À nt MS AS ani pin ANNALES SCIENCES NATURELLES. TROISIÈME SÉRIE. LOOLOGIE. 1 BRAVE Ce PA Le 24 Le 1198 state tiaranms ELU L-P ANNALES DES SCIENCES NATURELLES COMPRENANT LA ZOOLOGIE , LA BOTANIQUE , L'ANATOMIE ET LA PHYSIOLOGIE COMPARÉES DES DEUX RÈGNES , ET L'HISTOIRE DES CORPS ORGANISÉS FOSSILES ; RÉDIGÉES POUR LA ZOOLOGIE PAR M. MILNE-EDWARDS, ET POUR LA BOTANIQUE PAR MM. AD. BRONGNIART ET J. DECAISNE. roisième Série. ZOOLOGIE. TOME QUATRIÈME. Hi. AL 2 PARIS. FORTIN, MASSON ET C*, LIBRAIRES-ÉDITEURS, PLACE DE L'ÉCOLE-DE-MÉDECINE, 1. 1845 RTE IL «6 ANR LE 1 PTIAÈAE 1 ANNALES DES SCIENCES NATURELLES. PARTIE ZOOLOGIQUE. = =O00—- MÉMOIRE SUR LES GANOÏDES ET SUR LA CLASSIFICATION NATURELLE DES POISSONS ; Par M. J. MULLER (1) L'ichthyologie, plus qu'aucune autre branche de l'Histoire naturelle, fournit une preuve patente de l'importance des ani- maux fossiles, non seulement pour la classification des animaux en général, mais aussi pour celle des animaux vivants. La pa- léontologie a changé les bases de l’ichthyologie. La grande différence qui existe entre les Poissons vivants et les restes fos- siles des animaux de la même classe a nécessité l’établissement d'ordres et de familles entières, dont on ne trouve, dans l’é- poque actuelle, que peu ou point de représentants. Quelques unes des espèces existantes ont dù quitter la place qu’on leur avait assignée dans les systèmes de classification pour aller se coor- donner à des groupes fossiles qui se trouvent dans des ordres fort différents. Le degré de justesse qu’offrent ces changements dépend surtout d’une hypothèse, dont on ne peut prouver l’exac- (1) Lu a l'Académie des Sciences de Berlin, le 12 décembre 1844, et traduit, par M. Vogt, des Archives d'Histoire naturelle de Wiegmann et Erichson, 1845, p 91-14 6 MULLER. — SUR LA CLASSIFICATION titude que par l'examen des Poissons vivants , à savoir , que les différences fondamentales que présentent les restes du squelette ei des téguments des fossiles sont étroitement liées à des dif- férences tout aussi grandes et fondamentales dans l’organisation entière. Mais, tout en reconnaissant que les résultats systématiques obtenus par les recherches sur les Poissons fossiles ont une grande et véritable importance, on doit convenir que l’anatomie des Poissons vivants n’a pas encore été assez consultée , pour que les essais d’une classification concordante des Poissons vivants et fossiles puissent être établis sur des bases suffisamment solides. Les différences les plus saillantes des Poissons fossiles résident dans les téguments. M. Agassiz a employé ces différences comme principes de la classification des Poissons en général , et il a éta- bli en conséquence les ordres des Cycloïdes, Cténoïdes, Ganoïdes et Placoïdes. Les écailles des Poissons osseux vivants sont, en général, imbriquées, plus ou moins arrondies, et, à l’exception des plaques osseuses de certains genres, elles n’ont rien de com- mun dans leur structure microscopique avec les os proprement dits ; elles ne possèdent pas les corpuscules rayonnés des os ; leur surface montre des lignes fines et saillantes généralement con- centriques , rarement irrégulières. La différence entre les écailles des Cycloïdes et celles des Cté- noïdes est d’une importance assez faible , et ne peut servir pour la classification que dans des limites fort étroites , ainsi que je l'ai démontré dans un Mémoire précédent (1). Il en est tout autrement des écailles des Ganoïdes 4gass. : celles-ci sont osseuses , généralement rhomboïdales ou quadran- gulaires , rarement arrondies et imbriquées ; leur surface est tou- jours lisse, et recouverte d’une couche d’émail ; elles sont dispo- sées en rangées obliques, et les écailles d’une même rangée sont généralement liées entre elles par une apophyse articulaire. De pareilles écailles ne se trouvent, dans le monde vivant, que chez deux genres de Poissons, chez les Lépidostées du Mississipi et fes Polyptères du Nil et du Sénégal, genres que Cuvier avait rangés parmi ses Clupées. (1) Archives de Wiegmann, 1843 DES POISSONS. " Ce fut Cuvier qui , le premier , remarqua la grande conformité qui existe entre les écailles des Paléonisques du Zechstein et celles des Lépidostées et des Polyptères , et qui appela en même temps l'attention sur la ressemblance du grand lambeau caudal supé- rieur des Esturgeons et des Paléonisques, ainsi que sur les fulcres triangulaires qui, dans ces deux genres et les Paléo- nisques , forment la bordure de ce lambeau et du bord extérieur de la nageoire dorsale, Il concluait de ces ressemblances que les Paléonisques devaient prendre place près des Esturgeons, ou dans le voisinage des Lépidostées (1). L'idée de rejeter cette alternative et de réunir ces deux caté- gories de Poissons ne se rencontre pas dans les écrits de Cuvier. A l’occasion des Poissons qui appartiennent au genre Dipterus , il se prononce dans ce sens que ces Poissons se rapprochent de ceux des schistes bitumineux par la conformation de la caudale, et par l'insertion des rayons de cette dernière sur le côté inférieur de la colonne vertébrale. Le Lépidostée et le Polyptère sont, d’après lui, les seuls parmi les Poissons vivants qui possèdent ce caractère à un moindre degré de développement; mais il aime mieux placer les fossiles près du Lépidostée, parmi les Malacoptérygiens abdominaux (2). MM. Valenciennes et Pentland déclarent de même que les Diplerus et Osteolopis doivent former deux nouveaux genres dans l’ordre des Malacoptérygiens abdo- minaux M. Agassiz a le grand mérite d’avoir reconnu la conformité qui existe entre les écailles de tous les Poissons osseux fossiles appar- tenant à des formations antérieures à la craie, et celles des Lépi- dostées et des Polyptères ; il a, en outre, établi l’ordre des Ganoï- des, découvert et distingué nettement leurs genres nombreux, et déterminé leurs espèces; et cet auteur dit avec raison dans le second volume de ses Poissons fossiles : « L'établissement de l’ordre des » Ganoïdes est à mes yeux le progrès le plus important que j'aie » fait faire à l’ichthyologie. » La conclusion qu'il a tirée de ses recherches , savoir , que les types qui maintenant forment l’im- ( ( 1) Ossements fossiles, nouvelle édition, t. V, 2, 1824, p 307 et 308 2) Geol_ Trans , 2° sér , vol. HI, p 125 8 MULLER. — SUR LA CLASSIFICATION mense majorité des Poissons ne commencent qu'avec la craie, n’est pas moins importante. Les écailles ganoïdiques sont d’ailleurs, comme le remarque aussi M. Agassiz, enfermées dans des capsules de la peau tout comme les écailles ordinaires. La membrane capsulaire est très mince et attachée à la face externe, et elle peut même se perdre entièrement, comme cela s’observe chez le Polyptère. Chez le Lépidostée, au contraire , cette membrane présente l’aspect d’une pellicule très fine, dans laquelle on apercoit des reflets métal- liques et un peu de pigment ; elle se laisse enlever facilement par le frottement. Les Ganoïdes diffèrent beaucoup entre eux par la conformation du squelette ; quelques uns ont, comme le Lépidostée et le Po- lyptère , un squelette osseux , tandis que chez d’autres la colonne vertébrale est restée en partie dans un état embryonnaire , et ne présente qu’une corde dorsale molle avec des apophyses osseuses, disposition qui rappelle ce que l’on voit chez l’Esturgeon. Les formes des corps des Vertèbres montrent aussi les différences les plus grandes. La colonne vertébrale se prolonge, dans beaucoup de genres, jusqu’à l'extrémité du lambeau supérieur de la nageoire caudale ; M. Agassiz nomme les Poissons ainsi conformés hétérocerques ; les Esturgeons, les Requins et les Raies fournissent des exemples de cette structure parmi les Poissons vivants. La colonne vertébrale n’atteint que le commencement du lam- beau supérieur chez beaucoup d’autres genres , et le lambeau possède, dans ce cas, des rayons supérieurs, tout comme chez beaucoup de Poissons osseux de la famille des Salmonides, Clu- pées, etc. Chez d’autres enfin, la nageoire eaudale est divisée par la colonne vertébrale en deux moitiés égales, comme pour la majorité des autres Poissons; M. Agassiz appelle ces derniers des Poissons homocerques. Les nageoires d’un grand nombre de Ganoïdes se distinguent par l’existence d'espèces de piquants imbriqués comme des tuiles, qui sont implantés sur le premier rayon, et que l’on a appelés fulcres. D’autres genres n’ont pas ces fulcres, et les deux DES POISSONS. 9 genres vivants montrent aussi une différence complète quant à ce caractère : car le Lépidostée est pourvu de fulcres, et le Po- lyptère n’en montre aucune trace. Les fulcres garnissent surtout le premier rayon libre de la nageoire ; mais, dans le cas où les rayons augmentent en longueur, ils passent d’un rayon à l’autre tout le long du bord antérieur de la nageoire en s'appuyant obli- quement l’un sur l’autre. La structure et la position des nageoires est du reste celle des Malacoptérygiens abdominaux. M. Agassiz a pris les caractères de l’ordre des Ganoïdes dans les écailles couvertes d’émail, qui sont en général anguleuses , rhomboïdales ou polygonales. Il énumère , dans son grand ou- vrage sur les Poissons fossiles, les familles suivantes, comme faisant partie de l’ordre : Lépidoïdes, Ag.; Sauroïdes, Ag.; Pycnodontes, Ag.; Célacanthes, Ag.; Sclérodermes, Cuv.; Gymnodontes, Cuv.; Lophobranches , Cuv. ; et il remarque , en outre, qu’il faudrait placer à la fin de l’ordre encore quelques familles de Poissons vivants, tels que les Goniodontes, les Silu- roïdes et les Acipensérides ; M. Agassiz, dans ces derniers temps, compte aussi le Lépidosiren parmi les Ganoïdes. Les familles que l’on établit parmi les Fossiles ne peuvent être caractérisées aussi rigoureusement que celles des animaux vi- vants, à cause de l'insuffisance des ressources que présentent les Fossiles. Les différences-entre les Lépidoïdes et les Sauroïdes sont, à la vérité, très petites : les Lépidoïdes ont des dents en brosse, rangées par séries multiples , ou bien des dents émous- sées ; tandis que celles des Sauroïdes , parmi lesquels on place le Lépidostée et le Polyptère, sont coniques et aiguës , et quelque- fois entremêlées de dents plus fines. La différence dans la forme du corps, qui est plus allongé dans les Sauroïdes, ne parait pas bien essentielle, d’après ce que nous savons sur les familles na- turelles de la création actuelle, par exemple, sur les Scombéroïdes etles Characins. Cette distinction des deux familles fossiles , quoique artificielle, peut être employée avec fruit dès qu'il s’agit de déterminer les espèces ; mais cette distinction devient au con- traire très discutable , du moment où l’on veut en tirer des consé- quences sur l’âge et le développement de ces familles, par exemple 10 MULLER. — SUR LA CLASSIFICATION quand on prétend qu'aucun Lépidoïde ne vit dans l’époque ac- tuelle. Ce qu'il pourrait y avoir de naturel dans la famille des Lépidoïdes est d’ailleurs détruit par le genre Lepidotus , dont les dents s’éloignent beaucoup des caractères assignés à cette famille. Ce genre diffère aussi des autres Lépidoïdes par la présence de vertèbres complétement ossifiées ; il ne se rapproche pas davan- tage des Pycnodontes, qui ont des dents semblables. Les Lépi- dotes paraissent au contraire voisins des Lépidostées, autant par les doubles rangées de fulcres sur les écailles que par les ver- tèbres ossifiées. Les différences entre les Ganoïdes vivants sont seules entière- ment accessibles pour nous; et ici il est important de noter que les deux Sauroïdes encore vivants, le Lépidostée et le Polyptère, diffèrent si complètement entre eux par leur conformation ex- terne et interne, qu’ils méritent plus qu'aucun autre genre fos- sile de servir comme types de familles distinctes. M. Agassiz a très bien senti cette différence en analysant l’ostéologie de ces Pois- sons , et il remarque lui-même qu'il était disposé à les mettre dans deux familles particulières. Maintenant que ces Poissons sont bien connus, on peut dire avec raison qu'il n’y a pas deux Ganoïdes à écailles semblables qui soient plus éloignés l’un de l'autre. Dans la dernière livraison de son-grand ouvragé, et dans les Monographies des Poissons fossiles du vieux grès rouge, M. Agassiz a séparé des Lépidoïdes un certain nombre de genres, pour en former les familles des Céphalaspides, des Acanthodiens et des Sauroïdes diptériens , séparation qui me paraît un véritable progrès. Je crois qu’on ne peut plus conserver de doute sur ce fait, que la grande majorité des Poissons fossiles, décrits et figurés par M. Agassiz comme des Ganoïdes, appartiennent réellement à un même grand ordre avec les Lépidostées et les Polyptères , ordre qui doit être accepté comme équivalent des autres ordres, de celui des Poissons osseux , des Sélaciens et des Cyclostomes ; mais, en revanche, je n’ai jamais pu me convaincre que les autres familles de Poissons vivants , que l’on compte aussi parmi DES POISSONS. il les Ganoïdes; savoir , les Loricarines, les Siluroïdes, les Lopho- branches , les Sclérodermes et les Gymnodontes, appartiennent réellement à cet ordre. M. Agassiz a senti lui-même, en quelque sorte , la différence entre ces familles et les autres Ganoïdes , car il dit: « Les rapports d'organisation qui lient les Lépidoïdes , les Sauroïdes et les Pyc- nodontes, sont plus étroits que les relations qui existent entre ces mêmes familles et les Sclérodermes , les Gymnodontes et les Lo- phobranches (1). » Les Siluroïdes présentent, dans leur anatomie, un accord si par- fait avec les Malacoptérygiens abdominaux qu'on ne peut pas les en séparer ; ils n’ont de commun avec les Ganoïdes vivants que le canal aérien de la vessie natatoire et la position abdominale des nageoires ventrales , caractères qui leur sont aussi communs avec un grand groupe de Poissons osseux, que je nomme Physostomes à cause de leur canal aérien, et auquel appartiennent les Cypri- noïdes, Ésocides, Clupées , Cyprinodontes, Mormyres, Chara- cines , Salmones , Anguillaires , etc. Ce canal manque aux Sclé- rodermes et aux Gymnodontes, comme à beaucoup d’autres Poissons osseux; ces deux familles n’ont pas non plus de na- geoires ventrales abdominales : elles diffèrent ainsi par ces points de tous les Ganoïdes vivants et fossiles. On ne peut limiter exac- tement les Ganoïdes par les caractères connus jusqu'à présent, qu'en y comprenant les Poissons qui ont des écailles émaillées , comme les Lépidostées et les Polyptères ; mais il est impossible de fixer des limites tranchées pour cet ordre, si l’on veut y tenir compte des écussons osseux des Loricaires, des Lophobranches, des Ostracions, de quelques Siluroïdes, comme les Callichthyset les Doras, ainsi que les épines des Diodons. On est alors forcé d’y comprendre aussi les Siluroïdes et Gymnodontes nus, uniquement parce que quelques genres de ces familles sont couverts d’écus- sons ou d’épines , et l’on admet alors la possibilité de familles de Ganoïdes , dont tous les genres sont nus ; ce qui rendrait impos- sible toute espèce de distinction , aussi longtemps que l’on ne con- (1) Poissons fossiles, 11, p. 11 12 MULLER. — SUR LA CLASSIFICATION naîtra pas d’autres caractères essentiels pour les Ganoïdes. Ici se présente une autre difficulté venant des Poissons à carapace os- seuse , qui appartiennent à d’autres ordres , tels que les Péristé- dions , les Ægonus , et autres Lataphractes euirassés, dont les voisins les plus rapprochés sont les Trigles, qui ont des écailles certainement bien éloignées des écailles ganoïdiques. Les écailles de certains Sclérodermes enfin, comme celles des Monacanthes, des Alutères , ont aussi bien peu d’analogie avec celles des Ganoïdes. En laissant tous ces animaux parmi les Ganoïdes, la définition de ces derniers deviendrait tellement embrouillée, qu’il serait impossible de dire ce que c’est qu’un Ganoïde , et il faudrait re- connaître que les caractères de cet ordre sont parfaitement incon- nus, ce qui aurait pour suite le placement plus ou moins arbi- traire de plusieurs familles dans cet ordre. Les résultats capitaux de l’ouvrage de M. Agassiz, qui, sans aucun doute, est le travail ichthyologique le plus important de notre époque, nous sont connus depuis plusieurs années. Ils n’ont été développés et analysés par aucun naturaliste, d’une manière appropriée à leur importance. Wiegmann disait dans son rapport de 1835 (1), que ce système, en se fondant sur une seule particularité de l'organisme, portait plutôt les caractères d’un système artificiel que d’un système naturel, et qu'il était permis de douter que l’anatomie comparée puisse trouver dans les différents ordres une conformité d'organisation telle que le de- mande un système naturel. Mais, en disant cela, M. Wiegmann ne nous fournit aucun fait qui puisse servir à une critique fondée, et il faut avouer que les matériaux, pour une pareille analyse de ces riches résultats ichthyologiques des Poissons fossiles, man- quaient jusqu'à présent. Je me suis imposé comme but essentiel d’une longue recherche anatomique sur les Polyptères, à laquelle j'ai ajouté dernièrement celle du Lépidostée, de trouver les vrais caractères de l'ordre auquel ces Poissons appartiennent. J'ai réussi dans cette entre- prise, et je crois pouvoir prouver définitivement : (1) Archives d'Hist. nat, 1° année, H, p. 258 DES POISSONS. 15 1° Que les Ganoïdes forment un ordre distinct entre les Pois- sons osseux proprement dits et les Sélaciens ; 2% Que l'opinion de M. Agassiz sur le placement des Estur- geons parmi les Ganoïdes est parfaitement fondée ; 3° Que, par contre, les Sclérodermes, Gymnodontes, Lori- caires, Siluroïdes et Lophobranches sont étrangers aux Ganoïdes, et doivent être rangés parmi les autres Poissons osseux ; 4° Qu'il y a des Ganoïdes écaillés et des Ganoïdes nus, dont les familles passent les unes dans les autres sans perdre les vrais caractères des Ganoïdes. Ce n’est pas pour la première fois que l’on traite ici de l’ana- tomie des Lépidostées et des Polyptères. M. Geoffroy-Saint-Hi- laire a décrit les parties molles du Bichir qu’il avait découvert ; lui et M. Agassiz ont donné des détails sur son ostéologie. M. Agassiz a fait connaître les particularités ostéologiques du Lé- pidostée, dont MM. Cuvier, Valentin et Van der Hoeven avaient examiné les autres organes. Mais ces communications, tout en nous donnant des détails très méritoires et des éclaircissements fort précieux sur l’anatomie de ces animaux, ne contiennent pour- tant pas certains faits, qui sont en rapport direct avec la nature des Ganoïdes, leur rapprochement et leur délimitation, et dont je me propose de traiter dans ce Mémoire. Tout ce que nous avons appris jusqu’à présent ne consiste que dans des particularités qui n’appartiennent souvent qu'à un seul genre, et qui manquent à un autre. Les caractères anatomiques des Ganoïdes doivent être pris dans la structure du cœur et des vaisseaux sanguins, dans les organes de la respiration, dans les organes sexuels, dans le cerveau et les organes des sens. Le premier point sur lequel j'appelle l'attention, c’est la struc- ture du cœur ou plutôt du bulbe artériel ou aortique. L'importance systématique de la structure intime du bulbe aortique m'a frappé depuis longtemps. On sait que l’on a trouvé dans le bulbe de tous les Poissons osseux examinés jusqu’à pré- sent, seulement deux valvules opposées l’une à l’autre, et qui sont Al MULLER. — SUR LA CLASSIFICATION placées à la naissance du bulbe aortique, entre ce dernier et le ventricule; les Plagiostomes, les Esturgeons et les Chimères, au contraire, ont plusieurs séries longitudinales de valvules dans l’intérieur du bulbe musculaire. Le nombre des valvules varie dans chaque série, d’après les genres, entre deux et cinq. Les Poissons n’ont pas de valvules du tout à l'endroit où sont placées les deux valvules des Poissons osseux. Les Cyclostomes se distinguent des Poissons cartilagineux su- périeurs autant que des Poissons osseux. Ils ressemblent aux Poissons osseux, en ce qu’ils n’ont que deux valvules opposées, placées à la naissance du tronc aortique ; ils se distinguent des deux ordres par le manque total d’un bulbe aortique musculaire qui constitue ce cœur artériel accessoire. Leur tronc aortique n’est composé que des membranes simples des autres artères (1). Les différences sont tellement constantes dans tous les Poissons osseux et cartilagineux que j’ai examinés, qu’elles dénotent un plan fon- damentalement différent pour les ordres. Je ne connais aucun caractère zoologique ni anatomique qui puisse se comparer à celui-ci, quant à la rigueur absolue. Une différence marquée doit exister sur ce point, si les Ganoïdes sont réellement différents des autres Poissons osseux. En examinant le Polyptère, j'ai été frappé de trouver que ce Poisson différait de tous les autres Poissons osseux par ses val- vules, en se rapprochant des cartilagineux supérieurs, des Estur- geons, Raies, Requins et Chimères, mais tout en montrant des valvules encore plus nombreuses. Il n’y a aucune valvule à la naissance du bulbe, qui est très long chez le Polyptère ; mais il y a, dans l’intérieur, trois séries longitudinales, composées chacune de neuf valvules, dont les supérieures sont les plus grandes et sont réunies par des fils, comme chez les Esturgeons et chez les Pla- ‘giostomes. Entre ces trois séries complètes de grandes valvules (1) Voyez Anatomie comparée des Myxinoïdes, troisième continuation (Mémoires de l’Académie de Berlin, 1839, p. 284).— Voyez aussi sur les différences des val- vules dans les ordres, les familles et les genres, la note que j'ai insérée dans mes Archives d'Anatomie et de Physiologie, 1842, p. 422. DES POISSONS. 15 se trouvent encore trois autres séries longitudinales, dont les val- vules sont moins nombreuses et moins grandes. Les séries incom- plètes sont placées de manière à s’intercaler entre les séries com- plètes, de sorte qu’il y a en vérité six séries longitudinales, qui seraient en tout composées de cinquante-quatre valvules, si toutes étaient développées au même point; mais, par suite du dévelop- pement incomplet des séries complémentaires, on ne trouve que quarante-cinq valvules environ. On pouvait s'attendre que cette particularité se retrouverait aussi chez le Lépidostée qui n’était pas à ma disposition. Je lai examiné dernièrement au Jardin des Plantes à Paris. Le Lépi- dostée osseux a cinq séries de valvules également développées, dont chacune possède huit valvules complètes en forme de poche. Les valvules sont réunies par des fils ; celles de la série transver- sale supérieure sont les plus grandes. Les séries présentent l'as- pect d’une roue de machine hydraulique. Aucun Poisson cartilagineux ne possède autant de valvules que les Ganoïdes nommés ci-dessus. Il n’y en a que douze chez les Esturgeons , et dans les genres de Plagiostomes , où le nom- bre atteint son maximum , chez les genres Raja, Myliobatis , Pteroplalea, Scymnus et Squatina, on n’en voit pas plus de quinze. Nous avons trouvé maintenant un caractère certain qui sépare des Ganoïdes , les Sclérodermes , Gymnodontes , Siluroïdes, Go- niodontes et Lophobranches, en les plaçant parmi les véritables Poissons osseux. Tous ces Poissons , en effet, présentent, d’après mes recherches, une organisation tout-à-fait en accord avec celle des autres osseux ; surtout, et c’est là le point essentiel pour le moment; ils possèdent aussi cette particularité fondamentale de deux valvules placées à la naissance du bulbe aortique. J’ai examiné, parmi les Sclérodermes, les genres Balistes et Ostracions : parmi les Gymnodontes, le genre T'etrodon ; parmi les Siluroïdes, le genre Calophysus M. T., parmi les Goniodontes, les genres Hypostoma et Loricaria; parmi les Lophobranches, le genre Syngnathus. 1 suffira de dire que j'ai examiné des types choisis parmi 35 genres de Poissons osseux, sans trouver une ex- 16 MULLER. —— SUR LA CLASSIFICATION ception, pour prouver que cette structure des valvules est con- stante. Je donne ici un tableau de mes observations avec celles que l’on possédait déjà (1). Ordres. ACANTHOPTERI. ANACANTHINI. PHARYNGOGNATHI Paysosromr. POISSONS OSSEUX A DEUX VALVLLES. Familles, Percoidei. Cataphracti Sparoïdei. Sciænoidei. Squamipennes Scomberoideï. Tænioidei. Theutyes. Labyrinthici Mugiloïdei. Gobioïdei. Blennioideï. Pediculati. Fistulares. Gadoïdei. Ophidini Pleuronectides Labroidei cycloidei. Labroidei ctencidei. Chromides. Scomberesoces Siluroidei. Cyprinoideï. Chæracini Genres. Uranoscopus, Trachinus.* Scorpæna, Trigla * Dentex.* Umbrina. Chætodon. Scomber, Zeus, Xiphias.* Trachypterus.* Naseus.* Ophicephalus.* Mugil. Gobiesox ,* Cyclopterus,* Echeneis ,* Gobius. Zoarces. * Lophius Fistularia. | Gadus. Macrurus.* | Ophidium.* Pleuronectes Scarus.* Pomacentrus.* Chromis.* Belone. Calophysus,* Loricaria,* Hypostoma. Cyprinus Erythrinus * (1) On trouve des observations éparses sur ce point de structure chez quel- ques auteurs anciens, par exemple, chez Collins, sur le Saumon; chez Bartholin, Walbaum, sur l'Espadon Le genre Gadus a été examiné par Cuvier ; les genres Uranoscopus, Scorpæna, Umbrina, Chætodon, Scomber, Zeus, Mugil, Fistularia, Belone, Esox, Muræna, Gobius, Hypostoma, Pleuronectes, Salmo, Cyprinus, par Tiedemann (Anatomie du cœur des Poissons ); le genre Lophius, par Meckel. Les genres que j'ai examinés moi-même sont marqués d'une aslérique. Relativement | a la disposition d'après laquelle les familles ont été placées, je renvoie à la fin du | Mémoire, où je développe le système de classification naturelle des Poissons DES POISSONS. 17 Cyprinodontes. Anableps.* Esoces. Esox. Mormyri. Mormyrops.* Salmones Salmo. Scopelini. Saurus.* Clupeidæ. Arapaima .* Murænoider. Muræna. PLECTOGNATHI Balistini. Balistes. * Ostraciones. Ostracion.* Gymnodontes. Tetrodon.* LoPaoBrANCHI Lophobranchi. Syngnathus.* Les raisons qui doivent nous déterminer à séparer les familles mentionnées des Ganoïdes, comme leur étant étrangères, sont aussi valables pour le Lepidosiren, qui ne ressemble pas plus à un ganoïde par ses valvules aortiques, que par la structure de ses écailles. M. Agassiz a bien dit que ses écailles avaient une couche d’émail; mais elles ressemblent, par leur composition en mosaïque, aux écailles composées des Sudis et des Osteoglossum. Les lignes concentriques saillantes manquent; elles sont simplement réticu- lées et granulées ; mais ces lignes concentriques se transforment aussi insensiblement en granulations et réticulations, sur les écailles des autres Poissons osseux, comme on peut le voir sur le bord libre des écailles des Sudis et des Osteoglossum. Je n’ai pu apercevoir d’émail sur les écailles du Lepidosiren. Je passe à un autre point très important dans l’organisation des Ganoïdes, la structure des organes respiratoires. J’ai prouvé, dans mon Mémoire sur les branchies accessoires et les fausses branchies ou branchioles, que ces dernières, ayant la nature des rete mirabile, se trouvent tout aussi bien chez les Plagiostomes et les Esturgeons que chez les Poissons osseux ; mais qu'aucun Poisson osseux ne possède une véritable branchie acces- soire, placée sur l’opercule, avant le premier arc branchial : con- formation que les Esturgeons seuls ont de commun avec les Pla- giostomes, quoique ces derniers n’aient pas d’opercule. J’ai prouvé , dans le même Mémoire, que les Esturgeons ont, outre cette véritable branchie accessoire et operculaire, une branchiol2 3* série, Zool T IV ‘Juillet 1845.) 2 13 MULLER. — SUR LA CLASSIFICATION placée dans l’évent. Je démontrerai maintenant que cette parti- cularité d’avoir une branchie operculaire respiratoire n’appartient pas aux Esturgeons, parce que ce sont des Esturgeons, mais parce que ce sont des Ganoïdes; car les Ganoïdes en général diffèrent par ce caractère des Poissons osseux en se rapprochant des Poissons cartilagineux. Les rapports étroits des Esturgeons avec les Ganoïdes me sont restés cachés pendant longtemps, et même, après avoir vu les val- vules nombreuses du Polyptère, je ne pouvais croire à cette proxi- mité, comme cela résulte de mon Rapport sur les Poissons fossiles de M. Agassiz de l’année dernière, époque à laquelle je possédais déjà les moyens de séparer des Ganoïdes les Gymnodontes, Sclé- nodermes, Siluroïdes, Goniodontes et Lophobranches; je sépa- rais encore les Esturgeons de ce groupe. Ceci était nécessaire ment fondé dans le développement de mes recherches ichthyolo- giques. J'avais trouvé, en examinant les branchioles , que les Esturgeons se distinguaient de tous les Poissons operculés par la particularité d’avoir une branchie operculaire et respiratoire, particularité qui n’était connue chez aucun autre Poisson operculé à branchie libre, par conséquent aussi chez aucun autre Ganoïde. Cette branchie accessoire manque aussi aux Polyptères, et je n’a- vais jusqu'alors aucune raison suffisante de mettre les Esturgeons parmi les Ganoïdes. On peut encore ajouter que les Spatulaires ne peuvent être séparées des Esturgeons en aucune manière, et que cette famille contraste pourtant singulièrement, par sa nu- dité, d'avec les Ganoïdes, qui sont si fortement écaillés. Mais, après avoir eu l’occasion d'examiner le Lépidostée, et après avoir retrouvé chez lui aussi cette branchie operculaire respira- toire, la place que devaient occuper les Esturgeons fut décidée de suite, et cette particularité devenait une organisation que la na- ture, en la refusant aux Poissons osseux, avait accordée aux Ganoïdes en général. La branchie operculaire se trouve, chez le Lépidostée, à côté d’une branchiole. M. Valentin, en rapportant mes recherches sur les fausses branchies, avait mentionné deux fausses bran- DES POISSONS, 19 chies, une externe et une interne, chez le Lépidostée (1), tandis qu’en réalité, ces organes représentent une branchie respiratoire et une branchiole. Cette distinction entre les deux organes, qui, du reste, sont formés comme dans les Esturgeons , a été établie par l’étude des vaisseaux sanguins. La branchie operculaire du Lépidostée est fort considérable. Elle se joint, par son extrémité supérieure, sous un angle aigu, à la branchiole, qui est de beaucoup plus petite; mais les deux organes se touchent seulement sans se confondre. La direc- tion des feuillets est opposée à l'endroit de la jonction. Le bulbe artériel forme, comme chez les Esturgeons et les Polyptères, un tube très allongé, et la chair musculaire dont il est entouré cesse tout-à-coup à l'endroit où l’artère commence à se diviser. L’ar- tère se divise alors en deux portions, une antérieure et une posté- rieure. La portion postérieure fournit, de chaque côté, deux troncs, dont l’antérieur est l’artère de la branchie du second arc branchial, tandis que le tronc postérieur se divise en deux artères, une pour le troisième et une autre pour le quatrième arc. La por- tion antérieure du tronc artériel s’avance davantage que celle dont je viens de décrire la répartition ; puis elle donne les artères du premier arc, et se continue après, considérablement diminuée, en avant dans la ligne médiane, jusqu’au-delà des branchies des arcs branchiaux. Après avoir fait ainsi un trajet d’un demi-pouce, cette artère impaire et médiane se divise en une branche droite et gauche, qui, en suivant la face interne de la membrane bran- chiostège, pénètrent entre la muqueuse et la couche musculaire de cette membrane jusqu’à l’opercule et à la branchie opercu- laire. La membrane branchiostège du Lépidostée se continue lar- gement à travers la ligne médiane, d’un côté à l’autre, avec une couche épaisse de fibres musculaires. La branche de l'artère branchiale qui longe le premier arc fournit, chez les Esturgeons , l'artère de la branchie opercu- laire (2). La branchie operculaire des Ganoïdes recoit donc du sang vei- (1) Répertoire d' Anatomie et de Physiologie, 1831, p. 137. (2) Voyez Analomie comparée des Myrinoïdes, troisième continuation. 20 MULLER. — SUR LA CLASSIFICATION neux, comme les autres branchies, et provenant de l'artère bran- chiale commune. L’artère de la branchiole offre justement une disposition in- verse; elle ne naît point de l'artère branchiale, elle appartient au système des artères du corps; elle conduit donc du sang artériel vers la branchiole, qui ainsi est fort différente d’un organe respi- ratoire. Cette artère est, chez le Lépidostée, comme chez les au- tres Poissons, une continuation du rameau operculaire de cette branche qui nourrit les os et les muscles de l’opercule. Elle se montre exactement à la même place sur la face interne de l’oper- cule, chez le Lépidostée, comme chez les Poissons osseux. Je n’ai pas suivi, faute de matériaux, sa naissance de la première veine branchiale, que j'ai démontrée dans les autres Poissons ; mais je ne doute pas qu'il n’en soit de même. Les Esturgeons s’éloignent de tous les Poissons osseux par la particularité que leur fausse branchie est un rete mirabile carotique pour l’œil et le cerveau, tandis que ce rete n’est qu’ophthalmi- que chez tous les osseux. On peut supposer, par des raisons tirées des faits précédents, qu'il en est de même chez le Lépidostée. L'existence d’une branchie operculaire respiratoire est incom- patible avec la nature d’un Poisson osseux : c’est un caractère des Ganoïdes, mais pas un caractère nécessaire. Je ne trouve pas de branchies operculaires chez les Spatulaires nues (Planirostra edentulis Rat.), qui pourtant sont si voisines des Esturgeons ; je leur trouve seulement une branchiole semblable, quant à la posi- tion, à celle des Esturgeons, et cachée dans l’évent. Les Po- lyptères se comportent d’une manière analogue, vis-à-vis des Lépidostées ; ils n’ont pas de branchies operculaires, tout comme les Spatulaires, mais aussi la branchiole manque, car je ne puis en trouver aucune trace dans l’évent, qui seul est resté. La branchiole varie de même chez les Plagiostomes. Je ne l’ai pas trouvée dans l’évent, chez plusieurs genres, comme chez les Seymans, où je l’avais pourtant vue pendant la vie embryon- naire (1). Il en est de même de l’évent. Il appartient peut-être (1) Anatomie comparée des Myxinoïdes, troisième continuation (Mémoires de l'Académie de Berlin, 1840, p. 252). , DES POISSONS. 91 à tous les embryons des Plagiostomes, mais il manque aux genres Carcharias et Sphyrna à l'âge adulte. Les mêmes rapports se ré- pètent chez les Ganoïdes. Les Esturgeons ont des évents ; les Sca- phirhynques, qui sont si voisins des Esturgeons, n’ont pas d’évents, qui, au contraire, se trouvent chez les Planirostres, où ils sont réduits à une petite ouverture à distance égale entre l’œil et le coin de la bouche. On sait que les Polyptères ont des évents, et que ces ouvertures manquent aux Lépidostées. On trouve donc, chez les Ganoïdes, quant à l’existence de la branchie operculaire, de la branchiole et de l’évent, presque toutes les combinaisons logiquement possibles. 1. Branchie operculaire , branchiole , et évent. Esrurceox. 2. Branchie operculaire, branchiole, sans évent. . LÉPIDOSTÉE. 3. Branchie operculaire, sans branchiole et sans évent ScAPHIRHYNQUE. 4. Point de branchie opereulaire, branchiole, et évent. . PLanIROSTRE. 5. Point de branchie operculaire, point de branchiole, un Évenbeuuné ie sauts giples . Lover Posrerèee La présence des évents n’est donc pas un caractère absolu des Ganoïdes, puisque le Lépidostée n’en possède pas; mais la né- gation de ce caractère est absolue pour les Poissons osseux pro- prement dits. Les évents des Polyptères présentaient un fait inex- plicable, tant que l’on considérait ce Poisson comme un Poisson osseux. Maintenant qu’il est prouvé que les Esturgeons et les Spatu- laires sont ses plus proches parents, les rapports sont changés, et nous devons expliquer pourquoi ces ouvertures, qui paraissent si particulières à l’organisation des Ganoïdes, peuvent manquer au Lépidostée. Je crois qu’ils existent chez lui à l’état fætal, comme chez les embryons des Requins, auxquels ils manquent à l’âge adulte (Carcharias). La vessie natatoire existe chez tous les Ganoïdes vivants, même chez les Esturgeons et les Polyodons; elle a un conduit aérien, comme dans les Malacoptérygiens abdominaux, ou plutôt dans les Physostomes, elle n’a point de rete mirabile. Les organes sexuels des Ganoïdes présentent des particularités 32 MULLER. — SUR LA CLASSIFICATION remarquables. La description des organes sexuels du Polyptère, dans l’ouvrage sur l'Égypte, est incomplète, en partie même inexacte; la fig. 7, pl. 3, donne les corps graisseux des organes digestifs pour les testicules. Les ovaires des Polyptères sont fixés chacun à un mésentère en avant des reins. Ils forment une longue bande sans cavité interne et sans autre issue que dans la cavité abdominale , comme c’est le cas chez les Plagiostomes, les Esturgeons, les Gyclostomes et quelques Poissons osseux , tels que les Salmones et les Anguilles. Les œufs sont conduits hors de la cavité abdominale par de véri- tables oviductes, ce qui éloigne le Polyptère entièrement de tous les Poissons osseux, et même de ceux que je viens de nommer, et qui n’ont qu’une ouverture abdominale sans oviducte. Il se rapproche, au contraire, des Poissons à oviductes séparés. tels que les Plagiostomes, les Esturgeons et les Lépidosirens. La forme des oviductes ressemble davantage à celle des Esturgeons. Les oviductes du Polyptère sont situés devant les uretères, qui sont larges et longs ; ces deux organes sont réunis par un tissu cellulaire. Les oviductes s’ouvrent dans la cavité abdominale par une large fente transversale , située à quelques pouces de l’anus. Cette ouverture se trouve près du mésentère de l'ovaire , en de- hors de son extrémité inférieure. L’oviducte et l’uretère continuent séparément leur chemin jusque près du pore urogénital commun, situé derrière l’anus. L’air soufflé dans ce dernier remplit ordinai- rement les uretères, quelquefois aussi les oviductes. En soufflant dans l’ouverture abdominale de l’oviducte, on fait sortir l'air par le pore urogénital. La..position et la forme de l’orifice abdominal de fa trompe sont les mêmes chez les Esturgeons: mais le tube n’est que très court, parce qu’il s'ouvre bientôt dans l’uretère, très élargi, qui sert en même temps d’oviducte. On trouve, chez les Esturgeons mâles, les mêmes entonnoirs s’ouvrant dans l’uretère. M. Baër (1) a fait remarquer le premier ce fait intéressant chez les Esturgeons mâles ; M. Ratkke (2) l’a confirmé pour les femelles. Je rencontre main- (1) Rapport sur l'Institut anatomique de Kænigsberg, 1819, p. 40. (2) Sur l'intestin et les organes génitaux des Poissons, 1824, p.124 DES POISSONS. 23 tenant une circonstance que ces deux auteurs n’ont point indi- quée. L’entonnoir qui va à l’uretère se montre dans la cavité de ce dernier en cul-de-sac; chez plusieurs grands Esturgeons, mâles et femelles, ces culs-de-sac sont fermés complétement ; ni l'air ni le mercure ne peuvent y pénétrer. Il n’y a pas de méprise pos- sible, puisqu'il s’agit d’un cul-de-sac du diamètre d’un petit doigt. Dans un autre cas, que j'ai sous les yeux, et qui concerne un très grand Esturgeon mâle, les entonnoirs s'ouvrent des deux côtés dans les uretères. Je les trouve disposés de la même manière sur un Scaphirhynchus Rafineskii Heck. femelle. Il paraît résulter de là que les entonnoirs abdominaux ne s'ouvrent qu'à de certaines époques, mais restent fermés en d’autres temps. Une grande fe- melle avec des entonnoirs fermés, qui fut prise en été dans l’Oder, n'avait dans l’ovaire que des ovules fort petits, visibles seule- ment à la loupe (1). Les Esturgeons ont aussi de chaque côté de l’anus un pore ab- dominal, qui manque au Polyptère , ainsi que la communication du péricarde avec la cavité abdominale. L'ouverture de l’anus et le pore abdominal se trouvent, du reste, placés l’un derrière l’autre, comme chez les Poissons osseux , et diffèrent , par consé- quent, du cloaque des Plagiostomes. Les Ganoïdes se rapprochent des Plagiostomes par la struc- ture de l'intestin , en ce que les Esturgeons , les Poliodons et les Polyptères ont une valvule spirale de l'intestin. Aucun Poisson os- seux ne possède cette structure, qui, du reste, n’est pas com- mune à tous les Ganoïdes, car personne ne l’a indiquée chez le Lépidostée. L’intestin du Polyptère est formé sur le même plan que celui des Plagiostomes. Le tube, qui se continue latérale- ment depuis le sac de l’estomac, va jusqu’à l'intestin valvulé, et le pylore ne se trouve qu’à cet endroit. Le tube n’est donc point (1) On ne sait pas encore comment le sperme des Esturgeons est conduit au dehors. Rathke croit avoir vu des vaisseaux transverses entre le testicule et l'é- pididyme de Hausen (Accipenser huso). Le testicule est composé, en tout cas, de canaux séminifères et non pas de vésicules, comme on peut le voir à la loupe; mais ces canaux sont tellement entremélés, que je n'ai pu voir ni leur arrange- ment ni leur terminaison 2} MULLER. — SUR LA CLASSIFICATION l'intestin, comme l’a appelé M. Geoffroy -Saint-Hilaire, mais plutôt la branche montante de l'estomac, la partie pylorique. Un espace lisse sans valvules se trouve, chez les Plagiostomes, entre le pylore et le commencement de la valvule : c’est la bursa en- tiana, qui recoit le canal cholédoque , le canal pancréatique, et, dans le fœtus, le canal intestino-vitellaire. On peut la comparer à une partie de l'intestin, au duodénum. Les Plagiostomes n'au- raient donc de tout l'intestin grêle que cette partie, si l’on voulait considérer l'intestin à valvule comme le gros intestin. Ceci est absurde ; il faut plutôt considérer tout l'intestin valvulé comme intestin grêle, et l'extrémité sans valvule, le rectum, est seul l’analogue du gros intestin. L’intestin des Poissons osseux est de même séparé, non pas en intestin grêle et gros intestin, mais en intestin grêle et rectum. L’intestin des Ganoïdes est une preuve en faveur de cette manière de voir. Le Polyptère n’a presque plus de bursa entiana ; la valvule naîtsur le bord même du pylore. L’intestin s’élargit au-dessus de cet endroit en un appendice en cul-de-sac: l’appendice pylorique et le canal cholédoque débouchent dans le voisinage du pylore. M. Geoffroy-Saint-Hilaire n'aurait pu pren- dre la partie pylorique de l’estomac pour l'intestin, s'il avait connu ou cherché le pylore. Les Esturgeons se distinguent du Polyptère seulement par la forme de l’estomac et par l'allongement de l’espace entre la val- vule et le pylore, en une anse intestinale tout entière, l’anse du duodénum. L’estomac n’a pas de cul-de-sac; il se recourbe sans délimitation marquée dans la partie pylorique, qui est terminée, après un bourrelet musculaire, par le pylore. Vient ensuite l’anse duodénale, qui recoit, derrière le pylore, les embouchures des appendices pyloriques, du canal cholédoque et du pancréas glan- duleux, découvert par Alessandrini. Cette anse duodénale forme à son extrémité encore une valvule, du bord de laquelle naît la valvule spirale. Les Raies forment le passage des Esturgeons au Polyptère; leur bursa entiana s’allonge vers le pylore en un canal en forme de cornue, dans le col de laquelle s’ouvre le pylore. Le cerveau, chez les Ganoïdes, a quelque chose de particulier ; DES POISSONS. 95 il se distingue de celui des Poissons osseux et des Plagiostomes ; celui de lEsturgeon est connu par le Mémoire de M. Stannius. Voici la description succincte du cerveau du Polyptère. Il res- semble au cerveau de l’Esturgeon. 11 est composé, en arrière, d’une moelle allongée très longue, ayant un grand sinus rhom- boïdal, du cervelet et des lobes optiques, relativement très petits , dont la cavité se continue par une ouverture supérieure dans le lobe du troisième ventricule. Viennent ensuite les hémisphères très grands et profondément divisés , au-dessous desquels le cer- veau se continue dans les lobes olfactifs et leurs nerfs. Les nerfs optiques ne sont pas croisés comme ceux des Poissons osseux ; ils ne passent pas librement l’un par-dessus l’autre, mais ils sont réunis en un chiasma, comme dans l’Esturgeon. Le crâne du Po- lyptère a encore sous la cuirasse osseuse une forte masse cartila- gineuse, qui enferme en partie l'organe de l’ouïe, de manière que ce dernier est caché davantage que chez les Poissons osseux, ce qui rappelle aussi les Esturgeons. Les Ganoïdes se rapprochent , par la structure des organes des sens, en partie des Plagiostomes, en partie des Poissons osseux. Ils ont, comme les Esturgeons, des narines doubles, qui manquent aux Plagiostomes. Il paraît que le processus falciformis et la glande choroïdéale manquent au Polyptère. La peau des ganoïdes peut être couverte par des écailles émail- lées rhomboïdales ou arrondies; elle peut porter des écussons : elle peut être entièrement nue. Les Spatulaires sont des Estur- geons nus; leurs intestins, leur colonne vertébrale sont les mêmes, et l’on peut trouver, chez les Esturgeons, le passage entre ces différents modes de structure dermale. Les écussons osseux sont placés, chez les Esturgeons proprement dits, en séries longitudi- nales très écartées ; chez les Scaphirhynques, la partie postérieure du corps est uniformément couverte de plaques ganoïdiques. Les Esturgeons ont des écailles complètes sur les côtés de la queue. A cela s'ajoutent les fulcres du bout de la nageoire caudale, qui sont les mêmes que ceux des Paléonisques ; des Acrolépis, etc. En voyant la queue d’un Esturgeon séparée , tout le monde la prendrait pour celle d’un Ganoïde hétérocerque. 26 MULLER. — SUR LA CLASSIFICATION En résumé , les seuls vrais Ganoïdes du monde vivant seraient les genres Lépidostée, Polyptère, Esturgeon, Scaphirhynque et Spatulaire. Outre son intérêt immédiat, ce résultat est remar- quable en ce qu’il ramène aux mêmes Poissons, auxquels Cu- vier comparait les Paléonisques, en 1824. Ce grand natura- liste n'avait pas en réalité l’idée de comprendre dans un seul groupe les Paléonisques du Zechstein avec les Esturgeons, les Polyptères et les Lépidostées ; on peut prouver, au contraire, que cette idée était bien loin de sa pensée, puisqu'il mettait en- core, en 1898 , dans la nouvelle édition de son Règne animal , les Esturgeons dans l’ordre des Poissons cartilagineux , et les Sau- roïdes parmi les Malacoptérygiens abdominaux dans la famille des Clupes. L'opinion qu’il exprimait très clairement était, au con- traire, que les Paléonisques devaient se réunir aux Sauroïdes vi- vants ou bien aux Esturgeons, mais que la décision définitive restait encore pendante. Il inclinait vers l’opinion, plus claire- ment formulée depuis par M. Valenciennes, que les Paléonisques et les Diplerus appartenaient avec le Lépidostée aux Malacopté- rygiens abdominaux. Les caractères des Ganoïdes sont donc les suivants : ces Pois- sons sont couverts d’écailles émaillées , rhomboïdales ou rondes, de plaques osseuses ou d’une peau nue ; leurs nageoires sont sou- vent, mais non toujours, bordées le long du bord antérieur par une rangée simple ou double de plaques en forme de piquants ( fulcres) ; leur nageoire postérieure recoit quelquefois dans son lambeau supérieur l'extrémité de la colonne vertébrale, qui peut se continuer jusque vers son extrémité ; leurs narines doubles ressemblent à celles des Poissons osseux ; leurs branchies sont libres , et sont situées dans une cavité branchiale sous un oper- cule. Plusieurs ont un organe respiratoire accessoire , une bran- chie operculaire, qu’il faut distinguer de la fausse branchie, et qui peut se trouver communément avec cette dernière. Plusieurs ont des évents comme les Plagiostomes ; ils ont des valvules dans le bulbe aortique comme ces derniers; leurs œufs sont conduits hors de la cavité abdominale par des oviductes ; leurs nerfs optiques pe se croisent pas : leur intestin a souvent une valvule spirale ; ils DES POISSONS. 27 ont une vessie natatoire avec un canal aérien, comme plusieurs Poissons osseux ; leur squelette est osseux ou cartilagineux en partie ; les nageoires ventrales sont abdominales, En tenant compte des caractères qui ne manquent jamais, et qui paraissent absolus, les Ganoïdes comprendraient tous les Pois- sons à valvules multiples du bulbe aortique , sans croisement des nerfs opliques, à branchies libres, couvertes d’un opercule, et à nageoires abdominales. La peau et les écailles ne peuvent entrer dans cette définition; je regarde le caractère des nageoires ab- dominales comme n'étant pas absolu. Il n’y a que peu de Poissons fossiles, bien certainement osseux, qui aient été compris , par M. Agassiz, parmi ces Ganoïdes, Les Acanthodermes et les Pleuracanthes , les Diodons, Ostracions et Calomostomes , sont des Poissons osseux sans aucun doute : les derniers sont des Lophobranches; les autres, des Plectognathes. Les genres Blochius, Dercetis et Rhinellus , parmi les Fossiles, ne montrent que peu ou point de ressemblance avec les Scléro- dermes, dans lesquels on les a placés, et l’on peut se demander s’il faut les laisser parmi les Ganoïdes. Les Blochius ont, d’a- près M. Agassiz, des écailles rhomboïdales émaillées ; mais la position de leurs ventrales près des pectorales rend leur emplace- ment fort suspect. Les écailles rhomboïdales seules ne peuvent donner des caractères sûrs, quoique les Balistes en aient sans être des Ganoïdes. L'existence de l'émail sur de petites écailles ne guide sûrement que dans le cas où les autres caractères ne sont pas contraires à la nature ganoïdique , car on donne aussi de l’é- mail aux Balistes, ce que je ne puis admettre. La connaissance exacte des nageoires ventrales, chez les Blochius, importerait donc beaucoup. Les plaques osseuses des Dercetis et des Rhinel- lus ne sufliraient pas pour les regarder comme Ganoïdes. De pareilles plaques se trouvent chez beaucoup de Poissons osseux ; quelquefois même, comme dans l’Espadon, seulement dans le jeune âge. Mais la solution de cette question, à savoir, siles Blochius, Der- celis, Rhinellus, sont des Ganoïdes ou non, ne peut avoir la moindre influence sur les conséquences géologiques, non plus que l’élimi- 28 MULLER. — SUR LA CLASSIFICATION nation des faux Ganoïdes , des Plectognathes et Lophobranches ; car il s’agit dans tout cela de Poissons plus récents que la forma- tion jurassique ; les rapports des Poissons avec les âges des for- mations , que l’on avait adoptés jusqu’à présent , ne se trouvent donc point changés ; et l'opinion émise par M. Agassiz, savoir, que tous les Poissons qui, avant la formation de la craie, n’ap- partiennent pas aux Placoïdes , sont des Ganoïdes, demeure iné- branlée : cette loi reste donc comme prouvée approximativement. L'état de conservation des Fossiles nous fait bien désirer encore quelques preuves de détails ; mais, je le répète, nos recherches ne changent que les rapports des Ganoïdes , depuis la formation de la craie, en restreignant encore davantage leur nombre par l'élimination de quelques familles étrangères. Nous pouvons nous assurer par l’anatomie si un poisson vivant est Ganoïde ou non. Mais quels sont les caractères qui doivent nous guider pour la détermination des Fossiles ? Ce sont d’abord des écailles émaillées , rhomboïdales, articulées entre elles par des prolongements, posées en séries obliques; des fulcres sur le bord d’une ou de plusieurs nageoires, l’hétérocercie chez un Pois- son à opercule, ayant des rayons mous et des nageoires ventrales abdominales. Les fulcres sur les bords des nageoires me parais- sent décisifs, quelle que soit la forme des écailles, ce caractère ne se trouvant chez aucun autre Poisson. L’hétérocercie complète d’un Poisson qui a un opercule et des os à la tête est aussi dé- cisive , car elle ne se trouve que chez les Plagiostomes. Les fulcres sont très répandus ; ils peuvent quelquefois se perdre : je les trouve évidemment une fois parmi plusieurs exemplaires, chez un grand Pachycormus macropterus des schistes liasiques, sur les bords de la dorsale et de l’anale , tandis qu’ils manquent sur la caudale de tous les exemplaires. Mais il paraît que les fulcres manquent complétement à plusieurs genres, et les Po- lyptères et les Polyodons fournissent une preuve irrécusable de la réalité et de la possibilité de cette structure. L'état cartilagineux de la corde avec des apophyses osseuses est un caractère remar- quable , quoique la colonne vertébrale des Ganoïdes soit souvent totalement ossifiée, La forme rhomboïdale des écailles sans véri- DES POISSONS. 29 table émail, sans articulation , sans fulcre sur le bord des na- geoires, sans hétérocercie , combinée avec une colonne vertébrale ossifiée et une position anormale des ventrales, me paraît très suspecte , comme les Balistes le prouvent; des écailles articulées paraissent exclure toute espèce de doute, quand même d’autres caractères manquent, témoin les Gyrodus. M. Agassiz n'indique pas, il est vrai, chez plusieurs Ganoïdes, les preuves de leur véritable nature; mais une étude suivie de son ouvrage nous donne une grande confiance en son expérience sur ce point. Nous ne nous alarmons pas des Célacanthes, qui figurent parmi les Ganoïdes, malgré leurs écailles arrondies et imbriquées, en voyant que seulement les apophyses de leurs vertèbres , et non la partie centrale, sont ossifiées, comme cela est évident dans le genre Undina. L'âge d’une formation peut aussi servir pour pla- cer un Poisson parmi les Ganoïdes , quoiqu'il puisse y avoir, dans ce cas, pétition de principe. La substance osseuse des écailles du Lépidostée et du Polyptère montre sous le microscope les mêmes corpuscules osseux radiés , qui se trouvent aussi dans les plaques osseuses d’autres Poissons qui n’appartiennent pas aux Ganoïdes. Mais les corpuscules ne se rencontrent pas ordinairement dans les écailles des Poissons osseux ordinaires; quelquefois seulement , dans des écailles fort grandes , on trouve une couche inférieure de corpuscules osseux , comme dans les écailles des Sudis, qui, d’ailleurs, ne se distin- guent pas de celles d’autres Poissons. Dans les genres Megalurus et Leptolepis du Jura supérieur (calcaire lithographique) , les écailles sont arrondies , imbriquées , et dépourvues de corpuscules osseux, et nous sommes réduits ici à l’existence d’une couche d’émail et à l’âge de la formation. Je trouve sur ces écailles au moyen du microscope même les lignes concentriques, comme sur les écailles des Poissons osseux, mais couvertes par une couche mince et transparente d’émail , de manière que les lignes ne lais- sent pas même d’'empreinte sur la pierre. Je suis incertain sur la position que doivent prendre ces Poissons. Il n’y a pas de doute qu’il n’y ait eu des Ganoïdes fossiles nus, puisqu'on en trouve parmi les vivants ; mais les premiers ne 30 MULLER. — SUR LA CLASSIFICATION pourraient se reconnaître que par leurs aflinités avec d’autres genres, et par l’état de la colonne vertébrale. ‘état cartilagineax seul de la partie centrale de la colonne dorsale ne peut encore déterminer sûrement la place d’un Ganoïde, puisque le Lepidosiren , qui n’est pas Ganoïde, nous fournit une classe de Poissons écaillés à corde dorsale. J'arrive maintenant au classement systématique des Ganoïdes. Il faut ici reconnaître d’abord qu'ils forment un des grands groupes de la classe des Poissons, que l’on peut appeler sous- classe ou ordre, et qu'ils sont plus qu’une simple famille. On pouvait être incertain sur cette différence de famille ou d'ordre aussi longtemps que l’on ne connaissait pas les particularités ana- tomiques des Ganoïdes, et que j'ai exposées plus haut, En élimi- nant les Lophobranches, les Gymnodontes et les Sclérodermes, on devait trouver que les autres Ganoïdes s’accordaient avec les Malacoptérygiens abdominaux par un canal aérien de la vessie natatoire, par la position des nageoires et la nature molle des rayons. C’est à cause de ces ressemblances que je laissai les Lé- pidostées et Polyptères, comme famille à part, dans le même ordre où Cuvier les avait placés, c’est-à-dire parmi les Malacopté- rygiens abdominaux. Les connaissances actuelles ne permettent plus de maintenir cette classification. Il est prouvé que ces Pois- sons diffèrent fondamentalement des Poissons osseux. On ne peut pas les réunir non plus aux Sélaciens, tout en les rapprochant de quelques uns des Poissons cartilagineux. Ils forment un ordre à part. La place de cet ordre se trouve entre les Poissons osseux et les Plagiostomes, parce qu'ils présentent combinés les caractères propres aux Plagiostomes ou aux osseux seulement. Ils ont de commun avec les derniers les branchies libres, l’opercule, le nez; avec les premiers la branchie accessoire, les évents, les valvules, les vaisseaux de la fausse branchie, les oviductes et la manière d’être des nerfs optiques. On peut accorder que quelques uns de ces animaux se rappro- chent des Reptiles dans tel ou tel point de leur organisation; mais je n'ai jamais pu voir qu'ils s’en rapprochent davantage que les autres Poissons, et qu'ils forment le passage vers les Sauriens. Je DES POISSONS. ol trouve seulement des combinaisons de caractères de Poissons os- seux et de Plagiostomes dans une autre forme toute particulière. La duplicité du vomer dans le Lépidostée (Agassiz) et la réunion des vertèbres du même Poisson par des cavités et des têtes glénoï- dales (Blainville) sont, en tout cas, uniques dans les Poissons, et ce sont des détails d'organisation qui se trouvent seulement dans les Reptiles. Ceux-ci, au contraire, fournissent aussi beaucoup d'exemples de vertèbres creusées en doubles cônes, comme les Ichthyosaures, Plésiosaures, etc., et'les Sirénoïdes, Protéides, Dérotrètes et Cécilies. La composition de la mâchoire inférieure par autant de pièces que dans les Reptiles, s’observe dans le Lépidostée (Geoffroy-Saint-Hilaire), ne se répète pas dans le Polyptère, et se voit aussi dans un Poisson osseux déterminé, l'Osteoglossum (1). La réception des apophyses vertébrales dans les creux des corps des vertèbres, chez les Lepidotus, est prise par M. Agassiz pour une particularité, d’ailleurs seulement connue dans les Placoïdes , et rappelant l’Ichthyosaure; cette insertion manquerait, d’après lui, dans les Cycloïdes et les Cténoïdes, Je dois faire remarquer ici qu’elle est très visible dans plusieurs fa- milles de Poissons osseux, surtout les Cyprins, les Salmones, les Troces, etc. (2). Les seuls Poissons qui se rapprochent décidé- ment des Reptiles sont ceux qui ont des branchies et des poumons joints à des narines perforées. Les Lépidosirens sont aux Pois- sons ce que les Protéides sont aux Amphibiens (3). On trouve tou- (1) L'Ostéoglossum étant un véritable Ganoïde , comme je le prouverai plus tard, toute cette démonstration de M. Müller tombe nécessairement , et prouve au contraire que les Gancïdes sont réellement les seuls Poissons qui aient des rapports avec les Reptiles par leur ostéologie. (Note du traducteur.) (2) Cette disposition des apophyses chez beaucoup de Poissons était inconnue a M. Agassiz, lorsqu'il traitait des Lépidoïdes. Il l’a exposée plus tard avec dé. tail (Poissons fossiles, vol. 1, p. 96.) (Note du traducteur.) (3) Le Mémoire récent de M. Peters ( Archives de Müller, 1845) me paraît prouver jusqu'à l'évidence que le Lépidosiren est réellement un reptile, et non un poisson, comme le veut M. Müller. En effet, il est impossible de placer parmi les Poissons un être ayant des branchies externes à l'état adulte, des pou- mons recevant du sang veineux et respirant de l'air par le moyen de narines percées. M. Müller, en discutant la valeur systématique des narines percées, a 32 MULLER. — SUR LA CLASSIFICATION jours des aflinités particulières aussi dans d’autres ordres ; les Plagiostomes , par exemple, s'accordent le plus avec les autres Vertébrés, surtout les Reptiles, et s’éloignent des Poissons osseux par leurs oviductes et leurs épididymes. On réduit les Ganoïdes en éliminant les Lophobranches, Gym- nodontes, Sclérodermes, Goniodontes et Siluroïdes, peut-être de la moitié ; mais le nom de l’ordre doit rester pour les autres, non seulement parce que cette fraction contient encore la grande ma- jorité des Poissons fossiles, les familles éliminées n’étant que peu représentées parmi les fossiles, mais aussi à cause des droits que M. Agassiz a conquis par l'établissement de l’ordre et la des- cription des fossiles ; droits si justes et si considérables, que le nom de ce naturaliste restera lié pour toujours à l’histoire des Ganoïdes. On peut diviser les Ganoïdes vivants le plus naturellement de la manière suivante : fait valoir le palais percé des Myxines; mais je ferai remarquer que le sac nasal des Myxines est un sac simple, qui ne peut pas se comparer aux cavités nasales cloisonnées des animaux supérieurs, dont le but est de donner passage à l'air servant à la respiration. Le palais percé des Myxines se rapporte donc à un tout autre ordre de faits que les narines percées du Lépidosiren Les branchies ex- ternes ne se sont trouvées. dans la classe des Poissons, que chez les embryons des Plagiostomes ; nulle part dans un poisson adulte. Enfin, toute la déperdition suc- cessive des branchies respiratoires chez quelques Poissons n'a pas encore amené de sang veineux vers la vessie natatoire , et le Lépidosiren doit rester parmi les Reptiles, jusqu'à ce qu'on montre un poisson qui respire réellement par la vessie natatoire ; ce qui revient à dire, chez lequel il existe un véritable poumon. Quant au seul caractère exclusif, d'après lequel M Müller place le Lépidosiren parmi les Poissons, savoir, l'existence de pièces apophysaires inférieures portant des côtes dans la région dorsale seulement (car les Protéides en ont dans la région cau- dale), je crois qu'il ne faut pas accorder trop d'importance à ce caractère. Nous voyons des vertèbres en doubles cônes, d'ailleurs seulement propres aux Pois- sons, dans les Sirénoïdes et une foule de Reptiles fossiles, sans placer pour cela ces êtres parmi les Poissons : est-il étonnant que dans le batracien le plus poisson de tous (le Lépidosiren), la colonne vertébrale se rapproche encore davantage de celle des Poissons? (Note du traducteur.) DES POISSONS, 39 I. Hoosrer Première famille. Lepidosteini. Genre Lepidosteus. Deuxième — Polypterini. — Polypterus. IT. Caoxprosrer. Troisième — Acipenserini. — Acipenser, Scaphirhynchus. Quatrième — Spatularie. — Polyodon, Lacép. Planirostra, Raf. Les premiers ont une épine dorsale osseuse; chez les derniers, le squelette est en partie cartilagineux, et les corps des vertèbres sont remplacés par une corde molle, Il y a donc entre ces deux groupes les mêmes rapports qu'entre les Plagiostomes et les Chi- mères, parmi les Sélaciens. 11 y a tant de différences, tant externes qu'internes, entre le Lépidostée et le Polyptère, qu’on ne peut les laisser réunis dans la même famille. Lépidostée. L’os maxillaire supérieur est composé d’un grand nombre de pièces. Le vomer est double. La mâchoire inférieure a autant de pièces que chez les Reptiles. Les vertèbres sont ar- ticulées par facettes et têtes glénoïdales (1). Les narines, contenant des plis muqueux simples, sont situées à l'extrémité d’un museau très allongé. Il y a une branchie operculaire respiratoire et une branchiole, mais point d’évent. Les branchies des quatre der- niers arcs sont complètes, c’est-à-dire à doubles rangées de feuillets ; il se trouve encore une fente entre le dernier arc et l’arc pharyngien, comme d’ordinaire chez les Poissons osseux. La membrane branchiostège passe d’un côté à l’autre sans incision ; elle contient trois rayons. Le bord antérieur de toutes les na- geoires est gardé par deux rangées de fulcres. Les rayons des nageoires sont tous articulés. La caudale est coupée obliquement : ses rayons sont insérés en partie sur l’extrémité de l’épine dor- sale, en partie en dessous. L’estomac n’a point de cul-de-sac; il y a beaucoup de petits cæcums autour du pylore (2), mais point de (1) L'ostéologie des Lépidoptères a été parfaitement traitée par M. Agassiz (Poissons fossiles, 1. II). (2) M. Valentin dit : « Les! appendices pyloriques se trouvent à la limite qui 3° série, Zout. T. IV. (Juillet 1845.) 3 3h MULLER. — SUR LA CLASSIFICATION valvule spirale dans l’intestin. La vessie natatoire est celluleuse. Elle contient des trames musculaires entre les cellules (1), et s'ouvre par une fente longitudinale dans la paroi supérieure de l’œæsophage. Les trames musculaires ne sont pas cause de la struc- ture celluleuse , comme on l’a prétendu; je trouve plutôt que la disposition des trames est motivée par la structure des parois. Les fibres musculaires des trames qui se trouvent entre les aires cellulaires finissent complétement à une certaine limite, et les aires intermédiaires n’ont plus de couches musculaires sur leurs mailles (2). On peut très bien observer cette terminaison des fais- ceaux musculaires sur les trames, qui en sont couvertes. L’exis- tence des vessies natatoires celluleuses, sans trames musculaires, dans d’autres Poissons, démontre aussi la vérité de ce que nous avançons; telles sont la vessie des Erythrinus, celle de quelques Siluroïdes et de l'ÆAmia calva, que j'ai examiné dernièrement. Polyptère. L’os maxillaire n’est pas séparé en pièces ; le vomer est simple; la mâchoire a le nombre de pièces ordinaires, et le crâne en général diffère fort peu de celui des autres Poissons. Il y a des cartilages labiaux sur les coins de la bouche qui portent les lèvres supérieures et inférieures. Les vertèbres sont creusées en doubles cônes (3). La branchie operculaire manque; la fausse branchie de même ; il n’y à qu’un évent de chaque côté, couvert par une soupape osseuse. La quatrième branchie n’a qu’une sim- ple rangée de feuillets; les os pharyngiens inférieurs et la fente entre l’arc pharyngien et le dernier arc branchial manquent. Ea membrane branchiostège est fendue au milieu; il se trouve, au lieu de rayons branchiostèges, une seule plaque osseuse de cha- sépare le duodénum et l'inteslin grêle. » (Répert., 1840, p. 393 ) Il prend ici le tube pylorique de l'estomac pour le duodénum. (1) Voyez Valentin, Répert., 1840, p. 392. — Van der Hœven, dans les Ar- chives de Müller, 4841, p. 221. (2) On avait enlevé les organes abdominaux dans l'exemplaire du Musée de Paris que j'ai examiné; mais un pelit reste de la vessie natatoire conservé suffi- sait pour l'examen de ces cellules. (3) Voyez, sur l'ostéologie du Polyptère, Geoffroy-Saint-Hilaire, Description de l'Égypte. — Agassiz, L. €, Il, 2, p. 32. — Müller, Archives, 4843, p ccxL (Rapport annuel) DÉS POISSONS, 39 que côté. Une rangée de nageoires séparées se trouve sur le dos, Chacune de ces nageoires est composée d’une épine et de rayons articulés fixés sur cette épine à son bord postérieur; formation dont on ne trouve pas d'autre exemple parmi les Ganoïdes. La caudale arrondie et l’anale sont composées de rayons mous, Ceux de la caudale sont posés tout aussi bien au-dessus qu'au-dessous de l’épine dorsale. Les fulcres des bords antérieurs des nageoires manquent. Les pectorales se distinguent par leur prolongement écaillé en forme de bras et par leur face postérieure, qui, entre les rayons, est couverte de très petites écailles. Les ventrales ont, outre les rayons, des os métatarsiens. L’os hyoïde a trois parties ; le corps, qui recoit les arcs branchiaux, est grand et simple. Au- dessous de l’hyoïde, à l'endroit où, dans d’autres Poissons, est placé l’os impair, qui forme la carène hyoïdale, se trouvent dans le Polyptère, deux os, un de chaque côté, qui sont fixés entre les pièces moyenne et inférieure des cornes de l’hyoïde. Les os sont attachés par des ligaments à une pièce interne qui les réunit à la ceinture thoracique. Le nez est plus compliqué que dans aucun autre Poisson. Un labyrinthe composé de trois canaux membra-- neux se trouve dans une grande cavité, couverte d’en haut par les véritables naseaux. Les canaux sont placés parallèlement au- tour d’un axe, et forment ainsi une étoile allongée en forme de prisme. Chacun de ces canaux montre, à l’intérieur, les plisse- ments en forme de branchies, que l’on trouve aussi dans les ca- -vités nasales des autres Poissons. L'ouverture nasale antérieure est allongée en un tube membraneux ; la postérieure se trouve dans une petite fente située devant l'œil. L’estomac forme un cul- de-sac; le pylore a un cœcum; la valvule spirale de lintestin commence au pylore. La vessie natatoire est double ; elle est com- posée de deux sacs inégaux, qui se réunissent en avant dans une cavité commune très courte. Cette cavité s'ouvre, comme je l’ai montré ailleurs, non pas dans la paroi dorsale, mais bien à la face ventrale de l’œsophage, par une fente longitudinale, exactc- ment comme un poumon. Mais ces organes ne peuvent être consi- dérés comme des poumons, parce qu’ils recoivent du sang arté- riel, comme toutes les autres parties du corps. Leur artère est 36 MULLER. — SUR LA CLASSIFICATION une branche de la dernière veine branchiale, qui se sépare au milieu du tronc pour se porter vers le sac natatoire de son côté. Les veines de la vessie natatoire se réunissent, comme les autres veines du corps, à la veine hépatique. Les sacs ne sont pas cellu- leux et couverts par une couche musculaire continue. Le second groupe des Ganoïdes embrasse les Sturiones à épine dorsale, incomplétement ossifiée. [ls ont été réunis par Artédi, Gessner et Cuvier, avec les Cyclostomes et les Plagiostomes, en un seul grand ordre, celui des Chondroptérygiens. La différence qui tient à l’ossification plus ou moins complète du squelette n’est que d’une très petite valeur, lorsqu'il s’agit de l’ordre des Ganoïdes en général. Gela résulte des Ganoïdes fos- siles de M. Agassiz; mais cette différence me paraît importante pour la distribution des Ganoïdes mêmes. Elle l’est aussi pour les Sélaciens; car les Requins et les Raies, qui ont des vertèbres sé- parées, forment une branche très différente aussi. sous d’autres rapports, quoique inséparables, comme Sélaciens, des Chimères, qui n’ont qu'une corde dorsale. J’ai mentionné, dans mon Mé- moire sur les vertèbres des Plagiostomes (1), à côté des Raies à épine dorsale ossifiée, d’autres Sélaciens, où cette épine est molle et cartilagineuse. Malgré cet état cartilagineux, les corps des vertèbres sont encore séparés dans ces derniers cas; ces Re- quins n’ont pas de corde. Celle-ci, au contraire , se trouve réel- lement dans les Chimères. Les Esturgeons et les Spatulaires se distinguent par la peau, qui est nue chez ces dernières, par la formation de la bouche, des mâchoires et de l’opercule (2). La branchie operculaire manque aussi aux Spatulaires ; leurs parties internes sont les mêmes. Les ganoïdes fossiles ont plus d’analogie, quant aux écailles, avec les Holostés vivants qu'avec les Esturgeons, tandis que les deux formes d’ossification complète ou incomplète de l’épine dor- sale se retrouvent chez eux; il est difficile de les ranger avec les vivants, parce que l’on est forcé de mêler aux résultats sûrs, tirés de l’anatomie des vivants, les caractères en partie vraisemblables (1) Agassiz, Poissons fossiles, &. III (2) Voyez Ostéologie comparée des Myxinoïdes DES POISSONS. 37 des fossiles. On trouve dans les Lépidoïdes et les Sauroïdes de M. Agassiz une quantité de formes qui se rapprochent de celle du Lépidostée par une colonne vertébrale entièrement ossifiée, par des nageoires à doubles rangées de fulcres, etc. Mais je ne connais aucune analogie pour le Polyptère, de sorte qu’il paraît le seul type de la famille. Les Célacanthes, les Pycnodontes et les fa- milles des Céphalaspides, des Acanthoïdiens, des Diptériens, fa- milles nouvellement fondées par M. Agassiz, me paraissent très bonnes; sauf peut-être le placement des Cheirolépis parmi les Acanthoïdiens , dont ils se distinguent par le manque de piquants et par l'existence de fulcres. La séparation des Lépidoïdes et des Sauroïdes me paraît, au contraire, artificielle. 11 y a plusieurs genres dans ces familles qui ont des aflinités réelles, et que l’on pourrait séparer comme groupes à part. M. Agassiz lui-même a dernièrement pris l’ini- tiative, sous ce rapport, en séparant des Lépidoïdes les Acanthoï- diens, les Céphalaspides et les Diptériens. Mais je ne saurais réel- lement pas comment distinguer des Sauroïdes les Lépidoïdes qui restent. 11 me paraît que les Ganoïdes d’une même famille doi- vent se ressembler par l’état de la partie centrale de leur épine dorsale. Les Ganoïdes fossiles qui manquent toujours de fulcres me paraissent aussi devoir former un groupe tout comme ceux qui en ont constamment. La nature des fulcres même donne , pour ces derniers, des caractères assez importants pour la classification. Voici ce que j’ai appris à ce sujet en examinant des exemplaires très bien conservés. Les fulcres qui recouvrent le bord du lambeau supérieur de la caudale forment toujours une rangée impaire jusqu’à l’extré- mité, ainsi que cela se voit dans les Esturgeons, les Paléonis- ques, les Acrolépis. L'existence de fulcres sur le bord supérieur de la caudale d’un Ganoïde hétérocerque n’implique pas la né- cessité de leur existence sur les autres nageoires, ni même sur le bord inférieur de la caudale. Les fulcres d’un bord supérieur dépourvu de rayons ne sont, en général, que des écailles ; ce ne sont point des fulcres appartenant aux rayons des nageoires, et 38 MULLER. — SUR LA CLASSIFICATION c’est à cause de cette différence qu’un Ganoïde hétérocerque, qui a, sur le bord supérieur de la caudale, des fulcres simples, peut avoir, sur le bord inférieur de la même nageoire, une double rangée de fulcres, ainsi que je le vois chez les Paléonisques et les Acrolépis (4. asper). Il y a des genres de Ganoïdes fossiles chez lesquels les bords antérieurs des nageoires sont couverts d’une simple rangée de fulcres; ce sont alors des fulcres à base double ayant une pointe simple. Le genre Dapedius appartient probablement à ce groupe; M. Agassiz parle d’une rangée de pièces pointues le long des deux bords de la caudale, chez le Dapedius punctatus (p. 194). Je vois une simple rangée de fulcres sur les bords supérieur et infé- rieur de la caudale des T'etragonolepis et des Ptycholepis. D’après la figure donnée par M. Agassiz du T'etragonolepis confluens (1), ce genre a aussi des fulcres simples sur la pectorale, Les Pho- lidophorus enfin paraissent avoir la même structure. D’autres genres de Ganoïdes ont les bords antérieurs des na- geoires couverts d’une double rangée de fulcres, tout comme nous le voyons parmi les Poissons vivants, chez le Lépidostée. Ce sont, par exemple, les Lepidotus et les Caturus. La figure du Lepidotus Mantelli, dans l’ouvrage de M. Agassiz (2), dé- montre déjà ce fait pour la pectorale des Lepidotus; je vois les doubles rangées aussi sur toutes les autres nageoires, notamment sur les deux bords de la caudale. Je vois sur une grande espèce de Caturus provenant du lias de Boll (probablement le C. Meyeri de Münster), queiques fulcres forts et impairs sur le commen- cement de la caudale, qui se continuent de suite, en deux ran- gées, sur toute la longueur de la nageoire, Je remarque, en outre, ces doubles rangées sur les nageoires fulcrées du Pachycormus macropterus Ag., c’est-à-dire sur la caudale et l’anale, Les Se- mionotus ont aussi des doubles rangées de fulcres (pectorale) ; ces différences donnent des indices de divergences plus com- plètes, et, en effet, on ne peut rien voir de plus différent qu'une caudale à simple rangée de fulcres en piquants, comme celle des (1) Poissons fossiles. vol. 11, pl 23", fig 1 (2) /d., vol. IF, pl 30 DES POISSONS. 99 Ptycholepis et des T'etragonolepis, et celle des Lépidostées et des Lépidotes à double rangée. Les doubles rangées de fulcres se trou- vent combinées, dans le genre Pachycormus , avec une corde dor- sale non ossifiée ; dans les Lépidostées, et probablement aussi dans les Lépidotes, avec une épine dorsale complétement ossifiée. D’après M. Agassiz (1), le genre Lepidotus a des vertèbres com- plétement ossifiées, et diffère ainsi des autres Lépidoïdes, auxquels manquent les corps de vertèbres, suivant le même auteur. Tous les Ganoïdes fossiles ne sont pas hétérocerques, quoique ces derniers forment la grande majorité. Il est, en vérité, très re- marquable que ceux des Lépidoïdes et des Sauroïdes Ag. qui se trouvent avant la formation jurassique soient hétérocerques, comme le démontre M. Agassiz; mais cela est plutôt la consé- quence du système, et ce résultat se trouve troublé dès qu’on considère les Cælacanthus et les Undina, qui maintenant se trou- vent hors de ces familles. L’hétérocercie passe d’ailleurs anato- miquement, d’une manière insensible, à l’homocercie. Beaucoup de Ganoïdes ne portent aucun rayon au-dessus de l'extrémité de la colonne vertébrale. Chez l’esturgeon, au contraire, des rayons articulés, absolument semblables à ceux du reste de la nageoire, viennent s'ajouter aux derniers fulcres en piquants, qui forment le bord de la caudale, et l'extrémité de la corde dorsale se trouve ainsi surmontée de rayons mous. Le lambeau supérieur, se ré- trécissant de plus en plus, passe ainsi insensiblement dans une queue homocerque sans limite rigoureuse. L'hétérocercie des Pla- giostomes se perd de la même manière. En examinant un Requin hétérocerque, on trouve, au-dessous de la peau, des rayons for- més de fils cartilagineux qui bordent la colonne dorsale d’en haut, et qui ressemblent entièrement aux rayons qui se trouvent en dessous. Il s’agit maintenant d'examiner comment il faut coordonner les autres Poissons vivants en groupes, ordres et sous-classes. Cuvier, en examinant ce point dans le dernier chapitre du pre- mier volume de l’Hist. nat. des Poissons, arrive à la conclusion, (1) Poissons fossiles, vol. TH, pl. 295, fig. 12 40 MULLER. — SUR LA CLASSIFICATION que l'établissement de familles parmi les Poissons offre peu de difficultés; mais que, pour disposer ces genres et ces familles avec quelque ordre, il aurait été nécessaire de saisir un petit nombre de caractères importants, d’où il résultât quelques grandes divisions, qui, sans rompre les rapports naturels, fussent assez précises pour ne laisser aucun doute sur la place de chaque Pois- son; c’est à quoi l’on n’est point encore parvenu d’une manière suffisamment détaillée. Je crois que nos connaissances sont main- tenant arrivées à ce degré d’exactitude, et j’essaierai maintenant de développer les caractères internes et externes des grands groupes des Poissons, en donnant des distinctions nettes et pré- cises, Le groupe des Chondroptérygiens, tel qu’il a été concu par Artédi, confirmé par Granov, et adopté par Cuvier, se montre d’abord comme une réunion peu naturelle des familles les plus divergentes, puisqu'on y trouve ensemble les Esturgeons, les Chimères, les Plagiostomes et les Cyclostomes. Personne ne peut douter que les Poissons les plus organisés, qui par conséquent se rapprochent le plus des reptiles, soient réunis, dans cet ordre, aux plus inférieurs, aux Cyclostomes, tandis que le grand ordre des Poissons osseux n’embrasse que des Poissons relativement peu différents. Pallas et Agassiz ont bien séparé une famille de ces Poissons, les Esturgeons, d’avec les autres. Le premier (Zoogr. Rosso- asiat.) a mis les Esturgeons dans l’ordre des Poissons à opercule et à branchies libres, qu’il appelle Branchiata, et auxquels il op- pose les Spiraculata , comprenant tout le reste des cartilagineux, nos Plagiostomes, Chimères et Cyclostomes. M. Agassiz, en distri- buant les Poissons dans ses quatre ordres, Cténoïdes , Cycloïdes, Ganoïdes et Placoïdes, a placé les Esturgeons très judicieusement parmi les Ganoïdes, et les autres, qui lui restaient comme Pla- coïdes, sont les mêmes que les Spiraculés de Pallas. La classifi- cation de M. Agassiz contient des éléments neufs et très impor- tants pour le développement du système naturel, quoique les Cténoïdes et les Cycloïdes ne puissent point être maintenus. Les Ganoïdes restent en cédant une partie de leurs Poissons aux os- DES POISSONS. Ml seux. Mais les Spiraculés de Pallas, les Placoïdes d’Agassiz ont toujours le même inconvénient de réunir les Poissons les plus complets et les plus incomplets, qui offrent les différences anato- miques les plus grandes. Les Plagiostomes ou Sélaciens d’Aristote, les Raies et les Re- quins forment un groupe très particulier, différent de tous les autres Poissons par leur crâne sans division, auquel sont atta- chées des mächoires. Ils se distinguent en outre par cette mo- saïque fine et caractéristique de pièces osseuses en pavés qui couvre tous les cartilages, et qui ne se retrouve nulle part dans les Poissons; par leurs branchies fixes, avec spiracules des cavités branchiales ; par le manque de l’opercule ; par leurs organes gé- nitaux : les mâles ayant des organes externes particuliers et des épididymes, les femelles des oviductes réunis au-dessus du foie en un seul orifice abdominal, et des glandes caractéristiques aux oviductes. Les seuls Poissons qui leur soient parents sont les Chi- mères, qui possèdent une autre espèce d’écorce osseuse autour des cartilages, et la même organisation des organes génitaux ex- ternes et internes, mâles et femelles; conformité qui s’étend même jusqu’à la coque de l’œuf. Les Cyclostomes ressemblent aux Plagiostomes uniquement par le crâne cartilagineux indivis et par les spiracules: ils s’en éloi- gnent complétement, sous tous les rapports, par le manque entier des arcs branchiaux, des mâchoires, par leurs organes sexuels sans oviductes et sans canaux spermatiques , par l’absence totale de couches musculaires sur le bulbe de l’aorte, et par leurs deux valvules aortiques. J Le prince de Canino a bien saisi cette différence des Requins, Raies et Chimères, en en faisant une sous-classe sous le nom de Elasmobranches, et en fondant une autre sous-classe, celle des Marsipobranches , pour les Cyclostomes. J’applaudis à cette ma- nière de faire, mais je n’adopte pas les autres sous-classes du prince, les Lophobranches et Pomatobranches (ces derniers com- prenant les ordres des Sclérodermes, Gymnodontes, Esturgeons, Ganoïdes, Cténoïdes, Cycloïdes); arrangement qui n’est plus con- forme à l’état actuel de nos connaissances. 12 MULLER. — SUR LA CLASSIFICATION En adoptant la sous-classe des Marsipobranches ou Cyclos- tomes, je n°y comprends point l’Amphioxus. Les recherches com- muniquées à l’Académie de Berlin me font conclure qu’il ne peut être placé dans aucune sous-classe ou ordre, quoiqu'il se rap- proche le plus des Cyclostomes par l’absence des mâächoires et par la structure du squelette. Les raisons qui me guident sont la muscularité de tout le système vasculaire, sans cœur particulier, ce qui est un caractère unique parmi les vertébrés; la position des branchies dans la cavité abdominale avec un pore respira- toire ; l'absence d’une différence entre le cerveau et la moelle; la réduction du foie sur un cœcum intestinal, et le mouvement ci- liaire répandu sur toutes les muqueuses. Il est le type d’une sous- classe à part, que je nomme Leplocardes. Une autre sous-classe des Poissons est formée par les Poissons écaillés ayant des branchies, des poumons et des narines perfo- rées , Dipnoi Müll., dont le type est le Lépidosiren. Les valvules du bulbe aortique musculaire sont longitudinales et spirales. L’in- testin a une valvule spirale, comme dans les Plagiostomes, les Ganoïdes et quelques Cyclostomes. Les oviductes sont ouverts dans la cavité adominale. Il y a une corde dorsale à apophyses osseuses implantées dessus. En déduisant ces quatre sous-classes des Poissons, il nous en reste encore deux autres, les Ganoïdes et les véritables osseux qui, ayant des opercules et des branchies libres, diffèrent entre eux par la structure des valvules du cœur. Je nomme tous les osseux parfaits à deux valvules aortiques les T'eleostei. Nous aurions donc six sous-classes à caractères fixes et sûrs, tels que Cuvier les dé- sirait, 1. Teleostei, Müll. 3. Elasmobranchii, Bonap., seu Selachii. 2. Dipnoi, Müll. 5. Marsipobranchii, Bon. seu Cyclostomi. 3. Ganoidei, Agass. Müll 6. Leptocardü, Müll. Je mets les Ganoïdes et les Sélaciens au milieu ; ces premiers forment le passage aux Dipnoïques et aux Téléostiens, les Sélaciens aux Gyclostomes et aux Leptocardes. - J'établis six ordres dans les Téléostiens: DES POISSONS. 43 1. Acanthopteri, Müll. 4. Physostomi, Müll. 2. Anacanthini, id. 5. Plectognathi, Cuv. 6. 