éd 0 ? - .: te ë | mn dd ed ANNALES DES SCIENCES NATURELLES ZLOOLOGIE PALÉONTOLOGIE . » , ‘ ñ ès PAR, É PP - MU CHJIAAME L LE AL D edit AUTAT 2040 JL 0 OX LE] 2-P, ANNALES DES SCIENCES NATURELLES CINQUIÈME SÉRIE ZOOLOGIE PALEONTOLOGIE COMPRENANT L'ANATOMIE, LA PHYSIOLOGIE, LA CLASSIFICATION ET L'HISTOIRE NATURELLE DES ANIMAUX PUBLIÉES SOUS LA DIRECTION DE M. MILNE EDWARDS TOME Ill mon > \ D VISA EU NV}, * me * LQ NU} UV STAL His PARIS VICTOR MASSON ET FILS PLACE DE L'ÉCOLE-LE-MÉDECINE 1865 pa 5 : s | Ai AAA nr Ua LG | = RE 0 de NIAÏE AMAIUOALO RTL. me rente nn 4190 4 CIN °V'BESs Mn divel RAT 4 0 h + a . . # A . A d| é * ANNALES DES SCIENCES NATURELLES ZOOLOGITE ET PALÉONTOLOGIE RECHERCHES EXPÉRIMENTALES SUR L'ENCÉPHALE DE LA GRENOUILLE, Par M. BAUDELOT. Les résultats intéressants auxquels m'ont conduit mes re- cherches antérieures sur l’encéphale des Poissons m’avaient déterminé à tenter quelques expériences comparatives sur les Reptiles; malheureusement la rareté de ces animaux, ou du moins le nombre tout à fait insuffisant de ceux que j'ai pu avoir à ma disposition, m'a mis dans la nécessité de limiter mes re- cherches au seul type que j'eusse en abondance, la Grenouille. Les faits qui suivent sont le résumé d’expériences nombreuses que j'ai exécutées sur les diverses portions de l’encéphale de cet animal. La moelle allongée (bulbe rachidien) de la Grenouille est, comme on le sait, parfaitement délimitée ; elle comprend toute cette portion de l’encéphale qui s'étend depuis le cervelet jus- qu'à la pointe du quatrième ventricule. L'influence de cette partie sur les mouvements volontaires n’a jamais été étudiée jusqu'alors chez les Reptiles ; voici ce que la 6 BAUDELOT. Grenouille m'a offert à cet égard : lorsque l’on pique un des cor- dons du bulbe dans un point quelconque de sa hauteur, le corps s’incurve aussitôt du côté opposé à la lésion, et l'animal tourne en manége de ce même côté; ainsi, par exemple, la moitié gauche du bulbe étant lésée, la Grenouille s’incurve et tourne à droite; l'inverse a lieu lorsque la lésion siége dans le cordon droit. Ce mouvement de manége est loin d'être toujours égale- ment prononcé ; il existe à cet égard des différences considérables qui m'ont paru subordonnées à l'étendue de la lésion : ainsi tantôt, dans la suite de ses sauts, l'animal décrit une large cir- conférence ; tantôt, au contraire, le cerele qu'il parcourt n'offre que quelques centimètres de rayon; d’autres fois, il tourne sur place, et le corps pivote en quelque sorte autour de son extré- mité postérieure; enfin, quand les symptômes offrent le plus d'intensité, on voit la partie antérieure du tronc se tordre vers le côté lésé et la tête s’mcliner très-fortement de ce côté, de telle facon que l'œil opposé à la lésion regarde presque en haut ; par suite de cette torsion, le membre antérieur du côté opposé à la lésion se relève, et cesse de toucher le plan sur lequel il repose ; il suffit alors de la moindre exagération dans les symptômes pour qu’aussitôt l'animal décrive autour de son axe un mouvement de révolution dirigé du côté sain vers le côté lésé. Le nombre des mouvements de révolution consécutifs n’est jamais très-élevé ; le plus souvent l'animal se borne à tourner ainsi sur lui-même deux ou trois fois, puis il s'arrête pour re- commencer de nouveau quand on l'excite ; je n'ai Jamais compté au delà de vingt révolutions successives; celles-ci paraissent s’exécuter plus aisément lorsque l'animal est placé dans l’eau. Dans tous ces cas, la sensibilité générale n'a semblé bien con- servée ; les membres n'étaient pas paralysés du mouvement, car l'animal les retirait aussitôt dès que l'on venait à les pincer. Ces expériences me paraissent confirmer pleinement ce que j'ai déjà dit au sujet des Poissons, c'est que les mouvements de rotation autour de l'axe et les mouvements de manége ne sont pas deux mouvements de nature réellement différente, puisque, entre l’un et l’autre de ces mouvements, il existe toutes les \ RECHERCHES SUR L'ENCÉPHALE DE LA GRENOUILLE. 7 nuances intermédiaires, et qu'on voit l'animal passer de l’un à l’autre par des transitions insensibles. La Grenouille surtout se prête parfaitement à l'analyse de ces divers mouvements. Je tiens aussi à faire observer combien est grande l'analogie qui existe entre ces faits et ceux que j'ai mentionnés précédemment sur l'Épinoche. Lobes optiques et couches optiques. — Les lobes optiques ou tubercules bijumeaux sont représentés par deux éminences allongées et creuses situées immédiatement au-devant du cer- velet ; les couches optiques, qu'il ne faut pas confondre avec les iabes optiques, sont constituées par deux petits renflements plein. qui occupent l’espace compris entre l'extrémité anté- rieure des lobes optiques et l'extrémité postérieure des lobes cérébraux. Après la lésion soit de l’un deslobes optiques, soit de l'une des couches optiques, j'ai toujours vu l'animal présenter un mouve- ment de manége dirigé vers le côté opposé à la lésion ; géné- ralement aussi, le corps s’incurve vers ce mème côté, et la tête tend également à s’y inclmer. M. Flourens, dans son ouvrage sur les propriétés et les fonc- tions du système nerveux, s'exprime ainsi : «J'ai retranché sur une Grenouille le tubercule bijumeau droit, l'animal à tourné sur le côté gauche. J'ai retranché sur une autre Grenouille le tubercule gauche, l'animal a tourné sur le côté droit. » Il dit ailleurs : «J'ai retranché sur une Grenouille la couche optique droite, la Grenouille a tourné longtemps et irrésistiblement sur le côté droit. J'ai retranché sur une autre Grenouille la couche optique gauche, la Grenouille a tourné sur le côté gauche. » M. Flourens conclut enfin par ces réflexions : «.... Cect est particulier aux Reptiles, la perte d’une couche optique fait tour- ner l'animal du côté de la couche enlevée, tandis que la perte d’un tubercule bijumeau détermine, au contraire, un tournoie- ment sur le côté opposé au tubercule enlevé... Ce croisement d’effet entre la couche optique et le tubercule bijumeau de la Grenouille est curieux. » Sans vouloir ici émettre des doutes sur les résultats obtenus 8 BAUDELOT. par M. Flourens, je tiens cependant à présenter quelques ré- flexions..…... Par ces expressions : «Tourner sur le côté droit, tourner sur le côté gauche », M. Flourens entend-il signifier un mouvement de rotation autour de l’axe? Je le présume : s'il en est ainsi, ce fait m'étonne, car pour moi je n'ai jamais eu l’occa- sion de voir une lésion des tubercules bijumeaux déterminer chez la Grenouille des mouvements autour de l’axe ; j'ai essayé de produire ces mouvements de toutes manières ; j'ai enfoncé des épingles dans les lobes optiques; j'y ai enfoncé des clous, des pointes de grosseur très-différente, et cela au point de détruire à peu près complétement l'un de ces tubercules ; je les ai excisés directement, ou bien encore brûlés avec une aiguille rougie au feu , jamais je n'ai pu obtenir que des mouvements de manége dirigés du côté opposé à la lésion ; j'ajouterai enfin que je n'ai pas constaté non plus cet entrecroisement d'effet signalé par M. Flourens entre la couche optique et le tubercule bijumeau correspondant. Dans un cas où une pointe avait traversé et détruit presque en entier la couche optique gauche, j'ai vu l'animal décrire un mouvement de manége de gauche à droite, c’est-à-dire du côté opposé à la lésion, exactement comme après la lésion du tuber- cule bijumeau du même côté. Lobes cérébraux. — Les auteurs sont loin d’être d'accord sur là part d'influence qu'il faut attribuer aux lobes cérébraux, sur l'intelligence et l’activité volontaire. « Par l’ablation des lobes cérébraux, disent Desmoulins et Magendie, les Reptiles et les Poissons dont la spontanéité reste entière ne paraissent avoir rien perdu de l'usage de leurs mou- vements ; les Grenouilles nagent aussi agilement qu'auparavant. Non-seulement les Reptiles continuent de voir après l’ablation du cerveau, puisque, en plaçant une Grenouille obliquement par rapport à une fente assez large pour le passage de son corps, elle s'élance à travers, mais, outre qu'alors ils ne perdent la con- science d'aucune sensation, ils conservent aussi la mémoire, la volonté et l'emploi régulier de tous leurs mouvements, de toutes leurs allures. » RECHERCHES SUR L ENCÉPHALE DE LA GRENOUILLE. 9 Selon M. Flourens, au contraire, après la destruction des deux lobes cérébraux chez une Grenouille, il y a perte absolue et soudaine de toute perception, de toute volition, de toute sponta- néité, bien que, sous l'influence des excitants extérieurs, les sauts et lamarche continuent de se manifester ou restent parfaitement coordonnés. Pour moi, je me range tout à fait à l'opinion de M. Flourens ; ainsi, lorsque j'ai détruit complétement les deux lobes cérébraux, j'ai toujours vu l'animal tomber dans un état d'hébétude et de stupeur profonde ; tous les actes relatifs à l'intelligence et à l’activité spontanée cessaient de se manifester , l'animal restait dans une immobilité presque complète, bien que, lorsqu'on l'excitait, ses mouvements fussent encore parfaitement coordon- nés. Il est à remarquer cependant que cette absence complète des facultés ne s’observe bien que lorsque les deux lobes cérébraux ont été entièrement détruits ; la moitié et même les deux tiers antérieurs de ces lohes peuvent être dilacérés, sans que pourtant l'animal perde ses facultés ; ainsi une Grenouille chez laquelle J'avais détruit les deux tiers antérieurs environ des lobes cérébraux au moyen d’une aiguille rougie, fuyait en poussant des cris lors- qu'elle me voyait approcher pour la saisir. Cette même Grenouille étant placée dans un carré formé de livres rapprochés les uns des autres, et ne laissant entre eux que d’étroits interstices, dirigeait ses sauts avec assez de justesse pour franchir aisément les bar- rières de sa prison. Ainsi pourrait s'expliquer peut-être la diver- gence d'opinions qui existe entre Desmoulins et Magendie d’une part et M. Flourens de l’autre; 1l est probable que, dans leurs expériences, les premiers de ces auteurs n’effectuaient que d’une manière incomplète la destruction des lobes cérébraux. On peut voir, en comparant ces faits avec ceux que nous avons signalés précédemment chez l'Épinoche, combien déjà chez les Batraciens les lobes cérébraux paraissent acquérir de supériorité fonctionnelle sur les lobes cérébraux des Poissons. Quelques expériences que j'ai faites sur des Lézards m'ont démontré que chez ces animaux une lésion de la partie posté- rieure de l’encéphale déterminait aussi des mouvements très- 10 BAUDELOT. prononsés de manége ou de rotation autour de l'axe; le manque de sujets ne m'a pas permis d'appuyer ces résultats sur des faits anatomiques suffisamment précis. Voici enfin une dernière expérience faite sur un Orvet : au moyen d'une pointe, j'ai lésé l'encéphale (j'ignore quelle partie au Juste, car l'animal vit encore) ; aussitôt après l'opération, l’ani- mal a présenté un mouvement très-net de rotation autour de l'axe ; ce mouvement persiste encore aujourd hui, plus d’un mois après l'opération. Voici ce qu'on observe : quand l'animal est au repos, la portion antérieure du tronc, dans une étendue de 3 à 4 centi- mètres, est tordue sur elle-même de droite à gauche, et la tête s'incline vers la gauche, de telle façon que l'œil droitest dirigé en haut, le reste du tronc repose sur le ventre dans sa position nor- male. Quand on excite l'animal, on voit aussitôt la torsion de l’ex- trémité antérieure du tronc s'exagérer vers la gauche, le côté su- périeur de la tête devient inférieur; le reste du tronc étant obligé de suivre ce mouvement, il s'ensuit un mouvement de révolution autour de l'axe, et l’on voit l'animal rouler comme un bâton. Cette expérience est curieuse en ce qu'elle prouve, sans ré- plique, que la rotation autour de l’axe ne dépend nullement, comme le pensait Lafargue, de la paralysie des membres d’une moitié du corps, puisque 1c1 l'animal n’a pas de membres ; le point de départ de la rotation paraît être dans les muscles du cou ; mais cette rotation tient-elle à une diminution de la force motrice d’un côté, ou bien à une exagération de la force motrice de l’autre côté ? Il nous semble probable qu'il y a plutôt exagéra- uon. C’est là du reste l'opinion exprimée par M. CI. Bernard. COUP D'ŒIL LES PROGRÈS ET L'ÉTAT ACTUEL DE LA PHYSIOLOGIE LA PRODUCTION DES ÊTRES VIVANTS PAR VOIE DE GÉNÉRATION SPONTANÉE , Par MN. MILNE EDWARDS (1). $ 1. Chacun sait que le Chêne et le Froment, de même que le Chien, le Cheval et l'Homme, ne peuvent naître que de leurs semblables, dont ils sont des produits et dont ils tirent leur puissance vitale. En cela, comme en beaucoup d’autres choses, _ces êtres organisés différent radicalement des corps bruts qui ne sont jamais engendrés par leurs semblables et qui proviennent toujours de l'union ou de la décomposition de corps dont la nature diffère de la leur. Si les lois physiologiques ont réellement la généralité que les esprits philosophiques sont disposés à leur attribuer, nous devons (1) Dans les discussions nombreuses et animées, qui ont eu lieu récemment en France, sur les lois générales qui président à la production des êtres vivants, on a trop souvent oublié quelle à été la marche constante de la science relativement à l'hypothèse des générations dites spontanées, et quel est l’ensemble des résultats fournis par les recher- ches expérimentales dont cette hypothèse a été l'objet. IL m'a donc semblé qu'il ne serait pas inutile d'en traiter ici historiquement, bien que dans une publication pro-- chaine je me propose d'y revenir. En effet, la deuxième partie du huitième volume de mes Leçons sur lu physiologie et l’anatomue comparée des animaux, qui est actuellement sous presse, est consacrée principalement à l’histoire des phénomènes généraux de la reproduction et les considérations que je présente ici y trouveront naturellement leur place. 19 MILNE EDWARDS. donc penser qu'il en sera de même pour tout ce qui vit; que tous les Animaux ainsi que toutes les Plantes doivent être des descendants d’autres Animaux ou d’autres Plantes, et que leur multiplication à la surface de notre globe est toujours une consé- quence de la faculté génératrice dont les individus préexistants de leur espèce sont doués. Dans l’immense majorité des cas, il est facile de s'assurer qu'effectivement les animaux et les plantes se reproduisent et ne peuvent naître que s'ils ont été procréés de la sorte. Mais dans quelques circonstances cette filiation n’est pas également évi- dente, et parfois même on ne s'explique pas bien, au premier abord, comment certains animaux peuvent avoir une origine semblable. On ne leur connaît pas de mère, et l’on ne voit même pas d'animaux de leur espèce dans les lieux où ils naissent. Ainsi il n’est pas rare de voir des Anguilles, des Apus et d’autres ani- maux aquatiques se montrer en nombre considérable dans des mares ou même dans de petites flaques d’eau pluviale, au milieu de terres qui étaient restées à sec pendant de longues années, et qui, par conséquent, n'avaient pu être habitables pour des êtres de cette nature. Lorsqu'un cadavre exposé à l’action de l'air se putréfie, on voit souvent des milliers de petits animaux vermi- formes s’y développer, et dans quelques cas on trouve des para- sites non-seulement dans les intestins de beaucoup d'animaux, mais aussi Jusque dans la substance d'organes en apparence inaccessibles à des êtres venant du dehors, dans la substance du foie, dans le globe de l'œil et dans l’intérieur du crâne, aussi bien que dans le centre de certains fruits et dans le tissu du bois. Pour rendre compte de faits de cet ordre, les philosophes de l'antiquité imaginèrent que le limon de la terre, les chairs cor- rompues et d'autres substances privées de vie, pouvaient, sous l'influence de la chaleur, de l'air et de l’eau, se constituer en corps organisés qui prendraient vie sans avoir été engendrés par aucun être vivant. Par un singulier emploi des mots, on a appelé génération spontanée ce mode d’origine de corps vivants qui ne seraient pas des produits d’une génération quelconque, et qui se SUR LA GÉNÉRATION DITE SPONTANÉE. 15 constitueraient de toutes pièces sans le concours d'aucun orga- nisme préexistant ; qui seraient créés et non engendrés. Cette manière d'expliquer la formation des animaux dont l'origine était entourée d’obscurité fut généralement adoptée par les naturalistes anciens et par les écrivains du moyen âge ; aujourd'hui encore quelques physiologistes y ont recours, et dans ces derniers temps elle a été soutenue avec ardeur par quelques hommes de talent. Mais, à mesure que la science a fait des progrès, on à vu presque toutes les prétendues exceptions à la loi de la multiplication des êtres vivants par voie de génération rentrer successivement dans la règle commune, et il me semble impossible de ne pas croire que, dans l’état actuel des choses, la vie est toujours transmise, que la matière brute ou morte ne saurait à elle: seule se constituer en forme d’être organisé, et acquérir le mode d'activité qui caractérise soit un animal, soit une plante, et que la multiplication de ces êtres s'effectue d’après le même principe essentiel, que ces corps soient des Hommes ou des Monades ; en d’autres termes, que tout corps vivant provient d'un corps qui vit. Il me paraîtrait presque inutile de rapporter 1c1 tout ce que les anciens ont dit de la production des animaux par le limon des fleuves ou la corruption des cadavres. Chacun de nous, dès son enfance, à été familiarisé avec les idées de ce genre par la lecture de l'un des plus grands poëtes de l'antiquité, et ce que Virgile raconte des Abeilles du berger Aristée n’était que l’ex- pression des croyances partagées par tous les naturalistes de son temps. Le grand Aristote avait pensé de même, et, généralisant des observations incomplètes, il avait dit que tout corps sec qui devient humide, ainsi que tout corps humide qui se desse- che, produit des animaux, pourvu qu'il soit susceptible de les nourrir (À). (4) Au début du cinquième livre de son Histoire des animaux, Aristote s'exprime de la manière suivante: «Il y a des animaux qui sont produits par d’autres animaux qu'une forme commune place dans le même genre, et il y en à qui naissent d’eux- mêmes sans être produits par des animaux semblables. Ceux-ci viennent ou de la terre putréfiée, ou des plantes, comme la plupart des insectes ; ou bien ils se produisent dans 5€ série, ZooL. T. II. (Cabier n° 4.) 2 2 Al MILNE EDWARDS, A Quelques naturalistes du moyen âge et de l’époque de la renaissance firent un usage encore plus immodéré d'hypothèses analogues. Ainsi un érudit célèbre du xvr” siècle, le père Kircher, assura que la chair d'un Serpent desséchée et réduite en pou- dre, puis semée dans de la terre et arrosée par la pluie, donne naissance à des Vers qui bientôt se transforment en Serpents. En 1638, un premier coup fut porté à toutes ces idées fausses par un médecin de Florence, dont le nom est célèbre à plus d’un titre, François Redi. A l’aide d'expériences non moins simples que probantes, ce naturaliste constata que les prétendus Vers qui se montrent dans les charognes sont des larves d'insectes : que ces larves ne sont pas des produits de la putréfaction, mais naissent des œufs qui sont déposés sur la chair par des Mouches, et que les matières corrompues dont on les supposait provenir ne sont en réalité qu'un aliment dont ils se nourrissent (1). les animaux mêmes des superfluités qui peuvent se trouver dans les différentes parties le leur corps, » Dans beaucoup d’autres passages, Aristote parle de la production d'animaux par le limon ou d'autres matières analogues : ainsi il explique de la sorte la formation des larves qu'il appelle des Ascarides, et qui, en se métamorphosant, devien- nent des Mouches du genre Empis; il dit que les Poux naissent de la chair, et que les Puces résultent d'une fermentation qui se développe dans les ordures ; il attribue aussi à la génération dite spontanée la formation des Teignes qui rongent la laine, et des Acarus de la cire, ainsi que celle des Anguilles et de quelques autres poissons. Diodore de Sicile mentionne le développement d'une foule d'animaux aux dépens du limon du Nil échauté par les rayons du soleil, et Plutarque assure que sol de l'Égypte parait engendrer spontanément des Rats. La fable que Virgile raconte au sujet de la production des Abeilles au moyen du cadavre d'un Bœuf a été acceptée sans critique par Pline. (1) Après avoir rendu compte de beaucoup d'expériences faites pour établir que les animaux vermiformes qui se développent dans la chair en putréfaction sont des larves destinées à se transformer en Mouches de différentes sortes, Redi s'exprime dans les termes suivants : « D'après ces faits que je venais d'acquérir, je commencais à sotpconner que tous les Vers qui naissent dans les chairs y sont produits par des Mouthes et non par ces chairs mêmes, et je me confirmais d'autant plus dans cette idée, qu'à chaque nouvelle génération produite par mes soins, j'avais toujours vu des Mouches voltiger et s'arrêter sur les chairs avant qu'il ÿ parüt des Vers, et que les Mouches qui s’y formaient ensuite étaient de mème espèce que celles que j'avais vues s'y poser. Mais ce soupcon n'aurait été d'aucun poids si l'expérience ne l'eût confirmé ; c'est pourquoi, au mois de juillet; je mis dans quatre bouteilles à large cou, un Serpent, quatre petites Anguilles et un morceau de Veau. Je bouchai bien exactement ces bouteilles avec du papier que j'ar- SUR LA GÉNÉRATION DITE SPONTANÉE. 15 Redi restà dans le doute concernant le mode d'origine de cer- tains Vers ou larves que l’on trouve souvent dans l'intérieur du corps de divers animaux vivants ou dans la substance de certar- nes plantes en pleine végétation, et, tout en refusant à la matière morte la faculté de s'organiser spontanément et de devenir ainsi un corps vivant, il inclina à penser que la force vitale dont les plantes, aussi bien que les êtres animés, sont douées, pouvait déterminer dans leur organisme la production d'animaux para- sites. Mais un de ses disciples, Vallisnieri, ne tarda pas à faire rentrer dans la règle commune un grand nombre de ces anoma- lies présumées, car il constata que divers insectes qui se dévelop- pent dans l'intérieur des fruits sont les produits d'une génération ordinaire, et qu'ils sont déposés à l’état d'œufs dans la substance des végétaux, ou y pénêtrent du dehors à l’état de larves pour y vivre et y grandir. Un autre naturaliste du xvir° siècle, Swammerdam, combattit avec non moins de succès les erreurs qui régnaient depuis l’an- tiquité, touchant l'aptitude de la matière brute à former spon- tanément beaucoup d'animaux inférieurs. Ainsi il fit voir que les Abeilles, dont le nombre se compte par milliers dans chaque ruche, sont toutes le produit, uon pas de la putréfaction des cadavres, comme on l'avait prétendu, mais du développement rètai sur leur orifice en le serrant autour du goulot avec une ficelle ; après quoi je mis des mêmes choses et en même quantité dans autant de bouteilles que je laissai ouvertes. Peu de temps après, les poissons et les chairs de ces seconds vaisseaux se remplirent de Vers ei je voyais les Mouches y entrer ct en sortir librement ; mais je n'ai pas aperçu un seul Ver dans les bouteilles bouchées, quoiqu'il se füùt écoulé plusieurs mois depuis que ces matières y avaient été renfermées ; ün voyait quelquefois sur le papier qui les cou- vrait de petits Vers qui cherchaient un passage pour s’introduire dans tes bouteilles : ils semblaient s’efforcet de pénétrer jusqu'à ces chairs qui étaient corrompues el qui exha- laient une odeur fétide..…… Je ne me contentai pas de ces expériences, j'en fis une infi- nité d’autres en différents temps et avec différentes sortes de vaisseaux, et pour ne négli- ger aucune espèce de tentatives, je fis enfouir plusieurs fois dans la terre des morceaux de chair, que j’eus soin de faire recouvrir de terre bien exactement; et quoiqu'ils y restassent plusieurs semaines, il ne s’y engendra jamais de Vers, comme il s’en formait sur toutes les chairs sur lesquelles les Mouches s'étaient posées. » (Redi, Experimenta circa generationem Inseciorum, édit: de Leyde, 1739, p. 32 et suiv.) Redi constata aussi l'existence d'organes reproducteurs chez divers Vers intestinaux que l’on supposait généralement ne se multiplier que par la génération dite spontanée, 16 MILNE ED WARDS. des œufs pondus par l'individu que les anciens appelaient le roi, et que les modernes désignent par le nom mieux approprié de reine. Il constata que les Poux sortent d'un œuf et en pon- dent, comme les autres insectes (1); enfin 1l expliqua d’une manière très-judicieuse l'origine des larves qui habitent dans l'intérieur des excroissances végétales appelées galles, ou dans la substance des feuilles de diverses plantes (2). L'histoire du mode de reproduction de ces parasites, et de beaucoup d’autres insectes dont les mœurs sont analogues, ne fut complétée que bien plus tard par les belles recherches de Réaumur; mais les faits introduits dans la science par Redi, Swammerdam et Vallismieri auraient probablement suffi pour faire justice de l'hypothèse des générations spontanées (3), si, vers la fin du xvi° siècle, une découverte importante, en reculant les limi- tes de l'observation possible, n’eût fait naître d’autres difficultés pour l'explication desquelles on eut de nouveau recours à des suppositions analogues à celles dont la fausseté venait d’être (4) Dans quelques cas, les Poux se développent sur le corps humain en nombre si prodigieux, qu’au premier abord on a cru ne pouvoir s'expliquer leur multiplication par la voie ordinaire de la génération, et qu'on a supposé qu'ils naissaient de la sub- stance de notre organisme, opinion qui a été soutenue encore de nos jours par quel- ques auteurs. Les médecins ont considéré ce phénomène comme dù à une maladie par- ticulière qu'ils désignent sous le nom de phthiriasis, et parmi les personnes qui ont été infestées de la sorte, on cite plusieurs hommes célèbres : par exemple, Alcman, poëte grec, Platon, le dictateur Sylla, les deux Hérodes, l'empereur Maximin et le roi d'Es- pagne Philippe IL. On à même attribué à cette maladie la mort de plusieurs de ces personnages. Ainsi que je l'ai déjà dit, les partisans de l'hypothèse des générations diles spontanées pensaient que les Puces naissaicent de la poussière et d’autres matières inerles; mais en 1862, Leuwenhoeck constata que ces insectes pondent des œufs ct se multiplient par la voie de la génération ordinaire ; il fit connaître en même temps les métamorpho- ses qu'ils subissent dans le jeune âge. (Leuwenhoeck, Arcana Nature delecta, epist. LxxvI, Opera, t. 11, p. 325.) (2) Swammerdam n'eut pas l'occasion d'observer la manière dont les œufs sont in- toduits dans le tissu de la plante, qui, en se développant, constituera une galle, mais il constata que ces œufs donnent naissance à des larves qui, après s'être nourries de la substance-végétale dont elles sont entourées, se transforment en insectes ailés qui pro- duisent à leur tour des œufs semblables à ceux dont elles étaient elles-mêmes sorties. (3) En 1737, Réaumur disait: « Nous n'avons plus besoin de combattre le sentiment absurde dans lequel on a été pendant si longtemps sur l’origine des insectes des galles ; il n'est plus de philosophie qui osät soutenir avec les anciens, peut-être même n’en est-il SUR LA GÉNÉRATION DITE SPONTANÉE. 17 reconnue pour tous les cas susceptibles d'être étudiés d’une manière approfondie. En examinant au microscope de l'eau pluviale qui était restée exposée à l'air, Leuwenhoeck y découvrit une multitude d'êtres animés, d'une petitesse extrème, qui n'y existaient pas au moment où il avait recueilli ce liquide. Il constata aussi que des Animalcules microscopiques analogues se développent par myriades dans l’eau où l'on fait infuser des matières organiques, par exemple du poivre ou du foin, et il ouvrit ainsi un champ nouveau aux investigations des observateurs amsi qu'aux hypo- thèses des physiologistes spéculatifs. De bonne heure quelques na- turalistes attribuèrent cette production d’Animalcules à une sorte d’ensemencement d'œufs ou de germes qui, engendrés par d'au- tres Animalcules de même espèce, auraient été entraînés par les vents et flotteraient dans l'atmosphère au milieu des poussières dont l'air est toujours plus ou moins chargé (1). Mais d'autres auteurs, ne pouvant apercevoir ni œufs ni germes de ce genre, crurent préférable d'expliquer la naissance de ces petits êtres comme les anciens expliquaient la formation des Abeilles d’Aris- tée ou la multiplication des Rats de l'Égypte, c’est-à-dire en sup- posant que la matière Imorganique ou morte, soumise à l’action de la chaleur et de l'humidité, posséderait la faculté de s’orga- niser et de constituer des êtres animés, lesquels vivraient sans avoir reçu la vie d'un autre corps vivant ; ou, en d’autres termes, ils attribuaient l’apparition de ces Animalcules à une génération dite spontanée. ! plus de capable de penser que quelques parties d’une plante peuvent, en se pourrissant, devenir un Ver, une Mouche, en un mot un insecte, qui est un assemblage de tant d'admirables organes. » (Réaumur, Mémoires pour servir à l’histoire des insectes, t. III, p. 474.) Les observations de ce grand naturaliste sur la génération des insectes qui se développent dans l'intérieur des plantes sont pleines d'intérêt et d'une exacti- tude parfaite. (4) Henry Baker, l’un des micrographes les plus laborieux du xvin® siècle, interpréta de la sorte les faits observés par Leuwenhoeck et par lui-même, relatifs au développe - ment des Animalcules dans l’eau exposée à l’air, et contenant des mat ères nutritives. Ce fut aussi l'hypothèse que Spallanzani et quelques autres auteurs adoptèrent pour expliquer l'apparition des Animalcules dans les infusions: (Baker, The Microscope made easy, 1742, p. 69.) 18 MILNE EDWARDS, Vers le milieu du siècle dernier, ces questions ardues occu- pèrent beaucoup l'attention des naturalistes, et donnèrent nais- sance à deux hypothèses opposées qui ont eu trop de célébrité pour que je n'en dise pas quelques mots. En réfléchissant sur les phénomènes naturels plutôt qu’en observant la nature, un philosophe génevois, Bonet, fut conduit à penser que non-seulement un animal ne pouvait se constituer de toutes pièces et prendre vie sans avoir été engendré par un animal préexistant, mais qu’il ne pouvait être une création de celui-ci; que le jeune se développait dans le corps de sa mère sans être en réalité formé par elle, et qu'il y préexistait à l’état de germe. Appliquant ensuite ce mode de raisonnement à la série des êtres dont cette mère était elle-même descendue et à la pro- géniture future de ses produits, Bonet arriva à penser que le premier individu de chaque race devait contenir, inclus les uns dans les autres, les germes de tous les individus dont il était destiné à être la souche, de sorte que tous ces individus auraient existé à l’état de germes dès la création du Règne animal, et n'auraient fait que se développer à mesure qu'ils se seraient dépouillés successivement des enveloppes constituées par des ger- mes placés moins profondément. C’est cette hypothèse singulière que l’on connaît sous le nom de théorie de l'embottement des ger- mes. Notre imagination s’en effraye comme de l’idée de l'infini, et cependant Cuvier considéra cette manière d'envisager le mystère de la multiplication des êtres vivants comme étant préférable à toute autre. Buffon, dont les conceptions nous charment toujours par leur grandeur, lors même qu’on ne saurait les considérer comme l’ex- pression des faits acquis à la science, se plaça à un autre point de vue; et, adoptant en partie les idées de Maupertuis sur l’attraction élective des molécules, il regarda la vitalité comme étant une propriété indestructible, non pas de la matière en général, mais de la matière organisée, c’est-à-dire de la substance constitutive des êtres vivants ; il pensa que chaque molécule de cette matière vit par.elle-même, et que la manière dont son activité physiolo- gique se manifeste, dépend de son mode d'association avec d’au- SUR LA GÉNÉRATION DITE SPONTANÉE, 49 res molécules organiques, Le corps d’un animal ou d’une plante ne serait donc qu'une réunion d'une multitude d'êtres vivants ayant chacun leur individualité, et susceptibles de se réunir de mille manières différentes pour constituer autant d'autres ani- maux ou d'autres plantes; ce que nous appelons la mort d’un de ces êtres complexes ne serait alors que la dissolution d'une de ces associations, et les molécules organiques ainsi mises en liberté continueraient à vivre isolément, ou entreraient dans de nouvel- les combinaisons pour former d'une part les Monades, par exem- ple, d'autre part quelque corps vivant plus complexe, tel qu'un Insecte où un Quadrupède. Telle est, en peu de mots, l'essence de la théorie dite des molé- cules organiques de Buffon, théorie d’après laquelle les Animal- cules qui naissent dans les infusions ne seraient que les molécu- les des matières animales ou végétales mises en liberté par la destruction de l'association physiologique dont elles faisaient préalablement partie, et redevenues actives isolément après avoir cessé de manifester leur puissance vitale par un genre d'activité dépendant de leur mode de réunion en un organisme complexe. Ce serait cette matière organique, et par conséquent vivante, qui, retenue dans l’intérieur de certains animaux ou de certaines plantes, formerait des Vers intestinaux ou d’autres parasites. Enfin, ce seraient encore ces molécules organiques qui, en s'asso - ciant dans l'intérieur des organes de la reproduction d'un être vivant, imitant le mode d'assemblage des molécules dont le corps de celui-ci se compose, rempliraient une sorte de moule virtuel fourni par cet organisme préexistant, et constitueraient ainsi l'embryon destiné à perpétuer sa race. L'hypothèse de la multiplication des êtres animés sans l’inter- vention d'animaux engendreurs, et par le jeu seulement des forces physiques où chimiques dont la matière merte est douée, ou, en d’autres termes, l'hypothèse de la génération dite spontanée fut adoptée par la plupart des micrographes du dernier siècle, et elle compte aujourd'hui plus d’un défenseur habile ; mais elle a été sans cesse déplacée, et n’a jamais pu être soutenue d’une manière plausible que sur les confins extrêmes du domaine de l’observa- 20 MILNE EDWARDS. tion, là où la constatation des faits présentait de grandes difficul- tés. Les partisans de l'opinion contraire gagnèrent lentement du terrain, et à mesure qu'ils portèrent la lumière à l'horizon bru- meux de la science, ils firent rentrer dans la règle commune un grand nombre de cas particuliers où l'origine des êtres vivants par la voie de l’engendrement, n'ayant pu être constatée, avait été niée; mais en même temps les limites connues de la création biologique ont été reculées et de nouvelles difficultés de même ordre ont surgi. Pour expliquer ces cas obscurs, on à eu recours, comme jadis, à l'hypothèse de la génération dite spontanée. Ainsi le perfectionnement récent des microscopes à permis de reconnaître que les corpuscules d'une petitesse extrème qui com- posent diverses substances appelées ferments, la levüre de bière par exemple, sont des êtres vivants, et, pour se rendre compte de l'apparition de ces corpuscules dans les liquides en fermentation, quelques physiologistes ont supposé qu'ils naissaient de la matière inerte sans avoir reçu la vie d'aucun être vivant. La question s'est donc transportée sur ce terrain nouveau, et il est probable que des déplacements analogues éterniseront le débat, car 1l y aura toujours cértains esprits enclins à supposer que là où la filation des animaux similaires n’est pas manifeste, on est autorisé à dire que lesnouveaux venus n'avaient pas de parents et se sont consti- tués de toutes pièces sans le concours d'aucun être vivant pré- existant. Mais pour ceux qui placent quelque confiance dans les inductions fondées sur l'analogie, la généralisation progressive de la règle commune sera un motif puissant pour croire que l'origine de ces petits êtres ne diffère pas essentiellement de celle des autres animaux ou de celle des plantes dont le mode de mul- tiplication a été bien étudié ; que l'obscurité dont leur filiation est encore entourée sera dissipée un jour, et qu'alors ces préten- dues exceptions à la grande loi de la transmission de la vie dispa- raîtront comme ont déjà disparu les exceptions citées jadis par le crédule Pline ou par le père Kircher. Quoi qu'il en soit, ces difficultés physiologiques doivent être examinées ici d’une manière attentive, et, pour faciliter l'ap- préciation des faits et des arguments employés dans la discus- SUR LA GÉNÉRATION DITE SPONTANÉE. 21 sion de ces questions ardues, il me paraît nécessaire de préciser nettement les hypothèses ainsi que les idées dont ces hypo- thèses sont l'expression, puis d'étudier successivement les divers ordres de faits sur lesquels le débat s'établit aujourd'hui. Les mots généralion et spontanée s'accordent si mal ensemble, que quelques auteurs ont cru utile d'y substituer une expres- sion nouvelle, et de désigner sous le nom d'hétérogénie la pro- duction d’un être vivant qui ne procéderait pas d’un être de son espèce, qui serait dénué de parents, et qui résulterait d'une génération primordiale ou création. Ces auteurs appellent homogénie, la production des animaux et des plantes qui sont procréés par des êtres vivants semblables à eux (1). Mais le mot hétérogénie, que l'on donne comme synonyme de généra- tion spontanée, de génération primordiale et de génération équivoque, s'applique, comme on le voit, à des choses qui pour- raient être très-différentes et qu'il importe de ne pas confondre, SaVOIr : 1° La formation d’un être vivant par l’organisation spon- tanée de la matière brute ou de la matière morte, sans le con cours ou l'influence d'aucun être vivant déjà existant, mode d'origine que, pour la commodité de la discussion, j'appellerai agénétique. 2° La formation d'individus vivants par suite de la désasso- clation de parties qui, constituées par l’action vitale d’un animal ou d’une plante, et ayant participé à la puissance vitale de cet être, conserveraient la faculté de vivre et de se développer de façon à réaliser certaines formes organiques après que celui-ci aurait été frappé de mort et son organisme détruit ; mode de multiplication que l'on pourrait appeler nécrogénie. 3° La formation d'êtres particuliers par l’action physiologique d’un organisme vivant qui leur transmettrait le principe de la vie sans leur imprimer les caractères organiques qu'il possède (1) Un physiologiste allemand dont l’ouvrage a eu beaucoup d’admirateurs en France, Burdach, a introduit ces expressions dans notre langage scientifique, et aujourd'hui la plupart des hétérogénistes les emploient. 29 , MILNE EDWARDS, lui-même : l'être nouveau serait procréé, mais ne serait pas de la même nature que ses parents et représenterait une autre espèce. J'appellerai énogénie cette descendance d’une souche étrangère (1). Dans le cas de naissance agénétique, soit que l'être nouveau se constituât avec des matières inorganiques, telles que l’eau, l'acide carbonique et l'ammoniaque, soit qu'il résultât de quel- que transformation d’une substance organique, telle que la fibrine, l'albumine ou la cellulose végétale, 1l ne recevrait le mouvement vital, le principe de la vie, d'aucun être vivant ; la force dont il serait animé appartiendrait tout entière à la matière dont il se compose, et serait une propriété inhérente à cette matière, propriété qui serait tantôt latente, d’autres fois active à la manière de l’affinité chimique ou du mouvement calorifique, et qui se manifesterait de telle ou telle manière sui- vant les circonstances dans lesquelles cette même matière serait placée. Dans les autres hypothèses, la vie serait communiquée à la matière inerte par un être vivant ; mais, dans le cas de la nécrogénie, il y aurait discontinuité dans la manifestation de cette force acquise, qui deviendrait latente lorsque l’associa- tion des molécules organiques ainsi douées deviendrait inapte à fonctionner en commun, ou, en d'autres mots, lorsque l'in- dividu dont elles font partie serait frappé de mort, mais qui rentrerait en jeu lorsque ces mêmes molécules, redevenues libres, seraient susceptibles de contracter de nouvelles associations. Au premier abord, toutes ces distinctions peuvent paraître un peu subtiles, mais elles ont en réalité une importance considé- rable, et c'est en partie pour les avoir négligées que les physio- logistes ont souvent discuté d'une manière vague et obscure sur les questions de cet ordre. (1) J'aurais préféré le nom d'Aétérogénie si ce mot n'avait déjà recu une acception différente et beaucoup plus étendue. SUR LA GÉNÉRATION DITE SPONTANÉE, 23 ç 2. Examinons, en premier lieu, si nous devons croire ou ne pas croire que, dans l'état actuel de la nature, des êtres vivants naissent par agénésie, et ne tirent leur puissance vitale que de la matière inerte, c’est-à-dire inorganique ou morte, dont ils se composent. Aujourd'hui cette hypothèse a été assez généralement aban- donnée en ce qui concerne les animaux dont le corps n’est pas trop exigu pour être observable sans l'emploi du microscope (L) ; mais quelques physiologistes y ont encore recours pour expliquer l’origine de ce qu'ils appellent les proto-organismes, c’est-à-dire des animalcules et des végétaux d’une petitesse extrême, tels que des Mycodaires et des globules de ferment, qui apparaissent souvent dans l’eau exposée à l’action de l'atmosphère ou renfer- mant des matières organiques en infusion (2). La plupart des naturalistes pensent, au contraire, que les êtres microscopiques dont ces infusions se peuplent ont une origine semblable à celle des animaux ou des plantes ordinaires, et qu'ils sont le résultat du développement d'œufs, de germes ou de quel- que autre sorte de propagules, c’est-à-dire de corpuscules pré- organisés qui, engendrés par des êtres vivants, auraient été introduits accidentellement dans le liquide avec les matières que l'on y fait infuser, ou y auraient été déposés par l'atmosphère. (1) Au commencement du siècle actuel, un auteur que les partisans de l'hypothèse des naissances agénésiques citent parfois encore aujourd'hui, Fray, publia un grand nombre d'expériences dans lesquelles il crut avoir constaté la formation spontanée, non- seulement de beaucoup d’Infusoires, mais aussi de Crustacés de la famille des Monocles, de Podures et autres insectes. Vers la même époque, Gruithuisen annonça qu'il avait fait naître des [nfusoires à l’aide de diverses substances minérales, telles que le granit etl'anthracite. Plus récemment, Cross assurait avoir fait naître des Acarus en électrisant une pierre vésuvienne humide. (2) Ainsi, un savant zoologiste de Rouen, M. Pouchet, soutient cette manière de voir avec une grande persévérance, et il a fait sur ce sujet de nombreuses publications. Il a été secondé dans ses efforts par M. Joly, professeur à la Faculté des sciences de Tou« louse, et par quelques autres naturalistes, 9 MILNE EDWARDS. On sait, en effet, que les Infusoires sont susceptibles de se repro- duire comme le font les êtres organisés dont la taille est plus con- sidérable ; et l’on sait également que, non-seulement des graines et des œufs peuvent rester pendant fort longtemps dans un état de vie latente sans perdre la faculté de reprendre la vie active lorsque les circonstances sont favorables à l'exercice de leurs facultés, mais que des Animaleules adultes peuvent présenter des phénomènes de même ordre, et conserver leur vitalité après avoir été réduits à un état de mort apparente par la dessiccation. Enfin nous savons aussi que la dissémination des corpuscules légers par les courants atmosphériques est chose facile. Aucun physio- logiste ne révoque en doute la puissance génératrice des Ani- malcules et des végétaux microscopiques, et, pour se convaincre de la possibilité du transport de leurs propagules par la voie que je viens d'indiquer, il suffit de se rappeler la quantité énorme de poussière qui flotte toujours dans l'air, et la difficulté que nous éprouvons à préserver de son contact les objets qui ne sont pas renfermés dans des vases hermétiquement fermés. Des corpus- cules bien plus gros et bien plus lourds que ne doivent l'être les propagules en question sont charriés de la sorte à des distances immenses, ainsi qu'on à pu s’en assurer en observant les pous- sières tombées de l'atmosphère dans les pays situés sous le vent de quelques volcans en éruption. Nous savons également que le transport des graines par les courants atmosphériques est un des moyens employés par la nature pour effectuer la dispersion des espèces végétales à la surface du globe; et, par conséquent, en attribuant à des phénomènes analogues l'apparition de corpus- cules vivants dans les eaux chargées de matières propres à la nu- trition de ces petits êtres, on explique l’origine de ceux-ci d’une manière bien plus plausible qu’en les supposant formés par une génération dite spontanée. Mais, en science, on ne saurait se contenter d’une probabilité de cet ordre, et, pour se prononcer en faveur de l’une ou de l'autre des deux hypothèses que je viens d'exposer, il fallait les soumettre à l'épreuve de l’expérimentation , c’est-à-dire chercher à provoquer les phénomènes en question dans des cir- SUR LA GÉNÉRATION DITE SPONTANÉE. 25 constances compatibles seulement avec l'une ou l'autre de ces explications. Spallanzani, dont le nom revient toutes les fois qu'il s'agit d'élucider une des grandes questions de la physto- logie générale, fut un des premiers à tenter cette épreuve d'une manière conforme à la saine raison, et quoiqu'il ne parvint pas à résoudre complétement le problème, il eut le mérite de le bien poser. Pour décider si les êtres vivants qui se montrent dans une in- fusion y naissent de propagules ou germes préorganisés, ou s'y forment directement par l'organisation spontanée de la matière non vivante, il fallait examiner si ces Infusoires se développent lorsque l'infusion ne contient rien qui vive, et se trouve placée dans des conditions telles qu'aucun corpuseule vivant ou apte à vivre ne puisse y arriver du dehors. Spallanzant suivit cette marche logique, et, afin de remplir les deux conditions essen- tielles de l'expérience, il eut d’abord recours à la chaleur pour détruire la vie dans tout ce qui pouvait exister dans ces infusions, puis il conserva celles-ci en vases clos, afin de les soustraire à l'influence de l'atmosphère, et d'empêcher ainsi toute Imtroduc- tion nouvelle de corpuscules vivants ou viables. En effet, 1l savait que ni les animaux ni les plantes ne résistent à une certaine élé- vation de température, que les graines aussi bien que les œufs perdent la faculté de se développer et de donner naissance à des êtres vivants, lorsqu'on les chauffe de la sorte. Pour s'éclairer davantage sur le degré de chaleur incompatible avec la vie, il fit une longue série d'expériences, et il vit que les œufs ainsi que les graines résistent parfois à des températures qui seraient fatales pour les animaux ou les plantes qui sont déjà développés, et que cette résistance est plus grande lorsque les corps reproducteurs en question sont secs que lorsqu'ils sont humides; mais il trouva que la vitalité des uns et des autres était toujours détruite par l’action un peu prolongée de l'eau en ébullition. Il en conclut qu’en faisant bouillir l'eau et les matières organiques mises en infusion, il devait tuer infailiblement tout ce qui pouvait y exister de vivant, et que pour empêcher le développement ultérieur d'êtres vivants dans le liquide ainsi préparé, ilsuffirait de le ren- 926 MILNE EDWARDS. fermer hermétiquement de façon à le soustraire à l'action de l'air, pourvu que la matière inerte ne fût pas capable de s’orga- niser et de prendre vie spontanément. Spallanzant prépara de la sorte une série d’infusions qui, après avoir été soumises à l’ébullition, furent placées dans des vases dont les uns étaient ouverts, dont d’autres furent bouchés avec du coton seulement, et d'autres fermés aussi exactement que possible. Dans les premiers, c'est-à-dire dans les vases ouverts, les Animalcules microscopiques ne tardèrent guère à se montrer par myriades, mais dans les autres il n’en trouva que peu, et leur nombre était d'autant moindre que la clôture avait été plus com- plète (1). I ne parvint jamais à empêcher complétement l’appa- rition de quelques Infusoires d’une petitesse extrême; mais, d’après la tendance générale des faits constatés de la sorte, 1l se confirma dans l'opinion que ces êtres ne naissent que de germes préorganisés charriés par l'atmosphère et déposés dans les ma- tières en infusion, comme les plantes naissent dans le sol par le développement des graines qui y ont trouvé gîte et nourriture. Les expériences de Spallanzani devaient paraitre décisives pour tous les Infusoires que ce physiologiste appela des Animal- cules d'ordre supérieur ; mais il n’en était pas de même pour les êtres encore plus microscopiques, qu'il appela des Animalcules du dernier ordre, et, pour généraliser d’une manière légitime ses conclusions touchant le mode d’origine de tous ces corpus- cules vivants, 1l fallait supposer que les germes de ces Infusoires inférieurs n'avaient pas été tués par les moyens employés utile- ment pour les autres propagules organisés, où qu'ils n'avaient pas été arrêtés par la clôture des vases contenant les infusions. Il est vrai que d'autres naturalistes constatérent que les êtres vivants ne se montrent pas dans les infusions préalablement sou- mises à l’ébullition, et dont la surface est séparée de l'atmosphère (4) Baker avalt déjà remarqué que si l’on recouvre avec de la mousseline, ou de la toile fine, une infusion de racine ou de foin qui, dans les circonstances ordinaires, donne naissance à des animaltules en grande abondance, on ne voit que très-peu de ces petits êtres s'y développer, et il argüa de cc fait pour soutenir que les Infusoires ne s’y forment pas de toutes pièces et naissent d'œufs déposés par l’atmosphere, SUR LA GÉNÉRATION DITE SPONTANÉE. 27 par une couche d'huile; pour les empêcher d’apparaître, il suffit aussi de renfermer ces infusions dans un flacon dont le bouchon de verre touche la surface du liquide; mais, dans tous ces cas, l'oxygène de l'air n’arrivait pas à infusion, et l’on pouvait sup- poser que l'absence des Animaleules dépendait du défaut d'air respirable. Pour quelques-uns de ces êtres microscopiques, cette explication n’était guère admissible, car plusieurs expérimenta- teurs avaient vu des Infusoires se développer dans des liquides en contact avec de l'hydrogène ou avec de l'azote seulement. Cependant l'objection n'était pas sans gravité, et, pour résoudre d’une manière plus satisfaisante la question de l’origine de ces petits êtres, il fallait avoir recours à d’autres expériences. En voici une qui m'a semblé plus concluante. De l’eau et des matières organiques furent placées dans deux longs tubes en forme d’éprouvettes ; l’un de ces tubes, dont les deux tiers étaient occupés par de l'air, fut alors fermé à la lampe par son extrémité supérieure et ensuite plongé dans de l’eau bouillante, ainsi que l'autre tube resté ouvert. Le bain fut maintenu en ébullition pendant le temps nécessaire pour que l'équilibre de température dût s'établir à peu de chose près entre les deux infusions et le liquide extérieur ; puis on laissa refroidir les tubes et on les aban- donna à eux-mêmes, en ayant soin d'examiner de temps en temps leur contenu à travers leurs parois transparentes. Au bout de quelques jours, je vis des Infusoires se mettre en mouvement dans celui des deux tubes qui était resté en communication libre avec l'atmosphère, tandis que dans l’autre tube dont la clôture hermétique avait précédé l’action présumée mortelle de la cha- leur, je ne vis jamais apparaître un seul Animalcule (1). Quelque tempsauparavant, une expérience semblable avait été faite en Allemagne par M. Schultze et avait donné les mêmes ré- (4) Cette expérience 4 été faite 11 y à plus de vingt-cinq ans, et j'en ai souvent rendu compte dans mes cours publics, mais on en a parlé d’une manière fort inexacte dans quelques ouvrages, et c’est pour cette raison que j'ai cru devoir en rappeler les détails. (Milne Edwards, Remarques sur da valeur des faits qui sont considérés par quelques naturalistes comme élant propres à prouver l'existence de la génération spontanée des animaux, in Ann des se, nat:, ° série, 1858, t. IX, p. 359:) 28 MILNE EDWARDS. sultats ; mais on pouvait encore y faire des objections, car l'air emprisonné dans le vase pouvait avoir été altéré par les matières organiques en infusion, et l'on pouvait supposer que l'absence des Animalcules dans le liquide avait dépendu de cette circon- stance. Pour mieux éclaircir la question, le naturaliste que Je viens de nommer disposa donc son appareil de façon à pouvoir y renouveler l'air à volonté, mais à n'y laisser pénétrer ce fluide qu'après l'avoir purifié en le faisant passer à travers un ban d'acide sulfurique. Aucun être vivant ne se montra dans le vase tant que l'air qui y arriva fut ainsi dépouillé de tout corps orga- nisé ; mais les Infusoires s'y développèrent lorsqu'on y laissa entrer de l'air ordinaire chargé des poussières qui flottent dans l'atmosphère (1). Plus récemment, M. Claude Bernard a constaté que si une dis- (4) Pour faire cette expérience, Schultze remplit à moitié, avec de l'eau distillée, un flacon de cristal contenant des fragments de matières organisées, ct le ferma avec un bouchon traversé par deux tubes coudés; puis il le plongea dans de l’eau bouillante, et pendant que la vapeur se dégageait par les tubes dont je viens de parler, il adapta à chacun de ceux-ci un petit laveur de Liebig, dans l’un desquels on plaça de l'acide sulfurique concentré, tandis que dans l’autre on plaça une solution de potasse. Ces deux liquides interceptaient toute communication entre l'atmosphère ct l'intérieur du flacon ; mais pour renouveler l'air dans celui-ci, il suffisait d'aspirer par l'extrémité du laveur contenant de la potasse. L'air arrivait alors dans le vase, après avoir barboté dans l'acide sulfurique. Pendant près de deux mois, l'air du flacon fut renouvelé de la sorte plusieurs fois par jour, et l’on constata que pendant tout ce laps de temps aucun Infusoire ne se montra. On déboucha alors le flacon afin d'y laisser pénétrer l'air libre- ment; l’infusion ne contenait alors ni moisissures, ni Conferves, ni Animalcules, mais au bout de peu de jours des Monades, des Vibrions et même des Rotateurs s'y déve- loppèrent. Des expériences failes vers la mème époque sur la fermentation putride, par Schwann et par quelques autres chimistes, prouvèrent que l'air pur ne provoque pas ce phéno” mène, tandis que l'air chargé de matières étrangères qui se trouvent dans l'atmosphère le détermine. Plus récemment, les expériences de M. Schroeder et de M. Tusch nous apprirent que le principe dont dépend cette altération des matières putrescibles n'est pas un fluide, car, pour l'arrêter au passage, il suffisait de filtrer l'air à travers une couche de coton. Enfin, on sait aujourd'hui que ce ferment est constitué par des êtres vivants microscopiques; par conséquent, les résultats constatés par les savants que je viens de citer sont applicables à la question de l'origine des Infusoires. Je dois ajouter que, peu temps avant sa mort, Jules Haime avait répété dans mon laboratoire, à la Sorbonne, les expériences de M. Schultze, et était arrivé aux mêmes résultats. SUR LA GÉNÉRATION DITE SPONTANÉE. 29 solution de gélatine et de sucre, après avoir bouilhi, reste en contact direct avec l'atmosphère, il s’y développe rapidement des végétaux microscopiques, tandis que si l'air n’y arrive qu'après avoir traversé un tube chauffé au rouge, aucun être vivant ne se montre dans le liquide; d’où ce savant conclut avec raison que les germes de ces êtres vivants sont introduits dans le liquide par l'atmosphère (1). Tous ces faits étaient favorables à l'opinion de Baker et de Spallanzani touchant l’origine des Infusoires ; mais des résultats négatifs ne sont que rarement suffisants pour la solution d'une question biologique, et, en 1858, quelques naturalistes d’un mérite considérable présentérent de nouveaux arguments en faveur de l'hypothèse des générations dites spontanées. Ainsi, M. Pouchet assura que les Infusoires apparaissent dans l’eau où l’on fait macérer des substances organisées, lors même que ces matières ont été soumises à une température qui avoisine celle de l’eau bouillante et qu'on les soustrait complétement à l’action de l’air non dépouillé de corpuscules étrangers (2). Il me parais- sait probable que ce résultat, ainsi que ceux obtenus jadis par Fray, et que les faits de même ordre invoqués par d’autres naturalistes à l’appui des opinions de M. Pouchet, dépendaient de quelque vice dans le mode d’expérimentation : soit de l'insuf- fisance de la chaleur employée pour tuer les germes ou autres (1) Le végétal qui s'était développé dans le vase ouvert était le Penicillium gluucum. M. Dumas est arrivé à des résultats analogues en opérant sur des matières organi- ques échauffées à 120 degrés, puis placées dans de l’eau artificielle, et mises en contact successivement avec de l'air préalablement chauffé au rouge, ou de l’air chargé de cor- puscules organiques qui flottent dans l'atmosphère. (2) La principale expérience de M. Pouchet a été faite de la manière suivante par ce naturaliste et son collaborateur M. Houzeau. Un flacon bouché à l’émeri fut rempli d’eau, puis fermé hermétiquement et renversé sur une cuve à mercure; on remplit ensuite aux trois quarts ce vase avec un mélange d'oxygène et d'azote dans les propor- tions voulues, pour constituer de l'air artificiel, et l’on y introduisit uue certaine quan- tité de foin qui avait ébé préalablement exposé, durant vingt minutes, dans une étuve dont la température était de 100 degrés. Au bout de quelques jours, des végétations de Penicillium glaucum se montrèrent dans l'infusion, et plus tard on y aperçut des Ami- bes, des Trachélies, des Monades et des Vibrions. Les faits constatés par M. Pasteur, et dont il sera bientôt question, feront saisir au premier coup d'œil le défaut capital de cette expérience. (Ann. des sc. nat., 4° série, t. IX, p. 350.) de série. Zoo. T. LIL. (Cahier n° 1.) 5 3 30 MILNE EDWARDS. propagules contenus dans l’eau, dans les matières mises en infu- sion ou mème peut-être adhérentes à la surface interne du vase, soit dans l'imperfection de la clôture de l'appareil, ou du défaut de purification de l'air admis dans celui-ci (4). Mais la discussion, placée sur ce terrain, aurait pu s'éterniser, car elle roulait sur le degré de confiance qu'on devait accorder à l'habileté de l'expéri- mentateur. Pour avancer la question, 1l fallait donc de nouveaux éléments de conviction, et des preuves qui me paraissent déci- sives ne tardèrent pas à nous être fournies par les belles expé- riences de M. Pasteur (2). Jusqu’alors l'existence de propagules ou de germes d’Infusoires dans l'atmosphère était une hypothèse plausible pour expliquer l'origine de ces êtres d’une manière conforme aux lois générales de la reproduction; mais c'était une supposition seulement, et l'on n'avait pu ni voir ni saisir ces corpuscules reproducteurs. M. Pasteur, en faisant passer de l'air à travers divers corps qui remplissaient l'office de filtres, du coton ou de l'amiante, par exemple, est parvenu à arrêter ces germes ou propagules, et, en les semant dans des infusions placées dans des vases hermétique- ment fermés, il a pu déterminer à volonté le développement d'êtres vivants dans des conditions où aucun phénomène vital ne se serait manifesté, si cetensemencementn'avait eu lieu. Ses expé- riences ont été instituées de manière à éviter toutes les causes d'erreur qu'il nous est possible d'imaginer, et les résultats qu'elles lui ont fournis me paraissent imattaquables. Les arguments à l'aide desquels M. Pouchet, M. Joly et quelques autres naturalistes ont cherché à les renverser ne me semblent avoir aucune valeur, et, sans m'arrèter à les réfuter, je me bornerat à citer ici quelques (4) Milne Edwards, Remarques sur la valeur des faits qui sont considérés par quel- ques naturalistes comme élant propres à prouver lexistence de la génération spontanée des animaux (Comptes rendus, t. XLVIIL, p. 23, et Ann. des sc. nat., 4° série, 1858, t. IX, p. 353), (2) Les recherches de M. Pasteur sur la génération dite spontanée furent d’abord communiquées à l’Académie des sciences dans une série de notes, puis réunies ct coor- données dans un mémoire où toutes Les questions abordées par cet habile expérimenta- teur sont discutées d’une manière approfondie. (Ann. des sc. nat., 4® série, XVI, p: 9) SUR LA GÉNÉRATION DIRE SPONTANÉE. 51 parties du beau travail de M. Pasteur, car les détails qu'il donne suffiront, je pense, pour convaincre tous les esprits impartiaux, et montrent combien il est facile de laisser passer inaperçues des causes d'erreur. M. Pasteur constata d’abord que si l'on place dans un ballon de verre une dissolution de sucre mêlée à des substances albumi- noïdes et à une petite quantité de matières minérales provenant de l’incinération de la levüre de bière; si lon bouche ensuite ce ballon en étirant à la lampe son coleffilé, et si, apres avoir effec- tué cette clôture hermétique, on chauffe le liquide à 100 degrés, la fermentation ne s’y établit pas. Il ne s'y développe ni globules de ferment, ni Mucédinées, ni aucune autre espèce d'êtres vivants, lorsqu'on fait pénétrer dans ballon ainsi disposé de l'air qui a été calciné en passant à travers un tube chauffé au rouge, et qui, après avoir été purifié de la sorte, n’a pu se charger d’au- eun corps organisé. Cette expérience, répétée un grand nombre de fois, a toujours donné, entre les mains de M. Pasteur, le même résultat. Les choses se passaient encore de la même manière lorsqu'une certaine quantité des poussières organisées qui flot- taient dans l'atmosphère, et qui avaient été recueillies par la fil- tration de l'air, fut placée daus le col du ballon de façon à ne pas subir l'influence destructive de la chaleur et à ne pas arriver dans le liquide mis en expérience; mais, lorsque après avoir laissé l'ap- pareil dans cet état pendant un temps plus ou mois long, on l'inclinait de facon à faire tomber cette poussière dans le bain chargé de sucre et d’albumine, on voyait toujours des signes de fermentation se manifester promptement dans le liquide, et au bout de quelques heures des productions organiques s'y déve- lopper. Le point où ces poussières tombaient dans le bain était toujours celui où les végétations commençaient, et si ces mêmes corpuscules, au lieu d’être portés directement dans l'infusion, étaient exposés préalablement à une température d'environ 100 degrés, ils restaient inactifs, et la production d'Infusoires n'avait pas lieu. Mais, pour dépouiller complétement de ces pro- pagules les instruments ou les matières employés dans ces expériences, il faut des précautions parfois minutieuses. Ainsi, 92 MILNE EDWARDS. M. Pasteur a constaté que les germes déposés par l'atmosphère à la surface d’un bain de mercure peuvent suffire pour rendre les gaz qui traversent ce liquide aptes à produire des phénomènes de génération prétendue spontanée; l'air, en passant dans le mer- cure, peut se charger de ces germes, les porter avec lui dans les imfusions, y introduire des principes de vie, et y faire naître des êtres organisés dont la multiplication est rapide. Cela nous ex- plique comment, dans beaucoup d'expériences où les naturalistes croyaient s'être mis à l’abri de toute cause d'erreur, les infusions sur lesquelles 1ls opéraient avaient pu se peupler d’Animalcules sans que l’origine de ces petits êtres ait été due à un phénomène agénétique. En effet, ces corpuscules organisés qui flottent dans l’atmos- phère, et qui, en tombant dans un liquide approprié à leurs besoms, se développent en Animalcules ou en végétaux micros- copiques, et pullulent avec une rapidité extrême, de façon à donner promptement naissance à une population innombrable, sont pour la plupart d'une petitesse extrême (1), et peuvent être déposés indifféremment sur la surface de tous les objets employés dans les expériences de ce genre, sur les matières organiques mises en infusion dans l’eau, sur la paroi interne du vase, dans les interstices des bouchons servant à clore l'appareil, ou dans l'air qui est emprisonné dans celui -ci ou qui y pénètre du dehors. La valeur de l'expérience comme argument dans le débat relatif à l'origine des Infusoires qui se montrent dans une infusion que l’on suppose avoir été séquestrée complétement et préalablement purgée de tout corps étranger, dépend donc entièrement du succès avec lequel l’expérimentateur se débarrasse de tout germe viable contenu dans son appareil, et empêche ensuite des cor- puscules de ce genre d'y pénétrer. Or, la destruction de la pro- priété germinative des propagules en question ne se fait pas tou- jours aussi facilement que l’on pourrait le croire de prime abord. (1) M. Pouchet pense que les œufs de Vorticelles sont au contraire d'un volume relativement très-considérable : savoir, 0Mm,04; mais ce qu'il a pris pour des œufs était probablement des Vorticelles enkystées. {Claparède et Lachmann, Etudes sur les Infusoires et les Rhizopodes, 1861, L. 11, p. 81.) SUR LA GÉNÉRATION DITE SPONTANÉE. 39 Nous savons, par les expériences de Doyère, que certains Ani- malcules, lorsqu'ils sont convenablement desséchés, peuvent supporter des températures qui dépassent de beaucoup celle de l’eau bouillante, et l’on a constaté aussi que les germes de quelques végétaux microscopiques ne sont pas tués par la cha- leur des fours où se fait la cuisson du pain (1). On comprend donc que, dans beaucoup de cas, la chaleur employée en vue de détruire la vitalité des corpuscules contenus dans une infusion ou dans les parties accessoires de l'appareil ait pu être insuffi- sante, et que des germes emprisonnés dans le vase avec les sub- stances que l'on croyait dépouillées de toute matière vivante aient pu échapper à cette cause de destruction. Un seul de ces cor- puscules invisibles, même pour notre œil armé d’une loupe ordi- naire, pourrait suffire pour peupler le liquide séquestré ; car lorsque les circonstances sont favorables, ces petits êtres se reproduisent avec une grande rapidité, et leur fécondité est extrème (2). Si l'on écarte d’une manière judicieuse les causes d'erreur, on voit que les êtres vivants ne se montrent jamais là où des germes vivants (3) n’ont pu arriver du dehors : ainsi, dans une des séries d'expériences faites par M. Pasteur, pour empêcher le développement d'Infusoires au sein des infusions placées dans des ballons de verre restés ouverts, il a suffi de re- courber le col de ces vases de facon que la poussière, tombant verticalement dans l'atmosphère, ne püût y pénétrer (4). (4) Ce fait a été constaté par M. Payen, à l'occasion de ses recherches sur les causes de la coloration du pain de munition en rouge, observée à Paris il y a quelques années. (2) D'après les calculs de M. Ehrenberg, il parait qu’en mettant en expérience un Rotateur, on peut obtenir au dixième jour un million de ces petits êtres; 4 millions le onzième jour, et16 millions le seizième jour. Pour les Infusoires dits polygastriques, la progression serait encore plus rapide; car, d’après M. Ehrenberg, le premier million serait obtenu dès le septième jour, et la multiplication pourrait devenir plus considé- rable encore si les circonstances étaient favorables. (3) J'emploie ici le mot vivant dans son acception la plus large, c’est-à-dire pour exprimer l’idée de la vie latente des graines et des œufs, aussi bien que de la vie sen- sible de l'être qui végète ou qui exerce de toute autre manière ses fonctions biologiques. (4) Je dois ajouter que les expériences de M. Pasteur, répétées par quelques autres naturalistes, n'ont pas toujours donné les mêmes résultats, mais je pense que cela de- vail dépendre de quelque défaut dans les procédés opératoires employés par ces derniers 3 MILNE EDVWARDS. Les observations récentes de M. Coste fournissent de nouveaux arguments en faveur de la thèse que je soutiens ici. En effet, ce physiologiste, ayant étudié avec beaucoup de soin la manière dont les Infusoires ciliés se développent dans une macération de foin, a découvert plusieurs des causes d’erreur dont les partisans de l'hypothèse de l’origine de ces petits êtres par génération spontanée n'avaient pas soupçonné l'existence, et il a trouvé, en dernière analyse, que jamais Ces Animalcules ne se montrent dans une infusion, s'ils n’y ont été introduits, soit à l'état d'œufs, soit à l’état de kystes multiplicateurs ; que ces kystes, affectant la forme d’une poussière fine, se trouvent en abondance à la sur- face du foin, des pommes de terre et des autres substances végé- tales dont on se sert le plus ordinairement pour obtenir les pré- tendues générations spontanées ; qu'à cet état, ils peuvent rester pendant plusieurs années dans une sorte de torpeur sans donner aucun signe de vie, mais sans perdre la faculté de reprendre la vie active dès que la quantité d’eau nécessaire à la manifestation de leur puissance physiologique leur est rendue ; que leur ténuité est telle que souvent ils passent facilement à travers nos filtres ; et, enfin, qu'il suffit d'en semer quelques-uns dans une infusion restée jusqu'alors stérile, pour qu'en peu d'heures ils s’y mul- tiplient d'une manière prodigieuse (1). Il est aussi à noter que si la naissance des Infusoires était due seulement aux propriétés de la matière organique, de l’eau et de auteurs ; car les expériences dont M. Pasteur m'a rendu témoin, et dont les résultats ont été placés sous les yeux de l'Académie, me semblent à l'abri de toute cause d’er- reur et me paraissent être complétement probantes. (4) Dans ce travail intéressant, M. Coste s’est attaché à montrer aussi que le magma de détritus de matières organiques que M. Pouchet avait comparé au stroma de l'ovaire, et appelé membrane proligène, parce qu'il le considérait comme la substance en voie d'organisation pour prendre vie et constituer spontanément des Animalcules infusoires, n’a aucun rapport avec l'apparition de ces petits êtres. (Ann. des se. nat., 56 série, 1864, t. IT, p. 246.) Il est aussi à noter que si le kyste dans lequel se trouvent inclus les corpuscules reproducteurs des Infusoires était de nature à ne laisser que difficilement passer l’eau, on comprendrait que, même au sein de ce liquide, ces genres pourraient supporter l'action de températures très-élevées sans perdre la vie. (Milne Edwards, Comptes rendus de l'Acad, des sciences, 1864, 1. LIX, p. 156.) SUR LA GÉNÉRATION DITÉ SPONTANÉE. 35 l'air, la production de ces êtres microscopiques devrait avoir constamment lieu, quand ces corps mertes sont en présence et que la température est convenable pour le développement de pareils produits; de même que du sulfate de chaux se forme toutes les fois que le chimiste verse de l'acide sulfurique sur de la craie. Or, M. Pasteur a constaté qu'il n'en est pas ainsi, et que la proportion des cas dans lesquels une infusion se peuple d'êtres vivants devient d'autant plus faible, que les circonstances dans lesquelles on opère sont moins favorables à l'existence de corpuscules organisés en suspension dans l'atmosphère. Ainsi, en faisant des expériences comparatives avec de l'air puisé au milieu d'une grande ville, ou dans une cave profonde, dans un champ cultivé ou au sommet d’une haute montagne, au milieu de neiges éternelles qui s'opposent à toute végétation, M. Pasteur a vu que tantôt les Infusoires ne manquaient pas d'apparaître dans tous ses vases, tandis que d'autres fois 1l n'en obtenait que dans cinq vases sur vingt, où même dans un seul, tandis que les dix-neuf autres restaient stériles. Plus les conditions dans les- quelles il se plaçait étaient défavorables au transport des germes végétaux où animaux par les courants atmosphériques, et au dépôt de ces poussières viabies dans ses infusions, moins il y avait de chance d'obtenir dans celles-ci la naissance des Animal cules ou des végétaux microscopiques dont les hétérogénistes attribuent la formation à la matière employée de la même ma- nière dans toutes les expériences (1). (4) Pour faire ces expériences, M. Pasteur plaça dans des ballons de verre les infu- sions reconnues propres à être le siége des générations prétendues spontanées, mais ne contenant rien de vivant ; puis il fit le vide dans ces vases et les ferma hermétique- ment. Les ballons ainsi préparés furent ensuite transportés dans les lieux dont on voulait étudier l'air; là on les ouvrit pour laisser entrer ce fluide, et aussitôt après on les ferma de nouveau en prenant toutes les précautions désirables pour empêcher l'in- troduction de corps étrangers. Dans onze ballons préparés de la sorte et remplis avec de l’air pris dans la cour de l'Observatoire, à Paris, le développement d'Infusoires ne fit défaut nulle part; mais sur dix ballons remplis d'air dans la cave de cet établissement, où la température est con- stante, et où par conséquent il n’y « que peu de courants, neuf restèrent stériles et un seul donna des Infusoires. Dans une autre expérience, M. Pasteur opéra de la même manière sur soixante bal- 36 MILNE EDWARDS, Nous voyons donc que chacune des prétendues exceptions à la loi de la formation des êtres vivants par voie de génération a disparu de la science dès qu’on en eut fait une étude approfon- die. Lorsque la peuplade sauvage de l’une de ces îles qui sont isolées au milieu du grand Océan vit pour la première fois des . matelots jetés sur ses côtes par quelque naufrage, elle crut, dit-on, que ces étrangers étaient descendus du ciel, ou nés, comme les Poissons, au fond des eaux ; mais elle ne tarda pas à reconnaître qu'ils venaient d'une terre inconnue située au delà des limites étroites de l'horizon, et dès lors elle n’attribua plus à une autre origine les nouveaux arrivants qu’elle vit aborder dans ses domaines, lors même qu’elle ne put apercevoir le navire qui les y avait transportés. Les partisans de l'hypothèse de la nais- sance agénésique des Animalcules dont les infusions se peuplent lons, dont vingt furent ouverts dans la campagne, loin deshabitations, au pied du Jura, dont un pareil nombre fut ensuite ouvert au sommet d'une des montagnes de cette chaîne, dont l'altitude est de 850 mètres au-dessus du niveau de la mer ; enfin les vingt autres furent remplis d'air sur le flanc du Mont-Blanc, près de la Mer de glace, à une élévation de 2000 mètres. Dans la première série de ballons, les Infusoires se montrèrent dans neuf de ces vases et onze restèrent stériles. Dans la deuxième série, celle des ballons ouverts au haut du Jura, les Infusoires ne se développèrent que dans cinq vases, et dans les quinze autres il n’y eut aucun indice d'activité vitale. Enfin, dans la troisième série, celle des ballons ouverts sur le Mont-Blanc, dix-neuf de ces vases restèrent stériles et un seul se peupla d'Infusoires. Or, cette stérilité des infusions employées dans les expériences faites à de grandes altitudes où l'air est pur, ne dépendait en aucune facon de la nature des matières dont ces infusions se composaient, car un des ballons resté clos pendant plus de trois ans, ayant été ouvert et placé dans des conditions où les poussières charriées par l’atmos- phère pouvaient y tomber, donna des Infusoires dans l’espace de quelques jours. Des expériences analogues ont été faites récemment dans les Pyrénées (à la Mala- detta) par MM. Pouchet, Joly et Musset; mais les résultats obtenus ne furent pas les mêmes que dans les cas dont je viens de parler. Ces physiologistes, ayant opéré sur huit ballons, virent des Infusoires se développer dans tous. Peut-on en conclure que les faits annoncés par M. Pasteur sont inexacts ? Évidemment non. Les expériences de MM. Pouchet, Joly et Musset, en supposant qu'elles aient été bien faites, prouveraient se ulement que dans le lieu et au moment où les huit vases de ces naturalistes ont été remplis d'air, l'atmosphère était chargée de plus de poussières organiques qu'il n’y en avait au haut du Jura au moment où M. Pasteur s'y rendit. Ces expériences ne fournis- ent aucun argument solide à l'appui de l'hypothèse de l’hétérogénie. SUR LA GÉNÉRATION DITE SPONTANÉE. oÙ me semblent raisonner de la même manière que ces insulaires ignorants, lorsque ceux-ci n'avaient pas encore appris qu'ils n'étaient pas les seuls habitants de notre globe, et que la mer n’était pas un obstacle infranchissable pour les peuples civilisés. Mais je pense qu à la longue ces physiologistes se laisseront con- vaincre par des observations analogues à celles qui ont dû dissiper peu à peu les erreurs des Océaniens dont je viens de parler; et que tôt ou tard tous les naturalistes seront d'accord pour recon- naître que la même loi fondamentale régit la production du Chène et des moindres moisissures, celle de l'Homme et de la Monade ; en un mot, la naissance de tout ce quiest doué de vie. En attendant, je ne m'occuperai pas davantage ici de cette question sans cesse résolue et sans cesse reproduite depuis le temps d'Aristote jusqu'à nos jours; et laissant de côté l'hypo thèse de l’origine agénésique des animaux, je me hâte d'aborder l'examen d’un autre point de l’histoire de la multiplication de ces êtres: l'hypothèse de leur production par nécrogénésie. $ 3. Dans l’état actuel de la science, il serait oiseux de discuter la portion des idées de Buffon qui sont relatives à l’indestructibilité de la matière organisable et à l'impuissance où seraient les êtres vivants d'en former de toutes pièces. Effectivement, on sait que les plantes et même que certains animaux inférieurs peuvent, avec de l’eau, de l’acide carbonique, des sels ammoniacaux et d'autres matières minérales, fabriquer pour ainsi dire les com- posés chimiques qui sont nécessaires à la constitution de leurs organes, et former, avec la substance ainsi préparée, des tissus vivants. Sous l'influence des forces vitales, la matière inorga- nique peut donc devenir de la matière vivante. Mais la théorie des molécules organiques de Buffon, dégagée de ce qui est rela- tif à l’origine de la matière vivante, ne choque aucun des prin- cipes fondamentaux de la physiologie, et mérite de fixer notre attention. Ainsi que je l'ai déjà dit, Buffon considérait les animaux et les 38 MILNE ÉDWARDS, plantes comme étant formés par l'assemblage d’un certain nombre de molécules organiques douées chacune de la puissance vitale, et réunies dans certains rapports de facon à constituer par leur assemblage tel ou tel organisme particulier dont le mode d'activité dépendrait du caractère de cette association, mais dont la destruc- tion ou mort n'influerait en rien sur les propriétés essentielles de la matière vivante des molécules dont je viens de parler, et aurait seulement pour effet de leur rendre leur indépendance mdivi- duelle et de leur permettre de contracter entre elles de nou- velles alliances, d’où résulteraient d’autres organismes. L'idée qu'implique le mot moléeule ne nous permet pas ici d’em- ployer ici le langage de Buffon : mais si l’on substitue à cette expression le mot organite, on peut dire, avec ce grand natura- liste, que la vie de ces matériaux de l'organisme n’est pas néces- sairement liée à la vie générale de l'être dont ils font partie ; que chaque organite, devenu un corps vivant sous l'influence de la vie de l’animal ou de la plante qui le produit, a une vitalité propre, et peut conserver cette puissance biologique pendant un temps plus ou moins long, après avoir cessé d’être uni à ses asso- ciés, c'est-à-dire aux autres parties de l'organisme de l’être producteur. Ainsi, les globules hématiques qui flottent dans le fluide nourricier des animaux sont des organites libres et vivants, des individus biologiques qui, pendant la période embryonnaire, sont susceptibles de se reproduire par division spontanée, ou par bourgeonnement, mais qui meurent promptement lorsqu'ils sor- tent de leur milieu ordinaire. Les spermatozoïdes sont égale- ment des produits de l'organisme qui jouissent d’une vie indi- viduelle, et qui peuvent même conserver leur mode d'activité spéciale pendant longtemps après avoir été séparés de l'être dans l'intérieur duquel ils ont pris naissance. La vitalité propre de beaucoup de parties solides de l’économie animale est égale- ment miseen évidence par les signes d'activité qu'elles donnent après leur ablation : chacun sait que les tronçons du corps d’un Ver de terre continuent à se mouvoir après avoir été séparés, et des expériences récentes relatives aux greffes animales et à la transplantation de fragments de tissus vivants sur des parties SUR LA GÉNÉRATION DITE SPONTANÉE. 