effet, suivant qu’elles admet- tent une plus ou moins grande abondance d’air. La tête des Pupipares est ronde et sensiblement déprimée de L. DUFOUR, — SUR LES PUPIPARES, 65 haut en bas. La masse cérébrale incluse a nécessairement cette même configuration. Mais si on la dégage dans son intégrité de sa boîte tégumentaire, pour en étudier la composition et la structure, elle obéit aussitôt à son expansibilité et semble prendre du déve- loppement. Ce même eflet n’a-t-il pas également lieu dans les animaux supérieurs ? Le cerveau de l'Hippobosque (c’est le type que j'ai choisi parmi les Pupipares, pour la démonstration de l'appareil sensitif) se présente alors partagé en deux lobes égaux de forme sphéroïdale , unis ou confluents à leur partie inférieure en une base commune qui est perforée pour le passage de l’æso- phage , et qui, en arrière, se continue en une moelle allongée, ori- gine du cordon rachidien. Ainsi, sauf l’existence du collier æso- phagien, nous retrouvons encore dans notre Diptère une division * générale du cerveau, comparable à celle des animaux les plus haut placés, et exprimée par les mêmes termes, Chaque lobe cérébral se prolonge au côté extérne en un énorme nerf optique , qui, dans l'Hippobosque comme dans le Mélophage, présente presque aussitôt un renflement sphéroïdal, puis se dilate en une rétine assez ample, et réniforme dans le premier de ces parasites, étroite et peu considérable dans le Mélophage , qui, comme je l’ai dit plus haut, a des veux rudimentaires, J'ai même souvent rencontré dans ce dernier Insecte un autre petit renflement bulbeux avant l'épanouissement de la rétine. Gelle-ci est recouverte dans les deux d’un pigmentum rouge sanguin qui revêt la face interne de la cornée transparente. Le bord antérieur de ces lobes émet deux nerfs , l’un antennaire, l’autre buccal. Le ganglion thoracique, d’une grandeur remarquable, d’une forme arrondie et lenticulaire, est situé au centre du tronc de l’In- secte, profondément logé et enraciné dans le mésothorax. Des trachées, ou blanches, ou d’une teinte plombée, les unes tubu- laires, les autres utriculaires, lui forment une sorte de tunique acces- soire où accidentelle qui masque l’origine des nerfs et en rend la dissection très difficile. Des paires de nerfs puissantes, nom- breuses, et symétriques partent de ce ganglion pour faire irradier la sensibilité dans tous les tissus du corps. J'ai constaté, dans l’Hippobosque et le Mélophage, un fait inté- 3° série, Zool, T. IF. (Février 1845.) 5 66 L. DUFOUR. SUR LES PUPIPARES,. ressant qui m'avait échappé jusqu'à ce jour, et qui très probable- ment est commun à un grand nombre d’Insectes : c’est que les nerfs de ce ganglion sont disposés sur deux plans, l’un supé- rieur ou dorsal, l’autre inférieur ou ventral. On peut constater positivement cette disposition , si, après avoir isolé et mis à nu le ganglion, en ménageant les origines des nerfs, on l’envisage en profil avec une forte loupe. On voit alors les deux marges, dorsale et ventrale, où ces nerfs prennent naissance. Si vous vous contentez de braquer le microscope sur la région supérieure du ganglion , les nerfs du plan ventral croisant ceux du plan dorsal, en imposent pour des nerfs bifurqués, ou s'ils sont simplement sous-jacents, ils demeurent inapercus. 11 faut donc se tenir en garde contre ces illusions optiques. Les nerfs de ces deux plans ont-ils une conformité de nombre, de grosseur et de position ? Je ne saurais l’assurer. Quant aux paires nerveuses principales du bord postérieur du ganglion, paires essentiellement splanchniques, parce qu’elles sont destinées aux viscères digestifs et génitaux, elles ne m'ont pas paru disposées sur ces deux plans. Ces derniers président-ils, les uns au sentiment, les autres au mouvement, distinction qui s’observe dans les nerfs rachidiens des animaux supérieurs? cela est vraisemblable, et je ne suis pas le premier qui aie mis en avant cette idée. M. Newport, dans des recherches aussi délicates que difficiles sur les diverses séries des libres nerveuses des ganglions et des nerfs chez les Insectes, pense que la série supérieure des ganglions est le siége de l'agent eæcilo-moteur et que l’inférieure préside au sentiment (1). Trois paires de nerfs ruraux naissent des côtés du plan supé- rieur du ganglion. J’ai cru remarquer que la paire antérieure est un peu plus distante de l'intermédiaire que celle-ci de la posté- rieure, Elles ont un fort calibre et ne sont pas tout-à-fait margi- pales, leur origine étant un peu avant le bord du ganglion. Dans quelques dissections heureuses, j’ai constaté de petits nerfs ra- meux partant des origines des cruraux. Entre les paires crurales se voit un nombre sinon indéterminable , du moins encore indé- (4) Sur le syst. nerv. et circul. des Myriapodes, etc., par M. Newport, Extrait. — Ann. des Sc. nat, 3° série, vol. 4, p. 58 (1844). L. DUFOUR. — SUR LES PUPIPARES, 67 terminé de nerfs moins gros, plus ramifiés, qui appartiennent au plan inférieur. Le bord antérieur du ganglion émet, entre le cordon céphalo- thoracique et les cruraux antérieurs, des nerfs de divers calibres , les uns divisés dès leur origine, ce qui indique leur distribution dans les tissus immédiats, les autres ayant des troncs simples qui se ramifient à une certaine distance de leur naissance, Il est diflicile, pour ne pas dire impossible, d’assigner à ces nerfs leur distribution spéciale ; mais les muscles si puissants qui garnissent le thorax doivent en recevoir une bonne partie , sans compter les nerfs alaires, Le bord postérieur du ganglion émet entre autres deux grandes paires de nerfs; l’une, la plus interne, appartient aux nerfs gé- nitaux , l’autre aux nerfs digestifs. J'ai constaté dans l'Hippobosque deux nerfs stomato-gastriques parallèles, longs , avec peu ou point de branches, Ils vont de la tête au milieu de la portion thoracique du ventricule chylifique, Les ganglions de ce petit système, dont on doit surtout la décou- verte dans les Insectes en général, à M. Brandt, m'ont entière- ment échappé. La moelle allongée devient, à sa sortie de la tête, le cordon ra- chidien. Celui-ci est simple et unique comme dans tous les Di- ptères. Il traverse le prothorax pour aller s’insérer au ganglion thoracique, et, dans ce court trajet, il fournit de chaque côté, vers son milieu , deux petits nerfs rapprochés et constants. ARTICLE IL. — Appareil digestif. En traitant de la structure extérieure des Pupipares, j'ai fait connaitre le premier appareil qui sert à la fonction digestive, la bouche. Celle-ci consiste en un suçoir au moyen duquel ces In- sectes puisent, sur les animaux dont ils sont parasites, le sang destiné à leur nourriture, Nous allons examiner maintenant les glandes salivaires, le canal alimentaire , les vaisseaux hépatiques, enfin le issu adipeux splanchnique. 1° Glandes salivaires. — Je les avais autrefois imparfaitement vues dans l’Hippobosque ; mais la découverte, dans le Mélophage, 68 L. DUFOUR. — SUR LES PUPIPARES. d’un organe moins simple m'a mis sur la voie pour le trouver avec la même composition dans le premier de ces Pupipares et dans l'Ornithomyie. Dans le Mélophage, on rencontre constamment, à la base de la cavité abdominale, deux corps globuleux ou ovoïdes, à peine de la grosseur de la plus petite graine de moutarde, plus ou moins remplis d’un liquide cristallin. Is ne sauraient, à cause de leur volume, franchir le détroit thoraco-abdominal pour rétrograder dans le thorax. Ces globules sécréleurs, dont j'ai surtout pu bien saisir les connexions dans les individus récemment éclos, com- muniquent chacun directement par un col efférent , d'une finesse plus que capillaire, à un réservoir plus gros qu'eux, de forme orbi- culaire, déprimé et ombiliqué sur ses deux faces. Ce réservoir, placé vers le milieu du thorax , a une fort légère teinte roussâtre et une texture assez résistante, comme calleuse à cause de l’épais- seur de ses parois. Il est fixé, maintenu près de l’origine du ven- tricule chylifique par des filets ou trachéens ou nerveux, impercep- tibles, qui en rendent l’isolement fort difficile. Le col efférent s'implante au centre de sa face postérieure. La face opposée recoit l'insertion brusque d’un canal excréteur moins délié et sur- tout plus long que le col, flexueux , reployé et offrant, comme la plupart des conduits essentiellement excréteurs des glandes, un axe tubuleux , fin comme le brin de soie le plus subtil, blanc à la loupe, rembruni au microscope à cause de son opacité. Sa tunique externe présente de légères plissures qui mettent en relief sa contractilité. Quelquefois, par des tiraillements qu’entraîne la dissection , l'enveloppe plus fragile cède , se rompt, et le tube inclus persiste, ce qui témoigne de sa texture tenace, et peut-être fibreuse. Le canal excréteur de la glande, parvenu dans la tête, conflue avec son congénère pour former un canal commun des- tiné à verser la salive dans la bouche. La glande salivaire de l'Hippobosque et de lOrnithomyie a la même composition, la même structure générale que dans le Mé- lophage ; mais elle offre , dans quelques unes de ses parties, des traits de configuration intéressants à signaler comme caractères génériques. Ainsi, l'organe sécréteur, situé de même à l'entrée L. DUFOUR. — SUR LES PUPIPARES, 69 de la cavité abdominale , au lieu d’être globuleux, est représenté dans ces Pupipares ailés par un boyau flexueux. Ce boyau m'avait échappé dans mes anciennes dissections, parce qu'il se détache très facilement de son col. Le réservoir est, dans l’Hippobosque , ovoide, plus membraneux, plus dilatable que celui du Mélophage ; il est, dans l’Ornithomyie , rond, lenticulaire , comme dans ce dernier. Concoit-on rien de mieux organisé pour la sécrétion et l’excré- tion que la glande salivaire de nos Pupipares? aussi la simple nomenclature de ses parties constitutives et un coup d’œil jeté sur les figures qui représentent ce délicat et élégant appareil suffisent- ils pour l'intelligence de sa physiologie. % Canal alimentaire. — Y a, dans les parasites qui nous occupent, une longueur proportionnelle de beaucoup supérieure à celle de ce même organe, non seulement dans tous les Diptères, mais même dans les grands animaux, puisqu'elle excède de huit à neuf fois cetie de leur corps. C’est un fait bien digne de re- marque et que j'ai déjà signalé ailleurs, que l'étendue de ce canal est d'autant plus considérable que les Insectes sont placés plus bas dans l'échelle diptérologique. Observons encore que, dans les Quadrupèdes, le tube digestif est proportionnellement plus court dans les Carnivores que dans les Herbivores, tandis qu'il en est fout autrement dans nos parasites Sanguivores (1). La fluidité d’une nourriture très animalisée, la minceur, la fai- blesse des parois digestives de nos Pupipares, rendaient sans doute nécessaire sa longueur démesurée. À défaut de grandes dilatations et d’une texture musculaire énergique, la longueur et les nombreuses circonvolutions de ce conduit, tout en multi- pliant les surfaces, devenaient favorables au séjour, aux oscilla- (1) En consultant les savants tableaux que Je professeur Duvernoy a établis d'aprés la considération de la longueur du tube digestif dans la série des animaux à sang rouge, je ne trouve, dans les espèces essentiellement carnassières, que l'Hyène rayée qui soit comparable, sous ce rapport, à nos Pupipares , puisque son canal alimentaire est huit fois plus long que son corps. (Leçons d'anat comp., de Cuvier, 2° édit., tom. IV.) 70 L. DUFOUR. — SUR LES PUPIPARES, tions, à l'élaboration chyleuse du liquide nourricier. Nous retrou- vons partout le sceau des harmonies des créations ! ï L’œsophage à une ténuité plus que capillaire , condition parfai- tement adaptée à la succion. Il est court et atteint à peine le mésothorax. 11 n’offreaucun vestige de ces panses à col plus ou moins long quis’observent dans presque tous les Diptères. Il s'implante brusquement au ventricule chylifique. Celui-ci, dont j'avais autre- fois mal saisi l’origine, a une longueur qui forme au moins les trois quarts de celle de tout le tube alimentaire. Il débute par un renflement moins arrondi dans le Mélophage que dans l'Hippobos- que, d’une consistance un peu plus considérable que le reste de l'organe , mais revêtant plutôt les caractères d’une simple dilata- tion gastrique ou d’un jabot que d’un gésier. Le ventricule tra- verse le thorax en ligne droite, étroitement pressé entre les masses musculaires qui garnissent l’intérieur de ce dernier. Il s’étrangle au détroit thoraco-abdominal et présente, à son entrée dans l’ab- domen, un nombre variable de renflements, de boursouflures plus ou moins gorgées de sang. Il devient ensuite filiforme, s’enroule plusieurs fois sur lui-même, et à sa terminaison, à la valvule qui le sépare de l'intestin, il recoit les vaisseaux hépatiques. L’intestin offre à son origine un gros bourrelet en godet qui est le siége de la valvule qui correspond à l’iléo-cæcale des grands animaux. Il s’atténue sans flexuosité remarquable , et finit par se renfler en un rectum ovale ouglobuleux, suivant son degré de plé : nitude, renfermant une bouillie excrémentitielle tantôt blanche comme de la craie, tantôt de couleur cannelle, Quelquefois cette poche est tellement distendue que l’insertion de la portion grèle de l'intestin semble inférieure. Dans les individus récemment éclos ef n'ayant pas pris de nourriture, j'ai constamment ren- contré dans le rectum une pulpe excrémentitielle blanche, un véritable mécontum , observation que j'ai déjà consignée plusieurs lois dans mes écrits relatifs à d’autres insectes. Le rectum présente quatre boutons charnus placés par paires latérales dans sa moitié antérieure. J’ai souvent désigné, et je désigne encore provisoirement sous ce nom, des tubercules qui L. DUFOUR. — SUR LES PUPIPARES. 74 existent non seulement dans la généralité des Diptères, mais dans plusieurs insectes des autres ordres. Les auteurs ont gardé à leur égard le silence le plus absolu , si nous en exceptons Ramdobr , qui les a représentés dans la Musca vomitoria , en se contentant de dire que ce sont des prolongements courts, cunéiformes, dans lesquels pénètrent plusieurs trachées (1). Dans mes recherches actuelles, je les ai étudiées plus à fond dans le but d'éclairer leurs fonctions. Lorsque le rectum est fort distendu, ces boutons se pré- sentent à l'extérieur sous laforme de disques orbiculaires , comme ombiliqués , tantôt de niveau avec la tunique dans l’épaisseur de laquelle ils sont logés, tantôt déprimés en fossette. Dans le cas contraire, c’est-à-dire , lorsque cette poche excrémentitielle est vide et affaissée, ils se dessinent sous l'aspect de tubercules co- noïdes où pyramidaux, séparés par des sinus plus ou moins marqués. Dans ces deux conditions, j'ai toujours constaté un fais- ceau de trachées s’enfoncant au centre de chaque disque, et j'ai pu isoler le tronc de ces vaisseaux aérifères dont les ramifications formaient le faisceau. L'existence de celui-ci est une circonstance qui, à mes yeux, a une grande valeur physiologique. En déchirant avec soin les tuniques rectales pour les renverser , je m’assurai que les disques extérieurs n'étaient que la base d’une grosse pa- pille pyramidale, formant , dans la cavité du rectum, une saillie libre, comme pendante. Ces papilles sont solides, c’est-à-dire dépourvues de cavité intérieure, et je les crois de nature muscu- laire. En les soumettant au microscope , quelle fut mon heureuse surprise de voir que, dans le Mélophage, la périphérie de ces pa- pilles était hérissée de courtes aspérités acérées, spinuleuses, assez peu serrées pour être bien discernées les unes des autres , tandis qu'au même grossissement, les papilles de l'Hippobosque étaient lisses et glabres ! Ce serait là, dans une classification anatomique, une différence générique fort curieuse entre ces deux Pupipares. Passons maintenant à la physiologie jusqu'à ce jour inabordée de ces singulières papilles, et jetons un coup d'œil rétrospectif sur la structure du rectum de divers insectes, mise er regard avec (1) Ramdhor, abhandl. uber die verdaungsiwers, ete., pag. 172, pl. 19, fig. 2, m. m. 72 L. DUFOUR. — SUR LES PUPIPARES. leur genre de vie. Les broyeurs comme les Orthoptères, Coléo- ptères, Névroptères, elc., destinés à saisir, à déchirer, à commi- nuer une substance alimentaire solide, ont un rectum à parois d'une certaine épaisseur, éminemment contractiles, parcourues longitudinalement par des bandelettes musculaires (le plus sou- vent six) dont l’action se concerte avec les fibres annulaires pour diminuer la cavité de la poche et amener en définitive une défé- cation plus ou moins consislante. Dans les insectes suceurs, tels que les Diptères, Hyménoptères, etc. , l'aliment est liquide ou pulvérulent , et le rectum plus membraneux , plus dilatable peut- être, plus essentiellement réservoir, privé de colonnes muscu- laires et précisément pourvu des boutons charnus qui nous oc- cupent. Rappelons que ces boutons sont, dans nos Pupipares, la base de papilles musculaires, disons mieux de muscles papillifor- mes, qui offrent cela de particulier qu'ils n’ont qu'un seul point d'attache et qu'ils sont libres et flottants par un bout. Rappelons- nous aussi qu'un riche faisceau de trachées, qu'accompagnent in- dubitablement de nombreux filets nerveux , vient témoigner hau- tement de l'énergie vitale de ces organes. Je ne balance pas à regarder ceux-ci comme la signification des rubans musculeux durectum des insectes broyeurs. Oui, ces papilles, par leur forme, leur texture et leur mode d'insertion, deviennent aptes, dans l’exer- cice actif de leur fonction, à agiter, à fouetter, à balayer la pulpe excrémentitielle pour en favoriser l’expulsion. Jeles appelle- rais volontiers des muscles détergeurs. Mais pourquoi ceux-ci ont- ils, dans le Mélophage, des aspérités spinuleuses qui ne s’observent pas dans l’'Hippobosque? Ne savons-nous pas combien les habi- tudes paisibles et le genre de vie peu actif du Mélophage contras- tent avecla vivacité de l’Hippobosque? Alors quoi d'étonnant que, dans ces conditionsd’atonie, la nature ait placé dans le rectum de cet insecte des éperons pour susciter, stimuler sa contractilité expulsive, ou des râteaux pour diviser la matière excrémentitielle ? 9° J'aisseaux hépatiques. —Aïnsi que dans les autres Diptères, le foie des Pupipares se compose de quatre vaisseaux biliaires : mais ceux-ci, au lieu de se réunir par paires en deux canaux hépaliques, #’insèrent isolément à Fextrémité du ventricule chyli- L. DUFOUR. — SUR LES PUPIPARES. 73 fique. Ils sont fort longs, d’une ténuité presque capillaire, borgnes et flottants par un bout. La bile ne m'a jamais offert cette cou- leur jaune si répandue dans les Insectes en général , ni la teinte brune ou violacée qui s’observe dans plusieurs diptères. Le plus souvent, elle est presque diaphane, et quelquefois blanche opaque comme une solution d’amidon. lL° Tissu adipeux splanchnique. — Dans mes publications en- tomotomiques , j'ai toujours compris dans les dépendances de l'appareil nutritif une pulpe graisseuse qui se trouve dans les ca- vités splanchniques, et dont la forme et l'abondance sont variables suivant le genre de vie des insectes. J'ai souvent , à l’occasion des métamorphoses viscérales, signalé son importance organogénique. Cette pulpe se rencontre aussi dans les Pupipares, et, quoiqu’en petite quantité, elle v revêt des fermes diverses. Au-dessous des viscères abdominaux, ce sont des flocons subdiaphanes , qui leur servent d’édredons. Dans la tête il existe , soit en dessus, soit en dessous de l’encéphale, quelques guenilles adipeuses couvertes de granules qui, en se combinant avec les bulles trachéennes, pro- tègent le cerveau contre les chocs et les commotions. Il n’est pas rare de rencontrer , soit dans le thorax , soit dans l’abdomen, des granules sphériques unis entre eux par d’imperceptibles trachéo- les, pour s'arranger en séries moniliformes , ou pour affecter une disposition ramifiée. ARTICLE IV, — Appareil génital, Ainsi que les animaux placés en première ligne, nos pupipares ont des sexes séparés, et il faut l’accointance, l'union du mâle avec la femelle pour le grand œuvre de la reproduction. Nous avons donc à examiner séparément ces deux appareils de la gé- nération. S 1. Appareil génital mâle. — I à une composition analogue à celle des Insectes en général et même des grands animaux. Ainsi on y distingue les testicules, les conduits déférents, lesvésicules séminales , le canal éjaculateur, armure copulatrice et la verge. 1° Testicules. — Unicapsulaires, comme dans le plus grand nombre des Diptères , ils ont une couleur rouillée ou chocolat qui 7 L. DUFOUR. — SUR LES PUPIPARES. les met de suite en évidence lors de l’autopsie de l’abdomen. Chacun d’eux est formé par les innombrables replis, les circon- volutions lâchement agglomérées d’un seul vaisseau spermifique filiforme , ayant, quandil est complétement dévidé, quatre ou cinq fois la longueur du corps de l’insecte, et se terminant par un bout libre plus ou moins renflé en massue. Sa couleur rouillée est superficielle et n’est qu’une sorte de pigmentum , car le sperme qu'il renferme est blanchâtre et se coagule dans l’eau en flocons. Suivant le degré de sa turgescence séminale, le testicule a une forme et une grandeur variables, car on le trouve ou ovale, ou ar- rondi, ou irrégulier. Quelquefois les deux organes sont tellement rapprochés ou contigus qu’ils semblent confondus en une seule masse commune informe. D’autres fois, et j'ai constaté ce fait dans l'Hippobosque, on rencontre pour chaque côté deux pelotons tes- ticulaires. Il est proportionnellement moins volumineux dans l'Or- nithomyie que dans lHippobosque et le Mélophage. Les flexuosités du vaisseau spermatifique manifestent, quand on les déroule, sur- tout dans le cas de leur turgescence, une tendance à s’enrouler en spirale. Les Pupipares étant placés au dernier degré de l'échelle dip- térologique, on a lieu de s'étonner du développement considé- rable de leurs testicules, Dans la vaste nation des Muscides , les glandes qui sécrètent le sperme consistent presque toujours en une seule petite capsule ovoïde ou oblongue , tandis qu'ici nous voyons un vaisseau séminifique dont la longueur surpasse de plu- sieurs fois celle du corps. On en trouve de semblables dans les Asiliques, Diptères d’une organisation bien plus avancée, et dans quelques Coléoptères, notamment les Carabiques. 2 Conduits déférents. — Si le vaisseau qui sécrète le sperme a une longueur démesurée , le conduit déférent est, par contre, presque nul dans l’Hippobosque et le Mélophage. On ne doit considérer comme tel que la portion de ce vaisseau qui sort de l’agglomération testiculaire dont il a la couleur, pour s’insérer à la vésicule séminale correspondante. Celui de l’'Ornithomyie est décoloré, remarquable par une boursouflure qui se termine par un col assez droit, L. DUFOUR. — SUR LES PUPIPARES. 75 3° l’ésicules séminales. —- Ces organes, destinés à tenir en ré- serve la liqueur fécondante, devaient être en rapport de capacité avec ceux qui sont chargés de préparer et de leur U'ansmettre cette liqueur, et il en est effectivement ainsi. Ces vésicules, au nombre de deux paires dans l’Hippobosque et le Mélophage, sont longues , filiformes , flexueuses , subdiaphanes , flottantes par un bout, confluentes par l’autre en un col pour chaque côté. Ce col, plus long dans le premier de ces Pupipares, recoit l’insertion brusque du conduit déférent correspondant, immédiatement avant son implantation au canal éjaculateur. Dans l’Ornithomyie il n’y a de chaque côté qu’une seule vésicule séminale simple , assez longue ; mais elle va nous offrir un rudi- ment intéressant , un témoignage parlant de transition graduelle. Dans les deux Pupipares précédents, il existe une double paire de ces vésicules ; ici, à la place de l’une d'elles, on trouve une sorte de cul-de-sac fort court, en avant duquel, ainsi que l’in- dique la figure , s’insère le petit col qui s’abouche à l'origine du canal éjaculateur, après avoir recu le conduit déférent. h° Canal éjaculateur. — M est le tronc de tout l'appareil et essentiellement formé par la confluence des vésicules séminales, Beaucoup moins long que ces dernières, il est toujours plus blanc, plus ferme , d’une texture comme fibreuse , renflé, bulbeux à son origine, puis filiforme. Dans le Mélophage et l'Ornithomyie, ilest à peu près droit; il forme une anse ou un coude dans l'Hippobos- que. Dans tous, il s’atténue en arrière pour s’enfoncer dans lap- pareil copulateur. 5 Armure copulatrice et verge. — Tous les insectes ont le pé- nis logé dans une sorte d’appareil mécanique plus ou moins corné, destiné à s'engager en tout ou en partie dans le corps de la femelle pour l’accomplissement de l’acte de la copulation. C’est cet appareil qui porte le nom d’armure copulatrice. Celle-ci est, dans les Pupipares , d’une grande simplicité. Elle consiste, dans les trois genres soumis à mon scalpel, en un forceps dont les branches sont deux lames droites , cornées, brunes, glabres , al- longées, pointues, s’adossant l’une à l’autre, pour servir de gaine au fourreau de la verge. Ges lames s’articulent à une pièce 76 EL. DUFOUR. — SUR LES PUPIPARES. basilaire courte, pareillement cornée, et cette dernière se rattache à deux tiges tout-à-fait intérieures terminées en bouton et gar- nies, dans toute leur longueur, de muscles excessivement nombreux destinés à régler les mouvements du forceps et du fourreau. Ce dernier est droit, glabre, submembraneux, bordé de deux baguet- tes coriacées brunes. Il renferme un pénis que sa petitesse m'a empêché de constater. Par une compression expulsive exercée sur l'abdomen du Mé- lophage mâle j'ai pu mettre en évidence , à l’orifice par où sort le forceps copulateur, deux petits tentacules ciliés qui, dans le repos, servent d'opercule à cet orifice et le protègent contre les déjec- tions de l’anus. $ IT. Appareil génital femelle, — Je ne connais , ni parmi les Diptères, ni dans les autres ordres. aucun insecte où l'étude de cet appareil excite .un aussi piquant intérêt par sa forme, sa composition et sa structure. Indépendamment de ce qu'il pré- sente, dans les trois Pupipares dont j'ai fait l’autopsie, la plus admirable conformité, nous allons y trouver l’analogie Ja plus singulière avec ce. même appareil dans les animaux qui siègent au premier rang parmi les mieux organisés. Pour procéder avec ordre dans l'exposition d’un ensemble si complexe d'organes, nous examinerons successivement , en sui- vant le développement physiologique de l’intérieur à l'extérieur , les ovaires avec l’oviducte, la matrice avec le fœtus et la vulve, le produit de la parturition ou la pulpe, enfin la glande sébifique, et le réservoir du sperme. 1° Ovaires et oviducte. — En avant de tout l'appareil génital femelle, on trouve constamment deux corps ovoïdes ou ovalaires, lun à droite, l’autre à gauche ; ce sont les ovaires. Ces organes s’éloignent étrangement du type ordinaire. Au lieu de présenter, comme dans les Diptères en général, un plus où moins grand nombre de gaines ovigères uni ou pluriloculaires, ils ne forment chacun qu’une bourse simple, une capsule monosperme, blan- chätre. Ils offrent cette particularité, qui n'avait point échappé à Réaumur, que l’un est toujours plus petit et moins blanc que l’autre, Cette inégalité de grandeur tient à ce que leur féconda- L. DUFOUR. — SUR LES PUPIPARES. 77 tion, ou la maturation de l’ovule, n’ont pas lieu en même temps, et elle devenait une conséquence de l'énorme développement qu'un seul embryon est destiné à prendre dans la matrice pen- dant la gestation. Si deux embryons étaient descendus ensemble dans ce dernier organe, il eût été physiquement impossible qu'ils pussent arriver à terme. Les ovaires, arrondis à leur bout libre, atténués au côté op- posé en un col, débouchent par ces cols, du moins chez le Mélo- phage, dans un sinus commun central (nul ou presque nul dans l'Hippobosque) qui semble un rudiment de ce que j'ai appelé calice dans les autres insectes. À ce sinus succède un conduit que sa position et ses fonctions doivent faire appeler, au moins pro- visoirement, oviducte. Les ovaires ont des parois pellucides et renferment une pulpe homogène, d’un blanc amylacé dans celui dont le germe est en voie de développement, et presque trans- parent dans l’autre. Dans le but de constater l'existence d’un œuf dans l'ovaire, j'ai étudié avec l'attention la plus soutenue cet organe dans toutes les phases de son développement, depuis le moment où la gran- deur de l’un commence à prévaloir sur celle de l’autre, jusqu'à celui où, ayant acquis tout son volume, le produit de la concep- tion va s'engager dans l’oviducte pour gagner la matrice. Eh bien, je n’y ai jamais vu un œuf proprement dit; je n'y ai pas trouvé, comme dans les gaînes ovigères des autres insectes, ces œufs à forme bien déterminée qui, parvenus à terme et imbus d’une vie propre et végétative , s’énucléent de leur locule pour tomber dans le calice et de là passer dans l’oviducte pour être pondus. Dans les premiers temps de la fécondation, ou plutôt, peu de jours après l'éveil de la vésicule préexistante par l'ébranlement copulateur , il semble y avoir supersécrétion du fluide reproduc- teur, ou du moins ce fluide devient plus abondant et passe, de l’état limpide et diaphane, à un état plus compacte, plus blanc, plus albumineux peut-être, à un état de plus en plus vitalisé, Alors je ne sais y reconnaître, je le répète, qu'une pulpe homo- gène à éléments microscopiques, granuleux et similaires, une 78 L. DUFOUR. —— SUR LES PUPIPARES. pulpe donnant à l’eau où elle se délaie un aspect laiteux comme le fait l’amidon. Je n'ai su y découvrir aucune trace de mem- brane embryonnaire , de cette trame blastodermique signalée par M. Hérold dans les œufs des Insectes (1). Je ne conteste pas pour cela l'existence de cette membrane, que sa minceur, sa fragilité, dans un corps aussi petit, ont pu facilement dérober à mes re- cherches microscopiques; car, plus tard, lorsque l'ovaire a pris tout son accroissement, non seulement j'ai pu distinguer, à tra- vers la pellucidité de l'enveloppe ovarienne, l'existence intérieure d’une capsule embryonnaire, mais je suis plusieurs fois parvenu, par l'incision ou le déchirement de cette enveloppe, à procurer la hernie partielle de la vésicule incluse ; enfin j'ai pu isoler celle-ci dans son intégrité. Mes explorations répétées sur ce point anatomique m'ont mis à même de constater deux faits dont les conséquences ont une va- leur d'autant plus élevée que les progrès de la gestation utérine les confirment. Le premier de ces faits, c’est que le bout posté- rieur de cette capsule incluse, celui qui est destiné à s'engager le premier dans l'oviducte, offre déjà cet espace ovalaire trans- versal qui, plus tard, devient le siége des stigmates. Je ne con- nais pas d'œuf qui offre un semblable trait de structure. Le se- cond fait, c’est que cette capsule incluse, parvenue à sa maturité, ne se détache pas de l'ovaire pour tomber dans l’oviducte, comme le font les œufs ordinaires, et de là dans la matrice, Son bout antérieur entraîne, lors de son expulsion de l'ovaire, un cordon submembraneux, un cordon ombilical qui lie anatomiquement et physiologiquement cette capsule incluse, à l'ovaire et au corps de la mère : aussi, quand elle a franchi l’oviducte, loin de gagner à l'instant le fond ou, du moins, la partie postérieure de la matrice, elle demeure, dans les premiers temps de son incarcération uté- rine, suspendue à l’orifice antérieur de cet organe de gestation. Ce n’est que par les progrès ultérieurs de son développement qu’elle envahit et emplit complétement l'utérus. J'ai dit que l’oviducte transmettait à la matrice la vésicule (1) Recherches sur le dévelop. de l'œuf chez les Insectes, par M. Hérold (Ann. des Sc. nat., 2° série, tom. XIT, p. 176). L. DUFOUR. —— SUR LES PUPIPARES. 79 embryonnaire de l'ovaire. Ge sont là les fonctions des trompes de Fallope dans les grands animaux, et les entomotomistes qui ont appliqué ce nom aux gaines ovigères en ont mal compris les attributions physiologiques, Je répète done que les Pupipares, à quelque période de fécon- dation que ce soit, ne produisent pas un véritable œuf, Du moins la vésicule ovarienne prend dans l’ovaire même les traits ébau- chés de la pupe. J’ai donc cru prudent, en parlant du premier produit de la conception , de préférer le nom d’embryon. 2 Matrice, fœtus et vulve. — Dans mes anciennes recherches anatomiques sur l'Hippobosque , j'avais désigné, sous le nom de matrice, un organe auquel sa position , sa forme , ses connexions et ses fonctions donnent une remarquable et singulière ressem- blance avec l’utérus des Mammifères du premier rang, ainsi qu'on peut s’en convaincre par un coup d'œil jeté sur la figure fidèle que j'en donne. Il s’est écoulé vingt ans depuis cette publi- cation, et je crois devoir persister encore dans cette dénomina- tion, Comme dans les animaux les plus élevés dans la série, cette matrice est destinée à devenir le réceptacle du produit de la conception descendu de l'ovaire, à se prêter par une véritable gestation à son développement, jusqu'à ce que, parvenu à terme, elle mette en jeu sa texture contractile avec l’auxiliaire des parois abdominales pour l’expulser et le mettre au monde. Situé au milieu de la cavité de l'abdomen, cet organe, dans une gestation avancée , est blanc, ovalaire, rénitent, avec ses deux bouts arrondis. L’antérieur de ceux-ci confronte à l’oviducte, le postérieur s'ouvre sessilement à la vulve, Ses parois sont fibro- musculeuses, élastiques, et n’ont, avec l'enveloppe fœtale, que des rapports de simple contiguité, en sorte qu’en les déchirant, on voit à l'instant le corps inclus s'échapper au dehors. D’innom- brables et fines trachées rampent à sa surface et pénètrent son tissu. Ces vaisseaux de circulation aérienne sont surtout faciles à constater à la face inférieure de la matrice, lorsqu'on étudie celle- ci avant l’accouplement ou immédiatement après l'accouchement, Leurs troncs resplendissants sont en quelque sorte entassés jus- qu'à ce que, l'organe entrant dans l'exercice actif de ses fonctions, . 80 L. DUFOUR. — SUR LES PUPIPARES, leurs rameaux accompagnés de nerfs pénètrent le tissu par cette région et insinuent partout la sensibilité et la vie. Les mêmes raisons qui m'ont fait appeler embryon le produit de la conception ovarienne m'ont déterminé à donner le nom de fœtus au produit de la gestation utérine. Dans les premiers temps de celle-ci, le fœtus, comme je l’ai déjà dit, demeure suspendu à la partie antérieure de la cavité de la matrice par le cordon ombi- lical, au moyen duquel s'établit une communauté d’existence avec la mère, C’est encore là un point de ressemblance avec la vie fœtale des grands animaux , et de dissemblance avec les autres Insectes, chez lesquels le produit de la fécondation définitive a une vie isolée et végétative, Par le progrès de son développement, le fœtus finit par en- vahir toute la capacité de l’utérus, dont il distend énormément les parois, et auquel il imprime sa forme et ses dimensions. J'ai représenté, par des figures, les divers degrés de la gestation, el l'explication de celles-ci me dispense d’insister sur les détails, Lorsqu'il est arrivé au terme de cette existence greflée sur celle de sa mère, le fœtus acquiert une vie privée, individuelle, par la rupture, le décollement du cordon ombilical. Mais avant d’eflec- tuer son isolement, il a besoin d'acquérir, par un emprunt fait à sa mère, les conditions propres au maintien et au progrès de sa vie in- dépendante, La première de ces conditions, aprèsle principe vital, qui, chez lui, n’a pas cessé d’exister depuis l'éveil conceptionnel, c’est cette circulation exclusivement propre aux Insectes, ce sys- tème vasculaire aérifère qui va insuffler dans tous les éléments organiques le bénéfice physiologique de la respiration, la faculté nutritive : aussi, dès que le fœtus a rompu les liens de son asso- ciation à la vie maternelle, il offre déjà à l'extérieur plusieurs traits d’une organisation qui tend à se compliquer, par consé- quent à se perfectionner. On apercoit, de chaque côté de sa face inférieure ou ventrale, une longue trachée latérale simple, abou- chée aux stigmates postérieurs. Ges trachées sont vraisembla- blement l’ébauche, le linéament des grands canaux aérifères ou trachées-artères des insectes parfaits. Les stigmates en question confrontent à la vulve, orifice extérieur qui se prête à linhala- L. DUFOUR. — SUR LES PUPIPARES. 81 tion de l'air ; ils sont déjà entrés en fonction, car les trachées fon- damentales ou primitives ont cette teinte perlée qui est l'indice certain de la présence du fluide atmosphérique. Ges trachées s’anastomosent ensemble, en arrière, par une branche traver- sière , destinée à équilibrer la circulation aérienne ou à prévenir son embarras. Elles commencent aussi à émettre en cet endroit une branche latérale, C’est là l’enfance, l’ébauche de l'arbre cir- culatoire. La région supérieure ou dorsale du fœtus (c'est de celui du Mélophage que je parle) présente à la simple loupe deux séries parallèles et symétriques de petits points déprimés plus clairs et comme ombiliqués. Ces points sont au nombre de sept à chaque série. Comme ils s’observent plus prononcés dans le produit de la parturition ou la pupe, j'en reparlerai alors. On reconnaît au bout antérieur de ce fœtus à terme, les restes, les lambeaux frangés du cordon ombilical. Son bout postérieur offre, dans un espace ovalaire transversal, deux plaques coriacées fauves, arrondies, mais tronquées au côté interne, où elles sont séparées par un trait médian d’une extrême finesse, Au côté externe de ces plaques (qui sont destinées a un rôle fort curieux), on découvre un fort petit point qui, sous la lentille amplifiante . est entouré d’un cerceau calleux. Ce sont là les stigmates posté- rieurs dont j'ai déjà parlé, les seuls orifices respiratoires du fœtus à terme, A quelque âge de la vie intra-utérine que j'aie porté le scalpel attentif sur le fœtus, même lorsque celui-ci, affranchi de ses liens maternels, vit de sa propre vie, mes explorations les plus minutieuses pour saisir, au milieu de la pulpe vitale de ce sac sans ouverture, une ébauche d'organes, une trame préparatoire de tissu, un linéament de membres, n’ont eu qu'un résultat né- gatif. Ici, comme dans l'embryon de l'ovaire, je n’ai su voir qu'une bouillie blanche , granuleuse , homogène, que des maté- riaux organiques non encore mis en œuvre. Rien, absolument rien , ne m'a donné l’idée d’une larve. Il me reste à dire quelque chose sur l’orifice extérieur de l’ap- pareil génital femelle. Dans l'immense généralité des Diptères, les 3° série, Zoov. T, HE. (Février 1845.) 6 82 L. DUFOUR. SUR LES PUPIPARES. femelles ont au bout de l'abdomen un oviscapte, c’est-à-dire un conduit plus ou moins compliqué, destiné à introduire , au mo- ment de la ponte , les œufs dans des milieux de consistance varia-- ble. Les pupipares n’ont pas des œufs à pondre ; leur matrice , comme je l’ai déjà dit, est sessile sur la wulve , et quand le fœtus est à ferme, l’insecte s’en débarrasse par un véritable accouche- ment, Il existe à la paroi inférieure ou ventrale de l’abdomen, avant son bout postérieur , une ouverture à deux valves cornéo-coria- cées. destinées à se prêter à un écartement prodigieux pour l’ex- pulsion de la pupe. Gette ouverture n’est pas, à proprement par- ler, une vulve. L'une des valves, plus petite que l’autre , est pos- térieure, c’est-à-dire plus rapprochée du bout de l'abdomen, hérissée et bordée de poils courts et roides. L'’antérieure est voü- lée ou en coquille, garnie de poils plus longs. L’excavation cir- conscrite par ces deux panneaux forme comme un vestibulé, où s'ouvrent et l’anus et la vulve. Cette dernière correspond à la valve voûtée ou antérieure, qui , au besoin, lui sert d’opereule , et l'anus à la postérieure, , D'après cette disposition la vulve est tout-à-fait inférieure et d’un accès difficile : aussi, dans l’accouplement du Mélophage , dont j'ai été témoin, le mâle, plus petit, se tient cramponné sur le dos de la femelle, dont il embrasse étroitement l'abdomen. En même temps, il recule le bout de son ventre jusqu’au-delà de ce- lui de la femelle, en le courbant d’arrière en avant, pour intro- duire le forceps copulateur dans la vulve. Get acte se passe de la part des deux sexes avec une gravité et même une froideur peu ordinaires. Nul mouvement vif, nulle agitation, nul frémissement. 3° Produit de la parturition , ou Pupe. — C’est Latreille qui a consacré ce dernier nom, que j'accepte, quoique dans les Pupi- pares il ne soit pas à l'abri de quelque contestation. A sa nais- sance ce corps oviforme, comme l’appelait De Géer, est d’un blanc d'ivoire à l’exception de deux taches noirâtres placées au bout postérieur ; mais après quelques heures il prend une teinte rousse, puis il passe au noir d’ébène uniforme ou au brun. Parvenu à sa couleur définitive, ses parois ont perdu leur souplesse, deviennent L. DUFOUR. — SUR LES PUPIPARES, 83 dures et presque cassantes. Son volume a aussi sensiblement di- minué, Ce berceau de la nymphe a été si exactement décrit et figuré dans l’Hippobosque par l’inimitable Réaumur (1), qu'il y aurait exubérance pour la science d'en reproduire les traits en détail. Je me bornerai donc, pour type de comparaison, à en exposer un court signalement. Cette pupe, à sa maturité, est un sphéroïde légèrement déprimé , toutefois convexe en dessus, en dessous et sur les côtés, d’un beau noir, glabre, lisse , à peine subtilement chagriné à une bonne loupe, un peu atténué en arrière, où se voit une échancrure, entre deux éminences obtuses, arrondi en avant, où l'œil armé reconnaît une fine suture transversale , an- nulaire, indice d’une calotte destinée à se désouder lors de l’é- closion du diptère, et une suture longitudinale demi-circulaire qui partage en deux parties égales cette calotte, et que Réaumur n’a point signalée. Entre les deux éminences de l’échancrure posté- rieure , la loupe découvre un petit stigmate orbiculaire mentionné par Réaumur et inapercu par De Géer. Le bout antérieur offre une légère saillie médiane subcanaliculée, que n’avaient point vue les auteurs précités, et qui était le point d’attache du cordon om- bilical. La pupe de l’Ornithomyie, deux ou trois fois plus petite que celle de l’Hippobosque , est noire, plus lisse , plus luisante et de la même conformation générale, mais sans échancrure en arrière. Son bout postérieur, un peu plus petit que l’autre, offre, en y re- gardant de très près, une empreinte linéaire circulaire et deux très légères éminences séparées par une dépression en gouttière, où je n'ai pas pu découvrir le stigmate que l’analogie permet d'y sup- poser. On apercoit au bout antérieur un vestige des deux sutures signalées dans l'Hippobosque, Tous les auteurs, à ma connaissance, gardent le silence le plus absolu sur la pupe du Mélophage, même Lyonet, qui a illustré cet insecte, Cette lacune de la science m'a semblé d’autant plus essentielle à combler que cette pupe diffère beaucoup de celle des (1) Tom. VI, Mém. 14. 8 L. DUFOUR. — SUR LES PUPIPARES. autres Pupipares et offre des traits de structure faits pour piquer la curiosité. Elle a de six à sept millimètres de longueur. Au lieu d'être noire, elle est d’un marron clair, luisant ; mais il faut, pour mettre cette couleur en évidence, la nettoyer des ordures qui l'incrustent ordinairement. Plus sensiblement déprimée que les pupes de l’Hippobosque et de l’'Ornithomyie, elle estovale, avec ses deux bouts, surtout l’antérieur , tronqués, ce qui la fait paraître presque carrée. Elle présente antérieurement une petite saillie médiane, souvent imperceptible, où une forte loupe découvre une ligne canaliculée. C'était là que, dans l'existence intra-utérine, se fixait le cordon ombilical dont j'ai constaté les laciniures , même plusieurs jours après l'accouchement, Ici, comme dans les précé- dentes espèces, l’éclosion de l’insecte parfait a lieu par la dessou- dure d’une calotte du bout antérieur ; mais la suture de celle-ci est imperceptible à l'extérieur. Quant au bout postérieur , il mérite d’arrêter notre sérieuse attention. Malgré sa consistance coriacée, on y distingue encore , pendant les premiers jours de sa naissance, les deux plaques fon- cées et les deux petits stigmates propres du fœtus; mais plus tard ces orifices respiratoires s’oblitèrent, et les plaques disparaissent, pour être remplacées par de larges ouvertures béantes. Tächons d'expliquer ces changements , qui ont une portée physiologique plus considérable qu'il ne le semble d’abord. Nous allons voir combien la création est prévoyante et ingénieuse. Rappelons-nous que, pendant son incubation utérine, le fœtus est encore tout pulpeux intérieurement. Les granules de la pulpe, en se vitalisant incessamment, obéissent à cette loi d’affinité orga- nique que j'ai signalée ailleurs (1), loi qui préside à la fabrication, si jose le dire, des tissus. Lorsque les trachées commencent à s’improviser, le fœtus sent déjà le besoin de la respiration , cette fonction fondamentale de l'organisme des Insectes. Les deux pe- tits stigmates dont j'ai parlé entrent en exercice en puisant l'air par la vulve maternelle. Toutes les conditions de l’acte respiratoire sont donc admirablement établies. Mais, à cette période de l’orga- (1) Etudes anat. et physiol. sur la Sarcophage ; Mémoire en voie de publica- tion dans ceux de l'Acad, des Sciences. L. DUFOUR. — SUR LES LUPIPARES, 85 nogénie , la somme de respiration est encore minime , et les deux pores inspiratoires peuvent sufire, Plus tard, lorsque la pupe a pris sa couleur et sa consistance définitives, lorsque la nymphe, dans son berceau et dans sa tunique hyaline , revêt la forme em- maillottée de l’insecte parfait, lorsque dix-huit stigmates viennent éclore sur ses téguments et deviennent les aboutissants d'autant de troncs trachéens dont les mille rameaux animent cet organisme en construction , alors les exigences de la respiration circulatoire ne sauraient être satisfaites avec les deux ostioles microscopiques qui suffisaient au fœtus. Les langes de la nymphe deviendraient inévitablement son linceul, si la sollicitude conservatrice n’avait pas tout disposé de longue main pour prévenir cette asphyxie mor- telle. Ces plaques en léger relief dont j'ai parlé ne sont pas de simples taches, un vain ornement ; elles avaient une destination physiologique incomprise jusqu’à ce jour. Elles sont, en définitive, des panneaux incrustés . des volets enchäâssés comme un verre de montre, et aussitôt après la création du grand système de circula- tion aérienne , après l’oblitération des petits stigmates, il leur est ordonné de quitter leur rainure, de tomber , pour laisser ouvertes ces fenêtres qui donnent un libre et large accès à l’air atmosphé- rique dans la coque de la nymphe, pour le service des dix-huit bouches respiratoires. Voilà un de ces faits, une de ces observa- tions qui jettent un grand charme dans l'étude bien entendue de l’entomologie. La région dorsale de la pupe du Mélophage présente les deux séries longitudinales de sept points ombiliqués que j'ai déjà fait connaître dans le fœtus; mais ces points sont bien plus prononcés et unis entre eux par une sorte de gouttière. Ils sont constants et, je le répète , symétriquement rangés. Que sont ces points, à quoi servent-ils? Leur forme apparente, leur nombre égal à celui des stigmates abdominaux de l'insecte parfait. pouvaient leur faire supposer un rôle dans la respiration ; mais indépendamment de ce qu'il y aurait eu de très insolite dans ce fait, je me suis positi- vement assuré et qu'il n'existait à ces points aucun orifice , aucun ostiole, et qu’à la face interne correspondante de la coque on ne saurait saisir la trace d'aucune trachée dirigée vers eux. Ils ne 86 L. DUFOUR. — SUR LES PUPIPARES. sont donc pas et ne seront pas des stigmates. Ces dépressions or- biculaires semblent produites par une traction intérieure exercée .sur des parois qui, malgré leur solidité actuelle, ont de la min- ceur et ont eu dans le fœtus de la souplesse. Elles rappellent par- faitement celles qu’on observe sur l’abdomen de beaucoup d’arai- gnées glabres, et que j'ai reconnues être les points d'attache de muscles intérieurs. Les points ombiliqués de la pupe du Mé- lophage semblent avoir des attributions analogues. Je n’assure point que ce soient précisément des muscles qui s’y fixaient lors de la création de la nymphe; mais en étudiant tout récemment des pupes sèches, je n’ai pas été peu surpris, en regardant à contre-jour leur paroi ventrale , d’y découvrir deux semblables séries de points plus clairs correspondants aux dorsaux et invisi- bles à l'extérieur , lorsque la coque demeure entière. Je suis très porté à croire que c’étaient là des points d’attache de muscles. Observons que les pupes de l’Hippobosque et de l'Ornitho- myie, soumises aux mêmes explorations, n’offrent aucune trace de l'existence de ces points. Cela tient-il à la dureté, à l'épaisseur, à l’opacité de leurs parois? Cependant ils sont déjà bien aperce- vables dans le fœtus à terme du Mélophage, lorsqu'aucune partie solide n’est encore créée, et ils n'existent pas au même âge du fœtus des autres Pupipares, quoique tout aussi blanes et à parois aussi souples que dans le Mélophage. Ainsi, mystère! La création de la nymphe s’accompagne-t-elle de circonstances ou de moyens différents dans les Pupipares ailés et dans les Pupipares aptères ? Encore mystère! En résumant ce qui vient d’être exposé sur l'appareil génital femelle des Pupipares au point de vue de l’embryogénie, on voit que ces insectes sont dans une condition exceptionnelle dont, jusqu'à ce jour, on avait mal étudié les éléments, Ainsi ils ne comptent ni dans les Ovipares, ni dans les Vivipares, ni dans les Gemmipares, les trois modes de généralion qui se partagent l'ensemble de la Zoologie, Suivant l’acception accréditée, lexis- tence d’une pupe suppose la précédence d’une larve, car c’est la peau de celle-ci qui se durcit et se brunit pour former une ! L. DUFOUR. -— SUR LES PUPIPARES, 87 coque dans laquelle doit se développer la nymphe. Or, des dissec- tions multipliées à l'infini ont prouvé qu’à aucune époque de la vie intra ou extra-utérine on ne rencontrait ni larve ni œuf. La pupe existe donc @ conceptu ; et ce fait, que personne n’avait ex- primé, constitue la singulière anomalie de la génération des Pupi- pares. Latreille avait done été mal inspiré, il avait mal inter- prété la nature lorsque, dans son admirable Genera, il dit dans le signalement des Pupipares : Larva in matris abdomine nu- trienda.… Pupa larve cute indurata.obtecta (tom. IV, pag. 362). Réaumur, en parlant du développement de la nymphe dans la pupe, le compare avec assez de raison à celui du poulet dans l'œuf, J'ai oublié de dire, et je tiens à réparer cette omission, que, dès le lendemain de l'accouchement, j'ai pu démêler, au milieu du chaos pulpeux de la pupe, des esquisses de création nymphale. J'ai reconnu d'abord plus de consistance dans la pulpe, puis une bourre ou espèce de trame fibrilleuse vague où se groupaient les granules pulpeux, en vertu de cette loi d’affinité organique ou vitale dont j'ai parlé; ensuite apparaît l'enveloppe pellucide ou lamnios, enfin les ébauches de mieux en mieux dessinées des membres et du tronc, des noyaux d'organes, etc. Il est encore un fait assez curieux qui confirme l'exercice actif de la circulation aérienne dans la pupe à terme : c’est que celle-ci surnage dans l’eau, tandis qu'avant cet âge le fœtus tombe au fond du vase. Je m'empare de cette dernière circonstance pour venir à l'appui du maintien de la vie embryonnaire et fœtale, au moyen de la communication avec la mère par le cordon ombilical. Enfin je terminerai ces considérations par une observation d’une application assez générale. L'éclosion du Mélophage se fait par un mécanisme curieux, commun, je crois, à beaucoup de Di- ptères, mais que l’on a peu étudié ou mal compris. Le bout anté- rieur de la pupe se dessoude, ai-je dit, à la suture signalée ; mais cette dessoudure n’a pas lieu au moyen d’un ressort spontané, Le front de linsecte naissant se gonfle et forme une boursou- flure remarquable qui semble produite par de l'air. C'est cet emphysème qui, tout en protégeant l'enveloppe d’un cerveau 88 L. DUFOUR. — SUR LES PUPIPARES. délicat et tendre, pousse, par une volonté d’instinct, contre le bout de la pupe, pour en dessouder progressivement la calotte. La région de l'anus offre aussi une boursouflure dont l’effort pro- pulsif se combine avec celle du front, en fournissant un point d’ap- pui que son élasticité sert merveilleusement. Cette tumeur frontale emphysémateuse , que j'ai observée chez beaucoup de Diptères récemment éclos, se conserve quelquefois assez longtemps après la naissance. Si alors on pique l’insecte pour la collection, il n’est pas rare que la tumeur ne rentre pas et qu'elle se dessèche en formant un relief prononcé. Alors elle peut en imposer pour un trait spécifique de structure, et Fabri- cius à commis cette erreur. À la naissance du Mélophage, lesucoir, reployé sous le corps jusqu'à la base de l'abdomen et libre, sert à l'animal, à cause de sa texture cornée, pour prendre un point d'appui et hisser le corps hors du redée h° Glande sébifique et réservoir du sperme. — Dans mon ÆAnatonie générale des Diptères, récemment mise au jour (1), j'ai témoigné de mes incertitudes, de mes doutes sur les at- tributions fonctionnelles de ces organes, que provisoirement J'avais désignés sous le nom collectif d'appareil sébifique, et que M, Loew appelle appendices de l'oviducte (2). Depuis cette publication, mon scalpel n’a pas cessé de poursuivre, dans divers ordres d'insectes , l'étude’ de cet ensemble d'organes. Quoique tous mes scrupules ne soient point encore levés, j'ai néanmoins puisé, dans mes innombrables vivisections des Pupipares, des con- victions anatomiques et physiologiques applicables à cette eu- rieuse famille de Diptères , et qui jettent une assez vive lumière sur la solution générale de la question. Deux organes, différents de forme, de structure et d'insertion, s’observent à la paroi dorsale ou supérieure de l’oviducte des Pupipares, Ils sont binaires ou pairs, c’est-à-dire qu'ils se répè- tent avec les mêmes traits à droite et à gauche de ce dernier canal. L'un est sécréteur et constitue une véritable glande que j'ai appelée sélifique dans tous mes écrits, et que je continuerai à (1) Ann. des Sc. nat., 3° série. Avril 1844. 2) Germars Zeitschr. fur die entom., 1841 L. DUFOUR. — SUR LES PUPIPARES, 89 désigner ainsi : ce sont les vaisseaux du mucus de Von Siebold ; l'autre, situé un peu en avant du premier , est essentiellement conservateur : c’est le réservoir du sperme, le receptaculum seminis de ce dernier auteur. Exposons-les séparément et en détail. A. Glande sébifique. — Dans les trois Pupipares soumis à mon scalpel, elle se présente, pour chaque côté, sous la forme d’un arbuscule à tronc simple, assez long, à cime fort rameuse, dont les rameaux , déjetés en arrière et agglomérés en une sorte de houppe , sont enchevêtrés dans un lacis de granules adipeux, de trachéoles et de vaisseaux hépatiques, ce qui, avec leur finesse et leur fragilité, en rend le déroulement complet presque impossible. L'insertion des troncs a lieu près de l’origine de l’oviducte, un peu en arrière de celle du réservoir. Ces troncs, dans le Mélo- phage, s’atténuent brusquement , avant leur insertion, en une sorte de col; mais les cols, quoique rapprochés, ne m'ont pas semblé confluents en un conduit commun. Dans l’Hippobosque, au contraire, cette atténuation ne s’observe point, et j'ai très distinctement constaté l'union des deux troncs en un col unique fort court. Une figure représente cette disposition. La petitesse des parties m’aura seule, je le pense, empêché de mettre en évidence cette réunion dans le Mélophage; mais la loi de l’ana- logie, quelque sobre que l’on soit dans son invocation , autorise à la supposer, La structure intime de cette glande devenait indispensable à bien connaitre, pour nous mettre sur la voie de ses attributions physiologiques ; et c’est principalement dans l’Hippobosque que je l'ai étudiée et dessinée : je ne doute pas que cette structure ne soit aussi le partage de cet organe dans le Mélophage. Le microscope découvre dans les troncs des arbuscules, ainsi que dans les premières divisions de ces troncs : 1° une funique externe contractile, subdiaphane, plus ou moins plissée en travers, et festonnée sur ses bords ; 2° un axe tubuleux d'une teinte plus foncée , remarquable par de très fines stries transversales paral- lèles. Ces stries, soumises à une lentille plus puissante, m'ont produit l'effet de cerceaux annulaires , et le tube que ceux-ci con- stituent n'offre pas sur ses bords la moindre trace de festons. Tout 90 L. DUFOUR. — SUR LES PUPIPARES,. me porte à croire que sa texture est élastique. Ses parois ne m'ont jamais paru affaissées l’une sur l’autre, et le demi-cerele supérieur n’est pas couché immédiatement sur le demi-cerele inférieur. Au même grossissement, le premier est plus marqué, plus saillant que le second, ce qui prouve qu’ils sont séparés l’un de l’autre par un intervalle vide. Un examen superficiel pour- rait faire penser que ces stries ont une disposition spiroïdale , comme le filet constitutif des trachées ; mais, dans aucune cir- constance , on ne voit ces tubes se dévider, comme les vaisseaux aérifères, ni émettre des rameaux : voilà pour ce qui regarde le tronc de l’arbuscule sécréteur. Les rameaux et les ramuscules de cette glande ont une texture fort différente de celle des troncs ; leur tunique externe, loin d’être festonnée, est unie, et quand ils sont remplis de la matière sécrétée, on croirait qu'ils ne forment que des sachets d'une pulpe homo- gène blanchâtre. Il m'est souvent arrivé, pendant la dissection, de rompre ces rameaux, de manière que la rupture circulaire n’in- téressait que la tunique externe plus fragile. Alors la pulpe se ré- pandait, et laissait à découvert un filet tubuleux formant l'axe du rameau , et encore fixé aux deux fragments , ainsi que je l’ai re- présenté. Avant l'extrémité des rameaux, lorsque la pulpe est évacuée, on s'assure que ce filet se termine par un bout fermé , ou borgne, comme on dit. Ge tube inclus ou axal diffère de celui du tronc, en ce que les mêmes verres amplifiants n’y décèlent au- cune trace des stries qui caractérisent ce dernier ; il a, du reste , l'apparence élastique , et ses bords sont parfaitement parallèles, Je le demande à tout physiologiste un peu initié aux merveilles des organismes à petites dimensions, quel organe , mieux que celui dont je viens d'exposer la forme et la structure, présente toutes les conditions propres à un organe sécréteur , à une glande proprement dite? Ces rameaux, ces ramuscules, plongés dans la cavité splanchnique, ne puisent-ils pas directement dans celle- ei, par absorption ou inhalation, les éléments de la sécrétion? Ces éléments s'élaborent , se perfectionnent, par l’action concomit- tante, et des parois membraneuses qu'anime un réseau nervo- trachéen , et.de leur séjour plus ou moins prolongé dans ces L. DUFOUR. — SUR LES PUPIPARES. 91 boyaux flottants auxquels le principe vital imprime , et des oscil- lations incessantes , et ces combinaisons de chimie animale qui complètent l’humeur sécrétée. Celle-ci s’insinue sans doute, se ‘filtre dans les axes tubuleux dont elle suit les embranchements , et débouche enfin dans les troncs ou leurs divisions, qui sont, à n’en pas douter, les véritables canaut excréleurs. Pour sa progression dans ceux-ci , elle recoit l’impulsion , ou simultanée ou successive, des cerceaux élastiques et des contractions de la tunique externe, jusqu'à ce qu’elle vienne s’épancher ou s’éjaculer dans l’oviducte par le col commun des troncs. A quoi sert ici l'humeur sécrétée par cet organe si élégamment compliqué ? Dans les Insectes ovipares , les œufs qui s'engagent dans l’oviducte recoivent , en passant sous l'embouchure du canal excréteur de la glande, une ablution sébacée qui est censée les prémunir contre les influences nuisibles des milieux où ils sont pondus. Mais dans les Pupipares qui ne pondent des œufs ni au dedans (1) ni au dehors, l'humeur de cette glande ne saurait avoir cette destination. Est-ce que l'embryon qui descend de l'ovaire dans la matrice pour subir dans celle-ci une gestation assez prolongée, et qui, en traversant l’oviducte, passe, qu'on me permette l'expression, sous la gouttière de la glande, aurait aussi besoin de l’onction sébacée soit comme fœtus dans l'utérus, soit comme pupe hors du corps de sa mère ? Quoique je me sente porté pour l’aflirmative , je ne dissimulerai pas toutefois que cette question suggère des réflexions qui ébranlent un peu mes croyances physiologiques sur ce point. Observez bien que ces boyaux sécréteurs, que ces canaux ex- créteurs à axe tubuleux, ne sont pas seulement l’apanage des glandes de l’oviducte ; on les retrouve uniques ou multiples , mais toujours avec une semblable structure, dans des glandes appar- tenant à d’autres appareils organiques. Ainsi, il y a bien des années que je les ai décrits et figurés dans les glandes salivaires , (1) Dans les Diptères vivipares ( Sarcophaga, Dexia, etc.), les ovaires ont des gaines ovigères avec de véritables œufs. Ces derniers, après avoir passé sous la glande sébifique, sont pondus dans l'intérieur du corps, dans des réservoirs par- ticuliers, où les larves éclosent, puis viennent au monde vivantes. 92 L. DUFOUR. — SUR LES PUPIPARES, les glandes des sécrétions excrémentitielles, etc. Cette confor- mité de structure, cette communauté d'organisation dans ces glandes, chez des Insectes de divers ordres , constituent un fait anatomique dont l'intérêt et l'importance seront vivement sentis par le physiologiste. Par sa position , comme par sa forme et sa texture, la glande sébifique des Pupipares est l’analogue de celle pareïllement ra- meuse de quelques Syrphides , notamment de l’Æristalis tenaæ , et d'organes qui, dans d’autres Diptères, remplissent les mêmes fonctions avec des formes très différentes. B. Réservoir du sperme. — J'ai déjà indiqué sa situation en avant de la glande sébifique, par conséquent plus près de lori- gine de l’oviducte. Dans le Mélophage , il consiste en deux bourses oblongues , très simples, obtuses à leur bout libre, réunies en arrière en un col commun, étroit et court, mais bien distinct. Elles se composent d’une tunique externe subdiaphane, musculo-membraneuse , fes- tonnée sur ses bords, et d’un axe tubuleux ou vaisseau inclus grisàtre, non strié en travers. Le réservoir séminal de l'Hippobosque diffère, génériquement, par Sa forme et même par sa structure intime, de celui du Pupi- pare précédent, quoiqu'il partage évidemment les mêmes fonc- tions. Loin d’être une bourse simple, c’est une double bourse ra- meuse, un filet tubuleux capillaire, blanchâtre, muni d’un petit nombre de branches simples, courtes et inégales. Une étude at- tentive m'a donné récemment (fin d'octobre 1844), la certitude que la tunique externe n’est point festonnée sur ses bords, comme celle du Mélophage, et qu'il n’existe dans son intérieur aucune trace d’axe tubuleux. Il est plus ou moins farci de granules qui n'ont aucune ressemblance avec la pulpe des boyaux sécréteurs. Ces granules, assez grands comparativement aux éléments de cette dernière; sont arrondis, sans être ni ronds ni surtout sphé- riques, parfois irrégulièrement ovalaires. Ils sont incohérents , c'est-à-dire sans connexions entre eux, ni par de la pulpe, ni par des trachées. Ces granules seraient-ils des spermatozoïdes ? Je ne suis pas éloigné de le croire. L. DUFOUR. — SUR LES PUPIPARES. 93 Le réservoir du sperme se retrouve dans la généralité des In- sectes, mais avec des formes diversifiées. Il aurait pour mission physiologique de devenir le réceptacle du sperme lors de la copu- lation, et de donner le baptême fécondateur aux œufs, qui, des ovaires , se rendent à l’oviducte pour être tout aussitôt pondus, Dans les Pupipares, ce serait l'embryon qui, en descendant de l'ovaire dans la matrice, recevrait ce baptême. EXPLICATION DES FIGURES (toutes fort grossies ). PLANCHE 2, Fig. 1. Suçoir du Mélophage. a, étui de la langue: b, langue : ce, bulbe charnu avec les muscles ; d,d, tiges cornées garnies de muscles, et faisant l'office d'os hyoïde. Fig. 2. Bout plus grossi du sucoir, avec les dentelures que j'ai cru y voir. Fig. 3. Segment vestigiaire de la base de la région ventrale de l'abdomen du Mélophage. Fig. #. Mélophage vu par sa région dorsale, pour mettre en évidence le nombre et la disposition des stigmates thoraciques et abdominaux. a, valves de la gaîne du suçoir: b,b, première paire de stigmates abdomi- naux détachée ; elle est invisible par la région dorsale , ainsi que la deuxième paire, ici en évidence. Fig. 5. Stigmate thoracique du Mélophage, pour mettre en évidence le péritrème, le diaphragme et quelques paillettes du fond. Fig. 6. Ce même stigmate dont le diaphragme est réduit à un liseré, et dont les paillettes, dans l’occlusion de l'organe, se croisent et déterminent un trait li- néaire à l'orifice. Fig. 7. Ce même stigmate plus à découvert, modérément contracté, ayant une ouverture centrale ronde. e Fig. 8. Stigmate thoracique de l'Hippobosque, détaché, à diaphragme pubescent, à orifice linéaire bilabié. Fig. 9. Fragment de ce stigmate avec le péritrème, le diaphragme, ses poils et ses points ronds. Fig. 10. Autre fragment où le diaphragme desséché est lacéré. Fig. 44. Portion du péritrème de ce stigmate, avec ses paillettes courtes. Fig. 12, Appareil sensitif de l'Hippobosque. a, Cerveau ayec ses hémisphères étalés, devenus sphéroïdaux; b,b, nerfs optiques, avec leurs renflements globuleux ; c,e, rétines avec le pigmentum : d,d, nerfs antennaires et bucéaux: e, moelle allongée et cordon rachidien : 94 L. DUFOUR. — SUR LES PUPIPARES.- f, deux paires de nerfs rachidiens; g, ganglion rachidien ; h, nerfs cruraux antérieurs ; à, nerfs cruraux intermédiaires ; j,j, nerfs cruraux postérieurs ; k,k, nerfs alaires — (ces quatre paires de nerfs appartiennent au plan supérieur, et président au mouvement) —},1,1,1, nerfs cruraux (?) du plan inférieur, présidant au sentiment ; m,m,m, nerfs des muscles du thorax; n,n, nerfs digestifs ; 0, nerfs génitaux ; p, portion du canal digestif dont l'œsophage s'engage dans le collier œæsophagien: Fig. 13. Tête et appareil digestif du Mélophage. a, tête placée horizontalement, pour mettre en évidence les excavations an-- tennaires, les yeux vestigiaires, le suçoir avec les valves de sa gaine, l'occiput glabre; b, œsophage; c, renflement de l'origine du ventricule chylifique; d, circonvolutions de celui-ci: e,e, vaisseaux hépatiques; f, godet intestinal ; g, rectum avec ses quatre boutons charnus , h, bout de l'abdomen ; i,i, glandes salivaires. Fig. 4%. Boutons charnus du rectum du Mélophage, mis à nu pour voir le fais- ceau trachéen qui les pénètre, leur forme papillaire, et les piquants qui les hérissent. Fig. 45. Un de ces boutons charnus ou muscle papilliforme de l'Hippobosque ; il est glabre. Fig. 16. Glande salivaire détachée du Mélophage. , a, globule sécréteur ; b, col efférent ; c, réservoir lenticulaire ; d, canaux ex- créteurs ; e, souche commune de ceux-ci. Fig. 17. Fragment de ces canaux, avec la tunique externe contractile et l'axe tubuleux. Fig. 48. Glande salivaire de l'Hippobosque. a,a, boyaux sécréteurs ; b,b, cols efférents ; c.c, réservoirs ovoïdes ; d, ca- naux excréteurs ; e, origine du ventricule chylifique. Fig. 19. Glande salivaire de l'Ornithomyie. a, boyau sécréteur : b, col efférent : c réservoir lenticulaire : d, canal ex- créteur. Fig. 20. (Voyez PI. 3.) Fig 21. Portion de l'appareil génital mâle de l'Ornithomyie. a,a, testicules ; b,b, conduits déférents + c,e, vésicules séminales: d, canal éjaculateur ; e,e, culs-de-sac vestigiaires. Fig. 22. Bout postérieur de l'abdomen du Mélophage vu en dessous, pour mettre en évidence, en a, l'anus ; b, la sortie de l'armure copulatrice ; e,e, tentacules qui flanquent l'orifice par où sort la verge. PLANCHE 9. Fig. 20. Appareil génital mâle du Mélophage. a,a, testicules ; b, conduits déférents ; e, vésicules séminales ; d, canal éja- EL. DUFOUR, -— SUR LES PUPIPARES, 95 culateur, bulbeux à son origine : e, armure copulatrice formée des deux lames droites du forceps; ff, tiges cornées de la pièce basilaire, avec les muscles : g, fourreau de la verge. Fig 23. Appareil génital femelle du Mélophage. a,æ, ovaires inégaux ; b, sinus commun, sorte de calice; c, oviducte; d, ma- trice ; e,e, arbuscules de la glande sébifique ; f, réservoir du sperme; g, bout de l'abdomen ; 2, portion du canal digestif ; à, rectum affaissé, avec les boutons charnus tres saillants. Fig. 24. Portion du tronc excréteur de la glande sébifique atténué en col. Fig. 25. Réservoir du sperme, détaché pour voir sa structure. Fig. 26. Embryon détaché. Fig. 27. Fœtus presque à terme. a, cordon ombilical ; b, plaques et stigmates. Fig. 28. Bout postérieur détaché de ce fœtus, pour faire voir les deux plaques et les deux petits stigmates. Fig. 29. Le même fœtus vu par sa face ventrale, lors de l'improvisation des tra- chées. a, cordon ombilical ; b, trachées latérales fondamentales. Fig. 30. Pupe du Mélophage vue par sa face dorsale, pour mettre en évidence les deux séries de points ombiliqués. Fig. 41. Matrice vide et plissée. Fig. 32. Matrice avec un fœtus non encore descendu. Fig. 33. Matrice avec un fœtus plus développé. Fig. 34. Bout inférieur de l'abdomen du Mélophage femelle, pour faire voir les deux valves du vestibule de la vulve et de l'anus. Fig. 35. Appareil génital femelle de l'Hippobosque. a,a, ovaires ; b,b, arbuscules de la glande sébifique; c,c, canaux excréteurs : d, oviducte; e,e, réservoirs du sperme ; /, origine de la matrice. Fig. 36. Portion considérablement grossie de la glande sébifique de l'Hippo- bosque. a,a, canaux excréleurs , avec leur tunique externe et l'axe tubuleux ; b, axe tubuleux à nu, pour voir les cerceaux annulaires ; e, col commun des canaux excréteurs; d, branche de l’arbuscule secréteur ; e,e, axes tubuleux d'un ra- muscule. Fig 37. Réservoirs du sperme. — Les deux réservoirs rameux. Fig. 38. Portion d'un rameau de ces réservoirs avec ses granules. 96 PRÉVOST ET LEBERT. — SUR LA FORMATION NOTE COMPLÉMENTAIRE DU TROISIÈME MÉMOIRE SUR LE DÉVELOPPEMENT DES ORGANES DE LA CIRCULATION ET DU SANG DANS L'EMBRYON DU POULET (1); Par MM. PRÉVOST et LEBERT, Docteurs en médecine. Le point dont nous nous occuperons principalement dans cette note est la formation du ventricule droit à une époque bien antérieure à celle qu'ont, en général, fixée les auteurs pour sa première apparition, et à celle que nous-mêmes avions déterminée dans nos précédentes observations. Nous avons ajouté quelques dessins , dans lesquels nous avons indiqué les parties veineuses du cœur en couleur bleue, et les artérielles en rouge. Pour mieux nous rendre compte des mouvements qui s’opèrent dans la forme du cœur pendant les premières phases de son évo- lution , nous nous sommes servis d’une méthode à la fois simple et explicative, et que nous recommandons à l'attention des natu- ralistes. Nous avons moulé le cœur aux différentes heures les plus importantes de sa formation, en nous servant tout simplement de deux de ces bougies flexibles en cire, l’une rouge, l’autre bleue, qu'on appelle des rats de cave, et auxquelles on peut facilement donner les formes voulues, et qui en même temps représentent fort bien les rapports qui existent dans ces divers moments entre la partie artérielle et la veineuse du cœur. Le cœur se voit d’abord comme un vaisseau allongé et légère- ment recourbé à la partie moyenne de la région thoracique du Poulet, La partie inférieure se montre la première renflée en une cavité aplatie, et dont le diamètre transversal est le plus considérable. Un peu plus tard, la partie inférieure de cet organe , tirée par les vaisseaux de la cicatricule, remonte en arrière et en haut; nous supposons le Poulet placé dans le côté gauche. La partie moyenne du cœur fait alors saillie en DES ORGANES DE LA CIRCULATION. 97 avant et à gauche, étant de plus en plus gêné dans son déve- loppement longitudinal ; après s'être courbé, il tend à se tordre. Un peu avant ce moment, entre la trente-sixième et la qua- rantième heure de l’incubation , s’apercoit déjà, d’après nos ob- servations toutes récentes, la partition du cœur en deux; et, comme l'indique la première figure de la planche jointe à cette note, on voit le cœur ventriculaire surtout divisé en deux ; nos observations à ce sujet sont moins précises pour les auricules , vu qu’elles continuent à présenter leur face postérieure en avant, et qu'elles ne se sont pas encore retournées. Mais le ventricule droit et veineux (fig. 1, a) se trouve soudé avec le ventricule gauche (fig. 1, b), à peu près comme deux boyaux réunis à leurs deux extrémités auriculaires et artérielles ; on y voit déjà même une légère tendance à la torsion , ce qui augmente encore la ressem- blance avec deux intestins soudés. Le cœur continue à se tordre en forme de spirale ; sa masse prend alors la forme du chiffre 8, dont on a beaucoup parlé depuis Malpighi. Comme on voit dans la fig. 2, les auricules présentent encore en bas leur face posté- rieure , en avant elles ne se sont pas encore relevées en se détor- dant , la partition du cœur est maintenant bien déterminée. Dans la fig. 2, on voit en a,a le cœur veineux, et ses rapports avec, b,b, le cœur artériel et les artères pulmonaires et aortes, c,d. La fig. 3 n’est que schématique, pour mieux faire voir le mécanisme par lequel les auricules se sont détordues et placées plus haut ; les artères e,d ont aussi pris la situation qu’elles garderont ; le col des auricules va se raccourcir, et les ventricules se dilater, De soixante-douze à cent heures (fig. 4 et 5), les parties moyennes des canaux, qui, jusqu'à présent, ont constitué le cœur, se sont considérablement dilatées; le ventricule droit s’est placé en avant , et occupe la partie supérieure et antérieure du cœur ; tandis que le gauche, placé en arrière, dépasse le droit en bas en formant à lui seul la pointe, comme du reste cela a lieu déjà à une période bien antérieure. La gorge des auricules a rem- placé leurs canaux auriculo-ventriculaires, et cette gorge est appli- quée à la paroi supérieure des ventricules. Dans nos figures , la quatrième représente le cœur vu par sa 3e série. Zooc. T. II. (Février 1845.) 7 98 PRÉVOST ET LEBERT. — SUR LA FORMATION, ETC. face antérieure ; la cinquième est la même figure retournée, pour montrer la position relative des ventricules en arrière. À cent heures, et un peu plus tard , nous voyons, dans les deux fig. 6et 7, le cœur tout formé, la pointe bien développée ; le rap- port entre les oreillettes et les ventricules est tel qu'il doit rester ; dans l’intérieur du cœur, la dissection fait découvrir les valvules. On à parlé beaucoup du battement du bulbe de l'aorte, et l’on a pris pour le bulbe dans le cœur bien développé l'espace entre les artères pulmonaires et aortes (fig. 8, e). En voyant se dilater les artères, on voit toujours le sang à la périphérie c’,d’, et non dans la boule (fig. 8, e). Ce point est important à noter, parce qu'il peut donner lieu à des erreurs (1). (1) Nous profitons de cette occasion pour dire deux mots sur quelques obsér- yations sur l'embryologie des Batraciens, publiées par M. le docteur C. Vogt, dans les Annales des Sciences naturelles, juillet 1844, p. 45-51. Les opinions d'un observateur aussi distingué que M. Vogt, pour le talent duquel nous professons une très haute estime, sont trop importantes pour ne pas nécessiter une discussion sérieuse et approfondie : aussi nous proposons-nous de le faire dans un de nos futurs Mémoires sur la circulation, dans lequel nous rendrons en même temps compte de quelques observations récentes sur l'organo- génie des Batraciens. Mais comme la publication de ces observations pourrait encore éprouver quelque retard, qu'il nous suffise pour le moment d'émettre quelques unes des principales objections que nous aurons à opposer aux remarques de M. Vogt sur notre précé- dent Mémoire. 1. Nos observations de cette année, sur la corde dorsale, ont pleinement con- firmé cellés que nous avions publiées précédemment (Annales des Sciences natu- relles, avril 1844, p. 203-207), et, tant jeunes que nous ayons pris les tétards, nous n'avons pu y confirmer l'absence de toute structure cellulaire. Toutefois nous soumettrons ce point intéressant à de nouvelles investigations. 2. M. Schuliz, sur les opinions duquel nous reviendrons plus lard très en détail, a envisagé la première formation des globules du sang comme une trans- formation des globules du vitellus. Or le point important de notre théorie, ou plutôt de nos observations, est la distinction des globules du vitellus et des glo- bules organoplastiques : ce sont ces derniers que nous avons vu circuler et se transformer en globules sanguins, et jamais les globules du vitellus. Notre théorie n'est done pas la même que celle de M. Schultz. 3. Nous avons constamment yu les noyaux des globules sanguins dans l'em- bryon de la Grenouille, et dès leur première apparition; le printemps dernier surtout, nous avons pu sur ce sujet confirmer pleinement nos observations précé- E. ROBERT. SUR LES FOURMIS. 99 EXPLICATION DES FIGURES. PLANCHE À 4. Fig. 1. L'apparition du ventricule droit, de 36 à 48 heures. — a, le ventricule droit ; b, le ventricule gauche, Fig. 2. Le cœur, de #8 à 60 heures : mouvement de torsion. — a,a, le cœur droit ; b,b, le cœur gauche; c,c, artère pulmonaire ; d,d, aorte. Fig. 3. Figure systématique de la torsion du cœur. Fig. 4. Le cœur, de 72 à 100 heures. — a,a, cœur droit plus développé; b,b, cœur gauche; ce, artère pulmonaire; d, aorte. Fig. 5. La même figure retournée. Fig. 6. Le cœur après 100 heures, ayant pris à peu près la forme qu'il doit garder. Fig. 7. La même figure du cœur, vu par sa face postérieure. Fig. 8. Dessin qui doit représenter l'apparence du bulbe de l'aorte battant. — a,a, cœur droit; b,b, cœur gauche; c, artère pulmonaire: d, aorte; c',d', pé- riphérie de la bouche, qui a l'air de battre pendant la dilatation des artères ; e, interstices non remplis de sang, entre l'artère pulmonaire c'e, et l'aorte d’,d. OBSERVATIONS SUR LES RAPPORTS DES FOURMIS AVEC LES PUCERONS ; Par M. EUGÈNE ROBERT. L'intérêt que les mœurs des Fourmis ont inspiré de tout temps, les nombreux travaux qui ont été entrepris sur ce sujet, démon- trent suffisamment combien il doit être fertile en observations : aussi ai-je de la peine à résister au désir de soumettre aux ento- mologues celles que j'ai faites cet automne, concernant les rap- ports des Fourmis avec les Pucerons. Bien que ces rapports soient connus, peut-être trouvera-t-on quelques particularités échappées dentes, et nous ne doutons pas que M. Vogt ne les voie, lorsqu'il les aura exa- minées sur l'embryon de la Grenouille. 4. Quant aux calculs cubiques que M. Vogt oppose à nos mesures micrométri- ques, nous ne pouvons pas les regarder comme concluants, vu que nous man- quons de moyens sûrs et exacts pour mesurer l'épaisseur des globules qu'on voit au microscope ; or, un des diamètres étant impossible à déterminer, on ne peut pas arriver à des mesures métriques exactes. 100 E. ROBERT. — SUR LES FOURMIS. à Bonnet, à Hubert, à Latreille, etc. ; j'espère surtout rendre plus explicite la manière dont les Fourmis mettent à contribution les Pucerons. Ce n’est pas indifféremment que les Fourmis rousses des bois (Formica rufa vel fusca , L.) donnent la préférence à des chênes plutôt qu’à d’autres ; elles recherchent évidemment ceux qui sont le plus affectés du puceron. Mais comme l’instinct de la colonie ou le besoin de vivre en société est très prononcé chez ces insectes, ils ne fréquentent ordinairement qu'un nombre très limité d’ar- bres, qu'ils ont soin de choisir suffisamment gros, pour faciliter une large circulation le long du tronc, et pour subvenir à leur nourriture ; et, comme je l’ai déjà fait remarquer dans une pré- cédente communication sur les mœurs des Fourmis (1), la ligne qu'elles suivent sur le tronc de ces arbres est toujours tournée du côté de la fourmilière, quelles que soient d’ailleurs la distance à la- quelle elle s’en trouve et les sinuosités que les chemins sont obli- gés de faire ; ajoutons enfin que les fourmilières de moyenne gran- deur, et à plus forte raison les petites, n’ont qu’un seul chemin aboutissant à un seul arbre. Les Fourmis, après s'être disséminées dans l'arbre, à la re- cherche des Pucerons, s’en approchent avec une extrême délica- tesse ; on dirait qu’elles craignent de les écraser ou de les faire choir. Alors elles se mettent à les titiller avec leurs longues an- tennes, principalement dans leur partie postérieure ou anale ; si le Puceron est disposé à satisfaire la Fourmi, on le voit redresser sa partie postérieure, agiter latéralement sa dernière paire de pattes (dans le cas contraire, il ne fait aucun mouvement), et laisser échapper une petite gouttelette d’un suc incolore et transpa- rent, dont la Fourmi s'empare avec la plus grande avidité, au moyen de ses mandibules. Cependant les choses ne se passent pas toujours aussi facilement, et c’est en cela qu'on peut juger que la Fourmi, entre autres qualités, possède une grande pa- tience : souvent ses caresses ou ses manœuvres restent infruc- (1) Observations sur les Fourmis, présentées à l'Académie des Sciences, le 16 août 1841, et insérées dans les Annales des Sciences naturelles, 2 série, Zoologie, t. XVIII, p. 151. E. ROBERT, — SUR LES FOURMIS. 101 tueuses; mais elle ne se rebute pas: chaque fois qu’elle voit le Puceron imprimer à la partie postérieure de son corps un léger mouvement , elle se jette dessus tête-bêche, affectant, on ne peut mieux, dans cette singulière allure, celle que prennent volontiers les gros Chiens qui en tiennent de très petits entre leurs pattes, etguette la sortie du liquide, que le Puceron excité ou obsédé laisse enfin échapper; elle passe alors à un autre. F Bien que ces faits semblent établir une espèce de sociabilité entre les Fourmis et les Pucerons, je ne pense pas, cependant, qu'il y ait un accord parfait entre eux, sous le rapport de l’émis- sion de la liqueur sucrée; car j'ai obtenu moi-même un semblable résultat en excitant des Pucerons au moyen d’un corps excessi- vement délié. Quoi qu'il en soit, ces insectes ne paraissent pas être tous aptes à répondre aux désirs des Fourmis, la faculté qu'ils ont d'émettre une liqueur sucrée paraissant d'autant plus pro- noncée qu'ils sont plus jeunes, mais proportionnellement à leur taille: aussi des Fourmis expérimentées s’adressent-elles rarement aux gros Pucerons, et c’est en vain que j'ai cherché à provoquer chez ces derniers une émission quelconque. Malgré les déférences des Fourmis, et le plaisir qu’elles peuvent procurer aux Pucerons, ces malheureux Insectes paraissent tenus par elles en chartre pri- vée; ils ne peuvent, pour ainsi dire, ni reculer ni avancer, et en- core moins s'occuper de leur nourriture, et j'ai lieu de croire qu'ils n’ont le loisir d’y pourvoir que durant la nuit, époque à la- quelle les Fourmis rentrent chez elles. Une Fourmi titille quelquefois plusieurs Pucerons à la fois, et les surveille avec la plus grande attention. Si la Fourmi n'est pas préleuse, elle n’est pas du moins gourmande; car on voit fré- quemment des Fourmis qui se sont repues du suc des Pucerons, en dégorger entre les mandibules d’autres Fourmis, moins heu- reuses qu’elles, en se caressant réciproquement la tête de leurs antennes raccourcies; elles ne paraissent pas davantage être ja- louses de leur butin, car souvent aussi elles titillent au profit d’autres Fourmis , qui s'emparent du suc que les premières vien- nent de faire sortir, sans que, pour cela, il s'élève la moindre dis- corde. Enfin , les Fourmis se servent de leurs antennes, non seu- 102 KROHN. — SUR LE SAGITTA BIPUNCTATA. lement pour se reconnaître par l’attouchement, pour titiller les Pucerons, mais encore pour faciliter l'introduction entre leurs mandibules de la matière sucrée que les Pucerons leur aban- donnent. OBSERVATIONS ANATOMIQUES ET PHYSIOLOGIQUES SUR LE SAGITTA BIPUNCTATA ; Par M. A. KROHN (1) Le Sagitta bipunctata a été observé pour la première fois par MM. Quoy el Gaimard, dans le détroit de Gibraltar, au commencement de leur se- cond voyage autour du monde (2). Depuis cette époque, la faune de la mer Méditerranée a élé explorée et décrite un grand nombre de fois par des Naturalistes Allemands et Français; mais, à ma connaissance, aucun de ces observateurs n’a signalé de nouveau cet animal remarquable. Il est donc extraordinaire que, l'automne et l'hiver derniers, pendant mon séjour à Messine , il se rencontrât un nombre si considérable de ces animaux, que j'étais sûr, toutes les fois que la mer élait calme, d’en apèr- cevoir plusieurs poussés par les courants qui règnent dans ces parages. Cette circonstance favorable m'a permis d'examiner d’une manière assez approfondie cet animal, dont la structure est peu connue encore par les Zoologisles. L’esquisse rapide de la forme et des parties externes du Sagilta, donnée par MM. Quoy et Gaimard, a été faite d’après un jeune individu de quatre à cinq lignes de longueur. On comprend bien qu'à raison du petit vo- lume de cet individu, plusieurs de ses parties les plus importantes aient pu échapper aux observateurs, et que d’autres organes n'aient été saisis que d’une manière vague. Le corps du Sagitta est transparent comme le cristal, cylindrique, à peu près réguliérement fusiforme, se rétrécissan( à ses deux extrémités, mais particulièrement à l'extrémité postérieure. A l'extrémité antérieure (1) Anatomisch-physiologische Beobachtungen über die Sagitta bipunctata. In-4. Hamburg, 1844. (2) Annales des Sciences naturelles, 1"° série, t. X, p. 232.—Je puis aussi dire ici que je dois à l'obligeance de M. le professeur Eschricht de savoir que M. Scoresby a rencontré dans la zone arctique un animal qui a beaucoup d'analogie avec le S. bipunctata, et qu'il l'a représenté dans son ouvrage (Account of the arctic re- gions , &. IT, pl. xvi, fig. À et 2). Le lecteur apprendra avec plaisir que les re- cherches de M. Eschricht sur le Sagitta du Nord, faites en commun avec MM. Loven et Krôyer, vont être publiées incéssamment. mate mess KHROHN. — SUR LE SAGITTA BIPUNCTATA. 103 du corps, on observe une tête facilement reconnaissable. L'œil de l’obser- vateur est frappé ensuile par cinq appendices saillants, étendus horizon- talement et placés sur la moilié postérieure du corps, ces appendices ont : la forme de feuillets ou de nageoires, et donnent à l'animal, au premier coup d'œil, quelque ressemblance avec un poisson (1). Ces appendices re- posent sur le corps par une base élargie, et diminuent graduellement d'é- paisseur jusque vers leur bord, où ils sont très mous et flexibles. La plus postérieure de ces nageoires, celle qui embrasse l'extrémité postérieure du corps, est seule impaire ; les quatre autres sont disposées par paires, c’est-à-dire l'une vis-à-vis l’autre, sur chaque côté du corps. La nageoire pustérieure est triangulaire, semblable à la nageoire caudale d'un poisson, ou plutôt, à cause de sa position horizontale, comparable à la nageoire terminale d’un Cétacé. Chaque feuillet de la paire antérieure des na- geoires, placée à peu près au milieu du corps, a la forme d’un segment de cercle, tandis que les deux lames qui copsliluent la paire suivante, plus allongées et plus larges que les lames de la première paire, ressem- blent, jusqu’à un certain point, à un segment de rhombe. La tête est manifestement isolée du corps, el entourée d'une espèce de capuchon membraneux, que l'animal peut retirer en arrière et qu’il retire en effet, quand il saisit sa proie. La surface supérieure de la tête est placée au niveau du plan supérieur du corps; sa face inférieure, au contraire, est oblique de haut en bas et d'avant en arrière. Quand le ca- puchon est dans l’état d'expansion la plus complète et ramené sur la tête, cette dernière en est entièrement enveloppée, à l'exception de sa face in- férieure, au milieu de laquelle se voit la bouche, sous la forme d’une dé- pression allongée. Quand l'animal retire en arrière ce capuchon , la tête, et en particulier ses côtés, sont dégagés, et on y aperçoit les parties que je vais décrire : — En avant et de chaque côté existe une simple série de crochets cornés, disposée en ligne courbe, dirigée obliquement de haut en bas et d'avant en arrière (ce sont les palpes striés de MM. Quoy et Gai- mard) : ils servent à l'animal pour saisir et broyer sa proie. Leur nombre varie, suivant les individus , entre cinq et sept de chaque côté. Is diffé- rent entre eux pour la grosseur ; les crochets supérieurs ou antérieurs, étant le plus souvent plus courts que les inférieurs ou postérieurs, qui, à leur tour,sont plus courts que les trois ou cinq crochel(smoyens.1lssont {rés aplatis, mais offrent une courbure assez prononcée et une pointe aigué. La base par laquelle ils s’attachent sur la peau de la tête est garnie, à ses bords, d’une languette un peu large, mais se rétrécissant à mesure qu’elle s'élève. Si le capuchon recouvre la téte,et par conséquent les crochets, ces derniers, des deux côtés de la tête, se rapprochent et s'entre-touchent par leurs pointes, qui sont dirigées vers la bouche. Quand l'animal veut saisir sa proie, ces crochets, par unc rétraction simultanée du capuchon, se dirigent d'abord en haut, en s'éloignant les uns des autres, et enfin s’a- (1) C'est pour cette raison que les pêcheurs de Messine appellent cet animal Spadella, diminutif de Spada, Espadon. ‘ 104 KROHN. — SUR LE SAGITIA BIPUNCTATA. baissent vers l’objet dont l’animal veut s'emparer. Outre ces crochets, la tête porte deux éminences arrondies, situées sur son bord antérieur, et une simple série de très pelits aiguillons droits, aigus et cornés. On trouve encore uve série semblable d'aiguillons sur deux languettes situées sur deux éminences à la face inférieure de la tête. À peu près au milieu de la face supérieure de la tête, on remarque deux très petils points oculiformes, noiratres, déjà indiquées par MM. Quoy et Gaimard. Il est bon de remarquer ici que les ouvertures des canaux excréteurs des organes de la génération et anus existent sur la moilié postérieure du corps. L'animal est évidemment hermapbrodite, car il possède deux ovaires, un de chaque côté, et deux cavités ou cellules creusées dans la partie postérieure de l'abdomen, ou queue, et qui sont destinées à sécréter la liqueur séminale. Les deux ouvertures des conduits excréteurs des ovaires sont à la base de la paire de nageoires intermédiaires, sur la surface du corps, l’une vis-à-vis l’autre. Immédiatement au-devant de la racine de la nageoire impaire ou caudale existe, de chaque côté, une éminence arrondie el noirâtre, qui présente une ouverture en forme de fissure, dirigée obliquement de haut en bas (1). Chaque ouverture, comme nous le dirons plus loin avec détails, communique avec l’une des cavités séminales mentionnées plus haut. et sert à lexcrétion de la semence. L'anus est situé à peu près à la même hauteur que les ouvertures des canaux excréteurs des ovaires; mais il est placé sur la ligne moyenne ventrale du corps. La longueur des individus les plus développés est à peu près de deux pouces el demi; les plus petits que j'aie aperçus avaient environ deux lignes et demie de long; ils étaient, par conséquent, plus petits de moitié que ceux qui ont élé observés par MM Quoy et Gaimard. Hs ressemblaient néanmoins, à {ous autres égards, aux individus adultes. Cet animal nage 4vec une très grande vitesse, et justifie le nom qui lui a été donné par les Naturalistes Français. Quand on le touche après un repos prolongé, il se sauve subitement avec la rapidité d’une flèche. Pen- dant ces mouvements, les nageoires paraissent être tout-à-fait inactives. Du reste, d’après leur structure, ces parties ne sembient pas propres à la natation. Probablement ces organes facilitent la suspension de l’ani- mal dans l'eau, en augmentant l’élendue de la surface du corps. Je vais m'occuper maintenant de la structure intérieure du corps; je commencerai par celle des léguments et de la couche fibreuse sous-ja- cente; je passerai ensuite en revue l’organisalion des trois sections du corps, la tête, le tronc et la queue (2). L'étude du système nerveux, suivie de celle de Fœæil, achèvera ce que nous avons à dire sur cet animal. Tégquments. — Si l’on excepte la tête, la peau est partout, proportion (1) Ce sont ces deux parties, ces deux points noirâtres, mais non colorés ainsi chez tous les individus, qui ont fait donner à notre Sagittu son nom spécifique. (2) Tout le monde comprendra de suite que la division du corps en tronc et en queue est arbitraire, et qu'elle n'a d'autre avantage que d'être commode el claire. KROHN. — SUR LE SAGITTA BIPUNCOTATA. 