3. Pharyngognathi, id. Lophobranchii, id. Je ne comprends parmi les Acanthoptériens que ceux des Acanthoptérygiens de Guvier qui ont des os pharyngiens doubles ; j'élimine donc les Labroïdes et leurs congénères. La grande ma- jorité de ces Poissons a les ventrales sous les pectorales. Leur vessie natatoire, quand elle existe, n’a pas de canal aérien. Jai établi les familles suivantes : Percoïdes, Cuv. Scombéroïdes, Cuv. Cataphractes, id. Squammipennes, id. Sparoïdes, id. (incl. Ménides). Tænioïdes, id. Sciénoïdes, Cuv. Gobioïdes, Mull. (incl. Cycloptères). (1) Labyrinthiques, id. Blennioïdes, Müll. Mugiloïdes, id. Pédiculés, Cuv. Notacanthes, Müll. (Notacanthus, Rhyn- Theuthyes, Cuv. chobdella, Mastacemblus ) Fistulaires, id. La famille des Notacanthes comprend des Acanthoptériens à ventrales abdominales ou sans ventrales, ayant beaucoup d’épines dorsales indépendantes de la nageoire dorsale, et dont la ceinture dorsale est suspendue, comme dans les Anguilles, derrière la tête à l’épine dorsale. Je la vois ainsi chez les genres Notacanthe et Mastacemble; on doit encore examiner si le genre Tetragonure appartient à cette famille. Les Anacanthins sont des Poissons qui ont la même structure que les Acanthoptériens, dont la vessie natatoire manque aussi de canal aérien , mais qui n’ont que des rayons mous. Leurs ven- trales sont jugulaires ou pectorales, quand elles existent. Le sous- ordre est composé en partie des Malacoptérygiens subbrachiens et des Malacoptérygiens apodes de Cuvier. Familles : Gadoïdes, Ophidines, Pleuronectes. (1) Voyez mon Mémoire sur les familles naturelles des Poissons { Archives de Wiegmann, IX, 1, p. 295) h4 MULLER. — SUR LA CLASSIFICATION Les Pharyngognathes (1) comprennent des Acanthoptérygiens et des Malacoptérygiens à pharyngiens inférieurs réunis. Leurs ventrales sont abdominales ou pectorales ; leur vessie natatoire est fermée, sans canal aérien. Familles : Labroïdes cycloïdes, Mull. ; Labroïdes cténoïdes, id. ; Chromides, id. ; Scomberésoces, id. Les Physostomes sont composés de Malacoptérygiens, qui ont des ventrales nulles ou abdominales, et dont la vessie natatoire a toujours un canal aérien. On peut les diviser en deux sous-ordres qui répondent en général aux Malacoptérygiens abdominaux et apodes de Cuvier. Familles des PHYSOSTOMES ABDOMINAUX. Siluroïdes, Cuv. Galaxias, Mull. Cyprinoïdes, Agass. Salmones, id. Characins, Mull. Scopélins, Müll. Cyprinodontes, Ag Clupéides, Cuv. Mormyres, Cuv. Hétéropygiens, Tellkampf (Amblyopsis). Esoces, Mull. PHYsOSroMEs APODES Où ANGUILLAIRES Murénoïdes, Mull. Gymnotes, Müll. Symbranches, id. Je distingue, dans la famille des Siluroïdes , les véritables Si- lures et les Goniodontes Ag. ou Loricaires, comme deux groupes distincts. La famille des Cyprinodontes Ag. ou Pæcilies Val., que j'ai caractérisée dans un autre endroit, comprend seulement des Poissons à bouche protractile, et bordée uniquement par l’in- termaxillaire. Le genre Umbra Cramer (Cyprinodon umbra Cuv., Umbra Crameri Nob.) n'appartient pas, avec le genre Cyprino- don, à la famille des Pæcilies. Ce genre a des dents, non seulement dans l’intermaxillaire, mais aussi dans le vomer et les palatins ; la bouche est bordée, en avant par l’intermaxillaire, en dehors par le maxillaire supérieur, comme chez les Ésoces, dont il se (4) L.e. p. 305 DES POISSONS. 15 rapproche aussi par l'estomac sans cœcum, par l'intestin et par les fausses branchies recouvertes. La famille des Ésoces est formée maintenant uniquement par les genres Ésox et Umbra. Grâce à l'obligeance de M. Valenciennes, j'ai pu continuer mes études sur les Ésoces de Cuvier. Je suis incertain sur les Salanx, . l’exemplaire original de Muséum de Paris étant trop mal conservé. Le Microstome du Muséum a la bouche bordée, en avant, par les intermaxillaires, derrière lesquels s’avancent les maxillaires, pour border la bouche en dehors. Une nageoire adipeuse ne se trouve certainement pas sur cet exemplaire, qui a de fausses branchies en peigne, et dont on à tiré la figure du règne animal. Les Mi- crostomes de Risso et de Reinhardt sont des genres voisins qui s'accordent avec le nôtre et avec l'Argentine, en ce que tous ces Poissons ont des dents seulement au vomer , et pas aux inter- maxillaires; ils diffèrent par la nageoire adipeuse. Mais le genre Argentine a six rayons branchiostèges, au lieu de trois. Il faudra encore examiner les ovaires des Microstomes pour savoir si ces Poissons n’appartiennent pas plutôt aux Salmones. Les Galaxias (Mesites de Jenyns), mis par Cuvier parmi les Ésoces, ont été examinés dernièrement par moi. L’exemplaire parisien du Galaæias alepidotus a sept rayons branchiostèges ; une autre espèce très petite, que nous avons reçue de M. Pœppig, n’en a que six. La bouche non protractile de ces animaux est bordée, en avant, par l’intermaxillaire, derrière lequel s’avance le maxillaire, pour border la bouche en dehors, tout comme dans les Microstomes. Je trouve que les œufs de ces Poissons tombent dans la cavité abdominale et sont conduits au dehors par des ou- vertures abdominales, comme dans les Salmones Müll., dont ils se distinguent pourtant par la structure des mâchoires et l’ab- sence de la nageoire adipeuse. Il faut, en tout cas, séparer les Galaxias d'avec les Ésoces : j'en fais pour le moment une famille nouvelle, en me réservant de les réunir aux Salmones aussitôt que des genres nouveaux ou mieux connus de ce groupe nécessiteront cette réunion (1). (1) La stracture des ovaires et la présence ou l'absence d'oviductes forment un h6 MULLER. — SUR LA CLASSIFICATION Je ne distingue plus les Glupésoces, que je séparais encore des Clupes, dans mon Mémoire sur les familles naturelles des Pois- sons. Cette distinction était fondée sur l’absence des fausses bran- chies chez les Clupésoces. Mais j'ai appris, par des espèces du genre Megalops recues par les soins de MM. R. Schomburgk et Peters, que les fausses branchies sont si petites dans ce genre, qu’elles disparaissent presque entièrement. Dès l’été dernier, j’ex- primais déjà mes doutes sur la validité de cette famille au prince de Canino. J'ai recu depuis le genre Gnathobolus, et j'ai dû voir que ce genre, si voisin des Notoptères, en diffère par la présence de fausses branchies en forme de peignes. Il est donc certain qu’il faut abandonner les Clupésoces, et les réunir aux Clupes, où ils ne forment pas même un groupe à part. Les Clupes se composent donc des genres suivants : Clupea, Pristigaster, Alepocephalus, Gnathobolus , Notopterus, Engraulis, Thryssa , Amia, Megalops, Elops, Lutodeira, Hyodon, Butirinus, Chiro- centrus, Stomias , Chauliodus, Heterotis, Arapaima, Osteoglos- sum. J'ai examiné à Paris, depuis ma dernière communication, les genres Amia et Chauliodus : ils n’ont point de fausses bran- chies. Il ne faut compter parmi les Anguillaires que de véritables Anguilles à canal aérien, et en séparer les Ophidines, pour les met- tre avec les 4nacanthins ; mais il faut encore distinguer dans ce groupe les Murénoïdes, les Symbranches et les Gymnotes. Le sperme et les œufs tombent, chez les premiers, dans la cavité caractère très important, qui ne permet pas d'exceptions. M. Rathke prétend, il est vrai, que le Cobitis tænia se distingue des autres espèces du même genre, en ce que ses œufs tombent dans la cavité ventrale, et sont conduits au dehors par des ouvertures abdominales ; exception inexplicable si elle était vraie. Mes recherches sur l’Acanthopsis tænia et sur d'autres espèces d'Acanthopsis m'ont appris que cette assertion de M. Rathke repose sur une erreur. L'espace derrière l'intestin et l'ovaire, que l'on a pris pour un espace abdominal, n’est autre chose que le sac de l'ovaire, qui est attaché aux parois abdominales; la plaque formée par l'ovaire n'est que la paroi antérieure de ce sac. Cette structure est mise hors de doute par la comparaison avec les Cobitis fossilis , où les sacs ovariens, bien que doubles encore, sont déjà attachés en grande partie aux parois abdomi- nales. DES POISSONS. h7 abdominale pour sortir par des ouvertures, comme chez les Sal- mones et les Cyclostomes. Je trouve, au contraire, dans les Sym- branches (Symbranchus, Monopterus) et chez les Gymnotes (Gym- notus, Canapus, Sternarchus), des canaux déférents et des ovaires en boyau, se continuant dans des oviductes. On peut, d’ailleurs, distinguer facilement les Physostomes anguillaires par la structure des mâchoires. Les Murénoïdes ont la bouche, dans toute sa lon- gueur, bordée uniquement par l’intermaxillaire ; le maxillaire avorté est caché dans les chairs. Ces Poissons n’ont point d’appen- dices pyloriques , mais un cœcum stomacal. L’intermaxillaire , dans les Symbranches, borde aussi la bouche jusque vers le coin postérieur ; mais le maxillaire, qui est aussi grand que lui, l’ac- compagne dans toute sa longueur. Les Symbranches n’ont ni ap- pendices pyloriques ni cæcums; l'intestin, tout droit, est accom- pagné par le foie jusque vers son extrémité. Chez les Gymnotes (Gymnotus, Canapus, Sternarchus, etc.), la bouche est bordée, en avant par les intermaxillaires, en arrière par les maxillaires. Ils ont des appendices pyloriques. L’anus est situé sous la gorge. La classification des Physostomes a maintenant des bases s0- lides; les familles des Acanthoptériens, au contraire, offrent en- core beaucoup de distinctions artificielles, celles de Cuvier étant restées intactes en grande partie. Plectognathi Cuv. Quoique la réunion immobile du maxillaire et de l’intermaxillaire dans cet ordre ne soit rien moins que constant et se trouve aussi dans d’autres Poissons (Serrasalmo, etc.), les Plectognathes ont pourtant bien des caractères communs dans leur peau, dont les écailles, aspérités, plaques et piquants diffèrent en- tièrement des écailles ordinaires. Ici les familles : Balistes, Ostraciontes, Gymnodontes. Les Lophobranches forment le dernier ordre des Téléostiens. Ils ne diffèrent en rien d’essentiel des autres osseux. Les Sélaciens se divisent en deux ordres , Plagiostomes et Holo- céphales ; mais il faut séparer de nouveau les Plagiostomes en deux sous-ordres , les Raïes et les Requins. Les Raies se distin- guent des Requins par la ceinture thoracique complète et annu - h8 MULLER. — SUR LA CLASSIFICATION laire, qui s'étend jusque sous la peau du dos, par les ouvertures branchiales fendues vers le bas, par la perte ou l’adhésion des paupières, par la réunion de la pectorale avec la tête, par les car- tilages des nageoires céphaliques et par la fusion des vertèbres de la partie antérieure de l'épine en un seul cartilage sans division , caractère qui est commun à toutes les Raies, et qui se trouve aussi dans les Pristis, tandis que les Pristiophores, qui sont de véri- tables Requins à scie, sont aussi des Requins sous ce rapport. Familles des Requins. Scyllia. Cestraciontes Alopecie. Spinaces. Nyctitantes. Rhinodontes. Scymnoïidei. Lamnoïidei. Notidani. Squatine. Il n’y a plus rien à ajouter aux familles des Raies, telles qu’elles ont été adoptées dans la classification des Plagiostomes, sauf que le genre Platyrhina appartient aux Raies ovipares , par con- séquent à la famille des Rajæ. TABLEAU MÉTHODIQUE DES FAMILLES DES POISSONS. CLASSIS, PISCES. SUBCLASSIS I. DIPNOI. , ORDO I. SIRENOIDEI. Fawicra 4. Sirenoidei. SUBCLASSIS II. TELEOSTEIT, ORDO I. ACANTHOPTERI. Famitæ 1. Percoidei. 2. Cataphracti. 3. Sparoidei. 4. Siænoidei. 5. Labyrinthiformes, 6. Mugiloidei. 7. Notacanthini. 8. Scomberoïdei. 9. Squammipennes 10. Tænioidei. 11. Gobioidei DES POISSONS. h9 12. Blennioidei 13. Pediculati. 14. Theuties. 15. Fistulares. ORDO II. ANACANTHINI. Fawuræ 1. Gadoidei. 2. Ophidini. 3. Pleuronectides, ORDO IIL. PHARYNGOGNATHI. SUBORDO I. PHARYNGOGNATHI ACANTHOPTERYGII. Famræ A. Labroidei cycloidei, 2. Labroïdei ctenoider. 3. Chromides. SUBORDO II. PHARYNGOGNATHI MALACOPTERYGIT, Famire 4. Scomberesoces. ORDO IV. PHYSOSTOMI. SUBORDO I. PHYsOSTOMI ABDOMINALES. Fawzræ 1. Siluroidei. . Cyprinoidei. . Characini. . Cyprinodontes - Mormyri. . Esoces. . Galaxiæ. . Salmones. Scopelini. Clupeidæ. . Heteropygi. = © © © 1 oo # w ND = — SUBORDO Il. PHYSOSTOMI APODES. Fawztæ 12. Murænoidei. 13. Gymnotini. 14. Symbranchii. ORDO V. PLECTOGNATHI. Fawiuræ 1. Balistini. 2. Ostraciones. 3. Gymnodontes. ORDO VI. LOPHOBRANCHIT. Fauuiæ 1. Lophobranchi. 3° série. Zoo. T. IV. (Juillet 1845.) 4 50 MULLER. — SUR LA CLASSIFICATION SUBCLASSIS III. GANOIDEI. ORDO I. HOLOSTEI. Fawuæ À. Lepidosteini. 2. Polypterini ORDO IT. CHONPROSTEI. Fawiiæ 1. Acipenserini. 2. Spatulariæ. SUBCLASSIS IV. ELASMOBRANCHII S. SELACHII. ORDO I. PLAGIOSTOMI. SUBORDO I. squauinæ. Famiræ 1. Scyllia 2. Nyctitantes 3 Lamnoidei. 4. Alopeciæ. >. Cestraciones. Rhinodontes Notidani Spinaces Scymnoidei 10. Squatinæ eS © a SUBORDO If. rain, Fauiite 14. Squatinorajæ 12. Torpedines 13. Rajæ. 14. Trygones. 15. Myliobatides. | 16. Cephalopteræ ORDO IT. HOLOCEPHALI. Faux 1. Chimæræ SURBCLASSIS V. MARSIPOBRANCHIT $S, CYCLOSTOMI, ORDO I. HYPEROARTII. Famizræ 1. Petromyzonini ORDO II. HYPEROTRETI. Fawicræ 1. Myxinoidei SUBCLASSIS VI. LEPTOCARDII. ORDO I. AMPHIOXINI. Fauictx 1 Amphioxini DES POISSONS, 51 APPENDICE, J'ajoute encore quelques remarques physiologiques sur la dif- férence virtuelle du bulbe aortique des Plagiostomes el des Ga- noïdes d’un côté, et des Poissons osseux de l’autre. J'ai traité, dans le Mémoire précédent, du bulbe aortique mus- culaire des Plagiostomes et des Ganoïdes d’un côté, et de celui des Poissons osseux comme d’organes équivalents, en me tenant uniquement à la différence des valvules , ce qui est suffisant pour le point de vue zoologique. Des recherches anatomiques et phy- siologiques conduisent à cette conclusion, que le bulbe des Pois- sons osseux n’a pas la moindre ressemblance avec celui des Ga- noïdes et des Sélaciens : celui-ci est un véritable cœur, destiné à battre comme le vestibule et l'oreillette, avec lesquels il partage la même structure. Le bulbe aortique des Poissons osseux, au contraire, n’est pas une succursale du cœur actif; il ne bat pas comme le cœur : c’est uniquement le commencement épaissi d’une artère , dans lequel la couche fibreuse se gonfle d’une manière extraordinaire. Tous les anatomistes ont partagé l'opinion de l'identité entre ces deux espèces de bulbe aortique , et moi-même pendant long- temps j'étais de cet avis; mais, en réfléchissant sur le but et l’action des valvules dans les uns et dans les autres, on arrive à des duutes. La couche musculaire du bulbe a sans doute la signi- fication d’un cœur accessoire, d’un vestibule prolongé , dans les Poissons, où l’on trouve plusieurs rangées de valvules ; le bulbe, en se contractant, envoie le sang dans l'artère proprement dite , tout comme le fait le bulbe du cœur de la Grenouille; les valvules s’étaleront par la pression du sang des artères, au moment où la contraction finit. Les dernières valvules étant établies au point où la couche musculaire finit, l’artère restera pleine au-dessus, mais le bulbe lui-même sera soustrait à la pression du sang des artères pendant la diastole. L’inverse a lieu dans les Poissons osseux. Ici les valvules sont situées entre le vestibule et le bulbe aortique; le bulbe et les artères sont distendus pendant la contraction du ves- tibule. Le bulbe, s’il pouvait se contracter activement, comme dans la Grenouille , chasserait le sang encore plus loin dans l’artère : mais le sang étant soumis à toute la pression du système artériel 52 MULLER. — SUR LA CLASSIFICATION entier, reviendrait immédiatement sur lui-même, et remplirait tout le bulbe : des contractions actives du bulbe n'auraient donc pas de but. J’ai examiné, après avoir fait ces réflexions, le cœur du premier poisson osseux venu pendant la vie; j'ai vu de suite que le bulbe aortique ne bat point du tout, et par là se distingue nettement du bulbe si actif des Batraciens. Voici comment agit le cœur d’un Gyprin, Brochet. Salmone, etc. Le bulbe et sa conti- nuation, l'artère, sont pleinement distendus par le sang chassé par le battement du vestibule qui suit celui de l’oreillette; le bulbe et l'artère se contractent après, petit à petit, et cette réduction de volume se fait seulement plus sensiblement sur le bulbe que sur l'artère. Il n’est pas possible d’exciter le bulbe plein, vide ou ou- vert à une contraction, par des influences chimiques, électriques ou mécaniques. En comparant maintenant la structure du bulbe des Poissons osséux d’un côté, et des Sélaciens et Ganoïdes de l’autre, on trouve que ce dernier présente une couche composée de fibres musculaires striées transversalement, tout comme le vestibule et l'oreillette. Le bulbe des Poissons osseux, au contraire, ne montre pas de trace de ces fibres à stries transversales; il est composé de faisceaux pâles de fines fibrilles, qui n’ont pas la moindre res- semblance avec des fibres musculaires : cette substance se con- tinue en se rétrécissant dans une couche homogène, sur toute la longueur de l’artère branchiale, et reparaît sur les veines bran- chiales. On peut comparer les faisceaux de cette couche et du bulbe à ceux que Henle a découverts dans la couche circulaire des artères, et dans laquelle il place la contraction organique des ar- tères. Le bulbe, dont les parois chez le Saumon ont huit fois l’é- paisseur de celle des parois de l'artère branchiale , ne serait donc autre chose que l’épaississement cordiforme de cette couche to- nique ; la couche musculaire qui entoure le bulbe en dehors, dans les Sélaciens et les Ganoïdes, finit par une limite tranchée, et l’'ar- tère sort du milieu de cet anneau musculaire avec toutes ses mem- branes ; la couche prétendue musculaire des Poissons osseux, au contraire, se continue sans interruption en se rétrécissant, et toute la masse du bulbe est formée par ces faisceaux gris qui forment des trames en dedans , tandis qu'en dehors on trouve une couche transversale épaisse en dessous . de laquelle les faisceaux se diri- DES POISSONS. D) gent tantôt obliquement, tantôt longitudinalement. La couche in- terne se perd petit à petit ; les faisceaux transverses peuvent être préparés sur toute l’artère chez de grands Poissons, les Saumons, par exemple. Cette couche grise est revêtue en dedans d’une mem- brane mince, formée par dés fibres ondulées en zig-zag ; la couche élastique blanche , plus épaisse , qui est située en dehors de la couche grise, est formée par ces mêmes fibres, que j'ai décrites dans l’anatomie comparée des Myxinoïdes, sous le nom de fibres élastiques indivises. La couche grise des Poissons osseux est une couche à part; ses faisceaux ne sont point mêlés avec les fibres élastiques blanches. L'action du bulbe des Poissons osseux rest donc pas différente de celle de cette couche répandue sur tout le système artériel , mais elle est plus intense. Les Cyclostomes n’ont point ce gonfle- ment des parois de l'artère en bulbe, et cette différence s’explique maintenant très facilement ; mais aussi les Poissons osseux diffè- rent beau oup entre eux par la formation du bulbe, ce qui for- mera le sujet d’un autre Mémoire, où je rechercherai par des ex- périences physiologiques et chimiques quelles sont les qualités de cette couche en question. Je décrirai alors aussi les houppes de vaisseaux sanguins qui couvrent le cœur de l’Esturgeon, et qui sont situés dans l’intérieur d’espaces lymphatiques, tout en com- muniquant avec les vaisseaux coronaires du cœur. QUELQUES OBSERVATIONS SUR LES CARACTÈRES QUI SERVENT A LA CLASSIFICATION DES POISSONS GANOÏDES; Par M. C. VOGT. On m'’accusera peut-être de quelque témérité , si, tout en féli- citant l’ichthyologie des grands progrès que les études anato- miques profondes de M. Müller lui font faire , je présente quel- ques observations sur le sujet même dont s’est occupé l’auteur du Mémoire remarquable que l’on vient de lire. Les vues nouvelles in- troduites en ichthyologie par M. Agassiz font l’objet principal du Mémoire de Müller, qui, tout en adoptant l’ensemble de ces vues, s'efforce pourtant de retrancher quelques familles de l’ordre des 54 VOGT. — SUR LA CLASSIFICATION Ganoïdes, tel qu'il a été proposé par M. Agassiz. J'aurais pu laisser à mon savant ami la tâche de défendre ses vues systéma- tiques ; mais connaissant les ressources du muséum de Neuchâtel et les embarras qui naissent des préparatifs d’un long voyage scientifique, je pouvais savoir que M. Agassiz ne trouverait pas le loisir de s'occuper maintenant d’une question qui nécessite des nouvelles recherches sur des animaux rares et peu connus en général. J’ai donc dû m’enfermer dans le cadre restreint de la discussion de quelques points, me réservant toutelois de revenir sur ces études ichthyologiques. Les points spéciaux dont je m'oc- cuperai sont surtout la position des Siluroïdes, et la valeur du bulbe aortique comme caractère systématique. Parlons d’abord des Siluroïdes. Ce qui frappe surtout dans la constitution ostéologique des Si- lures, c’est la dégradation de toute l’arcade temporale et de ses dépendances. Cette dégradation se manifeste : 1° Par l'absence d’une des pièces habituelles de l'appareil operculaire. Il n’y a, en effet, que deux pièces, un opercule et un autre os plat attaché en dessous, que l’on peut regarder comme l’analogue des deux pièces que l’on a désignées chez les autres Poissons sous le nom de sous-opercule et inter-opercule. 2 Par la constitution singulière du suspensoir de la mâchoire inférieure, Nous savons que , dans les autres Poissons osseux , la mächoire est suspendue à un ensemble de trois os, qui, en arrière, sont liés ensemble par le préopercule, savoir : le jugulaire de Cuvier (26), le symplectique (31) et le temporal (23). A ces os viennent encore se joindre , en avant , le temporal (27), le ptéry- goïdien (25), le palatin (19) et le transverse (24) (1). Tous ces os forment ensemble un battant mobile , qui, dans les cas ordinaires, est attaché au crâne par ses deux extrémités, par le palatin d'un côté et le temporal de l’autre, et sur lequel se meuvent la mà- choire inférieure et les pièces operculaires, Les os qui forment le battant lui-même sont immobiles entre eux ; mais on voit au pre- mier coup d'œil que ce ne sont que les os postérieurs, savoir : le jugulaire, le symplectique, le temporal et le préopercule, qui for- (1) Les chiffres placés à côté des noms des différents os sont ceux employés par Cuvier dans l'anatomie de la Perche (Hist. nat. des Poissons, 1. 1), et adoptés de- puis par M Agassiz, dans ses Recherches sur les Poissons fossiles DES POISSONS. 9 ment le suspensoir composé de la mâchoire, et que même le préopercule n’y joue aucun rôle important, puisque les trois autres à eux seuls forment déjà un arc suspensoir complet, à la face postérieure duquel le préopercule est seulement accolé. Dans les Silures , les rapports de ces os sont tout-à-fait changés; le suspensoir de la mâchoire inférieure est aussi défectueux que l'appareil operculaire ; le symplectique manque entièrement , et le préopercule, au lieu d’être accolé à la face postérieure de l’arc suspensoir, en fait partie, en ce qu'il est intercalé entre le tem- poral d’une part et le jugal de l’autre , et réuni à ces deux os par des sutures. C’est ainsi que, dans l’Heterobranchus Geoffroyi, le pré- opercule (30) remplit un espace triangulaire entre le jugal et le temporal , et que c’est à son limbe seulement que sont fixés les deux os operculaires. Dans le Malaptérure électrique, le préoper- cule est réduit à une très petite pièce, et la saillie formée par son limbe se continue sur le temporal , de sorte que le préoper- cule touche seulement une petite partie des os operculaires. Le Saluth montre encore une autre conformation qui approche le plus de celle des Poissons ordinaires : le limbe du préopercule se prolonge en haut sur le temporal, en bas sur le jugal, de ma- nière à former le bord postérieur de l’arc suspensoir ; mais il y a encore une grande partie de l’os qui s’intercale entre le jugal et le temporal , et qui les sépare même complétement. Tous les Poissons de la famille des Silures montrent une dispo- sition analogue, et cette réduction du suspensoir de la mâchoire, ainsi que la part que prend le préopercule à la formation de ce suspensoir, peut même être considérée comme un caractère très valable et important de cette famille. Ce fait a été allégué dans ces derniers temps par M. Müller dans son rapport sur les progrès de l’anatomie pendant l’an- née 1842 (1), comme une preuve contre une opinion adoptée par M. Agassiz et moi relativement à la nature du préopercule. Con- sidérant que c'est toujours à cet os ou bien à son point d’attache avec le temporal que s’unit l’arc hyoïdien, nous avons été con- duits à penser que le préopercule n’était autre chose en réalité que la pièce supérieure de l’arc hyoïdien développée outre me- (1) Archives d'anatomie et de physiologie, 1843 56 VOGT. — SUR LA CLASSIFICATION sure, ou, en d’autres mots, que c'était l’analogue de l'apophyse styloïde de l'Homme, puisque c'était cet os qui servait aussi de pièce d'attache à l’arc hyoïdien. M. Müller, en citant les Siluroïdes , a cherché à combattre cette idée. « Le préopercule, dit-il, fait partie de l’arc suspensoir. de la mâchoire dans les Siluroïdes ; il ne peut , par conséquent, faire partie aussi de l’arc hyoïdien, et les Siluroïdes prouvent qu'il faut envisager le préopercule comme une pièce qui se détache petit à petit du suspensoir mandibulaire, dont elle fait originairement partie. » Cette argumentation paraît au premier abord assez fondée ; mais M. Müller attache, à ce qu’il paraît, trop peu d'importance à ce fait, que toujours le préopercule, et cela aussi chez les Silu- roïdes , sert de point d'attache à l’arc hyoïdien. En effet, on peut se convaincre, même chez le Malaptérure, où cet os est si éton- pamment réduit, que l'arc lingual s'attache toujours à lui, quels que soient, d’ailleurs, ses rapports avec les autres os de l’arcade temporale, Il faut, pour bien comprendre le rôle du préopercule, remon- ter un peu en arrière dans une autre famille, qui, quoique liée intimement à celle des Siluroïdes, n’en présente pas moins des différences de structure fort remarquables : je veux parler de la famille des Esturgeons, Cette famille forme , en effet, avec les Goniodontes , les Siluroïdes et les Céphalaspides du vieux grès rouge, un groupe très naturel, qui, d’après les recherches de M. Agass:z, présente une ligne de développement non interrom- pue à travers toutes les périodes de l’histoire de la terre, et dont le caractère saillant est d’avoir, au lieu d’écailles, des écussons osseux qui recouvrent la peau. Le groupe de Poissons cuirassés se fait remarquer justement par la simplicité du suspensoir de la mâchoire inférieure, et c’est chez l’Esturgeon que l’on trouve cette simplicité au plus haut degré de perfection. Le suspensoir commun est ici composé en haut d’une pièce osseuse, attachée au crâne par le moyen d’une apophyse cartilagineuse, une pièce moyenne cartilagineuse, à laquelle est attachée, en bas, une troi- sième pièce cartilagineuse, portant les mâchoires et l’arc hyoïdien en arrière, Il résulte de cette construction de l'arc suspensoir que dans les DES POISSONS. 57 degrés inférieurs de l’organisation, et qui sont évidemment présen- tés par l'Esturgeon et les Siluroïdes, que dans ces degrésinférieurs, dis-je, le suspensoir est commun aux deux arcs mandibulaire et hyoïdien , et que ces deux arcs se séparent de plus en plus, quant à leurs suspensoirs, à mesure que la famille montre un état d’or- ganisation plus complet. On ne peut douter que, dans l’Estur- geon, la pièce ossense supérieure ne soit l’analogue du temporal, puisque c’est elle qui, par une courte apophyse cartilagineuse, s'attache au crâne ; on ne peut douter non plus que la pièce car- tilagineuse, large et plate, qui sert de point d’attache à l'arc hyoï- dien, ne soit réellement le préopercule, qui, ici encore, forme la pièce la plus puissante de tout le suspensoir, et qui sépare com- plétement la pièce inférieure, où l’analogue du jugal de Cuvier, de la supérieure où du temporal. Mais je crois devoir aller plus loin. 1} existe une loi générale en embryologie qui se trahit partout dans le développement, et qui consiste en ce que les premières ébauches d’un organe ou d’une partie quelconque représentent toujours plusieurs parties à la fois, qui vont se différencier par la suite, se séparer en au- tant de parties où organes différents qu’il y aura, dans l’animal adulte, de parties différenciées en cet endroit. C’est ainsi que, dans le commencement du développement embryonnaire, les ca- rènes dorsales, avec le sillon qui les sépare, représentent tout l’ensemble du système rachidien avec les centres nerveux, ses enveloppes osseuses et charnues ; c’est ainsi que la corde dorsale, première base du squelette, n’est, dans le commencement, qu'un simple cylindre, qui, petit à petit, va se différencier en une gaîne et un noyau, qui, à leur tour, se scindent encore en beaucoup d’autres formations particulières. Cette loi trouve aussi son application dans la région dont nous nous occupons. Nous savons que tout le côté latéral du cou de l'embryon ne présente d’abord qu'une seule masse conti- nue, accumulation simple de cellules embryonnaires ; que, petit à petit, cette masse se différencie en se scindant par l'apparition successive des fentes branchiales, et que les arcs branchiaux qui se trouvent entre ces fentes sont aussi d’abord de simples lambeaux comprenant à la fois les os, les muscles , les vaisseaux, ete., dans 8 VOGT. — SUR LA CLASSIFICATION une seule substance uniforme. Or, ce même travail de scission suc- cessive nous estoffert dansle groupe remarquable de Poissons dont les Esturgeons et les Silures font partie. Les arcs mandibulaires et hyoïdiens ne sont séparés d’abord que dans leur partie infé- rieure ; l’arc suspensoir leur est encore commun, et, dans l’Estur- geon, la séparation ne porte encore que sur la partie inférieure des arcs. Dans les Silures, cette séparation va déjà plus loin. La pièce moyenne ou le préopercule commence à se répéter en ar- rière, à se diviser pour former un limbe postérieur, appartenant exclusivement à l’are hyoïdien, et une partie antérieure, qui reste enchässée encore entre les pièces inférieures et supérieures, et qui fait surtout partie de l’arc mandibulaire. Un profond sillon règne déjà sur la face externe du préopercule des Siluroïdes , indiquant cette tendance de séparation entre ces deux parties. Or, cette séparation s’accomplit dans les Poissons osseux or- dinaires. Ici le préopercule est entièrement rejeté sur le bord postérieur du suspensoir mandibulaire , et le coin par lequel il s’enchässait entre les deux pièces du suspensoir est transformé en un os à part, le symplectique de Cuvier. On connaît, depuis les travaux de Meckel, le rôle singulier que joue dans le développement de l’are mandibulaire des Mammi- fères le marteau, qui, dans l’adulte, est enfermé dans la cavité tympanique. On sait que, dans l'embryon, l’apophyse du mar- teau se prolonge tout le long du cou, et qu'un cylindre cartila- gineux, partant de cette apophyse, forme le premier rudiment de la mâchoire inférieure. Meckel déjà avait fait observer que ce cy- lindre reste dans l'état cartilagineux à la face interne de la mà- choire inférieure, chez les Poissons adultes, Mes travaux embryolo- giques et ostéologiques sur les Poissons osseux m'avaient conduit à la connaissance de ce même fait, et je reconnus aussi que le sym- plectique de Cuvier n’était autre chose que la continuation supé- rieure de ce cylindre cartilagineux, qui s’ossifiait, et que, par conséquent, cet os était le véritable tympano-malléal, que Dugès avait observé et nommé, chez les Batraciens. En rapprochant tous ces faits, nous arrivons au résultat que, dans les Siluroïdes, la pièce appelée préopercule renferme en réalité, en elle, deux pièces différentes, qui sont séparées dans DES POISSONS. 99 les autres Poissons, savoir: le tympano-malléal et le préopercule proprement dit. 1! résulte de là que , si ces deux pièces ne sont point séparées, chez les Silures, ce qui dénote ici un degré inférieur de l’organi- sation, on ne pourrait, de ce fait, tirer aucune conséquence contre les destinations différentes de ces pièces chez les Poissons ordi- naires, et que le préopercule des Poissons osseux est, en effet, la pièce supérieure de l’arc hyoïdien, aussi bien que le tympano- malléal est la pièce supérieure de l'arc mandibulaire. Les faits allégués par M. J. Müller sont donc exacts, comme on pouvait s’y attendre de la part d’un analomiste aussi distin- œué; mais, loin de porter atteinte à notre opinion relativement au préopercule, ils apportent, au contraire, une nouvelle preuve en sa faveur, en démontrant que si un développement analogue à celui des embryons se manifeste aussi dans la série zoologique des Poissons adultes, ce développement ne se montre pas seule- ment dans les traits principaux de l’organisation , mais aussi Jus- que dans ses plus petits détails. Le même développement que nous venons de suivre ici dans la structure de l’arcade temporale des Silures et des Esturgeons se poursuit avec la même facilité, si l’on se rattache à la forme extérieure. J’ai prouvé, en effet, dans mon Embryologie des Sal- mones, que les embryons des Poissons homocerques étaient hété- rocerques pendant quelque temps, qu'ils ont d’abord la bouche infère, et que, petit à petit, l'élévation de la corde dorsale se perd pendant que la bouche vient se placer à l’extrémité du museau. Les Esturgeons sont hétérocerques, à bouche infère, à peau nue, couverte çà et là de plaques osseuses. Cette bouche infère se main- tient encore dans les Loricarines, de même que la queue hété- rocerque, au moins en partie. Mais le bout de la queue s’allonge en filet, les plaques viennent se toucher et couvrent uniformé- ment le corps. M. Heckel à déjà fait remarquer que son genre Scaphirhynchus présentait des ressemblances étonnantes avec les Loricaires, en ce qu’il réunit aux viscères et au tronc d’un Estur- geon une queue recouverte de plaques, absolument comme celle d’une Loricaire, un filet terminal de la nageoire caudale, et une bouche de Loricaire. 11 lui manque, en outre, l'évent, que pos- sèdent les Esturgeons. On peut donc suivre pas à pas , dans les 60 VOGT. — SUR LA CLASSIFICATION Loricaires et les Silures, l’élévation graduelle de la bouche vers l'extrémité du museau, la diminution insensible de l’hétérocercie, toutes les phases de développement , en un mot, qui se font re- marquer aussi dans le développement des formes extérieures de l'embryon. Ce sont là, à mon avis, les groupes les plus naturels et les plus stables, qui se coordonnent ainsi dans leur mouvement ascensionnel avec celui de l’embryon et de la classe en général. Je ferai remarquer que l’anatomie des parties internes ne s’op- pose en aucune manière à ce rapprochement des Siluroïdes et des Esturgeons. Les Esturgeons, il est vrai, ont des trompes ouvertes dans la cavité abdominale, caractère qui paraît manquer aux Si- luroïdes ; mais le Lépidostée ne possède pas cette structure non plus, et pourtant ses droits comme Ganoïde ont été reconnus. La nature a aussi refusé aux Siluroïdes les valvules multiples du cœur. Ce caractère, le seul chez les Ganoïdes que M. Müller pose comme absolu, ne l’est plus depuis que j'ai trouvé, chez un Pois- son que M. Müller regarde comme Clupéoïde, lÆmia calva, des valvules multiples, quoique réduites en nombre. Il est bien vrai que je prends aussi l'Amia pour un Ganoïde; mais je lui rattache les Sudis, les Osteoglossum , etc., à bulbe bivalve, et je prétends que ces genres lui sont tellement voisins, qu'il est impossible de les séparer en deux ordres différents. Je dois à l’obligeance de M. Bibron d’avoir pu examiner le cœur du même Æ{mia que M. Müller a disséqué au Mussum. Le cœur a tout-à-fait la forme habituelle de celui des Poissons osseux ; mais on distingue déjà à l'extérieur du bulbe aortique une ceinture muscu laire entourant la base du bulbe, qui se termine par une limite tran- chée à peu près au premier tiers de la longueur du bulbe, La struc- ture interne du bulbe est fort curieuse. On trouve, après l'avoir ouvert tout le long de la ligne médiane, deux rangées transversales de valvulescorrespondantes à la collerette musculaire qui se montre à l’extérieur. Il y a six valvules dans la rangée antérieure, cinq seulement dans la rangée postérieure, les deux valvules médianes du côté dorsal étant confondues en une seule poche. Au-dessus de ces valvules se trouvent deux forts rideaux musculaires com- posés chacun d’une lamelle en forme de langue, qui est attachée par sa base à la lisière de la collerette musculaire du bulbe, et dont les deux côtés sont fixés aux parois du bulbe par une saillie DES POISSONS. 61 assez prononcée. Une quantité de fils tendineux partent de l’ex- trémité antérieure libre de ces rideaux charnus , et tout en for- mant un réseau très élégant, ils vont se réunir dans deux lisières plus épaisses, qui sont attachées en forme de croissant. La partie antérieure du bulbe contient ainsi, dans son intérieur, deux fortes valvules charnues, qui partagent le bulbe en trois compartiments, une cavité moyenne pour le passage du sang, et deux poches énormes en proportion, une dorsale et une ventrale, qui se trou- vent comprises entre ces valvules et les parois du bulbe. Les der- nières présentent depuis la collerette la teinte grise et la structure ordinaire du bulbe des Poissons osseux. Maintenant, la multiplicité des valvules dans le cœur de lAmia étant bien constatée, M. Müller voudra-t-il séparer ce Poisson des Sudis ( Ærapaima), des Osteoglossum , pour le placer près du Lépidostée et du Polyptère? Il faudra bien le faire, si le caractère des valvules multiples est aussi tranché, aussi inca- pable d’exceptions, que M. Müller admet. L’Ærapaima n'a que deux valvules, d’après M. Müller lui-même ; l'ÆAmia, qui lui ressemble presque en tous points, dans la conformation de son crâne, l’arrangement des pièces operculaires qui couvrent les joues, la structure des écailles , l’absence de fausses bran- chies, etc., cet Æmia, si voisin de l’Arapaima, serait mis, non seulement dans une autre famille, mais dans un ordre tout différent. Il en est peut-être de même pour les Érythrins, que M. Müller avait déjà placés dans sa famille des Characins à cause des ossicules fixés à la vessie natatoire. Je serais tenté de croire qu'il en faut revenir, sur ce point, à l'opinion de Cuvier, qui avait fort bien senti les relations étroites par lesquelles les Éry- thrins sont liés avec les 4mia, les Vastrés (Sudis) et les Osteo- glossum. Tout en les laissant dans la famille des Clupes, M. Cuvier réunissait ces Poissons comme un groupe à part. La famille des Characins de M. Müller est uniquement fondée sur l’existence d’os- selets auditifs qui lient le labyrinthe à la vessie natatoire , et c’est uniquement à cause de cette organisation que M. Müller a trans- porté les Érythrins dans cette famille. Mais pourquoi ce caractère serait-il exclusif pour les Characins, en l’emportant sur tout l’en- semble de l’organisation , s’il ne l’est pas dans une autre famille ? Pourquoi les Sudis et les Æmia, dépourvus qu’ils sont d’osselets 62 VOGT. — SUR LA CLASSIFICATION auditifs, se trouveraient-ils éloignés des Érythrins, si l’on réunit dans la même famille les Silures ayant une vessie natatoire, à os- selets auditifs, et les Loricarines, qui ne possèdent ni l’un ni l’au- tre de ces caractères? Du reste, n’ayant pas encore pu comparer bien positivement les Érythrins avec les Âmies, quant à leur ostéo- logie, je me réserve un jugement ultérieur sur ce point. Je nai pu examiner non plus les intestins des Sudis, Ostcoglossum et ILe- terotis ; mais quant au premier genre, je crois pouvoir assurer qu'il ne peut pas y avoir deux Poissons ostéologiquement aussi semblables que les Æmia et les Sudis. Les {mia ont aussi des dents sur le corps du sphénoïde; ils ont, en outre, une valve en spirale dans l’intestin, mais qui ne fait que quatre tours et demi. Voici comment je comprends l’ordre des Ganoïdes, si toutefois on veut laisser subsister cet ordre. Le caractère essentiel doit être placé, comme M. Agassiz l’a fait (Poissons fossiles, 1. 1, 74), dans les écailles véritablement osseuses, ayant des corpuscules osseux, comme les autres os du corps, couvertes d’une couche d’émail.- Mais en présentant ce caractère comme dominateur dans le grand groupe des Ganoïdes, je suis loin de le croire exclusif. Nous voyons, en effet, la couche d’émail se perdre dans les Estur- geons, et ne rester que de simples plaques osseuses non émaillées, dont la couche supérieure est seulement plus dense et plus homo- gène. D'un autre côté, les corpuscules osseux ne me paraissent pas non plus exclusifs ; j'en trouve dans les écailles des Méga- lopes, des Hydrocyons, écailles qui se rattachent singulièrement par leur structure à celles de lAmia et des Sudis. C’est, du reste, si je ne me trompe, le sens général des caractères dominateurs en zoologie ; ces caractères, si fortement saillants dans les types d’un groupe quelconque, se perdent insensiblement vers les extrémités des séries, se dégradent et finissent par s’anéantir complétement. Il est impossible aujourd'hui de donner une définition précise de ce que c’est qu'un animal; peut-on demander des définitions pré- cises et tranchées des ordres, des groupes et des familles? Pour en revenir aux Ganoïdes, je les limite donc, en général, comme ayant les pièces dures de la peau composées d’un véri- table tissu osseux et recouvertes d’un émail particulier, tout en reconnaissant qu'il existe des genres où l'émail se rapproche de celui des Poissons osseux (Æmnia, etc.), comme il peut exister des DES POISSONS. 63 Poissons osseux rapprochés des Ganoïdes et ayant des corpus- cules dans leurs écailles. Mais ce fait est borné aux Poissons qui se rattachent de très près aux Ganoïdes: il ne s'étend pas plus loin. J’ai examiné les écailles , ou plutôt les plaques des 4gonus, des Lépisacanthes et d’autres Poissons encore, que l’on désigne généralement comme ayant des plaques osseuses sur la peau ; je n’ai jamais rencontré des corpuscules osseux dans ces plaques. Je suis d’accord avec M. Müller sur la nécessité de séparer les Sclérodermes , les Plectognathes , les Lophobranches des Ga- noïdes ; la structure des parties dures dans la peau de ces ani- maux n’a aucun rapport avec celle des écailles ou plaques des Ganoïdes. J’ai tout lieu croire que mon ami M. Agassiz se ran- gera aussi à cet avis, d’autant plus qu'il est le premier qui, dans son travail sur les écailles des Poissons en général (Poissons fossiles , tom. 1), a indiqué les différences fondamentales qui se trouvent entre les parties dures de ces Poissons et celles des Ga- noïdes. Je distingue dans ce grand ordre , ainsi réduit , trois groupes principaux , qui me paraissent se lier par un ensemble de confor- mation qui dénote un développement embryologique semblable, si j'ose m'exprimer ainsi. Le premier groupe sera celui des Ga- noïdes cuirassés, munis de plaques osseuses, souvent sans couche distincte d’émail, tantôt dispersées sur la peau, tantôt rapprochées les unes des autres. En réunissant dans ce groupe les Esturgeons, les Spatulaires, les Céphalaspides et les Siluroïdes, on trouvera peu de séries s’élevant aussi graduellement vers le terme final, que celle que j'indique. L’épine dorsale, composée d’abord seulement d’une corde continue , s’ossifie petit à petit; la queue , d'hété- rocerque qu'elle était, devient homocerque; l'arcade palatine et temporale perd sa simplicité primitive et se rapproche de celle des autres Poissons; la bouche , d’abord infère, devient termi- nale ; la boîte cartilagieuse primitive du crâne se couvre de pla- ques protectrices. Tous ces changements successifs, qui se mani- festent si bien dans les embryons et les jeunes Poissons après l’é- closion, se poursuivent aussi avec une exactilude rigoureuse dans la série que je présente ici. Un second groupe est formé par les Ganoïdes à écailles rhom- boïdales et fortement émaillées. Le Polyptère, le Lépidostée , 6 VOGT. — SUR LA CLASSIFICATION sont les représentants vivants de ce groupe, que l’on devra divi- ser en plusieurs familles, mais sur lequel je ne reviendrai pas, après tout ce qui vient d’être dit par MM. Agassiz et Müller. Le troisième groupe, enfin, comprend les Ganoïdes à écailles arrondies, imbriquées, dont le type éteint est formé par la famille des Célacanthes, auxquels se rattachent, dans la création actuelle, les Sudis, les Amia , peut-être les Érythrins. Ayant pris une part active aux recherches de M. Agassiz sur les types fossiles de ce groupe , je crois pouvoir renvoyer, sur ce sujet, à la dernière livraison de la Monographie des Poissons du grès rouge, qui ne tardera pas à paraître. Borné aux faibles ressources d’un petit musée, nous ne pouvions pas disposer d’assez de matériaux pour étudier convenablement les Poissons qui nous semblaient devoir rentrer dans notre groupe des Célacanthes ; aujourd’hui, grâce à l’obligeance de M. Bibron, je peux exprimer nettement mon opi- nion. Les mia appartiendraient aux Ganoïdes, même d’après les conditions posées par M. Müller; je crois qu’on romprait leurs affinités les plus naturelles en les séparant des Sudis, Chacun de ces groupes me paraît se rattacher plus ou moins intimement à un groupe de Poissons osseux. Les cuirassés, pré- sentant le type le plus éloigné, n’ont que peu ou rien de commun avec les Cyprins. Je n'ai jamais pu comprendre pourquoi Jes Silu- roïdes devaient se rattacher si étroitement aux Cyprins, comme on a l'habitude de le faire dans les classifications actuelles. Toute l’ostéologie de ces deux familles est complétement différente ; la dissemblance, quant aux parties dures de la peau, ne peut pas être plus grande ; on ne peut trouver quelque analogie que dans les osselets attachés à la vessie natatoire, et dans le premier rayon fort et dentelé que possède quelquefois la nageoire dor- sale. Les types vivants du second groupe n’ont aucune ressemblance avecles autres Poissons vivants. Le Lépidostée et le Polyptère for- ment , en effet, comme l’a si bien exposé M. Agassiz , les derniers jalons d’une grande création détruite. Mais c’est parmi les fos- siles qu’il faudra chercher ; et je me trompe fort, ou les Pycno- dontes offrent les plus grandes ressemblances avec les Plecto- gnathes. La structure du squelette et du crâne, la disposition et DES POISSONS. 65 la nature des dents de certains Plectognathes offrent, en effet, de nombreux points de comparaison. Le troisième groupe enfin, qui ressemble déjà davantage , dès la première vue, aux Poissons osseux ordinaires par ses écailles rondes et imbriquées , s’y rattache aussi plus intimement par les genres que nous venons de séparer des Clupes. Mais ce qui les éloigne positivement de cette famille, ce ne sont ni leur bulbe à valvules multiples, ni la vessie natatoire réticulée, ni tant d’autres caractères tirés des organes externes et internes; c’est surtout et avant tout la structure de leur crâne, qui est émaillé partout de substance osseuse devenant vitrée et cassante ; c’est la disposition de leurs sous-orbitaires, qui forment une cuirasse pres- que complète des joues, et enfin la structure de leur bouche, qui est bordée en arrière par les maxillaires, qui se trouvent en ligne droite avec les intermaxillaires. On n’a pas assez fait attention à ce caractère, qui sépare assez nettement les autres Clupes à gran- des écailles des Ganoïdes clupéoïdes. En effet, le maxillaire fait toujours, chez ces premiers, un angle plus ou moins obtus avec le bord de l’intermaxillaire, de sorte que la fente de la bouche, quand celle-ci est fermée, n’est visible que jusqu’au point de l’in- sertion du maxillaire. Celui-ci, en partant sous un angle plus ou moins prononcé, cache la continuation de la fente buccale, en glissant par-dessus la mâchoire inférieure. Il en est autrement dans les Sudis, les {mia et les Erythrinus ; ici le maxillaire con- tinue en ligne droite le bord de l’intermaxillaire , de sorte que la fente de la bouche et les deux bords dentifères des mâchoires sont visibles dans toute leur longueur, même quand le Poisson a la bouche fermée. On m'objectera peut-être que ces caractères sont insignifiants et d’une valeur très restreinte, lorsqu'il s’agit de la démarcation d’un ordre. Je veux bien le croire, quant au dernier caractère surtout, que je n’ai présenté que parce qu'il est saisissable au pre- mier coup d'œil, et par cela même fort important pour des objets qui, en général, sont extrêmement rares dans les collections; mais je prendrai d'avance fait et cause pour les caractères tirés de la conformation du crâne. Le rapport de M. Agassiz sur les Pois- sons de Sheppy, qui vient de paraître dans ces Annales, a déjà 3° série, Zool. T. IV. (Juillet 1845.) 5 “ 66 VOGT. — SUR LA CLASSIFICATION attiré l’attention des Zoologistes sur ce sujet, et je me suis con- vaincu, par l'inspection répétée des faits annoncés par mon cé- lèbre ami, que la conformation du crâne , les formes que présente cette boîte du système nerveux central, sont de la plus grande im- portance pour l’ichthyologie systématique. C’est là, à mon avis, qu'il faut chercher les caractères stables et fixes des familles des Poissons, et non pas dans l’anatomie des organes de la respiration, de la circulation et de la digestion, qui, tous, varient plus ou moins, d’après les conditions extérieures de vie auxquelles lani- mal est destiné. Je trouve les preuves de ce que j’avance ici dans les travaux ichthyologiques de M. Müller lui-même. Les fausses branchies, dont la présence ou l'absence lui paraissaient encore, en 1843, d'excellents caractères de familles, ne peuvent plus avoir une grande valeur systématique aujourd’hui , puisqu'il a observé maintenant tous les passages de leur disparition graduée, de ma- nière qu'il réunit aujourd’hui les familles des Clupes et des Clu- pésoces, qu'il avait établies auparavant. Je retrouve la même inconstance du caractère dominateur dans l’ordre des Physostomes, établi par M. Müller. Cet ordre se com- pose, d’après lui, de tous les Malacoptérygiens ou Apodes, dont la vessie natatoire possède toujours un canal aérien. La première famille de cet ordre est celle des Siluroïdes, qui se séparent en deux groupes, les vrais Siluroïdes et les Goniodontes ou Lorica- rines. Je conviens que l’on peut être dans le doute sur la sépara- tion de ces deux groupes, comme familles distinctes, séparation proposée par M. Agassiz, rejetée par M. Valenciennes, admise d’abord par M. Müller dans son Mémoire sur les familles natu- relles des Poissons , et repoussée de nouveau aujourd'hui par ce même auteur. Cette séparation était pourtant fondée par M. Mül- ler sur l’existence des fausses branchies, qui manquent aux Si- lures, et sur l'absence de la vessie natatoire, qui, chez les Silures, est réunie avec le labyrinthe par des osselets. M. Müller, en réunis- sant aujourd’hui dans la même famille des Poissons avec ou sans fausses branchies, avec ou sans osselets auditifs, convient donc que ces caractères ne sont pas entièrement exclusifs. Mais les Lo- ricarines, dépourvues de vessie natatoire, ne peuvent pas non plus avoir un Canal aérien, et M. Müller, en les réunissant à l’ordre x des Physostomes où Malacoptérygiens à canal aérien, reconnait =. DES POISSONS. 67 par là mème que le caractère dominateur d’un ordre peut chan- ger et se perdre. Je ne puis parler qu'avec doute de certains autres caractères employés par M. Müller, et dont la valeur systématique me paraît aussi quelque peu exagérée. Il en est ainsi des os pharyngiens, que M. Müller regarde aussi comme un caractère tellement important, qu'il les prend pour caractère dominateur de son nouvel ordre des Pharyngognathes. Le pharyngien simple de ces Poissons résulte seulement, et M. Müller prouve cela lui-même suffisamment, de la suture et de la fusion des deux pharyngiens latéraux primitivement séparés. Ce caractère n'indique donc pas un nouvel ordre de faits, un plan nouveau d'organisation, et il me paraît impossible de fonder un ordre sur ce caractère, lorsqu'on y comprend les Chro- mides, dont M. Müller fixe la place parmi les Pharyngognathes, quoiqu'ils aient, d’après lui-même, un pharyngien composé de deux pièces distinctes, et réunies par une suture. M. Müller se fonde sur l’ordre des Plectognathes, établis sur un fait analogue par M. Cuvier. On a accepté cet ordre sans discussion ultérieure : mais je suis persuadé que cet ordre des Plectognathes sera bientôt rayé des cadres ichthyologiques. Je n'ai jamais pu observer des embryons ou des jeunes de Pharyngognathes ou de Plectognathes : mais je suis certain qu'on trouvera les os séparés encore bien longtemps après l’éclosion. Le caractère des valvules multiples du bulbe aortique, que M. Müller regarde encore comme absolu , se trouvera peut-être bientôt dans la même catégorie que les fausses branchies. L'exem- ple de l’Arnia prouve déjà qu’il y aura des passages insensibles depuis les valvules si étonnamment multipliées des Ganoïdes or- dinaires jusqu'aux valves simples des Poissons osseux. Les petites valves sériales en poche de l’Amia sont déjà très réduites en nom- bre ; les deux grands rideaux musculaires sont placés à l’inté- rieur du tube artériel au-dessus de la collerette musculaire, et en réduisant les petites valves avec cette collerette, on pourra facile- ment s’imaginer tous les passages de disparition, tels qu’ils se trouveront peut-être dans les genres voisins, sous quelques rap- ports, des 4mia, ou bien dans le groupe des Loricarines et des Siluroïdes. Mais, quelles que soient les découvertes qui nous sont peut-être encore réservées sur ce point, toujours est-il que la sé- 68 VOGT. — SUR LA CLASSIFICATION DES POISSONS. paration des Amies d’avec les Sudis ne pourra jamais s’effectuer, aussi peu que celle des Loricarines et des Silures. Nous ne pouvons dire quel caractère a plus de valeur intrinsèque , celui tiré du cœur ou celui tiré de la vessie natatoire et de ses liaisons avec le labyrinthe ; nous connaissons trop peu les conditions biologiques et le développement des Poissons pour juger cette valeur ; mais la séparation des Sudis et des Amies en deux ordres différents ne pourra pourtant se faire qu’autant qu'on voudra aussi placer en deux ordres éloignés les Loricaires et les Silures : chose tellement impossible, que personne n’y songera. Et pourtant, en admettant l'exclusivité absolue des caractères, cette séparation serait de ri- gueur. Je me résume en disant que tous les caractères anatomiques tirés des organes de la digestion, de la respiration, de la circula- tion et de la génération, ne sont point des caractères exclusifs, d’après lesquels seuls on pourrait délimiter des ordres et des fa- milles. Ces caractères ont une grande valeur dans la classifica- tion; mais leur valeur n’est que secondaire, et les bases de la clas- sification ichthyologique doivent être cherchées dans des considé- rations d’un autre ordre de faits, dans l’embryologie comparée des Poissons. Cette dernière science est encore à créer : nous n’en connaissons, jusqu'à présent, que des faits isolés, et qui se rap- portent justement à des familles dont les rapports sont assez bien connus. EXPLICATION DES FIGURES PLANCHE 9. Fig. 1. Le cœur de l'Anuia calva, vu du côté droit. —- On a marqué l’extension de la collerette musculaire du bulbe par des raies verticales. Fig. 2 Le même cœur, ouvert du côté ventral. Le ventricule est ouvert de ma- nière à montrer l'ouverture de l'oreillette. Le bulbe est fendu dans toute sa longueur ; il laisse voir les deux rangées transverses de valvules en poches , et les deux rideaux musculaires : l'un de ces derniers est fendu, et les deux moi- tiés sont rejetées des deux côtés. Fig. 3. Coupe transversale du bulbe, pour montrer la disposition des rideaux mus- culaires. Les lettres ont la même signification dans ces trois figures. a, ventricule: b, oreillette; c, collerette musculaire du bulbe; d,. bulbe aor- tique: /, rideau musculaire du côté dorsal; g, rideau musculaire veniral. Fig. #. Canal intestinal de l'Amia calva. On a conservé autant que possible la position normale de ces intestins, qui sont fendus dans toute leur longueur pour montrer la face interne de l'estomac et du gros intestin. a, œæsophage : b, branche montante de l'estomac, ouverte; e, entrée de la branche descendante : d, valvule pylorique: e, intestin : f, valvule spirale. ÉTUDES SUR LES TYPES INFÉRIEURS DE L'EMBRANCHEMENT DES ANNELÉS:; Par M. A. DE QUATREFAGES. MÉMOIRE SUR L'ORGANISATION DES PYCNOGONIDES. Observations sur les caractères extérieurs. Les Pycnogonides sont, on le sait, des animaux fort singuliers, que les Zoologistes classificateurs ne savent encore trop où placer. Sans reproduire ici toutes les hésitations enregistrées à cet égard dans l’histoire de la science, il nous suffira de rappeler que Linné les confondait avec les Phalangium ; que Savigny, en les laissant parmi les Arachnides, les regardait comme établissant un passage de celles-ci aux Crustacés ; que Latreille les classa parmi les Arachnides, tout en leur reconnaissant d’abord des analo- gies réelles avec les Cyames et les Chevrolles ; que, plus tard, le même naturaliste pensa qu’ils pourraient bien former un ordre particulier intermédiaire entre les Arachnides et les Insectes ap- tères de l’ordre des parasites ; qu'enfin M. Milne Edwards, dans son ouvrage sur les Crustacés, les a rapportés, quoique avec doute, à cette classe, en signalant les traits de ressemblance qui les rap- prochent de certains Crustacés inférieurs, et entre autres des Che- vrolles et des Cyames. Que l’on considère les Pycnogonides comme des Arachnides ou comme des Crustacés, il faut bien reconnaître que, chez eux, le type d’où ils dérivent a subi des modifications considérables, alors même que l’on ne tient compte que des caractères extérieurs. Des trois parties du corps (tête, thorax, abdomen), l’une, l’ab- domen, est constammentrudimentaire et représentée par un simple tubercule ou un appendice fort petit. Une autre, la tête, est quel- quefois bien distincte et séparée du tronc par un étranglement (Phozichilide épineux M. E.); mais, dans la plupart des cas, 3° série. Zoou T. IV (Août 4845 ) ë” 70 VOYAGE EN SICILE. elle est réunie au thorax, très petite, et souvent presque rudimen- taire (G. pallène, Ammothée pycnogonoïde). Le thorax seul est bien développé et présente ses appendices essentiels. Ce qui distingue surtout les Pycnogonides des Crustacés, dont on les a rapprochés, c’est la forme et la composition de leur bou- che. Chez les Chevrolles et les Cyames, l'appareil buccal présente encore un certain degré de complication. On y distingue encore le labre, les mandibules, les mâchoires lamelleuses. Ici toutes ces parties ont disparu, ou mieux sont soudées ensemble, comme l’a dit Latreille (1). Les seules portions de l’appareil buccal qui persistent dans certains genres sont une paire de pattes-mà- choires (antennes-pinces pour ceux qui regardent les Pycnogo- nides comme des Arachnides) et une paire de palpes. Si nous rapprochons ces faits de ce qu’on observe dans laïfa- mille des Acariens, nous reconnaîtrons qu’il existe, sous ce rap- port, entre ces derniers et les Pycnogonides, une grande ana- logie. En effet, chez les Acariens, nous voyons également Ja bouche se simplifier, conserver d’abord des antennes-pinces et des palpes, se dégrader encore davantage, et finir par ne consister qu’en un simple orifice, sans aucun organe accessoire apparent. Nous reviendrons, au reste, dans le courant du Mémoire actuel, sur la comparaison qu'on peut établir entre ces deux familles, et nous justifierons peut-être la conclusion qu’on peut en tirer, savoir, que, sans être ni aussi nombreuse, ni aussi variée, du moins jusqu’à ce jour, la famille des Pycnogonides représente dans la classe des Crustacés la famille des Acariens, qui appar- tiennent aux Arachnides. Ne tenant compte, quant à présent, que des caractères exté- rieurs, nous remarquerons seulement que, sous le rapport des or- ganes respiratoires, les Pycnogonides correspondent aux termes du groupe des Acariens, chez lesquels on ne trouve au dehors au- (1) Dans le siphon d'une grande espèce de Phoxichile, rapportée du cap de Bonne-Espérance par Delalande , Latreille a trouvé des sutures longitudinales disposées de façon à lui permettre de distinguer le labre, la languette, et deux mâchoires. Il en conclut que les palpes qui existent dans certains genres appar- tiennent aux mâchoires DE QUATREFAGES. — SUR LES PYCNOGONIDES. 7T eune trace de cet appareil. Depuis longtemps on a signalé, chez les premiers, l’absence de stigmates, et ce fait a toujours embar- rassé les naturalistes qui ont placé ces animaux parmi les Arach- nides. Or, on sait que, chez certains Acariens inférieurs , on ne trouve non plus ni stigmates, ni stomates semblables à ceux que présentent quelques espèces entièrement aquatiques, et qui, ne quittant jamais le fond de l’eau, n’en présentent pas moins des tranchées bien reconnaissables (1) (Limnochares). Cette simplification dans les caractères extérieurs des Pycno- gonides, l'incertitude qui en résultait sur la place qui leur re- vient dans nos cadres zoologiques avait dû faire désirer de con- naître leur anatomie. Cependant M. Milne Edwards est, je crois, le seul naturaliste qui s’en soit occupé jusqu’à ce jour. Dès 1827, ce naturaliste avait reconnu que, chez le Nymphon grêle, le tube digestif envoie des prolongements dans l’intérieur des pattes, et qu'il n'existe, chez ces animaux, qu'une circula- tion vague (2). Sans connaître ces observations, j'en avais fait de semblables en 1842, pendant mon séjour à Saint-Vast-la-Hougue. J’ai repris ces recherches en 1844, à Saint-Malo, où je pouvais étudier le Nymphon grêle (3), le Phoxichile épineux (4), et une espèce nouvelle d’Ammothée (5); les résultats donnés pour ces trois espèces ont été les mêmes, et je crois, par conséquent, qu’à (1) Dujardin, Mémoire sur la famille des Acariens (Ann. des Sc. nat., 3° série, t. 1). (2) Voyez le Règne animal de Cuvier, 2° édit., t. LIL, p. 277, et l'Hist. nat- des Crustacés, t. IL (3) Nymphum gracile (Leach). (4) Phoxichilus spinosus (Leach). (5) Ammothea pycnogonoïdes (Nob.). PI. 1, fig. 4, et PI. 2, fig. 2 et 3. Voici la description succincte de cette espèce, que j'ai trouvée à Saint-Malo. La tête est courte, grosse, nullement distincte du thorax. La trompe, irrégulie- rement lancéolée, se termine en pointe obtuse; elle est grosse, et sa longueur égale presque les deux tiers de celle du corps. Les pattes-mâchoires sont petites, courtes, et dépassent à peine le milieu de la trompe. Les palpes, au contraire, s'é- tendent au-delà de la bouche. Le diamètre transverse du thorax est presque égal au diamètre antéro-postérieur. Le premier article des pattes est assez difficile à distinguer du thorax. Le tubercule oculifére est arrondi et légèrement renflé , l'abdomen très petit et légèrement relevé ; il est entièrement lisse , landis que le FD VOYAGE EN SICILE, quelques variations près, on pourra les appliquer au groupe en tier des Pyenogonides (1). ANATOMIE. Appareil digestif. — On sait que, chez les Pycnogonides , la bouche s'ouvre à l'extrémité de l’article tubuleux formé par la trompe (2). Cet orifice se prolonge en arrière en formant un œso- phage très étroit creusé dans une masse épaisse d'apparence mus- culaire. J'ai dit ailleurs (3) que l’intérieur de cet æœsophage était en- tièrement couvert de cils vibratiles. En effet, ayant vu un de ces animaux avaler une gorgée de liquide, je distinguai un mouve- ment vibratoire analogue à celui que déterminent les cils dans le canal intestinal des Annélides, des Némertes, etc. Toutefois, comme la présence des cils vibratiles chez les Pycnogonides serait un fait unique dans ce que nous savons des Articulés proprement dits, je suis le premier à reconnaître que cette observation a be- soin d’être confirmée par de nouvelles recherches, et que je puis avoir été trompé par quelque illusion. Chez le Phoxichile , l’œsophage, avant d'arriver à la hauteur des premières pattes, se renfle légèrement, puis se rétrécit de nouveau, ets’ouvre en s’évasant dans l’estomac (4). Nous trou- vons dans l’'Ammothée une disposition toute semblable : seule- thorax porte des poils nombreux et quelques fortes épines. Les palpes et les pattes sont également assez velus. Les trois derniers articles surtout de ces dernières sont hérissés de fortes épines (*). L'Ammothée pycnogonoïde habite les fucus qui découvrent à la basse mer. Lorsqu'on la trouve, elle est ordinairement salie par la vase qui s'attache à ses poils et à ses épines ; il faut, avant de l'étudier, la brosser avec un pinceau, et elle se prête alors très bien aux observations. (1) Mes observations ont porté plus particulièrement sur le Phoxichile et sur l'Ammolhée, qui, à raison de leur transparence, se prêtent parfaitement aux re- cherches micrographiques. (2) PI. 2, fig. A'et2, a. (3) Comptes-rendus de l'Académie des Sciences, 25 novembre 4844. (4) PL. 2, fig. 4, b. (*) Le graveur a laissé subsister, dans la figure 1 de la Planche 1, quelques inexactitudes qu'on corrigera sans peine, d’après les figures plus grossies de la Planche 2. DE QUATREFAGES. — SUR LES PYCNOGONIDES. 73 ment, le renflement æsophagien est placé plus en arrière, et un orifice postérieur est placé presque au niveau de la seconde paire de pattes (1). Avec tous les auteurs qui m'ont précédé, j'ai donné précédem- ment (2) le nom d’intestin à la portion du tube digestif qui suc- cède à l’œsophage. C’est là, je crois, une erreur. Cette portion correspond évidemment à l'estomac des Crustacés ordinaires, et l’on doit, ce me semble, réserver le nom d’intestin pour la partie seule du tube alimentaire renfermée dans l’abdomen. Celui-ci étant rudimentaire, il n’est nullement surprenant de trouver con- sidérablement réduite la portion de l’appareil digestif qu’il ren- ferme. Cet estomac, chez les Pycnogonides que j’ai eu occasion d’ob- server, représente à peu près un cône dont la pointe serait tour- née en arrière et s’ouvrirait dans l'intestin proprement dit (3). Il est très court, surtout chez l'Ammothée, où il correspond à peine à l’espace embrassé par la seconde et la troisième paire de pattes. C’est de cette portion du tube alimentaire que partent les cæcums signalés en premier lieu par M. Milne Edwards (4). Ces cæcums sont au nombre de dix ; les deux antérieurs pénètrent dans les pattes-mâchoires, après avoir, dans leur trajet, con- tourné le cerveau. Cette disposition est surtout bien marquée dans lAmmothée (5). Dans le Phoxichile, les deux cœcums se tou- chent presque dans une partie de leur trajet, et s’écartent brus- quement à la hauteur de l'insertion des pattes-mächoires (6). Les huit autres cœcums pénètrent dans les pattes thoraciques, et arrivent jusqu’à l'extrémité de l’antépénultième article (7). Immédiatement après les dernières paires de cæcums, le tube digestif se rétrécit extrêmement, et s'ouvre par un orifice très 1) PL.2, fig: 2, b. 2) Comptes-rendus, loc. cit. ) (4) PI. 4, fig. 4, eee; PI. 2, fig. 4 et 2, d,d,d (5) PL 4, fig. 4, dd; PL 2, fig. 2, d,d (6) PI. 2, fig. 4, da. ) Q 74 VOYAGE EN SICILE. étroit, dans l'intestin que renferme l’abdomen (1). Dans le Phoxi- chile, cette partie du tube intestinal présente une disposition particulière. L’orifice stomacal forme un véritable pylore, ouvert à l'extrémité d’un mamelon qui fait saillie dans l'intestin. Ce- lui-ci (2) est d’abord assez large, et son fond entoure, de toute part, le mamelon dont nous venons de parler. Il se rétrécit bientôt et s'ouvre, à l'extrémité de l’abdomen, par un orifice étroit, en sorte que sa forme rappelle presque complétement celle d’une bouteille renversée. Lorsque les cæcums dont j'ai parlé sont distendus par le liquide intérieur, on reconnait qu'ils offrent, dans chaque article, une dilatation allongée, et un rétrécissement correspondant à chaque articulation , d'autant plus marqué qu’on l’examine plus près de l'extrémité de la patte (3). La structure de ces cœcums est fort simple; ils sont composés d'une membrane très mince, diaphane, et dans laquelle je n'ai pu distinguer aucune fibre. Cette membrane est pour ainsi dire encroütée d’une substance granuleuse, opaque et d’un noir vio- lacé chez le Nymphon grêle, transparente et à peine légèrement jaunâtre chez le Phoxichile et l'Ammothée, Dans cette dernière, les granulations sont très distinctes, assez régulièrement distri- buées sur la membrane qui les porte , et leur diamètre est d’en- viron 5 de millimètre (4). Ces granulations sont plus rares sur l’estomac que sur les cœ- cums : elles disparaissent sur l'intestin, Dans aucun point de cet appareil gastro-intestinal, je n’ai vu de cils vibratiles, et j'admets pleinement qu'il ne s’y en trouve pas, Car, à raison de la transparence des parties, ils auraient dif- ficilement échappé à mes regards. Bien que je n’aie pu recon- naître l'existence de fibres dans les parois de l'estomac ou des cœcums qui en partent, toute cette portion de l'appareil digestif (1) PL 4, fig. 1 ; PI. 2, fig. 4 et 2.— J'avais donné, dans ma note lue à l'In- stitut, le nom de cloaque à cet intestin. (2) PL. 4, fig. 2, c (3) PL. 4, 6g. 4 (4) PI 2, fix. 3 DE QUATREFAGES. — SUR LES PYCNOGONIDES. 75 est contractile, flottant librement dans la cavité générale, et main- tenue en place seulement par quelques brides. Ces parties se dilatent et se contractent alternativement, et, dans ces mouve- ments, chassent par ondées, tantôt dans un sens, tantôt dans un autre, le liquide qu’elles renferment. Ce liquide, entièrement diaphane , entraine avec lui les ma- tières en digestion. Celles-ci se présentent sous la forme de pe- tites masses arrondies ou ovoïdes de + de millimètre environ en diamètre, lisses, homogènes et nullement granuleuses dans les pre- miers temps de la digestion (1); mais, à mesure que celle-ci s'o- père, on voit ces petits corps se décomposer en granules arrondis réfractant fortement la lumière, et dont le diamètre est à peine de + de millimètre. Ces corpuscules restent adhérents à la masse dont ils semblent avoir fait partie (2). Les fèces que l'on trouve dans l'intestin sont entièrement composées de ces granules irrégulièrement agglomérés (3), et l’on ne rencontre plus que très rarement dans ce point des masses alimentaires qui ne soient entièrement décomposées. Dans tout l’intérieur de l’appareil digestif, on voit les masses que je viens de décrire aller et venir de l’estomac dans les cæ- cums , et réciproquement, pénétrer dans un des cœcums, y sé- journer quelquefois assez longtemps; d’autres fois en ressortir presque aussitôt, et être entraînées par les mouvements du liquide dans un cœcum voisin. Toutes ces allées et ces venues se suivent, sous le microscope, avec la plus grande facilité chez l’Ammothée et le Phoxichile. Circulation et respiration. — Nous venons de voir que la por- tion du tube digestif comprise entre l’æsophage et l’intestin est libre et comme flottante dans la cavité générale circonscrite par les parois du thorax. Cette cavité se prolonge, dans les pattes, jusqu’au-delà de la terminaison des cœcums. On distingue très facilement, dans cette cavité, les muscles qui servent aux mou- 1) PI. 2, fig. 5, a r { (2) PI. (3) PI . fig 5, b, c. fig, 6 1% 9 D 76 VOYAGE EN SICILF. vements de l’animal , et qui, dans les pattes surtout, revêtent tout l'intérieur du canal formé par les téguments. Ainsi la portion de l’appareil digestif dont nous parlons est placée dans une grande lacune occupant tout le thorax, et se pro- longeant dans les pattes. Cette lacune est remplie par un liquide diaphane , où l’on dis- tingue seulement un assez grand nombre de corpuscules irrégu- liers, transparents, et semblant résulter de la soudure de globules plus petits (1). Ce liquide est sans cesse agité de mouvements irréguliers de va-et-vient, déterminés soit par les mouvements gé- néraux de l’animal , soit par les ondulations résultant de la con- traction et du relâchement alternatifs des muscles de l'estomac et des cœcums. Rien n’est plus facile que de se convaincre de ce fait en suivant, à l’aide du microscope, les oscillations des petits corpuscules que nous avons décrits plus haut. C’est à ces mouvements irréguliers que se borne, chez les Pyc- nogonides, toute la circulation. On n’apercoit point d’organe par- ticulier pour l’accomplissement de cette fonction. Cœur et vais- seaux paraissent avoir entièrement disparu et être remplacés par la grande lacune dont nous avons parlé : aussi le liquide qu’elle renferme est-il, à nos yeux, le représentant du sang ou mieux le sang lui-même. Il n’existe pas davantage d'organes spéciaux de respiration. Cette fonction doit ici être entièrement cutanée. Je ne crois guère possible que les organes circulatoire et res- piratoire existent, et qu'ils aient échappé à mes recherches. Chez l’Ammothée et le Phoxichile, l'œil, armé du microscope, pénètre sans difficulté dans ces organismes transparents, et peut se rendre compte de tout ce qu'il rencontre. Comme contre-épreuve, jai examiné de la même manière des Chevrolles, et, chez elles, j’ai reconnu tout d’abord l'organe central de la circulation et les vé- sicules branchiales qui servent à la respiration. Les Chevrolles ne sont pourtant ni plus transparentes, ni plus propres à l’observa- tion microscopique que l’Ammothée et le Phoxichile. 1) PI. 9, fig. 4. DE QUATREFAGES. — SUR LES PYCNOGONIDES. 77 SYSTÈME NERVEUX. — ORGANE DES SENS — Le système nerveux des Pycnogonides est fort simple. Il se compose d’une chaîne ganglionnaire thoracique, et d’un ganglion sus-æsophagien ou cerveau. Chez l’Ammothée et le Phoxichile, la chaîne ganglionnaire , contenue dans le thorax, se compose de quatre ganglions soudés les uns aux autres. Ces ganglions sont plus allongés transversale- ment dans l’'Ammothée (1) que dans le Phoxichile (2). Leur sépa- ration est moins bien indiquée dans la première que dans ce der- nier. Chez tous les deux, la chaîne ganglionnaire occupe seulement la partie moyenne du thorax, sur la ligne médiane , ce qui oblige les troncs nerveux, qui partent des ganglions antérieurs et posté- rieurs, à se porter obliquement en avant et en arrière, pour ga- gner les pattes, qu'ils doivent animer. Chaque ganglion fournit, de chaque côté, un seul tronc ner- veux, qui pénètre dans la patte correspondante, et ne tarde pas à se diviser pour envoyer des filets aux masses musculaires (3). Je n’ai vu aucun filet nerveux pénétrer dans l’abdomen. Le cerveau du Phoxichile consiste en un ganglion géminé, sur lequel reposent immédiatement les quatre points oculiformes (4). J'ai cru reconnaître, à la partie antérieure , l’origine de deux nerfs qui se porteraient en avant , peut-être vers les pattes-mä- choires. J’ai cru aussi distinguer la double bandelette destinée à former le collier æsophagien (5) ; mais cette observation me laisse pourtant quelques doutes. Le cerveau de l’Ammothée est formé par un gros ganglion ova- laire (6), sur le milieu duquel s'élève un prolongement qui pé- nètre dans le tubercule oculifère, et le remplit presque en en- tier (7). C’est sur cette espèce de tubercule, qui représenterait (1) PL 4, fig. 2 ; PL 4, fig. dr. (GPL. 2, fig. 4; PL. 1, fig. 2». (3)PLA, fig. 42, 2; PI. 2. fig. 4 et 2 (4) PL. à £ 4, et PI. 1, fig. 22, a. (5) PL 4, fig. 2, b (6) Pl 1 (ie Au, a5, PI.,2, fig. 2, (7) PL 4, fig. A%0:1P1:2; fig: 21e 78 VOYAGE EN SICILE. une sorte de nerf optique, que sont placés les quatre yeux, un peu plus distants les uns des autres que dans l'espèce précédente. Je n’ai d’ailleurs aperçu ici ni les filets nerveux antérieurs ni les bandelettes de communication. J’ai pu seulement soupconner l’o- rigine de ces dernières sur le premier ganglion thoracique. Les yeux de l’Ammothée et du Phoxichile présentent à peu près le même aspect que dans la plupart des Annélides errantes. Je n'ai pu distinguer qu’une sorte de cercle formé par un pigment rougeâtre, et circonscrivant un espace qui, surtout dans l’Ammo- thée , était beaucoup plus clair. Ce pigment revêtirait-il un cris- tallin plus ou moins caractérisé? Je serais porté à le croire. OBSERVATIONS GÉNÉRALES. Affinités et analogies zoologiques. — Il est permis de penser que les détails dans lesquels nous venons d’eatrer sur l’anatomie des Pycnogonides seront accueillis avec toute confiance par les naturalistes. Tout ce qu’ils ont d’essentiel a été vu une première fois, il y a près de seize ans, par M. Edwards. J’ai trouvé des faits semblables treize ans après, sans être en rien prévenu, et mes observations se sont pleinement rencontrées avec celles de ce sa- vant. Enfin, c’est ensemble que nous avons vérifié, de nouveau, ces résultats. Ils se présentent donc, ce nous semble, avec tous les caractères de l’exactitude (1). Eh bien! ces faits anatomiques conduisent ici à un résultat sem- (1) Si j'insiste sur ce point, c'est que les faits signalés dans ce Mémoire ont été très vivement contestés par quelques naturalistes qui, il est vrai, n'avaient jamais vu un Pyenogonide vivant, et qui, s'appuyant uniquement sur des prin— cipes, déclaraient que tout était renversé si ces faits étaient vrais. Au reste, parmi les personnes qui les ont contestés le plus vivement, il s'en est trouvé qui ont accueilli d'emblée et avec grande faveur des faits du même ordre, mais bien plus extraordinaires , signalés par M. Dujardin, dans son Mémoire sur la famille des Acariens. On aurait pourtant pu croire au premier abord que, n'ayant vérifié ni les uns ni les autres, elles devaient trouver bien plus inconcevable l'existence d'un animal manquant de tube digestif à parois propres, que celle d'un animal dont le lube digestif se ramifie pour suppléer à l'absence des vaisseaux sanguins. DE QUATREFAGES. — SUR LES PYCNOGONIDES. 79 blable à celui qu'avait déjà fourni l'examen des caractères extérieurs. Pour les naturalistes qui veulent à toute force retrouver toujours et partout les caractères qu’ils ont assignés à un groupe quelconque, les Pycnogonides ne peuvent être classés. Nul n'aura l’idée de les sortir de l’embranchement des Annelés : dans cet embranchement même, on ne peut guère hésiter qu'entre les Crustacés et les Arachnides. Or, les Pycnogonides, dépourvus d'organes spéciaux pour la respiration et pour la circulation, ne satisfont ni à la ca- ractéristique des Crustacés ni à celle des Arachnides. Faudra-t-il donc créer une classe à part pour les Pycnogo- nides ? Les naturalistes qui assignent aux caractères la valeur absolue . que nous leur refusons seraient obligés, pour être logiques, de répondre oui. Pour nous, qui admettons avec toutes ses conséquences cette idée de la dégradation des types , à laquelle conduit si invincible- menL l'étude des animaux inférieurs, nous répondrons non; et nous croirons être dans le vrai. Les Pycnogonides sont, à nos yeux, des Crustacés. Leurs rapports avec les animaux de cette classe avaient été sentis par la plupart des naturalistes mêmes qui les ont placés parmi les Arachnides; mais ce sont des Crustacés inférieurs, des Crustacés dégradés. Une des raisons principales qui nous portent à rattacher ces petits animaux aux Crustacés plutôt qu'aux Arachnides, c’est l’état. rudimentaire de leur abdomen. Chez les Crustacés, cette portion du corps paraît n’avoir jamais une grande importance. Chez les Macroures eux-mêmes, elle est bien plus un organe de locomotion qu'autre chose, et elle se dégrade bien rapidement, même chez les Crustacés supérieurs. Il n’est donc pas surprenant de la voir se réduire de plus en plus dans les espèces inférieures de ce groupe. Au contraire , chez les Arachnides, l'abdomen présente toujours un développement considérable ; il semble même prendre plus d'importance à mesure que le thorax et la tête deviennent moins distincts, et, chez quelques Acariens, il envahit, pour ainsi dire, le corps tout entier. 80 VOYAGE EN SICILE. A part cette différence , qui résulte précisément de ce que les Pycnogonides et les Acariens dérivent de deux types bien dis- tincts, nous trouvons, entre les animaux de ces deux groupes, des analogies remarquables : et les résultats de l'examen anatomique conduisent aux mêmes conséquences que l’étude des caractères extérieurs. Ici, pourtant, nous devons faire une remarque importante. II est évident que le groupe des Pycnogonides ne correspond pas au groupe entier des Acariens. Chez ces derniers, les espèces très nombreuses et distribuées en plusieurs groupes secondaires pré- sentent une dégradation progressive que, du moins jusqu'à ce jour, on n’a pas rencontrée chez les Pycnogonides. Ceux-ci ré- pondent à des Æcariens inférieurs. Peut-être lorsque les Crusta- cés, qui se rapprochent le plus des Pycnogonides, auront été plus complétement étudiés, trouvera-t-on qu’on doit réunir certains d’entre eux à cette famille, jusqu’à présent isolée. Peut-être alors complétera-t-on, au moins en partie, la série acarienne des Crus- tacés. Revenons à la comparaison de nos deux groupes. On peut la résumer en ces termes : Dans les Pycnogonides, comme dans tous les Acariens étudiés jusqu'à ce jour, les organes circulatoires disparaissent entièrement : la circulation est entièrement vague. Chez les Pycnogonides, comme chez certains Acariens, les organes respiratoires n'existent plus : la respiration devient simplement cutanée. Chez les Pycnogonides , comme chez un très grand nombre d’Acariens , l'appareil digestif présente des prolonge- ments plus étendus qu’il ne l’est lui-même (1). De tout ce qui précède, nous croyons pouvoir conclure, comme (1) Dugès et M. Dujardin ont vu les matières alibiles arriver dans divers points du corps chez plusieurs Acariens ; chez quelques uns, ils les ont vues pénétrer jusque dans la base des pieds (Bdelles, Gamasses, Dermanysses, Dujardin) et jusque dans le sixième article des pattes ( Dermanysse du liseron, Dugès). Or, qu'avec Dugès et Treviranus on admette des prolongements intestinaux , des cœæcums, ou bien qu'avec M. Dujardin on admette que les matières alibiles pénètrent dans une masse de sarcode sans parois propres, le résultat est le même au fond en se plaçant au point de vue où nous sommes en ce moment. — Dans l'un et l'autre cas, il ya extension de l'appareil digeshf au-delà des limites qu'il occupe ordinairement. DE QUATREFAGES. — SUR LES PYCNOGONIDES. 81 l'avait fait M. Milne Edwards, que les Pycnogonides sont des Crustacés voisins des Cyames et des Chevrolles; nous croyons pouvoir ajouter qu'ils sont, dans leur classe, les analogues de cer- tains Acariens. Considérations générales. — On sait que, chez la plupart des Crustacés, le foie est généralement très développé. Nous n’en trouvons ici aucune trace dans le corps proprement dit; mais il nous parait représenté par la matière granuleuse qui revêt les prolongements intestinaux : seulement, il faut bien reconnaître que, chez les Pycnogonides, cet organe est réduit à l’état rudi- mentaire. La détermination précédente doit-elle nous conduire à regarder comme de simples canaux biliaires les cœcums qui pénètrent jus- que vers l'extrémité des pattes? Nous ne le pensons pas; le vo- lume de ces canaux excréteurs serait réellement hors de toute pro- portion avec celui d’un organe réduit à n'être plus qu’une simple pellicule. D'ailleurs la capacité de ces cœcums est au moins cinq à six fois plus considérable que celle de l’estomac : or, il nous semble bien difficile qu'un canal excréteur soit chargé de verser ses produits dans un organe si démesurément plus petit que lui- même. Cette raison suffirait, je crois, pour faire regarder ces cœcums comme étant bien réellement des prolongements de l’ap- pareil digestif. = Ajoutons à ce qui précède que la contractilité de ces cœcums ne peut guère laisser de doute sur leur nature; cette faculté, si généralement attribuée au canal digestif des animaux, n’a pas en- core été signalée, que nous sachions, dans un seul canal excréteur. Les Pycnogonides ne sont pas les seuls animaux, parmi les Crustacés, dont le tube digestif présente des prolongements et des appendices plus ou moins compliqués. Pour ne rappeler ici que deux exemples, nous citerons seulement Ja Nicothoé du Ho- mard avec ses deux grands cœcums symétriques , et l’Argule fo- liacé avec ses canaux en quelque sorte labyrinthiques. Ni MM. Au- douin et Milne Edwards (1) dans la première, ni Jurine (2) ou (1) Mémoire sur la Nicothoé du Homard (Ann. des Sc. nat., L. IX). (2) Mémoire sur l'Argule foliacé (Annales du Muséum, t. VIL). 3° série. Zooz. T. IV. {Août 1845.) 2 6 82 VOYAGE EN SICILE, M. Vogt (1) dans le second, n’ont douté un instant de la nature de ces appendices. En les voyant se contracter, ils n’ont pas hésité à les regarder comme appartenant bien réellement à l’ap- pareil digestif; ils n’ont pas songé à en faire des cœcums ou ca- naux hépatiques. D'ailleurs les faits relatifs à la digestion que j'ai rapportés plus haut ne peuvent, ce me semble, laisser aucun doute sur la nature des cœcums des Pycnogonides. Les matières nutritives pénètrent dans leur intérieur, y séjournent, en sortent, y ren- trent de nouveau, et pendant ces allées et venues on les voit pré- senter de plus en plus l’altération particulière qui permet ici de suivre des yeux les progrès de la digestion. Il est impossible de ne pas reconnaître que celte fonction s'exécute aussi bien dans les cœcums que dans l'estomac, aussi bien à l'extrémité des “Lt que dans le corps lui-même. Dès lors on ne saurait refuser à ces cœcums de faire partie de la cavité digestive, d’en être de simples prolongements: EXPLICATION DES PLANCHES. PLANCHE À. Fig. 4. Ammothée pycnogonoïde grossie.