39 éloignées de l'organisme, ou même d'un animal à un autre, prouvent que si les conditions dans lesquelles les parties vivantes se trouvent placées sont favorables à leur existence, elles peuvent continuer à vivre après avoir cessé d'appartenir à l'individu dont elles étaient primitivement des matériaux constitutifs (4). (1) On trouve dans les écrits des chirurgiens ün nombre assez considérable d’obser- vations de cas dans lesquels certaines parties du corps humain, après avoir été com- plétement ‘éparées de l'organisme et avoir été remises en place, s'y sont entées de façon à faire disparaitre toute solution de continuité, et à continuer de vivre comme elles vivaient avant l'accident. Or, on ne conçoit pas la possibilité d’une soudure semblable entre Le corps vivant et une partie réellement morte. On sait que les greffes animales peuvent, dans certaines circonstances, avoir lieu assez facilement, si le fragment appli- qué à la surface d'une plaie saine reste pendant un certain temps en continuité de sub- stance avec l'être vivant. C’est sur la connaissance de ces faits que repose le principe de la rhinoplastie, opération dans laquelle le chirurgien fabrique en quelque sorte un nez nouveau à l'aide d'un lambeau de la peau du front. On doit done penser que dans les cas où des fragments du corps, après avoir été complétement séparés, ont repris de la sorte, ils avaient conservé une vitalité qui leur était propre. Parmi les histoires de nez coupés d'une manière complète et réintégrés, la plus célè- bre et l’une des plus authentiques, au moins en apparence, est celle publiée en 4734, par Garengeot. Un soldat, se battant avec un de ses camarades, fut mordu par celui-ci, de façon qu'il lui emporta la presque totalité de la partie cartilagineuse du nez. Le mor- ceau ainsi détaché tomba à terre, et ayant été ramassé et lavé, fut ajusté à sa place na turelle et maintenu avee un emplâtre agglutinatif; la réunion s'opéra promptement, et était complète au bout de quelques jours. Le récit de Garengeot, quoique en accord avec quelques observations plus anciennes, ne rencontra pendant longtemps que des incré- dules; mais des faits analogues ayant été constatés par plusieurs autres chirurgiens, la possibilité de cette soudure est considérée aujourd’hui comme étant démontrée. La plu- part des expérimentateurs qui ont essayé de faire des réintégrations de ce genre chez des Chiens ou d’autres animaux n’ont pas réussi; mais Dieffenbach y est parvenu une fois. Dans quelques cas, l'oreille, après avoir été complétement coupée ou arrachée, a pu être réintégrée, et la réunion entre une portion de doigt et le moignon de cet appen- dice a été obtenue dans plusieurs circonstances. Des lambeaux de peau de la face et d’autres parties ont souvent été replacés avec suc- cès. Le périoste est une des parties dont la vie locale et indépendante paraît pouvoir se conserver le plus longtemps, et dont la transplantation est la plus facile. Depuis long- temps on est parvenu à faire reprendre des fragments d’os qui avaient été détachés par le trépan, et M. Flourens a constaté que chez les Cochons d'Inde ces fragments du squelette pouvaient être transplantés d'un individu sur un autre. Des résultats analo- gues ont été obtenus plus récemment par M. Ollier, et, vers la fin du siècle dernier, Hunter constata le rétablissement des connexions vasculaires entre des dents arrachées et les individus dans la mâchoire desquels ces parties avaient été replantécs. Les ergols dés cogs et d’autres oiseaux reprennent très-bien racine, non-seulement à la place dont ils ont été détachés, mais d’un individu à un autre, et même sur le crâne; l’appendice 10 MILNE EDWARDS. On sait que chez certains! animaux inférieurs, ainsi que chez beaucoup de végétaux, des fragments de l'organisme, après avoir été détachés, se développent et se complètent de facon à devenir des animaux ou des plantes semblables à l'être dont ces frag- ments proviennent, et que la scissiparité est un des procédés que la nature emploie pour la multiplication des individus. En se plaçant au point de vue de la théorie, on peut donc concevoir la possibilité d’un phénomène de même ordre qui serait poussé plus loin, et qui aurait pour conséquence la transforma- tion des organites ou éléments anatomiques d’un tissu animal ou végétal en autant d'individus vivants; et si les utricules, sphé- rules où filaments qui constituent ces éléments, et qui conserve- ront leur vitalité particulière après avoir été désunis, étaient doués de la faculté de se multiplier par bourgeonnement ou de toute autre maniére, ainsi que c’est le cas pour beaucoup de cel- lules histogéniques, on concevrait aussi la possibilité d’une pro- duction d'êtres vivants par suite de la désagrégation de la matière vivante dont se compose le corps d’un animal ou d’une plante. Enfin, si les corpuscules ainsi mis en liberté avaient la même structure que les Animalcules des infusions, ou étaient suscep- tibles d'acquérir cette structure par l'effet de leur développe- ment, il n'y aurait aucune raison pour ne pas admettre que les ainsi transplanté continue à croître, et acquiert parfois une longueur très-considérable. Enfin, des portions de nerfs ont été transplantées d’une manière analogue, et, suivant Hunter, le testicule d’un Coq introduit dans la cavité abdominale d’une Poule y aurait contracté’ des connexions vasculaires et aurait continué à vivre. Enfin, chez des Rats, la queue dépouillée de ses téguments a pu être greffée dans le tissu cellulaire sous-cutané d’un autre individu. Le temps écoulé entre l’ablation de la partie et sa réapplication a été parfois très-con- sidérable. Ainsi, M. Velpeau obtint la reprise de la pulpe du doigt, qui n'avait été remise en place qu'une demi-heure après l’ablation de cette partie, et M. Ollier a pu opérer, avec non moins de succès, la réintégration d’une portion de doigt qui était séparée depuis quarante minutes. On cite des cas dans lesquels le fragment du doigt n’a été replacé que plusieurs heures après l'accident, et s’est cependant consolidé complétement. M. Ollier a transplanté avec succès des lambeaux de périoste pris sur des animaux morts depuis vingt-quatre ou mème vingt-cinq heures, et il a constaté que l'influence d’une température basse est favorable à la conservation des propriétés vitales de ce tissu ostéo- génique. Enfin, M. Bert a greffé sous la peau d’un Rat la queue d’un autre Rat mort depuis vingt-quatre heures, SUR LA GÉNÉRATION DITE SPONTANÉE. h corpuscules dont je viens de parler deviennent des Infusoires, et que ceux-ci soient, par conséquent, des produits de la nécro- génésie. A l’époque où les microscopes n'étaient encore que peu per- fectionnés, on croyait généralement à cette identité de structure entre les mfusoires et les éléments anatomiques des tissus; on considérait les uns et les autres comme étant formés seulement par de petites masses d’une substance gélatineuse amorphe, et plus d’un observateur à cru avoir été un témoin oculaire de la transformation de ces particules en Monades ou en Kolpodes, par exemple (1). Mais aujourd’hui on sait que cette identité de struc- ture n'existe pas; que dans l’immense majorité des cas, sinon toujours, les Animaleules microscopiques ont en réalité une struc- ture trés-complexe, et ne ressemblent aux organites en question que par leur petitesse etleurs formes arrondies ; enfin, on sait aussi que les Infusoires se reproduisent comme le font les autres ani- maux ou plantes, et, dans l’état actuel de nos connaissances, rien ne vient à l'appui de l'hypothèse de leur production par nécro- génésie (2). 4) Lorsqu'en 1822, je commencçais à m'occuper de l'étude de ces questions, Les microscopes qui étaient entre les mains de la plupart des observateurs étaient si mau- vais, qu'on était exposé à une foule d'erreurs, et qu'en voyant les Animalcules, en apparence {rès-simples, se montrer dans les infusions à mesure que des particules d'une forme analogue se détachaient des tissus organiques en macération, on pouvait être assez facilement induit à croire que c'étaient ces particules elles-mêmes qui, en deve- nant libres, constituaient des Infusoires. Dans quelques circonstances, il était même très- difficile de ne pas s’en laisser imposer par des apparences trompeuses. Ainsi, M. Donné, en étudiant au microscope le mouvement ciliaire qui se fait remarquer à la surface de diverses membranes muqueuses, constata que ce mouvement peut persister pendant plus de trente heures sur de très-petits fragments détachés de la membrane pituitaire, et que par la désagrégation de ce tissu, des particules de l’épithélium portant des cils s'en séparent, et nagent pendant fort longtemps de manière à simuler exactement autant de Monades. (2) Comme exemple des erreurs dont il est difficile de se préserver dans les recher- ches sur l’origine des êtres microscopiques, je citerai ici les résultats annoncés il y a quelques années par M. Cienkowski, et réfutés ensuite par le même naturaliste. En observant des grains de fécule mis en infusion, il les avait vus s’entourer d’une enve- loppe membraniforme, puis se dissoudre peu à peu et être remplacés par des Infusoires. Ces faits furent constatés aussi par d’autres micrographes, et on les considéra comme démonstratifs de la production d’Animalcules au moyen de l’organisation spontanée de 12 MILNE EDWARDS. $ 4. Mais si tout être vivant est produit par un autre être qui vit, et si, dans l'immense majorité des cas, 1l est facile de voir que les jeunes ainsi formés sont des individus de la même espèce que les parents dont ils proviennent, faut-il en conclure que le règne animal tout entier est soumis à la loi de l'homogé- nésie, et, dans quelques circonstances, la puissance génétique ne pourrait-elle s'exercer d’une autre maniere, et l'être qui reçoit la vie de tel ou tel animal ne pourra-t-il pas être essentiellement différent de celui-ci? Ainsi l'Helminthe qui apparait dans l'inté- rieur de l'organisme d’un Poisson, d'un Chien ou d'un Homme n'est-il pas un produit de cet organisme ? Les parasites différent entre eux suivant les espèces animales où ils vivent, et quelquefois même suivant les parties du corps où on les rencontre; souvent les places qu'ils occupent sont situées si profondément et sont si bien fermées de toutes parts, qu'au premier abord on doit supposer que de pareils hôtes n’au- raient pu y pénétrer du dehors. Ilest aussi à noter que dans un grand nombre de cas on n'aperçoit chez ces parasites aucune trace de l'existence d'organes génitaux. D'autres fois les Hel- minthes sont pourvus d'un appareil de reproduction, et pondent des œufs; mais, dans le lieu qu'ils habitent, on ne voit aucun jeune naître de ces œufs, et lors même que ceux-ci en produi- raient après leur expulsion au dehors, il resterait encore à expli- quer comment cette progéniture pourrait, de là, pénétrer dans le corps d’autres victimes et s’y établir. Enfin, la plupart de ces parasites ont une conformation très-différente de celle des ani- la matière constitutive des grains de fécule. Mais les recherches ultérieures de M. Cien- kowski les ont fait rentrer dans la règle commune; car ce naturaliste a montré que la prétendue enveloppe membraniforme dont le grain de fécule semblait s’entourer, loin d’être un produit de celui-ci, est en réalité le corps d'un Animalcule préexistant, qui, venant s'étendre sur le corpuscule amylacé, l'entoure pour s’en nourrir, de sorte que les petits êtres vivants qui naissaient ensuite dans l'intérieur de l’espèce de cellule ains; formée descendaient de cet Animalcule, et non de la matière amylacée incluse. SUR LA GÉNÉRATION DITE SPONTANÉE. IE: maux qui vivent dans le monde extérieur, et ne semblent, au premier abord, ne pouvoir être assimilés à aucun de ceux-ci. Ces considérations et beaucoup d’autres arguments analogues avaient porté la plupart des naturalistes à penser que les Vers intestinaux étaient engendrés par l'être dont le corps en est infesté, et, par conséquent, que si ces parasites n'étaient pas le résultat d'un phénomène de nécrogénésie, comme le supposaient les partisans de l'hypothèse des générations spontanées, ils étaient produits par xénogénésie. Mais aujourd'hui l'origine des Vers intestinaux n’est plus un mystère pour les physiologistes. On sait qu'ils naissent les uns des autres comme le font les animaux ordinaires; que la plupart d'entre eux subissent, dans le jeune âge, des métamorphoses variées qui les rendent difficiles à reconnaitre, et qu’en général ils voyagent nécessairement du corps d’un animal dans le COrps d'un animal d'espèce différente, pour y achever leur développe- ment et sy reproduire au moyen d'œufs dont l’évolution ne pourra se faire que dans quelque autre milieu (1). On a pu suivre (4) Jusque dans ces derniers temps l'apparition des Vers intestinaux dans la profon- deur du corps de l'Homme et des autres animaux était attribuée, par la plupart des naturalistes et des médecins, à un phénomène de génération dite spontanée, ct aujour- d'hui encore cette manière de voir compte des partisans. Quelques auteurs ont cherché à expliquer ces faits par l'hérédité, en supposant que les parasites en question, ou tout au moins leurs germes, étaient transmis aux jeunes par les parents dont ils naissaient ; mais cette hypothèse a depuis longtemps disparu de la science, et dépuis près d’un siè- cle d’autres zoologistes, dont le nombre va croissant chaque jour, pensent que tout Hel- minthe provient, par voice de génération, d'un autre Helminthe de son espèce, et arrive dans le corps de l'animal qui l’'héberge à l’état d'œuf, de germe ou de larve, soit avec les aliments ou les boissons, soit de quelque autre manière. Cette dernière opinion paraissait d'abord peu conciliable avec beaucoup de faits ; mais elle est devenue admis- sible dès qu’on eut entrevu la possibilité de certaines transformations chez les parasites qui changent de résidence. Le premier fait important à l'appui de l'hypothèse des transmigrations des Helminthes fut introduit dans la science vers la fin du siècle dernier, par un naturaliste danois nommé Abildgaard. Cet auteur constata expérimentalement que les Vers intestinaux qui sont nommés aujourd'hui Schistocéphales, et qui se trouvent dans le corps de l'Épinoche, peuvent continuer de vivre dans l'intestin du Canard, lorsque le poisson qui les ren- fermait a été mangé par cet oiseau. Vers la même époque, des expériences aualogues furent tentées par Bloch sur les Ligules des Poissons, et par Gœze sur les Qestoïdes du Chat; mais elles furent mal combinées et ne donnèrent que des résultats négatifs. La hl MILNE EDWARDS. beaucoup de ces êtres singulièrs dans leurs migrations, les semer en quelque sorte dans les organismes propres à les héber - ger, les voir pénétrer à travers les tissus de leurs hôtes, et con- stater les métamorphoses qu'ils subissent ; enfin, on a pu se pro- curer leur progéniture et s’en servir pour renouveler avec succès les expériences d’ensemencement dont je viens de parler. Ici il serait inutile d'étudier d’une manière approfondie cette partie curieuse et complexe de l’histoire physiologique des Helmin- thes, et je pourrais peut-être me borner à ajouter que leur mode de multiplication ne présente rien d’anomal; que, de même que les animaux supérieurs, ils perpétuent leur espèce par voie de génération, et que les jeunes ne diffèrent par rien d’essentiel de ce qu'étaient leurs parents immédiats ou médiats à la même période de leur existence. Mais je crois préférable de ne pas m'en tenir à de simples assertions, et je citerai quel- ques faits à l'appui de ce que je viens de dire. Le premier exemple dont j'arguerai nous est fourni par les parasites que l’on rencontre souvent dans l’intérieur du corps des Sauterelles, des Chenilles et de plusieurs autres animaux de la même classe, et que les zoologistes connaissent sous le nom de question en resta là pendant près d’un demi-siècle, bien qu'en 1820 Creplin eùt fait conuaître toutes les formes intermédiaires entre les Vers intestinaux des Poissons et ceux des Canards, dont les transmigrations avaient été signalées précédemment par Abildgaard. En 14842, l'attention des physiologistes fut appelée de nouveau sur ce sujet par une observation due à M. de Siebold. Ce naturaliste distingué reconnut l'identité de structure entre la portion céphalique du Cysticerque de la Souris et la tête du Tæniu crassicollis du Chat. Quelques années après, M. Van Beneden, professeur à l'université de Louvain, fit voir que les Tétrarhynques qui vivent dans l’intérieur du corps des Pois- sons osseux ne diffèrent de certains Vers intestinaux des Poissons cartilagineux que par l'absence de l'appareil reproducteur, et que ces derniers Helminthes doivent être con- sidérés comme la forme adulte des premiers. Ce ne serait donc qu’en mangeant les Poissons osseux infestés de Tétrarhynques que les Poissons cartilagineux recevraient dans leur intestin les parasites qui y vivent. Enfin, en 1851, le fait de ces transmigrations et de ces métamorphoses des Helminthes a été établi expérimentalement par le docteur Küchenmeister, qui, en administrant à des Chiens et à des Chats le Cysficercus pisifor- mis du Lièvre et du Lapin, a vu ce Ver se transformer en Ténia. Des expériences ana- logues furent entreprises aussitôt par M. de Siebold, M. Haubner, M. Gurlt, M. Van Beneden, ainsi que par plusieurs autres zoologistes, et les résultats en furent si favo- rables à l'hypothèse en question, qu'aujourd'hui presque tous les zoologistes-physiolo- gistes s'accordent pour la considérer comme étant l'expression de la vérité. SUR LA GÉNÉRATION DITE SPONTANÉE. 5 Filaria Insectorum. Ces Vers sont dépourvus d'organes repro- ducteurs, et beaucoup de naturalistes attribuaient leur formation à un phénomène de génération spontanée. Mais un helmintho- logiste habile d’une de nos facultés provinciales, Félix Dujardin, ayant constaté que les Vers terricoles appelés Wermis ne différent de ces Filaires que par l'existence d’un appareil génital, d'autres physiologistes furent conduits à penser que les parasites en ques- tion pourraient bien n’être que de jeunes Mermis qui, à l'état de larves, se logeraient dans le corps des Insectes, et en sortiraient plus tard pour s’enfoncer en terre, y achever leur développement, ets’ y reproduire de la manière ordinaire. M. Siebold, professeur à l’université de Munich, partageant cette opinion, la soumit à l'épreuve de l'expérience, et il reconnut de la sorte qu'effective- ment les Filaires ne font qu’un séjour temporaire dans l'intérieur du corps des Insectes ; qu’à l'époque où leur croissance est ache- vée, ils émigrent pour descendre en terre, où ils ne tardent pas à acquérir des organes générateurs ; qu’arrivés ainsi à maturité, ils pondent des œufs ; qu'au printemps suivant, ces œufs donnent naissance à une nouvelle génération de petits Vers filformes agames ; enfin que ces jeunes Vers attaquent les Chenilles ou autres Insectes qui sont à leur portée en perforant les téguments, et s'introduisent dans l’intérieur du corps de ces animaux pour y vivre en parasites, et s’y développer comme l'avaient fait les Filaires dont ils descendent. Ainsi ces Vers ont besoin d'habiter successivement la terre humide, où ils prennent naissance; l'intérieur du corps d’un animal, où ils rencontrent la nourriture qui leur convient et où ils grandissent, sans pouvoir arriver à maturité ; puis la terre, où ils deviennent aptes à se reproduire, et où ils pondent les œufs dont sortiront de nouveaux Vers, destinés à être bientôt des para- sites comme l'avaient été leurs procréateurs. Des phénomènes analogues, mais plus compliqués, ont été constatés chez les Ténias, et nous permettent d'expliquer la pré- sence de ces Vers parasites dans l'intestin de l'Homme, du Chien et de quelques autres animaux, sans avoir recours aux hypo- thèses des hétérogénistes. En effet, on sait aujourd'hui, par les 5° série. Zoo. T. III. (Cahier n° 4.) # 4 6 MILNE EDWARDS. expériences d'un médecin de Zittau, M. Küchenmeister, et par celles de M. Van Beneden, de M. de Siebold et de plusieurs autres vaturalistes, que les Vers vésiculaires agames, qui ont recu le nom de Cysticerques, et qui se trouvent davs l’intérieur du corps des Rats, des Souris, des Lapins, etc., ne sont autre chose que de jeunes Ténias dont le développement ne peut pas s'achever dans les conditions biologiques où ces parasites se trouvent ; que ces Vers subissent des métamorphoses remarquables lorsque l'hôte qui les logeait, ayant servi d’aliment à un Chien ou à un autre Mammifere carnivore ou omnivore, ils se trouvent trans- portés dans l'intestin d’un de ces animaux. Ils perdent alors leur vésicule aquifère, et s’allongent de plus en plus, par le déve- loppement d’une longue série de segments, dans chacun des- quels se trouve un appareil reproducteur très-complexe. Là se forment des œufs en nombre immense, mais ces œufs ne peu- vent se développer sur place et sont expsulés au dehors. Tombés à terre, ils donnent naissañce à de petits Vers qui périraient plus ou moins promptement, s'ils restaient sur le sol, mais qui pros- pèrent lorsque, déposés sur des plantes dont certains Mammi- fères, tels que les Rats ou les Lapins, se nourrissent, 1ls sont por- tés dans l'intestin de l’un de ces animaux, ou bien encore lorsqu’en se transportant eux-mêmes, ils parviennent à se loger dans les fosses nasales d’un Mouton. Dans ce nouveau gîte, ils se fixent au moyen de crochets dont leur tête est munie, et, en se développant, ils deviennent des Cysticerques où quelque autre Ver parasite du même groupe, qui, pour se reproduire, a besoin de changer de gite encore une fois, et de pénétrer dans l'intestin d’un autre animal propre à l’héberger: Ainsi, les Cysticerques du Rat sont les jeunes du Ténia du Chat, etles Cysticerques du Lapin, en achevant leur développement, constituent les Ténias dont les Chiens sont infestés. M. Küchenmeister s’en est assuré, en administrant à des Chiens des aliments chargés de Cysti- cerques de Lapin, et en constatant que les Vers vésiculaires, semés de la sorte dans l’intérieur du corps du Chien, deviennent des Ténias. Enfin, cette découverte capitale a été complétée par d’autres expériences, dans lesquelles on détermina le déve- « SUR LA GÉNÉRATION DITÉ SPONTANÉE. L7 loppement des Cysticerques dans l’intérieur du corps des Lapins, en faisant avaler à ces petits quadrupèdes des œufs provenant du Ténia du Chien. Il est probable que le Ver solitaire, ou Ténia de l'Homme, est dû pareillement à un Cysticerque qui vit en parasite dans le corps du Cochon, et que des causes analogues déterminent le déve- loppement de beaucoup d’autres Vers intestinaux (1). Quelquefois les voyages imposés aux parasites sont plus 10m- (4) On comprend qu'il soit difficile d'établir expérimentalement ce fait; quelques essais ont cependant été tentés dans ce but, et le résultat en a été favorable à l'opinion émise ci-dessus, Ainsi quelque temps avant l'exécution d’un criminel condamné à la décapitation, M. Küchenmeister mêla aux aliments de cette personne de la viande de Porc contenant des Cysticerques, et à l’autopsie, il trouva dans l'intestin quatre petits Ténias déjà fixés à la membrane muqueuse et en voie de développement. M. Leuckar administra aussi des Cysticerques du Cochon à un malade dont la mort était immi- nente et à deux autres personnes qui s'élaient prêtées volontairement à ces expériences. Dans le premier cas, le résultat fut négatif; mais, dans le second, il en fut autrement : en examinant les évacuations alvines provoquées par des vermifuges, il trouva dans les matières rendues par l’un de ces individus plusieurs Cysticerques en voie de dévelop- pement, et deux Ténias qui avaient tous les caractères du Ver solitaire. Enfin, des expé- riences analogues ont été faites par M. Humbert (de Genève) : ce naturaliste avala qua- torze Cysticerques. et quelques mois après, il rendit par les selles, à plusieurs reprises, des fragments de Ténias. Des arguments en faveur de l'opinion que le Ténia de l'Homme provient des Cysti- cerques contenus dans la chair des animaux dont celui-ci se nourrit, avaient été fournis précédemment par les observations de beaucoup de médecins et de voyagetirs. Ainsi on sait qu'en Abyssinie, ce parasite est d'une fréquence extrême, et que, dans cette partie de l'Afrique, on fait grand usage de viande crue ou à peine cuite, Il paraît aussi que, dans ce pays, les musulmans, à qui l'usage de la viande de Porc est interdit, ne sont pas sujets à cette affection vermineuse, ct que les religieux de l’ordre des Char- treux, qui ne vivent que de substances végétales, en sont également exempts. Plusieurs médecins ont remarqué que le Ver solitaire est particulièrement fréquent chez les char- cutiers et les cuisiniers. À Saint-Pétersbourg, où le Ténia est très-rare et où les méde- cins ont employé avec avantage l'usage de la viande crue pour le traitement de cer- taines affections du canal intestinal, on a constaté que les malades soumis à ce régime avaient souvent le Ténia. Il me paraît probable que le Cochon n’est pas le seul animai dont la chair soit suscep- tible de contenir des Cysticerques aptes à se développer en Ténias-dans le tube digestif de l'Homme, et que, par conséquent, l'introduction de ces Vers dans notre organisme n'est pas nécessairement subordonnée à l'emploi alimentaire du Porc cru ou imparfai- tement cuit, mais il y a lieu de penser que, dans la plupart des cas, la présence du Ver solitaire dans notre iniestin est due à l'usage de cette viande infestée de Cysticerques cellulaires à l’état vivant. La cuisson doit avoir pour effet de tuer ces Vers vésiculaires; et de rendre le Porc ladre inapte à donner le Ténia. LS MILNE EDWARDS. breux et plus compliqués. L'espèce de Douve du genre Mono- stome, qui se trouve dans le foie du Canard et de quelques autres animaux aquatiques, nous en fournit un exemple des plus curieux. Ce parasite est pourvu d'organes reproducteurs, et pond un grand nombre d'œufs qui, expulsés au dehors, donnent nais- sance à autant de petits animaux aquatiques. Mais ces jeunes, que quelques auteurs appellent des proscolex, n’ont pas le mode d'organisation propre à leur mère: ils ressemblent à des Infu- soires : toute la surface de leur corps est garnie de cils vibratiles, qui font fonction de rames natatoires, et dans leur intérieur on n’aperçoit aucune trace d'organes génitaux. Mais bientôt on y voit apparaître une ‘espèce de sac contractile, appelé scolex, qui ne tarde pas à être mis en liberté; après quoi, le petit être qui provient directement du Monostone meurt et se détruit. Or, le scolex, ou sporocyste, dont je viens de parler, est un Ver qui va se loger dans la chambre respiratoire d’un Mollusque gastéro- pode aquatique, la Limnée des étangs, et y passe l'hiver. Là ce parasite donne naissance à des Jeunes, qui n’ont pas sa forme et qui ne diffèrent pas de certams animaux décrits jadis par les zoologistes sous le nom de Cercaires. Leur corps, aplati et ovoide, est armé antérieurement d'une espèce de dard, et se termine en arrière par une queue flexible au moyen de laquelle ils nagent avec agilité. Bientôt ces Cercaires, devenus hibres, s’attaquent aux téguments de la Limnée, les perforent au moyen de leur pointe frontale, et pénètrent dans l'intérieur du corps de ce Mol- lusque, où ils s’entourent d’une vésicule appelée kyste. Ainsi enkystés, ils perdent leur armure frontale, ainsi que leur longue queue, et deviennent semblables à de petits Monostomes, si ce n'est qu'ils manquent complétement d'organes reproducteurs. Mais lorsque la Limnée qui lesloge à été mangée par un Canard ou par quelque autre animal analogue, etque, par suite de la digestion du corps où il était renfermé, le Cercaire, privé de queue, devient libre dans l'intérieur du canal intestinal de son nouvel hôte, il achève son développement et acquiert un appa- reil reproducteur (1). Le cycle de phénomènes singuliers dont (1) Ces faits curieux ne furent acquis à la science que peu à peu, et pendant long- SUR LA GÉNÉRATION DITE SPONTANÉE. h9 Je viens d'indiquer brièvement les principaux traits recommence alors : le nouveau Monostome vivant dans l'intestin du Canard pond des œufs dont naissent des larves ciliées, qui mènent une vie errante, puis donnent naissance à un animal destiné à vivre en parasite dans le poumon d’une Limnée, et à produire une foule de Cercaires qui, devenant parasites d’un de ces Mollusques dont les Canards et d’autres animaux aquatiques se nourrissent, arrivent enfin dans la cavité digestive de l’un de ceux-ci, et ainsi de suite. Ces métamorphoses, ces migrations, cette aptitude de certains Jeunes Helminthes à perforer les tissus vivants de leurs hôtes (1), temps on n'en connut ni l’enchainement, ni la portée. Vers la fin du siècle dernier, Othon Frédéric Müller donna le nom de Cercaria à divers Animalcules microscopiques» parmi lesquels se trouvaient les Cercaires dont je viens de parler, ou du moins des espèces qui en sont très-voisines. En 1817, Nitsch observa mieux ces prétendus Infu- soires, mais sans en soupçonner la véritable nature; et vers la même époque, Bory Saint-Vincent crut avoir perfectionné la classification méthodique du Règne animal en rangeant ces petits êtres dans une division générique particulière, sous le nom d'His- trionella. En 1818, Bojanus constata qu'un de ces Cercaires vit en parasite sur la Limnée des étangs, et il fit connaitre l'existence des sporocystes qui se trouvent aussi chez ce Mollusque. En 1826, M. Baer découvrit les relations qui existent entre les Cer- caires et les sporocystes, dans l'intérieur desquelles ces Animalcules se développent. Quelques années après, M. Wagner signale à l'attention des physiologistes d’autres faits de même ordre, et M. Nitsch avait déjà constaté l’enkystement de ces Cercaires et la disparition de leur appendice caudal. D'autre part, les helmintologistes avaient fait con- naître les caractères zoologiques et le mode d'existence de ces espèces de Douves qui sont parasites des Oiseaux d’eau, et qui sont désignées sous le nom de Monostomum mutabile. En 1835, M. Siebold découvrit le mode de reproduction de ces Helminthes, et constata le développement d’un être vivant dans l’intérieur du corps des embryons ciliés qui en naissent; mais il pensa d’abord que cet animal inclus n’était autre chose qu'un parasite. En 1842, M. Steenstrup appela l'attention des naturalistes sur la signi- fication de ces singuliers phénomènes. Enfin, dans un mémoire qui fera époque dans l'histoire de l’helminthologie, M. Siebold fit connaître les relations qui existent entre Les embryons et les Vers monostomes, les tubes cercarigénères, les Cercaires et les Monostomes parfaits. Beaucoup d’autres faits analogues, relatifs aux transmigrations et aux métamorphoses des Vers de l’ordre des Trématodes, ont été constatés plus récemment par plusieurs naturalistes, et plus particulièrement par M. de Filippi. J'ajouterai que l’on trouve, dans l'ouvrage récent de M. Leuckart sur les parasites de l'Homme, un exposé très- complet de l'état actuel de la science relativement au mode de propagation des Hel- minthes, et beaucoup de faits nouveaux d’un intérêt considérable. (4) Voyez, au sujet de cette perforation des tissus par les jeunes Helminthes, les observations de M. Van Beneden sur le Tænia dispar de la Grenouille, et celles de M. Baillet sur les Cysticerques. 50 MILNE EDWARDS, et cette dissemblance entre beaucoup de ces parasites et leurs descendants directs, nous donnent la clef d’une foule de faits qui, pendant longtemps, étaient inexplicables par les lois générales de la physiologie, et qui étaient invoqués comme des arguments sans réplique en faveur des vieilles idées d’hétérogénie. Il est vrai que nous n’avons pas encore les lumières nécessaires pour préciser le mode d’origine de tous les parasites qui se rencontrent dans l'intérieur de l'organisme des divers animaux ; mais, chaque jour, le nombre de ces difficultés diminue, et nous voyons ren- trer dans la règle commune la naissance de quelques-uns de ces êtres smguliers (1). Ainsi, dernièrement encore, les hétérogénistes citaient, comme une preuve de la formation agénésique des Hel- minthes, le développement du Trichina spiralis dans la profon- deur des muscles du corps humain ; mais, à peine cet argument avait-il été employé, que des expériences faites en Allemagne sont venues montrer que ce Ver agame est en réalité le produit génésique d’un Helminthe tuès-voisin des Trichocéphales, et qu’on pouvait en infester le tissu musculaire de divers animaux, en ingérant dans le tube digestif de ceux-ci des aliments qui ren- fermaient des parasites de cette espèce (2). (4) Les partisans de l'hypothèse des générations dites spontanées ont beaucoup insisté ‘sur ce que parfois la présence d'Helminthes a été constatée dans l’intérieur du corps d’un fœtus ou de très-jeunes animaux qui n'avaient encore pris d'autre nourriture que le lait de leur mère, et qui, par conséquent, ne pouvaient être considérés comme ayant reçu ces parasites du dehors mêlés à leurs aliments. Des faits de ce genre ont été signa- lés par les médecins de l'antiquité aussi bien que par plusieurs observateurs modernes, Mais l’origine de ces Vers par homogénésie s'explique facilement depuis que l'on a constaté que beaucoup de ces animaux, àl’état de larve, peuvent perforer la sub- stance des ‘tissus organiques, et voyager dans l'intérieur du corps d’un être vivant à peu près comme le Ver de terre voyage dans le sol humide. En effet, puisque ces parasites traversent les parois de l'intestin, ainsi que le péritoine, et se répan- dent parfois jusque dans la profondeur des muscles des membres, ou se jogent dans l'intérieur des vaisseaux sanguins, on comprend facilement la possibilité de leur arri- vée dans l'utérus et leur passage jusque dans l'intérieur du corps du fœtns contenu dans cet organe. La présence de parasites animaux et végétaux dans l’intérieur des œufs a été consta- tée également dans quelques cas, et, en général, elle peut être expliquée de la même manière. Dans quelques cas, les parasites se rendent directement dans l'œuf à travers la coquille, sans laisser de traces visibles de leur passage, ainsi que M. Panceri l'a constaté récemment pour plusieurs Cryplogam es. (2) Les migrations du Trichina spiralis paraissent avoir beaucoup d’analogie avee SUR LA GÉNÉRATION DITE SPONTANÉE, 51 Tout dernièrement encore, l'origme du Bothriocéphale, qui infeste souvent le corps humain, particulièrement en Suisse, en Pologne et en Russie, était entourée de beaucoup d’obscurité. Mais des recherches expérimentales, faites simultanément à Saint-Pétersbourg par M. Knoch, et à Genève par M. Bertholus, ont prouvé que c'est sous la forme de larves ciliées que ces Vers sortent de l'œuf; qu'ils vivent alors dans les eaux douces, puis s’enkystent et ne subissent leur développement complet qu'après être arrivés dans l'intestin propre à leur servir d'habitation. Beaucoup d'autres faits analogues ont été constatés depuis quelques années; mais je ne pourrais, sans m'éloigner de l’objet de nos études actuelles, entrer dans plus de détails relatifs à l'origme des Vers intestinaux. Du reste, le peu de mots que je viens d'en dire me semble devoir suffire pour monirer l'erreur de ceux qui, faute de connaître le mode d'introduction de ces celles des Filaires dont il a déjà été question ci-dessus. C'est à l’état de scolex ou de larves dépourvues d'organes génitaux qu’on les rencontre dans le tissu musculaire où ils s'enkystent. On les a trouvés sous cette forme chez l'Homme, ainsi que chez quelques autres Mammifères. M. Herbst, ayant administré à de jeunes Chiens de la chair d'un Blaireau infestée de Trichines, trouva, trois mois après, les muscles de ces animaux envahis par un nombre immense de petits Vers filiformes. M. Virchow (de Berlin) a fait des expériences analogues, et il a constaté que le Trichina spiralis de l'Homme, ingéré dans l'estomac d'un Chien, se dépouille de son kyste, et, devenu libre, achève son évolution dans l'intestin de cel animal. Là les organes générateurs de ces parasites se développent ct produisent des spermatozoïdes ainsi que des œufs. En faisaut manger à un Lapin de la viande contenant des Trichines, ce physiologiste a observé les mêmes faits, et il a constaté, en outre, que ces parasites, rendus libres dans l'intestin de ce Rongeur, deviennent sexués, et donnent naissance à de petits Vers filiformes qui perforent ensuite les parois du canal digestif pour se répandre dans toutes les parties de l'organisme. M. Virchow a obtenu de la sorte cinq générations de Trichines, en fai- sant manger simplement à des Lapins la chair musculaire des animaux chez lesquels il avait déterminé expérimentalement la reproduction de ces Vers. Des faits analogues ont été constatés par M. B. Leuckart. Ce naturaliste a trouvé que la transformation des Trichines agames en Vers sexués n’a jamais lieu dans le tissu musculaire, mais s’ef- fectue très-rapidement dans le canal intestinal des divers Mammifères qui ont mangé de la chair infestée de la sorte, et que les parasites filiformes qui naissent de ces individus prolifiques dans le tube digestif d’un animal nourri de cette facon pénètrent dans le tissu conjonctif interorganique de celui-ci, pour aller se loger dans l'épaisseur des mus- cles, où ils s’enkystent, Il est donc présumable que la présence des Trichines dans les muscles du corps humain dépend de l'emploi alimentaire de la chair du Lapin ou de quelque autre animal infesté de la sorte, et dont la cuisson n'aura pas été assez complète pour fuer ces parasites. 52 MILNE EDWARDS. parasites dans le corps de leurs hôtes, se croyaient autorisés à les considérer comme des produits de l’organisation spontanée de la matière inerte, ou, en d'autres mots, de la génération dite spon- tanée. Là, de même que pour les larves de Mouches observées par Redi, et pour les Abeilles, dont l'histoire physiologique a été étudiée par Swammerdam, la multiplication des individus est régie par les lois générales qui président à l’origine des animaux supérieurs. Le caractère essentiel des phénomènes zoologiques est partout le même, et la nature n'a pas, comme le supposent les hétérogénistes, deux poids et deux mesures, suivant qu’elle veut produire un animal microscopique ou un animal gigan- tesque, un animal obscur et parcimonieusement doté ou un ani- mal doué des facultés les plus merveilleuses. Toujours l'être vivant descend d’un être qui vit. :; En résumé, nous voyons donc que, non-seulement la vie se transmet, et que les corps organisés sont toujours des produits de corps doués de ce mode d'activité, mais aussi que dans tous les cas où cette filiation a pu être observée, les individus qui naissent sont de même espèce que les individus dont ils des- cendent. Tout ce qui vit aujourd’hui à la surface du globe a été engendré, et chaque être qui engendre imprime à ses produits le cachet organique propre à certains termes de la série d'individus dont il est lui-même descendu. Le jeune animal peut ne pas ressembler en tout à ses parents, mais en général les diffé- rences sont légères et ne portent que sur les détails secondaires de l'organisme. J'examinerai dans une autre occasion quelles peuvent être les limites de ces variations individuelles chez divers membres d’une même lignée, et quelles sont les circonstances qui déterminent ces particularités individuelles. Ici il me suffira de constater que chez les animaux, aussi bien que dans les plantes, on ne connaît aucun individu qui ne soit fait à l’image de l’un de ses ancêtres, et qui ne ressemble à l'être dont 1l sort de la même facon que celui-ci ressemblait à certains de ses procréateurs. On appelle espèce, le groupe d'individus qui ressemblent entre eux au même degré que l’on sait devoir se ressembler ceux qui naissent d’une même souche ; groupe que l’on peut considérer par conséquent comme ayant une origine commune. La loi géné- SUR LA GÉNÉRATION DITE SPONTANÉE. 53 rale qui régit aujourd'hui la multiplication des animaux et le renouvellement des êtres animés dont la terre est peuplée, est donc l’homogénésie, ou la production du jeune par des parents qui sont, dans certaines limites, ses semblables. On sait que dans quelques cas la conformation du jeune peut s'éloigner considéra- blement de celle de son ascendant immédiat, et ne répéter l'image que d’un ancêtre plus ou moins reculé ; mais alors la progéniture de ce jeune ne diffère en rien d’essentiel de son aïeul ou de son bisaïeul, et par l'effet de ces retours périodiques à un même type, ce type se perpétue tout aussi bien que dans les cas où 1l se re- trouve chez tous les mdividus qui proviennent les uns des autres. Une espèce peut s’éteindre ou se diviser, pour ainsi dire, en un certain nombre de races qui ont chacune leur cachet particulier, mais jamais on ne voit un animal naître d’un animal d’une espèce autre que la sienne, et, sous l'influence des conditions dans les- quelles notre globe se trouve aujourd'hui, aucune transmutation zoologique ne semble être possible. En était-il toujours de même, et, à certaines périodes géologiques, les modifications introduites dans l’organisation des êtres qui se succédaient par voie de géné- ration ont-elles été plus considérables, et ont-elles amené l’appa- rition de types assez dissemblables pour que l’analogie nous con- duise à les considérer comme des représentants d'autant d'espèces particulières? C'est ce que l’on ne saurait dire dans l’état actuel de nos connaissances ; mais j'incline à croire qu'il a dû y avoir des changements de cet ordre, et que beaucoup de fossiles qui ont été considérés comme appartenant à des espèces diffé- rentes de celles de l’époque actuelle, ne sont en réalité que des races particulières. Peut-être même les différences entre certaines séries de termes d’une même lignée d'individus ont- elles été plus grandes encore ; et d’ailleurs, puisque, dans cer- tains cas, les produits d’un animal n’ont pas les caractères ordi- naires des individus de leur espèce, et constituent ce que l’on appelle communément des monstres, sans devenir par cela même inaptes à vivre et à se multiplier, on conçoit la possibilité de la substitution permanente d’un de ces modes d'organisation anor- maux au plan de structure qui, dans l’état actuel des choses, se 5l MILNE EDWARDS, maintient constant de génération en génération. En effet, l’ano- malie doit nécessairement dépendre d’une cause ; cette cause doit avoir toujours les mêmes effets, et pour que l'exception devint la règle, il suffirait que cette même cause, au lieu de n'agir que de loin en loin, devint persistante, et affectât par con- séquent d’une manière semblable tous les individus développés sous son influence, Mais si cela est admissible en théorie, 1l est vrai aussi que nous ne connaissons aucune Cause qui soit capable d'agir ainsi, et que ces vues de l'esprit ne nous fournissent l’ex- plication d'aucun des grands changements dans la constitution du règne animal dont la paléontologie nous offre le tableau. On sait, par l'observation, que les variations, dans les conditions d'existence auxquelles les animaux peuvent être soumis dans l'état actuel de notre globe, ne sont pas capables de déterminer des modifications profondes dans les types zoologiques, et tout ce que nous savons des changements qui ont pu s'effectuer dans l'état de la terre à des périodes antérieures ne jette aucune lu- mière sur les causes des transformations suecessives du règne animal aux diverses époques zoologiques. Les hypothèses de Lamarck et les vues ingénieuses de M. Darwin peuvent nous fournir des explications plausibles de l'introduction de variations légères dans les caractères d'animaux qui seraient descendus d'une souche commune ; mais rien ne nous autorise à appliquer ces données à des différences d'un autre ordre. Ni les effets de l'habitude, ni l'influence de la sélection des individus reproduc- teurs, ne sauraient motiver la supposition que les descendants d'un Mollusque soient devenus peu à peu des Poissons ; que la progéniture d'un Poisson ait pu se transformer en Mammifère ; ou bien encore que le Chien et le Lièvre aient eu une origine commune. Lorsqu'on veut rester sur le terrain de la science et ne pas s’aventurer dans l'inconnu, il ne faut donc aborder ces ques- tions qu'avec une grande réserve. Dans cette note, elles ne sau- raient être assez approfondies pour que la discussion en soit utile, mais je me propose d'y revenir un jour. OBSERVATIONS SUR LES MÉTAMORPHOSES DES POISSONS, Par M. AGASSEZ. (Extrait d’une lettre en date du 26 décembre 1864, adressée à M. Milne Edwards.) Vous vous souvenez peut-être que, l'hiver dernier, je vous ai communiqué la découverte que j'avais faite, pendant l'été précé- dent, de métamorphoses très-remarquables chez les Poissons osseux, et surtout dans les familles des Lophioïdes, des Labroïdes, des Cyprinodontes et des Siluroïdes. Le temps m'a manqué jus- qu'ici pour rédiger mes observations que je me proposais d’adres- ser à notre ami Valenciennes, en le priant de les soumettre à l'Académie. Depuis lors, les faits relatifs à ces métamorphoses, encore complétement ignorées des naturalistes, se sont considé- rablement accrus, et je désire aujourd'hui attirer plus partieu- lièrement l'attention des embryologistes sur ces curieux change- ments, convaincu que je suis que la connaissance des faits que j'ai déjà réunis ne sera pas sans influence sur les progrès de la science. Et puis je commence à m'apercevoir que le champ est trop vaste et trop difficile à eultiver, pour ne pas réclamer le concours du plus grand nombre possible d’observateurs. La seule publicité que j'aie donnée jusqu'ici à mes recherches sur ce sujet se résume à un exposé sommaire des résultats géné- raux que j'avais obtenus vers la fin de l'été de 1863, et qui sont consignés dans mon ouvrage Sur les méthodes en histoire natu- relle, publié à Boston en 1863, page 301. Comme ce volume n'a point encore été traduit en français, et que je n’en ai pas vu d'extraits dans les journaux scientifiques d'Europe, je reproduis ici le passage en question: «J'ai observé dernièrement chez les » Poissons des métamorphoses aussi considérables que celles que » l’on connaît chez les Reptiles. Aujourd’hui que l’on s'occupe » 56 AGASSIZ, » de pisciculture avec tant de succès et sur une si grande » échelle, il est surprenant que ce fait n’ait pas été remarqué » depuis longtemps. Peut-être faut-il l'attribuer à cette circon- » stance, que ces métamorphoses commencent ordmairement » après l’éclosion des petits, à une époque où ils meurent rapi- » dement, lorsqu'on les retient en captivité. A cet âge, ils sont, » du reste, pour la plupart, trop petits pour être facilement étu- » diés dans leur élément naturel. Néanmoins cette période est la » plus importante de leur accroissement, lorsqu'il s'agit d’étu- » dier leurs affinités naturelles. Je me propose prochainement de » faire voir comment certains petits poissons ressemblant » d'abord à des Gadoïdes ou à des Blennioïdes, passent graduel- » lement au type des Labroïdes et des Lophioïdes. Je pourrai » également montrer comment certains embryons semblables à » des têtards de Grenouille ou de Crapaud, prennent peu à peu » la forme de Cyprinodontes; comment certains Apodes se » transforment en Jugulaires ou en Abdominaux, et certams » Malacoptérygiens en Acanthoptérygiens , et enfin comment on » pourra fonder une classification naturelle des Poissons sur la » correspondance qui existe entre leur développement embryo- » génique et la complication de leur structure à l’état adulte. » Tout récemment je viens de découvrir que les métamor- phoses de certains membres de la famille des Scombéroïdes sont encore plus inattendues peut-être que toutes celles que J'ai observées antérieurement. Voici le fait. Tous les ichthyologistes connaissent les caractères génériques de la Dorée ou Poisson Saint-Pierre (Zeus faber, L.), et les particularités d'organisation qui rattachent ce poisson à la famille des Scombéroïdes. Un autre poisson moins connu, mais des plus curieux, qui habite également la Méditerranée, connu sous le nom d’Argyropelecus hemigymnus, Cocco, a été généralement rapporté à la famille des Salmones, ou rapproché des Salmones comme sous-famille. Les auteurs systématiques ont généralement considéré les Scombé- roïdes et les Salmones comme des poissons très-différents, les premiers étant rapportés à l’ordre des Acanthoptérygiens, et les seconds à l’ordre des Malacoptérygiens. Eh bien ! l'Argyrope- OBSERVATIONS SUR LES MÉTAMORPHOSES DES POISSONS. 97 lecus hemigymnus n'est cependant pas autre chose que le jeune âge du Zeus faber. Je m'attends à ce que tous les ichthyologistes repoussent cette assertion comme erronée. Rien n’est cependant plus vrai ; aussi, loin de chercher à le prouver par de longs arguments, je me bornerai, pour le moment, à inviter mes confrères à se procurer de petits exemplaires de la Dorée, de 8 à 10 centimètres de lon- gueur et à les comparer à des exemplaires authentiques de l’Ar- gyropelecus, certain que je suis qu'ils admettront l'identité des deux poissons, dès qu'ils en auront fait la comparaison. Ce résultat est d’une importance majeure pour l'ichthyologie, car il sape par la base toutes nos classifications, et nous obli- gera à les réformer de fond en comble. I est évident, en effet, que dès qu'il sera démontré, d'après l'examen d’un poisson, que tout le monde peut facilement se procurer, qu'un Malacoptéry- gien abdominal peut n’être que le jeune d’un Acanthoptérygien jugulaire, les principes de la classification des Poissons qui sont le plus généralement revus cesseront d’avoir la valeur qu’on leur à attribuée jusqu'à ce Jour. Une conséquence immédiate de ces observations est de jeter du doute sur la validité de la plupart des genres de la famille des Scopelini énumérés par le prince de Camino daus son Fauna ialica, qui pourraient bien n'être après tout que le jeune âge des grands Scombéroïdes de la Méditerranée. Aussi longtemps qu'on n'aura pas suivi le développement de ces poissons, il n°y a pas plus de raison maintenant pour les envisager comme des formes adultes, qu'il yen aurait pour considérer le Menobranchus comme un Batracien adulte, si l'on n'avait pas observé son ovaire rempli d'œufs mürs. Je dirai, en passant, que je suis disposé à considérer le genre Chlorophthalmus, Bonap., comme le jeune âge du genre Aulopus, Cuv. Les jeunes Lépidostées que Rafinesque à décrits comme un genre distinct, sous le nom de Sarchirus, m'ont offert des particularités d’une autre nature et bien propres à exciter la curiosité. A l’état adulte, ce poisson à une large caudale arron- die à l'extrémité de la queue; chez le jeune, la caudale tout 58 AGASSIZ. entière est placée au-dessous de l'extrémité de la colonne verté- brale, comme une seconde anale, et la colonne vertébrale se pro- longe, comme un lobe détaché, le long du bord supérieur de la caudale. Cette conformation subsiste jusqu'à ce que le poisson ait atteint 2 décimètres de longueur, et, lorsqu'il nage lentement, cet appendice se meut rapidement d’un mouvement vibratile tout particulier. Les pectorales ont aussi une forme toute diffé- rente chez le jeune et chez l'adulte. Chez le jeune, elles ressem- blent à un court éventail arrondi supporté par un tronçon charnu, ce qui lui a fait donner le nom de Sarchirus par Rafi- nesque. Cette nageoire s’agite aussi d’un mouvement vibratile très-rapide, lorsque le poisson nage sans s’aider des contractions vigoureuses du grand muscle latéral, portant alternativement la queue à droite et à gauche de l'axe longitudinal du corps. C’est un fait que j ai maintenant remarqué chez tous les types que je rapporte aux Ganoïdes, de se mouvoir, non pas par des coups de queue réitérés à droite et à gauche, mais par un mouvement vibratile très-rapide de leurs nageoires. J'ai vu des Syngnathes, des Balistes, des Monacanthes, des Diodons, et comme je viens de le faire remarquer, le jeune Lépidostée, progresser de cette manière. La singulière structure de la queue du jeune Lépidostée rappelle celle d’une foule de poissons fossiles que j'ai décrits il y a une trentaine d'années, et il serait curieux de rechercher main- tenant si, chez ces représentants d’époques antérieures à la nôtre, il existait également une séparation de la prolongation de la colonne vertébrale et des rayons formant la nagcoire caudale, comme c'est le cas chez notre jeune poisson. Mais je n’ai pas à ma disposition les matériaux nécessaires pour cette comparaison. Je crois cependant en remarquer la trace dans le genre Glypto- lepis. (Voy. la planche 24 de ma Wonographie des Poissons fossiles du vieux grès rouge.) RECHERCHES SUR LES OS DE L'ÆPYORNIS MAXIMUS 2 Par M. J. BIANCONI, Profeseur à l'Université de Bologne. Un examen minutieux de l'os tarso-métatarsien de la plupart des types des Oiseaux m'a conduit à des comparaisons avec ce même os de lÆpyornis mazimus, qui, je crois, tendraient à faire reconnaître la famille à laquelle a appartenu cet oiseau remarquable. Ces recherches, que ? j'avais entreprises après la mort très-regrettable de Geoffroy Saint-Hilaire, qui avait promis une illustration des os de l’Æ'pyornis, ont été poursuivies jusqu’à ce jour. Il n’est pas possible d’en donner ici tous les détails. Je signalerai seulement les points principaux du résultat auquel je suis parvenu. La poulie du condyle médian de l'os tarso-métatarsien de l'Æ'pyornus, à cause de la brièveté de la portion antérieure de son canal, n’est pas la ’ poulie d'un Zrévipenne, ou d’un oiseau coureur quelconque; au contraire, l'extension de la partie postérieure du même canal, et la forme aplatie des deux cordons de la même poulie, signalent une autre famille ornitho- ? Le) logique. En effet, lorsque l’on considère la forme et l’ubication des deux con dyles latéraux, ou bien (à la face antérieure de l'os) le grand évasement 1 Le] de la fosse destinée à contenir les tendons et les muscles élévateurs des doigts, et l'adducteur du doigt externe; la légère disparité des deux crêtes latérales de cette fosse; et de plus, lorsqu'on regarde (à la face posté- rieure de l'os) la grande dépression que l’on voit au côté du doigt externe, 1 Le) P J © dépression presque identique avec celle qui reçoit le muscle abducteur du q q doigt externe dans le Vultur papa et dans le Condor; la dépression de die pap Au! Q » A Q , > » # l’autre côté, qui, dans l’os de ces mêmes oiseaux, représente l’aire d’adhé- ul ? rence de l’épiphyse pollicaire, et celle du muscle abducteur de l'index, et lorsque l’on prend en considération plusieurs autres particularités, on 1 est amené à mettre l_ÆZpyornis tout près du Condor. Seulement l'os de celui-là semble, en proportion, plus raccourci que celui du grand Vau- 1 ) Le) tour des Andes. Une circonstance qui, au premier coup d’œil, déguise les ressemblan- ces entre les os de l’Æpyornis et du Condor, c’est la grande profondeur Py , 60 .J. BIANCONI. de l’espace quis’interpose entre le condyle médian et l'externe. On ne trouve pas, à ce côté de l'os de l'Æpyornis, le foramen intercondyloideun que l’on observe sur l’universalité des oiseaux, excepté, toutefois, l'Autru- che. C’est que, dans ces deux oiseaux (les géants de la classe), manque le pont osseux sous lequel passe une partie de la course du tendon adduc- teur du doigt externe. Mais il est clair que, dans les deux cas cités, la nature y a suppléé par les deux protubérances intercondyloïdiennes qui forment une partie du frénule transverse qui doit maintenir le tendon à sa place; frénule, dans le vivant, sans doute, complété par des fibres liga- menteuses. Une fois que l’on imagine exister le pont osseux, la ressem- blance entre le Condor et Y_ Æpyornis est rétablie plus proche; mais les rapports essentiels entre les deux oiseaux sont établis mdépendamment de cette supposition-là. Une fois aussi que ces inductions sont exactes, on peut attendre que les futures découvertes mettront au jour des parties plus caractéristiques du grand Vautour qui habitait Madagascar, et dans l'Afrique méridionale. Un intérêt particulier m’a conduit sur ces recherches. Marco Polo, dans ses Voyages, dit que l'oiseau gigantesque de Madagascar, le Zuc, était semblable à un Aigle immense. On a rejeté cette relation comme une méprise où comme une fiction'; car on a généralement regardé les restes de lÆ'pyornis comme appartenant à un Brévipenne. I] semble, au contraire, très-probable que le voyageur vénitien nous a donné une rela- tion véritable encore sur ce point comme sur les autres. C’est ce que les grands travaux de M. Pauthier sur Marco Polo vont prouver, et ce que j'espère démontrer, moi aussi, à propos de l'oiseau Ruc, par le travail que j'aurai l'honneur de soumettre à l'Académie des sciences. LA CAVERNE DE BIZE, Par MM. P. GERVAIS ct J. BRINCHKHMANN (1). $ 1. Il existe dans les environs de Narbonne, principalement au nord-ouest de cette ville, plusieurs cavernes à ossements, les unes riches en débris d'animaux d'espèces éteintes, plus particu- lièrement d'Ursus spelœus; les autres renfermant des restes de l'Homme, ainsi que les traces de son mdustrie primitive. Une de ces cavités a acquis dans la science une certaine célébrité, sousle nom de caverne de Bize, qu'elle doit au village dont elle est rap- prochée ; c’est la plus méridionale des deux grottes appelées dans le pays grottes des Moulins. M. Paul Tournal, savant naturaliste de Narbonne, a été le premier à en signaler l'intérêt. Dans une note publiée en 1827, il établit qu'on y trouve des ossements humains et des débris de poterie associés dans les mêmes sédiments avec les ossements des animaux d'espèces perdues. Voici comment il s'exprime au sujet de cette grotte et de celle qui en est la plus rapprochée : « Elles renferment une grande quantité d'ossements d'Ours des cavernes, de Sangliers, de Chevaux, de Ruminants des genres Cerf et Bœuf (2). » Deux ans plus tard, Jules de Christol faisaitimprimer sa Motice sur les ossements humains fossiles dans le Gard, et dans cette notice, fruit de ses propres observations, ainsi que de celles de M. Émilien Dumas, il cherchait également à prouver la contem- poranéité de l'Homme et des grands animaux qui ont laissé leurs débris dans les atterrissements des cavernes. De Christol et M. Dumas s'étaient surtout occupés des grottes de Pondres et de (1) Extrait des Mémoires de l’Académie des sciences de Montpellier. (2) Notes sur deux cavernes à ossements découvertes à Bize, dans les environs de Narbonne (Ann. sc. nat., 1"e série, t. XII, p. 78). 5° série. ZooL. T. III. (Cahier n° 2.) 1 5 02 P, GERVAIS ET BRINCKMANN. Souvignargues, d'où l’on retire en effet des débris de l'Homme mêlés non-seulement à ceux des grands Ours, mais aussi à ceux de l’Hyæna spelæa, du Rhinoceros tichorhinus, etc. Des savants avaient été mis sur la voie de leur découverte par le docteur Bonaure. Ce fut alors que M. Tournal publia son mémoire ayant - pour titre: Considérations théoriques sur les cavernes à ossements de Bize, près Narbonne (Aude), et sur les ossements humains con- fondus avec des restes d'animaux appartenant à des espèces per- dues (1). L'auteur établissait dans ce travail que «les cavernes de Bize, comme celles du Gard, renferment des espèces d'animaux perdus, confondues avec des ossements humains et des poteries.» «Mais, ajoutait-il, celles de Bize, ayant été comblées après celles du Gard, offrent une population bien différente et qui a plus d’analogie avec celle de l’époque actuelle. » Voilà done, dès cette époque, une distinction d'âge établie par les géologues du Languedoc, entre des cavernes de deux localités renfermant l’une et l’autre des restes de l'Homme et de son ancienne industrie, associés à des ossements de grands animaux dont les races ont depuis longtemps disparu. M. Tournal, il est vrai, n'établit pas la liste des espèces animales qui ont constitué la population ensevelie à Bize avec l’homme ; mais pour lui, l'Ursus spelœus à fait partie de cette population, comme il a fait également partie, d’après de Christol et M. E. Dumas, de celle dont la grotte de Pondres nous a aussi conservé les débris. Cependant de Christol et Marcel de Serres, qui a fait paraître au sujet des fossiles de Bize un mémoire étendu, nient que l’'Ursus spelœus ait laissé des restes de son squelette dans cette caverne, et s'ils mdiquent à Bize des Mammifères d'espèces éteintes, ce sont des Ruminants du genre Cerf, non encore signalés par les autres naturalistes, et une Antilope qui serait dans le même cas. Dans son mémoire (2), Marcel de Serres s’est occupé, non- seulement de la description géologique de la caverne de Bize, mais aussi de la détermination des ossements qu'y avaient alors (1) Annales des sciences naturelles, 47° série, 4829, t. XVIII. (2) Notice sur les cavernes à ossements du département de l Aude, in-4°, avec plan: ches. Montpellier, 1839. OSSÉMENTS DE LA CAVERNE DE Br2k. 63 recueillis MM. Tournal et de Christol. Il y parle également de quelques instruments d'os ou de bois de Cerf, et il donne la figure d’un fragment de maxillaire supérieuf, ainsi que celle d'une extrémité mférieure d'humérus, appartenant évidemment l'un et l’autre à l'espèce humaine. Quant aux espèces animales, il en établit la liste ainsi qu'il suit: Deux Chiroptères : Wespertilio murinus. — Vespértilio au- rilus. Trois Rongeurs : Lepus timidus. — Lepus cuniculus, — Mus, indéterminé (1). Un Jumenté: Equus caballus. Huit Rumunants: Cervus Destremii. — Cervus Reboulii, — Capreolus Leufroyi. — Caproleus Tournalii. — Antilope Christo- ha. — Capra ægagrus. — Bos ferus où Aurochs. — Bos rappro- ché du Taurus. Un Porein : Sus scrofa. Cinq Carnivores : Ursus arctoideus ? — Mustela putorius. — Canis lupus. — Canis vulpes. — Felis serval. En tout vingt espèces de Mammifères dont quelques-unes, telles que le Cheval, le grand Bœuf et les Cerfs, représentées par des ossements très-nombreux. Il y à de même avec ces fossiles des débris d'Oiseaux dont Marcel de Serres s’est également occupé de reconnaitre le genre :, il à aussi été aidé dans cette recherche par le docteur Jeanjean ét par Jules de Christol. Ces anatomistes ont pu déterminer avec certitude, parmi les restes d'Oiseaux trouvés à Bize, deux Acci- pitres, peut-être le Striæ otus et le Falco Nisus ; des Gallinacés de la taille du Faisan commun et de celle de la Perdrix; une, espèce comparable au Pigeon, et un Palmipède du genre Cygne, très-probablement le Cygne à Bec rouge. (4) Marcel de Serres pense que ce serait l'espèce qu'il à citée à Lunel-Viel sous le nom de us campestris major, mais celle-ci est une espèce de Myoxus. 64 P. GERVAIS ET BRINCKHMANN. ‘Of De nouvelles fouilles entreprises par nous à Bize, et l'étude que nous avons pu faire aussi des objets de paléontologie décou- verts au même lieu par M. Tournal, ainsi que par Marcel de Serres et de Christol, nous ont fourni, au sujet des animaux et des objets travaillés de main d’Homme qui sont enfouis dans cette caverne, des documents nouveaux sur lesquels reposent les indi- cations résumées dans le travail qu’on va lire. Parmi ces docu- ments, les uns sont relatifs à la véritable nature des espèces animales enfouies dans cette localité ; les autres se rapportent aux objets travaillés qui leur sont associés. Le fait capital est la présence du Renne parmi les fossiles enfouis à Bize. Les os de ce Ruminant y sont très-nombreux, souvent cassés par l'Homme ou travaillés par lui, et nous avons constaté que c’est à cette espèce de Mammifères, disparue de nos contrées à une époque si éloignée que l’histoire n’en a pas con- servé le souvenir, qu'il faut aussi rapporter trois des espèces de Cerfs prétendues distinctes de toutes celles que l’on connaissait, qui sont décrites dans le mémoire de Marcel de Serres. Nous avons en effet vérifié, à l’aide de comparaisons réitérées et sur les pièces mêmes que Marcel de Serres et de Christol ont étudiées, la similitude complète des caractères ostéologiques et dentaires des Cervus Reboulii, Capreolus Leufroyi et Capreolus Tournalu, espèces supposées nouvelles pour la science, avec ceux du Renne, Cervus tarandus des auteurs. Le Cervus Destremii n’est pas davantage une espèce différente de celles qui vivent encore de nos jours. Certaines des pièces d’après lesquelles il a été établi sont de Renne; d’autres proviennent du Cerf. Quant à l’Antilope Christolüi, ses caractères permettent aussi de l’assimiler à l’un des animaux qui vivent actuellement en France : c'est un Chamois, peut-être le Chamois ordinaire (Anti- lope rupicapra). Il résulte de ces rectifications, et de quelques autres dont il sera ultérieurement question dans ce mémoire, que le grand Bœuf, dont les os s’observent dans la grotte de Bize, est le seul OSSEMENTS DE LA CAVERNE DE BIZE. 65 des animaux enfouis dans cette localité avec l'Homme, que l'on puisse regarder comme étant d'espèce réellement perdue, et encore ne saurait-on assurer que sa race ne s’est pas mêlée à celles du Bœuf ordinaire. En effet, ce n’est pas l’Aurochs, c’est-à-dire le Bison européen, que l’on recueille à Bize, comme le croyait Marcel de Serres, mais le Bos primigentius, qui, s’il a survécu longtemps à la plu- part des grandes espèces perdues dont les restes fossiles caracté- risent le diluvium et les sédiments anciens des cavernes, à cepen- dant cessé d'exister, comme espèce à part, depuis un temps considérable. Il est possible cependant qu'il ait vécu à une époque historique. Cuvier disait, en parlant des crànes du Bos primigenius, qui rappellent à tant d’égards le Bœuf domestique, mais qui pro- viennent d'animaux dépassant de beaucoup nos Bœufs en dimen- sions: «Les crânes semblables à ceux du Bœuf domestique n’ont été trouvés d’une manière authentique que dans des tour- bières et d’autres couches très-superficielles ; 1! ne serait pas impossible qu'ils fussent d’une origine plus moderne que les os d'Éléphants et de Rhinocéros, et qu'ils eussent appartenu à l'original de notre Bœuf d’aujourd'hut. » Cependant le Bos primigenius, qui vivait encore alors que l’homme était depuis longtemps établi dans nos contrées euro- péennes, se trouvait déjà sur le même continent aux temps bien plus reculés où l’Elephas primigenius, les Rhinocéros, le grand Hippopotame, les espèces anéanties des genres Ursus, Feliset Hyœna, et d’autres espèces encore, foulaient le sol de l’Europe ; mas il à survécu à ces grands animaux, soit Pachydermes, soit Carnivores. Il n’est donc pas étonnant de trouver le grand Bœuf enfoui dans les mêmes sédiments que l'Homme et que le Renne. Les observations faites en Suisse par M. Rutimeyer, et celles que l’un de nous a commencées à Saint-Pons, montrent même qu'il à existé dans les parties centrales de l'Europe longtemps après que le Renne s’en est éloigné. Les os humains sont fort peu nombreux dans la caverne de Bize, mais leur présence n’y est pas douteuse. Ils y sont associés 66 / P, GERVAIS ET BRINCKMANNW. à des fragments de poterie, ainsi qu'à des instruments d'os et de bois de Renne façonnés de main humaine, à des coquilles per- forées ayant servi d’ornements, et à des silex taillés analogues à ceux que l’on recueille dans tant de localités et sur des points du globe si éloignés les uns des autres. Ce sont là des particularités tout à fait dignes d'attirer l'attention des naturalistes et celle des archéologues, et que nos propres recherches ont mises hors de doute. M. Tournal n'a pas ignoré la présence de silex dans la grotte de Bize, mais il ne paraît pas les avoir reconnus tout d’abord pour des instruments de fabrication humaine, car 1} les appelle «des fragments de quartz pyromaque à angles très-vifs ». La caverne de Bize appartient done à la série de celles qui renferment des débris du Renne cassés ou travaillés de main humaine et des instruments primitifs, C’est ce que l’un de nous a déjà fait remarquer dans un travail d'ensemble relatif aux cavernes du bas Languedoe, qui à été adressé à l'Académie des sciences de Paris, en février 1864 (1), (4) « Caverne de Bize. — M. Marcel de Serres a consacré un long mémoire à la publication des observations faites par M. Tournal, par lui-même et par quelques autres personnes, sur les objets extraits de la grotte de Bize, Il y signale, indépendamment de plusieurs espèces qui, pour la plupart, se retrouvent encore à l’état sauvage dans les environs, une Antilope d'espèce éleinte qu'il appelle Antilope Christolii, et quatre espèces de Cerfs qui seraient également anéanties et différentes de celles que les paléantolo- gistes avaientalors décrites. Ce sont des Cervus Destremii, Rebouli, Leufroyiet Tournalii. L'Aurochs est également cité par M. de Serres, mais c’est bien sûrement du Bos primi- genius qu'il a voulu parler. Quant à l'Ursus spelœus, il ne le mentionne plus comme l'ayait fait M. Tournal. L'humérus, d’ailleurs incomplet, qu'il attribue au genre des Ours, lui parait être d'Ours arctoide, et il mériterait peut-être mieux d'être attribué à l’Ours ordinaire, qui à autrefois habité nos montagnes. J'en ai, en effet, reconnu quel- ques ossements parmi les pièces trouvées à la Tour-de-Farges, près de Montpellier, et aux enyirons d’Alais. » L'Antilope Christolii ne parait pas différer sensiblement du Chamoïis, et il faut conclure de sa présence à Bi’e, non pas à l’ancienne existence dans les environs de cette caverne, c’est-à-dire dans la montagne Noire, d'une espèce différente de celles que nous connaissons dans le monde actuel, mais à la présence, à ces époques reculées, de Cha- mois dans la même région. C’est ainsi que le Chevreuil a disparu de plusieurs de nos départements du Midi, et il en est de même pour plusieurs autres espèces, les unes anéanties dans toute la France, les autres reléguées dans quelques départements. » Deux parties inférieures de canons de Chamois, que j'ai sous les yeux, ne com- OSSEMENTS DE LA CAVERNE DE BIZE. 67 Toutes les espèces de Mammifères enfouies à Bize dans les con- ditions d'association que nous venons de rappeler, ne présentent pas le même degré d'intérêt, et il en est plusieurs de celles dont a parlé Marcel de Serres, sur lesquelles nous ne nous arrêterons pas. Telles sont plus particulièrement les Chauves-Souris, ani- maux dont les cavernes sont l'habitation la plus ordinaire, et dont les débris se mêlent chaque jour dans ces cavités à ceux des espèces que les eaux ou l’action de l'Homme y ont autrefois appor- prennent que les poulies digitales et une très-courte longueur de la diaphyse. Il est aisé de reconnaitre qu’elles ont été brisées violemment et par le fait de l'Homme, ce qui s'observe fréquemment pour les os analogues et autres os longs que l’on trouve dans les cavernes où l'Homme à eu accès, lorsque ces pièces proviennent d'animaux ayant vécu à la mème époque que lui. L'Homme primitif, en effet, cassait les os longs, qui sont rem- plis de moelle, pour en retirer cette substance. » J'ai aussi de Bize l'extrémité digitale, semblablement brisée, d’un canon posté- rieur de grand Bœuf, évidemment du Bos primigenius, et quelques autres extrémités d'os longs du même animal, séparées de leur diaphyse ou partie moyenne par fracture violente. L'Homme a évidemment opéré cette fracture, et il ne peut l'avoir fait que dans le but que nous venons de rappeler. » Quant aux Cerfs propres à la caverne de Bize, il me serait difficile d’en établir la synonymie en rapport avec celle des autres espèces connues dans cette famille. Je n'ai pu voir encore qu'une ou deux des pièces d’après lesquelles ils ont été décrits, et l’his- toire de nos Cervidés fossiles est trop embrouillée pour qu’on puisse procéder sûrement à cette détermination. Force est donc derecourir aux figures données par M. Marcel de Serres de quelques-uns des débris qu'il signale à Bize, ou aux pièces découvertes récemment. En tenant compte de ces deux sortes d'indications, je reconnais, à n'en pouvoir douter, que la majorité des ossements et des dents de Bize, attribués à des Cerfs d’espèces éteintes et nommées comme il a été dit plus haut, se rapporte au Renne; mais avec cette différence qu'au lieu que les os longs soient entiers, comme dans certaines caver- nes, à Brengues par exemple, où l'Homme n’habitait pas, ils ont été fracturés. On en doit conclure que si l'Homme n'a pas tenu ces animaux en domesticité, il a certaine- ment profité de leurs dépouilles. Une dizaine des os que je possède sont des extrémités inférieures de canons brisés d’une façon qui rappelle les os de Chamois et de grands Bœufs dont il a déjà été parlé. » Peut-être paraitra-t-il superflu d'ajouter que la caverne de Bize renferme aussi des débris de poteries primitives, des silex taillés en forme de couteau et des instruments fabriqués avec des bois de Cerf ou de Renne, avec des os, elc., etc. Voici comment je me suis procuré des échantillons de silex taillés recueillis à Bize : » Deux jeunes gens instruits, MM. Brinckmann et Julien, qui suivaient mes cours, ayant voulu entreprendre, en 1860, une petite excursion aux environs de Narbonne, “excursion dans laquelle il me fut impossible de les accompagner, je les engageai à fouiller la grotte de Bize et à y chercher des couteaux de silex, jugeant que la présence d'ossements brisés dans cet endroit devait y faire également ‘supposer celle des couteaux 68 P. GERVAIS ET BRINCHKHMANN. tées. Tels sont aussi le Putois (Mustela putorius), le Loup (4) (Canis lupus), le Renard (Canis vulpes), le Lièvre (Lepus timi- dus) et le Lapin (Lepus cuniculus). Nous n'avons d’ailleurs reçu de Bize aucun os travaillé provenant de ces différentes sortes de quadrupèdes. | Nous n'avons non plus réuni, au sujet du Sus scrofa, aucun document nouveau nous permettant de décider si les rares indi- vidus enfouis à Bize étaient de race sauvage ou domestique, et, dans ce dernier cas, il serait possible de les assimiler aux Cochons signalés en Suisse par M. Rutimeyer. Le Felis serval de Bize, qu'il conviendrait plutôt d'appeler Felis servaloides, ne nous à pas non plus fourni de nouveaux débris ; mais il a été retrouvé par l’un de nous parmi les nombreux ossements composant les brèches du parc de Lavalette, près de Montpellier, et parmi ceux que M. le docteur Delmas a trouvés dans les brèches de Castries (Hérault). C’est donc sur quelques espèces seulement que porteront nos remarques; mais comme ces espèces sont le Cheval, le Chamois, le Bos primigenius, le grand Bouc rapporté à l'Ægagre par Marcel de Serres, et le Renne, elles paraïîtront peut-être dignes de fixer l'attention des personnes qui s'intéressent aux questions relatives aux premiers habitants humains de nos contrées. Nous y ajoute- rons quelques remarques sur les coquilles marmes enfouies dans le même gisement et sur les instruments d'os, de bois de Renne ou de pierre, qu’on trouve mêlés aux restes de ces animaux et à l'Homme. primitifs. M. Tournal; d'ailleurs, en avait trouvé lors de la publication de sa première Notice, mais sans reconnaitre leur véritable signification. Il en parle dans son travail, après avoir signalé les cailloux roulés, qui sont cependant très-rares, en les appelant des fragments de quartz pyromaque à angles très-vifs. Ils sont très-nombreux par endroits et leurs formes sont assez diverses, mais leurs dimensions sont moyennes ou même petites. M. Brinckmann, qui est devenu un naturaliste habile, en a parlé, en 4861, dans une courte Notice insérée dans un journal de mélanges qui paraissait alors à Ham- bourg, sous le titre de Braga. » (P. Gervais, Remarques sur l'ancienneté de l'Homme tirées de l'observation des caver- nes à ossements du bas Languedoc, dans Comptes rend. Acad. sc., t. LVIII, p. 230.) (1) On conserve un beau fragment d’un maxillaire inférieur de cette espèce au musée de Narbonne. OSSEMENTS DE LA CAVERNE DE BIZE. 69 La constatation de ce fait que les Cervus Reboulii, Leufroyi et Tournalii de Bize, décrits par Marcel de Serres, et même en par- tie son Cervus Destremüi, ne sont que des doubles emplois du Cervus tarandus, c'est-à-dire du Renne, nous conduit à rappor- - ter aussi au Renne les Cerfs signalés par le même auteur dans d'autres cavernes à ossements, sous les noms qui viennent d’être rappelés 1er. Il indique, par exemple, le Cervus Reboulii, ainsi que les Cervus Tournalii et Leufroyi dans les cavernes de Sallèles et de Saint-Nazaire (Aude), situées, comme celles de Bize, dans l'arrondissement de Narbonne, et nous avons en effet, de la pre- mière de ces localités, des os de Renne fracturés de la même manière que ceux de Bize; ils font partie de la collection de Christol. Marcel de Serres cite également, dans la caverne d’Argou (Pyrénées-Orientales), les Cervus Tournalii et Reboulii. A la vérité, il les donne aussi à la caverne de Mialet (Gard); et pourtant la belle collection d’ossements recueillis dans cette der- nière localité, que possède la Faculté des sciences de Montpel- lier, ne renferme certainement aucun ossement de Renne. Brze, Sallèles, etc., ne sont pas les seules cavernes où les os fracturés des Rennes aient été observés avec certitude. Il s’en rencontre à Bruniquel (Tarn-et-Garonne), à Lourdes (Hautes- Pyrénées), dans la grotte des Espeluges (Hautes-Pyrénées), dans celle d'Espalunge (Basses-Pyrénées), dans celle des Eyzies et ailleurs, aux environs de Sarlat (Dordogne), dans celle de Savi- gné (Vienne) ; c’est ce qu'ont dernièrement constaté MM. Lartet, Christy et Garrigou (1), ainsi que plusieurs autres observa- teurs (2). La présence des débris du Renne est donc bien constatée dans le midi de la France, et le nombre des individus de cette espèce (4) Voyez les Comptes rendus de l'Académie des sciences de Paris pour 1863 et 1864. (2) D'autres gisements français du Renne sont les suivants : brèches de Montmorency et environs d'Étampes (Seine-et-Oise) ; caverne d’Aldène, près de Cesseras (Hérault) ; caverne de Balot, près de Châtillon-sur-Seine (Côte-d'Or); caverne de Brengues (Lot) ; atterrissements des environs d’Issoire (Puy-de-Dôme) ; tranchée de Tullin, près de Grenoble (Isère). Dans plusieurs d’entre eux, les os de ce Mammifère n’ont pas subi l’action de l'Homme. LS 70 P, GERVAIS ET BRINCKMANY. que l'Homme y à abattus, il est vrai, à une époque encore indé- terminée, mais fort ancienne, a dû être considérable, puisque, dans certaines grottes, les ossements de cette espèce indiquent des sujets très-nombreux et aussi différents les uns des autres par leur taille que par leur âge ou la forme de leurs bois. C’est en particulier ce que nous avons pu constater pour la grotte de Bize. On sait qu'il a aussi vécu des Rennes en Auvergne; et bien avant les travaux dont cette espèce de Mammifères vient d’être l’objet, Bravard et M. Pomel avaient cité le même animal parmi ceux regardés comme diluviens, qui sont enfouis dans les sédi- ments supérieurs de cette partie de la France (1). Nous pour- rions ajouter que des observations analogues viennent d'être faites dans d’autres parties de l'Europe centrale : en Angleterre, en Belgique et en Allemagne, Les Küjkkenmüddings du Dane- mark renferment également un grand nombre d’ossements con- cassés du Renne, et il en a aussi été trouvé en Suisse, par M. Taillefer, dans une caverne située au-dessus du pas de l'Échelle, près de Genève. Mais cette espèce manque à la faune des habitations lacustres du même pays, à celle des tourhières et aux sédiments des cavernes qui sont contemporaines de ces dernières. Comment expliquer la présence, dans nos contrées, de ces débris fragmentés d’un grand Quadrupède dont l'espèce ne vit plus aujourd'hui que dans les régions les plus septentrionales : in partibus aquilonis, versus polum arcticum el etiam in partibus Norvegie et Sueviæ, comme le disait déja Albert le Grand, mort en 1280? Faut-il y voirdes animaux enfouis en même temps que les grandes espèces aujourd'hui anéanties dont le diluvium et les cavernes recélent les ossements? En d’autres termes, les sque- lettes de Rennes fracturés de main d'Homme, que les localités (1) « Enfin, nous terminerons en rappelant que ces atterrissements renferment des bois de Renne qui semblent avoir été travaillés par la main des hommes, et qu'on trouve parfois avec eux des silex cultriformes, mais jamais de poteries, même les plus grossières, et pas certainement encore des débris humains enfouis avec eux. » (Pomel, Bull, Soc. géol., 1844, p. 535.) OSSEMENTS DE LA CAVERNE. DE BIZE. 71 citées plus haut nous fournissent, sont-ils aussi anciens que ceux trouvés par M. Delpont ou M. Puel dans la caverne de Brengues (département du Lot), au ilssont mêlés au Rhinoceros tichorhinus et au Cervus megaceros (1); et la preuve que l'Homme en a été le contemporain, suffit-elle pour assigner à notre espèce la même antiquité qu'aux grands Mammifères éteints? Seraient-ce au contraire les débris de ces Rennes que, au dire de Buffon, Gaston Phœæbus (2) aurait chassés dans les Pyrénées, sous le nom de Rangiers? Mais Cuvier à vérifié sur le manuscrit offert par Gaston lui-même à messire Philippe de France (3), duc de Bour- gogne et quatrième fils du roi Jean, que les Rennes dont parle Phœbus, cet infatigable chasseur les avait vus en Norvége et en Suède, et Phæbus, dans cet écrit, assure qu'il n’y en pas en pays romain, c'est-à-dire dans nos contrées (4). Ni l’une ni l’autre de ces deux opinions extrêmes ne saurait donc être acceptée. À l’époque où vivaient à Bize, et dans les autres localités citées plus haut, tant de Rennes dont les asse- ments sont restés dans le sol des cavernes après avoir été con- cassés, les grands animaux diluviens avaient disparu de nos contrées, probablement détruits par limmense extension des phénomènes glaciaires. Aussi ne recueille-t-on pas leurs débris à Bize, les assises à ossements de Rennes fracturés étant plus ré- centes que celles qui remontent réellement au diluvium. On se tromperait donc étrangement si l’on voulait regarder ces Rennes comme ayantété contemporains des époques dont l'histoire, ielle que nos connaissances agtuelles l'ont formulée, nous donne la description, et il n’est pas davantage présumable qu'ils remon- (4) Cuvier disait, au sujet du Renne de Brengues: « Mais comment admettre que le Renne, aujourd'hui confiné dans les climats glacés du Nord, ait vécu en identité spéei- fique dans Les mêmes climats que le Rhinocéros? Car il ne faut pas douter qu'il n'ait été enseveli avec lui à Brengues. Ses os y étaient pêle-mêle avec ceux de ce grand quadru- pède, enveloppés de la même terre rouge et revêtus en partie de la même stalactite. » (Ossem. foss., t. IV, p. 94.) (2) Gaston IL, comte de Foy et seigneur du Béarn, mort en 1390. (3) Plus connu sous le nom de Philippe k Hardi, et qui mourut en 4404. (4) Le manuscrit porte : « J'en ay veu en Nourvegue et Xuedene et en ha oultre mer, » mes en Romain pays en ay je peu vus. » 72 P. GERVAIS ET BRINCKMANN. tent aux premiers âges quaternaires. Les temps où vivaient ces animaux sont antérieurs à ceux où les Romains, et sans doute aussi les Phocéens et même les Phéniciens, se sont montrés sur la terre des Celtes, et il se pourrait que des peuples venus du Nord, des Lapons, peut-être des Finnois, eussent conduit dans nos régions des troupeaux de Rennes, dont les dépouilles osseuses conservées dans le sol sont devenues pour la science de pré- cieux documents intéressant non-seulement l’histoire natu- relle, mais aussi l’histoire proprement dite. Leur étude peut contribuer à étendre les horizons que cette dernière a jusqu'ici embrassés. | Les Finnois, qui ont survécu à leur propre puissance, forment une petite famille de peuples blancs appartenant au rameau scythique, et par conséquent supérieurs aux Lapons. Ils, s’éten- dent de nos jours sur les deux côtés de l’Oural, depuis la Bal- tique jusqu'à l’est de l'Oby (1). On s'accorde à les considérer comme étant les descendants de hordes autrefois plus nombreuses et plus puissantes, qui ont été refoulées ou conquises par les Mongols, les Tures et les Slaves. Au v° siècle de l'ère actuelle, ils étaient encore indépendants, et l’on a même dit, mais à tort, qu'Attila était un des leurs. C’est là, du reste, un point sans inté- rêt dans la question qui nous occupe, puisque les conquêtes de ces tribus septentrionales dans le midi de l’Europe, et leur appa- rition possible jusque sur les bords de la Méditerranée, où elles auraient conduit ou utilisé le Renne, seraient antérieures aux plus anciens documents historiques. Bien avant de lutter contre les Mongols, les Turcs et les Slaves, les Finnois auraient dû reculer devant la civilisation naissante des Celtes. Il n’est pas inutile de rappeler ici qu'il résulte des travaux de M. Dietrich (de Marbourg), que les Finnois ne possédaient, avant l'arrivée des tribus germaniques en Europe, que le Cheval et le Renne, et que, d’après le même auteur, la Chèvre, le Mouton et même le Bœuf, sans doute le vrai Bœuf ou Bos taurus, leur au- raient été apportés par les Scandinaves. (4) Voyez d'Omalius d'Halloy, Des races humaines. OSSEMENTS DE LA CAVERNE DE BIZE. 73 Mais ce ne sont là que des suppositions, et l’origine de nos ani- maux domestiques se perd encore dans la nuit des temps, comme celle de la plupart des populations elles-mêmes dont le centre de l'Europe est aujourd’hui couvert : on n’a pas établi davan- tage les caractères des populations qui se sont succédé sur le sol que nous habitons, et, dans la plupart des cas, leur filiation respective. L’ethnographie et la zoologie sont appelées à résoudre ces curieux problèmes ; mais les indications qui leur restent à re- cueillir sont si nombreuses , les découvertes qu’elles ont à faire sont si diverses et encore si peu prévues, qu’on ne saurait, dans l’état actuel de là science, procéder avec trop de prudence au milieu de ces difficiles questions. L'histoire seule du Bos primi- genius ou celle du Capra primigenia, et la notion de leurs rapports avec les races actuelles ou des différences qui les en séparent, sont de nouvelles preuves de la complexité de ces problèmes ; et ceux que soulève l'étude des premières luttes de l'Homme contre la nature ou de ses premières conquêtes sur le monde vivant sont infiniment plus difficiles à résoudre. do. Nous parlerons d’abord des Mammifères, dont certaines espèces, plus particulièrement le Cheval, le grand Bœuf et le Renne, ont laissé dans les sédiments terreux de la caverne de Bize de si nombreux ossements, mêlés à ceux de l'Homme et aux traces de son industrie. | Equus caballus. Equus caballus, Marcel de Serres, Cav. de l’Aude, p. 40, pl. 1, fig. 1, 5 et 5. Le Cheval est, après le Renne, l'animal qui a laissé le plus grand nombre de débris dans la grotte à ossements qui nous occupe. Nous en avons des dents pour la plupart isolées, un fragment considérable de maxillaire inférieur, et divers os des membres, particulièrement des phalanges, canons et astragales. 