105 gardée, coriace et épaisse; elle est en même temps lisse, el perd à peine de sa transparence; quand on la plonge dans l’esprit-de-vin, un épiderme pa- rait s’en détacher ; il est complétement homogène et n’offre pas de tissu élémentaire particulier. Sur des animaux qui sont restés pendant quelque temps dans l'alcool, on peut distinguer un grand nombre de taches iso- lées, blanches, opaques et nettement circonseriles, ce sont probablement des follicules muqueux , plus nombreux et plus pressés les uns contre les autres sur la partie antérieure du tronc. En examinant la face interne de la peau, on voit facilement, sous un grossissement médiocre, des dessins particuliers, dont je n’ai pu saisir la nature. On les distingue très nette- ment sur les faces latérales du tronc, là où, comme je le dirai bientôt, il n'existe point de couche musculaire sous-jacente. À un grossissement plus considérable, il semble que ces dessins traversent une foule de champs, dont le contour est dentelé en zigzag par un grand nombre de décou- pures , les dentelures d’un champ correspondant exactement à celles des champs voisins, de sorte qu'on ne peut y apercevoir de vide pulle part. Sur plusieurs points très peu élendus, on peut découvrir des cellules po- lygonales, souvent très régulières, el offrant un noyau central. Ni ces cel- lules ni ces noyaux ne forment une couche indépendante, et qui puisse être isolée de la peau. Nageoires. — Comme les nageoires, par leur partie basilaire, sont inti- mement confondues avec la peau, je ne sais où je pourrais mieux qu'ici placer la description de leur structure. Elles sont formées 1° d'une sub- slance fondamentale très translucide, ne se troublant nullement dans l'es- prit-de-vin, et n'offrant aucune trace de cellules ni de fibres; et 2° d’une enveloppe particulière, sur la structure élémentaire de laquelle le micros- cope peut fournir quelques renseignements. Déjà , à l'œil nu, on peut dis- tinguer des stries déliées en forme de rayons, dirigés de la base au bord des nageoires; mais c’est là une image bien grossière, comparée à celle que le microscope découvre, On apercoit une foule de faisceaux de fibres très allongées, flexueuses et déliées, marchant parallèlement les unes aux autres dans la direclion que je viens d'indiquer. Ces fibres, qui, dans leur trajet de la base au bord de la nageoire, deviennent de plus en plus grêles à mesure qu'elles avancent , adhèrent d'une manière tellement intime à la substance fondamentale, qu'on ne peut les en détacher par aucun moyen, ui par une forle compression, ni en faisant glisser lune sur l’autre deux plaques de verre, entre lesquelles on a préalablement saisi une nageoire, Je dois expressément affirmer ici que ces fibres ne ressem- blent en aucune manière aux fibres musculaires. Couche musculaire. — Les faisceaux des fibres musculaires, placées im- médiatement au-dessous de la peau, et qui servent à l'animal pour s’agiler et pour la locomotion , forment deux bandes qui s'étendent dans toute la longueur du corps, mais séparées entre elles par un intervalle considé- rable. Ces deux bandes sont placées vis-à-vis l'une de l’autre; lune sur la face dorsale, et l'autre sur la face ventrale de l'animal. Chacune d'elles, cependant, occupe une petite portion des deux faces latérales. De l’isole- 106 KROHN. — SUR LE SAGITTA BIPUNCTATA. ment de ces bandes résulte, de chaque côté, un intervalle considérable, où la peau n’est pas garnie d’une couche charnue, circonstance qu’il n’est pas facile d'apercevoir sur l'animal vivant, à cause de la transparence de tous les tissus dans leur état normal, mais qui frappe la vue après que les bandes musculaires ont été troublées par leur immersion dans l'alcool. La largeur de ces bandes musculaires diminue exactement dans la même proportion que le corps se rétrécit vers ses deux extrémités. Cela est éga- lement vrai pour les intervalles qu’elles laissent entre elles. Pour parler rigoureusement, chaque bande se résout en deux moiliés latérales, qui restent étroitement accolées Pune à lautre ; de sorte que le nombre des bandes musculaires proprement dites est de quatre. Elles sont composées uniquement de faisceaux de fibres longitudinales disposées en plusieurs couches superposées el striées en travers, comme les faisceaux musculaires primitifs des Insectes et des Crustacés. C’est pour celte raison que ces animaux ne peuvent effectuer de mouvements du corps autres que ceux de la flexion et de l'extension; toute diminution du volume du corps dans le sens de son diamétre transversal est impossible. D’après ce que nous avons dit touchant la direction des faisceaux musculaires, on peut comprendre que tous les mouvements de haut en bas ou de bas en haut seront accomplis par ces animaux avec plus d'énergie que les mou- vement(s latéraux. Les observations de MM. Quoy et Gaimard s'accordent parfaitement avec les nôtres; car ils ont vu le Sagitta, pendant qu'il na- geait, frapper l'eau avec sa queue, comme un Célacé. I. TETE. — Capuchon. — Le capuchon est formé par la duplicature des téguments de la tête; la lamelle interne paraît être plus délicate que l'ex- terne, Son insertion sur la tête suit le trajet d'une ligne qui, partant du milieu de la face supérieure de la tête, se dirige un peu derrière son bord antérieur. Cette ligne décrit de chaque côté une forte courbure, en contournant la base des crochets en dehors et en arrière, pour se rendre sur la face inférieure de la tête, derrière la bouche. Comme nous l'avons déjà dit, le capuchon ne couvre qu'une portion de la têle, laissant la face inférieure à peu près complétement à découvert; il en résulte que ses parties latérales doivent être plus larges que ses porlions supérieure el inférieure. Entre les deux feuillets qui le composent se voient des fais- ceaux de fibres ténues, très évidentes, qui marchent parallèlement au contour; ce sont probablement ces fibres qui servent à l'expansion de cette parlie, tandis qu'une simple action mécanique, le redressement des crochets, et le gonflement de la têle, qui en est la conséquence, rejette cel organe en arrière. Crochets. — Ils sont composés de fibres cornées , excessivement délices, el dirigées dans le sens de la longueur. Leur base est creuse et ren- ferme une substance qui devient blanche et trouble dans l'esprit de vin ; c’est probablement une espèce de bulbe destinée à régénérer le crochet, quand ce dernier est usé ou détruit. Appareil musculaire, — La masse principale de la têle est composée de KHROHN. — SUR LE SAGITTA BIPUNCTATA. 107 museles disposés symétriquement sur les deux côtés de la tête : parmi les muscles les plus volumineux sont ceux qui en forment la base, et, pour cette raison . ces masses, vues de profil. paraissent être tronquées obli- quement. En effet, chacune d'elles constitue la moitié correspondante de la tête. Quand elles entrent en action, en soulevant les crochets, elles forment deux éminences considérables qui avancent en dehors des deux saillies qui entourent la bouche. Elles se résolvent en faisceaux nom- breux, dont la direction est difficile à déméler. On sait cependant d'une manière positive que la plupart de ces faisceaux s’insérent à la base des crochets, et d’autres sur une plique mince el dure, dont je dois donner ici la description. Cette plaque existe de chaque côté, immédiatement sous la peau. Elle s'étend sur la surface des muscles dont il est question , d’a- bord entre les bases des crochets et les points d'insertion du capuchon , puis elle se courbe en suivant cette insertion jusque vers le bord antérieur de la tête, et plonge enfin, en s'amincissant , dans les éminences qui por- tent les pelits aiguillons mentionnés plus haut. Pour ce qui regarde les autres paires de muscles, j'avoue que je n'ai pu les suivre d’une manière salisfaisante. Leur pelitesse a mis en défaut toute ma patience, et dans le cas où je pourrais indiquer l'origine et Pin sertion de quelques unes, il me serait toujours impossible d'expliquer leur action. Pharynx. — Le pharynx est un conduit court, silué au milieu de la tête, et seulement un pen plus large que le renflement stomacal. Laté- ralement , il est limité par les deux muscles des crochets, et comme il parait aussi, par des parois pourvues de fibres musculaires très proron- cées, et qui se croisent les unes et les autres IT. Troc. — La cavité du tronc est remplie, pendant la vie, d’une sub- stance molle, en apparence muqueuse, translucide, coagulable, et rendue floconneuse par l'addition de l'alcool; elle ne renferme d’autres organes que le Renflement stomacal et les Ovaires; elle est isolée, aussi bien de la tête que de la queue, par des cloisons transversales. Le Renflement stomacal est un canal assez considérable qui règne dans toute la longueur de la cavité du tronc: il est un peu comprimé latérale- ment, mais sa largeur est partout la même. Aprés être arrivé à la der- nière cloison transversale, il y décrit une petite courbe , en se dirigeant vers l'anus, et, pendant ce court trajet, devient infundibuliforme. Il est difficile de reconnaitre la structure de ses paroïs, et ce que je vais avancer ne doit pas être regardé comme démontré. Ces parois paraissent être composées de trois couches La plus externe est formée de fibres annu- laires excessivement fines, serrées les unes contre les autres, et facilement reconnaissables sous un fort grossissement. Je n'ai pu distinguer de fibres longitudinales que dans deux endroits limités, c’est-à-dire seulement sur la ligne moyenne des parois. Elles forment, en effet, sur la ligne moyenne supérieure, aussi bien que sur la ligne inférieure, deux cordonsisolés l'un de l'autre dans toute l'étendue du renflement stomacal, et se placent à l’ex- 108 KROHN. — SUR LE SAGITTA BIPUNCTATA, térieur des fibres annulaires. La couche moyenne est formée d’espaces celluleux polygonaux, au-dessous ou au-dessus desquels on aperçoit une foule de corps arrondis, produits par la réunion de cellules bien plus petites et nullement polygonales. Ce sont, apparemment, des glan- dules qui, peut-être, sont destinées à sécréter le liquide nécessaire à lac- complissement de la digestion. La couche interne est un épithélium ho- mogène, garni de cils longs et fins, et vivement vibratiles. Supérieure- ment, le renflement stomacal est attaché par un ligament simple, assez résistant, et qui règne dans toute sa longueur, à la paroi supérieure de la cavité du tronc; inférieurement, on aperçoit des cordons fibreux, nom- breux et grèles, le plus souvent ramifiés, attachés à la paroi opposée de Ja cavité du tronc, et qui se fixent au renflement stomacal, de l'autrecôté du ligament supérieur. J'ai souvent pris ces derniers pour des vaisseaux. A ce propos, et puisque je n’y dois plus revenir, je dirai que je n’ai ja- mais pu distinguer le moindre vestige d'un système vasculaire. L'obser- vation des individus les plus jeunes, sous un grossissement convenable, ne m'a fourni aucune donnée à cet égard, pas plus que la dissection des individus plus volumineux; mais je ne veux pas, par là, affirmer qu'il y ail absence complète de système vasculaire. On trouve, le plus souvent, le renflement stomacal dans un état de va- cuité apparente; je ne l'ai vu rempli de matières nutritives solides, telles que des fragments de petits Poissons et de Crustacés, que dans un petit nombre de cas. Quand plusieurs de ces animaux étaient gardés dans le même vase, j'ai rarement remarqué qu'ils se fussent entre-dévorés ou qu'ils fussent en train de le faire. Les Ovaires ont été reconnus comme tels déjà par MM. Quoy et Gai- mard. Chaque ovaire est ure poche terminée en cœcum antérieurement, et fixée par un ligament grêle à la paroi inférieure de la cavité du tronc; elle s'étend en droite ligne d'avant en arrière, parallèlement au bord cor- respondant de la bande musculaire inférieure, et enfin forme une anse en s'élevant vers la face dorsale &e l'animal. Là, elle s'ouvre au dehors, entre la bande musculaire supérieure et la base de la dernière nageoire. J'ai cru apercevoir dans les parois de la poche ovarienne, sous un fort grossissement, des fibres fines, qui, là où se trouvent les germes des œufs (stroma), semblaient former deux couches entre-croisées. Le stroma, qu'on peut reconnaitre dans toute la longueur de chaque poche ovarienne, n'existe que dans la moitié de cet organe, en rapport avec le ligament. La longueur et la largeur des ovaires, très variables selon l'âge des in- dividus, sont en rapport direct, comme on peut le concevoir facilement, avec le nombre et le développement des œufs qui y sont renfermés. Chez des individus de deux lignes et demie de longueur, on n'en voit que de faibles rudiments; les ovules sont alors d'une petilesse extrême. Ces ovaires augmentent de plus en plus en longueur et en largeur jusqu’à l’âge adulte, c’est-à-dire jusqu'au moment de l'accouplement, époque où on les voit faire saillie au-dessus de la première paire de nageoires (1). (1) Cependant il y a des exceptions à cette règle : les ovaires sont quelquefois KROHN. — SUR LE SAGITTA BIPUNCTATA. 109 Tous les œufs, les plus petits comme les plus gros, présentent une vési- cule germinative; mais on ne peut y distinguer une tache germinative circonscrite. La vésicule se montre d’un volume relatif très considérable sur les ovules les plus jeunes; elle grossit d’abord un peu à mesure que le vitellus diminue; mais elle reste enfin stationnaire, rapports qui existent chez tous les animaux connus. Quand on examine des ovaires très développés, on trouve que les ovules les plus jeunes sont appendus au stroma par un pédicule court, tandis que les ovules plus avancés et déjà entourés d’un chorion bien visible ne sont pas pourvus de ce pé- dicule. HIT, Queue. — Cellules séminales. — La cavité de la queue est divisée dans toute sa longueur par une cloison verticale attachée à la cloison transversale, qui limite postérieurement la cavité du tronc. el elle se trouve, de la sorte, partagée en deux cellules parfaitement indépendantes l'une de l’autre. C’est dans ces cellules, comme nous l'avons déjà dit, que la semence s'élabore. Le Sagitta n'offre donc pas de glande séminale or- ganisée à la manière d’un testicule. L'appareil destiné à contenir et à conduire la semence müre est extré- mement singulier. On sait déjà que chaque cellule s'ouvre au dehors, au- devant de la nageoire caudale, par une ouverture qui a son siége sur une éminence arrondie. Cette éminence est excavée et communique avec un canal creusé dans l'épaisseur de la peau de la queue , et qui se rend définitivement dans la cellule du côté correspondant. En effet, si l'on ouvre chaque cellule inférieurement, par une coupe longitudinale, et qu'on examine à l'intérieur la paroi supérieure mise à nu, après avoir enlevé avec le plus grand soin toute la matière visqueuse incluse, on voit clairement, en s’aidant d'un grossissement de dix à douze diamètres, qu'à une petite distance de chaque éminence il existe une ouverture ar- rondie et à bords renflés. Cette ouverture conduit dans le canal men- tionné, qui s’étend en arrière en longeant le bord de la bande musculaire supérieure, et en décrivant une légère courbure. D'abord un peu plus large, il se rétrécit graduellement de plus en plus, et s'ouvre dans la ca- vité de l’éminence. Cette cavité est, proportion gardée, considérable, et paraît, par celte raison, servir à rassembler et à conserver la semence, avant qu'elle sorte définitivement. Les parois internes des deux canaux excréteurs et les ouvertures à bords renflés en bourrelet sont revêlues d’une membrane fine, garnie de cils longs, très nombreux, serrés les uns contre les autres, et vivement vibratiles. Sperme. — La semence mûre est d’un blanc de craie, liquide, mais épaisse, el formée uniquement de spermatozoïdes On la trouve assez sou- moins développés chez de grands individus que chez d'autres plus petits. Je me rappelle en particulier un individu dont la longueur n'était que les trois quarts de celle d'un adulte normal , et chez lequel la fécondation eut lieu néanmoins dans l'intérieur des ovaires, qui étaient très développés. 110 KROHN. SUR LE SAGITTA BIPUNCTATA. vent sur l’ouverture externe des cellules séminales, sous la forme de flo - cons ou de gouttelettes. Quand on regarde une de ces gouttelettes au mi- croscope, on apercoil de suite le phénomène connu sous le nom de mou- vement de totalité de la masse séminale. Les spermatozoïdes sont capilli- formes, très allongés, rétrécis évidemment vers leurs deux extrémités, où ils sont pointus ; ils se meuvent par des ondulations, à la manière des Serpents. Les résultats de mes recherches sur le développement de ces corps sont assez restreints : cependant je pense qu'ils s'accordent généralement avec ceux de M. le docteur Koelliker, relativement à certaines Annélides, et en particulier, au Branchiobdella parasita, où Pontobdella spinosa (voy. son Mémoire intitulé : Beiträge zur Keuhtniss der Geschlechtsverhälimisse und der Samen flüssigkeit wirbellosen Thiere, p. 18 et 24). Chez tous les in- dividus, excepté ceux chez lesquels l'époque de la fécondation est proche, et même chez ceux qui n’ont que deux lignes et demie de long, on aperçoit dans le liquide séminal limpide des corps résultant de l’agglo- méralion d’un gränd nombre de vésicules ou de cellules petites et sphé- riques; ce sont les corps connus sous le nom d’amas de cellules (Zellenhau- fen), ou sous le nom plus nouveau encore de globules séminauæ (Samen- kugeln) ; c'est dans ces amas que les spermatozoïdes se développent plus tard. Leur grosseur est variable chez les différents individus, et ils sont d'autant plus nombreux qu'ils sont plus jeunes. Chez le plus grand nom- bre d'animaux, au-dessous ou peu au-dessus de la taille moyenne, on ne trouve que ces amas de cellules; quand l'animal prend plus de croissance, leur nombre diminue visiblement , par leur transformation en spermato- zoides. Enfin les cellules séminales des individus adultes ne renferment, peu de temps avant la fécondation, que ces spermatozoïles. Les cellules qui composent les globules séminaux sont toutes de la même grosseur, n’adhèrernt ensemble par aucun moyen d'union apparent, etrenferment des granules nombreux el petits, rarement un noyau volumineux, qui devient de suite manifeste par l’addilion de l'acide acétique étendu; on rend aussi visibles, par ce moyen, les parois des cellules qui les renferment. Les spermatozoïdes , qui, comme je l’ai déjà dit, deviennent plus nombreux à mesure que l'animal se développe , se montrent sous des formes très va- riées. Tantôt ce sont des corps fendus par leur milieu en deux prolonge- ments ou queues plus ou moins longues, dirigées dans le même sens, se rétrécissant de plus en plus, terminées en pointe et formant entre elles un angle plus ou moins ouvert; Lantôt ces queues s'étendent en ligne droite; d'autres fois encore il s’y ajoute une troisième queue, qui se dirige laté- ralement à partir de la partie moyenne, ete. . Il résulte d’un examen at- tentif qu'on peut attribuer ces formes diverses aux différences que pré- sente chacune des phases successives du développement : ainsi l’on voit sur un globule séminal se développer un grand nombre de très petites queues, qu’on pourrail comparer à des aiguillons; ces prolongements, premiers rudiments du spermatozoïde, offrent déjà, à leur base, un indice d'organisation à son début, qui se propage de plus en plus, devient géné- SUR LE SAGITTA BIPUNOPATA, 111 rale,el s’avance dans la même proportion que le volume du spermatozoïde augmente, Pendant ces métamorphoses , les cellules primordiales se mo- dilienl profondément : elles deviennent plus petites, perdent leur contenu granuleux, et, à une certaine époque, ne paraissent que comme de sim- ples appendices, des fibrilles: ce sont les spermatozoïdes en voie de for mation. Les masses formées principalement par des spermatozoïdes à l'état de maturité sont facilement reconnaissables à leur couleur blanche in- tense, tandis que les masses de spermatozoïdes moins déveioppés peuvent se distinguer par leur aspect d'un blanc plus faible. Probablement les spermatozoïdes se désagrègent à l'époque de leur maturité; devenus libres alors, ils passent Gans les canaux excréteurs , et, poussés par les courants que déterminent les mouvements des cils vibratiles, ils parvien- nent enfin dans les éminences creuses. Je dois parler ici d'un phénomène très remarquable, qui a lieu dans l'intérieur des cellules séminales. Ce sont des mouvements lents, très ma- nifestes, des globules séminaux et des masses de spermatozoïdes, mouye- ments qui se font dans une étendue plus ou moins considérable, qui ont souvent lieu par une sorte de rotation, et qui simulent une véritable cir- culation. En effet, dans ce dernier cas, un ou plusieurs de ces corps sa- yancent le long d'une des parois de la cellule séminale, puis passent à la paroi opposée de celte même cellule, longe cette paroi en sens inverse du premier, et ainsi de suite. (Cette circulation est bien plus vive et plus gé- nérale dans les individus moins développés.) Ailleurs, ces corps se dépla- cent fort peu, tantôt atlirés et tantôt repoussés par les parois. Souvent même, le plus grand nombre de ces corps reste immobile , jusqu’à ce que, à un moment donné, chacun commence à se mouvoir, comme si son tour était venu. Ordinairement ces mouvements ne s'étendent pas au-delà de la partie postérieure des cellules séminales. La cause de ce phénomène réside dans l'existence de cils vibratiles {rès déliés el en même temps trés clair-semés sur la paroi postérieure de ces cellules, et qui, par leur mou- vement, déterminent des courants dans le liquide séminal qu'ils ren- contrent. Les globules séminaux se meuvent aussi de la même manière dans la vésicule testiculaire de la Sangsue, c'est-à-dire en décrivant un cercle continuel le long des parois de cette vésicule. M. le professeur Henle en a fait la remarque, il y a plusieurs années (Voyez ses observalions sur le Branchiobdella, dans les Archives de Müller pour 1835, p. 586), et récem- ment, en parlant du même phénomène dans son bel ouvrage sur les tissus des animaux (Allegem. Anatom., p.211), il affirme que la cause n’en est pas bien connue. Mais, suivant toute probabilité, cette rotation est éga- lement déterminée par des cils vibratiles. La maturation de la semence marche, chez chaque individu, parallé- lement à celle des œufs, ce qu'on peut présumer d’après ce qui vient d'être dit sur ces deux produits. Sur un jeune animal ou sur un animal adulte, les produits des organes générateurs mâles et femelles sont tou- jours à une période également avancée de leur développement. Il en ré- KROHN. 112 KROHN. — SUR LE SAGITTA BIPUNCTATA. sulte qu’à une époque déterminée, les œufs et la semence ont acquis une maturité simultanée, et que la liqueur fécondante doit être introduite dans la poche ovarienne. En effet, on trouve certainsindividus chez lesquels la fécondation est déjà opérée. Leurs ovaires, remplis d’un grand nombre d'œufs très volumineux, qui s'étendent de deux à trois lignes au-dessous de la première paire de nageoires, contiennent, à côté des œufs, une quan- tité assez considérable de semence, dont les spermatozoïdes présentent des mouvements d’une extrême vivacité, comme le font, du resle, ceux des autres animaux, dans la saison du rut. Reste encore la question de savoir si les Sagitta se fécondent mutuelle- ment , ou si chacun d’eux se suffit à lui-même. A cet égard, je dois ac- corder un grand poids à un phénomène constant qui frappe les yeux quand on examine les individus dont nous parlons. En effet, chez eux, les cellules séminales sont constamment vides, sans traces de spermatozoïdes, qui s’y trouvaient si nombreux auparavant, ou bien l'on n’en trouve qu’un très pelit nombre, presque tous dans leur élat de maturité. D'après cela , il n’est guère douteux que la semence introduite dans les cavités ovariennes ne soit la leur, et que, par conséquent, le Sagilta ne se féconde lui-même. Mais par quel moyen le sperme peut-il passer des ouvertures mâles dans les ouvertures femelles, franchir un si grand intervalle? Il est difficile de le dire ; je ne puis qu'offrir des présomptions à cet égard. Sil'on suppose que c’est l’eau qui sert de véhicule, on n’est guère plus avancé, car il faut expliquer comment la semence est conduite dans l'ovaire. Ad- meltra-t-on qu’elle est poussée par des courants déterminés par les mou- vements de cils vibratiles, qui existeraient, soit-vers l'entrée desovaires, soit à l'embouchure de leurs conduits excréteurs? Mais jamais je n'ai pu apercevoir nulle part ces cils vibratiles sur l'appareil génital femelle. Il est donc assez probable que le transport de la semence se fait par le rap- prochement alternatif des ouvertures mâles et femelles; et cela peut avoir lieu au moyen de la queue reployée sous le corps. SYSTÈME NERVEUX. — Ganglion céphalique. — Le ganglion principal de la tête, ou le ganglion céphalique proprement dit, est situé au milieu de la face supérieure de la tête, el à une pelite distance de son bord anté- rieur, immédiatement au-dessous de la peau et au-dessus du pharynx. IL est assez aplati, à peu près hexagonal , et, chez les individus adultes, il a un quart de millimètre environ d’élendue. Il envoie deux paires de nerfs, une antérieure, une postérieure , et communique avec le ganglion du tronc ou ventral, par deux commissures œsophagiennes fortes et al- longées. Chacun des nerfs céphaliques antérieurs se détache du bord antérieur du ganglion, reste d’abord à peu près parallèle à son congénère, se dirige ensuite vers l’'éminence garnie d'aiguillons déjà souvent mentionnée, pé- nètre dans les faisceaux de quelques muscles, et se perd enfin dans le musele des crochets du côté correspondant, après s'être renflé en une KROHN. — SUR LE SAGITTA BIPUNCTATA. 113 sorte de ganglion, dans le voisinage de ce muscle. De ce renflement rayon- nent plusieurs filaments qui se divisent dans le muscle. Les deux nerfs céphaliques postérieurs, qui prennent naissance du bord postérieur du ganglion, se comportent d’une manière toute particulière. Ils sont plus volumineux et plus allongés que les antérieurs, restent, dans tout leur trajet, immédiatement au-dessous de la peau de la surface su- périeure de la tête, et s'étendent jusqu'aux limites du tronc. Ils divergent fortement dès leur origine, et se recourbent enfin en cercle vers la ligne moyenne de la tête, où ils s’anastomosent en formant une sorte d'arcade nerveuse. À peu de distance de leur origine , chacun de ces pelits troncs fournit un nerf oplique dont il sera question plus bas Ganglion ventral. — Ce ganglion est situé au milieu de la face ventrale du tronc et comme le précédent, immédiatement sous la peau; il faut le chercher entre la tête et la première paire de nageoires, maïs plus près de cette dernière. Il est ovoïde, allongé, assez bombé, et a , sur des indi- vidus adultes, à peu prés un millimètre et demi de longueur. On y dis- tingue une substance médullaire ou noyau d’un blanc intense, et une couche corticale d’un blanc plus faible. Cette dernière couche est com- posée d'une foule de globules ganglionnaires. Ce nerf fournit quatre bran- ches principales qui longent, dans leur trajet, la face ventrale de l'animal. De ces branches. deux sont antérieures; ce sont les commissures pharyn giennes; les deux autres sont postérieures. Outre ces rameaux, ce gan- glion fournit un grand nombre de filaments nerveux, qui s’en détachent de tous les côtés. , Les deux commissures pharyngiennes sortent de l'extrémité antérieure du ganglion , d'abord en divergeant; mais bientôt elles marchent en ligne droile et parallèlement jusqu'à la tête. Elles s’attachent fortement à la peau, sont très aplaties dans tout leur trajet, et deviennent de plus en plus étroites à mesure qu'elles s’approchent de la lête. Quand elles y sont ar- rivées, chacune d’elles suit l'insertion latérale et supérieure du capuchon céphalique, en rampant immédiatement sous la peau ; elles forment de Ja sorte une belle arcade, et, après être devenues très fines, se réunissent au ganglion céphalique. Les deux branches fournies par la partie postérieure du ganglion ven- tral sont plus fortes, mais plus courtes que les commissures pharyn- giennes, car elles ne dépassent guère la première paire de nageoires; elles se détachent aussi du ganglion, en divergeant, mais marchent bientôt parallèlement en arrière. A leur extrémité postérieure, elles fournissent une foule de ramifications qui restent d’abord les unes à côlé des autres, mais présentent, plus tard, plus de divergence et forment comme unesorte de queue de cheval. Des bords externes de toutes les branches du ganglion ventral se dé- tache une foule de nerfs ; ces ramifications, comme celles qui proviennent immédiatement du ganglion ventral, se recourbent toutes en montant vers la face dorsale de l'animal , et. pendant leur traje{ se divisent de plus 3° série Zoo T. IE (Février 1845 ) 8 Ath KROHN. — SUR LE SAGITTA BIPUNCTATA. en plus, et fournissent, en s’accolant et en s’anastomosant, un réseau ner- veux fin et très compliqué sous la peau du tronc. Yeux. — Nous avons déjà dit que les nerfs optiques proviennent des nerfs céphaliques postérieurs. Chaque nerf optique prend son origine au bord externe de la branche qui le fournit, puis se renfle en un ganglion arrondi, sur lequel l’œil est comme enchâssé. Le ganglion et l'œil sont placés dans une cavité particulière fermée, pratiquée dans la peau de la tôle. L'œil est bien plus petit que son ganglion; il est sphérique et enve- loppé d'un pigment de couleur foncée. Quand on examine cet œil sous le microscope, on voit dans un endroit une éminence sphérique, transpa- rente comme le verre, et sorlant de l'enveloppe pigmentaire; c’est peut- être la cornée ou le cristallin. A la circonférence de l'œil, on aperçoit de courtes fibrilles en très grand nombre; selon toute probabilité, ce sont des faisceaux de fibres nerveuses fines, qui naissent du ganglion, et qui semblent pénétrer à travers l'enveloppe pigmentaire dans la cavité de l'œil. Coxci.usions. — Après avoir passé en revue la structure du Sagitta, nous arrivons enfin à la question de savoir quelle place il doit occuper dans la série animale. MM. Quoy el Gaimard, qui, les premiers, ont vu cet animal, nous laissent dans le doute à cel égard, et ils avouent n'avoir pas assez ap- profondi sa structure pour pouvoir se prononcer. Mais actuellement même que l'organisation du Sagitta est mieux connue , il est difficile, sans faire beaucoup de réserves, de le ranger d'une manière sûre, dans aucune des catégories de nos systèmes actuels. Il est bien certain que le Sagitta n’est point un Mollusque; car, bien que son système nerveux paraisse organisé sur le plan général de ces derniers animaux, la plupart des autres parties de son organisme et l’habitus de l'animal ne semblent pas justifier ce rap- prochement. Dans ma manière de voir, c'est aux Annélides seulement qu’on peut le rapporter (1). Encore se présente-t-il ici de grandes difficultés ; car, sans parler de l'absence d'anneaux , et pour ne prendre qu’un petit nombre des caractères particuliers du Sagitta, où trouverons-nous un (1) Ayant eu l'occasion de voir le Sagitta bipunctata pendant mon dernier voyage à Messine, je crois devoir dire ici que je ne partage en aucune façon l'o- pinion de M. Krobn sur les affinités naturelles de cet animal. Je ne vois rien dans son organisation qui puisse le faire considérer comme un Annélide, et je ne doute pas que ce ne soit un Mollusque , ayant à certains égards une assez grande ana- logie avec les Firoles. 1] me semble que la partie désignée par l'auteur sous le nom de tête est formée principalement par le bulbe charnu de la bouche portant l'armature dentaire, et que c’est le pli appelé capuchon dans le Mémoire précé- dent qui représente la tête. La disposition curieuse des organes de la génération, signalée par M. Krohn, constitue la principale anomalie dans la structure de cet animal. Mrixe Enwanps. KHROHN. — SUR LE SAGITTA BIPUNCTATA. 115 genre d'Annélides pourvu d'un capuchon et d’une semblable armature céphalique, des nageoires, et la disposition si remarquable de l'appareil de la génération ? Néanmoins il me paraît évident que le Sagitta ne peut en- trer dans aucune autre classe que celle des Annélides, et qu’on doit le considérer comme un genre anomal, jusqu’au jour où l’on découvrira d’au- tres formes animales , qui la relieront, par des transitions graduelles d'or- ganisation, à quelque genre d’Annélides connu, ou qui l’éloigneront com- plétement des animaux de cette classe. EXPLICATION DES FIGURES. PLANCHE À B. Pour ne pas trop surcharger de lettres les figures, on n'indiquera qu'un seul organe ou une seule moitié d'organe, si cet organe est pair. — Les figures 3, 4, 5 et 6 représentent la tête vue à la loupe, sous un grossissement de 10 à 12 fois. Les autres figures sont dessinées d'après des organes vus au microscope, et la détermination du grossissement a été faite d'après le calcul d'une vision de 7 pouces 1/2. Fig. 1. Le Sagitta un peu au-dessus de sa grandeur naturelle, et vu par sa face dorsale. — a, tête ; b, première paire de nageoires latérales ; c, deuxième paire de nageoires latérales ; d, nageoire caudale; e, embouchures du conduit excré- teur des ovaires ; f, saillie des cavités séminales. Fig. 2. Le même animal, vu par sa face ventrale. — g, ganglion ventral du sys- tème nerveux, vu par transparence ; h, branches nerveuses antérieures, ou commissures pharyngiennes ; k, branches nerveuses postérieures ; 1, les ovaires vus par transparence (ici ils sont peu développés); m, anus. Fig. 3. La tête vue en dessous, avec le capuchon en état d'expansion complète. — a, capuchon: b, surface inférieure de la tête; c, éminences garnies d'ai- guillons; d, la bouche; e, les crochets vus par transparence, à travers les parties latérales du capuchon : ils sont serrés les uns contre les autres ; f. com- mencement du tronc. Fig. 4. Tête vue de profil chez un jeune individu : le capuchon est en état d'ex- pansion. — a, saillie sur la face supérieure de la tête, sous laquelle se trouve l'œil droit; b, les crochets du côté droit, dans leur état de repos; c, tronc. Fig. 5. Tête vue en dessus. Le capuchon est rétracté, et les crochets sont dans leur état d'érection. — a,a, points d'insertion supérieurs et latéraux du capu- chon rétracté ; b, le bord libre du capuchon ; c, les parties supérieures et laté- rales de la tête, et les crochets à nu; d, le ganglion céphalique vu par trans-- parence; e, les nerfs céphaliques antérieurs; f, l’anse nerveuse formée par le nerf céphalique postérieur ; g, les yeux 416 OWEN. — SUR LA CLASSIFICATION ET LES ANALOGIES Fig. 6. La tête vue en dessous, avec le capuchon rétracté et les crochets relevés. — a, portion du capuchon ; b, les éminences garnies d'aiguillons; c, la bor- dure garnie des aiguillons ; d, la bouche ; e, les muscules des crochets, formant une saillie hémisphérique. Fig. 7. Les parties postérieures du corps vues par la face ventrale, sous un gros- sissement de 5 à 6 fois, et tournées de maniere qu'on peut apercevoir une plus grande portion de la surface latérale gauche. — a, la paire de nageoires pos- térieures ; b, nageoiïre caudale; c, anus ; d, ovaire vu par transparence : on y distingue la courbure qu'il décrit en haut; e, saillies des cellules séminales. Fig 8. Appareil excréteur du sperme : on le voit des deux côtés, sous un gros- sissement de 40 à 12 diamètres, et exposé comme il a été dit dans le texte. a, la bande musculaire supérieure vue en dedans; 4, les deux canaux avec leurs ouvertures arrondies , s'abouchant dans les cellules séminales; e, les ca- vités, dont les saillies sont creusées : on voit dans leur fond l'ouverture par laquelle elles communiquent au dehors, sous la forme d’une fissure. Fig. 9. Appareil excréteur du sperme du côté gauche, plus fortement grossi. — a, canal ; b, son ouverture, conduisant dans les cellules séminales; c, cavité de la saillie ; d, ouverture externe visible sur les parois de cette cavité. Fig. 10. Un amas de cellules (globule séminal), qui plus tard se transformera en Spermatozoïdes (grossissement de plus de 70 diamètres). Fig. 11 Indication d'un état de développement des Spermatozoïdes très commun, et plus avancé que le précédent ; il n’en a pas été fait mention dans le texte. Au centre, on voit les cellules du globule séminal primitif diminuées de vo- lume (grossissement de 95 diamètres). Fig. 12. Spermatozoïdes mûres, sous un grossissement de 420 diamètres. Fig. 13. Plan systématique du système nerveux. — a, ganglion céphalique ; b, ganglion ventral; c, branche nerveuse antérieure, où commissure pharyn- gienne ; d, branche nerveuse postérieure ; e, nerfs céphaliques antérieurs, avec leurs renflements ganglioniformes; f,g, nerfs céphaliques postérieurs décrivant , une anse ; h, nerfs optiques avec leurs ganglions k. Fig. 14. OŒil, nerf optique et son ganglion, sous un grossissement de 95 dia- mètres. — a, nerf optique; b, ganglion; c, œil; d, cornée ou cristallin, for- mant une saillie arrondie; e, fibrilles visibles vers la circonférence de l'œil ; f, excavation dans la peau de la tête, dans l’intérieur de laquelle l'œil et le ganglion sont enchâssés. SUR LA CLASSIFICATION ET LES ANALOGIES DES DENTS MOLAIRES DES CARNIVORES ; Par M. R. OWEN La variété des formes que présentent les dents qui composent la série des molaires dans l’ordre des Carnivores , et la diversité DES DENTS MOLAIRES DES CARNIVORES. il; des fonctions, en rapport avec ces différences de formes, ont conduit à diviser les molaires en groupes distincts, auxquels les Anatomistes qui se sont plus spécialement consacrés à l’étude de ces organes, ont assigné en général des noms particuliers. La classification et la nomenclature le plus communément adoptée est celle que M. Fréd. Cuvier a proposée dans son célèbre ouvrage sur les Dents des Mammifères. En parlant des mâchelières , ou molaires , il dit : « Ces dernières se partagent en trois divisions : la première se compose de deux à quatre dents qui viennent après les canines, dont l’usage est assez indéterminé, et qui sont des Fausses-Molaires. La seconde ne se compose jamais que d’une dent , qui est la Carnassière ; c’est en elle que réside essentielle- ment la faculté de couper les fibres de la chair. La troisième est celle des dents Tuberculeuses, dont le nombre ne s’élève jamais au-delà de deux, et qui paraissent avoir pour destination princi- pale de broyer les aliments susceptibles de l'être (pag. 77). » La dentition des différents genres est représentée sous forme de frac- tions, suivant les principes de cette classification. Ainsi, le genre BUS 3 4 : 2 Felis a : mâchelières, dont É fausses molaires, + ; Carnas- 2 sières , + : tuberculeuses. Dans la seconde édition des Lecons d’ Anatomie comparée de G. Cuvier , tom. IV, 1836, la série des molaires est divisée en Fausses-Molaires rudimentaires, Fausses-Molaires normales, V'raies-Molaires carnassières et Vraies-Molaires tuberculeuses (1). La série des molaires, chez l'Homme , donne : Fausses-mol. rud. , 2% Fausses-mol. norm., ï 2 V'raies-mol. , (p.254); 2.2 dans le Lion, ou le genre Felis, on trouve : Fausses-mol. 0.0 2.2 ; 11 rud. , FT Fausses-mol. norm. , FPE Vraies -mol. carn., TU. : 11 V'raies-mol. tub., 5: (P- 262). (1) Les Fausses-Molaires se distinguent des Vraies a par moins de racines, et par une couronne moins large et conséquemment moins propre à broyer. » (P. 246.) 118 OWEN. —- SUR LA CLASSIFICATION ET LES ANALOGIES Ces deux systèmes sont également rejetés par M. de Blain- ville (1) dans son Ostéographie des Animaux V'ertébrés. Dans cet ouvrage magnifique et plein d'enseignements , la série des mo- laires est divisée en Avant-Molaires, Principale et Vraies-Mo- laires (p. 13). Appliquée, par exemple, à la dentition de l'Homme, qui compte cinq molaires, cette classification donne : deux Avant- Molaires , une Principale , et deux F’raies ou Arrière-Molaires ; avec les incisives et les canines, la dentition de l’ Homme se formule Real, à: 2 1 5 2 donc ainsi : inc., 2° Can, 3 mol. , 5? dont Av.-Mol., Se : il 2 5 : E Princ., F3 Arr.-Mol., + Pour déterminer les analogies de ces diverses espèces de dents molaires , et, en particulier , la molaire Principale , l’auteur donne les définitions et les caractéristiques suivantes : d’abord, quant à la forme, il dit qu’il divise les mo- laires des Mammifères en Avant-Molaires, en Principale et en Arrière-Molaires, qu'importe qu’elles soient simples ou com- plexes , tranchantes ou tuberculeuses. Cependant, comme la molaire Principale de l'Homme ne se distingue pas par le tranchant ou par toute autre particularité de forme , M. de Blainville indique ensuite un autre caractère , tiré de la position de cette dent dans la mâchoire. Dans la plupart des cas, dit-il, nous pouvons facilement reconnaître la molaire Prin- cipale de la mâchoire supérieure (et c’est cette mâchoire qui sert toujours de point de départ pour donner aux autres dents leur signification propre), en prenant pour telle celle qui se trouve implantée sous la racine de l’arcade zygomatique , ou mieux de l’apophyse zygomatique du maxillaire (p. 45). Les dents qui pré- cèdent la Principale ainsi déterminée sont les Avant-Molaires ; celles qui la suivent sont les Vraies ou Arrière-Molaires. Quant à la mâchoire inférieure, il suffira, pour déterminer la nature des dents, de les ramener dans la position naturelle que chacune d'elles occupe sous chacune des dents supérieures : celle qui cor- respondra à la Principale supérieure sera la Principale inférieure, (1) « Nous avons été obligé d'abandonner cette classification des molaires des Mammifères. » (Ostéogr. des Mammifères.) DES DENTS MOLAIRES DES CARNIVORES. 119 et il sera facile, en partant de là, de désigner les Avant et les Arrière-Molaires (ib., p. A3). Pour juger de la valeur de ces caractères, comme servant à dé- terminer les espèces naturelles des Molaires et à tracer les for- mules typiques de chacun des différents genres de Mammifères , prenons un exemple de l’application que l’auteur en fait, au Lion entre autres. La formule des molaires dans le genre Felis est, sui- Me: 1 1 2 à vant M. de Blainville, _ dont , 2e | + RE c'est-à-dire, une Avant-Molaire, une Principale et deux Arrière-Molaires à la mà- choire supérieure; une Avant-Molaire, une Principale et une Vraie-Molaire, à la mâchoire inférieure (1). Cette manière de voir sur la nature des molaires, chez les Felis, diffère de celle qu'ont exposée Frédéric et Georges Guvier ; et les déterminations que J'ai données des molaires dans mon ouvrage (2) ne sont pas moins ou même sont plus en opposition avec celles des savants Profes- seurs Francais. Leur autorité généralement acceptée, la portée et la valeur du grand ouvrage dans lequel M. de Blainville a fait connaître ses opinions, exigent que j'indique ici les considérations qui m'ont engagé à rejeter les formules dentaires que ces auteurs ont adoptées , convaincu que je suis des avantages de l’uniformité dans la classification et la nomenclature de tout ce qui tient à l'Histoire Naturelle. Je divise la série des dents mâchelières en deux groupes essen- tiellement caractérisés par certaines circonstances de leur déve- loppement : j'appelle Prémolaires celles qui succèdent à d’autres dents qui tombent, en les déplaçant verticalement; et Postmo- laires ou Molaires celles qui ne déplacent pas dans le sens vertical des dents caduques antérieures, mais succèdent l’une à l’autre horizontalement, d'avant en arrière. Les Prémolaires et les Mo- laires présentent une grande diversité de forme et de nombre dans les différents genres. Leur accroissement en nombre à géné- ralement lieu dans une direction opposée; il se fait d’arrière en (1) Ostéographie des Carnassiers, IV, p. 69 (Ostéographie des Felis, p 54-55) (2) Odontographie, part. 120 owEN. — SUR LA CLASSIFICATION ET LES ANALOGIES avant dans les Prémolaires, et d'avant en arrière dans les Vraies- Molaires ; ou, en d’autre termes, les dents qui manquent au nombre défini qu'indique la formule sont celles du commencement des Prémolaires et de la fin des Vraies-Molaires. Dans les Mammi- fères placentaires (les Cetacea et Bruta exceptés), le nombre ty- pique des Prémolaires est de quatre, celui des Vraies-Molaires est de trois de chaque côté des deux màchoires, Dans les Marsu- piaux , le nombre typique des Vraies-Molaires est de quatre. Pour revenir aux deux exemples précédents , tirés de l’Ostéo- graphie de M. de Blainville, la seconde molaire du Lion corres- pond à la troisième molaire de l'Homme, dans l’une et dans l’autre mâchoire, c’est-à-dire que, dans le Lion, une dent qui déplace une dent de lait et lui succède, par conséquent une Prémolaire, sui- vant ma définition, est l’analogue d’une dent qui, chez l'Homme, sort de la gencive sans déplacer aucune dent précédente, et est en conséquence une Vraie-Molaire. On accordera généralement, je pense, que les dents que M. de Blainville appelle Principales dans le Lion, ayant une couronne plus petite ou plus simple que celles qui les suivent, et étant précédées par des dents caduques, sont plutôt les analogues naturelles des bicuspides ou Prémolaires de l'espèce humaine; et, s’il en est ainsi, on peut conclure que les caractères qui ont conduit M. de Blainville à une conséquence si erronée ne sauraient être fondés en nature. En outre, ces carac- tères semblent, d’après l’exemple précité, n’avoir été que d’une bien faible utilité pour conduire à la découverte de la dent qui, dans la mâchoire inférieure, est l’analogue de la Principale supé- rieure, aussi bien que pour déterminer l’analogue de la molaire Principale dans les différents Mammifères; et, en effet, M. de Blainville paraît avoir abandonné un des caractères qu'il avait lui-même adopté, celui qui se fonde sur la situation relative des dents, en choisissant la seconde dent molaire inférieure des Felis pour l’analogue de la seconde molaire supérieure, désignée par l’auteur lui-même comme étant la Principale. J’attribuai d’abord cette détermination, qui se trouve dans les observations prélimi- naires sur la classification des Carnassières (p. 69), à une méprise involontaire due au hasard; mais la même manière de voir est DES DENTS MOLAIRES DES CARNIVORES. 191 adoptée dans les descriptions détaillées que l’auteur donne ensuite dans la monographie du genre Felis (p. 55). Afin d’éprouver contradictoirement la valeur des caractères que je propose dans ce travail pour la classification des molaires, et celle des caractères qu'ont proposés les deux Cuvier et M. de Blainville, j'en ferai l’application aux mêmes exemples cités plus haut. Suivant ma manière de voir, la formule pour les molaires, chez Homme, L Mae 3—3 k est la suivante : Prém. =—; Mol. re elle est, pour le Lion : - 3— La ; à : : Prém. ref Mol. A c'est-à-dire que la dernière dent de chaque mâchoire du Lion est l’analogue de la première Vraie- Molaire de l'Homme, tandis que les autres répondent aux bi- cuspides, et que l’on compte à la mächoire supérieure du Lion une de celles-ci de plus qu’à la mâchoire supérieure de l'Homme, Ainsi les dents permanentes, que j'indique, à cause de leur mode de succession (ni les unes ni les autres n'étant des Dents de remplacement), comme étant les Vraies-Molaires qui se corres- pondent dans les Felis et dans l'Homme, ont encore pour carac- tère commun, à la mâchoire supérieure,une couronne tuberculeuse, et, à la mâchoire inférieure, des dimensions plus considérables, si on les compare avec les dents qui les précèdent; et ces carac- tères, bien que d’une importance secondaire, contribuent néan- moins, quand ils se rencontrent avec des caractères de premier ordre, comme cela arrive généralement, à justifier de la valeur de ceux-ci. En outre, dans ma théorie, la seconde Prémolaire in- férieure, la Principale de M. de Blainville, n’est pas celle qui ré- pond à la seconde, mais bien celle qui répond à la troisième Pré- molaire supérieure; et la dernière dent inférieure, quoique la plus grande partie de sa couronne joue sous la troisième dent supé- rieure, n’est pas non plus, comme les Cuvier et M. de Blainville l'indiquent, celle qui répond à la carnassière : placée un peu en arrière de celle-ci, elle répond rigoureusement à la petite dent tuberculeuse d’en haut. Et n'est-ce point un fait du plus haut in- térêt que de voir ces dents, la tuberculeuse supérieure et la car- nassière inférieure, présenter, malgré la forme différente de leur 122 OWEN. — SUR LA CLASSIFICATION ET LES ANALOGIES couronne , les mêmes caractères dans leur développement; de voir, en outre, que la première dent qui suit les Dents de rempla- cement dans la mâchoire supérieure, et la première qui suit ces mêmes dents dans la mâchoire inférieure peuvent , l’une par l’ac- croissement progressif de ses dimensions, l’autre par le dévelop- pement graduel de sa large surface tuberculeuse si bien appro- priée à la trituration, acquérir, dans les Carnivores, comme cela arrive pour le genre Ursus, une structure presque entièrement semblable à celle qu’elles présentent dans l’ordre des Quadru- manes ? Il suffit de comparer la dentition du Grison, du Blaireau et de l’Ours pour apprécier la vérité de cette proposition et l’exac- titude respective des formules dentaires qui suivent : Genre Unsus : …. 3—3 1— 3—3 1 — 2—2 Incis. ; Can. — ; Faus.-Mol. ; Carn. ——; Mol.Tub. nié 3—3 1— à 1— (Fréd. Cuvér) # 1—1 &—4 22 Incis. —; Can. ; Prém. =—— ; Mol. = 49m RAO) 3—3 AA k—% 3—3 A cette formule, je puis ajouter cette remarque que la qua- trième Prémolaire supérieure et la première Vraie-Molaire infé- rieure sont les analogues des dents qui indiquent le caractère car- nassier, la faculté de couper les fibres musculaires, chez les Feræ, que l’on prend généralement pour types. Je n’ai point adopté le mot de Principale dans la description et la détermination des dents molaires des Mammifères : le caractère, pris de sa forme (elle doit être franchante), ne peut être appliqué à cette dent, comme nous l’avons vu dans le premier exemple où nous avons essayé de l’employer; le caractère fourni par sa posi- tion relativement à la base de l’apophyse zygomatique de maxil- laire n’est pas constant, et n’a, par conséquent, que peu de va- leur : tous ceux qui s'occupent d’Anatomie comparée , à qui j'ai demandé de déterminer, à l’aide de ce caractère, la dent Princi- pale de la mâchoire du Lion, ont indiqué la troisième Avant- Molaire ou Carnassière de Cuvier, au lieu de la seconde Avant- Molaire ou Principale de Blainville. Le nom de Principale semble se rapporter à un caractère de DES DENTS MOLAIRES DES CARNIVORES. 193 dimension; et, dans l'espèce humaine, la dent à laquelle M. de Blainville donne ce nom est plus grande que la troisième molaire et n’est pas plus petite que la seconde. Mais, sans sortir de l’ordre des Quadrumanes, nous trouvons de nombreux exemples dans lesquels la dernière molaire, spécialement à la mâchoire inférieure , est la Principale, sous le rapport de ses dimensions et de sa couronne complexe; et, chez les Felis , les dents que M. de Blainville nomme Principales sont loin d’être les plus importantes , soit par leur grandeur, soit par une adaptation spéciale au régime de ces carnivores. Ce caractère est aussi incertain pour la détermination des dents que l’est celui tiré de la forme ou des dimensions re- latives; celui que fournit la position relative ne vaut guère mieux. Peut-être pensera-t-on qu’en choisissant la dentition de l Homme et celle du Lion, j'ai appliqué les principes de la classification des dents adoptés par M. de Blainville, à des êtres trop éloi- gnés. Je prendrai donc, dans l’ordre des Carnivores, un troisième exemple de l’application que l’auteur lui-même fait de ces prin- cipes. Ainsi, dans le Paradoæurus , les molaires supérieures ont, relativement à l’apophyse zygomatique, une position différente de celle qu’elles présentent dans le Lion, de sorte que la Carnassière supérieure de Cuvier, ou la dernière de mes Prémolaires, est celle que M. de Blainville a choisie pour Principale, laissant de- vant elle trois prémolaires; la dent placée immédiatement avant la Carnassière inférieure de Guvier est regardée comme la Prin- cipale de la mâchoire inférieure. Nous voyons donc ici encore que les Dents qui sont Dents de remplacement chez un Mammifère, chez le Paradoæurus , sont considérées, par rapport à un autre, le Singe, par exemple, comme les analogues des Vraies-Molaires, qui se montrent postérieurement à toutes les dents caduques. Dans la Civette et le Paradoæurus, non seulement la Principale supé- rieure remplace une dent de lait, elle remplace même une dent tuberculeuse à couronne plus complexe, et c’est là précisément ce qui arrive à la Prémolaire qui précède la Principale chez l Homme et les Quadrumanes, et ce qui n'arrive pas, dans ces mêmes exem- ples, à la dent qu’on appelle Principale. Mais pour en venir aux Quadrupèdes qui ont des affinités plus étroites et qui sont du 124 OWEN. — SUR LA CLASSIFICATION ET LES ANALOGIES même ordre naturel , — la Principale supérieure du Lion est ainsi décrite par M. de Blainville : « Celle-ci, bien plus grande et de forme triangulaire et subtriquètre à sa couronne, avec le sommet submédian et peu pointu, est pourvue en avant et un peu en de- dans d’un tubercule basilaire peu marqué, et de deux en arrière, dont l’un, le postérieur, est une sorte de talon. » (Ostéogr. des F'elis, p. 55.) C’est là la description de la première Arrière-Molaire , appelée à juste titre Carnassière supérieure. Si nous prenons l'opinion de M. de Blainville sur la dentition des Fiverra, nous trouvons que « la Principale d’en haut est aussi un peu moins carnassière par plus d'épaisseur du talon in- terne antérieur, et par moins de largeur du lobe postérieur. » Ici l’auteur regarde comme Principale la Prémolaire qui précède la dent qui est réellement l’analogue de la Principale du Lion, la dent qui porte ce nom, dans le ’iverra, étant l’analogue de la Carnassière du Lion. Ainsi, non seulement les caractères des dents molaires adoptées par M. de Blainville trompent pour la détermination des dents analogues dans les différents ordres, elles trompent aussi pour les genres , et même, comme je l’ai démontré à propos de la for- mule des Felis, pour la mâchoire supérieure et inférieure d’une même espèce. L'auteur de l’Ostéographie n’est pas non plus conséquent avec lui-même; car, dans le fascicule sur l’Ostéographie de l’Hyæna, il adopte, pour les molaires du genre Felis , une formule qui est probablement empruntée à Daubenton , et qui diffère à la fois de celle qu'il a donnée dans les généralités sur les Carnivores (p. 69), et de celle qu'il explique en détail dans l’Ostéographie des Felis : sal 100 dAbenett . (p. 55); il la donne ainsi: +, + ,, sans faire remarquer ce qu’elle a de contraire à l’autre formule. Mais cette nouvelle formule n’est pas plus conforme à la nature que celle qu’il donne dans son travail spécial sur la dentition des Felis ; car, suivant mes opinions sur les caractères naturels des molaires, les vrais Felis ont, non seu- lement deux, mais trois Prémolaires de chaque côté de lamächoire supérieure, et deux Prémolaires au lieu d’une de chaque côté de DES DENTS MOLAIRES DES CARNIVORES. 195 la mâchoire inférieure. Mes recherches sur les dents caduques et sur les dents permanentes des Mammifères m'ont conduit à cette conclusion, que la molaire Principale n’existe pas réellement ; que ses caractères, tels que M. de Blainville les définit, sont artificiels ; qu'ils trompent et fourvoient quand on veut les appliquer à une détermination philosophique des analogies des dents chez les dif- férents genres de Mammifères placentaires et terrestres. Les caractères sur lesquels j’ai été conduit à fonder la détermi- nation des molaires diffèrent de ceux qui ont été proposés par les auteurs que j’ai cités, sont plus constants et, par conséquent, plus naturels que les caractères de forme , de dimension , de position relative, d’après lesquels les dents appelées Carnassières et Prin- cipales sont distinguées. La série des Vraies-Molaires ou Arrière- Molaires commence, suivant moi, à la dent qui se montre derrière la dernière caduque ; toutes les molaires qui précèdent celles-ci sont Prémolaires ou Avant-Molaires. J’ai déjà donné un exemple de l’application de ce principe à la détermination de la Vraie- Molaire correspondante chez le Lion et chez l'Homme; il est également applicable à la comparaison de chacune des autres dents molaires. Il démontre que la première Vraie-Molaire supé- rieure, chez l'Homme (la Principale de M. de Blainville), est l’a- nalogue de la dernière molaire ou molaire tuberculeuse de la mà- choire supérieure du Lion. La première Vraie-Molaire inférieure, dans l'Homme, répond à la molaire carnassière inférieure du Lion ; la carnassière supérieure du Lion est exactement la même que la seconde bicuspide supérieure de l'Homme; la seconde Prémolaire supérieure du Lion répond à la première bicuspide supérieure de l'Homme; la première petite Prémolaire du Lion n’a pas d’analogue dans la dentition de l'Homme ; les deux Pré- molaires de la mâchoire inférieure du Lion correspondent aux deux bicuspides inférieures de l Homme : et ainsi des autres. Il n’est pas de caractère qui ait moins d'importance pour la détermination de la nature propre et des analogies des dents que celui qui se tire seulement de la forme de la couronne ; des modifications particulières ont été désignées par des noms parti- culiers : les longues incisives courbées et pointues de l'Éléphant , 196 OWwEN. — SUR LA CLASSIFICATION ET LES ANALOGIES et les dents canines de forme analogue chez le W'alrus, ont été nommées défenses ; les incisives du Castor et les canines de l’Hippopotame ont été comparées à un ciseau, et nommées dentes Scalprarü, à cause de la disposition particulière de leur émail solide, et du biseau oblique tranchant qui en résulte. Nous ne devons donc pas être surpris de trouver dans une mâchoire une Prémolaire, et dans l’autre une Vraïie-Molaire semblablement modifiée pour couper la chair, et placées l’une par rapport à l’autre, chez les Carnivores, de telle sorte qu’elles jouent l’une sur l’autre par une plus ou moins grande étendue de leur surface, cornme les lames de ciseaux. Il est très commode de conserver à ces dents carnassières le nom expressif choisi par les Cuvier ; mais on doit se souvenir que ce ne sont pas les analogues dans les deux mâchoires, et qu’elles appartiennent à deux catégories de molaires distinctes par leur nature. En fait, nous trouvons, dans l’ordre des Carnivores, que les Molaires et les Prémo- laires prennent toutes une couronne propre à la trituration, et c’est là ce qui leur a valu le nom de Tuberculeuses ; et c’est sur- tout en restreignant le sens des mots carnassières et tuberculeuses, pour leur faire indiquer des modifications secondaires dans la forme des dents qui composent les deux divisions naturelles de premier ordre, en Prémolaires et Vraies-Molaires, au lieu de m'en servir comme de caractères de premier ordre pour classer les mo- laires et formuler leur dentition, que je m’éloigne de l’opinion d'Ostéographes aussi distingués que MM. Cuvier. Pour faciliter la comparaison des trois classifications des Mo- laires, dont nous venons d’apprécier la valeur, j'ai joint des figures représentant la dentition de l'Homme, de cinq genres de Carnivores et d’un Ruminant. (PI. 4 4.) Une ligne continue passe par les dents carnassières de Guvier, ‘ dans les mâchoires des genres de Carnivores, et s'étend jusqu'aux dents analogues de l'Homme. Une ligne ponctuée passe par les dents que M. de Blainville indique comme analogues, sous le nom de Principales. Les dents vraiment analogues, suivant moi, sont distinguées par des chiffres et des lettres correspondants dans chacune des figures. Les incisives sont marquées 1 ; les canines e; DES DENTS MOLAIRES DES CARNIVORES. 127 les Prémolaires p; les Vraies-Molaires m (dans les Carnivores, je n’ai pas indiqué les incisives). Le nombre normal (quatre) des Prémolaires est indiqué dans la mâchoire du Chien et dans celle de l'Ours ; mais les petites dis- paraissent bientôt dans la plupart des espèces du genre Ursus. Le nombre normal [trois (1)] des Molaires est représenté dans les figures de la dentition de l'Homme et d’un Ruminant. Dans le genre Lutra, la première Prémolaire ( p 1 ) n’est pas développée dans la mâchoire inférieure. Dans les Felis, la pre- mière et la seconde Prémolaire manquent à la mâchoire inférieure, et la première supérieure manque aussi. Dans le Machairodus, la seconde Prémolaire supérieure paraît avoir été perdue de bonne heure, et les Prémolaires paraissent avoir été réduites à la condi- tion normale et constante des mêmes dents dans les mâchoires courtes de l’espèce Humaine. Quant aux Vraies-Molaires, elles commencent, chez les Carnivores, à diminuer d’abord dans la mâchoire supérieure : la troisième supérieure manque chez l'Ur- sus et le Camis ; la seconde et la troisième supérieure avec la troi- sième inférieure, dans le Lutra; la première seulement reste dans les mâchoires inférieure et supérieure du genre Fehs, et est l’a- nalogue de la dent que M. de Blainville nomme Principale dans la dentition de l'Homme. Suivant mon système de déterminer les mâchelières, l’analogue de chacune de ces dents chez l'Homme peut se trouver dans la plupart des Mammifères inférieurs. La bi- cuspide qui s'ajoute aux molaires des Quadrumanes Lemur et Platyrhinus se place avant les trois autres. La première bicuspide supérieure de l'Homme répond à la seconde des Cebus et des Felis (c'est, chez ces animaux, la Principale de M. de Blainville), et à la troisième des Lutra et des Canis. La seconde bicuspide supé- rieure de l'Homme répond à la troisième des Cebus et des Felis, et à la quatrième des Lutra, Canis et Ursus; c’est l’analogue de la carnassière supérieure des Carnivores. La seconde bicuspide de l'Homme répond à la seconde des Felis, à la troisième des Lutra et Cebus , et à la quatrième des Canis et Ursus; c’est la vé- ritable analogue de la dent Principale inférieure , telle que M. de Blainville l'indique dansles Carnivores. La première Vraie-Molaire (1) Chez les Marsupiaux, le nombre des Vraies-Molaires est quatre 198 owEN. — SUR LA CLASSIFICATION ET LES ANALOGIES, ETC. inférieure de l'Homme est l’analogue de la dent carnassière de Cuvier, mais non de la dent Principale de M. de Blainville, D’après ma manière de déterminer les molaires, on peut faci- lement trouver qu’elles sont réellement les molaires qui manquent et celles qui restent dans les formules variées de la dentition des Carnivores ; et nous pouvons, dans la dentition des Ruminants, indiquer. avec autant de facilité et de certitude que dans celle de l'Homme, les dents qui correspondent aux carnassières modifiées d'unemanière particulière chez les Carnivores. Dans les figures ci-jointes, par exemple, la dent de la mâchoire supérieure du Mos- chus, marquée p 4, répond à la Carnassière supérieure; et celle de la mâchoire inférieure, marquée m 1, répond à la Carnassière inférieure. J’ai ajouté la dentition d’un sous-genre disparu des Felis,le Ma chairodus (suivant le nom juste que lui donne M. Bravard), à cause de son analogie remarquable qu’elle présente avec la dentition du Moschus, par la longueur disproportionnée et la couronne com- primée de la canine supérieure, et par la similitude presque en- tière que les canines inférieures, par leur forme et leur situation, présentent avec les incisives; caractères par lesquels le Machai- rodus ressemble en général aux Ruminants et aux Lemuriens. Les affinités du Machairodus (Ursus cultridens, Cuv., Hyœæna neogæa Lund., et Smilidon Lund.) avec les Felis sont maintenant surabondamment démontrées, non seulement par les fossiles du sud de la France et des cavernes du Brésil, mais par le crâne et les maxillaires fossiles provenant des dépôts tertiaires des Pampas de Buenos-Ayres et de la chaîne du Sous-Himalaya, et actuelle- ment déposés au Muséum de la Grande-Bretagne. Le Machairo- dus, par le nombre plus petit de ses Prémolaires, présente, d’une manière permanente, le caractère transitoire des dents de lait des Felidæ actuels. De pareils exemples se sont montrés dans quelques genres éteints; ainsi le Lophiodon, par la couronne plus simple et comprimée des premières et des secondes Prémolaires, conserve un caractère qui est particulier aux dents caduques du Tapir. EXPLICATION DES FIGURES. PLancue 4 À. — 1. Système dentaire de l'Homme. — 2. Ursus, — 3. Canis — 4. Lutra. — 5. Fehs. — 6. Machaïrodus. — 7. Moschus 129 RECHERCHES ZOOLOGIQUES FAITES PENDANT UN VOYAGE SUR LES COTES DE LA SICILE; Par M. MILNE EDWARDS. RAPPORT ADRESSÉ À M. LE MINISTRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE, LE 10 Noveusre 1844. Les hommes qui s'occupent de l'étude des êtres vivants ont dû s'appliquer d’abord à acquérir des notions générales sur l’en- semble de cette portion de la création et sur les caractères à l’aide desquels chaque animal et chaque plante peut être distingué avec certitude de tous les autres corps organisés. Pour arriver à ce but, il fallait rassembler les produits naturels de tous les points du globe, les comparer entre eux, les nommer et les classer : aussi, pendant longtemps, les voyages lointains offraient-ils, tant pour la zoologie que pour la botanique, un intérêt capital; mais lorsque le grand catalogue des êtres vivants s’est trouvé ébauché dans toutes ses parties, les travaux des collecteurs ont perdu de leur importance, et les naturalistes ont compris qu’il fallait cher- cher désormais à approfondir leur science plutôt qu’à en étendre la superficie; laissant donc à d’autres mains le soin de rassem- bler les objets qu’ils avaient encore à inventorier, ils se sont atta- chés à l’étude de la nature intime des êtres dont les formes exté- rieures avaient jusqu'alors absorbé presque toute leur attention. L’anatomie comparée est devenue dès ce moment le sujet prin- cipal de leurs recherches, et un des plus beaux titres de Cuvier est d’avoir hautement proclamé, comme principe, que la z0olo- gie ne peut avoir de bases solides que lorsqu'elle repose sur la 3e série. Zooz. T. HE. (Mars 1845) 9 130 MILNE EDWARDS. — VOYAGE EN SICILE. connaissance du mode d'organisation des êtres qu’elle est appe- lée à caractériser et à classer. Il a fait voir que, pour arriver à des idées justes sur le plan général du règne animal, il fallait pé- nétrer dans la structure intérieure de tous les types principaux dont se compose ce vaste ensemble, et par ses recherches sur l’ana- tomie des Mollusques, il a puissamment contribué à cette réforme qui constitue dans l’histoire de la zoologie une période nouvelle... En entrant dans cette voie, il fallait d’abord dégrossir en quelque sorte le travail et esquisser à grands traits la disposition générale des instruments de la vie chez les divers animaux. Pour obtenir ce résultat, on pouvait d'ordinaire se contenter de la dissection d'animaux conservés dans l'alcool, et nos musées fournissaient, par conséquent, d'amples matériaux aux investigations des zoolo- gistes : aussi ce premier besoin fut-il assez promptement satisfait. Mais, dans la science , chaque conquête, longtemps avant d’être achevée, appelle une conquête nouvelle, et quand on a commencé à distinguer nettement les principales modifications de économie animale, on s’est posé d’autres questions. Les zoologistes se sont préoccupés alors des phénomènes de la vie considérée dans l’en- semble des êtres animés, et se sont demandé aussi quelles pou- vaient être les lois qui régissent la constitution des animaux, et quel est le mécanisme, si jose m’exprimer ainsi, à l’aide duquel la nature en à varié le mode de structure. La zoologie, après être restée longtemps essentiellement des- criptive et avoir revêtu au commencement de ce siècle un carac- tère anatomique, a pris alors une direction plus physiologique : et en rappelant ici cette phase nouvelle de l’histoire naturelle des animaux, je ne pourrais, sans injustice, oublier le nom d’Étienne Geoffroy-Saint-Hilaire, qui, attaquant avec chaleur une multi- tude de questions fondamentales pour la philosophie de la zoolo- gie, a imprimé un grand mouvement aux esprits, et a contribué plus que tout autre à diriger l'attention des observateurs sur un ordre de faits dont cette science retire aujourd’hui ses richesses nouvelles les plus précieuses. Mais à l’époque où Geoffroy, en- traîné par son génie ardent, cherchait les lois de l’organisation animale, la zoologie manquait de données suffisantes pour la dis- MILNE EDWARDS. — VOYAGE EN SICILE, 131 eussion de plusieurs des points les plus essentiels à établir, et c’é- tait le travail lent de l’observation qui seul pouvait les fournir. Dans cette période de la science , il devenait nécessaire d’étu- dier avec une scrupuleuse attention, d’une part, l’histoire du dé- veloppement des animaux, et d’une autre part, les séries de mo- difications par lesquelles l'organisme se simplifie chez les êtres inférieurs : aussi vit-on alors un grand nombre de savants se li- vrer à des recherches sur l’embryologie, soit normale, soit téra- tologique, tandis que d’autres naturalistes s’appliquèrent de pré- férence à l'examen comparatif du mécanisme animal là où ses rouages sont le moins multipliés et où sa disposition générale offre le plus de variété (1). Mais les animaux inférieurs, que les zoolo- gistes avaient tant d'intérêt à connaître, ne peuvent être bien étu- diés que lorsqu'ils sont encore vivants. Par la dessiccation, ainsi que par la conservation dans les liqueurs alcooliques ou salines , leur corps se déforme, et toutes les parties les plus délicates de leur organisation se confondent ou se détruisent; pendant la vie, au contraire, leurs tissus offrent souvent assez de transparence pour permettre à l'observateur de distinguer non seulement tous “leurs organes intérieurs, mais aussi le jeu de chacun de ces in- struments physiologiques. Pour résoudre les problèmes nouveaux qui se présentaient aux zoologistes , il fallait donc abandonner les anciennes méthodes d’observation, ne plus se contenter de cadavres informes et scruter la nature vivante jusque dans ses parties Les plus cachées. 11 en résulta que les matériaux recueillis par les collecteurs et accumulés dans nos musées, quoique indis- pensables à la zoologie descriptive, ne sufirent plus à la zoologie (1) Les naturalistes engagés dans cette voie sont si bien connus de tous les hommes de science, qu'il m'avait d’abord semblé inutile d'en citer les noms. Effectivement, quel est le zoologiste qui, en lisant ce passage, ne se rappellera les beaux travaux embryologiques de MM. Tiedmann, Serres, Baer, Rathke, Herold et Bischoff, par exemple , ainsi que les recherches tératologiques de MM. Geoffroy - Saint-Hilaire père et fils? Parler des services rendus depuis vingt ans par l'étude des organismes inférieurs, c'est aussi signaler implicitement à la reconnaissance des zoologistes Audouin et Dugès en France, M. Ehrenberg en Allemagne, M. Nord- mann en Russie, M. Delle-Chiaje en Italie, et un grand nombre d'autres savante dont les travaux enrichissent encore chaque jour la science. 132 MILNE EDWARDS. — VOYAGE EN SICILE. physiologique. L'observateur ne pouvait plus rassembler dans son cabinet tous les objets de ses études ; il lui fallait poursuivre ses investigations partout où la nature a placé les êtres dont il avait à s'occuper, soumettre à ses expériences les animaux les plus frêles sans détruire en eux le mouvement vital, et en scruter attentivement la structure intime à l’aide du microscope aussi bien que du scalpel. C'est de la sorte qu'aujourd'hui les z00lo- gistes, engagés dans celte voie, de même que les naturalistes adonnés à la recherche des espèces nouvelles, sont obligés de vi- siter divers points du globe; mais, tandis que ces derniers peu- vent se contenter de courses rapides pendant lesquelles ils se bor- nent à ramasser tout ce qui se présente devant eux, les premiers ne peuvent remplir leur tâche qu’en séjournant pendant un temps assez long dans chacune des localités dont ils ont à étudier les produits. C’est peut-être faute de pouvoir en agir ainsi que ia plupart des naturalistes attachés à nos grandes expéditions mari- times ne se sont guère occupés que de former des collections, et, dans l'intérêt de la science, il serait à désirer qu'ils pussent dé- sormais se livrer à des études plus approfondies. Mais cette ques- tion est étrangère au sujet dont je dois vous entretenir en ce mo- ment, monsieur le Ministre, et si j'en ai dit quelques mots , c'était seulement afin de pouvoir caractériser plus nettement la direction des recherches que je viens de faire sous vos auspices. Ces travaux, entrepris dans la vue de jeter quelques lumières sur la nature intime des animaux inférieurs et de nous conduire ainsi à nous former des idées plus justes sur le plan général de la création animée , ne sont que la continuation des recherches que j'ai commencées, il y a bientôt vingt ans , de concert avec un ami dont je regretterai toujours la perte. Effectivement, en me livrant avec Audouin à l'étude de la Faune maritime de la France, notre but n’était pas la découverte de quelques espèces nouvelles dont les noms viendraient grossir les catalogues des zoologistes, mais bien la connaissance physiologique d’une foule d'êtres chez les- quels chaque fonction de la vie se simplifie tour à tour, et l'orga- nisme tout entier se prête aux combinaisons les plus variées. Les Zoophytes, les Mollusques, les Vers et les Crustacés des côtes 22 MILNE EDWARDS. — VOYAGE EN SICILE. 1355 de l'Océan et de la Manche, nous ont fourni, pendant longtemps, ample matière à observations. Après avoir étudié à diverses re- prises les principaux types zoologiques qui se rencontrent en abon- dance dans ces mers, j'ai désiré y comparer les espèces propres à des régions plus chaudes, et, dans cette vue, j'ai fait plusieurs voyages sur les bords de la Méditerranée, en Provence, en Italie eten Algérie, par exemple. Là, je rencontrais, en effet, des êtres dont la structure intérieure et le mécanisne physiologique diffé- raient beaucoup de ce que j'avais vu dans le nord ; mais des ob- stacles, dépendant de circonstances toutes locales, y sont venus accroître les difficultés de la tâche que je m'étais imposée. En effet, dans la Manche et même sur nos côtes occidentales, la mer, en se retirant chaque jour, rend accessible à l'observateur les retraites où se cachent la plupart des animaux inférieurs dont il me fallait étudier la physiologie; il m'avait donc été facile de m'en procurer un nombre suffisant pour des travaux de ce genre, et je pouvais même les examiner sur place sans changer en rien leur mode d’existence ordinaire. Dans la Méditerranée, au con- traire, l'absence des marées prive le naturaliste de ce mode d’ex- ploration, et pour se procurer les animaux de cette mer, on a re- cours à la drague et à d’autres moyens de pêche à l’aide desquels on ramasse aveuglément ce qui se rencontre à des profondeurs plus où moins considérables. De là des difficultés très grandes , lorsqu'on veut étudier les phénomènes de la vie chez les animaux inférieurs propres à ces parages ; et en présence de ces obstacles, j'ai souvent eu le désir de descendre dans une cloche à plon- geur, afin de pouvoir examiner à loisir les rochers sous-marins habités par des êtres dont je voulais faire l’objet de mes recher- ches. Mais la cloche à plongeur, à raison de son volume et de son poids, n’est pas d’un usage facile. Ce n’est pas sur un petit bateau pêcheur, et à l’aide d’un faible équipage , qu’on peut la manœu- vrer; il m'a donc fallu y renoncer. J'ai alors pensé qu'il serait possible d'arriver au même résultat en ayant recours à un appa- reil analogue à celui qui a été inventé par le colonel Paulin pour servir dans les cas d'incendie, où il faut pénétrer au milieu d’une fumée épaisse et de vapeurs dont l'action sur les poumons serait 134 MILNE EDWARDS. — VOYAGE EN SICILE. promptement mortelle. Je savais, d’ailleurs, que cet officier dis- tingué avait modifié son appareil dans la vue de l'adapter aux be- soins des ouvriers qui ont à travailler sous l’eau, et il m’a semblé que, dans certaines circonstances, le zoologiste pourrait en tirer de grands avantages. Je me suis donc déterminé à tenter ce mode nouveau d'exploration sous-marine, et c’est dans les eaux calmes et transparentes des côtes de la Sicile que j’ai voulu en faire l’ex- périence, car dans ces mers, j’espérais trouver en grand nombre les animaux dont je désirais étudier la structure et le mode de développement. Vous avez bien voulu, monsieur le Ministre, mettre à ma disposition les fonds nécessaires pour l’exécution de cette expérience, et l’Académie des sciences m’a confié un appa- reil de plongeur, construit sous la direction du colonel Paulin. Cet appareil consiste dans un réservoir métallique ayant la forme d’un casque, et communiquant , à l’aide d'un long tube flexible , avec une pompe foulante destinée à y pousser de l'air. Revêtu de ce casque, dont la visière est vitrée et dont le bord in- férieur s’adapte sur un coussin placé autour du cou, je m’alour- dissais à l’aide de sandales de plomb, afin de faire contre-poids à la masse d’air qu’il me fallait emporter avec moi au fond de l’eau ; et, m'accrochant à une corde convenablement disposée, je me lais- sais descendre dans la mer. Là, ma respiration n’aurait pas tardé à épuiser la petite provision d’air vital contenue dans mon casque ; mais des hommes chargés de manœuvrer la pompe foulante m'en envoyaient à chaque instant de nouvelles quantités, au moyen du tube qui établit la communication entre ce réservoir portatif et l'atmosphère. L'air ainsi injecté arrivait promptement jusqu'à moi, et, s’'échappant ensuite au dehors par les interstices restés béants entre le cou et le bord inférieur du casque, servait non seu- lement à alimenter ma respiration, mais aussi à empêcher l’eau de s’élever jusqu’au niveau de ma bouche , ce qui aurait déter- miné l’asphyxie. S’agissait-il de remonter, j'en donnais le signal à une personne placée sur le bateau où se trouvait la pompe, et les matelots me hissaient à bord au moyen de la corde dont je n'étais précédemment servi pour plonger; ou bien, me débar- rassant de mes sandales de plomb, je me laissais emporter rapi- MILNE EDWARDS. — VOYAGE EN SICILE. 135 dement jusqu’à la surface de la mer par l’action de mon casque, qui, étant rempli d’air et se trouvant entouré d’eau, tendait à s'élever comme le ferait dans l'atmosphère un ballon rempli de quelque gaz léger. Pour devenir d’un usage commode, cet appareil aurait encore besoin de quelques perfectionnements ; mais tel qu’il est, j’ai pu m'en servir utilement dans plusieurs localités. Souvent je suis resté plus d’une demi-heure sous l’eau occupé à examiner minu- tieusement les anfractuosités des rochers sous-marins qui servent d'habitation à une foule de Mollusques, d’Annélides et de Zoo- phytes. J’ai pu, sans inconvénient, pousser ces explorations à une profondeur de plus de vingt pieds, et si javais eu un bâtiment plus grand et un équipage plus nombreux, il m'aurait été facile de descendre à des profondeurs beaucoup plus considérables ; mais l’imperfection des moyens de sauvetage que je pouvais éta- blir à bord de mon bateau pêcheur nva fait penser qu’il y aurait de l’imprudence à l'essayer. Effectivement, en cas d’accident, de quelque dérangement dans le jeu d’une soupape, de la rupture du tube respirateur, ou même de l’ascension de l’eau dans l’intérieur du casque jusqu’au niveau des narines du plongeur, celui-ci ne pourrait échapper à l’asphyxie qu’en regagnant promptement l’at- mosphère et en se débarrassant de l'appareil dans lequel il se trouve renfermé. Or, pour le faire remonter d’une profondeur de plus de vingt pieds et pour rétablir une communication libre entre les poumons et l'air, il nous fallait plus de trois minutes, ce qui aurait pu devenir dangereux ; et dans des expériences de ce genre, il faut chercher à tout prévoir. Je le répète donc, cet appareil, pour rendre aux naturalistes. tous les services qu’on peut en attendre, a besoin d’être perfec- tionné; mais, d’après l’usage que j'en ai fait, j'ai la preuve que, dans certaines localités, il peut être déjà d’un grand secours. Aïnsi en explorant par ce moyen les rochers sous-marins et le fond du port de Milazzo, je me suis procuré un nombre immense d'œufs de Mollusques et d'Annélides, dont je désirais étudier le dévelop- pement; ailleurs j'ai pu aller saisir dans les anfractuosités du sol 436 MILNE EDWARDS. — VOYAGE EN SICILE. les plus petits animaux qui y vivent fixés, et qu’on ne trouve pas ailleurs; je voyais parfaitement tout ce dont j'étais entouré , et c'était la fatigue musculaire seulement qui m’empêchait de me promener au fond de.la mer, comme j'aurais pu le faire sur la plage. Afin d'utiliser, autant que possible, les moyens d’exploration que vous aviez mis à ma disposition, monsieur le Ministre, j'ai en- gagé deux habiles zoologistes à se joindre à moi, et c’est avec M. de Quatrefages, chargé par l’Académie des sciences d’une mis- sion spéciale, et avec M. Blanchard, mon aide-naturaliste au Mu- séum, que j'ai étudié la Faune marine de la Sicile. Mais pour laisser à chacun de nous ce qui lui appartient réellement, je dois dire que nous n’avons entrepris aucun travail en commun. Chacun de nous à choisi un certain nombre de sujets de recherches, et, bien que nous nous soyons en général communiqué nos observa- tions à mesure que nous les faisions, de facon à pouvoir mutuel- lement en contrôler les résultats, je crois devoir déclarer formel- lement que notre coopération n’a pas été plus loin, et que, pour ma part, si j'ai contribué en quelque chose au succès de leurs re- cherches, ce n’a été qu’en mettant au service de mes compagnons de voyage tous les moyens de travail que vous avez bien voulu me fournir. Au mois de mars dernier, nous avons commencé nos explora- tions à la Torre dell’ Isola, persqu'ile située à quelques lieues de Palerme ; puis, nous dirigeant vers l’est, nous avons fait une station au cap Santo-Vito, et nous avons employé environ six se- maines à étudier la Faune marine de l’île de Favignana, un des points les plus riches de ces mers. La côte sud de la Sicile, depuis Trapani jusqu’à Selinunte, nous parut peu favorable à nos tra- vaux ; nous avons par conséquent renoncé à aller plus loin dans cette direction, et, retournant par Palerme, nous avons été nous établir successivement à l’extrémité du cap Milazzo, à Stromboli, à Messine, à Taormine et à Catane; nous avons visité aussi la côte d’Augusta et de Syracuse ; enfin, au retour, nous avons fait des excursions zoologiques aux environs de Naples, et, afin d’avoir MILNE EDWARDS. — VOYAGE EN SICILE. 137 quelques termes de comparaison nécessaires pour nos recher- ches, je suis allé en dernier lieu sur divers points des côtes de la France. Avant de vous rendre compte des résultats scientifiques de notre voyage, je vous demanderai la permission, monsieur le Mi- nistre, de m’acquitter d’un autre devoir en exprimant ici toute ma reconnaissance envers les personnes qui ont bien voulu aplanir en ma faveur les difficultés dont les explorations de ce genre sont toujours accompagnées. Grâce à l’obligeance de M. de Monte- bello, ambassadeur de France à Naples, j’ai obtenu du gouver- nement napolitain toutes les facilités désirables en matière de douanes et de police, et parmi les habitants de la Sicile à qui je dois le plus, je citerai le duc de Serra di Falco, l’un des dignes correspondants de notre Institut ; le duc de Cacamo, président de la commission sanitaire de l’île ; M. l’abbé Picollo et le chancelier du consulat de France à Palerme, M. Pierrugues ; j'’ajouterai aussi que tous nos agents consulaires en Sicile ont mis la plus grande obligeance dans leurs relations avec moi et mes compa- ” gnons de voyage. La première question dont j'ai cherché la solution est relative à l'embryologie des vers de la classe des Annélides. Dans un pré- cédent travail, j'avais cru pouvoir établir que les affinités zoolo- giques (c’est-à-dire l'espèce de parenté qui semble exister à diffé- rents degrés entre tous les êtres animés) sont proportionnelles à la durée plus ou moins longue d’une certaine similitude dans la marche des phénomènes génésiques chez l’embryon des divers animaux ; de sorte que ceux-ci, lorsqu'ils sont en voie de forma- tion , cessent de se ressembler d’autant plus tôt qu’ils appartien- nent à des groupes distincts d’un rang plus élevé dans le système de nosclassifications naturelles, et que les caractères essentiels, do- minateurs, de chacune de ces divisions, consisteraient, non pas, comme on le pense généralement, dans quelques particularités de formes organiques visibles chez les adultes, mais dans l’existence plus ou moins prolongée d’une constitution primitive commune, du moins en apparence. Cette théorie, si elle est vraie, nous donne- rait la clef de la méthode naturelle en zoologie, et elle s’accorde 138 MILNE EDWARDS. — VOYAGE EN SICILE, avec tous les faits les mieux constatés en embryologie; mais elle paraissait cadrer mal avec quelques observations faites récem- ment sur le développement des Annélides. Il était donc nécessaire de soumettre à un nouvel examen l’embryologie de ces Vers, sujet qui, d’ailleurs, avait été jusqu'ici à peine effleuré. Pendant mon voyage en Sicile, j'ai pu m'en occuper, et les observations que j'ai recueillies me semblent devoir offrir de l'intérêt pour la z00- logie physiologique. J’ai constaté chez ces animaux des métamor- phoses non moins grandes que les changements subis par la Che- nille lorsqu'elle se transforme en Papillon, et j’ai eu la satisfac- tion de voir que, loin d’être en désaccord avec les idées que je viens de rappeler, touchant la subordination des affinités natu- relles des animaux à la durée du parallélisme dans la direction des phénomènes génésiques, l’embryologie des Annélides fournit de nouveaux arguments à l’appui de cette théorie. Une seconde série d'observations a eu pour objet l’ovologie des Mollusques marins de la classe des Gastéropodes et a conduit éga- lement à des résultats dont la tendance générale est analogue à celle des faits que m'avait fournis l'étude embryologique des Vers. Effectivement, chez tous les animaux de ce groupe, dont j'ai pu suivre le développement dans l’œuf, j'ai vu que l’embryon offre d’abord les mêmes caractères, et que c’est dans les dernières pé- riodes de ses métamorphoses que le jeune animal acquiert les par- ticularités d'organisation d’après lesquelles la classe dont il fait partie se subdivise en familles et en genres distincts. Ainsi, jus- qu’à un certain âge, les larves des Vermets, des Gérites, des Pleu- robranches, des Doris et des Aplysies m'ont offet le même mode de conformation ; et c’est seulement lorsqu'elles s'étaient déjà con- stituées comme Mollusques gastéropodes que je commencçais à apercevoir dans leur structure quelques différences d’un ordre secondaire. Je me suis également assuré que chez tous ces êtres la série des développements organiques n’est pas la même que chez les animanx vertébrés, et j'ai pu me convaincre de l’existence d’un certain rapport entre le degré d'importance qu’offrent les grands appareils de l’économie, considérés sous le rapport z0olo- gique, et l'ordre chronologique de leur apparition dans l’orga- MILNE EDWARDS. — VOYAGE EN SICILE. 1359 nisme naissant. J’ajouterai aussi que tous les phénomènes géné- siques, dont j'ai été témoin, me semblent contraires à l’opinion de quelques savants célèbres, suivant lesquels l'embryon des ani- maux supérieurs, celui de l’homme lui-même, offrirait successi- vement des modes d'organisation analogues à l’état permanent de chacun des principaux types inférieurs du règne animal, de sorte que le Mollusque, par exemple, serait le représentant stable de l’une des formes transitoires du jeune Mammifère en voie de for- mation, Loin de là, le Mollusque , dès son origine, se constitue d’après un mode qui lui est propre, et les premiers caractères de lanimalité qui se montrent dans l’embryon du Mammifère sont ceux en vertu desquels celui-ci appartient à la grande division des vertébrés, de sorte que les différences sont primordiales et que les rapprochements de la nature des hypothèses dont je viens de parler ne peuvent être justifiés. Sur les côtes de la Sicile, je pouvais me procurer facilement des Mollusques dont la taille est beaucoup plus grande que celle des espèces de notre littoral, et dont l'étude anatomique est par cela même plus facile. J’ai profité de cette circonstance pour sou- mettre à un nouvel examen le mécanisme de la circulation chez ces animaux , et je suis arrivé à un résultat très inattendu, car j'ai acquis la certitude que, chez les Mollusques, même les plus parfaits, le système des vaisseaux à l’aide desquels le sang circule dans l’économie est plus où moins incomplet, de sorte que, dans certains points du cercle circulatoire, ce liquide s’épanche dans les grandes cavités du corps ou dans les lacunes dont la substance des tissus est creusée. Sous ce rapport, la structure de ces ani- maux est par conséquent beaucoup moins parfaite que celle des vertébrés et se rapproche extrêmement du mode d'organisation que j'avais déjà constaté chez les Crustacés. Depuis la publication des recherches qu’en 1826 j’ai faites, de concertavec Audouin, sur la circulation du sang chez ces derniers animaux, d’autres anatomistes se sont occupés du même sujet et sont arrivés sur quelques points à des résultats en discordance avec les nôtres. {1 m'a semblé, par conséquent, nécessaire de reprendre ce travail; et pendant mon séjour sur les bords de la 140 MILNE EDWARDS. — VOYAGE EN SICILE. Méditerranée, j'ai fait de nouvelles expériences sur la circulation chez les Squilles et chez quelques autres animaux de la même classe. Cette étude m’a confirmé encore davantage dans l'opinion que j'ai souvent énoncée relativement à l’insuflisance des recher- ches anatomiques faites sur des animaux conservés dans l'alcool. En observant des Squilles vivants, il m'a été facile de reconnaître la cause des erreurs singulières auxquelles les dissections de ce genre ont donné lieu dans ces dernières années, et de redresser des inexactitudes que j'avais moi-même commises dans mon pre- mier travail. Les animaux gélatineux que l’on voit flotter dans la mer, et que l’on connaît sous le nom commun d’Acalèphes, sont très va- riés sur les côtes de la Sicile. J’en ai étudié un grand nombre, et je me suis assuré que, dans toute la famille des Ciliogrades, l’or- ganisation intérieure est presque identique, bien que les formes extérieures de ces Zoophytes offrent les différences les plus grandes, Chez toutes les espèces de la Méditerranée, j'ai trouvé un système nerveux semblable à celui que j'avais découvert dans le genre Lesueuria, et, depuis mon retour en France, j'ai com- plété ces observations en constatant que le Cydippe ovatus ne fait pas exception à cette règle, ainsi qu’on devait le croire d’après le travail d’un anatomiste anglais, M. Grant. La plupart des zoologistes rangent dans cette même classe des Acalèphes des êtres fort singuliers et d’une grande élégance , qui ressemblent à des guirlandes de fleurs plutôt qu’à des animaux ; mais les observateurs n’ont pas fixé leur attention sur l'anatomie de ces Zoophytes; et il y a peu d’années, on ne savait encore pres- que rien relativement à leur structure intérieure. Les Stéphano- mies, découvertes par Péron et Lesueur pendant leur voyage aux terres Australes, sont de ce nombre. En 1840, j'en ai disséqué quelques individus à Nice; mais je n'avais pu qu'en ébaucher l’histoire anatomique, et pendant mon voyage de Sicile, j'ai repris ce travail, qui maintenant offrira, je l’espère , de l'intérêt pour les naturalistes. Ce sont là, monsieur le Ministre, les points principaux dont je me suis occupé cet été; mais, tout en poursuivant les observations MILNE EDWARDS. — VOYAGE EN SICILE. Ant qui me semblaient devoir fixer plus particulièrement mon atten- tion, j'ai cherché à profiter des circonstances favorables dans les- quelles je me trouvais pour recueillir quelques autres faits d’un intérêt secondaire ; ce serait abuser de vos moments que d’en faire ici l'énumération, et j'ajouterai seulement que j'ai dessiné d’après le vivant tous les détails anatomiques les plus importants relatifs à chacune des séries de recherches dont j'ai eu l'honneur de vous entretenir. Ges dessins formeront un atlas considérable, et je désire vivement pouvoir les publier à l’appui de mes obser- vations. Pendant que je me livrais à ces travaux, M. de Quatrefages s'occupait activement d’autres recherches entreprises dans des vues analogues. Il a étudié avec persévérance l’organisation inté- rieure d’un grand nombre d'animaux inférieurs intéressants à con- naître, et je demanderai la permission de placer sous vos yeux, monsieur’ le Ministre, la note dans laquelle il rend lui-même compte de ses observations (1). Si vous jugez opportun d’ordon- ner la publication des résultats obtenus par notre voyage en Sicile, il aurait une part considérable dans cette faveur ; ses dessins se- raient le plus bel ornement de notre livre, et je suis persuadé que tous les zoologistes apprécieraient, comme je le fais, le mérite de ses travaux. Mon second compagnon de voyage, M. Blanchard, avait pour mission principale la formation de collections entomologiques , notre Muséum ne possédant que fort peu d’Insectes du midi de l'Italie. I s’est acquitté de cette tâche avec succès, car il a re- cueilli en Sicile et en Calabre plus de 2,000 espèces, dont environ 500 manquaient dans nos galeries, et dont 300 paraissent être nouvelles pour la science. Cependant il a encore trouvé le temps de faire une série intéressante de recherches anatomiques sur le système nerveux des Mollusques; il a constaté que, dans la classe des Acéphales, de même que dans le groupe des Gastéropodes, la disposition générale de cet appareil important présente moins d’uniformité qu’on ne le pensait, et que, chez quelques uns de (1) Voyez la note ci-jointe, p. 142. 