— a, œsophage; b, estomäc; c, intestin; d,d, cœcums digestifs des pattes-mâchoires ; ee, cœcum digestif des pattes ambulatoires. Fig. 11. Système nerveux de l'Ammothée pycnogonoïde.— a, cerveau ; b, ganglion oculifère; ce, bandelette œsophagienne, dont la plus grande partie n'a pu être vue distinctement ; 1,2,3,4, ganglions thoraciques. Fig. 2. Dernier anneau et abdomen du Phoæichile épineux. — à, portion de l'es- tomac; b,b; les cœcums digéstifs qui en partent; €, intestin renfermé dans un abdomenñ très rudimentaire. Fig. 22, Système nerveux du Phoæichile épineur. — a, cerveau, sur lequel Is yeux reposent immédiatement ; b, bandelette œsophagienne ; 1,2,3,4, les gan- glions thoraciques, dont les troncs nerveux se dessinent très près de leur ori- gine. (1) Beitræge zur Naturgeschichte der Schveizerischen Cruslaceen (Neuchâtel , DE QUATREFAGES. — SUR LE PHLÉBENTÉRISME. 83 PLANCHE 9, Fig. 1. Phorichile épineux très grossi. — u, bouche et æsophage; b, dilatation de l'œsophage ; e, abdomen et inteslin; d,d,d, cœæcums digestifs partant de l'es- tomac ; e, cerveau ; /,f,f, troncs nerveux qui partent des ganglions thoraciques. Fig. 2. Ammothée pycnogonoïde très grossie. — a, bouche et œæsophage; b, dilata- tion de l'œsophage : e, abdomen et intestin; d,d,d, cœcums digestifs: e, cer- vean ; e’, ganglion oculifère; f,f,f, troncs nerveux. Fig. 3. Extrémilé d'une patte d'Ammothée pycnogonoïde [200 diamètres environ). — On voit l'extrémité du cœæcum digestif qui pénètre jusque dans l’antépénul-: tième article, et qui est couvert des granulations hépatiques a,a. Fig. 4. Corpuscules irréguliers, charriés par le sang (300 diamètres). Fig. 5. Matières en voie de digestion, telles qu'on les rencontre dans toute l'é- tendue de l'appareil digestif (300 diamètres). Fig. 6. Matières entièrement digérées, telles qu'on les rencontre dans l'intestin (300 diamètres). NOTE SUR LE PHLÉBENTÉRISME: Par M. DE QUATREFAGES. L'étude des animaux inférieurs, si importante pour la zoologie descriptive, m'intéresse pas moins vivement la physiologie géné- rale ; elle seule peut nous montrer ce qu'il y a d’erroné dans les opinions les plus rationnelles en apparence. Quoi de plus naturel, par exemple, que d'admettre, comme une incontestable vérité, que la persistance des appareils orga- niques est en rapport direct avec l'importance des fonctions dé- volues à ces appareils? et pourtant rien n’est moins conforme aux faits que cette proposition. Ainsi, la respiration, cette fonction sans laquelle aucun être vivant ne peut exister, est peut-être celle dont l’appareil orga- nique spécial se simplifie lé premier ou même disparaît entière- ment. Il en est de même pour la circulation, autre fonction d’une im- portance si évidente chez les animaux les plus élevés. Aussi il n'existe déjà plus d'organes respiratoire et circula- toire, que l'on voit bien souvent encore les appareils de la loco- 8lt VOYAGE EN SICILE. motion, ceux des sensations , de la digestion et de la reproduc- tion, présenter un développement considérable et souvent une grande complication. Alors, on le sait, la respiration, de localisée qu’elle était, devient diffuse : les téguments sont chargés de cette fonction. Quant à la circulation, elle est remplacée par une agi- tation plus ou moins irrégulière, que les mouvements soit du corps entier , soit de quelques unes de ses parties, impriment au fluide nourricier, lequel occupe dans ce cas la cavité viscérale ainsi que les divers prolongements qu'elle peut présenter. En même temps que les appareils de la respiration et de la cir- culation se dégradent en disparaissant, le canal digestif présente souvent, mais non pas toujours, une modification remarquable. On le voit se compliquer de prolongements, d’appendices plus ou moins nombreux, plus où moins ramifiés, qui, en général, se portent vers la surface du corps. C'est cette disposition organique que j’ai proposé de désigner sous le nom de phlébentérisme. Le phlébentérisme me semble avoir pour effet tantôt de faciliter seulement l’acte de la respiration, tantôt de suppléer à l'absence de quelque portion de l'appareil circulatoire , tantôt enfin de rem- placer en entier le système vasculaire des animaux supérieurs (4). (1) Cette espèce de définition du phlébentérisme est rigoureusement copiée dans la note lue à l’Académie des Sciences, le 25 novembre 1 84% (voir le compte- rendu de cette séance) ; il m'est done permis de trouver extraordinaire qu'on m'ait prêté, quant à la signification de ce mot, une foule d'opinions qui ne sont jamais entrées dans ma pensée.—Je me contenterai de signaler ici deux des prin- cipales, et d'y répondre en peu de mots. Quelques personnes, s'appuyant sur l'étymologie du mot Phlébentérisme (ge, erepy), Ont Cru que j'avais voulu dire que, chez les animaux Phlébentérés, le tube digestif jouait le rôle des veines, et faisait partie du cercle circulatoire. — Je reconnais que si l'on tient rigoureusement compte de l'acception la plus ordi- naire du motw)abs, cette racine était mal choisie : j'aurais dû préférer le mot œyy5o Où æyyev. qui répond plus exactement au mot vaisseau, en latin vas ; mais le mot web se prend aussi quelquefois dans un sens général. C'est dans ce sens seul que je l'ai employé: la définition que je viens de rappeler le prouve suffisamment. Au lieu donc de chercher dans l'étymologie du mot Phlébentérisme un sens que je n'y avais pas attaché, on pouvait tout au plus attaquer la composition du mot, et par conséquent en proposer un nouveau , par exemple celui de Engientérisme, DE QUATREFAGES. — SUR LE PULÉBENTÉRISME, 55 Dans le grand travail que M. Milne Edwards à publié sur la circulation , le premier chapitre est consacré , on le sait , à retra- cer d’une manière générale le mode de distribution des fluides nourriciers dans l’économie. Le rôle de ces expansions du tube digestif fonctionnant , dit ce célèbre naturaliste, comme un appa- reil d'irrigation organique, y est complétement apprécié (1). Nous n’avons donc pas à revenir sur ce côté de la question; nous rappellerons toutefois que nous l’avons indiqué dans notre Mé- moire sur l’Éolidine , en rappelant ce que M. Milne Edwards lui- même avait dit précédemment dans sa Note relative à la Calliopée de Risso (2). ou tout autre. Je tiens peu à un mot, et si mes adversaires en avaient inventé un qui rendit mieux ma pensée, je me serais häté de l'adopter. D'autres personnes, et en très grand nombre, ont cru que je désignais par le mot de Phlébentérisme « l'état incomplet du cercle circulatoire, d'où résulte la » diffusion du sang dans les lacunes de la cavité viscérale et du corps entier. » Ici encore il est évident, d'après la définition citée plus haut, que l'on s'est mé- pris sur ma pensée. L'absence de système circulatoire complet coïncide souvent, presque toujours, pourrais-je dire, avec un appareil digestif plug ou moins ra- mifé ; mais ce sont là deux choses distinctes et que j'ai toujours distinguées. Ce qui le prouve, c'est que, dans Ja note lue à l'Académie, j'ai mis au nombre de animaux chez lesquels on observe le phlébentérisme les Aphrodites, dont pourtant je crois le système circulatoire aussi complet que chez les autres Annélides er- rantes. C'est, du reste, la méprise dont je parle qui a fait dire que M. Edwards et M. Valenciennes, dans leurs Mémoires sur la circulation des Mollusques en général, avaient aussi fait du phlébentérisme, mais du phlébentérisme mitigé. Je le répète ici: le mot Palébentérisme s'applique à un fait anatomique admis par tout le monde, savoir, la ramification plus ou moins prononcée d'une portion du tube digestif. Ceux-là seuls peuvent réclamer avec raison contre cette expression ou toule autre équivalente, qui regardent ces ramifications comme de simples ca- “au biliaires, et le nombre des personnes qui soutiennent cette opinion est, je crois, bien restreint. A côté de ce fait anatomique se trouve, dans les Mémoires que j'ai publiés déjà et dans la Note actuelle, la discussion des conséquences physiologiques qu'il doit entraîner. Ici je comprends que les opinicns puissent varier, d'autant plus que parmi les personnes qui ont cru pouvoir exprimer à ce sujet leur manière de voir, presque pas une n'avait observé les faits qu'il s'agissait d'apprécier. (1) Ann. des Sc. nat., 3° série, t. LIL. (2) 16., 2° série, t. XVIII 56 VOYAGE EN SICILE, Mais cette disposition particulière me parait, en outre, ètre en rapport direct avec les fonctions respiratoires, C’est ce point de vue, déjà signalé dans mon Mémoire sur les Mollusques phlé- bentérés (1), que je crois utile de développer ici en quelques mots ; mais pour faire comprendre toute ma pensée, il est néces- saire de jeter un coup d'œil sur ce qui existe chez les Vertébrés les plus élevés. Chez les Mammifères, les produits de la digestion, destinés à entretenir les qualités nutritives du sang, à réparer les pertes qu'il fait à chaque instant sous ce rapport, sont d’abord introduits dans le système veineux, soit directement, soit à l’aide d'un ap- pareil circulatoire spécial composé de vaisseaux chylifères et de lymphatiques. Avant d’arriver dans le système artériel, c’est-à- dire avant de $e mêler au sang qui doit nourrir les organes, ils subissent l’action de l’air dans les poumons. En d’autres termes, pour qu’une matière devienne apte à l’assi- milation, c’est-à-dire à la nutrition proprement dite, il faut qu'il y ait d’abord digestion, puis respiration ; du moins les choses paraissent-elles se passer foujours ainsi chez les animaux les plus élevés, Considérés au point de vue qui nous occupe, le système vei- neux , l’appareil des lymphatiques et le système artériel de la pe- tite circulation , sont des intermédiaires entre l'intestin, où se fait la digestion, et le poumon, où s’accomplit la respiration. Chez les Invertébrés, les vaisseaux lymphatiques et chylifères manquent; le système veineux disparaît chez le plus grand nom- bre, en tout ou en partie, Aujourd'hui, en effet, nous ne connais- sons plus guère que les Annélides, peut-être les Échinodermes, chez lesquels le sang circule dans un système de vaisseaux clos (2), sans tomber dans les lacunes du corps ; mais chez ces (1) 1b., 3° série, t. I. (2) On peut joindre aux Annélides proprement dites quelques types qui s'y rattachent d'une manière plus ou moins immédiate ; telles sont, par exemple, les Echiures, les Némertes, chez lesquelles le cercle circulatoire, bien que très simple, est réellement complet. {Voir les planches jointes à la nouvelle édition du Règne animal de Cuvier.) DE QUATREFAGES. — SUR LE PHLÉBENTÉRISME, 87 animaux mêmes rien ne représente d’une manière absolue le système veineux des Vertébrés. M. Milne Edwards a montré, en effet, depuis longtemps que, chez la plupart des Annélides er- rantes , chaque portion de l’appareil circulatoire est à la fois vei- neuse et artérielle, du moins quant à son rôle physiologique. Chez les Tubicoles , il en est très probablement ainsi, bien que, chez elles, la respirationsemble plus complétement centralisée que chez les précédentes (1). La même observation s'applique avec plus de raison encore aux Echinodermes (2). Eh bien, chez tous ces animaux , les produits de la digestion sont-ils versés immédiatement dans le torrent de la circulation ? Au sortir du tube digestif sont-ils mis sans préparation aucune en contact avec les tissus qu'ils doivent nourrir ? Nullement ; et ici nous voyons se montrer l’utilité bien réelle d’une disposition ana- tomique à laquelle on a, ce me semble , accordé jusqu’à ce jour trop peu d’aitention. La très grande majorité des animaux dont nous venons de par- ler, tous peut-être, présentent entre les couches tégumentaires et le tube digestif un espace occupé tantôt par une cavité entière- ment ou presque entièrement libre (Annélides, Échiure, Né- mertes, Planaires (3) , tantôt par un système de lacunes commu- niquant entre elles, et présentant des mailles plus ou moins serrées (Mollusques, Crustacés, Insectes); cette cavité, ou les lacunes qui la représentent, est toujours remplie d’un liquide en (1) Dans certains cas, les pieds des Tubicoles présentent des lacis vasculaires qui servent certainement d'appareils secondaires de respiration. Il me suffira, du reste , de dire ici qu'une Tubicole peut vivre encore fort longtemps après avoir perdu ses branchies proprement dites. (2) 11 parait résulter des recherches de MM. Tiedemann, Delle-Chiaje et Milne Edwards, que les Échinodermes possèdent un système circulatoire clos ; cepen- dant nous avons entendu le dernier de ces savants émettre quelques doutes à cet égard, surtout pour les Holothuries. (3) On a considéré à tort les Planaires comme des animaux parenchymateux. Dans un Mémoire qui ne tardera pas à paraitre, nous montrerons que l'épaisseur des téguments, la composition, la grande ramification du tube alimentaire , ont occasionné une erreur que l'examen attentif des espèces marines ne tarde pas à dissiper, surtout lorsqu'on les étudie à l'époque de la gestation. 50 VOYAGE EN SICILE. général incolore, et dans lequel flottent des corpuscules irré- guliers. Quel est le rôle de cette cavité? Que représente ce liquide? L'anatomie va répondre à ces questions, Chez les animaux qui, comme les Annélides, possèdent un cercle circulatoire clos et complet, le tube digestif suspendu dans cette cavité générale est plongé dans le liquide qu’elle renferme. Par conséquent les produits de la digestion doivent, au moins en partie, entrer dans le torrent de la circulation en traversant cette cavité, en se mêlant à ce liquide. En outre, la cavité qui nous occupe est en rapport avec tous les organes intérieurs. Rien ne saurait exsuder de leur surface sans se mélanger at liquide qui les baigne sans cesse, Sous ce double rapport, la cavité dont nous parlons joue donc le rôle de l’appareil chylifère et de l'appareil lymphatique des animaux supérieurs ; mais, tandis que, chez ceux-ci , les fluides réparateurs sont versés directement dans les canaux de l’appareil circulatoire , ici c’est par endosmose seulement que le sang puise, dans le liquide de la cavité générale, les matériaux dont il a besoin. Si des Annélides nous passons aux Crustacés qui ont des artères et point de veines, il est facile de voir que le liquide produit dans la cavité générale (représentée ici par un ensemble de lacunes) se mêle continuellement au sang ; qu'il n’est, en réalité, que le sang lui-même, plus les produits de la digestion et de la sécrétion des surfaces organiques. Sous ce rapport, le sang veineux des Crustacés ressemble entièrement au sang veineux des Mammifères, après que celui-ci a reçu le tribut que lui apportent les gros troncs Jymphatiques (1). (1) I est évident que ce que nous venons de dire des Crustacés s'applique éga- lement aux Mollusques chez lesquels l'interruption entre les artères et les veines est complète, et en particulier, par exemple, à l'Aplysie. M. Milne Edwards a montré qu'il n'existait chez elle, à proprement parler, d'autres veines que les vaisseaux branchio-cardiaques. Ainsi tout est disposé chez ce Gastéropode comme chez les Crustacés. A plus forte raison appliquerons-nous les réflexions précédentes aux Mollus- ques pour lesquels nous avons proposé le nom de Phlébentérés, Après les travaux DE QUATREFAGES. — SUR LE PHLÉBENTÉRISME, 89 Or, chez les Crustacés tout comme chez les Mammifères , ce sang veineux, avant de se mêler au sang arlériel, traverse l’or- gane respiratoire, et subit l’action de l'air. Quant aux animaux qui présentent des dispositions anatomi- ques intermédiaires entre celles que nous venons de décrire, qui ont des artères et des veines, mais chez lesquels le cercle circu- latoire présente des interruptions plus ou moins considérables (Mollusques céphalopodes, certains Gastéropodes) , il est pro- bable que la composition du sang veineux et du liquide de la cavité générale tient le milieu entre ce qui existe chez les Annélides et ce qu'on trouve chez les Crustacés. Mais une chose bien digne de remarque, c'est que, dans aucun des cas dont nous venons de rappeler les principaux, le liquide renfermé dans la cavité générale ne se mêle au sang artériel sans avoir respiré. Cela est évident pour les Crustacés et pour les Mollusques, puisque le sang passe par les branchies avant d'arriver au cœur. Cela est également vrai pour les Annélides. Le liquide de la si remarquables de MM. Milne Edwards et Valenciennes, après les confirmations que leur ont apportées MM. Owen, Pouchet, Van Bénéden, Nordmann, il doit être évident aujourd'hui pour tous les naturalistes qu'il y a chez ces animaux, comme chez les autres de la même classe, interruption dans le cercle circulatoire, bien que ce point ait été si vivement contesté dans ces derniers temps. Il m'est même permis de croire que le travail de M. Nordmann, sur un Tergipédien de la mer Noire, aura convaineu bien de mes confrères que je n'étais pas si éloigné de la vérité, lorsque je niais chez ces animaux l'existence de toute veine proprement dite, c'est-à-dire ayant des parois propres. M. Nordmann n'a trouvé qu'un petit nombre de troncs principaux ; je crois que ces troncs ne sont que de simples ca- naux sans parois propres, creusés dans le tissu lacunaire du corps. Tel est du moins le resultat des recherches nombreuses que j'ai faites sur l'Éolide de Cuvier. Au reste, que ces canaux aient ou non des parois propres, qu'ils méritent ou non la qualification de veines proprement dites, ils n'existent qu'entre les appen- dices branchiaux et le grand sinus dorsal qui joue le rôle d'oreillette : ce ne sont donc que des canaux branchio-cardiaques. La grande circulation n'a point de veines : par conséquent nous retrouverions encore ici une crganisation semblable à celle des Crustacés. On comprendra de reste que je ne puis aborder ici d'une manière incidente la discussion des faits relatifs aux Mollusques Phlébentérés, et que je dois renvoyer le lecteur à l'époque où je publicrai avec détail mes recherches sur ce sujet. 90 VOYAGE EN SICILE, cavité générale respire , aussi bien que le sang renfermé dans les vaisseaux, Chez toutes les Annélides que j'ai étudiées avec assez de suite pour faire des observations de cette nature, j'ai trouvé des cils vibratiles sur divers points du corps bien distincts des branchies , à la base des pieds, dans l'intervalle des anneaux, aux environs de la bouche, etc. Quelquefois les cils forment une double rangée sur la ligne médiane ventrale, Enfin, je crois avoir reconnu que ces surfaces ciliées se multiplient d'autant plus que les organes spéciaux de respiration deviennent moins distincts, ou que les organes circulatoires eux-mêmes manquant plus ou moins complétement, la respiration devient de plus en plus dif- fuse (1). : Chez les Mollusques eux-mêmes, la respiration n’est bien cer- tainement pas bornée aux branchies. J'ai déjà fait connaître l’exis- tence des cils vibratiles sur presque toute la surface du corps de certains Nudibranches. On peut faire des observations de même nature sur les autres Gastéropodes, sur les Acéphales, etc, M. Milne Edwards a montré que, dans certains cas, chez ces der. niers, le manteau devient le siége d’une circulation particulière, que le sang respirait dans cet organe, et se rendait ensuite direc- tement au cœur, sans passer par les branchies (2), Enfin, j'ai plusieurs fois vu des Éolidiens, plus ou moins complétement dé- pourvus de leurs cirrhes branchiaux, continuer à vivre pendant longtemps. Un de ces Nudibranches, qui, soumis à la compres- sion, avait perdu tous ses cirrhes sans exception, a véeu dans mes vases, à Paris, pendant plus de deux mois, et avait en partie re produit les organes que je lui avais arrachés (3). Il est évident (1) Dans le rapport fait à l'Académie sur l'ensemble de mes recherches, par une commission composée de MM. Duméril, Isidore Geoffroy-Saint-Hilaire et Milne Edwards , ce dernier a signalé quelques uns des faits de dégradation orga- nique que j'avais observés chez les Annélides. J'en ferai connaître plusieurs au- tres lorsque je publierai mes travaux sur cette classe d'Invertébrés, travaux qui m'ont principalement occupé depuis cinq ans, lors de mes courses au bord de la mer. ( Voir le Rapport de Milne Edwards, Comptes-rendus, 15 janvier 1844, et Ann. des Sc. nat., 3° série, t. [.) (2) Note communiquée à la Société philomatique. (3) Je ne sais si cette expérience réussirait aussi bien sur l'Éclide de Cuvier et DE QUATREFAGES. — SUR LE PILÉBENTÉRISME, 91 que, dans ce cas, la respiration se faisait par les téguments seuls. Ainsi, jusque chez les Mollusques, qui ont des organes respira- toires plus ou moins caractérisés , les produits de la digestion res- pirent même avant d'arriver dans ces organes, Nous trouvons donc, chez les Invertébrés qui nous occupent, un fait analogue à celui dont nous rappelions, plus haut, l’exis- tence chez les Vertébrés. Ici, comme au sommet de l'échelle ani- male, les matériaux destinés à l’entretien du fluide nourricier semblent avoir besoin de subir l’action de l’air avant de dévenir aptes à se mêler au sang artériel. Or, dans certaines circonstances, la nature parait avoir voulu rendre plus facile cette action de l'air en rapprochant des surfaces respirantes la portion de l'intestin par où peut avoir lieu l’exha- lation chyleuse ; et elle atteint ce but à l’aide de la ramification de l'expansion de l'intestin, à l’aide du phlébentérisme. Le phlébentérisme sert donc, au moins dans certaines circon- stances, non seulement à transporter dans tout le corps les pro- duits de la digestion nécessaires à son entretien, mais encore à faciliter l’action de l’air sur ces produits. Cette double manière d'envisager le résultat physiologique que doit avoir la disposition anatomique dont nous parlons nous rend assez facilement compte de quelques unes des modifications qu’elle subit, Elle nous explique, entre autres, pourquoi le phlébenté- risme ne présente tout son développement que chez des animaux plus ou moins complétement dépourvus d'organes respiratoires. Elle nous fait comprendre comment le phlébentérisme peut se montrer dans les espèces dont l’appareil circulatoire est très dé- veloppé, comme il l’est, par exemple, chez les Aphrodites, fci les vaisseaux sanguins doivent sans doute suflire pour transporter sur les autres Éolidiens dont les cirrhes sont très nombreux et adhèrent assez fortement au corps; mais je pense qu'on pourrait la répéter sur certaines Vénilies dont les cirrhes se détachent avec une facilité extrême. J'engage les naturalistes qui se trouveraient dans des circonstances favorables à vouloir bien essayer : le succès serait pour eux la confirmation la plus évidente de certains faits que j'ai publiés, et dont on a nié la possibilité. Toutefois j'ajouterai que je l'ai faite moi- même uniquement sur l'Éolidine, et par conséquent je puis seulement présumer que, tentée sur les Vénilies, elle donnerait les mêmes résultats. 92 VOYAGE EN SICILE, dans l’économie entière des éléments de la nutrition. Mais sous les téguments épais, sous les poils feutrés de ces Annélides, le chyle n’aurait que diflicilement subi l’action de l’air : aussi ces té- guments présentent-ils des appendices où pénètrent des ramifica- tions de l'intestin, que baigne un courant d’eau sans cesse re- nouvelée, et les produits de la digestion peuvent ainsi respirer au sortir même des cœcums intestinaux, avant de pénétrer dans la cavité générale, pour se mêler aux autres liquides , plus complé- tement élaborés. Ces liquides eux-mêmes pénètrent dans les pro- longements tégumentaires, et grâce à cette disposition, le fluide nourricier renfermé dans la cavité générale du corps des Aphro- dites se trouve ramené aux conditions communes aux autres An- nélides (4). Si maintenant nous appliquons celle manière d'envisager le. phlébentérisme aux animaux qui manquent à la fois d'organes cir- culatoires et respiratoires, son utilité devient encore plus évidente. Prenons pour exemple les Pycnogonides. Chez ces Crustacés, la peau reste entièrement chargée de la respiration. La cavité générale du corps cumule avec ses fonctions ordinaires celles des systèmes artériel, veineux et lymphatique. Le liquide qu’elle ren- ferme est bien réellement le sang; mais ce sang recoit en même temps et immédiatement , et sans cesse, les produits de la diges- tion, et tous ceux qui exsudent des organes internes par suite de l'activité vitale. Si l'intestin avait été renfermé en entier dans le corps de l’a- nimal , il est évident que ses produits se seraient mêlés au sang, sans pouvoir subir l’action de l'air autrement qu'à travers une carapace épaisse. Pour obvier à cet inconvénient, l'intestin s’est prolongé dans ‘4) Les branchies des Aphrodites demandent, du reste, à Ctre étudiées de nou- veau, car on ignore encore quelles sont au juste les relations de ces organes avec l'appareil circulatoire. Si l'on venait à reconnaître que les vaisseaux sanguins ne s'y comportent pas comme dans les branchies des autres Annélides où ces organes sont bien développés, comme chez les Eunices , par exemple. le rôle du phlében- térisme, en tant que suppléant à l'imperfection de l'organe respiratoire, recevrait de ce fait une éclatante confirmation. DE QUATREFAGES. — SUR LE PHLÉBENTÉRISUE, 93 les pattes. La surface exhalante de l'intestin et la surface respi-. rante de ces appendices n’ont plus été séparées que par un espace étroit. De plus, la respiration étant nécessairement plus active dans les pattes, à raison du peu d'épaisseur des téguments sur les nombreux points d’articulation, les sucs nutritifs, en sortant de l'intestin, ont pu subir l’action de l'air avant d'aller se mêler à la masse du sang élaboré qui remplit le tronc. Sans même invoquer ici l’activité vitale, qui bien certainement ne reste pas oisive dans l’accomplissement des phénomènes dont nous parlons, les lois qui régissent les corps inanimés suffisent pour prouver que les choses doivent se passer comme nous ve- nons de l'indiquer. Les sucs alimentaires renfermés dans le tube digestif, le liquide de la cavité générale, qui pénètre entre les cœcums intestinaux et les téguments, enfin l’eau dans laquelle est plongé l'animal, forment autant de masses liquides différant par leur composition, et séparées seulement par de minces membranes organisées. On voit qu'en vertu des lois de l’endosmose, il doit nécessairement s'établir entre elles des échanges continuels, et que les produits qui passent de l'intestin dans les pattes ne peuvent pas échapper à l’action de l’eau aérée , agissant par l'intermédiaire de la peau. Il est évident que des phénomènes entièrement semblables de- vront se produire chaque fois que nous trouverons réunies des conditions identiques. Or, ces conditions se retrouvent exactement les mêmes chez les Mollusques phlébentérés. Nous nous croyons donc autorisé à conclure que les appendices dorsaux de ces Mollusques servent à la respiration immédiate des produits de la digestion aussi bien qu'à la respiration du liquide de la cavité générale, qui ici n’est autre chose que le sang lui- méme (1). (1) Dans mon Mémoire sur l'Éolidine, j'ai insisté d'une manière toute spéciale sur la respiration du sang dans les appendices dorsaux de ce Mollusque. Ce que j'ai dit de lui s'applique à tous les autres. Depuis, j'ai surtout insisté sur la respiration du chyle où des produits de la digestion. On a voulu voir dans ces deux choses bien distinctes une contradiction que ne m'auront certainement pas prêtée les natura- listes qui ont bien voulu me lire avec quelque attention. Jk VOYAGE EN SICILE, En résumé , chez les animaux Phlébentérés (4), les prolonge- ments intestinaux portent les matériaux de la nutrition dans divers points du corps. Sous ce rapport, ils jouent le rôle de vais- seaux, De plus, lorsque ces prolongements pénètrent dans certains appendices , comme chez les Pycnogonides et chez certains Mol- lusques , il en résulte que les produits de la digestion subissent immédiatement (2) l'action de l'air. Sous ce rapport, les prolon- gements dont nous parlons jouent le rôle de vaisseaux de l'ap- pareil circulatoire. (1) On sait que l'ordre nouveau dont j'avais proposé l'établissement dans la classe des Gastéropodes était essentiellement caractérisé par l'état imparfait de l'appareil circulatoire. J'avais cru trouver dans ce fait l'indice d’une dégradation organique, et mon erreur était, je crois, bien excusable, puisqu'elle prenait sa source dans une opinion qui m'était alors commune avec tous les zoologistes, sans exception. Je croyais alors comme tout le monde que l'appareil circulatoire des Mollusques était complet. Depuis cette époque, les recherches personnelles de M. Milne Edwards, et celles que ce naturaliste a faites en commun avec M. Valenciennes, ont démontré que c'était là une erreur, et que, chez tous les Mollusques, cet appareil est incomplet. Ainsi l'embranchement tout entier présentait cette disposition, que j'avais crue exceptionnelle. Dès lors le groupe dont le premier j'avais proposé la formation ne pouvait sub- sister comme ordre ; mais, par l'ensemble de ses autres caractères, il n'en mérite pas moins d'être distingué des groupes voisins, et il me semble qu'on devra le conserver comme famille. En cela je me réunis RÉ ERIeRe aux naturalistes qui m'ont le plus vivement combattu. Toutefois j'ajouterai que l'expression de Phlébentéré me semble pouvoir être conservée, comme permettant de caractériser d'un seul mot tel ou tel animal dont l'organisation présente un certain ensemble de particularités anatomiques. C'est en ce sens, par exemple, qu'on pourra dire que les Pycnogonides sont des Crus- tacés phlébentérés, les Planaires des Turbelluriés phlébeniéres, ete., ete (2) Ces expressions (subissent immédiatement l'action de l'air) signilient que les produits de la digestion sont soumis à l'action de l'air au sortir du tube digestif, sans passer pur l'intermédiaire de vaisseaux chylifères ou autres. Cette explication paraîtra sans doute bien inutile à la plupart de mes lecteurs ; mais j'ai cru devoir la mettre ici pour les personnes qui, ne s'attachant qu'à un mot interprété je ne sais trop comment, ont cru que, dans ma manière de voir, la respiration, chez les Mollusques phlébentérés, se faisait dans l'intérieur méme des Cœærums. LERERT ET ROBIN. — FÉCONDATION DE CALMAR COMMENX. 95 NOTE Sur un fait relatif au mécanisme de la fécondation du CALMAR COMMUN {Sepia loligo, L., Loligo vulgaris) ; Par MM. LEBERT et Ch. ROBIN. (Lue à la Société philomatique de Paris, le 31 mai 1845.) Le 98 avril 1845, nous primes vivant un Calmar femelle adulte, dont nous fendimes aussitôt le sac sur la ligne médiane antérieure, dans le but d'étudier les contractions des cœurs ; mais nous en fûmes empêchés par l'examen du fait suivant : Dans la cavité du sac, précisément au niveau de l’oviducte du côté droit, au-dessous et un peu sur le côté de son orifice, nous trouvâmes un gros faisceau de filaments d’un blanc de lait, longs de 17 millimètres, absolument semblables à ceux que l’on trouve rangés latéralement les uns aux autres en un ruban spiral, dans la poche needhamienne du mâle, et auxquels M. Milne Edwards a définitivement donné le nom de spermatophores, en même temps qu'il en a précisé la structure et déterminé les fonctions, indi- quées par leur nom (4nnales des Sciences naturelles. Décembre 1842). Ces spermatophores, qui sont au nombre de deux cent trente environ, se touchent tous et adhèrent les uns aux autres dans une longueur de 3 millimètres. Le faisceau ou panache fila- menteux qui résulte de leur adhérence dans une petite partie de leur longueur a 15 millimètres de largeur à sa base; dans tous les-sens. Cette base adhère à l’épiderme avec assez de force pour que cette membrane soit enlevée lorsqu'on essaie de détacher le faisceau en entier. L’adhérence des spermatophores les uns aux autres et de leurs extrémités à l'épiderme a lieu par l’intermé- diaire d’une substance demi-transparente, comme gélatineuse, hyaline et sans structure apparente à un grossissement de 400 dia- mètres. La peau n’a subi aucun changement appréciable au-des- sous du faisceau de spermatophores. 96 LEBERT ET ROBIN. — SUR LA FÉCONDATION Examen des spermatophores. — Étudiés à l'œil nu, ces organes présentent la forme d’un petit cylindre régulier, paraissant déjà composés de deux parties; l’une est la partie adhérente , longue de 3 millimètres, large d’un demi-millimètre, un peu plus trans- parente que la partie libre. Cette dernière est en contact immé- diat, par un de ses bouts, avec l’un de ceux de la partie adhé- rente; elle a le même volume qu’elle, et s’en distingue seulement par sa couleur d’un blanc mat et opaque. Sa longueur est de 14 millimètres; son extrémité libre est légèrement conique. Lors- qu'on détache un des spermatophores du faisceau, la partie adhé- rente des spermatophores entraîne toujours une couche plus ou moins épaisse de la gangue gélatineuse résistante, qui les fait ad- hérer les uns aux autres. Lorsqu'on vient à couper la partie libre d’un des spermato- phores, il faut exercer une légère pression pour en faire sortir un liquide d’un blanc opaque, visqueux, de manière à conserver quelques instants la forme cylindrique, avant de former une goutte laiteuse. Celle-ci, examinée au microscope, se montre en- tièrement composée de zoospermes, qui sont tous libres, se meu- vent rapidement, et ne sont mélangés d'aucun globule accessoire. Leur longueur est de 0"",058; la tête a 0"",008 de long, et la queue 0"",05 ; tantôt la queue est droite, tantôt elle est roulée en cercle autour de la tête. En coupant la partie adhérente et la pressant pour en faire sortir le contenu, de manière à pouvoir l'examiner au microscope, l’on voit que celui-ci est formé de gout- telettes d’un liquide visqueux , représentant, par réfraction , l’as- pect des gouttes de graisse, Les globules graisseux qui s’écoulent, étant mis en contact avec l'eau, se réunissent rapidement en petits amas, de manière à si- muler des cellules parfaitement rondes, de différents volumes, que l’on voit bientôt se modifier, de manière à présenter l’aspect de la substance que M. Dujardin a appelée sarcode; mais ils ne renferment pas de zoospermes,. Ayant pris des spermatophores sur un mäle, nous avons re- connu qu’ils se composaient aussi de deux parties principales; l’une contenant des zoospermes semblables à ceux des spermatophores DU CALMAR COMMUX. 97 pris sur la femelle, et à ceux figurés par M. Milne Edwards (Loe. eit., pl. 12, fig. 6); l’autre partie, cinq à six fois plus courte, formée aussi de la même matière grasse dont nous venons de parler. Notre examen des spermatophores du mäle s’est borné à constater ce qui précède ; ce que nous allons décrire a été vu seu- lement sur ceux de la femelle. Notons toutefois que les sperma- tophores du mâle éclataient plus ou moins rapidement dès qu’ils étaient extraits de la poche needhamienne et exposés soit au con- tact de l’eau, soit seulement au contact de l'air, tandis que ceux de la femelle n’éclataient pas au contact de l’eau salée ; ils écla- taient cependant quelquefois, mais non toujours après cinq ou six minutes de séjour dans l’eau pure. Depuis les recherches de M. Milne Edwards, citées plus haut, l’on sait que les spermatophores du Calmar commun (Loligo vul- garis) sont composés , 1° d’une enveloppe générale extérieure ou étui; ® d'un réservoir spermatique constituant la plus grande partie du spermatophore, et postérieure quand ce corps est en po- sition normale dans la poche de Needham ; 3° d’un appareil éja- culatoire situé en avant, et se composant de trois parties princi- pales, savoir : la trompe. le sac et le connectif. La circonstance suivante, que l'extrémité qui renferme le réservoir du sperme est plus renflée dans les spermatophores représentés par M. Milne Edwards que l'extrémité antérieure, qui contient l'appareil éja- culateur, nous fit soupconner qu'il y avait quelque différence de développement entre les spermatophores étudiés par ce savant et ceux que nous avions sous les veux. En effet, sur ces derniers, la partie renfermant le réservoir, ou partie libre, se termine en cône légèrement effilé, au lieu d’être renflée, et la partie qui doit contenir l'appareil éjaculateur, et qui est ici la partie adhérente, est un peu plus grosse que la précédente, et se termine par un bout légè- rement renflé. L'examen au microscope des spermatophores et de leurs parties constituantes, répété un grand nombre de fois sur les organes frais et sur d’autres mis dans l'alcool, est venu con- firmer ce soupcon. Cet examen a été fait avec le microscope de M. Georges Oberhaueser; pour chaque partie, nous avons com- 3° série. Zool. T. IV. (Août 1845.) % 7 98 LEBERT ET ROBIN. — SUR LA FÉCONDATION mencé à un grossissement de 30 diamètres, et terminé à 400 dia- mètres (objectif 8, oculaire A). Nous avons trouvé aussi les spermatophores pris sur la femelle composés , 1° d’une enveloppe générale ou étui, contenant , 2° le réservoir du sperme , qui remplit toute la partie libre du sperma- tophore jusqu’à son extrémité , sans laisser d'intervalle entre lui et l’étui; 3° la partie adhérente contient, comme nous l’avons déjà dit, un petit cylindre de matière graisseuse. Il est plus gros dans la partie qui touche le réservoir qu'à son extrémité libre, la- quelle est eflilée en cône, de sorte qu’elle est très éloignée du bord externe de l’étui, qui est renflé dans cette partie, au lieu d’être conique, comme son contenu. Si l’on examine l'endroit où les extrémités du cylindre grais- seux et du réservoir spermatique sont en contact, sans leur faire éprouver de pression, l’on voit que ce contact est presque immé- diat; le bout du cylindre graisseux est convexe et déprime fai- blement le bout du réservoir du sperme, qui est aussi un peu convexe, En comprimant légèrement, il y a contact plus immé- diat, et bientôt le bout du réservoir devient conique et déprime le cylindre graisseux. Alors l'extrémité du réservoir, qui était opa- que, devient plus transparente , et laisse apercevoir un filament plusieurs fois replié sur lui-même, naissant, d’une manière qui n'est pas bien distincte, dans le réservoir du sperme, et se termine en adhérant fortement au bout correspondant du cylindre grais- seux. Vient-on à séparer le cylindre graisseux du réservoir, il en- traîne avec lui le filament replié, qui se confond avec son extré- mité. Le petit paquet formé par les replis du filament paraît lui- même entouré d’un sac membraneux très fin, pyriforme. Le filament précédent et le cylindre graisseux, avec lequel il se continue, nous paraissent représenter l'appareil éjaculateur décrit par M. Milne Edwards (Mémoire cité), mais à une autre période de développement; probablement à une période moins avancée, car les spermatophores dont nous parlons ne se brisaient pas dans l’eau, ou seulement très longtemps après avoir été mis en contact avec elle, et parce que « les plus jeunes, c’est-à-dire » ceux placés dans la partie inférieure de la poche, n'éclatent ja- DU CALMAR COMMUN. 99 » mais spontanément, et ne présentent ce phénomène que lente- » ment, lorsqu'on les plonge dans l’eau » (Milne Edwards, Mé- moire cité). Le filament dont nous venons de parler serait le connecüf; le cylindre graisseux serait le sac très développé. Quant au-fil dis- posé en ressort à boudin, décrit par M. Milne Edwards, l'examen le plus attentif, répété un grand nombre de fois, de toutes les ma- nières, tant sur les spermatophores frais que sur ceux baignés dans l'alcool, n’a pu nous le faire découvrir. Revenons maintenant sur quelques détails de structure. a. Enveloppe ou sac. — 1° Étudiés en général, les spermato- phores, examinés à des grossissements variés, sans compression, présentent une enveloppe générale, unique, enveloppant à la fois et le réservoir et le cylindre graisseux. Elle présente une ligne obscure tout-à-fait extérieure ; en dedans d’elle est une ligne transparente assez large, qui indique l’épaisseur de la paroi ; puis vient une seconde ligne obscure, en contact avec la masse des zoospermes du réservoir ; elle indique le bord interne de la mem- brane d’enveloppe ou étui. Cette seconde ligne est régulièrement dentelée au niveau du réservoir. 2% Mais au niveau du cylindre graisseux, la partie transparente qui indique l'épaisseur de la paroi est beaucoup plus épaisse qu’au niveau du réservoir; ce qui lient à ce que le spermatophore est un peu plus gros à cet endroit que dans sa partie libre, et aussi à ce que le cylindre graisseux est plus étroit que le réservoir. Quant à la ligne obscure qui indique son bord interne, elle se conford avec celle qui indique le bord externe du cylindre grais- seux ; de telle sorte que ce cylindre paraît être plongé dans une masse homogène, transparente, plutôt qu'enveloppé dans une paroi à bord interne bien tranché et distinct de lui. Aussi l’éfur, au niveau du cylindre graisseux, est-il résistant, diflicile à rompre et élastique, homogène, sans structure apparente, et seulement plissé quand il est vide. 3" Enveloppe étudiée au niveau du réservoir. Nous avons déjà dit que, dans ce point, l’éfui présentait un bord interne réguliè- rement dentelé, Si l’on comprime légèrement le spermatophore, 100 LEBERT ET ROBIN. — SUR LA FÉCONDATION il devient plus transparent, et l’on voit que le réservoir est par- couru circulairement par des sillons très réguliers et très rappro- chés les uns des autres, paraissant formés par autant de lames circulaires, saillantes à la face interne de l’étui. 11 nous a été im- possible de nous assurer d’une manière bien précise si ces sil- lons sont dus à autant de lames circulaires saillantes, ou seule- ment à une lame contournée en spirales très rapprochées. C'est cette disposition qui donnait au bord interne de la paroi un aspect dentelé. En prenant de petites portions du spermatophore et les faisant éclater de manière à étaler la membrane du sac, nous avons pu nous assurer que ces sillons étaient dus à une lame en spirale, ou bien à plusieurs petites lames circulaires très rappro- chées l’une de l’autre, et saillantes à la face interne de l’étui. I] nous a été impossible, malgré des essais souvent répétés, de voir plusieurs lignes obscures, qui auraient été l’indice de la limite d’autant de parois formant le sac. Nous n’avons pas pu en aper- cevoir plus d’une en examinant, à divers grossissements, les bords de l’étui déchiré. Ainsi, l’étui des spermatophores était formé par une seule membranc. Lorsque la portion de l’étui correspondante au réservoir était vidée, sans être déchirée suivant sa longueur, elle se resserrait par élasticité, et formait des plis longitudinaux se croisant à angle droit avec les lignes obscures circulaires, formées par la lame saillante à la face interne de l’étu. b. Nous aurons peu de chose à ajouter sur les parties conte- nues dans l'étui. 1° Le cylindre graisseux , vu par transparence, est d’un jaune de terre de Sienne pâle, demi-transparent, assez résistant et élas- tique, difficile à écraser quand il est entier, ce qui est dû à une membrane très mince, mais résistante, élastique, finement ponc- tuée, qui renferme et limite le cylindre. 2 Le connectif tortueux qui unit le cylindre graisseuæ au réser- voir, examiné à de forts grossissements, paraît homogène dans toute son étendue ; il se détache des organes , qu’il réunit plutôt que de se rompre, lorsqu'on le distend. 3° Le réservoir n’est ici autre chose qu'une masse de zoosper- DU CALMAR COMMUN. 101 mes assez fortement agglutinés les uns aux autres, renfermés sim- plement dans la partie antérieure de l'étui, mais n'ayant pas une enveloppe spéciale. Sur des spermatophores frais, le cylindre de zoospermes qui s'échappe quand on brise l’éui ne présente pas de bords nets, et se délaie facilement. Mais sur des spermato- phores qui ont séjourné quelque temps dans l'alcool, le cylindre de zoospermes conserve la forme du moule qui le renfermait, c’est-à-dire de la face interne de l’étui : aussi toute sa surface est creusée de sillons circulaires assez profonds, correspondant aux saillies de la membrane en cercles ou spirales, qui parcourt la face interne de l’étui. En aplatissant, par compression, ce cy- lindre de zoospermes, on voit un filament, irrégulièrement ra- mifié, qui en parcourt le centre, et semble destiné à retenir les z0ospermes agglutinés en masse autour de lui et de ses branches. Ce filament est transparent, formé d’une substance hyaline, striée longitudinalement et assez résistante. Nous ne voulons faire ici aucune hypothèse sur la fécondation du Calmar, en nous appuyant sur le fait précédent. Nous nous contenterons d'attirer sur lui l’attention des zoologistes. Nous devons noter aussi que, chez cet animal, les oviductes des deux côtés étaient remplis d'œufs qui sortaient facilement, et ilen existait aussi une certaine quantité dans la cavité du manteau. Cependant, si l’on considère, 1° qu’il existait dans le sac d’un Calmar femelle, au niveau de l’oviducte, des spermatophores en grand nombre; 2° que ces organes ne se rompaient pas dans Veau, de même que cela a lieu pour les spermatophores encore incomplétement développés (Milne Edwards, Mém. cité) ; 3° que les spermatophores que nous avons pris sur la femelle semblent être moins compliqués que ceux décrits par M. Milne Edwards, et par conséquent moins développés; il pourra paraître probable que les spermatophores complétement développés se sont brisés au moment de la copulation, et ont fécondé la première portion des œufs qui sont sortis de l'ovaire. Ceux, au contraire, qui étaient encore imparfaitement organisés, c’est-à-dire ceux de la partie postérieure de la poche de Needham , ont été fixés sur la femelle pour achever leur développement, et féconder le reste des œufs au moment de leur sortie. 102 LEBERT ET ROBIN. — FÉCONDATION DU CALMAR COMMUN. Des observations répétées sur les bords de la mer pourront seules résoudre cette question et toutes celles qui s'y rattachent. Ainsi, il faudrait rechercher si le fait est général pour tous les Céphalo- podes ; comment se fait la copulation et la fixation des spermato- phores dans le sac; comparer les spermatophores pris sur la fe- melle à ceux pris dans les différents points de la poche de Need- ham, etc. Sur les spermatophores de la Sèche (Sepia officinalis) ; nous avons reconnu que la substance qui constitue le sac ou cylindre graissewr est entièrement composée de matière grasse, semblable à celle du cylindre graisseux du Calmar, dont nous avons parlé plus haut. En examinant le mécanisme de l’éjaculation de son contenu, nous avons pu voir que c’est tantôt l'appareil éjacula- teur qui rompait la paroi et sortait le premier : alors le tube pro- boscidiforme qui fait suite au sac se déroulait ; et que tantôt c’est l'autre bout du spermatophore qui se rompait : alors l'appareil éjaculateur sortait le dernier. EXPLICATION DES FIGURES. PLANCHE 9 (r1G. 5 Et 6). La figure 5 représente le Cazwar femelle entier, vu par sa face ventrale, et réduit à la moitié de sa grandeur. Le manteau est fendu sur la ligne médiane ; ses bords sont écartés , afin de montrer les rapports des organes extérieurs entre eux et avec le faisceau des spermatophores soudés au manteau. a, œil ; b, entonnoir ; e, branchie droite; d, branchie gauche; e,e, oviductes droit et gauche; f, faisceau des spermatophores soudés à la face interne du manteau, au niveau de l'oviducte. — Entre les deux oviductes se voient deux organes allongés, accessoires des ovaires. Entre leurs extrémités antérieures , un peu écartées, se voit le conduit excréleur de la bourse à encre, s'étendant jusqu'à l'entonnoir. Au-dessus de ces organes accessoires se voient les ovaires, qui s'étendent en pointe conique jusqu'au fond du sac que représente le man- teau. Les oyiductes e,e partent de leur extrémité antérieure plus volamineuse. Les tentacules sont coupés au-devant de l'œil, et non figurés. La figure 6 représente une portion du Cara femelle vu de côté (grandeur naturelle). Elle est destinée à montrer la grandeur des spermatophores, le volume du faisceau qu'ils forment , et la position de ce faisceau relativement à l'oviducte et à la branchie de son côté. u, coupe du mantean (il a été fendu sur la ligne médiane, et étalé); b, bran- chie du côté droit ; c, bord de la coupe du foie; d, organe blanc, accessoire de l'ovaire, du côté droit: e, ovaire plein d'œuls ; f, oviducte droit; g, faisceau des spermatophores soudés à la face interne du manteau. 103 SUPPLÉMENT AUX RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DES ANIMALCULES INFUSOIRES ET DES MOISISSURES ; Par M. J, PINEAU, D.-M.-P. (1). Depuis la publication du Mémoire inséré dans ces Annales, 3° série, t. III, p. 182, j'ai continué à porter mon attention sur le même sujet. Les nouvelles recherches auxquelles je me suis livré , sans infirmer les résultats de mes premières observations, m'ont permis de leur donner un plus grand degré de généralité, et de les rattacher à un ordre de faits déjà connus dans la science. C’est ce qui m'engage à y revenir en peu de mots. D'abord je dois faire observer que les divers phénomènes de la production des animalcules et des moisissures, tels que je les ai exposés précédemment, ne se rencontrent que dans les cas les plus favorables, dans ceux où la presque totalité de la substance granuleuse se transforme en corps organisés ; mais il arrive sou- vent que cette formation est moins abondante. Ainsi, dans une infusion de divers débris organiques, où se dé- veloppaient de grosses Monades, la trame aréolaire, telle que je l'ai décrite, n’occupait que quelques points de la surface du li- quide ; partout ailleurs, les animalcules se développaient isolé- ment. On remarquait, en premier lieu, de petits amas de granula- tions dont les contours commencaient par être diffus; peu à peu ces amas devenaient plus nettement circonscrits, et ils finissaient par acquérir l’aspect de véritables Monades, d’abord immobiles, puis douées de mouvement. On conçoit que, lorsque de semblables amas sont pressés les uns contre.les autres, il doive en résulter l'apparence d’une mo- saïque dont les interstices forment une espèce de réseau ; mais (1) C'est par erreur que , en tête d'un Mémoire précédent { Ann. des Se. nat. 3° série, t. IT, p. 182), le nom propre de l'auteur est précédé de l'initiale F.; il faut y lire, comme ici, J. Pineau 104 piNEAU. — DÉVELOPPEMENT DES ANIMALCULES, cette disposition n'existe pas toujours, et alors les choses se pas- sent comme nous venons de l’exposer. Maintenant, si nous considérons de quelle manière s’opère la formation des cellules qui servent de base aux différents tissus des êtres organisés, on pourra, je crois, établir comme résultat des connaissances actuelles. depuis les travaux de Schleiden sur ce sujet, que cette formation commence par la production d’un nu- cleus, qui est lui-même composé de granules plus petits. L'histoire des globules sanguins est un des meilleurs exemples que l’on puisse citer à l'appui de cette assertion. En effet, ces glo- bules, avant d’avoir une surface parfaitement lisse, comme celle qu'ils présentent à l’état parfait, ont commencé par offrir l'aspect d’une masse granuleuse et à contours mal délimités; dans cet état, ils portent le nom de globules blancs du sang (1). Il en est de même des globules purulents (2). Les mêmes phénomènes se produisent chez les végétaux, et je puis citer, entre autres faits, comme résultat de mes propres ob- servations, le développement des sporidies des Lichens, particu- lièrement du Physcia ciliaris. Dans cette plante , la grosseur des organes reproducteurs, jointe à la transparence des thèques dans lesquelles ils sont contenus , rend leur disposition granuleuse très facile à constater dès les premiers moments de leur apparition. Je pourrais augmenter le nombre de ces exemples ; mais je pense que ceux-ci suffisent pour établir ce fait, que le phénomène primitif du développement des cellules et des infusoires consiste essentiellement en une agglomération de granules. De ce qui précède, il résulte pour moi qu’il existe une analogie complète entre la production des cellules, en générai, dans les or- ganismes vivants, et celle des animalcules el des végétaux mi- croscopiques , dans les infusions. (1) Voyez Donné, Cours de microscopie, pl. 6, fig. 20. (2) Voyez Henle, Anatomie générale, trad. Jourdan. t. 1, p. 155. 105 NOUVELLES EXPÉRIENCES SUR LA RÉSORPTION DE L'OS; Par M. FLOURENS |{\). J'ai prouvé, par de précédentes expériences : 1° Que l'os croît en longueur par lames terminales et juxta- posées ; 2% Qu'il croît en grosseur par lames externes et superposées ; 3° Que le canal médullaire croit ou s'agrandit par la résorption des lames intérieures, des lames anciennes de l'os. Cette résorption intérieure de l'os est le fait sur lequel j'appelle une fois encore l’attention des physiologistes : mes nouvelles ex- périences me paraissent le démontrer d’une manière complète. Duhamel avait placé un anneau autour du tibia d’un Pigeon : au bout de quelque temps, l'anneau, dont il avait entouré l'os, se trouva dans l’intérieur de l’os, dans le canal médullaire., Comment cela s'était -il fait? Selon Duhamel, l’os s'était distendu ; il s'était rompu dans les points pressés par l’anneau, et ces points rompus s'étaient ensuite rejoints par-dessus l’anneau. J'ai répété bien des fois l'expérience de Duhamel ; j'en ai pré- senté les résultats à l’Académie, et j'ai toujours conclu, contrai- rement à Duhamel, que l’os ne se distend point, qu'il ne se rompt point, etc. En un mot, Duhamel explique l'agrandissement du canal mé- dullaire par l'extension de l'os, et je l’ai toujours expliqué, avec J. Hunter, par la résorption de l'os. Cependant une expérience qui a pu se prêter à deux interpré- tations si différentes n’est pas l’expérience qu'il faut ; il faut une expérience qui décide, qui tranche : je crois l’avoir trouvée. Au lieu d’un anneau, qui presse, qui résiste, qui peut rompre l'os, j'ai employé une très petite lame de métal, de platine (2), (1) Extrait des Comptes-rendus des séances de l'Académie des Sciences, séance du 25 août 1845. (2) De # millimètres de long sur 2 de large. 106 FLOURENS. — SUR LA RÉSORPTION DE L'OS. si mince qu’elle n’avait presque pas de poids (1), et qui, d’ail- leurs, étant isolée, libre, ne pouvait offrir à l’os aucune résis- tance. J’ai placé cette lame sous le périoste, et voici ce qui est arrivé. Les pièces que je mets sous les yeux de l’Académie suffisent pour rontrer la marche du fait dans tous ses progrès. La pièce n° 1 est le tibia gauche d’un jeune Chien (2), âgé d’un mois. On y voit le périoste incisé ; et la lame de platine placée sous le périoste, Cette pièce représente l'expérience qui vient d’être faite. La pièce n° 2 est le tibia droit d’un jeune Chien, du même âge que le précédent, opéré de même, et tué cinq jours après l’ex- périence. Le périoste incisé s’est réuni, et recouvre la plaque de platine. Dans la pièce n° 3 (3), la lame de platine est déjà recouverte par des lames osseuses. Ces lames osseuses sont plus nombreuses dans la pièce n° 4. La lame de platine est au milieu des couches de l'os, dans les pièces n° 5 et 6. Elle est presque entièrement dans le canal médullaire, sur la pièce n° 7. Elle y est tout-h-fait, sur la pièce n° 8. Pour ces deux dernières pièces, l'expérience à duré trente-six jours ; elle en avait duré vingt pour les pièces 5 et 6; douze pour la pièce 4, et huit pour la pièce 3. Ce qui arrive à l'anneau arrive donc aussi à la lame, La lame est, comme l'anneau, successivement recouverte par le périoste, par dés lames d’os de plus en plus nombreuses ; on la trouve, enfin, dans le canal médullaire. (1) Le poids, d’ailleurs, ne porterait pas sur l'os: la lame n'est pas sur le tibia, sur l'os; elle est au-devant de l'os. (2) C'est sur les tibias de jeunes Chiens que toutes ces expériences ont été faites. (3) Pour faire mieux voir la position de la lame, on a scié l'os en long, dans cetle pièce comme dans les suivantes. FLOURENS. — SUR LA RÉSORPTION DE L'OS. 107 Et pourtant la lame n’a point résisté, la lame n’a rien rompu. L'os qui, primitivement, était sous la lame, est maintenant sur la lame : c’est qu'un os ancien a disparu , et qu'il s’est formé un os nouveau. L’os qui existe aujourd'hui n’est pas celui qui existait quand on à mis la lame; il s’est formé depuis : et l’os qui existait alors n’est plus ; il a été résorbé. La résorption de l'os est donc un fait démontré, un fait certain, Buffon avait donc raison, quand il proclamait le moule, la forme, plus invariable que la substance. Cuvier avait raison, quand il définissait la vie : un tourbillon, Leibnitz a pu dire que notre machine est dans un flux perpétuel. Tout, dans nos organes, se renouvelle, change, s'écoule ; et, considérée sous ce point de vue, la wie n’est que la mutation con- tinuelle de la matière (1). Je me borne ici à cet exposé sommaire de mes nouvelles études ; on les trouvera plus développées dans l’ouvrage que je fais im- primer en ce moment, sous le titre de Théorie expérimentale de la formation des os. NOUVELLES EXPÉRIENCES RELATIV,S A LA SOUSTRACTION DU LIQUIDE CÉRÉBRO-SPINAL, ET AUX PHÉNOMÈNES QUI RÉSULTENT DE LA SECTION DES PARTIES MOLLES DE LA NUQUE ; Par M. F. A. LONGET |! Les physiologistes admettent, depuis un certain nombre d’an- nées, que la soustraction du liquide cérébro-spinal occasionne un trouble notable des facultés locomotrices. Ayant évacué ce liquide, entre l’occipital et l’atlas, après avoir divisé les parties qui recou- vrent l’espace occipito-atloïdien postérieur, j'ai vu, en effet, les animaux abandonnés à eux-mêmes chanceler comme s’ils étaient (1) Voyez, sûr là mutation continuelle de la matière, mes Recherches sur le dé- veloppement des os el des dents, A8492. (2) Extrait des Annales médico-psychologiques, t. VI, septembre 1845. 108 LONGET. — SUR LA SOUSTRACTION ivres , leur corps se balancer de tous côtés comme s’il était suc- cessivement sollicité par des forces antagonistes ; mais, chez les mêmes animaux (Cheval, Mouton, Chien, Chat, Cabiai, La- pin, etc.), m'étant borné à inciser les parties molles de la nuque, sans donner issue au liquide cérébro-spinal, j'ai observé, avec quel- que surprise, les mêmes phénomènes jusqu’à présent attribués à sa soustraction. Dès lors il devenait nécessaire de faire écouler le liquide céré- bro-spinal sans léser les parties musculaires et ligamenteuses de la région postérieure du cou: j’enlevai donc une seule lame ver- tébrale vers le milieu du dos ; et si, à la suite de cette opération préalable , de la faiblesse survint (à cause de la plaie musculaire) dans le train postérieur, elle ne fut en rien augmentée par l’écou- lement du liquide, et d’ailleurs les animaux (Chiens) ne présen- tèrent aucunement la titubation si singulière que j'avais remar- quée dans l’autre série d'expériences, après la simple division des parties molles de la nuque. Mais on pouvait objecter qu'en procédant ainsi, j'avais donné issue à une quantité de liquide moins considérable qu’en perfo- rant les membranes au lieu ordinaire d'élection , à la hauteur du quatrième ventricule, entre l’occipital et l’atlas ; d’où, l’absence de troubles dans la locomotion. Il fallait donc avoir recours à une contre-épreuve plus décisive, Or, en variant les expériences, je n’ai pas tardé à reconnaître un fait important, savoir, la possibilité d’évacuer le liquide au niveau du lieu d'élection, et en même temps d'isoler, pour l’ob- servateur, les effets qui pourraient résulter de cette évacuation, de ceux qui surviennent aussitôt après la section des parties re- couvrant le ligament occipito-atloïdien postérieur. Ainsi, j'ai vu (chez les Chiens, les Chats, les Lapins, etc.), la titubation , l’in- certitude dans la démarche, que j'avais produites en me bornant à diviser ces parties, disparaître complétement en trente-six ou quarante-huit heures : et, dès lors, le ligament occipito-atloïdien postérieur étant demeuré à découvert, la locomotion étant rede- venue tout-à-fait normale, les conditions étaient on ne peut plus DU LIQUIDE CÉRÉBRO-SPINAL, 109 favorables à la fois pour extraire le liquide cérébro-spinal et pour observer l'influence immédiate, si elle était réelle, de son extrac- tion sur l’exercice régulier des organes locomoteurs. Malgré le soin que j'ai pris, au moment de la perforation des membranes , de faire crier les animaux, de gêner leur respiration, ou même, après avoir ouvert les membranes spinales , d'enlever une partie de la voûte crânienne (Lapins), pour rendre l'écoulement du liquide plus facile et plus complet (1), dans aucun cas la démarche des animaux n’a présenté la moindre modification. Par conséquent, d’une part, on peut donner issue au fluide cérébro -spinal sans déterminer aucun trouble dans les mouvements ; d'autre part, celui qui éclate d’une manière si brusque et si marquée, après qu’on à seulement divisé les muscles sous-occipitaux postérieurs (avec le ligament sus-épineux, quand il existe), ne dure qu’un espace de temps assez court. À propos de ce dernier résultat, qu'il me soit permis de faire observer qu'ici, pour expliquer la restitution prompte et intégrale des mouvements, il est bien impossible, comme l’ont toujours fait les expérimentateurs qui avaient d’abord évacué le liquide, d’in- voquer sa reproduction rapide, puisque son évacuation n'avait point eu lieu d’abord. Ainsi, évidemment, dans nos expériences, le rétablissement des fonctions locomotrices ne saurait pas plus dépendre de la re- production du liquide cérébro-spinal que leur perturbation n’a pu dépendre de son écoulement ; et jusqu'alors, par conséquent, la cause de l’apparition de ces phénomènes, aussi bien que la cause de leur disparition rapide , a été entièrement méconnue. Mais , avant de chercher à les expliquer, il importe de décrire les phénomènes dus à la section des parties molles de la nuque. Comme ils varient un peu selon l'espèce animale, avant d'exposer le tableau comparé de leurs variations, j'indiquerai les effets ob- tenus sur une espèce donnée, chez le Chien, par exemple. La tête s’infléchit fortement au-devant de la colonne cervicale ; (1) Ce dernier procédé est dû à M. Foville. 110 LONGET. — SUR LA SOUSTRACTION l'animal perd aussitôt l'équilibre, faiblit sur ses quatre membres, spécialement sur les postérieurs, demeure d’abord à plat sur le ventre, et, après êvre resté un moment comme indécis, tout-à-coup s’élance, fait trois ou quatre bonds en avant avec une grande pré- cipitation, puis retombe à plat en écartant les pattes antérieures, qu'il meut d’une manière brusque et incohérente, Mais bientôt il parvient à se soulever imparfaitement, chancelle sur ses membres écartés, et, s'il marche, s’avance d’un pas mal assuré et bizarre, qui lui donne tout-à-fait l'apparence de l'ivresse, Vient-on à l’ef- frayer, il fait effort pour fuir, s’embarrasse dans ses mouvements, tombe , et roule sur lui-même. Mêmes effets chez le Cabiaiï et le Lapin : seulement, le train de derrière n'a paru moins affaibli que chez le Chien, et le mouve- ment de recul s’est offert plusieurs fois à mon observation. Le Chat, doué d’une extrême vivacité, d’une adresse et d’une précision si remarquables dans ses mouvements, offre surtout le spectacle le plus frappant par l’impétueux désordre de sa locomo- tion, rappelant toutes les allures de l'ivresse la plus fougueuse : ses chutes sont fréquentes, et parfois il roule sur l’axe de sa lon- gueur. Sur cinq Moutons mis en expérience , trois ont présenté une tendance manifeste au recul. Le désordre et l’incohérence dans les mouvements ont été moindres que chez le Chien, le Chat, le Lapin et le Cabiai : toutefois, le train de derrière s’est montré assez affaibli et la démarche assez incertaine pour permettre la chute de l’animal. Chez le Cheval, la section isolée des muscles sous-occipitaux postérieurs n’a été suivie d'aucun effet appréciable ; mais, après celle de ces muséles et du ligament sus-épineux , la démarche est devenue irrégulière , embarrassée, indécise : l'animal marchait, affaissé sur le train postérieur, comme s’il eùt élé chargé d’un lourd fardeau ; il étendait et relevait d’une facon bizarre et mal- adroite les jambes de devant, comme l’eût fait un cheval atteint d’une cécité récente. Néanmoins, l'allure est demeurée plus ferme, plus assurée que chez les autres animaux ; car je n’ai vu survenir DU LIQUIDE CÉRÉBRO-SPINAL. ani la chute chez aucun des trois chevaux qui m'ont servi à exécuter ces expériences. Tous les effets précédents ne sont bien prononcés, chez ces di- verses espèces animales, qu’à la condition que les deux petits muscles droits postérieurs soient entièrement divisés. En cherchant à expliquer ce résultat, on trouve qu’à cause du lieu d'insertion, de la direction de leurs fibres, et de leurs adhérences intimes avec le ligament occipito-atloïdien postérieur, ces deux muscles non seulement empêchent un écartement exagéré de l’occipital et de l’atlas, lors de la flexion de la tête, mais encore soulèvent le liga- ment occipito-atloïdien et le maintiennent suffisamment éloigné des parties nerveuses sous-jacentes. Aussi, à cause même de l’ac- tion spéciale des muscles petits droits postérieurs, les effets qui surviennent après leur section n’ont-ils pas lieu quand on se borne à fléchir fortement la tête des animaux à l’aide de liens appro- priés (1). Je dois ajouter que, sur le Chien, le Chat, le Lapin, etc., ayant fait plusieurs fois la section des muscles cervicaux postérieurs d'un seul côté, au niveau de l’espace occipito-atloïdien, je n'ai donné lieu à aucun des phènomènes précédents. Du reste, jai pu, au moment où je venais de les produire, faire disparaître ces phénomènes à volonté et presque instantanément , c’est-à-dire restituer aux animaux leur équilibre et la faculté de marcher, en soutenant leur tête et la retenant dans l'attitude nor- male avec la main ou à l’aide d’un collier de carton suffisamment large. Cette dernière observation me conduisit à effectuer la division des parties molles de la nuque sur des animaux d’abord munis d’un semblable appareil convenablement découpé : les effets furent nuls ; tandis que, aussitôt après l'enlèvement de l'appareil, ils se manifestèrent avec toute leur singularité. J'ai dit plus haut qu'ils étaient de courte durée chez les ani- (4) On trouvera plus loin d'autres raisons qui expliquent également ces diffé- rences. 112 LONGET. SUR LA SOUSTRACTION maux abandonnés à eux-mêmes ; mais cette durée varie selon leur intensité, et, par conséquent, selon l’animal. Chez le Cheval, la locomotion redevient régulière après six ou huit heures ; après dix ou douze chez le Mouton; et, chez le Chien, le Chat, le Cabiai, le Lapin, la restitution intégrale de la fonction n’a lieu qu’au bout de trente-six à quarante-huit heures. Si le retour de la fonction est d'autant plus rapide que son trouble a été moindre, il est facile de démontrer que l’intensité de celui-ci sera d'autant plus grande qu'après l'expérience la flexion de la tête sur la colonne cervicale sera devenue accidentellement plus considérable, relativement au degré de flexion normale. Chez le Cheval, l’angle sous lequel se rencontrent les axes longitudinaux de la tête et du cou est un angle droit; chez le Chien, le Chat, le Lapin et le Cabiai, ces deux axes sont à peu près sur le prolon- gement l’un de l’autre, et forment, par conséquent, un angle ex- trêmement obtus ; tandis que, chez le Mouton, leur position rela- tive est intermédiaire aux deux précédentes, c’est-à-dire que l'angle formé est plus ouvert que chez le Cheval et moins obtus que chez le Chien, etc. Il en résulte évidemment qu'après la di- vision des parties musculaires ou ligamenteuses indiquées, la tête du Chien, du Chat, du Lapin et du Cabiai, devra s’infléchir plus que celle du Mouton, et celle du Mouton plus que celle du Cheval, pour faire un angle de même ouverture avec l’axe longitudinal du cou. Or, c’est précisément l’ordre dans lequel nos expériences nous avaient amené à classer ces animaux, au point de vue de l'intensité du trouble fonctionnel. Ces faits se représenteront bientôt à l'appui de la théorie phy- siologique que nous avons cru devoir adopter. 11 m'importait de savoir si des expériences semblables à celles que j'avais exécutées sur des Mammifères produiraient sur les Oiseaux des effets analogues : celles que j’ai faites sur plusieurs Gallinacés, sur divers Passereaux et Palmipèdes, n’ont donné que des résultats négatifs ; la tête ne s’est point fléchie sur le cou d’une manière appréciable, si ce n’est légèrement chez les Pal- mipèdes à bec long et volumineux , comme le Canard , dont néan- DU LIQUIDE CÉRÉBRO-SPINAL. 113 moins la station et la progression ne m'ont pas paru sensible- ment modifiées. : A ce propos, on peut se rappeler que, chez la plupart des Oiseaux , l’axe longitudinal du cou est perpendiculaire à celui de la tête, comme chez les Mammifères dont la locomotion , après l'expérience, a offert le moins d’irrégularité ; que, de plus, le trou occipital n’est pas, en général, situé à l'extrémité postérieure du crâne , mais vers sa base, au point que, dans la Bécasse, par exemple, ce trou est, au moins autant que dans l'Homme, à la face inférieure de la tête; que les os du crâne des Oiseaux sont fort légers à cause de nombreuses cellules qui se remplissent d'air, provenant soit de l'organe auditif, soit des cavités nasales ; qu’en- fin les apophyses para-mastoïdes sont ordinairement très volumi- neuses et très saillantes en arrière, comme les fosses cérébelleuses de l’occipital. Or, ces conditions, bien différentes, pour la plupart, de celles qui se rencontrent chez les Mammifères, tendent à faire que la tête soit à peu près maintenue sur l’épine par son propre poids au degré de flexion normale, d'où les résultats négatifs que nous avons obtenus : peut-être devrait-on aussi tenir compte du mode particulier d’articulation de la tête avec le corps de la pre- mière vertèbre cervicale. Un fait que je ne saurais passer sous silence , parce qu'il a vivement excité ma surprise, c’est que, chez plusieurs Chiens et Lapins conservés après l’expérience, la mort ait pu résulter de la simple division des parties musculaires de la nuque, dès le troi- sième ou le quatrième jour. À l’autopsie, je ne rencontrai pour- tant pas de signes qui permissent de croire que l’inflammation extérieure se füt propagée spécialement au bulbe, à travers le ligament occipito-atloïdien postérieur et les membranes de la moelle; mais je trouvai, pour toute lésion , une congestion céré- brale des plus intenses, qu'il me parut rationnel d'attribuer à la gêne circulatoire et respiratoire qui avait dû résulter de la flexion angulaire longtemps continuée de la tête, et sans doute, en par- ticulier, de la compression de l'artère basilaire et du bulbe contre la base du crâne, Cette remarque m’engagea à tenter sur moi une 3° série, Zouz. T. IV. ( Août 1845.) 4 8 1 LONGET. — SUR LA SOLSTRACYION expérience dans laquelle, pendant près d’une heure, je demeurai le menton appliqué au sternum. Indépendammient de la fatigue musculaire, des battements incommodes survinrent dans les ar- tères temporales, la face s'injecta, des étourdissements, des bruis- sements d'oreilles se manifestèrent, et ma respiration devenant de plus en plus difficile, je fus contraint d'interrompre cette expé- rience, de laquelle je ne conservai qu'une céphalalgie qui se dis- sipa graduellement. Maintenant il me reste à donner une courte explication des au- tres phénomènes déjà décrits. Les physiologistes ont pu recon- naître leur extrême analogie avec ceux que M. Flourens a le pre- mier signalés après les lésions directes du cervelet. La flexion angulaire de la tête sur l’atlas, qui, chez certains animaux que nous avons désignés, résulte de la section complète, des parties musculaires de la nuque, nous semble devoir occa- sionner à la fois un tiraillement et une compression de l’axe céré- bro-spinal, portant plus spécialement sur les parties qui avoisinent l'articulation occipito-atloïdienne, Ces parties sont le bulbe et la protubérance annulaire, auxquels se lient tous les pédoncules du cervelet, Or, ces moyens de transmission n’apportant plus qu’im- parfaitement aux muscles l'influence coordinatrice de cet organe, on comprendra qu'il puisse en résulter les mêmes ellets que s’il était lésé lui-même directement. D'ailleurs je n’ai pas négligé de répéter souvent des expériences comparatives sur deux animaux de la même espèce : chez l’un, je lésais isolément , mais super- ficiellement, le cervelet; chez l’autre, je ne pratiquais que la sec- tion des muscles cervicaux postérieurs, et j'ai toujours trouvé une frappante analogie dans les phénomènes, Objectera-t-on que, dans nos expériences, ces phénomènes ont été passagers ? Mais tous les expérimentateurs savent avec quelle promptitude les centres nerveux, chez les animaux, s’habituent à une compression et à un tiraillement modérés, avec quelle facilité ils réacquièrent intégralement leur fonction, Ayant enlevé la voûte cränienne à des Lapins, j'ai successive- ment superposé de petites lames métalliques sur l’encéphale lui- DU LIQUIDE CÉRÉBRO SPINAL, 115 même , jusqu’à ce que je visse les animaux chanceler et près de fléchir sur leurs membres : aussitôt je m'arrêtais, et au bout d’une heure , déjà la station était redevenue plus ferme et mieux assurée. Sur la même espèce animale, il m'est fréquemment arrivé de pratiquer la section intra-cränienne du trijumeau, et de léser en même temps le sinus caverneux. Au bout de quelques minutes, les animaux tombaient sur le côté opposé à la lésion; puis je les abandonnais , et le lendemain ils étaient debout sans la moindre trace de paralysie. A l’autopsie , faite après quelques jours , on rencontrait un caillot sanguin qui avait comprimé et déformé l’hé- misphère cérébral correspondant, Ajoutons que, dans ses expériences si variées, M. Flourens a vu souvent, et que nous avons vu nous-même, après des lésions circonscrites du cervelet, les fonctions de cet organe se rétablir d’une manière très rapide et complète. Je ne m’arrêterai pas à l’examen d’autres théories qui s’offrent également à l'esprit pour expliquer les résultats énoncés dans ce Mémoire , et je crois devoir ici m'én tenir à celle qui, jusqu’à pré- sent, m'a paru la plus rationnelle. Toutefois, je ferai observer qu’un simple déplacement du centre de gravité , par suite de la flexion de la tête, due à la section de ses muscles extenseurs, ne saurait rendre compte des désordres si bizarres qui surviennent dans la locomotion des animaux. Car, comme nous l'avons expérimenté, on ne donne pas lieu à ces mêmes désordres en fixant la tête au-devant du sternum à l’aide de liens convenables , quoique la flexion puisse alors être portée plus loin que chez l'animal abandonné à lui-même, après la section des muscles cervicaux postérieurs. De plus, ne sait-on pas que, quelques minutes après l’amputation de l’un de ses membres, le Chien, en changeant son centre de gravité , retrouve l’équilibre ? J'ai vu tout récemment un de ces animaux auquel j'avais lié l’aorte abdominale, et chez qui les membres abdominaux étaient complé- tement paralysés, reprendre instantanément son équilibre à l’aide d’une attitude singulière dans laquelle son train postérieur était 116 LONGET. — SUR LA SOUSTRACTION entièrement détaché du sol, et qui lui permettait de se soutenir et de marcher avec vitesse et régularité sur ses deux pattes de devant. J’ai déplacé le centre de gravité de bien d’autres manières, sans avoir jamais pu reproduire des phénomènes analogues à ceux qui font l’objet de ce travail. Maintenant il reste à savoir pourquoi on ne les produit point , quand on se borne à fléchir fortement la tête des animaux à l’aide de liens appropriés. Dans ce cas, le mouvement se fait par un déplacement de toutes les vertèbres de la colonne cervicale, et, quoique les rapports des vertèbres entre elles soient très peu changés, il en résulte une courbe qui permet un abaissement considérable de la tête, sans lé- sion possible des masses nerveuses : au contraire, dans le cas où la flexion n’a lieu qu'après la section des parties molles de la nuque, la tête s'infléchit directement sur l’atlas, les autres vertèbres cer- vicales ne participent point à ce mouvement, et, quoique la flexion ne paraisse pas plus considérable que dans le cas précédent, elle s’est opérée au moyen d’un déplacement angulaire entre l’atlas et le contour du trou occipital, d’où résulte un angle qui fait saillie en dedans et vient comprimer des parties de l’axe cérébro-spinal que nous avons déjà spécifiées (1). Conclusions. — 1° La soustraction du liquide cérébro-spinal n’a aucune influence sur l'exercice régulier des organes locomo- teurs : au contraire, la simple section des parties molles de la nuque entraîne la perte immédiate de toute faculté de station et de locomotion régulières. > C'est à la division préalable de ces parties qu’on doit rap- porter le trouble locomoteur attribué, jusqu'à présent, à la sous- traction du liquide cérébro-spinal, faite au niveau de l’espace occipito-atloïdien. (1) On a vu, plus haut, que la section des deux petits muscles droits posté- rieurs élait indispensable pour permettre ce déplacement et tous les accidents qui en résulient. mine DU LIQUIDE CÉRÉBRO-SPINAL. 117 3 Ce trouble, si notable chez certains Mammifères, est nul chez les Oiseaux dont l’axe longitudinal du cou est perpendicu- laire à celui de la tête, et le trou occipital situé à la base du crâne. h° Chez les Mammifères , l'incertitude dans la station et dans la marche, après qu’on a divisé les muscles cervicaux postérieurs, est d'autant plus prononcée et disparaît d'autant moins vite que les deux axes précédents forment, à l’état normal, un angle plus obtus. 5° Elle offre, d’ailleurs, la plus grande analogie avec celle qui résulte des lésions directes du cervelet, et paraît avoir pour cause la compression et le tiraillement, au niveau et au-dessus de l’atlas, des portions de l'axe cérébro--spinal auxquelles sont liés les pé- doncules cérébelleux. 6’ C’est par l'habitude que ces portions encéphaliques prennent si rapidement d’être comprimées et tiraillées, et non par la reprc- duetion du liquide céphalo-rachidien, qu’on doit expliquer la res- titution prompte et entière des facultés locomotrices. 7° Même après le rétablissement de ces facultés, la section des parties molles de la nuque, chez certains animaux, peut déterminer la mort en occasionnant une congestion cérébraledes plus intenses, due à la gêne de la circulation encéphalique et de la respiration qui résulte de la flexion angulaire de la tête sur l’atlas, OBSERVATIONS SUR LA DISTRIBUTION TOPOGRAPHIQUE DES MOLLUSQUES MARINS; Par M. E, FORBES (|) Vers le milieu du siècle dernier, quelques naturalistes ita- liens (2) cherchèrent à expliquer l'arrangement et la disposition (1) Traduction d'un résumé fait par l'auteur lui-même , et contenant en sub- Stance la matière d'un Mémoire par lui communiqué à l'Institut royal de la Grande-Bretagne (Nouveau Journal philosophique d'Edimbourg, avril 484 k). (2) Marsili, Donati, et après eux Soldani 118 FORBES. — SUR LA DISTRIBUTION TOPOGRAPITIQUE des débris organiques dans les couches minérales de leur pays, par l’examen de la distribution des êtres vivant dans les eaux de la mer Adriatique. Ils cherchèrent dans le lit de la mer actuelle l'explication des phénomènes que présentent les lits soulevés des premières mers. L'instrument dont ils se servirent pour leurs re- cherches fut la drague, qu'on emploie vulgairement pour pêcher les huîtres. Les résultats qu’ils obtinrent furent importants, surtout pour la géologie; mais, depuis eux, peu de travaux ont été faits dans cette même direction : les géologues se sont exclusivement occupés de la portion du globe qui s'élève au-dessus des eaux, etles naturalistes ont poursuivi leurs recherches, sans tenir assez compte de leurs rapports avec les questions géologiques, et avec l'histoire des animaux et des plantes dans les temps anciens. La drague, lorsqu'ils s’en sont servis, a été presque exclusivement employée à chercher des animaux rares : encore ne l’a-t-elle été que par les plus entreprenants d’entre eux. Convaincu que des recherches de cette sorte, si l’on y fait une part égale à chacune des sciences naturelles, et si l’on y tient compte de leurs rapports mutuels, doivent conduire à des résul- tats plus importants encore que ceux qui ont été déjà oxenus , j'ai, pendant plusieurs années , fait des recherches sous-marines au moyen de la drague. Dans le présent travail, je donnerai com- munication, en peu de mots, des faits les plus remarquables et des conclusions auxquelles ils m'ont conduit, et j’indiquerai briè- vement aussi leurs rapports avec la géologie. I. Les êtres vivants ne sont pas distribués au hasard dans le lit de la mer ; certaines espèces vivent dans certaines parties, suivant la profondeur, de sorte que le lit de la mer présente une série de zones ou régions peuplées chacune par ses habitants propres. — Tous ceux qui ont parcouru, sur les côtes de la Grande-Bretagne, l’espace que couvre la marée, après que les eaux se sont retirées, doivent avoir observé que les animaux et les plantes qui vivent dans cet espace n’en habitent pas indifféremment tous les points, mais que certaines espèces approchent seulement à quelque dis - DES MOLLUSQUES MARINS. 119 tance des lignes qui en sont les limites. Ainsi les espèces d'Auri- eula se rencontrent seulement vers la limite extrême de la marée haute, avec les Zattorina cœrulescens ct saxatilis, F'elutina otis, Kellia rubra, Balani, etc. ; et, parmi les plantes, le Chondrus crispus, jaune (Carrigeen, ou Lichen d'Islande des oflicines), et le Corallina officinalis. À ceux-ci succèdent d’autres espèces d’a- nimaux et de plantes, tels que les Littorina littorea, Purpura la- pillus, Trochi, Actineæ, Porphyra laciniata et Ulva, Vers la limite de la marée basse, les Lottia testudinaria, Solen siliqua, et Rhodomenia palmata, avec de nombreux Zoophvtes et des Mol- lusques ascidiens, indiquent une troisième zone d'êtres vivants, rapprochée cependant des deux autres par certaines espèces com- munes à toutes trois, telles que les Patella vulgata et Mytilus edulis. Ces subdivisions de la portion du lit de la mer exposée au flux et reflux font longtemps attiré l'attention sur les côtes de nos pays, sur celles de France, où elles ont été étudiées par MM. Audouin et Milne Edwards, et sur celles de Norwége, où M. Sars les a observées et déterminées avec l’exactitude qui ca- ractérise toutes ses belles recherches. Or, cette subdivision de l’espace compris entre la mer et la limite de la marée haute, en zones zoologiques, est une image en miniature du lit entier de la mer. Le résultat de mes observations, d’abord dans les mers de la Grande-Bretagne (1), et dernière- ment dans l’Archipel, a été la détermination d’une série de zones ou régions d’après la profondeur, ct l'indication précise des ani- maux et des végétaux qui habitent spécialement chacune d’elles. En considérant l’espace que couvre la marée comme une région, à laquelle j'ai donné le nom de zone littorale , nous trouvons ensuite une série de régions d’une égale valeur lui succéder en profondeur. Dans les mers de la Grande-Bretagne, la zone littorale est suivie de la région des Laminariæ , remplie par des forêts de Fucus à larges feuilles, parmi lesquels vivent des habitants de la mer aux formes élégantes, et parés des couleurs les plus brillantes. C’est (1) Ce premier travail fut publié dans l'Annuaire de l'Académie d'Édimbourg pour 4840, 1920 FORBES. — SUR LA DISTRIBUTION TOPOGRAPIQUE l'habitation choisie par les Lacunæ , les Rissoæ ct les Mollus- ques Nudibranches. Une zone généralement composée de vase et de sable, dans laquelle vivent de nombreux Mollusques bivalves, s’interpose entre la zone des Laminariæ (dans laquelle la flore de la mer paraît atteindre son maximum) et la région des Coral- lines, qui a une profondeur de 20 à 40 brasses, et abonde en beaux Zoophytes flexibles et en nombreuses espèces de Mollusques et de Crustacés, qu'on ne peut se procurer qu'au moyen de la drague, Les grands bancs de Mollusques Monomyaires qui se présentent dans beaucoup d’endroits des mers du Nord sont, pour la plupart, confinés dans cette région, et fournissent au z00- logiste ses plus riches trésors. Plus profondément encore est une région qui a été peu explorée, et d’où nous tirons les plus gros coraux trouvés sur nos côtes, accompagnés de coquilles de la classe des Brachiopodes. Dans l’est de la Méditerranée, grâce aux ressources inappréciables que m'ont fournies le capitaine Graves et les ingénieurs hydrographes de la Méditerranée, j'ai pu déterminer les régions sur une étendue et avec une précision qui, sans ce se- cours, n’eussent pu être obtenues,même dans les mers de la Grande- Bretagne. J’ai trouvé de la sorte, qu'entre la surface et une pro- fondeur de 230 brasses, la plus considérable que j’aie eu occasion d'examiner, se trouvent huit zones bien distinctes, correspondant en partie à celles que j'ai comptées dans les mers du Nord, et pré- sentant les mêmes caractères qu’elles. Les détails sur ces der- nières seront donnés dans le prochain volume des Transactions de l'Association britannique, à laquelle j'ai eu l'honneur de pré- senter un rapport sur ce sujet, dans sa dernière réunion. Quand nous examinons la distribution et l’association des dé- bris organiques dans les lits soulevés des mers tertiaires, nous trouvons les zones de profondeur aussi évidentes qu’elles le sont dans l'Océan actuel. C’est ce que j'ai prouvé, à ma grande satis- faction, par une comparaison exacte des couches récentes de Plio- cène de Rhodes, où cette formation atteint une grande épaisseur, avec l’état actuel de la mer avoisinante. Continuant la compa- raison des terrains tertiaires les plus récents avec les plus anciens, DES MOLLUSQUES MARINS. 