ANNALES
SCIENCES NATURELLES
QUATRIÈME SÉRIE
LOOLOGIE
Paris, — Imprimerie de L, MARTINET, rue Mignon, 2,
4,
ANNALES
DES
SCIENCES NATURELLES
COMPRENANT
LA ZOOLOGIE, LA BOTANIQUE, L'ANATOMIE ET LA PHYSIOLOGIE COMPARÉE DES DEUX RÈGNES
ET L'HISTOIRE DES CORPS ORGANISÉS FOSSILES
RÉDIGÉES POUR LA ZOOLOGIR
PAR M. MILNE EDWARDS
POUR LA BOTANIQUE
PAR MM. AD. BRONGNIART ET J. DECAISNE
QUATRIÈME SÉRIE
LOOLOGIE
LIBRAIRIE DE VICTOR MASSON PLACE DE L'ÉCOLE-DE-MÉDECINE
1855
Ua sie son DT in id ‘4h [AUS du sa CT TT 11 TE dorées. Br 4 aaugut AAA GO RU PERL AMmUrANTS A
: Lepri n % ‘ « :
hr. 1 L (TT PONS : Fr th Re pur FT Vo hi PACE 0 RU BA ‘Al: 44;
RE AP AS dr wo “tes so) [UT
“Na. hot TRIO (4 du “ht
". me ee
ut
LILOEUTES
ANNALES
DES
SCIENCES NATURELLES
PARTIE ZOOLOGIQUE
MONOGRAPHIE DE LA FAMILLE DES BALISTIDES,
Par H. HOLLARD,
Professeur à la Faculté des sciences de Poitiers. SUITE ET FIN (4).
Genre MONAGANTHUS. 2° sous-genre. — ALUTÈRES (Aluterus, Cuv.).
Caractères. — Ceux des Monacanthes, moins la modification de l’écaillure pelvienne, et la pointe du même nom qui manque com- plétement.
Pour accorder à l'absence de la pointe pelvienne l'importance que nous lui conservons ici sans hésitation, nous devons nous sou- venir que ce caractère est le dernier terme d’une dégradation pro- gressive du membre pelvien et du bassin en particulier, qui con- corde, des Triacanthes aux Balistes, et de ceux-ci aux Monacanthes, avec la réduction de la dorsale épineuse. Cette considération domine toutes celles qui pourraient nous tenter de distribuer l’ensemble des Monacanthes autrement que ne l'ont fait nos devanciers, et d’accorder à la forme du corps, à celle de la tête, enfin au déve- loppement des nageoires médianes molles, une valeur prédomi- nante. Nous verrons ces derniers caractères faire quelquefois une sorte de retour vers les types du sous-genre précédent , bien qu'ils concordent dans la très grande majorité des cas avec les modifi-
(1) Voyez 3° série, t. XX, p. 71; 4° série, t, I, p. M,ett, IT, p. 321.
6 M. HOLLARD.
cations du bassin et de l’épine dorsale, comme nous avons déjà pu le remarquer chez les derniers Monacanthes. Ce retour vers des formes et des dispositions supérieures au type morphologique do- miriant prouve seulement que le groupe des Alutères constitue par lui-même une véritable série.
Nous allons y retrouver, en effet, une succession de types mor- phologiques qui nous rappelleront plusieurs de ceux de la série pré- cédente, mais qui porteront plus généralement et plus loin ce facies général de dégradation remarqué chez un très grand nombre de Monacanthes, et qui se résume dans l'allongement général du corps, dans celui des nageoires médianes caudale et anale, et dans la prédominance de la mâchoire inférieure.
A. Notre premier type est loin d’offrir ce facies, et nous montre la série des Alutères débutant par des formes courtes et élevées, comme toutes les précédentes. Ce type n’est représenté dans la collection du Muséum que par une seule espèce nommée :
1. ALUTERUS TRoSSULUS, Richards. PI. 1, fig. 4.
Caractères. — Formes très hautes et très ramassées ; développe- ment extraordinaire de la région abdominale. D. M. 25. An. 23. P. 10.
Cet Alutère serait remarqué dans toute la famille des Balistides par ses formes ramassées et la forte saillie de sa ligne ventrale. Son profil facial est rapide, incliné à 40 degrés, court et marqué d’une légère dépression. La mâchoire inférieure est un peu plus avancée que la supérieure. La ligne dorsale est courte et montante. La région ventrale est non-seulement saillante , mais massive. La fente branchiale, courte et verticale, rappelle celle des Mona- canthes.
Le rayon épineux qui représente la dernière dorsale est court et fléchi. La dorsale molle et l’anale sont peu élevées dans toute leur longueur ; la première conserve sa supériorité de longueur sur la seconde. La caudale est courte et arrondie.
L’écaillure se compose de petites squames plus ou moins régu-
MONOGRAPHIE DES BALISTIDES. 5
lièrement circulaires, et surmontées chacune d’une spinule conique visible à l'œil nu.
Quant au système de coloration, il consiste en un semis de taches foncées , entourées d’une auréole plus claire ; la caudale est tachetée de points noirs.
La collection du Muséum possède trois exemplaires de cette espèce : ils proviennent des mers de l'Australie, et sont de petite taille. Le plus grand d’entre eux offre les dimensions suivantes :
Lonpueur LOIS ES ME 0 0 DEDUD Hauteur maximum . . . . . . (0,045
La région céphalo-branchiale atteint 0°,016, c'est-à-dire un peu plus du quart de la longueur.
La nageoïire caudale ne compte dans celle-ci que pour 0,043.
L'Alutère que je viens de décrire d’après nos exemplaires me parait, malgré quelques légères divergences dans la description, en ce qui concerne le nombre des rayons de la dorsale et de l'anale et le système de coloration, identique avec celui que M. Richardson nous a fait connaître le premier, si je ne me trompe, sous le nom spécifique de Trossulus (Ereb. and Terr., p. 68, et pl. 40, fig. 5 et 6). Je lui conserve ce nom en vertu du droit de priorité, et le substitue à l’épithète plus significative de ventricosus, que je lui avais donnée dans mes premières notes.
B. Notre second type rappelle le précédent , tout en s’en distin- guant d’une matière très nelle par quelques caractères qui en font un terme de passage au troisième. Ici, avec des formes plus longues et moins ramassées que celles du premier type, la ligne abdomi- nale conserve une convexité plus où moins prononcée. La caudale s’allonge un peu, mais beaucoup moins que dans le troisième type. L’anale est constamment plus longue que la dorsale; enfin la fente branchiale est allongée et très oblique. Telles sont les espèces sui- vantes :
2. ALurTerus Hozsroockt, Nob.
Caractères. — Formes comprimées; abdomen très saillant ; caudale terminée par une ligne sinueuse.
D. M. 36. A. 39. P. 42.
8 H. HOLLARD,.
Cet Alutère a le profil facial incliné à 40 degrés, un peu déprimé avant d'atteindre les mâchoires, dont l’inférieure dépasse beaucoup la supérieure. La région sus-oculaire est comprimée. La ligne dor- sale est horizontale ; l’abdominale descend rapidement, décrit une courbe saillante, et remonte presque verticalement vers l’anus. La fente branchiale est passablement grande et inclinée.
L'épine de la première dorsale est sus-oculaire ; brisée dans l’exemplaire que j'ai sous les yeux, elle serait assez courte, si jen jugeais par le peu de longueur du sillon qui est destiné à la loger quand elle s’abaisse.
La dorsale molle, dépassée par l’anale, tant en avant qu’en arrière, est, ainsi que cette dernière, peu élevée et arrondie.
La caudale, mutilée sur notre exemplaire, serait d’une longueur médiocre, si l’on en juge par l’atténuation des rayons au point où ils sont brisés.
Synonymie. — Cet Alutère se rapproche, par la courbure de la région abdominale, de l’espèce décrite par de Kay sous le nom de B. aurantiacus, espèce nommée par Mitchill, qui la fit connaître le premier (Transact. of litter. and philos. Society). Dans l’un comme dans l’autre, le nombre des rayons de la dorsale molle est de 36, celui de l’anale de 39. Mais l’aurantiacus offre un profil plus ra- pide, des formes beaucoup plus hautes que notre 4. d’Holbroock. Si ces différences n’ont pas été exagérées par le dessinateur de la Zoologie de New-York, je dois considérer cette espèce comme encore inédite, et, jusqu’à preuve du contraire, je propose de lui donner le nom du naturaliste auquel nous devons l’exemplaire qui a servi à notre description. Dans ce cas aussi, le Balistes aurantia- cus de Mitchill prendrait rang sous le nom d’Aluterus aurantiacus, en tête de la série qui nous occupe. Ce poisson a la caudale termi- née par une ligne sinueuse , d’après le dessin et la description de de Kay.
3. ALUTERUS CULTRIFRONS, Noh.
(PL 4, fig. 2.)
Caractères. — Corps très comprimé; abaissement vertical des parties latérales du front, ramenant l’œil très au-dessous de la
MONOGRAPHIE DES BALISTIDES, 9
ligne médio-frontale , qui est tranchante. — Épine dorsale longue et grêle. DM. 37. A. 40. P. 12.
Cet Alutère a une physionomie particulière, qu'il doit à l’extrème compression de son corps, et plus spécialement à celle de la partie supérieure de la tête, les frontaux et les pariétaux offrant une in- elinaison latérale des plus rapides, qui reporte les orbites plus bas que dans aucune autre espèce du genre. La ligne de profil fronto- nasale se trouve par cela même très élevée au front, et mesure avec l'horizontale un angle de 60 degrés. Un peu avant d'atteindre le museau, cette ligne se creuse un peu; la mâchoire inférieure s’avance plus que la supérieure. L’œil est très grand. La fente bran- chiale est assez oblique , et atteint le niveau de la limite inférieure de la pectorale,
La dorsale épineuse a son premier rayon de longueur plus qu'ordinaire, très grêle, un peu fléchi, très faiblement rugueux.
La dorsale molle et l’anale sont d’une hauteur moyenne, arron- dies en avant, à déclinaison lente. La seconde dépasse la première par ses deux extrémités.
La caudale est lancéolée, et forme le 1/6° de la longueur totale du corps.
L'écaillure de ce poisson se compose de petits éléments irrégu- lièrement oblongs, plus élevés vers le milieu que sur les bords, et portant un certain nombre de petits tubercules épineux. Ceux des flancs et de la queue ontune épine centrale plus forte que les autres, fléchie en arrière. Il résulte de ces particularités un revêtement cutané , qu'à l'œil nu on prendrait pour une peau de chagrin , en raison des tubercules centraux qui en relèvent chaque petit com- partiment squamoïde.
La coloration se caractérise par des taches brunes arrondies, petites, et semées en grand nombre sur un fond plus où moins nuagé de fauve et de brun. C’est du moins tout ce qui subsiste chez les individus conservés dans la liqueur, et qui présentent ce dessin.
Le Muséum possède plusieurs exemplaires de cette espèce; ils viennent des mers de New-York et de Bahia. Quelque différence
10 H, HOLLARD.
existe entre eux sous le rapport de la hauteur du front au-dessus de l'œil. Chez l’un de nos exemplaires, cette hauteur est sensible- ment moindre que chez les autres, etla ligne de profil un peu plus creusée. Le plus grand offre les dimensions suivantes :
Longueur totale. . . . . …, 0,40 Hauteur maximum. . . . . 0"1#4 La caudale ajoute 0,065 à la longueur. La région céphalique y entre pour 0,10,
Synonymie. — Je trouve des analogies de forme entre notre A. cullrifrons et le Balistes monoceros de Block, pl. 447; seule- ment l’épine du dernier est dentelée comme celle des Monacanthes. Comparez avec Alutarius macranthus Bleecker, pl. HE, fig, 6 (Bijdrage tot de Kenniss der Balistini, ete., in F’erhandl. van het Batav. Genootschap van Kunsten en Watenschappoen,185 2).
A. ALUTERUS CONVEXIFRONS , Nob.
Curactères. — Formes comprimées et subtranchantes sur les lignes médianes du corps; profil frontal déerivant une courbe uni- forme et prononcée du front au museau ; la ligne qui lui corres- pond inférieurement également arrondie.
DM. 43. An. 47. P. 14.
Ce poisson est remarquable entre tous les Alutères par la con- vexité uniforme de son profil, depuis l’épine dorsale jusqu’à la lèvre supérieure; l'angle que ce profil forme avec l'horizontale dépasse 45 degrés. Au delà de l’épine, la ligne du dos décrit en- core une courbe montante et uniforme jusqu'à la dorsale molle. Quoique tranchant, le front s'incline vers les orbites d'une pente bien moins rapide que dans l'A41. cultrifrons ; aussi l'œil descend- il moins bas que dans cette dernière espèce. La fente branchiale est très inclinée.
L'épine dorsale est courte , grêle , couverte de simples aspéri- tés; elle répond à la partie moyenne de l'orbite.
La dorsale molle et l’anale sont arrondies, peu élevées en avant, et décroissent lentement. La caudale est courte et arrondie, comme
MONOGRAPHIE DES BALISTIDES. 11
dans les Monacanthes proprement dits. Cette nageoire paraît être, il est vrai, un peu mutilée sur l'exemplaire qui sert à cette descrip- lion ; mais il est facile de voir que sa longueur primitive dépassait peu sa dimension actuelle.
L'écaillure se compose de très petits éléments, peu distinets à l'œil nu , hérissés de spinules.
La coloration est d’un gris brun uniforme sur les exemplaires conservés dans la liqueur, qui font partie de la collection du Muséum,
Le plus grand de ces exemplaires offre les dimensions sui- vantes :
Longueur jusqu'à la caudale. . 0,236 CETTE SON AN CULE
La région céphalique entre dans la longueur pour 0®,065. La caudale, telle qu'elle est, y ajoute 0",02.
Synonymie. — Je n'ai trouvé ni description, ni figure , qui se rapporte à celle que je donne ici de AZ. conveæifrons.
5. ALUTERUS ANGINOSUS (étiq. de la Coll.).
Caractères. — Corps subcomprimé, à profil facial moins rapide que la ligne mentonnière, laquelle décrit une courbe saillante.
DM. A9. An. 53. P. 14.
Le corps est moins comprimé que dans les espèces précédentes. Le profilfacialne s'élève qu'à 35 degrés. En revanche, l’abaissement rapide et la courbure un peu brusque de la ligne ventrale derrière la bouche donnent à ce poisson, el constamment, une physionomie très particulière. La fente branchiale est très inclinée. L'œil est de grandeur médiocre. La mâchoire inférieure ne dépasse pas très sensiblement la supérieure.
L'épine dorsale est courte et grêle. La dorsale molle et l’anale sont arrondies en avant, peu élevées, et à décroissance lente. La caudale est médiocrement longue et arrondie.
L’écaillure est peu distincte à l'œil nu ; sur les flancs, elle offre de très petites saillies tuberculeuses qui rendent sa surface ru- guense.
12 MH. HOLLARD.
A l’aide de verres grossissants, on reconnait dans la composi- tion de ce revêtement eutané de très petites squames surmontées de tubercules spinoïdes plus où moins nombreux, et parmi les- quels on en distingue un plus ou moins central, plus fort que ceux qui l’entourent.
La couleur, uniforme sur plusieurs exemplaires, semble offrir sur un petit nombre d’autres un système de taches noires très pe- tites et irrégulièrement semées.
La collection possède plusieurs individus de cette espèce. Ils viennent tous de la mer des Indes et des régions voisines de l'Australie. Le plus grand est un exemplaire sec et monté; il offre les dimensions suivantes :
Longueur jusqu'à la caudale. . . 0,28 Hauteur al en e doa ni0 MS
La caudale ajoute 0,06 à la longueur. La région céphalique y entre pour 0,065.
Synonymie.— Je ne connais aucune description de l’A4{. angi- nosus antérieure à celle-ci ; je lui conserve ce nom, d’ailleurs très convenable, tel que je le trouve inscrit, j'ignore par qui, sur les étiquettes de la Collection. — Comp. avec l’Alutère de Bérard, Lesson, Voyage de la Coquille ; avec le Hija barbuda de Parra, p. 48, pl. 22, 2; puis avec l’Alutarius amphacanthoïdes de Bleecker (Bijdrage tot de Kenniss der Balistini, ete., pl. IE, fig. 5). Enfin au nombre des Alutères rapportés par Siebold des mers du Japon, et décrits par MM. Temminck et Schlegel, se trouve une espèce sous le nom d’Alutera cinerea, qui appartient par ses formes à notre second type, et se rapproche beaucoup de l’Aluterus angi- nosus.
C. Dans les espèces de notre troisième type, les formes s’allon- gent et s’abaissent très sensiblement ; la ligne abdominale est subhorizontale, et la nageoire caudale acquiert des proportions très supérieures à celles que nous lui avons vues jusqu'ici. Enfin l’écail- lure, composée d'éléments microscopiques, est lisse au toucher, tant les spinules qui la surmontent sont courtes et grêles. Du reste, la
MONOGRAPHIE DES BALISTIDES, 15 fente branchiale continue à offrir une direction très oblique; la mâchoire inférieure conserve sa saillie au-devant de la supérieure, et la dorsale molle est encore ici constamment plus courte que l’anale. Si ce type n'offrait pas, par sa première espèce, une sorte de retour vers les Monacanthes , nous pourrions le rattacher au précédent, et ne voir en lui que la dernière dégradation des formes et des autres caractères de celui-ci. Je compte dans cette troisième série les quatre espèces suivantes :
6. ALuTERUS HEUDELOTIH.
Caractères. — Formes longues et comprimées ; le grand rayon de la dorsale épineuse armé de pointes en avant et en arrière.
DM. 37. An. 41. P. 13.
Le profil, incliné à 40 degrés, est droit jusqu’auprès du museau, qui est un peu projeté et offre peu de hauteur ; comme à l’ordi- naire, la mâchoire inférieure est plus avancée que la supérieure. L'œil se trouve ramené par la compression latérale du front à quel- que distance au-dessous de la ligne médiane. La ligne dorsale est horizontale et un peu concave ; la ligne abdominale, sans offrir un abaissement très rapide d'avant en arrière, décrit néanmoins encore une courbe assez prononcée, etremonte sensiblement pour gagner l'anus. L'épine de la première dorsale s’écarte dans cette espèce, par sa force et les pointes dont elle est armée, du caractère qu’elle offre généralement chez les Alutères. Elle est placée au- dessus de l’œil.
La dorsale molle et l’anale sont de hauteur médiocre, arrondies; la seconde dépasse la première, tant en arrière qu’en avant.
La caudale est longue et arrondie.
Quant à l’écaillure, on n’en distingue déjà plus les éléments à l’'œilnu; elle est assez unie au toucher, et néanmoins, à l’aide du microscope, on la trouve composée de squamules qui portent chacune un petit nombre de pointes coniques et dressées ; mais ces squamules n'ayant en moyenne que 1/4 de millimètre de diamètre ; leurs pointes, plus courtes encore, offrent bien peu de saillie et de résistance.
Al M. HOLLARD,
La couleur de l’exemplaire que j’ai sous les yeux est une teinte brune uniforme.
Le Muséum ne possède qu'un seul exemplaire de cette espèce. Ses dimensions sontles suivantes :
Longueur totale. #4, = . "013 Hauteur maximum. . : . . . 0",033 La région céphalique mesure . . 0®,030 La nageoire caudale . . . . 0,033 oule 4/4 de la longueur.
Synonymie. — Cetexemplaire a été apporté des eaux du Sénégal par M. Heudelot; il est juste que l’espèce qu'il représente porte le nom du voyageur auquel nous la devons, aussi longtemps du moins que nous n’aurons pas découvert qu'elle ait été nommée et dé- crite avant notre travail actuel, Le B. Kleinii, Lin., Gm., n° 16, p. 1472, caractérisé d'après Klein, Miss. Pise., I, p. 25, n°8, a quelque ressemblance de forme avec notre A1. d'Heudelot ; mais il porterait des barbillons qui manquent à celui-ei. Il se rapporte plu- tôt à la caractéristique de Gronovius, Zooph., n° 193.
7. ALUTERUS VENOSUS , Nob.
Caractères. — Formes longues et basses. — La tête et le corps sillonnés de traits longitudinaux plus pâles que le fond de la cou- leur générale, el anastomosés sur les joues.
DM. 47. A. A9. P. 14.
Cet Alutère a les formes, le profil, tous les caractères typiques du suivant. Le profil, convexe au front, incliné à 30 degrés, se creuse avant d'atteindre les mâchoires , ce qui donne une saillie assez notable au museau. La ligne du dos est horizontale jusqu’à la dorsale molle; celle de la gorge et du ventre forme une courbe à grand rayon, qui, ne dépassant pas le niveau de l’anus, n’a pas à remonter pour atteindre celui-ci.
L'épine de la première dorsale est sus-oculaire, grêle, d’une longueur très médiocre, et couverte de fines aspérités.
La dorsale molle et l’anale sont longues et basses , à peu près égales sur {oute leur étendue ; la première est dépassée en arrière
MONOGRAPHIE DES BALISTIDES, 45
par la seconde. La caudale, proportionnellement moins longue que dans l'A1. lœvis, a la forme d’un fer de lance.
L'écaillure, lisse au toucher, se compose de très petites lames ovalaires portant chacune quelques petites épines droites et grêle s île plus ordinairement trois sur la région caudale).
La couleur, plus ou moins fauve sur l’exemplaire conservé dans la liqueur, est interrompue par des traits clairs, qui, nombreux et anastomosés sur les joues, s’écartent davantage, et se convertissent même en taches sur le tronc.
Je décris et caractérise cette espèce d’après un seul individu, rapporté de la Nouvelle-lrlande ( Australie) par MM. Lesson et Garnot, et dont les dimensions sont les suivantes :
Longueur totale . . . . . 0®,46 HAE ET Me A Ce 0®,04 La caudale entre pour 0°,04 dans la longueur. La région céphalique pour un autre quart.
Jusqu'ici je ne trouve ni description, ni figure, qui se rapportent complétement à l’Alutère que je viens de décrire; son système de coloration, uniquement formé de bandes claires, sans taches noires, ne permet guère de le réunir à l’A7/, lœvis, dont la caudale est d’ailleurs proportionnellement beaucoup plus grande. Je serais plus près de considérer cet Alutère comme identique avec celui que M. Cantor a admis sous le nom d’Alutarius obliteratus ( Catal. of Malayan fishes); mais celte identité ne m'est cependant pas démontrée.
8. ALUTERUS LÆvIs, BL.
Caractères. — Région céphalique et caudale très longues. — Un très grand nombre de taches noires, rondes, semées sans ordre sur tout le corps, et mêlées à des traits longitudinaux.
DM. 45. An. A9. P. 45.
Cette espèce, aux formes longues, basses, médiocrement com- primées, nous offre une ligne de profil convexe au front, déprimée au delà, et un museau étroit et saillant, avec la lèvre inférieure
16 H. HOLLARD,
beaucoup plus avancée que la supérieure. L'angle facial ne s'élève pas au-dessus de 30 degrés. L’œil est à quelque distance au-des- sous de la ligne médio-frontale, ce qui indique un certain degré de compression de la tête et d’inclinaison latérale de l’espace sus- orbitaire. La fente branchiale est un peu en croissant, et médio- crement couchée.
L'épine dorsale, placée assez exactement au-dessus de l'œil, est grêle, à peu près droite, faiblement rugueuse ; sa longueur dépasse un peu le quart de la hauteur du corps.
La dorsale molle et l’anale, atteignant la même hauteur que l'épine, sont arrondies en avant, et s’abaissent très notablement dans leur moitié postérieure.
La caudale est à la fois très longue et arrondie à son extrémité.
L’écaillure, très lisse au toucher , et peu distincte à l’œil nu, se présente sous le microscope comme composée de petits éléments irrégulièrement découpés en losange, et couverts chacun d’un cer- tain nombre de spinules coniques et plus ou moins mousses, assez courtes d'ailleurs.
Quant au système de coloration, il consiste en un semis irrégu- lier de taches noires, rondes, lenticulaires, plus nombreuses sur la face que sur le corps, et auxquelles s'associent des bandes étroites dirigées d'avant en arrière, plus continues sur la face, plus inter- rompues sur les côtés du corps. Ces bandes s’effacent plus ou moins complétement après la mort, et les taches persistent davantage.
Cet Alutère attemt une grande taille. Parmi les nombreux exent- plaires qu'en possède le Muséum, tant à l’état sec que dans la li- queur, j'en mesure un des plus grands, qui m'offre les dimensions suivan{es :
Longueur totale, . . . . . 0®,47 Hauteucteet AMEN NET 2 9105518
La caudale entre pour le tiers, ou mieux pour 0,15 dans la longueur, et la région céphalique pour 0,12,
Parmi ces divers individus, les uns appartiennent à l’Atlantique, les autres à l'Océanie, ce qui prouve que l'espèce habite une région maritime très étendue en longitude ; quant à la latitude , ce poisson nous vient à la fois de Bahia et de la Caroline du Sud.
MONOGRAPHIE DES BALISTIDES. 17
Synonymie. — Il est hors de toute espèce de douteque l’Alutère que je viens de décrire est le Balistes lœvis de Block (pl. 414). Mal- gré quelques différences dans la distribution des bandes bleues lon- gitudinales, je ne saurais le séparer de l'espèce figurée et décrite par Catesby, pl. et p. 19. C'est un des Balistides monacanthes qu'on a confondus quelquefois sous l'épithète commune de mono- ceros. Schneider (p. 462 et suiv.) cite le B. lœvis comme variété de son monoceros. C’est une erreur manifeste, puisqu'il renvoie pour ce dernier à BL. 447, qui est analogue, sinon identique, à notre cultrifrons.
9. ALUTERUS BARBATUS.
Caractères. — Forme rubanée; caudale longue el pointue. — Un barbillon à la symphyse du menton.
DM. 50. A. 60. P. 8. (PL 4, fig. 4.)
Le corps de cet Alutère est remarquable par l'extrême dispro- portion de sa longueur et de sa hauteur, et par l'horizontalité des lignes qui s'étendent du museau à la queue, soit en haut, soit en bas : ainsi le profil facial ne forme pas le plus petit angle avec l'hori- zontale, et la ligne ventrale décrit à peine une légère courbe à l’en- droit où la masse des viscères pèse sur elle. La mâchoire inférieure, plus avancée que la supérieure, remonte un peu la fente de la bouche et la rend très oblique. Sous le menton pend un petit appendice plat , large à son origine, très atténué à son extrémité ; véritable barbillon cutané. La fente branchiale est courte, mais très inclinée.
La dorsale épineuse est réduite à un rayon court et filiforme.
La dorsale molle et l’anale sont basses et longues ; la seconde dépasse la première, tant en arrière qu’en avant.
La caudale est remarquablement longue, et les rayons médians, beaucoup plus longs que les extrêmes , lui donnent une forme de fer de lance très prononcée, quand on lui rend toute son extension transversale,
L'écaillure se compose de squamules discoïdes , visibles seule-
4° série, Zooz, T. IV. (Cahier n° 4.) 2 2
18 HW. HOLLARD,
ment à l’aide d’une loupe, et couvertes chacune de plusieurs petites épines.
La coloration se montre uniformément brune dans les exem- plaires que j'ai sous les Yeux.
Ces exemplaires sont au nombre de quatre, et proviennent de la mer des Indes; ils sont à peu près de même taille. En mesurant un des mieux conservés, je trouve les dimensions suivantes :
Longueur, jusqu à la naissance de la caudale. 0",140 AUTOUR Re ee die en de el el dk Me lUE UD
La région céphalique entre dans la longueur pour 3 centimètres. La caudale y ajoute 7 centimètres et la porte à 21 centimètres.
Synonymie. — Celle espèce a été décrite et figurée par Gray sous le nom d’Ænacanthus barbatus , el par M. Cantor sous celui d’Alutarius barbatus (Cat. of Mal. fishes, Journ. de la Soc. asiat. du Bengale, &. XVHI, ann. 1849, oct., p. 1339, et pl. 8, fig. 1). Je lui conserve donc l’épithète spécifique donnée par cet auteur et par M. Swainson , qui fait de cet Alutère son Pselocephalus bar- batus, 11,327. M. Bleecker a aussi créé pour cette espèce un genre sous le nom de Pogonognathus.
D. Nous devons séparer des autres Aluières, comme type très distinct, une espèce fort singulière qui, par ses formes et la posi- tion exceptionnelle de son rayon épineux, s'éloigne aussi bien des autres Alutères que des Monacanthes en général. Si nous nous rap- pelons qu'en marchant des Triacanthes aux Monacanthes nous avons vu la dorsale épineuse , d’abord très en arrière de la région oculaire, se rapprocher de plus en plus de celle-ci, et venir enfin se placer, réduite à un seul rayon visible , au-dessus de l'œil ; si nous songeons aux modifications subies par la pièce de support , non-seulement à mesure que le nombre des rayons de cette na- geoire diminuait, mais encore à mesure que celle même pièce pre- nait une position plus antérieure , et se rattachait de plus près au crâne, nous reconnaitrons dans le nouveau déplacement que subit ici le rayon des Monacanthes, dans son isolement absolu , et dans le fait qu'avec ce déplacement disparait toute trace de support , le
MONOGRAPHIE DES BALISTIDES. 19 caractère d’un quatrième et dernier terme de la dégradation sériale qui achemine la première nageoire dorsale des Balistides vers sa disparition.
10. ALUTERUS RHINOCEROS , Cuv., Coll. du Mus., seu Nasicornis , Tem. et Schlg.
Caractères. — Le grand rayon de la dorsale épineuse situé au devant de l'œil, sur la région nasale.
DM. A0. A. 38. P. 11.
Le corps de cet Alutère est fusiforme, médiocrement comprimé, quatre fois aussi long que haut. La ligne du profil facial est très abaissée, et fait partie d'une courbe uniforme à grand rayon, qui se continue de la bouche à la queue ; une courbe analogue forme la limite inférieure ou ventrale. L'œil est presque à fleur de tête. La fente branchiale, courte et verticale, se trouve placée tout entière au-devant de la nageoire pectorale, et dépasse même un peu celle-ci inférieurement. Les deux mâchoires sont avancées au même degré
Le grand rayon de la dorsale épineuse est long , droit, grêle, faiblement hérissé, et seulement, en avant de petites dents nom- breuses dirigées de bas en haut. Le caractère le plus remarquable de ce rayon est sa situation à égale distance de l’œil et de la bouche.
La dorsale molle et l’anale sont très basses ; il est difficile de juger de leur forme sur le très petit individu que possède le Muséum : c’est à grand'peine que j'ai pu compter les rayons de ces nageoires, el je ne puis répondre que les nombres que j’en donne soient d’une exactitude rigoureuse. En tout cas l'erreur ne pourrait être que d’un ou deux rayons, si erreur il y a, et l’anale est, tout compte à part, plus courte que la dorsale, comme dans les Monacanthes.
La caudale est courte et arrondie.
L'écaillure se compose de très petites squamules portant cha- eune une épine conique, infléchie , visible à l'œil nu. Les spinules deviennent sensiblement plus grosses sur la région pelvienné, sans former toutefois une armure comparable à celle des scutelles pel- viennes des Monacanthes, lesquelles manquent complétement ici.
20 H. HOLLARD.
La coloration semble uniforme, bronzée, avec la différence de teintes qui distinguent le dos du ventre.
L'Aluterus rhinoceros est représenté dans la collection du Mu- séum par un seul exemplaire que M. Dussumier a rapporté de la mer des Indes. Ses dimensions sont les suivantes :
Longueur, jusqu'à la naissance de la caudale. 0,04 Hauteur abdominale. . . . . . . . 0,01 La région cépbalique entre dans la longueur pour 0,013. La nageoire caudale mesure 6 millimètres.
Synonymie. — Je lrouve cette espèce, mentionnée et figurée par MM. Temminek et Schlegel, parmi les poissons rapportés par Sié- bold ; ils lui donnent le nom d'Alutera nasicornis , qui est l'équi- valent de celui qu'avait proposé Cuvier.
Espèce incertæ sedis.
Enfin je placerai ici, non comme le dernier des Alutères , mais parce que je ne suis pas certain qu'il appartienne à ce sous-genre plutôt qu’au précédent, un poisson de la mer des Indes dont la col- lection du Muséum ne possède qu'un exemplaire mutilé à la ré- gion abdominale. Par ses formes, son écaillure , sa ligne latérale, cette espèce s’écarte de tous les Alutères que nous avons décrits, et laisse soupçonner que la mulilation a enlevé à notre exemplaire la pointe pelvienne des vrais Monacanthes. D'un autre côté, je re- trouve ce même poisson sous le nom d’4lutarius Prionurus, parmi ceux de M. Bleecker, et le dessin qui enillustre la description ne porte point de saillie pelvienne. Si ce détail n’a pas échappé à l’ha- bile observateur que je viens de citer, en raison d’un très faible développement , supposition qu’autorise l'exemple de véritables Monacanthes , tels que le Spilomelanurus et le maculosus , qui n'ont qu'une écaille pelvienne effacée, l'Alutarius Prionurus de M. Bleecker deviendrait le type d’une section qui devrait prendre place en tête du sous-genre. Mais j'avoue que je suis plus près de le regarder comme un Monacanthe que comme un Alutère. Voici, du reste, la description à l'appui du dessin que j'en ai donné parmi ceux des Monacanthes (4. U, pl. 44, fig. 10).
MONOGRAPHIE DES BALISTIDES. 91
AL. ALUTERUS seu MONACANTHUS PRIONURUS.
Caractères. — Quatre épines caudales , longues et couchées au milieu de spinules plus déliées. — Ligne latérale très évidente, des bandes verticales brunes descendant du dos, et séparées par des mouchetures.
DM. 28. A. 24. P. 10.
Les formes de ce poisson sont médiocrement élevées et assez épaisses. Son profil est droit, incliné à 30 degrés, mais relevé au- dessus de l'œil. La ligne dorsale est courte , et dirigée horizontale ment jusqu'à la dorsale molle. La fente branchiale est remarqua- blement courte.
Le rayon dorsal , fléchi à sa base et court, se redresse peu, re- tenu qu'il est par la membrane qui s'attache à son bord posté- rieur.
La dorsale molle et l’anale sont arrondies et assez élevées.
L'écaillure offre un peu de rudesse ; les squamules portent cha- eune une pointe conique assez forte. On voit à l'extrémité de la queue quatre fortes épines entourées de spinules plus déliées. La ligne latérale est ici très apparente.
Le système de coloration présente de larges bandes brunes qui descendent de la ligne médio-dorsale en ne laissant entre elles que des intervalles très étroits , et qui se terminent sur les flancs. La première embrasse l'œil, et le dépasse à peine ; la troisième et der- nière, placée à la fin de la dorsale molle, a peu d’étendue verticale. Entre ces bandes, et même sur elles, on remarque de nombreuses mouchetures brunes.
L'individu unique de celte espèce que possède le Muséum vient de la Nouvelle-Guinée.
Voici ses dimensions :
Longueur totale. .: : . . . . . (0,060 Hanteut. ; fébeutor Mr pie AMEN, au 0, iQ 022 La caudale entre dans la longueur pour. 0,045 La région céphalique pour. . . . . 0®,020
Synonymie. — L'éliquette du bocal qui renferme ec poisson
[M]
2 H, HOLLARD,
porte le nom spécifique de Cryptacanthus, nom que Cuvier a donné à un Alutère qu'il se borne à citer en note (Règne animal, W, p. 374), en renvoyant à Renard, I, pl. xum, fig. 284. En adoptant le nom de M. Bleecker, nous ne faisons que rendre justice au pre- mier auteur, qui ait, si nous ne nous trompons, à la fois décrit , figuré et nommé cette Jolie espèce (2).
M. Richardson déerit sous le nom d’Aleuterius Brownii une espèce dont les formes rappellent aussi, comme celles de la pré- cédente, les Monacanthes plutôt que les Alutères proprement dits. Ce poisson porte aussi quatre épines caudales sur deux rangs. Ses nageoires médianes offrent : la dorsale molle 33, l’anale 30 rayons , rapport qui est encore celui des Monacanthes; mais ces chiffres, fort supérieurs à ceux du Prionurus , et le système de co- loration consistant en un semis de taches bleues sur fond vert, avec des traits bleus autour de la bouche , et une tache orange sur la place occupée par les épines caudales, ne permettent aucun soupcon d'identité entre ces deux poissons, évidemment différents d'espèce, sinon de type. M. Richardson décrit lAleuterius Brownii d’après un beau dessin de M. Ferdinand Bauer, exécuté pendant le voyage du capitaine Flinder, et appartenant à M. Brown ( Ereb. and Terr., Fish., p.68).
Enfin le même ichthyologiste nous fait encore connaitre, d’après un dessin du nième auteur et de la même collection , un singulier Plectognathe qui réunit au système de nageoires des Alutères les dents des Diodons et le développement abdominal des Tétraodons. Ce serait un terme de passage entre les Sclérodermes et les Gymno- dontes, mais qui réclame une vérification attentive (Ereb. and Ter, Fish., p. 68).
(1) Depuis que cet article est sous presse, le Muséum à acquis deux nouveaux exemplaires de l'Aluterus Prionurus ; ils sont parfaitement conservés, ce qui m'a permis de reconnaître que la pointe pelvienne manque complétement, et que ce poisson est un véritable Alutère représentant d'un type qui doit prendre place en tête de son genre. Les épines caudales se redressent, et ramènent leur pointe en avant. Les joues sont couverles de taches claires circonscrites de brun et for- mant une sorte de mosaïque. Celle-ci se répète derrière la pectorale, mais avec des taches plus petites, et qui, plus en arrière, s'écartent les unes des autres.
MONOGRAPHIE DES BALISTIDES. 23
ADDITIONS ET CORRECTIONS
A L'ENSEMBLE
DE LA MONOGRAPHIE DES BALISTIDES. 4. Genre TRIACANTHUS.
MM. Temminck et Schlegel décrivent et figurent dans la Faune japonaise ( Voyage de Siebold) un Balistide qu'ils rapportent au genre Triacanthus, en le désignant par l’épithète d’anomalus : il s'éloigne, en effet, des autres Triacanthes par des caractères dignes de toute notre attention. Le Triacanthus anomalus offre six rayons à la dorsale épineuse , deux rayons accessoires derrière la grosse épine de la ventrale, une caudale arrondie , enfin des dents encore plus nombreuses que celles des espèces ordinaires. La ligne latérale manque. Les formes sont élevées, œil très rapproché du museau. Ce poisson représente évidemment, non point une ano- malie, mais un type, un sous-genre, si l’on veut, distinet de celui des Triacanthes proprement dits, supérieur à ce dernier, et qui, se placant à la fête de la série des Balistides, confirme la coordi- nation que nous avons fondée sur le nombre des rayons de la dor- sale épineuse, sur le degré de développement du membre abdomi- nal, eLenfin, pour ce qui concerne la famille entière, en présence des autres Plectognathes , sur le degré de ressemblance avec les poissons ordinaires.
M. Bleecker ( loc. cit, ) compte dans la mer des Indes quatre Triacanthes , qu'il désigne sous les noms de T. Russelii, Rhodo- pterus, Nieuhofi et oxycephalus. Bien que les caractéristiques de ces espèces laissent quelque chose à désirer sous le rapport de la précision, nous pouvons, grâce aux figures qui accompagnent le texte, reconnaitre notre T. brevirostris dans le Rhodopterus de M. Bleecker , el dans son Russelii. L'espèce dédiée à la mémoire de Nieuhof, pl. 1, fig. 9, ne diffère du brevirostris que par la lon- gueur de la partie étroite de la queue. Enfin l’omycephalus res- semble beaucoup à mon angustifrons , nommé dès l’année 18514.
M. Cantor a publié, sous le nom de Triacanthus striliger, une espèce qui, par la descriplion comme par la figure, se rapporte assez bien à notre longirostris, el présente, comme celui-ci, un
24 H, HOLLARD.
deuxième rayon épineux dorsal, qui dépasse de beaucoup la lon- gueur des suivants. Le striliger a le corps couvert de taches oran- gées. Ses squames sont surmontées de plusieurs crêtes découpées en épines. D. 22, A. 16 (Catal. of Malayan fishes).
2, Genre BALISTES.
M. le docteur Kaup, qui prépare en ce moment le catalogue des Balistides du Musée britannique , et qui s’est livré pour cela à une étude comparative très complète des échantillons de plusieurs grandes collections étrangères , et de la nôtre en ce qui concerne les Balistes proprement dits, publie un extrait de son travail dans les Archives de Troschel (olim Wiegmann et Erichson), et veut bien me donner communication de l’ensemble de sa distribu- tion et de ses études synonymiques, avec l’autorisation d’en faire mon profit. Je commencerai par remercier publiquement le savant directeur du musée de Darmstadt d’une libéralité dont je sens tout le prix, etdont je crois par cela même devoir user avec loute discrétion.
M. Kaup fait des Balistes une sous-famille sous le nom de Ba- listinæ, et divise celle-ci en six genres, qui, à l'exception d'un seul, avaient été proposés par d'autres zoologistes. Ce sont : 1° le genre Pyronox, établi par Ruppel pour le B. niger, sur le caractère particulier des premières dents latérales supérieures (ancienne- ment Xexopon Rupp., et ZExonox Swains.). 2° Le genre Mecicu- rays de Swains., pour le B. ringens et le B. vidua. 8° Le genre Xanrmicnrays Kaup, qui réunit les espèces de Balistes privées de plaques scapulaires, dont j'ai fait le deuxième type de ma première section, représentée par le B. calolepis. ke Le genre Cavraiermis de Swainson, proposé pour les espèces du premier type de cette même section, telles que le B. maculatus. 5° Le genre Bauisres, réduit aux espèces à plaques scapulaires qui ont une fosse préocu- laire. 6 Enfin le genre Bausrapus , caractérisé non plus par la prétendue absence de la saillie pelvienne, comme lors de sa création par Tilesius, mais par l'absence de la fosse préoculaire. La multiplication de ces coupes génériques et leur coordination , qui sépare les Balistes à plaques scapulaires par des espèces qui manquent de ce caractère important, sont les traits les plus sail-
MONOGRAPHIE DES BALISTIDES. 95
lants de ce travail en ce qui touche la classification. Quant aux espèces elles-mêmes, M. Kaup n'en compte que vingt et une dans l’ensemble des grandes collections qu'il a étudiées. Il réunit sous le nom commun de Curassavicus , déjà inscrit dans Lin., Gm., d’après Gronov., les quatre Balistes très distincts, selon moi, que j'ai nommés gutturosus , calolepis, lineo punctatus et elongatus. Ces espèces, représentées dans nos collections par des exemplaires à peu près de même faille, différent trop, sous le triple rapport des formes générales , des nageoires médianes et de l’écaillure , pour qu'il soit possible de n°y voir que de simples variétés. Je n’ai qu'une recüfication à faire en ce qui concerne ce petit groupe : dans la synonymie du B. calolepis, j'assimile ce Poisson à celui que Parra décrit et figure sous le nom de Cucujo. M. le docteur Belotti, de Milan, a bien voulu me faire remarquer que le Cucujo ressemblait plutôt àune autre espèceque ce savant avait désignée sous le nom de B. deParra dansla collection milanaise, etdans laquelle nous recon- naissons maintenant l’un et l’autre mon B. lineo-punctatus. C’est très probablement pour elle qu'a été proposé le nom de Curassa- vieus, conservé par M. Ruppel dans la collection de Francfort , à ce que m'apprend M. Belotti. Ce poisson apparliendrait ainsi, comme tant d’autres, aux deux grands Océans. — M. Kaup réunit encore, sous le nom de B. maculatus, les espèces que, d'après mes propres observations et celles de plusieurs ichthyologistes de diverses époques, j'ai séparées en conservant à l'unede nom qu’on vient de lire, et en donnant aux autres ceux de brevissimus, angulosus (Q. etG., étiq. du Mus., senticosus Richards., Smar., etc.) et lon- gissimus. Selon M. Kaup, le brevissimus et l'angulosus seraient le jeune âge , le longissimus l’âge adulte du maculatus. 1 m'est bien difficile de considérer comme de simples différences d'âge les caractères si prononcés d’écaillure, de forme générale et de forme des nageoires médianes, sans compter ceux du système de colo- ration qui séparent ces espèces, et cela d'autant plus que la collec- tion du Muséum offre des exemplaires du B. maculatus de plu- sieurs grandeurs , par conséquent de plusieurs âges, et offrant néanmoins le même ensemble de caractères. Je me suis assuré par plusieurs autres espèces que l’âge modifie très peu les proportions
26 H. HOLLARD.
relatives de la hauteur et de la longueur, et aucune analogie ne me permet d’assimiler les 2. longissimus, maculatus et brevissimus. M. Kaup assimile, avec plus de vraisemblance, mon B. reticulatus au B. viridescens, dont il ne diffère guère que par un système de coloration assez difficile à déterminer dans tous les exemplaires. Son B. forcipatus n’est pas celui de Willugby, mais le B. étoilé de Lacépède, qui offre, avec la caudale fourchue, une dorsale molle partout d'égale hauteur, un système d’écaillure et un dessin très différents de ceux du type du forcipatus. Serait-ce le B. punctatus qui correspondrait à ce dernier, tel que nous l’avons accepté de nos prédécesseurs ? Genre MoNacANTHus.
Parmi les Monacanthes nettement caractérisés, que la collection du Muséum ne possède pas encore, se trouve le M. hystriæ, Lin., figuré dans l'Encyclopédie méthodique, et par M. Gray, d’après un exemplaire du Musée britannique , dans les Zllustr. of Ind. zool., pl. 1, fig. 2. Ce poisson appartient aux premiers types de sa série générique; il est très élevé à la région pectorale, avec le profil un peu creusé, et la queue garnie d’un faisceau de gros piquants.
M. setifer, Benjn. = M. auriga de Low, Poissons de Madère, in Ann. of nat. history, t. X, 1852 ; — M. gallinula ? Val., Foy. aux Can. de Webb et Berthelot. Ce dernier manque de filets, mais nous avons vu que cette absence pourrait bien n'être qu'une différence sexuelle. |
M. hippocrepis. Au même type, sinon à la même espèce, appar- tient le M. variabilis de Richardson (£reb. and Terror , pl. 53, fig. 4 à2, p. 67), désigné dans le texte comme une Alutère, par une erreur corrigée dans Ja table méthodique. Ce poisson est très commun dans les eaux profondes de la baie du roi Georges, ettrès estimé des indigènes. Sa belle teinte pourpre, qui fait le fond de sa couleur, jaunit sous l'influence des parasites isopodes qui l'exploi- tent comme tous ses congénères (Neill’s, Zcon. 31, in Mus. Br.).
M. chinensis. Sont au moins du même type :
Le M. cantoris de Blkr. ( Bijdrage tot de Kenniss der Balis- lini, ete.) etle M. hajam du même (.).
M. suleatus. À ee type parait appartenir le 41. oblongus de
MONOGRAPHIE DES BALISTIDES. 27 MM. Temminek et Schlegel (voy. de Siebold, p.294, CXXX, f. 2), qui offre, avec les mêmes formes générales, la même pointe pel- vienne allongée, les écailles unispinulées, la dorsale molle et l'anale haute, en avant, un ou deux rayons prolongés à l’anale. = M. nemurus, Blkr., loc. cit., pl. 2, f. 3, p. 20 ; et du même auteur, M. choirocephalus, pl. 2, {. 4, qui, s'il n'est pas identique, appartient aussi à ce type.
Qu'est-ce que le ML. vittatus, Richards. ? £reb. and Terr., p. 66, donné d'après Solander (manuser. , avec indication de Veill's Lco- nogr., 48, Mus. Br. La description est insuffisante pour établir les affinités de cette espèce.
EXPLICATION DE LA PLANCHE 1.
Fig. 4. 4* type: Aluterus Trossulus de Richards. Fig. 2. 2° type: Aluterus cultrifrons, Nob. Fig. 3. 3° type: Aluterus venosus, Nob.
Fig. 4. 4° type : Aluterus barbatus, seu Anacanthus barbatus de Gray, Pogono- gnathus, de Bleecker.
Fig. 5. Type hors ligne: Aluterus nasicornis, Val.? seu Rhinoceros ét. du Mus.
—
MÉMOIRE SUR L’ASSIMILATION DU SUCRE, Par Georges D. GIBB, Docteur en médecine, Médecin du West London Dispensary.
Il y à dix années, je découvris la présence du sucre chez un individu atteint de maladie de Bright, et ne présentant pas d’autres symptômes de diabète. Donnant à ce cas toute mon attention, j’exa- minai les différents liquides du corps sous leurs divers états patho- logiques. Dans quelques-uns, le liquide de l’ascite, par exemple, je trouvai du sucre ; dans d’autres, au contraire, il n’y en avait pas. J'arrivai néanmoins à cette conclusion intéressante, que l'élément du sucre, comme l'a avancé le docteur Prout, joue dans l'assimila- tion générale un rôle plus important qu'on ne le croyait ordinaire- ment; mais je ne dus rien ajouter de plus à ce sujet.
Quelques années plus tard, en France, mon ami M. CI. Bernard découvrit ce fait important que le foie est le siége de la fabrication
28 D. GIBB., — MÉMOIRE
du sucre, et l’origine du principe de cet élément dans les autres parties du corps. Cette découverte était très précieuse , surtout appliquée à la physiologie et à la pathologie non-seulement du foie, mais encore des autres organes, surtout pour ce qui regarde l’assi- milation en général. Elle devenait nécessaire à l'explication de plu- sieurs points expliqués plus bas. Un certain nombre d’observateurs s’appliquèrent alors à résoudre un des problèmes les plus remar- quables de la pathologie , savoir « la glycosurie. » Dernièrement, le docteur Goolden, médecin à l'hôpital Saint-Thomas , publia là-dessus un mémoire intéressant, où il démontre qu'il y a souvent une relation évidente entre les troubles cérébraux et la présence du sucre dans les urines. J’essayai de recueillir toutes les conditions pathologiques importantes ayant rapport à l'assimilation du sucre, et de savoir, par l'examen de quelques-unes, s’il n’était pas possible de les réunir toutes sous un seul chef. Jai pris le titre ci-dessus , parce qu'il me semble le plus propre, sinon le plus utile, au but que je me propose, jusqu’à ce qu’un autre trouve à le compléter. Comme je veux renfermer un sujet aussi étendu dans un cadre aussi restreint que possible, je me contenterai de citer les manifestations patholo- giques qui y ont le plus rapport. Mais avant de commencer la pathologie, je dirai quelques mots sur la physiologie de Fassimila- tion du sucre.
Le foie , qui a toujours été regardé comme le siége de la forma- lion du sucre, en contient, à l’état de santé, une certaine quantité. Ce sucre a pour origine le sang , qui, arrivant dans le foie par la veine porte, en sort par les veines hépatiques et cave inférieure , pour gagner les cavités droites du cœur, et se rendre de là, par les artères pulmonaires, dans les poumons, où il subit l’oxygénation. Ce fait, sur lequel il serait trop long de s’étendre, prouve la relation importante qui existe entre la formation du sucre et l'acte respira- toire. Mon ami le docteur Pavy a prouvé, par de nombreuses expériences, que la présence de la fibrine dans le sang est néces- saire à la décomposition du sucre. La formation du sucre dans le foie est tout à fait indépendante d’une nourriture féculente ou sac- charifère, etcommence, d’après M. CI. Bernard, avant la naissance de l’individu.
SUR L'ASSIMILATION DU SUCRE. 29
Cependant, la quantité de sucre diffère dans les diverses classes d'animaux, comme je l'ai plusieurs fois prouvé. Elle est plus grande dans le foie où domine lélément graisseux, par exemple, dans celui du Veau marin, du Marsouin, du Canard, de l'Oie et de la plupart des oiseaux de mer. On le trouve en grande quantité dans le foie de la Morue et autres poissons qui ont beaucoup de graisse. Ce fait que j'ai noté, et dont on ne peut nier l'importance , prouve le rapport intime qu'il y a entre la graisse et la présence du sucre ; il sert aussi à élucider la question pathologique des dégénéres- cences graisseuses,
Le sucre existe aussi, dans le sérum du sang artériel, à l’état normal et en petite quantité ; on le trouve également, quoique en quantité moindre, dans le sang veineux. Le docteur Pavy en a trouvé dans les veines jugulaires ; il en existe également dans la veine porte, où, quoique peu abondant, il l’est néanmoins plus que dans les jugulaires. Le chyle du canal thoracique en contient : il y est amené par les lymphatiques du foie , qui le puisent dans le paren- chyme saturé de cet organe. 1 n’y en a pas dans le chyle venant directement de l'appareil digestif. La glande mammaire le sécrète en grande quantité, sous le nom de sucre de lait. On le trouve de même dans le lait sécrété par les nouveau-nés mâles ou femelles , dans l’urine des femmes enceintes, où il peut être clairement démontré pendant toute la grossesse. Dernièrement on a démon- tré qu'ilexistait, comme élément normal, dans l'urine des vieillards,
Telles sont les circonstances normales dans lesquelles le sucre est rencontré dans l’économie animale : c’est ce que l’on peut appe- ler la physiologie de l'assimilation du sucre. Cet exposé nous per- mettra de comprendre les états dans lesquels les liquides ou les solides du corps renferment du sucre normalement ou anorma- lement.
Les conditions pathologiques forment une classe tout à fait à part, et amènent une des maladies les plus incurables de l’homme. Ces conditions , qui peuvent à la vérité être regardées comme symptomatiques , indiquent des dérangements constitutionnels si importants, que je crois pouvoir les renfermer sous le titre de pathologie de l'assimilation du sucre.
30 D. GIBB, — MÉMOIRE
Diabète. — Le docteur Prout a bien établi que les organes qui, à l’état de santé, assimilent normalement du sucre, en deviennent incapables dans cette maladie. Les fonctions qui ont pour but de faire subir au sucre ses différentes transformations sont accompa- gnées de la formation d’un sucre d’une autre nature. Dans le dia- bête, les fonctions réduisantes de l'estomac sont morbides, tandis que les fonctions convertissantes sont plus où moins suspendues où paralysées. Dans ies estomacs des diabétiques, le sucre est en plus grande quantité, surtout après l'usage des végétaux , et il passe rapidement dans le système circulatoire. Le docteur Prout fait observer avec raison que le diabète n’est pas constitué, comme on l'avait dit, par la formation de sucre dans l'estomac, ce qui estnor- mal, mais par la plus ou moins grande altération des fonctions con- vertissantes, el, par conséquent, dans la plus ou moins grande modification des fonctions assimilatrices.
Je pense que cette explication des premiers désordres de cette maladie est suffisante, et ne souffre pas de contradiction. La décou- verte du sucre dans le foie, d’après la doctrine de Prout, n’est pas en opposition avee ce que je dis plus haut. Il a avoué , cependant, que, dans les périodes avancées du diabète, le sucre paraît être le résultat d’une assimilation secondaire, ce qui n’a jamais lieu dans l'état sain. M, CI. Bernard a maintenant prouvé la dernière partie de cette assertion. On ne doit donc pas s'étonner , en voyant le sucre produit en aussi grande quantité dans l'estomac, de le retrou- ver dans le sang : c’est un fait qui, malgré les dénégations de cer- tains auteurs, est maintenant bien établi. Le sang se charge d’une partie seulement du sucre formé ; car on retrouve aussi ce principe dans les excréments, après une période de quelques heures, à l’état solide, et surtout cristallisé. Les différents émonctoires du corps enlèvent au sang son trop-plein de sucre : ainsi on le trouve dans les urines, dans l’expectoration des phthisiques (il y manque quel- quefois), dans la salive, et même dans la sueur. Quoique ce dernier faitsoitrare, il a été prouvé par Simon, Nasse, Magendie et autres. Le sucre est quelquelois tout aussi abondant dans la sueur que dans les autres sécrétions du corps. Il est difficile de se procurer un foie diabétique immédiatement après la mort; je n'ai jamais trouvé de
SUR L'ASSIMILATION DU SUCRE. ä1 sucre dans ceux que j'ai examinés quelques heures après. J'ai d'abord douté de l'exactitude de mes expériences ; mais, en con- sidérant que les mêmes moyens m'avaient servi à constater la pré- sence du sucre dans d’autres foies, et que j'avais une certaine habitude de reconnaitre ce principe, je me suis convaincu que, dans le diabète, le foie ne contenait que très peu ou point de sucre. Cetle découverte, tout à fait opposée aux idées de M. CI. Bernard, est très importante. Pourrait-on s'expliquer ceci par un dérange- ment de l'assimilation secondaire, dérangement tel que , la veine porte apportant au foie une si grande quantité de sucre tout formé, cet organe n’a plus besoin d'en charger le sang qui traverse son parenchyme. C'est là évidemment une des causes du fait, et qui me semble expliquer aussi, sous quelques rapports, pourquoi le diabète amène si souvent des maladies de poitrine ; et cela non pas parce qu'il apporte trop de sucre au poumon, mais bien parce que le sucre qu'il lui envoie ne vient pas assez directement du foie lui- même.
Je note ici que je n'oublie pas les expériences dans lesquelles du sucre de canne et de raisin, ayant élé injecté dans les veines jugulaires, a été retrouvé dans les urines, ni celles dans lesquelles du sucre , introduit dans le système de la veine porte, et subissant par couséquent des modifications dans le foie, n’a pas été constaté dans les urines. Ces expériences prouvent clairement que le foie à l’état de santé absorbe exclusivement le sucre apporté du dehors ; mais quand ce principe devient en excès, comme dans le dia- bète, les fonctions particulières du foie sont plus ou moins para- lysées.
Mon ami le professeur Beale, de King’s College, qui a souvent analysé le foie et lesreins dans les cas de diabète, m'assure n'avoir jamais trouvé de sucre dans ce premier organe ; et, dans un mémoire remarquable sur ce sujet, publié dans le Medico-chirurgical Review , il dit y avoir trouvé plus de graisse que dans l’état sain. Cet organe parait alors famélique. Mes opinions se trouvent donc confirmées par celles du docteur Beale, et tout à fait contraires aux recherches de M. CI. Bernard sur le foie. Il croit que la cause du diabète est dans une production excessive et anormale de sucre
22 D. GIRE, — MÉMOIRE
dans le foie, production attribuée à une trop grande action du grand sympathique. Pour moi, c’estle contraire. S'il en était ainsi, nous devrions observer le diabète comme lié aux dégénérescences graisseuses du foie, alors que cet organe renferme du sucre dans les mêmes proportions (comme je l'ai démontré autre part) que celles trouvées par M. CI. Bernard dans les foies diabétiques ; mais, en mettant de côté l'existence de l’œdème, nous voyons qu'il est impossible de constater la présence du suere dans les urines, et de reconnaître par conséquent l’existence du diabète.
Pour moi done, le diabète ne serait qu'un résultat de la non- sécrétion du sucre par le foie, et par conséquent d’un dérangement de l'assimilation.
Ainsi, les principaux organes assimilateurs sont influencés d'une manière particulière , soit par une condition anormale de la bile sécrétée par un foie dépourvu de sucre, soit par une réaction nerveuse du foie sur l'estomac et les intestins, soit par l’action du sue pancréatique chargé de graisse (le docteur Hyde Salter a retrouvé ce dernier principe dans les cellules du pancréas d’un diabétique). Le sue pancréatique a pour but, à l'état de santé, de convertir l’amidon en sucre. Cette fonction se fait lentement et par gradation, et le suc est absorbé comme il est produit. Dans le dia- bète, cette fonction peut être augmentée comme elle est produite. L'état graisseux du pancréas semblerait donc prouver directement ou indirectement l'influence des fonctions convertissantes de l'esto- mac, et, par là, de l'assimilation secondaire.
Je ne diseuterai pas les idées du docteur Bence Jones , qui pré- tend que la digestion ne se fait plus normalement, et qu'il n’y a plus transformation de l'amidon en dextrine, de la dextrine en sucre, et formation d'acide carbonique et d'acide végétal. Ces idées n'ont rapport qu'aux effets de la maladie. Les signes trouvés à l'autopsie, et cités par plusieurs observateurs et par moi-même , viennent encore à l’appui de ma théorie. Quoi qu'il en soit, je ne me pose pas en autorité.
Prout, dans ses nombreuses expériences , a trouvé chez plu- sieurs individus des lésions organiques des viscères; chez d’autres, tous les organes paraissaient sains. Selon lui, la diversité ou l’ab-
SUR L’ASSIMILATION DU SUCRE. 33 sence de ces lésions organiques ne se rattachent pas à la présence du sucre : elles seraient plutôt des affections concomitantes. En parlant des fonctions, il était porté à croire que, dans le diabète, le foie est toujours gravement attaqué. Cette supposition d’un obser- vateur aussi exact et aussi expérimenté est d’une grande importance, surtout depuis la découverte de la propriété qu'a le foie de sécréter du sucre. Les lésions anatomiques que Prout a le plus signalées sont plutôt de la nature chimico-mécanique que véritablement orga- nique. Il les rangeait en trois catégories : 1° hypertrophie et con- gestion des reins ; 2 turgescence des veines qui se terminent dans la veine porte, principalement les veines mésentériques, et afflux dans les organes assimilateurs de sang coloré et liquide ; 3° dans des cas plus rares, vascularisation de la membrane muqueuse de l'estomac et de la partie supérieure du canal digestif.
La première et la troisième catégorie procèdent naturellement de la maladie. Quant à la deuxième, elle prouve évidemment que la grande quantité de sucre apporté a obstrué le foie, et empêché la circulation en paralysant les fonctions.
Il résulte de preuves décisives que, dans le diabète , le foie est l'organe le plus intéressé, et qu'il subit une influence de la moelle allongée. Ceci est très important, et c’est avec confiance que je combats les opinions de M. CI. Bernard, non sur le siége de la mala- die, mais bien sur la nature des fonctions intéressées, lésions qui constituent l’étiologie de la maladie. On pourrait m'objecter que les urines cessent de contenir du sucre quelque temps avant la mort, et que le foie pourrait bien aussi ne pas en contenir. Mais j'ai démontré que la présence de ce principe pouvait être constatée assez longtemps après la mort, dans les urines ou dans un foie dia- bétique. Je citerai un cas où je l'ai rencontré dans un foie grais- seux, onze jours après le décès, et déjà presque décomposé. Dans ce moment , l'urine d’un diabétique mort à l'hôpital Saint-Barthé- lemy (service du docteur Burrows, 8 décembre 1853) renferme du sucre. Cette particularité spéciale du sucre diabétique, que lon ne trouve pas dans le sucre produit par des expériences pendant la vie, a élé indiquée par mon ami le docteur Pavy. De plus, si le sucre existait dans le foie en aussi grande quantité que le veut M. CL. Ber-
£° série. ZooL. T. IV. (Cahier n° 4.) 5 3
äli D. GIRB. — MÉMOIRE ard, on devrait le découvrir facilement, même quelques heures près la mort. Or, cela n'est pas.
Pendant la publication de ces nouvelles idées , le docteur Pawy prétendait que ni M, CI. Bernard, ni lui, n'avaient trouvé de sucre à l’autopsie dans un foie de diabétique, Ce fait est très important. Je suis pourtant porté à croire à l'existence de quelques rares excep- tions ; exemple : les expériences du docteur Garrod.
Indépendamment de sa combustion dans le poumon, le sucre, assimilé à l’état sain par le foie, a encore pour objet la formation de la graisse. Je ne doute pas que, plus tard, on ne prouve qu'il y a une relation exacte entre la quantité de graisse et la quantité de sucre. Ce résultat constant de mes expériences m'a amené à con clure que le sucre est une des principales sources de la graisse dans les différentes parties du corps; qu'il peut être converti en graisse, et que la graisse ne peut l'être en sucre. Je dois avouer que j'ai longtemps partagé avec d’autres une opinion contraire à celle-ci : je m'empresse de la rectifier aujourd'hui. Le seul argu- ment en faveur de la conversion de la graisse en sucre est l’action du suc pancréatique pur et nouvellement formé, qui, d’après M. CI. Bernard, émulsionne les huiles et les corps gras avec la plus grande facilité. Cette émulsion persiste assez longtemps, et les corps gras subissent une fermentation qui permet aux acides con- tenus de se séparer.
Relativement à la graisse et au sucre dans le diabète, il y a d’autres points qui peuvent jeter un jour sur ce point de pathologie. Dans un mémoire du docteur Beale (British and Foreign medico- chirurgical Review) sur la composition chimique et microscopique du foie et des reins dans le diabète, sous le rapport de Ia présence de la graisse , il trouve que la graisse est prédominante dans les reins, et en moins grande quantité qu'à l’état sain dans le foie. Ainsi, dans les reins à l’état de santé, la graisse ne s'élève pas au- dessus de 4 pour 100; dans le diabète, elle surpasse 25 pour 400. Sous un égal volume de rein et de foie sain , la graisse prédomine dans le premier, selon lui , tandis qu'à l'état normal c’est le con- traire. En comparant à volume égal, il a trouvé que le foie sain con- tenaitplus du double de matières graisseuses que le foie diabétique.
SUR L'ASSIMILATION DU SUCRE. 35 Que signifient ces faits du docteur Beale ? La graisse due à la cir- culation du sucre par les reins est un effet purement mécanico- chimique ; par le mème effet, si le foie, à l’état sain, reçoit une quantité moindre de sucre , la graisse doit être notablement dimi- nuée. Le docteur Hyde Salter a démontré que le pancréas devait une certaine quantité de sucre à la présence de globules huileux dans ses cellules.
Un des effets du diabète étant l’arrêt de la formation du sucre dans le foie, et ce sucre étant nécessaire à l’économie, il doit être le résultat d'une sécrétion morbide qui se fait principale- ment dans l'estomac, aux dépens d'aliments de toute nature. L’esto- mac doit cette propriété au voisinage de l’organe sécréteur par excellence.
Ainsi, la thérapeutique doit avoir pour but de soustraire le foie à l'influence du système nerveux , de ranimer ses fonctions, el, en même temps, de modifier l'action de l’estomac, action qui a élé changée par la non-formalion du sucre dans l'organe voisin.
La première cause du diabète, comme l'a si clairement établi M. CI. Bernard , résidant dans une perturbation du système ner- veux, je crois qu'elle est principalement due à la moelle allongée et au grand sympathique. Pour M. CI. Bernard, la prédominance du sucre dans les urines diabétiques est due à l’action du grand sym- pathique sur le foie; il a prouvé, par des expériences, que le preumogastrique n’agissait que secondairement. Aïnsi, la section de ce nerf produit un diabète artificiel. Le courant galvanique doit passer en haut par leurs extrémités centrales, et non en bas par leurs extrémités périphériques. Le galvanisme agissant sur la moelle allongée par l'extrémité supérieure du pneumogasirique à une influence pareille à celle qu’une ponction, faite au centre nerveux, transmettrail par en bas le long du cordon spécial, et de là au foie par le splanchnique.
En terminant cette partie de mon mémoire, je dirai que les doc- teurs Bright, Copland et Wall (de Nottingham) regardaient le dia- bète comme dépendant d’un trouble du système nerveux, sans en préciser le siége. Le docteur Copland le place dans le grand sym-
36 D. GIBB. — MÉMOIRE
pathique , et l’on cite des exemples de diabète dans lesquels on à frouvé un développement anormal du grand sympathique, du pneumogastrique et des splanchniques.
Tubercules. — Dans les dégénérescences graisseuses du foie dont nous venons de parler, et que nous examinerons plus tard dans leurs rapports avec la phthisie, on trouve plus de sucrequ'à l'état de santé. S'il y avait entre cet état du foie et les affections du poumon un rapport quelconque, nous pourrions en expliquer l'existence par la physiologie. En effet, par suite d’une oxygénation ét d'une combustion imparfaite du charbon, due à un arrêt de la cireulation et de la respiration dans les poumons, le sucre s'aceu- inule dans le foie, dont ne peut le débarrasser l'appareil respira- toire.
On pourrait, à la rigueur, établir un rapport entre ces faits et la phthisie; mais alors comment expliquer l’état graisseux du foie dans d’autres affections où le poumon est sain en apparence ? Avant de nous prononcer, il faudra plus de recherches et d'expériences nouvelles.
La physiologie nous apprend l'importance du rapport du sucre avec la respiration ; elle nous montre l'erreur de ceux qui ont cru que dans le diabète il y avait excès de formation de sucre dans le foie; opinion qui n’est pas prouvée, et dont j'ai cherché à démon- trer le côté attaquable.
Je me fonderai sur ce fait que le foie graisseux contient du sucre en excès, pour élucider cette question et établir ses rapports avec celle des tubercules; de là je présenterai quelques considérations sur la relation de la scrofule avec la formation de sucre.
En janvier 1850, j'ouvris sur une femme de vingl-trois ans, d’une constitution scrofuleuse, un vaste abcès situé à la base de l’omoplate; le liquide qui en sortit était neutre, d’une densité de 1,028, d’une couleur jaunâtre, inodore, d’une consistance cré- meuse. L'analyse chimique par la méthode de Moore et de Fram- mer m'y démontra l'existence d’une quantité notable de sucre. Au microscope , je retrouvai les caractères ordinaires de la matière tuberculeuse, des cellules remplies de matières granuleuses, de granules libres, et de globules de graisse mélangés à du pus et à
SUR L'ASSIMILATION DU SUCRE. 27 des corpuseules lymphatiques. En février, ce grand abeès s'étant de nouveau rempli fut ouvert, et il en sortit un liquide épais, eré- meux, de couleur foncée, mélangé de parties concrètes de même couleur. Nous trouvames également du sucre, et nous vimes au microscope des corpuscules de pus, de la matière scrofuleuse, mais pas de globules sanguins.
Ces expériences , en me montrant la coexistence des tubercules avec du sucre, me frappèrent, ef je crus devoir faire des recher- ches sérieuses sur un sujet aussi important,
La première occasion que je lrouvai me fut offerte par des tuber- cules crus et ramollis d'un phthisique mort à quarante ans ; j’exa- minai ceux du poumon gauche : les tubereules crus furent soumis aux moyens employés pour l'analyse du foie; je fis bouillir, avant de les examiner, les tubercules ramollis.
Je constatai des traces de sucre dans les tubercules crus ; mais les résultats n'étaient pas assez concluants pour admettre une rela- tion certaine, malgré la beauté du cas, En effet, il y avait un foie graisseux très volumineux et chargé de sucre.
Tout récemment, je reçus de mon ami M. V. Edwards, médecin à l'hôpital des phthisiques de Brompton, des morceaux de pou- mons , des glandes bronchiques et mésentériques, du foie grais- seux, provenant d’une femme tuberculeuse de vingt-trois ans. Pour y constater la présence du sucre , je soumis le tout à des analyses plusieurs fois répétées. À l'exception du foie graisseux , où j'en trouvai comme à l'ordinaire , je n’en constatai ni dans les tuber- cules, ni dans les glandes, ni dans le poumon lui-même. J'en trou- vai des traces par la méthode de Moore ; mais comme c’était la seule méthode qui donnât ce résultat, on n'en peut rien con- clure. Il faut donc expérimenter encore, surtout sur les tubereules ramollis.
M. Magendie assure qu'il n’y a que deux maladies, dans les- quelles la quantité de sucre se trouve augmentée dans l'économie : la phthisie et la glycosurie.
Depuis longtemps on a observé que lurine et les crachats des phihisiques sont quelquefois sucrés ; mais il faudra bien distinguer le cas où la phthisie serait le résultat du diabète. M. CI. Bernard
38 D. GIBB. — MÉMOIRE
prétend que dans la phthisie le sucre manque dans urine, et qu'il est äugmenté dans le sang. Il avait constaté cette augmenta- üon dans le sang d’une jeune fille que l’on venait de saigner, él chez qui les urines ne renfermaient pas de sucre; quoiqu'il n’y eût pas d'autre symptôme , il pronostiqua la mort par phthisie, cé qui arriva en effet. (British and Foreign Medico-Chirurgical Review, oct. 1849.)
Par contre, M. Reynoso a constaté du sucre dans les urines de malades tuberculeux , sucre d'autant plus abondant que la a- ladie était plus avancée et les symptômes inflammatoires plus intenses.
Je ne doute pas que l'on ne lrouve quelquefois du sucre dans les urines des phthisiques au premier degré, mais je ne possède pas d'observations pour le prouver. Pourtant le cas cité par le docteur Goolden, dans The Lancet de juillet dernier, me semble appeler l'attention sur ce point. La malade était une fille âgée de treize ans, qui souffrait de céphalalgie et de douleurs vagues dans tout le corps; affections qui, d’après le docteur Goolden , seraient dés signes de phthisie commeticante , et indiqueraient des tubercules du cerveau. On trouva dans ses urines du sucre dont la quantité diminua par le traitement.
Le docteur Venables à rencontré du sucre dans l'urine des en- fants pauvres scrofuleux. Je suis porté à croire que l'absence de ce principe dans les affections tuberculeuses du cerveau et dans l’hydrocéphale n'est qu'une exception.
J'ai appris avec beaucoup d'intérêt que la présence du sucre dans les urines des phthisiques est à présent un sujet d’études à l'hôpital de Brompton; M. Bird, un des élèves internes de cet éta= blissement, m'a assuré, ces jours derniers, avoir constaté du sucre dans l’expectoration des phthisiques.
Ces faits, dans les rapports du sucre diabétique et des tuber- eules, offrent beaucoup d'intérêt aux observateurs sérieux, et sér- viront à éclaircir la question du diabète et des maladies concomi- tantes.
Je crois qu'il ne serait pas déplacé ici de parler de la phthisie secondaire comme tésultat du diabète ; c’est une des terminaisons
SUR L'ASSIMILATION DU SUCRE. 39 fréquentes de cette maladie, mais elle n’est pas constante comme on l’a supposé.
Pour moi, la terminaison par la phthisie est plutôt un résultat du manque d’afflux de sucre du foie dans le poumon , et par con- séquent d’une cessation du travail pulmonaire.
Contrairement à cette opinion, M. Cl. Bernard pensé que les affections pulmonaires tiennent à une fatigue de cet organe causée par une trop grande quantité de sucre formée dans le foie. Jai combattu ces idées autre part, car pour moi le véritable diabète tient non pas à ce que le foie fabrique trop de sucre, mais bien à ce qu'il n’en fabrique plus.
Abcès. — Les expériences déjà citées pour prouver la présencé du sucre dans le pus scrofuleux ne suffisent pas pour le démontrer dans du pus d'autre nature. Pour donner des preuves plus certaines, on a examiné du pus de différentes sources, de différents sinus sécrétant du liquide, et l'on y a découvert la présence évidente du sucré. Ces recherches ont fait voir que le sucre se trouve comme ingrédient normal dans le pus, indépendamment de sa couleur, de sa nature, de sa consistance, de son origine.
Pour citer quelques exemples, j'ai rencontré du sucre dans le pus d’un grand abeès mammaire ordinaire et de bonne nature, dans le pus d’un bubon, d’un abeës de l'os malaire droit chez une jeune femme. Une fistule chronique , dans le sein droit d’une femme, sécrélait du pus bleuâtre qui contenait du cyanure de fer et du sucre. On a toujours rencontré du sucre dans le pus des abcès phleg- moveux. H résulte done de 1à que le sucre estun des éléments nor- maux du pus, étque e’est à sa présence qu'il doit sa saveur douceñtre.
Le docteur Mason Good, dans son deuxième volume, dit que le pus doit à la présence du sucre son goût douceitre et sa fadeur différente de celle des autres sécrétions. I parait être le premier qui ait appelé l'attention sur ce point.
Le sucre peut être, dans ce cas, attribué à l’albumine, qui, d'après le docteur Wright (Ranking's Abstract, vol. 1, 1845), contient de 58 à 85 pour 400 de sucre, ou à unè propriété particu- lière qu'aurait la membrane pyogénique de le séeréter avec les autres éléments du pus.
40 D, GIBB. — MÉMOIRE
Dans une lettre adressée à l’Académie de médecine par M. Pe- louze sur différents faits de chimie appliqués à la physiologie , il parle de sucre dans l’albumine des œufs d'oiseaux (Gazette médi- cale de Paris, 1848). Le pus contient aussi des matières graisseuses qui pourraient être ainsi pour quelque chose dans la présence du sucre; mais je ne puis décider si ce principe est formé par la dé- composition de l'albumine, ou sécrété par la membrane pyogénique, ou bien dù à la seule présence de la graisse ou de l’albumine.
Je n’ai pas moi-même examiné le pus d’abcès de diabétiques; mais je sais que M. le docteur Friche a trouvé du sucre dans le pus d’abeès développés sur l'épaule et la face dorsale des mains d’un diabétique.
Maladies du système nerveux. — Les recherches déjà faites sur l'assimilation physiologique du sucre, et particulièrement dans ses rapports avec le système nerveux, nous ont montré qu'il y à une relation intime entre le foie et la base du cerveau. Ceci a déjà été justifié dans plusieurs maladies de cette classe, où l'on constate du sucre dans les urines et même quelquefois un véritable diabète. Quand on découvrit que le foie contenait du sucre dont la sécrétion dépendait du pneumogastrique, on fut naturellement conduit à admettre que les fonctions chimiques du foie étaient soumises à une influence nerveuse.
On en trouva la preuve dans le diabète artificiel produit par la ponction de la paroi inférieure du quatrième ventricule ; mais eetle expérience ne peut être concluante , tant que l’on ne sera pas sûr que la sécrétion du sucre dans le foie est augmentée où suspendue après cetle opération. Si elle est suspendue, ce que je crois, ma théorie sur le diabète se trouve confirmée.
En examinant attentivement les travaux de M. CI. Bernard et du docteur Pavy, je ne trouve rien de décisif sur ce point. On doit accorder beaucoup de confiance au docteur Goolden, de Saint- Thomas’s Hospital, pour l'application de ses idées à la pathologie du diabète dans ses rapports avec les affections du cerveau; les observations qu'il a publiées jusqu'ici sont pleines d'intérêt.
Nous donnerons à présent un apereu de ces maladies ner- veuses.
SUR L’ASSIMILATION DU SUCRE. MA
Epilepsie. — Les recherches de M. Alvaro Reynoso sont les premières qui montrent la présence du sucre dans les urines après des attaques d’épilepsie ; ce fait, qu'il a démontré par de nom- breuses expériences , a ensuile été confirmé par d’autres. Mes propres recherches ont fait voir que le sucre était aussi reconnais- sable aussitôt après l'attaque que quelque temps après; je l'ai même trouvé chez un individu dont le traitement avait fait avorter la crise.
Dans les leçons cliniques du docteur Tood sur les paralysies et autres affections du système nerveux (57°), on trouve un cas où à des attaques périodiques de goutte très fréquentes succédait tou- jours une attaque d’épilepsie, qui laissait le malade hémiplégié temporairement du côté gauche ; l'urine de ce malade renfermait une petite quantité de sucre. Un cas très curieux se trouve dans un mémoire du docteur Goolden (Lancet de juillet dernier) : l'urine avait un poids spécifique de 1,022 ; elle était très épaisse, avec excès de l’urate acide d’ammoniaque, et contenait une quantité notable de sucre. Cet état dura plusieurs jours ; il y avait une légère tendance à la chorée.
Dans les cas que j'ai examinés, le poids spécifique variait entre 1,018 et 1,095; la quantité d'urine sécrétée était normale, et je n'ai constaté la présence du sucre que pendant deux ou trois jours au plus.
Dans la chorée, la paralysie, les névralgies, la dentition, l’ébran- lement du cerveau, et probablement plusieurs autres affections nerveuses, On trouve occasionnellement du sucre dans les urines ; il y a même des cas où ces affections ont été suivies de diabète, Quelques-uns des cas décrits par le docteur Goolden paraissent devoir leur origine à des lésions du cerveau; lésions dont le traite- ment faisait disparaitre le diabète. Un cas de diabète disparut avec une paralysie guérie. Il a trouvé souvent du sucre dans les urines d’épileptiques, de paralytiques, de choréiques. Ce sucre n'existait plus après le traitement de ces maladies. M. Goolden certifie que dans beaucoup de cas de névralgies, spécialement dans le tie dou- loureux et la sciatique , il y a souvent, sinon toujours, du sucre dans les urines, et que ce sucre disparait avec un amendement
12 D. GIBB. — MÉMOIRE
de l’état nerveux. Il note de même des névralgies générales et un cas de névralgie faciale soignée par le docteur Dundas Thomson. Il parle aussi de sucre dans l'urine des enfants en travail de dentition.
Je suis à même de confirmer plusieurs observations du docteur Goolden ; car j'ai observé du sucre dans plusieurs cas d’affections ñerveuses. 11 n’est pas rare du tout d’en trouver dans les urines des enfants pendant le travail de la dentition; je lai même constaté dérnièrement dans des cas de coquéluche simple et compliquée , dans l’épilepsie, la bronchite, les affections du cerveau. M. Reynoso l'a observé dans l’hystérie.
Dans les maladies de la base du cerveau, telles que tumeurs, affections chroniques, blessures ou plaies du quatrième ventricule, lésions ou sections du pneumogastrique, il y a toujours du sucre dans les urines. Les expériences de M. CI. Bernard sont {trop con nues pour que j'aie besoin de les décrire, et je veux citer les inté- ressantes recherches de mon ami le docteur Pavy sur la ponction du quatrième ventricule d’un Lapin ; recherches rapportées dans le Guy's Hospital Reports , et qui prouvent l’attention et l'exactitude de ce savant expérimentateur. Des tumeurs comprimant cette partie du cerveau, où d’autres affections situées dans cette région où dans son voisinage, auront pour conséquence nécessaire la présence du sucre dans l'urine. Ces conjectures sont pour moi aussi évidentes que si je les voyais démontrées expérimentalement.
La section complète du pneumogastrique paralyse la fonction saccharine spéciale du foie ; car après cette opération on ne trouve plus de sucre, ni dans le foie, ni dans le sang, qui est porté de cet organe au poumon où au cœur ; on en (rouvé néanmoins dans les urines. Par une section partielle, une compression, une lésion où une piqüre du pneumogastrique , on diminuera probablement la quantité de sucre dans le foie, et on le produira dans les urines. Le galvanisme donnera les mêmes résultats. M. Magendie cite un fait très curieux , savoir, la présence ; constatée à l’autopsie d’un dia- bétique, de deux points altérés dans la paroi inférieure du quatrième ventricule, juste à lendroit où l'on pratique artificiellement la ponction pour produire du sucre.
SUR L'ASSIMILATION DU SUCRE. h3
I paraît done qu'il existe un rapport très intime entre le système nerveux et la fonction saccharine du foie ; ceci se trouve claire- ment démontré par de nombreuses expériences citées plus haut. M. CI. Bernard dit encore qu'en détruisant la communication entre la moelle et le foie, soit par une section des nerfs splanchniques , soit par une section de la moelle qui n’abolirait pas complétement la vie animale, il est impossible d'augmenter les fonctions stccharines du foie en irrilant le poeumogastrique par une ponction ou par un courant galvanique.
Je ne disculerai point ici la dernière partie des idées de M. CT. Berhard ; je me contenterai de faire observer que le système ner- veux est le régulateur de la fonction säccharine du foie, fonction que nous voyons diversemént modifiée par le moindré dérange- ment de ce système : c’est un point qu'il ne faudra pas perdre de vue dans le traitement des affections où il n°y a pas nécessairement diabète, mais où l’on n’en constate pas moins dû sucre dans les urines.
Maladies du système respiratoire. — Quelques observateurs, et spécialement M. Alvaro Reynoso, prétendent que la présence du sucre dans les urines est due à loutes les causes qui mettent un obstacle à la respiration ou aitérent cette fonction. Cette théorie est expliquée par l'arrêt de la combustion du sucre dans un poumon dont l'action est devenue anormale; le sucre passe dans la cireula- tion, el est sécrété par les reins. M. Reynoso cite des expériences à l'appui de ses idées ; il a décelé le sucre dans l'urine des individus éthérisés, des Lapins noyés ou asphyxiés, chez des animaux qu'on ä empêchés de respirer librement, chez des tuberculeux, des gens affectés de pleurésie, d'asthme , de bronchite chronique. Comme autre preuve vient encore un cas cité par le docteur Garrod (Trans- actions of the Pathological Society), de bronchite aiguë avec pré- sence du sucre dans les urines. Le docteur Beale a découvert du sucre dans les crachats jus de pruneaux de la pneumonie, quelque temps avant la mort. Je lai moi-même constaté à la suite d’une simple gêne de la respiration (pertussis) avec où sans autre compli- cation de maladies de poitrine. Le docteur Bence Jones a trouvé du sucre dans l'urine d’une femme (service du docteur Ceasar Han
ll D, GIBB. — MÉMOIRE
kins) qui était restée pendant plus de vingt-quatre heures sous l'in- fluence d’une inhalation de chloroforme. Ce fait a encore été con- firmé par le docteur Beale.
M. Magendie a rappelé que depuis longtemps on avait observé que l'urine et l’expectoralion des phthisiques contenaient souvent du sucre. M. CI. Bernard dit qu'il n’y a pas de sucre dans l'urine des phthisiques , mais que, par contre , il y en a en excès dans le sang.
Quelle est l’origine du sucre dans le cas d'une respiration diffi- cile? C’est là une question importante et qui mérile d’être étudiée. Je suis porté à accepter l’opinion de M. Reynoso, qui voit dans cette gène de la respiration une cause de la présence du sucre ; mais je ne puis dire, avec M. CI. Bernard, que, l’activité sécrétante du foie étant augmentée, il se forme plus de sucre que le poumon n’en peut brûler, et que cet excès de sucre est éliminé par d’autres voies. La respiration difficile peut cependant agir de deux manières : d’abord tout le sucre porté par le foie au poumon n’étant pas consumé, il devient inutile et passe dans la circulation ; c’est là l’opinion de M. Reynoso. Ensuite le pneumogastrique, excisé ou lésé, gène la sécrétion normale de ce principe, el permet sa formation autre part. L'objection, capitale pour ainsi dire, que M. CI. Bernard fait à M. Reynoso, est que si l'on coupe le nerf vague la respiration est considérablement gènée, et que cependant on ne trouve pas de sucre dans l'urine. Ce grand physiologiste oublie sans doute que la section de ce nerf arrête la sécrétion du sucre dans le foie, en même temps qu'elle entraine la gène de la respiration. On ne peut done s'appuyer là-dessus pour réfuter la partie importante de la théorie de M. Reynoso. Nous admettons nonobstant que lirritation du pneumogastrique, en arrêlant ou en lésant la respiration, n'im- porte de quelle manière, a le même effet sur la production du sucre que les expériences artificielles.
La théorie de M. Reynoso esl encore appuyée par cette observa- tion de M. Bouchardat, citée par le docteur Beale , de deux cas de diabète léger où l’urine ne contenait pas de sucre après que l’on eut soumis les malades à des inhalations d'oxygène. Je crois que dans le diabète le poumon est débilité par la diminution de la quan-
SUR L'ASSIMILATION DU SUCRE. h5 tité de sucre habituellement sécrété par le foie. Les inhala- tions d'oxygène , agissant cemme stimulant , servent en quelque sorte à rappeler les fonctions propres au foie, et peuvent, au bout de quelque temps, diminuer le diabète. Comme je l'ai dit plus haut , le sucre gastrique n’est pas comparable au sucre hépa- tique; ce dernier est plus convenable aux fonctions respira- toires.
Choléra. — Un des caractères de cette maladie étant l’arrêt de l’assimilation, surtout de assimilation secondaire, on ne doit pas s'étonner de trouver du sucre dans les produits de la sécrétion. Il n’est pas encore prouvé que l’altération de la sécrétion biliaire mo- difie spécialement les usages du foie. Sans aborder cette question, si discutée et si peu élucidée, on peut dire que si les fonctions du foie sont dérangées dans cette maladie, celles des autres organes le sont aussi. On pourra ainsi expliquer la présence du sucre dans les urines et la sueur.
M. Doyère a le premier constaté la présence du sucre dans la sueur des cholériques ; sa découverte fut appuyée par M. Pois- son , élève interne de la Salpêtrière, qui, chez une vieille femme morte du choléra, trouva une grande quantité de sucre dans la sueur épaissie et visqueuse qu'il prit en grande partie sur la figure.
M. Magendie l’a aussi démontré dans les excrétions alvines des cholériques, et M. Vernois a dit qu'il était plus facile de le constater dans le foie d’un cholérique que dans celui d’un homme sain. Ceci serait-il dû à l’obstruction des veines hépatiques par la gêne de Ja respiration , ou bien à la non-sécrétion de la bile ?
Lait. — Quand on détermine le poids spécifique du lait, on peut décider quelle est la quantité de crème, mais non la quantité de sucre. Ce dernier point est de la dernière importance dans l'étude du lait au point de vue pathologique; il mérite plus d'attention qu'on n'en a attaché jusqu'alors , et je ne sache pas qu'on en ait parlé jusqu'à présent, à quelques exceptions près. Si le lait contient peu de crème, il ne nourrira pas bien l'enfant, et produira simplement de l’amaigrissement ; il peut néanmoins contenir aussi du sucre pour compenser en quelque sorte le manque de crème, puisque,
l6 D. GIEB. — MÉMOIRE
par le fait de l'assimilation, ce sucre peut être converti en graisse. D'un autre côté , si le lait, bien que contenant en abondance de la crème et du sucre, présente d’autres caractères anormaux, l'enfant, malgré la bonne santé de sa mère, présentera de l’amaigrisse- ment, des sueurs copieuses, des urines fréquentes. On devra alors soupconner dans le sein un acte de fermentation saecharine et un développement d'infusoires. Ce fait est un exemple remarquable de perversion d’assimilalion du sucre, produit par une sécrétion anor- male dont il faut aller rechercher la cause dans une surexcitation nerveuse,
Il y à plusieurs autres élats pathologiques du lait dus à des dérangements dans l'assimilation du sucre. Nous en parlerons ailleurs.
M. Lehmann a constaté du sucre dans l'urine d’une femme en couches , dont le lait s'était tout d’un coup arrêté cinq jours après l'accouchement. Ce fait prouve évidemment le rapport qui existe entre l'assimilation du sucre et la sécrétion du lait.
Effets de certains médicaments. — Si les recherches de M, Rey- noso sur les urines ne mérilaient pas tant de confiance par la ma- nière dont elles sont faites , on pourrait presque douter des beaux résultats qu'il a obtenus. I paraît que certains médicaments absor- bés à l’état de vapeur par les poumons , à l'état naturel par l’esto- mac, ont le pouvoir de produire du sucre dans les urines ; mais on ne pourra le constater que par des analyses faites avec beaucoup de soin. Nous avons déjà cité l’éther et le chloroforme comme produi- sant parfois ce résultat. M. Reynoso a trouvé du suere dans l'urine des personnes traitées par le bichlorure, l'iodure, le sulfure de mercure, les sels d’antimoine, le sulfate de quinine, l'opium , les narcotiques en général. Il en a encore trouvé dans l'urine des Chiens traités par l’arsenie, le plomb, le sulfate de fer, ainsi que dans l'urine des personnes faisant usage de carbonate de fer. Avant même de connaitre les recherches de M. Reynoso , j'avais conçu l’idée que des médicaments à trop forte dose pouvaient pro- duire du sucre dans les urines, mais je n’avais pas fait de recher- ches à ce sujet.
Une des substances qui me paraissaient capables de déranger
SUR L'ASSIMILATION DU SUCRE. h7.
l'assimilation du sucre était le tabac pris en excès en fumant ou en chiquant.
J'ai trouvé dans les Comptes rendus de l Académie des sciences de France (janvier 1849) un fait de production de diabète par un trop grand emploi de nitrate de potasse, publié par le docteur Cardan. Un homme avait pris 3 onces de nitre au lieu de sel d'Epsom ; cetle erreur eut pour conséquence une grande inflammation de la muqueuse intestinale et une émission abondante d'urine ; l'inflam- mation diminua lentement , mais le diabète persista. J'ignore si ce malade guérit.
Je n'ai pu me prononcer, quant à présent, sur ce sujet, le champ à explorer étant encore trop vaste pour donner des conclusions sa- tisfaisantes. Toutefois, il semble que cette fonction saccharifère du foie est plus facilement affectée par les agents médicinaux qu'on ne l'avait cru jusqu'ici.
En finissant ces lignes, je m'abstiens nécessairement de tirer des conclusions générales des manifestations pathologiques de l'assimilation du sucre dont je viens de faire le tableau trop abrégé peut-être ; mais ce tableau représente fidélement les découvertes et les recherches faites jusqu’à présent sur ce sujet.
Cette question est maintenant l'objet de beaucoup d'études, et l'on peut espérer, avec raison, que de nouveaux travaux viendront jeter du jour sur des points encore obscurs.
MÉMOIRE SUR LES
VERS RUBANNÉS ET VÉSICULAIRES DE L'HOMME ET DES ANIMAUX (TÆNIAS ,»kCYSTICERQUES, rerc.), ET SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES EN GÉNÉRAL,
Par M. C.-T. DE SIEBOLD, Professeur à l'Université de Munich (1).
CHAPITRE I.
CONSIDÉRATIONS PRÉLIMINAIRES SUR LA PRODUCTION DES VERS INTESTINAUX.
Occupé depuis plusieurs années de recherches relatives à l’his- toire, encore si obscure, des Vers intestinaux, j'ai été conduit peu à peu à la conviction que ces animaux parasites ne naissent pas de substances hétérogènes par voie de génération primitive ou géné- ration équivoque, ainsi qu'on le supposait anciennement. On con- nait tout l'abus qui à été fait de cette hypothèse appliquée aux Vers intestinaux, aussi bien qu'aux animaleules infusoires. Comme , au premier abord , on ne pouvait ni saisir ni comprendre le mode de production et de multiplication de ces animaux, et comme aussi, en les examinant de plus près, on voyait dans leur organisation et dans leurs facultés physiologiques des particularités qu'on n’était pas habitué à rencontrer chez les animaux supérieurs , on s'était imaginé qu'ils étaient d’une nature essentiellement différente ; et au lieu de poursuivre l'étude de ces faits obscurs par la voie de l’ob- servation , on s'était contenté d’une explication en désaccord avec les lois générales les plus importantes de la nature. Ainsi les méde-
(1) Ueber die Band- und Blasemwürmer, nebst einer Einleitung über die Ent- stehung der Eingeweidewürmer, von C. Th. Siebold, in-8; Leipzig, 4854. Dans ce travail l'auteur résume l'ensemble des faits déja acquis à la science au sujet des migrations et des phénomènes de la malagénèse des Helminthes; et c’est pour cette raison que j'ai cru devoir le mettre presqu'en entier sous les yeux du
lecteur des Annales. R.
SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. h9
cins et leshelminthologistes se sont crus autorisés à penser que les Vers intestinaux sont produits, dans l'intérieur du canal intestinal de l’homme et des animaux , par des matières alimentaires dont la digestion ne s'était pas faite convenablement, et dans les autres organes de l'économie par des humeurs viciées ; ils ont affirmé que certaines affections pathologiques déterminent dans les viscères la formation des Helminthes , en amenant la séparation mécanique des principes constitutifs des tissus affectés, et que les parties ainsi éliminées, au lieu de périr et d’être expulsées au dehors, se réunissent pour former un organisme indépendant , un être para- site. Ils ont orné cette hypothèse de paroles séduisantes qui l'ont fait adopter avec enthousiasme, et elle à pris racine si profondé- ment dans l'esprit de beaucoup de personnes qu'aujourd'hui il est très difficile de substituer à cette idée fantastique les résultats qui nous sont fournis par l'expérience, el qui sont en accord avec les lois générales de la nature. Sans doute il serait parfois agréable et très commode de donner le champ à sa pensée, et de remplir par des hypothèses les lacunes nombreuses que la science offre encore, en tout ce qui touche à la production et à la multiplication des animaux inférieurs ; mais une pareille marche ne saurait être admise aujour- d’hui , et c’est seulement par l'étude des faits , par des recherches attentives et par des expériences bien instituées, qu'on peut espérer porter des lumières nouvelles dans l'histoire physiologique de tous ces êtres.
En marchant dans cette dernière voie, on a découvert bientôt que chez un grand nombre d'Helminthes il existe des organes gé- nitaux très développés, fait que l’on ne soupçonnait pas jusqu'alors, et que chez les Ascarides, les Filaires, les Tænias (L) et les Douves ,
(1) On sait qu'un Tænia est souvent composé de plusieurs centaines d’ar- ticles , et que chacun de ceux-ci peut fournir des centaines d'œufs. Par consé- quent un seul individu est susceplible d'avoir une progéniture immense. Le pro- fesseur Eschricht, de Copenhague , possède un Tænia qui a été rendu par un malade, et quise compose de plus de mille articles, dont chacun renferme plus de mille œufs (voyez son ouvrage intitulé : Das physische Leben in popularen Vortræ- gen, p. 115; Berlin, 4852). Le même auteur, après avoir examiné avec soin les organes génitaux de l'ascaride de l'homme (Ascaris lombricoïdes) évalue à plu- sieurs millions le nombre des œufs qui peuvent s'y trouver.
4° série, Zoor. T. IV. (Cahier n° 1.) # 4
50 SIEBOLD.
par exemple, les œufs et les jeunes peuvent s’y produire en nom- bres si prodigieux , qu'il doit sembler oiseux de se torturer l'esprit à chercher ailleurs une explication de la reproduction de ces ani- maux. Ce n’était done que le mode d'introduction de ces animaux innombrables , dans l’intérieur du corps des êtres où ils devaient se nourrir, qui pouvait rester longtemps incertain ; el pour jeter de nouvelles lumières sur ce phénomène inexpliqué, il fallait que l'attention se trouvât dirigée sur la première période de la vie des Helminthes.
On a acquis alors la conviction qu'à une certaine période de la vie les Vers intestinaux font des migrations, souvent même des migrations très éloignées, pour arriver jusque dans l’intérieur de l'animal dont les organes sont destinés par la nature à leur servir de résidence. Ainsi nous savons aujourd’hui que la progéniture des Tænias qui vivent en parasites dans le canal digestif des ani- maux supérieurs seulement, quitte cette cavité, soit à l’état d'œuf, soit après l’éclosion, et attend au dehors de organisme qui sert de demeure à l'individu souche, qu'une occasion se présente pour pénétrer dans le canal intestinal d’un autre hôte. La sortie de la progéniture des Tænias est, en effet, facile à constater par l’exa- men des excréments évacués par les animaux dans le corps des- quels ces parasites résident; car, à certaines époques de l’année , lorsque les organes génitaux des Tænias sont parvenus au plus haut degré de développement, les animaux ainsi infectés expulsent au dehors , tantôt des articles isolés de ces Vers, tantôt des cha- pelets de ces mêmes articles gorgés d'œufs, d'autres fois un nombre immense d'œufs déjà libres et mêlés aux excréments. Il en est de même pour les œufs des Douves, qui habitent dans le foie de nos animaux ruminants; ces œufs, après avoir élé déposés dans les conduits hépatiques de l'animal où vivent leurs parents, passent dans le canal intestinal, etsont ensuite évacués avee les exeréments.
Cette sortie de la progéniture des Helminthes est aussi utile à ces Vers qu'aux animaux qui les hébergent. Il y a beaucoup de ces parasites dont les œufs né se développent jamais dans le lieu même dans lequel ils ont été produits, ou qui n’y parviennent qu’à l’état d’embrvon, et qui, pour arriver à l'état complet et être pourvus
SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES, 51
d'organes reproducteurs , où pour donner naissance à la progéni- ture déjà formée dans leur intérieur, attendent jusqu'à ce qu'ils aient été évacués au dehors (1). Cette progéniture, pour acquérir à son tour des organes générateurs , et pour être apte à se repro- duire, doit donc attendre qu'elle ait trouvé un autre hôte, et qu’elle ait enfin réussi à y établir sa demeure. Les animaux infestés par les Helminthes sont de la sorte débarrassés de ces parasites, qui auraient pu leur être extrêmement nuisibles si les millions d'œufs qu'un seul Ascaride ou un seul Tænia peut produire s'étaient déve- loppés dans l'intestin où ils ont pris naissance. On comprend que si une pareille portée se füt développée, et qu'elle eùt donné naissance à une seconde génération, l'intestin aurait pu en être distendu ou même complétement obstrué, et devenir inapte à remplir les fone- tions nécessaires à l’entretien de la vie de l'hôte et des para- sites. Du reste, quoi qu'il en soit à cet égard , les migrations des descendants des Helminthes, leur sortie du corps d'un animal, aussi bien que leur entrée dans celui d’un autre, est une chose très im- portante , mais qui n'a altiré l'attention des naturalistes que depuis un petit nombre d'années. Une foule de faits qui se recueillent maintenant montrent de mieux en mieux que la présence des Hel- ininthes dans les divers viscères des animaux s'explique ainsi de la manière la plus facile et Ja plus naturelle; tandis que la théorie des générations équivoques, adoptée lorsqu'on n'avait encore qu'uné connaissance extrêmement imparfaite des mœurs de ces Vers, ne pouvait tendre qu'à nous égarer au sujet de leur origine , qui souvent, encore aujourd'hui, est entourée de tant d’obscurités, malgré les renseignements positifs que la science possède.
Une circonstance importante et très favorable à la conservation
(4) Un Tænia qui à trouvé son chemin jusque dans le canal intestinal d'un animal propre à lui servir d'habitation, peut y acquérir son développement com- plet, mais il ne s'y multiplie pas. C'est par cette raison que le Tænia de l’homme (T. solium) se trouve seul dans notre intestin , el a reçu les noms vulgaires qu'il porte en Allemagne et en France : Einseidler Bandwurm et Ver solitaire. Mais ces appellations ne sont pas bonnes, parce que c'est seulement par suite de cir- constances fortuites que les migrations de ces Vers amènent un seul indiviau ou tout une société de Tænias dans l'intestin de l'homme,
52 SIEROLD.
des Helminthes pendant leurs migrations, est l'existence de la coque solide dont leurs œufs sont souvent pourvus. Par suite de la densité et de la rigidité de cette coquille, les œufs de beaucoup de Vers intestinaux peuvent se conserver en bon état avec leur germe et leur vitellus, ou même avec l'embryon déjà développé dans leur intérieur, malgré les vicissitudes auxquelles ils sont exposés après qu'ils ont été expulsés du lieu habité par leurs parents. En effet, ces œufs arrivent souvent dans des trous à fumier, dans les fosses à immondices, ete., où ils sont exposés tantôt à trop d'humidité, d’autres fois àla dessiceation, ainsi qu'à de grandes variations de tem- pérature. Is sont ensuite transportés avec les engrais dansles champs ou les prairies, où les influences extérieures peuvent favoriser leur développement ultérieur , et où les circonstances ne manquent pas pour permettre le retour de lanouvelle génération de parasites dans le canal intestinal des animaux supérieurs, puisqu'à côté des œufs ainsi placés se trouvent souvent déposées aussi les semences desti- nées à la production de plantes dont l’homme et les animaux do- mestiques font usage comme aliments, et que les œufs peuvent être charriés par ces plantes jusque dans les viscères appropriés à leur développement. Parfois aussi la pluie peut entrainer les œufs d’'Hel- minthes contenus dans le fumier ou dans la terre enfumée , et les transporter dans les flaques d’eau où ils se trouvent mêlés à la boisson dont l’homme ou les bestiaux font usage. Un grand nombre de ces germes, encore renfermés dans leur coquille, peuvent rester inactifs pendant tous ces transports; la migration est passive, et c’est le hasard seul qui fait que le jeune Ver parvient ou ne parvient pas à son domicile nécessaire ; mais d’autres fois ces jeunes ayant déjà quitté l'œuf peuvent intervenir d’une manière active dans lob- tention de ce résultat, en allant se placer eux-mêmes sur les plantes que l'humidité rend gluantes , et que les animaux où ils doivent pénétrer recherchent comme aliments.
Un précepte purement empirique, mais d’une grande antiquité, et que les bergers soigneux de leurs troupeaux observent stricte- ment, veut que les Moutons ne sortent qu'après la disparition des dernières gouttes de rosée, et qu'il neleur soit pas permis de paître dans les endroits humides et marécageux. Or, par cette pratique, le
SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. 53 berger, saus se rendre compte de ce qu'il fait, préserve ses Mou- tons des immigrations de jeunes Filaires du poumon et des Douves du foie. Les années humides sont très prejudiciables aux bêtes ovines, en multipliant les occasions favorables à l'introduction des progé- nitures d'Helminthes dans leur corps; elles amènent les maladies vermineuses des poumons et du foie, tandis que dans les années chaudes et sèches ces affections sont plus rares, parce qu'alors une grande quantité de ces œufs où germes est détruite par la dessic- cation.
On pourrait peut-être croire qu'après avoir blämé les hypothèses imaginées pour expliquer la production et Ja multiplication des Helminthes, je tombe à mon tour dans le même travers, et m’ob- jecter que les idées dont je viens de rendre compte sont des vues de l'esprit seulement, et ne sont point fondées sur des faits d’obser- vation. Mais je veux me justifier de ce reproche. Il est vrai que je ne puis arguer d'aucune observation directe pour prouver que la Filaire du poumon :Strongylus filaria) et la Douve du foie des Moutons (Distomum hepatieum) se transmettent de la manière que je viens de décrire ; mais mon opinion repose sur des faits con- stants que n'a fournis l'étude d’autres Helminthes. Or, en histoire naturelle, lFanalogie est souvent un excellent guide, quand on l'emploie avec circonspection. Je vais done rapporter iei des faits que j'ai conslatés, et qui montrent que chez beaucoup d’'Hel- minthes l'acte de migration (soit la sortie hors du corps d’un ani- mal, soit l'entrée dans le corps d’un autre) constitue une période particulière dans la vie de ces Vers.
On savait depuis longtemps, niais sans pouvoir se l'expliquer , que des parasites, connus sous le nom de F'ilaria insectorum, se ren- contrent dans le corps d’un grand nombre d’Insectes tant à l'état de larves qu’à l’état adulte; dans la cavité abdominale des Chenilles, des Coléoptères, des Sauterelles par exemple, et l'on a supposé que ces parasites y étaient nés par voie de génération équivoque , sous l'influence d’une saison humide et d’une alimentation malsaine. Jusqu'ici les helminthologistes ont dù se contenter de cette hypo- thèse, n'ayant rien de meilleur à y substituer, el ceux qui avaient disséqué ces Filaires des Insectes ne pouvaient pas nier que cette
54 SIEROLD.
hypothèse ne füt très plausible ; car on ne trouve dans ces Vers aucune trace d'organes génitaux, à l’aide desquels leur reproduc- tion pourrait s'effectuer. Ayant porté mon attention sur ces para- sites, j'ai reconnu d’abord que ee ne sont pas de véritables Filaires, mais des animaux appartenant à des divisions particulières de Vers filiformes, et notamment aux genres Gordius et Mermis. J'ai appris plus tard que ces animaux, en pleine croissance, sortent de la de- meure qu'ils avaient habitée jusqu'alors, et, pour cela, percent de dedans en dehors les parois du corps de leur hôte dans un endroit quelconque où les téguments sont mous, puis se glissent par Pou- verture ainsi pratiquée, et abandonnent complétement l'animal aux dépens desquels ils vivaient. La plupart des personnes qui élèvent des Chenilles pour se procurer des Papillons en bon état de conser- vation , ont vu des Vers blanchâtres sortir ainsi du corps de ces animaux. Or ce n’est pas l’incommodité de leur habitation, ni l’état maladif de la Chenille par exemple, qui excite ces parasites à émi- grer de la sorte, mais un instinct analogue à celui qui détermine l’OEstre du Cheval à abandonner l'estomac de ce Quadrupède où il se tenait jusqu'alors eramponné, et qui fait que l'OEstre du Bœuf perfore la tumeur sous-cutanée où il est logé, pour se rendre au dehors. Ces larves émigrent pour subir leur transformation en nymphe, el arriver à un état de développement sexuel plus eom- plet. Du reste, cet instinct d'émigration est donné à un grand nombre d’autres Insectes parasites, et c’est un fait bien connu dans l’histoire de ces animaux.