7h PB. GÜRVAIS ET BRINCKMANN. Lés carions ne sont pas fracturés, et le bord inférieur du maxil- laire qui Vient d’être signalé est également resté intact. À en juger par les troisièmes phalanges, on pourrait supposer là présence à Bize de deux races de Chevaux, l’une ayant cette phalange plus élévée et le pied plus haut, — Marcel de Serres l'a comparée aux races actuelles qui vivént dans les lieux arides et escarpés ; — l’autre ayant la même phalange plus large et plus plate, ce qui la rapprocherait des Chevaux propres aux lieux marécageux et humides. Bos primigenius. Bœuf aurochs (Bos ferus), Marcel de Serres, Cav. de l'Aude, p. 90, pl. 5, fig. 3. Ainsi que lui et ses collaborateurs l'avaient fait pour les osse- ments de grands Bœufs extraits de la caverne de Lunel-Viël, Marcel de Serres appelle Aurochs (Bos ferus) les Bœufs égale- ment de grande taille et sans doute spécifiquement identiques avec les précédents, dont on recueille des débris à Bize. Nous croyons qu'il faut les attribuer les uns et les autres au Bos primi- genius (4) de Bojanus, c’est-à-dire au Bœuf dont Cuvier a parlé comme constituant une espèce comparable au Bos taurus, mais de bien plus grande dimension. Marcel de Serres en cite à Bize : 1° Un fragment de maxillaire supérieur portant encore les quatrième et cinquième molaires : cette pièce a appartenu à un sujet encore Jeune. 2° Plusieurs molaires supérieures isolées. 3° La branche droite d’un maxillaire inférieur portant les deuxième à sixième molaires. La sixième mesure, dit-il, 55 millimètres. Cette pièce paraît ètre une de celles que nous avons observées dans la collection dé Christol ; cependant la sixième dent de celle que nous considé- rons comme identique a que 0",050, mesure prise au collet. h° Quelques molaires inférieures isolées. r (1) Voyez P. Gervais, Zoof. et Paléont. franç., p.134. OSSEMENTS DE LA CAVERNE DE BIZE. ." 5° Divers os dés extrémités, la plupatt mutilés. L'auteur en donne néañtoins les difhensions, ce qui fé laisse aucun doute sûr la grande taille des individus dont ils proviennent. Parmi les pièces qui sont sous nos yeux, nous citérons deux Mäxillaires inférieurs du côté droit, dont l'un, pourvu des deuxième à sixième molaires, est Hidiqué plus Haut; l’autre porte ses molaires en place, occupant ensemble uné longueur égale à 0",16. La sixième dent mesure A8 millimètres de longueur au collet (1). Cet os, qui appartient à la Faculté des sciences, était appliqué contre un maxillaire inférieur de Cheval, et retenu dans là même gañgue avec ce derniet, fait qui ne peut laisser aucun doute sur l'enfouissement simultané, à Bize, des deux espèces dont ces pièces proviénnent. Î Y a toutefois cette différence entre les deux os maxillaires inférieurs dont nous parlons, que celui du Bos primigenius a eu sa table osseuse fracturée sur le frais, sans doute par la main de l'Homme , ce qui est aussi le câs pour l'autre demi-mâchoire citée plus haut, mais que cela n’a pas eu lieu pour les os de Cheval. Il re reste, en effet, de nos deux maxillaires de grand Bœuf que l'arcade dentaire et la partie osseuse la plus voisine des dents ; celui de Cheval est entier sous ce rapport, et par conséquent sa partie la plus rapprochée du bord inférieur n’a pas été utilisée. On a trouvé ailleurs, dans des conditions d'enfouissement identiques avec celles de Bize, des os -de Cheval évidemment brisés par l'Homme. Les os du Bos primigenius de Bize, ceux du moins qui pou- vaient servir à faire des instruments ou fournir de la moelle, pré- sentent presque tous des traces de fracture violente. Tel est en particulier le cas d’un radius et aussi celui d’un canon antérieur, dont nous avons également observé les portions inférieures, appartenant l'une et l'autre à la collection de Christol ; à part leur état fracturé, ces pièces sont d’ailleurs tout à fait comparables avec les parties correspondantes du Bos primigenius de Lunel- Viel, et elles en présentent les principaux caractères. (4) Voici les dimensions des six dents en place sur ce maxillaire inférieur : Première, 43 millimètres de longucur sur 9%%,5 de large ; deuxième, 49 sur 43 3 troisième, 25 sur 16; quatrième, 27 ; cinquième, 32; sixième, 48. - 76 P. GERVAIS ET BRINCKMANN. Il résulte des détails que nous venons de donner, que les habi- tants humains de la caverne de Lunel-Viel ont été contemporains du Bos primigenius, et qu’ils ont tiré parti de cette grande espèce de Ruminants. On sait que le Bos primigenius existaitencore dans nos régions à l’époque, moins ancienne que celle caractérisée par les os bri- sés du Renne, où ont été déposés les atterrissements renfermant des os travaillés et des instruments de silex, des habitations la- custres de la Suisse. Les travaux de M. Rutimeyer ne laissent aucun doute à cet égard. L'un de nous a également signalé le grand Bœuf dans la grotte du Pontil, près de Saint-Pons, dont le remplissage, sous ce rapport du moins, est postérieur à l'existence du Renne dans nos régions (1). Bos taurus. Le Bœuf ordmaire a aussi été indiqué à Bize, etnous pouvons citer comme lui appartenant probablement une extrémité supé- rieure de radius fracturée qui provient de ce gisement. Il y a d'ailleurs des ossements d’un Bœuf de médiocre dimension dans plusieurs de nos cavernes du bas Languedoc. Capra. Capra ægagrus (partim ?), Marcel de Serres, Cav. de l'Aude, p. 88, pl. 4, fig. G et 7. — Capra primigenia, P. Gervais, Compt. rend. hebdom.,t. LVTIT, p. 236 (partim ?). Voici comment l'un de nous parlait, dans le travail qui vient d'être cité, de la grande race de Chèvres dont on trouve des osse- ments à Laroque, près de Ganges (Hérault), et dans d’autres cavernes habitées par l'Homme aux époques reculées, dont les paléontologistes s'occupent de nos jours avec tant d’ardeur : «Ce (1) Une des pièces appartenant au Bos primigenius, que les fouilles faites par nos soins à Saint-Pons nous ont procurées, est la moitié supérieure d’un métacarpien de cette espèce, taillé en coin, et qui paraît avoir servi de polissoir dans la préparation des peaux. Nous publierons la figure en même temps que celle de beaucoup d'instruments d'os provenant du même lieu, que nous possédons également. (P. G.) OSSEMENTS DE LA CAVERNE DE BIZE. 47 Bouquetin de Laroque aurait plus d’analogie, d’après les pièces très-peu nombreuses et très-mutilées que M. Boutin m'en a re- mises avec les Chèvres, mais ses pieds sont encore plus forts que ceux de ces animaux, et 1l était lui-même de beaucoup plus grande taille. C'est sans doute le même animal que Marcel de Serres a indiqué à Bize sous le nom d’Égagre, et celui dont M. Forel parle comme d’un Mouton supérieur aux nôtres en di- mension, dans sa MVotice sur les cavernes à silex taillés de Menton. qui sont peu éloignées de Nice. » Assurer que c’est bien l'Égagre serait aller au delà de ce que l'observation autorise encore ; mais 1l est évident que ces quel- ques débris osseux mutilés par les anciens habitants de notre pays indiquent un animal assez rapproché des Chèvres et des Bouquetins, quoique plus grand et plus trapu. On pourrait s’en faire une idée en supposant une Chèvre qui dépasserait en di- mensions les Chèvres actuelles, à peu près comme le Bos primi- genius dépassait nos Bœufs domestiques. Pour ne rien préjuger au sujet de ses rapports avec l'Égagre, je l’appellerai Capra pri- migenia. » À quelle époque cette race ou espèce a-t-elle disparu, et quels étaient ses véritables caractères? Voilà un nouveau pro- blème à résoudre pour les personnes qui s'adonnent à cette partie intéressante de la paléontologie si voisine de l'archéologie. » Marcel de Serres cite des Chèvres à Gondenaus (Doubs), où elles sont, dit-il, mêlées à des débris d'Ursus spelœus : il en in- dique aussi dans la caverne d’Argou (Pyrénées-Orientales). Les débris qu'il en décrit comme venant de Bize sont une branche du maxillaire inférieur etun métatarsien. La nature caprine du maxillaire mférieur qu'il représente ne saurait être mise en doute, et l’on peut y constater la grande longueur du füt des arrière- molaires, dont une est précisément figurée par notre auteur. Ce caractère se remarque aussi sur les grandes Chèvres de Laroque et de Menton. Nous avons retrouvé dans la collection de Christol la pièce origmale de la figure dont il vient d’être question; mais la cinquième dent, ainsi que la partie correspondante du maxil- laire, en a été séparée et perdue. Le bord inférieur de l'os dont 5e série. ZooL. T. IL. (Cahier n° 2.) 2 6 78 P, GERVAIS ET BRINCKMANN, nous parlons a été brisé et enlevé avant l’enfouissement, absolu- ment comme ceux des deux maxillaires du grand Bœuf dont nous avons déjà parlé, ou ceux du Renne dont il sera question plus loin. Une autre portion de maxillaire inférieur de Chèvre est inscrite dans la même collection de Christol comme recueillie à Bize, mais elle n’a pas la couleur caractéristique des fossiles de cette caverne, et nous n'en parlerons pas. Quoiqu'elle ne soit pas entière, son bord inférieur est resté intact. Ce morceau et le précédent n'indiquent pas des sujets sensi- blement supérieurs à nos Chèvres actuelles, et l’on pourrait les inscrire sous le nom de Capra hireus tout aussi bien que sous celui d'Égagre. Peut-être les canons cités plus loin, à propos de l’Antilope Christolh, doivent-ils être rapportés au même animal, [n’en est pas de même pour un autre canon de Chèvre trouvé à Bize. Marcel de Serres lui attribue, comme diamètre, à la partie inférieure, mesurée d'une poulie à l’autre, 0",038, tandis que la partie correspondante de la Chèvre ne mesure que 0",030. Un métatarsien conservé dans la collection Marcel de Serres, comme provenant d’une cinquième espèce de Cerf découverte à Bize, est peut-être la même pièce, et c'est plutôt un os de Chèvre ou de Bouquetin qu'un os de Cerf. Le dessin que nous en avons fait, mais qui n’a pas été reproduit sur nos planches, présente aussi de l’analogie, par sa forme et par ses dimensions, avec une partie inférieure du canon, certainement fracturé par l’homme, que M. Boutin nous a envoyée de Laroque, et que nous attri- buons au Capra primigenia. I est à regretter que nous ne possédions encore qu'un si petit nombre de pièces appartenant à cette dernière espèce, et nous devons avouer que sa diagnose est encore bien loin d’être établie d’une manière définitive. OSSEMENTS DE LA CAVERNE DE BIZE. 79 Chamois. Antilope Christolii, Marcel de Serres, Caw. de l Aude, p. 84, pl. V, fig. 5. — Rupicapra, P. Gerv., Zool. et Pal. franc. , p. 141. Marcel de Serres a rapporté à une Antilope un certain nombre d’ossements recueillis à Bize, dont il donne les dimensions et la description comparativement avec les mêmes os pris dans la Chèvre ; mais il n’insiste pas sur les analogies qu'ils présentent plus particulièrement avec ceux des Chamois. C’est en effet au genre de ces animaux qu'il faut les réunir, en partie du moins; mais nous n'avons pas en notre possession assez d'éléments de comparaison pour décider encore s’ils sont d’un Chamois plutôt identique à celui des Alpes qu’à celui des Pyrénées; il nous est done impossible de dire avec certitude si les Chamois enfouis à Bize constituaient une race ou une espèce à part. Un nouvel examen du moule en plâtre que nous avons fait faire de la corne figurée par Marcel de Serres (pl. V, fig. 5 de son mémoire), avec celle du Chamois, confirme le classement générique que nous proposons de l’Antilope de Christol, mais sans nous donner aucune indication nouvelle au sujet de ses véritables caractères spécifiques. L'un de nous a publié (1), au sujet des os de Chamois trouvés à Bize, l'observation suivante : « Deux parties inférieures de canons de Chamois que j'ai sous les yeux ne comprennent plus que les parties digitales et une très-courte longueur de la dia- physe. Ilestaisé de reconnaitre qu'ils ont été brisés violemment et par le fait de l'homme, ce qui s'observe fréquemment pour les os analogues et autres os longs que l'on trouve dans les cavernes où l'homme a eu accès, lorsque ces pièces proviennent d’ani- maux ayant vécu à la même époque que lui. L'homme primitif, en effet, cassait Les os longs, qui sont remplis de moelle, pour en retirer cette substance. » Le canon dont il s’agit a sans con- (1) P. Gervais, Comptes rendus hebdomaduires, t. LVIIL, p. 232. 80 P. GERVAIS ET BRINCKMANN. tredit la plus grande analogie avec la partie correspondante du double métacarpien d'un Chamois, mais il en à aussi avec celui d'une Chèvre; toutefois nous le rapporterions plutôt au premier de ces deux genres qu'au second, si un canon antérieur entier, qui appartient à la collection de Christol, n’était sensiblement plus court que celui du Chamois, tout en ayant la même lar- geur. Il mesure 0°,110, tandis que celui du Chamois est long de 0",115. Le canon antérieur d’un jeune Bouc de notre collec- tion en diffère assez peu ; il a 0",115, mais il est épiphysé, et l'os fossile de Bize ne l’est pas. Nous n'avons pas sous les yeux l’ensemble des pièces pu- bliées par Marcel de Serres comme appartenant à son Antilope Christoli. Cervus tarandus. Cervus Reboulii, Marcel de Serres, Cav. de l'Aude, p. 65, pl. Il, fig. 3 et h. — Capreolus Leufroyi id,, ibid., p. 72, pl. IV, fig. 4. — Capreolus Tournalü, id., ibid., p. 75, pl. WE, fig. 1; pl. IV, fig. 3 et 4 ; pl. V, fig. 1 ; et pl. VE fig. 1, 2. — Cervus Destremii (partim), 1d., 1bid., p. 57. C'est au Renne (Cervus tarandus) qu'appartiennent, ainsi que nous l'avons déjà dit, la plupart des ossements enfouis dans la grotte de Bize : environ les cinq sixièmes de ces ossements. Ils représentent tous les parties du squelette de cette espèce, et ont appartenu à un nombre considérable d'individus. Il y à des frag- ments de bois isolés, des bases et parties de ces appendices encore en place sur la portion du frontal qui les portait, des mâchoires supérieures avec leurs dents, des maxillaires infé- rieurs aussi garnis de ces organes ; des vertèbres, des côtes, des portions d’omoplates ou de bassins et des pièces de toutes les régions des membres. Certains sujets étaient plus grands, d’au- tres plus petits, et il n’est pas douteux qu'il y ait eu sous ce rapport une assez grande diversité parmi ces animaux. Les os sont rarement entiers, mais 1l en est qui n'ont subi aucune fracture, et l’on n’y voit pas non plus de traces d'usure, ce qui indique qu'ils n’ont pas été roulés après avoir été déchar- OSSEMENTS DE LA CAVERNE DE BIZE. 81 nés ; de ce nombre sont les osselets ou astragales. La décou- verte au même lieu de métacarpiens et métatarsiens latéraux également intacts est une nouvelle preuve à cet égard. La forme de ces dernières pièces pourrait les faire regarder comme des os travaillés par l'homme, car elles ressemblent assez bien à des stylets dont la pointe aurait été cassée ou usée ; mais la compa- raison avec les mêmes parties dans nos squelettes de Rennes ne laisse subsister aucun doute sur leur état d'intégrité. D’autres os sont, au contraire, brisés. Ainsi les têtes n’en sont pas entières, et leurs fragments sont séparés les uns des autres ; les màchoires inférieures ont souvent toutes leurs dents, mais leur bord inférieur a été enlevé dans toute sa longueur, et les lèvres de la fracture ont conservé tous leurs angles, ce qui prouve aussi qu'iln'y à pas eu transport d'un lieu à un autre. De mème pour les os longs, humérus, radius, fémurs, tibias et canons, ceux-ci antérieurs ou postérieurs. On n'en trouve habi- tuellement que les extrémités épiphysaires, qui toutes ont été séparées de leur diaphyse par fracture, et de manière à per- mettre d’en retirer la moelle. A Bize, et dans un certain nombre d’autres localités, telles que Sallèles, etc., ce mode de fracture se reproduit exactement le même, et les cassures sont restées aussi fraiches que si elles venaient d’être opérées. Nos figures eu donnent une idée suffisamment exacte, pour qu'il soit inutile d'insister sur la manière dont ces ossements ont été brisés. Qu'il nous suffise de rappeler que ces conditions de brisure violente sont aussi celles des os trouvés dans les Kjokkenmoddings (1) du Danemark et de la Suède, et dans la plupart. des cavernes de l’Europe centrale où l’homme a autrefois séjourné, tandis que les ossements enfouis dans celles de ces cavités sur lesquelles 1l n'a pas eu d'action ne présentent rien de semblable. Lorsque ces derniers ossements ont été attaqués avant leur enfouissement et plus ou moins mutilés, ils l'ont été par les grands Carnivores, plus particulièrement par les Hyènes. Ce sont leurs (1) Dénomination danoise signifiant débris de cuisine, c'est-à-dire reste de l’alimentu- tion humaine. 89 P, GERVAIS ET BRINCKHMANN. épiphyses qui sont alors entamées, et l’on voit encore sur les points auxquels la brisure s’est étendue la trace des canines des animaux qui s’en sont nourris. Les os recueillis dans lés cavernes de Lunel-Viel, et dont la Faculté des sciences de Montpellier possède une très-belle série, Ac de nombreux exemples de ce mode d’altération. Les os fragmentés qui abondent dans la caverne de Bize sont donc, comme ceux des Kokkenmodings, les restes des ani- maux mangés ou utilisés de diverses manières par les hommes, et la chair du Renne à dû être l’un des principaux moyens d'alimentation de ces derniers, en même temps que sa peau, diverses pièces tirées de son squelette, ses bois, etc., servaient à fabriquer des vêtements et une foule d’autres objets usuels. C'est ainsi que les choses se passent de nos jours chez les La- pons et chez divers peuples des régions polaires, d'après les- quéls il nous est possible de nous faire une idée exacte des hordes sauvages établies, à une époque si reculée, jusque dans nos contrées méridionales, et dont le Renne était aussi la principale - richésse. Aucun des naturalistes qui se sont précédemment occupés des ossements enfouis à Bize n'a traité ce côté important des pro- blèmes que soulève l'étude de ces débris fragmentés, et ce n’est que par suite des études récentes de M. Steenstrup sur les amas ossifères du Danemark, qu'une explication satisfaisante a pu en être donnée. Ce qui avait surtout préoccupé l'auteur de la Motice sur les cavernes de l’ Aude et ses collaborateurs, Jeanjean et de Christol, c’est la détermination spécifique des osséments eux-mêmes. Mais le peu de moyens de comparaison dont ils disposaient les a empêchés d'arriver sur ce point à des résultats suffisamment exacts ; et, en ee qui concerne le Renne, ils ont attribué à quatre espèces supposées par eux différentes de celles qu'on avait alors décrites, les ossements qu'ils ont pu en étudier. Nous avons revu dans les collectons Marcel de Serres et de Christol la plupart de ces pièces, et nous n'avons plus aucun doute à cet égard, ayant comparé ces pièces soit à des ossements de Rennes trouvés à OSSEMENTS DE LA CAVERNE DE BIZE. 83 Brengues, soit à des squelettes de Reunes actuellement vivants dans les régions polaires. Les pièces provenant d'individus de taille moyenne sont en général celles qui ont servi à l'établissement du Cervus Reboulii ; d'autres plus grandes répondent au Cervus Tournalii, et celles dont les dimensions étaient moindres ont conduit à la distinction du Cervus Leufroyi. En outre, nous en retrouvons quelques autres parmi les matériaux qui ont servi à fonder le Cervus Destremii, tandis que certaines pièces, regardées comme étant de cette dernière espèce, peuvent être rapportées avec assez de certitude au Cerf ordinaire. | Un seul des ossements décrits par Marcel de Serres nous a offert de véritables difficultés, c’est la portion considérable d’un bois encore adhérente à un fragment de crâne, qu'il décrit à la page 81 de son mémoire, et figure sous le n° 1 de la planche III du même travail. Il le donne comme étant du Cervus Tournalii. et range celui-ci parmi les Capreolus, genre de Cervidés carac- térisé par des bois plus ou moins aplatis, pourvus d’un andouiller médian et d'un andouiller supérieur bifurquant la perche, mais sans andouiller basilaire. Les dimensions de ce bois devaient faire penser à un Capreolus bien supérieur pour la taille au Che- vreuil ordinaire, et se rapprochant à plusieurs égards du Cervus sohilhacus signalé par M. Félix Robert aux environs de Polignac (Haute-Loire). Un nouvel examen dela pièce dont il s’agit nous avait conduit à admettre qu’elle pouvait provenir d’un Élan encore jeune, de trois à cinq ans, par exemple; mais sa forme aplatie n'exclut pas la possibilité qu’elle ne soit plutôt d'un Renne. Elle en appuie au contraire la supposition, et, en comparant cette pièce avec l’Élan et le Renne, nous avons acquis enfin la certitude qu’elle devait être attribuée à la seconde de ces espèces, puisqu'on y remarque aussi la suture fronto-pariétale filant au-dessous de l'insertion du bois, et que l'implantation de celui-ci est conforme à ce que l’on voit dans les Rennes, et différente au contraire de ce qui a lieu dans l’Élan, où il naït au-dessus des orbites, tandis que chez le Renne il repose sur la voûte cérébrale. La variété ou 8! P, GERVAIS ET RRINCKMANN. l’âge du Renne, auquel se rapporte le bois type du Cervus Tour- nali, répond au Renne à bois larges et palmés, dont Cuvier et M. Owen ont décrit des exemplaires. C'est de même au Renne qu'ont appartenu les dents plus grandes que les autres, et auxquelles on supposait des carac- tères qui, en définitive, sont également ceux de l'espèce actuelle à laquelle nous les attribuons. Cervus elaphus. Cervus Destremii (partim), Marcel de Serres, Cav. de l'Aude, p. 97. Quelques comparaisons nous ont conduit à admettre que plu- sieurs des pièces dont il est question dans la MWofice sur les cavernes de l’Aude, sous le nom de Cervus Destremii, appar- tiennent au Cerf, soit à l'Élaphe proprement dit, soit à une varieté fort peu différente de celle qu’on a nommée Cervus cor- sicanus. Plusieurs dents sont, en particulier, dans ce cas, et l'examen des os, qui sont également inscrits sous ce nom dans les collections que nous avons consultées, conduit au même ré- sultat ; quelques-uns paraissent cependant provenir du Renne, et, s’il y a eu ici confusion, cette confusion est très-excusable en présence de pièces peu nombreuses et en général mutilées du Cerf véritable , que la caverne de Bize a jusqu'à présent fournies. $ 4. Il nous reste à donner quelques détails au sujet des objets diversement faconnés par la main de l’homme, que l’on trouve à Bize mêlés aux ossements des animaux dont il vient d’être question. 4° Instruments d'os. Le Musée de Narbonne possède des fragments de bois de Rennes trouvés à Bize, et qui portent l'empreinte des instruments avant servi à les couper. Marcel de Serres en donne lui-même OSSEMENTS DE LA CAVERNE DE BIZE. 85 deux morceaux très-reconnaissables pour provenir du Renne, dans les figures 2 et 3 de la planche VI de son mémoire. Les fouilles continuées au même endroit ont aussi fait décou- vrir plusieurs fragments d’os ou de bois de Cervidés, taillés en stylets. L'auteur cité en à même représenté un, et nous en possédons d’autres dont la forme est un peu différente. Nous en publions trois qui sont assez curieux. Le premier porte plusieurs cannelures longitudinales, n’arri- vant pas jusqu'à la pointe, et qui longent une successiorrde grosses cannelures obliques marquées sur un des pans de cette espèce de poinçon. Le second est aussi en pointe, mais plus grêle et plus long, et sur le milieu de sa face aplatie se remarquent deux cannelures séparées par une saillie costiforme. Notre numéro 5 offre une autre forme de pointe encore diffé- rente des précédentes. Une portion d'os long était disposée en polissoir. Enfin nous donnons sous le numéro 1 un autre spécimen d'instruments faits d'os. C’est une sorte de lame cultriforme, que l’on comparerait à un poignard si elle était en métal. Ses bords sont émoussés par l'usure, et son sommet est appoint. Quelques fines stries, dues au frottement, se remarquent vers la partie la plus voisine de sa pointe, sur la surface lisse qui est formée par la partie extérieure de l'os employé à fabriquer cet instrument. Nous signalerons encore un autre os travaillé découvert à Bize : c’est une portion inférieure du tibia, sans doute de Chèvre, dont la diaphyse est taillée obliquement en pointe. Cette sorte d'instrument se retrouve dans les habitations lacustres de la Suisse et dans la caverne du Pontil. Le tibia usé en style tdont il vient d’être question est conservé dans le Musée de Narbonne. 20 Instruments de silex. Nous avons cru devoir signaler aussi quelques pointes et couteaux de silex, genre d'objets très-abondant, par endroits, dans les sédiments ossifères de B1ze. 86 P. GERVAIS ET BRINCKMANN. Le silex n° 6 est mince, grêle et de petite dimension; les deux autres sont plus forts, et le sommet de celui n° 8 est resté intact. Ce sont sans doute des pointes de lances ou des pointes de flèches ; elles sont taillées suivant la forme primitive. La caverne dont elles proviennent ne nous en a fourni aucune ayant une apparence soit losangique, soit en feuille de myr- the, comme il s’en rencontre dans les dépôts de la seconde époque de pierre, avec les haches usées, dites aussi haches celtiques. Un silex taillé, également découvert à Bize, devait avoir près de 0",14 de longueur; sa partie conservée mesure à elle seule 0",14. Ce couteau à été retouché sur sa longueur, et sés bords ont été amincis par l'enlèvement de petits éclats, ce qui lui donné une apparence ondulée que n'ont pas ceux dont nous venons de parler. Il appartient maintenant au Musée de la ville de Hambourg. Les silex travaillés de Bize sont enfouis dans la même couche que les autres objets faconnésdont nous avons parlé plus haut, et ces couches renferment aussi des os humains et des os fracturés d'animaux, particulièrement des os de Rennes. Ainsi que nous l'avons déjà dit, les os humains y sont fort rares. L'apparence de ces amas est celle d’une brèche tendre, à pâte terreuse, de cou- leur brun rougeûtre. 3° Coquilles marines. Les fouilles entreprises à Bize, y ont fait rencontrer, dans les mêmes sédiments terreux que les os de l'homme, et avec les ossements, pour la plupart brisés, des Ruminents dont nous avons parlé, des coquilles marines appartenant à diverses espèces. Il y en a au musée de Narbonne, où nous les avons vues, et nous en possédons nous-mêmes plusieurs. Marcel de Serres en avait déjà cité quelques-unes dans son mémoire, comme se rapportant aux espèces suivantes : Pectunculus glycimeris (4), (4) C'est le Petoncle ordinaire (Pectunculus violacescens). OSSEMENTS DE LA CAVERNE DE BIZE. 87 Pecten jacobœus, Mytilus edulis, Buccinum reliculatum et Natica millepunctata. Cet auteur ajoute que les coquilles de cette der- nière espèce ont à peu près perdu leurs couleurs, et que l'on n'y voit plus la trace des nombreuses ponctuations qui les ornent à l’état frais. De même que les Mytilus etles Pecten recueillis avec elles, elles happent assez fortement à la langue. Marcel de Serres fait en outre la remarque que les espèces observées à Bize sont actuellement propres à la Méditerranée. Suivant lui, la pré- sence de ces coquillages au milieu des limons ossifères de la caverne qui nous occupe « ne prouve nullement que ce soient des alluvions marines qui les aient entraînés dans ces cavités; elles ne l’annoncent pas plus que les dents de squales qui se trouvent dans les limons graveleux inférieurs des cavernes de Lunel-Viel; ces coquilles étaient probablement répandues sur le sol, au mo- ment où les courants ont entrainé les limons, les cailloux roulés et les ossements au milieu desquels elles ont été trouvées. » «Entrainés par les courants...» , dit Marcel de Serres; cela serait possible ; mais alors il faudrait expliquer comment ces coquilles se trouvaient sur le sol avoisinant la caverne, et c’est ce que ni lui ni aucun auteur n’a encore essayé de faire. Ce n’est pas la seule fois qu’on a rencontré dans des dépôts quaternaires exclusivement dus aux eaux douces et formés plus ou moins loin des mers, des débris d'animaux marins, particuliè- rement des coquillages. À Lunel-Viel, dans la caverne si riche en ossements, dont ilest souvent question dans les ouvrages de géo- logues, il s’en observe aussi, et elles sont associées aux dents des squales qui viennent d’être rappelées plus haut. Mais ici, 1l est évident que le lavage des calcaires miocènes formant les parois de la caverne explique leur présence. Ces espèces sont d'ailleurs identiques avec celles qui sont fossiles dans ces calcaires. On ne saurait admettre qu'ilen soit de même pour les coquilles marines de Bize, puisque ces coquilles appartiennent évidem- ment à des espèces actuellement vivantes, et que les calcaires environnants sont de l’époque nummulitique ou même juras- sique. Il a été aussi recueilli des coquilles évidemment marines, dans 88 P, GERVAIS ET BRINCKMANN. les dépôts, regardés comme diluviens, de la Limagne d’Auver- gne, dans ceux du bassin de Paris, ete. Les exemples en sont rares, mais tout à fait authentiques, et l'explication de ce phéno- mêne à beaucoup préoccupé les géologues. M. Pomel a consa- cré aux coquilles marines observées dans la Limagne d’Auver- gne quelques lignes qu'il ne sera pas inutile de reproduire 1c1. Les voici : « Nous fixerons aussi l'attention des naturalistes sur un phé- nomène qui, dit ce naturaliste (1), s’observe assez rarement, mais qui est très-remarquable. Nous voulons parler des fossiles marins répandus sur le sol dans les atterrissements, et mêlés avec des alluvions quartzeuzes, qu'à l'exemple de M. Rozet nous avons regardées comme antérieures aux éruptions volcaniques. Ces fossiles ont tous été évidemment pris dans des couches plus anciennes et entraînés par une cause qu'on ne peut reconnaître dans notre vallée de Limagne. Nous avions nous-même recueilli un Mollusque dans l’atterrissement de Juvillac ; il a été reconnu par M. Lyell pour un Pleurotome des faluns. M. Bravard, depuis cette époque, a trouvé au même endroit deux Vatices, que M. Lyell a aussi déterminées. Nous signalons ces faits sans pouvoir en donner aucune explication, car les terrains marins gisent à une très-grande distance de l'Auvergne, et il serait un peu hardi de faire monter vers le plateau central un courant qui, venant du Nord, aurait entraîné les fossiles silicifiés des terrains qu'il aurait traversés, et n’aurait laissé dans la contrée que nous décrivons aucun dépôt reconnaissable. » Si l’on rapproche ce passage de celui que nous avons précé- demment emprunté au même auteur, et dans lequel est signalée la présence, dans les mêmes terrains, de bois de Rennes travail- lés par l’homme, ainsi que celle de silex taillés, n’est-on pas en droit d'admettre que les coquilles marines trouvées en petit nombre dans les terrains superficiels de la Limagne ne sont, pas plus que celles recueillies à Bize ou ailleurs dans des conditions analogues d'enfouissement, des coquilles portées par les eaux ou (4) Bulletin Soc. géol., 1844, p. 595. OSSEMENTS DE LA CAVERNE DE BIZE. 89 dont la présence serait die à quelque phénomène purement physique ? Il paraît évident que c'est l’homme lui-même qui les y à laissées. En Auvergne, à Bize, etc., un même genre se retrouve, celui des Natices, et l’on sait que ce sont aussi des coquilles analogues que les naturels de l'Océanie recherchent pour en faire des colliers, des couronnes et d’autres ornements. Les Natices de Bize ne peuvent laisser à cet égard l'ombre d’un doute, car elles portent encore sur la face convexe de leur der- nier tour le trou qui servait à les attacher, et ce mode de perfo- ration est aussi celui auquel ont recours aujourd’hui les peuples sauvages qui font usage de semblables objets. Le musée de Narbonne possède une Natice et une Monodonte de Bize, sur lesquelles cette perforation est très-évidente. Le même travail s'observe aussi fort nettement sur un Turbo neri- toides que nous avons recueilli. Un Cyclonassa neritæa et un Cyprœa coccinella, l'un et l'autre également recueillis à Bize, portent aussi au même point une perforation qui a pu servir à les enfiler: mais comme ce trou est irrégulier, qu'il résulte d'une cassure, et, qu’en outre, les bords en sont irréguliers, on ne saurait en attribuer, avec une égale certitude, la perfora- tion à la main de l’homme. Il n’y a au contraire aucun doute relativement à un fragment de la valve concave d’un Pecten, lequel Pecten était au moins grand comme le P. jacobœus. Ce fragment présente un trou rond ayant servi à le suspendre, trou qui à été fait par un instrument térébrant. On ne saurait confondre cette perforation avec celles que les Buccins et autres Gastéropodes font souvent aux coquilles bivalves pour en man- ger le Mollusque. Une partie du pourtour de la face externe s’est légèrement écaillée autour de ce trou, sous l'influence de l'instrument au moyen duquel celui-ci a été prati qué. Il est d’ailleurs placé sur l’auricule de la coquille, et ce n’est point cet endroit que les ennemis des bivalves choisissent pour les perforer (1). (4).Nous avons trouvé le Cerithium vulgatum à la Valette, près de Montpellier, dans l'excavation des rochers oxfordiens de la rive droite du Lez appelée Trou de la Glacière. 90 P. GERVAIS ET BRINCKMANN. $ 5. Dans ‘l’état actuel, le sol de la caverne de Bize est en partie recouvert de sédiments remués pendant les fouilles dont il a été l'objet à tant de reprises, et ces sédiments remaniés renferment encore quelques débris osseux provenant des couches plus pro- fondes. Celles-ci peuvent être distinguées ainsi qu'il suit, du 1 y était mêlé à des débris humains, à des poteries primitives, etc. C'est ce gisement qui nous a aussi fourni un fragment de maxillaire inférieur du Felis servaloïdes. Les auteurs des Recherches sur les cavernes de Lunel- Viel ont décrit, comme appar- tenant au Serval (Felis serval de Linné), qui vit en Afrique et dans l'Asie méridionale, diverses pièces osseuses et des mâchoires avec leurs dents, indiquant une espèce de Felis peu différente de celle à laquelle ils Les ont attribuées ; mais ce Felis n’est pas le Seryal vrai, et l'espèce européenne que ces pièces nous font connaître pourra prendre le nom de servaloides, sous lequel M. Pomel l’a inscrite, en 1853, dans son Catalogue des vertébrés fossiles de l'Allier. Des restes d’un Felis analogue ont été indiqués par le même observateur, sous le nom de F. lyncoïdes, dans les dépôts de Coudes et de la Tour-de-Boulade, près d’Issoire ; c'est le même qu'ilavait précédemment d’inscrit (Bu//. soc, géol., 1842, p. 205) comme étant peut-être identique avec le prétendu Seryal de Lunel-Viel. Le Felis servaloïdes mérite d'être signalé d’une manière spéciale aux paléontolo- gistes qui s'occupent de l'extinction successive des Mammifères sauvages, dont tant d'espèces, aujourd'hui disparues de notre pays, S'y trouvaient réunies dans les premiers temps de la période quaternaire, et rendaient la Faune de l'Europe tout à fait compa- rable par sa richesse à celles qui peuplent encore de nos jours une grande partie de l'Afrique et toute l'Asie méridionale. En effet, le Felis servaloides paraît avoir disparu de nos régions plus tard que la Panthère ou que le grand Lion des cavernes, animaux beaucoup plus redoutables que lui, et qui ont bientôt succombé. On a la preuve que dans plusieurs localités ses débris sont mêlés à ceux de l'homme Marcel de Serres cite un humérus de Felis servaloides dans la caverne de Bize, et nous en avons de notre côté recueilli un fragment de maxillaire inférieur à la Valette, près de Montpellier, dans la cavité dite Trou de la Glacière ; un autre yient du Colombier, près de Castries, et a été trouvé par M. le docteur Delmas, dans les brèches osseuses de cette localité. C'est cette seconde pièce que nous avons fait figurer. La comparaison de ces fossiles et de ceux de Lunel-Viel avec un véritable Serval, ne permet pas de les attribuer à cette espèce; elle nous porte à les rapprocher plutôt du Lynx. Toutefois il est également impossible de les assimiler, soit au Lynx du Canada, soit au Lynx des Alpes maritimes, le seul des animaux de ce genre, provenant de nos contrées, qu'il nous ait été jusqu'ici permis d'observer. Nous serions tenté de rappro= cher plutôt cette espèce de Chaüs et du Caracal ; mais de nouvelles recherches pourront seules donner à cet égard une véritable certitude, et nous croyons, pour aujourd'hui, devoir nous borner à recommander d’une manière spéciale le Felis servaloïdes à l'atten- tion des naturalistes qui s’occupent de l'exploration des cavernes et des brèches. (P. G4) OSSEMENTS DE LA CAVERNE DE BIZE. 91 moins pour la partie où a été ouverte la tranchée exécutée par nos soins. Nous procédons des couches les plus superficielles aux plus inférieures : 1° Limon rouge ; 2 Couche de terre noire à ossements brisés ; 3° Couche de limon rouge jaunâtre, plus dur, presque tufacé; h° Limon rouge noirâtre, très-meuble, riche en ossements brisés, en silex travaillés, etc., contenant aussi des cailloux ; 5° Limon rouge et dur ; 6° Limon plus rouge, de teinte plus foncée que le précédent et plus riche en ossements ; 7° Limon rouge assez dur, également mêlé de débris osseux. Inférieurement est le sous-sol calcaire, formant les parois de la caverne. Nous avons des échantillons de la terre ossifère de Bize, où des os fracturés et des silex taillés se trouvent associés les uns aux autres, ce qui présente sous un volume très-peu considérable la preuve de cette curieuse réunion de débris de l'mdustrie et d’os- sements du Renne, La collection de Christol en possédait déjà, mais il n'en est question, ni dans les publications de cet observa- teur, ni dans les ouvrages de Marcel de Serres. $ 6. Il paraîtra sans doute peu étonnant, après la lecture des détails consignés dans ce travail, de nous voir conclure que les hommes etles animaux divers auxquels nos observations ont trait, n'ont pas vécu à une époque aussi reculée qu’on a été quelquefois tenté de le supposer. Les arguments qu’on avait tirés des fossiles humains et des instruments de l'industrie primitive extraits de la caverne de Bize, en faveur de la haute ancienneté de l’homme et de sa coexistence avec les grands animaux d'espèces éteintes, ont dû être bientôt abandonnés, et la présence du Renne dans les conditions que nous avons décrites n'est pas davantage une preuve de cette ancienneté géologique. On ne saurait admettre que les sédiments ossifères de Bize soient antérieurs à l’époque glaciaire, et d’autres faits devront 92 P. GERVAIS ET BRINCHKMANN. être également invoqués pour démontrer que l'espèce humaine a vécu dans nos contrées en même temps que les grandes espèces quaternaires, dont les anciennes cavernes et les sédiments dilu- viens nous ont conservé les dépouilles. L'association de restes humains avec des os concassés du Renne, dans plusieurs parties de l'Europe centrale et méridio- nale, prouve seulement qu'à une certaine époque, époque assez éloignée, il est vrai, pour que l'histoire n’en ait pas recueilli le souvenir, il y avait jusque sur les bords de la Méditerranée des hommes qui se servaient du Renne, comme le font aujourd'hui les peuplades les plus rapprochées de la Mer glaciale, les Lapons et tant d’autres dont la race est différente de la nôtre. Peut-être ces anciens habitants de l'Europe méridionale et centrale se sont- ils retirés devant la venue de populations nouvelles qui, si bar- bares qu’elles fussent encore, leur étaient supérieures en force, en intelligence et en civilisation. Cette retraite, dans laquelle ils auraient été suivis par leur animal de prédilection, le Renne, semble avoir coïncidé avec l’époque où les glaces, dont l'Europe fut longtemps couverte, avaient presque partout disparu dans les régions peu élevées, et ne persistaient plus que sur les hauts sommets de grandes chaînes de montagnes; elle répondrait au moment où une température plus douce a remplacé dans nos con- trées les frimas que préfèrent et le Renne et les races d'hommes aujourd’hui relégués dans les régions polaires. CONTRIBUTION A L'ANATOMIE DU BOTHRIOCEPHALUS LATUS, Par M. le docteur Ludwig STIEDA, de Dorpat (1). Félix Plater (1603) montra le premier, par une description fort exacte, que le Ver cestoïde large qui habite le canal intes- tinal de l’homme, et désigné aujourd'hui sous le nom de Bothrio- cephalus latus, était différent du Ver articulé ordinaire (Tænia solium), et au nom de Lumbricus latus, usité jusqu'alors pour tous les Vers cestoïdes, il substitua le nom de T'œnia. Les auteurs suivants distinguërent dès lors pendant longtemps un Tœnia prima (Bothriocephalus latus) et un T'œnia secunda Plateri (T'ænia solium). La première bonne description, et les premières figures de la tête du B. latus furent données par Bonnet (1777) ; tous les autres travaux antérieurs et postérieurs n’ont qu'un intérêt pure- ment zoologique. C'est aux recherches étendues d'Eschricht (2) que la science doit le premier travail, et, jusque dans ces der- niers temps, le seul spécial sur l'anatomie et l'histoire naturelle de cet animal. Dans un ouvrage abrégé sur les Parasifes de l'homme, Leuckart (3) a donné aussi une description du B. latus, basée sur des recherches originales. Tous les caractères particu- liers dans la structure de ces colonies animales, que nous appe- lons Ver cestoïde large (B. latus), n’ont été nullement éclairés par les connaissances acquises depuis les recherches d'Eschricht et de Leuckart sur cet Helminthe, et un grand nombre de pro- blèmes sont restés sans solution. (1) Archiv für Anatomie, Physiologie und wissenschaftliche Medicin, 1864, p.174 à 249, pl. IV et V; trad. par M. le docteur Léon Vaillant. (2) Anatomisch-physiol. Untersuchungen über die Bothriocephalen ; Verh. der K, L. C. Academie der Naturforscher. XIX, t. [I, suppl., 4840. (3) Die menschlichen Parasiten und die von ihnen herrührenden Krankheuen,t. 1, Leipzig et Heidelberg, 1863, p. 416-137. 5e série. Zooz. T. IIL. (Cahier n° 2.) 3 7 94 L. STIEDA. - Les personnes compétentes jugeront jusqu’à quel point le mémoire suivant étend nos connaissances sur la structure du Bothriocéphale large ; mais je suis persuadé que ces travaux, bien que commencés depuis plus d’un an, sont loin d’avoir atteint toute la perfection possible ; seulement me trouvant empêché par la multitude de mes occupations de pousser plus loin mes obser- vations, je me suis déterminé à faire Connaître ce que j'ai cher- ché et trouvé jusqu ici. | Pour les recherches microscopiques qui se rapportent à ces études, j'ai imaginé différentes manipulations et diverses mé- thodes qu'avant tout je veux exposer en peu de mots. Je n'ai que rarement examiné des exemplaires de Bothriocéphale à l'état frais; je n'avais pas d’abord toujours toute facilité pour cette étude au moment où je les avais en ma possession; en outre, la mollesse de ces exemplaires frais en rend l'emploi difficile. Je cherchais en premier lieu à rendre les séries d’an- neaux mieux disposées pour une recherche ultérieure en les imbi- bant de carmin. A cet effet, ils étaient placés dans une dissolution aqueuse de carminate d’ammoniaque de couleur rouge vineux, où ils restaient plus de quarante-huit heures pour être alors où examinés de suite, ou conservés pour plus tard dans de l'esprit- de-vin étendu. Je me suis rarement servi du procédé usité d'ordi- paire dans l'étude des Vers cestoïdes, qui consiste à soumettre à une pression douce et méthodique les Proglottis isolés, après avoir ajouté de la glycérine à la préparation pour la rendre transpa- rente ; cette méthode convient peu pour le Bothriocéphale large, dont la couche corticale est épaisse et quelque peu opaque ; ce- pendant elle est indispensable pour la démonstration de certains rapports et de certains organes, par exemple pour ce qu'on appelle les canaux jaunes d'Eschricht. Dans ce cas, pour obtenir des préparations qui permettent de connaitre les parties situées dans la couche moyenne de l'anneau, et vues par la surface, j'en- lève avec précaution, au moyen d'une pince, la couche corticale, aussi bien à la face ventrale qu'à la face dorsale, ce qu'on peut exécuter facilement avec un peu d'habitude. Des préparations ainsi faites, et rendues transparentes par la glycérine, se conser- ANATOMIE DU BOTHRIOCEPHALUS LATUS. 95 vent très-bien comme les autres en les entourant d’un mastic. J'ai Cependant employé de préférence la méthode des coupes trans: versales et plus souvent encore les coupes longitudinales ; je reconnus bien vite que l'examen de coupes transversales très- importantes, suivant la remarque de Leuckart dans l'étude des autres Vers cestoïdes, ne suffit plus chez le Z. latus pour faire connaître la position et les rapports des organes, et qu'au con- traire les coupes longitudinales sont on ne peut plus convenables pour permettre cet examen, ce qui résulte de la disposition par- ticulière des appareils chez cet animal. Ces dernières coupes ont été exécutées de deux manières : soit suivant l'épaisseur de l'anneau, c’est-à-dire dans un plan perpendiculaire à la surface de celui-ci ; soit suivant la largeur, c’est-à-dire dans un plan parallèle à la surface. Je désignerai simplement les premières sous le nom de coupes longitudinales, les secondes sous le nom de coupes horizontales ou coupes superficielles. Celles-ci, pour certains rapports, donnent les idées les plus nettes et les plus instructives ; malheureusement elles sont très-difficiles à obtenir. Mais comme on ne peut exécuter les coupes sur des anneaux frais, il faui durcir ceux-ci pour les rendre propres à cette opération. J'obtins d'abord ce résultat en plongeant pendant assez longtemps des por- tions d’anneaux dans l'alcool absolu. Préparant alors des coupes avec un rasoir bien affilé, je les plongeais dans une dissolution aqueuse de carminate d'ammoniaque de couleur rouge vineux, où elles restaient pendant vingt-quatre heures, après les avoir lavées ensuite dans l’eau distillée, aiguisée de quelques gouttes d'acide acétique, je les examinais sans adjonetion de glycérine, et ne conservais que les meilleures en les mastiquant comme je l'ai dit plus haut. Mais les anneaux durcis par l'alcool ne permettaient pas encore d'obtenir des coupes aussi fines que je le désirais ; c’est pourquoi j'ai inventé une autre méthode, que j'ai reconnue comme donnant des résultats avantageux dans d’autres recher- ches histologiques. Des rangées d’anneaux sont plongées dans une dissolution aqueuse d'acide chromique d’un jaune vineux ; au bout de dix à quatorze jours les anneaux acquièrent une dureté convenable ; ils sont alors mis pendant vingt-quatre heures 96 L. STIEDA. dans une dissolution aqueuse concentrée de carminate d'ammo- niaque, puis lavés à l’eau, et conservés dans l'alcool pour des recherches ultérieures. Pour achever les préparations, des coupes aussi fines que possible de ces anneaux ainsi durcis et colorés sont rendues plus transparentes au moyen de l'essence de téré- benthine, et enfermées dans de la résine de Damar, à laquelle depuis longtemps je donne la préférence sur le baume du Canada, puis recouvertes d'une petite glace. Je crois pouvoir me dispenser de donner ici une description du Bothriocephalus latus sous le rapport de sa longueur, de sa cou- leur, du nombre et de la grandeur de ses anneaux; en un mot, de ses caractères extérieurs, ce qui en est dit dans l'ouvrage cité de Leuckart me paraît suffisant. Cependant pour s'orienter dans les descriptions spéciales que je donne ici, il me paraît indispensable d'indiquer quelques termes qui ont trait à la description générale. Chaque anneau du Bothriocéphale a, comme on le sait, la forme d'un plan qua- drangulaire, auquel on doit distinguer un diamètre longitudinal, un diamètre transversal, enfin une épaisseur qui est la plus petite des dimensions. On reconnaît, en outre, à chaque anneau, un bord supérieur, qui s'appuie contre le bord inférieur, en saillie sur les côtés, de l'anneau précédent ; un bord inférieur placé en regard dans la direction longitudinale, lequel est en connexion avec le bord supérieur de l'anneau suivant. Au lieu des désigna- tions de bord supérieur, bord inférieur, je me servirai aussi pour abréger des termes en haut pour désigner la direction de ce qu'on appelle la tête du Ver cestoïde, en bas pour la direction qu'on appelle la queue. Il va sans dire que chaque anneau à aussi deux bords latéraux. Ces anneaux ayant la forme d’un plan présentent naturellement à considérer deux faces : celle sur laquelle se trouvent les ouvertures sexuelles est désignée sous le nom de face ventrale, d’après la terminologie habituelle ; l’autre, située en regard, est appelée face dorsale. Je dois ajouter ici que les descriptions se rapportent surtout à ce qu'on appelle les anneaux mûrs, c’est-à-dire aux articles dont l'utérus est déjà rempli en partie ou en totalité par les œufs ; ce ANATOMIE DU BOTHRIOCEPHALUS LATUS. 97 sont ceux-là qui ont presque exclusivement servi à faire les pré- parations que j'ai examinées. Sur chaque anneau on reconnaît une portion médiane trans- parente, partie moyenne, et deux portions externes obscures, parties latérales. Dans la partie moyenne, vers le bord antérieur, et déjà visible à l'œil nu, se trouvent ce qu'on appelle les ouver- tures sexuelles ; le reste de cet espace est occupé par un organe souvent brunâtre en étoile ou en rosette, qu'on désigne sous le nom d’utérus. Les parties latérales paraissent sombres, parce qu’en ce point se trouve une quantité considérable de taches arrondies placées très-près les unes des autres, et qu'on nomme les amas granuleux. C’est en examinant des coupes transversales et longitudinales qu’on voit le mieux l’arrangement des éléments qui composent la substance du corps. Une coupe transversale menée à peu près par le milieu de l'anneau est comparable à une ellipse très- allongée, dont le grand axe correspond au diamètre transversal, le petit axe à l’épaisseur du corps qui n’atteint pas le cinquième de la première dimension. Une coupe longitudinale à la forme d’un quadrilatère allongé, la partie inférieure étant un peu plus large que la supérieure; par suite, là où deux anneaux se touchent, le bord du premier dépassant un peu le bord du second, il en résulte une dentelure. Sur une coupe longitudinale ou transversale convenablement imbibée de carmin, on reconnait déjà à l'œil nu deux couches distinctes par leur coloration : l'interne, plus claire, est ce qu'on appelle la couche moyenne ; l'externe, plus sombre, connue sous le nom de couche corticale. Un examen microscopique plus dé- taillé permet de décomposer ces couches et plusieurs autres. En allant de dehors en dedans, on remarque d’abord extérieurement à la surface du corps une petite bordure, la cuficule, puis une couche plus pâle, couche corticale proprement dite ; celle-ci laté- ralement se faitremarquer par la présence d’une rangée de corps sombres, mais qui paraissent incolores dans les préparations par l'acide chromique ; ce sont les amas granuleux qui manquent dans la couche corticale de la partie moyenne. La bande sui- 98 L. STIEDA. vante, vivement colorée en rouge, est double ; ce sont deux plans musculaires : l'externe à fibres longitudinales, l'interne à fibres annulaires. La couche moyenne est enveloppée par toutes les autres qui font le tour de l'anneau; elle renferme les organes proprement dis. Cette division de l'anneau en couche corticale, couche mus- culaire et couche moyenne, est beaucoup plus simple que celle en neuf couches qu'a proposée Eschricht, attendu qu'il sépare, comme spéciales, les différents plans de la surface ventrale et de la surface dorsale, Voici l'énumération faite par Eschricht : 1° Couche cutanée ventrale. 2 Couche granuleuse ventrale. 3° et 4° Première couche parenchymateuse transparente, com- posée de deux plans musculaires. 5° Couche moyenne, 6° et 7° Seconde couche parenchymateuse transparente, en- core composée de deux plans musculaires. 8 Couche granuleuse dorsale, 9° Couche cutanée dorsale, Quant à la substance qui forme la base de l'organisme, e’est une matière conjonctive simplement cellulaire ; elle est consti- tuée par une multitude de cellules serrées les unes contre les autres, mesurant environ 0**,009 à 0°°,0145 de diamètre, soudées intimement entre elles, non isolables, et pourvues d’un noyau de 0"°,003 à 0°*,0045. De temps en temps, on trouve ces éléments encore assez bien conservés dans les préparations durcies par l'alcool; mais le plus souvent on ne distingue plus que les noyaux dans une substance fondamentale finement gra- nuleuse. À la périphérie des coupes on trouve, assez près de Ja cuticule, les noyaux plus abondants, souvent pressés les uus contre les autres ; aussi Leuckart désigne cette couche d'une manière spéciale comme couche parenchymateuse à nombreux noyaux. L’acide chromique exerce sur ces cellules délicates une action complétement destructive ; c’est pourquoi sur des coupes ANATOMIE DU BOTHRIOCEPHALUS LATUS. 99 prises à des anneaux durcis par la dissolution aqueuse de cet acide, on n’aperçoit qu'une substance fondamentale tantôt fine- ment granuleuse, tantôt d'apparence réticulée ou striée. Dans cette substance fondamentale existent, en très-petit nombre il est vrai, des corpuscules arrondis ou ovales, à couches concentriques nombreuses, réfractant fortement la lumière ; ce sont ces corpuscules calcaires, bien connus chez d’autres Vers cestoïdes. Ils ont un diamètre de 0"",009 à 0°",015, et le plus grand nombre se trouvent vers le ‘centre de l'anneau près de la couche musculaire. Traités par l'acide acétique, ils disparaissent aisément ; toutefois il reste toujours un contour distinet là où se trouvait le corpuscule, ce qui, suivant moi, et j'adopte en cela l'opinion de Leuckart, s'explique par la présence d’une matière organique qui formerait la base de ces granules calcaires. Je ne trouve aucun fait à l'appui de l'hypothèse émise récemment, que ces corpuscules sont en connexion avec l'appareil vasculaire excréteur ; c'est pourquoi je pense qu'il faut y voir des cellules de la substance fondamentale calcifiées. Cuticule. — La surface extérieure de toutes les coupes est entourée d'une couche transparente, épaisse de 0"*,006, amor- phe : c’est la cuticule. Entre la cuticule et l'amas de noyaux déjà cités plus haut dans la substance fondamentale, et que Leuckart (1) appelle couche parenchymateuse à nombreux noyaux, je trouve sur des coupes transversales fines et minces, prises sur des préparations par l'acide chromique, une bande dé- licate de la largeur de la cuticule. Dans cette bande se trouvent, à des distances égales et régulières, de petits corpuscules ronds ou ovales, colorés par le carmin, d’un diamètre de 0"*,003 à 0"",005, lesquels donnent à la bande un aspect extrêmement élégant. Je regardai ces corps pendant longtemps comme les noyaux de cellules qui, placés en couche unique à la face externe de l'anneau, auraient formé une couche cellulaire subeuticu- laire. Mais j'ai abandonné cette idée. La similitude de ces cor- (4) Loc. cit., p. 106. 100 L. STIEDA. puscules avec la coupe transversale des éléments musculaires que je décrirai plus bas, leur absence sur les coupes longitudi- nales, leur résistance à l'acide chromique qui ne les attaque pas, tandis qu'il modifie si profondément les cellules de la substance fondamentale, me conduisent à penser qu'il faut y voir des cel- lules musculaires coupées transversalement, cellules qui se trou- vent placées suivant la longueur de l'anneau et sur un seul rang, juste sous la cuticule. Système musculaire. — Les éléments constituants des couches musculaires du Bothriocephalus latus sont, comme chez les autres Cestoïdes, construits sur le type des fibres musculaires dites de la vie organique, ou lisses de l'homme et des animaux verté- brés ; ce sont des cellules très-longues, fusiformes, tantôt ser- rées les unes contre les autres et formant des couches distinctes, tantôt isolées. Sur un fragment de la substance du corps qu’on a laissé longtemps dans une lessive alcaline à 35 pour 100, ou dans l'acide chlorhydrique, on peut par dilacération isoler faci- lement ces cellules ; J'ai pu fort bien examiner la forme et l'aspect de ces éléments sur des coupes longitudinales ; on y voit les cellules isolées se détacher par leur coloration sur la sub- stance fondamentale qui est absolument ou presque incolore. Les fibres-cellules sur ces préparations durcies ne paraissent pas tout à fait allongées, mais elles sont toujours un peu enroulées ou tordues. Leur longueur est d'environ 0"",18 à 0°",3, leur largeur au milieu de 0"",006 à 0°"",009; elles paraissent com— pléttemens homogènes. Sur la coupe transversale qui est arron- die, la substance au contraire ne paraît pas toujours homogène, comme on devrait s y attendre ; mais on y distingue deux parties : une enveloppe externe colorée en rouge sombre ; un contenu transparent fortement réfringent. Les cellules musculaires du Bothriocéphale se composent peut-être, comme celles des Néma- toides, d’une substance corticale et d’une substance médullaire. Je n'ai pu obtenir aucun résultat satisfaisant en ce qui concerne la présence possible de noyaux dans ces éléments. Leuckart (1) (4) Loc. cil., p. 168. ANATOMIE DU BOTHRIOCEPHALUS LATUS. 4101 avance que les muscles des Vers cestoïdes sont des fibres sans noyaux ; Weissmann (1), au contraire, à trouvé dans ces élé- ments chez le T'œnia serrata de petits noyaux ovoïdes. Les éléments musculaires, abstraction faite de la couche simple de muscles longitudinaux subcuticulaire, sont disposés comme il suit : 1° Ils forment une couche circulaire où annulaire épaisse de de 0"".,098 à 0"",042. Cette couche, qui entoure complétement la partie médiane, se voit dans toute son étendue sur des coupes transversales ; sur les coupes longitudinales, on voit la section en travers des cellules. L'épaisseur de cette couche n’est pas égale partout, mais va en décroissant un peu vers les parties latérales. 2% La couche musculaire longitudinale, épaisse de 0°",064, entoure la précédente. Eschricht les réunit toutes les deux sous le nom de couche parenchymateuse transparente. Les fibres y sont plus grandes et plus fortes, on les voit distinctement sur des sections transversales qui les coupent suivant leur épaisseur. On reconnaît alors qu’elles sont plus rapprochées les unes des autres à la périphérie qu'au centre où on les rencontre isolées. Cette couche décroit aussi un peu en épaisseur vers les parties la- térales. 3° Le système musculaire transversal ne forme pas de couche spéciale, aussi n’a-t-il pas encore été signalé. Il est constitué par des cellules particulières, isolées, situées presque exclusivement dans la couche moyenne, dirigées perpendiculairement à la sur- face de la peau, elles agissent dans le sens de la forme de l’an- neau. Plus fortes et plus nombreuses sur les parties latérales, elles sont chassées de la partie médiane par les organes propre- ment dits. Leuckart n’a pas décrit d’une manière spéciale la disposition des muscles chez le Bothriocéphale, mais 1l renvoie, à ce sujet, aux considérations exposées dans la description générale des Cestoïdes. Je ne puis accorder ce qui est avancé en cet endroit (4) Weissmanu, Ueber die zwei Typen des contractilen Gewebes, Henle und Pfeiffer's Zeitschrift über rat. Medic., 3° ser., t. XV, p. 94. 102 L. STIEDA. avec ce que je viens de décrire plus haut. En ce qui concerne le système musculaire annulaire, Leuckart (1) décrit une couche externe, mince, située juste sous la couche parenchymateuse, à nombreux noyaux, et une interne plus épaisse bordant la couche moyenne. Quant à la présence d'un système musculaire annu- laire externe ou superficiel, je n'ai pu me convaincre de sa réalité malgré des recherches répétées soit sur le Bothriocepha- lus latus, soit sur le T'œnia serrata. — Le même auteur dit de plus en parlant du système musculaire longitudinal (2) : « Dans les » parties profondes de la couche corticale, elles (les fibres longi- » tudinales) sont serrées les unes contre les autres, en dehors » elles sont plus espacées. » Ce fait, comme le montrent faci- lement les coupes transversales, n’est exact que pour le Ténia et non pour le Bothriocéphale où la disposition est précisément in- verse; en dehors, à la périphérie, les fibres sont très-serrées les unes contre les autres ; en dedans, elles sont isolées. Les cellules musculaires qui sont annexées aux organes sexuels sont plus fines et plus délicates; je parlerai de leur disposition tout à l'heure en examinant en particulier cet appareil, n'y à, en fait d'organes internes, chez le Bothriocéphale comme chez les autres vers Cestoïdes, que les organes destinés à la reproduction ou organes sexuels. Il n'existe certainement nm canal alimentaire, ni système vasculaire sanguin, on à fré- quemment cherché un système nerveux, mais jusqu'ici sans arri- ver à le découvrir. Je dois mentionner brièvement ce qu'on appelle le système des vaisseaux aquifères, ou l'appareil vasculaire excréteur. Tous les auteurs décrivent, chez le Bothriocépale comme chez les autres Cestoïdes, certains canaux longitudinaux qui, partant de l'extrémité céphalique, traversent tous les anneaux et communi- quent l'un avec l’autre par des anastomoses transversales. Chez le Bothriocephalus latus, ces canaux sont très-peu développés, quelquefois même semblent manquer complétement. Je n'a (4) Loc. oit., p. 169. (2) Loc. cit., p. 168. ANATOMIE DU BOTHRIOCEPHALUS LATUS. 103 trouvé que rarement, sur des coupes transversales, la lumière d’un canal longitudinal sectionné en travers, toujours situé dans les parties latérales entre les testicules, Il n'existe done chez le Bothriocéphale que deux canaux longitudinaux, dont Eschricht déjà avait reconnu la position écartée, par opposition à ce qu'on voit chez le Ténia. D'après mes recherches nombreuses sur les coupes longitudinales, je conteste absolument l'existence d’anas- tomoses transversales que Leuckart, au reste, n’a jamais reconnu avec certitude. Je n'ai pas fait d'observation, par moi-même, sur la façon dont les canaux longitudinaux se comportent dans la tête. J'examinerai plus tard cette hypothèse émise par Leuckart, que les amas granuleux de la couche corticale sont en rapport avec l'appareil excréteur, Organes génitaux. Ainsi qu'on le sait depuis longtemps, les orifices sexuels chez le Bothriocéphale s'ouvrent non pas latéralement comme chez la plupart des Ténias, mais sur la face de l'anneau qu'on a coutume d'appeler face ventrale. En parlant de cette ouverture sexuelle, Leuckart (1) dit : « Quant aux organes sexuels (du Bothriocé- » phale) il faut faire ressortir avant tout l'absence d’un cloaque » génital. Les orifices mâle et femelle débouchent tous deux en » dehors isolément, bien qu'étant séparés seulement par un faible » intervalle, et, ainsi qu’on l'a déjà remarqué, sur ce qu'on appelle : » la face ventrale, à une certaine distance en arrière de l’extré- » mité antérieure de l'anneau. » Cette description ne répond pas à ce qui existe réellement : le Bothriocephalus latus à un pore gé- nital, ou eloaque génital ; c’est-à-dire qu'il existe une ouverture spéciale, arrondie, de 0"",120 de diamètre dans la couche dite corticale, ouverture dans laquelle débouchent les appareils con- ducteurs des organes sexuels mâle et femelle. L'ouverture supé- rieure admise seulement jusqu'ici comme orifice mâle, désignée par Eschricht sous le nom de grand orifice, ou orifice de la verge, est le cloaque génital, puisque non-seulement le pénis y aboutit, (4) Loc. cit., p. 427. 104 L. STIEDA. mais aussi le canal vaginal, non reconnu jusqu'ici, car on n’en soupçonnait pas l'existence, et situé juste au-dessous de l’orifice mâle comme chez les autres Cestoïdes. L'orifice de ce canal sexuel femelle n’a rien de commun avec l'utérus. Eschricht fut très-près de découvrir ce vagin, mais il paraît en avoir été empé- ché par son ignorance des rapports analogues des parties chez le Ténia. Il dit : « La grande ouverture antérieure n’est pas une » ouverture simple, mais une fossette aplatie, et en cul-de-sac » dans laquelle se trouvent deux ouvertures : une tout à fait an- » térieure qui est la véritable ouverture du pénis; l’autre petite, » parfaitement ronde et située tout à fait à la partie postérieure » de la fossette. » Eschricht pense que cet orifice correspond à un conduit qui se rendrait à la grande corne ou circonvolution supérieure de l’uté- rus. — Cette seconde ouverture est précisément l'embouchure externe du canal vaginal. Je m'explique fort bien, abstraction faite de la mention d’Eschricht, que cette ouverture ait été mé- connue, cela dépendait de la manière de faire les préparations. Sur les anneaux examinés par pression, je n'ai jamais pu voir cette disposition, les coupes transversales n’apprennent non plus rien de bien certain à cet égard, tandis qu'au contraire sur une coupe longitudinale tout cela se voit avec une grande facilité et c'est à ce mode de préparation que je dois cette importante découverte. L'ouverture inférieure ou postérieure, sur laquelle je reviendrai plus bas, n’est que orifice externe de l'utérus. On peut employer, outre les coupes longitudinales, des coupes paral- lèles à la surface, elles donnent de bons renseignements sur la présence des trois perforations, leur position et leur grandeur. Avant d'aborder la description des organes sexuels mâles, je dois faire mention d’une disposition particulière de la peau du Bothriocéphale, en rapport sans doute avec les organes sexuels, mais sans que je sache de quelle facon. Dans le point désigné par Eschricht, sous le nom de «région de l'ouverture sexuelle » externe, » limitée par les canaux jaunes, on voit, au voisinage immédiat du pore génital, une assez grande quantité de taches serrées les unes contre les autres, affectant, dans leur ensemble, ANATOMIE DU BOTHRIOCEPHALUS LATUS. 105 une forme circulaire ou ovale autour du eloaque génital comme centre. Elles peuvent facilement échapper à l'observation et, excepté dans Eschricht, je ne les vois mentionnées nulle part. Cet auteur les décrit comme une multitude de petites taches blanches, elliptiques, tournées par l’une de leurs extrémités, vers l'ouverture de la verge, présentant une échancrure au point opposé ; il les considère comme des glandes cutanées et les appelle glandulæ præputiales. En examinant des préparations par pression rendues transparentes, suivant la méthode habituelle, je n'ai pu saisir aucun des détails de ces organes ; les coupes transversales ne sont pas meilleures, mais sur les coupes longitudinales on obtient des résultats beaucoup plus satisfaisants. On voit sur ces dernières que, la peau de tout le reste de la surface externe de l'anneau étant parfaitement lisse, dans le voisinage du pore géni- tal elle paraît ondulée. On reconnait à un fort grossissement que cela résulte d’une élévation en demi-cercle de la surface externe, ce qui indique une saillie en demi-sphère de la substance du corps. Ces élévations, assez serrées les unes contre les autres, sont larges à la base d'environ 0"*,026 à 0"",033 et dépassent le niveau de la surface externe de 0"*,016 à 0"",019. Elles parais- sent résulter d’une élévation spéciale de la substance fondamen- tale du corps et sont revêtues comme celle-ci d’une couche cuti- culaire épaisse de 0"",006. — Comme il résulte de là que ce ne sont pas des glandes, le nom choisi par Eschrichtne peut conve- nir, et on pourrait les désigner simplement sous le nom de papil- les cutanées. Organes génitaux mâles. Je commencerai cette étude par l'examen des testicules. Pour bien juger de leur situation, il faut examiner des coupes trans- versales et des coupes longitudinales faites dans le voisinage des côtés. Ce sont de petits sacs de 0°",102 à 0"",180 de diamètre qui, sur une seule couche, à une petite distance les uns des autres, occupent le milieu des deux parties latérales, tandis que la portion circonscrite par celles-c1, ou partie moyenne, est occu- pée par l'utérus et les autres organes préparateurs et conduc- 406 L. STIEDA. teurs du germe. J'ai compté sur une coupe transversale environ 20 testicules par côté et 8 à 10 sur une coupe longitudinale, il s'ensuit qu'il existe dans chaque partie latérale 160 à 200 testi- cules, 320 à 400 pour tout un anneau. — Les testicules qu'on a aussi appelés vésicules ou utricules testiculaires se composent d'une membrane mince, quoique distincte, et d’un contenu qui n’est pas toujours le même. Dans les anneaux jeunes le testicule paraît rempli de cellules assez grosses de 0"",018 à 0"*,030 de diamètre, remarquables par la grande quantité de noyaux qu’elles présentent à la périphérie sous leur membrane d’'enveloppe. Ces cellules sont au nombre de 6 à 8 par testicule suivant les coupes, c'est de leurs noyaux, comme on le sait par d’autres observa- tions, que dérivent les filaments spermatiques, Sur des anneaux plus âgés, on trouve les testicules remplis d’une masse striée, cà et là granuleuse, formée par les filaments spermatiques entremêlés les uns avec les autres. On reconnait distinctement ceux-ci dans l'intérieur des conduits séminaux, où ils apparaissent comme des filaments minces, fins, très-entortillés, assez longs et munis, comme tête, d'un petit point brillant. Certaines coupes longitu- dinales m'ont montré un mince conduit partant de quelques-uns des testicules, je le regarde comme le canal efférent de ces or- ganes, et je suppose qu'il existe chez tous, à même où je ne l'ai pas observé directement. Canal déférent (vas deferens). — Juste sous la couche muscu- laire annulaire, à la face dorsale de chaque anneau, se trouve un canal large d'environ 0"",030 à 0"",048, fréquemment replié suivant la longueur sur la ligne médiane. Ce canal est le plus sou- vent rempli d'une masse finement striée, grise, ponctuée çà et là, c'est le contenu, déjà décrit du testicule, le sperme. La paroi est épaisse de 0"",006. — Eschricht parle de conduits spermatiques enroulés, qui se trouveraient au côté dorsal de l'anneau. Je n'ai jamais rencontré qu'un canal, c’est aussi ce qu'a vu Leuckart, qui ne parle que d’un vas deferens. Comment les canaux effé- rents de chaque testicule se comportent-ils entre eux pour se rendre en définitive dans le canal spermatique commun ? C'est ANATOMIE DU BOTHRIOCEPHALUS LATUS. 