121 j'ai trouvé la démonstration évidente des mêmes phénomènes. Les couches du système crétacé donnent de semblables rapports, et il est incontestable que, dans tous les temps, la profondeur a exercé une influence des plus importantes, en régularisant la dis- tribution des animaux dans la mer. S’il en est ainsi, à mesure que nos recherches s'étendent, nous pouvons espérer d’assigner dans l'avenir la profondeur probable, ou du moins la région de pro- fondeur dans laquelle a été déposée une couche donnée, renfer- mant des débris organiques. Tous les géologues admettront de suite qu'un tel résultat contribuerait puissamment à l'histoire positive des formations sédimentaires et au progrès de la science géologique. II. Le nombre des espèces est beaucoup moindre dans les zones inférieures que dans les supérieures. Les végétaux disparaissent au-dessous d'une certaine profondeur, et la diminution constante dans le nombre des espèces animales indique que le zéro en est peu éloigné. — Cette conclusion est fondée sur mes recherches dans l’Archipel. Les végétaux deviennent de moins en moins nombreux dans les zones les plus basses, et se réduisent à une seule espèce, au Vullipora, à la profondeur de 100 brasses. Quoique les zones les plus basses aient une plus grande hauteur verticale que les autres, le nombre des espèces animales est infiniment plus grand dans celles-ci. Dans la Méditerranée, la région la plus basse (la huitième) excède en étendue toutes les autres régions ensemble : cependant sa faune est comparativement peu nombreuse, et dans la dernière portion explorée, le nombre des espèces testacées a été trouvé être seulement de huit. Dans la zone littorale se trou- vent plus de cent cinquante espèces. Nous pouvons conclure dès lors que, puisqu'il y a un zéro pour le règne végétal, il en existe aussi un pour le règne animal. Dans la mer, la hauteur verticale jusqu'à laquelle se succèdent les animaux est beaucoup plus grande que celle que les végétaux atteignent; sur la terre, c’est tout le contraire. L'application géologique de l'existence d’un zéro pour les êtres vivant dans l'Océan est évidente, Tous les 122 FoRBES. — SUR LA DISTRIBUTION TOPOGRAPIIQUE dépôts formés au-dessous de ce zéro seront dépourvus ou presque dépourvus de débris organiques. La plus grande partie de la mer s'étend encore à une grande profondeur au-dessous de ce zéro ; par conséquent , la plus grande partie des dépôts seront privés de débris organiques. Nons n’avons donc pas le droit de conclure qu'une formation sédimentaire , dans laquelle nous ne trouvons que peu ou point de traces d'animaux, ait pris naissance , soit avant que les animaux fussent créés, soit à une époque où la mer était moins riche en êtres vivants qu’elle ne l’est aujourd’hui. La formation peut avoir eu lieu dans une mer très profonde. N devient ainsi très probable que tel a été le cas pour quelques unes de nos anciennes roches, pour les grandes ardoises, par exemple , puis- que nous voyons que les quelques fossiles qui s’y trouvent appar- tiennent aux groupes qui, aujourd'hui, nous présentent leur maximum en nombre dans les degrés inférieurs du règne animal ; tels sont les Brachiopodes et les Ptéropodes, dont les débris, bien qu'appartenant à des animaux nageant librement dans Océan, s'accumulent seulement dans les dépôts très profonds. Les dépôts supérieurs, ceux dans lesquels les débris organiques se trouve- raient en plus grande abondance, sont ceux qui disparaissent le plus facilement, par suite de l’action destructive de la dénu- dation. Les grandes couches presque complétement privées de fossiles qui constituent une grande portion du sud de l'Europe et de l’ouest de l'Asie, furent probablement formées en grande partie au-dessous du zéro des êtres vivants. Les quelques fossiles qu'elles renferment, presque tous Nummulites, correspondent aux Foraminifères qui abondent le plus aujourd’hui dans la plus basse région où se rencontrent encore les animaux. Il n’y a pas de motif pour attribuer à une action de transformation l'absence de traces d'êtres vivant dans de telles roches. IT. Le nombre des espèces animales et végétales du nord n'est pas le même dans toutes les zones de profondeur ; il augmente en espèces identiques ou en espèces représentatives à mesure que nous descendons. — L'association des espèces dans la zone littorale est DES MOLLUSQUES MARINS. 193 celle qui est le mieux caractérisée de la région géographique que nous explorons : cependant, dans les zones les plus basses, les faunes et les flores sont modifiées par la présence d’espèces qui, dans les mers les plus septentrionales, caractérisent les zones lit- torales. Aussi notre remarque ne s’applique-t-elle qu’à l’hémi- sphère boréal, quoique, par analogie, nous puissions espérer trouver une interversion semblable dans l'hémisphère austral, La loi, dans son expression abstraite, paraît être que les parallèles en profondeur sont équivalents aux parallèles en latitude , et elle correspond ainsi à une loi bien connue pour la distribution des êtres organisés sur la terre, à savoir, que les parallèles en hau- teur sont équivalents aux parallèles en latitude. Par exemple, dans les régions tropicales, en nous élevant sur les monta- gnes , nous trouvons des zones successives de végétation dont le caractère devient, suivant l’hémisphère, de plus en plus septen- trional ou méridional, soit par l'identité des espèces , soit par la représentation de certains types par des types semblables. Ainsi dans la mer, à mesure que nous descendons, nous trouvons que les climats sont représentés par des parallèles de profondeur, La possibilité d’une telle représentation a été précédemment pres- sentie, mais d’une manière hypothétique, par Henry de La Bèche (1), pour les animaux marins, et par Lamouroux, pour les plantes marines. J'ai éprouvé un grand plaisir en confirmant les heureuses prévisions de ces observateurs distingués. Le fait d’une telle représentation a une application géologique importante; il nous apprend que toutes les conséquences que l’on pourrait tirer, pour le climat, du nombre des types septentrionaux dans les cou- ches qui contiennent des masses de restes organiques, sont erro- nées, si l’on ne tient compte de la profondeur comme d’un élé- ment du phénomène. Mais l'influence de cet élément une fois déterminée , et j’ai déjà montré la possibilité de le faire , nos con- séquences prennent une valeur à laquelle elles ne pourraient autrement prétendre. Dans cette voie, je ne doute pas que l’éva- (1) 1 y a dix ans, dans ses Recherches sur la géologie théorique, 124 FORBES. — SUR LA DISTRIBUTION TOPOGRAPHIQUE luation numérique des espèces telle que l’obtient M. Lyell, en en déterminant la proportion sur cent, ne devienne un moyen d’in- vestigation très important pour la géologie, et en général pour l’histoire naturelle : et, dans le fait, les conclusions les plus im- portantes auxquelles je suis arrivé par mes observations dans l’Archipel ont été obtenues en employant la méthode de M. Lyell. IV. Toutes les espèces de fonds de mer ne sont pas également ca- pables de nourrir les animaux et les végélaux. — Dans toutes les zones de profondeur, on rencontre parfois plus ou moins d’espaces déserts, composés ordinairement de sable ou de vase. Les quel- ques animaux qui fréquentent ces espaces sont mous en grande partie, et ne peuvent être conservés : cependant, dans quelques endroits vaseux et sablonneux, les Vers sont très nombreux, et c’est là que beaucoup de Poissons vont chercher leur nourriture. La rareté des débris de testacés dans les grès, les traces de Vers sur ces mêmes grès dont les eaux ont ondulé la surface, et qui ont évidemment été déposés dans une mer peu profonde, la présence de débris de Poissons trouvés souvent dans des roches de cette nature , sont expliqués en grande partie par les faits que je viens de citer. V. Les bancs d'animaux marins ne s'étendent pas indéfiniment en espace. Chaque espèce est destinée à vivre seulement sur un fond de mer déterminé; elle peut s'éteindre si le nombre croissant des individus modifie la nature du fond. — Si un banc de Scal- lopes, Pecten opercularis, par exemple , où un banc d'Huîtres, prend une extension considérable, le fond peut être compléte- ment changé, par suite de l'accumulation des débris des Scal- lopes ou des Huîtres mortes, et devenir ainsi tout-à-fait impropre à nourrir ensuite les animaux de ce genre. Les jeunes cessent de s'y développer, l'espèce s'éteint, et ses débris forment des lits dans les couches de sédiment, lorsque le fond, s’étant renouvelé, peut porter ensuite, ou bien une nouvelle colonie de Scallopes, ou bien quelque autre espèce ou réunion d'espèces. Cette alternance DES MOLLUSQUES MARINS. 1925 des produits, cette sorte d’assolement, a lieu continuellement dans le lit de la mer, et fournit une explication très simple de l’alternance des couches présentant des fossiles avec celles qui n’en présentent pas ; les débris organiques sont, en effet, très rarement dispersés dans la masse des roches, et sont au contraire disposés en lits d’é- paisseur variable, alternant avec des lits qui contiennent peu ou point de fossiles, Les alternances de cette nature peuvent, dans certains cas, avoir pour cause un autre phénomène, par exemple, l'élévation ou l’affaissement du fond de la mer, amenant comme conséquence la destruction des habitants d’une zone de profon- deur, et la substitution d’autres êtres à ceux ainsi disparus. C’est par des effets semblables d’oscillation dans les niveaux que nous pouvons rendre compte, dans certaines formations, de la répéti- tion , par intervalles, de couches qui indiquent une même zone de profondeur. VI. Les animaux qui s'étendent sur une plus grande profondeur occupent ordinairement une grande étendue , soit géographique , soit géologique, ou méme l’une et l’autre à la fois. — J'ai trouvé que les testacés de la Méditerranée, qui se rencontrent à la fois dans la mer actuelle et dans les terrains tertiaires avoisinants, sont ceux qui peuvent vivre dans plusieurs zones de profondeur, ou qui sont répandus sur une plus grande étendue géographique, ou qui présentent mème fréquemment l’une et l’autre de ces deux circon- stances dans leur distribution. Le même fait a été confirmé pour les testacés des couches tertiaires de la Grande-Bretagne, La cause en est évidente : les espèces qui occupent, dans l’espace, la plus grande étendue horizontale ou verticale, sont précisément celles qui peuvent, dans le temps, atteindre à la plus longue durée, puisqu'elles sont très probablement beaucoup plus indé- pendantes des catastrophes et de toutes les influences destructri- ces, que celles dont la distribution est plus restreinte. Ainsi nous voyons que, dans le système crétacé, les quelques espèces qui ont vécu pendant plusieurs époques de cette ère de formation, sont celles qui sont communes aux roches crétacées d'Europe, d’Asie 1926 Formes. — SUR LA DISTRIBUTION TOPOGRADIIQUE et d'Amérique. Le comte d’Archiac et M. de Verneuil, dans les excellentes remarques sur la faune des roches palæozoologiques , qu’ils ont ajoutées au remarquable Mémoire de M. Murchison et du professeur Sedgwick sur les provinces Rhénanes, sont arrivés à cette conclusion, que les fossiles communs aux localités les plus distantes sont ceux qui occupent la plus grande étendue verticale, Mes observations sur les testacés vivants et sur les fossiles qui leur sont analogues, conduisent à la même conséquence. Il est très intéressant d'arriver ainsi à trouver une vérité générale apparais- sant, pour ainsi dire, sous la même forme , par des recherches indépendantes faites, en quelque sorte, aux deux extrémités du temps. VIT. Les Mollusques émigrent à l'élat de larves; mais ils cessent d'exister à une cerlaine période de leurs métamorphoses , s'ils ne rencontrent pas les conditions favorables à leur développement, c’est- à-dire, s'ils n'alleignent pas la zone spéciale de profondeur dans laquelle ils sont destinés à vivre à l'état parfait. Cette proposition, qui, autant que je puis le croire, est main- tenant énoncée pour la première fois, renferme deux ou trois assertions qui exigent une explication et des preuves, avant que je puisse espérer qu'on admette la proposition dans son ensemble, D'abord, les Mollusques émigrent, Dans le quatrième volume des Annales d'Histoire naturelle (1840), j'ai donné, sur les bancs de coquilles de la mer d'Irlande, un Mémoire z0ologico-géologique, qui n’est qu’un court sommaire de sept ans d'observations, faites pendant une saison particulière de l’année. J'ai fait connaître dans ce travail l'apparition , à une certaine époque, sur les côtes de l'ile de Man, de plusieurs Mollusques qui n'avaient pas précé- demment habité ces parages : c’élaient des espèces de Patelles, à l'égard desquelles on ne peut se méprendre, et une espèce était de rivage. A cette époque, je ne pouvais rendre compte de leur apparition. Quelques faits semblables sont parvenus depuis à ma connaissance, et les pêcheurs voient fréquemment ce qu'ils appel- lent le départ des bancs de coquillages, l’attribuant à tort à la DÉS MOLLUSQUES MARINS. 127 retraite de tout un banc de coquillages marins , tels que les Moules et les Huîtres, qui nageraient ensemble vers un autre séjour : les Pecten même, et beaucoup moins encore les animaux qui méritent le nom de testacés , sont peu capables de s’avancer jusqu'à une certaine distance, lorsqu'ils ont atteint leur entier développement, Le départ où émigration est accomplie par les jeunes, lorsqu'ils sont à l’état de larve. Ceci me conduit à un second point, qui a besoin d'explication. Tous les Mollusques subissent une métamor- phose, soit dans l'œuf, soit en dehors de l'œuf; mais dans les es- pèces marines, c'est, pour la plupart, en dehors de l'œuf, Les métamorphoses de plusieurs groupes ne sont pas encore complé- tement connues; mais ce que nous connaissons aujourd’hui suffit pour garantir la justesse de ce principe général. Dans une grande classe de Mollusques, celle des Gastéropodes, tous les animaux pa- raissent commencer à vivre sous une même forme, qui est à la fois coquille et animal, c’est-à-dire qui consiste en une coquille héli- coïde très simple, spirale, et en un animal pourvu de deux ailes ou lobes ciliés, à l’aide desquels il peut nager librement dans le li- quide dans lequel il est plongé. 4 cetle époque de son existence , l'animal est dans un état correspondant à l’état permanent des Pté- ropodes (1), et sa forme est la même, qu’il doive ou non être pourvu d’une coquille dans la suite. Ces faits sont démontrés par les observations de Dalyell, Sars, Alder et Hancock, Allmann et autres , et je les ai constatés moi-même, C’est sous cette forme que la plupart des espèces émigrent , nageant facilement dans la mer, Une partie du voyage peut être accomplie quelquefois par les œufs disposés en cordons qui remplissent la mer, dans cer- taines saisons, et sont entrainés par les courants. Mon ami le lieutenant Spratt, de la marine royale, m'a dernièrement montré le dessin d’une chaîne d'œufs de Mollusques, prise à quatre-vingts milles des côtes, et qui, lorsqu'elle eut été déchirée, montra des larves munies de coquilles, dans la forme que j’ai décrite. Si elles (1) 1 n'est pas improbable que la forme de la larve des Ptéropodes, lorsqu'on la connaitra, se trouvera être celle d'un polype ascidien, de même que la larve des Tuniciers nous représente un polype hydroïde, * 198 FORBES. — DISTRIBUTION TOPOGRAPHIQUE DES MOLLUSQUES. atteignent la région el le fond, dont l’animal parfait est l'habitant, elles peuvent alors se développer et prospérer ; mais si le moment de leur développement survient avant qu'elles soient arrivées à leur destination, elles périssent, et leurs frêles coquilles s’abiment dans les profondeurs de la mer. Des millions et des millions d’in- dividus doivent disparaître ainsi, et chaque poignée de la belle vase qu'on retire, dans la Méditerranée , de la huitième zone de profondeur, est littéralement remplie de centaines de ces dépouilles curieuses des larves de Mollusques (1). S'il n'existait pas de lois qui permissent le développement de ces larves seulement dans les régions dont les adultes sont les habitants naturels, les zones de profondeur auraient été depuis longtemps confondues l’une avec l’autre, et l'existence démontrée de ces zones de profondeur est la preuve la plus forte de l’exis- tence de ces lois. Ainsi renaît notre confiance dans leur fixité, que la connaissance du fait de l’émigration des Mollusques pouvait d’a- bord ébranler ; ainsi renaît par conséquent aussi notre confiance dans les conséquences applicables à la géologie, que nous avons tirées de nos recherches sous-marines. Quelques uns des faits énoncés dans ce travail sont nouveaux, quelques uns ont été établis précédemment ; mais tous ceux pour lesquels je n’ai pas cité d'autorité, qu’ils soient nouveaux ou an- ciens, sont avancés comme le résultat de mes propres observa- tions. (1) Le nucléus des coquilles de Céphalopodes est une spirale univalve, dont la forme est semblable à celle des coquilles non développées auxquelles nous avons fait allusion plus haut: il reste encore à voir si tous les Céphalopodes ne ” commencent pas leur existence sous la forme de coquille spirale de Ptéropode. 129 ÉTUDES SUR LES TYPES INFÉRIEURS DE L'EMBRANCHEMENT DES ANNELÉS; Par M. A. DE QUATREFAGES. MÉMOIRE SUR QUÉLQUES PLANARIÉES MARINES appartenant aux genres Triceris (Ehr.), Porvceus (Ehr.), Prosrurosromux (Nob.), Procenos (Nob.), Eouvicrros (Nob.), et Sryzocnus (Ehr.). PREMIÈRE PARTIE. On sait que le genre Planaire fut proposé par O. F. Müller, qui réunit sous ce nom bien des êtres très différents (1). Après avoir été négligé pendant assez longtemps, ce groupe attira l'attention des zoologistes. Toutefois, Savigny, Lamarck, Cuvier et M. de Blainville ne s’en occupèrent guère qu'au point de vue de la classification, et arrivèrent, chacun de son côté, à des ré- sultats à peu près semblables sous certains rapports, très diffé- rents sous d’autres. M. Ehrenberg, à son tour, fixa son attention sur,ce sujet, et la classe des Turbellariés, si justement établie par cet illustre naturaliste , est presque entièrement composée des Planaires de Müller (2). Le nombre des auteurs qui ont cherché à faire connaître la structure anatomique des Planaires est assez restreint, Quelques détails presque isolés ont été publiés par M. Desmoulins. M. Focke a donné avec détail l'anatomie de la Planaria Ehrenbergii. Mais ce sont surtout MM. Baer et Dugès qui ont jeté un grand jour sur celle question, par la publication presque simultanée de recherches approfondies sur l'anatomie et la physiologie de ces animaux (3). (1) Zoo!. dan., &. IX. (2) Symbole physicæ. (3) Baer, Beitrage zur Kenntniss der niedern thiere (Nov, Act. Acad. natura 3° série, Zoon. T. IV, ( Septembre 4845.) 1 9 130 VOYAGE EN SICILE, Baer n’a étudié, dans son travail, que des espèces appartenant à la famille des Planariées, telle qu’elle est établie par M. Ehren- berg dans ses divisions de la classe des Turbellariés. Dugès, au contraire, a étendu ses recherches à plusieurs genres voisins, et j'aurai occasion de revenir sur ce point dans un Mémoire relatif aux Nemertoïdes, que j'espère publier sous peu. Parmi les Planaires proprement dites, il n’a étudié qu’une seule espèce marine, la PI. tremellaire. Toutes celles qu’a examinées Baer habitent également les eaux douces. Le Mémoire actuel , au contraire, a pour but de faire connaître l’organisation des Planariées proprement dites (Planariea Ehr.), qui ne se trouvent que dans l’eau salée. Le nombre des espèces que j'ai eues en ma possession est de qua- torze, dont treize, ou au moins douze, n’avaient pas encore été décrites (1); parmi elles, sept appartiennent à des genres déjà établis par M. Ehrenberg , ou dont il a fallu seulement modifier légèrement la caractéristique, qui ne m’a pas semblé présenter assez de généralité. Les sept autres ont dû être réparties dans des genres nouveaux. Ce travail actuel est divisé en deux parties. Dans la première, je décris les caractères extérieurs des espèces que j’ai eu occasion d'étudier ; dans la seconde, je m'occupe de leur organisation. Je ne dis rien de leurs mœurs. Cette partie de l’histoire des Pla- naires est aujourd'hui bien connue, grâce à MM. Baer, Dugès et Desmoulins , et je n'aurais eu que fort peu de chose à ajouter à ce que nous ont appris ces naturalistes. curiosorum, t. XIIT, 1827). — Dugès, Recherches sur l'organisation et les mœurs des Planariées (Ann. des Sc. na, t. XV, p. 139). — Le même, Aperçu de quel- ques observations nouvelles sur les Planaires el plusieurs autres genres voisins (Ann. des Sc. nat., t. XXI, p. 87). (1} Peut-être le Polycelis levigatus (Nob.) n'est-il autre chose que la PI. tre- mellaire décrite par Müller, et étudiée par Dugès : cependant la manière dont les yeux sont groupés me semble être assez différente pour motiver la séparation de ces deux espèces. DE QUATREFAGES. — SUR LES PLANAIRES, 131 G. TRICELIS (Ehr.). Taiceuts À BANDES (T. fasciatus Nob.) (1). Cette belle espèce a tout le corps d’un blanc de lait légèrement teinté de jaune en arrière, sur la ligne médiane et vers le tiers antérieur du corps jusqu'aux yeux. L’extrémité antérieure du corps est parfaitement blanche. Elle porte , sur la ligne mé- diane, une bande assez peu régulière d’un bel orangé vif, qui semble se bifurquer en avant et former deux branches latérales, qui se replient d'avant en arrière en longeant le côté du corps jusque vers l'extrémité postérieure, où elles se rejoignent. À droite et à gauche de la bande médiane, le corps est comme piqueté de petites pointes grisàtres. L'espace compris entre les bandes laté- rales et les bords du corps est légèrement transparent. Tout le reste est opaque. Les yeux sont placés à quelque distance de l'extrémité anté- rieure. L’un d’eux, un peu plus grand, est sur la ligne médiane, au milieu de la bande orangée, les deux autres placés des deux côtés de cette bande, un peu en avant du premier. Le corps de cette Planariée est plus épais que celui des Pla- naires ordinaires : aussi la forme générale en est moins variable. La longueur de l'individu que j'ai observé était de 22 millimètres, sa largeur de 9 millimètres environ. Je l’ai trouvée dans les pierres, à Milazzo, sur la côte nord de Sicile. G. PoLYyceLis ( Polycelis Ehr.). Après avoir réparti dans des genres distincts les Planariées à yeux sessiles, qui ne présentent que un, deux, trois ou quatre de ces organes, M. Ehrenberg caractérise son genre Polycelis par la phrase suivante : — Ocellorum plurimorum serie frontali. — On voit que cette caractéristique ne permettrait de placer dans ce genre que les Planariées, dont les yeux, plus ou moins multi- (1) PL 3, fig. 4. 152 VOYAGE EN SICILE. pliés, formeraient une série unique à la partie antérieure termi- nale du corps : or, plusieurs de ces animaux ont des yeux multi- ples disposés de diverses facons sur plusieurs points de cette por- tion antérieure du corps, sans présenter de série frontale. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de multiplier pour cela les noms de genres. Ces divers modes de groupement des yeux me semblent propres seulement à caractériser les espèces. Je pense donc que la phrase du savant naturaliste de Berlin devra être modifiée de la manière suivante: — Ocellis plurimis varie dispositis. — Cette modification me paraît d'autant plus rationnelle qu’on trouve sou- vent des espèces qui, à la rangée frontale dont parle M. Ehren- berg, joignent des groupes d’yeux placés ailleurs, et qu’ainsi on passe de l’une à l’autre de ces dispositions par des transitions trop peu tranchées pour motiver l'établissement de groupes nouveaux. Je crois pourtant devoir séparer, au moins comme sous-genre, les deux dernières espèces que je vais décrire, car elles se distin- guent des autres par descaractères bien tranchés. En effet, dans les Polycelis vrais, la bouche est placée au milieu de la face ventrale, et les orifices génitaux sont très en arrière. Dans les deux espèces dont je parle, ces orifices sont situés vers le milieu du corps, et la bouche, quoique s’ouvrant sur la face ventrale, est placée très près de l'extrémité antérieure. En décrivant l’anatomie de ces animaux , nous verrons ces différences extérieures être accompa- gnées de modifications anatomiques correspondantes. Le dernier caractère que je viens d'indiquer semblerait devoir faire rapporter les espèces dont il s’agit au genre Dérostome de Dugès. Il n’en est pourtant rien. En effet, le genre établi par le naturaliste de Montpellier forme un groupe particulier, sur le- quel j'aurai occasion de revenir plus tard , et qui se distingue très nettement des Planariées proprement dites. C’est ce que M. Eh- renberg a parfaitement compris lorsqu'il a placé ces deux groupes dans deux ordres différents de sa classe des Turbellariés. Le genre ou sous-genre Prosthiostome (Prosthiostomum Nob.), dont je propose ici l'adoption, a tous les caractères des Polycélis, tels qu'ils sont compris dans la phrase caractéristique donnée plus haut. DE QUATREFAGES. — SUR LES PLANAIRES. 133 Il faut seulement y joindre ceux que je viens de mentionner. Le genre Polycélis se partagera donc de la manière suivante : ( Ore medio; aperturis genitalibus posterioribus. : . Polycelis. POLXGELIS | Ore subterminali infero: aperturis genitalibus mediis. Prosthiostomum S.-G. Polycelis. I. Pozyceurs paze (P. pallidus Nob.) (1). Cette espèce est d’une forme allongée, un peu atténuée en arrière et élargie en avant; sa couleur générale est légèrement verdâtre. Le milieu du dos présente une teinte légère, d’un brun clair qu’entoure un anneau allongé d’un blanc jaunâtre prolongé jusqu'aux yeux. Les yeux sont placés à une assez grande distance du bord an- térieur du corps (2) ; ils forment de chaque côté de la ligne mé- diane deux groupes irrégulièrement triangulaires, et recourbés en dedans de manière que leur ensemble présente à peu près la forme d’un demi-cercle. Chaque groupe se compose de quinze à vingt points oculaires de grandeur variable. La bouche, placée au milieu de la face ventrale, forme une fente médiocrement allongée. Les orifices génitaux sont au nombre de deux, placés sur la ligne médiane et assez éloignés l’un de l’autre. Celui des organes femelles est placé très en arrière. Le Polycélis pâle est une assez grande espèce ; quelques indivi- dus ont de 20 à 22 millimètres de long sur 8 à 9 millimètres de large. J'ai trouvé cette espèce sur plusieurs points de la côte de Sicile, etplus particulièrement à Milazzo, où elle vit dans les fucus. IT. Pozxceuis moneste (P. modestus Nob..). Le corps du Polycélis modeste est assez étroit, et d’une couleur brune légère un peu plus foncée sur le milieu que vers les bords. Ses yeux sont placés assez loin de l'extrémité antérieure et disposés en deux groupes, dont l’ensemble présente une sorte de (1) PL 3, fig. 8. (2) PI. 3, fig. 9 134 VOYAGE EN SICILE, ressemblance avec le bois d’une lyre (1) ; ils sont fort nombreux (30 à 35 de chaque côté) et inégaux. Les plus grands sont dispo sés sur le bord interne du groupe auquel ils appartiennent. La bouche est placée en avant du milieu du corps, et est en forme de fente allongée. Il existe deux orifices génitaux placés sur la ligne médiane très espacés ; l’orifice femelle est un peu moins rapproché de l’extré- mité postérieure que dans l'espèce précédente. La longueur de cette espèce n’est guère que de 15 à 18 milli- mètres ; sa largeur de 7 à 8. Je l’ai trouvée à Naples, dans des fucus recueillis au pied des remparts du château de l’OEuf. HT, Porxceuis uni (P. levigatus Nob.) (2). Le corps de cette espèce est très sensiblement élargi en avant et atténué en arrière, La teinte générale est légèrement verdâtre, Sur le dos est un espace d’un brun peu foncé, parcouru sur la ligne médiane par une bande plus claire , d’où partent à droite et à gauche des rameaux semblables ; une sorte d’anneau blanchâtre entoure cet espace brun des deux côtés. Les yeux sont aussi placés au milieu d’un espace plus clair que le reste du corps. Les yeux, toujours assez éloignés du bord antérieur du corps, forment de chaque côté de la ligne médiane deux groupes distincts, dont l’un est interne et l’autre externe (3). Le premier se com- pose uniquement de points oculaires très petits ; il forme un are de cercle assez régulier sur la concavité, qui est tournée vers la ligne médiane. Le second compte quatre ou cinq grands yeux, et trois ou quatre de beaucoup plus petits. La bouche, assez allongée, est placée en avant du milieu du corps. Les orifices génitaux sont plus rapprochés l’un de l’autre , et l'orifice des organes femelles est plus éloigné de l'extrémité du corps que dans les deux espèces précédentes. Le Polycélis uni a 18 à 20 millimètres de long et 7 à 8 de large, DE QUATREFAGES. — SUR LES PLANAIRES. 155 Je l’ai trouvé dans des fucus recueillis sur les roches au nord de Granville. IV. Pozyceuis rnompeur (P. fallaæ Nob.). Cette espèce ressemble beaucoup à la précédente ; ses couleurs sont presque entièrement les mêmes : tout au plus pourrais-je ajouter que la teinte brune s’étend davantage sur le dos, et que le cercle transparent qui l'entoure est moins marqué. Les yeux, cependant, sont disposés d'une manière toute diffé- rente, et fournissent par conséquent un assez bon caractère distinc- tif, Ils forment de chaque côté de la ligne médiane deux petits groupes placés l’un devant l’autre (1). Le plus rapproché du bord antérieur se compose de un ou deux grands points oculaires accom- pagnés de six ou sept autres très petits. Dans le groupe postérieur, dont la forme est assez régulièrement triangulaire, on trouve quatre ou cinq grands yeux et deux ou trois petits. La bouche est à peu près médiane et en fente médiocrement allongée, Les orifices génitaux sont assez éloignés l’un de l’autre. La taille de cette espèce est la même que celle de la précédente. Je l’ai trouvée aux mêmes lieux. S.-G. Prosthiostome (?rosthiostomum Nob.). I. Prosrmiosrome érroir (P. arctum Nob.). L’extérieur de cette espèce présente peu de chose de remar- quable sous le rapport de la couleur, qui est d’un brun léger assez uniformément répandu sur tout le corps ; mais elle est assez bien caractérisée par le grand nombre de cils roides non vibratiles qui hérissent tout le pourtour du corps, surtout en avant. La disposition des yeux est aussi remarquable, en ce qu’elle tient le milieu entre celle que M. Ehrenberg attribue à ses Polycélis tels qu'il les à caractérisés, et ce que nous avons vu exister dans quel- ques unes des espèces précédentes. En effet, on trouve antérieure- ment sur le bord du corps une rangée de dix à douze grands yeux formant un fer-à-cheval, dont les deux branches sont terminées en (4) PL 3, fig. 40. 136 VOYAGE EN SICILE, arrière par un groupe de quatre ou cinq petits points oculaires (1). De plus, dans l’intérieur de ce demi-cercle, on observe de chaque côté de la ligne médiane une série de cinq grands yeux légèrement courbée de dehors en dedans. La bouche, très rapprochée de l'extrémité antérieure, est petite et étroite. Les orifices génitaux sont placés à quelque distance l’un de l’autre, le long de la ligne médiane. La taille de cette espèce n'excède pas 10 à 12 millimètres de longueur sur 5 à 6 de large. Je l’ai trouvée à Naples, près du château de l'OEuf. IT. Pnosrutosroue ALLONGÉ (P. elongatum Nob.) (2). La couleur brune, assez foncée, qui distingue cette espèce est beaucoup plus prononcée sur la ligne médiane dans la moitié postérieure du corps ; dans la moitié antérieure , elle est au con- traire sensiblement plus pâle sur la ligne médiane, et va en s’af- faiblissant de plus en plus jusqu’à l'extrémité antérieure, qui est à peine brunâtre. Les yeux du Prosthiostomum elongatum forment sur le bord an- térieur un groupe très nombreux disposé en fer-à-cheval (3). En arrière, deux autres groupes presque triangulaires placés des deux côtés de la ligne médiane se courbent de dedans en dehors, et se confondent en avant. La bouche est fort petite , arrondie, et placée très près de l'extrémité antérieure. Les deux orifices génitaux sont placés à côté l’un de l’autre sur la ligne médiane au tiers antérieur du corps (4). Le P. elongatum est la plus grande Planaire marine que j'aie observée. J’en ai trouvé un individu de plus de 30 millimètres de long sur environ 8 millimètres de large. J’ai trouvé cette belle espèce dans l’île de Brehat, où elle vit sous les pierres dans un chenal appelé {a Chambre. (1) PL 3, fig. 14 (2) PL 3, bg. 12. (3) PL 3, fig. 13. (4) PL 7, fig. 4, d,d — Cette position relative des deux orifices pourrait bien 0 avoir besoin d'être confirmée par de nouvelles observations. DE QUATREFAGES. — SUR LES PLANAIRES, 157 PROCEROS (Proceros Nob.). Je propose de réunir sous ce nom générique des Planariées qui ont extérieurement de grands rapports avec les Polycélis, mais qui s’en distinguent par les espèces de tentacules qu’elles présen- tent à la partie antérieure du corps. Ces tentacules ne forment pas à proprement parler un organe distinct ; ils sont formés par un simple prolongement des téguments, ou mieux des couches qui composent le corps. Ce prolongement de forme triangulaire est plié dans la direction de son axe ; quand on comprime l’animal même assez légèrement, ce pli s’efface, et le tentacule ou dispa- rait entièrement , ou ne forme plus sur le bord de la partie anté- rieure qu'un feston plus ou moins prononcé. Je n'ai rien pu dé- couvrir de particulier dans ce faux tentacule , qui n’en joue pas moins d’une manière bien évidente le rôle d’organe du toucher. On pourra donc caractériser ce genre de la manière suivante : — Planariea, oculis sessilibus, pseudotentaculis instructa. — Planariées à veux sessiles, pourvues de faux tentacules. I. Proceros arGus (P. argus Nob.) (1). Le corps de cette Planariée est d’un jaune orangé plus foncé en arrière et des deux côtés de la ligne médiane , qui est légèrement rosée. De petits points blancs semblables à des perles se déta- chent sur ce fond , et à quelque distance des bords du corps règne un cordon de points violets. Les faux tentacules sont épais et peu prolongés au-delà du bord antérieur de l'animal ; leur couleur ressemble à celle du corps , mais la teinte en est plus pâle. Les yeux sont très multipliés dans cette espèce (2) : on trouve en arrière des tentacules et des deux côtés de la ligne médiane deux groupes presque confondus en un seul, et dont chacun compte de douze à quinze yeux très inégaux. Un troisième groupe semblable est placé en dedans du tentacule ; la surface interne de 4) PL 3, fig. 5. (2) PL. 3, fig. 6. 138 VOYAGE EN SICILE, ce dernier présente deux groupes de très petits yeux. Une rangée de sept ou huit yeux plus grands est placée sur le bord postérieur ; la face externe du même organe présente un groupe d’yeux inégaux. Enfin quelques yeux isolés et de grandeur variable se voient à la face inférieure du corps : on ne peut guère porter à moins de cent quarante ou cent cinquante le nombre total de ces organes de vision (1). La bouche est placée très près de l’extrémité antérieure du corps; elle est petite et arrondie, Les orifices génitaux sont l’un derrière l’autre sur la ligne mé- diane ; l’orifice mâle s'ouvre au quart antérieur du corps, l'ori- fice femelle un peu en arrière. Le Proceros argus n’a guère plus de 5 à 6 millimètres de long sur 2 ou à millimètres de large. Je l'ai trouvé à Saint-Malo dans les fucus qui croissent sur les rochers placés en dehors de la chaussée. IT. Procenos ENSANGLANTÉ (P. sanguinolentus Nob.) (2). Cette espèce a le corps d’un jaune brun , se fondant sur les bords en une bande d’un gris bleuâtre. La teinte sur le milieu du corps est moins foncée, el la transparence des téguments permet de distinguer en partie l’appareil digestif, vivement coloré en rouge. On reconnaît aussi de la même manière quelques portions de l’appareil générateur. En avant de l'intestin est un espace blanc où se trouvent les yeux. La portion comprise entre les ten- tacules est blanc bleuâtre ; les plis tentaculaires eux-mêmes sont de la même couleur. Les veux forment deux groupes très nombreux de points vio- lacés inégaux placés des deux côtés de la ligne médiane, et qui convergent antérieurement. La bouche est subterminale , petite et arrondie; les orifices génitaux sont disposés comme dans l’es- pèce précédente ; l’orifice femelle est à peu près vers le milieu du corps. (4) On trouvera peut-être cette expression trop hardie; mais, pour justifier l'idée qu'elle exprime, nous renvoyons à la partie anatomique de ce travail. (2) PI. 4, fig. IV. DE QUATREFAGES. — SUR LES PLANAIRES,. 139 La grandeur de cette espèce est de 20 à 22 millimètres de long sur 12 à 13 millimètres de large. Je l’ai trouvée dans les mêmes localités que la précédente, HIT. Proceros crèté (P. cristatus Nob.) (4). Le corps de cette espèce est assez régulièrement elliptique , un peu élargi er avant. Les plis qui forment les faux tentacules des- sinent une sorte de tête presque aussi bien marquée que dans le genre suivant. Sur la ligne médiane est placée une crête qui s’é- tend d’avant en arrière , et se termine à égale distance des deux extrémités. Le corps tout entier est d’un blanc jaunätre , sur le- quel se détachent des lignes noires très fines : une de ces lignes occupe tout le bord de la crête longitudinale ; deux autres, le bord externe des tentacules; d’autres lignes ondulées et à peu près concentriques portent de chaque côté de la base des plis ten- taculaires, et vont se rejoindre en arrière de la crête médio- dorsale, Cette Planariée est d’une grande taille; sa longueur est de près de 30 millimètres, sa largeur de 10 millimètres. Je l’ai trouvée dans une anfractuosité de rocher, à Saint-Vast- la-Hougue (2). Genre EOLIDIGÈRE (Zolidiceros Nob.). Je propose ce nom pour désigner un groupe de Planariées vrai- ment remarquables. En effet, un des caractères les plus généraux (1) PL 3, fig. 7. (2) Ce n'est que d'une manière toute provisoire que je place la Planariée que je viens de décrire dans le genre Proceros. A l’époque où je la trouvai, je me contentai d'en faire un dessin exact, sans donner à son examen le soin qu’il exi- gerait pour être complet. Je n'ai marqué aucun organe oculaire, et il me semble probable. d'après cela, qu'il n’en existe pas : cependant je n'oserais l’affirmer. Si cette observation est vraie, on voit que cette espèce devrait former un genre nou- veau dans la première section des Planariées de M. Ehrenberg, car on ne saurait la placer parmi les Planoceros. Je n'ai d'ailleurs rien à ajouter à la description qu'on vient de lire, sinon que l'orifice buccal m'a paru placé vers le milieu de la face ventrale , circonstance qui, comme nous le verrons plus loin, l'écarterait du genre où je la place provisoirement. 140 VOYAGE EN SICILE, des animaux de cette famille, c’est d’avoir le corps extrêmement lisse. Les seules espèces présentant quelques exceptions à cet égard étaient celles qui devront rentrer dans le genre Pro- ceros, et celles qui, comme les Planoceros et les Stylocus, por- tent une paire de tentacules implantés sur la face dorsale du corps : or, les Planariées dont il s’agit ici portent sur plusieurs points, ou bien sur toute la surface de leur corps, des appendices nombreux à structure assez compliquée, et semblables presque entièrement à ceux qu'on observe chez les Mollusques voisins des Eolides et des Tergipes. De plus, les Éolidicères portent en avant une paire de tentacules mieux caractérisés, plus distincts du reste du corps que ceux des Proceros, mais qui me semblent cepen- dant formés de la même manière. On peut caractériser ce genre de la manière suivante. EoripicEROs. — Planariées à yeux sessiles, pourvues de faux tentacules , portant sur le dos des appendices tubuleux plus ou moins nombreux. Eortpiceros. — Planariea, oculis sessilibus, pseudo-tentaculis , appendiculis tubulosis dorsalibus instructa. 1. Eounicène pe Broccui (E. Brocchi Risso) (1). Le corps de cette belle espèce est presque régulièrement ellip- tique, légèrement atténué en arrière, élargi en avant, et légère- ment bombé au milieu du dos; les bords en sont transparents et bleuàtres. Puis vient une zone d’un jaunâtre clair, qui passe au brun en avant. Cette zone circonscrit un espace elliptique d’un blanc jaune-rougeâtre , plus rapproché de l'extrémité antérieure que de la postérieure , et qui répond à la partie la plus épaisse du corps. La portion qu'on pourrait appeler la tête, c’est-à-dire qui est comprise entre les tentacules, est très distincte du reste du corps, et présente la forme d’un triangle dont la pointe est dirigée en arrière, tandis que les angles de la base se prolongent à droite et à gauche pour former les tentacules. La face supérieure de Le] (1) PL 5, fig. L DE QUATREFAGES. — SUR LES PLANAIRES. 1h cette espèce de tête est d’un beau blanc teinté de verdätre en avant. Les côtés sont brun clair, avec une raie brun foncé qui cir- conscrit la face blanche. Ces tentacules sont couverts de petits tubercules irréguliers, dont quelques uns sont légèrement bru- nâtres. Les appendices qui couvrent la, face du dos sont très nombreux, assez régulièrement disposés en quinconces. Ceux qui avoisinent le milieu du corps sont fusiformes, plus longs et plus gros. À mesure que l’on s'approche des bords en tous sens, leurs dimensions di- minuent, et au-delà de la zone jaunâtre ils sont réduits à de très petits tubercules. Leur couleur est brune-rougeätre, excepté à la pointe, qui est d’un blanc jaunâtre. Toute leur surface est pi- quetée de points d’un violet noirâtre. Les yeux de l’Æolidicère de Brocchi sont très nombreux. On trouve à la face supérieure, à l’origine de la tête, deux groupes de vingt à vingt-cinq yeux assez grands et égaux entre eux (1). Ces groupes, de forme triangulaire, courbés de dehors en dedans , convergent en avant vers la ligne médiane. Sur la même face, on voit un petit groupe de cinq ou six yeux plus petits placé près du bord antérieur, entre les deux tentacules. A la face inférieure, on observe d’abord deux groupes de quatre ou cinq veux placés sur les tentacules mêmes (2). Puis en arrière se trouvent deux lignes brisées convergentes en avant, formées par sept ou huit yeux assez grands, qui aboutissent à un groupe de trois ou quatre points ocu- laires très petits. La bouche est très grande, elliptique, et placée un peu en avant du milieu de la face ventrale. Je n'ai pu distinguer les orifices génitaux, non plus qu'aucune partie de l'appareil reproducteur, ce qui tient, sans doute, à ce que cet appareil n’était pas en activité à cette époque de l’année (à la fin de juillet). La taille de l’Eolidicère de Brocchi est de 16 à 18 millimètres de long sur 8 à 9 de large (3). (4) PL 5, fig. Ja. (2) PL. 5, fig. 1». (3) La Planaire tuberculée (PI. tubereulata) de M. Delle Chiaje ressemble beau - coup à la précédente ; peut-être ces deux espèces devraient-elles être réunies. 142 VOYAGE EN SICILE. Cette espèce a été décrite pour la première fois par M. Risso, qui l’a découverte près de Nice. Je l'ai trouvée à Naples, dans les fucus qui croissent dans le voisinage du château de l’'OEuf. M. Dujardin m'a dit l'avoir ren- contrée également aux environs de Toulon. IT. Eourmicère Panome (E. Panormus Nob.) (1). Le corps de cette espèce est régulièrement elliptique ; le milieu en est d’un jaune moucheté de brun. Tout le reste est marbré de blanc et de violet, avec des piquetures brunes sur les côtés de la tête. Cette livrée uniforme est interrompue par une bande trans- versale d’un jaune pâle, placée vers le tiers postérieur du corps, et s'étendant d’un côté à l’autre de l’animal. La tête est triangu- laire et dépasse le corps en avant. Les tentacules sont gros, courts et droits. Leur couleur est jaune-verdâtre; le reste de la tête est blanc sur la face supérieure, et d’un brun moucheté de violet foncé sur les côtés. Les appendices du corps sont bien moins nombreux chez cette espèce que chez la précédente. On n’en trouve qu'un seul rang de chaque côté du corps. Leur forme est cylindrique, et leur cou- leur celle du reste de l'animal : aussi se distinguent-ils assez dif- ficilement. Les yeux sont distribués sur les deux faces du corps, comme dans l’espèce précédente. A la face dorsale, on trouve, vers l’o- rigine de la tête, trois grands yeux dont le postérieur est entouré de trois ou quatre autres beaucoup plus petits (2). En avant, on trouve deux petits yeux au côté interne de la base des ten- tacules. A la face ventrale, les tentacules portent chacun deux yeux; deux autres sont placés entre les deux tentacules (3). Enfin, à la base de chacun de ces appendices, on en voit trois autres for- mant une ligne presque transverse. Tous ces yeux de la face in- férieure sont à peu près égaux entre eux. La bouche est placée comme dans l’espèce précédente. (1) PL 3, fig. 2. (2) PL 3, fig. 3. (3) PL 3, fig. 4. DE QUATREFAGES. — SUR LES PLANAIRES. 113 Je n’ai pas pu distinguer les orifices génitaux. Le seul individu de cette espèce que j'aie eu en ma possession avait 6 millimètres de long sur 3 de large. Je l’ai trouvé à Palerme, sur des rochers peu éloignés de la Porta-Felice, Genre SryLocaus {Stylochus Ehr.). M. Ehrenberg a caractérisé ce genre : — Ocellis tentaculis suf- fultis. —Or, j'ai trouvé deux espèces de Planariées qui ne me sem- blent pas différer assez des vrais Stylochus pour qu’il soit nécessaire de créer un genre nouveau, et pourtant cette caractéristique ne leur convient pas; car, bien qu'ils aient des tentacules sembla- bles à ceux du S. suesensis, leurs yeux ne sont pas tous supportés par ces appendices. Il me semble que l’on pourrait lever cette difficulté en modifiant de la manière suivante les caractères assi- gnés au genre Stylochus : — Ocellis omnibus seu pluribus tenta- culis dorsalibus suffultis. — Je crois devoir ajouter l’épithète dor- salibus dans la phrase précédente, afin qu’on ne confonde pas les appendices dont il s’agit ici avec les faux tentacules dont j'ai parlé en décrivant les genres Proceros et Eolidiceros. Ceux dont il s’agit ici me semblent, en effet, se rapprocher bien davantage de la nature des tentacules proprement dits, par la place qu'ils occupent, par leur forme, et par cette circonstance qu’ils sont bien des organes distincts, et non plus de simples plis des téguments. I. Srycocaus parrain (S. palmulu Nob.) (1). Le nom spécifique que je donne à cette espèce marque assez bien la forme générale de son corps, qui, presque égal dans les parties moyenne et postérieure, s’élargit considérablement en avant. Sa couleur est gris bleuâtre lavé de brun dans le milieu. Tout le corps est, en outre, couvert de petites taches brunes al- longées, et de taches blanches arrondies, qui ressemblent à au- tant de petites perles. Les yeux forment, de chaque côté de la ligne médiane, trois groupes distincts composés d’yeux assez petits, et à peu près égaux (4) PL. 5, fig. L ll VOYAGE EN SICILE. entre eux (1). Le premier occupe la face interne de la moitié infé- rieure du tentacule ; il compte cinqou six yeux. Lesecond est formé par douze à quinze yeux, disposés en groupe allongé en dedans du tentacule, qu’il dépasse en avant et en arrière. Enfin le troi- sième , placé en avant du précédent, consiste en huit à dix yeux formant deux rangées longitudinales irrégulières. La bouche est assez grande, à peu près médiane. L'orifice génital unique est placé vers le tiers postérieur de la face ventrale. Les plus grands individus appartenant à cette espèce que j'aie observés avaient de 40 à 11 millimètres de long. La partie anté- rieure avait alors environ 3 à 4 millimètres de large.” J’ai trouvé cette espèce dans les fucus recueillis aux environs de Jardini di Taormina, sur la côte orientale de la Sicile. IL. Srycocuus racueté (S. maculatus Nob.) (2) La forme du corps de cette espèce s'éloigne moins que dans la précédente de celle qu’on observe en général chez les Planariées ; il est atténué en arrière et élargi en avant; sa couleur est d’un brun fauve plus clair sur les bords, où on voit une série de petits traits violacés . et autour des tentacules où se trouve un espace presque blanc. On voit, en outre, sur la ligne médiane une suite de grandes taches blanches irrégulièrement arrondies, La disposition des yeux rappelle ce que nous avons vu dans l'espèce précédente, mais le groupe antérieur manque de chaque côté (3). Le groupe porté par le tentacule est de cinq ou six yeux ; celui qui est placé à leur base de huit à dix : ces veux sont un peu plus grands que dans l’espèce précédente. La bouche est grande, et placée vers le milieu du corps. Les deux orifices génitaux sont assez rapprochés l’un de l’autre ; l’orifice mäle correspond à peu près au quart postérieur du corps. La longueur du corps du Stylochus tacheté est d’environ 10 millimètres, la largeur de 5 millimètres. (1) PL 4, fig. Le (2) PL 4, fig. IL. (3) PL. 4, fig. HF. DE QUATREFAGES. — SUR LES PLANAIRES, 145 N J'ai trouvé cette espèce à Saint-Malo, sous les pierres, près du petit Bé, lors d’une grande marée. DEUXIÈME PARTIE. ANATOMIE, $ [. — Couches générales du corps. — Locomotion. Lorsque l’on examine une Planariée sous un fort grossissement, et que l’on cherche à reconnaitre la nature de ses t‘guments et les diverses couches qui peuvent entrer dans sa composition, on éprouve d’abord un véritable embarras. En eflet, le corps tout entier semble composé uniquement de granulations irrégulières: cependant, avec de la persévérance et en examinant un grand nombre d'individus, on finit par apercevoir des couches distinctes . dans cette masse qui avait d’abord paru homogène, Aucune espèce ne se prête mieux à ces recherches que l’Éolidicère de Brocchi. Ce n’est même que sur ses appendices dorsaux que j’ai pu me former une idée complète des diverses parties qui entrent dans la composition des téguments, et de l'enveloppe générale de ces animaux. Cette circonstance lient bien évidemment à ce qu'ici les couches tégumentaires ont acquis un développement plus consi- dérable; mais une fois qu’on les a observées sur ces organes, on les retrouve, quoique moins développées, sur le reste du corps de l'animal, et jusque dans les autres espèces, où elles sont pourtant beaucoup plus confuses. Ce que je vais décrire s’applique donc d’une manière particulière à l’espèce que je viens de nommer. Le corps tout entier de l’Éolidicère de Brocchi est couvert de cils vibratiles. Ces cils prennent naissance dans une couche extrêmement mince de matière transparente, homogène, qui s’é- tend comme une sorte de vernis sur tout l’animal (1). Dugès a nié l'existence de ces cils et admis la manière de voir de M. Raspail, qui voulait que ce ne fussent que des apparences produites dans le liquide par de petits courants résultant de l’absorption et de l’exhalation. Aujourd’hui tous les micrographes savent parfaite- (4) PL. 3, fig. 45, a. 3° série. ZooL. T. IV. (Septembre 1845.) 2 10 146 VOYAGE EN SICILE. ment à quoi s’en tepir sur cette explication. Rien n’est plus facile que de se convaincre de la réalité des cils vibratiles, et plusieurs espèces de Planariées sont d'excellents sujets d'observation à cet égard. En effet, on voit très souvent les cils s’arrêter, et flotter immobiles dans le liquide. D’autres fois , lorsque le mouvement vibratile cesse, ces cils semblent disparaître , et augmenter seu- lement l'épaisseur de la couche où ils prennent naissance. Je ne crois pourtant pas qu'ils se confondent alors avec elle ; je crois plutôt qu'ils se couchent pour ainsi dire à la manière des poils des Mammifères ou des plumes des Oiseaux, et il n’est nullement sur- prenant que nous ne puissions alors les distinguer isolément. Dans les cas que je viens de citer , les poils et les plumes ne semblent- ils pas eux-mêmes former une couche continue sur le corps des animaux qu'ils recouvrent ? Indépendamment des cils vibratiles, on voit chez un grand nombre de Planariées des espèces de piquants beaucoup plus longs que ces cils, et qui s’en distinguent d’ailleurs par leur im- mobilité et leur rigidité. Ces espèces d’armes, si toutefois les or- ganes dont je parle méritent ce nom , sont surtout visibles sur le pourtour du corps , et plus particulièrement à la partie antérieure. Le Prosthiostomum arctum est remarquable sous ce rapport (1) ; ces piquants sont aussi très développés sur les appendices dorsaux des Eolidicères que j'ai eu occasion d’observer. On remarque qu'ils sont en général plus longs et plus forts à l’extrémité qu’à la base de ces appendices. Les téguments de quelques Planariées m'ont aussi montré à leur surface de très petits corps , dont je n’ai bien reconnu la na- ture que chez le Polycélis uni. Ce sont de véritables organes urti- cants entièrement semblables à ceux qu’on trouve chez un grand nombre de Rayonnés, et dont j’ai signalé l’existence chez certains Mollusques , mais dont les dimensions sont seulement beaucoup plus petites que chez les Actinies, les Méduses , les Éolides, les Tergipédiens , etc. Ils consistent en une petite poche ovoïde de +- de millimètre de long sur + de millimètre de large, dans (A) PI. 3, fig. 44. DE QUATREFAGES. — SUR LES PLANAIRES. 117 l'intérieur de laquelle on distingue un petit trait longitudinal (1). Lorsque la poche se contracte, elle s’allonge un peu en diminuant de diamètre, et il en sort un filament d'une ténuité extrême, qui tantôt conserve en partie la disposition en spirale qu’il avait dans son étui , et tantôt s’allonge en ligne droite (2). Les plus longs que j'aie mesurés avaient environ de millimètre ; quant à leur diamètre , il n'excède probablement pas +4 de millimètre. Au-dessous de la couche transparente que je viens de décrire , et dont l'épaisseur est à peine appréciable , se trouve une couche composée de cellules allongées parfaitement distinctes dans les appendices dorsaux des Éolidicères, et surtout dans ceux de l’Éoli- dicère de Brocchi (3). Ici ces cellules sont allongées, et à peu près égales entre elles ; leur diamètre longitudinal est d’envi- ron ;; de millimètre; leur diamètre transversal de de milli- mètre. Elles sont composées d'une membrane, dont l'épaisseur est très appréciable, formant une utricule pleine d’un liquide tantôt incolore, tantôt coloré en jaune ou en rouge-carmin pâle. C’est évidemment au mélange de ces couleurs qu'est due la teinte générale du corps, et cependant cette dernière ne présente sou- vent. et en particulier dans le cas dont je parle, qu’une analogie éloignée avec la couleur du liquide renfermé dans les utricules. J'ai déjà fait connaître des faits de ce genre dans les Mé- moires relatifs aux Mollusques phlébentérés. Jai montré que les perles bleues de l’Actéon, qui, par réflexion, ont tout l'éclat du clinquant, ne présentent plus par réfraction qu’une teinte jaunâtre très pâle (4). J’ai observé depuis plusieurs autres faits du même genre. Il est presque inutile de faire remarquer que c’est la répé- tition d’un phénomène dont l’or très divisé nous offre un exemple connu depuis fort longtemps. Les détails que je viens de donner sur la composition utricu- laire de la seconde couche des téguments des Planariées peuvent se voir sur place en quelque sorte ; mais il est facile de se con- vaincre que ces globules incolores ou colorés sont bien réellement des utricules ayant leurs parois propres. 11 suffit de les observer (1) PI. 8, fig. 10 (3) PL 3, fig. 15, b (2) PI 8, fig. 9. (4) Ann. des Sc. nat., 3° série, t. I. 148 VOYAGE EN SICILE. lorsque l'animal entre en diffluence : on les voit alors se séparer les unes des autres et flotter dans le liquide ; bientôt elles s’endos- mosent , augmentent légèrement de volume et deviennent sphé- riques (1) ; leur diamètre est alors d'environ ;% de millimètre , et la Fe qui les-entoure présente une épaisseur de près de = de millimètre. Sous la couche que je viens de décrire on en voit une seconde également composée de cellules ; celles-ci, quoique encore bien distinctes et assez régulièrement disposées , sont cependant moins développées que celles de la couche précédente. Leur diamètre longitudinal n’est guère que de + de millimètre ; leur diamètre transversal est à peu près égal à celui des cellules de la couche pré- cédente, ce qui leur donne une forme presque sphérique (2). On voit que , en se développant davantage , c’est surtout en longueur qu'elles gagneront, circonstance qui s'explique facilement par la nécessité de se placer à côté les unes des autres. Au reste, trouve dans cette couche les mêmes différences de couleur que dans la précédente : seulement, les teintes sont un peu plus pâles, et les globules colorés semblent être moins abondants. Ro de ces cellules se trouve une couche épaisse de + à -5 de millimètre composée de granulations confuses, parmi die on en distingue cà et là quelques unes de colorées (3) ; ce sont bien évidemment des cellules à l’état naissant, et dont les parois propres n’ont pas encore acquis la consistance nécessaire pour qu’on puisse soit les isoler les unes des autres , soit même les distinguer de leur contenu, la différence dans le pouvoir réfrin- gent étant à cette époque nulle ou presque nulle. Enfin , sous les quatre couches que nous venons de voir , on en trouve une cinquième très différente des précédentes (4). Elle est composée d’une substance entièrement diaphane , homogène , et dans laquelle on ne distingue plus la moindre trace de granula- tions. Son épaisseur , dans les appendices dorsaux de l’Eolidicère de Brocchi, n’est guère que de + à 5 de millimètre; mais (4) PL. 3, 68. 46. (3) PI. 3, fig. 45,4. (2) PL 3, Ge. 15, c. (4) PL 3, fig. 15, e. DE QUATREFAGES. — SUR LES PLANAIRES. 149 j'ai cru reconnaître qu'elle était plus considérable dans le reste du corps. OBSERVATIONS. Dans les Planariées ordinaires (Planaires , Polycélis, etc.), il est presque impossible de distinguer les cinq couches précédentes, Tout le tissu semble composé de granulations distribuées d’une manière égale ; chez elles, on dirait que les cellules ne dépassent pas le degré de développement que nous avons rencontré dans la quatrième ou tout au plus dans la troisième couche, De plus, ces granulations empêchent presque toujours de distinguer la cin- quième couche dont la diaphanéité est parfaite , et qui difflue en général avec une extrême facilité. Dans les Éolidicères mêmes , il faut une assez grande habitude des observations et des manipulations micrographiques pour voir les détails que je viens de décrire. On comprend, en effet, que la couche supérieure de cellules, qui est à la fois la plus épaisse et celle dont les détails sont le plus accusés, étant répandue sur tout le corps, doit gêner considérablement dans l'examen des parties sous-jacentes. On ne peut ici employer la compression qu'avec beaucoup de ménagements ; car la diffluence arrive chez ces ani- maux avec la plus grande facilité, et alors tout se confond : aussi, au premier abord, trouvera-t-on presque toujours les parties pré-, sentant tout au plus l’aspect que j'ai cherché à reproduire dans le dessin du pseudo-tentacule de l’Éolidicère panorme (1). Cherchons maintenant quel peut être le rôle des couches que nous venons d'examiner. La première de toutes, celle d’où partent les cils vibratiles , étant la plus extérieure , répond par sa position à l’épiderme des animaux supérieurs et aériens ; mais bien évidemment sa nature est toute différente de celle des couches épidermiques proprement dites. Cependant , comme on la retrouve sur tout le corps, il me semble difficile de ne pas admettre qu’elle représente l’épiderme : seulement, c’est une espèce d’épiderme très différente de celui des animaux dont nous venons de parler. Comme j'ai cherché 1) PL 3, fig. 47 150 VOYAGE EN SICILE. déjà à plusieurs reprises à justifier cette manière de voir , je crois inutile d’insister sur ce sujet (1). Des raisons analogues me font considérer les couches à cellules distinctes comme représentant le derme. C’est probablement d’elle que proviennent les piquants rigides et les organes urticants que j'ai décrits plus haut. Quant à la couche composée de granulations confuses, je crois aussi devoir la rapporter au derme, et non la considérer comme une couche distincte physiologiquement. En effet, il me semble que ces granulations ne sont que de jeunes cellules, et le fait si- gnalé plus haut de la coloration de certaines de ces granulations me semble propre à confirmer cette manière de voir. Quant à la cinquième couche, je ne crois pas qu’elle appar- tienne aux téguments proprement dits. Je la regarde comme une véritable couche musculaire, en ce sens, que c’est elle qui, par ses mouvements de contraction, détermine tous les mouvements généraux de l'animal. 1l est vrai que je n’ai pu, pas plus que MM. de Blainville, Baër et Dugès, y reconnaître de fibres dis- ünctes. Je n’ai même pas distingué ces stries, qui seules accusent la structure fibreuse de certains plans musculaires de la Synapte, des Synhydres, des Éleuthéries, ete. Mais les cordons locomoteurs des Annélides, les ovaires des Synaptes, des Actinies, etc., nous offrent des exemples suflisamment nombreux pour que nous ne regardions pas la structure fibreuse comme étant essentielle aux organes locomoteurs. Je prends ces exemples chez des ani- maux d’une taille assez considérable ; et, si nous descendons da- vantage dans les infiniment petits, on sait qu'il est impossible de reconnaître de fibres dans le corps si éminemment contractile et si transparent des plus grands Infusoires. C’est probablement la première et la seconde couche qui, en- levées par frottement, ont été regardées par Baër et par Dugès comme la peau proprement dite de ces animaux. Les instruments micrographiques étaient, à l’époque de leurs observations, bien éloignés de la perfection qu’ils ont acquise depuis. Ni l’un ni (1) Voir, dans les Anaales des Sciences naturelles, les Mémoires que j'ai publiés eur la Synapte de Duvernoy, les Edwardsies, l'Éleuthérie, la Synhydre, ete. DE QUATREFAGES. — SUR LES PLANAIRES, 151 l’autre n’ont distingué la couche musculaire, et Dugès, ne voyant alors que des granules , a été conduit à plusieurs considérations qui ne peuvent plus être admises aujourd’hui. Nous reviendrons, d’ailleurs, sur ce sujet en parlant du système nerveux, qui, on le sait, avait échappé aux recherches, pourtant si intelligentes, de l'habile naturaliste de Montpellier. Les deux savants que je viens de citer comparent la face infé- rieure des Planariées au pied des Mollusques gastéropodes. Cette assimilation me semble inexacte, ou bien il faut l’étendre égale- ment à la face supérieure de ces animaux. En effet, les Planaires se meuvent presque aussi facilement sur le dos que sur le ventre, et la structure des tissus dans les deux faces ne présente de diffé- rence réelle peut-être que chez les Éolidicères. Baër et Dugès con- viennent eux-mêmes qu'ils n’ont distingué de fibres musculaires ni d’un côté ni de l’autre; ce qui est exact : or, dans le pied de tous les Mollusques, même les plus petits, on reconnaît très faci- lement ces fibres. Quant aux lignes claires vues par ces deux auteurs, nous verrons plus loin qu’elles ne sont que de simples lacunes, et non pas des intersections musculaires, des filets ner- veux ou des vaisseaux. Dugès, dans son beau travail sur l’organisation et les mœurs des Planariées, a parfaitement décrit les divers modes de loco- motion employés par ces animaux. J’ajouterai seulement à ce qu'il en a dit, que toutes les espèces que j'ai observées m'ont présenté les trois sortes de mouvement signalées par lui. Je les ai toutes vues nager dans l’eau, à l’aide de grands mouvements des parties latérales de leur corps, qui battent l’eau à la manière des nageoires des Raies, ou en faisant onduler leur corps un peu à la manière des Sangsues. Je les ai vues arpenter, pour ainsi dire , le plan sur lequel elles rampaient, en fixant leurs parties antérieures ou postérieures, et en entraînant le reste du corps par un mouvement vif de contraction, à l’aide de ce point d’ap- pui. Enfin, toutes peuvent glisser sur un plan solide ou se mou- voir à la surface du liquide, comme le font souvent les Mollusques gastéropodes. Dugès, qui n'avait pas distingué les couches tégumentaires de 152 VOYAGE EN SICILE. la couche musculaire sous-cutanée, est assez embarrassé pour expliquer les grands mouvements que nécessitent les deux pre- miers modes de locomotion. Il se demande si le tissu granuleux qu’il croyait composer uniquement le corps de ces animaux serait lui-même contractile ; si le tissu nerveux pourrait jouir de la contractilité musculaire, et servir à la fois à la locomotion et à la sensation, etc. On voit que notre manière d'envisager la cin- quième couche résout d’une manière très simple toutes ces diffi- cultés, Quant au glissement, soit sur un plan solide, soit à la surface du liquide ou dans son intérieur même, la naturaliste de Mont- pellier admet qu’il a lieu par des ondulations insensibles, et, pour ainsi dire, moléculaires. Gette explication peut être vraie quand il s’agit de la reptation lente sur un plan résistant ; elle ne sau- rait être admise quand il s’agit de mouvements exécutés, soit au milieu même d’un liquide, soit à sa surface. J'ai cherché à dé- montrer ce fait, à l’aide de considérations purement physiques, dans un de mes Mémoires précédents. On sait, d’ailleurs, aujour- d’hui que les cils vibratiles dont Dugès n’admettait pas l’existence sont le seul moyen de locomotion employé par un grand nombre d'animaux qui présentent des phénomènes analogues, et j'ai cher- ché à prouver que c'était aussi en se servant de ces organes que les Gastéropodes semblent ramper contre la couche d’air qui ef- fleure le liquide (1). $ IL. Cavité générale. Tous les auteurs qui ont parlé des Planariées les ont décrites comme des animaux parenchymateux, c’est-à-dire comme ayant le corps formé par une sorte de pulpe, au milieu de laquelle se- raient creusées en quelque sorte les cavités des viscères, ou au moins à laquelle les parois de ces viscères adhéreraient intime- ment. Baër et Dugès, entre autres, sont très explicites à cet égard. Il n’en est rien cependant, Au moins les espèces que j'ai exami- nées m'ont toutes montré une cavité générale dans laquelle sont LR] (1) Mémoire sur l'Éolidine paradoxale (Ann. des Sc. nat.). DE QUATREFAGES. — SUR LES PLANAIRES. 153 renfermés les viscères, ceux-ci étant probablement maintenus - en place par des brides semblables à celles que j'ai décrites chez plusieurs petits Mollusques. Le fait que j’avance ici, contrairement à ce qu'ont assuré tant de naturalistes du premier mérite, est assez difficile à reconnaître chez les Planariées ordinaires , bien qu’on puisse, avec quelque persévérance, s’en assurer chez plusieurs espèces de Polycélis et de Prosthiostomes; mais il est de la dernière évidence chez les Éolidicères. Dans les espèces de ce genre, on voit très facilement cette cavité générale se prolonger dans les appendices dorsaux ; de là, on la suit dans tout le corps. Dans l’Éolidicère de Brocchi, je l’ai trouvée remplie d’un liquide transparent qu’agitaient les mouvements généraux du corps. Ces agitations m’étaient rendues très sensibles par les allées et les venues de petits corpuscules arrondis, entièrement diaphanes, dont le pouvoir réfringent était presque le même que celui du liquide où ils flottaient. Je les voyais se glisser dans les lacunes dont l’ensemble constitue cette cavité générale. pénétrer dans les appendices, en ressortir... Sous ce rapport, les espèces de Planaires que j’ai pu examiner rentrent done dans ce qu’on voit chez tous les autres Annelés dont l’or- ganisation a été étudiée avec détail. Dès l’instant que l'existence de cette cavité est bien constatée, et, pour moi, elle est hors de doute , on voit que les Planariées dont ii s’agit ne peuvent plus être considérées comme des animaux parenchymateux. Nous verrons, en effet, que les viscères ont leurs parois propres, libres et seulement maintenues en place très probablement par des brides semblables à celles qu’on trouve chez les Mollusques, par exemple, et que j'ai décrites avec détail dans mes Mémoires sur les Mollusques phlébentérés. Cependant je n’ai pu constater ici, par l'observation directe, l'existence de ces brides, ce qui s'explique facilement par l'épaisseur des cou- ches composant les parois du corps, par leur structure granuleuse, qui masque les parties beaucoup plus diaphanes, enfin par l’ex- trême facilité avec laquelle tous ces tissus diffluent et se confon- dent lorsqu'on cherche, en les comprimant, à rendre leur obser- ation plus facile, 154 VOYAGE EN SICILE. $ III. Appareil digestif. L'appareil digestif des Planaires a été entrevu par plusieurs naturalistes ; il a été décrit avec détail par Baër et Dugès. Ce der- nier, principalement, me semble avoir laissé peu à désirer sur ce point, relativement aux espèces qu'il a étudiées : aussi ce chapitre serait-il probablement très court, si je n’avais porté mes observa- tions sur des types plus variés et surtout assez différents de ceux qu'avait étudiés le naturaliste de Montpellier. Sous le rapport des organes qui nous occupent en ce moment, les Planariées peuvent être divisées en deux groupes principaux, selon que la bouche est plus ou moins centrale, ou bien qu'elle est placée très près de l’extrémité antérieure. Au premier de ces, groupes appartiennent les Polycélis, les Éolidicères et les Stylo- chus; le second comprend les Prosthiostomes et les Procéros. Je ne parlerai pas ici des Tricélis, dont les organes internes m'ont presque entièrement échappé, et sur lesquels je ne pourrais rien dire que par conjecture. L'appareil digestif des Planariées du premier groupe comprend, dans toutes les espèces que j'ai observées : 4° la bouche, 2 la trompe, 3° l'estomac, 4° les troncs ramifiés qui forment un appa- reil gastro -vasculaire. De plus, il existe quelquefois une sorte d’æsophage entre la trompe et l'estomac. De ces organes, Dugès n’en a décrit que trois. Il est probable que , dans les espèces qu’il a examinées, l'estomac, ou bien n'existe pas, ou bien est tellement réduit, qu’il n’a dù le compter que comme un simple tronc commun, d’où partaient les branches ramifiées, qui se ren- dent dans tout le corps ; et, dans ce cas, l’æsophage disparaissait nécessairement, comme nous allons en présenter des exemples. 1° Bouche. Dans toutes ces Planariées à bouche centrale, cet orifice est fort grand, très dilatable, et présente quelquefois l’as- pect d’une véritable ventouse. J’ai cru distinguer sur son pourtour des fibres rayonnantes et d’autres fibres circulaires, qui servaient à ses divers mouvements, Dans l’état de repos, elle se présente quelquefois comme une simple fente, et presque toujours elle DE QUATREFAGES. — SUR LES PLANAIRES. 155 affecte une forme plus ou moins allongée dans le sens longitu- dinal de l'animal (1). Dans plusieurs circonstances , j'ai cru reconnaître que cette bouche servait d’orifice à une cavité buccale qui contenait la trompe, celle-ci étant libre dans cette cavité; mais je n’ai pu re- connaître ce fait d’une manière bien positive. Dugès ne s’explique pas sur ce point; mais ses figures semblent venir à l’appui de cette manière de voir, qui est encore confirmée par ce que nous verrons exister bien positivement dans le groupe des Planariées à bouche subterminale. 2 Trompe. Quoi qu'il en soit, la trompe est placée au-delà de la bouche, qu’elle déborde en dedans en tous sens (2). Lorsqu'on place une Planaire sous le microscope et qu’on la fixe par une pression légère, on voit la trompe formant de nombreux replis, et se mouvant de mille manières. Ici j'ai trouvé des fibres muscu- laires très marquées, mais elles ne sont pas, pour cela, isolables. Les plans qui composent la trompe appartiennent à cette modifi- cation des tissus musculaires que j'ai désignée dans mes Mé- moires précédents par l'expression de #uscles en stries , c’est-à- dire que leur structure fibreuse ne se reconnaît que par les jeux de lumière qu’elle présente, et qu’on ne peut en isoler les élé- ments (3). Bien que cette portion des tissus des Planariées présente dans sa structure quelque chose de plus précis, et en apparence de plus avancé comme organisation que presque tout le reste du corps , elle ne s’en décompose pas avec moins de facilité. La dif- fluence de la trompe est presque aussi prompte que celle des té- guments eux-mêmes. Ce fait a une importance réelle, en ce qu'il nous montre que la diffluence peut se présenter dans les tissus les mieux caractérisés, aussi bien que dans ceux dont la nature est réellement douteuse. 3 Estomac. L’estomac est placé , en général, au-dessus de la trompe ; les deux cavités communiquent ensemble par une ouver- (1) PL 4, 5et6. (2) PL 4, 5 et 6. (3) Mémoires sur la Synapte, l'Edwardsie, l'Éleuthérie, elc 156 VOYAGE EN SICILE. ture cardiaque, qu'il est souvent très dificile d’apercevoir, à cause des mouvements de la trompe elle-même qui la couvre de ses replis. Je l’ai pourtant vue très nettement chez plusieurs Polycélis, et chez le Stylochus palmula : cet orifice est circulaire et très étroit (1). Bien que je l’aie vu s’ouvrir et se fermer bien des fois sous mes yeux , je n'ai pu reconnaitre tout autour la moindre trace de fibres musculaires. Dans les Polycélis et les Stylochus, l'estomac est placé immé- diatement au-dessus de la bouche, et l'ouverture cardiaque répond assez exactement au centre des deux cavités : cependant, chez le Polycelis pallidus , l'estomac se prolonge en avant (2). Dans les Éolidicères, nous trouvons une disposition toute dif- férente. Ici le simple cardia, dont nous venons de parler, est rem- placé par une sorte d’œsophage qui part en arrière de la trompe et vient aboutir à l'estomac placé en arrière de l'appareil buccal (3). Ce canal œsophagien , très étroit , s’élargit en aboutissant à l’es- tomac ; celui-ci est très ample, et forme une grande cavité allongée jusque vers l’extrémité postérieure de l’animal (4). 4° Appareil gastro-vasculaire. C’est de l'estomac, ou du moins de la cavité à laquelle je donne ce nom, que partent les troncs gastro-vasculaires, dont les ramifications vont se porter dans tout le corps. Dans les Polycélis et les Stylochus, les rameaux de ces troncs ne s’anastomosent jamais, et leur distribution ressemble à ce que Dugès a décrit et figuré (5). Dans les Éolidicères, au con- traire, ils forment par leurs anastomoses nombreuses un véritable réseau (6). De plus , le nombre et le mode de distribution de ces rameaux varie dans le même genre, selon les espèces. Dans le Polycelis pallidus, on trouve en avant de l'estomac un tronc médian assez petit qui se prolonge, sans donner beaucoup de branches, jusque vers le bord antérieur. De chaque côté du tronc précédent , en naît un autre qui se porte aussi principale- ment à la portion antérieure du corps. Deux gros troncs naissent (4) PL 4, Gg. M, c; PL. 5, fig. IL, ce; (4) PL 5, fig. le, et PI 6, fig. 6. PL. 6, fig. 1,2 et3, c. (5) PL 4, fig. Ho; PL 5, fig I; PL (2] PL. 6, fig. 4. 6, fig. 4,2 et 3. (3) PI. 5, fig. Ie, et PL. 6, fig. 6 (6) PI. 5, fig. l‘; PI 6, fig.6, DE QUATREFAGES. — SUR LES PLANAIRES. 157 ensuite sur les côtés de l'estomac , se bifurquent bientôt. et se distribuent aux parties latérales. Enfin l’estomac fournit, en outre, en arrière et de chaque côté, un tronc considérable, qui se re- courbe d'avant en arrière , arrive jusque au-delà des orifices gé- nitaux , et distribue cinq ou six branches secondaires aux portions postérieures du corps (1). Les Polycelis modestus et levigatus nous présentent une dispo- sition analogue. Nous retrouvons ici le tronc antérieur médian et les deux grands troncs postérieurs ; mais les quatre grands troncs latéraux de l’espèce précédente sont remplacés ici par plusieurs petits troncs qui se portent directement aux parties latérales. On en compte quatre de chaque côté chez le P. levigatus (2), et six chez le P. modestus (3). Nous retrouvons chez les Stylochus une distribution très sem- blable à ce que nous ont offert les Polycélis : seulement, le nombre des troncs est moins considérable. Les grands troncs postérieurs fournissent davantage aux parties latérales, et dans le S. pal- mula , il n’y a, indépendamment du tronc antérieur médian, que deux paires de troncs principaux , dont l’une est latéro-antérieure, l’autre latéro-postérieure (4). Dans le $. maculatus, il y a de plus une petite paire latérale (5). Nous devons remarquer , en outre, que les ramifications sont bien moins nombreuses , bien moins serrées les unes contre les autres chez les Stylochus que chez les Polycélis : cette différence est surtout sensible pour le S. palmula. Dans les Éolidicères dont l'estomac est rejeté en arrière, nous trouvons dans la distribution des troncs principaux qui en partent une disposition inverse, pour ainsi dire, de ce que nous venons de voir. Deux gros troncs partent antérieurement sur les côtés de l'estomac , se recourbent d’arrière en avant , et arrivent jusqu'aux tentacules (6). Il y a de plus un tronc médian tout-à-fait posté rieur , et des troncs latéraux, dont le nombre semble varier selon (1) PL 6, fig. 1. (£) PL 6, fig. 2. (2) PL 4, fig. WU: PL 6, fig. 3. (5) PL 6, fig. 2. (3) PL 5, fig. IL (6) PL 5, dig. le. 158 VOYAGE EN SICILE. les espèces. J'en ai compté six dans l’£olidicère de Brocchi (4), et deux seulement dans l’Æ. panormus (2). Ces troncs se comportent d’ailleurs tout différemment de ce que nous ont montré les Polycélis et les Stylochus. A peu de distance de leur origine, ils se fondent pour ainsi dire en un véritable réseau. Les mailles qui le composent dans l’£. panormus sont d’abord grandes, et deviennent plus serrées à mesure qu’on se rapproche de la circonférence (3). Dans l’£. de Brocchi, elles sont à peu près égales, si ce n’est en avant et sur les tentacules, où elles sont bien plus fines que dans le reste du corps (4). Dans les deux espèces , les canaux qui forment le réseau donnent tout autour du corps une sorte de frange formée par des cæcums ter- minaux (5). Mais ce qui distingue surtout l'appareil digestif des Éolidicères, ce sont les prolongements ampulliformes qui pénètrent dans les appendices dorsaux. Ces prolongements sont très faciles à voir dans l’Æ. de Brocchi : ils sont formés par une branche qui se détache à un des points d’entrecroisement du réseau, et qui, égale d’abord pour le calibre au tronc d’où elle est partie, se renfle bientôt en ampoule arrondie, et pénètre jusque vers le milieu de l’appendice. Cette ampoule, aussi bien que tout le sys- tème gastro-vasculaire d’où elle émane, est contractile ; je l'ai bien des fois vue expulser le liquide et les granulations qu’elle contenait, puis se renfler de nouveau par l’afflux de nouvelles matières. Dans l’Æ, panorme, ces prolongements ampulliformes sont beaucoup plus difficiles à apercevoir, et je n’ai pu qu'en soupconner l'existence. Dans le groupe des Planariées à bouche subterminale, nous retrouvons exactement les mêmes parties que dans les genres dont nous venons de parler : aussi je vais les décrire dans le même ordre, 1° Bouche. La bouche des Planariées de ce groupe est petite et arrondie; elle présente aussi quelquefois de petites stries rayon- () PL 5,fig Le. (4) PL 5, fig. le. (2) PI. 6, fig. 6. (5) PL 5, fig. Ie, et PI, 6, fig. 6. (3) PL. 6, fig. 6. DE QUATREFAGES. — SUR LES PLANAIRES. 159 nantes , qu’on peut prendre pour les fibres de muscles destinés à ses mouvements (1). Cette bouche sert d’orifice à une grande ca- vité à parois propres distinctes qui s’étend en arrière plus ou moins selon les espèces, et qui renferme la trompe, laquelle adhère à son fond, mais est d’ailleurs entièrement libre dans toute sa lon- gueur (2). Les parois de cette cavité sont transparentes , assez épaisses, très contractiles, et évidemment de nature musculaire, bien que je n’aie pu y découvrir que de simples traces de fibres ; ce sont elles qui, en se contractant, tendent à faire saillir la trompe au dehors en la portant en avant, et tirant en arrière la portion an- térieure du corps. Cette disposition, très facile à reconnaître chez les Prosthiostomes surtout, confirme pleinement , comme on le voit, ce que j’ai dit plus haut de l'existence probable d’une cavité semblable chez les Planariées à bouche centrale. 2° Trompe. La trompe des Planariées du groupe qui nous occupe est renfermée dans la cavité buccale, qu’elle remplit presque en- tièrement. Sa forme est cylindrique , et légèrement sinueuse dans les Prosthiostomes (3), presque ovoïde , et renflée en arrière chez les Proceros (4). Sa nature est aussi éminemment musculaire que dans le groupe précédent, et les fibres qui la composent sont très faciles à distinguer. On peut même reconnaître dans la trompe du Prosthiostome étroit des fibres transversales, moins caractérisées, il est vrai, que les fibres longitudinales (5). Chez toutes ces Pla- nariées , la trompe se termine par quelques festons arrondis qui doivent faire à peu près l'office de lèvres. Ces festons sont sur- tout très caractérisés, et leur fonction semble être bien évidente dans les Prosthiostomes (6). Dans toutes les Planariées de ce groupe que j'ai eu occasion d'observer , les parois de la cavité buccale et celles de la trompe se confondent en arrière avec une sorte de bulbe, probablement de nature musculaire , assez épais, et que traverse un æsophage très étroit qui s’ouvre brusquement dans l’estomac (7). ) PI 6, fig. & et 5. (5) PL 7, fig. 3. ) PL. 6, fig. 4, 5, 7 et 8. (6) PL 7, fig. 3. 11 6, d is 4. (7) PI. 6, fig. 8. ) Pl 1 2 3 l 6, fig. 5 et 7. ( ( ( { 160 VOYAGE EN SICILE, 3° Estomac. L’estomac ressemble, sous certains rapports, à celui des Éolidicères ; il s’étend également en arrière. Dans le Prosthio- stome étroit, il est conique, et arrive jusqu’à l’extrémité du corps en diminuant de plus en plus, à mesure qu’il fournit des rameaux à droite et à gauche (1). Dans le Proceros ensanglanté, il est très large à son origine, etembrasse en dessus la portion postérieure de la trompe (2) ; puis il diminue brusquement, et se prolonge en arrière sous la forme d’un cul-de-sac presque cylindrique. k° Appareil gastro-vasculaire. Les troncs intestinaux qui nais- sent de cet estomac présentent une assez grande différence, quant à leur disposition. Chez les Prosthiostomes , ou du moins chez le Prosthiostome étroit, on voit un petit tronc médian antérieur très grêle, et deux troncs latéraux assez forts qui se portent égale+ ment en avant (3). La même disposition s’observe chez le Pro: ceros sanguinolentus (4) ; mais l'estomac du premier fournit sur tout son trajet à droite et à gauche de petits troncs transversaux peu ramifiés, el au nombre de dix à douze: il semble se terminer par deux branches semblables (5). Le Proceros, au contraire, ne porte de chaque côté de son estomac que trois petits {roncs:; puis viennent deux gros troncs qui s'étendent jusqu’à l'extrémité pos- térieure en donnant des branches latérales , et le cœcum stoma- cal, dont j'ai parlé plus haut , est compris entre eux (6). OBSERVATIONS. Dans les deux groupes que nous venons d'examiner, le mode de distribution de l'appareil digestif, sa terminaison, sa structure, se ressemblent presque entièrement, si ce n’est dans les Éolidi- cères, qui forment, sous tous les rapports, un groupe distinct. Nous avons donné plus haut quelques détails sur la manière dont, chez ces derniers, les troncs gastro-vasculaires se divisent et s’anastomosent pour former un véritable réseau. Baër et Dugès (1) PL 6, fig. à. (4) PL. 6, fig. 5. (2) PL 6, fig. 5. (5) PL. 6, fig. 4. (3) PL 6, fig. 4.