Jai done montré que les Filaires des Insectes, parvenus à leur entière croissance, mais encore dépourvus d'organes générateurs, poussés par l'instinct dont il vient d'être question, entrent dans une nouvelle période de leur existence. Dans les paniers et les autres lieux où l’on élève les Chenilles, les Filaires se dessèchent et meurent peu après leur sortie du corps de ces animaux. Mais les choses se passent tout autrement pour les Filaires qui quittent le corps de leur hôte dans les conditions naturelles ; ils tombent alors à terre, et, en rampant, ils se rendent dans les anfractuosités où le sol reste humide. On m'a souvent apporté de ces Vers filiformes qu'on avait trouvés dans la terre humide des partiesereuses d'un jardin, ou dans
SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES, 59 des trous situés dans des prairies. Extérieurement , ils ne diffé- raient en rien des Filaires des insectes , et celte circonstance m'a fait penser que peut-être ces parasites avaient besoin de se rendre dans de la terre humide pour achever leur développement.
Je fis alors des expériences (1) sur des Filaires que je me pro- curais en abondance sur des Chenilles du fusain (Yponomeuta evonymella) ; je mis les Vers, déjà sortis du corps de ces Insectes, dans de la terre humide renfermée dans des pois à fleurs. Bientôt, à ma grande satisfaction , je les vis s’y enfoncer par leur extrémité céphalique , et s’enterrer complétement (2). Pendant tout l'hiver, je conservai la terre dans un état convenable d'humidité , et en examinant de temps en temps mes Vers, je vis, à ma grande satis- faction, que leurs organes génitaux se développaient peu à peu, que les œufs contenus dans ces organes arrivaient à maturité, et qu'enfin ils étaient pondus et déposés par centaines dans la terre. Vers la fin de l'hiver, je réussis à observer le développement de l'embryon dans ces œufs; ce développement était achevé dans les prenners jours du printemps, et plusieurs jeunes Vers avaient alors quitté les enveloppes de l'œuf pour pénétrer dans la terre d’alentour, que je conservais toujours dans les pots et dans un état convenable d'humidité. Présumsant que ces Helminthes étaient destinés à devenir parasites, el devaient avoir l’instinet de chercher à s’introduire dans le corps des animaux propres à les héberger, et pensant aussi que des Chenilles, de la même espèce que celles où leurs parents avaient vécu, leur convien- draient mieux que loutes autres, je leur présentait un certain nombre de très petites Chenilles de l'Yponomeuta evonymella, longues d'une demi-ligne, qui venaient d'éclore. Afin de bien obser- ver ve qui se passerait, je placai dans un verre de montre un peu de terre humide prise dans le pot à fleur , près du point où je savais qu'une foule d'individus de mes Mermis albicans avaient passé l'hiver; puis je placai sur cette pincée de terre quelques-unes de
mes petites Chenilles, que j'avais eu la précaution d'examiner
(1) Ces expériences, et les résultats qu'elles m'ont fournis, ont été publiés, en 4848, dans le Entomologische Zeitung, p. 290. (2) J'ai désigné ces Vers sous le nom de Mermis albicans.
56 SIEBOLD.
préalablement au microscope une à une , pour m'assurer qu’elles n'étaient pas déjà attaquées par des Filaires, exploration qui est facile à faire, à cause de la transparence de ces animaux, et sans incon- vénient pour eux, malgré leur délicatesse. Cette précaution était nécessaire , Car j'ai trouvé que, sur vingt-cinq individus sur les- quels portaient mes observations, trois logeaient déjà un embryon filiforme semblable en tout à ceux des Filaires que j'avais élevées dans la terre de mes pots à fleur. Enfin j'ai obtenu de cette expé- rience les résultats suivants, que j'ai déjà fait connaître dans mon Mémoire sur les Filaires des Insectes (1), et que je reproduis ici : Treize de ces Chenilles que j'avais préalablement examinées au microscope, et que j'avais reconnues exemptes de parasites, furent placées, dans le verre de montre , sur la terre qui contenait un grand nombre d’embryons de Mermis bien vivants. Dix-huit heures après, j'ai pu constater la présence des embryons de Mermis dans le corps de cinq Chenilles.
Dans une seconde expérience, trente-trois Chenilles de l’Ypono- meuta cognatellu, que j'avais reconnu, par l'examen microscopique, ne pas contenir de ces Vers, furent placées dans les mêmes con- ditions. Vingt-quatre heures après, quatorze individus avaient des embryons de Mermis dans leur corps ; six de ces Chenilles renfer- maient chacune deux de ces parasites, et deux Chenilles en avaient jusqu'à trois.
Je fis d’autres expériences semblables sur plusieurs Chenilles du Pontia Cratægi, du Liparis chrysorrhœa et du Gastropacha neus- Lria, puis dans des nids où ces animaux avaient passé l'hiver. Je les plaçais, dans un verre de montre, sur de la terre humide conte- nant des larves de Mermis. Le lendemain, vingt-quatre individus étaient déjà infestés de ces Vers ; cinq de ces Chenilles en conte- naent deux, et une en contenait trois.
IL est done évident que ces jeunes Filaires avaient pénétré du dehors dans l’intérieur du corps de ces Chenilles, à travers la peau encore délicate de ces jeunes animaux.
(1) Entomologische Zeitung , 1850, p. 239,
SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. 57
D'après les expériences dont je viens d'exposer les résultats, on voit que, pour expliquer la diathèse vermineuse des Insectes, au moins en ce qui concerne les Filaires, on n’a pas besoin de recou- rir à l'hypothèse de la génération équivoque , car ici le mode d'ori- gine des parasites est évident. Ceux qui ne veulent pas abandonner cette théorie, si commode pour nous dispenser de faire des re- cherches, diront peut-être que l'histoire du développement du Mermis albicans est un fait isolé, et constitue une exception à la règle ; mais je répondrais par ces mots de Gæœthe : « La nature suit sa marche, et ce qui nous semble une exception est conforme à la règle. »
Les nouvelles recherches qu’on a faites sur l’histoire naturelle des Helminthes prouvent que la pensée de Gæthe est vraie. Depuis l'époque où l'attention des zoologistes a été dirigée sur les migra- tions des Vers intestinaux, les faits du même ordre se sont beaucoup multipliés, et l’on a pu se convaincre que ces migrations sont beau- coup plus fréquentes qu’on ne pouvait le présumer de prime abord. Ainsi les mœurs du Mermis albicans ressemblent à celles du Gor- dius aquaticus qui se développe dans le corps de divers Insectes, eten particulier dans celui des Sauterelles, des Carabes, des Hydro- philes ou de leurs larves, fait qu’on ne soupconnait pas encore. Ils S'y trouvent sous la forme de vers filiformes tantôt très petits, d’autres fois longs de plusieurs pouces ; mais ils en sortent pour arri- ver à la période du développement des organes reproducteurs, et dans ces migrations il leur arrive souvent d’être submergés dans quelques flaques d'eau. Les observateurs ont du être depuis long- temps frappés de ce fait que ce Ver, comparable pour sa forme et sa couleur à un erin de queue de Cheval , ne se trouve jamais que dans l’eau, lorsqu'il est arrivé à son état parfait. Depuis on a reconnu que le Gordius aquaticus , de même que le Mermis albi- cans, vil à l’état embryonnaire dans les jeunes Insectes, se développe avec ceux-ci, et les quitte quand sa croissance est achevée, et cela permet d'expliquer le premier de ces deux faits.
Ainsi, à raison des faits que je viens d'exposer, on ne rencontre jamais certains Helminthes hors du corps de leurs hôtes naturels, à moins que leur croissance ne soit achevée; et certaines espèces
58 SIEBOLD.
aussi ne se voient dans l’intérieur du corps des animaux, dont elles doivent être les parasites, que lorsqu'elles sont déjà parvenues à une taille déterminée. En effet, nous savons maintenant que plusieurs Helminihes ne pénètrent dans le corps de l'espèce destinée à deve- nir leur hôte qu'après qu'ils ont acquis un volume et un degré de développement déterminés. Cela à lieu particulièrement pour les Vers qui restent parasites pendant la dernière partie de leur vie, c'est-à-dire après la maturité de leurs organes reproducteurs. Les Gordiacés (Gordius et Mermis) ne sont pas de cette catégorie; lorsqu'ils ont terminé leur croissance, ils abandonnent la vie de parasite, et c’est au dehors qu'ils acquièrent leurs organes génitaux. Les Helminthes de la première catégorie subissent souvent pendant leur migration des changements dans la forme de leur corps, une sorte de métamorphose qui se trouve liée parfois à des phénomènes physiologiques des plus extraordinaires et des plus anormaux , au point que les naturalistes n'ont pu d’abord ni en comprendre la nature, ni coordonner ces stades de la vie avec ce que l’on con- naissait ailleurs (1). Pendant longtemps , on se contentait de con- sidérer ces faits comme des anomalies; mais ici le proverbe s’est vérifié : « Ce qui commence comme une exception finit par deve- nir règle. » Peu à peu les faits remarquables relatifs aux métamor- phoses des Helminthes se sont multipliés et ne formaient qu'un véritable chaos, jusqu’à ce que la perspicacité du zoologiste da- nos, Sleenstrup, y eût découvert un certain ordre et une loi natu- relle qui, inconnue jusqu'alors, coordonne entre eux (ous ces phénomènes. Steenstrup a désigné cette loi sous le nom de géné- ration alternante, et il entend par cette expression la production de
(1) Je puis citer comme exemple les Vers jaunes que Bojanus a trouvés chez la Limnée des étangs, et qui ont excité tant d'intérêt (voyez l'Isis, 1818, p. 729, pl. 9, fig. A-F). Oken disait, en parlant de ces faits : « Les faits sont tels qu'on à lieu d'en être étonné. » Les descriptions que Baër a données du Bucephalus polymorphus , ses molifs ne sont pas moins remarquables (voyez les Verhandlungen der kaïiserl. Akademie der Naturforscher, Bd 13, 1826, p. 570, tab. 30). Il en est de même du Leucochlorideum paradoxum de la Limace , dé- couvert d'abord par Alvreus et décrit de nouveau par Carus (voyez Magazin der naturforschenden Freunde zx Berlin, 1810, p. 292, Lab. 9, fig. 42-49, et Verhandl, der kaïserl. Akad, der Naturf., Bd. 17, 1835, p. 87, lab. 7).
SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES, 59 jeunes, qui restent dissemblables à leur mère, mais qui produi- sent à leur tour une nouvelle génération, laquelle par elle-même, ou par sa descendance , représente de nouveau la forme primor- diale, c’est-à-dire la forme de la mère commune (4).
Ceux qui ne connaissent pas bien l'idée fondamentale de la gé- nération alternante pourraient croire que cette génération n'est qu'une simple modification de la métamorphose , phénomène qui se voit chez les Tétards des Grenouilles et des Crapauds, ainsi que chez les Insectes quand la larve passe à l'état de nympbe. Mais il n’en est nullement ainsi : les Batraciens et les Insectes dont il vient d’être question produisent bien une progéniture dissemblable à la nère ; mais il existe deux différences qui éloignent énormément les animaux à métamorphoses simples de ceux à génération alter- nante.
Steenstrup a bien indiqué ces deux différences dans sa définition de la génération alternante; mais pour les personnes qui ne se sont pas encore familiarisées avec les faits de cette nature, il sera utile, je pense, d'y insister ici.
La première différence entre la génération allernante et la méta- morphose consiste en ce que la progéniture d’un animal, soumis à la génération alternante, est non-seulement dissemblable à la mère, mais reste toujours ainsi. Le second caractère distinctif consiste, dans cette circonstance importante, que cette progéniture, dissem- blable à sa mère, produit une nouvelle génération, qui, an con- traire, est elle-même semblable à l'animal souche, où qui a pour descendance une progéniture, dont la forme revient à celle de cette mère commune. Dans la métamorphose simple, la progéniture , d’abord dissemblable à la mère, revient peu à peu à la forme de celle-ci, et elle n'est apte à se reproduire que lorsque cette méta- morphose est achevée. Steenstrup désigne par le nom de nourrice la progéniture qui, dans la génération alternante , reste dissem- blable à la mère, mais est apte à se reproduire ; ainsi, dans le langage de ce naturaliste, dans ce mode de reproduction, une
(1) Voyez son mémoire important intitulé : Generationswechsel, Copenhague, 1842.
60 SIEBOLD. mère produit des nourrices, et les descendants des nourrices re- prennent la forme de la mère.
Il ya une circonstance d’une grande importance qui caractérise les nourrices, lorsque celles-ci sont dans la plénitude de leur fone- tion : c’est qu’elles produisent des jeunes sans avoir elles-mêmes des organes de la génération. En effet, les nourrices se reproduisent par division, par la formation de bourgeons internes ou externes, par des germes qui, en se développant, deviennent des animaux nouveaux sans mériter le nom d'œuf, el sans que la partie où ces germes se forment puisse être considérée comme un ovaire; car ces germes , que je désignerai dorénavant sous le nom de corps germinatifs, sont dépourvus des principes constitutifs d’un œuf , non-seulement quant à la forme, mais aussi à la composition : la membrane de l’œuf, le vitellus, la vésicule germinative, la tache germinalive, y manquent; el, en outre, ces corps pour se déve- lopper n’ont pas besoin du concours de circonstances qui sont né- cessaires aux véritables œufs produits par un ovaire , et destinés à se développer sous la forme d’un embryon : savoir, la fécondation déterminée par une malière séminale sécrélée par un testicule. L'organe dans lequel certaines nourrices produisentle corps ger- minaltif ne peut être appelé un ovaire, etje le désignerai sous le nom d'organe germinateur. Par conséquent, en ces êtres qu'on peut appeler des nourrices , il n'y a pas de génération proprement dite, et la multiplication des individus se faisant soit par des germes naissant dans un organe spécial , soit par bouture, par division, rentre dans la catégorie de la reproduetion non sexuelle.
La génération alternante est un phénomène fréquent chez les Trématodes, parmiles Helminthes. On ne soupçonnait pas d’abord les relations qui existent entre les diverses formes organiques de ces animaux, car les générations qui proviennent d’une Douve, et se succèdent les unes aux autres, ne présentent rien qui rappelle animal mère. La connaissance de l'ensemble de ces rapports était rendue plus diflicileencore, par ce fait que les générations sueces- sives de ces Vers changent de demeure aussi bien que de forme. Ces difficultés sont même si grandes que je ne suis pas en mesure de faire l'histoire d’un seul Trématode, dans la série entière des
SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. 61 stades de la vie, dans les générations alternantes. Jusqu'ici on n’a pu saisir que des fragments plus ou moins considérables du cycle vital de l'espèce chez divers Trématodes ; mais comme ces frag- ments ne se rapportent pas à un même stade , et nous offrent les faits importants de génération alternante, ils peuvent nous être très utiles si l’on en fait un choix judicieux, et si on les groupe d’une manière conforme aux lois générales de la nature; car ils nous permettront de nous former une idée de la marche compliquée de la généralion alternante chez les Trématodes.
Quel que soit l'aspect sous lequel on envisage la génération alter- nante de ces Helminthes, le point de départ le plus important est l'état dans lequel ces animaux portent le nom de Cercaires. Ces Cercaires, qui sont pourvues d’une queue, el qui nagent dans Peau avec vivacité, étaient connues longtemps avant qu'on eût deviné leur origine et leur véritable nature; on les considérait d’abord, à cause de leur petitesse, comme étant des Infusoires. Plus tard, on reconhut que ce sont des parasites, et l’on vit avec surprise que ces Cercaires n'étaient pas produites par des parents qui leur ressem- blassent, mais par des êtres qui ressemblent à des saes vermiformes et animés, qui se rencontrent sur le corps de divers Mollusques d’eau douce, tels que les Limnées, cramponnées entre les organes génitaux et l'appareil digestif. Ce sacs cercarigères , tout en étant très simples, ont des formes extrêmement variées, suivant les espèces de Cercaires qui, peu à peu, se développent dans leur inté- rieur (pl. 2, fig. 1 à3). Quelques espèces ont une ouverture buccale et un intestin terminé en ecul-de-sac ; d’autres sont complétement dépourvues de tout appareil digestif, les unes ont les parois du corps contracliles , les autres rigides et immobiles. Dans un groupe de ces sacs cercarigères, on distingue à l'intérieur des sacs secondaires simples ; chez d’autres, ces sacs secondaires sont ramifiés et dispo- sés de diverses manières; enfin chez tous, les parois du corps, très minces, circonscrivent une cavité qui ne renferme, outre le canal digestif, lorsque celui-ci existe, que des jeunes Cercaires, et ceux- ci ne proviennent pas d'œufs, mais bien de corps germinatifs qui s’en distinguent par des caractères essentiels. Ce sont des disques arrondis et un peu aplatis, qui, par suite de la croissance et de leur
62 j SIEBOLD.
développement ultérieur , constituent chacun un petit Ver pourvu d’une queue, et ressemblant par sa forme etson organisation à cer- tains ‘Trématodes, tels que les Distomes, les Monostomes, les Diplodiseus et les Gastrostomum (voy. lig. 4 à 10).
Quant à l’origine des sacs cercarigères, on ne saurait l’attribuer aux Cercaires , car ces animaux n'offrent jamais d'organes repro- ducteurs. Pour s’en rendre compte, on a encore une fois eu recours à la doctrine de la génération équivoque, et l’on s’est imaginé que des sacs glandulaires de l'appareil digestif ou de l'appareil repro= ducteur des Mollusques sur lesquels ces êtres vivent, s'étaient modifiés pour leur donner naissance; mais cette hypothèse ne reposait sur aucune observation directe el positive,
Une découverte que je fis dans ces dernières années vint jeter une vive lumière sur l’histoire encore si obscure desCercairesetsurleurs sacs générateurs. Effectivement, en 1825, pendant que j’exerçais les fonctions de médecin de district à Heidelberg , dans la Prusse orientale, j'eus l’occasion d'observer un grand nombre d'individus de l'espèce de Trématode qui est connue des helminthologistes sous le nom de Monostomum mutabile, et qui est très commune dans les sinus maxillaires de l'Oie. Je me suis assuré que cet Hel= minthe, de l’ordre des Trématodes, donne naissance à des jeunes qui sont vivants, qui ont la forme d’infusoires, et qui nagent dans l'eau à l’aide des cils vibratiles dont leur corps est couvert.
Après un certain lemps je vis ces embryons mourir, et leur corps se liquéfier peu à peu, mais en laissant toujours un objet nettement défini et doué de mouvements. Les êtres ainsi produits avaient un corps et deux appendices latéraux , courts (fig. 42); et du reste, ils étaient visibles par transparence dans l’intérieur de l'organisme de l'embryon pendant la vie de celui-ci (fig. 14). Or, en examinant avec attention le corps vivant qui provenait ainsi de la progénilure des Monostomes, je reconnus, à ma grande surprises qu'ils ressemblaient en tout, formes , structure et mouvements , à de jeunes sacs cercarigères. J'ai dû, par conséquent, en conclure que les sacs cercarigères tirent leur origine des Trématodes. Cette observation faisait comprendre aussi comment les sacs cercarigères, inertes et incapables de se nicher dans le corps de leur hôte quand
SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. 63 ils sont abandonnés à leurs propres ressources, peuvent cependant arriver jusque dans l’intérieur des Mollusques. Nous savons que le Monostomum mutabile vit en parasite chez des oiseaux aquatiques dans des sinus qui communiquent au dehors parles orifices naturels. Quand un embryon de ce Monostome nait, il peut donc trouver facilement une voie pour sortir de l'intérieur du corps de l'animal que son parent habite, et il est aussi à noter que les mœurs de son hôte le mettent en contact avec l’eau où il peutnager librement à l’aide de ses cils vibratiles, tout en portant dans son intérieur son sac cercarigère. Cet embryon de Monostome, à forme d’infusoire, cher- chera instinctivement les animaux qui sont propres à servir de ré- Sidence à ce sac; puis ayant pénétré dans le corps de l’un de ceux-ci par les ouvertures naturelles, et ayant rempli son rôle comme enve- loppe vivante et active du sac cercarigère, il cessera d'exister , et le sac devenu libre pénétrera de plus en plus profondément dans le corps de son hôte, et y trouvera le lieu le plus convenable au déve- loppement de sa progéniture future.
Je n'ai pu suivre de mes yeux ces migrations de l’embryon du Monostome chargé de son sac cercarigère , et c’est par la pensée seulement que j'ai complété la série des circonstances dont il vient d’être question; il est done possible que les choses ne se passent pas complétement de la sorte ; mais on ne peut douter du fait prin- cipal, c’est-à-dire de la migration de l'embryon du Monostome, car les mœurs de cet embryon à forme d'infusoire l’indiquent , ainsi que la présence du jeune sac cercarigère dans son intérieur.
On comprend facilement toute limportance des faits que j'ai constatés relativement à la courte période du développement du Monostomum mutabile, car ils m'ont donné la clef du problème que nous offrait la formation des sacs cercarigères. Il me reste maintenant à examiner ce que deviennent les Cercaires qui naissent de ces sacs, et les rapports que ces animaux peuvent avoir avec les Trématodes parfaits. Depuis longtemps on a été frappé de lana- logie de forme qui existe entre le corps des Cercaires et certains Trématodes, plus particulièrement les Monostomes et les Distomes. On peut encore ajouter que ces Cercaires, après avoir quitté leur Sac , perdent facilement leur queue, et deviennent ainsi encore plus
6 SiEBOLD,
semblables à des Trématodes. Un grand nombre de Distomes, dont le corps est armé antérieurement d’une couronne d'épines (les D. trigonocchalum , echinatum , uncinatum et militare ), ressem- blent mème tant à des Cercaires, que tout observateur non prévenu prendrait ces derniers après la chute de leur queue pour des jeunes individus de l’une de ces espèces de Trématodes. Et effectivement, à en juger par l’ensemble de leur organisation , ils ne sont autre chose que des jeunes Trématodes; et l'absence complète d'organes génitaux dans leur intérieur vient encore à l'appui de ce rappro- chement. Ce seraient donc encore de ces parasiles qui sont destinés à sortir, puis à rentrer dans le corps des animaux, à la recherche d’une demeure où ils puissent arriver à la maturité sexuelle, Mais la voie par laquelle ces Cercaires parviennent à leur destination est bien plus longue et plus compliquée que celle que nous avons vu suivre les jeunes Gordyces encore dépourvues d'organes de généra- tion. Ces derniers n’ont pas quitté la demeure où ils s'étaient tenus jusqu'alors , savoir le corps des insectes, et ils se retirent dans la terre déjà pourvus d’un dépôt de matières grasses nécessaire à leur existence, de façon à pouvoir y attendre tranquillement que le développement de leurs organes génitaux se fasse. Mais les Cer- caires émigrées sont destinées à voyager davantage, car elles ne peuvent croître et attendre leur maturité sexuelle que dans l’appa- reil digestif de certains Mollusques, Oiseaux, Reptiles ou Poissons.
Beaucoup de mes lecteurs ne comprendront peut-être pas, au premier abord, comment les Cercaires, qui vivent dans l’eau, peu- vent arriver dans l'intestin de tel ou tel Mammifère où Oiseau , lesquels ne sont pour la plupart jamais en rapport avec l’eau ren- fermant ces petits êtres. Mais je puis lever ces difficultés, car j'ai observé ces Cercaires dans leurs migrations; mais avant de traiter ce point de leur histoire, je dois faire connaître une faculté qu'ils possèdent lorsqu'ils ont quitté leur sac et l'animal sur lequel ils vivaient. C’est la propriété qu'ils ont de s'enkyster, c’est-à-dire de se revêtir d’une capsule. Ce phénomène s’accomplit de la manière suivante : ce Cercaire, après avoir rampé où nagé pendant un cer- tain {emps, en paraissant inquiet, se contracte en boule , et laisse suinter de la surface de son corps une matière muqueuse qui se
SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. 65
durcit peu à peu, et enveloppe de toute part l'animal qui ne cesse de se recourber, et se trouve ainsi renfermé dans une sorte de coque. Pendant que cela se fait la queue du Cercaire tombe, de facon que c’est le corps seulement de celui-ci qui se trouvé logé dans la capsule (fig. 13). Pendant longtemps j'ai cherché en vain à me rendre compte du rôle de ce kyste dans la vie du Cercaire ; mais à la suite de nombreuses dissections d'insectes , j'ai découvert un fait qui me permet d'en comprendre l'utilité.
Effectivement, en disséquant un grand nombre de larves d’in- sectes différents, des Libellules, des Éphémères, des Perles, des Phryganes, j'ai trouvé dans leur intérieur des Cercaires enkystés ; j'ai également trouvé de ces Vers dans le même état chezces insectes, après qu'ils avaient quitté l’eau pour venir à terre , et qu'ils avaient achevé leurs métamorphoses. Mais pas un seul de ces Cercaires enkystés n’était encore pourvu de leurs organes générateurs complets. Chez un seul individu j'ai pu distinguer les premiers ves- tiges du testicule, de l'ovaire, et des parties externes de cet appa- reil. Or, on ne rencontre jamais chez les insectes des Trématodes adultes. J'en conclus done que ces parasites n'avaient cherché dans le corps des insectes dont je viens de parler qu’un refuge transi- toire; et que la plupart des Trématodes adultes qui vivent dans le corps des Vertébrés supérieurs ne sont autre chose que les Cer- caires , ou jeunes Trématodes à organes sexuels non développés , qui ont l'instinct d’émigrer des animaux inférieurs où ils sont nés jusque dans le corps des animaux supérieurs où leur développe- ment sexuel peut s'achever. Ainsi les Cercaires, produits dans l’in- térieur des Mollusques d'eau douce , parviennent à l'état parfait dans l'intestin d’un Mammifère ou d’un Oiseau insectivores, et pour y arriver immigrent dans le corps des larves aquatiques , s’y enkystent , et attendent ainsi que leur hôte ait subi des méta- morphoses , ait quitté l’eau , et ait été la proie d’un de ces Verté- brés supérieurs. Les insectes qui les renferment sont alors digérés, et les Cercaires, devenus libres par la dissolution de leur capsule, se fixent aux parois de l'intestin de leur nouvel hôte, qui seul était apte à les nourrir pendant la période du développement de leurs organes sexuels.
&° série. Zooz. T. IV. (Cahier n° 2.) ! 5
66 SIEBOLD,
J'ai constaté, par l'observation directe, que les Cercaires n’ont pas seulement la faculté de s’enkyster de la sorte , mais qu'ils ont aussi l'instinct d’immigrer dans le corps des larves d'insectes. En effet, m’étant procuré un grand nombre de Cercaires (C. armala) provenant du corps du Lymneus stagnalis, je les ai placés dans un verre de montre avec des larves de Névroptères (de la famille des Éphémères et des Perles). Bientôt après je vis, à l'aide du micros- cope, que les Cercaires cessèrenit de nager librement dans l'eau qui les entourait, et se réunirent autour des larves, sur le corps desquelles ils semblaient ramper d’une manière inquiète, comme s'ils cherchaient quelque chose. On sait que le Cercaria armata à l'extrémité antérieure du front garnie d’une armature spiniforme (fig. 15, B ), et j'ai vu que souvent ces petits êtres restaient im- mobiles en pressant cet instrument vulnérant contre la surface du corps des larves sur lesquelles ils rampaient de la sorte. Bientôt après ils cessaient de faire effort pour piquer leur proie , puis re- commençaient la même manœuvre jusqu'à ce qu'enfin ils eussent réussi à entamer la peau molle située entre les segments du corps. Cela fait ils ne bougeaient plus, mais travaillaient sans relâche avee leur épine frontale jusqu’à ce qu'ils eussent achevé de perforer les téguments ; et aussitôt ce résultat obtenu , le Ver, dont l’agilité est extrême, faisait pénétrer l'extrémité antérieure et très effilée de son corps dans la plaie, en écarlait les lèvres, puis en passant comme à la filière, entrait presque tout entier dans l’intérieur du corps de la larve ; la queue seule restait toujours au dehors comme si élle avait été pincée par la rétraction des bords de la plaie. Ayant em- ployé dans ces expériences des larves de Névropières lrès jeunes, dont les téguments sont très délicats, j'ai pu continuer à observer les Cercaires après leur entrée dans le corps de leur hôte et la chute de leur queue. Grâce à la transparence des larves, je vis que ces parasites restaient aussitôt tranquilles , se contractaient en boule, et s'entouraient d’un kyste. Je reconnus aussi que toujours pendant que cette coque se forme, l’armature frontale se dé- tache du corps du Cercaire, et reste libre dans la cavité de la capsule (1). Celte armature subit donc le même sort que la queue
(1) Cette observation, que j'ai publiée dans le Dictionnaire de physiologie
SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. 67
nataloire de ces petits animaux: tous les deux se détachent, et tombent dès que leur rôle est accompli.
L'instinct qui porte les Cercaires à immigrer de la sorte ét à s’en- kyster est si puissant, que pour y satisfaire ces animaux se hâtent parfois trop, et semblent se tromper de route. Ainsi j'ai trouvé eukystés dans l’intérieur du corps de divers Crustacés d’eau douce (Aselles et Crevelles des ruisseaux) des Cercaires qui ressemblaient exactement à ceux qui se logent dans le corps de certains insectes. Si ces Cercaires étaient destinés à se développer dans l’intérieur de quelque Vertébré à sang chaud qui ne cherche sa nourriture que sur la terre, ils auraient attendu vainement dans leur kyste que leur hôte, habitant des eaux, sortit de ce milieu pour venir à l'air. Il arrive aussi que beaucoup de Cercaires commencent trop tôt à for- ner leurs capsules, et manquent ainsi le but auquel ils sont des- tiné8 à tendre. Ainsi J'ai déjà dit que le Cercaria ephemera , après sa sortie du sac, s'attache souvent à la surface d’une plante ou de quelque autre corps étranger, et s'y enkyste; d’autres s’enkys- tent dans l'intérieur des Mollusques où ils ont pris naissance , quelquefois même dans la cavité de leur sac générateur (4). Steenstrup regarde ce phénomène comme étant normal, et je par- tagerais cette opinion si les Vers enkystés étaient destinés à se développer dans le canal intestinal de quelque poisson ou oiseau de marais.
Bien que l’ensemble de faits que je viens d'exposer ne sé com- pose que de fragments de l’histoire physiologique de certains Tré- matodes, on peut les coordonner pour en former un tout à l’aide de la loi des générations alternantes établie par Steenstrup sur l'observation du mode de reproduction d’un grand nombre d’ani- maux inférieurs. C’est ce que je vais faire.
Nous savons par les faits précédemment établis que certains Trématodés dont les organes sexuels sont développés (tels que les Monostomes et les Distomes), produisent dans ces organes une
(t. IT, p. 669), est facile à répéter, car les sacs cercarigères de ce Trématode sont extrêmement communs chez nos Mollusques d’eau douce.
(1) Steenstrup a décrit avec détail et figuré ces sacs cercarigènes qui con- tiennent des cercaires enkystés (loc. cit., p. 92, pl. 3, fig. 6 a et 6 b).
68 SIEROLD.
progéniture composée d'êtres qui n’ont pas d'appareil générateur, et qui ne ressemblent à la mère ni par leur forme ni par leur mode d'organisation. Chacun de ces jeunes se transforme en un animal tout à fait différent, savoir en un sac cercarigère qui offre les carac- ières d’une nourrice agame, ear il produit une portée de Cercaires sans le concours d'organes de génération. Les Cercaires, nés de ces sacs , différent à leur tour de leurs parents, mais se transfor- ment peu à peu, et finissent par avoir la structure et la forme de leur aïeul, du Trématode souche, quand leurs organes génitaux se sont développés. Chaque embryon, né de ces Trématodes , ne de- vient pas un nouveau Trématode sexué ; mais au contraire, en se métamorphosant, constitue une nourrice , laquelle, par la voie de la génération non sexuelle, produit à son tour un nombre plus ou moins considérable de nouveaux individus qui, en se développant, deviennent autant de Trématodes pourvus d'un appareil génital.
Si nous suivons dans leurs diverses migrations les Trématodes qui sont soumis à cette loi de générations alternantes, nous verrons qu'une foule d'accidents peuvent les empêcher d'arriver au but voulu, c'est-à-dire les empêcher de pénétrer dans les viscères de l'animal destiné à servir de résidence pour le Trématode. Ainsi, tantôt l’émigration ou l'immigration de l'embryon infu- soriforme ou du Cercaire caudifère ne s'effectue pas ; d’autres fois le moment où le Ver s’enkyste n’est pas convenable ; d’autres fois l'insecte dans le corps duquel il s’est logé peut périr à une époque ou dans un lieu défavorable : de sorte que le Cercaire enkysté ne saurait arriver dans le corps de l'animal où son séjour est indis- pensable au développement de son appareil sexuel. Mais on voit aussi que, malgré les circonstances qui doivent entrainer la des- truction d’un si grand nombre de ces animaux, les Trématodes ont, aux diverses périodes de leurs générations alternantes, la faculté de se multiplier d'une manière excessive. La perpétuation de ces Vers se trouve done toujours assurée; car le nombre de ces nourrices et de ces larves est si grand qu'il en reste toujours assez qui sur - montent tous les obstacles et arrivent à l’état sexuel parfait.
L'histoire des Cercaires nous permet de comprendre certains phénomènes que les anciens helminthologistes ignoraient ou expli-
‘SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. 69 quaient d’une manière tout à fait fausse. Ainsi on a souvent trouvé chez les animaux et même chez l’homme, au milieu de la substance des organes les plus variés, des Helminthes dont le développement était incomplet. Et l’on ne pouvait comprendre comment ces Ento- zoaires, logés siprofondément dans l'organisme, avaient pu pénétrer jusque dans les parties sans issue au dehors pour y vivre et s’y multiplier. On s'imaginait alors qu'ils y étaient produits par voie de génération équivoque aux dépens de la substance des organes qui les renfermaient. On croyait aussi que cette production de Vers expliquait pourquoi on rencontre souvent en liberté, au milieu de la substance des organes, de jeunes Helminthes impar- faitement développés ; c'était encore , suivant ces physiologistes , des cas de génération équivoque; mais en réalité ces petits étaient des individus surpris au moment de leurs migrations, et qui étaient en train, soit d'entrer, soit de sortir ; ou bien encore des individus qui avaient trouvé dans ces organes un lieu de repos, où ils de- vaient attendre jusqu'à ce que leur hôte, dévoré par un autre ani- mal , leur permit d'achever passivement leur voyage de parasite.
Beaucoup d'Helminthes errants pénètrent à travers le tissu des organes sans y rencontrer aucune résistance; mais d’autres finis- sent par s’y trouver enfermés dans une matière coagulable qui suinte des parties que leur présence irrite. Dans le premier cas, le kyste se fait aux dépens du parasite lui-même; dans le second, aux dépens de l'organe dans lequel ce parasite s’est logé. Ce dernier mode d’enkystement se voit chez les Cercaires dont j'ai rapporté l'histoire ci-dessus; l'autre mode, c’est-à-dire l’enkystement aux dépens de l’organe protecteur, est très facile à constater chez les Vertébrés, parce que le kyste se trouve alors en connexion orga- nique avec les tissus circonvoisins et en reçoit des vaisseaux sanguins.
On trouve dans ces derniers kystes ou capsules les Helminthes les plus divers, et qui doivent avoir les destinées les plus variées.
Ainsi beaucoup de ces Helminthes enkystés ne se modifient plus, etattendent jusqu'à ce que leur hôte ait passé dans le canal digestif de quelque animal de proie plus convenable à leur développement ultérieur. Les Cercaires nous ont fourni un exemple de cette ma-
70 SIEBOLL.
nière d'être. I y a aussi un petit Ver filiforme incomplétement dé- veloppé, qu'on a classé à tort parmi les Helminthes adultes, sous le nom de Trichina spiralis, qui reste pendant longtemps dans son kyste sans eroitre et sans acquérir des organes sexuels. Ce petit Trichina spiralis se trouve non-seulement dans la chair museu- laire de l'Homme, mais aussi, entouré d’une capsule ovalaire d'un quart de ligne de long, dans la peau de la poitrine et du ventre de beaucoup de Vertébrés différents. I est probablement destiné à passer un certain temps dans cette prison, et s'ilne devient pas libre par suite d’une migration passive, il y meurt sans avoir grandi et son corps se change en une masse de même forme, mais d’appa- rence vitreuse, composée de carbonate calcaire. Cette vitrilication, ou crétification, a lieu aussi chez d’autres Helminthes enkystés qui meurent sur place ; mais la forme de ces petits Vers ne se conserve pas toujours comme chez la Trichina, et change ou disparaît plus ou moins complétement.
D'autres Helminthes continuent à croître dans l’intérieur de leur kyste, dont les parois leur fournissent les humeurs nécessaires à leur nutrition; mais les espèces qui sont destinées par la nature à acquérir leurs organes sexuels dans l'intestin de certains animaux déterminés ne peuvent achever leur développement dans l'intérieur de leur kyste, et doivent y languir, malgré leur accroissement, jusqu'à ce que leur hôte ait été dévoré par un animal de proie, dont l'intestin est la seule demeure où le parasite puisse arriver à son état parfait. Je puis citer comme exemple plusieurs Vers né- matoïdes, ainsi que des Cesloïdes. Dans une foule de Poissons, le foie est farei de capsules renfermant des Vers filiformes, qui sont souvent assez grands, ayant plus d'un pouce de long. Les helmin- thologistes ont classé dans leurs systèmes ces êtres sous le nom d’Ascaris capsularis, de Filaria piscium et F. cystica. Jamais je ne leur ai trouvé des organes génitaux développés, et, comme par l’ensemble de leur organisation ainsi que par leur forme, ils res- semblent d'une manière remarquable à certains Ascarides adultes et sexués , tels que l’Ascaris osculata, l'A. spiculigera, VA. angu- lata, V'ucuta, ete., qui habitent la cavité digestive des Phoques, du Cormoran , de la Grèbe , de la Mouette, et de divers qui vivent de
SUR LA PRODUCTION: DÉS HELMINTHES. 7A proie, on doit être disposé à penser qu'ils appariennent à l’une ou à l'autre des espèces d’Ascarides dont je viens de parler, et dont ils seraient les larves. Des recherches plus précises nous apprendront à quelles espèces de ces Némaloïdes il faut rapporter ces Vers en- kystés, dont on a formé jusqu'ici des espèces nominalement distinctes; ar on ne saurait continuer à séparer spécifiquement les jeunes et les adultes d’une même lignée, Il est probable aussi que l'Ascaris incisa (fig. 17), qui, à l'état non sexué , se trouve _enkystée dans le périloine de la Taupe, doit arriver à son complet développement sexuel dans l'intestin de quelque autre animal.
Il résulte de tout ce que j'ai dit ci-dessus que la progéniture des Helminthes se développe loin du séjour des parents, et, par suite de migrations plus ou moins complexes, parvient parfois à la fin dans des lieux de même nature que ceux hubités par eux.
Pressés par l'instinet de migration, les embryons sortis de l'œuf quittent le lieu de leur naissance, se disséminent en tous sens, et profitent des occasions favorables pour pénétrer et s'établir dans le corps des animaux, Il est evident que des milliers de ces embryons ne doivent pas arriver au but et périssent en route; car leurs mi- grations sont trop soumises au hasard pour qu'il en soit autrement. Il peut se faire aussi que l’animal, dans lequel ils élisent leur do- micile temporaire, soit dévoré par un animal de la même espèce que celui habité par leurs parents, et dont ils sont eux-mêmes sor- üis, circonstance qui entraînera également la mort de ces petits êtres, D'autres peuvent se loger dans des individus qui ne devien- dront jamais la proie des animaux, dont le canal intestinal convient au développement complet de ces parasites. J'en vois la preuve dans la présence de la même espèce d'Helminthes enkystés chez des animaux de nalure très variée; et je considère les embryons, qui ont manqué ainsi Je but que la nature assigne à leur migration, comme étant des Vers qui se sont trompés de route.
Je sais que les zoologistes sont peu disposés à admettre que les Helminthes puissent se tromper dans leurs migrations, et l’on se fonde sur ce que ces êlres, de même que tous les autres animaux, sont doués d’un instinet qui les porte à ne rien faire d'inutile, et à agir toujours d’une manière conforme à leurs besoins , bien qu'ils
72 SIEBOLD.
ignorent le but où leurs actions tendent. Mais si cela était vrai, chaque embryon de Tænia finirait par devenir un Tænia adulte , et les Ascarides, à raison du nombre incalculable de leurs œufs, se multiplieraient tellement que les animaux où ils habitent ne pour- raient plus exister , et tous périraient : jeunes et parents. Or ceux qui s'occupent de la recherche des Helminthes savent que ces pa- rasites ne sont pas aussi abondants qu’on pourrait le croire, d’après
le nombre immense d'œufs qu'ils produisent. Il est même très
probable que la nature , en vue des grandes difficultés que ces animaux on! à surmonter pour arriver à l’état adulte, les a doués d’une faculté reproductrice si extraordinaire, qu'il suffit qu'un petit nombre d'individus errants arrivent à leur destination pour donner naissance à des milliers d'œufs. Par suite de lexten- sion progressive de l’agriculture , de la destruction parfois com- plète de certaines espèces animales, de l’acelimatation et de la do- mesteation, des modifications ont du se produire peu à peu dans les habitudes de beaucoup d'Helminthes ; les choses ne doivent pas toujours se passer de nos jours comme dans les temps primi- tifs, et par conséquent nous ne devons pas nous étonner si les embryons de ces Vers sont sujets à se tromper parfois dans leur voyage.
Le Trichina spiralis, que nous avons mentionné ci-dessus comme ayant été trouvé dans les museles de l'Homme, doit être considéré comme y élant arrivé par suite d’une erreur de ce genre. Il en est de même du Cysticerque du tissu cellulaire (Cysticereus cellulosæ) qui se rencontre assez souvent dans nos muscles et dans plusieurs autres organes. Ce Ver est une nourrice agame de Tænia : arrivé dans l'intestin de certains Mammifères, il peut achever son développement , acquérir l'appareil générateur, et devenir un Tænia. Le Trichina spiralis, transplanté dans un lieu de séjour convenable , éprouverait également un développement analogue. Si l’on admettait que ces deux parasites, poussés par leur instinct, s'étaient logés dans le corps de F'Homnie, comme ils se logent ailleurs, pour y rester jusqu'à ce que leur hôte soit dévoré par un animal carnassier déterminé, on arriverail à une conclusion que peu de mes lecteurs seront disposés à admettre, et ils penseront ,
SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. 73
comme moi, que c’est plutôt parce que ces parasites se sont trom- pés dans leurs migrations.
Beaucoup de jeunes Vers, dont les individus adultes habitent le canal intestinal d’un Mammifère déterminé, s’égarent ainsi en pé- nétrant dans d’autres parties du corps du même animal, par exemple dans les muscles , dans le foie ou la peau, et ils y restent sans se développer , tandis que d’autres individus qui sont arrivés dans l'intestin y atteignent leur maturité sexuelle. Je citerais comme exemple le Triænophorus nodulosus, parasite de Poisson , qui, dans le canal intestinal du Brochet et de la Perche, devient un long Tænia à organes sexuels bien développés , tandis que dans le foie des mêmes animaux , on trouve renfermés dans des kystes des in- dividus de la même espèce, mais qui sont toujours dépourvus d’or- ganes générateurs. Ces derniers sont aussi, à mes yeux, des para- sites égarés.
Il arrive assez souvent à ces petits embryons d’Helminthes, qui errent à travers le corps des Vertébrés, de percer les parois des vaisseaux sanguins, et d’être entrainés avec les globules du sang dans le torrent de la cireulation. En effet , j'ai souvent constaté la présence de ces embryons dans le sang des Ciseaux, des Reptiles et des Poissons, et on les a désignés sous le nom d’Hématozoaires (1). Ces petits parasites ne continuent pas à se développer dans le sang ; ils n’y grandissent pas, mais quelques-uns d’entre eux, entraînés par le courant qui les charrie, peuvent parvenir dans les vaisseaux capillaires de certains organes, et y trouver un lieu de séjour con- venable à leur développement. Du moins , on peut s'expliquer de la sorte la présence de Vers intestinaux dans la substance du cer- veau, dans la moelle épinière et dans l’intérieur de l'œil. Ces parties du corps sont protégées tantôt par des os, tantôt par des membranes résistantes, qui n’y laissent aucun accès de l'extérieur; et cette clôture est si complète, qu'avant la découverte des Hématozoaires
(1) Dans mon article Parasires, déjà cité, j'ai rapporté les diverses observa- tions publiées jusqu'alors sur les Hématozoaires (p. 648); mais depuis lors de nouvelles recherches sur le même sujet ont été faites par Ecker (dans les A4r- chives de Müller, 1845, p. 501), Wedl (dans ses Beitragen zur Lehre von den Hæmatozoen, Vienne, 1849), et Leydig (Archives de Müller, 1851, p. 227).
74 SIEBOLD.
on ne pouvait s'empêcher de croire qu'il était impossible à des parasites d'y pénétrer du dehors, et que ees animaux devaient s’y être produits par voie de génération équivoque. Le Cysticerque du tissu cellulaire, le Conure du cerveau, et l'Échinocoque (E. homi- nis et Æ. veterinorum) qu'on avait trouvé vivant dans l’intérieur du cerveau et de la moelle épinière de l'Homme et des animaux , constituaient un des arguments les plus puissants des partisans de la génération équivoque. J'ai done soumis ces Vers à l'épreuve de l'observation directe, et plus loin je rendrai compte des résultats de mes expériences à ce sujet. É
Il y a encore deux phénomènes qui se lient aux migrations et à la génération alternante des Helminthes, et qui ont passé inaperçus, mais que l’on consiatera facilement aujourd’hui que l'attention est dirigée sur ce point. En effet, on ne trouve dans l'entourage des individus adultes que des œufs ou des embryons nouvellement éclos; les autres périodes de développement nous manquent com- plétement , et e’est toujours dans d’autres lieux que le développe- ment de la progéniture s’accomplit. Ensuite les essaims d'Hel- minthes qu'on saisit pendant leurs migrations se composent toujours d'individus d’une certaine taille; ear ni les nourrices, ni les larves, n’émigrent que lorsqu'elles sont arrivées à une grandeur déter- minée.
Dans ce chapitre, j'ai exposé avec détail l’histoire générale des migrations et de la génération alternante des Helminthes , afin de mettre le lecteur à même de me suivre lorsque , dans les chapitres suivants, j'aurais à parler du rôle des nourrices. Les faits précé- dents peuvent paraître à bien des personnes aussi neufs que sur- prenants ; mais le phénomène des générations alternantes n’est pas, en réalité, plus merveilleux que les métamorphoses. Nous sommes habitués depuis si longtemps aux phénomènes de métamorphose tant chez les animaux supérieurs que chez les animaux inférieurs , que nous ne nous étonnons plus à la vue des changements que la Grenouille éprouve dans le jeune âge, et nous trouvons tout simple que la Chenille se transforme en une chrysalide, d'où s'échappera ensuite un Papillon. Mais il y avait un temps où ces métamorphoses élaient inconnues des naturalistes, et où l’on attribuait la produe-
SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES, 75 tion des larves, aussi bien que des Vers, à la génération spontanée. IL est done à espérer que le moment arrivera où la génération si compliquée des Helminthes sera également claire aux yeux de tous les naturalistes.
CHAPITRE Il.
VERS GESTOÏDES.
Les Vers rubanés, ou Cestoïdes, forment un groupe particulier parmi les Hehninthes, et ne parviennent à leur développement complet et à l’état de maturité sexuelle que dans le canal intestinal des Vertébrés. Ceux que l’on rencontre fréquemment soit hors du canal intestinal, dans d'autres viscères, chez les Poissons, les Reptiles, les Oiseaux et les Mammifères, soit dans l’intérieur du corps des animaux invertébrés, n'ont jamais des organes géné- rateurs complétement développés. Ils attendent dans cet état de stérilité une occasion pour émigrer , et leur changement d'habita-
tion s'effectue lorsque leur hôte est dévoré par quelque Vertébré carnassier. C'est alors seulement que les Cestoïdes non sexués, parvenus d'une manière passive jusque dans un canal intestinal approprié à leur développement ultérieur, aequièrent leur appareil générateur et deviennent aples à produire des œufs. Une circon- stance remarquable se présente pendant que ces parasites accom- plissent ce voyage; ils traversent l'estomac des animaux de proie pour aller se fixer dans l'intestin sans être notablement endomma- gés, tandis que les parties molles de l'animal, dans le corps duquel ils se trouvaient logés, sont complétement digérées.
Il existe une foule de faits qui démontrent l'exactitude de ce que je viens d'avancer ; mais je me bornerai à citer les suivants :
Dans certaines lacalités, un Poisson de la famille des Scombres, le Gasterosteus aculeatus, est habité par un Tænia, qui y vit à l’état libre dans la cavité abdominale. Le corps de ce parasite y acquiert parfois des dimensions considérables, surtout en épaisseur ; mais dans l’intérieur du Poisson, ce Ver, que l’on a appelé le Bothrio- cephalus solidus, reste toujours incomplet, n'ayant ni organes gé- nitaux, ni les arlicles terminaux de son corps. Le Gasterosteus est
76 SIEBOLD.
la proie d’une foule d’Oiseaux d’eau, qui portent fréquemment dans leur intestin un Tænia qui est pourvu d’un appareil générateur complet, et qui est désigné par les helminthologistes sous le nom de Bothriocephalus nodosus. Or celui-ci n’est autre chose que le B. solidus, parvenu à une période de développement plus avancée ; son premier hôte, le Scombéroïde, ayant été digéré dans l’estomac d’un Oiseau, il a pu passer, sain et sauf, de la cavité abdominale de ce Poisson dans le canal intestinal de son second hôte, Oiseau, et y achever son développement sexuel , développement que l’on trouve d'autant plus avancé, que l’époque où s’est effectuée cette migration passive est plus éloignée. Depuis qu'on a reconnu ces relations entre le B. solidus et le B. nodosus, les helminthologistes ne considèrent plus ces animaux comme formant deux espèces distinetes, et conformément aux conclusions formulées par le doe- teur Creplin, qui le premier attira l’attention sur leur parenté, on les désigne tous les deux sous un même nom spécifique, celui de Schistocephalus dimorphus.
Il en est tout à fait de même du Ligula simplicissima, qui vit en parasite dans la cavité abdominale de diverses espèces de Carpes, ef qui y conserve toujours ses organes générateurs à l’état rudi- mentaire; tandis qu'après être parvenue, avec le Poisson qui lui sert d'hôte , dans l’intestin des Canards , des Grèbes, des Hérons et autres Oiseaux aquatiques , il achève de se développer et ses organes sexuels arrivent à maturité. Dans les systèmes helmintho- logiques du siècle dernier, on donnait à cette Ligule adulte, par- venue aux diverses périodes de son développement, d’autres noms, et on l'appelait tantôt Ligula Sparsa ou L. universalis, tantôt L. alternans où L. interrupla.
Beaucoup de Cestoïdes, quandils sont dans le jeune âge, se logent dans le foie ou dans le péritoine des Poissons, et déterminent dans le tissu d’alentour une irritation, accompagnée de la sécrétion d’une matière coagulable, laquelle constitue plus tard une fausse mem- brane , et les enveloppe dans une capsule, de façon à les isoler du reste de l'organisme de leur hôte. La nature cherche ainsi à débar- rasser les organes de ces parasites incommodes , dont nous avons déjà parlé sous le nom de Helminthes enkystés,
SUR LA PRODUCTION DES HELMINTIES. 77
Les Cestoïdes enkystés de la sorte continuent à grandir ; mais ils n'arrivent jamais à la maturité sexuelle, car ils n’ont pas encore trouvéun gîte convenable pour leur développement complet. Aussi lorsque l'animal dans lequel ils sont logés de la sorte vient à périr sans être dévoré par quelque Carnassier , ils trouveront aussi la mort sans avoir donné naissance à d’autres individus. Les exemples suivants le montrent.
Le lecteur se rappelle, sans doute , que le Triænophorus nodu- losus dont il a déjà été question ei-dessus habite l'intestin du Bro- chet*et de la Carpe quand il est à l’état adulte, qu'il affecte alors la forme d'un long Ver rubané, à organes génitaux complets, et qu'il ne serencontre nulle part ailleurs dans cet état de maturité. Les helminthologistes attribuent encore d’autres habitalions à ce para- site, et le signalent comme se trouvant aussi dans différentes espèces de Salmones ; mais dans ces derniers Poissons, il est tou- jours enkysté et logé soit dans le foie ou dans le péritoine , et tou- jours aussi dépourvu d'organes reproducteurs. J'ai eu dernière- ment l’occasion de vérifier ce fait, en examinant un grand nombre de Truites (Salmo salvelinus) pêchées à Konigsee, près de Berchtesgaden. Les organes des Poissons étaient farcis de kystes de diverses grosseurs, contenant des individus du Triænocephalus chez aucun desquels les organes génitaux n'étaient développés. Ils attendaient évidemment que ce développement püt avoir lieu , mais cela ne devait s'accomplir qu'après leur migration dans le canal intestinal d’un Brochet ou d’une Perche, changement d'ha- bilalion qui d’ailleurs pouvait facilement se faire dans ces eaux, où des Poissons de proie, en nombre considérable, vivaient au mi- lieu des Truites où les jeunes Vers étaient renfermés, et qui en font la chasse. Lorsque le Triænophorus nodulosus est parvenu à l'état adulte , il dépose ses œufs dans l’intérieur de l'intestin du Brochet ou de la Perche; mais ces œufs, qui n’éclosent jamais dans l’habi- tation de la mère, sont évacués au dehors avec les excréments. Je n'ai pu rien constater relativement aux embryons qui doivent naître de ces œufs; mais s'il est permis d’en juger d’après ce qui se passe chez d'autres Helminthes, nous devons croire que la pro- géniture du Triænophorus nodulosus ainsi formée possède l’instinet
78 SIEBOLD.
d’émigration , qui la conduira dans un lieu favorable à son déve- loppement ultérieur. Jene connais ni la forme de ces embryons, ni
© leurs migrations; mais ayant trouvé dans le foie de divers Poissons (différentes espèces de Truites, le Gasterosteus aculeatus, le Cottus gobbio, la Lotte, la Blennie, etc:) des individus enkystés du T, no- dulosus, qui étaient souvent assez avancés dans leur croissance, je crois devoir en conclure que la progéniture de ces Helminthes pé- nètre dans ces animaux pour y établir leur séjour temporaire, et y attendre que leur hôle soit dévoré par un des Poissons de proié sus-mentionnés. Je ne sais pas si l'entrée de ces parasités dans l’in= testin de leurs hôtes principaux (le Brochet ou la Perche) peut s’effectuer sans l'intermédiaire d’un hôte provisoire ; cela me parait probable; mais s'il en est ainsi , il ne leur sera pas indifférent de pénétrer dans telle ou telle autre partie du corps de ces Poissons carnassiers ; si les jeunes Vers arrivent dans le foie ou dans le péri- toine du Brochet ou de la Perche , ils y subiront le même sort que lorsqu'ils se logent dans d’autres Poissons , car le canal intestinal des premiers est le seul gite approprié à leur développement sexuel; ils s’enkysteront par conséquent ét y grandiront, mais n’y arriveront jamais à maturité, et la seule chance qu'il leur resterait pour devenir féconds serait que leur hôte devint la proie d’un plus grand individu de son espèce.
Lés mêmes migrations et les mêmes erreurs dans le choix du gîte orit lieu chez le Tœnia longicollis et le T. ocellata; qu’on ren- contre enkystés, hors du canal intestinal, dans le foie de divers Salmones et Percoïdes; son corps peut s’y augmenter et se seg- menter, mais reste dépourvu d'organes génitaux.
J'appellerai encore l'attention sur le fait suivant : On trouve assez souvent le Triænophorus notdulosus à l’état non sexué dans le foie du Gastrosteus aculeatus; or les Brochets et les Perchés ne chassent pas ce Poisson à cause de ses épines. Il en résulte que les jeunes Triænophores se sont trompés dans le choix de leur gite , quand ils l'ont pris dans le corps de ces Épinoches.
Les diverses espèces de Cestoïdes, que les helminthologistes ont rangées dans le genre T'etrarhynchus, ne sont autre chose que des individus incomplétement développés el non sexués , des Vers que
SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. 79
les mêines naturalistes ont placés dans d’autres genres, et que les successeurs de Rudolphi ont désignés sous le nom de Rhynchobo- thrium. Ainsi le genre L'etrarhynchus ne doit pas être conservé ; il ne se compose, en effet, que de jeunes individus de certaines espèces de Rhynchobothrium. L'extrémité eéphalique de plusieurs de ces Tétrarhynques , avec ses quatre trompes rétractiles armées de crochets, el ses quatre ventouses mobiles, ressemble si exacte- mént, tant par sa forme que par son organisation, à celle d’un Rhynchobothrium, qu'on ne saurait conserver aucun doute sur l'identité spécifique de ces animaux. Le Rhynchobothrium , à son état de développement sexuel, ne se trouve que dans le canal digestif dé la Raie et des Squales, et, sa progéniture pour arriver dans l’in- térieur dé ces animaux voraces, prend, comme moyen de trans- port, les Poissons dont ceux-ei se nourrissent, Comme le Squale n’est pas difficile sur le choix de sa nourriture, il n'est pas néces- saire que les jeunes Vers prennent pour hôtes provisoires telle ou telle espèce d'animal marin bien déterminée, pour qu'ils arrivent dans l'intérieur de ce Poisson, Aussi trouve-t-on des Tétrarhyn- ques, c’est-à-dire de jeunes Rynchobothrium , dans beaucoup d'animaux marins différents, dans la Sole, la Limande, le Rouget, le Trigle , le Congre, des Mollusques conchifères, et même la Seiche. Leur état enkysté montre qu'ils ne sont deslinés à y séjourner que d’une manière temporaire; on voit aussi à leurs allures qu'ils ne sont pas encore chez eux : ils traversent les chairs, les parois de l'estomac, et les organes les plus divers du Poisson qui les loge, et se servent très habilement de leurs trompes rétractiles, qui sont garnies d'innombrables crochets recourbés en arrière, et qui sont d’excellents instruments de perforation. L’extrémité céphalique des jeunes Cestoïdes prend de très bonne heure Ja forme de la tête de ses parents arrivés à l’état de complet développement. A l’aide des caractères fournis par ces parties, on peut done déterminer très facilement les Cestoïdes , lors même qu'ils sont encore dans le jeune âge. D'après M. van Beneden, on désigne sous le nom de Scolex ces individus non développés et encore dépourvus d'organes reproducteurs , mais dont l'extrémité céphalique a déjà sa forme définitive, Sous le rapport physiolo-
80 SIEBOLD.
gique, on a comparé les Scolex aux larves des Insectes ; mais cette comparaison n'est pas à l'abri de la critique, car la larve de l’In- secte quitte l'œuf sous cette forme, et se transforme peu à peu en un individu apte à se reproduire; tandis que le Scolex n’est pas sorti de Fœuf sous cette forme, et ne devient pas lui-même un in- dividu apte à engendrer, mais produit, par la multiplication non sexuelle, un grand nombre d'individus pourvus d'organes géni- taux. Il y a done iei non pas une simple métamorphose, mais des phénomènes de générations alternantes , dans lesquels le Scolex joue le rôle de nourrice (1).
I ne faut pas oublier, lorsqu'on étudie la vie des Cestoïdes, que tout Scolex, quelle que soit sa forme, n’est qu'un individu dans le jeune âge, et que l'embryon dontil provient a quitté l'œuf sous une forme toute différente. Les embryons des genres Tænia et Bothrio-. céphale se ressemblent en tous points , bien que la portion cépha- lique de ces Cestoïdes diffère considérablement. Ces embryons (fig. 18, a) sont parfaitement bien adaptés au genre de vie qu'ils doivent mener, c’est-à-dire pour creuser et perforer. Ils se mon- trent, en effet, sous la forme de corps arrondis, extrêmement petits, microscopiques mêmes , et à lun de leurs pôles on voit saillir les pointes de six petits crochets-ou griffes, dont deux placés au milieu du groupe et deux de chaque côté. Ces crochets (fig. 18, b, c, d) sont ainsi disposés en trois paires , et différent entre eux par leur forme, mais ceux de la même paire se ressemblent (2). Lorsqu'on relire un de ces embryons des enveloppes de l’œuf sans le blesser, (opération qui peut se pratiquer, si l'on presse avec précaution l'œuf entre deux plaques de verre, de facon à rompre la coque ren- fermant l’animal), on peut voir, à l’aide du microscope, que son corps se contracte, s’allonge, se retrécit alternativement, et que,
(1) Pour l'intelligence de ceci, il est bon d'ajouter que dans l'opinion de l’au- teur les individus sexués sont constitués par les divers anneaux qui se déve- loppent à l'arrière de la tête, et qui constituent la portion rubanée du corps du Tænia adulte, anneaux qui se séparent souvent et qui renferment chacun un appareil génital complet, ainsi que cela sera expliqué plus loin. R.
(2) Voyez la description de ces petits crochets dans la Physiologie de Burdach, t. Il, p. 204 (1837).
SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. 81 lorsqu'il exéeute ces mouvements, l'extrémité armée de Six ero- chets, que je considère comme l'extrémité antérieure du Ver, se porte très loin en avant el sur les côtés. En observant ces ma- nœuvres, an comprend facilement comment le Cestoïde, encore si petit, peut parvenir à pénétrer dans les parties molles d’autres animaux, et traverser même leurs organes dans tous les sens
Ces embryons de Cestoïdes ayant réussi à immigrer de la sorte, et s'étant enkystés et nichés dans le corps d’un animal par l'inter- médiaire duquel ils peuvent être portés dans le canal intestinal d’un Vertébré , subissent une métamorphose remarquable , et passent de l’état embryonnaire à l'état de Scolex. En effet, il se développe dans l’intérieur de leur corps un organe qui prend peu à peu les caractères d’une tête de Tænia, et qui ressemble (oujours à celle propre à l'espèce dont cet embryon descend. Lorsque le dévelop- pement de la tête s'est accompli, celle-ci peut sortir de l'intérieur du corps de l'embryon en se renversant comme un doigt de gant, et alors le jeune Ver devient un Scolex (fig 19). L'idée la plus juste que l’on puisse se former de tout ce développement du Scolex est de l’assimiler à la formation d’un bourgeon interne.
Les anciens helminthoïogistes considéraient ce que nous appelons un Scoleæ comme étant l'extrémité céphalique du Cestoïde à la partie postérieure de laquelle croissait le corps proprement dit du Ver rubané. Quant à l'organisation de ces Scolex eux - mêmes, nous devons insister, d'une manière toute particulière, sur ce fait qu'ils n'ont jamais une ouverture buccale, et, par conséquent, ne peuvent se nourrir que par l'absorption de matières liquides dont la surface extérieure de leur corps est baignée. On distingue souvent dans leur substance des corpuscules globuleux ovoïdes, qui ont la forme de disques d'apparence vitreuse ; on les a pris pour des œufs , mais ce ne sont en réalité que des dépôts organiques de carbonate de chaux, semblables à ceux qu'on voit chez un grand nombre d’au- tres animaux inférieurs, où ils entrent dans la constitution de la peau.
Enfin ces Scolex ont été considérés comme de jeunes Vers ces- toïdes ; mais nous comprendrons mieux les diverses phases de l'existence de ces êtres, et nous mettrons leur histoire mieux en
#* série. Zoo. T. IV. (Cahier n° 2.) 2 6
82 SIEBOLD.
accord avec celle des autres Helminthes , si nous les envisageons comme des nourrices.
Si l’on admet que les Scolex sont des nourrices, il faut s’attendre à ce qu'ils aient la faculté de produire, par une multiplication non sexuelle, une série d'individus sexués. Cela a lieu en effet, mais seulement sous l'influence du canal intestinal d’un Vertébré. Nous allons rendre compte de ce phénomène; mais avant que d’en par- ler, il est nécessaire de faire connaïtre les faits qui démontrent la production des Scolex par la métamorphose des embryons de Ces- toïdes. Pour cela je citerai d’abord, et avec une entière confiance, les observations suivantes dues à M. Stein de Thurand (4).
Ce naturaliste a découvert à l'extérieur de l'estomac chez les Vers de la farine , ou larves du Tenebrio molitor, de petits kystes de la grosseur d’une tête d’épingle, renfermant un embryon de Tænia , dans l'intérieur duquel une nourrice en forme de Scolex s'était développée. Slein a reconnu aussi dans le Scolex compléte- ment développé une tête de Tænia parfaitement caractérisée. Il a constaté aussi, de la manière la plus positive, que les embryons de Tænia ne se changent pas eux-mêmes en Scolex par un simple phénomène de eroissañce , mais bien que le Scolex se forme dans leur corps à l’aide d’un bourgeon interne. Le grand nombre de kystes qu'il a examinés lui a permis d'observer tous les états transi- toires, depuis celui de l'embryon simple et primordial jusqu’à celui du Scolex parfaitement développé dans son intérieur. Pendant la formation de cette nourrice , le Scolex change d'aspect, prend la forme d’un croissant, en s’allongeant un peu plus d’un côté que de l'autre ; ce qui fait que les six crochets s’écartent d'une manière irrégulière (fig. 26); cette armature cesse en même temps de fonc- tionner et devient inutile : elle n’entre pour rien dans la formation de la couronne de crochets du Scolex. Il est évident que ces em- bryons de Tænia étaient parvenus par émigration dansle corps des larves de Ténébrions, et y avaient pénétré, comme le pense Stein, en traversant les parois de l'estomac de leurs hôtes ; car ce natu-
(4) Voyez Beiträge sur Entwicklungsgeschichte der Eingeweidewürmer, par Stein, dans ie journal que je publie avec M. Külliker, intitulé: Zeitschrift fer wissenschaftliche Zoologie, L. IV, p. 207 (1853).
SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES, 83
raliste à trouvé plusieurs fois dans la cavité de l'estomac de ces mêmes larves des embryons qui, à en juger par leur aspect, ve- naient de sortir de l’œuf. Il est done probable que ces jeunes em- bryons sont arrivés dans l'estomac des larves de Ténébrions avec la nourriture de ces animaux, et qu'après avoir percé les parois de ce viscère, à l’aide de leurs six crochets, sont parvenus dans la cavité abdominale de leur hôte. Celui-ci leur fournissant un gîte temporaire convenable, ils y accomplissent leurs fonctions en produisant dans leur intérieur un Scolex. Le but de la migration de ces embryons est alors atteint, et c’est pour cela que leurs organes perforants tombent, ét qu'eux-mêmes ne jouent qu'un rôle secondaire, le rôle principal étant dès lors dévolu à la nour- rice en forme de Scolex, qui s'est développée dans leur intérieur. Cette nourrice est elle-même neutre; mais elle produit aux dépens de la substance de son corps des individus sexués, lorsqu'elle se trouve dans les conditions favorables, c’est-à-dire dans l'intestin d'un animal vertébré d'une certaine espèce , et non pas ailleurs. La nourrice cestoïde doit donc alors émigrer à son tour pour aller dans l'intestin de son hôte principal (4), et pour cela elle n’a qu'à rester en place, en attendant que son hôte intermédiaire ait été mangé par le Vertébré, dans l'intestin duquel elle est destinée par sa nature à achever son développement, et à engendrer une nouvelle progéniture. Ce Vertébré ne nous est pas encore connu, et par con- séquent je ne puis parler d’une manière positive de la dernière période du cycle physiologique de ee Cestoïde ; mais voici quelques faits qui nous mettront peut-être sur la voie de cette découverte. Plusieurs petits mammifères, tels que les Rats et les Souris, man- gent volontiers les larves de Ténébrions ; il en est de même de divers oiseaux. Il, est aussi à noter que les Ténébrions, après l'achèvement de leurs métamorphoses , peuvent devenir la proie des Chauves-Souris, des Hirondelles, ete, On arriverait donc peut- être à combler la lacune qui existe dans l’histoire des parasites observés par M. Stein, en comparant attentivement ces Scolex du
(1) L'auteur désigne toujours sous le nom d'hôte principal l'animal dans
l'intérieur duquel l'Helminthe devient apte à produire des œufs, et par consé- quent à se multiplier par la génération sexuelle. (R.)
84 SIEROLD. Ténébrion avec l'extrémité céphalique des Tænias trouvés dans l'intestin de ces Vertébrés.
Plus anciennement, j'avais fait moi-même une observation qui a été complétée par le docteur Meissner , et qui vient à l'appui des recherches de Stein (1). En effet, j'ai trouvé dans la substance du poumon d’un mollusque terrestre (V’Arion empiricorum), un grand nombre de Scolex enkystés, dont la forme de la tête prouvait qu'ils étaient des Cestoïdes. Mais la forme de ce Tænia nourrice est tout autre que celle des Scolex trouvés dans les larves de Téné- brions. Son extrémité céphalique reste toujours renfoncée dans la portion abdominale courte et peu développée du parasite (fig. 20 et 21). Bien que je n’aie jamais trouvé de ces animaux en voie de formation, on voit, par la disposition de toutes les parties du Scolex renfermé dans l’intérieur de son réceptacle, que la tête a été pro- duite par une bouture interne, analogue à celle précédemment dé- crite chez le Scolex du Ténébrion. L'existence des six crochets restés sur la surface de l’abdomen, mais pas implantés dans la substance du corps de ces Scolex rétractiles, montre aussi que ces Vers provenaient réellement des embryons de Tænia, et c’est au docteur Meissner qu'appartient d’avoir constaté la présence de ces appendices (2). On voit done que ce Scolex enkysté est tout à fait semblable aux nourrices de Tænia des larves de Ténébrions, si ce n’est que son extrémité abdominale ne se prolonge pas en forme de queue. Il est évident que ces parasites ont dù arriver dans le pou- mon de la Limace sous la forme ordinaire des Tænias qui sont en train d'émigrer ; mais, quoique j'en aie trouvé très fréquemment, je n’ai pu reconnaître encore quelle est l'espèce de Cestoïde qui fournit les embryons dont ils proviennent, ni dans quel cas est le Vertébré dans l'intestin duquel ces Scolex doivent arriver pour produire les individus sexués (3).
(1) Voyez mon Mémoire sur les générations alternantes des Cestoïdes, Zeitsch. für wissench. Zoologie, 1850, p. 202, et Annales des sciences naturelles, t. XV, p. 177 (1851).
(2) Zeitsch. für wissensch. Zool., 1854, p. 383.
(3) J'ai trouvé très fréquemment ces Scolex enkystés dans le poumon de la Limace rouge (Arion empiricorum), non-seulement à Brisgau, mais aussi en Silé-
SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. 85
Les individus sexués des Cestoïdes sont, comme on le voit , les artieles adultes de ces mêmes Vers ; car c'est dans l’intérieur de ces articles que se développent les organes mâles et femelles, par les- quels les œufs nécessaires à la conservation de l’espèce sont pro- duits. Ces articles hermaphrodites arrivés à maturité sont très sujets à se détacher du corps du Scolex chez beaucoup de Cestoïdes, et sont désignés sous le nom de Proglottis. Ces Proglottis sont produits, à la partie postérieure du corps du Scolex, par un phéno- mène de croissance et de scissiparité, et non par génération sexuelle. Or si nous comparons cette série de phénomènes avecce qui a lieu dans les générations allernantes ordinaires, nous y trouverons tous les caractères de celles-ci. Les articles mûrs du Tænia, ou, en d’autres termes, les individus sexués du Cestoïde, sous la forme de Proglottis, engendrent des embryons armés de six crochets, qui ne ressemblent aucunement à l'animal mère, c'est-à- dire au Proglotüs, et en restent toujours différents; car ils devien- nent plus tard des Scolex, et constituent alors des nourrices. Enfin, à l'extrémité abdominale du Scolex ainsi formé, se développe, par voie de reproduction non sexuelle, une série d'articles, c’est-à-dire une génération d'individus sexués qui répêtent la forme du Pro- glottis souche. Les Proglottis ressemblent aux Scolex par leur organisation ; abstraction faite des organes génitaux, ils sont éga- lement privés d’un orifice buccal, et leurs téguments renfer- ment les corpuscules vitrés dont il a déjà été question.
Au premier abord, il peut paraître paradoxal de considérer comme autant d'individus les articles des Vers cestoïdes, qui jus- qu'ici n’ont élé regardés que comme des parties du corps d’un même animal; mais toute personne, sans idée préconçue, qui observe les articles d'un Tænia au moment de leur maturité sexuelle complète, admettra facilement que le Tænia n’est pas un animal simple, mais bien un être composé d’un grand nombre d'individus. Les articles parfaitement mürs se séparent avec une facilité extraordinaire, et chaque article ainsi isolé peut se conser- ver frais et bien vivant pendant fort longtemps, sans éprouver au-
sie, et ici en Bavière. Le docteur Meissner m'écrit qu’il en est de même aux environs de Hannover.
86 SIEBOLD.
eun changement de forme ; ils sont même susceptibles de se mou- voir, et avant de mourir ils cherchent à pondre leurs œufs également. Les anciens naturalistes avaient aussi considéré les articles isolés du Tænia comme étant des individus distincts : ainsi les segments du Tænia commun de l'Homme (7. solium) ont été décrits sous le nom de Vermes cucurbitini. Les helminthologistes n’ont pas pu adopter l’idée que le Tænia soit composé d’un assem- blage de ces Vers cucurbitains ; et ce qui les choquait le plus, c'est que Vallisnieri (1) et Coulet (2) avaient avancé que ces Cucurbi- tains s’attachaient les uns au bout des autres par la succion, pour constituer le corps multiartieulé d’un Ver rubané. Blumenbach fut presque le seul parmi les naturalistes plus modernes qui, au grand étonnement de ses contemporains , ait cherché à faire pré- valoir l'opinion de Vallisnieri (3). Les anciens naturalistes avaient parfaitement raison de considérer les divers articles isolés du Tænia comme autant d'individus distinets ; mais ils commirent en même temps une grande erreur, lorsqu'ils disaient que le Cestoïde multiarticulé résulte de l’agglomération de ces Cucurbitains bout à bout, car c’est absolument l'inverse qui à lieu : les Cucurbitains, au lieu de se réunir après avoir été isolés, sont produits par la désagrégation des articles primitivement agrégés.
La première opinion des naturalistes touchant l'individualité des articles associés aux Cestoïdes était juste, et a été corroborée par ce fait que les helminthologistes modernes ont parfois décrit comme autant d'espèces de Vers des articles du Tænia isolés, et dont l’ori-
(1) Voyez ses Considerazioni ed esperienzi intorno alla generazione de’ Vermi del corpo humano. Padova, 1710, p. 63.
(2) Voyez Tractatus de Ascaridibus , et Lumbrico lato. Lugd. Batav., 1729, p. 37, 56, etc.
(3) Voyez les Gœtingischen anzeigen von gelchrten sachen, 1774, n° 154. Blu+ menbach considérait les petits articles antérieurs de la chaîne d'un Tænia comme étant les plus âgés ; et la raison qu'il alléguait pour expliquer leur petitesse, rela- tivement aux articles postérieurs , était que les premiers n'avaient pas pu s'ap- proprier la nourriture qu'ils avaient prise, les autres la leur ayant soustraite par succion. À cette occasion , il compare ces Vers à certains enfants dont les plus nouveaux ne cessent pas d'extraire de leurs prédécesseurs ce que ceux-ci avaient déjà puisé chez leurs devanciers.
SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. e7
gine leur était inconnue. Ainsi le Ver singulier que Diesing a dé- crit sous le nom de T'hysanosoma actinoides, et qu'il a trouvé dans le canal intestinal d'un Cerf du Brésil, a d’abord excité beaucoup d'intérêt parmi les naturalistes; mais dernièrement ce même auteur a reconnu que ce parasite n'était autre chose qu'un article isolé (un proglottis) du Tœnia fimbriata qui habite l'intestin de ce Cerf (4). M. Dujardin aussi a décrit des articles de divers Tænias comme des espèces d’un genre nouveau, auquel il a donné le nom de Pro- glottis (2), bien qu'il ait vu que ces Vers provenaient du Tænia; il étaittellement convaincu de leur individualité, que, dans son système de classification , il les en sépara génériquement (3). Mais depuis qu'on s’est familiarisé davantage avec les phénomènes des généra- tions alternantes, et qu'on sait qu'un animal peut naître d’un parent d’une forme toute différente de la sienne , les relations entre ces manières d’être d’une même espèce sont mieux comprises, et les helminthologistes commencent à marcher franchement dans la voie nouvelle , et à considérer les Cestoïdes comme étant des colonies d'animaux. Cependant les naturalistes ne se sont d'abord décidés que bien difficilement à adopter les vues qui, depuis le temps de Blumenbach, avaient été un sujet de plaisanterie. Ainsi M. F.-S. Leuckart , tout en reconnaissant la véritable nature des Cestoïdes articulés, S'exprima de la manière suivante, probablement pour ne pas trop choquer les préjugés de ses contemporains : « Je suis même porté à considérer les Vers cestoïdes articulés comme des organismes dont chaque membre formerait un individu distinct, et le fout un animal composé, ainsi que plusieurs zoologistes distin- gués l'ont cru jadis (4). » Après que Steenstrup fut revenu sur ce sujet, et eut considéré les Tænias comme des animaux compo- sés (5), M. Van Beneden , dans une excellente monographie, a dé- montré l'exactitude de ces vues en s'appuyant sur les exemples les plus frappants, et en donnant des animaux dont il parle des figures
(1) Systema Helminthum, 1, p. 504 (1850).
(2) Annales des sciences naturelles, 2° série, t. XX, p. 341 (1843).
(3) Histoire naturelle des Helminthes, p. 630, pl. 10, fig. A, B, C (1845). (4) Versuch einer naturgemässen Eintheilung der Helmenthen, 1827, p. 21. (5) Loc. cit., p. 114.
88 SIEBOLD.
très exactes (1). Lorsqu'on jette les yeux sur les figures que Coulet a données des articles isolés (ou proglottis) du Tœnia solium dans leurs divers mouvements et leur état de contraction ou d'extension (fig. 22), on ne peut se défendre de l’idée que ce sont bien des individus indépendants. Les articles isolés (c'est-à-dire la forme proglottidienne) des autres espèces de Tænias se comportent exac- tement de mème. Enfin les genres Æcheneibothrium, Phyllobo- thrium, Anthobothrium, Onchobothrium, Calliobothrium et T'etra- rhynchus, que Van Beneden a décrits avec leurs articles nettement indiqués, sont absolument dans le même cas, lorsqu'ils sont à l'état de Proglottis (2).
Étant amené de la sorte à considérer les Cestoïdes comme des animaux agrégés, on peut comparer un Tænia avec ses nombreux segments à un Polypiaire composé, bien qu’il y ait entre ces êtres multiples des différences importantes à noter. En effet, dans le Polypiaire composé, les individus germent en différents sens , soit les uns vis-à-vis les autres, soit lesuns sur les autres, de sorte que, selon les genres , la forme de l'agrégat varie : celui-ci se ramifie, devient foliacé, s'étend en manière de croûte, ou constitue une masse arrondie ; tandis qu'au contraire , chez les Vers ruba- nés, les individus ne se développent sur le corps maternel que dans un seul sens et en une seule série à la suite les uns des autres.
Le ‘ieu où cette multiplication s'opère, et que l'on pourrait appe- ler le champ reproducteur , est l'extrémité abdominale de la nour- rice à l’état de Scolex. La génération alternante de ces Helminthes présente cette particularité que la nourrice conserve toujours son activité reproductrice el son indépendance , tandis que les autres animaux à générations allernantes périssent après avoir donné nais- sance à une nouvelle géneration, ou bien continuent simplement à vivre avec sa progeniture.
Nous devons done considérer la tête de chaque Ver rubané
(4) Les Vers cestuides, 1850, Il est à regretter que M. Van Beneden, dans ses recherches, se soit borné à l'étude des scolex et des proglottis des Cestoïdes, et qu'il ne les ait pas étendues au développement de leurs embryons.
(2) Loc. cit., Mg. 2 à 46.
SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. 89 comme appartenant à la nourrice, qui continue à vivre et à se mul- tiplier. Le col du Tænia est l'extrémité abdominale de cette nourrice à l'état de Scolex, et à la suite de ce col on voit toujours chez les Cestoïdes un développement continue d'articles s'effectuer. Une série non interrompue de nouveaux individus pousse ainsi, d'avant en arrière, à l'extrémité du col du Tænia, et peu à peu les articles qui constituent ces individus grandissent, et deviennent de plus en plus distinets, par suite des rides transversales qui les séparent entre eux. Ces rides transversales sont d’abord très serrées et à peine visibles ; mais à mesure qu'ils s’allongent, et que de nou- veaux articles , sé développant toujours en arrière du champ pro- ducteur {ou région céphalique du Tænia), les éloignent de plus en plus de leur lieu de naissance , ces lignes de démarcation devien- nent de plus en plus distinctes , et les segments ou individus ac- quièrent chacun leur forme propre (fig 23 ). Plus tard les rudi- ments d’un appareil générateur hermaphrodite se montrent dans l'intérieur de chacun de ces articles, et cet appareil est d'autant plus avancé en maturité que l'article auquel il appartient est situé plus loin en arrière du cou; car la production non interrom- pue de nouveaux articles éloigne toujours les anciens de plus en plus de la tête, et le rang d’ainesse de ceux-ci correspond à la place qu'ils occupent dans la série. Enfin les anneaux adultes se séparent de leurs frères puinés, et deviennent des individus indé- pendants.
Je dois diré cependant que le développement des articles n’est pas toujours aussi complet que chez certains Cestoïdes ; les indivi- dus ainsi constitués n’offrent pas d’une manière aussi distincte la forme de Proglottis. Chez les Tænias , les Tétrarhynques et plu- sieurs autres Cesloïdes, dont l'extrémité céphalique est armée de suçoirs et d’une couronne de crochets, ce développement est com- plet, et il y a production de Proglottis parfaits et indépendants. Dans le genre Bothriocéphale, les articles arrivent aussi à être bien délimités, mais n'ont que peu de tendance à s’isoler complétement. Chez le Triænophorus la division en articles est moins prononcée , et chez la Ligule elle est encore plus incomplète , car elle n’est in- diquée que sur les côtés par des rides transversales à péine per-
90 SIEBOLD. — SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES.
ceplibles ; de sorte que chez ces Helminthes le corps de la nour- rice, développé en forme de ruban simple , offre dans son intérieur un grand nombre de groupes d'organes génitaux hermaphrodites, sans que ces groupes soient circonscrits dans des articles distincts. Sous ce rapport, une Ligule, considérée comme un animal composé, peut se comparer à certains Polypiaires dans lesquels les individus sont également moins indépendants et s’isolent par des troncs communs.
On n’est pas encore parvenu à constater la durée de la période pendant laquelle l'extrémité céphalique d’un Cestoïde peut jouer le rôle de nourrice , ni le nombre d'individus sexués qui peuvent en naître dans telle ou telle espèce; mais, chez plusieurs Cestoïdes, le nombre de Proglottis produits par un seul de ces Scolex nourrices doit être énorme, car on sait , par l'observation directe , que plu- sieurs de ces Vers, après avoir laissé tomber beaucoup d'articles chaque jour pendant des mois entiers , durant lesquels ils étaient restés fixés dans le canal intestinal, en portaient encore plusieurs centaines au moment où ils avaient été expulsés au dehors. D'un autre côté, il est difficile de décider si les Vers cestoïdes qui habi- tent le corps de l’homme et des animaux peuvent ou non, après la production d’une série de Proglottis , suivie d’un certain temps de repos , recommencer à en former , car on ne peut être certain que les deux séries d'articles aient été produites par la même nourrice, et que la seconde partie ne provienne pas d’une nouvelle nourrice qui aurait réussi à se loger dans l'intestin déjà habité par un autre
Ver de la même espèce. (La suite à un prochain cahier.)
MEMOIRE
SUR LA FONCTION GLYCOGÉNIQUE DU FOIE,
Par le D" L. FIGUIER,
Agrege de chimie à l'École de phurmacie de Paris, etc.
Lu à l'Académie des sciences le 27 août 1855.
La théorie physiologique qui accorde au foie la fonction de sé- créter du sucre repose uniquement, ainsi qu'on l’a déclaré dès le début de cette discussion , sur l'absence du sucre dans le sang de la veine porte chez un animal en digestion de viande. L'auteur de cette théorie déclare, conformément à ses fravaux antérieurs, que, « chez un Chien en digestion de viande cuite ou crue, il n’y à pas de sucre dans la veine porte, ni une heure, ni deux heures, ni trois heures, etc., après le repas (D). » Cette assertion se trouve repro- duite en ces termes dans un ouvrage récent du même auteur : « Quand on dit que, chez un Carnivore, il n’y à pas de sucre dans » le sang de la veine porte, ce n’est pas là un résultat moyen fourni » par beaucoup d'expériences dans lesquelles on aurait trouvé » quelquefois des résultats opposés. C’est une expérience constante » et absolue, etjamais, quand elle est bien faite et dans les condi- » tions indiquées , il n'y a du sucre dans le sang de la veine » porte (2 ). »
D'autre part, j'ai affirmé, en m'appuyant sur plus de trente expériences faites sur des Chiens soumis au régime exclusif de la viande, et saignés à la veine porte pendant la digestion, que, dans le sang de la veine porte d’un animal placé dans ces conditions, on peut toujours , à l’aide du réactif de Frommherz, reconnaître Ja présence d’un principe sucré,
(1) Comptes rendus de l'Académie des sciences, t. XL, p. 717. (2) Leçons de physiologie expérimentale, par M. CI. Bernard, 1855, p. 489,
92 L. FIGUIER. — MÉMOIRE
L'Académie a confié à une commission le soin de juger ces faits contradictoires, afin de terminer ce débat et de fixer l'opinion des physiologistes sur une question qui avait vivement préoccupé le monde savant. Dans la séance du 48 juin, l’Académie a entendu la lecture du travail de la commission. Conformément aux faits dont j'eus l'honneur de la rendre témoin pendant l'expérience à laquelle je fus convoqué, la commission reconnait qu’il existe dans le sang de la veine porte d’un animal qui a pris un repas de viande, un principe qui réduit la liqueur de Frommherz, c’est-à-dire le tar- trate de cuivre dissous dans la potasse. Mais elle ajoute qu’à ses yeux ce phénomène de réduction est insuffisant pour caractériser le sucre, et que la fermentation peut seule fournir une conclusion rigoureuse sur la nature de ce principe. Reconnaissant toutefois que la question relative à la sécrétion du sucre par le foie n'était pas encore résolue, la commission à bien voulu engager les personnes qui se sont occupées de ces travaux à continuer leurs recherches.
Je me suis fait un devoir d’obéir au vœu exprimé par l’éminent rapporteur de la commission, et je viens communiquer à l’Acadé- mie le résultat de mes nouvelles expériences, résultat qui n’était pas d’ailleurs difficile à prévoir.
Lorsque, en effet, j'ai annoncé l'existence d'un principe sucré dans le sang de la veine porte, en m'appuyant sur le caractère po- siif fourni par le réactif cupro-potassique, je me conformais au mode de recherche qui était alors en honneur. Dans toutes les ex- périences publiques qui ont été faites depuis Six ans, relativement à la recherche du sucre, aussi bien pour le cas considéré ici que pour tous les autres, c’est au réactif de Frommherz que l’on avait recours. La fermentation était sans doute invoquée comme moyen de contrôle dans le cours des recherches de laboratoire ; mais on avait, avec raison d’ailleurs, une confiance entière dans le réactif cupro-potassique, et l’on posait notamment en principe quel’absence de réduction par ce réactif était une preuve absolue de l'absence du sucre dans le liquide examiné (4). Je me plaçais done bien au cœur
(1) En 1853, l'auteur dela théorie glycogénique exprimait ce fait en ces termes dans sa thèse Sur la nouvelle fonction du foie : « La réduction du tartrate de cuivre
SUR LA FONCTION GLYCOGÉNIQUE DE FOIE. 93 de la question en annonçant que, contrairement à ce qui avait été professé jusqu’à ce jour, il existe, dans le sang de la veine porte d’un animal en digestion de viande, un principe qui réduit facile- ment la liqueur cupro-potassique ; ajoutant que l'erreur qui avait été commise sur ce point tenait à la présence , dans le sang de la veine porte, d’une matière albuminoïde, qui a pour effet d’empé- cher la réaction que le glycose exerce sur la liqueur de Fromm- herz. On a déclaré, à la suite de mon travail, que le liquide cupro-potassique, proclamé naguère comme infaillible pour établir l'absence du glycose, est un réactif infidèle ou insuffisant, et que la fermentation est le seul caractère à invoquer. J'ai accepté sans difficulté la question posée en ces termes, persuadé que, puis- qu’une chimie attentive avait pu signaler la cause de l'erreur où la physiologie était tombée, relativement à l'emploi du liquide cupro- potassique pour la recherche du sucre dans le sang de la veine porte, elle pourrait également réussir à dévoiler la circonstance qui mettait obstacle à la fermentation alcoolique du même produit.
La chimie a fait connaître la liste d’un grand nombre de sub- stances qui, ajoutées à un liquide sucré, ont la propriété de s’oppo- ser à l’action du ferment; même en quantité très faible, elles mettent obstacle à la transformation du sucre en acide carbonique eten alcool. Maïs il suffit de faire disparaitre ces produits, grâce à
» dissous dans la potasse, en présence du glucose, est un caractère empirique qui » n'offre pas sans doute une valeur absolue comme la fermentation alcoolique, pour » constater la présence du glucose. Mais il n’en est plus de même quand il s'agit de » constater l'absence du même principe sucré; si la réduction manque, on peut » conclure avec cerlilude qu'il n'existe pas de traces de glucose dans le liquide où » on le cherche. » (Nouvelle fonction du foie, par M. CI. Bernard, p. 23.)
Le même physiologiste disait encore en 1854, dans ses Leçons de physiologie expérimentale, qui viennent d'être imprimées : « Leur caractère absolu (il est » question du réactif de Frommherz et de la potasse) n’est qu’un caractère né- » gatif, c'est-à-dire que l'on peut affirmer que toute liqueur qui ne produit pas avec » eux les réactions indiquées ne contient aucun des sucres de la deuxième espèce. » (Leçon du 26 décembre 1854, ouvr. cité, p. 39.)
9h L. FIGUIER. — MÉMOIRE
un réactif approprié, pour voir la fermentation, jasque-là empêchée, se manifester aussitôt. C’est un fait de ce genre qui se présente pour le sucre contenu dans le sang charrié par la veine porte, pendant la digestion de la viande. Ce principe ne fermente pas directement, mais il suffit de le faire bouillir deux ou trois minutes avee un acide étendu, c’est-à-dire avec quelques gouttes d'acide sulfurique ou azotique , et de saturer ensuite exactement l’acide par un carbo- nate alcalin , pour que la fermentation alcoolique puisse se mani- fester par le contact de la levûre de bière avec sa dissolution.
L'expérience que nous allons rapporter mettra ce phénomène dans tout son jour; elle a d’ailleurs l’avantage de répondre à toutes les objections que l’on pourrait élever, telles que le reflux du sang du foie dans la veine porte, et l'insuffisance du temps du régime animal.
Un Chien de forte taille, nourri depuis huit jours de viande de cheval, a pris un repas composé de cette viande cuite. Six heures et demie après ce repas, on a fait sur l’animal vivant la ligature de la veine porte, en opérant comme je lai indiqué dans mon deuxième mémoire; le sang, défibriné, pesait 700 grammes.
600 grammes de ce sang ont été traités par deux fois et demie leur volume d'alcool à 36 degrés. Séparée du coagulum rouge dû à l’action de l'alcool, et acidulée par un peu d'acide acétique, cette liqueur a été évaporée à siccité au bain-marie. Le résidu , bien sec, a été repris par l’eau distillée , et passé à travers un linge pour le séparer du dépôt albumineux formé pendant léva- poration.
La liqueur ainsi obtenue a été divisée en deux parties égales.
La première partie a été mise, directement et sans traitement particulier, en contact avec de la levüre de bière; elle n’a donné aucun signe de fermentation.
La seconde a été tenue en ébullition, pendant deux ou trois mi- nutes, avec cinq gouttes d'acide azotique ordinaire. La liqueur, qui était trouble, et passant très difficilement à travers le filtre, a donné, par l’ébullition, un dépôt de nature albumineuse ou ca- séuse, el s’est subitement éclaircie en prenant une belle teinte jaune. Neutralisée ensuite très eæactement par un peu de carbo-
SUR LA FONGTION GLYCOGÉNIQUE DU FOIE. 95
mate de soude en poudre, et mise en contact avec de la levüre de bière bien lavée, elle a donné, au bout d’un quart d’heure, des signes de fermentation qui ont continué pendant plusieurs heures, en ayant la précaution de maintenir l'appareil près d’un fourneau un peu chaud. Le gaz recueilli était entièrement absorbable par la potasse. Quant au liquide, on l’a placé dans une petite cornue, et l'on en a recueilli, par la distillation, environ le cinquième. Pendant cette distillation, il a été facile de reconnaitre, dans le récipient où les vapeurs se condensaient, une odeur alcoolique bien carac- térisée. Le produit de cette distillation ayant été placé dans une cornue plus petite, on a rectifié de manière à ne recueillir que les sept ou huit premières gouttes du produit. Dans cette rectification, l'odeur alcoolique s’est encore manifestée avec évidence. Enfin, ce dernier liquide, additionné de quelques gouttes d'une disso- lution de bichromate de polasse et d'un peu d'acide sulfurique, porté ensuite à l'ébullition , s’est coloré en vert, el a conservé, après l’ébullition, une légère odeur d’aldéhyde. Je me permets de recommander aux opérateurs cette manière simple et éminem- ment sensible de reconnaitre la présence de l'alcool. Lorsque ce li- quide existe en quantité trop petite pour pouvoir être enflammé, la constatation de l'odeur caractéristique de l’esprit-de-vin dans le récipient où viennent se condenser les vapeurs, aussi bien que la coloration en vert par la réduction du bichromate de potasse, est un moyen qui permet de reconnaitre les plus faibles traces d'alcool.
L'expérience que nous venons de rapporter est démonstrative, puisque l'on voit le même sang de la veine porte qui n'avait point donné directement de signes de fermentation, présenter ce phéno- mène dès qu'on le soumet à l’action de quelques gouttes d’un acide étendu.
On peut conclure de cette expérience, que le principe sucré qui se forme pendant la digestion de la viande s'accompagne, dans la veine porte , de quelque substance étrangère qui met obstacle à la fermentation alcoolique. Pour faire apparaître le sucre avec toutes ses propriétés, il faut le débarrasser, par l’ébullition avec un acide, des matières étrangères qui l’accompagnent ; de même que, pour obtenir à l’état de pureté un produit mêlé à d’autres
96 L. FIGUIER. — MÉMOIRE
matières organiques, il faut, par des réactifs appropriés, par lé sous-acétate de plomb, par exemple, éliminer les antres substances organiques. [ci le sous-acétate de plomb ne saurait être employé, car il précipite en partie le glycose contenu dans le foie et dans le sang, comme je l'ai montré dans mon premier mémoire.
Ainsi, le principe sucré contenu dans la veine porte n’est pas seulement masqué par une substance étrangère au réactif de Frommherz, il est également soustrait, par quelque cause du même ordre , à l’action du ferment. C'est parce que l’on a méconnu ces deux circonstances, que l'existence d’un principe sucré dans le sang de la veine porte est restée jusqu'ici inaperçue. Ajoutons enfin que si le sucre pris dans le foie et dans les veines hépatiques a la propriété de fermenter directement et sans l’intervention préalable d’un acide, cela tient sans doute à ce que ces produits étrangers, charriés par la veine porte pendant la digestion , et qui mettent obstacle à la fermentation du sucre, ont disparu du foie, à la suite du temps et des mutations physiologiques dont cet organe est le siége.
J'ai répété plusieurs fois l'expérience qui précède, avec cette différence que je ne partageais pas en deux parties le liquide, qui était consacré tout entier à constater le phénomène de la fermenta- tion, grâce à l’ébullition préalable avec quelques gouttes d'acide sulfurique ou azotique. Dans toutes les expériences exécutées de cette manière, en agissant sur 300 à 400 grammes de sang dela veine porte de Chiens soumis depuis une semaine au moins à une alimentation exclusive avec de la viande de cheval , et opérés de cinq à six heures après le repas, il a toujours été possible de con- stater, par l'action de la levüre de bière, le dégagement d’une cer- taine quantité d’un gaz absorbable par la potasse, d'apprécier d’une manière très manifeste une odeur alcoolique dans le récipient où venait se condenser le produit des deux distillations, et de constater avec le dernier liquide la réduction et la coloration en vert du bichromate de potasse. ;
L'expérience nous à appris que, dans la discussion actuelle, il faut s'attendre à tous les arguments. M. le professeur Lehmann a récemment observé que la matière colorante du sang (hématosine
SUR LA FONCTION GLYCOGÉNIQUE DU FOIE. 97 de M. le Canu), traitée par l'acide azotique , donne naissance à de l'éther azoteux, à un acide non azoté et à du glycose. On objectera peut-être que , par suite d’une altération de ce genre, il peut se former du glycose dans l'opération qui nous sert à purifier le prin- cipe sucré contenu dans le sang de la veine porte. Mais il suffira, pour détruire cette objection, de faire remarquer que, par le pro- cédé que j'ai fait connaitre et que j'emploie pour séparer le glycose du sang, toute l’hématosine est précipitée, sans qu'il en reste au- eune trace dans le produit ultime de l'opération. En effet, l’addi- tion au sang de trois fois son volume d'alcool sépare l’hématosine qui se trouve précipitée dans le coagulum rouge formé par l'alcool. L'action de la chaleur sur le liquide filtré, acidifié par l’acide acé- tique et évaporé à siceité, a ensuite pour résultat d'éliminer toutes les autres matières albuminoïdes du même genre; de telle sorte qu'il est impossible d'admettre que l'acide azotique puisse, dans la dernière opération, concentrer la moindre trace d'hématosine, J'ajouterai, d'ailleurs, que l'acide sulfurique ne produit point avec l'hématosine la réaction indiquée par M. Lehmann ; or, c'est avee l'acide sulfurique étendu que j'ai opéré dans le plus grand nombre de mes expériences, et il a tonjours donné le mème résultat.
Quelques personnes regrelteront peut-être que nous n’ayons pu recueillir dans nos expériences des quantités plus considérables d'alcool. Nous répondrons par une réflexion bien simple. Un Chien recoit un repas composé, par exemple, d'un kilogramme de viande. Commencée deux heures après le repas , la digestion de cette viande n’est pas encore terminée au bout de huit à neuf heures (dans l'estomac de Chiens que nous avons opérés huit et quelquefois dix heures après le repas, il restait encore de la viande non digérée). Que l’on calcule, d'après cela, la quantité de sucre que l'intestin doit céder au sang des veines mésentériques pendant l'espace des quelques minutes que dure la saignée de la veine porte, et lon comprendra qu'il ne puisse exister dans ce sang que des quantités très faibles de sucre. II faudrait, pour obtenir des quan- tités plus considérables d’alcool, réunir sept ou huit Chiens de forte taille, recueillir sur chacun d’eux 200 à 300 grammes seulement du sang de la veine porte, afin de ne pas emprunter de sang à la
&* série. Zoo. T. IV. (Cahier n° 2.) 5 7
98 L. FIGUIER. — MÉMOIRE
circulation générale ; traiter ensuite tous ces sangs par l'alcool, ce procédé étant le seul qui permette d'obtenir sans altération le prin- cipe sucré contenu dans le sang de la veine porte, et soumettre enfin à une fermentation commune les produits de ces diverses opérations. Celte belle expérience, mes humbles ressources d’expé- rimentateur ne m'ont pas permis de l’exécuter ; les résultats si nets que j'avais obtenus la rendaient d’ailleurs peu nécessaire.
IE.
Les faits qui précèdent paraîtront sans doute décisifs si on les met en regard de cette assertion , proclamée par l’auteur de la théorie glycogénique , que pendant la digestion il n’y a jamais de sucre dans le sang de la veine porte. Mais l'expérience que nous avons décrite demande à être exécutée avec soin, car, aux diffieul- tés que présentent les expériences sur un animal vivant , vient se joindre cette autre difficulté, d'ordre chimique, qui consiste à trou- ver une petite quantité d’un produit assez altérable, mêlé à une grande proporlion de matériaux organiques étrangers. Je deman- derai donc la permission de rappeler ici ce que j'ai dit dans mon deuxième mémoire sur la manière d'exécuter la recherche du sucre dans le sang de la veine porte. La méthode que j'emploie n’a pas été, en effet, instituée, ainsi qu'on l’a dit, « vaguement et comme au hasard. » Elle a été, au contraire , le résultat de l'étude appro- fondie des moyens les plus convenables à employer pour résoudre, par la voie de l'expérience, l’importante question de physiologie dont elle renferme la solution.
Les conditions de cette expérience sont les suivantes :
1° Opérer sur le Chien vivant, afin de se procurer une quantité assez grande de sang. Si l’on commence, au contraire, par tuer l’animal au moyen de la section du bulbe rachidien, et que l’on ne recueille le sang que sur le cadavre , par suite de l'arrêt de la cir- culation, la quantité de ce liquide que l’on retire des vaisseaux est habituellement trop faible pour que l’on procède avec süreté dans cette recherche. On peut sans doute avec plus d'attention et de soin obtenir le même résultat dans ce dernier cas ; mais il est plus commode et plus sûr d'opérer sur l'animal vivant.
SUR LA FONCTION GLYGOGÉNIQUE DU FOIE. 99
2e Ne pas recueillir pourtant, même avec un Chien de forte taille, plus de 300 à 400 grammes de sang de la veine porte, afin d'éviter que le sang qui provient de la saignée ne finisse par être emprunté à celui de la circulation générale,
3° Pour éliminer les matières coagulables du sang, opérer, comme je l'ai indiqué, au moyen de l'alcool , de l’évaporation à siccité, ete. Il est, en effet, un procédé que j'ai quelquefois mis en usage pour l'élimination complète de matières coagulables du sang, et qui permet d'obtenir, à moins de frais, le même résultat, Voici en quoi ce procédé consiste : Le sang, défibriné par le battage, est étendu de son volume d'eau , et coagulé dans un bain-marie à la vapeur de l’eau bouillante. Le coagulum très épais , déterminé par la chaleur, estexprimé dans un linge. Le liquide brun-rouge qu'on en retire est acidifié par un peu d'acide azotique , et porté à l’ébul- lition dans une capsule ; les dernières quantités d’albumine non coagulée au bain-marie se séparent par cette courte ébullition. En saturant dans le liquide filtré la petite quantité d'acide libre au moyen d’un carbonate alcalin, on obtient très promptement, à l’état de liberté, les parties non coagulables contenues dans le sérum du sang. Mais ce moyen, qui peut rendre beaucoup de services quand il s’agit de rechercher dans le sang des substances peu altérables, ne doit pas être employé dans le cas que nous considérons ici, dans la crainte que, sous l'influence de la chaleur, le carbonate alcalin contenu dans le sérum n’altère ou ne modifie le principe sucré qui existe dans le sang de la veine porte.
&° S'il s’agit d'examiner comparativement le sang de la veine porte et celui qui s'échappe du foie, dans le but de déterminer les quantités relatives de glycose contenues dans chacun de ces li- quides , pratiquer , ainsi que j'ai eu le soin de le dire dans mon deuxième mémoire, une saignée sur la veine cave inférieure dans la cavilé thoracique. En effet, et j'insiste sur ce point d’une manière toute spéciale, quand on prend le sang dans les veines hépatiques, selon le procédé connu et si recommandé, on se place dans des conditions profondément vicieuses au point de vue de la recherche que l’on exécute. Les veines hépatiques sont renfermées , comme on le sait, dans le tissu même du foie, et viennent se déverser dans
100 L. FIGUIER. — MÉMOIRE
la veine cave inférieure avant l'émergence de ce dernier vaisseau hors de l'organe hépatique, de sorte qu’il est impossible de prati- quer sur elles une véritable saignée. On est donc obligé, pour re- cueillir le sang contenu dans les veines hépatiques, d'introduire un tube de verre dans le calibre intérieur de quelques-unes de ces veines, et de presser ensuite sur le foie afin d'en exprimer le sang, ou bien, sans employer de tube de verre, on se contente d’inciser la veine cave dans son passage à travers la scissure supérieure du foie, après l'avoir liée dans l'abdomen et dans la poitrine ; on in- cline alors le foie de l'animal pour en faire écouler le liquide contenu dans les veines hépatiques. Mais en opérant de cette manière, on recueille le sang qui remplit le tissu du foie etnon celui qui cireule dans un vaisseau. Autant vaudrait presque séparer le foie de l’ani- mal, le couper en morceaux, et le faire bouillir avec de l’eau. L'or- gane hépatique étant le réservoir où le sucre se trouve accumulé, il n’est pas étonnant qu'en prenant le sang au sein même de cet organe, on recueille un liquide chargé d’une quantité relativement considérable de suere, puisqu'on vient chercher ce produit au sein même du réservoir où il est retenu. On peut, il est vrai, nous objecter qu’en prenant, comme nous le recommandons, le sang de la veine cave inférieure dans la cavité thoracique, on ne prend pas uniquement le sang sortant du foie, et qu’il est mélangé avec celui qui provient des extrémités inférieures, puisque la veine cave, qui ne fait que traverser le foie, sans s’y ramifier, vient verser dans le cœur droit le sang qui provient des extrémités inférieures du corps. A cette objection, je réponds qu’en liant la veine cave inférieure dans l'abdomen , au-dessus du foie et au-dessus de l'insertion des veines rénales, on peut arrêter le sang qui provient des extrémités inférieures, et que, dans tous les cas, il est bien préférable d’opé- rer, en se tenant averti de la circonstance, sur ce sang mélangé, que de tomber dans cette vicieuse méthode qui consiste à puiser dans l'organe même où il est physiologiquement accumulé, le prin- cipe sucré dont on veut constater l'existence dans la circulation. Est-il étonnant, je le répète, que recueillant par le canal des veines hépatiques le sang qui a séjourné dans le tissu sucré du foie, on fasse ressortir une différence si marquée entre les quantités de sucre
SUR LA FONCTION GLYCOGENIQUE DU FOIE. 401 que l’on trouve au-dessous et au-dessus de cet organe? Mais cette différence résulte surtout de la manière dont l'expérience est faite. Qu'on l’exécute, comme je l'indique, en recueillant le sang en cireula- lion, par une véritable saignée pratiquée sur la veine caveinférieure, à une certaine hauteur au-dessus du foie, dans la cavité thoracique, et l’on verra s'évanouir, entre les quantités de sucre contenues dans les deux sangs, une partie de cette différence dont on arguë.