107 un poiñt que je n'ai pu éclaircir. Je pense Cependant pouvoir confirmer l'observation de Leuckart, qu'à son extrémité posté- rieure le canal déférent se divise en deux branches qui marchent en direction divergente dans les deux parties latérales du corps. Après avoir parcouru presque toute la longueur de l'anneau le canal déférent arrive dans le segment antérieur et pénètre dans ce qu'on appellé le sac du cirrhe, non pas directement, mais par l'intermédiaire d’un autre organe. Le sac du cirrhe qui, sur les préparations ordinaires vues par là surface, n'apparaît que comme un disque arrondi de 0°", à 0°",4, se comprend d’une manière très-facile quant à sa forme et à sa situation réelle sur les coupes transversales et lon- gitudinales. On reconnait que c’est un appareil musculeux de forme ovale, disposé de telle sorté que son diamètre longitudi- nal est placé perpendiculairement à la surface de l'anneau; son extrémité obtuse étant tournée vers la face dorsale. son extrémité la plus aiguë vers la face ventrale pour aboutir au pore génital. Les muscles de ce sac, formés de cellules trés-délicates et très- fines, sont ordonnés suivant deux directions. Une partie des élé- ments contractiles. formant une paroi propre musculaire à la surface externe du sac, constitue un système annulaire ou cireu- laire qui, aux deux extrémités de l'organe, est en continuité avec la couche musculaire annulaire qui entoure la partie moyenne. L'autre portion du système moteur est formée par des muscles rayonnés ; CeuxX-C1, Comme on le voit, sur des sections horizon- tales dans lesquelles le sac de cirrhe est coupé transversalement s'étendent de la périphérie, c'est-à-dire de la paroi musculaire au centre formé par le canal du sac. D’après Eschricht, ce canal est entouré d’une capsule; cette capsule que cet auteur admet aussi sur les autres parties de l'appareil sexuel n’est pas, comme Leuckart l'a établi déja, un organe spécial, mais « la limite de » séparation d'avec celte substance conjonctive (traversée par les » muscles), laquelle remplit les interstices des organes dans la » couche moyenne. » Le sac du cirrhe est traversé par un canal contourné en zig- zag. Ce Canal a une paroi épaisse de 0°*,012, son calibre est de 108 L. STIEDA. 0°",036 à 0"”,048, il est revêtu par la cuticule qui s'enfonce de la surface externe dans son intérieur. Sa cavité est continue à celle du canal déférent dont il pourrait être regardé comme le prolongement direct. Sur certaines préparations la portion du canal dirigée vers la face dorsale de l'anneau se dilate sur un point en ampoule. Le contenu de celle-ci et du canal lui-même est caractérisé par les filaments spermatiques. Avant d'arriver en contact avec le sac du cirrhe, le canal déférent est donc entouré par un petit organe arrondi, ou si l’on veut le canal déférent tra- verse cette petite ampoule sphérique qui est appendue au sac du cirrhe à son extrémité dorsale. Cette dilatation est munie d’un muscle annulaire épais, son diamètre est d'environ 0"",09 à 0®",120 ; le canal qui le parcourt est, ou légèrement sinueux, ou dilaté en une cavité qui remplit complétement tout l'organe. ei également le contenu consiste en filaments spermatiques. Cepen- dant je ne puis regarder cette dilatation comme une vésicule séminale, n1 comme un organe spécial, mais j'y vois simplement la terminaison du canal déférent muni d’un appareil musculaire particulièrement développé. Ce développement musculaire sem- ble nécessaire pour faire pénétrer plus facilement dans le sac du cirrhe le sperme qui s’amasse en ce point. L'opinion de Leuckart sur cet organe est analogue à celle que je viens d'exposer. Eschricht avait vu cette terminaison musculaire du canal défé- rent, mais sans en reconnaitre la signification. « Si on coupe, » dit-il, la vésicule de la verge, on y trouve jointe une autre » petite vésicule qui pend à un filament contourné, lequel vient » déboucher de nouveau en avant dans la cavité de la grande » ouverture. » Pénis ou cirrhe. — A l'œil nu on voit déjà sortir quelquefois par la grande ouverture supérieure, qu'on doit considérer main- tenant comme pore génital, un filament court et délicat qu'on appelle pénis ou cirrhe. On décrit ordinairement le cirrhe du Bothriocéphale ainsi que celui des Ténias comme l'extrémité musculeuse du canal déférent faisant hernie au dehors. En ce qui concerne le Bothriocéphale, je ne puis adopter cette idée. Sur ANATOMIE DU BOTHRIOCEPHALUS LATUS. 109 les coupes transversales ou longitudinales sur lesquelles j'ai aperçu le pénis, je l'ai reconnu comme étant la continuation Immédiate du sac du cirrhe. L'extrémité saillaute n’est large que d'environ 6"",060, et montre nettement l'ouverture du canal large de 0"*,012 qui traverse le cirrhe. Je crois que cet organe entre en action de la manière suivante : le système musculaire annulaire situé dans la paroi du sac du cirrhe, comprime celui-ci pendant que les fibres radiées étendues de la périphérie au cen- tre se relàchent ; aussi, non-seulement ce sac se forme en pointe, mais la partie postérieure se renverse en dehors comme un doigt de gant retourné ; il résulte de là que le canal, d’abord en zigzag, paraît alors droit. L'action des muscles annulaires cessant, les fibres rayonnées entrent en jeu et retirent de nouveau en dedans la partie renversée. — Faisons remarquer ici que le pénis du Bothriocéphale est lisse, contrairement à celui de la plupart des Ténias, qui est épineux. Je n'ai jamais eu l’occasion d'observer le reploiement du pénis dans l'ouverture vaginale, située au-dessous de lui, pour effectuer l'accouplement. Organes génitaux femelles. Sauf la liaison encore inconnue des vésicules testiculaires avec l’origine du canal déférent, liaison qu’on peut même regarder comme certame, par analogie avec celle qu'on saisit si facile- ment chez les Ténias, les organes génitaux mâles se montrent assez clairement aux yeux et à l'esprit de l'observateur; mais on ue peut en dire autant des organes génitaux femelles. Ces der- niers paraissent très-compliqués, et ne seront pas d'ici longtemps encore vus et étudiés dans tous leurs détails. Avant d'exposer les résultats de mes recherches sur ces par- ties, je vais exposer brièvement les travaux antérieurs de Leuc- kart et d'Eschricht sur ce sujet. On reconnait déjà, à l'œil nu dans la partie moyenne, un or- gane en étoile ou en rosette, et dès qu'on a remarqué qu’il est rempli par des œufs on le détermine facilement comme ovaire, ou plus exactement comme réservoir des œufs ou utérus. 5° série. Zooz. T. II. (Cahier n° 2) # 8 410 L. STIEDA. Eschricht appelle cornes les cinq à huit branches ou rayons de l'étoile qui divergent en différents sens ; il appelle grandes cornes celles qui se dirigent vers le bord supérieur, cornes latérales celles qui gagnent les côtés, cornes inférieures celles qui sont tournées en bas. Dans l'angle compris entre les grandes cornes on voit le sac du cirrhe ayant l'apparence d'un disque aplati et les ouver- tures sexuelles. En bas, vers le bord inférieur, l'utérus, qui — comme Eschricht le premier l'a démontré — est un tube replié plusieurs fois en lacet, devient plus délicat, plus étroit, et débouche enfin dans un canal situé entre les cornes inférieures, canal de couleur sombre qu'Eschricht nomme pelole ou tube pe- lotonné. Au-dessous de la pelote, et l’entourant en quelque sorte, est un organe ovale, grossièrement granuleux, disposé de telle sorte que son diamètre longitudinal correspond à la largeur de l'anneau; le même auteur appelle cet organe glande pelotonnée. On voit encore de chaque côté, en bas et en dehors des dernières cornes de l'utérus, en partie couvert par les amas granuleux, en partie libre au-dessous de ceux-ci, un grand organe d'apparence grossièrement granuleuse ; ces deux organes ont l'air de prolon- gements aliformes des cornes de l'utérus et des glandes peloton- nées. Eschricht les désigne sous le nom de glandes latérales. décrit plus loin, dans la partie moyenne, aux environs de la pelote, un réseau à larges mailles qui résulte de nombreux petits canaux anastomosés, tirant leur origine des amas granuleux de la couche corticale ; c'est ce qu'il appelle les canaux jaunes. Les organes ci-dessus énumérés sont, d'après Eschricht, en con- nexion de la manière suivante : dans le segment postérieur de cet utérus sinueux, dans le tube pelotonné, doivent déboucher les conduits efférents présumés des glandes latérales qui, suivant cet auteur, représentent le germigène ou ovaire, puis la glande pe- lotonnée qu'il considère comme sécrétant l'albumen de l'œuf; enfin, les canaux jaunes dont le contenu, bien qu'on ne sache encore comment, doit jouer un rôle dans la formation de l'œuf. La description et les déductions de Leuckart diffèrent fré- quemment de celles d'Eschricht, telles que nous venons de les exposer. Il pense aussi que la pelote est la terminaison posté- ANATOMIE DU BOTHRIOCEPHALUS LATUS. aid rieure de cet utérus sinueux, mais il n’admet pas les autres rap- ports. Pour lui, l'utérus inférieurement se dilate en un sac large de 0"*,25 à 0°",29, assez visible, en forme de massue, et situé transversalement, tantôt se portant plutôt à droite, tantôt plutôt à gauche de la ligne médiane.—La glande pelotonnée d'Eschricht ne sécréterait pas l'albumen de l'œuf, mais serait l’analogue du germigène des Ténias ; les glandes latérales représentent le vitel- logène. Un canal efférent mince, sorti du germigène, doit dé- boucher dans la dilatation en sac du tube pelotonné. Leuckart n'a rien dit quant à la façon dont les glandes latérales, ses vitel- logènes, aboutissent à cette dilatation. — Leuckart n’a observé ni les canaux jaunes, ni leur terminaison postérieure, et pense que les amas granuleux appartiennent aux matières excrétées qu'on trouve dans la peau. J'ai déjà indiqué en parlant du pore génital que le Bothrioce- phalus latus avait un canal vaginal ignoré jusqu'ici; je vais en exposer maintenant la description détaillée. Sur des coupes longitudinales, je vois au-dessous du sac du cirrhe, un canal de 0"*,02/ de diamètre qui aboutit dans l'ou- verture dite pore génital. Ce canal plus ou moins rapproché du sac du cirrhe, se dilatant un peu versla face dorsale de l'anneau, s'étend d'abord jusqu’à la partie moyenne ou postérieure du sac, arrivé là, 1l se coude en formant un angle droit ou aigu tourné vers la face ventrale, le sommet étant par conséquent dirigé vers la face dorsale ; il descend alors à la partie inférieure de j'anneau ; son diamètre atteint 0°",036 à 0"°,060. Pendant ce trajet rectiligne il est situé dans la couche moyenne, près de la face ventrale, derrière la couche musculaire annulaire. A la partie inférieure, le canal s'éloigne un peu de cette dernière et se rapproche du centre de l'anneau pour permettre, entre lui et la paroi, l'intercalation d’un corps de forme ovale sur les coupes longitudinales, corps que je décrirai plus bas comme faisant partie du germigène. Le calibre de ce canal est d'environ 0"*,036 à 0*",060, la paroi a une épaisseur de 0"",012. Le vas deferens situé à la face dorsale est placé contre ce canal vaginal, 112 L. STIEDA, dont il se distingue immédiatement par ses nombreuses circon- volutions ; le second étant absolument droit. En examinant par leur surface des anneaux sur lesquels on à enlevé avec précaution la couche corticale tant sur la face dor- sale que sur la face ventrale on peut voir ce canal ou ce conduit qui, comme on était porté à l’admettre d’après les coupes lon- gitudinales que je viens de décrire, occupe toujours la partie mé- diane de l’anneau.— Sur ces préparations, le canal paraît com- mencer juste au-dessous du sac du cirrhe, et se perd à la partie postérieure de l’anneau dans les environs de la pelote. Leuckart ne faisant pas mention de ce canal, j'en conclus qu’il a échappé à son observation. Eschricht, au contraire, en donne une description assez exacte. Il indique un tube qui, de l’ouver- ture postérieure ou femelle, descend vers la pelote le long de la ligne médiane en arrière et en bas. — Cet auteur se demande s'il faut voir là un second canal efférent de l'utérus et destiné, sans doute, à sa partie postérieure, à la pelote, auquel cas l’ou- verture désignée comme femelle ou postérieure représenterait l'ouverture d'entrée de la portion antérieure de l'utérus; ou bien si ce ne serait pas plutôt un canal destiné à recevoir le sperme pour le conduire dans l'ovaire ? Eschricht ne se prononce pas comme acceptant l'une ou l’autre de ces hypothèses. On voit qu'il était tres-près de la vérité; et s’il ne l’atteignit pas, c’est qu’il ne put reconnaître la liaison spéciale de ce conduit avec cette petite ouverture postérieure à la vésicule de la verge (désignée comme orifice vaginal) et qui, pour lui, était une ouverture par- ticulière des grandes cornes. Le canal dont je viens de donner la description et la signifi- cation, et qu'on reconnaît facilement par sa situation à la face ventrale, se présente sur certaines coupes dilaté à sa partie infé- rieure, atteignant depuis 0"",120 jusqu'à 0"",150, élargi au point d'occuper presque toute l'épaisseur de la couche moyenne. Le contenu de cette dilatation offre les caractères du sperme. — Si l'on m'objecte qu'il serait possible de faire là confusion avec le canal déférent, je répondrai que le conduit en question se caractérise suffisamment, d'abord par sa situation à la face ANATOMIE DU BOTHRIOCEPHALUS LATUS. A5 ventrale de l’anneau, laquelle est déterminée par la direction du sac du cirrhe et la situation du germigène ; en second lieu, par son trajet rectiligne très-différent du trajet sinueux du vas defe- rens. L'extrémité dirigée vers la partie inférieure de l'anneau et dilatée par l'accumulation du sperme a la forme d’un cul-de- sac cylindrique, il en part un conduit délicat de 0°",006 de dia- mètre environ, qui, après un trajet très-court, se rend dans le canal efférent du germigène dont je parlerai plus bas. . Ce canal, que je viens de décrire comme vagin ou canal vagi- pal, n'ayant rien de commun avec l'utérus, il ne saurait y avoir aucun doute sur sa signification. Son analogie avec le canal vaginal des Cestoïdes tombe sous le sens; son orifice, Juste au-dessous du sac du cirrhe dans une ouverture qui lui'est com- mune avec l’orifice de l'appareil sexuel mâle, sa situation à la face ventrale, le sperme qui le remplit, tout cela ne permet pas d'admettre une autre interprétation. Jusqu'ici on n'avait pas soupconné chez le Bothriocephalus latus l'existence d’un vagin distinct de l'utérus, comme cela se trouve chez les Témias. Leuckart (1) dit : « De même que l'orifice mâle se tient en con- » nexion immédiate avec le canal déférent, ainsi en est-il pour » l’orifice femelle et le canal vaginal qui, comme on le voit, joue » le rôle d’utérus chez le Bothriocéphale. » Il ajoute, dans un autre endroit, en donnant les caractères des deux types de Cestoïdes (2) : « Chez ces animaux (le Bothriocéphale propre- » ment dit) le canal qui fait suite à l'ouverture sexuelle, sert éga- » lement à recevoir le pénis et le sperme pendant l’accouplement, » et plus tard à recevoir les œufs; il tent donc lieu à la fois de » vagin et d'utérus. » Comme j'ai démontré que le Bothriocepha- lus latus possède, aussi bien que les Ténias, un vagin distinct de l'utérus, il s'ensuit que ces animaux sont sous ce rapport plus voisins qu'on ne l'avait supposé; pour d'autres points d’organi- sation ils diffèrent au contraire plus qu'on ne le pense ordi- nairement. (4) Loc. cit., p. 429. (2) Loc. cit., p. 180. dif L. STIEDA. J'arrive maintenant à la description de ce réservoir des œufs, distinct du vagin ou à la description de l'utérus. On sait, depuis les travaux d'Eschricht, que l'utérus du Bo- thriocephalus latus est un canal sinueux dont les plis, considérés isolément, sont nommés cornes et affectent dans leur ensemble la forme d'une étoile qui se distingue à l'œil nu. Sur l'utérus gorgé d'œufs d’un anneau mûr on reconnaîtra difficilement l'exactitude de cette description ; mais sur un anneau jeune, con- tenant peu ou pas de corps reproducteurs, on distingue nette- ment le trajet sinueux de l'organe. Outre cette manière d'être de l'utérus du Bothriocéphale, ce qui le distingue du Ténia où l'or- gane à la forme d'un sac avec des enfoncements latéraux, il existe un autre fait important, c'est que ce canal, chez le pre- mier, présente un orifice spécial ouvert au dehors, ce qui, on le sait, manque chez les Ténias. C’est cet orifice qu'on avait consi- déré jusqu'ici comme appartenant au vagin, et qu'on désignait sous le nom d'orifice postérieur ou femelle, alors qu'on ne con- naissait pas l'ouverture vaginale propre. À environ 0"®*,5 au-des- sous de l’ouverture que j'ai appelée pore génital (orifice de la verge d'Eschricht, orifice mâle des auteurs) se trouve une per- foration large de 0"*,260, traversant le couche corticale et la couche musculaire, c'est l'orifice externe de l'utérus. Il est rare d'observer directement la liaison de cette ouverture avec les replis de l'organe; cependant, sur de bonnes préparations, on voit la portion terminale du conduit se dilater bientôt en une vaste excavation qu'on reconnait facilement comme utérus, puis- qu'elle est remplie par les œufs; parfois même, on trouve ce canal d'issue plein de ces mêmes œufs. Les coupes longitudiuales menées par le centre de l'anneau montrent très-clairement l'in- dépendance complète de cet orifice utérin et de l'ouverture va- ginale. On voit sur ces préparations le sac du cirrhe, l'ouverture vaginale tout auprès de lui, avec l'origine du vagin, le tout ren- fermé dans le pore génital, puis un peu au-dessous la grande ouverture de l'utérus. Sur des coupes horizontales heureuses on peut également reconnaitre ces trois ouvertures, leur posi- üon relative et leurs dimensions. L'orifice utérin est évidem- ANATOMIE DU BOTHRIOCEPHALUS LATUS. A15 ment destinée à la sortie des œufs mûrs qui sont chassés de l'organe comprimé par l'action du système musculaire général. — Ainsi s'explique ce fait qu'on trouve souvent dans certains anneaux, le canal utérin dilaté mais ne renfermant que peu d'œufs, bien que l'anneau soit parfaitement intact. — Eschricht pensait que cet orifice servait à l'introduction du pénis, et non à la sortie des produits de la conception qui ne devenaient libres qu'en faisant crever l'anneau. Le calibre de l'utérus est modifié suivant l'abondance des œufs. Sur de jeunes anneaux ses dimensions sont si faibles qu'il n’y a place que pour un œuf, dans les anneaux âgés la dilatation est considérable. Si le canal est modérément rem- pli, on voit que sa cavité paraît revêtue d’un ou deux rangs de cellules, cela n'est plus visible quand l'organe est complé- tement plein. — L'enveloppe immédiate de ces canaux à demi remplis ne présente pas de fibres musculaires et n’est formée que de substance eonjonctive, c'est ce que Eschricht a déerit comme capsule ou enveloppe capsulaire de l'utérus. Lorsque la distension est au maximum, non-seulement la couche de cellules mention- née plus haut disparait, mais aussi l'enveloppe de substance con- jJonetive, si bien qu'en définitive Futérus paraît n'être entouré que d'éléments musculaires. Cette circonstance a certainement son importance pour la sortie des œufs.—Eschricht ajoute encore au sujet de la capsule : « Quoique, comme on l'a dit, la capsule » pe soit unie que làâchement au réservoir propre des œuis; » cependant de très-nombreux canaux vont certainement de » l’une à l'autre. — L'aspect lactescent de la capsule provient » d'innombrables conduits, sortes de glandes qui servent très- » vraisemblablement à sécréter la coquille dure, extérieure de » l'œuf, et versent, à cet effet, dans l'utérus la masse calcaire par ». de petits canaux. » Je ne sais ce que sont ces conduits sortes de glandes ; mes recherches ne m'ont rien montré que je puisse y rapporter. Tandis que. l'utérus dans sa section supérieure se montre, au moins temporairement, pourvu d’une paroi distincte, inférieu- rement 11 se réduit à un canal étroit formé d’une mince mem- 1146 L. SEIEDA, brane ne contenant qu'un petit nombre d'œufs, parfois sur un rang, et au contraire une grande quantité d'une masse fine- ment granuleuse qui est identique au contenu du vitellogène que je décrirai plus bas. Les derniers replis du canal qu'on désigne avec Eschricht sous le nom de pelote ou tube pelotonné, sont ordinairement de couleur sombre, et sur les coupes transversales ou longitudinales ne paraissent remplies que de substance vitel- line. Comme extrémité ultime de l'utérus, j'ai trouvé un canal légèrement tortueux, le plus souvent complétement vide, et se colorant avec intensité par le carmin. Je n'ai jamais pu voir que, comme le dit Leuckart, cette partie postérieure amincie, se dila- tàt brusquement en un sac bien visible, où les œufs se forme- raient d’une manière définitive. — D’après mes préparations, il me semble que cette section terminale amincie de l’utérus est en connexion directe avec la glande pelotonnée. Germigène (glandes latérales d'Eschricht). — Les glandes laté- rales sont, d'après la description d'Eschricht, des sacs allongés, aplatis, toujours situés à côté de la pelote ; par leurs extrémités externes, obtusément arrondies, ils s'étendraient un peu en avant, en dedans ils s’allongent et entourent le point où se dégage la pelote au milieu des cornes inférieures en formant un demi- cercle. Suivant Leuckart les glandes latérales sont deux gros organes aliformes qui, partant du côté externe des dernières cornes de l'utérus, s'étendent en arc jusque environ au milieu de l'anneau. — Sur les préparations par compression qu'on étudie ordinairement, c'est, en effet, tout ce qu'on voit. En examinant des coupes fines à un faible grossissement, ces glandes latérales paraissent grossièrement granuleuses, c’est l'aspect du germi- gène des Ténias ; à un fort grossissement le contenu de l’organe se montre comme composé d’une multitude de cellules serrées les unes contre les autres, bien arrondies, pourvues d'un gros noyau et d’un nucléole. Ces cellules rondes comme je viens de le dire mesurent 0**,016 à 0%*,019 de diamètre, le noyau atteint 0°",009 à 0°",013, et le nucléole 0**,003. Quant à l'enveloppe qui réunit ces cellules en un organe, c’est une mince membrane ANATOMIE DU BOTHRIOCEPHALUS LATUS. 117 sans structure apparente. — Me fondant sur ce contenu et sa similitude avec celui de l'organe analogue des Ténias, je regarde ces glandes latérales comme représentant le germigène du Bo- thriocephalus latus. Les préparations par compression ne fournissant aucune bonne indication sur la situation et l'aspect de ce germigène , je cherchaï à me former une idée des rapports et de la figure de cet organe en comparant des coupes longitudinales et transversales. — Mais les figures obtenues de cette facon ne s'accordent pas toujours avec les idées de Leuckart et d’Eschricht. Sur des cou- pes longitudinales menées par les côtés de la partie médiane, je trouvais, comme on pouvait s’y attendre, un organe à contour sinueux situé dans la couche moyenne immédiatement au-des- sous de la couche musculaire, atteignant en longueur plus de la moitié de l'anneau à la partie postérieure duquel il est placé. S'étendant en haut au delà du centre presque jusqu'au niveau de l'orifice utérin, il arrivait en bas au bord inférieur de l'anneau et le dépassait pour pénétrer dans l’article suivant ; l'épaisseur était d'environ 0"",036 à 0°",045.— Sur des coupes transversales de l'anneau contre les replis utérins médians sectionnés eux-mêmes en travers ou obliquement, je rencontrais cet organe — le ger- migène — coupé évidemment aussi en travers. Jusque-là tout s’accordait avec la description de Leuckart et de Eschricht. Mais sur des coupes longitudinales menées directement par le milieu de l'anneau, ce qu’on reconnaissait aisément à la présence du sac du cirrhe jointe à l'absence des amas granuleux qui manquent, on le sait, à la partie médiane, je trouvais constamment un organe tout à fait assimilable par son contenu au germigène, épais de 0°°,09, long de 0"",180 à 0"*,2/, situé dans le voisinage de la pelote, remarquable par sa faible largeur et son épaisseur un peu plus grande. C’est derrière cette partie que descend, ainsi que je l'ai fait remarquer plus haut, le canal vaginal. —Je voyais de plus sur ces coupes que cet organe se continuait en un canal étroit de 0"",006, qui, droit ou légèrement sinueux, se dilatait un peu en bas pour gagner la partie postérieure de l'anneau. Dans ce canal efférent du germigène débouche le conduit étroit, 118 L. STIEDA. cité plus haut, et provenant de la dilatation terminale du canal vaginal. —Cela me conduisait forcément à conclure que ce qu’on appelle les glandes latérales n'étaient pas des organes pairs, mais des portions d’un organe particulier unique. Des coupes trans- versales faites au niveau du tube pelotonné me fournissaient la démonstration de cette idée. Je trouvais là un organe situé juste contre la couche musculaire de la face ventrale, ayant ce même aspect que j'ai déjà décrit, et qui occupait non-seule- ment toute la partie médiane, mais encore pénétrait latéralement dans les côtés jusqu'à aller au contact des vésicules testiculaires. L’épaisseur de cette partie est en rapport avec ce qu'on observe sur les coupes longitudinales, le centre est seulement un peu plus gros que les parties latérales. — Sur les préparations ordi- naires prises suivant les surfaces, après avoir enlevé avec de grandes précautions la couche corticale sur les deux faces ven- trale et dorsale, je n'ai jamais pu voir de disposition s’accordant avec les déductions à tirer des coupes longitudinales et transver- sales. J'essayai enfin de faire des coupes horizontaales, et, après bien des efforts infructueux, j'obtins ce que je désirais. Les deux glandes latérales se réunissent en un organe qu'on peut comparer pour la forme à une H majuscule, c'est-à-dire qui se compose de deux branches latérales parallèlement placées, étendues suivant la longueur de l'anneau, et d’une portion moyenne plus courte reliant transversalement les deux branches. Les branches laté- rales s'étendent, comme me l'avaient montré les coupes longi- tudinales, en haut au delà du centre de l’anneau, en bas jusque dans l’article suivant ; sur les côtés, elles sont en partie recou- vertes par les amas granuleux de la couche corticale des parties latérales. La branche moyenne transversale se continue en bas en une pointe, à laquelle fait suite un canal ténu, étroit, un peu dilaté en arrière, qui s’étend encore assez loin dans cette direc- tion. Dans ce canal, qui ne peut pas ne pas être le même qu'on observe sur les coupes longitudinales, débouche le conduit pro- venant de la terminaison du vagin; on peut observer aussi ce rapport sur les coupes suivant la surface. Eschricht, comme on l’a déjà vu, affirme que les glandes ANATOMIE DU BOTHRIOCEPHALUS LATUS. 119 latérales, dont la réunion en un seul organe et dont le canal efférent lui étaient inconnus, sont des ovaires renfermant des œufs dépourvus de coque. Dans la croyance que, comme chez les Trématodes, le germigène et le vitellogène doivent chez les Cestoïdes être distincts, von Siebold (1) émet l'avis que ce qu'on appelle les glandes latérales dans le Bothriocephalus latus corres- pond au premier de ces organes. Leuckart, au contraire, mal- gré la ressemblance qui existe, de son propre aveu, entre ces organes et le germigène des Ténias, les regarde comme des vitel- logènes, en s'appuyant sur ce fait que la masse vitelline de l'œuf développé renferme de gros noyaux (2). Mais j'opposerai à cet observateur cette remarque, que les cellules des glandes latérales que j'ai décrites plus haut ont un aspect tout autre qu'ilne pense, et sont déjà beaucoup plus grosses que les petites cellules, fine- ment granuleuses, que l’œuf renferme plus tard. Je ne puis done me ranger sur ce point à l'avis de Leuckart, et je m'en tiens à l'idée première d'Eschrichtet de Siebold en assimilant cet organe au germigène. Vitellogène et vitelloducte (amas granuleux et canaux jaunes). — Il a déjà plusieurs fois été fait mention d'amas granuleux situés dans la couche corticale des parties latérales. Ces amas ont l'apparence de taches sombres et obscures apparaissant au milieu de la face supérieure du corps, et donnant aux parties latérales qu'elles occupent leur tete foncée, tandis que la partie médiane qui en est privée est plus claire. Ils se trouvent sur toute l’éten- due de l'anneau, comme cela se voit sur les coupes longitudi- nales et transversales, et occupent la moitié de la couche corticale contiguë aux couches musculaires, aussi bien à la face ventrale qu'à la face dorsale, ce qui engagea Eschricht à les distinguer en granules du ventre et du dos; mais cette division paraît tout à fait inutile. Les amas granuleux sont disposés sur une couche unique, et sur les coupes ont une forme arrondie ; leur diamètre est de 0°" ,065 à 0®",130. La plupart sont disposés régulièrement (4) Vergleichende Anatomie, t. 1. p. 146, (2) Loc. cit., p. 432. 120 L. STIEDA. à égale distance les uns des autres, se rapprochant un peu cepen- dant quelquefois et pouvant, dans le voisinage de la partie moyenne, se fondre en une masse sans forme déterminée. — Le nombre de ces organes est assez considérable; J'en compte, sur la coupe longitudinale d'un anneau entier, environ 25 à 30, et sur la coupe transversale 40 à 50 sur la surface d’une partie laté- rale, ce qui doit faire en tout environ 5000 à 6000. Cela s’accor- derait avec un calcul d'Eschricht, suivant lequel il y aurait 4000 à 6000 amas granuleux. A un fort grossissement d'environ 300 fois, on peut se convaincre sur les coupes transversales ou longitudinales que ces organes renferment non de simples gra- nules, mais surtout des cellules bien définies, rondes, mesurant 0"®,005 à 0"",009 de diamètre et contenant des nueléoles par- faits avec un noyau réfringent, petit, situé d'ordinaire à la péri- phérie. J'ai pu soumettre à mon inspection tous ces éléments sur des amas granuleux isolés par dilacération sur des articles frais. A la face ventrale de l'anneau existe un réseau à mailles assez larges, visible même à un faible grossissement et constitué par des filaments obscurs groupés autour d’un centre répondant sur la ligne médiane aux environs du tube pelotonné. Dans ce point central, les filaments du réseau sont plus larges, et l’on y recon- naît à un grossissement médiocre de véritables canaux contenant une matière identique avec celle qui remplitles amas granuleux. À la périphérie, les canaux deviennent plus fins et se laissent en définitive poursuivre jusque dans les parties latérales où ils pénè- trent dans les amas granuleux, ou, pour parler plus exactement, desquels ils sortent. Sur des coupes transversales, j'ai eu l’oc- casion de me convaincre de la réalité de cette connexion; j'ai fréquemment rencontré un amas granuleux pourvu d'un canal court comparable à un canal efférent. La description donnée par Eschricht, de ces canaux qu’il a appelés canaux jaunes, est par- faitement exacte de tout point. J'ajouterai seulement, en con- firmant ce qu'il a avancé, que le lieu de jonction de tous les canaux est situé à la partie inférieure de l’article et reçoit les conduits émanant des deux tiers postérieurs de celui-ci et du tiers antérieur de l’anneau suivant; au voisinage des ouvertures ANATOMIE DU BOTHRIOCEPHALUS LATUS. 191 sexuelles il n’y a pas de canaux. A la face dorsale, je n'ai jamais trouvé un réseau analogue, bien que j'aie examiné dans ce but un grand nombre de préparations. Eschricht, également n’a rien découvert de positif à ce sujet; cependant 1l pense par conjecture qu'il existe aussi là un système semblable à celui de la face ven- trale dont le centre serait en face du sac du cirrhe et débou- cherait en ce point dans l’intérieur de l'anneau, tandis que le système ventral arrive inférieurement dans le tube pelotonné. — Je dois convenir que j’eus d'abord la pensée que ce système de canaux aboutissait en dehors et non en dedans. Mais en exami- nant des coupes longitudinales et transversales, J'arrivai à des données plus certaines sur ce point. Je trouvai sur les premières de ces coupes qu'un gros conduit de 6"",065 de diamètre que son contenu caractéristique faisait reconnaître comme étant en con- nexion avec les canaux et les conduits de la face ventrale, péné- trait obliquement du dehors dans la couche moyenne, c’est-à- dire de la couche corticale en perçant les couches musculaires, mais On ne pouvait le suivre plus loin sur les coupes longitudi- nales. J’examinai pour reconnaitre le trajet de ce conduit une nombreuse série de coupes transversales, mais sans succès. Je teouvais le plus souvent, comme on pouvait s’y attendre d'après la direction reconnue, des sections en travers du canal soit dans la couche corticale, soit entre les couches musculaires; enfin, sur une Coupe, je vis que ce canal sortant de la couche corticale et résultant de la fusion de deux racines émanées en direction con- traire des deux parties latérales, arrivé dans la couche moyenne débouchait dans un conduit étroit placé transversalement. Quel était ce canal? J'étais renseigné là-dessus par les coupes super- ficielles où je voyais la partie moyenne du germigène et son canal efférent déjà cité, lequel d'un côté recevait le petit canal sortant de la dilatation terminale du vagin et de l’autre très- évidemment le canal principal venant des amas granuleux. Maintenant, que signifient ces derniers avec le système de canaux qui certainement en émanent et arrivent dans la couche moyenne? Eschricht, qui, comme je l'ai déjà dit, connaissait fort bien ce système de canaux, et dans sa description les faisait 192 L. STIEDA. arriver dans l'extrémité postérieure de l'utérus, dans le tube pe- lotonné, discute très en détail la question de savoir ce que sont les canaux jaunes. Il avance d’abord l'hypothèse, un peu hasar- dée, que les granulations du dos et du ventre pourraient être des cavités stomacales remplies plus abondamment à certains mo- ments ; les anneaux pourvus d'amas granuleux, gonflés, seraient pleins de nourriture, les autres seraient à jeun. Après avoir rejeté les hypothèses qui tendraient à y faire voir des testicules avec des canaux déférents ou des ovaires avec des oviductes, il en arrive à dire que ces granules sont des glandes chargées de sécréter la matière incrustante brune de l'œuf, s'appuyant sur- tout sur ce fait très-réel qu'on retrouve le contenu du système des canaux dans la section la plus reculée du réservoir des fœtus dans le tube pelotonné. Cette idée d'Eschricht que les amas gra- nuleux et les canaux qui s’y rattachent sont pour quelque chose dans le perfectionnement de l'œuf, fut plus tard développée de nouveau par Siebold qui y voyaitle vitellogène et le vitelloducte. Leuckart n'admet pas la réalité de cette opinion, s'appuyant sur ce qu'il n'avait pu trouver et par suite n’admettait pas de com- munication entre les amas granuleux et la couche moyenne, se fondant en second lieu sur la différence de situation du vitello- gène chez les Ténias «S'il faut émettre une opinion, dit-il, il » pourrait se faire que les amas granuleux fussent formés de ma- » tières excrétées placées dans l'épaisseur des tissus. » La communication certaine du système des canaux dans la couche moyenne avec le canal efférent du germigène s'allie- rait difficilement avec l'opinion que cet appareil est destiné aux excrétions; suivant moi, la liaison directe des canaux avec les organes femelles, ce fait que leur contenu se retrouve dans l’uté- rus, ne permettent qu'une explication, c'est de regarder les amas granuleux et leurs conduits comme des vitellogènes et des vitel- loductes. Il nous manque encore une connexion, c’est de trouver la Hai- son des organes formateurs du germe ‘avec l’origine de l'utérus. Comme il a déjà été dit que le canal vaginal d’un côté, le vitello- ANATOMIE DU BOTHRIOCEPHALUS LATUS. 193 ducte de l’autre, débouchent dans le canal efférent du germi- gène, il s'agit de chercher comment ce dernier est en connexion avec le commencement du tube utérin. Au moment d'étudier l'union de ces deux organes l’un avec l’autre, je dois mentionner un appareil dont je n'ai pas parlé jusqu'ici et qu'on appelle la glande pelotonnée d'Eschricht. Cette glande de forme ovale, assez épaisse, se trouve au bord inférieur de l'anneau, et s'aperçoit en le regardant simplement par l’une de ses faces. Sur des coupes longitudinales et transversales on voit que l'organe s'étend en haut vers la face dorsale. Une obser- vation plus minutieuse montre que sous la membrane très-déli- cate qui le limite se trouvent des cellules d'apparence à peu près identique avec celles que j'ai décrites plus haut dans le germi- gène, elles sont seulement moins serrées et à contour moins net. Que cet organe donne naissance au canal pelotonné, que par l'intermédiaire de ce dernier il soit en rapport avec l'utérus, c'est un fait qui ressort évidemment de l'examen d’anneaux intacts vus par leur face supérieure ; cependant je dois convenir que, n'ayant pas réussi à voir cette union sur des coupes, je ne puis décrire exactement ce trajet. Eschricht regardait la glande pelotonnée comme destinée à fournir l’albumen de l'œuf; Leuckart, qui connaissait fort bien les cellules que contient cet organe, en fait le SEE Je ne puis me rallier à aucune de ces deux opinions. Après avoir parlé du germigène, j'ai dit que son canal effé- rent se dirigeait en bas en se dilatant un peu et se perdait enfin dans les environs de la glande pelotonnée. Bien que je n'aie pas observé directement la réunion de ces deux organes, je suis cependant conduit à l'admettre, Ce qui me porte à faire cette supposition, c’est la présence dans la glande pelotonnée de cellu- les semblables à celles du germigène. Je crois que le canal effé- rent de ce dernier et le commencement du tube pelotonné mar- chent côte à côte pour se réunir dans la glande pelotonnée, si bien que l’on pourrait dire plus exactement que le canal du ger- migène et le canal pelotonné se continuent directement l'un avec l'autre, et que la glande pelotonnée n’est qu'une dilatation du 12h L. STIEDA. conduit commun. —J'avoue franchement que je ne suis pas par- faitement éclairé sur cette relation. — Quant à l'usage de la glande pelotonnée, je crois qu’elle sert à opérer le mélange né- cessaire entre les œufs du germigène et le sperme. J'ajouterai encore deux mots sur l’accouplement et la fécon- dation. Je n’ai pas observé, sur les anneaux que j'examinais, d’accouplement réel, c’est-à-dire la pénétration du pénis dans le vagin sur un même article, mais on peut l'admettre par analogie avec ce qu'on a constaté avec certitude chez les Ténias. | En résumé, voici quelle doit être la succession des organes formateurs et conducteurs des germes pour satisfaire aux néces- sités de la fécondation et au développement des œufs (1). Le sperme arrivé des testicules dans le canal déférent suit le trajet de celui-ci et, chassé surtout par la partie supérieure renflée, arrive dans le sac du cirrhe. Ce sac en se retournant forme le pénis, qui introduit le liquide fécondant dans le vagin situé immédia- tement au-dessous. Le sperme s’accumule dans le vagin dont il distend la partie inférieure. Les produits du germigène suivent son conduit efférent dans lequel le canal provenant du vagin verse le sperme, le tout descend dans la glande pelotonnée, et après un séjour plus ou moins long passe dans le tube pelotonné; quant au vitellus, il pénètre directement du canal du germigène, où débou- che le vitelloducte, dans le tube pelotonné situé tout près, c'est là qu'il enveloppe les œufs venus du germigène. Ces œufsremontent (4) Cette description est en rapport avec une figure schématique donnée pas M. Ludwig Stieda (Arch. f. Anat., 1864, pl. V, f. 28), nous croyons utile d’en donner ici l'explication pour faciliter l'intelligence du texte aux lecteurs qui pourraient l'avoir sous les yeux. Figure schématique sur la succession des organes sexuels du Bothriocephalus latus, d’après une coupe idéale suivant toute la longueur de l'anneau : a. Couche corticale ; &. Muscles longitudinaux; c. Muscles annulaires; d. Pore génital; e. Orifice utérin ; f. Papilles cutanées du pore génital; g. Sac du cirrhe; A. Terminaison renflée du canal déférent ; à. Canal du sac du cirrhe ; . Canal déférent ; /(*). Vagin; ». Point où se coude le canal vaginal; 7. Canal vaginal; 0. Extrémité inférieure du canal vaginal ; p. Canal de réunion de ce dernier avec le canal efférent du germigène ; g. Germigène ; r. Canal efférent du germigène; s. Vitelloducte; f. Tube pelotonné ; u. Glande pelotonnée; vv. Canal utérin. (*) Cette lettre dans la figure à laquelle nous renvoyons est par erreur remplacée par la lettre e, dési- gnant déjà l'orifice utérin. ANATOMIE DU BOTHRIOCEPHALUS LATUS. 195 peu à peu de plusen plus haut dans l'utérus, où ilss’entourent, on ne sait encore de quelle façon, de leur coque ; ils finissent ainsi par distendre considérablement l'organe. Arrivé à un certain degré de distension, l'anneau expulse, au moyen de ses muscles et par l'ouverture de l'utérus, le contenu des circonvolutions de ce dernier, qu'il comprime. Je n'ai que peu de chose à ajouter sur ce qui est déjà connu des œufs mürs. Ils sont allongés, ovales, mesurant 0"",060 sur 0°°,056 ; ils ont un double contour, mince; lamembrane d’enve- loppe, peu épaisse, mesure 0"",003 d'épaisseur. Leur contenu est spécialement formé de cellules distinctes. L’opercule ordinaire du pôle supérieur n'est pas toujours visible. Je ferai encore quelques remarques sur la tête du Bothrioce- Phalus latus, dont je passe la description extérieure comme suffi- samment connue. Leuckart (1) a, dans ces derniers temps, décrit très en détail la tête du Bothriocephalus cordatus, et figuré avec soin l'aspect de ses deux fossettes latérales, montrant à ce propos combien de bonnes coupes peuvent servir pour donner une idée juste sur leur profondeur. — La tête du B. latus dont j'ai fait maintes fois des sections, est identique, sous le rapport des fossettes, avec la tête du 2. cordatus de Leuckart, sauf leur direc- tion par rapport à la surface du corps. — J'ai trouvé encore, relativement à la direction des fossettes sur les coupes transver- sales, une figure dans l'ouvrage de M. Davaine (2) ; elle est, je _Crois, empruntée à la Zoologie médicale de MM. Gervais et Van Beneden, ouvrage que je n'avais pas entre les mains, non plus que les autres travaux de ce dernier auteur. CONCLUSIONS. 1° Le corps du Bothriocephalus latus, comme substance, se compose d'une matière conjonctive formée de cellules. 2 L'enveloppe cutanée de la surface du corps est constituée par une cuticule amorphe. (4) Loc. cit., p. 444. (2) Traité des Entozoaires de l'homme. Paris, 4860. 5° série, ZooL. T. IIL. (Cahier n° 3.) 1 9 196 L. STIEDA. 3° Les éléments musculaires sont des cellules fusiformes du type des fibres musculaires dites lisses chez les animaux verté- brés. Ils sont ordonnés suivant trois directions, et forment : a. Une couche circulaire ou annulaire ; b. Une couche longitudinale ; ce. Des muscles transversaux isolés ; L° Le Bothriocephalus latus a un pore génital. 5° Les organes sexuels mâles se composent : a, Destesticules, situés dans les parties latérales des anneaux ; b. Du canal déférent, point de réunion des conduits issus de tous les testicules. Ce canal se rend dans un sac muscu- leux ou e. Sac du cirre, dont l'extrémité antérieure, se renversant au dehors, constitue : d. Le pénis, qui débouche à la partie supérieure du pore génital. 6° Les organes sexuels femelles comprennent : a. Un canal vaginal, qui débouche juste au-dessous du sac du cirre, dans le pore génital. b. Un ovigène, ayant la forme d’une H majuscule, situé sous et contre les couches musculaires à la face ventrale. e. Des vitellogènes et des vitelloductes, situés en grand nom- bre dans la couche corticale et sur les parties latérales de l’an- neau, et constitués par des amas granuleux reliés les uns aux autres, d’où résulte un système de canaux placés dans la partie médiane de l’article. d, Le canal efférent de l'ovigèëne, recevant, et un canal pro- venant de l'extrémité du vagin, et le vitelloduete, qui le rejoint dans la couche moyenne du corps. e. L'utérus ou réservoir des œufs. C'est un canal replié en nombreuses circonvolutions qui présente une ouverture particu- lière au-dessous du pore génital. f. La réunion entre l’origine du canal utérm (tube pelotonné) et la terminaison du conduit du germigène a lieu dans une dila- tation de ce dernier (glande pelotonnée). OBSERVATIONS STRUCTURE DU SYSTÈME NERVEUX DE LA CLEPSINE, Par M. KE. BAUDELOT. Les divers anatomistes qui se sont occupés de la structure du système nerveux chez les Hirudinées ont presque toujours choisi la Sangsue médicinale comme sujet de leurs investigations. Nous rappellerons à ce sujet les travaux de MM. Ehrenberg (1), Valentin (2), Helmholtz (3), Hannover (4), Will (5), Ch. Bruch (6), Leydig (7), E. Faivre (8). En faisant connaître aujourd’hui le système nerveux d'un type différent, la Clepsine, j'ai l'espoir d'ajouter à l'intérêt de leurs recherches un peu de l'intérêt qui toujours naît de la comparaison. Vue dans son ensemble, la chaîne nerveuse de la Clepsine paraît organisée sur le même type que chez les autres Hirudi- nées ; cette chaîne a été, du reste, parfaitement figurée par M. E. Blanchard, à l'occasion de son travail sur la Malaco- bdelle (9). — Au-dessus de la bouche existe un renflement céré- broïde bilobé, d'où partent deux connectifs très-courts, qui (4) Ehrenberg, Mém, Acad. de Berlin, 1834, p. 606 à 636, tab. 6 et 7. (2) Valentin, Nova Acta Acad, nat. curios., 1836, t. XVHIE, p. 202, pl. 8. (5) Helmbholtz, De fabrica systematis nervosi Evertebratorum. Berolini, 1842. (4) Hannover, Recherch, microscop, sur le syst. nerveux, 1844, pl, 6 et 7. (5) Will, Archives de Müller, 1844, p. 77. (6) Ch: Bruch, Zeitschrift für wissenschaftliche Zoologie. Herausgegeben von Sie- bold et Külliker, 1848-1849, p. 64, avec une planche. (7) Leydig, Zeitschrift für wissenschaftliche Zoologie, ete., 1848, p. 429, pl. 40, fig. 69 et 71 (genres Piscicola, Sanquisuga, Hæmopis),. (8) E. Faivre, Étude sur l'histologie comparée du système nerveux chez quelques animaux inférieurs, 1857, avec 3 planches. (9) Ann. sciences nat., 3° sér.s 1848, t. IV, pli 48. 128 E. BAUDELOT, embrassent étroitement l’œsophage et relient le centre cérébral au centre sous-æsophagien. Celui-ci, qui est relativement volu- mineux, est suivi d'une série de vingt et un ganglions bien dis- tincts, reliésentre eux par de doubles connectifs ; enfin, la chaîne se termine par une masse nerveuse allongée, dont l'extrémité répond au centre de la ventouse postérieure. Lorsque l’on soumet au microscope un des ganglions de la partie moyenne de la chaîne ventrale, on reconnaît que sa sur- face est recouverte d’une membrane hyaline, parfaitement trans- parente chez les jeunes sujets, renfermant au contraire une petite quantité de pigment chez les sujets plus âgés ; observons aussi que le sang de la Clepsine étant incolore, c’est là une condi- tion très-avantageuse pour l'observation. L'épaisseur de la mem- brane d’enveloppe est de 1/100° de millimètre environ ; dans son intérieur s'étale un réseau de fibres élastiques, sur le trajet des- quelles on aperçoit de distance en distance de légers renflements. Ces fibres élastiques sont d’une finesse extrême, à ce point que, pour les bien voir, il est nécessaire de les examiner sous un grossissement de 500 à 700 diamètres : elles s’entrecroisent en tous sens à la surface du ganglion, soit entre elles, soit avec des fibres semblables qui descendent des connectifs et des nerfs latéraux. Au-dessous de la membrane d’enveloppe et apparte- nant au ganglion lui-même, on distingue aisément deux sortes d'éléments parfaitement distincts : les uns fibreux, les autres celluleux. La portion fibreuse se présente sous l’aspect d’un ruban mé- dian qui se continue en avant et en arrière avec chaque paire de connectifs, et s’élargit insensiblement en approchant de la partie moyenne du ganglion, de manière à revêtir en ce point un aspect fusiforme ou losangique ; au niveau des angles de ce losange naissent de chaque côté les nerfs latéraux. Cette portion fibreuse forme un léger relief à la surface du ganglion , elle n’est pour ainsi dire qu'une expansion des con- nectifs; ceux-ei, en effet, après leur entrée dans le ganglion, restent encore quelque temps distincts, et ce n’est que vers le tiers moyen du ganglion qu'ils paraissent se confondre. Je n'ai STRUCTURE DU SYSTÈME NERVEUX DE LA CLEPSINE. 129 pas remarqué au niveau de la pénétration des connectifs, dans l'extrémité antérieure du ganglion, un étranglement analogue à celui qui existe chez la Sangsue médicinale, ou du moins s’il existe, il est à peine marqué. La portion celluleuse est constituée par six renflements capsu- laires de forme ovoide, et disposés de la manière suivante, Deux de ces capsules se trouvent situées sur la ligne médiane ; on les aperçoit par transparence au-dessous du ruban fibreux médian, lorsqu'on regarde le ganglion par sa face supérieure ; lorsque, au contraire, on examine le ganglion par sa face inférieure, ces deux capsules s'offrent directement à l'observateur, et l’on recon- nait aisément qu'elles sont appliquées sur cette face inférieure. Les quatre autres capsules occupent respectivement chacun des cadrans du ganglion, en sorte que si l’on se représente le gan- glion divisé en six compartiments, disposés deux à deux sur trois rangs parallèles d'avant en arrière, chacune des capsules occupe l’une de ces cases. Ces six capsules m'ont paru ne renfermer que des cellules uni- polaires, toutes donnant naissance à une fibre nerveuse. Voici quelques dimensions prises sur deux de ces cellules : longueur, 59/1000 de millimètre ; largeur, 15/1000%. — Longueur, 9/100*; largeur, 18/1000. D'autres cellules m'ont offert des dimensions un peu plus petites. Chacune de ces cellules uni- polaires renferme un gros noyau de forme ovalaire. Ce noyau, mesuré sur l’une des cellules précédentes, avait 1/20° de milli- mètre; il renfermait plusieurs nucléoles, dont le plus gros mesurait 1/350° de millimètre. Les fibres nerveuses qui naissent des cellules unipolaires des quatre capsules externes rayonnent vers le centre du ganglion, où elles viennent s’entrecroiser soit avec les fibres provenant des capsules opposées, soit avec les fibres qui descendent des connec- tifs et des nerfs latéraux ; il résulte de cet enchevêtrement une sorte de feutrage dans lequel les fibres se perdent sans qu'il soit possible de suivre leur trajet. Les quatre capsules ou groupes de cellules externes me parais- ent correspondre parfaitement aux amas de cellules unipolaires, 130 E, BAUDELOT. que l’on observe au pourtour des ganglions chez la Sangsue mé- dicinale ; quant aux deux capsules médianes, il me serait difficile à présent d'établir à leur égard aucune comparaison suffisam- ment motivée. Chacune de ces six capsules peut en quelque sorte être regar- dée comme un noyau ganglionnaire distinct, car elles s’isolent toutes du ganglion avec la plus grande facilité, lorsqu'on à laissé macérer pendant quelques jours une Clepsine dans un mélange étendu d’eau et d'acide azotique. Il suffit, pour obtenir ce résul- tat, de comprimer doucement le ganglion entre deux lames de verre, Des connectifs. — Chaque ganglion, avons-nous dit, se trouve relié à celui qui le précède et à celui qui le suit par un connectif double. Ces deux cordons sont entourés d’une gaîne commune formée d’une membrane transparente, dont la composition est identique en tout point avec celle de la membrane qui revêt les ganglions ; l’écartement des connectifs est de 3/100° à 4/100° de millimètre environ; quant à leur longueur, elle est très- variable, selon le point de la chaîne où on les examine; cepen- dant, d’une manière générale, on peut établir que cette lon- gueur est d'autant moins considérable, que l'on se rapproche davantage, soit de l'extrémité antérieure, soit de l'extrémité postérieure de la chaîne nerveuse; elle finit même par être nulle dans les deux renflements sous-æsophagien et caudal. Voici du reste un tableau de mensurations qui permettra d'apprécier avec exactitude les variations de ces connectifs : Du sous-æsophagien au 1° ganglion....... 9/100% de millimètre. Du 4“ ganglion au 2° ERNEST 15/100°S _— 2e — au 3 — ...... 207100 — 5° _— au 4e ER 408 à, , 30/100°S —_ 4e — au 5° — _.…..,.. 28/100° — 5° — au 6€ > L'Ospis: 24/100€ — 6° — au 7° EE ces 20) 100 —— 7e — au 8. — ../0/8 60/4006 L. 8e — au 9° — ss 60/100° — ge — au 10€ — oser D5/100°5 _— 10° — au 11° — sos uvs J4/LUUrE STRUCTURE DU SYSTÈME NERVEUX DE LA CLEPSINE. 494 Du 11° ganglion au 12° ganglion, ....,., 60/100%, de millimètre, 129 — au 43° —=hhas. 58/1005 — 13° — au 14° ES nie À ci 47/1005 — que — au 15° EE ds NES 52/1006 — 15° — au 46° RER FEU 10/1008 — 16e — au 417€ _ se. 22/1005 — ie — au 18° — à ose &4/100°S — 18e — au 190 M Me 20/100€ — 19e — au 20° TU, MNT 16/100€$ — 20° — au 21° =. ...., 14/1005 — 21° — au renflement caudal., 8/100° — On voit par ce tableau que, malgré quelques oscillations, les connectifs s’allongent graduellement à mesure que l’on s'éloigne davantage des deux extrémités du corps, et qu'ils atteignent leur maximum de longueur vers le milieu de la chaîne nerveuse. Le diamètre transversal des connectifs est d'environ 2/100* de millimètre ; cette épaisseur reste à peu près la même dans toute l'étendue de la chaîne ganglionnaire ; quelquefois cependant elle paraît subir une trés-légère augmentation vers chacune des extrémités de l'axe nerveux. Au point de vue de leur structure, les connectifs m'ont paru composé d'une matière fibro-granuleuse sans fibres nerveuses distinctes ; il y a donc ici parfaite ressemblance avec ce qui existe chez la Sangsue médicinale. Entre les deux cordons qui constituent chaque paire de con- nectifs, on aperçoit un cordon nerveux tout à fait analogue à celui que M. Faivre a signalé chez la Sangsue sous le nom de nerf'intermédiaire ; mais chez la Clepsine, ce cordon est beaucoup moins facile à voir que chez la Sangsue, et ce n’est guère qu'à l’aide de coupes longitudinales des ganglions et des connectifs que j'ai pu nettement l’apercevoir ; de même que les connectifs, il paraît composé d'une matière fibro-granuleuse, sans fibres distinctes. Ce nerf intermédiaire, comme celui de la Sangsue, envoie tantôt vers l’un, tantôt vers l’autre des connectifs, un rameau anastomotique ; il m'a paru se perdre dans l'épaisseur des ganglions auxquels il vient aboutir. Les renflements sous-æsophagien, caudal et cérébroïde, ne se trouvent pas compris dans la description qui précède, mais ce 132 E. BAUDELOT. qui a été dit va nous permettre d'en saisir tres-aisément la dispo- sition. Le renflement sous-æsophagien est volumineux; sa forme peut être assimilée à celle d'un triangle, dont le sommet tronqué se continue avec la chaîne ganglionnaire, dont la base concave embrasse le pourtour inférieur de l'æsophage, et dont les angles antéro-latéraux font suite aux connectifs cérébraux. Cette masse nerveuse est recouverte d’une membrane fibro- élastique, transparente, de même nature que celle qui revêt les autres ganglions ; sur ses bords se trouve échelonnée une série de capsules remplies de cellules unipolaires, semblables à celles que nous avons signalées à la périphérie des ganglions de la chaîne ventrale ; sur la ligne médiane, on aperçoit également une double série formée de huit à dix capsules ou renflements analogues. En comptant ces capsules, et en se rappelant que chaque ganglion simple en renferme six, on arrive ainsi à recon- naître que la masse sous-æsophagienne est formée de la réunion d'au moins quatre ganglions qui se trouvent confondus par suite du raccourcissement extrême de leurs connectifs. Souvent aussi on aperçoit sur la ligne médiane deux ou trois petits orifices ovalaires, qui correspondent aux espaces qui séparent les con- nectifs. La masse nerveuse caudale nous à présenté une disposition tout à fait analogue à celle du renflement sous-æsophagien ; comme celle-ci, elle est tapissée d’une couche très-résistante de tissu fibro-élastique ; elle offre également sur ses côtés et sur sa partie moyenne plusieurs séries de capsules renfermant à l’inté- rieur des cellules unipolaires. En nous basant sur le même mode d'appréciation que tout à l'heure, nous avons pu établir que cette masse nerveuse résulte de la fusion de sept ganglions au moins. Du reste, comme pour le ganglion sous-æsophagien, on aperçoit parfois sur la ligne médiane une série de petits orifices ovalaires qui correspondent aux espaces très-rétrécis qui sépa- rent les connectifs. J'ai pu compter sept de ces orifices sur une préparation où cette disposition était très-nette. Quant au cerveau, nous avons été surpris de constater que STRUCTURE DU SYSTÈME. NERVEUX DE LA CLEPSINE. 133 rien non plus dans sa composition ne le différencie des autres ganglions : il se compose d'une anse fibro-nerveuse qui fait suite aux connectifs, et passe au-dessus de l’œsophage ; sur les bords de cette anse se trouvent étagées de chaque côté six capsules avec cellules unipolaires, semblables à celles des ganglions simples ; une partie des fibres qui naissent de ces cellules uni- polaires m'a paru se porter vers la ligne médiane, et passer d'un côté au côté opposé. Ici encore nous sommes donc fondés à admettre que le cer- veau résulte du rapprochement de deux ganglions simples. Jus- qu’alors, je crois, aucun type parmi les Annelés inférieurs n'a permis de saisir avec autant de clarté l'analogie de structure qui existe entre les ganglions cérébroïdes et les autres centres de la chaîne nerveuse, ni d'établir avec autant de certitude l'unité de composition qui règne dans toute l'étendue de la chaîne gan- glionnaire. Nerfs latéraux. — Du milieu de chacun des bords des gan- glions émergent les nerfs latéraux. Ceux-ci, au nombre de deux de chaque côté, sont accolés l'un à l'autre à leur sortie du gan- glion, et réunis dans une gaine commune fibro-élastique, trans- parente, qui se continue avec l'enveloppe du ganglion. Cette gaine élastique se crispe au contact de l'acide acétique étendu, et laisse saillir les nerfs qu’elle renferme quand ceux-ci se trou- vent rompus dans le voisinage du ganglion. Les deux nerfs laté- raux sont contigus, avons-nous dit, au niveau du bord externe du ganglion ; mais si on les poursuit en remontant vers leur ori- gine, on reconnaît qu'ils divergent bientôt pour former deux racines, l'une qui se porte transversalement en dedans entre les deux extrémités contiguës des deux capsules externes et au dessous d’elles, l’autre qui passe sous l'extrémité antérieure de la capsule postérieure externe, et se dirige obliquement en de- dans et un peu en arrière vers le tiers antérieur du bord externe de la capsule médiane postérieure. Mais, en réalité, ces deux racines naissent de la zone fibro-nerveuse médiane, ainsi qu'il est aisé de le reconnaître sur des ganglions que l'on a laissés séjourner dans l'acide nitrique trés-étendu ; en comprimant 134 E. BAUDELOT, doucement l’un de ces ganglions, les capsules celluleuses qui l'entourent se détachent, et l'on aperçoit les deux branches nerveuses qui se continuent directement avec la zone fibreuse, D'abord accolés à leur sortie du ganglion, les nerfs latéraux ne tardent pas à se séparer et à se ramifier en présentant sur leur trajet plusieurs particularités fort intéressantes. Ainsi, presque toujours la branche antérieure présente sur l’un de ses côtés un renflement ganglionnaire constitué par une matière granuleuse, au sein de laquelle existe un gros noyau ovalaire ordinairement pourvu de plusieurs nucléoles. La distance de ce renflement au ganglion principal est de 2 millimètre environ; quant à ses dimensions, voici les chiffres que j'ai recueillis sur deux d’entre eux : longueur, 12/100% de millimètre ; largeur, 6/100%, — Longueur, 1/10°; largeur, 3/100*. Tantôt ce renflement est fusiforme, et il envoie une courte branche anastomotique à la racine postérieure ; d’autres fois il est triangulaire où quadrangulaire, et il émet de chacun de ses angles un rameau nerveux, dont l’un va s'unir avec la racine postérieure. Comme on le voit, cette disposition rappelle assez bien, du moins par son aspect, les racines motrices et les racines sensitivés des animaux vertébrés. Une autre particularité non moins intéressante se manifeste par l'existence de cellules nerveuses, isolées et appendues d'espace en espace comme des grains de raisin sur les extré- mités les plus déliées des nerfs. Ces cellules, de forme arrondie ou ovalaire, tantôt sont sessiles sur l’un des côtés d’un filét ner- veux; tantôt elles se trouvent unies à ce filet par l'intérmé- diaire d’un tube nerveux, à l'extrémité duquel elles se trou- vent placées. Le diamètre dé quelques-unes de ces cellules que j'ai mesurées était de 2/100% à 3/100° de millimètre ; elles sont formées d’une enveloppe mince qui renferme une matière gra- nuleuse, au sein de laquelle se trouve un noyau ovalaire pourvu d’un où de plusieurs nucléoles. Quelle est la signification de ces cellules? On sait que Brandt avait signalé chez la Sangsue médicinale l'existence d’un sys- tèine nerveux spécial analogue au système gastrique. Depuis STRUCTURE DU SYSTÈME NERVEUX DE LA CLEPSINE, 135 Brandt, divers observateurs reprirent l'étude du stomatogas- trique de la Sangsue, mais sans pouvoir retrouver le nerf que Brandt avait décrit. Ch. Bruch n’en fait pas mention dans son travail ; M. Moquin-Tandon avoue l'avoir cherché en vain ; M. deQuatrefages lui-même n’a pas été plus heureux. La ques- tion en était restée à ce point, lorsque, en 4857, M. E. Faivre découvrit dans l'épaisseur de la membrane stomacale de la Sangsue un réseau formé de cellules et de tubes nerveux, réseau bien réel, qu'il rattacha au système gastrique, mais dont 1l ne put cependant établir les connexions. Les faits que je viensde signaler chez la Clepsine me semblent jeter quelque lumière sur ce point encore obscur. 11 me parait tout à fait probable que les cellules nerveuses appendues sur les extrémités terminales des nerfs de la Clepsine, ainsi que les tubes nerveux qui supportent ces cellules, sont les représentants du réseau gastrique de la Sangsue. Les cellules nerveuses que nous avons mesurées sur la Clepsine ont, du reste, des dimensions (2/100% à 3/100° de millimètre) qui se rapprochent tout à fait de celles que M. Faivre a données pour les cellules du réseau gastrique de la Sangsue. Ainsi done, chez les Hirudinées, on retrouverait, entre les nerfs de la vie animale et ceux de la vie végétative, cette confusion du travail physiologique que M. de Quatrefages a déjà signalée précédemment chez certaines Annélides. Quant à leur structure, les nerfs m'ont paru composés d’une matière fibro-granuleuse, sans fibres bien distinctes, comme chez la Sangsue. Voici, pour terminer, les procédés de recherche auxquels j'ai eu recours, et à l’aide desquels il deviendraacile de vérifier les dispositions que j'ai signalées. Pour l'étude des ganglions simples, la chaîue nerveuse à l’état frais est très-convenable; on distinguera ainsi très-aisément les six capsules avec leurs cellules unipolaires ; on pourra dans cer- tains cas s'aider d’un peu d'acide acétique ou d'acide chromique étendus, selon que l’on voudra, ou donner au ganglion plus de transparence, ou en accentuer davantage les détails. Pour bien voir les renflements ganglionnaires et les cellules nerveuses qui 136 E. BAUDELOT, dépendent des nerfs latéraux , il est indispensable de laisser macérer pendant quatre, cinq ou six jours, une Clepsine dans de l’eau additionnée d’un cinquième environ d'acide azotique ordi- paire ; au bout de ce temps, l'animal a pris une coloration jau- nâtre, et tout le tissu musculaire se désagrége au moindre contact ; il suffit alors de saisir la chaîne nerveuse avec de fines pinces, et de l’arracher pour entraîner avec elle les nerfs latéraux et toutes les ramifications qui en dépendent. Le même mode de prépara- tion est aussi très-avantageux pour l'étude du cerveau, des ren- flements sous-æsophagien et caudal : ces parties adhèrent d’une manière si intime aux tissus environnants, et sont tellement dif- ficiles à isoler, que je crois qu’il serait presque impossible de les étudier autrement. EXPLICATION DES FIGURES. PLANCHE 2. Fig. 4. Un des ganglions de Ja partie moyenne de la chaîne ventrale : 4,4, capsules renfermant des cellules unipolaires ; b, b, connectifs ; n, n, nerfs latéraux ; g, gaine du ganglion. Fig, 2. Cellules unipolaires d'une des capsules du ganglion précédent. Fig. 3. M, masse sous-æsophagienne ; C, G, cerveau : a, a, a, capsules renfermant des cellules unipolaires ; 0, 0, 0,0, orifices représentant les intervalles des connectifs. Fig. 4. Cerveau et masse sous-æsophagienne vus de profil: a, a, capsules avec cellules unipolaires à l’intérieur. Fig. 5. R, renflement caudal ; 4, a, capsules avec cellules unipolaires à l’intérieur ; ñn,n, nerfs terminaux. Fig. 6. f, Masse nerveuse caudale, séparée de toutes les capsules avec cellules unipo- laires qui l'entourent ; 0,0, 0, orifices représentant les intervalles des connectifs. Fig. 7. a, renflement ganglionnaire situé sur le trajet des nerfs latéraux ; b, b, cel- lules nerveuses appendues sur les extrémités des nerfs latéraux. Fig. 8. Montrant l’origine des nerfs latéraux. Ces nerfs n, n, viennent de la masse fibro-nerveuse qui forme le centre du ganglion. Fig. 9. Un des ganglions des nerfs latéraux présentant plusieurs pôles avec un noyau central. Fig. 44. Autre ganglion de l’un des nerfs latéraux n'offrant que deux pôles. Fig. 40, 12. Cellules appendues sur les extrémités des nerfs latéraux. OBSERVATIONS SUR L'APPAREIL RESPIRATOIRE DE QUELQUES OISEAUX, Par M. ALPHONSE MILNE EDWARDS. , Depuis 1573, époque à laquelle Coiter Constata pour la pre- mière fois que chez les Oiseaux l'air introduit dans les poumons ne s'y arrête pas, comme cela a lieu chez les Mammifères, mais passe outre, et se répand dans diverses parties du corps, l'appareil respiratoire de ces animaux à été l’objet de beaucoup de travaux importants : Harvey, Perrault, Hunter, Camper, Cuvier, s’en sont occupés successivement ; enfin, de nos jours, MM. Sappey (1), Natalis Guillot (2) et Lereboullet (3) ont publié sur les réservoirs pneumatiques des Oiseaux des recherches nouvelles et appro- fondies. Il reste cependant à ce sujet plusieurs questions sur les- quelles les naturalistes ne sont pas d'accord, et dernièrement l'attention a été appelée sur ces points en discussion par l’auteur du traité le plus récent sur la physiologie et l’anatomie com- parées (4). Une de ces questions indécises ou tout au moins discutables est relative à la disposition de l'appareil respiratoire des Pélicans. En 1730, un des membres de l’ancienne Académie des sciences, Méry, en disséquant un de ces grands Palmipèdes, y trouva de l’air eutre les membres et la peau (5). Vers la fin du (1) Sappey, Recherches sur l'appareil respiratoire des Oiseaux, in-4°, 1847. (2) Natalis Guillot, Mémoire sur l'appareil respiratoire des Oiseaux (Ann. des sc. nat., 28 série, 1816, t. V, p. 25). (3) Lerchoullet, Anatomie comparée de l'appareil respiratoire dans les animaux vertébrés, 1838. (4) Milne Edwards, Leçons sur l'anatomie et la physiologie comparées (t, IL, p. 361, 1857). (5) Méry, Observation sur la peau d'un Pélican (Mém. de l'Acad. des sciences, 1730, p. 433). F- 138 ALPHONSE MILNE EDWARDS. siècle dernier, Hunter enregistra brièvement un fait sem- blable, et plus récemment M. Owen (1) et M. Jules Verreaux (2) ont eu l'occasion de faire des observations analogues. Mais M. Sappey, dont l'autorité est très-grande en pareille matière, pense que l'existence des cellules aériennes sous-cuta- nées est, pour le moins, très-problématique, et, de même que M. Natalis Guillot, ilest porté à croire que, chez les Oiseaux, l'air ne pénètre Jamais ni dans le tissu cellulaire intermusculaire, ni sous la peau (3). En effet, M. Sappey a parfaitement bien constaté que l'air contenu dans les plumes des Oiseaux ne vient pas de l'appareil pulmonaire, comme le supposaient Gerardi, Malacarne et Cuvier, mais y arrive directement du dehors (4); par consé- quent, on pouvait penser que Méry et ceux qui partagent ses vues, relativement à l'extension des réservoirs pneumatiques du Pélican, avaient été induits aussi en erreur par quelques ‘cir- constances accidentelles. J'ai donc saisi avec empressement une occasion qui s’est pré- sentée pour étudier de nouveau ce point particulier de l'histoire de la respiration des Oiseaux. La ménagerie du Muséum d’his- toire naturelle avait recu en 1862, par les soins de M. Bocourt, plusieurs Pélicans de Siam, et ces Oiseaux étant morts récem- ment, j'ai pu les étudier avant qu'on en eût enlevé la peau pour les préparations taxidermiques auxquelles ils étaient destinés. L'examen extérieur de l’un de ces grands Oiseaux a suffi pour me faire reconnaître une crépitation très-marquée lorsqu'on pressait mégalement sur divers points de la peau, phénomène qui indiquait la présence d’un gaz dans ces parties ; mais afin de faciliter la constatation des faits, le corps entier de l'animal fut placé dans une cuve à eau et complétement submergé avant que d'y faire aucune Imcision ; puis une petite ouverture fut pratiquée à la peau de l'aile, et aussitôt je vis s'échapper du tissu cellu- laire sous-cutané plusieurs bulles de gaz, Par conséquent, il ne a } Owen, Proceed. of the Zool. Soc, of London, 1835, p. 9. (2) J. Verreaux, dans Froley, Du travail dans l'air comprimé, 1863, p. 79, (3) Sappey, op. cit., p. 70. (4) Sappey, 0p. cit., p. 80, DE L APPAREIL RESPIRATOIRE DE QUELQUES OISEAUX. 139 pouvait y avoir aucune incertitude relativement à l'existence d'un fluide aériforme dans les lacunes du tissu conjonctif qui, dans cette partie du corps, lie les téguments aux muscles ; mais on pouvait encore se demander si cet air venait des pou- mons. Une sonde fut alors introduite dans la trachée-artere du Pélican ainsi submergé, et un aide insuffla les poumons. Le corps de l'Oiseau se gonfla comme d'ordinaire en pareille circonstance, et des bulles d'air en grand nombre s'échappérent de la petite plaie faite à la peau de l'aile ; une ligature fut ensuite placée de façon à fermer l'ouverture par laquelle l'air s'écoulait, et une petite boutonnière fut pratiquée à la peau de la jambe. Le résultat fut encore le même, l'air insufflé dans les poumons s'échappait par cette voie. En variant la position des ouvertures artificielles ainsi disposées, j'ai pu me convaincre que l'air passe librement, des poumons et des poches membraneuses qui font suite à ces organes, dans le tissu cellulaire sous-cutané, non- seulement au voisinage du tronc, mais jusqué dans les doigts des pieds et à l'extrémité des ailes. Ce ne sont pas des poches pneu- matiques analogues à celles dont les poumons sont entourés chez tous les Oiseaux, qui s'étendent sous la peau du Pélican ; c'est dans les mailles d’un tissu cellulaire sous-cutané ordinaire que l'air pénètre, et cela au moyen de communications analogues à celles qui permettent toujours le passage de l'air de ces poches membraneuses dans l'intérieur des os. Ces résultats sont parfai- tement d'accord avec ceux obtenus par M. Owen, et en multi- pliant mes observations, je me suis assuré qu'il n°y avait là rien d’accidentel, Ainsi, chez le Pélican, l'appareil respiratoire n’est pas formé, comme chez le Coq, le Canard et l'Autruche, par les poumons et les sacs pneumatiques seulement ; l'air inspiré, après avoir traversé ces organes, pénètre dans presque toutes les parties du corps, et cet Oiseau, dans son état normal, se trouve gonflé à peu près comme le sont les cadavres de nos animaux de bou- cherie, dont on insuffle artificiellement le tissu sous-cutané pour leur donner l'apparence de l'embonpoint. La quantité d'air que le Pélican peut emmagasiner de la sorte est énorme. Après avoir gonflé le corps d'un de ces Oiseaux en 140 ALPHONSE MILNE EDWARDS, soufflant dans sa trachée-artère, et après l'avoir plongé dans une cuve à eau, j'ai recueilli le gaz que la compression faisait sortir des ouvertures pratiquées dans diverses parties de la peau ; j'en ai obtenu de la sorte dix litres et demi, et cependant ilen restait encore dans les lacunes du tissu cellulaire sous-cutané, aussi bien que dans les poumons et dans l'intérieur des os. Cette grande extension de l'appareil pneumatique nous four- nit l'explication de certaines particularités de mœurs que les voyageurs ont souvent observées chez les Pélicans, les Albatros et quelques autres Oiseaux pélagiques. On sait que ces grands Pal- mipèdes sont capables non-seulement de nager avec une aisance extrême, mais aussi de flotter à la surface de l’eau sans exécuter aucun mouvement; qu'ils se reposent de la sorte, et peuvent même dormir sur les vagues d’une mer houleuse. En effet, la quantité d'air emprisonné dans leur corps les rend spécifique- ment plus légers que l’eau, et leur permet même de porter un poids considérable sans enfoncer. Ainsi, dans une expérience que j'ai faite pour me rendre compte de l'influence de cette cir- constance, le cadavre d’un de nos Pélicans, qui, dans l'air, pesait h*,150, et qui avait été préalablement insufflé, a pu être chargé d’un poids de 10 kilogrammes et demi, sans que cela l’'empêchât de continuer à se maintenir sur le bain dans lequel on l'avait placé. Ainsi le poids du corps de l'animal à pu être presque triplé, sans qu'il cessät de flotter à la surface de l'eau. Chez un Tantale que j'ai pris comme terme de comparaison, les réservoirs aériens, comme d'ordinaire, ne s’étendaient que jusqu’à la base des membres, et ne communiquaient pas avec les cellules du tissu conjonctif sous-cutané ; aussi la quantité d'air dont le corps pouvait se charger était-elle bien moindre, et chez un individu qui pesait 1*",800, la submersion du corps fut déter- minée par l'addition d'un poids de 1*°,700. Un Agami, qui pesait 0,950, s'enfonçait dans l'eau lorsqu'on le chargeait d'un poids de 50 grammes; mais après avoir été insufflé, il supportait, sans enfoncer, 400 grammes. Un Canard millouin, du poids de 340 grammes, une fois insufflé, ne futsubmergé que par un poids de 500 grammes, APPAREIL RESPIRATOIRE DE QUELQUES OISEAUX. 11 c'est-à-dire une fois et demie plus considérable que le sien propre. Le Pélican n'est pas le seul Palmipède qui s'éloigne des Oiseaux ordinaires par la diffusion des réservoirs aériens. Ainsi que M. Owen l'avait déjà remarqué, le Fou de Bassan présente quelque chose d'analogue ; mais en examinant un de ces Oiseaux provenant de la ménagerie du Muséum, j'ai trouvé que les cavités pneumatiques sous-cutanées n’y sont pas disposées comme chez le Pélican. Sur toute la région pectorale, la peau n’adhère qu'à peine aux muscles sous-Jacents, et c'est dans des réservoirs très- vastes et parfaitement délimités que l'air s'amasse. La quantité totale de gaz que J'ai extraite du corps d’un de ces Oiseaux, préalablement gonflé par insuflation dans la trachée-artère, a dépassé trois litres. Linné rapporte, d’après Jacquin, que, chez le Kamichi du Paraguay, oiseau qui prend place dans l’ordre des Échassiers, mais qui ressemble à un Gallinacé par la lourdeur de ses formes, les jambes sont gonflées, et que la peau craque sous le doigt par suite de la présence d'air entre cette membrane et les muscles. J'ai eu dernièrement l’occasion de disséquer un de ces Oiseaux si rares (1), et j'ai tout d'abord reconnu l'exactitude de l’obser- vation que je viens de rappeler, puis j'ai constaté que l'espèce d'emphysème signalé par Linné était dû à une disposition anatomique analogue à celle dont l'étude m'avait occupé pré- cédemment chez les Pélicans. En effet, l’air poussé dans la trachée-artère s'est répandu dans le tissu cellulaire sous-cutané jusqu’au bout des ailes et à l'extrémité des doigts des pieds, aussi bien qu'à la tête et tout autour du tronc. Mais chez cet Oiseau, iln y avait pas de grands réservoirs pneumatiques entre la peau et les museles de la poitrine et de l'abdomen, comme chez le Fou de Bassan; pourtant les mailles du tissu cellu- laire étaient serrées, et malgré l'étendue des cavités occupées par l'air, la quantité de ce fluide que j'ai recueilli dans les (4) Ce Kamichi (Palamedeu chavaria) avait été rapporté de Montevideo et donné an Muséum par M. Lasseaux. 5° série. Zoo. T. IIL. (Cahier n° 3.) 