— L'animal étant vu (6) PI. 6, fig. 5. en dessous, on ne distingue pas le tronc médian. DE QUATREFAGES. — SUR LES PLANAIRES, 161 ont décrit avec soin le mode de distribution des Planariées ordi- naires. J'ai peu de chose à ajouter à cet égard, si ce n’est que, chez les espèces marines que j’ai étudiées, le nombre des divisions paraît être bien plus considérable et leur mode de répartition plus compliqué. Dugès avait déjà signalé le fait pour la PL tré- mellaire, seule espèce marine qu’il eût observée. Mais il est un point sur lequel les auteurs qui se sont occupés de ces animaux sont tous silencieux, et sur lequel je crois devoir donner des détails circonstanciés : c’est la structure de ces ramifi- cations. On sait que Dugès, d'accord en cela avec Baër et tous les autres naturalistes, les regarde comme creusées dans le paren- chyme de l'animal, ou du moins comme adhérant intimement à la pulpe, qui, suivant eux, remplit le corps des Planaires. J’ai déjà combattu plus haut cette manière de voir et montré que, chez ces animaux, il existe une véritable cavité viscérale. Les ra- mifications gastro-vasculaires ne sont fixées dans cette cavité que par des points où aboutissent probablement des brides, que je n'ai pu d’ailleurs apercevoir. Ces points forment des étrangle- ments très étroits en forme de pédicules, avant et après lesquels le tube alimentaire se renfle brusquement (1). Il en résulte que chacune de ces divisions ressemble à une sorte de chapelet. Tantôt cette forme persiste jusqu’à l'extrémité, tantôt on voit les renfle- ments former de petites poches autour du tronc central très étroit. Les parois de ces renflements sont épaisses et rendues à demi opaques, dans les espèces les plus transparentes, par une multi- tude de granulations, tantôt plus ou moins colorées en vert ou en jaune rougetre, tantôt entièrement transparentes, et dont le dia- mètre varie de + à + de millimètre (2). Ces granulations, très distinctes, sont disséminées dans une pulpe homogène, légèrement verdâtre, et qui forme une couche épaisse autour de la membrane propre du tube gastro-vasculaire. Cette dernière est contractile, et l’on voit, quand on observe avec attention et persévérance (4) PL 5, fig. HIT, et PI. 8, fig. 4. (2) PL 5. fig. LL. 3° série. Zool. T. IV. (Septembre 1845.) 3 11 162 VOYAGE EN SICILE. une de ces Planariées transparentes, les poches se contracter dé temps à autre, et se vider presque entièrement du liquide et des matières qu'elles contenaient, La structure que je viens de décrire n’appartient qu'aux divi- sions des grands tro 1cs gastro-vasculaires. Ceux-ci sont lisses et nullement colorés. Il en résulte que, malgré leur volume plus considérable, ils sont bien plus difficiles à voir que les branches elles-mêmes, et quelquefois on ne peut soupconner leur existence que par l’origine de celles-ci. Les troncs et les branches laissent entre elles des intervalles, et on comprend que ces lacunes sont beaucoup plus considérables tout autour du tube digestif et le long des gros troncs qui se por- tent aux extrémités. De là résulte, chez les Planariées, ces deux lignes plus claires que l’on aperçoit le plus souvent à l’exté- rieur, par réflexion, et qu’on distingne toujours par transparence. Ce sont ces lignes qui ont été vues par beaucoup d’observateurs, et que Baër, Dugès, etc., ont signalées en les interprétant de di- verses facons, mais en s’éloignant toujours de la vérité. Entre les branches, les lacunes sont, au contraire, extrème- ment étroites, surtout chez les Polycélis. Elles ne forment que de petits canaux ; et, dans les premiers jours de mes observations, j'ai eu quelque peine à les reconnaître nettement, à les distinguer des ramifications gastro-vasculaires, et par suite, à me rendre compte des divers mouvements que j'apercevais. Nous verrons plus loin que cette confusion apparente a entraîné Dugès dans une fausse voie pour l'interprétation de certains faits d’ailleurs assez bien vus par lui. Dans les Éolidicères, les ramifications gastro-vasculaires sont également calibrées, presque entièrement diaphanes, et leurs pa- rois ne présentent que des granulations isolées (1). Je dois faire ici une remarque sur ce qu’on vient de lire. L’o- rigine ou les origines de l’appareil gastro-vasculaire sont extrè- mement difficiles à reconnaître dans le plus grand nombre des espèces que j'ai eu occasion d'observer. Ces troncs, entièrement diaphanes, non revêtus de la couche granuleuse et colorée qui (1) PL 5, Gig. I DE QUATREFAGES. — SUR LES PLANAIRES. 163 recouvre les ramifications, sont souvent masqués entièrement par l'épaisseur des téguments, Il en résulte pour moi une certaine in- certitude relativement au nombre des troncs primitifs qui partent de l’estomac, surtout pour les espèces à bouche centrale, Dans aucun cas, néanmoins, je n'ai apercu, chez les espèces marines qui font le sujet de ce travail, les deux grands troncs primitifs et uniques, figurés par Dugès comme se portant à la partie anté- rieure du corps, tandis que je les ai très facilement reconnus dans les espèces d’eau douce, où ce naturaliste les a décrits. Peut-être, en répétant mes observations à diverses époques de l’année, les zoologistes qui habitent le bord de la mer parviendront-ils à trou- ver quelques individus plus complétement propres à ce genre de recherches; car tous ceux qui ont l'habitude du microscope savent que souvent on aperçoit sur un individu ce qu'on ne peut décou- vrir sur dix autres. Peut-être aussi pourrait-on essayer de faire avaler aux Planaires du carmin ou de l’indigo. Ce mode d’inves- tigation, que je regrette de ne pas avoir tenté, pourrait, s’il réussit, fournir des indications précieuses. On pourrait peut-être essayer d’une injection de matière colorante, introduite à l’aide d’une pipette. Mais il faudrait rencontrer pour cela des individus à taille plus considérable et surtout à tissus plus résistants que ceux que j'ai eus à ma disposition. $ IV. — Appareil de la génération. Parmi les auteurs qui se sont occupés avant moi de l'étude anatomique des Planariées, Baër, et surtout Dugès, ont re- connu plusieurs des détails relatifs à l'appareil reproducteur de ces animaux. Baër s'était trompé sur bien des points; mais Du- gès a décrit avec beaucoup de précision les organes qui le com- posent, dans les Planaires qu’il a examinées. Toutes les Planaires proprement dites ont été signalées par ce naturaliste comme étant androgynes. Les nouvelles observations que j'ai faites confirment ce résultat général; et, comme je ne m'occupe ici que de ceux de ces animaux qui correspondent au genre Planaire de Dugès, je n’entrerai dans aucun détail sur ce qu'il ajoute relativement aux Prostomes et aux Dérostomes. Je 164 VOYAGE EN SICILE. me bornerai à rappeler que j'ai déjà fait connaître des faits d’où il résulte qu’on aurait tort d'appliquer à ces derniers les déduc- tions tirées de l’examen des Planaires proprement dites. Dugès n’a examiné qu’une seule Planaire marine, la PI tré- mellaire. Il lui a trouvé deux orifices génitaux externes. Toutes les espèces vivant dans les eaux douces ne lui ont montré qu’un seul pore génital, Je n'examine, dans ce travail, que des espèces marines, et toutes, à l'exception d’une seule, le Stylochus palmula, présentent deux orifices distincts pour les organes génitaux. Comme l’a vu Dugès , et contrairement à ce qu'avait supposé Baër, l’orifice antérieur appartient aux organes mâles, le posté- rieur aux organes femelles, Le naturaliste de Montpellier a déjà signalé dans des espèces très voisines les unes des autres sous tous les autres rapports, des modifications remarquables dans l’appareil générateur. Les faits suivants confirmeront cette singulière variabilité, et c’est même ce qui m'engage à entrer ici dans des détails descriptifs assez circonstanciés. Les organes mâles se composent essentiellement d’une verge, d’une vésicule séminale, séparées souvent par un canal éjacula- teur plus ou moins long, et de deux canaux déférents aboutissant à autant de testicules. On trouve dans les organes femelles un vagin, une poche copu- latrice et deux oviductes. Dans le Polycelis pallidus la verge se compose d’un filet sinueux très grêle, aboutissant à une poche musculaire d'apparence cor- née (1), à parois très épaisses (2). Cette poche, en forme de poire; a sa pointe tournée en arrière, et la partie antérieure, brusquement arrondie, présente en avant un conduit éjaculateur très grêle, si- nueux, qui aboutit à la vésicule (3). Celle-ci est de forme navicu- laire, et à ses deux pointes latérales viennent aboutir les canaux déférents (4). Ces derniers se portent, en serpentant, sur les côtés, et se continuent avec deux testicules (5), d’un diamètre beaucoup (t) PI. 6, fig. 4,5, PL 8, fig. 2,4. (4) PL 6, fig. 1: PL 8, fig. 2. (2) PIL6, fig. 4, h$ PI:8, fg12,1c (5) PL 6, fig. 1, ff; PL 8, fig. 2, aa. (3) PI 6, fig. 4, g; PL 8, fig. 2, b. DE QUATREFAGES. — SUR LES PLANAIRES. 165 plus considérable, qui remontent le long de l'estomac, et, arrivés à la hauteur de son extrémité antérieure, diminuent de calibre, et redescendent sur les côtés en formant un petit cordon très grèle. Le vagin est cylindrique (1), et se continue directement avec la poche copulatrice , qui forme, en avant de l'orifice des oviductes, un simple cul-de-sac (2). Quant aux oviductes (3), d’abord assez grêles et à parois épaisses, ils deviennent bientôt plus larges ; leurs parois s’amincissent, et on les perd de vue à peu près à la hauteur de la bouche. Dans le P, modestus, la verge est grosse dans toute son éten- due, légèrement renflée dans son milieu, et s’atténue en avant, de manière à se continuer insensiblement avec le conduit éjacula- teur (4). Elle présente, en arrière , une cavité fusiforme, qui se prolonge, jusqu’à son extrémité, en ur très petit canal, et se con- tinue en avant avec le conduit éjaculateur. Celui-ci est plus court que dans l'espèce précédente, et aboutit à une vésicule séminale de forme allongée (5), qui se bifurque pour donner naissance aux deux canaux déférents (6). La disposition de ces derniers, ainsi que celle des testicules, ressemble presque entièrement à ce qu'on a vu dans l'espèce précédente : seulement, les testicules ne re- montent peut-être pas aussi en avant (7). L'appareil femelle ressemble à celui du 2. pallidus, et n’en diffère, à proprement parler, qu’en ce que le cul-de-sac de la poche copulairice est ici légèrement renflé en ampoule (8). Dans le Polycelis levigatus, l'appareil mâle rappelle, sous bien des rapports, ce que Dugès a décrit comme existant dans la Pla- naire trémellaire. La verge se confond presque immédiatement avec la vésicule séminale, et le conduit déférent est réduit à un très petit canal creusé dans la masse commune, qui réunit les deux cavités de ces organes (9). Les canaux déférents naissent (4) PL. 6, Gig.4, m (5) PL. 6, fig. 3, g. (2) PL 6, fig. 4, 1; PL 8, fig. 2, à. (6) PL 6, fig. 3. (3) PL 6, fig. 4, kk; PI. 8, fig 9, es 6, fig 3, f. ÿ,9- (8) PL 6, fig. 3, à, (4) PI. 6, fig. 3, h. (9) “ 4, fig. HV, À 166 VOYAGE EN SICILE. sur les côtés, et les testicules se comportent comme dans les es: pèces précédentes (1). Dans l'espèce qui nous occupe, le vagin est court, et la cavité de la poche copulatrice n’en est séparée que par un faible étran- glement (2). Dans cette espèce, j'ai vu bien distinctement les ovi- ductes donner naissance à des branches, dont l’une se recourbe en arrière, et l’autre paraît se rendre aux parties latérales du corps. Les organes de la génération, que nous venons de décrire dans les trois espèces précédentes , bien que présentant des différences tranchées , appartiennent bien évidemment à un type commun ; il n’en est pas de même pour ce qu'on observe dans le Polycelis fallax, si semblable d’ailleurs sous tous les autres rapports au Polycelis levigatus. Ici la verge (3) porte un filet corné (4) extrêmement long, roulé en spirale à son origine, et formant plusieurs replis avant de sortir par l’orifice génital. Ce filet prend naissance dans un organe d’un aspect glanduleux placé en arrière de l’estomac (5). Il est ensuite contenu dans la verge (6), dont l’aspect rap- pelle celui de la verge du Polycelis modestus ; mais à partir de ce point, il est entièrement libre. Sa forme est eylindrique d’un bout à l’autre, si ce n’est qu'il est un peu élargi à son origine (7); son diamètre est d'environ de millimètre. Il est creux dans toute son étendue , et ce canal se continue en arrière avec un con- duit éjaculateur (8), partant d’une vésicule séminale pyriforme à parois très épaisses, dont la pointe est tournée en avant (9). On voit que, dans l’espèce dont nous parlons , la position relative de la verge et de la vésicule séminale est précisément le contraire de ce que nous avons vu précédemment. Les canaux déférents, partent en arrière de la vésicule séminale (10), et aboutissent à deux testicules plus courts, moins sinueux et moins eflilés à leur (4) PL. 4, fig. LP, gg. (6) PL 7, fig. 4, d. (2) PL 4, fig IP, 2. (7) PL. 7, g..1 : PI, 8, fig: 41. (3) PI. 7, fig. 1, d. (8) PL. 7, fig. 4. (4) PI. 7, fig. 4, e,e,e (9) PI. 7, fig. 1, b (5) PI. 7, 68.4, c. (40) PI1..7, fig. 4, DE QUATREFAGES. — SUR LES PLANAIRES, 167 extrémité que dans les espèces que nous avons décrites plus haut (1). Le vagin du P. fallax est très large , et sa membrane interne est plissée de manière à rappeler l'aspect d’une muqueuse intesti- nale (2). Les oviductes s’insèrent à la face inférieure, à une assez petite distance de son orifice (3) ; mais il se prolonge bien au-delà de ce point, se rétrécit, devient sinueux , et après s’être dilaté en une cavité oblongue , il se prolonge en un conduit grêle, sinueux, qui se renfle enfin en massue , et forme une poche copulatrice qui contourne le vagin sur la gauche et remonte de l’autre côté (4). Les oviductes ne présentent d’ailleurs rien de parti- culier. Dans le Stylochus maculatus , la verge est courte et brusque- ment dilatée, de manière à présenter l'aspect d’une poire, dont la pointe serait tournée en arrière (5) ; elle renferme dans sa por- tion renflée une cavité à parois très épaisses , et la vésicule sémi- nale, en forme de sphère creuse, est pour ainsi dire appliquée à la partie antérieure (6). Les deux testicules sont en forme de sacs allongés (7) : ils adhèrent à la portion épaisse de la verge, re- montent en avant jusqu'à la hauteur de la bouche , et se prolon- gent en arrière jusqu'un peu au-delà de l’orifice génital mâle. Ce que cet appareil présente de plus remarquable , c’est que ces testi- cules ne communiquent pas avec la cavité de la vésicule séminale , mais bien avec celle de la verge, et cela par trois petits canaux très étroits, creusés immédiatement dans l’épaisseur des parois de cet organe (8). J'aurais pu conserver quelques doutes sur cette supposition, si je n'avais vu ces canaux avant qu'une compression trop forte eût pu altérer les organes, et si, en comprimant très (4) PL 7, fig. 4, aa. (2) PL. 7, fig. 4, h. (3) PL 7, fig. 1. : (4) PL 7, fig. 4, g,g,g. — L'animal est vu ici renversé sur le dos , et par con- séquent la position des objets latéraux est renversée. Au reste, je n’entends pas dire que la position de cette poche copulatrice soit constante ; je décris seulement ce que j'ai vu sur le seul individu que j'aie rencontré. (5) PL 6, fig. 2, h. (7) PL. 6, fig"2, f (6) PL. 6, fig. 2, g. (8) PL 6, fig. 2. 168 VOYAGE EN SICILE. légèrement, je ne les avais pas injeclés de spermatozoïdes qui pas- sèrent du testicule dans la cavité de la verge. On voit qu’ils sont obligés de remonter de là en avant pour gagner la vésicule sémi- nale , où ils sont mis en dépôt jusqu'au moment de la copulation. Le vagin (1) est un canal très étroit, prolongé dans une espèce de vulve assez large, et se continuant en avant jusqu’au-dessus de la verge, vers le milieu de laquelle il recoit les oviductes (2); puis vient la poche copulatrice en forme d’ampoule allongée presque naviculaire (3). Dans le Stylochus palmula , il n'existe, avons-nous dit, qu'un seul orifice génital. Les oviductes et la verge aboutissent dans une large cavité commune (4). En y arrivant, la verge est comme renforcée par un gros mamelon, dans lequel elle pénètre tout en restant distincte. En avant, elle présente un renflement pyri- forme analogue à celui que nous avons vu exister dans le S. maculatus, et creusé également d’une cavité allongée (5); mais ici cette cavité ne communique pas avec les testicules. Ceux-ci dé- bouchent dans une vésicule séminale hémisphérique, qui couronne en quelque sorte le renflement de la verge (6). Les testicules, en sacs allongés, ne dépassent presque pas la vésicule séminale en avant, mais redescendent en arrière jusqu’au-delà de la cavité commune (7). Je n’ai pu voir avec le même détail les organes génitaux des Procéros : cependant, dans le P. sanguinolentus , j'ai vu deux grandes poches (8} placées en arrière d’une vésicule séminale (9), d'où partait une verge grêle, cylindrique et flexueuse (10). Un peu avant la terminaison de celle-ci, j'ai cru voir une petite vésicule qui venait s’y insérer sur la ligne médiane (41) ; l'orifice (1) PL 6, fig. 2, m (7) PI. 5, fig. I, g,g; PI. 7, fig. 2, (2) PL. 6, fig. 2, k. aa. (3) PI. 6, fig. 2, L. (8) PL. 8, fig. 3, a,a. (4) PL. 5, fig. IL; PL 7, fig. 2 (5) PL 5, fig. IL, à; PL. 7, fig. (6) PL 5, 6g. II, h: PI. 7, fig (9) PL. 8, Gg. 3, b. c. (10) PL. 8, fig. 3, c. ,6. (14) PL 8, fig. 3, d. DE QUATREFAGES. — SUR LES PLANAIRES. 169 femelle était placé exactement entre les deux poches testicu- laires (1). Dans les détails anatomiques qui précèdent , je n’ai rien dit de l'ovaire : c’est qu’en effet cet organe n'existe pas , ou, pour mieux dire, le corps entier semble en remplir les fonctions. En effet, on trouve des œufs à divers degrés de développement disséminés dans toute son étendue (2), comme Dugès l’avait déjà remarqué. Ces œufs se développent dans les intervalles lacunaires que laissent entre eux les rameaux de l’appareil digestif. Puis ils viennent se grouper dans la grande lacune autour de l'estomac, là où aboutit l’oviducte ; du moins, je n’ai jamais pu suivre les parois propres de celui-ci beaucoup au-delà de l’extrémité postérieure de l’esto- mac. D'un autre côlé, je n’ai jamais vu d'œuf engagé dans les branches latérales, pourtant très distinctes, que j'ai vu partir du tronc principal où se trouvaient plusieurs œufs. Ces derniers m'ont montré plusieurs fois les trois parties fonda- mentales : le vitellus, la vésicule de Purkinje et la tache de Wagner. Leur évolution dans l’intérieur du corps des Planaires présente quelques particularités qui m'ont paru intéressantes. On trouve quelquefois des vésicules de Purkinje isolées, ou autour desquelles ne sont encore groupées qu’un petit nombre de granulations vitellines (3). Peu à peu celles-ci augmentent, et l'œuf acquiert son volume définitif, sans que j'aie pu y reconnaître de membrane propre enveloppante (4). A cette époque, il a à peu près + de millimètre de diamètre. La vésicule de Purkinje a environ &; de millimètre , et la tache de Wagner + de milli- mètre. Les granulations qui composent le vitellus sont bien dis- tinctes , et leur diamètre est de -4 de millimètre environ (5). Quand l’œuf s’est ainsi constitué, on voit sur un point se mon- trer une tache claire, assez semblable à la vésicule de Purkinje (6). (4) PIS, fig. 3, f—Je ne suis pas très certain que les poches placées à droite et a gauche de la vésicule séminale fussent les testicules ; elles n'en avaient pas çomplétement l'aspect. (2) PI. 4, fg. IL; PI. 6, fig. 4, 2 et 3. (3) PL 7, fig. 5 (5) PL 7, fig. 6 (4) PI. 7, fig. 6 (6) PL. 7, fig. 6, b. 170 VOYAGE EN SICILE. Les granulations qui entourent cette tache semblent disparaître, ou mieux se résoudre en granulations beaucoup plus petites de 45 de millimètre tout au plus. Il se forme ainsi autour de la tache une aire, dont la structure diffère de celle du reste de l’œuf, et qui grandit peu à peu (1). Pendant que ce phénomène se passe, l’œuf semble augmenter un peu de volume ; bientôt il est transformé en entier à l’exception d’un petit nombre de granula- tions qui, au contraire , augmentent de volume, et entourent un espace entièrement circonscrit. L'œuf perd alors sa forme sphé- rique : il s’allonge , devient ovoïde , et finit par ressembler beau- coup à une larve. Cette ressemblance est d'autant plus grande que, dans plusieurs de ces œufs métamorphosés, si je puis m’ex- primer ainsi, j’ai cru reconnaître des mouvements propres indé- pendants de ceux de l’oviducte dans lequel ils étaient engagés. Je les voyais changer de forme , s’allonger , se contracter, et présen- ter toujours en avant cette petite portion plus claire entourée de granulations de +5 où + de millimètre (2). Les observations précédentes ont été faites sur le Polycelis pal- lidus ; dans d’autres, et en particulier dans le Polycelis levigatus , j'ai trouvé des œufs très reconnaissables , et nullement modifiés jusqu’à l'extrémité des oviductes. Le premier serait-il donc vivi- pare ? Je suis porté à le croire ; mais pour pouvoir l’affirmer , il faudrait des observations précises que je n’ai pas eu le temps de faire. Si cette présomption venait à être confirmée plus tard, ce serait une singularité à ajouter aux faits si remarquables et si curieux que M. de Siebold a fait connaître sur le développement de quelques Planaires d’eau douce. OBSERVATIONS. On sait que Baër et Dugès ne sont pas d'accord sur la détermi - ation des organes génitaux. Mes observations, qui concordent si bien avec celles du naturaliste français, ne peuvent plus laisser aucun doute aujourd'hui : l'appareil antérieur comprend bien (1) PL 7, fig. 6, c. (2) PL 8, fig. 8 et 9 DE QUATREFAGES. — SUR LES PLANAIRES. 171 certainement les organes mâles, et le postérieur, les organes femelles. La détermination des diverses parties avait été déjà faite par Dugès , et je n’ai pour ainsi dire eu qu'à suivre ses indications en décrivant des appareils plus ou moins différents de ceux qu'il avait observés. Ni Baër ni Dugès n'avaient vu les Spermatozoïdes. Je les ai trouvés chez toutes les espèces dont j'ai décrit les organes géni- taux. Dans toutes, ils se sont montrés avec les mêmes caractères, et consistent en une tête sphérique de + de millimètre au plus, d’où part une queue d’une ténuité extrême, et dont la longueur semble seule varier un peu selon les espèces. Elle n’est guère que de +, de millimètre chez le Polycelis fallax (À) et le Stylochus palmula (2), tandis qu’elle atteint le double chez le Polycelis pallidus (3), et presque le triple chez le Polycelis levigatus (h). Le développement de ces Spermatozoïdes se fait bien évidem- ment dans le cordon testiculaire, que j’ai décrit, et que son opacité distingue en général de tous les autres tissus des Planariées. En le comprimant de manière à exprimer son contenu sans l’écraser , on voit que les Spermatozoïdes ne commencent à être distincts que vers son tiers postérieur : encore ont-ils rarement leur queue dans cette portion de l’organe. Ge n'est qu’en approchant de l’extré- mité qui se rattache au canal déférent qu'ils présentent tous cet appendice, mais ils sont encore languissants , et n’offrent que des mouvements obscurs ; tandis que ceux qu'on fait sortir des vési- cules séminales, ou de la cavité de la verge, se meuvent avec une grande rapidité, et présentent la nature de mouvements presque caractéristique de ces singuliers produits de l'organisme. Je dois faire observer ici que, bien que j'aie admis comme Dugès l’existence des poches copulatrices, et que l’organisation de l’appareil femelle du Polycelis fallax ne puisse guère laisser de doute à cet égard , cependant je n’y ai jamais trouvé de Sper- æ© % % œ © ds gR oc © 172 VOYAGE EN SICILE, matozoïdes , tandis que les vésicules séminales et les cavités de la verge en étaient souvent entièrement remplies. & V. — Système nerveux. — Organes des sens. I. Système nerveux. — On sait que Dugès refuse aux Planaires tout système nerveux distinct, tandis que Baër se contente de douter. et que MM. Quoy et Gaimard leur en accordent un (1). Nous discuterons plus loin ces diverses manières de voir, et nous chercherons à montrer ce qui a dû induire en erreur l’habile natu- raliste de Montpellier ; mais nous devons commencer par exposer les faits que nous avons observés. Chez toutes les espèces de Planaires qui ont fait le sujet de ces recherches, j'ai trouvé un système nerveux dont le centre principal était parfaitement distinct. Il consiste en deux ganglions plus ou moins intimement réunis et placés à la partie antérieure du corps, à peu près à égale distance des faces dorsale et ven- trale (2). Les deux lobes de cette espèce de cerveau sont compo- sés d’une substance entièrement diaphane et homogène. Deux ou trois fois seulement j'ai pu croire distinguer dans la commis- sure qui les unit des fibres transverses analogues à celles que lon voit souvent très distinctement dans le cerveau des Némertes. Ce cerveau est toujours placé dans une lacune spéciale, que l’on distingue souvent à la vue simple, comme un espace plus clair, autour ou au milieu duquel sont ordinairement placés les yeux. Lorsqu'on emploie le compresseur, on voit bien souvent le cer- veau isolé au milieu de sa lacune, et dans tous les individus qui se prêtaient convenablement à ces observations, j'ai trouvé une branche de l'appareil gastro-vasculaire qui passait par dessus, sur la ligne médiane, de manière à cacher quelquefois presque entièrement la commissure des deux ganglions (3) : aussi il me (1) MM. Quoy et Gaimard n'ont rien publié que je sache sur ce sujet; mais ils sont cités par Dugès, et il est à regretter qu'ils n'aient pas fait connaître leurs observations avec plus de détail. (2) PL. 4, fig. 11; PL 5, fig. IcetIl; PL 6, fig. 1,2, 3, 4et 5. (3) PL 6, fig. 5. — Ce détail n'a pu être reproduit sur les autres figures qui représentent les animaux vus en dessous DE QUATREFAGES. SUR LES PLANAIRES. 173 semble probable que chacun d’eux a, pour ainsi dire, sa lacune particulière. Des lobes que je viens de décrire partent, en rayonnant en tous sens, de très petits filets nerveux. Ceux-ci, entièrement dia- phanes, sont presque toujours extrêmement difficiles à apercevoir. Il faut quelquefois observer plus de dix individus, et avec une grande persévérance, pour apercevoir ces filets, semblables à de petits fils de cristal, qui s'engagent dans les lacunes voisines du cerveau, et se ramifient en suivant leur cavité. Le plus ordinaire- ment, j'ai pu distinguer, en avant, de quatre à six pelits filets, dont les deux plus en dehors étaient quelquefois plus gros. Sur les côtés se trouve presque toujours un tronc plus considérable. Ces divers troncs vont se distribuer à la partie antérieure du corps. En arrière, sur le côté, j'ai trouvé deux gros troncs qui se portent d’avant en arrière , en suivant la grande lacune qui entoure l’es- tomac, et que j'ai pu suivre quelquefois jusqu'à la hauteur des orifices génitaux. Enfin, en dedans de ces deux troncs, j’ai très souvent distingué de très petits filets qui se rendaient probable- ment aux masses de la trompe. Les dessins que je mets sous les yeux du lecteur représentent, pour chaque espèce, ce que j'ai pu reconnaître de cet appareil (1). Évidemment, ce que je considère comme étant le système ner- veux est placé là où Dugès a cru voir un appareil circula- toire. Pour adopter cette détermination, ce savant se fonde : 4° sur la facilité avec laquelle disparaît, par la compression , ce qu’il regarde comme une espèce de cœur; 2 sur les mouve- ments de systole et de diastole, qu’il croit avoir reconnus dans ce centre et dans les ramifications qui en partent; 3° sur les phénomènes de reproduction par bouture, qu'il a étudiés et dé- crits avec tant de soin ; 4° sur l’analogie avec ce qu’il a bien réel- lement observé chez quelques uns de ses Prostomes (2). Exami- nons rapidement chacun de ces points. (1) Voir les figures citées plus haut. (2) Nous avons vu plus haut que les Prostomes sont de véritables Némertoïdes, et j'ai déjà fait connaître les principaux points de l'anatomie de ces animaux par diverses notes et par une planche du Régne animal illustré (Zooph., 42° livrais.}. A7h VOYAGE EN SICILE. Voici les faits que je crois pouvoir opposer à ceux qui ont motivé l'opinion du célèbre naturaliste de Montpellier. 1° Lorsqu'on comprime, même légèrement, une Planaire, il arrive très souvent que la diffluence se prononce sur-le-champ. Toutes les parties de son corps se désagrègent. Le cerveau et les nerfs surtout disparaissent, en général, avec une grande facilité, cela est vrai. Mais la même chose s’observe pour des parties dont la nature n'est pas douteuse, pour la trompe, par exemple, surtout chez les espèces à bouche centrale. D'un autre côté, il arrive aussi fréquemment que le cerveau ne difflue pas aussi promptement que le reste du corps, et, dans quelques cas , surtout chez les espèces où les tissus semblent avoir plus de fermeté, il résiste même assez à la pression pour persister après la diffluence de toutes les par- ties environnantes. Le Tricélis à bande m'a montré ce fait de la manière la plus frappante. Je l’ai vu se reproduire chez toutes les espèces que j'ai observées , et même il s’est montré plusieurs fois chez les Polycélis, chez le P. uni entre autres, une des espèces où pourtant la diffluence se prononce avec le plus de facilité. Dugès s’appuyait d'autant plus sur cette facilité de diffluer, pour soutenir son opinion, que, selon lui, les nerfs, chez les ani- maux inférieurs, sont, en général, plus denses que les autres tissus. Il cite en particulier les Annélides. Le fait est vrai pour ces dernières, dont les nerfs ont un névrilème véritable très dense chez les grandes espèces (Æunice sanguine , Néréides). 11 est inexact pour d’autres Annelés inférieurs (Rofateurs), et même pour les Annélides de petite taille. Ainsi, dans les Syllis, par exemple, les ganglions abdominaux diffluent avec la plus grande fa- cilité. On comprend qu'il doit en être de même, à plus forte raison, chez les Planaires, où aucun tissu ne présente rien de comparable pour la solidité à ce qui se voit chez les Annélides. La transparence extrême du cerveau des Planaires, que Dugès regarde aussi comme venant à l'appui de son opinion, ne prouv rien quant à la question qui nous occupe. En effet, tous ceux qui se sont occupés de recherches de cette nature savent. combien cette transparence est grande dans le cerveau même des petits Te DE QUATREFAGES. — SUR LES PLANAIRES. 175 Mollusques, où cette masse cérébrale se distingue de tous les tissus voisins par sa diaphanéité et son homogénéité apparente. 9 Mais que peuvent être les mouvements de systole et de dia- stole que Dugès croit avoir vus dans ce qu’il appelle le cœur? Ce cœur lui-même est-il bien ce que j'ai nommé le cerveau? Je ne le crois pas, et c’est ici que nous reconnaissons le plus nettement ce qui à causé la méprise de l’habile observateur dont je combats les opinions. Il me semble très probable que Dugès n’a pas vu ce cerveau lui-même, mais bien la double lacune qui le contient. Du moins, la figure qu’il donne de la circulation pour la P. trémellaire repré- sente bien certainement cette lacune, et nullement un cerveau quelconque de Planaire (1). On y reconnaît très nettement et l’es- pace occupé par le cerveau et les deux grandes lacunes longitu- dinales qui contournent l’estomac, et vont se rejoindre en arrière des organes génitaux. La manière dont Dugès représente les ra- mifications antérieures confirme encore notre manière de voir. À ce grossissement, le cerveau serait à peine visible; il serait abso- lument impossible de distinguer les nerfs, tandis que les pro- portions que nous présente cette figure s’accordent très bien avec celles de l’appareil lacunaire tel que je l’ai vu et décrit. Dugès reconnaît lui-même que les mouvements de contraction sont très lents et obscurs dans ce qu’il appelle le cœur, Il les a vus, au contraire, très distinctement dans les deux branches la- térales. Tout cela se comprend sans peine. Nous avons dit, en effet, comment, par suite des mouvements des branches gastro- vasculaires, les intervalles qui les séparent et ne sont souvent pas plus larges que ces branches elles-mêmes, semblent quelquefois présenter de pareils mouvements. Cela est si vrai, que j’ai eu de la peine, dans le commencement de mes recherches, à faire cette distinction. Ces mouvements, visibles dans tout le corps, le sont surtout autour de l'estomac. Dès lors Dugès, n'ayant distingué ni le cerveau ni les nerfs qui en partent, a dû presque nécessaire- ment commettre cette erreur, et rapporter aux lacunes des mou- (4) Ann des Sc. nat., t. XV, pl. 5, fig. 2. 176 VOYAGE EN SICILE. vements qui se passaient sur les côtés de ces lacunes, côtés que forment les ramifications de l’appareil digestif. Dugès invoque encore ici une analogie qui est, au contraire, toute en ma faveur; il s'appuie sur ce qu'il a vu chez les Déro- stomes : or, chez ces Némertoïdes, le cerveau, parfaitement dis- tinct de l’anse vasculaire qui pénètre dans la tête, présente aussi des changements de forme très considérables, changements qui tiennent aux mouvements généraux du corps, et surtout aux al- ternatives de contraction et d’élongation (1). 3° Au reste, la meilleure raison que je puisse invoquer en ma faveur m'est fournie par Dugès lui-même. Dans son second Mé- moire, cet habile observateur, tout en convenant de ce que le fait aurait d'extraordinaire, signale comme ayant élé bien des fois constatée par lui une communication large et directe entre l'appa- reil cireulatoire et l'appareil de la génération. Pour lui, dès cet instant, les oviductes ne sont que des branches détachées des grands vaisseaux latéraux. Dugès avait bien vu; et j'ai représenté quelque chose de très semblable dans les dessins qui accompagnent ce Mémoire (2). J’ai dit plus haut, en effet, que les oviductes semblent se confondre avec l'appareil lacunaire. 11 est donc bien évident que les vais- seaux latéraux de Dugès ne sont autre chose que les deux grandes lacunes latérales que j'ai décrites ; mais, par conséquent aussi, il est évident que Dugès n’avait pas découvert les filets nerveux in- finiment plus petits qui s’y rendent. Quant au cerveau lui-même, peut-être l’eüt-il vu; mais préoccupé par ce qu'il croyait savoir sur les vaisseaux du reste du corps, il n’en a pas compris la nature. lk° Dugès dit que ce qu’il appelle le cœur manque chez certaines espèces, et il ajoute que si c'était bien le cerveau, son existence serait constante. À cela je ne puis que répondre que je l’ai trouvé dans les quatorze espèces que j’ai étudiées, ou mieux dans toutes celles que j'ai observées, ne füt-ce qu’en passant. Maisil est quel- (1) Voyez la planche relative à l'anatomie des Némertes, dans l'édition illustrée du Règne animal. {2) Voir les figures d'anatomie générale, Planches 4, Set 6. DE QUATREFAGES. — SUR LES PLANAIRES,. 177 quefois difficile de bien voir le cerveau proprement dit quand les cœcums gastro-vasculaires environnants sont très distendus ; car c’est alors surtout que la moindre compression amène quelques ruptures , et presque aussitôt une diffluence générale. 5° Enfin Dugès s'appuie sur les phénomènes qui, suivant lui, supposent une répartition égale dans tout le corps du système nerveux. Mais cette hypothèse est toute gratuite et repese unique- ment sur une théorie de polarisation des molécules que, jusqu'ici, l'observation directe n’a pu confirmer. Au contraire, l'observation milite en entier pour la détermina- tion que je propose, et j'insisterai spécialement sur le petit dia- mètre des filets qui partent du cerveau, fait que Dugès n’eût pas manqué de signaler, s’il les avait observés; sur la manière dont ils sont placés dans les canaux lacunaires, autre fait sur lequel Dugès est également muet, et qui, à lui seul, prouve que cet ob- servateur n’a vu que ces Canaux. Enfin, je pourrais également m'appuyer sur l’analogie de forme et de distribution que ce sys- tème nerveux présente avec ce qu'on voit chez les Némertes, où la confusion n’est plus possible, puisqu'il s’y trouve en même temps un appareil circulatoire des plus distincts, et que j'ai déjà décrit et figuré (1). Il est vrai que le naturaliste de Montpellier s'appuie encore sur ce qui se voit chez les Dérostomes. Ici il se trompe, parce qu'il n'avait pas reconnu toute la différence qui existe entre ces derniersetles Planaires. [1 ne voyait là qu’une différence de genre à genre, et cette différence est bien plus considérable. Les Déro- stomes, en effet, se rapprochent peut-être plus, sous certains rap- ports, des Hirudinées proprement dites que des Planaires , et, quoique plus petits, ils ont probablement une organisation réelle- ment plus élevée. C’est ce que je montrerai plus tard, dans un travail pour lequel j'ai déjà recueilli des matériaux. II. Organes des sens. — Baër et Dugès refusent aux Planaires tout organe des sens proprement dit. Ils ne voient dans les points (1) Nouvelle édition du Règne animal ; Notes présentées à l'Académie ; Rapport de M. Milne Edwards sur l'ensemble de mes travaux, etc 3° série. Zooc. T. IV. (Septembre 1845.) , 12 178 VOYAGE EN SICILE. colorés placés à l'extrémité antérieure qu’une lamelle cornée bru- nâtre recouvrant une fossette creusée sur un point où la peau est considérablement amincie. 1] me semble, au contraire, que ces point colorés sont bien de véritables yeux, et que si la sensation qu'ils procurent à ces animaux n’est pas en tout comparable à ce que nous attendons de nos organes visuels, il doit néanmoins y avoir quelque analogie. L'œil est peut-être de tous nos organes celui qui se prête le plus aux applications dés lois de la physique. C’est évidemment un appareil dioptrique, dont la partie essentielle est le cristallin ou lentille destinée à réunir et à concentrer les rayons lumineux. Ainsi la présence d’un cristallin ou d’une partie propre à en rem- plir les fonctions devra, ce me semble, emporter avec elle la con- viction que l’organe qu’on examine est bien réellement un œil. Eh bien, dans plusieurs des Planariées que j'ai observées, la pré- sence du cristallin était parfaitement évidente, Dans le Tricelis fasciatus, chacun des yeux que l’on distingue extérieurement se présente, à un grossissement de 100 diamètres, comme composé d’un corps granuleux jaune-verdâtre aplati et partagé en deux lobes (1). Au milieu de chacun de ces lobes, on apercoit un corps sphérique transparent incolore, réfractant fortement la lu- mière (2). À un grossissement plus considérable, ce corps se présente comme une petite sphère de + de millimètre de diamètre environ, renfermée dans une capsule qui en est très distincte (3). La substance qui compose ces cristallins n’est pas solide. Lors- qu'on comprime suffisamment, l'enveloppe se crève, et la lentille s'écoule sous la forme d’un liquide transparent d’un aspect oléa- gineux , qui ne se mêle pas immédiatement aux parties voisines en diffluence. Dans le Polycelis pallidus , j'ai vu aussi bien distinctement, au milieu d’autres yeux moins bien caractérisés, plusieurs de ces or- ganes dont la plaque brunâtre était bien circonscrite, entourée d'un cercle plus clair, que je ne crois pourtant pas être une en- DE QUATREFAGES. — SUR LES PLANAIRES, 179 veloppe propre, et autour duquel se trouvait le tissu granuleux des téguments (1). Au centre de cet espace brun, composé de granulations pigmentaires, se voyait un corps sphérique incolore, transparent, réfractant la lumière plus fortement que les tissus environnants (2). N’était-ce pas là un cristallin? Dans d’autres espèces, je n’ai pu distinguer, au milieu des plaques pigmentaires, qu'un espace plus ou moins clair; mais si l'on réfléchit au fait de la diffluence observé dans le Tricélis, on admettra, je crois, facilement que , dans les espèces où les tissus sont bien plus délicats, cette diffluence doit être encore bien plus prompte et plus facile, et il ne répugnera nullement d'admettre que ces taches sont de véritables yeux. La multitude de ces taches, l’irrégularité qu’elles présentent, dans quelques espèces , sous le rapport du nombre et de la posi- tion, ne me paraissent pas pouvoir être invoquées contre cette détermination. En eflet, il est probable qu'ici, comme chez les Annélides , le nombre augmente avec l’âge , et qu'à côté des yeux bien formés, qui sont les plus anciens, il en est de jeunes dont l'organisation est ou incomplète ou trop peu distincte pour pouvoir être facilement saisie. En terminant ce travail, il me sera permis de faire observer combien peu encore il nous est possible de généraliser, quand il s'agit de ces animaux inférieurs. Dans les diverses espèces que je viens de décrire, les caractères extérieurs diffèrent très peu ; les caractères anatomiques, sans offrir des variations fort con- sidérables , présentent néanmoins des différences notables, sur- tout pour les organes génitaux ; mais dans d’autres espèces, peut-être très voisines en apparence , l’organisation semble pré- senter des particularités bien remarquables. Il me suffira , sans doute, pour le prouver de rappeler au souvenir des zoologistes ce que le docteur Focke nous à appris sur la Planaire d’'Ehrenberg (1) PL 3, fig. 48, d. (2) PL. 3, fig. 48, c. 180 VOYAGE EN SICILE. (PI. Ehrenbergü Focke (1) ). Tout ici est différent ; et cependant la caractéristique empruntée aux formes extérieures convient également à cette singulière espèce, et aux espèces à deux yeux décrites par Dugès; tandis que l’organisation de ces dernières les rattache intimement aux espèces marines que je viens de décrire. Faudra-t-il voir à priori dans ces contradictions une preuve d’er- reurs à attribuer à tel ou tel observateur ? Je ne le pense pas. L'étude des animaux inférieurs est encore très peu avancée: bien des années seront sans doute nécessaires avant que nous possé- dions assez d'observations pour asseoir leur classification avec une certitude suffisante , et en attendant ce n’est qu'avec la plus grande réserve que nous pouvons conclure d’une espèce à une autre lorsqu'il s’agit de l’organisation. Il me resterait maintenant à discuter les affinités zoologiques des Planariées ; mais je crois devoir renvoyer cet examen jusques après la publication de mes recherches sur les Dérostomes, les Prostomes, et surtout les Némertes. Je me contenterai de dire ici que, tout en reconnaissant aux Planaires proprement dites une certaine affinité avec certains intestinaux, ainsi que l’ont déjà fait Cuvier, Dugès, Baër et M. de Blainville, il me semble pourtant difficile encore de préciser ces affinités. D’un autre côté, je crois avec MM. Savigny et de Blainville que ce groupe se rattache aux Hirudinées, conséquence à laquelle est également arrivé Dugès, mais que Baër ne paraît pas très porté à admettre. Pour moi, les Planaires comme les Némertes dérivent des Hirudinées par dé- gradation ; mais chez elles l'appareil le plus complétement dégradé est l'appareil circulatoire , tandis que chez les Némertes ce sont l'appareil digestif et l'appareil reproducteur. J'aurai plus tard à revenir sur cette proposition, que je me contente aujourd’hui d’énoncer, à la développer, et à montrer les déductions qu’on peut en tirer. Mais je dois renvoyer cette discussion à l'époque où il me sera possible de publier mes recherches sur les divers autres types de la classe des Turbellariés. (1) M. Focke prend le mot Planaire dans son acception générique, avec la valeur que lui attribue M. Ehrenberg dans sa classification des Turbellariés. DE QUATREFAGES. — SUR LES PLANAIRES. 181 EXPLICATION DES FIGURES. PLANCHE 9. Fig. A. Tricelis fasciatus. Fig. 2. Eolidiceros panormus. Fig. 3. Téte du méme, vue en dessus. Fig. 4. Téte du méme, vue en dessous. Fig. 5. Proceros argus. Fig. 6. Téle du méme, vue en dessus. Fig. 7. Proceros cristatus. Fig. 8. Polycelis pallidus. Fig. 9. Téte du méme, vue en dessus. Fig. 10. Téte du Polycelis fallax. Fig 11. Téte du Polycelis modestus. Fig. 12. Prosthiostomum elongatum, de grandeur naturelle. Fig. 13. Téte du même, vue en dessus. Fig. 14. Téte du Prosthiostomum arctum. Fig. 15. Couches tégumentaires de l'Eolidiceros Brocchii. — 200 diamètres en- viron. — a, cils vibratiles ; b, couche de cellules bien formées, dont les unes sont incolores, les autres colorées ; c, couche de cellules moins distinctes ; d, couche de granulations confuses; e, couche de matière homogène, transpa- rente et incolore, qui revêt l'intérieur des couches précédentes. Fig 16. Cellules tégumentaires isolées et devenues sphériques, probablement par suite d'un phénomène d'endosmose. — 300 diam. Fig. 17. Extrémité d'un tentacule de l'Eolidiceros panormus , très grossi. — a, nerf (?); b, masse à granulations très fines, où se rend le nerf (?) précédent ; c, couches tégumentaires présentant des cellules bien distinctes: d,d, cils vi- bratiles ; e,e,e, cils non vibratiles, beaucoup plus grands que les précédents. Fig. 18. Oil de Polycelis pallidus, légèrement comprimé et copié rigoureuse- ment. — 300 diam. — à, capsule incolore; b, couche de pigment; c, corps sphérique, réfractant fortement la lumière (cristallin) ; d, substance environ- pante. Fig. 19. Un des trois yeux du Tricelis fasciatus.— 100 diam.—Il présente deux cristallins très distincts dans une capsule commune qui semble résulter de l'ac- colement de deux capsules distinctes. Fig. 20. Un des cristallins précédents isolé. — 250 diam. — a, zone transpa- rente incolore, bien distincte du cristallin proprement dit b, et de la substance environnante c. PLANCHE 4. Fig. L Stylochus palmula. Fig. 1°. Disposition des yeux de la méme. 182 VOYAGE EN SICILE. Fig. IL. Polycelis levigatus. Fig. Il". Disposition des yeux de la méme. Fig. I". Anatomie de la méme. — a, bouche ; b, trompe; e, orifice cardiaque; d, estomac; e,e,e, ramifications gastro-vasculaires: f, cerveau et nerfs; g g. testicules ; A, vésicule séminale confondue avec la verge; à, canal de la verge; k,k, oviductes: !, poche copulatrice; m, orifice des organes générateurs fe- melles: 0,0, œufs répartis dans toutes les lacunes du corps. Fig. IL. Stylochus maculatus. Fig. III. Disposition des yeux de la méme. Fig. IV. Proceros sanguinolentus. PLANCHE 9, Fig. I. Eolidiceros Brocchü. Fig. I». Tête de la même, en dessus. Fig. I, Tête de la même, en dessous, Fig. Ie, Anatomie de la méme. — a, bouche : b, trompe; c, estomac; d,d,d, ra- mifications gastro-vasculaires ; e, cerveau et principaux troncs nerveux. Fig. II. Anatomie du Stylochus palmula. — a, bouche; b, trompe; c, orifice car- diaque ; d, estomac ; e,e,e, ramifcations gastro-vasculaires; f. cerveau et nerfs; 9,g. testicules ; À, vésicule séminale; à, verge; k,k, oviductes; /, orifice com- mun des organes de la génération. Fig. II. Terminaison d'une ramificaton gastro-vasculaire (Polycelis pallidus). PLANCHE 6. Fig. 1. Anatomie du Polycelis pallidus. — a, bouche; b, trompe; c, orifice car- diaque; d, estomac ; f,f, testicules ; g, vésicule séminale; h, verge, se termi- uant ici par un stylet corné à’; à, orifice génital mâle ; k,k, oviductes; {, poche copulatrice; m, vagin; n, orifice génital femelle; 0,0,0, œufs; p, cerveau et uerfs. Fig. 2. Anatomie du Stylochus maculatus. — Les mêmes lettres désignent ici les mêmes organes. On remarquera plus particulièrement la disposition des testi- cules, qui sont en communication immédiate avec la cavité de la verge, d'où il résulte que les zoospermes sont obligés de remonter vers la vésicule séminale, où ils sont emmagasinés. Fig. 3. Anatomie du Polycelis modestus. — Les mêmes lettres désignent encore les mêmes organes que dans les deux figures précédentes. Fig. 4. Anatomie du Prosthiostomum arctum.— a, bouche ; b, trompe; b', cavité buccale, dans laquelle est logée la trompe ; c, orifice cardiaque ; d, estomac; i, orifice générateur mâle ; n. orifice générateur femelle; p, cerveau et nerfs. Fig. 5. Anatomie du Proceros sanguinolentus. — Les mêmes lettres désignent les. mêmes organes que dans les précédentes figures. DE QUATREFAGES. — SUR LES PLANAIRES. 183 Fig. 6. Anatomie de l'Eolidiceros panormus — Les lettres ont la même significa- tion que dans les autres figures. L'examen de la figure Ie de la planche 5, re- présentant l'anatomie de l'£olidiceros Brocchi, achèvera de compléter l'idée qu'on doit se former de l’organisation de cette espece. Fig. 7. Portion de l'appareil génital du Proceros sanguinolentus. — a, bouche; b, trompe; f,f, testicules ; g, vésicule séminale; h, petite poche accessoire , que je n'ai observée que sur cette seule espèce; à, orifice génital mâle. Fig. 8. Origine de la trompe du Prosthiostomum arctum, montrant la structure musculaire des parois de la cavité qui renferme la trompe.—b, trompe; b', ca- vité buccale qui la renferme; ce, œsophage; d, estomac ; e,e, origine des troncs gastro-vasculaires. Fig. 9. Cerveau de l'espèce précédente , légèrement comprimé. Fig. 10. Cerveau du Polycelis pallidus. Fig. 11. Cerveau du Polycelis levigatus Fig. 12. Cerveau de l'Eolidiceros panormus. Fig. 13. Cerveau du Proceros sanguinolentus. PLANCHE 7. Fig. 1. Appareil génital du Polycelis fallax. — a,a, testicules ; b, vésicule sémi- uale, se prolongeant en un tube qui va se perdre dans le filet corné de la verge; ce, organe qui paraît produire le filet corné e; d, verge charnue que tra- verse le filet corné e,e, lequel se replie et sort par l’orifice mâle e’; f.f, oviductes:; 9:9,g, poche copulatrice, qui est ici très longue; k, vagin; à, orifice génital femelle. Fig. 2. Appareil génital du Stylochus palmula. —- a,a, testicules; b, vésicule sé- minale ; c, verge présentant deux parties distinctes, dont la plus allongée porte en d un renflement où le canal se dilate d'une manière bien sensible ; e,e, ovi- ductes ; f, cavité commune où aboutissent les organes mâles et femelles ; g, ori- fice commun. Fig. 3. Extrémité grossie de la trompe du Prosthiostomum arctum , pour montrer l'aspect et la direction des fibres musculaires. Fig. 4. Trompe du Prosthiostomum elongatum. — a, cavité buccale, reufermant la trompe; b, bouche; c, trompe; d,d, orifices génitaux ; e, cerveau et nerfs. Fig. 5. Cette fiqure et les suivantes représentent les œufs du Polycelis pallidus à divers états de développement tels qu'on peut les observer par transparence dans l'animal vivant. — La figure 5 nous montre la vésicule de Purkinje avec la tache de Wagner entourées d’un petit nombre de granules vitellins. Fig. 6. OEuf complet. — a, vésicule et tache germinative. Fig. 7. OEuf qui a commencé à présenter la modification indiquée dans le texte (qui passe à l'état de larve? ). — a, vésicule et tache germinative primitives ; b, tache claire qui se montre au milieu de l'espace c occupé par des granula- tions beauconp plus fines que dans l'œuf, 18 DUMAS. — SUR LE LAIT Fig. 8 et 9. Larve observée dans l'oviducte. — La vésicule et la tache germina- tive ont disparu. Il reste la petite sphère transparente, de nouvelle formation, b,b, autour de laquelle se sont développées des granulations très distinctes a,a. ( Les cinq dernières figures sont dessinées à un grossissement de 60 diamètres environ.) PLANCHE 8. Fig. 1. Origine du stylet corné qui arme la verge du Polycelis fallax, vu à un grossissement de 200 diamètres environ (1). — a,a, substance granuleuse de l'organe sécréteur ; b,b, le stylet; c, canal membraneux venant de la vésicule séminale ; d,d, zoospermes renfermés dans le canal du stylet c. Fig. 2 Appareil génital du Polycelis pallidus. — a,a, testicules ; b, vésicule sé- minale; ce, verge terminée par un stylet corné d'; f, orifice génital mâle; g,g, oviductes renfermant des larves h,h; 1, poche copulatrice ; &, orifice génital femelle. Fig. 3. Portion de l'appareil génital du Proceros sanguinolentus — a.a, testi- cules : b, vésicule séminale ; e, verge; d, petite poche accessoire, que je n'ai trouvée que chez cette seule espèce; e, orifice génital mâle; f, orifice génital femelle. Fig. 4. Ramifications gastro-vasculaires du Prosthiostomum arctum. Fig. 5. Zoospermes du Stylochus palmula. Fig. 6. Zoospermes du Polycelis levigatus. Fig. 7. Zoospermes du Polycelis fallax Fig. 8 Zoospermes du Polycelis pallidus. Fig. 9 et 10. Organes urticunts du Polycelis levigatus. — Dans la première, les organes émettent leur filament, qui n'est pas sorti dans la seconde. ( Les cinq dernières figures ont été dessinées sous un grossissement de 310 diamètres.) GONSYITUTION DU LAIT DES CARNIVORES; Par M. DUMAS Le lait des animaux herbivores renferme toujours, mais en pro- portions variables, les quatre ordres de matières qui font partie de tous leurs aliments; c’est-à-dire les matières albumineuses re- présentées par le caséum ; les matières grasses représentées par le beurre ; les matières sucrées représentées par le sucre de lait ; (1) Voir la figure 1 de la planche précédente. DES CARNIVORES. 185 enfin, les sels de diverse nature qui existent dans tous les tissus et dans tous les liquides animaux. Dans le lait des carnivores, autant qu’on peut en juger, l’un de ces produits, le sucre de lait, disparaît, et l'aliment du jeune carnivore, réduit ainsi à renfermer des matières albuminoïdes , grasses et salines, se trouve ramené à la constitution générale de la viande elle-même. On va voir, cependant, par les expériences qui suivent, que si, en effet, le sucre de lait ne peut pas être décelé dans le lait des animaux carnivores, on parvient, sans aucun doute, à l’y retrou- ver, quand on ajoute du pain aux aliments de ces mêmes ani- maux. J’ai cru de quelque intérêt pour la science d’essayer d’ailleurs de suivre les variations survenues dans les principes constituants du lait et dans leurs proportions relatives, en opérant sur le lait d’un même animal soumis à des régimes d’alimentation différents, et qui le rapprocheraient alternativement de l’herbivore et du carnivore. Les tentatives que j'ai faites pour traire des Truies sont de- meurées stériles; la sécrétion du lait n’a pu être déterminée par la compression des mamelles ou même par la succion opérée à l’aide des ventouses ; on amène du sang sans arriver à extraire du lait. Je me suis décidé, en conséquence, à opérer sur des Chiennes, qui se prêtent très bien à ce genre d’expériences. Les méthodes d’analyse ont été à peu près les mêmes pour les divers échantillons. Toutefois j'ai bientôt reconnu que, si l’on effectue l’évaporation du lait au bain-marie et à l’air libre, on dé- termine toujours la coloration des matières extractives ; l’évapo- _ ration doit donc être effectuée à froid, au-dessus de l’acide sul- furique, et dans le vide de la machine pneumatique. Le lait desséché est traité par l’éther bouillant, jusqu’à épuise- ment de matière grasse ; la solution éthérée, évaporée dans une capsule tarée et dorée sur ses bords , pour prévenir le grimpement de la matière grasse, fournit la proportion de beurre. Le résidu, repris par l’eau bouillante aiguisée de quelques 186 DUMAS. — SUR LE LAIT gouttes d'acide acétique, lui abandonne la matière extractive, le sucre, lorsqu'il y en a, et les sels ou une partie des sels ; la pro- portion de ces divers éléments peut être déterminée en évaporant à sec la dissolution aqueuse. Lorsque le sucre de lait est abondant, il cristallise au sein de la matière gommeuse soluble dans l’eau, et on peut l’en retirer par compression entre des doubles de papier joseph, puis en l'hu- mectant d’eau. Lorsque la proportion en est faible, on l’isole mieux en traitant l'extrait gommeux par une petite quantité d’alcool froid, et en reprenant le résidu par l’eau pour le faire cristalliser après avoir séparé les phosphates calcaires; néanmoins, en opérant ainsi, l'alcool dissout toujours un peu de sucre. Le résidu du traitement par l’éther et par l’eau acidulée est du caséum, qui contient souvent encore une certaine quantité de sels insolubles. Lorsqu'on n’avait en vue que de constater la présence ou l’ab- sence du sucre de lait, on s’est borné à coaguler le lait bouillant par quelques gouttes d'acide acétique et à chercher le sucre dans la liqueur filtrée et évaporée presque à sec; l'extrait, qui reste longtemps gommeux, finit, dans plusieurs cas, par fournir des cristaux ; il convient d’effectuer cette évaporation à froid dans le vide sec. Lait de Chienne I. Ce lait provenait d’une Chienne de forte taille qui a été sou- mise, à Alfort, à un régime déterminé, sous l'inspection de M. le professeur Delafond. Le premier échantillon de lait a été recueilli dès l’arrivée de cette Chienne à Alfort; on présume qu’elle avait été soumise à une alimentation composée de pain, de viande, d’os et de graisse. Lait à peine acide au papier. . . . . . 429,920 Résidu de l'évaporation au bain-marie. . . 45,000 Beurre soluble dans l'éther. . . . . . 16,225 Matière extractive et sels solubles. . . . 4,302 Caséumiet sels er LUE |. 18,750 8,671 de matière extractive ont donné 0,145 de cendres ES DES CARNIVORES. 187 blanches ; 1,419 de caséum ont laissé 0,076 de cendres ; d’où l’on déduit : Sur 100, HAUT OR 1 NS UND MU6978 Beurre. . . CAE Matière extractive. . 2,5 Cane re ee 43 6 Sels solubles . -. . 0,71 Sels insolubles. 0,77 99,4 La Chienne, soumise au régime de la viande de cheval pendant quinze jours, a fourni un lait qui a donné : gr Bal frais 4e arte tro an ilreet FT 38232 Résidu d'évaporation au bain-marie. . . . 32,70 Beurre cristallin plus fluide que le précédent. 410,082 Caséum et sels insolubles. . . . . . . 16,230 Matière extractive et sels solubles. . . . 5,320 Sur 100. BAD NL SE C7 AE Beurre CHR dE 7.32 Caséam. . . . . 11,15 Matière extractive. 3,39 Sels solubles, 0,45 Sels insolubles. . . 0,57 100,00 On n’a pas pu conserver cette Chienne pour faire varier son alimentation ; mais les analyses du lait provenant du régime ani- mal conduiraient à conclure que ce lait ne renfermait pas de sucre de lait; du moins n’en a-t-on pas obtenu , même après que les échantillons étaient restés plusieurs mois dans les conditions fa- vorables à sa cristallisation. Le lait de cette Chienne, comme celui des suivantes, jouit, du reste, d’une propriété-remarquable. Il se prend en bouillie épaisse lorsqu'on le chauffe, mais il perd cette propriété lorsqu'on l’étend d’eau. On a essayé de retrouver l'acide butyrique dans le beurre de cette Chienne provenant du lait fourni par une alimentation à la viande. On n’a pu en découvrir la moindre trace. 185 DUMAS. — SUR LE LAIT Lait de Chienne II. Le lait d’une seconde Chienne, nourrie à Alfort pendant quinze jours avec de la viande de cheval, renfermait : Er ed nlcaéèes, Léomi7ei BOUT 5. 5,15 Matières extractives et sels. . 4,13 Caséum et sels. . . . . . 45,85 La même Chienne, nourrie pendant quinze jours au pain arrosé de bouillon gras, a fourni un lait qui a donné à l’analyse : ATEN OUR PART 81,10 BeUTrE. PAPA APR : 3,09 Matières estractives et sels. . 4,40 Cas EE |: MO 11125) La matière extractive, abandonnée à elle-même, a fourni quel- ques cristaux ayant les caractères du sucre de lait. Au bout de quinze jours du même régime de pain et de bouillon gras, le lait de cette Chienne renfermait : Eau. SET. + + OT + 76,00 Beurre RUE POCLTON CE MOMENT 6,84 Caséumites. C6... ocean 12:47 Matières extractives, sucre de lait et sels. . 5,04 Cette fois encore la matière extractive a fourni des cristaux qui, convenablement purifiés , offraient tous les caractères du sucre de lait; on en a recueilli assez pour en constater la nature. Voici comment on a conduit l'analyse. Le lait a été évaporé à sec dans le vide, et repris ensuite par l’éther bouillant. Le résidu repris par l’eau aiguisée d’acide acé- tique a donné, par évaporation, les sels et la matière extractive. Celle-ci était peu colorée et a déposé des cristaux après être restée visqueuse pendant un jour ou deux. Dans le but de se débar- rasser d’une forte proportion de sels, on a traité le produit par l'alcool de force moyenne et bouillant, qui a dissous la matière extractive et une quantité notable de sucre. Le produit, évaporé jusqu’à consistance gommeuse, a donné, au bout de quelques jours, une foule de cristaux qui, débarrassés de la matière gom- meuse par simple expression entre des doubles de papier joseph, DES CARNIVORES. 189 ont offert les caractères du sucre de lait; on en a eu assez pour en faire l’analyse élémentaire. 0°, 05 ont donné 0,001 de cendres ; 05,220 ont donné 0,127 d’eau et 0,306 d'acide carbonique ; d’où Lactose (calcule). Carbono ee EE à 0 39,0 40,0 Hydrogen. JEUN 6,6 6,6 Oxigénens SU. OF, Mit SUrARUAATE 55,4 100,0 100,0 Ce résultat, d'accord avec les propriétés du produit, semblera d’une exactitude suflisante pour permettre d’aflirmer la présence du sucre de lait, si l’on a égard à la faible quantité de matière employée pour l’analyse. L'examen comparé de ces trois analyses montre que la propor- tion de caséum diminue lorsqu'on fait suecéder l’alimentation au pain à l’alimentation à la viande. Le sucre de lait, qui n'avait pu être mis en évidence, lorsque la Chienne ne recevait pas de fé- cule au nombre de ses aliments, apparaît, au contraire, nette- ment lorsque le principe amylacé prédomine dans l'alimentation. Ces expériences ne m'ont pas paru néanmoins assez nettes pour repousser d’une manière absolue l’opinion qui consisterait à admettre la conversion des matières albuminoïdes en matières sucrées sous l'influence de la fermentation digestive. En effet, les analyses qu’on vient de parcourir n’ont pas été faites dans des conditions identiques ; l’évaporation de la matière extractive qui avait eu lieu quelquefois au bain-marie et à l'air libre avait pu produire une altération prononcée, accusée d’ailleurs par la cou- leur foncée de cet extrait. Vu l’abondance de cette matière dans le lait, il est dificile d’y déceler la présence de petites quantités de sucre. Enfin, ce principe aurait pu disparaître en vertu d’une véritable fermentation au contact de la substance azotée, Pour lever les doutes que ces expériences soulevaient dans mon esprit, j'en ai entrepris une nouvelle série. Lait de Chienne III. I. Le troisième animal sur lequel j'ai opéré avait été nourri à la ménagerie du Muséum pendant six jours avec du pain; il a 190 DUMAS. — SUR LE LAIT fourni un lait excessivement épais, comme les échantillons précé- dents ; ce lait se prend presque aussitôt en bouillie épaisse, lors- qu’on le chauffe ; néanmoins , lorsqu'on prend la précaution de l'étendre préalablement d’eau, il ne se coagule pas, ce qui exclut la présence de l’albumine. Au moment où le lait sort des ma- melles , il est neutre au papier; mais, au contact de l’air, il ac- quiert bientôt la réaction acide. Ce lait a fourni 152 grammes de résidu desséché dans le vide, duquel l’éther bouillant a retiré 23“,65 de beurre. La masse ca- séeusé , insoluble dans l’éther, à été traitée par l’alcool absolu à froid, dans le but d’enlever la matière extractive sans dissoudre le sucre de lait. On a eu 3*,055 de matière extractive soluble dans l'alcool anhydre. Le résidu, attaqué par l’eau bouillante aiguisée d’acide acé- tique, a donné, par évaporation, une masse gommeuse empâtant une très petite quantité de substance cristalline. La masse gommeuse , traitée par l'alcool à 36 degrés, a laissé une matière blanche, qui, sur la lame de platine, ne fond pas, exhale l’odeur du pain brûlé, fournit un charbon difficile à brûler et des sels. Cette matière exige des quantités considérables d’eau bouillante pour se dissoudre; les tentatives faites pour en extraire un produit cristallisé ont échoué. La matière azotée, analogue à l'extrait de viande, ne paraît donc pas prédominer dans ce produit. Si le sucre de lait existait dans ce lait, du moins est-il qu'on n’a pu l'en extraire à l'état de cristaux; l'alimentation au pain avait peut-être été de trop courte durée; néanmoins l’analyse signale la présence d’une substance possédant les propriétés des matières neutres non azotées. Le sucre de lait s’y trouvait peut- être mêlé avec quelque produit dont il ne s’est pas séparé, faute de circonstances favorables à sa cristallisation. II. La même Chienne, soumise ensuite au régime de la viande pendant cinq jours, a donné 53*,45 de lait qui, évaporés dans le vide, ont fourni 145,8 de résidu sec. Cette expérience a été recommencée par suite de la découverte d’une circonstance bizarre , qui a paru de nature à jeter des DES CARNIVORES. 191 doutes sur les conclusions qu'on aurait tirées des résultats ob- tenus. Les excréments de cette Chienne contenaient du foin ; l’animal avait rongé sa litière. Les divers éléments solides du lait obtenus dans cette circon- stance n’ont pas été dosés, mais il m'a semblé que la matière ex- tractive provenant de ce lait offrait des indices de matière cris- talline. III. Cette même Chienne a été de nouveau soumise au régime de l’alimentation à la viande pendant cinq jours, sous mes yeux, et dans le jardin de mon laboratoire ; elle était enchaînée comme précédemment ; la litière de paille ou de foin avait été remplacée par de la laine. On a trait 835,45 de lait qui ont laissé 205,95 de matière sèche, par évaporation dans le vide sec. L'’éther a extrait 25,755 de beurre. Le caséum et les sels insolubles pesaient 105,320. La matière extractive et les sels solubles n'ont pas été dosés , mais consacrés aux essais dirigés dans le but de mettre le sucre de lait en évidence. La matière épuisée de beurre a été traitée par l’eau acidulée , et le liquide évaporé jusqu’à consistance d’extrait gommeux; rien n’a cristallisé, même au bout d’un temps assez long. Lait de Chienne IV. La quatrième Chienne en expérience était de petite taille , et malheureusement déjà avancée dans l’allaitement, ce qui n’a pas permis de recueillir du lait deux fois de suite en variant l’alimen- tation. En outre, la quantité de lait qu’elle a pu fournir a été assez faible. Cette Chienne a été nourrie à Alfort. Cette petite Chienne, nourrie pendant huit jours à la viande de cheval, a donné 31:,5 de lait. La matière desséchée n’a pas été pesée; on a eu Caséum et sels insolubles.. . . . 38",065 BOTTOM EMI RM ET Se DZ D Il m'a été impossible de déceler la présence du sucre de lait 192 DUMAS. — SUR LE LAIT dans l'extrait gommeux obtenu par un traitement semblable au précédent. L'expérience n’a pu être continuée, la Chienne ne fournissant plus de lait. On a donc, pour 100 de lait : CAS MERE PORTA SORT CEA IE) Bérrel-mnto. hist co 9D.IM40%% Lait de Chienne V. L'expérience dont les résultats vont suivre a été faite sur le lait d’une Chienne de forte taille nourrie à Alfort. Cette Chienne de luxe, qui avait d’abord été soumise à la nourriture de la viande à l'exclusion de toute matière amylacée, n’a pas continué à suivre ce régime, dont on a craint les effets. Elle a recu peu après du pain dans son alimentation, et, au bout de six jours, elle a fourni près de ; litre de lait. Une partie de ce lait a été mise à part pour en faire l'analyse quantitative. La majeure partie a été consacrée à la recherche exclusive du sucre de lait. Voici comment on a opéré : On a coagulé le lait bouillant par quelques gouttes d’acide acé- tique. On a filtré la liqueur bouillante ; le caséum et les globules butyreux sont restés sur le filtre. La liqueur filtrée a été évaporée dans le vide sec, à l’état d'extrait presque gommeux ; bientôt il s’y est développé des eristaux dont la quantité a été successive- ment en augmentant; au bout de quelques jours , tout s’était pris en masse. On a traité cette masse par l'alcool ordinaire bouillant en quan- tité strictement suflisante pour obtenir une liqueur saturée à chaud : on l’a ensuite traitée par l’eau froide pour lui enlever les sels so- lubles ; le résidu, repris par l’eau bouillante, a fourni une liqueur qui, évaporée jusqu’à consistance gommeuse, a laissé, au bout de vingt-quatre heures, une cristallisation abondante d’une matière possédant les caractères du sucre de lait pur. Les autres extraits ont également fourni des cristaux de sucre de lait plus ou moins imprégnés de matière gommeuse ; celle-ci s’est, au surplus, mon- trée très peu abondante. DES CARNIVORES, 193 Le sucre de lait cristallisé et purifié a été soumis à l'analyse. 05,06 ont donné 05,002 de cendres; 0%,300 0“,2925 de matière réelle ont donné 05,175 d’eau et 05,424 d'acide carbo- nique ; d’où Trouvé, Calculé Carbone. . HT 3008 40,0 HYdronene: = NN 6,6 6,6 Oxÿréne Meet t:r5 3,6 53,4 100,0 100,0 L'existence du sucre de lait dans le lait de cette Chienne est donc un fait bien établi. 54*,15 de ce lait ont donné 414*', 450 de résidu desséché dans le vide, 45,315 de beurre cristallin, et 2:",3 de matières extrac- tives, sucre de lait et sels solubles (1), On déduit de là : TÉNUN 2 0 RE BEIC CN Ne 7,9 Matière extractive et sels. 4,2 in Routes LES Caséum de Chienne, Le lait de Chienne étant coagulable spontanément par la cha- leur, j'ai voulu savoir si son caséum possédait la même compo- sition que le caséum de vache, Voici deux analyses qui tendent à démontrer leur identité. Caséum de lait de Chienne ; alimentation à la viande. L. 0,40 de caséine purifiée n’ont pas laissé de cendres; 0*,620 de caséine desséchée à 140 degrés ont donné 15',205 d’acide car- bonique et 0°",398 d’eau ; 0:',617 de caséine ont donné 18 de gaz à 10 degrés et 753"",7. II y a eu à centimètres cubes de bi-oxyde d'azote; d’où azote — 79,5 à 10 degrés et 75à"",7. Cette même (1) Les 2,3 de matières extractives, sucre de lait et sels solubles, m'ont offert une propriété singulière. Traités par l'alcool bouillant , ils lui ont cédé une petite proportion d'un produit que l'évaporation a laissé en masse sirupeuse. Par l’addi- tion de l'acide nitrique concentré, il s'y développait des cristaux nacrés, fort ana logues au nitrate d'urée. Cependant la matière m'a paru différente de l'urée; sa petite quantité ne m'a pas permis de la soumettre à une étude approfondie. Je l'ai inutilement cherchée dans le lait de Vache. 3° série. Zoor. T. IV. (Septembre 1845.) ; 13 19% DUMAS. — SUR LE LAIT caséine, analysée par M. Melsens avec des précautions particu- lières, a donné 16,5 d’azote. On en déduit : CAT VOD EM OU Hydrogène. 7,1 Azote. AT CU OVER EE : 7. 2! 0 . Joe 100,0 Caséum de lait de Chienne nourrie au pain. IT. 0:,426 ont laissé 08,002 de cendres ; 0,371 ont donné 05,239 d’eau et 05,724 d'acide carbonique ; 05,439 ont donné 60°*,5 d’azote à 11 degrés et 762"",5. On en déduit : CATDONE. ar. 0e PP NE SUOMI Hydrogène. . . . AFTUTE 72 Azote. NE A 16,6 OXVEEDE PE LT EN POP 22È 0 100,0 RÉSUMÉ. Les expériences que je viens de rapporter autorisent-elles à affirmer d’une manière rigoureuse l'impossibilité de la forma- tion du sucre de lait, lorsque les aliments ingérés ne contiennent pas de fécule? Non, sans doute; car, bien que les analyses ne m'aient jamais fait découvrir de sucre dans ces conditions, les expériences faites dans le but de constater l'absence absolue de ce sucre sont délicates. Dans ce travail, les méthodes employées ont quelquefois varié, et en outre, les expériences n’ont pas toujours été faites sur des quantités de matières équivalentes. Je me pro- pose, d’ailleurs, de reprendre une série d'expériences dans cette direction, en opérant dans des conditions particulières. Pour le moment, on peut conclure avec certitude , toutefois , que le lait de Chienne peut contenir du sucre de lait, identique avec celui des herbivores, quoique toujours en moindre propor- tion. La présence du sucre de lait paraît liée à la présence du pain dans les aliments de l’animal. L'alimentation à la viande pure donne un lait dans lequel l'analyse n’a pas permis, jusqu'ici, de découvrir le sucre de lait DES CARNIVORES, 195 Si ces résultats sont confirmés par de nouvelles recherches, on arrivera à reconnaître quelque différence importante dans la na- ture des principes du lait dans une femelle herbivore soumise à une alimentation insuffisante , circonstance où elle se rapproche d’une femelle carnivore , puisqu'elle emprunte les matériaux de son lait à son sang ou à ses propres tissus. Mes expériences établissent d’une manière incontestable que le caséum du lait de Chienne possède la même composition que le caséum du lait des herbivores. Cependant le lait de Chienne s’épaissit spontanément par la chaleur, tandis que le lait de Vache exige le concours d’un acide. On se rappelle que le lait de femme ne se coagule ni par la chaleur ni par les acides, si l’on n’ajoute pas une forte proportion d'alcool. J'ai déjà montré, toutefois , que le caséum du lait de femme offre la même composition que les précédents. En étudiant le lait, je crois avoir mis en évidence l’existence d’une membrane caséeuse autour des globules butyreux. En effet, si l’on agite le lait avec de l’éther pur, les deux liqui- des, mêlés d’abord, se séparent par le repos, et le lait conserve son aspect , tandis que l’éther n'offre rien de bien notable en dis- solution. Si, au contraire, on ajoute de l’acide acétique au lait, et qu’on le fasse bouillir, il suffit de l’agiter ensuite avec l’éther, pour lui enlever tout le beurre. Dans ce cas, le lait qui se sépare n’est plus opalescent. En outre, si l’on dissout du sel marin à saturation dans le lait, la filtration de ce liquide donne un sérum parfaitement limpide contenant tout le caséum soluble, le sucre de lait et les sels Les globules du lait restent tous sur le filtre. Or, malgré des lavages prolongés à l’eau salée, j’ai toujours retrouvé une matière ca- séeuse associée au beurre de ces globules, et, conséquemment, insoluble dans l’eau salée. Il est évident que l'introduction de ces procédés dans l'analyse du lait lui donnera dorénavant plus de certitude et de régularité, 196 PUBLICATIONS NOUVELLES. A NATURAL HISTORY OF MAMMALIA. — /istoire naturelle des Mammiferes x par M. WATERHOUSE, conservateur-adjoint au Musée britannique (1). Cet ouvrage est un Species destiné à faire connaître les Mammiféres sous le rapport anatomique aussi bien que sous le point de vue de leurs mœurs, de leurs caractères extérieurs et de leurs affinités zoologiques. La description des espèces fossiles s’y trouve rapprochée de celle des espèces vivantes, et des figures nom- breuses facilitent l'intelligence du texte. A en juger par les deux premières livrai- sons qui viennent de paraître, ce travail sera en tout point digne de la réputa- tion dont son auteur jouit déjà parmi les naturalistes, et ne pourra manquer d'être très utile à la science. LEHRBUCH DER VERGLEICHENDEN ANATOMIE. — Manuel d'Anatomie com- parée ; par MM. SIEBOLD et STANNIUS. — 1 vol. in-8. La portion de ce Manuel consacrée à l'histoire anatomique des animaux sans vertèbres est écrite par M. Siebold, dont nos Annales ont souvent enregistré les recherches importantes, et M Stannius y traite des vertébrés. Ce livre est un résumé concis de l'état actuel de la science, et c'est avec plaisir que nous croyons pouvoir annoncer qu'une traduction française ne tardera pas à en être publiée par un des jeunes licenciés de notre Faculté des Sciences, M. Curty. DESCRIPTION des Mollusques terrestres et fluviatiles du Portugal; par M. A. MORELET 2). Dans ce travail, l'auteur décrit et figure avec beaucoup de soin les diverses coquilles terrestres et fluviatiles qu'il a recueillies pendant un voyage en Portugal, savoir : 6 espèces d'Arions, 8 Limaces, 1 Parmacelle, 1 Testacelle, 4 Vitrion, 4 Succinées, 28 Hélices, 6 Bulimes, 7 Maillots, 1 Clausihe, # Auricules, 8 Pla- norbes, 6 Limnées, 2 Physes, 2 Ancyles . 1 Cyclostome, 6 Paludines , 4 Néré- tines, 1 Mélanie, 4 Cyclades, 6 Anodontes, et 6 Mulettes. CATALOGUE des Lépidoptères d'Europe, distribués en familles, tribus et genres, avec l'exposé des caractères sur lesquels ces divisions sont fon- dées, et l'indication des lieux et de l’époque où l'on trouve chaque es- pèce, pour servir de complément et de rectification à l’Histoire natu- relle des Lépidoptères de France, par M. Duponchel {3). (1) In-8 avec fig. Londres, 1845, chez Baillière. (2) Un vol. in-8. Paris, 4845, chez Baillière. (3) Un vol. in-8. Paris, 1845, chez Méquignon-Marvis. MÉMOIRE SUR LE SYSTÈME NERVEUX ET SUR L'HISTOLOGIE DU BRANCHIOSTOME ou AMPHIOXUS (Branchiostoma lubricum Costa: Amphioæus lanceolatus Yannett (4 }}s Par M. À. DE QUATREFAGES. L’Ampbhioxus, cet être singulier que l’on peut regarder à juste titre comme le dernier représentant connu du type des animaux vertébrés, a déjà occupé bien des naturalistes. Pallas, le pre- mier, le décrivit et le représenta (2) ; mais n'ayant à sa disposi- tion que des exemplaires conservés dans la liqueur , il se méprit sur la nature de cet animal , et le désigna sous le nom de Zimax lanceolatus. M. Costa le retrouva , en 1834, sur la côte de Naples: le regarda comme présentant le type d'un nouveau genre de Poissons , et lui donna le nom de Branchiostoma Lubricum , dési- gnation empruntée aux cirrhes qui entourent la bouche, et que ce naturaliste avait d'abord pris pour des branchies (3). Plus tard, il lui consacra un travail plus considérable dans sa Faune du royaume de Naples (4). M. Yarrell , en 1836, recut de M. Cauch plusieurs exemplaires recueillis sur les côtes de Cornouailles, et les décrivit dans la se- (1) L'Amphioxus, décrit et figuré pour la premiere fois par Pallas sous le nom de Limax lanceolatus, avait été complétement oublié par les naturalistes, lorsqu'il fut découvert de nouveau par M. Costa, en 1834. Ce savant lui donna le nom de Branchiostoma lubricum. Ce n'est que deux ans après, en 1836, que M. Yarrell, décrivant le même animal d'après des exemplaires recueillis par M. Cauch, pro- posa de le désigner sous le nom d’Amphioæus lanceolatus. La priorité"appartient donc incontestablement au professeur de Naples ; mais comme le nom adopté par ce naturaliste repose sur une idée inexacte, peut-être devra-t-on préférer celui qu'a employé M. Yarrell. (2) Spicilegiu soologica, fase. +. (3) Cenni z0ologici ossia descrizione sommaria delle specie nuove di animali discoperti en diversa contrade del regno nell, anno 4834. (4) Fauna del regno di Napoli. 1839. 3" série. Zooz. T. IV. (Octobre 1845.) 4 IE 198 VOYAGE EN SICILE, conde partie de son histoire des Poissons de la Grande-Bre- tagne (1). Il reconnut le premier les rapports qui unissent l’Am- phioxus aux Cyclostomes. En 1834 , MM. Sundewall et Lowen avaient aussi trouvé dans la Baltique l'animal dont nous parlons. Mais les exemplaires re- cueillis par eux demeurèrent longtemps oubliés; et ce fut seule- ment en 1838 que M. Fries retrouva l’Amphioxus, sans rien savoir de la découverte de MM. Sundewall et Lowen. L'anatomie de l’Amphioxus a donné déjà naissance à un grand nombre de travaux. Indépendamment des recherches dues à MM. Costa et Yarrell, MM. Retzius en 1839 (2), Rathke en 18/41 (3), Goodsir la même année (4), publièrent sur ce sujet des détails importants. En 1841, MM. Müller et Retzius firent ensemble le voyage de Bohuslan pour aller étudier sur les lieux mêmes et sur des individus vivants une organisation si exception- nelle. Le résultat de leurs recherches parut en extrait au mois de décembre de la même année (5), el a été depuis publié en entier dans les Mémoires de l Académie des Sciences de Berlin. Enfin, M. Kaælliker a publié dans les #rchives de Müller une Note inté- ressante sur le même sujet (6). De tous ces travaux le plus important sans contredit est celui qu'a publié M. Müller ; ses recherches faites en commun avec M. Retzius ne laissaient pas grand’chose à faire sur plusieurs points de l'anatomie proprement dite de l’Amphioxus. Mais ayant appris, pendant mon séjour à Messine, que ces deux naturalistes ne s'étaient pas occupés d’une manière spéciale de son histologie, je pensai qu'il pourrait être intéressant de faire sur ce sujet quel- ques observations. La nature même de ces recherches me con- duisit, en ce qui touche le système nerveux et les organes des ) History of British fishes. 1836. ) Monatsbericht der Academie der Wissenschaften. November 1839. ) Bemerkungen über den Bau des Amphioæus lanceolatus. 1841. (1 (Z (8 (4) Annals of natural history, &. VIT. — Transactions of the royal Sociely of Edinburgh, &. XV. (5) Monatsbericht der Academie der Wissenschaften. December 4841. (6) Arch. fur Anat. und Phys 1843 DE QUATREFAGES. — SUR L'AMPHIOXUS. 199 sens, à des résultats qui complètent , en les confirmant d’ailleurs sur plusieurs points essentiels, ceux qu’avaient obtenus les savants illustres que je viens de nommer. Ce sont ces résultats qui font le sujet du Mémoire actuel; mais, avant de les exposer, il ne sera peut-être pas inutile pour quelques uns des lecteurs des Annales de rappeler succinctement ce que nous ont appris sur l'anatomie de l’Amphioxus les naturalistes qui se sont occupés déjà de ce curieux animal. Le beau Mémoire de M. Müller nous servira principalement de guide dans cette courte analyse. DESCRIPTION ET HISTOIRE NATURELLE. On a pu voir, d'après ce qui précède, que l’Amphioxus habite probablement toutes nos mers européennes. On l'a trouvé dans la Baltique, sur les côtes d'Angleterre, aux environs de Naples. Je l'ai pêché en grande abondance près de Messine , sur un banc de sable situé à quelques mètres du rivage, entre le gouffre de Carybde et la langue de terre qui se prolonge jusqu’à l'entrée du port. M. Kroyer l’a aussi retrouvé au Brésil. Ce naturaliste, ayant cru reconnaître quelques différences entre les individus de cette contrée éloignée et ceux qu'on pêche en Europe , les avait décrits comme une espèce distincte sous le nom de Branchiostoma Mäülleri. Mais M. Müller, après une comparaison attentive de ces échantillons, à cru devoir les regarder comme appartenant à l'espèce européenne. Partout l’Amphioxus habite des bancs de sable, où il trouve à la fois une nourriture abondante et un abri. En effet, il se nour- rit uniquement d'Infisoires, de Bacillaires et de détritus orga- niques , qu'il fait pénétrer dans sa cavité digestive à l’aide seule- ment des cils vibratiles qui couvrent une portion de la bouche et de la cavité branchiale. Ces matières abondent dans les loca- lités qu'il habite , et il peut se les procurer aisément, grâce à la facilité avec laquelle il se fraie un chemin au milieu d’un sable même assez ferme. Lorsqu'on le met à découvert, et qu’on le laisse libre un seul instant, on le voit s’enfoncer avec une rapi- dité extrême, et s’enterrer de nouveau; il exécute cette manwuvre 200 VOYAGE EN SICILE. avec une prestesse telle qu'il disparaît en un clin d'œil, et échappé souvent à la main qui cherchait à le saisir. L'Amphioxus (1) a au plus 2 pouces de long ; la hauteur de son corps est, à la longueur totale, à peu près dans le rapport de 1 à 10 ; son épaisseur, dans celui de ? à 10. Son corps est allongé, comprimé latéralement, aminei et terminé en pointe aux deux extrémités. La face dorsale tout entière et le tiers postérieur de la face ventrale forment une espèce de carène ; les deux tiers antérieurs de cette dernière sont plus larges et arrondis. Sur la ligne médiane, tout autour du corps, on voit une espèce de bordure membraneuse, transparente, que Pallas avait déjà reconnue et désignée sous le nom de limbus membranaceus. Cette membrane , assez étroite et d’une étendue à peu près uniforme sur le dos, s’élargit en avant et surtout en arrière, en présen- tant la forme d’une lancette à pointe mousse, et entoure ainsi les deux extrémités du corps. A la face ventrale, cette bordure est interrompue, vers le tiers postérieur de l'animal, pour livrer pas- sage à une ouverture désignée par les auteurs et par Müller lui- nsême sous le nom de pore abdominal (2), et qui n’est autre chose que l’orifice postérieur de l'appareil respiratoire. À partir de ce point où la bordure dont nous parlons est assez large , elle va en diminuant en avant, où elle est à peine marquée vers le tiers an- térieur , et en arrière jusqu’au point où elle s’élargit brusquement de nouveau en forme de lancette, comme nous l’avons dit plus haut. La bouche de l’Amphioxus (3) est placée sur la face ventrale en arrière de la portion élargie antérieure de la bordure membra- neuse; elle consiste en une ouverture longitudinale, elliptique , qu'entourent les espèces de cirrhes en nombre variable (de douze ou quinze de chaque côté), bordée par un anneau cartilagi- neux formé de pièces séparées, dont chacun porte une branche qui pénètre dans un des cirrhes. La peau qui recouvre cette espèce de charpente, forme le long de ces derniers , comme de petites épines à sommet arrondi : ce sont ces cirrhes que M. Costa, qui (1) PI A3 fe. 4: (2) PI. 453, fig. (3) PIONS fig" /;et PIM'0E DE QUATREFAGES. — SUR L'AMPHIOXUS. 