Je rapporterai ici une expérience qui montrera bien qu’en effet lorsqu'on recueille le sang sortant du foie dans les conditions véri- tablement physiologiques que je signale, le résultat que l’on obtient sous le rapport de la quantité de sucre contenue dans ce sang est loin d’être en rapport avec ceux que l’on a tant de fois obtenus en opérant avec le sang des veines hépatiques.
Un Chien de forte taille, nourri depuis six jours avee de la viande de cheval, a reçu un repas de cette viande cuite. Six heures après, sans ouvrir la cavité abdominale, ce qui aurait troublé la circulation et empêché de recueillir dans la veine cave inférieure une quan- tité de sang suffisante , on à pratiqué à ce Chien la résection de trois côtes pour découvrir la cavité thoracique. On a lié la veine cave inférieure au-dessous du cœur pour s'opposer au reflux du sang de l'oreillette droite. La veine cave inférieure a été alors inei- sée deux pouces environ au-dessus du diaphragme, pour y intro- duire un pelit tuyau métallique terminé par un tube de caoutchoue. On à pu ainsi recueillir facilement le sang qui cireulait dans la veine cave inférieure. Cesang, après la défibrination, pesait 205 grammes. On l'a traité à la manière ordinaire, par trois fois son volume d’al- cool , exprimé le coagulum, et évaporé à siceité au bain-marie le liquide acidulé par un peu d'acide acétique. Après avoir repris le résidu par l'eau distillée et passé à travers un linge, le liquide, mis en contact avec de la levüre de bière préalablement lavée, n’a donné, au bout de huit à dix heures de fermentation, qu'environ 6 centimètres cubes d’acide carbonique. Il n’est pas douteux que si l’on eût opéré, ainsi qu'on le recommande, sur le sang des veines hépatiques pris dans le foie , on n’eüt obtenu une quantité d'acide carbonique de beaucoup plus considérable (4).
4} Je ne veux pas agiter ici la question , bien difficile, des moyens qu'il fau-
102 L. FIGUIER, — MÉMOIRE
La discussion précédente montrera peut-être qu’il est bon de ne pas trop s’arrêler, comme on l’a fait jusqu'ici, aux assertions des personnes qui déclarent que hors de leurs procédés il n'y a point de salut; où plutôt elle nous éclaire sur les motifs qui ont fait re- commander, comme la seule à mettre en usage, la méthode d’expé- rience dont il vient d’être question. Recueillir le sang de la veine porte sur le cadavre de l'animal, afin de n’en obtenir qu'une petite quantité, et prendre le sang dans les veines hépatiques, c’est-à-dire au sein d’un organe gorgé de sucre , c’est rassembler des condi- tions artificielles calculées pour frapper les veux en vue du résultat qu'on veut mettre en évidence , mais ce n’est pas procéder selon les règles d’une saine expérimentation physiologique.
ILE.
lei se termine la communication que j'avais à présenter à l’'Aca- démie pour faire suite aux deux mémoires que j'ai publiés sur la même question. Arrivé au terme d’un travail qui a été fécond en difficultés de plus d'un genre, je demanderai la permission de résumer les faits nouveaux que je crois avoir mis en évidence dans le cours de ces recherches. La discussion, qui s'est concentrée dès le début sur un point presque unique, a fait perdre de vue
drait employer pour déterminer et comparer d’une manière rigoureuse les quan- tités de sucre que contient le sang de la veine porte pendant la digestion et celles que le sang renferme à sa sortie du foie. Je ferai cependant remarquer que si le sang de la veine cave inférieure , à sa sortie du foie , est chargé d’une quantité notable de sucre, cela tient à ce que par son séjour dans le foie , et à la suite du travail de sécrétion qui s’accomplit dans cet organe, il s'y est dépouillé d’une grande quantité d'éléments divers. Comparé, à poids égal, au sang de la veine porte, le sang de la veine cave inférieure peut renfermer plus de sucre que celui de la veine porte, sans qu'il soit permis d’en tirer d'autre conséquence, sinôn que le sang s'est débarrassé dans le foie de plusieurs produits étrangers , dont la disparition à pour résultat d'élever la proportion relative du sucre contenu dans ce dernier sang. Je signale ce fait pour répondre à l'argument de plusieurs phy- siologistes qui voudraient, avec M. de Castelnau, que l'on établit une balance égale entre la quantité de glycose contenue dans les deux sangs ; on voit que cette question se complique de beaucoup d'éléments, et n’est peut-être pas même susceptible d’être tranchée rigoureusement par l'expérience.
SUR LA FONCTION GLYCOGÉNIQUE DU FOIE. 103 quelques-uns des résultats que j'avais présentés à l'appui de mon opinion ; on me permettra donc deles rappeler ici en peu de mots.
Dans mon premier Mémoire, j'ai établi ce fait, admis aujourd'hui comme une vérité incontestable , que, dans l’état normal, il existe une certaine quantité de sucre dans le sang de l’homme et des ani- maux. Ce fait était en opposition avec les résultats obtenus par l’auteur de la théorie glycogénique, qui déclarait que le sucre, sécrété dans le foie, était presque aussitôt détruit par la respira- tion; de sorte que, d’après lui, on n’en trouvait plus dans le sang dès sa sortie du poumon. M. CI. Bernard a essayé de m'’enle- ver le mérite de celte découverte , en avançant qu'elle avait été faite, en 1846, par M. Magendie. J'ai répondu nettement à cette asserlion, dans mon premier Mémoire imprimé dansles 4nnales des sciences naturelles et dans le Journal de pharmacie ; mais comme elle se trouve reproduite dans un ouvrage récent du même auteur, je suis obligé de rappeler encore que dans les expériences de M. Magendie, auxquelles on fait allusion, ce physiologiste ne s'était occupé que de constater la présence du glycose dans le sang d’ani- maux nourris exclusivement avec des matières féculentes ; — que l'auteur de la théorie glycogénique n’a jamais fait la moindre allu- sion à ces résullals de M. Magendie, soit pour les réfuter, soit pour y plier sa théorie, — et qu'il ne s’en est souvenu que neufannées après, postérieurement à Ja publication de mon travail, et dans le vain désir de me contester l'honneur d’une observation qu'ilestim- possiblede m'enlever. J'ajouterai queM. CL. Bernard étail si peu con- raineu de la présence du sucre dans le sang, ailleurs que dans les veines hépatiques et la veine cave inférieure, qu'à l'apparition de mon premier Mémoire, il a prétendu que le glycose dont je signa- lais la présence dans le sang des animaux de boucherie provenait du foie, attendu, disait cet observateur, que, pour saigner le bœuf qui vient d'être abattu, le boucher plonge son couteau dans l’oreil- lette droite du cœur de l'animal, et que, dès lors, le sang ainsi re- cueilli arrive directement du foie par la veine cave inférieure qui le déverse dans l'oreillette droite ; attendu, disait-il encore, que le boucher presse du pied le foie de l'animal pour en exprimer plus de
104 L. FIGUIER. — MÉMOIRE
sang, ete. Cefait, que l'oreillette droite soit intéressée par le couteau du boucher, est parfaitement inexact, et nous nenous arrêterons pas à le réfuter, bien qu'il soit reproduit dans l'ouvrage récemment publié par l’auteur sur la fonction glycogénique (4). Il prouve, toutefois , que ee physiologisie ne pouvait croire, même à cette époque , à l’existence du sucre dans le sang de la circulation gé- nérale, c’est-à-dire à la réalité du fait qu'il affirme aujourd’hui avoir été découvert par M. Magendie en 1846.
Le second fait que j'ai établi dans les recherches que j'essaie de résumer, c'est la présence dans le foie, en quantité considérable, de l’albuminose , c'est-à-dire du produit de la digestion des ma- tières azotées. Ce résultat a une importance que l'on a peut-être trop négligée , au point de vue des fonctions physiologiques du foie, qu’il nous montre comme un organe chargé de servir de réservoir temporaire aux produits de la digestion.
Le rapprochement de ces deux résultats, savoir, qu'il existe beaucoup d’albuminose dans le foie et très peu dans le sang, — et qu'il existe beaucoup de sucre dans le foie et bien moins dans le sang, — m'ont conduit à émettre cette opinion, accueillie sans défaveur par les physiologistes , que le foie constitne une sorte de réservoir pour les produits de la digestion ; que cet organe doit re- tenir quelque temps dans son lissu le glycose et l’albuminose pro- venant de la digestion, pour les déverser plus tard dans le sang de la circulaaon générale. Il est probable, selon nous, qu'il s'opère dans le foie un travail physiologique nouveau sur les produits de la digestion qui arnvent de l'intestin ; de telle sorte que le foie pour-
(1) « Dans le sang de bœuf pris dans les abattoirs, quand il est frais, on en trouve toujours (du sucre), et voici pourquoi : Pour saigner les bœufs que l'on vient d’assommer, le boucher leur enfonce le couteau jusque dans l'oreillette droite; le sang qui s'en écoule vient donc en partie des veines hépatiques. Et si l'on observe, en outre, que pour faire dégorger le sang que contient l’ani- mal, on appuie fortement avec le pied justement dans la région du foie , de manière à exprimer le plus possible cet organe, vous comprendrez alors, d'après » ce que nous avons dit dans une précédente leçon, comment il se fait que le sang » qui sort de la plaie, mélangé avec celui qui vient des veines hépatiques, con- » tienne des quantités notables de sucre, » (Leçons de physiologie expérimentale , par M CI. Bernard, p. 267.)
3
C2
SUR LA FONCTION GLYCOGÉNIQUE DU FOIE. 105 rait être considéré, smon comme un second estomac, au moins comme une véritable annexe de l'appareil digestif.
Je me suis occupé ensuite de l'expérience fondamentale qui avait pour objet de démontrer la présence du sucre dans le sang de la veine porte chez un animal nourri exclusivement de viande. J'ai fait voir que, contrairement à ce qui était alors admis, le réactif cupro-potassique accusail, dans ce liquide , la présence du sucre, qui se trouvait simplement masqué à l’action de ce réactif par une matière étrangère ; résultat qui n’est plus maintenant contesté par personne. Je m'efforçais, dans le même travail, d'expliquer et de mettre bien en relief le fait de l'accumulation du sucre dans le foie à la suite de la digestion ; je montrais, par une expérience compa- rative , que , dans les premiers moments de la digestion , le réactif cupro-potassique indique dans le sang de la veine porte une quan- tité de glycose supérieure à celle qui est contenue dans le‘sang sor- tant du foie, pris dans la veine cave inférieure, c'est-à-dire dans la cavité thoracique (4).
(1) Les expériences qui m'ont conduit à ce dernier résultat ont été formelle- ment niées. Dans ses Leçons de physiologie expérimentale, publiées pour défendre sa théorie, et où il traite son contradicteur avec si peu de modération , l’auteur de la glycogénie, après avoir cité cette deuxième partie de mon Mémoire, ajoute : « J'ai reproduit textuellement les paroles de l'auteur, parce qu'il faut avoir lu » de ses yeux de semblables résultats, pour croire qu'on les ait avancés d’après » une expérience faite une seule fois. On comprend , jusqu'à un certain point, » que l'illusion puisse se glisser dans le raisonnement sous l'influence de certaines » idées préconçues ; mais ce qui est plus difficile de comprendre, c'est que l'on » trouve et que l'on dose du sucre dans le sang de la veine porte, quand il n'y en » a pas, et que l'on n'en voie pas dans le sang des veines hépatiques, où il y » en a. La possibilité de semblables contradictions doit attrister les hommes qui » recherchent la vérité! »
Ce n'est pas avec le sang des veines hépatiques que j'ai opéré, comme me le fait dire, avec une persistance singulière, l'auteur des Leçons de physiologie expé- rimentale, mais bien , ainsi que cela est dit parlout dans mon Mémoire , avec le sang pris dans la veine cave inférieure, au-dessus du diaphragme ; et les consi- dérations rapportées plus haut motivaient suffisamment ce choix. Si donc l'hono- rable professeur avait bien voulu répéter mon expérience telle que je la rapporte, il aurait trouvé le même résultat que j'ai annoncé, et il se serait peut-être dis- pensé de diriger contre moi, du moins dans ce cas spécial, les censures que je viens de rappeler.
106 L. FIGUIER, — MÉMOIRE
Enfin, dans le Mémoire que je viens d’avoir l'honneur de com- muniquer à l’Académie , j'ai essayé de prouver que le principe sucré qui existe dans le sang de la veine porte est susceptible d'entrer en fermentation comme celui du foie.
Je crois done pouvoir répéter ici ce que je disais à la fin de mon premier Mémoire : « Nous coneluons,en résumé, que le foie, chez » l’homme et les animaux, n’a point reçu pour fonction de fabriquer » du sucre; que tout le glycose qu'il renferme provient du sang » qui gorge son lissu, et que ce glycose a été apporté dans les » vaisseaux par suite de la digestion. »
J'ai été heureux de trouver, dans un Mémoire communiqué à l’Académie le 11 juin de cette année, l'entière confirmation de mes propres résultats. Dans un travail intitulé : Recherches sur la for- mation du sucre dans l'organisme, entrepris dans le but de décider si la production du sucre est réellement localisée dans le foie, M. G. Colin (d’Alfort) a été conduit à résumer, par les propositions suivantes, les résultats de ses expériences.
« Le À l’état normal, chez les Herbivores , il y a du sucre dans » le sang, le chyle et la lymphe ; chez ces animaux, la veine porte »et les chylifères puisent, pendant la digestion, le sucre tout formé » dans les aliments, comme celui qui y prend naissance par les » mutations de matières amylacées.
» ® Chez les Carnassiers nourris exclusivement de chair, la » veine porle et les chylifères se chargent de matière sucrée pro- » duite dans l'appareil digestif aux dépens des principes de l'ali- » mentation.
» 8° Divers produits de sécrétion, comme la sérosité des plèvres, » du péricarde, du péritoine, le contenu des vésicules ovariennes, » de l’estomac, du fœtus, la bile, renferment du sucre en plus ou » moins forte proportion. »
Des expériences de M. Colin comme des miennes, il résulte done que le sucre n'apparaît point dans le foie par l’effet d'une sécrétion de cet organe, mais seulement à la suite de la digestion.
SUR LA FONCTION GLYCOGÉNIQUE DU FOIE. 107 IV.
Je viens de résumer mes recherches particulières à propos de la fonction glycogénique. Vu l'importance du sujet, je crois utile de présenter, en terminant, les considérations générales , résultant d’autres travaux déjà connus, et qui s'élèvent également contre l'existence de cette fonction. Je présenterai ce tableau en termés concis.
L'objet de la fonction glycogénique serait de créer un seul pro- duit, le sucre; lequel produit, une fois versé dans le sang, personne ne peut dire ce qu'il y fait, quel rôle il remplit dans l'économie, ni comment il en disparait.
Le théâtre de cette fonction serait le foie. Mais cet organe est déjà le siége d’une sécrétion qui n’a rien de mystérieux ni de latent: c’est celle de la bile. Le sang qui s'introduit dans le foie ne ren- ferme point les éléments de la bile, et ce liquide, sécrété aux dépens du sang, s'échappe au dehors par un canal excréleur. Au contraire, le sang qui pénètre dans le foie renferme déjà du sucre, et l’on ne connait pas encore de conduit excréteur pour le principe sucré. De plus, on ne trouve dans le foie qu'un seul genre de cellules, ee qui indique que cette glande, comme lesautres glandes de l’économie, n’est anatomiquement organisée que pour une seule sécrétion.
L'apparition du glycose dans le foie est toujours subordonnée à l'alimentation. Chez un animal bien nourri, c’est pendant la diges- tion que la proportion du sucre qui se montre dans le foie est le plus considérable possible. Mais quand on supprime l'alimentation, on voit ce produit diminuer rapidement dans le foie, et il finit par disparaitre à la suite d’une abstinence suffisamment prolongée. Certes, dans d’autres conjectures, un tel fait aurait suffi à lui seul pour prouver que, dans l'économie animale, le sucre est un simple produit de digestion, et non le résultat d’une sécrétion physiolo- gique. Ajoutez cet autre fait, si confirmatif, emprunté à la patho- logie, que, d’après M. Andral, les diabétiques mis à la diète eessent de rendre du sucre par les urines; ce qui prouve que, dans l’état
108 L. FIGUIER, — MÉMOIRE
de maladie comme dans l’état de santé, l'apparition du sucre dans l’économie animale est subordonnée à l'alimentation.
La présence du sucre dans le foie ne paraît nullement sous la dépendance du système nerveux, comme le sont toutes les autres fonctions de l’économie. Cette bizarre démonstration de l'influence du système nerveux sur la fonction glycogénique, qui consiste à montrer que le sucre apparait dans les urines du Lapin à la suite de la piqure d’un certain point, unique, de la moelle allongée, n’a aucune signification. Il est, en effet, bien reconnu , d’après des travaux récents, que, dans cette expérience, le sucre ne se montre dans l'urine que par suite du trouble apporté par la lésion du sys- tème nerveux central à l'assimilation et à la destruction du sucre dans l’économie. Le professeur Lehmann, dont l'autorité a été in- voquée à ce sujet, « déclare formellement, dans sa Chimie physio- » logique, qu'il serait contraire aux lois les plus simples de la chi- » mie de penser que certaines excitations de filets nerveux dussent » influencer l’apparition du sucre dans le foie; que si cela était » admissible, il faudrait constater tout d’abord une accumulation des » matières élémentaires et fondamentales du sang dans le foie pen- » dant la durée de cette irritation. Or ce physiologiste ajoute que, » loin d’avoir remarqué une accélération dans la circulation hépa- » tique, ila, au contraire, toujours observé un ralentissement dans » la circulation chez les diabétiques et chez les animaux soumis à » ses expériences. Il avoue d’ailleurs que, dans l'état actuel de nos » connaissances (1855), il ne reste plus rien de vrai, quant à l’ori- » gine du sucre dans les urines, sinon ce fait, que le sucre passe » dans les urines, parce qu'il n’est pas détruit dans le sang (1). »
Quand la physiologie animale vient à s'enrichir de l’inestimable conquête d’une fonction nouvelle, cette découverte doit trouver et trouve toujours dans la pathologie un retentissement considé- rable. La fonction glycogénique, connue depuis plus de six ans, est demeurée absolument stérile dans la pathologie du foie. En fait d'applications à l’art de guérir , elle n’a produit que cette idée, que le diabète est une maladie du foie, c’est-à-dire une
(1) Moniteur des hôpitaux, 7 avril 41855 (Note historique sur la présence du sucre dans l'organisme animal, par M. Schnepff),
SUR LA FONCTION GLYCOGÉNIQUE DU FOIE. 109 exagération de sa sécrélion normale, opinion évidemment insou- tenable.
Si l’on se demande, en résumé, quelles sont les acquisitions faites par la science à la suite des travaux dont cette question a été l’objet, elles se réduisent, selon nous, à ces deux faits : qu'il existe du sucre dans le tissu du foie, et que, par la digestion, la viande peut fournir du sucre. Ces deux résultats ont sans doute leur impor- tance, mais on pensera peut-être qu'ils ont été un peu chèrement acquis au prix de tant de débats.
SUR LE MÉCANISME
DE LA FORMATION DU SUCRE DANS LE FOIE,
Par M. Claude BERNARD.
La fonction glycogénique du foie est une de celles qui ont eu le privilége d'attirer le plus vivement l'attention des physiologistes , des chimistes et des médecins, à cause de l'importance des idées qu’elle soulève en physiologie générale.
Après avoir, par des expériences nombreuses faites sur l’homme et les animaux, établi la généralité de cette nouvelle fonction , l'avoir étudiée dans ses conditions physiologiques et localisée dans le foie, je devais songer à entrer plus avant dans la nature du phé- nomène, et chercher à pénétrer le mécanisme intime de la pro- duction du sucre dans les animaux.
Les expériences nouvelles dont j'ai à entretenir aujourd'hui l’Académie sont destinées, je crois, à jeter une vive lumière sur cette partie intéressante de la question.
Il estinutile que je reproduise ici tous les faits incontestables sur lesquels j’ai établi la réalité de la fonction glycogénique. Depuis six ans, ces faits ont pris leur place dans la science, et je dois me fé- liciter de les avoir vu confirmer dans tous les pays par les physio- logistes et les chimistes les plus compétents.
110 CL. BERNARD. — SUR LE MÉCANISME
Néanmoins, comme dans ces derniers temps il s’est rencontré des auteurs qui sont venus introduire des expériences inexactes dans la question de la production du sucre dans l’organisme animal, j'ai cru qu’il élait nécessaire, avant d’entrer en matière, de relever ces inexactitudes en rétablissant dans leur ordre et d’une manière très succincte quelques-uns des faits fondamentaux qui servent de base à la théorie glycogénique.
Premièrement, j'ai dit dans mon Mémoire qu'il existe chez les animaux une fonction physiologique en vertu de laquelle il se produit de la matière sucrée dans l'organisme , parce que le sucre persiste toujours dans le foie et dans le sang chez les animaux car- nivores, dont l'alimentation ne renferme aucune substance sucrée. C’est là un fait capital ; car, il y a peu de temps encore, on admet- tait généralement que le sucre trouvé dans l'organisme était tou- jours introduit en nature par l’alimentalion. Aujourd’hui personne ne diseute plus sur cette question, et il reste parfaitement établi, depuis mes expériences, que le sucre (glycose) se produit dans l’organisme animal sans l'intervention des substances sucrées ou amylacées.
Deuxièmement , j'ai également dit que cette fonction glycogé- nique doit être localisée dans le foie. En effet, chez un animal car- nivore le foie est en réalité le point central d’où part le sucre pour se répandre dans tout le corps, et, circonstance sur laquelle j'ai particulièrement insisté, le sang qui pénètre dans le foie par la veine porte ne renferme pas de sucre, tandis que le même sang qui sort par les veines hépatiques en contient loujours des proportions notables. On ne pouvait, d’après cela, s'empêcher de conclure que le sucre prend naissance dans le foie, dont le tissu est du reste constamment imprégné de matière sucrée dans l’état phy- siologique.
Cette expérience, qui constituera foujours un des principaux ar- guments chimiques de la fonction glycogénique du foie, n’a trouvé, jusqu'à ce jour, qu'un seul contradicteur. L'auteur de ces contra- dietions est venu lire devant cette Académie trois Mémoires sue- cessifs, destinés à combattre la fonction glycogénique dans les animaux.
DE LA FORMATION DU SUCRE DANS LE FOIE. a
Dans son premier Mémoire (1), l’auteur soutenail encore que le Sucre ne peut exister dansles animaux sans une alimentation sucrée ou amylacée ; et pour expliquer la présence du sucre qu’on ren- contre dans le foie et dans le sang des Carnivores, il avait dit que la viande provenant d'animaux herbivores doit contenir du sucre. C’est là une assertion que dément l'expérience ; car jamais l’auteur ni personne n’ont constaté la présence du sucre dans la viande
Dans son deuxième Mémoire (2), l’auteur admet ce qu’il avait nié dans le premier , et il reconnaît que le sucre se produit dans les animaux sans l'intervention d’une alimentation sucrée ou amy lacée ; mais il essaie de prouver alors que le sucre, au lieu de se former dans le foie, ne fait que s’y condenser ou s’y accumuler : il suppose que la matière sucrée, prenant naissance dans le sang, arrive par la veine porte pour aller se déposer dans le tissu hépa- tique. D’après cette idée, l’auteur a été conduit à admettre non- seulement qu'il y a du sucre dans le sang de la veine porte, mais il a dû renverser les résultats de l'expérience , tels que je les avais trouvés ; aussi a-{-il écrit dans son Mémoire que chez un animal nourri de viande crue on trouvait, deux heures après le repas, une plus grande quantité de sucre dans le sang de la veine porte que dans le sang des veines hépatiques.
L'auteur, mis à même de répéter cette expérience devant une commission académique, a été dans l'impossibilité absolue demon- trer la présence du sucre dans le sang de la veine porte, et la commission a déclaré que chez un animal carnivore , dans la pé- riode de la digestion ci-dessus indiquée , et au moyen de la fer- mentation alcoolique, seul caractère positif de la présence du sucre, elle n’avait pas constaté de sucre dans le sang de la veine porte d’une manière appréciable, tandis qu’elle en avait trouvé des quan- tités notables dans le sang des veines hépatiques. En concluant ainsi, la commission a reconnu l'erreur des résultats qui avaient été avancés, et a rétabli les faits tels que je les avais vus, ainsi que tous ceux qui les ont reproduits après moi.
(1) Annales des sciences naturelles, 4° série, t. III, p. 47. (2) Annales des sciences naturelles, 4° série, t. LI, p. 243.
112 CL. BERNARD, —— SUR LE. MÉCANISME
Plus récemment, dans un troisième Mémoire (4), le mème au- teur prétend que s'il n’a pu montrer du sucre dans le sang de la veine porte, cela tient à ce qu'il y existe une matière inconnue qui masque la présence du sucre en s'opposant à la fermentation ; et il décrit à ce sujet des expériences dans lesquelles il dit avoir mis ce sucre en évidence en détruisant cette matière indéterminée qui le masque, au moyen de l’ébullition avec l'acide sulfurique ou azo- tique. J'ai fait cetle expérience, ainsi que l'indique l’auteur , et après l'avoir répétée plusieurs fois avec soin, je dois déclarer que les faits avancés sont complétement inexacts. Le sang de la veine porte recueilli dans des conditions convenables ne fermente pas, même quand on l'a fait bouillir avec un acide, comme le dit l'au- teur. Mais quand on se place ensuite volontairement dans les eon- ditions où il peut se rencontrer du sucre dans le sang de la veine porte, conditions que j'ai déterminées depuis longtemps, alors on obtient directement la fermentation, sans qu'il soit besoin d’aueun traitement préalable par un acide; et ce qui suffirait pour prouver que cette prétendue matière s’opposant à la fermentation n'existe pas , c'est qu’en ajoutant un peu d’une dissolution sucrée au sang de la veine porte avec de la levüre de bière, on voit la fermentation s'établir très rapidement.
Les expériences qui servent de base aux divers Mémoires que je viens de citer étant inexactes, il n’y a pas lieu de relever toutes les erreurs physiologiques et toutes les contradictions dans les- quelles l'auteur a dù tomber après un semblable point de départ.
Je passe donc immédiatement à l'étude Gu mécanisme de la for- mation du sucre dans le foie, qui fait l’objet de ce travail.
Mécanisme de la fonction glycogénique du foie.
Toutes les sécrétions ont nécessairement besoin, pour s'accom- plir, de deux choses, savoir : 1° du sang; 2° d’un tissu glandulaire. Nous devrons chercher à apprécier quel est le rôle respectif de chacun de ces éléments dans la production du sucre.
En 1849, M. Schmidt, de Dorpat (2), sans connaitre mon tra-
(1) Annales des sciences naturelles, 4° série, t. LV, p. 91. (2) Charakteristik der Epidemischen Cholera, etc. Leipzig, 1850, p.16 et suiv.
DE LA FORMATION DU SUCRE DANS LE FOIE. 113 vail sur la fonction glycogénique du foie , insistait sur cetle idée que le suere qui existe normalement dans le sang de l’homme et des animaux doit être regardé comme un des principes constitutifs de ce fluide, et il admettait que ce sucre se forme, comme l’urée ou l'acide carbonique, dans tous les points du système circulatoire, et directement aux dépens de certains principes du sang. Pour cet auteur, la production du sucre dépendrait d’une oxydation des matières grasses qui circulent dans le sang , et il exprime son hypothèse à l’aide de formules chimiques que je n'ai pas à repro- duire ici.
De son côté, M. Lehmann, de Leipzig, après s'être convaincu de la réalité de la fonction glycogénique du foie par ses belles analyses comparatives du sang de la veine porte et du sang des veines hépatiques dont l'Académie connaît les résultats (1), a été conduit à chercher aussi le mécanisme de la production du sucre dans le foie. Ayant constaté que le sang sucré qui sort du foie par les veines hépatiques contient moins de fibrine et moins d’héma- tosine que le sang non sucré qui entre dans cet organe par la veine porte, M. Lehmann a pensé que cette dernière substance pouvait, en se dédoublant dans le foie, contribuer à la formation du sucre; et l’on sait que cet habile chimiste est parvenu à réaliser par un procédé très ingénieux le dédoublement de l’hématosine cristalli- sée, qu'il a le premier obtenue, en sucre (glycose) et en une ma- tière azotée avec laquelle il serait intimement combiné. M. Lehmann admet donc que le foie opère sa fonction glycogénique en dédou- blant certaines substances albuminoïdes du sang en sucre et en des malières azotées qui, peut-être, entrent dans la formation des principes azotés de la bile.
M. Frerichs, de Breslau, qui a également confirmé mes expé- riences sur la formation du sucre dans le foie, aux dépens des ali- ments azotés, admet que cet organe accomplit sa fonction glycogé- nique en décomposant d’une certaine façon, et suivant des formules hypothétiques qu’il indique, des matières azotées qui donneraient naissance dans le foie à de l’urée et à du sucre (2).
(4) Comptes rendus de l'Académie des sciences , t. XL, p. 589.
(2) Wagner, Handv orterbuch Physiologie, 1*° partie, p. 831. 4° série. Zoo. T. IV. (Cahier n° 2.) # S
ait - CL. BERNARD, — SUR LE MÉCANISME
Les hypothèses sur la formation du sucre dans le foie que je viens de rappeler expriment toutes l’idée que l’on se fait générale- ment aujourd'hui du mécanisme des sécrétions. On pense, en effet, que l’organe glandulaire ne fournit rien à la sécrétion , mais que son tissu se borne à agir par une sorte d'action de contact ou ca- talytique sur les éléments du sang qui traverse l'organe glandulaire au moment même où la sécrétion s'opère. Pour le cas particulier de la sécrétion du sucre dans le foie, nous avons vu, en effet, que tous les auteurs supposent que la matière sucrée se forme directe- ment dans le sang.
Les faits que j'ai à exposer actuellement me paraissent de nature à prouver qu'il faut comprendre tout autrement la fonction glyco- génique du foie, et qu'au lieu de chercher dans le sang la substance qui précède le sucre et qui lui donne immédiatement naissance, il faut la chercher dans le tissu hépatique lui-même.
Voici une expérience à laquelle j'ai été conduit, et qui mettra ce fait en lumière; je la décrirai avec quelques détails, afin qu’on puisse facilement en reproduire les résultats qui me semblent très importants et dignes d’intéresser à la fois les physiologistes et les chimistes.
J'ai choisi un Chien adulte, vigoureux et bien portant, qui de- puis plusieurs jours était nourri exclusivement avec de la viande, et je le sacrifiai par la section du bulbe rachidien, sept heures après un repas copieux de tripes. Aussitôt l'abdomen fut ouvert; le foie ut enlevé en évitant de blesser son tissu, et cet organe encore tout ehaud, et avant que le sang eût eu le temps de se coaguler dans ses vaisseaux , fut soumis à un lavage à l’eau froide par la veine porte. Pour cela, je pris un tube de gulta-percha, long de 4 mètre environ , et portant à ses deux extrémités des ajutages de cuivre. Le tube étant préalablement rempli d'eau, une de ses extrémités fut solidement fixée sur le tronc de la veine porte à son entrée dans le foie, et l’autre fut ajustée an robinet de la fontaine du laboratoire de médecine du Collége de France. En ouvrant le robinet, l’eau traversa le foie avec une grande rapidité , car la force du courant d’eau était capable , ainsi que cela fut mesuré, de soulever une colonne de mercure à 127eentiruèlres de hauteur, Sous l'influence
DE LA FORMATION DU SUCRE DANS LE FOIE. 115 de ce lavage énergique, le foie se gonflait, la couleur de son tissu pâlissait , et le sang était chassé avec l’eau qui s’échappait en jet fort et continu par les veines hépatiques. Déjà, au bout d’un quart d'heure, le tissu du foie était à peu près exsangue, et l’eau qui sor- tait par les veines hépatiques était entièrement incolore. Je laissai ce foie soumis à ce lavage continu pendant quarante minutes sans interruption. J'avais constaté au début de l'expérience que l’eau colorée en rouge qui jaillissait par les veines hépatiques était su- crée, et précipitait abondamment par la chaleur , et je constatai à la fin de l'expérience que l’eau parfaitement incolore qui sortait par les veines hépatiques ne renfermait plus aucune trace de ma- tière albumineuse, ni de sucre.
Alors le foie fut enlevé et soustrait à l’action du courant d’eau; et je m'assurai, en en faisant bouillir une partie avee un peu d’eau, que son {issu élait bien lavé, puisqu'il ne renfermait plus de matière sucrée. Son décoctum ne donnait aucun signe de réduction du liquide cupro-potassique, ni aucune trace de fermentation avec la levüre de bière. Il s’échappait de la coupe du tissu hépatique et des vaisseaux béants une petite quantité d’un liquide trouble qui ne renfermait non plus aucune trace de matière sucrée. J’abandonnai alors dans un vase ce foie à la température ambiante, et, en reve- nant vingt-quatre heures après, je constatai que cet organe bien lavé de son sang, que j'avais laissé la veille complétement privé de sucre, s’en trouvait alors pourvu très abondamment. Il me suffit, pour m'en convaincre, d'examiner un peu du liquide qui s'était écoulé autour du foie, et qui était fortement sucré; ensuite, en in- jetant avee une pelite seringue de l’eau froide par la veine porte, et recueillant cette eau quand elle sortait par les veines hépatiques, je constatai que ce liquide donnait lieu, avec la levüre de bière, à une fermentation très abondante et très active,
Cette expérience si simple, dans laquelle on voit renaître sous ses yeux la matière sucrée en abondance dans un foie qui en a été complétement débarrassé, ainsi que de son sang, au moyen du la- vage, est une des plus instructives pour la solution de la question de la fonction glycogénique qui nous occupe. Cette expérience prouve clairement, comme nous l'avons avancé, que dans un foie
116 CL. BERNARD. —- SUR LE MÉCANISME
frais à l’état physiologique , c’est-à-dire en fonction , il y a deux substances, savoir : 4° le sucre très soluble dans l’eau, et qui est emporté avec le sang par le lavage ; 2 une autre matière assez peu soluble dans l’eau pour qu'elle soit restée fixée au tissu hépatique, après que celui-ci avait été dépouillé de son sucre et de son sang par un lavage de quarante minutes. C'est cette dernière substance qui, dans le foie abandonné à lui-même , se change peu à peu en sucre par une sorte de fermentation , ainsi que nous allons le mon(rer.
En effet, cette nouvelle formation de sucre dans le foie lavé est complétement empêchée par la cuisson. Si l’on fait cuire, par exemple, la moitié d’un foie aussitèt après le lavage , on s’assure qu’au moment même son décoctum, généralement opalin, ne con- tient pas de sucre, et qu'il n’en renferme pas non plus le lendemain, preuve qu'il ne s’en est pas développé. On constate, au contraire, dans l’autre moilié du foie qui n’a pas subi la cuisson , que la ma- tière sucrée s’est produite déjà après quelques heures , et que sa quantité va graduellement en augmentant, au point d’attemdre quelquefois, après vingt-quatre heures , les proportions de sucre égales à celles que le foie contenait primitivement.
Cette formation glycosique est généralement terminée après vingt-quatre heures , et si après ce temps on soumet le foie de nouveau au lavage par le courant d’eau, de manière à lui enlever tout son sucre de nouvelle formation , on voit que généralement il ne s’en produit plus, parce que la matière qui le formait est sans doute épuisée. Il ne se dissout plus alors qu’une sorte de matière albumineuse qui accompagne toujours la production du sucre , bien qu’elle en paraisse complétement indépendante, ainsi que je le dirai plus tard, Enfin cette formation glycosique m'a paru géné- ralement plus rapide, quand on multipliait le contact de l'air en coupant le foie en morceaux, en même temps qu’on l'humectait avec de l’eau.
Nous avons dit plus haut que la malière hépatique qui est sus- ceptible de se changer en sucre doit être peu soluble dans l’eau. Cette même matière se montre également insoluble dans l'alcool, ainsi que le prouve l’expérience suivante.
DE LA FORMATION DU SUCRE DANS LE FOIE. 117
J'ai pris le foie d’un animal en digestion; j'ai broyé son tissu tout chaud immédiatement, ou mieux après l'avoir un peu lavé en injectant avec une seringue de l'alcool ordinaire par la veine porte, pour débarrasser le tissu hépatique d’une partie de son sang. Ensuite je séparai les vaisseaux et nerfs du foie, en exprimant son tissu sur un {amis de crin assez fin, de manière à ne recueillir que là pulpe de l'organe qui passait par le tamis. Celte sorte de boue hépatique fut ensuite agitée, macérée et lavée avec de l’alcool froid à plusieurs reprises, afin de l’épuiser complétement du sucre qu'elle pouvait contenir , et de ne garder que les substances inso- lubles dans l'alcool. Cette pulpe hépatique fut ensuite recueillie sur un filtre et placée sur du papier joseph, dans une étuve dont la tem- pérature ne dépassait pas 40 degrés, et dans laquelle un courant d'air accélérait la dessiccation. J'avais soin de diviser la matière , afin que la dessiccation se fit d’une manière égale. J’oblins ainsi une substance pulvérulente, formée de la partie glandulaire même du foie qui était bien desséchée et débarrassée de sucre, mais qui retenait avec elle la matière hépatique en question, susceptible de donner naissance à du sucre, dès qu'on la remettait dans l'eau. En eflet, lorsque j'humectais cette poudre hépatique avec de l’eau or- dinaire, en laissant ensuite le tout à la température ambiante, je conslatais déjà au bout de quelques heures que l’eau contenait des proportions très notables de sucre. On ne pouvait pas objecter que le sucre qui se manifeste alors était retenu dans le tissu hépatique, parce que l'alcool est un moins bon dissolvant que l’eau ; car si j'ajoutais la poudre hépatique dans de l’eau maintenue en ébullition pendant quelques minutes , je ne remarquais plus aucune appari- tion de matière sucrée, ce qui se rapporte d’ailleurs parfaitement à ce que nous avons déjà dit de cette matière, dont la réaction gly- cosique dans le foie lavé à l’eau est également empêchée par la cuisson.
L'éther ne parait pas non plus altérer la matière singulière qui nous occupe, car j'ai laissé macérer dans de l’éther, pendant plu- sieurs jours, la pulpe hépatique déjà préalablement traitée par l’al- cool et desséchée, et j’ai constaté que cette pulpe conservait encore la propriété de former du sucre.
118 CL. BERNARD. —- SUR LE MÉCANISME
Je me bornerai à ces expériences pour aujourd’hui. La matière dont je ne fais ici en quelque sorte qu'indiquer l'existence, devra être isolée et étudiée ultérieurement avec soin au point de vue chi- mique et physiologique. J’ajouterai seulement, sous ce dernier rapport, que j'ai trouvé que cette matière n’existe dans le foie qu’à l'état normal ou fonctionnel, et qu’elle disparaît complétement du tissude cet organe dans toutes les circonstances où la fonction glyco- génique est arrêtée, circonstances que j'ai d’ailleurs déterminées depuis longtemps dans mon Mémoire. Cette matière appartient exclusivement au tissu du foie, dans lequel elle prend naissance ; car j'ai constaté bien souvent qu'il n’y en a pas de traces dans le sang de la veine porte, non plus que dans le sang des autres parties du Corps.
Enfin je ferai remarquer que, pendant la vie, cette matière, se renouvelant sans cesse dans le tissu hépatique sous l'influence de la nutrition, s’y transforme incessamment en matière sucrée , qui vient remplacer dans le foie le sucre, que le courant sanguin em- porte continuellement par les veines hépatiques. Après la mort, dans un foie extrait du corps, cette matière, sous l'influence de l'humidité, peut continuer à se changer en sucre jusqu’à ce qu'elle soit épuisée. Mais comme alors il ne sort plus de sucre du foie par la circulation, il en résulte que la matière sucrée s’accumule, et que sa proportion augmente dans le tissu hépatique après la mort. Aussi le tissu du foie est toujours plus sucré le lendemain qu’au moment même où l'on sacrifie l’animal, et quelquefois cette différence est dans une proportion considérable. Tous les dosages que l’on a faits du sucre dans le foie doivent donc être revérifiés d’après la connaissance de ces nouveaux faits.
En résumé, le seul but de mon travail pour le moment, c’est de prouver que le sucre qui se forme dans le foie ne se produit pas d'emblée dans le sang , si je puis m’exprimer ainsi, mais que sa présence est constamment précédée par une matière spéciale dé- posée dans le tissu du foie, el qui lui donne immédiatement nais- sance. Si je me suis décidé à publier ce travail encore inachevé, c’est qu'il m'a paru utile, pour la solution de la question glyco- génique qui nous ocenpe. d'attirer l'attention des chimistes sur des
DE LA FORMATION DU SUCRE DANS LE FOIE. 119
phénomènes qui ne leur sont pas connus, et qui me paraissent de nature à changer le point de vue où l'on s’était placé jusqu’à pré- sent pour comprendre chimiquement la production du sucre dans le foie. En effet, il ne s’agit plus maintenant de faire des hypothèses sur la provenance du sucre du foie, ni sur la possibilité du dédou- blement direct et immédiat de tel ou tel élément du sang pour pro- duire ce sucre. Il faut chercher à isoler cette matière hépatique singulière qui lui préexiste , savoir comment elle se sécrète dans le foie, et comment ensuite elle subit les transformations succes- sives qui la changent en sucre. Il y a probablement entre ces deux extrêmes, la matière insoluble telle qu'elle est sécrétée par l’action vitale du foie, et le sucre qui en émane et sort de l’organe avec le sang des veines hépatiques, une série de formations intermédiaires que je n'ai pas vues, mais que les chimistes découvriront sans doute.
MÉMOIRE SUR L'INFLUENCE QU'EXERCE SUR LE DÉVELOPPEMENT DU POULET
L'APPLICATION PARTIELLE D'UN VERNIS SUR LA COQUILLE DE L ŒUF,
Par M. Camille DARESTE.
J'ai fait, pendant l'été dernier, un grand nombre d'expériences pour déterminer l’action que des enduits imperméables appliqués sur des œufs de Poule exercent sur le développement du germe ou de l'embryon qu'ils contiennent.
De semblables expériences ont été déjà faites par Geoffroy Saint- Hilaire (1) il y a plus de trente ans, et plus récemment par
/
(1) Geoffroy Saint-Hilaire est le premier physiologiste qui ail tenté des expé- riences sur la production artificielle des monstruosités. Ces expériences ont été faites, à plusieurs reprises, en 1820, 1822 et 1826. Les résultats des expériences de 4820 sont consignés dans un Mémoire qui a pour titre : Des différents états de pesanteur des œufs au commencement et à la fin de l'incubation, Mémoire lu à l'Académie des sciences le 20 août 1820, et publié dans le Journal complémen- taire des sciences médicales, t. VIL, p. 271, Celles de 4822 sont indiquées, mais
120 C. DARESTE. — MÉMOIRE
MM. Bauüdrimont et Martin Saint-Ange (1). Mais ces savants, n'ayant mis en expérience qu’un très petit nombre d'œufs, n’ont oblenu que des résultats incomplets, bien qu'ils aient vu plusieurs faits importants. Pour arriver à des connaissances précises, il fallait opérer sur un nombre d'œufs considérable ; car, dans les couvées naturelles, il arrive fréquemment qu'un nombre plus ou moins grand de Poulets meurt avant l’éclosion; et cet événement est beaucoup plus fréquent dans les couvées artificielles. Il y a done là une cause d'erreur qu’on ne peut amoindrir et faire disparaître qu'en multipliant le plus possible les expériences.
J'ai pu, à l’aide de l’ingénieux appareil d’incubation de M. Va- lée (l'un des gardiens de la ménagerie au Muséum d'histoire natu- relle) , reprendre cette étude, et mettre plus de soixante œufs en expérience. Cela m'a conduit à voir plusieurs faits qui avaient échappé aux savants dont je viens de rappeler les travaux, et qui me paraissent avoir un certain intérêt pour la physiologie.
J'ai fait ces expériences en recouvrant certaines parties de l'œuf avec du vernis, et en faisant ces applications à des époques diffé- rentes, à parüir du commencement de l’incubation (2).
Je n’ai point verni d’œuf en totalité. Le fait de la respiration du Poulet dans l'œuf est établi aujourd’hui par trop d'expériences pour qu'ilm'ait paru nécessaire de voir ce qui arriverait en ren- dant la coquille entière complétement imperméable à l'air ambiant. Toutefois il résulte des expériences de MM. Baudrimont et Martin Saint-Ange, que si l’action de l'oxygène est indispensable au Poulet
d'une manière très incomplète, dans la Philosophie anatomique , &. IL, p. 541. Celles de 1826 forment le sujet d'un Mémoire lu à l'Académie des sciences le 10 avril 4826, intitulé : Sur des déviations provoquées et observées dans un éla- blissement d’incubation artificielle (Mém. du Muséum, t. XIII, p. 229).
(1) Baudrimont et Martin Saint-Ange, Recherches anatomiques et physiologiques sur le développement du [ælus, et, en particulier, sur l'évolution embryonnaire des Oiseaux et des Batraciens. Ce Mémoire, qui a obtenu le grand prix des sciences physiques en 1845, a été publié, en 1851 , dans le Recueil des savants étrangers.
(2) Je me suis servi, pour ces expériences, du vernis dont on se sert actuelle- ment pour les bottes, qui a l'avantage de ne contenir que très peu d'essence de térébenthine. substance qui pourrait peut-être par elle-même exercer une action toxique sur le Poulet,
SUR LE DÉVELOPPEMENT DU POULET. 191
après que l’incubation est commencée, elle parait ne pas l'être au début même du développement. Quatre œufs vernis en totalité ont présenté à ces savants quelques débris qui indiquaient que les phé - nomènes embryologiques avaient commencé , mais que le défaut de respiration les avait très rapidement arrèlés (4).
Je n'ai appliqué le vernis que sur une moitié de l'œuf, tantôt sur le gros bout et tantôt sur le petit bout; cette application a donné lieu à des résultats très divers.
Lorsque j'ai verni les œufs par le gros bout, au commencement ou dans les premiers jours de l’incubation , j'ai trouvé, en cassant les œufs , un certain nombre de Poulets morts. Ce résultat prove- nait-il de l'influence du vernis où de la mortalité ordinaire des Poulets? Je ne saurais le décider. Mais ce qu’il y a de certain, c’est qu’à cette époque l'application du vernis sur le gros bout de l'œuf n’est point toujours un obstacle au développement du Poulet. Plusieurs des œufs dont j'avais verni le gros bout se sont dévelop- pés, et m'ont présenté des Poulets qui, au moment où j'ai arrêté l'expérience, étaient dans un parfait état de santé.
Je dois insister sur ce point, car MM. Baudrimont et Martin Saint-Ange sont arrivés dans leurs expériences à des résultats tout contraires ; il n'y avait eu de développement que dans un seul cas (2). Mais ces résultats négatifs ne sauraient contredire les ré- sultats positifs que j'ai obtenus, surtout si l’on songe que ces deux savants n’ont mis en expérience que trois œufs, et que les deux œufs qui ne se sont point développés étaient peut-être des œufs clairs.
Il y avait toutefois dans les Poulets qui n’ont point péri un fait anatomique qui me parait digne d’une grande attention. L’allan- toïde, au lieu d’être appliquée contre la chambre à air, était venue s'appliquer contre une des parties de la coquille qui n’avait point été vernie. Ce phénomène est-il général ? Je n'oserais l’affirmer. Lorsque j'ai commencé mes expériences , mon attention ne s'était point portée sur ce fait; depuis que j'en ai eu connaissance, je l’ai
(1) Voyez le Mémoire cité, p. 640 et 642. (2) Zbid., p. 640.
122 C. DARESTE, — MÉMOIRE
toujours constaté dans les œufs dont j'ai verni le gros bout, et qui m'ont présenté des Poulets vivants.
Si ce fait se reproduisait toujours, il nous donnerait mani- festement l'explication de la persistance de la vie dans les con- ditions que je viens de rappeler. On sait que, pendant l’incuba- tion, la membrane qui revêt la face interne de la coquille se dédouble, vers le gros bout de l’œuf, pour former une cavité que l'on appelle la chambre à air ; que l’air extérieur pénètre dans cette chambre, et que, d’après les analyses de MM. Baudrimont et Mar- tin Saint-Ange, cet air contient plus d'oxygène, et moins d’acide carbonique que l’air ambiant (4). On sait également que l’allantoïde est le second organe respiratoire du Poulet, et que , lorsqu'elle se développe, elle vient s'appliquer contre les parois de la chambre à air. Pour que les Poulets ne périssent point quand on vernit le gros bout, il faut donc de toute nécessité que l’allantoïde aille s'appliquer sur une autre partie de la coquille : autrement il y aurait danger d’asphyxie et de mort pour le fœtus.
Ce fait physiologique est le plus remarquable de tous ceux que j'ai observés pendant le cours de mes recherches. Aussi j'ai été vivement satisfait quand j'ai trouvé, dans le Mémoire de MM. Bau- drimont et Martin Saint-Ange , l'indication d’un fait analogue, quoique observé dans des conditions différentes; l'œuf ayant été également verni par moitié, mais parallèlement à son grand axe. Toutefois ces deux savants n’ont point insisté sur l'importance physiologique de ce fait, et ils se bornent à dire : « L’allantoïde s’élait développée de côté, et ne s'était étendue que dans la partienon recouverte de vernis, et accessible à l'air (2). »
Je ne puis savoir comment il arrive que l’allantoïde change ainsi de place. Est-ce le résultat d’une action mécanique ou physique ? Ou bien ne pourrait-on penser qu'il y aurait là l'effet d’une détermina- tioninstinetive du Poulet? On comprendra facilement que je ne puisse émettre d'opinion en pareille matière. Je me contenterai de faire observer qu'on ne voit dans les conditions de l’incubation , soit normale, soit anormale, aucun fait physique qui pourrait déter-
(1) Mémoire cilé, p. 638.
(2) Zbid., p. 642.
SUR LE DÉVELOPPEMENT DU POULET. 193
miner ce changement de position de l’allantoïde; et que, d’une autre part, M. Paul Dubois, s'appuyant sur les idées anciennement émises par Cabanis, à depuis longtemps attribué, à une détermina- tion instinctive du fœtus, la prédominance des présentations du sommet dans les accouchements (1).
Il serait fort intéressant de savoir comment les allantoïdes se comportent dans les cas, qui se présentent, dit-on, assez fré- quemment dans certaines localités, où la coquille de Fœuf contient deux jaunes, et par conséquent deux germes.
Cette position anomale de l’allantoïde , si intéressante en elle- même, nous présente d’ailleurs un aufre intérêt, en ce qu'elle parait être pour le Poulet une cause d'anomalies organiques. Les Poulets qui l'ont présentée étaient pour la plupart bien conformés, etil n'est pas probable que le développement ultérieur eùt amené des monstruosités. Mais j'ai constaté sur deux de ces Poulets des déviations organiques fort remarquables. L'un d'eux avait la patte gauche affectée d'hémimélie, c'est-à-dire qu’à cette patte les doigts manquaient complétement, tandis que la patte droite était régu- lière. L'autre avait la mâchoire supérieure considérablement ré- duite, tandis que la mâchoire inférieure avait son développement normal (2).
(1) P, Dubois, Mémoire sur la cause des présentations de la téte pendant l'ac- couchement et sur les déterminations instinclives ou volontaires du fœtus humain, dans les Mémoires de l'Académie de médecine, t. IN, p. 265; 1833.
(2) Dans les expériences sur l’action du vernis sur les œufs, Geoffroy Saint- Hilaire a observé plusieurs faits de monstruosité. Aïnsi,en 1820, il a observé un cas de spina-bifida (voyez le Journal complém. des se. méd., t. VIT, p. 276), et plus tard, en 1826, un cas de triocéphalie (voyez le Mémoire sur les déviations provoquées, p. 291 ). Malheureusement il n'indique point dans quelles conditions l'expérience a été faite, à quelle époque et sur quelle partie de l'œuf le vernis a été appliqué. Les expériences que je rapporte dans mon Mémoire prouvent com- bien cette lacune est regrettable.
Dans son premier Mémoire, il rapporte également un fait assez intéressant au sujet de Poulets provenant d'œufs soumis à l’action du vernis, mais il le rapporte avec doute. Comme le fait est curieux en lui-même, je cite ici ses propres pa- roles, en faisant observer qu'il y a là aussi une lacune relativement à l'indication des circonstances de l'incubation :
« Il m'est resté trois Poulets de mes œufs vernissés, j'en suis le développement,
124 C. DARESTE, — MÉMOIRE
Je sais bien que dans l’incubation naturelle, et à plus forte rai- son dans l’incubation artificielle, on a souvent observé des mons- truosités. Mais, comme dans toutes les expériences où j'ai verni partiellement des œufs, je n'ai observé des anomalies que dans celte seule circonstance, je crois, jusqu'à plus ample informé, que, dans tous les cas que je viens de rappeler, la position anomale de l’allantoïde à été la cause, ou, comme le disait Geoffroy Saint-Hilaire, l’ordonnée de la monstruosité (1).
Je ne puis quitter ce sujet sans faire remarquer que cette disp@
je les fais élever avec trois de leurs frères qui n'ont pas été soumis aux mêmes procédés ; et trouvant à les comparer à des sujets descendus de la même mère , et placés dans les mêmes conditions sous tous les autres rapports, je ne puis qu'attribuer aux effets du vernis les modifications de leurs organes olfactifs.
» Les Poulets vernis ont les nasaux maxillaires et les internasaux (voyez, au sujet de ces dénominations, le Mémoire sur le crâne des oiseaux de Geoffroy Saint Hilaire, dans les Annales du Muséum, L. X, p. 342), dont les branches pren- nent celles des premiers à revers, ont, dis-je, ces os si diminués, qu'ils ne se portent plus les uns sur les autres ; et qu'au lieu de la réunion de leurs branches respectives, qui, de côté, donnent lieu dans l'état normal aux deux ouvertures nasales, il est entre ces mêmes ouvertures un grand vide sur lequel ies tégu- ments communs retombent affaissés : les Poulets des œufs non vernissés ont leurs narines dans l'état ordinaire.
» Je ferai néanmoins une observation. Ce n'est pas la première fois que la sorte de modification que je viens de décrire se présente. Toutes les fois que les Pou- lets doivent être embarrassés de crêtes plus considérables que de coutume, c'est par un sacrifice imposé à quelques parties du sujet olfactif qu'il y est pourvu; et surtout aux dépens des nasaux maxillaires et des internasaux, lesquels grandis- sent d'autant moins que ces crêtes deviennent plus considérables.
» Cette circonstance jette donc de l'incertitude sur mon résultat ; car il se pour- rait, à la rigueur, que les différences que j'ai apercues sur les Poulets mis en expérience fussent dues à une autre cause qu à l'influence du vernis. »
(1) D'après M. Serres { Comptes rendus, t. XL, p. 629 et 678 ), la duplicité monstrueuse, chez les Oiseaux, serait déterminée par des conditions particulières de l’allantoïde. Cette opinion confirme celle que j'ai émise dans ce travail relati- vement au rôle dominateur de l'allantoïde sur l'organisation du Poulet pendant une partie de son existence fœtale. Malheureusement celte opinion, énoncée par M. Serres , repose sur des faits qu'il n'a point publiés. Il serait à désirer que le savant professeur fit connaître prochainement ses travaux récents sur la dupli- cité monstrueuse et sur son mode de production, travaux dont il a entretenu l'Académie dans la séance du 46 avril 1855.
SUR LE DÉVELOPPEMENT DU POULET. 195 sition de l’allantoïde présente une analogie fort remarquable avec un fait anatomique qui se présente quelquefois chez les femmes enceintes, et qui devient la cause d'hémorrhagies presque toujours mortelles pour le fœtus, et souvent aussi pour la mère , l'implan- tation du placenta sur le col de la matrice. Nous savons, en effet, que, chez les Mammifères (à l'exception des Marsupiaux et des Monotrèmes), et chez l'Homme en particulier, l’allantoïde n’a qu'une existence plus temporaire encore que chez les Oiseaux , et qu'elle n’a d’autre fonction que de conduire les vaisseaux ombili- caux de l'abdomen du fœtus au chorion pour servir à la formation du placenta. Le placenta , qui est essentiellement l'organe respi- ratoire du fœtus des Mammifères, est donc l'équivalent physiolo- gique de l’allantoïde des Oiseaux , et peut être considéré comme n'étant qu'un état particulier du développement de cet organe, de la même manière que, dans certaines espèces de Squales, il existe des placentas ombilicaux, c’est-à-dire formés au sommet de la vésicule ombilicale, ainsi que les anciennes observations d’Aristote, et plus tard celles de M. J. Müller, nous l’ont appris. On aurait pu penser que l'analogie qui existe entre ces deux états organiques pourrait être une causede monstruosités; mais les accoucheurs n’ont point remarqué que les monstruosilés fussent plus fréquentes dans les cas d'implantation du placenta sur le col. On comprend d’ail- leurs que les conditions physiologiques qui résultent de ce fait anatomique sont très différentes de celles qu’entraine la position de l'allantoïde, et que, si graves qu'elles soient d’ailleurs pour la vie de l'enfant, et même aussi pour la vie de la mère, elles n’exercent cependant aucune influence sur l’organisation de l’enfant. Peut- être cependant cette implantation du placenta sur le col pourrait- elle devenir la cause de monstruosités, dans le cas qu'elle serait accompagnée d’une brièveté excessive du cordon.
Lorsque l'application du vernis se fait vers le cinquième jour de l'incubation, d’autres faits se produisent. A cette époque, l’allan- toïde est venue s'appliquer contre la face interne de la chambre à air. On comprend done facilement comment toute action, qui a pour résultat de rendre la coquille imperméable dans la partie qui correspond à la chambre à air, doit empêcher la respira-
126 C. DARESTE. — MÉMOIRE
tion , et comment elle produit l’asphyxie du Poulet. Il est donc facile de prévoir ce qui arrive en pareil eas : est que toutes les fois que j'ai verni l'œuf à celle époque, j'ai tué le Poulet. En effet, dans ce cas, la chambre à air se remplit incessamment d'acide carbo- nique , en même temps que la quantité d'oxygène diminue, et il doit arriver un moment où l'excès d’acide carbonique exerce sur le Poulet une action toxique. C’est ce que j'ai constaté ; les Poulets étaient tout congestionnés , comme cela arrive dans les cas d'asphyxie. Ici je n’ai point trouvé d’exceptions, et l’on compren- drait difficilement qu'il put y en avoir.
Plus tard encore, de nouvelles conditions se produisent, L’allan- toïde, après s'être appliquée contre les parois de la chambre à air, continue à se développer, et elle vient peu à peu s'appliquer contre la face interne de la coqüille dans presque toute son étendue. Si, à cette époque , on vernit le gros bout de l'œuf, on n’exerce plus d'action sur le Poulet; car cette opération ne peut plus empêcher l’allantoïde d’être au moins en grande partie en contact avec l'air extérieur. Il est possible qu’en agissant ainsi on ralentisse la respi- ration, mais on ne l’interrompt point. Aussi toutes les fois que j’ai verni le gros bout à partir du huitième jour de l’incubation, je n’ai en aucune façon modifié les conditions d'existence du Poulet.
Commeje n'ai pas poursuivi mes expériences au delà du douzième jour, je n’oserais affirmer que, pour les jours suivants, l'expérience aurait donné les mêmes résultats; toutefois je crois pouvoir le pré- sumer, car ici, comme dans les expériences précédentes, le vernis- sage du gros bout de l’œuf ne saurait empêcher l’air de pénétrer dans l’allantoïde. Peut-être y aurait-il cependant un ralentissement dans la respiration, ralentissement qui aurait pour résultat de ralentir le développement du Poulet, et par suite d'augmenter la durée de l’incubation; mais il se pourrait aussi que, même dans ce cas, la force vitale du Poulet parvint à suppléer à cette insuffi- sance, En effet, divers phénomènes de physiologie normale et pa- thologique nous apprennent que l'insuffisance de la respiration peut être compensée par divers mécanismes ; que la fréquence des mouvements respiratoires augmente lorsque l’air est raréfié, ou lorsque, par une cause quelconque, un poumon ne respire plus
SUR LE DÉVELOPPEMENT DU POULET. 197
qu'imparfaitement; qu'elle diminue, au contraire, lorsque l'air est condensé. Dans le Poulet, dont les poumons ne sont pas encore actifs, cela ne pourrait avoir lieu ; mais l'insuffisance de la respi- ration pourrait être compensée par un surcroît d'activité dans les mouvements du cœur, qui aurait pour résultat d'augmenter le nombre des mouvements cireulatoires qui ont lieu dans un temps donné, et par suite de mettre plus souvent le sang en contact avec l'oxygène de l'air, Je me borne à indiquer ces vues; l'expérience seule pourra les justifier.
L'application du vernis sur le petit bout de l'œuf m'a présenté des faits assez différents. Dans les premiers temps de l’incubation , le Poulet ne se développe pas toujours, et le nombre des insuccès parait même plus fréquent que dans l'incubation ordinaire. Mais après un certain temps, lorsque l’allantoïde s’est bien développée, et qu’elle s’est appliquée contre les parois de Ja chambre à air, il n’y à plus rien qui s'oppose au développement du Poulet, et par suite rien n'empêche l'air de pénétrer dans la chambre à air, et par suite de se mélanger avec le sang dans les vaisseaux allan- toïdiens. Aussi, à cette époque, l'application du vernis n’influe point sur le développement du Poulet. Je n'ai pas poussé ces expé- riences au delà du douzième jour ; mais on ne voit pas de motif pour qu'il y ait plus tard une modification dans le développement. Dans les expériences de MM. Martin Saint-Ange et Baudrimont, le vernissage du petit bout n’a pas non plus déterminé d’action nuisible sur le Poulet.
J'ai fait aussi quelques expériences en appliquant le vernis sur une moitié de l'œuf parallèle à son grand axe, à diverses époques de l’incubation. Dans ces expériences, peu nombreuses d’ailleurs, le Poulet ne s’est point développé, ou il est mort lorsque le déve- loppement était déjà commencé. J'ai lu depuis, dans le travail de MM. Baudrimont et Martin Saint-Ange (1), que des expériences analogues ont donné, dans certaines circonstances, des résultats différents. Dans ces expériences, qui ont porté sur six Poulets, les Poulets sont morts, toutesles fois que la moitié vernie de l'œuf était
(4) Mémoire cité, p. 641.
128 C. DARESTE. — MÉMOIRE, ETC.
en dessus ; tandis qu'ils ont continué à vivre quand la partie vernie était placée en dessous. C’est sur un Poulet placé dans cette der- nière condition que ces deux savants ont observé le déplacement de l’allantoïde. Ce fait nous montre la nécessité de noter avec soin toutes les circonstances, même celles qui paraissent être les plus indifférentes; car il suffit d’une seule condition pour amener des résultats négatifs, et pour faire croire à une impossibilité absolue. C’est ce qui m'est arrivé dans ces dernières expériences, et ce qui m'a empêché de les répéter.
Je me suis borné dans ce travail à raconter ce que j'ai vu, età chercher à l'expliquer à l’aide de la physiologie. Les faits sont exacts; je crois pouvoir en répondre. Quant aux explications que j'en donne, jeles soumets au jugement des physiologistes, pensant que, dans toutes les questions qui se rattachent aux sciences expé- rimentales , les hypothèses ont toujours au moins cette utilité de nous conduire à imaginer pour leur vérification des expériences nouvelles.
J'aurais peut-être dû attendre, avant de publier ce travail, d’avoir pu recueillir sur cette question un nombre plus considérable de documents ; mais les difficultés de toute sorte que présentent de semblables expériences, difficultés qui tiennent en partie à l’impos- sibilité de savoir si les œufs qu’on emploie ont été fécondés, en partie à la nécessité pour l’expérimentateur d’une surveillance in- cessante du jour et de la nuit pendant toute la durée de l’incuba- tion, sont un grand obstacle à leur exécution. Je compte toutefois les reprendre au printemps prochain, si je suis en mesure de le faire, et je chercherai tous les moyens possibles pour en diversifier les résultats, en modifiant les conditions de l’incubation.
nn
OBSERVATIONS SUR
LES MOŒŒEURS DES CERCERIS,
ET SUR LA CAUSE DE LA LONGUE CONSERVATION DES COLÉOPTÈRES DONT ILS APPROVISIONNENT LEURS LARVES,
Par M. FABRE, Professeur au Lycée impérial d'Avignon.
Après la lecture des pages admirables que M. L. Dufour a con- sacrées à l’histoire du Cerceris bupresticida (A), qui n'a souhaité assister aux manœuvres incroyables de ce chasseur de Buprestes? Qui ne s’est demandé surtout par quels procédés de chimie trans- cendante il parvient à conserver pendant fort longtemps , dans un parfait état de fraîcheur, une proie morte, qui ne doit être dévorée qu'à une époque assez éloignée par les larves futures ? « Croyez- » vous, dit M. L. Dufour, que l'appareil vénénifique se borne à » être une arme offensive, et ne pensez-vous pas avec moi que le » liquide subtil qu'il excrète peut avoir cette précieuse qualité con- » servatrice? Pour moi, j'ai cette conviction intime. Il serait » curieux que l'analyse chimique püt s'exercer sur cette liqueur, et » surtout qu'on parvint à composer un aussi puissant antiseptique. » Malgré les découvertes de M. Gannal sur la conservalion des » chairs, on pourrait peut-être tirer parti de l'observation fournie » par nos Hyménoptères. »
J'avouerai que l’infiniment petite gouttelette de venin que le Cerceris peut inoculer dans les flanes de sa victime ne me rend pas suflisamment compte de la conservation parfaite des viscères, et que j'ai de la peine à croire à des effets aussi merveilleux produits, relativement dans d'immenses proportions, par un atome deliquide. Quelque autre cause doit être en jeu , quelque cause physiologique peut: être ? Comment donc s'opère le meurtre qu’on n’a pu malheu-
(1) Ann. des sc. nat., 2° série, t. XV.
%° série. Zoor. T. IV. (Cahier n° 3.) ! 9
130 FABRE. — OBSERVATIONS
reusement encore constater ? Quels sont les moyens antisepliques employés par l’'Hyménoptère préservateur ? Telles sont les questions que je me suis bien souvent et vainement proposées. Enfin les loisirs de ces vacances m'ont permis une chasse plus assidue aux Cerceris, et, malgré la saison un peu avancée, j'ai eu le bonheur de trouver non le Cerceris de M. L. Dufour avec ses trésors souter- rains, mais un de ses congénères, ravisseur géant qui se contente d’une proie plus modeste (1).
C’est dans la dernière quinzaine de septembre que notre Hymé- noptère fouisseur creuse ses terriers, et enfouil dans leur profon- deur la proie destinée à sa progéniture. L'emplacement pour son domicile, toujours choisi avec discernement, je dirai presque avec intelligence , est soumis à ces lois mystérieuses si variables d’une espèce à l’autre, mais immuables pour une même espèce. Au Cer- ceris de M. L. Dufour il faut un sol horizontal , et par suite battu el compacte comme celui d’une allée, pour rendre impossible les éboulements , les déformations qui ruineraient sa galerie à la moindre pluie. I faut au nôtre, au contraire, un sol vertical. Avec cette légère modification architectonique, il évite la plupart des dangers qui pourraient menacer sa galerie; aussi se montre-t-il peu difficile dans le choix de la nature du sol, et ereuse--il indiffé- remment ses lerriers soit dans une terre meuble légèrement argi- leuse, soit dans les sables friables de la mollasse ; ce qui rend ses travaux d’excavalion beaucoup plus aisés. La seule condition indispensable parait être un sol parfaitement sec, et exposé la plus grande parie du jour aux ardeurs du soleil. C’est done les talus à pie des chemins, les flancs des ravins profonds, creusés par les pluies dans les sables de la mollasse, que notre Hyménoptère choisit pour établir son domicile. Mais ce n'est pas assez pour lui du choix de cet emplacement vertical, d’autres précautions sont prises, avec une admirable prévoyance, pour se garantir des pluies inévitables de la saison déjà avancée. Siune lame de grès compacte fait saillie en forme de corniche; si quelque trou, à y loger le poing, est naturellement creusé dans le sol, c'estlà sous cet auvent,
(1) Voyez ci-après note A.
SUR LES MOEURS DES GERCERIS. 131 au fond de cette cavité, qu'il pratique sa galerie, ajoutant ainsi un péristyle naturel à son propre édifice. Bien qu'il n’y ait chez eux aucune espèce de communauté, ces insectes aiment cependant à se réunir en petit nombre sur le même emplacement pour exé- cuter leurs travaux ; et c’est toujours par groupes d’une dizaine environ où moins que j'ai observé leurs nids, dont les orifices , le plus souvent assez distants l’un de l’autre, se rapprochent quel- quefois jusqu'à se toucher.
Par un beau soleil, c’est merveille de voir les diverses manœuvres de ces laborieux mineurs. Les uns, avec leurs mandibules, arra- chent patiemment au fond de leur excavation quelques grains de gravier, et en poussent péniblement la lourde masse au dehors ; d'autres, grattant les parois de leur couloir avec les râteaux acérés de leurs tarses, forment un {as de déblais qu'ils balaïent au dehors à reeulons, et qu'ils font ruisseler sur les flancs du talus en longs filets pulvérulents. Ce sont ces ondées périodiques de sable rejeté hors des galeries en construction qui ont trahi mes premiers Cer- ceris, etm’ont fait découvrir leurs nids. D’autres, soit par fatigue, soit par suite de l'achèvement de leur rude tâche, semblent se reposer, et lustrent leurs antennes et leurs ailes sous l’auvent natu- rel, qui le plus souvent protége leur domicile; ou bien encore restent immobiles à l'orifice de leur trou, et montrent seulement leur large face carrée bariolée de jaune et de noir. D’autres enfin, avec un grave bourdonnement, voltigent sur les buissons voisins de Chêne au Kermès, où les mâles, sans cesse aux aguets dans le voisinage des terriers en construction, ne tardent pas à les suivre. Des couples se forment, mais sont souvent troublés par l’arrivée d'un second mâle qui cherche à supplanter l’heureux possesseur. Les bourdonnements deviennent menaçants ; des rixes ont lieu, et sou- vent les deux mâles se roulent dans la poussière jusqu’à ce que l’un des deux reconnaisse la supériorité de son rival. Non loin de là, la femelle attend indifférente le dénoûment de lalutte ; enfin elle reçoit le mâle que les hasards du combat lui ont donné, et le couple, s'envolant à perte de vue, va chercher plus loin la tranquillité sur quelque touffe de broussailles. Là se borne le rôle des mäles. De moitié plus petits que les femelles, et presque aussi nombreux
132 FABRE. — OBSERVATIONS
qu’elles , ils rôdent çà et là à proximité des terriers , mais sans y pénétrer, et sans jamais prendre part aux laborieux travaux de mine que ces dernières exéculent, et aux chasses peut-être encore plus pénibles qu’elles doivent faire pour approvisionner leurs cellules. En peu de jours, les galeries sont prêtes , d'autant plus que celles de l’année précédente sont employées de nouveau après quelques réparations. Leur diamètre est assez large pour qu'on puisse y plonger le pouce, et l'insecte peut s’y mouvoir aisément, même lorsqu'il est chargé de la proie énorme que nous lui verrons saisir. Leur direction, qui d’abord est horizontale jusqu’à une pro- fondeur de 1 décimètre à 1 décimètre 1/2, fait subitement un coude, et plonge plus où moins obliquement tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre. Sauf la portion horizontale et le coude du tube, le reste ne paraît réglé que par les difficultés du terrain, comme le prouvent les sinuosités, les orientations variables qu’on observe dans la partie la plus reculée. La longueur totale de cette espèce de trou de sonde atteint de à à 4 décimèêtres. A l'extrémité la plus reculée du tube se trouvent les cellules en assez petit nombre, et approvisionnées chacune avec cinq ousix cadavres de Coléoptères. Mais laissons ces détails de maçonnerie, et arrivons à des faits plus capables d’exciter netre admiration.
La victime que le Cerceris choisit pour alimenter ses larves est un Cureulionite de grande taille, le Cleonus ophthalmicus, Rossi. On voit le ravisseur arriver pesamment chargé, portant sa victime entre les pattes, ventre à ventre, tête contre tête, el s’abattre lour- dement à quelque distance de son trou , pour achever le reste du trajet sans le secours des ailes, mais en trainant péniblement sa proie avec les mandibules sur un plan vertical ou au moins très incliné, cause de fréquentes eulbutes , qui font rouler pêle-mêle l’'Hyménoptère et sa victime jusqu'au bas du talus, mais incapables de décourager l'infatigable mère, qui, souillée de poussière, plonge enfin au fond du terrier avec le butin dont elle ne s’est point dessaisie un instant. Si la marche avec un tel fardeau n’est pas aisée pour le Cerceris, surtout sur un pareil terrain, 1l n’en est pas ainsi du vol dont la puissance est admirable, si l'on considère que la robuste bestiole emporte une proie presque aussi grosse et plus
SUR LES MOEURS DES CERCERIS. 133
pesante qu’elle. J'ai eu la curiosité de peser comparativement le Cerceris et son gibier : j'ai trouvé pour le premier 150 milli- grammes; pour le second, en moyenne, 255 milligrammes , presque le double. Ces nombres parlent assez éloquemment en faveur du vigoureux chasseur ; aussi ne pouvais-je me lasser d'admirer avec quelle prestesse, quelle aisance, il reprenait son vol, le gibier entre les pattes, et s'élevait à une hauteur où je le perdais de vue , lorsque , traqué de trop près par ma curiosité indiscrète, il se décidait à fuir pour sauver son précieux butin. Mais il ne fuyait pas toujours, et je parvenais alors, mais non sans difficulté, pour ne pas blesser le chasseur, en le harcelant, en le culbutant avec une paille, à lui faire abandonner sa proie dont je m'emparais aussitôt. Le Cerceris ainsi dépouillé cherchait un instant çà et là, entrait un moment dans sa tanière, et en sortait bientôt après pour voler à de nouvelles chasses. En moins de dix minutes, l'adroit investigateur avait trouvé une nouvelle victime, consommé le meurtre, et accompli le rapt que je me suis souvent permis de faire tourner à mon profit. Huit fois, aux dépens du même indi- vidu, j'ai commis coup sur coup le même larcin; huit fois, avec une constance inébranlable , il a recommencé son expédition infructueuse. Sa palience a lassé la mienne, et sa neuvième capture lui est restée définitivement acquise.
Par ce procédé, ou en violant les cellules déjà approvisionnées, je me suis procuré près d’une centaine de Curculionites; et, malgré ce que j'avais droit d'attendre, d’après ce que M. L. Dufour nous a appris sur les mœurs du Cerceris bupresticida , je n'ai pu réprimer mon élonnement à la vue de la singulière collection monographique que je venais de faire. Sile chasseur de Buprestes, sans sortir des limites d’un genre, passe indistinetement d’une espèce à l’autre; celui-ci, plus exclusif, s’adresse invariablement à la même espèce, le Cleonus ophthalmicus. Dans le dénombrement de mon bulin, je n’ai reconnu qu'une exception, une-seule, et encore était-elle fournie par une espèce congénère, le C'eonus allernans, Olivier, espèce que je n'ai jamais pu revorr une seconde fois dans mes fréquentes visites aux Cerceris. Une proie plus savou-- reuse, plus succulente, suffit-elle pour expliquer cette prédilection
134 FABRE. — OBSERVATIONS pour une espèce unique? Les larves trouvent-elles dans ce gibier, sans variélé, des sucs mieux à leur convenance et qu’elles ne trou- veraient pas ailleurs? Je ne le pense pas, et si le Cerceris de M. L. Dufour chasse indistinctement tous les Buprestes, c’est sans doute parce que tous les Buprestes ont les mêmes sues , ee qui est assez probable. Mais les Curculionites doivent être en général dans le même cas; leurs qualités alimentaires doivent être identiques , et alors ce choix si surprenant n’est plus qu'une question de volume, et par suite d'économie, de fatigues et de temps. Notre Cerceris , le géant de ses congénères, s’attaque exclusivement au Cleonus ophthalmicus , parce que ce dernier est le plus gros des Cureulioniens de ces contrées ; mais si cette proie préférée vient à lui manquer, il doit se rabattre sur des espèces moins grosses , comme le prouve l'individu unique de la seconde espèce. Le Cer- ceris aurita approvisionne aussi ses cellules avec des Charancons (Ostiorhynchus raucus, Phytonomus punctatus) (1), elle Cerceris bupresticida n’est pas le seul à sacrifier de somptueuses victimes à la voracité de ses larves. Dans les nids d’une quatrième espèce, j'ai trouvé pour provisions une espèce de Bupreste , invariable- ment la même dans toutes les cellules, et sans aucun mélange (2). Voilà donc que sur quatre espèces de Cerceris dont on connaît les provisions de bouche, deux sont adonnées au régime des Cha- rancons, deux autres à celui des Buprestes. Pour quelles raisons singulières les déprédations de ces Hyménoptères sont-elles ren- fermées dans des limites si étroites? Quels sont les motifs de ces choix si exclusifs? Quels traits de ressemblance interne y a-t-il entre les Buprestes et les Charançons qui extérieurement ne se ressemblent en rien, pour devenir ainsi également la pâture de larves congénères ? Entre telle et telle autre espèce de victime, il y à, sans doute , des différences de saveur, des différences nutri- tives que les larves savent apprécier; mais une raison purement anatomique me paraît dominer toutes ces considérations gastrono- miques et motiver ces étranges prédilections , comme j'essaierai de le démontrer bientôt.
(1) Ann. des sc. nat., 2° série, &. XV, p. 354, en note. (2) Voyez ci-après note B.
SUR LES MOEURS DES CERCERIS. 135
Après tout ce qui a été dit d’admirable par M. L. Dufour sur la longue et merveilleuse conservation des insectes destinés aux larves carnassières , il est presque inutile d'ajouter que les Charancons , autant ceux que j'exhumais que ceux que je prenais entre les pattes des ravisseurs, quoique absolument et pour toujours privés de mouvements, étaient dans un parfait état de conservation. Frai- cheur des couleurs, souplesse des membranes et des moindres articulations, état normal des viscères, tout conspire à vous faire douter que ce corps inerte qu’on a sous les veux soit un véritable cadavre, d'autant plus qu’à la loupe même il est impossible d'y apercevoir la moindre lésion, et malgré soi on s'attend à voir remuer, à voir marcher l’insecte d’un moment à l’autre. Bien plus, par des chaleurs qui, en quelques heures, auraient desséché et rendu friables des insectes morts d’une mort ordinaire , par des temps humides qui les auraient tout aussi rapidement corrompus et moisis, j'ai conservé, sans aucune précaution et pendant plus d'un mois , les mêmes individus , soit dans des cornets de papier, soit dans des tubes de verre, toujours avec la même souplesse; et, chose inouïe, si l’habile historien du Cerceris bupresticida ne nous avait déjà habitués à de pareils miracles, après cet énorme laps de temps, les viscères n'ont rien perdu de leur fraicheur, et la dissec- tion en est aussi aisée que si l’on opérait sur un animal vivant. Non, en présence de pareils faits, on ne peut invoquer l'action d’un antiseptique et croire à une mort réelle ; la vie est encore K , vie latente et passive , la vie du végétal. Elle seule , luttant encore quelque temps avec avantage contre l'invasion destructive des forces chimiques, peut ainsi préserver l'organisme de la décom- position. La vie estencore là, moins la sensibilité et le mouvement, et l’on a sous les yeux une merveille que l’éther et le chloroforme ne sauraient réaliser, et qui reconnait pour cause les lois mysté- rieuses du système nerveux.
Les fonctions de cette vie végétative sont ralenties, troublées sans doute; mais enfin elles s’exercent encore sourdement. J'en ai pour preuves la défécation qui s'opère normalement et par intervalles chez les Charançcons piqués par le Cerceris pendant la première semaine de ce profond sommeil qu'aucun réveil ne doit
136 FABRE. — OBSERVATIONS
suivre, et qui cependant n’est pas encore la mort. Elle ne s'arrête que lorsque l'intestin ne renferme plus rien , comme le constate l'autopsie. Là ne se bornent pas les faibles lueurs de vie que l'ani- mal manifeste encore , et bien que l’irritabilité paraisse pour tou- jours anéantie, j'ai pu cependant en réveiller encore quelques vestiges. Ayant mis dans un flacon contenant de la sciure humectée de quelques gouttes de benzine des Charançons récemment exhu- més et plongés dans une immobilité absolue , je n’ai pas été peu surpris de les voir un quart d’heure après remuer leurs antennes et leurs pattes. Un moment j'ai cru pouvoir les rappeler à la vie. Vain espoir ! ces mouvements , derniers vestiges d’une irritabilité qui va s'étendre, ne tardent pas à s’arrêter, et ne peuvent pas être excités une seconde fois. J'ai recommencé cette expérience depuis quelques heures jusqu’à trois ou quatre jours après le meurtre , toujours avec le même succès. Cependant le mouvement est d’au- tant plus lent à se manifester que la victime est plus vieille. Ce mouvement se propage toujours d'avant en arrière ; les antennes exécutent d'abord quelques lentes oscillations, puis les tarses anté- rieurs frémissent et prennent part à ces oscillations; enfin les tarses de seconde paire , et, en dernier lieu, ceux de troisième paire, ne tardent pas à en faire autant. Une fois l’ébranlement donné , ces divers appendices exécutent leurs oscillations sans aueun ordre , jusqu’à ce que le tout retombe dans l’immobilité , ce qui arrive plus ou moins promptement. À moins que le meurtre ne soit très récent, l'ébranlement des tarses ne se communique pas plus loin , et les jambes restent immobiles. Dix jours après le meurtre, je n’ai pu obtenir par le même procédé le moindre ves- tige d'irritabilité : alors j'ai eu recours au courant vollaïque. Ce dernier moyen est plus énergique, et provoque des contractions musculaires et des mouvements là où la vapeur de la Benzine reste sans effet. Il suffit d’un ou deux éléments de bunsen dont on a armé les extrémités de réophores d'aiguilles déliées. En plongeant la pointe de l’une sous l’un des anneaux les plus reculés de l’ab- domen , et la pointe de l'autre sous le cou, on obtient, toutes les fois que le courant est établi, outre le frémissement des tarses, une forte flexion des pattes qui se replient sur l’abdomen, et leur relà-
SUR LES MOEURS DES CERCERIS. 137
chement quand le courant est interrompu. Ces mouvements , fort énergiques les premiers jours, diminuent graduellement d'intensité, et ne se montrent plus après un certain temps. Le dixième jour, j'ai encore obtenu des mouvements sensibles ; le quinzième, lapile était impuissante à les provoquer , malgré la souplesse des membres et la fraicheur des viscères. J'ai soumis comparativement à l’action de la pile des Coléoptères réellement morts , des Blaps gigas, des Saperda carcharias, des Lamia teætor, asphyxiés par la benzine ou par l'acide sulfureux. Deux heures au plus après l’asphyxie, il m'a été impossible de provoquer ces mouvements, qu'on obtient si aisément dans les Charançons qui sont déjà depuis plusieurs jours dans cet état singulier, intermédiaire entre la vie et la mort, où les plonge leur redoutable ennemi.
Tous ces faits sont contradictoires avec la supposition d’un ani- mal complétement mort, avec l'hypothèse d’un vrai cadavre devenu incorruptible par l'effet d’une liqueur préservatrice. On ne peut les expliquer qu'en admettant que l’animal est atteint dans le prin- cipe de ses mouvements, de sa sensibilité ; que son irritabilité , brusquement engourdie, s'éteint lentement, tandis que les fonctions végétatives plus tenaces s’éteignent plus lentement encore, et main- tiennent pendant le temps nécessaire aux larves la conservation des viscères. En pénétrant plus avant dans ce singulier problème phy- siologique, nous verrons d’autres preuves venir à l'appui de cette manière de voir.
La particularité qu'il importait le plus de constater, c'était la manière dont s'opère le meurtre. Il est bien évident que l’aiguillon vénénifère du Cerceris doit jouer ici le premier rôle. Mais où et comment pénètre-t-il dans le corps du Charançon couvert d'une cuirasse à l'épreuve, et dont les diverses pièces sont si merveilleu- sement ajustées à l’état de vie? Dans les individus atteints par le dard, rien, même à la loupe, ne trahit l'assassinat. Il faut donc constater, ex visu, les manœuvres meurtrières de l’'Hyménoptère , ce qui n’a pas paru facile même à M. Dufour. C'était fort peu encou- rageant. J'ai cependant essayé, et j'ai eu la satisfaction d’y parvenir, mais non sans fâtonnements.
En s’envolant de leurs cavernes pour faire leurs chasses, les
138 FABRE. — OBSERVATIONS
Cerceris se dirigeaient indifféremment , tantôt d’un côté , tantôt de l’autre, et ils rentraient chargés de leur butin suivant loutes les directions. Tous les alentours étaient donc indistinctement exploités dans leurs déprédations ; mais comme ils ne mettaient guère plus de dix minutes entre l’aller et le retour, le rayon du terrain exploré ne paraissait pas devoir être d’une grande étendue, surtout en tenant compte du temps nécessaire pour découvrir la proie, l’atta- quer et en faire une masse inerte. Je me suis done mis à parcou- rir , avec toute l'attention possible , les terres circonvoisines dans l'espoir de trouver quelques Cerceris en chasse. Une après-midi consacrée à ce travail ingrat a fini par me convaincre de linutilité de mes recherches, et du peu de chances que j'avais de surprendre sur le fait quelques rares chasseurs disséminés çà et là, et bientôt dérobés aux regards par la rapidité de leur vol, surtout dans un terrain difficile presque exclusivement complanté en vignes. J'ai renoncé à ce procédé. En apportant moi-même des Charançons vivants dans le voismage des nids, ne pourrais-je tenter les Cerceris par une proie trouvée sans fatigues, et assister ainsi au drame tant désiré. L'idée m’a paru bonne, et dès le lendemain matin j'étais en course pour avoir des Cleonus vivants. Vignes, champs de luzerne, terres à blé, haies, tas de pierres, bords des chemins, j'ai tout visité, tout scruté; et après deux mortelles journées de recherches minutieuses, j'étais possesseur, oserai-je le dire, j'étais possesseur de trois Charançons tout pelés, souillés de poussière, privés d’an- tennes ou de tarses, vétérans écloppés dont les Cerceris ne vou- dront peut-être pas. Puissance admirable de l'instinct! Dans les mêmes lieux et dans bien moins de temps, c’est par centaines que nos Hyménoptéres auraient trouvé ces Charançons introuvables pour l’homme. Ils les auraient trouvés frais , lustrés , récemment sortis sans doute de leurs coques de nymphes. N'importe, essayons avec ce pitoyable gibier. Un Cerceris vient d'entrer dans sa galerie avec la proie accoutumée; avant qu'il ressorle pour une autre “expédition, je place un Charançon à quelques pouces du trou. Le Charançon va et vient; quand il s’écarte trop, je le ramène à son poste. Enfin le Cerceris montre sa large face et sort du trou : le cœur me bat d'émotion. L'Hyménoptère arpente quelques
SUR LES MOEURS DES CERCERIS. 139
instants les abords de son domicile, voit le Charançon, le coudoie, se retourne , lui passe à plusieurs reprises sur le dos , et s'envole sans honorer sa proie d’un coup de mandibule. J'étais confondu. Nouveaux essais à d’autres trous, nouvelles déceptions. Décidément ces chasseurs délicats ne veulent pas du gibier que je leur offre, Peut-être le trouvent-ils trop vieux, trop fané ; peut-être en le prenant entre les doigts lui ai-je communiqué quelques émanations odorantes qui les rebutent. Serai-je plus heureux en obligeant le Cerceris à faire usage de son dard pour sa propre défense? J'ai enfermé dans le même flacon un Cerceris et un Charançon, que j'ai irrités par quelques secousses. L'Hyménoptère , plus effrayé que l'autre prisonnier, songe à la fuite et non à l'attaque ; les rôles même sont intervertis, etle Charançon, devenant l'agresseur, saisit parfois entre ses mandibules une patte de son mortel ennemi, qui ne cherche pas même à se défendre, tant la frayeur le domine. J'étais à bout de ressources , et mon désir d'assister au dénoùment n'avait fait qu'augmenter par les difficultés déjà éprouvées. Voyons, cherchons encore. I faut offrir mon gibier dédaigné au Cerceris au plus fort de l’ardeur de sa chasse ; peut-être qu'alors, emporté par la préoccupation qui l’absorbe, il ne s’apercevra pas de ses imper- fections. J'ai déjà dit qu'en revenant de la chasse le Cerceris s’abat au pied du talus, à quelque distance du trou, où il achève de trainer péniblement sa proie. H s'agit alors de lui enlever cette victime en la tiraillant doucement par une patte avec des pinces, et de lui jeter aussitôt en échange le Charançon vivant. Cette manœuvre m’a parfaitement réussi. Dès que le Cerceris a senti sa proie glisser sous son ventre et lui échapper , il frappe le sol de ses pattes avec impa- tience, se tourne de cà et de là, et apercevant le Charançon qui a remplacé le sien, il se précipite sur lui, et l’enlace de ses pattes pour l'emporter. Mais il s'aperçoit promptement que sa proie est vivante, et alors le drame commence pour s'achever avec une rapidité inconcevable. L’Hyménoptère se met face à face avec sa victime, lui saisit le rostre entre ses puissantes mandibules , l’assu- jettit vigoureusement ; et tandis que le Curculionite se cambre sur les jambes , autre avec les pattes antérieures le presse avec effort sur le dos comme pour faire bâiller quelque articulation ventrale.
140 FABRE. -- OBSERVATIONS
On voit alors l'abdomen du meurtrier glisser sous le ventre du Charançon, se recourber , et darder vivement à deux ou trois reprises son stylet venimeux à la jointure du prothorax, entre la première et la seconde paire de pattes. En un clin d'œil, tout est fait. Sans le moindre mouvement convulsif, sans aucune de ces pandieulations des membres qui accompagnent l’agonie d’un ani- mal, la victime, comme foudroyée, tombe pour toujours immobile. C'est terrible en même temps qu'admirable de rapidité. Puis le ravisseur retourne ce cadavre sur le dos, se met ventre à ventre avec lui, jambes de çà, jambes de là, l’enlace et s'envole. Trois fois, avec mes trois Charançcons, j'ai renouvelé l'épreuve ; les manœuvres n’ont jamais varié. Il est bien entendu que chaque fois je rendais au Cerceris sa première proie, et que je retirais la mienne pour l’examiner plus à loisir. Cet examen n’a fait que me confirmer dans la haute idée que j'avais du talent redoutable de l'assassin. Au point atteint, il est impossible d'apercevoir le plus léger signe de blessure, le moindre épanchement de liquides vitaux. Mais ce qui a plus de droit de nous surprendre, c’est l’anéantisse - ment si prompt et si complet de tout mouvement. Immédiatement après le meurtre, j'ai vainement épié, sur les trois Charançons opérés sous mes veux, des traces d'irritabilité ; ces traces ne se manifestent jamais en pinçant, en piquant l’animal, et il faut employer les moyens artificiels décrits plus haut pour les provo- quer. Ainsi ces pauvres bêtes qui, transpercées d’une grosse épingle et élevées sur la fatale planchette de liége, se seraient démenées des jours, des semaines , que dis-je, des mois entiers , perdent instantanément tous leurs mouvements par l'effet d’une piqûre microscopique, qui leur inoeule une gouttelette invisible d’un liquide subtil. Mais la chimie ne possède pas de poison aussi actif à si minime dose; l’acide prussique produirait à peine ces effets, si toutefois il peut les produire. Aussi est-ce à la physiologie et à l'anatomie qu'il faut s'adresser pour saisir la cause d’un anéan- tissement si foudroyant; ce n’est pas tant la subtilité du venin imo- eulé que l’importance de l'organe lésé qu'il faut considérer pour comprendre ce mystère. Qu'y a-t-il done au point où pénètre le dard ? Il y a là les ganglions thoraciques, l’une des parties les plus
SUR LES MOEURS DES CERCERIS. AA
essentielles de la moelle abdominale, les ganglions qui fournissent les nerfs des ailes et des pattes, et président à leurs mouvements. Ces ganglions sont au nombre de trois chez tous les insectes. Le premier, ou celui du prothorax, est constamment distinct des autres chez les Coléoptères ; mais les deux derniers, ou ceux du mésothorax et du métathorax , séparés l’un de l’autre dans la très grande majorité des Coléoptères , se trouvent chez certains types complétement réunis, soudés, fondus ensemble (1). Or il est reconnu d’une manière générale qu'à mesure que les divers noyaux médullaires tendent à se confondre , qu’à mesure que le système nerveux se centralise davantage , les fonctions qui caractérisent l’animalité deviennent plus parfaites, et par suite, hélas! plus vul- nérables. Eh bien, les Cerceris, qui, d’un coup d'aiguillon, doivent engourdir subitement ces fonctions animales, choisissent précisé- ment les espèces où cette centralisation est la plus grande. Ils choisissent les Bupresles, dont les centres nerveux du mésothorax et du mélathorax sont confondus en une seule et grosse masse; ils choisissent les Curculioniens , dont les trois ganglions thoraciques sont {rès rapprochés, dont les deux derniers même sont conti- gus (2). Telle me parait être la cause de l’anéantissement si prompt de l’animalité chez les victimes de nos Hyménoptères. Et, en effet, lorsque les ganglions sont distincts et plus ou moins éloignés l’un de l’autre, comme cela a lieu, par exemple, chez les larves, la victime, quoique évidemment atteinte par l’aiguillon du ravisseur, conserve ses mouvements. Les larves vertes que Réaumur trouva dansles cellules de sa Guêpe solitaire (Odynerus spinipes) étaient pleinesde vie (3), bien que, comme le fait observer M. Audouin (4), elles eussent éprouvé de la part de l'Odynère femelle quelque blessure, suivie peut-être de l'inoculation d’une substance ayant la propriété de la plonger dans un état léthargique. D’autres larves
(1) E. Blanchard, Système nerveux des Insectes coléoptères (Ann. des sc, nat., 3° série, t. V).
(2) E. Blanchard, Loc. cit.
(3) Réaumur, Mémoire pour servir à l'histoire des Insectes, t. VITE, p. 258.
(5) Audouin, Observations sur les mœurs des Odynères (Ann. des se. nat. 2° série, t. XI).
4142 FABRE. — OBSERVATIONS
également vertes, et appartenant à un Lépidoptère, larves que j'ai observées dans le nid d’un Euménien (1), jouissaient également de tous leurs mouvements, rendus paresseux, il est vrai, à cause de l'espèce de somnolence où le ravisseur doit les plonger. De l'abolition complète de l’animalité des insectes parfaits à cette somnolence, cette léthargie des larves , il n’y a qu’une différence du plus au moins par suite des différents degrés de centralisation du système nerveux, et les chasseurs de Chenilles, comme les chasseurs de Coléoptères, doivent également rendre leurs victimes inoffensives et incorruptibles par un coup d’aiguillon dans la moelle abdominale.
Les mêmes motifs, puisés dans la centralisation du système ner- veux, peuvent nous expliquer les prédilections extraordinaires des Cerceris pour les Buprestes et les Charançons; car, remarquons-le bien, il faut au ravisseur une proie très vulnérable , qu’il puisse se procurer rapidement, sans luttes qui compromettraient l’exis- tence de cette mère prévoyante, sans longues agonies qui mettraient en danger l'œuf précieux déposé au milieu de victimes récentes. Que deviendrait, en effet, cet œuf, où la jeune larve qui en pro- vient, au milieu de vigoureux Coléoptères grouillants, même à demi-morts, dans un étroit espace, et remuant des semaines entières leurs longues jambes éperonnées ? Que de faibles Chenilles soient rendues parfaitement inoffensives par une somnolence plus où moins profonde , cela se conçoit; mais pour arriver au même résultat avec des insectes incomparablement plus vigoureux, il faut l'anéantissement complet des mouvements : cet anéantissement ne peut se produire avee la rapidité voulue, qu'autant que le Coléoptère offre un certain degré de centralisation dans son appa- reil nerveux. Si nous consultons le beau mémoire et les superbes planches de M. É. Blanchard sur le système nerveux des insectes coléoptères, nous verrons que très peu de tribus remplissent ces conditions indispensables. On trouve celte centralisation chez les Scarabéiens, mais la plupart sont trop gros : le Cerceris ne pour- rait ni les attaquer, nilesemporter ; d’ailleurs beaucoup vivent dans
(1) Voyez ci-après note C.
SUR LES MOEURS DES CERCERIS. 143
des ordures où l’Hyménoptère n'irait pas les chercher. Toutefois je suis persuadé que, si jamais on trouve dés Cerceris chassant une autre proie que les Buprestes et les Charançons, cette proie appar- tiendra aux petites espèces de Scarabéiens vivant aux dépens des végétaux. On la trouve encore chez les Histériens, qui vivent de matières infectes puant le cadavre , et doivent être par conséquent abandonnés ; chez les Scolytiens, qui sont de trop petite taille, et enfin chez les Buprestes et les Charancons. Voilà le trait de ressem- blance qui, dans les antres des divers Cerceris, rassemble les représentants tantôt de l’une, tantôt de l’autre de ces deux tribus dont l'extérieur n’a rien de commun. Et maintenant la raison humaine n'est-elle pas encore une fois confondue devant les miracles de cet instinct, qui de tout temps a appris à nos Hymé- noptères les plus beaux théorèmes physiologiques, les lois mer- veilleuses de ces filaments blancs qu’on appelle les nerfs, qui leur a dévoilé les secrets les plus cachés de l'anatomie, secrets que le savant ne dérobe qu'à force de veilles et de labeurs.
Pour compléter ma démonstration , il me reste à établir qu’on peut à volonté , en imitant les manœuvres des Cerceris, plonger dans une entière immobilité, tout en leur conservant la vie végéta- tive , les insectes coléoptères dont l'appareil nerveux se prête à ce genre d'expérience. L'opération est on ne peut plus simple ; il s'agit, avec une pointe acérée d'acier ou avec un tube de verre convenablement effilé, d'amener une gouttelette de quelque liquide corrosif sur les centres médullaires thoraciques, en piquant légère- ment l'insecte à la jointure du prothorax, en arrière de la première paire de pattes. Le liquide que j'emploie est l’ammoniaque ; mais il est évident que tout autre liquide ayant une action aussi énergique produirait les mêmes résultats. Les effets ainsi obtenus diffèrent énormément, suivant qu'on opère sur des espèces dont les gan- glions thoraciques sont rapprochés, ou sur des espèces où ces mêmes ganglions sont distants l’un de l'autre. Pour la première calégorie, mes expériences ont été faites sur des Lamellicornes (Scarabœus sacer , Scarabœus laticollis), sur des Buprestes (Buprestis œnea), enfin sur des Cureulionites, et en particuliér sur l'espèce même que chasse le héros de ces observations. Pour la
An FABRE. — OBSERVATIONS
seconde catégorie, j'ai expérimenté sur des Carabiques (Carabus, Procustes, Chlænius, Sphodrus, Nebria, etc.), des Longicornes (Saperda, Lamia), des Mélasomes (Blaps, Scaurus, Asida).
Chez les Scarabées, les Buprestes et les Cureulionites, l'effet est instantané ; tout mouvement cesse subitement, sans convulsions, dès que la fatale gouttelette a touché les centres médullaires. La piqüre du Cerceris ne produit pas un anéantissement plus prompt. Mais là ne s’arrète pas la ressemblance des effets produits par le dard de l’'Hyménoptère et par l'aiguille empoisonnée avec de l’'ammoniaque. Les Scarabées , les Buprestes et les Charançons piqués artificiellement, malgré leur immobilité complète, conser- vent pendant trois semaines , un mois et même deux, la parfaite flexibilité de toutes leurs articulations et la fraicheur normale de leurs viscères. Chez eux, la défécation s'opère les premiers jours comme dans l’état habituel, et les mouvements peuvent encore être provoqués par le courant voltaïque. En un mot, ils se comportent absolument comme les Coléoptères sacrifiés par les Cerceris, et il y a identité complète entre l’état où le ravisseur plonge ses victimes et celui qu’on produit à volonté en lésant la moelle abdominale avec de l’ammoniaque. Or, comme ici il est impossible d'attribuer à la gouttelette inoculée la conservation parfaite de l’insecte pen- dant un temps aussi long, il faut bien rejeter toute idée de liqueur préservalrice, de procédés analogues à ceux de Gannal, et admettre que , malgré sa profonde immobilité, l'animal n’est pas réellement mort, qu'il lui reste encore une lueur de vie, maintenant encore quelque temps les organes dans leur fraicheur normale , mais les abandonnant peu à peu pour les laisser enfin livrés à la corruption. Dans quelques eas d’ailleurs, l’'ammoniaque ne produit l’anéantissement complet des mouvements que dans les pattes , et alors l’action délétère du liquide ne s'étant pas sans doute étendue assez loin, les antennes conservent un reste de mobilité ; et l’on voit l'animal, même plus d’un mois après l’inoculation, les retirer vive- ment au moindre attouchement : preuve évidente que la vie n’a pas complétement déserté ce corps inerte. Ce mouvement des antennes s’observe aussi parfois chez les Charancons blessés par les Cerceris.
SUR LES MOEURS DES CERCERIS. 445
L'inoculation de l’'ammoniaque arrête toujours sur-le-champ les mouvements des Scarabées, etc., mais on ne parvient pas toujours à mettre l’animal dans l’état que je viens de décrire. Si la blessure est trop profonde, si la gouttelette instillée est trop forte, la victime meurt réellement, et, au bout de deux ou trois jours, on n’a plus qu'un cadavre infect. Si la piqure est trop faible, au contraire, l'animal, après un temps plus ou moins long d’un profond engour- dissement, revient à lui, et recouvre au moins en partie ses mou- vements. J'ai pu constater celte espèce de résurrection , même chez un insecte atteint par le dard d’un Hyménoptère fouisseur. Le Spheæ flavipennis entasse dans ses trous de jeunes Grillons (Gryllus campestris), préalablement atteints par son stylet vénéni- fère (1). J'ai retiré de l’un de ces trous trois pauvres Grillons, dont la flaccidité extrême aurait dénolé la mort dans toute autre circon- stance. Mais ici encore ce n’était qu’une mort apparente : mis dans un flacon, ces Grillons se sont conservés en fort bon état, et tou- jours immobiles pendant près de trois semaines. A la fin, deux se sont moisis, et le {roisième a ressuscité, c’est-à-dire qu’il a recou- vré le mouvement des antennes , des pièces de la bouche et des deux premieres paires de pattes.
Chez les Coléoptères de la seconde catégorie , c’est-à-dire chez ceux dont les centres médullaires thoraciques sont distants l’un de l'autre, l'effet produit par l'ammoniaque est très différent. Ce sont les Carabiques qui se montrent les moins vulnérables. Une piqüre qui aurait produit chez un vigoureux Scarabée sacré l’anéantisse- ment instantané des mouvements ne produit, même chez les Carabiques de médiocre taille (Chlænius vertitus, Nebrius psam- modes, Calathus cisteloides), que des convulsions violentes et désordonnées. Peu à peu l’animal se calme, et, après quelques heures de repos, il reprend ses mouvements habituels, et paraît n'avoir rien éprouvé, Si l’on renouvelle l'épreuve sur le même individu, deux , trois, quatre fois, les résultats sont les mêmes, jusqu'à ce que , la blessure devenant trop grave, l'animal meure
(1) D'après M. de Saint-Fargeau , quelques Sphex d'Afrique chassent égale - ment des Orthoptères , de très gros Acridiens. 4° série. Zoo. T. JV. (Cahier n° 3.) 2 10
146 FABRE. — OBSERVATIONS
réellement, comme le prouvent son desséchement et sa putrefac- tion qui surviennent bientôt après.
Les Mélasomes et les Longicornes sont plus sensibles à l’action de lammoniaque. L'inoculation de la gouttelette corrosive les plonge assez rapidement dans l’immobilité, et, après quelques con- vulsions, l'animal parait mort. Mais cette paralysie, qui aurait per- sisté chez les Scarabées, n’est ici que momentanée, et du jour au lendemain les mouvements reparaissent aussi énergiques que jamais. Ce n’est qu'autant que la dose d'ammoniaque est d’une certaine force, que les mouvements ne réparaissent plus ; mais alors l'animal est mort, bien mort, car il ne tarde pas à tomber en putréfaction. Par les mêmes procédés, si efficaces chez les Scara- bées, les Charançons et les Buprestes, il est done impossible de provoquer une paralysie complète et persistante chez les Coléoptères dont les ganglions thoraciques sont distants l’un de l’autre, et lon ne peut obtenir tout au plus qu'une paralysie momentanée se dissi- pant du jour au lendemain.
Ces résultats de l'expérience confirment de la manière la plus éclatante les raisons que j'ai exposées plus haut pour motiver la prédilection exclusive des Cerceris pour quelques tribus de Coléoptères, et pour expliquer la longue conservation de leurs victimes.
Conclusions.
Les Hyménoptères prédateurs rendent inoffensive la proie destinée aux larves par un coup d’aiguillon dans les ganglions thoraciques.
Si la victime est une Chenille, une faible larve, l'effet du coup d’aiguillon peut se borner à une torpeur, à une léthargie plus ou moins profonde , et les mouvements ne sont pas complétement anéantis ; exemples : les larves vertes de Phylonomus variabilis qu’on trouve dans les nids de l'Odynerus spinipes, les larves vertes de Lépidoptère qu'on trouve dans les cellules de l’Zumenes décrit ci-après.
Si la victime est un insecte vigoureux , la paralysie doit être totale et persistante, afin que l'œuf ou la larve ne se trouve pas en danger ; il v a alors anéantissement complet des mouvements,
SUR LES MOEURS DES CERCERIS. 447
comme chez les Buprestes et les Charançons des Cerceris, les Grillons des Sphex.
Cet état d'inertie n’est qu'une mort apparente, une paralysie des organes de la vie animale ; mais la vie végétative persiste encore plus ou moins longtemps, et préserve l'organisme de la décompo- sition. L'animal ne meurt réellement que longtemps après , et peut-être uniquement d’inanition. ! n’y a donc pas lieu d'attribuer au venin des Hyménoptères une propriété antiseptique; ce liquide agit seulement sur les centres nerveux, comme agirait tout autre liquide suffisamment énergique.
L'ammoniaque en particulier produit absolument les mêmes effets, en s’inoculant au point où se porterait le dard de l'Hymé- nopière.
La paralysie par l’'ammoniaque n’est complète et persistante que chez les Coléoptères, dont les ganglions thoraciques sont concen- trés sur un seul point.