2 10 149 ALPHONSE MILNE EDWARDS. diverses parties de l'organisme sur un individu dont le volume égalait celui d’une grosse Dinde, ne s’éleva qu'à environ un litre. Il est aussi à noter que les sacs aérifères proprement dits qui naissent des poumons, et qui sont renfermés presque en entier dans la grande chambre viscérale, sont peu développés. Nous voyons done, en résumé, que les doutes élevés par plu- sieurs anatomistes sur l'existence de la diffusion de l'air dans le tissu cellulaire sous-cutané chez le Pélican et chez quelques ani- maux de la même classe ne sont pas fondés, et que chez les trois espèces où cette anomalie avait été remarquée, de même que chez les Oiseaux ordinaires, l'air arrive dans les parties périphé- riques du système respiratoire par l'intermédiaire de la trachée- artère et des poumons. Il me paraît probable qu'une disposition anatomique analogue à celle dont l'étude vient de m'occuper chez le Pélican et le Fou de Bassan, se retrouvera chez d’autres Oiseaux de haute mer, tels que les Albatros ; mais jusqu'ici je n'ai pas eu à ma disposition les sujets d'observation nécessaires pour résoudre la question. CONSIDÉRATIONS SUR LA PHYSIONOMIE EN GÉNÉRAL ET EN PARTICULIER SUR LA THÉORIE DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION, Par P. L. GRATEOLEX (1) Messieurs , J'ai eu l'honneur de traiter l’année dernière, devant vous, de la dignité de la forme humaine. A cette occasion, j'affirmais que l'Homme seul avait le privilége de cette parole libre et créatrice qui, donnant un corps à ses pensées les plus abstraites, les fait agir et vivre au delà de lui-même dans le monde extérieur ; mais je faisais en même temps remarquer qu'il parlait encore un autre langage, qui lui est commun avec- tous les animaux. Ce langage commun, universel, est celui de la physionomie et du geste. Il fut parlé dès le commencement des choses ; et tant qu'un être vivant foulera la surface de la terre, il se manifestera, il retentira dans l’espace, il étincellera comme un rayonnement nécessaire de la vie unie à la sensibilité. Le hasard, messieurs, n’a rien fait dans ce monde. Ce langage a done ses lois, et c'est de ces lois que j'aurai l'honneur de vous (1) Nous venons de perdre un naturaliste éminent: M. Pierre Gratiolet, professeu de zoologie à la Faculté des sciences de Paris, est mort subitement le 16 février. Le Annales des sciences naturelles renferment plusicurs de ses travaux, ct, afin de donner aux lecteurs de ce recueil une idée de son mérite comme professeur, nous croyons ne pouvoir mieux faire que de reproduire ici la leçon brillante qu'il fitie 20 janvier der- nier à l'une des soirées scientifiques et littéraires de la Sorbonne, en présence d'une immense assemblée, Ses amis se proposent de réunir en un volume la plupart de écrits d’un intérêt général qu’il a insérés dans diverses publications périodiques, e nous rappellerons qu'il est l’auteur de deux ouvrages remarquables, portant, l’un sur les plis cérébraux de l'Homme et des Primates, l’autre sur les fonctions du système nerveux. M. Gratiolet a laissé en portefeuille des recherches sur l'anatomie des Singes abthropomorphes et sur l'Hippopotame, L'article que nous reproduüisons ici a été rédigé par M. Gratiolet, ct inséré dans là Revue des cours scientifiques, le A1 février 1865, 14h P, L, GRAYIOLET. entretenir aujourd'hui. Ces lois sont grandes ; elles sont simples, et comme elles sont écrites en vous, je n'aurai besoin, pour vous les rendre sensibles, m1 du secours de la physique, ni de celui de la peinture. 11 me suffira de faire appel à la connaissance que vous avez de vous-mêmes. C’est en vous, c’est dans vos souvenirs et dans vos sentiments intimes que je trouverai mes preuves ; c'est dans votre raison seule que j'espère trouver la justification de mes paroles. L'étude de la physionomie est aussi vieille que l’histoire ; mais elle n’a jamais pris chez les anciens le caractère d’une science. A leurs yeux, c'était un art empirique de se mettre à l'abri de l'erreur dans les jugements immédiats qu’on porte sur les hommes, en devinant les caractères, d’après certains signes fournis par la forme extérieure. Aristote nous apprend que, de son temps, on croyait parvenir à ce résultat, en mettant en usage trois méthodes peu différentes l’une de l’autre, et qui avaient pour point de départ commun le principe des ressemblances. Dans un premier cas, on Jugeait du caractère des Hommes d’après leur ressemblance plus ou moins prochaine avec certains animaux. Le Lion, roi par la force, était le symbole accepté du courage, de la générosité, du désintéressement magnanime, et toutes ces qualités étaient attribuées à l'Homme dont la phy- sionomie rappelait celle du Lion. Ressembler à une Guenon ou à un Macaque était un signe irrécusable d'étourderie, d'imperti- vence et de malice ; la sordité était le partage de ceux dont les traits rappelaient ceux des Pourceaux ; mais on ne s'arrêta pas à ces ressemblances générales, et bientôt on osa conclure d’après les similitudes partielles les plus futiles, et J'ajouterai les moins certaines. Dans un second cas, on réduisait davantage le champ de la comparaison. On sait que les grandes nations, celles surtout dont la race est homogène et pure, se distinguent par un certain nombre de caractères physiques qui les font aisément recon- uaitre, et, le plus souvent, avec ces physionomies diverses coïn- cident des aptitudes et des tendances morales tres-différentes. Quelques physionomistes anciens attribuaient, en conséquence, THÉORIE DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 115 s' à ceux qui, dans une nation, rappellent les traits d’une race étrangère, les caractères intellectuels et moraux de cette race. Dans un troisième cas, la théorie des ressemblances s’appli- quait à un champ plus circonscrit encore, et par conséquent elle offrait peut-être moms de chances d'erreur. On examinait avec attention les formes, les mouvements, les tics, les attitudes de ceux que distinguaient exceptionnellement certaines vertus, cer- tains talents ou certains vices ; et l’on attribuait aux personnes qui leur ressemblaient en quelque chose les mêmes vertus, les mêmes talents, les mêmes vices. Aristote et tous les physionomistes anciens ont employé simul- tanément ces trois méthodes, dont le moyen âge s’empara en y mêlant des billevesées astrologiques. Il en résulta une foule de petits ouvrages, qui se répêtent les uns les autres avec une déso- lante monotonie. Ajoutons que, de tout temps, les médecins sen mélerent et firent intervenir l'étude des tempéraments. Parmi les auteurs qui ont écrit sous l'inspiration d’Aristote, le plus célèbre, à juste titre, est le Napolitain Porra; son livre est encore aujourd'hui recherché par les curieux. A chaque page de cet ouvrage, le portrait d’un Homme est mis en parallèle avec celui de quelque animal, et des indices de ressemblances phy- siques sont pour Porta des signes à peu près certains de ressem- blances morales. Vous apercevez, messieurs, dès l’abord, le vice de ces mé- thodes anciennes; Porta lui-même en reconnait l'incertitude : «Ma science, dit-il, est conjecturale et n’atteint pas toujours la fin qu'elle se propose. » Nous pourrions aller plus loin et prou- ver que toute sa théorie est fondée sur les principes futiles, sur des observations incertaines, et ne pourrait conduire qu'à des conséquences ridicules. Le dernier siècle à produit des œuvres meilleures, et le nom de Lavarer se présente naturellement ici. Le livre de Lavater sur la physionomie, écrit avec un charme naïf, accompagné de dessins choisis avec un tact exquis, et publié d’ailleurs avec le plus grand luxe, acquit dès ses débuts une célébrité européenne. Il est encore aujourd’hui populaire ; mais 146 P. L. GRATIOLET. c'est bien à tort que l’on dit et que l’on écrit à tout propos le sysTÈME de Lavater. La vérité est que Lavater n’a jamais eu de système. Doué d’une finesse et d’une sensibilité prodigieuses, une sorte de divination naturelle dicte ses jugements. Les moindres modifications de la forme ont pour lui une signification qui s'impose à son intelligence. Étonné lui-même des découvertes de son instinct, il les admire, il les chante ; mais des phénomènes qu'il observe, il ne sait point la théorie; il ne s’en inquiète point : une physionomie le charme, une autre le repousse et produit en lui un certain malaise ; il n'en sait pas davantage. En un mot, nous pourrions fort justement le comparer à un homme aui en- tend et parle facilement une langue sans en connaître la gram- maire et la genèse philologique. Le jugement que je porte iei sur Lavater a été déjà formulé en termes peut-être trop sévères par deux célèbres naturalistes . allemands, MM. Srrx et Huscuxe. Nous parlerons peu de M. Spix ; il est moins un physionomiste qu'un cräniologiste à la manière de Gall et de Carus. Quant à M. Huschke, il s’'magine trouver la clef du mystère dans ce que les naturalistes allemands ont adoré si longtemps sous le nom de Lor pe rorariTé. Les sentiments . agréables sont expansifs ; les sentiments opposés sont contractifs, si je puis ainsi dire. Telle est en bref la théorie de M. Huschke; elle me semble réduire à des termes bien simples une question du premier abord très-compliquée. Je doute d’ailleurs que les acteurs et les peintres pussent appliquer, avec un bien grand succès, le principe qu'il invoque. Je ne ferai qu'indiquer ici des essais dus à des physiologistes célèbres. Cnarces Bezxr, l’auteur fameux de la distinction des nerfs moteurs et sensitifs, avait cru pouvoir ranger dans une classe distincte tous les nerfs qui concourent aux actions respi- ratoires. Or, suivant lui, tous les mouvements de l'expression faciale dépendent de ces nerfs ; Charles Bell en conclut que le principe qui détermine les mouvements respiratoires est le prin- cipe même de la physionomie. Il faut pardonner à l’auteur d’une grande découverte si, juste- ment pénétré de l'importance de ses travaux, il se fait quelque THÉORIE DES MOUVEMENTS D EXPRESSION. A7 illusion sur l'étendue réelle de leurs conséquences. La face n’est pas le seul organe expressif des passions ; loin de là, la main, le pied de l'Homme et des animaux, la queue de certains Carnas- siers, tels que les Chiens et les Chats, ont des expressions qu'on ne saurait méconnaître. Nous pourrions ajouter qu'il n’est point de mouvement qui n'ait sa physionomie, et dès lors, à moins d’admeitre que tous les organes sont animés par des nerfs respi- ratoires, il faut reconnaître que la théorie de Bell est insuffisante et n'explique ni l'ensemble des phénomènes dont la physionomie se compose, n1 leur véritable origine. Un médecin, très-justement renommé, a cru récemment ré- soudre le mystère de la langue physionomique en produisant ar- tficiellement des mouvements, à l’aide de certains courants électriques très-habilement dirigés. Ces mouvements peuvent, à la vérité, simuler des expressions ; mais sont-ce là des expres- sions véritables? L'essence de la physionomie est de raconter les sentiments et les passions qui modifient l'être vivant. Or com- ment des mouvements communiqués à mes muscles par une volonté étrangère pourraient-ils raconter mes sentiments et mes volontés ? Ils ne feraient qu'exprimer une idée de l’expérimen- tateur, me faconnant comme un statuaire façonne l’argile ; pra duire une expression, déterminer avec plus de précision les muscles dont la contraction modifie alors la forme du visage ; est-ce connaître le principe vrai et la raison première de ces mouvements? N'est-ce point oublier trop que la physionomie est un langage, et qu'à la raison seule il appartient d'en découvrir les lois? Seuls, trois hommes me semblent avoir eu le sentiment des vraies méthodes. Dans le xvin° siècle, Dineror et Excez, et de nos jours M. Caevreur. J'aurai occasion de les citer plus loin ; mais il serait injuste de ne pas rappeler à leur suite les grands poëtes, les grands artistes, les grands acteurs, dont l'instinct a, dès l’origine, devancé la théorie des savants et des philosophes. J'aurais à ajouter beaucoup à ce que je viens de dire ; mais cette conférence ne peut être exclusivement consacrée à la eri- tique : vous attendez, messieurs, quelque chose de plus. J'entre 118 P, L. GRATIOLET,. donc immédiatement en matière. Je n'aurai besom, Je le répète, d’invoquer que la connaissance intime que vous avez de vous- mêmes, pour justifier la théorie que je viens essayer de défendre aujourd'hui, théorie d'un langage que vous parlez, que vous interprétez tous aussi bien, sinon mieux, que moi-même. Aristote, dont le petit traité sur la physionomie a servi de base à la plupart des essais publiés depuis l'antiquité jusqu'aux temps modernes, a eu l'honneur d’exprimer le premier un principe dont les conséquences méritaient d’être mieux développées. Ce qui est durable dans la forme, dit ce grand philosophe, exprime ce qui est immuable dans la nature de l'être ; ce qui est mobile et fugace dans cette forme exprime ce qui, dans cette nature, est contingent et variable. Remarque simple, grande dans sesrésultats, et qui aurait dû l'obliger à diviser, dès abord, la physiognomique générale en deux sciences distinctes. La premiere de ces sciences à reçu de mon illustre maître, Henri pe BLainvice, le nom de morphologie. Elle étudie dans le monde vivant l’ordre sérial des formes ; elle révèle au naturaliste philosophe la véritable nature des êtres qu'il considère; elle permet au paléontologiste qui découvre dans les entrailles de la terre les ossements ou les restes d'animaux que les yeux de l'Homme n’ont jamais vus, de dire avec certitude quel rôle cha- eun d'eux jouait dans l'harmonie des faunes disparues; et, en effet, conçue dans un rapport immédiat et parfait avec le but spécial que tout être créé doit, par la volonté divine, accomplir en ce monde, la forme absolue de l'Étre vivant raconte élo- quemment sa nature ; elle révèle sa place dans le concert de la création. La seconde de ces sciences, à laquelle je donnerai le nom de cinéséologie, a pour objet ces mouvements fugaces par lesquels les volontés, les passions, les instincts actuels de l'animal sont traduits dans leurs modifications infinies; ces expressions sont très-distinctes, et les anciens ne l'avaient pas suffisamment re- connu, de celles que l'œil du naturaliste lit dans les traits immuables de la forme spécifique ; et, en effet, quel que soit un THÉORIE DES MOUVEMENTS D EXPRESSION. 149 animal et quelle que soit la nature des fonctions qui lui sont imposées, 1l peut, vous le savez tous, éprouver les passions les plus diverses. Une bête de guerre, un Tigre, un Lion, se montre à certains moments aimante et caressante ; les plus inoffensifs des animaux, les plus doux dans l'opinion du vulgaire, un Mouton, une Colombe, peuvent éprouver la haine et manifester la colère : toutes les passions, liées à l'essence même de la vie, peuvent, à différents degrés, se manifester chez tous les animaux. Ces pas- sions, en effet, sont les formes de la sensibilité ; et, pour parler comme Aristote, c’est en réalité par la sensibilité seule que tout animal est constitué. Ce langage universel d'expression, si spontané, si multiple, si variable qu'il soit en apparence, a ses règles simples et intelli- gibles. Ces règles, bien qu'à chaque instant appliquées, sont cependant peu connues. Le plus souvent on n’étudie la physiono- mie qu'au point de vue d'une divination égoïste, excusable peut- être quand l'esclavage était dans les mœurs, et quand l'Homme, acheté comme on achète un Cheval, pouvait avoir, comme lui, des vices rédhibitoires. Aujourd'hui, elle ne peut être étu- diée au pomt de vue d’un pareil diagnostic : la physionomie est une partie de la science ; or, le but de la science n’est point de satisfaire l'égoïsme et la malice, mais d'expliquer les mani- festations naturelles et, par conséquent, les ‘desseins mêmes de Dieu. Vous m'accorderez, messieurs, un premier fait. C’estqu'iln'y à pas un seul muscle, un seul organe, créé uniquement pour les besoins de l'expression. Tout organe, en effet, à en principe un but extérieur, un but déterminé. Ce but, il le raconte par sa forme et par son activité propre; or, vous reconnaîtrez aisément que le degré d'énergie d'un mouvement quelconque fournit des indications immédiates. Ainsi, l'absence de mouvement dans un appareil extérieur, la flaccidité de ses muscles, indiquent le repos et, mieux encore, un état absolu d’indifférence ; un mou- vement faible raconte et exprime une volonté nonchalante, un mouvement énergique correspond à une volonté forte ; mais un mouvement contrarié, contenu, racontera avec plus d’évidence 150 P. L. GRATIOLET, encore la volonté commandant à l'instinct et se dominant elle- même. Les causes qui déterminent ces mouvements appartiennent toutes à l’ordre de la sensibilité. [ls ont la sensibihté pour prin- cipe; mais en retour, serviteurs fidèles, ils favorisent l’action des organes sensitifs; ils règlent automatiquement et maintien- nent dans ses limites naturelles le degré de leur action spéciale, et, dans certains cas, les protégent et même les défendent. Une analyse rapide des principaux mouvements du visage rendra, je l'espère, évidente la vérité de cette proposition. L'œil considère un objet, et, créé pour la lumière, il se réjouit quand il peut la contempler sans effort pémble. Dans cette con- dition, il se dirige, il s'ouvre doucement, et aucune contraction violente ne trouble alors la pureté des lignes du visage ; telle est l'attitude de la vision facile; cette attitude de l'œil est naturelle- ment accompagnée d'un sentiment de bien-être. On sait com- bien, après une longue nuit, la lumière réjouit à la fois la vie et la pensée. Mais souvent l'objet que l’œil regarde est peu distinct, et ce n'est pas sans quelque difficulté qu'on peut en reconnaitre les formes, Une vision nette de ces formes exige une attention plus ou moins vive, et, modifiées par cette attention même, les lignes expressives de ces parties du visage qui entourent l'œil font devi- ner un effort plus ou moins grand et parfois excessif. M. Chevréul a montré dans un travail récent que, pour dis- tinguer aisément un objet mêlé à une foule d'objets différents, mais visibles au même degré, il est bon de l'isoler, de le cir- conserire et d'écarter ainsi l'inconvénient qui résulte de la con- fusion d’une foule d’impressions égales et simultanées sur la ré- tine. On y parvient aisément en dirigeant son regard dans l'axe d'un tube étroit dont l'intérieur a été noirci à la lampe. Un sem- blable tube n’est pas à la disposition de l'Homme réduit à ses organes naturels, mais des mouvements déterminés ont pour but d'en compenser l'absence. Et, en effet, considérez un Homme qui cherche à reconnaître un objet qu'une grande distance rend pour ainsi dire imper- THÉORIE DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 151 ceptible; voyez-vous ses sourcils se froncer et s'abaisser, ses joues se soulever, les angles des yeux se plisser et les paupières se rapprocher de manière à circonserire autant que possible, la pupille elle-même? À mon sens, ces mouvements ont un but évident celui de rétrécir autant que possible l’étendue du champ visuel. Ce sont là des attitudes de vision difficile ; elles se produisent également toutes les fois que l’on veut distinguer les objets sous l'impression d'une lumière trop vive qui éblouit et fatigue l'œil, et vous n'ignorez pas qu'elles sont, en tout cas, accompagnées par un sentiment d'effort etsouvent de gène douloureuse. Je n'ai pas besoin d'ajouter que l'œil se dirige en haut pour considérer les objets élevés, en bas pour voir les objets inférieurs ; qu’il se dirige à droite et à gauche pour voir les objets situés sur les côtés du corps; qu'enfin les axes des yeux convergent légèrement quand il s’agit d'examiner quelque objet très-rapproché. Mais, messieurs, les veux ont parfois une tendance marquée à regarder en arrière ; ce regard est très-facile chez certains ani- maux timides, chez les Lièvres et les Lapins, par exemple, dont les yeux, situés aux deux extrémités d’un diamètre transversal de la tête ont une égale facilité à voir en avant et en arrière du corps ; cette facilité leur est fort précieuse, car, sans cesse exposés aux attaques des animaux carnassiers, ils peuvent ainsi, dans leur fuite éperdue, échapper plus aisément au danger qui les menace en mesurant constamment la distance qui les sépare encore du Renard, du Loup ou du Chien qui les poursuit, sans avoir besoin pour cela de retourner la tête ; mais vous m'accor- derez, messieurs, que, lorsqu'ils regardent ainsi, ils doivent naturellement éprouver un sentiment de préoccupation fort désa- gréable. | Le parallélisme des axes oculaires rend chez l'Homme ce re- gard en arrière absolument impossible. Il est cependant certains cas, et ces cas sont fréquemment réalisés dans le monde, où les yeux ont une tendance évidente, bien qu'inutile, à regarder ainsi ; on les voit alors se porter simultanément d’un côté ou de l’autre, jusqu'aux limites extrêmes de ce mouvement, et l’on 152 P. L, GRATIOLET. dirait, passez-moi cette expression, qu'ils veulent faire le tour de la tête. Chez les animaux où cette manière de regarder est facile, elle est un symptôme de timidité, de frayeur où du moms d'in- quiétude; chez l'Homme, elle est un signe de soupcon, de curiosité dissimulée, et parfois elle indique une préoccupation jalouse qu'on n'ose avouer. En général, les veux fixés sur un même objet déterminent automatiquement des attitudes symétriques du corps. Regarder devant soi un point fixe est une condition d'équilibre plus facile ; si ce point, perdant sa fixité, venait à osciller, ce mouvement de l'objet, dérangeant la direction des yeux, troublerait les condi- tions intimes de l'équilibre primitif et serait une occasion de chute. En un mot, les tendances précises des yeux déterminent surtout des attitudes symétriques et des mouvements en ligne droite. Des attitudes également symétriques se manifestent également à l’occasion des sensations auditives, surtout quand ces sensations sont attentives, chez tous les animaux dont l'oreille est munie d'un pavillon mobile ; qui de vous n’a vu chez les Chiens à oreille droite, chez les Chevaux, ce pavillon se dresser, s’étaler, s'agran- dir et se disposer de la manière la plus favorable pour recueillir | les impressions sonores? Souvent alors les deux pavillons sont dirigés dans le même sens que les veux ; chez les animaux chas- seurs, ils s'ouvrent en avant; chez les animaux timides qu’un ennemi poursuit, ils se dirigent simultanément en arrière ; toutes ces attitudes sont symétriques ; mais une inquiétude quelconque s’est-elle emparée de l'animal, on voit ces pavillons se mouvoir en sens inverse l’un de l’autre comme pour interroger tous les points de l'horizon. Enfin, les oreilles s’abaissent, se couchent, s’affaissent avec le corps tout entier quand le danger vient d’en haut, quand les serres du vainqueur ont déjà saisi la victime, ou quand un bruit terrible, inconnu, a déterminé l'épouvante. Or, dans l'Homme, les oreilles, je n’ai pas besoin d’insister là- dessus, sont presque absolument immobiles. Leurs pavillons ont à la vérité quelques muscles, mais la volonté semble, surtout dans lesraces civilisées, les avoir à peu près oubliés. Symétriques THÉORIE DES MOUVEMENTS D EXPRESSION. 155 et immobiles, ces pavillons s'ouvrent en sens opposé ; l’un sur- veille à droite, l’autre surveille à gauche, et dès lors, quand l’au- dition est attentive, il y a nécessairement prédominance d'action dans l’une ou l’autre oreille. Le cou s'incline alors dans le sens de l'oreille directrice; de ce côté, le coin de la bouche est légère- ment soulevé et tiré en dehors, et le plus souvent alors les yeux, dirigés en sens opposés, se cachent à demi sous la paupière supé- rieure. Bien que ces mouvements troublent à certains égards la symétrie de la face, quand l'attention n’exige aucun effort mar- qué, ils n'altèrent point d’une manière sensible l'harmonie des formes. Telles sont les expressions ordinaires d’une audition à la fois attentive et facile. Mas quand les sons trop faibles sont difficilement perçus: et surtout quand les nerfs auditifs sont peu sensibles, le cou se tend avec effort dans le sens de l'oreille employée ; tous les muscles de ce côté de la face expriment cet effort : l'œil se ferme et se crispe, la narine est tirée en dehors, le coin de la bouche s’ou- vre en un sorte de rictus qui découvre les canines et même les molares ; des rides longitudinales sillonnent la joue; on dirait, en un mot, que tous les muscles de la face s'efforcent de sup- pléer à l'insuffisance des mucles du pavillon, et de cet effort résulte une fort laide grimace. Cette grimace est fort habituelle aux vieillards impatients et quinteux, qui ont l'oreille un peu dure, surtout si le discours qu'ils écoutent leur est importun; on les voit se produire également quand le discours leur plaît, mais alors l'œil du côté intéressé s'ouvre un peu davantage, celui du côté opposé beaucoup plus : la narine du premier côté est fron- cée, mais l’autre se dilate; en un mot, le côté non intéressé sourit. Ces expressions sont fort connues des mimes habiles, des grands acteurs comiques. Elles indiquent à la fois que l’ouie est difficile et pénible, mais que, somme toute, l'impression qui a frappé l'oreille est agréable. Ajoutons qu'elles sont parfois accompagnées par un petit cri, Je dirais presque par un point d'interrogation de la voix qui porte au plus haut point d’évidence la signification de ces mouvements. On pourrait aisément expli- quer pourquoi, quand l'audition est à la fois difficile et dés- 15! P. L. GRATIOLET. agréable, le cou est violemment étendu sur des épaules très-abats- sées et légèrement reculées en sens opposé, tandis que si l'impres- sion est agréable, elles sont légèrement voûtées, légèrement sou- levées et se meuvent dans le même sens que l'oreille qui écoute, c’est-à-dire dans le sens que le cou. Ces expressions sont pour ainsi dire infinies ; on pourrait parler plusieurs heures sur les modifications que peut éprouver un même mouvement de l'oreille ou des yeux; mais le temps me manque- rait, et je dois me souvenir d’ailleurs que je parle à un public athénien, je veux dire à un public français, sur la divination duquel je puis compter en toute sécurité. Les organes des sens inférieurs ont des expressions non moins intelligibles. Voyez comme les narines se dilatent pour appeler un air pur et réjouissant; comme elles se froncent sur les côtés, comme elles se relèvent et se rétractent en soufflant brusquement, pour repousser une odeur mauvaise; comme elles flairent avec délicatesse, appelant à petits coups les effluves odorantes qu'elles veulent à loisir examiner! Ces derniers mouvements sont un indice très-significatif d'une attention de l'esprit examinant une odeur. Is sont faciles et francs, si l’odeur est agréable; st, au contraire, elle est mauvaise, ils sont plus contenus. Le nez se recourbe alors plus fortement; la lèvre supérieure, légèrement soulevée et gonflée à sa base, s'apprête à s'appliquer aux ouver- tures des narines comme un véritable opercule ; les côtés du nez sont légèrement plissés. Ces mouvements sont accompagnés de défiance, d’un sentiment de doute sur un aliment qu’on à intérêt à connaître, mais à l'égard duquel on se tient en garde. De même que l’œil et l'oreille, le nez est à son tour un direc- teur du corps tout entier. Ceux de vous qui ont observé les car- nassiers chasseurs, tels que le Chien, n’en peuvent douter. Ces mouvements sont, à la vérité, moins prononcés dans l'Homme ; mais n'est-il pas certain qu'une odeur agréable attire la tête, et qu'une odeur mauvaise la repousse? Le corps se porte en avant dans le premier cas; 1l se rejette en arrière et se détourne dans le second. Mais je m'étends mal à propos sur des mouvements que chacun de vous a pu observer sur Iui-même. THÉORIE DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 155 La bouche, celle de l'Homme surtout, a des mouvements plus variés encore. Elle est un organe de respiration, de toucher, de gustation et de trituration; ajoutons que les dents qui triturent peuvent devenir, dans certains cas, des armes de guerre, des armes furieuses. La bouche est enfin un organe de déglutition, et nous devrions ajouter encore un organe modificateur des sons engen- drés dans le larynx; en sorte qu'elle est naturellement, chez l'Homme, l'organe privilégié du langage. Considérons, en premier lieu, la bouche, en tant qu’elle est un organe respiratoire. Quañd l'Homme respire facilement un air pur, frais, et que n’altère aucune souillure, la bouche se dilate légèrement; la lèvre supérieure découvre plus où moins les incisives supérieures, et les coins de la bouche se relèvent alors avec grâce; les muscles qui délerminent ce mouvement agissent en même temps sur les pommettes des joues et, les rele- vant, soulèvent légèrement l'angle externe des veux, qui devien- nent un peu obliques. Ce mouvement d’une respiration agréable s'appelle le sourire, et l'on distingue daps le langage le sourire des lèvres du sourire des yeux; mais ce sourire des veux est dans l'Homme consécutif au sourire de la bouche, et ne dépend d’au- cun muscle spécial; aucun animal Mammifêre n'a le sourire de la bouche ; mais le sourire des yeux existe dans les animaux car- nassiers et, ne pouvant dépendre du sourire buccal, il a pour cause déterminante un petit muscle, qui agit sur l'angle externe de l'œil. Les Chiens, on le sait, ont ce sourire des yeux au suprême degré. Le sourire, je le répète, est la forme de la respiration libre et heureuse ; mais ilest des circonstances où la respiration est péni- ble et pleine d'efforts, soit que l'air manque au poumon, soit que le poumon manque à l'air; les mouvements que la bouche exé- cute alors sont précisément opposés à ceux du sourire. Dans le sourire, les coms de la bouche étaient relevés en même temps que la lèvre supérieure ; dans le cas que nous examinons ici, ces coins sont au contraire fortement tirés vers le cou, et la lévre inférieure, entraînée dans ce mouvement, laisse à découvert les dents inférieures; en même temps la lèvre supérieure cache 150 P. L. GRATIOLET. complétement les dents supérieures, contre lesquelles elle s'ap- plique. Ces mouvements ont pour cause immédiate les contrac- üons de ce muscle peaucier du cou, dont la partie faciale a reçu de l’anatomiste Santorini le nom de muscle rieur, risorius, sans doute, par antiphrase, car ce prétendu risorius est le muscle de la dyspnée mortelle, de l'angoisse et de l’épouvante. Les lèvres font une petite moue pour toucher ou pour saisir ; elles se pressent contre les dents incisives pour faire cheminer les liquides sapides; elles exécutent en même temps de petits mou- vements pour les agiter et favoriser leur contact avec la pointe si sensible de la langue; elles font cheminer à peu près de la même façon les aliments que les mâchoires ont broyés. Viennent ensuite, si l'aliment à été jugé bon, des mouvements de dégluti- tion, sous l'influence desquels le dessous de la gorge s’arrondit et se gonfle légèrement. Quant l'impression sapide est fort agréable, on cherche à la faire durer plus longtemps: la déglutition est alors plus lente. Aussi la respiration ne pouvant, en général, s'effectuer pendant qu'on avale, à la suite de ces mouvements voit-on la bouche s’entr'ouvrir et exécuter un petit mouvement d'inspiration, qui varie et complète le tableau. Si l'aliment à peu flatté le goût, alors même qu'il n'a point encore dépassé le vestibule de la cavité buccale, on voit les lèvres se préparer d'avance à le rejeter. La lèvre inférieure, tirée en bas, s allonge en forme de bec d’aiguière pour laisser s’échap- per librement la chose dédaignée ; si l'impression a été plus vive, il se produit des mouvements d'expulsion que je n'ai pas besoin de décrire en détail. Ici, permettez-moi d'indiquer en passant une distinction phy- siologique très-simple, mais importante à notre point de vue. Il est certain que le goût est double, et le langage usuel distingue fort à propos l’avant-goût, qui est ‘plus analytique, plus intelli- gent, de l'arrière-goût, qui s'adresse surtout à l'instinct. Cet arrière-goût s'exerce quand les mouvements de déglutition ont déjà commencé. I juge en dernier ressort de la nature des ali- ments, et surtout du degré de leur convenance avec notre propre pature. Si ce dernier juge est satisfait, comme le mouvement de THÉORIE DES MOUVEMENTS D EXPRESSION. 157 déglutition est à la fois doux et franc! Si l'aliment, au con- traire, a déplu à l'arrière-goût, s'il l'a révolté, l'organisme entier le rejette. Vous connaissez, messieurs, les attitudes du vomissement : le larynx se soulève; la bouche s'ouvre lar- gement; les lèvres se rétractent, comme si toutes les parties de l'appareil buceal s’efforçaient d'éviter le contact d’une ma- üère que le sens intime rejette. C'est là l'expression immé- diate d’un suprême dégoût, d’une horreur profonde; cette expression est claire pour tous; elle est immédiatement intel- hgible. Les organes du toucher ont aussi des mouvements divers, et ces mouvements ont leur physionomie. Ils caressent les objets d'où leur viennent des impressions douces; ils repous- sent les sensations désagréables, ou s’en éloignent avec effort. Ces mouvements sont si connus, qu'il serait superflu d'y in- sister. Peut-être trouverez-vous, messieurs, que je m’étends outre mesure sur des choses connues de vous tous. Mais j'ai eu besoin de vous les rappeler, et mon but sera atteint, si je suis parvenu à vous convaincre que ces mouvements automatiques ou volon- taires, qui se produisent dans l'exercice de nos sensations, sont des expressions naturelles, qui racontent avec une absolue évi- dence jusqu’à quel point ces sensations concordent avec notre propre nature. Je donne à ces mouvements le nom de mouve- ments directs ou prosboliques. J'arrive maintenant à un point plus délicat. On confond, en général, dans le langage usuel, ces deux expressions verbales : sensation et sentiment; elles sont cependant très-distinctes. L'ob- jet de la sensation est extérieur ; le sentiment, sens intime, a pour objet les profondeurs du corps vivant : le plaisir et la dou- leur nous sont propres; tous leurs modes sont en nous. Ces pro- positions sont démontrées par les découvertes les plus certaines de la pathologie moderne. Dans certaines maladies nerveuses, les sensations de contact peuvent se conserver dans un organe devenu complétement insensible à la douleur et au plaisir ; la ré- ciproque est également vraie. En principe done, la sensation est 5€ série. Zoo. T. LIT. (Cahier n° 3.) 3 11 158 P. L. GRATIOLET. indépendante du sentiment, et réciproquement. Ils peuvent exister l’un sans l’autre, quand l'harmonie des fonctions nerveu- ses a été troublée ou détruite. Dans l’état normal, au contraire, il n’est pas de sensation qui ne réveille un certain sentiment ; dans l’ordre naturel, le plaisir accompagne les sensations dont le développement favorise ou exalte le rayonnement de la vie; en revanche, toute action nui- sible éveille un sentiment de douleur ; on loue, on chante le plai- sir; on maudit, on blasphème la douleur, et sans elle, cependant, qui protégerait le corps? le plaisir? on sait trop qu'il ouvre toutes les portes. Mais surveillante toujours éveillée, la douleur crie; elle appelle au secours, elle tourmente, elle sonne le tocsin toutes les fois qu'un danger menace cette vie, ce bien suprême de tous les animaux. Est-il juste d’amnistier ainsi le mal, et de n’aceu- ser que sa révélatrice? En sa qualité de gardienne fidèle, la dou- leur a ses titres légitimes ; elle entre au même titre que le plaisir dans l'harmonie du monde; comme lui elle joue son rôle dans le concert des actions conservatrices, comme lui elle est fille de l'éternelle bonté. Ainsi, dans l’ordre naturel, toute sensation devant être mesu- rée et jugée, elle est nécessairement accompagnée d’un plaisir ou d’une douleur. Les sources du plaisir, je n'ai pas besoin d’in- sister là-dessus, sont aisément acceptées; les causes de douleur sont, au contraire, rejetées avec une énergie, une intensité de fureur qui n’est pas moins apparente dans l’homme que dans les animaux Carnassiers. Dès lors, messieurs, vous distinguerez aisément ce qui dans l'ordre philosophique distingue une sensation d’un sentiment; la nature des sensations est d’être essentiellement localisées, et absolument spécialisées dans des organes distincts. Il y a, en effet, des qualités distinctes dans un même objet; en tant qu'il est lumineux, nous le percevons par l'œil; sonore, par l'oreille, odorant, par le nez; sapide, par le goût ; tangible, par les orga- nes du toucher. Le corps ne pouvait obéir que par des organes spéciaux aux exigences multiples de l'intelligence En sera-t-il de même des sentiments? en aucune facon, mes- THÉORIE DES MOUVEMENTS D EXPRESSION. 159 sieurs ; si la nature de la sensation est d’être spécialisée, car les organes des sens sont essentiellement des organes d’abstraction et d'analyse, la nature du sentiment, au contraire, est de se géné- raliser. Quand un plaisir s'éveille à propos d’une sensation-quel- conque, l'organisme entier chante sur divers tons un hymne de satisfaction et de joie ; si la douleur en résulte, au contraire, quel concert de tous les organes dans la lutte! quelle unité dans les tendances du corps entier ! Comme tous les organes protestent, comme ils repoussent l'ennemi! de ces faits, que l'habitude de la vie vous a rendus familiers, nous déduirons les conséquences suivantes : ° Quand un sentiment de plaisir s'éveille à l'occasion de l'action d'un organe sensitif quelconque, tous les organes à leur manière l'acceptent, le déclarent bon. Je rendrai la vérité de celte proposition sensible par un exemple. Dounez à un petit Carnassier, à un petit Chat, par exemple, quelque liquide savoureux et sucré ; voyez-le s’avancer lentement et flairer avec attention ; ses oreilles se dressent, ses yeux large- gement ouverts expriment le désir, sa langue impatiente, léchant les lèvres, caresse et déguste d'avance l’objet désiré. H marche avec précaution, le cou tendu. Mais il s'est emparé du liquide embaumé ; ses lèvres le touchent, 1l le savoure ; l'objet n'est plus désiré, il est possédé ; le sentiment que cet objet éveille s'empare de l'organisme entier; le petit Chat ferme alors les veux, se con- sidérant lui-même tout pénétré de plaisir. Ilse ramasse sur lui- même, il fait le gros dos, il frémit voluptueusement, il semble envelopper de ses membres son corps, source de jouissances adorées, comme pour le mieux posséder ; sa tête se retire douce- ment entre ses deux épaules, on sent qu'il cherche à oublier le monde, désormais indifférent pour lui ; il s'est fait odeur, il s’est fait saveur, et il se renferme en lui-même avec une componetion toute significative. 2° Ce que je viens de dire du plaisir et des sensations agréables peut être dit de la douleur. Un seul organe est directement lésé ; cependant l'organisme entier lutte avec un effort suprème, effort tantôt concentré et muet, tantôt expansif et manifesté par des 460 P. L. GRATIOLET, cris. Les cris, messieurs, sont la voix de l'effort, ils sont la voix de la lutte contre la douleur. Si la douleur est sourde et profonde, on voit se produire des expressions un peu différentes : l'attention se concentrant sur un point intérieur, les yeux se ferment parfois; s'ils demeurent ouverts, ne se dirigeant plus au dehors, ils deviennent divergents et hagards. L'animal qu’une douleur profonde pénètre, se retire dans quelque endroit écarté; il recherche les ténèbres et le silence; cependant les douleurs profondes ont souvent, chez l'Homme, une forme expansive. Un instinct irrésistible de fuite saisit alors le malade, qui semble vouloir s'échapper de lui- même ; des efforts terribles d'expulsion se produisent, ses mains crispées voudraient, pour ainsi dire, arracher du corps ces viscè- res auxquels la douleur s’est attachée ; sa bouche, rétractée dans l'attitude du mouvement, exprime l'horreur ; ses yeux se ferment avec effort, mais d’autres fois, largement ouverts, ils semblent chercher quelque porte ouverte à la fuite. Ces expressions diver- ses racontent clairement que le corps tout entier fuit et rejette la douleur; parfois le membre malade la secoue comme pour la détacher de lui; considérez un Chat qui s’est brûlé la patte, un enfant qui s’est pincé le doigt. Mais, messieurs, Je n'en finirais pas si je voulais multiplier les exemples. Je me résumerai sur ce point en deux mots. La société des organes dans le corps vivant est comme une république parfaite ; tous les organes gémissent à l’occasion de la douleur d’un seul, tous se réjouissent quand un seul est dans la joie. Je donne à ces mouvements homologues qui se produisent automatiquement dans tous les organes à l'occasion du plaisir ou de la douleur d’un seul, le nom de mouvements sympathiques. Abordons maintenant, messieurs, une troisième classe de mou- vements expressifs. Nous avons, jusqu’à présent, considéré l'animal comme vivant au milieu du monde extérieur et des objets réels. Mais il est un autre monde où il est également agissant et passif, monde où l’homme passe peut-être la plus grande partie de sa vie. Je veux parler du monde individuel, du monde de l'imagination. THÉORIE DES MOUVEMENTS D EXPRESSION. 161 Ce monde est aussi bien que le monde extérieur une source indéfinie de sensations, de sentiments et d'idées. Est-il nécessaire d’insister sur ce point, les rêves n’en sont-ils pas une preuve frap- pante et familière? Mais dans l’état de veille même, cette vérité n'est-elle pas évidente? un peintre habile voit et parfait en lui- même ces chefs-d'œuvre dont la réalisation extérieure ne sera souvent qu'une image affaiblie; le musicien écoute dans ce monde imaginaire des chants inconnus; le voluptueux s'y enivre de jouissances idéales; le gourmand y compose les festins les plus délicats. Plus belles que la réalité, les formes de ce monde intérieur ont un charme sans pareil, une fraicheur sans égale. La beauté y est plus apparente et plus parfaite, le bonheur plus complet. Ce n’est point du monde extérieur, c'est de l’imagina- tion qu'est née la poésie. Si l'imagination est une source intarissable de sensations et d'images agréables, elle est également féconde en épouvantes et en douleurs ; elle a ses haines, ses luttes, ses fureurs. L'Homme, mystère incompréhensible, vit et se meut ainsi dans l'idée qu'il a du monde. 1 se voit lui-même, agissant au mulieu de ses rêves, jouissant, espérant, souffrant, et, comme les dieux d'Homére, aimant ou combattant ses propres créations. Que dis-je? pour l'Homme ce monde imaginaire est le monde immédiat. Quand la nuit a voilé le monde réel, il s'illumine d’une lumière plus vive. C’est le monde des songes, des fantômes, de l'hallucmation et de la folie. C’est aussi le monde de la médita- tion, des conceptions poétiques et du génie. Si les idées imaginaires sont objectives, ainsi que nous venons de l'indiquer, si l'Homme en réalité les voit, les écoute, les flaire, les goûte, les touche en lui-même, vous concevrez aisément comment de ces sensations imaginaires peuvent naître des sen- timents réels ; que de craintes dans les rêves, que d’épouvantes ! mais aussi que de conceptions faciles et charmantes, que de cor- rectifs aux chagrins réels! à coup sûr 1l est des sommeils dont les rêves sont oubliés avec joie; mais qui, dans sa vie, n’a parfois regretté de s'éveiller ? Or, entre le corpsetl’âme, l'union est si mtime, que les organes 162 P, L. GRATIOLET. extérieurs eux-mêmes sont loin d’être indifférents à ces sen- timents qui naissent de l'imagination. Quand l'attention est fixée sur quelque image intérieure, l'œil regarde dans le vide et s’as- socie automatiquement à la contemplation de l'esprit. Le musi- cien qui compose semble écouter. Quel est l'Apicius songeant à quelque mets préféré qui n’exécute mvolontairement des mouve- ments de dégustation ou d’olfaction satisfaites? Enfin les amours, les colères imaginaires sont traduits dans toutes leurs modifica- tions par les expressions de l'amour apparent et des colères qui s'adressent à quelque but extérieur. Je me résume en disant qu'il est à peu près impossible d'agir en imagination, sans trahir en un certain degré par des mouvements extérieurs les actions que l'esprit exécute en lui-même. Ces mouvements, que j'appelerai symboliques, se distinguent cependant de ceux qui ont pour but un objet extérieur par cer- tains caractères suffisamment tranchés. En premier lieu, leur énergie est habituellement plus faible ; en second lieu, le corps les accomplit automatiquement à l'insu de celui qui imagine ; cette proposition a été rendue certaine par les expériences de M. Chevreul sur le pendule oscillateur. I m'est impossible d’en- trer ici dans l'analyse de ce travail si remarquable ; mais je ehoi- sirai, parmi les exemples qui ont été apportés en preuve par cet auteur célèbre, le fait suivant que vous avez tous observé. Cet exemple nous est donné par les joueurs de billard. Si une bille dévie légèrement de la direction que le joueur prétend lui imprimer, ne l’avez-vous pas vu cent fois la pousser du regard, de la tête et même des épaules, comme si ces mouvements, pure- ment symboliques, pouvaient rectifier son trajet? Des mouve- ments non moins significatifs se produisent quand la bille man- que d’une impulsion suffisante. Et, chez les joueurs novices, ils sont quelquefois accusés au point d'éveiller le sourire sur les lèvres des spectateurs. Le célèbre philosophe leibnizien, Christian Wolff reconnaissait avec Hippocrate qu'une sensation forte éteint et masque en géné- ral une sensation plus faible ; et il comparait les sensations ima- ginaires, ou comme le disent assez obscurément certains philo- THÉORIE DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION: 163 sophes, les sensations subjectives, à ces sensations de cause exté- rieure, dont l'énergie est si faible qu'en les entendant, on pourrait croire n'avoir fait que les imaginer; c’est dire assez que des impressions fortes venues du monde extérieur masquent ou obscurcissent fréquemment les impressions qui nous viennent de l'imagination. Ainsi des bruits extérieurs nuisent à la liberté dé la pensée ; on imagine bien plus facilement des formes dans une obscurité profonde qu'au milieu d’une vive lumière, vous impo- sant, pour ainsi dire, les formes des objets extérieurs ; de là des expressions diverses dont le souvenir peut être aisément évoqué dans votre mémoire. Le plus souvent l'Homme qui veut alors imaginer librement tient ses paupières abaissées. L’œil regarde cependant et se dirige; mais regardant dans l'obscurité, il peut satisfaire à sa tendance symbolique sans nuire à la vivacité des images inté- rieures ; l'expression est parfois plus accusée encore ; non-seule- ment les paupières s'abaissent, mais la tête s'incline et la main ‘s'applique au front, moins peut-être pour le soutenir que pour voiler les yeux. Les anciens considéraient avec raison cette atti- tude comme la forme naturelle de la méditation. Je ne puis passer sous silence certaines expressions un peu dif- férentes d’une attention portée aux choses extérieures. Un Homme parle devant vous, il sollicite votre attention person- nelle : s'il réussit à la captiver, vos yeux franchement ouverts demeurent fixés sur lui; s’il n'y réussit point, la politesse tiendra à la vérité vos yeux ouverts, mais ce ne sera pas sans quelqué effort, votre pensée étant ailleurs, et l'attention de votre regard se fixera non sur votre interlocuteur, mais sur quelque autre point de l’espace situé soit en deçà, soit au delà de lui; le plus souvent les yeux convergent légèrement. Si alors il porte les yeux sur vous, il sentira que vous ne le regardez point, que votre regard est distrait, et il en conclura, s’il a quelque esprit, que vous ne l’écoutez point. | C'est aussi de cette façon qu'on regarde dans les grandes préoccupations de l'âme. L'œil hagard est largement ouvert; mais il ne voit rien, et par conséquent ses regards inutiles ne 164 P, L. GRATIOLET, nuisent en rien à la netteté des images intérieures dont l'esprit est préoccupé. Telle est la physionomie habituelle de la préoccu- pation. N'admirez-vous pas, messieurs, la justesse de cette expres- sion si familière? Les mouvements de l’oreille étant moins dis- tincts que ceux des yeux, sont moins immédiatement apparents. Toutefois les mouvements relatifs au sens de l’ouïe peuvent se manifester dans un sens symbolique. Par exemple, un homme qui cherche à se rappeler un air oublié, et qui n'y parvient qu'avec peine, semble écouter, mais il écoute à la manière des gens qui ont l'oreille dure, manière que j'ai décrite plus haut. Il est enfin, messieurs, un quatrième ordre de mouvements. Ceux-ci n'expriment ni la nature des sensations, ni celle des ima- ges dont la fantaisie est occupée, ils sont déterminés dans les hauteurs de l'esprit par la raison elle-même; ils accompagnent les actions les plus intimes de la pensée, qu'ils révèlent sur une face intelligente ; 1ls racontent dans leurs symboles les jugements et les sentiments les plus élevés de l'âme. L'expérience, messieurs, vous à appris depuis longtemps qu'une physionomie mobile est un signe d'intelligence. Vous dites tous les jours un regard spirituel, une bouche spirituelle, et si l'on allait jusqu'à dire une main spirituelle, je crois que cette expression ne vous révolterait pas. Et en effet, messieurs, tout mouvement est un langage dans les animaux, et tel est le rap- port intime de l'esprit avec le corps, que dans l'Homme normal le verbe de l'intelligence se marie incessamment avec la parole de la vie. En effet, de même qu'il y a des jouissances et des douleurs physiques, il y a des jouissances et des douleurs morales, et pour l'esprit lu-mème il y a des voluptés qui naissent de la vérité, et des douleurs que l'erreur engendre. Au-dessus des sentiments qui naissent du corps, nous placerons naturellement ceux qui proviennent des états et des mouvements de l'âme, mais leurs expressions visibles seront analogues. Elles étaient directes, mimédiates dans un premier cas, sympathiques dans le second, symboliques dans le troisième; elles mériteront, dans ce dernier cas, le nom d'expressions métaphoriques. Diderot à dit, dans un de ces petits traités (Lettres sur les sourds THÉORIE DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 165 et muets), qui sont peut-être ses plus beaux ouvrages : « Remar- quez en passant combien le langage du geste est métaphorique.» Il n’a donné aucun développement à cette idée, mais nous allons essayer d'en démontrer la justesse. Oui, le geste de l'Homme est plein de métaphores, et instineti- vement les animaux en font aussi quelques-unes. Ces métaphores s’engendrent naturellement, et j'ajouterai 1C1 une remarque importante, c’est que ces métaphores spontanées du geste sont traduites instinctivement chez l'Homme dans les métaphores similaires du langage. Nous l’avons déjà dit, de nos idées les plus abstraites naissent des sentiments réels. Le géomètre le plus élevé a le sentiment du vrai et le sentiment de l’erreur. La vérité convient à la nature de l’âme ; elle est une joie, un motif d'adoration pour elle ; et pour elle encore l'erreur est un mal, un-sujet d’impatience, de douleur et même de colère. Elle accepte avec joie le vrai, elle rejette avec horreur l'erreur et le mensonge; or, ces sentiments sont racontés daus un double langage, dans le langage du verbe et dans celui de la forme visible. Une proposition philosophique qui agrée est acceptée, une proposition fausse est rejetée par les yeux qui se ferment ou se détournent, par le nez et les lèvres, qui semblent rejeter des odeurs ou des saveurs mauvaises; par les épaules, qui s’agitent comme pour secouer un joug importun; par les bras, qui repoussent ; par le corps tout entier, qui se rejette en arrière, se détourne ou s'éloigne comme il s’éloignerait d’un spectacle indigne d’être vu. On écoute de plus près un homme dont la con- versation vous intéresse, on se rapproche de lui, et s’il fait sim- plement une lecture, on en vient à placer sa tête à côté de la sienne pour lire en même temps que lui. Engel à merveilleusement développé ce point; on lui doit une autre remarque non moins fine que juste. Examinez avec attention un philosophe, un mathématicien, un poëte, qui, tout en se promenant, poursuit dans sa pensée quelque trace lumineuse, et s'élève de degrés en degrés à des vérités, à des conceptions sublimes. Voyez comme son œil est ardemment fixé sous des paupières tantôt Joyeusement ouvertes, 166 P. L, GRATIOLET. tantôt à demi abaïssées, comme dans la contemplation imagi- paire. Voyez ses narines respirer ou flairer alternativement, ses lèvres goûter avec amour les vérités qu’il découvre. Si le mouve- ment des idées est rapide, notre promeneur marche plus vite ; s’il devient plus vif encore, la marche s'accélère; mais si tout à coup quelque obstacle, quelque difficulté suspend ce mouvement de la pensée, le corps s’arrête pour reprendre sa marche, à l’image de la pensée, aussitôt que l'obstacle a été vaincu ; aussi dites- vous naturellement qu’un raisonnement marche, ou qu’il ne marche pas. Passons à d’autres mouvements et à des métaphores plus visi- bles encore, métaphores communes au langage oral et au geste. On écoute un homme, et quand on l’a compris, on dit très- naturellement : J'entends cela. Dans le cas contraire, tous les mouvements caractéristiques d’une audition pénible se produi- sent, et l’on affirmequ'on n'entend point. Si une description vous paraît claire, vous dites pareïllement : Je vois cela. Si elle est obscure, vous dites ne la voir que difficilement, et vos yeux offrent alors toutes les attitudes d’une vision inquiète et difficile. Avez- vous l'instinct d’une solution, vous dites très-bien : Je sens cela. Je n'ai pas besoin de rappeler les gestes de ceux qui cherchent pour ainsi dire leur route à l’aveugle, au milieu de raisonnements et de souvenirs confus ; leurs yeux se ferment, ils relèvent la tête, et les doigts, étendus et agités d’un mouvement léger, semblent chercher à toucher. C’est ainsi que J. B. Rousseau fait dire à une vieille incrédule : sis Oui, je voudrais connaitre, Toucher au doigt, sentir la vérité. Toucher au doigt! Mais ne dites-vous pas tous les jours une vérité tangible, une vérité palpable ? Un mot encore. Si quelque proposition vous charme, vous dites la goûter; vous la rejetez au contraire des yeux, du nez, de la bouche, des épaules et de la main, si elle vous est importune ; mais si elle attente à l’ordre moral, les expressions de la lutte vio- lente sont plus énergiques encore; ce sont alors les expressions THÉORIE DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 167 du dégoût physique, du vomissement, de la dyspnée mortelle; elles prennent dans ce dernier cas la forme de l'horreur et de l'épouvante. Les jugements que nous portons sur les choses d'art et de style sont accompagnés par des mouvements analogues. Parmi tous les exemples que je pourrais en donner, je choi- sirai plus spécialement le suivant, que la plupart d’entre vous connaissent à coup sûr : On rencontrait souvent autrefois, et l’on trouve encore aujour- d'hui quelques-uns de ces lecteurs délicats dont l'espèce était très-commune au commencement de ce siècle. Jen ai vu lire quelques-uns, il me semble les voir encore. Ils se recueillaient doucement, rapprochant autant que possible leur livre de leurs yeux à demi fermés par un léger sourire. Cependant, leurs nari- nes semblaient, par leurs mouvements, à la lecture de certains passages, s'enivrer d’un parfum céleste; mais combien plus élo- quents encore étaient les mouvements de leur bouche! Les lèvres, amoureusement souriantes, dégustaient avec délices; de petites fossettes se dessinaient alors sur les joués, exprimant une atten- tion soutenue et charmée; puis, à la suite de ces mouvements, survenait une déglutition satisfaite ; on voyait alors notre lecteur se rengorger légèrement, et la scène se terminait par un soupir qu'accompagnait parfois un petit appel de langue tout à fait significatif; tout cela ne vous dit-il pas que le lecteur charmé s'enivrait à la fois de la saveur du style, des ingrédients de la phrase, des parfums de l'expression? Or, d’un homme qui lit ainsi vous diriez naturellement: C'est un homme de goût ; n'est-ce pas une preuve entre mille que les métaphores du geste sont parallèles aux métaphores du langage ? Des expressions du même ordre se produisent dans l’ordre moral et dans l’ordre social; d’un Homme qui plaît dans le monde, on dit métaphoriquement qu’il est goûté. La bienveil- lance n'a pas une autre forme : l'œil doucement dirigé, les narines exécutant de petits mouvements d’olfaction satisfaite, la bouche exprimant par un sourire l'éveil d’une vie plus heureuse ; les lèvres agitées par de petits mouvements de dégustation agréable, les mains toujours prêtes à recevoir, à serrer douce- 168 P. L. GRATIOLET,. ment, à caresser, et, enfin, le baiser, ceite caresse des lèvres qui semble attirer symboliquement l'âme de l'être aimé. Toutes ces expressions ne sont-elles pas simples, intelligibles ; en est-il de plus claires, ne voit-on pas que, dans cette harmonie vivante de toute notre matière avec notre esprit, tous les organes racontent, chacun à sa manière, le sentiment dont l'âme est pénétrée ? La joie, qui se mêle facilement à la bienveillance, est l'expres- sion d'une vie complétement épanouie ; le sang, circulant plus aisément, colore les joues ; la respiration, plus active, s'accélère jusqu'à devenir convulsive, éclatante, et prend le nom de rire ; mais cette convulsion, loin de nuire aux actions respiratoires, les favorise, et mon spirituel maître, Étienne Pariset, pouvait la définir : une promenade joyeuse à l’intérieur de soi-même. Le corps tout entier s'associe à ces mouvements : un besoin indicible de marcher, de courir, de sauter, de tourner sur soi-même, agite alors les jeunes enfants ; toutes ces expressions racontent clairement combien la vie leur est facile et douce, combien ils sont heureux d'en célébrer la fête. Les expressions de la joie, mêlées à celle de la bienveillance, composent la physionomie de ce contentement aimable des bons cœurs, qui voudraient associer à leur bonheur tout ce qui les entoure. Parmi les animaux, les Chiens seuls sont capables d'exprimer avec une évidente clarté l'amour et la bienveillance. Ts lèchent en agitant la queue ceux qu'ils aiment (1), ils les contemplent de leurs yeux ardemment fixés, ils aboient pour solliciter le re- gard; ils éveillent par de petits coups de leurs pattes antérieures l'attention de ceux qu'ils aiment. Rien n’est plus éloquent. Les Carnassiers de la grande famille des Chats ont aussi quei- ques expressions de bienveillance, mais elles sont douteuses et pour le moins obscures. D'ailleurs, le Chat est souverainement égoiste. Le Chat caressant ferme les yeux ; mais, que dis-je? 1l ne vous (4) C'est là une expression analogue au baiser de l’homme ; mais le baiser est un mouvement de la bouche considérée comme organe respiratoire. Le chien lèche; et cette forme, empruntée à la bouche en tant qu’elle est un organe de la vie nutritive, est évidemment inférieure. THÉORIE DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 169 caresse point : la vérité est qu'il se caresse lui-même en ondulant sous la main qui le flatte ;tout indique la supériorité du Chien. L'amour, dont les expressions mériteraient d’être attentive- ment examinées, a des formes très-diverses : dans quelques- unes de ses formes, il s'adresse surtout à des perfections idéales. Dans quelques autres, il à pour objet quelque satisfaction égoïste. L'amour qui s'adresse aux choses de l'intelligence, à la beauté idéale, à la perfection céleste, mêle les expressions du désir à celle de l'admiration. Toute l’activité de l'âme se concentre dans les organes supérieurs des sens, et surtout dans les yeux, qui semblent vivre seuls; les autres organes du visage s’épanouissent dans une sorte de dilatation extatique ; les narines sont ouvertes, mais la respiration est parfois suspendue. La bouche ne goûte plus, elle demeure entr'ouverte et comme figée dans l'attitude de l'inspiration; ce mouvement est mêlé de joie, et un indice de sourire est ébauché sur les joues, qui soulèvent et plissent l'angle externe des yeux; parfois, les bras et le cou sont tendus vers l’objet adoré ; mais, au terme d’une admiration souveraine, l'œil, vivant seul, tous les organes sont oubliés; le corps fléchit, les bras retombent ; la mâchoire inférieure, abandonnée à son propre poids, s’abaisse, et le tronc semble n'être maintenu dans l’ex- tension que par une sorte de contraction involontaire et catalep- üque des muscles. L'admiration est alors mêlée aux expressions de l’étonnement; l'attention excessive conduit à peu près aux mêmes expressions, et, comme Haller l’a si bien vu, elle peut également conduire à l'extase. La seconde forme de l’amour ne produit point l’extase, et mo- difie surtout la bouche et les narines, considérées comme or- ganes d’olfaction et de dégustation avides. Ces mouvements sont surtout apparents dans les rumimants, et les anciens en avaient composé la physionomie de leurs satyres. L'admiration est un mouvement et une passion de l’âme : elle ne peut s'exprimer que dans les organes de l'esprit, je veux dire dans les yeux, et par les mouvements qui concourent à une audi- tion attentive. Née de l'intelligence, elle se manifeste surtout dans la sphère de ces organes privilégiés qui fournissent à la 170 PB, L. GRATIOLET. pensée ses aliments immédiats. Les odeurs et les saveurs s’adres- sant surtout à la partie matérielle de l’homme, c'est dans leurs organes que s'expriment surtout les passions et les appétits d’un ordre inférieur ; mais je ne saurais 11 m'arrêter plus longtemps sur ce point. J'insisterai seulement sur un fait qui fera suffisam- ment comprendre ma pensée. On ne dit pont : Une odeur admi- rable, une saveur admirable; mais vous admirez les harmonies musicales, vous admirez les manifestations lumineuses; en un mot, née de l'intelligence, l'admiration ne s'adresse qu'à l’intel- ligence. J'ai parlé de l’étonnement. L'étonnement ne peut être mêlé de joie. Je viens d'en signaler les caractères. Il peut être mêlé d’épouvante. Dans ce cas, aux attitudes de l’étonnement s'unis- sent les expressions suivantes. Les sourcils se froncent sur un œil largement ouvert, l'angoisse est racontée par les coins de la bouche abaissés et rétractés comme dans ces cas de dyspnée où l'air manque à la respiration convulsive. Les pupilles, énormé- ment dilatées, semblent regarder dans les ténèbres épaisses ; enfin les narines s’affaissent au moment de l'inspiration, signe funèbre d’agonie et de mort imminente. En parlant des expressions de la bienveillance, j'aurais pu dire qu'elle exerce sur les cœurs une attraction irrésistible. Nous pourrions ajouter que ses contraires, le dédam, le mépris, la haine, repoussent. Tous les mouvements qui accompagnent ces passions affirment la justesse de cette remarque. Eh ! ne voyez- vous pas que dans le mépris les métaphores du geste expriment une répulsion universelle? Voyez comme les yeux du méprisant se détournent et regardent de haut! Le nez se plisse sur les côtés, les narines se relèvent comme pour repousser une odeur impor- tune ; la bouche rejette, erache, vomit, et dans certains cas se ferme expressément comme pour se mettre en défense ; le corps se détourne, les mains s'opposent à l'objet ou à l'idée méprisé avec une énergie contenue par une sorte de dégoût, tout le corps, en un mot, rejette métaphoriquement ce que l'esprit a rejeté. La haine est une fureur contenue. Les sourcils se mettent en THÉORIE DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 17 défense et s'abaissent sur un œil ardent, les narines froncées se dilatent, les dents sont serrées, la respiration profonde est cepen- dant oppressée par un effort caché ; la colère est la fureur expan- sive mordant, brisant, déchirant. Tous les muscles en mouvement font frissonner la peau, la chevelure se hérisse, bientôt l’excita- tion se propage aux viscères eux-mêmes. Tantôt le cœur bat plus vite et fait rougir ; tantôt ses contractions allant jusqu'au spasme tétanique, la colère fait blémir; enfin, la voix elle-même vibre et rugit. Qui de vous ne connaît ces expressions terribles qui an- noncent la folie, la destruction et la mort! f Il y a des colères directes, des colères symboliques, des colères de lesprit, et celles-ci se traduisent par les mouvements qui signalaient les premières. La tristesse est le contraire de la joie. La joie était l'expression d'une expansion libre de la vie ; la tristesse, au contraire, corres- pond à un sentiment de dépression générale, d'indifférence, de dégoût et d’affaissement ; la face et le corps expriment ce dégoût et cet affaissement ; les yeux, presque sans regard, semblent ne sortir qu'à regret de leur atonie; les mouvements respiratoires sont à peine sensibles ; la lèvre inférieure passivement entraînée retombe; la tête inclinée s’affaisse sur une épaule, et les chairs du visage sont si flasques, que dans cette attitude oblique de la tête, la joue inférieure abandonnée à son poids pend en quelque sorte, tandis que la joue supérieure s’aplatit sur le squelette de la face, et de ce côté paraît singuliérement amaigrie. Je citerai en exemple une de ces têtes antiques que les artistes connaissent sous le nom de fille de Niché ; le génie de l'artiste avait deviné cette attitude passive des chairs dont l'expression est surtout frappante dans la période d’anéantissement du désespoir. Une analyse des expressions de la prière, dans leur évolution successive, ferait mieux sentir encore cette valeur métaphorique des mouvements du corps vivant; l’homme qui prie éprouve une tristesse qu'accompagne un désir. Il a l'idée de la puissance de celui qu'il implore et en même temps le sentiment de sa faiblesse relative ; instiuctivement, pour rendre plus sensibles cette grän- deur et cette faiblesse, il se fait plus petit, il se prosterne, i] 172 P. L. GRATIOLET. s’'anéantit; dans cet état d’abaissement, ses yeux, tournés vers celui qu'il implore, semblent regarder le ciel même. Remarquez, en effet, messieurs, que nous associons naturellement l'idée de puissance, de courage, de générosité et de noblesse à l'idée de grandeur ; quand nous parlons de belles choses, nous levons mé- taphoriquement les yeux. Ce qui enferme une perfection souve- raine vous le nommez sublime ; or, le sublime est considéré d'en bas, le sublime moral aussi bien que le sublime visible, et les yeux se tournent alors vers le ciel, source par excellence de la lumière physique et symbole éclatant de la lumière éternelle. Ce regard qui s'élève, c’est l’adoration. Or, on peut adorer Dieu debout, comme on peut debout considérer le ciel. Mais on ne peut adorer l’homme qu'en s’abaïssant. Voilà pourquoi instinc- tivement le suppliant, admirez en passant, messieurs, l’admi- rable justesse de cette expression, le suppliant se prosterne; il étend les mains pour recevoir la grâce implorée; bientôt la prière devenant plus ardente, il les joint comme pour la saisir ; est-elle refusée aux premières instances, le suppliant, semblable à un homme qui se noie et s'accroche, le mot existe métaphori- quement dans la langue, à quelque branche de salut, crispe avec effort ses mains jointes; il les rapproche de sa poitrine comme un homme qui se soulève à la force des bras, et ce mouvement si énergique se passant dans le vide les fait trembler. Ne voyez- vous pas, dans l'excès même de ce mouvement, la lutte souve- raine de l'homme qui défend son dernier espoir? Ajoutez à cela des yeux ardents, la bouche contractée par l'angoisse, la poitrine haletante, et vous concevrez aisément jusqu'à quel degré d’é- nergie terrible peuvent atteindre ces métaphores visibles. Si ces derniers efforts sont vains, ce drame de la prière se ter- mine par une quatrième scène, celle du désespoir. Le désespoir qui s'empare de l'âme après une lutte inutile paralyse les mou- vements du corps ou du moins ne laisse plus subsister que les mouvements convulsifs de l’agonie ; dans le premier cas, les bras retombent, le corps s’affaisse, la tête s'incline sur la poitrine, passive comme dans la mort; dans le second, le corps lutte encore, la poitrine étouffe, les bras semblent déchirer des liens THÉORIE DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 175 invisibles. Qui de vous dans sa vie n'a vu et compris l'horreur de ces expressions ? Borné par le temps qui m'est accordé, je ne saurais, messieurs, multiplier ici les exemples de ces métaphores du geste; mais Jusqu'ici nous n'avons parlé que des expressions franches; or, pour toucher autant que possible à tous les points principaux, je dois dire quelques mots de certaines expressions mixtes où les contraires sont associés ; ces expressions sont fréquentes et presque toutes ont une signification mauvaise. Parmi ces expressions mixtes, Je signalerai en premier lieu celle de l'incertitude; état oscillant de l'âme qui hésite entre deux partis opposés ou seule- ment différents l'un de l’autre. Cette hésitation est traduite très- naturellement par des mouvements alternatifs du corps. Supposez un chien affamé auquel on présente quelque pâtée savoureuse. Il se précipite sur elle; mais elle est trop chaude, elle est bouillante; à peme y a-t-1l touché, qu'il recule subite- ment; mais à mesure qu'il s'éloigne, l'impression et la crainte de la douleur s’effaçant, le désir se réveille. Le chien s'approche de nouveau, bien qu'avec plus de précautions; mais la pâtée n'est pas encore refroidie. Il recule donc une seconde fois pour se rap- procher encore, le regard toujours fixé sur l’objet désiré ; ainsi alternativement poussé par son désir et retenu par la crainte, il oscille entre deux sentiments opposés. Ces mouvements d’incer- titude prosbolique iraduisent dans un sens métaphorique les in- cerlitudes de l'esprit dans des circonstances toutes morales ; mais ces incertitudes sont surtout propres à certains caractères, rap- pelant l'apologue philosophique de l'âne de Buridan, mi-parti entre deux prés et se laissant mourir de faim, ne pouvant se dé- cider à brouter l’un plutôt que l’autre. Ils laissent passer cette occasion rapide, occasio præceps, qu'il faut savoir, d’une main légère et décidée, saisir aux cheveux. Rien n’est plus intéressant pour le physionomiste que de con- sidérer un homme qu'un désir sollicite en même temps qu'il est retenu par quelque raison cachée. Tantôt le désir est plus fort, notre homme se décide; en un mstant son parti est pris, il part, Mais tout à coup les remontrances de la raison deviennent plus 5e série. ZooL. T. IT, (Cahier n° 3.) # 42 174 P. L. GRATIOLET ; vives ; il s'arrête alors et revient sur ses pas. Au bout de quelques instants, 1l ne tient plus en place, un lutin capricieux le tour- mente. Était-il couché, il se lève; levé, il se recouche; il se tourne sans cesse de gauche à droite, et réciproquement. Tantôt il étend ses jambes, tantôt il les replie. Il ouvre les yeux et l'in stant d'après les referme pour les ouvrir encore. Il regardait d’un côté en se fixant à un avis, l'instant d’après son avis change, et il se retourne du côté opposé; de là une inquiétude générale qui semble retentir dans les nerfs du système cutané. Il se gratte spé- cialement au-dessus des oreilles, bien qu'il n’y éprouve aucune démangeaison. Il se ronge les ongles; il piétine, il tourne sur lui-même, ne pouvant ni agir ni trouver le repos. Que de gens, hélas! ont été perdus par cette affreuse folie de l'incertitude !.… . Mais les expressions en sont frappantes ; elles intéressent à la fois le physionomiste philosophe et l'acteur comique. La peinture et la sculpture, dont les créations sont immobiles, éprouvent à les rendre des difficultés qui ne sauraient être vaincues que par ces artifices que seul peut inventer le génie. Les expressions mixtes et contradictoires sont le plus souvent désagréables et parfois repoussantes ; telles sont les formes de l’orgueil et de l’envie. Elles n’ont, à coup sûr, rien d’aimable, et nuisent à la beauté du visage en troublant l'homogénéité de ses mouvements. Qu'est-ce que l’orgueil? Vous m'accorderez, messieurs, que c’est un extrême contentement ae soi-même. L’œil, dédaignant ce qui l'entoure, se cache comme dans un rêve; les narines flai< rent quelque parfum idéal; la bouche exécute des mouvements de déglutition satisfaite; aussi est-il connu de vous tous que les orgueilleux se rengorgent: ils se redressent avec dignité, et par- fois leur sourcil contracté légèrement exprime une sorte de mes nace à l'adresse de ceux qui pourraient méconnaitre cette dignité. Ces attitudes sont quelquefois portées au point de rappeler certains oiseaux étalant fièrement leurs grâces, et l’on a pu dire, sans exagération, que les orgueilleux font la roue, remarque que les caricaturistes ont fort habilement exploitée. L'’orgueil fait en général sourire la bouche; mais ce sourire, dépourvu d'homo- THÉORIE DES MOUVEMENTS D EXPRESSION. 175 généité, est légèrement répulsif ; les coms des lèvres sont insen- siblement abaissés, et tous ces mouvements nous disent clare- ment qu'au moment même ou se produit cette expression de dégustation satisfaite dont nous avons parlé, un sentiment de dédain des choses extérieures accompagne ce contentement in- time; en un mot, l'orgueilleux se déguste lui-même, mais il goûte peu les autres, et, quand ces mouvements se produisent sur une tête peu mtelligente, ils apparaissent comme la forme naturelle d'une suprème sottise. Quand, au contraire, le visage est intelligent et beau, le ta- bleau peut se modifier en quelques points; le sourire de la bouche est plus apparent que le dédain ; si l'œil consent à se diriger, à s'arrêter sur autrui, et si en même temps la tête s'incline un peu, ces modifications légères changeront les formes de lorgueil simple en une expression de condescendance, et cette expression deviendra pour quelques personnes l'indice de la noblesse et de la dignité. Je pourrais retrouver aisément le dessin que j'ai essayé de tracer ici dans une foule de portraits du temps de Louis XIV. Mas si, au lieu de cette attention, qui exprime un commence- ment de bienveillance, des mouvements de légèreté sautillante et étourdie se mêlent aux mouvements qui racontent métapho- riquement une satisfaction intime de soi-même, il en résultera une expression insupportable à tout homme de bon sens et de goût, celle de fatuité. Quel que soit le prestige que de np expressions puis- sent exercer sur l'opinion des pauvres d'esprit qui abondent sur la terre, elles ne méritent que le mépris du sage ; quelle que soit l'idée que les modes attachent à ces formes de l'orgueil dans l'opinion du vulgaire, ce fantôme s’évanouira devant une phy- sionomie forte, franche et bienveillante à la fois, exprimant, sui- vant le principe chrétien, une estime des autres égale à celle qu'on fait de soi-même. Forme visible d’une âme parfaite, cette physionomie est belle au-dessus de toutes les autres, car la vraie, l’immortelle beauté sur la terre n’est autre chose que la perfection de l’âme rendue sensible par la forme vivante. J'ai parlé des formes de l’orgueil ; mais, parmi les expressions 476 P. L, GRATIOLET. mixtes, il en est de plus tristes encore, telles sont celles de l'envie. L’envie est le désir furieux d’une chose qu'on ne possède pas, désir mêlé de haine, eu égard à celui qui la possède. Haine et désir, y eût-il jamais d'association plus discordante? Mais, comme cette discorde intime est éloquemment exprimée! Cet œil ou- vert, ardemment et symboliquement fixé sur l’idée de chose dé- sirée, mais regardant de côté sous un sourcil contracté, fou- droyant, pour ainsi dire, celui qui la possède ; ce sourire, ébauché dans les joues, mais que démentent énergiquement ces mâchoires qui se contractent, ces narines et ces lèvres qui répudient, cette respiration agitée, symbole d’une souffrance parfois horrible, qui dessèche les chairs, jaunit le teint et fait rétracter les mains eris- pées ; tout cela ne raconte-t-1il pas clairement ces tendances in— compatibles de l'âme, troublant l'être dans ses profondeurs les plus intimes ? N'admirez-vous pas, messieurs, cette harmonie qui lie natu- turellement le bonheur à la vertu et la souffrance aux passions mauvaises ? Je n'insisterai pas sur les expressions du rire faux : l'iromie est la gaieté de la haine ; la moquerie est celle du mépris. Signalons encore un autre exemple d'expressions mixtes, et décrivons la physionomie du trompeur. Le trompeur agit évidemment sous la double influence d'un intérêt et d’un calcul. I éprouve un sentiment et veut paraître en ressentir un autre tout contraire. Un sentiment vrai, quel qu'il soit, a des expressions homogènes et franches; tous les mouvements n’expriment alors qu'un même instinct commun et tout spontané. Or, la situation, n'étant pot instinctive, exige un certain degré d'attention. Mais l'attention est exclusive dans son objet; elle peut, à la vérité, modifier les mouvements d'un orgaue ; mais ce que cet organe volontairement modifié raconte alors, est démenti par des expressions spontanées de tous les autres. Le trompeur regarde très-rarement en face; son regard est oblique, ou du moins voilé; sil désire une chose, il feint de s’en éloigner; mais s’il s'éloigne en effet, une courbe savamment calculée l'y ramène. On dit fort bien un caractère droit, un ca- THÉORIE DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 177 ractère tortueux ; et, en effet, les déterminations franches vont droit devant elles; le trompeur, au contraire, comme un renard qui s'approche d’un poulailler, ondule ; il cherche à détourner l'attention de sa victime pour àgir sans être vu, ou même soup- conné ; il caresse d’une main, et, pendant qu'on croit à sa ca- resse, il poignarde de l’autre. Boileau dit avec une noble indé- peudance : J'appelle un chat un chat, et Rollet un fripon. Le langage du trompeur a d’autres allures. Il flatte celui qu'il veut dépouiller ; il parle d’abord le langage que, dans la fable du Renard et le Corbeau, la Fontaine attribue au renard, et, quand sa ruse à réussi, il se moque de sa victime. Quand l'homme du peuple est l’objet de sollicitations doucereuses, sous lesquelles 1l croit trouver quelque intérêt égoïste, 1l dit très-énergiquement : « Vous voulez m'entortiller! » comme s'il devinait le serpent sous ces caresses ; et, en effet, les regards, la voix et le corps du trompeur ont des ondulations félines : il est caressant, son re- gard vous endort, ces paroles vous flattent; 1l exerce sur vous cette fascination que l'opinion commune attribue au regard des reptiles. Mais, comédien maitre en tout cela, 1l n'oubliera point un œil clairvoyant. En effet, son attention, je le répète, ne peut commander à la fois à tous les traits du corps et du visage. Ses mouvements sont lents, calculés. Il vous regarde de côté; de ce côté, la. face vous sourit, l’œil à demi fermé. C'est l'œil du côté opposé qui vous regarde, et, de ce côté, la narine soulevée se moque de vous. Parfois, les deux yeux vous considèrent ; mais la bouche souriante manque de symétrie ; les ailes du nez vous dédaignent. Tout cela ne vous dit-il pas clairement le mépris du fripon pour l’homme qu'il veut tromper? Expression double de la physiono- mie : caresse volontaire, calculée, et mépris instinctif et réel, voilà ce que vous appelez du nom de duplicité. Je ne puis, messieurs, multiplier ici les exemples. Je dépasse- rais, avec la limite de votre attention et de mes forces, les bornes d’une conférence. Mais j'en aurai assez dit, si j'ai pu vous faire comprendre que tous ces mouvements de la physionomie, qu'ils soient employés dans un sens direct, symbolique ou métapho- 178 P, L. GRATIOLET. rique, expriment de la façon la plus simple et la plus naturelle les sentiments qui naissent des sensations, de l'imagination et de l'intelligence. Permettez-moi de terminer par quelques remarques néces- saires. 