4142 MILNE EDWARDS. — VOYAGE EN SICILE. ces animaux, le nombre des ganglions ou centres nerveux devient extrêmement considérable. En terminant ce compte-rendu de nos recherches, je demande la permission, monsieur le Ministre, de renouveler l'expression de ma reconnaissance pour le service que vous m'avez rendu en me donnant les moyens d'entreprendre des travaux dont la science, j'ose espérer, tirera quelques profits. Si je ne m’abuse, des explorations de ce genre, entreprises sur divers points du globe, seraient plus utiles que ne peuvent l'être maintenant les voyages des naturalistes collecteurs , et j'appelle de tous mes vœux le moment où de jeunes observateurs auraient pour mission d'étudier, au point de vue de la zoologie physiolo- gique, la Faune des régions éloignées dont nous ne connaissons encore que la nature morte. Note annexée au Rapport de M. Milne Edwards, par M. DE QuATRErAGES. « En me confiant la mission de poursuivre sur les côtes de la Méditerranée les études auxquelles je me livrais depuis quatre ans sur les bords de la Manche, l'Académie des Sciences avait plus particulièrement désigné deux questions comme devant faire le sujet de mes recherches, En conséquence, la séparation ou la réunion des sexes dans les mêmes individus, chez les Annélides , et l'ana- tomie des Mollusques phlébentérés, ont été de ma part l'objet d'une attention toute spéciale. ] » Jusqu'à ces dernières années, le nombre des animaux inférieurs , regardés comme bermaphrodites, élait très considérable ; mais ce nombre diminue journel - lement depuis que l'emploi du microscope a fourni un moyen certain de distin- guer l'élément fécondateur de l'élément qui doit être fécondé. Parmi les animaux que les gens du monde confondent sous le nom général de Vers, se trouve un groupe nombreux, désigné par les naturalistes sous le nom d'Annélides. Certaines d'entre elles sont hermaphrodites : on en avait conelu que, chez toutes, les deux sexes se trouvaient réunis sur chaque individu, J'avais reconnu déjà que, chez toutes les espèces présentant sur les côtés du corps desmamelons armés de soies, les sexes étaient séparés. Les nouvelles observations que j'ai faites en Sicile ont confirmé la généralité de ce résultat. Chez toutes les Annélides chétopodes marines, les sexes sont séparés, même chez les espèces qui passent une vie solitaire dans des tubes calcaires ou cornés, circonstance qui exclut toute idée de rapprochement destiné à faciliter la fécondation. lei, comme chez les Poissons , les œufs et le li- MILNE EDWARDS. — VOYAGE EN SICILE, 143 quide fécondant ne sont mis en contact que par le mouvement des flots, auxquels les parents abandonnent ces produits destinés à perpétuer leur espèce. » J'ai constaté également la séparation des sexes chez plusieurs animaux de l'embranchement des Rayonués, chez certaines Actinies, Holothuries, Astéries ou Etoiles de mer... » Au contraire, j'ai constaté qu'on admettait avec raison leur réunion chez les Planaires , animaux du groupe des Vers. J'ai trouvé réunis chez les mêmes indi- vidus des œufs bien formés et l'élément fécondateur. » Malgré les admirables travaux de Cuvier sur l'embranchement des Mollus- ques , tout est loin d'être dit sur ces animaux J'avais déjà publié sur un groupe particulier de Gastéropodes plusieurs Mémoires destinés à faire connaître leur organisation singulière, sur laquelle M. Milne Edwards avait le premier appelé l'attention des zoologistes ; en découvrant leur appareil gastro-vaseulaire. Mes études sur ceux de ces animaux que j'avais pu observer sur le littoral de la Manche m'avaient conduit à proposer d'en former un ordre particulier, désigné sous le nom de Gastéropodes phlébentérés. » L'Académie des Sciences m'avait engagé à soumettre ces résultats à une véri- fication nouvelle, et, favorisé par le hasard, j'ai pu remplir complétément ses in- tentions. Les Phlébentérés de la Méditerranée ressemblent par leur organisation à ceux de la Manche, et forment avec eux un groupe bien distinct des autres Mollusques. Le caractère le plus général de ce groupe consiste en ce que l’intes- tn, au lieu de former un simple tube. donne naissance à un appareil particulier très compliqué , désigné par M. Milne Edwards sous le nom d'appareil gastro- vasculaire. Ce nom même indique quelles sont ses fonctions ; en effet, il semble des. tiné à remplir à la fois le rôle d'organe digestif et celui d'organe circulatoire. D'au— tres circonstances anatomiques et physiologiques se rattachent à celle que je viens d'indiquer. La circulation et la respiration n'ont plus pour leur accomplissement d'appareil spécial, ou du moins cet appareil est incomplet ; il en résulte que, chez ces Mollusques, la classe des Gastéropodes nous présente des exemples de dégra- dation organique analogues à ceux qu'on observe dans d'autres classes, et sur- tout dans celle des Crustacés. Ces faits et les conséquences qui en découlent ont été vivement contestés ; mais il m'est permis d'espérer qu'un examen attentif les confirmera pleinement, au moins en ce qu'ils ont de réellement essentiel. » C'est en partie pour apporter une preuve de plus à l'appui des résultats précé- dents que j'ai fait l'anatomie complète de deux espècesd'Articulés appartenant à des genres que les zoologistes ne savent trop où placer, que les uns regardent comme voisins des Arachnides, d'autres comme appartenant aux Crustacés. Déjà M. Milne Edwards avait signalé les prolongements que l'intestin envoie jusque vers l'ex- trémité des pattes chez les Nymphons ; j'avais fait une observation semblable chez les Pygnogonons. Je me suis assuré par de nouvelles recherches que, chez les uns et les autres, cette disposition coïncide avec l'absence complète d'organes spé- ciaux de circulation et de respiration. La première de ces fonctions est réduite à Ah MILNE EDWARDS. — VOYAGE EN SICILE. des mouvements irréguliers de va-et-vient, dépendant des mouvements du corps; la seconde s'effectue entièrement par la peau. » Outre les travaux dont je viens de parler, j'ai complété des recherches com- mencées et continuées depuis quatre ans sur l'organisation des Némertes ; j'ai étudié avec détail plusieurs Planaires marines et les Polyophthalmes; enfin j'ai cherché à faire connaître la structure intime des tissus de l'Amphioæus. Ces études, que j'ai tâché de rendre aussi complètes que possible, m'ont fourni des résul- tats qui touchent à des questions de zoologie et de physiologie générale. Je vais indiquer quelques uns des principaux. L'existence ou l'absence d'un système nerveux distinct chez les animaux infé- rieurs est une des questions dont les naturalistes se sont le plus occupés depuis le commencement de ce siècle : c’est sur cette absence présumée que Lamarck et Cuvier ont basé quelques unes des grandes divisions du règne animal. Parmi les êtres auxquels des naturalistes du plus grand mérite refusaient un système ner- veux, se trouvent des Planaires, espèces de vers plats, généralement de petite taille, qui habitent les eaux douces ou salées, et les Némertes, vers d'une forme allongée , dont certaines espèces atteignent une longueur de 30 et #0 pieds. Ces dernières ont été de ma part l'objet de recherches ässidues pendant mes divers voyages aux côtes de la Manche; et pendant mon séjour en Sicile j'ai complété tout ce qui me manquait à cet égard. Les Planaires ont été cette année l'un des sujets spéciaux de mes études. Chez les unes et les autres, j'ai trouvé un système nerveux distinct, et présentant des dispositions toutes particulières. Je l'ai décrit et figuré pour plus de quarante espèces. » Une autre question , très vivement débattue entre les naturalistes modernes, est celle de l'existence ou de l'absence, chez les animaux inférieurs, d'organes spéciaux destinés à les mettre en rapport avec le monde ambiant. En France, comme en Allemagne, les opinions sont divisées sur ce sujet, certains naturalistes ne voulant accorder à ces êtres qu'une sorte de toucher ou de sensibilité géné- rale ; d’autres, au contraire, leur reconnaissant la faculté de distinguer diverses sortes de sensations , à l'aide d'organes sensoriaux proprement dits. Mes recher- ches sur les Annélides, les Planaires, les Némertes, m'ont fourni plusieurs faits qui viennent à l'appui de cette dernière opimon. 1l est hors de doute pour moi que les points colorés , appelés par quelques naturalistes points oculiformes, sont de véritables yeux. J'ai vu bien souvent la communication de ces organes avec les centres nerveux; j'y ai reconnu une organisation qui ne permet guère d'hésiter a voir en eux de véritables organes des sens. J’ai rencontré en Sicile une Anné- lide dont les cristallins étaient tellement distincts, qu'ils produisaient l'effet d’une lentille de verre dont j'ai pu mesurer le foyer. » Bien loin que les animaux inférieurs soient tous dépourvus d'organes senso- riaux, il en est, au contraire, chez qui ces organes sont extrêmement multipliés et placés sur des parties du corps où on ne les rencontre jamais chez les animaux supérieurs. Les Planaires, les Némertes, ont souvent les yeux disposés par groupes DÉVELOPPEMENT DES ANNÉLIDES. 145 nombreux, en avant et sur les côtés de la tête ; souvent elles en présentent sur la face inférieure aussi bien qu'à la face supérieure. M. Ehrenberg a fait connaître une petite Annélide qui porte des yeux à l'extrémité de la queue; j'ai trouvé deux autres espèces voisines : ces mêmes Annélides m'ont montré des organes entière- ment semblables à ceux qu'on regarde comme destinés à la perception des sons chez les Mollusques. » Les Polyophthalmes, dont je ferai connaître avec détail l'organisation, sont re- marquables sous le rapport de cette multiplication des organes des sens. Ce sont de petits vers cylindriques, dont le corps est partagé en anneaux ; la tête porte trois yeux, dont chacun présente de deux à trois cristallins ; de plus, chaque anneau du corps offre de chaque côté un point rouge, entièrement semblable aux yeux de certaines Annélides , et auquel aboutit un gros nerf partant du ganglion nerveux correspondant. Ainsi, indépendamment des trois yeux multiples qu'il porte à sa tête, cet animal a encore une rangée de ces organes de chaque côté, tout le long du corps. » L'Amphioxus est un petit poisson qu'on peut regarder à juste titre comme le dernier des animaux vertébrés ; son organisation exceptionnelle a attiré l'attention des plus illustres naturalistes de l'Europe. Tout récemment, M. Costa, de Naples, et surtout M. Müller, de Berlin, ont publié sur son anatomie des détails très cir- constanciés ; cependant personne encore ne s'était occupé de l'organisation intime de ses tissus, et j'ai cherché à combler cette lacune. Un des résultats généraux de ce travail a été pour moi que chez l'Amphioxus, qu'on peut regarder à certains égards comme une ébauche de Vertébré, les tissus participent à cette espèce d'im- perfection. En effet, leurs derniers éléments présentent, chez l'Amphioxus adulte, des particularités qu'on ne rencontre chez les Poissons qu'à l'état embryonnaire, et qui disparaissent plus {ard quand l'organisme acquiert tout son développement normal. » Près de quatre-vingt-dix espèces d'animaux ont fait le sujet des études dont je viens d'indiquer quelques résultats; toutes ont été peintes sur le vivant : les dessins représeutant les détails de leur organisation sont au nombre de plus de six cents. » OBSERVATIONS SUR LE DÉVELOPPEMENT DES ANNÉLIDES : PAR M. MILNE EDWARDS. « {Lues à l'Académie des Sciences, le 23 décembre 1844 ) En appelant l'attention des zoologistes sur les rapports intimes qui me paraissent exister entre le mode de développement des 3° série. Zoo. T. LIL. (Mars 1845.) 10 é 146 MILNE EDWARDS. — VOYAGE EN SICILE. animaux et les affinités respectives de ces êtres , je ne me suis pas dissimulé la gravité de quelques unes des objections que l’on pouvait faire contre ma manière de voir; mais, convaincu «le la vérité des principes sur lesquels je m’appuyais, j'ai cru pouvoir pour le moment négliger ces difficultés, et ne prendre en considé- ration que l’ensemble des faits les mieux établis dans la science , me promeltant toutefois de saisir la première occasion pour sou- mettre à un nouvel examen chacun des cas particuliers qui sem- blaient faire exception aux règles générales ainsi établies. Une des discordances entre la théorie et l'observation me semblait dépendre de la forme transitoire qu'un zoologiste ha- bile, M. Lôven de Stockholm, avait signalé chez une jeune An- nélide. Effectivement, des considérations que j'ai développées ail- leurs (1) m’avaient conduit à penser que les aflinités zoologiques sont proportionnelles à la durée d’un certain parallélisme dans la marche des phénomènes génésiques chez les divers animaux ; de sorte que les êtres en voie de formation cesseraient de se ressembler d'autant plus tôt qu'ils appartiennent à des groupes distincts d’un rang plus élevé dans le système de nos classifications naturelles , et que les caractères essentiels, dominateurs , de chacune de ces divisions, résideraient, non pas dans quelques particularités de formes organiques permanentes chez les adultes, mais dans l'existence plus ou moins prolongée d’une constitution primitive commune , du moins en apparence. Si tel est réellement le principe qui règle les rapports des ani- maux entre eux, il faut que la ressemblance entre les espèces appartenant à un même embranchement soit toujours d'autant plus grande que l'embryon est plus jeune, et que du moment où les caractères d’un type primitif quelconque se sont prononcés , les métamorphoses organiques subies par le nouvel être ne puis- sent amener que des modifications secondaires sans rompre ja- mais les affinités précédemment établies ; il faut que l'animal en (1) Voyez Considérations sur quelques principes relatifs à la classification natu- relle des animaux ( Annales des Sciences naturelles, 3° série, L 1, p. 65. Fé- vrier 1844). DÉVELOPPEMENT DES ANNÉLIDES. 17 voie de formation ne puisse revêtir successivement des formes propres à deux embranchements différents ; que l’embryon d’un Vertébré, par exemple, ne soit jamais comparable à un Mol- lusque , ni les Mollusques affecter le mode d'organisation propre au type des Annelés. Dans l'immense majorité des cas constatés jusqu'ici, on ne peut , ce me semble , méconnaître l’existence de ce rapport entre l'ordre chronologique des phénomènes de développement et l’ordre hiérarchique des divisions naturelles du règne animal, Mais, d’après quelques observations de M. Lôven, on pourrait croire que les Annélides font exception à cette règle ; car la jeune larve que ce zoologiste a décrite comme appartenant probable- ment à la famille des Néréidiens , paraîtrait n’acquérir les carac- tères propres à l’embranchement auquel elle appartient qu'après avoir eu la forme d’un Polype (1). Une anomalie semblable aurait beaucoup diminué la valeur des conclusions auxquelles j'étais arrivé ; mais avant de l’admettre, j'ai cru devoir étudier de nouveau les principales phases du déve- loppement de l’organisation chez les Annélides, sujet qui a été jusqu'ici à peine abordé , et qui, indépendamment de toute con- sidération accessoire , me paraissait digne d'intérêt. Je m'en suis donc occupé dès mon arrivé en Sicile , et j'ai eu la satisfaction de voir que, loin d’être en désaccord avec les idées que je viens de rappeler touchant la subordination des affinités naturelles des animaux à la durée du parallélisme dans la direction des phéno- mènes génésiques , l’embryologie des Annélides fournit de nou- veaux arguments à l’appui de cette théorie. Mes premières observations ont été faites sur des Térébelles , dont une grande espèce , qui ne me paraît pas différer de la Tere- bella nebulosa de Montagu (2), est assez commune sur la côte sep- tentrionale de la Sicile, et se prête parfaitement bien à ce genre d’études , car ses œufs, d’un jaune ferrugineux, se développent au milieu d’une masse gélatineuse qui reste adhérente à l'entrée du (4) Voyez la figure 1, dans laquelle M. Lôven représente le premier état de sa larve (Annales des Sciences naturelles, 2° série, t. XVIII, pl. 9) (2) Transaet. of the Linnean Society, vol. XI AS MILNE EDWARDS. — VOYAGE EN SICILE. tube habité par la mère (1). En examinant avec attention les rochers sous-marins où se cachent les Térébelles, j'ai pu, en rai- son de cette circonstance, me procurer un grand nombre de ces œufs sans avoir d'incertitude relativement à leur origine ; et en les plaçant dans un vase rempli d’eau de mer, il m'était facile de les conserver en vie et d’en suivre le développement. La ponte a lieu en mars et en avril ; mais elle se renouvelle probablement plusieurs fois dans l’année: car, en ouvrant l'abdomen de ces Annélides , j'y ai trouvé en même temps des œufs à tous les degrés de maturité. Les uns (2), extrêmement petits et parfaitement transparents, laissaient apercevoir une utricule centrale logée dans l’intérieur dela vésicule proligère, et entre celle-ci et la membrane vitelline un liquide limpide ; d’autres, d’un volume plus considérable, ne montraient plus l'utricule germinative, et la vésicule proligère y était entourée par une masse vitelline blan- châtre ; enfin, d’autres encore beaucoup plus grands que les pré- cédents étaient devenus opaques et d’un jaune ferrugineux (3). Je n’ai trouvé aucune trace d’albumen autour de la capsule vitel- line de ces œufs, et je suppose que c'est au moment de leur expulsion seulement qu’ils se revêtent de la matière glaireuse , à l’aide de laquelle ils sont alors réunis en une masse ovoide. Cet albumen commun sert évidemment à les protéger et à nourrir pendant un certain temps les jeunes qui en proviennent ; mais il me semble probable qu'il remplit aussi un autre rôle non moins important en aidant à la fécondation , ainsi que MM. Prevost et Dumas l’ont constaté pour l’albumen des œufs de Grenouilles. Effectivement, depuis que les recherches de M. Quatrefages nous ont appris que chez les Térébelles , de même que chez la plupart des autres Annélides, les sexes sont séparés, on ne comprend pas la possibilité d’une fécondation intérieure ; et, d’après le genre de vie de ces animaux , il serait difficile de croire à un rapproche- ment sexuel quelconque ; il est donc probable que c’est après leur sortie que les œufs des Térébelles recoivent le contact du sperme répandu dans le liquide ambiant par les mâles, et on comprend (4) PL. 5, fig. 1. — (2) Mig. 2 et 3. — (3) Fig. 4 DÉVELOPPEMENT DES ANNÉLIDES. 19 que s’il en est ainsi, la présence d’une enveloppe avide d’eau , et susceptible de se gonfler par l'absorption de cette substance, peut ici, de même que dans les œufs des Batraciens , favoriser le dépôt des spermatozoïdes sur la surface de la vésicule vitelline , dépôt sans lequel tout développement ultérieur paraît devoir s’arrêter. La disposition que je viens de signaler n'appartient pas exclu- sivement aux Térébelles ; je l’ai également constatée chez les Pro- tules qui font partie d’une autre famille de Tubicoles (1), et je: suis porté à croire qu’elle est commune à beaucoup d’Annélides ; car j'ai trouvé sur divers points des côtes de la Sicile des masses d'œufs ayant tous les caractères généraux de celles dont je viens de parler, mais qui se distinguaient par des particularités de couleur ou de volume , et qui, par conséquent, devaient appar- tenir à d’autres animaux de la même classe. Mes conjectures à cet égard ont souvent été confirmées par les caractères des larves qui naissaient de ces œufs, et, d’après les circonstances dans lesquelles je les ai trouvés . il me paraît probable que plu- sieurs d’entre eux provenaient d’Annélides errantes. Effective- ment, j'ai souvent rencontré de ces masses ovifères fixées sur des pans de rochers , sans que, dans leur voisinage, il m’ait été pos- sible de découvrir la moindre trace de quelque Annélide séden- taire, et, d’autres fois, j’en ai trouvé qui adhéraient à des fucus , sur lesquels ces animaux n’établissent pas leur demeure. Quel- quefois aussi la masse ovifère ainsi placée était tellement volu- mineuse, qu’elle ne pouvait avoir été pondue que par un Annélide de très grande taille, tandis qu’il n’existait dans le voisinage que des Tubicoles très petits: de sorte qu’elle me semble avoir dû y être déposée par quelque espèce errante : une grande Phyllodocé ou un Eunicien, par exemple. Je n'ai pas été témoin des premiers mouvements génésiques dont l’œuf des Térébelles est le siége ; j'ai vu seulement que le dé- veloppement de l'embryon marche avec une grande rapidité , et que les éléments constitutifs du jeune animal ne tardent pas à se séparer en deux portions qui peuvent être comparées aux feuillets (4) Fig, 42. 150 MILNE EDWARDS. VOYAGE EN SICILE. séreux et muqueux du germe des Vertébrés, sans offrir cepen- dant la même disposition. L'une de ces portions du petit être en voie de formation renferme la majeure partie de la matière vitel- line, reconnaissable à sa couleur ferrugineuse, et constitue , en se développant , l’appareil digestif ; l’autre, qui ne parait consister d’abord qu’en une couche mince de cellules irrégulières et inco- lores , entoure de toutes parts la première et augmente rapide- ment d'épaisseur ; elle est destinée à donner naissance à l’ensemble des organes de la vie de relation ; mais , dans l’intérieur de l'œuf, aucun de ceux-ci ne se dessine encore, et l'embryon ne paraît consister que dans un sac alimentaire entouré de tissu utriculaire, ou plutôt de sarcode, s’organisant en cellules. Il est probable ce- pendant que déjà les premiers rudiments du système nerveux se sont constitués, car bientôt après j'ai pu distinguer les points oculiformes, qui en sont une dépendance ; enfin la surface du corps de ces petits embryons prend un aspect tomenteux dù à la présence de cils vibratiles encore inactifs. C’est dans cet état d’imperfection extrême que les jeunes Téré- belles se dépouillent de la tunique vitelline de l'œuf, qui paraît être résorbée. En naissant , elles ne ressemblent en rien à l’adulte, et à priori il serait même impossible de deviner à quelle classe elles appartiennent ; on voit seulement que ce sont des animaux Annelés de la grande division des Vers (1). Effectivement l'embryon ramassé en boule dans l’intérieur de l'œuf s’allonge alors, prend une forme ovoïde , et commence à se mouvoir à l’aide d’une multitude de cils vibratiles (2). Dans ce moment, les jeunes Térébelles paraissent, au premier abord , avoir de l’analogie avec les larves de certains Zoophytes , celles des Polypes et des Méduses, par exemple ; mais cette ressem- blance ne tient qu’à leur état de contraction, et bientôt on les voit s’allonger davantage, se rétrécir postérieurement et faire (1) J'emploie ce nom pour désigner un groupe trés considérable d'animaux annelés, reconnaissables à l'absence de membres articulés, et formant les classes des Annélides, des Turbellariés, des Rotateurs, et des Helminthes proprement dits (2) PL 5, fig à, et PL 7, lig. 29. DÉVELOPPEMENT DES ANNÉLIDES. 151 saillir à l'extrémité opposée de leur corps un lobe arrondi dépourvu de cils, et portant en dessus de chaque côte un point oculiforme de couleur rouge. Elles deviennent dès lors binaires et symétri- ques, par rapport à une ligne médiane droite ; la face dorsale de leur corps se distingue de sa face ventrale, et on apercoit dans leur intérieur un canal digestif longitudinal. Elles offrent, par conséquent, déjà une partie des caractères morphologiques pro- pres à l’embranchement des Annelés, et elles sont comparables à certains Vers de la classe des Turbellariés. Du reste, ce premier état est de courte durée , et les change- ments qui ne tardent pas à se manifester dans l’organisation de ces larves rendent encore plus évidents les caractères propres au type des Annelés. Dans le principe, toute la surface de la portion post-ophthalmique du corps paraît être couverte de cils vibratiles ; mais bientôt on voit apparaître à peu de distance de l'extrémité postérieure une bande transversale qui n’est ciliée que sur la ligne médiane ventrale, et alors le corps de la jeune Térébelle, devenu de plus en plus ver- -miforme, se compose de quatre zones ou troncons, savoir, une tête semi-circulaire et aplatie qui porte les yeux (fig. 7, a); un segment post-céphalique, très grand et entièrement couvert de cils vibratiles servant comme organes de locomotion (b) ; un anneau nu qui, d'abord très étroit, ne tarde pas à se développer (c), et enfin à l’extrémité postérieure un segment portant une couronne de cils vibratiles, comme le premier anneau post-céphalique, mais beau- coup plus petit. Bientôt après (1), on voit apparaître entre l’an- neau terminal et le pénultième segment un petit bourrelet qui, en s’élargissant, constitue un cinquième anneau (d). Le canal digestif devient beaucoup plus distinct; la collerette vibratile post-cépha- lique se rétrécit, et on aperçoit à la face inférieure de Panneau qui la porte une dépression correspondante à la bouche ; enfin le bord postérieur de l'anneau terminal s’échancre pour constituer l'anus, A cette époque du développement, on ne distingue pas en- core de muscles dans l'intérieur du corps de ces petites larves ; 152 MILNE EDWARDS. — VOYAGE EN SICILE, mais elles sont extrêmement contractiles, et changent quelquefois de forme au point d’être presque méconnaissables. Tantôt on les voit se ramasser en boule, puis s’épater de facon à ressembler à un disque dont les bords seraient ciliés (1); d’autres fois, au con- traire, elles rétrécissent leur extrémité postérieure, qui s'accroche au mucus ambiant, rentrent le lobe céphalique sous le bord de l’anneau suivant, et étalent celui-ci au point de devenir presque cyathiforme et d'offrir quelque ressemblance avec certains Po- lypes (2); mais ces poses anormales ne sont que de peu de durée, et si j'en fais mention, c’est seulement parce qu'il me paraît pro- bable que les formes signalées par M. Lôven pourraient bien dé- pendre en partie de quelque phénomène de ce genre. Nos petites Térébelles, après avoir subi ces premières modifi- cations, grandissent assez rapidement. Leur corps, s’eflilant de plus en plus, devient bientôt tout-à-fait vermiforme et acquiert peu à peu de nouveaux anneaux; ceux-ci apparaissent un à un de la même manière que le pénultième anneau, dont il vient d’être question, c’est-à-dire que le développement du segment nouveau a toujours lieu immédiatement en arrière du dernier anneau formé et au-devant de l'anneau anal (3) ; de sorte qu’abstraction faite de celui-ci, la position des divers segments est en rapport avec leurs âges respectifs. Bientôt aussi la larve cesse d’être un Vers apode ; dessoies simples et subulées , portées sur des tubercules charnus, se montrent de chaque côté du corps, et le développement de ces appendices locomoteurs s'effectue suivant le même ordre que celui des anneaux, savoir, d'avant en arrière. Enfin il est aussi à noter qu’à cette époque la collerette ciliaire post-céphalique commence à se rétrécir et que les organes intérieurs se dessinent de plus en plus nettement. Ce serait long et peu utile de suivre ici, heure par heure, les progrès du développement de ces petites Annélides; mais afin de mieux fixer lesidées surles métamorphoses qu’elles subirontencore, je crois devoir m’arrêter un instant sur leur conformation , lors- (1) Fig. 5 et 6. — (2) Fig. 9. (3) Dans toutes les figures relatives au développement des Térébelles, cet anneau anal est indiqué par le signe X. DÉVELOPPEMENT DES ANNÉLIDES. 153 qu’elles sont prêtes à quitter la masse gélatineuse dans laquelle elle ont vécu pendant les premiers temps de leur existence, Quelque- fois ces larves restent pendant longtemps encore dans l’intérieur de cet albumen commun ; muis dès le troisième ou quatrième jour, elles peuvent sans inconvénient en sortir et vivre dans le monde extérieur. A cette époque, elles ont la forme de petits Vers subcylindriques, longs d'environ une ligne et légèrement élargis en avant (fig. 10). Leur tête s’est un peu allongée, mais n’offre rien de remarquable. La portion post-céphalique du corps, qui, dans le principe, n’of- frait aucune trace de division et était entièrement couverte de cils vibratiles, paraît représenter trois anneaux, dont le premier seule- ment est encore cilié, et dont les deux postérieurs sont dépourvus d’appendices. Les quatre ou cinq anneaux suivants portent chacun une paire de mamelons charnus armée d’une longue soie mobile, légèrement recourbée vers le bout. En arrière de ces segments sé- tifères, on aperçoit un anneau (k) garni de deux tubercules sem- blables aux pieds dont il vient d’être question, mais dépourvus de soies, puis un autre anneau plus petit (i), qui n’offre encore aucun vestige d’appendices; enfin le corps est terminé par le segment anal, qui est toujours garni de cils et n’a subi que peu de chan- gements. L'appareil digestif s’est également compliqué; antérieu- rement on y remarque un bulbe charnu (p), puis une sorte d’æso- phage court et cylindrique, suivi d’un estomac très grand et de forme ovoïde (r), dont les parois paraissent être encore imprégnées de la substance colorée du vitellus ; enfin vers le tiers postérieur du corps commence l'intestin (s), qui a la forme d’un tube membra- neux recourbé un peu sur lui-même et allant se terminer à l’anus. On commence aussi à apercevoir les masses glandulaires situées à la partie antérieure du corps, et les muscles sous-cutanés se dessinent plus nettement ; on distingue également les muscles mo- teurs des soies, et c’est probablement à cause de l’opacité du canal digestif qu’on ne voit pas le système nerveux situé au-des- sous ; mais il est à noter que, même dans les parties les plus trans- parentes du corps, on n’apercoit aucune trace de sang rouge ni de vaisseaux pour la circulation. 154 MILNE EDWARDS, — VOYAGE EN SICILE. Lorsque la larve a gagné encore une ou deux paires de pieds, la tête commence à se modifier {1) ; un étranglement transversal s'établit à quelque distance au-devant des yeux, et le lobe anté- rieur ainsi délimité présente, près de son bord libre, une série de capsules urticantes, dont plusieurs laissent échapper un petit fila- ment spiniforme. La collerette ciliaire post-céphalique s’est en même temps beaucoup rétrécie, et forme au-dessous de la tête un bourrelet saillant qui se porte en avant et constitue une grosse lèvre supérieure ; une lèvre inférieure arrondie, occupant le bord du second segment post-céphalique, ferme la bouche en arrière, et on remarque que les pieds des deux premières paires sont ar- més de deux soics, tandis qu'auparavant elles n’en avaient qu'une seule. Dans l’espace de deux ou trois jours, le lobe céphalique antérieur (t) devient parfaitement distinct du segment oculifère, s’allonge, prendune forme cylindrique et constitue un appendice médian très mobile qui présente tous les caractères d’une antenne (2). Son axe est occupé par un canal qui communique avec la grande cavité du corps, et on y voit circuler un liquide tenant en suspension des glo- bules dont les formes etles dimensions varient ; ce liquide remplit aussi la cavité abdominale et me paraît tenir lieu de sang dont je n’ai pu apercevoir, à cette époque, aucune trace. Enfin les cils nata- teurs ont presque entièrement disparu, soit autour du cou, soit à l'extrémité postérieure du corps; mais on aperçoit un mouvement vibratoire assez énergique dans l’intérieur de la cavité buccale et dans la portion terminale de l'intestin. Les jeunes Térébelles offrent alors, comme on le voit, tous les caractères propres à l’ordre des Annélides Errantes, et ne ressem- blent encore en rien au type ordinique des Tubicoles. Elles pos- sèdent, en effet, une tête bien distincte, une antenne, des yeux et des pieds armés de soies subulées, comme en ont les Annélides Errantes, tandis que les Tubicoles, comme on le sait, sont des Vers acéphales, dépourvus d’antennes et d’yeux, et ayant des pieds garnis de crochets. Ge mode d'organisation correspond, d’ailleurs, (1) Fig. 41, 42, 13, 44. —(2) Fig. 15,146! 49, 18. DÉVELOPPEMENT DES ANNÉLIDES. 155 au genre de vie que ces petites larves ont mené jusqu'alors; car, au lieu de demeurer sédentaires dans l’intérieur d’une gaîne étroite, comme le font les Térébelles adultes et les autres Tubi- coles, elles nagent librement au milieu du mucus, dont les œufs élaient entourés, puis elles en sortent pour aller au loin chercher quelque point favorable à l'établissement de leur habitation. Nos jeunes Térébelles ont alors, par conséquent, les mœurs aussi bien que l’organisation des Annélides Errantes ; mais elles ne peuvent être comparées qu'aux formes les plus imparfaites de ce type, et leur développement ultérieur, au lieu de tendre au perfectionne- ment des parties caractéristiques des Annélides supérieures, suit, sous ce rapport, une marche rétrograde. Lorsque nos larves ont perdu les cils locomoteurs dont les an- neaux buccaux étaient primitivement entourés, elles cessent de nager et ne tardent pas à s’envelopper d’une matière muqueuse, qui, en se solidifiant, constitue un tube cylindrique ouvert à ses deux extrémités (1). La première période de leur existence, celle pendant laquelle ces petits animaux mènent une vie errante, se termine alors; et quant à leurs mœurs, ils deviennent semblables à leurs parents; mais ils n’en ont pas encore le mode d’organi- sation, et on peut considérer, comme constituant une seconde pé- riode, le temps compris depuis la disparition de la collerette vibra- tile jusqu’à l'apparition des branchies. Avant que d’avoir complétement perdu leurs cils natateurs, nos jeunes Térébelles s'étaient en quelque sorte préparées à leur nou- veau genre de vie. Effectivement, dans le principe, chaque an- neau de leur corps ne portait qu’une paire de tubercules armés de soies subulées, et représentant la rame dorsale des pieds de l'animal parfait; mais à cette époque, les rames ventrales gar- nies de crochets commencent à se constituer (2), et ces crochets, comme on le sait, sont destinés à effectuer les mouvements d’as- cension ou de retraite que les Annélides tubicoles doivent exé- cuter dans l’intérieur de leur étroite demeure. La formation de ces organes a lieu suivant le même ordre que celle des autres (1) Fig. 19, 20. — (2) Fig. 18. 156 MILNE EDWARDS. — VOYAGE EN SICILE, rames, c’est-à-dire d'avant en arrière. On ne les aperçoit d’abord que sur un ou deux des premiers anneaux pédigères, mais peu à peu ils se montrent aussi sur les autres segments, et bientôt leur développement devient plus rapide que celui des rames dorsales, de facon que, sur les nouveaux anneaux qui se constituent à l’ar- rière du corps, ils précèdent celles-ci. Il est aussi à noter que le perfectionnement des rames à crochets marche de la même ma- nière ; chacune d’elles n’est d’abord garnie que d’un seul crochet, et c’est également d’avant en arrière que le nombre de ces appen- dices augmente successivement. Une huïtaine de jours après que mes jeunes Térébelles s’é- taient construit un tube, l’appendice antenniforme de leur front s’était allongé au point de dépasser la moitié du reste du corps ; mais sa croissance en largeur n’avait pas été proportionnelle à celle des autres parties, de facon que sa base, au lieu de corres- pondre à tout le bord antérieur de la tête, n’occupait que le tiers médian du front. La lèvre supérieure s'était beaucoup développée, et les yeux paraissaient tendre à s’atrophier ; enfin, le nombre des pieds s'élevait à dix paires, et on apercevait un nouvel an- neau en voie de formation entre le dernier segment pédigère et le segment anal. Après un certain temps dont la durée paraît varier suivant la température, l'abondance des aliments et les autres conditions dans lesquelles se trouvent les larves , on voit poindre un second appendice frontal qui se développe à côté du précédent (1) ; celui-ci est alors filiforme et très long, tandis que le nouveau cirrhe ne consiste encore qu’en un petit tubercule cylindrique, dont la surface se garnit de vésicules urticantes , et dont la sub- stance se creuse bientôt d’un canal médian en communication avec la cavité abdominale. A cette époque , les yeux sont devenus beaucoup moins distincts qu'ils ne l’étaient chez les larves er- rantes , et on remarque autour de ces organes presque atrophiés quelques taches pigmentaires qui semblent être de nouveaux points oculiformes. Enfin on compte treize paires de pieds séti- (1) Fig. 24 DÉVELOPPEMENT DES ANNÉLIDES. 157 gères;'et les divers organes intérieurs sont beaucoup plus distincts qu'ils ne l’étaient jusqu'alors ; cependant on n’apercoit encore aucun indice de l’existence de vaisseaux sanguins, et la circulation ne paraît consister que dans des mouvements irréguliers du li- quide à globules blancs dont la cavité abdominale est remplie , liquide qui pénètre aussi dans le canal central des cirrhes fron- taux, -et parait y être mû par des cils vibratiles. Pendant que le corps s’allonge par suite de la formation d’un ou de deux nouveaux anneaux au-devant du segment anal, on voit un troisième , puis un quatrième appendice se développer sur le bord antérieur de la tête , à côté des deux cirrhes dont je viens de parler (1). Bientôt après, on compte six, puis huit de ces organes tentaculaires, dont la contractilité est très grande (2). Les derniers formés se placent latéralement en dehors de leurs prédécesseurs , et comme leur longueur est à peu près propor- tionnelle à la durée de leur croissance , ils constituent une série décroissante du milieu vers les côtés. Lorsque la jeune Térébelle est parvenue à ce degré de développement, il est facile de se con- vaincre que les appendices frontaux , dont le nombre ne tardera pas à augmenter encore, ne sont autre chose que les cirrhes fili- formes, qui, chez l’adulte , constituent au-devant de la bouche une couronne touffue servant quelquefois à la locomotion , aussi bien qu’à la préhension des aliments. A cette époque on remarque aussi que les points oculiformes de l’anneau frontal se sont multi- pliés extrêmement, mais on cesse de distinguer les yeux qui y existaient primitivement ; on compte alors de vingt à vingt-quatre de ces petites taches pigmentaires , et il ne paraît y avoir rien de bien fixe dans leur mode de groupement. Le nombre des pieds s'élève à vingt ou vingt-deux paires, et l'appareil glandulaire situé à la face ventrale de la portion thoracique du corps a pris un grand développement ; cependant je n’ai pu apercevoir encore aucune trace des organes spéciaux de respiration et de circulation. Ceux-ci commencent à se montrer lorsque les jeunes Téré- belles ont acquis trente-huit ou quarante paires de pieds. On voit (1) Fig. 22, 23. — (2) Fig. 24 158 MILNE EDWARDS. — VOYAGE EN SICILE. alors sur l’anneau apode qui suit immédiatement le segmeïñt fron- tal deux tubercules situés sur les côtés de l’anneau dorsal, et dirigés obliquement en haut et en dehors (1). Ces appendices s’allongent rapidement et deviennent cylindriques ; leur surface se couvre de stries transversales dues à la contractilité de leur tissu, et leur centre se creuse d’un canal. Bientôt après, une seconde paire de tubercules semblables aux précédents se développe sur le segment suivant, et ces quatre appendices, qui ressemblent d’abord à des cirrhes tentaculaires , ne sont autre chose que les branchies ; ils sont alors d’une simplicité extrême , mais ils ne tardent pas à se compliquer dans leur structure. À mesure que l’appendice respirateur s’allonge, il se divise en rameaux qui se bifurquent à leur tour, et on voit des tubercules s'élever sur divers points de sa surface pour donner naissance à d’autres branches, de facon que bientôt chacun de ces organes , au lieu d’être, comme dans le principe, un simple prolongement fili- forme, constitue un petit arbuscule contractile (2), faisant fonc- tion d’un cœur accessoire aussi bien que d’une branchie (3); mais leur croissance est proportionnelle à leur âge, et ceux de la première paire restent toujours plus volumineux que ceux de la paire suivante. A l’époque de la première apparition des branchies , j’ai com- mencé à distinguer aussi dans l’intérieur du corps les organes spéciaux de circulation. Le gros vaisseau médio-dorsal, qui, chez ces Annélides, remplit les fonctions d’un cœur, se dessine alors assez nettement, et on voit partir de son extrémité antérieure trois branches, dont une se dirige vers le bord frontal , et les deux la- térales se bifurquent pour se distribuer aux branchies. Mais je suis porté à croire que les anses nombreuses qui, chez l’adulte, entourent le canal intestinal, n’existent pas encore; du moins, je n’ai pu les apercevoir , bien que la transparence des tissus tégu- mentaires soit très grande. Ces phénomènes organogéniques caractérisent la fin de la se- (1) Fig. 25, a. — (2) Fig. 26. (3) Voyez à ce sujet mes précédentes observations sur la circulation chez les Annélides (Annales des Sciences naturelles, 2° Série, L. X) DÉVELOPPEMENT DES ANNÉLIDES. 159 conde période de la vie de nos jeunes Térébelles. Ces petits ani- maux , qui n'ont encore que cinq ou six lignes de long , cessent alors d’être des larves, car ils sont déjà pourvus de toutes les sortes d'organes que la nature doit leur départir, et on distingue même dans l’intérieur de leur abdomen quelques ovules détachés de leurs ovaires. Néanmoins leur développement est loin d’être achevé ; ils doivent devenir vingt ou trente fois plus grands qu'ils ne le sont encore, et le nombre de leurs parties doit augmenter considérablement ; mais ces parties nouvelles ne seront que la répétition des parties déjà existantes , et l’économie ne s’enrichira d'aucun instrument nouveau. A cette époque , le nombre des ten- tacules céphaliques ne dépasse pas douze ou treize, tandis que par la suite on en comptera plus de cinquante (1). Une troisième paire de branchies doit encore se développer en arrière des précé- dentes ; les pieds sont aussi beaucoup moins nombreux qu'ils ne le seront chez l’adulte , et ces organes n’ont pas acquis toute leur perfection, car leur rame ventrale ne porte qu'une seule rangée de crochets au lieu de deux , et ces petits appendices cornés sont peu nombreux. Il est aussi à noter que le développement des nouveaux crochets se fait dans le même ordre que celui des pieds, c’est-à- dire d'avant en arrière ; ainsi, lorsqu’à la partie antérieure du corps chaque rame porte une rangée de six ou sept de ces appen- dices , on n’en trouve que quatre vers le douzième segment pédi- gère; un peu plus en arrière , il n’y en a que trois, puis deux ; plus postérieurement encore , un seul ; et les derniers anneaux ne portent que des tubercules pédiformes dépourvus de soies, Enfin, les nouveaux anneaux , à l’aide desquels le corps s’allonge encore, se développent aussi dans le même ordre que ceux dont j'ai déjà signalé l'apparition , et la formation de ces zoonites ne me paraît pas avoir de limites bien précises, ni sous le rapport de leur nombre, ni quant à l’âge auquel leur production s'arrête : aussi, chez ces Térébelles, de même que chez la plupart des autres Annélides , le nombre total des anneaux dont se compose le corps de l’animal adulte varie beaucoup chez les divers individus de la (1) PL 8, fig. 27 460 MILNE EDWARDS, — VOYAGE EN SICILE, même espèce, et la croissance parait se continuer pendant presque toute la durée de la vie. On voit donc que les Térébelles subissent dans le jeune âge des métamorphoses considérables (1). La larve de ces Annélides diffère de l’adulte autant que la Chenille diffère du Papillon; mais dès qu’elle se constitue , elle offre un certain nombre de traits propres au type de l’embranchement auquel elle appartient ; bientôt aussi elle devient reconnaissable, comme étant un animal de la classe des Annélides ; puis on la voit s'éloigner du type des Annélides ordinaires, à mesure qu’elle acquiert les caractères dis- tinctifs du groupe des Tubicoles ; enfin , elle se complète par le développement des particularités propres au genre Térébelle ; mais, pendant tout le jeune âge , il m’a été impossible d’y recon- naître aucun des traits sur lesquels reposent les distinctions spé- cifiques établies parmi ces Annélides. Les phénomènes génésiques que m'ont offerts les Térébelles s'accordent donc parfaitement avec les vues que j'ai rappelées au commencement de ce Mémoire, et il en est de même de l’em- bryologie des Protules que j’ai eu l’occasion d'étudier à Milazzo. Ces Annélides , sur lesquels M. Risso (2) a le premier fixé l’at- tention des zoologistes, appartiennent, comme on le sait, au même ordre que les Térébelles ; ce sont aussi des Tubicoles, mais elles s’éloignent beaucoup des précédentes par leur mode d’organisa- tion, et ne diffèrent guère des Serpules que par l’absence de (1) Je suis porté à croire que, faute d'avoir connu ces métamorphoses, on a pu prendre des larves de Térébelles pour des types particuliers , et qu'on a de la sorte multiplié inutilement les genres. Ainsi il me paraît bien probable que le petit Annélide dont M. Templeton a formé le genre Anisomelus est une de ces larves, parvenue à peu près au même degré de développement que celle figurée dans la pl. 7, fig. 26. (Voyez Templeton, Description of some invertebrated animals ob- tained at the isle of France; Trans. of the Zool. Soc., vol. IL, p. 27, pl. 5, fig. 9-14). Le genre Terebellide de M. Sars (Beskrivelser og iagtlagelser, ete., p. 48, pl. 42, fig. 31) pourrait bien devoir être réformé pour la même raison. Enfin il est possible aussi que ce soit une jeune Térébelle dont j'ai eu l'occasion de parler d'après M. de Quatrefages, sous le nom d’Aphlébine. (Voyez Annales des Sciences naturelles, 3° série, t. I, p. 48.) (2) Voyez Histoire naturelle de l'Europe méridionale, t. V, p. 405. 0 DÉVELOPPEMENT DES ANNÉLIDES, 161 l'espèce d’opercule qui, chez celles-ci, résulte de l'élargissement de l’un des appendices céphaliques , et sert à clore l'entrée du tube calcaire dans lequel ces Vers, de même que les Protules , se tiennent toujours. L'espèce que j'ai trouvée à Milazzo me paraît être nouvelle ; elle se fait remarquer par ses panaches blancs ornés de points rouges (1), et elle mérite à tous égards le nom de Protule élégante , sous lequel je proposerai de la désigner. Les œufs de ces Serpuliens sont pondus au mois de juin, et, de même que ceux des Térébelles , sont renfermés dans une masse pyriforme de matière albumineuse, dont l'extrémité inférieure adhère au bord du tube calcaire habité par la mère (2) ; leur couleur est rouge-cinnabre , et ils paraissent avoir deux tuniques. Le développement de ces œufs est très rapide, et s'achève dans l’espace de vingt-quatre heures. Avant la ponte, le vitellus ne se compose que de granules entremêlés de globules assez gros , qui semblent être des gouttelettes de quelque matière huileuse plutôt que des utricules (3); mais presque aussitôt après l'expulsion des œufs , la masse vitelline devient le siége d’un travail analogue à celui que MM. Prevost et Dumas ont été les premiers à signaler dans l’œuf des Batraciens. En effet, les éléments da vitellus se groupent alors de diverses manières , et ils ne tardent pas à con- stituer ainsi quatre masses secondaires, dont trois, de forme à peu près sphérique et d’égale grosseur, paraissent renfermer dans leur centre un gros globule huileux , et dont la quatrième, beaucoup plus grande que les précédentes, semble les porter, et sépare l’un de l’autre deux de ces corps entre lesquels le troisième se trouve également interposé (4). Dans le principe , on ne distingue rien entre ces masses colorées et la membrane vitelline; mais bientôt une substance blanchâtre et granuleuse commence à s'y développer de toutes parts , et y forme une couche dont l’épais- seur augmente rapidement. Le vitellus est en même temps refoulé vers le centre de l’œuf, et diminue considérablement de volume, Vers la douzième heure du développement embryonnaire, la couche granuleuse, que j'appellerai tégumentaire à cause des (1) PL 40, fig. 56, — (2) PI. 9, fig. 42 — (3) Fig. 45. — (4) Fig. 36. 3° série. Zoo. T. HI {Mars 1845.) A1 162 MILNE EDWARDS. — VOYAGE EN SICILE. parties qu’elle doit constituer dans l’économie , présente la même disposition qu'on remarquait auparavant dans les masses vitel- lines, tandis que celles-ci se sont confondues en une seule boule qui occupe environ la moitié du diamètre de l’œuf (1) ; mais cette apparence est de courte durée , et la couche tégumentaire , dont l'épaisseur augmente rapidement , ne tarde pas à constituer à son tour une masse sphérique, dont la surface acquiert un aspect framboisé très variable , qui paraît dépendre du développement des utricules dont sa substance se compose (2). Les globules huileux ou les utricules du vitellus se modifient aussi à diverses reprises; ils paraissent se fractionner, puis gros- sir de nouveau, et à un certain moment, on distingue quatre sphères assez semblables aux masses dont il a déjà été question, mais logées au milieu d’une quantité considérable de granulations plus petites. Plus tard, on voit quatre où même cinq de ces sphères réfractant fortement la lumière, et la masse vitelline tout entière paraît être revêtue d’une enveloppe membraneuse, Enfin on commence à distinguer dans la couche tégumentaire une zone opaque, que sépare du reste de l'embryon un segment cé- phalique (3), près de la base duquel j'ai cru apercevoir deux petites taches jaunâtres correspondant aux points oculiformes de la larve. Alors la tunique vitelline ne tarde pas à disparaître, et le jeune animal , devenu libre au milieu de la masse albumineuse qui lui sert de nid, commence à se mouvoir. Son corps (4) est encore pres- que sphérique , comme l'était l’œuf dont il vient de naître, et sa structure paraît être d’une simplicité extrême; mais il offre déjà le caractère essentiel du type des Annélides, et il ressemble beau- coup aux larves nouvellement nées de nos Térébelles. Effectivement, son corps est symétrique par rapport à une ligne médiane droite, et tend à se diviser en segments placés bout à bout; le segment antérieur est très grand, et porte, de chaque côté, un point oculi- forme; il est délimité en arrière par une zone garnie de cils vi- bratiles, et celle-ci est à son tour suivie par un troisième segment, qui est plus grand que les deux précédents réunis, et qui est en- (1) PI. 9, fig. 47. — (2) Fig. 48. — (3) Fig. 49. — (4) Fig. 50 DÉVELOPPEMENT DES ANNÉLIDES. 163 tièrement nu; enfin, tout-à-fait en arrière, on remarque une ligne obscure qui sépare de ce grand anneau médian un petit segment terminal, et dans l’intérieur du corps on apercoit une cavité di- gestive ovalaire, dont le grand axe correspond à la ligne médiane. Bientôt ces petites larves s’allongent et se rétrécissent postérieu- rement ; les divisions annulaires de leur corps se dessinent plus nettement; les cils dont sé compose la collerette post-céphalique grandissent beaucoup, et on apercoit à l’extrémité anale un bou- quet d’appendices de même nature (1). Elles ressemblent alors si exactement aux jeunes larves de Térébelles, qu’on ne pourrait, à priori, les supposer appartenir à des familles différentes, ni même à deux genres nettement séparés ; car les seules particula- rités qui les distinguent consistent dans la forme de la collerette ciliaire, qui est ici, dès le principe, aussi étroite qu’elle le devient chez les petites Térébelles âgées de deux ou trois jours, et dans la position des cils de l’anneau anal, qui sont peu nombreux et re- foulés un peu en dessous, au lieu de constituer une large cou- ronne. Ces petites larves restent encore deux jours environ dans l’in- térieur de la masse albumineuse qui logeait les œufs, et pendant ce temps, leur corps devient de plus en plus vermiforme: leur tête se rétrécit à sa base ; les cils vibratiles diminuent de longueur, et deux nouveaux anneaux se développent à l'arrière du corps, au- devant du segment anal (2). Bientôt après, elles deviennent libres et acquièrent la faculté de marcher aussi bien que de nager. Effec- tivement, on leur voit alors de chaque côté du corps une rangée de trois ou de quatre petits tubercules pédiformes armés chacun d’une longue soie protractile, et légèrement recourbée vers le bout (3). Mais leur pouvoir locomoteur ne tarde pas à diminuer ; après vingt- quatre heures de cette vie errante , elles commencent à perdre leurs organes natateurs, qui semblent se flétrir ainsi que l’anneau qui les porte; puis on les voit rester immobiles sur la surface de quelque corps étranger, et le lendemain on les y retrouve logés ‘dans un petit tube solide ouvert à ses deux bouts, et trop court pour les cacher en entier. 1) Fig. 52. — (2) Fig. 50, 53. — (3) Fig. 54 164 MILNE EDWARDS. — VOYAGE EN SICILE. Ainsi les Protules, de même que les Térébelles, ont, pendant la première période de leur vie de larve, les caractères et les mœurs des Annélides errantes , qui constituent, comme on le sait, le principal groupe dans cette classe d'animaux. Mais lorsqu'elles se sont construit une gaine, elles paraissent acquérir promptement des pieds à crochets, organes qui constituent un des traits les plus saillants des Tubicoles , et leur tête diminue de volume au point que les yeux, au lieu d’être placés très en arrière, comme chez les jeunes larves, se trouvent alors près du bord frontal (1) ; enfin les appendices qui garnissent l'extrémité antérieure du corps des Tubicoles commencent aussi à se former, mais ne se développent pas comme ceux des Térébelles, car, au lieu d’être d’abord com- parables à des antennes, ils se montrent, dans le principe, sous la forme de deux petits lobes situés sur les côtés du cou. Le sur- * lendemain, j'ai cru voir quelques digitations sur le bord de ces lobes, et par conséquent je dois supposer que ce sont les premiers vestiges des deux panaches branchiaux propres à la famille des Serpuliens; mais le tube opaque dans lequel mes larves se ca- chaient dépassait alors de beaucoup la longueur de leur corps, et elles ne sortaient la tête que pour la retirer aussitôt, de facon qu'il devenait très difficile de les observer, et il m’a été impossible de porter plus loin l'étude du développement de ces petits Annélides, car tous ceux que j'élevais dans mes vases sont morts peu de temps après qu'ils s'étaient fixés, et leurs dimensions étaient en- core trop petites pour que j'aie pu en apercevoir sur la surface des rochers submergés, où ils établissent d'ordinaire leur demeure. Mais les faits que j'avais déjà constatés suflisaient pour montrer que le développement des Protules suit une marche analogue à celle que j'avais précédemment observée chez les Térébelles, et pour faire voir qu'ici encore le jeune animal n’acquiert que suc- cessivement les traits organiques qui le caractérisent, comme ap- partenant d’abord à l’embranchement auquel il se rapporte, puis à sa classe, à son ordre, et enfin à la famille particulière dont il est membre. DÉVELOPPEMENT DES ANNÉLIDES. 165: J'ai eu aussi le regret de ne pouvoir suivre les métamorphoses de quelques autres larves que j'avais vues naître d'œufs d’Annélides dont le genre ne m'était pas connw; mais, quoique j'ignore même la famille à laquelle ces petits êtres appartenaient, je ne crois pas devoir les passer ici sous silence, car ils montrent que le mode d'organisation commun aux jeunes Térébelles et aux larves de Protules se retrouve chez d’autres animaux de la même classe. En effet, ces larves (1) offraient tous les caractères généraux de celles que je viens de décrire, et ne s’en distinguaient que par quelques particularités peu importantes, telles que la couleur du vitellus, la longueur des cils natatoires, l'existenee de quelques pinceaux de cils sur le bord antérieur de la tête ; elles devaient par consé- quent se rapporter à d’autres genres d’Annélides, et leur ressem- blance avec les larves des Tubicoles, dont il vient d’être question, fournit un nouvel argument en faveur des principes dont j'ai cher- ché à faire l’application à la classification naturelle des animaux. Une larve (2) que j'ai trouvée en haute mer, entre Stromboli et le détroit de Messine, à plus de dix lieues des côtes, mérite sur- tout de fixer l'attention ; car, bien que le plan général de son or- ganisation soit le même que chez toutes les précédentes, elle s’en éloigne par quelques caractères d’après lesquels je suis porté à croire qu’elle doit appartenir à un Annélide errant, et probable- ment même à l’'Amphinome de la Méditerranée. Effectivement , chez un individu long d’environ deux lignes, le-corps était pourvu de trente et une paires de pattes garnies seulement de soies su- bulées, et il me paraît difficile de supposer que, chez un Tubicole, le développement arriverait à ce degré sans que les crochets eussent commencé à se montrer. La bouche était aussi parfaitement dis- tincte et avait la forme d’une grande fente longitudinale, carac- tère qui existe chez plusieurs Amphinomiens, mais qui ne se voit ni chez les Tubicoles, ni chez les Néréidiens, où cet orifice est transversal. Mais, d’un autre côté, cette larve conservait encore la collerette de cils vibratiles qui, chez les jeunes Tubicoles, en- toure la base de la tête et remplit les fonctions d’un appareil de (1) Fig. 29, 30, 31, 32, 33; fig. 34, 35, 36, 38, 39'et fig. 40 (2) PL 7, fig. 41 166 MILNE EDWARDS. — VOYAGE EN SICILE, natation ; il existait aussi une couronne de même nature sur le dernier anneau du corps, et en avant on remarquait une tête por- tant en dessus deux points oculiformes de couleur orangée et garnie latéralement d’une expansion membraneuse , semi-circu- laire, qui, probablement, devait donner naissance à quelques ap- pendices, où constituer, en se relevant, la crète céphalique des Ampbinomes. Le canal digestif était grand et cylindrique, mais n'offrait dans son intérieur aucune trace de mâchoires cornées. Enfin l’anneau anal portait en arrière de sa couronne ciliaire deux gros tubercules, entre lesquels se trouvait l’anus. Si, comme je le soupconne, cette larve était une jeune Amphinome, on voit que, pour achever son développement, il devait non seulement perdre ses organes natateurs et gagner de nouveaux anneaux, mais aC- quérir aussi tout le système appendiculaire , qui, chez ces Anné- lides , offre un haut degré de complication, et consiste en bran- chies touffues , aussi bien qu’en tubercules filiformes insérés sur chaque pied : or, c’est précisément l’apparition d'organes de cet ordre qui, chez les Annélides, dont nous venons d'étudier le dé- veloppement, termine la série des phénomènes génésiques. Il est aussi à noter que, par la comparaison de la larve que je viens de décrire avec une autre de même espèce, mais plus jeune, j'ai pu facilement me convaincre qu'ici encore c’est entre le pénul- tième segment et le segment anal que se forment successivement chacun des anneaux nouveaux. Je n’ai pas eu l’occasion d'observer, pendant la première pé- riode de leur existence, des larves que je pouvais rapporter avec certitude à quelque Néréidien ; mais j'ai souvent trouvé de jeunes Néréides qui n'étaient encore parvenues qu’à la seconde période de leur développement, et, d’après les changements qui sont sur- venus dans leur organisation, j'ai pu me convaincre que la marche générale de ces phénomènes est la même que chez les Téré- belles. En eflet, ces Annélides, qui étaient encore trop petits pour être faciles à apercevoir à l’æœil nu et que je trouvais sur des amas d'œufs de Mollusques aux dépens de l’albumen desquels ils pa- raissent se nourrir, ne m'ont offert d’abord qu'un très petit nom- DÉVELOPPEMENT DES ANNÉLIDES. 167 bre d’anneaux, et c’est toujours entre les deux derniers segments que l’anneau en voie de formation s’est montré, de facon que chaque segment nouveau se placait en arrière de celui qui l’avait précédé et refoulait de plus en plus en arrière l'anneau anal. Les pieds se développaient aussi dans le même ordre, et ces organes n’acquéraient leurs appendices tentaculaires et branchiaux qu'a- près s’être complétés comme instruments de locomotion. Mes plus jeunes Néréides (1) n’avaient pas une ligne de long, et n’offraient encore que quatre anneaux pédigères précédés par un segment céphalique représentant l’anneau labial postérieur, aussi bien que la tête proprement dite, et suivis par un petit an- neau anal. Une seule paire d'antennes, courtes et grêles, se voyait sur le bord antérieur de la tête; plus en arrière, on re- marquait des points oculiformes, et de chaque côté de la nuque naissait un petit cirrhe tentaculaire. Les pieds des trois premières paires étaient déjà très gros et étaient armés chacun de deux fais- ceaux de soies articulées en baïonnettes, comme chez l’adulte (2), et de deux acicules; mais ces organes n’offraient encore aucune trace de lobes branchiaux ni de cirrhes. Les pieds de la quatrième paire étaient très petits et n'étaient garnis que de deux soies dis- posées parallèlement. L’anneau anal portait une paire de cirrhes filiformes dirigés en arrière. Eufin l'appareil digestif, quoique très court et encore rempli de globules vitellins, présentait déjà un orifice buccal bien distinct, un bulbe pharyngien ou trompe armée de deux mächoires cornées (3), un estomac ovalaire et un intestin infundibuliforme allant se terminer à l’anus. En avancant en âge, ces larves (4) ne tardaient pas à acquérir un nouvel anneau qui se développait à l'endroit ordinaire, et qui ne présentait d’abord, à la place des pieds, que deux tubercules dépourvus de soies. On distinguait en même temps un petit ma- melon charnu qui commencait à se montrer sur chacun des pieds précédemment formés ; des vestiges de nouveaux cirrhes tentacu- laires se dévelopoaient sur les côtés de la tête ; les antennes prirent la forme caractéristique de celles de la paire extérieure chez l’a- (1) PI. 10, fig. 57, (2) PI 41, fig. 64.—(3) PL. 10, fig. 60,—(4) Fig. 58. 163 MILNE EDWARDS. VOYAGE EN SICILE. dulte; les yeux semblèrent se dédoubler ; les mâchoires, en gran- dissant, acquirent des dentelures marginales ; l'estomac se rac- courcit, et l'intestin s’allongea. Quelque temps après, ces petites Néréides (1) présentaient sept paires de pieds, dont la dernière formée était, comme de coutume, insérée sur le pénultième anneau du corps, et n’offrait encore au- cune trace de soies. Les autres pieds étaient déjà pourvus de leurs deux cirrhes; mais la division entre la rame dorsale et la rame ventrale n’était que peu marquée, et on n’apercevait pas les ma- melons qui, plus tard, en garnissent l'extrémité, et qui sont gé- néralement désignés sous le nom de tubercules branchiaux. La tête s'était en même temps complétée par le développement des an- tennules et de deux nouvelles paires de cirrhes; le cerveau se laissait entrevoir en arrière des yeux; enfin les mâchoires avaient pris la forme qu'on leur voit chez l'adulte; mais l’intestin était encore un tube cylindrique, et je n’ai pu apercevoir aucune trace de sang rouge ni de vaisseaux pour la circulation. Lorsque ces jeunes Annélides eurent acquis une vingtaine de paires de pieds (2), leur corps, quoique proportionnellement moins long que chez l'adulte, avait déjà la forme générale qu'il devait conserver ; les cirrhes tentaculaires étaient au nombre de quatre paires, et les pieds étaient profondément divisés en deux rames (3) ; on distinguait aussi des vaisseaux à sang rouge dans l’intérieur de l’économie, et l'intestin présentait, dans presque toute sa lon- gueur, la série de renflements qu'on y remarque chez la plupart des Néréidiens adultes. Mais les trois anneaux qui précédaient immédiatement le segment anal n'étaient pas aussi complets que les autres; le premier de ces segments portait une paire de pieds à une seule soie, et les deux autres étaient complétement dé- pourvus d’appendices cornés. Enfin, les mamelons branchiaux ne se distinguaient pas encore, J'ai trouvé aussi des Syllis extrêmement jeunes, dont les pieds ne portaient pas de cirrhes, et dont les antennes étaient rudi- mentaires, mais qui étaient déjà bien reconnaissables par la struc- (1) PL 10, fig. 61: — (2) PL 44, fig. 162. — (3) Fig. 63 DÉVELOPPEMENT DES ANNÉLIDES. 169 ture de leurs soies et le mode de conformation de leur tube di- gestif. Or, chez ces Annélides, le corps s’allongeait également par le développement de nouveaux segments entre le pénultième an- neau et l’annéau anal. Chez d’autres individus, plus âgés, qui avaient dix paires de pieds bien formés, les cirrhes, quoique en- core fort courts, étaient très distincts et offraient la disposition monilaire qui se remarque chez l'adulte. L’antépénultième anneau portait une paire de tubercules pédiformes, sans avoir encore de soies, et le pénultième segment était apode, tandis que le segment terminal offrait tous les caractères d’un änneau anal complet. Ainsi tous les faits que j'ai pu observer concordent parfaite- ment entre eux et tendent à faire penser que les mêmes lois rè- glent le développement de tous les Annélides chétopodes. D’après l’ensemble de ces faits, on voit que le corps de ces animaux se constitue peu à peu par la formation successive d’an- neaux nouveaux, c’est-à-dire par la création des parties homo- logues à celles déjà existantes, par le développement de segments construits, d’après le même plan fondamental , qui viennent se placer à la suite les uns des autres. On voit aussi que ce sont toujours les deux parties extrêmes de l’économie, celles dont dépendent la bouche et l'anus, qui se con- stituent d’abord , et que c’est dans l’espace qui les sépare que se forment ensuite les anneaux plus ou moins nombreux du tronc. Mais ce n’est pas un mouvement génésique centripète proprement dit qui se manifeste alors ; ce ne sont pas deux séries de zoonites, qui, en grandissant, se dirigent l’une vers l’autre, mais une série unique qui s’allonge progressivement d'avant en arrière par l’ad- dition d'éléments nouveaux, de facon à refouler toujours de plus en plus loin de la tête le segment anal, et qui est disposée de telle sorte, que l’âge relatif de chacun de ces anneaux est en rapport avec le rang qu'il occupe dans l’économie. Le zoonite nouveau vient s’interposer entre le dernier segment qui s’est constitué et le segment anal; et on peut se demander quel est celui de ces deux anneaux qui en a déterminé la formation. Au premier abord, cette question semble difficile à résoudre; mais elle peut, je crois, être tranchée à l’aide d’une observation qui servira aussi à 170 MILNE EDWARDS. — VOYAGE EN SICILE. montrer la généralité de la tendance génésique dont je viens de parler. L'année dernière, en étudiant les Annélides des côtes de la Manche, M. de Quatrefages a été témoin d’un phénomène qui avait déjà été apercu par Oth. Fred. Muller, mais qui n’avait pas été apprécié à sa juste valeur par les zoologistes; je veux parler de la division spontanée ou multiplication par bouture, chez les Syllis. M. de Quatrefages a vu qu’à une certaine époque de la vie, un individu nouveau , destiné uniquement à la reproduction sexuelle, se développe à la partie postérieure du corps de ces animaux, et s’en sépare après y être resté adhérent pendant quel- que temps (1). Un Annélide qui habite les côtes de la Sicile, et qui se rapproche un peu des Myrianes de M. Savigny (2), mais qui me paraît devoir constituer le type d’un genre nouveau (3), m'a présenté un phénomène analogue , mais plus curieux encore; car l'individu souche, au lieu de produire par bouture un seul petit, en forme jusqu'à six, qui sont réunis en chapelet à l'extrémité postérieure de son corps (4), et qui, de même que chez les Syllis, renferment les organes de la génération, parties dont l'individu souche est lui-même privé. Or, ces petits se constituent précisément dans le point où nous avons vu naître les nouveaux anneaux chez les larves, c’est-à-dire entre le segment caudal ou anal et le dernier segment du tronc ; mais tous ne se forment pas en même temps, et d’après le degré de développement auquel ils étaient parvenus dans l’exemplaire que j’ai eu l’occasion d'observer, on voyait bien évidemment qu’ils étaient d'autant plus jeunes qu’ils étaient placés plus près de l’in- dividu producteur. Le petit qui s'était formé le premier devait, dans le principe, se trouver entre le segment terminal du tronc (1) Voyez Ann. des Sc. nat., 3° série, t. I, p. 22. (Janvier 1844.) (2) Système des Annélides, p_ 40 (3) Cet Annélide, dont je propose de former le genre Myrianide, se distingue des Phyllodocés et des Myrianes par la forme de la tête, par l'absence de cirrhe ventral à tous les pieds, et par plusieurs autres caractères. (Voyez l'explication des planches.) (4) PL A4, fig. 65. DÉVELOPPEMENT DES ANNÉLIDES, 171 de l’Annélide adulte et son anneau caudal, qui, refoulé en ar- rière par le bourgeon reproducteur, aura, dès lors, cessé d’ap- partenir au premier, et sera devenu un des zoonites constitutifs de l'être en voie de fcrmation ; le second petit, situé au-devant du premier, a dû se développer entre celui-ci et le même anneau ter- minal du tronc de l'adulte; il ne pouvait être en rapport avec l'anneau caudal primitif, et il ne peut être considéré que comme étant produit sous l'influence du dernier anneau du tronc de lin dividu souche. Il en aura été de même pour le troisième petit, puis pour le quatrième, et ainsi de suite. La production par bourgeon d’un nouvel individu ressemble donc, jusqu'à un certain point, à la formation des nouveaux z00- nites dans l’économie de la larve: seulement, dans ce dernier cas, l'anneau producteur perd sa puissance créatrice, dès qu'il a donné naissance à un nouveau segment auquel il se lie de la manière la plus intime, et c’est celui-ci qui, à son tour, devient producteur ; tandis que, dans la multiplication des individus par bouture, le produit devenant, jusqu’à un certain point, étranger à l’économie de l'individu souche , l’anneau producteur continue à fonctionner et donne naissance à une série de petits, dont les plus jeunes re- foulent en arrière leurs aînés. Ainsi chez les Annélides, de même que chez les plantes où l’on voit les jeunes tissus donner naissance aux tissus nouveaux, c’est l’anneau le plus jeune qui semble pos- séder seul la propriété de déterminer la formation d’un autre an- neau. En effet, on ne voit jamais, chez ces animaux, un zoonite nouveau apparaître entre deux anneaux d’une même série ; c’est toujours à l’extrémité de la série qu’il se montre. Mais cette pro- priété , en vertu de laquelle un zoonite est apte à produire un an- neau semblable à lui-même, ne se perd pas complétement par son exercice; elle devient latente seulement lorsque le zoonite est en rapport avec son produit, et elle se réveille de nouveau, si ce pre- mier vient à être séparé du segment auquel il avait donné nais- sance, Car, ainsi que je me propose de le montrer dans une autre occasion, la reproduction des anneaux perdus par suite de muti- lations n’est autre chose qu’un phénomène de ce genre. Du reste, ilme parait probable que cette faculté créatrice peut, dans cer- 172 MILNE EDWARDS. VOYAGE EN SICILE. taines circonstances, être exercée par tout anneau terminal d’une série, et déterminer ainsi l’allongement de cette série par son ex- trémité antérieure, aussi bien que par le bout opposé; les expé- riences de Bonnet, de Dugès et de quelques autres naturalistes tendent à me le faire supposer, et il est à présumer que, chez cer- tains Annélides, tels que les Glycères, le nombre des segments céphaliques peut s’accroître de cette manière: mais il est facile de s’assurer que, d'ordinaire, il n’en est pas ainsi, et que, dans l’im- mense majorité des cas, c’est seulement à l’extrémité postérieure de la série formée par les anneaux du tronc que la multiplication des zoonites s’effectue chez les Annélides. Il est aussi à noter que, dans les reproductions par bourgeons dont il vient d’être question, les jeunes individus se sont déve- loppés de la même manière que lorsqu'ils provenaient d’un em- bryon. En effet, le nombre de leurs anneaux a augmenté peu à peu; c’est la tête et l’anneau caudal qui se sont constitués d’abord, et c’est entre le dernier segment de la série céphalique ou de ses dérivés et le segment anal, que s’est formé successivement chaque zoonite nouveau. Ainsi, le plus jeune de ces singuliers animaux réunis en chapelet à l’arrière du corps de l'individu souche, se composait de dix anneaux seulement, tandis que le second en avait quatorze, le troisième seize, le quatrième dix-huit, le cinquième vingt-trois, et le sixième, qui était l’aîné de tous, et qui terminait postérieurement cette série, en présentait trente. Il était en même temps facile de se convaincre que, chez chacun de ces petits êtres, la série des anneaux du tronc s’était formée d’avant en arrière ; ces anneaux étaient d'autant plus avancés dans leur développe- ment qu’ils étaient situés plus près de la tête, qui pourtant offrait à peu près le même volume ; enfin l'anneau caudal était partout plus complet que les segments postérieurs du tronc, de sorte que, suivant toute probabilité, c'était entre ce segment terminal et le dernier segment du trone que se constituait chacun des zoonites nouveaux dont l'organisme s’enrichissait. La tendance génésique que je viens de signaler chez les Anné- lides n’existe pas seulement dans cette classe d'animaux ; les faits que la science possède déjà suffisent pour montrer qu’elle est plus DÉVELOPPEMENT DES ANNÉLIDES. 173 générale, et lorsque les observateurs fixeront davantage leur at- tention sur l’ordre de développement des zoonites dont le corps des animaux articulés se compose, on en distinguera probable- ment des traces plus ou moins marquées dans la constitution embryonnaire de tous les êtres conformés d’après le même plan fondamental, c’est-à-dire dans tous les membres du grand em- branchement des animaux Annelés. En efet , les recherches de Degeer, de M. Savi, de M. Newport et de M. Gervais, nous ont appris que, dans la classe des My- riapodes, de même que chez nos Annélides, le corps du jeune animal se complète par la formation successive d’un certain nom- bre d’anneaux qui viennent se placer à la file les uns des autres vers la partie postérieure du corps, entre le dernier segment du tronc et le segment anal , de facon à refouler celui-ci de plus en plus loin de la tête. Jurine, Rathke, Thompson et plusieurs autres carcinologistes , ont été , ainsi que moi, témoins de phéno- mènes analogues dans le développement de divers Crustacés, tels que l’Écrevisse, l'Aselle d’eau douce et les Cyclopes. Une tendance de même nature se reconnaît dans les modifications qu’é- prouve l’organisation de quelques jeunes Arachnides, chez lesquels Leuwenhæck , Degeer et Dugès ont vu une quatrième paire de pattes se former après la naissance, et à la suite des trois paires de membres déjà existantes, Enfin, des indices de ce mode de dévelop- pement annulaire me semblent exister aussi dans les jeunes em- bryons de quelques insectes, tels que le Simulia canescens étudié par M. Külliker ; mais nos connaissances relativement aux pre- mières périodes de la vie embryonnaire des animaux de cette classe sont encore trop incomplètes pour que l’on puisse se for- mer à cet égard une opinion arrêtée. Du reste , lorsqu'on cherche à appliquer à l'ensemble du groupe des animaux annelés les lois qui semblent régler le mode de mul- tiplication des zoonites chez les Annélides , il ne faut pas se bor- ner à prendre en considération le développement du petit prove- nant de l'œuf pondu par ces Vers ; il est également nécessaire de tenir compte des phénomènes de leur reproduction par bourgeon- nement. , 174 MILNE EDWARDS. — VOYAGE EN SICILE. Nous avons vu que, dans le développement ovipare de nos Annélides , le corps du jeune animal se divise primitivement en deux portions , dont l’une seulement possède la faculté de pro- duire des zoonites, et que tous les anneaux nouveaux se consti- tuent à la suite l’un de l’autre , de facon que la série ainsi formée ne s’allonge que par son extrémité, et que les relations de posi- tion restent invariables entre ces divers éléments de l’économie. Le corps de l'animal adulte , abstraction faite de l’anneau caudal, ne se compose donc que d’une seule série, ou groupe génésique de zoonites , appartenant à la région céphalique ; mais lorsque le développement devient plus actif, comme dans le cas de la multi- plication par bourgeonnement , dont les Syllis et nos Myrianides offrent des exemples, on voit un même anneau donner directe- ment naissance à deux ou à plusieurs zoonites, qui, en se repro- duisant à leur tour de la manière ordinaire, constituent une ou plusieurs séries intercalaires ; l'ensemble des produits segmen- taires représente alors une suite de groupes de zoonites, dont chacun s’allonge par sa partie postérieure, comme le faisait la série unique dans le cas précédent ; et bien que la tendance géné- rale des phénomènes génésiques soit restée la même , il en résulte que les mêmes lois ne régissent plus les connexions des parties entre elles. Or, ce phénomène, qui, dans la classe des Annélides, ne se manifeste que lors de la production de nouveaux individus par voie de bourgeonnement , et n'intervient jamais dans la con- stitution primitive de l'individu lui-même , se voit ailleurs pen- dant le développement de l'embryon, et modifie à certaine époque de la vie les relations des zoonites entre eux. - Chez les Crustacés , par exemple, il paraît y avoir trois de ces systèmes ou séries génésiques de zoonites (1), dont l’allonge- ment peut se continuer après la formation du premier anneau de la série suivante , et il est à noter que ces groupes correspondent précisément aux trois grandes divisions du corps de ces animaux : la tête, le thorax et l’abdomen. Ainsi, on voit souvent la série (1) L'anneau caudal représente une quatrième série, mais ne donne pas nais- sance à d’autres zoonites , de façon que l'anus occupe toujours le dernier segment du corps DÉVELOPPEMENT DES ANNÉLIDES. 175 des anneaux thoraciques se compléter postérieurement à l’exis- tence de la série abdominale, et quelquefois aussi de nouveaux anneaux se constituer entre la portion céphalique du corps et le premier segment thoracique. C’est aussi dans ces points de par- tage que les anomalies par avortement ou par arrêt de dévelop pement se rencontrent d'ordinaire, tant dans le système appen- diculaire que dans la portion fondamentale ou centrale de l’éco- nomie, et c’est peut-être faute d’avoir connu cette tendance génésique que M. Savigny et les autres zoologistes qui ont cher- ché à établir la concordance entre les appendices des Insectes, des Arachnides et des Crustacés, ne sont pas toujours arrivés à des résultats satisfaisants. Dans une autre occasion, je me pro- pose de traiter plus au long cette question , qui ne pourrait être discutée ici sans nous éloigner du sujet dont nous nous occupons en ce moment (1); mais il m'a semblé nécessaire de signaler le principe dont paraissent dépendre ces différences dans le mode de développement des zoonites chez divers animaux annelés, ne füt-ce que pour nous aider dans l'appréciation de ce qu’il peut y avoir de général dans les tendances génésiques dont les Anné- lides nous ont offert des exemples. Si, maintenant, nous comparons la manière dont l’économie se constitue chez ces Vers chétopodes et chez les animaux conformés d’après d’autres types fondamentaux , les Vertébrés et les Mol- lusques , par exemple , nous y reconnaîtrons, dès le principe, des différences considérables , et nous verrons que ces différences sont en rapport avec les caractères dominateurs dans chacune de ces grandes divisions zoologiques. Ainsi, chez les Annélides , de même que chez les Crustacés, les (1) La disposition dont je viens de parler à l'occasion du développement des Annelés n'est pas particulière à ces êtres ; elle est plus générale, et, chez tous les animaux, les unités organiques dont se compose un appareil tendent à se consti- tuer en groupes secondaires , dont les parties périphériques se développent après les parties centrales, et offrent moins de fixité dans leurs formes et même dans leur existence. On comprendra facilement combien il est nécessaire de tenir compte de cette considération, lorsqu'on veut se servir du principe des conneæions pour arriver à la détermination de parties dont la forme change. 176 MILNE EDWARDS. — VOYAGE EN SICILE. Myriapodes , etc., c’est la région orale ou céphalique qui est le point de départ du travail zoogénique , et l’économie se complète peu à peu par la formation successive de nouveaux troncons qui sont analogues à ceux déjà développés et à ceux qui y font suite, Chez les Mollusques , au contraire , c’est la région abdominale qui se constitue d’abord ; la portion céphalique du corps ne se forme que beaucoup plus tard, et souvent même elle avorte plus ou moins complétement. Enfin, chez les Vertébrés, comme on le sait, la ligne primitive , qui correspond au système céphalo-rachidien , se dessine dans toute sa longueur longtemps avant les autres par- ties de l’économie, et ce n’est pas d'avant en arrière, à la suite de ce système, mais autour de l'espèce d’axe ainsi constitué , que les autres parties de l’économie viennent se grouper. Or, le carac- tère le plus saillant de l’embranchement des Vertébrés est fourni par ce même appareil céphalo-rachidien ; les Mollusques se font surtout remarquer par la disposition des viscères que l'abdomen renferme , et la segmentation du corps, chez les Annelés, suffit pour faire reconnaître, au premier coup d'œil, la plupart des êtres dont se compose cette grande division zoologique. D'autres différences également importantes à signaler dépen- dent de l’ordre de primogéniture de quelques uns des grands systèmes physiologiques de l’économie ; circonstance dont les anatomistes ont trop négligé la considération, et dont il est in- dispensable de tenir compte lorsqu'on veut comparer les formes embryonnaires des animaux supérieurs à l’état permanent des êtres dont le rang zoologique est moins élevé. Chez les Vertébrés, où l’appareil circulatoire doit acquérir une perfection très grande, et doit remplir un des rôles les plus importants, le cœur et les vaisseaux sanguins se forment, dès l’une des premières périodes de la vie embryonnaire , longtemps avant que le tube alimentaire se soit constitué, ou que le petit être en voie de formation ait acquis aucun des caractères propres aux animaux de sa classe. Chez les Annélides, qui, pour la plupart, sont aussi des animaux à sang rouge, le tube digestif se constitue , et fonctionne à une époque où il m'était impossible d’apercevoir la moindre trace de l'appareil de la circulation: je n’ai pu constater l’existence de DÉVELOPPEMENT DES ANNÉLIDES. 177 vaisseaux sanguins, que lorsque le jeune animal avait depuis longtemps la forme générale qu'il devait conserver, et lorsqu'il était apte à l'exercice de toutes les facultés de relation dont son espèce est douée. Il paraîtrait que chez les Crustacés le cœur ne se forme aussi qu’à une période assez avancée du développement embryonnaire ; et suivant toute probabilité, il en est encore de même pour les Insectes, chez lesquels cet organe reste toujours sous la forme d’un vaisseau très simple , et ne semble jouer qu’un rôle fort minime dans l’économie générale de l'individu. Je me suis assuré par des observations multipliées que , sous le rapport de l’apparition tardive du cœur , les Mollusques se rap- prochent des animaux annelés ; et chez les Zoophytes , comme on le sait, cet organe n'existe à aucune période de la vie, et se trouve tout au plus suppléé par des instruments d’une imperfec- tion extrême. Ainsi, sous ce point de vue, de même que sous beau- coup d’autres rapports, l'embryon des animaux sans vertèbres diffère essentiellement de celui des animaux vertébrés, et ce der- nier ne représente jamais un type quelconque appartenant soit à l'embranchement des Mollusques , soit à la grande division des animaux Annelés , ou à celle des Radiaires. Ainsi tout tend à prouver que la distinction établie par la nature entre les animaux appartenant à des embranchements différents est une distinction primordiale , et les faits dont je viens d’entre- tenir l’Académie, loin d’être favorables à l'existence d’une seule série zoologique, fournissent de nouveaux arguments à l'appui des vues auxquelles j’ai fait allusion dans les premières lignes de cet écrit. EXPLICATION DES FIGURES. Fic. À à 27. Emsrvococie pe LA Térésezce nésureuse. Toutes ces figures, excepté la première, représentent les objets grossis au microscope. Fig. 4. (PI. 5.) — Les œufs logés dans une masse’albumineuse (b) qui adhère au bord de l'orifice du tube (a) habité par la mère. (Grandeur naturelle.) Fig. 2. OEuf très jeune pris dans l'intérieur du corps d'une Térébelle, et mon- trant la membrane vitelline, la vésicule de Purkinje, et la tache proligère. 3° série. Zooz. T. IT. (Mars 1845.) 12 178 MILNE EDWARDS. — VOYAGE EN SICILE. Fig. 3. OEuf dont le développement est plus avancé, mais dont le vitellus est en- core transparent et incolore. Fig. 4. Ouf prêt à être pondu; le vitellus est d'une couleur de rouille. Fig. 5. Larve au moment où elle commence à se mouvoir dans l'intérieur de la masse albumineuse commune. Fig. 6. Larve un peu plus avancée et vue par son extrémité antérieure, pour montrer la ceinture ciliaire. Fig. 7. Larve d'un jour.— a, segment céphalique ; b, segment cilié ; e, troisième anneau; X anneau anal. Fig. 8. Larve encore apode, mais dont le développement est plus avancé. Un nouveau segment (d) s'est formé entre l'anneau c et l'anneau anal. Fig. 9. La même, représentée dans une de ses poses anormales. Fig. 10. La même larve, lorsqu'elle a acquis cinq nouveaux anneaux et quatre paires de pieds sétifères. Dans cette figure, ainsi que dans les suivantes, les mêmes lettres sont employées pour indiquer les mêmes anneaux. Fig. 14. La même larve plus âgée. Un nouvel anneau (j) s'est formé entre l'anneau anal (X) et l'anneau (1) qui, dans la figure précédente, se touchent. On re- marque aussi que l'anneau h porte maintenant une paire de pieds garnis de soies : la collerette ciliaire céphalique est devenue très étroite, et on distingue très bien les diverses parties de l'appareil digestif. — p, bulbe pharyngien ; q, œsophage; r, estomac; s, intestin. Fig. 42. Tête de la même, grossie davantage, pour montrer les organes urticants qui se sont développés sur le bord du lobe frontal. Fig. 13. Larve un peu plus âgée, représentée de profil. — a, la tête; b, portion de la collerette ciliée qui s’avance pour constituer la lèvre supérieure : b’ lèvre inférieure ; b’' bouche. Fig. 44. Portion antérieure de la même larve, lorsque le lobe frontal (+) com- mence à s'allonger et à se rétrécir. Fig. 45. (PL. 6.) — Larve parvenue à la fin de la première période. — t, ap- pendice antenniforme; b, restes de la collerette ciliée ; b', bouche dans l'inté- rieur de laquelle on remarque un mouvement ciliaire très rapide. Fig. 46. Appendice antenniforme de la même, grossie davantage , pour montrer le canal central et les organes urticants. Fig. 47. Un de ces organes urticants, grossi davantage Fig. 18. Larve au commencement de la deuxième période; les diverses parties sont indiquées par les mêmes lettres que dans les figures 10, 14, 43, etc. Fig. 49. Portion antérieure de la même, sortant de son tube. L'appendice anten- niforme (1) s'est beaucoup allongé, et la lèvre supérieure est devenue mince et semi-circulaire. Fig. 20. La même plus âgée, et représentée dans son tube (c'). Fig. 21. La même, lorsque le premier appendice frontal (1!) est devenu filiforme et qu'un second appendice (@) commence à se développer. DÉVELOPPEMENT DES ANNÉLIDES. 179 Fig. 22. La même larve plus âgée. On distingue des vestiges d'un quatrième et même d'un cinquième appendice frontal : les yeux ont disparu, et on remarque sur l'anneau céphalique plusieurs petits points oculiformes. Fig. 23: (PI. 7.) — Une larve dont les cirrhes frontaux sont contractés, et dont les pieds montrent des crochets aussi bien que des soies subulées. Fig. 24. Larve à la fin de la seconde période. Fig. 25. Portion antérieure d'une de ces larves, représentée à l'époque où les branchies commencent à se former. — «4, branchie de la première paire, b, branchie de la seconde paire ; €, tube. Fig. 26. La même, lorsque les branchies des deux premières paires sont devenues rameuses et contractiles. F Fig. 27. (PI. 8.) — La même Térébelle à l'état parfait. (Grandeur naturelle.) Fig. 27 bis. Portion antérieure de la même, représentée de profil, pour montrer les trois paires de branchies de l'animal adulte. Fig. 28. (PL. 7.) — Masse d'œufs appartenant probablement à une petite espèce de Térébelle. Fig. 29 à 32. Larves provenant de ces œufs, et représentées dans différentes poses. Fig. 33. L'une de ces larves, un peu plus développée. Fig. 34. Larve d'une autre espèce de Térébelle. Fig. 35. La même, un peu plus âgée. Fig. 36. La même, encore plus âgée. Fig. 37. Masse d'œufs d'une Annélide de famille indéterminée. Fig. 38 et 39. Larves provenant de ces œufs. Fig. 40. Larve d'Annélide d'origine inconnue, mais remarquable par l'existence de trois bouquets de cils vibratiles sur le lobe frontal. Fig. 41. Larve d'une Annélide pélagique (probablement une Awpaixoe ) ; lon- gueur, 2 lignes — &, tête; b, collerette ciliaire; c, pieds sétifères; X anneau anal. Fic. 42 à 56. — (PI. 9.) — EnsryoLOGiE DE LA PROTULE ÉLÉGANTE. Fig. 42. Fragment de pierre sur laquelle se trouvent des tubes de Protules, dont deux portent à leur orifice des masses d'œufs; trois de ces animaux sortent de leur gaîne, et montrent leur couronne branchiale. Fig 23. OEuf non fécondé. Fig. 44. OEuf prêt à être pondu. (Grossissement, 450.) Fig. 45. OŒuf dont le développement commence. Fig. 46 à 49. Développement de l'embryon dans l'intérieur de l'œuf. Fig. 50. Larve au moment de sa naissance — a, segment céphalique ; b, seg- ment cilié; X segment anal. Fig. 51, 52, 53. La même larve, observée à des époques successives ; le nombre des anneaux augmente, mais on n'aperçoit encore aucun vestige de pieds. 1850 MILNE EDWARDS. — VOYAGE EN SICILE. Fig. 54. L'une de ces larves de Protule à la fin de la première période; elle a maintenant quatre paires de pieds garnis de soies subulées (c, d, e, f) et un anneau apode (g) suivis de l'anneau anal (X). : Fig. 55. La même, lorsqu'elle commence à construire sa gaîne (c’) et que les premiers vestiges des lobes branchiaux se montrent (a',a’). Fig. 56. (PL. 10.)— L'animal à l'état adulte. Fic. 57 à 62. DÉveLoPrEMENT DES NÉRÉIDES. Fig. 57. Larve de Néréide, ayant environ 4 ligne de long, et ne portant encore que quatre paires de pieds sans cirrhes ni branchies. Fig. 58. La même, un peu plus âgée. Fig. 59. L'un des pieds de la même, isolé et vu de champ. Fig. 60. L'une des mâchoires de la même. Fig. 61. Larve de la même espèce, dont le développement est plus avancé; les pieds se sont garnis de leurs appendices filiformes, et le nombre des anneaux a beaucoup augmenté. Fig. 62. (PI. 41.) — Le même animal, plus avancé en age. Fig. 63. Pied du même. Fig. 64. L'une des soies, grossie davantage. Fig. 65. Myrianine À mANDEs ( Myrianida fasciata, Nob.), grossi au double. On remarque à la partie postérieure de cette Annélide une série de six petits, qui se sont développés successivement par bourgeonnement. Fig. 66. Tête et portion antérieure de la même, grossie davantage. Fig. 67. L'un des pieds. à Fig. 68. Soie de ces pieds. Le genre nouveau que je propose de désigner sous le nom de Mynraxine est assez voisin des Phyllodocées , et peut être caractérisé de la manière suivante : Tête courte et élargie, portant quatre yeux et trois appendices antenniformes , fo- liacés, fixés sur la nuque; point de mâchoires ;: deux paires de cirrhes tentacu- laires; pieds à deux rames coniques, la rame dorsale portant à son extrémité un grand cirrhe foliacé ; la ventrale garnie d'un faisceau de soies , et dépourvue de cirrhe ; point de branchies proprement dites. L'espèce figurée ici est remarquable par les bandes transversales d'un jaune de soufre, qui, sur le dos, relèvent le blanc mat de tout le reste du corps. Cette jolie petite Annélide a été trouvée sur la côte rocheuse de l'île de Favignana. Additions au Mémoire précédent. Depuis la lecture de ce Mémoire à l’Académie des Sciences, le 23 et le 30 décembre 1844, et la publication des principaux ré- DÉVELOPPEMENT DES ANNÉLIDES. 181 sultats qui s’y trouvent consignés (1), M. Sars a fait paraître dans les Archives de M. Erichson (cahier de janvier 1845) une note sur le développement et les métamorphoses de la Polynoe cirrata (2) , et les observations de ce naturaliste habile cadrent si bien avec les faits dont il vient d'être question, que je crois devoir les citer à l’appui des conclusions déduites de mes propres recherches. En effet, quoique la Polynoé soit une Annélide Errante, et qu’elle s’é- loigne des Térébelles autant qu'aucun autre Ver du groupe des Chétopodes, elle naît sous la forme d’une larve qu’on peut à peine distinguer de l’une de nos plus jeunes Térébelles ou d’une larve de Protule. Malheureusement , M. Sars n’a pu suivre le dévelop- pement ultérieur de ces Annélides ; mais le fait de la ressemblance si complète entre des larves appartenant à des types secondaires si différents est en lui seul un résultat plein d'intérêt. Les œufs de la Polynoé se trouvent en paquets sur le dos de la mère, et sont de couleur brunâtre. La larve, de forme ovoïde et de couleur verdâtre, porte en avant de la ceinture ciliée un lobe céphalique terminé par un petit bouquet de cils, et renfermant deux points oculiformes noirâtres, La bouche est transversale, et se trouve en arrière de la collerette ciliaire. Enfin l'extrémité anale ne paraît pas avoir de couronne ciliaire, comme chez les Téré- belles. M. Sars a observé sur les fucus de petites masses d'œufs verdàtres qui devaient appartenir à quelque autre Annélide, et qui ont donné naissance à des larves très analogues aux précédentes. J’ajouterai encore que je viens de trouver sur la côte de Bou- logne des paquets d'œufs d’Annélide dont la couleur est égale- ment verte, et dont les larves, longues d’environ 1/5 de milli- mètre, étaient ovoides et divisées en trois segments par une large ceinture ciliée; le segment antérieur ou lobe céphalique était garni d’une bordure de petits filaments urticants assez semblables à ceux qui se développent sur le lobe antennaire des jeunes larves de Térébelle, et l'extrémité postérieure était garnie d’une très petite touffe de cils vibratiles. Ces larves devaient appartenir à (1) Voyez les Comptes-rendus de l'Académie, séance du 30 décembre 18/4. (2) Zur Entwickelung der Anneliden, von M. Sars (Archiv für Naturgeschichte, B.1,p. 11. Berlin, 1845). 182 PINEAU. — SUR LE DÉVELOPPEMENT une espèce distincte de toutes les précédentes , et dans une autre occasion j'espère pouvoir en suivre les métamorphoses. Dans le cahier des Archives de M. Erichson, où a été publié le travail de M. Sars , on trouve aussi une note de M. Mag. OErs- ted (4), sur le développement d’un autre genre d'Annélide Er- rante qui paraît être voisin des OEnones , et qui a été désigné par ce zoologiste sous le nom d’£xogone. M, Mag. OErsted n’a pas ‘été témoin des premières métamorphoses des larves de ces Vers ; mais il les a observées lorsqu'elles étaient encore complétement apodes, puis lorsqu'elles avaient quatre paires de tubercules pé- diformes, mais pas de soies ; et il est à noter que tous les phéno- mènes génésiques qu'il signale sont du même ordre que ceux que j'ai décrits chez les Néréides. Ainsi les observations nouvelles de ces deux Naturalistes Scan- dinaves tendent à confirmer et à généraliser les conclusions dé- duites des faits exposés dans le précédent Mémoire (2). RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DES ANIMALCULES INFUSOIRES ET DES MOISISSURES ; Par M. F. PINEAU, D.-M.-P. Dans les recherches qui vont suivre, je me suis proposé d'ob- server les premiers phénomènes appréciables qui accompagnent l'apparition des animaux et des végétaux microscopiques dans l’eau chargée de substances organiques. Parmi les observations qui ont trait à ce sujet, il en est peu qui puissent inspirer la confiance. Les unes datent d’une époque an- térieure au perfectionnement du microscope, les autres sont en- tachées d'un esprit de système qui perce dans les résultats, En (1) Uber die Entwickelung der jungen bei einer Annelide und uber die aüsseren Unterschiede Zwischen beiden Geschlechten, von Mag. OErsted (Arch. für Natur., 1845, B. I, p. 20). (2) La suite à un prochain cahier. DES ANIMALCULES INFUSOIRES. 