201 les a décrits le premier, avait regardés d’abord comme les bran- chies de l’animal. L’anus (1) est placé fort en arrière au-delà du point où la bor- dure membraneuse s’élargit en forme de lancette; il s’ouvre sur le côté gauche de la face abdominale du corps, tout auprès de la membrane qui occupe la ligne médiane. M. Müller fait observer que cette position exceptionnelle de l’anus , placé sur le côté de la nageoire anale , rappelle l’anomalie toute semblable que présente le Lepidosiren. La peau de l’Amphioxus est légèrement irisée et entièrement transparente : aussi laisse-t-elle apercevoir les masses muscu- laires latérales disposées d’une manière régulière, à peu près comme chez les Poissons ordinaires (2). Pallas, qui avait observé cette circonstance , tout en méconnaissant la nature des parties qu'il observait, en parle dans les termes suivants : Latera striis obliquatis prope dorsum angulo recurvatis ut quasi latus pisciculi desquamatum referant. Nous ajouterons que, sur le milieu des faces latérales, les masses musculaires supérieures et inférieures se joignent en formant un angle dont la pointe est dirigée en avant , et que l’ensemble de ces muscles se termine en pointe d’une manière très nette, aussi bien en avant qu’en arrière du corps. À l'extrémité antérieure, ils arrivent jusqu'au-dessus de la bouche seulement (3) ; à l’extrémité postérieure , ils dépassent de beaucoup l'anus, et arrivent jusque tout près de la terminaison du corps (4). Squelette. On ne peut presque pas dire que l’Amphioxus possède un sque- lette. Les seules parties auxquelles leur consistance et la nature de leur tissu puissent faire donner ce nom sont : dans le corps , une corde dorsale; à la bouche, l'appareil cartilagineux dont nous avons parlé, et, aux branchies, des espèces d’arcs que nous 3) PL 10. (1 (2) PL 40, et PI. 12, fig. 4. { (5) PL. 12, fig. 1 202 VOYAGE EN SICILE. décrirons plus loin. Toutes les autres parties qui servent de point d’attache aux muscles et déterminent la forme générale da corps, consistent en de simples lames d’une structure fibreuse. M. Müller observe avec raison que, sous ce rapport encore, il ya une grande analogie entre l'animal qui nous occupe et les Myxi- noïdes. Chez les uns et les autres, les éléments qui représentent le squelette consistent en une corde dorsale, ayant son fourreau fibreux particulier, le tout entouré d’une couche fibreuse, creusée d’un canal, où est placé le système nerveux central, et dont les prolongements vont former les parois du corps. Toutefois il y a une différence remarquable , c’est que le canal qui renferme la moelle épinière de l’Amphioxus ne se dilate pas en avant pour former une cavité crânienne. Les naturalistes qui ont précédé Müller dans l'étude de cet être singulier avaient même cru qu'il se terminait en pointe en avant aussi bien qu’en arrière. Le naturaliste de Berlin a fait remarquer avec raison que celle terminaison antérieure était mousse et arrondie. Nous re- viendrons d’ailleurs plus loin sur ce point. C’est à cette extrémité, en avant et un peu sur le côté, que l’on voit, à l’aide du micro- scope, deux points colorés (1), découverts et caractérisés, comme les yeux, par M. Retzius. : La corde dorsale, dont nous parlerons plus bas avec détail, s'étend d’une extrémité à l'autre du corps, et dépasse en avant aussi bien qu’en arrière les masses formées par les muscles laté- raux. Elle se prolonge donc de beaucoup au-delà de la bouche et même de la terminaison antérieure du système nerveux cen- tral (2). Ce serait peut-être ici le lieu de parler des nageoires et des grandes cellules que Müller regarde comme représentant leurs rayons (3); mais nous reviendrons plus loin avec détail sur ce sujet. (1) PI 10 et PI. 11.— Dans les exemplaires que j'ai examinés, ces points sont rouges et non pas noirs, comme l'ont dit MM. Retzius et Müller. Serait-ce un caractère de variété? (2) PL. 10 et 14, et PI. 12, fig. 1 (3) PL 13, fig. 4, et PI. 10 et 11 DE QUATREFAGES. — SUR L'AMPIIOXUS. 203 Cavité branchiale et abdominale. Nous avons dit plus haut que la bouche était entourée d’un an- neau cartilagineux composé de pièces articulées, dont chacune por- tait un prolongement qui pénétrait dans les cirrhes buccaux (1). MM. Yarrell et Goodsir avaient regardé cet appareil comme repré- sentant les mâchoires ou los lingual ; mais M. Müller pense avec raison qu'il ne correspond ni à l’une ni à l’autre de ces portions du squelette des Poissons ordinaires. Selon ce naturaliste , cet an- neau doit être rangé dans la catégorie des cartilages buccaux , que , dans son Anatomie comparée des Myxinoïdes , il a montré constituer un système particulier propre aux Poissons cartilagi- neux. La cavité buccale (2) est tapissée par une membrane muqueuse, et séparée de la cavité branchiale par une sorte de repli portant en arrière des espèces de franges mobiles (3). En avant et dans l’inté- rieur même de la cavité buccale, on apercoit par transparence des organes rotaloires (Müller, très singuliers : ce sont des espèces de digitations qui forment sur la muqueuse buccale une très légère saillie (4), et dont la surface est couverte de cils vibratiles qu’on distingue très nettement sur leurs contours. En jetant dans l’eau où se trouve l’animal de l’indigo finement pulvérisé, on voit les particules, entraînées par le courant que détermine le mouvement des cils, se diriger directement d'avant en arrière , et passer de la cavité buccale dans la cavité branchiale. Müller fait remarquer ici que , chez l'Amphioxus comme chez les Rotifères, le courant produit par l'organe rotatoire n’a nullement la direction qu'on serait tenté au premier coup d’æil de lui attribuer , et ne doit pas être confondu avec ces espèces d'ondes qui semblent suivre les contours de l'organe cilié. Cette observation est juste, et sera pée par les cils vibratiles ne se distingue du reste. que par la présence même des cils 204 VOYAGE EN SICILE. comprise de tous les micrographes. On sait que ces ondes , ainsi que les autres apparences que présentent les surfaces et les or- ganes couverts de cils vibratiles , dépendent uniquement , comme l’a démontré M. Dujardin, des jeux de lumière produits par le mouvement même des cils. En arrière de la cavité buccale se trouve le boyau ou canal bran- chial (Müller), qui se prolonge jusque vers le milieu du corps de l'animal, se rétrécit sur ce point, et se continue pour former le canal alimentaire : l’un et l’autre sont donc placés dans la cavité abdominale. Le canal branchial est soutenu par une sorte de charpente très singulière que MM. Retzius et Goodsir ont décrite les pre- miers . et que Müller a fait connaître dans le plus grand détail. Elle consiste en un nombre considérable , et variable avec l’âge des individus, de petites côtes étroites, aplaties, et d'un dia- mètre égal dans toute leur étendue. Ces côtes, à la partie supé- rieure de l’appareil, c’est-à-dire au côté dorsal, sont réunies ensemble, de manière à former une suite d’arcades demi-circu- laires ; elles sont entièrement libres au côté ventral. Ces parties solides de l’appareil respiratoire ne sont pas entièrement sem- blables entre elles. Les unes ont une tige simple ; les autres , au contraire, se bifurquent à leur extrémité inférieure , et chacune des branches résultant de cette division se recourbe en avant et en arrière à la rencontre des branches semblables fournies par les côtes voisines , et forme ainsi une sorte d’ogive dont la pointe est dirigée en bas. Entre ces côtes bifurquées est toujours placée une côte simple , qui se termine près du sommet de l’ogive. Les côtes fourchues sont, en outre, réunies entre elles par de petits barreaux transverses de même substance , qui semblent partir de la côte simple, et il en résulte que la charpente entière semble formée d’une suite d’échelles placées à côté les unes des autres , et dont les barreaux ne se correspondraient pas. Le nombre de ces bar- reaux transversaux n’est point fixe, et augmente avec la taille de l'animal (1). Toutes ces parties solides sontrevêtues intérieurement d’une sorte (1) PL 40. DE QUATREFAGES. — SUR L'AMPIHOXUS. 205 de membrane muqueuse qui ne passe pas d’une côte à l’autre, et qui, par conséquent, ne remplit pasla fente qui existe entre chaque côte etses voisines. Il y a donc autant de fentes aux parois de cet appa- reil qu’il y a d’intervalles intercostaux ; en sorte que, chez les indi- vidus adultes, le nombre de ces fentes branchiales s'élève à cent et plus. Comme l’intérieur de la cavité et les bords mêmes de ces fentes sont couverts de cils vibratiles très serrés , et que les fentes sont déjà très étroites par elles-mêmes. il ne reste plus entre les cils qu’une solution de continuité excessivement étroite, ce qui explique comment Rathke et Goodsir ne l’ont pas apercue, et ont cru que le Branchiostome était privé de fentes branchiales. En placant un Amphioxus dans de l’eau colorée par l’indigo, et l’observant au microscope, on voit les particules colorées, qui pénètrent dans le canal branchial, se diriger en partie vers l’ori- fice du canal digestif , et pénétrer dans l’intestin ; mais une autre partie traverse les fentes branchiales , et arrive dans la cavité abdominale. Là, il n’y 2 plus de mouvement ciliaire ; mais l’eau qui afflue sans cesse à travers les branchies forme un courant con- tinu qui entraîne l’indigo et sort par le pore abdominal, dont les lèvres latérales , sans cesse en mouvement , élargissent et rétré- cissent alternativement cet orifice. En arrière du pore abdominal se termine la portion de la cavité abdominale perméable à l’eau, et les parois musculaires du corps embrassent étroitement la der- nière portion de l'intestin. La cavité où est placé l'appareil branchial que nous venons de décrire renferme également la plus grande partie du tube alimen- taire, le foie, Jes organes génitaux et les reins. M. Müller observe qu'elle joue, par conséquent, un double rôle, celui de cavité ab- dominale , et, de plus, celui de cavité respiratoire et branchiale. Sous ce dernier rapport, on doit surtout la comparer à ce qu'on observe chez les Poissons qui, comme les Symbranches , ne pos- sèdent qu'un seul pore respiratoire, Appareil digestif. L'appareil digestif de l’Amphioxus présente, dans plusieurs de ses parties, une dégradation remarquable. Le tube branchial que 206 VOYAGE EN SICILE. nous venons de décrire se termine, en arrière, par un canal court et étroit : c’est l’œsophage. Celui-ci s'ouvre dans un intestin plus large, que la couleur toujours verte de ses parois permet de distin- guer facilement. Un peu au-delà de lorifice interne de l’æso- phage, on voit se détacher de l'intestin un long cæeum presque aussi large que l'intestin lui-même , et qui est placé à droite et à côté de la moitié postérieure du tube branchial (4). Ce cœcum n’est autre chose que le foie, que nous trouvons ici réduit à sa plus simple expression. Müller ajoute qu'il faut peut-être regarder, en outre, comme représentant le foie, toute la partie de l'intestin qui est colorée en vert, cette teinte étant due à une couche de struc- ture glanduleuse placée à l’intérieur de l'intestin. Tout le canal intestinal, ainsi que le cœcum hépatique , est couvert intérieurement de cils vibratiles. Le mouvement ciliaire est surtout très marqué dans la partie de l'intestin qui suit immé- diatement la portion colorée en vert. C’est là que commence la formation des excréments. On y rencontre toujours une espèce de corde de matières brunätres et comme colorées par la bile, qui tourne très vite sur son axe sous l'impulsion d’un mouvement ci- liaire très vif. Nous avons vu plus haut que la déglutition se faisait aussi uniquement par l’action des cils vibratiles. Ces singuliers or- ganes semblent remplacer ici entièrement l’action musculaire dans les actes nécessaires pour avaler les aliments et leur faire par- courir le tube digestif. Du moins, Müller n’a observé d’autres mouvements pouvant être rapportés à l’action des muscles que celui que présentent les franges placées entre la bouche.et la ca- vité branchiale, franges que l’on voit, par moments, se porter en dedans. Faisons remarquer ici avec le naturaliste allemand dont nous analysons le travail, que l’'Amphioxus est, de tous les animaux vertébrés, le seul dont l'intestin présente des cils vibratiles, et le seul Poisson dont les branchies possèdent ces mêmes cils. Nous reviendrons plus loin sur les conséquences qui découlent de ce fait. (1) PL 43, fig. A. DE QUATREFAGES. — SUR L'AMPHIOXUS. 207 À la partie postérieure de la cavité respiratoire et tout-à-fait dans le voismage du pore abdominal, on voit, à l’aide du mi- croscope, chez tous les individus vivants, de petits corps glandu- leux séparés les uns des autres. M. Müller pense que ce pourraient bien être les reins; mais il fait remarquer qu'il n’a jamais pu les retrouver par la dissection. Appareil de la génération. Les ovaires consistent en un tissu cellulaire lâche entouré d’une membrane mince, mais résistante , et close de toutes parts. L'un de ses côtés adhère aux parois du ventre, ou mieux, de la cavité thoraco-ventrale; le reste est recouvert par le péritoine, qui pré- sente sur toute cette partie une couleur brunâtre. Costa, qui, le premier, reconnut ces organes, observa que, chez les mâles, les testicules occupent la place des ovaires. On ne trouve, au reste, ni oviductes ni canaux déférents. Les produits des organes géné- rateurs ne peuvent sortir au dehors que par le pore abdominal , en traversant la cavité abdominale. L'observation directe confirme cette conclusion tirée des faits anatomiques. M. Retzius a trouvé des œufs entièrement libres dans cette cavité. J'ai fait aussi la même observation, et j'ai plusieurs fois constaté la sortie des œufs par le pore abdominal. Les individus que je conservais dans mes vases se débarrassaient peu à peu des œufs qu'ils portaient, ce qui peut faire supposer que la ponte n’a pas lieu en une seule fois. Cependant il serait possible que les choses se passassent au- trement pour des animaux en liberté, et trouvant sans cesse au- tour d’eux une nourriture abondante. Appareil circulatoire. Nous donnerons avec détail la description de l’appareil cireu- atoire, tel que Müller l’a décrit. Nos lecteurs comprendront sans peine tout l'intérêt qui s’attache à ce sujet. En effet, cet appareil, tout en conservant des ressemblances avec ce qu’on observe chez les autres Poissons , présente la plus grande analogie avec ce qui existe chez les Vers (Müller), et plus particulièrement chez les Annélides. Nous ne trouvons plus ici un cœur unique, comme chez 208 VOYAGE EN SICILE. tous les autres Vertébrés ; mais le nombre des organes contrac- tiles destinés à donner l'impulsion au sang se multiplie d’une ma- nière qui rappelle, à beaucoup d’égards, ce qu’on voit chez les Eunices. Nous reviendrons, d’ailleurs, sur ces rapprochements analogiques dans les considérations générales qui termineront ce Mémoire. Nous ferons remarquer d’abord , comme l’a fait M. Müller lui- même, que les observations qui suivent n'étaient possibles que sur des individus assez petits et assez transparents pour être soumis, vivants, à l'inspection microscopique. C’est pour avoir travaillé sur des individus conservés dans l’alcool que des hommes d’un grand mérite, comme Rathke, Goodsir , etc., ont commis des méprises bien excusables et bien faciles à expliquer pour tout naturaliste fa- miliarisé avec l'étude des animaux inférieurs. L'étude des animaux transparents, observés pendant leur vie, à l’aide du microscope, est certainement destinée à jeter les lumières les plus vives et les plus inattendues sur les points les plus obscurs de la zoologie et de la physiologie générale : aussi sommes-nous bien convaincu que ce mode d'observation, qui vient d’être, à Paris, l’objet d'attaques très vives (1), sera de plus en plus adopté par tous les natura- listes sérieux. Nous n’en voulons pour preuve que ce qui se passe en Allemagne , d’où nous sont arrivés, depuis quelques années, tant de beaux résultats, puisés chez des animaux étudiés par transparence. M. Müller distingue dans l’appareil circulatoire de l’Amphioxus les parties suivantes : 1° le cœur artériel (dus arterienherz); 2 les bulbilles des artères branchiales (bulbillen der kiemenarterien) ; 3° l'arc aortique remplissant les fonctions de cœur (herzartige aor- tenbogen) ; 4° le cœur de la veine porte (pfortaderherz) 5° le cœur de la veine cave (das hohlvenenherz). Cœur artériel (2). Ce que Müller désigne sous ce nom n'est autre (1) On remarquera, du reste, que parmi les personnes qui se sont élevées contre ce mode d'observation, il n'en est pas une seule qui soit le moins du monde familiarisée avec l'étude des animaux inférieurs et avec l'emploi du microscope : la nature des critiques l'indique suffisamment. (2) PLUS, fig°4" DE QUATREFAGES. — SUR L'AMPIIOXUS. 209 chose qu’un vaisseau épais, d’un calibre uniforme, placé sur la ligne médiane, à la face inférieure du boyau branchial , entre les arcs formés par la charpente des branchies. On n’apercoit aucune trace de péricarde, et le cœur est revêtu, d’un côté seulement, par le péritoine. En arrière, le cœur dépasse l’appareil branchial jusque vers la terminaison de l’æsophage. Là, il se recourbe pour se réunir au cœur de la veine cave (1) qui lui-même n’est éga- lement qu’un long vaisseau. En regardant de profil, on voit ce cœur artériel se contracter rapidement, d’arrière en avant, dans toute sa longueur , jusque près de la cavité buccale. Avant la contraction, on voit ce cœur, rempli d’un sang parfaitement inco- lore, faire saillie tout le long de l’appareil branchial. Dans le maximum de la contraction , il se vide entièrement, si bien qu’on ne le distingue plus que comme un repli à peine sensible placé presque de niveau avec les terminaisons des arcs branchiaux. L'intervalle qui s'écoule d’une contraction à l’autre est d'environ une minute, pendant laquelle le cœur, qui s'était entièrement vidé, se remplit de nouveau peu à peu. Bulbilles des artères branchiales (2). Du cœur, que nous venons de décrire, se détachent de chaque côté d'une manière très régu- lière de petits bulbes placés entre les espèces d’ogives que forme la charpente branchiale. Ces bulbes sont le commencement des artères branchiales : on les voit se contracter immédiatement après le grand vaisseau d’où ils partent; ce sont donc autant de cœurs accessoires , et comme ils sont aussi nombreux que les in- tervalles laissés par les ogives des branchies, on voit qu'il en existe de chaque côté environ vingt-cinq chez les jeunes individus, cinquante et plus chez les adultes. On ne peut suivre plus loin la marche du sang dans les artères, mais il est probable que leurs rameaux se distribuent dans tout l’appareil branchial à l’aide des petits échelons transversaux dont nous avons indiqué précédem- ment l’existence. On ne peut reconnaître l’existence des veines branchiales chez les animaux vivants; mais en détachant avec précaution le boyau (1) PL 43, fig. 4, n. (2) PL 43, fig. 4, LL 3 série. Zooc. T. IV. (Octobre 1845.) à 414 210 VOYAGE EN SICILE. branchial , et le disposant sur une plaque de verre, on voit que l'aorte est placée au côté dorsal de l'appareil branchial , et qu’elle recoit des veines de chaque arc branchial. Are aortique remplissant les fonctions du cœur. Le sang n’arrive pas dans l'aorte seulement par la voie des branchies ; il y par- vient encore à l’aide de deux arcs aortiques ou conduits de Botalt (ductus Botalli) , qui unissent directement le cœur artériel médian et l’aorte (1). Ces conduits de Botal sont en quelque sorte la con- tinuation du cœur lui-même, dont ils égalent presque le calibre ; ils sont placés, des deux côtés, en arrière de la cavité buccale, dans le voisinage et en avant de la bande comme cartilagineuse à laquelle adhèrent les franges qui entourent l’origine de la cavité branchiale. Chez les très jeunes individus , on les distingue nette- ment, surtout au moment de la contraction qui suit immédiate-- ment celle du cœur aortique ; car ces conduits sont eux-mêmes contractiles, et remplissent les fonctions de cœur. L'’Amphioxus n’est pas le seul poisson qui possède des arcs aortiques analogues à ceux que nous venons de décrire , mais c’est le seul chez lequel ces arcs remplissent les fonctions de cœur. Chez l'Amphipnous cuchia (Müller. — Symbranchus cuchia Cuvier), les ares branchiaux, qui manquent de branchies , présentent des arcs aortiques ; chez les Myxinoïdes , on trouve toujours les traces de ces ductus Botalli oblitérés ; chez le Monoptère , un quart du sang passe par des arcs aortiques placés sur le quatrième arc branchial. Ces arcs aortiques , chez les Myxinoïdes, sont placés en avant de la branchie antérieure , ce qui correspond à ce que nous venons de voir chez le Branchiostome. Nous mentionnerons aussi sous ce rapport l'arc aortique du Lepidosiren , car cet ami mal est vraisemblablement un Poisson. Bien qu'on ne puisse reconnaître l'aorte chez les individus vi- vants, il n'est pas douteux qu’elle doit, comme tous les autres grands troncs vasculaires, présenter des contractions , et remplir par conséquent les fonctions de cœur. Cœur de la veine porte (2). Le cœur de la veine porte est un long vaisseau qui règne sur le côté ventral de tout l'intestin, arrive (1) PI. 43, fig. 1, & (2) PL 13, fig. 4, 0 F4 DE QUATREFAGES. — SUR L'AMPHIOXUS. 21: jusqu'au cœcum hépatique, et s'étend jusqu’à la terminaison de ce dernier en s’atténuant peu à peu. Par suite de sa situation sur le côté ventral de tout l’appareil intestinal, on peut observer faci- lement les contractions en regardant l'animal de profil : on les voit commencer à la terminaison de l'intestin, et s'étendre rapi- dement jusqu'à l'extrémité du cæcum. L’intervalle de temps qui s'écoule d’une contraction à l’autre est considérable , comme dans le cœur artériel. Ce fait de la veine porte remplissant les fonctions de cœur n’est pas isolé. Dans les vivisections faites par Müller sur des Myxines, il a vu les sacs de la veine porte se contracter exactement comme des cœurs. Cœur de la veine cave (1). Ce cœur est placé à l’opposite du précédent, c'est-à-dire au côté dorsal du cœæcum hépatique. Il est d’abord d’un très petit calibre, et augmente peu à peu de dia- mètre jusqu'au point où le cœcum s’unit à l'intestin ; là il se ter- mine brusquement, ou mieux s’unit au cœur artériel en formant un coude très prononcé. Les contractions des deux cœurs placés à l'opposite l’un de l’autre, des deux côtés de l'intestin, alternent d’une manière régulière. Le sang revenant du reste de l'intestin parvient au cœcum par des ramifications capillaires, et retourne de là dans le système veineux du corps. Celui-ci ne peut se distinguer chez les animaux vivants; mais si on détache avec précaution le boyau branchial de la paroi dorsale, et qu'on le place sur une plaque de verre , on apercoit de chaque côté de l’aorte un vaisseau se rendant à l’arcade supérieure des branchies, Ces vaisseaux ne peuvent être que les représentants des veines moyennes du corps des autres Poissons. Les contractions des vaisseaux que nous venons de décrire se correspondent de telle sorte que les uns se remplissent pendant que les autres se vident. La contraction du cœur artériel ne re- commence pas avant qu'elle se soit accomplie dans tout le système de vaisseaux ; de plus, chaque tronc se contracte avec tant d'énergie qu'il semble se vider entièrement, et devient invi- (4) PL 43, fig. 1, n. 219 VOYAGE EN SICILE. sible pendant assez longtemps. Il suit de là que, chez l’Am- phioxus , la circulation s’accomplit dans l’espace de temps néces- saire pour embrasser la suite de tous ces mouvements de systole, et que, bien contrairement à ce qui existe chez les autres Verté- brés, une portion donnée du sang a parcouru tout le corps dans le temps qui s'écoule entre deux contractions d’une même partie du système vasculaire. D’après cela, la circulation chez le Bran- chiostome s’accomplit en une minute. Indépendamment des vaisseaux que nous venons de décrire, d’après Müller, Rathke a signalé deux larges canaux placés dans les replis cutanés qui recouvrent le ventre. Ces canaux s’ou- vrent en avant dans la cavité buccale , en arrière sur les côtés du pore abdominal. M. Müller a vu quelquefois des Infusoires vivants se mouvoir dans leur intérieur. 11 nous paraît probable qu'on pourrait les comparer jusqu’à un certain point au canal muqueux des Poissons ordinaires, dont MM. Vogt et Hirtel ont fait connaître avec détail la disposition , et qui, chez les Poissons ordinaires, communique d’un côté avec les veines, et de l’autre avec le liquide extérieur. 11 serait d’un grand intérêt de recher- cher si cette communication existe également dans l’Amphioxus ; mais ce fait serait, sans doute, d'une vérification très difficile, à raison de l’absence de toute coloration dans le sang de cet animal, et de l’excessive difficulté que présenterait l'injection de ces parties. Appareil musculaire. L'appareil musculaire du Branchiostome peut être regardé comme composé des parties suivantes : masses musculaires laté- rales:; muscles abdominaux; muscles de l’anneau buccal et des tentacules de la bouche; muscles de l'anneau frangé placé entre la cavité buccale et la cavité respiratrice ; muscles de l'appareil branchial. Masses musculaires latérales. Les masses musculaires latérales sont disposées comme chez les autres Poissons ; elles sont séparées par des prolongements fibreux intermusculaires qui leur servent de points d'attache, et qui forment des angles à côtés parallèles , DE QUATREFAGES. — SUR L'AMPHIOXUS. M3 dont la pointe esttournée en avant. Ces masses musculaires com- mencent en avant par une pointe aiguë, qui correspond un peu en arrière de l’extrémité antérieure du cordon nerveux cérébro-spinal. 1l en résulte que le système nerveux central et surtout la corde dorsale ont leur extrémité antérieure tout-à-fait à découvert (1). Cette pointe et les angles que forment les intersections muscu- laires sont placés à peu près sur l’axe de la corde dorsale (2). En arrière, ces muscles latéraux arrivent jusqu’à l'extrémité de la queue, où ils se terminent aussi en pointe (3). Ils forment toute la partie moyenne des parois du corps ; quant à la face ventrale et aux tiers latéraux inférieurs du ventre, ils sont revêtus par les muscles abdominaux. Muscles abdominaux. Ceux-ci forment deux couches distinctes : l'une supérieure, épaisse, a ses faisceaux transverses ; l’autre est composée de fibres longitudinales. Cette dernière s’attacke en avant aux bords latéraux et inférieurs de l’anneau buccal , et se termine sur les côtés du pore abdominal ; elle sert surtout à ouvrir la bouche , et à ouvrir et fermer le pore abdominal par des mou- vements réguliers qui, d’après ce que nous avons vu des fonctions de cette ouverture, semblent répondre à de véritables mouvements respiratoires. Muscles de l'anneau buccal. Is ont été décrits par M. Goodsir comme unissant l’une à l’autre les deux moitiés latérales de l’an- neau cartilagineux qui entoure la bouche. Muscles des cirrhes buccaux. Ces muscles, placés en dehors de l'anneau cartilagineux , paraissent avoir pour but de mouvoir les pièces articulées qui le composent, et par conséquent de mettre en mouvement les espèces de longues apophyses qui forment la partie solide des cirrhes (4). Muscles de l'anneau frangé (5). De la partie latérale inférieure de l'anneau buccal part de chaque côté un faisceau musculaire, qui (1) PL. 40 et PI. (2) PL 10. (3) PL. 12, fig. 1, 0,b. (4) PL 13, “rt 2, f. (5) PI. 4 ) 214 VOYAGE EN SICILE. va se perdre dans l’anneau fibreux placé entre les cavités buccale et branchiale; l’action de ces muscles tire en avant cet anneau et ies franges qu'il supporte. On voit d’après cela que ce mouve- ment , le seul qu’on apercoive dans cette partie du corps , ne sau- rait être regardé comme un mouvement de déglutition, Muscles branchiaux. Enfin les branchies paraissent posséder des muscles propres formant un double cordon sur chacun des arcs. Sous le microscope , on voit, d’après Müller, l'espèce de thorax branchial présenter des mouvements très vifs. En outre, si l’on coupe transversalement les arcs branchiaux , on voit bientôt sur leur milieu un double cordon qui se contracte en zigzag. Ce serait là, d’après le naturaliste allemand, deux faisceaux mus- culaires. * Système nerveux. J'aurais eu trop peu de chose à ajouter aux détails sur les di- vers appareils organiques du Branchiostome que je viens de dé- crire pour faire entrer mes propres observations en ligne de compte. Il n’en est pas ainsi pour le système nerveux , pour les organes des sens et pour l’histologie. Toutefois, je vais exposer d’abord ce qui a été dit par ceux qui m'ont précédé, puis j’expo- serai ce que j'ai cru reconnaître comme étant l’expression réelle des faits. Dans le système nerveux de l’Amphioxus, ce qui a frappé tout d’abord les naturalistes qui s’en sont oceupés jusqu'ici, c’est l’ab- sence complète, en apparence, de cerveau, ou, pour parler plus exactement, l’absence de renflement antérieur correspondant au cerveau. Au -dessus de la corde dorsale, ils ont vu le système nerveux central un peu plus épais vers le milieu du corps et s'étendant d’une extrémité à l’autre en s’atténuant légèrement. Ce centre nerveux se termine en pointe en arrière. Rathke et Govdsir ont cru qu'il en était de même en avant; mais Müller a fait observer avec raison qu’il n’en était pas ainsi, et que l’extré- mité antérieure était mousse et arrondie : aussi regarde-t-il cette extrémité comme représentant le cerveau, tandis que Rathke admettait que le système nerveux central de l’Amphioxus corres- pond seulement à la moelle épinière des autres Vertébrés. DE QUATREFAGES. — SUR L'AMPHIOXUS. 215 Rathke a décrit le premier une circonstance bien remarquable présentée par cette moelle épinière, et ses observations, confir- mées par Müller, paraissent exactes. Ce grand centre nerveux est canaliculé. Une coupe transversale fait reconnaître qu’il est de forme prismatique triangulaire. La face qui répond à la corde dorsale est légèrement concave et un peu plus étroite que les deux autres, qui sont convexes et se réunissent en dessus en formant une arête arrondie. Au milieu et dans toute son étendue règne un canal étroit fortement comprimé , et dans l’intérieur duquel se trouve, d’après Müller, la traînée de pigment dont l'existence avait été signalée par Goodsir et Rathke. Müller fait remarquer que la stracture de cette moelle épinière s’éloigne considérable- ment de ce qui se voit chez les Cyclostomes, où la moelle épinière est en forme de ruban. Quant au canal dont nous venons de parler, il observe avec raison qu’on ne saurait le regarder comme représentant les ventricules du cerveau. Il rappelle bien plutôt le canal qui existe chez les embryons des autres Vertébrés au moment où les bandelettes primitives de la moelle épinière se réunissent et forment un canal dont on a quelquefois retrouvé des traces à un âge même très avancé. Rathke avait dit que tous les nerfs qui émanent du système nerveux central présentent une disposition qui rappelle celle des nerfs de la moelle épinière; il ne reconnaissait ni nerf vague, ni trijumeau, ni facial. Enfin, il regardait les nerfs et les organes des sens comme faisant entièrement défaut. Cette dernière opi- nion n’était pas exacte."Retzius signala le premier l'existence, sur les côtés de la moelle épinière, de deux points oculiformes noirs. Müller confirma cette observation ; mais il ne reconnut pas d’au- tres organes des sens, et crut à l’absence complète des organes auditif et olfactif. Depuis, M. Kælliker fit connaître l’organe qu’il regarde comme olfactif, et le décrivit avecexactitude. Nous revien- drons plus loin sur ces divers points. Müller remarque, comme Rathke, que tous les nerfs se distri- buent d’une manière à peu près uniforme, et à la facon des nerfs spinaux. Je ferai voir plus loin que ceux qui sortent du cerveau font exception à cette règle générale, et que l’opinion émise par 216 VOYAGE EN SICILE. l'illustre naturaliste de Berlin tient à ce qu'il a pris la troisième paire pour une simple branche de la seconde (les nerfs optiques qui n’ont pas encore été décrits forment la première paire). Quant aux nerfs spinaux proprement dits, Müller les a très bien décrits en quelques mots. A leur origine, ils forment un tronc unique qui se partage bientôt en deux branches ; l’une supérieure, l’autre inférieure. La première est sensiblement plus mince que la se- conde. Je n’ai pas pu, plus que le naturaliste dont je résume ici le travail, suivre les nerfs jusque sur les branchies; mais je crois avec lui que l'organe respiratoire doit recevoir des rameaux venant des uerfs spinaux. Leur distribution en ce cas rappellerait ce que je montrerai plus loin avoir lieu pour les premières paires, dont les dernières ramifications se distribuent aux appendices buccaux. Il serait possible aussi, comme je le ferai voir, que la seconde paire envoyàt ses derniers filets jusque dans l'appareil branchial. Ainsi que je l'ai dit plus haut, mes observations personnelles sur le système nerveux de l’Amphioxus sont généralement d’ac- cord avec celles de l’illustre professeur de Berlin, Sur quelques points, elles les complètent; et, si elles en diffèrent sur quelques autres, cela tient sans doute à la nature même des préoccupations qui ont guidé chacun de nous dans ses recherches, et ont déter- miné nos moyens d'investigation, Je voulais d’abord faire seule- ment l’histologie du singulier animal que j'avais sous les yeux. Il me devenait, dès lors, nécessaire d’être bien positivement fixé sur la nature de l'organe que j’étudiais, sur sa délimitation précise , afin de ne pas rapporter à une partie du corps la texture qui au- rait appartenu à une autre. Cette nécessité m'a conduit à recon- naître des détails qui ont pu très facilement échapper à celui que préoccupait seulement la grande anatomie. Ces détails, à leur tour, m'ont mis sur la voie de quelques autres; et c’est ainsi que j'ai été conduit à quelques résultats qui peut-être offri- ront de l’intérêt aux naturalistes. Au reste, dans un animal aussi singulier, aussi exceptionnel que le Branchiostome, rien, pour ainsi dire, ne peut être indifférent, et il est à désirer que son or- ganisation soit approfondie d’une manière aussi complète que possible. DE QUATREFAGES. — SUR L'AMPHIOXUS. 217 Il est difficile de s’assurer si Müller accorde ou non une enve- loppe propre au système nerveux central. Son texte n’en dit rien. Dans la coupe qu’il donne du corps entier de l’animal (4), on ne distingue rien de semblable. Dans la coupe plus grossie qu'il a figurée pour la partie dorsale seulement (2), on dirait bien qu'il a voulu représenter une enveloppe propre à la moelle épinière ; mais l'explication de la planche n’en dit rien, et mentionne seulement la moelle épinière, son canal médian, et le pigment qui, comme nous l'avons vu, forme une traînée d’un bout à l’autre (3). M. Goodsir admet de la manière la plus explicite l'existence d’une enveloppe propre, qu'il désigne sous le nom de pie-mère, et qu'il dit être d’une grande délicatesse (4). Non seulement le système nerveux central de l’Amphioxus m’a paru enveloppé complétement dans une couche particulière évi- demment destinée à lui servir de fourreau propre; mais, de plus, cette gaîne est remarquablement épaisse et solide. En outre, elle n’est pas adhérente immédiatement à la moelle épinière. Elle en est, au contraire, séparée par un intervalle assez considérable. C'est surtout à la terminaison antérieure du grand cordon ner- veux dont nous parlons que ce fait est assez facile à vérifier (5). Cette couche me paraît avoir été confondue, par les natura- listes qui m'ont précédé dans l’étude de l’Amphioxus, avec les couches fibreuses qui constituent le squelette de l’animal ou bien avec l’axe nerveux lui-même. Je la crois, en tout cas, très dis- tincte de la couche fine décrite par Goodsir. Celle dont je parle ici est épaisse. En avant, elle a environ Æ de millimètre d'épaisseur. Sa texture est fibreuse, et les Fee ee entrent dans sa composition sont toutes longitudinales, mais non placées d’une manière très régulière, parallèlement les uns aux autres (6). En avant, elles se recourbent pour clore le canal (1) Loc. cit., pl. 4, fig. 4. (2) Loc. cit., pl. 5, fig. 3. (3) Loc. cit., p. 40. ( Transeions of the R. Soc. of Edinburgh, t. XV, p. 252. (5) P , et Pl.13, fig. 7 ] se fig. 7. 4 5 (6 918 VOYAGE EN SICILE. qu'elles forment. En arrière, elles sont beaucoup moins dis- tinctes. Cette couche est perforée par les nerfs qui sortent du système nerveux central, et leur fournit peut-être une gaîne. Je crois qu’on admettra assez facilement qu’elle correspond à la dure-mère. Entre la dure-mère et l’organe qu’elle protège se trouve un vide bien marqué en avant, mais qui diminue rapidement en arrière (1); il disparaît presque entièrement vers la terminaison postérieure de l'appareil, et ne se prolonge pas jusqu'à la der- nière extrémité de la moelle épinière que nous décrirons plus bas. Il est plus grand inférieurement, c’est-à-dire entre la moelle épinière et la corde dorsale qu’à la partie supérieure (2). Cet es- pace m’a paru rempli d'un liquide parfaitement incolore , trans- parent , et dans lequel je n’ai pu apercevoir aucune trace de glo- bules. C'est au milieu de ce liquide qu'est placé l’axe cérébro-spi- nal (3); celui-ci m’a semblé recouvert d’une seconde membrane hyaline d’une ténuité extrême , et dans laquelle je n’ai apercu au- cune trace de fibres. La forme générale de cet axe cérébro-spinal me paraît avoir échappé jusqu’à présent aux naturalistes qui se sont occupés de l’Amphioxus. Il présente bien certainement des renflements cor- respondant à l’origine des nerfs, renflements que séparent au- tant d’étranglements, de telle sorte que l’appareil tout entier paraît formé par une suite de ganglions allongés. M. Goodsir paraît avoir entrevu cette circonstance remarquable; mais il l'a attribuée à une erreur d'optique produite par la présence du pig- ment plus abondant en face de l’origine des nerfs. Cette explica- tion même prouve que j'ai tenu compte de la présence des masses pigmentaires signalées par l'observateur anglais ; car leur effet serait de placer les étranglements là où je place au contraire (1) Cet intervalle est un peu exagéré dans les deux figures d'ensemble, Plan- ches 10 et 11. La figure 7, Planche 13, en donne une idée plus exacte. (2) PL 40; PI. 44 et PL. 13, fig. 7. (3) J'emploie ce mot comme rendant bien l'idée que l'on doit attacher à cet appareil, où le cerveau et la moelle épinière semblent si bien confondus. DE QUATREFAGES. — SUR L'AMPIIOXUS. 219 les renflements. Je crois d’ailleurs que M. Goodsir n’a pas vu l’axe cérébro-spinal lui-même , et que tout ce qu'il dit de cet organe ne doit s'appliquer qu’à la masse entière revêtue de sa dure-mère. Dans ce cas, ses observations seraient justes : car , en effet, celle- ci présente bien la forme qu'il lui attribue , si ce n’est qu’elle se termine brusquement en s’arrondissant en avant. Au reste , lors- que je reconnus le fait que je signale pour la première fois, je cherchaï à me mettre à l’abri de toute chance d'erreur. Je tins compte de l’effet que pouvaient produire les masses musculaires transparentes, agissant à la manière de lentilles biconvexes : je recommencai mes observations avec tout le soin possible ; je variai de toutes les manières la compression que j’exercais sur les animaux en expérience; toujours, je constatai le même fait. Enfin, MM. Milne Edwards, Cocco et Cupari voulurent bien vé- rifier mes observations, et en reconnurent la justesse. Je crois donc pouvoir regarder comme bien positif que l'axe cérébro- spinal du Branchiostome présente d’une extrémité à l’autre des renflements ganglioniformes, correspondant à l’origine des troncs nerveux auxquels il donne naissance. Nous avons vu plus haut que, parmi les naturalistes qui se sont occupés de l’Amphioxus , plusieurs lui ont refusé toute apparence de cerveau. Retzius avait, il est vrai, admis que l’axe cérébro- spinal se terminait par un renflement à peine marqué ; mais ce naturaliste n’avait vu que l'enveloppe de ladure-mère, et Goodsir, qui ne pouvait pousser ses observations plus loin , puisqu'il dissé- quait des animaux conservés dans l’alcool , le combattit avec rai- son sur ce point. Müller a fait observer plus tard que l’extrémité antérieure, possédant des points oculiformes, devait correspondre à cet organe ; la découverte de l’organe olfactif faite par Kælli- ker confirmait cette manière de voir. Les détails suivants montre- ront, j'espère, qu’il en est bien ainsi, et que cette extrémité diffère, sous plusieurs rapports , de tout le reste de l’axe cérébro-spinal, bien que son volume et sa forme rappellent presque entièrement ceux des autres ganglions de la moelle épinière proprement dite. Rappelons d’abord la manière dont les nerfs sortent de la portion 290 VOYAGE EN SICILE, correspondant à la moelle épinière. Müller a été très précis à cet égard; et nous ajouterons seulement que le gros tronc primitif qui se bifurque bientôt en deux branches, l’une dorsale , l’autre ventrale , prend toujours naissance sur un des renflements gan- glioniformes que nous avons signalés (1). Ainsi chacun de ces gan- glions donne naissance seulement à deux troncs placés l’un à droite, l’autre à gauche. Les choses se passent tout autrement dans le plus antérieur de ces renflements. Ici nous trouvons cinq paires de nerfs bien distinctes. Dans ce nombre n’est pas comprise celle que Goodsir a cru exister tout-à-fait en avant, et que Müller a rayée de sa liste avec juste raison. L’observateur anglais a été trompé par une ap- parence qui semble aussi en avoir imposé à M. Costa ; il aura pris pour des nerfs les parois juxtaposées des grandes cellules que nous décrirons plus loin , et dont une correspond, en effet, exacte- ment à la terminaison antérieure du cerveau (2). Müller, de son côté, ne compte, à proprement parler, qu’une paire de nerfs. Nulle part, il ne figure nine décrit le nerf optique ; je crois, d’après ses figures et le texte qui les accompagne, qu'il a regardé comme une simple branche de son grand nerf (seconde paire Nob.), ce qui est pour moi la troisième paire ; enfin, la qua- trième et la cinquième paire lui ort échappé , sans doute à cause de leur ténuité. Voici le résultat de mes observations personnelles. Le renflement ganglioniforme antérieur , en d’autres termes le cerveau, ressemble tout-à-fait aux autres renflements par sa partie postérieure ; son plus grand diamètre vertical n’est même pas sensiblement plus fort. En avant , il se termine en pointe mousse ou même ovoïde (3); cette terminaison est éloignée du cul-de-sac formé par la dure-mère d'au moins ;$ ou -$ de millimètre (4). La première paire de nerfs est formée par les nerfs optiques. Ces nerfs prennent naissance sur les côtés et au-dessous du cer- (1) (2) PI. 10; PI. 14. (3) PI. 10 et PI. 41. (4) PI. 10, fig. 7. PI. 40 ; PI. 11. P DE QUATREFAGES. — SUR L'AMPIIIOXUS, 991 veau, à très peu de distance de son extrémité antérieure ; ils se portent obliquement en avant , et se terminent à l'œil qui est ap- pliqué immédiatement contre la dure-mère qui le recouvre (1). Chaque nerf optique est légèrement courbé sur son trajet. À son origine, il s’épate en forme de cône contre le cerveau, puis devient à peu près cylindrique, et s'élargit de nouveau en arrivant à l’œil. Sa longueur est à peu près de de mülimètlre; son diamètre dans la portion cylindrique d'environ :£ de millimètre. La seconde paire de nerfs est celle qui a été vue par Goodbsir, décrite et figurée avec quelques détails par Müller. Les troncs qui la forment prennent naissance des deux côtés du cerveau en haut et sur les côtés. Leur base occupe plus des deux tiers de la hau- teur du ganglion cérébral (2) ; puis ils se portent en avant et sur les côtés en se rapprochant de la corde dorsale , et après avoir dépassé l'extrémité de la dure-mère , chacun d’eux donne un pre- mier rameau qui se dirige vers le bord inférieur de la bordure marginale du corps (nageoires des auteurs) (3). Deux autres forts rameaux , placés successivement du même côté, suivent la même direction , en se dirigeant de plus en plus obliquement en avant, A ces trois rameaux inférieurs correspondent, pour les fonctions , mais non pour la position sur le tronc principal, trois grands ra- meaux supérieurs; les rameaux inférieurs ayant toujours leur ori- gine plus ou moins en arrière de celui des rameaux supérieurs (4). Enfin le tronc principal se bifurque, et se ramifie lui-même vers la partie la plus antérieure de la bordure marginale (5). La distance à laquelle naissent ces diverses branches n’est pas con- stante dans tous les individus. La troisième paire de nerfs prend naissance sur le cerveau au- dessous et uo peu en arrière de la précédente (6). Peu après sa sortie du canal de la dure-mère , chacun des troncs qui la com- pose donne une petite branche très grêle, qui se porte en haut et sur les côtés (7) ; puis le tronc nerveux, après avoir décrit une (1) PL 43, fig. 7, etPL. 11, k. (5) PL 10; PI. 44. (2) PI. 10; PI. 44, L. (6) PL A1, m; PI. 10. (3) PI 40. (7) PI. 44. (4) PL 10: PI #1 299 VOYAGE EN SICILE. courbe assez prononcée à concavité postérieure, se bifurque. L'une des branches poursuit la même direction, et va se ramifier et se perdre dans la bordure marginale (1) ; l’autre se porte en arrière , se recourbe ensuite vers le bas, et, parvenu dans le voi- sinage de la bouche , se recourbe de nouveau presque à angle droit, et se dirige en arrière en longeant cette cavité (2). Dans ce long trajet, le nerf dont nous parlons ne donne qu'un petit filet à peu de distance de la corde dorsale ; mais il m°a semblé que, parvenu à la bouche, il donnait au contraire*des ramuscules très nombreux et très déliés (3). Le nerf lui-même m'a paru ne pas perdre en diamètre , et cette circonstance me fait douter de l'existence de ces ramilications. Peut-être le tronc d’où elles semblaient émaner se continue-t-il jusqu'à la cavité branchiale : c’est un fait dont il ne sera pas aisé de s'assurer à cause de l’é- paisseur que les parois du corps acquièrent sur ce point , et de la présence des masses musculaires latérales qui gênent ici pour l'observation. Cependant il serait à désirer qu'on püt vérifier ce qu'il y a de vrai dans la conjecture que je viens de former ; car, en ce cas, le nerf dont il s’agit correspondrait évidemment au preumogastrique , et le tronc d’où il émane représenterait le nerf trijumeau, comme la seconde paire que j'ai décrite me semble correspondre au trifacial. La quatrième et la cinquième paire de nerfs naissent à la partie supérieure du ganglion cérébral (4); elles se portent directe- ment en haut, et vont se distribuer à la bordure marginale. Si la seconde paire de nerfs correspond , sous certains rapports, au gros tronc qui, dans la moelle épinière, sort de chaque renflement ganglioniforme , on voit que ces deux dernières paires cérébrales représentent le rameau dorsal des paires spinales. On à donné jusqu’à présent peu de détails sur la manière dont se distribuent les nerfs de la moelle épinière. Jai cru devoir re- présenter ici avec soin la disposition que présentent les premières PI. 11. PI. 10: PL A1, n. PI 10, et PL. 41, 0, p. PI. 40. 1 2 (1) (2) (3) (4) à Le DE QUATREFAGES. — SIR L'AMPHIOXUS. 293 paires , afin surtout de montrer comment elles se comportent re- lativement à l’appareil qui entoure la bouche. La première paire se distribue seulement aux muscles (1); et je n’ai rien à ajouter à ce que Müller avait déjà dit, Les nerfs des quatre paires suivantes (2) sont plus forts que ceux qui forment la précédente. Après avoir fourni des rameaux musculaires , ils se prolongent de haut en bas, donnent un nombre variable de rameaux aux parois de la bouche, et franchissent l'anneau cartilagineux qui entoure cette cavité (3). Ils se divisent alors en. un nombre considérable de filets, qui se distribuent à la bordure membraneuse et musculaire de l'appareil buccal, 11 m'a paru que chaque cirrhe était accompagné dans toute sa longueur par deux de ces filets, placés, l’un en avant, l’autre en arrière de la baguette cartilagineuse (4); du moins, j'ai pu constater cette disposition dans un grand nombre de cas et sur plusieurs de ces cirrhe Nous n’avons rien à ajouter à ce que nous avons dit relative ment à la partie moyenne du système nerveux central. Les nerfs qui en partent paraissent se distribuer d’une manière assez ana logue à ce que nous venons de voir dans la région de la bouche ; mais la transparence des individus que j'ai eus en ma possession n'était pas assez complète pour me permettre de porter bien loin mes observations à cet égard, J'ai cru devoir représenter aussi avec détail l'extrémité posté- rieure de l’animal , afin de montrer commenise termine la moelle épinière. Jusqu'à la dernière paire de nerfs, on voit toujours les renflements ganglioniformes qui caractérisent la moelle épi- nière de l'Amphioxus : seulement, ils m'ont paru ici plus allon- gés, et moins prononcés qu'en avant (5). Au-delà du dernier paiement. la moelle épinière se prolonge en un filet mince de de millimètre en diamètre à peu près, qui se renfle et forme une sorte d’ampoule très prononcée au niveau même de l’extré- (1) PL pe 14) PL 40. (2) PL. (5) PL 12, fig. 4, d. (3) PI. 1 294 VOYAGE EN SICILE, mité de la corde dorsale (1); la dure-mère l'accompagne , et la revêt jusqu’à sa dernière terminaison. Les nerfs de l’avant-dernière paire ne présentent rien de par- ticulier (2). Ceux de la dernière paire ne fournissent le rameau dorsal qu’à une assez grande distance de leur origine (3) ; puisils se prolongent en arrière, et leurs dernières ramifications arri- vent jusque vers l’extrémité même du corps, ou mieux, de cette bordure marginale qui l’entoure en tous sens, et que l’on a nommée les nageoires. Je dois ici faire une observation qui me semble avoir.quelque importance. Dans le dessin, où j'ai représenté, très grossie, la terminaison antérieure du Branchiostome (4), les moindres filets nerveux ont été copiés à peu près rigoureusement ; leur nombre est au moins égal à celui que présente la gravure, et s’il existe une différence , c’est plutôt en moins qu’en plus. Bien que ces filets ne puissent présenter une grande fixité d’un individu à l’autre, il m'a semblé qu'il y aurait quelque intérêt à montrer jusque dans ses derniers détails le mode de distribution des nerfs dans le sin- gulier animal qui nous occupe. Le dessin qui représente l’extré- mité postérieure (5) a été tracé dans le même esprit, mais ne pré- sente pourtant pas la même rigueur dans les derniers détails. Ici le nombre des divisions nerveuses extrêmes est plus considérable que je ne l’ai figuré, obligé que j'étais de ne pas multiplier outre mesure des figures de trop fortes dimensions. Ces ramifications m'ont paru être un peu moins nombreuses, et un peu moins rap- prochées dans les autres parties du corps , si ce n’est à l’appareil qui entoure la bouche. On peut en juger par le dessin , qui ne re- produit que les principales de ces dernières ramifications: (6). (4) PI 12, fig. 1 et fig. 2.—Je ne suis pourlant pas certain que cette disposi- tion soit constante. (2) PI: 42, fig.4. PL 42, fig. 1 DE QUATREFAGES. — SUR L'AMPIHIOXUS. 295 Cette abondance de nerfs dans les appendices buccaux confirme , ce me semble, l’idée qui a dû se présenter à l'esprit de bien des zoologistes, que ces appendices doivent être plus spécialement le siége du toucher. . Organes des sens. Organes de la vision. Nous avons vu que , jusqu’à l'époque des recherches de M. Retzius, on avait refusé au Branchiostome tout organe des sens. Ce naturaliste regarde comme des yeux rudi- mentaires les deux petits points colorés que l’on apercoit sur les côtés du système nerveux central, à son extrémité antérieure. Müller a adopté cette manière de voir, que Goodsir avait com- battue, et ajoute qu'on ne trouve à ces organes atrophiés aucune trace d'appareil optique (1). Ici, mes observations personnelles diffèrent de celles de l’illustre naturaliste de Berlin. J'ai représenté, en copiant aussi rigoureusement que pos- sible ce que j'avais sous les yeux, l'œil d’un Branchiostome (2). A son extrémité antérieure, le nerf optique s’épate et aboutit à une masse de pigment en forme d’anneau (3). Au-delà de ce pigment, on voit un corps arrondi, transparent, réfractant la lu- mière avec plus de force que les tissus environnants (4). Ce corps est appliqué, ou mieux, comme enchässé dans la dure-mère. Une sorte de capsule aplatie, à parois excessivement minces, en- veloppe le pigment et le corps hémisphérique (5). Elle est remplie d’une substance légèrement orangée qui m'a paru liquide. Le pigment lui-même, vu à ce grossissement, est d’une couleur lie de vin sombre. Nous trouvons ici tous les éléments d’un œil , tel qu’on voit cet organe se présenter chez les animaux invertébrés, où il a subi de grandes dégradations. On admettra, je crois, facilement avec moi que le corps transparent hémisphérique n'est autre chose 1) Loc. cit., p. 49. 2) PI. 43, fig. 7. 7,e. PI. 43, fig. 7, f. PI. 43, fig. 7, d. 3° sérié. Zouz. T. IV. (Octobre 1845.) 5 15 296 VOYAGE EN SICILE, qu'un cristallin dont le pigment cache la partie postérieure. Cette circonstance m'a empêché de reconnaître s’il reposait immédia- tement sur le nerf optique. Mais il me paraît probable que la dis- position des parties doit offrir une grande analogie avec ce que l'on voit chez les Mollusques assez petits pour qu’on puisse faire par transparence des observations de même nature. Organe olfactif. Si l’on ne peut conserver, ce me semble, de doute sur la nature de l’organe que je viens de écrire, il n’en est pas de même pour celui que M. Kælliker a regardé comme l'organe olfactif, et que j'ai trouvé, de mon côté, pendant mon séjour à Messine, sans savoir qu'il avait été observé par le naturaliste que je viens de nommer. Entre les deux nerfs optiques et un peu à gauche de la ligne médiane , on apercoit une sorte de cupule faisant une saillie considérable au-dessus et en avant du cerveau (1). Les pa- rois de cette cupule sont épaisses, demi-transparentes , couvertes extérieurement de petites taches d’un pigment noir, qui devient beaucoup plus abondant autour du point par où la cupule adhère au cerveau (2). Les bords forment à l’intérieur un bourrelet bien marqué. Toute la surface interne est hérissée de cils vibratiles très déliés, mais très longs (3). Cet appareil est placé dans une grande cellule évidemment remplie d’un liquide; car les cils vibratiles agitent et mettent sans cesse en mouvement des corpuscules noirs irréguliers, dont on suit les mouvements dans toute l’étendue de la cellule (4). Je n’ai pu reconnaître si cet organe singulier reposait immédia- tement sur le cerveau, ou bien si ce dernier lui envoyait un prolon- gement nerveux. Dans ce dernier cas, ce prolongement serait très court, et sa longueur ne dépasserait pas l’épaisseur de la dure-mère. L'organe que je viens de décrire, d’après ce que j'ai vu, et que M. Koœlliker avait déjà décrit à peu près dans les mêmes termes, ne peut, d’après sa position, être que l'organe olfactif. La forme de la cupule rappelle les premières traces de cet organe , telles (1) PL 44, g; PL 43, fig. 6. (2) PI. 43, fig. 6, a. Gr : 1 et PL. 13, fig. 6, c. (4) PI. 44; PL 13, fig. 6, d DE QUATREFAGES. — SUR L'AMPHIOXUS. 227 que M. Vogt les a décrites dans son ÆEmbryogénie des Salmones. Cependant nous trouvons ici des circonstances particulières très remarquables. M. Vogt n’a vu ni cils vibratiles, ni corpuscules mis en mouvement par ces cils. Cette dernière particularité sem- blerait même se rapporter plutôt à un organe auditif qu'à un ap- pareil olfactif. Toutefois nous partageons pleinement l'opinion de M. Kælliker ; car il nous paraît en dehors de toutes les analo- gies d’admettre que l'oreille se trouvät située en avant et entre les deux yeux. HISTOLOGIE. ÿ Système nerveux. Pour ne pas fractionner ce que j’ai à dire du système nerveux , je vais placer ici les détails que j’ai pu recueillir sur l’organisation intime de ces diverses parties. Goodsir a remarqué le premier que la moelle épinière est en- tièrement composée de cellules auxquelles il attribue, de plus, un nucléus. Mes observations diffèrent un peu de celles du natura- liste anglais. Autant que j'ai pu le reconnaître sur le vivant, ce ne sont pas des cellules proprement dites, mais bien des granu- lations assez irrégulières, et ne présentant aucune apparence de nucléus réel (1). Le diamètre de ces granulations varie de ,;, à ,:, de millimètre. La structure des nerfs m'a paru semblable à celle de la moelle épinière. Je n’y ai pas retrouvé ces fibres primitives décrites et figurées par Goodsir. f’ai cru, au contraire, reconnaître dans les troncs principaux des granulations analogues à celles de la moelle épinière, mais beaucoup moins distinctes. Ce cordon granuleux est renfermé dans une gaîne où l’on distingue quelques stries à peine marquées. Seraient-ce les espaces séparés par ces stries que M. Goodsir aurait considérés comme des fibres primitives? Ce serait possible. Le nerf optique présente une apparence un peu différente. On (1) Je reviendrai plus bas sur ces apparences qui ont fait, je crois, attribuer un nucléus à des cellules, dans beaucoup de circonstances où cette partie manique réellement. 228 VOYAGE EN SICILE, distingue bien à sa base les stries dont nous avons parlé, et même elles s'étendent à la surface même du cerveau ; mais, dans le reste de son trajet, ce nerf m'a semblé homogène et composé uni- quement d’une substance diaphane à granulations serrées et tres petites. Quoi qu’il en soit, les derniers filets ne présentent plus ni stries ni granulations. Ils ne montrent plus, sous les plus forts grossis- sements, qu'un cordon cylindrique homogène entièrement trans- parent, épais de + de millimètre (1). Les premiers rameaux qui résultent de leur réunion offrent entièrement la même apparence, et ce n’est que dans les troncs plus volumineux qu’apparaît la structure que je viens de décrire. Ces derniers filets présentent une particularité bien digne de remarque. On admet généralement que, chez les animaux ver- tébrés , les nerfs se terminent en anse , de telle sorte que chaque nerf terminal est doublé en quelque sorte par lui-même. Les nom- breuses observations qui ont été faites sur ce point, et qui se con- firment les unes les autres à quelques détails près, semblent ne devoir laisser aucun doute sur ce point. Toutefois rien de sem- blable n'existe chez l’Amphioxus. Ici, la transparence absolue de la bordure marginale rend l’observation extrêmement facile, et l’on suit sans aucune peine les nerfs jusqu’à leur dernière extré- mité. Là on les voit s’épater en formant un cône irrégulier ou un petit mamelon qui s'applique contre la couche interne des tégu- ments, qui est ici très mince, diaphane, homogène, et ne présen- tant aucune particularité appréciable de structure (2). Rien ici ne rappelle, on le voit, ni l’anse, ni le double filet décrit dans les. autres Vertébrés. Un grand nombre de ces derniers filets nerveux aboutissent à de petits organes vésiculaires ovoïdes à parois proportionnelle- ment épaisses , et dont le contenu légèrement granuleux réfracte la lumière avec moins d'énergie que les parois elles-mêmes. Ces organes, sur l’usage desquels on ne peut guère que former (4) PI 43, fig. 8,ce (2) PL. 13, fig. 8, dd. DE QUATREFAGES. — SUR L'AMPIHIOXUS. 299 des conjectures, sont probablement des cryptes mucipares. Leur diamètre longitudinal est d'environ + de millimètre , le diamètre transversal de + de millimètre environ, Téqguments. Les téguments de l'Amphioxus présentent deux couches bien distinctes. La première est formée de cellules: c’est la couche externe. On la retrouve sur tout le corps de l'animal. Presque partout les cellules sont bien distinctes, et l’on reconnait facilement les parois propres de chacune d'elles. Leur forme est celle d'un prisme assez régulièrement hexagonal (1). Leur hauteur est d’en- viron + de millimètre, leur diamètre de +5 à = de millimètre. Lorsqu'on regarde la peau placée à la surface du corps, on pour- rait croire qu’elles renferment un nucléus tantôt homogène, tantôt granuleux. Il n’en est rien cependant, et cette apparence est due seulement à la différence du pouvoir réfringent des parois et de la matière contenue. La description qu’on vient de lire et le dessin qui représente les détails décrits sont faits d’après des cellules observées sur le dos, vers le tiers antérieur de l'animal; mais je leur ai trouvé quelquefois une apparence très différente. Sur les bords de la membrane marginale, elles deviennent d’une transparence telle , qu’on a beaucoup de peine à les distinguer. Au contraire, sur la partie du corps qui correspond aux branchies, elles présentent l’as- pect que j'ai reproduit ici (2). Ge sont pourtant toujours les mêmes cellules ; mais on dirait que les parois se sont amincies et soudées par le développement de l’intérieur, qui est devenu très manifes- tement granuleux. La seconde couche cutanée est membraneuse. On distingue dans son épaisseur, à un grossissement très fort, des stries larges assez peu marquées (3). Ces stries mêmes disparaissent entière ment sur la membrane marginale, où la peau tout entière semble, surtout sur les bords, ne plus former qu'une couche homogène. Les couches tégumentaires paraissent composer à ellesseulesles (1) PI. 42, fig. 8, a,a, et fig. 10. (2) PL 42, fig. 9 (3) PI. 12, fig. 8, b. 230 VOYAGE EN SICILE. parties molles qui entrent dans la composition des cirrbes buc- caux ; mais ici elles se confondent presque complétement. Les cel- lules de l’épiderme sont à peine apercevables, et on ne distingue au-dessous qu’une substance homogène diaphane , étendue en membrane à la base des arcs cartilagineux qui partent de l’an- neau buccal, les recouvrant, dans toute leur longueur, d’une cou- che assez épaisse qui se renfle d'espace en espace, en formant des espèces de nœuds (1). Enfin ces couches tégumentaires m'ont paru adhérer aux tissus sous- jacents, à l’aide d’une couche de matière demi-liquide, en- tièrement homogène, diffluant quand l'animal était écrasé. Rien ne rappelait la texture du tissu cellulaire proprement dit; mais cette couche, qui en tient lieu, n’est bien probablement que ce tissu lui-même se présentant ici dans son état de tissu naissant. Tissu musculaire. Les fibres élémentaires des masses muscu- laires latérales ne présentent rien de bien particulier. Ce sont des cylindres qu’on peut isoler sans trop de peine, homogènes, trans- parents, finement striés en travers, et dont le diamètre est de + de millimètre (2). Les muscles abdominaux présentent une circonstance remar- quable déjà signalée par Müller. Leurs fibres élémentaires ne sont pas striées. Ge sont des cylindres parfaitement lisses et transpa- rents (3). Du moins il en est ainsi pendant l’état de relächement. Müller ajoute qu’on ne les voit pas se strier en travers pendant la contraction. Je crois avoir vu le contraire , et avoir constaté la formation de stries pendant ce mouvement vital : cependant ce fait aurait besoin d’être confirmé. Lorsque j'ai fait mes obser- vations, je ne connaissais pas la remarque du naturaliste alle- mand, et peut-être ai-je confondu quelques fibres des masses mus- culaires latérales avec celles des muscles dont il s’agit ici. Je n’ai trouvé aucune trace de stries dans les faisceaux muscu- laires qui servent à mouvoir les cirrhes de l’appareil buccal (4), ) PL. 19, fig. 6, a. ) PL 43, fig 4. ) PL. 43, fig. 5. ) PI. 13, fig, 2, f DE QUATREFAGES. — SUR 1 AMPHIOXUS. 231 ni dans celui qui met en mouvement l'anneau tout éntier (4). Il en est de même pour la petite bande musculaire étroite qui oc- cupe le milieu des arcs branchiaux, et dont Müller à signalé l'existence (2). Dans ce dernier cas, la circonstance dont nous par- lons peut s'expliquer en disant que cette bandelette appartient à un système musculaire à mouvements involontaires. Mais il n’en est pas de même pour les autres muscles dont nous venons de parler, non plus que pour les muscles abdominaux. Ceux-ci ont bien évidemment des mouvements volontaires , et, dès lors, l’ab- sence de stries transverses est chez eux très remarquable ; car c’est, je crois, la seule exception qu'on ait encore signalée chez les Vertébrés. Tissu cellulaire. Entre la peau et les muscles se trouve un tissu d’un aspect très singulier qui remplit les fonctions de tissu cellu- laire, auquel, par conséquent , nous donnerons ce nom, bien qu'il ne ressemble en rien à celui qu'on désigne ordinairement par ce mot. Il est très développé, surtout aux deux extrémités de l'animal. tout le long du dos, sous le ventre. au-delà et en ar- rière du pore abdominal ou orifice postérieur des branchies. Sur les flancs , il semble être remplacé par la couche homogène dont nous avons parlé plus haut. Lorsqu'on examine sous le microscope, même à un grossisse- ment médiocre, un Amphioxus couché à plat, on voit tous les points du corps que je viens de nommer formés d’une couche transparente, qui paraît entièrement composée de cellules isolées, Ces cellules sont allongées, et leur grand axe est presque partout dirigé dans le sens longitudinal (3). Généralement, elles sont comme empilées les unes sur les autres, de manière à former des espèces de traînées perpendiculaires à l’axe du corps ou rayon- nantes aux deux extrémités, et qui laissent entre elles des lacunes ramifiées. Cette dernière disposition est surtout très marquée aux extrémités antérieure et postérieure, et aux points où la bordure niarginale prend plus de développement pour former ce qu’on a (1) PI. 40. (2) PL 43, fig. 3, b. (3) PL 40: PI. 11; PI. 12, fig. 1; PL 12, fig. 3. 232 VOYAGE EN SICILE. appelé les nageoires (1). Ce sont ces lacunes que M. Müller paraît avoir prises pour des filaments dont la nature lui a échappé, et qu'il a figurés par de simples traits à la partie postérieure de la- nimal (2). J'ai donné le nom de cellules aux éléments du tissu que je viens de décrire. Il peut toutefois rester quelques doutes à cet égard. Ce n’est guère qu'aux environs de l’extrémité antérieure de la corde dorsale, au-delà de la terminaison de l’axe cérébro-spinal, que la structure cellulaire est parfaitement évidente. Ici, les cel- Hules sont grandes et pressées les unes contre les autres, mais de manière cependant à laisser entre elles quelques lacunes (3). Leur forme générale est irrégulièrement sphérique ou allongée. J’en ai toujours trouvé une plus grande que les autres au-dessus et au- dessous de la corde dorsale, le long de laquelle elle semble cou- chée. Dans toute cette partie, les parois des cellules se recon- naissent très bien, et on les voit nettement s'appliquer et se mouler les unes contre les autres, sans cesser d’être distinctes ; mais au-delà, et dès qu’elles prennent cette forme irrégulièrement allongée dont nous avons parlé plus haut, on ne pourrait plus affirmer qu’elles possèdent des parois propres. Sur les bords sur- tout, on pourrait très bien croire que ces prétendues cellules ne sont autre chose que des îlots de matière homogène transparente laissant entre eux des lacunes. Quoi qu’il en soit, le tissu remarquable que je viens de décrire compose à lui seul toute la partie du corps qui est au-delà des muscles et de l'appareil viscéral. [1 se montre seul dans cette bor- dure qui entoure tout le corps, et qu’on a désignée sous le nom de nageoire, en y distinguant plusieurs portions. Cette distinction est purement artificielle. La bordure dont il s’agit est entièrement continue dans la plus grande partie de son étendue. Elle ne pré- sente d'interruption qu’au pore abdominal et dans une partie de la région thoracique. La portion qui enveloppe l'extrémité posté- rieure, en se développant sous forme de lancette, prêterait seule, (1) PL. 42, fig. 3 (2) Loc. cit., PI. II, fig. 2. (3) PL 40 et 41, f. BE QUATREFAGES. — SUR L'AMPIHIOXUS. 233 ce me semble, à une désignation spéciale, si on ne trouvait à l’autre extrémité une disposition toute pareille. En arrière de la cellule qui renferme l’organe olfactif com- mence une série de grandes cellules à peu près égales entre elles, et qui occupent toute l’épaisseur de cette partie du corps (1). Leurs parois propres sont parfaitement distinctes et accolées les unes contre les autres ; elles forment au-dessus de l’axe cérébro- spinal une suite de lignes sombres, légèrement ondulées, à peu près parallèles. Ces cellules se montrent sur toute la partie dor- sale du corps, à partir du point que nous venons d'indiquer. En dessous, on voit une série tout: semblable s'étendant depuis le pore abdominal jusque près de l’extrémité postérieure du corps. Dans leur intérieur, on voit un corps opaque assez irrégulier, à structure très finement granuleuse, qui n’occupe pas toute la cel- lule , et paraît être environné d’une matière extrêmement trans- parente (2). Müller, adoptant les vues de M. Goodsir, a considéré ces cel- cules comme représentant les rayons des nageoires. Malgré la haute autorité de ce naturaliste, je ne saurais partager cette ma- nière de voir. La bordure marginale qui représente les nageoires se prolonge en avant et en arrière de ces cellules, sans changer en rien de caractère. Elle règne dans la plus grande partie de l'étendue comprise entre la branche et le pore abdominal, et pourtant là ne se montrent pas ces cellules. Celles-ci, loin de se développer dans le même rapport que la nageoire, disparais- sent ou diminuent de grandeur en avant et en arrière du corps, précisément aux points où cette nageoïire acquiert plus de déve- loppement. 11 me semblerait plus naturel de voir dans ces grandes cellules une dépendance du squelette rudimentaire du Branchio- stome. Le corps opaque qu’elles renferment rappelle, surtout à la partie dorsale du corps, les apophyses épineuses naissantes de certains Poissons. La circonstance mentionnée par Müller, que les cellules postérieures renferment deux de ces corps, confir- merait ma manière de voir, plutôt que de l’infirmer, car on (1) PL 10et11 (2) PL. 10 93h VOYAGE EN SICILE. sait que, précisément sur ce point , la base des apophyses épi- neuses se compose de deux branches qui se réunissent sur la ligne médiane. On se rappelle que c’est sur un fait de ce genre que Geoffroy-Saint-Hilaire s’appuyait pour étayer ses idées rela- tives aux diverses pièces composantes de la vertèbre (1). Squelette. L'appareil squelettique du corps de l’Amphioxus est assez difficile à bien délimiter. Il est évident que parmi les par- ties qui le composent on doit compter la corde dorsale, les rayons branchiaux et les axes à demi solides des cirrhes buccaux. Mais il nous semble qu’on doit y joindre l'appareil fibreux qui entoure la corde dorsale et l’axe cérébro-spinal ; c’est même là, pour nous, qu'est le véritable analogue de la colonne vertébrale, Il faut aussi y ajouter un certain nombre des prolongements qui partent de ce centre fibreux, et servent d'attache aux muscles. Mais, parmi ces prolongements, il est bien difficile de distinguer ceux qu’on pour- rait assimiler aux côtes, et ceux qui ne sont que des ligaments ou des aponévroses. Quoi qu'il en soit, au point de vue histolo- gique, les éléments du squelette du Branchiostome forment deux groupes bien tranchés, Le premier présente une structure fibreuse; le second, une structure cellulaire. 1° Parties squelettiques fibreuses. I Y a peu de chose à dire sur la structure des parties fibreuses du corps de PAmphioxus. La figure que j'ai donnée d’une portion de la dure-mère (2) repré- sente assez bien l’aspect qu’elles offrent sous le microscope. Elles m'ont paru composées de fibres légèrement feutrées et très adhé- rentes qui résistent sous le scalpel, et se déchirent plus facilement qu'elles ne se laissent diviser. Sous tous ces rapports, il n’y à au- cune différence à faire entre les portions de l’appareil fibreux qui entourent la corde dorsale représentant la partie essentielle du squelette proprement dit, et les prolongements intermusculaires qu'on pourrait regarder comme de simples aponévroses. Sous le rapport de la structure, on peut rapporter à l’appareil fibreux le squelette plus solide des branchies. Dans ces espèces de (1) Considérations générales sur la vertèbre (Annales du Muséum, t. IX, p. 89, pl. v). (2) PL 13, fig: 7. DE QUATREFAGES. — SUR L'AMPHIOXUS, 235 petites côtes, je n’ai pas apercu de traces de cellules. Leur sub- stance est uniquement composée de fibres longitudinales assez sensiblement parallèles (1). Les petites traverses en forme d'é- chelons qui les réunissent les unes aux autres présentent la même composition ; mais leurs fibres , perpendiculaires à celles des rayons branchiaux , s'arrêtent avant d'arriver à ces dernières, et se perdent dans une substance solide, homogène et diaphane (2). 2 Parties squelettiques de structure celluleuse. Goodsir et Müller ont décrit la corde dorsale comme composée d’une gaîne fibreuse qui l'enveloppe en entier, et mes observations à ce sujet sont en- tièrement semblables à celles de ces deux naturalistes. Ils s’ac- cordent également à regarder le contenu de cette gaine comme formé de rondelles assez régulières; mais ils diffèrent dans la description de la structure de ces éléments. Selon Goodsir, ces rondelles paraissent n'être que de grandes cellules aplaties, ayant entre elles peu d’adhérence , faciles à séparer, et à parois fibreuses (3). Müller les décrit comme des rondelles pleines, et dont la substance serait uniquement composée de fibres trans- verses (4). Mes observations diffèrent de celles que je viens de rappeler. 11 est vrai que sous un grossissement médiocre et à un premier coup d'œil, la corde dorsale se présente comme divisée transver- salement par des stries qui peuvent faire naître cette idée de pla- ques juxtaposées (5); mais ces stries mêmes n’offrent rien de ré- gulier, et lorsqu'on emploie un grossissement plus considérable, on voit qu’elles sont seulement le résultat d’un jeu de lumière facile à expliquer. En effet, la corde dorsale du Branchiostome est composée en entier de cellules aplaties dont le diamètre est beaucoup plus petit que celui de la masse solide, qu’elles contri- buent à former. Ces cellules, comprimées d’ayant en arrière, pré- sentent généralement l’aspect que j'ai cherché à reproduire dans, ) PL 43, fig. 3, a. ) PL 43, Gg. 3. ) Loc. cit., p. 250, PI. 2, fig. 4. &) Loc. cit., p. 9, PI. 5, fig. 3. 5) PI. 40; PL 14, «, et PI. 42, fig. 4, a 9) 236 VOYAGE EN SICILE. mon dessin (1). Leur diamètre varie de -5 à -& de millimètre. Leur épaisseur est d'environ + ou de millimètre. Mais la ca- vité qu’elles circonscrivent n’a guère que + ou +. Les parois en sont très épaisses et fortement appliquées les unes contre les autres, Elles présentent des coupes irrégulièrement hexagonales. Cependant ces parois ne se soudent pas généralement ensemble, et un léger trait à peine distinct indique presque toujours le point où leurs surfaces se rencontrent (2). Sur plusieurs individus , j'ai trouvé les cellules que je viens de décrire déformées et irrégulièrement contournées, comme dansla figure ci-jointe (3). Dans ce cas, plusieurs cellules semblent avoir disparu, soit par la pression exercée par quelques cellules voisines développées outre mesure, soit par l’épaississement de leurs parois ; mais, dans ce cas même, je reconnaissais presque tou- jours la ligne de démarcation des parois de chaque cellule et la trace de leur cavité, les surfaces internes s’étant seulement rap- prochées jusqu’au contact, sans pour cela se souder intimement. On comprendra facilement, d’après ce que nous venons de dire, comment MM. Goodsir et Müller ont pu croire à l’existence de rondelles fibreuses juxtaposées, comme éléments de la corde dorsale. Ces cellules aplaties se prêtent, en effet, facilement à cette espèce de division, surtout chez des individus conservés dans l’alcool , et les cellules racornies par l'effet de la liqueur peuvent très bien, à un faible grossissement, produire l'effet de simples fibres, à cause de l'épaisseur considérable de leurs paroïs. La structure du squelette de l’appareil buccal présente de grandes analogies avec ce que nous venons de voir. L’anneau cartilagineux qui entoure la bouche ressemble même entièrement sous ce rapport à la corde dorsale, si ce n’est que les cellules qui le composent sont de dimensions plus petites ; il est également entouré d’une gaîne fibreuse , qui revêt en particulier chacune des portions qui le composent (4). Les stylets cartilagineux qui en (4) PL 42, fig. 4. (2) PL. 42, fig. 4. (3) PL. 12, fig. 5. (4) PI. 13, fig. 2. DE QUATREFAGES. — SUR L'AMPIHOXUS, 237 partent et forment l'axe solide des cirrhes sont également de structure cellulaire ; mais ici les cellules sont moins fortement aplaties, et leur diamètre transversal est proportionnellement plus considérable (1). A l'extrémité même, leurs dimensions se régu- larisent davantage, et leurs diamètres transverses ou longitu- dinaux deviennent à peu près égaux ; elles forment alors une masse d’aréoles à coupe irrégulièrement hexagonale , et où l’on distingue facilement les parois propres de chaque cellule et la ligne de démarcation qui indique leur juxtaposition (2). Ces cellules ont aussi des parois épaisses. Leur contenu, légèrement granuleux , réfracte la lumière moins fortement que les parois, ce qui pourrait faire croire à l'existence d’un nucléus, dont il n’existe en réalité aucune trace (3). Toutes les parties squelettiques que nous venons de décrire présentent un caractère commun : c’est de ne pas montrer de trace d’effervescence quand on les plonge dans l’acide nitrique ou hydrochlorique. Elles ne contiennent donc pas de carbonate calcaire ; je n'ai pu davantage y reconnaitre la pré- sence du phosphate de chaux. Si cette dernière observation est vraie , il s'ensuit que le squelette de l’Amphioxus est composé uniquement de matière organique et probablement de chondrine, Sang. Retzius et Müller ont déjà remarqué que le sang de lAmphioxus est parfaitement incolore ; ni l’un ni l’autre n°y ont aperçu de globules. Les observations que j'ai faites sont entière- ment semblables. Dans le grand tronc vasculaire qui longe les branchies (cœur des branchies de Müller) , je n’ai pu distinguer la moindre teinte , alors même qu'il était distendu par le sang, Je n'ai rien apercu qui ressemblät aux globules, jusqu’à présent signalés chez tous les Vertébrés. Non content de cette observation, j'ai coupé plusieurs individus par morceaux tantôt en les laissant tremper dans un peu d’eau de mer, tantôt en les placant sur des 11) PI. 13, fig. 2. (2) PL 12, fig. 6. (3) PI. 42, fig. 7. — Je crois que dans bien des circonstances une structure, analogue à celle que je viens de décrire, a induit en erreur des observateurs qur ont décrit presque partout des cellules à noyau. 238 VOYAGE EN SICILE. verres parfaitement secs ; dans aucun cas, je n’ai trouvé de glo- bules. J’ai bien vu flotter dans le liquide ainsi obtenu des corpus- cules irréguliers, diaphanes, homogènes, analogues à ceux que charrie le sang chez les Mollusques , ou qu’on rencontre dans la cavité abdominale de certaines Annélides ; mais rien ne rappelait les globules réguliers des Mammifères, Oiseaux, Reptiles ou Poissons: aussi je regarde aujourd’hui comme pleinement constaté ce fait, si exceptionnel parmi les Vertébrés, que, chez l’Am- phioxus, le sang est blanc et-sans globules. CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES, — AFFINITÉS ET ANALOGIES ZOOLOGIQUES. Ilest peu d'animaux aussi dignes que l’Amphioxus de toute l’at- tention des zoologistes ; il en est peu qui présentent autant d’in- térêt sous tous les rapports. On nous pardonnera de résumer ici rapidement quelques unes des réflexions que fait naître l'étude de cette singulière organisation. Le fait le plus général qui ressort des détails dans lesquels nous sommes entré, c’est qu'il y a chez l'Amphioxus une tendance remarquable à la fusion des parties ordinairement distinctes d'un même appareil, et même à la réunion de divers appareils. Ainsi, à l'extérieur, nous ne trouvons, à vrai dire, qu’une seule nageoire continue, faisant presque tout le tour du corps. Le nombre des ouvertures qui établissent la communication de l’intérieur avec l'extérieur est réduit à trois, bouche comprise ; et ce fait nous annonce à lui seul que l’organisation interne doit avoir subi de profondes modifications. Cette tendance se prononce encore plus à l’intérieur; il n’y a plus de distinction entre la moelle épinière et le cerveau; le nombre et la nature des troncs nerveux qui partent de ce dernier permettent seulement de le considérer comme étant autre chose que les ganglions placés en arrière ; ces troncs eux-mêmes, réduits à un petit nombre, doivent nécessairement suppléer aux fonctions de ceux qui manquent, Ainsi la dégradation se manifeste à un haut degré dans le système organique le plus essentiel, celui dont on a dit qu’il était l’animal tout entier. DE QUATREFAGES. — SUR L'AMPITOXUS, 239 Mais cette tendance à la fusion devient bien plus manifeste en- core dans les appareils de la vie animale, Ici nous trouvons une bouche , espèce de vestibule s’ouvrant dans une cavité, qui fait à la fois les fonctions d’œsophage, de cavité respiratrice et de cavité abdominale : car les aliments la traversent pour se rendre à l’in- testin, et elle renferme les branchies aussi bien que les ovaires. Comme issue à cette cavité, nous ne trouvons qu’un seul orifice, le pore abdominal, qui sert ainsi à l'expulsion des œufs et de la se- mence , aussi bien qu'à la sortie de l’eau expirée, Remarquons en passant avec Müller que cette fusion a entraîné un déplacement bien remarquable dans l’orifice des organes de la génération, qui se trouve ici placé bien en avant de l’anus ou lieu d'être situé en arrière, comme on le voit chez tous les Poissons. Remarquons aussi que les reins, s’ils existent réellement, ne peuvent rejeter au dehors les produits de leur sécrétion que par cette même ou- verture, qui servirait ainsi à un triple usage. Dans l'appareil circulatoire, la fusion que nous signalons est allée jusqu’à la disparition complète du cœur ; car il est évident, d’après ce que nous avons vu plus haut, que cet organe n'existe pas, et que ce sont les troncs vasculaires eux-mêmes qui sont chargés d’en remplir les fonctions. Ainsi, en résumé, l'Amphioxus manque de colonne vertébrale, ou tout au moins de crâne ; il n’a point de cerveau distinct ; il n’a point de cœur ; son sang est incolore et ne renferme pas de glo- bules. En d’autres termes, il y a chez lui absence de presque tous les caractères regardés comme essentiels aux animaux Vertébrés. Cependant, à l'exception de Pallas, qui se trompa entièrement sur sa nature, tous les naturalistes qui se sont occupés de lui l'ont rangé parmi les animaux de ce groupe. Ils ont eu raison de lui assigner cette place dans le cadre zoologique. Mais pour justifier en quelque sorte cette manière d'agir, il faut bien reconnaître que l'Amphioxus présente un exemple remarquable de dégradation organique ; il faut bien admettre que ce n’est qu'un l’ertébré dé- gradé. ‘ C’est surtout à ce titre que l’Amphioxus mérite toute l'attention des zoologistes. Chez les Invertébrés inférieurs, on trouve de 210 VOYAGE EN SICILE. nombreux exemples de ces dégradations organiques , et les limites dans lesquelles elles peuvent faire varier les types qu'elles alter- nent sont très étendues. Chez les animaux vertébrés, ces exemples sont beaucoup plus rares, ces limites infiniment plus restreintes. De là, pour les zoologistes dont les études habituelles se sont ar- rêtées sur ce groupe à {type fixe, une extrème difficulté à admettre les résultats souvent les plus immédiats de l’étude des groupes à type très variable. Le Branchiostome, avec son organisation si excentrique , peut leur donner une idée de ce qui se rencontre à chaque instant chez les animaux inférieurs ; et peut-être , en songeant aux particularités que présente ce Poisson, seront-ils moins prompts à rejeter comme #mpossibles certains faits, par cela seul qu'ils n’ont rien d’analogue chez les Mammifères ou les Oi- sCaux. Cette dégradation du type des Vertébrés chez le Branchiostome semble s'être effectuée par deux procédés distincts. Elle a eu lieu tantôt par suite d’arrêts de développement, tantôt par suite de cette fusion dont nous avons signalé plus haut les principaux résultats. Goodsir a remarqué le premier avec raison qu'il y avait chez ce singulier animal persistance de certains caractères embryo- logiques. En d’autres termes , le Branchiostome nous présente des arréts de développement normaux. La non-ossification du squelette, la persistance de la corde dorsale , l'existence d’un canal dans la moelle épinière, sont autant de caractères qui rappellent un état purement transitoire chez les embryons des autres Poissons , et même chez ceux d'animaux plus élevés. L'absence de stries dans les fibres élémentaires des muscles abdominaux peut encore être rapportée au même ordre de faits, ainsi que l’état du tissu, que j'ai pu considérer comme représentant le tissu cellulaire. Il y a peu d'années, on aurait rangé dans la même catégorie la struc- ture cellulaire, tant de la corde dorsale que de la partie solide de l'anneau et des cirrhes buccaux ; mais d’après les travaux plus modernes, il est évident que cette structure , si longtemps regar- dée comme particulière au règne végétal, se retrouve chez les animaux, et peut-être qu’elle est générale dans le squelette de tous les Poissons cartilagineux. Du moins, les recherches dont DE QUATREFAGES. — SUR L'AMPHIOXUS,. 