Cette centralisation du système nerveux rendant possible une paralysie instantanée et persistante est la cause qui borne les déprédations des Cerceris chasseurs de Coléoptères aux Buprestes, aux Curculionites, et probablement aussi à quelques petites espèces de Lamellicornes , puisque ceux-ci remplissent également toutes les conditions voulues. Les prédilections si exclusives des Cerceris sont donc subordonnées à l'anatomie de leurs victimes plutôt qu’à
leurs qualités nutritives. Note A.
Éloigné des centres scientifiques, réduit à mes seules et bien faibles res- sources, je me trouve dans un grand embarras pour désigner l'espèce de Cerceris qui fait le sujet de cet opuscule. N'ayant pu en trouver le signalement dane les quelques auteurs que j'ai pu consulter, je vais en donner une description assez développée pour qu'on puisse facilement la reconnaître si elle est déjà décrite. Je hasarderai même un nom dans l'espoir, si cette espèce est réellement incon- nue, d'attacher le nom vénéré de M. L. Dufour au plus beau des Hyménoptères qui butinent au pied du mont Ventoux.
Cerceris Dufouriana. — Femelle noire. Tête, thorax, et premier segment de l'abdomen ponctués et pubescents ; les cinq derniers segments de l'abdomen lisses, luisants et glabres au-dessus, ponctués et pubescents au-dessous dans leur moitié postérieure. Chaperon prolongé à la base des antennes en une pointe coupée carrément à l'extrémité. Premier article des antennes jaune , les trois el
148 FABRE. —— OBSERVATIONS
quatre suivants ferrugineux, les autres noirs. Chaperon ; carène entre les antennes ; deux bandes remontant jusque sur le vertex, et bordant le côté interne des yeux; une large tache quadrilatère derrière chacun d'eux ; deux taches sur le protho- rax, les écailles des ailes’; quatre points disposés par paires sur le corselet ; deux points sur le premier segment de l'abdomen ; une bande échancrée à la partie postérieure des quatre segments suivants ; deux taches latérales sur le segment anal, jaunes. Dessous du“corps noir; une bande rouge échancrée en arrière sur le second segment de l'abdomen. Pattes d'un jaune ferrugineux avec les hanches noires. Ailes enfermées à l'extrémité. Longueur de 25 à 30 millimètres.
Les deux premiers points du corselet sont distants l'un de l'autre, quelquefois peu distincts, et même tout à fait effacés. Les deux suivants sont contigus , et forment assez souvent une ligne transverse. Les deux points jaunes du premier segment de l'abdomen disparaissent quelquefois aussi, et il en est de même de la bande rouge de la face ventrale du second segment abdominal.
Mâle. Noir, entièrement ponctué, et couvert d'une pubescence cendrée plus four- nie que chez la femelle, surtout sur la tête et le thorax. Chaperon plan. Antennes ferrugineuses, excepté la face inférieure de l’article basilaire qui est jaune, et la face supérieure des 4-6 articles médians qui est noire. Chaperon et carène entre les antennes jaunes, ainsi que deux bandes bordant le côté interne des yeux , mais ne remontant point sur le vertex. Un très petit point derrière chaque œil ; deux points sur le prothorax, les écailles des ailes ; deux points et une ligne transverse sur l’écusson ; deux très petits points sur le premier segment de l'abdomen; une bande échancrée sur chacun des cinq segments suivants : une tache médiane entre les deux carènes du segment anal, jaunes. Dessous du corps entièrement noir. Pattes d'un jaune ferrugineux. Ailes enfoncées à l'extrémité. Longueur de 18 à 20 millimètres.
Comme chez la femelle, les deux points et la ligne jaune de l'écusson peuvent disparaître plus ou moins complétement, surtout les deux points. Il en est de même des deux points du premier segment abdominal , de la tache médiane du segment anal, et des deux points qui sont derrière les yeux.
Note B.
Cerceris.….… ! — Noir, très ponctué. Face couverte d'une fine pubescence argentée. Chaperon plan. Une étroite bande jaune de chaque côté au bord interne des yeux. Mandibules jaunes avec leur extrémité brune. Antennes noires en des- sus , d'un brun pâle en dessous ; face inférieure de leur article basilaire jaune. Deux points distants sur le prothorax, les oreilles des ailes ; une ligne transverse sur l'écusson ; une bande échancrée à la partie postérieure du 3° et du 5° seg- ment de l'abdomen, d'un jaune pâle. Dessous du corps entièrement noir ; hanches et trochanters noirs : cuisses postérieures entièrement noires: cuisses des deux paires antérieures mi-parties noires el jaunes ; jambes et tarses jaunes. Jambes un peu enfumées à l'extrémité. Longueur 8 millimètres.
SUR LES MOEURS DES CERCERIS. 119
Cette espece creuse ses galeries dans les talus sablonneux des ravins. Elle approvisionne ses larves avec des Buprestes , le Sphenoptera geminata , Iliger. Eu septembre, époque de mon observation, ces provisions sont depuis longtemps consommées, car on ne trouve dans les cellules que des débris arides, des élytres, des corselets, et quelques rares individus dont les diverses pièces tégumentaires sont encore régulièrement assemblées. Malgré cela, la vigilante mère veille encore au soin de sa progéniture, car c’est toujours dans le voisinage des terriers ou même dans leur intérieur que je l'ai surprise. Au milieu des débris extraits d’un assez grand nombre de nids, je n'ai pu reconnaître la moindre trace d’une seconde espèce de Bupreste, nouvel exemple de déprédations si singulièrement délimitées.
Par la disposition de ses taches jaunes, celte espèce a quelques traits de res- semblance avec le Cerceris ornata ; maïs elle s'en éloigne par quelques caractères, et surtout par la différence de mœurs, le Cerceris ornata nourrissant ses larves, d'après M. Walcknaër, d'autres Hyménoptères appartenant au genre Halictus. Je ne connais pas le mâle.
Note C.
Eumenes...? — Femelle noire, ponctuée et pubescente sur la tête, le thorax et le premier segment de l'abdomen. Les cinq derniers segments abdominaux lui- sants et glabres. Chaperon , carène entre les antennes , lunules bordant le côté interne des yeux ; face inférieure du premier article des antennes ; une ligne étroite derrière chaque œil ; bord antérieur du prothorax, les écailles des ailes, deux points et une ligne transverse sur l'écusson ; une tache sur chaque flanc du méso- thorax; deux autres plus larges sur le métathorax ; bord postérieur des cinq pre- miers segments de l'abdomen, jaunes, Le second segment orné, en outre, sur chaque flanc d'une grande tache jaune, qui réjouit la bande marginale. Dessous du corps noir : les quatre segments médians de l'abdomen bordés de jaune ; le second muni, en outre, de deux gros points de la même couleur. Hanches noires avec ‘une tache jaune à la face externe. Base des cuisses et trochanters noirs ; extrémité des cuisses, jambes et tarses jaunes. Longueur de 20 à 22 millimètres. Serait-ce l'Eumenes pomiformis ?
Cette espèce bâtit ses cellules en septembre sur les rochers exposés au soleil, sur les murailles. Tantôt isolées, tantôt au nombre de deux ou trois accolées l’une à l'autre, ces cellules ont la forme d'une calotte sphérique, surmontée d'une sorte de petite cheminée cylindrique d'une paire de millimètres de hauteur. Le fond en est formé par la surface même de la pierre qui leur sert de base; mais ses parois sont maçonnées avec de la terre pétrie. L'intérieur de ces constructions , sans être poli avec soin, ne présente au moins rien de raboteux ; leur extérieur, au contraire, est revêtu de gravier grossier, et même de coquilles vides de petites bélices. A mesure que l'Hyménoptère a maçonné une cellule , il s'approvisionne d'une dizaine de larves vertes, puis il en bouche la cheminée avec un tampon de mortier. Ces larves appartiennent à des Lépidoptères, et, suivant toute appa- rence, à des Phaléniens. Linné a déjà dit du Sphez sabulosa : Habitat in terra
150 DE BEAUVOYE. — LETTRE, ETC.
sabulosa, ubi Canis instar pedibus anterioribus cuniculum fodit larvamque Pha- lenæ semimortuam in eo sepelit, etc.; et du Sphex viatica : Fodit cuniculum , occidit larvam Phalene , attrahit, sepelit , ete. (1). Cette rencontre n’est proba- blement pas fortuite, et les trois chasseurs de chenilles de Phalènes doivent être guidés par quelques motifs impérieux, comme j'espère l'avoir prouvé au sujet des Cerceris mangeurs de Buprestes et de Charancons. Dans une vingtaine de che- nilles recueillies, j'ai reconnu deux espèces , dont l’une était représentée par un seul individu. Voici les caractères des chenilles les plus nombreuses :
Corps d’un vert pâle, ou plus rarement d'un jaune sale, cylindrique, hérissé de cils courts et blanchâtres. Tête transversale , plus large que les segments anté- rieurs, d'un noir mat, également hérissée de cils. Quatre paires de pattes mem- braneuses placées sur les 6°, 7°, 8° et 9° segments. Longueur 16 millimètres ; largeur 3 millimètres.
L'individu unique de la seconde espèce à pour caractères :
Corps un peu atténué aux deux bouts , étranglé à la jonction des divers seg- ments, d'un vert sale, avec de fines marbrures noirâtres visibles à la loupe, et quelques poils noirs clair-semés. Tête petite, plus étroite que les segments anté- rieurs, de la même couleur que le corps. Trois paires de pattes membraneuses placées sur les 8°, 9° et 12° segments. Longueur, 15 millimètres ; largeur, 2 mil- limétres 1/2.
Il est à remarquer que l'Eumenes coarctata, dont Geoffroy a décrit le nid et l'approvisionnement (2), remplit ses cellules de miel; trait de mœurs qui sem- blait irrévocablement éloigner les Euménites des Odynérites. Mais voici une espèce congénère qui, à l'état de larve, vit de proie, et vient ainsi rattacher les Eumé- nites aux Odynères (3).
(1) Syst. nat.
(2) Hist. des Insectes.
(3) Depuis l'impression des pages précédentes , M. Fabre a bien voulu en- voyer au Muséum d'histoire naturelle de Paris un exemplaire de chacun des Hyménoptères qui font le sujet de son intéressant travail , et par la comparaison de ces insectes avec ceux de la grande collection zoologique de cet établisse- ment, on a pu remplir les lacunes signalées ci-dessus. Ainsi le Cerceris Dufou- riana de M. Fabre est extrêmement voisin du C. tuberculata Vanderlinden , el ne s'en distingue guère que par la couleur des taches de l'abdomen de la femelle, qui sont toutes d’un jaune franc, tandis que dans cette dernière espèce elles sont ferragineuses sur le premier segment. Le ©. Dufouriana n'est donc peut-être qu'une variété du ©. tuberculata; mais, dans le cas contraire, le nom spécifique que M. Fabre lui a donné ne pôurrait être conservé, car il appartient déjà à une autre espèce du même genre décrit par Lepelletier de Saint-Fargeau (le C. Dufouri Lept., Hist. des Hyménopt., t. LIT, p. 15), et nous proposerions aux entomolo- gistes de l'appeler C. Fabreiana.
Quant aux Cerceris indéterminé de la note B, il ne paraît pas différer spécifi- quement du Cerceris minula Lepell., loc. cit., p. 27.
Enfin l’Eumenes de la note GC est l'espèce décrite par le même auteur sous le nom d'Eumenes Amedeïi (Lepell., Op. cit., t. IL, p. 598), ME.
LETTRE SUR
LES MOŒURS DES ABEILLES,
Par M, DFE BEAUVOYE.
Permettez-moi, monsieur, de vous communiquer quelques ob- servations sur les combats des reines. Vous le savez, monsieur, ees combats sont difficiles à voir, parce qu'il n’est pas facile d’avoir plusieurs reines à sa disposition , et, comme le dit fort bien Réau- mur, on ne sacrifie pas volontiers une ruche pour s'éclairer sur un sujet plutôt curieux qu'utile et indispensable à connaitre.
Hubert , qui fait loi dans cette partie de la science, en a donné une descriphon si poétique , si belle, que j'ai toujours attendu avec impatience le moment où je pourrais être témoinde combats dignes de la plus belle époque de notre chevalerie.
Profitant du moyen que j'ai trouvé d'asphyxier les abeilles dont vous avez bien voulu vous rendre témoin, j'ai pris l'an dernier chez mes voisins plusieurs reines, et voici ee dont j'ai été témoin :
1° Une reine fut présentée à une ruche qu'on en croyait privée; la première gardienne l’aperçoit, la saisit , lui plonge son aiguillon dans le corps avec vivacité ; ce mouvement rapide attire les autres surveillantes , et chacune à son tour, et {toutes ensemble, en font autant à cette majesté tremblante qui, se défendant à peine, périt bientôt. L’attitude de cette reine était d'une humilité complète, elle ployait son ventre sous elle à l'instar de ces jeunes chiens qui se replient la queue sous l'abdomen devant les vieux qui les grognent.
2° Désirant voir ce qui se passerai entre deux essainis au mo- ment de leur mariage, j'en lançai un dans ma ruche plate, occupée par un autre; mais le brouhaha m’empêcha de rien voir. Le len- main malin, jetrouvai dans le vestibule une grosse pelate d'abeilles enserrant une reine. Je mis celte pelote sur une assiette; plu- sieurs abeilles s'envolèrent, mais d’autres restèrent et continuèrent d'assouvir leur fureur en plongeant à l’envi leur aiguillon dans le corps de l'abeille surnuméraire.
3° Une autre reine esttirée d’une masse d'abéilles endormies ;
152 DE BEAUVOYE. — LETTRE
Je la laisse revenir à la vie. Quand elle est bien ranimée, je la place dans une niche vitrée, et je m'’efforce de la mettre en contact avec la reine régnante ; mais celle-ci ne la sent ni ne fait mine de l’apercevoir, et se dérobe même à l'expérience. Les abeilles qui l’accompagnent s'emparent de l’étrangère, la poignardent, forment autour d’elle une masse de plus de cinquante abeilles qui roulent à la surface du rayon et tombent enfin sur un carton que je tenais
au-dessous. Les plus éloignées s’envolent, mais les autres conti- nuent de la presser, de la poignarder et ne la quittent que quelques heures après, alors seulement que je les chasse ;
4° Une autre reine subit le même sort;
5° Je prends la reine de ma ruche plate; je la place sous un globe de verre et lui adjoins la reine d’un autre essaim. Leur pre- mier soin est de chercher une issue pour sortir ; elles se rencon- trent cependant, passent l’une sur l’autre sans se rien dire; mais à une seconde rencontre, je vois un superbe combat : les ventres se réunissent; on se choque , on se heurte, mais bientôt on se sépare. La lutte ne tarde pas à recommencer; la reine de la ruche plate monte sur l’étrangère, lui plonge son aiguillon dans le côté et se retire. La blessée se traîne encore quelques instants à l’aide des trois pattes du côté resté sain et sauf du venin, les autres étant déjà paralysés, puis elle expire.
6° Le lendemain, la reine victorieuse est placée sous le même globe avec trente abeilles ; j'y joins une autre reine avec pareil nombre de ses suivantes. Personne ne s'attaque ni ne se dispute; toutes passent les unes sur les autres, et leur principal désir semble être de sortir de prison. Las de ce manége inutile, je fais évacuer la place et ne laisse que les deux reines, mais elles ne se cherchent pas encore , il faut que je les rapproche à l’aide des barbes d’une plume : enfin, les voici tête à tête, croisant leurs antennes comme deux jeunes taureaux croisent leurs cornes lors- qu'ils vont lutter sur la prairie. L'une baisse les pattes de devant, se mettant en quelque sorte aux pieds de l’autre, comme pour l’im- plorer. Celle-ci, en effet, lui lèche le dessus de la tête et la caresse amicalement. Bientôt l’autre reine en fait autant et reçoit les mêmes marques d'amitié. Ce manége se répète si longtemps que je les
SUR LES MOEURS DES ABEILLES. 153
sépare et les stimule vainement, les poussant au combat sans pou- voir les réunir. La nuit arrivant, je rends la reine à sa ruche, où une vive inquiétude régnait. Je laisse sous le globe quelques abeilles avec la reine pour passer la nuit. Le lendemain, je répète cette expérience et j'obtiens le même résultat. Mais pour le coup, je laisse les deux reines ensemble et seules pendant la nuit, et le lendemain j'en trouve une de morte.
Telles sont, monsieur, les premières observations que j'ai faites et je serais heureux qu'elles vous intéressassent. A la saison pro- chaine, je les recommencerai , je vérifierai aussi les époques si précises qu'Hubert assigne à la réception des reines étrangères de remplacement, et si les résullats que j'obtiendrai peuvent vous être agréables, je m'empresserai de vous les communiquer.
NOTE
SUR
L'ABSENCE DANS LE WEMOPTERA LUSITANICA D'UN SYSTÈME NERVEUX APPRÉCIABLE (1),
Par M. Léon DUFOUR.
En attendant que je puisse traiter de toute l'anatomie du Némop- tère, insecte dont personne, jusqu’à ce jour, n’a sondé l'organisme, je vais faire connaître un fait négatif, qui forme une remarquable exception en Entomotomie; je veux parler de l’absence d’un système nerveux appréciable dans le Névroptère sujet de cet écrit.
Mais pour l'intelligence et l'authenticité de ce fait si insolite,
(1) Les travaux de M. Léon Dufour ont enrichi la science de tant de décou- vertes précieuses, que les observations de ce savant doivent avoir une grande importance aux veux de tous les entomologistes, lors même qu'elles ne leur parat- traient pas de nature à établir pleinement les résultats qu'il en tire. L'absence d'un système nerveux bien développé me semble bien difcile à admettre chez un Insecte quelconque, et il serait à désirer que de nouvelles recherches per- missent d'expliquer l'absence apparente de ce système chez le Nemora lusita- nica. J'espère que la publication de la note de mon illustre ami provoquera de nouvelles observations sur ce sujet, et que la question soulevée ici ne tardera pas à être résolue. M. E.
154 L. DUFOUR. j'esquisserai à grands traits la structure générale, la composition organique, et quelques-uns des actes physiologiques de cet insecte.
Linné avait le premier classé dans l’ordre des Névroptères , et désigné sous le nom de Panorpa coa, un insecte élégant et singu- lier trouvé dans les îles de l’Archipel. Latreille en fonda le genre Nemoptera. Or ce type linnéen, s'il n’est point identique avec celui dont j'ai fait l'anatomie, en diffère bien peu.
Les archives de la science ne renferment encore rien sur le genre de vie et les métamorphoses du Némoptère. Les auteurs qui en ont parlé ne l'ont envisagé que sous le rapport de Ja elassifiea- tion et de la description purement entomologique. Il était réservé au scalpel de fournir quelques notions sur l’histoire de eel insecte.
Son corps, bariolé de jaune et de noir, est grêle, et de 3 centi- mètres de long. Il est donc d’une taille à dissection facile. Ses ailes antérieures, larges et régulièrement tachetées de noir sur une gaze Jaune, ont une envergure de 10 centimètres, et sont propres au vol; les postérieures, longues, fort étroites et un peu lordues, ressemblent à une double queue , et font l'office de balanciers ou d’avirons aériens. La physionomie de ce joli insecte, vu le prolon- gement de sa tête en museau , semble justifier le poste que lui a assigné Latreille à côté de la Panorpe, mais ses viscères lui donnent une affinité plus naturelle avec l'Osmyle et l'Hémérobe. Tout porte à croire que , comme ces derniers, il a des habitudes nocturnes ou erépusculaires. Lorsque dans le jour on le déplace de ses abris, on le voit prendre un vol incertain, saccadé, de courte durée. Il est facile de juger qu'il est offensé par la vive lumière ; aussi le prend-on aisément au filet ou à la main. En juillet 1854, je le rencontrai fréquemment au parc royal de Pardo, près de Madrid.
En maniant cet insecte pour le disséquer, je fus frappé de l'odeur très prononcée de Punaise des bois (Pentatoma punctipennis) qui s’exhalait de son corps. La première fois que je constatai ce fait, je crus que, par mégarde , j'aurais touché une de ces Punaises ; mais de nombreuses autopsies m'ont acquis la certitude que cette odeur émanait directement du Némoptère.
Le scalpel m'a permis de constater dans son organisation viscé- rale les mêmes dispositions anatomiques générales que dans les
SUR L’ANATOMIE DU NEMOPIERA LUSITANICA. 155
autres insectes congénères. L'acte respiratoire s'y exécute par des stigmates et des trachées, celles-ci foutes tubulaires et rares, d’où l'on peut induire et une somme de respiration fort médiocre , et peu d'énergie des facultés locomotrices. L'appareil digestif y offre un canal alimentaire droit, finement membraneux, avec un jabot, une panse latérale, et huit vaisseaux hépatiques à insertions distinctes. L'absence du gésier, organe qui se trouve dans la Panorpe et le Myrmélion, ainsi que la nature des contenta du jabot, permettent d'inférer que le Némoptère suce une nourriture liquide, et qu'il n'est point insectivore comme les deux genres que je viens de nommer. J'ai aussi étudié les organes génitaux dans les deux sexes, etils ne m'ont présenté, comparativement aux autres genres de ce groupe, que les légères différences qui tiennent au type.
Par cet aperçu sur l'anatomie et le genre de vie du Némoptére, on voit qu'il partage , pour le nombre, la composition et les fonc- tions des parties tant externes qu'internes, les attributions physio- logiques de l'immense population des Articulés hexapodes. Ainsi il voit, il respire, il marche, il vole, il mange, il digère, il sécrète, il engendre comme tous les insectes. Abordons maintenant le nœud de la question exceptionnelle, le fait négatif dont j'ai parlé.
L'appareil sensitif, que j'ai étudié dans plus d'un millier d'espèces d'insectes de tous les groupes naturels, copsiste en un cerveau fournissant les nerfs des sens, en une chaîne ganglion- naire rachidienne composée de centres nerveux, d’où émanent des paires de nerfs symétriques distribuant la sensibilité et la vie dans tous les organes, dans tous les tissus. J’omets à dessein de parler du ganglion isolé de Brandt ou stomatozgastrique.
Disons-le {out d'abord et très explicitement, le scalpel Je plus serupuleux, les yeux les plus exercés aux recherches anatomiques, la patience la plus éprouvée, n’ont pu constater dans le Némoptère ni cerveau, ni ganglions, ni nerfs. Cette négation d’un appareil organique de premier ordre a de si graves conséquences qu'il importe de la démontrer par de positifs documents.
Dans mes premières nécropsies , tout en notant cette absence du système nerveux , je crus que l'étude des principaux viscères avait pu me dérober momentanément les ganglions, et je m'en
156 L. DUFOUR.
préoccupai faiblement. Cependant, après avoir coulé à fond la splanchnologie du Némoptère, je me livrai à l'investigation exelu- sive de son système nerveux , el prévenu que j'étais que les gan- glions étaient fort petits dans quelques Névroptères, et notamment dans l’Éphémère où j'en avais pourtant compté onze, je redoublai d’attention et de soins. Comme j'avais des sujets à discrétion pour les disséquer ou vivants, ou préalablement éthérisés, je multipliais les ouvertures par les diverses régions du corps. Torturé, c’est le mot, par la reproduction constante de cette cruelle vérité néga- tive, et me défiant du témoignage de mes propres sens, je fis appel aux yeux Clairvoyants de mon ami le professeur Graells qui assistait à mes dissections. Ils furent aussi malheureux, aussi inhabiles que les miens à découvrir, je ne dis pas un ganglion, mais même un nerf. J'écartelai dans plusieurs sujets le crâne, dans l'espoir que le cerveau, ce point de départ du système nerveux, pourrait me donner la clé de ce labyrinthe d’incertitudes ; mais au lieu d’un organe circonscrit et à deux hémisphères, comme j'étais accou- tumé à en trouver, même dans les plus petits insectes, je ne sus apercevoir qu'une exiguë quantité d’une pulpe informe etdiffluente. Habitué à constater, sans trop de difficultés, les grands nerfs cru- raux aux points où ils pénètrent dans les membres, je fis plusieurs ouvertures du thorax dans cet unique but, et foujours avec des résultats négatifs. Poursuivi par les horreurs du doute, j’analysais un à un tous les déblais de mes dissections, en les immergeant dans l’eau claire des verres de montre , puis je les soumettais aux plus puissantes lentilles du microscope. Je n’y pus déceler aucun vestige de ces nerfs que j'avais lant à cœur de découvrir. Un ana- tomiste, moins rompu que moi aux difficultés et aux illusions, s’en serait laissé imposer par des filets rameux etincolores offrant tout l’aspect de nerfs ; mais une longue pratique m'avait appris que la macération, en privant les fragments trachéens de l'air et de leur couleur nacrée, pouvait donner le change pour des ramuscules nerveux , et les verres amplifiants dissipaient tous les doutes, en mettant en évidence les cerceaux élastiques de la texture tra- chéenne. A cette occasion, je me rappelais le tourment de Cuvier, lorsque ses savantes et ardues dissections l'amenèrent à déclarer
SUR L'ANATOMIE DU NEMOPTERA LUSITANICA. 157
formellement qu'il n'existait point dans les insectes un système vasculaire propre à la circulation du sang.
J'avais déjà sacrifié, à la seule recherche de ce système nerveux introuvable, quinze Némoptères, lorsque les événements politiques de Madrid me forcèrent à regagner la France. Toutefois je ne me lenais pas pour battu. La veille même de mon départ, j'allai à Ja chasse de cet insecte ; j’en plaçai, après la soustraction des ailes, un bon nombre dans un flacon à l'alcool, pour procéder à leur dissection dans le silence de mon laboratoire de Saint-Sever, et avec ces accessoires qui ne se rencontrent pas dans les déplacements lointains. A peine rentré dans mes foyers, je me remis à l’œuvre, avec cette ardeur qu'inspire le besoin vivement senti d'atteindre un but où la science et l’amour-propre se trouvaient engagés. J'y épuisai ma persévérance, mon obstination, tous mes moyens optiques , el toujours , hélas! avec le même insuccès. Je sortis de la lice avec la conscience d'avoir satisfait à toutes les exigences d’un scalpel qui, malgré son long exercice, n’était point encore rouillé, et avec la profonde conviction qu'il n'existe dans le Némoptère aucune trace appréciable de ganglions, ni de nerfs, en conservant à ces noms leur acception consacrée.
Si, prétextant de mon âge, on pouvait arguer, dans le cas actuel, de l’affaiblissement de ma vue, de l'infidélité de mes moyens, je pourrais opposer un fait irrécusable. Dans le même temps où mes sens et mes instruments étaient impuissants à constater un système nerveux dans le Némoptère, je me livrais à l’anatomie d’une Fourmi (Formica nigra, Lin.), quatre fois au moins plus petite que ce dernier Névroptère. Malgré les profonds étranglements du corps, malgré l'indocilité au scalpel du tégument de cette Fourmi, je suis néanmoins parvenu à reconnaitre très distinctement et un cerveau bilobé, et deux ganglions thoraciques, et sept ganglions abdominaux , dont les trois postérieurs fort rapprochés entre eux.
Enfin pour rentrer plus essentiellement dans l'espèce et en faire ressortir l'exceplionnalité, je citerai l'anatomie de l'Osmylus, dont j'ai publié, en 1848, la description et les figures dans les Annales des sciences naturelles. Ce Névroptère, contigu, dans la méthode naturelle, au genre Némoptère, et dont le corps est plus petit que
158 LEHMANN.
celui de ce dernier, est pourvu d’un système nerveux très sai- sissable, composé d’un cerveau, de trois ganglions thoraciques, de six ganglions abdominaux, et de nombreuses paires de nerfs nais- sant de ces divers centres nerveux.
Mais tout en proclamant encore avec une sincère conviction le fait anatomique exceptionnel et irréfragable de l'absence, dans le Némoptère , d’un système nerveux appréciable, je suis loin d’en induire le défaut de sensibilité dans cet insecte. Ce serait là un outrage physiologique, un mensonge, contre lequel s’élèvent et les actes locomoteurs, et l’organisation viscérale, et les fonctions sen- soriales du Némoptère. Non, je ne nie point une transmission nér- veuse, et je conçois qu'une innervation puisse s'exercer par un élément organique insaisissable | impalpable à nos sens... La prudence veut que je m’arrête devant un abime d'explications et de raisonnements, et, disons le mot, devant un mystère, comme il y en a tant dans les organismes de tous les degrés.
Je termine en disant avec Bossuet : « Taisez-vous, raison humaine. »
SUR LA PRÉSENCE DU SUCRE DANS LE SANG DE LA VEINE PORTE, Par C.-G. LERMANN.
Traduit de l'allemand par 3. BÉCLARD.
Mon nom ayant été prononcé plusieurs fois dans ce journal , à l'occasion de la fonction glycogénique du foie, je prendrai la liberté de communiquer ici quelques-uns des résultats fournis par les expériences récentes que j'ai faites à ce sujet. Il me semble superflu de faire remarquer que, pour résoudre un problème physiologico- chimique, il est nécessaire, avant toutes choses, de s'assurer de la valeur de la méthode mise en usage dans la recherche chimique et dans la recherche physiologique. Peut-être serons-nous assez heureux pour démontrer, par les faits qui vont suivre, que les conditions premières des recherches de cette nature n'ont pas été suffisamment appréciées par les adversaires de M. CL Bernard.
En ce qui concerne la base chimique de la question, c’est-à-dire
SUCRE DANS LE SANG DE LA VEINE PORTE, 159
la constatation du sucre dans le sang de la veine porte, on a fait beaucoup de reproches à la méthode employée par M. CI. Bernard ; pourtant (le résultat l’a prouvé), on n’a réussi à démontrer avec une certitude parfaite ni la présence, ni l'absence du sucre. En outre, on paraît n'avoir été nullement familiarisé avec les méthodes de recherches que l’auteur de cet article a mises en usage pour constater la présence ou l'absence du sucre dans le sang de la veine porte. Quand on a prétendu, par exemple, que la présence de l’albuminose, ou peptone, s'oppose à la réaction du réactif cui- vrique sur les solutions sucrées, on ignorait sans doute que c’est là un fait connu depuis longtemps, au moins par les chimistes alle- mands. Non-seulement la peplone, mais encore d’autres prin- cipes, albumineux où non albumineux, par exemple certaines matières extractives de l'urine normale , s'opposent à l’action du réactif euivrique, lorsque la quantité de sucre est peu considérable, Cela veut dire seulement que, par l’ébullition avec le réactif cui- vrique, il ne se précipite point alors d’oxydule de cuivre, bien que celui-ci se forme néanmoins; car la solution, qui était d’abord bleue ou violette, devient jaune par l’ébullition, et, en neutralisant la liqueur par l'acide acétique , on réussit souvent à précipiter loxydule de cuivre formé. Aussi un chimiste ne se servira-t-il jamais, dès l’abord, du réactif cuivrique pour déceler la présence du sucre dans un liquide animal; mais il n’emploiera à cette recherche que l'extrait alcoolique. Dès l’année 1840, l’auteur de cet article insistait, dans la première édition de son Traité de chi- mie physiologique (t. 1, p. 198), sur la nécessité d'employer tou- jours l'extrait alcoolique d’un liquide animal quelconque, pour y réchercher le sucre qui pouvait y être contenu ; il signalait égale- ment à Ja même époque les différents défauts du réactif cui- vrique. M. Gorup-Besanez, dans son Manuel d'analyse chimique (la première édition de cet ouvrage à paru en 1846), et plus tard M. Bædeker (Zeitschrift für rationnelle Medicin, vol. VI, p. 201-206), ont également appelé l'attention des chimistes sur les erreurs auxquelles peut conduire l'emploi mal dirigé de ce réactif, d'ailleurs très utile. Le réactif cupro-tartrique soulève plus d'objections encore que lemploi de la potasse caustique et du
160 LEHMANN.
sulfate d'oxyde de cuivre, dont on doit l’idée première à Frommer. La solution tartro-cupro-potassique, longtemps soumise à l’ébulli- tion, donne naissance à des flocons rouges, et c’est surtout le cas, lorsque le vase d’ébullition est chauffé très fortement au-dessus du niveau du liquide. La même solution, lorsqu'elle est restée long- temps en repos (en d’autres termes, lorsqu'elle est ancienne), laisse souvent déposer, lorsqu'on la chauffe, de l’oxydule de cuivre. Cette propriété de la solution tartro-cupro-potassique de précipiter de l'oxydule de cuivre, se montre surtout lorsqu'on a employé à sa préparation de l'acide tartrique impur. Ne réalisons-nous pas , en quelque sorte, cette dernière condition, lorsque nous mélangeons la liqueur d’épreuve avec un liquide animal ? Ne peut-il pas se ren- contrer, dans ce dernier cas, une substance réduisant facilement l’oxyde de cuivre, ou capable de se tranformer en acide tartrique, d’où résulte une réduction de l’oxyde de cuivre, sans que, pour cela, il existe une trace de sucre dans la liqueur ? Il n’est done pas étonnant que parfois on ait cru avoir rencontré du sucre là où il n’y en a pas, et là où le réactif originel de Frommer n’eût point donné de réaction , attendu que l’oxyde de cuivre , précipité après l'addition de la potasse, n'aurait pas été dissous du tout, à cause de l'absence du sucre.
Le réactif cuivrique ne pouvant jamais fournir une preuve irré- fragable de la présence ou de l’absence du sucre, M. CI. Bernard, ainsi qu'on peut s'en convaincre dans (ous ses travaux , ne s’est jamais contenté d'interroger seulement ce moyen d’épreuve, mais il a toujours eu recours encore au procédé de la fermentation. Il est vrai qu'on à voulu élever aussi des doutes sur la certitude de cette preuve. On a dit, par exemple, que la peptone était capable d'empêcher la fermentation alcoolique du sucre traité par la levüre, et que d’autres substances anlisepliques (empêchant la fermenta- tion), pouvaientencore se rencontrer dans le sang de la veine porte. Mais la fermentation ne donne de réactions douteuses que dans des cas rares et à des observateurs peu exercés. Le peptone n'empêche en aucune façon la fermentation alcoolique.
Sans doute, si l’on traite par la levüre une dissolution très con- centrée de peptone contenant du sucre , la fermentation ne s’éta-
SUCRE DANS LE SANG DE LA VEINE PORTE, 461
blira pas mieux que si l’on plaçait la levüre au contact d’une disso- lution simplement hypersaturée de sucre. Toute personne versée dans les travaux chimiques, et qui s’est occupée de rechercher, par fermentation, le sucre dans les liquides riches en albumine ou en peptone, sait avec quelle facilité ces matières peuvent, en présence de la levüre, modifier les décompositions de la fermentation , entraver (alors même qu'il y a du sucre) la formation de l’alcool, et déterminer (alors même qu'il n’y a pas de sucre) la formation de l'acide carbonique. De tout cela, il résulte que, pour mettre en évi- dence le sucre dans un liquide animal, il faut seulement soumettre à la fermentation l'extrait alcoolique de ce liquide.
S'il reste encore quelques doutes dans l'esprit sur la certitude de l'épreuve de la simple fermentation, on est naturellement porté à se demander si l’on ne pourrait pas trouver un moyen à l’aide duquel il serait possible de précipiter le sucre de ses dissolutions, de la même manière qu'il est arrivé à Liebig de précipiter l’urée pour la doser. Ce moyen existe en réalité, et ce n’est pas en l'année 1840 seulement que je l'ai décrit avec détails et recom- mandé (voyez plus haut, loc. cit.), mais je l’'employais dès l’époque de mes premières recherches sur le sang de la veine porte et des veines hépatiques. J'ai principalement insisté sur les conditions de son emploi, et répondu aux diverses objections qu’on pouvait lui opposer dans un mémoire spécial (Ber. der Konigl. Sachs Gesellsch. d. Wissensch., 30 nov. 1850, p. 139). Le procédé dont je parle est basé sur la propriété que possèdent le sucre mame- lonné ou la glycose, le sucre de lait et le sucre de canne, de former avec la potasse une combinaison insoluble dans l’alcool. A l’aide de ce moyen, il arrive souvent qu’on peut mettre en évidence dans les liquides animaux des quantités de sucre assez petites pour échapper à la réaction de la liqueur euivrique, ou à l’action de Ja levüre sur l’extrait alcoolique du liquide animal. Pour procéder à larecherche du sucre soit dans le sang, soit dans tout autre liquide animal, il faut donc s’y prendre de la manière suivante : Le sang, après avoir été recueilli, est battu suivant la méthode ordinaire , ou bien, après avoir été transformé en un gâteau solide, suivant la méthode que j'ai décrite (Ber. der Kon. Sachs Gesellsch. d.
4° série. Zoo. T. IV. (Cahier n° 3.) 5 11
162 LÉHMANN.
W'issensch., 1853, 13 août, p. 109), on le fait passer par pression au travers d’une passoire à fines ouvertures, et l’on en fait ainsi une bouillie. On jette la masse sanguine sur un filtre, et on la presse pour la faire passer, puis on mélange le liquide qui a passé avec trois ou quatre fois son volume d’esprit-de-vin à 90 ou à 92 degrés. On sépare ensuite par filtration le précipité qui s’est formé, et le liquide filtré est évaporé après addition de quelques gouttes d’acide acétique. Le résidu de l’évaporation est de nouveau traité par l'alcool. La solution alcoolique laisse déposer un résidu de matières albuminoïdes, qu'il peut être permis de désigner sous le nom de pep- tone ou d’albuminose (quoique les proportions relatives des éléments de la peptone formée aux dépens des substances albuminoïdes sous l'influence du suc gastrique, et celles d’autres substances analogues du foie ne soient nullement établies d’une manière certaine). La solution alcoolique de peptone, de phosphates et de sulfates, ainsi obtenue et filtrée, est alors traitée par une dissolution alcoolique de potasse. Le liquide renferme-t-il du sucre, il s’opère alors une sépa- ration lente, et au bout de quelques heures un précipité mou et gélatineux se dépose au fond du vase. Ce précipité est formé d’une combinaison de sucre et de polasse ‘Zuckerkali), mélangée avee de petites proportions de chlorure de potassium et de carbonate de potasse. Ce précipité se liquéfie à l'air, et il se dissout très facile- ment dans l’eau. On prend alors immédiatement une portion de cette solution pour y rechercher le sucre à l’aide du réactif eui- vrique. L'autre portion est traitée par l'acide tartrique jusqu’à veutralisation de la potasse, et on la soumet à l’action de la levüre pour y développer la fermentation; le bitartrate de potasse qui à pris naissance favorise d’ailleurs la fermentation. J'ai toujours vu jusqu'à présent, lorsque le sucre existe réellement dans la solution alcoolique (obtenue comme nous l'avons indiqué) , j'ai toujours vu, dis-je, le réactif cuivrique indiquer la réaction du sucre de la manière la plus manifeste. La preuve par fermentation est encore, en procédant ainsi, plus positive, si c’est possible. J'ai à peine besoin d'ajouter que, lorsqu'on traite la solution alcoolique par la potasse, la seule apparition d’un précipité ne peut pas suffire à la conviction, mais qu'il faut toujours opérer sur le précipité à l’aide
SUCRE DANS LE SANG DE LA VEINE PORTE. 163
des deux ordres de preuves que nous venons de signaler. Aïnsi, par exemple, on obtient, à l’aide de l'extrait alcoolique de Purine, lors- qu'on le traite par la potasse (même en l’absence du sucre), un précipité qui contient une matière encore peu connue ; mais cette matière n’est modifiée ni par le réactif cuivrique, nipar la levüre.
IL m'est souvent arrivé, en opérant suivant la méthode que je viens de décrire, de mettre en évidence avec une grande netteté des proportions de sucre extrêmement minimes, que le réactif cuivrique et la fermentation, appliquées simplement à l'extrait alcoolique, ne suffisaient pas à démontrer avec certitude. C’est ce que j'ai constaté, par exemple, dans l'urine d’un Lapin, auquel on avait fait une piqüre au quatrième ventricule suivant la méthode de M. CI. Bernard. J'ai pu, de la même manière, reconnaitre avec certitude la présence du sucre dans une urine humaine , à laquelle on avait ajouté un cent-millièmede sucre. De cette manière encore, J'ai reconnu la présence de la glycose dans lurine ; à la suite du régime du sucre ou de malières riches en sucre , dans diverses sortes de dyspepsies, parfois chez les tuberculeux, mais jamais dans l'épilepsie, ni après l'administration de solutions éthérées ou chlo- roformiques. Nous remarquerons encore ici que la présence du sucre à 616 depuis longtemps déjà (Lehrbuch der physiol. Chem. , 2° édit., t. 1, p. 205) reconnue dans le sang veineux de l’homme et dans celui de quelques Carnivores et Herbivores, qu’on n’en a pas trouvé dans la bile fraiche, dans la salive, etc.
De même que dans toute recherche chimique, il est nécessaire d'apporter ici une grande attention , afin de n'être pas induit en erreur par une fausse interprétation des conditions chimiques où physiologiques de l'expérience. Ainsi, par exemple, il se peut très bien que le sucre ait existé à un moment donné dans l'urine , sans qu'on puisse le mettre en évidence à l’aide des méthodes d’épreuve ; cela ne prouve point l'inexactitude de ces méthodes , mais cela lient à ce que le sucre se détruit avec une grande rapidité dans l'urine, mémealors que celle-ci estencore contenue dans la vessie. I n'est aucun liquide animal dans lequel le sucre se détruise aussi vite et en aussi grande quantité que dans l'urine. C'est ce qu’on peut observer particulièrement sur les Lapins , dont on à rendu
164 LEHMANN.
l'urine sucrée soit par la piqüre du quatrième ventricule , soit par l'injection d’une dissolution de sucre dans les veines jugulaires. Il arrive, en effet, que si l’on fait sortir par compression une por- tion de l'urine contenue dans la vessie, la première urine ainsi obtenue est riche en sucre, tandis que l’urine qui est restée dans la vessie ne présente souvent plus trace de sucre après une demi- heure de séjour dans son réservoir.
Après avoir , en quelque sorte, posé les bases chimiques de la recherche du sucre dans le sang de la veine porte, il nous reste à examiner maintenant les conditions physiologiques et mécaniques dans lesquelles on doit se placer pour affirmer qu'on a produit des expériences irréprochables ; en d’autres termes, que c’est bien sur le sang de la veine porte, tel qu’il coule dans les vaisseaux d’un animal sain et vivant, que la recherche chimique a porté. M. Ber- nard, il est vrai, a déjà exposé avec beaucoup de soin les règles indispensables à suivre à cet égard ; il me semble cependant que M. Figuier , dans l'expérience citée dans son troisième mémoire , n'a pas, sous ce rapport, évité l'erreur. Ainsi, il expose les résul- tats d’une saignée faite à la veine porte d’un Chien vivant, auquel il a retiré jusqu'à 700 grammes de sang. Il est vrai que, sentant ce qu'on peut reprocher à une aussi forte saignée, il conseille plus Join de ne pas retirer de la veine porte d'un Chien de forte taille plus de 300 à 400 grammes de sang. Nous croyons pouvoir démontrer que cette quantité est encore beaucoup trop grande, même pour un gros Chien. Il n'est besoin que d'examiner un instant les conditions de la diffusion et celles de la tension des liquides dans le corps vivant (conditions auxquelles est soumis le sang dans le système veineux et particulièrement dans la veine porte privée de valvules) pour reconnaître qu'une saignée de 400 grammes faite sur la veine porte, même chez un Chien de forte taille, ne correspond en aucune façon à la portion du sang qui cir- cule dans la veine porte d'un animal sain et vivant. Lorsque la tension à laquelle le sang est soumis dans l’ensemble du système qui le contient vient à être diminuée ou supprimée par une ouver- ture faite aux parois de ce système, on conçoit déjà, à priori, que le sang, qui était soumis à une certaine pression, tend à se déban-
SUCRE DANS LE SANG DE LA VEINE PORTE. 165
der non-seulement dans le vaisseau ouvert, mais encore dans toutes les parties du système, et que, par conséquent , la vitesse d'écou- lement est augmentée ; de plus, les autres sues animaux, qui étaient aussi soumis à une certaine pression , obéissent à la diffusion , et tendent à se porter vers le lieu où celle-ci devient moindre. Les recherches connues de MM. Becquerel et Rodier, de M. Zimmer- mann, de M. Nasse, et d’autres encore, démontrent la justesse de celte manière de voir. C’est un fait constaté par eux, en effet, que les diverses portions d’une même saignée ont une composition différente, alors même que la quantité totale du sang extrait hors des vaisseaux n’est pas considérable.
Si l’on examine maintenant, d’après les recherches récentes , quelle est la quantité absolue de sang contenue dans le corps de l’homme adulte ou dans le corps des animaux , et si l’on compare cette quantité avec les saignées abondantes recommandées par M. Figuier , on arrive forcément à cette conclusion : que le sang recueilli et analysé par M. Figuier n’est pas le sang pur de la veine porte. E. Weber et moi avons trouvé , par quelques expé- riences faites sur l’homme, que la quantité absolue du sang ne s'élève pas, au maximum, au-dessus de la huilième partie du poids du corps. Des expériences postérieures de MM. Welker et Bischoff (Zeitschr. für wissenschaft. Zoolog.,t. VIT, p. 331-338) ont appris que chez les animaux et chez l'homme, la quantité absolue du sang n’est que la treizième partie du poids du corps. Prenons mainte- nant un Chien du poids de 24 kilogrammes (un pareil Chien doit être très gros), la quantité absolue du sang renfermé dans son corps ne s'élève donc pas au-dessus de 2 kilogrammes. Retirons à ce Chien 400 ou 700 grammes de sang par la veine porte , évidem- ment il n'est pas permis de penser que le sang recueilli provient exclusivement de la veine porte, car il est difficile d'admettre que la veine porte contient le quart du sang de l'animal.
Pour les raisons que nous venons d'exposer, nous nous sommes gardé , dans nos recherches , de soustraire à l’animal vivant de trop grandes quantités de sang de la veine porte. Le procédé qui nous à paru le moins sujet à l'erreur est le suivant : Le Chien est tué par un coup appliqué sur la tête , puis la veine porte est liée au
166 LEHMANN.
niveau de son entrée dans le foie, ainsi que le pratique M. Ber- nard. J'ouvre alors largement et promptement l'abdomen , je passe derrière la veine porte une anse de fil à peu près à 40 ou 45 milli- mètres de la première ligature ; je refoule le sang avec deux doigts dans la direction de la veine mésentérique et de la veine splénique, et je fais, à l'aide des ciseaux de Cooper, et dans le voisinage de la ligature (c’est-à-dire dans la portion de la veine porte qui vient d'être vidée), une incision par laquelle j'introduis dans la veine porte un tube de verre à deux courbures rectangles (les deux angles du tube ne sont pas sur le même plan , mais dirigés suivant deux plans qui se courbent à angles droits) ; je lie l’anse de fil, restée libre, sur le tube de verre qu'elle fixe dans le vaisseau, et je laisse alors le sang s’écouler par le tube et de Kà dans un vase. Lors- qu'on tue les Chiens suivant le procédé indiqué plus haut , le cœur continue ordinairement à battre encore pendant quelque temps, el après l'ouverture de l'abdomen, la masse intestinale est le siége d'unmouvement péristaltique assez vif. Ces deux causes d'impulsion font que , même après la mort de l’animal , le cours du sang dans la veine porte (et de la veine porte dans les vaisseaux qui se dirigent vers le cœur ) continue encore. Quand le mouvement péristaltique cesse, on peut encore venir en aide au cours du sang en pres- sant sur la masse intestinale. Avec un peu d'habitude , on arrive à opérer assez promptement, et à recueillir une notable quantité de sang avant que sa coagulation où même son épaississement Com- mence. C’est ainsi que sur un gros Chien nourri de viande , et qui avait été tué par un seul coup sur la tête, j'ai pu retirer encore 213 grammes de sang de la veine porte. Mais , dans cette expé- rience même , je me suis convaineu que celte quantité de sang est déjà trop élevée pour correspondre à du sang de la veine porte pur de tout mélange, ainsi que l’analyse chimique l’a prouvé.
Comme j'ai exposé, depuis des années déjà , les méthodes mises en usage par moi dans mes analyses du sang, et qu’elles sont bien connues , il me paraît superflu de reproduire ici , dans tous leurs détails, chacune des expériences faites par moi dans ces derniers temps, etil me suffira d'en faire connaître les résultats.
Je prendrai aussi la liberté de m’arrêter seulement sur les points
SUCRE DANS LE SANG DE LA VEINE PORTE. 167 sur lesquels a surtout porté la discussion dans ces derniers temps, et parliculièrement depuis le troisième mémoire de M. Figuier.
J'ai exposé, dès l'année 1850, dans le mémoire cité précédem- ment (p. 139), que, chez les animaux herbivores, et particulière- ment chez le Cheval, il v avait toujours dans le sang de la veine porte une pelile quantité de sucre, et je crois l'avoir démontré avec la plus grande rigueur à l’aide de ma méthode d'analyse (2). Plus tard (en 4853), M. de Becker s’est livré, sous ma direction, à une longue série de recherches sur la manière dont se comporte le sucre dans l’organisme animal, et il s’est ainsi convaineu, de la manière la plus manifeste, qu'après une nourriture sucrée ou fécu- lente , le sucre passe dans les veines intestinales et de là dans la veine porre (voyez Zeischr. für wiss. Zoolog., de Sicbold et Kôlli- ker,t. V, p. 123-178). Dans le mémoire que j'ai présenté à l'Académie des sciences, par l'entremise de M. CL. Bernard, et où j'expose mes nouvelles recherches sur le sang de la veine porte et des veines hépatiques chez les Chiens nourris de viande, je suis arrivé à ce résultat « que le sang de la veine porte ne contient pas, dans ces conditions, la moindre trace de véritable sucre. »
Cependant, comme M, Figuier affirme encore positivement qu'il y à du sucre dans le sang de la veine porte , après le régime de la viande, j'ai voulu recommencer de nouveau mes recherches anté- rieures, afin de savoir où est l'erreur; si elle est du côté de M. CI. Bernard et du mien, ou si elle est du côté de M. Figuier. Dans ce but, j'ai, dans le cours de ces trois derniers mois , répété
(4) Je ne puis me dispeuser de relever ici une erreur de M. Figuier, qui tient d’ailleurs à un malentendu. Dans un des mémoires qu'il a présentés à l'Acadé- mie, et où il est question de mes recherches , il prétend que j'ai rapporté Ja proportion du sucre contenu dans le sang à cent parties d'extrait alcoolique. L'erreur est tout simplement une faute de traduction. J'ai exposé plus haut que je déterminais la quantité de sucre contenue dans le sang par l'intermédiaire de l'extrait alcoolique {ainsi d'ailleurs que M. Figuier en a démontré la nécessité, seulement dans ces derniers temps), mais j'ai toujours rapporté la proportion du sucre à cent parties du résidu sec du sang pris dans la totalité de ses éléments La valeur de la méthode numérique employée dans mes expériences a d'autant, moins besoin d'être justifiée au peint de vue physiologique, que les conclusions tirées des analyses parlent d'elles-mêmes.
168 LEHMANN.
ces recherches sur trente et un Chiens de grande taille, et j'ai con- duit l'expérience suivant la méthode physiologique et chimique développée précédemment. Les animaux avaient été soumis préala- blement à un jeûne rigoureux de vingt-quatre heures, puis ali- mentés avec de la viande de Cheval crue, et tués trois heures, quatre heures , cinq heures ou six heures après. Ayant examiné , dans seize expériences , le sang de la veine porte, je n’y ai jamais ren- contré de sucre une seule fois.
Pour savoir si l’examen de grandes quantités de sang extraites de la veine porte, sur l'animal vivant , ne conduirait pas à d’autres résultats, je retirai à un gros Chien, du poids de 13 kilogrammes, et sans le tuer par avance , 354 grammes de sang par l'ouverture de la veine porte, et je trouvai indubitablement du sucre dans ee sang. En effet , le précipité obtenu à l’aide de la solution alcoolique de potasse (voyez plus haut), réduisait le réactif cuivrique (en préci- pitant de l'oxydule de cuivre), et fournissait de l'alcool et de l'acide carbonique quand on le traitait par l'acide tartrique et la levûre. J'enlevai à un deuxième Chien, du poids de 41“",5, 2114 grammes de sang de la veine porte, et j'y trouvai également du sucre. Sur un {rès gros Chien, du poids de 14*",5, je retirai 263 grammes de sang de la veine porte, et cesang contenait aussi du sucre. Ajoutons enfin que le gros Chien nourri de viande, dont nous avons parlé plus haut, et auquel nous avions enlevé 213 grammes de sang de la veine porte, après l'avoir tué par avance, contenait aussi mani- festement des traces de sucre.
D'après les considérations développées précédemment , j'étais tenté de conclure de ces diverses observations que l’abord d’un sang étranger et d’autres sucs animaux dans la veine porte avait déterminé la présence du sucre dans le sang analysé par M. Figuier. Mais on aurait pu m'objecter que peut-être la petite quantité du sang de la veine porte (35 à 80 grammes) employée par moi à la recherche du sucre , n’est pas assez considérable pour mettre en évidence , d'après ma méthode d'analyse , la présence de ce prin- cipe. Dès lors, j'ai rassemblé en une seule masse le sang extrait de la veine porte de trois Chiens immédiatement après la mort, avec les précautions indiquées précédemment, et j'ai obtenu ainsi
SUCRE DANS LE SANG DE LA VEINE PORTE. 169 247:",3 de sang. Or, il m'a été impossible d’y découvrir la moindre trace de sucre. Une autre expérience, tentée dans les mêmes con- ditions, et dans laquelle j'avais rassemblé, en un total de 199,7, le sang de la veine porte de trois Chiens, m’a conduit au même résultat négatif. Il me paraît ressortir clairement de ces faits que l'on ne peut pas mettre l'absence constatée du sucre sur le compte des petites quantités de sang de la veine porte analysé par moi , et il en résulte en réalité que le sucre n'existe absolument pas dans le sang de cette veine. D'après cela, il me paraît exact de considérer la glvcose, trouvée dans le sang de la veine porte par M. Figuier et par moi, dans les expériences rapportées plus haut, non comme un principe du sang de cette veine, mais comme une substance étran- gère apportée par un liquide étranger.
L'absence d’un sucre préformé dans le sang de la veine porte après le régime de la viande étant suffisamment démontrée, je me suis demandé (et c’est une pensée que j'ai déjà exprimée depuis longtemps), je me suis demandé, dis-je, si le sang de la veine porte ne renfermerait pas une substance qui se métamorphoserait faci- lement en sucre, ou aux dépens de laquelle le sucre prendrait nais- sance par dédoublement. M’étant procuré, à cet effet, de la diastase et de la synaptase fraîchement préparées , j'ai mis en contact avec ces substances soit l'extrait alcoolique, soit l’extraitalcoolo-aqueux, soit l'extrait aqueux du sang de la veine porte, et j'ai laissé digérer vingt-quatre à trente-six heures par une température de 20 à 49 degrés centigrades. Mais mes efforts ont été vains dans ces trois expériences pour constater la présence du sucre dans ces divers mélanges. Plus tard, j'ai fait digérer pendant un temps plus ou moins long les extraits dont je viens de parler dans de l’eau aiguisée de quelques gouttes d'acide sulfurique ; il m'a été égale- ment toujours impossible de découvrir une trace de sucre.
S'il existait du sucre sous une forme quelconque dans le sang de la veine porte, on pourrait se demander si ce sucre ne se forme- rait pas pendant la digestion de la viande, dans l'intestin grêle ou dans l'estomac. Aussi, dans ma dernière série de recherches, tou- jours on a recueilli le contenu de l'estomac et des intestins des Chiens sujets des expériences précédentes, et nous avons soumis
470 LEHMANN.
chacun de ces produits digestifs à des modes variés d'examen pour y rechercher soit du sucre proprement dit, soitune matière qui lui donnerait facilement naissance. Mais toutes mes expériences dans cette voie ont été stériles. Ordinairement j'opérais de la manière suivante : Le contenu de l’estomac et de l'intestin grêle était, peu après la mort de l'animal, projeté dans Fesprit-de-vin où il séjour- nait quelques heures, puis on filtrait, et le liquide était évaporé à siccité. Le résidu de l'évaporation était repris par l’alcool, traité par une lessive alcoolique de potasse, ete. En opérant ainsi, jamais je n'ai vu la moindre réaction de sucre. Dans des expériences ultérieures, l'extrait alcoolique du contenu intestinal et stomacal à été mis dans de l’eau aiguisée de quelques gouttes d'acide sulfu- rique on d’acide azotique ; tantôt on a laissé digérer le mélange pendant un temps plus ou moins long et par une température de 0 degrés centigrades, tantôt on l’a soumis à la coction, mais jamais je n'ai pu trouver la moindre trace de sucre. Dans d’autres expériences, la masse peptonique (analogue de la peptone), qui était soluble, il est vrai, dans l’esprit-de-vin étendu d’eau, mais qui ne s'était pas dissoute dans l'alcool, a été dissoute dans l’eau et traitée également par les acides; mais ici non plus je n'ai pas trouvé (après la saturation des acides, l’évaporation , le traitement par l'alcool, etc. ), un atome de sucre. Enfin la peptone proprement dite de l'estomac et de l'intestin grêle a été traitée de la même façon : le même mode d'examen a été suivi d’un résultat également négatif.
M. Figuier a conclu de l'expérience contenue dans son troisième mémoire, qu'il y a du sucre dans le sang de la veine porte, et que ce sucre est accompagné par une malière inconnue qui met obstacle à la fermentation. Nous doutons que cette substance étrangère et antifermentescible soit capable de s'opposer à la décomposition du sucre obtenue à Faide de la solution alcoolique de potasse ; c’est, du reste, une question que nous abandonnons au jugement des chimistes. M. Figuier expose encore que l'extrait alcoolique du sang de la veine porte, soumis à la coction avec de l’eau aiguisée de quelques gouttes d'acide sulfurique, donne naissance à une substance qui, étant capable d'entrer en fermentation, doit être regardée comme du sucre. M. Figuier tire de là la conclusion,
SUCRE DANS LE SANG DE LA VEINE PORTE. 171 qu'il y a dans l'extrait alcoolique une matière qui accompagne le sucre, et qui s'oppose à la fermentation. Cela ne me parait pas non plus s'être montré dans mes expériences ; d’ailleurs j'ai plusieurs fois placé de très petites proportions de sucre avec l'extrait alcoolique du sang de la veine porte, et jamais je n’ai vu la fermen- tation manquer après l'addition de la levüre. L'existence d’une matière antifermentescible dans le sang de la veine porte est done tout à fait invraisemblable. Dans l’état actuel de la chimie , on ne peut tirer des expériences de M. Figuier que ces deux conclusions : ou bien il y a dans le sang de la veine porte un hydrocarbure (analogue au sucre de lait) qui se transforme en sucre fermen- tescible seulement après digestion dans les acides étendus, ou bien une sorte de combinaison copulée de sucre dont le traitement par l'acide sulfurique sépare par dédoublement un sucre fermen- tescible. D'après les expériences dont j'ai rapporté plus haut les résultats, la présence dans le sang de la veine porte d’un hydro- carbure non fermentescible me paraît peu probable. I n’y a pas à songer au sucre de lait, car cette substance eût été précipitée de la solution alcoolique par la potasse ; il n’est pas possible non plus de la considérer comme de l’inosite, car cette substance ne réduit pas l’'oxyde de cuivre (pouvoir qu’aurait la matière décrite par M. Figuier), et elle n’est pas transformée par l'acide sulfurique en un sucre fermentescible.
On ne peut done, en définitive, tirer des expériences de M. Figuier d’autres conclusions que celles-ci, à savoir : qu'il y aurait dans le sang de la veine porte une substance destinée à devenir sucre, une sorte de sucre copulé , ou, en d’autres termes , une matière que l'acide sulfurique est capable de métamorphoser artificiellement en sucre : malière aux dépens de laquelle, durant la vie, le sucre se formerait ou prendrait naissance dans le foie. Le résultat réel des recherches de M. Figuier est donc de confirmer et de consolider la doctrine de M. CI. Bernard sur la formation du sucre dans le foie. Depuis que cette doctrine à pris naissance , en effet, tous les observateurs qui penchent en sa faveur cherchent dans le sang de la veine porte la matière aux dépens de laquelle le foie peut fabri- quer du sucre.
MÉMOIRE SUR LES
VERS RUBANÉS ET VÉSICULAIRES DE L'HOMME ET DES ANIMAUX (TÆNIAS, CYSTICERQUES, vrc.), ET SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES EN GÉNÉRAL,
Par M. C.-T. DE SIEBOLD,
Professeur à l'Université de Munich. (Suite. — Voyez page 48.) CHAPITRE III.
VERS VÉSICULAIRES.
Les zoologistes, dans leurs recherches sur les genres et les espèces de Cestoïdes , se sont bornés jusqu'ici à l'emploi des carac- tères fournis, soit par l'extrémité céphalique, soit par les articles mûrs. Ily acependant des caractères génériques et spécifiques à tirer des segments du corps de ces Vers qui ont échappé à l'attention des classificateurs, etunerévision exacte de ce groupe d’Helminthes était depuis longtemps fort à désirer. Elle a été faite par Diesing et Van Beneden; mais les recherches de ces deux naturalistes ont conduit à desrésultats très différents. On trouve parmi les espèces ancienne- ment décrites certains Scolex qui ne sont pas en train de produire des Proglottis, et on lesavait considérés comme appartenant à des genres particuliers ; or, pour en saisir les rapports naturels , il fallait en connaitre la forme proglottidienne. Diesing a laissé cette recherche complétement de côté, et n’a tenu aucun compte de la doctrine des générations alternantes. Van Beneden , au contraire, s’est éclairé des lumières que cette théorie fournit, et est parvenu ainsi à con- naître la filiation de divers Cestoïdes. On ne peut méconnaitre que dans les recherches de cette nature, il est nécessaire de déterminer les caractères du Scolex avec beaucoup plus de rigueur qu’on ne le faisait jadis, et le microscope seul peut y conduire. Toutes les
SIEBOLD. — SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. 173
formes des appareils de succion et de fixation des nourrices doivent être observées et comparées avec un soin extrême, et il faut sur tout porter une grande attention aux crochets, à la trompe rétractile armée et à son armature, qui se voient à l’extrémilé céphalique des Scolex; car les caractères que ces parties fournissent sont très utiles pour la distinction des genres et des espèces. Si l’on avait observé avec plus d’exactitude l’appareil de fixation des Tænias que l'on appelle la couronne de crochets, la trompe qui le porte et le sac qui le cache, on aurait reconnu l'identité d’un grand nombre d'espèces considérées comme distinctes, et ce ne serait pas mainte- nant seulement que l’on aurait commencé à reconnaitre les rapports intimes des ’ers vésiculaires avec certains Tænioïdes. Il faut se rappeler aussi que chez beaucoup de ces animaux les nourrices perdent leurs crochets dans l’âge avancé, et que parfois des modi- fications très considérables dans la forme et la disposition de cet appareil de fixation se manifestent chez ces nourrices après que la production des Proglottis a commencé , circonstance qui rend très difficile la détermination de l'identité spécifique entre les jeunes et les vieilles nourrices d'une même espèce de Tænioïde ; mais les Proglottis (ou articles } des Cestoïdes considérés comme des indi- vidus, et isolément de l'être qui les produit, offrent des caractères distinctifs qui , tout en n'étant pas appréciables à première vue, sont susceptibles d’être employés avec avantage aux déterminations spécifiques. Ici, c’est principalement l'appareil générateur qui con- stitue la masse générale du Proglottis, et qui, par sa forme, le nombre de ses parties et leur disposition, peut servir à faire recon- naître les espèces d’une manière sûre, et c’est à Van Beneden qu'appartient l'honneur d’avoir utilisé ces caractères pour la déter- mination spécifique de Proglottis.
J'ai déjà donné à entendre que les V’ers vésiculaires où Vers cesloïdes, dont Rudolphi avait formé un ordre particulier dans la classe des Helminthes, ont des rapports intimes avec les Tænias, et ne peuvent être considérés comme constituant un groupe ordi- nique spécial. Il y à aussi d’autres formes variées de Scolex, dont on à composé des genres particuliers ; mais le moment est arrivé où les zoologistes effaceront toutes ces divisions de leurs systèmes
474 SIEBOLD.
de classification, car elles ne sont que le résultat de notre ignorance relativement à l'histoire physiologique des Helminthes. Pour se former une idée du nombre de genres introduits sans raisons suffi- santes dans les systèmes helminthologiques, on n’a qu’à se rappeler que l’ordre des Æntozoa cephalocotylea établi par Diesing (4) se compose de 32 genres; or 10 de ces divisions doivent dispa- raitre, savoir : les genres Æchinococcus, Cænurus, Cysticercus, Piestocystus, Acanthocephalus, Acanthorhynchus, Pterobothrium, T'etrabothriorhynchus , Stenobothrium et Scolex. Beaucoup des Helminthes ainsi nommés ne sont que des nourrices seolexi- formes d’autres espèces de Cestoïdes, ainsi que cela est indiqué par l'état de leur abdomen dépourvu d'organes reproducteurs, et encore mieux par les lieux où on les rencontre; savoir, presque toujours en dehors du canal intestinal des Vertébrés, dans quelque autre organe. Une partie de ces genres comprennent les Vers vési- eulaires, qui ne correspondent aussi qu'aux Scolex de certains Cestoïdes, avec cette différence qu'une portion de ieur corps est dilatée en forme de vessie.
Pour montrer que les Vers vésiculaires appartiennent aux Ces- toïdes, dont ils ne sont que les nourrices dégénérées de diverses manières, il me faut revenir encore une fois sur le mode de déve- loppement de ces nourrices , dont il a déjà été question dans le chapitre précédent. Quand l'embryon d'un Cestoïde s’est logé dans un organe d’un animal à la suite de sa migration, le Scolex com- mence à se développer dans son corps par un phénomène de bour- geonnement , et ce Scolex prend la forme d’une tête de Tænia ou d'un Tétrarhynque, suivant la nature de l'embryon dont il est le produit. L'embryon prend done de l'extension par suite de la crois- sance du Scolex, qu'il tient serré dans son intérieur. Les parois de son corps se réunissent immédiatement au col du Scolex, c’est-à- dire au point où celui-ci prend naissance dans son intérieur ; une impression infundibuliforme se voit à la surface externe du corps de l'embryon dans le point correspondant à l'insertion de ce eol , et il en part un canal qui, passant par le col, descend jusqu'à la tête
(1) Systema Helminthum, 1, p. #78.
SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES,. 175
du Scolex. C’est par ce canal que le Scolex après son développement sort au dehors en se renversant comme un doigt de gant, de facon qu'il devient alors extérieur au corps de l'embryon , et se trouve en continuité organique avec celui-ci par l'extrémité de son abdo- men. Le Scolex, complétement développé dans l'intérieur du corps de l'embryon, semble, au premier abord, y être entré par renver- sement, mais l'observation prouve que dès l’origine il a avec le corps de celui-ci les rapports indiqués ci-dessus , et que c’est consécutivement que le renversement a lieu.
Les matières nécessaires au développement du Scolex et À la croissance de l'embryon pénètrent par absorption à travers la sur- face extérieure du premier, et l’activité de cette fonction varie. Or des effets différents se produisent, suivant que la quantité et la qualité des liquides dontle corps du parasite est baigné varient, et partant, suivant qu'ils proviennent de tel ou tel organe dans l’inté- rieur duquel celui-ci a établi sa demeure. Dans certaines circon- stances, il arrive que l'embryon absorbe par sa surface extérieure plus de nourriture qu’il n’en faudrait pour sa croissance et pour le développement du Scolex qu'il renferme, et cette alimentation surabondante détermine alors dans son corps des dépôts et des dégénérescences. Le premier effet de l'accumulation des sues nutritifs en excès doit être le gonflement de la partie postérieure du corps de l'embryon en manière de vessie, et ce sont précisément des embryons de Cestoïdes ainsi modifiés qu'on a désignés sous le nom de Vers vésiculaires. Le développement du Scolex dans l’inté- rieur de ces Vers vésiculaires varie quantà son degré d'avancement.
J'ai déjà montré que les embryons des Cestoïdes, après leur sortie de l'œuf, doivent nécessairement émigrer pour arriver dans l'intérieur des animaux convenables pour leur développement nor- mal et la production des nourrices. Pour que cette émigration soit heureuse, c'est-à-dire pour que l'embryon puisse servir à la repro- duection de l'espèce , deux conditions principales doivent être rem- plies dans cette migration : 4° La demeure où l’Helminthe s’établira doit fournir au parasite une nourriture convenable ; 2° l'hôte qui le loge doit fournir aussi au Scolex arrivé à maturité le moyen de par- venir, soit d’une manière passive, soit d’une manière active dans
176 SIEBOLD.
l'intestin d’un Vertébré, où son développement sexuel et sa repro- duction pourront s’accomplir. On conçoit facdement que les em- bryons des Cestoïdes doivent souvent manquer ce but, et se trouver dans des circonstances où ces conditions ne seront pas réunies ; mais ceux qui se sont fourvoyés de la sorte ne périssent pas tout de suite , et ont la vie assez tenace pour continuer à exister malgré les dégé- nérescences qu'ils éprouvent, et pour attendre une occasion favo- rable à l'achèvement de leur développement sexuel. Cette conviction m'a conduit à heurter les idées reçues, quand j'ai dit que les nourrices des Tænias, égarées dans leurs migrations, pouvaient de- venir hydropiques, car la plupart des personnes considèrent la vessie de ces Vers hydropiques comme un organe essentiel , une sorte de réservoir de matières nutritives. Pour réfuter celte opinion, je ne puis que répéter ce que j’ai déjà dit dans une autre publica- tion (1). Je ne saurais comprendre pourquoi on contesterait pour les Vers la possibilité de certaines dégénérescences et modifica- tions de forme, quand il est bien reconnu que sous l'influence de certaines conditions elimatologiques ou de différences de régime, les animaux supérieurs peuvent s'éloigner de leurs formes primi- tives , et consliluer des races particulières. Lorsque dans plusieurs de ces races on voit, tantôt une croissance extraordinaire, surabon- dante de poils soit sur toute la surface du corps, soit dans une région seulement, ou bien les cornes acquérir une longueur extrême et même doubler en nombre ; tantôt les oreilles devenir pendantes et d’une grandeur démesurée , d’autres fois un dépôt local de graisse exister sous la forme d’une bosse ou dans la queue, comme chez le Zébu et certains Moutons ; pourquoi voudrait-on nier que, sous l'influence d’un mode de vie anormal , certains animaux inférieurs ne puissent être affectés d’une sorte d'hydropisie locale ?
Les dégénérescences, auxquellesles embryons des Cestoïdes sont exposés, sont de deux sortes : tantôt le corps du parasite s’allonge, et devient un appendice caudal solide ; d'autres fois le corps lui- même se distend par l'accumulation d’un liquide séreux, et devient vésiculaire ; quelquefois aussi ces deux modifications se
(1) Zeitschrift für wissenchafttiche Zoologie, B. 4, p. 407, 1853.
SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. 177
manifestent simultanément chez le même individu. Pour mieux préciser ce que je viens de dire, je désignerai sous le nom de réceptacle du scolex (receptaculum scolici ) la partie du corps de l'embryon, qui se gonfle ainsi à mesure que le scolex se développe dans son intérieur, et je ferai remarquer que ce réceptacle n’est en réalité autre chose que l'embryon lui-même (fig. 49*).
Pendant que le scolex se développe dans l’intérieur du réceptacle d’un embryon , celui-ci peut éprouver diverses modifications qui se lient à la transformation cestoïde, et qui ont donné lieu à l’éta- blissement de divers genres de Vers vésiculaires.
Les embryons du Tænia, dont le réceptacle du scolex se distend pour devenir une vessie plus où moins volumineuse, ont été classés jusqu'ici dans le genre Cysticercus.
Effectivement, quand le scolex du Tænia est sorti au dehors de ce réceptacle vésiculeux par renversement , on comprend que l'abdomen du Ver doit se continuer avec cette même vésicule, et produire la disposition caractéristique du genre Cysticercus , savoir la présence d’une vessie caudale attachée au corps d’un scolex tænioïde (fig. 24 et 25).
Sous l'influence de certaines conditions extérieures , le récep- tacle d’un scolex de Tænia se distend, et devient une grande vessie, à la surface interne de laquelle se développent, par voie de bourgeonnement, une foule de scolex, et il en résulte une forme particulière de Vers vésiculaires, pour laquelle on a établi le genre Cœnurus.
D'autres foisun embryon de Tænia se transforme en une vessie de grandeur variable, sur la surface interne de laquelle se déve- loppent par bourgeonnement des scolex en nombre immense , mais qui s'en délachent, et tombent dans la cavité du réceptacle où ils restent isolés, mais renfermés. Il en résulte la disposition, d’après laquelle on a formé le genre £chinococcus.
Les modifications qu'éprouvent les embryons de Tænia , dont le réceplacle scolécien se développe en un appendice caudal, long et solide, sont très remarquables. Cet appendice contient le réceptacle du scolex chez le Tænia, que Stein a observé chez les larves du Ténébrion ; et je dois faire remarquer iei que ce naturaliste consi-
4° série, Zoo. T. IV. (Cahier n° 3.) # 12
178 SIEBOLD.
dère le réceptacle comme un kyste, et l’appendice caudal comme la queue de ce kyste ; mais cette détermination n'est pas admissible, car si l’appendice n’appartenait pas à l'embryon, comment les crochets pourraient-ils se trouver à la surface de cette queue, posi- tion dans laquelle Stein dit formellement les avoir {oujours ren- contrés (fig. 26).
Le Piestocystus crispa, qui a 4 à 3 pouces de long, n’est autre chose qu’un scolex de Tænia renversé hors de son réceptacle, lequel est pourvu d’un appendice caudal très long et en forme de ruban (1).
Chez certains Tétrarhynques , le réceptacle se distend aussi de facon à constituer une vésicule, et les Vers qui sont dans cet état ont recu des anciens helminthologistes le nom générique d'Antho- cephalus. Puis Diesing a séparé de ce groupe, sous les noms d’Acanthorhynchus et de Pterobothrium, les scolex tænioïdes chez lesquels un appendice caudal, très long et non articulé, se développe derrière le réceptacle.
Comme Jes modifications dans la forme et Ja grandeur, tant du réceptacle que de son appendice caudal, varient souvent, et dépen- dent de l'influence de causes extérieures accidentelles, il est facile de s'expliquer les irrégularités que ces parties nous présentent chez divers individus appartenant à une seule et même espèce de scolex. Mais pour cette raison aussi, les caractères génériques et spécifiques fondés sur la conformation de ces parues ne peuvent avoir aucune valeur, et doivent être rejetés. Ce n’est que la forme du Scolex lui-même, c’est-à-dire la partie céphalique des Cestoïdes non sexués, qui puisse fournir des caractères constants pour la distinction des genres et des espèces. Une preuve de la vérité de cette assertion nous est donnée par le Cyslicerque commun (Cysticercus cellulosæ), qui à toujours été caractérisé par la pré- sence d’une vésicule caudale, elliptique transversalement. Or celte forme de la vésieule ne se voit que lorsque le Cysticerque a été logé dans les fibres musculaires de l'Homme ou du Cochon, et
(1) Cet animal fut décrit par Rudolphi sous le nom de Cysticercus crispus, mais j'ai fait voir qu'il n'a pas de vessie caudale (Zeitschrift für wissenchaftliche Zoologie, Bd 2, 1850, p. 223.
SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. 179 lorsque ce même Cysticerque se développe dans le cerveau de l'Homme, sa vésicule caudale prend les formes les plus variées et les plus irrégulières (fig. 24, 27 et 28).
Les scolex de Tænia observés par Stein présentaient aussi de grandes variations dans la forme de leur appendice caudal (1).
Si l'attention avait été appelée plus tôt sur ces circonslances, on n'aurait pas séparé les Vers vésiculaires des Tænias pour en former un ordre particulier. Les anciens helminthologistes avaient à ce sujet des vues bien plus justes que les modernes; ils ont saisi l'analogie de ces scolex dégénérés avec la tête de certains Cestoïdes, et ils ont indiqué la parenté des Vers vésiculaireset des Tænias, en les désignant sous les noms de Tæœnia vesicularis, Tœænia hydatigena et Tœnia cellulosæ. L'état hydropique de ces mêmes Vers vésiculaires ne leur avait pas échappé; ainsi déjà, en 1691, Tyson a décrit le Cysticercus tenuicollis sous le nom de Lumbricus hydropicus (2). Mais lorsque Linné eut animé les naturalistes de son esprit méthodique, ceux-ci se sont appliqués d’une manière si exclusive et si persévérante à compléter son système de classifica- tion du règne animal, que pendant longtemps on s’est contenté de donner des noms génériques et spécifiques à tous les animaux dont les formes étaient nouvelles pour l'observateur, et à les intercaler de la manière, en apparence, la plus convenable dans ce système. Les recherches relatives à l'histoire physiologique des animaux étaient considérées comme secondaires , et il en est résulté qu’on a même manqué le but qu'on se proposait , car on a décrit et classé comme des espèces distinctes non-seulement les variétés d'âge , mais jus- qu’à des fragments d'animaux déjà connus (3).
C’est le Cysticercus fasciolaris qui nous a fait comprendre les rapports qui existent entre les Vers vésiculaires et les Tænioïdes.
(1) Voyez Zeitschrift für wissenschaftliche Zoologie, Bd 4, 1853, p. 207, tab. 10, fig. 12, 13, 44.
(2) Philosophical transactions, 1691, n° 193, p. 506, fig. 4-4.
(3) Les ouvrages systématiques d'Ebrenberg et de Diesing, sur les Infusoires el les Helminthes, nous montrent cette méthode fautive, d'après laquelle on n'en- visage les animaux qu'à un seul point de vue méthode qui est encore suivie de nos jours par quelques naturalistes,
480 SIEBOLD.
La ressemblance entre la tête de ce Cysticerque et celle du Tœnia erassicollis est si grande et si évidente qu'il serait inutile de recher- cher ici quel naturaliste a été le premier à en être frappé, et à en parler (4). Le Cysticercus fasciolaris n’est autre chose qu'un Tænia égaré et dégénéré, mais qui peut encore reprendre la forme d’un Tænia normal, lorsqu'il est transplanté dans l’intestin d’un Verté- bré qui lui convient. Je ne suis donc pas étonné de voir que, par l'observation des formes seulement, Allan Thompson de Glasgow soit arrivé aux mêmes résultals que moi, sans avoir connaissance de ce que j'avais publié à ce sujet. En effet, il a reconnu l'identité du Cysticercus fasciolaris et du T'œnia crassicollis (2). Les rapports de parenté de ces deux Vers deviennent surtout manifestes , lorsque le Cysticercus fasciolaris prend un surcroit de développe- ment, et que les articles du Tænia futur se montrent entre la tête et la vésicule caudale. Ces segments, il est vrai, restent étroits et privés d'organes sexuels ; mais ils donnent au scolex, dont la tête est toujours sortie dans cette période du développement, un aspect si caractéristique , que, pour ne pas y reconnaitre tout de suite un T'œnia crassicollis, il faut être aveuglé par les idées systématiques, et ne faire attention qu’à la vésicule caudale. Pour peu que l’on exa- mineavecattentionle Cysticercus fasciolarisetle Tœnia crassicollis, on reconnait chez ces deux Vers la même particularité dont certains Tænioïdes, tels que le Triænophorus nodulosus, le Tœnia longi- collis et le T. ocellata, nous ont déjà fourni des exemples; savoir, que le corps du Tænia se développe derrière la tête et le col, avant que l'animal soit arrivé dans le canal intestinal du Vertébré où il acquerra les organes sexuels. Il y a chez le T. crassicollis cette seule anomalie, que, pendant le développement du scolex, le réceptacle de celui-ci subit la dégénérescence hydropique.
Le Cysticerque fasciolaire, qui ne se rencontre qu'enkysté dans le foie de divers Rongeurs , surtout du Rat et de la Souris, atteint quelquefois plusieurs pouces de long ; mais dans ce cas, la vessie caudale ne se développe pas proportionuellement au reste, et
(1) Voyez mon article Parasites, dans le Manuel de physiologie de Wagner (49° livraison, 4845), t. 11, p. 650 et 676
(2) Zeïlschrift fuer wissenchaftliche Zoologie, Bd 3, 1851, p 97.
SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. 181 demeure rudimentaire, tandis que le corps du Ver croit et s’allonge considérablement. Il en résulte qu'au premier abord on pouvait croire que la vésicule caudale n’était pas originairement un récep- tacle de scolex , mais seulement l'extrémité abdominale du Tænia devenu hydropique. Des boursouflures hydropiques se mani- festent effectivement par places dansles articles de ce Tænia ; mais lorsqu'on étudie le développement graduel du Cysticerque fascio- laire et sa transformation en Tænia , on reconnait que la vésicule caudale n’est pas due à une altération de ce genre, et qu’elle était primitivement le réceptacle du scolex. J'ai sous les yeux un grand nombre de ces Cysticerques qui offrent tous les degrés du déve- loppement, depuis une ligne de longueur jusqu'à cinq ou six pouces ; chez les plus âges, le corps est allongé et distinctement articulé , tandis que chez les plus jeunes les articulations futures ne sont encore indiquées que par des rides transversales et serrées , et chez les individus de grandeur si variée, la vésieule caudale est à peu près du même volume , c’est-à-dire d'environ une ligne en diamètre. Chez les individus long d’une ligne à une ligne et demie, le corps du Ver n'existe pas, et la tête et le col du scolex ne sor- tent que peu hors de la vessie fournie par le réceptacle. Chez les individus encore plus jeunes, ces parties sont même complétement renfermées dans la vessie arrondie constituée par le réceptacle. Si l'on examinait avec tout le soin et l'attention nécessaire le foie d’un grand nombre de Rongeurs de la famille des Rats, on parviendrait certainement à y rencontrer des individus plus jeunes encore de celte même espèce de parasite, et peut-être, malgré la grande diffi- eulté de ces recherches, serait-on assez heureux pour découvrir les crochets de l'embryon placés à l'extérieur du réceptacle du scolex en voie de développement. Je suis parvenu à rencontrer de très jeunes individus du Cysticercus pisiformis qui, à l’état enkysté, habite constamment le foie et le péritoine du Lapin. A travers les parois du réceptacle, dont le développement était très peu avancé (4/2 ligne en diamètre), on voyait la bouture interne qui commen çait à se former , et ne présentait encore que les vestiges de ses quatre suçoirs et de sa couronne de crochets, dont les pointes seu- lement existaient et étaient encore molles (fig. 33, d, e); mais c’est
182 SIEBOLD.
en vain que j'ai cherché à l'extérieur du réceptacle les six crochets de l'embryon. J’ajouterai que mes recherches sur les parasites du foie des Lapins de garenne de ce pays m'ont révélé un autre fait intéressant : au milieu d’une foule de scolex des Cysticercus pisiformis très petits, en voie de développement, j'ai trouvé un grand nombre de pelites lignes, d’une couleur jaune pâle , qui se croisaient dans tous les sens, et qui, examinées au microscope , paraissaient mal définies ; elles semblaient formées d’une matière granuleuse , que je présume être un produit excrétoire laissé par les embryons de Tænia pendant leurs migrations à travers la sub- stance de ce viscère. Il est probable que, pendant le développe- ment ultérieur de ces embryons et leur changement en réceptacle hydropique, c'est-à-dire en Cyslicerques pisiformes, cette sub- stance, d’abord excrétée, est peu à peu résorbée.
CHAPITRE IV.
DE LA TRANSFORMATION DES VERS VÉSICULAIRES EN TÆNIAS.
Comme le Cysticercus fasciolaris des Rats et des Souris offre avec le Tœnia crassicollis du Chat une ressemblance si extraordi- naire , et comme les premiers de ces Mammifères sont la nourri- ture ordinaire de ce dernier , comme aussi les articles du Cysti- cerque fasciolaire , contenus dans les kystes du foie du Rat ou de la Souris, n'y arrivent jamais à leur maturité sexuelle, j'ai été naturellement conduit à concevoir la pensée que ce Cysticereus fasciolaris se transforme en Tænia crassicollis, lorsque l'animai qu'il habite a été dévoré par un Chat (1); car alors le foie du petit Rongeur étant digéré dans l'estomac du Carnassier, le Ver vésieu- laire se trouve débarrassé de son kyste, et placé dans un lieu con- venable à son développement sexuel ; la chute de sa vésicule cau- dale suffirait donc pour que, dans l'intestin du Chat, il devienne un T'œnia crassicollis :
Tout en étant bien persuadé de la possibilité de la transformation du Cysticerque fasciolaris en Tæœnia crassicollis, j'étais loin de penser que les autres espèces de Cysticerques, chez lesquels un
(1) Handwürterbuch fuer Physiologie, t. IT, p. 651.
SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. 183 corps segmenté ne se développe pas entre Ja tête et la vessie cau- dale du scolex, pussent se changer ainsi en Tænias ; cela m'a paru même d'autant moins probable que souvent j'avais rencontré des kystes, dans lesquels les Cysticerques étaient morts, ratatinés, et comme ensevelis au milieu d’un dépôt de matière calcaire non organisé (1). Une telle dégénérescence du kyste rend, il est vrai, la transformation de ces scolex impossible, mais tous les kystes ne l’éprouvent pas, et en général les scolex, malgré leur récep- tacle hydropique, sont aptes à devenir des Cestoïdes sexués, s'ils sont placés dans les conditions nécessaires à leur développement complet, c’est-à-dire s'ils sont transférés dans un inteslin conve- nable pour le développement des Proglottis.
Kuchenmeister de Zitau a été le premier à démontrer la possibi- lité de cette transformation des Vers vésiculaires en Cestoïdes, et y est arrivé à l’aide d'expériences, dont beaucoup de journaux ont rendu compte (2). L'idée qu'il a eu de nourrir des animaux avec des Cysticerques a été très heureuse ; j'ai répété ses expériences, et j'ai pu constater l'exactitude des résultats qu’il a été Jè premier à annoncer, savoir, que certains Cysticerques parvenus dans le canal intestinal du Chien se transforment en Tœnias.
Pour que ces expériences réussissent, il faut queles Vers vésicu- laires soient bien vifs, ou au moins aptes à être ranimés au moment où le Chien les avale. I ne faut donc tuer l'animal, qui fournit ces parasites, qu’au moment de l'expérience, ou tout au plus une heure avant. Tant que l'organe du Vertébré où ils sont logés est chaud, on peut être sûr qu'ils sont vivants , et si cet organe vient seulement de se refroidir, bien qu'ils s’affaiblissent et tombent dans une sorte de léthargie, on peut encore, pendant quelques heures, les ranimer à l’aide de la chaleur; par conséquent, loules les fois que je n'étais pas certain que les Vers fussent bien vifs, je les jetais dans de l’eau tiède , et je ne me servais que des individus com- plétement ranimés par ce moyen.
(4) J'ai décrit cette dégénérescence avec détail, dans mon journal (Zeits- chrift fuer wissenschaftliche Zoologie, t. XI, 1850, p. 225). |
(2) La première note relative à ces expressions se trouve dans le Zeitschrift fuer klinische Vorträge, 1851, p. 240.
184 SIEBOLD.
Pour élever des Tænias à l’aide de Vers vésiculaires, je déter- minais l’émigralion passive de ceux-ci dans le canal intestinal de jeunes Chiens, en les donnant à ces derniers dans leurs aliments. Les petits Chiens, âgés environ de deux semaines, sont les plus propres à ce genre d'expériences; ils lèchent très volontiers du lait contenant des Vers vésiculaires, et, pour ceux qui ne se mon- traient pas suffisamment avides d'aliments , il me suffisait de leur ouvrir la gueule, et d’y verser le lait chargé de Vers pour assurer la déglutition de ceux-ci. D'abord je me suis servi de Chats, de Lapins et de Cochons d'Inde; mais ces animaux ne m'ont pas fourni des résultats heureux (1). Quant aux Chiens, je ferai voir plus tard que, par leurs mœurs, ils sont naturellement en rapport avec les Vers vésiculaires ; aussi les expériences dont ils étaient l'objet ont-elles réussi.
$ I. Expériences sur l’alimentation avec le Cysticercus pisiformas.
Les Vers vésiculaires, connus sous le nom de Cysticercus pisi- formis, vivent très communément en parasites dans le foie et dans le péritoine du Lièvre et du Lapin. Chez le Lièvre, la substänce du foie est souvent complétement farcie de kystes de la grosseur d’une noisette, qui souvent aussi sont réunis en grappe, et appendus à la surface de cet organe. Chez le Lapin, c’est le grand épiploon et le mésorectum qui sont le siége le plus fréquent de ces Helminthes. A Breslaw, les Lapins que l’on vend sur le marché en contiennent presque tous, et c’est dans l’Institution physiologique de cette ville que je fis mes expériences dans le printemps de 1852. Les résul- tats de ces recherches furent d’abord consignés dans la thèse inau- gurale de mon élève le docteur Lewald qui avait suivi mes expé- riences (2); puis j'en donnai moi-même un compte rendu dans le journal de zoologie scientifique (3).
(1) Toutes les expériences d'alimentation dont je vais rendre compte ici, ont été faites en Silésie pendant l'année 1852.
(2) Cette dissertation a paru à Berlin en 4852, sous le titre suivant : De Cys- ticercorum in Tœænias metamorphosi pascendi experimentis in Instituto physiologico Vratislaviensi administratis illustrata.
(3) Zeitschrift fuer wissenchaftliche Zoologie, Bd 4, 1853, p. 400.
SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. 185 Dans ces expériences, les Cysticerques furent admiaisirés en nombre variable : de sept, dix, quarante ou soixante à la fois ; on les laissait toujours renfermés dans leur kyste. J'ai toujours eu soin d'enregistrer la date du jour où je les faisais prendre, ainsi que le nombre des individus avalés, et le signalement du Chien sur lequel j'opérais (4). Voici les résultats obtenus dans une première série d'expériences faites sur six Chiens, et publiées dans le journal sus-mentionné : Les Cysticerques pisiformes renfermés dans leur kyste, et avalés par les Chiens, étaient attaqués par le sue gastrique dans l'estomac de ces animaux ; le kyste se dissolvait d’abord , puis la vessie cau- dale du Cysticerque disparaissait aussi, de façon qu'il ne restait du Ver vésiculaire que le corps arrondi et blanchâtre, qui auparavant se trouvait caché dans l’intérieur de la vessie caudale, c’est-à-dire la tête et le col de l'animal, ou en d’autres mots le scolex. Souvent la vessie caudale, avant d’être complétement digérée, se voyait dans un état de vacuité et affaissée sur elle-même , probablement par suite de l’exosmose exercée sur le liquide contenu dans sa cavité par la matière pultacée de l'estomac. Les restes des Cysticerques, c’est-à-dire le corps contenant encore, renversé dans son intérieur, la tête et le col du Ver, sortaient par le pylore pour pénétrer dans le duodénum, mêlés àla pâte chymeuse. Arrivés dans cet intestin, la tête et le col de ces parasites se déployaient hors de leur corps par renversement, et l'animal dépouillé de sa queue cherchait, à l’aide de ses suçoirs et de ses crochets, à trouver entre les papilles de la muqueuse intestinale un point convenable pour se fixer et se développer. Dans les premières heures de leur séjour dans l'intestin, ces Vers, ainsi étendus et privés de queue, ont sou- vent une apparence bouffie et ædémateuse ; mais peu à peu leur corps se resserre, probablement par suite d’une action exosmotique exercée par le chyme dont ils sont entourés. On distingue facile- ment, à l’extrémité postérieure de tous ces individus devenus
(1) Je dois exprimer ici ma reconnaissance au garçon de laboratoire de l'In- stitution physiologique de Breslaw, C. Zoelfel, par les soins consciencieux et la patience infatigable qu'il a mis à soigner et à surveiller les Chiens , souvent très nombreux, qui étaient en expérience.
186 SIEBOLD.
acaudes, le point par lequel ils se continuaient auparavant avec la vessie caudale ; c’est une sorte de cicatrice en forme d’entaille ou d’échancrure, à laquelle adhèrent encore dans les premiers temps quelques flocons membraneux très délicats, derniers débris de la vessie échappés à la digestion stomacale. Au bout de quelques jours, plusieurs de ces petits Vers commençaient à grandir; mais c'était leur corps seulement qui s’accroissait, car la tête et le cou étaient arrivés au terme de leur développement, pendant qu'ils étaient encore logés dans le péritoine du Lapin. Le corps n'était pas d’abord articulé, mais offrait seulement une multitude de rides transversales ; cependant, après quelques jours de croissance, ces rides devenaient de véritables articulations, et les segments, d’abord très courts, s’allongaient ; enfinil se formait sur l'angle d’un de leurs bords une éminence papilleuse, qui, en se développant, devenait plus tard l'ouverture de l'appareil génital. Dans cet état, les Vers employés dans ces expériences avaient tout à fait l’apparence de Tænias, et le seul indice de leur origine était la cicatrice qui se voyaittoujours sur le dernier article de leur corps. Après un séjour de vingt-cinq jours dans l'intestin d’un Chien, ces Vers étaient devenus longs de 40 à 42 pouces, et étaient de véritables Tænias. Ils continuaient ensuite à croître d’une manière régulière ; leurs articles postérieurs grossissaient , et les organes reproducteurs s’y développaient de plus en plus, pendant que d’autres articles plus jeunes apparaissaient sans cesse dans la partie antérieure et sim- plement ridée du corps, derrière le col. Au bout de trois mois, ces Tænias avaient acquis une longueur de 20 à 30 pouces, ou même davantage (1), et les organes génitaux, logés dans les derniers segments de leur corps, paraissaient être amenés à maturité. Chez quelques-uns , il y avait même des segments qui s'étaient déjà détachés spontanément. Enfin les œufs contenus dans les articles mûrs étaient parfaitement développés, et l’embryon s'y voyait comme d'ordinaire armé de ses six crochets, et doué de mou- vements.
Étant parvenu de la sorte à obtenir avec des Cysticerques pisi-
(1) Pour les diverses périodes du développement de ces Vers, voyez les figures données par Lewald dans sa dissertation inaugurale.
SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. 187
formes des Tænias adultes , j'ai pu déterminer l'espèce à laquelle ces derniers, c’est-à-dire le scolex et le progloitis, appartenaient. Or j'y ai reconnu le Tœænia serrata , que l’on sait depuis fort long- temps être un parasite de l’intestin du Chien. La forme de la tête, le nombre, la forme et la disposition des crochets de la couronne céphalique , la structure des articles et des organes génitaux ren- fermés dans leur intérieur , la forme des œufs arrivés à maturité , tout enfin me donnait la preuve qu’en élevant le Cysticercus pisi- formis j'avais obtenu le Tœnia serrata.
Beaucoup de personnes pourront, au premier abord, douter de la justesse de cette conclusion, et me demanderont comment j'ai pu m'assurer que les Chiens, auxquels j'administrais mes Cysticerques, n'avaient pas recu de quelque anfre manière les Vers que j'ai reconnus comme des Tœnia serrata. Cette objection s’était pré- sentée à mon esprit, et me paraissait d'autant plus sérieuse que, souvent chez les Chiens soumis à mes expériences, je rencontrais d’autres Helminthes, savoir : l’Ascaris marginata et le Tænia cucumerina. La présence du Tœnia serrata ne saurait-elle donc dépendre de quelque source analogue ; mais l’origine de ce dernier parasite me semble démontrée par les faits suivants. A plusieurs re- prises, j'ai consacré à ces expériences un certain nombre de petits Chiens d’une même portée, et ceux que j'ouvrais, sans leur avoir donné au préalable des Cysticerques, ne renfermaient jamais de Tœnia serrata , bien qu'ils offrissent souvent dans leur intestin l'Ascaris marginata et le T'œnia cucumerina. Je dois remarquer aussi que je n'ai employé pour ces expériences que des Chiens élevés dans l’intérieur des maisons, et que, chez ces animaux, le Tœnia serrala est rare, tandis que les Chiens de chasse sont souventinfectés de ces Vers. J’ajouterai encore que le nombre d'individus du Tœænia serrala, que je trouvais dans l'intestin à un état plus où moins avancé de développement, correspondait toujours au nombre des Cyslicerques ingérés dans l'estomac de l'animal, et que l’état de développement de ces parasites était aussi toujours en rapport avec le temps écoulé , depuis que les Cysticerques avaient été avalés avec les aliments.
188 SIEBOLY. $ II. Expériences sur l’ingestion du Cysticercus tenuicollis.
Ce Ver vésiculaire est très commun dans le mésentère de nos animaux de boucherie ; c’est de tous les Cysticerques celui dont la vessie caudale est la plus développée, car celle-ci atteint souvent la grosseur du poing, tandis que la tête conserve les mêmes dimen- sions que dans l’espèce précédente. Pour mes expériences, on m'apportait toujours ces parasites dans leur kyste, et comme celui- ci est ordinairement chargé de graisse, j'ai toujours eu soin d'isoler le Ver avant de le mêler aux aliments.
Première expérience. — Au commencement de mai 1852, je fis avaler dans l’espace de quatre jours, à un Chien d'arrêt âgé de dix semaines, six individus du Cysticercus tenuicollis. Quelques jours après, j'ouvris l'intestin grêle de ce Quadrupède, et j'y trou- vai ces Vers réduits à leur portion céphalique; seulement ils avaient 1 ligne 4/4 de long; la vessie caudale n'existait plus, et il ne restait que la tête et le cou des parasites. Le scolex avait done échappé à la digestion stomacale, tandis que le reste de l'Helminthe avait disparu.
Dans la suite de ces expériences , afin de faciliter l’ingurgitation de ces Cysticerques, j'ai enlevé la grosse vessie caudale des indi- vidus que je voulais faire avaler à mes Chiens, et je ne me suis
servi que de la portion creuse du corps de l'Helminthe où se trouvent logés le cou et la tête de celui-ci.
Deuxième expérience. — Le 11 mai, un petit Chien d'arrêt, plus jeune que le précédent, avala vingt et un de ces Cysticerques. Le lendemain, on lui en administra cinq, et le 44 du même mois encore trois. Ce Chien avait done avalé en tout vingt-neuf de ces Cysticerques dépouillés de leur vessie caudale. Le 47 mai, on ouvrit l'intestin de l'animal, et l’on y trouva dix-sept scolex, dont les plus petits avaient 3/4 de ligne à 1 ligne de long, et les plus grands 2 lignes.
Troisième expérience. — Le 18 juin, un jeune Barbet avala douze Cysticerques, et le 23 du même mois, on lui trouva dans l'intestin grêle onze scolex de 1 à 2 lignes 1/2 de long.
Ainsi le corps de ces Cysticerques avait été détruit par la
SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. 189
digestion stomacale; car le scolex, court et solide, ne se compo- sait que de la tête et du col du Ver vésieulaire. Ce scolex n’offrait aucune trace de rides transversales, et était tronqué transversale- ment ou obliquement à son extrémité postérieure, où une cicatrice correspondait au point par lequel celle-ci était fixée aux parois du corps creux et cylindrique du Cysticerque, avant que ce dernier eut été détruit par l’action digestive de l'estomac du Chien.
Il est facile de reconnaitre sur des individus intacts la partie du Cysticercus tenuicollis où l’action digestive de l'estomac s'arrêtera, et où le scolex se détachera pour passer dans l'intestin grêle. Pour cela, il suffit de plonger le Cysticerque dans de l’eau tiède; le parasite semble se plaire dans ce liquide, dont la température correspond à celle du sang de l'animal qui l'hébergait ; il s'y meut avec vivacité, et étend en avant son corps creux qui est court, plissé, et contracté en une sorte de nœud d’un blane sale, sur la partie antérieure duquel la tête se trouve portée à l’extrémité d’un col court et grêle: Ce col grêle est nettement dessiné, et c’est à sa base que la portion céphalique du Ver se détachera pour con- stituer le scolex (4).
Quatrième expérience. — A diverses reprises, on fit avaler à un jeune Dogue vingt-deux Vers vésiculaires; savoir, six le 44 juillet, quatorze lrois jours après , et deux le 47 du même mois.
Le 5 août, on tua ce Chien, et l’on y trouva dix-neuf de ces vingt-deux Heiminthes , qui avaient passé de l'estomac dans l'in- testin grêle sous la forme de scolex. Un séjour de dix-sept ou vingt-trois jours dans le canal digestif du Chien avait suffi pour déterminer un développement considérable dans la partie posté- rieure de leur corps, et pour leur donner l'aspect de Tænias. Leur longueur variait entre 4 lignes et 4 pouce 3/4. Les plus courts étaient évidemment ceux qui n'habitaient l'intestin du Chien que depuis dix-sept jours, et ils offraient derrière le cou des rides
(4) Ce point de séparation se voit très bien dans quelques-unes des figures du Cysticereus tenuicollis, publiées par Pallas (voyez Miscellanea z00logica, 1766, p. 467, pl. 12, fig. 40, et Stralsundisches Magazin, Bd 1, 1767, p. 69, pl. 2, fig. 10).
190 SIEBOLD,
transversales , qui étaient d'autant plus marquées, qu’elles étaient situées plus près de l'extrémité postérieure. Les individus qui avaient 8 lignes de long présentaient des articles bien distincts à la partie postérieure de leur corps, et le nombre des segments s'était accru proportionnellement. Chez tous, on pouvait distinguer à l'extrémité postérieure du corps la cicatrice dont il a été déjà question. Du reste, l’article terminal qui portait cette cicatrice paraissait toujours plus petit et moins développé que les articles situés immédiatement en avant de lui; d’où il résulte que Ja crois- sance du Tænia et la production de ses anneaux s’effectuent entre le corps et le col du scolex.
Les organes reproducteurs n'étaient visibles ni à l'extérieur, ni à l’intérieur de ces Tænias, dont le séjour dans l'intestin du Chien n'avait été que de dix-sept à vingt-trois jours.
Cinquième expérience. — Le 18 juillet, on fit avaler à un jeune Chien de chasse huit Cysüicerques ; le lendemain vingt-six autres, et le 22 du même mois encore quatre; de sorte que, dans l'espace de quatre jours, on lui ingéra dans l'estomac trente-huit individus de Cysticercus tenuicollis. Le 20 août, on examina l’in- testin grêle de ceChien, et l’on y trouva trente-deux Tænias à divers états de développement. Ceux-ci variaient beaucoup entre eux par la taille : les plus petits avaient de 4 lignes 1/2 à 4 pouce 1/2 de long ; les plus grands de 5 pouces à 10 pouces 1/2. On voit done que, malgré la durée considérable de leur séjour dans l'intestin (de vingt-neuf à trente-deux jours), ces scolex se sont développés d'une manière très inégale, et que plusieurs étaient très attardés dans leur croissance. J'ai observé le même fait dans plusieurs autres expériences analogues ; peut-être cela dépend-il de la disposition individuelle des Vers employés, ou bien de l’état du Chien dans l'estomac duquel on les a introduits. Quoi qu'il en soit, les Vers les plus longs obtenus dans cette expérience étaient ceux dont les articles étaient les mieux développés, et, quoique ceux-ci fussent encore plus larges que longs, on y distinguait à l'intérieur aussi bien qu’à l'extérieur les organes de la génération en voie de formation. Dans quelques articles plus avancés que les autres, etsitués tout à fait postérieurement, j'ai pu même constater
SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. 191
l'existence d'œufs arrondis, à coque dure, et renfermant un embryon avec ses six crochets, semblable par sa forme, sa gros- seur et la disposition de ses enveloppes, à ce qui se voit dans les œufs du Tænia serrata. Je dois ajouter aussi que, chez les individus les plus grands obtenus dans cette expérience, on distinguait, sur quelques-uns des anneaux , une foule de rides transversales très lines, qui donnaient à leurs bords latéraux un aspect ondulé , et que Je bord postérieur de beaucoup de ces segments était légère- ment saillant et irrégulièrement plissé. Quelques-uns des individus les plus grands avaient déjà perdu les articlés les plus postérieurs, et chez les autres l’article terminal portant la cicatrice s'était modifié d'une manière particulière : il était très grossi , et avait pris une forme tout à fait irrégulière ; il présentait latéralement de gros angles oblus, et il ue ressemblait à un segment de Tænia que par son orifice latéral, et la petite cicatrice dont son bord postérieur élait marqué.
Sixième expérience. — Le 7 juin, on fil avaler à un Chien métis barbet et roquet cinq Cysticerques ténuicolles ; le 29 du même mois, On lui en donna encore douze, et le 25 juillet (e’est-à- dire quarante-huit jours après la première ingestion de ces Vers, et vingi-six jours après la seconde), on le tua. Sur les dix-sept Cysticerques employés, on en retrouve quinze sous la forme de Téænias adultes. Les plus petits de ces Vers avaient de 4 à 9 pouces de long, et les plus grands avaient de 44 à 26 pouces. Chez ces derniers, les articles postérieurs étaient déjà plus longs que larges; chez les autres, au contraire, ils étaient carrés ou plus larges que longs, et ils offraient à leur surface les rides transver- sales dont il a été question. Chez plusieurs individus les plus grands, les articles postérieurs étaient déjà tombés, tandis que chez les indi- vidus plus petits le corps avait encore son article terminal primitif dont le développement était considérable , et dont les caractères étaient les mêmes que pour les articles précédents, sauf l'existence de sa petite cicatrice, et la forme arrondie de son bord postérieur.
Septième expérience. — Dans l’espace de seize jours (du 21 mai au 5 juin, on fit avaler à un jeune Renard trente et un Cysti- cerques ténuicolles, On le tua le 43 juin, et l’on explora avec soin
192 SIEBOLD.
ses intestins, mais on n’y trouva pas la moindre trace des Cysti- cerques ingérés; on n'y voyait ni scolex, ni Tænia ; et l’on en peut conclure que , dans l'estomac du Renard, les Cysticerques sont complétement digérés.
J'ai déterminé avec soin l'espèce de Tænia développé ainsi dans l'intestin du Chien , à l'aide des scolex du Cysticercus tenuicollis , et j'ai été surpris en y reconnaissant les caractères du Tænia serrata. J'ai été d’abord frappé de la ressemblance complète qui existe entre les œufs des Tænias provenant des Cysticereus tenur- collis et ceux du T'œnia serrata ; j'ai comparé ensuite la tête de ces Vers d’origine différente , et je n’ai pu y découvrir aucune diffé- rence, ni quant à la forme, ni quant aux ventouses et aux erochets; enfin les articles , incomplétement développés ou arrivés à matu- rité, m'ont paru identiques chez le Tœnia serrata et chez les Tænias provenant du Cysticercus tenuicollis.
Quant au résultat négatif fourni par l'expérience n° 7, je n’ose pas décider si l'intestin du Renard est ou non complétement inapte à servir au développement du scolex du Cysticercus tenuicollis.
$ IT. Expériences sur l’ingestion du Cysticercus cellulosæ.
On sait que le Cysticercus cellulosæ vit parfois en si grand nombre dans la chair de nos Cochons domestiques que, dans un seul muscle, on trouve des centaines de ces Vers. Il n’est pas très rare de le rencontrer aussi daus les muscles et les viscères de l'Homme, et cela m'a fait désirer vivement de pouvoir constater expérimentalement à quelle espèce de Tænia ce Ver appartient.