183 outre, les auteurs modernes les plus recommandables, qui se sont occupés des animaux infusoires, ne les ont guère étudiés que dans leur état de développement complet. Je crois donc n'avoir pas entièrement perdu mes peines en tächant d'approfondir par de nouvelles observations l’intéressante question de l’origine des Infusoires. Au reste, mon intention n’est pas ici de faire l’historique des travaux antérieurs sur ce sujet; ils sont connus de tous les micro- graphes, les seuls auxquels cet écrit s'adresse. Je m’empresse donc d’arriver à l'exposé de mes observations personnelles. I. Développement des animaux infusoires. P 1" Observation. — Un morceau de chair musculaire de veau, mise en infusion dans de l’eau de puits, à l'air libre, m'a présenté les faits suivants : Au bout de 30 heures, on distinguait à l'œil nu, autour de la substance en infusion, un léger nuage blanchâtre, dans lequel le microscope me fit découvrir une immense quantité de Bacterium termo'Duj, Du reste, le liquide ne contenait aucun autre infu- soire, J’examinai ensuite un petit faisceau musculaire, pris à la surface du morceau de veau. Son tissu s’était considérablement ramolli, de sorte que ses stries normales étaient en grande partie effacées, et qu’en un certain point de son étendue, il ne présentait plus qu'une pulpe homogène. Plus loin , la fibre musculaire s'é- tait transformée en une substance composée de granulations irré- gulières et extrêmement ténues,. Cetie substance granuleuse, déjà signalée par Burdach (1), précède toujours l’apparition des êtres organisés des infusions, tant animaux que végétaux, comme nous le verrons dans la suite. Un peu plus loin, ces granulations offraient la forme et toute l'apparence de Bacterium , mais sans présenter de mouvement. Enfin, à l'extrémité de la fibre, on voyait de véritables Bacterium, doués de leurs mouvements caractéristiques, qui s’échappaient (1) Voyez Burdach, Physiol,, trad. Jourdan, L HE, p. 123. 18h PINEAU. — SUR LE DÉVELOPPEMENT en foule de la masse commune , pour se répandre dans le liquide environnant. Au moyen de la percussion, que j'opérai avec la pointe d’une aiguille sur la petite plaque de verre aui recouvrait le sujet de cette observation, je facilitai la séparation des Bacterium vivants de ceux qui étaient encore immobiles, et il ne resta bientôt plus que ceux-ci attachés à la fibre musculaire. Cependant, à chaque mouvement que je continuais à imprimer, il s'en détachait encore quelques uns, mais ils restaient immobiles dans son voisinage ; ou du moins, ils ne présentaient plus que le mouvement brownien, commun à toutes les particules inertes, et qu’il est facile de dis- tinguer du mouvement progressif des Bacterium vivants. Cette observation, répétée un grand nombre de fois sur diffé- rents tissus, animaux et végétaux, m'a toujours offert des résultats identiques; et j’acquis ainsi la conviction que, dans ce cas, la sub- stance organique, mise en infusion, se transformait elle-même, par voie de division, en animalcules qui acquéraient par degrés les caractères de l’animalité. Au bout de 6 jours, la substance musculaire s'était considéra- blement ramollie, et on en voyait flotter des flocons en partie ar- rivés à l’état granulé. Les uns offraient le spectacle de la forma- tion des Bacterium, tel que nous venons de le décrire; d’autres offraient, en outre, des phénomènes différents. L'un de ces derniers est représenté fig. 8, PI. 4 bis. Sur une partie de sa surface , on ne voit que des granulations uniformes (fig. 8, a); mais sur l’autre partie, on distingue une trame aréo- laire obscure, dont les mailles cireonscrivent, sur la substance. granuleuse, des espaces d’environ 0"",0075 de largeur (f. 8, b). Sur d’autres fragments, cette trame était plus prononcée (f. 9); les contours des cellules, d’abord mal définis, étaient devenus plus tranchés, et chacune d’elles tendait à s’individualiser davantage, de manière à former autant de globules. Enfin , dans la fig. 10, chaque globule est devenu entièrement distinct de ses congénères, et ceux qui sont placés sur le bord se séparent des autres, tout en y restant encore unis au moyen d’un filament extrêmement délié (f. 10, a&,a). DES ANIMALCULES INFUSOIRES. 185 Ici nous avons sous les yeux la formation du Monas lens Dui. dans toutes ses phases. Il n’y manque que le mouvement. Or, ce signe caractéristique de l'apparition de la vie ne tarde pas à se manifester. Parmi les globules qui ne tiennent plus à la masse que par leur filament, on en trouve quelques uns qui sont doués d’un faible mouvement d’oscillation, Chez d’autres, ce mouvement est plus fort ; enfin, j’eus le plaisir d’en voir, à plusieurs reprises, qui finis- saient par se détacher, et qui acquéraient de la sorte une vie com- plétement indépendante (f. 10, b,b). Ils ne différaient alors en rien des Monades qui nageaient dans le liquide de l’infusion. A l'appui de cette observation, je crois pouvoir citer celle de Czermak, rapportée dans la Physiologie de Burdach (1). En effet, cet auteur affirme avoir vu des globules (Monades?), d’abord adhérents à la membrane granuleuse, acquérir peu à peu le mou- vement, et finir par s’en détacher, ainsi que je l’ai observé moi- même. 2° Observation. — Une infusion de colle de poisson me pré- senta des faits entièrement semblables, et j'y pus suivre, de plus, le développement de l’Euchelys ovata Duj. Pour éviter des redites inutiles, je ne m’appesantirai pas sur les premières périodes de son développement, qui ne diffère en rien de ce que je viens d’exposer au sujet du Monas lens. D'abord le morceau de colle de poisson offrait en partie l’aspect granuleux, en partie la formation d’une trame aréolaire. —Fig. 11, a, b, c. Globules séparés de la masse, parvenus à différentes gros- seurs. —Fig. 12. Un de ces globules, ayant pris la forme ovalaire ; dans cet état, il atteint presque les dimensions de l’Euchelys ; mais il reste immobile, et ne présente pas de cils vibratiles. Enfin, dans la fig. 15, les cils se sont développés, et avec eux la faculté loco- motrice est venue. 3° Observation. Une infusion de différentes plantes, dans la- quelle il s'était produit un nombre très considérable de Vorticelles, me mit à même d'étudier le développement de cet Infusoire dans (1) Voyez Burdach, loc. cit, 4. IL. p. 424 186 PINEAU. — SUR LE DÉVELOPPEMENT tous ses détails, et de découvrir quelques faits intéressants sur les transformations qu'il subit dans sa jeunesse. Le premier indice d’organisation qu’il me fut possible de dé- couvrir au milieu des nombreux débris de végétaux qui surna- geaient à la surface du liquide fut ici, comme précédemment, une matière granuleuse (f, 14, a), qui se divisait en globules sphé- riques , dont le diamètre était de 0"",042 (F. 44, b). Sur quelques uns de ses globules, plus avancés en organisa- tion, je distinguai quelques expansions rayonnantes dans un état d’immobilité complète (£. 414, c). Ailleurs, ces globules étaient plus distincts, et quelques uns étaient séparés des autres (f. 15), Ils étaient tous munis de rayons dans lesquels il était possible de distinguer un mouvement d’oscil- lation extrêmement lent. Dans cet état, il était impossible de ne pas reconnaître une espèce du genre Actinophrys Ehr., dont les globules de la fi- gure 14 étaient une première forme. D'abord les expansions rayonnantes offraient entre elles une similitude complète; mais, par suite des progrès du développe- ment, l’une d’elles venait à se fixer sur un corps voisin et prenait un accroissement supérieur à celui des autres. On avait alors la forme représentée fig. 16 (Æctinophrys pedi- cillata Duj.), qui était liée à la forme de la fig. 45 par tous les degrés de transition possibles. Parmi ces animalcules, on en repcontrait d’autres (f, 17) qui n’en différaient que par leur figure plus ou moins pyriforme. Dans ce dernier état, les rayons étaient doués d’un mouvement très lent ; le pédicule était privé de contractilité ; et on remarquait, de plus qu'aux animalcules précédents, la trace d’un orifice circulaire à la partie supérieure de l'animal (f. 17, a). Je ne sais si cette forme ne doit pas être rapportée au genre A cinète Ehr. Quoi qu’il en soit, l’animalcule en question présentait différents degrés de grosseur entre celle de la figure 17 et celle de la fig. 18. Dans cette dernière, l’orifice s’est agrandi, et son bord s’est garni d’une couronne de cils vibratiles très manifestes (f, 418, a). DES ANIMALCULES INFUSOIRES, 187 Dans la fig. 19, de nouvelles modifications sont survenues, Les rayons ont disparu; le pédicule, jusqu'alors immobile, devient doué de contractilité, C’est alors une véritable Vorticelle, Ce- pendant, ce n’est qu'un peu plus tard, lorsque l'animal a acquis un nouveau degré de développement, qu'on lui voit prendre, lors de son mouvement d'expansion, la forme campanulaire propre aux Vorticelles (f. 20). Je crois que l’animal ici représenté est le l’orticella infusionum, variété sans stries de Dujardin. On voit, d’après cet exposé , que l’on avait distingué sous dif- férentes dénominations divers degrés de développement d’une même espèce. C’est un cas qui a dû se présenter à propos de beaucoup d’autres Infusoires, et qui demande de nouvelles re- cherches, $ II. Développement des moisissures, 1% Observation. — Une infusion de pain me présenta, jusqu’au sixième jour, par une température de 10 ou 12 degrés R., le spec- tacle de la production d’un nombre considérable de Bacterium termo, Vibrio lineola et Monas lens. Au bout de ce temps, la fermentation acide s’étant déclarée, tous ces animaux furent frappés de mort, et le liquide se couvrit d’une pellicule granuleuse uniforme (f, 21). La surface du morceau de pain était aussi couverte de granu- lations, et on voyait nager dans l’eau de l’infusion de nombreuses parcelles plus ou moins réduites à l’état granuleux. Le lendemain, je découvris dans la substance granuleuse de la surface du liquide des traces de division, sous la forme d’un ré- seau à mailles polygonales larges de 0,003 (f. 22), dont quel- ques unes se séparaient des autres sous l’action du compresseur (£ 22, a). Je vis aussi la même formation de globules dans la substance granuleuse adhérente au morceau de pain. Douze heures s'étant écoulées, ces globules offraient des con- tours parfaitement arrêtés, et ils commencaient à prendre la forme ovalaire (f. 23). En continuant mes recherches, je découvris de petites plaques 188 PINEAU, — SUR LE DÉVELOPPEMENT isolées, composées de globules ovalaires, de dimensions plus con- sidérables que les précédents (f. 24). Ils étaient encore unis entre eux, et l’on pouvait les voir, sous le champ du microscope, flotter ensemble dans le liquide sans se séparer. Il fallait même des per- cussions répétées sur la plaque de verre pour en isoler quelques uns. Enfin, quelques heures après, le liquide tenait en suspension un grand nombre de globules mycodermiques isolés, qui prove- naient évidemment de la division des plaques précédemment ob- servées. Ces globules ne tardèrent pas à s’allonger et à former des filaments (f. 25 et 26), qui donnèrent naissance au Penicil- hum glaucum Link., représenté fig. 27. J'éprouvai, je l'avoue, un vif sentiment de plaisir en décou- vrant une pareille uniformité dans la succession des phénomènes qui accompagnent la formation des organismes inférieurs dans les deux règnes. En effet, cette ressemblance est telle, qu'il est impossible de distinguer une Monade d’un globule mycodermique dans les premières phases de leur développement. Le lait est, comme on sait, une substance des plus favorables à la production des moisissures. Turpin ayant avancé que ce sont les globules graisseux du lait qui deviennent eux-mêmes autant de filaments mycodermiques, je portai toute mon attention sur ce point, et je dois déclarer que je ne trouvai nullement l'opinion de ce savant en harmonie avec les faits. J'ai observé à plusieurs reprises la production du Penicillium glaucum sur le lait, et les phénomènes ont toujours été en tout semblables à ceux que j’ai rapportés plus haut. D'abord, il se for- mait à la surface du liquide une membrane granuleuse uniforme, qui se divisait en globules. Chacun d’eux devenait, en s’allon- geant, un filament mycodermique, d’où provenaient, au bout de quelques jours, des tiges de Penicillium glaucum. 2° Observation. —- Sachant, d’après les expériences de M. Du- trochet, que l’on peut, pour ainsi dire, faire naître à volonté des moisissures en ajoutant une faible quantité d’acide dans une in- fusion , je déposai quelques gouttes de vinaigre dans une infusion de colle de poisson. Il ne s’y développa pas un seul animaleule ; DES ANIMALCULES INFUSOIRES. 189 mais, en revanche, elle se couvrit, comme je m'y attendais, d’une forêt de moisissures. La substance granuleuse formée à la surface de cette infusion arrive d’abord en partie à l’état aréolaire. Plus tard, les globules ainsi formés deviennent libres, et nagent à la surface du liquide, puis quelques uns offrent une petite excroissance, qui devient en grossissant un globule semblable au premier. Ge second globule en forme un troisième, et il se produit de la sorte des séries moniliformes. Enfin, au bout d’un certain temps, le dernier globule de la série s’allonge considérablement, et la réunion de ces filaments finit par produire un épais thallus. C'est dans cet état que j’ai été forcé d'abandonner cette expé- rience, de sorte que je ne saurais dire quelle est l'espèce de moi- sissure qui devait en provenir; mais mon but principal était at- teint, et cette question n’offrait plus qu’un intérêt secondaire. Tel est le résultat auquel je suis arrivé sur un des points les plus délicats de l’étude des êtres microscopiques, et sur lequel j'appelle l’attention des observateurs, avec d’autant plus de con- fiance, que ce n’est qu'après de nombreuses tentatives et des ob- servations maintes et maintes fois répétées, que je suis arrivé à une entière certitude à ce sujet. EXPLICATION DES FIGURES. PLANCHE {À bis, FIG. 8-27. Nota. Toutes les figures ont été dessinées à un grossissement de 400 dia- mètres. Fig. 8, 9, 10. Développement du Monas lens. Fig. 44, 12, 13. Développement de l'Euchelys ovata. Fig. 14-20. Développement du Vorhcella infusionum Fig. 21-27. Développement du Penicillium glaucum. 190 OBSERVATIONS DIVERSES. OnsenvArions sur les globules du sang du Paresseux à deux doigts g q (Bradypus didactylus ). Par M. G, GULLIVER (i) Dans cette note, l’auteur compare lesglobules du sang de l’Aï avec ceux de quelques autres Mammifères; il a constaté que ces corpuscules sont re- marquables par leurs dimensions. En effet, ils sont presque aussi grands que chez l’Éléphant, qui, de tous les Mammifères dont le sang a été étudié au microscope, est celui dont les globules sont les plus gros. Voici les mesures données par M. Gulliver : Elephas indicus, 4 (fraction de pouce anglais) ; Bradypus didacty- lus, 5533 Balæna Boups, 5; Hydrochærus Capybara, 45: Phoca vi- tulina, 53 Dasypus villosus, 4; Myopotamus coypus, 4: Pithecus satyrus, 33 3 Dasypus sexcinctus, 5: Sur le Colossochelys atlas, tortue fossile gigantesque découverte dans l'Inde ; Par MM. FALCONER et CAUTLEY |(?} Cette espèce, remarquable paf sà grande taille, ne parait différer par aucun caractère essentiel de l'Æ£mys tectum, qui vit aujourd'hui dans l'Inde, et cependant elle a été trouvée dans les couches tertiaires des montagnes Sivalik, associée à des débris de quatre espèces perdües de Mastodontes et d'Éléphants, d'ossements de Rhinocéros, d'Hippopotame, de Cheval, d’Anaplotherium , de Sivatherium , de plusieurs espèces de Quadrumanes et de Crocodiles, dont quelques uns paraissent être des es- pèces détruites, tandis que d’autres semblent être identiques aux espèces qui habitent maintenant dans les rivières de l'Inde (le C’. longirostris, par exemple). La carapace du Colossochelys devait avoir plus de 12 pieds de long et 6 pieds de large. RecuErcnEs sur les diverses espèces de cires ; Par M. LEWY. ( Extrait) (5). Parmi les différentes espèces de cires dont M. Lewy s'est occupé, se trouve la cire des Mélipones, que l'on connaît dans l'Amérique espagnole (1) Ann. of nat. History, feb. 1845, p. 123. (2) Ann. of nat. Hist. jan. 4845, &. XIV, p. 504, et Lt. XV, p. b5. (3) Ann. de Chim. et de Phys., 3° série, t. XIIL, p. 438. PUBLICATIONS NOUVELLES, 4191 sous le nom de Ceru de los Andaquies. Cette matière diffère notablement de la cire des Abeilles; car au lieu d'être composée de cérine, de myri- cine et d'une substance particulière appelée Céroléine, elle est formée essentiellement de cire de palmier, de cérosine ou cire de la canne à sucre ; ce qui tendrait à faire supposer que ces Insectes ne la produisent pas au moyen d'un travail sécrétoire, mais la recueillent simplement sur les plantes, DE L'INFLUENCE des Températures exh'émes de l'atmosphère sur la production de l'acide carbonique dans la respiration des animaux à sang chaud ; Par M LETELLIER. (Extrait) (1). Dans ce travail, l'auteur compare la quantité d'acide carbonique pro- duit par la respiration du Cochon d'Inde, de la Tourterelle, du Verdier et de la Crécerelle , observés d’une part à une température de — 5 à + 3,et d'autre part à une température de — 28 à + 43, et il a trouvé que, dans l'air froid , la quantité d'acide carbonique exhalé était en gé- néral au moins deux fois aussi considérable que dans l'air très chaud. PUBLICATIONS NOUVELLES. Mémoires de l'Académie des Sciences de l'Institut de France. Tome XIX, in-4. Paris, 1845. Ce volume contient un Mémoire très étendu dé M. Breschet , intitulé : Recher- ches anatomiques et physiologiques sur la gestation des Quadrumanes , et accom- pagné de 8 planches. TRANSACTIONS of the Microscopical Society of London (Transactions de la Société microscopique de Londres. T. I. 1842-1844). Parmi les Mémoires qui se trouvent dans çe recueil, et qui sont relatifs à la Zoologie, nous citerons : les observations de M. Bowerbank, sur la structure des Éponges; un travail du même auteur, sur la structure intime des coquilles de Mollusques ; une note de M. Carpenter, sur la structure intime du tissu organi- que de la coquille de l'œuf et de la membrane de l'albumen ; un Mémoire de M. Quekett, sur la disposition des vaisseaux sanguins dans la vessie natatoire des Poissons ; et un article de M. Busk, sur une espèce d'Ixode du Brésil. DESCRIPTIVE and illustrated Cataloque of the fossil organic remains of (4) Ann. de Chim. et de Phys., t. NUIT, p. 478. 192 PUBLICATIONS NOUVELLES. Mammalia and Aves contained in the Museum of the Royal College of surgeous of England (Catalogue descriptif et illustré des ossements fos- siles de Mammifères et d'Oiseaux appartenant au Musée dés Chirurgiens de Londres. 4 vol. in-4, avec 40 planches. Londres, 1845). Le Musée Huntérien, dont on doit l’arrangement et la description à M. Owen, contient aujourd'hui un grand nombre de fossiles très curieux, parmi lesquels on remarque surtout le Mylodon robustus (1), le Glyptodon clavipes, espèce de Tatou gigantesque dont la carapace a 5 pieds 7 pouces (anglais) de long, et se trouve dans un état de conservation parfaite; et le Dinornis, oiseau à ailes rudimen= taires , dont les os ont été découverts depuis quelques années à la Nouvelle- Zélande, et dont la taille dépassait de plus de moitié celle de nos plus grandes Autruches. ANATOMICAL and Pathological Observations by JOHN Goopsir, and HARRY Goopsir. In-8. Edimbourg, 1845, Cet opuscule renferme plusieurs Mémoires sur la structure cellulaire de divers tissus , et des vues intéressantes sur la théorie de la sécrétion et de la nutrition. ManuEL de Physiologie, par J. MULLER, professeur à l'Université de Berlin; traduit de l'allemand par M. JOURDAN (2). L'ouvrage de M. Muller est à mon avis le meilleur traité de Physiologie que nous ayons, et l'habileté bien connue de M. Jourdan est un sûr garant de l'exac- titude de sa traduction. H. M. E. HISTOIRE NATURELLE des Hyménoptères, par M. LEPELETIER DE SAINT- FARGEAU (3). Le troisième volume dé cet ouvrage vient de paraître, et contient la description des Crabronides, des Sphégides et des Scolides. HISTOIRE NATURELLE des nsectes aptères, par M. WALCKENAER. Tome III (4). Ce volume a été rédigé par M. Gervais, et contient l'histoire des Scorpions, des Acariens, des Thysanoures, etc. (1) Voyez Annales des Sciences naturelles, 2° série, t. XIX. (2) A Paris, chez J.-B. Baillière, rue de l'École-de- Médecine.— Cet ouvrage, formant 2 volumes in-8, paraîtra en 6 livraisons, dont trois sont déjà en vente. (3) Faisant partie des Suites à Buffon, publiées par Roret. (4) Même collection. 193 RECHERCHES SUR LES LOIS QUI PRÉSIDENT A LA DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE DES MOLLUSQUES CÔTIERS MARINS ; Par M. ALCIDE D'ORBIGNY. (Présentées à l'Académie des Sciences, le 48 novembre 4844.) CHAPITRE PREMIER. CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES. L’Anatomie comparée, en dévoilant les parties les plus secrètes de l’organisation animale et les divers degrés de perfection du mécanisme vital, est la base de la Zoologie. Jointe à l’Anatomie comparée, la Zoologie spéciale donne les rapports qui unissent les êtres entre eux, les différences qui les séparent les uns des autres, et fixe définitivement leur place dans les méthodes. La Zoologie générale puise dans ces deux sciences, intimement liées, les élé- ments de vérité indispensables à toutes les recherches. Une bran- che de cette dernière science, la distribution géographique des Animaux, présente un immense intérêt, puisqu'elle fait connaître les lois qui président aujourd’hui à leur répartition sur le globe. Destinée à révéler l'histoire chronologique des faunes et de l’ani- malisation successive qui à peuplé notre planète à toutes les épo- ques géologiques, la Paléontologie n'est, dès lors, qu’une dépen- dance de l’Anatomie comparée, de la Zoologie spéciale et de la Zoologie générale, En effet , si la Paléontologie spéciale emprunte à l’Anatomie comparée les caractères les moins apparents destinés pourtant à faire retrouver, sur des parties osseuses ou testacées fossiles, les dernières traces d’une organisation éteinte ; si elle découvre, par la Zoologie spéciale, des caractères extérieurs plus faciles encore à saisir, la Paléontologie générale, en procédant logiquement du connu à l'inconnu, doit naturellement chercher, dans les lois qui président à la distribution géographique des êtres vivants, des lumières sur l’animalisation qui s’est succédé à la surface du globe terrestre, à toutes les périodes géologiques. 3° série. Zooc. T. II. (Avril 4845.) 13 194 A. D'ORBIGNY. — SUR LA DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE C’est, dès lors, dans la distribution géographique des animaux vivants que la Paléontologie générale doit puiser des renseigne- ments sur les conditions d'existence des espèces qui n'existent plus. Sans cette connaissance préalable, toutes les comparaisons, toutes les déductions qu’on pourrait tirer n'étant pas appuyées sur des faits positifs, incontestables, l'édifice pécherait par la base et croulerait infailliblement. Bien pénétré de ce principe, j'ai dù, depuis de longues années, me livrer à ce genre de recherches avant de scruter les faunes fossiles, J'en ai déduit, en divers Mé- moires présentés à l’Académie, que la température, la nature orographique et phytographique du sol influaient sur la réparti- tion des êtres terrestres (1); j'en ai déduit encore que la tempé- rature et les courants généraux donnaient les limites d'habitation des Céphalopodes (2) et des Ptéropodes parmi les animaux mollus- ques des hautes mers (3). Aujourd’hui, j'ai l'honneur de soumettre à son jugement des considérations sur la distribution géographique des Mollusques marins côliers, qui, plus que tous les autres, peu- vent être comparés aux faunes locales des différents bassins ter- tiaires. On a sans doute écrit beaucoup de théories sur ces dépôts ; mais, dans la marche positive de la science, il convient de rem- placer des suppositions souvent hasardées, par le résultat de l’ob- servation immédiate, afin d’arriver à des solutions réellement sa- tisfaisantes. Les recherches de ce genre, indépendamment des difficultés qu'elles présentent lorsqu'on veut les étendre à une grande sur- face des continents, demandent encore beaucoup de précautions dans la réunion et la discussion des faits partiels qui leur servent de base. Il est, dès lors, impossible d'arriver à quelques résul- tats sans avoir étudié les lieux par soi-même. Sous ce rapport, je crois offrir toutes les garanties désirables, ayant pris pour théâtre de mes observations l'Amérique méridionale, où huit an- (1) Considérations générales sur les Oiseaux. Présentées à l'Académie, le 20 octobre 1837. — Considérations sur les Mollusques terrestres ( Mollusques de mon Voyage, p. 215). (2) Lu à l’Académie des Sciences, le 49 juillet 4844. (3) Lu à l'Académie des Sciences, en 4835 DES MOLLUSQUES CÔTIERS MARINS. 195 nées de séjour m'ont permis de parcourir successivement le lit- toral de l’océan Atlantique et du Grand-Océan, des régions froides jusqu'à la zone torride. Ainsi, toutes les espèces qui devaient servir à mes recherches ont été observées par moi dans leurs limites d'habitation, dans leur manière de vivre. Je les ai décrites et figurées dans mon Voyage, et elles se trouvent aujourd’hui dans ma collection, où elles pourront être vérifiées par MM. les com- missaires que l’Académie voudra bien nommer à cet effet. Sous le rapport de la provenance positive, comme sous celui de la dé- termination spécifique, les résultats que je vais faire connaître sont le fruit d’une longue série d'observations et de comparaisons mi- nutieuses. Avant de parler de la faune Américaine, je crois devoir dire un mot du continent méridional. Supposant que sa configuration, par rapport à la latitude, ses pentes abruptes ou très prolongées, les courants généraux qui le baignent, pouvaient avoir une im- mense influence sur la distribution et la composition des faunes marines côtières, j'ai dû naturellement étudier avec soin tout ce qui pouvait se rattacher à cette question. Tout le monde a remarqué cette pointe étroite qui, s’avan- cant de la zone torride vers le pôle, jusqu’au 55° degré de latitude sud, sépare l’océan Atlantique du Grand-Océan, en tracant entre Pune et l’autre mer une limite des mieux marquées. Tout le monde a pu remarquer encore cette chaine imposante des Cordilières qui suit du sud au nord, parallèlement au littoral du Grand- Océan, et présente, sur les côtes du versant occidental, les pentes les plus abruptes, tandis que son versant oriental s’abaisse lente- ment vers l’océan Atlantique et forme, sur toutes les régions mé- ridionales, des côtes basses qui s'étendent au loin dans la mer. Les courants généraux pouvant aussi avoir leur influence, j'ai dû chercher à les étudier. J'avais observé en 1829, sur la côte de la Patagonie, que les débris des navires perdus sur la barre du Rio-Negro étaient toujours portés vers le nord par les courants ; j'avais pu m’assurer aussi que les bâtiments qui veulent entrer dans le Rio-Negro doivent attendre au sud de cette rivière, sous peine de manquer le port, étant entraînés par eux; enfin j'avais 196 Aa. D'ORBIGNY. — SUR LA DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE appris des pilotes que des courants généraux suivent en tout temps, avec certaine force, le littoral de la Patagonie, depuis le détroit de Magellan jusqu’à la Plata, où ils sont souvent inter- rompus par la sortie du fleuve, mais continuent au-delà, dès que des vents d’est viennent neutraliser momentanément l'effort des eaux douces de cet immense affluent. J'avais pu reconnaître, en doublant le cap Horn , que les courants marchent avec violence de l’ouest à l’est, tandis qu'au Chili et au Pérou, d’autres cou- rants en parcourent avec rapidité, du sud au nord, tout le littoral. Je n’aurais pu néanmoins compléter ces observations partiellés sur les courants généraux, sans les importantes recherches de M. le capitaine Duperrey. La carte du mouvement des eaux à la surface de la mer, que ce savant physicien a publiée en 1831, m’a éclairé sur la direction et les subdivisions de ces courants généraux. Elle m'a montré, en effet, la marche de ce grand courant qui, partant des régions polaires du Grand-Océan, comprises entre le 135° et le 165° degré de longitude occidentale, et se dirigeant au sud-est, vient se heurter contre le littoral de l'Amérique méridionale, à la hauteur de l'archipel de Chiloëé, où il se sépare en deux bras. Le plus considérable suit, du sud au nord, le littoral de l'Amérique, jusqu'à quelques degrés au sud de l'équateur, où il tourne à l’ouest, dans la direction des îles de la Société. Le second bras suit, au contraire, vers le sud; une pelite partie passe à l’est par le détroit de Magellan; l’autre va, en se dirigeant de l’ouest à l'est, doubler le cap Horn, d’où elle se divise encore. Un bras se rend aux îles Malouines, tandis que l’autre, en faisant des remous, paraît, d’après mes observations, rejoindre les eaux qui ont passé par le détroit de Magellan pour suivre au nord le littoral de la Patagonie, de la Plata, et souvent jusqu’au Brésil. La configuration singulière de l'Amérique méridionale offrant une pointe prolongée vers le pôle qui sépare les deux océans, les courants généraux qui se heurtent et se divisent aussi sur les ré- gions froides, et suivent parallèlement au nord les deux côtes en séparant encore plus les deux mers, pouvaient faire croire à priori qu'elles devaient offrir de grandes différences spécifiques dans les faunes respectives, tandis que les côtes de ces deux versants, les Pleurobranchus patagonicus. Patagonie sepL. DES MOLLUSQUES CÔTIERS MARINS. 197 unes occidentales abruptes, les autres orientales, en pente douce, devaient apporter, par la différence de leur configuration et de leurs conditions d'existence, de grandes modifications dans la com- position générique des faunes. On verra tout-à-l’heure si l’ensem- ble des faits donnés par les Mollusques côtiers corrobore ou dé- truit cette supposition. En séparant des Mollusques de l'Amérique méridionale les ani- maux terrestres et même de la faune marine, toutes les espèces pélagiennes ou des hautes mers, dont la distributien géographique appartient à un tout autre ordre de faits, il restera encore, en Mollusques côtiers seulement, propres au littoral du Grand-Océan et de l’océan Atlantique, trois cent soixante-deux espèces. Ce nom- bre sera suffisant, je pense, pour donner une idée exacte des dif- férentes influences qui président à la séparation des faunes locales. Pour les faire apprécier, je vais les réunir en un tableau qui, dans l’ordre zoologique, indiquera les espèces propres aux deux mers , et leur lieu d'habitation dans l’un ou dans l’autre de ces océans. MOLLUSQUES CÔTIERS DE L'AMÉRIQUE , PROPRES A L'OCÉAN ATLANTIQUE. | AU GRAND OCÉAN. NE PT PS RS En TS Noms. Habitat, Noms. Fabit:t, GASTÉROPODES. GASTÉROPODES. Doris variolata, d'Orb. Valparaiso. — punctuolata, d'O. Id. — peruviana, d'O. Callao. — hispida, d'O. Valparaiso. — Fontainii, d'O. Id. » Cavolina patagonica, d'Orb. Patagonie sept. Cavolina Inca, d'O. Valparaiso et Callao. Diphyllidia cuvieri, d'O. Valparaiso. Posterobranchea maculata,d'O. Id. Aplysia livida, d'Orb. Rio de Janeiro. Aplysia inca, d'O. Callao. — nigra, d'O. Id. — Rangiana, d'O. Payta. Bulla peruviana, d'O, Callao. Paludestrina Parchappii. Buénos-Ayres. — australis. Patagonie sept. 198 A. D'ORBIGNY. — SUR LA DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE — charruana. Montevideo, — Isabelleana. Id. 1 Paludestrina Cumingii, Callao. — striata. Patagonie sept. — semistriata. Malouines. — Petitiana. Buénos-Ayres, — fusca, d'O. Arica. — nigra. Id. Turritella angulata, Sow. Valparaiso. — Broderipiana, d'O. Payta. Scalaria elegans, d'O. Patagonie sept. et Plata. — tenuistriata, d’O. Balma-Blanca. — brevis, d'O. Malouines. ic Littorina flava, Brod. Rio de Janeiro, — columellaris. Pernambuco. — lincolata, d'O. Rio de Janeiro. Littorina peruviana, L. Valpar. Callao. — araucana, d'O, Id. Arica. — umbilicata, d'O, Cobija. Rissoina inca, d’O, Id, Chemnitzia turris. Rio de Janeiro. — americana. Patagonie sept. « R. de Janeiro, = fasciata. Rio de Janeiro, — dubia. Id, Chemnitzia cora, d’O. Payta. Acteon venusta, d’O. Id. Natica uber, Val. Callao. — cora, d'O. Id. — glauca, Val, Payta, Natica canrena, Lam. Rio de Janciro. — limbata, d'O, Patagonie sept. et Plata, — Isabelleana, d'O, Montevideo, Sigaretus cymba, Menk. Callao. Neritina fontaineana, d'O, Guayaquil, Neritina meleagris, Lam, Rio de Janeiro. — virginea, Lam, Id. Trochus articulatus, Gray. Id. — patagonicus, d'O. Patagonie sept. et Plata. — Malouinus, d'O, Malouines, Trochus quadricostatus, Gray. Valparaiso. — ater, Lesson. Id, Callao, — Juctuosus, d'O. Id, Id. — microstomus, d'O, Valpar, Cobija. — araucanus, d'O. Id. Delphinula cancellata, Gray, Cobija, Arica. Turbo niger, Gray. Valpar. Cobija, Cypræa nigropunctata, Gray. Payta. rgi a, S0W. Id, Marginella bullata, d'0, _t Mug à Olivina puelchana, d'O, Patagonie sept. — tébuelchana, d'O, Id. Olivina columellaris, d’O, Payta. , Oliva peruviana, Lam. Cobija, Arica. Olivancillaria brasiliensis, d'O. Patagonie sept. etRiode Jan. D DES MOLLUSQUES CÔTIERS MARINS, Id. Id. Id. auricularia, d'O. Strombus pugilis, Linné. Volutella angulata, d'O. et Plata. Voluta brasiliana, Soland. Id. Rio de Jan. magellanica, Chemn, Patagonie sept. ancilla, Soland. d. festiva, Lam. Id. tuberculata, Wood. Id, Patagonie sept. Rio de Janeiro. Patagonie sept. Colombella sertulariarum, d’O. Nassa polygona, d’O. — Isabellei, d'O, Buccinanops cochlidium, d'O. Patagonie sept, Plata. — Lamarckii, d'O. Patagon.Brésil. — moniliferum, d'O. Patagonie. — globulosum, d'O. Id, Plata. Purpura hæmastoma, Lam. Rio de Janeiro, — undata, Lam. Pernambuco (Brésil). — bicostalis, Lam.- Id. Monoceros glabratum, Lam. Terebra patagonica, d’O. Patagonie sept. Cerithum Guaranianum, d'O, Rio de Janeiro. atratum, Brug. Id. Détr.Magellan. Rio de Janeiro. Id. Id. Cassis granulosa, Brug. — testiculus, Lam. Pleurotoma Guarani, d'O. patagonica, d'O, Patagonie sept. ! Patagonie sept. l | Mitra maura, Brod. — inca. Cancellaria tuberculosa, Sow. cassidiformis, Sow. buccinoïdes, Sow. chrysostoma, Sow. Colombella strombiformis. paytansis, Less, meleagris, Duel. lanceolata, Sow. gibbosula, Brod, sordida, d’O. Nassa Gayi, d'O. Nassa Fontainei, d'O. Purpura chocolata, Blainv. xanthostoma, Brod. scalariformis, Lam, concholepas, d'O, cassidiformis, Blainv. callaoensis, Gray. Delessertiana, d’O, Janella, Kien. fasciolaris, Lam, Monoceros giganteum, Less. crassilabrum, Lam. brevidentatum, Gr. | Cerithum varicosum, Sow. Montagnei, d’O. peruvianum, d'O, 199 Callao. Payta. Cobija. Callao. Payta. Callao. Payta. Id. Id. Id. Id. Id, Arica, Callao. Valparaiso, Payta. Cobija, Callao. Valpar, Id, Guayaquil. Valpar, Arica, Payta, Callao, Payta. Id. Id. Concepcion du Chili. Valparaiso, Payta. Guayaquil, Id. Arica. 200 Fusus multicarinatus, Lam. — morio, Lam. Fasciolaria trapezium, Lam. Turbinella brasiliana, d’'O. Triton pileare, d'O. Murex — patagonicus, d'O. — varians, d'O. — asperrimus, Lam. — sirat, Adans. — microphyllus, Lam. Vermetus varians, d'O. Infundibulum pileolus, d'O, Crepidula aculeata, d'Orb. — Patagonica, d'O. — protea, d'O. Siphonaria Lessonii, Blainy. _— picta, d'O. Scissurella conica, d'O. Rimula conica, d'O. Fissurella radiosa, Lesson. — patagonica, d'O. Magellanicus, Gmel. A. D'ORBIGNY. — SUR LA Rio de Janeiro. Bahia (Brésil). Bahia (Brésil). Rio de Janeiro. Id. Patagonie. Patagonie sept. Id. Rio de Janeiro. Id. Bahia (Brésil). Rio de Janeiro. Malouines. Rio de Janeiro. Patagonie. Patagonie. Maldonado. R. de Jan. Patag. S. de la Patag, Malouines. Montevideo. Rio de Janeiro. Malouines. Id. Patagonie. Id. Fusus Fontainei, d'O. — purpuroides, d'O. Triton scaber, Brod. Ranella ventricosa, Brod. — Kingü, d'O. Murex labiosus, Gray. — buxeus, Brod. — horridus, Brod. — erythrostomus, Swain. — monoceros, d'O. — squamosus, Brod. — inca, d'Orb. Pileopsis ungaricoides, d'O. Calypeopsis quiriquina, Less. — rugosa, d'O,. — imbricata, d'O. — auriculata, d'O. Infundibulum trochiforme, id. _ mamillare, d'O, _— intermediæ, d'O. Crepidula dilatata, Lam. — foliacea, Brod. — arenata, Brod, — _incurva, Brod. Siphonaria Lessonti, Blainv. — peruyiana, d'O. Fissurella picta, Lam. — crassa, Lam. — nigra, Less. — microtrema, Sow. — peruviana, Lam. — Jimbata, Sow. DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE Cobija. Callao. Payta. Valpar. Callao. Callao. Concepcion (Chili). Valpar. Arica. Callao. Arica. Callao. Id. Callao. Payta. Concepcion du Chili. Coquimbo, id. Payta. Id. Valpar. Callao. Payta. Islay (Pérou). Valpar. Callao. Cobija (Boliv.). Payta. Id. Sud du Chili. Callao (Pé:- rou). Cobija. Valparaiso. Id. Id. Cobija. Callao. Callao. Coquimbo. Id. DES MOLLUSQUES CÔTIERS MARINS. Fissurellidea megatrema, d'O. Patagonie. Helcion (Patelloidea) subru- gosa, d’'O. Patella deaurata, Gmel. — Ceciliana, d'O. Chiton tehuelchus, d'O. Isabellei, d'O. LAMELLIBRANCHES. Cardium muricatum. Astarte longirostra, d'O. Lucina jamaicensis, Lam. divaricata, Lam. patagonica, d’'O. guaraniana, d'O. costata, d'O, Nucula lanceolata, Sow. semireticulata, d'O. Rio de Janeiro. Patagonie. Ma- louines. Malouines Patagonie. Id. Rio de Janeiro. Malouines, Rio de Janeiro. Id. Patagonie. Rio de Janeiro. Patagonie, Rio de Janeiro. Id. Patagonie. Il | costata, Less. maxima, Young. — Fontaineana, d’O. biradiata, Fremb. Helcion scurra, d'O. scutum, d'O. Patella clypeater, Less. — Zeébrina, Less. Pretrei, d'O. parasitica, d'O. araucana, d'O. maxima, d'O. Chiton peruvianus, Lam. scabriculus, Sow. tuberculiferus, Sow. — hirundiniformis, Sow. olivaceus, Sow. coquimbensis, Fremb. Cumingii, Fremb, granosus, Fremb. — punctatissimus, Sow. — Stockesi, Brod. — inca, d'O. bicostatus, d'O. lincolatus, Fremb,. chilensis, Fremb. elegans, Fremb. disjunctus, Fremb,. Swainsonii, SW. chiloensis, Sow. LAMELLIBRANCHES. Cardium ventricosum, Sow. Crassatella. Cardita minima, Sow. Erycina Petitii. Nucula obliqua, Gray. 201 Valparaiso. Id. Islay (Pérou). Valparaiso. Chili. Pérou. Id. Id. Valparaiso. Id. Cobija. Id. Id. Id. : Valpar. Callao. Islay (Pérou). Valpar. Arica. Islay (Pérou). Valparaiso. Coquim. Arica. Valpar. Callao. Id. Callao. Arica. Callao. Islay (Pérou). Arica (Pérou). Valparaiso. Id. Arica (Pérou). Callao. Valparaiso. Chili. Pérou. Valparaiso. Payta (Pérou). Payta. Arica. Callao. Callao. Callao. Valparaiso, 202 — _ puelcha, d'O. Pectunculus brasiliensis, d’O. Arca brasiliana. Mytilus magellanicus, Lam. — semifuscus, d'O. — eduliformis, d’O, — Patagonicus, d’O, Lithodomus patagonieus, d'O. Solen caribæus, Lam. — scalprum, King, Panopæa patagonica, d'O. Lyonsia patagonica, d'O. — Alvarez, d'O. Periploma compressa, d'O. — oyata, d'O, Mactra edulis, King. Mesodesma patagonica, d'O, Lavignon plicatula, d'O, Amphidesma maculata, d'O, Donax brasiliana, Lam. Tellina brasiliana, Lam, Venus purpurata, d’O. — concentrica, d'O. — elegans, d'O. — patagonica, d'O. — sinuosa, Lam. Corbula patagonica, d'O. Pecten tehuelchus, d'O. Ostrea puelchana, d'O, (1) Les espèces des genres suivants, Id. Patagon, Plata. Rio de Janeiro. Maldonado, Patagonie. Mytilus chorus, Mol. — ameriCanus. Lithodomus peruvianus, d’O. Patagonie. Pholas chilensis, Sow. — chiloensis, Molina. Solen Dombeyi, Lam. Montevid. Rio. Patagonie. Id, Id. Id, Lyonsia cuneata, d'O, Patagonie. Id. Détr, Magellan. Patag. Plata. Id. Rio de J. LE à Janeiro. Mactra bicolor. Solecurtus solidus, Gray. , Chenochoncha nuculoides, BI. Venus Dombey, d'O. — antiqua, d'O. — opaca, d'O. — lenticularis. — peruvyiana, Brod. — planulata, King, Patag. Rio de J. Rio de Janeiro. Id. Patagonie. Rio de J. Plata, Patagonie, Id. Pecten purpuratus, Lam, Chama pellucida. Terebratula chilensis. Orbicula lamellata, Patagonie. Rio de Jan, (1). n'ayant pn encore êlre délerminces , faisant le complément des chiflies énoncés dans le résumé du tubleuu. Cardium . .. Lucina. . . . . Rio de Janciro. . . . 1 Rio de Janeiro. . , 1 || Nucula. .- . . Mesodesma donacina, Sow. Id. Rio de Janeiro. Pectunculus ovatus, Brod. Amphidesma solida, Gray. A. D'ORBIGNY, — SUR LA DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE Callao. Concep. (Chili). Lima. Callao. Chili, Id. Callao, Cobija. Callao. Valparaiso. Coquimb.Valp. Arica. Callao, Id. Id. Valparaiso. Id. Arica. Callao. Arica. Chili. Valparaiso. Callao. Coquimbo et Valparaiso. Callao. Valp. Cobija. Callao. Coquimbo. Callao. Cobija, sont indiquées ici comme Pay Te 1 DES MOLLUSQUES CÔTIERS MARINS, 203 CHAPITRE II, EXAMEN NUMÉRIQUE DE LA RÉPARTITION GÉOGRAPHIQUE DES ESPÈCES Le dépouillement du tableau, en groupant les faits, donne les résultats suivants : Mollusques côtiers spéciaux à l'océan Atlantique. 1 Mollusques côtiers spéciaux au Grand-Océan. . . . . . 205 » Mollusques côtiers communs aux deux océans. . 1 Total. . . . . 362 espèces, Il résulte donc clairement, de l’ensemble des Mollusques côtiers de l'Amérique méridionale, que , sur 362 espèces, une seule est commune à l’océan Atlantique et au grand Océan, tandis que toutes les autres sont, au contraire, spéciales chacune à son océan particulier, Ce résultat inattendu démontre évidemment que, sous une même latitude, à peu de distance, il peut exister, au sein de deux mers voisines communiquant entre elles, des faunes entière- Brea fe uuer. Rio de Janeiro. 1 (4 esp. de Payta. . . , au | Arga rs Lo ti — de Gael, " : 1 de Patagonie. nn de 1 — de Cobija. . ., Ping, : . 1 de Rio de Janeiro. n 2n d\derBaytaïust7 0 : 4 de Rio de Janeiro. . | Mytilus { 2 du Callao. . . . . . | Mytilus 1 dela Plata. . . .. PU entr JR PERTE. P SNUUE \ - 3 de la Patagonie et de | 1 de Valparaiso. . . .) IEEE AE PhOÏdS 0-10 Ad BATIMENT. 1-0 ; 1 de Rio de Janeiro. . 4 1 de Coquimbo. . . . | LR | 3 de Patagonie. 1 | EUFES : U 4 de Valparaiso. . . } ! à Donas Ai BIUCPATIR, NES UN. Mactra 4 2 de Rio de Janeiro, .) 3 pu 4.du Callao. &'....:, "7" À 4 de Patagonie. . . .} TelNDA Ne CPC SAEUEAY IA eme oi Ê ( 2 du Callao. . . . .. Petricola , . , & 1 d’'Arica. Callao. , . ( 17 de Payta en "0" | Tellina . , , . 2 de Rio de Janeiro. . , 2 dd'Arirarr cit sic3E l ArINOmIs . . . } À de Payia. . , . ., Petricola . . . 3 de Patagonie. vs 4 du Callao. . . , ) nue. .( 8 du Callao. ... . : 1 chemis { 1 de Patagonie. +1 9 IPOTUERP AY ; © © © U 4 de Rio de Janeiro. .) Avicula. . Lo8 de Payta:r. cé . Menus. . . . . 5 de Rio de Janeiro. . . 3 | Pecten. . . . . 1 de Payta. . . . ... . Charma: +4 T0 4Mdé Payta SPP. Awicula. . . . 1 de Rio de Janeiro, . . 4 | Terebratula. . 1 de Coquimbo. . . . . ANOMYEL . . AUTÉ DATE , ; fie Paytarent 61. . | PÉRÉSREE de Guayaquil, . . .} — &e 20/4 A. D'ORBIGNY. — SUR LA DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE ment distinctes, quand une barrière terrestre s’étendra vers le pôle et leur servira de limites, et que les courants généraux vien- dront empêcher les espèces de remonter vers leur origine, en sé- parant encore plus ces deux mers. Il est probable que les régions placées tout-à-fait à l'extrémité du continent américain, à la Terre de Feu, par exemple, ont une faune commune aux deux océans, puisque, sur ce point, s'opère à la fois le partage des eaux et des deux séries de côtes. Néan- moins, le bras du détroit de Magellan étant assez faible, et les eaux très froides qui baignent le cap Horn ne nourrissant que des Mollusques peu nombreux et spéciaux qui ne.peuvent sans doute vivre Fous une température différente, il n’est pas étonnant de ne trouver, à peu de distance de ce point de départ, qu’une seule espèce commune aux deux mers à la fois. Dans un autre travail du même genre sur les Foraminifères de l'Amérique méridio- nale (1), le produit d’un sondage fait en dehors du cap Horn m’a donné cinq espèces, sur lesquelles quatre se retrouvent dans les régions froides de l’océan Atlantique, et une dans le Grand-Océan. Ce résultat prouverait, comme on devait le supposer. que l’extré- mité méridionale est le point de départ des deux faunes. Mais, relativement à l’espèce de Gastéropode commune aux deux océans, (le Siphonaria Lessonii de M. de Blainville), si l’on examine ses limites d'habitation, il est facile de s’apercevoir que c’est, de toutes les espèces américaines, la plus indifférente à la tempéra- ture, puisqu'elle habite simultanément, dans le Grand -Océan, les zones froides, tempérées et chaudes, depuis le détroit de Magellan jusqu’à Lima; et dans l’océan Atlantique, du détroit de Magellan jusqu’au nord de la Plata. Aïnsi, tout en faisant exception, elle serait la seule espèce qui, en suivant les courants généraux dès leur point de séparation vers l’archipel de Chiloé, les accompagne longtemps des deux côtés de l'Amérique. Cette exception, dont j'ai cherché à expliquer la valeur, n’em- pêche pas que 361 espèces ne soient séparées dans leurs océans distincts. Ce fait curieux de répartition géographique trouve son (1) Foraminifères dû Voyage dans l'Amérique méridionale, t. V. DES MOLLUSQUES CÔTIERS MARINS. 205 application immédiate à la Paléontologie générale, car il peut ex- pliquer comment deux bassins géologiques tertiaires assez peu éloignés peuvent montrer deux faunes entièrement distinctes et pourtant contemporaines. En effet, dans les conditions actuelles où se trouvent les deux faunes de l’Amérique méridionale, si, au lieu d'exister aujourd’hui, elles appartenaient au domaine de la géologie, une seule espèce leur étant commune, ne pourrait-on pas, d’après leurs différences spécifiques, croire qu’elles appar- tiennent à deux époques distinctes? Passant à un autre ordre de faits, je vais comparer entre elles et successivement, par régions de température , toujours sous le rapport numérique, les deux séries de faunes propres à l'océan Atlantique et au Grand-Océan. 4 Faune côtière de l'océan Atlantique. Afin de donner tous les éléments de contrôle désirable et de re- chercher la vérité, je vais examiner, par localité, les limites res- pectives des espèces. Faune côtière des iles Malouines. J'ai, aux Malouines, sept espèces, qui toutes sont spéciales à ces îles, sans se rencontrer sur les côtes voisines de la Patagonie. Si je cherche les causes de cet isolement remarquable , les cou- rants, si bien observés par M. Duperrey, me l’expliqueront. J'ai dit que l’un des bras du courant qui passe au cap Horn se dirige vers les îles Malouines, tandis que l’autre suit le littoral, de sorte que les eaux qui baignent ces îles ne rejoignent plus ensuite le lit- toral du continent. Il en résulte qu’il ne peut y avoir en espèces communes que les coquilles qui, parties du cap Horn, ont tou- jours accompagné les courants côtiers. Faune côtière de la Patagonie septentrionale. J'ai recueilli sur les côtes de la Patagonie septentrionale, du 39° au 43° degré de latitude sud, soiwante-quatorze espèces ainsi ré- parties. 9206 A. D'ORBIGNY. -— SUR LA DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE Espèces spéciales à la Patagonie septentrionale. . . . . Hire qé :) Espèces communes à la Patagonie et à JEU ACTE CSL E UNION COTE Espèces communes à la Patagonie, à la Plata et à Rio de Jéusits, 4 AR Il résulte de ces chiffres que les espèces qui se trouvent seule- ment en Patagonie sont du double plus nombreuses que les es- pèces voyageuses ; que vingt-cinq se rencontrent sur tout le littoral compris entre les 34° et 42° degrés de latitude sud, et que, sur ce nombre, douze (1) plus indifférentes encore à la température ont été transportées par les courants, du 42° au 23° degré, ou sur l'immense étendue de 19 degrés en latitude, en traversant toutes les zones de chaleur. Faune côtière marine du Rio de la Plata. Les espèces que j'ai observées près de l'embouchure du Rio de la Plata, du 33° au 35° degré de latitude sud, sont au nombre de trente-sixæ ainsi distribuées : Espèces spéciales à la Plata. . . san tire RÉ ÉRT: Espèces communes avec la Patagonie CR DAeIE PR, 710) Espèces communes avec la Patagonie et Rio de Janeiro. . . . . . 42 Espèces communes avec Rio de Janeiro. Ici, les résultats sont différents, le nombre des espèces propres est moindre du quart, et l’on n’y trouve, en dehors des espèces communes avec la Patagonie, qu’une seule propre au Brésil tro- pical. Il faudra naturellement en conclure que, par suite des cou- rants généraux qui les baignent continuellement et apportent du sud au nord les Mollusques côtiers, les côtes voisines du Rio de la Plata se trouvent dans les mêmes conditions d’existence que la Pa- tagonie septentrionale, et que, dès lors, elles appartiennent en- core aux régions tempérées. Il ressort aussi du petit nombre d'espèces propres aux côtes marines.de l'embouchure de la Plata, que les plus grands affluents (1) Ces espèces sont les suivantes : Chemnitsia americana, Olivancillaria bra- siliensis, O. auricularia, Voluta brasiliana, Buccinanops Lamarckii, Crepidula protea, C. aculeata, Lavignon plicatula, Venus purpurata, sinuosa, Ostrea pulchana, Lucina semireliculala. DES MOLLUSQUES CÔTIERS MARINS, 207 n’ont aucune influence sur la composition des faunes locales qui les habitent, puisqu’à l’exception de quelques espèces presque fluviatiles, la faune marine n’éprouve aucune modification, Faune côtière de Rio de Janeiro (Brésil) Rio de Janeiro et les autres points du Brésil voisins du tropi- que du Capricorne m'ont donné soiæante-dix-huit espèces, dans les conditions suivantes : Espèces propres au Brésil tropical. . . . . . . . . . . 65 Espèces communes avec la Plata seulement. . . . N see al! Espèces communes avec la Plata et la Patagonie SR EU Ua Je trouve ici des résultats plus rapprochés de ceux obtenus en Patagonie que des résultats donnés par la faune de la Plata. En effet, les espèces propres sont cinq fois plus nombreuses que les espèces voyageuses. On s’apercoit, dès lors, que l'influence des courants diminue considérablement, et qu'une faune spéciale aux régions tropicales commence à se montrer. Cela est si vrai, que l'ensemble des Mollusques côtiers de Bahia et de Pernambuco ne contient déjà plus d'espèces de la Plata et de la Patagonie. On doit donc croire que l'influence des courants se fait sentir jusqu’au ° degré seulement, ou jusqu'aux limites tropicales, et que là commence une faune spéciale bien distincte. Maintenant, si, afin de mieux grouper les faits, je réunis les espèces des îles Malouines, du détroit de Magellan, de la Pata- gonie septentrionale, et même de la Plata, dans une seule zone que je nommerai tempérée, et les espèces de Rio de Janeiro et du Brésil tropical dans une zone chaude, j'aurai les résultats sui- vants : Espèces propres à la région tempérée. . : BD 22 Espèces communes aux régions tempérées et Mu Me Espèces propres à la région chaude. . . . . Gpneeit « | ve Espèces communes aux régions chaudes et finiéceé: De cet ensemble purement numérique, il résulle que, dans 208 A. D'ORBIGNY. — SUR LA DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE l'océan Atlantique , la faune des régions tempérées est plus nom- breuse que la faune des régions chaudes, et que chacune de ces régions possède de quatre à six fois plus d'espèces propres que d'espèces communes. Avant de chercher à déduire les conséquences naturelles de ces faits, je vais examiner comparativement, dans le même ordre, les faunes côtières du Grand-Océan, pour m'’as- surer si, malgré la différence de composition spécifique, ils don- nent des résultats différents ou identiques. Faune côtière du Grand-Océan. Je vais également subdiviser l’ensemble par cantons géogra - phiques en latitude. Faune côtière du Chili. Les espèces de Concepcion, de Valparaiso et de Coquimbo du Chili, réunies ensemble , puisqu'elles sont les mêmes partout, m'ont donné soixante-dix espèces ainsi réparties : Espèces propres au Chili. . . . 0 EURO ENRS Espèces communes avec Cobija et ne FREE Hoi 228 side Espèces communes avec Cobija, Arica et le Callao (Pérou). . . . 46 Les espèces propres au Chili sont de près du double plus nom- breuses que les espèces communes aux régions chaudes. De ces dernières, vingt-quatre se trouvent sur le littoral compris entre les 34° et 20° degrés de latitude sud, et quinze (1), plus largement réparties encore, s'étendent, en suivant toute l'extension des grands courants généraux de la côte, du 34° au 12° degré, ou sur l'im- mense étendue de vingt-deux degrés en latitude. Dans tous les endroits où le littoral des mers n’est pas baigné par un courant rapide, les êtres ne parcourant pas des limites aussi larges, il faut, dès lors, attribuer cette immense extension de quelques espèces à (1) Ces espèces sont les suivantes, comme on peut le vérifier sur ce tableau : Cavolina inca, Littorina peruviana, Trochus ater, T. luctuosus, Purpura æantho- stoma, Triton scaber, Infundibulum trochiforme, Crepidula dilatata, Siphonaria Lessonii, Fissurella limbata, Helcion scurra, H. scutum, Chiton peruvianus, C. Cumingü, C. Swainsonü, Pecten purpuratus. EE —— DES MOLLUSQUES CÔTIERS MARINS. 209 la seule action des courants généraux, qui, sans rien apporter des régions polaires, répandent ainsi, en arrivant à Chiloé, toutes les espèces indifférentes à la température. Faune côtière de Cobija et d'Arica. Les coquilles recueillies par moi à Cobija (Bolivia) et à Arica (Pérou) m'ont offert le total de cinquante-cinq, dans les conditions suivantes : Espèces propres à Cobija età Arica. . … ..... .:. . . . 4% Espèces communes avec le Chili seulement. . . . . . . . . 9 Espèces communes avec le Chili et le Callao. . . . . . . . . 16 Espèces communes avec le Callao seulement. . . . . . . . . 145 Il résulle des chiflres ci-dessus que, sur le total, quinze seule- ment, ou plus d’un tiers seraient spéciales à ces localités, tandis que quarante seraient voyageuses. Il s’agit maintenant de savoir, par les rapports de nombre des espèces communes avec les par- ties plus au sud, ou les parties plus au nord, si l’on doit considérer cette faune locale intermédiaire comme appartenant aux régions chaudes ou tempérées. Par leur latitude du 17° au 23° degré, elles dépendent évidemment des premières, tandis que les cou- rants qui refroidissent beaucoup la mer qui les baigne pourraient être regardés comme tempérés. Les chiffres tranchent la difficulté, car, sur quarante espèces transportées par les courants, trente et une sont en même temps du Callao, et vingt-cinq de Valpa- raiso. Je dois, dès lors, considérer cette faune intermédiaire comme une dépendance des régions chaudes. Faune côtière du Callao (Pérou). J'ai réuni au Callao, port de Lima, situé au 12° degré de lati- tude sud, soixante-douxe espèces de coquilles ainsi distribuées : Espécesipropres. au Callao Rs. 2. shine cal cote TO Espèces communes avec le Chili. . . . . ae Nine CAM Espèces communes avec Arica et Cobija ne AE ef RTS Espèces communes avec Payta et Guayaquil. . . . . . . . . 1 Sur ce point, ainsi qu'au Chili, je trouve les espèces propres 3° série. Zooz. T. III. (Avril 1845.) 14 910 Aa. D'ORBIGNY. — SUR LA DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE trois fois plus nombreuses que les espèces communes aux régions tempérées et chaudes , puisque celles d’Arica peuvent être consi- dérées comme une dépendance des mêmes régions; mais je vois encore, par le nombre considérable des espèces communes entre deux points séparés par vingt-deux degrés en latitude, que les courants généraux chiliens, en apportant des eaux froides jusque bien avant sur les régions tropicales du Pérou, sont sans doute la cause de cette exception remarquable. Faune côtière de Payta et de Guyaquil. Voulant pousser mes comparaisons plus loin, j'ai réuni des parties plus septentrionales encore, de Payta et de Guayaquil , soixante-huit espèces, sur lesquelles : Espèces propres à Payta et à Guayaquil. . . . . . . . . . 67 Espèce commune avec le:Callao. .: . : ©... CM Lorsqu'on à vu sur toutes les côtes méridionales du Grand- Océan un bon nombre d’espèces en habiter tous les points, du 33° degré jusqu’au 12°, et, dès lors, des régions tempérées jus- qu'à neuf degrés en dedans des limites tropicales, on a lieu de s'étonner que la comparaison des espèces de Mollusques côtiers de Payta et de Guayaquil avec celles du Callao, distant d’à peine huit degrés sur une même zone chaude, accuse d'aussi grands changements de répartition. En effet, sur soixante-huit espèces, une seule est commune aux deux points. Sans les intéressantes re- cherches de M. Duperrey, l’on aurait pu regarder ce fait comme une anomalie singulière, dont on aurait en vain cherché l’explica- tion; mais, en jetant les yeux sur sa carte du mouvement des eaux, on en trouve de suite la raison. Si l’on doit à l’influence des cou- rants généraux celte large répartition des mollusques côtiers sur vingt-deux degrés en latitude, c’est encore dans l'étude de ces mêmes moteurs qu'on peut chercher la cause de cette exception. J'ai dit que les courants généraux partaient du sud du Chili et sui- vaient la côte du Grand-Océan jusqu’à quelques degrés au sud de l'équateur, et tournaient ensuite brusquement à l’ouest, se di- rigeant vers les îles de la Société. La carte de M. Duperrey dé- montre très clairement que les courants chiliens du sud au nord DES MOLLUSQUES CÔTIERS MARINS, 241 s'arrêtent précisément entre le Callao et Payta, et qu'à Payta même le courant méridional n'existe déjà plus, les eaux ayant pris leur direction occidentale à plus d'un degré au sud de ce point. Ge fait, en donnant l'explication de la différence de com- position spécifique des faunes respectives du Callao et de Payta, est encore d’une immense importance pour l'étude de la réparti- tion des êtres côtiers; car il prouve évidemment que les courants ont plus de part même que la température dans les lois qui pré- sident à leur distribution géographique. Sans rien retrancher des considérations qui précèdent, si, comme je l’ai fait pour l'océan Atlantique, je groupe comparati- vement les espèces des régions tempérées et des régions chaudes du Grand-Océan, j'aurai les résultats suivants : Espèces propres à la région tempérée. . . . . . . . 45 } 69 Espèces communes aux régions chaudes et tempérées. . . 24 Espèces propres à la région chaude. . . . . . . . . 127 } 151 Espèces communes aux régions chaudes et tempérées. . . 24 Ce résultat me donne, comme pour l'océan Atlantique, en espèces propres aux régions chaudes et aux régions tempérées, du double à cinq fois le nombre des espèces communes aux deux régions à la fois. Dès lors, en me résumant, abstraction faite des considérations plus spéciales que je présenterai plus tard, les deux côtes de l'Amérique méridionale ont donné absolument les mêmes résultats numériques. On peut en déduire, avec double certitude, que, malgré l'influence active des courants généraux qui tendent à ré- pandre partout les mêmes espèces et à modifier la température du littoral, cette même température sert pourtant encore de limites aux faunes locales, en cantonnant toutes les espèces qui ne lui sont pas indiflérentes. CHAPITRE HE. EXAMEN ZOOLOGIQUE SUR LA RÉPARTITION GÉOGRAPHIQUE DES ESPÈCES CÔTIÈRES. Avant de tirer les conséquences logiques de l'examen purement numérique des espèces de l'Amérique méridionale, je crois devoir 919 A. D'ORBIGNY. — SUR LA DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE comparer les faunes zoologiques entre elles, afin de m'assurer quelle peut être l'influence de la configuration orographique des deux côtes, sur la composition des genres de Mollusques côtiers qui habitent respectivement le littoral du Grand-Océan ou de lo- céan Atlantique. Pour arriver à quelques résultats, je vais présenter comparati- vement, dans le tableau suivant, les genres propres à chacun des océans et le nombre des espèces qui leur appartiennent. MOLLUSQUES CÔTIERS DE L'AMÉRIQUE MÉRIDIONALE PROPRES À L'OCÉAN AU Gn. A L'OCÉAN AU GR- ATLANT. OCEAN. ATLANT, OCEAN, Gastéropodes. Paie rh Gastéropodes (suite). ee ie à DONS PE Ier » 5 Bunura pe, 3 9 Cavolina peurs »: 1 1 Monoceros . . . 1 3 Diphyllidia. . . . » 1 Terebra. . 1 » Posterobranchea. » 1 Cerithium. 2 3 Pleurobranchus. 1 » Cassis. LE 2 » Aplysia. 1 3 Pleurotoma. . . . 2 v Bulla. » ll Fusus 2 2 Paludestrina. 7 3 Fasciolaria. . 1 » Turritella. nt » 2 Turbinella. il » SCAATE NES 3 » Triton. ARTE 1 1 Littorina. 3 3 Ranella Ets » 2 Rissoina. » 1 MOTEX NT DS 6 7 Chemnitzia. . 4 il Vermetus. . . . 1 » Acteon. » 1 Pileopsis. . . . » 1 Natica. 3 3 Capypeopsis. . » 4 Sigaretus. . - » 1 Infundibulum. . 1 3 Nerilina. 0... 2 1 Crepidula. 2 k& Trochus. . 3 5 Siphonaria. . 2 2 Delphinula. » À Scissurella. 1 » Turbo. » 1 Rimula. 1 » Cypræa. . » 1 Fissurella. 2 10 Marginella. 1 1 Fissurellidea. 1 » Olivina. . 2 Il Helcion. . 1 2 Oliva. f » 1 Patella. 2 6 Olivancillaria. 2 » Chiton. 2 A8 A » aise 1 ; Lamellibranches. Voluta. 5 » CAT RE ce) 1 Mitra. » 2 ABTAr TE EEE LUN 1 » Cancellaria. » 4 Crassatella. . . . » 1 Colombella. . 1 6 CAT Re » D) Nassa. 2 2 EVCHAUETE 7 » Buccinanops. 4 » Eryeinast ty ot » 1 DES MOLLUSQUES CÔTIERS MARINS. 213 Nucula. 2 2 Solecurtus. . . . » 1 Pectunculus. 1 1 Tellina . 3 Arca. 2 7 Chænoconcha. . . » 1 Pinna. 2 » Arthemis. . . . 5 gi Mytilus. . : 12 7 Nes: 54-146 7 10 Lithodomus. . . 1 1 Cytherea. . . . » | Pholas. 4 3 Petricola. . : . 3 4 Solen. 2 3 Gorbula: 44 : di. 1 » Panopæa. 1 » Aviculan 02 1 1 Lyonsia. . 2 1 Pecten MM). , |: 1 2 Periploma. 2 » CHASSE 0 » 2 Mactra. 3 ll Terebratula. . . . » 2 Mesodesma. . 1 1 Orbicula. . . . . » 1 Lavignon. 1 » AnoMmyA se -. - » 1 Amphidesma. 1 À OSNEAN + FR 1 2 Donax. 1 4 Lorsqu'on voit, des deux côtés de l'Amérique méridionale, les faunes locales subir en tout les mêmes influences de répartition géographique, en marchant du sud au nord; lorsqu'on voit le nombre respectif des espèces ne pas différer considérablement, on devrait s'attendre, s’il n’y avait pas d’autres causes perturbatrices, à les trouver composées à peu près des mêmes éléments zoologi- ques. Il n’en est pourtant pas ainsi, puisqu'on remarque, au con- traire, des différences énormes d’un côté à l’autre. En effet, le rapport des Gastéropodes aux Lamellibranches est, dans l'océan Atlantique de 85 à 71, tandis que, dans le Grand-Océan, il est de 129 à 76. Il y aurait déjà infiniment plus de Gastéropodes que de Lamellibranches dans le Grand-Océan, ce qui ne peut s’expli- quer que par des conditions d'existence plus favorables. Sur quatre-vingt-quinze genres que j'ai cités dans le tableau, comme étant propres au littoral de l'Amérique méridionale, cin- quante, ou plus de la moitié, ne se trouvent que d’un côté à la fois, tandis que quarante-cing seulement sont communs aux deux mers. Si je cherche par l’observation quelles sont les condi- tions d'existence qui déterminent cette répartition, je les trouverai toutes dans la disposition orographique des côtes. Sur le littoral du Grand-Océan , les Cordilières étant très près de la mer, les côtes y sont très abruptes et fortement inclinées, les rochers bien plus nombreux que les plages sablonneuses; il doit y avoir, dès lors, infiniment plus de Gastéropodes que de La- 214 a. D'ORBIGNY. — SUR LA DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE mellibranches, et les genres qui dominent par leurs espèces doi- vent principalement vivre sur les rochers. C’est ce qu’on observe, en effet; les genres Doris, Purpura, Fissurella et Chiton, qui habitent toujours les rochers, montrent un plus grand nombre d'espèces que les autres. La plupart des genres spéciaux (les Doris, Diphyllidia, Posterobranchæa , Del- phinula, Turbo, Ranella, Pileopsis, Calypeopsis, Chama, Tere- bratula, Orbicula, Anomya) sont également propres aux côtes ro- cailleuses ou aux graviers qui les avoisinent, Les terrains, en partant de la Gordilière, s’abaissent lentement vers l’océan Atlantique, où ils forment des côtes en pente douce qui se continuent au loin dans l'Océan , à tel point qu’à plus d’un degré de distance on trouve encore le sol par une profondeur peu considérable (1). Il en résulte que les Mollusques côtiers doi- vent y vivre principalement sur les plages sablonneuses et dans les golfes tranquilles. C’est, en effet, ce qu'on trouve; les Bucci- nanops et les F’oluta, qui y sont très communs, habitent seulement * des parages de cette nature, et sur les vingt-deux genres qui y sont spéciaux et manquent au Grand-Océan, dix-neuf (les Olivancil- laria, Strombus, Volutella, Foluta, Buccinanops, T'erebra, Cassis, Pleurotoma, Fasciolaria, Turbinella, Scissurella, Fissurellidea, Asturte, Lucina, Pinna, Panopæa, Periploma , Lavignon , Cor- bula) sont propres seulement aux fonds de sable et de sable va- seux. Il résulte clairement des faits précédents que la configuration orographique du littoral exerce, par les conditions d’existence plus ou moins favorables qu’elle offre aux êtres côtiers, une immense influence sur la composition zoologique des faunes respectives qui l'habitent. L'Amérique méridionale, sur ses deux versants, l'un abrupte, l’autre en pente douce, en offre, par les Mollusques cô- tiers qui y vivent, une preuve incontestable, puisque les différences apportées par cette seule cause sont plus marquées que les rap- ports donnés par l'influence des séries parallèles de zones, de lati- (1) Sur toutes les côtes comprises entro la péninsule de Sun Jose, en Pata- gonie, et l'embouchure de la Plata, on trouve le fond, souvent à plus d'un degré du littoral, par une profondeur moindre de 50 mètres. DES MOLLUSQUES CÔÜTIERS MABINS 5 tudes que traversent également les faunes locales du Grand-Océan et de l’océan Atlantique. CHAPITRE HV. DÉDUCTIONS GÉNÉRALES ET CONCLUSIONS. Après avoir passé successivement en revue toutes les causes partielles qui peuvent agir simultanément ou contrairement sur la distribution géographique des Mollusques côtiers, j'ai reconnu que trois séries d’influences ont une action puissante sur cette ré- partition : d’abord les courants généraux, puis la température, et enfin la disposition orographique des côtes. I. Influence des courants généraux. On pouvait croire à priori que, se partageant en deux sur les régions froides de l'extrémité de l'Amérique méridionale , et sui- vant parallèlement aux côtes, du sud au nord, le littoral du Grand- Océan et de l’océan Atlantique, les courants généraux devaient agir puissamment sur la répartition des faunes côtières. Ici l’ob- servation est venue complétement justifier celte opinion. Les courants généraux, par leur action continuelle dans une même direction, tendent évidemment à répandre sur tous les points où ils passent les Mollusques qui peuvent supporter une grande différence de température, Le Siphonaria Lessont, qui suit, en effet, à la fois les deux côtés de l'Amérique, depuis leur point de départ, sur toute l'extension des courants, en est une preuve. Dans l’océan Atlantique, douze espèces s'étendent en suivant les courants sur dix-neuf degrés, et dans le Grand-Océan, vingt- quatre espèces habitent, par cette influence, vingt-deux degrés en latitude , en traversant plusieurs zones de chaleur différente, tan- dis qu’elles cessent d'exister aux dernières limites septentrionales de ces mêmes courants, comme on l’a vu pour les faunes du nord de Rio de Janeiro et au nord du Callao. Une troisième preuve incontestable de cette action des courants se trouve dans la limite d'habitation des êtres qu’ils transportent 216 À. D'ORBIGNY. — SUR LA DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE par rapport à la latitude. Les courants de l'océan Atlantique per- dent, au 34° degré de latitude, leur force continuelle: aussi les espèces les plus indifférentes à la température cessent-elles d’exis- ter au 23° degré, c’est-à-dire à la limite des régions tropicales. Les courants du Grand-Océan conservent, au contraire, la même force jusqu'au-delà du 12° degré de latitude, en portant avec vio- lence des eaux froides partout où ils passent. Il en résulte que les espèces de Mollusques côtiers les plus indifférentes à la tempéra ture y sont transportées jusqu’à neuf degrés en dedans du tropique du Capricorne. On doit donc attribuer certainement aux courants généraux cette influence d’inégale valeur qui porte les Mollusques côtiers des régions froides et tempérées, d’un côté, jusqu’au tro- pique seulement, et, de l’autre, jusqu’à neuf degrés en dedans. Si l’action incessante des courants est, le plus souvent, d’é- tendre les limites des faunes côtières, il lui est, au contraire, quelquefois réservé de les limiter. On doit, par exemple, à l’action combinée des courants et de la température, la séparation de toutes les espèces des deux faunes parallèles de l'Amérique méridionale , l’une propre au Grand- Océan, l’autre à l'océan Atlantique. Ce sont évidemment ces cou- rants glacés du Grand-Océan venant du pôle et contournant l’ex- trémité du cap Horn, qui, en passant dans l’océan Atlantique, séparent nettement les deux faunes américaines. On doit sans doute la faune toute spéciale des îles Malouines au bras du courant qui, du cap Horn, passe à ces îles, sans re- joindre ensuite le continent. Le fait le plus important est, sans contredit, celui que j'ai ob- servé entre le Callao et Payta (Pérou). En effet, tant que les cou- rants généraux suivent, du sud au nord, les côtes du Grand-Océan, ils refroidissent tellement les eaux qui les baignent, que les Mol- lusques des régions froides et tempérées sont portés jusqu’à neuf degrés en dedans du tropique du Capricorne; mais entre le Callao et Payta, à l’instant où les courants tournent brusquement à l’ouest et abandonnent les côtes américaines , l’action de la tem- pérature reprend immédiatement son influence, et l’on trouve de suite une faune tout-à-fait différente propre aux régions chaudes. DES MOLLUSQUES CÔTIERS MARINS. 917 En résumant ces résultats opposés les uns aux autres, on voit airement que si, par la continuité de leur action, les courants tendent à répandre les Mollusques côtiers en dehors de leurs limites naturelles de latitude, ainsi qu’on le voit sur les deux côtes de l'Amérique méridionale ; lorsqu'ils s’éloignent du continent, comme aux Malouines, lorsqu'ils doublent un cap avancé vers le pôle, comme au cap Horn, ou encore lorsqu'ils abandonnent brusque- ment les côtes sous des régions chaudes, comme ils le font au nord du Callao, on leur doit alors, au contraire, l'isolement et le cantonnement des faunes locales. {T. Influences de température ou de latitude. J'avais encore pensé, à priori, que la pointe très prolongée vers le pôle qui, dans l’Amérique méridionale, sépare nettement l’o- céan Atlantique du Grand-Océan, amènerait, comme barrière na- turelle de température entre les faunes de Mollusques côtiers pro- pres à chacun d'eux, des différences notables dans la composition des faunes respectives. L'observation a confirmé pleinement cette opinion, On voit, par exemple, sur le total de trois cent soixante-deux espèces de Mollusques côtiers de l'Amérique méridionale, qu’une seule est commune aux deux océans, tandis que toutes les autres sont, au contraire, spéciales, soit au Grand-Océan, soit à l’océan Atlantique. Néanmoins ces résultats inattendus se compliquent évidemment, comme je l’ai dit, des influences dues aux courants généraux, car la température n'aurait pas à elle seule une action aussi puissante. En effet, ces deux causes se contrarient le plus ordinairement dans leur action respective ; mais, dans cette cir- constance, par une exception remarquable, elles agissent simulta- nément aux régions les plus méridionales, en séparant plus nette- ment encore les faunes côtières des deux océans. Si, dans quelques cas, les courants généraux tendent à répandre les êtres sur tout leur cours, la température a l'influence contraire de cantonner les espèces en des limites plus ou moins restreintes, suivant les variations de température qu’elles peuvent supporter. On en a la preuve par le nombre des Mollusques propres aux 218 À, D'ORBIGNY. — SUR LA DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE différents points de la côte des deux océans soumis à l’action in- cessante des courants, On l’a plus positive encore par le nombre élevé des espèces propres aux deux points extrêmes de la distance baignée par les courants, puisque, dans le Grand-Océan, les espèces propres aux régions tempérées sont presque le double, et que les espèces des régions chaudes sont cinq fois plus nombreuses que les espèces voyageuses; que, dans l’océan Atlantique, les espèces propres aux régions tempérées sont six fois, et celles des régions chaudes cinq fois plus nombreuses que les espèces communes aux deux régions à la fois. La preuve la plus remarquable se trouve surtout dans la diffé- rence subite qu’on remarque entre la composition des faunes lo- cales de Payta et celle des parties situées au nord de Rio de Janeiro. En effet, dès que l’action incessante des courants ne se fait plus sentir, la température reprend de suite toute son in- fluence, et une faune différente et spéciale aux régions chaudes commence à se montrer, ù Les faits nombreux qui précèdent montrent que, malgré l’in- fluence active des courants, l’action passive de la chaleur se fait partout sentir d’une manière très marquée, par le cantonnement des espèces en des limites de latitude plus ou moins restreintes des deux côtés de l'Amérique méridionale, IT. Influence due à la configuration orographique des côtes. De la différence de configuration des côtes de l'Amérique mé- ridionale en pentes abruptes et rocheuses sur le Grand-Océan, et en pentes douces, souvent sablonneuses, sur l'océan Atlantique, on pouvait déduire & priori une influence marquée sur la compo- sition zoologique des faunes respectives, Ici encore les faits l'ont prouvé jusqu’à la dernière évidence, Le rapport de nombre des Mollusques gastéropodes et des La- mellibranches entre les deux mers, toujours plus élevé dans le Grand-Océan, en est une conséquence. Le rapport de nombre des genres spéciaux où communs aux DES MOLELUSQUES CÔTIERS MARINS. 9319 deux mers le démontre, puisque plus de la moitié de l’ensemble ne se trouve que dans l’un des océans, D'un autre côté, il est facile de se convaincre que les genres qui dominent dans le Grand-Océan vivent principalement sur les rochers, tandis que ceux de l’océan Atlantique qui manquent au versant occidental habitent seulement les fonds de sable ou de sable vaseux. En résumé, la différence de configuration orographique du lit- toral des deux océans qui baignent l'Amérique méridionale, par les conditions d’existence plus ou moins favorables qu’elle offre aux Mollusques côtiers, suivant leurs genres, est d’une immense in- fluence sur la composition zoologique des faunes qui les habitent, Je dirai encore, comme fait négatif, que les plus grands af- fluents, à en juger du moins par la Plata, qui montre à son embou- chure cent vingt-huit kilomètres de largeur, n’ont absolument au- cune influence sur la composition des faunes marines qui habitent leurs environs, RÉSUMÉ. De l'ensemble des trois genres d’influences combinées, les cou- rants, la température et la configuration des côtes, on peut dé- duire avec certitude que les lois qui président à la distribution géographique des Mollusques côtiers, tout en dépendant de ces trois ordres de faits, peuvent être réduites à deux actions con- traires, L'une, les courants, qui, dans certaines circonstances, tendent à répandre, partout où ils passent, les espèces indifférentes à la température, L'autre, plus générale, composée encore des courants, de la température et de la configuration orographique, qui tendent, au contraire, à restreindre et à cantonner les êtres en des limites plus ou moins larges, 220 À. D'ORBIGNY. — SUR LA DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE, ETC. CONCLUSIONS ET DÉDUCTIONS PALÉONTOLOGIQUES. L'étude de tous les faits que j'ai pu observer dans l'Amérique méridionale, sur la distribution géographique des Mollusques cô- tiers, m’amène naturellement aux conclusions suivantes, qui trou- vent leur application immédiate aux faunes paléontologiques des terrains tertiaires, 1° Deux mers voisines communiquant entre elles, mais séparées seulement par un cap avancé vers le pôle, peuvent avoir leurs faunes distinctes. 2 Il peut exister en même temps, par la seule action de la température, dans le même océan et sur le même continent, des faunes distinctes, suivant les diverses zones de température. 3° Sous la même zone de température, sur des côtes voisines d’un même continent, les courants peuvent déterminer des faunes particulières. 4° Une faune distincte de la faune du continent le plus voisin peut exister sur un archipel, lorsque les courants viennent l’isoler, 5° Des faunes distinctes, ou du moins très différentes entre elles, peuvent se montrer sur des côtes voisines, par la seule action de la configuration orographique. 6° Lorsqu'on trouve les mêmes espèces sur une immense éten- due en latitude, dans un même bassin, les courants en seront la cause. 7° Les espèces identiques entre deux bassins voisins annoncent des communications directes entre eux. 8° Les plus grands affluents n’ont absolument aucune influence sur la composition des faunes marines voisines; ainsi toutes les déductions qu’on en a tirées dans les bassins tertiaires deviennent illusoires. Je terminerai par une dernière comparaison paléontologique. J'ai dit qu’à l'exception d’une espèce commune aux deux mers américaines, toutes les autres étaient, dans la faune actuelle, pro- pres soit à l’océan Atlantique, soit au Grand-Océan, et que l’en- semble des genres était très différent dans les deux mers. La com- paraison de ces résultats avec les déductions tirées de l’ensemble J. GOUDOT. — SUR LE CUTÉRÈBRE NUISIBLE. 291 des coquilles fossiles des terrains tertiaires les plus inférieurs de l'Amérique méridionale (1), prouve que ces derniers, tout en dif- férant spécifiquement, sont néarmoins dans les mêmes conditions géographiques que la faune actuelle, Ne pourrait-on pas en con- clure qu’à l’époque où se formaient ces terrains tertiaires, la la- titude, les courants, la conformation orographique avaient les mêmes influences qu'aujourd'hui? Dès lors, il serait permis de croire que la Cordilière avait, à cette époque géologique, assez de relief pour former, sur une vaste échelle, une barrière entre les deux mers, et que, depuis cette époque, le continent méridional n’a pas changé de forme. OBSERVATIONS SUR UN DIPTÈRE EXOTIQUE DONT LA LARVE NUIT AUX BŒUFS (LE GUTÉRÈBRE NUISIBLE); Par M. JUSTIN GOUDOT. Ce Diptère ou plutôt sa larve est connue parmi ies habitants de la Nouvelle-Grenade sous le nom de Gusano, ou plus fréquem- ment encore sous celui de Vuche; on ne le connaît point dans les pâturages des régions froides ; quant aux régions basses, appelées terres chaudes et tempérées , il ne s’y trouve que sur la lisière des grands bois et dans les rastrojos , c’est-à-dire dans les parties qui offrent à la fois des taillis et des prairies. Dans ces lieux, il se multiplie extrêmement , surtout quand des saisons pluvieuses trop continues ont empêché de brûler les prai- ries : aussi ces localités sont-elles considérées comme impropres en quelque sorte à recevoir des troupeaux de bœufs ; lorsqu'on y en met cependant, on voit parfois ces animaux passer une grande partie de la journée dans des terrains sablonneux et sté- riles , plutôt que d'aller à l’ombre et au pâturage dans des lieux où leurs ennemis sont si abondants : j’en ai vu parfois galopant (1) Voyez Paléontologie spéciale de mon Voyage dans l'Amérique méridional, p. 439. 292 3. GOUDOT. — SUR LE CUTÉRÈBRE NUISIBLE, désespérés dans les plaines, probablement des souffrances que doit leur occasionner la réunion d’un si grand nombre de cau- tères ; c’est surtout dans l’après-midi que j'ai eu occasion de re- marquer ce fait. Les larves déposées par les Cutérèbres sont dans ces localités, et surtout dans les mauvaises années, en si grand nombre qu’on les compte par centaines sur un seul individu. Ces larves couvrent souvent une grande partie des épaules des bêtes à cornes, formant sous la peau par leur réunion une agglo- mération de nombreuses tumeurs, d’où découlent continuellement, par une multitude d’orifices, des matières purulentes : ces trous, lorsque les larves des Cutérèbres en sont sorties, servent souvent à d’autres Diptères qui viennent y déposer leurs œufs, produisant ainsi parfois des plaies dangereuses et toujours difficiles à guérir. On voit aussi des larves du même Cutérèbre sur la tête, les flancs , la queue, le long de l’épine dorsale; mais c’est toujours sur les épaules que se trouve le principal foyer d'habitation : car c’est le point que l’animal peut le moins bien défendre, soit avec sa queue, soit avec ses cornes. Dans les pays où les Cutérèbres sont abondants , souvent la peau des animaux que l’on abat parait criblée de trous, comme ceux qu'aurait faits une décharge de gros plomb de chasse ; ces trous sont tous ceux qu'occupent les larves des Cutérèbres près de leur accroissement ; il va sans dire que les peaux ainsi criblées ont perdu une partie de leur valeur. Les Chiens sont aussi très attaqués par ces redoutables Diptères, et en nourrissent souvent un grand nombre; je dois dire cependant que je n’ai point eu occasion d'obtenir l’Insecte parfait des larves qui habitent sur le Chien; mais, comme elles sont identiques à celles du Bœuf, je ne doute nullement qu’elles n’appartiennent au même Insecte : j’ai été confirmé dans cette opinion, qui, je le sais bien, sera contredite par quelques naturalistes, en voyant que, dans les lieux où les Vaches seraient attaquées par les Cutérèbres, les Chiens le sont également : ainsi, j'ai fait exploiter dans la pro- vince du Cauca une saline environnée de riches pâturages, et où les Mules et les Chevaux engraissaient promptement, mais où l’on ne mettait pas de bêtes à cornes, à cause de l’abondance des 3. GOUDOT. — SUR LE CUTÉRÈBRE NUISIBLE, 293 Cutérèbres : or, dans ces lieux , tous les Chiens en étaient horri- blement criblés sur toutes les parties du corps. Dans cette même localité, les Hommes en nourrissaient aussi; moi-même j'ai eu sur différentes parties du corps, et indistinctement sur toutes celles qui se trouvaient fortuitement découvertes, des larves qui ne diffé- raient pas de celles du Chien et du Bœuf. J’en ai même conservé une pendant une quinzaine de jours sur une cuisse, et j'ai pu ainsi remarquer que l'espèce de succion qu’exécute la larve a lieu parti- culièrement de très grand matin (de 5 à 6 heures) et sur le soir , produisant un eflet analogue à celle d’une aiguille qu’on enfonce- rait vivement dans la peau. Je n’ai jamais pu entendre ni voir, malgré une attention scrupu- leuse, voler l’Insecte qui venait sur moi déposer ses œufs, lorsque certaines parties du corps restaient découvertes : aussi, lorsque j'ai dit plus haut qu'on voit les Taureaux renoncer en quelque sorte au pâturage , ce n’est pas qu'ils doivent se trouver plus im- portunés par ce Diptère que par aucun autre ; au contraire , il est fort probable qu’ils le sont beaucoup moins que par les Culcides , les Taons, les Muscies ; on croirait plutôt que la prévoyance, ou pour mieux dire l'instinct du danger, est ce qui les fait agir dans ce cas (1). Je n’ai vu de Cutérèbres sur aucun autre Quadrupède domes- tique , soit venu d'Europe, soit indigène ; et quoique je n’en aie trouvé non plus sur aucune des peaux des Quadrupèdes sauvages que je me suis procurés (et il est peu d'espèces dont je n’aie ob- tenu les dépouilles), je suis porté à croire qu’on pourrait bien les (1) Ce qui est bien différent de ce que rapporte Clark, comme ayant lieu à l'é- gard de l'OEstre du bœuf, ainsi qu'on le voit par ce passage : « When one of the cattle is attacked by this fly, it is easily known by the extreme terror and agita-- tion of the wvhole herd.… Such is the dread and apprehension in the cattle of this fly, that 1 have seen one of them meet the herd when almost driven home, and turn them back, regardless of the stones, Sticks , and noise of their drivers ; nor could they be stopped till they reached their accustomed retreat in the water. » Ce qui paraît toutefois assez difficile d'admettre avec ce que dit le même plus loin : « The female fly is very quick in performing the operation of depositing its egg : she does not appear (o remain on he back of the animal more than a few se- conda. » (Voyez Clark, Honogruphie des OEstres.) 29} J. GOUDOT. — SUR LE CUTÉRÈBRE NUISIBLE. rencontrer sur les Renards , sur les petites espèces de Chats, qui sont, de tous les Quadrupèdes de ces contrées , ceux qui fréquen- tent davantage les lisières des bois et des taillis. En attendant que d’autres observations viennent éclaircir ces doutes, le fait de voir la larve parasite d’un Diptère, qui ne se trouvera que rarement sur les Quadrupèdes indigènes qui lui semblaient destinés, pul- luler d’une manière si extraordinaire, et devenir, pour ainsi dire, exclusivement propre à deux Quadrupèdes introduits de l’ancien continent, qui n'offrent rien de semblable (1) dans leur pays natal, ce fait, dis-je, est assez curieux pour mériter de fixer l’at- tention (2). Ce n’est que par des soins continuellement répétés , et qui de- viennent très coûteux, si l’on considère que les Bœufs qui habitent ces contrées y sont presque toujours à l’état demi-sauvage, qu'on parvient à diminuer le nombre de ces larves, soit sur ces rumi- nants, soit sur les Chiens, et même ce résultat n’est guère obtenu, pour les premiers, que, dans le jeune âge , parmi ceux qu’on élève plus particulièrement dans le voisinage des habitations. Le moyen employé pour cela est de jeter l’animal à terre, et, par une pression très forte exercée dans un sens convenable sur (1) Bien que ces larves de Cutérèbres vivent d'une manière analogue à celles de l'Hypoderme du bœuf, elles n’en sont pas moins différentes par leur confor- mation (les deux crochets de la bouche), et les deux insectes à l'état parfait sont aussi fort différents. (2) A cette occasion, je rapporterai un fait analogue, mais qui appartient à un autre ordre d'Articulés : le Pulex penetrans, qui, dans l'origine, paraissait être exclusivement propre à l'Homme américain, aujourd'hui se retrouve parfois entre les doigts des Chiens, mais surtout à la parte inférieure des pieds des Cochons, qui sont pour cela regardés comme les propagateurs de l'espèce. M. Macquart dit aussi, relativement au Cephenemyia trompe, dont la larve vit dans les sinus frontaux du Renne, en Laponie, et qui a été trouvé en Saxe, où le Renne n'existe pas, qu'il est probable que la larve se développe dans quelque autre quadrupède, peut-être dans le Cerf. Je cite ces faits, parce qu'ils s'opposent à l'opinion encore trop généralement ädmise, que chaque insecte parasite vit aux dépens d'une seule espèce d'animal. Si les Chevaux et les Mules sont exempts de nourrir des larves de Cutérèbres, cela ne pourrait-il pas provenir de ce que la peau de ces animaux offrirait une plus forte résistance à la perforation de la jeune larve ? J. GOUDOT. — SUR LE CUTÉRÈBRE NUISIBLE. 2925 la peau, on parvient à faire sortir la larve qui se trouve expulsée tout entière à une cértaine distance , ou qui, trop comprimée , se rompt, et forme sous la peau un dépôt de matières purulentes. Ce dépôt est bientôt habité par d’autres larves de Muscies , pro- duisant souvent des ulcères qui s’accroissent rapidement ; quel- quefois , dans le cas où l’animal en est très criblé, on voit sortir d’un même orifice 3-5 larves de Cutérèbres. L'opération terminée, on lave les parties avec de l’eau salée pour obliger l'animal à se lécher continuellement, et entraîner ainsi les œufs que les Mouch®es ne cessent d'y déposer ; on doit répéter ces opérations au moins deux fois par jour ; souvent même l'animal qu’on a ainsi nettoyé le matin offre déjà le soir, dans les trous vides des Cutérèbres, une fourmilière de petits Vers qu’on ne parvient à faire mourir qu’en remplissant les trous d'extrait de tabac, ou mieux encore en les saupoudrant avec les fruits réduits en poudre de lAsagrea officinalis, Lindley (1). Si, en Europe, la tribu des Muscies est très importune dans les grandes chaleurs , dans les basses régions, sous la zone équa- toriale , elle est continuellement un fléau pour tout être animé ; la moindre blessure se trouve, au bout de très peu de temps, couverte par des milliers d’œufs, convertis, deux ou trois heures plus tard, en autant de petites larves qui commencent une large plaie, la- quelle peut devenir quelquefois incurable, si on n’y apporte pas de soins. Pour des troupeaux nombreux qui paissent sur une grande étendue de terrain, interrompue par des bouquets de bois et autres accidents du sol qui rendent la surveillance plus difficile, ces soins exigent de la part des pâtres la plus grande activité ; en effet, si de jeunes animaux n’ont pas été apercus les deuxième ou troisième jours qui suivent leur naissance , souvent (1) Lorsque, par les piqûres saccadées que l’on éprouve, on reconnaît la pré- sence sur soi-même d’une de ces larves, il convient de la laisser croître quelques jours, pour que la pression qu'on exerce sur elle puisse être plus directe, et son extraction plus facile; cela est très bien connu des habitants. Au contraire, par une tentative d'extraction anticipée , on s'expose à la garder plus longtemps, car si dans la première pression elle n'est pas sortie, l'enflure qui survient lui offre plus de facilité pour rester cachée dans son espèce de loge. 3e série. Zool. T. III. (Avril 1845.) 15 296 3. GOUDOT. — SUR LE CUTÉRÈPRÉ NUISIBLE. ils périssent épuisés de la plaie, que des larves de Mouches (des genres Lucilia, Colliphora) leur ont fait au ventre en s’y intro- duisant par le cordon ombilical. Il n’est pas sans exemple même que les Hommes aient à souffrir de ces insectes, et j'ai vu plus d’une fois des individus atteints d’ulcères , occupés gravement à les saupoudrer avec la poudre de l’Æsagrea , comme cela se pra- tique sur les animaux, pour en détruire les larves de Muscies qui s’y trouvent, À la suite de trois communications faites à l’Académie des Sciences, en juillet 1833, par MM. Roulin, Guérin et Vallot, M. Isidore Geoffroy-Saint-Hilaire a publié, dans les Arinales de lu Société entomologique de France , année 1833 , un Mémoire où il rappelle divers faits relatifs à l’existence de larves de Diptères chez l'Homme, faits trop confusément observés , comme le dit ce savant, pour qu'on en puisse tirer des conclusions positives , attendu qu'on n’est jamais parvenu à avoir l’Insecte parfait, et que les renseignements fournis se trouvaient souvent peu dignes de confiance. Il n'en est pas ainsi de certains autres faits, et on est frappé de la concordance des observations exactes qui s’y trouvent citées, et qui ont été fournies par MM. Say, Howship et le docteur Rou- lin , qui toutes démontrent l'existence d’une larve vivant sous la peau de l'Homme qu’elle à dû perforer : nul doute, surtout pour moi, que la larve décrite par M. Roulin n’appartienne à l’Insecte qui fait le sujet de cet article. Dans sa communication à l’Académie, M. Roulin donne des dé- tails très exacts sur la manière de vivre des larves qu’il a obser- vées sur l'Homme et sur les Quadrupèdes, et annonce en avoir trouvé sur un jeune Jaguar, ce qui montre , ainsi qu’il l'observe, que les animaux carnivores nourrissent des larves d'OEstrides, comme les Herbivores, qui étaient généralement regardés comme les seuls où on en rencontrât. M. Roulin, après avoir cité les entomologistes qui s'accordent à admettre des larves d’OEstres sur l'Homme, et rappelé les doutes existants encore à cet égard, se demande si l'Homme n’est pas sujet à être attaqué par plusieurs espèces différentes. Mes obser- 3. GOUDOT. — SUR LE CUTÉRÈBRE NUISIBLE, 297 vations me portent à considérer sa conjecture comme fondée ; d’ailleurs je diffère avec lui d'opinion lorsqu'il croit pouvoir rap- porter les Vers dont à parlé le père Simon (Histoire de la conquête de la terre ferme) à la larve décrite par M. Guérin. Ces larves doivent appartenir à des Diptères de différents genres ; celles signalées par le premier à un OEstride, et l’autre à une Muscie; En terminant, disons un mot de l’Insecte que M. Guérin a voulu ajouter aux deux espèces d’OEstres qu'on à déjà prétendu avoir trouvées sur l'Homme (celles de Gmelin et de Rudolphi), et qu'il a cru pouvoir cataloguer par anticipation sous le nom d'OEstrus humanus, nom qui, dans tous les cas, serait très impropre, puisqu'il avait déjà été donné deux fois. Cet Insecte, formé d’après une larve supposée d'OEstre, et des indications qui se rapporteraient à celle d’un autre Diptère, n'appartient peut- être pas même à la tribu des OEstrides (1). Cette tribu, d’ailleurs, comme on le voit d’après ce qui a été dit, est particulièrement parasite des Quadrupèdes, et ne se rencontre qu’accidentelle- ment sur l'Homme. En résumé , je crois, d’après les observations jusqu’à présent recueillies et celles qui me sont propres, pouvoir établir les faits suivants : 4° Que différentes espèces de Mouches à larves parasites carni- vores, appartenant aux genres Lucilia, Calliphora, de M. Mac- quart, espèces dont les larves, comme on ne le sait déjà que trop, habitent dans les viandes des animaux morts, peuvent, favorisées par l'effet de blessures où d’un commencement d’ulcération, dé- poser sur l'Homme ou les animaux vivants des œufs qui s’y déve- loppent, et pourront y arriver à l’état d’Insectes parfaits, et que (1) Si l'on considère que les larves dont parle M. Guérin se seraient trouvées en assez grande quantité sur un nègre avec variole, ne doit-on pas plutôt en conclure qu'elles appartiendraient à des Muscies, à un groupe de Diptères qui déposent leurs œufs sur des substances animales saignantes ou décomposées ? J'avouerai même qu'il n'est guère possible de hasarder d'heureuses conjectures sur des indi- cations communiquées: car ce sont des faits positifs qu'il faut en Histoire Natu- relle, si l'on ne veut pas s'exposer à tout confondre. 9298 J. GOUDOT. — SUR LE CUTÉRÈBRE NUISIBLE. plusieurs des cas cités par les historiens ou les voyageurs se rap- portent à des espèces de ces deux genres : telle à été aussi l’o- pinion du profond entomologiste Latreille ; 2% Que les trois OEstrus humanus formés successivement, et toujours avec aussi peu d'observations, par Gmelin dans le Systema naturale, par Rudolphi et par M. Guérin, sont des espèces ima- ginaires (en prenant l’expression qui les désigne spécifiquement, comme voulant indiquer que l'Homme aurait dans cet ordre d’In- sectes un parasite qui lui serait propre), mais se rapportent toute- fois soit à des OEstrides, soit aux deux autres genres de Diptères dont on a déjà parlé ; 3° Que les Vers signalés à diverses reprises par les historiens et les voyageurs , tels que le Fray-Pédro Simon (1), qui les désigne sous le nom générique de Gusanos (Vers) ; La Condamine, qui les appelle Vers macaques d’après les habitants de Cayenne, et Suglacuru d'après les Indiens maynas (2) ; ceux que le médecin Arthur a aussi nommés Wacaques ; et plus particulièrement encore les larves décrites par MM. Say, Howship et le docteur Roulin, appartiennent à des Cutérèbres, et probablement à notre espèce ; L° Que l'Homme, dans certaines circonstances, toujours acci- dentelles, peut offrir à la fois, mais non ensemble , des larves de Lucilia ou Calliphora et Cutérèbres, qui s’y développeront; dans le premier cas (pour les Muscies), favorisées par une solution (1) Noticias historiales de la Conquista de tierra firme , t. IT, p. 108: manus-- crit précieux faisant partie de la bibliothèque de M. Roulin, qui a bien voulu me le communiquer. Cet auteur en parle comme d'un fléau qui incommoda beaucoup es premiers conquérants espagnols qui traversèrent les bois et savanes en remon- tant le fleuve de la Magdeleine, et ceux qui plus tard entrèrent avec le même Adelantado Ximenez de Quesada à la recherche du Dorado, dans les plaines à l'est des Andes, en 1569. (2) « Le ver appelé chez les Maynas Suglacuru, et à Cayenne ver Macaque, prend son accroissement dans la chair des animaux et des hommes; il y croît jusqu'à la grosseur d'une fève, et cause une douleur insupportable ; il est assez rare. J'ai dessiné à Cayenne l'unique que j'ai vu, et j'ai conservé le ver dans l'es- prit de vin. On dit qu'il naît dans la plaie faite par une sorte de Moustique ou de Maringouin ; mais jusqu'ici l'animal qui dépose l'œuf n'est pas encore connu. » Relation abrégée d'un Voyage dans l'Amérique méridionale, p. 166. J. GOUDOT. — SUR LE CUTÉRÈBRE NUISIBLE. 