241 M. Valenciennes à publié un extrait (1) nous autorisent presque à admettre dès aujourd’hui cette dernière conclusion. Le fait seul de la fusion en un seul organe de plusieurs organes distincts entraîne évidemment la dégradation de l'appareil dans lequel se passe cette modification. Mais il peut alors se présenter deux circonstances bien distinctes : ou bien les fonctions dévolues à chacun des organes isolés persistent et se trouvent accumulées, pour ainsi dire, dans l’organe unique qui les représente ; ou bien la disparition de certains instruments organiques entraîne celle des fonctions dont ils étaient chargés. L’Amphioxus nous présente des exemples de ces deux cas. Cependant, le plus souvent, la fonction a survécu à l’organe. Aïnsi le cœur n’existe plus; mais son rôle comme agent d’impulsion du sang est rempli par les grands troncs vasculaires eux-mêmes, qui sont devenus contrac- tiles, et servent, non plus seulement à contenir et à transporter le sang dans les diverses parties du corps, mais encore à lui impri- mer le mouvement nécessaire à l’accomplissement de la circula- tion. La fusion de toutes les cavités du corps en une seule ne pré- sentant au dehors qu'un seul orifice, n’a changé que peu de chose au mécanisme de la respiration et de l’expulsion au dehors des produits des organes de la génération. Mais, d’un autre côté, cette même fusion et l'absence d’une bouche véritable semblent avoir entrainé la disparition de la déglutition proprement dite, fonction qui est remplacée ici par l'existence d’un courant affé- rent uniforme, et produit par l’action de cils vibratiles. Quoi qu'il en soit, les modifications que le type des animaux Vertébrés a subies dans l’Amphioxus ont un double résultat, D'un côté, comme nous venons de le voir, elles l’écartent du groupe dont il fait néanmoins partie; de l’autre , elles établissent entre lui et certains Invertébrés des analogies remarquables. Indiquons rapi- dement les principales. La bouche de l’Amphioxus n’est pas, à proprement parler, une bouche de Vertébré, quant à sa structure, L'appareil qui la borde rappelle, il est vrai, l’appareil buccal des Myxinoïdes, comme {1) Comptes-rendus de l'Académie des Sciences, 1844. 3° série, Zooz. T. LV. (Octobre 1845.) 4 16 2h2 VOYAGE EN SICILE. l’a fait observer Müller; mais la manière dont se fait la préhension des aliments ne se retrouve que chez les derniers Mollusques et Annelés. Ici, pas plus que chez l'Amphioxus, il n°y a de déglu- tition proprement dite, mais seulement production à l’aide de cils vibratiles d’un courant qui entraîne dans la cavité buccale le liquide ambiant et les corps qu'il tient en suspension. La déglutition, si elle a lieu, se passe au fond de la cavité thoracique , à l’ou- verture du court æsophage qui s'ouvre dans l'intestin, et qui con- siste, comme nous avons vu, en un Simple étranglement. L'absence de mouvements musculaires dans l'intestin, la pré- sence de cils vibratiles agitant les aliments ingérés, les réunissant en une sorte de cordon qui occupe axe du tube digestif, et agis- sant également à peu près seuls dans l’acte de la défécation, sont encore autant d’analogies avec ce qu'on observe chez les Anné- lides. J'ai suivi bien des fois, sur de petites espèces transparentes, les phases de la digestion, et ce que j'ai observé chez ces animaux Annelés rappelle parfaitement ce qui se voit chez l’Amphioxus: seulement, les parois de l'intestin sont contractiles chez les Anné- lides, qui, sous ce rapport, sont au-dessus du Branchiostome. La présence de ces mêmes cils vibratiles sur les branchies, fait qui n’a encore été observé chez aucun autre Poisson, : rappelle ce qu’on trouve sur les organes respiratoires des Mollusques. Faisons observer, de plus, que la manière dont s’accomplit la respiration chez l’Amphioxus et chez plusieurs Mollusques acéphales offre la plus grande analogie. Chez les uns et les autres, les branchies sont suspendues dans une sorte de canal formé, chez le premier, par la cavité thoraco-abdominale ; chez les derniers, par le man- teau, et qui, dans les deux cas, s’ouvre en arrière par une ouver- ture unique (1). Chez les uns et les autres, le liquide aéré est mis en mouvement par les cils vibratiles , et traverse rapidement ce canal respiratoire. Enfin une même ouverture sert, chez les Mollusques dont nous parlons, à la sortie des produits des or- (1) Chez certains Mollusques acéphales qui ont un manteau ouvert, les bords de cet organe s'appliquent l’un sur l'autre, et forment un véritable caral quand la respiration s'exerce énergiquement. C'est une observation qu'on peut faire faci- lement sur les Anodontes, comme je l'ai dit ailleurs. DE QUATREFAGES. — SUR L'AMPHIOXUS. 243 ganes générateurs, aussi bien qu'à l'expiration de l’eau, tout comme nous avons vu que les choses se passent chez le Bran- chiostome. M. Goodsir a remarqué le premier que la circulation de l'Am- phioxus présentait une grande analogie avec celle des Annélides. Bien que ce naturaliste eût été trompé par ses dissections, sa re- marque est vraie, et Müller l’a répétée, après avoir pu, grâce à l'observation par transparence, reconnaître la véritable disposition de l'appareil circulatoire. Chez l’Amphioxus, comme chez les An nélides, nous avons deux troncs opposés contractiles, entre lesquels s'étendent, dans la région thoracique, les branches et rameaux branchiaux , et que réunissent en avant des troncs considérables, qui ne traversent pas l'appareil respiratoire, Ici la ressemblance avec ce qu'on observe dans les grandes Eunices est presque com- plète. Rien n’y manque, pas même ces bulbilles Contractiles dont M. Edwards a fait connaître l'existence dans l'Eunice sanguine. A vrai dire, la direction des courants du sang établit seule une différence marquée. On sait, en effet que, chez les Annélides, le vaisseau dorsal se contracte d’arrière en avant, et le vaisseau ab- dominal d'avant en arrière. Dans l’Amphioxus, le sang se meut en sens contraire. Sous ce rapport, en retrouve ici ce qu'on ob- serve dans les autres Poissons. Qu'on me permette de hasarder ici une conjecture. M. Müller ni aucun des naturalistes qui se sont occupés du Branchiosteme n'ont pu reconnaître autre chose de l'appareil circulatoire, que les troncs les plus gros. Dans mes recherches sur la structure des “nageoires, ou mieux, de tout le tissu compris entre les masses musculaires et la peau, je n’ai pu apercevoir la moindre trace de vaisseau. Cependant il existe, à l’extrémité antérieure surtout, ne étendue considérable uniquement formée par le tissu aréolaire que j'ai décrit plus haut, et qui doit nécessairement recevoir sa part de fluide nourricier. Serait-ce être trop hardi que d'admettre que dans toutes ces partiesla circulation est purement lacunaire, et que le sang se meut précisément dans ces espaces que laissent entre elles les cellules ou les flots dont j'aiparlé? J'ai cru reconnaître une ou deux fois le mouvement de très petits corpuscules dans quel - 9hh VOYAGE EN SICILE. ques unes de ces lacunes; mais cette observation imparfaite ne me permet de rien aflirmer, et, je le répète, je ne présente ici qu'une simple conjecture, qui me semble néanmoins avoir pour elle de grandes probabilités. D'après ce que nous avons vu plus haut, le sang de l'Am- phioxus diffère essentiellement, quant à ses propriétés physiques, de celui des autres Vertébrés. Si les petits corps irréguliers dont j'ai parlé lui appartiennent bien réellement , c’est au sang des Mollusques qu'il faudrait le comparer. Dans le cas contraire, ce serait au sang des Annélides. L'absence de toute coloration ne se- rait pas une raison suffisante pour faire rejeter cette comparaison. Chez les jeunes Annélides, le sang est incolore, même dans les espèces chez qui il sera plus tard très vivement coloré. D'ailleurs, chez presque toutes les petites Annélides plus ou moins micerosco- piques, le sang estentièrement incolore, aussi bien chez les adultes que chez les jeunes. M. Goodsir observe, à la fin de son Mémoire, que l’Amphioxus doit, dans les classifications ichthyologiques, devenir le type d’un ordre particulier. Müller, tout en signalant les caractères qui le rattachent aux Myxinoïdes, termine son travail en disant que l’'Amphioxus est séparé des autres Poissons par des différences plus grandes que celles qui existent entre les Poissons et les Rep- tiles nus ou Batraciens. Je crois que les faits que j'ai ajoutés à ceux qu'ont signalés mes prédécesseurs, et les réflexions qui pré- cèdent, auront confirmé cette manière de voir. Non seulement l'Amphioxus est, sans contredit, le dernier des Poissons connus; mais encore on peut dire qu'il appartient à peine au groupe des Vertébrés. Il devrait donc former à lui seul une classe particulière, si l’on ne craignait pas de multiplier outre mesure ces grandes coupes de première importance. EXPLICATION DES FIGURES. N. B La première feuille de ce travail a dù être imprimée avant que les planches fussent prêtes : aussi les renvois aux figures laissent-ils à désirer. J'ai cherché a combler cette lacune en donnant à la description des dessins plus d'étendue que d'ordinaire. DE QUATREFAGES. — SUR L'AMPHIOXUS. 245 PLANCHE 10. Cette planche représente la partie antérieure du corps du Branchiostome , y compris la cavité buccale et l'origine du système respiratoire. L'intervalle qui existe entre ces deux appareils a été volontairement représenté un peu plus étroit qu'il n’est en réalité, afin de permettre de saisir les rapports de ces parties. a, corde dorsale. b, grandes cellules regardées par Müller et Goodsir comme les rayons des nageoires , et que je crois représenter les apophyses épineuses. (Voir le texte, pag. 233.) ce, Corps opaque contenu dans ces cellules d,d, masses musculaires latérales du tronc. g, cavité buccale. h, anneau buccal d'où partent les cirrhes, à, réunis entre eux par la bordure membraneuse. k, muscle moteur de l'anneau. l, organe cilié qui détermine dans le liquide les courants destinés à porter dans l’intérieur l'eau pour la respiration, aussi bien que les aliments qu'elle peut renfermer. g m, anneau fibreux auquel sont suspendues les franges. n,n, baguettes ou côtes de l'appareil branchial, réunies entre elles par de courts barreaux ou échelons semblables aux côtes elles-mêmes. (Voir pour les détails, PL. 13, fig. 3.) 0,0, intervalles interbranchiaux garnis de cils vibratiles, et permettant à l'eau de s'écouler, à travers la charpente branchiale , dans la cavité générale du corps. q, cerveau. r,r, ganglions de la moelle épinière , donnant naissance chacun à une paire de troncs nerveux, qui, presque immédiatement apres, se divisent en branche dorsale et en branche abdominale. PLANCHE 11. Cette planche représente, sous un grossissement plus considérable que la précé- dente, la terminaison antérieure du système nerveux et de la corde dorsale, ainsi que les parties environnantes. On remarquera que les muscles manquent dans toute cette portion du corps, que rien ne représente le crâne, et que les grandes cellules à parois propres bien distinctes , qui avoisinent le cerveau et la partie renflée de la corde dorsale, se changent presque insensiblement en ce tissu cellulaire singulier dont j'ai donné plus haut la description (1). a, corde dorsale vue à un grossissement trop faible pour qu'on puisse distin- guer les cellules qui la composent, mais présentant, par suite même de sa structure, ces stries transverses, qui ont fait croire qu'elle était composée de rondelles juxtaposées. b, enveloppe libreuse de la corde dorsale. c,c, grandes cellules à parois propres bien distinctes. — Dans tous les in- dividus que j'ai observés, j'ai trouvé deux de ces cellules plus grandes que les autres dans la position où j'ai figuré celles qui contiennent la lettre c. d,d, cellules ou älots de tissu cellulaire dans son état primitif, constituant le ussu particulier dont j'ai parlé plus haut. (1) Page 232. 216 VOYAGE EN SICILE. e,e, lacunes irrégulières formées par les intervalles qui séparent les lots précédents. ff, grandes cellules regardées par Müller comme les représentants des rayons des nageoires, et que je crois répondre aux apophyses épineuses. g, système nerveux central (Müller) ou appareil cérébro-spinal. h, son enveloppe propre ou dure-mère i, ganglion terminal, ou cerveau. k, première paire de nerfs ou nerf optique. !, seconde paire de nerfs où grand nerf de Müller. Les ramifcations de cette paire se portent toutes d'arrière en avant , et se distribuent également en haut eten bas. m, troisième paire de nerfs, considérée par Müller comme une simple branche de la précédente. Celle-ci se porte tout entière vers la face inférieure, et fournit un tronc, n, qui se dirige vers la cavité buccale, et paraît la longer en dessus pendant quelque temps. (Voir la planche précédente.) 0, p. quatrième et cinquième paires de nerfs. Celles-ci n'offrent rien de par- ticulier ; elles se dirigent vers la partie supérieure de l'animal, et se distri- buent dans le tissu de la nageoire. q, organe olfactif en forme de eupule hérissée de cils vibratiles , dont le mouvement agite les petits corpuseules noirs et opaques contenus dans la cel- lule où est renfermé l'organe lui-même. PLANCHE 12. Fig. 1. Terminaison postérieure du corps de l'Amphioæus. — Ainsi que je l'ai dit dans le texte, cette figure est bien moins grossie que celle de la planche 44, représentant la terminaison antérieure du corps du même animal. a, corde dorsale avec les stries transverses , qui résultent de la disposition des cellules vues à un grossissement trop faible pour qu'on puisse les distin- guer elles-mêmes. b,b, couches musculaires latérales du corps. e,c, tissu cellulaire. d, moelle épinière, dont le diamètre est beaucoup diminué, et qui se termine en un filet grêle renflé à son extrémité. (Voir la fig 2.) On voit ici l'avant- dernier ganglion de la moelle épinière, d'où sort un tronc presque aussi gros que cette dernière. Le dernier ganglion, qui est moins prononcé que les autres, fournit également son tronc nerveux dont les divisions, en restant les mêmes au fond, ne présentent pas une distinction aussi tranchée entre la branche dor- sale et la branche ventrale. Fig. 2. Terminaison postérieure de la moelle épinière. a, filet terminal de la substance nerveuse se renflant en larme à son extré- mité. b, dure-mère qui enveloppe entièrement le filet terminal. Fig 3. Portion de la nageoire caudale (Müller) prise à son origine. a,a,a,a, grandes cellules représentant les rayons de la nageoire (Müller) ou, d’après notre manière de voir, les apophyses épineuses. b,b,b, cloisons de ces cellules. c,c, troncs nerveux qui viennent se ramifer dans la nageoire. d,d, tissu de la nageoire semblable à celui que nous avons décrit à la partie antérieure de l'animal e.e, lacunes de ce tissu Fig. 4. Cellules régulières de la corde dorsale vues à un grossissement de 300 dia inètres : leurs parois propres sont bien distinctes et tres épaisses, DE QUATREFAGES. — SUR L'AMPIIIOXUS. 247 Fig. 5. Ces mémes cellules déformées, comme j'en ai rencontré sur divers points ‘chez presque tous les individus soumis à l'observation. a, cellules régulières. b, cellules simplement déformées. e, cellules dont la cavité est presque effacée. d, cellules dont la cavité a disparu complétement par le rapprochement des parois. Fig. 6. Terminaison d'un des cirrhes buccaux. a, substance homogène qui entoure la charpente du cirrhe, et sur laquelle on peut à peine soupçonner quelques traces d'épithélium. b, enveloppe fibreuse du squelette solide e, cellules dont la réunion forme la portion squelettique du cirrhe. Fig 7. Cellules du squelette d'un cirrhe buccal vues à un grossissement de 300 diamètres. Fig 8. Cellules des téquments vues de profil avec la couche transparente , dia- phane, sur laquelle elles reposent , et qui les rattache aux tissus sous-jacents. 310 diamètres. Fig. 9. Les mémes cellules vues dans le sens de leur axe, prises sur la partie du corps correspondant aux branchies. 310 diamètres. Fig. 10. Les mêmes prises sur le dos vers leliers antérieur de l'animal. PLANCHE 13. Fig. 1. Branchiostome ou Amphioæus vu à un grossissement d'environ 2 £ dia- mètres. a, orifice buccal garni de ses cirrhes. b, anus. c, pore abdominal. d, branchies. e, portion renflée de l'intestin [. grand cæcum hépatique. g, portion grêle de l'intestin. h, cavité générale du corps. où sont logés tous les viscères , aussi bien que les branchies. i, aorte. k, arc aortique. LL, cœur artériel. m,m, bulbilles des artères branchiales. n, cœur de la veine cave. o, cœur de la veine porte. On voit facilement à l'inspection de cette figure qu'il n'y a pas ici de cœur proprement dit, et que les gros troncs vasculaires, étant tous contractles, rem- plissent eux-mêmes les fonctions de cet organe. Fig. 2. Structure des cirrhes et de l'anneau buccal. a,a, pièces distinctes qui composent l'anneau buccal, et dont chacune se prolonge en une sorte de longue apophyse qui constitue la partie solide du cirrhe; la portion qui forme l'anneau est composée de cellules semblables à celles de la corde dorsele, et présente le même aspect. bb, enveloppe fibreuse qui entoure chaque pièce de l'anneau. c, cellules qui forment apophyse, et qui deviennent de moins en moins 218 VOYAGE EN SICILE. aplaties à mesure qu'on les examine plus près de l'extrémité. (Voir la planche précédente, fig. 6.) e,e, membrane formée par les téguments , et qui unit les cirrhes les uns aux autres. f, muscles moteurs des cirrhes. Fig. 3. Structure des branchies. a.a, côte branchiale et barreau de communication ; leur structure est sem- blable , mais les fibres qui forment la première s'étendent sans interruption d'une extrémité à l'autre ; celles des seconds s'arrêtent, et se fondent pour ainsi dire sur les bords de la côte. b,b, languette musculaire (?). ce, substance homogène granuleuse transparente qui revêt les côtes et les barreaux de l'appareil branchial. d,d, cils vibratiles. Fig. 4. Fibres musculaires élémentaires des muscles latéraux. 300 diamètres. Fig. 5. Fibres musculaires élémentaires des muscles abdominaux. 300 diamètres. Müller pense qu'elles ne montrent jamais de stries transversales. Je crois en avoir vu pendant la contraction. Fig. 6. Organe olfactif. a, pigment noir très foncé et opaque (dans les figures imprimées sur papier noir, on a été forcé de représenter ce pigment en blanc). b, cupule d'où sortent les cils vibratiles c. d, corpuscules opaques que le mouvement des cils agite sans cesse. Fig. 7. OEil. a, dure-mère sous laquelle est placé } organe visuel. b, portion du cerveau -, nerfoptique montrant des stries à son origine, partout ailleurs homogène et granuleux. d, capsule. e, pigment. ", cristallin. Fig. S. Dernière terminaison des nerfs. #10 diamètres. On voit que rien ici ne ‘rappelle la terminaison en anse u, couches tégumentaires qui sont ici très minces, et où on ne distingue plus les cellules décrites plus haut. b, ramuscule nerveux e,e, derniers filets se terminant par un très petit épâtement. d,d, derniers filets aboutissant à un organe ovoide et d'apparence glandu-- leuse (y) Fig. 9. Structure de la moelle épinière. 300 diamètres. a, membrane propre. b. substance nerveuse entièrement granuleuse. Fig. 10. Structure des nerfs. a, névrilème très finement fibreux, au milieu duquel on distingue les gra- nulations de la substance nerveuse b. (1) N'est-il pas permis de trouver une certaine analogie entre ces pelits corps où viennent se terminer certains filets nerveux du Branchostome , et les organes trouvés par M. Lacauchie dans le mésentère des Chats ? Ne pourrait-on pas aussi les rapprocher des corps décrits par l'analomiste italien.….? 249 SUR LES FOSSILES DU BASSIN D’AIX (BOUCHES-DU-RHÔNE ) ; Par M. MARCEL DE SERRES. Lorsque M. Curtis, attiré en France par l'annonce du grand nombre d'insectes fossiles qu’en 1898 j'avais découverts dans le bassin tertiaire d'Aix, les vit dans mes collections, il fut frappé de l’analogie de leurs formes avec les espèces des régions méri- dionales de l’Europe. Gette analogie d'aspect et de caractères ex- térieurs a également frappé tous les naturalistes qui ont examiné ces insectes, soit dans mes collections, soit dans celles que M. Mur- chinson a réunies après nous. Les entomologistes de Paris peuvent également en prendre connaissance dans celles que M. Adolphe Brongniart a réunies pour le Muséum d'histoire naturelle. Cette analogie est loin cependant de pouvoir identifier ces In- sectes avec ceux qui vivent aujourd'hui. On peut arriver très ra- rement à un pareil rapprochement, en faisant même abstraction du grand nombre de leurs individus, qui sont trop mal conservés pour être déterminables sous le point de vue spécifique. Les espèces que nous avons pu reconnaitre nous ont paru se rapprocher de celles qui vivent maintenant dans les terrains secs et arides, sous l'influence d’une température assez chaude. Cette manière d'envisager la distribution de ces Articulés a semblé tout- à-fait anomale à M. Coquand, et en contradiction avec les faits connus , ainsi qu'avec la présence, dans les mêmes couches, des Crocodiles, des Palmiers et d’autres espèces des pays chauds. Parmi ces derniers, on ne peut pas certainement comprendre la Grenouille fossile, que ce naturaliste vient de décrire sous le nom de Rana aquensis. Du moins, sa taille est loin de correspondre à l’idée qu’on pourrait se former de la faune du bassin tertiaire d’Aix, si on l’envisageait comme analogue à celle des régions équatoriales. Cette observation , faite par M. Coquand à l’égard de ce Reptile, s'applique avec plus de force aux Arachnides et aux Insectes de la même faune ; car ce n’est pas sur un seul indi- vidu qu’elle porte, mais sur ceux qui entrent dans les cent vingt genres environ que nous en avons observés. M. Coquand s’appüie principalement sur les Palmiers qui ca- ractérisent l’ancienne flore d’Aix , pour prouver qu’elle était très 250 MARCEL DE SERRES. — SUR LES FOSSILES différente de celle d’aujourd’hui. Il s’agit donc de savoir quels sont ces Palmiers sans analogie avec les espèces de la flore euro- péenne. Ce ne peut être que le Palmacites lamanonis, qui se trouve également dans les terrains gypseux des environs de Paris. Or, ce genre perdu a de grandes affinités avec le Chamærops humilis, maintenant le signe de la limite septentrionale de la ré- gion des Palmiers : aussi ce dernier se rencontre dans les contrées méridionales de l’Europe, surtout en Espagne et en Italie. Ce Pal- mier appartient donc à une végétation assez semblable à celle des régions les plus chaudes de la France ; il ne saurait, dès lors, faire obstacle à l'admission des conséquences qui dérivent de l’ensemble des corps organisés ensevelis dans le bassin tertiaire d’Aïx. Ces conséquences ne sont pas seulement fondées sur les In- sectes qui s’y trouvent, mais sur la plupart des espèces végétales qui, à la même époque, composaient la flore de ce bassin. Nous y avons recueilli jusqu’à environ quarante-cinq genres des diverses tribus, des Cryptogames, des Monocotylédons, des Gymnosper- mes et des Dicotylédons, dont la plupart ont les plus grands rap- ports avec les plantes européennes. Nous sommes loin cependant de les considérer comme semblables aux végétaux actuellement existants; mais ils ne contrastent nullement avec les formes des plantes des régions méridionales de la France. Nous avons , du reste, fait connaître cette végétation dans les notes géologiques que nous avons publiées sur la Provence. Il ne reste donc que les Crocodiles, qui ne vivent plus mainte- nant dans nos contrées, et que M. Coquand paraît avoir rencon- trés dans les marnes gypseuses des environs d’Aix. Nous n’avons pas été aussi heureux ; mais en admettant que ces Sauriens y ont existé à l’époque tertiaire, doit-on en conclure qu'il n’y a aucune analogie entre l’ancienne population et la végétation de celle qui y brille aujourd’hui? Il nous paraîtrait qu'en déduire une pareille conséquence, ce serait aller contre les faits les plus constants. En effet, une infinité de cavités souterraines recèlent des Élé- phants, des Rhinocéros, des Hippopotames, des Lions, des Hyènes avec des espèces que l’on ne saurait distinguer par aucun carac- tère appréciable des races vivantes. Il est également certain qu'un grand nombre des Infusoires qui caractérisent les terrains cré- DU BASSIN D’AIX. 251 tacés, dont les dépôts sont plus anciens que ceux des cavernes à ossements, vivent encore dans nos mers. Il y a plus, les mêmes espèces des Infusoires de la craie ont été retrouvés à l’état vivant dans l'estomac des Huîtres de nos jours (1). Or, l'identité de ces races des anciens âges avec celles qui existent maintenant établit une chaîne non interrompue des mêmes êtres animés de l'époque secondaire aux temps actuels. Dès lors, il est aussi peu étonnant de découvrir, dans les terrains tertiaires, des espèces animales et végétales non identiques, mais analogues avec les races actuelles, que d’en trouver de semblables dans des formations d’une époque aussi ancienne que celles dont nous ve- nons de parler. Ces faits prouvent que nos assertions ne sont pas aussi erro- nées que paraît le supposer M. Coquand. Elles le sont si peu, que M. Read, dans son travail sur les cils et les courants ciliaires des Huîtres, a presque démontré qu’il n’était pas impossible que les investigations microscopiques fissent découvrir des Infusoires siliceux jusque dans les terrains de transition (2). Le mélange des espèces perdues et des races actuellement exis- tantes a donc commencé beaucoup plus tôt dans les temps géolo- giques qu'on ne l'avait admis jusqu'à présent. Il n’est donc pas vrai que toute la création animale qui vit de nos jours ne remonte pas au-delà de l’époque quaternaire, ou du dépôt des terrains nommés récemment pleistocèene. Un pareil mélange a eu lieu non seulement dans les formations tertiaires, mais encore dans quel- ques unes de celles qui appartiennent à la période secondaire. Qu'oppose-t-on à ces faits? la découverte de M. Saporta. On sait que cet entomologiste a trouvé , dans les terrains gypseux d’Aix, un Lépidoptère de la division des Satyres, qui ne paraît pas avoir de représentants parmi les races vivantes. Ce Satyre ap- partient au genre Cyllo, qui habite les îles de l'archipel Indien. Il paraît assez rapproché du Cyllo rohria où du Cyllo comus, espèces qui vivent encore. Cette observation, due à M. Boisduval, est donc loin de contrarier les conséquences que nous avons dé- duites de l’ensemble des végétaux et des Insectes que nous avons (1) Athenœum, n° 922. (2) Bibliothèque universelle de Genève, septembre 1845, & LIX, p. 195. 9252 MARCEL DE SERRES. — SUR LES FOSSILES observés dans le bassin d'Aix, il y a déjà plus de quinze années. Si M. Boisduval a douté longtemps de la réalité de la présence du Papillon découvert par M. Saporta dans les marnes fossilifères de la Provence, il en a été de même lorsque nous annonçcâmes, en 1828, que le nombre des Insectes y était très considérable. Nous ne saurions admettre que l'observation de cet entomologiste soit passée inapercue ; du moins, nous l’avons reproduite dans notre Notice géologique sur la Provence, avec la figure du Cyllo se- pulta. Nous sommes, du reste, d’accord avec M. Boiduval sur l’ana- logie des genres d’Insectes d'Aix avec les genres vivants. En effet, d’après ce savant, le Cyllo sepulta à été rencontré dans les mêmes marnes où l’on a découvert un assez grand nombre de Diptères des genres Bibio ou Cecidonia. On a également observé avec eux de grands Curculionites voisins des Otiorhyncus , des larves ou des nymphes de Libellules , des Blattes et des Ichneumons. Tous ces Insectes appartiennent, ajoute M. Boisduval , à des genres actuellement existants : seulement, leurs espèces ne parais- sent pas avoir leurs analogues dans notre monde, D'ailleurs le Cyllo sepulla est-il bien une espèce perdue? Qui oserait l’assurer? Il n’y à pas une quinzaine d’années que les Sa- tyres blancs (Ærge), dont leshabitations sont extrêmement diverses, ne comprenaient que quatre ou cinq espèces. On en compte maintenant jusqu’à quinze. Si l’une d'elles avait été trouvée, il y a quelque temps, à l’état fossile, on n'aurait pas pu reconnaître ses analogues parmi les races vivantes. Ne pourrait-il pas en être ainsi du Cyllo des Bouches-du-Rhône ? Avant 1838, on ne connaissait en Europe que trois espèces du genre Papilio. Ces espèces étaient le Machaon , le Podalire et l’Alexanor. La Sardaigne nous en a fourni, à cette époque, une quatrième, le Papilio hospiton. Si, avant d’avoir été rencontré dans une île explorée depuis longtemps par les entomologistes, ce papillon avait été trouvé dans des couches fossifères, on l'aurait certainement plutôt rapproché des espèces de ce genre de l’Amé- rique du Nord que de celles de l’Europe. Or, puisque ce fait nous indique qu’il existe des Lépidoptères d’une assez grande taille à découvrir, même dans nos contrées, on doit le présumer à plus forte DU BASSIN D'AIX. 253 raison pour celles d’une moindre dimension, comme est le Cyllo. Il en est de même des Insectes des autres classes , et particu- lièrement des Coléoptères. D'ailleurs les entomologistes les plus exercés s’entendent-ils sur ce que l’on doit considérer comme es- pèce, et ne se réforment-ils pas souvent eux-mêmes? Il suñit d'ouvrir les catalogues de M. Dejean, pour s’apercevoir qu’un In- secte, considéré d’abord par cet habile entomologiste comme ne constituant qu’une seule espèce, est devenu plus tard la souche de trois ou quatre espèces différentes. Les plus grandes incertitudes règnent, du reste, sur la véri- table patrie d’un assez grand nombre d’Insectes. Certaines espèces disparaissent d’un pays, et y sont remplacées par d’autres. Des anomalies non moins remarquables se présentent aussi parfois. Le Plusia Daubei fut extrêmement abondant, en 1834, dans le midi de la France et dans l’Andalousie, où Rambur en fit une grande capture. La même année, le Sphinx nert fut extrême- ment commun en Allemagne et dans nos régions méridionales ; depuis lors, ces deux espèces n’y ont plus paru. Si donc il est difficile d’être certain de l'habitation des races vivantes, combien doit-on hésiter pour celle des espèces fossiles! Avant les observations de M. de Humboldt, aurait-on supposé que le Tigre royal , la même espèce qui habite les régions tropi- cales de l’Inde et de l’île de Ceylan , étendiît ses courses vers le Nord jusqu’au-delà du 53° de latitude ? Si ces débris avaient été rencontrés en Sibérie avant que ce carnassier y eût été observé vivant, on aurait ceriainement supposé que le climat de ces ré- gions avait dù éprouver de notables changements. Si l'on ajoute à toutes ces difficultés celles qui résultent de la détermination des espèces fossiles, pour la plupart privées de leurs caractères essentiels, l’on comprendra l’embarras où l’on se trouve pour donner aux questions que ces faits soulèvent une solution raisonnable. Ainsi l'empreinte d’un Scaurus peut tout aussi bien s'appliquer à une Pimelie ou à un Morica, où encore à cer- tains 4kis, qu'à ce genre; car la plupart des coupes génériques sont le fruit du caprice des observateurs. On ne peut donc pas fonder sur eux des distinctions réelles. En effet , l'empreinte d’un Scaurus fossile , que nous avons pris pour exemple, pourrait, aux yeux de cerlains entomologistes, être con- 254 MARCEL DE SERRES. — SUR LES FOSSILÉS sidéré comme un genre nouveau, tandis qu'il ne serait pour d’au- tres qu’une espèce nouvelle d’un genre établi. Si le Cyllo sepulla avait été découvert il y a vingt ans, on en aurait fait tout simplement un Satyre, comme Clystemnestre et autres ; on n’aurait certainement pas songé à en former un genre nouveau. Ce que nous venons de dire des genres s'applique égale- ment aux espèces ; car l'on n’est pas encore fixé sur leurs limites, même pour les races vivantes, où il est plus facile d’en saisir le type. Ges difficultés sont plus grandes pour les fossiles, où un pa- reil contrôle n’est plus possible. Du reste, des différences indivi- duelles plus où moins profondes rendent souvent la démarcation entre l’espèce et la variété bien difficile à établir. Quoique le genre Cyllo n'ait été jusqu'à présent rencontré que dans des climats plus chauds que celui où se trouve Aïx, on ne voit pas pourquoi une espèce du même genre, mais dilférente de celles qui nous sont connues , n'aurait pas pu habiter les zones tempérées. La stature du Papillon d’Aix n'y met pas du moins obstacle. Comme il a vécu dans les temps géologiques , lorsque la loi de la diffusion régnait, on pourrait très bien le rencontrer plus tard ailleurs, et à un grand éloignement du lieu où il a été dé- couvert. On peut d'autant plus le présumer que, même aujourd'hui, les formes entomologiques équatoriales ne sont pas inconnues en Europe, et qu’elles y sont représentées par plusieurs espèces ; tels sont le Danais chrysippus de la Calabre , et le Charazxius Jasius , qui étend ses excursions jusque dans le midi de la France. Les Pimelia, les Akis, les Scaurus, les Brachycerus, qu’on trouve tout autour de la Méditerranée, n’appartiennent pas sans doute aux formes équatoriales ; mais elles n’en caractérisent pas moins la zone tempérée, voisine des tropiques , dans les deux Hémisphères. Il est même quelques espèces qui habitent les zones les plus opposées ; nous n'en citerons qu'un seul exemple, tant celui sur lequel nous nous appuierons est remarquable. Le Pristonychus complanatus est un Carabique qui habite lEu- rope australe et les côtes de la Barbarie ; on le retrouve pour- tant sur les montagnes qui avoisinent Valparaiso au Chili; il ne paraît pas avoir été rencontré ailleurs en Amérique. La compa- raison la plus minutieuse n’a pu faire découvrir aucune différence DU BASSIN D'AIX. 255 entre les individus pris dans cette localité el ceux de l’Europe : aussi leur identité ne peut être douteuse (1). Ces faits qui ont lieu de nos jours, c’est-à-dire à une époque où la loi de la localisa- tion a remplacé celle de la diffusion , doivent s’être bien plus pré- sentés dans les temps géologiques qu'actuellement, Ils prouvent que l’on s’est formé des idées beaucoup trop absolues sur la distribution des espèces de l’ancien monde. Ce ne sont pas seulement les recherches remarquables d'Ehrenberg qui tendent à le démontrer, mais d’autres non moins dignes d'intérêt. Ainsi ce n’est pas sans quelque étonnement que l’on découvre au milieu des couches wealdiennes le Zaludina vivipara et le Cyclas cornea, qui vivent encore. On n'est pas moins surpris d'observer le Terebratula caput serpentis dans le Jura supérieur. Il ne faut donc pas considérer la découverte d'espèces fossiles comme annonçant une température élevée, par cela que leurs analogues né se trouveraient aujourd’hui que dans des contrées tropicales. On ne devrait pas non plus induire de leur distribu- tion la preuve d’un changement de climat ou de toute autre con- dition des milieux extérieurs ; car elle pourrait provenir de leur organisation , qui leur aurait permis de supporter des tempéra- tures très différentes. Pour pouvoir déduire avec une certaine rigueur de pareilles conséquences , il est essentiel de les faire re- poser, non sur quelques espèces isolées, mais sur l’ensemble de celles qui se trouvent dans une localité dont on veut apprécier les circonstances climatériques. En effet, n'est-il pas dans le monde actuel plusieurs animaux et plusieurs végétaux dont les habitudes sont cosmopolites , et qué lon découvre dans toutes les zones terrestres? Pour nous res- treindre dans un sujet aussi vaste, ne citons que quelques exemples relatifs à la distribution des Insectes et des végétaux. Sait-on à quel climat appartient la Belle-Dame (/”anessa cardui), puisqu'elle les habite tous ? Le Sphinx convolvuli du nord et du midi de la France ne se trouve-t-il pas jusque dans les îles de la Polynésie, tout comme plusieurs Phalènes et Noctuelles des envi- rons de Paris et du nord de l’Europe, au cap de Bonne-Espé- rance ? Savons-nous quelle est la patrie de la Samole aquatique (Sa- (1) Introduction à l Entomologie, par Lacordaire, t. I, p 54%8. 256 MARCEL DE SÉRRES. — FOSSILES DU BASSIN D'AIX, molus valerandi) ; de la Fumeterre , de l’Ortie, du Marube com- mun, des Mauves, du Mouron des oiseaux, et d’une foule d’autres végétaux que l’on rencontre dans toutes les contrées du globe ? On fera peut-être observer que ces faits se rapportent à des espèces vivantes , tandis qu’il s’agit ici de races perdues, dont la destruction annonce un changement opéré dans les climats qu’elles habitaient précédemment. Mais une pareille condition est-êlle nécessaire pour détruire des espèces animales et végétales? les faits nous annoncent qu’il est loin d’en être ainsi. En effet, où découvre-t-on aujourd’hui les Crocodilus lacunosus etcomplanatus que Geolfroy-Saint-Hilaire a trouvés ensevelis dans les catacombes de l'Égypte ? Ces Crocodiles ont disparu de la surface du globe, aussi bien que le Dronte, quoique cet oiseau ait élé apercu, en 4616 , à l’île Maurice. De même , le Cerf à bois gigantesques a été totalement détruit vers la fin du xvr° siècle : aussi en cherchons-nous vainement les traces aujourd’hui. On ne pourrait pas prétendre que, depuis cette époque si rapprochée de nous, le climat de l'Italie a changé ainsi que celui de l'ile Maurice. Il faudrait en dire autant de l'Égypte : cependant les productions naturelles n’y ont point varié depuis le temps des Pharaons, ou, du moins, depuis les plus anciens monuments qui en offrent des représentations. Ces faits suffisent, sans doute, pour prouver qu'il n’est nulle- ment nécessaire d'avoir recours à un changement de climat pour expliquer la destruction de certains animaux où végétaux. Ainsi on ne doit pas conclure, de ce que quelques espèces perdues se trouvent mélangées avec d’autres qui ont leurs analogues, que ces races détruites, el par suite les secondes, ont exigé des condi- tions très différentes de celles dont elles subiraient l'influence , si elles n'avaient pas cessé d'exister dans les lieux où l’on découvre leurs débris. Ge n’est donc pas sur quelques espèces, mais sur leur ensemble que l’on doit se régler pour déterminer la région à laquelle elles peuvent appartenir. Le phénomène de la distribu- tion primitive des animaux et des végétaux est, du reste, un des plus compliqués et des plus obscurs parmi ceux qui régissent les êtres vivants. MÉMOIRE SUR LE DÉVELOPPEMENT DES MÉDUSES ET DES POLYPES HYDRAIRES : Par M. FÉLIX DUJARDIN, I. Caractères généraux, Les Acalèphes etles Polypes ont été considérés d'abord comme formant deux classes bien distinctes ; mais des observations faites depuis dix ans par divers naturalistes ont signalé des rapports inattendus entre certains Polypes et de jeunes Méduses qui pa- raissent en dériver , ou même entre des Méduses bien connues et des Polypes qui seraient une phase de leur développement. Déjà, en mai 1843, j'ai eu l'honneur de présenter à l’Académie un pre- mier travail sur la Cladonème, qui, dérivant par gemmation d’un Polype hydraire , que je nomme Stauridie . doit être consi- dérée comme une Méduse bien caractérisée, et distincte des es- pèces précédemment décrites. Dès lors, une autre Méduse, que je nomme Sthényo, m'avait présenté, en retournant son ombrelle, une forme analogue, en petit, à celle d’un ovaire végétal , dont ses tentacules et son estomac représenteraient les styles et le pé- doncule ; mais il me manquait de connaître la cause de cette sin- gulière rétroversion, d’avoir vu les œufs produits par ces Méduses, et d’en avoir suivi le développement sous la forme de Polype. De nouvelles observations m'ont mis à même de compléter sur ces points ma première communication , et d'y ajouter la description de la Sthényo , et d’une troisième méduse, la Callichore. Celle-ci, qui dérive aussi d’une Syncoryne, s’est produite, comme les précédentes, dans les vases, où je conserve vivantes des productions marines , depuis plusieurs années, J'ai pu d’ail- leurs comparer lestravaux de MM. de Siebold (1), Sars (2)et Van (1) Sresouo , Beitrage zur Naturgeschichte der Wirbellosen Thiere, 1839 (2) Sars, Beskrivelser og Jagttagelser over, etc., Bergen, 1835 : et dans les Archives de Wiegmann, 1837 ; traduit dans les Annales des Sciences naturelles , 1841, t. XVI, p. 321. 3° série. Zooc. T. IV. (Novembre 1845.) ; 17 255 DBUSARDIN. — DÉVELOPPEMENT DES MÉDUSES Beneden (1), sur des sujets analogues , et je crois pouvoir aujour- d’hui présenter des conclusions plus précises sur la relation qui existe entre les Méduses et les Polypes. La classe des Polypes, après qu’on l’a débarrassée des Bryo- zoares, des Encrines, des Corallines, des Nullipores et des Éponges, contient encore deux groupes considérables : les An- thozoaires , qui ont des ovaires bien définis; et les Hydraires, qui manquent d’ovaires et de véritables œufs. Les Anthozoaires, qui, d’ailleurs, ont un tégument distinct plus résistant, et des tenta- cules , ou très nombreux, ou symétriques , au nombre de huit ou douze. seront peut-être les seuls vrais Polypes. Quant aux Polypes hydraires , avec leurs tentacules en nombre variable, et privés d’un tégument distinct, ils paraissent n'être qu’une première phase du développement des Acalèphes; cependant, en outre d’une certaine similitude de tissus , ils semblent n'avoir de com- mun avec les Acalèphes que des organes singuliers bien définis, des capsules filifères disséminées dans la masse charnue, Ils sont, par rapport aux Méduses, ce qu'est le mycelium par rapport aux Champignons; ils peuvent se propager indéfiniment de diverses manières, sans avoir eu d'œufs véritables ; mais à un certain in- stant et dans certaines conditions, au lieu d’un bourgeon ordi- naire ou d’un bulbille, ils produisent une véritable Méduse suscep- tible d'acquérir, par un développement ultérieur, des ovaires et des œufs bien définis, d’où naîtra une nouvelle génération de Polypes. Les Polypes hydraires, comme on le sait, se propagent par gemmes, par stolons et par bulbilles ; mais, sous ce dernier nom, il faut comprendre ce qu’on a nommé des œufs pour l’hydre , la coryne. etc. Il convient d’ailleurs de définir d’abord ces différents modes de propagation. Une GEmeE est une portion d’un corps vivant en continuité de tissus et de fonctions avec ce corps, mais renfermant un centre adventif de vitalité, et devenant immédiatement semblable à la (1) Van Bexenex, Mémoire sur les Campanulaires, 1843. — Recherches sur l'embryogénte des Tubulaires, 184%, ET DES POLYPES HYDRAIRES. 259 mère par une évolution non interrompue, et sans fécondation préalable. Un sroLon est un prolongement ordinairement filiforme . d’un corps vivant, dont il ne doit avoir ni les organes ni les fonctions, mais destiné seulement à produire des gemmes terminales ou la- térales. Un 8uLBILLE est aussi une portion d’un corps vivant . renfer- mant un centre adventif de vitalité comme la gemme , et devant se développer comme elle, mais cessant, à un instant donné , d’être en continuité de tissus et de fonctions avec la mère, et pouvant rester plus ou moins longtemps à l’état de repos ou de vie latente, protégé qu'il est par une enveloppe susceptible d’accroissement. L’œur , enfin, est le produit d’un corps vivant, renfermant un nouvel être, ou les éléments d’un nouvel être, qui n’est jamais en continuité de tissus et d'organes, mais souvent en continuité temporaire de fonctions avec ce corps, et qui n'arrive à ressembler à sa mère qu'après diverses phases d’évolution. Il faut d’ailleurs qu’un des éléments du nouvel être, dans ce cas , soit un élément fécondateur préalablement ajouté à l’ovule. Or, ces caractères se trouvent précisément dans les œufs des Méduses observés par M. de Siebold , et dans ceux que j'ai vus de mon côlé. Les capsules filifères (A) devant nous fournir le principal caractère (#) Les capsules filifères, que je nommais capsules spiculifères en 1843, ont été décrites d'abord dans l'Hvdre par M. EurexserG (Wém. de l'Ac. de Berlin, 1835-36), qui les nomma hameçons (angelhaken). M Coroa les étudia aussi dans le même Polyne (Nova Acta Acad nat. Cuv . 1. XVII, et Ann. des Sc. nat , t. VIIT, 1837). — M. Enoc (Müller's Archio.. 4841, p. 429, PL 15, f. 10-13) - les décrivit aussi avec soin — Mais M. Dovère (Comptes-Rendus de l’Académie des Sciences, 4842, t. XV, p. #29). voulant réfuter l'opinion émise par M. Laurent sur ce sujet , a été conduit à les étudier avec plus de soin encore. Il distingue trois sortes de ces organes : les plus gros, nommés hastæ par M Corda, ont été, dit-il, très exactement représentés par M. Ebrenberg : « Mais l’un et l'autre de ces ob- servateurs ont mal interprété les apparences fournies par le microscope... En comprimant, on voit sortir par l'orifice toutes les parties qui constituent l'hame- on : ainsi le spicule ou dard (calcarea sagitta de M. Corda) figuré dans l'intérieur 260 DUJARDIN. — DÉVELOPPEMENT DES MÉDUSES commun entre les Méduses et les Polypes hydraires , il convient de les définir et de les décrire en détail. Elles ont été déjà vues et étudiées par beaucoup d’observateurs soit dans l’une, soit dans l’autre forme de ces animaux : mais on les a, je crois, mal com- prises en les prenant pour des armes, et en leur attribuant une pointe saillante, une sorte de dard. Ces capsules sont identiques dans un même Polype et dans la Méduse qui en dérive , et diffé- rentes au contraire dans une autre espèce. On les voit globuleuses, larges de 0"”,025 dans le Pelagia noctiluca ; ovoïdes , longues de 0,013 à 0"",024 dans les Hydres , l'Éleuthérie , les Syn- corynes, et les Méduses qui en dérivent; également ovoïdes, mais longues seulement de 0°*,008 dans le Rhizostome ; très étroites, longues de 0"",007 à 0"",009 , et deux ou trois fois moins larges dans les Sertulaires et certaines Corynes. La structure des cap- sules du Pelagia est facile à reconnaître : un long filament aplati du sac par M. Corda, et représenté saillant au dehors par M. Ehrenberg , n’est autre que l'espece de calice basilaire à trois pointes en étoile des prétendus hame- çons. Le long filament grêle qui part de ce calice étoilé était, avant l'évolution, invaginé en dedans de lui-même et du calice ou spicule par un retournement en doigt de gant, et formait au fond du sac cette apparence de coussin que M. Corda a nommée vesica patelliformis ; un examen attentif et d'excellents instruments font même reconnaître dans ce coussin sa composition par un fil roulé en spirale. Outre ces organes, les mamelons des tentacules sont hérissés d'acicules rigides , qui se détachent avec une grande facilité. Je les crois siliceux , implantés dans l'orifice des organes... Une grande Hvdre s'était emparée d'une larve d'insecte, qui porte un grand nombre de prétendus hameçons , dont le filament est enfoncé dans son corps jusqu'au spicule à base étoilée. La blessure est, sans nul doute, faite par ce spicule lui-même sortant du sac hustifère , et le filament se développe ensuite dans les tissus, ce que rend facile son extrême finesse et son mode d'évo- lution par invagination en dedans de lui-même...» M. de Quatrefages, dans son Mémoire sur l'Eleutheria (Ann. des Sc. nat., 1842, t. XVIII), a représenté d'une manière différente des capsules qui lui ont paru contenir un dard, ou petit poignard, supporté par une glande vénénifère, et accompagné de muscles latéraux servant à l'expulser. M.R Wacner, dans ses Jcones Zootomicæ, PL. 33, en 4841, a représenté les capsules du Pelagia noctiluca , et M. Mune Enwarps a vu, dans les Stéphano- mies (Ann. des Sc.nat., 1841, L XVI), des capsules filifères d'une forme et d'une dimension inattendues , dont il m'a montré des dessins inédits. ET DES POLYPES HYDRAIRES. 261 et tordu se trouve enroulé dans l’intérieur, et se déploie avec élasticité au dehors, quand la coque vient à se rompre, trop gonflée par endosmose. Les capsules des Hydres, des Syncorynes, ou Stauridies, et de leurs Méduses, se composent d’une coque dure et cornée, dans laquelle est rentrée, comme un doigt de gant, une membrane mince, diaphane, qui, après l'explosion, se trouve déployée au dehors sous la forme d’un sac conique , en continuité avec l'extrémité ouverte de la coque. Dans le prolon- gement de ce sac conique, diaphane , se trouve un long filament d’une extrême ténuité, dont la base porte quelquefois deux ou trois lamelles aiguës dirigées en arrière, comme les barbes d’une flèche. C’est là ce qui a fait donner le nom d’hamecon à cette partie ; de même qu’on a pris pour un dard l'extrémité du sac membraneux qui, avec les lamelles adjacentes, dans l’état de ré- traction, occupe l’axe de la capsule, Avant la rupture de la capsule, le filament se trouve enroulé autour de la paroi interne qui double le sac membraneux , et l’on y distingue quinze à dix-huit tours ; mais à mesure que la capsule approche de sammturité, il se forme au fond un amas globuleux de liquide plus dense qu’on a pris pour une glande vénénifère, et qui doit, par un effet d’endosmose, déterminer la rupture des capsules au contact de l’eau. Ces capsules, qui se trouvent surtout réunies dans les pelotes terminales ou latérales des bras et des tentacules, se voient aussi, plus ou moins nombreuses, disséminées sans ordre dans la sub- stance charnue , et particulièrement dans la tige des Stauridies , où elles forment des bandes longitudinales irrégulières. On ne peut donc les considérer exclusivement comme des organes épi- dermiques ou comme des armes , d'autant moins que les pointes diaphanes dont les tentacules sont hérissés, et qu’on a cru être l’extrémité du dard des capsules, en sont au contraire tout-à-fait indépendantes , et ne leur correspondent que par hasard. Ce sont évidemment d’ailleurs ces pointes molles, sarcodiques, comme celles des Actinophrys et des Acineta, qui frappent d’immobilité subite , en les agglutinant, les animalcules qui passent à leur portée. 262 DUJARDIN. — DÉVELOPPEMENT DES MÉDUSES Les capsules de la Stauridie et de la Cladonème sont longues de 0°*,022 à 0®®,02# et larges de 0,01 4 à 0%%,046. — du Syncoryna ‘glandulosa et du Callichora de 0"",023 et larges de 0%*,013. - du Syncoryna decipiens et du Sthenyo de 0“%,018 à 0,019 et larges de 0°*,014. — de l'Hydre brune sont longues de 0°*,021 et larges de 0°",018. — de l'Eleuthérie (d'après M de Quatrefages) de 0°*,013 et larges de 0,014. — de l'Hydre verte sont longues de 0®®,0418 et larges de 0,085. — du Rhizostome de Cuvier sont longues de 0,008 et larges de 0,007. — du Sertularia pumila sout longues de 0*",008 à 0,009 et larges de 0"",004. — du Syncorynu reptans sont longues de 0*#,007 à 0,009 et larges de 0°*,003 à 0®=,004. En résumé , les capsules filifères ont une forme et une structure tellement constantes qu’elles peuvent , je crois , faire reconnaître avec certitude les diverses espèces de Polypes ou d’Acalèphes, et qu’elles doivent avoir une importance caractéristique ou moins égale à celle des plumes , des poils et des écailles, chez les divers animaux pourvus de ces appendices. Si nous passons à l'étude des tissus, nous voyons ici, comme dans la plupart des organismes inférieurs , un tissu homogène, diaphane , plus ou moins pénétré de granules, et creusé de ca- vités, qu’une apparence de régularité pourrait faire prendre pour des cellules ; mais ces cellules apparentes sont de simples lacunes sans parois propres , quelquefois comprimées dans un sens ou dans l’autre, et pouvant communiquer entre elles, de telle sorte que les cloisons interrompues et étirées ont pu être prises pour des muscles. Dans ces lacunes, ou cellules, se voient d’ailleurs aussi des globules granuleux , pris pour le nucléus des cellules. L’axe même des bras, chez les Stauridies et les Syncorynes , est souvent occupé par une sorte de cordon que forment en partie les pré- tendus nucléus des cellules ; mais, quant à la charpente régulière, ET DES POLYPES HYDRAIRES. 263 et aux cloisons également espacées que plusieurs naturalistes ont indiquées chez des animaux analogues, je crois que c’est fortuite- ment qu’on a pu les voir ainsi, et qu’en général , au contraire , cette structure est essentiellement irrégulière. La couche externe présente ordinairement une structure un peu différente ; elle montre parfois des cellules, ou lacunes, plus pe- tites; peut-être aussi a-t-elle généralement plus de consistance ; mais ce n’est pas, je crois, un véritable tégument, car elle se dé- compose avec diffluence en se désagrégeant, ainsi que la sub- stance interne. Le compresseur fait voir, en outre , sous cette couche externe, chez les Sertulaires et certaines Corynres seule- ment, des faisceaux de fibres qui se rendent aux tentacules, Il y a bien aussi une apparence de couche superficielle , diaphane, très mince ; mais il m'a paru qu’au lieu d’être une sorte d’épiderme , c’est une portion de cette même substance sarcodique qui forme la masse commune , et que c’est d’elle que proviennent les pointes fines de la surface. On voit, enfin, dans quelques parties de la substance charnue, des granules plus ou moins distincts, plus ou moins serrés, qui paraissent être un produit de sécrétion ou un résultat de condensation de la substance même, bien plutôt qu’un indice de cellulosité. A l’intérieur des tiges , la même substance , entremêlée de capsules filifères, forme une couche de larges la- cunes sous l’enveloppe cornée, et constitue au centre un canal, dans lequel le liquide contenu avec les corpuscules flottants est agité par des cils ou filaments ondulatoires. Dans les Méduses que j'ai vues naître sur des Polypes, les ten- tacules ont la même structure que chez les Syncorynes et les Stau- ridies ; mais, de plus, ils sont extensibles et contractiles presque autant que ceux des Hydres. L’ombrelle a une structure toute particulière : on y voit clairement des fibres transverses , ainsi que dans le diaphragme qui la ferme en dessous. Dans l’ombrelle se voient aussi des canaux en nombre défini, partant du sommet , et venant aboutir à un canal transverse parallèle au bord. Une circulation vague a lieu dans ces canaux , comme dans les tiges des Polypes ; elle est produite également par des cils vibratiles. À la base des bras, ou tentacules principaux de l’ombrelle, se 264 DUJARDIN. — DÉVELOPPEMENT DES MÉDUSES voient des taches noires représentant des yeux ; elles sont formées de quarante à cinquante globules d’un pigment noir , larges de 0,005 , parmi lesquels se trouve un globule plus grand, dia- phane , large de 0°",045 ; mais je n’ai pu y reconnaître , comme M. de Quatrefages dans son Eleuthérie, une structure aussi nette- ment déterminée de cristallin et de cornée. L’estomac est de forme très variable; tantôt allongé, cylin- drique ou fusiforme, il représente un pédoncule central inséré sous l’ombrelle ; tantôt renflé en forme d’urne ou de bouteille , il se rapproche du point d'insertion , et s'y aplatit quelquefois en forme de disque. Sa paroi, épaissie, souvent colorée , est réti- culée ou celluleuse à la surface, et contient dans son épaisseur les ovaires, et probablement aussi les testicules. Ces ovaires d’ail- leurs sont quelquefois circonscrits sur les angles saillants de l’esto- wac, ou bien, pour certaines espèces, ils s'étendent de proche en sroche sous les rayons correspondants de l’ombrelle (4). II. Âistorique. Quoique les Polypes hydraires et les Acalèphes aient été étudiés séparément par les différents auteurs, et que leurs vrais rapports ne se soient révélés que dans ces derniers temps , on ne peut ce- pendant séparer leur histoire, car la connaissance des uns est désormais indispensable pour compléter celle des autres. C’est à B. de Jussieu (1744) (2) qu’il faut, comme chacun le sait, faire re- monter les premières notions précises sur la nature des Polypes hydraires; cet illustre naturaliste avait bien vu les corps repro- ducteurs ou bulbilles des tubulaires , sans pourtant reconnaître leur vraie signification. Trembley (1744) (3), par ses belles recherches sur l'Hydre, avanca considérablement la connaissance physiologique des Po- (1) C'est d'après des observations inédites de M. Milne Edwards que je cite ces deux modes de localisation des ovaires sur deux Méduses, qui me semblent dé- river également des Polypes hydraires (2) B_ Jussieu, Mémoires de l'Académie des Sciences, 1742. (3) Treuaiey, Mémoires pour servir à l'histoire naturelle d'un genre de Polype d'eau douce, AT4&4. ET DES POLYPES HYDRAIRES. 265 lypes hydraires ; il donnait alors les premières notions sur leur structure, sur la nature de leurs tissus , et sur leur mode de pro- pagation par gemmes. Ellis, en 1756 (1), donna des descriptions et des figures assez exactes d’un grand nombre de ces productions marines, qu'il nommait des corallines ; il les considérait surtout en collecteur ; cependant il a entrevu les jeunes Médusaires qui se forment dans les capsules des Campanulaires, Roesel, en 1756 (2), fit mieux connaître les corps reproducteurs qu'on a pris pour les œufs de l’Hydre, et qui ne sont que des bulbilles protégés par une enveloppe susceptible d’accroissement ; Jussieu, de son côté, les avait déjà vus en 17/6. Cavolini, en 1785 (3) , augmenta beaucoup, par ses belles re- cherches , la somme des connaissances que l’on avait déjà sur les Polypes hydraires ; il signala le phénomène de circulation qui a lieu dans les tiges des Sertulaires , et le mode de propagation de ces mêmes Polypes et des Campanulaires par des corps repro- ducteurs différents de ceux qu'avait vus Ellis. Ce sont sans doute des bulbilles qu’il a eus sous les yeux, et qu’il décrit comme des œufs susceptibles de se développer immédiatement en Polypes semblables à la mère. O.-F, Müller, un peu plus tard (1788), décrivit sous le nom d’Hydra squamata une Coryne , dont les bulbilles pédonculés lui parurent représenter des écailles. Diverses formes de Méduses, qui dérivent des Polypes hy- draires , étaient déjà décrites dans les ouvrages de Slabber , de Modeer , etc. Pendant les quarante années suivantes, on en dé- crivit beaucoup d’autres ; Péron et Lesueur , en 1808 (4), pu- blièrent même une monographie des Méduses , mais sans ajouter d'observations physiologiques sur leur développement. Sous ce rapport aussi, l’histoire des Polypes hydraires demeura station- naire pendant la même période ; Lamarck, Lamouroux et les f (1) Erus , Essai sur l'histoire naturelle des Corallines, 1756. (2) Ræsez , Inseklen Belustigungen , 1746-1761. (3) Cavou:, Memorie per servire alla storia de Polypi marini. Naples, 4784. (OR Penox et Lesveur, Annales du Muséum , 1. XIV, 1808 266 DUJARDIN. — DÉVELOPPEMENT DES MÉDUSES autres zoologistes s’occupèrent seulement de les classer d'après la forme de l'enveloppe cornée qu’on nomma le Polypier, ainsi que la sécrétion calcaire interne des Anthozoaires et le têt des Bryozoaires. En 1898, M. Grant étudia de nouveau le mode de propagation des Campanulaires, et vit les mêmes corps reproducteurs qu'avait vus Cavolini, et qu’il décrit comme revêtus de cils vibratiles. Vers cette même époque , M. de Blainville signalait l’analogie si remarquable des Corynes et des Tubulaires (1). M. R. Wagner, qui, en 1833, avait déjà vu sur une Coryne se former une sorte de Méduse chargée d'œufs, décrivit, plus tard , en 1834, comme des œufs, les bulbilles du Coryna squa- mala , et, depuis lors encore , il a donné une description très dé- taillée du Pelagia noctiluca. M. Lister, en 1834 (2), reprit la question du mouvement cir- culatoire des liquides dans les tiges des Polypes hydraires ; mais il n’ajouta aucun fait important sur le mode de propagation de ces animaux. M. Dalyell, au contraire, en 1836 (3), observa une forme de Méduse produite par une Campanulaire. Meyen, en 1834 (4), avait aussi parlé du mouvement circula- toire dans les tiges des Sertulaires, et, de plus, il avait décrit leurs œufs comme pourvus de cils vibratiles. À la même époque, M. Ehrenberg (5) publia une classification des Polypes, basée sur leur organisation , et riche en observations nouvelles; mais il introduisit alors dans la science une opinion fort contestable sur la signification des capsules, qu’il prend pour des Polypes femelles chez des Sertulaires et des Campanulaires. Deux ans après, ce savant naturaliste étudia la structure des Acalèphes, et représenta les œufs et les embryons du Medusa ET DES POLYPES HYDRAIRES. 267 aurila comme pourvus de cils vibratiles, et ressemblant à des Infusoires. M. Sars , dès l’année 1829 (1), avait observé une sorte de Po- lype, qui est une phase du développement de cette Méduse ; et le prenant pour un animal distinct, il l'avait nommé Scyphisiome. En 1835, il publia de nouvelles observations sur ce même objet qu’il nommait alors Strobila, et qu’il décrit comme un Polype en forme de coupe, dont le bord supérieur porte huit tentacules al- longés filiformes , et dont le corps cylindrique de plus en plus long se divise spontanément peu à peu en tranches, représentant des rosaces à huit lobes bifides ; mais c’est en 1837 seulement que M. Sars soupconna l’analogie de ces tranches du Strobila avec les jeunes Méduses, dont on avait précédemment fait le genre Ephyra, et qui deviennent plus tard l’Aurelia où Medusa aurita. Cependant M. Siebold , en 1839 (2), publia aussi de son côté des observations tout-à-fait différentes sur la propagation du Medusa aurita , dont il fit connaître les sexes séparés et les Sper- matozoïdes. [1 vit les œufs d’abord pourvus d’une vésicule germi- native , ce qu'on ne voit pas chez les Polypes; puis il vit ces œufs se changer en embryons ciliés, comme des Infusoires , déjà vus par Ehrenberg , et pris par cet auteur pour de vrais œufs; ce qui constitue un premier état infusoriel (infusorienartig). Ces Méduses infusoires, de forme ovoïde oblongue, sont déjà pourvues d’une ventouse terminale et d’une bouche, au moyen de laquelle elles avalent divers animalcules, ou même les jeunes de leur propre espèce. À un certain instant, ces jeunes Méduses se fixent par leur ventouse, et passent peu à peu à l’état de Polype charnu hydraire ; le bord de leur bouche se gonfle , s'étend, et pousse d’abord deux, puis quatre , puis huit tentacules. La forme de ces jeunes Méduses est alors celle du Polype terminal des Strobila; mais M. de Siebold n’a pu suivre leur développement ultérieur : il remarqua seulement la production de certains ap- pendices qui sont des stolons. De nouvelles observations de M. Sars, en 1839 , sont venues (1) Sans , L. c. (voy. pag. 257). (2) Suesoun, L. c. (voy. pag. 257) 268 DUJARDIN. — DÉVELOPPEMENT DES MÉDUSES heureusement compléter ce qu’on savait déjà, et réunir par un lien commun des faits en apparence si contradictoires. En effet, le travail de M. Sars semble être la suite de celui de M. Siebold, puisqu'il n’a pu trouver d’abord les jeunes Méduses qu’à l’état de Polypes, où cet auteur avait cessé de pouvoir suivre leur dévelop- pement, et que de là il les a vues se changer en Strobila, par suite de la division spontanée transverse de leur corps. Il a vu ensuite chaque segment du Strobila devenir en s’accroissant plus sem- blable à l’Aurelia où Medusa aurita ; mais il n’a pu constater si la base et le sommet du Strobila , après la désagrégation des seg- ments, continuent à vivre, et deviennent de nouveaux Polypes complets; il avait d’ailleurs observé sur les premiers Polypes la production de gemmes et de stolons. Ainsi, l'histoire du Medusa aurita est désormais presque com- plète ; cette Méduse est la dernière phase du développement, ou la phase de fructification d’un même animal qui, né d’un œuf fécondé, se montre d’abord sous la forme d’une Leucophre , d’un Infusoire revêtu de cils vibratiles, qui se meut librement dans le liquide, mais ne peut encore se propager d'aucune manière. Une seconde phase est celle de la vie de Polype, pendant laquelle l'animal , fixé par une ventouse postérieure , à la manière des Hydres , et dépourvu également de cils vibratiles, est en forme de coupe avec une bouche opposée à la ventouse , et entourée par huit tentacules. Pendant cette deuxième phase , l’animal se pro- page par des gemmes et des stolons; mais, en outre, il est susceptible de produire , par un mode tout particulier de gemma- tion , des Méduses qui sont une dernière phase destinée à la pro- duction des œufs, M. Sars, qui a constaté pour le Cyanea capillata un mode de développement analogue, avait décrit précédemment, sous le nom de Stipula, un Polype hydraire, que M. Ehrenberg nomma Syn- coryne. M. Lowen, en 1835 (1), fit connaître des formes de jeunes Mé- (1) Lowex, Mémoires de l'Académie de Stockholm, et trad. dans les Archives de Wiegmann, 4837,p 249. PI. 6 ET DES POLYPES HYDRAIRES, 269 dusaires dérivant d'une Syncoryne et d'une Campanulaire ; mais il voulut voir là, ainsi que M. Ehrenberg , des Polypes femelles renfermant des œufs ou des embryons. Il avait vu, d’ailleurs , comme M. Grant, des cils vibratiles sur ce qu’il nomme des œufs. M. Nordmann (1), en 1839, vit également de jeunes Méduses produites par des Campanulaires, et nageant librement dans le liquide. M. Külliker, M. Steenstrup et M. Krohn ont fait des ob- servations analogues sur les Polypes hydraires ou sur les Méduses qui en dérivent ; celui-ci a voulu aussi considérer les capsules des Sertulaires comme des Polypes femelles; M. Forbes, au contraire, en 1344, a présenté des vues fort ingénieuses sur la formation de ces capsules : ce sont, dit-il, des rameaux dont l’axe est raccourci, comme nous le concevons dans les fleurs des plantes phanéro- games. D’après cela, il est clair qu'il ne peut être question de voir dans ces capsules un Polype femelle ; mais, qu’il y aura gem- mation sur une surface interne plus resserrée , et production de bulbilles ou de jeunes Méduses, suivant les circonstances , dans l'intérieur des capsules. Mais il faut arriver aux travaux de M. Van Beneden (2) ; en 1843 et 1844, pour voir traitée d’une manière plus complète la question des métamorphoses ou du développement des Polypes hydraires , quoique cet auteur se soit mépris sur la signification des Méduses, qu'il prend pour des larves de Polypes, et sur la signification des bulbilles, qu’il nomme des œufs. Dans un premier Mémoire sur les Campanulaires, M. Van Be- neden a décrit le mode de propagation de plusieurs de ces Po- lypes hydraires, et il a toujours vu dans des capsules calyciformes des embryons nombreux, qu’il ne distingue pas suffisamment, Les uns doivent être des bulbilles sans motilité, sans cils vibra- tiles; les autres sont de jeunes Méduses à vingt - quatre tenta- cules analogues à la Méduse de Slabber, dont Peron et Lesueur ont fait le genre Obélie. M. Van Beneden a vu l’ombrelle de ces jeunes Méduses se renverser; mais il paraît n'avoir pas vu les Méduses se développer complétement, soit que ses vases ne (4) Nonpmanx, Comptes-Rendus de l'Académne des Sciences, 4839. 9 PET Ï (2) Vas Beneoex, L c. (voy. p. 258) 270 DUJARDIN. — DÉVELOPPEMENT DES MÉDUSES fussent pas convenables, où plutôt parce que ces animaux n'a- vaient pu encore s’y acclimater. Dans un deuxième Mémoire sur les Tubulaires, M. Van Bene- den a vu les Médases se former isolément à nu, et non dans l’in- térieur des capsules, chez les T'ub. calamaris, Tub. Dumortiertü et Eudendrium ramosum , et toujours avec quatre canaux partant du sommet, et quatre bras ou tentacules ; il a vu aussi chez les T'ub. coronata et Coryna squamata, se former des bulbilles qu’il nomme des œufs. Mais ici encore, comme chez les Gampanulaires, il n’in- dique les vrais caractères des œufs que pour des globules renfer- mant une double vésicule incluse, et qui semblent être seulement un produit de la désagrégation pour les bulbilles ou les gemmes. 1] a vu l’ombrelle des Méduses se retourner de manière à donner au jeune animal la forme d’un fruit pédonculé ; mais il n’a pu suivre le développement ultérieur de ces animaux , et c’est là ce qui explique pourquoi toujours il a persisté à les nommer des larves. Ce même naturaliste avait décrit précédemment (1839), sous le nom d’Hydractinie , un Polype hydraire , qu'il avait vu se pro- pager par des gemmes et des bulbilles, mais c’est à tort qu'il le croit identique avec celui que M. de Quatrefages a nommé Synhydre (1843). Celui-ci, en effet, a une partie commune tout-à- fait différente de ce qu'on voit chez les autres Hydraires ; il paraît aussi avoir des capsules filifères beaucoup plus volumineuses , réunies dans des pelotes en forme de choux-fleurs, couvrant l’extré- mité des Polypes reproducteurs , et ceux-ci enfin produisent des bulbilles que M. de Quatrefages a caractérisés nettement le pre- mier, je crois, comme un des modes de propagation dans le règne animal. Mais peut-être, pour cet Hydraire, doit-on attendre la découverte d’un autre mode de propagation, tel que celui dont l’auteur a décrit un exemple isolé sous le nom d’Éleuthérie, Quant à moi, ainsi que M. Van Beneden, j'ai été frappé tout d’abord de l’analogie qui existe, pour la struc- ture, entre cette Éleuthérie et les Méduses dérivant des divers Polypes hydraires, et j'exprimai mon opinion à cet égard dans le Mémoire présenté à l’Académie des Sciences , le 22 mai 1843 : ET DES POLYPES HYDRAIRES. 271 mais au lieu de la considérer comme une larve de Polype. ainsi que M. Van Beneden, je la regarde comme la phase de fructifi- cation d’un de ces animaux, constituant un type bien particu- lier, en raison du nombre de ses six bras, et de la position des œufs dans la convexité de l'ombrelle. Pour terminer cet exposé historique, et avant de parler de mes propres recherches, nous mentionnerons les observations de M. Philippi sur l'espèce d'Hydraire qu’il nomme Dysmorphosa. En second lieu, les recherches de MM. Ehrenberg, Corda et Lau- rent sur l’Hydre ou Polype d’eau douce, recherches qui ont eu pour résultat de faire mieux connaître la structure de cet animal et ses capsules filifères, et son mode de propagation, dans des cir- constances assez rares, par des corps oviformes produits dans l'épaisseur même du tissu sans ovaire ni ovule préalable, et qui me semblent être simplement des bulbilles revêtus d’une coque accressible par sécrétion. Nous citerons enfin la classification de M. Milne Edwards, que nous adoptons pour les Polypes, et suivant laquelle ces animaux sont divisés en Zoanthaires, Alcyoniens et Hydraires. Ce sont ces derniers que nous avons principalement considérés ici. III. De la Cladonéme provenant de la Sfauridie. Ainsi que je l’ai dit dans un précédent Mémoire, en 1843, j'ai été conduit à l'étude comparative des Polypes et des Méduses par l'observation des productions marines conservées vivantes depuis plusieurs années, dans des flacons d’une faible capacité, avec de l'eau de mer, que je préserve d’une trop forte évaporation, et que je maintiens à la même densité. Les parois de ces flacons se sont peu à peu recouverts entièrement de petites Algues ou de Bacillariées , de Rhizopodes , d’Annélides et de Polypes, et ces animaux ont fini par s’y acclimater, en subissant eux-mêmes sans doute quelques modifications en rapport avec les change- ments du milieu ambiant, modifications telles, que j'ai vu des Modioles très jeunes conserver les mêmes dimensions durant trois années. J'y vis d’abord une sorte de Syncoryne que j'ai nommée Stauridie à cause de ses quatre tentacules disposés en croix ; 952 DUJARDIN. —- DÉVELOPPEMENT DES MÉDUSES mais il est digne de remarque que, dars certains vases, je ne l'ai vue que deux à quinze mois après que les productions marines , soit de l'Océan, soit de la Méditerranée, y avaient été placées. Cette Stauridie , large de 2 mill. avec ses tentacules étalés, a le corps épais de 1/2 mill., et ses tubes rampants stolonifères larges de 1/5 mill., revêtus d’une enveloppe cornée. presque diaphane, assez résistante. Dans les tubes, comme dans le corps et les ten- tacules, et surtout dans les pelotes terminales , se voient des cap- sules filifères proportionnellement très grosses. Le corps et les tentacules présentent d'ailleurs la struture celluleuse ou lacuneuse dont j'ai parlé précédemment. Depuis quinze mois je voyais dans mes flacons une Stauridie, quand, pour la première fois, le 17 septembre 1842, j y apercus une Méduse à ombrelle large de 2°",5 mill., avec huit tentacules rameux, rougeâtres, longs de 5 à 6 mill. Je la nommai Cla- donema , pour exprimer le caractère nouveau , parmi les Mé- duses, d’avoir les tentacules ramifiés. La structure des bras à leur base , et surtout l'identité des capsules filifères , indiquaient déjà un rapport bien remarquable avec les Stauridies ; mais il fal- lait voir réellement les Méduses produites par les Stauridies , comme je les ai vues le 25 mai 1843, dans un vase qui contenait, depuis le 25 scptembre 1842, des productions marines de Lo- rient, des Spirorbes, des Cyclopiens, des Molgus, des Gromies, des Milioles, des Vorticiales et des Campanulaires : mais dont l’eau, devenue fétide, avait été renouvelée le 15 décembre suivant, et qui, depuis lors, avait contenu des Stauridies avec des Gyclops, des Spirorbes et des Rhizopodes vivants, et avait montré des Cla- donèmes, le 25 juillet 1843, le 4 novembre 1844 et le 40 juin 1845, c'est-à-dire après trente mois de vie en captivité dans un flacon de 2 décilitres. J'ai donc pu suivre complétement alors le développement des gemmes nus situés entre les tentacules de la base du corps, et destinés à devenir des Méduses. Ces bourgeons, d’abord rougeâtres, globuleux, sont déjà larges de 1/3 mill. avant de montrer une structure distincte; bientôt on y voit paraître des indices de division à l'opposé du point d’altache ; puis, ces divi- sions devenant plus visibles, ce sont huit lobes courts, aigus, ET DES POLYPES HYDRAIRES. 274 rapprochés au sommet, comme les parties d’une fleur avant l'épanouissement. Ces lobes, de plus en plus distincts, finissent par occuper la moitié de la longueur du bourgeon, l’autre moitié devant former l’ombrelle. Quelques bourgeons montrent dix ou neuf, au lieu de huit lobes. J'avais d’ailleurs déjà observé tous les modes de station de la Cladonème à l’état normal; je l’avais vue tantôt nageant par l’effet de la contraction répétée de l'ombrelle, avec les tentacules plus ou moins contractés ou flottants, tantôt fixés le long des parois par la base des tentacules qui s’étalent en rayonnant, tantôt enfin s'appuyant sur le fond du vase par les premiers rameaux , comme par autant de pieds, des fentacules redressés élégamment et ré- fléchis autour de l’ombrelle. J'avais décrit alors avec assez de détails la Cladonème, et, après avoir parlé de son estomac fusiforme ou lagéniforme avec cinq lobes latéraux peu saillants, implanté comme un pédoncule sous lombrelle , j’ajoutais : « Il reste à savoir s’ils doivent produire des œufs, et si les cœcums entourant l'estomac ne doivent pas tenir lieu d’ovaire. » Cette conjecture se trouva réalisée en partie quelques jours après la publication de mon premier Mémoire. Er effet, le 31 mai, au fond du vase où j'avais isolé deux Cladonèmes, je vis douze à treize œufs ronds , rougeätres, larges de 0"",10, qui s'étaient produits dans l’épaisseur même des parois de l'estomac, encore distendus par d’autres œufs semblables. Ces œufs , soumis au mi- croscope, montrent d’abord une apparence d’enveloppe externe, diaphane , sans aucune trace de cils vibratiles; mais bientôt on en voit sortir quelques expansions sarcodiques de forme variable, mais non rétractiles. De sorte que la substance même de l’œuf paraît s’épancher au dehors. Plus tard, il en résulte une véritable désagrégation, et l’œuf se divise en globules plus ou moins volumineux qui résistent bien encore à la décompo- sition, mais ne paraissent pas susceptibles d’un développement ultérieur. Cependant les œufs laissés au fond du vase, et plus spéciale- 3° série. Zool. T. IV. (Novembre 1845 ) » 48 ‘27h DUJARDIN. — DÉVELOPPEMENT DES MÉDUSES ment ceux que la Méduse avait elle-même fixés à la paroi, ne tar- dèrent pas à donner naissance à de jeunes Stauridies. Déjà le 31 mai je vis plusieurs Stauridies jeunes dont l’une, plus distincte, était portée par un tube rampant long de 10 mill., et d’où partait un stolon presque aussi long. Celle-ci avait déjà deux têtes dis- tinctes et un stolon le 1° juin. L'histoire de la Cladonème et de sa Stauridie semblait ainsi complète ; mais il y avait encore une phase à connaître. Le 12 juin suivant, les Cladonèmes, placées dans un vase à part, et nourries copieusement de Cyclops depuis un mois, se montrèrent sous une forme tout-à-fait inattendue : l’ombrelle s'était re ournée et con- tractée en rompant son diaphragme ; elle portait les tentacules en partie rétractés à l'opposé de la trompe, qui, désormais libre , se mouvait lentement de côté et d'autre, et paraissait chercher une proie. Je lui fis manger encore des £yelops, et, dans ce dernier état, elle me parut devoir pondre le reste de ses œufs; mais, comme nous l'avons vu plus haut, les premiers œufs avaient été déposés avant la rupture du diaphragme, et les rameaux des bras, en se rapprochautalternativement de l’orifice du diaphragme, avaient dù prendre les œufs et les agglutiner à la paroi du vase, pendant que les autres rameaux, comme autant de pieds, y fixaient momentanément la Cladonème. C’est, en effet, le long de ces pa- rois qu'il a été plus facile d'observer le développement des Stau- ridies provenues de ces œufs. Il reste à signaler. pour les Cladonèmes, la singulière diver- gence du nombre de leurs parties ; car tandis que les parties de l’ombrelle et ses appendices sont des multiples de quatre, comme chez la plupart des Médusaires, les parties de l'estomac et ses appendices sont au nombre de cinq. Il est vrai que, exceptionnel- lement, queiques Cladonèmes ont les parties de l’ombrelle et ses appendices au nombre de neuf ou dix; mais on ne peut s’empé- cher de voir là une sorte de rapport avec certaines fleurs dans lesquelles les différents verticilles n’offrent pas toujours le même nombre de parties. Et ce rapport paraîtra plus curieux encore, si l’on considère que les Méduses , destinées à produire les œufs, remplissent un rôle analogue à celui des fleurs, et si l’on se rap- 19 ET DES POLYPES HYDRAIRES, 75 5 pelle aussi les vues ingénieuses de M. Forbes sur la formation des capsules des Sertulariens, par un raccourcissement de l’axe des rameaux , analogue au raccourcissement de l'axe dans les fleurs. IV. Du Sfhenyo provenant du Syncoryna decipiens. Une espèce de Syncoryne. très voisine, en apparence, de la Stauridie, m'a donné une autre Médusaire bien plus semblable à celles de MM. Lowen et Van Beneden, à laquelle je propose d’ap- pliquer le nom de Sthenyo (l'une des Gorgones, sœur de Méduse). Cette Syncoryne, que j'appellerai Syncoryna decipiens, ne dif- fère de la Stauridie que par le nombre de ses bras, qui sont un peu plus longs, plus grêles, moins régulièrement placés, et par ses capsules filifères un peu plus petites et encore plus étroites. Les bras , au nombre de huit ou neuf, entourent la partie la plus renflée de la tête. C’est immédiatement au-dessous de leur inser- tion que prennent naissance les bourgeons de Méduses. Chacun de ces bras, portant lui-même quelques pointes charnues, est ter- miné par une pelote soutenue par les capsules, et hérissée de pointes charnues , qu’on voit bien être indépendantes des cap- sules, On ne voit pas ici, comme sur la Stauridie, des tentacuies ru- dimentaires à la base de la tête. On ne voit pas non plus, aussi distinctement, l'extrémité de la gaîne cornée élargie en entonnoir, A l’intérieur des tiges et des rameaux , on voit les capsules moins nombreuses , et conséquemment aussi le mouvement du liquide nourricier plus distinctement ; c’est là que j’ai le mieux vu les cils vibratiles de ces Zoophytes. Cette Syncoryne se nourrit égale- ment de Cyclopes. Les bourgeons de la Syncoryna decipiens sont d’abord rougeä- tres, pyriformes, et présentent quatre côtes renflées et plus forte- ment colorées; ces bourgeons acquièrent peu à peu une largeur de 1 millimètre: alors ils ont une ressemblance très grande avec ceux du Syncoryna Saarsü, décrits par M. Lowen. [ls se com- posent d’une enveloppe diaphane, urcéolée, fermée en partie, au sommet, par un diaphragme percé d’une ouverture centrale. Au fond de l’ombrelle se trouve l'estomac lagéniforme , assez grêle, 276 DUJARDIN. — DÉVLIOPPEMENT DES MÉDUSES et du bord de l’ombrelle partent quatre tentacules simples, à la base desquels aboutit un canal partant du point d’attache, et où se trouve aussi un point noir oculiforme. Au milieu de l’inter- valle des canaux se trouve un sillon qui paraît occupé par un cor- don tendineux , duquel partent les fibres contractiles. Un canal marginal relie ensemble les quatre canaux des bras. Les Sthenyo, tant qu’elles adhèrent encore à la Syncoryne, allongent peu leurs tentacules, qui restent comme des tubercules fauves; mais déjà elles exécutent les mouvements péristaltiques qui leur serviront plus tard à nager dans les eaux. Quand elles sont devenues libres, leur ombrelle acquiert une largeur de 1 mill. 1/2, etleurs tentacules s'allongent jusqu’à 3 et 4 mill. Ces tentacules sont noueux ou garnis, dans toute leur longueur, de petites pelotes, semblables à celles des Cladonèmes, hérissées de pointes charnues soutenues par des capsules spiculifères , et servant également à arrêter et à engourdir les petits Crustacés nageants. C'est à la fin de décembre 1842 et pendant le mois de janvier suivant que j'ai pu étudier les Sthenyo dans des vases où je con- servais depuis trois mois des objets recueillis à Lorient; j'ai pu les faire vivre et les nourrir isolément dans des flacons, et, à partir du 42 janvier, je les ai vus sous une tout autre forme; elles avaient éprouvé un retournement complet. L'estomac, devenu extérieur, était plus développé et ressemblait à une trompe qui s’agite lente- ment de côté et d'autre; l'ombrelle, retournée comme un gant, avait la forme d’un fruit de tomate, dont l’estomac paraissait être le pédoncule. Les canaux et les cordons intermédiaires s'étaient contractés de manière à laisser en saillie les intervalles, comme autant de côtes arrondies et très enflées. Les points oculiformes étaient retirés au centre de la masse, avec la base des tentacules qui sortaient de ce nouveau sommet, comme les styles d’un ovaire végétal. Le diaphragme déchiré formait un lambeau transparent en ce même point. Les tentacules étaient encore susceptibles de s’allonger et de se contracter ; ils s’agitaient, ils servaient à la pro- gression sur le fond du vase; mais ils ne pouvaient servir à saisir la proie, non plus que l'estomac ne paraissait devoir servir à la digestion. En effet, la paroi de l'estomac s'était épaissie et pré- ET DES POLYPES HYDRAIRES. 