Première expérience. — Le 22 mai, on fit avaler par un jeune Chien trente-quatre de ces Cysticerques dépouillés de leurs kystes ; le 24, onluien donna encore quatorze, et les jours suivants trente- cinq autres. Le 3 juillet (quatre jours après la première ingestion), on tua ce Chien, et on lui trouva dans l'intestin grêle quatre Tænias seulement ayant 2 pouces de long, et paraissant provenir des Vers employés.
Deuxième expérience. — Ayant recu deux Cyslicerques prove- nant du cerveau d’un Homme , et ces Vers étant encore vivants trente-six heures après la mort du malade, je les placai dans de l’eau
SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. 193 tiède, et je m'empressai d'en profiter pour une expérience , bien que le nombre de ces Vers füt trop peu considérable pour me faire espérer des résultats intéressants. Je les fis donc avaler à un jeune Chien, et j'examinai l'intestin de cet animal vingt-trois jours après ; mais je ne pus y découvrir la moindre trace ni de scolex , ni de Tænia.
Troisième expérience. — Le 18 juin, je fis avaler à un jeune Barbet quarante-deux Cysticerques de Cochon dépouillés de leurs kystes. Le 4 août (cinquante etun jours après l’ingestion des Vers vésiculaires) j'ouvris l'animal, et je lui trouvai dans l'intestin huit Tænias de diverses longueurs : le plus petit avait de 5 1/2 à 17 pouces de long , un individu avait plus de 25 pouces de long, et les trois plus grands avaient 51 pouces de long. Cependant, malgré ce développement considérable et la multiplicité de leurs articles, je n’ai pu découvrir dans aucun cas des œufs mûrs.
Quatrième expérience. — Le 11 juillet, on fit avaler par un jeune Chien doguin trente-deux Cysticerques dépouillés de leurs kystes , et le 17 du même mois, on lui en donna quarante-cinq. On le tua le 1 juillet, et on lui trouva dans l'intestin grêle quarante- six scolex, dont les plus courts avaient 1 ligne de long et les plus grands 6 lignes. Tous portaient à leur extrémité postérieure la cicatrice caractéristique. Les individus les plus petits n’étaient for- més que par la tête et le col du Cysticercus cellulosæ ; les autres , un peu plus développés, étaient pourvus d'un corps ridé en tra- vers, mais sans articles distincts.
Cinquième expérience. — Le8 août, un jeune Chien a été nourri avec des aliments contenant quarante-cinq Cysticerques encore renfermés dans leurs kystes. Le 21 du même mois, on le tua, et l’on ne trouva dans son intestin grêle que quelques Tænias en voie de développement, et longs d'environ 3/4 de pouce.
Je dois faire remarquer que ce Chien, ainsi que ceux employés dans les expériences n° 2 et 4, étaient atteints de la maladie si fré- quente chez ces jeunes animaux, et que cette circonstance parait défavorable au développement des Tænias.
Bien que les expériences dont je viens de rendre compte n'aient pas donné des résultats aussi remarquables que les précédentes ,
#" série, Zoo. ©. IV, (Cahier n° 3.) ! 13
194 SIEBOLD.
elles montrent cependant que le Cysticercus cellulosæ peut se trans- former en Tænia dans l'intestin du Chien.
La détermination spécifique du petit nombre de Tænias élevés de la sorte m'a causé de grands embarras; je ne savais s’il fallait les rapporter au Tœnia serrata où au Tœnia solium. La tête et les articles mûrs ressemblent à ceux de ces deux espèces, seulement le col était plus grêle et un peu plus long que chez le Tœnia serrata, de sorte que j'étais d’abord disposé à les rapporter au Tœnia solium. Mais cette grande ressemblance me détermina à passer en revue tous les Tænias qui étaient conservés dans ma collection sous le nom de Tœnia solium pour les comparer aux T'œnia serrata du Chien que j'avais également réunis , et, à mon grand étonnement, je trouvai que ces derniers ne pouvaient être distingués de certains individus rangés dans la première catégorie , et trouvés chez l'Homme, Ces derniers offraient des articles courts et larges, à téguments ridés en travers, et à bord postérieur ondulé, exacte- ment comme chez le Tœnia serrata. Leur tête ressemblait aussi à celle du Tæœnia serrata ; seulement le col était un peu plus allongé. Il y avait, en outre, parmi ces Tænias de l'Homme, quelques indi- vidus peu développés , qui présentaient tous les caractères des individus obtenus dans ces expériences, et provenant des Cysticer- cus cellulosæ. I est aussi à noter que les œufs du T'œnia solium ne peuvent être distingués de ceux du Tæœnia serrata : de facon que j'ai été conduit à penser que les Vers désignés sous ces deux noms ne forment en réalité qu'une seule et même espèce. Pour décider cetle question, je comparais attentivement la tête du Cysticercus Pisiformis, du €. longicollis et du C. cellulosæ, et je n’y trouvais aucune différence ni dans la conformation, ni dans la disposition de la couronne des crochets. Quant à la longueur du col et à Ja lar- geur et à la forme des articles, on observe des particularités dont j'ai déjà parlé; mais elles ne sont pas assez constantes pour pouvoir être considérées comme constituant des caractères spécifiques , et par conséquent je crois pouvoir affirmer que le T'ænia solium et le T. serrala ne forment qu'une seule espèce, et représentent les deux extrêmes des variations de forme du même animal , extrêmes qui sont liés entre eux par des nuances intermédiaires.
SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. 195
SIV. Expériences sur le Cœnurus cerebralis.
Pour procéder à ces expériences de la manière la plus sûre, je fis transporter les Chiens que j'y destinais dans les campagnes où il y avait des Moutons atteints du fournis, el je leur fis avaler les Cœnures pris sur les animaux nouvellement tués. Les scolex de ces Vers restent attachés à la vessie inère ; lorsque celle-ci était petite, et portait des grappes de scolex peu nombreuses, je la donnais en entier à un de mes Chiens ; mais quand elle était volumineuse et très chargée de scolex, je la divisais en fragments pour la distribu- tion à plusieurs Chiens (fig. 29).
Première expérience. — Le 29 mai, je fis avaler par un Chien une vessie portant une centaine de scolex. Cinq jours après, le Chien fut tué, et l’on trouva dans son intestin «grêle soixante- cinq scolex libres et renversés au dehors. Ils avaient de 4/2 à 4 ligne 4/3 de long ; ils n'offraient aucune trace d'articles ou même des rides transversales, et avaient tous, à l'extrémité postérieure de leur corps, une pelile échancrure en forme de cicatrice, qui indi- quait évidemment le point par lequel ils avaient adhéré à la vessie mère (fig. 34, 4,B).
Deuxième expérience. — Le 6 juin, un jeune Chien avala une grande vessie de Cœnure contenant plusieurs grappes de scolex. On examina son intestin le 26 du même mois, et l’on y trouva un sombre immense de Tænias; j'en ai compté six cent quarante indi- vidus à des degrés très variés de croissance et de développement. Les plus grands étaient multi-articulés, el avaient 23 pouces de long ; les plus petits n'avaient que 2 lignes de long, ne présentant aucune trace d'articles, et ressemblaient parfaitement au scolex. Chez tous, la cicatrice était visible à l'extrémité postérieure du corps (fig. 34 et 35).
Troisième expérience. — Le 28 juin. un jeune Barbet mangea en partie une grande vessie de Cœnure, et le 5 août (lrente-huit jours après) on le tua. Son intestin grêle contenait soixante et onze Tænias à divers étais de développement. Trois individus, les plus pelils, avaient de 4 4/2 à 2 lignes de long; la partie postérieure de leur corps élait lisse, et ils ressemblaient tout à fait à des scolex.
196 SIEBOLD.
Sept autres avaient de 4 à 6 lignes de long, et commencçaient à se segmenter. Parmi les autres, qui étaient devenus des Tænias com- plets, plusieurs avaient atteint une longueur de 16 à 26 pouces (fig. 35); enfin, dans les individus les plus grands, les œufs étaient parfaitement développés, et chez plusieurs individus plus courts, on voyait que les articles postérieurs (ou proglottis) étaient déjà tombés, car la cicatrice lerminale n’y existait plus, et le bord postérieur du dernier article était tronqué postérieurement ; effec- tivement, quelques jours avant sa mort, le Chien avait rendu avec ses exeréments des articles de Tænia.
Quatrième expérience. — Un jeune Chien de chasse reçut, le même jour que le précédent, une portion semblable de Cœnures, et fut tué un jour plus tard. Son intestin contenait quatre-vingt-six Vers qui, pour la plupart , avaient de 3 à 10 pouces de long, et offraient tous les caractères de Tænias articulés ; mais plusieurs individus n'avaient que 4 à 6 lignes de long, et commencaient seulement à se rider en travers ; quelques-uns, longs de 1 à 2 lignes seulement, n'avaient pas encore de rides, et étaient encore à l’état de scolex.
Cinquième eæpérience. — Le 28 juin, un autre jeune Chien de chasse avala une masse semblable de Cœnures; il pouvait bien y en avoir une centaine d'individus. Le 16 août, on le tua, et l’on ne trouva aucune trace de Vers dans son inlestin ; mais peudant plu- sieurs jours, avant sa mort, il avait rendu par l'anus des Tænias longs de f mètre.
Sixième expérience. —— Le 1° août, un jeune Chien braque avala un fragment de vessie de Cœnure contenant environ cent scolex. L'autopsie de cet animal eut lieu le 23 du même mois, et donna soixante-treize Vers, dont quelques-uns , longs de À à 2 lignes, étaient encore à l’état de scolex libres, et les autres, longs de À à 4 pouces, avaient déjà les caractères de Tænias. Chez les uns et les autres, la cicatrice terminale était distincte.
Sephièmeexpérience. — Un Chien métis de Braque et de Roquet mangea le même jour (4° août) une portion semblable de Cænures. Après avoir souffert pendant longtemps de la maladie des Chiens, il fut tué le 25 août. À l’autopsie, on trouva dans son intestin
À
SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. 197
beaucoup d’Ascaris marginata adultes, et quelques scolex de Tœnia cucumerina , mais aucun vestige de Vers provenant du Cœænurus cerebralis ; c'est probablement à la maladie des Chiens que la non-réussile de cette expérience est due.
Quant à la détermination spécifique des Tænias provenant des Cœnurus cerebralis dans ces diverses expériences, elle n’a pré- senté aueupe difficulté; ces Vers appartenaient évidem ment au Tœnia serrata.
Le lecteur a du être frappé des différences qui se remarquent dans le degré de développement des Vers obtenus dans les expé- riences n° 3 et n° 4, bien que la durée du séjour des scolex eût été la même dans les deux cas : dans l'une de ces expériences , les Tænias avaient jusqu'à 22 pouces de long, et dans l’autre 10 pouces seulement. Cette inégalité dans le développement paraît devoir dépendre de l'influence de l’organisme dans lequel ces Vers avaient été transplantés, et qu'on peut comparer au sol dans lequel ces parasites croitraient,
Un autre fait remarquable que nous offre celte série d’expé- riences sur les Cœnures est la grande inégalité dans la croissance des divers Vers, qui avaient élé tous ingérés dans le tube digestif du même animal en même temps. On peut se l'expliquer , ce me semble, en tenant compte des divers degrés de développement des scolex du Cœænure au moment de l'expérience. On sait, en effet, que la vessie commune se développe d'une manière continue , et que de nouveaux scolex naissent sans cesse par bouture à sa sur- face interne. Par conséquent , on a dû transporter à la fois dans l'estomac du Chien des scolex déjà âgés, qui depuis longtemps attendaient une occasion favorable pour se changer en Tænia , et d’autres scolex plus jeunes qui venaient seulement de se déve- lopper, ou qui n'étaient même qu'en voie de formation. Il parai- trait donc que les scolex les plus anciens se seraient accrus rapi- dement, et auraient produit des proglottis, tandis que les jeunes individus seraient restés plus tardifs, et que ceux dont cette phase du développement n’était pas achevée ne seraient pas aptes à passer de l'estomac dans l'intestin, et succomberaient sous l'influence du travail digesuf,
198 SIEROLD. $ V. Expériences sur l'Echinococcus veterinorum.
L'Echinococcus velerinorum , que l’on trouve fréquemment dans le foie et dans les poumons de nos animaux de boucherie, et que l’on désigne ordinairement sous le nom d’Æydatide, ne semble pas différer spécifiquement de l’Echinococcus hominis, dont la vessie mère se rencontre si souvent dans divers organes du corps humain, et, en se développant parfois d’une manière énorme, détermine l’atrophie des tissus voisins, et devient une cause de destruction pour son hôte. Les expériences que j'ai faites avec ces Vers sur douze jeunes Chiens et sur un jeune Renard ont été déjà publiées ailleurs (D). J'ai toujours fait usage du contenu d’une vessie hydatique mère ou proligère, c’est-à-dire du liquide de la vessie d'un Échinocque , dans lequel nageaient en quantité innombrable de très petits scolex nés par bouture à la face interne de la capsule, etdevenuslibres par les progrès de leur développe- ment. Je mêlais ce liquide à du lait tiède, etje versais le tout dans la gueule du Chien ; puis, quand celui-ci avait avalé le lout, je lui faisais boire une nouvelle dose de lait pur et tiède, pour faire descendre plus sûrement les Scolex jusque dans Pestomae: L'au- topsie des Chiens soumis à ce genre d'alimentation fit voir que les scolex de l’Zchinococcus veterinorum , transplantés ainsi dans le canal intestinal du Chien, ne périssent pas, mais au contraire, dans des circonstances favorables, se développent, et deviennent de petits Tænias pourvus d’un très faible nombre d'articles, mais ayant des organes génitaux complets et mûrs. Ces Vers résistaient à l’action digestive de l'estomac , et parvenaient intacts dans l’in- testin grêle en nombre immense, mais proportionné à celui des individus ingérés ; là ils étaient tous étendus , tandis que dans l'intérieur de la vésicule mère ils sont d'ordinaire rétractés dans l'intérieur de leur réceptacle. Du quinzième au vingt-deuxième jour, ces scolex, dont le corps était d’abord dépourvu d’articula- tions, en offraient déjà deux. Bientôt après ils avaient trois articles, et alors ils cessaient de s’allonger et de se segmenter , mais le
(1) Zeitschrift für wissens. Zool., t. IV, 1853, p. 409, pl. 46, fig. 1-9.
SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. 199
développement des organes génitaux dans les deux anneaux posté- rieurs faisait de grands progrès. Déjà au vingt-sixième jour la formation des œufs peut être constatée dans ces organes, et le vingt-septième jour l'embryon est reconnaissable dans l’intérieur de ces œufs. {
Ayant trouvé dans l'intestin de mes Chiens, dès le vingt-septième jour de ces expériences, de ces Vers tri-arliculés qui avaient jeté leur couronne de crochels, j'ai dû penser que ces parasites à deux proglottis avaient atteint le but de leur existence ; car la chute de la couronne des Tænias dits armés est un indice de l’âge mür.
Ces petits Tænias provenant des scolex de l’Echinococcus veteri- norum, et composés de trois articles, mais n’ayant qu'une ligne ou une demi-ligne de long, ne pouvaient être rapportés à aucune des espèces décrites et classées dans les systèmes d’helminthologie, et je me suis bientôt assuré qu'ils constituent une espèce particulière dont l'étude avait été négligée jusqu'alors. En effet, cette transfor- mation de jeunes Échinocoques en Tænias sexués doit évidemment se faire dans beaucoup de circonstances comme dans mes expé- riences ; car ces scolex doivent souvent êlre portés par les ali- ments dans le canal digestif du Chien : par exemple, lorsque celui- ei dévore dans nos boucheries les débris de viscères contenant des Hydatides. Il est probable que Rudolphi avait sous les yeux des Tænias de cette espèce provenant de jeunes Échinocoques ; lors- qu’il a cru trouver dans l'intestin d'un Chien de petits Tænias for- més par voie de génération équivoque aux dépens des papilles de Ja membrane muqueuse intestinale (1). Les petits Tænias à trois anneaux que Rollo (2) a observés deux fois chez des Chiens, et qu’il a décrits dernièrement comme étant des jeunes individus du T. ser- rata provenaient bien certainement de scolex de l’Echinococcus velerinorum.
La forme particulière des crochets et la couronne des scolex de l'£Echinococcus veterinorum, aussi bien que le nombre exceptionnel
(1) Entozoorum sive verminium intestinalium historia naturalis, vol. I, p. 411, 1808.
(2) Beiträge zur Entwickelungsgeschichte der Tünien, dans les Trans. de la Soc, physico-médicale de Würtzbourg, t. III, 4852, p. 56.
200 SIEBOLD.
des proglottis des Tænias qui naissent de ces parasites, justifient la distinction spécilique de ces Helminthes, auxquels j’ai donné le nom de Tœnia Echinococcus (1).
Jetons maintenant un coup d'œil sur l’ensemble des résultats fournis par ces expériences. Ils peuvent se résumer de la manière suivante :
1° Tous les scolex qui sont connus sous le nom de Vers vésicu- laires, et qui ont élé employés dans les expériences précédentes, ont produit des T'œnias pourvus de leurs organes reproducteurs parfaits.
2 Les scoleæ du Cysricereus Pisirorms, du C. rENuicoLuS , du C. cecLurosæ et du Cosnurus cerEBRALIS ont produit des grands Tœnias, qui correspondent à ceux décrits sous les noms de Tæxia SERRATA ef de T. SOLIU.
S Les scolex de l'Ecmnococcus vererINoRUM, en sc développant, consliluent une espèce particulière de Tænia très petit, et composé de trois articles seulement , que je désigne sous le nom de T. Ecm- NOCOCCUS.
Beaucoup de zoologistes ne se laisseront peut-être que difficile- ment convaincre de ce fait, que quatre formes différentes de Vers vésiculaires que l’on a considérées jusqu'ici comme constituant autant d'espèces distinctes, ne produisent qu'une seule et même espèce de Tænia. Mais je leur demanderai si le Cysticercus pisi- formis, le C. tenuicollis, le C. cellulose et le Cœnurus cerebralis , sont bien des espèces particulières. D'après les connaissances acquises on doit répondre négativement. Tous ces Vers vésicu- laires ne sont que des embryons et des scolex dégénérés d'une seule et même espèce de Tænia. Pour s’en convaincre, il suffit de couper les têtes de ces divers Vers et de les mêler, car alors personne ne pourra plus les distinguer entre elles.
Je vais encore plus loin, et je révoque en doute la différence spécifique entre le T'œnia serrata de l'intestin du Chien et le Tænia solium de l'intestin de l'Homme. Je doute également de la diver- sité spécifique du Tœnia marginata de l'intestin du Loup, du
(1) Zeitschrift für wisiens. Zoo!., t. LV, 1855, p. 423.
SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES, 201
T. crassipes de l’intestin du Renard , et du T. intermedia de l’'in- testin du Putois et de la Martre. Les cinq espèces nominales que je viens de citer appartiennent certainement à une seule et même espèce de Tænia, et ne sont que des variétés produites par les dif- férences du sol où ces animaux se sont développés , suivant que dans le jeune äge ils ont été transplantés dans l’intestin de l'Homme, du Loup, du Renard, ou d’un carnivore de la famille des Martres. Si l’on examine avec attention Jes caractères que les helmintholo- gistes ont assignés à ces cinq espèces, on verra que {ous sont sans valeur, et ne sont jamais tirés des parties qui doivent servir à l'établissement d’une diagnose spécifique, telles que la forme et la disposition d’une couronne de crochets. Je suis persuadé que si l'on présentait à l’helminthologiste le plus exercé la tête d'un de ces Vers avec la couronne de crochets sans en indiquer la provenance, il lui serait impossible de décider à laquelle de ces cinq prétendues espèces elle appartient , et que ces animaux ne différent entre eux qu’à raison du lieu où ils ont établi leur demeure. Les helmintho- logistes savent depuis longtemps que les diverses espèces de Vers appartenant aux genres Ligula, Scheilocephalus et Echinorhyn- chus, établissent leur demeure chez des Poissons et des Oiseaux d’espèces très variées, et y acquièrent également bien la maturité sexuelle. Les rapports physiologiques des cinq variétés du T'ænia serrala dégénéré avec les diverses formes des scolex hydropiques, qui ne sont aussi que des variétés locales, étaient certainement plus simples dans l'origine , et c'est seulement par leur séjour chez des animaux réduits à l’état de domesticité que ces Tænias ont acquis les caractères compliqués qu’on leur trouve maintenant.
Les résultats des expériences dont j'ai rendu compte dans ce chapitre sont également contraires à l’opinion que la vessie des Vers vésiculaires est un organe normal et non un produit patholo- gique (4), car tous ces Vers proviennent d'embryons d’une seule et même espèce de Tænia, et les différences ne dépendent que du lieu dans lequel ces êtres sont transplantés ; de façon que les mêmes
(1) Dans ces derniers temps, Küchenmeister a cherché à soutenir cette opi- pion contre la mienne, mais son zèle l'a entraîné trop loin et lui a fait abandon- ner la discussion calme et modérée qui seule convient à la science.
202 SIEBOLD.
en dégénérant deviendront, soit un Cœnurus cerebralis, ou bien un Cysticercus pisiformis, un C. tenuicollis, ete. Sous les influences extérieures les mêmes formes se manifesteront toujours , et, par conséquent, on peut avec raison comparer ces variétés à formes bien arrêtées et constantes, aux variétés appelées races chez les animaux domestiques.
CHAPITRE V.
DES MALADIES PRODUITES PAR LES VERS VÉSICULAIRES ET DU TRAITEMENT DE CES AFFECTIONS.
Dans ce chapitre, dont il suffira de donner ici un extrait, l’au- teur s'occupe d’abord du Cœnurus cerebralis, et préconise l'opéra- tion du trépan pour l'extraction de ce Ver, qui est assez commun chez les bêtes bovines du sud de l'Allemagne , particulièrement en Bohême , mais très rare dans le nord de l'Allemagne. I a com- paré avec soin des Cænures extraits ainsi de la tête de Bœufs âgés de deux ou trois ans avec ceux trouvés chez les Moutons, et n’y à aperçu aucune différence spécifique : seulement leur vessie était d’une grosseur remarquable. Du reste, l’auteur insiste surtout sur l'emploi de moyens préventifs fondés sur la connaissance acquise à l’aide de ses expériences au sujet de l’origine de ces parasites. Ce sont, dit-il, les œufs du T'œnia serrata du Chien qui donnent naissance aux embryons dont proviennent les Cœnures, et, par conséquent, il faut chercher à empêcher les migrations de la progéniture du T'. serrata.
Des expériences faites par le docteur Haubner, professeur à l’École vétérinaire de Dresde, semblent prouver que telle est, en effet, l’ori- gine du Cœnure du Mouton. Le 7 janvier, il mêla aux aliments de plusieurs Agneaux des articles mûrs du Tænia du Chien renfermant des œufs, et le 20, tous ces animaux ont manifesté les symptômes du tournis , tandis que les autres Agneaux, placés dans la même bergerie, sont restés en bonne santé: Huit jours après on tua un de ces Agneaux malades, et M. Haubner trouva dans le cerveau un grand nombre de Vers vésiculaires ; tout le corps de l'animal était comme farci deces jeunes Tænias enkystés : on en trouvait dans le cœur, dans les poumons, dans les muscles , etc. Chez les Agneaux
SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. 203
dont l’autopsie fut faite plus tard , le nombre des Vers vésiculaires existant dans le cérveau était moins considérable, mais leur volume s’élait accru. Quatorze jours après l'invasion de la maladie, on pou- vait distinguer sur plusieurs de ces vessies un point obseur, qui semblait être le premier rudiment d’une tête; enfin, au bout de quatre semaines, toutes les vessies renfermaient des têtes déjà pourvues de suçoirs , et avec leur couronne de crochets en voie de formation (1).
A l'appui de ses vues touchant l’origine des Cænures , l'auteur ajoute encore que le professeur Leuckart de Giessen est parvenu à déterminer le développement du Cysticercus fasciolaris dans le foie de la Souris , en faisant manger par ce pelit Rongeur des articles mûrs du Tœnia crassicollis du Chat.
Il considère done le Chien de berger comme étant d'ordinaire la source des parasites dont la présence dans le cerveau du Mouton détermine le tournis : ce seraient les œufs formés par le Tœnia serrata dans l'intestin du premier qui donneraient naissance aux Vers qui, parvenus dans l'organisme du Mouton avec les aliments, se développeraient en Cænures ; et l’auteur fait remarquer qu’eflec- tivement le Cœnure est extrèmement rare chez les Moutons qu’on élève à l’étable, et qui n’ont pas de Chien pour voisin. Il conseille done aux agriculteurs , s'ils ne veulent pas se passer du concours du Chien pour la garde de leurs troupeaux, de surveiller au moins avec beaucoup de soin l’état des voies digestives de cet animal , et de l’éloigner pour peu qu'il soit infecté de Tænias.
L'auteur s'occupe ensuite des circonstances qui peuvent amener le développement du Tæœnia solium chez l'homme. Ce Ver y pénètre probablement à l'état de scolex , et l'usage de la chair de Cochon, qui est si souvent infestée de Cysticerques, peut l’amener, surtout lorsque cette viande n’a pas été cuite, à une température élevée , mais seulement salée ou fumée, comme cela se pratique pour la préparation de certains saucissons. IL paraît, d’après le rapport des médecins de Vienne, que les personnes employées dans les boucheries et les cuisines sont très souvent affectées
(1) Une courte note à ce sujet a été insérée dans le Journal agronomique de Hamm, 1854, n° 10, p. 167.
204 SIEBOLD.
du Tænia (4). Cette hypothèse expliquerait aussi pourquoi en Abys- sinie, où l’on mange beaucoup de chair crue, Je Tænia de l’homme est plus commun que partout ailleurs. Un élève de l’auteur , le doc- teur Bilhartz, lui a écrit dernièrement du Caire que les Abyssins se croient dans un état anormal quand ils n’évacuent pas des articles de Tænias, et qu'ils ne vendent jamais un esclave sans lui donner un paquet de Cousso comme vermifuge. Le docteur Reinlien, de Vienne, a remarqué aussi que les chartreux, qui ne mangent jamais ni chair ni Jait, mais se nourrissent principalement de poisson , ne souffrent jamais du Tænia (2).
Le docteur Schleisner (3) nous apprend qu’en Islande une affec- tion hydatique du foie règne d’une manière endémique et dépend de la présence de Vers vésiculaires, non-seulement dans le foie, mais dans d’autres viscères abdominaux et jusque dans la peau. M. le professeur Eschricht a envoyé à l’auteur de nouveaux détails à ce sujet, et des dessins du parasite qui ne parait être autre chose que le Cysticerque provenant du Tœnia serrata. La sixième partie de la population de l'Islande est affectée de cette maladie vermi- neuse, qui souvent détermine la mort après des souffrances lon- gues et cruelles. Or, on sait que les Islandais élèvent un grand nombre de Bœufs et de Moutons, et que les Chiens leur rendent de grands services dans cette industrie agricole ; l'auteur est donc porté à croire que ce sont les Tænias du Chien qui leur communiquent ces parasites.
Enfin l’auteur termine en remarquant qu'aujourd'hui l'on ne peut plus traiter de conte absurde ce que divers médecins ont dit relati- vement à des malades qui, assujettis par régime à faxre usage de chair crue, avaient gagné le Ver solitaire, parasite qui est très rare à Saint-Pétersbourg, où des cas de ce genre avaient été observés. Il pense aussi que l'apparition de ce Tænia , dans des contrées où
(1) Wawruch, Praktische Monographie der Bandwurmkrankheit., 1844, p.197.
(2) Bemerkungen über den Ursprung, die Entwickelung, die Ursachen , Symptome und Heilart des breiten Bandwurmes in den Gedärmen der Menschen. Vienne, 1855, p. 25.
(3) Forsüg til en Nosographie of Island. Copenhague, 1849.
SUR LA.PRODUCTION DES HELMINTHES. 205
iln’existait pas jadis, peut être déterminée par des modifications dans le régime agricole ou économique d’un pays. Ainsi jadis le Botryo- cephalus latus , qui est très commun dans la Russie, la Pologne et la Suisse, et qui ne se montre jamais à l’état de scolex dans nos animaux de boucherie, était la seule espèce de Tænioïde qui atta- quait l’homme dans ces contrées; mais aujourd’hui on y rencontre quelquefois le Tæœnia solium , et à ce sujet Hubner rapporte une observation faite par le docteur Baumert pendant son séjour à Neu- chatel : dans cette partie de la Suisse les Cysticerques sont, pour ainsi dire, inconnus chez le Pore, tandis que tous les Cochons de France sont infectés de ces parasites. Le Tænia solium à donc pu y être importé à l’état de Cysticerque. Ces faits, et les découvertes récentes relatives au mode de propagation des Helminthes , méri- tent donc de fixer sérieusement l’attention des médecins aussi bien que des zoologistes.
EXPLICATION .DES FIGURES.
PLANCHE 9.
Fig. 4. Un sac cercarigère pourvu d’un canal digestif allongé (longueur 2 lignes). C'est une nourrice de Cercariu ephemera, et ces êtres vivent sur le Planorbis corneus. — a, cavité buccale. — b, canal intestinal. — c, une Cercaire éphé- mère déjà développée dans son intérieur, — d, corps germinatifs qui ne sont pas encore devenus des Cercaires.
Fig. 2. Nourrice du Cercariu armata. Ce sac cercarigère, pourvu d'un canal digeslif très court, se distingue par la présence ce deux appendices latéraux obtus placés à son extrémité abdominale. Trouvé sur le Limneus stagnalis.
Fig. 3. Nourrice du Cercaria sagiltifera provenant de l'Helix pomatia. Ce sac cercarigère, Lout à fait simple et cylindrique, est dépourvu d'un appareil digestif.
Fig. #4 à 10. Diverses phases du développement du Cercaria ephemera, repré- sentés d'après des individus trouvés dans le sac cercarigère déjà figuré (n° 4). — 4, un corps germinatif. — 5, un corps germinatif dont l'extrémité posté- rieure est devenue plus effilée. — 6, un corps germinatif dont l'extrémité est allongée en forme de queue, — 7, un corps germinatif ayant déjà la forme d'un Cercaire avec deux taches pigmentaires noires à son extrémité antérieure. — 8, individu plus développé : a, ouverture buccale; c, d, organes urinaires ; e, queue; f, taches pigmentaires. — 9, Cercaria ephemera complétement dé- développé (2 millim. de long) : a, cavité buccale ; b, canal intestinal; c, d, or- gane urinaire rempli d'une matière granuleuse: e, queue; f, trois taches
206 SIEBOLD.
pigmentaires. La tache médiane ne paraît que dans cette période du dévelop- pement. La forme générale de l'animal correspond à celle d'un Monostome.— 10, quatre Cercaires tirés du Planorbis nitidus (d'après Filippi). Leur appareil postérieur de succion composé de deux ventouses, dont lune renfermée dans l'autre est vue dans divers états d'extension et de contraction. Abstraction
- faite de la queue, ce Cercaire ressemble tout à fait à un Diplodiscus.
Fig. 44. Un embryon de Monostomum mutabile au moment de sa sortie de l'œuf. (Op. cit., Arch. de Wiegmann, 1835, 1, p. 69.)— a, l'appareil de succion.—
b, double tache pigmentaire. — c, sac germinatif.
Fig. 12. Le sac germinatif du précédent devenu libre à la mort de cet embryon infusoriforme.— b, le même vu de côté. — Par son aspect extérieur, ce corps rappelle le sac germinatif du Cercaria armata représenté figure 2.
Fig. 13. Cercaria ephemera enkysté. — a, ventouse buccale. — b, c, d, organe urinaire.
Fig. 14. Extrémité abdominale d'un Cercaria ephemera, chez lequel l'organe uri- naire se trouve ouvert postérieurement par suile de la chute de la queue. — g, lieu par lequel l'urine grumeleuse est expulsée. Avant de connaître la véritable nature de cet organe, je prenais les granules urinaires pour des œufs, et l'excrétion de celte matière pour une ponte.
Fig. 15. 4, Cercaria armala vu en dessous. — a , la ventouse buccale ( l'épine frontale se voit par transparence). — b, la ventouse abdominale. — c, l'appa- reil digestif, — d, l'organe urinaire.— h, la queue qui est implantée dans une dépression où débouche l'organe urinaire. — B , le même individu vu de côté (le canal intestinal n'a pas été représenté ). — C, épine frontale du Cercaria armata vue en dessus et beaucoup grossie.
Fig. 16, Cercaria armata enkysté. — a, la ventouse buccale, — b, la ventouse abdominale, — c, le canal digestif.— d, l'organe urinaire rempli d'urine gra nuleuse, — e, l'épine frontale détachée et se trouvant libre dans la cavité de kyste. — f, ouverture de l'appareil urinaire devenue visible après la chute de la queue. — g, kyste contenant le Cercaire acaude qui a déjà acquis la forme d'un Distome, mais n'est pas encore à l'état sexué.
Fig. 47. À, portion des intestins d'une Taupe dont la tunique péritonéale porte plusieurs kystes aplatis renfermant un petit Ascaris incisa. ** Ces mêmes kysies vus de champ. — B, un de ces kystes pédonculés fortement grossi pour mieux montrer le Ver non sexué qui s'y trouve. Cette espèce appartient au groupe des Ascarides, dont l'intestin offre en avant et en baut un appendice cæcal,
Fig, 48. a, embryon d'un Tænia (Tænia crateriformis). Les six petits crochets dont ce Ver est armé sont de trois formes, — b, un des crochets de la paire supérieure beaucoup grossi. — ç, un des crochets moyens. — d, un des cro- chets de la paire supérieure.
Fig. 19. Les diverses formes d'un Zétrarhynque (ou, pour parler plus exacte- ment, d'un Rhynchobothrium pendant son développement ) représentées d'une
SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES. 207
manière schématique ( d'après Van Beneden ). L'embryon, par ce développe- ment du scolex dans son intérieur, se transforme en un réceptacle (recepta- culum scolicis) qui, à mesure de l'accroissement du scolex, augmente de volume ainsi que le kyste dans lequel il est renfermé. — 4, Embryon enkysté, — B, Embrvon enkysté renfermant un bourgeon dans son intérieur, et devenant ainsi un réceptacle. — C, période plus avancée du développement d'un bour- geon qui est destiné à devenir le scolex, — D, l'extrémité céphalique du Tetrarhyncus pictor commence à devenir visible dans l'intérieur du bourgeon ; on commence à y distinguer les ventouses. — E, l'extrémité céphalique se dessine plus nettement. — F, le col de l'extrémité céphalique commence à se montrer.— G, le col s'est allongé, et les quatre trompes à crochets se voient. — H, le col, en se développant davantage, s’est replié dans l'espace étroit où le scolex s'est formé. — 7, le scolex, en se renversant au dehors, commence à sortir de son réceptacle. — J, le scolex sorti et, en K, séparé de son réceptacle. C'est dans cet état que lesscolex de Rhynchobothrium ont été décrits sous divers noms spécifiques, comme formant le genre Tétrarhynque. — * Le scolex. — ** Le réceptacle. —*** Le kyste. Pour le développement ultime du Tétra- rhynque en Rhynchobothrium, voyez la figure 23.
Fig. 20. Un scolex de Tænia renfermé dans son réceptacle, et provenant de
l’Arion empiricorum.
Fig. 21. Le même sorti de son réceptacle.— a, la tête du scolex.— b, le récep-
tacle. —c, les deux petits crochets de l'embryon.
Fig. 22. Articles du Tænia solium parvenus à la maturité sexuelle et isolés ,
représentés dans divers états de contraction et d'extension ( d’après Coulet ). Chaque article constitue un Progluttis, ou individu sexué de cette espèce de Tænia. — * Orilice génital (grandeur naturelle).
PLANCHE à.
Fig. 23. Représentation théorique de la transformation d'un Tetrarhynque en
Rhynchobothrium (d'après M. Van Beneden, faisant suite au n° 49). — À, un scolex dont l'extrémité abdominale croît et s'allonge. — B, le même plus dé- veloppé et offrant des lignes transversales, qui sont les rudiments des articles futurs. —€C, le même dont l'abdomen est nettement articulé en arrière, c'est- à-dire pourvu de proglottis. Ici la transformation est, par conséquent, achevée. — a, une des ventouses. — b, portion saillante des quatre trompes à crochets. — 6, portion moyenne des sacs ou gaines de ces trompes. — d, portion infé- rieure des mêmes sacs. — e, abdomen non articulé, —e *, portion de l’abdo- men qui est ridé transversalement, — e **, portion de l'abdomen qui est arti- culée, et qui constitue une série de proglottis,
Fig. 24. Cysticercus cellulosæ extrait du cerveau de l'Homme, représenté de gran-
deur naturelle, avec la portion antérieure de son corps rétracté. — b, la partie antérieure et rentrée du Cysticerque renfermant le scolex développé dans son intérieur,
9208 SIEBOLD. — SUR LA PRODUCTION DES HELMINTHES.
Fig. 25. Le même avec la portion antérieure de son corps renversée au dehors. u, la vessie caudale, qui n’est autre chose que le réceptacle du scolex distendu par une accumulation de liquide. — c, extrémité antérieure et ridée du corps du Cysticerque — d, tête et col du Cysticerque constituant le scolex du Tænia.
Fig. 26. Scolex de Tœnia habitant les larves de Ténébrion, logé dans son récep- tacle. — a, tête du scolex. — b, réceptacle. — c, appendice caudal du récep- tacle portant les six crochets de l'embryon.
Fig. 27 et 28. Deux Cysticerques du tissu cellulaire extraits d'un cerveau d'Homme, de grandeur naturelle. Des étranglements de la vessie caudale y ont donné des formes tres irrégulières.
Fig. 29. Colonie de scolex du Cœnurus cerebralis portée sur une portion de la vessie mère, extraite du cerveau d'un Mouton, et vue par sa face interne. — Chaque corpuscule arrondi correspond à un scolex , qui se développe dans son intérieur par bouture interne. — a, un scolex développé et renversé en dedans.— b, scolex incomplétement développé et rentré en dedans.— c, divers scolex à la première période de leur développement.
Fig. 30. Portion d'une vessie mère de la même espèce provenant du cerveau d'un Veau, et vu par sa face externe ; les scolex sont renversés en dehors. Fig. 31. Un des scolex de la vessie précédente renversé au dehors, et libre (grossi), — a, la double couronne de crochets dont l'extrémité céphalique est garnie. — b, un des suçoirs de la tête. — c, lambeaux de la vessie mère
déchirés.
Fig. 32. La tête du même vue en dessus, et portant au milieu la double couronne de crochets entourée des quatre suçoirs.
Fig. 32. Crochets du même isolés et grossis davantage, — a , un grand crochet à la couronne supérieure vu en dessous. — b, le même vu de côté —c, un pelit crochet de la couronne inférieure. — d, e, crochets mous et imparfaite- ment développés provenant d'un jeune scolex (fig 29, c).
Fig. 34. Divers Tænias provenant du ecolex du Cœnurus cerebralis élevés dans l'intestin d'un Chien. — 4, scolex long de 4 3/4 de ligne, vu de côté; son corps est lisse, allongé.— 3, le même, vu en dessus, — €, scolex de 3 lignes de long; les articles commencent à se former à la partie postérieure de son corps. — D, un scolex plus avancé dans son développement, et dont les proglottis sont déjà bien formés. — * Cicatrice correspondant au point d'in- sertion du scolex sur la vessie mère.
Fig. 35. Un Tœnia serrata long de plusieurs pouces, provenant d'un scolex de Cœnurus cerebralis élevé dans l'intestin d'un Chien (grandeur naturelle ). Les articles de la partie postérieure du corps sont des proglottis à organes générateurs parfaits. Le dernier article porte encore la cicatrice (*), dont la présence indique qu'aucun proglottis ne s'est encore détaché de ce Tænia.
RECHERCHES
SUR
L'INFLUENCE DE LA LUMIÈRE
SUR LA
PRODUCTION DE L'ACIDE CARBONIQUE PAR LES ANIMAUX, Par M. J. MOLESCHOUT, de Heïdelberg (1). $ Ir.
Pour mesurer la quantité d’acide carbonique exhalée par des Grenouilles (Rana esculenta), j'ai enfermé les animaux dans un verre de la conte- nance d’un litre environ, traversé par un courant d'air qui était privé d’acide carbonique, ayant passé par un appareil de Woulf à moitié rempli d’une solution de potasse. Le courant d'air était produit à l’aide de l’aspi- rateur de M. Brunner, et, dans le réservoir des Grenouilles, il allait de bas en haut, parce que le tube qui conduisait l'air du verre à potasse dans le vase des Grenouilles touchait au fond de celui-ci; tandis que le tube par lequel l’air devait sortir se terminait {out près du liége par lequel le verre était bouché. Ce dernier tube fut mis en communication avec un appareil de Woulf contenant de l'acide sulfurique concentré, et prolongé par un tube à chlorure de chaux. Après avoir traversé ces substances desséchantes, Pair entrait dans un appareil de M. Liebig, renfermant la solution de potasse destinée à recueillir l’acide carbonique. L'appareil de M. Liebig était uni à un tube rempli de morceaux de potasse sèche et celui-ei à l'aspirateur. L'aspirateur renfermait de l'huile, dontje faisais écouler 2ht,5 par heure. L’air traversait donc, l’un après l’autre, une solution de potasse, le flacon contenant les Grenouilles, l'acide sulfurique et le tube à chlorure de chaux, puis l'appareil de M. Liebig et le tube à potasse sèche, de manière que l'air sec qui entrait dans l'appareil de M. Liebig n’y déposait rien que l'acide carbonique produit par les Grenouilles, tandis que la vapeur d’eau que l’air emportait était retenue par les morceaux de potasse sèche sépa-
(4) Ces expériences ont été publiées dans le Wiener medizinische Wochen- schrift, n° 43, 27 oct. 1855 ; quelques extraits en ont été insérés aussi dans le Compte rendu des séances de l'Académie, 1. LXT, p. 263, 456 et 961.
4° série, Zooc. T. IV, (Cahier n° 4.) 2 14
210 3. MOLESCHOTT. — INFLUENCE DE LA LUMIÈRE
rant l'appareil de M. Liebig de l’aspirateur de M. Brumer. En pesant les deux derniers appareils à potasse, avant et après l’expérience, je trouvais la quantité d'acide carbonique produite dans une heure , durée de chaque expérience, par un poids connu de Grenouilles. Pour réduire l’acide car- bonique aux mêmes unités de poids et de temps, j'ai calculé combien d’acide carbonique serait exhalé par 100 grammes de Grenouilles en vingt- quatre heures. Les bouchons nécessaires pour ajuster les tubes au flacon et à l'aspirateur étaient garnis d’un lut, préparé avec deux parties de colo- phane et une partie de cire jaune. La jonction des tubes de verre entre eux était facile au moyen de tube de caoutchouc vulcanisé.
Le nombre des Grenouilles enfermées varia de deux à quatre.
L'étude de l’action de la lumière fut d’abord faite par des jours sereins. On fit deux parts des Grenouilles, dont l’une fut gardée en pleine lumière, l’autre dans l'obscurité. Lorsque les individus de la dernière catégorie respiraient dans le flacon , ce dernier était entouré d’un écran de carton gris, qui, en prévenant l'entrée de la lumière dans leflacon, réglait si bien la température, que celle-ci ne différait que fort peu pour les expériences faites à la clarté ou dans l'obscurité. La température fut mesurée par un thermomètre qui perçait le bouchon fermant le réservoir des Grenouilles. Dansles expériences comparées à celles-ci, les Grenouilles étaient soumises à la lumière du jour réfléchie, et non à la lumière directe du soleil, qu’elles ne sauraient supporter sans succomber avec les symptômes d’une inflammation de la peau très violente.
Le tableau suivant donne les nombres obtenus pour des individus divers qui, dans les expériences comparées entre elles , étaient du même sexe, à peu près de même grandeur , pris le même jour et gardés sous des condi« lions égales, sauf l’action de la lumière et de la température.
SUR LA PRODUCTION DE L'ACIDE CARBONIQUE DES ANIMAUX.
211
EXPÉRIENCES À LA LUMIÈRE.
Milli- ©
, pendant Nombre lesquels Nomb SAME Û - | lu moitié ombre acide e l'expé- des gre- Tam de mouve- carbonique A nouilles ments produits rence nleue gardée| pérature, Pr EN par {u gr. dé ï | l'obseu- par minute,| grenouilles
rile,
en 24 heures.
1 0 852 2 1 22,00 489 3 1 22,00 721 4 1 23,50 TI4 5 2 | 49,50 784 6 2 | 28,00 713 7 3 | 21,50 602 8 4 | 22,00 604 9 5 | 30,00 765 6 | 23,00 670 7 | 29,50 688 7 | 27,00 335 7 | 28,75 338 8 | 18,50 603 8 | 47,75 522 9 | 24,00 643 CON AEE
729 738 550
659
Valeurs moyenn.| 22,93
EXPÉRIENCES DANS L'OBSCURITÉ.
FE Milli- grammes d'acide carbonique produits par 400 gr. de
Nombre de mouve- ments respira- toires par minute,
Tem-
pérature, grenouilles
en 24 beures,
478 745 641
20,75 20,00 18,50 20,50 21,25 17,00 23,25
20,00
D’après les nombres moyens obtenus de trente-quatre séries d’expé-
912 J. MOLESCHOTT. — INFLUENCE DE LA LUMIÈRE
riences, la valeur de l’acide carbonique produit dans l’obscurité est à celle de l'acide carbonique exhalé à la lumière comme
522 : 664 —1 : 1,25;
landis que la température dans le verre était plus grande de 2°,93 à la clarté que dans l’obscurité. La différence des valeurs de l’acide carbonique ne peut être expliquée par la différence des températures, puisque M. Vierordt a prouvé que, pour l'Homme, la quantité d’acide carbonique expirée diminue lorsque la température augmente.
Par des journées très claires , j'ai donc trouvé un quart d'acide car- bonique de plus sous l’action de la lumière que dans les ténèbres. Mais il en était autrement par un temps pluvieux, ou même si le ciel était couvert de nuages. Le deuxième tableau présente les nombres que j’ai obtenus sous ces dernières conditions.
TABLE II. Nombre EXPÉRIENCES AU CLAIR. EXPÉRIENCES DANS L'OBSCURITÉ. de _ nn CR UE Et ST me TE Milii- Nos Requele grammes grammes Go Rp |Hé nié bi acfantAlcacbértts = nfaomuse: (Gt : de dura | ments produits DénREse ments produits rieuce. | airdée te) | respira- [pur 100 gr. tres respira- |par 100 gr. Rte | toires de. loires e lobe par minute. | grenouilles par minule. | grenouilles rités 24 Has 24 es 1 1 17,75 124 591 21,25 116 413 2 4 1 19,00 141 376 19,50 122 163 3 2 19,00 138 536 19,00 432 | 470 k 3% 18,00 128 557 16,59 410 501 5 3 17,00 140 460 17,00 112 495 6 3 17,50 116 520 19,50 130 201 7 4 18,50 124 588 19,50 118 499 8 5] 19,00 154 126 19,00 110 583 9 5 18,75 131 532 19,25 124 715 10 6 18,50 136 346 18,50 132 525 11 6 17,50 136 330 17,50 108 358 12 1% 17,85 12h 591 24,25 116 413 13 1% 17,50 125 409 | 23,50 127 156 1% 34 16,75 167 549 17,00 124 420 15 10 | 17,00 157 637 17,25 141 677 16 L3 20,25 133 720 21,50 78 570 17 47 | 20,50 134 603 20,00 ! 130 655 18 £9, ,| 48,50 | 146 654% 19,00 126 652 | | Valeurs moyenn. | 18,26 136 512 19,22 120 204
ee
SUR LA PRODUCTION DE L'ACIDE CARBONIQUE DES ANIMAUX. 213
En comparant les nombres moyens pour l'acide carbonique (512 et 504 milligrammes), on trouve que, par un ciel obscur, l’action de la lumière diffuse du jour n’est pas assez forte pour augmenter l'acide car- bonique produit par des Grenouilles.
$ II.
Après avoir reconnu que l'augmentation de l'acide carbonique exhalé par les Grenouilles, produite sous l'influence de la lumière par un temps serein, ne se montre pas sous un ciel pluvieux ou couvert de nuages, j'ai cherché à mesurer l'intensité de la lumière propre à exercer cette influence sur la respiration des animaux. J’ai observé, pour cet effet, le degré de la décomposition du nitrate d'argent , en exposant à la lumière un papier épais non collé, imbibé d’abord pendant trois minutes d’ammoniaque caustique, puis séché entre des feuilles de papier joseph pendant une minute et demie, ensuite imbibé d’une solution ammoniacale concentrée de nitrate d'argent. Les bandelettes de ce papier photométrique étaient gar- dées pendant une demi-heure dans une boîte fermée, et vers le milieu de l'expérience respiratoire , elles restaient exposées à la lumière, devant le flacon des Grenouilles, pendant cinq minutes. M. Schall, peintre à Berlin, a eu la bonté de me munir d’une échelle de vingt teintes comparables à celles du papiér dont le nitrate d'argent était décomposé. Le degré TI de cette échelle correspond à Ja teinte la plus faible, le degré XX au noir le plus foncé obtenu par le papier photométrique.
Je possède en tout une série de quatre-vingt-quatorze expériences faites sur des Grenouilles intactes , pendant que l'intensité de la lumière était mesurée. Les nombres trouvés sont consignés dans deux tables, dont l’une contient toutes les expériences pour lesquelles le degré de la lumière ne surpassait pas le numéro V de l'échelle ; l’autre table donne les nombres trouvés sous une intensité de la lumière plus grande jusqu’au numéro XX. (Voir tables IIT et IV.)
AA 3, MOLESCHOTT, — INFLUENCE DE LA LUMIÈRE
TABLE III.
Nombre mouve=
ete bonique de |diquant | Tempéra- 'in- | pour l'in-
l'expé- | tensité ture, trie 400 gx. || l’expé- | tensité ture, de la par de gre- de la
minute,
monve- ments respira-
toires,
rience, | lumière nouilles || rience, [lumière
en 24 heures
382
ALL LES LA A A A A
———
Valeur 9 Mon 3,27
SUR LA PRODUCTION DE L'ACIDE CARBONIQUE DES ANIMAUX. 213
me:
de l'expérience,
me
Chiffre indiquant l'intensité
de la lumière,
VI VI VI VI VI VI VI VI VI VI VI VI VI VI VI VI VI VI VI VII VIT VII VII VII VII VII
TABLE IV.
Température,
Nombre des mouvements respiratoires
par minute,
Milligrommes d'acide carhonique
pour 100 grummes
de grenouilles
en 24 heures,
216 J. MOLESCHOTT, — INFLUENCE DE LA LUMIÈRE
D’après ces tables , la quantité d’acide carbonique produite sous un faible degré de lumière (3,27 en moyenne) est à celle qui a été exhalée sous une intensité de lumière très forte (7,3S en moyenne) comme
545 : 645—1 : 1,18.
La valeur moyenne de la température a été plus grande de 4°,65, lorsque le papier photométrique a indiqué le plus haut degré. Or M. Vierordt a démontré que, pour le corps humain, la quantité d'acide carbonique expi- rée diminue, lorsque la température ambiante va en croissant. L’augmen- tation de l’acide carbonique correspondante à une forte aclion de la Jumière ne saurait donc être expliquée par l'influence de la chaleur (1).
$ HI.
Comme les expériences dont j’ai rendu compte jusqu'ici ont été faites toujours au moyen d'animaux différents, il a fallu avoir recours aux séries nombreuses pour dégager le produit de l’influence des individualités. Mais pour arriver avec plus de rigueur à la détermination de la valeur que nous cherchons, j’ai institué aussi des séries d’expériences, dans lesquelles les mêmes animaux respirent alternativement à la lumière et dans J’obseurité (tableaux V, VI et VIT). Entre chaque double expérience, il y a eu toujours une heure d'intervalle pour laisser reposer l'animal, Cette précaution était indispensable, car, lorsqu'on fait deux expériences de la même nature, soit dans la lumière, soit dans l’obscurité, on obtient à peu près régulièrement un peu moins d'acide carbonique dans la deuxième expérience que dans la première. Pour éviter des erreurs qui pourraient être produites par cette cause , ces expériences ont toujours été faites de jours alternants, de telle sorte que le premier jour l'animal respirait à la lumière , et le second dans l'obscurité. J’aflirme positivement que toutes ces expériences ont été failes comparativement, en obtenant les deux valeurs du même animal sous des conditions différentes.
Le cinquième tableau se rapporte aux animaux conservés dans la lumière ; dans les tableaux VI et VIT, les animaux ont été, au contraire, gardés dans l’obscurité.
(1) Je crois devoir faire remarquer ici que l'influence de la température sur le rendement du! travail respiratoire n'est pas la même pour les animaux à sang froid, et que chez ces derniers la production de l'acide carbonique est augmentée par l'élévation de la température entre certaines limites. Leraisonnement de l'au- teur n'est donc pas à l'abri de quelques objections, (R.)
SUR LA PRODUCTION DE L'ACIDE CARBONIQUE DES ANIMAUX. 217
TABLE V.
EXPÉRIENCES DANS LA LUMIÈRE. EXPÉRIENCES DANS L'OBSCURITÉ, DR CS CU EL
= Milli- Milli- fes Mouve- grummes Mouve- grammes
; :_| Intensité d'acide d'acide a l'expé- Tempéia- | ments res- | carbonique | Tempéra- | ments res- |carbonique
de lu pour 100 gr. lure, piraluires de
lumière, grenouilles par minute, 3 par minute,
rience, ture, piruloires
24 heures. 166 2 655 144 2 403 130 498 170 2 À 458 136 527 159 ! 698 136 ) pi) 524 144 Ve 604 140 5 ft TA 143 567 143 547 140 579 158 525 140 565 144 425 403
a © & ©
QE m3 =2 Or Ce «I Ge Suusous = 19 19 LO RO 19 19
DOS Sé CC:
543
218
Ne. le l'expé-
rience,
|
© CO = En Où à € RO =
J. MOLESCHOTT, -— INFLUENCE DE LA LUMIÈRE
EXPÉRIENCES DANS LA LUMIÈRE, HR ne.
Intensité de la
lumière,
TABLE VI.
Tempéra- |ments respi-
ture,
ratoires
par minute,
Milli-
grammes d'acide
carbonique | Tempéra-
Mouve-
ments respi-
raloires
par minule,
110
EXPÉRIENCES DANS L'OBSCURITÉ.
Milli- grammes d'acide carbonique
pour 100 gr. de
SUR LA PRODUCTION DE L'ACIDE CARBONIQUE DES ANIMAUX.
4 H [:] E £
EXPÉRIENCES DANS LA LUMIÈRE.
19,00
Milli- ne Mouve- grammes , ; | Intensité d'acide e l'expé- Tempéra- |ments respi-| carbonique | Tempéra- : de la pour 400gr, ancre, ture, raloires de ture. lumière, grenouilles par minute, en 24 henres. 1 III 19,00 64 628 21,00 85 748 2 I 22,00 120 540 20,00 120 560 3 I 19,25 100 560 21,50 109 452 4 II 20,50 104 509 20,75 109 498 5 III 18,00 106 371 21,50 104 415 6 I 18,00 105 395 20,50 106 40% 7 II 21,00 101 440 20,50 107 492 8 I 17,50 76 285 24,25 100 379 9 I 16,25 87 368 15,00 7% 335 10 I 20,50 98 382 20,00 82 311
EXPÉRIENCES DANS L'OBSCURITÉ.
219
Pour mieux saisir la valeur d’acide carbonique obtenu, j'ai disposé dans le tableau VIII les moyennes obtenues dans les trois derniers tableaux, c’est-à-dire les moyennes dans la lumière et dans l'obscurité, en y ajoutant les moyennes du degré de la lumière,
TABLE VIII.
a dé
Chiffre indiquant l'intensité de la lumière,
Acide ca: Lonique daus
le lumière.
592 679 447
Acide carbonique dans
l'obseurilé,
———
543 596 159
Rapports de l'acide carbonique dans l'obscurité avec l'acide carbonique dans la lumière.
On ne peut manquer d’apercevoir une différence considérable entre le produit de l’acide carbonique dans la lumière et dans l’obscurité, comparé à celui qui a été fourni dans le premier tableau. Les expériences rappor- tées dans ce premier tableau ont toutes été faites aux jours dans lesquels il y avait du soleil. Quand on compare les produits dans le tableau VIII
220 J. MOLESCHOTT, — INFLUENCE DE LA LUMIÈRE
avec ceux trouvés dans les tableaux TITI et IV, dans lesquels selon que l’in- tensité de la lumière augmente dans le rapport 3,27 à 7,38, le produit acide carbonique s’élève de 545 à 645, c'est-à-dire comme 1 est à 1,18. On voit donc, autant qu’on doit attendre d'expériences de cette nature, que l'acide carbonique exhalé augmente dans le même rapport que l’intensité de la lumière se prononce. La troisième ligne du tableau VIII nous apprend que, sous une intensité de lumière médiocre de 4,7 seulement, il n'ya pas eu d’augmentation de la valeur de l’acide carbonique par l'influence de cette lumière faible, ce qui contribue encore à confirmer le fait fourni par le deuxième tableau, qu'un éclairage faible dans des jours sombres n'augmente pas le produit de l’acide carbonique exhalé.
& IV.
Ayant trouvé que l’action de la lumière fait augmenter la quantité d’acide carbonique exhalé par les Grenouilles, j'ai voulu examiner si cette influence s'exerce par l'intermédiaire des yeux ou par celui de la peau, ou bien par tous les deux. J'ai comparé, pour cet effet, des Grenouilles aveugles à des animaux inlacts, ayant été attrapés le même jour les uns et les autres. Pour aveugler la moitié de ces Grenouilles, j'ai cautérisé les yeux avec une solution très forte de nitrate d'argent, et cette opération a été suivie d’une inflammation de l'œil, qui se terminait par une cicatrisation si parfaite, que la peau, en couvrant l'orbite, ne laissait aucune trace de l'œil perdu. Les Grenouilles aveugles et celles qui étaient intactes étaient du même sexe, et elles furent gardées dans une identité de circonstances parfaite. Les expériences respiratoires ne commencèrent que 197 jours après l'opération, de sorte que les animaux aveugles ne montraient aucun symptôme de maladie.
La table IX donne les nombres obtenus dans quinze expériences. Ces nombres nous montrent que les degrés de lumière et de température étant égaux, la valeur moyenne de l'acide carbonique produit par les Grenouilles aveugles est à celle des animaux intacts dans le rapport de 490 à 564, ou de 1 à 1,14; d'où il résulte que l'œil prend part à l'influence que la lumière exerce sur l'augmentation de l’acide carbonique exhalé par des Grenouilles.
SUR LA PRODUCTION DE L’ACIDE CARBONIQUE DES ANIMAUX. 221
Nos Nombre
L'expé- | 1 cécité a été
i A ‘ RS produite,
TABLE IX.
GRENOUILLES INTACTES.
Chiffre
leusité de la
lumière.
Tempé-
rulure,
21,00 20,25 20,25 17,50 17,00 16,50 18,50 15,00 16,50 20,00 20,50 23,95 23,25 25,50 24,00
19,90
ri
Mouve- ments respi-
raloires
par mipule.
114
Milli- grammes d'acide car- bonique pour 100 gr. de gre- nouilles en 24 heures,
858 725 520 454 693 465 662 538 346 310 682 411 713 478 509
——
561
GRENOUILLES AVEUGLÉES.
Chiffre indiquant lin- tensité de la
lumière,
Tempé-
ralure.
Mouve- menls respi=
ratoires
par
mioule.
Milli- grommes d'acide car- bonique pour 100 gr. de gre- nouilles en 24 heures.
558 695 491 622 285 333 457 597 462 163 495
2922 J. MOLESCHOTT, — INFLUENCE DE LA LUMIÈRE
TABLE X. GRENOUILLES AVEUGLÉES.
DANS L'OBSCURITÉ. A — ,
A LA LUMIÈRE.
de l'expé-
rience,
de | Chifre jours depuis [indiquant que la cécité a élé lensité produite, dela
l'in-
lumière.
A. Nos Nombre
Mouve- L ments Tempéra- respi- ture, ruloires par
miuule,
bouique pour 100 gr. de gre- nouilles
Mouve- ments respi- ratoires par
mioute.
Milli- grammes d'ucide car- bonique pour 100 gr. de gre- nouilles
——
VI | 1] 2 572 VI 21 } 2 568 VI VII VII VI VII VI VIIL VII IV 267 VI 268 VII 268 V 269 VI 269 VI 269 IV 271 | VIII 272 273 27% 27% 275 275 275
276
Valeurs moy.
122
—— 1
118 | 549
En étudiant la respiration des Grenouilles aveugles placées à la lumière et dans l'obscurité, j'ai pu répondre à la question de savoir si la peau vient en aide aux yeux dans la transmission de l’action de la lumière sur la dé- composition de la matière animale. Le résultat est consigné dans la dixième table.
SUR LA PRODUCTION DE L'ACIDE CARBONIQUE DES ANIMAUX. 293
Les nombres obtenus dans vingt-six expériences montrent que l’acide carbonique exhalé dans les ténèbres par les Grenouilles aveugles est à celui qu’elles ont produit à la lumière comme :
469 : 542 = 100 : 115.
L'action de la lumière , qui fait augmenter la production de l'acide carbonique , est donc transmise dans l'organisme tout aussi bien par la peau que par les organes de la vision.
Comme je possède quarante et une expériences faites à la lumière sur des Grenouilles aveugles, je les ai divisées en deux tableaux , de manière que le onzième tableau renferme les degrés de la lumière au-dessus de VI, et le douzième ceux au-dessous de V.
Les valeurs moyennes trouvées par le papier photométrique étant de 4,64 à 6,74, celles de l'acide carbonique produit en vingt-quatre heures par 100 grammes de Grenouilles aveugles ont été comme 100 : 123 ; nous retrouvons ainsi pour les Grenouilles aveugles ce qui a été prouvé pour les Grenouilles intactes , savoir : qu'une plus grande production de l’acide carbonique correspond à une intensité plus forte de la lumière.
Nombre Milligrammes d'acide carbonique pour 100 grummes de grenouilles en 24 heures,
Chiffre Nos
des mouvements indiquant l’intensilé Température. de l'expérience, respiratoires de la lumière,
par minule,
a
III 17,50 71
\
2 IV 19,25 95 3 IV 27,80 118 4 IV 22,00 114 5 Y 22,00 141
6 \! 20,00 im
29 J. MOLESCHOTT, — INFLUENCE DE LA LUMIÈRE
Nombre Milligrammes Chiffre d'acide Ne, des mouvements carbonique indiquant l'intensité Température. pour 100 grammes de l'expérience. respiratoires de grenouilles de la lumière. en par minule. 24 heures. 1 YI 16,00 95 587 | 2 VI 17,50 88 462 3 VI 19,25 "14 464 4 VI 22,25 105 520 5 VI 19,00 131 524 6 VI 24,75 136 229 7 VI 516 8 VI 9 VI 10 VI A1 VI 12 VI 13 VI 1% VI 15 VII 16 VII 17 VIT 18 VII 19 VII 20 VII 24 VIII 22 VIII 23 VIII 24 VIII 25 VIII 26 VIII 27 VII Valeurs moy. 6,74 24,20 114 559
— CONCLUSIONS CÉNÉRALES DE CE TRAVAIL.
1° Les Grenouilles, pour les mêmes unités de poids et de temps, exhalent 4 jusqu’à ? d'acide carbonique de plus , lorsqu'elles respirent sous l'influence de la lumière que dans l'obscurité, tant que les degrés de température sont égaux ou ne diffèrent que peu.
2° La production de l'acide carbonique s’accroît, en raison directe, avec l'intensité de la lumière à laquelle les animaux sont exposés.
3° L'influence que la lumière exerce , en augmentant la quantité d’acide carbonique, est transmise en partie par les yeux, en partie par la peau.
DU SULFOCYANURE DE POTASSIUM
CONSIDÉRÉ COMME UN DES ÉLÉMENTS NORMAUX DE LA SALIVE,
Par M, LONGET,
Ce Mémoire est extrait d’un travail plus étendu, qui a pour titre : Etudes expérimentales et critiques sur les divers liquides digestifs de l’économie animale, lravail dont l’auteur se propose de commu- niquer les principaux résultats à l'Académie, avant leur publication dans le second volume de son Traité de physiologie.
L. Treviranus constata, le premier , que la salive peut prendre une teinte rouge quand on la traite par un persel de fer, et spéciale- ment par le perchlorure; d’où il conjectura que cette réaction devait tenir à la présence d’un corps que Winterl appelait acide sanguin, et qu’on reconnut plus tard pour être le même que l’acide prussique sulfuré de Porrett, ou ce qu’on nomme aujourd’hui acide sulfocyanhydrique. Tiedemann et Gmelin ont observé, depuis, qu'en distillant l'extrait alcoolique de la salive desséchée avec de l'acide phosphorique , on obtenait un liquide qui possède la même propriété : mélangé avec du sulfate de fer et du sulfate de cuivre , il produit un précipité blanc, et, après avoir été chauffé avec un mélange de chlorate de potasse et d’acide chlorhydrique, il donne lieu avecles sels de baryte à un précipité de sulfate. La conclusion de ces auteurs est que la salive renferme un sulfocyanure à base d’alcali.
Depuis que ces expériences ont été faites, les auteurs qui ont examiné le point intéressant de l’histoire chimique de la salive, qui fait l'objet de ce Mémoire, sont arrivés à formuler les opinions les plus divergentes.
$" série. Zooz. T. IV. (Cahier n° 4.) 15
296 A. LONGET.
D’après les uns, il faudrait nier, dans tous les cas et d’une manière absolue, la présence d’un pareil sel dans le fluide sali- vaire; suivant d’autres, sa formation résulterait soit d’une alté- ration spontanée de ce fluide, soit des manipulations chimiques elles-mêmes ; pour quelques autres, enfin, son apparition serait purement éventuelle, et dépendrait d’un état particulier du système nerveux : c’est ainsi, par exemple, qu’à la suite d’impressions vives et pénibles, on aurait trouvé ce produit en abondance dans des salives qui auparavant n’en avaient, dit-on, décelé aucune trace.
Rappellerai-je, en passant, que ce sel étant réputé toxique à certaine dose, et ayant été aussi trouvé dans la salive du chien, on en est bientôt venu à supposer que l’exagération de sa production expliquerait les propriétés malfaisantes de certaines salives, et, en particulier , la transmission de la rage par l’inoculation du liquide salivaire des animaux atteints de celte maladie ; qu’ainsi le principe actif du virus rabique pourrait bien n'être autre chose qu’un sulfo- cyanure ? Hypothèse qu'aucune expérience probante ne justifie, et qui, d’ailleurs, est en complète opposition avec les idées admises aujourd'hui sur les virus en général.
IT. Au milieu de toutes ces incertitudes et de tant d'opinions contradictoires, je me suis appliqué, avec quelque persévérance, à vérifier la réaction signalée par Treviranus, réaction à laquelle il me répugnait tout d’abord de donner la signilication qu’on à vu Tiedemann et Gmelin lui accorder, après avoir eu recours , il est vrai, à d’autres caractères chimiques que celui de la simple colo- ration. Aujourd’hui, me fondant sur le résultat général d’un grand nombre d'expériences variées de bien des manières , je n’hésite point à émettre, comme conséquence de mes propres observations, l’assertion suivante :
Le sulfocyanure de potassium, qui, d'après Fopinion la plus généralement admise, n’existerait pas dans la salive de l’homme, mais s’y développerait sous certaines influences fortuites, ou même dent l'apparition serait liée à un état pathologique, doit, au con- traire , ére considéré comme un des principes normauæ, constants et caractéristiques de ce fluide.
DU SULFOCYANURE DE POTASSIUM DANS LA SALIVE. 9297
‘A l'appui de cette assertion, contraire aux opinions les plus récéntes, j'exposerai sommairement més éxpériencés en traçant d’abord quelques règles qui me semblent indispensables à 6bser- vér, quand il s’agit de rechercher ce sulfoéyanure dans la salive humaine, spécialement à l'aide du perchlorure de fer.
Dans chaque essai, pour quatre centimètres cubes de salive re- cueillie dans les conditions les plus variées, j’emploie constam- ment quatre à six gouttes d'une dissolution de perchlorure de fer {contenant 4 parties d’eau pour À partie de ce sel); puis je versé comparativement , dans une pareille quantité d’eau distillée, ce même nombre de goultes du réactif, afin de prouver, une fois pour toutes, qu'avec ces proportions l’eau ne prend jamais qu’une teinte jaune safranée. D'ailleurs, j'avais préalablement constaté que, pour communiquer une teinte très légèrement rougeâtre, mais appréciable, à 4 centimètres cubes d’eau distillée, il faut au moins L centimètre cube (environ 16 gouttes) de la précédente dissolu- tion, qui tache, il est vrai, le papier blanc en jaune, mais qui, vue par transparence et en quantité assez grande, est d’une belle cou- leur rouge. Il n’est donc point indifférent que l’expérimentateur verse, dans la salive qu’il examine, telle ou telle dose de réactif, puisque cette dose étant relativement trop forte , pourrait déjà seule, et par elle-même, sans décomposition aucune, donner à la salive la témte caractéristique de la présence du sulfocyanure ; tandis qu’en procédant, comme je le conseille, l’objection tirée de la couleur même du réactif n’est plus possible. En oùtre, ayant souvent reconnu que les matières déposées par la salive, à l’aide du repos, n’ont pas là moindre influence sur la réaction qui nous occupe, j'ai préféré dès lors faire toujours usage de salive filtrée, afin de rendre plus facile l'examen des colorations comparatives avec l’eau distilée.
Cela posé, quand les recherches portent sur un assez grand nombre de personnes prises au hasard, soit avant, soit après le repas, il devient manifesté qué la propriété rubéfiante de la salive vis-à-vis du perchlorure de fer (en sé conformant aux proportions indiquées plus haut) est loin d’être la même chez ces différents individus, et qué la coloration rouge produit, dans sa dégradation,
228 A. LONGET.
diverses nuances, jusqu’à ce qu’elle devienne parfois si peu sensi- ble, qu’on puisse même la nier, et avec elle nier aussi la présence du sulfocyanure.
Plus loin viendra l’explication de ces derniers cas qui, comme je le prouverai par d’autres expériences directes, ne sont qu’en apparence exceptionnels et opposés à ma manière de voir. Pour l'instant , il m'importe seulement de faire remarquer qu'après des essais maintes fois reproduits , il m'a été possible de déter- miner la teinte que prend le plus communément, avec le per- chlorure de fer, la salive filtrée, teinte que j'appellerai volontiers normale, et que j'ai pu faire renaître à volonté , après bien des tâtonnements , dans les conditions suivantes :
Après avoir versé 6 centigrammes (1 goutte) d’une solution de sulfocyanure de potassium (4 parties d’eau pour 1 partie de sulfo- cyanure) dans 125 grammes d’eau distillée, si l'on prend & grammes de cette eau et qu’on y ajoute la quantité indiquée de perchlorure de fer, aussitôt apparaît la coloration purpurine type. Celle-ci est encore facile à reproduire par la simple addition de deux gouttes de sang à 4 grammes d’eau pure.
Mais il est important de rappeler que l’acétate de soude, qu'on a supposé exister dans la salive humaine , peut aussi donner lieu à une réaction analogue avec le précédent sel ferrique, d’où l’asser- tion de certains auteurs, que l’action rubéfiante du fluide salivaire doit être rapportée, non à la présence d’un sulfocyanure, mais d’un acétate alcalin. C’est encore là une question préalable qu'il faut examiner. Existe-t-il en effet, dans la salive, un acétate de cette nature? Dans aucune des analyses les plus exactes et les plus récentes, il n’est fait mention de la moindre trace de ce sel ; etpourtant, comme on le verra tout à l'heure, il en faut des quan- tités très notables pour obtenir, avec la solution de perchlorure de fer, la teinte purpurine que j'ai appelée normale, et que j'ai prise pour type dans les réactions de ce dernier sel avec la salive. Une confusion de langage, basée sur une simple vue théorique, a causé toute l'erreur à cet égard. « Gmelin et Tiedemann, dit Berze- lius (1), nomment constamment (à propos de la salive) les lactates
(1) Traité de chimie, trad, franç, de Esslinger. Paris, 4833, t. VIL, p. 462.
DU SULFOCYANURE DE POTASSIUM DANS LA SALIVE. 299
alcalins acétates, et fondent cette dénomination sur une conjec- ture émise par moi, que l'acide lactique n’est autre chose que de l'acide acétique combiné avec une matière animale. J'ai effectivement mis cette conjecture en avant; mais je crois que, quand bien même on pourrait la démontrer, il ne serait pas moins inevact d'appeler les lactates acétates, que de nommer les sulfo- vinates sulfales ou les nitroleucates nitrates. » C’est, en effet, d’après Tiedemann et Gmelin que d’autres auteurs ont répété à tort que le fluide salivaire renfermait de l’acétate de soude, au lieu de lactates alcalins qu'il contient réellement. Or, il y a là plus qu’une question de mots. Je me suis assuré qu'avec la solution de perchlorure de fer ces lactates sont absolument impuissants à pro- duire la moindre coloration purpurine, et que d’ailleurs cette même impuissance se retrouve dans les autres substances organi- ques ou inorganiques contenues dans la salive, hormis le sulfo- cyanure, qui fait l’objet de notre étude.
Mais prouvons maintenant que d’après la manière dont l’acétate de soude se comporte relativement au précédent sel ferrique, il ne saurait réellement exister dans la salive sans qu’on dût facilement l'y retrouver par l'analyse; puis je dirai le nouveau caractère qui s’est révélé à mon observation, caractère bien propre à faire admettre que c’est effectivement à un sulfocyanure , et non à un acétate alcalin, que la salive doit son pouvoir rubéfiant en présence du réactif indiqué.
On a vu plus haut quelle minime quantité d’une solution de sulfo- cyanure il fallait verser dans l’eau distillée (4 goutte dans 125 gram- mes d’eau), afin de reproduire, par l’entremise du perchlorure de fer, une teinte rouge semblable à celle que j'ai le plus habituelle- ment observée avec la salive filtrée et le même réactif. Pour obte- nir la même teinte avec ce dernier et l’acétate de soude, il m'a fallu ajouter à la même quantité d’eau distillée (425 grammes ) non plus une goutte, mais huit grammes d’une dissolution d’acétate de soude contenant 4 parties d'eau pour 4 partie de sel (1). Dès lors, n’est-ildonc pas bien évident que si ce sel existait en pareilles
(1) Quant à l'acide acétique pur et concentré , j'ai dû en employer jusqu'à 32 centimètres cubes pour 425 centimètres cubes d'eau distillée, avant d’avoir,
230 A, LONGET. proportions dans la salive, il n’aurait pu échapper aux moyens analytiques même les plus grossiers ?
Mais avec une autre preuve de la non-existence de l’acétate alca- lin, de sa non-intervention pour produire la précédente coloration, en voici une nouvelle en faveur de la présence réelle du sulfocya- nure, et du rôle évident qu’il remplit dans cette réaction.
La preuve dont il s'agit, je la tire des curieuses différences que j'ai observées entre l’acétate de soude et le sulfocyanure de potas- sium relativement à leur manière d’être vis-à-vis du perchlorure de fer. Ainsi : 1° Soient, d’une part, 4 centimètres cubes de salive filtrée , et d'autre part, comme termes de comparaison, 4 grammes d’un liquide provenant de 125 grammes d’eau distillée, auxquels aura été ajoutée, comme plus haut, une goutte de la solution indi- quée de sulfocyanure de potassium; si je verse dans l’un et l’autre liquide quatre à cinq gouttes de perchlorure de fer (solution au quart), il se manifestera aussitôt dans chacun la même teinte pur- purine. 2 Soient encore, d'un autre côté, 4 centimètres cubes de salive filtrée, à laquelle j'ajoute quelques gouttes d’une solution d’acétate de soude , et, d’un autre côté, pour servir de termes de comparaison , 4 grammes d'eau distillée avec une quantité d’acé- tate de soude calculée de manière à avoir, dans les deux cas, exactement la même teinte rouge à l’aide du perchlorure de fer, Cela fait, j'abandonne le tout au contact de l'air et de la lumière : en général, au bout de peu d'heures, et constamment le lendemain de l’expérience, la coloration rouge a disparu dans les deux pre- miers liquides, qui ont pris une leinte jaune safranée , tandis que les deux derniers demeurent indéfiniment rouges.
Ainsi, c’est le propre d’une solution d’acétate de soude, en pré- sence du perchlorure de fer, de conserver sa couleur purpurine et de la faire conserver à la salive elle-même ; mais, au contraire, c’est le caractère d'une solution très étendue de sulfocyanure de potassium , quand on l’a traitée par le perchlorure de fer, de se décolorer bientôt d’une manière complète, et, chose remarquable, c’est justement là aussi le cas de la salive mise dans les mêmes avec le perchlorure de fer, la coloration voulue; au contraire, l'acide lactique est toujours resté sans effet.
DU SULFOCYANURE DE POTASSIUM DANS LA SALIVE. 231
conditions. Ne suis-je donc pas encore plus autorisé, par ces faits que j'ai si souvent constatés, à répéter que, dans ma conviction, l’action rubéfiante du fluide salivaire doit être rapportée non à la présence d’un acélate alcalin, mais d’un sulfocyanure ? Du reste, je crois devoir ajouter qu'il n’est nullement exact de prétendre que la coloration en rouge soit différente avec l’acétate de soude et le sulfocyanure de potassium , qu’ainsi le premier donne une nuance rouillée et le second une nuance purpurine; j'affirme que la colo- ration est sensiblement la même dans les deux cas.
HT. Toutefois la coloration rouge, que prend le liquide salivaire par l'addition de quelques gouttes de perchlorure de fer, ne pouvant constituer une réaction suffisante, aux yeux des chimistes, pour caractériser le sulfocyanure de potassium, et d’ailleurs l'existence même de ce dernier sel ayant été contestée , j'ai cru devoir faire tous mes efforts pour l’isoler complétement d’une masse considé- rable de salive humaine (deux litres et demi) (4).
Voici la marche suivie dans cette analyse :
1° Le liquide a été évaporé à sec au bain-marie. ® Le résidu de l’évaporation a été repris par de l’alcool presque anhydre, c’est- à-dire à 98° centésim. : ainsi ont été obtenues une matière insoluble dans l'alcool et une dissolution alcoolique.
a. La matière insoluble dans l'alcool était formée par un mélange de substance organique azotée et de sels alcalins , etc. : elle a été traitée par l’eau froide, qui a laissé, en grande partie, la substance azotée à l’état insoluble, et qui a opéré la dissolution des sels. Cette liqueur saline et aqueuse, convenablement évaporée, a donné d’abord de très beaux cristaux de phosphate de soude, ensuite du chlorure de sodium, et en dernier lieu du carbonate de soude. Cette séparation par voie de cristallisation a présenté la plus grande netteté.
b. La dissolution alcoolique a été soumise à l’évaporation,
(1) Cette quantité de salive fut fournie, en une demi-heure, par quarante mili- taires à jeun, qui, après avoir rincé leur bouche, mâchèrent, dans le but d'exciter la salivation, des morceaux de caoutchouc préalablement lavé avec soin dans l'eau chaude.
232 A. LONGET.
comme la liqueur aqueuse précédente ; elle a donné , en premier lieu, de nouveaux cristaux de sels alcalins, et il est resté, dans l’eau mère, un sel qui n’a pas cristallisé, mais qui présente tous les caractères d’un sulfocyanure alcalin.
Ne pouvant obtenir ce dernier à l’état cristallin, j'ai voulu au moins le caractériser de la manière la plus positive. Dans ce but, j'ai concentré, dans quelques gouttes de liquide, tout le sulfocya- nure contenu dans deux litres et demi de salive; j'ai obtenu alors une liqueur produisant, avec le perchlorure de fer, la coloration caractéristique d’un rouge de sang ; puis j'ai constaté la présence du soufre, dans le sulfocyanure , en calcinant ce sel avec du nitre.
Ainsi la présence d’un sulfocyanure alcalin dans la salive n’est pas douteuse ; elle caractérise en quelque sorte cette sécrétion : car, en étudiant au même point de vue d’autres liquides de l’économie animale, tels que le fluiäe pancréatique, la sueur , l’urine, les larmes, le liquide cérébro-spinal, le sérum du sang et la sérosité provenant de vésicatoires , il m'a été impossible d’y trouver la moindre trace de sulfocyanure.
Cette preuve étant donnée, et de plus, comme cela résulte de ce Mémoire, aucune autre substance organique ou inorganique contenue dans la salive ne donnant lieu avec le perchlorure de fer à la même réaction que le sulfocyanure, je me suis cru suffisam- ment autorisé à faire usage de ce réactif dans tous les autres essais partiels que j’ai pu reproduire sur plus de cent cinquante individus d'âge et de sexe différents.
IV. J'ai dit plus haut que mes recherches ayant porté sur un assez grand nombre de personnes prises au hasard, soit avant, soit après le repas, il avait été manifeste pour moi que la propriété rubéfiante de la salive, vis-à-vis du perchlorure de fer (en se conformant aux proportions indiquées), était loin d’être la même chez ces différents individus, et que la coloration rouge produisait, dans sa dégrada- tion , diverses nuances, jusqu’à devenir elle même parfois si peu sensible, qu’on aurait pu même la nier, et avec elle nier aussi {a présence du sulfocyanure. Il me reste à prouver, à l’aide d'expé- riences directes que ces derniers cas ne sont qu’en apparence
DU SULFOCYANURE DE-POTASSIUM DANS LA SALIVE. 233
exceptionnels et opposés à mon sentiment, qui consiste à regarder le sulfocyanure comme un des éléments caractéristiques constants de la salive normale. Et d’abord, je dois rappeler que ces exemples se sont offerts à mon observation chez des individus qui venaient de prendre leur repas depuis une ou deux heures, ou chez d’autres qui avaient été artificiellement provoqués à une excrétion salivaire très abondante; or, il en est du fluide salivaire comme des autres fluides sécrétés : plus il y a eu de salive avalée ou rejetée, moins la salive nouvelle contient de principes solides minéraux et organiques relativement à l’eau qui la constitue pour la plus grande part. Par conséquent, la quanlité relative de sulfocyanure dans la salive est nécessairement variable, et, comme elle est déjà très minime pour une quantité déterminée de liquide salivaire, on conçoit que pour peu qu’elle diminue encore, relativement à la masse d’eau , elle puisse cesser d'être appréciable au réactif, surtout si, au lieu de se servir de perchlorure de fer , on veut faire usage , à l'exemple de quelques expérimentateurs, d’un autre persel de fer, du persulfate par exemple (1). Mais cela ne veut pas dire qu'il s'agisse d’une disparition ou d’une absence complète du sulfocyanure, puisque, dansces cas-là même, je réussis constamment à mettre son existence hors de doute.
Il en est du sulfocyanure comme des autres éléments normaux solides de la salive, c’est-à-dire qu’ils peuvent varier suivant cer- taines conditions : bien des fois, par exemple, opérant comparati- vement sur diverses salives, j'ai vu les unes donner un précipité très sensiblement jaune avec le nitrate d’argent, et les autres un précipité blanc ; ce qui tend à prouver que l’un des éléments nor- maux de la salive, sur l'existence duquel tous les chimistes sont d'accord, le phosphate de soude, peutlui-même sensiblement varier de quantité sans pour cela disparaître. Ces sels sont en moindre quantité dans les cas où la salive est très fluide , soit une ou deux
(4) 11 résulte de mes recherches que ce sel est insuffisant. Ainsi, d'après mes observations, tandis que deux gouttes de sulfocyanure de potassium (solution au quart) peuvent être révélées dans un litre d'eau par le perchlorure, il en faut au
moins six à huit gouttes pour que la réaction se produise avec le persulfate de fer.
28h A. LONGET.
heures après le repas , soit lorsque, dans le but de faire des expé- riences, on a déjà provoqué artificiellement l’excrétion d’une quan- tité considérable de salive.
Du reste, on sait que la quantité de sulfocyanure de potassium qu’on a rencontrée dans la salive de l’homme n’a pas été toujours appréciée de la même manière : ‘Jacubowitsch l'estime à 0,006 pour 100; Wright, de 0,056 à 0,098 pour 100; Lehmann, de 0,0046 à 0,0089 pour 100, etc.
Quand j'ai eu affaire à des salives dont les réactions avec le perchlorure de fer étaient incertaines , le procédé , fort simple et bien connu que j'ai mis en usage pour en déceler la présence, a consisté à faire évaporer le liquide salivaire au bain-marie jusqu’à réduction de moitié ou des deux tiers. Depuis que je me suis avisé de procéder de la sorte, je n'ai plus trouvé un seul cas douteux , comme l'avaient été quelques-uns des cas appartenant à mes pre- mières observations (1).
Que ceux qui ont prétendu n’avoir jamais pu réussir à constater la coloration rouge de la salive par le perchlorure de fer emploient le même moyen expérimental , et dès lors ils obtiendront toujours un plein succès.
Une autre particularité de mes expériences est la suivante : Toutes les fois que la réaction avec le perchlorure de fer a été bien manifeste avec la salive mixte ou buccale, elle a eu aussi lieu, avec une égale intensité, avec la salive sous-maxillaire et sublin- guale recueillie sur le plancher buccal, derrière les dents incisives et canines inférieures, de manière à éviter tout mélange avec le mucus de la bouche ou le liquide parotidien. Quant à ce dernier liquide lui-même provenant d’une fistule salivaire chez l’homme , on sait que Van Setten y a trouvé le sulfocyanure de potassium, et je crois devoir rappeler que c'était aussi dans la salive paroti- dienne de la brebis, et non dans la salive mixte prise dans la bouche, que Tiedemann et Gmelin avaient signalé la présence du
(1) 1 est bien important de laisser refroidir le liquide après l'évaporation, car
on sait que le perchlorure de fer, qui teignait d'abord l'eau en jaune, à froid , la colore bientôt en rouge si l’on fait intervenir la chaleur.
DU SULFOCYANURE DE POTASSIUM DANS LA SALIVE. 235
sulfoeyanure de sodium. Aussi ces résultats, unis à ceux que j'ai moi-même obtenus , m’empêchent-ils d'admettre , avec divers auteurs, que, dans les cas où ces sulfocyanures existent, ils se trouvent exclusivement dans la salive buccale, sans jamais se rencontrer dans chacune des sécrétions salivaires prises isolément.
D'ailleurs , j'ai aussi constaté la présence de sulfocyanures alca- lins dans des infusions concentrées et filtrées de glandes salivaires provenant du mouton.
Dans l'espèce humaine, ni l’âge, ni le sexe, ni le régime, ne m'ont paru modifier, en plus ou en moins, la coloration rouge produite par la réaction de la salive avec le perchlorure de fer.
Quant à un état particulier du système nerveux, j'ai étudié cette réaction de la salive, avant, pendant, après des accès violents de migraine ou de névralgies faciales, et je n’ai pu constater Ia moindre différence.
J'ai vu la salive prendre la coloration rouge caractéristique de la présence du sulfocyanure, chez des personnes absolument dé- pourvues de dents depuis plusieurs années. Ce résultat ne s’ac- corde pas avec l'hypothèse que la présence du sulfocyanure dans la salive serait toujours liée à l’état de carie d’une ou de plusieurs dents.
J'ai aussi constaté, de la manière la plus marquée, la propriété rubéfiante de la salive, vis-à-vis du perchlorure de fer, chez beau- coup de personnes qui avaient les dents parfaitement saines. Dans une série de douze individus pris au hasard, d’âge et de sexes dif- férents, dont j'examinai la salive le même jour et au même instant, et que je classai ensuite dans quatre catégories, d’après l'intensité de la couleur rouge de leur fluide salivaire, et, par conséquent, d’après la quantité présumée du sulfocyanure, il se trouva dans la première, un enfant de huit ans et demi, et une femme de trente- six ans, dont les dents examinées avec soin, furent reconnues exemples de toute carie; dans la seconde, une femme âgée de soixante ans , qui, depuis cinq ans, n'avait plus une seule dent ou racine dans sa bouche, un homme de quarante-quatre ans, auquel
236 A. LONGET.
manquaient deux dents, mais dont toutes les autres étaient saines, puis un. jeune homme de dix-huit ans, qui avait un certain nombre de dents cariées; enfin, la quatrième et dernière catégorie, celle dont la coloration était la moins intense, comprenait sept personnes, dont la salive avait donné une coloration sensiblementuniforme, et, parmi elles, se trouvait une femme de soixante-quinze ans, dont les dix dents qui lui restaient étaient malades et déchaussées, et en grande partie sorties des alvéoles. Donc les dents et leur état sain ou morbide n'ont aucune influence sur la production du sulfo- cyanure dans la salive.
Quand on laisse de la salive dont la propriété rubéfiante est fort légère, mais pourtant appréciable, s’altérer spontanément au con- tact de l'air, et qu’on l’examine chaque jour, jusqu’à ce qu’elle exhale une odeur fétide, on ne voit pas que le degré de coloration aille en augmentant. Il reste absolument le même ; preuve que le sulfocyanure ne saurait résulter de l’altération spontanée de la salive.
Il me paraît inutile de réfuter l’opinion qui fait dépendre l’appa- rition du sulfocyanure des modifications chimiques imprimées par l'alcool à la matière salivaire, puisque l'alcool n’a été mis en usage dans aucune de ces expériences.
Dans des cas assez nombreux de pyrosis, j'ai examiné, au point de vue qui m'occupe, le liquide salivaire, alors sécrété en si grande abondance. J'ai toujours constaté aussi la présence du sulfocyanure ; et quand, de prime abord, il m'est arrivé d’avoir quelques doutes à cause de la faiblesse de la coloration , il m’a suffi de concentrer la salive par l’évaporalion au bain-marie, pour y trouver ce sel de la manière la plus incontestable.
Il en a été de même dans trois cas de salivations mercurielles qu’il m'a été donné d'observer.
Conclusions.
1° Le sulfocyanure de potassium existe normalement et constam- ment dans la salive de l’homme.
DU SULFOCYANURE DE POTASSIUM DANS LA SALIVE. 237
2 Il se rencontre non-seulement dans la salive mixte ou buc- cale, mais aussi dans la salive parotidienne et dans les salives sous- maxillaire et sublinguale.
3° Sa présence caractérise , en quelque sorte, la sécrétion sali- vaire ; car la sueur, l'urine, les larmes, le liquide cérébro-spinal, le sérum du sang et la sérosité provenant de vésicatoires, ne m'ont jamais donné aucune trace de sulfocyanure : il en a été de même du fluide pancréatique pris chez le mouton et le bœuf.
le Ce sel existe, dans la salive, en proportions variables , mais toujours très petites. Ces variations ne dépendent ni de l’âge, ni du sexe, ni du régime, ni d'états particuliers du système nerveux, mais seulement du degré de concentration du liquide salivaire.
5 Dans un trop grand état de fluidité de la salive, succédant àune excrétion très abondante, le sulfocyanure peut devenir inappré- ciable à nos réactifs; mais, dans ces cas, il suffit de concentrer ce liquide salivaire par l’évaporation lente, pour obtenir constamment la réaction caractéristique de la présence du sulfocyanure, comme je l’ai observé dans le pyrosis et les salivations mercurielles.
6° L'état sain ou morbide des dents n’a aucune influence sur la présence ou l'abondance de ce produit, que j'ai d’ailleurs retrouvé chez des personnes entièrement dépourvues de ces instruments de mastication.
7 Le sulfocyanure ne résulte pas non plus, comme on l’avait avancé, d'une altération spontanée de ce fluide.
8° Pour l’isoler, comme je l'ai fait, il importe d’analyser de préférence la salive d'individus à jeun.
9% De tous les persels de fer, le perchlorure est le meilleur réactif pour déceler la présence du sulfocyanure dans la salive; il donne à ce liquide, suffisamment concentré, une belle coloration rouge de sang.
10° Aucune autre substance organique ou inorganique, contenue dans la salive, ne donne lieu, avec le perchlorure de fer, à la même réaction que le sulfocyanure : c’est à tort qu’on a rapporté la précé- dente coloration à la présence d’acétates alcalins dans le fluide salivaire.
NOTE
SUR UN NOUVEAU GENRE D’ANNÉLIDE TUBICOLE PERFORANT,
Par M. MARCEL DE SERRES,
Professeur à la Faculté des sciences de Montpellier.
On rencontre sur plusieurs coquilles bivalves , telles que les Tridacna, les Hippopus, la Pinna nigrica, la Modiola papuana. la Perna isognomum et l'Haliotis californiensis, des Annélides qui y vivent en parasites. Ces Annélides se fixent sur les coquilles au moyen des excavations qu'ils pratiquent sur leur surface, et cela plus ou moins horizontalement. Toutefois , lorsqu'ils parviennent à l’âge adulte, ils percent en partie le test des coquilles, sur lequel ils s’implantent plus ou moins profondément. Nous avons donné le nom de perforant à l'espèce qui se distingue par de pareilles habi- tudes ; celle-ci se loge non-seulement dans l'épaisseur du test des coquilles, mais encore dans celui des Serpules (1), particulièrement sur la Serpula parensis de Chenu.
Les Annélides lithophages qui se logent dans l'épaisseur du test des coquilles des Mollusques acéphales ou lamellibranches sont à la fois rapprochés par la forme de leurs tubes des genres des Spi- rorbes et des Serpules. Ils diffèrent de toutes les espèces de ces deux genres avec lesquelles nous avons pu les comparer, en ce que leurs tours discoïdes, saillants, renflés, convexes, ne sont jamais irrégulièrement contournés. Ces tours se montrent chez la plus grande espèce sous la forme d’une spirale orbiculaire prolongée en un tube détaché, dont la largeur augmente sensiblement vers
son extrémité. Quant à la bouche, elle est fermée par un opercule particulier que nous décrirons plus tard.
Il nous a paru nécessaire de donner un nom particulier à à ce genre; nous avons choisi celui de Stoa , dérivé du mot grec ovox,
(*ÿ Les Serpules ne perforent nullement les pierres et les coquilles sur les- quelles elles vivent; elles se bornent à s'y appliquer : aussi, lorsqu'on lés énlève violemment de ces corps, elles y laissent urié partie de leur test.
GENRE D'ANNÉLIDE TUBICOLE PERFORANT. 239
qui signifie galerie. Nous avons voulu rappeler par là les excava- tions profondes que se creusent les espèces de ce genre pour se loger dans l'épaisseur du test des valves des Mollusques. Les espèces dont les formes des tours rappellent celles des Ammonites ou de la Spirula Peront ont été nommées par nous Stoa ammo- nihiformis et Spirulæformis, tandis que celle dont les habitudes perforantes sont plus manifestes , a reçu celui de Stoa perforans.
Les deux espèces de Stoa viventsur plusieurs genres de coquilles acéphales (4). On trouve la première sur les Pinna, les Perna et les Modiola , tandis que nous n'avons guère rencontré jusqu’à présent la Stoa perforans que sur les Tridacna, les Hippopus et les Serpules.
Les Annélides, comme, du reste, les autres Invertébrés perfo- rants, choisissent de préférence les coquilles dont le test épais leur permet de s’y creuser des galeries profondes. C’est probable- ment en raison de cette circonstance que l’on trouve presque uniquement la Stoa perforans sur les coquilles de la famille des Tridacnées, dont les coquilles sont extrêmement solides.
Nous voudrions pouvoir ajouter aux caractères pris dans la forme, et les dispositions des tours ou celles de la bouche, les données qu’auraient pu nous fournir les animaux qui les habitent ; mais nous n'avons pas encore les moyens de les observer. Nous ne pouvons donc les établir que sur leurs demeures.
Voici les particularités qu’elles présentent :
Tube testacé contourné en spirales orbiculaire et irrégulière , d’une forme discoïde , renflée et convexe ; dernier tour détaché du premier , et se prolongeant parfois en un tube droit; ouverture ovalaire, terminée par un opercule solide, calcaire, conique et sur- chargé.
Les Stoa ne peuvent être confondus qu’avecles genres Spirorbe, Serpule, Vermilie et Galéolaire, et surtout avec le premier, quoique celui-ci ait les plus grands rapports avec les Stoa. 11 en diffère cependant; en effet, les Spirorbes vivent appliqués à la surface des
(1) La Faculté des sciences de Montpellier possède dans ses collections uñ Tridacna gigas, sur lequel plusieurs individus du genre Sloa ont pratiqué des
galeries remarquables par leur profondeur. 1 2
210 MARCEL DE SERRES.
pierres et des fucus, tandis que les Stoa creusent des galeries dans l'épaisseur du test des coquilles ou des tubes calcaires sur lesquels ils habitent.
Quant aux Serpules, aux Vermilies et aux Galéolaires, on n’a qu’à lire les phrases caractéristiques employées par Lamarck pour distin- guer ces différents genres, on y verra que les Serpules sont simplement fixées sur les corps où elles vivent; qu’elles ne les creusent pas , et que les tubes dans lesquels elles se logent sont irrégulièrement contournés, ce qui les éloigne complétement du genre Stoa. Les mêmes différences existent encore entre les Stoa et les genres Vermilie et Galéolaire.
Il se pourrait toutefois que les espèces fossiles décrites parChenu, dans ses Zllustrations conchyliologiques(A), sousles noms de Spiror- bis disjuncta et striata, eussent quelques rapports avec les Stoa spi- rulæformis et perforans. Les premières , outre qu’elles n'ont été rencontrées qu'à l’état fossile, différent essentiellement des espèces vivantes par leurs petites dimensions ; enfin en ce qu’elles sont uniquement fixées sur les coquilles où on les observe, sans y avoir creusé la moindre cavité pour s’y loger. En résumé, les espèces vivantes et fossiles , décrites et figurées par Chenu comme des Spirorbes, quoique plusieurs d’entre elles semblent au premier aperçu se rapprocher des S4oa, ne sont en réalité que des espèces du premier genre.
Il serait possible encore que la Vermulia subcrenata de Lamarck (t. V, p. 870, n° 5) appartint au genre des Stoa ; car cette espèce se creuse un lit sur un sillon profond dans le test des coquilles où elle habite, et particulièrement sur le Spondyle mutique. D'un autre côté, la Vermilia rostrata de Lamarck paraît être une espèce perforante, car elle s'enfonce dans l'épaisseur des polypiers pier- reux du genre des Porites.
1° Stoa ammonitiformis. — Coquille discoïde , à tours continus et arrondis, diffère de la Stoa spirulæformis, en ce que les derniers
tours ne se détachent jamais des premiers , et qu'ils sont fortement striés.
(1) Pages 3 et 4, et planche int, figures 20 et 24.
GENRE D'ANNÉLIDE TUBICOLE PERFORANT. 2h1
Grand diamètre , 0,020 à 0",0921; petit diamètre, 0",016 à 0,047.
2° Stoa spirulæformis.— Cette espèce est caractérisée par le der- nier tour détaché des premiers, qui se prolonge dans l’âge adulte enun tube légèrement recourbé, bien au delà de la spire orbicu- laire formée par l'ensemble de ces mêmes tours. Cette disposition rappelle en quelque sorte celle des Spirules, dont le dernier tour est également séparé des premiers. Seulement les Spirules con- servent plus complétement la forme circulaire que l'espèce de Stoa que nous lui comparons.
Les dimensions de la Stoa spirulæformis sont plus du double de celles de la Stoa perforans, la troisième espèce de genre qui nous est connue. Ces dimensions sont de 0",026 à 0",028.
3 Stoa perforans. — Cette espèce, à tube court, à spirale raccourcie, dont le dernier tour est surle même plan que le second, présente dans son ensemble une forme à peu près discoïde. L'ou- verture de la bouche ample, arrondie, est analogue à celle des Cyelostomes, -— Ses dimensions dépassent peu 0",010 à 0",012.
Nous ne connaissons que l’opercule de cette espèce qui est
arrondi, et formé par de très petites bandes circulaires presque subspirales. Cet opereule solide, calcaire, concave en dehors, est convexe et conique en dedans. Son diamètre est d'environ 2 à 3 millimètres. & all est probable que l'opercule des Stoa, quoiqu'il ne soit pas corné comme celui des Serpules et des Spirorbes, est néanmoins pédicellé comme les opercules de ces deux genres qui appartien- nent à la même famille ; mais ne connaissant pas l'animal des St0a, nous n'oserions l’affirmer, malgré sa forme conique.
Nous n’avons pas jusqu’à présent observé des Stoa vivant en parasites sur les coquilles de l'océan d'Europe , ni de la Méditer- ranée. Néanmoins nous en avons vu sur des coquilles qui appar- tiennent à diverses parties de l'Océan , et même à des mers inté- rieures, autres que la Méditerranée. Telles sont celles qui vivent sur les T'ridacna, genre propre aux mers des Indes et à la mer Rouge. Nous avons vu les deux espèces de Stoa logées dans l'intérieur du test des Tridacna gigas et squamosa.
4° série. Zooz, T, IV. (Cahier n° 4.) 4 16
242 MARCEL DE SERRES.
La Stoa spirulæformis a été rencontrée sur la Pinna nigrina, coquille décrite par Lamarck comme de la mer des Indes, tandis que nous l'avons reçue de l’île de Zanzibar, des mers d'Afrique. Quant à la Stoa spirulæformis, elle paraît habiter sur les valves de quel- ques Modioles de l’océan Atlantique boréal, ainsi que des côtes de l'Amérique septentrionale. On trouve enfin la Stoa ammonitiformis sur les valves de la Perna isognomum, coquille bivalve des mers des Indes , d’après Lamarck. Nous n'avons pas une grande con- fiance dans cette désignation du célèbre zoologiste français, d’au- tant qu'elle parait avoir été appliquée à toutes les coquilles exo- tiques dont l’habitation était douteuse (4).
Le genre Stoa, autant que l’on peut en juger par la forme de ses tubes calcaires, paraît appartenir à la classe des Articulés et à l’ordre des Annélides sédentaires tubicoles. Cet ordre est principalement caractérisé par le genre dés Serpules, qui offre cette particularité remarquable d’avoir paru dès que la vie s’est manifestée sur la terre, d’avoir traversé l’entière série des formations, enfin d’être arrivé jusqu'aux temps actuels , où ses espèces se rencontrent en assez grand nombre dans presque toutes les mers.
Depuis que nous avons étendu le nombre des invertébrés marins perforants, nous avons cherché à nous assurer si les espèces terrestres et fluviatiles de cet embranchement n'auraient pas les mêmes habitudes. Au lieu d’en augmenter le nombre, nous l'avons restreint, du moins pour les derniers. Nous croyons, en effet, avoir démontré que le genre Æelixæ , dans lequel on avait supposé des habitudes perforantes à plusieurs espèces, se logent bien, dans la rude saison, dans les fentes ou les creux des rochers, mais ne les creusent jamais pour y passer leur vie. Quant aux Invertébrés fluviatiles, nous n’en connaissons aucun qui ait des mœurs lifho- phages, en sorte qu’elles semblent bornées jusqu’à présent à des espèces marines de différentes classes.
(1) Nous venons enfin de découvrir la même espèce, c'est-à-dire la Stoa ammo- niliformis sur l'Haliotis californiensis. Cette observation nous a paru d'autant plus intéressante, que c'est le seul exemple qui nous soit encore connu de Stoa vivant en parasite sur une coquille d'un Mollusque gastéropode. Cette Stoa n'était pas en-
croûtée comme toutes celles que nous avions précédemment observées ; nous nous sommes assuré que le test de cette espèce était fortement strié.
SO +
GENRE D'ANNÉLIDE TUBICOLE PERFORANT. 213
Ce fait est encore pour nous un objet de surprise et d’étonne- ment, depuis que l'on a découvert parmi les Mollusques aggluti- nants des espèces terrestres qui offrent les mêmes particularités que les rochus agglutinerus, œdificans et conchiliferus (4). Le gere ÆHehæ a fourni cet exemple jusqu'à présent unique. On a nommé Æelix agglutinans \ espèce qui, à l’aide de sa base, réunit un certain nombre de petites pierres dont elle entoure sa coquille. Rencontrée par A. Cuming dans les iles Philippines, elle a été décrite par M. Sowerby, d'après les individus qui lui avaient été fournis par cet infatigable conchyliologiste.
EXPLICATION DES FIGURES. PLANCHE 8 C.
Fig. 4. Stoa spirulæformis dans l'âge adulte, lorsque le dernier tour est com- plétement séparé des premiers ; de grandeur naturelle.
Fig. . Sloû ammonitiformis dans l'âge adulte, de grandeur naturelle.
Fig. 3. Opercule de la Stoa perforans grossi du tiers, et vu en dessus ou du côté qui correspond à l'ouverture du tube de celte espèce,
Fig. #. Opercule vu par-dessous et par côté, grossi de plus du tiers.
Fig. 5. Stoa perforans dans le jeune âge, et fixé sur une valve de Tridacna.
Fig 6: Stoa perforans dans l’âge adulte , et détaché de la coquille dans laquelle il s'était logé; de grandeur naturelle,
Fig. 7. Opercule de la Serpula pannmensis vu en dessus.
Fig. 8. Opercule de la niême espèce vu par côté afin de faire juger de son apla- tissement, Ces deux opercules ont été représentés de grandeur naturelle,
(1) M. Rew a créé uh nouveau geure pour les Trochus qui agglutinent des coquilles où de petites pierres autour de leur coquille. I lui a donné le nom de phorus, expression dérivée du verbe grec wéw, qui signifie porter.
DEUXIÈME NOTE
SUR LES SPERMATOPHORES DU GRYLLUS SYLVESTRIS,
Par M. LESPÉS.
Lorsque j'ai étudié les spermatophores du Grillon champêtre et de son congénère des maisons (1), j'avais inutilement cherché des mâles adultes d’une espèce très commune aux environs de Paris : le Gryllus sylvestris. À celte époque, je n’avais pu trouver que des larves et un petit nombre de nymphes. Plus heureux aujourd’hui, je puis donner le résultat de mes dissections sur cette petite espèce.
C’est avec une vive satisfaction que j'ai observé chez cet insecte des faits analogues à ceux que m'’avaient offerts ses congénères. Sauf des détails de forme et de volume, tout est semblable : le spermatophore est plus petit, plus fragile , mais il est composé de même; l'armure génitale présente les mêmes pièces, mais elles diffèrent beaucoup pour la forme de ce que les deux autres espèces m’avaient offert. Je ne doute pas que des recherches analogues sur tous les Grilloniens ne fournissent les mêmes résultats.
Le spermatophore du Grillon des bois est blanc, transparent, et extrêmement fragile. Il est fort difficile de l'obtenir bien entier. Comme celui des deux autres espèces, il se compose d’une ampoule et d’une lamelle. L’ampoule (2) est presque régulièrement sphé- rique; ses parois sont fort épaisses. La lamelle (3) est si étroite, qu'on l’aperçoil à peine comme un repli membraneux longitudinal du tube médian ; celui-ci est, au contraire, très facile à voir, et contient un filet corné comme dans les deux espèces que j'avais déjà examinées (4).