229 de continuité du système cutané, antérieur au dépôt des œufs ; et dans le second cas (pour les OEstrides à larves parasites cuta- nées), par l’effet d’une perforation de la peau, après le dépôt de l'œuf sur la partie intacte externe, ainsi que Réaumur l’a déjà dit pour l’hypoderme du Bœuf ; 5° Enfin que la même espèce de Cutérèbre doit se rencontrer sur des animaux différents. Dans ce résumé , je suis loin de prétendre restreindre toutes les larves qu'on pourra rencontrer sur l'Homme aux trois genres de Diptères cités ; nous connaissons encore trop peu l’entomologie des contrées lointaines et surtout l’histoire des faits qui s’y ratta- chent, pour résoudre cette question : j’ai cherché seulement à exposer le résultat où l’on arrive après l'examen des observations positives recueillies jusqu’à ce jour sur ce sujet. CurereBrA NoxrALIS. Cutérèbre nuisible, Goudot. C. abdomine cyaneo, basi pilis albidis. Longueur 4 centim. 7 millim. (7 à 8 lignes) ; antennes jaunes, le premier article ayant à son extrémité une petite houppe de poils noirs courts, le troisième à lui seul au moins aussi long que les deux autres , le style un peu brun, n’ayant de cils qu’en des- sus; veux bruns avec une bande noirâtre au milieu; front avancé, obtus, brun, à poils noirâtres ; à face et cavité frontale fauve, couvertes de petits poils formant duvet, qui font paraître ces par- ties d’un blanc soyeux ; thorax brun nuancé de bleuâtre, tacheté de gris et de noir formant des zones longitudinales, couvert de poils très courts noirs; écusson comme le thorax ; abdomen cha- griné, d’un beau bleu, couvert de très petits poils noirs, avec son premier anneau, et le bord antérieur du second d’un blanc sale, ayant des poils de la même couleur; pattes fauves , à poils fauves ; ailes brunes. Individu male. La larve, d’un blanc sale (couleur de pus), atteint près de 3 centim. de longueur (1 pouce), est glabre, ayant ses trois pre- miers anneaux couverts d’aspérités noires et de très petits cro- chets, et les trois suivants portant chacun deux rangées circu- 230 PANIZZA, — SUR LA RESPIRATION laires de plus forts crochets également noirs , dirigés en arrière; les cinq segments postérieurs sont lisses ; la bouche est accom- pagnée de deux crochets. Sa coque à À centim. 7 millim. de longueur , et 4 millim. de diamètre à sa partie moyenne ; il va sans dire qu’elle offre sur sa peau endurcie les crochets dont nous avons parlé; l’Insecte en sort en faisant sauter obliquement l’extrémité antérieure, comme cela se voit pour celle de l'Æypoderma bovis. Je recueillis plusieurs de ces larves , le matin à terre, dans un site où des Vaches qui en étaient infestées avaient passé la nuit; elles s’enfouissaient dans la poussière; celle qui m'a fourni le Diptère décrit plus haut fut ramassée au milieu de juin, et l’Insecte parfait en est sorti le 4 août suivant, Ge fait eut lieu au district des mines de Marmato, dont la température moyenne an- nuelle est, suivant M. Boussingault , de 20° A centig, Habitation : la Nouvelle-Grenade, Ons. Cette espèce est certainement voisine du €. cyaniventris de M. Macquart (Diptères exotiques, t. I, pag. 29) ; elle en dif- fère toutefois par son abdomen couvert de petits poils noirs , et à base à poils blanchâtres ; du reste , la description qu'a donnée ce savant se rapporte assez bien à l’espèce qui nous occupe, OBSERVATIONS ZOO0TOMICO-PHYSIOLOGIQUES SUR LA RESPIRATION CHEZ LES GRENOUILLES, LES SALAMANDRES ET LES TORTUES; Per M, le Professeur PANIZZA. Le mécanisme de la respiration est essentiellement le même chez tous les Oiseaux. Chez les Reptiles, au contraire, il y a deux ordres , les Batraciens (Grenouilles et Salamandres), et les Ché- loniens (Tortues), chez lesquels tous les zoologistes reconnaissent une singulière anomalie dans cette importante fonction. Cest- : DÉS BATRACIENS ET DES TORTUES. 231 à-dire que le thorax, ne pouvant pas se dilater activement et agir comme une pompe aspirante, la nature a fait en sorte que l'air se trouve poussé dans les poumons par un mouvement de déglu- tition. En effet, on admet que l’animal , après avoir fermé la bouche, dilate le gosier, formant un vide de manière que l'air extérieur s'y précipite par la voie des narines. Le gosier, plein d'air, se contracte, et le pharynx étant fermé, de même que les narines, grâce à une valvule, l'air comprimé prend la seule voie qui reste ouverte, celle de la trachée, par laquelle il passe dans les poumons, L’expiration se fait ensuite par la force de contraction des pou- mons combinée avec l’action des muscles de la cavité splanch- nique. Le docteur Haro à inséré dans les Ænnales des Sciences Natu- relles (Juillet et Août 1842, 2° série, vol. XVIIT), un Mé- moire sur la respiration des Grenouilles, des Salamandres et des Tortues, où il assure, d’après de nombreuses expériences, que la respiration s'effectue , chez ces reptiles, d’une manière analo- gue à celle des oiseaux , c’est-à-dire par une contraction et une dilatation alternative de la cavité des poumons, produite par un système particulier de muscles et d'organes cartilagineux, et non par un mécanisme de déglutition. L'importance du sujet et les vues zoolomico-physiologiques de l’auteur m'inspirèrent un vif désir de vérifier si l’opinion qu’il ex- pose s'accorde de tout point avec les faits. Mais, avant d’aborder ia partie expérimentale de l'ouvrage de M. Haro relativement aux Grenouilles, je crois qu’il convient de rappeler les détails anato- miques qui suivent. Les ouvertures des narines ont un bord mou et mobile à la partie antérieure, qui, en guise de soupape membraneuse, peut se porter en arrière et fermer même hermétiquement l'ouverture, comme on peut le prouver en tenant pendant quelques minutes une Grenouille dans une solution faible de cyanure ferrugineux de potassium ; car, lorsqu'on retire la Grenouille, tenant la bouche fermée, en essuyant les bords avec soin, et qu’ensuite on lui ouvre Ja bouche, si l’on touche l'ouverture intérieure des narines et la 232 PANIZZA. — SUR LA RESPIRATION cavité buccale avec une solution de chlorure de fer, il ne paraît aucune nuance bleue. Il ne faut pas croire que la langue contribue à l’effet d'empêcher l'entrée du fluide; car, si l’on enlève à une Gre- nouille la langue, après avoir mis une ligature à sa partie posté- rieure pour empêcher l'écoulement du sang , et qu’ensuite on la soumette à l'expérience ci-dessus désignée, on obtient le même résultat : preuve que pas une goutte du liquide n’a pénétré dans la bouche, Il est démontré par ces expériences que ces valvules membra- neuses, aux ouvertures externes des narines, sont aptes à les fer- mer hermétiquement. Dans la respiration faible et courte, on n’a- percoit aucun mouvement des narines ; dans la respiration exa- gérée, on voit un mouvement d'élargissement et de rétrécissement qui a lieu clairement dans le moment où le gosier s'élève. Gepen- dant la sortie de l'air n’est pas entièrement empêéchée ; car, si l'on place dans ce moment une légère plume près de cette ouverture , elle en est repoussée. L'ouverture interne des narines est large, à bord immobile, et qui ne se ferme jamais, même lorsque, la bouche close, la langue se place contre le palais osseux, parce que le bord externe de la langue reste en dedans des ouvertures nasales internes, entre la région inférieure de la bouche et l’os hyoïde. La partie large, cartilagineuse el membraneuse de cet os est antérieure; celle qui est plus dure se trouve postérieurement, et finit par deux émi- yences osseuses qui s’écartent, el qu'on peut appeler les grandes cornes de l’os hyoïde. Entre ces deux éminences , et attachée par une petite membrane ligamenteuse, se trouve le commencement du canal aérien, la glotte, dont plusieurs muscles ont pour point d'attache les grandes cornes de l’os hyoïde. Get os doit ses mou- vements aux muscles milo-hyoïdien , génio-hyoïdien , omo-hyoï- dien, temporo-hyoïdien et sterno-hyoïdien. Afin de connaître le mécanisme du mouvement continuel d’élé- vation et d’abaissement de l’hyoïde et les mouvements des parties contenues dans la cavité buccale, au moyen d’un coup de ciseaux, j'ai enlevé transversalement , à plusieurs Grenouilles vivantes, la partie antérieure de la mâchoire supérieure jusqu'auprès des L. DES BATRACIENS ET DES TORTUES. 233 yeux, et à quelques unes, j'ai enlevé aussi, par une section trans- versale, la partie antérieure de la mâchoire inférieure. D’après ces préparations, j'ai pu observer dans l’intérieur de la bouche la véritable position des diverses parties, et l’action de chacune dans ce mécanisme. Dans le fond de la bouche, à la partie supérieure se présente la membrane muqueuse toute plissée, à rides longitudinales rap- prochées entre elles, au point de fermer le commencement de l’œ- sophage. Au-dessous de ce point, on voit une petite élévation co- pique au milieu de laquelle se trouve une petite fente longitudi- vale, qui s'ouvre et se ferme à la volonté de l’animal; c’est la lotte. J’ai vu que, dans l'élargissement du gosier, l’os hyoïde auquel pt la glotte se porte en arrière et en bas, et ainsi la cavité du ax se trouve raccourcie dans le diamètre antéro-postérieur, poumon est repoussé en arrière. Pendant cette rétraction de hyoide, dont dépend l’agrandissement et l'élargissement du er, la glotte reste toujours close. Quand la rétraction cesse, la te s'ouvre, et, dans cet instant, l’air sort et peut repousser légère plume qui se trouverait à l’ouverture de la glotte. La tte, ainsi ouverte, se dirige avec l’os hyoïde en haut et en nt,eb, par ce moyen, la cavité du thorax est un peu élargie le poumon allongé ; en même temps, la cavité de la bouche se esserrant et la langue se plaçant en contact avec le palais osseux, l'air entre par la glotte. Ce moment passé, c’est-à-dire lorsque le plus grand resserrement de la cavité buccale a eu lieu, la glotte se ferme et l'inspiration est accomplie. Les forces motrices qui agissent dans ces deux mouvements sont les muscles omo-hyoïdiens et sterno-hyoïdiens, qui retirent et abais- sent l'os hyoïde, et ensuite élargissent le gosier. Leur fonction est prouvée, nou seulement par leur position et leurs rapports, mais aussi par l'expérience ; car, si l’on coupe ces muscles, lesoulèvement de l'os hyoïde ne s’opère plus, ni par conséquent celui de la glotte et de l’arrière-bouche. Ensuite les muscles milo-hyoïdien , génio- hyoïdien, génio-glosse, temporo-hyoïdien, contribuent à porter en 23/ PANEZZA. — SUR LA RESPIRATION avant et à soulever l'os hyoïde, puis la glotte et le fond de la bouche, et par conséquent à rétrécir le gosier. Certainement entre toutes ces forces, les muscles temporo-hyoïdiens contribuent beau- coup à soulever et à porter en avant l’os hyoïde; cela se voit clai- rement en regardant la cavité buccale à la région latérale, derrière le trou auditif ; pendant que l’os hyoïde s’élève et s'avance, l’on apercoit la contraction de ces muscles. Si, ouvrant la bouche à une Grenouille, on lui enlève la mem- brane muqueuse derrière le trou auditif, et si, après avoir ainsi mis à découvert les muscles que je viens de nommer, on les coupe, le mouvement d’élévation de l'os hyoïde s’affaiblit beaucoup. Dans cette expérience, j'ai vu cesser même le mouvement d’élar- gissement de la glotte; mais, en examinant de près, je me suis apercu que, dans la section des muscles temporo-hyoïdiens, javais entamé aussi les filaments nerveux qui passent derrière ces mus- cles et se portent à la glotte et à la langue, et par cette cause, les forces motrices qui président au mouvement d'ouverture de la glotte restaient paralysées. Avant reconnu la véritable manière d'agir des diverses parties de la cavité buccale dans l’élargissement et le rétrécissement de cette cavité, considérons maintenant le fait d’après lequel M. Haro déclare entièrement erronée l'opinion ordinaire sur le mécanisme de la respiration, Pour prouver son assertion, l’auteur s'exprime ainsi : «Je prends une Grenouille vigoureuse; je détache de la mà- » choire inférieure la peau, les muscles génio-glosses, milo-hyoï. » diens et la muqueuse de la bouche; la langue sort pendante ; » cependant les mouvements respiratoires de l’os hyoïde n’en con- » finuent pas moins ; à chaque inspiration, cet os et toutes les par- » ties qui s’y attachent se portent en bas, la cavité de la bouche » s'agrandit; en même temps la glotte, qui est formée par une » simple fente, s’ouvre, et, par un mouvement contraire, la langue » tend à s'approcher du palais sans pouvoir s'appliquer aux na- » rines ; pendant ce temps, l'air pénètre dans les poumons, puis » l'expiration s'effectue comme à l’ordivaire, ce qui est prouvé par DES BATRACIENS ET DES TORTUES. 235 » la contraction de l’abdomen et des flancs. Le jour après, la Gre- » nouille était pleine de vie et aussi vigoureuse qu'avant l'opé- » ration, » Certainement , d’après cette expérience , que j'ai répétée plu- sieurs fois avec le même succès, les Grenouilles restant en vie six ou sept jours et plus, il paraîtrait que l’on dût admettre l’o- pinion de M. Haro , qui rejette entièrement toute influence , dans la respiration, d'un mécanisme analogue à la déglutition de l’air, Mais voulant examiner avec exactitude un tel sujet, j'ai cru in- dispensable d'observer si, après l'expérience indiquée par l’au- teur , les poumons présentaient la dilatation qu'ils avaient avant l'opération ; c’est-à-dire si la respiration était aussi énergique qu'auparavant, A cet effet, j’enlevai à une Grenouille robuste une portion assez considérable de la peau sur un côté du thorax, derrière le membre antérieur ; ayant mis ainsi à découvert la paroi musculaire du flanc (la transparence de cette paroi laisse voir le poumon et les changements de volume qui ont lieu dans l’acte de la respira- tion), je notai la distension et le rétrécissement ordinaire du pou- mon dans les deux moments de la respiration. Ensuite je fis sur la même Grenouille l'expérience de M. Haro ; c’est-à-dire, j'en- levai la peau au-dessous de la mâchoire, les muscles milo- hyoïdien et génio-glosse, la membrane muqueuse de la bouche , laissant la langue pendante. La Grenouille dans cet état offrait le mouvement de la glotte, et par conséquent de l’os hyoïde, plus énergique et plus fréquent que jamais. Cependant, quoique les efforts d’élévation et d’abaissement fussent au plus haut degré, il ne pénétra que peu d’air dans les poumons: ils ne se gonflaient plus comme auparavant , et n'étaient dilatés par l'air qu'à leur extrémité antérieure. — M’apercevant ainsi que l’inspiration était incomplète , ce qui ne devait pas être suivant l’auteur, je pensai à faire quelques expériences pour décider si le mouvement d’élé- vation du gosier, c’est-à-dire le rétrécissement de la bouche, contribuait à rendre l'acte de l’inspiration plus complète. Sur une Grenouille robuste (ayant enlevé la peau sur les côtés du corps, et avant noté l’état du poumon dans plusieurs respira- 236 PANIZZA. — SUR LA RESPIRATION tions), j'ai détruit le bord de l'ouverture extérieure des narines, de manière à établir une communication permanente avec la cavité de la bouche. La Grenouille laissée en liberté se mit aussitôt à faire de grands efforts d’élargissement de la cavité buccale, sans qu'il arrivät presque de distension aux poumons. Ceci n’arrivait pas par suite de quelque empêchement à l’entrée de l’air dans les vois aériennes , par la bouche, qui restait, au contraire, par- faitement libre; mais parce que les ouvertures nasales étant beaucoup agrandies dans le moment du rétrécissement de la bouche , presque tout l’air de la bouche sortait par les narines , et par conséquent une petite quantité seulement entrait dans les voies aériennes. Dans cette expérience, il se présente un fait digne d'attention : la Grenouille qui sent le besoin de respirer, dans le moment où elle rétrécit le plus qu'elle peut la cavité de la bouche, renfonce aussi beaucoup ses yeux : retirés ainsi dans l'orbite , ils forment une protdbérance dans la bouche , de sorte qu'ils contribuent à rétrécir cette cavité, et à pousser l’air dans les voies aériennes. Afin de confirmer encore plus le fait qu’un mécanisme analogue à la déglutition contribue à l'inspiration, j’ai imaginé de faire l'expérience suivante, sans altérer aucunement la cavité de la bouche : l’organe de l’oûie, chez la Grenouille, est en commuui- cation avec la cavité de la bouche par une grande cavité à bords osseux. Ayant découvert le poumon, comme d'ordinaire , j’enlevai à une Grenouille robuste la membrane du tympan des deux côtés. Ayant placé une plume très fine contre l'ouverture de l'oreille , je la vis repoussée au moment de l'élévation du gosier. La Gre- nouille était alors gênée dans la respiration, et faisait des efforts réitérés d’élargissement et de rétrécissement de la cavité de la bouche pour suppléer aux inspirations fort imparfaites , puisque les poumons , non seulement n’arrivaient pas à la distension qu'ils obtenaient auparavant , mais ils étaient rétrécis et flétris, et ne contenaient que peu d'air. Si, ensuite, je fermais avec les doigts les trous correspondants à la membrane du tympan que j'avais enlevée , aussitôt après un ou deux élargissements et rétrécisse- ments au gosier , on voyait les poumons se distendre beaucoup , DES BATRACIENS ET DES TORTUES. 237 distension qui s’effectuait clairement au moment de l'élévation du gosier. L'importance de ces faits ne sera pas diminuée par l’expérience capitale de l’auteur , c’est-à-dire qu'ayant enlevé la membrane du gosier et les muscles, et laissant la langue pendante , la Gre- nouille n’en vécut pas moins pendant plusieurs jours , de sorte qu'il faudrait croire qu’elle respirait aussi bien qu'auparavant. Il est vrai qu’elle vit et se montre vivace pendant plusieurs jours ; mais après l’expérience les poumons se dilatent peu, et ainsi l'inspiration est imparfaite. 11 faut pourtant noter que cet animal est apte à vivre avec une inspiration imparfaite, et même quoiqu’on lui suspende la respiration pendant longtemps. Une preuve, c’est l'immersion d'une Grenouille dans l’eau, de manière qu’elle ne puisse pas revenir sur la surface; elle reste plongée ainsi même vingt-quatre heures sans mourir, si la tem- pérature de l’eau et de l’air sont à quelques degrés au - dessus de zéro; ensuite, si la Grenouille est en léthargie, elle résiste plus longtemps, surtout si la température de l’eau se maintient à zéro. Dans une expérience où l’eau était à zéro, la Grenouille, pendant cinq jours entiers, resta toujours immobile au fond du vase, et quoiqu’elle parüt morte lorsqu'on la tira de l’eau , elle ne tarda pas à donner des signes d’irritabilité ; et quelques heures après, se trouvant dans une température de 6 degrés au-dessus de zéro, elle redevint aussi vive que jamais ; la Grenouille vit aussi pendant plusieurs jours , quoiqu’on lui ferme entièrement la glotte. Cette expérience fut exposée dans mon ouvrage sur le Système lymphatique des Reptiles: elle fut répétée à plusieurs reprises cette année sur une Grenouille à laquelle j'avais fermé entière- ment la glotte, et qui, tenue dans ma chambre à la température de 7 ou 8 degrés, vécut vingt et un jours. Cette expérience de la fermeture de la glotte vient fort à propos confirmer le fait de l’action de la déglutition dans le mécanisme de l'inspiration. En ouvrant la bouche à une Grenouille , on fait deux points de cou- ture à l'ouverture des voies aériennes, de manière à fermer la glotte, et pour plus de certitude , on fait encore une ligature cir- 238 PANIZZA. — SUR LA RESPIRATION culaire autour de la glotte; la fermeture en devient plus parfaite. La Grenouille laissée en liberté se met de suite à faire alterna- tivement de grands mouvements d’élévation et d’abaissement du gosier, avec renfoncement des yeux et de forts mouvements de l'ouverture des narines. Si on l’observe après quelques heures, ordinairement elle parait gonflée vers les flancs, on dirait par la dilatation des poumons, mais cela n’est pas ainsi. Après des efforts réitérés d’élargissement et de rétrécissement successifs du gosier , l'air à été, au contraire, poussé dans le canal intestinal, et de là dans la vessie urinaire, qui s’en sont distendus. Il est clair, en eflet, que l’air comprimé dans la bouche, par ces efforts de respiration, ne pouvant pas, dans le moment de l'élévation du gosier, entrer dans les poumons, doit nécessairement , quoiqu’une portion sorte par les narines, forcer le sphincter de l’œsophage et entrer dans le canal alimentaire. Chacun peut se convaincre de ce fait en remarquant de quelle facon, si on fait l'ouverture de l'abdomen d’une Grenouille, l’air entre dans le tube alimentaire chaque fois que le gosier se resserre. Et si l’estomac se trouvant distendu par l'air , on y fait une petite ouverture ; l'air étant sorti, bientôt après on voit sortir des bulles dans l’instant où la Gre- nouille fait l'acte d’élévation ou de resserrement du gosier. Quant à l'expiration, elle dépend de la contraction du tissu du poumon, des muscles des parois du thorax et de l'abdomen, et de l’action des muscles sterno-hyoidiens , moins parce que, d’après l'opinion du docteur Haro, ils avoisinent la partie postérieure du sternum jusqu’à la colonne vertébrale, et contribuent à rendre plus étroit le thorax , et à comprimer les poumons , que parce que , dirigeant en arrière et en bas l'os hyoïde et la glotte , ils ré- trécissent un peu la cavité où sont contenus les poumons. Je notai, en effet, que ces muscles dans leur trajet ne se trouvent jamais en rapport avec les poumons, passant, comme ils le font , de l'os hyoïde au sternum sous les gros vaisseaux et les lobes du foie ; et l’abaissement de la partie postérieure du sternum (que je n’ai jamais pu voir dans l'expiration) , même s’il avait lieu , ne pour- rait influer que peu et toujours indirectement , les poumons étant placés profondément et en haut à côté de la ligne médiane. DES BATRACIENS ET DES TORTUES: 239 Pour me convaincre du peu d'influence de ces muscles dans l'expiration, je coupai sur une Grenouille robuste la peau du gosier ; je soulevai avec soin l'extrémité antérieure du sternum , et je fis la section transversale des deux muscles sterno-hyoïdiens : l'action d'expiration n’en fut nullement dérangée. Les expériences sur la respiration de la Salamandre aquatique et de terre me fournirent au total des résultats analogues à ceux de la Grenouille , de sorte que je les omets pour éviter les lon gueurs. Je remarquerai seulement que je ne pense pas, comme le docteur Haro , que la nature ait prolongé, chez les Salamandres et les Tritons , le muscle de l'expiration, le sterno-hyoïdien , jus- qu’au pubis, parce que la longueur des poumons dans ces Reptiles exigeait une attache inférieure de ce muscle destiné à vider le poumon. Cette raison du prolongement des muscles est plutôt spécieuse que vraie, parce que ces muscles sont placés de manière que, dans leur contraction , ils ne peuvent pas agir directement sur les poumons, et parce que, même dans la Grenouille, les poumons arrivent assez souvent près de la région pubienne, et pourtant les muscles sterno-hyoïdiens arrivent seulement à la partie postérieure du sternum , qui est éloigné de l’extrémité pubienne du poumon d’un pouce et plus. Je suis convaincu que c’est à une autre circonstance qu’il faut attribuer leur prolongement dans la Salamandre. Ces muscles doivent de nécessité arriver jusqu’au pubis , parce qu’autrement, dans la Salamandre , ils manqueraient d’un point d'appui , puis- que, chez ces reptiles et chez les Tritons, il n’existe pas de ster- num, proprement parlant, comme chez les Grenouilles , mais, au lieu , une lame membraneuse et cartilagineuse de l'épaule , qui va en S’élargissant vers la ligne médiane pour se superposer sur une autre pareille, à laquelle elle s’attache lâchement : il s'ensuit que chaque mouvement du membre antérieur est transmis à la partie sternale de l'épaule ; de sorte que ces parties ne pouvant pas servir de point d'appui, il fallait que les muscles dont nous parlons arrivassent jusqu’au pubis. Non seulement cela ; mais il fallait aussi qu'une autre circon- 240 PANIZZA. — SUR LA RESPIRATION stance vint favoriser leur action, c’est-à-dire qu'ils devaient être libres dans leur long trajet; en effet, ils passent dans une gaïne placée dans l'épaisseur des parois abdominales , afin qu’ils puis- sent par leur contraction porter l’os hyoïde en arrière et en bas. Quant à la Tortue, si l’on considère l’extension de la cavité placée entre l’écusson dorsal et sternal, la mobilité du bassin et de l'épaule , l’attache de cette extrémité, au moyen d’un tissu cel- lulaire, à la membrane qui entoure la cavité splanchnique ; si l’on a pris connaissance des puissances, ou couches charnues , qui ferment la large fente elliptique tant au-devant qu'en arrière de l’étui osseux, on ne pourra manquer de voir dans ces dispositions anatomiques toutes les circonstances les mieux combinées pour que le mode de respiration chez ce Reptile soit celui du thorax mobile. On ne peut pas faire trop d’éloges des considérations anato- miques et physiologiques de M. le docteur Haro , tendant à dé- montrer le véritable mécanisme de la respiration chez la Tortue, et renversant l'erreur admise par les zoologistes les plus distingués. Afin de confirmer une vérité aussi importante , je fis l'expérience décisive, qui suit : Sur une Tortue de mer, qui ne retire jamais la tête dans l’étui osseux , je mis à découvert la partie antérieure de la trachée, un peu après la glotte, par une incision à la peau, et sans entamer les vaisseaux d'aucune espèce ; je passai au-dessous un petit ruban, et puis, ayant coupé quelques anneaux cartilagineux , j'introduisis un tube métallique que je fermai avec le ruban. L’a- nimal n'avait aucunement souffert, et la respiration allait comme à l'ordinaire. Afin d’être encore plus sûr de ce qui arrivait au mo- ment de la respiration , je placai une plume à l’ouverture du tuyau, comme indice de l'entrée et de la sortie de l'air. Je m'’assurai en effet, par la forte répulsion et attraction des barbes de la plume, que la respiration était parfaitement libre ; il devenait ainsi incon- testable que, chez la Tortue , cette fonction a lieu comme chez les autres animaux fournis de côtes mobiles et de muscles moteurs pour la dilatation et le resserrement des parois thoraciques , et non par un mécanisme analogue à la déglutition ; car, quoique le DES BATRACIENS ET DES TORTUES. 24 tube métallique n’eût aucun rapport avec la cavité de la bouche, l'animal respirait parfaitement. Mais cequ’ilm’importait de vérifier était ce fait nouveau marqué par l’auteur à la page 47 : « que les Tortues jouissent d’une double respiration comme les Oiseaux , parce que l’air des poumons passe dans les réservoirs aériens, dont un très grand occupait, dans la Tortue sur laquelle il a fait l’ex- périence, un tiers de la cavité interne. » L'auteur, voulant connaître les éléments capables de servir de base à une théorie satisfaisante de la respiration , a enlevé sur une Tortue de terre vive l’écusson sternal sans entamer aucune partie importante, de sorte que l’animal respirait comme aupara- vant. Dans cet examen, il nota ce qui suit : « Toute la partie mise à nu par la résection du sternum est re- » couverte d'une membrane aponévrotique très dense, nacrée, » transparente seulement dans la partie postérieure ; elle s'étend » du bord antérieur des omoplates à la crête sous-pubienne , se » réfléchit dans la cavité du bassin en tapissant les muscles de la » cuisse , recouvre les côtés de la carapace, envoie un feuillet qui » maintient les viscères , pénètre entre ceux-ci et les poumons, » qu’elle renferme dans un double feuillet, comme dans un sac, » et se termine antérieurement par un muscle qui s'étend de la » crête transversale de la carapace à l’épine dorsale. Elle forme » ainsi quatre vastes poches qui communiquent toutes entre elles, » comme le prouvent leurs mouvements alternatifs de dilatation et » de contraction. Deux de ces poches s'étendant de chaque côté » de la colonne vertébrale , dans toute son étendue , contiennent » les poumons ; la troisième renferme les viscères abdominaux, et » la dernière, qui remplit au moins le tiers de la cavité intérieure » de la Tortue , ne paraît destinée qu’à contenir de l’air. » Pendant plus de quatre heures, je l’ai examinée dans cet état ; » j'ai constaté qu'à chaque période d'inspiration la poche pulmo- » naire se gonflait d’abord, qu’ensuite, la Tortue élevant les » épaules et rentrant le cou dans la carapace, l’air, comprimé » par ces contractions dans les poumons , s’insinuait dans les » autres poches, qui se gonflaient à leur tour ; par un mouvement » contraire, ces deux poches conservant leur turgescence, le tissu 3° série. Zoor. T. HIT. (Avril 1845.) 16 242 PANIZZA. — SUR LA RESPIRATION » pulmoñaire , d’abord affaissé, se relevait de nouveau , et, pen- » dant quelques mintites, la Tortue ne respirait plus ; si on la » forcait à rentrer le cou et les pattes dans la carapace , la peau, » distendue par la pression des poches aériennes, s’étendait autour » des pattes en gros bourrelets ; et si, en donnant à l’animal de » légers coups sur le nez, on l’obligeait à les presser davantage , » il rejetait l'air par un mouvement basque d'expiration, et les » parois de tous les sacs aériens s’affaissaient à la fois. » Pendant une des stases qui suivaient l'inspiration, quand toutes » les cellulés avaient acquis leur plus haut degré de développé= » ment, je percai avec la pointe du bistouri le grand réservoir, et » l'air s’échappa avec bruit. Cependant la Tortue continua à » respirer, mais seulement par les poumons , qui se dilataient ou » se contractaient alternativement ; l'acte respiratoire avait repris » le mode simple , le rôle des cellules aériénnes avait cessé, Alors » je bouchaï avec le doigt , et ensuite avec un emplâtre aggluti- » natif, l’ouverture qui donnait passage à l'air, et la première » inspiration vint soulever leurs parois et les rendre à leurs fonc- » tions primitives. » Après mon expérience, que j'ai déjà exposée, prouvant évi- demment que, chez la Tortue, la respiration s'effectue comme chez nous , j'enlevai le sternum avec soin, sans entamer l’appa- reil membraneux qui entoure la cavité splanchnique thoracico- abdominale, Ensuite, je couchai la Tortue sur le dos , et je la plongeai dans l’eau, de manière qu’elle en restât entièrement couverte , à l'exception dé la tête et du tuyau métallique attaché à la trachée. Après avoir observé deux ou trois respirations, dans lesquelles la membrane splanchnique se soulevait et s’abaissait , je pratiquai sous l’eau une ouverture à l’appareil membraneux de la grande poche aérienne ; il n’en sortit point d'air. Je vis, au contraire, l’eau entrer dans la cavité abdominale , pressant les viscères , et contribuant ainsi à la respiration. Quand la Tortue fut morte, je la couchai sur le dos dans un récipient plein d'eau, et là, tandis qu'un aide soufflait dans le tuyau et obtenait la dilatation des poumons , j'observai s’il sortait des bulles d'air de l’eau, qui auraient indiqué quelles sont les voies qui conduisent des poumons dans les poches aériennes, et 4 DES BATRACIENS ET DES TORTUES. 243 notamment dans la grande poche déjà ouverte. Mais quoique les poumons aient été distendus au plus haut point, pas une seule bulle d’air ne sortit par la grande poche, ni par aucune des autres: de sorte qu'il est démontré que les poumons seuls sont les récipients de l’air. Cela est si vrai , que , si l’on fait dilater outre mesure les poumons, et que l’on ferme le tuyau, quoique ce que l'on nomme la grande poche atrienne soit ouverte, les poumons restent toujours distendus au même degré ; et cela ne peut pas être autrement , car , en examinant toute la surface des poumons, on la voit entourée d’une membrane provenant de celle qui tapisse toute la cavité générale. Cette membrane, qui n’est que le péri- toine, étant enlevée sur une surface assez grande du poumon distendu d’air , il ne s’en échappe point. Comme l’auteur a fait son expérience sur une Tortue de terre , j’ai voulu répéter cette expérience sur une Tortue grecque ainsi que sur l’européenne. D'abord , ayant introduit et fixé un tuyau dans le commence- ment de la trachée, je me suis assuré, en mettant une plume légère à l'embouchure du tuyau , de l'entrée et de la sortie libre de lair dans les deux moments de la respiration ; ensuite je m'appliquai à vérifier si vraiment les gonflements qui parais- saient dans le tissu cellulaire sous-cutanée à la base du cou et au- tour des membres thoraciques et abdominaux , sont produits par l'air, comme l’assure l’auteur, A cet effet, j’imaginai de plonger la Tortue dans un sceau d’eau à la température de l'atmosphère , qui était de 18 degrés, et je la placai de manière qu’elle restât avec seulement la tête et une partie du cou hors de l’eau. Ayant ainsi disposé l’animal , je fis un pli à la peau correspon- dante à ces gonflements autour de l'extrémité thoracique, observés par M. Haro ; je coupai la peau et la membrane placée au-dessous, et je mis ainsi à nu la couche musculaire qui concourt à mouvoir le membre et à former la cavité splanchnique. En effet, au moment de l'inspiration, les gonflements notés par l’auteur parurent, mais il ne m'arriva jamais de voir sortir une bulle d'air; ce qui serait arrivé si, comme il l’assure, c’étaient des poches remplies d’air qui se trouvassent autour de la base des membres, Si, au toucher , ces régions cutanées donnent une 2h PANIZZA. — SUR LA RESPIRATION sensation comme celle de l’élasticité de l’air qui se trouverait des- sous, c’est une illusion, qui dépend de cette graisse molle qui est sous la peau , placée au-dessus des couches musculaires. Celles-ci, par leurs contractions et par l'expansion des poumons, se soulèvent, et soulèvent avec elles la peau correspondante qui se distend et paraît se tuméfier. J’obtins ce même effet en coupant, sous l’eau, la peau à la base des membres postérieurs , où elle présente aussi des gonflements pendant l'inspiration. Pour écarter entièrement toute espèce de doute sur le sujet des poches d’air, accessoires des poumons , j’ai enlevé avec le plus grand soin l’écusson sternal sans léser la mem- brane, et j'ai pratiqué sous l’eau une ouverture dans ce que l’on appelle la grande poche aérienne, Je n’ai pas vu sortir une seule bulle d’air; de sorte que je me suis convaincu que l’air ne pénètre pas au-delà du poumon, et que, par conséquent , il n’y a aucune ressemblance entre l’appareil respiratoire des Oiseaux et celui des Tortues ; de plus , les poumons de la Tortue, quand ils sont dilatés, présentent un volume considérable , et examinés dans la division très complexe et minutieuse de leurs vaisseaux aériens, ils paraissent un organe capable de contenir une quantité d'air suffisant aux besoins de l’animal , de sorte que d’autres voies se- condaires , que je n’ai pas vérifiées, deviendraient inutiles. Je ne comprends vraiment pas comment l’auteur, parlant des poches aériennes communiquant avec les poumons, n’a pas indi- qué les points de communication , et comment il a pu être conduit à ies admettre, puisque les poumons dans la Tortue sont isolés , et ne communiquent pas même avec la membrane qui les entoure. Je m'étonne en vérité que notre auteur se soit persuadé de l'existence de ces réservoirs d’air uniquement d’après ce qui s’'é- tait présenté à son observation, c’est-à-dire que, « pendant une » des stases qui suivaient l'inspiration, quand toutes les cellules » avaient acquis leur plus haut degré de développement, je » percai avec la pointe du bistouri le grand réservoir , et l'air » S'échappa avec bruit. » Comment n’a-t-il pas pensé que ce pouvait être, ce qui est réellement , l'effet de l'entrée de l’air extérieur pénétrant dans un sac vide ,et non de la sortie de cet air? DES BATRACIENS ET DES TORTUES, 245 Dans cette expérience, j'ai pu vérifier que la respiration s’ef- fectue comme chez nous, car si l’on pratique une ouverture à moitié grande comme une pièce de cinq francs, et qu’on enlève la membrane correspondante séro-fibreuse de la cavité splanch- nique , afin que l’air puisse pénétrer librement, qu'on tienne la Tortue couchée sur le dos, afin que les viscères ne viennent pas obstruer l'ouverture pratiquée, l’on verra que, même dans la plus forte action des muscles des deux extrémités de l’étui osseux, combinée avec l'allongement et le raccourcissement forts et succes- sifs des membres du thorax, et de l'abdomen ainsi que du col, la plume placée à la bouche du tuyau introduit d’avance dans la trachée, ne donne aucun indice de l'entrée et de la sortie de l'air. D’après ce.que je viens d'exposer par rapport au mécanisme de la respiration chez les Tortues, les Grenouilles et les Sala- mandres, il me semble qu'on peut affirmer ce qui suit : que l’opi- nion de M. le docteur Haro est en grande partie juste ; que la respiration, même chez ces Reptiles, est réglée, comme chez les autres Vertébrés munis de thorax mobile, ce qui se trouve prouvé avec évidence complète chez la Tortue ; quant à cet animal , outre que l’organisation prouve d'elle-même que la cavité contenant les poumons peut s'étendre beaucoup par les puissances qui se trou- vent aux deux extrémités de l’étui osseux, et par la mobilité des membres antérieurs et du bassin, les expériences rapportées ci- dessus y ajoutent la certitude. Mais quant aux poches aériennes accessoires du poumon, comme chez les Oiseaux, admises par M. le docteur Haro, je crois pouvoir affirmer, d’après les observations que je viens de donner, qu’elles n’existent pas chez les Tortues (1). (1) L'explieation de cette diversité dans les résultats oprenus par MM. Haro et Panizza est très simple. En répétant sur la petite Tortue d'Europe les expé- riences du premier. de ces naturalistes, j'ai souvent vu l'air inspiré par l'animal se répandre dans les lacunes sous-cutanées , et s'échapper au dehors par les ou- vertures que je pratiquais à la peau , vers le haut de l'épaule ; mais dans d’autres cas je n'ai vu rien de semblable, et je me suis assuré que l'air était complétement emprisonné dans les poumons. Cela m'a déterminé à examiner avec plus de soin les voies par lesquelles, dans les premières expériences , ce fluide avait passé de l'appareil respiratoire dans le reste du corps, et je me suis aperçu que ce phé- 216 PANIZZA, — SUR LA RESPIRATION Par rapport aux Grenouilles et aux Salamandres, l'opinion de M. le docteur Haro est la seule qui puisse expliquer comment chez la Grenouille, après l'expérience qu’il nous indique, la respiration continuait toujours. Une expérience bien simple suffit pour rendre ce fait parfaite- ment évident. Qu'on mette à nu les muscles des flancs , afin de voir les poumons ; qu'on ouvre bien la bouche; qu’on introduise l'extrémité plate d’un stylet ordinaire dans la glotte ; puis qu'on le place en travers, et qu’on tienne ainsi la glotte ouverte, afin que l’air sorte des poumons, et à cette fin qu’on fasse quelques légères pressions aux flancs. Les poumons ainsi vidés , on retire le stylet , et l’on tient la bouche ouverte avec une pince anato- mique, de manière que les mächoires restent éloignées l'une de l’autre de deux lignes ou plus. Si l’on observe, en attendant, l'in- térieur de la bouche , on verra que de temps en temps la glotte s'ouvre , et se porte en haut et en avant, puis se ferme , et ensuite se porte en arrière et en bas. Après ces mouvements réitérés, regardant les flancs , on s’apercoit qu'il y a de l’air dans les pou- mons de la Grenouille, sans que le mouvement de la déglutition ait contribué du tout à l'y faire entrer , puisque la bouche est tou- jours restée ouverte. Cependant, comme on n’expliquerait pas pourquoi, après ces expériences, ou même après avoir seulement enlevé les mem- branes du tympan, l'inspiration devient incomplète, c’est-à-dire qu'il ne pénètre plus dans les poumons la quantité d’air néces- saire pour les dilater complétement, comme je l’ai démontré ; tandis que, lorsqu'on ferme de nouveau les ouvertures , d’où on a enlevé les membranes du tympan, on voit encore se dilater beaucoup les poumons au moment du resserrement ou du sou- nomène dépendait d'un état pathologique du poumon, qui présentait des perfora- tions dont le nombre, la grandeur et la position variaient, Quelquefois les bords de ces ouvertures paraissaient ulcérés, d'autres fois ils étaient bien cicatrisés, et, sui- vant toute apparence, leur présence dépendait de quelque affection analogue à la phthisie pulmonaire. Quoi qu'il en soit, on voit que c'est à l'état pathologique du poumon qu'il faut attribuer le passage de l'air que M. Haro a été le premier à si- gnaler ; et, d'après la fréquence de cet état chez les Tortues d'eau douce, on com- prend facilement comment on à pu croire que la respiration diffuse était normale chez ces reptiles. Miixe Enwanns. DES BATRACIENS EX DES TORTUES, 2/47 lèvement du gosier, il reste démontré que, chez les Grenouilles et les Salamandres, l'inspiration complète est l'effet d’un méca- nisme analogue à la déglutition, au moyen duquel plus d’air est poussé dans la glotte déjà ouverte qu’il n’en sort par les narines ; d'autant plus que, dans le mouvement d'élévation du gosier, les ouvertures nasales externes deviennent plus ou moins étroites, Il était du reste indispensable qu’il y eût cette modification dans l’organisation des Grenouilles et des Salamandres dans l'acte inspiratoire, puisqu'il n’y existe pas d’autres puissances pour dilater le thorax que celles qui portent en haut et en avant l'os hyoïde ; dans ce même moment, quoique la glotte ouverte soit également portée en haut et en avant, et que le poumon s'allonge, de manière qu’il y entre un peu d'air, comme le prou- vent les expériences déjà indiquées, c’est peu de chose, et cela ne suffit que pour une inspiration incomplète. On ne peut pas non plus admettre une force expansive du poumon comme subsidiaire de l’acte inspiratoire , puisque son organisation ne donne aucune- ment lieu à cette idée, et les expériences ne démontrent aucune aptitude dans le poumon à se dilater de soi-même. J'e répète donc que c’est purement par l'effet du soulèvement du gosier que ce viscère se remplit et se dilate au-delà d’un certain point ; et plus ce mouvement du gosier (précédé par la distension) est grand et rapide, plus l’air reste comprimé dans la cavité de la bouche , et l'entrée dans la glotte, déjà bien ouverte, est rendue plus facile que la sortie par les narines, Pour l'expiration, il y a la force active du poumon, le resser- rement du thorax, le mouvement en arrière de l’os hyoïde, et la contraction des parois de la cavité thoraco-abdominale, D'après ce que je viens d'exposer, on explique comment s'effectue l'inspiration , indépendamment de l’acte de déglutition, etcomment il peut concourir au but d'obtenir une inspiration plus prompte , plus étendue et plus complète, De plus, on comprend pourquoi la nature a placé une espèce de sphincter à l'entrée de l’æsophage , et pourquoi les poumons peuvent se remplir d’une grande quantité d’air, quoique le thorax soit ouvert, pourvu que les parties qui environnent la cavité de la bouche restent intactes. 218 HOLLARD. — SUR L'ORGANISATION DES VÉLELLES. RECHERCHES SUR L'ORGANISATION DES VÉLELLES; Par M. H. HOLLARD, D. M. (Présentées à l’Académie des Sciences , le 2 octobre 1843.) Pendant un séjour de quelques semaines que je fis, en 1841, au moi de mai, à Menton, principauté de Monaco, j’eus la bonne fortune de voir arriver à la côte un nombre prodigieux de Vé- lelles , de l’espèce désignée par Lamarck sous le nom de J”elella limbosa , et par Eschscholtz sous celui de F’elella spirans (4). Je pus étudier pendant plusieurs jours des individus frais et vivants , de cette jolie espèce qui frappe les regards par la belle couleur bleue de son limbe. La dissection que j'en fis me fournit plusieurs détails à ajouter à ceux qu’on connait déjà, et je prends la liberté de soumettre ces résultats à l'Académie : peut-être em- prunteront-ils quelque intérêt à ses yeux, de la considération du peu que nous savons sur l’organisation interne des Vélelles , et des difficultés qu’on rencontre pour les étudier sur des sujets vivants. La Vélelle à limbe nu (7elella limbosa) a la forme d’un paral- lélogramme oblique et allongé, à angles arrondis , et ne dépas- sant guère , chez les individus que j'ai observés , 4 centimètres en longueur et 2 en largeur. Le limbe et les tentacules marginaux sont d’un blanc vif ; le dessus du dos , y compris la coquille, d’une teinte analogue, mais beaucoup plus pâle, qui reprend une nuance plus prononcée sur la voile ou crête dorsale, à l’endroit où le tégument, très mince et transparent de cette région, aban- donne et déborde un peu la lame qui lui sert de support (2). Le dessous de l’animal, occupé par l'estomac et les cirrhes tentaculi- formes ou sucoirs, est également d’une nuance pâle, bleuâtre. Examiné à l’aide du microscope, le tissu du limbe , comme le (1) C'est l'espèce disséquée par Forskal, et que ce naturaliste avait assez mal- heureusement. baptisée du nom de Holothuria spirans. (2) Cette couleur effacée du tégument dorsal est due sans doute à l'extrême fi- nesse de ce feuillet vivant, qui laisse transparaître la blancheur du support car- tilagineux, et même les teintes rembrunies d'un organe plus profond, et que je signalerai tout-a-l'heure. HOLLARD. — SUR L'ORGANISATION DES VÉLELLES. 249 tégument dorsal, se montre sous une apparence celluleuse, et couvert de nombreuses taches pigmentaires brunes qu'il est difficile de voir à l'œil nu , et dont la considération ne devra peut-être pas être négligée par les personnes qui cherchent des caractères pour la distinction des espèces. Les tentacules extérieurs , les tenta- cules proprement dits, sont coniques , allongés, souples et très déliés. Les cirrhes ou sucoirs, plus courts, susceptibles, au reste, de s’allonger ou de se raccourcir, de changer de dimen- sions, en vertu de leur rétractilité, offrent un renflement terminal plus ou moins prononcé , quelques granulations saillantes à leur surface , et des grappes de petits cœcums à leur base. Je revien- drai tout-à-l’heure sur ce dernier détail , qui n’a été signalé, que je sache , par aucun observateur, et dont on pourra apprécier l'importance. Ajoutons, pour terminer ce qui concerne les cirrhes tentaculaires , qu’ils offrent à leur extrémité l’orifice d’un canal central, dont on distingue aisément le trajet à l’aide de la loupe. Ce qu'on n’a pas assez remarqué , c’est que ces appendices creux , qui ont dans le f’elella limbosa la forme des pieds-sucoirs des Echinodermes, sont implantés sur une membrane cellulo- gélatineuse, appuyée , sans adhérence, à la face inférieure de la pièce cartilagineuse horizontale ou support de l’animal, mem- brane ou tégument qui forme la limite extérieure d’une cavité dans laquelle débouchent les tentacules en question, et qui ne m'a paru contenir que de l’eau. Lorsqu'on coupe ces tentacules à leur base, la section laisse apercevoir un petit trou au point d'insertion de chaque tentacule. L’estomac occupe le grand diamètre du corps , à la face infé- rieure et concave de celui-ci. La trompe qui porte la bouche , et qui est remarquable par les changements de dimension et d’ou- verture dont elle est susceptible, surmonte un renflement gas- trique ovalaire, qui va s’atténuant et se convertissant en canal à ses deux extrémités; puis ce double canal se subdivise et s’en- fonce dans le tissu qui tapisse le fond de la face sur laquelle il repose. Sur le reste de son trajet, l'organe dont il s’agit est indé- pendant de la membrane tégumentaire qui l’avoisine. J’ai poussé des injections dans l’estomac sans réussir à faire pénétrer la ma- tière injectée dans l’espace libre auquel nous avons vu aboutir les 250 HOLLARD, — SUR L'ORGANISATION DES VÉLELLES. canaux des cirrhes tentaculaires, Je doute fort, en conséquence, que M, Lesson ait bien compris le rôle de ces cirrhes, et leurs relations anatomiques avec l’appareil alimentaire, Après avoir très bien décrit l’estomac, tube ventru, dit-il, avec la bouche au centre, et prolongé en deux cylindres ramifiés aux extrémités de la rainure qu’il occupe, M. Lesson nous présente les cirrhes qui entourent cet organe comme de nombreuses poches stomacales, qui sucent les aliments, s’en remplissent, les digèrent et les versent dans le canal digestif sus-mentionné ; c’est alors, dit-il, qu'on trouve celui-ci rempli d’un chyme rougeätre. Que M, Lesson ait vu, en eflet, l'estomac rempli de ce chyme, j'en guis très convaincu ; mais qu'il ait vu ce chyme passer des cirrhes qui entourent l'intestin dans ce dernier, j'ai peine à le croire, d'autant que la manière dont M. Lesson s'exprime me porte à penser qu'il donne ici son opinion sur le rôle des organes creux en question, plutôt qu'un fait dont il aurait observé toutes les phases, Je n’imagine pas même ce qui aurait pu motiver une pareille opinion : elle n’a pour elle ni l’analogie ni l'observation. Et d’a- bord l’estomac des Vélelles a sa bouche, que l’animal avance et retire, ouvre ou rétrécit, et ferme à son gré; évidemment , une voie aussi directe d'alimentation doit suflire, Puis cet estomac ne s'abouche aux tissus voisins que par les espèces d’intestins rami- fiés qui lui font suite, en se portant aux deux extrémités opposées du corps: or, ces ramifications, ne communiquant point avec la cavité où s’abouchent les cirrhes tentaculaires, nous rappellent bien plutôt l'estomac des Méduses, qui se ramifient aussi pour distribuer la nourriture dans tous les tissus qui la réclament, que des sucoirs qui iraient chercher le chyme, contre toutes les ana- logies anatomiques et physiologiques , dans une foule de petites poches gastriques indépendantes les unes des autres. S'il faut donner une fonction aux cirrhes tentaculaires , je suis disposé à les considérer comme des tubes aquifères qui introdui- sent l’eau, et avec elle l’air nécessaire à la respiration, dans une cavité où cette dernière fonction s'exécute, sinon exclusivement, du moins en majeure partie. Gette manière de voir est autorisée par ce que nous savons ou ce que l’on croit savoir des fonctions des pieds-sucoirs des Échinodermes, des tentacules des Æctinies, HOLLARD. — SUR L'ORGANISATION DES VÉLELLES, 251 et des longs sucoirs centraux qui descendent de l’ombelle des Mé- duses ; je n’ai qu’à citer les groupes les plus voisins des Vélellides pour justifier le rôle que j’attribue aux sucoirs de ces animaux rayonnés. Peut-être leurs tentacules marginaux aident-ils aussi à la même fonction, et je serais d'autant plus disposé à le penser que j'ai cru y reconnaître , à l’aide du microscope, un canal in- térieur. Par leur position, leurs formes et leur organisation ap- parente, ces tentacules, plus longs, plus eflilés que ceux du centre, ne sont pas sans ressemblance avec les filaments que porte l’om- belle des Méduses, et dans lesquels j'ai positivement apercu des trajets canaliformes. Mais leur fonction principale paraît être de saisir les petites proies dont se nourrissent les Vélelles. Revenons à l'appareil digestif. Quand on essaie de détacher l'estomac du tissu sur lequel il repose, on entraîne, en le soulevant, une masse brunätre, étendue sur toute la longueur de cet organe, intimement adhérente avec lui, et qui en reproduit en quelque sorte les formés ; cette masse, en effet, renflée et saillante à son milieu, s'atténue vers ses extrémités; sa forme est celle de la con- cavité du support cartilagineux dont elle occupe le fond. La posi- tion de cet organe, ses rapports intimes avec l’estomac, sa cou- leur, sa structure enfin, tout nous indique en lui un foie, et un foie parenchymateux, bien différent des organes hépatiques de la plupart des Rayonnés. J’ai étudié au microscope le tissu du foie du Felella limbosa, et je l’ai trouvé composé d’un tissu granu- leux ou celluleux, coupé par de nombreux sillons : j’ai essayé de représenter ce tissu fig. 31 de la planche 4 bis. Aucun des auteurs que j’ai pu consulter ne mentionne l'organe que je viens de signaler, silence d’autant plus étonnant qu'on paraît avoir rencontré quelque chose d’analogue chez les Porpites, ce que Cuvier n’a pas manqué de rappeler, en disant que l’esto- mac est entouré, chez celles-ci, d’une substance comme glandu- leuse. Enfin, je n’ai trouvé non plus chez aucun auteur, depuis Fors- kal jusqu'à maintenant, et à ma grande surprise, un détail ana- tomique que j'ai déjà indiqué, et qu’on n'aurait certes pas omis, s’il n’eût passé inapereu ; je veux parler des petites grappes de cœcums que j'ai vues implantées à la base des sucoirs, En les 252 HOLLARD. — SUR L'ORGANISATION DES VÉLELLES. détachant et les placant sur le porte-objet du microscope, j'ai re- connu en elles des poches ovariennes, les ovaires même. Chacun de ces sacs renfermait plusieurs corps oviformes , semi-transpa- rents, incolores, ayant toutes les apparences d’œufs en voie de développement, au point que, sur chacun d’eux, se voyait dis- tinctement une ligne qui parcourait le grand diamètre de ces corps allongés , et qui m'a paru indiquer la voile ou lame carti- lagineuse verticale des Vélelles. Plus près de l’entrée des poches ovariennes, vers l’espèce de col par lequel chacun de ces cæcums pyriformes se rattache au pédoncule de la grappe dont il fait partie, on voyait plusieurs corpuscules jaunâtres, plus petits et plus globuleux que les précédents, et que je soupconne être aussi des œufs, mais moins avancés que les premiers. Quant aux z00- spermes, je n’en ai pu découvrir ni dans les organes que je viens de décrire, ni dans leur pédoncule commun, ni dans les cirrhes tentaculaires, ni ailleurs ; peut-être à une époque moins avancée du printemps eussé-je été plus heureux. Mes observations sur la structure du support cartilagineux sont d'accord avec la description qu’en a donnée M. Lesson. Ce sup- port, convexe en dessus, concave en dessous, est sillonné par deux lignes qui mesurent obliquement ses deux diamètres et se croisent à son point culminant. De ces deux lignes, qui ne sont peut-être, comme on l’a dit, que les traces d’une division primi- tive du support en quatre fragments. la plus grande correspond à l'insertion de la lame verticale sur la lame horizontale, Deux feuillets appliqués l’un contre l’autre composent ces lames ; ceux de la dernière, du support, interceptent des espèces de canaux aériens concentriques, séparés par des lamelles en ressaut, et partagés eux-mêmes, par de plus petites cloisons, en nombreuses cellules remplies d’air, disposition intéressante, puisqu'elle con- tribue à donner aux Vélelles la légèreté dont elles ont besoin pour voguer (1). Mais est-il vrai, comme le pense M. Lesson, que l’air contenu dans la charpente cartilagineuse de ces Zoophytes a des issues, et qu'il peut être, selon le besoin, expulsé ou rappelé ? Je ne puis (1) La finesse du tégument dorsal laisse transparaitre les lignes concentriques qui limitent ces canaux HOLLARD. — SUR L'ORGANISATION DES VÉLELLES. 253 avoir jusqu'ici que des doutes à cet égard. La lame verticale a ses feuillets plus immédiatement appliqués l’un contre l’autre que l'horizontale ; elle offre la forme d’un croissant irrégulier, part de l’un des angles du quadrilatère que représente le support, en ga- gnant de hauteur jusqu’au-dessus du sommet de celui-ci; puis elle s’abaisse de nouveau en se terminant vers l'angle auquel aboutit la diagonale parcourue. À sa partie la plus élevée, se trouve intercalée une sorte de petite pièce cunéiforme, qu’indi- quent des lignes très prononcées. Cette lame verticale paraît jouer un rôle important dans la locomotion des Vélelles, par la surface qu’elle offre aux vents : c’est dire que cette locomotion est à la merci des courants d'air, comme aussi, sans nul doute, des courants d’eau qui rencontrent les nombreuses flottes de ses jolis Rayonnés. Par les observations que j'ai l'honneur de soumettre à l’appré- ciation de l’Académie , j'espère avoir fixé, mieux qu'elles ne l’é- taient, la nature et les relations des tentacules-sucoirs qui entourent la bouche des V'élellides , avoir mis les observateurs sur la voie, pour l'étude de l’appareil génital et de l’histoire embryogénique de ces animaux: enfin, j'aurai complété, ce me semble, la des- cription de leur appareil digestif. La respiration aurait donc pour organes, ici comme dans bien d’autres Rayonnés, les tentacules qui garnissent la face inférieure de l'animal , et la cavité à laquelle s’abouchent ces tentacules ; la circulation serait, comme chez les Méduses, une sorte de distribution du fluide nutritif, par des ra- mifications de la cavité alimentaire. À l'estomac serait annexé un foie granuleux , assez comparable à celui des Mollusques. Enfin les œufs se formeraient, se féconderaint et subiraient un dévelop- pement avancé dans des ovaires en forme de cœcums, dont le contenu sortirait par le canal très extensible des sucoirs. Il y aurait sans doute ici des conclusions à déduire, quant à la place qui revient aux Vélellides en général, dans la série des Rayonnés. On peut voir que ce groupe se sépare d’une manière assez tranchée des Méduses et des Physalides, dont on l’a rap- proché ; qu’il réclame une place à part, et qu'il prendra rang, très vraisemblablement, et d’une manière définitive, entre les Mé- duses, dont les Vélellides rappellent, en effet, un peu la forme, 254 SCHLUMBERGER. — SUR LES RHIZOPODES, et dont elles ont un peu le tissu avec sa phosphorescence et ses propriétés irritantes, et les Actinies, qui nous présentent des ten- tacules- sucoirs en communication avec des cavités respiratoires et avec l'appareil génital, dernier fait que j’ai pu observer sur un grand nombre d'individus des Æctinia viridis, rubra et effæta , à la même époque où j’étudiais les Vélelles. EXPLICATION DES FIGURES. PLANCHE À bis, FIG. 28-34. Fig. 28. Le Velella limbosa dans sa position naturelle. Fig. 29. L'animal renversé, et montrant sa face viscérale. Fig. 30. L'estomac prolongé en tubes ramifés, avec le foie au-dessus. Fig. 31. Portion du foie, vue au microscope. Fig. 32. Portion du limbe, vue au microscope. Fig. 33. Cirrhe tentaculiforme, ayant à sa base les grappes de cœcums ovariens. Fig. 34. Une de ces grappes grossie, laissant voir son contenu. OBSERVATIONS SUR QUELQUES NOUVELLES ESPÈCES D'INFUSOIRES DE LA FAMILLE DES RHIZOPODES; Par M. P, SCHLUMBERGER. DIFFLUGIA.—Animal sécrétant une coque globuleuse ou ovoide membra- neuse , lisse ou encroûtée , résistante, avec une onverture terminale large, circulaire, donnant passage à des expansions cylindriques, épaisses, obtuses. Difflugia depressa. — Animal à têt diaphane, ovoïde, déprimé, résistant, découpé par de légères fissures en petites plaques polygonales irrégu- lières. — Longueur, environ 0,12; largeur, 0,068 ; épaisseur, 0,05. J'ai rencontré plusieurs fois cet animal dans le dépôt vaseux de quel- ques sources des Vosges. La substance molle intérieure est finement gra- nuleuse, hyaline, grisâtre, renfermant des particules végétales d’un brun sale, Les expansions sortent d’une large ouverture ovale, à bord irrégu- lier; elles atteignent la longueur du corps, sont épaisses, obtuses, et for- ment souvent en se contractant un lobe irrégulier, couvert de bourgeons plus où moins allongés. Difflugia gigantea. — Animal à têt brun-bleuâtre , comme recouvert de gros grains de sable formant des saillies irrégulières; ovoiïde, allongé, rétréci en avant. — Longueur, de 0,08 à 0,23 ; plus grande largeur, de 0,036 à 0,05. Cette espèce se rapproche du Difflugia proteiformis, Ehrb.; mais elle en diffère par sa forme pius allongée, rétrécie en avant, presque py- riforme, quelquefois légèrement déprimée, et par sa taille plus considé- rable. L'ouverture antérieure circulaire, à bord irrégulier, donne passage à trois ou quatre expansions cylindriques, épaisses, obtuses, qui, en se contrac{ant, se couvrent de petits renflements. SCHLUMBERGER. — SUR LES RIHIZOPODES. 255 LECQUEREUSIA.— Animal sécrétant une coque en forme de cornue ovoïde- globuleuse, un peu déprimée, membraneuse, résistante ; avec un cou large et court; une ouverture terminale circulaire, d’où sortent des expansions cylindriques, épaisses, obtuses. Ce genre se rapproche des 2ifflugia par la nature de ses expansions ; mais la forme si différente du têt et la position de l’ouverture l'en sépa- rent suflisamment. Lecquereusia jurassica. — Animal à têt résistant, diaphane, grisâtre , en forme de cornue globuleuse un peu déprimée ; à cou large et court ; comme composé d’une pâte de petits corps bacillaires. — Longueur, environ 0,1 ; largeur, 0,083; épaisseur, 0,066. Cette charmante espèce vit sur les plantes aquatiques , ou autres végé- taux morts, dans beaucoup de petites mares du Jura, aux environs de Neufchâtel (Suisse). Son têt diaphane laisse bien apercevoir à l'intérieur le corps mou, hyalin, finement granuleux, parsemé de globules bruns et de matières végétales. Les expansions atteignent et dépassent même la longueur du corps; elles se ramifient en se contractant. J'ai eu l’occasion de voir l'animal expulser par l'ouverture du têt des matières végétales brunes qu'il avait englouties. GROMIA.—Animal sécrétant une coque membraneuse, molle, globuleuse, avec une ouverture ronde d’où sortent des expansions filiformes, lon- gues, rameuses, très déliées à l'extrémité. Gromia hyalina. — Animal à coque globuleuse ou ovoiïde-globuleuse , lisse, molle, diaphane et incolore, avec une ouverture ronde entourée d'un goulot très court, formé des replis du tégument; expansions fili- formes, nombreuses, très déliées, rameuses, et s’anastomosant.— Dia- mètre, 0,03 à 0,05. Malgré l'absence de couleur de la coque, je n'hésite pas à ranger cet animal dans le genre Gromie. Sa taille, qui varie de 0,03 à 0,05, la dis- tingue aussi des deux espèces décrites jusqu'ici. Le tégument , parfaite- ment transparent, laisse voir à l'intérieur de petits globules bleutres et un gros corps glandulaire, hyalin, ovoïde, pareil à celui que j'ai observé dans d’autres Rhizopodes diaphanes. On rencontre fréquemment des groupes de deux à neuf individus, réunis par la partie antérieure. — J'ai observé cet animal dans le dépôt des ruisseaux des Vosges, et aussi en très grand nombre parmi des débris de bois détrempés dans l’eau. CYPHODERIA. — Animal sécrétant une coque membraneuse , résistante, ovoïde, allongée en avant, recourbée et rétrécie en forme de cou, ornée de saillies en séries obliques ; ouverture circulaire, oblique ; expansions très longues, filiformes, très déliées à l'extrémité, simples ou rameuses. La disposition des impressions par séries obliques, la position oblique aussi de l'ouverture, la nature des expansions, rapprochent ce genre du genre Trinema Duj. ; mais le rétrécissement antérieur en forme de cou suffit, ce me semble, pour l'en séparer. Cyphoderia margaritacea. — Animal à têt résistant, diaphane, jaunâtre, ovoide, allongé, recourbé et rétréci en avant en forme de cou, orné de nombreuses séries obliques , régulières, de petites perles; ouverture ronde , oblique, donnant passage aux expansions filiformes , simple- 256 SCHLUMBERGER. — SUR LES RHIZOPODES. ment rameuses, atteignant jusqu’à deux fois la longueur du têt.—Lon - gueur, de 0,066 à 0,14; largeur (plus grande), 0,031 à 0,064. J'ai rencontré fréquemment cet animal dans le dépôt vaseux, entre- mêlé de débris de végétaux, des ruisseaux des Vosges et du Jura. La forme de son têt est assez variable ; quelquefois le cou est tout-à-fait ru- dimentaire : chez d’autres individus, la partie postérieure, au lieu d'être large et arrondie, se rétrécit assez brusquement en pointe tronquée. La partie molle, hyaline, du corps, est parsemée, vers le milieu surtout, de nombreux globules bruns, de Navicules et de débris de végétaux englou- tis. J'ai vu ces débris rejetés par l'ouverture. PSEUDODIFFLUGIA. — Animal sécrétant une coque membraneuse, ovoïde ou ovoïide-globuleuse , lisse ou enroulée, avec une large ouverture ronde d’où sortent des expansions filiformes très longues, et déliées à l'extrémité, simples ou rameuses. Ce genre se rapproche beaucoup des Difflugies par la nature et la forme de sa coque ; mais au lieu d’expansions cylindriques, épaisses, obtuses, elle a des expansions filiformes très longues et nombreuses. Pseudodifflugia gracilis. — Animal à têt brun-bleuâtre , encroûté et comme recouvert de petits grains de sable, ovoïde, plus ou moins al- longé ou raccourci ; expansions filiformes très longues. — Longueur, 0,035 à 0,056 ; largeur, 0,029 à 0,035. Cet Infusoire, que j'avais pris d’abord pour une Difflugie avant d’avoir vu ses expansions, vit en compagnie de plusieurs autres Rhizopodes, dans le dépôt de quelques ruisseaux aux environs de Mulhouse (Haut-Rhin). Le têt se brise facilement par la pression, et permet de s'assurer que l'organisation de cette espèce est la même que celle des autres espèces de cette famille. Le mouvement n'est proportionnellement pas trop lent. SPHENODERIA. — Animal sécrétant une coque diaphane, incolore, résis- tante, globuleuse , avec un cou aplati en forme de coin ou de carène, ornée d’impressions polygonales en séries obliques, régulières ; ouver- ture terminale comprimée, presque linéaire; expansions filiformes très longues et déliées. La forme du cou et de l'ouverture séparent ce genre des Trinema et Euglypha, dont il se rapproche par la structure de sa coque. Sphenoderia lenta. — Animal à têt diaphane, incolore, résistant, avec des séries obliques d’impressions hexagonales, globuleux, à cou large, aplati et court; expansions peu nombreuses, très longues et déliées, simples ou rameuses. — Longueur, 0,04 à 0,05. De tous les Rhizopodes que j'ai vus, celui-ci est le plus lent, et ses ex- pansions des plus difficiles à apercevoir. Je l’ai rencontré sur des touffes de mousse, au fond de ruisseaux marécageux, aux environs de Mulhouse (Haut-Rhin). Pendant le mouvement, le têt est oblique ou perpendicu- laire sur le plan de reptation. Les impressions hexagonales sont peu mar- quées, grandes, de 0,008 à 0,01; le têt se brise selon leurs lignes de jonction. La substance molle contient de nombreux petits globules hya- lins, un corps glandulaire plus gros en arrière, et de nombreux débris jaunâtres de matières végétales englouties. RECHERCHES ZOOLOGIQUES FAITES PENDANT UN VOYAGE SUR LES COTES DE LA SICILE; PAR M. MILNE EDWARDS. OBSERVATIONS SUR LA CIRCULATION. ARTICLE PREMIER. Du mode de distribution des fluides nourriciers dans l'économie animale. $ 1. En entretenant l’Académie des études z0ologiques dont je me suis occupé l'été dernier, pendant mon voyage sur les côtes de la Sicile, j'ai annoncé que j’exposerais avec plus de détails, dans une série de Mémoires particuliers, les résultats de mes observa- tions sur le développement des Annélides, sur la circulation du sang chez les Mollusques et chez les Crustacés, sur la structure des Acalèphes ciliogrades, sur l’organisation des Stéphanomies. Dans une précédente communication, jai commencé à m’acquitter de ce devoir, lorsque j'ai fait connaître mes recherches sur les An- nélides (1), et, aujourd’hui, je vais poursuivre ma tâche en ren- dant compte de quelques observations sur la circulation chez les Mollusques ; mais, avant d'aborder ce sujet, je crois devoir pré- senter quelques considérations sur la manière dont je comprends le mode de distribution des fluides nourriciers dans l’économie, considéré dans l’ensemble du règne animal. En effet, il arrive souvent que, dans les discussions, quelle que soit la nature du sujet débattu, les argumentations se prolongent outre mesure, parce qu’elles roulent sur des équivoques plutôt que sur des faits ou sur des opinions nettement exprimés. Lors- qu'on désire réellement porter la lumière sur une question en (1) Voyez page 445. 3° série. Zooz. T. LIT. (Mai 1845.) 17 258 VOYAGE EN SICILE, litige, il est donc utile de bien préciser la manière dont on entend cette question, et de formuler catégoriquement la thèse que l’on soutient. Depuis quelque temps, les opinions que j'ai émises relative- ment à certains points de physiologie comparée ont été contro- versées, soit devant l’Académie, soit en dehors de cette enceinte ; par les uns, elles ont été considérées comme des hérésies scienti- fiques, et on a été jusqu’à les déclarer contraires à tous les prin- cipes de la zoologie (1); par quelques autres, elles me semblent avoir été mal interprétées; enfin il est aussi des naturalistes qui, sans avoir eu connaissance de mes résultats, sont arrivés, de leur côté, à des conclusions plus ou moins analogues. Mon intention n’est pas de soulever ici des questions de prio- rité, ni d'entrer dans une polémique quelconque ; mais, afin d’é- viter, autant que cela est en mon pouvoir, les inconvénients dont je viens de parler comme se présentant d'ordinaire dans les dis- cussions un peu longues, je crois devoir exposer brièvement l’en- semble de mes vues sur un sujet qui se lie d’une manière intime aux matières que j’ai traitées dans mon Mémoire sur la circulation chez les Mollusques. Cela me paraît d'autant plus nécessaire, que ces considérations n’ont pas été, peut-être, suffisamment expli- quées; j'en ai fait usage fréquemment dans mes cours, soit à la Faculté des Sciences, soit au Jardin des Plantes, et elles se trou- vent indiquées dans plusieurs publications ; mais, jusqu'ici, j'avais négligé de les développer par écrit, et, comme elles me semblent pouvoir être de quelque utilité en zoologie, je demanderai la per- mission d'en entretenir l’Académie. $ 2. En histoire naturelle , ainsi que dans les autres sciences physiques, on ne peut se contenter d’avoir constaté un nombre plus ou moins considérable de faits fournis par l'observation ou par l'expérience ; il faut nécessairement comparer ces faits entre eux, (1) Si le lecteur était curieux de connaître les arguments et le style des écri- vains qui ont servi d'écho aux naturalistes dont les opinions diffèrent des miennes sur ces questions , il pourrait en juger par les articles sur les séances de l'Aca- démie, insérés dans un petit recueil intitulé : Revue Cuvierienne, par M. Guérin- Méneville (184%, p. #18 el suivantes; 1845, n° 2, p. 69, etc ). MILNE EDWARDS. — SUR LA CIRCULATION. 259 les peser, en discuter la signification ; chercher des formules pro- pres à indiquer la tendance générale de tous ces résultats parti- culiers, et s’aider même d’hypothèses pour lier par un lien com- mun les éléments épars qui représentent, en quelque sorte, les matériaux encore disjoints de l'édifice scientifique. Lorsque notre attention se porte exclusivement sur les détails innombrables de la zoologie, l'esprit reste inquiet ou devient indifférent , et l’on vou- drait pouvoir remonter aux lois qui régissent l’organisation des êtres animés. Jamais, peut-être, ne nous sera-t-il donné d’entrevoir ces règles fondamentales ; mais nous pouvons au moins satisfaire en partie à ce besoin de généralisation, lorsqu’à l’aide d’une hy- pothèse nous parvenons à coordonner les faits ‘acquis , et lorsque nous arrivons ainsi à représenter la tendance générale de ces mêmes faits, au moyen de quelques formules simples et d’une ap- plication utile dans la pratique. Pour l'étude du sujet dont je vais m'occuper ici, l'utilité d’un pareil guide me semble manifeste, et, par conséquent, avant d'aborder les questions spéciales qu'il me faudra discuter, je crois devoir rappeler brièvement quelques vues générales à l’aide des- quelles il devient facile de saisir les relations entre une multitude de faits dont l'existence est bien constatée, mais dont la signifi- cation n’a pas été suffisamment examinée. Je me garderai de présenter ces résultats généraux comme étant des lois zoologiques ; mais les formules que j'emploie me semblent être l’expression de certaines {endances bien évidentes de la nature et avoir de lutilité en faisant rentrer sous une règle commune beaucoup de faits qui, au premier abord, paraissent être des anomalies difficiles à ad- mettre, S 3. Les êtres animés, comme on le sait, présentent entre eux des différences extrêmes sous le rapport des facultés dont ils sont doués. Chez les uns; la vie ne se manifeste que par un petit nombre de phénomènes, et la sphère dans laquelle s’exerce l’activité phy- siologique est fort restreinte ; chez d’autres, au contraire, les fa- cultés se multiplient à un haut degré, la vie se complique, et toutes les fonctions s’exercent avec une puissance et une précision ad- mirables, En passant des animaux inférieurs jusqu'aux êtres les 260 VOYAGE EN SICILE. plus richement dotés, on remarque, à cet égard, des gradations sans nombre, et lorsqu'on cherche à se rendre compte de la ma- nière dont ce perfectionnement s'opère, on voit que, d’abord, c'est un même instrument qui sert à plusieurs usages, mais les résultats de son action sont alors grossiers et imparfaits; le tra- vail vital devient-il, au contraire, plus complet, les facultés di- verses se séparent et se localisent; chaque fonction s’exerce à l’aide d’un instrument particulier ; et dans l’économie animale, de même que dans les machines qu'emploie l’industrie humaine , un organe remplit toujours d'autant mieux son rôle, que ce rôle est plus spécial. Ainsi, dans les animaux dont les facultés sont les plus bornées et dont la vie est le plus obscure, on voit toutes les parties du corps jouir des mêmes propriétés physiologiques; chacune d’elles est à la fois un instrument de nutrition, de sensibilité, de mouve- ment et même de reproduction, de sorte que l’économie de ces êtres inférieurs peut être comparée à un atelier où chacun des ou- vriers serait chargé de toute la série des travaux nécessaires pour la confection des objets à fabriquer, et où le nombre de ces instru- ments, employés tous à l’exécution de travaux semblables, influe- rait sur la quantité, mais non sur la qualité des produits. Les ex- périences célèbres de Tremblay sur les Polypes d’eau douce nous fournissent un exemple remarquable de cette confusion de toutes les facultés dans chacune des parties du corps, puisqu’en mutilant ces animaux on ne prive aucun des fragments de l’une des pro- priétés physiologiques quelconques dont jouissait l’ensemble de l’économie, et que chaque fragment continue à vivre, comme vi- vait, avant l’expérience , l'animal entier, Mais pour peu que l’on s'élève dans chacune des séries zoologiques, on voit la division du travail s’introduire dans l'organisme; les grandes fonctions se séparent alors pour devenir l'apanage d’autant de parties dis- tinctes, et, à mesure que chacune de ces fonctions se perfectionne de plus en plus, on voit les divers actes dont elle se compose s’exécuter à l’aide d'instruments de plus en plus spéciaux qui con- courent, chacun d’une manière particulière, à la production du résultat général, obtenu d’abord par un seul et même organe. MILNE EDWARDS. — SUR LA CIRCULATION. 261 J'ai signalé dans divers écrits un si grand nombre de faits de cet ordre, qu’il serait, je crois, inutile d’en citer ici, et il me semble bien démontré aujourd’hui que le perfectionnement des fonctions coïncide essentiellement avec une division croissante dans le travail physiologique dont l’économie animale est le siége. C’est là, non pas une théorie, mais un fait général ; et maintenant, si l’on veut se servir de ce résultat pour coordonner d’autres faits particuliers, il suffit d'admettre, par hypothèse, que c’est effectivement le principe de la division du travail que la na- ture à pris pour guide, et que dans ses créations de plus en plus élevées, elle a porté de plus en plus loin les conséquences de ce même principe, dont l'influence, comme on le sait, a été si puis- sante sur les progrès de l’industrie humaine. En partant de cette hypothèse, on apercoit facilement les rap- ports qui existent entre une multitude de modifications organiques qui, jusqu'alors, ne semblaient avoir aucun lien commun ; et elle peut aussi, je pense, mettre sur la voie de découvertes nouvelles. Jusqu'à ce que l’on ait démontré le contraire, je persisterai donc à admettre que, dans le règne animal, le perfectionnement des types s'opère essentiellement au moyen de la division du travail dont l'économie est le siége (A); ou, si l’on aime mieux retourner la proposition, je dirai que la dégradation de ces types zoologiques dépend essentiellement de l'accumulation croissante des fonctions di- verses sur un seul et même instrument. $ 4. Une autre tendance de la nature qui me semble être égale- ment manifeste, consiste à économiser, autant que possible, les créations nouvelles dans la constitution des animaux dont la per- fection s’accroit. Lorsqu'une faculté commence à se localiser, elle s'exerce à l’aide de parties qui existaient déjà dans le type moins perfectionné, et qui, étant modifiées pour s'adapter plus spéciale- ment à un usage particulier, cessent plus ou moins complétement de servir aux autres fonctions, dont elles étaient d’abord l’instru- ment commun. On dirait même que ce n’est qu'après avoir (1) Ce principe, que je crois avoir été le premier à formuler, est aujourd'hui adopté par plusieurs naturalistes. Je l'ai développé , il y a vingt ans, dans le Dictionnaire classique d'Histoire naturelle, t. XIX, p. 339 et suivantes. L 262 VOYAGE EN SICILE. épuisé ce genre de combinaison organique que la nature a recours à des moyens plus puissants et arrive à créer dans l’économie animale des parties réellement nouvelles, parties qui, à leur tour, sont destinées à subir, comme les organes déjà existants, une série de modifications, dont le résultat principal est toujours une division de plus en plus parfaite du travail physiologique. Le système appendiculaire des Crustacés fournit des exemples remarquables de cette tendance. Ainsi chez certains animaux de cette classe, la portion céphalo-thoracique du corps porte une série de membres qui servent chacun comme une patte pour la locomotion et comme une mâchoire pour la division des aliments ; mais ils ne peuvent cumuler ces fonctions sans être nécessairement moins propres à l’un ou à l’autre de ces usages qu'ils ne le se- raient, si, dans leur structure, tout était calculé dans la vue d’ur résultat unique; ce sont des pattes fort médiocres et des mâchoires peu puissantes : aussi chez les Crustacés dont les facultés sont plus parfaites ne voit-on plus de ces instruments à double usage. Mais la division du travail ne résulte pas de l'introduction d’un élément anatomique nouveau dans l’économie ; elle s'obtient à moins de frais : la série d’appendices, dont tous les termes étaient d’abord semblables entre eux, se partage en deux groupes ,dont l’un, spécialement affecté à la mastication, n'intervient plus dans le mécanisme de la locomotion, et dont l’autre, devenu étranger aux fonctions digestives, constitue l'appareil du mouvement. C’est aussi aux dépens du système appendiculaire que d’autres Crus- tacés sont dotés d'instruments particuliers pour la respiration et pour la fécondation, ou pour la conservation des œufs ; enfin, dans les espèces les plus élevées de ce groupe naturel, on voit ces in- struments d'emprunt être remplacés par des parties qui n'avaient pas jusqu'alors d’analogues dans l’organisation de ces animaux , et qui semblent avoir été créés à l’occasion de ce perfectionne- ment nouveau ; les branchies des Crabes ou des Écrevisses , par exemple, $ 5. C’est peut-être faute d'avoir connu ces tendances de la na- ture que quelques auteurs ont admis , comme un axiome en z00lo- gie, que la fonction est inhérente à l'organe ; de sorte que, lorsque MILNE EDWARDS. — SUR LA CIRCULATION. 265 celui-ci vient à disparaître de l’économie , la faculté dont il était l'instrument doit se perdre en même temps. Lamarck, par exemple, refusait la sensibilité à tous les animaux qui n’ont point de cerveau , parce que, chez les êtres où cette faculté est le plus manifeste, elle à pour instrument nécessaire ce centre nerveux. C'est aussi en raisonnant de la sorte qu'on a nié l’existence d’une circulation chez les animaux qui n’ont plus ni cœur, ni artères, ni veines, ou bien que l’on admet l’existence de toutes ces parties partout où les physiologistes ont constaté le mouvement circula- toire des fluides nourriciers. Mais c’est se former une idée bien petite et bien fausse des ressources de la nature que de la croire assujettie à une nécessité pareille. Il est vrai que la faculté dont elle doue un être vivant ne peut s'exercer qu’à l’aide d’un organe ou instrument ; mais cet organe n’est pas nécessairement toujours le même , et des résul- tats physiologiques du même ordre peuvent être obtenus par les moyens les plus variés. Lorsqu'on admet cette dépendance nécessaire entre la fonction et l'organe, on ne peut rien comprendre à la physiologie des animaux inférieurs ; car, chez ceux-ci, on voit disparaître tour à tour chacun des instruments qui, chez les êtres plus parfaits, sont indispensables à l’exercice des facultés les plus nécessaires à la conservation soit de l'individu , soit de l’espèce , et cependant ces animaux dégradés vivent et se reproduisent de même que les premiers. Or , pour être conséquent avec les principes de ces z00- logistes , il faudrait admettre que ces animaux inférieurs sont en même temps privés de toutes les facultés que possèdent les espèces plus élevées, et que les fonctions qui assurent l'existence de l'individu, par exemple, sont chez eux d’un ordre particulier, C’est effectivement la conclusion à laquelle est arrivé Lamarck , lorsqu'il a voulu appliquer sa doctrine à l'étude des fonctions de relation dans le règne animal tout entier. Mais les distinctions scolastiques que l’on établit de la sorte résident dans les mots plutôt que dans la nature des choses , et ne me semblent être d’au- ,cune utilité dans la science. En adoptant le principe contraire et en ayant égard aux tendances générales dont il vient d’être ques- 261 VOYAGE EN SICILE. tion , il en est tout autrement ; l’étude physiologique de ces ani- maux cesse alors d'offrir aucune difficulté sérieuse, et les faits que ces êtres plus ou moins simples nous fournissent se laissent coor- donner de la manière la plus facile avec l’ensemble des résultats fournis par l'observation des autres parties du règne animal. S 6. L’étude des phénomènes de la circulation chez les animaux inférieurs fournit, ce me semble, des preuves convaincantes de la vérité de ce que je viens de dire. La manière dont s’effectue dans l’intérieur de l’économie la distribution des matières nécessaires à l'entretien de la vie varie extrêmement dans les divers groupes du règne animal , et, sous ce rapport, les êtres les plus simples s’éloignent tant de tout ce que nous sommes accoutumés à voir chez l'Homme ou chez un animal supérieur quelconque, qu’au premier abord beaucoup de naturalistes, ne tenant pas compte des tendances générales que je viens de signaler, rejettent comme impossibles des faits que l’observation et l’expérience rendent indubitables ; mais, lorsqu'on prend pour guide le prin- cipe du perfectionnement des étres par la division croissante du travail physiologique, on voit ces difficultés disparaître , et les résultats qui, dans l’hypothèse contraire, demeuraient incom- préhensibles, cessent de paraître anormaux, et prennent place dans un ensemble de faits où tout s’enchaîne et se régularise. Ainsi, pour le physiologiste qui aurait limité ses études aux phénomènes de la vie chez l'Homme ou chez les Mammifères or- dinaires, il répugnerait peut-être de croire que , chez un Mol- lusque, la circulation puisse s'effectuer sans le secours de veines ; que, chez des Annélides, les Térébelles par exemple, le même organe puisse à la fois tenir lieu d’un cœur et d’un poumon ; enfin que, chez d’autres animaux plus dégradés, une seule cavité puisse cumuler les fonctions de l’estomac, du cœur, des vaisseaux sanguins et du poumon, organes qui, chez les animaux supé- rieurs, offrent dans leur structure et dans leurs propriétés les dif- férences les plus tranchées. L'observation directe nous apprend néanmoins qu'il en est ainsi, et la comparaison de ces résultats avec les faits fournis par l'étude des autres grandes fonctions de l’économie nous conduit à voir, dans ces anomalies apparentes, une MILNE EDWARDS. — SUR LA CIRCULATION, 265 conséquence régulière de l’une des tendances les plus générales de la nature. $ 7. Chez les animaux les plus simples, de même que chez les êtres vivants les plus parfaits, la nutrition s’effectue à l’aide de la digestion, de la respiration, et du passage des matières absorbées du dehars jusque dans la profondeur des diverses parties de l’or- ganisation ; mais la faculté de digérer , les actes respiratoires et le transport des fluides nourriciers, ne sont pas dépendants de l’ac- tion d’organes particuliers ; toutes les parties du corps sont éga- lement aptes à remplir en même temps toutes ces fonctions, etil n'existe pour la production de l’ensemble des phénomènes de nu- trition aucun indice de division dans le travail physiologique. On sait que, chez l’Hydre par exemple, la surface tout entière du corps jouit de la propriété de réagir sur certaines matières organisées , de facon à en déterminer la dissolution, ou, en d’autres mots, possède le pouvoir d'opérer la digestion des aliments, et que le tissu dont ce corps se compose est un assemblage de parties so- Jides , disposées de manière à laisser entre elles des espaces ou lacunes accessibles aux liquides qui arrivent du dehors, et qui doivent séjourner ou se mouvoir dans l’économie. Cela est si vrai que , lorsqu'on retourne un de ces petits Polypes, comme on re- tournerait un doigt de gant, la surface qui primitivement était en contact avec l’eau aérée, et qui devait être le siége principal de l’absorption et de l’exhalation respiratrices, devient un instru- ment de digestion , tandis que la surface opposée, qui auparavant était interne et limitait la cavité stomacale, prend la place et rem- plit les fonctions de la surface respirante; enfin, il est également aisé de s'assurer que l'introduction des liquides du dehors jusque dans la profondeur des tissus s'effectue de la même manière, quelle que soit la partie au contact de laquelle ces liquides arrivent, Mais pour peu que l’on s'élève de ces Polypes si simples versles animaux plus parfaits, on voit la division du travail s’introduire dans l'organisme. Ce sont d’abord les deux surfaces du corps qui deviennent dissemblables entre elles; la surface interne devient seule apte à élaborer les matières étrangères qui doivent être employées comme aliments , et la surface externe est modifiée 266 VOYAGE EN SICILE. dans sa structure pour devenir un instrument de protection plutôt qu’un organe de nutrition. Des Zoophytes extrêmement voisins des Hydres, les Sertulaires par exemple, nous offrent cette dispo- sition, qui se remarque aussi chez les Alcyons, le Corail, les Gorgones , les Caryophyllies, dont les parties extérieures, durcies par un dépôt de matières cornées ou calcaires, se transforment plus ou moins complétement en une espèce de cuirasse, désignée par les zoologistes sous le nom de Polypier. Chez ces zoophytes , de même que chez tous les animaux plus élevés, la faculté diges- tive se localise dans une portion déterminée de l’économie, et cette fonction devient l’apanage d’un organe spécial ; mais l’in- strument physiologique, sans le concours duquel l'animal ne pourra désormais approprier à ses besoins les aliments organisés, dont il est appelé à se nourrir , ne sert pas d’abord exclusivement à l'élaboration préparatoire des substances nutritives, qui consti- tue le phénomène de la digestion. L’eau qui y apporte les matières alimentaires tient en dissolution de l’air, et se renouvelle rapide- ment ; l’échange entre l'oxygène de l’atmosphère et l’acide car- bonique produit dans l’intérieur de l’organisme , doit s’effectuer par l'intermédiaire de la surface de la cavité digestive, aussi bien que par toutes les parties de la surface extérieure du corps, dont la perméabilité est assez grande pour que des fluides puissent les traverser facilement. Cette cavité doit par conséquent être le siége de phénomènes de respiration, aussi bien que du travail digestif, et souvent même cette respiration stomacale doit être plus active que la respiration cutanée , parce que la surface exté— rieure se solidifie au point d’opposer de grands obstacles à l’ab- sorption ainsi qu'à l’exhalation, tandis que la surface interne offre toujours une grande perméabilité. Enfin, cette même cavité stomacale est encore un instrument de circulation, car elle se prolonge au loin dans l’économie, et l’eau qui y pénètre, et qui tient en suspension ou en dissolution des matières nutritives, y est agitée de mouvements plus ou moins rapides, et en la par- courant parvient jusque dans le voisinage de toutes les parties , dans la profondeur desquelles ces matières doivent servir au tra- vail d’assimilation. La cavité commune distribue done dans MILNE EDWARDS. — SUR LA CIRCULATION. 267 toute la longueur du corps le fluide nourricier, comme le ferait une grande artère chez un animal supérieur ; mais ce fluide n’est pas encore un suc particulier : ce n’est pas du sang, c’est seule- ment de l’eau puisée directement au-dehors, et tenant en disso- lution ou en suspension une petite quantité de sels et de matières organiques ou organisées , dont la dissolution ou la désagrégation s’est effectuée sous l’inflüence de la faculté digestive dont jouit cette même cavité. Les Campanulaires et les Sertulaires nous offrent un exemple de cette disposition si simple, mais en même temps si imparfaite. Chez ces Polypes, le corps grêle et cylindrique offre, dans toute sa longueur, une cavité creusée dans un tissu spongieux et com- muniquant au dehors par un orifice unique destiné à remplir alter- nativement les fonctions d’une bouche et d’un anus; l’eau chargée de matières organiques y pénètre en grande abondance, et, pen- dant que les aliments y subissent une sorte de digestion, des cou- rants rapides s’y établissent et promènent sans cesse, d’une ex- trémité du corps à l’autre, les matériaux dont les diverses parties de l’organisation doivent s'emparer pour les assimiler à leur propre tissu, ou pour les employer à l’entretien de l'espèce de combus- tion, qui paraît se produire partout où le mouvement vital se ma- nifeste chez les êtres animés. En étudiant sous le microscope ces petits Zoophytes à l’état vivant, j'ai été maintes fois témoin de cette sorte de circulation stomacale ; et d’ailleurs, ce phénomène curieux n’a échappé à l'observation d’aucun des zoologistes qui, dans ces derniers temps, se sont occupés de la physiologie des Polypes marins. ÿ Dans un autre type zoologique appartenant à la même classe, la distribution des matières nutritives, jusque dans les parties les plus éloignées de l’économie, s’effectue d’une manière plus par- faite, car la cavité alimentaire, au lieu d’être un simple réservoir cylindrique occupant l’axe du corps, se continue supérieurement sous la forme d’une multitude de loges dont l’extrémité conique s’avance jusqu'au sommet de chacun des appendices ou tentacules qui entourent la bouche du Polype. L'eau servant à la respira- tion , de même que les matières nutritives élaborées dans la por- 268 VOYAGE EN SICILE. tion centrale ou stomacale de la cavité digestive, baigne directe- ment tous les replis et les cloisons dans l'épaisseur desquels se trouvent les organes de la génération, etc., et arrive de la sorte jusqu’en contactavec tous les points de la surface interne des parois membraneuses du corps, qui, par leur surface externe, se trouvent en rapport avec le même liquide. Cette disposition, qui existe chez les Caryophyllies, les Acti- nies, les Lucernaires et probablement chez tous les Polypes de l’ordre des Zoanthaires, est intermédiaire entre le mode d’organi- sation dont il vient d’être question chez les Sertulariens et la struc- ture de l’appareil gastrovasculaire des Alcyons, des Gorgones, des Cornulaires, du Corail, etc. Dans le groupe naturel formé par ces Zoophytes, le corps du Polype (1) est creusé d’une grande cavité dont la conformation ne diffère que peu de celle de l’es- tomac des Zoanthaires ; seulement elle communique moins direc- tement avec l'extérieur, car la bouche est suivie d’un canal cylin- drique qui fait l'office d’un premier estomac, et qui s'ouvre in- férieurement dans la cavité générale par un orifice garni d’un sphincter, dont la contraction s’oppose d'ordinaire au passage des malières trop grossièrement divisées ; enfin, la cavité générale ne se continue pas seulement sous la forme de loges tubulaires ou de poches cylindriques jusque dans l’intérieur des tentacules et même des franges dont le bord de ces appendices est garni; j'ai constaté qu’elle communique aussi directement avec un système de canaux étroits et rameux, qui se répand dans la profondeur du tissu charnu dont la base des Polypes est entourée , et le réseau capillaire, formé par ces dépendances de l’appareil digestif, éta- blit une communication entre l'estomac et les parties les plus éloi- gnées de la masse vivante qui résulte de l'agrégation de tous les individus dont se compose chacune de ces espèces de colonies (2). Il existe là, comme on le voit, un premier indice de la division (1) Voyez les planches relatives à ce système gastro-vasculaire chez les Al- cyons et chez le Corail, que j'ai données dans la nouvelle édition du Règne animal, Zoophytes, pl. 80 et 94. (2) Voyez à ce sujet mon Mémoire sur les Alcyons, inséré dans les Annales des Sciences naturelles, 2° série, t IV, p. 333. MILNE EDWARDS. — SUR LA CIRCULATION. 