4° En premier lieu, il résulte de tous les faits que J'ai rappelés que les sens, l'imagination et la pensée elle-même, si élevée, si abstraite qu’on la suppose, ne peuvent s'exercer sans éveiller un sentiment corrélatif, et que ce sentiment se traduit directement, sympathiquement, symboliquement ou métaphoriquement, dans toutes les sphères des organes extérieurs, qui le racontent tous, suivant le mode d'action propre, comme si chacun d'eux avait été directement affecté. 2° Cette proposition est incontestable, mais sa réciproque n’est pas moins vraie. Er effet, les mouvements et les attitudes du corps, lors même qu'ils résulteraient de certaines causes fortuites, éveillent des sentiments corrélatifs, et, par leur intermédiaire, influent sur les mouvements de l'imagination et sur les tendances de l'âme elle-même. Je ne m'arrêterai point à démontrer cette vérité, que l'étude des phénomènes du sommeil et du somnam- bulisme a depuis longtemps mise hors de doute, mais j'en dédui- rai une conséquence utile; si de nos attitudes naissent des in- stincts, on comprendra combien la physiologie elle-même justifie l'importance que, chez les gens honnêtes, on attache aux bonnes manières ; les bonnes manières sont les formes de la vertu, et celui qui, dès l'enfance, a contracté l'accent du bien, ne parlera jamais facilement le langage du mal. 3° De ce que nous venons d'indiquer, il résulte clairement que ces formes sont actives sur l'être qu’elles manifestent. Ajoutons qu’elles sont actives hors de lui. La vue de la joie inspire Pidée de la joie, et cette idée, s’emparant de l'âme, rend joyeux; la vue des expressions de la douleur impose une souffrance; elle opprime le cœur qu’elle fait palpiter. Fait-on devant vous quelque effort prolongé, comme ceux que la toux détermine, vous vous associez sympathiquement à cet effort. Les philosophes et les physiologistes ont, à l'envi les uns des autres, apporté des preuves merveilleuses de ces sympathies. Malebranche raconte qu'une THÉORIE DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 179 jeune servante, assistant un chirurgien qui pratiquait une sai- gnée au pied de son maitre, ressentit au moment où la lancette piquait la peau une douleur si aiguë à son propre pied, qu’elle ne l’eût pas été davantage si l’on eût opéré sur elle-même. J'ai moi-même été témoin d’un pareil cas. Un jeune élève en droit, assistant pour la première fois de sa vie à une opération légère (le chirurgien excisait une petite tumeur à l'oreille d'un malade), ressentit au même instant une douleur si vive à l'oreille, qu'il y porta involontairement la main en poussant un cri. Ajoutez que l'injustice que subit un autre homme vous révolte ; et remarquez la perfection des langues : ces sentiments, ces douleurs commu- niquées, je dirais presque contagieuses, s'appellent sympathie, compassion, souffrance avec, ou misère du cœur, miséricorde ! Et, en effet, ces expressions de la douleur mordent le cœur ; elles troublent les viscères, et c’est avec raison que, pour exprimer l’insensibilité morale d’un homme, on dit de lui qu'il n’a pas de cœur, qu'il n'a pas d'entrailles. Cette compassion, cette charité, s'adresse à tout ce qui souffre ; elle s'éveille partout où la douleur crie; elle se manifeste par le succès toujours croissant de ces so- ciétés protectrices qui, à l'honneur de la civilisation, font une guerre sainte à tous les artisans de douleur. Grâce à ces expressions, grâce à ces sympathies divines, le sen- timent de l'humanité s’éveille et protége le monde. L'animal n'est ému que par les choses présentes; mais l'intelligence n’a pas de limites, et les sympathies de l’homme embrassent l'univers; et voilà comment, du nord au midi, de l’orient au couchant, du commencement à la fin de l'histoire, la force qui opprime, la force brutale est maudite, quand elle ne s’est pas faite la servante de l’éternelle justice. Messieurs, en terminant cette conférence, trop longue sans doute, je devrais m'excuser d’avoir tenu si longtemps votre at- tention captive; mais votre bienveillance m'a encouragé. Grâce à elle, en vous quittant, je pourrai peut-être, sans trop de pré- somption, emporter et curesser l'idée que les propositions qui ous ont été soumises ont été goûtées par votre intelligence. RAPPORT SUR LES EXPÉRIENCES RELATIVES A LA GÉNÉRATION SPONTANÉE, Par M. BALARD (|!) La culture dessciences d'observation soulève des questions qui ne peuvent jamais recevoir de l'expérience une solution absolue, et de ce nombre se trouve celle de la génération spontanée. L'idée qu'un être vivant peut, dans les conditions actuelles, prendre naissance sans l'existence antérieure d’un autre être, vivant aussi, qui en a fourni le germe, a été débattue dans tous les temps, et comme rien n'abonde à l'égal des observations vagues et sans précision, les raisons déduites, en apparence du moins, de l'expérience directe, n'ont jamais manqué pour soute- nir cette doctrine. Mais une étude plus sévère vient montrer que ces faits ont été mal observés, et les cas nouveaux où la matière semblait s'organiser d'elle-même rentrant alors dans la classe de ceux où l'existence d’un germe antérieur est évidente, la question semble disparaître de l’arène scientifique. Bientôt ce- pendant elle se représente appuyée encore en apparence sur l'observation, mais portant cette fois sur des êtres de dimensions de plus en plus petites, et pour lesquelles nos moyens d’investi- gation sont incertains. Mais, d'un côté, l'habileté plus grande des observateurs; de l’autre, les progrès dans la construction du microscope, font encore rentrer ces nouveaux faits dans la série des faits connus et ordinaires. On concoit qu'en procédant ainsi, la science doit fatalement arriver à un point où l’exiguité des organismes observés devenue extrème, et le pouvoir grossissant de nos microscopes, dont nous (4) La commission chargé de l'examen des expériences en question, se composait de MM. Flourens, Dumas, Brongniart, Milne Edwards et Balard, EXPÉRIENCES RELATIVES A LA GÉNÉRATION SPONTANÉE. 181 sommes bien près d'avoir atteint la limite, étant à peine suffisant pour montrer dans leur état de plus grand développement les êtres sur lesquels on discute, nous resterons dans l'impuissance de voir les corps reproducteurs plus exigus qui peuvent leur avoir donné naissance ; et à moins que la science ne s’enrichisse de moyens plus puissants d'observation, tout nouveaux, et dont nous ne pouvons avoir aujourd'hui l’idée, la question arrivée à ce terme sortira du domaine des faits pour entrer dans celui de la discussion pure. Les uns, guidés par l'induction scientifique, concluront que la nature, toujours d'accord avec elle-même (semper sibi consona), procède dans ces organismes inconnus comme elle le fait pour ceux que nous pouvons observer; d’autres, se fondant sur ce qu'à l’origine des choses la matière à été orga- _nisée sans germes antérieurs, penseront que cette puissance créatrice peut manifester encore ses effets dans les régions de l'infiniment petit dont l'accès nous est interdit, et qu’une oppo- sition absolue dans leur mode de production sépare les êtres qu'il nous est possible d'étudier de ceux que l'exiguité de leurs dimensions soustrait pour toujours à nos observations. De là des discussions qui, aussi vieilles que le monde, doivent évidemment rester éternelles, et des opinions radicalement opposées, entre lesquelles l’Académie n’est pas appelée à faire de choix. Sa mis- sion n’a jamais consisté à adopter telle ou telle doctrine, mais à contrôler les faits sur lesquels s'appuient les opmions diverses, et quand il s’en trouve d’une importance capitale qui, affirmés par les uns, sont niés par les autres, elle doit vérifier entre ces asser- tions opposées quelles sont celles qui, conformes à la vérité, méritent seules de servir d'élément à une discussion sérieuse. Or, parmi les expériences dont les résultats sont représentés comme favorables ou contraires à la doctrine des générations spontanées, 1l en est une dont l'importance a frappé tous les es- prits, et qui, d'un accord unanime, est regardée comme capitale. Dans le mémoire publié par M. Pasteur, ce savant affirme qu'i est toujours possible de prélever, en un lieu délerminé, un volume notable d'air ordinaire n'ayant subi aucune modification physique ou chimique, et tout à fait impropre néanmoins à provoquer 182 BALARD. une altération quelconque dansune liqueur éminemment putrescible, MM. Pouchet, Joly et Musset, ont écrit à l'Académie que ce résultat est erroné. M, Pasteur a porté à ces messieurs le défi de donner la preuve expérimentale de leurs assertions. Ce défi a été accepté par MM, Pouchet, Joly et Musset, dans les termes que voici : Si un seul de nos ballons demeure 1naltéré, disent MM, Joly et Musset, nous avouerons loyalement notre dé- faite (1), M, Pouchet a accepté le même défi dans les termes suivants : J'atteste que sur quelque lieu du globe où je prendrai un décimètre cube d'air, dès que je mettrai celui-ci en contact avec une liqueur putrescible renfermée dans des matras hermétiquement clos, con- STAMMENT ceuæ-ci se remplhiront d'organismes vivants (2). L'Académie, acceptant la mission de vider la question posée en ces termes, a nommé, dans sa séance du 4 janvier, une com- mission chargée de faire répéter en sa présence les expériences dont les résultats sont invoqués comme favorables ou contraires à la doctrine de la génération spontanée. La commission, vers la fin de février, s’est donc mise en com- munication avec MM. Pouchet, Joly et Musset, en indiquant les premiers jours de mars comme ceux où pourraient commencer les expériences. Mais cette époque de l'année ne parut pas con- venable à ces savants, qui soutiennent ce qu'on appelle géné- ralement la doctrine de l'hétérogénie. Ils demandèrent que les expériences fussent remises aux jours chauds de l'été, la tempé- rature encore faible du mois de mars et les variations qu’elle subit pouvant devenir une cause d’insuccès pour la manifestation des faits qu'ils se proposaient de reproduire devant la commis- sion. Celle-ci n’attribuait certes aucune influence mystérieuse à la chaleur naturelle, la seule que MM. Pouchet, Joly et Musset, voulaient employer : elle pensait qu’une étuve chauffée par une source artificielle de chaleur présentait plus de garantie d'obte- (1) Comptes rendus, t. LVIT, p. 845. (2) Ibid., t. LNH, p. 902. EXPÉRIENCES RELATIVES A LA GÉNÉRATION SPONTANÉE. 183 nir telle température qui serait nécessaire et de la maintenir constante pendant longtemps, mais elle crut devoir obtempérer au désir de MM. Pouchet, Joly et Musset, et ajourner les expé- riences projetées au mois de juin suivant. Le 16 juin une première séance préparatoire réunit les membres de la commission, ainsi que M. Pasteur et MM. Pouchet, Joly et Musset; mais au bout de quelques instants 1l fut facile de s'assurer qu'elle ne pourrait amener aucun résultat; car, priés par la commission d'indiquer ce qui était nécessaire pour répéter les expériences en vases clos qu'ils opposaient à celles de M. Pas- teur, les trois savants partisans de l’hétérogémie déclarèrent qu'ils ne s'étaient pas déplacés pour faire les expériences de M. Pasteur, mais les leurs propres. Aux demandes de la commission pour savoir quelles étaient parmi ces expériences celles qui leur paraissaient les plus impor- tantes et qui, dans leur pensée, étaient tout à fait décisives, cruciales en un mot, selon l'expression consacrée, ils répondirent par un programme d'observations et d'expériences rangées par ordre d'importance, Il a été lu à l’Académie, qui a vu que l’ex- périence capitale dont nous avons parlé, et sur le résultat de laquelle ces savants avaient porté un jugement si précis, ne figu- rait qu'au dernier rang. La commission, convainçeue qu'en suivant cette voie elle ne trouverait, au bout de laborieuses recherches, que des faits vagues et mal déterminés, source nouvelle de doutes et de dis- cussions ; résolue, pour répondre au vœu de l’Académie, de rester dans le domaine de ceux qui sont observables avec certi- tude et dont le plus important avait donné lieu au débat, fit par- venir à MM. Pouchet, Joly et Musset, une note indiquant la marche qu'elle prétendait suivre, et qui fut communiquée à l'Académie dans la séance d’après. On lisait dans cette note : L'Académie, en nommant, dans sa séance du janvier, une commission pour répéter en sa présence les expériences dont les résullats sont invoqués comme favorables ou contraires à la doc- trine des générations spontanées, a eu surtout pour but de connaître la vérité entre les deux assertions précises et contradictoires qui ont 45! BALARD. été émises devant elle. C'est aussi celles que la commission désire élucider en premier lieu. Décidée à procéder dans celte éule, EXPÉRIENCES PAR EXPÉRIENCES BIEN CARACTÉRISÉES, @A faisant Suc- cessivement connaître à l’Académie les résultats qu'elle aura con- statés, elle désire répéter d’abord celle qui, devenue propre aux deux parties qui l'ont exécutée l'une et l’autre avec des résultats différents, est répulée par chacune d'elles comme également pro- bante. Suivaient ensuite quelques chservations mdiquant que les expériences seraient faites au laboratoire de chimie du Muséum d'histoire naturelle; que chacune des parties opérerait avec trois séries de vingt ballons chacune, M. Pasteur avec la liqueur dont il a coutume de faire usage, MM. Pouchet, Joly et Musset avec une infusion de foin, liquide dont ils s'étaient servis dans leurs expériences faites à Toulouse et sur la Maladetta, pourvu qu'il fût établi que cette infusion conservait sa limpidité absolue et en pouvait, par un phénomène d'oxydation chimique, donner lieu à la formation d’un précipité susceptible de rendre les observations microscopiques moins probantes. Comme MM. Pouchet, Joly et Musset avaient répondu à cette note en présentant à l’Académie leur propre programme, dans la voie duquel aucun membre de la Commission n'aurait voulu s'engager, le regardant comme tout à fait mcapable d'amener un résultat net et à l'abri de la discussion, elle fut agréablement sur- prise en voyant les trois savants partisans de l’hétérogénie exacts au rendez-vous qui avait été donné au Muséum d'histoire natu- relle pour le mardi suivant, le 22 juin. M. Pasteur présenta d'abord à la Commission et à ses antago- nistes trois ballons remplis d'air en 1860 sur le Montanvert et contenant de l’eau de levûre, liqueur fermentescible sur laquelle il opère ordinairement. De l'aveu de tous, la transparence était parfaite et rien d'organique ne s'était développé. Mais ces ballons contenaient-ils de l'oxygène? La pointe de l’un d'eux fut cassée sous le mercure, et l'analyse de l'air qu'il contenait, faite par Fintroduction de la potasse d'abord et de l'acide pyrogallique ensuite, montra à la fois qu'il ne contenait pas d'acide carbo- nique, et qu'il renfermait, comme l'air normal, 21 pour 100 EXPÉRIENCES RELATIVES A LA GÉNÉRATION SPONTANÉE. 185 d'oxygène. Dès lors, le liquide fermentescible qu'il contenait était resté près de quatre ans au contact de l'air, sans absorber une quantité appréciable d'oxygène. Il n'était rentré dans ce ballon que du mercure provenant du fond de la cuve, et la liqueur en est restée inaltérée. Un autre ballon, non ouvert, qui est sous les yeux de l’Académie, conserve sa limpidité parfaite. Un troisième ballon fut cassé à son goulot, de manière que son col maintenu vertical présentât à l'air une ouverture moindre que À centimètre carré. Le samedi 95 il s’y manifestait déja cinq flocons d’un mycélium lâche qui s’est con- sidérablement développé plus tard. Ainsi pour terminer ce qui est relatif à cette expérience, en admettant que les ballons présentés par M. Pasteur ont été rem- plis d'air en 1860, ce qui n’est l'objet d’un doute pour personne, il est bien établi que l'eau de levüre peut rester près de quatre ans en contact avec l'oxygène de l'air, à une température d’en- viron 25 degrés maintenue constante, sans qu'il s’y développe le moindre organisme, et sans que l'air avec lequel cette matière organique est en contact éprouve la moindre altération. A ce ballon unique, que MM. Joly et Musset regardaient comme suffi- sant pour les convaincre, M. Pasteur en aurait pu ajouter bien d'autres, car les 73 vases de ce genre qu'il a rapportés du Mon- tanvert et du Jura lui ont permis, tout en expérimentant lui- même sur un grand nombre d’entre eux, d'en réserver pour les observations ultérieures un nombre plus grand encore, qui, comme celui que nous avons l’honneur de présenter à l'Acadé- mie, sont aussi restés inaltérés. M. Pasteur, en présence des membres de la Commission et de MM. Pouchet, Joly et Musset, se mit ensuite en mesure de rem - plir les 60 ballons sur lesquels devaient porter ses propres expé- riences, de la liqueur fermentescible qu'il avait préparée en fai- sant une décoction de 100 grammes de levüre par litre d’eau. Chacun de ces ballons, de 250 à 300 centimètres cubes, fut rempli, au tiers environ, de ce liquide limpide contenu dans un grand flacon, dont le maniement seul donnait lieu à une fréquente agitation. Le col de ces ballons fut étiré à la lampe en tube très- 186 BALARD. étroit, et le liquide qu'ils contenaient maintenu à l'ébullition pen- dant un temps sensiblementégal, deux minutes environ, après quoi chacun d'eux fut immédiatement fermé à la lampe. Il en resta 56 ayant résisté sans se casser à ces différentes opérations. Quatre autres ballons furent remplis du même liquide, mais leur col fut effilé, contourné et laissé ouvert; ces ballons furent aussi soumis à l'ébullition pendant deux minutes et abandonnés à eux-mêmes. Dans le cas où MM. Pouchet, Joly et Musset n’auraient pas été convaincus par l'examen fait sous leurs yeux des ballons prove- nant du Montanvert, la Commission pensait qu'ils s'étaient mis en mesure d'opérer parallèlement avec le liquide fermentescible dont ils avaient coutume de se servir. Cependant, le temps qu’elle voulait n'employer qu'à l'observation des faits, ce qu’elle regar- dait comme la seule mission qu'elle eût à remplir, s’écoulait en discussions générales et vaines sur le programme suivi et sur la convenance, que la Commission ne pouvait admettre, d'adopter pour ces expériences l’ordre indiqué par MM. Pouchet, Joly et Musset. Cet ordre, il est nécessaire de le rappeler, écartant l’objet du débat dont l’Académie nous avait saisis, plaçait au premier rang des expériences telles que celles-ci : analyse microscopique de l'air de l’amphithéâtre où nous opérions, analyse microscopique d’un litre de bière, etc., études dont il suffit d’énoncer l'indication pour que les personnes accoutumées au maniement du microscope en comprennent l'insoluble difficulté. Aussi la Commission se refusa- t-elle de nouveau à les suivre sur un terrain qui ne pouvait four- nir aucun résultat. Pressés de conclure, ces messieurs, après s'être retirés et concertés ensemble, déclarèrent à la Commission que puisqu elle ne voulait faire qu'une expérience, ils se retiraient du débat. En vain votre Commission, à plusieurs reprises, s'en référant au texte de sa note, essava-t-elle de montrer qu'en déclas rant qu’elle voulait procéder eæpériences par expériences bien caractérisées, elle n'avait pas annoncé l'intention de se borner à une seule, mais que ne pouvant les exécuter toutes à la fois, forcée d'adopter un ordre et de faire un choix, elle avait natu- rellement assigné le premier rang à celle que l'Académie avait en vue en nommant la Commission, qui constituait l'objet même EXPÉRIENCES RELATIVES À LA GÉNÉRATION SPONTANÉE. 187 du dissentiment, et qui d'ailleurs lui paraissait la plus impor- tante. Le reproche adressé à la Commision, de ne vouloir faire qu'une expérience, ayant été, malgré nos affirmations contraires, reproduit à plusieurs reprises, et la réponse réitérée et de plus en plus accentuée de la Commission étant restée sans effet, elle fut obligée d'admettre qu'on était décidé à ne pas la comprendre. Toute discussion cessa. MM. Pouchet, Joly et Musset, renonçant à exécuter les expériences pour lesquelles surtout ils avaient été invités à se rendre à Paris, se retirèrent, et celle qui était com- mencée dut être continuée par M. Pasteur en présence des mem- bres seuls de la Commission. Le col des ballons préparés fut brisé par M. Pasteur avec toutes les précautions qu'il a recommandées comme indispen- sables, et qui plus d’une fois ont dû être négligées par d’autres expérimentateurs comme excessives et inutiles, telles que chauf- fage à la flamme de la partie effilée des ballons, chauffage des pinces qui servent à leur rupture, éloignement aussi grand que possible du corps de l'opérateur, ete., ete. On y fit ainsi entrer de l'air pris à l'intérieur du grand amphi- théâtre du Muséum, sur les gradins élevés, et les tubes effilés furent ensuite fermés avec l’éolipyle. On constata que le vase portant le n° 19 ne fit pas entendre le sifflement annonçant que l'air y rentrait avec une grande vitesse, ce qui indiquait qu’il avait été mal fermé en premier lieu. I a été laissé dans cet état, sans le fermer de nouveau. Nous désignerons ces premiers vases par ballons de la première série. Dix-neuf autres de ces ballons furent ouverts à l'extérieur, sur le point le plus élevé du dôme de l’amphithéâtre, et fermés de nouveau comme les précédents, Ces ballons ont été désignés sous le nom collectif de ballons de là deuxième sérte. Comme, pendañt l'ouverture de ces ballons, le vent était fort et traversait Paris, la Commission, pour varier les conditions de la prise d’air, et convaincue d’ailleurs qu'on ne se fait pas une idée juste de la dissémination des séminules organisées dans l'ait pris au milieu des villes et dans l'air récolté au voismage des vé- gétaux vivants ou de leurs débris, crut convenable d'opérer à la 188 BALARD. campagne. Dix-huit ballons constituant la troisième série furent ouverts et fermés à Bellevue, au milieu d'un gazon, sous un massif de grands peupliers de l'habitation de l’un de nous. Ces trois séries de ballons furent alors placées dans une ar- moire du Muséum fermée par un simple grillage, de telle sorte que les résultats généraux de l'expérience pouvaient ainsi être appréciés par tous ceux qui y avaient acces. On plaça dans les mêmes conditions les quatre ballons à col effilé, contourné et ouvert, ainsi que trois verres à expérience remplis de la liqueur limpide qu'avait employée M. Pasteur. Des le lendemain, le liquide de ces trois verres, déjà troublé, indiquait la présence de myriades de Bactéries. L'observation au micro- scope en démontra l'existence à la Commission trois Jours plus tard. L'aspect louche de la liqueur contrastait, le 23 ju, avec la transparence parfaite du liquide contenu dans les ballons. L'examen de ces ballons fut fait par la Commission à diffé- rentes époques ; les tableaux suivants résument d'une manière synoptique les changements qu'elle à constatés. 2 95 JUIN. 98 JUIN. 9 JUILLET. 5 JUILLET, | 20 JUILLET. | NOVEMBRE. ME | | Résultats observés dans l'examen fait par la Commission des ballons de la 2° série. 1. | , n n ” DA ' ” » » d- » 4. .m #1 » n , 5. Mycélium. Moisiss. abon-|Sporanges dé-|Végétat. rbon- dantes. xéloppés. dante. G. , 1 ' 7. Ù » 8. » À ’ 10. 11. n ! ' vL J MA 12. \ ; Mycélium. Moisissures, Sporanges dé-|[Végétat, abon- veloppés. dante. 13. n " » \ “ 14. |Mycélium. Développement [Mycélium twès-|Moisissures, Sporanges dé-|Végétat. abon- du mycélium. | développé. veloppés. dante. 45. v » » ” ” » 46. ù n Mycélium nais-|Moisiss. abon-|Moisissures. Végétat, abou- sant. dantes. dante. 17. » ' » p - : 18. É . suis Os er ï 19 **. n ; Mycélium nais-[Moisiss. abon-|Moisiss. abon-|Végétat, abon- sant. dantes. dantes. dante,. a ——_—_—_————————————————————————————…—…—…"….….…—….…..-_.-—_—….—_.——-.—_—.-.—.…_-_—_.__—_—__———_—_—_/“—“_————— * Les guillemets signifient que le liquide est resté limpide. ** Vase dont l'effilure s'était cassée. EXPÉRIENCES RELATIVES A LA GÉNÉRATION SPONTANÉE. 189 - 25 JUIN. 28 JUIN. 2 JUILLET. 5 JUILLET. | 20 JUILLET. | NOVEMBRE. Numéros des ballons. | Résultats observés dans l'examen fait par la Commuission des ballons de la 2° série. 4. » ù » n » h 9. » » » ù ù » 3 A » » h L] » » 4. » » » » » Torula. 5. » » » » » » 6. » » » ù y u 7. » ù » ù » » 8. » » » » » Moisiss. abon- dantes. 414. » » » » » Débris de Vi brions. Pas de moisissures, 15. ù » » » Moisissures en|Moisiss. abon- boule. dantes. 16. y ù Mycélium. Mycélium plus|Moisiss. très-|Moisiss. abon- étendu. développées. | dantes. 47. » » » » » » 18. » » n » » Moisiss. abon- dantes. 49. » » » » » » Résultats observés dans l'examen fait par la Commission des ballons de la 3e série. 1. » Mycéliun. Mycélium. Végétation avec | Végétation. Végétation. sporanges, 2. | Deux mycéliums|Mycélium. Mycélium. ! Végétation avec|Végétation. Végétation. différents. sporanges. 3 Sd » » » » » Végétation, 4. » , » » D Petite moisissu-|Végétation avec re en boule. sporanges. 5. [Mycélium nais-|Mycélium. Mycélium, Végétation avec |Végétation. Végétation. sant. sporanges. 6°. » » Mycélium. » » » T. » Mycélium. Û Mycélium. Végétation avec |Végétation, sporanges. 8. » » Le liquide se|Trouble.7 Trouble. Trouble. trouble, 9. » » » » Mycélium. Végétation. 10. |Mycélium läche| Dépôt abondant| Trouble et dé-|Trouble. Trouble. Trouble. et torula. trouble. pôt. 11 ù Mycélium. Mycélium déve-| Trouble, Trouble. Trouble. loppé. 42. » Mycélium. à » Trouble et moi- Trouble et moi-|Trouble. sissures. sissures. 43. |Trouble produit n » Trouble. Trouble, Végétation. par bactéries, 44. » Mycélium. Mycélium déve-| Mycélium déve-|Végétation avec {Trouble et vé- loppé. loppé. sporanges, gétation. 45. ù » ù » n Végétation, 16. » » » » » » 41. » n ù Trouble et vé-[Trouble et vé-|[Trouble et vé- gétation. gétation. gétation. 48. ù Mycélium. Mycélium plus|Trouble et my- Trouble et vé-|Trouble et vé- développé. célium. gétation. gétation. C3 * Ce ballon avait été mal fermé. Leur inspection suffit pour montrer que si dans le cours d’un 5° série. Zooz. T. IL, (Cahier n° 4.) 1 143 190 BALARD. mois on voit apparaître la plus grande partie des phénomènes qui doivent se produire dans un laps de temps indéfini, 1l est cepen- dant quelques cas, en petit nombre il est vrai, où de nouveaux développements organiques se manifestent après ce délai (4). Sur 19 ballons de la première série, remplis d'air pris dans l’amphithéâtre, il n’en est que 5 dans lesquels il se soit manifesté quelques développements organiques; 14 sont restés intacts. La deuxième série de ballons pleins d'air pris sur le dôme de l’amphithéâtre, nous en offre 13 restés sans altération, tandis que 6 seulement ont donné naissance à des êtres vivants. Mais la proportion change notablement dans les ballons rem- plis d’air à Bellevue : sur 48 de ces vases, 16 ont été altérés. En envisageant les germes comme la cause des développe- ments produits dans les ballons objets de nos essais, on pouvait être porté à penser que près d’une prairie, sous des arbres, au milieu de ces sources nombreuses de production et de dissémina- tion des séminules de tout genre, l’air en serait plus chargé qu'au sein des villes elles-mêmes, et, ainsi qu'on vient de le voir, les résultats de nos expériences sont en accord avec cette suppo- sition. Il est aussi à noter que la nature des développements orga- niques a varié également dans les circonstances où nous nous sommes placés. Il ne s’est développé que des moisissures dans les ballons de la première et de la deuxième série qui ont subi quel- que altération ; tandis que parmi ceux qui ont été remplis d'air à Bellevue, il y en avait 7 sur 16 où s'étaient développés des ani- malcules infusoires dont le mouvement au milieu du liquide en troublait la transparence. On comprendra que la Commission ne soit pas autorisée à conclure cependant que le fait qu'elle a observé doive être con- (4) Hn'est pas inutile de remarquer que l’époque de l'apparition des organismes dans les ballons en expérience n’est pas toujours facile à bien préciser. I1 arrive quel= quefois que ces organismes, particulièrement les moisissures, naissent sur les parois mêmes du col des ballons, sous la forme d’un mycelium extrêmement grêle. Une ob- servalion très-altentive faite à la loupe permet seule de les distinguer. Dans ce cas, le liquide de ce ballon peut rester longtemps inaltéré ; il ne commence à l'être que lors- qu une portion du mycélium se détache et tombe. EXPÉRIENCES RELATIVES A LA GÉNÉRATION SPONTANÉE. 494 sidéré comme général, Elle se borne à le signaler aux observa- teurs comme un objet digne de toute leur attention et de nature à fournir sur les propriétés de l'air et sur la constitution de l’at- mosphère, au point de vue de l'hygiène, des notions qui ont échappé jusqu'ici aux recherches dirigées par les procédés eudiométriques connus. Les quatre ballons à col effilé et contourné restés ouverts n'avaient, le 25 juillet, éprouvé aucune altération, Pour suivre plus aisément pendant les vacances les changements qu’ils pour- raient éprouver, lis furent transportés dans le cabinet de M. Ed- wards; ils sont tous restés inaltérés jusqu'aujourd’hui, ainsi que l’Académie peut s’en convaincre par l'inspection de ces vases que nous plaçons sous ses yeux, Il convient de faire remarquer que ces ballons ayant été laissés à l'air libre dans des conditions où la température du jour et de la nuit présentait de notables différences, l’air atmosphérique s’est renouvelé à diverses reprises dans l'intérieur de ces vases sans amener cependant d’altération. En admettant que chacun de ces ballons contenait 200 centimètres cubes d'air et que la température de la nuit au jour à varié de 10 degrés, ce qui est probable, pendant l'intervalle de sept mois, on peut déduire d’un calcul approximatif qu'il est rentré dans le ballon 4 4/2 litre d'air, et que l'atmosphère du vase s’est ainsi renouvelée plus de sept fois dans le cours de l'expérience, Mais cet air, ainsi que celui qui s'introduit dans le ballon quand on interrompt l’ébulli- ton du liquide qu'il renferme, y est entré avec lenteur au lieu d'ypénétrer d’une manière violente, comme cela arrive quand on casse la pointe de ceux où la condensation de la vapeur a pro- duit le vide, Cetie lenteur de mouvement a pu laisser déposer dans le tube très-étroit et diversement infléchi les matières qui . communiquent à l'air pris dans certaines conditions la faculté de développer des êtres vivants. Pour s'assurer s’il en était réellement ainsi, la Commission a fait l'expérience suivante. L’extrémité de l’un des ballons à col sinueux, conservé depuis trois ans par M, Pasteur, fut fermée à la lampe. Le ballon fut ensuite violemmentsecoué, de maniere que 192 BALARD. le liquide vint mouiller quelques-unes des parties contournées du tube. Deux jours après, il s'était manifesté dans le ballon, et surtout dans le tube, des organismes nombreux: ce ballon est également sous les yeux de l’Académie. En résumé, les faits observés par M. Pasteur, et contestés par MM. Pouchet, Joly et Musset, sont de la plus parfaite exactitude. Des liqueurs fermentescibles peuvent rester, soit au contact de l'air souvent renouvelé, sans s’altérer, et quand sous l'influence de ce fluide il s’y développe des organismes vivants, ce n’est pas à ses éléments gazeux qu'il faut attribuer ce développement, mais à des particules solides dont on peut le dépouiller par des moyens divers, ainsi que M. Pasteur l'avait affirmé. Après avoir terminé les expériences relatives à l’eau de levûre employée comme liquide fermentescible, la Commission aurait pu considérer sa mission comme terminée. Cependant elle à voulu aller plus loin, et, quoique privée du concours de MM. Pouchet, Joly et Musset, elle a voulu examiner ce qui se passe avec l’eau de foin, liqueur qui avait été indiquée par ces messieurs comme ayant servi dans leurs expériences, et qui, d'après les recherches récentes de notre savant collègue M. Coste, nous semble mériter un examen particulier. Des essais préparatoires ont été faits en conséquence par la Commission comparativement avec l’eau de foin et l'eau de levûre ; mais la saison indiquée comme favorable, ou indispen- sable même au succès, était déjà passée, et quoique nous eussions observé des faits qui seraient venus confirmer ceux dont il a été rendu compte précédemment, il nous a paru, avant de les expo- ser avec détail à l'Académie et d’en tirer les conclusions, qu’il était nécessaire de les reproduire dans la saison même qui est réputée la plus favorable par les défenseurs de l'hétérogénie pour le succès de leurs expériences. La Commission en a donc ajourné au printemps et à l'été pro- chain l'examen définitif, et elle aura l'honneur d’en soumettre les résultats à l’Académie dans un second rapport, si elle veut bien l’autoriser à suivre cette marche. NOTE SUR UN CRUSTACÉ DÉCRIT COMME FOSSILE ET QUI VIT ENCORE AUJOURD'HUI DANS L'OCÉAN INDIEN, Par M. ALPHONSE MILNE EDWARDS. Le Muséum d'histoire naturelle a recu dernièrement, de M. Grandidier, un Crustacé pêché au milieu des rochers qui con- tinuent dans la mer les côtes de Zanzibar, et très-remarquable par ce fait que, jusqu'à présent, 1l n'avait été rencontré qu'à l’état fossile ou au moins subfossile. C’est l’Zxa Edwardsii dé- crite, en 1858, par M. Lucas (1), d’après une carapace pétrifiée et assez bien conservée, que ce savant entomologiste avait trouvé à acheter chez un marchand de curiosités de Marseille, sans indication de provenance. Le genre Iæa, très-peu nombreux en espèces, se reconnaît au premier coup d'œil par les prolongements plus ou moins cylin- driques qui existent de chaque côté de la carapace, et qui atter- gnent presque l'extrémité des pattes. La première Zæa fut dé- crite et figurée par Herbst sous le nom de Cancer cylindricus ; elle est très-remarquable par l’existence de deux cannelures très- profondes qui séparent les régions médianes de la carapace des régions latérales. Leach fit connaître une nouvelle espèce de ce genre, l'Zxa inermis (2), dont la provenance était inconnue, mais dont les cannelures de la carapace paraissaient moins profondes. Adams et White crurent trouver une nouvelle forme spécifique dans une /æa des îles Philippines, qu'ils désignèrent sous le nom (1) Lucas, Note monographique sur le genre Ixa (Annales de la Société entomolo- gique de France, 3° série, 4858, t. VI, p. 184, pl. 4, fig. 3). (2) Leach, Zoo!. Miscell., t. TIT, p. 26, pl. 129, fig. 2. 194 _ ALPHONSE MILNE EDWARDS, d'Ixa megaspis (1). M. Th. Bell reprit l'étude de ces différentes espèces (2) ; il compara soigneusement entre eux les individus types déposés au Musée britannique, et il reconnut que ce que l'on avait pris pour des différences spécifiques devait être con- sidéré comme l'expression de variations individuelles d’un seul et même type. La forme et les dimensions des prolongements latéraux de la carapace varient beaucoup : tantôt ils sont cylin- driques, tantôt coniques ; ils se dirigent: ou directement en de- hors, ou un peu en avant, ou légèrement en arrière ; ils se ter- minent quelquefois par une petite pointe qui, dans certames circonstances, peut manquer. La profondeur des sillons de la carapace, la grosseur des granulations, présentent quelquefois de notables différences. L'’Zæa inermis de Leach ne parait être qu'un vieil mdividu de l'Zxa cylindrica. Ce curieux groupe de Leucosiens ne se composait donc en réalité que d'une seule espèce, lorsque M. Lucas décrivit l’Zæa Edwardsii d'après une carapace fossile. Comme les autres espèces du même genre, elle présentait de chaque côté du corps un long prolongement conique et terminé par une pointe aiguë. Les régions de la carapace étaient séparées par des sillons peu profonds, et le bord postérieur de ce bouclier céphalo-thoraci- que présentait de chaque côté, en arrière, un tubercule arrondi. ette carapace, dont le plastron sternal était brisé, se trouvait à moitié remplie par une roche très-dure formée de grains siliceux réunis par un ciment calcairé, et analogue à ces couches qui paraissent se former aujourd'hui sur les côtes de l'océan Indien, depuis la mer Rouge, où M. L. Vaillant y a trouvé des Tridacnes et d’autres coquilles récentes, jusqu'à Manille et en Chine. Cette Ixa provenait probablement de ces mêmes assises. L'exemplaire recueilli vivant par M. Grandidier est remar- quable par sa taille et sa belle conservation ; il présente l'iden- tité la plus parfaite avec celui que M. Lucas a fait connaître, et (4) Adams et White, Voyage of the Samarang (Zoolog.), Cnusr., p. 55, pl. 12. (2) Th. Bell, Monograph. of the Leucosiade (Transact. of the Linn. Sor., 1855, t. XXI, p. 311). CRUSTACÉS FOSSILES ET RÉCENTS; 195 l'on peut compléter les caractères de cette espèce dont la carapace seule était connue jusqu'à présent. Ainsi que l'indiquent les pièces de la bouche , les anten- nes, etc., c’est bien dans le genre Zæa qu'elle doit prendre place. Le palpe des pattes-mâchoires externes est large ; 1l pré- sente une extrémité arrondie comme celui de l'Zæa cylindrica, et n’atteint pas la portion interne de ces mâchoires : en cela, il diffère de ce qui se voit dans le genre Arcania, où le palpe égale presque la branche interne. Les pattes sont grèles et fili- formes; les doigts des pinces de celles de la première paire sont longs et se touchent dans toute-leur étendue ; la portion pal- maire, très-grêle à son extrémité, se grossit en arrière, et s’arti- cule avec l'avant-bras, de facon à n’exécuter que des mouve- ments de bas en haut ; il en est de même pour l'articulation de l'épaule avec la carapace. Les pattes des trois premières paires sont grêles et à peu de chose près de la même longueur; celles de la cinquième paire sont un peu plus courtes. Dans la figure qui accompagne le mémoire de M. Lucas, les tubercules qui couvrent la carapace sont tous à peu près de la mème grosseur et équidistants. Cette disposition n'existe pas en réalité: les expansions latérales du bouclier céphalo-thoracique, les bords latéro-antérieurs et le lobe postérieur de la région car- diaque, portent des tubercules gros et serrés; mais sur les autres parties du corps on ne trouve plus que des granulations beaucoup plus fines, cantonnées sur les points les plus saillants des divers lobes ; les portions interrégionnaires sont complétement lisses. L'abdomen du mâle est étroit, triangulaire, effilé, orné de quelques tubercules, et se compose de cinq articles, les troisième, quatrième et cmquième anneaux s'étant soudés entre eux. La couleur de cette espèce est d’un blane rosé. Il importe de remarquer que la seconde espèce du genre Læa vit aussi dans les mers actuelles, et se rencontre dansles alluvions récentes ou peut-être quaternaires de l'océan Indien ; en effet, l'Iæa cylindrica à été trouvée dans ces couches, et on l’a égale- ment recueillie au milieu des récifs qui avoisinent l’île Maurice. Les couches quaternaires de Sicile nous ont d’ailleurs fourni 196 ALPHONSE MILNE EDWARDS. plusieurs espèces identiques avec celles qui habitent aujourd'hui la Méditerranée : j'y ai déja signalé l'existence du Maia squinado, de la Lissa chiragra, du Xantho floridus, du Gonoplax rhom- boides, de la Calappa granulata, et d’un Leucosien, lZlia nucleus. Enfin, une espèce de Portunien, très-commune sur les côtes de l'océan Indien, depuis la mer Rouge jusqu'en Océanie, que Forskäl a fait connaître sous le nom de Cancer serratus, et dont Dehaan a formé le genre Scylla, se trouve fréquemment dans les alluvions récentes ou quaternaires que l’on a signalées à Tran- quebar, dans la presqu'ile de Malacca, sur les côtes de la Chine, du Japon et des îles Philippmes. Desmarest ne reconnut pas l'identité de ce fossile avec l'espèce vivante, et il le désigna sous le nom de Portunus leucodon. Cette dénomination fut conservée par M. Reuss, qui, dans son beau travail sur les Crustacés fos- siles, fit représenter plusieurs échantillons de cette espèce, qu'il rangeait dans le genre Lupa, ainsi que l'avait proposé, en 1834, M. Milne Edwards. Récemment j'ai pu me convaincre, à la suite de l'examen d’un grand nombre de ces Crabes pétrifiés, et par une compa- raison minutieuse avec la Scylla serrata vivante, qu'il y avait identité parfaite, et que le nom spécifique de Portunus leuco- don, introduit dans la science par Desmarest, devait être défi- nitivement rayé des cadres méthodiques. Il est possible que, lorsqu'on aura étudié d’une façon plus complète les Crustacés des alluvions de l'océan Indien dont on connaît déjà un grand nombre, lorsqu'on aura réuni des matériaux plus importants sur la faune carcinologique qui habite aujourd’hui les mêmes contrées, on vienne à reconnaître que beaucoup d'espèces que l’on avait crues disparues existent encore dans nos mers. SUR LES ABEILLES HERMAPHRODITES , Par M. C. Th. de SIEBOLD (1). On a reconnu il y a quatre ans, grâce à la clairvoyance d’un très-habile apiculteur, M. Eugster (de Constance), l'apparition nombreuse d'Abeilles hermaphrodites dans une de ses ruches Dzierzon garnie d’Abeilles italiennes. M. Eugster avait su appré- cier immédiatement l'intérêt qu'offraient pour la science tant d’Abeilles hermaphrodites, si elles pouvaient être l’objet de recherches de la part d’un naturaliste familiarisé avec la dissec- tion des insectes. J'avais déclaré aussitôt avec joie l'intention de faire valoir autant que possible ce sujet si intéressant par une étude anatomique et microscopique. Ces recherches ne purent fournir l’année dernière que des résultats très-insuffisants ; car, à la fin de l’été, j'avais eu seule- ment l'occasion, pendant un long séjour à Berchtesgaden, de soumettre à un examen peu complet des Abeilles hermaphro- dites desséchées ou conservées dans l’esprit-de-vin. Pourtant ces insectes avaient excité mon intérêt à un si haut degré, que je ne pouvais y renoncer, et la précieuse ruche ayant heureusement passé l'hiver et continué cette année à produire des hermaphro- dites en masse, je me rendis deux fois à Constance, en mai et en août, afin de pouvoir entreprendre sur place les recherches mi- croscopiques nécessaires, avec des Abeilles hermaphrodites toutes fraiches. De cette manière, plus de deux cents Abeilles herma- phrodites de cette remarquable ruche de M. Eugster me sont passées par les mains, et je dois affirmer qu'aucune recherche n'a plus captivé mon attention et mon intérêt que l'observation de ces Abeilles hermaphrodites de Constance. (4) Siebold und Külliker’s Zeitschrift für wissenchaftliche Zoologie, Bd. XIV, p. 73 (4864). Trad. par M. E. Blanchard. 198 SIEBOLD. Ce n'est pas mon intention de rapporter ici les résultats spé claux de cesobservations, que je réserve pour une autre circon- stance ; je me propose actuellement d'appeler toute l'attention sur cet important objet pour la théorie et la pratique de l'apicul- ture, car seulement par des observations répétées, par un exa- men attentif, par la comparaison des rapports sous lesquels la production des hermaphrodites s'effectue dans une ruche, on réussira à jeter quelque lumière sur les causes et la condition de cette merveilleuse apparition. Il ne faut pas s'attendre, à cet égard, que je puisse expliquer comment se produisent ces her- maphrodites. Pour répondre à cette question, bien des recher- ches devront encore être poursuivies, et peut-être doit-on se de- mander s'il arrivera jamais à l'esprit humain de pénétrer dans toute leur étendue et tous leurs détails les conditions de repro- duction, la partie la plus difficile de l’histoire naturelle. Je ne puis ici que rapporter le fait dont je ne saurais trop m'étonner , comment, au commencement de ce siècle, à une époque où l’apiculture manquait encore d’une direction ra- tionnelle, un éducateur d’Abeilles distingué de la Saxe, le maître d'école Lukas, qui avait eu l’occasion d'observer de semblables Abeilles hermaphrodites, se trouva récompensé dé ses observa- tions, car il dut voir tourner en moqueries, comme un men- songe et un misérable bavardage, sa description des Abeilles hermaphrodites ou des Bourdons à aiquillon, ainsi qu'il les appe- lait (4), en s'appuyant sur une vérité. Ce qui est pire, c’est la condamnation que le pasteur wurtembergeois Wurster lança dans le monde sur la fausse doctrine de Lukas, par la raison que jusqu’à présent il n'avait été question des Abeilles hermaphro- dites dans aucun ouvrage. Busch, dans son livre bien connu sur les Abeilles, parle seulement en passant des prétendus Bourdons à aiguillon découverts par Lukas, individus dont le corps doit être composé en parties d'articles de mâles ou de Bourdons et en partie d'articles d'ouvrières, comme d’une vieille curiosité à peine digne (4) Voy. Laubender, Quelques remarques sur les Bourdons à aiguillon nouvellement découverts, pat M.linstituteur Lukas, in Okonomische Hefte, Bd; XVII. November Hefñt, 1801, p. 429. SUR LES ABEILLES HERMAPHRODITES, 199 d’une mention historique. Dans les traités d'apiculture plus ré- cents de Dzierzon et de von Berlepsch, nos plus grandes autori- tés, ces Abeilles hermaphrodites ne sont mentionnées en aucune facon. Dans ces dernières années, il a été question çà et là d’observa- tions isolées faites récemment sur les Abeilles hermaphrodites. Une de ces Abeilles a été disséquée par le docteur Dünhoff, au- quel l'insecte avait été envoyé par Walter, de Ohlau (1) ; un autre hermaphrodite a été décrit par le même, qui l'avait reçu de Wittenhagen, de Stettin (2). Le professeur Menzel, de Zurich, qui a publié les premières indications sur les Abeilles hermaphro- dites de M. Eugster (3), a décrit en même temps un hermaphro- dite qui lui avait été adressé par M. Märki d’Aargau (4). Menzel a examiné trente hermaphrodites, dont huit vivants provenant des ruches de M. Eugster (5). Les résultats des nombreusesdissections que j'ai exécutées (j'ai devant moi les procès-verbaux relatifs à quatre-vingt-sept Abeilles bermaphrodites disséquées) ne s'accordent pas avec les recher- ches de Dünhoff et de Menzel. Le docteur Dünhoff a trouvé dans lhermaphrodite qu'il a ouvert un appareil génital mâle complet, et Menzel a vu les organes de la génération atrophiés chez tous les hermaphrodites qu’il a étudiés anatomiquement, Ce dernier a fait ressortir comme particulièrement digne de remarque, que, dans tous les cas qu'il a observés, ces organes, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur, étaient conformés d'après un type, et n'ont jamais paru être hermaphrodites. Au contraire, j'ai trouvé tout de suite, dans les Abeilles hermaphrodites que j'ai dissé- quées non-seulement un mélange de ces organes qui, sous aucun rapport, ne peuvent avoir une fonction sexuelle, mais j'ai (1) Die Bienenzeitung, 1860, n°5 45, p. 174. (2) Jbid., 1860, n°5 18 et 19, p. 209, et 1861, n°5 41 et 49, p4 449 (3) Jbid., 1862, n° 15, p. 167, et n°5 17 et 18, p: 186. (4) Ibid., 1861, n° 8, p. 91. (5) Sur les rapports sexuels des Abeilles en général et sur la fécondation de la reine ; sur la parthénogenèse et la formation d'hermaplu'odités en particulier (Mitthétlungen der Schnveiserischen entomologischen Gesellschaft, 1862, p. 26), 200 SIEBOLD. reconnu aussiitrès-souvent un entremêlement des organes géni- taux mâles et femelles, aussi loin que va le développement de ces organes Chez les ouvrières. La fusion n'appartient pas exclusivement aux parties géni- tales ; elle se manifeste à l'égard des yeux simples et des yeux composés, des antennes, des mandibules, sans compter l'aspect des autres pièces de la bouche, de la lèvre supérieure, et en outre des jambes et des segments de l'abdomen, qui, sous le rap- port de la grosseur, de la forme, de la couleur et de la villosité, sont conformés d’après un type tout particulier et très-différent chez les Bourdons et les ouvrières. J'ai vu le mélange de ces organes, je le répète, tantôt sur la moitié antérieure, tantôt sur la moitié postérieure du corps, tantôt étendu à tout le corps, tantôt limité à une portion du corps; de telle sorte qu’on recon- naissait à droite les caractères d’un Bourdon, et à gauche ceux d’une ouvrière, et vice versd. Outre cette conformation herma- phrodite par côtés, le mélange des caractères du Bourdon et de l’ouvrière a lieu de telle facon, qu'un hermaphrodite paraît conformé en avant comme un Bourdon et en arrière comme une ouvrière ou à l'inverse. Des hermaphrodites dont les organes extérieurs et certaines parties du corps présentaient, par moitiés latérales, les caractères du Bourdon et de l’ouvrière, tantôt régulièrement à droite et à gauche, tantôt alternant d’après le type, soit du Bourdon, soit de l'ouvrière, étaient plus surpre- nants encore. Chez beaucoup d'individus, l'hermaphrodisme était si limité, qu'il ne pouvait être constaté que par une diffé- rence dans les mächoires ou dans les yeux composés, les an- tennes, ou dans les pattes ou les segments de l’abdomen. Maintenant, pour ce qui concerne l’organisation interne de ces Abeilles hermaphrodites, j'ai reconnu la même irrégularité aussi manifeste et la même inégalité dans le mélange, dans le déve- loppement, dans la présence ou l'absence de certaines parties des organes de reproduction mâles, qui sont plus ou moins parfaits ; tandis que, comme chez toutes les ouvrières, l’appareil femelle est plus ou moins atrophié. A cet égard, de même que pour les parties extérieures, 1l y a différents degrés d’hermaphrodisme. SUR LES ABEILLES HERMAPHRODITES. 9201 Avant tout, je dois insister sur ce fait que l'hermaphrodisme de l'appareil génital de ces Abeilles n’est presque jamais en harmo- nie avec l'hermaphrodisme des formes extérieures. L'aiguillon avec son réservoir à venin et sa glande vénénifique était bien développé chez les hermaphrodites, dont l'abdomen est conformé comme celui d’une ouvrière. Au contraire, chez ceux dont l’abdomen rappelait plus ou moins celui d’un Bour- don, il était la plupart du temps mou et avorté ; ses trois pièces ordinairement enfermées, les deux parties latérales et la portion moyenne sans conduit éjaculateur, étant séparées l’une de l'autre, ont été trouvées contournées irrégulièrement, de sorte qu'un tel aiguillon, malgré la présence du réservoir à venin et de la glande vénénifique, ne serait jamais capable de piquer. L'ovi- ducte commun se trouvait le plus souvent entouré d’un réseau trachéen ; les réservoirs séminaux étaient vides, et tous les deux avec l’oviducte commun, se trouvant en communication, par deux canaux courts, avec les ovaires, composés de gaines qui ne contenaient pas d'œufs. Chez les Abeilles hermaphrodites dont l'abdomen présentait toute la conformation de celui des Bourdons, les organes de la reproduction offraient la structure compliquée, inhérente à leur organisation, comme chez les véritables Bourdons; le conduit séminal se partageant en deux canaux déférents en rapport avec les testicules et les glandes séminales, ayant également la forme et la même disposition que chez les Bourdons normaux. Les tuyaux des testicules étaient extrêmement nombreux et remplis de cellules séminales, dans lesquelles le développement des sper- matozoïdes se montrait poussé aussi loin que dans les véritables Bourdons au moment de leur éclosion. Avec cet appareil mâle bien conformé, j'ai vu très-souvent un appareil vénénifique dont l’aiguillon se trouvait dans un état d'avortement plus ou moins prononcé. Un herma- phrodisme très-remarquable et tout particulier, qui s’est sou- vent présenté dans mes recherches, consistait en ceci: que sur les côtés, au lieu d’un testicule, se montraient réunis plu- sieurs tuyaux testiculaires et plusieurs gaînes ovigères. Du reste, 202 SIEBOLD. les épididymes et tout l'organe copulateur mâle, qui avait quel- quefois à l’extrémité inférieure un appareil vénénifique avee un aiguillon mal conformé, étaient très-régulièrement déve- loppés. Dans le cas d’une semblable fusion des testicules et des ovaires, le développement des spermatozoïdes dans les tuyaux testiculaires avait toujours commencé, tandis que les gaînes ovigères, comme du reste chez toutes les Abeilles hermaphro- dites, n’offraient aucune trace de formation d'œufs. Quelquefois je fus ainsi très-surpris qu'avec tout le développe- ment normal de l'appareil génital mâle, il y eût, au lieu d’un testicule, un ovaire dont les gaines ovigères étaient vides. Assez fréquemment, j'ai pressé sur des testicules, ou sur des testicules et des ovaires confondus ensemble, sans qu'il ait été possible de leur découvrir aucun vestige de conduit déférent. La portion inférieure de l'appareil génital était pourvue dans ce cas d’un organe copulateur bien développé, qui, en dessus, était enve- loppé d’un sac aveugle. Ce qui m'a paru très-important dans cette ruche produisant des hermaphrodites, c’est la circonstance que les Abeilles ou- vrières rejetaient de la ruche les hermaphrodites à peine éclos; et une fois dehors, ceux-ci n'étaient jamais supportés sur la tablette de la ruche. Comme il n’était jamais accordé à ces pauvres créatures, après l'abandon de leur cellule, le temps nécessaire pour que leurs téguments se fussent solidifiés, elles n'étaient jamais en état de s'envoler ; elles se trouvaient complé- tement affaiblies, et, privées du secours de la tablette, on pou- vait les trouver chaque jour en masse sur le sol, où leur misérable existence était de courte durée. M. Eugster eut la bonté d’ouvrir pour moi cette remarquable ruche, qui ne put jamais être très-peuplée par suite de cette cir- constance défavorable, et de me laisser passer la revue des gâteaux qu'elle contenait. Il y avait neuf gâteaux, dans lesquels différentes cellules d’ouvrières couvertes offrirent, lorsqu'on les ouvrit, des Abeilles hermaphrodites. On ne put jamais déterminer avant leur ouverture si les cel- lules renfermaient un hermaphrodite, tant il v à peu de difé- SUR LES ABEILLES HERMAPHRODITES. 203 rence entre ces cellules et celles du voisinage qui contiennent des Abeilles ouvrières normales. La vieille reine de cette ruche, âgée de cinq ans, était une italienne pure qui ne présentait rien d’extraordinaire. Elle de- vait s'être accouplée avec un Bourdon allemand, car on trouvait dans la ruche, outre des ouvrières italiennes pures, beaucoup d’ouvrières bâtardes de différentes nuances, tandis que les Bour-- dons révélaient leur pure origine italienne. Les hermaphrodites de cette ruche offraient aussi la couleur de la race italienne; pourtant cette couleur avait été troublée çà et là par l’influence de la race allemande. Un des neuf gâteaux, desquels plusieurs hermaphrodites avaient été extraits, fut suspendu, le 25 mai de cette année, dans une ruche saine, peuplée de pures italiennes ; quelques semaines après, M. Eugster observa l’éclosion d’hermaphrodites dans cette ruche, où plus tard on n’en aperçut plus aucun. Quatre autres gâteaux de la ruche mentionnée, pourvus d’her- maphrodites, furent employés, le 27 mai, à la restauration d’une ruche dégarnie. Celle-ci rejeta seulement dans les premiers temps des hermaphrodites, mais ensuite on n’y en apereut plus aucune trace, tandis que l’ancienne ruche continuait à produire de nombreux hermaphrodites. On se demande maintenant comment cette remarquable apparition peut s’accorder avec la théorie de Dzierzon sur la re- production des Abeilles, ou si cette théorie n’est pas un peu ébranlée par la remarquable ruche de Eugster? Ma réponse à cette question est celle-ci : que la théorie de Dzierzon demeure encore à présent aussi solide qu'auparavant : qu’elle sera encore raffermie par la ruche productrice d’herma- phrodites, car, avec aucune autre théorie de la reproduction, le phénomène que nous avons décrit ne se laisse aussi heureuse- ment expliquer. J'essayerai, avec le secours de la théorie de Dzierzon, d'expliquer la condition de la production de ces nom- breuses formes hermaphrodites si variées, avec la remarque expresse que mon explication doit être prise seulement comme une hypothèse. 204 SIEBOLD. Dans la reproduction des Abeilles, selon la théorie de Dzier- zon, il arrive que les œufs déposés par des femelles non fé- condées se développent en Abeilles mâles par la parthénoge- nèse, au lieu que de la ponte de la reine féconde peuvent se développer des ouvrières. Tandis que chez d’autres animaux la semence fécondante du mâle sert en outre à amener le développement de l'œuf, l’action de la semence du Bourdon, effectuée sur des œufs capables de produire le développement par la parthénogenèse d'individus mâles seulement, aménera le développement d'individus femelles. On est autorisé à penser qu'un certain minimum de semence est nécessaire pour fécon- der un œuf quelconque. Que la quantité de semence soit encore plus petite que le minimum limité par la nature, il est très- vraisemblable que la suite de la fécondation ne se produira point, et qu'un semblable œuf ne pourra jamais se développer. Une masse insuffisante de semence se comportera autrement pour un œuf d’Abeille. Celui-ci est, par parthénogenèse, capable de développement, néanmoins à la condition de produire un Bourdon; la féconda- tion dispose l'œuf d’Abeille pour qu'au lieu d'une Abeille mâle se produise une Abeille femelle. I est très-vraisemblable qu'un certain nombre de spermatozoïdes est nécessaire pour cette dis- position. Si maintenant, par une circonstance quelconque, la quantité nécessaire de spermatozoïdes ne se mêle pas au contenu de l'œuf un œuf d’Abeille qui, sans fécondation, aurait pro- duit un Bourdon, ne peut amener la production d’une Abeille femelle sous l'influence du nombre insuffisant de spermato- zoïdes ; mais cependant, par suite de l'introduction de quelques permatozoïdes, il y aura trouble dans le développement parthé- nogénésique d'un pur Bourdon, qui, se mélangeant en partie avec l’organisation femelle, par suite de Ja fécondation mcom- plète, amène les divers degrés de formes hermaphrodites que nous avons mentionnés. A l'égard de l'obstacle qui donne lieu à ce qu'une reine féconde incomplétement des œufs destinés à fournir des ou- vrières, Je ne puis présenter aucune explication satisfaisante, SUR LES ABEILLES HERMAPHRODITES. 205 Cette ruche de Eugster, productrice d’hermaphrodites, nous fournit encore une arme excellente pour combattre l’objection qui, jusque dans ces derniers temps, a été faite à la parthé- nogenése par des naturalistes. M. Schaum d’abord a cherché à rendre douteuse la parthénogenèse, en avançant que tous ces cas remarquables de développement parthénogénésique des œufs d'insectes peuvent être expliqués simplement par l'existence d’un hermaphrodisme. Nous aurions reconnu, Leuc- kart et mot, dans les dissections que nous avons entreprises de nombreux insectes chez lesquels a lieu un développement parthénogénésique , l'existence d’un hermaphrodisme. Nous avons confiance dans nos résultats, car nous avons toujours été trés-préoccupés, dans nos recherches relatives à la par- thénogenèse, de l’idée de découvrir des spermatozoïdes logés en quelque endroit. Dans la ruche de Eugster se trouvaient réellement de véritables hermaphrodites ; mais les adversaires de la parthénogenèse ne'sauraient rien prétendre de ce fait, car la conduite des ouvrières normales à l'égard de ces Abeilles mal conformées montre que ces dernières ne peuvent jamais pro- duire d'œufs, même si, ayant des ovaires vides à leur naissance, elles avaient plus tard des œufs, puisque, aussitôt après leur éclosion, elles sont contraintes par les Abeilles normales de quitter la ruche. D’après l'opinion des adversaires de la parthé- nogenèse, la reine, dans chaque ruche, devrait être une herma- phrodite, tandis que, chez les reines à ailes avortées, produc- trices de Bourdons, qui ont été assez souvent, de la part de Leuckart et de la mienne, l’objet d’une recherche attentive, aucun vestige d'hermaphrodisme, ou de spermatozoïdes, n’a été rencontré. Finalement, je veux encore exprimer ma persuasion que les hermaphrodites ne doivent pas être rares dans les populations d'Abeilles, seulement qu'ils ont passé inaperçus jusqu'ici. Dans l’une ou l’autre ruche, de nombreuses colonies d’Abeilles doivent offrir des individus suspects d’hermaphrodisme; je suis dis- posé à affirmer la présence de semblables anomalies. Je ne puis terminer sans exprimer 101 publiquement la plus grande recon- 5° série, ZooL. T. III. (Cahier n° 4.) ? 14 206 SIEBOLD. naissance pour la manière particulièrement obligeante avec laquelle M. Eugster aida et éclaira mes recherches dans sa ruche. Addition sur les Abeilles hermaphrodites observées en France, par M. Blanchard. Ce n’est pas seulement en Allemagne qu'on a constaté parfois la présence d’Abeilles hermaphrodites. Notre apiculteur le plus habile, M. Hamet, a consigné, il y a déjà plusieurs années, deux observations relatives à des faits analogues à ceux qui viennent d’être étudiés par M. de Siebold. Voici les deux observations : «M. Thierry Colson (des Ardennes) a découvert des mâles » armés d'aiguillon. Le fait a été contrôlé aux ruches du Luxem- » bourg (1). » Ailleurs on lit ce qui suit au sujet de la seconde observation : «M. Hamet appelle ensuite l'attention de la Société (la Société » d’apiculture, séance d'avril 1861) sur une anomalie d’une autre » nature : 1l met sous les yeux des membres présents une Abeille » qu'il a trouvée, le 5 avril, à l'entrée d’une ruche, laquelle » Abeille a la tête triangulaire, la trompe, les antennes et une » partie du corselet de l’ouvrière, mais qui a l'abdomen et les » organes sexuels du faux Bourdon. — L'insecte parait être né à » terme ; il a absorbé une goutte de miel qu'on lui a présentée, » et 1l a encore vécu vingt-quatre heures après avoir été re- » cueilli (2). » Sans le travail de M. de Siebold, on regretterait que ces hermaphrodites n'aient été l’objet d'aucune investigation ana- tomique, (1) L’Apiculteur, journal des cultivateurs d’Abeilles, etc., publié sous la direction de M. Hamet, professeur d’apiculture au Luxembourg, 2° année 1853-1857, p. 307. (2) L’Apiculteur, 3° année, 1860-1861, p. 225. ESSAI SUR L’ESPÈCE, Par M, SACC. ns Le grand Linné, tout en posant ce principe fondamental que la nature ne marche dans toutes ses créations que par transi- tions insensibles, a cependant écrit cette classification, si précise et si nette, de tous les êtres vivants, gigantesque production de son génie pénétrant et logique, bien faite pour étonner les natu- ralistes, même les plus féconds de nos jours. Actuellement, chose étrange, les historiens de la nature, loin de suivre l'exemple de cet illustre maître, et de classer les espèces en groupes, passant insensiblement de l’un à l’autre, se divisent en deux camps, dont l’un admet l’immobilité absolue de l'espèce, et par conséquent abuse de ce principe, en la fractionnant à l'infini; et l’autre la variabilité indéfinie, et par conséquent son absence totale. Ne peut-on pas attribuer cette division tout simplement à ce que la question est mal posée, en ce sens qu’on n’a point encore établi de ligne de démarcation tranchée entre l’espèce et ses variétés, et que nous ignorons où et quand la variété passe à l'espèce, si elle y passe. À l’état sauvage, les espèces varient. Ainsi le Lièvre des plaines est du double plus gros que celui des montagnes ; l’Élé- phant d'Asie ne porte plus que des défenses rudimentaires dans sa variété de Ceylan ; le pelage de l'Ours brun passe du blanc sale, dans sa variété de Syrie, au noir profond dans celle de Russie ; et la peau de la Truite des marais est noire, tandis qu’elle est gris d'argent sur les fonds pierreux. On trouve des Renards noirs, fauves et blancs ; des Moineaux et des Alouettes noirs ou blancs; des Corbeaux blancs, etc. Enfin, aux îles Baléares, on trouve assez fréquemment des individus de la Perdrix cen- drée portant à l’occiput une petite huppe de plumes laineuses. 208 sACC. Ces variations sont donc bien peu de chose, lorsqu'on les com- pare à celles que l'espèce subit sous la main puissante et persé- vérante de l'homme, qui, en accouplant entre elles les espèces à phénomènes anormaux, les fixe, et, d'autre part, produit ces anomalies de conformation par une nourriture et une hygiène appropriées au but qu'il veut atteindre. De tous les animaux domestiques, ceux qui offrent les varia- tions les plus grandes, sont le Chien, qui ne quitte jamais l’homme ; le Pigeon et la Poule, qui sont presque partout ses commensaux habituels. Chez le Chien, les variations portent sur la taille, la nature, l'abondance, la finesse et la couleur du pe- lage, la forme générale, la forme etle nombre des os. Résumant ces deux dernières propositions seulement, parce que, dans l'opi- nion des zoologistes, elles sont les plus graves, il suffit, pour les justifier, de comparer la tête carrée du Bouledogue à celle allon- gée en fuseau du Lévrier, et de rappeler que le nombre des os de la queue varie beaucoup, de même aussi que ceux des os des pieds, à cause de la présence d’un pouce rudimentaire chez quelques variétés. On a donné à cette variabilité du nombre des os du squelette une signification trop grande, parce qu'on n'a pas tenu compte de l'influence qu’exerce le développement du derme sur la partie périphérique du système osseux. Il est bien connu que toutes les races domestiques aptes à prendre la graisse ont les os grêles et la peau fine ; quant au pouce supplémentaire du Chien, ce n’est qu'une production cutanée, un os adventif, que, sous un certain point de vue, on peut comparer au bois des Cerfs. L'espèce humaine présente assez souvent des êtres ayant six doigts aux pieds ou aux mains, et le Cyprin doré, dans sa variété à double et triple queue, démontre plus nettement qu'au- cun autre exemple le peu de cas qu'il faut faire, au point de vue philosophique, du développement et de la forme de la queue, puisque les individus qui présentent cette étrange anomalie sont très-forts, se reproduisent, et sont du reste parfaitement confor- més. J'ai démontré, d'autre part, dans le travail sur le dévelop- pement de l'œuf de Poule, auquel l'Institut à décerné, en 1847, une mention honorable (voy. Annales des sciences naturelles ESSAI SUR L'ESPÈCE. 909 de 1847, t. VIE, p. 44), que, chez les Poules naines pattues, le doigt extérieur s’atrophie dès que les plumes se développent en grand nombre le long du tarse et sur les doigts, d'où il est aisé de conclure que les os participent encore, jusqu'à un certain point, à la modification de tout l'organisme, dans leur forme surtout, mais aussi dans leur nombre, au moins pour ce qui regarde ceux des extrémités et de la queue. Passons rapidement en revue maintenant d'autres anomalies de conformation nées de la domesticité. On sait qu'il y a des races de Vaches, de Moutous et de Chèvres sans cornes ; d’autres qui en ont quatre, voire même six. Le Mouton de l’Yémen a ou n'a pas d'oreille externe : j'ai possédé un Bélier de cette cu- rieuse espèce, vrai type des races à graisse, dont même le con- duit auditif était oblitéré. Nous avons vu, il y a quelques années, un Bouc parfaitement fécond, et dont les mamelles très-développées, placées au devant du scerotum, fournissaient d’excellent lait; il n’y a pas longtemps que j'ai remarqué le même phénomène sur un jeune enfant mâle né de parents très- lymphatiques, et qui n’a vécu que quelques semaines. J'ai possédé une Lapine qui, à chaque portée de cinq ou six petits, en faisait régulièrement un qui n'avait qu'une oreille, et l’autre cou- pée au ras de la tête. Les Chèvres d'Égypte, à longues oreilles pendantes, ont, dans leurs portées, presque autant de jeunes à oreilles droites et coupées en biseau, comme si elles avaient été amputées avec des ciseaux, que d’autres à oreilles normales. C'est un accident analogue qui a produit le Bouc monodactyle si répandu dans toute l’île de Cuba, et dont le jardin zoologique de Madrid possède une nombreuse famille. Ce qui ne change jamais, c’est la denture ; la forme des déjec- tions, qui est en rapport intime avec elle et avec la forme du tube intestinal ; la forme des parties génitales et la durée de la gesta- tion. Mêmes observations et mêmes conclusions pour les variétés bien moins tranchées, du reste, de Poules et de Pigeons, à ceci près que, pour ces derniers, J'ai toujours trouvé que le Pigeon commun ne couvait que seize jours, tandis qu'il en fallait dix-neuf 210 SACC, au Pigeon romain, ce qui me fait penser que le Pigeon domes- tique dérive de deux types sauvages. On arrive donc à admettre , en parlant des observations faites sur les animaux domestiques, qu'une espèce animale peut varier de taille, de pelage, de couleurs, d'appendices cutanés, et même de forme et de nombre d’os; ce qui conduit forcément à admettre que la plupart des espèces des naturalistes ne sont que des va- riétés d’un même type en général. Cette conclusion serait lo- gique, si là nature procédait comme l’homme, c’est-à-dire si elle conservait les anomalies, en accouplant toujours entre eux les animaux qui les présentent; mais 1l n'en est point ainsi, et en liberté les anomalies de conformation ne sont que des accidents sans conséquence pour les générations à venir : ainsi chez l'Éléphant de Ceylan, les défenses, quoique en général rudi- mentaires, se développent quelquefois ; les variétés albinos, ou noires, reviennent au type normal, et les Cerfs à bois anormaux font des petits dont les bois sont réguliers. Non, il n’y a pas de rapports entre les métamorphoses que subit l'espèce sous l'influence de l’homme et les quelques varia- tions superficielles que lui imprime la nature à l’état libre; en sorte qu'il est aussi peu logique de se servir des premières pour nier la stabilité des espèces sauvages que de rejeter les lois de la pesanteur, parce que la vapeur soulève le piston, qu’elles doi- vent attirer à la surface du globe : ce sont des forces différentes ; bien plus, elles sont opposées, en sorte que nous pensons que c'est là que gît le nœud gordien de la question. L'homme seul jouit du privilége d’altérer à son profit quelques-unes des grandes lois de la nature ; aussi doit-on toujours, pour les juger, se mettre à l'abri de son action perturbatrice. Donc, toute différence sensible entre deux êtres sauvages, sauf la taille, suffit pour constituer une espèce, lorsqu'elle se repro- duit toujours) identique de génération en génération; pour nous, cela ne fait pas le moindre doute, sans quoi nous serions forcé d'effacer toutes les espèces de Fauvettes, de Perdrix, de, Cerfs, de Porcs, d’Antilopes et autres encore, et de n’en faire que des variétés d’un même type primitif, bien difficile ESSAI SUR L'ESPÈCE. 211 à définir du reste, quoiqu’elles se reproduisent constamment identiques avec elles-mêmes, qu'elles ne se croisent généralement pas entre elles, et quand cela arrive, qu'elles produisent des métis stériles, comme c’est le cas pour le grand Tétras et celui à queue fourchue ; 1l semble vraiment que les espèces aient d’au- tant plus d'éloignement à s’accoupler, qu’elles ont plus de traits de ressemblance. Il y a cependant des cas où les métis sont fé- conds; mais c’est sur eux surtout qu’on peut admirer la puissance des grandes lois naturelles qui régissent l’invariabilité de l’es- pèce , car leurs descendants reviennent toujours à l’un, à l’autre, ou tout à la fois à leurs deux types originels: ainsi, dès la se- conde génération, les hybrides du Bouquetin des Alpes et de la Chèvre sont des Chèvres, et ceux du Chardonneret et de la Serine des Chardonnerets ou des Serins, suivant que l'hybride de pre- mière génération aura été accouplé avec un mâle Serin ou Char- donneret. | Les zoologistes n’ont donc pas tellement tort lorsqu'ils multi- plient les espèces à mesure qu'ils apprennent à les mieux con- paitre ; 11 ne leur est pas possible d'échapper à cette conclusion de tout travail intelligent et consciencieux. a ——————_—_—_—_—_—_—_—_ RECHERCHES ANATOMIQUES ET PHYSIOLOGIQUES SUR LA RESPIRATION CHEZ LES CHÉLONIENS, PAR WMM. SIR MITCHELL ET G. MOREHOUSE, Extrait (4). Depuis Malpighi, la plupart des zoologistes ont considéré le mécanisme de la respiration comme étant très-analogue chez les Chéloniens et les Batraciens; l'air étant poussé dans les poumons par des mouvements de déglutition. Dans ces derniers temps on avait pensé que des changements dans la capacité de la cavité viscérale, déterminés par, les mouvements des membres et de quelques autres parties des régions cervicale ou pel- vienne, pouvaient contribuer aussi à produire alternativement l’inspira- (1) Researches into the Anatomy and Physiology of Respiration in the Cheloma (Smithsonian Contributions to Knowledge, in-4, Washington City, 1863). 2192 MITCHELL ET G. MOREHOUSE. tion et l'expiration; mais il résulte des recherches approfondies des deux auteurs de ce travail, que ces phénomènes dépendent de l’action de muscles situés entre la carapace et le plastron sternal. MM. Mitchell et Morehouse ont étudié avec beaucoup de soin la structure de la région pharyngienne, la disposition des nerfs laryngés, la conformation des muscles inspirateurs et expirateurs, enfin les fonctions de toutes ces par- ties, et ils résument leurs observations de la manière suivante : « 4° Chez les Chéloniens, le nerf laryngé supérieur se distribue à la fois aux muscles qui élèvent et qui ferment la glotte. » 2° Le nerf laryngé inférieur se rend isolément aux muscles dilata- teurs de la glotte. » 3° Un véritable entrecroisement ou chinsma existe entre les deux nerfs laryngés supérieurs. » 4° Le muscle expirateur est logé dans la boîte pectorale, et se com- pose de ventres, l’un antérieur et l’autre postérieur, réunis par un fort tendon qui se continue sur la ligne médiane et reste commun aux deux côtés de l’animal. » 5° Les muscles inspirateurs occupent les flancs ou espaces latéraux de chaque côté. » 6° L'inspiration est effectuée par les muscles des flancs, qui res- semblent extrêmement, en apparence, au diaphragme des animaux supérieurs. » 7° L’expiration est effectuée par l’action simultanée des quatre ven- tres musculaires ci-dessus désignés, qui compriment les viscères contre les poumons. L'acte de la respiration consiste en une expiration et une inspiration, pendant lesquelles la glotte reste ouverte. » 8° L'ouverture de la glotte est effectuée par l’action des nerfs laryn- gés supérieur et inférieur qui se distribuent au muscle dilatateur de la glotte. Le nerf laryngé supérieur préside à l’occlusion de la glotte, étant en partie dévolu à son muscle sphincter. La contractilité élastique des cartilages de la glotte aide à la fermeture de cet orifice. Après la section des nerfs laryngés supérieurs, la glotte peut encore être ouverte par l’in- fluence des nerfs laryngés inférieurs, son occlusion incomplète étant alors effectuée au moyen de l’élasticité de ses lèvres cartilagineuses. Le chiasma des nerfs laryngés supérieurs permet à l’un de ces nerfs d'ouvrir et de fermer la glotte après la section du nerf opposé et des deux nerfs laryngés inférieurs. » Ainsi, les physiologistes ont été induits en erreur lorsqu'ils ont -décrit la respiration des Chéloniens comme analogue à celle des Batra- ciens, tandis qu’elle ressemble beaucoup plus à la respiration des Verté- brés supérieurs. » MONOGRAPHIE DU PAHILICHTHYS XIPHIÆ, PAR M. BERGSOE, de Copenhague. (Extrait) (1). L'auteur, après avoir fait une étude très-attentive des caractères orga- niques externes du singulier Crustacé parasite qui vit dans le sinus des os frontaux des Espadons, et qui avait été déjà signalé à l'attention des naturalistes par M. Steenstrup, résume dans les termes suivants l’ensem- ble de ses observations. Femina elongata, crassa, tumida, appendicibus forma magnitudineque variantibus prædita, post sensim subattenuata. Cephalothorax plane distinctus, tota latitudine cum abdomine conjunctus. Abdomen ante in discum intumescens, post coarctatum, cylindricum, gradatim in caudam transiens. Cauda teres, post subgracilescens, distincte articulata. Corpus quindecim appendicum paribus unaque solitaria instructum. Appendices omnes inarticulatæ et molles, forma ac magnitudine variæ, habitum hujus animalis mirabilem et a ceteris Crustaceis parasiticis diversum, efficiunt. Integumentum molle, membranaceum, perspicuum. Os et anus distincta, illud omni vestigio instrumentorum cibariorum carens. Color præter maculam parvam purpurei pigmenti pone appendicem primam sitam lacteus. Longitudo variat inter 6 et 36 millim. Cephalothorax tertia parte longior quam latior, oblongo-ovalis ante obtuse-rotundatus, lateribus parallelis, duabus rugis transversalibus in tres partes distincte divisus; prima minima, utrinque appendice brevi in vesicam intumescenti instructa; secunda appendicibus carens os et maculam ocularem ostendit ; tertia duabus appendicibus crucem efficien- tibus prædita. Abdomen forma in duas partes divisum ; prior lata, orbiculata, tumida ; posterior cylindrica sensim in caudam transiens. Pars prior triplo ferme cephalothorace latior, supra rugis transversali- bus quatuor in partes quinque, margine reflexa tumida circumdatas, distincte divisa; infra inarticulata, lævis, medio late profundeque excavala. (4) Philichthys Xiphiæ. Monographisk Fremstillet af Y. Bengsoe, 8°. Kjobenhaven, 4864. (Avec 4 planche.) 21h SE Appendices ventrales prioris paris e margine priore et inferiore abdo- minis exeunt. Pars interior porrecta, tumida, obclavata, sensim graci- lescens in tuberculum desinens, ex quo processus digitiformis retrorsum emittitur angulum acutum cum parte interiore efficiens. Appendices ventrales secundi paris a prioribus tuberculo triangulari, leviter inflato, medio sulcato, discrepant. Pars interior perbrevis, crassa, ramos tres digitiformes emittens, ex quibus medius bifurcatus. Ramus intimus semper brevissimus ; medii radix modo longior modo brevior, rursus in duos ramos, quorum exterior interiore semper longior est, fin- ditur ; ramus extimus semper indivisus, rudiusculus, apice subtumido. Pars posterior abdominis cylindrica, prioris longitudinem fere æquans, sed hac multo angustior, e quatuor constat segmentis, tribus prioribus distinctis, quarto in junioribus a parte ventrali tantum distincto, imadul- tis cum annulo genitali plane conflato. Segmenta tria priora subconvexa, marginibus prioribus et posterioribus pene rectis, latitudine longitudi- nem triplo fere superante. Segmentum primum in lateribus appendice breviori, terete, deorsum curvata instructum ; tertium duabus similibus, quarum superior inferiorem longitudine vix æquat, præditum ; segmen- tum secundum quartumque appendicibus carent. Cauda teres ex annulis octo, distinctissimis, subconvexis, latitudine apicem versus decrescentibus, constat. Latera annuli primi, terti, quin- tique appendicem teretem, deorsum curvatam, basi subtumidam, deinde apicem versus gracilescentem, supra gerentia ; pars dorsalis an- nuli septimi appendicem brevem, obcordatam, post in stylum obtusum exientem, gerens. Partes ventrales annuli tertii, quinti, septimi octavique singulæ singulis paribus appendicum instructæ. Tria paria prima forma simillima, basi subtumida, deinde apicem versus gracilescentia, extror- sum et nonnihil retrorsum curvata. Quartum in lobos tres obtusos divisum, priorem extrorsum, medium sursum, posteriorem retrorsum directum. Annulus genitalis (segmentum primum caudæ) in individuis adultis paulo major, sed forma a cæteris non diversus. Appendices ejus cæteris appendicibus lateralibus paulo longiores formaque singulari, vestigio bifurcationis in parte inferiore et exteriore ita apparente, ut tuberculum efficiatur. Os transversum, ne rudimentis quidem instrumentorum cibariorum præditum, post margine efflata circumdatum, in parte inferiore secundi annuli cephalothoracis situm. Anus rima longitudinali apicem annuli octavi caudæ perforat. Latera ejus margine subtumida cireumdata. In exemplaribus nonnullis anus in formam coni leviter protrusus. Orificia genitalia indistincta, minima, cutem rima lineari perforantia, SUR LE PHILICHTHYS XIPHIEÆ. 