Aïnsi que l’on peut le voir, cet appareil rappelle par sa compo-
(1) Voyez t. III, p. 365.
(2) PL. 8 B, fig. 4 a.
(3) Fig. 1 c.
(4) Fig. 1 d.
SPERMATOPHORES DU GRYLLUS SYLVESTRIS. 245
sition ee que j'ai décrit dans les Gryllus campestris et domestieus ; il en diffère seulement par des détails de forme et par son volume, en rapport avec la petite taille de l’insecte; il est long environ de 2 millimètres.
Je n’ai pas observé l’accouplement de celte espèce ; mais j'ai vu des femelles portant le petit appareil à l’ouverture vulvaire. Après un emps assez court, elles l'ont laissé tomber.
L'armure génitale mâle du Grillon des bois présente au premier coup d'œil une complication extrême, et, comme son volume est peu considérable , il m’a été nécessaire de l’examiner avec grand soin pour m'en faire une idée exacte.
Les deux épimérites (4) soudés sur la ligne médiane en forment la plus grande partie; ils se recourbent en dessous pour constituer une sorte de gorgeret ouvert; à leur extrémité libre, ils portent les tergo-rabdites (2) sous forme de crochets gros, courts, mais plus solides.
Les épisternites (3), presque triangulaires , se surallongent en une pointe très peu dure qui suit le bord du sternite. Ce dernier (4) se compose d’une portion cornée très solide, et d’une lame extrémement mince el facile à déchirer. Les sterno-rabdites (5) sont représentés par deux filets cornés fort longs.
Ainsi qu'on devait le penser, cette organisation rappelle dans ses parties principales ce que l’on trouve dans les deux espèces qui ont fait le sujet de mes premières observations; mais les différences de forme sont, il faut l'avouer, extrêmement considérables.
L'appareil génital mâle ne présente dans sa portion interne rien de remarquable ; toutefois je dois signaler deux glandes (6) situées à droite et à gauche du canäl éjaculateur vers sa partie terminale, et qui s'ouvrent dans ce canal par un conduit très court. Ces mêmes glandes sont fort développées chez les Locustides.
(1) Fig. 2 aa, et fig. 3 a.
(2) Fig. 2 dd, et Gg. 3 d.
(3) Fig. 2 cc, etfig.3 c.
(4) Fig. 2h,etfig. 3h,1,m. (5) Fig. 2ee, et fig. 3e.
(6) Fig. 3 i.
246 LESPÉS.
Les palettes qui soutiennent l’ampoule du spermatophore ne présentent non plus rien d’exceptionnel, de sorte que j'ai cru utile de lesdessiner. Elles ne sont pas portées par un stylet corné dépen: dant de l’épimérile, ainsi que je l’avais observé dans les Gryllus campestris et domesticus. Quand un spermatophore a été produit, et qu'il a pris place entre ces palettes, il ne peut être convert par la plaque dorsale (décato-tergite) qui est assez peu développée, de sorte qu'on le voit sous forme d’une papille ronde à Pextrémité de l'abdomen.
Développement des zoospermes dans le Grillon domestique.
Les zoospermes des Gryllus campestris el domesticus sont tou- jours immobiles dans le spermatophore , de même que. dans les diverses parties de lappareil génital mâle ; j'ai pensé qu'il serait utile de suivre leur développement, et d'examiner ce qu'ils devien- nent dans les organes de la femelle.
M. L. Dufour a décrit l'appareil mâle des Grillons dans son travail sur l’AÆnatomie des Orthoptères. J'ai été assez heureux pour constater la parfaite exactitude de ses descriptions.
Le testicule se présente sous la forme d’une grosse masse ova- laire ; mais si l’on enlève la membrane qui l'enveloppe, les eapsules spermifiques sont très visibles. Chaque glande renferme environ une centaine de ces parties, qu'il est facile d'isoler, mais dont on ne peut guère suivre le canal exeréteur, à cause de son extrême ténuité.
La capsule est longue d'environ 2°%,5 ; dans sa plus grande lar- geur elle a 0"%,5; sa forme est celle d’un fuseau assez court, Arrondie à son extrémité libre, elle se‘termine à l’autre par le eanal excréleur.
Les conduits desdiverses capsules d’un même testicule se réunis- sent pour former le canal déférent. Ce dernier est d’abord fort grêle; dirigé d'avant en arrière dans sa prémière partie, il se recourbe vers le septième anneau de l'abdomen, et, après avoir beaucoup augmenté de volume, s’enroule en spirale (épididyme de M. L. Dufour), et vient sur la ligne médiane se réunir à celui de l'autre côté pour constituer le canal éjaculateur.
SPERMATOPHORES DU GRYELUS SYLVESTRIS. 247
Au point où les deux conduits se confondent, on trouve un grand nombre de cæcums (vésicules séminales de M. L. Dufour) qui for- ment deux masses volumineuses fort difficiles à débrouiller.
Le canal éjaculateur sort de ce lacis, et se termine , ainsi queje Vai déjà dit ailleurs, à l'extrémité du sternite de l’armure.
Tout cet appareil ne renferme pas du sperme; je n’en ai trouvé que dans les capsules du testicule et dans le canal déférent, surtout dans sa partie élargie et contournée. Jamais je n’en ai vu dans les cæcums qui entourent l’origine du canal éjaculateur, et c'est à peme si j'en ai trouvé des traces dans ce dernier.
Je n'ai pas besoin de dire que le spermatophore en est rempli.
Chez la femelle, on ne trouve du sperme que dans la vésieule copulatrice : c’est une poche réniforme qui communique par un tube (rès étroit avee un vagin très court, dans lequel débouchent les deux oviductes.
Si l’on examine une capsule spermifique avec un grossissement suffisant, on peut suivre en quelque sorte dans son intérieur le développement des zoospermes ; mais pour le bien voir, il vaut mieux la couper en cinq ousix parties dont on examine le contenu.
Vers l'extrémité libre, dans sa partie rétrécie, la capsule ne con- tient que des cellules qui semblent se détacher de sa paroi : elles sont assez irrégulièrement arrondies, peu transparentes , et con- tiennent une masse d'apparence granuleuse.
Un peu plus bas, et vers le point où la capsule se renfle, on retrouve ces cellules ; mais sur leur surface se montrent des tuber. cules qui tendent à se rétrécir de plus en plus à leur base, de sorte que bientôt ils sont portés par un pédicule très grêle. En même temps, les cellules, dont les bords étaient nettement dessinés, deviennent diffluentes, et se déchirent en un nombre de fragments ordinairement égal à celui des tubercules ; de sorte que l’on voit dans le liquide des filaments très fms et assez courts, terminés à chaque extrémité par une petite masse : l’une ovalaire et bien nette, c’est le tubereule qui va devenir la tête d’un zoosperme ; l'autre diffluente, c'est un débris de la cellule mère,
Plus bas encore, le développement des zoospermes est plus avancé ; leur tête s'allonge ainsi que le filament qui les termine, et
218 LESPÉS.
le plus souvent le fragment de cellule mère se dissout en entier. On trouve pourtant quelques-uns de ces fragments adhérents à l'extrémité caudale, même beaucoup plus bas, mais c’est une exception.
Enfin dans la moitié inférieure de la capsule, de même que dans le canal déférent et dans la vésicule du spermatophore , les zoospermes apparaissent sous la forme de filaments , longs d’envi- ron 0"*,4, composés d’une sorte de tête en ovale fort allongé et d’une queue filiforme. Ces filaments sontdroits, roides etimmobiles , mais avec eux se trouvent en grand nombre de petits corps ronds, dont les plus gros ont environ 0"”,004 de diamètre, et dont les plus petits sont à peine visibles avec les plus forts grossissements ; ces petits corps sont doués d’un mouvement brownien des plus vifs.
Si l’on examine le contenu de la vésicule copulatrice d’une femelle jeune, quand cette poche contient peu de sperme, et si l'on délaie ce liquide dans l’eau, on peut facilement y apercevoir des filaments blancs fort longs, et dont la largeur est d'environ 0"",1. Ces filaments sont immobiles; examinés au microscope, ils parais- sent composés d'un nombre très considérable de zoospermes irré- gulièrement disposés.
Il est, du reste, facile non-seulement de se rendre compte de leur formation , mais même de l’observer directement : il suffit de mettre dans l’eau un spermatophore que lon vient d'enlever à un mâle ; on voit le sperme s'écouler par l'extrémité de la lamelle, et conserver à sa sortie la forme d’un filament semblable à ceux que l'on trouve dans la vésicule copulatrice des femelles.
Si l’on examine la liqueur fécondante dans une vieille femelle , quand les œufs sont fort avancés en développement, en outre, des cordons, on trouve des zoospermes isolés, provenant, sans doute, des cordons qui se sont désagrégés. Ces zoospermes sont un peu plus courts que ceux des faisceaux; ils n’ont que 0°*,08 de long, et c’est le filament caudal seul qui est raccourci. Ce filament est alors doué de mouvements très rapides, et le zoosperme nage dans le liquide. Quant aux corpuscules ronds qui se mouvaient si vive- ment lorsque les zoospermes étaient immobiles, ils sont à leur tour privés de tout mouvement,
SPERMATOPHORES DU GRYLLUS SYLVESTRIS. 2h49
Il est probable que les zoospermes mobiles sont seuls capables de féconder les œufs; du moins, j'ai toujours vu leur existence coïncider avec celle d'œufs développés. Sous l'influence de l'eau, les zoospermes immobiles prennent très vite la forme d’une boucle, ceux qui sont mobiles résistent plus longtemps.
Les faits que je viens d'exposer sont analogues à ceux que M. Gratiolet a observés chez les Hélices; le zoosperme toutefois change moins de forme chez le Grillon que dans ces Mollusques.
J'espère que je pourrai au printemps prochain suivre le déve- loppement des zoospermes du Grillon champêtre, et qu’il me sera possible de décrire les spermatophores de quelques autres espèces.
EXPLICATION DES FIGURES. PLANCHE 8 B.
Fig. 4. Spermatophore du Grillon des bois vu de profil : a, vésicule qui ne pré- sente pas de papille postérieure ; c, lamelle avec deux parties plus dévelop- pées qui représentent les deux crochets e et [; d, filet corné.
Fig. 2. Armure génitale du même vue par derrière ; a a, les deux épimérites ; ce, les deux épisternites ; dd, les tergo-rabdites ; ce, sterno-rabdites : h, partie dure du sternite.
Fig. 3. Armure génitale vue de profil, pour montrer la disposition de la lame qui sécrète le spermatophore, l'épimérite du côté gauche ainsi que le tergo-rab- dite, l'épisternite et le sterno-rabdite du même côté : a, épimérite droit ; c, épisternite ; d, tergo-rabdite; e, sterno-rabdite du même côté; h, partie dure du sternite qui se dilate pour former la lame /,m: gg, canal éjaculateur ; î, glande dont le conduit s'ouvre dans ce canal.
OBSERVATIONS HISTOLOGIQUES SUR LE GRAND SYMPATHIQUE DE LA SANGSUE MÉDICINALE, Par M. Ernest FASVRE.
Les beaux travaux de Swarmmerdam, Lyonnet, Müller, Trevi- ranus, Strauss, Audouin et Milne Edwards, Nordmann, Newport, Krobn, ele. ,avaientdéjà attiré l'attention des naturalistes sur le sys- tème nerveux stomalo-gastrique des Invertébrés, lorsque Brandt,
250 ERNEST FAIVRE. — OBSERVATIONS
reprenant habilement les recherches de ses prédécesseurs, vint coordonner et étendre leurs observations. Dans ses intéressants mémoires, il fit connaitre avec détail, et sur un certain nombre d'espèces, l'organisation du stomato-gastrique chezles Insectes, les Crustacés, les Myriapodes et les Annélides. A ce dernier groupe appartient la Sangsue médicinale, chez laquelle on n'avait jamais signalé l'existence d'un systèmenerveux spécial analogue au système gastrique. Les recherches de Brandt lui démontrèrent quelques traces de ce système : il mit en évidence trois ganglions cérébroïdes qui partent du cerveau dela Sangsue, et il crut devoir rattacher le médian au système pair et les deux latéraux au système impair, I découvrit, en outre, un nerf médian situé au milieu de la partie ventrale de l'estomac, et qu'il crut l’analogue du récurrent des insectes ; mais il ne vit plus clairement, dit-il, la connexion de ce filet avec le ganglion médian antérieur (1).
Plusieurs observateurs, depuis Brandt, ont repris l'étude du stomato-gastrique de la Sangsue ; aucun, à notre connaissance, n’a retrouvé le nerf que Brandt avait décrit : Charles Bruch n’en fait aucune mention dans son fravail (2); M. Moquin-Tandon nous dit, dans sa Monographie des Hirudinées , qu'il Va cherché en vain ; M. de Quatrefages, si habile cependant dans ces sortes de recherches, n’a pas été plus heureux (3).
Nous-même, après tant d’autres, nous avons été conduit à chercher le nerf récurrent de Brandt, et, chose vraiment singu- lière, tandis que nos recherches échouaient sur ce point, elles nous conduisaient en même temps, et comme par une sorte de com- pensation , à une découverte tout à fait inattendue , la découverte d’un système de nerfs entièrement propres à l'estomac.
Nous nous proposons dans ce travail de faire connaître avec détail ce réseau nerveux, qui avait jusqu'ici échappé à l'attention
(1) Voyez le travail de Brandt sur le stomato-gastrique, publié dans les Ann. des sc. nat., 2° série, tome V.
(2) Voyez Journal de Siebold et de Külliker, 1848-49. Ch. Bruch, Recherches sur les nerfs de la Sangsue.
(3) De Quatrefages, Études sur le système nerveux des Sangsues et des Lombrics (Ann. des sc, nat., 1852),
SUR LE GRAND SYMPATHIQUE DE LA SANGSUE MÉDICINALE. 251
des observateurs ; nous sommes porté à croire que notre décou- verte, si minime qu'elle puisse paraître, est appelée à jeter quel- que jour sur les grandes questions histologiques et physiologiques que soulève le système nerveux.
Si, par une vaste incision antéro-postérieure de la région dorsale de la Sangsue , on vient à ouvrir l'animal et à l’étaler sous l'eau , on aura sous les yeux la paroi ventrale de l'estomac , membrane très mince, recouvrant comme un voile toute l'étendue du cordon nerveux : c’est dans cette membrane qu'il faut chercher les nerfs dont nous parlons, Après avoir complétement vidé les poches laté- rales du sang qu'elles contiennent, on presse fortement avec la pulpe du doigt, où mieux on racle avee le manche d'un scalpel la face interne de la membrane gastrique; on enlève ainsi une sorte de couche pulpeuse, qui parait, au microscope , constituée par des globules graisseux très petits et très abondants, et qui est toujours un obstacle à l'observation nette et facile du réseau des nerfs.
Cette petite opération effectuée, on détache avec une pince un fragment de la membrane de l'estomac dans le point à exami- ner, et on la soumet à un grossissement de 300 à 506 dia- mètres ; on distingue alors les détails suivants. Une membrane anhisle fait le fond de la préparation , et sur cette membrane se dessinent des plexus vasculaires très curieux à étudier. Ces plexus se composent de gros troncs vasculairesinégaux en volume, placés souvent parallèlement les uns aux autres, plutôt noueux que régu- lièrement cylindriques; leur volume est considérable, surtout aux points de leurs renflements ; ils donnent des branches d’un très petit diamètre, qui vont s’anastomoser avec d’autres canaux pour former un plexus d’une netteté extrême, et dont on peut , à l’aide de la glycérine, obtenir des préparations trés élégantes , surtout lorsque les canaux vasculaires sont remplis de liquide sanguin.
Outre ces canaux qui mériteraient une étude spéciale, on ren- contre encore, en éxarninant la paroi de l'estomac, un grand nombre de fibres très fines de tissu conjonctif et quelques fibres museu- laires accessoires.
Les réseaux de tubes ét de cellules nerveuses se répandent à la surface des lacis vasculaires, avec lesquels ils paraissent avoir des
252 ERNEST FAIVRE. — OBSERVATIONS
rapports d’une certaine constance , rapports qui ne nous sont pas encore connus.
En dernière analyse, comme il est facile de s’en convaincre par des examens portant sur toute l'étendue de la paroi stomacale,, celte paroi est essentiellement formée par un nombre énorme de canaux qui jouent, sans doute, le rôle de vaisseaux absorbants. Au milieu des éléments que nous venons de décrire, on peut reconnaitre, avons-nous dit, des fragments de réseaux gastriques; ces réseaux se composent de cellules donnant naissance à des tubes isolés, longs et tortueux, se rendant dans d’autres tubes et dans d’autres cellules.
Nous n’avons pas rencontré ces réseaux indifféremment sur tout l'estomac ; la membrane inférieure semble en être spéciale- ment lapissée, quoiqu'elle le soit inégalement dans ses diverses parties. En effet, les nerfs sont plus abonidants dans la zone médiane que dans les zones latérales ; ils nous ont semblé moins nombreux à la surface des loges latérales ; ils existent très nettement depuis l'orifice œsophagien jusqu’à l'insertion de l'intestin, c’est-à-dire sur cette énorme paroi de l'estomac qui représente plus des quatre cinquièmes de la longueur de l'animal.
Nous n’en avons jamais rencontré ni sur l'intestin très court qui fait suite à l'estomac, ni sur les deux poches latérales qui, de chaque côté, prolongent l'estomac. Ces deux appendices ont cependant la même structure que l'estomac lui-même.
L'œsophage très court de la Sangsue renferme-t-il des nerfs de la vie organique ? Cette question est d'autant plus intéressante que, comme on le sait, chez la plupart des Invertébrés, il y a des plexus pharyngiens et æsophagiens supérieurs.
Les plus minutieuses recherches ne nous ont fait découvrir ni en avant, ni en arrière de l’æsophage, aucun plexus qui püt rappe- ler celui du Lombrie, par exemple; il y a plus, au sein des fibres musculaires qui forment le tissu resistant et contractile de l’œso- phage, nous n'avons jamais pu, malgré nos efforts, distinguer les cellules nerveuses si visibles sur la tunique de l'estomac.
Nous avons fait connaitre la situation des réseaux nerveux; il s'agit maintepant d'en préciser les caractères histologiques.
SUR LE GRAND SYMPATHIQUE DE LA SANGSUE MÉDICINALE. 953
Éléments. — Les éléments qui entrent dans les réseaux ou dans les cordons sont au nombre de deux, les cellules et les tubes.
Cellules. — Elles ont une forme généralement sphérique ou ovoïdale ; nous en avons représenté cependant qui sont comme fusiformes, d’autres sont plus ou moins irrégulières.
Les volumes sont extrêmement variables : nous en avons mesuré detrès grosses qui ont en longueur 0"",06, et en largeur 0"*,05; d’autres, plus petites, n’ont que 0"",03 ou même 0°",02.
Leur aspect , leur consistance, leur coloration générale, rap- pellent immédiatement les caractères analogues des cellules ner- veuses de la vie animale.
Les cellules se composent d’une membrane extérieure et d’un contenu. La membrane extérieure est très mince, sans structure apparente ; elle a néanmoins une résistance notable. L'acide acétique et l’acide nitrique étendus la font pâlir sans la rompre; l'acide chromique en augmente la consistance d’une manière remarquable; la potasse caustique la fait disparaître; la glycé- rine, sans la détruire, la rend d’une transparence extrême, et la rétracte sensiblement.
Dans le contenu de la cellule, on distingue facilement un noyau et une matière d'apparence graisseuse.
Le noyau existe presque toujours ; son volume varie un peu avec celui de la cellule: il est en moyenne de 0"",007 à 0®®,008 ; généralement il est arrondi avec une ligne de contours d’apparence graisseuse. On y trouve quelquefois un nucléole; nous croyons avoir vu deux noyaux dans certaines cellules.
La matière d'apparence graisseuse est celle même qui forme ce mystérieux contenu des cellules et des tubes nerveux.
Ici elle parait offrir deux formes : tantôt la forme grenue très fine, qui est loin d’être la plus fréquente ; tantôt l'aspect de guttules graisseuses irrégulières, variables en volume, mal dessinées et sans ordre apparent. Nous ne saurions préciser ni la cause, ni les circonstances qui expliquent cet état; quoi qu’il en soit, il nous a toujours paru plus marqué dans les cellules de la vie organique que dans celles de la vie animale. Les acides acétique, chromique, nitrique , étendus, donnent au contenu une couleur foncée; la
954 ERNEST FAIVRE. — OBSERVATIONS potasse expulse ce contenu et le dissout ; la glycérine le fait pâlir à la longue, ete.
Le suc gastrique, laissé pendant trois heures en contact avécles cellules, ne sépare pas l'enveloppe du contenu, comme cela à si manifestement lieu dans les eellules de la vie animale : c’est un bon caractère différentiel. Nous devons noter ici que parfois la sépara- tion dont il s’agit se trouve faite naturellement.
Tubes. — Hs offrent deux aspects : tantôt régulièrement cylin- driques , tantôt noueux, légèrement moniliformes, rappelant cette apparence si caractéristique des tubes nerveux cérébraux des Mammifères. Ce dernier aspect, qui n’est pas le plus commun, paraît devoir être un résultat de la préparation ; la longueur de ces tubes est quelquefois si considérable, qu'ils mesurent deux ou trois fois le champ du microscope.
Leur coloration, leur consistance, sont les mêmes que celles des cellules.
Leur volume est très variable ; c’est un point sur lequel nous nous plaisons particulièrement à insister. Les plus larges que nous ayons mesurés ont 0"",010, ils sont déjà rares; on les trouve dans les parties que nous désignons plus loin sous le nom dé cordons. Les tubes de deuxième ordre ont 0"",007 à 0*,008 ; ils forment les grandes mailles des réseaux. Enfin ceux de troisième ôrdre ont de 0"",002 à 0"",003: ils servent de communications secondaires entre les mailles. Nous devons faire observer aussi qu'un même tube peut changer de diamètre dans son trajet : ce tube se com- pose d’une paroi et d’un contenu.
La paroi n'est pas, que nous sachions, différente de celle des cellules; elle a aussi une résistance propre et une grande souplesse : car, dans nos préparations , il nous est arrivé de voir les tubes former artificiellement des ondulations et même des nœuds. Rien de spécial à dire sur le contenu, qui ressemble en tous points à celui des cellules.
Tissus.—Les éléments dont nous venons de donner la description s’arrangent entre eux pour former soit des plexus, soit des cordons.
Les plexus se composent de tubes et de cellules qui , après un trajet irrégulier, vont se terminer les uns dans les autres.
SUR LE GRAND SYMPATHIQUE DE LA SANGSUE MÉDICINALE. 955
ILest manifeste que les tubes se continuent directement avec les cellules ; c’est la même enveloppe et le même contenu , il ne sau- rait y avoir aucun doute sur ce point.
Sous le rapport du nombre des tubes qui partent des cellules, il règne une grande variété. Tantôt les cellules sont unipolaires , c’est-à-dire qu’elles n’émettent qu'un tube; ce cas se rencontre surtout au voisinage et sur les parties latérales du grand cordon. Tantôt elles sont multipolaires et plus communes que les précé- dentes, mais la plupart du temps elles sont bipolaires ; il n’est pas rare cependant d’en rencontrer dans les plexus, qui émettent trois, quatre et même cinq tubes. Dans une de nos observations , nous avons rencontré une cellule quadripolaire fort intéressante à étudier, Deuxdes tubes qu’elles émettent avaient environ 0"",006 de large ; deux autres, rapprochés et placés sur un même côté, n'avaient chacun que 0"°,002 de diamètre. Cette observation démontre elai- rement qu'on ne saurait accorder une importance bien justifiée aux caractères lirés du volume des tubes, du moins en ce qui con- cerne les animaux invertébrés ; il n'existe dans leur système ner- veux ni tubes minces, ni tubes larges, soit de la vie organique, soit de la vie animale.
Lorsque la cellule est unipolaire, elle s'amincit graduellement pour donner naissance à son tube; lorsqu'elle est bipolaire, le second tube naît toujours à l'extrémité opposée du premier.
Un point important à noter est relatif à la déformation successive que subit la cellule bipolaire ; il semble qu'étirée en sens inverse par deux tubes, elle s’allonge de plus en plus, perde de sa largeur, et finisse par devenir elle-même un tube. Nous avons bien observé ces divers états; ne devons-nous pas en conclure d’une manière encore plus rigoureuse à l'identité de l'élément nerveux, puisque la cellule peut devenir tube, et que cette transformation semble s’opérer SOUS n0S YEUX ?
À diverses reprises, nous avons cherché à nous assurer de l'existence indépendante des cellules apolaires ; la raison semblait nous indiquer d'avance l'existence de ces cellules, jusqu'ici l'expérience n'a pas confirmé nos prévisions.
Les tubes émanés des cellules se comportent de deux façons :
256 ERNEST FAIVRE, —- OBSERVATIONS
tantôt ils aboulissent directement à d’autres cellules, tantôt ils s’anastomosent avec d’autres tubes. Nous n'avons rien à dire du rapport des tubes avec les cellules; nous insisterons au contraire sur les anastomoses.
Nous affirmons en premier lieu qu’elles existent, et qu’elles sont même très communes dans le système nerveux dont nous parlons. Nous savons bien que plusieurs auteurs ont déjà parlé de faits sem- blables dans les animaux supérieurs , mais les anastomoses y sont exceptionnelles. On en trouve dans les tubes des cellules soit du cervelet, soit des circonvolutions chez l’homme. R. Wagner en a signalé dans les nerfs de certains muscles, chez les Amphibiens et chez l'Homme; mais, nous le répétons, ce sont des faits par- ticuliers.
Les anastomoses que nous avons vues el représentées ont lieu surtout de deux manières. Tantôt deux tubes se réunissent à angle aigu pour en former un (roisième. Dans un de ces cas, les deux tubes, avant leur réunion, avaient chacun 0"",006, et le tube commun n'avait que 0"",009 ; il avait done 0"",003 de moins que la somme des diamètres des st, autres tubes : d’où l’on peut con- clure que les deux premiers éléments n'étaient pas certainement des branches du troisième.
Un deuxième mode d’anastomose consiste en ce qu'un petit tube, détaché un peu obliquement d’un long tube, va aboutir transver- salement à un troisième de ces éléments : c’est une sorte de sécante entre deux parallèles. Ce dernier mode est précisément l’analogue de l’anastomose par communication transversale des artères, par exemple de la communicante antérieure , tandis que le premier mode rappelle exactement l’anastomose artérielle par convergence ; nous n'avons pas vu un seul cas qui se rapporte à l’anastomose par inoculation ou par arcade.
Des faits qui précèdent doivent découler certainement de hautes conséquences physiologiques, nous essaierons de les apprécier ailleurs. |
Nous nous sommes borné jusqu'ici à parler des plexus , et nous n'avons fait que mentionner les cordons : nous appelons ainsi un ou plusieurs troncs très allongés, composés d’un nombre variable
SUR LE GRAND SYMPATHIQUE DE LA SANGSUE MÉDICINALE, 257
de tubes nerveux, qui paraissent parcourir une certaine étendue ; le cordon, le plus volumineux et le plus facile à étudier, paraît s'étendre sur toute la zone médiane de l’estomac, au point même où Brandt signale la présence de son récurrent. Si Brandt avait fait usage du microscope dans ses recherches, nous ne douterions pas que ce ne füt là le nerfqu'il signale ; mais tel que nous l'avons vu, il est trop petit pour avoir pu être reconnu directement par cet obser- vateur. Il n’a, en effet, dans son plus grand diamètre que 0"",050 ; nous lui conserverons cependant le nom de nerf sympathique de Brandt.
Cetronc est composé de cinq à sept tubes fort volumineux, libres, sans névrilèmes , et fréquemment anastomosés d’une manière variable , que nous n'avons pas bien pu reconnaitre jusqu'à pré- sent. Les éléments tubuleux des réseaux contribuent directement à la formation de ces tubes, ainsi que les cellules latérales dont nous avons déjà parlé.
D'où vient ce tronc de Brandt? comment se forme-t-il ? quelle est la direction des filets qui en émanent? Nous ne le saurions dire encore.
Lorsqu'il faut examiner , parcelle par parcelle, la tunique de l’estomac sous le champ du microscope, il est bien difficile de reconnaitre les dispositions d'ensemble que présentent les tissus.
Deux questions d'un haut intérêt resteraient à résoudre pour bien connaître le système gastrique que nous décrivons : 1° Quel” est le mode de terminaison des tubes nerveux par rapport aux divers tissus?
2° Quelle est la connexion intime qui peut exister entre les nerfs gastriques et les nerfs de la vie animale , soit ganglions, soit con- nectifs ?
La question de la terminaison des nerfs est loin, comme on sait, d’être résolue ; néanmoins , elle à fait un pas dans ces dernières années, depuis que plusieurs observateurs ont constaté très nette- ment que la terminaison en anse était moins commune qu'on ne l'avait pensé jusqu'alors, et qu'au contraire la terminaison des nerfs par des extrémités libres avait lieu avec une certaine fré- quence.
#" série Zoou, T, IV, (Cahier n° 5.) ! É 17
258 ERNEST FAIVRE, — OBSERVATIONS
Nous avons à ce sujet une observation décisive, mais une seule malheureusement : nous avons vu dans un cas un tube nerveux aboutir sur un vaisseau, et s'y accoler ; cette terminaison est tout à fait en rapport avec celle que M. Doyère indique chez les Tardi- grades (L).
L'étude des rapports du système nerveux de la vie organique avec le système de la vie animale n’est pas beaucoup plus facile que l'étude de la terminaison des filets nerveux ; aussi nos elforts sur ce point sont-ils restés longtemps infructueux. Cependant, en traitant un jour des ganglions et des connectifs, pourvus de leur enveloppe, par une goutte de glycérine bien pure, nous avons distingué, à une certaine distance des centres ganglionnaires, auprès des tubes de deuxième ou troisième dimension, quelques cellules unipolaires, dont les tubes, après un court trajet, allaient se rendre dans un filet nerveux , en suivant une direction opposéé au cours des fibres de ce dernier.
Nous ne saurions maintenant ajouter d’autres détails sur la connexion des systèmes nerveux; c’est un point très important qui exigera de nouvelles études.
Considérations générales.
Nous avons exposé les faits , cherchons maintenant à en appré- cier la valeur, soit par rapport à la Sangsue seulement, soit au point de vue de l'histologie générale du système nerveux.
Relativement à la Sangsue , il est parfaitement démontré qu’elle a deux formes de système nerveux : l'un composé d’une chaîne régulière de ganglions et de conneclifs distribuant ses filets aux organes de la vie de relation ; l’autre composé de réseaux et de cor: dons spécialement distribués dans les parois de l'estomac.
Les éléments dans les deux formes ont la plus intime analogie ; les cellules et les tubes ont, en effet, la même structure, et offrent des réactions exactement semblables ; en un mot, l'unité nerveuse (c’est-à-dire la cellule et le tube qui en émane) est la même dans tous ces cas. à
(1) Consulter son Mémoire et les planches annexées, Ann. des sc. nat,, A840.
SUR LE GRAND SYMPATHIQUE DE LA SANGSUE MÉDICINALE. 299
Les différences essentielles portent sur l’arrangement mutuel des éléments ou des unités nerveuses.
Dans les ganglions , les cellules sont groupées en une même masse ; les tubes qui s'échappent des cellules sont toujours accolés en faisceaux, et se dirigent en droite ligne ; ces ensembles sont toujours réunis par un névrilème.
Dans le système gastrique , les cellules sont isolées, formant chacune un petit centre. Ces tubes sont solitaires, flexueux, for- mant des mailles ; s'ils se réunissent en cordons, ceux-ci sont tou- jours dépourvus d’enveloppe générale.
Les cellules de la vie animale sont généralement unipolaires ; les lubes nerveux ne s’anastomosent ou ne se bifurquent qu'exception- nellement.
Les cellules de la vie organique sont plus souvent multipolaires ; les anastomioses des tubes sont fréquentes.
Ce simple exposé des analogies et des différences nous con- duit à admettre, comme terme légitime de nos observations, que, dans la Sangsue, le système nerveux est l'ensemble d’un nombre considérable d'unités nerveuses.
Les nerfs de la vie animale ont cette forme, dans laquelle les unités sont intimement liées et régulièrement disposées par groupes pour former soit les ganglions , soit les connectifs et les nerfs.
Le système de la vie organique est cette forme moins élevée, dans laquelle les unités sont éparses, irrégulièrement disposées, soit sous celle forme de réseaux, dans lesquels il n'entre que des cellules et des tubes isolés, soit sous forme de cordons , qu ne résultent que de l'apposition mécanique de plusieurs tubes.
Si l'on admet que la cellule nerveuse soit un véritable centre indépendant (et cela parait très plausible , puisque les ganglions , qui sont incontestablement de grands centres nerveux, ne sont composés que des cellules distinctes), on doit en conelure que le grand sympathique a ses centres propres, et que par conséquent il est nécessairement indépendant du système de la vie animale. I est bien entendu que de cette assertion tout anatomique, on ne saurait nécessairement tirer des inductions physiologiques bien
260 ERNEST FAIVRE. — OBSERVATIONS
fondées; on ne peut faire sur les fonctions que des conjectures plus ou moins plausibles.
Il nous reste à indiquer l'importance que peuvent avoir nos recherches, eu égard à l’histologie générale :
4° En premier lieu, elles tendent à rendre indubitable la conti- nuation des cellules avec les tubes, point encore contesté par quel- ques observateurs.
% Elles montrent les dangers qui s’attachent à la considération trop absolue du volume des tubes, et ne sont pas favorables aux idées de Remak, Robin, Kælliker, ete., sur les tubes minces et les tubes larges.
3° Elles ne conduisent pas à des différences essentielles relati- vement à la structure, quant à ce qui concerne les tubes de la vie animale et eeux de la vie organique.
k° Elles conduisent à admettre l'indépendance des centres ner- veux de la vie organique , sans que cependant on puisse nier pour cela les connexions intimes de ces nerfs avec ceux de la vie per- sonnelle.
Nous remarquerons à ce sujet que l’école histologique alle- mande paraît portée depuis quelques années à admettre que le grand sympathique a ses racines dans le système cérébro-spinal, dont il est en grande partie une dépendance.
Cette manière de voir ne serait pas, nous le répétons, d'accord avec nos observations.
5° Les anastomoses entre les tubes nerveux sont bien plus fré- quentes chez la Sangsue que chez tous les autres animaux examinés À ce point de vue.
Si l’histologie du stomato-gastrique des Invertébrés était mieux connue, il serait intéressant de mettre en parallèle nos observations avec celles qui auraientété faites ; mais la science étant trop peu avancée sous ce rapport, nous devons nous borner à attirer spé- cialement l'attention sur ces points encore si obseurs.
EXPLICATION DES FIGURES.
PLANCHE 6 A.
Fig. 1. Fragment pris sur les parois lalérales de la membrane inférieure de
SUR LE GRAND SYMPATHIQUE DE LA SANGSUE MÉDICINALE. 264 l'estomac : à, cellule tripolaire ; b, cellule allongée, qui va passer à l’état de tube ; €, c, anastomoses transversales.
Fig. 2 Fragment pris au même point que le précédent.
Fig. 3. Une cellule nerveuse déformée, probablement pour devenir un tube.
Fig. 4. Portion de cordon nerveux pris dans le milieu de la membrane gastrique : a,a, ce cordon composé de tubes sans névrilème (nous ferons remarquer que ces tubes sont, en réalité, beaucoup plus larges qu'ils n'ont été représentés dans cette figure); b,b, cellules dont les prolongements tubuleux concourent latéralement à la formation du cordon.
Fig. 5. Une cellule nerveuse d'un très grand diamètre.
Fig. 6. Deux cellules dans lesquelles le contenu est très séparé de la paroi, et dont les enveloppes , après avoir laissé écouler la matière grasse extérieure, sont revenues sur elles-mêmes.
Fig. 7. Exemple de deux anastomoses : 4, anaslomose transversale ; b, anasto- mose par convergence.
QUELQUES MOTS SUR LES CERCERIS DE M. FABRE (1), Par M. Léon DUFOUR.
C’est avec le plus vif intérêt que j'ai lu et relu la piquante narration de M. Fabre sur les intelligentes manœuvres du plus grand Cerceris d'Europe, qui approvisionne sa progéniture avec un Cureulionite, le Cleonis ophthal- micus. Déjà Lepelletier de Saint-Fargeau, dans sa description du Cerceris rufiventris, qui habite l'Algérie, avait vu qu'il nourrissait ses petits avec des Cureulionites. Il y a plus de vingt ans que j'ai publié l’histoire , com- plaisamment citée par M. Fabre, du Cerceris bupresticida, qui, lui, ali- mente sa famille avec un repas somptueux de neuf ou dix espèces de Buprestides.
Voilà des faits qui rekaussent singulièrement la véritable science ento- mologique, celle dont les Réaumur, les De Géer, les Bonnet, nous ont légué d’inimitables modèles.
J'admire les habiles, ingénieuses et savantes expérimentations de M. Fabre pour constater le procédé de l'Hyménoptère , qui pique sa vic- lime cuirassée , en la rendant tout aussitôt non-seulement immobile et
(4) Observations sur les mœurs des Cerceris. par M. Fabre (Ann, des sc. nat, ÿ° série, L. IV, p,. 129)
262 L. DUFOUR. — QUELQUES MOTS asphyxiée, mais encore incorruptible. Je m'étais arrêté tout court devant la singularité du fait de cette asphyxie. Mieux avisé que moi, M. Fabre à su reconnaitre que son Cerceris piquait de son dard vénénifère le gan- glion prothoracique du Cleonis, et il a lui-même produit, par une opéras tion artificielle, ce même résultat. Cela est saisissant d’intérêt : c’est abso- lument comme la chloroformisation sur l’homme, La science est donc redevable à M. Fabre de la solution physiologique de ce phénomène,
L'auteur que je viens de nommer m’a obligeamment transmis un indi- vidu femelle du grand Cereeris, auquel il a eu la généreuse attention de vouloir attacher mon nom, présumant que c’élait une espèce nouvelle. Cet insecte est très positivement le Sphex tuberculata de Villers, trouvé par celui-ci, il y a au moins soixante ans, précisément dans la contrée qu'habite M. Fabre. Rossi le nomma Crabro vespoides; M. de Spinola, Cerceris major ; et aujourd’hui, c’est le Cerceris tuberculata. La cou- leur jaune passe parfois au ferrugineux.
Je dois aussi à M. Fabre deux petits individus de l'espèce qui nourri- rail, suivant lui, ses larves avec le Sphenoptera geminata, qui est un Buprestide. Ils appartiennent certainement aux nombreuses variations de taille et de couleur du Cerceris ornata Kabr., où variabilis Dahlb., dont le »inuta Lepel. n’est aussi qu'une modification.
Mais il me naît, au sujet de ces individus , des doutes sur le légitime ravisseur du Sphenoptera , et je soupçonne qu’il y aura eu dans gette communication quelque méprise ou quiproquo : ceci demande explication,
M. Fabre lui-même, en parlant du Cerceris ornata, s'étonne, avec raison, que son espèce pût être identique avec celle-ci, vu que l'ornatn nourrit ses larves non avec des Buprestides, mais bien avec des Hymé- noptères des genres Halictus et Andrena. Or voici un fait qui peut éclai- rer la question :
Mon ami le professeur Graells m'a envoyé de Madrid, enfilés par la même épingle, un Cerceris bupresticida avec un Sphenoptera geminata saisis ensemble. C’est à Madrid qu’en 1808 je découvris pour la première fois mon Cerceris bupresticida, que primitivement j'avais appelé Argen- tifrons, et que Lepeletier a décrit sous ce nom en exagérant sa longueur, Remarquez encore que M. Fabre. dans le signalement de son espèce, met en première ligne : face couverte d'une fine pubescence argentée, trait qui précisément m'avait jadis inspiré Pappellation d’argentifrons. Vous ne trouvez pas ce caractère dans l’ornata.
Le Sphenoptera geminata ne vient pas aux environs de Saint-Séver, et voilà pourquoi il ne figurait pas dans les nombreux Buprestides servis à
SUR LES CERCERIS DE M. FABRE. 263
la table des larves du Cerceris bupresticida. Et si M. Fabre n’a trouvé dans le nid de son Cerceris que quelques fragments du susdit Sphenoptera, c'est que ou bien il n’a pas eu occasion de visiter en temps opportun un assez grand nombre de terriers, ou bien qu’il n'existe pas aux environs d'Avignon beaucoup d'espèces de Buprestides. Je ne serais pas du tout sur- pris que, plus tard, M. Fabre ne vint à reconnaître que le véritable ravis- seur du Sphenoptera est un Cerceris bupresticida , dont il confirmerait ainsi l'instinct entomologique.
ADDITIONS
A LA
NOTE SUR L'ABSENCE DANS LE NÉMOPTÈRE
D'UN SYSTÈME NERVEUX APPRÉCIABLE (1), Par M. Léon DUFOUR.,
Et d’abord le mot appréciable répété, à dessein, dans le cours de mon article à ce sujet, témoigne assez de ma réserve. Cest précisément parce que ce fait négatif constituait une étonnante exception ou, si l’on veut, une anomalie, que j'ai multiplié les autopsies, que je me suis livré à des études plus scrupuleuses avant de me décider à les mettre en lumière.
L’anatomie des insectes, animaux qui ont le remarquable privilége d’avoir un système vasculaire aérifère, et de n'avoir point de vaisseaux sanguins; cetle anatomie, malgré tous mes labeurs, est encore au ber- ceau. La génération qui nous suit a bien à faire et à défaire avant de for- muler une législation dans ces admirables organismes. Jai partagé et je partage l’étonnement de l'illustre rédacteur de la zoologie de ce recueil relativement à l'absence d’un système nerveux dans un insecte, qui exécute tous les actes physiologiques de ses congénères où ce système est complet et facile à mettre en évidence. Mais, je me plais à le répéter, quoique mes sens et mes moyens optiques aient été impuissants à découvrir et ganglions et nerfs dans le Némoptère, j'ai admis, avec conviction intime, une inner- yation par des centres et des conducteurs impalpables pour moi. J’appelle donc avec mon savant ami, de toute la sincérité de mes vœux, un scalpel plus habile, des yeux mieux exercés, ou plus heureux, pour résoudre le
(4) Voyez ci-dessus page 153.
264. MARCEL DE SERRES, — NOTE
problème. L'étude des mœurs, des habitudes et du genre de vie du Némoptère, étude fort difficile, parce que l’insecte est crépusculaire ou nocturne, contribueront puissamment à confirmer ou à modifier la vérité anatomique actuellement en litige. Et pourquoi donc s’effaroucher de faits insolites, lorsqu'ils pullulent de toutes parts dans l’étude approfondie des organismes inférieurs ! Voyez plutôt les miraculeuses mutations de formes ou métamorphoses des Helminthes déroulées récemment par l’habile patience de von Siebold et de Van Beneden ! C’est à ne pas y croire, et j'y crois fermement.
NOTE
SUR
UN VOMER GARNI DE CINQ RANGÉES DE DENTS
DES TERRAINS DE LA CRAIE CULORITÉE OU À HIPPURITES ,
Par M. MARCEL DE SERRES,
Professeur à la Faculté des sciences de Montpellier.
Nous avons rencontré dans les terrains de la craie à hippurites des environs de Coniza, près les bains de Rennes (Aude), un vomer d’un Poisson ganoïde presque entier, garni de cinq rangées de dents. Ces dents sont toutes de forme elliptique, ce qui les éloigne d’une manière notable de celles des Phyllodus, et surtout des Gyrodus, chez lesquels leurs formes sont généralement arron- dies. Elles différent, en outre, des dents de ces deux genres de Poisson, en ce qu’elles sont plus régulièrement espacées.
Les dents de la rangée moyenne offrent une figure plus elliptique que les palalines dessinées dans la planche 72, figure 23, du tome I° des Recherches sur les Poissons fossiles d'Agassiz, et rapportées par lui à l'espèce, à laquelle il a donné-le nom de Pycnodus rugu- losus. Nous ne pensons pas cependant que cette différence soit assez grande pour considérer notre vomer comme appartenant à une autre espèce qu'à celle désignée sous le nom de rugulosum: Toutefois les dents latérales sont plutôt arrondies qu’elliptiques dans le fragment figuré par le célèbre paléontologiste de Neuf: châtel,
SUR UN VOMER GARNI DE CINQ RANGÉES DE DENTS. 9265
Les dents latérales du fragment de Coniza , irrégulièrement elliptiques , sont loin d’être arrondies comme celles du vomer d'Angleterre, communiqué à l’auteur des Recherches sur les Poissons fossiles par M. Buckland. Une autre différence semble éloigner les deux fragments; elle porte du moins sur un point assez essentiel à la mastication. L'espace qui sépare les dents est plus grand dans le vomer de Coniza que dans celui du Nor- thamptonshire.
Toutefois cette plus grande distance entre les dents des deux
fragments peut tenir à l’âge des Poissons dont ilsnous démontrent l’ancienne existence, en même temps qu’à la diversité de dimen- sions des deux individus. L'avantage est ici en faveur de celui des terrains à hippurites du midi de la France, dont les dents sont plus éloignées les unes des autres, par suite peut-être de l'âge de l’indi- yidu auquel notre vomer a appartenu. : Quant au Pycnodus Bernardi de M. Thiollière , il a bien quel- ques analogies avec le Pycnodus rugulosus ; il en diffère cepen- dant en ce que les dents, quoiqu'au nombre de cinq rangées, offrent cette particularité que les latérales ont une plus grande dimension que les moyennes, ce qui est tout le contraire dans le fragment de l'Aude.
Les dents du Pycnodus Bernardi sont également moins ellip- tiques, et plusieurs d’entre elles sont arrondies, forme que ne pré- sente pas l'échantillon de Coniza (4). Les dessins des maxillaires des diverses espèces de Pycnodus, que M. Paul Gervais nous a donnés dans la planche 69, figures de 21 à 25, de sa Géologie et Paléontologie francaise, et sur lesquels il a donné quelques détails page à, ne rappellent pas davantage les particularités de forme et des dispositions des dents du Pycnodus rugulosus. La figure que nous en donnons fera mieux saisir ces différences que ne pour- rait le faire une description même minutieuse.
Nous avons fait observer que l'on ne pouvait guère rapporter le fragment de Coniza aux Phyllodus et aux Gyrodus , et nous ajou- terons que l’on peut encore moins le rapprocher aux Placodus, qui
(1) Annales de la Société d'agriculture et d'histoire naturelle de Lyon , t, KV, planche X, année 1852
266 MARCEL DE SERRES. — NOTE SUR UN VOMER , ETC. ” n'ont que trois ou quatre rangées de dents palatines. La forme des dents de ce dernier genre est tellement différente de celles de notre espèce, qu'il serait difficile de les assimiler même au Placo- dus gigas, avec lesquelles elles ont le plus d'analogie qu'avec celles des autres espèces du même genre, et particulièrement avec le Placodus Munsteri.
Le vomer fossile des terrains crétacés du midi de la France se rapproche donc plutôt du Pyenodus rugulosus que de toute autre espèce, quoiqu'il en diffère par certains caractères qui ne sont peut-être pas spécifiques.
M. Leymerie a fait figurer, dans son Mémoire sur le terrain crétacé de l'Aube (1), un vomer armé de cinq rangées de dents, analogue à celui de Coniza , à la taille près. I l’a rapporté à un Poisson du genre Pycnodus, qui paraît appartenir à la même espèce que le nôtre. Nous ajouterons que le Pycnodus de M. Leymerie se rapproche plus de celui faite par M. Agassiz que le vomer de Coniza.
Il est, du resté, remarquable que le même Poisson fossile se rencontre sur le continent et dans les îles Britanniques, et cela dans des terrains très différents. En effet, le Pycenodus rugulosus, dont la dentition est si particulière , comme , du resté, celle de tous les genres que nous lui avons comparés, aurait véeu en Angleterre, lors du dépôt de l'oolithe, et en même temps dans les terrains crétacés du nord et du midi de la France.
Cette circonstance, qui se représente pour tant d'autres habita- tions des espèces de l’ancien monde, prouve que la diffusion était, dans les temps géologiques, la loi la plus générale de la distribution des êtres vivants,
EXPLICATION DES FIGURES. PLANCHE 8 C
Fig. 9. Vomer du Pycnodus rugulosus ayant conservé ses cinq rangées de dents palatines, dessiné de grandeur naturelle,
(1) Mémoires de la Société géologique de France, t. IV, 4"° partie, p. 33, pl. 18, fig. 6. Le vomer de l'Aube y est uniquement signalé par ces mots: Pha-
ryngien de Pycnodonte. i
MÉMOIRE SUR
L'ORGANE DE BOJANUS DES ACÉPHALES LAMELLIBRANCHES, Par le Dr H. LACAZE-DUTHIERS.
pe
Dans presque tous les Acéphales lamellibranches, on trouve de chaque côté du corps, vers l'insertion des branchies, entre l’abdo- men, le muscle postérieur des valves, le cœur et le foie, une glande plus ou moins brunätre, sur les fonctions de laquelle on est loin de s'entendre.
Bojanus (1) s'en est occupé le premier avec suite; cela explique pourquoi on la trouve souvent désignée par ces mots corps, sac , organe de Bojanus. I la regardait comme l'organe de la respiration; Poli (2) pensait qu'elle sécrélait la coquille ; Neuwy- ler (3) la considérait comme le testicule ; Treviranus (4), Carus (5), Garner (6), R. Owen (7), von Siebold (8), admettent qu'elle est le rein; MM. Deshayes (9) l'appelle l'organe dépu- rateur; Van-der-Hœven (10) et von Siebold (11) aussi, lui
(1) Bojanus, sis, 1819, p. 46, pl. 1, fig. 1; 1820, p. 404.
(2) Poli, Testacea utriusque Siciliæ hisloria et anatome , 1791-1798, int. p.48,2. II, p. 86, pl, 20, etc., p. 443, pl. 26, etc., p. 41, pl. 237.
(3) Neuwyler, Die Generations-organe von Unio und Anodonta, dans les Neue Deuskrift. der Allgem. Schw. Ges. für die gessammt, Natur,, VI, A842, p. 4, pl. 4-3.
(4) Treyiranus, dans Tiedemann, Zeitsch. für Physiol., 1, p. 53,
(5) Carus, Zool., 1834, IN, p. 650.
(6) Garner, Trans. of the phil, Soc,, p. 92, t. IT, pour 4844,
(7) R. Owen, Leot, on the comp. Anat., p. 284.
(8) Von Siebold, Anat. comp., t. 1, 2° partie, p. 280, not. 5.
(9) Deshayes, £xploration scientifique de l'Algérie, les diverses Monographies.
(10) Van-der-Hæven, Meckel's Archiv., 1828, p. 502.
(44) V. Siebold, Loc. cit., p. 281, note 6.
268 HN. LACAZE-DUTHIERS, — MÉMOIRE
trouvent beaucoup d’analogie avec les appendices veineux des Céphalopodes.
Il est peu d'organes dont le rôle ait été, on le voit, plus diver- sement interprété.
En face de tant d'opinions, il eût été difficile de prendre une décision absolue, surtout quand les fails n'avaient pas un caractère tel qu'ils pussent trancher nettement la question ; aussi le travail que je publie aujourd’hui est-il plus anatomique que physiolo- gique. Pour avoir une opinion définitivement arrêtée, de nou- velles recherches , où la chimie physiologique eût joué le plus grand rôle, étaient nécessaires. Des circonstances ne m'ont pas permis de les entreprendre ; j'ai dû cependant faire connaître les particularités qui, pendant un examen fréquemment répété, se sont présentées à mon observation. La structure de cette glande était d’ailleurs peu connue, et il existait quelques erreurs anato- miques à son égard, et une étude comparative sur un nombre suf- fisant d'espèces manquait absolument. Il y avait donc là quelque chose à faire; aussi le but de ma publication est-il principalement de combler une lacune. Si je présente à la fin quelques considé- rations sur la physiologie , elles doivent être regardées seulement comme des éléments pouvant servir plus tard à une étude appro- fondie des fonctions.
Je place la description de l'organe de Bojanus à côté et après celle des organes de la reproduction , parce qu’il m'a paru y avoir un rapport constant entre les deux. Toujours ceux-ci s'ouvrent ou dans l’intérieur de celui-là, ou à côté ; et ce rapport des orifices excréleurs conduit à un rapprochement analogue à celui que l’on fait dans les animaux supérieurs, entre les glandes rénales et celles de la reproduction.
On trouvera donc en définitive dans ce travail une étude détaillée de la structure de l'organe, son anatomie descriptive, des don- nées curieuses sur l’origine de quelques concrétions en forme de perles, et une appréciation des principales opinions des auteurs.
SUR L'ORGANE DE BOJANUS. 269
II.
ANATOMIE.
S [LEA
Description de l'organe.
Le sac de Bojanus est toujours facile à trouver ; sa position est à peu près constante, mais sa forme, ses rapports-et ses autres caractères, varient avec les espèces.
La teinte suffit le plus souvent pour le faire reconnaître. Quand on écarte les branchies après avoir placé l’animal sur le dos (L), c'est-à-dire sur la partie qui correspond à la charnière de la coquille, on voit de chaque côté de la masse viscérale, habituelle- ment blanchâtre, ou gristre, ou plus ou moins rouge, un corps oblong , qui se fait distinguer par sa coloration presque constam- ment brunâtre. Cette teinte cependant est dans quelques cas diffé- rente : ainsi dans la Lime squameuse , elle est d’un jaune clair; dans l’Anomie de la Méditerranée, je l'ai vu souvent d’un violet assez riche en coloris. Du reste, son intensité varie avec les indi- vidus, et probablement aussi avec les époques de l’année.
On verra plus loin l'explication de cette différence ; toujours est- il qu’à part quelques exceptions, c’est entre le brun foncé, le brun olivâtre ou le jaune verdâtre, qu’elle varie.
La forme dépend de celle du corps de l'animal ; elle change avec celle-ci. On ne peut, du reste, bien en juger qu’en enlevant soi- gneusement les branchies et tous les tissus blancs qui les unissent au péricarde , au cœur et au manteau. Alors on voit que le sac occupe tout l’espace compris entre la poche péricardique en dessus, le muscle postérieur des valves en arrière, le foie en avant, la masse glandulaire génitale en avant encore, mais en bas et en dedans , les muscles rétracteurs postérieurs du pied en dessous, L'espace dans lequel est comme enchässée la glande détermine
(4) PL 5, L IV, 4 série, fig, 6 (Cardium rusticum), vu de face en dessous(r).
270 H. LACAZE-DUTHIERS, — MÉMOIRE
naturellement sa forme; que l'animal soit allongé , et elle sera longue comme dans les Modioles (1), les Moules, l'Arche (2); qu'il soit, au contraire, court et ramassé sur lui-même, et la forme deviendra irrégulièrement globuleuse, comme c’est le cas le plus fréquent.
Les proportions du muscle des valves, celles de la masse viscérale abdominale et des muscles du pied, causent aussi de très grandes variations dans la disposition; ainsi, dans les coquilles des Pèlerins, où le muscle des valves est si volumineux et où la masse abdominale s'étend beaucoup en arrière , les deux sacs font saillie dans les dépressions qui séparent les deux par- ties. Dans les Lucines, l'extrémité postérieure se contourne sur le muscle des valves ; aussi semble-t-il qué le corps de Bojanus pré- sente trois branches. Dans la Nacre (3), la masse de l'organe est globuleuse, et bien nettement limitée de chaque côté.
Ces variations de forme n’ont rien d’important; elles corres- pondent toutes aux variations que présentent les animaux. Ce dont on juge très bien dans l'Anomie par exemple, où l’un des côtés du corps est fortement contourné, tandis que l'autre présente la forme habituelle. L'une des glandes décrit une courbe d’un très court rayon, tandis que l’autre est presque droite.
Les rapports sont importants à connaitre ; ils présentent des différences qui tiennent encore à la disposition générale.
Dans presque tous les cas, le sac de Bojanus s'applique en arrière sur le muscle des valves : c’est là un rapport constant (4), Quand il remonte sur le dos, il contracte un nouvéau rapport; il s'approche du rectum ; quelquefois celui-ci, après s'être dégagé du cœur , se loge en glissant sur la face dorsale du muscle des valves entre les deux sacs ; enfin le péricarde tapisse la partie dor-
(4) Voy. Ann. des se. nat., 4° série, 1854, €. LV, pl. 5, fig. 10 (r).
(2) Je renvoie, quand la spécification n’est pas donnée en note, à la liste des espèces qui a été publiée en 1854, Annales des sciences naturelles, 4° série, t. II, p. 242 et suiv.
(3) Voy. Ann. des sc. nat., 4° série, 1854, t. IT, pl. 5, fig. 2.
(4) Voy. id. t. WI, pl. 5, fig. 1; pl. 7, fig. 4; pl. 8, Mig. 14; L. IV, pl.5, fig. (2), (6), (10), (43).
SUR L'ORGANE DE BOJANUS. 271
sale des deux glandes, qui forment comme le plancher inférieur de la cavité où se loge le cœur (1).
Les cordons nerveux, qui unissent les ganglions buccaux aux ganglions branchiaux ; sont toujours en rapport immédiat avec l'organe; ils sont placés contre sa face interne, et dans les exemples où le corps est allongé, comme dans les Mulettes, les Anodontes, on doit les chercher au milieu de la substance même dela glande ; la couleur blanche de ceux-ci tranche vivement sur la teinte si brune du sac de Bojanus.
Les branchies sont le plus souvent insérées sur une ligne qui partage en deux parties à peu près égales la glande. Aïnsi dans le Peigne varié, le Peigne glabre , et bien d’autres qu'il serait trop long de citer (2), lorsqu'on les a enlevées, on voit leur insertion qui se marque par un sillon. Cependant dans la coquille de Saint- Jacques et dans la Lime, la branchie est insérée en dehors; aussi la glande se trouve-t-elle dans ces espèces entre la masse abdo= minale et l'organe respiratoire (3).
Les rapports qu'affectent les deux sacs l’un avec l’autre sont importants ; ils varient comme précédemment et dans les mêmes circonstances. Ainsi dans les cas où la masse viscérale s'avance beaucoup en arrière , elle empêche les deux extrémités inférieures des deux glandes de se réunir sur la ligne médiane ; on voit alors celles-ci, séparées et distinctes, former deux corps, l’un à droite , l’autre à gauche; il n’est question ici que de la partie apparente, sans autre préparation que l’écartement des branchies. Cette disposition existe à son maximum dans la Lime squa- ineuse (4).
Dans le cas contraire, les deux sacs peuvent se rapprocher en bas sur la ligne médiane , et former comme un collier autour du
(4) T. IV, pl. 6, fig. 3, 4.
(2) Je renvoie, du reste, aux figures qui ont été publiées dans les Annales, sur les organvs de la reproduction. Voyez cependant particulièrement la figure 4 de la planche 8, t. II.
(3) Ceci est très marqué dans la figure 2 de la planche 6, t. IV. La masse abdominale est d'un côté, les branchies de l'autre,
(4) TU, pl. 7, fig. 4.
9279 H. LACAZÉ-DUTHIERS., — MÉMOIRE
muscle du pied, sorte de pédicule de la masse abdominale; cela s’observe dans le Cardium rusticum, la Lucina lactæa, etc.
Plus profondément, les deux glandes se rapprochent constam- ment du côté du dos. Dans l’Anodonte, la Mulette des peintres, la Lutraire solénoïde, la Bucarde frangée, la Pholade, etc., la dispo- sition est si nettement marquée, qu’en observant l’animal du côté du péricarde, après avoir enlevé le cœur , on croirait à l’existencé d’une seule masse glandulaire (4).
Il ya même accolement des paroiïsinternes sur la ligne médiane et formation d’une cloison verticale, qui le plus souvent est percée d’une ouverture (2), établissant une communication directe entre le sac de droite et le sac de gauche. Je reviendrai sur cette dispo- sition en décrivant la cavité de la glande.
A l'intérieur, la glande est assez compliquée, el sa dispo- sition n'a été que bien imparfaitement connue et décrite.
Prenons l'exemple même étudié par Bojanus, l’Anodonte , l’Anodon cygnœum, comme il l'appelle. Du reste, dans la Mulette des peintres, dans la Lutraire solénoïde, la Pholade, les Bucardes, les Corbules, ete., les choses sont semblables.
Si, après avoir enlevé les branchies, on incise l'organe suivant sa longueur , un peu de côté, on tombe dans une large poche où la teinte est encore plus marquée qu'au dehors ; on y voit appliqué sur la paroi interne une élévation qui fait saillie dans la cavité ; c’est cette masse saillante que Bojanus avait considérée comme la partie active de l'organe, comme le poumon. Une connaissance plus exacte et plus complète de la disposition eût empêché d'avancer une telle opinion. En effet, en déchirant cette partie saillante, on trouve dans sonintérieur une nouvelle cavité. Bojanus avait vu cette cavité, mais il la croyait close; ce quin’esl pas, car elle présente deux orifices très distinels. Sur un animal ouvert avec précaution, qu'on fasse une petite ouverture à la paroi de cette cavité interne, et puis qu'on pousse une matière colorante dans son intérieur, on verra cette matière s'échapper dans la première poche la plus extérieure , et
(1) T. IV, pl. 6, fig. 3, Cardium.
(2) T. IV, pl. 6, fig. 4, Lutraria.
SUR L'ORGANE DE BOJANUS. 273 cela en arrière. Si l’on cherche avec soin dans la partie où s’est échappé le liquide, on trouve au milieu des replis glandulaires qui tapissent les parois , et le cul-de-sac voisin du muscle postérieur des valves, une très large et longue fente qui établit la communi- cation entre les deux cavités. On ne peut guère donner à cette large communication le nom d'orifice ; car elle a presque autant d’étendue que le diamètre du sac lui-même ; elle est masquée par les replis glandulaires dont les interstices lui ressemblent, ce qui certainement a empêché de la distinguer.
S'il était encore besoin de critiquer l'opinion de Bojanus , on trouverait ici un argument bien fort contre sa théorie. Comment admettre, en effet, que la cavité centrale du poumon pourrait êtreremplie de sang, alors qu’elle communique avec la poche péri- phérique où, d’après l’auteur, entre l’eau servant à la respiration.
En étudiant la partie de la glande qui forme le plancher du péricarde, on est frappé de l'existence de deux dépressions qui se trouvent en avant (1), tout près de l’endroit où le rectum sort de la masse viscérale pour pénétrer dans le cœur. En présentant la tête d'une épingle à insecte dans ces dépressions qui ressemblent à des orifices de quelques conduits, on la voit bientôt disparaître, et pénétrer assez avant. On cherche naturellement si l’épingle n’a pas pénétré dans l'organe de Bojanus placé au-dessous , et l’on n’est pas peu surpris de la rencontrer dans la cavité interne de la partie saillante, appelée poumon par Bojanus.
Ce fait, par lui-même assez singulier, méritait d’être vérifié sur d’autres espèces; il était curieux de savoir si c'était une disposition exceplionnellement propre à l’Unio et à l’Anodonte ; aussi, dès que je pus me rendre sur les bords de la mer, ce fut une question que je me proposai de résoudre. L'année dernière (1854) et cette année (4855), j'ai pu observer sur les côtes de Bretagne deux espèces de Bucardes, la Dentelée et la Tuberculeuse , une Pholade d’une taille fort considérable, la Lutraire solénoïde, la Corbule slriée, et j'ai eu la satisfaction de voir se généraliser Je fait que j'avais observé à Paris. Plus tard, sur les Anodontes des environs de Lille, j'ai trouvé, il fallait s’y attendre, une semblable Gisposi-
(1) T. IV, pl. 6, Gg. 3. Péricarde ouvert, le cœur enlevé. Cardium.
4° série, Zooz, T, IV, (Cahier n° 5.) 2 15
27h H. LACAZE-DUTHIERS. — MÉMOIRE
tion. Garner avait vu celte communication dans l’Unio ; il la cite, mais il ne l’a pas cherchée dans d’autres espèces. Du reste, le peu de détail qu'il donne laisserait croire qu’il n’a point eu une connais: sance complète de toutes les dispositions.
Si maintenant nous cherchons à considérer dans leur ensemble ainsi que dans leurs rapports les différentes cavités et leurs orifices; nous verrons que l'entrée du sac est placée à côté de l’orifice de la génération (1), en avant, dans l’angle où s’insère l'extrémité anté- rieure des branchies ; qu’à cet orifice d’entrée fait suite une grande cavité (2), quej’appellerai périphérique, dans l'intérieur de laquelle s'ouvre en arrière la cavité centrale (3), qui ellemême commu nique en avant, et tout près de l’orifice externe (4), avec la poche péricardique (5).
La partie qui met en communication le péricarde avec l'organe de Bojanus est étroite, en forme de canal, et ne présente plus l'apparence glandulaire; elle passe en dessous de la fenêtre de communication des deux sacs, en croisant sur son côté interne l'extrémité antérieure du sac périphérique, tout près de son orifice excréteur ou externe.
Ainsi le péricarde communique avec l'extérieur par l’intermé- diaire du sac de Bojanus, et le trajet que parcourt le sac, pris dans son ensemble, est une courbe aplatie, rentrante, dont le paint d'arrivée (orifice externe) (6) est voisin du point de départ (orifice péricardique) (7) ; l’un est supérieur, l’autre est inférieur.
Cette communication du péricarde n’a pas été connue des anato- mistes, Garner seul en parle pour l'Unio dans un passage très court de son Mémoire sur les Acéphales lamellibranches.
Il faut toutefois se garder de généraliser trop vite.
(4) T. IV, pl. 6, fig. 2 (pe. ov.). Coupe un peu théorique du corps de Bojanus dans la Mulelte des peintres.
(2) Id., fig. 2
(3) 14. fig. 2 (cc).
(4) Id., fig. 2
SUR L'ORGANE: DE BOJANUS. 275
Je dois dire, en effet, qu'on éprouve de grandes difficultés à reconnaitre si le péricarde communique avec le sac de Bojanus, lorsque certaines disposilions se présentent comme dans les Pec- ten, où on ne trouve plus les deux cavités que j'ai cherché à dé- erire plus haut, et où il n'y a évidemment qu'une seule poche. On sait que, dans cet animal, les oreillettes s’avancent vers les branchies, assez loin du cœur proprement dit. Le péricarde s’allonge, et forme un eul-de-sac très étroit, qui se place à côté du sac de Bojanus. Il est fort difficile de pouvoir s'assurer si, au fond de cet étroit conduit, il existe une communication ; malgré tous mes efforts, je n'ai pu arriver à une conviction qui ne laissät point de doute.
Quant aux rapports des deux sacs, ils sont plus intimes ici que daus les exemples précédents. Dans le Pecten jacobœæus , les deux organes semblent se continuer (1) l’un avec l’autre par une por- lion membraneuse sous-péricardique, qui n’a plus l’apparence glandulaire ; aussi les deux organes réunis forment-ils un tout placé comme à cheval sur la dépression qui se trouve entre le muscle des valves et la masse viscérale ; les deux portions vérita- blement glandulaires pendent de chaque côté de la masse abdomi- male, entre elle et les branchies.
Je n'ai pas vu non plus dans l'Huilre vermeille cette partie cen- trale, dont la cavité s'ouvre dans le péricarde. Je dois dire que, lorsque je pouvais disséquer cette espèce, je n'avais pas encore trouvé la communication dont je parle ; toutefois, d’après les dessins que j'ai faits eten particulier d’après celui que je publie (2), en réconnaitra la plus grande analogie avec ce qui s’observe dans le Pecten (3),et si la communication avec le péricarde peut m'avoir échappé, il me paraît difficile que la partie, considérée comme le poumon par Bojanus, ait pu passer inaperçue.
Il me semble qu'il y a, à l'égard de la disposition dont il s’agit ici, deux types bien différents : dans l’un , une cavité centrale communique à la fois avec le péricarde et avec une cavité péri-
(4) T, IV, pl. 6, fig. 4 (2).
(2) T: IV, pl. 4, fig. 6.
(3) T. IV, pl. 6, fig 4.
276 H. LACAZE-DUTHIERS. — MÉMOIRE
phérique ; celle-ci s'ouvre au dehors, et a une large communication avec celle du côté opposé ; dans l’autre, le sac est simple, et s'ouvre d’une part au dehors, de l’autre dans le sac du côté opposé.
Il est probable que cette grande différence est la conséquence d’une importante modification , qui a tellement déplacé les parties, que l’orifice profond , s'il existe, est devenu très difficile à recon- naître.
Enfin, dans la Moule comestible et la Nacre, on trouve des dispositions sur lesquelles je dois appeler l’attention.
Pour la Moule, von Siebold (4) s'exprime ainsi : « Les organes » urinaires sont encore plus singulièrement disposés... Leurs » deux sacs, qui sont situés à la base des branchies, sont fendus » dans toute leur longueur , de sorte qu’en écartant les branchies, » on aperçoit distinctement les compartiments et les cellules de ces » glandes. » Il renvoie à un travail de Treviranus (2), et semble formuler son opinion d’après celle de ce dernier. Il y a lune erreur que je me contenterai simplement de relever aujourd’hui ; peut- être un jour présenterai-je l'anatomie complète de la Moule, car elle me paraît offrir , à bien des égards , de l'intérêt. Comme cet animal n’est pas rare, comme on le trouve toujours et partout , il n'a éveillé la curiosité d'aucun malacologiste d’une manière sérieuse.
Mais une particularité a causé l'erreur des auteurs allemands. Les vaisseaux sanguins, qui rapportent le sang du manteau aux branchies , passent sur un plan inférieur (3) au sac de Bojanus; entre chaque vaisseau, qui s’est comme détaché de la paroi du sac, sont des dépressions qui ont été prises pour les replis internes de la substance glandulaire; ce qui a conduit à admettre que le sac est ouvert d’un bout à l’autre. Si l’observalion de la circulation ne suffisait pas pour faire reconnaître l'erreur, la présence même
(1) Manuel d'anatomie comparée, t. I, 2° partie, p. 279, note 2.
(2) Voy. Treviranus, Beobacht. aus der Zoot. und Physiol., p. 51, s. 686.
(3) On n'oublie pas que lorsqu'on examine l'animal en le plaçant sur le dos, ce qui semble supérieur dans cette position est en réalité inférieur quand l'animal est en place.
SUR L'ORGANE DE BOJANUS. 277 d’une cavité dans la glande, l'existence d’un orifice sécréteur, viendraient donner sans aucun doute raison à la manière de voir que j’expose ici.
Quant à la communication avec le péricarde, il m’a été impos- sible de m'’assurer de son existence. La portion d'une partie cen- trale, analogue à celle de l’Anodonte, etc., ne m'a pas paru très évidente ; je me réserve, du reste à cet égard, pour le moment où je présenterai l'anatomie de la Moule ; je désirais ici seulement relever l'erreur qui existait.
Dans la Nacre (1), le corps glandulaire est très développé ; je l'ai représenté dans le dessin que j'ai donné des organes géni- taux de cet animal (2). Il forme deux masses noirâtres placées en avant du muscle postérieur des valves, et en arrière des organes génitaux. La teinte blanche du premier, celle rouge-brique des seconds, fait ressortir la couleur noire de celui-ci. Quand on exa- mine son intérieur, on trouve une disposilion qui ne laisse pas que d’embarrasser un peu tout d’abord. En arrière de l'organe de la génération, sur la ligne médiane, en regardant l'animal en des- sous et en face, on voit une dépression où paraît un pelit lobule antérieur : c’est l'entrée d’une arrière-cavité, d’un eul-de-sac qui s’avance vers le dos jusqu’au péricarde. Si l’on incise, avec pré- caution sur la ligne médiane, la masse viscérale, de manière à ouvrir largement celte cavité, on remarque qu’elle est con- tiguë à trois poches : une dorsale , le péricarde , et deux laté- rales fort grandes qui remontent sur ses côtes et sur le dos des muscles postérieurs du byssus (3). Ces dernières contournent complétement les muscles, et reviennent en dehors s'unir aux parties noirâtres qui sont véritablement le corps de Bojanus. Elles sont entièrement membraneuses, et semblent être le canal excré-
(4) Pinna nobilis.
(2) Voy. Ann. des sc. nat., 4° série, 4854, 1. IL, pl. 5, fig. 4 et 2.
(3) Voy. pl. 5, fig. 4, 2, ou t. IT, 1854, 4° série des Ann. des sc. nat. — Toutes les membranes formant les cavités ont été enlevées dans les, dessins publiés. — On n'y voit plus que le lobule qui pend entre les deux glandes, ss’ eL surlout les deux muscles du byssus (m); la cavité dont il s'agit ici remonte» rait donc sur la face dorsale de ces muscles,
278 M, LACAZE-DUPMHIERS, — MÉMOIRE
teur de la glande démesurément dilaté. Elles représentent peul- être à certains égards les poches périphériques que l’on a vues dans l’Anodonte.
Du reste, dans la masse noirûtre de l'organe, on trouve des plis épais de nature glandulaire, qui entourent une eavilé pro- fonde, moins étendue que la précédente, dans l’intérieur de laquelle celle-ci s'ouvre.
La communication avec le péricarde n’a pu être observée , car les individus frais manquaient pour eelte étude. Ceux conservés dans l'alcool, que je dois à l’obligeance de M. le professeur Valen- ciénnes et de M. Rousseau, aide-naturaliste au Jardin des plantes, ne m'ont pas fourni de renseignements suffisamment nels, pour que je puisse assurer que la communication existe.
Il doit, sans aucun doute, y avoir beaucoup d’autres variétés de forme et de disposition ; mais je crois cependant que toutes, plus ou moins, se rapprocheront des deux types principaux, que les Bucardes, les Lutraires, ete., d'une part, les Spondyles, les Peignes de l’autre, nous offrent manifestement.
Voyons où et comment s'ouvre l'organe dont nous connaissons la disposition générale. C’est maintenant le lieu de nous occuper des orifices de la génération. Je disais, en effet, dans le travail où je présentais l’histoire des organes de la reproduction , que leurs ouvertures à l'extérieur offraient des rapports si intimes ayec ceux du corps de Bojanus , que je renvoyais au moment où je m'oceu- perais de celui-ci pour faire une étude détaillée de ces orifices ; il est done indispensable de consulter les planches qui se rapportent à la génération (4).
Trois dispositions principales se présentent : tantôt les glandes de la reproduction s'ouvrent dans le sac de Bojanus , tantôt elles ont un orifice unique et commun avec celui-ci, tantôt enfin deux orifices distincts, et plus ou moins éloignés, appartiennent en par- ticulier à chacune des glandes.
Examinons successivement ces trois cas.
(1) Voyez les pl. 5, 6, 7, 8, 9,t. Îl1, 4° série, Ann. des sc. nat., 1854: et pl. #, 5, 6,t. IV, même série,
SUR L'ORGANE DE BOJANUS. 279
- Dans les Spondyles et les Peignes , il est très difficile de décou- vrir les orifices génitaux. Par une sorte de fatalité, la première espèce sur laquelle je cherchai ces conduits fut le Spondyle , et j'employai plus de huit jours de recherches délicates et pénibles à ne pas trouver une chose que le hasard me fit rencontrer au moment où je m'y attendais le moins. J'avais ouvert le sac de Bojanus, à peu près comme dans la figure que je donne, pour en étudier la structure, quand je vis sortir, par un orifice (4) situé du côté interne, dans une partie moins glandulaire que le reste du sae , un cylindre rose , absolument de la couleur de la glande dont j'avais fait déjà l'étude. L'examen microscopique me montra bien vite que j'avais affaire à des œufs retenus dans une sorte de gelée albumineuse. Plus tard, je renouvelai l'observation, et dès ce moment, quand les orifices de la génération ne parais- saient point au dehors, je les cherchais dans l’intérieur même du sac sur la face interne, et c’est ainsi que j'ai pu les trouver dans les Limes, les Peignes bigarrés, de Saint-Jacques, à côtes rondes et glabres, alors que von Siebold et M. Humbert n'avaient pu les reconnaitre.
Ce cas n'est évidemment pas le plus fréquent, au moins à ne considérer que les espèces étudiées.
Dans les Nacres ou Jambonneaux, l'orifice génital est presque à côté (2) de celui du sac de Bojanus; et ici, comme précédemment, les produits de la génération et ceux de la glande qui nous occupe sortent par un seul et unique orifice. C’est ce qui a fait dire à von Siebold qu'il y avait là comme un petit eloaque.
En ouvrant par-derrière la grande poche membraneuse et non glandulaire de cet animal, on voit les deux orifices très voisins, et l’on comprend que les œufs puissent tomber dans ce grand réservoir.
Dans l'Arche (8), l'organe de la génération s'ouvre bien près de l'orifice externe, dans l'intérieur du canal excréteur de l'organe de Bojanus, par une fente en boutonnière, L’orifice unique externe est porté à l'extrémité d'une papille fendue en long à son extrémité,
(1) Voy. t, IV, pl. 4, fig. 6 (or).
(2) Voy. t. IE, pl. 5, fig. 4 (cc),
(3) Voy, t. IV, pl. 5, fig. 3,
280 H. LACAZE-DUTRIERS, — MÉMOIRE
et placée à peu près vers le milieu de la longueur de l'organe. La même disposition s’est présentée dans la Modiole ou Dattile des Mahonais (1).
En résumé, on peut dire que, dans ce premier cas, les deux glandes s'ouvrent par un seul orifice, et que le conduit de l’un, dans des proportions très variables , sert de canal excréteur à l’autre.
Où se trouve donc l’orifice le plus extérieur, celui, en définitive, qui appartient au sac de la glande que nous étudions ? J'ai indiqué dans l’histoire des organes de la génération un rapport important que présente cet orifice avec le connectif nerveux, qui, des masses ganglionnaires branchiales, se rend à celles placées dans le voisi- nage de la bouche. C’est constamment en dehors du connectif, vers le point où il plonge dans la masse abdominale (2), que l’on aperçoit l'oritice. Dans les Peignes, les Spondyles, les Limes, l’ori- fice génital étant profondément placé, conserve néanmoins ses rapports ; mais celui du sac de Bojanus se trouve placé à l'extré- mité postérieure, non loin des ganglions branchiaux (3).
Quand l’orifice de l'organe est placé au sommet d’une papille, celle-ci occupe presque toujours le milieu de la largeur de la glande, ainsi que cela s’observe dans la Modiole, l'Arche, la Moule, ete.
Voyons maintenant le troisième cas, celui où les orifices peuvent être plus ou moins rapprochés, mais jamais confondus.
Je prendrai d’abord l'exemple que nous avons étudié en commen- çant. Dans l’Unio et l’Anodonte (4), les orifices distincts sont placés côte à côte l’un de l’autre, tout à fait à l'extrémité antérieure du sac; on voit que la position est complétement opposée à celle que nous avons trouvée dans le Peigne. Dans des individus de belle taille ces deux orifices, fendus en boutonnières presque parallèles à l’axe du corps, sont longs d’un millimètre ; ils sont très évidents, aussi n’ont-ils échappé à aucun observateur : celui de la génération est
(1) Voy. t. IV, pl. 5, fig. 40 (ov).
(2) Voyez pour ce rapport sur les planches 5 du t. IV, et en particulier, les fig. 6, Cardium rusticum ; fig. 11, Petricola rupella ; fig. 12, Cardita sulcata.
(3) Voy. pl. 6, t. IV, fig. 1, 2 (pe).
(4) Voy. pl. 5, t. IV, fig. 2 (pe) (ov).
SUR L'ORGANE DE BOJANUS. 281
en dedans, on le reconnait facilement au moment de la reproduc- tion; car de légères pressions sur l'abdomen suffisent pour pro- duire une ponte artificielle.
Dans beaucoup des espèces que j'ai étudiées c'est dans le milieu de la longueur du sac que se trouve l’orifice. Cela s’observe nette- ment dans les diverses Bucardes (1), les Chames (2), les Mactres, les Pétoncles, les Pétricoles (3), les Gastrochènes, les Pholades, ete. L'orifice de la génération est toujours en dedans , et souvent plus en avant. Il y a de légères différences qui tiennent à ce que l'éloignement est plus ou moins considérable. Ainsi dans la Chame gryphoïde (4) les deux orifices sont placés tout à côté l’un de l'autre sur une ligne qui va du pied au milieu de la longueur du sac. Celui de la génération étant percé dans la masse abdominale, l’autre doit être tout près du bord interne de la glande.
Dans la Cardite (5) l’orifice génital un peu saillant descend sur la face inférieure du sac de Bojanus.
Dans la Pétricole (6) le tissu de la masse abdominale accompagne un peu le canal excréteur de la génération et forme un rudiment de papille. Les rapports des orifices avec les nerfs sont dans ces deux dernières espèces extrêmement évidents.
La Bucarde rustique et les autres espèces ainsi que la Mactre des Sots présentent les deux orifices assez éloignés; sur des individus de taille très ordinaire il y avait 2 millimètres de séparation. Dans ces exemples on a quelquefois de la peine à voir l’orifice du corps de Bojanus. Je pense qu'il ÿ a un sphincter tout autour delui, qui par ses contractions en masquecomplétement l'existence. Toutefois, en tirantlégèrement à la fois d'avant en arrière et d’arrière en avant, on finit par faire entre-bäiller l’orifice qui devient alors très évident.
Enfin dans la Moule, j'avais cru d’abord que la glande génitale et le sac de Bojanus s’ouvraient par un même conduit qui terminait
(4) T. IV, pl. 5, fig. 6.
(2) T. IV, pl. 5, fig. 43 (ov pe).
(3) T. IV, pl. 5, fig. 44 (ov pe).
(4) T. IV, pl. 5, fig. 43.
(5) T. IV, pl. 5, Gg. 12, Cardita sulcata (ov pe).
(6) T. IV, pl. 5
, g. 44, Petricola ruperella (ov}.
282 H. LACAZE-DUTHIERS. — MÉMOIRE
une papille fort évidente; j'ai tout dernièrement, sur des moules de forte taille que l’on apporte sur le marché de Lille, reconnu au- dessous de la papille et en arrière d’elle, tout à fait à sa racine, un petit pertuis par où une injection a pénétré constamment et sans difficulté dans l'intérieur du sac. Ceci m'engage à mettre une certaine réserve à affirmer que dans le Lithodome dont l'organisation se rapproche à {ant d'égards de celle de la Moule, ces deux organes s'ouvrent au sommet de la papilles; je n'ai pas eu d'animaux des Dattiles (4) depuis mon voyage à Mahon et je ne saurais lever le doute qu'a suggéré dans mon esprit l'observation faite sur la Moule comestible.
La disposition est tout à fait la même que l’on considère une femelle où un mâle. Il n'y a aucune différence; on devait s'y attendre puisque déjà entre les deux glandes génitales il n’y a de différence qu'entre les parties profondes élémentaires qui sécrètent les éléments caractéristiques.
82.
Circulation.
Le passage du sang au travers de l’organe qui nous occupe a été l’objet d’une étude attentive de la part de Bojanus. C'est même la disposition du système circulatoire dans l’Anodonte qui a conduit le savant professeur de Wilna à son opinion touchant le rôle des glandes, dont le premier il faisait l’histoire. De Blainville, (out en critiquant le travail de Bojanus, reconnut que la circulation avait été soigneusement et exactement étudiée. Plus tard, Garner et Richard Owen indiquaient en quelques mots les principaux faits , et comparaient même la circulation de l'organe avec celle du foie, Is montraient dans ce rapprochement que la cireulation de la veine porte est tout à fait l’analogue de celle-ci; mais c’est toujours de l'examen de une ou deux espèces que les auteurs concluent et géné- ralisent ; aussi les résultats auxquels ils arrivent doivent-ils être modifiés en certains points.
La description de Bojanus est l'expression de la vérité ; je ren-
(1) Modiola lithophaga, Lamk., 2° édit., t. VII, p. 26, n° 22,
SUR L'ORGANE DE BOJANUS. 283
voie done au travail de ce savant (1) pour ce qui est de l’Anodonte. Il y aura cependant quelques remarques à faire en ce qui touche les faits de structure se rapportant à la circulation.
On trouve des différences dans le mode de distribution des vais- seaux, suivant que les animaux présentent l’un ou l'autre des deux types que nous avons reconnus en étudiant la forme et la disposi= tion des organes. Je prendrai successivement chacune des dispo- sitions.
Posons en principe que le sang arrivant de l’économie pour aller respirer aux branchies doit traverser le corps qui nous occupe ; que les vaisseaux qui apportent le sang veineux sont pro- fondément situés ou intérieurs; et qué ceux, au contraire, qui le portent du sac aux branchies sont superficiels ou externes.
Ceci nous permettra d’abréger et de rendre plus simple la dés- cription.
Prenons d’abord comme exemple et comme type la Lutraire.
On sait que le sang qui arrive aux organes de la respiration après avoir traversé en {out ou partie l'organe de Bojanus, vient , d'une part, de la masse abdominale, de l’autre des lobes du manteau.
Voyons, en premier lieu, le sang des viscères ou de la masse ab- dôominale. Dans la Lutraire comme dans l’Anodonte, la Mulette des peintres et beaucoup d’autres , on trouve en injectant , et poussant un liquide au hasard dans la masse splanchnique, un système de lacunes qui finit par se résoudre en quelques veines , lesquelles , par leur réunion, donnent naissance à quelques gros troncs (2) dont la fusion produit bientôt un dérnier vaisseau médian (3) placé entre les deux muscles postérieurs du pied, et dirigé en arrière. Si l'on se rapporte à la description précédente dé l'organe, ces quelques mots suffisent pour néttement caractériser la position de ce vaisseau, On doit, en effet, le chércher à la partie inférieure de la cloison médiane qui sépare les deux sacs. IT passe au-dessous
(4) Voy. Jsis, 4849, p. 46, pl. 1, fig. 4 a; et 4820, p. 404, Voy. l'analyse et la traduction de M. de Blainville, dans le Journal de physique, de chimie et d'histoire naturelle.
(2) T. IV, pl. 6, fig. 6 (x).
(3) T. IV, pl. 6, fig. 6 (sm), fig. 7 (sm).
284 H. LACAZE-DUTHIERS. — MÉMOIRE
de l’orifice de communication (A) percé dans cette cloison. C’est même au-dessous de cette ouverture que se réunissent les vais- seaux venant du foie, des glandes génitales, et du pied pour former ce canal impair que je nommerai le sinus médian inférieur.
En ouvrant ce sinus par sa face inférieure (2), on voit que ses parois sont criblées de petits orifices, surtout dans le haut. Ce sont les perluis qui fournissent le sang à la cloison médiane, et aux parties inférieures du sac ; quelques-uns sont plus grands que les autres : ils correspondent aux vaisseaux qui portent le sang plus loin dans la cloison. Le sinus médian naïten avant etse porte vers le muscle postérieur des valves, c’est-à-dire directement en arrière. Arrivé lout près de ce muscle il se divise en quatre branches prin- cipales : deux antérieures ou collatérales , et deux postérieures ou terminales.
Les deux-premières (3) se contournent en haut en se portant un peu en dehors peur gagner l'extrémité postérieure de la partie centrale de la glande (4), de cette partie appelée poumon par Bojanus. Alors elles changent de direction , elles se portent en avant , et arrivent, en s’épuisant peu à peu, jusque vers l’extrémité antérieure de cette masse centrale. Il est facile d’injecter par le sinus médian ces branches collatérales, et de les suivre dans les parties que j'indique.
Les rameaux de terminaison (5) se portent aussi en dehors et en haut, en se contournant sur les muscles postérieurs du pied , en dedans desquels ils se trouvent. Ils gagnent la paroi postérieure et externe du sac, dans laquelle ils doivent se ramifier et appor- ter le sang. Après avoir parcouru ce trajet flexueux ils changent brusquement de direction pour se porter en avant, et fournir ainsi à toutes les autres parties latérales et antérieures du sac qui ne reçoivent pas de sang, des ramuscules du sinus médian, ou bien des deux vaisseaux collatéraux.
(A) T. IV, pl. 6, fig. 6 (z).
(2) T. IV, pl. 6, fig. 7 (sm). (3) PL. 6, fig. 6 etfig. 7 (i). (4) PL. 6, Gg. 6 et fig. 7 (p}, (5) PL. 6, fig. 6 (1),
SUR L'ORGANE DE BOJANUS. 285
Il est à peine utile d'ajouter que ces quatre vaisseaux se distri- buent symétriquement deux de chaque côté du corps.
Ainsi voilà un vaisseau médian, résultat de la réunion des troncs veineux arrivant de la masse abdominale, qui se ranifie tout à fait à la manière des artères dans le tissu du corps de Bojanus; c’est une véritable circulation de la veine porte. Il n’y a pas seule- ment ressemblance quant à l’origine et à la division des vaisseaux, mais encore ce système circulatoire est placé sur le trajet du sang, qui des viscères va aux organes de la respiration, c’est-à-dire sur le trajet du sang veineux qui revient des viscères chargé de la matière alimentaire absorbée après la digestion, absolument comme dans les animaux supérieurs. À ne considérer done que la circulation , il n’est pas douteux que l’on ne trouve ici l’analogue du foie ; mais je reviendrai sur ce fait en parlant des fonctions de la glande. Je veux toutefois bien établir ce fait que les Mollusques présentent une petite cireulalion analogue à celle du foie des animaux supérieurs , avec celte différence qu’elle se passe dans un organe tout différent de ce dernier.
Après s'être ramifiés dans le tissu du corps glandulaire les vaisseaux se résolvent en capillaires, dont je n'étudierai point ici la disposition, renvoyant pour cela au moment où je m’occuperai de la structure.
Voyons maintenant les vaisseaux efférents. Ceux-ci reçoivent le sang des capillaires, et le portent aux branchies. Il y a bien une disposition générale et constante dans leur position, mais il se pré- sente de nombreuses et très grandes variations dans la forme et le nombre : la position seule est constante. Si les vaisseaux afférents étaient profondément placés, les vaisseaux efférents, au contraire, sont toujours en dehors à la surface externe de l'organe ; c’esteux que l’on apercoit d'abord quand on réussit bien les injections, ou bien quand, sur la paroi externe de l'organe, il s’en dessine sans préparation.
Dans les Mulettes, les Anodontes, il y a des vaisseaux dis- tincts portant le sang de l'organe aux branchies en avant et en arrière, ainsi qu'au feuillet interne et au feuillet externe : Bojanus les a exactement indiqués; mais dans la Lutraire qui nous occupe
286 H. LACAZE-DUTHIERS, — MÉMOIRE
il en est autrement : les rameaux externes couvrent d’un lacis très épais la paroi du sac , et débouchent, dans des sinus creusés dans la substance glandulaire, mais toujours placés en dehors. Ces sinus, quand on réussit bien à les injecter, font saillie sur le plan- cher du péricarde ou sur les parois latérales. En les ouvrant (4), on voit les pertuis nombreux qui apportent le sang dans leur inté- rieur.
Tous ces sinus convergent vers un point latéral et symétrique placé de chaque côte dans la partie la plus dilatée transversalé- ment (2) de l'organe. C’est là que viennent aboutir tous les vais- seaux branchiaux.
On doit reconnaître quelques sinus principaux, qui, dans la Lutraire, offrent une disposition constante. Il en est un long (je ne décris qu'une côte puisque la disposition est symétrique ), qui, de l’insertion branchiale à l’extrémité postérieure de l'organe , se dirige d'avant en arrière jusque dans le prolongement de la glande qui remonte sur le muscle postérieur des valves. Sur son bord interne, un peu au delà du milieu de la largeur en arrière, on voit un sinus plus petit, secondaire, qui se porte en dedans. Tandis que le premier mérite le nom de sinus latéral (3), celui-ci peut être appelé sinus dorsal (hi).
L'extrémité antérieure du sinus latéral est fort dilatée et large; quand on en enlève la paroi externe , on distingue, sur la paroi profonde en dehors, du côté de l'insertion des bran- chies, une série linéaire de pertuis dont les deux derniers, en avant et en arrière, sont assez grands pour permettre l’introduc- tion d'une tête d’épingle. Ces orifices ne sont autre chose que les bouches des vaisseaux branchiaux , qui reçoivent le sang accu= mulé dans les larges sinus creusés dans la substance même de la glande.
Vers l'extrémité postérieure du sinus latéral, on en trouvé un autre qui est plus inférieur que celui-ci : il mériterait le nom dé
(4) T. IV, pl. 6, fig. 4#et 5 (m n q). (2) T. IV, pl. 6, fig. 4, 5 (m m).
(3) T. IV, pl. 6, fig. # et 5 (get o). (4) ©. IV, pl. 6, fig. 4 et 5 (4).
SUR L'ORGANE DE BOJANUS. 987
sinus inférieur (1). Son extrémité postérieure se contourne en dedans , plonge dans la substance glandulaire pour aller recueillir le sang qui a traversé la partie centrale de l’organe, le poumon de Bojanus (2).
Ainsi, en résumé, le sang est porté profondément dans tout l'organe par les ramifications du vaisseau médian. 1] est recueilli par les capillaires , qui le déversent dans les sinus superficiels et externes, d’où il va, par la réunion én un même point de tous ces sinus , dans l’appareil de la respiration.
Nous venons d'indiquer la marche que suit le sang apporté de la masse viscérale ; mais il ne vient pas tout de ces parties, il ne passe pas tout par la glande.
M. Milne Edwards, dans ses beaux travaux sur la circulation des Mollusques, a montré qu'une partie du sang du manteau arrivait directement dans les oreillettes sans passer par l'appareil de la res- piration. Eh bien, une disposition analogue se présente pour la circulation, que nous étudions en ce moment. On trouve en avant et en arrière, mais surtout en haut et en bas du muscle des valves, un Jacis de canaux, à parois aussi vagues et aussi peu limitées que dans le reste de l'organisme, qui recoit postérieurement du sang des parties qui l’avoisinent, et qui le verse antérieurement en partie dans les tissus spongieux de la glande, en partie dans les branchies. Dans la Lutraire le manteau est très développé en arrière, et recoit une quantité de sang assez grande pour rendre turgides les tubes respirateurs ; une grande partie du liquide, en revenant de ces parties , tombe dans ce sinus latéral ou inférieur, et se rend directement aux branchies sans traverser par consé- quent l'organe de Bojanus,
Mais cette particularité est loin d’être aussi nettement tranchée que dans les animaux que nous allons étudier maintenant, Si, dans la coquille de Saint-Jacques , les choses se passent un peu diffé- remment , toujours néanmoins les vaisseaux afférents sont pro- fonds, toujours les vaisseaux efférents sont superficiels.
On sait que dans les Pecten dont il s’agit la masse viscérale est
(4) T. IV, pl. 6, fig. 4 et 5 (n).
(2) T. IV, pl. 6, fig. 6 et 7 (p).
288 H. LACAZE-LUTHIERS. — MÉMOIRE
divisée presque en deux moitiés : l’une, antéro-supérieure, compo- sée plus exclusivement du foie; l’autre postérieure, que j'ai com- parée à la bosse de polichinelle, formée par les glandes génitales ; entre les deux, est un étranglement où l’on voit le pied. Cette sorte de division des viscères conduit à une division analogue des vais- seaux ; il-faut donc étudier la marche du sang qui vient du foie et de celui qui vient des organes génitaux.
En poussant le liquide par les lacunes périjécorales, il est facile d’injecter les vaisseaux veineux (1), qui se ramifient à la manière habituelle au milieu des lobules du foie. On voit alors qu'ils se réunissent en trones plus ou moins constants, qui toujours finissent par former un vaisseau distinct; celui-ci n’est plus impair et médian, mais il est double et symétrique , on le retrouve de chaque côté (2); en sorte qu'en définitive , tout le sang arrivant du foie est contenu dans deux vaisseaux, qui se dirigent du haut en bas et d’a- vant en arrière en passant sur les côtes de la bouche, et gagnant les côtes de la base du pied. Comme c’est au niveau à peu près de la bouche qu'a lieu la communication entre les deux glandes, le vaisseau dont il est ici question se trouve donc près de cette com- munication exactement entre elle et la bouche.
Ce vaisseau afférent ne plonge dans la substance glandulaire qu'après avoir dépassé la base du pied, et être arrivé dans la partie vraiment parenchymateuse : il.y pénètre de dedans en dehors , et il faut alors, pour pouvoir continuer à le suivre, ouvrir le sac.
Dans l'Huître vermeille (3), quand on ouvre la poche avant d’avoir étudié la circulation , on est frappé par l’apparence vascu- laire que présente son intérieur. On voit naître en face de l’espace qui sépare la masse abdominale de la masse hépatique, un faisceau qui seporte directement en dehors et en haut, en émettant de chaque côté des rameaux dont les anastomoses forment un lacis, qui laisse entre ses mailles des dépressions nombreuses donnant à la cavité et à l'organe tout entier l'aspect d’un tissu spongieux. A la première
(a) T. IV, pl. 6, fig. 4 (j). (2) T. IV, pl. 6, fig. 4 (y) (3) Spondylus gæderopus.
SUR L'ORGANE DE BOJANUS. 289 vue, on reconnait dans le Spondylus gæderopus (4) la richesse vasculaire du corps de Bojanus.
Dans le Pecten (2) une disposition à peu près semblable se pré- sente aussi; mais les vaisseaux sanguins venant du foie sont plus difficiles à suivre, il est nécessaire de les injecter, ce qui permet de voir que le vaisseau dont je parlais il n’y a qu'un instant se divise en deux branches, dont les subdivisions secondaires s’entre- croisant dans tous les sens forment un lacis, véritable réseau d’où résulte un tissu spongieux. Les deux branches cheminent à la face interne : l’une est plus supérieure que l’autre. On remarque dans cette différence de la distribution des canaux sanguins quelque chose de correspondant à ce que nous avons vu dans la disposition générale de l'organe.
Le sang qui revient de la masse abdominale aux organes de la reproduction , chemine dans des vaisseaux très faciles à distinguer sans aucune préparation (3). [ls sont arborescents et assez réguliè- rement disposés ; au premier abord on est disposé à les prendre pour des artères. Leur nature ne peut faire l'ombre d’un doute; car en poussant une injection par le cœur, on n'arrive à les injec- ter qu'après avoir fait des ruptures, à moins que l'injection n’ait tellement bien réussi que, les tissus se colorant d’une manière géné- rale, le liquide ne passe par les lacunes des artères dans les veines. D'ailleurs ils aboutissent par leur grosse extrémité à l’organe de Bojanus ; ils ne peuvent donc pas appartenir au système artériel, Ces vaisseaux se portent en dedans vers l'organe, et s'introduisent dans sa substance profondément du côté des vaisseaux venant du foie.
Ainsi voilà deux voies différentes par où le sang arrive du corps à l'organe. Dans l’Anodonte, la Lutraire , un seul vaisseau médian impair distribue ses ramifications à tout l'organe; ici, au con- traire, des vaisseaux de deux ordres pour chaque côté, et portant chacun le sang d’une partie spéciale.
(4) T. IV, pl. 4, fig. 6 (rr). (2) T. VE, pl. 6, fig. 4. Le sac de la glande a été ouvert, et les parois étalées permeltent de voir le lacis des vaisseaux entourant les deux trencs principaux. (3) T. IV, pl. 6. fig. 2 (v.). 4" série. Zooc. T. IV. (Cahier n° 5.) 5 19
290 M. LACAZE-DUTHIERS. — MÉMOIRE
Les vaisseaux elférents (1) sont faciles à voir, même sans injec- tion, dans les coquilles de Saint-Jacques. Ils ne sont plus semblables aux sinus de la Lutraire, et ils ressemblent absolument aux vaisseaux veineux que l’on remarque sur la face externe de l'abdomen. On en voit sans préparation les arborisations dont les ramuseules les plus déliés sont tournés vers le bord interne, tandis que les gros troncs se portent sur la face inférieure vers le point où s’insèrent les bran- chies, et s'ouvrent directement dans le sinus branchial (2).
Nous avons vu que dans la Lutraire, tout le sang qui allait aux branchies ne traversait pas l'organe de Bojanus. Il en est de même ici, mais la chose est plus nettement caractérisée. Au-dessous du musele des valves, si développé dans l'espèce que nous étudions , on trouve un lacis de vaisseaux qu'on injecte avec la plus grande facilité, et qui communique avec deux larges poches (3) piriformes, véritables sinus , placées sous l’attache de ce repli faleiforme, qui sertde base d'insertion aux branchies. Ces deux sinus, que l’on in- jecte avec la plus grande facilité, reçoivent aussi du sang qui revient du musele des valves (4), et de quelques autres parties postérieures du manteau. En avantils s’allongent et s’effilent en un véritable col, pour s’aboucher avec la base du vaisseau branchial dans un point tout voisin de celui où les vaisseaux efférents de l'organe de Boja- nus viennent eux-mêmes s'ouvrir. Il est facile de reraplir d’injec- tion à la fois les vaisseaux du corps de Bojanus et ces sinus en poussant le liquide coloré par le vaisseau branchial , qui court le long du bord concave de la branchie.
On voit qu'au fond la cireulation se passe dans le Peigne comme dans la Lutraire ; et que les différences que nous signalons tiennent simplement à des modifications dans la forme de la glande.
Dans la Moule comestible ainsi que dans l’Anomie , la glande génilale occupe en grande partie l'épaisseur du manteau. Le sang qui revient de ce dernier est en quantité très considérable, on le com- prend; il ne traverse pas tout le corps de Bojanus. Il y a, en
(1) T. IV, pl. 6, fig. 2 (h). (2) T. IV, pl. 6, fig. 2 (sb). (3) T. IV, pl. 6, fig. 2 (ss). (8) T. IV, pl. 6, fige 4 (s).
SUR L'ORGANE DE BOJANUS. 9294.
effet, des vaisseaux qui sont jetés comme des ponts au-dessus de la glande, surtout en dehors, entre le manteau et la veine bran- chiale, d'où résullent ces lamelles séparées par des sillons, ce qui a fait croire à Siebold que la glande était ouverte dans toute sa largeur.
En résumé, on voit que le sang traverse en grande partie, avant d'aller s'hématoser, la glande de Bojanus ; mais que, s’il ne la traverse pas en totalité, cependant celui qui revient des organes de la digestion ne fait en aucun cas exception. Il ne peut done être douteux qu'il ne se passe dans la glande quelque action phy- siologique importante.
A part l'étude faite par Bojanus sur la Moule des étangs, peu de travaux traitent d'une manière suivie la partie de la circulation dont je viens de faire l'histoire. Cependant M. Deshayes s’en est accupé dans les différentes monographies qu'il a publiées dans l £æplora- tion scientifique de l'Algérie. La circulation, telle que la décrit. le savant concnyliologiste dans l'organe dépurateur (c’est ainsi qu'il nomme le corps de Bojanus), n'est pas, si j'ai bien compris et inter- prété le texte de la publication, en rapport avec les faits que je viens de rapporter.
M. Deshayes, après avoir dit, en s'appuyant sur l'opinion de quelques zoologistes, que l'organe dépurateur a de larges commu nications avec le système veineux général, « … que tout le sang » Sans exceplion devait passer à travers ses cavités avant de ren- » lrer dans le système aortique , » déclare que ce fait est pour lui indubitablement établi (4). Dans de très belles figures, il montre la connexion avec le système veineux général.
Mais il devient difficile de le suivre dans les détails qu'il donne à propos de la communication de l’organe dépurateur avee l'oreil- lelte. Je citerai le passage. Au sujet des Pholades, il dit (2) : « L'extrémité postérieure de l'oreillette a des connexions avec l'or- » gane dépurateur , et c'est à qu'il faut chercher Ja communication » qui existe entre ces deux organes. Dans le Solen siliqua , l'extré- » mmité des deux piliers charnus vient se terminer en pointe aiguë
(4) Loc, cit., p. 467.
(2) Loc. cit,, p, 467, 48, fig. 4 (mn); fig. 3 (de).
292 I. LACAZE-DUTHIERS. -— MÉMOIRE
» à l'angle antérieur de la cavité de l'organe (pl. 18, fig. 4 m, n, » fig. 3 d, e), et c’est en suivant la direction de ces deux piliers que » l’on arrive à la petite ouverture communiquant avec l'oreillette. » Cette ouverture est ovale-oblongue (pl. 18, fig. 3 f); elle est » garnie de chaque eôté d’un petit pilier un peu plus épais, qui, » probablement, remplit les fonctions d’une valvule. »
Il est difficile de savoir si l’auteur, quand il parle de communi- cations, a entendu désigner la cavité, le sac lui-même, ou les vais- seaux de ses parois. On ne peut guère admettre que ce soit la cavité du sac qui entrerait en communication avec l’oreilletie ; cependant la description de lorifice ayant deux piliers charnus servant de valvules semblerait l'indiquer.
Dans tous les cas, en admettant que l'oreillette soit en commu- nication avec le tissu seul de l'organe , il y a là quelque chose que je n’ai point observé. J'ai montré dans ce qui précède que l'organe de Bojanus était placé sur le trajet du sang entre le corps et les branchies ; que le sang qui s’échappait de ses vaisseaux allait s’oxy- géner dans les organes de la respiration. Il ne peut done arriver aux oreillelles qu'après avoir traversé les branchies. Peut-être y a-t-il quelques vaisseaux qui, du corps de Bojanus, vont directe- ment aux oreillettes, comme cela se voit pour le manteau; mais je n'ai pas souvenance d’avoir jamais rempli les oreillettes en poussant mes injections dans les tissus de l'organe , et cependant bien souvent elles ont assez bien réussi pour remplir complétement les vaisseaux branchiaux. Toutefois je dois dire que M. Deshayes n’est pas seul de son opinion. Bojanus a décrit dans l’Anodonte des vaisseaux qui vont aussi à l'oreillette. I le dit en plusieurs endroits. Il appelle artères du réservoir des œufs les vaisseaux qui vont aux branchies, et veines ceux qui se rendent à l'oreillette. Le sang suivrait donc deux trajets à la sortie de l'organe pour revenir au cœur. Il irait, d’une part, directement , de l’autre indirectement en traversant les branchies. Je puis dire en {ous cas que la première communication est secondaire , mais on comprend que Bojanus ait dû lui attribuer une grande importance en raison même de son opinion, puisque les branchies n'étaient pas pour lui l'organe de la respiration, et que le corps glandulaire était le poumon ; dans
SUR L'ORGANE DE BOJANUS, 293
cette manière de voir, il était naturel de ne pas admettre que tout le sang ayant respiré passät par le réservoir des œufs (branchies).
Ce qui me porterait à croire que la cireulation n’a pas parfaite- ment été entrevue par M. Deshayes, c’est qu'il arrive à cet auteur d'injecter le tissu de l'organe dépurateur par l’artère postérieure.
« Si l’on parvient à injecter l'aorte postérieure, ce qui est quel- » quefois très difficile, on voit alors les diverses surfaces de l’or- » gane..…. se couvrir d'un réseau vasculaire très riche, dont les. » rameaux communiquent entre eux par une multitude d’anasto- » moses. Lorsqu'on a l'organe ainsi injecté, la couleur de son tissu » est tellement changée qu'il faut un examen attentif, et des gros- » sissements suffisants pour reconnaitre que ce changement n’est » pas dù à une simple imbibition des tissus, mais à une véritable » injection. »
D'après cela il y aurait un troisième ordre de vaisseaux aussi développé que les précédents, et qui porteraient du sang artériel. Je dois dire n’avoir rien vu de semblable, et l’aveu d’une grande difficulté à parvenir à injecter par l'aorte postérieure ferait croire qu'il y a eu quelques ruptures dans les cas de réussite.