269 du travail physiologique, qui, chez les animaux plus parfaits , amène la distinction entre les fonctions de la digestion et de la circulation. La distribution des fluides nourriciers s'effectue à l’aide d’un système de canaux consacré spécialement à cet usage ; mais ce système n’est qu’une portion de l’ensemble de cavités qui, chez des Polypes plus simples, servaient en même temps à la pré- paration et à la répartition des matières alimentaires, et il se con- tinue sans interruption avec la portion vestibulaire ou stomacale dans laquelle la faculté digestive se trouve maintenant concen- trée. Or, de cet état de l’organisation à l’existence de deux appa- reils complétement distincts pour l’exercice de ces deux fonctions nutritives, il n’y a qu'un pas. Effectivement, admettons, pour un instant, que la communication entre la portion stomacale de ce système de cavités et la grande lacune périgastrique ou chambre viscérale, au lieu d’être directe et béante, comme chez les Alcyo- niens, se trouve rétrécie par une multitude de petites brides entre- croisées et disposées sur plusieurs plans; elle cessera d’être vi- sible à l'œil ; la cavité destinée à contenir et à distribuer le liquide nourricier sera en apparence parfaitement close ; mais ce liquide pourra encore y arriver de la cavité digestive en filtrant à travers les lacunes irrégulières et plus ou moins étroites, que les fibres de cette espèce de feutrage organique laissent entre elles. Au lieu d’un seul système de cavités s'étendant depuis la bouche jusque dans les parties les plus éloignées de l’économie , il y aura alors deux systèmes distincts; l’un, en forme de sac ou de tube, constituera l'appareil digestif, et l’autre, plus ou moins rameux, deviendra l'appareil de la circulation. $ 8. Les Polypes ne sont pas les seuls Zoophytes chez lesquels Ja division du travail s’établit de la sorte dans l’ensemble des fonc- tions de nutrition, et les Acalèphes offrent même des modifications de structure correspondantes aux divers modes d'organisation que nous venons de signaler chez les Sertulariens, les Zoanthaires et les Alcyoniens. Parmi les Médusaires, je citerai les Pélagies comme exemple de la forme dégradée de l’organisation dans laquelle un seul et même système de cavités sert à préparer le liquide nourricier et à 270 VOYAGE EN SICILE. le distribuer dans toutes les parties de l’économie, ou, en d’autres mots, tient lieu d’un appareil digestif et d’un appareil circulatoire. Chez ces Zoophytes, le corps est creusé d’une grande cavité cen- trale qui communique au dehors par la bouche, et qui se continue avec douze loges prismatiques séparées entre elles par des cloi- sons seulement, et s’avancant dans l’épaisseur de l’ombelle jus- qu’au bord de ce disque (1); ces cavités périphériques se conti nuent, à leur tour, avec des canaux creusés dans l’axe de chacun des filaments tentaculaires, dont le bord de l’ombelle est garni, et les matières alimentaires avalées par l’animal y pénètrent et s’y digèrent ; l’eau aérée y arrive aussi en abondance par la bouche et par l'estomac central, et circule de la sorte dans toutes les par ties du corps. Ainsi, c’est par l'intermédiaire d’un même agent organique que toutes les matières nécessaires à l’entretien du travail nutritif sont élaborées et portées en contact avec les tissus vivants. Chez les Rhizostomes, dont Cuvier a fait connaître la structure singulière, l’estomac central est mieux délimité, et la portion pé- riphérique du système cavitaire général, au lieu d’être constituée par une série de grandes loges, se rétrécit et prend la forme de canaux cylindriques, qui se résolvent bientôt en une multitude de petites lacunes irrégulières en communication les unes avec les autres, et dont l’ensemble représente, tout autour de l’ombelle, une sorte de réseau capillaire (2). Chez les Médusaires du genre Aurélie, les Béroës, ete., les ca naux qui se rendent de l’estomac vers le bord de l’ombelle ces- sent d’être semblables entre eux ; les uns se ramifient à peu près comme chez les Rhizostomes, tandis que les autres ne se divisent pas et établissent des communications directes entre la cavité cen- trale et un canal marginal, dans lequel vont aboutir aussi les di- visions des vaisseaux rameux dont il vient d’être question (3). (1) Voyez les figures que j'en ai données dans l'atlas du Aôgne animal, Zoo- phytes, pl. 46. (2) Atlas du Règne animal, Zoophytes, pl. 50. (3) Voyez l'atlas du Règne animal, Zoophytes, pl. 48 MILNE EDWARDS. — SUR LA CIRCULATION. 271 Ici la division du travail est portée même plus loin que chez les Polypes de l’ordre des Alcyoniens; en effet, la portion vestibu- laire du système cavitaire général peut seule fonctionner à la ma- nière d’un estomac, car les canaux gastro-vasculaires sont trop étroits pour que les aliments s’y introduisent , et la portion péri- phérique de ce même système, chargée spécialement de la distri- bution des liquides nourriciers, se subdivise à son tour en instru ments destinés à porter les sucs de l'estomac vers le bord du manteau, et en conduits servant à rapporter ces liquides de la périphérie du corps vers le centre ; car, en observant au micros- cope les mouvements des humeurs chez ces Zoophytes, on voit des courants en sens inverse dans les canaux rameux et dans les canaux simples, et, en général, ces derniers rapportent le fluide de la circonférence du corps vers le centre. [l y a donc, chez ces animaux, une véritable circulation ; des conduits particuliers fonc- tionnent à la manière des artères, tandis que d’autres vaisseaux jouent le rôle de veines seulement; mais ces canaux ne suflisent pas pour compléter le cercle parcouru par le liquide nourricier, et c’est par l'intermédiaire de l'estomac qu'ils sont mis en com- munication, de la même manière que les artères et les veines des animaux supérieurs sont rendus continus au moyer des cavités du cœur. Enfin, dans le genre Lesueuria , bien que la circulation s’effec- tue encore au moyen de canaux dépendants de l’appareil digestif, et en communication directe avec l’estomac , la division du tra- vail est portée plus loin, car la cavité centrale se trouve partagée en deux portions par un sphincter , et c’est dans la portion vesti- bulaire que la digestion des aliments s’opère, de facon que la portion supérieure ou profonde recoit les liquides nourriciers déjà élaborés, et sert comme d’un réservoir central, d’où partent les courants centrifuges et où viennent aboutir les courants centri- pètes (1). Le cercle circulatoire est ainsi complété , sans le con- cours de la cavité digestive proprement dite ; mais les canaux dont ce cercle se compose sont évidemment les mêmes que ceux (1) Voyez la figure que j'en ai donnée dans un précédent Mémoire, Annales des Sciences naturelles, 2° série, t. XVI, pl. 3. 272 VOYAGE EN SICILE. dans lesquels s’effectuait l’élaboration, aussi bien que le trans- port des matières nutritives chez les Acalèphes les plus simples, et ils forment encore avec l'appareil digestif un seul et même système de cavités. $ 9. Dans tous les animaux dont il vient d’être question, les li- quides qui parcourent les diverses parties de l’économie ou qui séjournent dans les cavités dont le corps est creusé sont partout les mêmes, et la nutrition n’a pas pour agent spécial un sue particulier, auquel on puisse donner le nom de sang ; c’est, comme je l’ai déjà dit, de l’eau qui arrive directement du dehors, et qui, chargée d'oxygène et de matières organiques, se répand partout où la nutri- tion doit s’eflectuer , puis s'échappe au-dehors. Depuis l’Eponge jusqu'aux Polypes du genre Corail ou Gorgone, et jusqu'aux Aca- lèphes les plus élevés en organisation, il n’existe, à cet égard, au- eune division du travail ; un seul et même liquide baigne la surface extérieure de l’animal , et se renouvelle plus ou moins rapidement dans le système de cavités dont le corps est creusé ; chemin fai- sant, cette eau aérée dissout les matières organiques qui s’y trou- vaient en suspension, et qui sont rendues solubles par linfluence des forces digestives , fournit aux tissus les matériaux qui doivent y être assimilés, ainsi que le principe comburant nécessaire à l’en- tretien de la vie ; se charge de l’acide carbonique, résultant de la combustion respiratoire et des autres produits du travail élimina- toire, dont toutes les parties vivantes sont le siége; sert enfin à emporter au loin et à chasser de l’économie tous ces résidus de la nutrition ; elle représente par conséquent tout à la fois le sang, le chyle, le fluide respirable , et les humeurs excrémentielles dont l'existence et les rôles sont si nettement déterminés chez les ani- maux supérieurs. Mais cette multiplicité d’usages entraîne l’im- perfection dans chacun des résultats à produire , car les conditions qui tendraient à favoriser le développement de telle ou telle de ces fonctions sont contraires à l’exercice de telle autre ; la digestion, par exemple, doits’accommoder mal du flux abondant de liquides, sans lequel la distribution des sucs nourriciers ne peut être rapide, et sans lequel aussi la combustion respiratoire doit être faible et obscure. Pour accroître l’énergie des diverses facultés, dont le MILNE EDWARDS. — SUR LA CIRCULATION. 273 concours est nécessaire à l’accomplissement du phénomène de la nutrition , il faut donc que la nature divise le travail, et affecte à chaque fonction un agent spécial. C’est effectivement ce qui s’observe, lorsqu'on s'élève de ces animaux dégradés vers les divers types zoologiques les plus par- faits. La cavité stomacale, comme on le sait, devient alors distincte de la cavité sanguifère, et la surface par laquelle les matières organiques pénètrent dans l’économie cesse d’être la voie par laquelle l'élément comburant s’introduit ; ou, en d’autres mots , la digestion, la respiration et la circulation, se localisent dans autant d'appareils distincts, et s'effectuent par l’intermé- diaire de fluides différents. $ 10. Mais, chez beaucoup d'animaux inférieurs, cette division du travail, quoique bien manifeste, n’est pas complète, et les instruments affectés spécialement à l’une des grandes fonctions de nutrition peuvent encore concourir plus ou moins activement à l’accomplissement d’une autre de ces fonctions. L'appareil diges- tif, par exemple , peut, dans certains cas, venir en aide aux or- ganes affectés à la respiration , ou contribuer à l’accomplissement de cette distribution des matières nutritives aux diverses parties de l’économie , qui est un des principaux résultats du phénomène de la circulation. La cavité alimentaire fonctionne alors à peu près de la même manière que chez les Zoophytes, dont il a été question ci-dessus ; seulement le travail respiratoire et le travail circula- toire dont elle est le siége cèdent maintenant en importance aux actes digestifs, et la distribution des sucs nourriciers , ainsi que l'introduction de l'oxygène libre dans la profondeur de l’écono- mie , s'effectuent principalement par d’autres organes. Pour les personnes à qui l'ensemble de la zoologie est fami- lier, il serait peut-être inutile de citer ici des faits à l’appui de la proposition que je viens d’énoncer, et que j’ai souvent déve- loppée dans mes cours publics ; mais comme elle a été déclarée inadmissible par quelques naturalistes, je crois devoir citer un on deux exemples bien connus de cette accumulation de fonctions. J'ai dit que, chez certains animaux, la cavité digestive peut servir comme instrument de respiration, Pour s’en convaincre, il 3° série. Zoo. T. III. (Mai 1845.) 18 27h VOYAGE EN SICILE. suffit d'étudier une larve de Libellule, ou de lire les observations de Réaumur (1) et de Cuvier (2) sur les usages et la structure de l'intestin chez ces Insectes. On voit alors que l’eau aérée est alter- nativement introduite et expulsée du rectum par l’orifice anal, et que c’est par les parois de cette portion de l’intestin que l’animal respire. La Loche des étangs paraît présenter un phénomène du même genre, mais plus remarquable encore. Ce Poisson, assure-t- on, avale sans cesse de l’air par la bouche, et l’expulse ensuite par l'anus , après avoir remplacé par de l’acide carbonique l’oxygène contenu dans ce fluide (3). Enfin, je rappellerai encore ici que, chez les Biphores et les Ascidies, parmi les Mollusques, et chez l’Am- phioxus, parmi les Poissons , c’est une seule et même cavité qui remplit les fonctions d’un vestibule pour l’appareil digestif, et d’une chambre branchiale pour la respiration. $ 11. La cavité alimentaire qui, chez les Polypes, les Acalèphes et quelques autres animaux inférieurs , effectue le transport des matières nutritives jusque dans les parties les plus éloignées de l'économie, en même temps qu’elle sert comme vase digestif pour l'élaboration de ces substances ; cette cavité, dis-je, peut égale- ment concourir plus ou moins efficacement à la distribution des fluides nourriciers, lors même qu'il existe un autre système de cavités ou de canaux destinés spécialement à contenir le sang et à faire circuler ce liquide. Ches les Nymphons, par exemple, j'ai constaté l’existence d’un certain nombre de canaux qui partent de l'intestin , pénètrent jusqu’à l’extrémité des pattes, et recoivent dans leur intérieur les matières nutritives , que l’on y voit circuler comme dans la cavité gastro-vasculaire d’un Polype (4). On com- prend facilement que les matières liquides , ballottées dans l’'inté- rieur de ces appendices de l'intestin, doivent filtrer à travers les (1) Mém. pour servir à l'histoire des Insectes, t. VI, p. 393, etc. (2) Leçons d'anatomie comparée, t. LV, p. 440. (3) Cuvier, Règne animal, t. IT, p. 278. (4) Cette observation, qui date de 1827, a été consignée dans une des notes de Latreille, jointes à la seconde édition du Règne animal de Cuvier (t. IV, p. 277; Paris, 1329), et a été exposée avec plus de détails dans mon Histoire naturelle des Crustacés, t. LI, p. 534 (Paris, 1840) MILNE EDWARDS. SUR LA CIRCULATION. 975 parois membraneuses de ces tubes, comme elles filtrent à travers les parois de l'intestin lui-même, et que , dès lors, venant à se mêler au fluide nourricier répandu alentour, elles peuvent arri- ver promptement en contact avec les parties qu’elles sont desti- nées à nourrir, bien que la masse du sang ne soit pas animée d’un mouvement circulatoire rapide, et ne se rende pas régu- lièrement du centre de l’économie jusque dans les parties les plus éloignées du corps. La même disposition de l’appareil digestif et le même transport des matières nutritives à l’aide des appendices tubulaires de l'in- testin ont été observés plus récemment chez les Pychnogonons par M. de Quatrefages, et rappellent ce qui avait déjà été vu par M. Audouin et par moi chez le Nicothoé du Homard (1). L’embranchement des Mollusques offre également des exemples de cette disposition organique, au moyen de laquelle l'appareil digestif peut venir en aide aux instruments chargés de distribuer les fluides nourriciers dans l’intérieur de l’économie. Effective- ment, il me paraît difficile de refuser des usages de ce genre au système de canaux ramifiés qui, chez les Éolidiens, naît du tube digestif et pénètre souvent jusque dans les tentacules du front , et jusqu'à l'extrémité postérieure du manteau, ainsi que dans chacun des appendices branchiaux dont le dos de ces Mollusques est garni; car en observant à l’état vivant un dé ces animaux dont les tissus étaient remarquablement transparents, j'ai vu les ma- tières nutritives passer directement de l’estomac ou de l'intestin dans ces vaisseaux, et les parcourir rapidement dans toute leur longueur (2). Le sang, dont la circulation est plus ou moins in- complète, baigne, comme chez les Nymphons, la surface externe du système gastro-vasculaire, et, par conséquent, à moins de supposer que les parois de ces appendices du tube alimentaire s'opposent à toute absorption du chyle, il faut admettre que les produits du travail digestif vont, dans presque tous les points du corps, se mêler au sang, dans le voisinage immédiat des par- ties à la nutrition desquelles ces matières sont destinées. Les (1) Ann. des Sc. nat., 1"° série, t. IX, p. 345 (1826). (2) Ann. des Sc. nat., 2° série, t. XVIII, p. 330 (1842). 276 VOYAGE EN SICILE. substances assimilables arrivent donc à leur destination plus promptement et plus sûrement que si leur transport du centre du corps jusque dans les points les plus éloignés s’effectuait par la seule influence des courants sanguins, et il en faut conclure que, chez ces Mollusques, de même que chez les Nymphons, l’appareil digestif fonctionne comme un appareil d'irrigation organique , aussi bien qu’à la manière d’un appareil d'élaboration chimique pour la préparation des sucs nourriciers. C’est là aussi le résultat auquel M. de Quatrefages est arrivé, à la suite de ses nombreuses observations sur la structure des Éoli- diens ; et c’est pour rappeler cette disposition vasculaire d’un epor- tion de l’appareil digestif, ainsi que les fonctions des ramifications de la cavité alimentaire, qu'il a proposé de désigner ces animaux sous le nom de Mollusques phlébenthérés. I a vu, comme moi, les matières nutritives circuler dans le système gastro-vasculaire , phénomène dont MM. Hancock et Embleton ont été également témoins (1); il a vu aussi que le sang baigne la surface de ces ca- naux rameux de la même manière que ce liquide baigne l'intestin lui-même, et, par conséquent, il a dû penser que c’est par leur in- termédiaire, aussi bien que par l'intermédiaire de la portion cen- trale du système digestif, que le chyle pénètre dans la profondeur de l’économie; que la diffusion des produits de la digestion résul- tant de cette disposition organique ne peut que venir en aide à la circulation lente et incomplète des liquides nourriciers, et que, de la sorte, la nature supplée à l’imperfection du système vasculaire sanguin en faisant concourir aux mêmes fonctions des instruments empruntés à l'appareil digestif. $ 12. Quelle que soit, du reste, la disposition du tube intestinal et de ses dépendances, nous voyons que, chez la plupart de ces animaux, ce tube cesse de communiquer librement et directement avec le système de cavités destinées à contenir le fluide nourri cier, et que ce dernier système ne consiste d’abord que dans l’es- pace au milieu duquel le canal alimentaire se trouve suspendu , et les autres interstices que les divers organes ou les parties consti- tuantes de ces organes laissent entre eux. (1) Annals and Magazine of Natural History, vol. XV, p. 83. MILNE EDWARDS. — SUR LA CIRCULATION. 9277 L'eau, qui, chez les animaux inférieurs surtout, constitue la plus grande portion de la masse du fluide nourricier, arrive direc- tement du dehors dans le système de cavités destinées à suppléer à l'appareil circulatoire, chez les Polypes, les Médusaires, etc. Un des zoologistes les plus distingués de la Belgique, M. Vanbé- neden (1), pense qu'il en est de même chez un grand nombre de Mollusques, et je suis porté à croire que son opinion est fondée. Le pore qui existe à côté de l’anus, chez les Doris, et qui a de- puis longtemps été remarqué par M. Savigny (2), pourrait bien être destiné à livrer passage à de l’eau, dont le mélange avec le sang s’opérerait alors directement , au lieu de s’effectuer , à l’aide de l’absorption, comme cela a lieu chez les animaux supérieurs. Effectivement, en faisant, avec M. Valenciennes, des expériences sur ces mollusques, nous avons vu souvent des liquides colorés, que nous injections dans la cavité abdominale, s’échapper au dehors par cette voie. L’orifice qui se crouve à la face inférieure du pied de divers Gastéropodes pecténibranches, et qui a été décrit par M. Delle Chiaje comme l’entrée d’un système aquifère, semble devoir remplir un rôle analogue, et peut-être faudra-t-il consi- dérer les corps spongieux situés autour des grosses veines chez les Céphalopodes, comme étant des sortes de cribles servant égale- ment à l’admission de l’eau du dehors dans l’intérieur de l’appa- reil circulatoire (3). $ 13. Quoi qu'il en soit de ces communications avec l'extérieur, le système de cavités qui renferme le fluide nourricier, et qui re- présente par conséquent l'appareil circulatoire des animaux supé- rieurs, ne consiste, chez les Mollusques les plus inférieurs, que dans la cavité abdominale ou périgastrique, et dans les autres la- cunes que les divers organes ou les parties constituantes de ces (4) Sur la circulation du sang chez les animaux inférieurs (Comptes-rendus des séances de l'Académie des Sciences, 24 février 1845, p. 517). (2) Voyez les planches du grand ouvrage sur l'Égypte ( Gastéropodes , pl. 4, fig. 14, q, et fig. 44, q). (3) C'est principalement d'après les résultats fournis par quelques expériences faites sur le Poulpe et la S'iche, par M. Valenciennes el moi, que cette opinion est fondée. 278 VOYAGE EN SICILE, organes laissent entre eux. Les Bryozoaires présentent ce mode d'organisation ; et en observant ces animaux sous le microscope, j'ai souvent été témoin des mouvements circulatoires plus ou moins réguliers dont le liquide, ainsi épanché autour du canal digestif, est animé; mouvements dont l’existence a d’ailleurs été constatée depuis longtemps par MM. Dumortier (1), Nord- mann (2). Chez les Insectes, ainsi que chez quelques Crustacés inférieurs, le sang est également répandu dans la cavité viscérale, dans les espaces compris entre les muscles, les nerfs, les téguments, etc., et dans les lacunes, plus petites encore, comprises entre les fibres ou les lamelles constitutives des divers tissus organiques. Ge liquide est caractérisé par la présence de corpuscules ou globules d’une forme particulière, et, dans beaucoup de cas, on.peut facilement s'assurer qu’il circule dans ce système de cavités irrégulières, à peu près comme le sang des Vertébrés circule dans le système vasculaire de ces animaux. J’ai fréquemment observé ce phéno- mène sur des larves de divers Insectes, du Dytisque, de la Libel- lule ou de l’Agrion, par exemple; et à l’aide d’injections, aussi bien que par l'observation directe des courants sanguins, je me suis convaincu de l'absence de vaisseaux destinés à renfermer le liquide nourricier et à le conduire dans les différentes parties de l’économie. À cet égard, je partage tout-à-fait l'opinion de Cuvier et de mon savant ami, M. Léon Dufour ; et la seule différence essen- tielle qui me semble exister entre le système d'irrigation nutri- tive des Insectes et des Mollusques bryozoaires consiste dans la nature de l’agent mécanique dont le jeu détermine le courant cir- culatoire. Chez les premiers, il n'existe aucun organe d’impulsion particulier, et les mouvements du fluide nourricier paraissent dé- pendre de l’action de cils vibratiles garnissant les parois de quel- ques parties du système cavitaire, tandis que, chez les Insectes, (1) Voyez Mémoire sur l'anatomie et la physiologie des Polypiers composés d'eau douce, appelés Lophopodes. (Bull. de l'Acad. des Sc. de Bruxelles, t. II, p. 435.) (2) Voyez Micrographische Beitraege, IX, p. 75, et Observations sur la Faune Pontique, publiées dans le Voyage dans la Russie méridionale, par M. Demidoff, t. IL, p: 724. MILNE EDWARDS. — SUR LA CIRCULATION. 279 ces mêmes courants sont dus aux contractions d’un tube dans l’in- térieur duquel le sang pénètre pour être ensuite lancé dans une direction déterminée. Cette espèce de cœur n’est autre chose que le vaisseau dorsal des Insectes, et l'influence de ses battements sur le cours du sang est facile à reconnaître lorsqu'on étudie des larves dont les téguments sont suffisamment transparents, et dont le sang charrie beaucoup de globules. Dans la classe des Crustacés, de même que chez les Insectes, le sang occupe tous les espaces que les divers organes laissent entre eux et remplit la cavité abdominale, ainsi que les lacunes plus petites situées entre les fibres musculaires, sous la peau, etc. ; mais le cœur, au lieu de s’ouvrir directement dans ce système de cavités communes, comme chez les Insectes, se continue avec un système de tubes particuliers dont les parois sont bien délimitées, et dont la portion périphérique se ramifie dans la substance de tous les organes : ces vaisseaux assurent la distribution régulière et rapide du fluide nourricier jusque dans les parties les plus éloi- gnées du corps , et constituent de la sorte un appareil artériel très remarquable; mais, par leurs dernières ramifications, les vaisseaux centrifuges ainsi formés se continuent et se confondent avec le réseau de lacunes que les fibres ou les lamelles constitu- tives des tissus laissent entre elles, et ces lacunes capillaires com- muniquent à leur tour avec les vides plus considérables situés entre les organes, de facon que le sang, lancé par le cœur dans les ar- tères, etc., et parvenu dans les dernièresramifications de cestubes, s’épanche dans le système lacunaire interstitiaire général, par l'intermédiaire duquel il revient vers le cœur et achève son mou- vement circulatoire. Ainsi, de même que chez les Insectes, le fluide nourricier baigne directement tous les organes et remplit la cavité abdominale , et c’est seulement après avoir traversé l’ap- pareil respiratoire qu’il se trouve de nouveau renfermé dans des vaisseaux à parois propres. Cette circulation semi-vasculaire, semi-lacuneuse, paraît exister aussi chez les Arachnides, et il me semble bien démontré aujour- d’hui que, sous ce rapport, il n’existe aucune différence essentielle entre le grand embranchement des Mollusques et le groupe na- 280 VOYAGE EN SICILE. turel des animaux Articulés. Chez les Mollusques, de même que chez les Crustacés, une portion plus ou moins considérable du cercle parcouru par le sang en mouvement est toujours constituée par leslacunes ou espaces interorganiques ; jamais ce liquide ne se trouve emprisonné, comme on le supposait, dans un système clos et complet de vaisseaux à parois propres ; quelquefois il n'existe, pour une portion considérable du corps, ni artères ni veines, d’au- tres fois les artères portent le sang partout où il y a vie à entre- tenir, mais il n’y a pas de veines pour assurer le retour du fluide nourricier qui s’épanche dans les lacunes comprises entre les di- verses parties solides de l’organisation; d’autres fois encore, l’ap- pareil de la circulation se perfectionne davantage , car il existe des veines aussi bien que des artères dans une portion plus ou moins grande du corps ; mais ces veines ne suffisent jamais pour compléter le cercle que le fluide nourricier doit parcourir, et la cavité abdominale ou péritonéale joue toujours le rôle d’un réser- voir sanguin, aussi bien que d’une chambre viscérale (4). Dans l’embranchement des Vertébrés, il n’en est plus de même. Là, comme chacun le sait, le sang rouge ne s’épanche jamais dans les grandes cavités des corps, et se trouve renfermé dans un système de tubes à parois membraneuses représentant un cercle fermé. Ainsi, à mesure que l’on s’élève des Bryozoaires et des Insectes vers les Mollusques les plus parfaits, et que l’on passe de ces derniers aux Poissons, aux Reptiles et aux Vertébrés à sang chaud, on voit un système de tubes à parois propres se substituer de plus en plus complétement aux simples lacunes, dans lesquels les courants du liquide nourricier s’établissent chez les animaux infé- rieurs. $ 13. Des modifications analogues s’observent dans la constitu- tion des canaux sanguifères, même chez les animaux les plus éle- vés, lorsqu'on examine ces conduits au moment de leur formation. Dans le blastoderme du Poulet, par exemple, le réseau vascu- laire de l’aire veineuse consiste d’abord en un système de lacunes 1) Voyez ci-après mon Mémoire sur la circulation chez les Mollusques. Y P MILNE EDWARDS. — SUR LA CIRCULATION. 281 qui semblent se creuser dans le tissu de ce disque membraneux , et qui communiquent entre elles de la manière la plus irrégulière. Bientôt ces cavités, que l’on peut comparer à un ensemble de lacs de diverses grandeurs, réunis entre eux par des goulets tortueux, se transforment pour ainsi dire en fleuves : elles se canalisent par l'élargissement des détroits primitifs, et le rétrécissement des lacunes les plus vastes ; enfin , et par les progrès du travail gé- nésique , ces canaux ne tardent pas à s’encaisser et à se transfor- mer en vaisseaux proprement dits par le développement d’une membrane tubuleuse tout autour du liquide en mouvement dans leur intérieur. Lorsque, par suite d’un état pathologique de l’économie , des vaisseaux sanguins se développent dans une fausse mem- brane, les choses se passent encore de la même manière : ce n’est pas un vaisseau déjà formé et appartenant aux tissus voisins qui s’allonge et s’avance dans le tissu nouveau , ce sont des espaces irréguliers qui se creusent dans la substance de ce dernier, et qui, après s'être mis en communication avec les par- ties voisines du système vasculaire, se canalisent et se transfor- ment en véritables vaisseaux sanguins. $ 14. Cette substitution de tubes membraneux à la place de simples lacunes peut être expliquée de la manière la plus simple. On sait que toutes les fois que , chez l Homme , un liquide irri- tant, du pus par exemple, se fraie une route entre les organes pour se porter au dehors, la voie qu’il parcourt est d’abord une lacune irrégulière pratiquée dans le tissu cellulaire inter-orga- nique, et communiquant librement avec les méats d’alentour ; mais les observations des pathologistes nous apprennent que, peu à peu, cette lacune s’isole, se transforme en un canal tubulaire, et s’entoure d’une fausse membrane parfaitement distincte des parties voisines. C’est l'influence excitante du courant qui déter- mine la formation de cette tunique anomale , et qui sépare ainsi de l’ensemble du système lacunaire de l’économie une cavité par- ticulière , ayant la forme d’un vaisseau à parois propres. Dans les cas de fistules anciennes , ces canaux accidentels se constituent 282 VOYAGE EN SICILE. presque toujours , et acquièrent souvent une longueur assez con- sidérable. On sait également que lorsque des parties lubrifiées par un liquide frottent souvent l’une contre l’autre , la nature tend à les revêtir d’une membrane qui, après en avoir garni la surface, se continue de l’une à l’autre , de facon à circonscrire la cavité dans laquelle le liquide s’amasse, et à constituer un sac compa- rable aux poches synoviales et séreuses. Ainsi, toutes les fois que des mouvements fréquents s’établis- sent accidentellement entre les parois d’une cavité et un liquide irritant accumulé dans son intérieur , ces parois se régularisent et tendent à se revêtir d’une membrane particulière. Par consé- quent, si l’on admet que, dans l’état normal de l’économie, des causes analogues produisent des effets semblables, on comprendra que , pour déterminer la transformation du système sanguin lacu- naire en un système de vaisseaux à parois propres, il pourra suffire de l’influence excitante du sang en mouvement sur les tissus entre lesquels ces cavités se trouvent pratiquées. Cette vue nous donnera aussi la clef de l’envahissement pro- gressif du cercle circulatoire par les vaisseaux propres, que nous avons remarqué en comparant entre eux les Insectes , les Crusta- cés , les Mollusques, etc. Effectivement, si c’est le sang dont le frottement et l'influence excitante déterminent la formation des parois vasculaires, il est évident que c’est d’abord là où le courant est le plus rapide et le plus puissant, c’est-à-dire dans le voisinage de l’organe d’impul- sion que les lacunes doivent se changer en tubes , et par consé- quent que, dans les ébauches plus ou moins imparfaites de l’appa- reil vasculaire dont les animaux sans vertèbres nous offrent des exemples si variés, les artères doivent se montrer avant les veines ; or , l'anatomie comparée nous apprend qu'il en est tou- jours ainsi. Chez les Crustacés , par exemple, les vaisseaux arté- riels sont d’une grande perfection , tandis que le système veineux n'est constitué que par des lacunes. Les Arachnides manquent aussi de veines proprement dites , quoiqu’elles aient des artères MILNE EDWARDS. — SUR LA CIRCULATION. 283 bien développées , et les Mollusques, comme je l’ai déjà annoncé, offrent d’une manière plus ou moins complète la même dispo- sition. Il est aussi à noter que , lorsque des veines existent aussi bien que des artères, leurs parois sont plus minces et d’un tissu moins serré que celles des tuniques artérielles. Enfin, les canaux artériels eux-mêmes acquièrent quelquefois des parois propres dans le voisinage du cœur , sans qu’ils en aient dans leurs dernières ramifications : ainsi, chez les Mollusques acéphales, les vaisseaux qui portent le sang au manteau sont d’abord bien distincts, mais se résolvent peu à peu en un système capillaire lacuneux; or, on sait que la capacité de l'appareil circulatoire augmente à mesure que les canaux se ramifent de plus en plus, et par conséquent le cours du sang doit se ralentir en passant des gros troncs dans les branches terminales. On comprend également que si l’excitation produite par le contact du sang sur les tissus constitutifs du système lacunaire gé- néral détermine la formation des parois vasculaires, le fluide nour- ricier, qui, par son passage à travers l’organe respiratoire, s’est chargé d'oxygène, peut agir de la sorte plus activement que du sang veineux, et, par conséquent, que lorsque la portion centri- pète du cercle circulatoire tend à se canaliser et à acquérir des parois propres, les conduits branchio-cardiaques ou les veines pulmonaires devront se transformer en tubes avant les cavités veineuses proprement dites , disposition dont les Mollusques, aussi bien que les Crustacés, offrent de nombreux exemples. Ainsi, tout dans l’organisation des animaux inférieurs semble se passer comme si l’hypothèse que je viens d’exposer était l’expres- sion de la vérité et indiquait réellement le mécanisme par lequel la nature perfectionne l'appareil de la circulation. Cette théorie a l'avantage de rattacher les phénomènes pathologiques aux phé- nomènes normaux de la physiologie, et elle nous permet de com- prendre comment des tubes vasculaires et des lacunes peuvent s'unir pour constituer un seul et même cercle sanguifère, et com- ment la transition peut s’opérer entre ces deux espèces de ca- vités, 28h VOYAGE EN SICILE. Il me semble donc que les vaisseaux sanguins à parois propres doivent être considérés comme des lacunes modifiées par le déve- loppement d’un tissu utriculaire ou autre sur les parois qui limi- tent ces cavités, etque, suivant toute probabilité, le développement de ce tissu , disposé en forme de tube rameux , est excité par l’in- fluence du courant sanguin sur les parties organiques d’alentour. $ 15. Quoi qu’il en soit du mécanisme de la formation des vais- seaux proprement dits, nous voyons que, chez les animaux les plus élevés, le sang est renfermé dans un système de tubes membra- neux, tandis que, chez les animaux inférieurs, les tuniques propres de ces canaux disparaissent peu à peu, et que le fluide nourricier s’épanche librement entre les organes. Mais cette différence, dont l'importance est très considérable aux yeux de l’anatomiste, n’est pas aussi fondamentale qu’on pour- rait le supposer de prime abord, et, dans l’un et l’autre cas, la nature intime des voies parcourues par le sang reste la même. Effectivement, chez l'Homme, de même que chez les Mollusques ou les Insectes, les parties solides de l’économie laissent entre elles une multitude d’espaces libres de formes et de dimensions variables , que les anatomistes désignent sous divers noms. Ces lacunes sont remplies par des fluides, et elles communiquent toutes entre elles : seulement, cette communication s'établit tantôt par des solutions de continuité tissulaire tellement larges que l'œil peut en constater l'existence, et que le passage est facile pour toutes les matières contenues dans ce système de cavités ; tandis que d’autres fois ces mêmes voies de communication entre diverses portions du système lacunaire général se rétrécissent au point d'échapper à la vue et d’opposer des obstacles infranchissables au passage de certaines matières, des corpuscules solides ou des liquides visqueux, par exemple, bien qu’elles se laissent encore traverser par d’autres substances dont les molécules sont plus ténues. La clôture de ce système de cavités, par rapport au monde extérieur, de même que l'isolement d’une portion de ce système au milieu de l’économie, n’est jamais absolue; elle est relative seulement à telle ou telle substance, et les parois de ces espèces de vases organiques sont toujours perméables pour certains flui- MILNE EDWARDS. — SUR LA CIRCULATION. 285 des. Les expériences de M. Magendie et de plusieurs autres phy- siologistes sur l’imbibition, ainsi que les recherches de M. Dutro- chet sur l’endosmose, le prouvent surabondamment. Ainsi, lors- qu’une portion du système cavitaire de l’économie s’isole pour constituer l’appareil vasculaire des animaux supérieurs, elle est limitée par des parois comparables à des tamis, ou plutôt à une gaîne de feutre dont les lacunes sont trop étroites pour laisser fil- trer les corpuscules solides du sang, mais suffisent pour livrer passage au sérum ou à d’autres substances plus fluides. Les phé- nomènes d’exhalation et de transsudation qui s’observent pendant la vie, de même que l’épanchement des liquides injectés dans du système vasculaire, chez le cadavre, me semblent établir ce fait d’une manière irrécusable , et s’il fallait en donner de nouvelles preuves, rien ne serait plus aisé. Je citerai, par exemple, les ex- périences faites par MM. Doyen et Quatrefages (1), ainsi que par M. Lambotte (2), qui, en employant des procédés particu- liers, sont parvenus à injecter des canaux en continuité directe avec les vaisseaux sanguins, mais d’un calibre tellement étroit, que les globules du sang ne pouvaient pas y pénétrer. Chez le Chien, ils ont rempli de la sorte des capillaires dont le diamètre ne pouvait être évalué à plus de + ou même = de millimètre, et, dans cet animal, les globules rouges du sang n’ont pas moins de -+- de millimètre. Ainsi la clôture apparente des cavités dans lesquelles le sang se trouve enfermé, chez les animaux supérieurs, ne dépend que d’une certaine disproportion entre les dimensions de la portion du système lacunaire général qui est en communication directe ou plutôt en continuité avec ces cavités et les propriétés mécaniques du sang lui-même : le volume des globules rouges, par exemple. L'intérieur d’un vaisseau sanguin, chez un Mammifère ou chez un Reptile, communique avec les méats du tissu cellulaire d’alen- tour, de même que ces lacunes se continuent avec les canaux lym- (1) Voyez les Comptes-rendus des séances de la Société philomatique , dans le journal L'Institut, t. IX, p. 73. (2) Mémoire sur l'organisation des membranes séreuses. (Voyez L'Institut, t. IX, p. #1:) 286 VOYAGE EN SICILE. phatiques et les grandes cavités viscérales du corps : seulement les lacunes interposées entre ces divers systèmes de cavités sont trop étroites pour que, dans les circonstances ordinaires , le sang puisse les traverser, et elles ne livrent passage qu’au sérum ou à la portion aqueuse de ce liquide chargée de certains principes so- lubles, dont les propriétés chimiques peuvent même se modifier sous l'influence de l'espèce de tamis représenté par le feutrage plus ou moins serré de la tunique vasculaire. Chez les animaux dont les globules du sang ont un volume considérable, cette clôture relative du système vasculaire s'effectue à moins de frais, si je puis m’exprimer ainsi, que chez les ani- maux à petits globules; le feutrage du tissu qui limite ces tubes est moins serré chez les Poissons et les Reptiles que chez les Mammifères et les Oiseaux, et les lacunes dont il est creusé, tout en étant suffisamment étroites pour refuser le passage aux glo- bules du sang, se laissent facilement traverser par des liquides tenant en suspension des corpuscules solides, dont la division a été portée plus loin, tandis que ces mêmes substances, injectées dans les vaisseaux d’an Mammifère , y restent emprisonnées (1). De Rà, l’extravasation si facile des liquides colorés lorsqu'on injecte l’appareil circulatoire d’un Poisson ou d’une Salamandre aqua- tique, sans qu'il y ait aucune rupture de tissus, Je n’examinerai pas dans ce moment si, chez les animaux vertébrés, la totalité du cercle circulatoire est constitué, soit par des vaisseaux à parois propres, soit par des canaux vascu- laires, ou bien si une portion du système capillaire reste à l’état de simples lacunes ou de cavités canalisées, mais non encais- sées dans une tunique propre. Cette question peut être négligée dans la discussion des analogies qui existent entre l’appareil de la circulation des divers änimaux ; car lors même qu’elle serait ré- solue de manière à établir que, dans ce grand embranchement du règne animal , le système vasculaire est bien réellement complet, c’est-à-dire constitué dans tous les points du cercle circulatoire par (1) J'apprends de mon collègue M. Valenciennes qu'en poursuivant ses longues recherches sur l'organisation des Poissons, il a eu souvent, ainsi que moi, l'occa- sion de remarquer ce fait. MILNE EDWARDS. — SUR LA CIRCULATION. 287 dés tubes à parois propres, il n’en serait pas moins évident, ce me semble, que le même caractère fondamental se retrouve d’une part dans l’ensemble de cavités formé par ce système, par les méats du tissu cellulaire et par les vaisseaux lymphatiques, et d’autre part dansle réseau de lacunes qui, chez les animaux inférieurs, tient lieu de tous ces appareils. Les modifications que nous offre le système cavitaire général, considéré dans les divers types zoologiques, ne sont même que des conséquences de cette tendance au perfection- nement de l'organisme par la division du travail physiologique, sur laquelle j'ai déjà appelé l'attention. Chez les animaux infé- rieurs, toutes les cavités interorganiques fonctionnent de la même manière et communiquent librement entre elles ; mais lorsqu'on s'élève vers les organismes parfaits, on trouve que les voies par lesquelles le fluide nourricier parcourt le plus facilement l’écono- mie, et qui sont, en quelque sorte, les grandes routes de la circu- lation, se séparent de plus en plus des lacunes d’alentour pour se consacrer plus particulièrement à ce service de transport ; alors elles se régularisent et se constituent en vaisseaux, qui sont les instruments spéciaux de l'irrigation nutritive ; la partie la plus fluide du sang peut seule s'échapper de ces canaux pour se ré- pandre dans les méats circumvasculaires, et cette dernière portion du système de cavité générale a pour fonction spéciale d’être le siége du travail assimilatoire et de servir d’intermédiaire entre les éléments organiques des tissus et leurs vaisseaux nourriciers. En- fin, chez les animaux dont la constitution est plus parfaite encore, cette portion du système lacunaire général, dont le sang rouge est exclu, se subdivise à son tour en deux systèmes secondaires servant, l’une à recevoir et à utiliser le sérum ou plasma sorti des vaisseaux sanguins ; l’autre à reporter dans le cercle circulatoire l’excédant de ce fluide et les substances dont il se charge pendant son séjour dans la profondeur des tissus, c’est-à-dire le système des méats interorganiques du tissu cellulaire d’une part et le sys- tème des canaux lymphatiques de l’autre part. Mais tout en se séparant et en se spécialisant de la sorte, ces trois portions de l’ensemble du système cavitaire restent unies et communiquent plus ou moins librement entre elles. Chez les animaux les plus 285 VOYAGE EN SICILE. élevés, ces communications échappent à l'œil, et c’est seule- ment par les injections les plus délicates et par les résultats dus à leur existence, que cette existence peut être démontrée , tandis que, chez les animaux inférieurs, elles deviennent si manifestes, que, pour les apercevoir, il n’est souvent besoin ni du microscope ni du scalpel. Ainsi le mode de constitution de l'appareil circulatoire que j'ai signalé chez les Mollusques et que je vais faire connaître d’une manière plus complète dans l’article suivant, loin d’être une ano- malie, se trouve en harmonie parfaite avec les tendances géné- rales de la nature ; c’est un des degrés de la série de modifications par lesquelles l’organisation animale se prête à la division crois- sante du travail physiologique ; et la connaissance de la dégra- dation du système vasculaire chez des animaux, tels que le Poulpe ou le Colimacon, dont l’économie atteint, sous d’autres rapports, un haut degré de perfectionnement, loin d’être, comme je l’ai entendu dire autour de moi, un résultat qui, sil était vrai, serait bien fdcheux pour la science, me semble être utile, d’abord comme se rapportant à l'histoire de l’une des grandes fonctions dans tout un embranchement du règne animal, et ensuite comme pouvant contribuer à rectifier certaines opinions erronées tou- chant les principes de la zoologie, et à jeter quelques lumières sur l’un des points les plus disputés de l'anatomie humaine ; savoir, l'existence ou l’absence des vaisseaux séreux. Je ne m'arrêterai pas davantage sur ces considérations géné- rales ; ayant indiqué les rapports qui me paraissent exister entre les principaux modes suivant lesquels la distribution des ma- tières nutritives s’opère dans l’économie chez les divers animaux , je passerai à l’examen de la question particulière dont je me pro- posais de traiter spécialement ici, et j’exposerai les faits sur les- quels reposent les résultats que j'ai annoncé concernant la circu- lation du sang chez les Mollusques. MILNE EDWARDS. — SUR LA CIRCULATION. 289 ARTICLE SECOND. Observations et expériences sur la circulation chez les Mollusques (Lues à l'Académie des Sciences, le 3 février 4845.) Dans un travail que j’ai eu l'honneur de communiquer à l’Aca- démie en 1839 (1), j'ai fait voir que, chez les Mollusques infé- rieurs connus sous les noms d’Ascidies composées et d’Ascidies sociales , une portion considérable du cercle circulatoire parcouru par le sang est composée de vaisseaux tubuleux comparables aux artères et aux veines des animaux supérieurs, mais que dans une autre partie de ce cercle il n’en est pas de même; que là il n'existe plus ni artères ni veines, le liquide nourricier est épanché entre les organes , en baigne directement la surface, et pénètre dans la profondeur des tissus par une sorte d'infiltration. Effectivement , dans l’abdomen de ces Mollusques , le sang, au lieu d’être ren- fermé comme d’ordinaire dans un système clos de canaux à parois propres, circule dans les espaces que les viscères laissent entre eux, et remplit la grande cavité destinée à loger ces or- ganes,. Ce singulier mode de circulation rappelle jusqu’à un certain point ce que M. Audouin et moi avions constaté chez les Crustacés, il y a bientôt vingt ans, mais s’accorde si mal avec les idées gé- néralement recues touchant la structure du système sanguin chez les Mollusques ordinaires , que j'aurais douté de l’exactitude de mes résultats si l'observation des faits avait été moins facile. Mais, en examinant ces animaux lorsqu'ils sont encore pleins de vie, et lorsque la transparence naturelle de leurs tissus n'a pas été alté- rée par les moyens de conservation auxquels on est obligé d'avoir recours dans les musées , on voit le courant sanguin (reconnais- sable aux globules charriés par le liquide) passer de la portion vasculaire du cercle circulatoire dans la cavité abdominale, par- courir celle-ci en divers sens, et s’engager même dans les pro- longements en forme de doigts de gants, dont la partie inférieure du sac péritonéal est souvent garnie. Si l’on se contente de l'étude (1) Observations sur les Ascidies composées des côtes de la Manche (Mémoires d l'Académie des Sciences, t. XVIII). 3° série, Zool. T. IF. (Mai 1845.) 19 290 VOYAGE EN SICILE. de la vie faite sur le cadavre, on peut méconnaître cette disposi- tion remarquable ; mais, pour quiconque a sous les yeux une Claveline vivante et sait voir, le doute me semble impossible. D'ailleurs, si j'avais conservé à cet égard quelque incertitude , elle aurait cessé lorsque j’ai eu l’occasion d’observer à l’état vivant certains Mollusques appartenant à une famille différente , mais à la même classe, les Salpa , qui, à certaines époques de l’année, abondent sur divers points de la Méditerranée , aux environs de Nice par exemple. Au premier abord , cet état d’imperfection de l’appareil circu- latoire dans la classe des Tuniciers ou Mollusques acéphales sans coquilles de Cuvier me paraissait devoir être un caractère propre à ce groupe , et constituer un nouvel exemple de ces dégradations des grands appareils physiologiques , qui s’observent si fréquem- ment dans les rangs inférieurs de chacune des principales séries naturelles du règne animal , sans qu’elles entraînent avec elles la disparition du type fondamental propre à la série ainsi modifiée ; mais en me rappelant une observation déjà ancienne de Cuvier , j'ai pensé que cette circulation semi-vasculaire , semi-lacuneuse, pourrait bien ne pas être un fait isolé dans la physiologie des Mol- lusques. Effectivement, dans son beau Mémoire sur l’Aplysie (4), Cuvier nous apprend que, chez ce Gastéropode, les canaux desti- nés à porter le sang veineux aux branchies ont pour parois des faisceaux musculaires seulement , et que lesespaces compris entre ces faisceaux établissent une communication directe entre les veines caves ou artères branchiales, comme on voudra les appe- ler , et la cavité abdominale ; que, par leur extrémité antérieure, ces gros vaisseaux se confondent même avec la cavité générale du corps, et que les liquides contenus dans celle-ci pénètrent aisé- ment dans le système circulatoire, et réciproquement. « Cette communication , dit Cuvier (2), est si peu d'accord avec » ce que nous connaissons dans les animaux vertébrés, que j'ai » voulu longtemps en douter, et même après l'avoir fait connaître » à l’Institut , il y a quelques années, je n’osai pas d’abord faire » imprimer mon Mémoire, tant je craignais de m'être trompé; (1) Voyez Mémoires pour servir à l'histoire et à l'anatomie des Mollusques. Paris, 4817; et Annales du Muséum, t. IT. (2) Op cit, p 13 MILNE EDWARDS. — SUR LA CIRCULATION. 291 » enfin , je suis obligé de céder à l’évidence ; et, dans ce moment, » où je peux disposer d'autant d’Aplysies qu’il me plaît, je viens » de m’assurer par toutes les voies possibles : » 4° Qu'il n’y a point d’autre vaisseau pour porter le sang aux » branchies que ces deux grands conduits musculaires et percés » que je viens de décrire ; » 2% Que toutes les veines du corps aboutissent médiatement ou » immédiatement dans ces deux grands conduits. » Or, comme leur communication avec la cavité abdominale est » évidente et palpable, qu’on les appelle veines caves, ou cavités » analogues au ventricule droit, ou enfin artères branchiales, car » on voit qu'ils remplissent les fonctions de ces trois organes, il » résulte toujours que les fluides épanchés dans la cavité abdomi- » nale peuvent se mêler directement dans la masse du sang et être portés aux branchies, et que les veines font l'office des vais- seaux absorbants. » Cette vaste communication (ajoute encore Cuvier) est sans » doute un premier acheminement à celle bien plus vaste encore » que la nature à établie dans les Insectes , où il n’y à pas même » de vaisseaux particuliers pour le fluide nourricier. » Le rapport entre la découverte faite par Cuvier en disséquant l’Aplysie, et les résultats auxquels j'étais arrivé en étudiant au microscope les Biphores et les Ascidies est si manifeste que je ne pouvais le méconnaître ; et d’ailleurs l’Aplysie n’est pas le seul Mollusque chez lequel des communications libres avaient été con- statées entre les vaisseaux sanguins et la cavité abdominale. Ainsi MM. Owen (1) et Valenciennes (2) ont trouvé chez le Nautile un nombre considérable de grands orifices qui, de la veine cave, débouchent directement dans cette cavité, et M. Delle Chiaje a observé chez le Poulpe , le Pecten et plusieurs autres Mollusques, une disposition particulière du système circulatoire qui me parais- sait se lier également à une structure analogue à celle dont il vient d’être question. bien que cet anatomiste habile l'ait inter- (1) Voyez Memoir on the Pearly Nautilus, by Richard Owen, in-4. London, 1832. Traduit en français dans les Annales des Sciences naturelles, A"° série, t. XXVIII, 4833 (page 120). (2) Nouvelles recherches sur le Nautile flambé (Archives du Muséum, L. IT p. 287). 292 VOYAGE EN SICILE. prété autrement (1). D’après ces considérations, j'ai été conduit à penser que le système vasculaire des Mollusques en général n’était probablement pas aussi complet qu’on le croit communé- ment , et qu'il serait intéressant d'examiner si le caractère parti- culier que m'avait offert le mode de circulation chez les Tuniciers ne se retrouverait pas , d’une manière plus ou moins marquée, dans tout le grand embranchement des Malacozoaires. Cette question est une de celles dont je me suis occupé pendant mon séjour sur les côtes de la Sicile, et pour la résoudre j’ai eu recours à des expériences physiologiques aussi bien qu’à des ob- servations anatomiques, L'Académie connaît les résultats auxquels ces recherches m'ont conduit. Dans un écrit dont j'ai eu l’honneur de dé- poser un exemplaire sur le bureau, dans là séance du 25 no- vembre dernier, j'ai annoncé que , «chez les Mollusques, même » les plus parfaits, le système des vaisseaux à l’aide desquels le » sang circule dans l’économie est plus ou moins incomplet; de » sorte que, dans certains points du cercle circulatoire , ce liquide » s'épanche dans les grandes cavités du corps ou dans les lacunes » dont la substance des tissus est creusée (2). » J'ai ajouté aussi que, sous ce rapport, la structure de ces animaux se rapproche extrêmement du mode d'organisation que j'avais précédemment constaté chez les Crustacés, où le système veineux général manque tout entier, et se trouve remplacé, quant à ses fonctions , par les espaces irréguliers que les divers organes laissent entre eux. Je comprends facilement la surprise que quelques anatomistes ont pu éprouver en lisant le passage que je viens de citer, et même les doutes qui ont pu s’élever dans leur esprit sur l'exactitude de mes observations, car on se forme d'ordinaire une idée bien dif- férente du système circulatoire des Mollusques. Effectivement , dans les ouvrages les plus récents sur ces matières, on dit que cet appareil est un système de vaisseaux clos dans lequel le sang de tout le corps est enfermé (3), et dans d’autres livres qui , pour avoir (1) Animali invertebrati, t. Let 11. , (2) Rapport adressé à M. le Ministre de l'instructiou publique, sur les résultats d'une mission scientifique en Sicile (Moniteur du 417 novembre 1844, et ci-dessus p 139). (3) Voyez Duvernoy, Additions aux Leçons d'anatomie de Cuvier, t. VE, p. 3 MILNE EDWARDS. — SUR LE CIRCULATION. 293 précédé de plusieurs années les Traités auxquels je viens de faire allusion, n’en sont pas moins considérés, à juste titre, comme faisant toujours autorité dans la science, on décrit les veines comme étant constamment pourvues d’une tunique propre, ct comme venant de toutes les parties du corps se réunir en bran- ches, puis en tronc de plus en plus gros , pour pénétrer ensuite dans l'organe respiratoire ; on rappelle, il est vrai, les orifices signalés par Cuvier dans les veines de l’Aplysie, mais on affirme néanmoins que , chez tous les Malacozoaires, l'appareil de la cir- culation est complet (4). J'ai aussi pendant longtemps partagé cette erreur commune (2); mais aujourd’hui je crois pouvoir démon - trer : 1° Que l'appareil vasculaire n’est complet chez aucun Mol- lusque ; 2° Que, dans une portion plus ou moins considérable du cercle circulatoire , les veines manquent toujours et sont remplacées par des lacunes ou par les grandes cavités du corps ; 3° Que souvent les veines manquent complétement , et qu’alors le sang, distribué dans toutes les parties de l’économie au moyen des artères, ne revient vers la surface respiratoire que par ies interstices dont je viens de parler. A l’appui de ces propositions, je ne rapporterai pas tous les faits de détail qui ont contribué peu à peu à former mon opinion : il me suffira, je crois , de citer un petit nombre d’expériences qui me paraissent être décisives, et qui sont d’ailleurs si faciles à répéter , que tous les anatomistes pourront vérifier l'exactitude de mes observations. J’ai dit que chez les Mollusques le système veineux manque en totalité ou en partie, et que la cavité viscérale tient lieu d’une portion du cercle circulatoire. Pour s’en assurer, il suffit d’in- jecter un peu de lait dans l'abdomen d’un Colimacon vivant. (Paris, 1839). — Owen, Lectures on the Comparative Anatomy and Physioloyy of the invertebrale animals, p. 13. (London, 1843.) (1) Cuvier, Règne animal, &. 1, p. 50, et t. ILL (2° édition, 4829 et 4830). — Meckel, Anatomie comparée, 1. VI, chap. 7. — Blainville, art. Mourusques du Dict. des Sc. nat., t. XXXII, p. 109 (Paris, 4824), et Manuel de Malacologic, p. 130 (Paris, 4825). (2) Voyez mes Éléments de Zoologie, t. 1, p. 50 (2° édition. Paris, 1840) 294 VOYAGE EN SICILE. Ce liquide , dont notre savant collègue M. Duméril s’était déjà servi avec succès pour l’injection du système gastro-vasculaire des Méduses, a l'avantage de n’irriter que peu les tissus avec les- quels il arrive en contact, et d’être, en général, assez facile à reconnaître par son opacité et sa teinte particulière. Quand on l'injecte dans la cavité abdominale du Colimacon , il s’y mêle au sang veineux arrivant des diverses parties du corps, pénètre avec ce liquide dans les vaisseaux afférents du poumon , passe dans les veines pulmonaires, et s’introduit enfin dans le cœur, qui bientôt le chasse dans les artères chaque fois que son ventricule se contracte. Afin de rendre plus palpable cette communication libre entre la cavité abdominale et la portion vasculaire de l'appareil circula- toire , il est bon d'employer de préférence au lait une dissolution de gélatine colorée par un précipité abondant de chromate de plomb, car cette matière pénètre aussi très facilement de la cavité abdominale dans les vaisseaux du poumon et de ceux-ci jusque dans le cœur ; sa couleur jaune crue tranche sur les teintes rom- pues des divers tissus , et la solidification de la gélatine ainsi in- jectée rend permanentes les traces de son passage. Pour bien assurer la réussite de cette expérience, il faut aussi empêcher l’animal de se contracter avec violence , comme cela arrive d’or- dinaire dès qu’un liquide étranger pénètre dans son abdomen.,, et ce résultat s'obtient en déterminant par submersion une asphyxie incomplète ; en effet, le corps du Mollusque est alors étendu comme lorsqu'il rampe sur le sol , mais reste flasque , et ne donne que peu de signés d’irritabilité. J'ai l'honneur de placer sous les yeux de l’Académie quelques unes des préparations obtenues par ce procédé. L’injection a tou- jours été faite en poussant doucement le liquide coloré dans la grande cavité viscérale du corps par une petite ouverture prati- quée sur le dos ou à la base de l’un des tentacules céphaliques du Colimaçon ; les bords de la plaie ont été comprimés , de façon à oblitérer l’orifice des petits vaisseaux divisés par l'instrument tranchant , et dans les autres parties de l’économie on n’a ouvert ni artères ni veines ; cependant les nombreux vaisseaux qui por- tent le sang de tous les organes dans l’appareil respiratoire, et qui forment à la voûte de la cavité pulmonaire un magnifique ré- seau, sont remplis de chromate de plomb, ct l'injection , après MILNE EDWARDS. — SUR LA CIRCULATION. 295 avoir pénétré de la sorte dans le système de la petite circulation ct lavoir traversé tout entier , est arrivé dans l’orcillette du cœur. Pour s’en assurer, il suffit de l’observation à l’œil nu ; mais c’est seulement en s’aidant d’une loupe qu’on pourra voir comment le passage s’est effectué. Ces préparations montrent aussi que les li- quides épanchés dans la cavité abdominale pénètrent immédiate- ment dans les canaux veineux destinés à porter le sang du foie , des ovaires et des autres organes vers l’appareil de la respiration, ainsi que dans les lacunes intermusculaires, qui, dans le pied, tiennent lieu de veines. En un mot, elles font voir que toutes les veines du corps communiquent librement avec la cavité viscérale , que, dans bien des parties de l’économie, de simples lacunes tiennent lieu de veines, et que ce sont aussi des lacunes micro- scopiques creusées dans la substance des tissus qui remplissent les fonctions des vaisseaux capillaires des animaux supérieurs, et qui font communiquer les dernières ramifications des artères avec les racines du système veineux. Je décrirai bientôt avec tous les détails nécessaires la disposition anatomique de cet appareil cir- culatoire semi-vasculaire, semi-interstitiaire ; dans ce moment, je ne pourrais le faire sans m’éloigner trop de l’objet principal de cet écrit, et je me hâte de revenir à la partie physiologique de la question. Les expériences dont je viens de faire mention prouvent que les liquides contenus dans la cavité abdominale du Limaçon, et même les particules solides tenues en suspension dans ces liquides, pénètrent instantanément et sans la moindre difficulté dans les vaisseaux sanguins ; mais elles ne suffisent pas encore pour mon- trer que la cavité viscérale constitue , ainsi que je l’ai dit, une portion du cercle circulatoire parcouru par le fluide nourricier. Effectivement, on m'objecterait, peut-être, que le passage même très rapide d’un liquide de la cavité abdominale dans les veines pourrait résulter d’un phénomène d'absorption, et que rien ne montre encore la libre communication en sens contraire que je suppose exister. Pour lever cette difficulté, j'ai eu recours à une expérience analogue par ses résultats à celles dont je viens de parler, mais exécutée d'une manière différente : au lieu d’injecter les canaux veineux par l'intermédiaire de la cavité abdominale , j'ai poussé 296 VOYAGE EN SICILE. directement dans un de ces canaux veineux le liquide tenant en suspension la poussière jaune , et j'ai vu ce mélange s’épancher de suite dans la cavité viscérale, puis arriver aux poumons comme d'ordinaire. Enfin, comme dernière épreuve , j'ai soumis à l’examen micro- scopique le sang puisé directement dans le ventricule du cœur, ainsi que le liquide épanché dans la cavité abdominale d’un Coli- maçon vivant, et je n'ai pu apercevoir aucune différence entre ces deux fluides ; l’un et l’autre charriaient des globules en apparence identiques , et paraissaient avoir la même densité ; j'en ai conclu que c’est du sang qui se trouve dans la cavité viscérale aussi bien que dans les cavités du cœur. Aïnsi chez le Limacon le liquide nourricier , distribué dans toutes les parties de l’économie par les tubes rameux dont se com- pose le système artériel, revient soit par des veines, soit par des lacunes seulement , vers la cavité viscérale , s’épanche dans cette cavité, baigne le tube digestif, et pénètre ensuite dans d’autres canaux destinés à le mettre en contact avec l’air, et à le porter jusque dans le cœur aortique. 1! en est de même pour tous les Mollusques gastéropodes chez lesquels j’ai examiné, par des moyens analogues, la manière dont le sang circule ; et si je cite de préférence le Limacon, c’est seule- ment parce que cet animal est si commun dans nos campagnes et même sur nos marchés, que quiconque voudra répéter mes ex- périences pourra le faire sans retard. Ce n’est même pas sur ce Mollusque que j'ai d’abord constaté les faits dont je viens d’avoir l'honneur d'entretenir l’Académie; c’est sur le grand Triton de la Méditerranée que j'ai fait mes premières expériences , et je dé- pose sur le bureau une figure que j’ai dessinée à Milazzo , et qui montre non seulement une portion considérable du système vei- neux, rempli par du bleu de Prusse injecté dans la cavité abdo- minale, mais aussi les grands orifices béants par lesquels ces vais- seau débouchent dans cette même cavité. Pendant mon séjour sur les côtes de la Sicile, j'ai également étudié l'appareil circulatoire de l’Aplysie, Mollusque chez lequel la communication entre le système sanguin et la cavité abdomi- nale avait été si bien constatée par Cuvier , mais avait été consi- dérée par cet anatomiste célèbre comme une anomalie des plus MILNE EDWARDS, — SUR LA CIRCULATION. 207 singulières (4). Quelques doutes sur l'exactitude de ces observa- tions avaient été émis par Meckel (2) et par Carus (3); mais M. Delle Chiaje (4), dont tous les zoologistes connaissent et appré- cient les grands travaux, a montré que Cuvier ne s'était pas trompé, et il a fait voir que le sinus criblé décrit par celui-ci communique avec un système lacuneux sous-cutané. Cependant l'appareil vasculaire de l’Aplysie ne me semblait pas être suffisam- ment connu , car M. Delle Chiaje lui-même déclare que la circu- lation veineuse chez ce Mollusque est encore pour lui un phéno- mène inexplicable (5). En injectant, sur des Aplysies vivantes, des liquides colorés dans diverses parties du cercle circulatoire, je me suis bientôt con- vaincu de l'entière exactitude des faits avancés par Cuvier; j'ai vu, comme M. Delle Chiaje l’avait vu avant moi, que ce n’est point par l’intermédiaire de vaisseaux que le sang arrive aux bran- chies; c’est une grande lacune semi-circulaire comprise entre les faisceaux musculaires , les brides celluleuses et les téguments du manteau qui remplit ici les fonctions d’une veine cave ; et, par ses extrémités antérieures, cette lacune communique librement avec la cavité viscérale. Le sang veineux y arrive en partie par d’autres lacunes sous-cutanées , situées le long de ce canal dé- pourvu de parois propres; mais la plus grande partie du liquide nourricier y pénètre par les orifices terminaux dont je viens de parler, et provient par conséquent de la cavité abdominale. J’ai vu, de plus, que cette grande chambre viscérale n’est point ta- pissée par une membrane péritonéale continue, mais par une tu- nique celluleuse, criblée d’une multitude de trous irréguliers, ou plutôt par une couche membraniforme, composée de brides cellu- leuses, entrecroisées en divers sens, et placées sur plusieurs plans, (1) « Sa structure, dit Cuvier en parlant de la veine cave ou artère branchiale, » est même peut-être le fait le plus extraordinaire que la physiologie des Mol- » lusques m'ait encore offert. » Op. cit., p. 13. (2) Meckel, Anatomie comparée, trad. de Schuster, t. IX, p. 174. (3) Anatomie comparée, trad. de Jourdan, t. II, p. 309. (4) Memorie sugli animali senza vertebre del regno di Napoli, t. 1, p. 63: Descrizione e nolomia degli animali invertebrati della Sicilia citeriore, t. I, p. 73 (5) « La cireulazione venosa della Aplysie e stata finora un problema, ed en- cora per me d'impossibile soluzione, » Descrisione e Notomia, tom. IF, p. 7t Naples, 1841. 298 VOYAGE EN SICILE. de facon à laisser entre elles des lacunes en communication les unes avec les autres. Ces trous irréguliers, dont les parois de la cavité abdominale sont percées, communiquent à leur tour avec un vaste système de lacunes formées par l’entre-croisement des rubans musculaires du pied et du manteau; enfin ces espaces intermusculaires se continuent sans interruption avec le réseau lacuneux sous-cutané, découvert par M. Delle Chiaje; et c’est ce vaste ensemble de lacunes qui tient lieu de veines, vaisseaux dont les Aplysies sont complétement dépourvues, En effet, le sang distribué aux organes par un système de tubes artériels très déve- loppé se répand dans toutes ces lacunes , et parvient de la sorte dans la cavité abdominale qui fait ici l’office d’un vaste réservoir, et transmet le liquide nourricier à l’appareil respiratoire , qui, à son tour, l'envoie au cœur, chargé de le chasser dans les artères. Pour s’en convaincre, il suffit de pousser un liquide coloré dans le canal afférent dela branchie, car on voit de suite l'injection pé- nétrer dans toutes ces lacunes, soit directement, soit par l’inter- médiaire de la cavité abdominale , et en injectant le liquide dans les espaces intermusculaires d’une partie quelconque du corps, on peut le faire avancer en sens inverse, et le faire par- venir jusque dans les vaisseaux de la branchie, En variant de diverses manières ces expériences, faites toutes sur des animaux vivants, et en disséquant avec une grande atten- tion les différentes parties de l’appareil circulatoire de l’Aplysie, j'ai vu toujours ce résultat se confirmer, et j’ai compris aussi pour- quoi la circulation veineuse était restée, dans l'opinion de M. Delle Chiaje, une question insoluble. En eflet, je me suis assuré que l’appareil aquifère décrit par ce savant, et considéré par lui et par quelques autres anatomistes comme un complément de l’organe respiratoire, n’est autre chose qu’une portion du vaste système lacunaire qui, dans le corps de l’Aplysie, tient lieu de veines (1). Il n'existe pas, ainsi que le soupçonne l’habile anatomiste de Naples, des orifices destinés à l'établissement d’une communi- (1) On voit par le passage suivant que M. Van Beneden était arrivé également à ce résultat. « Après des recherches minutieuses sur les organes de la circula- tion dans les Aplysies (dit ce zoologiste), je crois avoir reconnu une véritable fa- sion avec le système aquifère de Delle Chiaje. » Comptes-rendus des séances de l'Acad. des Sc., 1835, 1. [, p. 230.) MILNE EDWARDS. — SUR LA CIRCULATION, 299 cation directe entre ces lacunes ou la cavité abdominale et l’exté- rieur ; et si de l’eau s’y introduit quelquefois en quantité considé- rable, c’est seulement par l'effet d’un phénomène d’endesmose. La turgescence qu’on observe souvent chez les Aplysies est une conséquence de l'absorption veineuse, et non pas de l’introduction directe de l’eau du dehors, à l’aide de canaux débouchant à la sur- face du corps. Les injections du système lacunaire, et même la simple insufflation de ces cavités veineuses, prouvent suffisamment qu'il n'y a pas d’orifices semblables ; et, d’un autre côté, si l’on tient compte des expériences de notre savant collègue, M. Ma- gendie, relatives aux lois de l’absorption veineuse chez les ani- maux supérieurs, on peut facilement se rendre compte de l'intro duction rapide d’une quantité considérable d’eau dans l’intérieur du corps, par la seule force endosmotique, lorsque l’affaiblisse- ment de l’irritabilité musculaire détermine une diminution corres- pondante dans la pression à laquelle les liquides de l’économie se trouvent d'ordinaire soumis. Or, c’est précisément dans des cir- constances de nature à produire ce relâchement dans les parois des cavités sanguines que la turgescence du Mollusque se déclare. J’ajouterai aussi que j'ai observé des phénomènes tout-à-fait ana- logues chez les Limaçons, et ces Mollusques étant destinés à vivre toujours à l’air, il serait difficile de croire que la nature les aurait pourvus d’un appareil aquifère dont les fonctions ne pourraient commencer que dans le cas très rare où l'animal se noie. Je n’hésite donc pas à dire qué c’est une portion du système veineux interstitiaire de l’Aplysie qui a été décrite par M. Delle Chiaje comme étant un appareil aquifère comparable, jusqu’à un certain point, aux trachées aérifères des Insectes. En faisant des recherches analogues sur le grand Triton de la Méditerranée , j'ai acquis la conviction que ce sont aussi des canaux veineux que cet anatomisle a pris pour un système aquifère chez ce Mollusque (1): et si, comme je le pense, il en est de même pour les autres Gasté- ropodes, il n’y aurait plus de difficulté pour faire concorder les nombreuses et intéressantes observations de M. Delle Chiaje, sur (1) Descrizione di un nuovo apparato di canaliaquosi scoperto negli animali in- vertebrati marini delle Due-Siciie. (Memorie sulla storia e notomia degli animal senzu vertebre del regno di Napoli, t. M, p. 259.) — Instituzioni di Anatomia © Fisiologia comparativa, t. , p.279. (Naples, 1832.) 300 VOYAGE EN SICILE. . l'appareil circulatoire de ces animaux, avec les résultats que je viens de faire connaître. Effectivement, cet anatomiste a vu que, dans un nombre considérable de Mollusques gastéropodes , les veines sont remplacées, dans certaines parties du corps, par un réseau de simples lacunes, et viennent déboucher dans un grand réservoir qu'il considère comme un sinus veineux ; or, ce sinus n’est autre chose que la cavité abdominale elle-même ou un pro- longement de cette cavité au milieu des faisceaux musculaires du manteau, et c'est également avec elle que communiquent les pré- tendues trachées aquifères. Ainsi la circulation semi-vasculaire, semi-lacuneuse, que j'avais signalée chez les Tuniciers, et que je viens de constater chez le Colimacon, le Triton, l’Haliotide, etc., est probablement com- mune à tous les Mollusques gastéropodes. Là, de même que chez les Crustacés, la portion veineuse de l’appareil vasculaire man- querait toujours plus ou moins complétement, et le sang épanché dans les interstices que les divers organes laissent entre eux se rassemblerait dans la cavité abdominale avant que de se rendre à l'appareil respiratoire. Il en est encore de même dans la classe des Mollusques acé- phales. Les expériences que j'ai faites sur le grand Jambonneau de la Méditerranée ou Pinne marine, sur la Mactre et sur l’Huître commune, le montrent suffisamment : seulement, dans ces ani- maux, les viscères ne flottant pas dans la chambre abdominale, mais s’entremêlant d’une manière intime aux muscles du pied et aux brides sous-cutanées de la portion correspondante des tégu- ments communs, ce sont de petites lacunes qui tiennent lieu du grand réservoir veineux représenté par la cavité viscérale des Gastéropodes. Du reste, ces espaces interviscéraux communiquent librement avec les méats qui, dans le pied de la Mactre, résultent de l’entre-croisement des bandes charnues, et, en poussant une injection colorée dans ces lacunes intermusculaires, on peut faire passer le liquide coloré jusque dans les vaisseaux des branchies et dans les canaux veineux du manteau. Mais, dans le manteau, de même que dans le pied, il ne paraît pas y avoir de veines pro- prement dites, ou, en d’autres mots, des tubes à parois propres servant à porter le sang des tissus que ce liquide a nourris, vers le cœur ou vers l'organe spécial de la respiration. C’est un sys- MILNE EDWARDS, — SUR LA CIRCULATION. 301 tème de simples lacunes qui fait les fonctions du réseau formé par les vaisseaux capillaires chez les animaux supérieurs, et ces la- cunes, presque microscopiques , débouchent dans d’autres méats qui, par leur disposition, ressemblent beaucoup à des veines pro- prement dites, mais sont dépourvus de parois indépendantes des parties voisines. Je reviendrai dans une autre occasion sur l’histoire anatomique et physiologique de ce système veineux lacunaire du manteau des Mollusques acéphales, et, en ce moment, j’ajouterai seulement que les liquides colorés y arrivent facilement lorsqu'on injecte l’animal par les artères aussi bien que par les interstices de la cavité abdominale. Il est aussi à noter que M. Delle Chiaje a vu ce réseau lacuneux dans le Pecten, et en a donné une très belle figure ; mais j'ignore s’il considère ces méats comme appartenant au système veineux ou à son système aquifère, car le texte explicatif de la planche relative à ce Mollusque n’a pas encore été publié (1). Ainsi, chez les Acéphales lamellibranches , de même que chez les Acéphales sans coquilles ou Tuniciers, et chez les Gastéro- podes, l’appareil vasculaire est incomplet , et une portion plus ou moins considérable du système veineux est représentée par de sim- ples lacunes dans lesquelles le sang est épanché entre les organes. (4) Voyez Descrizione e notomia degli animali invertebrati della Sicilia bite riore, t. IT, tab. 78. (Au premier abord, on pourrait croire qu'il s’est glissé quel- que erreur dans la citation que je viens de faire, car chacun des cinq volumes de ce nouvel ouvrage de M. Delle Chiaje porte sur le titre la date de 48414 ; mais cela paraît tenir à ce que l'auteur commence l'impression de son ouvrage par le titre, tandis qu'en France on a l'habitude de terminer par ce feuillet qui alors sert à constater le millésime de la publication. En effet, la santé de M. Delle Chiaje ne lui ayant pas permis de poursuivre l'impression de son livre avec toute son activité accoutumée , le troisième et le cinquième volume étaient inachevés lors de mon passage à Naples en juillet 4844, et le sont probablement encore à l'heure qu'il est. Le troisième volume s'arrête à la page 44 pour reprendre à la page 69, et s'interrompt de nouveau page 440 ; quant au cinquième volume, il s'arrêtait à la page 68. Il est aussi à noter que parmi les planches destinées à former l’atlas de cet ouvrage intéressant, il y en a plusieurs qui ne sont encore qu’esquissées, bien que les cuivres portent le millésime de 4841, ou quelque autre date plus ou moins reculée. Cette circonstance serait à noter, si dans la suite on s'occupait de l'histo- rique des découvertes faites depuis vingt ans sur l'organisation des animaux sans vertèbres, découvertes dont un grand nombre appartient incontestablement à M. Delle Chiaje.) 302 VOYAGE EN SICILE. Au premier abord, on pourrait croire que les Mollusques su- périeurs dont se compose la classe des Céphalopodes font excep- tion à cette règle, et possèdent un appareil vasculaire complet, c’est-à-dire un système circulatoire dont toutes les parties sont constituées par des tubes à parois propres. En effet, Cuvier, dans.son grand travail sur l'anatomie du Poulpe, a fait connaître un système vasculaire veineux, aussi bien qu’un système artériel, et ces veines sont bien des tubes à parois propres, comme le sont les veines des animaux supérieurs. Monro (1) et Hunter (2) ont décrit les veines du Calmar et de la Seiche, et M. Delle Chiaje a représenté ces vaisseaux avec beau- coup plus d’exactitude qu’on ne l’avait fait jusqu'alors; enfin, on connaît aussi les principales veines du Nautile, et, par conséquent, on peut, en généralisant ces faits particuliers, dire que, dans la classe des Céphalopodes, il existe toujours un système veineux vasculaire très développé. MM. Owen et Valenciennes ont, il est vrai, constaté l'existence d’un nombre considérable de grands orifices à l’aide desquels la cavité de la veine principale du Nau- tile communique librement avec la cavité péritonéale; mais on pourrait ne voir dans cette disposition que les derniers vestiges du mode d’organisation que j'ai trouvé chez tous les Mollusques inférieurs, et on pourrait penser que le cercle circulatoire des Cé- phalopodes est formé tout entier par des tubes, lôrs même que ces vaisseaux à parois membraneuses seraient perforés dans quelques points, de facon à ne pas emprisonner complétement le sang dans leur intérieur, du moins après la mort de l’animal; car quelques anatomistes ont supposé que, pendant la vie, ces pertuis ne sont pas béants. Mais il n’en est pas ainsi; et je puis facilement prouver que, chez les Céphalopodes, de même que chez les autres Mollusques, la cavité viscérale sert d’intermédiaire entre diverses parties de l'appareil vasculaire, et constitue réellement une portion du cercle circulatoire parcouru par le sang. En effet, le sinus veineux découvert récemment par M. Delle (1) The Structure and Physiology of Fishes explained and compared. Edinburgh, 1785. (2) Voyez Descriptive and illustrated catalogue of the Hunterian museum, pu blished by M. R. Owen, vol. IL. MILNE EDWARDS. — SUR LA CIRCULATION, 303 Chiaje dans le Poulpe n’est autre chose, ainsi que je le démontrerai facilement, que la cavité viscérale de cet animal (1), et je me suis assuré de la manière la plus positive : 1° Que des injections, même très grossières, poussées dans la cavité où flottent l’estomac, le jabot, l’œsophage, l’artère aorte, les glandes salivaires et la masse charnue de la bouche, après avoir baigné la surface de tous ces organes, pénètrent dans les veines des autres parties du corps, traversent les cœurs pulmo- naires et vont remplir les vaisseaux capillaires des branchies; 9% Que les veines profondes des bras, les veines des yeux et celles des parties charnues voisines débouchent dans cette cavité viscérale, soit directement , soit par l'intermédiaire d’une grande lacune ou sinus situé au fond de chaque orbite, et que le sang veineux, pour se rendre des veines dont il vient d’être question dans les cœurs pulmonaires, traverse toujours la cavité viscérale. 3° Que cette dernière cavité communique aussi directement avec la partie postérieure de la grande veine cave par deux vaisseaux d’un calibre considérable. Dans un autre Mémoire, je présenterai une description détaillée de ces diverses parties de l'appareil circulatoire du Poulpe; au- jourd’hui, je me bornerai à placer sous les yeux de l’Académie quelques dessins représentant le système veineux injecté par l’in- termédiaire de la grande cavité viscérale, qui elle-même est dis- tendue par le liquide coloré, dont les veines sont remplies. Dans le Calmar commun, il existe aussi une portion du système circulatoire qui , au lieu d’être formée par des vaisseaux , se com- pose uniquement de lacunes et d’une cavité servant en même temps de chambre viscérale et de sinus veineux : seulement, cette (1) ne faut pas confondre la cavité viscérale du Poulpe avec la chambre bran- chiale, ni avec les grandes poches membraneuses qui longent les troncs veineux dont les parois sont garnies des corps spongieux décrits par Cuvier. Ces poches, qui occupent presque toute la portion postérieure du corps, communiquent direc. tement avec la chambre respiratoire par deux orifices, et reçoivent dans leur in- térieur l’eau dont cette chambre est remplie; mais il n'y a aucune communication entre ces poches et la grande cavité viscérale qui s'étend depuis la bouche jus- qu'en arrière de l'estomac. L'intestin n'est pas libre comme l’est l’œsophage ou l'estomac, et c’est l'adhérence de sa surface avec la paroi interne de la tunique viscérale commune qui empêche le sang veineux de le baigner, comme cela a lieu chez les Gastéropodes 304 VOYAGE EN SICILE, cavité est beaucoup moins vaste que chez le Poulpe, et ne dépasse guère la partie céphalique du corps. Cette modification s’explique, du reste, très facilement, car ici l'estomac et l’œsophage, au lieu d’être suspendus dans une cavité abdominale, comme chez le Poulpe, adhèrent intimement à la tunique viscérale commune, de facon que la cavité elle-même est oblitérée dans toute sa portion postérieure, et ne persiste que là où elle loge l’extrémité antérieure de l’æsophage et la masse buccale, et là. elle remplit, comme d'ordinaire, les fonctions d’un sinus veineux : aussi sufit-il d’in- jecter un liquide coloré dans la cavité viscérale, réduite ainsi à sa portion céphalique, pour remplir aussitôt les veines de toutes les parties du corps. La préparation déposée sur le bureau a été faite de la sorte; l'injection bleue poussée dans la cavité contenant la portion antérieure du canal digestif a passé de la grande veine cave dans les veines du manteau, des viscères et des bras , a rem- pli les cœurs pulmonaires, etest arrivée jusque dans les branchies. Les faits dont je viens d’entretenir l’Académie me semblent être assez nombreux et assez variés pour autoriser les conclusions que j'ai rappelées au commencement de ce Mémoire. Le Poulpe et le Calmar, parmi les Céphalopodes ; le Colimacon, le Triton, l’Haliotide et l’Aplysie dans la classe des Gastéropodes; la Mactre, la Pinne et l’Huître, dans la grande division des Acé- phales; enfin les Biphores et les Ascidies sociales et composées, dans le groupe des Tuniciers, m'ont offert, fous, un appareil cir- culatoire plus ou moins incomplet, dans lequel les veines man- quent en totalité ou en partie, et sont remplacées , là où elles manquent, par la cavité viscérale elle-même, et par d’autres es- paces libres que les organes intérieurs ou les matériaux constitu- tifs des tissus laissent entre eux. D’un autre côté, il n’est aucun Mollusque qui m’ait offert un système clos de vaisseaux sanguins, et les observations recueillies avant que l’attention des zoologistes fût éveillée sur ce point, ne fournissent aucun argument solide en faveur de l'existence d’un appareil vasculaire complet dans une espèce quelconque appartenant à ce grand embranchement du règne animal. La disposition du système circulatoire que j’ai rencontrée partout où j'ai eu l’occasion de l’étudier, ne peut donc être, à mes yeux, un mode d'organisation exceptionnel chez les Mollusques, et il me semble, au contraire, légitime de conclure MILNE EDWARDS. — SUR LA CIRCULATION. 305 que, chez tous les animaux conformés d’après le même plan gé- néral que le Poulpe, le Calmar, le Limacon, le Triton, l’Aplysie, l’'Haliotide, l'Huître, la Mactre, la Pinne, les Biphores et les As- cidies, cette fonction doit offrir d’une manière plus ou moins mar- quée le même caractère. Nous voyons, il est vrai, le système de cavités destinées à contenir et à distribuer le fluide nourricier se perfectionner progressivement et se revêtir de parois tubulaires dans une portion de plus en plus considérable du cercle circula- toire, à mesure que l’on s’élève des Molluscoïdes les plus infé- rieurs jusqu'aux Céphalopodes. En effet, chez les Bryozoaires, qui sont les représentants les plus dégradés du type des Malacozoaires, il n’existe aucune trace ni de cœur, ni d’artères, ni de veines, et, ainsi que je m'en suis assuré maintes fois, le liquide qui tient lieu de sang est contenu dans la grande cavité viscérale au milieu de laquelle flottent les organes de la digestion. Chez les Mollus- coïdes tuniciers , il existe déjà un cœur et un système de tubes sanguifères dans la portion branchiale de l’économie ; mais il n’y a ni artères ni veines dans la portion viscérale ou abdominale du corps. Chez l’Huître, la Mactre et l’Aplysie, le système artériel se complète, mais il ne paraît y avoir nulle part, si ce n’est dans les branchies, un lacis de véritables vaisseaux pour remplir les fonctions du réseau capillaire, et il n’y a pas encore de veines pour ramener le sang des divers organes vers l’appareil de la res- piration. Chez le Triton et le Colimacon, nous avons reconnu un degré de plus dans le perfectionnement du système circulatoire, car les veines commencent à se constituer sous la forme de tubes membraneux dans certaines parties de l’économie, bien qu’elles manquent encore, et sont remplacées par de simples lacunes dans le système musculaire et dans l’espace compris entre les principaux viscères et l'organe respiratoire. Chez le Poulpe, la portion vascu- laire du système veineux se développe davantage; enfin, chez le Calmar, il n’y a de grandes lacunes faisant office de veines qu'au- tour de la portion antérieure du tube digestif, et, dans tout le reste du cercle circulatoire, le sang est renfermé dans des tubes dont les parois sont indépendantes des organes voisins. D’après cette progression, on concevrait facilement la possi- bilité d’un degré de plus dans le développement vasculaire, per- 3° série. Zooz. T. IL ( Mai 1845.) 20 306 VOYAGE EN SICILE. fectionnement qui amènerait d’une manière complète la transfor- mation de toutes les lacunes sanguifères en tubes fermés, et qui rendrait, sous ce rapport, le système circulatoire d’un Mollusque semblable à l'appareil vasculaire des animaux vertébrés. Mais il y a tout lieu de croire que cela n’a jamais lieu, car le Poulpe et le Calmar sont les représentants les plus élevés du type propre à l'embranchement des Malacozoaires, et puisque, chez ces Mol- lusques, les plus parfaits de tous, la cavité viscérale tient encore lieu d’une portion du système veineux, il n’est pas probable qu'un appareil vasculaire complet se rencontrera ailleurs. Du reste, lors même qu'il en serait ainsi, cela ne changerait que peu la portée des faits dont il vient d’être question, car le mode de circulation semi-lacuneuse sur lequel j'ai appelé l’attention de l’Académie n’en demeurerait pas moins un des caractères dominants dans le type malacologique. Il serait inutile, ce me semble, d’insister ici sur l'influence qu'une pareille organisation doit exercer sur le mécanisme de quelques autres fonctions, telles que l'absorption, soit générale, soit chyleuse, et les mouvements érectiles; car il suffit de savoir que le sang baigne directement la surface externe d’une portion plus ou moins considérable du canal digestif, pour comprendre aussitôt comment les matières alimentaires liquéfiées par l’action des sucs gastriques ou intestinaux peuvent se mêler rapidement au fluide nourricier, sans qu’il y ait ni veines ni vaisseaux chyli- fères pour les y conduire. Il suffit aussi d’un instant de réflexion sur le rôle qu’un liquide répandu dans un vaste système de lacunes extensibles et contractiles peut jouer dans le mécanisme des mou- vements de l’animal, pour voir également que cette disposition anatomique doit être la cause des phénomènes d’érection que nous offrent souvent le pied des Acéphales ou les tentacules des Gasté- ropodes. Je ne m’arrêterai donc pas sur ces considérations ; mais il serait bon, peut-être, d'examiner jusqu’à quel point les faits fournis par l'étude de la circulation chez les Mollusques peuvent venir en aide à la physiologie des animaux supérieurs , relative- ment à la question de la nature intime et du mode de formation des vaisseaux sanguins en général. Aujourd'hui, je ne pourrais aborder une discussion de ce genre sans abuser de l’attention que l’Académie a bien voulu me prèter, mais j'y reviendrai lorsque MILNE EDWARDS. — SUR LA CIRCULATION. 307 j'aurai fait connaître mes nouvelles recherches sur la circulation chez les Crustacés. Quant à la description anatomique de l’appareil de la circula- tion chez les divers Mollusques qui font l’objet de ce Mémoire, je me propose également d’en traiter prochainement avec tous les détails que ce sujet comporte. (La suite à un prochain cahier.) NOUVELLES OBSERVATIONS SUR LA CONSTITUTION DE L'APPAREIL CIRCULATOIRE CHEZ LES MOLLUSQUES ; Par MM. MILNE EDWARDS et VALENCIENNES. « (Lues à l'Académie des Sciences, le 47 mars 1845.) Jusqu'en ces derniers temps, les zoologistes pensaient que la circulation du sang s’opère, chez les Mollusques, dans un système vasculaire complet, le liquide nourricier, après avoir été distribué dans toutes les parties de l’économie à l’aide des artères , reve- nant à l'organe respiratoire, puis au cœur, par l'intermédiaire de tubes à parois membraneuses, semblables aux veines des animaux vertébrés. Mais l’Académie se rappelle peut-être que des obser- vations publiées récemment par l’un de nous (1) tendent à établir que cette opinion est erronée, et que, chez les Mollusques, ainsi que chez les Crustacés, une portion considérable du cercle cireu- latoire est constituée uniquement par les lacunes ou espaces de formes irrégulières que les divers organes laissent entre eux. Il a été constaté, en effet, que, chez un certain nombre de Mollusques appartenant à la classe des Céphalopodes et à celle des Gastéro- podes , ainsi que chez divers Acéphales et Tuniciers, les canaux qui remplissent les fonctions de veines débouchent en totalité ou en partie dans la grande cavité abdominale, de sorte que, chez ces animaux, le sang baigne directement les principaux viscères, et qu’en injectant dans l'abdomen un liquide quelconque, on in- jecte aussitôt le reste du système veineux. Mais on pouvait douter (1) Voyez le Rapport de M. Milne Edwards, inséré dans le Moniteur du 17 no- vembre 1844, et les Annales des Sciences naturelles, 3° série, &. HE, p 129. 308 MILNE EDWARDS ET VALENCIENNES. encore de la généralité de cet état imparfait de l'appareil de la circulation dans le vaste embranchement des Mollusques ; et pour établir solidement ce résultat, il fallait étudier la marche du sang dans un plus grand nombre de types variés. Désirant, l’un et l’autre, former notre opinion à ce sujet, nous nous sommes réunis pour exécuter en commun une série‘d’expé- riences et de dissections. Nos recherches ont porté d’abord sur des Mollusques que nos correspondants nous envoyaient à l’état vivant de divers points du littoral; mais bientôt nous avons pu “tendre davantage le champ de nos investigations, car nous nous sommes assurés que ces animaux se laissent parfaitement bien in- jecter après qu’ils ont séjourné pendant fort longtemps dans des liquides conservateurs convenablement préparés , et l’un de nous (1), chargé de l’enseignement de la malacologie au Muséum, s'étant appliqué depuis plusieurs années à former une collection des animaux, dont on se contentait jadis d’étudier la coquille seu- lement, et étant arrivé ainsi à des résultats très considérables, il nous a été facile de varier beaucoup nos observations, et de les multiplier autant que cela nous a paru nécessaire. Les préparations que nous avons faites ainsi sont au nombre de plus de cinquante, et nous avons l’honneur de placer une ving- taine de ces pièces sous les yeux de l’Académie. La plupart d’entre elles sont d’un assez grand volume pour être faciles à examiner sans le secours de la loupe, et les résultats qu’elles fournissent sont tellement nets et palpables, qu’il nous semble inutile d’entrer dans beaucoup de détails relativement aux conclusions qu’il fau- dra en tirer. Sur le Poulpe et le Calmar, nous avons constaté de nouveau les faits déjà signalés par l’un de nous, et, pour injecter le premier de ces Mollusques, nous nous sommes servis tantôt de gélatine, tantôt du mélange de suif et de cire que l’on emploie à des usages analogues, dans les amphithéâtres d'anatomie humaine, pour l’in- jection des plus gros vaisseaux ; en poussant ces substances dans la cavité péritonéale, nous les avons vues passer directement dans les veines et arriver aux cœurs pulmonaires. En opérant de la même manière sur d’autres Céphalopodes ap- partenant aux genres Élédon, Argonaute, Seiche et Sépiode, nous (1) M. Valenciennes. SUR LA CIRCULATION CHEZ LES MOLLUSQUES. 