915 sutura cornea carentia, ad radicem interiorem appendicis annuli genitalis sita. Sacci ovigeri biramosi, medio coarctati, animali paulo breviores, inter appendices numerosas inclusi. Ramus prior ansatus, sub partem poste- riorem abdominis absconditus ; posterior rectus, appendicibus caudalibus cireumdatus. Ova numerosa, pluriseriata, minutissima (0"",14), globosa, canescen- tia. In singulis saccis circiter terna vel quaterna millia continentur. Oculus indistinctus, tamquam evanidus, in media parte annuli secundi cephalothoracis situs. Microscopo adhibito annulus ovalis subcorneus, medio in formam infundibuli excavatus, apparet. Spatium infundibuli- forme lenticulis carens, tubos duos, clavatos anterecipiens. Hi annulo cor- neo clariores, sub cute occulti, pellucentes, parte priore clausi, pone in spatium infundibuliforme transeunt. Ante annulum corneum macula purpurei pigmenti caput medium versus demissa. Philichthys Xiphiæ (mas). Gracilis, elongatus, post sensim attenuatus. Corpus distinctissime annulatum, annulis liberis, mobilibus, antennas pedesquevaria structura formaque gerentibus. Cephalothorax scutiformis, indivisus. Abdomen biannulatum, annulo primo inermi, secundo post spinis duabus validis armato. Cauda octo-annulata, apicem versus graci- lescens ; articulo ultimo appendicibus caudalibus instructo. Integumenta integumentis feminæ duriora, subcornea. Os clausum, Anus distinctus. Color, præter maculam parvam purpurei pigmenti inter antennas primi paris conspicuam albescens. Longitudo constanter 4 millim. Cephalothorax subconvexus, truncato-conicus, longitudine tres ferme articulos sequentes æquans, margine priore truncata, posteriore subrecta, lateribus ante subrotundatis, post subsinuatis, angulis baseos subpro- ductis, truncatis. Antennæ primi paris graciles, indistincte sex-articulatæ dimidiam par- tem cephalothoracis longitudine fere æquantes, ad marginem frontalem positæ. Antennæ secundi paris distincte biarticulatæ, prensoriæ antennis primi paris vix longiores. Articulus primus obconicus; secundus latior et paulo longior, apice duobus unguiculis subcurvatis, gracilibus armatus. Pedes primi paris magni, articulis carentes, ad latera posteriora cepha- lothoracis protensi, hamulos validissimos præbentes, quibus mas feminæ orificio genitali affigitur. Pedes secundi paris minimi, palpiformes, biarticulati. Articulus pri- mus secundo duplo longior, hic acuminatus, apice bisetosus; seta interior exteriore duplo longior. * Abdomen biannulatum, duobus pedum natatoriorum paribus instruc- tum. Annulus abdominalis primus basi cephaothoracis latitudine æqua- 216 BERGSOE, lis, sed triplo brevior, margine priore medio subsinuata, postica subrecta, lateribus rotundatis. Annulus abdominalis secundus præcedenti paulo angustior sed tertia parte longior, marginibus rectis, lateribus subrectis, pone paulo divergentibus in spinam validam, mobilem, apice sursum curvatam desinentibus. Pedes abdominales primi paris breves, natatorii, biremes. Remus exterior biarticulatus; articulo primo minuto, spina brevi valida instructo; articulo secundo primo triplo fere longiore, spinis tribus vali- dis setisque natatoriis quatuor armato. Remus interior inarticulatus, exteriore gracilior, setis quinque natato- riis, spinis duabus instructus. Pedes abdominales secundi paris forma præcedentibus similes. Remus exterior biarticulatus ; articule primo brevissimo, spina brevi valida armato; articulo secundo primo triplo longiore, spinis duabus validis setisque quatuor natatoriis prædito. Remus interior inarticulatus, exteriore gracilior, spinis tribus, longis, gracilioribus, setis duabus natatoriis munitus. Spinæ pedum abdominalium, præcipue breviores, margine serratæ. Setæ natatoriæ cilias minutas gerentes Cauda pedibus carens, octo-annulata, annulis liberis, distinctissimis, apicem versus gracilescentibus. Annulus quartus ad basin utrinque seta sensuali, octavus appendicibus terminalibus instructi. Annulus genitalis (segmentum primum caudale) mediocris magnitudinis vel parvus, annulo secundo abdominis quinta parte angustior et tertia parte brevior; margine priore recta, posteriore subrotundata, lateribus rectis pone nonnihil divergentibus. Pars inferior aream ostendit mem- branaceam, marginibus segmenti durioribus circumscriptam, orificia genitalia gerentem. Annulus secundus præcedentem latitudine fere æquans, longitudine quadruplo superans, lateribus subrectis, ante divergentibus, deinde parte tertia postrema subito convergentibus. Annulus tertius, quartus, quintus annulo secundo forma similes. Ab angulo posteriore articuli quarti oritur seta sensualis satis longa, infra crassior, deinde in scapum graciliorem hyalineum transiens, postremo in setam tenuissimam desinens. Annula sexto ac septimo latera subrotundata, septimus sexto paulo angustior et fere quadratus. Annulus octavus cæteris paulo augustior, septimo duplo longior, lateri- bus subrotundatis, margine posteriore subincisa, angulis baseos appendi- cibus caudalibus instructis. Appendices caudules elongatæ, inarticulatæ, apice duas setas validiores, duas minimas gerentes. SUR LE PHILICHTHYS XIPHIÆ. 217 Rudimentum oris, ni fallor, in parte inferiore cephalothoracis inter pedes maxillares secundi paris situm. Anus inter appendices caudales positus, apicem annuli caudalis octavi rima longitudinali perforans. Orificia genitalia minima, sutura cornea flava circumscripta, distincte in area albida membranacea apparent. Capsules seminales, mares brevi tempore post coitum examinans, non inveni. Prima duo exemplaria hujus animalis miri, ambo feminæ saccis ovi- geris carentes, a clarissimo Steenstrupio descripta (1), in peculiares foveas immersa erant in osse frontali dextro et sinistro Xiphie gladu, L., mense Septembri 1861, in mari « Kattegat », prope « Kullen », promontorium Sueciæ, capti. Anno sequenti, exemplar Xiphiæ nondum adultum in freto « Oresund », ad vadum « Drogden », captum est. In hujus quoque osse frontali dextro, supra oculum, fovea erat feminam illis prioribns juniorem et saccis ovigeris carentem et simul animalculum crustaceum copepodi- forme, 4 millim. longum, quod clarissimus Steenstrupius fortasse marem esse suspicatur, continens (2). Eodem quo Steenstrupius tempore prius opusculum in medium protu- lerat, in Italiam profecturus ego, quum multa adhuc ad hujus parasiti locum systematicum et historiam naturalem constituendam deessent, accuratiorem indagationem ejus mihi instituendam esse duxi. Dissectis igitur Neapoli et Messanæ quindecim capitibus Xiphiarum et 70 exempla- ribus, 49 femineis et 21 maribus, inventis, hanc summam operis mei in medium profero : Philichthys Xiphiæ est animal crustaceum parasiticeum ad sectionem Copepodum pertinens. Non ut cetera Copepoda hospiti affixus vivit, sed proprias dilatationes canalium mucosorum capitis liber habitat. Inde cu- tis ejus mollis, inde membrorum articulatorum et instrumentorum ciba- riorum defectus, inde oculus indistinètus. Quibus characteribus et forma singulari maris ab omnibus hucusque notis familiis Copepodum parasiti- corum distinctus, novam constituit familiam, quæ genera similiter ad canales piscium mucosos habitandos facta et accommodata continebit. Philichthys in Xiphia pervulgaris est : Triginta capitum a me exami- natorum unum tantum illo parasito liberum erat, neque multum a vero aberraverim statuens, singula capita 2-4 exemplaria continere. Numerus maximus parasitorum in capitibus a me examinatis septem erat, minimus unus. Crescentes feminæ canales mucosos dilatant. Qui si ossa aut strin- (1) Vide : Oversigt over det kgl. danske Videnskabernes Selskabs Forhandlinger o. s. v. for Aaret, 1861, p. 295-305, og. pl. II. (2) Vide : Oversigt o. s. v. for Auret, 1862, p. 227-233 218 BERGSOE. gunt aut summam partem eorum perforant (ut in osse frontali accidit) feminæ in os se immergentes profundas foveas efficiunt, ut crania museo- rum satis ostendunt. Si vero canales mucosi aut musculis aut adipe susti- nentur (ut in occipite et in præoperculo) irregulariter a feminis dilatan- tur neque ossa foveis imprimuntur. Femina a Majo usque ad Augustum ova parit. Quæ, ut apud cætera Copepoda, saccis ovigeris inclusa, appendicibus corporis !lateralibus et ventralibus suffulta et circumdata sunt. Ova non in foveis excluduntur, sed per canales mucosos in mare extruduntur, ubi excludantur necesse est. Propterea quod Xiphias et parasitus ejus eodem tempore ova pariunt, verisimile est, larvas parasiti cutem capitis parvorum Xiphiarum perfo- rare; sed ignoramus adhuc quomodo larva crescat et mutetur et quo- modo vivat. Animelculum copepodiforme (1) a clarissimo Steenstrupio descriptum est mas Philichthyis Xiphiæ. Apud animalia viva rimæ genitali feminæ lex affixus invenitur, vulgo sub saccis ovigeris absconditus. Tactus, femina relicta, mucum foveæ celerrime pernatat, qua agilitate a femina pene immobili magnopere discedit. Uni feminæ plures mares nunquam affixisunt ; feminæ vero maribus carentes sæpius inveniuntur. Nam, capto pisce, mas, femina relicta, per canales mucosos, quibus foveæ inter se conjunctæ sunt, effugere conatur. Sæpissime mas alicubi in fovea mor- tuus invenitur. Quod ad situm et formam fovearum attinet, hæc animadvertere operæ pretium est. Situs fovearum nulla alia re quam lineis, quas sequuntur canales mucosi, definitur; sed summa linea illorum canalium (linea supraorbitalis) is locus est ubi parasitus sæpissime invenitur, et præcipue paulum supra orbitam in osse frontali fere semper fovea est (fovea fron- talis) exemplaria perfectissima continens. Pone foveam frontalem, quæ vulgo maxima est, interdum una vel plures foveæ ossi impressæ sunt. Quæ quo propius ad occiput accedunt, eo minores sunt; ultimarum in osse nullum vestigium apparet ; parasitus hic canalem mucosum solum habitat. Ante foveam frontalem usque ad radicem gladii animal rarius invenitur. Foveæ hic semper frontali minores sunt et os leviore vestigio imprimunt. In linea canalium mucosorum descendenti, quæ supra ossa infraorbitalia sub oculum progreditur, parasitus interdum, sed rarius invenitur. Ossa plana, quæ hic infra sunt, non imprimit, et in ea parte canalium mucosorum, quæ ossibus infraorbitalibus suffulta longius pro- cedit, vix invenitur. Ubi foveæ in ossa infra jacentia immersæ sunt, forma üis regularis oblongo-ovalis est. Triplo longiores quam latiores sunt, et axis earum (4) Vide Loc, cit., p. 239. SUR LE‘PHILICHTHYS XIPHIÆ. 919 longitudinalis eodem, quo axis longitudinalis capitis vergit; cute tenui, numerosis poris perforata teguntur. Parasitus certo modo collocatus esse solet ita, ut parte dorsali tectum foveæ tangat, capite ad occiput piscis vergente. Ubi foveæ solis canalibus mucosis formantur, forma iis irregu- laris est; axis earum longitudinalis sæpe neque capitis neque canalis axem sequitur; cutis tegens (tectum) crassa est et poris caret. Præterea parasiti qui his foveis continentur, minores neque certo modo collocati sunt. Übi plures foveæ in ossa immersæ sunt, una linea intervallis modo majoribus, modo minoribus, collocatæ esse solent. Rariores sunt foveæ parallelæ. Singulæ foveæ singulas feminas, quibus sæpe mas additus est, continere solent. Interdum, sed rarius, fovearum habitatores emortui sunt, rarissime in eadem fovea duæ feminæ inveniuntur. EE Ÿ SUR L’EXISTENCE DE L'HOMME A L'ÉPOQUE OÙ LE RENNE ET LE CASTOR HABITAIENT LA BELGIQUE, PAR M, VAN BENEDEN, Le 26 décembre dernier, M. de Quatrefages communiqua à l’Académie des sciences une lettre de M. Van Beneden relative aux résultats que ce savant venait d'obtenir en explorant une grotte située dans la vallée de la Lesse, à 40 mètres au-dessus du niveau actuel de cette rivière et ren- fermant des squelettes humains. « Tous les os, dit M. Van Beneden, sont dispersés, les os longs toujours placés horizontalement, un crâne humain parfait sous une grosse pierre qui tient encore aux parois par les sta- lagmites. Ce crâne est à moitié rempli de pierres qui ne sont guère plus petites que je trou occipital par lequel elles ont pénétré. Au devant du crâne se trouvaient une omoplate, des clavicules, des côtes, des os longs, des vertèbres d'enfants, d'adolescents et d'adultes. Une vertèbre cervi- cale avait été poussée sur l’apophyse coracoïde de l’omoplate avec tant de force, que le cerceau est brisé et que l’on ne saurait pas la détacher sans violence. Des os se trouvaient enchässés entre les pierres, au point qu’il ne restait absolument aucun espace entre eux et les parois des pierres. Les eaux seules avaient pu produire cet effet. Au milieu de grosses pierres se trouvait un autre crâne complet, mais dont le pariétal est fracturé. C’est par le frontal d’un enfant que nous avons débuté. Nous avons au delà 2920 VAN BENEDEN. d’une demi-douzaine de maxillaires inférieurs et presque tous les os jusqu’au sternum, le sacrum, des os du tarse et du carpe, des phalanges et des dents isolées. Les os sont détruits complétement ou tombent en poussière là où l’eau pénètre pendant l’hiver, c'est-à-dire là où elle suinte à travers les parois. Les autres os qui sont à sec sont dans un état parfait de conservation. Ces ossements humains se trouvent à côté d’ossements d'Ours (pas! Ÿ. spelœus, il se rapproche plus del’espèce actuelle), de Bœuf, de Cheval, de Renne, de Castor, de Glouton, de Chèvre (on dirait notre Chèvre domestique), plusieurs Carnassiers, une masse d’Oiseaux, des Poissons (Truites et Brochets), des Æelix (pomatia, lapicida, arbustorum, cellaria) et l Unio batava, qui vit encore comme les Æelix dans les envi- rons. Avec ces os se trouvent des silex de la forme la plus primitive, des morceaux de charbon, des os calcinés (on dirait qu’ils sortent des cen- dres) et des débris de poterie très-grossière. Nous avons trouvé aussi quel- ques andouillers de Renne travaillés, mais aucune apparence de dessin. Il n’y a eu aucun remaniement de terrain ; il n’y a pas de communication avec l'extérieur, si ce n’est par devant; la terre et les pierres qui rem- plissent la grotte sont placées sur un plan lézèrement incliné vers le fond : il est évident, pour tous ceux qui voient ces objets en place, que ces os humains ont été déposés en même temps que les os des animaux. » M. Van Beneden ajoute que le premier des deux crânes humains est orthognathe et très-prolongé en arrière; le second est ce qu’il y a de plus brachycéphale et prognathe. RECHERCHES sur LES CRUSTACÉS RARES OÙ NOUVEAUX DES COTES DE FRANCE, Par BI. HESSE (1). CRUSTACÉS PARASITES VIVANT DANS LES ASCIDIES PHALLUSIENNES. { Complément du troisième article.) Depuis la découverte que nous avons faite du Crustacé st re- marquable que nous avons décrit dans un précédent article (L) sous le nom de Notopterophorus papilio, nous avons pu nous procurer des individus de cette espèce, de tous les âges et de tous les sexes; de sorte que nous nous trouvons en mesure de faire connaître les phases complètes de ses transformations. Le mâle, qui est d'un tiers plus petit que la femelle, mesure environ 2 millimètres de long. I se fait remarquer par la grosseur de sa tête, qui est relativement bien plus développée que chez celle-ci; le corps est également plus court et plus trapu, et la région thoracique, qui est d’une largeur uniforme, ne pré- sente pas, comme chez elle, un élargissement notable à sa base, destiné à contenir les œufs. La portion abdominale, qui est également cylindrique, est aussi plus robuste et plus courte que dans l'autre sexe. Mais ce qui l'en distingue surtout, ce sont les expansions membraneuses dorsales, qui offrent très-peu de développement à leur base, se réduisant à des proportions lamelleuses très-restreintes ; tandis qu'au contraire, les lanières qui les accompagnent acquièrent une extrème longueur, et, en diminuant successivement de lar- geur de la base au sommet, se terminent en pointe. Ces expan- (4) Voy. Annales des sciences naturelles, 1, 1, 5° série, 1% janvier 1864, 5° série. ZooL. T. IL. (Cahier n° 4.) 8 15 292 HESSE. sions sont, sous le rapport de leur nombre et de la place qu’elles occupent, exactement semblables à celles de la femelle; il en est de même des autres organes, qui nous ont semblé être seulement un peu plus robustes. La coloration est aussi la même. Le corps, qui est d'un blanc légèrement jaunâtre, laisse apercevoir par u'ansparence le tube intestinal, lequel est relativement très-gros et est coloré en jaune tacheté de points rouges et noirs. L'œil est rouge. Habitat. — Trouvé en bien plus petit nombre que la femelle dans l’intérieur de la Phallusia canina. Avant qu'ils aient atteint l’état adulte, dans lequel nous avons décrit le mâle et la femelle, les Votopterophorus papilio ressem- blent, au premier aperçu, à des Monocles, avec lesquels on pour- rait les confondre, si l’on s'en tenait à l'apparence. Le corps, qui est cylindrique, est formé de quatre anneaux thoraciques, y compris le bouclier céphalique, qui, tous sans exception, présentent postérieurement deux prolongements triangulaires et acuminés dont la pointe, dirigée obliquement, fait saillie en dehors et sur le dos, et sont manifestement destinés à devenir, par la suite, les expansions membraneuses que lon remarque, à la mème place, dans les adultes. L’abdomen res- semble exactement à celui des individus parvenus à l’état parfait ; il est terminé, comme dans ceux-ci, par un appendice long et robuste, muni de quatre fortes grifles qui peuvent, ainsi que la tige qui les supporte, en s’abaissant sur le dernier anneau évasé en forme de cupule, ou en se rabattant sur ses bords, constituer un moyen de préhension. Les antennes et les pattes n'offrent aucune différence avec celles des adultes. Coloration. — Le corps, qui est presque transparent, est blanc; l'intestin, qui est très-gros, est coloré en jaune brun. L'œil est rouge. A la sortie de l’œuf ou peu après, le corps du jeune est entière- ment cylindrique. Les anneaux thoraciques sont, comme d’or- dinaire, plus larges que ceux de l'abdomen, dont ils atteignent cependant le diamètre en diminuant successivement de grosseur ; CRUSTACÉS NOUVEAUX DES CÔTES DE FRANCE. 293 celui-ci est, comme dans les adultes, muni, à son extrémité, de la tige et des griffes dont nous venons de parler. Les antennes sont larges, plates, arrondies au bout, et les articulations ne sont pas encore bien déterminées. La première patte est trés-forte, composée de quatre articles terminés par une griffe robuste ; puis vient une paire de pattes-mâchoires plus minces, terminées par des soies ou des piquants légèrement relevés, en dessous desquelles se trouve le rostre formé de deux mâchoires superpo- sées, assez robustes ; et sous celles-ci on aperçoit encore une autre paire de pattes assez courte et assez mince placée latérale- ment, suivie d'une autre plus grosse, recourbée en haut et munie de fortes pointes ou poils rigides disposés en forme de peigne, lesquels complètent l'appareil buccal, qui se trouve ainsi com- posé, indépendamment des mâchoires qui ferment la bouche, de trois paires de pattes, savoir : 1° une paire de pattes-mâchoires en dessus de celle-ci, 2° d’une autre paire latérale, et 3° enfin d'une troisième paire en dessous. Les pattes thoraciques, à cette époque de la transformation, sont déjà biramées, et bien qu’elles n’offrent pas les caractères complets de celles des adultes, elles sont néanmoins très-recon- naissables. Coloration. — Le corps est entièrement blanc et transparent; l'intestin se distingue à peine du reste du corps. L'œil est rouge. Ce Crustacé est difficile à apercevoir, lorsqu'il est à cet état de transformation, à raison de son extrême petitesse. NotorteroPnonus Boupyx, Nobis. C'est avec hésitation que nous donnons cette espèce comme n'étant pas la même que la précédente, avec laquelle elle a beau- coup de rapport. Nous allons indiquer les différences que nous avons constatées et qui motivent notre incertitude. Le mâle, ainsi que cela a lieu dans le Notopterophorus papilio, est d'un tiers plus petit que la femelle. Sa tête, remarquablement plus forte que chez celle-ci, présente un diamètre antéra-posté- rieur très-grand et paraît consolidée par l'épaisseur des mus- 224 HESSE. cles fléchisseurs et extenseurs qui se rendent diagonalement, de l'occiput au bord frontal, à la base des antennes. Le thorax est large et court; il va en diminuant graduellement de diamètre, en se rapprochant de l'abdomen, dont il ne diffère aue peu de largeur et de longueur. Cette portion du corps est très-rétractile ; aussi les anneaux dont elle est formée présentent ils des bords évasés de manière à favoriser leur invagination, et l'extrémité inférieure du dernier anneau, pouvant se relever ver- ticalement, constitue une sorte de surface large et plate qui sert probablement de base et de point d'appui pour la propulsion. Les appendices abdominaux, ainsi que les antennesetles pattes, r'offrent pas de différences sensibles avec celles de la précédente espèce. Quant aux expansions membraneuses, elles nous ont paru beaucoup moins étendues que dans le Votopterophorus papilio ; nous avons remarqué aussi que celle qui est implantée sur la nuque de ce Crustacé offrait à sa base une protubérance occipitale qui, vue de profil, formait des contours à angles droits ou une protubérance arrondie et recourbée en avant. Coloration. — Le corps est entièrement d'un blanc jaunâtre très-faible. L'œil est rouge. Habitat. — ‘Trouvé dans l’intérieur de la Phallusia intes- linalis. La femelle est, comme nous l'avons dit, trois fois plus grande que le mâle. Son corps est allongé, l'abdomen surtout; la tête a aussi le diamètre antéro-postérieur très-long; le bourrelet qui sert de base à l'expansion membraneuse occipitale est beaucoup plus mince que dans l’autre espèce, et celles-ci sont également moins grandes et plus épaisses que chez elle. Elles relèvent et retour- nent leurs bords de manière à former au centre une sorte de creux dont le pédoncule servirait d’axe. Les antennes et les pattes sont plus grêles, et le dernier anneau thoracique, qui contient les œufs, se fait remarquer par une conformation toute particulière qui, vue de profil, présente quelque analogie avec celle des Do- ropygus, et lui ressemble beaucoup plus, dans tous les cas, qu'à la mème partie du corps de l'espèce précédente, qui est plate et carrée; tandis que celle-ci, au contraire, est très-bombée en CRUSTACÉS NOUVEAUX DES CÔTES DE FRANCE. 295 dessus et est terminée inférieurement par un appendice relevé et arrondi au bout. Les autres différences sont peu sensibles. La taille de ces Crustacés est presque celle du Notopteropho- rus papilio ; ils nous ont cependant paru moins grands, et le mâle nous a semblé plus large et plus trapu que dans cette autre espèce. Coloration. — Le corps est d’un jaune pâle, avec une raie rouille au milieu. L'œil est rouge. Les œufs sont d’un vert très- foncé et présentent un limbe transparent autour. Nous avons remarqué que, dans cette espèce, les expansions membraneuses étaient plus lacérées que dans l'autre, ce qui sem- blerait indiquer que ces Crustacés sont plus agissants qu'ils n’en ont l’air. On les voit se contracter et s'étendre continuellement comme s'ils voulaient soulever quelque chose et essayer de se frayer un passage à travers des obstacles résistants ; ils sont pour- vus, ainsi que nous l'avons dit, de moyens de propulsion et de rétrogradation qui facilitent ces mouvements, dont les premiers s'opérent à l'aide des fortes griffes et des pointes qui arment les paites et les portent en avant, et les seconds au moyen des cro- chets qui terminent les appendices abdominaux et leur procurent le moyen de revenir en arrière. Nous pensons aussi qu'ils peuvent utiliser, dans ce but de locomotion, les expansions membraneuses dont ils sont pourvus et qu'ils ont la facilité de mouvoir à la ma- nière des ailes de papillon. Nous croyons qu'ils s’en servent comme de point d'appui et de traction, en appliquant herméti- quement ces membranes, et en projetant sur les surfaces aux- quelles ils veulent adhérer les lanières dont elles sont accompa- gnées. Enfin, nous avons également constaté un mouvement très-fréquent ef très-actif dans les deux mandibules de l'ouverture buccale, lesquelles, placées au-dessus l’une de l’autre, s’écar- tent, en se rapprochant comme des mâchoires, avec beaucoup de vivacité, circonstance qui donnerait lieu de penser que ces parasites sont plutôt masticateurs que suceurs. Nous terminerons les descriptions que nous venons de donner par celle du Jeune de ces Crustacés, que nous avons pu nous 296 BHESSE. procurer, alors qu'il n’était encore parvenu qu'à la deuxième ou à la troisième transformation embryonnaire. Dans cet état, comme dans l’autre espèce, son corps est cylin- drique et d’une grosseur à peu près égale dans toute son étendue ; il va néanmoins en diminuant de la tête à l'extrémité du corps, ce qui lui donne aussi l'apparence d'un Monocle. A cette période, on n’apercçoit encore aucun appendice dorsal destiné à former les expansions membraneuses ; cependant le dernier anneau thoracique commence à se modifier et à se préparer à devenir l'ovaire, ce qui indique déjà la prédestination du sexe. Tous les autres appendices ne diffèrent pas de ceux des adultes, si ce n’est qu’ils sont bien moins conformés, mais ils sont néanmoins très- reconnaissables et à peu près au complet. Coloration. — Tout le corps est blanc et hyalin, l'œil seul est rouge. Hs sont alors d’une extrème petitesse et ne peuvent être aperçus qu'à la loupe ou avec de très-bons yeux. CINQUIÈME ARTICLE. Dans un précédent mémoire (1), nous avons déjà fait con- naître trois nouveaux Crustacés parasites appartenant à la sec- tion des Isopodes sédentaires ; nous venons y ajouter une qua- trième espèce qui, bien qu’elle offre beaucoup d’analogie avec celles qui sont déjà connues, s'en distingue néanmoins par des caractères qui nous ont paru assez tranchés pour que nous ayons pensé qu’il y avait lieu d'établir en sa faveur un genre spécial auquel nous avons donné la dénomination suivante : GENRE PLEUROCRYPTE, Nobis (2). PLEUROCRYPTE DE LA GALATÉE. — Pleurocrypta Galateæ. & 4 — Description du mâle (3). . Le mäle, qui n’a qu'un millimètre au plus de longueur sur un (4) Voy. Ann. des sciences nat., t. XV, p. 91. | (2) Mevo, côté; xpbmrw, je cache. (3) Planche 4, fig. 3 et 4. CRUSTACÉS NOUVEAUX DES CÔTES DE FRANCE. 227 demi-millimètre de large, forme dans son ensemble un ovale allongé assez régulier, qui lui donne en petit, lorsqu'il est con- tracté, l'apparence d’un Oscabrion : ear, dans son état normal, les anneaux du thorax sont au contraire profondément sépa- rés les uns des autres; et comme ils sont plus larges au milieu qu'à leur extrémité, ils présentent, sur les côtés, des échancrures qui se prolongent jusqu’au tube central qui sert d’axe au corps et en renferme les viscères. La tête, qui est hémisphérique en dessus, est enchâssée dans le premier anneau thoracique, auquel elle est soudée ; son bord frontal est arrondi et présente un peu plus bas une paire d’yeux petits, globuleux, difficiles à apercevoir, à raison de la coloration, qui est blanche. Ce premier anneau thoracique est suivi de six autres, dont les les cinq premiers sont d’une égale largeur ; le sixième, qui est un peu plus étroit, est soudé à l'abdomen, qu’il encadre de la même manière que le premier le fait pour la tête. Cette dernière partie du corps, l'abdomen, est d’une seule pièce de forme triangulaire, qui va en diminuant successivement de la base au sommet, qui est arrondi à son extrémité et ne pré- sente aucune trace de division en anneaux, comme le thorax ; on remarque seulement que les bords latéraux sont légèrement ondulés, mais sans aucunes découpures régulières qui puissent indiquer des séparations. De chaque côté de la ligne médiane du corps, sur tous les an- neaux du thorax, le premier excepté, et sur l'abdomen, on aper- çoit par transparence, disposés symétriquement, des ramuscules de couleur blanche qui se rendent obliquement du centre au bord des anneaux, et constituent le système reproducteur. À la face inférieure du corps (1), les premiers organes qui s'aperçoivent sont les antennes, au nombre de quatre, disposées obliquement de chaque côté de la tête, et dont l'extrémité atteint à peine la limite supérieure du bord frontal près duquel elles sont placées. (1) Figures 4 et 6. 228 HESSE, L'antenne supérieure estde moitié plus courte que l'inférieure ; elle ne présente que trois articles, l'autre en a quatre. Elles sont l’une et l'autre réunies à la base par une large pièce basilaire plate et séparées par l'intervalle qu'occupe la tête. On aperçoit un peu au-dessous l'appareil buccal, qui est sail- lant et affecte dans son ensemble une forme conique; son sommet, qui est dirigé vers le bord frontal, présente l’ouverture de la bouche. Cet orifice offre de chaque côté deux mâchoires den- ticulées, pointues, d'une substance cornée qui parait très-dure ; elles sont infléchies en avant comme des pinces courbes, et sont accompagnées latéralement de quatre autres petites pattes- mâchoires ayant trois articles terminés par une griffe crochue, dont les fonctions sont, sans doute, de faciliter celles des autres parties de la bouche. Enfin, ce système est complété par deux lames plates et pointues formant un labre inférieur. À la base de l'appareil que nous venons de décrire, de chaque côté du tube intestinal, qui va de la tête à l'extrémité de l’abdo- men, se trouve fixée la première paire de pattes thoraciques (1), qui sont formées de cinq articulations, dont la fémorale et la der- nière sont les plus grandes ; celle-ci est en outre très-renflée au milieu, et est armée d’une griffe puissante, crochue et denticulée, destinée à la maintenir sur les objets qu'elle a saisis, et qui, en se rabatiant sur une protubérance qu'elle présente en dessous, peut devenir préhensile et subehéliforme, à la manière de celle d'un grand nombre de Crustacés. Les autres anneaux thoraciques sont également pourvus d'une paire de pattes semblables. Enfin, pour terminer la description de la face inférieure du corps, nous di- rons que la base de l'abdomen s'avance en pointe jusqu'à l'ori- ge de la dernière paire de pattes thoraciques (2). Coloration. — Le corps de ce Crustacé est d’une couleur cha- mois clair uniforme, sur laquelle se dessinent très-agréablement les ramifications blanches des organes de la reproduction. L'abdomen est d'une teinte plus foncée, brun marron. Le tube (1) Figures 45, 16 et 17. (2) Figure 4. CRUSTACÉS NOUVEAUX DES CÔTES DE FRANCE. 2929 intestinal es! coloré en rouge-brique ; on aperçoit au milieu une ligne blanche très-fine, indiquant le trajet du cordon intergan- glionnaire. Le corps est, en outre, couvert d’un poil court et roide, mais clatr-semé. $ 2. — Description de la femelle (4). La femelle de cet Épicaridien est, comme cela a lieu pour tous les Crustacés qui appartiennent à cette section, infiniment plus grande que le mâle : elle a 7 millimètres de long sur 3 de large ; l’ensemble du corps forme un ovale régulier, sans déviation d’un côté, différant en cela des Bopyriens, qui présentent cette défor- mation. Vue en dessus (2), la tête, qui est hémisphérique, offre au milieu deux légères protubérances granuleuses qui sont placées de chaque côté du bord frontal. Celle-ci est encadrée par les deux premières lames incubatoires, lesquelles sont en tout au nombre de huit, fixées par quatre, des deux côtés, sur les bords du thorax. Elles vont en augmentant de dimension en descen- dant vers l'abdomen, s'imbriquant et se superposant en remon- tant vers la tête, de manière à former ainsi dans leur ensemble une vaste enceinte incubatoire, qui occupe toute la surface ter- gale du thorax qu’elle recouvre en entier. Les deux dernières de ces lames sont un peu plus longues que les autres ; leur bord in- férieur est en outre abaissé presque perpendiculairement sur la base de l'abdomen, afin de clore par en bas l’espace dont nous venons de parler. Ces lames, vues de côté, présentent à leur base, au-dessus des pièces épimériennes, de petites cavités en forme de niches (3), destinées à loger les pattes. Ces expansions sont extrêmement minces, membraneuses, rigides, transparentes, et laissent aper- cevoir, à travers leur tissu, des endroits plus clairs et d’autres opaques, formant des dessins ramusculeux qui indiquent qu’elles (4) Figures 4, 2 et 7. (2) Figure 1. (3) Figures 7 et 12, 230 HESSE, sont à doubles parois, entre lesquelles s'opère probablement la circulation, et qu'il existe aussi des nervures destinées à les con- solider et à leur donner le moyen de se mouvoir, comme cela a lieu dans les ailes des Insectes ; le bord inférieur offre, en outre, de petites dentelures, mais leur extrémité et le bord supérieur sont entiers. Les pièces épimériennes (1), qui sont arrondies en boulet sur le bord latéral, sont alternativement grandes et petites, afin de faciliter les mouvements et la flexion du thorax; et, à partir de la cinquième, elles sont terminées en pointes de plus en plus acuminées jusqu à l'extrémité de l'abdomen. Les cinq anneaux de l'abdomen (2) sont pourvus chacun, de chaque côté, près du bord marginal, d’une branchie de forme ovale, fillforme, mince, plate, très-contractile, et dans lesquelles on aperçoit facilement les effets de la circulation. Elles sont d’une grandeur inégale, qui va en diminuant de dimension, de la base au sommet de l'abdomen; elles paraissent aussi, à raison de leur extrème contractilté, tantôt larges, tantôt étroites, et groupées ou écartées l'une de l'autre. Enfin, on remarque au centre une nervure médiane, comme celle qui existe dans les feuilles, laquelle est musculeuse et cylindrique, et se distingue du reste de cet organe d'autant plus facilement, qu'elle est opaque, et d'une couleur jaune qui tranche avec la transparence et la teinte bleuâtre du reste de la branchie. Ces lames sont en outre entourées d’une marge qui est plus épaisse que le reste de cette expansion, et dont les bords sont frangés. Les anneaux de l'abdomen vont en diminuant de largeur en s’approchant de l'orifice anal, de chaque côté duquel sont deux petits appendices lamelleux un peu échancrés latéralement et arrondis à leur extrémité. En dessous, la face ventrale (3), qui est presque plate, est cependant légèrement concave au centre, par suite de la con- (1) Figure 8. (2) Figure 44. (3) Figure 2. CRUSTACÉS NOUVEAUX DES CÔTES DE FRANCE. 231 traction des extrémités et des bords du corps, qui sont habituel- lement dans cette position. L'appareil buccal (4) est placé près et au milieu du bord supérieur du corps; celui-ci est très-minee et membraneux, et constitue, en se rabattant, une sorte de velum qui lui sert d’en- cadrement. Il a la forme d’un écusson, dont la pointe est dirigée vers lebas. Au tiers de sa partie supérieure se montre l'ouverture buccale, laquelle est pratiquée au milieu d'un labre formant accolade, et du centre de laquelle sortent deux mâchoires poin- tues, denticulées, pouvant, en se rapprochant, constituer une pince apte à percer ou à couper les objets. Un peu au-dessus, et de chaque côté de cette ouverture, se trouvent les antennes qui, comme dans le mâle, sont au nombre de quatre : deux de chaque côté, dont la supérieure, qui est la plus courte, est formée de trois articles, et l'inférieure, qui a un assez large et long article basilaire, est terminée par un filet cylindrique qui en a cinq. À la base de cette dernière antenne, sur une protubérance très-courte et arrondie, se montrent les yeuæ, qui sont petits et peu saillants. Le corps (2) est divisé en douze anneaux, dont sept sont thora- ciques et cinq abdominaux ; ils sont tous très-distincts les uns des autres, et séparés par un liséré saillant qui en délimite non-seule- ment les contours, mais encore ceux des pièces épimériennes complémentaires qui existent latéralement. Les premiers an- neaux qui environnent la tête sont infléchis au milieu en forme de chevron, et leur extrémité remonte de chaque côté de cet organe; mais ceux qui sont en dessous ont au contraire une direction dans le sens opposé, et ils se courbent d'autant plus vers le bas, qu'ils se rapprochent de la partie inférieure du corps. Il est aussi à remarquer que ces anneaux, bien que soudés les uns aux autres, et conséquemment dans l'impossibilité de s’écarter où de se rapprocher, conservent cependant une certaine flexi- (1) Figure 5. (2) Figure 2. 232 BESSE, bilité qui résulte de la manière dont ils sont imbriqués oblique- ment entre eux de bas en haut, disposition extrêmement curieuse, en ce qu'elle permet au besoin, à ce Crustacé, de se contracter en boule, comme les Oscabrions, auxquels nous le comparions, de façon à pouvoir faire toucher, ou peu s’en faut, les deux extrémités du corps. Ainsi que cela a lieu dans le mâle, on remarque au centre du corps de la femelle une ligne médiane, mince, blanche, qui part de la tête, et se rend perpendiculairement à la partie inférieure du corps. Elle indique le trajet de l'axe spino-cérébral, des deux côtés duquel on distingue facilement, à sa couleur tranchée et à son large diamètre, le tube intestinal. La femelle est pourvue, comme le mâle, de sept pattes (1), qui, relativement à la dimension de celle-ci, sont assez faibles, courtes et fixées latéralement aux pièces épimériennes, à la base des lames incubatoires, et en dessous de petites cavités destinées à les recevoir. Elles sont formées de cinq articles à peu près de la mème grandeur, recourbées en forme de crochet, de manière que leur extrémité soit dirigée horizontalement du côté de la face ventrale. Le dernier article, qui est. plus fort que les autres, est remarquable par sa singulière conformation ; 1l est bombé en dessus et plat en dessous, formant, pour les deux pre- mières paires de pattes (2), des sortes de tampons où de pelotes élastiques. Les autressont également bompées en dessus et plates en dessous, creuses intérieurement, ampulliformes, déviées du côté du corps, présentant à leur sommet, qui est plus étroit, une petite ouverture en manière de goulot, laquelle est contractile et bordée d’un cercle en relief. Cette ouverture présente en outre, à sa partiesupérieure, une demi-circonférence d'une sub- stance qui paraît plus solide, et qui offre à ses extrémités de petites denticulations qui peuvent contribuer à rendre la fixation des pattes plus efficace, en remplissant les fonctions de griffes qui s'enfoncent dans les tissus sur lesquels elles s'appliquent (3). (1) Figures 9, 40, 14 et 12. (2) Figure 9. (3) Figures 4 et 13. CRUSTACÉS NOUVEAUX DES CÔTES DE FRANCE. 933 Coloration. — En dessus, la tête est d’un jaune-souci très-vif : les deux petites protubérances latérales sont d’un brun rou- geûtre ; les lames incubatoires gris vineux clair. L’abdomen est. comme la tête, d'un jaune-souci très-vif, et l'on aperçoit au milieu la ligne médiane qui est rouge-brun , parcourue par une raie blanche étroite et verticale: les lames branchiales sont transparentes et d’une couleur bleu clair. En dessous, tout le corps, y compris la tête, est d’un jaune- souci très-vif ; les anneaux et les pièces épimériennes sont limi- iés par un liséré blanc ; la ligne médiane du dessus du corps se reproduit en dessous, et le parcourt verticalement de la tête à son extrémité inférieure. Habitat. — Trouvé, le 46 septembre 1864, sous la voûte de la cavité branchiale céphalo-thoracique de la Galatée porte- écaille (Galatea squamosa), où elle avait déterminé la formation d'une tumeur très-apparente, comme celles que produisent, en pareille occurrence, les Bopyriens des Crevettes et des Hippo- lytes, ainsi que la Gyge de la Gébie des rivages. $ 3. — Description des jeunes à la sortie de l'œuf. Les œufs étaient arrivés à leur période d’éclosion, lorsque nous nous sommes procuré le Crustacé parasite que nous venons de décrire; nous n'avons donc pu observer que la première phase qui a suivi cette métamorphose, dont nous allons rendre compte. L'embryon (1) est d’une taille assez petite pour ne pouvoir être aperçu qu'à la loupe; il est très-agile, et nage avec rapidité et par saccades. Vu en dessus, on le prendrait, au premier apercu. pour un Spheromia réduit à des proportions infimes. Sa tête, qui est hémisphérique, est arrondie au bord frontal, et à la même largeur quele premier anneau thoracique dans lequel elle est profondément enchâssée ; celui-ci est suivi de septautres, tous de ja même dimension, à l'exception cependant du dernier, (1) Figures 18, 19 et 20. 23h HESSE. qui offre au milieu un petit prolongement arrondi ; ils présentent aussi latéralement, de chaque côté, des pièces épimériennes assez larges, un peu acuminées à leur extrémité. De chaque côté de la tête on aperçoit les yeux, qui sont rela- üvement assez gros, et sont sessiles et hémisphériques. Le thorax est formé d’une seule pièce comme dans le mâle; son bord latéral est légèrement ondulé, et son extrémité se ter- mine en pointe arrondie. Vu en dessous (1), on aperçoit la bouche, qui est proboscidi- forme rétractile, et placée à l'extrémité inférieure d’une protu- bérance ovale qui fait saillie au milieu du premier anneau thoracique. De chaque côté de cet organe sont placées les antennes (2), dont celle de dessus, qui est la plus courte, est formée de trois articles : les deux premiers sont larges et courts ; le dernier est plus mince, cylindrique, tronqué à son extrémité, et accom- pagné de poils ou de pointes assez fortes et acuminées en forme de griffes. L’antenne Imférieure est infiniment plus longue ; elle est cylin- drique, et composée de cinq articles qui vont en diminuant de largeur en s’avançant vers l'extrémité. Les pattes (3) sont, comme dans les adultes, ‘au nombre de sept de chaque côté, toutes formées de cinq articles, dont le dernier est le plus développé. La première paire est, comme celle du mâle, terminée par une griffe puissante et crochue ; les autres sont composées d'ar- ticles courts et globuleux, dont le dernier, qui est plus long et plus gros que les autres, est creux, et est terminé par une ou- verture arrondie, qui, par suite de sa contractilité, peut, en se resserrant, saisir les objets et devenir préhensile. L'abdomen (4) présente de chaque côté une fausse patte lamelleuse, large, plate et bifurquée, dont les extrémités, qui CRUSTACÉS NOUVEAUX DES CÔTES DE FRANCE. 235 sont pointues, sont recourbées obliquement. Ces appendices sont précédés d’autres également lamelleux, pointus et à bords den- telés en scie, lesquels servent à la propulsion, et sont destinés plus tard à former les branchies que l'on remarque à la même place dans la femelle adulte. Enfin, onsaperçoit dans quelques individus, suivant le degré plus ou moins avancé de leur trans- formation, à l'extrémité de l'abdomen et de chaque côté de l’ou- verture anale, deux petites lames plates, arrondies, creuses au milieu, et entourées d’un bord saillant et circulaire (4). Coloration. — Le front, les pattes et l'extrémité de l'abdomen, sont blancs. Le corps est d’une couleur grise, pâle, violacée ; les yeux sont vermillons. On remarque aussi sur chaque anneau du thorax, rangés sur deux lignes parallèles, de gros points ronds de couleur pourpre. Le thorax est également marqué de quatre taches semblables, suivant le même alignement ; enfin, il y en a une au milieu du troisième et du septième anneau thoracique. Habitat. — Les œufs, ainsi que les petits, étaient entassés en quantité mnombrable dans la cavité suprathoracique de la femelle, qui était elle-mème renfermée dans une tumeur existant du côté gauche d’une Galatée porte-écaille. La couleur grise, violacée, de ces œufs, communiquait aux lames incubatoires, qui sont presque incolores, à raison de leur transparence, un reflet de cette même teinte. $ Hi — Physiologie, Ï nous reste encore, pour compléter ce que nous avons à dire des divers organes dont nous venons de donner la description, à faire connaître les fonctions qu'ils sont appelés à remplir pour satisfaire aux besoins des Crustacés auxquels ils ont été accordés. Nous n’avons, relativement à ceux qui concernent le mâle, aucune observation importante à constater, son rôle se bornant à vaquer à la reproduction de son espèce et à pourvoir à son (4) Figure 24, 236 HESSE, existence. Il a été muni, dans ce but, de pattes robustes, pré- hensiles, armées de fortes griffes qui lui donnent le moyen de se fixer solidement à sa femelle et sur sa proie ; et, à cet égard, nous pensons, comme nous l'avons déjà dit, que s'il stationne de préférence sur l'abdomen de celle-ci, ce n’est pas seulement parce qu'il se trouve plus à portée de ses organes sexuels, mais encore parce qu'étant près des branchies, il peut s'y réfugier, et qu’en s’y tenant cramponné, il lui est plus facile d'atteindre, pour y prendre sa nourriture, le Crustacé sur lequel 1l vit en commun avec elle. En ce qui regarde la femelle, nous avons surtout été frappé de la longueur de ses lames incubatoires, qui, en se rejoignant et se superposant, recouvrent en entier l'enceinte incubatoire, disposition qui nous eût paru superflue, si nous pe savions que tout ce qui existe a sa raison d'être. Nous voyons, en effet, que, chez les parasites qui vivent dans es mêmes conditions que le nôtre, c'est-à-dire logés dans la cavité thoracique, ainsi que le font les Bopyriens, leur encemte incubatoire est formée seulement de lames courtes et verticales qui laissent entièrement à découvert le milieu de cet enclos, et qu'il est pourvu à cette lacune par la voûte de la carapace cé- phalo-thoracique sous laquelle ils s'abritent. Nous remarquons aussi qu'à cet effet, la cavité branchiale se modifie par l'action constante du parasite qui y séjourne, et qu'il y détermine une tumeur lenticulaire dans laquelle il est hermétiquement ren- fermé ; nous ne nous expliquons donc pas la nécessité de cette double enveloppe, et le motif pour lequel l'espèce que nous dé- crivons, ainsi que la Gyge branchiale, qui sont des parasites essentiellement thoraciques, sont, sous ce rapport, pourvues, comme les parasites abdominaux, de lames incubatoires assez longues pour recouvrir en entier l'enceinte dans laquelle sont déposés les œufs. Nous signalons en conséquence cette particu- larité sans pouvoir en expliquer le motif. Quelques naturalistes, trompés vraisemblablement par la po- sition qu'occupent généralement les œufs dans la presque totalité des Crustacés, chez lesquels ils sont habituellement renfermés dans la cavité abdominale, et sapplémentairement, thoracique, CRUSTACÉS NOUVEAUX DES CÔTES DE FRANCE. 237 ont pris la face supérieure des individus du genre de celui que uous décrivons pour la face inférieure, et réciproquement, la face inférieure pour la face supérieure. La famille des Bopyrieus présente cette anomalie qu'elle porte ses œufs sur le dos (1) ; mais si cette exception à la loi commune existe pour les œufs, il n’en est pas de même, du moins que nous sachions, pour la place où se trouve l'ouverture buccale, laquelle est chez les Épicaridiens, comme chez tous les autres Crustacés, invariablement tournée du côté de la face inférieure du corps, dans la même direction que l'extrémité des pattes, qui, chez ceux-ci particulièrement ’sont souvent des auxiliaires indispen- sables des organes de la bouche, et forment notamment, comme pattes-mâchoires, un complément utile du système mandibu- laire. La bouche et les pattes sont donc dans notre Pleurocrypte tournées vers la face ventrale (2); ce qui le prouverait du reste, indépendamment de la constatation matérielle que nous en avons faite, c’est que ces parasites sont toujours appliqués de ce côté au Crustacé aux dépens duquel ils vivent, par cette raison toute simple que, s’il en était autrement, ils ne trouveraient pas une nourriture suffisante dans la membrane épaisse et tomenteuse, mais peu substantielle, qui tapisse la cavité thoracique dans la- quelle ils sont renfermés ; tandis que de l’autre côté les branchies vers lesquelles afflue le sang de leur hôte leur fournissent une alimentation facile et abondante; mais il nous paraît en outre évident que la concavité qui résulte de la pression continue qu'exercent ces parasites sur la voûte branchiale est manifeste- ment destinée à recevoir la convexité que forment leurs lames incubatoires. “ (4) Elle forme, sous ce rapport, un contraste frappant avec les Cymothoadiens, qui ont, dans des conditions qui offrent une très-grande analogie pour la disposition de l'enceinte et des lames incubatoires, les leurs renfermés dans la cavité infra-thora- cique, comme les Ancéens. (2) C'est aussi de ce côté que se trouve la bouche du mâle, qui a une extrême ana- logie avec celle de la femelle ; nous ajouterons que c’est également de ce côté que nous avons toujours trouvé fixés sur leur paroi les Épicaridiens que nous nous sommes pro- curés, soit qu'ils fussent cachés sous le bouclier céphalo-thoracique , soit qu'ils fussent attachés à leur abdomen. 3° série, Zoor. T, HIT, (Cahier n° 4.) 4 16 9238 HÈSSE, De tous les organes que nous avons à examiner, il n’en est certainement pas de plus curieux que les pattes de la fe- melle. Notre Crustacé étant, comme nous l’avons dit, logé dans une cavité qui s’est moulée sur son corps, se trouve à l'abri de tout contact extérieur ; conséquemment il n’a pas à redouter d'être détaché de sa proie, et les moyens de fixation sur celle-ci lui sont moins nécessaires que s’il vivait à l'extérieur ; il lui faut surtout un point d'appui, à l’aide duquel il puisse agir pour soulever et modeler à son gré la carapace sous laquelle il s’est réfugié. Les pattes dont nous nous occupons nous semblent remplir parfaite- ment ces deux conditions. On remarque, en effet, que l'articulation qui les termine, au lieu d’être cylindrique, et de faire suite, dans le même sens, à celles qu’elle précède, est placée en travers, comme le serait un pied (1), de manière à pouvoir appliquer horizontalement sa surface plantaire sur les objets sur lesquels elle veut s'appuyer, et que, dans ce but, le côté supérieur qui est bombé reçoit, dans une petite cavité pratiquée aux trois quarts de sa longueur, l'extrémité arrondie de l’article antérieur, disposition qui facilite singulièrement sa rotation, et permet les mouvements de sou- lèvement et d’abaissement nécessaires pour se maintenir dans cette situation; et comme les branchies et les organes sous- jacents sur lesquels elles agissent offrent peu de résistance, et seraient facilement pénétrés si l'extrémité de ces pattes était pointue, c’est probablement pour ce motif qu’elles sont ter- minées par des épatements, et offrent à leur extrémuté des sur- faces larges et plates qui conviennent merveilleusement à leurs fonctions. Relativement à l’ouverture qui existe au sommet des pattes inférieures, elle nous parait évidemment destinée à fournir au parasite des moyens de fixation sur sa proie, et comme elle est, ainsi que nous l'avons dit, contractile, elle peut, en s’ouvrant ou se refermant comme une bouche, saisir les objets avec ces sortes (1) Figures 9 et 12. CRUSTACÉS NOUVEAUX DES CÔTES DE FRANCE, 239 de mâchoires (1), et, à cet effet, on remarque qu'un côté de cet orifice est entouré d’un demi-cercle qui semble d’une substance plus solide et cornée, sur laquelle vient s'appuyer le bord opposé qui paraît musculeux; on observe, en outre, que les extrémités de cette portion cornée sont denticulées, et peuvent, comme des ongles, pénétrer dans les tissus, et s'y maintenir avec plus de solidité. C'est surtout dans l’organisation des pattes des em- bryons que ces dispositions sont apparentes ; l'ouverture prati- quée dans ces articulations, turgescentes et globuleuses, est parfaitement visible, et leur destination paraît plus clairement démontrée (2). En ce qui concerne l'embryon, nous n'avons aucune observation particulière à faire ; il se distingue surtout de ceux des Athelgues cladophores et fullodes par l’absence de ces longues pattes, si extraordinaires, qui rappellent celles dont sont pourvus les singuliers Hémiptères pélagiens connus sous le nom de /tilomères sataniques. & 5, — Biologie. Sous le rapport des mœurs et des habitudes, les Crustacés que nous venons de décrire n'offrent rien de bien particulier à signaler ; nous avons remarqué, comme cela se voit dans les autres espèces, que le mâle est toujours fortement cramponné à sa femelle, et qu’il faut employer la force pour l'en détacher. Nous avons constaté aussi qu'il redoutait beaucoup les effets de (1) Figures 10, 11, 13, 25, 26, 27 et 28.— Nous avons déjà signalé des dispositions à peu près analogues dans les Crustacés parasites que nous avons publiés dans notre genre Athelgue (voy. les Ann. des sciences nat. précitées, t. XV, p. 94). (2) Les deux premières paires de pattes de notre Crustacé ont, quant à la terminai- son de leur dernier article, quelque rapport avec celle du genre Képon, dont les fonctions ont été comparées aux pelotes qui terminent celles des pattes des Mouches; des Rai- nettes, parmi les Batraciens, et des Geckotiens chez les Sauriens ; lesquels ont, sous la partie inférieure des pieds, des lamelles molles qui leur procurent la possibilité, en faisant le vide, d’adhérer aux corps sur lesquels ils marchent. Les cavités que l’on remarque sous les autres pattes de notre Pleurocrypte sont-elles destinées aux mêmes usages”? C’est ce que nous ne saurions dire ; toutefois il nous a semblé qu’elles avaient plutôt la possibilité de devenir prébensiles en saisissant les objets par le rapprochement des bords de leur orifice. 240 UESSE. la lumière, et que, placé sur le porte-objet, il s'empressait de la fuir et de se diriger dans le sens opposé. Il progresse avec plus d'activité que de promptitude, et, sous ce rapport, 1l est encore plus favorisé que la femelle, qui nous a semblé ne pouvoir chan- ger de place; ou du moins si elle le fait, c'est avec une telle len- teur, que ses mouvements sont insensibles. Nous n'avons encore jamais rencontré de femelles d'Épicaridiens sans qu’elles fussent accompagnées de leur mâle, et quelquefois même, comme dans l’espèce dont nous nous occupons, nous en avons trouvé deux, dont l’un était visiblement fixé, comme à l'ordmaire, en tra- vers sur l'abdomen de la femelle, et l’autre était caché à la base de ses lames branchiales. Comme complément de cette précaution, dans l'intérêt du maintien de l'espèce, nous avons été frappé aussi de la quantité considérable d'œufs dont est munie la femelle ; nous pensons que les moyens de reproduction sont toujours proportionnés aux difficultés qu’elle peut rencontrer pour se perpétuer, et que c’est dans ce but que nos parasites ont été largement pourvus de ce qui leur est nécessaire pour assurer la propagation de leur race. $& 6. — Systématisation. Il est facile de voir, par la description détaillée que nous en avons donnée, que le Crustacé dont nous venons de parler pré- sente des caractères assez tranchés pour qu'il y ait lieu de le sé- parer des espèces déjà connues, et de créer pour lui un nouveau genre. Nous allons donc faire ressortir ces différences en le com- parant à la Gyge branchiale, qui est l'espèce avec laquelle il a le plus de rapport. Il se distingue du mâle par la forme générale du corps, qui, au lieu d’être, comme dans la Gyge, étroit aux deux extrémités et très-large au milieu, est au contraire ovale très-allongé, ayant ses lignes latérales presque parallèles. Sa tête est profon- dément enchâssée dans le premier anneau thoracique auquel elle est soudée, comme le dernier segment de cette partie du corps l'est également à l'abdomen qui, dans notre espèce, est entier, saus découpures sur les côtés, et est terminé par une CRUSTACÉS NOUVEAUX DES CÔTES DE FRANCE. 2/1 pointe arrondie sans appendices terminaux, ni sans branchies à la face inférieure. Les antennes et les pattes diffèrent aussi de conformation. Il diffère de la femelle par la symétrie des deux côtes du corps, qui forment un ovale régulier, et par la ligne médiane, qui, conséquemment, est verticale et sans déviation latérale ; par la conformation de la tête et celle de l'abdomen ; par celle des branchies, qui sont plus lancéolées, plus longues, plus minces et d’une inégale grandeur; par les appendices qui terminent le corps, et surtout par la conformation des pattes ; par l'habitat et la coloration ; par les différences notables que présente l’em- bryon. Nous avons en conséquence établi pour cette espèce le genre Pleurocrypte que nous intercalons entre celui des Gyges et des Phryœus, et nous le caractérisons comme suit : PLEUROCRYPTE DE LA GALATÉE. Mâle. — Corps ovale-allongé, divisé en sept anneaux thora- ciques à peu près égaux, dont le premier est soudé à la tête, qui s'y trouve profondément enchâssée, et le dernier est attaché à l'abdomen, lequel est triangulaire et d’une seule pièce. Pieds terminés par une forte griffe oncineuse et dentelée. Femelle. — Corps ovale, symétrique, pourvu en dessus de lames incubatoires très-longues, recouvrant en entier la capacité thoracique ; abdomen divisé en six anneaux, muni de branchies simples, acuminées et de grandeur inégale; pieds terminés par un article oblique, ampulliforme, ayant un orifice préhensile. Longueur du mâle, 0",001 ; de la femelle, 0",007. Habite sous le céphalothorax de la Galatée squameuse. EXPLICATION DES FIGURES. PLANCHE 4. Fig. 1. Femelle du Pleurocrypte de la Galatée, amplifiée 44 fois, vue en dessus, Fig. 2. La même, vue en dessous. 2h12 MESSE. Fig. 3. Le mâle, amplifié 25 fois, vu en dessus. Fig. 4. Le même, vu en dessous. Fig. 5. Tête de la femelle, très-grossie, vue en dessous. Fig. 6. Tête du mâle, très-grossie, vue en dessous. . Fig. 7. Femelle très-grossie, vue de profil. Fig. 8. Bord très-amplifié de la carapace, montrant! la disposition des pièces épimé- riennes. Fig. 9, 10 et 41. Pattes, très-grossies, de la femelle, vues sous divers aspects. Fig. 12. Patte, très-grossie, de la femelle, vue de profil pour montrer la concavité de l'expansion épimérienne foliacée, dans laquelle elle peut se loger. Fig. 43. Extrémité, très-grossie, d'une patte de la femelle, montrant l’orifice qui la termine, et qui peut, suivant certaine combinaison, devenir préhensile. Fig. 44. Extrémité inférieure, très-grossie, de l'abdomen de la femelle, accompagnée des appendices branchiaux. Fig. 45, 16 et 17. Pattes du mâle, très-grossies, vues sous divers aspects. Fig. 18. Embryon, vu en dessus, amplifié 410 fois. Fig. 49. Le même, vu en dessous. Fig. 20. Le même, vu de profil. Fig. 21. Ses deux antennes, très-grossies. Fig. 22. Extrémité de son abdomen très-grossie, et accompagnée des appendices bran- chiaux et latéraux. Fig. 23. Les mêmes, un peu plus amplifiés. Fig. 24. Appendices, très-grossis, qui sont à l’extrémité de son abdomen. Fig. 25, 26, 27 et 28. Pattes du même, vues sous divers aspects. . SUR UN NOUVEAU CAS DE REPRODUCTION PAR BOURGEONNEMENT CHEZ LES ANNÉLIDES, Par M. le doeteur Léon VAILLANT (1). Parmi les faits remarquables que présente l'histoire des Annelés, ceux relatifs à la génération alternante et à la repro- duction par bourgeons chez les Annélides ont fixé depuis un cer- tain temps l'attention des naturalistes. Malheureusement les difficultés d'observation inhérentes à ce genre de recherches font que tous ces faits ne peuvent généralement être vus qu'iso- lés, qu'il est à peu près impossible de suivre un animal dans tous ses développements, et ce n’est que par suite de recherches fré- quemment répétées qu’on peut espérer arriver un Jour à une vue d'ensemble capable de réunir ces anomalies apparentes. Othon Frédérie Müller (2) le premier signala le fait du bour- geonnement chez les Annélides, et en donna une description fort exacte ainsi qu'une figure très-satisfaisante ; 11 fit remarquer le développement inégal des bourgeons, et nota, dans les plus avancés de ceux-ci, la présence d’œufs. M. de Quatrefages (3), en reprenant ces observations, les rattacha aux faits de géné- ration alternante, et dès lors on connut d’une manière certaine ce mode de reproduction dans ce sous-embranchement des Arti- culés. Chez les Syllis que ces observateurs avaient étudiées, c’est entre le dernier et l'avant-dernier anneau qu'apparaissaient les bourgeons, comme l’a figuré M. de Quatrefages chez la Syllis monilaris, Sav., et comme M. Milne Edwards (4) le démontra (1) Lu à l'Académie des sciences, le 27 février 1865. (2) Zoologia danica, t. II (1788), p. 15, pl. 52, fig. 5 à 9 : Nereis prolifera. (3) Comptes rendus de l’Académie des sciences, 1843, t. XVII, p. 424. — Mémoire sur la génération alternante des Syllis (Ann. sc. nat., L®° série, 1854, t. II, p. 443). (4) Voyage eu Sicile. — Développement des Annélides (Ann. sc. nat., 3° série,1845 t. III, p. 170, pl. 41, fig. 65). 2h L. VAILLANT, pour la Myrianida fasciata, chez laquelle on rencontre une série de bourgeons nombreux et d'autant plus développés, qu'ils sont plus postérieurs. Ce mode de bourgeonnement fut pendant longtemps le seul counu, et c’est seulement dans ces dernières années que M. Pa- genstecher (1) en signala un second. Cet observateur décrivit chez l’Exogone gemmifera un phénomène très-différent. Dans cette espèce nouvelle observée à Cette au commencement d'avril 1862, les bourgeons se trouvent sur les anneaux sétigères, depuis le neuvième jusqu’au vingt-deuxième imclusivement. Ils sont implantés du côté du dos, et, dans le cas observé et figuré par l’auteur (2), on reconnaît déjà que ces prolongements, longs de 0"",5, rappellent d’une façon rudimentaire la forme défini- tive de l'animal souche. La portion céphalique présente trois antennes ; 1] y a comme chez la mère une lèvre supérieure dis- tincte et quatre yeux, ces derniers, il est vrai, encore peu déve- loppés. Bien que le corps du bourgeon ne forme à ce moment qu'une masse homogène, on peut cependant y reconnaitre quatre segments sétigères indiqués par les tubercules à cirres, sans que les anneaux soient distinctement marqués, et enfin les rudiments des cirres du segment anal. C'est à un fait se rapprochant de ce dernier, mais présentant, comme on le verra, de singulières et notables différences, que se rapporte l'observation qu'il m'a été donné de faire à la fin du mois de février 1864 dans la baie de Suez. L'animal que je ne puis déterminer génériquement, mais qui parait se {rapporter aux Syllidiens, fut trouvé dans une de ces éponges remplies de Vulselles si fréquentes sur la plage qui s'étend à l’ouest de la ville, vers les montagnes de l’Attaka ; il était libre dans une des vacuoles de ce corps. Examiné à un faible grossissement et flottant dans l’eau, cet être présentait un aspect des plus étranges. La multitude de têtes (3) qu'on voit à sa partie (1) Untersuchungen über niedere Seethiere aus Cette (Zeitschrift f. wissenschaftliche Zoologie, 1862, t, XII, p. 267, pl. 25 et 26). (2) Voy. Loc. cit., pl. 25, fig. 2. (3) PI. 3, fig. 1. REPRODUCTION PAR BOURGEONNEMENT CHEZ LES ANNÉLIDES. 245 antérieure bien plus nombreuses que ne le montre la figure qui, pour plus de clarté, n'en présente qu'une partie, s’agitaient dans tous les sens et masquaient le corps de l'animal ; toutefois, après un certain temps de repos, le corps principal se dégageait, et semblait lutter contre l'impulsion que ces appendices ten- daient à lui imprimer. En examimant l'animal intact comprimé par un verre mince, les têtes s’étalaient, et permettaient de dis- tinguer avec une assez grande facilité les différentes parties dans leurs rapports réciproques. La portion principale, c'est-à-dire celle qui produit les bour- geons, et à laquelle on peut dans cette hypothèse appliquer le nom de scolex (1), se compose d’un corps très-nettement arti- culé divisé en huit segments garnis chacun d’une paire de rames sétigères (2); ces segments paraissent subdivisés en petits anneaux moins apparents, comme on l’observe dans un certain nombre d’Annélides. A la partie antérieure et sur la face que je regarde comme dorsale existe un prolongement, (3) aplati et mince, foliacé, arrondi, faiblement rétréci au point où il se joint au reste du corps, et présentant une espèce de nervation. C’est devant lui que sont des filaments (4), qu'on peut désigner sous le nom de tentacules; ils sont étroits, allongés, et rappellent ceux des Térébelles. L'animal les faisait mouvoir en tous sens avec assez de rapidité. Au-dessous du prolongement foliacé se trouve une partie élargie(5), qui supporte les bourgeons. Ce n’est en quelque sorte que l'anneau buccal dilaté en une espèce de coupe on d’entonnoir comprimé de la face ventrale à la face dorsale. Il présente ainsi deux lèvres épaisses. La lèvre ventrale ou inférieure (6) n'offre rien de particulier ; c’est la lèvre dorsale ou supérieure qui sup- porte les bourgeons (7). Cet épatement de l'anneau buccal me- (1) PL 3, fig. 4, A. (2) PI. 3, fig. 1, rs. (3) PL 3, fig. 4 et 2, 6. (4) PL. 3, fig. 4, (5) PL. 3, fig. 1 et 2, c. (6) PL. 3, fig. 2, c. (7) F1. 3, fig. 2, c?. 2h16 L. VAILLANT, sure en largeur une dimension égale à environ les deux tiers de la longueur du corps du scolex, qui atteit un peu plus de 4 mil- Himètres. La largeur de celui-ci est à sa longueur comme 1 : 6. L'anneau anal ne paraît pas différer sensiblement des précé- dents. Les rames sétigères (1) sont allongées, coniques, obtuses à leur extrémité ; leur dimension longitudimale est environ égale à la largeur du corps. Chacune d’elles porte de neuf à dix soies, longues de 0"",7 à 0"*,8. Examinées à un assez fort grossisse- ment, on reconnait que chacune de celles-ci se compose d’une partie lisse qui est la base adhérente, et d'une partie terminale épineuse, cette dernière occupant environ le tiers de la longueur totale. La partie lisse (2) est large de 0°"",006 ; la partie épi- neuse (3), un peu renflée en massue, mesure le double, c’est- à-dire 0"",012. Les épines sont disposées en verticilles autour de la hampe, de manière à former des espèces d'anneaux. L'aspect général ne peut être mieux comparé qu’à ces limes rondes con- nues sous le nom de queues-de-rat ; à la partie tout à fait termi- nale se trouve une épine un peu plus longue que les autres mesurant 0"",014 (4). Il ne paraît pas y avoir aux anneaux d’autres appendices que ceux que je viens de décrire ; mais cela demanderait une nou- velle vérification, l'animal étant déjà altéré lorsque mon atten- tion s’est portée sur ce point. Le tube digestif, seul appareil que j'aie pu étudier avec quel- que facilité, esttrès-simple. Il se compose d'un long æsophage (5) qui occupe près des deux tiers de la longueur du corps, auquel fait suite une sorte de gésier (6) s'appuyant sur un estomac élargi (7) qui confine à l'ouverture anale. Tout l'animal est jau- nâtre de cette couleur si fréquemment répandue chez les Anné- (4) P1.3, fig. 4,rs. CPI S, 658; 10 (3) PL 3, fig. 3,b (4) PI. 2, fig. 3, c. (5) PL. 3, fig. 1, &. (6) PL. 3, fig. 1, ge. (7) PL 3, fig. 4, es. REPRODUCTION PAR BOURGEONNEMENT CHEZ LES ANNÉLIDES. 247 lides ; le gésier est jaune orangé : l'estomac, qu'on devrait peut- être considérer comme représentant plutôt l'intestin, est brun. Jai pu distinguer à la face correspondant à l’appendice foliacé üne sorte de vaisseau (1) placé au-dessus du tube digestif, et qu'on doit regarder sans doute comme servant à la circulation ; je n’ai pu y reconnaître aucun mouvement, ne l'ayant aperçu qu'après la mort de l'animal. La présence de ce vaisseau est cependant la principale raison qui me fait adopter la position dans laquelle je crois devoir décrire cet être singulier. Je n'ai pu découvrir de liquide coloré dans aucune des parties. Les bourgeons, ou ce que je regarde comme tels, différent notablement de tous ceux qu'on à signalés jusqu'ici chez les Arinélides en ce qu’ils ne rappellent pas le type de l'adulte, mais bien un type tout à fait inférieur, se rapprochant des Némertiens et des Planariens. Ce sont des sortes de Vers (2) très-aplatis, élargis vers leur partie médiane, obtusément terminés à l'extré- mité libre. Leur longueur est de 3 millimètres à 3°" ,5, la largeur de 0°",3 à 0"®,k et 0"*,5; ces dimensions étant assez variables, car le corps de l'animal paraît très-contractile dans toutes ses parties. Vers l'extrémité libre, qui est évidemment l'extrémité céphalique, existent deux, parfois quatre points oculiformes noirs qui rappellent absolument ceux des Némertes ou des Pla- naires. Le corps paraît composé d’une substance parfaitement homogène, contractile, sans cavité distincte ; la partie superti- cielle, plus transparente, rappelle une sorte d'épiderme. Le plu grand nombre de ces bourgeons ne présentaient aucune trace d'organisation plus parfaite; cependant quelques-uns (3) étaient distinctement annelés dans leur partie renflée, et ceux-là pré- sentaient un tégument plus distinct qui, chez certains d’entre eux, renfermait des espèces de noyaux de cellules bien limités, ovoïdes, de 0“*,009 sur 0"°,011, analogues à ceux que M. de Quatrefages à décrits dans le derme des Némertes (4). (1) PL. 3, fig. 4, v. (2) PL. 3, fig. 1, a. (3) PL 3, fig. 4. (4) Mémoire sur la famille des Némertiens (Ann. aes sc. nat., 3° série; t. VI, p. 230, pl. 43, fig. 2). 218 L. VAILLANT. C'est, comme je l'ai dit, sur la lèvre supérieure de l’épatement buccal que se trouvent ces prolongements singuliers ; ils y sont serrés les uns contre les autres, au point que leurs bases se tou- chent; si l’on arrache les parties libres, on voit que les points d'insertion sont alternes, et offrent une sorte de disposition en quinconce (1). Détachés du support, les bourgeons se meuvent dans l’eau librement en contournant leur corps en différents sens, à la manière de certains animaux vermiformes ; les points oculaires sont dirigés en avant et en haut. Il ne m'a pas été possible de reconnaitre sur eux l'existence de cils vibratiles, bien que mon attention fût fixée sur ce point. Ces prolongements ne peuvent être considérés que comme des bourgeons ou comme des tentacules spéciaux, ou comme des parasites ; la première opinion me parait devoir être regardée comme la plus probable. Il'est d'abord certain, pour répondre à la troisième hypothèse, que l’adhérence de ces corps vermiformes à cette portion cépha- lique est très-considérable : tous les individus que j'ai observés nageant librement dans l'eau portaient les traces non douteuses d'une séparation violente, et ce qui est d’un plus grand poids, la continuité de tissu sur les préparations entre le scolex et les bourgeons est des plus évidentes. Ces têtes, il est vrai, parais- saient se mouvoir indépendamment de l'animal origine ; mais cette raison ne peut être sérieusement invoquée, et chez les Syllis M. de Quatrefages'(2) a noté qu’au fur et à mesure que l'individu naissant par bourgeon approche du moment où il doit se séparer et prendre une vie propre, en même temps il acquiert des mouvements indépendants. Or, il peut être admis, comme vraisemblable, que ces têtes, tout en constituant des organismes encore tres-Incomplets, sont en état de pouvoir se développer en animaux parfaits indépendamment de la mère: c'est un fait qui serait comparable à celui des proglottis naissant de scolex chez les Vers cestoïdes, On peut encore invoquer contre cette opinion {4) PL 3, fig. 2, c. (2) Mémoire sur la génération alternante des Syllis, p. 447. REPRODUCTION PAR BOURGEONNEMENT CHEZ LES ANNÉLIDES. 219 la position symétrique des bourgeons sur l'individu souche et leur localisation si parfaite, faits qui s’accorderaient moins bien avec le parasitisme qu’avec les autres hypothèses. Ces dernières raisons, bien que n’étant pas en désaccord avec l'hypothèse du bourgeonnement, conduisent à celle qui porterait à ne voir dans ces prolongements que des appendices modifiés, rappelant jusqu’à un certain point ces tentacules élargis à leur extrémité libre, que M. Milne Edwards (1) a figurés dans la Téré- belle nébuleuse, ou plus encore avec ceux que M. Lacaze- Duthiers (2), dans un groupe très-différent, a figuré chez le Dentale, et qu'il regarde comme étant des organes du tact. Mais je ferai remarquer que les mouvements de ces organes paraissent très-réellement indépendants de ceux du corps principal, comme je le disais plus haut. On pourrait encore invoquer les mouve- ments de ces parties une fois détachées, lesquels paraissaient fort bien coordonnés, car le petit être, on l’a vu, se dirigeait toujours les points oculiformes en avant et la face qui les supporte en dessus. Cependant ces raisons n’ont qu'une valeur relative, et ce n’est pas la première fois qu’une portion d’un être simulerait un organisme indépendant. Un fait plus sérieux serait l'inégalité de développement entre ces appendices, les uns présentant un tégu- ment et des annélations plus distincts ; il est vrai que l'inégalité de développement est signalée également dans les tentacules du Dentale. Enfin, par analogie, on est forcé de convenir qu'aucun être jusqu ici n'aurait présenté cette singularité d’avoir un aussi grand nombre d'yeux mobiles, la multiplicité de ces organes paraissant être en général destinée à contre-balancer l’inconvé- mient qui résulte de leur immobilité. Ce serait aussi la première fois, je pense, qu'on verrait des tentacules oculifères portant chacun à leur extrémité plusieurs organes visuels. En admettant l'idée du bourgeonnement, laquelle a paru éga- lement la plus vraisemblable à M. de Quatrefages, qui a bien (4) Règne animal de Cuvier (grande édition) : AnnéLides, pl. 4b. (2) Organisation du Dentale (Ann. des sc. nat., 4° série, t. V1, p. 374, pl. 41, fig. 4, 5 et G). 