Richard Owen (1) et Garner (2) font remarquer que le sang tra- verse l'organe pour arriver aux branchies, mais ils ne donnent pas de détails.
S 3.
Structure et Texture.
La structure et la texture de la glande sont faciles à reconuaitre, et si l’on sait peu de chose à leur égard, cela tient tout simplement à ce que les auteurs ne s'en sont occupés que secondairement et accidentellement , pour ainsi dire.
M. von Siebold en parle ainsi : « Le parenchyme des parois » «le ces sacs est formé par un tissu lâche, qui, à la moindre » lésion, se décompose en petits corpuscules vésiculeux et gra- » nuleux. La plupart de ces corpuscules contiennent un noyau
(1) Richard Owen, Lectures on comparative anatomy, vol. 1, p. 284. (2) Garner, The magazine of natural history by Charlesworth, p, 167, 1839,
294 NH, LACAZE-DUTHIERS. —. MÉMOIRE
» arrondi, d’un noir bleuâtre, auquel est due la couleur plus ou » moins foncée des reins, ele. » Et il ajoute en note : « La struc- » ture intime de ces organes n'a pas assez attiré l’attention jus- » qu'ici (4). »
Rien n’est facile à obtenir comme l'élément anatomique dont il s’agit; en effet, il suffit de prendre au hasard une portion de la glande, et dela porter sous l'objectif du microscope pour voir dans le liquide flotter une multitude de cellules facilement reconnais- sables, et dont le volume, quoique variable, est cependant presque toujours assez considérable, Dans quelquesexemples, le tissu semble s’égrener, et les corpuscules qui le composent, devenus libres et gonflés par l’endosmose, paraissent très transparents et parfaite- ment sphériques. Cela s’observe avec une grande facilité dans la Chama griphoïdes (2), le Corbula siriata (3), la Spondylus Gæde- ropus (hi), la Lima squamosa (5), la Lucina lactœa (6), ete., et beaucoup d’autres dont je n’ai pu donner le dessin.
Lorsque l’endosmose a ainsi gonflé les petites utricules, leur contenu se montre plus nettement, car il semble s'être limité davantage, et ramassé en une pelile masse autour d’un noyau; celui-ci présente dans son intérieur des nucléoles, ou tout au moins ces petits corpuscules que l’on est convenu d'appeler ainsi.
La cellule a, du reste, des apparences très variables : quelque- fois elle est complétement transparente et vide de {out corpuscule autre que ce noyau, comme on le voit dans la Pandora rostrata (7). On peut presque poser celte règle : plus le noyau est bien dessiné, nettement limité, et moins le contenu de la cellule est abondant.
: Ainsi dans la Pandore, le noyau est seul au milieu de la cellule ; il en est à peu près de même dans la Chame (8), dans la Telline, la
T. IV, pl. 4, fig. 10.
) pl. 4, fig. 3.
(4) T. IV, pl. 4, fig. 7 et 8. (5) T. IV, pl. 4, fig. 2.
(6) T. IV, pl. 4, fig. 41 et 12. (7) T. IV, pl. 5, fig. 45.
(8) T. IV, pl. 4, fig. 10.
v# à
SUR L'ORGANE DE BOJANUS, 295
Lutraire (quand il n’y a pas une cristallisation), ainsi que dans la Pholade où j'ai observé aussi quelque chose de fort analogue.
Mais il faut l'avouer, les choses varient avec l’époque à laquelle on observe , et souvent dans un même individu une partie de la glande à des cellules dont les noyaux sont très distinets et le con- tenu nul, tandis qu'à côté une autre partie a les cellules presque remplies de granulations épaisses et serrées.
Toutefois, dans Ja Dattile (4) des Mahonais, j'ai presque con- stamment observé que le noyau n'était pas aussi distinet, et que la cellule était le plus souvent, je pourrais même dire toujours, rem- plie de granulations colorées, qui donnent au tissu son apparence particulière.
Dans le Pectunculus pilosus (2), j'ai observé quatre, cinq petits noyaux, et quelquefois plus, qui n'étaient pas toujours rapprochés.
Du reste, cette différence du contenu peut donner diverses apparences au tissu , comme on le verra plus loin.
Les cellules sont de taille très variable ; dans la Pholade, la Pétri- cole, elles m'ont paru relativement fort petites. Dans cette dernière, le noyau est fort petit, peu considérable, très limité, et le contenu nul (3). Dans l'Huître vermeille, la Prère ou Corbule , elles ac- quièrent un développement plus considérable (4).
J'ai dessiné le tissu de la glande de la Chama grip hoïdes dans la planche 4, figure 10, et l'on voit que sur une même espèce, un même individu et une même partie, il y a une grande différence dans le volume des éléments.
Les dimensions sont déjà plus considérables dans là Lime (5) ; mais c’est surtout dans la Telline et la Lucine (6) que l’on observe les cellules de Ja plus grande taille.
Dans quelques cas peu nombreux, il ua paru y avoir de petites cellules enfermées dans des cellules plus grandes ; on dirait une pro-
(A4) T. IV, pl. 5, fig, 7 et 8. (2) T.1V, pl 5, fig. 46.
(3) T. IV, pl. 5, fig. 4 (a). (8) T. IV, pl. 4, fig. 3, 8. (5) T. IV, pl. 4, fig. 2.
(6) T. IV, pl. 5, fig. 40 (b c).
296 H. LACAZE-DUVHIERS, — MÉMOIRE
duction endogène; c’est ce qui s’est offert avec évidence dans le Pectunculus pilosus (1). Bien que, dans cet exemple, ce mode de développement ne puisse être révoqué en doute, je n’oserais cepen- dant affirmer qu’il existe toujours, sans exception, car je ne l'ai pas retrouvé dans tous les cas.
Il faut aussi indiquer ce qui se montre d’une manière à peu près constante dans les Lucines (2), ainsi que dans quel- ques autres espèces. Le noyau dont je reparlerai plus loin est nettement circonscrit ; il est volumineux, et fortement accusé par sa teinte brunätre. La cellule qui l’enferme est grande, et ses bords sont bien limités; mais en observant attentivement et faisant varier les inclinaisons du miroir du microscope, on distingue comme un léger contour qui entoure le noyau en dedans de la cellule; il y aurait presque l’apparence d’une cellule plus petite, incluse dans la plus grande. Certainement ceci conduirait à admettre un déve- loppement de la cellule autour du noyau comme Schwan l’a indi- qué; mais la même apparence se présente, alors qu'il y a deux ou trois noyaux.
Je ne pourrais dire si celte apparence est due à la présence d’une substance, de puissance réfringente différente, entourant le cor- puseule central, ou si elle est la conséquence de l'inclusion d’une cellule.
Dans une observation que malheureusement je n’ai pu répéter, les Lucines étant fort difficiles à trouver, quoique très abondantes sur les côtes de Bretagne, j'ai eru voir autour d’un noyau considé- rable, occupant une grande partie de la cellule, un cercle pellucide, entouré lui-même d’une zone obscure, où des granules très fins et peu développés se mouvaient d’un mouvement brownien. Je le répète, y a-t-il une substance hyaline entourant le noyau ? y a-t-il deux cellules emboitées ? C'est ce que je ne puis décider.
Ainsi l'élément microscopique de l'organe est une cellule enfer- mant une matière brunâtre plus ou moins jaune verdâtre , tantôt éparse, tantôt limitée, et formant un noyau qui cause la coloration générale de la glande.
(1) Voy. t. IV, pl. 5, fig. 16.
(2) Voy. t. IV, pl. 4, fig. 12(a bc).
{ ÿ
GR
SUR L'ORGANE DE BOJANUS, 297
Le contenu offre encore quelques autres particularités ; mais je renvoie pour les faire connaître au moment où je m'occuperai des fonctions.
Comment ces éléments se réunissent-ils, et forment-ils le tissu de la glande? C’est ce qui nous reste à étudier.
Les cellules s’accolent les unes aux autres assez chement, car elles ne forment jamais un tissu dense et résistant, se compriment et deviennent polyédriques ; ce qui fait que lorsque l’on a du tissu sur les yeux, on croirait avoir parfois affaire à du tissu végétal. Dans quelques Mactres des côtes de Bretagne et de Normandie, quand la malière colorante n'est pas encore bien développée, illusion pour- rait être complète pour un observateur qui ne connaïtrait point l'origine de la préparation ; les cellules sont réunies par couches, dont l'épaisseur est mesurée par trois, quatre et même davantage.
Ces couches de cellules, lichementunies, tapissent la paroi interne du sac. Les éléments les plus externes, ceux qui limitent la sub- stance glandulaire, sont hérissés de cils vibratiles , qui acquièrent souvent une grande largeur. Dans les Mactres surtout, les cils deviennent de longs filaments flabelliformes. Dansles Pandores (1), ils atteignent aussi un grand développement. Ici l’épithélium est formé par la substance elle-même ; car, à part les cils vibratiles, il n'y a aucune différence entre la cellule la plus externe et les deux ou trois qui la suivent.
Dans l’Arche de Noé, au contraire, les cils sont fort peu allon- gés, et ils forment comme un fin duvet mobile à la surface interne du sac.
Je dois appeler l'attention sur deux exemples , où les cellules grandes , bien développées, nucléolées, ne sont pas les plus externes. La couche vibratile est formée de cellules ou corpuseules assez petits qui, depuis la surface libre jusqu'aux parties profondes, augmentent de volume. Le Spondyle (2) et la Corbule (3) offrent cette disposition, qui m'a paru évidemment exceptionnelle. Y aurail-
(4) Voy. t. IV, pl. 5, fig. 45.
(2) Voy. t. IV, pl. 4, fig. 3) Voy.t, IV, pl. 4, fig. 3,
298 I. LACAZE-DUTHIERS, — MÉMOIRE
il eu une erreur dans mon observation ? A côté d’une partie de tissu peu développée, serait-il venu se placer un tissu dont les cellules avaient acquis toutes leurs proportions ?
Dans son ensemble, le tissu peut offrir deux aspects diffé rents : tantôt la séparation des cellules est marquée par un trait (4) obscur, tantôt au contraire par une bande plus claire (2). Le pre- mier cas à lieu quand le contenu des cellules est réuni en une petite masse bien distincte, en un noyau, où bien quand la cellule est vide et transparente ; le second se présente quand les granula- tions sont très nombreuses, la cellule paraissant alors entièrement obseuré, et les points de contact, les parois accolées des diverses cellules, produisant une petite bande transparente. C’est quelque chose de tout à fait semblable que l’on observe, lorsque le tissu végétal est gorgé de chlorophylle. Cette apparence s’est présentée assez habituellement dans les Dattiles ou Lithodomes du port de Mahon.
Quand on ouvre le sac de Bojanus, on voit que la surface de la cavité est comme veloutée ou tapissée de sortes de papilles. Le dessin d’une portion grossie de la glande du Spondyle (3) que je donne est une représentation exacte de l'apparence de la face interne de la glande. Nous devons chercher maintenant qu'est-ce qui produit ces inégalités.
Si l’on soumet à l'examen microscopique, mais à un grossisse- ment faible, une portion assez considérable du tissu de la glande, non plus pour en connaître les éléments, mais pour en étudier la disposition générale, on remarque, en comprimant légèrement, que les saillies dont il vient d’être question sont loin d’être pleines, qu'à leur centre est une cavité ; et si observation que j'indique est faite sur la glande d’un animal injecté, on voit que la matière colorante occupe cette cavité.
En employant un grossissement un peu plus fort, on ne tarde pas à s'apercevoir qu'autour de cette cavité, véritable dépendance du système sanguin , est une couche mince et régulière de tissus
(1) T. IV, pl. 6, fig. 7 port. (b).
(2) T. IV, pl. b, fig. 7 port, (a).
(3) T. IV, pl 4, fig. 9.
‘SUR L'ORGANE DE BOJANUS, 299
glandulaires ; de telle sorte que l’on peut considérer chacune de ces élévations comme un prolongement en cul-de-sac de Parbre circulatoire, entouré par de la substance glandulaire. Il y a donc ici quelque chose qui rappelle un peu, mais avec beaucoup de sim- plicité, ce que l'on voit dans les villosités inteslinales, sauf, bien entendu, les fonctions auxquelles je ne veux nullement faire allu- sion.
On peut dans l'étude du corps de Bojanus se représenter dans toute sa simplicité la marche de la sécrétion ; le vaisseau capillaire, qui forme une anse dans la petite élévation papilleuse du sac, entouré par un parenchyme capable de prendre, sans doute , par endos- mose les éléments de la sécrétion , fournit au tissu le liquide qui sert à élaborer les produits ; et la substance sécrétante est, on le voit, aussi rapprochée que possible du sang.
lei se présente une question importante , la substance cellulaire de cette couche que nous venons de décrireest-elle en dehorsd’une paroi propre au vaisseau, où bien forme-t-elle la paroi même du vaisseau? En d’autres termes , les capillaires que l’on injecte dans la paroi de la glande sont-ils distincts de la substance, ou bien sont- ils des lacunes creusées dans cette substance ? Je dois avouer que, dans bien des cas, dans la Pinne marine (4), dans la Pétricole (2), Ja Bucarde (3) rustique, il semble difficile de ne pas admettre cette dernière manière de voir, car la couche cellulaire est épaisse sim- plement de deux ou trois cellules, et l’on distingue très nettement la cavité centrale, surtout dans Ja Pinna nobilis et la Petricola ruperella.
Y a-t-il une pellicule mince, anhyste, qui limite cette cavité , et tapisse en dedans les contours du parenchyme glandulaire ? Cela est possible, mais la démonstration en est bien difficile, sinon impossible,
Que si l'on admet la première des opinions , on voit encore ici plus nettement le rapport de la substance glandulaire sécrétante avec le liquide sanguin; et l'on peut presque dire que la substance
(4) Voy. t. IV, pl. 5, fig. 9.
(2) Voy. t. IV, pl. 5, fig. 4.
(3) Voy. t. IV, pl. 5, fig. 4.
300 H, LACAZE-DULHIERS. — MÉMOIRE
puise par un de ses côtés les matériaux qu’elle sécrète et verse au dehors par l’autre.
Si maintenant on rapproche de ces descriptions la théorie mo- derne des sécrétions, qui explique la production des liquides par une mue et une déhiscence incessantes des cellules du parenchyme, on voit que le mouvement dans la production des cellules doit se passer du dedans au dehors, c’est-à-dire de la partie en con- tact avec le liquide sanguin à celle que couvrent les cils vibra- iles. On pourrait toutefois objecter à cette manière de voir les deux exemples que je présentais il n’y a qu’un instant, dans lequel les cellules les plus développées n'étaient point celles qui avoisi- naient les cils; mais on se rappelle quelles restrictions j'ai cru devoir faire.
On a vu que quelques faits semblaient démontrer le développe- ment endogène des cellules. Dans la T'ellina solidula que je pêchais aux Hébiens, j'ai remarqué qu'entre les cellules fort grandes et renfermant des noyaux fort développés, il y avait de petits points d’une matière jaunâtre analogue à celle qui forme le noyau des cellules ; et je me demande si ces granulations ne sont pas destinées à devenir le noyau de cellules futures. Tei le développement ne serait plus endogène.
Enfin il est une disposition queje ne dois pas passer sous silence, car elle peut, au premier abord, paraître embarrassante. Le tissu glandulaire de la Bucarde rustique (4), observé à un assez faible grossissement, paraît formé de petits prolongements creusés d’un cul-de-sac ; mais les cils vibratiles, au lieu d’être en dehors de ces prolongements , comme cela a lieu dans les autres espèces , se trouvent en dedans. On ne peut admettre que les vaisseaux san- guins soient ici dans le centre du prolongement là où paraissent les mouvements ciliaires. En observant le tissu de la glande de la Pétricole, on remarque (2) alternativement des dépressions et des saillies de la surface , on observe une même chose dans la Modiole lithophage (3). Aussi dans ces exemples trouve-t-on tous les pas-
(1) Voy. pl. 5, fig. 4.
(2) Voy. t. IV; pl. 6, fig. 1.
(3) Voy. t. IV, pl. 5, Gig.
4)
SUR L'ORGANE DE BOJANUS. 301
sages entre les lobules saillants de à Pinna nobilis (4), et les culs- de-sac du Cardium rusticum (2).
En résumé, que l’on considère les vaisseaux sanguins comme étant distincts, et formant un lacis considérable recouvert d’une couche de substance cellulaire de nature glandulaire , ou bien que l’on admette une couche glandulaire onduleuse dans les replis de laquelle sont creusés des canaux où s’épanche le sang dans son trajet du corps aux branchies, toujours aura-t-on une idée exacte de ladisposition et de la structure de la glande fort simple, en défi- nitive, comme on le voit.
III.
RÔLE PHYSIOLOGIQUE DU CORPS DE BOJANUS.
C’est en faisant toute réserve que je présenterai quelques consi- dérations sur la physiologie de cet organe ; je l'ai dit en comimen- çant, il est nécessaire d'entreprendre quelques recherches nou- velles; je ne puis cependant à la fin de ce travail, presque entièrement anatomique, m'empêcher de faire connaitre les faits qui me paraissent résulter des observations nombreuses que j'ai pu et dû faire, tant pour étudier l'organe lui-même que pour faire l'histoire des organes de la reproduction des Acéphales. Je regarde, du reste, les considérations qui suivent comme destinées à servir de renseignements pour un autre travail. Ce travail, je l'espère du moins, S'accomplira plus fard, et je pourrai alors remplir la lacune que présente aujourd'hui mon mémoire.
Il est utile d’abord de bien établir quelles opinions ont été sue- cessivement soutenues par les auteurs; il est peu d’organes dont le rôle ait été aussi diversement interprété. Bojanus (3) est le premier auteur qui ait sérieusement entrepris d’en faire connaître l'histoire. Dans un mémoire fort remarquable sur la respiration de
(4) Voy. t. IV, pl. 5, fig. 9.
(2) Vo. pl. 5. fig. 4.
(3) Voy. loc. cil., traduction de Blainville, et le mémoire original dans l'Isis, 1849.
302 H. LACAZE-DUTHIERS, — MÉMOIRE
l’Anodonte, cet auteur cherche à prouver que le sae glandulaire des Acéphales est un poumon. Cette opinion n’est plus soutenable et soutenue aujourd’hui ; cherchons cependant comment Bojanus avait élé conduit à cette manière de voir qui, du reste, n’était pas nouvelle, comme l’observe avec raison de Blainville, puisque Méry l'avait déjà émise à l'Académie des sciences de Paris.
Bojanus n'observant que l'Anodonte (Anodon cygnœum), et voyant toujours l'animal porter ses petits dans les feuillets de ses branchies, en conclut que ces organes étaient des matrices ou réservoirs des œufs. Dépossédant ainsi les feuillets branchiaux d’un rôle qui leur avait été jusqu'alors attribué, il lui fallait trouver ailleurs les organes de la respiration.
En faisant des injections, il reconnut bien vite la richesse vasculaire des glandes brunâtres placées de chaque côlé du corps; il supposa que cette richesse devait être en rapportavec une fonc- tion importante : trouvant un sac onvert à l'extérieur, dans la large cavité duquel s'élevait une éminence, qu'il crut spécialement vasculaire, il fut conduit à admettre que le sac était la cavité respi- ratoire où entrait l'eau; que la masse saillante était le poumon, organe même de Ja respiration.
S'il n'y avait à rien de nouveau, puisque déjà Méry avait eu cette opinion , il y avait au moins quelque chose d'incorrect et d'étrange. Quelque chose d'incorrect, car, ainsi que n'a pas manqué de le dire M. de Blainville, il n’y a pas de poumon quand la respiration est aquatique ; et quelque chose d’étrange, parce que tout le sang ayant respiré, tout le sang artériel aurait, avant d'arriver au corps, traversé un organe où la vitalité doit être très active au moment de la gestation.
Ce qu'il y a d’exact dans le travail de Bojanus, c'est la description de la cireulation. 11 semble même que la circulation lacunaire y est entrevue ; mais comme le savant professeur de Wilna ne faisait ses études que sur une seule espèce, il ne devait et ne pouvait généra- liser ; aujourd’hui que les beaux travaux de M. Milne Edwards nous ont fait connaître complétement cette disposition de la circulation particulière aux Mollusques , nous pouvons dire que Bojanus avait vu la disposition, sans se rendre un comple bien exact de ce qu'il
SUR L'ORGANE DE BOJANUS. 303 voyait. Voici ce qu'il dit; j'emprunte le passage à la traduction donnée par M. de Blainville: « Les veines du corps naissent de » toutes les parties... etil n’y a pas de doute qu'elles ne commu- » niquent avec les artères par des vaisseaux de transition d’un » diamètre assez considérable. Je doute que ce réseau et même ces » vaisseaux aient dans toute leur étendue de véritables parois » vasculaires, el je pourrais même affirmer qu'une grande partie en » est entièrement dépourvue. »
Si Bojanus ne se füt point lenu à l'étude d’une seule espèce, il aurait bien vite acquis la conviction que les branchies ne sont pas des marices , ear un grand nombre d’Acéphales ne portent plus leurs œufs pendant l'incubation; et cependant les prétendues matrices, qui, dans ces cas, seraient devenues inutiles, n’en existent pas moins.
J'ai rappelé ce fait pour montrer encore une fois combien il est nécessaire de multiplier les observations sur des espèces différentes et nombreuses , afin d'arriver à des données exactes.
De Blainville, qui s’occupa de faire connaître en France le tra- vail du célèbre professeur de Wilna, voulut aussi émettre son opi- nion qui n'avait rien d'arrêté, et qui, sous la forme d’hypothèse, attribuait successivement differents rôles à l’organe. Il se demanda si la glande ne serait point une annexe de l'organe de la respiration destiné à retenir de l’eau pour le cas où l'animal se trouverait placé hors de ce milieu ; si elle ne représenterait pas un organe sécréteur appartenant à la dépuration du sang ou une sorte de rein; si elle ne serait pas une sorte de rate, de ganglion vasculaire, destiné à faire subir une modification au sang, avant d'arriver à l'organe de la respiration ; ou bien enfin si elle n’appartiendrait pas à la géné- ration, et si elle ne serait pas chargée de sécréter l'enveloppe des œufs.
Dans ces opinions, dans ces hypothèses, que, du reste, le savant professeur ne démontre pas, on trouve un peu tout, et par con- séquent rien de précis.
Je citerai l’opinion de Richard Owen : « Modern analysis has » detected a large proportion of uric acid in the peritoneal com- » partiment enclosing this veinous plexus, and has thus determined
30 I. LACAZE-DUTHIERS. — MÉMOIRE
»itto be the renal organ. » Aïnsi pour M. Richard Owen, cette glande est un rein, parce que les analyses modernes y ont décelé une large proportion d'acide urique (1).
Garner, dont j'ai souvent cité le travail vraiment remarquable sur les Mollusques, considère le corps de Bojanus comme un organe d’excrélion, qui doit rejeter certains produits hors de l’éco- nomie. Il observe une chose qui, à mon sens, a passé trop inaper- çue, à savoir qu'à certaines périodes, le corps produit une plus grande quantité de matière calcaire. Ce fait est démontré par les sillons qui se voient sur la coquille, et qui correspondent, comme je lai observé même pour des embryons microscopiques, à des moments de repos. L'animal peut avoir besoin de se débar- rasser, à certaines époques, d’un surcroît de matière calcaire, et l'organe glandulaire dont il est ici question rejette cette matière au dehors. C’est du reste l'opinion tout hypothétique de de Blain- ville, qui considère l'organe comme un rein dépurateur. Garner fait remarquer la différence toutefois qui existerait dans celte espèce nouvelle d'organe dépurateur, qui aurait une circulation analogue à celle que l’on observe dans le foie des animaux supérieurs. I avait, je l'ai déjà dit, connaissance de la communication avee le péricarde. Voici comment il l'indique pour l'Unio seulement : « In » the Unio an orifice close to that of the oviduct, leads into a large » cavity of the mantle under pericardium, into which the secreting » organ opens by an internal orifice ; » et il ajoute même que Bojanus n'aurait point soutenu son opinion s’il avait connu cette communication.
On trouve quelques erreurs touchant les rapports des orifices de la génération et du sac. Ainsi, d’après Garner, l’oviducte est dis- ünet du sac dans les Lithodomes , les Moules; tandis que dans la Bucarde, la Mactre, la Pholade et la Mye, les œufs sont rejetés dans le sac (2).
(1) Rich, Owen, Lectures on comparative anatomy, vol. I, p. 284. Mais il ne cite pas les analyses, il n'y a vraiment pas assez de détails pour que cette phrase soit une véritable démonstration.
(2) Loc. cit., « Whilst in Tellina, Cardium , Mactra , Pholas, Mya and most » others the ova are discharged into the secretory organs, » p. 294.
SUR L'ORGANE DE BOJANUS. 305
Il y a là une erreur, pour quelques espèces au moins. La Bucarde, les Mactres, sont les animaux chez lesquels, au con- traire, les deux orifices sont les plus éloignés, les plus séparés et les plus distincts (1).
Les concrétions nombreuses que l’on trouve dans le sac de Boja- nus et dans son tissu même avaient été connues de Poli (2), etavant lui de Swammerdam(3). Ces deux auteurs avaient pensé, d’après la nature même de ces concrétions , que l'organe dont il s’agit avait pour rôle spécial de sécréler la coquille. Cette opinion est aujour- d’hui sans valeur : personne ne songe à la soutenir.
Von Siebold a eu aussi son attention fixée sur ces concrétions , et dans son Anatomie comparée, il s'exprime ainsi à leur égard : «… Le tissu très lâche... se décompose en pelits corpuscules » granuleux et vésiculeux ; la plupart de ces corpuscules contiennent » un noyau arrondi. Ces noyaux sont très solides, et doivent être » considérés comme des corpuscules excrétés. Ils sont quelquefois » tellement grands, qu’on les aperçoit à l'œil nu sous la forme de » concrétion inorganique, qu'on peut d'autant mieux comparer à des » calculsrénaux qu’ils contiennent de l'acide urique. » Et il ajoute en note : « Étant parvenu à recueillir une quantité considérable de ces » calculs, j'en ai remis une partie à M. de Babo, de cette ville, qui » s’est chargé d’en faire l’analyse qualitative. Le résultat a été que ces » calculs, dont la cassure est conchoïde, sont composés principale- » mentde phosphate calcaire avec unetrace de phosphate de magné- » sie, et une faible quantité d’une matière organique se comportant » avec l'acide nitrique exactement comme l'acide urique. » La fin de cette note se termine ainsi : « L'opinion qui les regarde comme des » reins à trouvé beaucoup plus de partisans (Treviranus dans Tie- » demann, Zeitsch. f. Physiol., 1, p. 53, et Carus, Zool., 1834, » I, p. 650), d'autant plus qu’on affirmait qu'ils contiennent de » l'acide urique (Garner, Trans. of Phil. Soc. loc., p. 92, et Owen, » Lectures on the comp. Anat., p.28h),ce dont je n'ai pas pu m'as- » surer jusqu'à présent. La composition chimique de ces concré-
(4) Voy. la planche 5, fig. 6.
(2) Ouvrage de Poli sur les Mollusques des Deux-Siciles, (3) Biblia nature.
4° série. Zoo. T. IV. (Cahier n° 5.) 4 20
306 H. LACAZE-DUTHIERS. — MÉMOIRE
» tions me confirme dans l'opinion que ces organes sont réellement » des reins (1). »
Ainsi voilà l'opinion de von Siebold nettement formulée. L'or- gane de Bojanus est un organe dépurateur, et spécialement un rein.
Il est impossible de ne pas relever, après bien d’autres, du resle, l'erreur de Neuwyller (2) sur les prétendues fonctions génitales mâles de cet organe. Les spermatozoïdes qu’il croit avoir aperçus ne sont évidemment que des cellules chargées de cils, si longs quelquefois, comme on l’a vu.
M. Deshayes (3) considère l’organe comme jouant un rôle de dépuration, mais ne dit pas spécialement qu'il soit un rein.
Enfin M. Milne Edwards (4) avait depuis longtemps, dans un travail sur quelques animaux inférieurs de la mer, indiqué, à propos du sexe du Pecten, que ces glandes pourraient bien concourir à quelque titre à l’accomplissement des fonctions de la reproduction. Dans des conversations particulières, M. Edwards, tout en donnant moins de valeur à cetle idée première, m’a paru pencher aujour- d’hui pour celle qui verrait dans l’organe de Bojanus un rein.
Telles sont les opinions que l’on trouve dans les ouvrages.
On ne peut tout d’abord s'empêcher de faire une réflexion en voyant quelles raisons déterminent l'opinion des auteurs. La plus vraisemblable, la plus accréditée aussi , est que le sac de Bojanus joue le rôle de rein. Or on se base sur la présence de l'acide urique, comme s'il était par avance démontré que la sécrétion urinaire était toujours caractérisée dans la série animale par la présence de cet acide. On se demande si la présence dans une partie de lor- ganisme de quelques concrétions se comportant comme de l’acidé urique est bien une preuve que cette partie est un rein. Nous savons si peu sur les fonctions des animaux inférieurs, que véritablement
(A) Anatomie comparée, t. If, 2° partie, p. 280, et note 5.
(2) Neuwyl., Neue Denkschr., VI, p. 26.
(3) Voy. Deshayes, Ææploration scientifique de l'Algérie, Mollusques. Ar- ticles, Organes dépurateurs , des diverses Monographies.
(4) Voy. Milne Edwards, Observations sur la structure et les fonctions de quelques Zoophytes, Mollusques et Crustacés des côtes de France (Annales des scivuces na‘urelles, 2° série, t. XVIIT, p. 321).
SUR L'ORGANE DE BOJANUS. 307
c’est aller un peu vite en se prononçant catégoriquement sans autre preuve.
On appelle foie dans les animaux supérieurs une glande bru- nâtre qui sépare du sang un produit jaune verdâtre, la bile, et qui, particularité importante, se trouve sur le passage du sang revenant de l'intestin, c'est-à-dire sur le trajet de la plus grande partie des matières alimentaires absorbées après la digestion.
Quelle influence a sur ces matières alimentaires , désormais entrainées dans le torrent de la circulation, la glande hépatique ? Nous n'en savons encore vraiment pas grand’chose. Si les faits avancés par M. Bernard se vérifient complétement, s'ils sont acquis à la science , nous commencerons à entrevoir l’une de ces actions, et le rôle mystérieux du foie se dévoilera à nous. Nous verrons les matières amylacées transformées par lui en sucre ; mais resterait la bile, pour laquelle on doit encore se demander si elle est un liquide nécessaire à la digestion, si au contraire elle n’est qu'une sorte de matière excrémentitielle , résultat d’une première dépuration opérée sur celte substance alimentaire qui fait son premier pas dans l'économie.
Quoi qu'il en soit, il ne peut être douteux pour personne quele foie n'ait un rôle important , et que ce rôle consiste à agir sur le sang Chargé des principes alibiles autres que ceux qui sont versés dans le torrent circulatoire par le canal thoracique ou l'appareil chylifère.
Or, qu'on le remarque, le foie est justement placé sur le chemin du sang qui va au poumon , et à priori, ne serait-on pas tenté de croire qu'un organe placé dans les mêmes condilions serait appelé à remplir les mêmes fonctions? I faut bien le reconnaitre, ces considérations font naître dans l'esprit un doute sérieux à l’en- droit des fonctions du corps de Bojanus, qui se trouve précisément dans les conditions que nous venons d'indiquer. Il est placé sur le trajet du sang qui revient des organes de la digestion, et qui certai- nement est chargé des produits alimentaires. C’est done, si c’est un rein, un rein bien différent de celui des animaux supérieurs, car il est dans des conditions tout autres.
Et après ces réflexions, quand on rapproche d'elles les preuves vraiment bien légères que l’on donne de la nature de la fonction,
308 H. LACAZE-DUTBIERS. — MÉMOIRE
on se prend à douter, surtout quand on songe au peu de notions que l'on possède sur les fonctions de ces animaux ; car l’acide urique ne se présente pas loujours dans l'urine, et quand il se rencontre dans une partie du corps, nous n'en concluons pas forcément que cette partie est un rein. Ce qu'il serait utile de chercher , dans la liqueur excrétée , c’est l’urée, car l’urée est l'élément caractéris- tique de l’urine; mais encore de l’urine des animaux supérieurs. Or nous n’avons aucune donnée sur la sécrétion urinaire dans les animaux inférieurs.
Nous ne savons pas comment s'effectue la nutrition, par quelle voie et sous quelle forme sont rejetés les aliments ayant servi à l’accomplissement de la vie. Nous ignorons complétement si, de même que dans les animaux supérieurs, les matières azotées sont rejetées au dehors sous forme d’urée. On le voit, la question prend des proportions plus grandes qu'on ne le supposerait au premier abord. Envisagée sous ce point de vue, elle devient plus difficile à résoudre, et les preuves tirées de la présence d’un petit caleul d'acide urique, tout en ayant leur valeur réelle, n’en restent- elles pas moins insuffisantes.
Quoi qu’il en soit de ces considérations, qui, du reste, mon- trent, je pense, tout le vague qui existe sur la question, voici les observations qu'il m'a été donné de faire :
Quatre espèces ont surtout présenté les faits les plus carac- téristiques : ce sont la Nacre, la Lucine, la Lutraire et la Mactre.
En étudiant à Mahon les organes de la reproduction dela Nacre, je fus frappé de la résistance des sacs de Bojanus; en les ouvrant, je trouvais dans leur fond une poussière noirâtre , et dans leurs tissus des concrétions. Cette particularité n'avait rien d’exceplion- nel, et dans tous les individus que j'observais à Mahon, dans ceux que je dus plus tard à l’obligeance de M. Valenciennes et de M. Rousseau, je retrouvai constamment les mêmes concrétions.
L'examen microscopique de ces papilles qui hérissent la face interne des sacs, etqui constituent, comme on l’a vu, le tissu même de l'organe, montre (1) dans les cavités de chacune d’elles une con-
(1) Voyez pl. 5, fig. 9.
SUR L'ORGANE DE BOJANUS. 309
crélion sphérique perliforme, parfaitement arrondie, transparente, d’une teinte brunâtre, terre de Sienne, offrant des lignes concen- triques , qui indiquent, sans aucun doute, le dépôt de couches successives ; on a sous les yeux une véritable petite perle. On se rappelle que la cavité de la papille est occupée par un canal ‘san- guin; et l’on se demande si c’est dans le sang que s’est formée cette concrétion perliforme ? Je reviendrai plus loin sur cette for- mation et sur son origine.
On rencontre fréquemment, dans toutes les parties du corps des Nacres, des perles souvent allongées, pyriformes, ressemblant un peu à des larmes bataviques, qu'il serait bien intéressant d'étudier. Une analyse comparative de celles-ci, et des concrétions perli- formes du corps de Bojanus , auraient, on le comprend, le plus grand intérêt. Malheureusement je n’ai point de données, et je ne puis dire si dans l’une et l’autre on rencontre les mêmes élé- ments; mais c'est là une lacune qui ne pourra et ne devra plus exister dans un nouveau travail.
L'organe de Bojanus de la Lucine [de celle de l’étang de Thau près de Cette, et de celle des environs des Hébiens près de Saint- Jacut-la-Mer en Bretagne (Côtes-du-Nord) | est vivement coloré en brun. On se rappelle que cette coloration est due au noyau des cellules du tissu. Ces noyaux, moins développés et très vagues dans les cellules les plus jeunes (1) et les moins grandes, deviennent de plus en plus nets, et la matière colorante semble se concréter et augmenter de plus en plus, à mesure que les cellules son! plus anciennes (2). Sur un même individu, il est rare que l’on ne rencontre pas tous les passages, depuis un simple noyau jusqu'à un petit corpuscule sphérique composé de couches concentriques, disposées autour d’un centre plus clair, qui rappelle encore par son apparence ce noyau. On peut done admettre ici dans la Lucine qu'autour de ce noyau, comme centre d’attraction , est venue se déposer la substance calculeuse (3). Ces petites perles sont enfer- mées dans la cellule où elles se sont produites.
(1) Voy. pl. #, 6g. 41.
(2) {.,6g.12(abc).
(3) 1, Gg 12 (c),
310 I, LACAZE-DUVHIERS, -— MÉMOIRE
Dans les Jambonneaux, on trouve les perles dans la cavité même du vaisseau sanguin (1) occupant le centre de la papille. Comment s'expliquer celle position ? Évidemment il y a eu rupture de la cellule dans laquelle s'était formée la concrétion , et chute de celle-ci dans la cavité interne. Si la rupture eût eu lieu en dehors, la perle serait tombée dans le sae même, ce qui rend compte de la présence de celte poussière noire que l’on trouve dans la poche de l’organe.
Dans ces deux exemples, les dépôts sontirrégulierset amorphes ; dans ceux qui suivent, au contraire, il y a eu cristallisation de la malière inorganique, el ici encore c’est antour du noyau que sont venus se grouper les petits cristaux.
Le corps glandulaire est, dans la Lutraire, d’un brun foncé; si on le déchire sous l’eau, on voit s'en détacher une poussière brune qui se précipite au fond du liquide. Si on lobserve au microscope, on voit qu'il est formé de petites élévations peu transparentes, paraissant bourrées de petites aiguilles ou corpuscules allongés et dirigés dans tous les sens. Sur une portion peu considérable de la glande, à un grossissement suffisant, ces particules se font lout de suite reconnaitre pour des cristaux (2), qui ressemblent singulière- ment à l'acide urique que l’on rencontre dans bien des cas chez les animaux supérieurs. Mais, chose remarquable, c’est encore cenoyau (3), à bords irréguliers, parfaitement reconnaissable, qui sert de centre aux cristaux. Ceux-ci sont groupés le plus souvent en croix; cependant il y a bien des variations de forme (4) : tantôt le noyau est au centre d’une lamelle ellipsoïdale qui rappelle les lames rhomboïdales dont les angles sont arrondis, comme cela s’observe même dans les cristallisations de l'urine de l’homme ; tantôt deux de ces plaques sont posées de champ l’une sur l’autre, et se coupent à des angles très variables, mais toujours le noyau est reconnaissable à l'intersection ; tantôt enfin de petites baguettes, plutôt acieulaires que véritablement lamellaires, ravonnent encore
(1) PL 4, fig. 5, fig. 9.
(2) Voy. t. IV, pl. 4, fig. 1.
(3) Voy. t. IV, fig. 1 (n').
(4) Voyez les différentes formes de cristaux dessinées figure 1 dela planche 4.
SUR L'ORGANE DE B OJANUS. all du même point central, et l’on a, à n’en pas douter, le commence- ment d'un groupe analogue à ceux que l’on trouve dans l'urine de l'homme. Tous ces corpuscules sont enfermés dans des cellules , de telle sorte que, entre l’exemple actuel et ceux étudiés précé- dermment, il n’y a pour loute différence que la disposition amorphe dans un cas, la forme cristalline dans l’autre ; et l’on peut ici dans cette différence apprendre à connaître l’origine même de ces petites perles.
Mais la Mactre présente dans le corps de Bojanus des groupes de cristaux qui rappellent véritablement, à s’y méprendre, les cristaux d'acide urique, La forme, la teinte, tout est parfaitement semblable (1). Sans connaître les formes indiquées précédem- ment pour la Lutraire , il est difficile de comprendre leur origine et leur point de départ ; mais dans ce dernier exemple, on voit déjà le commencement du groupement des baguettes aciculaires. Ces baguettes, du reste, semblent rayonner d’un centre qui est le noyau primitif de l’une des cellules. Ces groupes de cristaux paraissent noirâlres, quand on les observe à la lumière réfléchie; au contraire , ils sont rougeâtres, éclairés par la lumière trans- mise. Je ne les ai jamais rencontrés enfermés dans une cellule; cela tient sans doute à ce qu'ils avaient acquis déjà trop de déve- loppement, et qu'ils avaient rompu les parois. La cristallisation ou la production de matière morganique, quoique placée en dehors de la cellule, n’en a pas moins continué et augmenté leur volume.
Depuis que j'ai fait cette observation, le même faits’est présenté de nouveau; j'en parlerai dans un travail que je me propose de publier bientôt sur l'anatomie et le développement de la Bullée (Bullæa aperta). J'ai, en effet, rencontré dans le rein de cet ani- mal des cristaux groupés tout à fait comme dans la Mactre des côtes de Bretagne.
Ces cristaux de la Lutraire ont été vus par M. Deshayes, qui les compare à des cubes à angles arrondis, à des navicules et des tour- niquels compresseurs ; il observe qu’ils sont solubles dans l'acide pitrique, mais il n’en indique pas la nature. Du reste , tous les
(4) Voy, 4. EV, pl. 4, fig. 4.
312 H. LACAZE-DUTHIERS. — MÉMOIRE
auteurs ont été frappés de la présence de ces concrétions solides inorganiques ; Poli avait même basé sur elle sa théorie de la sécré- tion de la coquille.
Il était bien intéressant, on le comprend, de connaître la com- position de ces concrétions ; aussi en avais-je recueilli dans le but de les faire analyser. Toutefois, malgré les résultats que mon excellent ami et collaborateur pour d’autres travaux, M. A. Riche, a obtenus, je crois qu’il faudrait procéder à de nouvelles études. Pour moi, en effet, les analyses chimiques, quand elles s'appliquent à la physiologie, doivent avoir un but défini ; on doit chercher dans telle ou telle direction, et ce n’est pas seulement d’une analyse iso- lée que l’on- peut conclure quelque chose depositif. Des analyses isolées fournissent des renseignements sans doute; mais pour arri- ver à des faits caractéristiques, il faut des recherches comparatives. Ainsi les Jambonneaux présentent des concrétions dans le sac de Bojanus, dans les tissus du manteau, ete., ete. N’est-il pas évident qu’il faudrait faire l'analyse comparative de ces produits, et n'est-il pas hors de doute que leur composition devrait être opposée à celle de la coquille elle-même ? On le voit dans l'étude qui nous occupe, ces recherches prennent des proportions considérables, surtout quand on remarque que ce n’est pas sur une espèce isolée, mais évi- demment sur un grand nombre que le travail doit être entrepris.
Je ne présente donc qu'avec réserve les quelques résultats que je dois à l’obligeance de mon habile ami. Voici le passage même de la lettre où il me rend compte des opérations qu’il a fait subir aux corps que je lui avais remis.
« Les masses brunâtres que vous m'avez dit appartenir à la Lu- » traire solénoïde ont été desséchées à 50 ou 60 degrés, puis » mises en digestion à chaud avec une solution de potasse ; la solu- » tion, décomposée par l'acide chlorhydrique, a donné un précipité » blanc d'acide urique insoluble dans l'alcool et dans l’éther. Séché » sur un filtre séparé du papier, ce précipité, traité par l'acide azo- » tique, avec la chaleur et la vapeur d’ammoniaque, a donné la » coloration rouge caractéristique de l’acide urique. » Déjà , on se le rappelle , la simple observation microscopique m'avait conduit à admettre la présence de cet acide. L'analyse ici est démonstras
SUR L'ORGANE DE BOJANUS, 313 tive ; elle a quelque chose de plus positif que celle rapportée par von Siebold et faite par M. de Babo.
Dans la série des matières que j'avais données à M. Riche, se trouvait, mais en petite quantité, la glande de la Mactre, où l’on observait très nettement les cristaux paraissant d'acide urique , et dont j'ai parlé. Traitée de la même manière, un précipité très faible s’est encore produit ; il était insoluble dans l'alcool et l'éther, et coloré légèrement en rouge par la réaction de l'acide azotique et de l’ammoniaque ; mais la quantité de matière était très faible, etil y avait, bien que la réaction se présentât, moins de certitude que précédemment.
Mais, chose curieuse dans les concrétions de la Pinne marine, concrétions perliformes et non cristallines, l’acide urique ne s’est point montré, si du moins on juge de sa présence par les réactions précédentes. Cependant le même procédé a été employé à plusieurs reprises, car la quantité de matière était plus considérable.
M. Riche a cru y trouver de l’urée. « Il m'a paru y en avoir un » peu. J'ai essayé le dosage au moyen du procédé de M. Millon; je » n’ai eu que des traces d'acide carbonique, dégagé par l’action de » la substance sur l’azotite de mercure dissous dans l'acide azo- » tique. L'eau de chaux était troublée cependant , et en recueillant » le gaz dans un tube à potasse, j'ai eu une augmentation bien légère » de poids due à l’acide carbonique produit. »
Malheureusement les analyses n’ont eu pour but que la recherche de l’acide urique et de l’urée. Elles auraient dû aussi faire connaître la nature mème des calculs qui ne présentaient pas d’acide urique, la substance manquait pour cela ; mais je ne puis admettre néan- moins que ces derniers résultats infirment les premiers.
En effet, dans la vessie de l’homme se forment des calculs d’acide urique, mais tous ne sont pas d’acide urique. Il en est de phosphate ammoniaco-magnésien (ce sont les plus fréquents) où l'on chercherait en vain l'acide urique, et ce n'est pourtant pas à dire qu'ils ne soient caractéristiques de la sécrétion urinaire. Y au- rait-il ici quelque chose qui rappelle ce que l’on voit dans l’homme. L'acide urique est plus fréquemment cristallisé, tandis que le phos- phate ammoniaco-magnésien est presque toujours amorphe, déposé
all H. LACAZE-DUTHIERS. — MÉMOIRE
par couches concentriques. Je regrette beaucoup de n'avoir point la composition du sel qui forme les concrétions perliformes du corps de Bojanus du Jambonneau.
C’est surtout l’urée qu'il serait important de chercher et de trou- ver ; mais les difficultés sont extrêmes dans ce travail, En eflét, l'organe est peu volumineux dans les espèces que nous pouvons facilement étudier, |
Il faut donc le prendre sur un grand nombre d'individus. Or le sang qui est dans son intérieur est abondant, et il s’écoule en grande abondance par les blessures que l’on fait à l’animal ; on a done les glandes de Bojanus baignées dans une masse considérable de ce liquide. Or on ne sait rien sur la composition chimique du sang des Acéphales ou des Mollusques ; on se voit toujours en face de bien des questions quand on veut aborder les études de chimie physiologique des animaux invertébrés.
Des faits qui précèdent, il semble découler, avec les observations des auteurs que j'ai cités précédemment, que la glande de Bojanus est un rein,
Cependant , je l'avoue, il m'est difficile de croire que si, en effet, cet organe est chargé de séparer du sang ce que nous noïnmons dans les animaux supérieurs l'urine, il soit exclusive- ment destiné à remplir ce rôle. En effet, j'ai bien des fois été frappé, et cela avant de connaître l'opinion de M. Edwards (1), par la coïncidence évidente qui existait entre le développement des sacs de Bojanus et celui des glandes génitales. À Mahon, aux Martigues, à Cette, à la Rochelle, à Saint-Malo, à Courseulles, j'ai maintes fois observé que les animaux , au moment de la ponte, avaient leur corps de Bojanus vivement coloré et fort turgide ; que ce développement , annonçant une plus grande activité de la sécrétion, cessait ou diminuait beaucoup , au contraire, sur les individus chez qui la période d’excitation génitale était passée.
Parmi les nombreux faits de ce genre que j'ai observés, je citerai l’un d'eux, que je trouve dans mes notes de 1854 sur mon voyage en Bretagne.
(1) Loc. cit.
SUR L'ORGANE DE BOJANUS: 315
Aux grandes marées d'août, j'avais trouvé sur les plages des Hébiens beaucoup de Pandores rostrées dont les organes dela géné- ration étaient gorgés par les produits de la sécrétion, et je me de- mandais si je ne pourrais en étudier la ponte et le développement. J'avais remarqué que les corps de Bojanus étaient vivement colorés, les corpuscules nucléolaires étaient fort nombreux et très gros. Comme ces Pandores habitaient un fond sablonneux assez profond, je fus empêché dans ces recherches par la morte-eau ou petite marée de la première quinzaine de septembre. A la grande marée suivante les Pandores avaient pondu, et je trouvai tous les organes génitaux vides. Chose remarquable, les glandes de Bojanus avaient perdu la vivacité de leur coloration, et il ne pouvait être douteux que la cessation du travail d’une glande ne coïncidât avee celui de l’autre. Dans beaucoup d’autres circonstances , cela m'a paru si évident que, dans les notes de mon voyage aux Baléares, je trouve le corps de Bojanus souvent désigné par le nom d’annexe de la génération. On se rappelle d’ailleurs le rapport presque constant qui existe entre les orifices des deux glandes.
C'est en rapprochant ces fails de ceux que l'anatomie nous a montrés à propos de la circulation, que je n'ai pu, malgré les ana- lyses, arriver à prendre une détermination absolue, avant d’avoir préalablement fait de nouvelles recherches.
Je suis loin cependant de nier que les sacs de Bojanus soient des organes dépurateurs analogues aux reins; mais je croirais volontiers qu’au lieu d’un seul rôle ils peuvent en jouer deux. Ainsi nous voyons dans la série animale , à mesure que l'organisme se simplifie de plus en plus, la division du travail être de moins en moins grande, et un même organe remplir plusieurs fonctions. N'y aurait-il pas ici quelque chose de semblable, ét la glande rénale de quelques auteurs né pourrait-elle aussi devenir glandé annexe de la génération à un moment donné, tout en conservant son rôle d'organe dépurateur?
En résumé, on le voit par les détails que je viens de donner, la nécessité de recherches physiologiques sur l'ensemble des fonctions des animaux inférieurs ne doit faire aueun doute; ét c’est parce que les notions que possède la science à cet égard me
316 H. LACAZE-DUTIIERS. — MÉMOIRE paraissent trop insuffisantes, que j'ai apporté une grande réserve dans les conclusions de mon travail.
Je citerai en terminant un dernier fait. Sur une Mactre qui pré- sentait les cristaux d’acide urique dont j'ai parlé, je trouvai aussi dans l'ovaire une foule de petits corps brunâtres, qui n'étaient rien autre que des calculs; et en étudiant minutieusement le tissu , je rencontrai dans un œuf (1), entre la coque et le vitellus, un caleul, une masse de substance pierreuse. Il est difficile de trouver la matière calculeuse plus avant dans l’organisme. Or ne se pourrait- il pas faire que les Mollusques produisant des perles, quels que soient le nom ou la valeur des produits, ne fussent autre chose que des animaux placés dans une même condition que l’homme goutteux, ayant une diathèse calculeuse , une disposition à laisser précipiter dans tous les points de l'économie cette matière calcaire qui, nor- malement, se dépose par couches successives et forme la coquille ? N'est-il pas probable que, de même que l’acide urique et le phos- phate ammoniaco-magnésien se déposent, chez l'homme et les ani- maux supérieurs, dans la vessie ou autour des articulations pour former les calculs vésicaux, ou les concrétions tophacées des cal- culeux et des goutteux , de même ici, quand les matériaux se déve- loppent anormalement et outre mesure, ils peuvent se déposer partout, et donner naissance aux calculs que nous avons trouvés dans le corps de Bojanus, ou bien aux perles proprement dites? En un mot, le Mollusque produisant des perles n'est-il pas un être atteint d’une diathèse calculeuse ?
Je me suis abstenu de donner un nom particulier à la glande, cela se comprend sans peine. La désignation que j'ai employée , corps de Bojanus , ne préjuge nullement le rôle. Que d'exemples de dénominations semblables je pourrais citer dans l’anatomie de l’homme ! Les corpuscules de Malpighi désignent des choses que l'on ne peut confondre avec d’autres , et cependant le nom ne fait en rien pressentir la fonction. Il était prudent d'ailleurs de se gar- der d'imposer un nom basé sur les fonctions , puisque je n'avais rien de positif, de fixe à leur égard ; il me suffirait enfin de rappeler
(1) -Voy. t. IV, pl. 4, fig, 5 (c).
SUR L'ORGANE DE BOJANUS. 347
que les noms de poumon, testicule, rein, organe dépurateur , appen- dice veineuæ, donnés successivement à l'organe , suivant les opi- nions différentes des auteurs, ont dû être tour à tour abandonnés, ce qui n’eüt pas eu lieu , si à la place d’un nom significatif on eût employé un nom sans valeur physiologique.
EXPLICATION DES FIGURES. Anatomie de l’organe de Bojanus.
PLANCHE A.
Fig. 4. Cristaux de formes diverses, libres ou enfermés dans des cellules, trou- xés dans le tissu du corps de Bojanus de la Lutraria solenoïdes. (n)(n')noyau, (1) cellule.
Fig. 2. Éléments microscopiques isolés de la même glande dans la Lima squa- mosa. On croirait à l'existence d'une seconde cellule incluse,
Fig. 3. Éléments microscopiques isolés de la Corbulu striata. Ces éléments sont de deux grandeurs ; les plus petits portent les cils vibratiles.
Fig. 4. Un groupe de baguettes aciculaires de la Mactra stultorum. La ressem- blance avec l'acide urique de l'homme est extrême.
Fig. 5. Un œuf de la même, ayant entre sa coque et son vitellus une concré- tion pierreuse (c).
Fig. 6. Corps du Spondylus Gæderopus dépouillé du manteau et des branchies, pour montrer le corps de Bojanus (r) (r) ouvert; (ov) orifice de l'oviducte ; (pe) orifice du sac ; (mp) muscle des valves.
Fig. 7. Portion de tissu de la glande du même (b) ; cils vibratiles {c); corpus- cules moins développés que ceux placés en (a).
Fig. 8. Corpuscules du même très développés, et qui se trouveraient après ceux marqués (a), fig. 7.
Fig. 9. Une portion grossie de la substance du même, pour montrer l'apparence veloutée de la face interne.
Fig. 40. Tissus du corps de Bojanus de la Chama griphoïdes.
Fig. 14. Tissus du corps de Bojanus de la Zucina lactea peu développé; la matière colorante est encore disséminée , diffuse.
Fig. 42. Id. : en (a) (b) (c) on voit le noyau se concréter de plus en plus, et en (c) il est devenu le centre d'une véritable petite perle. On voit dans ces cellules un second cercle, qui semblerait, comme dans la figure 2, indiquer une seconde cellule incluse.
PLANCHE 9. Fig. 4. Portion (b) du tissu du corps de Bojanus de la Petricola ruperella, mon-
trant l'épaisseur des parois des lobules et leur disposition; (a) éléments isolés.
a18 H. LACAZE-DUTHIERS. — MÉMOIRE
Fig. 2. Coupe un peu théorique de l'organe (r) dans l'Unio pictorum ; (p) péri- carde; (ce) cœur ; (ov) oritice génital ; (pe) orifice externe de la poche périphé- rique (cp) ; (pi) orifice péricardique ou interne de la poche centrale (cc); (mp) muscle postérieur des valves.
Fig. 3. Papille de l’Arca Noe fendue, pour montrer l'orifice génital dans la paroi.
Fig. 4. Deux lobules de l'organe dans le Cardium rusticum, pour montrer les dépressions glanduleuses qui semblent renverser la disposition habituelle.
Fig. 5. Éléments microscopiques du même,
Fig. 6. Corps du même vu en dessous, pour montrer (p) le pied, (br) les bran- chies, (gb) les ganglions branchiaux , (co) le connectif bucco-branchial, (ov) l'o- rifice de l'oviducte , (pe) l'orifice externe du sac de Bojanus.
Fig. 7. Portion de tissu de la Modiola lithophagu, pour montrer deux appa- rences (a) (b), et le commencement d'une dépression conduisant à la forme renversée, figure 4.
Fig. 8. Éléments isolés du même.
Fig. 9. Une portion du tissu de l'organe de la Pinna nobilis, montrant dans le centré de chaque lobule une perle.
Fig. 10. Animal de la Modiola lithophaga, vu de profil, pour montrer (rr) le corps de Bojanus, (ov) la papille orifice de l'oviducte et du corps de Bojanus ; (mv) la masse viscérale, (p) le pied, (mp) le muscle postérieur des valves.
Fig. 14. Corps de Bojanus avec les parties voisines de la Petricola ruperella, pour montrer ses rapports. Les mêmes lettres signifient les mêmes choses que précédemment.
Fig. 12. Id. de la Cardita sulcata.
Fig. 13. Corps de la Chama griphoïdes, pour montrer l'organe de Bojanus, Mêmes lettres désignant même chose que dans les figures précédentes.
Fig. 14. Éléments microscopiques du Pecten glaber
Fig. 45. Extrémité d'un lobule de la Pandora rostrata, remarquable par la net- teté des corpuscules solides et la longueur des cils vibratiles.
Fig. 16. Éléments du Pectunculus pilosus. L'une des cellules, plus grande, semble en contenir quatre.
PLANCHE 6.
Fig. 4. Corps du Pecten jacobæus vu de profil, et débarrassé du manteau et des branchies pour montrer (f) le foie, (j) les vaisseaux sanguins veineux nés dans cette glande, (c) le cœur, (b) la bouche, (p) le pied, (r) le rectum, (a) la masse abdominale, (pe) l'orifice externe de l'organe de Bojanus, (y) le vaisseau unique qui résulte de la réunion des vaisseaux du foie, (s) le sinus qui reçoit le sang du muscle postérieur des valves et autres parties et le verse dans les branchies.
Fig. 2. La branchie (br) droite est conservée, rejetée à gauche, pour laisser Voir (h) les vaisseaux veineux qui, de l'organe de Bojanus, portent le sang au sinus branchial (sb) qui se continue en une veine (vb), sinus qui verse le
SUR L'ORGANE DE BOJANUS. 319
sang du muscle et des parties postérieures du corps dans le sinus bran- chial (sb).
Fig. 3. Péricarde (pr) du Cardium echinatum ouvert par le dos, le cœur enlevé, pour montrer les orifices internes (pi) de l'organe de Bojanus,
Fig. 4. Organe de Bojanus isolé et injecté de la Lutraria solenoïdes, vu par la face dorsale, avec les sinus (1) (0) (n) (g) ouverts ; (m) est la série d'orifices des vaisseaux branchiaux ; (r) rectum : (pi) orifice péricardique de la cavité profonde de l'organe; (vb) veines branchiales.
Fig. 5. Organe de la même vu de profil; (n, 0, q, t, m) mêmes choses que dang la figure précédente ; (c) cœur.
Fig. 6. 1d., l'organe ouvert, pour montrer les vaisseaux qui se distribuént dans les tissus ; (sm) sinus médian inférieur résultant de la réunion des veines du foie ; (n) (i) branche collatérale destinée à la partie désignée spécialement par Bojanus sous le nom de poumon; (p) (!) vaisseau terminal du sinus; (e) cœur; (3) orifice de communication entre les deux poches externes de la cavité externe,
Fig. 7. La même figure que la précédente, mais vue de face et en dessous, pour montrer les mêmes parties ; le sinus médian impair (sm) ouvert et logeant les deux connectifs partant du ganglion g.
Fig. 8. Apparence des capillaires à la surface du corps de Bojanus dans le Pecten maximus.
REMARQUES SUR LA
NOTE DE M. MARCEL DE SERRES RELATIVE AU GENRE ST04,
Extraites d'une Lettre adressée au Rédacteur par M. SHUTTLEWORTH.
L'auteur, sans vouloir examiner si le genre nouveau proposé par M. Marcel de Serres est suffisamment caractérisé, fait remarquer que des tubes semblables appartenant à des animaux invertébrés perforants sont connus depuis longtemps, et ont été classés parmi les Mollusques. M. d’Or- bigny, il y a fort longtemps, en décrivit et figura une espèce remarquable sous le nom de Vermetus corrodens (Partie conchologique de l'hist. phys. de l'ile de Cuba, t. Xr, p. 235, et pl. 48, fig. 1-3); elle est abon- dante dans la mer des Antilles, et l’auteur de cette communication l’a reçue de Saint-Thomas, de Porto-Rico, de la Jamaïque, etc., sur des coquilles de Gastéropodes, aussi bien que sur des Bivalves (Chiton piceus,
320 PUBLICATIONS NOUVELLES.
Vermetus sp., Turbo tuber, Trochus pica, Meleagris). Pour ces Mol- lusques, ou au moins pour ceux qui ne sont que superficiellement perfo- rants, MM. H. et A. Adams paraissent vouloir adopter le genre Spirogly- phus de Daudin (voyez le 12° fascicule de leur Genera, Londres, 185).
M. Shuttleworth ne se prononce pas sur l'identité des genres Stoa et Spiroglyphus : mais il exprime le regret de voir un nouveau genre établi pour des tubes dont l’animal n’est pas connu.
L'auteur de cette lettre fait remarquer aussi que le genre Phorus, dont M. Marcel de Serres parle comme ayant été récemment établi par M. Rew (lisez : Reeve), est fort ancien. Les Trochi agglutinants ainsi nommés ont depuis longtemps attiré l'attention des malacologistes, et ont reçu trois dénominations différentes : Onustus, Humphreys, 1797; Xeno- phora, Fischer, 1807; et Phorus, Montford, 1810.
Une troisième observation de M. Shuttleworth est relative à l'exemple cité par M. Marcel de Serres d’une espèce agglutinante du genre Helix, dont la découverte est attribuée à M. Cuming; le Mollusque terrestre en question n’a jamais été rapporté au genre Helix, mais fut d’abord décrit par Sowerby sous le nom de Helicina agglutinans.
PUBLICATIONS NOUVELLES.
CRUSTACEA, ETC. (Crustacés recueillis pendant le voyage du capitaine Wilkes de la marine des États-Unis), par M. Dana, Philadelphie. L'atlas de ce bel ouvrage, composé de 96 planches in-folio, vient de paraître ;
le texte, ainsi que nous l'avons déjà annoncé, fut publié en 4852: c'est une acquisition des plus précieuses pour la Carcinologie.
A TREATISE , ETC. (Traité de la structure et des usages de la rate), par E. Cris, In-8, Londres, 1856.
Dans cet ouvrage, l’auteur rapporte un grand nombre d'observations sur le
poids , le volume et la structure de la rate dans les diverses classes d'animaux vertébrés.
LA Z00LOGIE AGRICOLE, par M. É. BrancHarn. Ouvrage comprenant
l'histoire entière des animaux nuisibles et des animaux utiles. In-8, fig. col.
La 45° livraison de cet ouvrage vient de paraître, et, de même que les précé- dentes, est consacrée à l’histoire des insectes qui attaquent les plantes d'ornement.
MÉM OIRE SUR LES ORGANES DE LA CIRCULATION CHEZ LE SERPENT PYTHON,
Par le D" Henri JACQUART,
Aide-naturalisté au Museum,
J'ai injecté et disséqué dans le laboratoire de M. le professeur Serres, et aidé de ses conseils, quand il occupait encore la chaire d'anthropologie, le système vasculaire d’un Python molure; j'en ai fait une pièce d'ensemble, qui est placée maintenant dans la collec- tion d'anatomie comparée du Muséum. Ce Serpent a 2 mètres 38 centimètres de long.
Comme on trouve assez rarement l'occasion et le temps de faire une dissection semblable, car c’est un travail qui ne m'a pas demandé moins de trois mois, il m'a paru utile de dessiner cette préparation, parce qu'elle permet d'embrasser d'un coup d'œil l'appareil circulatoire, respiratoire et digestif des Ophidiens. I m'a semblé aussi qu'il serait intéressant de donner ici des figures réduites au quart de grandeur , et qui, coloriées de teintes diffé- rentes pour rendre les vaisseaux plus faciles à distinguer, suffiraient pour en montrer tous les détails; cela complétera en quelque sorte l'espèce de publication commencée, par une exposition de plusieurs années, dans les galeries d'anatomie du jardin des Plantes (voy. pl. 9, fig. 4 etfig. 2). La facilité de pouvoir vérifier sur une pièce d’un si grand volume tous les faits consignés dans mes dessins, offre pour l'étude des avantages incontestables. J'ai en outre fait en détail, et illustré par huit figures, l'anatomie du cœur, n'ayant trouvé, en fait de représentation du cœur des Ophi- diens, que la figure donnée de celui de la Couleuvre par M. le doc- teur Martin Saint-Ange, à propos de la circulation du fœtus humain, et celles du docteur Frédéric Schlemm, bien supérieures à la première, mais qui ne représentent que quelques points de l'ana- tomie du cœur. Nous regreltons que son auteur n’ait pas multiplié davantage les figures qu'il a jointes à son Mémoire (1).
(4) Voyez dans le Journal de physiologie de Tiedemann et Treviranus, t, IH, 4°" cahier, la description anatomique du système vasculaire sanguin des Ser=
4° série, Zoo, T, JV, (Cahier n° 6.) ! 21
322 H. JACQUART. — ORGANES DE LA CIRCULATION
Iexisteune monographie du Python par les docteurs Hopkinson et Pancoast, lue à la Société philosophique américaine le 2 no- vembre 1832. Mais leur Serpent avait eu la tête enlevée avec une
artie de l'œsophage. Ils n'ont pas représenté le cœur, et du este les planches qu'ils ont données laissent beaucoup à désirer. Leur Mémoire porte surtout sur le cœur, la splanchnologie et les gros vaisseaux. Ils donnent peu de détails sur la distribution des branches secondaires. Sur lé premier Python que j'ai disséqué, et que j'ai représenté ici, tous les systèmes de l'appareil cireulatoire furent successivement injectés. Seulement l'injection ne fut pas très pénétrante , à cause du séjour préalable de la pièce dans l'al- cool; mais un peu plus tard, j'ai eu l'avantage de pouvoir consulter deux injections beaucoup plus fines, que j'ai faites sur deux âutres Pythons molures.
Je eommencerai par la description du cœur et de son enve- loppe. — Le cœur est situé, sur le Python représenté planche 9, figure 4, à 40 centimètres de la tête. Il a 7 centimètres de lon- gueur, de la partie la plus antérieure de l'oreillette droite à la pointe du cœur , et à sa face inférieure environ 5 centimètres de large d’une oreillette à l’autre. L'oreillette droite a 6 centimètres de lon- gueur à sa face inférieure, et sa largeur la plus grande, au niveau de l’abouchement du sinus veineux, non compris ce sinus, est de 2 centimètres 1/2. L'oreillette gauche offre, dans le même sens, à peu près les mêmes dimensions ; elle n’a guère plus de 3 centi- mètres L/2 de longueur. L'oreillette gauche, à sa face supérieure, a 2 centimètres 4/2 de large, tandis que la droite, non compris le sinus veineux, n'a pas plus de 2 centimètres ; leur longueur est iei de 3 centimètres 1/2 pour l'oreillette droite, et de 3 centimètres seulement pour la gauche. Nous voyons done que la face inférieure de l'oreillette droite est plus large que la gauche , supérieurement c'est le contraire.
La figure du péricarde que je donne ici a été prise sur un Boa (voy. fig. 4, pl. 40), le péricarde des Pythons que j'ai disséqués offrant un état pathologique. — Le feuillet fibreux du péricarde pents, avec une planche représentant le cœur du Boa constrictor, du Coluber natriæ et du Trigonocephalus mutus, par le docteur Frédéric Schlemm.
CHEZ LE SERPENT PYTHON. 323 forme une poche qui embrasse assez exactement le cœur et l'ori- gine des gros vaisseaux qui en partent, ou qui y aboutissent. Il s’insère sur la veine jugulaire droite (voy. n° 1, même figure), immédiatement au-devant de l'oreillette droite, et au même mveau sur la veine jugulaire gauche (n°2, id.). Il est traversé par la veine cave postérieure (n° 3, id.), à 2 centimètres environ de son embou- chure dans l'oreillette droite (n° 4, id.); mais celle-ci y adhère extérieurement à peu près dans la même étendue (voy.n°5, 6, id.).
Le feuillet séreux ne dépasse pas les oreillettes en haut, et en bas le niveau de la pointe du cœur. La veine cave postérieure (n° 3, id.) en est revêtue partout, excepté à son côté supérieur et externe, où ce feuillet n'arrive pas tout à fait à s’adosser à lui-même. La veine jugulaire gauche, au moment où elle cesse d’être accolée à loreil- lette gauche, est embrassée par la séreuse du péricarde, comme l'intestin grêle par le péritoine; et il existe ici une disposition semblable à celle du mésentère, c’est-à-dire que la séreuse s'étend sur la face supérieure, et la face inférieure de ce vaisseau, pour venir s’adosser à elle-même au niveau de son bord concave, for- mant ainsi de ce bord , à l'enveloppe fibreuse du péricarde, une cloison composée de deux feuillets. Dès que dans ce point laséreuse a atteint le feuillet fibreux, elle le tapisse ainsi que toute la face supérieure des oreillettes. Elle passe de l'oreillette droite sur la veine jugulaire droite, et sur la veine cave postérieure, sans revê- tir le sillon qui les sépare de cette oreillette (voy. n° 7, 8; id.). Elle ne s'enfonce également qu'en partie dans les sillons auriculo- ventriculaires droit et gauche (voy. n° 9 et 40, id.). Elle recouvre la face inférieure des deux aortes et de l'artère pulmonaire, et leur forme une gaine collective à leur partie antérieure seulement (voy. n° 44 et 12, id.); car, postérieurement, elle ne fait que passer sur les sillons qui les séparent de l'oreillette droite et de la gauche, sans s’y enfoncer. La veine jugulaire droite n’est revêtue par la séreuse que sur ses côtés et inférieurement. Ai-je besoin d'ajouter que cette membrane séreuse, outre les dispositions particulières que je viens d'indiquer, revêt loute la face interne du feuillet fibreux du péricarde, pour se réfléchir ensuite sur le cœur
,
qu'elle enveloppe. — Sur deux des grands Pythons que j'ai dissé-
821 I. JACQUART, — ORGANES DE LA CIRCULATION
qués, dont l’un avec M. le docteur Duméril fils, nous avons trouvé les deux feuillets de la séreuse adhérents dans une multitude de points. En outre, cette membrane avait perdu son poli; elle était comme poisseuse, et garnie de fausses membranes. Évidemment, il y avait eu péricardite.
J'ai eu l'occasion d'ouvrir des péricardes de Pythons qui ne pré- sentaient aucune adhérence entre les deux feuillets de la séreuse , et dont la surface interne était lisse et polie. Il est donc démontré pour moi que ces animaux dits à sang froid peuvent être atteints d’une inflammation de l'enveloppe fibro-séreuse du cœur, qui se manifeste par des lésions cadavériques aussi bien caractérisées que celles que nous rencontrons chez les animaux d'un ordre plus élevé.
Si, dans les cas pathologiques que je signale, je n’avais trouvé que des adhérences, sans un état dépoli de la surface interne du péricarde et sans fausses membranes, j'apporterais quelque réserve dans mes assertions. Mais dans les cas dont je viens de parler, il n’y avait pas à douter. D'ailleurs Meckel nous dit, page 291, tome IX, de son Traité général d'anatomie comparée, que les adhérences qui unissent le cœur à son enveloppe fibro- séreuse sont moins fréquentes dans les Ophidiens que dans les autres Reptiles, et qu'il n’en a pas rencontré dans le Python, non plus que chez un grand nombre d'espèces d’Ophidiens qu'il a eu l’occasion d'examiner.
Je suis heureux de rapprocher des cas de péricardites constatées par des lésions anatomiques sur des Pythons, l'observation de péritonite développée sur un Caïman, que M. Lereboullet, membre correspondant de l’Académie des sciences de Toulouse, a publiée dans les Mémoires de cette Société en 1846, 3° série, tome II, 2° livraison. L'existence de la périlonite, développée à la suite d’une perforation intestinale, démontre la possibilité de l’inflam- mation chez les animaux à sang froid, niée à tort par M. Robert Latour dans un Mémoire publié en janvier 1840 dans la Revue mé- dicale, tome Ier, et dans un travail antérieur intitulé : Qu'est-ce que l’inflammation? Qu'est-ce que la fièvre? S'appuyant sur dix-huit expériences faites sur des Carpes et sur des Grenouilles.
CHEZ LE SERPENT PYTHON. 325 Rapports du péricarde.
Situé comme le cœur, sur la ligne médiane, et un peu à gauche, le péricarde est en rapport en haut avec la trachée-artère , qu’on aperçoit par transparence à travers ses deux feuillets, avec l'æso- phage à gauche qui le sépare de la paroi thoracique , tandis qu’à droite il est immédiatement en contact avec elle : de chaque côté avec l’origine des deux poumons, en bas aveele foie et les parois de l'abdomen. J'indiquerai plus loin ses rapports avec les gros vaisseaux qui en partent.
Pour exposer plus nettement foules les parties du Python que j'ai préparé , j'ai été forcé de dévier fortement à gauche du cœur la trachée-artère et les poumons. En outre, la crosse de l’aorte gauche, qui est naturellement située beaucoup plus en arrière que celle de la droite, s’y trouve, au contraire, plus portée en avant que celle-ci, soulevée qu’elle est par la trachée-artère. Mais j'ai rétabli ces rapports, dans toute leur rigueur, dans Ja figure 4, planche 10, qui représente le péricarde et les gros vaisseaux du cœur. J’aurais pu facilement corriger cela sur la figure 4 de la planche 9; mais on comprendra que j'ai voulu donner ici telle qu'elle est la prépara- tion placée dans la galerie d'anatomie comparée.
Lorsqu'on à poussé dans le cœur une injection solide comme dans celui de la figure À de la planche 9, et celui de la planche 11, figure 5, représenté par sa face inférieure, et figure 6, même planche, par sa face supérieure, les formes des diverses cavités sont bien plus nettement caractérisées. On voit que le cœur est allongé, et que les oreillettes constituent plus de la moitié supé- rieure de sa longueur , et sont distinctes. Si l'on enlève le feuillet séreux viscéral du péricarde, on isole entièrement en avant et en arrière les deux oreillettes. On voit distinetement la forme de l'oreillette droite (voy. n° 3, fig. 5, pl. AL) et l’union de Ja veine jugulaire droite avec la veine cave postérieure, pour former un sinus veineux , séparé de l'oreillette droite par un sillon profond cireulaire qui répond à l'embouchure de ce sinus dans cette cavité (voy. n°12,13, des fig. 5 et6 de la pl. 12). Cette oreillette droite est en rapport en dedans avec l'origine des gros vaisseaux qui
326 IH. JACQUART. — ORGANES DE LA CIRCULATION
partent du cœur, et avec les veines jugülaire droite et cave posté- rieuure. Les rapports du cœur ont été précédemment indiqués én décrivant ceux du péricarde.
Si l’on ouvre l'oreillette droite par sa paroi inférieure , et qu'on rabatte cette paroi en dehors (voy. fig. 7, pl. 16), on voit que la jugulaire droite et la veine cave postérieure (n° 4 et 2, même figure) communiquent avec l'oreillette droite par une seule ouverture allon- gée en forme de fente, garnie de deux valvules (voy. n°” 5 et 6), dont l'arrangement a été comparé par les docteurs Hopkinson et Pancoast à celui des paupières. Il existe une commissure antérieure (ne 15) et une postérieure qui complètent l’analogie. Le docteur Schlemm (ouvrage cité) l’a comparée, avec beaucoup de justesse, à la valvule iléo-cæcale. Les deux valves de cette soupape, à l’état de flaccidité de l'oreillette, sont libres et mobiles; mais quand celle-ci se contracte sur le sang qu'elle contient, ces deux valvules pous- sées par ce liquide s'accolent par leurs bords en ligne droite, et ferment ainsi la communication entre l'oreillette et le sinus. Mais si l’on écarte les bords de la valvule, on aperçoit une disposition fort curieuse à noter ; en effet, la veine jugulaire gauche, après avoir pénétré dans le péricarde de la manière que j'ai déjà indiquée ; s’adosse à l'oreillette gauche dans une goutlière que présente celle ci, se place dans le sillon auriculo-ventriculaire gauche, atteint l'oreillette droite, et s’y ouvre en haut et en arrière tout près de la cloison inter-auriculaire (voy. n° 16, 7 et 1, fig. 6, pl. 41).
Cettedernière disposition a été fort bien indiquée par M. Schlemm, etaussi par Cuvier et Meckel dans leurs Traités d'anatomie compa- rée. Hopkinson n’en a pas parlé. Cette valvule est l’analogue de la valvule d’Eustache des Mammifères.
Mais ce qui n’a pas encore été dit, que je sache, c'est que, si l'on regarde par la fente entr'ouverte de la valvule qui garnit l’entrée du sinus veineux dans l'oreillette droite, on voit que l'embouchure de la jugulaire gauche (n° 4, fig. 7, pl. 10), s'accolant à celle-ci (n° 3, même figure), forme avec elle un éperon (n° 14), et que son orifice se trouve abrité sous le tiers environ de la valvule, qui sert déjà , comme tous les auteurs l'ont indiqué , à fermer l'entrée du
CHEZ LE SERPENT PYTHON. 327 sinus veineux. J'insiste à dessein sur ce point, qui jusqu'ici, je pense, à échappé aux recherches des anatomistes.
Ainsi trois veines fermées par une seule disposition valvulaire ! Quelle Simplicité dans les moyens! Je doute qu'on puisse trouver une plus heureuse application de {a loi d'économie exposée par M. le professeur Milne Edwards dans son livre intitulé : /ntroduc- tion à la zoologie générale. Plus d’un fois encore, dans le coùrs de ce mémoire, nous aurons occasion de rendre hommage à cétte loi, au sujet des dispositions particulières du système circulatoire des Ophidiens. Et, à priori , ne devait-on pas s’y attendre ? En effet, chez ces animaux , les organes resserrés , pressés les uns contre les autres, par la forme allongée qui préside à leur organi- sation , ont pu recevoir directement des branches artérielles uni- ques placées sur la ligne médiane dans leur intervalle, où réunir en un seul tronc les veines qui en rapportent le Sang. Ainsi il n'y à qu'une veine pulmonaire située dans la gouttière formée par l’adossement des deux poumons ; elle recoit directement les bran- ches qui en proviennent, et l’on ne voil ses deux racines que là où les deux sacs aériens se séparent. Ainsi les espaces intercostaux , droit et gauche, récoivent leurs artères d’un tronc unique, qui naît directement de la face inférieure de l'aorte, et ne se bifurque qu'au niveau de la colonne vertébrale, Ainsi se comportent les veines dé Jacobson. En effet, elles sont formées par des branches consti- tüant de nombreux rameaux comparables aux veinés azygos de l'homme , et qui vont alternativement le plus souvent se rendre dans la veiñe de Jacobson droite et dans la gaiche , et sont for- mées de cinq, Six, où d'un plus grand nombre de rameaux uniques qui proviennent eux-mêmes de la réunion des veines dé l’espace iftércostal droit et du gauche.
Mais me voici entrainé bien loin de la description de la cavité dé l'oreillette droite ? je me hâte de Ja reprendre.
Pour le passage du sang de l'oreillette droite dans le ventricale droit, il existe un orifice assez rétréci, semi-cireulaire, situé au côté postérieur de la cloison inter-auriculaire, et qui est fermé par une vaälvule (voy. n° 9, fig. 7, pl. 40).
La eloison inter-auriculaire est membraneuse , sans ouverture
328 H. JACQUART. — ORGANES DE LA CIRCULATION
et sans colonnes charnues. Le reste, au contraire, de la face interne de la cavité est revêtu de petits piliers musculeux, libres seulement par une de leurs surfaces, et comme sculptés sur les parois, s’entre- croisant dans tous les sens, el comprenant entre eux de petits enfoncements ou dépressions (voy. n° 8,10, 44,12, fig. 7, pl. 10).
La valvule semi-cireulaire qui ferme l'ouverture présente un bord droit, soudé à la partie moyenne du bord postérieur de Ja cloison inter-auriculaire , ou plutôt se continue avec elle à angle droit. Le bord convexe de cette valvule répond à l'ouverture ven- triculaire, qu’elle bouche exactement quand elle est tout à fait relevée. Nous l’avons représentée entre-bâllée, Nous reviendrons d’ailleurs sur la description de cette valvule à propos de la cavité du ventricule droit, car elle y joue un rôle important.
L'oreillette gauche a environ la moitié du volume de la droite ; si à sa paroi inférieure elle est moins large que la droite , c’est le contraire supérieurement ; en sorte que la eloison inter-auriculaire est située un peu obliquement de haut en bas et de gauche à droite. Cette cloison (voy. ne 3, fig. 9, pl. 10) est membraneuse, com- plète et sans ouverture ; et il ne peut y avoir aucune communi- cation entre les deux oreillettes. Une grosse veine, la veine pulmo- paire, s'ouvre dans la partie postérieure de Ja face supérieure de celte oreillette, assez près de la cloison inter-auriculaire, et peu loin de l'union de l'oreillette gauche avec le ventricule corres- pondant (voy. n° 1 et 5, fig. 6, pl. 14, et n° 2, 6, fig. 9, pl. 10). Elle n’est pas garnie de valvule, et ramène le sang du poumon. Toute la surface interne de cette oreillette est revêtue de petits faisceaux charnus, ou colonnes moins finement sculptées et moins nombreuses que dans l'oreillette droite ; diversement entre- croisées, elles comprennent dans leurs intervalles de petits enfon- cemen{s.
La cloison inter-auriculaire en est dépourvue, ainsi que la face supérieure de cette cavité, (Voy. n° 5, 4, 4, fig. 9, pl. 40.)
Sur la paroi postérieure de l'oreillette gauche , au niveau de la partie moyenne du bord postérieur de la cloison inter-auriculaire, est l'ouverture qui mêne dans le ventricule gauche, garnie d’une valvule tout à fait semblable à celle qui a été déjà décrite dans
Fr
CHEZ LE SERPENT PYTHON. 329 l'oreillette droite, symétriquement disposée comme elle par rap- port à la cloison, et formant avec elle un système fibreux continu, ainsi que je vais l’exposer en détail dans un instant. (Voy. n° 1, fig. 9, pl. 10.)
En arrière des oreillettes se trouvent les ventricules droit et gauche , séparés des oreillettes pas un sillon très profond , qu'on rend très visible en enlevant la séreuse du péricarde qui ne s'y enfonce pas.
A la face ventrale du cœur, les deux ventricules sont séparés par le sillon antéro-postérieur qui loge les vaisseaux coronaires (voy. n° 41, fig. 5, pl. 41). Ce sillon, peu marqué inférieurement, l’est encore moins en haut (voy. n° 14, fig. 6, pl. 11).
Les deux ventricules ne sont qu'incomplétement séparés par une cloison qui s'étend du sommet du cœur à sa base, et qui à l'extérieur n’est que faiblement indiquée, comme nous l'avons dif, par les sillons antéro-postérieurs qui logent les vaisseaux coro- naires. Nous verrons aussi qu'il existe une ouverture de commu- nication entre les deux ventricules dont nous chercherons à bien préciser les éléments et la disposition.
Si l’on ouvre le ventricule droit en divisant sa paroi inférieure par une première incision, sur les côtés de la cloison inter-ventri- culaire, et une autre menée de l'extrémité antérieure de celle-ci en suivant, à quelques millimètres de distance, l'insertion des gros vaisseaux , et qu'on enlève celte paroi comme on l'a fait, figure 8 , planche 10, on voit la cavité du ventricule droil et les nombreux détails qu'elle présente. (Le docteur Schlemm. figure 4, ouvrage cité, a bien représenté la partie de ce ventricule, qui appartient à l'artère pulmonaire.) On y trouve des colonnes charnues et des dépressions qui sont plus nombreuses vers le sommet , et en ren- dent la surface interne très irrégulière (voy. n° 13, 6, 7, fig. 8, pl. 410). Sur la paroi supérieure de ce ventricule commençant près du sommet du cœur, et allant se terminer vers l'embouchure des vaisseaux qui naissent de cette cavité, est une colonne charnue (voy. n° 8,9, fig. 8, pl. 10), libre par son bord inférieur, continue par le bord opposé avec la paroï du ventricule ; elle se dirige en avant, ef forme une cloison incomplète en bas, séparant le ventri-
330 H. JACQUART. — ORGANES DE LA CIRCULATION
cule en deux cavités ou loges : l’une , dite pulmonaire, où-se voit l'embouchure de l'artère pulmonaire, qui est la loge inférieure (voy. n° 7, fig. 8, pl. 10), et l’autre loge , aortique ou supérieure du ventricule droit, d'où partent les deux aortes droite et gauche (voy. n° 4, 5, 13, 15, id.), et aussi n° 40, 19, id.
Le plus petit de ces troncs, l’aorte gauche (voy. ne 4, fig. 5, pl. 11; voy. aussi n°10, fig. 8, pl. 10), est situé au milieu, entre les deux autres et au-dessous d’eux ; son ouverture est placée au-dessus de la colonne charnue déjà décrite, qui eloisonne le ventricule droit, et s'ouvre directement dans la loge supérieure ou aortique du ven- fricule. En dehors de l'aorte gauche est l’orifice de l'aorte droité (voy. n° 12, même figure), qui est aussi, comme on le voit, située au-dessus du bord libre de la colonne charnue, et en communication avec le même compartiment du ventricule droit. Son calibre est in- termédiaire à celui de l'aorte gauche etde l'artère pulmonaire. Celle- ci, la plus considérable des trois , prend naissance immédiatement au-dessous de la cloison, et à la base du compartiment inférieur du cœur droit ; sortie du cœur, elle se place entre l’aorte gauche et la droite, d’une part, et l'oreillette gauche de l’autre, puis se dirige d’arrière en avant de la base du cœur vers le bord antérieur de la gouttière située entre les oreillettes en bas , et là se divise en deux branches pour se rendre à chacun des deux poumons. Les orifices des trois vaisseaux partant du ventricule droit sont garnis chacun d’une paire de valvules sigmoïdes, tout à fait analogues aux valvules sigmoiïdes des Mammifères. La fente qui sépare ces valvules est transversale pour chacune des deux aortes , et un peu obliquement dirigée de dehors en dedans et d’arrière en avant pour l'artère pul- monaire. Telle est la disposition admise par les docteurs Schlemm, Cuvier et Hopkinson (ouvrages cités), et que j'ai figurée ici sur le Python, mais qui est contestée par Meckel et Carus ; car ils n’admet- tent qu'un seul trone d'origine pour les deux aortes , garni d’une seule paire de valvules.
Comment expliquer cette divergence d'opinions sur des faits d'observation ? Y aurait-il parfois des anomalies ?
A l’origine de chacun de ces trois vaisseaux, on trouve deux ampoules ou bosselures régulières de leurs parois, au niveau de
CHEZ LE SERPENT PYTHON. 331 chaque valvule sigmoïde , correspondant à ce qu’on a désigné chez l'homme sous le nom de sinus de Valsalva. Le mécanisme est du reste le même , bien qu'il n’y ait que deux valvules , c’est-à-dire qu'elles se ferment dès que le ventricule cesse sa contraction , et s'ouvrent au contraire dès qu'elle recommence. Je ferai remarquer (voy. n° 8,9, 14,16, fig. 8, pl. 10), comme on peut le voir, l'inser- tion de la colonne musculeuse eloisonnante sur le bord adhérent de la valve supérieure de ces soupapes par son extrémité antérieure ; en tirant sur elles, elle doit tendre à ouvrir les vaisseaux pendant la systole du ventricule. Du eloisonnement du ventricule droit par la colonne charnue, il résulte que le sang qui est lancé par le ven- tricule droit se divise en deux courants : l’un , passant au-dessus de la colonne charnue , va dans les deux aortes situées au-dessus du bord libre de cette saillie musculaire, et l'autre, passant au- dessous, afflue dans l'artère pulmonaire. Le docteur Schlemm (ouvrage cité) fait observer que le cloisonnement incomplet en bas, dans l’état de flaccidité du cœur, devient complet, lors de la systole du ventricule, par l'application de la paroi inférieure contre la colonne charnue. Au-dessus et en dehors de cette der- nière existent deux ouvertures, qui ne sont séparées que par une cloison membraneuse ou appareil valvulaire auriculo-ventriculaire : lune d’elles conduit dans l'oreillette droite , et a déjà été indiquée en décrivant la cavité de cette dernière ; elle est située plus en avant que l’autre, c’est-à-dire plus près du sillon auriculo-ventriculaire. L'autre, plus postérieure, est le passage qui fait communiquer les deux ventricules. Une valvule que nous avons déjà étudiée à sa face auriculaire peut, en se relevant, boucher l'orifice auriculaire , ou en S’abaissant ouvrir ce dernier, el clore l'ouverture qui fait com- muüuniquer les deux ventricules. Mais il est utile de décrire avec soin cette valvule, dont la disposition, une fois bien connué, résout toutes les difficultés que présente l'étude du cœur des Ophidiens, et permet de bien comprendre comment est constitué le passage interventriculaire. Elle se présente sous deux aspects bien difté- rents, suivant qu'on l'examine du côté de l'oreillette droite (voy. n° 9, fig. 7, pl. 40) ou du côté du ventricule (voy. n° 16, fig. 8, pl. 10), c'est-à-dire par sa face antérieure ou ar sa face
332 H. JACQUART. — ORGANES DE LA CIRCULATION postérieure. Dans le premier sens elle est légèrement convexe, semi-lunaire ; sa demi-circonférence, qui est libre, forme un rebord ou bourrelet, parce qu'elle est comme repliée du côté du ventricule. Son bord adhérent est uni au bord postérieur de la cloison inter-auriculaire (voy. n° 9,15, fig. 7, pl. 40) à sa jonction avec le ventricule droit.
Du côté du ventricule elle est concave ; son bord vu ainsi est tranchant, festonné , convexe , et comme épaissi à son milieu ; il devient concave sur les côtés en se continuant vers le ventricule par deux pointes ou piliers fibreux, qui ne sont autre chose que le prolongement anguleux de la valvule (voy. n° 4, 14, 16, fig. 8, pl. 10) : linterne (n° 14, id.), inséré sur l'extrémité antérieure de la colonne charnue déjà décrite (n° 8, 9, id.), l’autre sur de petits faisceaux musculaires des parois du cœur (n° 4, id.). Je n'ai pas trouvé le lubereule indiqué par le docteur Hopkinson sur le milieu du bord libre de la valvule ; à la vérité son serpent était d’une grande taille. Cette valvule est tendue par la traction des fibres charnues dans la systole du ventricule; cette tension a pour effet de mieux la disposer à obéir à l'impulsion du sang chassé par le ventricule, et de l'appliquer plus exactement contre l’orifice auriculo-ventriculaire, La valvule auriculo-ventriculaire gauche est en tout semblable à la droite (voy. n° 1, fig. 9, pl. 40, et n° 9, fig. 7, pl. 10), si ce n'est qu'elle ne s’insère par ses piliers (voy. n® 7, 14, fig. 40, pl. 414) que sur de pelites colonnes charnues.
Si l’on enlève ces deux valvules avec les colonnes musculaires auxquelles elles adhèrent, ainsi que le pourtour de l’orifice de chaque ventrieule, on voit qu’elles sont continues d’un ventricule à l’autre par l'ouverture interventrieulaire qu'elles contribuent à former; que c'est en quelque sorte une tente fibreuse quadrila- tère (voy. fig. 11, pl. 10). Cette tente est convexe en avant du côté de l'oreillette, où elle se continue au milieu avec la cloison inter- auriculaire qui s’insère sur elle perpendiculairement , concave en arrière du côté des ventricules (voy. n° 11, 2, 9, fig. 10, pl. 41; voy. aussi n° 4, 14,16, fig. 8, pl. 10). Deux bords opposés de cette tente sont festonnés et libres ; ce sont ceux qui répondent à chaque ventrieule, et qui appartiennent aux valvules des orifices
CHEZ LE SERPENT PYTHON. 333
auriculo-ventriculaires, et qui se voient facilement lorsqu'elles sont relevées (voy. n* 1 et, fig. 11, pl. 10).
Nous avons dit que ces bords libres, convexes au milieu, con- caves vers leurs extrémilés, se terminent en pointe pour s’insérer sur les colonnes charnues du cœur. Deux autres bords opposés sont adhérents aux parois du cœur, et chacun d’eux s'étend hori- zontalement de chaque côté, à travers l'ouverture interventricu- laire, de l'extrémité du bord festonné, ou pilier d’une des valvules auriculo-ventriculaire , à l'extrémité correspondante de la valvule de l’autre ventricule (voy. l'an d'eux, n° 4, 7, fig. 10, pl. U).
Si l’on étudie maintenant l'ouverture interventriculaire (n° 4, fig. 10, pl. 11; voy. aussi n° 5, fig. 8, pl. 10), assez vague- ment indiquée par la plupart des auteurs, on voit qu’elle est for- mée postérieurement par an éperon musculaire en forme de croissant à concavité antérieure (n° 8, fig. 10, pl. 11), et en avant par la voûte ou concavité des deux valvules auriculo-ventrieulaires, continues l’une à l’autre par leurs bords adhérents (voy. n° 7,1, 11, 9, même figure). En sorte que l'ouverture interventriculaire est constituée en arrière par un simple éperon musculaire, et en avant, au contraire, est formée d’une manière assez compliquée, par la concavité ou voûte des valvules auriculo-ventriculaires. Si ces valvules ne sont pas entièrement relevées, de manière à bou- cher l'orifice veineux en regardant par l’un des ventricules dont on à enlevé la paroi inférieure, on aperçoit les bords festonnés de la valvule correspondante, qui circonserivent avec l'éperon museu- laire l’ouverture qui mène dans l’autre ventricule, puis plus profondément le bord correspondant de la valvule de ce dernier , comme je l'ai montré (voy. n° 4, 44, 16, fig. 8, pl. 10) pour le ventricule droit, et (n° 2,7, 9,14, fig. 10, pl. 14) pour le gauche. Lorsque les valvules sont relevées, la communication entre les deux ventricules est bien plus grande qu'on ne le croirait au pre- mier abord, Quant au mélange du sang venant de l'oreillette droite avec celui qui est envoyé du ventricule gauche par le passage interventriculaire, je ferai remarquer que la contraction des deux ventricules a lieu en même temps et cesse en même temps, c’est-à- dire que les ouvertures de communication avec les oreillettes se
33h H. JACQUART, — ORGANES DE LA CIRCULATION
ferment simultanément à droite et à gauche : ainsi le sang n'arrive du ventricule gauche dans le droit que lorsque ce dernier est déjà plein de sang veineux. Le mélange doit donc nécessairement avoir lieu. Si les deux orifices veineux droit et gauche sont fermés en même temps par leurs valvules respectives, ils s'ouvrent aussi en même temps, ef alors la valvule de chaque ventricule, en s’abais- sanf, bouche de chaque côté l'ouverture de communication qui exisie entre eux : ainsi, pendant la systole des ventricules, ee trou est fermé à droite et à gauche par un double appareil valvulaire. Les docteurs Schlemm et Hopkinson font remarquer que le sang hémalosé arrivant directement par l'ouverture interventriéulaire dans la loge supérieure du cœur, à la base de laquelle s’abouchent les deux aortes, il sera lancé par ces vaisseaux dans le système circulatoire général, landis que l'artère pulmonaire s’ouvrant dans la loge inférieure, complétement séparée de l’autre, eomme le fait remarquer le docteur Schlemm, au moment où le ventricule secon- tracte, ne recevra que du sang veineux.
Cependant ce dernier auteur admet le mélange partiel du sang noir et du sang artérialisé, Je démontrerai plus Join que les choses ne se passent pas comme ces auteurs l'ont indiqué. En effet, si l’on ouvre le veniricule gauche en incisant d’abord la paroi inférieure sur Je côté de la cloison, parallèlement à celle-ci, puis que, déta- chant en haut cette paroï à quelque distance du sillon auriculo- ventriculaire, on la rabatte en dehors, comme je l'ai fait sur le cœur d’un Boa (voy. fig. 10, pl. 11), on a sous les yeux la cavité du ventricule gauche. Sur ce cœur dont j'ai figuré le péricarde (voy. fig. 4, pl. 10), la cavité du venirieule gauche (voy. n° 3,3, fig. 40, pl. 11) n'atleint pas la moitié de la capacité du droit; il semble que ce ne peut être là qu’une partie du ventrieule gauche, tant il est rétréci! On y voit des piliers charnus assez forts ; les parois en sont d’une épaisseur considérable (voy. n° 6,6, 5 et8, fig. 40, pl. 44). 1] n'existe dans ce ventricule que deux ouvertures. L'une est en avant, et tout près de la base du cœur ; elle conduit dans l'oreillette gauche {voy. n° 9, fig. 10, pl. 11); elle est garnie d’une grande valvule, que j'ai déjà décrite avec détail à propos du ventrieule droit. Cette valvule à été représentée presque tout à fait
CHEZ LE SERPENT PYTHON. 339 relevée vers l'oreillette ou plutôtentre-bäillée(voy.n*2, 4,7,9,14, même figure). L'autre ouverture est située au-dessous de cette val- vule (voy, n° 1, même figure); c’est celle qui mêne dans le ventri- cule droit. La valvule, qui a été déjà trop longuement décrite pré- cédemment pour que j'y revienne, est fixée, commie nous l'avons vu , entre les deux ouvertures qu'elle sépare , de telle manière qu'en s’abaissant, elle clôt le passage qui conduit d’un ventricule dans l’autre , et ouvre l'ouverture veineuse, el qu'en se relevant, au contraire, elle ferme celle-ci, et rend l’autre libre.
L'épaisseur considérable des parois du ventricule gauche pro- duit un résultat qui ne parait pas avoir élé bien apprécié ; en effet, il est bien vrai qu'au moment où l'ouverture interventriculaire s'ouvre, les deux ventricules en train de se contracter sont égale- ment pleins, l’un de sang revivifié dansle poumon, l’autre de sang veineux. Si les deux ventricules avaient la même épaisseur de paroi , ils auraient la même énergie d’impulsion ; le sang ne ten- drait pas plus à passer du ventricule gauche dans le droit, que de celui-ci dans le gauche. Mais si l’on lient comple de la minceur des parois du ventricule droit par rapport à celles du gauche , on voit que le ventricule gauche lance énergiquement, par l’ouver- ture qui mène dans le ventricule droit, le sang artérialisé qui balaie en quelque sorte le sang veineux qu'il y trouve, le chasse de la loge supérieure du cœur vers celle de l'artère pulmonaire , d’où l'utilité d’un passage entre ces deux compartiments du cœur.
Sans pouvoir rejeler entièrement le mélange partiel des deux sangs , on est amené à penser que la majeure partie du sang arté- rialisé est lancée dans les deux aortes , tandis que le sang veineux se porte dans l'artère pulmonaire.
Mais une contradiction choquante se rencontre dans l'étude du cœur des Ophidiens ; leur cœur présente avec celui des Mammi- fères de nombreux points d'analogie. Chez les Ophidiens et les Mammifères, les oreilleltes, à part quelques détails de minime importance , sont calquées sur le même modèle ; même structure des parois, mêmes rapports de forme et de grandeur; mêmes vais- seaux qui viennent s'y aboucher, mêmes communications avec les ventricules; puis quand il s’agit de ceux-ci, qui ont conservé
336 H. JACQUART. — ORGANES DE LA CIRCULATION
cependant leur connexion avec les oreiïllettes, leur position et leur épaisseur respectives, toute analogie semble rompue. Le ventri- cule gauche ne donne plus naissance à aucun vaisseau. Les deux aortes , ou, suivant Meckel et Carus , l'aorte qui devrait naître du ventricule gauche , prend son origine dans le ventricule droit, et celui-ci, par contre, donne naissance à la fois à l'aorte et à l’artère pulmonaire ; de plus, il est divisé en deux loges par une cloison incomplète! Mais ne serait-il pas possible de démontrer que cette infraction à la loi, d'unité de plan, n’est qu'apparente? Supposons, pour un instant, que la cloison incomplète du ventricule droit représente la paroi interventriculaire complète des Mammifères , ainsi modifiée pour des raisons que j'ai déjà fait pressentir. Alors tout s'explique ; l'unité de plan n’est plus détruite; il y a seulement variété dans lPunité, et la loi des connexions vient nous guider dans la recherche des analogies qui nous échappaient.
Le cône pulmonaire, on loge inférieure du ventricule droit, représente le cœur droit tout entier. La loge supérieure des auteurs n’est plus qu'un divertieulum du cœur gauche, bilobé en quelque sorte, rétréci, comme éfranglé, au niveau du trou interventrieu- laire, par un des piliers charnus qui garnissent sa cavité. Le ven- tricule gauche recouvre ainsi les vaisseaux aortiques auxquels il donne naissance; c’est qu'ici, comme chez les Mammifères, le ventricule gauche empiète sur le droit en arrière, tandis qu’en avant, c'est le droit que couvre le gauche. De plus, quand les valvules de la base des ventricules sont relevées, ces cavités com- muniquent non plus par un trou rétréci, mais par un passage assez large, et qui rend admissible l'hypothèse d’un rétrécissement entre les deux loges du ventricule gauche. Si l'on jette les yeux sur la figure 4 du Mémoire du docteur Schlemm , on ne pourra disconvenir qu’à son insu , il ne l'ait exécutée de manière à con- firmer les vues que je viens d'exposer.
Nous passerons de la description du cœur à celle des vaisseaux qui font parlie de la grande circulation ; puis nous étudierons la petite circulation, ou circulation pulmonaire, composée de l’artère et de la veine du même nom.
La loge supérieure du ventricule droit donne naissance, à sa
nan" —
CHEZ LE SERPENT PYTHON. 337 base, à l'aorte droite où antérieure (voy. n° 4, 5, 6, fig. 5, pl. 41). Celle-ci est située à droite et au-dessus de l'aorte gauche (voy. aussi n* 12, 10, 114, fig. 8, pl. 10), qui l'accompagne jusqu’au
. bord antérieur des oreillettes; elle marche d’abord entre cette der-
nière et l'oreillette droite, se dirige en avant, longe le côté infé- rieur , puis l'extrémité antérieure de cette cavité, côtoie le bord antérieur du cœur , en décrivant une courbure dont la convexité est tournée en avant, au-dessous de la trachée-artère et de l’æso- phage, et se place entre ce dernier, la veine jugulaire droite et les deux azygos. Entre la crosse formée par cette artère, et la veine Jugulaire droite, passe le nerf pneumogastrique droit. Le nerf récurrent, auquel il donne naissance, se réfléchit sur le côté posté- rieur, puis sur la face interne de cette même crosse, pour se rendre à sa destination. L'aorte droite, accolée à l’œsophage, se dirige de bas en haut, d'avant en arrière et de droite à gauche, pour arriver au côté gauche de ce dernier, dont elle à ainsi côtoyé suecessive- ment les faces inférieure, latérale et supérieure. Considérablement diminuée par les branches qu'elle a émises dans son trajet, elle vient se réunir à l'aorte gauche, enlaçant avec celle-ci l'œsophage d'un lien vasculaire qui décrit les contours d’un cœur de carte à jouer, dont la pointe est tournée en arrière et l’échancrure en avant (voy. n°4, 10, 14, 20, 9, 8 et 3, fig. 6, pl. A ; voy. aussi n° 11, 15,16, 14, fig. 1, pl. 9).
Le docteur Schlemm (ouvrage cité) fait remarquer que l’inter- valle, que comprennent en arrière du cœur ces deux anses arté- rielles , avant leur réunion, est variable suivant les différents genres; ainsi il n'a que quelques lignes dans le Coluber natrix, et quelques pouces chez le Boa; je l'ai trouvé plus considérable encore sur les deux Pythons que j'ai disséqués (4).
1) Je ne saurais m'empêcher de rappeler ici, d'après Cuvier, que chez les Ruminants, les Solipèdes, le Rhinocéros, le Cochon, le Pécari, l'aorte se sépare, presque immédiatement après la naissance, en deux gros troncs , dont l'un, plus petit, où aorte antérieure, se porte en avant, et produit les artères qui a chez l'Homme, les Primates, les animaux carnassiers, elc., naissent de la crosse de l'aorte, et l'autre, d'un diamètre plus grand, ou aorte postérieure, se dirige en arrière.
Le »
s" série, Zoo, l, IV, (Cahier n° 5.) 2
+2 19
338 H. JACQUART. — ORGANES DE LA CIRCULATION
L’aorte droite, avant de se réunir à la gauche, donne, dans son trajet, 1° les artères coronaires droite et gauche du cœur, un peu au-dessus des valvules sémilunaires qui garnissent son origine. L'artère coronaire droite marche dans le sillon, qui sépare l’oreil- lette droite du ventricule du même côté sur la face supérieure du cœur, et s'y ramifie. La gauche contourne la naissance de l'aorte gauche, se place dans le sillon antéro-postérieur, peu marqué, de la face inférieure du eœur, et s’y distribue (voy. n° 14, fig.5, pl. 41). — 2% L'arière céphalique du docteur Schlemm, ou carotide com- mune de Cuvier, c’est le trone commun qui fournit les deux artères carotides communes , l'artère vertébrale et la thyroïdienne infé- rieure ; il nait à peu près au milieu de la convexité de l’are formé en avant par l'aorte droite (voy. n° 41,15, 28, fig. 4, pl. 9; voy. aussi n° 17,41 et 15, fig. 3, pl. 9).
Chez le Python comme chez tous les Serpents qui n’ont pas de membres, il n'y a pas d'artère sous-clavière. Or c’est elle qui donne chez les Mammifères les branches qui vont à la partie posté- rieure du cerveau et de la moelle; ces artères, chezles Ophidiens, sont fournies par l'artère carolide commune de Cuvier et l'artère vertébrale.
L'artère carotide commune de Cuvier, céphalique du docteur Schlemm, dès son origine de l'aorte dalles se dirige obliquement en avant el à gauche, passe entre la crosse de l'aorte gauche et la trachée, à la face inférieure de l’'æsophage, sous lequel elle conti- nue son trajet, à gauche du conduit aérien jusqu'à la tête. Elle est accompagnée par la veine jugulaire gauche et par le nerf pneumo- gastrique correspondant, et leur est unie par du üissu cellulaire.
Telle est la disposition que l’auteur a représentée (fig. 4), ouvrage cité, sur le Coluber natriæ. Elle donne une branche assez forte àune petite glande arrondie qui se trouve au devant du cœur etdes deux crosses aortiques, et des rameaux moins forts à deux corps glan- duleux , allongés et séparés, qui semblent être les analogues du corps thyroïde, et qui sont situés sous les veines jugulaires. Ces artères correspondent à la thyroïdienne inférieure des Mammi- fères. Après que l'artère céphalique à dépassé la crosse de l'aorte gauche, elle longe le côté correspondant de la trachée, fournit des
CHEZ LE SERPENT PYTHON. 339 rameaux nombreux à celle-ci et à l’œsophage , enlaçant la paroi inférieure de ee dernier d'un réseau artériel (voy. n° 45, fig. 3, pl. 9). Arrivée à l'articulation de la mâchoire inférieure avec l'os carré, elle fournit l’artère sous-maxillaire qui accompagne le nerf hypoglosse , donne des branches aux muscles de la région post- hyoïdienne, au pharynx, au larynx, à la langue et à son fourreau, et s’anastomose par inoseulation, sous l'extrémité antérieure des deux mâchoires inférieures , avec Partère sous-maxillaire du côté droit. Comme je n'ai pas à ma disposition d’injections, d’après les- quelles je puisse décrire la distribution ultérieure de cette artère, soit à l'extérieur de la tête, soit sur l'encéphale, je remettrai à plus tard le soin de combler cette lacune; et je dirai seulement , en résumé, que l’artère céphalique, après avoir donné la sous- maxillaire, contourne l'angle de la mâchoire inférieure, monte sur le côté gauche de la tête, fournit des ramuscules au pharynx, une branche plus forte aux muscles ptérygoïdiens, et se sub- divise en deux : la carotide commune gauche et le tronc com- mun des deux artères vertébrales, et de la carotide commune du côté droit. En un mot, on voit ici encore une application de la loi d'économie de M. le professeur Milne Edwards. Il n°y à qu’un seul tronc artériel jusqu'à la tête, au lieu des deux vertébrales et des quatre artères carotides externes et internes des Mammifères. C'est l'artère céphalique seule qui fournit toutes les branches qui sont données par ces six artères chez les Mammifères. Il est bien évi- dent qu'il y a là une cause de ralentissement de la circulation, qui est peut-être en harmonie avec l’état le plus ordinaire de (orpeur et d’engourdissement de ces Reptiles.