309 avons obtenu le même résultat. Dans ces expériences, l’injection a toujours été faite par l'extrémité antérieure de la grande cavité viscérale, c’est-à-dire dans l’espace compris entre la masse char- nue de la bouche et la base des tentacules; le liquide coloré à rempli aussitôt le reste de la chambre viscérale et a pénétré dans les divers canaux veineux qui sont en communication directe avec cette cavité; de ces canaux l'injection est arrivée dans les cœurs pulmonaires , et, dans la plupart des cas, est parvenue jusque dans les branchies. Les préparations déposées sur le bureau ont été faites de la sorte, et, sur quelques unes d’elles, nous avons mis à nu les grands canaux par lesquels la cavité viscérale ou pé- ritonéale, comme on voudra l’appeler, se continue directement avec les grosses veines destinées à porter le sang aux deux cœurs pulmonaires. Ces communications sont surtout faciles à voir dans nos préparations de l’Argonaute et de l'Élédon. Ainsi, ce n’est plus dans deux genres de Céphalopodes seule- ment que l’appareil de la circulation présente ce caractère remar- quable de dégradation ; à cet égard, les Seiches, les Sépiodes , les Élédons et les Argonautes ne diffèrent pas des Poulpes et des Calmars, et, en rapprochant ces faits nouveaux des résultats ob- tenus plus anciennement par M. Owen et par l’un de nous en étu- diant l'anatomie du Nautile, on peut dire aujourd’hui, sans ré- serves aucunes, que, dans la classe la plus élevée de embranche- ment des Mollusques, le sang ne se meut pas dans un système de vaisseaux fermés ; que, chez les Céphalopodes, la portion vei- neuse du cercle circulatoire est toujours incomplète, et que, chez tous ces animaux, le fluide nourricier épanché dans la cavité vis- cérale baigne directement une portion plus ou moins considérable de la surface péritonéale du canal digestif. Dans la classe des Gastéropodes, nous avons pu multiplier da- vantage nos recherches. Après avoir répété sur les Colimacons et les Aplysies les expériences déjà faites par l’un de nous (1), et en avoir obtenu des résultats analogues à ceux que nous ont fournis les Céphalopodes, nous avons injecté de la même manière le Buc- cin ondé (Buccinum undatum, Lam.), dont nous avions recu un grand nombre d'individus vivants, grâce à l’obligeance de M. Bov- chard-Chatereaux , médecin à Boulogne-sur-Mer; le liquide co - (1) Vovez ci-dessus 310 MILNE EDWARDS ET VALENCIENNES. loré, introduit dans la cavité abdominale de ce Mollusque , s’est répandu aussitôt dans le système lacunaire du pied et des organes extérieurs de la génération, a pénétré dans les veines du man- teau, et a rempli un système de vaisseaux qui prend naissance dans l'organe urinaire, mais qui recoit la plus grande partie du sang venant du foie, des ovaires ou du testicule et des téguments du tortillon, et qui, ainsi que l’un de nous (1) l’avait déjà constaté chez le grand Triton de la Méditerranée (Triton nodiferum, Lam), constitue un appareil analogue au système de la veine porte rénale chez les Reptiles et les Poissons. Chez le Buccin, de même que chez le Triton, il est facile de s’assurer que le passage du liquide nourricier de l’intérieur des vaisseaux sanguins dans la grande ca- vité viscérale, et de cette cavité dans les canaux afférents aux or- ganes de la respiration, n’est pas un phénomène d’exhalation et d'absorption; ce n’est point par les capillaires que la communi- cation s'établit entre le système veineux et cette cavité, mais par des canaux qui ont souvent un diamètre de 1 ou 2 millimètres et qui s’abouchent directement avec elle. Les préparations déposées sur le bureau montrent ces commu- nications directes, et font voir aussi combien est développé, dans certaines parties du corps, dans la glande urinaire, par exemple, le système veineux dont les principaux troncs s'ouvrent directe- ment dans la cavité abdominale, Dans les genres Dolabelle et Notarche, nous avons trouvé l’ap- pareil circulatoire tout aussi incomplet que chez les Aplysies. Les veines paraissent manquer entièrement, ct les fonctions de ces vaisseaux sont remplies par un vaste système de lacunes répan- dues dans toutes les parties du corps, et en communication avec la cavité viscérale qui, à son tour, communique directement avec les canaux par lesquels le sang arrive dans les organes de la res- piration. Dans une de nos préparations de l’appareil circulatoire chez les Dolabelles, le grand conduit afférent à la branchie a été ouvert ainsi que l’abdomen, et cette pièce fait voir combien esl large l’orifice par lequel ce conduit prend naissance dans la cavilé viscérale. En disséquant ces parties, nous avons eu soin d’exa- miner s’il n'existerait pas quelques valvules destinées à clore mo- mentanément les ouvertures par lesquelles la cavité de l'abdomen (1) M. Milne Edwards SUR LA CIRCULATION CHEZ LES MOLLUSQUES. ol communique avec le canal veineux de la branchie, et il nous a été facile de voir qu'aucune disposition de ce genre n'existe, de sorte que le passage est toujours ouvert. La communication libre entre les vaisseaux branchiaux et la ca- vité destinée à loger les viscères , ainsi que la continuité de cette dernière cavité avec le système lacunaire du pied, des lèvres, du manteau, etc,, sont également démontrées par les injections que nous avons faites sur un grand nombre de Mollusques gasté- ropodes appartenant aux genres Pleurobranche, Doris, Polycère, Tritonie, Scyllée, Oscabrion, Oscabrine (1), et en injectant éga- lement dans la cavité abdominale des Patelles , des Ombrelles, des Ampullaires, des Turbos, nous avons vu le liquide coloré pénétrer immédiatement dans d’autres parties du système veineux. Nous ajouterons aussi que, dans l’Onchidie, l'injection passe éga- lement de la cavité viscérale dans le lacis vasculaire du poumon. Quant aux Éolides et aux genres voisins de ces Nudibranches, nous nous abstenons d’en parler pour le moment, car il existe, comme on le sait, des divergences d’opinions relativement à la manière dont la circulation s’effectue chez ces animaux. M. de Quatrefages avait annoncé que les Éolidiens sont dépourvus de veines, et que le sang, pour revenir des diverses parties du corps vers le cœur, traverse des lacunes et la cavité abdominale elle- même ; M. Souleyet, au contraire, assure que, chez ces Gastéro- podes, l’appareil de la circulation est complet, et qu’il est même facile d'isoler les veines qui se portent des organes intérieurs vers les branchies. Une commission, dont nous faisons partie, aura à se prononcer sur cette question, et, ne voulant pas nous séparer de nos collègues dans l’appréciation des faits dont l’Académie nous a renvoyé l'examen, on comprendra les motifs de notre ré- serve actuelle. Laissant donc de côté tout ce qui est relatif aux Éolides, nous ne tirerons ici de nos propres recherches aucune conclusion ab- solue relativement à la disposition générale de l'appareil cireula- toire dans la classe des Gastéropodes , et nous nous bornerons à dire que, si l'on peut juger de l’organisation de ce groupe naturel d’après la structure anatomique de vingt genres différents pris au (1) Genré nouveau, voisin des Oscabrions et des Oscabrelles de Lamarck, établi dans la collection du Muséum 312 MILNE EDWARDS EL VALENCIENNES. hasard dans les divers ordres des Pulmonés, des Nudibranches, des Tectibranches, des Pectinibranches, des Scutibranches et des Cyclobranches , il faudra admettre que, chez les Gastéropodes, de même que chez les Céphalopodes, l'appareil vasculaire est in- complet, les veines manquent plus ou moins entièrement, et les canaux ou les lacunes destinés à porter le sang des diverses par- ties du corps vers les organes de la respiration communiquent librement, en totalité ou en partie, avec la grande cavité au mi- lieu de laquelle flottent le tube digestif et les principaux ganglions du système nerveux. Les préparations que nous avons l'honneur de placer sous les yeux de l’Académie montrent ces communications entre la cavité abdominale et le système sanguin dans les genres Onchidie, Doris, Polycère, Tritonie, Scyllée, Aplysie, Dolabelle, Notarche, Am- pullaire, Buccin, Patelle, Oscabrion et Oscabrine. D'après cette masse de faits, il nous à paru inutile de chercher aujourd’hui, dans la classe des Acéphales à coquilles, de nom- breux exemples de cette dégradation de l'appareil circulatoire que l’un de nous avait déjà constaté chez la Pinne marine, la Mactre et l'Huître, ni de multiplier davantage les observations faites pré- cédemment sur la circulation semi-vasculaire et semi-cavitaire chez les Actphales sans coquilles ou Tuniciers. Nous ajouterons, cependant, que tous les Acéphales dont nous avons examiné le système veineux nous ont offert ce mode d'organisation, et nous citerons comme exemples nouveaux les Bucardes, les Vénus et les Solens. Mais il est, dans l’embranchement des Mollusques, une qua- trième classe, celle des Ptéropodes, qui, jusqu'ici, n'avait pas élé étudiée sous ce point de vue, et, pour compléter la série de nos observations, il devenait intéressant de soumettre quelques uns de ces animaux à des expériences analogues à celles dont nous venons d'entretenir l’Académie. Le défaut d'animaux suflisam- ment frais, ainsi que la petitesse de la plupart des Ptéropodes. ont été d’abord de grands obstacles; mais nous sommes parvenus à injecter deux Pneumodermes, et chez ces deux animaux, nous avons vu le liquide coloré passer de la cavité viscérale dans les vaisseaux des branchies qui sont réunis en étoile à extrémité postérieure du corps. SUR LA CIRCULATION CUEZ LES MOLLUSQUES. 313 Ainsi, quelle que soit la classe et quel que soit le genre ou l’es- pèce sur laquelle nous avons étudié le mode de circulation däns le grand embranchement des Mollusques, toujours le résultat a été le même. Partout nous avons trouvé l’appareil vasculaire plus ou moins incomplet; partout nous avons vu une portion plus ou moins considérable du système veineux, constituée par des la- cunes seulement , et partout aussi nous avons constaté l’existence de communications libres et directes entre ce système et la grande cavité viscérale. Aujourd’hui que ce résultat est bien établi, on retrouvera peut-être dans les archives de la science beaucoup d'observations qui auraient pu mettre les zoologistes sur la voie de la vérité; mais la signification de ces faits n’avait pas été saisie, et, pour en donner des preuves, il suffit de rappeler la ma- nière nette et positive dont les naturalistes les plus éminents se sont prononcés sur ce point. Cuvier, par exemple, dont l’autorité est, aux yeux de chacun de nous, la plus grande que l’on puisse citer lorsqu'il s’agit d'anatomie comparée; Cuvier, qui avait dé- couvert la disposition si remarquable des canaux afférents à la branchie dans l’Aplysie, disait formellement que « la classe en- » tière des Mollusques jouit d’une circulation aussi complète qu’au- » cun animal vertébré (1). » Il supposait que les orifices, dont il avait constaté l’existence dans les gros canaux veineux des Aply- sies, étaient des bouches seulement absorbantes, et cette opinion a été partagée par les auteurs qui, plus récemment, ont écrit sur le même sujet (2). C’est aussi par des phénomènes d’exhalation ou de perspiration et d'absorption ordinaire qu’on a cherché à ex- pliquer la présence du sang dans la cavité abdominale de la Li- mace et le passage du liquide de cette grande lacune dans les (1) Leçons d'anatomie comparée, première édition , t. IV, p. 406, et seconde édition, t. VI, p. 386. (2) « Nous rappellerons encore ici ces parties centrales de l'arbre dépurateur » qui, dans l'Aplysie, sont percées d'ouvertures très sensibles dans la portion » qui traverse la cavité viscérale , ouvertures qui permettent l'absorption par le » tronc ou la souche de l'arbre nutritif. Cependant on peut dire que, dans ce type, » le système vasculaire sanguin est complet, que les deux arbres nutritif et dé- » purateur sont liés par un réseau capillaire, et que le fluide ne s'épanche point » dans les lacunes ; il reste enfermé et circule dans l'ensemble de ses réservoirs , » qui forment encore ici un système de vaisseaux clos. » (Duvernoy, Additions aux Leçons d'anatomie comparée, par Cuvier, t. VI, p 538. Paris, 1839.) ol MILNE EDWARDS ET VALENCIENNES. vaisseaux du poumon. Mais nos préparations prouvent que la cir- culation, chez les Mollusques, ne se fait pas de la sorte. Ce n'est point par les radicules ou dernières divisions capillaires des veines que la cavité abdominale communique avec le reste du cercle cir- culatoire, ainsi que le pensait un zoologiste dont les observations ont été communiquées dernièrement à l’Académie (1). Ce sont, au contraire, les troncs veineux ou les grosses lacunes servant aux mêmes usages, qui débouchent directement dans la cavité viscé- rale. Ainsi, dans le Buccin ondé, animal dont le corps tout entier n’est guère plus gros qu'un œuf de poule, on voit des canaux veineux , dont le diamètre est de plus de 4 millimètre, se terminer brusquement par un orifice béant dès qu'ils arrivent dans cette cavité; et, chez le Poulpe, l’Argonaute et les autres Mollusques les plus élevés en organisation, on voit que les communications entre la cavité péritonéale et les grandes veines chargées de porter le sang aux cœurs pulmonaires, sont établies au moyen de canaux dont les dimensions ont souvent jusqu’à 1 centimètre de diamètre. Il est, du reste, toujours facile de se convaincre que le passage du sang de la cavité viscérale dans le système vasculaire n’est pas un phénomène de filtration analogue à l’absorption par imbibition chez les animaux vertébrés, car ce ne sont pas seulement les fluides qui pénètrent ainsi dans les vaisseaux; le suif, tenant en suspen- sion des poudres grossières, passe avec la même facilité, et dans plusieurs expériences, c'est avec du plâtre gâché que ces injec- tions ont été faites. Ainsi tout concourt à montrer l'existence d’une circulation semi- vasculaire, semi-lacunaire chez les Mollusques , aussi bien que chez les Crustacés et les Arachnides, et si l’on voulait exprimer par une formule générale tous les faits de cet ordre déjà consla- tés, on pourrait dire que, chez tous les animaux à sang blanc, les liquides nourriciers ne sont pas renfermés dans un appareil vascu- (1) « La physiologie des Limaces rouges offre une particularité physiologique extrêmement curieuse , et que je ne sache pas que l'on ait encore signalée. Le sang, après avoir franchi les capillaires qui terminent les artères, est, au moins en grande partie, perspiré par eux, el s'épanche dans la cavité viscérale; puis ensuile ce fluide se trouve absorbé par les extrémités des veines, et il rentre de nouveau dans le système vasculaire. » (Pouchet, Recherches sur les Mollusques, p. 13. Rouen, 1812) s OWEN. — SUR LA CIRCULATION CHEZ LES MOLLUSQUES. 819 laire clos, mais circulent plus ou moins rapidement dans un sys- tème de cavités constitué en totalité ou en partie par les lacunes que les divers organes laissent entre eux. LETTRE SUR L'APPAREIL DE LA CIRCULATION CHEZ LES MOLLUSQUES DE LA CLASSE DES BRACHIOPODES ; Adressée à M. Milne Edwards par M. R, OWEN, En continuant les recherches sur l’anatomie des Brachiopodes dont j'ai entretenu la Société zoologique en 1833 , j'ai constaté, dans la partie centrale de l’appareil circulatoire de ces animaux . un mode d'organisation qui , au premier abord, me semblait être une anomalie remarquable ; mais depuis que j’ai lu, dans les Comptes-rendus des séances de l’Académie , votre important tra- vail sur l’état diffus du système veineux dans les autres classes de lembranchement des Mollusques , je vois que cette exception ap- parente rentre, au contraire, dans la règle commune, et que le mode de structure propre aux Brachiopodes constitue un nouveau terme dans cette série de modifications par lesquelles l'appareil vasculaire , ainsi que vous l’avez si bien démontré, se dégrade dans cette grande division du règne animal. Cuvier avait constaté , il y a déjà longtemps , que, chez les Lingules, il existe deux cœurs ventriculaires indépendants l’un de l’autre, et ce fait anatomique a peut-être contribué à délerminer quelques classificateurs à placer les Brachiopodes en tête du groupe des Mollusques acéphales. Au premier abord , on pourrait penser que la présence de deux oreillettes distinctes fixées chacune au ventricule correspondant est une nouvelle preuve de la supé- riorité organique de ces animaux ; mais j'ai montré ailleurs que, d’après la loi des répétitions non coordonnées (1), une pareille multiplication des oreillettes et des ventricules tend plutôt à mon- trer l’infériorité des Brachiopodes par rapport aux Bivalves la- mellibranches , car les deux cœurs séparés de la Lingule et des (1) Voyez Lectures on Invertebrata, in-8. Londres, 1843, p. 365.—Je me plais a reconnaître ici les services que M. Goodby m'a rendus, par ses dissections délicates de la Térébratule et d'autres Mollusques. Les préparations qu'il à faites sont conservées dans la collection du Collége des Chirurgiens. 316 owEx. SUR LA CIRCULATION CHEZ LES MOLLUSQUES. Térébratules ne font que répéter le même acte des deux côtés du corps, et ne remplissent pas (comme le font les deux ventricules et les deux oreillettes d’un Mammifère) des rôles différents coor- donnés de facon à se compléter mutuellement et à constituer par leur ensemble une fonction complexe. Dans le Terebratula flavescens (pl. 4, fig. 10 et 11, n,n). chacune des oreillettes est un réservoir dont la capacité est assez considérable , et dont les parois, destructure musculaire, offrent, dans l’état de contraction, un grand nombre de plis très fins disposés d’une manière radiaire. La forme de ces organes est alors celle d’un cône oblong et déprimé ; par leur sommet, cha- cun adhère au ventricule correspondant, et se trouve percé par lorifice auriculo-ventriculaire ; enfin, par leur base, ils sont largement ouverts, et communiquent ainsi directement et librement avec la cavité viscérale ou péritonéale; ou, si l’on aime mieux, avec un grand sinus veineux de forme irrégulière , qui renferme le canal intestinal, et se continue entre les lobes du foie et les masses glandulaires dont se compose la première portion de l’ap- pareil de la génération. Des prolongements de ce sinus viscéral commun s’avancent sous la forme de vaisseaux dans l’épaisseur des lobes du manteau ; en en compte deux sur le lobe paléal supé- rieur ou dorsal, et quatre sur le lobe inférieur ou ventral , et c’est le long de ces canaux veineux que se développent les cellules spermatiques chez le màle et les œufs chez la femelle ; de sorte que les produits du travail reproducteur sont baignés par le sang dans l’intérieur de ces dépendances des réservoirs péritonéaux ou grands sinus veineux, comme la première portion de l’appareil reproducteur l’est dans cette cavité elle-même. Si l’on dissèque la Térébratule du côté dorsal, et qu'après avoir enlevé la valve im- perforée et le lobe correspondant du manteau, on incise la paroi membraneuse de la cavité viscérale ou péritonéale (z,z), on apercoit de suite les deux oreillettes (n,n) situées en arrière de l'estomac et s'étendant de chaque côté jusqu’à l’origine de l’in- testin. Cette préparation suflit aussi pour mettre à découvert les grands orifices basilaires par lesquels le sang doit arriver dans les cœurs. La membrane délicate qui adhère aux bords de ces orifices, el qui se continue sur les parties voisines de la cavité viscérale, est identique en structure avec la tunique dont sont OWEN. — SUR LA CIRCULATION CHEZ LES MOLLUSQUES. 317 tapissées les parois membraneuses, mais plus résistantes, de cette dernière cavité, et on peut la considérer comme un péri- toine ou comme l’analogue de la tunique interne d’une veine ou sinus veineux qui serait dilatée à la manière de la membrane péritonale proprement dite. Dans la figure représentant une Térébratule disséquée et vue de profil, une portion de cette membrane recouvre encore en partie le grand orifice de l'oreillette (fig. 9, n). Il est aussi à noter quelles parois froncées de l'oreillette paraissent être très extensibles, et qu’en les observant au Microscope on y distingue deux couches musculaires , l’une extérieure très délicate et composée de fibres transverses , l’autre interne formée de fibres longitudinales en- core plus fines, et disposées de facon à rayonner du sommet de l'organe vers sa circonférence. D’après ce mode de structure, il est probable que, lorsque le fluide nourricier se trouve accu mulé dans le grand sinus viscéral , une sorte de succion l'appelle dans les oreillettes, et que les contractions successives des fibres transverses de ces dernières cavités le poussent ensuite dans les ventricules. Le sang expulsé du cœur est envoyé en majeure par- tie dans les artères du manteau (1), et revient par le système de larges canaux veineux qui représentent les veines palléales ou sinus ovariens ; de là ce liquide passe dans la cavité encore plus grande et plus diffuse qui constitue le sinus viscéral , et qui est analogue à ce que vous avez décrit chez les Lamellibranches, plus élevés en organisation , et chez les Mollusques gastéropodes. J'ajouterai ici que le canal alimentaire du Terebratula fla- vescens ressemble, par sa brièveté, sa simplicité et sa disposition générale, à celle des trois espèces décrites dans mon précédent Mémoire (T. chilensis, T. psittacea et T. Sowerbii). L'œsophage s’infléchit vers la valve perforée , vis-à-vis de laquelle la bouche s'ouvre en se dirigeant en bas et un peu en arrière. La base des deux bras réunis forme au-dessus de cet orifice une bordure transversale frangée, ainsi que je l’ai noté dans mes Lecons sur les animaux invertébrés (2); mais par la dissection, on voit que cette bande passe réellement sur la face inférieure ou ventrale du (1) L'une de ces artères a été figurée dans les planches de mon précédent Mémoire (voyez Ann. des Sc. nat., 2° série, &. IE, pl. 4, fig 44, 3) (2) Op cit, p. 277 (1843) 518 OWEN. — SUR LA CIRCULATION CHEZ LES MOLLUSQUES. pharynx, et y adhère intimement (1). L’œsophage, qui est très court, se porte de la bouche en haut et en avant vers la valve dor- sale (ou valve imperforée), et ensuite se dilate en un estomac qui se recourbe en bas et en arrière, et qui est plus large que celui de la Lingule. Les follicules hépatiques (g,q) ne sont en rela- tion qu'avec cette portion du tube digestif (2), et le Pylore est un orifice bien défini et subvalvulaire. L’intestin court et presque droit se dirige en bas vers la valve perforée en inclinant un peu en arrière et du côté droit, puis s'ouvre dans l’espace palléal au point w (fig. 9). Dans cette figure , on voit aussi, immédiatement au-devant de l'intestin , le muscle postérieur du côté droit (ce), et plus en avant une portion de l’origine du muscle antérieur de la valve perforée (k), dont le tendon se montre en »’ près de la charnière : enfin, la gaîne cornée du pédoncule se distingue en g’ à travers la membrane délicate, qui revêt l’appareil tendineux fixé dans ce pédoncule. Dans la figure 8 représentant l'anatomie du Lingula anatina . on voit les deux oreillettes en n,n; les artères qui se rendent au manteau et aux lobes sont représentées en a,a, et la bouche est située immédiatement au-dessus de la large base musculaire con- fluente (k) des bras frangés (1,2). L'estomac s’élargit en passant à travers la forte paroi antérieure de la cavité viscérale (5,5), et est entouré par le foie, qui , dans cette préparation , a été enlevé. Les masses glandulaires qui entourent l’intestin, et qui occupent la partie postérieure de l’abdomen, appartiennent à l'ovaire ou au testicule suivant le sexe de l'individu; mais , ainsi que je l’ai dit dans mon premier Mémoire (3), il n’existe point de glandes sali- vaires, ni aucun organe glandulaire en communication avec le (1) Une portion de cette bande se voit dans la fig. X, k; le premier tour ou le grand tour externe du bras frangé droit, qui se voit en k,k, dans la fig. X, a été enlevé dans la préparation représentée fig. IX, de façon que le tour de spire ter- minal se voit en k dans cette dernière, et on y remarque en m le canal creusé dans la tige musculaire de cette partie, canal qui est probablement aussi un sinus veineux. (2) Aucune portion de l'intestin n'est recouverte par le foie, ni en connexion avec cel organe, comme on pourrait le croire d'après la phrase suivante : « In- teslins courts, enveloppés par un foie petit et verdâtre. » (Lamarck, Anim. sans verl., édition de 4838, t. VII, p. 319.) (3) Zoo!. Trans., vol. 1, p. 137: et Ann. des Sc nat., 2° série, L IE, p. 72 OWEN. — SUR LA CIRCULATION GQUEZ LES MOLLUSQUES, 319 tube digestif, excepté les follicules biliaires développés autour de la petite dilatation gastrique. Les masses glandulaires ayant été enlevées, on voit aussi les restes de la membrane délicate des sinus (s,s) qui entourent le canal alimentaire, et qui, suivant toute probabilité, recoivent de celui-ci le fluide nourricier analogue au chyle , lequel, sans l’in- termédiaire de vaisseaux chylifères , va directement se mêler au sang contenu dans les sinus. Ces sinus, à leur tour, se conti- nuent avec toutes les lacunes que les viscères abdominaux lais- sent entre eux, et en dernier résultat le liquide passe de là dans les cœurs par les larges orifices abdominaux des oreillettes, qui, à leur tour, envoient le sang dans les ventricules, d’où il est poussé, comme chez les Térébratules, dans les vaisseaux du man- teau et de l'appareil respiratoire. Pour en revenir aux Térébratules, j’ajouterai encore quelques mots relatifs à la manière dont j'envisage les rapports de position des parties molles et de la coquille. Dans le T'erebratula flaves- cens , le pharynx est entouré d’un collier nerveux simple, et les principaux nerfs naissent de petits renflements situés aux angles du côté de ce collier qui avoisine la base transversale des bras frangés. Or, si le tube alimentaire était redressé par le tiraille- ment de la bouche et du pharynx en avant, cette base transver- sale des bras , et les points d’origine des nerfs analogues qui nais- sent ordinairement des ganglions sous-æsophagiens chez les Mollusques plus élevés en organisation, seraient situés du côté de la grande valve perforée. Je considère par conséquent cette valve comme étant la valve inférieure ou ventrale , et la position du cœur vient à l’appui de cette opinion, puisque ce viscère se trouve plus près de la petite valve ou valve dorsale que ne l’est l'intestin (1). Jadis, j'ai décrit l'intestin comme se terminant du côté droit de la masse viscérale (2) chez les Térébratules aussi bien que chez les Orbicules. Je persiste encore dans cette manière (1) Dans la nouvelle édition de l'Hist. des anim. sans vert., t. VIT, p. 324, il est dit que « le ventre correspond à la petite valve , et le dos est contenu dans la grande, toujours percée à son sommet. » (2) Zoo. Trans., vol. 1, p. 152 et 156. — Ann. des Sc. nat., 2° série, t IT, p. 72 320 OWEN. — SUR LA CIRCULATION CHEZ LES MOLLUSQUES. de voir ; mais , dans l’Orbicule, la valve dorsale et imperforée est la plus grande et la plus convexe. De tous les Mollusques , ce sont les Brachiopodes dont la dis- persion sur la surface du globe à été portée le plus loin; on les trouve à des profondeurs où les bivalves ordinaires ne descendent pas, et la famille naturelle formée par ces animaux n’est pas moins remarquable sous le rapport de sa persistance dans la suite des temps ; car, parmi les habitants actuels de notre planète, les Té- rébratules sont les représentants d’un des types zoologiques les plus anciens de la création. Tout ce qui est relatif à des animaux dont le mode d'organisation à été si bien calculé pour s’accommo- der des variations les plus grandes dans les conditions d’existence que détermine la distribution géographique des animaux et pour résister à l'influence du temps, «ce grand destructeur des choses, » doit avoir de l’importance aux yeux du naturaliste philosophe, et les observations que je vous communique aujourd’hui me sem- blent devoir offrir aussi pour vous un intérêt particulier, car elles fournissent un nouvel exemple de cet état diffus du système vei- neux qui constitue. ainsi que le prouvent vos découvertes ré- centes, un des caractères généraux de l’embranchement des Mollusques tout entier. Cette découverte estla plus importante que l’on ait faite de nos jours sur l’organisation de ces animaux , et je dois vous féliciter d’en être l’auteur. EXPLICATION DES FIGURES. PLANCHE A. Fig. VIIL. Croquis représentant l'anatomie du Lingula anatina, grossi. Fig. IX. Anatomie du Terebratula flavescens, vu de profil. Fig. X. Le même, vu du côté dorsal. 321 RECHERCHES FAITES PENDANT UN VOYAGE EN SICILE. OBSERVATIONS SUR LE SYSTEME NERVEUX DES MOLLUSQUES ACÉPHALES TESTACES OU LAMELLIBRANCHES ; Par M ÉMILE BLANCHARD. (Présentées à l'Académie des Sciences, le 44 février 4845.) Pendant un voyage que je fis l’année dernière avec M. Milne Edwards sur les côtes de la Sicile, mon attention se dirigea sur les Mollusques acéphales et gastéropodes, qu'on trouve en assez grand nombre dans cette partie du littoral de la Méditerranée. Je consacrai une portion de mon temps à des recherches sur l’orga- nisation de ces animaux. Le système nerveux n'ayant pas, dans la plupart de ces Mol- lusques , été étudié d’une manière complète, mes investigations portèrent plus particulièrement sur cet appareil. Je me suis atta- ché à constater les différences et les ressemblances qui existent d’un type à l’autre, en ne négligeant point de remarquer avec quelle particularité dans l’organisation coïncide un système ner- veux plus ou moins complet. Jusque dans ce dernier temps , le système nerveux des animaux de cette classe demeura en grande partie inconnu ; mais , depuis peu d’années, il a été l’objet d’études sérieuses. Aujourd’hui, les zoologistes et les anatomistes en connaissent au moins les parties principales, dans près d’une vingtaine de Mollusques acéphales appartenant à divers genres. Poli, dans son grand ouvrage sur les Mollusques des Deux- Siciles (4), publié il y a déjà plus d’un demi-siècle, fut le premier qui commença à faire connaître l’organisation des Acéphales testacés. Dans cet ouvrage , certainement très remarquable, sur- tout si l’on se reporte à l’époque de sa publication, des portions du (4) Pol, Testacea utriusque Siciliæ, 4791-4795 3* série. Zoor. T. HE (Juin 1845 ) 21 322 VOYAGE EN SICILE. système nerveux ont été représentées dans plusieurs espèces, principalement chez les Arches , les Pinnes, les Pholades, les Solens (1). On le sait, Poli s’est mépris complétement sur la nature de cet appareil ; les nerfs furent considérés par ce naturaliste comme des vaisseaux lymphatiques, et les ganglions comme leurs réservoirs. Ayant remarqué que ces nerfs pouvaient être injectés, il jugea d’après cela que ce ne pouvait être autre chose que des vaisseaux, et, dès lors, il crut que les Mollusques acéphales étaient privés d’un système nerveux. Néanmoins, malgré cette grave erreur, ce savant eût rendu encore sur ce point un véritable service à la zoologie, aussi bien qu’à l'anatomie comparée, s’il avait vu au moins toutes les parties principales de cet appareil ; mais, en général, il n’en représenta que les ganglions postérieurs, et dans quelques uns seulement les ganglions cérébroïdes. L'existence des ganglions abdominaux ou pédieux lui échappa constamment. Ces fragments de système nerveux ne peuvent donner une idée des particularités propres à chaque type ; il est facile de s’en convaincre en lisant les Lecons d'anatomie comparée de Cuvier (2). Cet illustre zoologiste paraît avoir peu étudié par lui-même l’organisation des Mollusques acéphales ; il s’en rapporte à ce qui a été dit avant lui, principalement par Poli. Au sujet du système nerveux de ces animaux , il s'exprime ainsi : « Dans tous les Acéphales testacés, depuis l’Huître jusqu’à la » Pholade et au Taret , il ne présente aucune différence essen- » tielle ; il est toujours formé de deux ganglions, un sur la bouche » représentant le cerveau , et un autre vers la partie opposée. Ges » deux ganglions sont réunis par deux longs cordons nerveux qui (1) Voyez surtout pl. vu, fig. 4, Pholas dactylus ; —pl. 1x, fig. 16, Mya pic- torum,; — pl. x, fig. 45, Solen siliqua ; — pl. x1, fig. 4, id. — pl. xin, fig. 6, Solen strigillatus ; — pl. xx, fig. 5, Venus chione; — pl. xxv, fig. 1, Arva noæ; — pl. xxxu, fig. 48, Mytilus hirundo ; — pl. xxxvr, fig. 4, Pinna. (2) Cuvier, Leçons d'anatomie comparée, recueillies par M. Duméril, t. IT, p. 309. An vin (4799) E. BLANCHARD. — SYSTÈME NERVEUX DES MOLLUSQUES. 29% » tiennent lieu de collier ordinaire, puisque le pied, lorsqu'il » existe, et toujours l’estomac et le foie, passent dans l’inter- » valle de ces cordons. T'ous les nerfs naissent des deux ganglions » dont nous parlons. » Ainsi Cuvier n’en connaissait, comme on le voit, qu'une portion. Quelques années plus tard, cependant, la connaissance du système nerveux des Acéphales testacés fut poussée beaucoup plus loin. En 1804, Mangili (1), qui l’avait étudié avec soin dans trois espèces habitant les eaux douces de l'Europe, les Mytilus anatinus et cygneus , et la Mya pictorum (2), s’attacha, dans un Mémoire spécial, à démontrer l’erreur dans laquelle était tombé Poli. 11 s’efforca également de faire voir combien est incomplète la description générale du système nerveux des Acéphales , dans les Lecons d'anatomie comparée de Cuvier. Ce naturaliste italien fut le premier qui donna et la description et la figure très exactes de toutes les parties essentielles du système nerveux dans un Mollusque acéphale (3). Le premier , il fit connaître l'existence d’une troisième paire de centres nerveux, c’est-à-dire de ganglions abdominaux ou pédieux , et leur rapport avec les ganglions cérébroïdes. Le pre- mier , il constata la présence de filets nerveux, ayant leur ori- gine dans ces centres médullaires, et se rendant aux viscères. Il pense que ce sont plutôt ces centres nerveux qui représentent le cerveau, Si cette détermination était adoptée, les ganglions placés au-dessus de la bouche seraient alors l’analogue des gan- glions œsophagiens des Mollusques gastéropodes et de la plupart des animaux invertébrés (4). Mais comme ces masses médullaires (1) Nuove ricerche zootomiche sopra alcune specie di Conchiglie bivalvi. Mi- lano, 4804. (2) Anodonta anatina et cygnea Lamk., et Unio pictorum Lamk. (3) Mytilus cygneus (Anodonta cygnea Lamk.). (4) Esaminato poi attentamente sotto diversi punti, il suddetto ganglio cen- trale, ho veduto più volte, che da ciascuno dei lobi derivano radiatim, almeno otto filamenti nervosi, altri de quali si diramano alle parti esterne, ed altri alle interne, ossia al tubo digestivo, alle ovaje, e ad altri visceri di questi vermi, erano stati d’altronde provedduti di sostanza nervosa. E questo ganglio centrale {anto per la 324 VOYAGE EN SICILE. sont placées au-dessus de l’œsophage, l'opinion de Mangili ne saurait être admise. Dans ce Mémoire , quoique déjà ancien , on trouve non seule- ment énoncées, mais encore fidèlement représentées , des parties qui avaient échappé jusqu'alors aux anatomistes ; néanmoins il paraît avoir été ‘oublié pendant de longues années. Après sa publication, plus de vingt ans s’écoulèrent sans qu'aucune observation nouvelle vint ajouter aux connaissances déjà acquises. En 1895, M. de Blainville, dans son Manuel de Malacologie et de Conchiologie (4), décrivit le système nerveux de la Moule commune ; il vint apporter une confirmation au travail de Man- gili, en précisant dans un autre type la position des trois paires de centres médullaires et de leurs nerfs principaux. Gette nou- velle observation, rapprochée de celle du naturaliste italien, devait déjà conduire à penser que, dans les Acéphales testacés, il exis- tait, en général , trois paires de ganglions. Toutefois il paraît que-cette remarque échappa d’abord. Cinq ou six années plus tard, dans l’article MorLusque de l’En- cyclopédie méthodique (2), M. Deshayes s’étendit assez longue- ment sur le système nerveux des Mollusques acéphales, testacés: cependant on voit avec surprise que le fait de l’existence des gan- glions abdominaux ou pédieux ne lui était pas parvenu. On cherche en vain parmi d’autres citations le nom de Mangili, dont le travail était encore à cette époque le plus important. On lit dans cet article MorLusque de l'Encyclopédie (3) : sua mole, quanto ancora per i moltissimi filamenti nervosi, che ne derivano, si potrebbe a giusta ragione chiamare il cervello di questi bivalvi, tanto più se rif- letta, che a motivo della sede che occupa nel loro corpo, eil piu diffeso et il meno esposto alle ingiurie e pare eziandio il più immediatamente necessario alla loro esistenza. (Mangili, Loc. cit., p. 21, 22.) (1) Ducrotay de Blainville, Manuel de malacologie et de conchiologie, 1824, P. 444. (2) Encyclopédie méthodique (Histoire des Vers, par MM. Bruguière et Lamarck, continuée par M. Deshayes, t. II, 4830, 2° partie, article MouLusque). (3) Page 526. E. BLANCHARD. — SYSIÈME NERVEUX DES MOLLUSQUES. 9329 « Outre ces ganglions (les ganglions cérébroïdes et les gan- » glions postérieurs) , il existe encore, dans la plus grande partie » des Acéphales, une paire de ganglions latéraux placés dans l’é- » paisseur des lobes du manteau. » Et plus loin (1) : « Les animaux compris dans la famille des Conques n'ont pas » non plus de système nerveux considérable : cependant on y » trouve de plus que dans les Conchyfères dimyaires à manteau, » dont les lobes sont complétement séparés, un petit ganglion » particulier placé dans l'épaisseur des lobes du manteau, ordi- » nairement au-dessus de leur commissure. Ce ganglion a été in- » diqué d’une manière positive par Poli dans sa belle anatomie du » Solen. » Dans un article Conchifera du même auteur, inséré dans un ouvrage anglais (2), où le système nerveux des Acéphales est décrit d’une manière beaucoup plus complète que dans l’Encyclo- pédie méthodique , le ganglion qui paraît avoir été représenté chez le Solen par Poli est accordé à tous les Acéphales pourvus de siphons (3). Cependant l’existence de ganglions dans l'épaisseur des mus- éles qui bordent le manteau n’est pas le cas général pour tous les Mollusques. Chez les Solens, il y en a en effet entre ces muscles ; j'en ai constaté, non pas un seul de chaque côté , mais bien une douzaine. Au contraire , dans d’autres Acéphales à siphons, tels que les Mactres et probablement les Vénus, il n’existe pas de ces centres nerveux dans la bordure du manteau. Dans l’article de l'Encyclopédie méthodique déjà cité, une ex- (4) Page 528. (2) The Cyclopædia of Anatomy and Physiology, by R.Todd, part. VII, July 4836. Conchyfera, by M. Deshayes, p. 784 et 705. (3) When the lobes of the mantle are conjoined posteriorly, and are continued from this part by means of siphons, among the nervous branches which follow the thickened edge of the mantle, oneis distinguished of larger size than the others, which terminates at the point of commissure in a small ganglion. This little gan- glion is not met with in the Dimyaria without a siphon; neither does it appear in the Monomyaria 326 VOYAGE EN SICILE. ception singulière se trouve signalée à l'égard du système ner- veux des Arches. Voici ce passage (1) : « On trouve chez eux en effet un système nerveux très considé- » rable, qui présente, dans les Arches notamment, une disposition » que nous ne remarquons dans aucun autre genre. Les ganglions » antérieurs sont très petits et n’ont point entre eux de commu- » nication. » Je serais très surpris si une semblable exception se rencon- trait dans un Mollusque acéphale quelconque ; mais, à l'égard des Arches, je puis affirmer qu’elle n’existe pas. Dans cet animal, les deux ganglions cérébroïdes sont fort écartés et unis entre eux par une commissure très facile à mettre en évidence. On peut se convaincre que Cuvier ne connaissait pas l’organi- sation des Acéphales d’une manière beaucoup plus complète à l’é- poque de la publication de la seconde édition de son Règne ani- mal (2) qu’au temps de ses Lecons d'anatomie comparée. « Le cerveau est au-dessus de la bouche, et il y à un ou deux » autres ganglions , » dit-il en parlant de ces animaux, sans ajouter aucun autre détail sur leur système nerveux. Dans les traités d'anatomie comparée , publiés tant en France qu’à l'étranger, on ne trouve rien de particulier sur le sujet qui nous occupe. Carus (3) rappelle seulement les observations sur l’Anodonte de Mangili. 1 M. Delle Chiaje (4) ne signale non plus aucune particularité digne de remarque. Il se contente de donner quelques indications vagues sur les principaux centres nerveux des Pholades, Solens, Mactres, Vénus, Moules, Pinnes, etc. En 1853, MM. Brandt et Ratzeburg (5) décrivirent et repré- (1) Loc. cit., p. 527. (2) Cuvier, Règne animat, 2° édition, t. TEL, p. 116. — Jd., nouvelle édition, Mollusques, p. 170. (3) Carus, Lehrbuch von Vergleichenden Zootomie, t. X, p. 36 (1834). — Id., Traité élémentaire d'anatomie comparée, traduit en français par M. Jourdan, t. HI, p. 42 (1835). (4) Istitusione di Anulomia comparata, seconda edizione, t. 1, p. 80 (1836). (>) Medizinische zoologie. Zweïter Band S. 340-341, tab. xxxvi, fig. 40, 41, E. BLANCHARD. — SYSTÈME NERVEUX DES MOLLUSQUES. 327 sentèrent le système nerveux dans l'Huître (Ostrea edulis) ; ils constatèrent parfaitement dans cet animal la présence des centres nerveux abdominaux, et celle de deux ganglions accessoires. Les filets nerveux qu’on remarque sur le trajet des connectifs, unis- sant les ganglions cérébroïdes avec les centres médullaires posté- rieurs, ne leur échappèrent pas davantage. Il paraît que cet important travail ne fut pas connu des anato- mistes qui, depuis, se sont occupés du système nerveux des Mol- lusques acéphales, car ils ne le citent nullement. Cependant , en 1841, M. Wagner a reproduit (1) la figure principale, donnée par MM. Brandt et Ratzeburg. M. Vanbeneden, en 1835, a décrit l’organisation d’un Acé- phale qui paraît aujourd’hui répandu dans une grande partie de l’Europe : c’est le Mytilus polymorphus des anciens auteurs, dont il forme un genre particulier sous le nom de Dreissena (2). Il a fait connaître son système nerveux et décrit les principaux nerfs et les trois paires de centres médullaires. Il insiste sur ce fait, que la paire postérieure est représentée par un ganglion unique. Cela est certainement essentiel à constater pour la zoologie; mais, au point de vue anatomique , la réunion plus ou moins complète de deux centres nerveux n'offre rien de bien important. Nous voyons ainsi, dans toutes les classes d'animaux inverté- brés, des ganglions, écartés dans certains genres , se rapprocher ou se confondre même complétement chez d’autres : aussi est-on quelque peu surpris de voir, dans un Mémoire sur le même sujet, publié deux ans plus tard (3), M. Vanbeneden accusé du tort fort grave d’avoir compté « cinq ganglions, tandis qu’il n’en existe » que quatre. Ces quatre ganglions, ajoute cependant M. Can- » traine, sont répartis en trois paires, dont deux soudées. » Et (1) Zcones z0otomicæ. (2) Mémoire sur le Dreissena, nouveau genre de la famille des Mytilacées , avec l'anatomie et la description de deux espèces ( Annales des Sciences naturelles, 2" série, t. III, p. 493, pl. 8, avril 4835). (3) Cantraine, Histoire naturelle et Anatomie du système nerveux du genre Myti- lina (Annales des Sciences naturelles, 2° série, t. VII, p. 302 et suivantes, pl. 40, mai 1837) 328 VOYAGE EN SICILE. un peu plus loin, on lit encore : « Le ganglion pédieux ou moyen » semble formé de deux ganglions soudés ensemble. » Dans cette notice, le nom de Dreissena employé par M. Vanbeneden se trouve changé en celui de Mytilina. Le travail sur le système nerveux des Mollusques le plus com- plet qui ait paru jusqu’à présent date de 1837. Il appartient à un zoologiste anglais, M. Garner (1). Ce savant décrit et repré- sente le système nerveux dans les genres Pholade, Mye, Mactre, Peigne, Huître et Modiole (2). Dès lors, on ne peut plus douter de la disposition générale qu'affecte cet appareil dans la classe des Mollusques acéphales testacés, car il est connu en grande partie chez des espèces ap- partenant à des genres éloignés. Des particularités importantes ont échappé à M. Garner, no- tamment dans la Mactre, la Myie, la Pholade, l’Huître; mais les parties principales sont bien reconnues; on regrette seulement que l’auteur ait donné en général des figures isolées de ces divers systèmes nerveux. Souvent ainsi il devient difficile de se faire une idée nette de la position des ganglions et du point où chacun des nerfs vient aboutir. Les figures où l’on représente le système nerveux sur l'animal font comprendre ses rapports avec les autres parties de l'organisme plus facilement que la description seule, quelque bien faite qu’elle soit. Le même zoologiste, dans un Mémoire sur l’organisation des Acéphales, a représenté encore le système nerveux chez la Wene- rupis pullustra (3). Dans un article sur le système nerveux en général, M. Ander- son a reproduit les figures de M. Garner sur le Peigne et l’Huître. Cet anatomiste, qui paraît attacher une grande importance à (1) Transactions of the Linnean Society of London, volume XVII. 4837, p. 485, pl. 24. — On the nervous system of Molluscous animals, by Robert Garner. (2) Fig. 2, Ostrea edulis; — fig. 3, Mactra stultorum; — fig. 4, Modiola vul- garis; — fig. 5, Pecten maximus; — fig. 6, Pholas dactylus; — fig. 7, Mya truncala. (3) Garner, On the Anatomy of the Lamellibranchiate Conchifera ( Transactions of the zoological Society of London, vol. LE, p. 90, pl. 19, fig. 5) E. BLANCHARD. — SYSIÈME NERVEUX DES MOLLUSQUES. 329 l'observation de cet appareil chez les Acéphales, le décrit d’après les recherches publiées par son compatriote (1). En 1840, M. Grube (2), dans un Mémoire sur les organes ocu- liformes situés au bord du manteau de certains Mollusques, a bien décrit le système nerveux des Peignes, et il a très nettement fait connaître les nerfs du manteau et les ramifications qui pénè- trent dans les pédoncules oculaires. Dans le même recueil et sur le même sujet, un Mémoire de M. Krohn (3), limité seulement à l'observation des organes ocu- liformes, ajoute encore quelque chose à nos connaissances sur la partie du système nerveux appartenant à ces organes. En 1842, M. Duvernoy, dans un Mémoire anatomique et zo0- logique sur l’animal de l'Onguline (4), a décrit le système ner- veux de cet Acéphale; il l’a trouvé, dit-il, très développé pour un aussi petit animal. Il a signalé la forme et les rapports des trois paires de centres nerveux principales, et, de plus, il a indiqué un petit renflement ganglionnaire à la base du nerf branchial. Ce ganglion serait blanc, tandis que les autres ont une coloration jaunâtre. Cette circonstance me fait supposer que c’est plutôt un simple élargissement du nerf analogue à ce que j’ai observé dans les Arches et dans quelques autres. Il faut encore citer, comme se rattachant à nos connaissances sur le système nerveux des Acéphales, l'observation d’un corps considéré comme l’organe de l'audition par M. Siebold; organe qui se trouve, chez ces Mollusques, en connexion directe avec les ganglions abdominaux (5). (1) « The arrangement of the nervous system in Conchifera is of the highest physiological interest. » Johu and Anderson, Nervous system, in Robert Todd, Cyclopædia of Anatomy and Physiology, t. III, p. 604 (1844). (2) Ueber Augen bei Muscheln von D' Grube, in Archiv für Anatomie, Physio- logieund Wissenchaftliche medicin von D° J. Müller, 4840, S. 24, taf. 3, fig. 4-3. (3) Ueber Augenähnliche organe bei Pecten und Spondylus von D' Krobn, in Arch. für Anat. und Physiol., von Dr J. Müller, 4840, S 381, taf xx, fig. 16. (4) Mémoire sur l'animal de l'Onguline couleur de laque (Ungulina rubra Daud.) et sur les rapports de ce Mollusque acéphale (Ann. des So. nat., 2° série, t. XVII, p. 140, pl. 4, 4849). (5) Sicbold , Weber ein Ratselhaftes Organ einiger Bivalven (Muller's Archiv., 330 VOYAGE EN SICILE. D'après l'ensemble des travaux des anatomistes et des zoolo- gistes que je viens de citer, il est bien constaté que tous les Mol- lusques acéphales ont un système nerveux binaire, généralement symétrique, ayant deux ganglions antérieurs liés par une commis- sure passant au-devant de ia bouche. Ce sont ces deux centres : nerveux auxquels on à appliqué la dénomination de cerveau, et que plusieurs anatomistes nomment, peut-être avec plus de raison, ganglions labiaux ou buccaux, ou mieux encore ganglions céré- broïdes. C’est à cette dernière dénomination que je m’arrêterai ; c’est celle employée par M. Milne Edwards dans ses cours au Muséum d'Histoire naturelle et à la Faculté des sciences. Elle a l'avantage tout à la fois de rappeler une apparence d’analogie, sans donner à ces ganglions l'importance que le nom de cerveau semble de- voir leur accorder. Il est bien reconnu que ces centres médullaires fournissent des nerfs aux palpes labiaux et à la partie antérieure du manteau ; qu'ils sont, d’une part, en communication, au moyen de deux cordons, avec les ganglions placés au-dessus des viscères et à la base du pied, chez tous les Acéphales qui en sont pourvus, et, d'autre part, avec les centres nerveux postérieurs, au moyen de deux longs connectifs, ces connectifs s'étendant de chaque côté du canal intestinal et traversant le foie. On sait que les deux ganglions cérébroïdes sont souvent écar- tés l’un de l’autre, ce qui n’est pas toutefois aussi constant qu’on pourrait le croire, d’après un passage de la nouvelle édition des Leçons d'anatomie comparée de Cuvier (1); car, chez les Mactres et les Vénus, ils sont fort rapprochés. Il est établi que les masses médullaires abdominales donnent 1838, p. 49). — Ejusd. Sur l'organe auditif des Mollusques (Archiv. für Natur- geschichte, 1841, p. 148: et Ann. des Sc. nat., 2° série, 4843, t. XIX, p. 193, pl. 2.— 1843) (1) « Nous voyons donc que dans les Acéphales testacés il y a, comme dans les Gastéropodes et les Ptéropodes, un collier nerveux, simple à sa partie supé- rieure ou dorsale, et le plus souvent double à sa partie inférieure ou ventrale; que les ganglions cérébraux sont toujours écartés l'un de l'autre...» T. IIE, p. 320 (4845). = E. BLANCHARD. — SYSIÈME NERVEUX DES MOLLUSQUES. 934 particulièrement des nerfs aux muscles du pied, et quelques autres aux viscères; ceux-ci toujours très petits et difficiles à distinguer. Enfin il est démontré encore que les centres nerveux postérieurs sont ordinairement plus considérables que les autres par leur vo- lume, et plus ou moins rapprochés entre eux, ou même réunis, suivant les genres et les espèces. On sait également que ces masses médullaires fournissent deux nerfs puissants se rendant aux branchies, et d’autres plus ou moins ramifiés, aux muscles du manteau. On a proposé de nommer ces centres nerveux ganglions bran- chiaux ; dénomination qui peut être adoptée. Tels sont les faits généraux bien connus aujourd’hui sur le sys- tème nerveux des Mollusques acéphales testacés. Il y a quelques mois, au moment où déjà je me proposais de faire connaître les résultats de mes recherches, un travail sur le sujet dont je m’occupais fut présenté à l’Académie des sciences. M. Duvernoy, de son côté (ce que j’ignorais complétement (1)), avait étudié dans divers genres le système nerveux des Mollus- ques acéphales lamellibranches. Ses observations, dont le résumé est imprimé dans les Comptes-rendus de l'Académie des Scien- ces (2), confirment en tous points ce qui avait été vu par ses de- vanciers, et surtout par M. Garner. A l’égard du système nerveux des Peignes, les observations de MM. Grube et Krobn sont également confirmées par M. Duvernoy. Quant à la disposition asymétrique du système nerveux signalée d’abord par M. Garner dans le genre Anomya, c’est une parti- cularité qui n’a pas échappé non plus à cet anatomiste. De plus, (4) Mon travail fut mentionné par M. Milne Edwards, dans son rapport au ministre de l'instruction publique, inséré au Moniteur, le 17 novembre 4844. C'est le 25 du même mois que la communication de M. Duvernoy fut faite à l'Académie des Sciences. Avant qu'aucun extrait de son Mémoire fût imprimé, j'adressai à M. le secrétaire perpétuel un paquet cacheté, dont l'Académie a bien voulu accepter le dépôt. Ce paquet renfermait déjà l'énumération des résultats auxquels m'ont conduit mes recherches. (2) Comptes-rendus hebdomadaires des séances de l'Académie des Sciences, t. XIX, n° 22 (novembre 1844), p. 1132, et t. XX (février 1845). 332 VOYAGE EN SICILE. il a signalé la présence de nerfs se rendant au rectum et au cœur, et l’existence d’un segment de nerf analogue au cordon nerveux circulaire des Peignes à la partie antérieure du manteau, chez le Lithodome caudigere. Enfin il a reconnu que le système nerveux des bivalves montre des différences dans sa composition, qui sont en rapport avec la présence de certains organes, ou avec leur degré de développement, leur forme et leur composition, ainsi qu'avec la forme générale du corps. Après les divers travaux que j’ai énumérés, ne restait-il désor- mais qu’à constater de petites modifications dans le rapproche- ment ou dans l’écartement des centres médullaires, qu’à indiquer de légères différences dans les ramifications des nerfs, selon les genres et les espèces ? Les recherches que j’ai faites sur les Mollusques des côtes de Sicile, et que j'ai poursuivies sur des animaux qui me furent en- voyés vivants des côtes de la Manche, et sur ceux qu’on se pro- cure facilement à Paris, m'ont prouvé le contraire. On a dit : « Chez les Acéphales lamellibranches , lorsque le » système nerveux a son plus haut degré de composition, il existe » trois paires de ganglions. » Cependant, chez plusieurs d’entre eux, j'en ai constaté six, huit et dix paires. Il en est un même dans lequel (Solen) j'en ai reconnu bien davantage. Le système nerveux est plus compliqué chez les Mollusques acéphales munis de siphons fixés à la coquille par des muscles ré- tracteurs, que chez ceux qui en sont privés. Mes observations à cet égard viennent pleinement à l’appui de l'opinion émise par M. Owen; opinion formée sur les seuls faits déjà publiés, à sa- voir, que le système nerveux des Acéphales devient régulièrement plus considérable, selon le développement des divers organes, et particulièrement du système musculaire (1). (1) The number of the ganglia follow closely the progressive development of the muscular system... — Owen, Mollusca (Cycl. of Anat. and Phys., by R. Todd, p. 364. — 1841). The nervous system advances in a regularly proportional degree with the complexity of the general organisation and especially in the muscular system : the ganglion upon the posterior adductor, which is most conspicuous in the Oyster E. BLANCHARD. — SYSTÈME NERVEUX DES MOLLUSQUES. 333 Cela est si vrai, que, dans les Peignes, où l’on observe de chaque côté du manteau, à sa partie antérieure, une très petite plaque musculaire, on trouve sur ce point un petit ganglion qu’on parvient à mettre en évidence sans trop de difficulté. (PI. 12, fig 5, c.) Ce sont donc , parmi les Mollusques qui composent la classe des Acéphales, ceux dont le manteau est fermé et prolongé en forme de siphons, qu’on trouve l’organisation la plus complète, le système nerveux le plus développé. Les Monomyaires, dont le manteau est largement ouvert, dont les ganglions cérébroïdes , aussi bien que les ganglions abdominaux, perdent de leur volume ordinaire ; ces Mollusques, enfin, chez lesquels il n’existe qu’un pied rudimentaire, ou qui même en sont dépourvus, ont évidem- ment une organisation inférieure à celle des autres Acéphales. Ces derniers , pourvus d’un pied musculeux , peuvent se déplacer, tandis que les Monomyaires demeurent constamment fixés à leurs rochers. Chez les Acéphales pourvus de tubes, les nerfs principaux , ayant leur origine dans les centres médullaires postérieurs , offrent sur leur trajet plusieurs petits ganglions parmi les muscles rétracteurs des siphons. Chaque paire de ces centres nerveux est liée par une commissure , passant au-dessus de l’ouverture inté- . rieure de l’un et l’autre siphon. (PI. 12, fig. 4, d; 2, d,d,d.) Les Mactres, les Vénus et Cythérées, les Solens proprement dits, m'ont présenté constamment cette complication dans leur système nerveux; complication coïncidant avec la présence de tubes , et surtout avec l'existence de plaques musculaires, servant à les fixer à la coquille. En effet, lorsque les tubes existent et qu’ils sont privés de points d'attache, comme dans le genre Solécurte , les ganglions acces- soires des Mactres, Vénus et Solens proprement dits peuvent venir à manquer. Ainsi, les Solécurtes , pendant longtemps confondus avec les Solens, s’en éloignent manifestement par leur organisation ; c’est is the largest and most constant in all other bivalves. — Owen, Lectures on the comparative anatomy and physiology of the invertebrate animals, p. 584. 4843. 38 VOYAGE EN SICILE. donc avec beaucoup de raison qu’on en a formé un genre parti- culier. Le manteau et les siphons de ces Mollusques sont parcourus par des nerfs puissants ; mais sur leur trajet on ne trouve point de ganglions. Toutefois certains Mollusques acéphales, ayant des tubes qui n’offrent pas de muscles rétracteurs fixés à la coquille, présentent encore des ganglions accessoires ; telles sont les Pholades et les Myies. Chez ces Mollusques , les centres nerveux postérieurs ou branchiaux émettent en arrière un seul nerf assez gros ; ce nerf, se dirigeant de chaque côté par rapport au muscle adducteur , offre sur son trajet une série de petits ganglions, d’où naissent les filets nerveux, qui s'étendent dans toute la longueur des tubes en donnant un plus ou moins grand nombre de ramifications. Il n'existe point de commissures entre ces ganglions, comme chez les Acéphales, dont les tubes sont fixés à la coquille par des plaques musculaires. Les Pholades et les Myies ne présentent entre elles aucune dif- férence essentielle dans la disposition de leur système nerveux. Il est probable que les Lutraires , les Panopées , etc., sont confor- mées sur un plan très analogue ; mais je ne puis encore rien af- firmer à l'égard de ces types , sur lesquels n’ont pas jusqu’à pré- sent porté mes observations. Dans la plupart des Acéphales , le manteau est terminé briève- ment en avant de l’orifice buccal. Les ganglions cérébroïdes four- nissent quelques nerfs peu considérables, et plus ou moins rami- fiés vers la partie antérieure du manteau. Chez les Solens, il existe une conformation assez différente ; le manteau est très pro- longé en avant de la bouche , et au milieu il offre une large plaque musculaire fixée à la coquille dans toute sa longueur. Avec cette disposition coïncide une modification assez grande dans le développement du système nerveux. Des nerfs partant des ganglions cérébroïdes remontent sur la plaque musculaire, tandis que d’autres viennent se diviser dans la couche épaisse des muscles formant une bordure autour du manteau. Ce qu'il y a de plus remarquable, et ce que j'ai observé seule- E. BLANCHARD. — SYSTÈME NERVEUX DES MOLLUSQUES. 335 ment encore dans les Solens, ce sont sur ces muscles de petits ganglions, au nombre de douze ou treize de chaque côté, commu- niquant les uns avec les autres par des filets très déliées. (PI. 12, fig. 1, 21) Ces ganglions sont extrêmement petits; mais, néanmoins, on les distingue parfaitement sur les individus frais. Dans les Unio, j'ai suivi les ramifications les plus déliées des nerfs du manteau. Sur divers points, on y distingue aussi des ganglions ; mais leur ténuité est extrême, comparativement même à ceux des Solens. Il est à présumer que les Acéphales dont les muscles du man- teau sont épais et très serrés, comme chez les Solens, présente- ront également des ganglions dans cette partie, où l’on n’en trouve point dans les Acéphales dont les muscles du manteau sont assez lâches. Bien que le Solen-gaîne (Solen vagina) , très abondant dans certaines parties de la Méditerranée , ait été plusieurs fois décrit et représenté, on n’avait signalé que des portions de son système nerveux , si remarquable et si différent de celui de tant d’autres animaux de cette classe de Mollusques. En général , les Acéphales dépourvus de siphons offrent seule- ment les trois paires de ganglions , déjà bien constatées dans un certain nombre de genres ; il en est ainsi dans les genres Pinna , Mytilus, etc. Plusieurs cependant offrent sur le trajet des connectifs unis- sant les centres nerveux cérébroïdes avec les centres branchiaux , un petit ganglion fournissant des nerfs aux parties latérales ; c’est ce que j'ai observé chez les Arches, aussi bien que chez les So- lens (PI. 19, fig. 1, e), et on le trouve en général dans les espèces dont le pied occupe toute la largeur de la masse viscérale. On voit donc que le système des Acéphales présente souvent une complication plus grande et des différences d’un type à l’autre plus importantes qu’on ne l'avait supposé jusqu’à présent : c’est là un fait acquis à l'anatomie comparée. Chez les Mollusques monomyaires, dont le manteau est large et très ouvert, les Peignes par exemple , on distingue facilement 336 VOYAGE EN SICILE. un nerf partant des ganglions cérébroïdes et des ganglions bran- chiaux , et suivant le bord extérieur du manteau. D’autres nerfs, ayant leur origine dans les centres médullaires postérieurs, vien- nent aboutir à ce cordon circulaire, pour ensuite se prolonger dans les pédoncules oculaires ou dans les tentacules bordant le manteau. Est-ce là une disposition très particulière propre à ces animaux ? certainement non. Ce nerf circulaire est seulement plus développé ici que dans la plupart des Acéphales, et ce qu'il offre de plus particulier, ce sont, sur divers points, ses anasto- moses avec d’autres nerfs. Dans beaucoup d’autres Mollusques de cette classe, les Mactres, les Vénus, etc., on suit également ce cordon nerveux tout autour du manteau. Je dois encore appeler l'attention sur un type vulgaire, le plus vulgaire peut-être parmi les Mollusques acéphales. L'Huître (Ostrea edulis) , on le sait, est dépourvue de pied. Il en résulte une modification dans son système nerveux, mais toutefois moins considérable qu’on ne l’a supposée. Il y a quelques années, M. Garner avanca que les ganglions pédieux ou abdominaux manquaient chez cet animal. Tout récemment , M. Duvernoy a été conduit par ses propres recherches à nier également l’existence de ces centres nerveux ; toutefois l'exception signalée par ces anatomistes n’existe pas. Un simple coup d’œil jeté sur les figures données par MM. Brandt et Ratzeburg (1) peut déjà convaincre que le système nerveux de l’Huître est moins incomplet que ne l’a pensé M. Garner. J'ai constaté parfaitement dans ce Mollusque la présence de deux ganglions un peu espacés entre eux et très rapprochés des masses médullaires cérébroïdes, de manière que les quatre centres nerveux sont placés presque sur une même ligne, et réunis par des commissures. Les nerfs se rendant aux viscères proviennent en général, comme chez les autres Acéphales, des centres médians : seule- ment, ces centres nerveux, de même queles ganglions cérébroïdes, sont plus petits qu'à l'ordinaire , et aussi plus difficiles à mettre en evidence par la dissection. (1) Medizinische zoologie, Band. 11, tab. xxvi, fig. 40 et 41. E. BLANCHARD. — SYSTÈME NERVEUX DES MOLLUSQUES. 337 Le système nerveux de l’Huître ne m’a pas offert de particula- rités plus importantes sous ce rapport. + Récemment encore , un anatomiste a avancé que les nerfs éta- blissant la communication entre les masses médullaires antérieures et les postérieures ne présentaient jamais de ramifications sur leur trajet. Les Solens, les Arches, etc., où l’on remarque un ganglion sur le trajet de ces connectifs, prouvent le contraire ; mais il y a plus : chez les Huïîtres, des filets partent de ces nerfs sur divers points, sans même qu’il y ait apparence de ganglions: c'est, au reste, ce que montre clairement l’une des figures de MM. Brandt et Ratzeburg (1). A l'égard des nerfs qui se rendent aux viscères, j’ai peu de chose à en dire. Tandis que , dans les Gastéropodes , on suit, sans trop de dif- ficulté, sous la tunique externe du canal intestinal , les filets ner- veux, dont l’origine est dans les ganglions œsophagiens , on n’en retrouve point de trace chez les Acéphales (2). J’ai vu dans diverses espèces des filets nerveux extrêmement déliés, ayant leur origine dans les trois paires principales des centres nerveux , et qui paraissent aboutir sur différents points des viscères ; mais je n’ai jamais réussi à les suivre au-delà. On paraît avoir, en général, porté peu d’attention aux nerfs qui se rendent directement aux muscles adducteurs. Chez les Acé- phales dimyaires , ils sont assez petits. Ils ont, au contraire, un développement plus considérable dans les Monomyaires. Chez les Peignes, par exemple, j'ai reconnu la présence de nerfs très puis- sants prenant naissance dans les centres nerveux branchiaux , et qui pénètrent entre les fibres du muscle adducteur, où ils se di- visent en branches nombreuses. On à parlé déjà de la couleur particulière qu’affectent les centres médullaires chez certains Mollusques. Jusqu'ici on l’a décrite dans (4) Loc. cit., tab. xxxvi, fig. 11. (2) There is no visible sympathetic system, though said to exist by some. — Garner, On the Anatomy of the Lamellibranchiate Conchifera (Transactions of the zoological Society of London, vol. II, p. 90.— 1841). 3° série. Zooc. T. JIL. ( Juin 4845.) 22 338 VOYAGE EN SICILE. les Acéphales comme jaunâtre ou blanchâtre: il y a cependant plus de variations. Dans les Unios et Anodontes, ils sont, en effet, d’un jaune tirant un peu sur l’orangé. Dans les Mactres, les Solens, les Solécurtes , ils ont une légère nuance jaunâtre, mais leur tissu est presque transparent. On reconnait néanmoins une coloration particulière, qui tranche légèrement avec la couleur blanche opaque des filets nerveux. Les ganglions accessoires participent de la coloration des centres nerveux principaux, ce qui aide l’observateur à con- stater leur existence. Dans les Vénus, la Cytherea chione, par exemple, les ganglions ont une nuance d’un rosé rougeàtre, qui est à peu près la même chez les Arches et les Pinnes. Dans les Mollusques monomyaires , tels que les Peignes et les Huîtres , les nerfs ont presque l’opacité qu’on retrouve chez les autres Mollusques ; mais pour les ganglions, il n’en est pas ainsi. La transparence de leur tissu et la faible consistance même de l’ensemble de ces centres nerveux ne permettent qu’avec peine de distinguer nettement leur contour. Il est très difficile de les déta- cher sans les rompre. Parlerai-je maintenant de l’utilité que ces recherches anato- miques peuvent avoir pour la classification? Elle me semble n'être pas douteuse, Ces recherches m'ont conduit à reconnaître quels sont les Acéphales que leur organisation indique comme supérieurs aux autres. Les grandes différences que j'ai constatées entre le genre Solen proprement dit et le genre Solécurte, qui pendant long- temps ne fut pas séparé des vrais Solens, montrent suffisamment que ce genre en est éloigné et doit appartenir à une autre famille. Au contraire, entre les Mactres et les Vénus, particulièrement les Cythérées, dont on forme deux familles distinctes dans la plu- part des classifications malacologiques, on ne trouve aucune dif- férence importante dans l’organisation des animaux. Leur sys- tème nerveux est presque complétement semblable. E. BLANCHARD. — SYSTÈME NERVEUX DES MOLLUSQUES. 339 Les Pholades et les Myies, que les classificateurs placent dans deux familles distinctes, d’après les caractères de leurs coquilles, m'ont présenté les plus grands rapports dans {toute leur organisa tion et même dans l’aspect général des animaux. Les faibles dif- férences qu’on observe dans la forme du pied et de la masse ab- dominale, et dans le rapprochement des ganglions abdominaux, par rapport aux ganglions cérébroïdes, beaucoup plus grand chez les Pholades que chez les Myies, ne paraîtraient probable- ment pas assez importantes pour éloigner beaucoup ces animaux. Enfin tout tend à prouver que les caractères fournis par les charnières des coquilles sont bien loin d’être en rapport constant avec l’organisation des animaux ; ce qui montrera assez si désor- mais l’on doit attacher une grande valeur à ce genre de carac- tères. Au reste, si, en étudiant avec attention quinze à vingt Mol- lusques acéphales appartenant à divers genres , je suis arrivé à quelques résultats qui paraissent entièrement nouveaux, il est presque certain que l'étude d’un plus grand nombre m'aurait conduit encore à d’autres faits, surtout à des faits applicables à la classification de ces animaux. C'est ce qui m’engagera à ne pas négliger de porter mes in vestigations sur d’autres Acéphales toutes les fois que j'en aurai l’occasion. Malheureusement, il est difficile de se procurer de ces Mollusques autant qu’on le voudrait, car il est nécessaire de les étudier quand ils sont vivants. Sur les animaux ayant séjourné dans l'alcool, on ne peut espérer autre chose que de constater les parties les plus faciles à mettre en évidence, lorsque leur volume est un peu considérable. D'ailleurs, on n’ose souvent représenter des êtres dont tous les organes, plus ou moins déformés et contractés, pourraient donner une idée fausse de leur aspect pendant la vie. Si je suis parvenu à la découverte de quelques faits qui avaient échappé à d’autres, je le dois peut-être uniquement à cette con- dition favorable d’avoir pu étudier des animaux vivants. 340 VOYAGE EN SICILE. EXPLICATION DES FIGURES. PLANCHE 12, Système nerveux des MOLLUSQUES ACÉPHALES. Fig. 4. Souen vaGina, Lin.—dont le manteau a été ouvert dans toute sa longueur a, les deux ganglions cérébroïdes. b, les ganglions abdominaux, réunis en une seule masse. c, les ganglions postérieurs ou branchiaux, réunis en une seule mâsse. d, les trois paires de ganglions placées sur les muscles rétracteurs des siphons. e, ganglion sur le trajet des connectifs qui unissent les ganglions cérébroïdes avec les ganglions branchiaux. ££Lf, petits ganglions situés dans l'épaisseur des muscles du manteau. g, les branchies et leur filet nerveux. h, l'anus. i,i, les ouvertures internes des siphons. Fig. 2. Macrra mezvacea, Chemn. -- La partie postérieure seule, dont le man- teau a été ouvert. c, les ganglions postérieurs ou branchiaux. d,d,d, les ganglions des muscles rétracteurs des siphons. 9, les branchies et leur filet nerveux. h, l'anus. i,i, les ouvertures internes des siphons. Fig. 3. Pecren maxmus, Lin. — La portion antérieure. a,a, les deux ganglions cérébroïdes. b, les deux ganglions abdominaux, réunis en une seule masse. c, ganglion situé sur une petite plaque musculaire, à la partie antérieure du manteau d,d, palpes labiaux. e, orifice buccal. MILNE EDWARDS, — SUR EA CIRCUEATION. 3h OBSERVATIONS SUR LA CIRCULATION ; PAR M. MILNE EDWARDS. Suite (1). TROISIÈME ARTICLE. De l'appareil circulatoire du Poulpe. Ayant exposé dans un Mémoire précédent les caractères géné- raux de l'appareil circulatoire des Mollusques , je demanderai la permission d'appeler aujourd’hui l’attention de l’Académie sur quelques détails anatomiques, dont la connaissance me semble nécessaire pour arriver à des idées nettes sur le mode de distribu- tion des fluides nourriciers chez ces animaux. Je me propose de traiter successivement les principaux types, dont l’étude forme le sujet de ma première communication ; et, dans cette note, je m’occuperai de la constitution de l'appareil de la circulation dans le Poulpe commun. L'anatomie de ce Mollusque a été étudiée par plusieurs natu- ralistes; mais c’est presque entièrement aux recherches de Cu- vier (2) et de M. Delle Chiaje (3) que nous devons les connais- sances, déjà très étendues, que l’on possède sur son système vas- culaire. Les branchies, comme on le sait, donnent naissance chacune à un gros vaisseau efférent, que l’on désigne d'ordinaire sous le nom de veine branchiale, mais que je préfère appeler le tronc branclio-cardiaque. Ce canal (PI. 13, !) longe le bord libre ou interne de l’organe respiratoire, et recoit, pendant ce trajet, deux séries de vaisseaux provenant des dix paires d’arcs branchiaux correspondants, Puis il plonge dans l'abdomen et va gagner le (1) Voyez page 257. (2) Mém. pour servir à l'histoire de l'anatomie des Mollusques (3) Instituzioni di anatomia e fisiologia comparativa, parte prima. — Animal senza vertebre del regno di Napoli, {. 1 912 VOYAGE EN SICILE. cœur, après avoir présenté un renflement considérable (uw), qui me paraît devoir être comparé aux oreillettes des Mollusques gasté- ropodes et acéphales. En effet, cette portion élargie des vaisseaux afférents au cœur doit nécessairement servir comme réservoir pour alimenter la pompe ventriculaire, et ses parois, quoique minces, me paraissent renfermer des fibres musculaires. 11 en résulte que les deux renflements vasculaires situés entre les branchies et le ventricule aortiqne offrent tous les caractères d’oreillettes d’une structure imparfaite, et semblent devoir être considérés comme les représentants de ces organes. Sous ce rapport, la structure du Poulpe ne serait donc pas inférieure à celle des Mollusques or- dinaires. Le ventricule artériel (PI, 13, p) communique avec les deux réservoirs auriculaires par des orifices garnis de valvules, dont la disposition a été très bien indiquée par Cuvier, et rappelle celle des valvules sigmoïdes du cœur de l’homme : seulement, il n’en existe ici que deux pour chaque ouverture auriculo-ventriculaire, et le bord libre de ces replis membraneux est dirigé vers l’inté- rieur du ventricule , de facon à s’appliquer contre son congénère vendant le mouvement de systole, et à empêcher plus ou moins complétement le retour du sang vers les branchies. Le ventricule lui-même ne présente à l’extérieur rien de remarquable ; mais sa cavité est incomplétement divisée en deux loges par un grand repli membraneux qui naît de sa paroi dorsale et antérieure. Chacune de ces loges correspond à l’un des troncs branchio-cardiaques, et donne naissance à une portion du système artériel ; l'aorte ascen- dante ou céphalique (PI. 13, g) a son origine vers la partie supé- rieure de la loge droite (l’animal étant supposé couché sur la face ventrale da corps), tandis que l’aorte abdominale (14) et l’artère ovarienne (18) ont leur origine dans la loge gauche, La commu- nication est assez facile entre ces deux moitiés du cœur pendant la diastole; mais lorsque cet organe se contracte fortement, il ne doit plus en être de même, et alors le sang qui vient de la branchie droite doit pénétrer presque en totalité dans l’aorte céphalique . tandis que le sang arrivant de la branchie gauche doit être poussé en majeure partie dans les vaisseaux propres à la portion posté- MILNE EDWARDS. — SUR LA CIRCULATION. 343 rieure et ventrale de la masse viscérale. Il est aussi à noter que le cœur du Poulpe n’offre rien de symétrique, et ressemble beaucoup à un cœur de Mollusque acéphale qui serait reployé obliquement sur lui-même, de facon que l'aorte postérieure de l’acéphale se dirigeät en avant, comme l'aorte céphalique, et que l'angle rentrant résultant de cette courbure correspondit à la cloison in- complète dont il a été question ci-dessus. Au premier abord, le système artériel de ce Céphalopode semble différer beaucoup de celui des Mollusques gastéropodes et acé- phales; mais si l’on admet que, chez ces divers animaux, les grands troncs vasculaires sont tantôt étendus en ligne droite, en arrière comme en avant du ventricule , tandis que, d’autres fois, ils sont plus ou moins complétement recourbés l’un vers l’autre, ou même confondus à leur base, on se rend assez facilement compte de la plupart de ces modifications, et on reconnaît partout le même plan fondamental. L’extrémité céphalique du cœur, comme nous l'avons déjà dit, donne naissance à une grosse artère, que les anatomistes désignent d’ordinaire"sous le nom d’aorte. Ce vaisseau (PI. 13, g) passe au- dessus de l’oreillette droite, contourne la masse viscérale, et pénètre dans le sac péritonéal, au niveau de la partie supérieure du gésier; puis, devenu libre dans la cavité viscérale (PI. 15), il remonte vers la tête en longeant, du côté droit, la panse et l’œ- sophage jusque dans le voisinage du bulbe pharyngien, où il se bifurque. La première branche qui naît de ce grand tronc artériel s’en sépare à peu de distance du cœur, et se divise presque aussitôt en deux branches secondaires (PI. 13, >, 2), dont l’une se recourbe au-dessus de l’autre et gagne le manteau, du côté droit, tandis que l'autre suit, dans l’épaisseur du péritoine, le sillon correspondant au bord dorsal et inférieur du gésier, pour aller gagner le côté gauche du manteau (PI. 14). En arrivant sur la partie latérale de l'abdomen, ces artères palléales donnent un rameau qui se porte en avant dans l'épaisseur de la cloison charnue placée entre la masse viscérale et la cavité branchiale, et qui, après avoir fourni des ramuscules au pilier postérieur et aux parties voisines, va se ter- miner à la base de l’entonnoir. Immédiatement après avoir donné älh VOYAGE EN SICILE. naissance à cette branche ascendante , l’artère palléale traverse la base du muscle palléal postérieur, ou pilier charnu, étendue entre l’abdomen et la voûte de la cavité respiratoire, près de l'insertion des branchies; elle passe ainsi de l’abdomen sur la face interne du manteau, sur laquelle on la voit remonter vers la base du pi- lier antérieur, et se ramifier dans le tissu charnu du grand sac palléal. En pénétrant dans la cavité péritonéale, l'aorte antérieure donne naissance à une seconde branche assez considérable (PI, 43, ;), qui se bifurque presque aussitôt pour constituer l'artère hépatique et l'artère gastrique : la première (,) plonge directement dans la substance du foie et s’y ramifie; la seconde envoie des rameaux ascendants qui alimentent le tiers inférieur du jabot, puis se di- vise en deux rameaux principaux, qui embrassent le pylore, et qui se répandent sur le gésier et sur l’estomac spiral. Vers le tiers supérieur du jabot, l'aorte ascendante fournit trois petites artères æsophagiennes (;), qui se distribuent à la portion voisine du tube digestif, Les artères salivaires postérieures naissent dans la portion cé- phalique de la cavité viscérale, et suivent une marche rétrograde pour se rendre aux glandes salivaires de la seconde paire (h) : celle de droite (4) naît directement de l'aorte, mais celle du côté gauche (,) est confondue à sa base avec l'artère pharyngienne cor- respondante, Les deux artères que je désigne sous cette dernière dénomina- tion ne se séparent pas de l’aorte au même niveau : celle de gau- che (4) naît un peu plus en avant que sa congénère; mais, du reste, leur mode de distribution est à peu près le même; elles fournissent d’abord une branche récurrente assez grosse (9), qui, après avoir donné naissance aux artères palpébrales.(\,) et auricu- laires (4), vont se ramifier dans les parties latérales et inférieures de l’entonnoir. Les artères pharyngiennes côtoient ensuite l’œæso- phage jusqu'au bulbe pharyngien (/f), et se terminent dans cette masse charnue et dans les glandes salivaires antérieures (g). Ainsi, quoique ces dernières glandes soient très éloignées des glandes salivaires postérieures, elles recoivent leur sang par le même MILNE EDWARDS. — SUR LA CIRCULATION. 345 tronc artériel ou par des vaisseaux qui naissent de l’aorte, très près l’un de l’autre. Après avoir fourni les artères pharyn- giennes, le tronc aortique donne naissance à une paire d’artères très grêles et très longues (2), qui se dirigent en arrière et vont se distribuer à la partie supérieure de l’entonnoir. Enfin ce tronc se bifurque dans le voisinage du bulbe pharyngien, et chacune de ses branches se divise bientôt en deux troncs qui, à leur tour, ne tardent pas à se bifurquer encore , de facon à donner naissance aux huit artères tentaculaires (,;) destinées aux bras dont la tête du Poulpe est couronnée. Le tronc aortique postérieur (,,) naît du bord antérieur et infé- rieur du ventricule artériel, entre les deux orifices auriculo-ven- triculaires : presque aussitôt il fournit : 1° L’artère péricardique (is), qui est très grêle et se dirige en arrière et en dessous du cœur pour se distribuer aux membranes péricardiques et à leurs dépendances. 2% Les artères propres des branchies (;:,5), qui se portent à droite et à gauche, le long du bord supérieur du tronc branchio- cardiaque, et vont gagner la base des branchies. Celle du côté droit fournit l’artère cardiaque, qui se recourbe en arrière et se ramifie dans les parois du ventricule aortique, Parvenus sur les parties latérales de la masse viscérale, ces vaisseaux donnent nais- sance aux artères génitales externes, qui se distribuent à l'ovi- ducte (n°) ou aux parties correspondantes de l'appareil mâle. Vers le même point, on voit naître une branche artérielle destinée à la portion de la membrane péricardique qui forme les grands sacs aquifères latéraux ; un peu plus loin, ces artères propres de la branchie fournissent un rameau au cœur pulmonaire (s); enfin elles pénètrent dans la bande charnue à laquelle la branchie est suspendue , fournissent des ramuscules à cette bande, et donnent un rameau à chacun des arceaux branchiaux qui s’en séparent pour soutenir les feuillets respiratoires. 3 L'artère duodénale (16), qui s’avance sous la poche périto- néale pour gagner le voisinage du pylore, fournit une branche aux parois de la cavité viscérale, et se ramifie sur l'intestin, dont 346 VOYAGE EN SICILE. elle suit le bord supérieur jusqu’à l'extrémité de la grande anse formée par ce tube. l° L’artère anale (,;), qui passe entre les deux veines caves, se dirige en avant, gagne la cloison médiane de la chambre respira- toire, et s’y distribue, ainsi qu’au rectum. Enfin le cœur aortique fournit encore, par son bord postérieur, un troisième tronc, l'artère génitale profonde (,,), qui se dirige en arrière et pénètre, soit dans l'ovaire, soit dans le testicule, suivant les sexes. Le sang, porté dans toutes les parties de l’économie par les artères dont nous venons d'indiquer la disposition, revient vers les branchies par un système veineux composé en partie de vais- seaux à parois propres, en partie de lacunes ou d’espaces circon- scrits seulement par les organes voisins. Les veines superficielles des bras suivent les bords de ces appen- dices, entre les bases desquels ils se réunissent par paires, de facon à constituer huit gros vaisseaux qui, après s’être dirigés directement en arrière, s’anastomosent, à leur tour, deux à deux, et les troncs ainsi constitués se recourbent en bas, et concourent à former une sorte de cercle veineux autour de la partie antérieure de la tête (PI. 14, g, ‘). L’extrémité antérieure de l’une et l’autre moitié de cette couronne vasculaire recoit les veines cutanées du front et du côté ventral ; l'extrémité opposée se joint à son congé- nère pour donner naissance à la grande veine céphalique (PI. 44, g) qui occupe la ligne médiane du corps, et se dirige vers la partie postérieure de la masse viscérale , en suivant la paroi inférieure de l’abdomen; pendant ce trajet, elle recoit les veines de l’enton- noir (PI. 14, s) et quelques petites branches tégumentaires; vers le niveau du bord inférieur du foie (PI. 14, v), la veine hépatique vient aussi s’y jeter. Enfin, presque aussitôt après, les deux troncs veineux viscéraux s’y réunissent également, et du confluent de ces trois gros vaisseaux naissent les deux veines caves (1), par l’in- termédiaire desquelles la plus grande partie du sang est conduit aux cœurs pulmonaires. (1) Voyez PI. 13 et 14. MILNE EDWARDS. — SUR LA CIRCULATION. 317 Les deux troncs viscéraux ou veines abdominales dont il vient d’être question (1) ressemblent beaucoup aux veines caves par leur disposition et par les poches membraneuses et glandulaires dont leurs parois sont garnies ; elles se dirigent en dehors et en avant, de facon à embrasser la masse viscérale, et elles recoivent de chaque côté du cœur une grosse veine , que l’on peut appeler veine génitale, car elle rapporte le sang de l'ovaire ou du testicule, suivant les sexes (PI. 14, r). Jusque là, ces troncs veineux n’of- frent rien de particulier; mais, dans le voisinage du gésier, ils présentent une disposition des plus remarquables : au lieu de naître de la réunion d’autres veines plus petites, ils se continuent sans interruption avec un immense réservoir veineux (2) qui occupe toute la face dorsale de l'abdomen , et ils semblent même n'être que la continuation de cette poche membraneuse. C’est à M. Delle Chiaje (3) qu'appartient le mérite d’avoir signalé, pour la première fois, cette disposition curieuse, dont la connaissance est de la plus haute importance pour l'intelligence du mécanisme de la circulation chez ces animaux. A cet égard, mes observations ne font que confirmer le fait annoncé par le savant investigateur de la Faune maritime de Naples; mais je ne puis adopter son opinion relativement à la nature de ce réservoir. M. Delle Chiaje, qui, du reste, n’en parle que très brièvement, le considère comme un simple sinus veineux, tandis que je ne puis y voir autre chose que la cavité viscérale elle-même. Pour montrer que la cavité abdominale concourt ainsi bien réellement à la formation du cercle circulatoire parcouru par le sang , il est nécessaire d’entrer dans quelques détails d’anatomie descriptive, que je m’efforcerai d’abréger autant que possible. Le corps du Poulpe, comme on le sait, est renfermé dans une sorte de sac formé par un grand repli de la peau, et garni de fibres musculaires : ce repli, que l’on désigne sous le nom de manteau, naît du bord postérieur de la tête, auquel il adhère, mais est libre dans presque tout le reste de son étendue, et l’espace compris (1) PI 43, 5,24; PL 44, f (2) PL 46, d, e. >) Op. cit 348 VOYAGE EN SICILE. entre la face interne de cette tunique et la masse viscérale consti- tue la chambre respiratoire, où se logent.les branchies (1). L’ab- domen est comme suspendu dans cette grande cavité palléale, et ses parois sont recouvertes par une membrane mince, qui n’est autre chose que la continuation de la peau ou enveloppe générale de l’animal. Dans quelques points, cette tunique est revêtue d’un pannicule charnu , et offre assez d’épaissear ; mais vers sa partie inférieure et latérale, elle devient fine et transparente, de façon à ressembler beaucoup à une membrane séreuse et à devenir facile à confondre avec le péritoine. La portion du corps ainsi circon- scrite (2) est occupée en majeure partie par une grande cavité péritonéale, dans laquelle flottent librement divers viscères ; mais, dans quelques points, les parois de l'abdomen adhèrent aux or- ganes placés au-dessous, et ceux-ci sont alors situés en dehors du sac formé par le péritoine. Le foie, dont le volume est très con- sidérable, est dans ce cas; il en est encore de même pour l’ap- pareil de la génération, pour le sac péricardique, et pour un sys- tème de poches aquifères qui communique avec la chambre res- piratoire par deux orifices situés près de la base des branchies, et qui logent dans leur intérieur les appendices glandulaires des grandes veines caves. L’intestin adhère également aux parois ab- dominales, de façon qu’en réalité il n’y a de cavité viscérale libre qu’à la partie dorsale de cette portion du corps ; mais la chambre, ainsi circonscrite , est en tout comparable à la cavité abdominale des autres Mollusques, si ce n’est que la membrane péritonéale dont elle est revêtue est mieux constituée. Elle s'étend depuis la bouche jusque dans le voisinage du fond de la bourse palléale, et se compose de trois portions principales qui toutes communiquent librement entre elles, mais qui sont séparées par des brides ou par des étranglements. La portion la plus reculée de cette cavité viscérale ou abdominale (3) est de forme arrondie et surmonte l’ovaire ou le testicule; elle loge le grand estomac spiral , et elle est séparée de la portion suivante par une cloison incomplète qui (1) Voyez l'atlas du Règne animal, Mollusques, pl. 44 (2) Voyez PI. 15. (3) PL. 44, e; PL 45 MILNE EDWARDS. — SUR LA CIRCULATION. 319 dépend du péritoine , et qui, allant se fixer au bord postérieur du gésier, remplit les fonctions d’un mésentère. La seconde portion de la cavité viscérale (1) est beaucoup plus vaste et s'étend de- puis le niveau du cœur aortique jusqu’à la nuque ; elle est ren- flée à ses deux extrémités, et lorsqu'on l’ouvre longitudinale- ment (PI. 15), on voit flotter dans son intérieur le gésier, le jabot, les deux glandes salivaires postérieures, la presque totalité de l'aorte ascendante et une portion de l’œsophage. Enfin, la portion antérieure ou céphalique de la cavité viscérale (2) se continue avec la précédente sous la forme d’un canal étroit qui renferme l’æsophage, et qui s’élargit antérieurement pour loger les glandes salivaires antérieures, le bulbe pharyngien et la base des mâ- choires. Dans cette dernière portion, la tunique péritonéale dis- paraît plus ou moins complétement, et la cavité n’est limitée que par le cartilage céphalique, la peau des lèvres, les muscles et les autres organes circonvoisins ; les nerfs des bras la traversent, et elle se continue, en dessus, avec la cavité cérébrale, qui n’en est même qu'une dépendance. C’est vers les deux tiers postérieurs de la portion moyenne de cette grande cavité viscérale que partent les deux canaux veineux dont il a été question ci-dessus comme se rendant à l’origine des veines caves. Dès leur naissance, ils sont d’un calibre très consi- dérable, etils communiquent chacun avec le sac péritonéal par une ouverture assez large pour laisser passer un gros stylet (3). Ces ouvertures se voient de chaque côté du gésier ; celle de gauche se montre dès qu'on ouvre la cavité abdominale, mais celle du côté opposé se trouve un peu au-dessous du gésier, et elle est cachée aussi par un des replis mésentériques. L'espèce de grande lacune qui entoure les principaux viscères se continue donc sans inter- ruption avec les troncs veineux , et, comme on vient de le voir, cette lacune n’est pas un sinus veineux ordinaire , mais la cavité abdominale tapissée d’un péritome , comme chez les animaux supérieurs. (4) PL 48, d; PI. (2) . 13. (3) P 390 VOYAGE EN SICILE. Le sang qui sort de ce vaste réservoir abdominal pour se rendre aux branchies par l'intermédiaire des conduits abdominaux et des veines caves y arrive de la bouche, des parties profondes des bras , des yeux et de la moitié antérieure de l’appareil digestif. Les veines labiales serpentent dans le repli tégumentaire qui entoure la bouche , et vont déboucher directement dans la partie voisine de la cavité viscérale. Vers le même point, on y voit aboutir également des veines à parois bien distinctes qui appar- tiennent au bulbe charnu de la bouche, et plus en dehors on re- marque les orifices d’une série de canaux qui sont des lacunes plutôt que des tubes, et qui se prolongent au centre des bras ; ces conduits livrent passage aux nerfs, et paraissent remplir aussi les fonctions de veines profondes pour tout le système musculaire des appendices céphaliques, Plus loin , en arrière, on distingue également une petite veine cérébrale, venant se dégorger dans la cavité générale , et sur les côtés on voit celle-ci en communi- cation avec un système de lacunes qui occupe la plus grande partie du fond de l'orbite, et qui recoit les veines choroïdiennes et quelques autres vaisseaux ophthalmiques. La disposition de ces parties est très remarquable ; mais je ne m'y arrêterai pas davan- tage en ce moment, car je me propose d’en donner une descrip- tion détaillée en traitant du système circulatoire du Calmar. Quant aux veines de l’œsophage , de l’estomac et des glandes sa- livaires, je ne les ai pas encore suivies d’une manière satisfaisante ; mais elles m'ont paru offrir ici une disposition analogue à celle de la bouche, et se terminer toutes dans la grande cavité viscérale. Quant aux veines du manteau, elles se réunissent en deux troncs principaux, qui vont déboucher directement dans les cœurs veineux , près de la terminaison des veines caves. Les figures que j'en donne (PI. 15, 4) me dispenseront d’en décrire ici le trajet; mais je dois noter que , tout le long de la base des branchies, ces vaisseaux constituent une sorte de plexus veineux très développé, dans lequel j'ai cru reconnaître une disposition analogue à celle d’un système portal. En résumé, on voit donc que le sang veineux venant des mus- cles des bras, des lèvres, des veux, et d’une portion considérable MILNE EDWARDS. — SUR LA CIRCULATION, 391 du système viscéral, est versé dans la grande lacune périgastrique ou cavité viscérale ; là, ce liquide baigne directement le bulbe pha- ryngien, l’æsophage, les glandes salivaires, les trois estomacs, le collet ganglionnaire , les principaux nerfs et l'artère aorte ascen- dante ; puis cette même cavité envoie directement le sang dans les deux troncs abdominaux, conduits auxquels viennent aboutir aussi les veines des organes génitaux. Le sang de toutes les parties su- perficielles de la tête, de l’entonnoir et du foie arrive, au con- traire, par les veines ordinaires, dans la grande veine cépha- lique, laquelle, après s’être anastomosée avec les deux canaux abdominaux, se bifurque pour constituer les deux veines caves. Ces dernières versent leur contenu dans les cœurs veineux cor- respondants, où les veines du manteau vont également aboutir. Enfin, ces cœurs donnent naissance aux artères branchiales, dont les rameaux, disposés comme ceux des vaisseaux efférents dont il a déjà été question, se distribuent sur toute l'étendue de la surface respiratoire , et y forment un réseau capillaire très beau. Les injections que M. Valenciennes et moi avons faites ont montré que, chez l’Argonaute, la disposition du système circula- toire est tout-à-fait la même que chez le Poulpe; mais, chez le Calmar, j'ai remarqué des différences assez considérables, que je ferai connaître dans un prochain article. EXPLICATION DES FIGURES. PLANCHE 15. Cette planche représente principalement le système artériel du Pouzre commun. L'animal a été ouvert du côté ventral ; le foie a été enlevé, et les intestins re- jetés sur le côté. On voit en : a,a la base des bras, garnis de leurs ventouses (a”).—b,b, la tête.—c, l'un des yeux. — d,d, le manteau ouvert et étendu. — e, l’entonnoir, dont la por tion basilaire a été enlevée d’un côté. — f, le bulbe pharyngien, portant le bec corné en avant, et fixe en arrière aux parois de la cavité viscérale par deux ligaments supérieurs. — g, les glandes salivaires antérieures.— k, les glandes salivaires postérieures , avec leurs ligaments suspenseurs (k') et leur conduit excréteur (h°) — i, l'œsophage. — j, le jabot. — k, le gésier. — 1, l'estomac 392 VOYAGE EN SICILE. spiral ou accessoire.—m. l'extrémité pylorique de l'intestin, de chaque côté de laquelle on voit les tronçons des canaux hépatiques. — m', les circonvolu- tions de l'intestin. — m'', l'anus rejeté de côté. — n, l'ovaire à la période d'inactivité — n',n’, les oviductes. — 0,0, les branchies. — p, le ventricule aortique ou cœur du milieu {Cuv.) — gq, l'aorte ascendante ou céphalique. — 1, son origine. — 2, les artères palléales. — 5, artère gastrique. — 4, ar- tère hépatique. — 5, artères œsophagiennes. — 6, artère salivaire. — 7,8, ar- tères pharyngiennes. — 9, artères principales de l'entonnoir. — ‘0, artères palpébrales. — 1!, artères auriculaires. — !2, artères dorsales de l'entonnoir. — 15, artères tentaculaires. — !#, artère aorte postérieure. — 15,15, artères nourricières des branchies. — 16, artère duodénale. — 17, artère anale. — 18, artère péricardique. — 19, artère génitale profonde. — pr,r, veines caves coupées près de leur origine, et rejetées de côté. — r', appendices glanduleux de ces veines. — s,s, cœurs veineux ou pulmonaires. — s’, artère branchiale. — 20, veines du manteau.—2!, tronc veineux du support branchial.