250 L,. VAÏLLANT. voulu examiner mes préparations, et dont l'opinion sur un pareil sujet est d’un si grand poids, ce fait parait mériter de fixer l'attention, d'abord parce que la forme des bourgeons rappelle si nettement l’apparence de certains Annelés inférieurs, qu'il serait permis de supposer que quelques-uns de ces derniers ne sont peut-être que des formes transitoires d'êtres plus élevés, hypothèse qui attend des faits confirmatifs. Enfin, en comparant cet animal à ceux qui font l’objet des observations rappelées au commencement de cette note, on trouverait ici une particular ité importante dans la présence d’une sorte d’organe spécial, l'épa- tement buccal, pour ce genre de reproduction. Je suis très au regret de n'avoir pu, malgré d’attentives recherches, trouver d’autres individus présentant le même phé- nomène ; mais bien qu'unique jusqu'ici, ce fait m'a paru assez cürieux et assez différent de ceux qui ont déjà été étudiés, pour être porté à la connaissance des naturalistes. | EXPLICATION DE LA PLANCHE 3. Fig. 4. Animal entier vu par la face dorsale. On n’a représenté qu’une partie des bour- geons pour plus de clarté. — Grossissement, 20 diamètres. — A. Corps principal ou scolex : 4, bourgeons; b, prolongement foliacé ; c, épatement qui supporte les bourgeons ; {, lentacules; rs, rames sétigères ; æ, œsophage; ge, gésier; es, esto- mac ; v, vaisseau dorsal (?). Fig. 1/. Grandeur réelle du corps et des bourgeons. Fig. 2. Épatement de l'anneau buccal, vu par la face ventrale, pour montrer les deux lèvres dont la supérieure porte les traces des bourgeons qui s’y inséraient et sont enlevés. — Grossissement, 20 diamètres, — b, prolongement foliacé ; c, lèvre supérieure de l’'épatement ; c’, lèvre inférieure de l’épatement. Fig. 3. Extrémilé libre de l’une des soies des rames sétigères. — Grossissement de 200 diamètres. — a, hampe lisse et dont on n’a représenté qu ‘une petite por- tion; b, partie renflée et couverte d’ épines verticillées ; €, épine terminale. Fig. 4. Un des bourgeons les plus avancés en développement détaché et montrant la trace d’annélations très-distinetes. — Grossissement, 20 diamètres. | DES GLOMÉRULES DE MALPIGHI ET DE LEUR PRÉTENDUE CAPSULE, PAR M. LE DOCTEUR R. REGER (1). L'opinion la plus accréditée au sujet des rapports de la pelote vasculaire connue sous le nom de glomérules de Malpighi avec les ampoules initiales des tubes urinifères, est que cette pelote est contenue dans l’intérieur de l'ampoule, et conséquemment dans la cavité même de l'organe sécréteur. Des doutes sérieux se sont élevés dans beaucoup M'esprits sur la réa- lité de cette disposition contraire à toute analogie, puisque partout on voit les vaisseaux se capillariser à la surface extérieure des tubes ou des vésicules sécrétoires, et non dans leur intérieur (2). Déjà M. Bidder, dans un très-bon travail publié en 1846 sur l’anato- mie des organes génito-urinaires des Amphibiens nus, a cru voir que les vaisseaux pelotonnés sont invaginés dans la capsule urinaire qu'ils auraient refoulée sur elle-même, et dont ils se seraient coiflés comme d’une membrane séreuse, Le mémoire que publie M. le docteur Reger semble mettre hors de doute la disposition des pelotes vasculaires, qui seraient effectivement appliquées contre la paroi extérieure de l’ampoule etnon dans sa cavité. Il recommande, pour cette recherche, les reins du Triton tœ@niatus, et par- ticulièrement la partie antérieure du véritable rein, qui se présente sous la forme d’une longue et étroite bandelette de couleur blanchâtre, bande- lette que plusieurs anatomistes regardent comme l’épididyme, mais qui parait renfermer des renflements tout à fait semblables aux glomérules rénaux. Le vaisseau afférent, ou artère, s’enroule sur lui-même, au lieu de se diviser en plusieurs tubes secondaires, comme dans les glomérules des autres animaux, et la pelote qui résulte de cet enroulement est entourée de tissu connectif qui la fixe contre la paroi extérieure de l’ampoule. Si l’on examine la pièce de face, on croit voir le peloton vascu- laire au milieu du reuflement du canal urinifère; cependant, en faisant varier la longueur du foyer, on a des aspects variés suivant la position de la pelote. Si cette dernière occupe la face supérieure de l’ampoule, on commence par voir les vaisseaux, et l’on ne distingue nettement ja capsule qu’en raccourcissant le foyer. C’est le contraire quand la pelote se trouve au-dessous du renflement; c'est d’abord l'ampoule qu’on distingue avec netteté, puis, en raccourcissant le foyer, la pelote vasculaire. Du reste, dans certaines positions du profil, et quand la pièce a été manipulée avec des aiguilles, il arrive qu’on voit clairement la pelote faire saillie en dehors de l’ampoule restée intacte. M. Keger donne trois dessins qui représentent nettement, dans diverses positions, les rapports du peloton vasculaire et de l'ampoule. Cet anatomiste a confirmé, dans ses observations, l'existence de cel- lules vibratiles à l’intérieur de l’'ampoule et à l’origine du canal urinifère, cellules déjà décrites par M. Bowman. (1) Archiv für Anatomie, Physiologie und wissenschaftliche Medicine, année 1864, 5° cahier, p. 537 (analyse par M. Lereboullet), ‘(2) Voy. Milne Edwards, Leçons sur la physiologie et l'anatomie comparée, t. VU, p. 362. | ADDITION A LA MONOGRAPHIE DU PHILICHTHYS XIPHIÆ, PAR M. BERGSOE. Par suite d’un oubli, l'explication de la planche relative au Philichthys Xiphiæ n'ayant pas été insérée à la page 219, où elle aurait dû prendre place, nous la donnons ici. EXPLICATION DES FIGURES. PLANCHE À. (Fig. 1-12 Q.) Fig. 4. Paricarays XiPx1x. Femelle jeune avec les sacs ovifères, d’après un individu de moyenne taille, vue en dessus. Fig. 2. Le même individu vu de côté. Fig. 3. Le mème individu vu en dessous. Fig. 4. Une femelle plus âgée, vue en dessus; les sacs ovifères sont détachés. Fig. 5. Le même individu vu en dessous. Fig. 6. La pointe de la queue, pour montrer la forme des appendices chez les individus de la taille la plus minime. a, le sixième segment de la queue ; b, l'appendice impaire du septième segment; €, l'appendice terminal trilobé, qui émane du huitième segment. Fig. 7. La même partie vue en dessous. La partie inférieure de la fente anale est située entre les appendices terminaux trilobés. Fig. 8. L'’appendice de l'anneau génital. Fig. 9. Les œufs. Fig. 10. Le sac ovifère gauche d’un jeune individu. a, la partie antérieure, ansée ; b, le point où il est fixé; c, la partie postérieure. Fig. 41. La tache cornée située au milieu du céphalothorax, avec les deux lentilles rudimentaires. a, les lentilles; b, la tache cornée. Fig. 12. La lentille rudimentaire, fortement grossie, (Fig. 13-93 ©.) Fig. 13. Le mäle vu en dessus. Fig. 44. La patte maxillaire gauche de la première paire. a, les crochets; b, les muscles adducteurs. Fig. 15. La patte maxillaire gauche de la seconde paire. Fig. 16. L'épine insérée au second segment abdominal. t, l'épine; a, le second segment abdominal. Fig. 17. Les pattes abdominales de la première paire. a,la partie basilaire ; 4, la rame intérieure ; g, la rame extérieure, Fig. 48. Les pattes abdominales de la seconde paire. b, la partie basilaire ; #, la ramê intérieure ; 9> la rame extérieure. Fig. 19. Une épine isolée de la branche externe des pattes abdominales, fortement grossie. Fig. 20. Une des soies des nageoires avec les cils, fortement grossie. Fig. 21. La soie de l'anneau génital. Fig. 22. Le céphalothorax vu en dessous. a, les antennes de la première paire ; b, les antennes de la seconde paire; c, les pattes maxillaires de la première paire; B, les pattes maxillaires de la seconde paire. Eutre les dernières se trouve une tache membraneuse, le dernier rudiment de la bouche. Fig. 23. Le quatrième et le troisième segment abdominal avec une partie du second, vus en dessous. a, la partie sternale; b, la partie basilaire des pieds abdominaux de la seconde paire coupée par le milieu: e, le troisième segment abdominal entouré de ses bords cornés, et ayant de chaque côté la troisième paire de pattes abdominales très-rudimentaires ; d, le quatrième segment abdominal. NOTE SUR LA CLASSIFICATION DES ANNÉLIDES, ET RÉPONSE AUX OBSERVATIONS DE M. CLAPARÈDE, Par DE. A. IDE QUATRERFAGES (!). Tous les naturalistes savent ce que Linné et ses successeurs immédiats entendaient par le mot de Vers (Vermes). Ils savent également que Cuvier à le premier débrouillé le ‘chaos où le défaut de connaissances précises avait longtemps laissé cet ensemble d'Invertébrés, et que, par suite de la division du règne animal en quatre embranchements, l'expression de Vers cessa pendant longtemps d’être appliquée à un groupe quelconque des animaux dont elle avait désigné jadis tout l’ensemble. Sans énumérer 1c1 les nombreuses tentatives faites pour perfectionner les premières conceptions du grand réformateur de la Zoologie, je rappellera seulement que M. Milne Edwards a proposé de partager les Articulés de Cuvier en deux sous-embranchements ; que l’une de ces divisions a repris ce nom de Vers, qui semble définitivement rayé de nos catalogues scientifiques, et que cette manière de voir à été acceptée par un très-grand nombre de naturalistes. Pour mon compte, je la crois pleinement fondée. Le sous-embranchement des Vers une fois constitué, reste à le partager en groupes subordonnés. Bien des tentatives ont été faites dans ce but. J'ai moi-même proposé, dès 1849, une distri- bution qui, partageant les J’ers en deux séries composées de termes correspondants, permet d'apprécier et de distinguer les (1) Cette note a été publiée en extrait dans les Comptes rendus We l’Académie (séance du 27 mars 1865). L'articlé critique de M. Claparède à paru Sans nom d’au- teur dans la Bibliothèque universelle dé Genève (avril 4865), et c'est à lui-même que j'en dois la communicatioi. : “bn à 5° série. Zoor., T, FF. (Cahier né 5.) 1 » 254 A. DE QUATREFAGES. rapports d'analogie et les rapports d'affinité (A). Cette manière de comprendre ce groupe embarrassant, que tout me semble justifier de plus en plus, me conduisit dès cette époque à séparer de la classe des Annélides deux grands groupes que Cuvier, Lamarck, Savigny et leurs successeurs lui ont tous réunis, savoir : les Lombriciens et les Hirudinées, qui constituent pour moi deux classes distinctes, celle des Érythrèmes et celles des Bdelles. Ainsi réduite, la classe des Annélides, telle que je la com- prends, ne contient plus n1 les Géphyriens armés, que plusieurs naturalistes ont placés parmi les Annélides chétopodes, ni les Bdelles, ni les Érythrèmes. Elle se compose uniquement des Annélides dorsibranches et des Annélides tubicoles de Cuvier (4. néréidées et A. serpulées de Savigny ; À. errantes et À. tubi- coles de MM. Audouin et Milne Edwards, et de la plupart des auteurs; Rapacia Limivora et Gymnocopa de Grube). C'est elle qui fait le sujet de l'ouvrage dont j'ai déjà entretenu l’Acadé- mie, et dont la classification va nous occuper. Comme pour la plupart de mes prédécesseurs, l'ensemble d'espèces qu'il s'agit ici de distribuer méthodiquement se par- tage pour moi en deux ordres. Mais les considérations qui m'ont conduit à ce résultat diffèrent de celles qui ont été généralement suivies. Il résulte de là d’assez grandes divergences dans la for- mation de ces ordres eux-mêmes, des sous-ordres, dans le nom- bre et la distribution des familles. | Ce sont ces dernières qui m'ont préoccupé d’abord. A mes yeux elles constituent l'élément fondamental de toute classifica- (4) Je reproduis ici le tableau que j'ai publié dans l'/nsfitut, n° 816. Vers diciques. Vers monoïques. AITELIES mise mess che e Erythrèmes.. Rofafeuns eu. rene tee arbore se de Géphyriens.. RE. Jen HoceeAEt Malacobdelles. .,......,... Bdelles. MROCŒIES.. as entanse . Turbellariés. INérratonues Tee Enr eee eeee- eee one: so Sen Se .. Cestoïides. NOTE SUR LA CLASSIFICATION DES ANNÉLIDES. 255 tion méthodique. Au fond, élles he sont que le genre Linnéen mieux compris et mieux précisé. Les espèces une fois réparties en failles bien naturélles, leur groupement en divisions d’un ordre supérieur devient à la fois plus facile et plus sûr ; et, en tout cas, on est bien près d’avoir sur l’ensemble de là classe des notions justes et nettes. C’est parce que je Suis profondément convaincu de la vérité de cè qui précède, que je iné Suis attaché surtout et d'abord à déli- miter rigoureusement mes familles, à n'y placer que des genres dont la parenté était irrécusable, et les rapports faciles à embras- ser. Of, là clässe dés Annélides, à raison dé là trés-grande varia- bilité du type, présente un grand nombre dé genres, qui, quoique coiiposés d’éspèces très-bien connues, né présentent pas ce dou- ble caractère. En pareil cas, je n'ai pas hésité à les iSoler, à les théttré pour ainsi dire hors du cadre, comptant sur les travaux de tés successeurs pour leur assigner tôt où târd une place défi- litivé. Les esprits Systématiques, céux qui demandent toujours dés éoneluisiotis äbsolües, me blämeront probablément d’avoir agi ainsi. Les naturalistés qui préférent là sûrêté à la räpidité dans le progrès m'approuvéront, j'espère. J'ai aussi placé tout naturellement parmi les Zncertæ sedis, les espèces et lès génres sur lesquels nous mañquoïis de donnéés suffisantes, Mais je ie suis efforcé de déterminer au moins la famille à läquélle on devait les rattachér, ét je crois avoir réussi dafis là grande majorité des cas: ° Ur äutre conséqüénté de la rigueur que je me suis efforcé d'apporter dans l’établissément dés familles a été de m'en faire äugménter le nothbre plus que né l'avait fait aucun de mes pré- décesséurs. Savignÿ n’éñ éomptait Qué 7, ce Qui tient au petit nombre d’éspèces cohnués dé son temps: Johnston avait déjà porté ce chiffre à 17; Grubé à 19; SChmarda à 21. Quoique mettant la famille dés Amitidiens (Gr.) tout entière aux Zncértæ sedis, j'ai cru devoir partager la classe ef 26 familles. Cette multiplication des groupes foñdarnentaux n’a, du resté, rién de surprenant pour qui tiént compte des progrès accomplis depuis la publication du Système dés Annélides (1820). Savigny 256 A. DE QUATREFAGES. ve comptait que 26 genres. M. Edwards, dans la seconde édi- tion de l’ouvrage de Lamark (1838), en admettait 49. Lors de la publication de ses Familles des Annélides (1851), Grube en a classé 86. En 1861, Schmarda, dans ses Veue wirbellose Thiere, en admet 97. Or, en ajoutant aux travaux, de mes devanciers les résultats de mes propres études, soit au bord de la mer, soit dans la magnifique collection du Muséum, je suis arrivé au chiffre de 245 genres, dont 181 ont pu être placés dans un cadre métho- dique, et 64 restent encore aux Zncertæ sedis, par les raisons que j'indiquais tout à l'heure. Je ne crois pourtant pas m'être laissé aller à une multiplica- tion exagérée de ces groupes élémentaires. Jamais le nombre des espèces composantes ne m'a paru une raison réelle pour opérer un morcellement qui n’aurait pas reposé sur, un ensemble de caractères précis. Cette exigence m'a même conduit à ne pas accepter plusieurs genres établis par mes prédécesseurs. Toutes les fois que, dans un ensemble d'espèces, les différences m'ont paru tenir seulement au développement plus ou moins accentué d’un ou de plusieurs caractères, je les ai réunies dans une seule coupe générique, me bornant à établir dans celle-ci des tribus et des sections propres à faciliter les recherches. C’est ainsi que le genre Polynæ par exemple, comptant 77 espèces, a été partagé en 2 tribus et 10 sections. En revanche, toutes les fois que j'ai eu sous les yeux des carac- tères bien précis, je n'ai pas hésité à établir un genre, dût-il ne renfermer qu'une seule espèce. Le fait s’est présenté plusieurs fois dans la famille des Syllidiens. Ici la confusion des deux parties de la tête, et par suite la non-distinction des antennes et des tentacules avait souvent fait réunir des espèces qui, une fois la nature de ces parties et de ces organes étant reconnue, devaient évidemment être séparées. Les familles une fois arrêtées, il restait à les grouper en ordres et en sous-ordres. Cette répartition, essayée à diverses reprises, avait conduit mes devanciers à des résultats parfois assez diffé- rents. Sans m'arrêter à des détails purement historiques, je me bornera à indiquer ici la marche que j'ai suivie. NOTE SUR LA CLASSIFICATION DES ANNÉLIDES. 257 S'il est un groupe où l’emploi de rous les caractères soit non- seulement utile, mais nécessaire dans l'appréciation des rapports zoologiques, c’est à coup sûr le groupe des Annélides ; et cela par suite de l'extrême variabilité qui le distingue. Mais, plus on essaye d'embrasser de caractères, plus il devient indispensable de les subordonner selon leur importance. Or, pour juger de cette importance, le naturaliste doit choisir entre deux manières d'agir fort différentes, quoiqu’on les confonde souvent, celle de Cuvier et celle de Jussieu. | Le premier se place au point de vue physiologique. I cherche les caractères dominateurs dans les organes chargés de la fonc- tion qui lui paraît être de première valeur. Ce mode d’apprécia- tion suppose que toute fonction s’accomplit à l’aide d’un organe spécial. Or, on sait aujourd’hui qu'il n’en est nullement ainsi chez un très-grand nombre d’Invertébrés. La méthode de Cuvier repose donc sur un à priori, vrai pour les Vertébrés, et pour quel- ques groupes d'Invertébrés, inexact pour le reste. Les Annélides offrent de fréquents exemples de cette inexactitude, et cela pré- cisément dans l’ordre des dispositions anatomiques qui se ratta- chent à une des fonctions les plus importantes, à une de celles que Cuvier mettait au premier rang, à la respiration. À peine est-il besoin de rappeler que, dans cette classe, des groupes entiers ont des branchies très-développées, tandis que des grou- pes parfois très-voisins des premiers n’offrent pas la moindre trace d'organes respiratoires spéciaux. Le principe de Cuvier, les règles qu'il en a y sont donc inapplicables à cette classe. | Jussieu s’en est tenu fbtéifent à l'observation. Pbär-Hé$ le caractère le plus essentiel a été celui qui persiste dans le: plus grand nombre d'espèces et de groupes. Cette manière si ration nelle et si sage d'apprécier la valeur des caractères 'est celle que j'ai cru devoir adopter. Elle m'a conduit à reconnaître qu'un des principes fonda- mentaux professés par Blainville avait ici une valeur très-réelle et que c'était dans les modifications de la forme extérieure qu'il fallait aller chercher les bases'de la répartition‘desfamilles. : : b 258 __ A. DE QUATREFAGES. En effet, les. Annélides sont essentiellement des animaux dioïques composés d'anneaux qui se répètent et portent de cha- que côté un organe tout à fait caractéristique, un pied armé de soies exsertiles et rétractiles. IL était assez naturel de penser que les modifications portant sur ce type général devaient avoir une grande valeur sous le rap- port qui nous occupe. En particulier, toute exception à la loi de répétition ne semblait pouvoir prendre place qu’en première ligne et devoir être d’autant plus importante qu'elle atteindrait un plus grand nombre de groupes secondaires. En effet, lorsqu'on examine les Annélides à ce point de vue, on les voit tout d'abord se partager en deux groupes. Dans l’un, les mêmes parties se répètent d’une extrémité à l’autre du corps. Il résulte de là que l'animal ne présente pas de régions distinctes. Ce groupe constitue notre premier ordre, celui des ANNÉLIDES ERRANTES (A. Erraticæ). Il se compose à peu près en totalité d'espèces appartenant aux Dorsibranches de Cuvier, aux Érrantes de MM. Audouin et Edwards, aux Rapa- cia de Grube; j'y ai seulement ajouté les Chlorémiens et les Polyophthalmiens. Dans le second groupe, la loi de répétition des parties est brusquement interrompue par places, et le corps se trouye ainsi composé de régions distinctes dans chacune desquelles les anneaux se ressemblent, tandis qu'ils différent de l'une à l’autre. C'est pour moi l’ordre des SépentaiRESs (4. Sedentariæ). I com- prend toutes les Tubicoles de Cuvier et de MM. Audouin et Edwards, c'est-à-dire les Serpulées de Savigny, les Limivora.de Grube. J'y place en outre un certain nombre des £rrantes des premiers, quelques Rapacia du dernier de ces naturalistes et les Tomoptérides (Gymnocopa Gr.). Chacun de ces deux ordres se divise en deux sous-ordres par suite de considérations de même nature, et empruntées de même aux exceptions que présente la loi de répétition. Ainsi, dans le premier ordre (A. errantes) le plus grand nom- bre des espèces se composent d'anneaux tous semblables; en d’autres termes, la répétition se manifeste d’un anneau à l’autre. NOTE SUR LA CLASSIFICATION DES ANNÉLIDES. 259 Chez quelques autres, la répétition n’a lieu que de deux en deux anneaux au moins sur la plus grande partie du corps. Les pre- mières constituent, pour moi, le sous-ordre des Errantes propre- ment dites (E. propriæ) ; les secondes forment le sous-ordre des Errantes aberrantes (E. aberrantes). De même, parmi les Sédentaires, un très-petit groupe ne com- prenant que les Chétoptériens nous montre la loi de répétition faisant défaut dans les anneaux d’une même région. Il constitue pour moi le sous-ordre des Sédentaires aberrantes (S. aberrantes). Dans le second sous-ordre de cette division, la loi de répétition est observée dans les diverses régions du corps ; il comprend les Sédentaires proprement dites (S. propriæ). IL va sans dire que, dans l'établissement des familles, j'ai tenu compte des caractères anatomiques et physiologiques aussi bien que des caractères extérieurs. Mais dans le tableau, que j'ai l'honneur de placer sous les yeux du lecteur. j'ai eu recours seu- lement à ces derniers, afin de rendre plus facile l'étude z0olo- gique des espèces. L'armature de la bouche, l'absence ou la pré- sence des branchies, la position et la forme de celles-ci, l'absence ou la présence de certains appendices de la tête ou des pieds, les modifications de ces derniers, etc., ont servi successivement et dans l’ ordre que je viens aa. Cet ordre lui-même était la ou du principe de Ja constance relative des caractères. Ïl m'a permis de caractériser nettement chaque famille et de les grouper de manière à mettre en relief un certain nombre de résultats généraux bien propres, ce me semble, à justifier la méthode suivie. Ainsi, en jetant les yeux sur le tableau ci-joint, tout natura- liste reconnaîtra que les divisions résultant de considérations : empruntées uniquement aux caractères extérieurs sont égale- ment homogènes au point de vue anatomique. Il reconnaîtra aussi que l’ensemble des familles dans les deux ordres se subdi- vise en groupes secondaires correspondant à autant de sous- types plus ou moins importants dont les représentants se trouvent réunis. Et enfin que les types exceptionnels, aberrants, se trou- vent aussi tout naturellement signalés à l'attention du lecteur. 260 A. DE QUATREFAGES. Qu'on me permette d'insister quelque peu sur ces considé- rations. Laissons pour un moment de côté les sous-ordres I et If com- prenant les types aberrants généraux des deux grandes divisions fondamentales. Il reste comme composant les Errantes propre- ment dites, 13 familles et 10 pour les Sédentaires proprement dites. Occupons-nous d’abord des premières. La présence d'appareils rotateurs céphaliques servant à la locomotion, met d’abord tout à fait à part le type si exceptionnel des Polyophthalmiens. Les 12 familles restantes représentent le type des Annélides errantes dans tout ce qu'il y à d’essentiel. Ces 12 familles sont elles-mêmes divisées en deux groupes re- marquablement distincts, à bien des égards, quoique le tableau n'indique qu'une différence, celle que présente l'armature de la bouche. D'un côté, les Euniciens et les Lombrinériens ; de l’autre, les 10 autres familles offrent au point de vue anatomique des contrastes tellement tranchés, qu’il faudra peut-être un Jour les représenter dans la classification même, en formant un sous- ordre à part avec les deux familles que je viens de nommer. En effet, et pour ne citer qu’un fait bien frappant, je rappellerai que, d’après mes recherches déjà anciennes, le système nerveux stomatogastrique prend naissance, sur le cerveau même, chez les Euniciens et les Lombrinériens, tandis qu'il part du connectif dans les Néréides, les Nephiys, les Phyllodocés, les Gly- cères, etc. L'appareil digestif présente des différences tout aussi remarquables et qui portint non-seulement sur l’armature mais aussi sur l’organisation de la trompe. Les 10 familles à armature buccale simple ou nulle se par- tagent également en quelques groupes secondaires bien tranchés. À elles seules les Glycères en forment un. Chez elles, la tête sem- ble vouloir répéter le corps en petit et en sens inverse. Elle se compose d’anneau plus ou moins nombreux et s'écarte ainsi complétement du type ordinaire. Remarquons que cette modi- fication morphologique coïncide avec des particularités anato- miques fort intéressantes aussi, parmi lesquelles je me bornerai à citer la présence de globules distincts dans le sang, l'existence NOTE SUR LA CLASSIFICATION DES ANNÉLIDES. 261 de branchies d’une structure exceptionnelle, l'absence presque complète de cloisons interannulaires, etc. Les Glycériens mis de côté, nous rencontrons deux groupes très-nettement caractérisés par la présence et par l'absence de branchies. Un fait tout semblable s'était déja montré dans le groupe des Errantes à armature buccale compliquée. Mais, dans celui-c1, la disparition des branchies peut être regardée comme un simple fait de simplification organique coïncidant avec d’au- tres qui portent en particulier sur l’appareil vasculaire. Le type reste, d’ailleurs, le même dans les dispositions du système ner- veux et de l'appareil digestif. En somme, les Lombrinériens sont des Euniciens dégradés. Chez les Errantes à armature buccale simple, il en est autrement. On ne peut pas considérer le type des Néréides comme dérivé par voie de dégradation du type Neph- thys par exemple, car le premier, égal en tout au second, lui est supérieur à certains égards (développement de la trompe et de l'appareil nerveux stomatogastrique). On peut encore moins rat- tacher par des considérations de même nature les Néréides aux Nérmes ou aux Cirrhatuliens. On est même conduit à reconnaître que, tandis que chez les Errantes à armature buccale compli- quée, la supériorité appartient incontestablement à la famille branchiée, chez les Errantes à armature buccale simple, la su- périorité revient, au contraire, au moins à l’une des familles abranches (Néréidiens). Toutefois, dans les deux divisions, les espèces branchiées et les espèces abranches jouent bien évi- demment, les unes envers les autres, le rôle de termes correspon- dants, en se plaçant au point de vue systématique de la respi- ration. De ce que nous venons de dire, il résulte que les Errantes à armature buccale compliquée forment une division naturelle . remarquable, en ce que le type restant le même se présente au naturaliste tantôt comme réalisé d’une manière très-complète, tantôt comme dégradé. Les deux familles résultant de ces divers états sont d’ailleurs très-homogènes. Dans la première, celle des Euniciens, qui possède des branchies, celles-ci varient sous le rapport de la forme et de la complication sans qu'il soit pour cela 262 A. DE QUATREFAGES. possible d’écarter les genres les uns des autres. Les mêmes rap- ports intimes existent entre les genres appartenant à la famille abranche (Lombrinériens). Rien de semblable n'apparaît chez les Errantes à armature buccale simple. Iei, chez les espèces branchiées, la moindre ya- ration, dans l'organe respiratoire, coïncide avec d'autres modi- fications assez profondes pour que les familles se multiplient et soient très-nettement séparées, et ces modifications portent jusque sur les organes les plus centraux, le système nerveux. La composition du cerveau, le mode de distribution des troncs ner- veux, sont tout à fait exceptionnels chez les Nephtys qui, par d’autres points, se rapprocheraient des Néréidiens et des Phyllo- dociens; les Nériniens ont la chaîne nerveuse abdominale double et ressemblent par là aux Sédentaires les plus caractérisées (Serpules, Sabelles); les Cirratules, présentent, au contraire, des ganglions abdominaux comme fondus en une bandelette qui rappelle encore ce qui existe chez d’autres Sédentaires (Cly- mènes) Tous ces faits et bien d’autres accusent l'existence de plusieurs types secondaires distincts dans cet ensemble d'Er- rantes branchiées à armature buccale simple. On trouve un peu moins d’hétérogénéité chez les espèces de la même division qui manquent de branchies. lei les Néréides peu- vent être regardées jusqu'à un certain point comme l'expression la plus élevée d’un type auquel se rattachent les Syllidiens, les Hésioniens et les Phyllodociens. Toutefois, la ressemblance est peu marquée soit à l’intérieur, soit à l'extérieur. Les Syllidiens dont un grand nombre s’éloigneraient peut-être moins de la famille à laquelle on les a si longtemps réunis, en sont, en tout cas, bien distincts par une dégradation frappante, tant intérieure qu'extérieure. En outre, cette famille des Sylli- diens prend, de plus en plus, à mesure qu on la connait mieux, la physionomie d’un petit monde à part où la var iabilité organi- que se montre dans des limites plus étendues encore que dans le reste de la classe, et qui présente presque seul des exemples de quelques-uns des phénomènes physiologiques des plus intéres- sants. Je veux parler des faits de généagenèse qui ne se sont NOTE SUR LA GLASSIFICATION DES ANNÉLIDES. 263 encore montrés que dans cette famille et dans quelques petites espèces de Sédentaires dont on ne pourrait pas même faire une famille à part. En somme, sur les 15 familles qui composent l'ordre des Errantes, 7 possèdent des branchies, 8 en sont dépourvues. L'avantage en faveur de ces dernières s'accroît d’ailleurs considé- rablement lorsqu'on descend au détail des espèces et des genres. C'est aux types abranches qu'appartiennent tous ceux qui se distinguent le plus par le nombre des espèces (Polynoé, 77 espè- ces; Néréide, 81 espèces..….). Si nous examinons à ce point de vue l'ordre des Sédentaires, nous trouvons qu’il en est tout autre- ment. Ici, sur 41 familles, 3 seulement sont privées d'organes branchiaux; 8 en possèdent de très-caractérisés. En outre, sur les 3 familles abranches (Chétoptériens, Tomoptéridiens, Cly- méniens), il en est 2 qui ne comptent ensemble que 3 genres fort pauvres en espèces, tandis que parmi les familles branchiées se trouvent les plus riches en genres et en espèces (Térébelliens, Serpuliens) (1). On peut conclure de cette comparaison que, chez les Annélides Errantes, le type tend jusqu’à un certain point à se réaliser sans organes respiratoires spéciaux, fandis que la tendance contraire se. manifeste de la manière la plus accusée chez les Annélides Sédentaires. Dans les deux ordres nous trouvons des espèces portant des branchies à la tête, d’autres les portant sur le corps. Mais chez les Errantes, les premières ne forment qu'une seule famille composée d'un petit nombre de genres et d'espèces (Chlorémiens) (2), chez les Sédentaires, au contraire, la famille qui présente cette parti- cularité est de beaucoup la plus riche en genres et espèces (Ser- puliens). En outre, les Chlorémiens, par l'ensemble de leur orga- nisation et surtout par la disposition entièrement exceptionnelle deleur appareil digestif, constituent, au milieu des autres famil- les de l'ordre, un véritable groupe aberrant. Au contraire, les Sédentaires à branchies céphaliques réalisent le plus compléte- ment peut-être le type de l’ordre auquel elles appartiennent. (4) Les Sabelles et genres voisins appartiennent pour moi à cette famille. (2) L'anneau buccal fait pour moi partie de la tête. 26! A. DE QUATREFAGES. Si nous conuaissions mieux l’organisation des Sédentaires à branchies somatiques abdominales, nous pourrions probable- blement montrer que la réciproque est également vraie. Mais ici le type le plus important, celui des Ariciens, nous manque, nous n’avons de données suffisantes que sur les Ariénicoliens. Or, à en juger par cet exemple, nous pouvons dire que les espèces qui présentent cette particularité s’éloignent, à certains égards, du type général de la classe et s’écartent assez du type de l'ordre pour qu’on les en ait souvent écartées. Savigny plaçait les Aricies parmi ses Néréidés (Errantes). I a été imité par Cuvier, Blainville, Audouin et Edwards, Grube… La plupart des mêmes auteurs ont rapporté les Arénicoles, les Ophélies au même type. En revanche, les Siphostomes, les Phé- ruses, ete., espèces de la famille des Chlorémiens, ont été géné- ralement placés à côté des espèces qui rentrent dans notre ordre des Sédentaires tel qu’il est établi 1c1. Touten agissant autrement quemes devanciers, je m'explique aisément comment ils ont été conduits aux conclusions que je combats. On ne saurait nier les ressemblances qui rattachent les Chlorémiens aux Sédentaires les mieux caractérisées. En revan- che, les Arénicoles, les Ophélies, les Aricies surtout, ont bien quel- que chose qui les rapproche des Errantes. Mais ces rapports tiennent, dans les deux cas, à des analogies et non pas à des affinités. Les Chlorémiens sont au milieu des véritables Errantes les représentants du type des Sédentaires. Les Ophélies, les Aréni- coles, les Aricies sont de même les représentants des Errantes au milieu des Sédentaires. Entre les deux ordres, il y à pour ainsi dire réciprocité, chacun d’eux ayant chez l'autre quelques espe- ces qui le rappellent. Ces espèces sont jusqu'à un certain point les termes réciproques les uns des autres. Les exemples précédents ne suffiraient peut-être pas pour faire admettre par tous les naturalistes ce fait, fondamental ici, de la réciprocité de représentation et les conséquences qui eu découlent pour l'appréciation des véritables rapports d'afjinité. En voici un autre plus concluant parce qu'il porte dans les deux ordres sur des familles aussi caractérisées que possible ; que les NOTE SUR LA CLASSIFICATION DES ANNÉLIDES. 9265 modifications inverses portant sur les mêmes organes, sont à la fois très-simples et très-frappantes ; et que, tout en attaquant un des. caractères les plus essentiels de l'ordre, elles n’autorisent pas même la formation de familles nouvelles, mais seulement de tribus. La famille des Néréidiens, telle que je l'ai circonscrite, est cer- tainement une des plus naturelles et des mieux délimitées. Au fond, elle ne comprend plus que les genres Lycastis et Nereis des anciens auteurs. OErsted, en faisant connaître les Heleronereis, Blainville en fondant le genre Vereilepas opéraient relativement à Savigny de simples démembrements. Mais, si l’on se place au point de vue qui m'a servi à partager en ordre l’ensemble des Annélides, on reconnaît que ces deux genres forment, en réalité, un petit groupe à part et des plus remarquables. En effet, la loi de répétition si généralement appliquée chez les Errantes et si ma- nifeste chez les Néréides proprement dites, subit ici une excep- tion frappante. Chez les Heteronereis surtout, le pied, cet organe fondamental, change brusquement de forme en arrière, de telle sorte que le corps présente deux régions parfaitement tranchées. On voit donc apparaître ici le caractère essentiel des Sédentaires. Est-il possible sur ce fait seul de transporter les Hete- ronereis dans cet ordre? Ou bien même doit-on au moins les isoler des anciennes Néréides? un examen plus attentif montre que ces deux conclusions seraient également peu fondées. En effet, antérieurement les Heteronereis sont en tout et pour tout de véritables Néréides, tant à l'extérieur qu’à l’intérieur. Les pieds en particulier sont exactement des pieds ordinaires des Néréides jusque dans leurs moindres détails, et ces pieds sont essentiellement disposés pour la marche. En arrière, le corps . lui-même ne présente pas de changements ; il reste un corps de Néréide. Les pieds seuls se modifient de manière à devenir de puissants organes de natation. Mais tout en s’adaptant à cette fonction nouvelle, ils conservent leur type premier. On y re- trouve tous les éléments des pieds antérieurs, occupant la même position sous des formes un peu différentes et compliqués seule- ment d’un petit nombre de parties accessoires. 266 A. DE QUATREFAGES,. Les différences entre la région antérieure et la région posté- rieure sont donc plus apparentes que réelles, mais la division du corps en deux parties distinctes n’en existe pas moins. Il y a là évidemment comme un reflet du type des Sédentaires, se mon- trant au milieu d'une des familles appartenant le plus franche- ment aux Errantes. Les Térébelliens et les Serpuliens vont nous montrer la réci- proque exacte du fait précédent. Chez les uns et les autres nous rencontrons un certain nombre d'espèces qui, pour les deux ré- gions antérieures, la tête et le thorax, réalisent entièrement le type de leur famille, mais chez lesquelles la région postérieure de l'abdomen ne présente plus dans les rames et les soies, les changerents qui la caractérisent chez les Sédentaires normales, chez les Serpuliens proprement dits. Dans ées espèces exception- nelles, les pieds abdominaux restent semblables à ceux du tho- rax, Si bien que, d’uneextrémité à l’autre du corps, on he trouve pas plus de regions distinctes que chez les Errantes. Cependant, sous tous les autres rapports, ces espèces restent fidèlés à leur type. Aifisi, ces Sédentaires anormales sont de véritables Térébel: liens, de véritables Serpuliens par leur portion antérieure ; comme lés Heteronereis sont de vraies Néréides par la même partie du corps. Par la région postériéuré, les Hétérotérébelliens, les Héteroserpuliens se rapprochent des Errantes, comme les Hete- ronereis se rapprochent des Sédentaires par la même région. Chez celles-ci, le rapprochement a lieu par l'apparition d'une ré- gion distincte eæceptionnelle; chez celles-là; par la disparition d’une région distincte normale. Chez toutes, c’est dans les pieds que se manifestent les caractères insolites ; enfin, quelque frap- pants que soient ces caractères, ils résultent de modifications très-simples en réalité, et qui n’altèrent nullement le type spé- cial des ürganes atteints. I mé parait impossible d'imaginer un fait de réciprocité plus complet, et plus propre à faire comprendre la nature des rapports qui résultent dés modifications de cette nature. Il est évident qu’on ne saurait placer les Heteronéreis parmi les Séden- NOTE SUR LA CLASSIFICATION DES ANNÉLIDES. 267 taires, pas plus qu'on ne pobrrait ranger ün A étérotérébelle parti les Errantes. On ne peut même isoler les premières de la famille des Néréidiens ou les secondes de la famille des Térébelliens sans rompre les affinités les plus évidentés. Mais ces affinités se com- pliquent ici de rapports d'analogies. Dans l'exemple actuel, ces derniers sont bien moins marqués que les affinités, et personne nhésitera sur la place qui revient aux espèces dont il s’agit. Au contraire, les analogies deviennent plus fortes, les affinités moins marquées chez les Arénicoles, les Ophélies, les Aricies; et voilà com- ment oh a été conduit à confondre ces deux sortes de rapports et à placer ces trois derniers genres parmi les Errantes, tandis qu’on repoussait les Siphostomes (ChAlorémiens) parmi les Sédentaires. Le lecteur comprendra, j'espère, maintenant ce que j'entends par les mots de termes réciproques et la nature des rapports que ces terres présentent soit avec le groupe auquel ils semblent parfois appartenir, soit avec celui auquel ils appartiennent en réalité: Je crois que la recherche des faits du même genre doit avoir, dans certains cas, une importance réelle, et qu’on en dé- couvrira ailleurs que chez les Annélides, chez les Mollusques Acé- phales par exemple. Il n'est pas sans Imtérêt de rechercher lequel des deux ordres qui partagent la classe des Annélides fait, pour ainsi dire, le plus d'efforts pour établir ces rapports de réciprocité. La part est, en effet, très-inégale : chez les Errantes, une seule famille revêt en entier certains caractères qui la font rentrer dans la Catégorie des groupes dont nous parlons en ce moment (Chlorémiens). Chez les Sédentaires nous en trouvons5 (Arénicoliens, Ariciniens, Serpulieus) et peut-être une quatrième (Leucodoriens). Dans le premier ordre, une seule famille a dû être divisée en tribus par suite de modifications que ce type subit dans le sens dont il s'agit (Wéréidiens). Nous en trouvons 2 dans le second (érébelliens, Serpuliens). En outre, dans l’une et dans l’autre, lenombre des genres hétéromophes est bien plus grand que chez les Néréidiens. On aura vu, j espère, par ce qui précède, que les termes réei- proques sont très-distincts des termes correspondants, bien que l'existence de ceux-Ci repose également sur des considérations 268 A. DE QUATREFAGES. tirées de l'analogie et non de l’afinité. Il y à correspondance lorsque dans deux grands groupes, plus ou moins éloignés, on voit se produire des modifications semblables et non inverses. Par exemple les Sédentaires Branchiées et Abranches sont d’une maniére générale, et à certains égards, les {ermes correspondants des Errantes pourvues et dépourvues de branchies. Toutefois, ici les différences organiques et morphologiques sont parfois assez grandes pour dissimuler au moins ces analogies. Et pour- tant en y regardant de près, il est difficile de ne pas être frappé de ce fait que les organes respiratoires présentent dans les deux ordres des modifications morphologiques extrêmement sem- blables. Ainsi les branchies céphaliques de Chlorémiens rap- pellent au premier coup d'œil celles de certaines Sédentaires inférieures (1) ; les branchies somatiques arborescentes de cer- tains Amphinomiens, répondent évidemment aux branchies pla- cées dans la même région du corps et présentant la même forme chez les Arénicoliens, et j'en dirai autant des branchies des Nephtydiens et des Nériniens comparées à celles des Ariciens et des Hermelliens. Mais c'est surtout dans le détail de certaines familles, et quand les genres se multiplient, qu'on voit apparaître de nombreux termes correspondants, On peut en juger par un simple coup d'œil jeté sur le tableau des Syllidiens. Ici lei nombre des genres bien caractérisés s'élève au chiffre de 31, et l’on voit se répéter de groupes en groupes l'absence ou la présence des lobes frontaux, les mêmes nombres d'antennes, de tentacules, d'veux, etc. Ces groupes, ces genres sont, dans toute l'ac- ception du mot, les analogues, les termes correspondants les uns des autres. La fréquence de cette nature de rapports résulte d’un fait remarquable, qu'aucune classe du règne animal ne présente d'une manière aussi marquée que celles des Néréides. Chez elles, l'immense variété des caractères secondaires est obtenue de la manière la plus simple par des modifications de même nature, ou (1) Ces ressemblances sont d’ailleurs plus apparentes que réelles, car les branchies des Chlorémiens partent de l'annéau buccal et non de la têté proprement dite, NOTE SUR LA CLASSIFICATION DES ANNÉLIDES, 269 même très-souvent complétement identiques, se répétant dans des groupes que distinguent d’ailleurs des différences bien tran- chées; de telle sorte, qu’un nombre de résultats très-considé- rable est obtenu d'ordinaire avec une économie de procédés vraiment merveilleuse. Les Syllidiens, les T'érébelliens, les Ser- puliens, nous présentent des exemples remarquables de ce fait. Chez les Térébelliens en particulier, les trois genres hétéro- morphes connus jusqu'ici sont la répétition exacte de trois genres normaux , et se distinguent seulement parce qu’ils ont en commun la nature de modifications que j'ai indiquée plus baut. Nulle part, je crois, on ne peut signaler une manifestation aussi complète de la loi d'économie sur laquelle M. Edwards a très-justement insisté dans son Essai de zoologie générale. Les termes réciproques se montrent aussi souvent dans les familles et de tribu à tribu ; mais on comprend que les exemples en soient rares, précisément parce que les familles étant très- naturelles, il en est peu que j'aie été obligé de subdiviser. Je n’en vois même, à proprement parler, qu'un seul vraiment digne d'attention, c’est celui que nous offre la famille des Serpuliens. Ici, le petit groupe des Sabelliens à tube calcaire, comparé aux autres représentants du type Sabelle, présente une exception remarquable et qui le rapproche des véritables Serpuliens qui tous ont des tubes de cette nature. Aussi bien des auteurs ont-ils rangé les Protules à côté de ces derniers et loin des Sabelles avec lesquelles ils ont, par leur organisation, des rapports si évi- dents. D'autre part, le genre Filigrane, quoique composé d’es- pèces qui habitent un tube calcaire, ne possède pas de vérita- bles Opercules'et se rattache sous d’autres rapports aux Sabel- liens. Sans être aussi évidente que dans les cas précédemment cités, la réciprocité ne saurait être ici méconnue. Remarquons que sous le rapport de la forme et de la disposi- tion des branchies, les Protules et les Psygmobranches (Sabel- liens à tubes calcaires) répètent exactement les deux dispositions qu'offrent les Serpules, les Vermilies et les Cymospires (Serpu- liens vrais), de sorte qu’ils jouent le double rôle de termes réciproques et de termes correspondants. 5e série, ZooL. T. III. (Cahier n° 5.) 2 48 270 A. DE QUATREFAGES. En parcourant de l'œil les divers tableaux des familles, le lecteur remarquera aisément que les caractères mis en première ligne sont loin d’être toujours empruntés aux mêmes organes. Le plus souvent les pieds ou l’ensemble du corps m'ont servi de point de départ; mais tantôt les appendices céphaliques, tantôt le nombre et la disposition des branchies, etc., la trompe ou même les yeux m'ont fourni les caractères les plus généraux. C'est qu’en effet, pas plus dans la classe des Annélides que dans l’ensemble du règne animal, un même appareil ne conserve partout, au point de vue de la caractérisation, une valeur iden- tique et constante. Il est évident, par exemple, que lorsque dans toute une famille, comme dans celle des Euniciens, les pieds sont uniformément uniramés, pourvus des deux cirrhes et armés de soies modelées sur le même type, on ne saurait trouver en eux des caractères de groupe ou de genre ; tout au plus serviront-1ls à distinguer les espèces. Au contraire, chez les Syllidiens où les mêmes organes se dégradent progressivement jusqu'à ne pré- senter plus qu’un simple mamelon sétigère, le naturaliste trouve d'excellents caractères dans ces modifications suecessives portant sur une partie du corps des plus essentielles. Je terminerai ces généralités sommaires par une dernière remarque. Le simple exposé des faits précédents suffirait pour qu'on püt conclure avec certitude que les rapports existant entre les divers groupes de la classe des Annélides sont extrèmement multiples. Même en se bornant aux familles, il doit être évident déjà que toute classification linéaire est absolument incapable de donner une idée réelle de ces rapports, et un coup d'œil jeté sur le tableau ci-joint met cette conclusion hors de doute. On ne sau- rait disposer ces 26 familles soit en une seule, soit en plusieurs séries, sans rompre des rapports zoologiques plus ou moins étroits. La distribution sur un seul plan, essayée par Grube, est également impuissante à donner une idée même approximative de ces rapports. Pour y parvenir, il serait indispensable de recourir aux plans multiples superposés, si justement proposés par M. Chevreul. NOTE SUR LA CLASSIFICATION DES ANNÉLIDES. 971 La conséquence à tirer de ce fait, c’est qu'ilentre toujours une certaine part d'arbitraire dans la position relative des groupes que les nécessités de la nomenclature forcent à disposer en série. Je compreudrais donc fort bien que quelques-uns de mes con- frères trouvassent à redire à l’ordre que j'ai adopté; toutefois, je crois pouvoir dire qu’une disposition qui permet de constater, par un examen même très-rapide, les principaux faits généraux que je viens d'indiquer, doit présenter au moins quelques avan- tages réels. Les considérations précédentes ont été très-brièvement indi- quées dans l’Zntroduction de l'Histoire des Annélides, Jai cr toutefois utile de les développer un peu plus iei. J'ai cru, sur- tout, qu'il y aurait un certain avantage à donner aux tableaux qui les accompagnent le plus de publicité possible. J'espère que cette publication anticipée me vaudra, de la part de mes confrères, quelques communications propres à compléter et à rendre moins imparfait le travail que j'espère leur soumettre en entier avant la fin de l’année. L'appel que j'adressais à mes confrères, en publiant dans les Comptes rendus, les Tableaux que je reproduis ici, m'a valu. de la part de M. Claparède, quelques observations écrites, qu'il a bien voulu accompagner de l'envoi de ses Glanures zoolomiques et d’un article publié dans la Bibliothèque universelle de Genève (avril 1865) (1). J'ai reçu ces importants documents au mo- ment même où Je corrigeais les épreuves de la note actuelle. Pressé par le temps et par d'impérieuses occupations, je n’ai pu me livrer aux études qu’ils auraient exigées pour en apprécier toute la valeur et pour introduire dans la publication actuelle les modifications qu'ils entraîneront peut-être. Les Glanures zootomiques, en particulier, renferment un grand nombre de faits nouveaux dont je devrai tenir grand compte, et je donnerai (4) Cet article à paru sans nom d'auteur; mais c'est M. Claparède lui-même qui me Va signalé et ïl à bieu voulu m'en envoyer un {ré à part, aussitôt que la chose lui a été possible, Mon honorable ét savant confrère ne peut donc être soupçonné d’avoir cherché à couvrir ses critiques du voile de l’anonyme. BA hr A. DE QUATREFAGES. certainement, dans mon livre, à cet ouvrage important, la place qui lui revient de droit. L'article de la Bibliothèque universelle est surtout un travail de critique. L'auteur a apprécié rapide- ment mes idées générales ainsi que l'application que j'en ai faite, et a ajouté des remarques sur un certain nombre de faits spéciaux. C'est à lui que je voudrais répondre ici en peu de mots. J'ai le regret de voir que sur bien des points nous ne sommes que fort peu d'accord avec M. Claparède. Peut-être ces dissi- dences tiennent-elles en partie, comme il l'indique lui-même, à ce que les Tableaux isolés du texte qu'ils résument peuvent entraîner des méprises, et en tout cas ne montrent aucune trace des raisons qui m'ont conduit à certaines conclusions. Mais il est cependant quelques questions sur lesquelles il ne peut rester des doutes, et au sujet desquelles je ne puis, à mon grand regret, adopter les vues de mon savant confrère, bien qu'il soit loin de marcher toujours seul, et que je rencontre parfois à côté de lui quelques-uns des hommes qui ont en zoologie l’autorité la plus haute et la plus méritée. Telle est la question de la réunion dans une même classe, des Annélides avec les Lombrics et groupes voisins (Oligochètes, Erythrèmes, Q.) et les Bdelles (Hirudinées). «Les Oligochètes, » dit M. Claparède, sont certainement des Annélides pur sang.» Plus loin il ajoute : « Les Oligochètes sont. [leur monœæcie à part, » des Annélides sous tous les rapports.» Je ne puis, je l’avoue, souscrire à Ces propositions, et plus j'ai réfléchi sur cette ques- tion, plus il m'a semblé difficile que cette réunion püût être maintenue. Disons d’abord un mot de la monœcie à laquelle M. Clapa- rède n’attache aucune valeur. Ce que j'ai dit plus haut des termes réciproques, expliquera peut-être un jour quelques-uns des faits sur lesquels le savant génevois se fonde pour étayer son opinion. Peut-être aussi, dans d’autres groupes que ceux dont il s’agit ici, faudra-t-il définitivement reconnaître que la réunion ou la séparation des sexes n’a pas en effet grande impor- tance au point de vue des affinités. NOTE SUR LA CLASSIFICATION DES ANNÉLIDES. 273 Mais la valeur des caractères est bien loin d’être constamment la même dans la série animale ainsi que je le rappelais plus haut, et ici la monœæcie et la diæcie me semblent en rapport avec tant d’autres faits, qu’il me semble impossible de ne pas en tenir grand compte. On ne connaît encore, je crois, aucun Érythrème à sexes séparés : on n’a signalé que trois exceptions à la dioïcité des Annélides (1); ces trois exceptions se sont montrées dans des groupes encore fort mal connus, et que tout me porte à regarder comme exceptionnels à bien d’autres égards. Dans un groupe à type aussi variable que celui des Annélides, trouver des variations jusque dans les caractères de la classe est bien moins extraordinaire qu'ailleurs. Mais ce fait n’en est pas moins plus considérable à mes yeux que celui que présentent les Phoronies (Crepina, V. B.). Celles-ci que M. Claparède regarde comme plus éloignées des Annélides que les Érythrèmes en général, ne sont bien évidemment à mes yeux que des Sabelliens, très- dégradés sans doute, mais chez lesquels le type général des An- nélides se retrouve au premier coup d’æil, et M. Van Beneden ne s'y est pas trompé. La découverte de l'organe segmental (Will.), chez les Anné- lides, a certainement établi un rapport de plus entre elles et les Érythrèmes. Mais je ne sais encore jusqu’à quel point la présence de cet organe est constante dans la première de ces deux classes. Ehlers et Claparède l'ont trouvé chez les Syllis; mais leurs descriptions, toujours fort succinctes, souvent fort peu complètes, leurs figures qui ne laissent guère moins à désirer, tout en ajou- tant à ce que le savant anglais nous avait appris sur ce sujet, lais- sent encore place ce me semble à des doutes fondés. En tout cas, il en ressort que cet appareil n’a, chezles Annélides, ni le déve- loppement, ni la constance qu'il présente chez les Érythrèmes. En revanche, pas une Annélide ne possède de éyphlosolis ; et si j'ai trouvé sur les troncs vasculaires antérieurs de certaines Aré- nicoles (et chez les Arénicoles seules) quelque chose qui rappelait (4) Dans l'introduction de mon livre, j'ai eu le tort de ne mentionner que le fait découvert par Huxley. Les observations de Pagenstecher m'avaient échappé, et M. Claparède n'avait pas encore découvert son À mphiglena. 27h A. DEF QUATREFAGES. 1e Chloragogena, j'ai pu en même temps constater qu'il n’y avait là qu’une similitude d’aspect. D'autre part, jamais on ne rencontre chez un Érythrème, que je sache, le pied si caractéristique des Annélides. Leurs soies rappellent bien celles de certaines Sédentaires, elles sont bien mises en mouvement par un mécanisme analogue, elles se développent à peu près de même. Mais là se borne la ressem- blance. Le pied, comme organe accusé et distinct, ne se montre iamais. Jamais un Érythrème n’a présenté de branchies proprement dites, comparables, même de loin, à ce que nous montrent un si grand nombre d’Annélides. Si nous comparons le système nerveux des Lombrics à celui des Annélides en choisissant les espèces où il est à la fois le plus léveloppé et le mieux connu, nous constatons des différences typiques considérables dans la portion stomatogastrique de ces appareils. Quant à la chaîne ventrale, elle ne peut, dans des Annellés qui restent fidèles au type général, que se ressembler beaucoup. A vrai dire, je ne vois que l’appareïl vasculaire qui prête sérieusement au rapprochement proposé. Mais il faut bien qu’il existe quelques similitudes entre les deux groupes, sans quoi personne n’eût songé à les confondre. Ainsi, des ressemblances très-réelles sur quelques points, des différences très-profondes sur d’autres ; voilà en résumé ce que présentent les Annélides et les Érythrèmes, quand on prend comme terme de comparaison leurs représentants les plus élevés et les plus complets. Cette contradiction apparente me semble un argument général et décisif en faveur de ma manière de voir, qui peut se résumer ainsi : les différences entre les deux groupes tiennent au manque d’affinités réelles; les ressemblances sont du ressort des ahalogies ; la classe des Annélides et celle des Érythrèmes sont les termes correspondants, les analogues l’une de l’autre dans deux séries distinctes. Que ces deux groupes se rapprochent davantage par quelques types dérivés inférieurs, par quelques espèces dégradées, c’est ce NOTE SUR LA CLASSIFICATION DES ANNÉLIDES. 275 que je suis loin de nier. Mais n'est-ce pas ce qui s'observe jusque chez les Vertébrés ? Voilà pour les Érythrèmes. Mais M. Claparède va plus loin, et il voudrait voir les Bdelles (Hirudinées) elles-mêmes rentrer dans la classe des Annélides. Il n’est pas le seul, on le sait, qui ait cette manière de voir. Mais ici mon opinion me semble encore plus facile à défendre. Je me borne à rappeler que les ressemblances existant entre les Annélides et les Érythrèmes en ce qui touche les appareils vasculaire et nerveux, disparaissent quand il s’agit des Sangsues. Rien chez les Annélides ne répond aux grands troncs latéraux de ces dernières, et le système nerveux stomatogastrique des Sangsues rappelle bien plutôt celui des Insectes que celui desautres Vers. Monœæcie ou diæcie à part, les Hirudinées doivent en tout cas, ce me semble, former une classe spéciale. Je viens de discuter à la hâte, mais avec quelque étendue, cette partie de l’article de M. Claparède, parce qu’elle porte sur une question générale. Je serai très-bref sur quelques points de détails auxquels je crois pourtant devoir répondre. Pressé par le temps je demande la liberté de les examiner dans l’ordre rème où l’auteur a présenté ses remarques. 1° M. Claparède critique assez sévèrement la manière dont. J'ai envisagé les rapports existant entre les genres Nérine, Leu- codore, Polydore et Spio. Quant à ce dernier on trouvera dans mon livre une courte discussion motivant, je crois, sa place dans lés Incerlæ sedis. Le second et le troisième, que M. Claparède déclare n’en former qu'un, sont certainement bien distincts. Le tableau indique déjà un caractère bien saillant ce me semble et qui concorde avec d’autres. Quant au rapprochement entre les Nérines et les Leucodores, il m'est absolument impossible de l’admettre. J'ai étudié à l'état vivant ces deux types et ils sont entièrement différents. La loi de répétition des anneaux est très-exactement observée chez : tous les Nériniens. Elle l’est fort peu chez les Leucodoriens. A lui seul ce caractère motive à mes yeux la place que j'ai assignée aux deux groupes. Il y a bien d’autres différences que je ne puis 276 A, DE QUATREFAGES. détailler ici ; mais celle-là suffit en tout cas, ce me semble, pour faire écarter la réunion de deux types aussi différents dans une même famille. Malgré la haute autorité de Sars, je persisterai donc dans ma manière de voir et prierai mes confrères d’at- tendre pour se prononcer d’avoir sous les yeux les pièces du pro- cès, c’est-à-dire mon livre et mes planches (4). 9 Contrairement à l’opinion de M. Claparède, les Aonies, que j'ai pu observer vivantes et entières depuis la première note que j'avais publiée sur elles dans le Magasin de zoologie (1843), sont bien distinctes des Nérines, quoique pourvues des grands tentacules qui semblent caractériser la famille et qui seuls leur donnent peut-être quelque chose qui rappelle les Leucodoriens. 3 Je suis d'accord avec M. Claparède sur les objections qu'on pourrait élever contre la place que j'attribue aux Tomopteris. J'ai eu soin de le dire dans le texte. Cette place n’est probable- ment que provisoire; mais dans l’état actuel de la science je ne sais trop où l’on pourrait placer ces espèces appartenant à un type aberrant au premier chef. Du reste, M. Claparède, tout en critiquant ma manière de voir, ne fait pas connaître la sienne. k° M. Claparède attribue mon incertitude et le parti que j'ai pris souvent de mettre aux Znceriæ sedis un certain nombre de genres, à une connaissance insuffisante des animauæ en question. Je n’hésite pas un instant à admettre la justesse de cette obser- vation. Quand les rapports zoologiques ne me sont pas clairement apparus, je n'ai pas cru devoir dissimuler mes doutes. Or, le fait s’est présenté souvent, ainsi que je l'ai dit plus haut, méme pour des espèces bien connues. En ce cas je ne les ai pas placées. A plus forte raison, ai-je agi ainsi quand il m'a semblé que quelque caractère important était incomplétement décrit, ou que son existence même n’était pas parfaitement démontrée. (4) J'ai le regret de ne pouvoir profiter des derniers travaux de M. Sars sur cette question et sur quelques autres. N'ayant pu me les procurer à Paris, j'ai écrit à ce ‘savant ; mais soit que mes lettres ne lui soient pas parvenues, soit que sa réponse se soit égarée en route, je n’ai reçu aucun des renseignements que j'avais pris la liberté de lui demander. Pareille chose m'est arrivée avec M. Kinberg. Ce sont là dans mon ouvrage, deux grandes lacunes que je connais et regrette vivement. Heureux s’il ne s’y en trouve pas de plus graves que j'ignore. - NOTE SUR LA CLASSIFICATION DES ANNÉLIDES. 217 Tel est le cas pour le genre Zygolobus (Grube), que M. Clapa- rède cite comme un exemple blämable de ma manière d'agir. Pour moi comme pour lui, ce genre appartient incontestablement à la famille des Lombrinériens. Mais mon savant critique semble ne pas avoir remarqué que de la description de Grube il semble ressortir que les pieds sont ici biramés (Pinnæ..…. lobis obtusis duobus, posteriore longiore, digitiformi,.…). S'il en est ainsi, le genre Zygolobe constituerait une exception unique dans la famille et chez tous les représentants du type Eunice. Un pareil fait me semblait mériter des détails plus précis. En outre, Grube ne dit rien des cirres dorsaux dont la présence ou l'absence m'ont servi à caractériser certains genres. Pour ces deux raisons principales J'ai laissé le genre Zygolobe aux Incertæ sedis en ajoutant: «je crois que cette espèce aurait besoin d’être revue (1). » Mais je l'ai mis dans la famille des Lombrinériens où il restera très-certainement. Je crois avoir agi ainsi plus sagement que si j'avais d'emblée admis l'existence d’un Lombri- nérien à pieds biramés, lorsqu'il peut fort bien se faire qu'une simple transformation de l’un des deux cirres ait produit l’ap- parence indiquée par Grube. On voit par cet exemple quelle a été ma manière de procéder ; et ce que je viens de dire me dispense d’insister sur quelques autres critiques analogues que m'adresse mon savant confrère. 5° M. Claparède dit un peu plus loin qu’on croitremarquer dans mon tableau des erreurs de synonymie combinées avec des rappro- chements surprenants. Il cite comme exemple que j'ai placé les Spinther de Johnston parmi les Zncertæ sedis de la famille des Chlorémiens, et les Cryptonota (M. Claparède écrit Cryptonotus) de Stimpson également aux Incertæ sedis de la famille des Amphinomiens. D'après lui, ces deux genres sont synonymes. Dans ce cas particulier, je comprends difficilement l'opinion émise par M. Claparède. Réunir en un seul les genres Crypto- nota et Spinther me semble réellement impossible. Simpson en caractérisant le premier nous parle de ses branchies, en ajoutant (4) Cette famille est déjà imprimée. 278 A. DE QUATREFAGES. qu’elles sont sans doute semblables à celles des Euphrosines. Johnston.ne prononce pas même le mot de branchies, et ses figures n’en présentent aucune trace. Les Cryptonola ont le dos recouvert par de longues soies qui se croisent presque sur la ligne médiane ; les Spinther ont au contraire le dos entièrement nu, sillonné en travers par une trentaine de petites crêtes (Zdges), rendues äpres par des soies qui dépassent à peine la surface de là peau, Caractères que présentent quelques Chlorémiens. Les pieds sont biramés chez les Cryptonota; chez les Spinther, ils sont uniramés. Bien loin de présenter chez ces derniers des soiïes assez longués et assez nombreuses pour recouvrir le dos entier, à l'exception d’une étroite ligne médiane, ils n’ont que des soies courtes et droites. Parmi ces soies, il en est qui se terminent par un appendicé rappelant entièrement celui de certains Chloré- miens ; enfin ellés sont engluées par une matière albumineuse, comme Chez les Chlorèmes proprement dits, caractère très- exceptionnel, et dont Stimpson ne dit rien à propos de ses Cryptonota. Ces contrastes suffisent, je pense, pour que les lecteurs jugent entre M. Claparède et moi. Ils ont vu quelle est l’opinion de mon savant Contradicteur. La mienne peut se résumer en peu de mots : Les Cryptonota sont incontestablement des Amphinomiens ; mais le genre doit-il être conservé ou se confondre avec les Euphrosines, que Stimpson lui-même reconnaît en être très- voisines ? Je ne pouvais répondre à cette question, faute de détails suffisants. Stimpson déclare qu'il n’a eu qu’un seul individu de sa C. citrina, et qu'il n’a pu la faire connaître avec tous les détails désirables. J'ai donc laissé ce genre aux Incertæ sedis. Déterminer la place qui revient aux Spinther est loin d’être aussi aisé. Johnston en fait un Aphroditien, tout en reconnais- sant qu'il manque des caractères les plus essentiels de la famille. Grube, tout en le laissant dans cette famille, déclare qu'il le croit plus rapproché des Amphinomes ou des Siphostomes (Chlorémiens). Tout m’a semblé plaider en faveur de ce dernier rapprochement. Aïnsi la forme des soies composées, l'existence NOTE SUR LA CLASSIFICATION DES ANNÉLIDES. 279 d'une matière comme muqueuse aux pieds, les poils très-courts hérissant le dos, étaient trois caractères qui établissaient au moins quelques rapports entre @ type et certains Chlorémiens. Mais la forme exceptionnelle dés appendices inférieurs des pieds et l'absence de bien des détails m'empêchaient de lui assigner une place dans le cadre méthodique de la famille. Je l'ai donc laissé aux Zncertæ sedis, tout en le plaçant dans le groupe dont il m'a paru s’éloïgner le moins. 6° Je crois avoir justifié ma manière d’agir dans ce cas spécial. Est-ce à dire que je repousse d’uné manière absolue le reproche d'avoir commis des erreurs de synonymie ? Non, certes. Je n'ai que trop la pénible conviction, qu’en dépit de tous mes efforts 1l a dû m’en échapper plus d’une. Ici je me borne à faire appel à l’indulgence de ceux de mes confrères qui ont essayé de la tâche difficile de coordonner, dans un ouvrage général, cette foule de matériaux souvent bien hétérogènes, qui résulte du travail isolé d’un grand nombre de naturalistes. 7° Les observations que m'avait adressées par lettre M. Cla- parède, et un parcours rapide de ses Glanures, avaient déjà rappelé mon attention sur la famille des Capitellacés. Les faits nouveaux que j'ai appris ainsi, et en particulier la constatation positive de la position et de la nature des branchies, l'absence de vaisseaux sanguins, etc., me font retirer les Dasybranches de la famille des Arénicoliens, et accepter le rapprochement avec les Capitelles ét les Notomastes. Mais la famille des Capitellacés peut-elle être placée dès à présent dans le cadre méthodique de la classe ? Peut-on se rendre compte de ses affinités ? M. Clapa- rède ne nous dit rien à ce sujet, et pour mon‘vompte je ne le crois pas. Je laisserai done aux Zncertæ sedis cette singulière famille, car je ne me fais pas encore une idée nette de ses rap- ports avec les autres groupes, ce qui tient peut-être à ce que je n'ai étudié par moi-même aucun de ses représentants. 8° La famille des Syllidiens m’a en effet beaucoup préoccupé, comme l’a supposé M. Claparède. Mais dans mes courses au bord de la mer, je ne l’avais guère envisagée au point de vue d’une classification des espèces. J'avais étudié avec détail quelques 280 A. DE QUATRBFAGES. types seulement, et surtout au point de vue anatomique. On en trouvera j'espère la preuve dans mon livre. Lorsque j'ai dû cher- cher à réunir toutesles espèces décrites par les divers auteurs, j'ai éprouvé un très-grandembarras que comprendra quiconque aura essayé d’en faire autant. Les dénominations génériques, iei moins qu'ailleurs peut-être, ne reposaient sur aucune règle tant soit peu uniforme; la nature et la valeur des caractères adoptés n'offraient rien de fixe. Jai cherché à mettre le plus de précision possible dans leur appréciation, et il est vrai que je me suis donné beaucoup de peine pour trouver une méthode qui permit de caractériser sans trop de peine et les genres et les espèces. J'ai cru avoir réussi en distinguant, autant que faire se pouvait, les tentacules des antennes et des cirres tentaculaires, trois sortes d’appendices habituellement confondus; puis en attribuant une valeur générique au nombre de ces divers appendices. Les modifications du pied m'ont d’ailleurs fourni les carac- tères de première importance. En ajoutant ainsi de nouvelles données à celles que mes prédécesseurs avaient déjà mises en œuvre, je crois être parvenu à dresser un cadre très-naturel, et où prendront place, sans violence, les espèces nouvelles. Les essais que j'ai eus à faire, depuis l’époque déjà ancienne où ce tableau avait été dressé par moi pour la première fois, m'auto- risent, je crois, à persister dans ma manière de voir. Il est tout simple d’ailleurs que M. Claparède préfère la classification qu'il a publiée dans ses Glanures. Quand on s’est nourri depuis un certain temps d’un ensemble d'idées, comme celui que résume une classification, il est bien difficile de lui en substituer subite- ment un autre. Je ne puis moi-même que me trouver dans ce cas, et nos confrères seuls pourront juger entre nous. Il est certain que nous avons été guidés, M. Clarapède et moi, par des considérations très-différentes dans l'établissement de nos genres. Je me suis borné en général à employer pour les caractériser des considérations empruntées aux formes exté- rieures. Je n'ai fait d'exception que pour l'armature du gésier, sur laquelle je reviendrai tout à l'heure. M. Claparède, au contraire, a eu recours à diverses considé- NOTE SUR LA CLASSIFICATION DES ANNÉLIDES. 281 rations anatomiques, telles que la longueur de la trompe, l'absence ou la présence des glandes que j'ai appelées glandes salivaires, l’armature du pharynæ, etc. I] a même caractérisé ses genres par le mode de reproduction, c’est-à-dire par des phénomènes physiologiques essentiellement temporaires, et par conséquent impossibles à constater à certaines époques de l’année. Je vois à cette manière d'agir de sérieux inconvénients. En revanche, mon honorable critique me semble avoir par- fois donné une trop grande importance à certains détails en les considérant comme des caractères génériques. C’est ainsi que le mode d'union des lobes frontaux est à ses yeux un caractère de genre. Je ne vois là qu’un caractère d'espèce. J'en dirai autant à plus forte raison du caractère suivant attribué à ses Pterosyllis (Char. emend.) : « Cirres ventraux pinniformes, à l'exception » de ceux du pénullième segment qui sont moniliformes.» Je n’hé- siterais pour ma part à ranger dans le genre dont il s’agit tout Syllidien qui aurait tous les autres caractères des Pterosyllis, mais dont le pénultième segment aurait comme les précédents un cirre ventral pinniforme. Je sais que la critique est aisée, et d’ailleurs je me trouve ici Juge en ma propre cause. Je ne voudrais donc pas insister outre mesure sur la question actuelle. Pourtant je crois pouvoir rap- peler que mon tableau met en relief un certain nombre de résul- tats généraux qui ne me semblent pas résulter aussi clairement du tableau de M. Claparède. Je crois, en outre, pouvoir invoquer une considération, qui eût été, je crois, décisive pour tout natu- raliste placé dans ma position. M. Claparède en dressant son tableau s’est préoccupé des espèces qu'il connaissait à fond pour les avoir très-bien étudiées. Moi, j'avais à tenir comple de toutes les espèces décrites par mes divers confrères passés et actuels. Or un très-grand nombre d'entre elles ne nous sont connues que par des descriptions sommaires et des figures incomplètes. Si j'avais attaché autant d'importance que M. Claparède à l'armature de la portion anté- rieure de la trompe (pharynæ), j'aurais couru risque de ne savoir où placer bien des espèces, à qui leurs caractères exté- 289 A. DE QUATREFAGES. rieurs, tels qu’ils nous sont connus, permettent d'assignér un rang. À plus forte raison, me serais-je trouvé dans ce cas, si, comme mon honorable critique, j'avais mis l'existence ou l’ab- sence de la génération allernante au nombre des caractères géné- riques. J 9° J'ai encore une rémarque à faire relativement aux observa- tions que M. Claparède a faites au sujet des Syllidiens. Le savant génevois a cru que je donnais le nom de gésier à la région anté- rieure de la trompe ; il s’est mépris à cet égard. Pour moi, le gésier est, comme pour mes prédécesseurs et pour M. Claparède lui-même, la portion médiane et renflée si caractéristique chez les Syllidiens. La portion antérieure est pour moi le pharynæ ou la région pharyngienne. C’est l’armature du gésier, région de la trompe, ici presque constamment inerme, qu’il m’a paru utile de faire entrer dans la liste des caractères. Quant aux denticules, stylets, etc., qui arment si fréquemment le pharynæ, je les ai mentionnés dans la description des espèces, mais ne pouvais leur attribuer la même valeur que M. Claparède, par la raison que je viens d'indiquer. Au reste, si j'avais été placé dans les conditions de M. Elapa- rède, j'aurais peut-être été d'autant plus facilement entrainé à donner à l’armature pharyngienne une valeur, qui peut-être lui reviendra plus tard, que cette armature est quelque chose de fort exceptionnel à mes yeux. Sur ce point encore, j'ai le regret de ne pas me trouver d'accord avec mon savant confrère. En effet, dans ses Glanures, M. Claparède, pour justifier Fimpor- tance qu'il attache à ce caractère, ajoute : «Je ne fais que suivre » en cela la règle généralement appliquée dans les autres familles » d’Annélides, où l’armure pharyngienne est considérée comme » de grande valeur en tant que caractère générique. » Ces paroles supposent bien évidemment que l’armure dont il s'agit se trouve placée chez les Syllis et les Néréides ou les Eunices dans la même région de la trompe. Or il m'est impos- sible d'accepter cette conclusion, en tant qu'il s'agit des séyles et des denticules qui arment la portion antérieure de la trompe des Syllidiens. Évidemment ils ne peuvent être les représentants des NOTE SUR LA CLASSIFICATION DES ANNÉLIDES. 283 mâchoires placées dans la région moyenne de la trompe chez les Néréides et les Eunices. La distinction que j'établis 1ci entre les diverses régions de la trompe n’a rien d’artificiel. Je crois pouvoir rappeler qu’elle repose non-seulement sur les formes générales de l'organe, sur la distribution des masses musculaires, etc., mais encore sur l'étude minutieuse du système nerveux chez les Néréides et genres voisins (1). Ce que les Syllidiens présentent de fort remarquable au point de vue dont il s’agit ici, c’est que chez eux l’armature appartient d'ordinaire précisément à une portion de la trompe qui en est dépourvue presque partout ailleurs, et que la portion moyenne, la portion essentiellement dentaire chez les Annélides les mieux armées, est au contraire inerme chez eux, sauf dans les rares espèces indiquées sur mon tableau. 10° Au reste, et j'ai eu soin d’insister sur cette considération dans les généralités de la famille des Syllidiens (2), mon travail relatif à ce groupe ne peut être considéré que comme provisoire sur bien des points. I y a là tout un petit monde spécial, dans lequel la variabilité des caractères s'accroît plus que partout ailleurs ; qui semble obéir à certaines lois physiologiques qui ne se montrent que très-rarement dans la classe et toujours chez de très-petites espèces, et dans des groupes exceptionnels à d’autres égards (distinction des sexes, généagenèse). J'appelle de tous mes vœux le moment où un naturaliste fera de ce petit monde une étude spéciale ; et malgré ce que m'écrivait naguère M. Clapa- rède, j'aime à espérer que c’est lui qui remplira cette tâche difficile, à laquelle aucun naturaliste actuel ne me semble aussi bien préparé que l'auteur des Beobachtungen et des Glanures. 11° J'ai encore à répondre à une grave observation de mon savant critique. M. Claparède croit que j'ai conservé avec la même valeur tous les genres dont les représentants ont été reconnus depuis quelques années pour n'être que des formes (1) Mémoire sur le système nerveux des Annélides (Ann. des sc. nat., 3° sér., t.IX). (2) Gette famille est imprimée depuis plusieurs jours, au moment où je trace ces lignes. 284 A, DE QUATREFAGES. différentes d’une seule et même espèce. La lecture de mon livre m'absoudra sur ce point. J'ai tenu compte de toutes celles de ces découvertes qui m'ont été connues, et en particulier du travail d'A. Agassiz sur les Autolytus; mais je n'ai pas cru qu’il fût encore temps de conclure. Il y alà, — à mes yeux du moins, — tout un ordre de faits que la science n’a fait encore qu’aborder, et qui demandent encore de nombreuses et probablement de patientes études. Il me reste des doutes sur quelques-uns des résultats annoncés avec le plus d'assurance. Mais tout ce qui a été dit sur ce sujet füt-il exact, ce tout est encore bien peu de chose. Il m'a donc semblé plus sage d’ajourner des conclusions que les faits pourraient démentir demam. J'ai donc laissé, en général, aux Zncertæ sedis, et à titre de renseignement (1), ces genres, dont plusieurs devront sans doute disparaître, mais dont quelques-uns peut-étre resteront dans la science. 42° Mais je ne suis pas allé, comme l’a cru M. Claparède, jus- qu’à placer une forme dans une famille, et une autre forme de la même espèce dans une autre famille. L'exemple que cite le savant génevois, celui des Tétraglènes et des Pseudosyllis , repose sur un malentendu facile à expliquer. Grube avait fait connaître dans le même travail et figuré sur la même planche la forme aseœuée et la forme seœuée d’un Sylli- dien. Il avait donné à la première le nom de Pseudosyllis, à la seconde le nom de T'étraglène. Ehlers réunissant, avec raison, les deux formes sous un nom commun, choisit l'expression de T'étra- glène. J'ai fait comme lui. Le nom de Pseudosyllis restait donc sans emploi, et, comme je le trouvais très-bon, je l’appliquai à un petit genre, non pas de Syllidiens, mais bien d'Hésioniens. On voit ce qui a causé entre M. Claparède et moi un malen- tendu, dont mon honorable confrère m'a, du reste, déjà témoi- gné ses regrets. Peut-être pourra-t-on me reprocher d’avoir repris, en lui donnant une signification nouvelle, un nom pro- posé par un autre auteur. Si c’est un tort, je l’ai encouru plus d’une fois dans mon livre. Celui qui passe en revue tout un (4) C’est l’expression dont je me suis servi dans le texte, déjà imprimé, comme je l'ai dit tout à l'heure. NOTE SUR LA CLASSIFICATION DES ANNÉLIDES. 285 ensemble de travaux a par cela même assez souvent des données qui ont fait défaut aux auteurs de recherches isolées; il envisage à un point de vue différent bien des questions. La caractéristique, la délimitation, la répartition des genres, lui paraissent parfois devoir subir des modifications. Ira-t-il pour cela mettre à néant les noms proposés par ses confrères? Je n’ai pas cru devoir agir ainsi. Autant que possible, j'ai conservé les dénominations anciennes ; Jai évité d'en introduire de nouvelles. Quelques mots d'explication suffisent en pareil cas pour prévenir les confusions. Dans le cas actuel, la méprise était d'autant moins à craindre, ce me semble, qu'il s'agissait de deux familles différentes; et que, à part tout autre indication, les pieds biramés et le nombre de huit antennes indiqués dans le tableau, ne permettaient pas de supposer que j'eusse voulu parler des Pseudosyllis de Grube, qui ont les pieds uniramés, et dont la tête ne porte que trois antennes. 13° M. Claparède fait remarquer que le genre Heterosyllis figure deux fois sur mon tableau. Pour compléter son observa- tion, il aurait pu ajouter que le genre Ptérosyllis n’est pas nommé. C'est le double résultat d’une faute d'impression que j'aurais évitée en corrigeant mieux mes épreuves, mais qui heu- reusement ne se retrouve pas dans le tableau faisant partie de mon livre et imprimé depuis plusieurs jours, comme je l'ai déjà dit. 14° Les observations de M. Claparède ont porté principalement sur les Annélides ; il ne dit que bien peu de choses de mon tableau des Géphyriens, et se borne à émettre une conjecture qui n’est pas fondée. J'ai cru, en effet, devoir supprimer comme senre le groupe des Phascolosomes, sur les caractères duquel les auteurs ne m'ont pas semblé d’accord (voir entre autres les tra- vaux de Leuckart, Alder, Diesing et Keferstein); mais j'en ai réparti les espèces dans les sections du grand genre Siponcle. Je reconnais, du reste, que celui-ci devra être tôt ou tard démem- bré en un plus grand nombre ; mais dans l’état actuel de la science, Je ne sais pas encore au juste quels organes fourniraient les caractères facilement appréciables pour cette division. C’est là la moindre partie de la tâche que je laisse à mes successeurs. o® série. Zoo1. T. IIT. (Cahier n° 5.) 7 49 286 A. DE QUATREFAGES. 15° Je ne voudrais pas clore cette réponse aux observa- tions de M. Claparède sans remercier l’auteur de la façon toute courtoise dont il a terminé son article. Cette petite discussion prouvera une fois de plus qu’on peut en science être d'avis diffé- rent, et soutenir franchement son opinion de part et d'autre, sans s’estimer moins pour cela. En ce qui me concerne, je ne puis que remercier mon savant confrère de l'attention qu'il a accordée à ce qui n’était qu’une esquisse de mon travail; et,siJe me suis efforcé de répondre à ses critiques avec toute la préci- sion que me permettait un temps très-limité, il voudra bien n'y 4 voir qu'une preuve de l'importance que j'attache à ses opi- nions (1). (1) Je reproduis ici les tableaux tels qu’ils ont paru dans les Comptes rendus. J'ai seulement corrigé la faute d'impression indiquée plus haut, rétabli dans la famille des Phyllodociens le genre Kinbergie oublié lors de la première impression, et ajouté les deux genres Orie et Amphiglène dans la famille des Serpuliens. Je propose le premier pour recevoir une espèce placée à côté de mes Amphicoriens, par M. Claparède qui ne connaissait pas encore les caractères assignés par moi à ce groupe ; le second à été justement créé par ce naturaliste. J'aurais désiré utiliser de mème tout le travail de mon savant confrère ; mais je n’ai chez moi en ce moment que le manuscrit de ma dernière famille. Le reste est en province (à Bar-sur-Seine) chez l’imprimeur. Les Glanures, de M. Claparède, n’en trouveront pas moins place dans ‘moû livre etseront certainement une des plus riches entre les gerbes que je me suis, efforcé de réunir. L’ analyse que j'en ai déjà faite sera insérée dan l’Appendice où je compte mettre aussi les autres documents qui pourraient me parvenir avant la fin de l impression. 287 NOTE SUR LA CLASSIFICATION DES ANNÉLIDES. *suandu2S ss... 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