Nous avons indiqué la disposition de la carotide commune, telle que le docteur Schlennn l’a trouvée sur le Coluber natriæ (voy. fig. 4 de sa planche), le Trigonocephale mutus (voy. lig. 3, id.) et le Boa constrictor (voy. fig. 4, id.). Mais ce n’est pas celle qu'on rencontre chez tous les Ophidiens ; elle varie suivant les espèces et même les individus. Ainsi Cuvier dit que la branche glandulaire la plus considérable naît de la crosse même de l'aorte gauche. Sur le Python molure que Fai représenté figures 4 et 2, planche 9, les deux artères carolides communes droite et gauche
340 HI. JACQUART. — ORGANES DE LA CIRCULATION naissent de la crosse même de l'aorte par un tronc si court, qu’elles paraissent au premier abord partir directement de celle-ci. Mais la gauche est d’un très petit calibre , et son extrémité céphalique est presque capillaire (voy. n° 27, 28, fig. 4, pl. 9).
Sur un autre Python molure représenté figure 3, planche 9, un trone commun de 2 à à millimètres donne naissance à la fois aux deux carotides communes. Mais la carotide commune gauche reste volumineuse, jusqu'à l'articulation de la mâchoire qu’elle con- tourne pour se terminer, conme le docteur Sehlemm la indiqué ; donnant, comme nous l'avons déjà dit, des rameaux à l’œsophage, à la trachée, à la veine jugulaire gauche et au pharynx ; fournis- sant, avant sa terminaison, derrière la mâchoire, l'artère sous- maxillaire qui accompagne les divisions du nerf hypoglosse. L'autre carotide commune ou droite n'ayant pas le tiers du volume de la gauche, fournissant un rameau thyroïdien assez fort au corps glanduleux, allongé, situé à gauche, puis d’autres plus petits à celui de droite. Elle affectait avec la trachée, et avec le preumo- gastrique et la jugulaire droite, les mêmes rapports que la earotide commune gauche ; donnait comme elle des ramuseules à la trachée, à l’œsophage et à la jugulaire, mais allait graduellement en dimi- nuant de calibre, et enfin, au milieu de la longueur du col, deve- nait filiforme pour se terminer près de la tête, à l’état capillaire, comme un rudiment de vaisseau, conservé seulement pour rappe- ler la disposition symétrique ordinaire dans les classes plus élevées.
Sur le Python dont j'ai représenté le cœur (fig. 5, 6, pl. 10), ce n'étaitpas la carotide commune gauche qui faisait les frais de la circulation céphalique ou cérébrale , c'était au contraire la droite, si nous en jugeons, du moins, par le volume de cette der- nière presque double; car nous n'avons eu à notre disposition que l'origine des vaisseaux de la crosse aortique droite , et la carotide commune gauche, d’un calibre moilié moindre, naissait à ganche d'elle de cette même crosse. Enfin sur le Boa, dont le péricarde a été représenté figure 4, planche 40, deux earotides communes (46 et 18) étaient à peu près de même grosseur, el devaient se vartager la circulation de la tête et de l'encéphale.
L'artère aorte droite, à l'extrémité supérieure de la convexité de
GHEZ LE SERPENT PYTHON. 31 sa crosse, fournit l'artère vertébrale de Cuvier, ou artère du col du docteur Schlemm (voy. n° 15, 31, tig. 4, pl. 9). Cette dernière correspond par sa distribution à la première intercostale des Mammifères, à la cervicale ascendante et à la transversale du col. Après sa naissance de l'aorte droite, dans le point indiqué, elle se place au côté droit des apophyses épineuses inférieures, et semble être la continuation de l'aorte sur la région cervicale du rachis. Elle est en rapport en bas avec l'æsophage, en haut avec la couche musculeuse inférieure de la région cervicale de l’épine. Elle four- nit en bas des rameaux œsophagiens, en haut des artères inter- costalesuniques, qui, au niveau desapophyses épineuses inférieures, se divisent en deux branches intercostales , lune droite, l’autre gauche. Cette origine des deux intercostales par un tronc impair se rencontre aussi, parmi les Mammifères, chezle Simia sabea et chez le Cochon. Arrivée à la huitième ou dixième vertèbre, en avant du cœur, l'artère du cou s'enfonce entre la face inférieure des vertèbres et les muscles qui s’y atlachent. Là elle donne naissance, selon l’auteur du mémoire précité, à des artères intercostales, qui naissent par paires upe à droite, l'autre à gauche, et enfin elle se termine dans les muscles de la région postérieure de la nuque. Encore ici, nous trouvons dans cette artère unique, et dans la veine qui lui correspond, une application de la loi d'économie.
Sur le Python molure représenté figure 4 et figure 2, planche 9, et sur celui de la figure 3 de la même planche, l'artère du con , depuis sa naissance jusqu'à sa lerminaison, ne donne que des trones intercostaux aniques, qui se subdivisent ensuite en deux pour chaque espace intercostal. L'artère aorte droite fournit encore depuis l’origine de la précédente, jusqu'à sa rencontre avec l'aorte gauche , un assez grand nombre de troncs intercostaux impairs , qui se comportent ensuite comme nous l'avons indiqué. Hs sont au nombre de 48 sur le Python molure, représenté figure À de la planche 9 (voy. du n° 46 à 45 de cette figure).
L'aorte gauche ou postérieure, ainsi appelée parce qu'elle fournit aux organes placés derrière le cœur, après être née de la base du compartiment supérieur du ventricule droit du cœur, qui est pour nous le diverticulum droit du ventricule gauche, séparant l'artère
212 H. JACQUART. — ORGANES DE LA CIRCULATION
aorte droite de l'artère pulmonaire , $e dirige en avant entre ces deux vaisseaux et l'oreillette gauche, contourne lé bord antérieur du cœur , se place sur le côté gauche et inférieur de l’æsophage ; forme uné crosse semblable à celle de l'aorte droite , mais dont la convexilé, qui est aussi antérieure, n’atteint pas le niveau de celle-ci. Elle se dirige ensuite en arrière sur le côté gauche et supérieur de l’æsophage en arrière du cœur, et s'unit avee l'aorte droite dans le voisinage du foie. Outre ces rapports que nous avons indiqués, elle est croisée en bas à angle droit par la veine jugulaire gauche, le pneumogastrique gauche, la carotide commune, ét embrassée par le nerf récurrent gauche (voy. n% 19, 43, 14, 16, fig. 1, pl. 9; voy. aussi n°5 12, 13, 18, 23, fig. 3, pl. 9).
Elle se trouve dans le reste de son trajet placée sur la ligne médiane, distante des apophyses épineuses inférieures des vertèbres de toute la longueur des trones impairs des artères intercostales } qui naissent de son côté Supérieur, Située au-dessus des poumons, du canal digestif et du foie ; elle atteint la dernière vertèbre abdo- minale, sort de la cavité du même nom, et prend le nom d’artère caudale , qui se prolonge jusqu'à la dernière vertèbre. Depuis sa réunion avec l'aorte droite jusqu'à l’anus , l’aorte gauche donne ; par son côté supérieur, un nombre considérable de troncs impairs d’origine des intercostales, qui se comportent comme nous l'avons indiqué, et continuent la série commencée par les intercostales qu'a fournies la vertébrale de Cuvier (voy. n°16, 17, 48, 10°, 20, 62, fig. 4, pl. 9: voy. aussi les n° 75, 76, 77, 78, 79, fig. 2 de la mème planche).
De son côté inférieur naissent les branches viscérales , an nombre desquelles se trouvent, en première ligne , les artères du foie et de l'estomac. Il n'y a pas de tronc cæliaque, mais les artères hépaliques, au nombre de dix à douze, naissent du côté droit de l'aorte , se dirigent transversalement vers la scissure du foie ; en formant entre elles des areades, d’où partent de nombreux rameaux qui pénètrent dans la substance de cette glande. Ces branches hépa- tiques fournissent aussi des rameaux bronchiques pulmonaires et æsophagiens. Cinq à Six artéres se rendent à l'estomac: la dernière, qui l'emporté en volume sur toutes les autres, est destinée à la
CHEZ LE SERPENT PYTHON. BTE] région pylorique. Lesbranches supérieures et inférieures qui pro- viennent de ces artères se distribuent aux régions correspondantes de ce viscère. De même qu'il y a un grand nombre d’artères hépa- tiques et gastriques, il y a plus de deux artères mésentériques , et on ne pourrait les classer en mésentériques antérieures et posté- rieures qu'en ayant égard, d’après la loi de connexion, à la portion d’intestin auquel elles se distribuent. Or on sait que la mésenté- rique supérieure chez les Mammifères donne des branches à tout l'intestin grêle, et à la moitié du gros intestin qui fait suite à ce der- nier. Chez les Ophidiens la naissance de l'intestin grêle est nelte- ment donnée par le rétrécissement qui répond au pylore (voy. P de la fig. 2, pl. 9 ), et sa terminaison par la présence de l'appendice iléo-cæcale (voy. n° 65, même figure) ; du moins je l'ai trouvé chez le Python. Prenant ensuite la moitié antérieure du gros Intestin {voy. n° 65, 66 , même figure), les artères qui se rendent à tout l'intestin grêle et à cette portion du gros seront des artères mésen - tériques antérieures. Elles sont ici au nombre de sept. Ces artères, nées du côté inférieur de l'aorte, se dirigent en bas vers le bord adhérent de l'intestin, et tantôt au niveau de ce bord, tantôt à une certaine distance, suivant sa position plus ou moins éloignée de la colonne vertébrale , se subdivisent en deux branches , l'une anté- rieure, l’autre postérieure, lesquelles, par les anastomoses qu’elles forment entre elles, constituent des arcades d’où partent des ramus- cules qui couvrent la périphérie de l'intestin. La branche antérieure de subdivision de la première mésentérique antérieure se rend au pylore, s’anastomose avec l'artère gastrique la plus postérieure, et donne des artères à la vésicule du fiel, au pancréas et à la rate. Le rameau postérieur de la dernière mésentérique antérieure s’anastomose avec la branche antérieure de la première mésenté- rique postérieure.
Les artères mésentériques postérieures , iei au nombre de cinq, naissent de la méme manière que les antérieures, et, à part la por- lion d'intestin à laquelle elles doivent se rendre, se comportent de la méme manière qu'elles.
Si l'on a égard, chez les Ophidiens, à la disposition allongée de l'intestin, qui a nécessité l'existence d'un plus grand nombre d’ar-
ll H. JACQUART. — ORGANES DE LA CIRCULATION
tères mésentériques , et diminue celui des arcades vasculaires , l’analogie de leur distribution avec celle qui a lieu chez les Mam- mifères est facile à saisir (voy. n° 82, 83, 84, 89, 90, 91, 93, 92, DOCTORAT EMANRELOS phares fe pl. 9).
Au niveau du eloaque, Paorte qui lui est superposée Jui fournit directement plusieurs artères (voy. C, même figure).
Les rameaux épiploïques sont fournis par l'aorte même, ou par les artères gastriques , rénales , ovariques, testiculaires , ou celles des oviductes.
Les artères testiculaires , au nombre de trois , quatre ou cinq , pour chacune de ces glandes, naissent des côtés correspondants de l'aorte (voy. n° 85, 86, b, c, 3), ctaussi (n° 87, 88,2, même figure), se rendent directement à leur bord interne, traversent leur tunique fibreuse, et se ramifient dans la substance du testicule. La position plus antérieure du testicule droit modifie l’origine de ses artères. Même observation pour la naissance des artères ovariques droites et gauches : leur nombre varie de quatre à six. Les artères des oviductes, à cause de la position différente de ces deux conduits, naissent bien plus en avant pour l’oviduete droit que pour le gauche : elles sont aussi bien plus nombreuses pour le premier. Elles vien- nent de l’aorte , des rénales , des ovariques , ou enfin des artères mésentériques postérieures ou de celles du cloaque. Leur trajet très sinueux se prête à l’ampliation de ces conduits membraneux par le développement des œufs qui viennent à s'y développer. Les artères rénales, dont le nombre varie de quatre à six, par la posi- tion plus antérieure du rein droit, naissent plus en avant pour ce dernier (voy. n° 44, 100, etc, d, 12, même figure)
Elles se rendent directement à la partie correspondante de la scissure de cette glande; chacune se subdivise en deux branches , qui, en s’anastomosant entre cles, forment des arcades de la con- vexité desquelles partent des rameaux, dont les subdivisions se rendent dans les lobules rénaux. Ces artères fournissent des ramus- cules au canal déférent et à l’uretère correspondant, qui en recoi- vent aussi directement de l'aorte, des artères mésentériques pos- térieures et du cloaque.
Dar
CHEZ LE SERPENT PYTHON. 345 Les nombreux ramuscules vasculaires qui, après avoir fourni aux uretères, passent dans la duplicature du péritoine qui main- tient le canal déférent en rapport avec le rein, ont fait croire à tort, sur des pièces non injectées, qu'il y avait des communica- tions nombreuses entre les uretères et les canaux déférents. Après sa sortie de l'abdomen en arrière de l'anus, l'aorte prend le nom d’artère caudale, et diminue graduellement de volume jusqu'à lextrémité de la queue (voy. n° 68 et 80, même figure).
Système veineux.
Le sang qui a été porté par les artères dans tous les organes revient par les veines, dont les unes appartiennent au système vei- neux général : ce sont les veines jugulaires, les veines azygos anté- rieure et postérieure, et se rendent directement, ou par l’intermé- diaire d’autres veines, dans l'oreillette droite. Les autres ne se comportent pas ainsi, mais, méritant le nom de veines arté- rieuses, se forment à leur origine comme les veines ordinaires, et une fois constituées à l’état de trones, se terminent comme les artères en se ramifiant dans une glande. Parmi ces systèmes veineux , les uns, comme celui de la veine porte, appar- tiennent à tous les Vertébrés; les autres sont spéciaux à certaines classes, les Oiseaux, les Poissons et les Reptiles. Ce sont les veines de Jacobson. Enfin il existe un ordre de vaisseaux qui fait partie de la petite circulation ou circulation pulmonaire , c’est-à-dire l’ar- tère pulmonaire qui porte dans le poumon le sang veineux , et les veines pulmonaires qui le rapportent du poumon pour le verser dans l'oreillette gauche. Nous décrirons successivement ces vais- seaux dans l’ordre où nous venons de les énumérer.
Veines jugulaires.
Au niveau de l'articulation de la mâchoire inférieure avec l'os carré, de la réunion des veines sous-maxillaires et du tronc com- mun des veines faciales et cérébrales, naissent les deux veines jugulaires droite et gauche ; de là elles se dirigent en arrière vers le cœur, et reçoivent dans leur trajet les veines de la trachée, de
346 H. JACQUART. — ORGANES DE LA CIRCULATION
l'œsophage et des muscles. Elles sont en rapport, en haut ; avec l'œæsophage ; en dedans , avec l'artère carotide commune corres- pondante, qui n'existe le plus Souvent qu'à gauche, et avec le nerf preumogastrique; en bas, avee les muscles abdominaux. Leur calibre augmente considérablement, à mesure qu’elles approchent du cœur; et quand elles sont injectées, elles offrent des renflements énormes qui diminuent un peu en avant de ce dernier. La jugulaire droite est déjà volumineuse vers l'angle de la mâchoire inférieure, et augmente encore avant sa terminaison, cù elle se rétrécit ensuite considérablement. La jugüulairé gauche est, au contraire, très pelile à son origine (voy. n° 3, 4, 30 et 9, fig. 4, pl. 93 et n° 5, 6, fig. 3, même planche). Quand il y a deux artères caro- tides communes, et que c’est la droite qui est capillaire à sa ter- minaison , on trouve pour les veines une disposition inverse. Là où se termine l'artère, en gardant un calibre assez fort, com- mence une veine très grêle ; là, au contraire, où une artère est fili- forme à sa terminaison, commence une veine assez forte. Nous avons vu avec détail comment la veine jugulaire gauche passe sous Ja crosse de l'aorte gauche , pénètre dans le péricarde, et se termine dans l'oreillette droite.
La veine jugulaire droite, avant de pénétrer dans le péricarde, reçoit les veines azygos antérieure et postérieure (voy. n° 3, qe 6, fig, 4, pl. 9; voy. aussi n°5, 4, 24, 24, 98, fig. 3, pl. 9).
L'azygos antérieure, veine vertébrale de Cuvier, nait à l'angle de la mâchoire inférieure; elle est placée au devant du cœur, en dehors de l'artère correspondante, entre la colonne vertébrale et l’æsophage; elle recoit les branches impaires des veines inter- costales, au nombre de quarante environ, et celles du pharynx
e de l’æsophage.
L'azygos postérieure, beaucoup moins forte de calibre et moins longue, résulte de la réunion de dix à quinze rameaux impairs, formés, chacun, par la jonetion des veines intercostales droités et gauches siluées derrière le cœur. Ces deux veines azygos se réunis- sent au devant du cœur, et leur tronc commun se jette dans Ja veine jugulaire droite.
Nous avons suffisamment indiqué comment la jugulaire droite ,
CHEZ LE SERPENT PYTHON. 3h7 en se réunissant à la veine cave postérieure, forme un sinus , et comment ce dernier s'abouche dans l'oreillette droite.
La veine cave postérieure est formée par la réunion à angle aigu des deux veines rénales efférentes (voy. n° 7, 8, 6, 4, 1, fig. 2; pl. 9); elle marche d'arrière en avant sous la colonne vertébrale, et, longeant le eôté droit de la veine porte (voy. n° 23, 22, 2%, 21, 5,3, fig. 1, pl. 9), elle recoit dans son trajet les veines tesliculaires (voy. n° 5,2 et 3, lig. 2, pl. 1), et chez les femelles, les veines des ovaires et des oviductes. Parvenue dans le sillon du foie qui lui appartient, elle recoit directement les veines hépatiques (voy. les veines qui y aboutissent du n° 22 au n° 67, fig, 4, pl. 9), ce qui fait qu'elle grossit considérablement. De plus, at delà du tiers postérieur de la longueur du foie, sur le Python dont j'ai représenté (fig. 3, pl. 9) la région cardiaque, la veine cave posté- rieure, outre les branches Hépaliques, recevait encore par son côté gauche, comme j'ai pu le constater par un dessin que l’espace nous empêche de donner ici, six ou sept veines impaires, résultant de la réunion de deux branches, l’une antérieure, l'autre postérieure, lesquelles, en s’anastomosant les moyennes entre elles, la plus antérieure avec la naissance de l’azygos antérieure, et la plus posté- rieure avec quelques-unes des racines de la vemne porte, formaient une série d’arcades vasculaires en manière de veines azygos, qui recevaient de leur convexité chacune de six à douze râmeaux uniques, produits par la réunion des veines intercostales droites ét gauches. Disposition identiquement la même que celle que nous frouverons dans les racines de la veine porte et des veines de Yacobson , qui présentent ane série d’arcades, dans lesquelles se jéltent les troncs impairs résultant de la réunion des veines inter- éostäles droite et gauche.
Veines de Jacobson.
Il existe chez les Ophidiens comme chez les autres Reptiles, chez les Oiseaux et les Poissons, un système particulier de veines, découvert par le professeur Jacobson en 1815, et auxquelles on à donné son nom. (Voy. Jacobson, De syslemale venoso in permul- tis animalibus observalo, Hafniæ, 1824.
318 H. JACQUART. — ORGANES DE LA CIRCULATION
Swammerdam (voy. dans la Biblia naturæ, p. 848, pl. 49, fig. 4m, n, 0,0) avait figuré les veines rénales de la Grenouille ; seulement illes décrit comme partant des reins vers leurs racines, comme si le sang se dirigeait ainsi de ces glandes vers la queue. En 1839, M. Duvernoy (Leçons d'anatomie comparée de Cuvier , rédigées et publiées par lui, 2° édit., t. VI, p. 253 ; Paris) fait sentir la nécessité de confirmer ces faits pardenouvelles recherches. Enfin en 18/41, M. Martino répète les expériences de M. Duvernoy, en ajoute de nouvelles, et confirme la découverte de Jacobson. (Voy. le Mémoire du docteur Gruby, présenté à l'Académie des sciences le 8 novembre 1841, sur le Système veineux des Gre- nouilles.)
Voyons maintenant l'origine de ces veines (voy. n° 20, 21, 99, 23, 19, 31, 15, 24, 17, 27, 28, 30, 16 R, 99, fig. 2, pl. 9, pour la droite; voy. aussi n° 37, 38, 34, 35, 33, 32, même figure, pour la veine gauche).
La veine caudale commence sous la queue, grossit dans son trajet par l'addition de chaque côté de branches latérales , pé- nètre dans la cavité abdominale, se place au-dessus du eloaque, reçoit quelques veines intercostales, puis se divise en deux bran- ches, qui sont les deux veines rénales afférentes où veines de Jacobson. Hopkinson, dans sa Monographie du Python, les a décrites comme l'avait fait Swarmmerdam , c'est-à-dire à contre- sens.
La veine porte s'anastomose avec la veine rénale afférente droite, non loin de son émergence de la veine caudale, Chacune de ces veines marche du côté correspondant de la face supérieure du rectum , parallèlement à l’uretère, dont elle recoit quelques vei- nules, et auquel elle est unie par du tissu cellaleux {voy. n° 43, 2, MA, 12, 40 et 39, 11, fig. 2, pl. 9), atteint l'extrémité posté- rieure du rein, suit son côté externe et inférieur, en dehors de l’'uretère qui la sépare de la veine rénale efférente. Elle donne, dans son frajet dans le rein, des rameaux à chacun des lobules, et dimi- nue ainsi graduellemeni de volume jusqu'à l'extrémité antérieure de cette glande, où elle se perd dans son épaisseur {voy. n° 4, fig. 49, pl. 11).
CHEZ LE SERPENT PYTHON. 349
Les ramuseules qu'elle répand dans chacun des lobules sont capillaires , et vont en rayonnant vers leur surface. Je m'en suis assuré sur un Python par une injection très fine, qui a passé de là dans la veine cave inférieure et dans la veine porte, mais sans pénétrer dans les artères, répétant l'expérience faite déjà par le docteur Schlemm. )
Je suis étonné que Jacobson , et après lui le docteur Schlemm (ouvrages cités), n'aient pas indiqué un plus grand nombre d’anas- tomoses entre les veines rénales afférentes et la veine porte. Sur le Python que j'ai représenté figures Let 2 de là planche 9, il y en avait en tout cinq, à plein calibre, et presque de la grosseur d’une plume de corbeau {voy. n°16 et 29; n° 28, 27, 30 (4, 32), 3, 35), et un certain nombre d’autres plus petites. De plus, ce ne sont pas seulement quelques veines intercostales qui se jettent dans les veines de Jacobson, mais bien la plupart des veines inter- costales et musculaires situées en arrière des reins ; c’est-à-dire que des rameaux impairs, provenant eux-mêmes de la réunion des deux intercostales, constituent alternativement, à droite et à gauche de l'artère aorte, depuis l'anus jusqu'au voisinage du rein, une série de petites azyges, lesquelles communiquent entre elles, et le plus souvent alternent leur abouchement dans les veines afférentes droite et gauche (voy. n° 24, 27, 37, 38, 33. fig. 2, pl. 9); et nous avons vu précédemment qu'elles se continuaient directement ou médiatement avec les petites azygos qui se jeltent dans la veine porte, et celles qui se rendent dans la veine cave inférieure dans le sillon du foie, et enfin les deux azygos antérieure et posté- rieure.
Veine porte.
Nous avons indiqué lanastomose de la veine porte avec la veine de Jacobson droite, qu'on peut regarder comme une de ses ori- gines ; de là elle se place au-dessus de l'intestin, et arrive jusqu'au foie; elle recoit les troncs impairs formés par la réunion , en manière d'azygos, de la veine intercostale droite et de la gauche, depuis l'extrémité postérieure des reins jusqu'au delà de l’extré- mité postérieure du foie (voy. n° 4h, 35 À, 27, 28, 50, 29,51,
350 H. JACQUART. — ORGANES DE LA CIRCULATION
52, 53, 15, 46, 47, 48, 49, 50, 54,74, fig. 2, pl. 9). Elle recoit dans ce trajet les veines du canal intestinal (numéros déjà indi- qués), de l'estomac , de la rate (voy. n° 55, 56, 57, 58, 59, 60, 64, 1’, 2, 3', L, fig. 2, pl. 9; voy. aussi n° 63,64, 59, 37, 58, 61, 57, 56, 54, 53, 52, 51, fig. 1, pl. 9) et de l’épiploon, si remarquablement chargé de graisse, qu’on le prendrait pour un magasin ou réserve de substance, dont l'animal pourrait se nourrir par résorption (voy. n° 74, 74, 74, 74, même figure). Arrivée au foie, la veine porte se place dans un sillon situé à gauche, et, en rapport avec l’œsophage, recoit quelques branches intercostales et œsophagiennes, et se divise en branches transversales (n°25), qui communiquent avec les veines hépatiques qui vont dans la veine cave postérieure. Alors elle diminue graduellement de volume, et, comme épuisée par les branches qu'elle a fournies au foie, près de l'extrémité antérieure de ce viscère, elle est réduite à un très petit calibre, et s’y termine (voy. n° 67, même figure).
Petite circulation ou circulation pulmonaire.
Nous avons étudié l’origine de l'artère pulmonaire et ses rap- ports jusqu'au bord antérieur du cœur; plus loin, elle se divise en deux branches, dont le volume est proportionné à celui des deux sacs aériens (voy. n* 10, 12, 69, 65, et n* 70, 71, 80, 84, fig. 4, pl. 9). La branche droite est presque double de l’autre en volume; elles marchent d'avant en arrière sur la face inférieure de chaque poumon (n° 38, 39, même figure); la division du gauche ne s’éfend guère que sur le liers antérieur de sa longueur, et celle du droit ne va pas plus loin que la fin de son quart antérieur. Les branches secondaires sont transversales, naissent latéralement de la branche principale de chaque poumon, s’anastomosent avec des rameaux semblables de la veine pulmonaire, et s’épuisent en se subdivisant dans les aréoles de cette partie antérieure de l’organe qui est seule vasculaire. Ces ramifications se trouvent en rap- port avee les ramuscules des nerfs preumogastriques , qui sont disposés aussi transversalement jusque dans leurs dernières divi- sions. Au moment où ces deux branches contournent la face supé- rieure du cœur, elles sont en rapport, en haut, avec la trachée et
Re
CHEZ LE SERPENT PYTHON. 351 les deux nerfs pneumogastriques; en bas, avec le cœur et la veine pulmonaire, le foie et les parois abdominales. Les veines pulmo- naires constituent d’arrière en avant, sur la face inférieure des poumons, une branche principale pour chacun d'eux. Cette branche est formée par des rameaux transversaux, qui prennent naissance dans les aréoles pulmonaires , et communiquent avec l'artère du même nom ; puis, à l'endroit où les deux poumons s’adossent, ces deux branches se réunissent en une seule veine, qui, presque double de volume, marche vers le cœur, en recevant dans son trajet des rameaux transversaux de chacun des poumons, passe entre la trachée et les deux branches de l'artère pulmonaire, le cœur et la veine cave supérieure, derrière l'embouchure de Ja jugulaire gauche, et vient se jeter dans l'oreillette gauche, dans le point que nous avons déjà indiqué (voy. n° 65, 41, 68, 8, 66 et 40, même figure ; voy. aussi n° 5, fig. 6, pl. 14).
Pour donner quelque intérêt à ces détails sur l’anatomie des Ophidiens, dont l'aridité a pu lasser le lecteur, il est nécessaire de leur appliquer ces grandeslois établies par les maîtres de la science. La loi d'unité de plan s'y liten quelque sorte partout , et ce n’est pas sansun certain étonnement qu'on voit ces Vertébrés si abaissés offrir avec les Mammifères de si nombreux points d’analogie. J'espère avoir été assez heureux pour démontrer que le cœur des Ophidiens, peut être ramené à celui des êtres plus élevés dans l'échelle ; comme j'ai pu, m'appuyant sur mes observations, et celles de M. Lereboullet, établir la possibilité de l’inflammation chez ces animaux à sang froid. La loi d'économie peut être souvent invo- quée dans l'étude de l'organisation des Ophidiens. Mais il ne faut pas s’y tromper, c’est souvent l’atrophie d’un ou plusieurs organes qui lui fournit ses applications. Ainsi pour les vaisseaux de la tête et du col dont un seul subsiste, et donne toutes les branches nécessaires, tous les autres troncs élant atrophiés, De plus, comme il y à alternance de côté, c'est-à-dire comme c’est tantôt à droite, tantôt à gauche, que le vaisseau manque ou est filiforme, comme il y a balancement , comme l'aurait dit Geoffroy Saint-Hilaire , la loi de symétrie ou de dualité se trouve maintenue, I y a évidem- ment atrophie ou même disparition d’un organe d’un côté, comme
392 H. JACQUART. — ORGANES DE LA CIRCULATION
cela à lieu pour un des sacs pulmonaires chez certains Ophidiens , et pour un des ovaires chez les Oiseaux. Un rapprochement se présente naturellement entre la circulation cardiaque du fœtus des Mammifères et celle des Serpents : chez tous deux, l’un par le trou de Botal, l’autre par lorifice interventriculaire , il y a mélange dans le cœur du sang venant du poumon et de celui apporté par les veines du corps. Chez tous deux, les reins sont multilobés et très volumineux. Mais il y a chez les Ophidiens un système parti- culier de veines , qu'on pourrait appeler veines portes rénales , et qu'on désigne sous le nom de veines de Jacobson. Évidemment, ces vaisseaux apportent dans les glandes urinifères une quantité énorme de sang, dont l'élaboration dans les reins doit jouer un rôle physiologique considérable. Les artères rénales ne sont que des vaisseaux nourriciers où vasa vasorum de ces glandes. Quant aux poumons des Serpents, la partie antérieure seule est vasculaire, etc'est là seulement que le sang peut être revivifié par son contact avec l'air. A quoi sert l’autre portion de ces sacs aériens, dont le plus long s'étend très loin en arrière dans la cavité abdominale chez la feselle et sur l'un des côtés des ovaires? Ne serait-ce pas, comme le pense M. Serres , un appareil incubateur ? Une dissec- tion du pneumogastrique sur les poumons d’un Python, et que j'ai représentée par un dessin, que je ne donne pas dans ce mémoire, est venue confirmer ici comme chez les Mammifères, le défaut de satellitisme des rameaux de ce nerf avec les vaisseaux, quoique transversaux comme eux ; EL nous trouvons là encore un nouveau point d’analogie entre les Mammifères et les Serpents.
EXPLICATION DES FIGURES.
PLANCHE 9.
Fig. 1. Cette figure et la figure 2 représentent, réduit au quart de la grandeur naturelle, l'ensemble du système circulatoire respiratoire, et digestif d'un ser- pent Python , qui avait 2 mètres 38 centimètres de longueur. Tous les vais- seaux ont élé remplis d'une injection solide ; les organes sont écartés et main- tenus en place, alin qu'on saisisse d’un coup d'œil jusqu'aux moindres détails anatomiques. Les rapports n'ont pu être conservés dans toute leur rigueur ; cependant ils sont assez peu différents des rapports naturels pour qu'on puisse les rétablir par la pensée; d'ailleurs nous aurons soin d’avertir, lorsque la clarté
CHEZ LE SERPENT PYTHON, 393
de l'exposition des parties a forcé de les présenter dans des situations qui ne sont pas celles qu'elles offrent ordinairement les unes par rapport aux autres.
N° 1. Oreillette droite du cœur.
2. Oreillette gauche.
3. Sinus veineux formé par Ja réunion de la veine cave postérieure, des deux azygos antérieure et postérieure, et de la jugulaire droile.
4. Veine jugulaire droite, très écartée ici de la ligne médiane par l'œsophage distendu (consultez, pour la position normale, la figure 3); elle suit les par- ties latérales de la trachée-artère; elle naît au niveau de l'articulation de la mâchoire, comme nous l'avons indiqué dans le texte, et reçoit les veines du pharynx, de l'æsophage et de la trachée.
5. Veine cave postérieure.
6. Veine jugulaire postérieure , formée par la réunion d'une douzaine de troncs veineux impairs qui reçoivent chacun la veine intercostale droite et la gauche.
7. Veine vertébrale de Cuvier, azygos antérieure du docteur Schlemm, née au niveau de la première vertèbre cervicale ; elle reçoit une vingtaine de bran- ches impaires, formées elles-mêmes par la réunion des veines intercostales droite et gauche.
8. Tronc de la veine pulmonaire.
9. Veine jugulaire gauche.
10. Tronc de l'artère pulmonaire.
11. Artère aorte droite ou antérieure
12,13, 14. Idem gauche.
15. Aorte droite qui a formé sa crosse, et se dirige en arrière sur la ligne médiano pour s'unir à l'aorte gauche.
16. Point de cette réunion.
47,18, 19, 20. Aorte postérieure, fournissant par son côlé supérieur un grand nombre de rameaux intercostaux impairs, qui, au niveau de la colonne vertébrale, se subdivisent en deux.
21, 22, 23, 24. Portion de la veine cave postérieure.
25. Veine porte ramifée dans le foie par branches transversales.
26. Trachée-artère, fortement déviée à gauche et en bas par la traction du poumon dans le même sens. Elle devrait être en rapport, sur la ligne médiane et en bas, avec la séparation des deux crosses de l'aorte, au moment où elles cessent d'être accolées.
27. Artère carotide commune droite de Cuvier, céphalique du docteur Schlemm, semblant naître de l'aorte directement, tant est court le tronc commun d'ori- gine avec l'artère carotide commune gauche; le plus fréquemment il n'existe qu'une artère carolide commune , et c'est à gauche. La disposition que nous trouvons ici est cependant loin d'être rare.
28. Carotide commune gauche de Cuvier, céphalique du docteur Schlemm, existe ordinairement seule; c'est elle qui, après avoir donné la sous maxil-
4" série. Zooc. T. IV. (Cahier n° 6.) 5 23
394 I, JACQUART. — ORGANES DE LA CIRCULATION
laire au niveau de l'articulation de la mâchoire inférieure avec l'os carré, four- nit seule toutes les artères de la tête et de l'encéphale; en un mot, c'est un seul tronc qui chez les Ophidiens donne le plus souvent les branches fournies par les deux vertébrales, les deux carotides internes et externes. Ainsi, il représenle six troncs principaux à lui seul, Cette circonstance nous offre une des applications les plus frappantes de la loi d'économie, et doit avoir, pour le ralentissement de la circulation, des conséquences physiologiques incontes- tables (4). *
29. Terminaison filiforme de la carotide commune gauche, au niveau de l'articu- lation de la mâchoire avec l'os carré. «
30. Origine de la veine jugulaire droite dans le même point.
31. Artère vertébrale de Cuvier, artère du col du docteur Schlemm , fournissant par son côté supérieur, depuis son origine à l'aorte droite jusqu'à sa termi- naison, un grand nombre de troncs intercostaux impairs : elle est satellite de la veine vertébrale ou azygos antérieure.
32. Tête du Serpent.
M, son maxillaire inférieur.
33. La langue.
34. Portion de l'os hyoïde.
35. Pharynx et œsophage distendus, comme au moment du passage de la proie.
36. Estomac.
37. Pilore.
35. Poumon gauche, ou petit poumon qui manque chez lesOphidiens, d'où l'on a argué, à tort, contre la loi de symétrie de M. le professeur Serres, si l'on prouve que dans l'état embryonnaire il existe Loujours deux sacs aériens, dont l'un s'atrophie et disparaît plus tard.
39. Poumon droit ou grand poumon.
40. Racine gauche de la veine pulmonaire.
41. Idem droite.
42, 43, 44, 45. Côtes et espaces intercostaux du côté droit.
46, 47. Idem du côté gauche.
£8. Région cervicale gauche.
49. Idem droite.
50. Ventricules du cœur.
51. Une veine de l'estomac, l'une des racines de la veine porte.
(1) Peut-être y a-t-il ici un effet de la dégradation dans l'échelle des êtres? (Voyez l'ouvrage cité de M, le professeur Milne Edwards, chapitre nt, De l'in- fluence de la division du travail physiologique sur le perfectionnement des orga- nismes.) Chez les Ophidiens , la circulation de la tête et de l’encéphale, qui n'a plus lieu que par trois vaisseaux, une arlère et deux veines, doit se faire moins bien que parmi les animaux plus élevés, où la même tâche est remplie par un plus grand nombre de vaisseaux,
CHEZ LE SERPENT PYTHON. 905
52, 53, 54, 55. Sorles de veines azygos, formées par la réunion de troncs im- pairs, où se jettent les intercostales,
56, 57, 58, 59. Racines de la veine porte dans l'estomac,
60. Exlrémité anlérieure du grand épiploon.
61. Tronc de la veine porte.
62, 63, 64. Racines de cette même veine, — Nota, On trouvera les branches de l'estomac répétées sur la figure 2, ainsi que la portion correspondante de ce viscère etquelquesautres parties voisines, afin de s'en servir comme de point de repère, ayant été obligé de diviser la représentation du Python en deux moitiés.
65. Point du petit poumon où s’arrétent les vaisseaux,
66. Point correspondant du grand poumon.
67. Exlrémité antérieure de la veine porte dans le foie,
GS, Tronc unique de la veine pulmonaire
69, Branche gauche de l'artère pulmonaire, d'un calibre moilié plus pelit que celui de la droite.
70. Branche droite de l'arlère pulmonaire.
74. Point où l'artère pulmonaire se divise en deux branches, une qui reste sur le poumon droit, et l'autre qui va se rendre au gauche,
72. Branche droite dela bifurcation de l'artère pulmonairerestantau poumondroit
73. Autre branche de celte bifurcation allant au poumon gauche,
Fig. 2. — N°1. Tronc de la veine cave postérieure,
2. Teslicule droit.
3, Idem gauche.
£. Point de réunion des veines efférentes des deux reins, et de la veine lesticu- laire gauche.
5, Cette veine,
6. Veine efférente ou émulgente rénale gauche, accolée au lesticule gauche,
7. Idem droite.
8. Veine rénale efférente gauche au sortir du rein.
9. Canal déférent gauche,
10. Zdem droit,
411. Rein gauche vu par sa face inférieure (voyez-le représenté de grandeur naturelle, fig. 12, pl. 41).
12. Rein droit vu dans le même sens.
43, 14. Suite du canal déférent gauche.
45. Une des racines de la veine porte dans le grand épiploon anastomosée à plein calibre avec la veine de Jacobson, ou afférente rénale droite (1).
(1) Les anastomoses entre la veine porte hépatique et les veines portes rénales sont si nombreuses el si volumineuses, qu'oh peut dire qu'il y a fusion entre les deux systèmes.
356 II. JACQUART, —— ORGANES DE LA CIRCULATION
16. L'un des rameaux de la veine de Jacobson droite formé par trois branches ; deux proviennent des veines intercostales, une autre R établit une large anas- tomose au point marqué par le n° 29, avec la veine porte.
17. Rameau considérable de la veine porte anastomosé avec la veine de Jacobson droite.
18. Sorte d'azygos formée par des intercostales, qui sont une des racines de la précédente.
19. Point de la veine rénale afférente droite, où viennent se jeter les veines du cloaque et de la partie voisine du gros intestin.
20. Point de la veine de Jacobson droite, voisin de sa naissance.
21. Tronc venant se jeler dans la veine rénale afférente droite, et résultant de la réunion des veines de la portion la plus postérieure du gros intestin.
22, 23. Ces veines.
24, 25. Veine azygos, déjà indiquée, se jetant dans la veine de Jacobson droite, dans le point marqué par le n° 48.
26. L'une des racines de la veine rénale afférente droite, constituée comme je l'ai indiqué plus haut.
27. Sorte d'azygos formée par des veines intercostales, et s'ouvrant dans la veine de Jacobson droite.
28. L'un des racines de cette dernière, anastomosée, en outre, avec la branche considérable de la veine porte n° 30 , après qu'elle a reçu trois troncs prove- nant de la réunion des intercostales.
29. Anastomose à angle droit avec la veine porte du tronc veineux R formé par la réunion de deux troncs impairs des veines intercostales avec l'une des racines de la veine de Jacobson droite, 16, 26.
30. Anastomose de la veine porte avec cette dernière.
31, Rameaux veineux du grand épiploon, qui se jettent dans la veine rénale afférente droite.
32. Veine de Jacobson gauche, avant d'arriver au rein.
33. Sorte d'azygos, l'une de ses racines.
34, 35. Origine d'une de ses branches dans la veine porte.
36. Une azygos formant une des racines de la veine de Jacobson gauche.
37. Premiers rameaux de la veine de Jacobson gauche.
38. Tronc d'une azygos déjà indiquée plus haut, l’une des racines de la veine afférente gauche.
39, 40. Uretère gauche injecté.
41, 42, 43. Uretère droit également injecté.
44. Racines de la veine porte.
45,46, 47, 48,49, 50, a’ L' c'. Racines de la veine porte dansle grand épiploon.
51, 52, 53. Racines de la veine porte.
54. Réunion des veines du grand épiploon avec les veines intestinales.
55. Veines azygos, racines de la veine porte.
CHEZ LE SERPENT PYTHON. 397
56. Tronc commun des veines du pilore.
57. Veines spléniques.
58. Tronc de la veine porte.
59, 60, 61. Veines gastriques et piloriques anastomosées entre elles, et se jetant directement dans le tronc de la veine porte ou une de ses branches d'origine,
62, Vésicule du fiel.
P, pilore.
63, 64. Intestin grêle.
65. Appendice iléo-cœcal.
66, 67. Gros intestin. — !, milieu en longueur du gros intestin. Toute la por- tion d'intestin comprise entre l'appendice vermiculaire et ce point reçoit des artères mésentériques antérieures; toute la partie du tube digestif située entre ce point / et l'anus reçoit des artères mésentériques postérieures.
68. Anus.
69, 70. Ouverture des gaînes des deux organes excitateurs mâles.
71, 72. Ces deux gaines.
73. Prolongement osseux, qui paraît être l’analogue de l'os marsupial. — 1, ostéide garni d'un ergot.
74. Grand épiploon chargé de graisse.
75, 76, 77, 78,79. Aorte abdominale.
80. Artère caudale.
81. Une des artères de l'estomac. — H, une artère hépatique. Elles viennent ici d'un tronc qui fournit aussi une artère splénique ; mais il y en avait une foule d'autres allant au foie et à l'estomac, et qui ne sont point figurées ici.
82. Première artère mésentérique antérieure,
83,84. Ses deux branches de bifurcalion,
85, 86, b,c. Artères testiculaires gauches.
87, 88. Idem droites. — a, d, artères rénales, formant une série d'arcades vasculaires , d'où partent les rameaux qui pénètrent dans les lobules rénaux. 89. Anastomose de la branche antérieure de la première mésentérique antérieure
avec la suivante.
90. Deuxième mésentérique antérieure.
91. Branche postérieure de celle-ci, anastomosée avec la branche antérieure de la troisième mésentérique antérieure,
92, Rameau postérieur de cette dernière.
93. Troisième mésentérique antérieure.
94%. Anastomose entre la précédente et celle qui suit.
95. Quatrième artère mésentérique antérieure.
96, 97, 98. Sa division en trois branches. — f, première artère mésentérique postérieure; g, son rameau postérieur; À, point d'anastomose de la première mésentérique postérieure avec la quatrième mésentérique antérieure; i, ana- stomose de gavec k, branche de la troisième artère mésentérique postérieure.
398 MH. JACQUART, —- ORGANES DE LA CIRCULATION
99. Deuxième artère mésentérique postérieure, qui se ramifie presque entière= ment dans le mésentère.
100. Artère rénale gauche, offrant la même disposition que la droite. — ÿ, troi- sième artère mésenlérique postérieure ; #, son anastomose avec la précédente ; 1, quatrième , dem; m, cinquième, idem ; o, Sixième, idem ; p, septième, idem ; q, builième, idem ; »,°s, ses deux branches de bifurcation : {, neuvième artère mésentérique postérieure.
Fig. 3. — Celle figure représente le cœur et les gros vaisseaux qui on partent dans les rapports nalurels; elle a été prise sur un autre Python que celui des figures 1 et 2.
N° 1. Oreillette droite du cœur.
2. Oreillette gauche.
3. Ventricules.
4
CP]
. Tronc résultant de la réunion de la veine jugulaire droite , de la veine verlé= brale, et de l'azygos postérieure, On pourrait lui donner le nom de veine: cave “antérieure.
Veine jugulaire droite.
Veine jugulaire gauche.
2 ©
. Embouchure de la veine cave postérieure dans le sinus veineux.
8. Abouchement de la jugulaire gauche dans l'oreillette droite.
9. Veine pulmonaire.
10. Branche droite de l'artère pulmonaire.
11. Aorte droile ou antérieure.
12,13. Aorte gauche ou postérieure;
14. Artère carotide commune droite.
15. Idem gauche, naissant avec la précédente, de l'aorte droite, par un tronc commun très court.
16. OEsophage.
47. Aorte droite, marchant à la rencontre de la gauche pour se réunir à elle.
18. Cette réunion.
19. Veine vertébrale de Cuvier.
20. Artère vertébrale du même auteur,
21, Veine azygos postérieure,
23. Poumon droit.
21. Aorte gauche, avant de se réunir à la droite.
24. Veine vertébrale.
25. Artère vertébrale.
6. Veine cave postérieure.
7. Branche droite de l'artère pulmonaire.
8. Partie moyenne de la veine azygos postérieure.
9. Portion de l'oreillette gauche.
De
CHEZ LE SERPENT PYTHON. | 399
PLANCHE 10,
Fig. 4. — Cette figure représente la cavité du péricarde et le cœur d'un Boa. — Pour mieux apprécier les lésions pathologiques que nous avions observées sur le cœur et son enveloppe libro-séreuse chez deux Pythons, lésions qui se rat- tachaïient évidemment à des péricardites , il a fallu donner un spécimen de l'état sain et normal de cette membrane. La paroi inférieure a été enlevée, pour qu'on püût bien saisir tous les détails de la disposition de la séreuse sur le cœur, ses vaisseaux et l'enveloppe fibreuse,
N° 4. Tronc veineux formé par la réunion de la veine jugulaire droite et de la veine vertébrale,
2. Veine jugulaire gauche.
3. Veine cave postérieure,
4, Oreillette droite.
5, 6. Veine cave postérieure avant son entrée dans le péricarde; ces numéros indiquent dans quelle étendue elle est adhérente à ce dernier.
7, 8. Les lignes qui partent de ces numéros marquent les limites de l'embou- chure du sinus veineux, formé en avant par la veine jugulaire droite et en arrière par la veine cave postérieure,
9. Ventricule droit.
10. Ventricule gauche.
A1. Artère aorte droite, et la gauche recouvertes par la séreuse du péri- carde.
12. L'artère pulmonaire enveloppée dans une gaîne incomplète qui lui est com- mune avec les deux vaisseaux précédents.
13. Cavité du péricarde d'un aspeet lisse el poli, sans adhérence ni fausse mem- -brane.
4%. Un point de la surface externe de la membrane fibreuse de ce dernier, à travers lequel on aperçoit les origines des deux aortes, de l'artère pulmonaire et des deux carotides communes, |
15, Artère pulmonaire à sa sortie du péricarde,
16. Arlère carolide commune gauche.
17. Arlère aorte droite,
18. Artère carolide commune droile.
19. La trachée-artère,
20. La veine vertébrale de Cuvier, azygos antérieure du docteur Schlemm.
21. Veine jugulaire droite de Cuvier, vena collaris du docteur Schlemm.
22. Œsophage.
23. Poumon droit,
24, 24. Oreillette gauche du cœur,
l
Fig. 7. — Celte figure représente la cavité de l'oreillette d'un Python ouverte
360 MH. JACQUART, -— ORGANES DE LA CIRCULATION
par sa paroi inférieure, dont le bord supérieur seul n'a pas été incisé : cette paroi a été rabatlue à droite.
N°1. Veine jugulaire droite.
2. Veine cave postérieure
3. Orilice d'abouchement du sinus veineux dans l'oreillette droite.
4. Embouchure de la veine jugulaire gauche dans la même cavité, séparée de celle du vaisseau précédent par un éperon membraneux.
5. Valve externe de la valvule de l'oreillette droite analogue de la valvule d'Eus- tache chez l'Homme et les Mammifères.
6. L'autre valve ou valve interne. Cette valvule, dont la disposition a été com- parée par Hopkinson à celle des paupières, et par le docteur Schlernm à la val- vule iléo-cæcale, couvre à la fois et ferme complétement, quand ses deux bords sont rapprochés, l'orifice du sinus veineux et celui de la jugalaire gauche. Je pense être le premier à signaler cette particularité curieuse. — Tous les au- teurs avaient indiqué l'existence de cette valvule; mais aucun, je pense, n'a- vait dit que la lumière de la veine jugulaire gauche fût abritée et close par celle valvule , ainsi que l'embouchure du sinus veineux.
7. Ventricule droit.
8,10, 44, 12. Colonnes charnues, sculptées à la surface interne de l'oreillette droite,
9. Valvule auriculo-ventriculaire droite relevée, de manière à fermer l'ouverture de ce nom, rendue légèrement béante par une traction sur le point n° 8.
43. Cloison interauriculaire lisse et sans ouverture.
A4. Éperon membraneux séparant les orifices du sinus veineux et de la veine jugulaire gauche dans lesquels on a passé des crins.
45. Bandelette arrondie, ou commissure antérieure de la valvule.
16. Veine jugulaire gauche avant de s’accoler à l'oreillette gauche. hu
Fig. 8.—Elle représente la cavité du ventricule droit du cœur du même Python. — Toute la paroi inférieure de ce ventricule a été enlevée, afin de permettre de mieux saisir les détails anatomiques de cette cavité. Les deux aortes, ainsi que l'artère pulmonaire, ont élé ouvertes à leur face inférieure, et des crins passés de leur embouchure entre les deux valvules sigmoïdes, à travers les ouvertures faites à leurs parois,
N° 1. Aorle gauche.
2. Idem droite.
3. Artère pulmonaire.
4. Pilier supérieur de la valvule.
5. Crin passé dans l'ouverture interventriculaire.
6. Épaisseur musculaire de la loge supérieure du ventricule droit, se continuant, sans ligne de démarcation, avec les colonnes charnues de cette cavité.
CHEZ LE SERPENT PYTHON. 2361
7. Loge inférieure du ventricule droit, qui, pour nous, représente le ventricule droit tout entier des Mammifères.
8, 9. Gros pilier charnu, cloisonnanñt le ventricule droit en deux compartiments, l'un inférieur ou pulmonaire, n° 7, l'autre supérieur ou aortique. Cette colonne musculeuse naissant de la pointe du ventricule, se dirige vers les deux val- vules sigmoïdes qui garnissent les orifices des deux aortes. Elle reçoit aussi l'insertion du pilier droit (n° 44) de la valvule (n° 46).
10. Crin passé dans l'aorte gauche, entre les deux valvules sigmoïdes.
11. Crin passé dans l'artère pulmonaire, également entre les deux valvules qui la garnissent à son organe.
12. Les deux valvules sigmoïdes de l'aorte droite et le crin passé entre elles.
13. Colonnes charnues de la loge supérieure du ventricule droit, rétrécissant beaucoup cette loge, lui donnant un aspect très irrégulier, et se continuant avec la couche musculeuse, assez épaisse, des parois, sans qu'on puisse saisir où finissent les colonnes charnues , et où commence la paroi correspondante du ventricule : contraste manifeste avec la minceur des parois de Ja loge infé- rieure du cœur droit ou loge pulmonaire ; ce qui confirme les vues que nous exposons à la fin de notre mémoire, où nous établissons que la loge inférieure représente seule le ventricule droit, landis que la supérieure, à parois épaisses et cavité très rétrécie, est une dépendance du ventricule gauche.
44%. Pilier inférieur de la valvule n°16.
15. Soie passée à travers l'ouverture auriculo-ventriculaire.
16. Valvule qui ferme, en se relevant, l'orifice précédent, et qui est ici entre- bâillée par une légère traction sur la paroi du cœur.
17. Aorte droite.
18. Artère carolide commune droite.
19. Idem gauche.
20. Oreillette gauche.
21. Surface externe du ventricule droit.
Fig. 9. — Cavité de l'oreillette gauche du même Python, ouverte en incisant son bord postérieur et son bord inférieur, et rabattant le lambeau.
N° 4, Valvule auriculo-ventriculaire,
2. Orifice de la veine pulmonaire non garni de valvules.
3. Cloison interauriculaire, lisse, sans ouverture qui puisse faire communiquer les deux oreillettes, et sans piliers charnus à sa surface.
%, 4. Piliers charnus sculptés à la surface des paroïs de l'oreillette gauche.
5. Portion de la surface externe du ventricule gauche,
6. Veine pulmonaire,
Fig. 11.—Celte figure représente la face inférieure ou ventriculaire de l'appareil valvulaire droit et gauche, étalé, après avoir été enlevé avec les deux orifices
262 H, JACQUART. —- ORGANES DE LA CIRCULATION
auriculo-ventriculaires, les petits piliers musculeux les plus voisins, et une portion de la grosse colonne charnue qui cloisonne le ventricule droit, On voit que cette tente fibreuse forme un tout continu soudé à sa face antérieure ou auriculaire, avec le bord postérieur de la cloison interauriculaire, et qu'elle répond par sa face postérieure aux ventricules , limitant dans ce sens le pas- sage qui fait communiquer ces deux cavités.
N°1. Valvule auriculo-ventriculaire droite.
Idem gauche.
. Pourtour de l'orifice veineux gauche.
Petites colonnes charnues appartenant aux orifices veineux, ou donnant inser- tion aux piliers des valvules.
6. Insertion d'un pilier de la valvule droite sur la grosse colonne musculeuse. 7. Cette colonne cloisonnante.
8. Orilice auriculo-ventriculaire.
19
= ww
PLANCHE 41.
Fig. 5. — Cette figure représente la face inférieure du cœur d'un Python, dé- pouillée, par la dissection, de la séreuse et du tissu celluleux qui existe dans l'intérvalle des vaisseaux, dans les sillons qui les séparent des différentes parties du cœur, ou réunit celles-ci entre elles.
N° 1. Tronc commun résultant de la réunion de la veine jugulaire antérieure droite, de la veine vertébrale ou azygos antérieure du docteur Schlemm, et de la veine azygos postérieure”: il pourrait être appelé veine cave antérieure, car il n'existe pas seulement hors du péricarde, et il se prolonge dans la cavité de ce dernier jusqu'à la rencontre de la veine cave postérieure, dans une étendue mesurée par les lignes (voyez fig. 4, pl. 10) qui correspondent aux numéros # et 7..
. Veine jugulaire postérieure.
Oreillette droite.
Artère aorte gauche.
Aorte droite.
Artère pulmonaire.
Oreillette gauche.
Veine jugulaire gauche.
Ventricule gauche.
. Ventricule droil.
. Artère coronaire gauche.
Embouchure du sinus veineux , déjà indiquée dans l'oreillette droite. Crosse de l’aorte droite.
. Artère carotide commune gauche.
Idem droite, qui est ici d'un calibre double de la gauche.
= = © OH O Où Fu 19 CERTA DÉTENU -
19
>= > = Œ à œ
CHEZ LE SERPENT PYTHON. * 8363
Fig. 6.— C'est la face supérieure du cœur du Python, dont la face inférieure a été représentée figure 5, planche 11,
N° 1. Oreillette gauche.
. Oreillette droite.
Aorte gauche.
. Aorte droite.
. Veine pulmonaire s'ouvrant dans l'oreillette gauche, toul près fe l'angle pos-
térieur et supérieur de la cloison interauriculaire.
6. Division de l'artère pnlmonaire en deux branches,
7. Veine jugulaire gauche s'ouvrant dans l'oreillelte droite, en avant du sinus veineux auquel elle s'accole.
8, 9. Aorte gauche ou postérieure.
10. Aorte droite ou antérieure.
11, Réuniou des deux artères précédentes.
42. Veine jugulaire droite.
13. Veine cave postérieure.
14. Face supérieure des ventricules, sur laquelle on aperçoit quelques-unes des branches de l'artère coronaire droite.
45. Gouttière de l'oreillette gauche qui loge la veine jugulaire.
16. Cette veine placée dans le sillon qui sépare l'oreillette gauche du ventricule gauche.
47. L'artère carolide commune droite.
18. Idem gauche.
19. Portion de l'orcillette droite.
20. Tronc résultant de la réunion des aortes droite et gauche dans le point marqué par le n° 41.
Cr Æ Co 19
Fig. 10.— Cavité du ventricule gauche du cœur du Boa; dont j'ai représenté le péricarde (fig. #, pl. 40). Il a élé ouvert par deux incisions se rencontrant inférieurement à angle droit, l'une dirigée de bas en haut, parallèlement au sillon auriculo-ventriculaire gauche, l'autre partant du même point que la pré- cédent», et dirigée d'avant en arrière sur le côté gauche de la cloison inter- ventriculaire jusque vers la pointe du cœur. On écarte avec effort les parois, afin d'apercevoir l'intérieur. La cavité est tellement petile, et la couche musculeuse du ventricule si épaisse, que je ne puis m'empêcher de comparer ce ventricule gauche ainsi ouvert à un gésier.
° 4. Passage interventriculaire.
Valvule auriculo-ventriculaire gauche entre-bâillée.
Piliers charnus sculptés à la surface du ventricule gauche. Partie concave du bord libre de la valvule n° 9.
5. Bord de l'orifice auriculo-ventriculaire.
= © © Z
36/4 nm. SACQUART. — ORGANES DE LA CIRCULATION , ETC.
7. Pilier supérieur de la valvule n° 9.
8. Éperon musculaire à concavité antérieure, formant la partie postérieure du passage interventriculaire.
9. Partie moyenne convexe de la valvule auriculo-ventriculaire, où Hopkinson décrit un tubercule d'Arantius que nous n'avons pas trouvé, mais où son bord est seulement épaissi,
40. Portion de la surface externe du ventricule gauche.
41. Pilier inférieur de la valvule auriculo-ventriculaire gauche.
Fig. 12,—Rein gauche du Python, représenté figures 4 et 2 de la planche9, vu par sa face inférieure et de grandeur naturelle. Les vaisseaux ont été injectés, ainsi que l'uretère. Le tissu celluleux qui unissait les lobules rénaux a été enlevé avec soin.
N° 1. Canal déférent, maintenu en rapport avec l'uretère par un repli du péri- toine, dont une partie, couverte de vaisseaux artériels et veineux, a été lais- sée vers l'extrémité antérieure du rein.
2. Veine rénale efférente, l'une des origines de la veine cave postérieure, et ses racines dans les lobules rénaux.
3. Uretère injecté , ainsi que ses racines, dans les lobules rénaux. Ces dernières naissent du côté supérieur de ce conduit et existent sur la pièce, mais n'ont pu être figurées à cause de leur position.
4. Veine de Jacobson gauche ou veine rénale afférente. On pourrait, à juste titre, l'appeler veine porte rénale.
5, 5, 5, 5. Lobules rénaux.
6, 6. Artères rénales, dont on n'a représenté ici, pour ne pas compliquer la figure, que les capillaires qui se rendent au canal déférent et à l’uretère en passant entre les deux feuillets du péritoine, qui maintiennent le premier en rapport avec le second. ;
NOTE SUR DEUX ESPÈCES DE GRENOUILLES
OBSERVÉES DEPUIS QUELQUES ANNÉES EN EUROPE.
Accompagnée d'observations sur les deux espèces anciennement connues (Grenouilles rousse et verte), dont elles différent par la structure et par les mœurs. De l'hivernation des Batraciens anoures et urodèles.
Par M. A, THOMAS, de Nantes.
Les erpétologistes ont cru longtemps qu’il n'existait en Europe que deux espèces de Grenouilles : la Grenouille verte (Rana viri- dis) et la Grenouille rousse ( Rana fusca), toutes deux admirable- ment représentées dans le bel ouvrage de Roësel.
En 1898, un naturaliste distingué, M. Millet, d'Angers, publia la faune du département de Maine-et-Loire, et, dans cet intéressant ouvrage, il décrivit, sous le nom de Grenouille rousse (Rana tem- poraria, Linn.), une Grenouille très différente de celle connue sous ces deux noms, et donna à la véritable, Rana fusca ou temporaria, le nom de Grenouille à ventre jaune (Rana flaviventris), prenant ce Batracien pour une espèce nouvelle, tandis qu'il était déjà connu depuis longtemps, et que l'animal qu'il nommait Grenouille rousse était au contraire une espèce nouvelle qu'aucun naturaliste n'avait distinguée avant lui.
Voici Ja description qu'il en donne, tome IT, page 664 :
«GRENOUILLE Rousse (Rana temporaria), Linn., vulg. leGraïsset, » a Pisseuse.
» Brune ou roussätre en dessus, avec trois ou quatre bandes » transversales brunâtres sur les bras, les cuisses, les jambes et les » larses ; une tache post-oculaire triangulaire, noire; parties infé- » rieures blanches, rarement tachetées de brun ; taille de la Gre- » nouille commune, mais plus élancée.
» Cette espèce, qui est un peu bossue et dont la peau est presque » lisse, si ce n’est sous l'abdomen et sous les cuisses, où elle est » granulée , vit solitaire dans les lieux frais et ombragés , les prés,
366 A. THOMAS.
» les bois, u’allant à l’eau qu’au printemps , époque de la ponte, » Elle fait des sauts de 4 à 5 pieds, en lançant par l'anus une liqueur » très abondante ; ne coasse point ou rarement : aussi Dauben- » ton, d'après cela, l’avait-il nommée la Muete.
» On ne mange point ses cuisses en Anjou, quoiqu’elles soient » aussi bonnes que celles de la Grenouille commune ; peut-être cela » vient-il de ce que cette espèce y est peu répandue. »
M. Millet est le premier qui ait signalé cette nouvelle espèce , quoiqu'il crût qu’elle élait anciennement connue; et, comme je l'ai fait remarquer plus haut, e’est en cilant comme nouvelle une espèce déjà décrite, et en donnant comme ancien un animal non encore décrit, qu'il a enrichi la science d'une nouvelle espèce de Grenouille très intéressante dont je vais essayer de compléter l'his- toire, en faisant connaitre les différences qui existent dans son squelette, et celui de deux autres espèces dont je parlerai tout à l'heure, et qui sont la Rana fusca (Roësel) et la Rana oæyrrhina , nouvellement découverte en Allemagne et dans le nord de l'Eu- rope , et en publiant les diverses observations comparatives que , depuis bien des années, j'ai faites sur les mœurs des trois espèces de Grenouilles qui vivent dans les environs de Nantes,
Ce Mémoire serait déjà publié depuis deux ans, si M. Auguste Duméril, à qui j'en avais parlé et à qui j'avais communiqué plu- sieurs exemplaires de eelle nouvelle Grenouille , ne n'avait averti qu'il y a quelques années trois célèbres naturalistes, MM. Sieen- strup de Copenhague, de Siebold, et le docteur Sehiff de Franefort- sur-le-Mein, avaient fait connaitre sous le nom de Rana oxyrrhina une Grenouille différente de la Grenouille rousse de Roësel et de la Grenouille verte (Rana esculenta).
M. Auguste Duméril m'engagea , avec raison, avant de publier mon travail, de prendre connaissance des observations des rois erpétologistes cités plus haut, ct nr'offrit, avec son obligeance habituelle, de me les communiquer.
Il eut la complaisance d'écrire exprès à M. Schiff, qui, de son côté , eut la bonté de lui adresser ne notice de M. de Sichold , et ses propres observalions sur celte même Grenouille, pour qu'elles me fussent transmises. M. Schiff joignit à ses noles quelques
SUR DEUX ESPÈCES DE GRENOUILLES. 2067 exemplaires de la Rana oæyrrhina, priant M. Duméril de me les adresser, et désirant que ses observations fussent insérées dans mon Mémoire.
De mon côté, pour que M. Schiff püt vérifier lui-même la dif- férence qui existe entre sa Grenouille et la mienne , je lui envoyai plusieurs exemplaires vivants de cette dernière , et quelque temps après il m'adressa une certaine quantité d'individus également vivants de sa Grenouille. De cette manière nous reconnümes tous les deux que nous avions affaire à deux espèces très dis- linctes.
Avant de publier mes observations sur la Grenouille que je nomme Grenouille agile { Rana agilis), qui est la même que celle que M. Millet appelle Grenouille rousse (temporaria, Linn.), car j'ai vu les deux espèces chez M. Millet lui-même, je ferai connaitre les observations de MM. Steenstrup, de Siebold et Schiff. J’accom- plirai ainsi le désir de ce dernier en joignant aux miennes ses remarques loutes pleines d'intérêt.
Ogservarions pe M. pe Sisocn ( Archiv für Naturgeschichte , rédigées par Troschel, 1859, L. [, p. 14.— Siebold, Zoologische Nolizen über Rana oæyrrhinus et platyrrhinus. ).
« Les deux espèces de Grenouilles distinguées par M. Steenstrup, dont jusqu'à ce jour on n'a pas voulu admettre la différence spé- cilique, sont en effet deux bonnes espèces que je peux distinguer maintenant au premier aspect.
» 4° Rana oæyrrhinus est, dans la plupart des cas , plus petite et plus grèle que À. platyrrhinus (M. Steenstrup donne ce dernier nom à la véritable Grenouille rousse’.
» 2° Elle a, comme Aana esculenta, la tête plus pointue, et l'in- tumescence à la racine du doigt externe soutenue par un os plus gros et plus volumineux.
» 8° Elle se distingue de la ARana esculenta {rès facilement par ses couleurs, ;
» li" Elle n'est jamais verte ; et ses couleurs ressemblent plutôt à celles de la Rana platyrrhinus avec laquelle elle a été confondue,
» 5° Celle confusion a été plus facile , puisque ces déux espèces
368 A. THOMAS.
sont des Grenouilles terrestres qui, toutes les deux , au premier printemps et à la même époque, recherchent l’eau pour s’ac- coupler.
» 6° La vessie vocale de la Rana esculenta manque à ces deux espèces. Leur voix, au temps de l’accouplement, est très différente. Les mâles de la Rana platyrrhinus , à cette époque, font entendre une epèce de grognementuniforme, continu et très sonore. La voix de la Rana oxyrrhinus est un chant interrompu , qui ressemble beaucoup au bruit produit par l'air qui s'échappe d’une carafe vide que l’on tient sous l’eau pour la remplir.
» 7° Si, au temps de l’accouplement, ces Grenouilles nagent dans l’eau , alors ces deux espèces se distinguent encore par un autre caractère très remarquable qui a déjà été noté par Steenstrup. Les mâles de la Rana oæyrrhinus , à celte époque , apparaissent comme enduits d’un nuage bleuâtre sur toute la surface de leur dos qui, par cet enduit, acquiert souvent un reflet de bleu de ciel. Cette coloration disparait dès qu'ils quittent l’eau. Les mâles de la Rana platyrrhinus n'ont pas ce reflet bleuûtre.
» 8° Une autre différence secondaire par laquelle ces deux espèces se distinguent de la Rana esculenta , c'est que la Rana oxæyrrhinus et la R. plalyrrhinus nourrissent dans leurs poumons le Distomum cylindraceum, qui, chez la Rana esculenta, est rem- placé par le Distomum variegatum.
» 9e Stcenstrup a trouvé les deux espèces en Suède et en Danc- mark, et selon les différentes localités, tantôt l’une, tantôt l’autre est la plus commune. En Allemagne, Sleenstrup a trouvé la Rana oæyrrhinus aux environs de Slettin et de Leipzig.
» Steenstruperoit qu'en Écosseil n'existe que la À. platyrrhinus.
» M. de Siebold ajoute qu'il a trouvé les deux espèces ensemble à Kœmigsberg, età Dantzig en Prusse, à Erlangen en Franconie, et à Breslau en Silésie ; mais que partout la Rana oæyrrhinus à paru être l'espèce la plus rare. »
Remarques INÉDITES DE M. Scnirr. — « Ces deux espèces (la Rana oæyrrhina et la R. temporaria ) ont, dans KR partie anté- rieure, une physionomie si différente, quemon frère lui-même, qui
SUR DEUX ESPÈCES DE GRENOUILLES. 369 ne s'oceupe pas de zoologie, mais qui m'a accompagné plusieurs fois dans mes excursions , les reconnaît au premier aspect. De mon côté, je distingue très bien les adultes avant de les avoir pris, quand ils sautent encore à terre, notamment par leurs formes ; mais la À. oæyrrhina saute aussi plus loin qu'une À. platyrrhina de la même grandeur.
» 2 La À. oæyrrhina adulte est toujours plus pelite que Ja R. temporaria adulte. Les échantillons que j'envoie sont des plus grands. Ce sont surtout les extrémités antérieures qui sont beau- coup plus grêles dans la R. oæyrrhina que dans la R. femporaria.
» 3° L'intumescence des pouces, à l'époque des amours , dans la R. oxœyrrhina, est aussi moins verruqueuse; et en Ja traitant avec de l'acide nitrique délayé, on ne parvient jamais à en isoler les fibro-cellules des muscles organiques aussi bien et aussi dis- tinctement que dans la R. temporaria.
» 4° I n'y a pas de différence tranchée dans les couleurs ; mais dans la plupart des R. omyrrhina que j'ai trouvées, la gorge était d’un blanc pur, quoique la poitrine fût d’un blanc sale et tachetée de noirtre ou de brunâtre. Chez la R. temporaria, la gorge est de la mème couleur que la poitrine. Les temporaria des environs de Francfort (excepté celles qui vivent dans les eaux ferrugineuses de Carben, à deux lieues d'ici, n’ont pas cette large raie noire ponctuée le long des côtés que l’on trouve si souvent chez les À. tempo- raria du midi de l'Europe ; mais celle raie se trouve {rès souvent chez notre R. oxyrrhina. Du reste, chez la R. oæyrrhina, la peau est plus luisante.
» 5° La À. oæyrrhina se trouve loujours dans les lieux humides près de l'eau, et, quoique terrestre , elle ne s’en éloigne jamais beaucoup. Je ne l'ai pas une seule fois rencontrée, comme la R. temporaria, dans les terres cultivées et élevées.
» 6° J'ai toujours trouvé la R. oæyrrhina accouplée un peu plus tard (quinze jours ou trois semaines en moyenne) que la R. temporaria. Du reste, il n’est pas exact de dire qu'elle recherche l’eau à cette époque, car il ne parait pas que les mâles quittent l'eau qu'ils habitent l'hiver avant l’accomplissement de l'acte de la génération.
4° série, Zooc. T, IV. (Cahier n° 6.) 4 24
370 A. THOMAS.
» 7° La voix est toujours différente. Les remarques de M. de Siebold sont très exactes pour le temps de l’accouplement. Plus tard la voix du mâle de la R. oxyrrhina devient très sonore, rauque et tres basse, comme enrouée. Elle est toujours moins continue et plus souvent répétée que celle de la À. temporaria , et ressemble à « Rouen, rouen, rouen,» pendant que la À. temporaria crie d’une manière beaucoup plus sonore : « Ouorrr, ouorrr. » Les femelles de la R. oxæyrrhina, quand on les attrape ou quand on les pince, crient souvent, mais pas foujours cependant, comme les petites Souris : « 2, à, 1, »prononcé par le nez et d’une manière fort aiguë.
» 8° Le reflet bleuûtre indiqué par M. de Siebold ne me paraît pas être constant chez la Rana oæyrrhina , et s'il l'était, je ne voudrais pas en faire une marque distinctive, parce que très souvent j'ai vu ce mème reflet chez la À. esculenta , et quelquefois chez des individus pâles de Ja À. temporaria.
» 9° Moi aussi, comme M, de Siebold , je n'ai vu le Distomum variegatum que chez la Rana esculenta, et le cylindraceum que dans les poumons des deux autres espèces. M. Blanchard a égale- ment indiqué déjà cette différence (Ann. des sc. nat., 1847, I, p. 296). Mais il est à remarquer que Diesing (Syst. helminthum, 1, p. 368) raconte que Braun et Zéder ont (trouvé le cylindraceum aussi chez la Rana esculenta. Une différence semblable consiste en ce que, jusqu'à présent, je n'ai trouvé le Zaplodelphis rachidis, Dies. [Diplostomum rachiœum, Henle (Dujardin, Helminthes, p. 475) ], que dans les À. temporaria et esculenta , jamais chez la Rana oæyrrhina , quoique j'aie examiné la moelle épinière d’un bon nombre d'individus de celle espèce; mais puisque ce Zaplo- delphis est assez rare , el que le nombre des oæyrrhina dont j'ai examiné la moelle est beaucoup inférieur au nombre des deux espèces, je ne crois pas que celte différence , en tous gas très secondaire, soit réelle.
» 40° De ce que les deux espèces sont également répandues en Suède, Steenstrup probablement s'est cru engagé à rayer lotale- ment le nom de {emporaria, et à donner deux nouveaux noms ; mais en Allemagne, partout la Rana platyrrhinus est la plus fré- quente, et en France il parait en être de même; c’est pour cela
SUR DEUX ESPÈCES DE GRENOUILLES. 371 que.je crois que cette dernière espèce doit garder le nom de tem- poraria. Il y a encore une autre raison : dans la dernière édition du Systema naturæ de Linné, à l’occasion de la R. temporaria, on trouve cité Roësel (Hist. ranarum). Or la figure de Roësel, que j'ai comparée dans la seconde édition de son ouvrage, montre évi- demment et très distinctement la vraie temporaria.
» Du reste, je crois que la À. oæyrrhinus de Steenstrup doit être changée en À. oæyrrhina. Aux environs de Franefort, la R. oxyrrhina ne se trouve que dans deux localités : à Enkheim, dans la Hesse électorale, dans les grandes lourbières où elle est relativement rare, et vit en société avec la À. temporaria ; et dans un endroit maréeageux, entre Bockenheim et Hoeschst, où, en été et en automne , on ne trouve que celle espèce, sans y rencontrer des temporaria adultes. Dans les environs de Heidelberg et de Karlsruhe , dans le duché de Bade, que j'ai parcourus plusieurs lois, et dans quelques excursions que j'ai faites aux environs de Berne, en Suisse, en 1848, je n'ai trouvé que la temporaria. A Paris, où j'ai examiné, en 1844 et 1845, plusieurs centaines de Grenouilles que j'ai achetées au marché pour mes expériences physiologiques , je n'ai jamais vu la Rana oæyrrhina. J'ai alors très bien reconnu et dit, en 4849, la différence de la tête dans ces deux espèces , et je crois aujourd'hui que la Grenouille que j'ai donnée à plusieurs musées sous le nom de À. anguslifrons est identique avec la R. oæyrrhina de Steenstrup, dont le nom publié le premier doit avoir la préférence. »
Dans le courant du printemps de 1855, M. Schiff eut l’obli- geance de m'envoyer, comme je l'ai déjà dit, plusieurs individus vivants de la À. oæyrrhina , qu'il avait pris dans les environs de Francfort-sur-le-Mein.
J'en donne ici la description d’après l'examen que j'en fis alors.
Kana oxyrrhina, Si. — Dessus du corps d’un roux plus ou moins vif où d’un brun grisätre, couvert de petites verrues assez espacées ; peau des flancs un peu chagrinée; dessus des cuisses, des jambes, des tarses et des orteils, de la même couleur que celle du dos, ainsi que la partie supérieure des bras. Les quatre
372 A. THOMAS.
membres sont coupés transversalement par des bandes brunes. Chez quelques individus, il existe, depuis le milieu de la tête jus- qu'à l'anus, une bande assez large et plus pâle que le reste du dos. Latèle est pelite et plus pointue que chez la R. agilis (Muni) et la R. fusea (Roësel). Une ligne noire ou brune part de chaque œil, et va jusqu’au bout du museau; entre cette ligne et la lèvre supé- rieure qui est brunâtre , il existe une autre raie de couleur plus claire, qui part du bout du museau et se prolonge jusqu’à l'épaule, immédiatement au-dessous de la tache noire, dans laquelle est encadrée Ja membrane du tympan. Sous chaque pli glanduleux situé longitudinalement au-dessus des flancs, il existe une rangée de laches noires ou brunes. Les flancs sont d’un brun grisâtre et jaunâtre dans leur partie inférieure; de plus, ils sont verruqueux , et couverts de larges marbrures noires. Les veux sont de la même couleur que ceux de la À. fusca et de la À. agilis.
La gorge, la poitrine et le ventre, sont d'un jaune clair ; mais on aperçoit sur la gorge et la poitrine quelques marbrures bru- nâtres. Les parties internes des cuisses sont jaunâtres, et couvertes de granulations dans la région voisine de l'anus. Les fesses, dans la portion qui est près du même organe, sont d’une couleur car- née el granuleuse, et dans les autres parties olivâtres et marbrées.
Grenouille agile (Rana agilis, Muni; Grenouille rousse, Faune de Maine-et-Loire). — Je vais essayer maintenant de donner de la Grenouille nommée par M. Millet d'Angers Grenouille rousse et par moi Grenouille agile, une description un peu plus détaillée que celle qui est contenue dans la Faune de Maine-et-Loire.
Dans cette espèce, le mâle possède deux sacs vocaux semblables à ceux du male de la À. fusca, Roësel.
La langue est plus petite.
Les dents vomériennes m'ont paru être différentes de celles de la R. fusca et de la R. oxyrrhina.
Le museau est moins obtus et moins recourbé que celui de la R. fusca, et non-seulement le museau , mais tout l’ensemble de la tête est proportionnellement plus long et moins effilé que chez la Grenouille oxyrrhine.
Les veux sont semblables dans les trois espèces.
SUR DEUX ESPÈCES DE GRENOUILLES. 373
La tache située derrière l'œil est pareille.
Les membres postérieurssont plus longs et moins épais que chez la R. fusca, et ils sont proportionnellement encore plus grands que ceux de la À. oæyrrhina ; les marbrures qui les coupent transver- salement sont aussi disposées différemment.
La peau, chez le mâle, est loujours lisse, et elle est quelquefois couverte de points très pelits el très rares. Le fond de la couleur du dessus du corps et des membres est tantôt brun ou gris feuille morte, et tantôt d’un roux plus ou moins vif ou d’un rose tendre parsemé de petites ombres brunätres et de très petits points noirs. Chez les mâles, la couleur du dessus du corps est généralement plus foncée que chez les femelles.
Les deux plis glanduleux , qui sont situés au-dessus des flancs, sont couverts de points et de taches noirs; de semblables points et taches existent sur la face externe des cuisses et des jambes ; Ja face externe des bras est également ornée d’ane petite bande noire.
Une raie brunälre part de chaque côté du bout du museau, etse prolonge jusqu'à l'œil.
Les lèvres sont plus foncées chez le mâle que chez la femelle , et au-dessus de la lèvre supérieure il existe une ligne étroite et de couleur pâle, qui prend naissance au bout du museau, etse termine un peu au-dessous de l'angle formé par les deux mâchoires. Ces particularités relatives à la coloration du museau et des lèvres sont les mêmes que chez les deux autres espèces.
La gorge et la poitrine sont le plus souvent d’un blane pur; mais cependant elles sont quelquefois lavées de noirâtre chez le mâle et de rose chez la femelle. L'abdomen est toujours d’un blanc pur et brillant dans les deux sexes; les flancs, vers la partie inférieure et en se rapprochant des cuisses, Sont jaunâtres ; les fesses sont granuleuses et de couleur verdàtre en dessus, et carnées à la partie inférieure. La partie interne des cuisses est plus jaune, et celle des pieds fire un peu sur le carné, parsemé de très petites taches d’un jaune clair. Les aisselles sont jaunâtres. 1 y a donc aux régions inférieures el aux cuisses, comme on le voit, quelques légères dif- férences comparativement à ce qui se remarque chez la À. oœyr- rhina. M existe, comme chez nos autres Grenouilles, une tache
37h A. THOMAS. noire sur la partie interne du bras, à l'endroit oùil prend naissänce.
La palmure des pieds m'a paru plus développée que chez la R. oæyrrhina. Du reste, chez la fusca, l’agilis et l’oxyrrhina ; cette palmure est toujours plus considérable chez le mâle que chez la femelle. M. Schiff avait fait les mêmes remarques.
D'après une observation que ce zoologisle n'a communiquée, le lympan touche presque l'angle postérieur de l'œil chez la Gre- nouille agile, tandis que chez la fusca de Roësel il en est plus éloigné:
Dimensions d'une Grenouille agile femelle de grande taille. — Longueur du corps, depuis le bout du museau jusqu’à l’anus, 0",070 millim.; des membres postérieurs jusqu'à l'extrémité du grand orteil, 0",126.
Grenouille agile mâle, taille moyenne. — Longueur du corps depuis l'extrémité du museau jusqu'à Panus, 0,053 ; des muscles postérieurs au bout du plus grand orteil, 0",102.
Description de la Grenouille rousse (Rana fusca, Roësel) temporaria de plusieurs auteurs. — Quoique cette Grenouille soit connue depuis longtemps , et qu'elle ait été très bien décrite par plusieurs naturalistes, je me crois néanmoins obligé d'en parler un peu longuement, puisque, dans le cours de ce travail, je l'ai citée très souvent.
Je vais done en donner une description aussi succincte que possible.
Individu mâle. — Dos d’un brun roussâtre tirant sur le vert olivâtre, couvert de taches noires disposées le long des carènes du dos et sur son milieu.
Les bras, les cuisses, les jambes et les tarses, sont coupés par de larges bandes irrégulières brunâtres ; les flancs sont marbrés de roux et de verdâtre mélangé de jaune pâle. Les cuisses sont également marbrées des mêmes nuances; la partie supérieure des jambes, des tarses et des pieds, est roussâtre ; la partie inférieure, au contraire, quant aux jambes, est d'un fond jaune vert, maculé . de taches d’un brun rougeñtre. Le dessous des tarses est d’un rouge carné pointillé de jaune. La palmure des orteils est plus développée chez le mâle que chez la femelle.
Les l'essés Sont d’une teinle verdâtre très claire, el couvertés de
SR
SUR DEUX ESPÈCES DE GRENOUILLES. 375
graäñulations jäünâtres. Lé ventre est d’un jaune elair marbré de taches rosées et quelquefois jaune sale sans taches, et la gorge est d’un blanc bleuâtre avec une teinte rosée.
Parfois les taches du dos sont noïres où brunes, et le centre est d’une couleur plus claire.
Chez certains individus, la peau est mamelonnée ; quelquefois il n'y a pas de taches sur le dos. A l'époque de l’accouplemernit , il se développe au pouce du mâle une protubérance rugueusé Et heart coup plus volumineuse que ëhez nos deux autres Grenouilles (fig. 7).
Individu femelle. — La palniure des pieds ëst moins développée que chez le mâle ; la peau est aussi ordinairement moins lisse ; le dos, les membres, ainsi que les flanes , Sont couverts d’aspérités de différentes grandeurs et très fapprochées ; il existe, en outre, sur les flancs de larges taches noires. Le ventre est jaune, forte: ment marbré de noir où de brun, et le plus souvent de rouge. La gorge est d’une nuance un peu plus foncée.
Dimensions. — Individu de taille ordinaire : Longueur du bout du museau à l'anus, 0,068 ; des membres postérieurs jusqu’au bout du plus grand orteil, 0,107.
Je dirai plus loin quelques mots sur les différéniees que j'ai remarquées dans le squelette de trois Grenouilles qui nous occupent dans ce moment.
En attendant, je vais faire connaître les mœurs de l'espèce que j'ai décrite plus haut sous le nom de Rana agilis, et celles de la Grenouille figurée et décrite dans Rœæsel sous le nom de R. fusca.
Li Grenouille agile (Rana agilis) a des formes plus élégantes et plus élancées que la R. fusca, et elle saute aussi bétucoul plus loin en lançant par l'anus une liqueur très claire, comme le fait 14 Grenouille verte. Ses thœurs sont très différentes de celles de la R. fusca. Elle S'accouple ordinairement six ou sept semainés après celle-ci, depuis le 5 ou le 6 mars jusque vers le 45 du même mois. Ce fut le 42 mars 1843 que je la trouvai pour la pretiière fois aceouplée, quoique bien longtemps avant je l'etisse distinguée de la À. fusca,
Pendant l'accouplement (chose assez singulière: la voix du mâle
376 A. THOMAS.
ressemble à celle que produit le mâle de la R. oæyrrhina, et dont il a été parlé plus haut; pourtant ce sont deux espèces bien distinctes.
A l’époque de l’accouplement, il se produit sur le pouce du mâle de la R. agilis un petit gonflement de couleur noire moins volu- mineux que celui qui se développe sur le même doigt du mâle de la R. fusca. Chez cette dernière espèce cette protubérance est hérissée de petites pointes , et, au contraire, elle est lisse chez la R. agilis.
Aussitôt que le temps de leurs amours est passé, les Grenouilles agiles quittent l’eau pour le reste de la saison et ne s’y lancent que par hasard, quand, par exemple, elles se trouvent près d’un ruis- seau, ce qui du reste est assez rare, et qu'un danger les menace.
Elles se tiennent dans les lieux frais et tranquilles, les prés, loin des habitations , au milieu des grandes herbes , dans les bois , et quelquefois dans les terres élevées, quand elles y trouvent de la fougère et de l’ombrage. Je ne les ai jamais rencontrées, comme les Grenouilles rousses , dans les jardins des villes et des villages, ni parmi les Orties , les Chardons et les Ronces qui poussent dans les chemins et le long des murs.
J'ai cru pouvoir donner à cette Grenouille le nom de Grenouille agile (R. agilis), à cause de la longueur des bonds qu'elle fait lors- qu'elle est poursuivie; car je puis affirmer l'avoir vue franchir d’un seul bond un espace de près de 2 mètres.
Elle est assez commune dans quelques localités du département de la Loire-Inféricure ; mais on la trouve rarement avec la rousse. Il y a des endroits où j'ai rencontré plusieurs milliers de la rousse et pas une seule agile; d'autres où je n’ai vu que cette dernière , et d’autres enfin dans lesquels depuis bien des années je vois plu- sieurs agiles et fort peu de rousses.
Le tètard de la À. agilis se développe comme celui de la R. fusca, et lui ressemble beaucoup: mais quand ces deux espèces ont subi leurs métamorphoses, quand elles sont encore très petites, on les distingue fort bien.
La Rana fusca de Roësel s'accouple loujours environ six ou sept semaines avant la À. agilis , ce qui me parait être un point très essentiel à noter, Lorsque le mois de janvier n’est pas rigoureux,
a ne
SUR DEUX ESPÈCES DE GRENOUILLES, 3717
l’accouplement a souvent lieu dès le 16 de ce même mois, et quel- quefois un ou deux jours plus tôt; d’autres fois il éprouve un peu de relard et se fait vers le 24, comme cela a eu lieu cet hiver. Quand le froid se prolonge, l’accouplement n’a lieu alors que dans les pre- miers jours de février. À cette époque, les Grenouilles rousses se réunissent en grand nombre dans les mares et les fossés , et les mâles s’y disputent les femelles en faisant entendre une espèce de grognement.
J'ignore si tous les mäles de cette espèce, ou même si quelques- uns d’entre eux, parvenus à l’âge adulte, passent l'hiver sous l’eau, mais je ne le crois pas : parce que tous les aps j'en trouve qui sont accouplés dans de simples rigoles pratiquées dans des champs, et jusque dans les moindres trous situés au milieu des chemins, et dans lesquels il n’y a que quelques centimètres d’eau , et encore cette très petite quantité n’y est-elle souvent que depuis quelques jours seulement.
J'ai vu fréquemment, au commencement de l'automne, une assez grande quantité de Grenouilles rousses des deux sexes dans des bar- riques à moilié remplies d’eau. Ces barriques se trouvaient placées dans des jardins, auprès des puits ou sous l'égout d’une dalle pour recevoir les eaux pluviales, et les Grenouilles qui y étaient entrées ne pouvant plus en sorüir, paraissaient beaucoup souffrir dans leur captivité, ei cherchaient à s'échapper. Malheureusement je n'ai pas pu m'assurer de ce qu'elles devenaient. Mais , à la fin de ce Mémoire , je ferai connaitre sur l'hivernage de ces Batraciens et de quelques autres espèces des observations que le basard m'a mis à même de faire.
Après l’accouplement, ces Grenouilles disparaissent et ne com- mencent à se montrer que vers les premiers jours d'avril.
Elles ont une manière de vivre tout à fait différente de celle de la R. agilis, qui est essentiellement terrestre; car elles passent presque toute la journée dans l’eau pendant le printemps et une grande partie de l'été. Elles ont, de ce côté, beaucoup de rapport avec la Grenouille verte, et c’est un motif de plus pour séparer cette espèce de celle que j'ai nommée R. agilis.
Tous les ans , au printemps et dans le commencement de l'été ,
378 A. THOMAS.
je trouve une très grande quantité de Grenouilles rousses des deux sexes dans les fontaines, les mares, les fossés et les carrières abandonnées qui contiennent de l’eau, et où elles vivent comme les Grenouilles vertes, se tenant tantôt dans l’eau et tantôt sur le bord. Il résulte de ces observations que ces Grenouilles sont beaucoup moins terrestres que la Grenouille agile, qu’on ne trouve que rare- nent auprès des eaux.
Quant à l'hivernage de certains Batraciens, voici les observations que j'ai faites :
Il y a déjà plusieurs années , lorsque je parcourais souvent là campagne, afin de surprendre les animaux accouplés et de pouvoir les étudier à loisir, j'avais remarqué une petite source située sur une hauteur, et auprès de laquelle je passais fréquemment. Cette Source vomissait du sable fin qui, au soleil, présentait de brillantes couleurs. Un jour, c'était dans le courant de février 1845, je déga- geai l'ouverture de cette source en ôfant quelques poignées dë Sable. L'eau bouillonna aussitôt avec plus de force, et rejeta, à mon grand étonnement, un petit animal, que je reconnus être une jeune Grenouille appartenant à l'espèce nommée par Roësel Rana fusca ; ce ne fut que dans l’année 1847, et dès le 12 janvier, qué je recommençai mes excursions. Je dirigeai mes pas directement vers celte source, et la trouvai, demême que les années précédentes, bouillonnant presque à fleur de terre. J'en relirai, comme précé- demment , quelques poignées de sable, et l'eau jaillit avee plus de facilité. Cinq ou six minutes après, j'en vis sortir trois jeunes Gre- nouilles rousses dont le ventre était parfaitement jaune. Elles n'étaient nullement engourdies.
Un instant après, l'eau rejeta un téêtard de Salamandre terrestre ; il était long de 4 centimètres environ.
Le lendemain, je revins au même endroit, el ayant encore dégagé l'ouverture de la souree et facilité la sortie de l’eau en Ôtant quelques pierres qui l'obstruaient, je vis sortir einq petiles Grenouilles. semblables aux premières, et quatre têtards de Sala- mandre également pareils au premier, Enfin, le 47 du même mois, je retournai voir cette Source qui me fournissait des observations si intéressantes , el, après avoir agité l'eau à une profondeur de
SUR DEUX ESPÈCES DE GRENOUILLES. 379 20 centimètres environ, je fis Sortir de leur retraite deux petites Grenouilles. Tous ces jeunes Batraciens appartenaient à l'espèce nommée Raña fusca, comme je l'ai fait remarquer. Parmi eux , il y avait plus de femelles que de mâles.
Pendant quelques années, j'interrompis mes recherches sur Vhivernage des Batraciens pour m'occuper spécialement de leur mode d'accouplement , et je les recommencai en 1855, avec un dé mes amis M. Arthur Delisle, qui voulut bien m'aider dans mes recherches.
Dans les premiers jours de février 1855, M. Delisle et moi fimes plusieurs fouilles dans de vieilles carrières abandonnées, et, äprès avoir creusé à une petite profondeur une terre mélangée de schiste décomposé, nous trouvâmes des 4lytes, des Pélodytes ponctués des deux sexes, quelques femelles du Bufo calamita pleines d'œufs, et une femelle de la Rana fusca qui ne s'était pas encoré débarrassée de ses œufs. On trouve quelquefois, mais en très petil nombre, quelques femelles retardatäires, Surtout lorsque c'est là première année qu'elles engendrent; de plus, nous trouvimes une grande quantité de Tritons palmipèdes de tout âge et de tout sexe. Les mâles n'avaient pas encore la palmure des pieds déve- loppée; ni les arêtes dorsales aussi apparentes qu'ils lès ont plus tard, mais ils avaient déjà l'anus gonflé.
Du reste, je dois dire aussi que j'ai vu plusieurs fois , dans les derniers jours du mois de janvier, des individus des deux sexes de ce Triton dans l’eau, et préluder aux jeux amoureux que Spallan- zani et Rusconi ont si bien décrits. |
Sans oser tirer des faits qui précèdent aucune conclusion rela- livement au mode d'hibernation des Batraciens anoures eturodèles, j'ai cru devoir les faire connaître, parce qu'ils sont le résultat d'observations attentives que j'ai répétées pendant un grand nombre d'années. Je pense d'ailleurs qu'elles ne seraient peut-être pas sans utilité pour les zoologistes qui voudraient s'occuper de nouveau de cette importante question de physiologie.
Dans ce mémoire, j'ai fort peu parlé de laGrenouille verte(Rana esculenta), parce qu'elle est très connue; et, en outre, elle est si
380 A. THOMAS. — SUR DEUX ESPÈCES DE GRENOUILLES. différente des trois autres espèces, qu'il est impossible de la con- fondre avec aucune d'elles.
Chez nos quatre espèces de Grenouilles les os frontaux nasaux ont une forme très différente. De plus, chez la Rana oæyrrhina, l'apophyse du premier os cunéiforme est beaucoup plus volumi- neuse que chez les trois autres espèces.
Je joins ici le tableau comparatif des dimensions des trois espèces suivantes.
Tableau comparatif des dimensions des trois espèces de Grenouilles dont les noms
suivent.
LONGUEUR des membres po-térieurs] jusqu'à l'extr, du plus grund urteil.
LONGUEUR LONGUEUR
de la tête, du tronc.
On voit par ce qui précède que nous possédons en Europe quatre espèces de Grenouilles bien distinctes, tant par les formes exté- rieures que par les mœurs : 1° R. fusca, Roësel, vel temporaria, Linn.; % R.viridis, Roës., seu esculenta, Linn.; 3° R. oæyrrhina, Steenstrup ; 4° R. agilis, Thom., vel temporaria, Millet.
EXPLICATION DES FIGURES.
PLANCHE 7.
Fig. 1. Portion antérieure du corps de la Grenouille agile vue en dessus. Fig. 2. La même vue en dessous.
Fig. 3. Patte antérieure du mâle.
Fig. #. Squelette de la même.
Fig. 5. Grenouille oxyrrhynque
Fig. 6. Squelette de la même.
Fig. 7. Patte externe de la Grenouille verte, comme terme de comparaison.
A QE Es à +
OBSERVATIONS
SUR
L'HERMAPHRODISME DES ANODONTES, Exrraires D'uxe Letrre Apressée PAR M. VAN BENEDEN,
Par M. LACAZE-BUIHIERS,
Professeur à la Facullé des sciences de Rennes.
Vous avez imprimé queles Anodontes sonthermaphrodices. Leeuwenhoeck et M. de Siebold les déclarent à sexes séparés, et portés par des individus distinets. Moi-même je ne pouvais me ranger à votre opinion. Ayant quel- que chose à vérifier, au sujet de l'organe de Bojanus, sur ces Acéphales, je fis ouvrir environ cinquante individus, et , il faut le dire, j'examinai leurs glandes génitales presque par hasard, et pour voir si, à la simple vue, je reconnaîtrais le mâle et la femelle. Mon examen était superficiel, à ce point que je me contentai d’une large incision du pied et de la masse viscérale qui renferme les glandes génitales. La blessure des mâles laissait échapper un liquide visqueux qui ne se désagrégeait pas dans l’eau, tandis que celle des femelles laissait écouler un liquide dont les éléments s’éparpillaient, et que je reconnaissais, par l'habitude acquise pendant de longues recherches sur ce sujet, pour des œufs. Or, sur un exemplaire, il me sembla que la blessure laissait couler à la fois ces deux liquides. Dans des questions de ce genre, le doute, même le plus léger, doit être éclairei, et l'examen micros- copique me fit reconnaître sans aucun doute des œufs et des spermato- zoïdes. J'allai plus loin, j’examinai attentivement. Les glandes, et les lobules , d'un jaune plus clair, plus brillant, m'offrirent la structure et la composition de la glande femelle. Ceux, au contraire, qui présentaient une teinte un peu plus obscure étaient exclusivement mâles, et, après cet examen décisif, le seul qui mérite aujourd’hui confiance quand il s’agit des sexes , je rapprochai des animaux entièrement mâles ou femelles , et l'apparence des parties différentes sur les individus hermaphrodites était semblable à celle des mêmes parties sur des animaux unisexués.
Il n’est plus douteux pour moi aujourd’hui que, rarement il est vrai, les Anodontes des Cygnes ne puissent être hermaphrodites ; et je m'explique maintenant comment votre opinion était en opposition avec celle de Leeu- wenhoeck et de Siebold, bien que la vérité existât de part et d’autre. Je crois
382 LACAZE-DUTHIERS. — HERMAPHRODISME DES ANODONTES.
que l’hermaphrodisme est exceptionnel et rare, et que c’est une de ces exceptions qui a dû tomber entre vos mains et déterminer votre opinion.
On rencontre , dans cette question de l’hermaphrodisme des Acéphales , de telles discordances d'opinions, que parfois on est étonné, surtout en voyant des observateurs si recommandables en opposition complète. Mais , à mesure que l’on étudie en grand nombre les mêmes espèces, on reconnaît les causes des discordances, et je crois devoir porter à la connaissance des naturalistes l'observation qu'il m'a été donné de faire.
Il est inutile , je pense , de faire ressortir toute l'importance de ce fait. Il montre d’abord combien la question dont il s’agit devrait, pour être élu- cidée el conduire à des résultats satisfaisants, s’étayer de l'examen non-seu- lement d’un grand nombre d’espèces, mais aussi d'individus; combien on doit avoir garde de trop se hâter de conclure touchant le rôle des glandes ; combien aussi, avant de croire à des erreurs de la part des observateurs, il faut multiplier ses observations propres. Pour moi, monsieur, je suis heu- reux , après avoir cru à une erreur de votre part, qu'il me soit donné de trouvér un fait qui explique votre opinion, et je m’empresse de vous le faire connaître. (Académie de Bruæelles, décembre 1855.)
FIN DU QUATRIÈME VOLUME.
TABLE DES ARTICLES
CONTENUS DANS CE VOLUME.
PHYSIOLOGIE. Mémoire sur l'assimilation du sucre, par M. Gips. . . | pere sur la fonction glycogénique du foie, par M. Ficuien. s'e exe) 1 ur le mécanisme de la formation du sucre dans le foie, par M. CI. BERNARD. . . 109 gur la présence du sucre dans le sang de la veine > porte. par À M. Luusang. 158 echerches sur l'influence de la lumière sur la production de l'acide car- bonique des animaux, par M. Mosescuorr. 207 Du sulfocyanure de potassium considéré comme un des éléments nor- maux de la salive, par M Loxcer . . 225 Mémoire sur |’ infuence qu'exerce sur le développement du Poulet appli- cation partielle d'un vernis sur la coquille de l'œuf, par M. Daresre. . 4119
ANATOMIE ET ZOOLOGIE. 1° VERTÉBRÉS.
Mémoire sur les organes de la cireulation chez le serpent Python, par
M. Jacouarr. , . 321 Note sur deux espèces de Grenouilles observées “depuis quelques années
en Europe, par M. Taomas. . . nd ciel ++ 1868 Monographie des Balistides, par M. Ho: . « 5 Note sur le vomer garni de cinq rangées de dents des terrains de la
craie chloritée, par M. Mancez DE SERRES. . . . . . . . . 264
20 INVERTÉBRÉS.
Observations sur les mœurs des Cerceris, et sur la cause de la longue conservation des Coléoptères dont ils approvisionnent leurs larves, par
M. Faune. . . RP es De ET Quelques mots sur les Cérceris , par M. Léon Durou. ne Smic ide CT] Note sur l'absence, dans le Vemoptera lusitanica, d'un système nerveux
APPISOEMIE PAL IE MOINE PERD... MORE MEME SENS Additions à la Note précédente. . . gone Tropic ll Lettre sur les mœurs des Abeilles, par M DE BéAOVOrE . ME 151
Deuxième note sur les spermatophores du Gryllus sylvestris, par M. “Lesrés, 244 Note sur un nouveau genre d'Annélide perforant , par M. Mancez DESERRES. 238 Remarques sur la note précédente, par M. SuurrLewonrTu . . 319 Mémoire sur les Vers rubanés et vésiculaires de l'homme et des animaux (Tænias, Oysticerques), etc.), et la production des Helminthes en géné-
ral, par M. Siesoun. . . . 48et172 Mémoire sur l'organe de Bb ‘des Acéphales lamellibranches , par
M. Lacazz-Doraitas LP UE SEC Observations sur l'hermaphrodisme des Anodontes, par le même. MO: |
Observations histologiques sur le grd D on de la a a médi- cinale, par M. Faivne. . . - FACE et |: :
TABLE DES MATIÈRES
: PAR NOMS D'AUTEURS. Beauvoye (pe). — Lettre sur les l'organe de Bojanus des Acé- mœurs des Abeilles. 151 phales lamellibranches. 287 Bernanp(Cl.).—Sur le mécanisme — Observations ES AA de la formation du sucre dans disme des STONE 381 le foie 109 DAREsTE. — Mémoire sur li in- sucre Pt le sang dé la veine fluence qu'exerce sur le déve- porte. e 158 loppement du Poulet l'applica- Lespés.— Deuxième Note sur r les tion partielle d'un vernis sur spermatophores du Gryllus syl- la coquille de l'œuf. . 119 vestris. 244 Durour (Léon). — Note sur l' ab- Loncer. — Du sulfocyanure de sence, dans le Nemoptera lusi- potassium considéré comme tanica, d'un système nerveux un des éléments normaux de appréciable. ; 153 la’salive. =... 225 —- Additions à la Note précé- Manrce DE SERRES. — | Note sur CON at ad fé 263 un nouveau genre d Annélide —— Quelques mots sur "les Cerce- lubicole perforant. 238 ris de M. Fabre. 263 | — Note sur le vomer garni de Favre. — Observations sur les | cinq rangées de dents des ter- mœurs des Cerceris, et sur la rains de a craie chloritée ou à cause de la longue conserva- | Hippurites . : 264 tion des Coléoptères dont ils Mouescuorr, — Recherches sur approvisionnent leurs larves. 4129 l'influence de la lumiere sur la Ficuiën. — Mémoire sur la fonc- | production de l'acide carbo- tion glycogénique du foie. . 91 nique des animaux, 207 Faivre. — Observations histolo- Saurrcewonr. — Remarques sur giques sur le grand sympa- la Notede M Marcel de Serres thique de la Sangsüe médici - relative au genre Stoa. 319 nale, . 249 | Sinon. — Mémoire sur les Vers Gins. — Méunoire sur l'assimila- rubanés et vésiculaires de Lion du sucre. 27 l'homme et des animaux (Tæ- Hozrann. — Monographie ‘des nias, Cysticerques, etc.), et Balistides (suite). 5 sur la production des Hel- Jacquaur., — Mémoire sur les or- mintbes en général. 48 et 172 ganes de la circulation chez le | Tuowas. — Note sur deux espèces Serpent Python. 324 de Grenouilles observées de- Lacaze-Duraiers. —_ Mémoire sur | puisquelquetemps en Europe. 365 TABLE DES PLANCHES
RELATIVES AUX
À. Alutères (Balistides).
2, 3. Développement des Helminthes… _ 2
# 5, 6. Organe de Bojanus. ! Rana agilis, Rana oxyrrhina.
“ 4
MÉMOIRES CONTENUS DANS CE VOLUME.
8. Structure du grand sympathique, armatiité génitale ‘du Grillon, genre Stoa. 9, 40, 44. Appareil circulatoire du Python.
FIN DE LA TABLE.
Fr a ” LD: dd éd. D D x LP ur ri 30” PAT
2
ii ; a)
Ana. des Soins. rat. 4° Série.
Zoot. Jome 4. 74, |
Cayard so
Aluteres .
# Rémont eng r. des Novers, 65. J'ers
Zoo. Tome 4. Pt3
Ann. des Seienc: mat. 4° Série.
AH Doudot sc
Développement des Telrinthes.
No
A Hémend imp. r. des Noyers. 68, Paris
Ann dar Juisne nab. 4" Sérée. Zool. Time 4. PL 8
ES È
7 |
Développement des lelruinthes.
| LAPRUR il (re | Al M 5 Da
41.2: ad nat. del Organe de Pojanus .
A émand impr dar Moyens 68 Paris
Ann. des Jriene. nat. 4° Jerte
LM tent
TU) |}
Organe de PBojanus.
N Rémont imp. r dar Noyer, 68 Farës d
À ce >} 4} | ADM | M ONIN NN TL Dares del Cydve
Tome 4 PL 6
Zoot
Jerce
e
Jétnes rat ÿ
Ann. des AL Date ral del.
Ce
L
Orgare de Boyanus.
un. des Seiene, nat. 4° Série Zoot. Temea TL. 7 |
Fiy.1-4 Lana ages Lio 6.6 Lana oxyrrtne. |
Ann. des setenc. nat. &° Serre
À F3 “ É 7 > T{8 & Va C = { { ë EI (œ | fl \ Axe) \ OS lé JA 5 | C } \ ARE \ EAA ) NN À 5 - } | \° / 6 ( e 5 \N LL [e (œ
À Séructure du gran Jympathirque PB Zrmature yenitale du ritlor
C Xys-8 Genre Stoa, Fig, Lucnodus rugudosus
V Aémond imp r des Noyers. 65 Juris
”
Ann des Stienc. nat. 4° Serte Zool Tom NWPLI
re D
jeLerte
nat. 3° Sert
Appareil circulatoire du lython
Zool Tome Fifi
Zool Tome 4 PLI1
Le
Ann des Seine. nat. #°Sêrte
2 1ython
ulatoire di
art
Apparel
EL