—?22, ré- seau veineux occupant l'intérieur de ce support. — %, origine des conduits qui se rendent de la cavité abdominale à l’origine des veines caves. — t, vais- seau branchio-cardiaque ou veine branchiale. — u,u, oreillettes du cœur aor- tique. — », parois tégumentaires de l'abdomen. PLANCHE A4. Cette planche, destinée principalement à montrer le système veineux du Poulpe injecté en bleu , montre l'animal ouvert latéralement du côté droit (et non le côté gauche, comme on pourrait le croire, le lithographe ayant oublié de re- tourner son dessin en le transportant sur la pierre); le manteau est ouvert et en partie enlevé, la branchie droite renversée, et l’entonnoir creusé sur la ligne médiane. a,a, le manteau. — b,b, la tête. — c, l'œil. — d, portion moyenne de la L cavité viscérale, — e, portion postérieure de la même cavité. — f, l'un des canaux veineux qui se rendent de la cavité abdominale à l'origine des veines caves. — g, la grande veine céphalique. — g’, couronne veineuse de la tête, résultant de l'anastomose des veines tentaculaires. — h. l'une des veines caves naissant du point de rencontre des canaux veineux de l'abdomen et de la grande veine céphalique. — i,i, cœurs veineux auxquels vont aboutir les veines caves. — j, veine palléale se rendant également au cœur pulmonaire correspondant. — k, artère pulmonaire naissant du cœur pulmonaire, et portant le sang vei- neux à l'organe respiratoire. — 1, la branchie. — m, vaisseau branchio-car— diaque ou veine pulmonaire, — n, cœur aortique. — 0, artère aorte céphalique allant plonger dans la cavité viscérale, pour y remonter jusqu'à la base des ten- lacules — p, l'intestin. — 7», l'ovaire, — s, l'entonnoir. — », le foie. > MILNE EDWARDS. — SUR LA CIRCULATION. 393 PLANCHE 19. Cette figure représente un Poulpe qui, après avoir été injecté en bleu pour le système veineux, et en rouge pour le système artériel, par les vaisseaux affé- rents et efférents à l’une des branchies, a été ouvert sur la ligne médiane du dos, pour montrer l'intérieur de la cavité viscérale qui fait fonction de système veineux. a, l'æsophage. — b,b, les glandes salivaires postérieures. — c, le jabot. — d, le gésier. — e, l'estomac spiral. — f, portion de l'artère aorte ascendante, flottant dans la cavité viscérale. — g, paroi dorsale de la portion moyenne de la cavité viscérale renversée en dehors. — k, paroi de la portion postérieure de la même cavité, également ouverte. — 1, embouchure du conduit veineux du côté gauche, qui se rend de la cavité abdominale aux veines caves. — j, bride mésentérique supérieure, qui sert à suspendre le gésier, et qui cache l'autre orifice efférent de ce réservoir veineux.—{, portion des poches aquifères renfermant l’un des canaux veineux de l'abdomen, et ses appendices glandu- leux.—{’,l', portion des mêmes poches, renfermant les veines caves.—m,m, les deux cœurs pulmonaires —n, branchie. — 0, intestin.—p, ovaire.— 4, le foie. — r,r,r,r, piliers musculaires s'étendant de la face dorsale de l'abdomen à la voûte de la chambre branchiale. — s,s, base de la tête. — 1,t,1,t, le manteau ouvert et replié latéralement. PLANCHE 16. Portion inférieure du corps du Poulpe vu latéralement et ouvert, pour montrer la communication directe entre la cavité viscérale et le canal veineux du côté droit ; ce canal a été ouvert, ainsi que la portion voisine de la cavité viscérale, et un stylet a été introduit dans l’orifice par lequel le sang veineux, après avoir baigné les viscères, sort de la poche péritonéale pour se rendre dans les veines caves. a,a,a, le manteau.— b, portion post-céphalique de la cavité viscérale, dont les parois sont intactes. — c,c,c, portion moyenne de la même cavité, dont les parois ont été fendues et rejetées en dehors. — d, portion inférieure du jabot. — e, le gésier. — f, bride mésentérique supérieure. — g, bride mésentérique postérieure. — À, canaux hépatiques. — à, intestin. — j, portion postérieure de la cavité viscérale renfermant l'estomac spiral. — X, canal veineux efférent à la cavité abdominale. — /, l'une des veines génitales profondes, allant dé- boucher dans ce canal veineux.—m grande veine céphalique allant se réunir aux deux canaux veineux de l'abdomen, pour constituer ensuite les deux veines caves — n, l'une de ces veines caves. — 0, l’un des cœurs veineux. — p, portion d'une des oreillettes. — q, ventricule aortique. — r, origine de l'aorte ascendante. — s, portion moyenne du même vaisseau — t, le foie. — u, l'o- vaire. — », l'intesun. — x, l'un des piliers charnus du manteau (La suite à un prochain cahier.) 3° série Zoo. T. IT (Juin 1845.) 5 23 20! BERNARD-DESCHAMPS. — SUR LES ÉLYTRES RECHERCHES MICROSCOPIQUES SUR L'ORGANISATION DES ÉLYTRES DES COLÉOPTÈRES ; Par M. BERNARD DESCHAMPS (d'Auxerre). Dans ces derniers temps, trois anatomistes distingués, Landobr, Léon Dufour et Straus Durckheim, se sont livrés à des travaux importants sur l'organisation des Coléoptères : le dernier, dans son savant ouvrage in- titulé : Considérations générales sur l'anatomie comparée des Animauæ arti- culés, qui a paru en 1828, a fait connaître , avec l'anatomie interne des Coléoptères, l'organisation des parties extérieures de ces Insectes. H a re - connu que leurs téguments sont composés de trois couches; la premiére, très mince , est une espèce de vernis étendu sur tout le corps de l’Insecte, soluble dans l'alcool, et intimement uni à l’épiderme , don il est fort dif- ficile de le séparer : c’est à ce vernis que sont dues ces couleurs brillantes et variées dont la nature a orné la robe des Coléoptères. Nous avons re- marqué que, dans un fort grand nombre, le vernis colorant des élytres, qui, à la simple vue, paraît chagriné plus ou moins finement , observé à un grossissement de 300, paraît formé de petites écailles ou facettes , ayant assez souvent la figure de pentagones ou d’hexagones plus ou moins réguliers. H La deuxième couche, plus épaisse que le vernis colorant, est dure, cassante, quelquefois même friable, et ne laisse apercevoir aucune trace de fibres; elle est formée par l’épiderme percé d’une infinité de pores, d’où sortent les poils et les écailles qu’on voit sur toutes les parties du corps des Coléoptères, et qui sont implantés sur des bulbes, de la même manière que les poils des Vertébrés. Ces bulbes présentent deux renfle- ments, l’un hémisphérique et l’autre en disque arrondi, du centre du- quel sort le poil. La troisième couche est le derme composé de plusieurs lames distinctes ; ces lames, quelquefois faciles à séparer, mais cependant dont la forte adhérence ne peut souvent permettre d’en déterminer le nombre, sont formées de fibres, qui tantôt s’entrecroisent dans tous les sens, tantôt sont longitudinales ou transversales , imitant parfois le tissu de la toile. Le derme , rarement blanc, est presque toujours d’un brun clair. Plusieurs chimistes distingués ont fait l'analyse des différentes couches dont se composent les téguments des élytres ; il en résulte qu’on y trouve, outre diverses substances dont l'indication ici serait inutile, une matière animale brune, insoluble dans l’aicool, et contenue dans le tissu de l’épi- derme et du derme; une huile colorée , soluble dans l'alcool, analogue à celle qui donne la couleur aux poils des Vertébrés, laquelle est toujours placée à la face interne des téguments. Ces détails nous ont paru néces- saires pour l'intelligence de nos recherches sur leur organisation. Les élytres des Coléoptéres . on étuis , de consistance cornée, qui, dans DES COLÉOPTÈRES. 355 le plus grand nombre de ces Insectes, dérobent presque entièrement à la vue la face supérieure de leur corps, qu'ils abritent el préservent, en sont aussi les parties les plus curieuses, puisque cest sur cette espèce de cui- rasse que la nature à répandu avec profusion ces couleurs éclatantes si riches et si variées qu'on ne peut se lasser d'admirer. Ces premières ailes présentent plusieurs parties : la base fixée an mélalhorax, à l’aide de di- verses pelites pièces ; le sommet qui est opposé à la base; un bord anté rieur ou externe; un bord postérieur ou interne nommé suture, enfin deux faces, l'une supérieure et l'autre inférieure. Les élytres sont très courts dans les Staphylins et les Méloés; pius courts que l'abdomen dans les Nécrophores, et plus longs dans les Brentes : ils sont convexes dans presque tous les Coléoptères; dans les Téléphores, ils sont linéaires, c’est- à-dire étroits et d'égale largeur. On dit qu'ils sont amincis, lorsqu'ils vont en diminuant de largeur de la base au sommet, comme dans les Leptures et quelques Nécidales ; dilatés, lorsqu'ils forment une expansion plus ou moins grande, comme dans les Lycus. Leur face supérieure esl unie dans la plupart des Buprestes; alors on l'appelle lisse ; on dit qu'elle est poin- tillée , lorsqu'elle est parsemée de petits points enfoncés, bien distincts, comme dans beaucoup d'espèces de Chrysomèles ; chagrinée , lorsque ces points sont élevés ‘quelques Charancons); trmenteuse , lorsqu'elle est couverte d’un duvet cotonneux (divers Lagries et Hannelons) ; poileuse , lorsqu'elle est couverte de poils; velue , lorsque ces poils sont serrés et doux au toucher: hispide , lorsqu'ils sont roides et épais; hérissée , lors- qu'ils sont serrés, longs et roides {un grand nombre de Coléoptères de tous genres) ; fasciculée , lorsque les poils sont réunis en bouppes ou faisceaux (quelques Buprestes) ; muriquée, quand elle est couverte de poils longs, élevés et presque épineux (divers Charançons) ; épineuse, lorsque ces poils sont de véritables épines très aiguës (quelques Hispides et divers Charan- cons) ; glabre, lorsqu'elle ne présente ni poils, ni épines, ni écailles (plu - sieurs Coléoptères de tous genres) ; écailleuse , lorsqu'elle est couverte de petites lames très minces , imbriquées (un grand nombre de Charancçons, quelques Céloines et Hannetons, et divers Longicornes) ; raboteuse, lors- qu'on y aperçoit des élévations inégales, distantes (plusieurs espèces de Longicornes) ; verruqueuse, lorsqu'elles sont plus grandes et comme ci- catrisées, ayant la forme de verrues (la plupart des Brachycères) ; striée, lorsqu'on y voit des lignes longitudinales, régulières, enfoncées (une grande partie des Coléoptères). On dit que les élytres ont des stries poin- tillées , lorsque chaque strie laisse voir des points enfoncés (quelques Cha- rançons) ; qu'ils ont des points en strie, lorsque les stries sont formées par une série de points erfoncés (quelques Dytiques): qu'ils sont sillonnés, lorsqu'on y voit des enfoncements larges el profonds (quelques Carabes et plusieurs espèces de Taupins) ; rugueux, lorsqu'ils ont des lignes élevées, irrégulières, se divisant dans tous les sens (plusieurs Boucliers) ; réliculés, lorsque les lignes élevées forment, par leur irrégularité, une espéce de ré- seau , comme dans les Lycus; crénelés, lorsque ces lignes laissent voir des ondulalions ou des élévations régulières, à la suile les unes des autres 396 BERNARD-DESCHAMPS. — SUR LES ÉLYTRES (quelques Charançons). On dit aussi que les élytres sont rebordés, lors- que leurs côlés sont élevés, comme dans les Boucliers et les Cassides; que leurs bords sont en scie, lorsque ces côtés présentent les dents d’unescie, ainsi qu'on le voit dans la plupart des ‘Buprestes ; enfin qu’ils sont sinués, lorsqu'ils ont des échancrures bien marquées, comme dans une espèce de Bouclier (Sylpha sinuata). Quant aux extrémitésdes élytres, on dit qu'elles sont obtuses, lorsqu'elles se terminent en pointe mousse, de même que dans la plupart des Longicornes; tronquées, lorsqu'elles paraissent cou- pées postérieurement, ce qui a lieu dans les Staphylins: aiguës, lors- qu’elles sont terminées en pointe, ainsi qu’on le voit dans quelques Brentes ; mucronées, quand elles sont tronquées ou échancrées, et munies au milieu d’un aiguillon,comme celles de plusieurs espèces de Buprestes; et bidentées, lorsqu'elles sont terminées par deux dents aigues, ce qui est assez rare. Dans différentes espèces de Coléoptères , les élytres sont intimement soudés par leurs bords postérieurs ; dans ce cas, ils sont en- tièrement privés d'ailes, dont ils n'ont que les rudiments. Nous allons actuellement parler de l'examen m'croscopique de la face supérieure des Élytres des Coléoptères, dont nous venons de faire con- naître la structure, ainsi que toutes les différences qu’elle présente (1). (1) De toutes les couleurs dont brillent les élytres des Coléoptères, nous n'en avons reconnu jusqu'à présent aucune qui soit l'effet d’une irisation semblable à celle produite par la lamelle inférieure des petites écailles qui ornent les ailes des Lépidoptères, dont nous avons fait connaître l'organisation dans nos Recherches microscopiques insérées dans les Annales des Sciences naturelles, page 4144 du tome JIT de la deuxième série. Nous croyons devoir faire ici cette remarque pour éviter une nouvelle critique de l’un de nos plus habiles micrographes, qui a traité d'illusion la découverte que nous avons faite des couleurs aussi brillantes que va- riées de ces écailles, observées , soit par réflexion, soit par transparence, comme si nous avions avancé qu'elles leur sont propres , et cela, parce qu'après le mot couleurs, nous n'avons pas ajouté celui irisées. Nous y aurions sûrement pensé si nous avions cru que personne püût avoir le moindre doute à ce sujet ; et nous pou- vons assurer que, de tous les savants naturalistes auxquels nous avons eu l'occa- sion de communiquer ces observations, il n’en est aucun qui ne les ait trouvées aussi intéressantes que curieuses ; tous ont admiré le brillant effet des couleurs variées de ces écailles, qu'ils ont reconnu, comme nous, être dues à une vive iri- sation à laquelle notre critique paraît n'attacher aucune importance. Nous pen- sons que le seul cas où l'on aurait le droit de taxer d'illusion nos observations sur ces couleurs, est celui où les effets que nous avons signalés ne seraient pas pro- duits. Cette réflexion doit s'appliquer également aux trachées utriculaires des plu- mules de la Piéride de la rave (le petit Papillon du chou), qu'on voit disparaître instantanément et reparaitre ensuile plus tard, ce que nous avons reconnu assez souvent pour être toujours affirmatif à cet égard. DES GOLÉOPTÈRES. 307 Les couleurs riches et variées qu’elle réfléchit sont visib'es à l'œil nu ; ce sont elles qui fixent plus particulièrement l'attention du naturaliste et de l'amateur à la vue d'une collection de Coléoptères ; mais le plaisir qu’elle leur procure ne peut se comparer à celui qu'éprouve le micrographe , qui, à l’aide de son instrument , découvre des beautés dont ils ne peu- vent se faire une idée au simple aspect de cette collection. Ces vives cou- leurs, dont l'éclat n’est surpassé par aucune de celles qu’offrent les plus brillantes produetions de la nature, sont dues souvent aux petites écailles qui recouvrent les élytres de plusieurs espèces de Charançons faisant partie des genres (1) Entimus, Naupactus, Eustales, Metallites, Polydrusus, Prilopus, Prepodes et autres. Ces écailles, de même que celles de teintes sombres et ternes qui se trouvent sur les élytres d’un grand nombre d'espèces de Charançons et de plusieurs autres comprises dans les genres Melolontha, Cetonia, ete., n'ont pas toutes la même forme ; ce sont géné- ratement de petites poches membraneuses remplies d'air , le plus souvent rondes ou ovales, plus ou moins renflées, plus ou moins aplaties, que termine un pédicule par lequel chacune d'elles est implantée sur un bulbe fixé dans le derme de lélytre. C'est surtout dans le genre Entimus que se trouvent les Charancons, dont les vives couleurs sont dues aux écailles de leurs élytres: nous citerons le Charancon impérial (Entimus imperialis) comme le plus riche en ce genre. Ses élytres ontenviron 2 cen- timètres de long : ils sont anguleux à leur base. et (erminés en pointe ar- rondie ; ils ont des stries linéaires , élevées , noires et luisantes , entre les- queiles sont autant de points enfoncés , assez gros , très brillants, dont le milieu faisse voir dans chacun un petit point noir. Les points enfoncés doivent leurs couleurs à de pelites écailles allongées, formées de lames minces, el Gont la plus grande partie est d'un vert doré éclatant : parmi ces écailles, il s’en trouve d’autres, en petit nombre, qui réfléchissent toutes les vives couleurs des pierres précieuses orientales de l'espèce mi- nérale appelé Coryndon. Il résulte de la disposition de ces écailles, du poli le plus vif, que les élytres du Charançon impérial offrent, à la simple vue, les reflets éclatants du diamant. En les observant par transparence, on reconnaîtra que leurs lames réfractent de la manière la plus brillante la couleur rose, ainsi que toutes les nuances, et que leurs stries sont moins distinctes qu’à la lumière réfléchie. Les écailles implantées sur les élytres de différentes espèces de Charançons, comprises dans les genres Polydru- sus, Metallites, et dans quelques autres, produisent le même effet que celles du Charançon impérial. Les élytres du Charançon noble (Entimus nobilis), plus petit que l’Impérial, auquel il ressemble beaucoup; du fastueux (Entimus fastuosus) ; du somptueux (Entimus sumptuosus) ; du Charancon royal (Prepodes regalis) , insecte admirable , trés rare dans les collections ; et de beaucoup d’autres que nous n'avons pas eu l’occasion d'observer, brillent aussi de couleurs très vives, également dues aux pe- (1) Nous avons suivi, pour la classification des Coléoptères et leur nomencla- ture, le Catalogne de M le comte Dejean, généralement adopté 398 BERNARD-DESCHAMPS, — SUR LES ÉLYTRES tites écailles qui recouvrent les élytres, et quelquefois même la plus grande partie du corps de ces magnifiques Insectes. Les couleurs variées si éclatantes que réfléchissent les élytres privés d'écailles se font remarquer sur un certain nombre d'espèces faisant par- tie des genres Carabus, Stenochia, Pyrodes, Helops, Colaspis, Eumolpus, Cryptocephalus , Chrysomela, ete. ete., et sur d’autres comprises dans les genres formant la subdivision des grands genres Hisler, Buprestis, Altica, Cerambiæ, etc, ele.: tous ces élytres présentent à l’observateur un champ vasle et curieux. Le micrographe peut facilement reconnaitre, à la simple vue de la face supérieure des élytres brillants des Coiéoptères, ceux dont l'examen doit lui offrir le plus d'intérêt ; il n’en est pas de même des élytres à observer par transparence, dont il lui serait impossible de distinguer l'organisa- tion sans le secours du microscope. Nous avons dit précédemment que les téguments des élytres des Co- léoptères sont composés de trois couches : un vernis colorant, un épi- derme et un derme; l'examen microscopique de ces élytres observés par réfraction nous a fait découvrir une quatrième couche, véritable réseau dont la structure est admirable. Ce réseau, d’une grande transparence et presque toujours incolore, nous à paru composé de trois lamelles distinctes; celle extérieure ressemble à une gaze dont la broderie légère, disposée régulièrement , a l'aspect d’un tulle brodé : les points de cette broderie, qu'on ne peut bien distinguer qu’à un fort grossissement, va- rient assez souvent de forme. Cette gaze n'existe pas dans les élylres d'un grand nombre de Curculionites , ni dans ceux de plusieurs autres espèces de Coléoptères; souvent, et cela particulièrement dans les petits, le moindre frottement suffit pour l'enlever en partie; on n’en sera nulle- ment supris , lorsqu'on saura que le pointillé qu’elle présente fait saillie sur sa lamelle : cette saillie n’est pas la même dans tous les points, dont la hauteur moyenne peut être évaluée, dans le Criocère du lis (Lema merdigera) , à 1/200 de millimètre. Dans le même insecte , chacun de ces points a la forme d’un petit cône terminé par une pointe aigué, légère- ment inclinée du côté du sommet de l'élytre, et ressemble parfaitement aux peliles épines de la ronce. En examinant la surface de la gaze, on reconnailra , à un grossissement de 700 , que, dans chaque épine . le cône est un peu ondulé, et que l’épine proprement dite est d’un jaune faible. Dans l'Aphodius rufescens , le puintillé est formé de petites épines , à peu près semblables à celles du Criocère du lis; il en diffère en ce que sou- vent chaque épine, au lieu d'être isolée, est accompagnée d’une ou de plusieurs épines beaucoup plus courtes, ce qui forme sur la lamelle de la gaze quantité de petits groupes qui semblent la soulever un peu; ce qui se voit également dans les élytres du Criocère du lis. Le pointillé de la gaze est fort gros dans les Cétoines et les Leptures; d’une finesse extrême dans différentes espèces d’Aphodies ; très saillant dans le genre Hispa : sa forme diffère beaucoup dans plusieurs Chrysomèles et dans les Leptures. On pourrait croire que la saillie du pointillé de la gaze a pour but de di- DES COLÉOPTÈRES. 309 minuer le frottement des ailes des Coléoptères avec leurs élytres pour en faciliter le déploiement , à Faide des parties buileuses dont il parait im- prégné, ce qui semblerait inutile dans les élytres où ce pointillé n’existe pas. Après cette gaze se trouve une lamelle d’une ténuité extrême , qu'on ne peut apercevoir que très difficilement ; puis, enfin, immédiatement après le derme, une dernière lamelle moins mince que les deux autres, sur laquelle se dessinent ces rosaces , ces médaillons de formes variées si gracieuses , ces broderies légères , ces arborisations curieuses, el tous ces ornements admirables qu’on voil au travers des autres téguments des élytres : c’est à l'épiderme qu'ils doivent leurs brillantes couleurs, dont le bleu et le vert semblent pour airsi dire exclus ; cette dernière couleur est due , dans deux Cassides (Cassida viridis, Cassida equestris,, à l'huile colorée de leurs élytres. Les couleurs de l'épiderme sont , généralement , le jaune et le rouge, ainsi que leurs nombreuses variélés et leurs nuances infinies ; nous sommes porté à croire qu'il est loujours blanc dans les élvtres auxquels la matière huileuse donne sa couleur. Au centre des médaillons et autres ornements dont nous venons de parler , se voient souvent de pelits boutons colorés , plus ou moins brillants , qu’environne une auréole de cercles concentriques, autour desquels on aperçoit dans le réseau des élytres de différents insectes, notamment dans celui de lAphodius rufescens, une zone de substance blanche , spongieuse , plus opaque, et ayant une apparence neigeuse; ces boutons font souvent l'effet de pierres précieuses richement enchässées. Tous ces divers orne- ments, où l'or, l'argent et l'acier le plus éclatant, semblent souvent le disputer aux riches couleurs de l’épiderme, sont presque toujours accom- pagnés de granulations formant parfois des arborisations charmantes , mais qui, le plus souvent, nuisent par leur opacité à l'effet curieux du réseau , lequel, dans plusieurs circonstances, se trouve entièrement mas- qué par les parties graisseuses exsudées du corps des Insectes, qui s’y sont fixées. Dans les élytres opaques, le réseau ne peut être vu qu’à la lumière réfléchie , à moins qu’on ne soil parvenu à le mettre à nu (1); quelquefois il se détache assez facilement dans plusieurs Insectes de grande et de moyenne dimension, nolamment dans les Géotrupes, et l’on peut aisé- ment se convaincre que son organisalion n a point de rapport avec celle des autres téguments de l’élytre : on y voil toujours trois grosses trachées {ubulaires partant de sa base, et recevant l'air du corps de l'insecte , de (1) Avec un peu d'adresse, on réussit aisément à enlever l'épiderme et le derme des élytres, et cela au moyen d’un petit instrument tranchant bien affilé : c'est la seule manière de pouvoir distinguer parfaitement ces téguments, ainsi que les lamelles du réseau. Lorsque les élytres sont durs et épais, on aura recours à ia lime, dont le même instrument fera disparaître facilement les sillons qui nuiraient a l'observation du réseau. Nous ferons remarquer que toutes les observations des elytres par transparence doivent être faites à la lumière artificielle, en ayant soin de se servir toujours de diaphragmes en rapport avec leurs dimensions. 360 BERNARD-DESCHAMPS. — SUR LES ÉLYTRES même que celles plus petites qui s’anastomosent avec elles. Ces trachées parcourent l'élytre dans toute sa longueur; elles sont plus ou moins droites, souvent irrégulièrement sinuées, ayant quelquefois la forme d’un reptile en mouvement, dont elles imitent mêmela peau. On a beau- coup de peine à les distinguer dans an grand nombre de Coléoptères, surtout dans les Curculionites, se trouvant masquées par la couleur fon- cée de l’épiderme , par les lames fibreuses du derme, par les dessins et par les granulations du réseau. Dans les élytres des Insectes dont se compose le genre Melolontha, on aperçoit sur la gaze du réseau, et particulièrement à leur base, un grand nombre de poils fort longs, garnis d’épines courtes; dans le Hanneton commun (Melolontha vulgaris), ces poils, observés à un grossissement de 350, présentent , dans le sens de leur longueur, des côtes ou nervures sur lesquelles prennent naissance ces épines ; ils en sont dépourvus dans la partie voisine de leur implantalion , où les nervures sont peu ap- parentes ; à cet endroit, ils s'arrondissent et se terminent par un bourre- let faisant saillie sur le réseau. On voit sur la face supérieure des mêmes élytres des écailles blanches de la forme d’un cône qui serait aplali, et dont les bords plus clairs sont garnis de petites dentelures : plusieurs es- pèces de Coléoptères appartenant à différents genres ont aussi de longs poils épineux sur une partie du réseau de leurs élytres. Il nous reste à parler de la matière huileuse qui se trouve dans les élytres des Coléoptères, auxquels elle donne sa couleur : c’est surtout dans ceux d’une partie des espèces dont se composent les genres Melolon- tha, Aphodius, Lema, Litta, Apate, Clerus, Cerocoma, Mylabris , Chryso- mela et autres, que l’on reconnait cette huile colorée, signalée par M. Straus dans son savant ouvrage dont nous avons déjà eu l'occasion de parler. Le Criocère du lis étant l’un des insectes dont les élytres con- tiennent le plus d'huile colorée , nous le choisirons de préférence pour faire connaitre nos observalions sur cette matière, qui nous paraît se trouver toujours entre le derme et le réseau. Si l’on place sur la platine du microscope un élytre détaché du corps de cet insecte lorsqu'il est vi- vant, et qu'on l’observe de suite par transparence à un grossissement seulement de 100, on verra que l'huile colorée s'y montre sous la forme de granulations irrégulières d’un rouge sombre, que baigne un liquide d’un rouge brillant plus clair. Si, laissant cet élytre dans la même posi- tion , on l’examine cinq ou six heures après, plus ou moins, on recon naitra que la partie la plus fluide de l'huile colorée a entrainé avec elle les granulalions , autour des points circulaires de deux dimensions, sorte de stigmates dont l’élytre est couvert , et y ont formé des dessins figurés très curieux, souvent brillants et toujours variés : nous ajoulerons qu’on voit toujours au travers des lacunes laissées par l’évaporation et des stig- males de lélitre, le pointillé de la gaze du réseau, lorsqu'ils ne sont pas masqués par des granulations. On peut suivre aisément les progrès de l’'évaporation du liquide, en observant l’élytre à des intervalles rappro- chés ; les changements qu'on y remarque ont également lieu dans tous DES COLÉOPTÈRES. 361 les élytres qui contiennent plus ou moins d'huile colorée. Nous devons faire observer qu'il est nécessaire, avant d'examiner au microscope les élytres des Coléoptères, d'en faire disparaître les poils, les épines et les écailles , dont les bulbes, quelquefois brillants, ajoutent à la beauté des ornements du réseau que voilent plus ou moins ces organes accessoires. Dés l'instant où nous avons découvert, dans les élytres des Coléoptères, l'existence du réseau dont il n’est pas à notre connaissance qu'aucun na- turaliste ait encore parlé, nous avons dù chercher à nous assurer des différences que peul présenter son organisalion dans les genres et même dans les espèces ; pour y parvenir , nous avons commencé par nous pro- curer le plus de Coléoptères, lant indigènes qu'exoliques, qu’il nous a élé possible, et, après les avoir classés, nous nous sommes occupé de leur examen : il en est résulté pour nous une précieuse collection microsco- pique d’élytres, fort peu nombreuse à la vérité, comparativement à la prodigieuse quantité de Coléoptères connus, mais d’une rare perfection pour la beauté et la netteté des dessins du réseau , dont nous étions loin de nous faire une juste idée. On se figurera facilement le temps et la pa- tience qu'il nous a fallu pour former cet{e collection , lorsqu'on saura que souvent nous avons élé obligé de passer en revue les élytres de plus de trente individus de la même espèce, avant d'en trouver un seul qui ne nous laissât rien ou du moins que peu de chose à désirer, ce que nous n’a- vons pu même obtenir dans quantité d'espèces dont nous avons examiné les élytres sans aucun résultat satisfaisant. Comme il nous a été impossible d’observer un assez grand nombre de Coléoptères pour pouvoir donner tous les détails désirables sur les dessins variés à l'infini du réseau de leurs élytres et sur les diverses formes du pointillé de leur gaze, nous nous bornerons à indiquer ici les espèces dans lesquelles nous avons trouvé ce que notre collection offre de plus parfait; nous citerons donc, comme de véritables critérium, les élytres choisis des espèces ci-après , en ayant soin d'indiquer les pays où elles se trouvent , savoir : Dans les Coléoptères autres que les Curcutionites, Ditomus sulcatus (France méridionale) ; Scarites Pyragmon (id.); Feronla omasens, Melanaria, Sybister Ræsilii, Staphylinus olens (Paris); Cratonychus niger (Autriche); Agrypuus murinus (Paris) ; Cardiorhynus axillaris (Brésil) ; Corynctes violaceus, Sylpha atrata, Hister lunatus (Paris) ; Elo- phorus aquaticus (Autriche) ; Phanœus carnifexæ (Amérique du Nord): On- lophagus Schreberi (Paris); Ontophagus quadripustulatus (Java); Apho dius erraticus , rufipes, subterraneus, Luridus (Paris); Melolontha vulgaris (France) ; Trachyderma hispida (Egypte); Cetonia stolata (Sénégal) ; Tage- nia filiformis (France méridionale) ; Heliopates gibbus (France boréale) : Pedinus gibbosus (Grèce); Philax crenatus, meridionalis (France méridio- nale\; Phaleria bimaculata (id.); Diaperis boleti (Paris); Helops Reichi tCorfou); Lagria confusa (Sénégal); Mylabris variabilis (France méridio- nale); Apate capucina (Paris); Trachyderes rufipes, Amilocera sanguinea (Brésil); Oncideres ægrotus (Cayenne); Stenura melanura, Leptura livida 362 BERNARD-DESCHAMPS. — SUR LES ÉLYTRES (Paris); Lema femorata (Java) ; Lema armata (Sierra-Leona); Hispa atrata (Paris); Hispa purpurea, spinulosa (Sénégal) ; Asteriza flavicornis (Saint- Domingue) ; Cassida nobilis , equestris , viridis (Paris) ; Cassida quadrimacu- lata (Sénégal) ; Adimonia Tanaceti , interrupla (Paris) ; Calligrapha hyero- gliphica (Mexique); Chrysomela staphhlæa, helodes Phellandrii (Paris) ; Colaspis smaragdula (Cuba); Colaspis flavicornis (Cayenne) ; Clythra qua- dripunctata (Paris) ; Labistomis aæillaris (France méridionale); Cryptoce- phalus violaceus, minutus (Paris). Dans les Curculioniles : Apion frumentarium, Pomonæ , Pisi (Paris) ; Apion minimum (Suisse); Apoderus histria (Java) ; Entimus imperialis, fastuosus (Brésil) ; Arrhenodes lalirostris (Java); Diaprepes festivus (Guadeloupe) ; Eustales smaragdinus, Thumbergi (Brésil); Naupactus decorus , interruptus (Brésil) ; Polydrusus flavipes, Betulæ (Paris); Hypsonotus clavwulus , laleralis, clericus , senicus (Brésil) ; Lordops navicularis (Brésil) ; Liophlæus nubilus, Hylobius abietis (France); Hylobius pineti (Suisse); Phylonomus variabilis, punctatus , dauci, nigrirostris (Paris); Trachyphlæus sulcicollis, Otiorhynchus ligustici (Paris) ; Otiorhbnchus atroapterus (Suisse) ; Otiorhynchus cribricollis (France méridionale); Lixus fiiformis (Varis); Larinus onoperdinis (Egypte): Heylipus apiatus (Cayenne); Heylipus calamitosus (Brésil) ; Erirhynus acridulus (ANemagne); Erirhynus bimaculatus, nereis (Suisse) ; Erirhynus nigrila (Colombie); Balaninus cerasorum (Suisse); Balaninus nucum (Paris); Ameris pavo (Brésil); Alcides senex (Sierra- Leona); Cryptorhyn- chus Lapathy (Paris); Cælosternus aciculatus (Brésil); Macromerus crinitar- sis (Brésil); Ceutorhynchus echii, cruciger , quercus (Paris); Ceutorhynchus raphani (Allemagne). Nous avons reconnu que les Coléoptères dont le réseau des élytres présente les arborisalions et les broderies les plus curieuses appartien- nent plus particulièrement aux genres Lebia, Dromius, Badister, Pogonus, Anchomenus, Agonum, Yps, Encaustes, Hister, Hadrophôlus , Ateuchus , Coprobius, Copris, Ontophagus, Onitis, Aphodius , Cyclocephala, rutela , Anomala, Anisoplia, Melolontha, Cetonia, Allecula, Omophylus, Aromia , Callidium, Pachyta, Lema, Botrionapa, Deloyala, Coptocycla, Asteriza, Cassida, Galleruca, Doryphora, Chrysomela, Helodes, Eumolpus Clythra, Phalacrus el Lycoperdina. Nous croyons pouvoir assurer qu'une grande partie des espèces formant, dans les Curculionites, les genres Apion, Naupactus, Eustales, Diaprepes, Anæmerus, Sitona, polydrosus , Metallites, Hypsonotus, Hylobius, Phytonomus, Trachyphlœus, Larinus, Heylipus, Pissodes, Balaninus , Mecopus , Cryptorhynchus , Cœælosternus et Centorhyn- chus, doit fournir des élytres d’une grande perfection , dont les dessins variés si gracieux sont aussi admirables que leurs couleurs riches et suaves ont d'éclat et de moelleux. Nous avons cru devoir donner toutes les indications qui précèdent pour guider les entomologistes micrographes qui voudraient répéter nos ob- servalions ou qui auraient l'intention de continuer nos recherches, et pour faciliter le travail de ces derniers. Ce ne sera jamais qu'en obser- DES COLÉOPTÈRES. 363 vant les élytres d'un très grand nombre de Coléoptères indigènes et exo- tiques qu’on parviendra à s'assurer des différences qui doivent exister dans la structure de leurs téguments , el particulièrement de leur réseau des poils et des écailles qui les recouvrent. Nous désirons beaucoup que les observations nombreuses dont nous venons de présenter le résultat puissent , de même que celles que nous avons fait connaître sur l’organisation des ailes des Lépidoptères , contri- buer à l'avancement de la science, heureux si nous ayons pu aider à sou- lever quelque partie du voile qui nous dérobe encore tant de merveilles, dont la nature se montre loujours si prodigue. Nous croyons ue pas devoir lerminer, sans signaler à la science une lacune immense qui existe dans la collection si riche et si nombreuse de toutes les productions de la nature qu'on admire dans les vastes galeries du Muséum d'histoire naturelle du Jardin du Roi, et dont les plus petites peuvent se distinguer à la simple vue. Combien serait plus nombreuse la réunion des objets qu'on ne peut apercevoir qu’à l’aide d’un grossissement plugou moins fort ! telle est la lacune dont nous voulons parler. Il est un moyen bien facile de la faire disparaitre : ce serait de joindre à ces galeries un cabinet d'observations microscopiques, dirigé par uu savant natura- liste micrographe. Ce cabinet, muni des meilleurs microscopes , serait di- visé en autant de sections qu’en exigerait la science, au progrès de la- quelle unétablissementdece genre contribuerait sans doute puissamment Tous les corps microscopiques qui pourraient offrir quelque intérêl se- raient disposés sur des porte-objets, de manière à être indestrustibles ; on parviendrait alors à former à la longue une collection des plus intéres- santes de tout ce quela nature semble avoir voulu dérober à nos regards; elle serait pour les infiniment petits ce qu'est pour tous les autres celle que renferme le Muséum d'histoire naturelle du Jardin du Roi, dont elle formerait le complément, el mettrait en évidence celte grande vérité : Maxime miranda in minimis, exprimée par le sublime peintre de la na- ture , l'un des plus grands génies du xvin siècle, et trop généralement méconnue. Combien il est à regrelter pour la science que le cabinet dont nous parlons n’ait pas été ouvert en même temps que les galeries du Mu- séum d'histoire naturelle! car on y verrait aujourd’hui une collection mi- croscopique aussi curieuse en son genre que celles que présentent ces magnifiques galeries. Nous avons la ferme conviction que, si la lacune que nous venons d'indiquer eût été signalée, au commencement de son règne, au monarque qui gouverne si glorieusement la France, il y a long- temps qu’elle n’existerait plus; tout ce qu’il a fait jusqu’à présent de grand et de généreux pour le progrès des sciences el des arts, et les encourage- ments qu'il ne cesse de donner pour porter en France l’industrie à son plus haut degré de perfection , en sont le plus sûr garant. 36 NEWPORT.— DÉVELOPPEMENT DES CORPUSCULES SANGUINS. OBSERVATIONS SUR LE DÉVELOPPEMENT DES CORPUSCULES SANGUINS CHEZ LES INSECTES ET AUTRES INVERTÉBRÉS ; Par M. G. NEWPORT. (Extrait) (1). Le principal but du Mémoire actuel est de montrer l’analogie qui existe entre les différents corpuscules du sang des Insectes et de celui des Verté- brés, afin de suivre les changements que le premier éprouve comparati- vement au second, et de faire voir que, sous le rapport du développement et des fonctions, ils sont analogues aux cellules de sécrétion. Pour le dé- montrer, l’auteur expose d’une manière sommaire le peu de connais- sances qu’on a possédées jusqu’à présent sur les corpuscules chez les Arti- culés, et les différentes descriptions qu’en ont données MM. Carus, Spence, Wagner, Bowerbank, Edwards, Barry et quelques autres, qui tous l'ont décrit différemment, un seul, M. Bowerbank, en ayant indiqué correcte- ment la forme. Il fait ensuite remarquer que pendant qu'il était occupé, en juin 1844, à faire d’autres observations, il avait trouvé que les corpuscules de la forme d’un grain d'avoine, si abondants dans l’état de chenille chez l’In- secte, disparaissent avant qu'il soit parvenu à l’état parfait ou à l’état de papillon , sous lequel , après quelques jours de développement, on ne peut plus trouver un seul corpuscule avénacé ; mais à la place de ceux-ci on rencontre un grand nombre de corps très petits, arrondis, des sphé- rules, et aussi beaucoup de disques aplatis, ovales, obtus ou cylindriques, doublement concaves. Ces deux formes de corpuscules jouissent de mou- vements moléculaires qui sont plus énergiques chez les sphérules. L'auteur fait ensuite quelques observations générales sur la composi- tion du sang chez les Invertébrés, et met en question l'exactitude de l'o- pinion de M. Wagner, qui regarde le sang de ces animaux comme ana- logue seulement au chyle des Vertébrés, en faisant en même temps connaître qu'il le regarde non seulement comme analogue au véritable sang, mais, de plus, qu'il éprouve une succession de changements par l'entremise des corpuscules. Ces petits corps empruntent d'abord leur alimentation et leur moyen de développement et d’accroissement à la portion liquide du sang, puis, lorsqu'ils se sont complétement déve- loppés , ils éprouvent une dissolution, et servent à subvenir à la dé- pense de liquide qui a été consommé, pour contribuer à l'alimentation des différentes structures, en laissant d’autres petits corps qni éprouvent aussi un développement pour contribuer à une nouvelle élaboration de (1) Journal l'Anstitut, 2 juillet 1845 NEWPORT.— DÉVELOPPEMENT DES CORPUSCULES SANGUINS. 369 ce liquide. Il établit aussi que le développement de ces derniers corps paraît avoir une certaine relation avec le type de chaque classe particu- lière d'animaux, et fait remarquer que, chez les Vertébrés, la dimension des corpuseules est peut-être en raison inverse de l’activité et de l'étendue de la fonction de la respiration. M. Newport annonce qu'il a été conduit à ces considérations, qui lui paraissent s'appliquer à tous les animaux en général, par l'examen des corpuscules, et en observant attentivement les changements qui ont lieu dans le sang des Insectes Lépidoptères. Il fait ressortir l'accord qu’elles présentent avec les opinions de MM. Wagner, Henle et Wharton Jones, relativement aux fonctions des corpuscules ; mais il se réserve de donner dans un autre Mémoire les détails sur lesquels sont fondées ses propres vues sur la dimension des corpuscules. Il entre alors d’une manière plus spéciale dans l'examen des formes des corpuscules du sang des Articulés, formes qu'il croit être au nombre de quatre, quoiqu'il fasse remarquer que ce ne soit en réalité qu’autant de stages de développement d’une seule structure définitive. Ces formes sont: premièrement, les molceules qu'il regarde comme comparables aux molécules observées dans le chyle des Vertébrés par M. Gulliver : secon- dement , le corpuscule, en forme de nucleus où avénacé, qu'il croit, avec M. Wagner, analogue aux corpuscules blancs ou du chyle des Vertébrés : troisièmement, les sphérules ou petits corps arrondis, développés, et pro- venant de ceux avénacés, et qu'il considère comme analogues aux nv- cleoli libres de M. Valentin, et probablement aux granules très déliés, blancs et opaques, qu’on observe constamment dans le sang des Verté- brés ; enfin les disques, développement consécutif des sphérules, et ana- logues aux disques sanguins rouges des animaux plus élevés, et, ainsi qu'il l'a annoncé dans une partie postérieure de son Mémoire, et d’après l'examen qu'il a fait du sang du fœtus humain, qu’il a vu aussi se produire avec les granules blancs, opaques ou sphérules. L'auteur procède alors à la description de ces formes des corpuscules dans les Insectes , et entre dans des détails minutieux et précis fort éten- dus, relativement aux corpuscules en forme de grains d'avoine, en les suivant depuis la forme la plus primitive, avant qu'on y apercoive le moindre vestige de nucleus ; il démontre que les nucleoli qui constituent ces corps augmentent graduellement en nombre, jusqu’à ce que le cor- puscule ait atteint toute sa taille, époque à laquelle il change de forme, devient plus court, puis s’arrondit, puis enfin se rompt, et met en liberté les nucléoles qui s’y sont développés. Ce changement, ainsi qu'il le dé- montre, a toujours lieu très rapidement dans tous les corpuscules avé- nacés, grands ou petits, quand ils sont hors du corps, et c’est à cette circonstance qu'il attribue la variété dans les descriptions qui ont été don- 366 NEWPORT. — DÉVELOPPEMENT DES CORPUSCULES SANGUINS. nées par divers observateurs sur la forme du corpuscule. Il fait voir, relativement à la fonction de ce corps, que les corpuscules se trouvent communément en plusgrand nombre pendant les mues, un moment avant que la larve change de peau, époque à laquelle le sang est extrêmement coagulable, et que les corpuscules sont en plus petit nombre, ou qu'il y a le nombre le plus grand de petits corpuscules de ce genre, après que la chenille a recommencé à manger. Quand l’insecte a pris la forme de chry- salide , presque tous ces corpuscules sont rompus. On les trouve en plus grande abondance pendant la transformation, au troisième ou quatrième jour de l'état de chrysalide, après quoi ils diminuent graduellement jus- qu’à ce que l'Insecte entre dans l’état parfait, époque à laquelle il n’en reste que fort peu. Lorsque l’état parfait survient, on a une nouvelle occasion de recon- naître la fonction de ces corpuscules. Quand les ailes sont sur le point de se développer et encore molles, quelques corpuscules avénacés y cireu- lent encore; mais, à mesure que les ailes se raffermissent, ces corpuscules s'arrêtent, en s’engageant dans les canaux circulatoires, où ils fournis- sent directement la matière propre à la consolidation de ces organes, ainsi que l’attestent l'entière suspension de la circulation dans ces parties et les débris granulaires des corpuscules qu’on aperçoit par la lumière transmise dans une aile complétement dénudée de ses écailles sur les faces supérieure et inférieure. Les sphérules et les disques de l’Insecte Lépidoptère parfait font en- suite l'objet de l'examen de l’auteur, et il signale certains corps particu- liers, en forme de massue ou de violons, qui lui paraissent être la tran- sition des sphérules aux disques, et qui se présentent dans le sang d’une larve nocturne ( Xylophagia polyodon), ainsi que dans le papillon après qu'il a quitté l’état de chrysalide, Ces faits sont regardés comme des preuves empruntées à l'observation directe, de la fonction du corpuscule et de son analogie, tant sous le rapport de ses fonctions que sous celui de son développement, avec les cellules sécrétoires des glandes. Dans la seconde partie de son Mémoire, M. Newport établit quelques comparaisons entre les corpuscules sanguins des Insectes et des Verté- brés, et entre dans des détails sur une série d'observations sur lé sang d’un fœtus humain, né vivant à la fin du sixième mois. Il examine le sang de la mère, celui du placenta, et celui des différentes parties du corps du fœtus, quelques heures après la mort, et trouve en général que le sang de la mère renfermait une très grande quantité de corpuscules blancs du chyle, et était extrêmement coagulable ; que le sang dans le placenta contenait, indépendamment de corpuscules du chyle en abondance, des disques sanguins rouges, de dimensions extrêmement variables, les plus grands étant À où ? plus gros que ceux de la mère, et les plus petits étant BISCHOFF. — SUR L'OEUF ET LE FOETUS DU CHIEN. 907 à peine { des plus grands. Il y avait aussi un nombre immense de molé- cules et de nucléoles, les disques sanguins rouges paraissant se dévelop- per des seconds. Le sang de la veine et des poumons présentait un état aussi irrégulier, relativement à la dimension des corpuscules, tandis que celui de l’auricule gauche du cœur, de l'aorte et des artères du cordon, était plus uniforme dans son caractère. D'après ces observations, l’auteur conclut que le sang des Vertébrés est analogue dans son mode de développement à celui des Insectes et autres Invertébrés, et que les disques sanguins rouges sont les derniers développements des granules ou nucléoles opaques et blancs du sang. HISTOIRE DU DÉVELOPPEMENT DE L'OŒUF ET DU FOŒTUS DU CHIEN; Par Th._L,-G. BISCHOFF, Professeur d'uuatomie et de physiologie à l'Université de Giessen. (Extrait) (4). Parmi les conclusions à tirer de mes recherches sur le déve- loppement de l’œuf et du fœtus du Chien, je signalerai les sui- vantes : 4° L’œuf non fécondé du Chien, dans l'ovaire , se compose , comme celui de tous les Mammifères, et en général comme celui de tous les animaux, d’une membrane vitelline (zona pellucida), du jaune, de la vésicule germinative, et de la tache germinative. Son diamètre n'étant que de ‘ou + de ligne, soit 1/4 ou 7/50 de millimètre, il devrait être enveloppé dans l'ovaire d’une ma- nière particulière, ainsi que cela est en effet, car on le trouve dans une couche de cellules qui tapisse l’intérieur du follicule de Graaff, et dont la partie la plus rapprochée de l’œuf reste adhérente à la zone, lorsque l’œuf quitte l'ovaire ; elle a recu le nom de discus proligerus. 2 L'œuf de Chien mürit dans l'ovaire à des époques périodi- ques, connues sous le nom de rut ou chaleur. On peut regarder comme signes de la maturité de l’œuf la tuméfaction du follicule de Graaff, l'augmentation et l’opacification de l’œuf, le commen- cement du développement en fibres que subissent les cellules du diseus proligerus , et enfin la disparition de la vésicule germina- (1) Extrait d'un travail manuscrit, adressé par l'auteur à l'Académie des Sciences. 368 BISCHOFF. — SUR LE DÉVELOPPEMENT tive. Il arrive quelquefois cependant que cette dernière ne dis- paraît qu'après le détachement de l’œuf de l’ovaire. On ne sait pas avec certitude ce que devient la tache germina- tive. 3° Lorsque l’œuf est tout-à-fait mür, il quitte l'ovaire et descend dans l’oviducte , sans que l’accouplement exerce la moindre in- fluence sur son détachement. Quand l’accouplement n’a pas lieu, ou que l’on empêche le sperme de parvenir jusqu’à l’œuf, ce der- nier disparaît en se dissolvant dans l’oviducte, sans laisser aucune trace ; mais dans l’état normal, comme le désir vénérien est très vif à cette époque, l’accouplement et la fécondation s’opèrent pres- que toujours lorsque les œufs sont parvenus à maturité. L’œuf peut être fécondé dans l’ovaire même, puisque le sperme pénètre jusqu’à cet organe, lorsque l’accouplement se fait d’assez bonne heure. Lorsque l’accouplement à lieu, quand l’œuf est déjà des- cendu dans l’oviducte, l'œuf et le sperme se rencontrent dans cet organe, où l’œuf semble pouvoir être encore fécondé jusqu’au hui- tième jour après sa sortie de l’ovaire. Dans tous les cas, la fécondation doit avoir lieu avant que l'œuf soit parvenu à l'extrémité utérine de l’oviducte , puisque c’est là que commence le développement embryonnaire, sans quoi l'œuf disparaît. k° Le nombre des œufs qui se détachent de l’ovaire n’est pas le même à chaque rut, non plus que pour chaque individu. Les œufs d’une même portée sortent toujours presque en même temps de l'ovaire, et jamais à des intervalles de jours entiers : aussi les trouve-t-on dans l’oviducte très rapprochés les uns des autres, et parvenus tous à peu près au même degré de développement. Les œufs ne sortent pas toujours de loutes les vésicules de Graaff gonflées , dont quelques unes peuvent quelquefois rester fermées et retourner à leur état primitif. 5° Avant que l’œuf sorte de son follicule de Graaff , commence dans l’intérieur de ce dernier la disposition d’une substance par- ticulière sous forme de granulations, qui, après la sortie de l’œuf, produit le corps jaune. Ces corps jaunes sont la preuve non équi- voque qu'un follicule de Graaff, avec son œuf, est parvenu à ma- turité, qu'’ensuite il s’est ouvert, et que l’œuf en est sorti. En échange, on ne peut ni ne doit conclure de la présence d’un corps jaune, que le coït et la fécondation ont eu lieu. Le nombre des corps jaunes ne correspond pas toujours à celui des œufs qui en sont sortis, puisqu'un follicule de Graalf peut contenir deux œufs et même plus. 6° Pour que la fécondation ait lieu, il faut que le sperme et DE L'OEUF ET DU FOETUS DU CHIEN. 369 l'œuf entrent en contact matériel. On trouve souvent des Sperma- tozoïdes en grand nombre, et agités d’un mouvement très vif sur l'ovaire et toujours sur les œufs qui viennent d'être fécondés ; mais il n’est ni prouvé, ni même vraisemblable , qu'un Spermatozoïde pénètre dans l’œuf. L'action du sperme me semble être plutôt chimique, et les Spermatozoïdes me paraissent être destinés à con- server identique, par leur mouvement, la composition du sperme, qu’ils servent en même temps à transporter. 7° Dans l’oviducte disparaissent peu à peu les cellules du discus proligerus, qui environnent la zona pellucida, sans qu'elles soient remplacées par de l’albumine : aussi la zona reste-t-elle nue et formant la seule et unique enveloppe externe de l'œuf. Pendant son passage au travers de l’oviducte , l’œuf grandit un peu. 8° C’est dans la partie inférieure de l’oviducte que se manifes- tent les premiers phénomènes de développement , qui sont la di- vision du jaune en sphères, qui deviennent de plus en plus petites et multipliées. Cette division s'opère par une progression géomé- trique ayant 2 pour exposant. 9° Ces sphères du jaune ne sont pas des cellules, mais bien des agglomérations de granules vitellins, qui ne sont pas enveloppés d’une tunique. L'intérieur de chaque sphère contient une vésicule transparente, qui ressemble à une vésicule de graisse , et qui ne contient pas de noyau. 10° Jusqu'à présent on ne sait pas bien sous quelle influence s'o- père cette division du jaune, et d’où viennent les vésicules transpa- rentes dans l’intérieur des sphères; il semble cependant que la division du jaune et de ses sphères dépend de celle de ces vési- cules intérieures, et que ces dernières naissent de la vésicule germinative et de son noyau. 41° L’œuf du Chien semble avoir besoin de huit à dix jours pour traverser tout l’oviducte. Ce calcul n’est toutefois pas sûr, puis- qu'il est impossible de connaître avec précision le moment de la sortie de l’œuf de l’ovaire, qui est indépendante de la copulation. Lorsque les Chiennes ne souffrent plus l'approche du mäle, on peut être presque toujours sûr que l'œuf se trouve à l'extrémité in- férieure de l’oviducte. Lorsque l’œuf est arrivé dans l’intérieur, les Chiennes ne se laissent jamais couvrir. 12° Les forces qui font parvenir le sperme jusqu’à l'ovaire sont : l’éjaculation elle. même, qui le porte jusqu'aux angles supérieurs de l'utérus ; les mouvements de l’utérus et de l’oviducte ; enfin le mouvement des Spermatozoïdes. Les cils de l’épithélium n’ont aucune part au mouvement pro- 3° série Zooz. T. HIT. (Juin 1845 ) 2£ 370 BISCHOFF. — SUR LE DÉVELOPPEMENT gressif du sperme, puisque leurs vibrations se font en sens inverse de la route qu’il parcourt. 13 Les forces qui amènent l'œuf de l'ovaire à travers l’oviducte jusqu’à l'utérus sont : les vibrations des cils de l’épithélium , du pavillon et du reste de l’oviducte, ainsi que les mouvements propres à cet organe. Ah° Dans les premiers temps qu’il passe dans l'utérus, l’œuf ressemble totalement à celui de l’oviducte, et la division du jaune se continue encore: alors les sphères vitellines, qui sont devenues de plus en plus petites, se transforment en cellules, en s’entourant de membranes délicates. Les noyaux de ces cellules sont les mêmes vésicules transparentes qu’on trouve au centre des sphères. 45° Ces cellules provenant de sphères vitellines ne tardent pas à s'unir entre elles pour former une membrane très délicate , qui tapisse la face interne de la zona, et qui, par conséquent, forme. aussi une vésicule que je nomme vésicule blastodermique. 16° Pendant le temps de cette transformation , l'œuf grandit rapidement.en absorbant un fluide ; il devient tout-à-fait translu- cide, et ce n’est qu'avec un fort grossissement qu’on voit que les granules vitellins sont dispersés en cercles concentriques autour des noyaux des cellules de la vésicule blastodermique. On ne sait pas avec certitude de quelle manière se muitiplient ces cellules : seulement, on remarque qu’à mesure que leur nombre grandit, celui des granules vitellins diminue , et que ces derniers finissent par disparaître totalement. A7 La zona pellucida où membrane vitelline étant fortement distendue par l'accroissement de l'œuf, cesse de présenter deux bords; elle ne forme plus autour de l’œuf qu’une membrane mince anhyste, qui reste encore l'unique enveloppe externe de l'œuf, puisque aussi dans l’utérus il ne s’entoure pas d’une couche d’al- bumine. 18° Au moment où la vésicule blastodermique vient de naître, on y observe une tache sphéroïdale, opaque : c’est l’aréole ger- minative (area germinativa), dans laquelle commence le dévelop- pement de l'embryon. 19° L’œuf se compose donc, au commencement de son séjour dans l'utérus, de deux vésicules limpides emboîtées l’une dans l'autre, et dont l’intérieure tapisse la cavité de l’extérieure ; ce sont : la zona pellucida et la vésicule blastodermique , avec son aréole germinative. L'œuf est alors parfaitement libre dans l’uté- rus, et avance insensiblement vers la place où il doit s’attacher. On ignore complétement quelles sont les forces qui détermi- DE L'OEUF ET DU FOETUS DU CHIEN, 971 nent la distribution des œufs dans l'utérus, qui, jusqu’à cette épo- que, n’a subi encore aucune espèce de changement: cependant, chose remarquable , il est bien prouvé que les œufs d’une des cornes peuvent passer dans l’autre à travers le corps de l'utérus, pour se distribuer d’une manière uniforme. 20° Lorsque l’ovule a acquis un diamètre de 1 1/2 à 2 pouces (soit 3 ou 4,5 millimètres), on peut voir qu'il s’est développé à la face interne de la vésicule blastodermique , à partir de l’aréole germinative, une seconde couche de cellules, ce qui fait que la vésicule blastodermique se compose alors de deux feuillets : l’ex- térieur porte le nom de feuillet animal, l’intérieur celui de feuillet végétatif, parce que c’est dans la partie de l’aréole germinative appartenant au premier que se développent les organes animaux, tandis que dans la partie appartenant au second se forment les organes végétatifs de l'embryon. Ces deux feuillets ne sont pas hypothétiques; chacun peut se convaincre par ses yeux de leur existence. Il est probable que c’est peu de temps après que se forme entre ces deux feuillets une troisième couche de cellules, dans laquelle naissent les vaisseaux : ce qui lui a valu le nom de feuillet vasculaire. Ce n’est que plus tard qu'il est possible de dis- tinguer avec précision le feuillet vasculaire, dont à cette époque on ne peut reconnaître l'existence qu’à la présence de cellules stil- liformes qui probablement en sont les premiers rudiments. 21° L’aréole germinative, qui jusqu'au vingtième ou vingt et unième jour se présente sous forme d’un amas homogène de cel- lules, commence alors à s’éclaircir au centre , ce qui permet de distinguer une aréole transparente et une autre opaque (champs clair et opaque de la tache germinative). 22 C’est dans l’aréole transparente qu'apparaît la première trace de l’embryon, sous forme d’une couche de cellules , ellipti- que d’abord, puis guitariforme, qui se trouve dans le feuillet ani- mal. Son axe longitudinal présente un sillon très clair. Les deux amas qui se trouvent à ses côtés sont destinés à former les parois du corps de l’embryon ; leur partie la plus rapprochée du sillon s'appelle plaques dorsales ; celle qui vient ensuite, plaques viscé- rales où ventrales ; le sillon lui-même s’appelle gouttière primi- tive. 23° La première trace de l'embryon est donc partagée en deux moitiés. 24° C’est dans la gouttière primitive que se forme le système nerveux central, la moelle épinière et le cerveau, qui est par con- séquent le premier système organique qu’on reconnaît dans l’em- bryon. La moelle épinière ne naît pas du cerveau, ni le cerveau 312 BISCHOFF. — SUR LE DÉVELOPPEMENT de la moelle épinière; mais tous deux sont des manifestations différentes d’une même substance primitive. 25° Après le système nerveux central se développe le cœur et le système vasculaire : ce n’est ni le cœur, niles vaisseaux , ni les artères, ni les veines, qui se développent en premier lieu; ils apparaissent ensemble, L'une de ces parties ne naît pas de l’autre; toutes sont les produits différents, nés en même temps d’une même couche primitive et indifférente de cellules 26° Après la formation de ces deux systèmes, la partie centrale du feuillet végétatif de la vésicule blastodermique produit le sys- tème inteslinal , savoir : l'intestin, les poumons, le foie, le pan- créas, etc. 27° La manière dont ce système se développe avec ces organes, chez le Chien, est la même que pour d’autres Mammifères et les Oiseaux. Après que la première trace de l'embryon a paru, le dé- veloppement se fait avec une rapidité telle, qu'après quarante- huit heures on voit déjà les premiers linéaments des trois systèmes principaux. 28° Pendant que da partie centrale de la vésicule blastodermi- que, l’aréole germinative, forme l'embryon, ses parties périphé- riques se transforment en tuniques de l'œuf. 29° La partie périphérique du feuillet animal enveloppe d’a- bord, comme amnios, tout l'embryon ; ce qui en reste s'applique ensuite sous forme de {unique séreuse à la zona pellucida, avec laquelle elle forme l'enveloppe extérieure de l'œuf, de laquelle naissent les villosités, d’abord sous forme de productions cellu- leuses, creuses, qui s’enfoncent dans les orifices des glandes uté- rines. 30° La partie périphérique des feuillets vasculaire et végétatif, dont la partie centrale devient l'intestin, forme la vésicule ombili- cale, qui, chez le Chien, persiste jusqu’à la fin de la vie fœtale. 31° De la partie postérieure et inférieure de l'embryon naît l’allantoïs, qui semble être formée par les feuillets vasculaire et végétatif. Ces premiers rudiments s'offrent sous forme de deux tubercules de cellules primitives, qui ne tardent pas à se changer en une vésicule supportant les vaisseaux omphalo-mésentériques. Elle s'applique à la tunique externe de l’œuf, et enveloppe en même temps l'embryon, l’amnios et la vésicule ombilicale ; elle conduit des vaisseaux à la tunique externe de l'œuf et à l’amnios. 32° Le chorion naît donc de la réunion et de la fusion de la zona pellucida où membrane vitelline, de la partie périphérique du feuillet animal ou tunique séreuse, et de l’allantoïs. 33° Sur tous les points où l’allantoïs touche dès l’abord la tu- DE L'OEUF ET DÙ FOETUS DU CHIEN. 379 nique séreuse et la zona, ses vaisseaux pénètrent dans les villosités de cette dernière pour former avec elles, dans leurs innombra- bles ramifications, la partie fœtale du placenta, 24° La partie utérine du placenta est formée par un dévelop- pement extraordinaire des glandes utérines. Les deux parties du placenta s’enlacent l’une dans l’autre par leurs ramifications, sans qu'il y ait aucune communication directe entre les vaisseaux du petit et ceux de sa mère. Au reste, le placenta du Chien a la forme d’une ceinture, ce qui vient de ce que les pôles de l’œuf croissent beaucoup plus rapidement que son milieu. 35° L'observation du développement de l’œuf du Chien et de son embryon vient fournir un nouveau fait à l'appui de la théorie qui veut que toutes les formations animales naissent, comme les formations végétales, de cellules primitives. NOTE SUR DES ANODONTA CYGNÆA ET DES PALUDINA VIVIPARA QUI ONT RÉSISTÉ A LA CONGÉLATION ; Par M. N. 50LY, Professeur de Zoologie à la Faculté des Sciences de Toulouse, Grâce aux ingénieuses expériences du docteur William Edwards. de Legallois, de Dulong, de Despretz, de Collard de Martigny, de Ber- thold, de MM. Becquerel et Breschet, elc., la science s’est enrichie, dans ces derniers temps, d’une foule d'observations précieuses sur la température des vertébrés. Mais il s’en faut de beaucoup que nos con- naissances soient aussi avancées en ce qui concerne la faculté calorifique des animaux invertébrés. J. Davy, Newport, Rudolphi, Treviranus et Tiedmann, ont prouvé, il est vrai, que ces derniers, de même que les vertébrés, si improprement appelés à sang froid, possèdent une tempé- rature propre, et, jusqu'à un certain point, indépendante du milieu où ils vivent ; mais aucun des auteurs que je viens de citer ne paraît avoir été témoin d’un fait aussi curieux que celui dont je vais avoir l'honneur d'entretenir un seul instant l'Académie. Le 14 août de l’année dernière, je pris dans le canal du Midi quelques unes des Paludinx vivipara et des Anodonta cygnæa qui s'y trouvent en abondance, et je les mis séparément dans deux vases peu profonds, que je remplis d’eau jusqu'aux bords. Je renouvelai le liquide à de longs in- tervalles ; mais je ne donnai aucun aliment à mes captives, qui, au bout de trois mois, ne me parurent nullement affaiblies par la rigueur de ce régime plus qu'anachorétique. Le 19 novembre, le thermomètre descendit à 5° sous zéro, et je trou- vai mes Paludines et mes Anodontes entourées d’un épais glacon. Désireux de m'assurer si elles avaient résisté à ce froid si intense, je fis dégeler lentement je liquide, et je fus assez surpris de les trouver toutes vivantes. La plupart des Anodontes vécurent encore jusqu'au 28 novembre; le 10 décembre , toutes avaient succombhé. A cette époque, aucune Palu- 37h N. JOLYX. — SUR DEUX GENRES NOUVEAUX dine n'avait péri; bien plus, deux d’entre elles avaient fait des petits qui, de même que leurs mères, sont aujourd’hui (23 février) très bien portants, malgré une seconde congélation, à laquelle ils ont été soumis dans le mois de janvier. En rapprochant ce fait de ce que la Science nous enseigne sur l’éton- nante faculté que possèdent les Cyprinus carassias, les Crapauds et les Salamandres de revenir à la vie après avoir été gelés, en se rappelant le fait plus curieux encore de la résurrection des Tardigrades, auxquels on a fait subir une dessiccation de 140 à 150° CG. (1), on se demande natu- rellement : qu'est-ce donc que la vie? Une énigme dont Dieu seul sait le mot. MÉMOIRE Sur deux genres nouveaux de monstres Célosomiens, que l’auteur propose de désigner sous les noms de CHÉLONISOME et de STREPTOSOME (2); Par M. N. JOLY, Professeur de Zuologie à la Faculté des Sciences de Toulouse. $ 17. — Description du monstre Chélonisome. On sait que, sous le nom de monstres célosoniens (3), M. Isi- dore Geoffroy Saint-Hilaire a désigné une famille de monstres qui se distinguent de tous les autres « par l’existence d’une éventra- tion plus ou moins étendue, et toujours compliquée de diverses anomalies de membres, des organes génito-urinaires et même du tronc dans son ensemble. » Cette famille ne se composait, jusqu’à présent, que des six genres dont l’illustre tératologue résume ainsi les caractères : A. Monstruosilé ne S'élendant point jusqu'à la région thoracique. 1° Éventration latérale ou médiane, occupant principa- lement la partie inférieure de l'abdomen; appareil uri- naire. appareil génital et rectum s'ouvrant au dehors par trois orifices. Genre L. ASPALASOME (4). 2° Éventration latérale ou médiane, occupant principa- 1) Ann. des Sc. nat., 2° série, t. XIV, p. 269; XVII, p. 193 : XVII, p. 5. 2) Désireux de savoir si les deux genres nouveaux que je propose méritaient d'être introduits dans la science, j'ai prié M. I. Geoffroy-Saint-Hilaire de vouloir bien jeter un coup d'œil sur le Mémoire que je vais avoir l'honneur de lire à l'A- cadémie. Je me hâte de dire qu'après avoir examiné mon travail avec attention, le savant auteur du Traité de Tératologie animale a jugé valables les caractères sur lesquels j'ai établi mes genres C'hélonisome et Streptosome. En présentant ce Mémoire manuscrit à l’Institut (séance du 24 mars), M. Serres en a donné lui- même une analyse détaillée. (3) De Kr», hernie, et cœuæ, COrps. (4) De AordhaË , taupe, et c&uæ (corps de taupe). La Taupe est en effet le seul mammifère qui présente trois orifices distincts pour l'appareil urinaire, l'ap- DE MONSTRES CÉLOSOMIENS. 279 lement la portion inférieure de l'abdomen ; organes Ea taux et urinaires nuls ou très rudimentaires. . IL. Acénosome (4). 3° Éventration latérale occupant principalement la por- tion inférieure de l'abdomen; absence ou développement très imparfait du membre a du côté ms par l’é- ventration. . . IL. Cyuvosone (2). 4° Éventration latérale ou médiane sur toute la lon- gueur de l'abdomen; corps tronqué après l'abdomen; membres pelviens nuls ou très imparfaits. . . . IV. Scmisrosome (3). B. Monstruosité atteignant aussi la région thoracique. ÿ" Éventration latérale occupant principalement la ré- gion supérieure de l'abdomen, et s'étendant même au de- vant de la poitrine; atrophie ou développement très im- parfait du membre thoracique du côté DER par l'éven- tralion. . . .. V. PLeurosome (4). 6° Éventration latérale ou médiane, avec fissure, atro- phie ou, même, manque total du sternum et déplacement Kenniaire|dureœur.e 512." v. 00.0. OR TO MMMIEV I CÉLGE ose (5)! Ces six genres, ajoute M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, font, dès à présent, de la famille des monstruosités célosomiques, une des plus étendues de la série tératologique, et il n’est pas dou- teux qu’elle ne doive par la suite s’augmenter encore de quelques nouveaux types génériques(6). Les monstres que nous allons dé- crire nous semblent confirmer ces prévisions. Fidèle à la nomenclature adoptée par tous les tératologues fran- cais, nous donnerons au premier de ces monstres le nom de CHé- LONISOME (7) (corps de tortue), afin de rappeler les nombreuses ressemblances d'organisation qui tendent à le rapprocher de cer- tains Reptiles, et notamment des Reptiles Chéloniens: nous im- poserons à l’autre celui de SrreptrosoME (8) (corps tordu), pour indiquer, par cette dénomination, une des particularités les plus curieuses de sa structure. pareil génital et le rectum. Personne n'ignore qu'en créant le genre Aspalasome, le génie en quelque sorte prophétique d'E. Geoffroy Saint-Hilaire avait prévu la création des groupes voisins dont la Science s’est enrichie plus tard. {4) De l'& privatif, yév95, Sexe ou génération, et coua, corps (corps sans sexe ou sans organes génitaux). (2) De Ku}és, mutilé, estrapié, et sœux (corps mutilé). 3) De Eyrsrdc, fendu, divisé, et c&ux (corps partagé en deux). 4) De Häeupe, côté, et sœux, corps (corps complet seulement d'un côté). 5) De Kyin, hernie, et cœux (corps dont beaucoup d'organes fout hernie), type de la famille. (6) Voyez I. Geoffroy Saint-Hilaire, Histoire générale et particulière des amo- malies de l'organisation chez l'homme et les animaux, t. II, p. 266. (7) Du grec Xe, tortue, et cœux, Corps (corps de tortue) (8) De Erpsrros, tordu, et Topa (corps tordu) 576 N. JOLY. — SUR DEUX GENRES NOUVEAUX Notre Chélonisome est un veau né à terme, dont l'existence, comme celle de tous les monstres célosomiens, n’a pas dû se pro- longer au-delà de quelques instants (1). En jetant un coup d'œil sur son squelelte, on est frappé tout d’abord du volume énorme de la tête, comparativement à l’extrême brièveté du tronc, et surtout de la singulière disposition des membres, par rapport au thorax et à la colonne vertébrale. En effet, les omoplates et l'os coxal paraissent renfermés, en grande partie, dans la cavité thoracique, et l'animal, au lieu d’être soutenu par ses membres, semble, au contraire, les porter sur son dos. Les côtes, au nombre de douze seulement, et très contournées sur elles-mêmes, surtout du côté droit, se sont redressées et tellement écartées de la ligne médiane inférieure, que leurs extrémités sternales lui sont tout-à-fait perpendiculaires (2). Par suite du mouve- ment demi-circulaire que leur tête a exécuté sur son axe trans- versal, leur face interne est devenue extérieure, et réciproque- ment. Enfin, quatre côtes gauches sont intimement soudées entre elles. Des soudures analogues s’observent entre les apophyses épineuses de presque toutes les vertèbres dorsales et rappellent, comme les côtes elles-mêmes, les éléments qui entrent dans la composition d’une carapace de tortue. Quant au sternum , ou plutôt aux parties qui devraient repré senter le plastron d’un Chélonien, elles existaient aussi ; mais ce sternum était divisé en deux moitiés latérales, articulées chacune par leur bord externe seulement , à l'extrémité sternale des côtes correspondantes, et, par conséquent, aussi éloignées qu’elles de la ligne médiane inférieure. A l'exception du développement considérable des vertèbres qui la formaient, la région cervicale n’offrait rien de particulier ; mais, (1) Ce Veau avait été adressé, le 19 août 1839, à l École royale vétérinaire de Toulouse par M. Mercurin, aujourd'hui vétérinaire du train des équipages, à Bone. Au moment où ce monstre arriva dans l'établissement, M. Lafore, alors chef des travaux anatomiques, s'empressa de le disséquer et de prendre sur sa structure, tant extérieure qu'intérieure, des notes rapides qu'il a bien voulu me confier , tout en m'exprimant le regret que la préparation des matières exigées pour le concours à la suite duquel il fut nommé professeur de pathologie, ne lui ait pas permis de rendre ces notes plus complètes. Le squelette de l'animal, la seule pièce que j'aie pu étudier de visu, a été mis obligeamment à ma disposition par M. Bernard, directeur de l'École, et il a été monté par M. Lavocat, chef des travaux anatomiques. (2) Chez les Dragons, les côtes asternales présentent, comme on sait, une dis- position analogue : seulement, chez ces reptiles, elles sont restées horizontales au lieu de devenir verticales, comme elles le sont sur le squelette de notre Chéloni- some DE MONSTRES CÉLOSOMIENS. 317 à partir de la région dorsale, on voyait le rachis s’infléchir d’a- bord en bas et à droite, se relever ensuite vers la gauche, enfin se recourber en avant et en dessus, en décrivant un S, dont les deux moitiés étaient dirigées, l'une à gauche et l’autre du côté droit. Cet S, formé par les vertèbres lombaires, sacrées et coc- cygiennes, était renfermé en grande partie dans la cavité thora- cique ; autre analogie non moins frappante que réelle entre notre monstre et les vrais Chéloniens. Le nombre des éléments constitutifs du rachis était normal par- tout, sauf peut-être à la région sacrée, où je n’en ai compté que trois, et à la région coccygienne, où il n’en reste que deux. Les vertèbres cervicales n'étaient remarquables, comme nous l'avons déjà dit, que par leur développement. Les dorsales étaient petites et généralement mal conformées. Leurs apophyses épi- neuses, à l’exception des deux premières et des deux dernières , étaient intimement soudées entre elles. Un spina bifida complet existait sur toutes les vertèbres lombaires et sacrées, et probable- ment aussi sur toutes les coccygiennes. Les omoplates avaient conservé leur forme normale ; mais l’os coxal présentait une singulière anomalie. En effet, la moitié droite y était moins développée que la gauche, l'os des iles de la première était considérablement écarté de celui du côté cpposé. Je doute même qu'il ait jamais pu s’articuler avec la première vertèbre sacrée, si toutefois cette vertèbre , que je crois perdue (1), exis- tait réellement sur l’animal à l’état frais. Sauf leur position insolite et leur longueur, relativement au corps, les membres élaient régulièrement constitués. Nous insis- tons sur ce fait, d'autant plus important à signaler ici que, quand l’éventration est très étendue, le tirage exercé par le placenta et par les viscères de la poitrine et de l’abdomen sur les membres thoraciques et sur les membres pelviens, a une influence très marquée sur leur conformation. Faudrait-il conclure de cette circonstance que, à l'inverse de ce qui a lieu dans les autres célo- somiens, le cordon ombilical était, chez notre monstre, aussi long que chez un fœtus normal? Mais alors comment expliquer la dé- viation si marquée du rachis? Ajoutez que, d’après M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, les membres sont en général d’autant plus imparfaits, toutes choses égales d’ailleurs, que l'abdomen a ses parois normales moins complètes. Or, comme nous le verrons (1) Je suis très porté à croire que la première vertèbre sacrée s'est égarée, pendant le long temps que les os du squelette ont été oubliés dans un des greniers de l'École vétérinaire. Je ne doute pas que tel n'ait été le sort des dernières verlè- bres coccygiennes , dont le nombre ne me paraît cependant avoir élé jamais nor- mal (dix-huit). 378 N. JOLY. — SUR DEUX GENRES NOUVEAUX bientôt, l'abdomen manquait entièrement chez notre individu. A quoi tient donc cette remarquable exception, sans exemple, je crois, chez les célosomiens ? Ne pourrait-on pas l’attribuer à la position même des membres, qui les aurait soustraits aux effets du tirage, tandis que la traction opérée par le placenta et les vis- cères se serait principalement exercée, et en quelque sorte épuisée sur la colonne vertébrale, dont elle aurait ainsi occasionné les nombreuses déviations ? Quoi qu’il en soit, je le répète, les mem- bres étaient régulièrement conformés chez notre ehélonisome. Quant à la tête, elle n'offrait non plus rien de particulier, si ce n'est son grand volume proportionnellement à celui du tronc, dont elle égalait presque toute la longueur. Nous voudrions pouvoir décrire avec détails les viscères, l’ap- pareil musculaire et le système nerveux de notre animal. Malheu- reusement nous ne possédons sur ces points importants de son anatomie que les quelques notes prises à la hâte par M. le pro- fesseur Lafore, au moment où le monstre qui fait l’objet de ce travail fut adressé à l’École royale vétérinaire de Toulouse. Quelque incomplètes que soient ces notes, de l’aveu même du professeur qui a bien voulu nous les confier, il est curieux d’ap- prendre, ainsi qu’on pouvait, du reste, le prévoir, que les vis- cères thoraciques et abdominaux étaient contenus dans une espèce de sac membraneux , à parois transparentes, pour ainsi dire sus- pendu à la colonne vertébrale. Le cœur et les poumons étaient conformés comme à l’état nor- mal; les estomacs, le foie et l'intestin proprement dits reposaient sur les côtes. Le rectum s’enfoncait entre le coxal et les os du coccyx; l’anus était percé en face du plat de la cuisse droite. c’est-à-dire du côté où s'étaient fait le plus sentir les effets de l’éventration; le foie, d’ailleurs normal, manquait de vésicule biliaire ; la rate n'existait pas non plus. De tout l'appareil génito-urinaire, il ne subsistait rien que le penis. Enfin il y avait absence complète de diaphragme et de parois abdominales. La face interne des côtes, devenue externe, était recouverte par les téguments communs et par les muscles intercostaux internes. Les intercostaux externes, . tous les muscles de l'épaule et une partie de ceux du bras, ceux du dos et des lombes étaient logés dans le thorax formé par les arcs costaux redressés, et le remplissaient à eux seuls à peu près tout entier. Un repli de la peau séparait les côtes des membres postérieurs. Je ne sais rien de précis relativement aux appareils vasculaire et nerveux, « Les principaux vaisseaux existaient, ainsi que les DE MONSTRES CÉLOSOMIENS. 379 nerfs. » Tels sont les seuls renseignements que renferment , à cet égard, les notes de M. le professeur Lafore. Je regrette vivement qu’une pièce anatomique aussi précieuse que celle sur laquelle je viens d'attirer l’attention de l’Académie, n'ait pu être soigneusement étudiée dans son état d’intégrité par- faite. Cependant, telle qu’elle est aujourd’hui, cette pièce m'a paru digne de figurer dans les annales de la Science , et suffisam- ment caractérisée pour m’autoriser à établir un genre de mon- struosités jusqu'à présent non décrit. Ce genre, fondé sur des particularités d'organisation que l’on ne retrouve que chez les Reptiles (Dragon, Tortue), et principalement chez les Reptiles Chéloniens , aura pour caractères les notes distinctives que voici : Eventration médiane thoracique et abdominale ; division com- plète du sternum en deux moitiés; organes génitaux très incom- plels ; omoplale , bassin et queue renfermés dans un thorax formé par des côtes redressées , dont quelques unes sont intimement soudées entre elles. Quant au rang que notre chélonisome occupera dans la série tératologique, les précieux et admirables travaux de M. I. Geof- froy Saint-Hilaire la lui ont fixée d’avance. C’est évidemment à la suite du genre célosome qu’il faudra le placer. Encore une réflexion, et j'ai fini : Si l’on se rappelle la grosseur de la tête et celle des vertèbres du cou: si l’on compare la brièveté du tronc avec la longueur des membres, ne trouvera-t-on pas encore ici la confirmation de ce principe fécond proclamé pour la première fois par l’auteur de la Philosophie anatomique, sous le nom de loi du balancement des organes ? Tant il est vrai que, suivant l'expression d’un écrivain qui fut tout à la fois un grand poëte, un botaniste éminent et un anatomiste distingué : « Le total général au budget de la nature est fixé ; mais elle est libre d’affecter les sommes partielles aux dé- penses qu'il lui plaît. Pour dépenser d’un côté, elle est forcée d'économiser de l’autre ; voilà pourquoi la nature ne peut jamais s’endetter ni faire faillite (1). » Que si l’on nous demandait maintenant la cause prochaine de la monstruosité qui vient d’être décrite, nous répondrions que nous l’attribuons à un arrêt de développement, dont nous trou- vons des preuves manifestes , 4° dans l’éventration thoracico-ab- dominale, qui représente ce moment de la vie embryonnaire où tous les organes sont logés dans la base élargie du cordon om- bilical ; ‘ 2 Dans le spina hifida dont se trouvent affectées les régions lombaire, sacrée et coccygienne ; (1) Gœthe, OEuvres d'histoire naturelle, trad. de C -F. Martins 280 N. JOLY. — SUR DEUX GENRES NOUVEAUX 9 Dans la non-réunion des côtes à un sternum unique et mé- dian ; 4° Dans la séparation complète des deux moitiés du sternum, séparation qui, pour le dire en passant, confirme de la manière la plus éclatante le principe de la duplicité primitive des organes impairs et médians, en même temps qu’elle apporte une preuve de plus en faveur de la loi de formation centripète (1) établie par l’un de nos plus habiles anatomistes ; 9° Enfin dans les nombreux rapports d'organisation qui lient ce monstre aux Reptiles, et surtout aux Reptiles C'héloniens, et l'é- loignent, par cela même, de la classe à laquelle il appartient par tout le reste de sa structure. S IL — Description du monstre Streptosome. Le second monstre sur lequel je prie l’Académie de fixer un instant son attention, est une pouliche née morte au haras de Vi- roflay, le 10 mars 1839. Dans une lettre que M. Bernard a bien voulu nous communiquer, M. Brivet, vétérinaire en premier au train des équipages, s’exprimait ainsi au sujet du monstre qui fait l'objet de cette seconde partie de notre travail : « Sa mère, Méry-Gray, jument anglaise pur sang, avait été saillie en Angle- terre par l'étalon Doctor Syntax , cheval pur sang jouissant d’une grande réputation (prix de la saillie : 600 fr.). » Dès qu’elle eut mis bas, M. Berger-Perrière s’empressa d’en informer M. Brivet : celui-ci dessina le monstre, en envoya la figure à M. Bernard, et lui transmit, à cet égard, les renseignements malheureusement trop peu circonstanciés que voici : « Les organes abdominaux étaient contenus dans une enveloppe, une espèce de sac membra- neux suspendu hors des parois du bas-ventre : ceux de la poitrine étaient aussi hors de cette cavité, suspendus dans ün sac mem- braneux. » Nul doute, par conséquent, que ce monstre n’appar- tienne encore à la famille déjà si nombreuse des monstres céloso- (1) Nous avions cru d’abord trouver un argument contre cette loi dans le re- dressement des côtes, la séparation des deux moitiés du sternum, et l'écartement considérable des os iliaques. Un examen plus attentif et plus réfléchi des parti- cularités organiques de notre monstre nous porte aujourd'hui à adopter une opi- nion contraire Dans ces divers cas, il est vrai, la réunion n'a pas eu lieu sur la ligne médiane ; mais elle se serait certainement effectuée sans l'obstacle méca- nique (éventration très étendue) qui l'a empêchée. Nous n'en maintenons pas moins, contre l'universalité du principe proclamé par M. Serres, les arguments que nous ont fournis nos observations sur le développement du Colaspis atra, vulgaire- ment Négril. (Voir notre Mémoire inséré dans les Annales des Sciences naturelles, 3° série, &. IE, p 13, et p. 27, note 2, et le Bulletin de la Société d'agriculture de l'Hérault, janvier 4844 | DE MONSTRES CÉLOSOMIENS. BR miens. Si l’on considère maintenant la remarquable torsion que le rachis a éprouvée dans sa région lombaire, on sera naturel- lement conduit à rapprocher ce fait curieux de celui que Méry a mentionné dans l’Aistoire de l'Académie des Sciences pour l’année 1700 (p. 42). On sait que l'observation de cet académi- cien est relative à un fœtus humain, chez lequel « l’épine du dos était contournée de telle sorte que la face, la poitrine et le ventre étant vus par devant, les parties extérieures de la génération, les genoux et les pieds se trouvaient placés au derrière du corps. Les trois capacités de la tête, de la poitrine et du ventre étaient toutes ouvertes. La voûte du crâne manquait à la tête ; le sternum et les cartilages des côtes, à la poitrine , et au ventre tous ses muscles et le péritoine, etc. » Sauf l'ouverture du crâne, et peut-être le manque total de ster- num, la description qui précède nous paraît convenir parfaite- ment à l'individu que nous avons sous les yeux. Ne peut-on pas, dès lors, regarder la monstruosité dont il s’agit comme assez net- tement caractérisée pour exiger l'établissement d’un de ces genres dont MM. Geoffroy Saint-Hilaire avaient pressenti la nécessité et prévu la création prochaine? Nous donnerons à ce nouveau genre le nom de Streptosome (corps tordu), et nous le distinguerons par la diagnose que voici : « Æventration atteignant l'abdomen, la poitrine et même la téte; manque total de sternum? torsion com- plète du rachis dans sa région lombaire. Les Streptosomes, si toutefois l’on admet ce genre, que nous ne proposons qu'avec une extrême réserve , et uniquement pour classer des faits qu’il nous semble utile d'enregistrer dans l'intérêt de la Science, les Streptosomes, disons-nous, formeront le dernier terme de la longue série des monstres Célosomiens. Ils viendront se placer naturellement entre les Chélonisomes et les ExENcÉPHA- LIENS, avec lesquels ils se lieront par des caractères qui leur se- ront communs avec quelques uns de ces derniers (//yperencé- phales), la célosomie et l'ouverture du crâne. Je ne me dissimule point tout ce qu’il y a d’incomplet dans les observations que je viens d’avoir l’honneur de soumettre à l’Aca- démie; telles qu’elles sont, j'espère qu’elles obtiendront quelque faveur. Un heureux hasard m'a fourni l’occasion de les faire; un hasard plus heureux encore pourra me donner celle de les com- pléter un jour. L'essentiel , à mon avis, est de ne pas laisser per- dre les faits; car, sans les faits, point de théories solides, point de généralisations dignes de prendre rang dans la Science. TABLE DES MATIÈRES CONTENUES DANS CE VOLUME. ANATOMIE ET PHYSIOLOGIE. Note complémentaire du troisième Mémoire sur le développement des or- ganes de la circulation et du sang dans dis du Poulet ; par MM. Pre- vost et LEBERT. DR Recherches sur les diverses espèces de cires ; par M. Lxwr. (Extrait.). De l’Influence des températures extrêmes de l'atmosphère sur la production de l'acide carbonique dans la respiration des animaux à sang chaud ; par M. Lereuurer. (Extrait.) rond Ro: SE maté 14 Observations sur la circulation : Du mode ce distribution des fluides nour- riciers dans l’économie animale; par M. Mrixe Enwaros. Observations sur le développement des corpuscules sanguins chez les In. - sectes et autres Invertébrés; par M. G Newport. Mémoire sur deux genres nouveaux de monstres Célosomiens, que r auteur propose de désigner sous les noms de Chélonisome et de Streptosome ; par M. Joly. REUT: ZOOLOGIE GÉNÉRALE. Rapport adressé à M. le ministre de l'Instruction publique, sur les recher- ches zoologiques faites tr un voyage sur les côtes de la Sicile; par M. Mie Enwanps. : [} CUT ANIMAUX vnréeurs) Sur la classification et les analogies des dents molaires des Carnivores ; par M. R. Owex £ Histoire du développement de l œuf et du fe fetus du Chien; par 1 M. Bischof. Observations sur les globules du sang du Paresseux à deux fé (Brady- pus didactylus) ; par M. G. Guzuiven. Observations sur les globules du sang de l'Or or hynque ; ‘par M. E. € Hogsox. Observations zo0tomico-physiologiques sur la respiration chez les Gre- nouilles, les Salamandres et les Tortues ; par M. Paxizza. Sur le Colossochelys atlas, Tortue fossile gigantesque découverte dans ie Inde: par MM. Fauconer et CauTLEY. Mémoire sur les Poissons fossiles de l argile de Londres ; par M. A cast. ANIMAUX ANNELÉS. Recherches microscopiques sur l'organisation des élytres des Coléoptères; par M. Bernarn-Descnawps. Observations sur les rapports des Fourmis avec les Pucerons ; par M. Eu- gène Rogerr. Etudes anatomiques et phy siologiques st sur les insectes. Diptr es de la famille des Pupipares ; par M. L. Durour. Premier Mémoire sur les Acariens, et en particulier s sur |’ appareil respira- toire et sur les organes de la manducation chez ny de ces animaux ; par M. Félix Dusarnin. Observations sur le développement des ; Annélides : par M. NT Evwauns. 96 190 374 TABLE DES MATIÈRES. 383 MOLLUSQUES. Observations et expériences sur la circulation chez les Mollusques ; par M. Muixe Enwanps. 289 Nouvelles observations sur la constitution de l appareil circulatoire chez les Mollusques ; par MM Mise Enwanps et VALENCIENNES. 307 Observations sur la circulation : Appareil circulatoire du Poulpe : “par M. Mix Enwanps. À 341 Lettre sur l'appareil de la cire ulation chez les Mollusques de la classe des Brachiopodes ; adressée à M. Milne Edwards par M. Owex 315 Observations sur le système nerveux des Mollusques acéphales testacés ou lamellibranches; par M. Émile BLancnaro. 321 Recherches sur les lois qui président à la distribution géographique des Mol- lusques côtiers marins; par M. Alcide n'OrmGxy. 193 Note sur des Anodonta cygnæa et des Paludina vivipara qui ont résisté à à la congélation ; par M. N. Jocx. 373 Observations anatomiques et physiologiques sur le Sagitta bipunctata; par M. A. Kroux. : ; ; à u 102 ZOOPHYTES. Recherches sur l'organisation des Vélelles ; par M. HozLann. 248 Recherches sur le développement des animalcules /nfusoires et des moisis- sures ; par M. F. Pineau. 182 Observations sur Spies espèces d Infusoires de la famille des Rhizo- podes ; par M. P. ScaLumserGER. $ 254 Huaners. Publications nouvelles... 191 TABLE DES MATIÈRES PAR NOMS D’AUTEURS. AcGassiz. — Mémoire sur les Pois- moire sur les Acariens, et en sons fossiles de l'argile de Lon- particulier sur l'appareil respi- dres. . . 24 raloire et sur les organes de la Benaun Drscuimrs. — Recher- manducation chez plusieurs de ches microscopiques sur l'orga- ces animaux. os hors nisation des élytres des Coléop- Evwanps ( Milne). — Rapport tères. . ; 354 adressé à M. le ministre de l'In- Biscaorr. — Sur le développement struction publique, sur les re- de l'œuf et du fœtus du Chien. 367 cherches zoologiques faites pen- BLancaarn.— Observations sur le dant un voyage sur les côtes de système nerveux des Mollusques la Sicile. . 429 testacés ou lamellibranches. . 321 | — Observations sur le développe: CaurLex et Fazconer. — Sur le ment des Annélides. 145 Cossochelys atlas, Tortue fossile —Observations sur la circulation : gigantesque découverie dans Du mode de distribution des OUEN © -: - 190 fluides nourriciers dans l’éco- Descamps ( Bernard ). — Voyez nomie animale. . 257 Bernard-Deschamps. — Observations et expériences sur Durour (Léon) — Etudes anato- la circulation chez les Mollus- miques et physiologiques sur les ques. 289 Insectes Diptères de la famille — Appareil circulatoire du Poulpe. 341 des Pupipares. . . 49 | Enwanps (Milne) et VALENCIENNES. Dusannix (Félix). — Premier Mé- — Nouvelles observations sur 381 TABLE DES PLANCHES. la constitution de l'appareil cir- Lewy. — Recherches sur les di- culatoire chez les Mollusques. 307 verses espèces de cires. Fazconer et CauTLev. — Voyez Newporr. — Développement des Cautley. corpuscules sanguins chez les Guzuiver. — Observations sur les Insectes et autres Invertébrés. globules du sang du Paresseux Onmexy (Alcide d') — Recher- à deux doigts PRE didac- ches sur les lois qui président à tylus). . 190 la distribution géographique des Homsow. —— Observations sur les Mollusques côtiers marins. globules du sang de l'Ornitho- Owex. — Sur la classification et rhynque. 48 les analogies des dents molaires Hocrarn. — Recherches s sur l'or- des Garnier es. ganisation des Vélelles. - 248 | — Lettre sur l'appareil de la cir- Jocx. — Note sur des Anodonta culation chez les Mollusques de cygnea et des Paludina vivipara la classe des Brachiopodes ; qui ont résisté à la congélation 373 adressée à M. Milne Edwards. : —-Mémoire sur deux genres nou- Panizza. — Observations zooto- veaux de monstres Célosomiens, mico-physiologiques sur la res- que l'auteur propose de dési- piration chez les Grenouilles , gner sous les noms de Chéloni- les Salamandres et les Tortues. some et de Streptosome. 374 | Pixeau. — Recherches sur le dé- Kroax. — Observations anatomi- veloppement des animaleules ]n- ques et physiologiques sur le fusoires et des moisissures. Sagitta bipunctata. . 102 | Pnévosr et Leserr. — Voyez Le- Leserr et Prévosr. — Note com- bert. plémentaire du troisième Mé- Roserr (Eugène). — Observations moire sur le développement des sur les rapports des Fourmis organes de la circulation et du avec les Pucerons. SES sang dans l'embryon du Poulet. 96 | Scacuwsencer. — Observations Lereurer. — De l'influence des sur quelques espèces d'Anfu- températures extrêmes de l'at- soires de la famille des Rhizo- mosphère sur la production de podes. PME UE l'acide carbonique dans la res- VALENCIENNES. — Voyez Milne piration des animaux à sang Edwards. chaud. . 191 TABLE DES PLANCHES RELATIVES AUX MÉMOIRES CONTENUS DANS CE VOLUME. A. Développement du Poulet. Z. Organisation du Sagitta bipunctata. PLANCHES 4. am) D ren aa 2 3 | Organisation des Diptères Pupipares. 4. k Infusoires. Fig. 28-34. Anatomie de la Vélelle. \ =Scænss | Développement des Annélides. PLANCHES . 490 364 193 99 Fig. 1-7. Système dentaire. Fig. 8-10. Circulation dans les Brachiopodes. bis. Fig. 1-6. Cuterebra noæialis ( Goudot). Fig. 8-27. Développement des 12. Système nerveux des Mollusques acéphales. A3. : le Poulpe. l Appareil de la circulation dans . der Sie. nat. 3° Serie. Zool.Tom . 3. PL. 1 À. Developpement du Cœur. B. Crgarnwsauon du Sagita bipunetate . Zool Tom.3.PL. 2. $ È ES Ÿ À S à È & 1 S È Ÿ à Ÿ : è È $ Ann.des Seienc nat. 3° Serie. Ann.des Seine. nat . 3° Jerte - Zool. Tom .3.P1.: {} k 2331) Orgarasation des Diptres pupipares. lémond imp L Mg. IUT. dysteme dentaire. Fig III -X Creation dutus les Brachiopodes Nlnond imp. LL AUNRE Ann .des Setonce . nat. 3° Serie Zool Tom. 3. PL. $ CA À LA fig 1-6. € uterebra noxralis {Goudot lig. O-27. Developpement des Infusotres l'ig 28-34 Anatomie de la lolelle W ismond imp. SANS née GA Zoot Tom. 3. PL.S Fées Développement des Térebelles. Mtémend imp. An. des Jen. nat. 3° Serie . Zool Tom.3. PL.6. 16. ST = paré : .) ane” N Il } yes _ ce { À, RS i— HOT ee BE — SN REA Se 4 4 £ ce e PA : AU WÙS ? JEU 20. Er ee °/ | = 22 ÿ 21. 29. ] | / | & | 1 (4 | aie ] à . / À Dy. R à) Debelppement des Tirébelles. NRémond imp. Zool Tom. 3. PL 7 Ann. der Juenvnat. J'Jerie. Zoot Tom. 3. Pl.7 Jo. Ni) } ES ONTETre AAA 4,128 & eo + È = F 4 el des Jeienc. nat. 3° Serie Zool. Tom. 3. 1.8 Térebele. nebuteuse adulte V fémond imp Ann des Jeiene 49 ral 3° Serie 44 3, 271 9 Forget nn. de: ru 14 Serre 54 61. n\\ | | )7 À \ \ | ul 22, \ £ d à \ \E 7 à > > | Ÿ ) es L LAS bo Z ù SS J \ 2n 0 Fig. 56 Protute élégante li 7-01 Developpement des Nerecdes = !| E V. ? : Æool Tom. 3. Pl un Ann .des Scenc.nat. 1° Jerte 02 66 y \ ] 63 RS — = Ê- 62 & 66. OZ 1! 4 U / | | Developpement des Inneélites FE. du a RRRRRERERERERELEÉERERERRRRR à Jaenc. ral IL eplal s Le" nn des Jtene nat. 3% Jèrie . ORGANISATION DU pot L PI: OUGANISATION DC POULE 277 7 ee CA727 22079 2 Ge ro L LAN EN, CN é 4 1 Û 2097 D 'bamurT duy ; Hd £ 1007 ‘OUR : Ç JEU ‘2 SD © |: 100 LTLE ray Te. ne FT € 4 £ FU 4 ULDP2) PE 27 nn. des Scene. nat. 3° Jérée. BCE CET CS Loot b Apparel de la creulation dans Le 7 outpe.. V. émond imp Tom 3 PL “2dmogs FT NPC nonvgmn % 20 prrvddèp :suuÿ p du] OU SE TOU DL SP US #7] £,J 7007 : 2dmo> suÿp de JD onPe once) x} 2 Jrrmddoy 1 vg 3 3 Std SL 7%7 7P1 277]