277 sentait une structure granuleuse, ainsi que des lobes charnus. par lesquels il tenait au reste du corps. Il semblait que cette structure avait quelque rapport avec le développement des œufs; mais je n’ai pu suivre complétement ce développement. Après une inter- ruption d’un mois, les Sthenyo avaient disparu ; mais j’ai vu dans le même flacon, rampant sur la paroi, une tige naissante de Syn- coryne, qui bien certainement était la même espèce d’où était issue la Sthenyo. V. Du Callichora et du Syncoryna glandulosa. Une troisième espèce de Méduse, que je nomme Callichore , est également née dans mes vases et supposée produite par une Syncoryne que j'appellerai Syncoryna glandulosa. Cette Syncoryne, que j'ai observée dans plusieurs vases conte- nant des productions marines venues de Saint-Malo, s'était dé- veloppée plus particulièrement le 17 décembre 1842, dans un flacon de 2 décilitres, conservé avec son contenu depuis le 24 mars 4841, et que j'avais visité soigneusement presque tous les mois, et encore le 44 septembre sans l’y trouver. Avec elle vivaient aussi des Bryozoaires, des Amphitrites, des Némertes, des Cythé- rines, des Cyclopes et des Molgus; je l’y observai à plusieurs reprises, au mois de mai 1843 et le 25 juillet suivant : c’est alors seulement que je vis dans le même flacon la Callichore que je vais décrire, et qui ne s'était produite que vingt-huit mois après la séquestration des productions marines contenues dans le vase , et environ vingt mois après l'apparition de la Syncoryne. Cette Syncoryne, fixée sur les conferves, a des tiges peu rami- fiées, annelées ou toruleuses, larges de 1/4 mill. environ, à en- veloppe cornée, brunätre, terminée par des têtes en massue ou fusiformes, longues de 4 mill. 1/2, larges de 1/2 mill. environ. La bouche terminale est très dilatable. Les tentacules, au nombre de dix-huit à vingt-quatre, sont courts, renflés en bouton à l’ex- trémité, et irrégulièrement disséminés, surtout à la partie con- vexe. Chaque tentacule est hérissé de petites pointes charnues, sous lesquelles se trouvent les capsules filifères , longues de 0,046 à 0"",022, et même de 0"",026, et 0"",030, à peu près 278 DUSARDIN. DÉVELOPPEMENT DES MÉDUSES moitié moins larges, et paraissant revêtues chacune d’une enve- loppe charnue. Au centre de chaque tige se voit un cordon charnu paraissant résulter de la soudure de plusieurs cordons parallèles formés chacun d’une série de capsules filifères avec un enduit charnu. L’enveloppe cornée des tiges se dilate en forme de calice diaphane à la base de chaque tête. La Callichore , que je n’ai pas revue depuis dans mes vases et que je suppose produite par cette Syncoryne , a son ombrelle hé- misphérique large de 2"*,6, diaphane , traversée par quatre ca- naux, partant du sommet du bord de l’ombrelle. Elle porte vingt- huit cirrhes marginaux, longs de 2 à 1@ mill., très contractiles, et présentant seize à dix-neuf nœuds ou tubercules également espacés, formés en partie par des capsules filifères pareilles à celles de la Syncoryne. Quand les tentacules sont contractés , ils sont fusi- formes ou un peu renflés au milieu. Du milieu de l’ombrelle en dessous pend l'estomac pyriforme , terminé par la bouche, en- touré de lobes. VI. RÉSUMÉ ET CONCLUSION. De ces observations il résulte qu’une Méduse est bien réelle ment une phase du développement d’un Polype hydraire, la phase de fructification, et non sa larve ; non plus que le Polype n’est la larve de la Méduse , c’en est la phase végétative. Rien de compa- rable ici aux métamorphoses d’un insecte passant d’abord par l'état de larve et de nymphe; car, pour celui-ci, l’individualité a toujours été parfaite, et c’est un même organisme qui parcourt les phases successives de son évolution. Le Polype hydraire, au contraire, bien que provenant d’un seul œuf, ne tarde pas à pro- duire, par gemmation, d’autres Polypes qui participent avec lui à une vie commune, de telle sorte que l’individualité a disparu. Mais parmi les bourgeons qui se produiront à sa surface, les uns donneront un Polype qui ne cessera pas de participer à la vie commune; les seconds donneront des bulbilles qui serviront à pro- duire ailleurs une nouvelle association de Polypes semblable à la première ; d’autres enfin, représentant la fleur des végétaux pha- nérogames par rapport aux autres bourgeons, se développeront ET DES POLYPES HYDRAIRES. 279 sous la forme de Méduse, pour servir à la production des œufs. On retrouve donc véritablement ici une certaine analogie avec le développement des Champignons, dont le chapeau et le pédon- cule ne sont qu’une phase de fructification, tandis que leur mycé- lium, qui en est la phase végétative , peut se propager indéfini- ment sans présenter de caractères d’individualité. Par conséquent aussi, on doit. pour ces animaux, modifier la définition de l'espèce; ce ne sera plus la collection des individus présentant les mêmes caractères, mais ce devra être la notion des formes successives sous lesquelles la vie se manifeste, soit isolé- ment , soit en commun, dans les êtres qui dérivent les uns des autres. Après avoir suivi ces phases du développement des Polypes hydraires et des Méduses; après avoir vu celles-ci, par un dernier degré d’épanouissement, retourner leur ombrelle et perdre leur faculté locomotive pour accomplir le rôle qui leur est dévolu en pondant leurs œufs, il se présente encore une question à résoudre. Les Méduses que j’ai vues se former après deux ou trois ans dans des bocaux d’une faible capacité, et médiocrement éclairés, se se- raient-elles également produites dans les eaux de la mer, toujours agitées près du rivage? ou bien ces Méduses ne seraient-elles qu'un produit fortuit assez rare des mêmes Polypes préservés d’une trop vive lumière ou de trop d’agitation , ou soumis à un autre mode d'alimentation ? y aurait-il là quelque chose d’analogue à ce que nous montrent les arbres fruitiers, sur lesquels le jar- dinier peut déterminer à volonté le développement des bourgeons à bois ou des bourgeons à fleur (1) ? S’il en était ainsi, on pour- (1) Je cite ici, d'après une note que M Decaisne a eu l'obligeance de me don- ner, quelques plantes qui se multiplient autrement qu'à l'aide de graines ou de spores. Le Lunularia vulgaris et le Lemna gibba se multiplient par bulbilles, exclusi- vement; Les Dentaria, les Dioscoræa et le Globba amarantina , par des bulbilles ou corps reproducteurs simples; Le Gagea villosa , l'Ornithogalum umbellatum et le Lilium bulbiferum , par des bulbilles écailleux. Parmi les Lichens, on ignore le mode de reproduction du Cornicularia bi- 280 DUJARDIN. — DÉVELOPPEMENT DES MÉDUSES rait espérer, dans des conditions voulues, voir naître de chaque Polype hydraire une Acalèphe correspondante, et réciproque- ment, on devrait connaître un jour de quels Polypes hydraires proviendraient tout autant d’Acalèphes ; à moins pourtant qu'il ne s'agisse d’une espèce condamnée, par les conditions actuelles du milieu ambiant, à se perpétuer désormais par des gemmes et des bulbilles, comme il arrive pour certains Lichens, pour certaines Mousses, et même pour certains végétaux phanérogames, qu’on voit si rarement fructifier. Et même dans ce cas, pour certains polypes hydraires qui ne donnent actuellement que des gemmes ou des bulbilles, comme notre Hydre ou Polype d’eau douce, il ne serait peut-être pas dé- raisonnable de chercher, par des essais multipliés et prolongés, à les replacer dans des conditions d'habitation, d’alimentation, de chaleur et de lumière analogues aux conditions primitives dans lesquelles toutes les phases du développement avaient lieu, afin de les forcer à montrer une fois encore l’Acalèphe qui doit les re- produire par de véritables œufs. EXPLICATION DES FIGURES PLANCHE 44. A,1, Callichore fixée à la paroi du flacon, et vue de face (grossie 4 fois). 4,2, la même, vue de côté pour montrer les quatre canaux partant du sommet de l'ombrelle, et le diaphragme inférieur (4 fois). 4,3, la même, grossie 8 fois, et montrant la trompe rétractée et la double surface de l’ombrelle. A,4, un des tentacules de la Callichore dans l’état d'extension. A,5, un tentacule contracté. color. Le Sticta aurata, commun dans la forêt de Briquebec. n'y fructifie pas; mais il fructifie dans sa patrie, à Terre-Neuve. L'Usnea florida ne fructilie pas à Fontainebleau. Parmi les Mousses, les Hypnum cordifolium , prælongum et illecebrum, les Minium affine et roseum, ainsi que le Conomitrium julianum, ne fructifient jamais, ou fort rarement, aux environs de Paris. M. Decaisne n'a jamais rencontré les fruits du Lysimachia Nummularia, malgré ses recherches spéciales à cel égard. ET DÉS POLYPES HYDRAIRES. 281 B,1, Syncoryne du Sthenyo avec un embryon en voie de développement, grossi. B,2, un de ses tentacules, grossi 200 fois. B,3, une de ses capsules filifères, grossie 620 fois. B,4, Sthenyo fixé à la paroi du vase et vu de face, grossi 26 fois. B,5, le même vu de profil, et montrant les quatre canaux et le diaghragme (grossi 21 fois). B,6, une portion du bord de l'ombrelle avec un des tentacules, et le point ocu - liforme et le canal correspondant. CA, Stauridie ou Syncoryne du Cladonème, avec un prolongement de la tige en voie d'accroissement. C,2, la Stauridie avec un embryon de Cladonème en voie de développement. (Nota Une Cyclopsine avalée par la Stauridie se voit à l'intérieur.) C.3, un des tentacules de la Stauridie. C,4#. portion inférieure du corps d'une Stauridie , montrant à l'intérieur les cel- lules ou vacuoles, et des capsules pilifères. C,5, œuf de Cladonème. C,6,7, le même ayant commencé à se développer par des expansions sarcodiques. PLANCHE 15. B,7, Sthenyo retourné, el continuant a vivre sous cette nouvelle forme. C,8, Cladonème fixée à la paroi d'un bocal, et vue de face (grossie 45 fois). C,9, la même vue de profil, et montrant des œufs dans l'épaisseur de la paroi de la trompe C,10, portion de l'ombrelle comprise entre deux des canaux correspondant aux ‘ bras ; à l'intérieur se voient des globules ou disques diaphanes, qui ne sont pas des cellules (grossie 1 80 fois). C,M, surface de l'ombrelle (grossie 180 fois). C12, portion filiforme et noueuse d'un rameau d'un des tentacules. C,13, capsules pilifères de la Cladonème après l'explosion, d’où résulte le retour- nement de la membrane interne. C\\#, une de ces capsules avant l'explosion C,15, un des points oculiformes. C,16, la Cladonème retournée , et continuant à se nourrir sous cette nouvelle forme. C,A7, la même de grandeur naturelle C8, portion de la surface de la trompe ou de l'estomac de la Cladoneme. €,19, bord de la trompe avec deux des globules. 289% MUSCONI. — SYSTÈME VEINEUX DE LA GRENOUILLE, OBSERVATIONS SUR LE SYSTÈME VEINEUX DE LA GRENOUILLE. ([Extrait d'une lettre adressée à M. Milne Edwards par M. Rusconi, membre de l'Institut de Milan }) Je m'empresse, Monsieur, de vous communiquer une observation que j'ai faite tout récemment sur le système veineux de la Grenouille, dont la description nous a été donnée par M. le docteur Gruby, et que vous avez insérée dans vos Annales (2° série, t. XVII, p. 209). Mais, avant tout, permettez-moi de vous parler de la circonstance qui m'a conduit à faire cette observation. Pendant que j'étais occupé, dans mon laboratoire, à examiner la liaison étroite qui existe , chez les Reptiles, entre les vaisseaux lymphatiques du poumon et de la vessie urinaire, et les vaisseaux sanguins de ces mêmes organes, j'ai recu une visite de M. Ernest H. Weber, et notre conversa- tion s'étant portée sur la découverte, faite par M. Gruby, d’une veine particulière qui provient de l'abdominale antérieure , avant son entrée dans le foie, et va se jeter, sans intermédiaire et sans obstecle , dans le cœur , M. Weber me fit remarquer qu’un ductus venosus qui subsisterait pendant toute la vie de la Grenouille serait un fait extraordinaire qui mériterait bien d’êire vérifié. Aussitôt après son départ, j'ai injecté de bas en haut la veine abdominale d'une Grenouille, et j'ai vu que la veine particulière qui, d'après M. Gruby, plonge dans le cœur, est au contraire une veine qui puise ses racines dans l'oreillette, glisse sur la surface du cœur, s’en détache bientôt, et va se jeter dans la veine abdominale au moment même où cette veine reçoit la veine porte, et envoie ses branches aux lobes du foie. J'ai répété cette injection sur trois Grenouilles , et toujours avec le même résultat. Ainsi la veine qui plonge dans le cœur, découverte par M. Gruby, est une veine qui, comme celles des intestins, verse son sang dans le foie. Je crois devoir ajouter ici que des injections faites par M. Natalis Guillot ont donné un résultat analogue à celui annoncé par M. Rusconi, et que M Gruby ayant. à ma prière, repris ses observations sur la disposition anatomique de la veine en question, a reconnu qu'effectivement ce vaisseau naît des parois et non de la cavité du cœur. C’est évidemment une veine cardiaque dont la disposition rappelle tout-à-fait celle du vaisseau qui, chez la Tortue, se rend de la pointe du cœur à la veine ombilicale, et qui a été représentée par Bojanus, dans sa belle Monographie anatomique de ce Reptile (pl. 29, fig. 162, xt). M. Gruby est donc aujourd'hui d'accord avec M Rusconi. M. E. 283 EXPÉRIENCES SUR LE DÉVELOPPEMENT DES OS DANS LES MAMMIFÈRES ET LES OISEAUX, FAITES AU MOYEN DE L'ALIMENTATION PAR LA GARANCE ; Par M. BRULLÉ, Professeur de Zuologie à la Facullé des Scieuces de Dijon, Et M. HUGUENY, Professeur de Physique uu Collège royal de la même ville, (Mémoire présenté à l'Académie des Sciences, le 10 novembre 1845 ) SOMMAIRE, Malgré les belles recherches de Duhamel, de M. Flourens, de MM. Serres et Doyère, le développement des os ne nous a pas paru complétement démontré. Duhamel a fait voir que les os re- coivent sur leur face externe des dépôts alternativement rouges ou blancs, suivant que les animaux soumis à ses expériences étaient nourris d'aliments mêlés de garance ou simplement d’ali- ments ordinaires. Ces dépôts successifs expliquent, indépendam- ment de leur coloration, l'augmentation des os en épaisseur. Quant à l'agrandissement de la cavité médullaire des os longs et à l’aug- mentation en longueur de ces os, Duhamel les croyait dus à l’ex- tension du tissu osseux lui-même, extension qu'il a cru démontrer dans les jeunes animaux. Le mouvement d'extension ayant été nié par suite des expériences d’autres physiologistes, tels que Hunter et M. Flourens, la théorie de Duhamel était donc insufli- sante pour expliquer le développement des os. M. Flourens admettant, avec Duhamel, le dépôt de parties nouvelles à l’extérieur des os, a été plus loin que Duhamel, en montrant : 1° qu’il se dépose des parties nouvelles aux extrémités des os longs, ce qui explique leur développement en longueur, sans avoir recours à l'extension ; 2° qu’il se produit à la face interne des os une résorption qui augmente la cavité médullaire. M. Flou- rens à donc fait faire un grand pas à la question en démontrant ces deux derniers résultats. Par conséquent, le développement 28 BRULLÉ ET HUGUENY. des os a lieu, d’après ce savant physiologiste, par le concours de deux actions opposées : l’une se produisant à l'extérieur et dépo- sant, soit sur le milieu, soit aux deux extrémités des os, de la sub- stance nouvelle ; l’autre ayant lieu à l’intérieur et entraînant une portion du tissu osseux. Seulement, suivant M. Flourens, ces deux actions se produiraient pendant toute la vie; d’où le renouvelle- ment incessant des parties, ou le mouvement continuel de compo- sition et de décomposition des organes. MM. Serres et Doyère se sont particulièrement occupés de la coloration des os par l'alimentation à l’aide de la garance, Ils ont nié le mouvement de composition et de décomposition, parce qu'ils ont vu la coloration persister dans les os de certains ani- maux, tandis que Duhamel et M Flourens avaient reconnu que, dans les animaux observés par eux, il se déposait des parties blanches à la surface des os, par suite du changement de régime. Les résultats les plus remarquables du travail de MM. Serres et Doyère sont la détermination des lois de la coloration, en ce sens qu'ils ont reconnu de quelle manière l’os se laisse pénétrer par la matière colorante de la garance, et comment il ne devient pas rouge dans toute son épaisseur, mais seulement jusqu’à une pro- fondeur peu considérable. Ils ont reconnu, comme M. Flourens, que la coloration pouvait se produire à la fois par l’extérieur et par l’intérieur ; mais ils ont énoncé dans leur travail des résultats qui ne s'accordent pas toujours avec ceux, de M. Flourens. L'incertitude dans laquelle ces contradictions nous laissaient fut la cause des essais que nous tentâämes pour les expliquer. Nous sommes parvenus, après de longues recherches, à recon- naître que toute la question reposait sur une différence d'âge; que le mouvement d’accroissement, celui de résorption, ne duraient que pendant un certain temps; mais le développement des os n’était pas encore expliqué par là. Entre les recherches de Duhamel et celles de M. Flourens, le célèbre chirurgien anglais Hunter avait reconnu que la forme des os subissait des changements dont il essaya de se rendre compte par l'absorption agissant sur certaines parties. Cette absorption était nécessaire pour expliquer la diminution de volume des os SUR LE DÉVELOPPEMENT DES OS. 285 vers les extrémités , diminution sans laquelle les têtes des os longs, par exemple, acquerraient un volume qu’elles ne présentent ja- mais. Il est à regretter, toutefois, que les expériences de Hunter n'aient pas été publiées avec des détails suflisants. Le peu de don- nées que l’on trouve à ce sujet dans les œuvres de ce chirurgien, et qui ont été reproduites toujours de la même manière dans dif- férents recueils anglais, permet cependant de penser que Hunter avait reconnu le mécanisme du développement des os. De notre côté, nous étions parvenus aux mêmes résultats que Hunter avant de comprendre les siens. Ce n’est même qu'après avoir pu formuler notre théorie que nous nous sommes expliqué celle de Hunter. Nous avons vu avec satisfaction que nous étions d'accord avec lui, et nous croyons avoir été plus loin que lui, non pas en démontrant, peut-être, que les mêmes actions se pro- duisent à la face externe et à la face interne de l’os, mais en fai- sant voir que ces actions ont lieu sur chacune des deux faces, en des endroits différents. Ainsi le mouvement d’accroissement aura lieu sur la face externe, et le mouvement de résorption se pro- duira sur la face interne, dans des régions correspondantes, pen- dant tout le temps que dure le développement d’un os. Nous avons reconnu, en outre, que la cavité médullaire diminue après un cer- tain temps, et qu’enfin l’os cesse de croître d’une manière sen- sible lorsqu'il est arrivé à l’état parfait. On doit, par conséquent, admettre dans l’os, avec M. Flourens, un double mouvement, l’un de formation ou même d’accroissement, et l’autre de résorp- tion ; mais on ne doit pas, suivant nous, le supposer produit pen- dant toute la vie. On doit, par conséquent aussi, reconnaître, avec MM. Serres et Doyère , des cas où ce double mouvement ne se produit pas, puisqu'il arrive un moment où l'os ne paraît pas subir de changements appréciables. Il résulte donc de ce qui précède que la théorie du dévelop- pement des os ne peut pas consister simplement dans l’accroisse- ment des os par des parties nouvelles qui se déposent à l’ex- térieur, et dans l'agrandissement de la cavité médullaire par la résorption , à l’intérieur, d’une portion du tissu précédemment formé. 286 BRULEÉ ET HUGUENTY. S'il en était ainsi. en effet, les os ne tarderaient pas à acquérir un développement en diamètre qui ne saurait répondre à celui qu'ils obtiennent en réalité. La tête d’un os encore en voie d’ac- croissement devrait se trouver entièrement comprise dans le dia- mètre du même os, parvenu à un état plus avancé : or, c'est ce qui n’arrive pas. Si l’on compare entre eux deux os d'âge différent, on reconnaît qu'une portion de chaque tête de l’os le plus jeune a dû disparaître. Par conséquent, ila dû se produire dans cette région une action comparable à celle qui se manifeste à l’intérieur de los. Elle est également indiquée par la disposition mamelonnée de la face interne du périoste en ces parties, disposition qui se re- trouve à la face interne de la membrane médullaire , lorsque celle-ci opère la résorption. Cette action est d’ailleurs indiquée par l'aspect de la surface externe de l’os, aspect tout-à-fait comparable à celui de la sur- face interne, lorsque celle-ci est soumise à la résorption. Par conséquent, la membrane médullaire et le périoste jouent exactement le même rôle à l'égard de l’os. Ils servent l’un et l’autre à déposer des portions nouvelles sur certaines régions, et à faire disparaître des portions anciennes sur d’autres régions. L'identité des fonctions de la membrane médullaire et du pé- rioste a d’ailleurs été reconnue par M. Flourens, dans des cas où, suivant son expression, l’action de l’une de ces deux membranes se trouve accrue par la destruction de l’autre. Il esiste d’ailleurs une sorte d’antagonisme dans la manière d’agir des deux périostes, l’externe et l’interne , sur chaque face de la table d’un os. Si une portion de la face externe d’un os est en voie d’accroissement, la portion correspondante de sa face interne est ordinairement en voie de résorption. L’allongement du corps des os longs peut s'expliquer, suivant nous, de la manière suivante. À mesure qu'il se dépose aux extré- mités d’un os long de la substance nouvelle, ce qui a lieu, pour les jeunes , entre l’épiphyse et la diaphyse, d’autre substance est enlevée sur le pourtour de ces extrémités. En même temps, de la substance nouvelle est déposée à l’intérieur de l’os, vers chaque SUR LE DÉVELOPPEMENT DES OS. 287 extrémité. Par là, l'os acquiert d’un côté ce qu’il perd de l’autre, et il conserve toujours en même temps une épaisseur suffisante, Ces phénomènes s'arrêtent au bout d’un certain temps ; c’est alors que l’os est parvenu à sa grosseur définitive. Il ne paraît plus se produire, dans ce cas, qu'un accroissement tout-à-fait inté- rieur , qui augmente la densité de l'os. Cet accroissement semble indiqué par les taches rouges que présente cà et là le tissu osseux, autour de certains canalicules, dans des animaux dont les os ne se colorent sensiblement ni à la face externe ni à la face interne, Le moment où il ne se produit plus de coloration dans l'os, et que l’on doit regarder comme indiquant son état adulte, est, en outre, manifesté par la présence d’une couche définitive d’une sorte de vernis, car l’on peut se servir de cette expression pour caractériser l’aspect particulier de cette couche. La surface de l'os est alors tout-à-fait lisse, ce qui n'arrive jamais tant qu'il s'y dépose des parties nouvelles. La cavité médullaire a recu , de son côté , une certaine quantité de tissus spongieux , qui vient en di- minuer l'étendue. C’est sous la couche définitive que nous avons remarqué par transparence, dans les os des Pigeons, des régions rouges et d’autres blanches diversement situées dans les différents os. Cette variété dans la coloration d’un même os nous avait fait admettre d’abord la décoloration partielle du tissu osseux ; mais , aujour- d'hui, la résorption qui a lieu sur certaines régions seulement de la surface des os en voie d’accroissement nous permet de comprendre les nuances diverses de la coloration. Voici donc comment se résume, pour nous, la théorie du dé- veloppement des os. 1° Il y a dépôt de parties osseuses nouvelles soit à la face ex- terne , soit à la face interne des os, mais non pas sur toute l’éten- due de chacune de ces deux faces à la fois. 2 Les régions de chacune des deux faces de l'os où ce dépôt ne se produit pas sont le siége de la résorption. 3° Ces faits se passent à la face interne comme à la face externe des os , mais de telle manière que, s’il y a résorption sur une des faces , il y a ordinairement dépôt sur la face opposée. 288 BRULLÉ LT HEGUENY. h° L'augmentation des os en diamètre a lieu par le dépôt des parties nouvelles à sa face externe, ainsi que l'ont remarqué Du- hamel et M. Flourens. 5° L'augmentation des os en longueur se fait par deux movens. Les extrémités recoivent des parties nouvelles : c'est ce que M. Flourens a très bien reconnu : le corps est soumis à la résorp- tion dans les parties voisines des extrémités, comme Hunter paraît l'avoir indiqué. 6° Les épiphyses se développent séparément à la manière des os courts, c’est-à-dire par l'addition de substance nouvelle sur certaines parties , et par la résorption sur d’autres parties. 7° Les os plats se présentent, sous le rapport de leur dévelop- pement , comme les os longs ; ils sont soumis au dépôt de parties nouvelles et à la résorption de parties anciennes, pour ce qui concerne du moins leur face externe. 8 Le périoste et la membrane médullaire sont alternativement les organes du dépôt et de la résorption des parties osseuses ; chacune de ces deux membranes a donc les mêmes propriétés que l’autre. 9° Enfin , la mutation de la matière ne paraît consister que dans le mouvement d'augmentation et de résorption, du moins pour ce qui concerne le tissu osseux ; elle n’est alors qu'un phénomène d’accroissement. PREMIÈRE PARTIE. FAITS GÉNÉRAUX. CAAPITRE I. Coloration des os au moyen de l'alimentation garancée. Rutherford est le premier qui ait reconnu la cause du phéno- mène de la coloration des os. « Les laques, dit-il, sont de vrais précipités de matière colorante en combinaison avec des mor- dants. La coloration des os d’un animal au moyen de la garance est tout-à-fait analogue à la formation de ces laques. La matière SUR LE DÉVELOPPEMENT 1 ES OS. 289 volorante de la garance , lraversant sans altération lés organes digestifs, se répand dans la masse générale des fluides , et se dis- sout dans le sérum du sang, auquel elle communique une couleur rouge sensible, lorsqu'elle y existe en grande quantité. En outre, il y a toujours dans le sang, et à l’état de solution dans le sérum, une certaine quantité de matière terreuse des os, de phosphate de chaux, toute prête à être déposée , dès que l'exigent les besoins de l'animal. Et comme le phosphate de chaux est un très bon mor- dant pour la garance, qu'il a beaucoup d’aflinité pour elle, et que, par conséquent, il est admirablement disposé pour servir de base à la matière colorante qu’elle renferme, il en résulte qu’alors ces deux substances se combinent à l’état d'une laque rouge brillante, d’où provient la couleur des os (1). » C’est donc au moyen de l’aflinité que possède le phosphate de chaux pour la matière colorante de la garance que se produit cette coloration, qui est dès lors un phénomène chimique. On peut, du reste, en dire autant du carbonate de chaux , qui se co- lore aussi, comme nous l'avons expérimenté directement, mais moins vivement peut-être que le phosphate de chaux. Ceci établi, où se fait la coloration des sels calcaires? Est-ce dans le sang ou dans l'os lui-même ? D’après Rutherford, la coloration se produirait dans le Sang , et les molécules arriveraient toutes colorées dans l'os. Gibson pense , au contraire, que la coloration se fait dans l’os lui-même . c’est-à-dire sur les molécules calcaires déjà en place. « On voit, dit Gibson , que Rutherford embrasse l'opinion de certains phy- siologistes, savoir, que la matière osseuse recoit sa coloration avant de se déposer , et pendant qu’elle est encore à l’état de dis- solution ou de mélange dans le sang, après quoi elle est déposée et solidifiée sous l’apparence d’une laque brillante. Dans aucun passage de ses ingénieuses remarques il ne soupconne la possi- bilité que les os, déjà formés dans l'animal, puissent, pendant Vusage de la garance , devenir rouges, et reprendre graduelle- ment, après la cessation de ce régime, leur couleur naturelle (1) Rutherford , cité dans le Mémoire de Gibson (Mem of the litter. and phi- tosoph Soc. of Manchester, 2° sér., & 1, p. 155. — 1805). 3" série. Zooc. T. [V. (Novembre 1845.) 5 19 290 BRULLÉ ET HUGUENY. sous l'influence d’une action entièrement indépendante de leur formation et de leur résorption. » (Loe. cit., p. 156.) Cependant les faits ne permettent pas de douter que ces deux modes de coloration ont lieu simultanément dans tous les jeunes animaux , c’est-à-dire tant que l’os n’a pas obtenu son accroisse- ment complet. Une portion plus ou moins considérable des os. non pas les os tout entiers, comme l'ont prétendu quelques au- teurs, se colore par suite d’un seul repas mêlé de garance ; il faut donc que la matière colorante que renferme cette substance aille chercher les sels de chaux déjà déposés. De plus , si l’on continue à nourrir un animal avec des aliments garancés , son os s'accroît, et toutes les parties qui se forment pendant ce régime sont colo- rées aussi : il y a donc nécessairement là deux modes de colora.- tion distincts. Le premier de ces modes de coloration, celui des molécules osseuses déjà placées dans l’os , semble répondre à un état parti- culier de l'os, que M. Flourens a appelé état de formation. Cet état coïnciderait avec la période seulement pendant laquelle l'os s'accroît ; en eflet, dans les animaux adultes soumis au régime de la garance , les os ne se colorent pas d’une manière appré- ciable ; de plus, cet état n’est pas celui de l’os entier, puisque, même dans les jeunes animaux , une portion seulement de l’épais- seur des os se celore tant à l’intérieur qu'à l'extérieur. Quant au second mode de coloration , il est tout-à-fait sous la dépendance de l'accroissement des os ; mais il est évident qu’il ne peut indi- quer cet accroissement d’une manière complète, C'est seulement un point de départ pour reconnaitre les formations ultérieures, celles qui ont lieu après la cessation du régime de la garance. Des deux modes de coloration que nous venons d’indiquer , M. Flourens paraît n’admettre que le premier , si l’on en juge par divers passages de ses recherches sur le développement des os et des dents. Voici ce qu’il en dit : « Tout ce qui, dans un os, se forme pendant l’usage de la garance devient rouge ; tout ce qui était formé avant l’usage de la garance conserve sa couleur ordinaire, La garance démêle donc . dans chaque os, les parties nouvelles des parties anciennes, les L2 SUR LE DÉVELOPPEMENT DES OS, 291 parties qui se forment des parties formées ; elle suit pas à pas les progrès de l’ossification ; elle marque la véritable marche de l’ac- croissement des os. » (Pag. 14.) Et plus loin : « Il ne faut pas croire que la couche qui se colore se dépose en même temps que la coloration se fait. » L’extrême rapidité de la coloration prouve que cela n’est point. » Les molécules ne sont donc pas apportées toutes rougies. Les molécules sont déjà déposées ; elles sont déjà en place, quand le sang leur apporte le principe colorant qui les rougit. » Enfin, les seules couches qui rougissent sont les couches qui se trouvent en voie de formation ; et cela parce qu’elles recoivent beaucoup de sang, et que , recevant beaucoup de sang, elles re- coivent aussi beaucoup de principe colorant. » (Zbid., pag. 106, 107.) Cependant M. Flourens dit, à la page 15 : « L’os de l'animal qu'on nourrit de garance se revêt d’une couche rouge ; » ce qui doit impliquer la nécessité de la coloration se produisant en même temps que le dépôt même de la couche osseuse. Quoi qu'il en soit, nous croyons devoir nécessairement ad- mettre qu'il y a, dans le phénomène de l’accroissement des os. pendant le régime de l’alimentation garancée : 1° Coloration des sels calcaires en place, démontrée par la rapidité de la coloration et par les considérations d’aflinité chi- mique ; 2 Dépôt de sels calcaires nouveaux , colorés à l’instant même de leur arrivée dans l’os, ce qui semble mis hors de doute par le fait de la coloration des sels calcaires plongés dans une solution de garance, Et quant à la manière dont se fait le dépôt des molécules cal- caires (1) , il faut encore distinguer : (1) Pour éviter toute confusion, relativement à la manière dont se fait le dépôt des molécules calcaires dans l'os, nous distinguerons deux états de l'os : 4° l'état d'ossification complète de l'os, état qui répond à l'âge adulte de l'animal, état pendant lequel il ne se produit pas de développement diamétral appréciable dans un temps donné et par des changements prononcés à l'intérieur, quoique la cir- 9292 BRULLÉ ET MUGUENY. 1° Ce qui se passe pendant l’éfat de formation de l'os, c'est-à- dire pendant tout le temps où l'os est apte à recevoir des parties nouvelles dans son intérieur ; % Le fait d'accroissement qui consiste dans la superposition de parties nouvelles à la surface, soit externe, soit interne, des os. Il y a donc dans les os deux modes d’accroissement ou de dé- veloppement distincts: l’un, que l’on pourrait nommer intérieur, c’est le mouvement nutritif; l’autre, que l’on pourrait appeler périphérique, c’est le mouvement d’accroissement. Pour la colo- ration relative à l’état de développement intérieur, nous admet tons les deux modes de coloration que nous avons indiqués, puis- qu'il y a tout à la fois coloration de parties déjà en place, et dépôt nécessaire de parties nouvelles toutes colorées, dépôt que prouve l’augmentation de densité des os avec l’âge. Quant à la coloration relative à l’état de développement périphérique, elle ne peut se comprendre que par le dépôt de parties calcaires co- lorées, comme l’entendait Rutherford, Ainsi donc, cette première question : Comment se produit la coloration des os? se réduit, suivant nous, à ces deux faits : 1° La coloration de parties osseuses déjà déposées, lorsqu'on agit sur un animal jeune encore: c’est un véritable fait de teinture ; 2 La coloration de toutes les parties osseuses qui se déposent, tant dans l'épaisseur qu’à la superficie des os, pendant la nourri- ture d’un animal au moyen d’aliments garancés. C’est faute d’avoir établi cette distinction entre les deux phé- nomènes, que Gibson a éprouvé tant de difficulté à se rendre culation se continue, mais très lentement, dans le tissu de l'os: cet état, nous l'admettons aussi dans les parties de l'os d’un jeune animal qui ne se colorent pas sous l'influence du régime de la garance; 2° l'état que nous appellerons de développement, pendant lequel l'os entier d'un jeune animal ou seulement ses par- ties périphériques internes ou externes possèdent un double mode d’accroisse- ment, savoir : un mode d'accroissement intérieur, démontré par l'augmentation de la densité de l'os avec l'âge, dans les parties où le dépôt calcaire s’est effectué: et un mode d'accroissement périphérique, rendu manifeste par l'accroissement en diamètre de l'os et par la continuité de la coloration de l'os au moyen de la ga- rance dans les parties superficielles nouvellement formées. SUR LE DÉVELOPPEMENT DES OS. 293 compte des rapports dela coloration des os avec leur accroissement. (Voyez la note I.) CHAPITRE II. Fixité de la coloration des os. La coloration des os par la garance est-elle fixe? C’est là le point essentiel de la question ; car sans la fixité de la coloration , les expériences conduiraient à des résultats qui présenteraient beaucoup d'incertitude en ce qui concerne le développement des os. On sait que Duhamel croyait d'abord (Ac. sc., 1739) que les os rougis par la garance se décoloraient lorsque l'on cessait de mêler de la garance aux aliments; on sait aussi qu'il a changé d'opinion, et qu'il a expliqué la décoloration apparente par la production de nouvelles couches, c'est-à-dire de couches blan- ches, à la surface des os. A peu près à la même époque que Duhamel, un membre de l’Institut de Bologne, Bazanus, s'était prononcé, de son côté, pour la décoloration. (Voyez la note IE.) I fit ses expériences sur quatre poulets, dont deux furent tués après vingt-sept jours d’ali- mentation garancée, et les deux autres vécurent un mois de plus, mais sans manger de garance. Il crut que les os des deux der- niers poulets avaient repris leur couleur primitive. Mais il faut remarquer qu'il ne fit point de sections dans les os, de même que Duhamel dans ses premiers essais, ce qui Ôte toute espèce de va- leur à ses conclusions. Bœhmer, en 1751, publia une thèse sur les effets de l’alimen- tation garancée sur les os des animaux. Il crut aussi « qu’en ces- sant de nourrir les animaux avec de la garance, les os perdaient petit à petit leur rougeur, » (Voyez la note II.) Gibson, au commencement de ce siècle, a surtout insisté sur la décoloration des os dans les animaux qui avaient élé soumis tour à tour au régime de la garance et au régime des aliments or- dinaires. Il a même cherché à prouver la décoloration, en soumet- ant du phosphate de chaux garancé à l’action du sérum élevé 294 BRULLÉ ET HUGUENTY. à la température du corps des animaux. « Je pris, dit-il, une drachme de phosphate de chaux coloré, comme dans l'expérience de Rutherfort, et je l’exposai pendant une demi-heure à l'action de deux onces de sérum frais, à la température de 98° (Fahr.?). Par là, le sérum prit graduellement une teinte rouge, tandis que le phosphate de chaux perdit proportionnellement de sa cou- leur. Dans une expérience comparative, une quantité semblable de phosphate de chaux coloré fut exposée à l'action de l’eau dis- tillée et dans les mêmes circonstances ; mais il n’y eut aucun chan- gement. » (Voyez la note IV.) Un autre partisan de la décoloration, Paget, l'explique d’une manière différente. Suivant lui, « si l’os rouge perd sa couleur quelque temps après que l’animal ne prend plus de garance, ce n’est pas, comme le pensait Gibson , à cause de affinité supé- rieure du sérum, ni, comme le pensait Duhamel, par l’absorp- tion des molécules terreuses colorées (1); mais probablement par la décomposition de la garance elle-même, ainsi qu’on le voit ar- river aux squelettes exposés à l'air et à la lumière. » (Voyez la note V.) Or l'opinion de Paget repose sur une supposition gra- tuite. Sans doute l'air et la lumière ont sur la matière colorante une action incontestable et que nous avons reconnue nous-mêmes à l'égard des os rougis par la garance; mais, dans le corps des animaux , comme les os ne sont exposés ni à l’air ni à la lumière , et comme, en outre, rien ne porte à admettre, à priori, que la circulation du sang dans les os produise un effet semblable de dé- coloration , nous avons dû ne voir dans l'explication de Paget qu’une hypothèse sans fondement. Nous avons tenté nous-mêmes plusieurs expériences ayant pour but de démontrer directement la décoloration. Nous avons fait séjourner pendant une heure , dans une forte quantité de sang de bœuf maintenu à la température moyenne de 38 à 40° c., des portions d'os de Porc et de Pigeon rougis par l'alimentation de garance. Nous avons soumis à l’action du sang de bœuf, dans les mêmes circonstances, une portion de fémur d’Oie que nous (4) Nous ferons remarquer que l'absorption des molécules n'est point une idée de Duhamel; elle appartient entièrement à Hunter et à M. Flourens. SUR LE DÉVELOPPEMENT DES OS. 295 avions colorée en rouge dans une solution aqueuse de garance , après l’avoir préalablement calcinée pour la dépouiller de tous ses principes organiques. Ainsi, d’une part, nous agissions sur des portions d’os possédant tous leurs éléments; d’autre part, nous agissions sur du phosphate de chaux des os. Or l'examen de ces différentes pièces, après l'expérience, nous fit reconnaître que leur couleur n'avait éprouvé aucun changement appréciable. C’est ce qu'il nous fut aisé de constater par la comparaison de ces diffé- rents os avec d’autres portions des mêmes os que nous avions conservées. Il n’y eut donc pas de décoloration produite. Lavant ensuite à plusieurs reprises, par un séjour prolongé dans de l’eau distillée, les différents fragments soumis à l’action du sang de bœuf, nous avons vu que, d’abord, cette eau se colorait d’une manière sensible dans le voisinage des fragments, et pre- nait une teinte d’un jaune légèrement rougeàtre, ce que nous avons cru pouvoir attribuer au sang de bœuf logé dans leurs in- terstices. Puis, ensuite, l’eau ne se colora plus, et les fragments d'os étaient aussi rouges qu'avant l'expérience. Ce n’était donc pas la garance qui avait coloré l’eau pendant les premiers la- vages. Nous remarquämes seulement qu’au bout d’environ trois semaines la portion de fémur d’Oie calcinée, puis rougie dans la dissolution de garance, avait notablement perdu de sa couleur. Nous pensons devoir attribuer ce résultat à l’action de la lumière, à laquelle le fragment était resté exposé dans l’eau distillée. Pour en obtenir la preuve, nous soumîmes un autre fragment sem- blable du même fémur d'Oie, également calciné et rougi ensuite par la garance, à l’action de la lumière et dans les mêmes con- ditions que le premier fragment. La coloration diminua également d’une manière sensible, et les deux fragments prirent en défini- tive la même couleur. On doit conclure de ce dernier fait que la lumière a une action directe sur la matière colorante de la garance. C’est ce que Duha- mel avait remarqué au moyen d’os rougis-par l'alimentation ga- rancée, puis exposés pendant longtemps à l’action de l'air. Nous avons reconnu nous-mêmes que des os de Pigeons colorés par un régime de garance avaient perdu une partie de leur couleur, ou 296 BRULLÉ ET HUGUENY. mieux que leur coloration était devenue moins intense, par suite d’un séjour de plusieurs mois dans de l’alcool étendu d’eau, et que nous avons laissé exposé à la lumière du jour. Nous devons ajouter, cependant, que tous nos Pigeons n’ont pas subi le même degré de décoloration. L'action de la lumière avait agi plus effi- cacement sur les Pigeons les moins garancés, sur ceux qui avaient été soumis pendant moins de temps au régime de lalimentation colorante. Enfin, la décoloration sous l’influence des rayons lu- mineux est beaucoup plus marquée, et surtout plus prompte, sur les os calcinés et colorés ensuite par l'immersion dans une disso- lution de garance, que sur les os rougis par l'alimentation (1). .Ce fait trouve son explication dans la différence de couleur que présentent les os avec les sels de chaux obtenus, soit par précipi- tation chromique, soit par la calcination des os; il s'explique en- core par la différence de densité et de nature chimique des os cal- cinés et des os normaux. Il est d’ailleurs manifeste que l’action digestive , ou que l'influence de la nutrition en général , imprime une modification particulière à la combinaison qui se fait entre la matière colorante de la garance et les sels calcaires que renfer- ment les os. Cette altération de la couleur dans les os rougis par la garance, altération que Duhamel avait remarquée , semble avoir échappé à Bazanus. Il dit, en effet, que les os de ses Poulets garancés , bien qu’ils eussent été conservés pendant longtemps sans aucune pré- caution particulière, ne perdirent cependant jamais leur couleur , soit qu’ils fussent plongés dans l’alcool, soit qu’ils restassent ex- posés à la lumière et au froid. 11 faut, dans ce cas , ou que les os en question ne soient pas restés assez longtemps sous l'influence de la lumière, ou que Bazanus, n'ayant élevé, comme il le dit lui- (1) Outre l’action de la lumière sur la matière colorante de la garance, il faut admettre celle de certains liquides. Ainsi une rondelle d'os de poule, colorée par le régime de la garance, devient toute blanche après quelques jours seulement d'immersion dans la térébenthine ; des rondelles semblables, plongées dans de l'huile, dans de l'alcool étendu , ne se décolorèrent pas sensiblement, même au bout de plusieurs semaines. Les unes et les autres étaient restées exposées à l'ac- tion de la lumière. ‘SUR LE DÉVELOPPEMENT DES OS. 297 même, que deux Poulets au régime seul de l'alimentation ga- rancée, n'ait plus eu à sa disposition de terme de comparaison pour apprécier convenablement l'intensité de la coloration, Du reste , la couleur des os garancés par l’action de la nourriture résiste parfaitement à certains agents : ainsi l'ébullition , la macération prolongée des os de nos animaux , n’apportaient aucun change- ment à leur couleur ; nous nous en sommes convaincus en prépa- rant de suite quelques uns des membres, ou en les soumettant à une macération de peu de durée dans l’eau froide. Comparant ensuite ces os à ceux qui avaient été nettoyés par l’ébullition et par une macération prolongée, nous ne remarquions aucune dif- férence entre eux. Cependant des os qui ne plongeaient pas tout-à-fait dans l’eau prirent une teinte d’un gris sale, ou même brune , par l’action combinée de la lumière et de l’eau de macé- ration , qui s'était altérée faute d’avoir été renouvelée. La cou- leur, quoique modifiée dans ce cas à la surface des os, n'avait éprouvé, dans leur intérieur, aucun changement appréciable : c’est donc, en général , une altération toute superficielle qui se produit sur les os par l’action de la lumière. La collection anatomique de Hunter renferme, d’après les éditeurs des œuvres de ce savant chirurgien, « plusieurs prépa- rations qui, dans le principe, indiquaient les faits de coloration d’une manière très claire ; mais l’alcool , disent-ils, en ayant dé- truit la couleur , il faut recourir aux dessins de Bell pour avoir une explication de ces pièces (1). » C’est une nouvelle preuve de la décoloration des os garancés sous l'influence de la lumière et non pas sous celle de l’alcool ; car l’alcool seul , ou du moins l’al- cool étendu d’eau , ne nous a pas paru produire de décoloration. Il résulte des faits que nous venons d'exposer, que la matière colorarte de la garance n’est pas absolument fixe sur les os quand elle y a été déposée par la voie de la nutrition ; mais il n’en résulte pas que, pendant la vie d’un animal, la décoloration ait lieu, comme l'avaient pensé certains auteurs, et comme nous l’avions cru nous-mêmes. Duhamel, le premier, n’avait pas tardé à re- (1) OEuvres chirurgicales de Hunter, {. 1, p. 479. 298 BRULLÉ ET HUGUENY. connaître que les changements survenus dans les os de ses ari- maux , par suite du mode d'alimentation, n’élaient pas dus à la décoloration. M. Flourens, dans ces dernières années, a répété les expériences de Duhamel, et a reproduit les mêmes conclu- sions , que nos propres expériences nous ont conduits à admettre. En conséquence , la coloration des os par suite du régime de la garance peut fournir nn point de départ pour l'observation des changements ultérieurs. En un mot, comme le disent MM. Serres et Doyère, la stabilité de la combinaison du phosphate de chaux et de la matière colorante dans les os « est assez grande pour que la coloration persiste pendant un temps beaucoup plus que suffisant ; et l’on pourra étudier au microscope les faits d’accrois- sement des os, parce que les lignes et les surfaces colorées que le régime de la garance aura décrites dans le tissu osseux sépare- ront nettement, pendant assez longtemps, la formation antérieure de celle qui l'aura suivie (1). » (Loc. cit... p. 171.) Les choses étant ainsi, et nos propres recherches l’établissent d’une manière certaine, le développement des os a-t-il été re- connu? C’est ce que nous allons examiner dans le chapitre sui- vant. CHAPITRE HU. Développement des os. Le fait de la fixité, ou du moins d’une fixilé suffisante de la coloration des os, étant une fois constaté , il semblerait que rien n’était plus facile que d’en conclure le mode de développement des os ; il n’en est cependant pas ainsi. On voit bien, comme (1) Nous trouvons d’ailleurs une preuve péremptoire de la non-décoloration des os, sous l'influence de la cireulation du sang, dans l'examen de la section d'un os de pore, qui, après avoir élé soumis au régime de la garance, a été en- suite ramené au régime ordinaire Cette section montre, en effet, un bord très tranche dans la ligne de séparation de la couche rouge et de la couche blanche extérieure, et, de plus, c’est sur ce bord que se trouve le maximum d'intensité de la couleur rouge. Or, s’il y avait eu décoloration sous l'influence du régime ordi- naire, il devrait arriver que le maximum d'intensité de la couleur rouge se trouvât dans l'intérieur de la virole colorée, et non pas sur son bord externe. SUR LE DÉVELOPPEMENT DES OS. 299 l'ont dit il y a longtemps déjà les observateurs, que, dans les animaux soumis tour à tour à l'alimentation garancée et à l’ali- mentation ordinaire, il s’est formé des couches rouges et des couches blanches, qui doivent correspondre aux divers modes d'alimentation ; mais le phénomène ne se borne pas là. Dans un os en voie de développement, dans un os qui n’a pas encore ac- quis sa grosseur et souvent sa forme définitives, il ne suffit pas qu'il se produise des couches nouvelles autour des anciennes ; il ne suffit pas que la cavité des os longs s’agrandisse ; il ne suffit pas, enfin. qu’il se dépose sur toutes les parties de l’os des por- tions ou des couches nouvelles : il faut, pour se rendre compte du développement de ces os, reconnaître des actions variées , des modifications relatives à l’âge, et, pour employer le mot, des résorptions successives , sans lesquelles on ne comprend pas l’ac- croissement. Par suite de ces actions diverses , il se manifeste, soit à la sur- face même des os d'animaux soumis au seul régime de la garance, soit dans les diverses sections que l’on vient à pratiquer dans leur épaisseur, des apparences fort embarrassantes au premier abord ; de là le silence ou les explications incomplètes des observateurs. Les difficultés ne sont pas moins grandes, lorsqu'on poursuit l'étude du développement des os dans les animaux qui ont été ramenés à la nourriture ordinaire après avoir été garancés. Dans ce cas, les explications données jusqu’à ce jour sont insuflisantes , lorsqu'elles ne sont pas en opposition avec les faits. Aïnsi l’on se demande pourquoi , lors de la coloration d’un os par le régime de la garance , ou de la formation de parties blanches par un retour au régime ordinaire, la surface de cet os n’est pas entièrement rouge dans le premier cas, entièrement blanche dans le second. On se demande pourquoi ces portions restées blanches , malgré le régime de la garance ; pourquoi ces portions restées rouges, après le retour de l’animal au régime ordinaire. On se demande, enfin , pourquoi la couleur rouge ne pénètre pas dans l’os par toute la surface; pourquoi la couleur blanche du second régime pe se montre pas partout où l’os était rouge par suite du premier. Ces questions , et quelques autres qui en dépendent, ne peu- 300 ERULLÉ ET HMUGUENY. vent être résolues par la théorie de Duhamel , qui consiste dans la superposition des couches à la surface de l'os, d’où l’accroisse- ment en épaisseur, et dans l’extension de l’os lui-même, pour l'accroissement en longueur. Elles ne peuvent l'être non plus par la théorie de M. Flourens, qui n’admet que deux actions opposées, l’une d’accroissement au pourtour et aux extrémités, l’autre de résorption à l’intérieur de l'os; il faut, pour y parvenir, se re- porter aux idées de Hunter sur l'absorption. Ce physiologiste a fort bien entrevu le phénomène du développement des os, et s’il ne l’a pas démontré d’une manière complète, il a toutefois re- connu et indiqué les difficultés qui restent dans l'esprit par suite des explications de Duhamel. Un mot sur ces difficultés, qui se présentent aussi dans la théorie de M. Flourens. (Voyez la note VI.) Lorsqu'on met à nu la surface d’un os, dans un animal ra- mené au régime ordinaire, on voit qu'elle n’est ni entièrement rouge ni entièrement blanche ; on y remarque, soit des lignes, soit des espaces irréguliers, dont les uns sont rouges et les autres blancs. Que si l’on fait une section au travers de l’os , tantôt on y remarque un cercle rouge plus ou moins complet entouré d’un cercle blanc ; lantôt on voit que le cercle rouge et le cercle blanc déformés semblent se continuer, ou mieux qu'ils viennent af- fleurer au bord, soit externe, soit interne, de la section. Or, c’est aux différentes parties qui affleurent ainsi qu'est dù l’aspect varié de la surface des os. Dans l'impossibilité où nous étions d’abord de comprendre ces phénomènes , nous les avons regardés comme des faits de déco- loration. Il nous semblait nécessaire , pour s’en rendre compte, d'admettre l’enlèvement de la partie colorante ; mais n'ayant pu obtenir de preuves directes de la décoloration, et trouvant, au contraire, qu’il y avait plus de raisons pour croire à la fixité de la coloration, il a fallu remplacer la disparition des parties colorantes par celle des parties colorées. Or , c’est précisément cette dispa- rition de certaines parties de l’os qui, se produisant à toute époque de la formation ou du développement des os , peut rendre compte des apparences variées qu'ils présentent, lorsqu'ils ont été co SUR LE DÉVELOPPEMENT DES OS. 201 lorés. C’est cette disparition de la substance osseuse qui explique, et qui explique seule, pourquoi, lorsqu'un os se colore, certaines parties restent blanches, car alors ces parties sont en voie de résorption ; c’est elle encore qui permet de comprendre, et cela pour la même raison, comment certaines régions de la surface restent rouges dans les os qui, par suite du régime ordinaire, de- vraient se recouvrir entièrement de couches blanches. Ainsi, comme l'avait dit Hunter, on ne saurait comprendre , sans admettre des résorptions partielles et successives , qu’un os long , par exemple, s’accroisse par la superposition continuelle de couches qui s’enveloppent tour à tour ; autrement la forme de cet os serait dénaturée au bout d’un certain temps. Un os, quel qu'il soit, s'accroît, en eflet, par la superposition, par le dépôt de couches nouvelles ; mais un os creux se recouvre de ces couches nouvelles tant en dedans qu’en dehors, en même temps qu’il s’ac- croît par les extrémités. Cependant ces couches, ces lamelles de formation nouvelle, et, pour ainsi dire, incessante pendant tout le temps de l'accroissement de los, ne se déposent pas à la fois sur sa face externe et sur sa face interne ; elles augmentent son épaissear dans certaines parties, tandis que, dans d’autres parties, il se produit un résultat opposé : d’anciennes lamelles sont ré- sorbées , et cela aussi bien au dehors qu’en dedans. Ces alter- nances dans le dépôt de parties nouvelles et dans la résorption de parties anciennes , sont surtout remarquables vers les extrémités des os longs , ou vers les têtes. S'il en était autrement , un os qui recevrait sur tout son pourtour , ainsi qu'à ses extrémités, des parties nouvelles, parviendrait-il à sa longueur définitive en con- servant la forme qu'il avait d’abord ? Évidemment non , et c’est ce que Hunter avait remarqué avant nous; c’est là ce qui con- stitue sa théorie , à laquelle nos observations viennent fournir , ce nous semble , des arguments nouveaux. Avant d'arriver aux mêmes idées que Hunter au sujet de la résorption de certaines parties des os, nous supposions, comme nous l’avons dit, qu'il y avait réellement décoloration , c’est-à- dire séparation de la matière colorante, les molécules osseuses restant en place. C’est ce que nous exprimions dans une commu- 302 BRULLÉ LT HUGUENY. nication faite à l’Académie des Sciences, en octobre 1844. « Nous avons vu, disions-nous alors, les os des animaux garancés, puis remis au régime ordinaire , se décolorer dans certaines parties, et rester rouges dans d’autres parties ; nous les avons vues se dé- colorer d'autant plus que le régime de la nourriture ordinaire avait été prolongé plus longtemps, et que le régime de la garance avait été plus court. Nous n’admettons donc pas que , dans les os co- lorés par la garance , la couleur rouge ne disparaisse qu'avec la substance osseuse, ni que les couches rouges de l’os soient uniquement recouvertes par des couches blanches nouvelles. » (Comptes-rendus , 1844, t. XIX, p. 818.) — Voir la note X. Aujourd’hui que les faits ne nous laissent plus aucun embarras, grâce à la théorie de Hunter , nous ne croyons plus à la décolo- ration rapide des os par la circulation du sang. Nous savons inême à présent que la succession dans le dépôt et la résorption des parties osseuses ne durent qu’un certain temps, c’est-à-dire jusqu’au développement complet de l'os. Ceci nous explique pour- quoi MM. Serres et Doyère ont nié le mouvement de composition et de décomposition dans l'os. C’est qu’une fois arrivé à son état définitif, l’os n'a plus qu'une circulation très obscure; il ne s'y produit plus de couches nouvelles. C’est alors que, suivant M. Flourens , le sang peut y pénétrer, mais non la matière colo= rante de la garance (1). Lorsqu'on nourrit avec des aliments ga- rancés un animal adulte , ses os ne se colorent que très peu ; c’est dans lesextrémités encore spongieuses des os longs, et dans quel- ques parties seulement des os plats, que la matière colorante par- vient à pénétrer, ce qui a lieu nécessairement parce que le sang y pénètre lui-même. C’est pour la même raison que MM. Serres et Doyère ont vu un Pigeon avoir, à l’âge d’un an, la couleur rouge de ses os aussi intense qu'au moment où ils lui avaient coupé l’aile , c’est-à-dire huit mois auparavant (loc. cit., p. 172). (1) Nous ferons remarquer que cette opinion n'est pas démontrée. Il est même extrêmement probable que si le sang pénètre dans l'os, la matière colorante ce la garance y pénètre aussi; mais on conçoit que le mouvement du sang soit de plus en plus ralenti à mesure que l'os augmente de densité, et même qu'il tende à cesser tout-à-fait. SUR LE DÉVELOPPEMENT DES OS. 303 Les os de ce Pigeon devenus stationnaires sous le rapport de leur formation, ne recevant plus, par conséquent, de parties nou- velles , il n’y avait pas de raison pour que l’on y püt remarquer un changement de couleur. (Voyez la note VII.) Nous partageons donc entièrement l’avis de MM. Serres et Doyère lorsqu'ils disent : « Il nous a toujours semblé que les obser- vateurs ne se sont pas assez préoccupés de la simultanéité des deux faits physiologiques de la nutrition et de l'accroissement chez les jeunes animaux. » (Ann. sc. nat., 2° série, t. XVIT, p. 172.) C'est précisément parce que l'accroissement avait cessé dans le Pigeon observé par MM. Serres et Doyère, c'est parce qu'il ne se produisait plus en lui depuis longtemps déjà, que des phé- nomènes de nutrition , que la couleur de ses os n’a pas disparu. C’est une preuve de ce que nous avancions plus haut, savoir, que dans les os adultes , si l’on peut employer ce mot, la circu- lation est des plus obscures. L’aile droite du Pigeon en question , celle qui n’avait pas été amputée , présentait absolument , suivant MM. Serres et Doyère , la même teinte que l'aile gauche qui avait été conservée : il y aurait donc, jusqu’à un certain point, indé- pendance entre les deux mouvements d’accroissement et de nu- trition. Par conséquent, il n’y a pas lieu de s'étonner que cette aile , « soumise pendant huit mois de plus que l'aile amputée, et pendant les huit mois qui suivent immédiatement la dernière période de l'accroissement , au tourbillon vital » (bid., p. 172), n'ait rien perdu de sa couleur ; mais évidemment cette aile n’avait pas été, plus que le reste du corps , soumise « au renouvellement, à la mutation, à l'échange de ses molécules » (ibid.) ; sans quoi, ainsi que l’ajoutent MM. Serres et Doyère , « elle eùt dù évidem- ment perdre quelque chose. » A ce fait de la persistance dans la coloration après un an, M. Flourens oppose cet autre fait d’un Pigeon qui , après un ré- gime ordinaire de dix-huit mois, succédant à un régime de ga- rance , n’offrait presque plus de coloration. « Tout, ou à peu près tout, dit ce savant, s’est renouvelé dans ses os; car tout, ou à peu près tout, y est blanc (p. 123). » Or , remarquons ce qui s'est passé : le Pigeon de M. Flourens , « au moment où tous ses 30h BRULLÉ ET HUGUENY. os étaient rouges , avait à peu près trois semaines ; à partir dé ce moment , il a été remis à la nourriture ordinaire (ibid.). » Le Pigeon de MM. Serres et Doyère a été amputé « au moment où on le jugeait âgé d'au moins quatre mois , puis on prit soin qu'aucun aliment colorant ne lui fût désormais administré. » (Ann. sc. nat., p. 172.) Toute la question est là. A trois semaines, les os d’un Pigeon sont en pleine voie de développement ou de formation, pour nous servir de l'expression de M. Flourens ; ces os ont donc eu à se re- couvrir de couches blanches. À quatre mois, au contraire, le dé- veloppement des os des Pigeons est à peu près achevé, d’après des faits que nous citerons plus loin ; il n’est donc pas étonnant que les os, encore rouges à quatre mois, n'aient pas cessé de l'être au bout d’un an et plus. Il doit en être de même des os d’un autre Pigeon dont parle M. Flourens (p. 193 , note 2) , et qui, « après avoir eu ses os rougis par l’usage de la garance , a été rendu à la nourriture ordinaire pendant huit mois. La couleur des os, con- tinue M. Flourens , est moins vive qu’elle ne l'était d’abord , mais elle subsiste. » M. Flourens ne dit pas à quel âge ce Pigeon a été ramené à la nourriture ordinaire ; mais ce que nous considérons comme très probable , c’est qu'il était presque adulte. Nous avons observé plus d’un fait de ce genre : la couleur est moins vive , parce qu’il s’est déposé des couches blanches à la surface des os; mais elle persiste, parce que toute la portion rouge n’a pas été résorbée. C'est une preuve du renouvellement incomplet de la substance des os, et pour obtenir le renouvellement complet , dans les Pigeons, il faudrait les mettre de très bonne heure au régime de la garance, et les ramener de très bonne heure aussi au régime ordinaire : toutefois, il y a lieu de douter que l’on y parvienne, et nos expé- riences nous portent à croire que le renouvellement n’est jamais complet (1). (1) Dans les animaux dont l'accroissement est rapide, comme dans les Canards, la portion colorée presque tout entière des jeunes os peut disparaître ; mais il en reste encore cà et là des portions notables, même à l'extérieur, comme nous le montrerons dans la seconde partie. SUR LE DÉVELOPPEMENT DES OS, 305 La persistance de parties colorées, dans les os qui se sont recou- verts de couches blanches, est un fait demeuré sans explication jusqu’à présent. M. Flourens le constate lui-même, en plusieurs endroits de son ouvrage, et en particulier au sujet du Pigeon cité plus haut, et dont les os ont cessé d’être rouges : « Tout ou à peu près tout, dit-il, s’est renouvelé dans ses os; car tout, ou à peu près tout, y est blanc. » Nous nous sommes pendant longtemps de- mandé pourquoi on remarquait à la surface des os des parties qui, évidemment, ne s'étaient pas renouvelées, et ce correctif « à peu près tout » nous mettait dans un grand embarras. Il est certain que, dans la supposition d’un revêtement complet des os par des couches osseuses nouvelles, ce phénomène ne pourrait se mani- fester. Il n’y a donc, pendant quelque temps au moins, comme nous le verrons, qu'un revêtement partiel, qui s'opère suivant certaines lois, propres à chaque espèce d'os en particulier. Duhamel avait aussi remarqué que les couches blanches nou- velles ne recouvraient pas entièrement les couches rouges. Voici ce qu’il dit d’un os de Porc qui avait mangé pendant un mois des aliments garancés, et que l’on avait ensuite nourri pendant six semaines à la manière ordinaire : « Je fus surpris de voir la partie moyenne des os longs tout- àa-fait blanche, pendant qu'un peu au-dessous des épiphyses ils étaient d’un rouge éclatant ; j’examinai les os avec une loupe , et je reconnus que les endroits qui étaient blancs se terminaient par des couches blanches moins épaisses, qui recouvraient les couches rouges ; les couches blanches devenaient bientôt assez minces pour qu'on püt apercevoir au travers un peu des couches rouges : ces couches blanches continuaient peu à peu à devenir de plus en plus minces , puis elles l’étaient au point qu’elles ne diminuaient presque plus de la vivacité de la couleur des couches rouges , et enfin les couches blanches manquaient entièrement, el les couches rouges restaient à découvert. » (Acad. $e., 17h38, p. 100.) Pour le dire en passant, comment cette disposition des couches nou- velles, qui est parfaitement bien décrite par Duhamel, s’accorde- t-elle avec les idées de cet auteur, au sujet de la transformation des lames du périoste en os? 3* série Zooz. T. IV. (Novembre 1845.) 4 20 306 BRULLÉ ET MUGUENT. Ces parties rouges , d’abord à découvert , se seraient certaine- ment revêtues, par la suite, de couches blanches; mais, aupara- vant, il a fallu qu’il s’opérât sur elles une résorption dont l'effet était de diminuer en cet endroit l'épaisseur de l'os, afin qu'il conservät vers les extrémités un diamètre en rapport avec le dia- mètre de son milieu : c’est ce qui se produit sur tous les os en gé- néral , sur les os ronds comme sur les os plats; ils ne conservent leur forme qu’à la condition de perdre de leur épaisseur sur les parties qui doivent s’allonger. Il se forme, en outre, des dépôts sur un côté d’un os, en même temps que la résorption a lieu sur le côté opposé : c’est ce que l’on voit très bien dans le péroné des Mammifères en particulier. Gette double action de dépôt et d’en- lèvement des parties est prouvée d’une manière irrécusable par la coloration des os au moyen de la garance , comme nous le mon- trerons dans la seconde partie de ce travail. En résumé, nous concevons le développement des os comme n'ayant pas lieu d’une manière absolue , au moyen de couches qui se superposent, ce qui ne pourrait s’accorder avec la conservation de leur forme, ni avec la forme définitive qu’ils présentent à l’état adulte. Les os s’accroissent donc en grosseur par l'addition de parties nouvelles sur certaines régions de leur surface ; ils s’accroissent en longueur, tant par la superposition de portions osseuses nou- velles aux extrémités que par la résorption de parties anciennes. au-dessous de ces extrémités. Enfin les couches de formation nou- velle ne recouvrent la surface entière d’un os qu’au moment où l'accroissement va cesser. À partir de ce moment, qui paraît coïn- cider avec l’état adulte de l'animal, il ne se manifeste plus de changements à la superficie desos. Le mouvement d’accroissement a cessé sur la superficie pour faire place au mouvement nutritif, qui a lieu à l’intérieur de l'os. Combien de temps dure ce dernier mouvement ? c’est ce que nous ne savons pas encore; mais il se manifeste par les points colorés qui se montrent dans la section des os, lorsque des animaux adultes ont été soumis au régime de la garance. Hormis les cas de maladie des os, le mouvement nu- tritif devient de plus en plus obscur et finit presque par s'arrêter ; SUR LE DÉVELOPPEMENT DES OS. 307 c'est du moins ce que nos expériences semblent nous permettre de supposer. La théorie que nous proposons, et qui n’est en réalité qu'un pas de plus vers la vérité, nous paraît être l'expression des faits, Elle a l'avantage , et ce point sera apprécié par les physiologistes, de réunir l’unité et la simplicité. Elle explique immédiatement, non seulement le développement des os longs, mais encore le déve- loppement des os courts et celui des os plats, en faisant la part des modifications que nécessitent les changements de forme de chaque os pendantson développement. Le périoste a tout à la fois les deux fonctions d’absorber et de sécréter ; la membrane médul- laire possède également ces deux fonctions. C’est dans ces deux formules, qui n’en font qu'une, après tout, que se trouve tout le secret de l’accroissement du tissu osseux. CHAPITRE IV Détails sur la résorption. La résorption est un phénomène admis par M. Flourens. « Du- hamel, dit-il, avait cru d’abord que la coloration des os se dissipait dès qu’on suspendait l'usage de la garance; et il se trompait. Il crut ensuite que la coloration des os, une fois acquise, ne dispa- raissait plus ; et, dans le sens où il l’entendait , il se trompait en- core. La coloration, une fois acquise, ne disparaît plus; mais les couches colorées disparaissent, et c’est ce que Duhamel n’a pas vu.» (P. 12.) La résorption, telle que l’entend M. Flourens , ou la disparition des couches colorées, est le même phénomène que l'absorption de Hunter ; mais, tandis que ce dernier à admis l’absorption au de- dans et au dehors de l’os, M. Flourens ne l’admet qu'au dedans. De là une différence notable entre les deux théories. « C'est, dit M. Flourens, par couches qui se superposent, par couches qui se forment les unes par-dessus les autres, que les os croissent. » Mais cette suraddition, cette superposition de couches, est-ce là tout ce qui se passe pendant l'accroissement des os? Non sans 308 ERULLÉ ET HUGUENY. doute. À mesure que les parois des os s’accroissent par la surad- dition de couches externes, leur canal médullaire s’accroît par la résorption des couches internes, Ce sont là deux faits desquels Duhamel n’a vu que le premier, et qui, réunis, constituent tout le mécanisme du développement des os en grosseur. » ( P. 75.) La même idée est reproduite à la page 17. « À mesure que l’os se recouvre de nouvelles couches par sa face externe, par celle qui répond au périoste proprement dit, il en perd d’autres par sa face interne, par celle qui répond à la membrane médullaire : double travail de suraddition externe et de résorption interne, dans lequel consiste, comme je l’ai déjà dit, tout le mécanisme de l'accroissement des os, « I y a, dit encore M. Flourens, dans un os qui se développe, deux faits à expliquer : l’accroissement en épaisseur des parois mêmes de l'os, et l'accroissement du canal médullaire. « Or, tout os a deux faces, l’une externe, et l’autre interne. Du côté de l’externe s'ajoutent sans cesse de nouvelles couches, addition qui fait l'accroissement en épaisseur des parois de l’os ; du côté de l’interne sont résorbées sans cesse des couches an- ciennes, résorption qui fait l'accroissement du canal médullaire. » (PA284) Voilà donc qui est bien établi. La résorption a lieu à l’intérieur. Cette résorption d’une part, et l'accroissement par le dehors d’au- tre part, constituent tout le phénomène du développement des os, suivant M. Flourens, Mais, comme nous l’avons fait remarquer dans le chapitre précédent, cette supposition est insuffisante. L'accroissement et la résorption ont lieu, aussi bien à la face in- terne des os qu'à leur face externe. Il y a dépôt à la face interne comme à la face externe. De même aussi, il y a résorption à la face externe comme à la face interne. Le développement des os est donc le résultat de deux forces opposées, qui agissent l'une et l'autre sur chacune des deux faces , savoir, une force d’accroisse- ment et une force de résorption. Ï Cependant il s'établit une sorte de compensation entre ces deux forces : ainsi l'accroissement de l'os en épaisseur n’a pas à lieu sur toutes les parties à la fois. Lorsque cet accroissement SUR LE DÉVELOPPEMENT DES OS. 309 porte sur quelques points de l'extérieur d’un os, il se fait ordinai- rement une résorption sur les points correspondants de l’intérieur. Lorsque, au contraire, la résorption agit à l’extérieur de l'os sur une partie, l'accroissement a lieu par l’intérieur sur la partie opposée. Par là, l’os conserve une épaisseur donnée dans toutes ses parties. La résorption agit donc à l’intérieur et à l’extérieur, mais sur des points différents. Cela n'empêche pas que, jusqu'à un certain âge, le canal médullaire des os ne s’augmente; mais il arrive un moment auquel le canal médullaire diminue, par le dépôt de parties nouvelles, formées soit de tissu compacte, soit de tissu spongieux. Les deux mouvements opposés d’accroissement et de résorption ont donc pour résultat de concourir à donner à l'os la forme et l’épaisseur qu'il doit conserver. Dans la théorie de M. Flourens, la résorption a son organe par- ticulier, comme l'accroissement a aussi son organe. Le périoste est pour lui la membrane qui forme les os dans l’état normal; la membrane médullaire est l'organe qui produit leur résorption, également dans l’état normal. Voici ce qu’il en dit : « C’est la membrane médullaire qui constitue l'organe particu- lier de la résorption des os. » (P. 34, 38.) Et encore : « Il y a dans les os un appareil de résorption, et cet appareil est la membrane médullaire. » (P. 42.) Puis il ajoute : « Le périoste interne produit l'os dans certains cas, comme le périoste externe le produit généralement. »(P. 42.) Voilà donc deux actions produites par la membrane médullaire, une action absorbante où de destruction, et une action opposée ou de formation (1). Pourquoi n’en serait-il pas de même à égard du périoste? Puisque, d’après M. Flourens lui-même (p. 80), les deux membranes se suppléent dans certains cas, puisque la destruction de l’une d’elles donne à l’autre la force de formation qui reproduit un nouvel os, les deux membranes doivent posséder les mêmes propriétés. Il n’y a donc pas de raison pour (1) « Indépendamment de sa force de résorption, le périoste interne a donc une force de formation, et cette force de formation devient surtout évidente (parce qu'elle se trouve alors accrue) quand le périoste externe est détruit. » (Flourens, p. 77.) 310 BRULLÉ £L HUGUENY. que le périoste ne puisse opérer la résorption à la face externe des os, comme la membrane médullaire la produit à la face in- terne. D'ailleurs, M. Flourens le dit lui-même : « La membrane mé- dullaire, ou périoste interne, n’est qu’une continuation du périoste externe. » (P. 42.) « On voit, ajoute ce savant en parlant de certaines expériences sur la reproduction des os, on voit le périoste, parvenu au bout inférieur de l’os, au bout scié, se replier et se porter entre les deux os, l’ancien et le nouveau, pour y former la membrane mé- dullaire..….. On voit ces deux membranes se continuer l’une avec l’autre de la manière la plus complète. » (P. 40.) Il avait dit précédemment : « Dans les points où le nouvel os est déjà formé, cet os nou- veau se trouve placé entre le périoste et la nouvelle membrane médullaire. Dans les points où il ne paraît pas encore, ces deux membranes (la membrane médullaire nouvelle et le périoste) sont unies l’une à l’autre et semblent n’en faire qu'une; et cette mem- brane, qui paraît unique, est pourtant très facilement divisible en plusieurs lames ou feuillets distincts. » (P. 36.) Puisque ces deux membranes se continuent ainsi, puisqu'elles semblent d’abord ne former qu’une seule membrane, il ÿ a lieu de croire que ces deux membranes sont de la même nature; par conséquent, elles doivent jouer le même rôle à l'égard de l'os. Si donc la membrane médullaire peut tour à tour servir à la sécré- tion et à la résorption du tissu osseux, le périoste doit jouir aussi des mêmes propriétés. Mais il y a plus : les apparences que pré- sente la membrane médullaire en voie de résorption nous ont été offertes par le périoste. Voici quelles sont ces apparences; c'est M. Flourens qui parle : « À la face interne de la membrane médullaire nouvelle se voit un tissu d’un aspect singulier, ou plutôt une surface toute par- semée de petits mamelons et de petits creux. C’est par cette sur- face, tour à tour osseuse et mamelonnée, que la membrane mé- dullaire nouvelle agit sur l’os ancien, le saisit, le ronge et finit par le résorber. » (P. 36.) SUR LE DÉVELOPPEMENT DES OS. 11 Et encore : « L’os ancien, vu par sa face externe, est tout usé, tout corrodé; et, ce qui paraîtra sans doute plus décisif encore , c’est que partout l'érosion de l’os répond aux points de la nou- velle membrane médullaire à surface tour à tour creusée et ma- melonnée; c’est que partout, à chaque creux de l’os, répond un mamelon de la membrane médullaire, et à chaque creux de la membrane médullaire une saillie de l'os. » (P. 37.) Ces apparences, observées par M. Flourens à la surface d’un os en voie de résorption, et à la surface d’une membrane médul- laire nouvellement formée, se présentent, dans l’état normal, aux extrémités des os longs, tant sur la face interne du périoste qui embrasse ces extrémités que sur le pourtour de la tête des os longs. On voit alors des mamelons de la surface du périoste pé- nétrer dans des creux de la surface de l’os (1). Voilà donc sur le périoste les mêmes apparences que sur la membrane médullaire. D'un autre côté, les extrémités des os, ou le pourtour des têtes, offrent aussi les mêmes apparences d’érosion que les surfaces os- seuses dont parle M. Flourens. Il n°y a donc pas lieu de douter que, les mêmes phénomènes se passant sur la membrane médul- laire et sur le périoste, ces deux membranes n'aient les mêmes propriétés. Donc la résorption a lieu à l'extérieur des os sous le périoste, comme elle a lieu à l’intérieur, sous la membrane mé- dullaire, L’analogie de fonctions entre le périoste et la membrane mé- dullaire est d’ailleurs établie par M. Flourens lui-même. «Je n’ai considéré, dit-il, jusqu'ici la membrane médullaire, ou le périoste interne, que comme organe de la résorption des os. Mais ce périoste interne est aussi un organe de la formation des os ; et c’est ce qu’on a déjà vu par une de mes précédentes expé- riences. « Dans cette expérience, tout le périoste externe a été détruit sur le tibia d’un Canard. « Et tout ce périoste externe s’est reproduit. « Mais, tandis qu'il n’était pas encore reproduit, tandis qu’il (1) Ces creux de la surface de l'os sont indiqués en partie dans la figure 42 de Ja planche 11 de l'ouvrage de M. Flourens 312 BRULLÉ ET HUGUENY. n'existait pas encore, l’action formatrice normale du périoste in- terne s’est trouvée accrue, et il s’est formé un os nouveau dans l'intérieur du canal médullaire. « Indépendamment de sa force de résorption, le périoste in- terne a donc une force de formation, et cette force de formation devient surtout évidente (parce qu’elle se trouve alors accrue), quand le périoste externe a été détruit, » (P. 76 et 77.) Et plus loin, après avoir reproduit la même idée, M. Flourens ajoute : « Deux forces concourent donc à la formation de l’os : la force du périoste externe, et la force du périoste interne. » (P. 88.) Toutefois, M. Flourens ajoute : « Dans l’état normal, dans Pétat ordinaire, l’action de chacune de ces deux forces garde ses limites propres : le périosle externe produit ou répare sans cesse los extérieur; le périoste interne produit ou répare sans cesse los intérieur, le tissu spongieux de l'os. » Nous aurons l’occasion de faire remarquer ce que cette der- nière proposition a d’incomplet. Le tissu spongieux de l’os n’est pas la seule partie que forme la membrane médullaire; il se dé- veloppe aussi à l’intérieur de l'os, outre le tissu spongieux, des lamelles de tissu compacte. Ce n’est donc pas à la nature particu- lière de la membrane médullaire qu'est due la formation du tissu spongieux, mais bien à des circonstances encore peu connues. D'ailleurs, puisque la membrane médullaire peut produire los dans certains cas, suivant M. Flourens lui-même, cet os n’est pas apparemment formé de tissu spongieux. Nous ne voyons donc dans la membrane médullaire qu’un autre périoste , ainsi que l’établit M. Flourens lui-même; nous lui re- connaissons les mêmes propriétés, tant pour la formation que pour la résorption. Réciproquement , nous trouvons que le pé- rioste remplit les mêmes fonctions que la membrane médullaire, en tant qu'organe de résorption. En un mot, il se passe à la surface externe de Fos des faits semblables à ceux qui se passent à la surface interne. Les appa- rences, les mutations de chaque surface étant les mêmes, il faut que chacune d’elles soit soumise au même mode d'action. Accrais- SUR LE DÉVELOPPEMENT DES OS. 313 sement et résorption, tels sont les deux phénomènes qui se pro- duisent successivement sur les deux faces de l'os. Cela étant ainsi, on ne peut pas dire qu'il existe pour la ré- sorption un organe spécial (1). Elle se fait également par les vais- seaux de l’une et l’autre membrane. Il y a d’ailleurs, dans la question qui nous occupe, deux faits généraux qui consistent, l’un dans la sécrétion du tissu osseux, l’autre dans sa résorption ; puis il y a l'explication de ces faits. Duhamel a indiqué le fait de la sécrétion et l’un des organes de cette sécrétion. Hunter a eu le mérite de signaler la résorption, et M. Flourens celui de montrer que la membrane médullaire pou- vait en être considérée comme l'organe principal. D’après nous, le périoste et la membrane médullaire sont à la fois les organes de sécrétion et de résorption. Nous considérons donc les faits de sécrétion et de résorption comme certains, et leurs organes comme déterminés. Quant à l'explication de la sécrétion par les artères, de la résorption par les vaisseaux absorbants, elle n’a été donnée par aucun physiologiste, à notre connaissance. Cette partie de la question ne nous paraît donc pas plus avancée qu’à l’époque de Hunter, qui disait : « Il n’est pas plus difficile de concevoir la résorption par les vaisseaux absorbants que la formation par les artères. » (Flourens, p. 29.) C’est dans ce sens que M. Flourens nous paraît fondé à dire : « Je pose en fait que le véritable rôle du périoste dans la for- mation des os, malgré tout ce qui a été écrit sur ce sujet depuis Duhamel, n’est point connu. » (Loc. cit., p. 29.) Mais lorsque ce savant ajoute : « Pour ce qui concerne la résorption, on est moins avancé encore, » nous ne voyons pas qu’on soit plus près d'ex- pliquer l’une que l’autre de ces deux fonctions. (1) « Les expériences faites à la manière de Troja ,.… tout en me donnant, dit M. Flourens, dans le périoste externe, l'appareil de la formation des os, m'ont donné, dans la membrane médullaire ou périoste interne, l'appareil de leur ré- sorption. « Il y a dans les os un appareil de formation, et c'est le périoste externe ; il y a un appareil de résorption, et c'est la membrane médullaire ou périoste interne » (P:33:) 314 BRULLÉ ET HUGUENY. L’os se forme et s’augmente peu à peu : c’est un fait visible. Dans tout os encore jeune, on découvre des lamelles nouvelles, bien qu'on n’ait pas encore reconnu de quelle manière elles sont déposées. L’os est résorbé peu à peu, sans que l’on sache davan- tage comment se fait cette résorption. Pour nous, nous acceptons ces deux faits, d'augmentation de certaines parties de l’os par des dépôts nouveaux , de diminution d’autres parties par la résorp- tion ; ils suffisent pour nous faire comprendre l’accroissement, les mutations et la forme définitive des os. Quant à l’action du pé- rioste et de la membrane médullaire, soit pour la sécrétion, soit pour la résorption, nous ne la regardons que comme le résultat de la présence des vaisseaux qui traversent ces membranes. C’est donc à ces vaisseaux, et non pas aux membranes elles-mêmes , que nous attribuons le double rôle d'accroître rt de résorber. En cela, nous croyons être de l’avis de tous les physiologistes et de M. Flourens lui-même. Les deux membranes de l'os, le périoste externe et le périoste interne, ne sont donc autre chose que le support des vaisseaux qui les traversent pour se rendre dans l'os. Cette opinion, en ce qui concerne le périoste externe, a été développée en 1803, dans une dissertation spéciale de Renard, sur les usages de cette mem- brane. CHAPITRE V. Mutation de la matière. « Le mécanisme du développement des os, dit M. Flourens, consiste évidemment dans une mutation continuelle de toutes les parties qui les composent. Cet os, que je considère et qui se dé- veloppe, n’a plus, en ce moment, aucune des parties qu’il avait il y a quelque temps, et bientôt il n'aura plus aucune de celles qu'il a aujourd'hui ; et, dans tout ce renouvellement perpétuel de matière , sa forme change très peu. » (Pag. 25.) La forme de l'os change très peu, en effet; mais pourquoi change-t-elle peu? Ge n’est pas, certainement, par le recouvrement successif de la surface de l’os, au moyen de couches nouvelles , que l’on peut se rendre compte de la permanence des formes ; il SUR LE DÉVELOPPEMENT DES OS. 215 faut nécessairement admettre autre chose. Duhamel l’a très bien senti, puisqu'il eut recours à l'extension de l'os ; Hunter l’a senti également , et cétte idée l’a mis sur la voie de la résorption , ou , ce qui est la même chose , de l'absorption. Quant au renouvellement des parties , à la mutation continuelle de la matière , elle paraît n'être que transitoire. Lors même qu’un os serait entièrement résorbé, depuis le moment de son apparition jusqu'à celui de sa formation complète , il n’en serait pas moins vrai qu'à partir de ce dernier moment, il ne change plus; du moins à la surface. La mutation de la matière est donc renfermée dans des limites assignables : elle n’est qu'un moyen d’accrois- sement pour les organes, ou du moins pour les os ; mais il est probable qu’il en est de même pour les autres organes. D'ailleurs, s’il y avait mutation continuelle de la matière, cette mutation au- rait également lieu à l'intérieur des canalicules. Cependant on ne voit pas de parties blanches se déposer dans ceux de ces cana- licules qui ont été colorés par la garance, lorsque l’animal a été ramené ensuite au régime ordinaire. La mutation n'ayant lieu qu'aux deux surfaces d’un os , l’externe et l’interne , et cette mu- tation cessant à l’état adulte, il en résulte qu’elle n’est qu'un moyen d’accroissement. « Dans tout ce qui a vie, dit M. Flourens , la forme est plus persistante que la matière. » (P. 26.) Cela est vrai, et tel est pré- cisément l'effet de la résorption au-dehors comme au-dedans de l'os ; c’est de conserver à peu près à cet os sa forme primitive, que l’emboîtement successif des couches finirait par faire dis- paraître. Ce n’est donc pas sur le développement des os que l’on peut s'appuyer pour dire avec Cuvier « que la vie est un tourbillon continuel , etc. » M. Flourens dit bien « que le mouvement par lequel s'opère l'accroissement des os, dans le jeune animal, se continue dans Panimal adulte, puisque les os de l'animal adulte se colorent par la garance ; » mais il ajoute «que ce mouvement ne s’y conti- nue que très ralenti, puisque, après plusieurs mois du régime de la garance, les os de l'animal adulte sont beaucoup moins colorés 316 BRULLÉ ET HUGUENY. que ceux du jeune animal , après quelques jours seulement de ce régime , ou même après quelques heures. » (Pag. 27.) Ce mouvement très ralenti dans l’accroissement des os doit même finir par être nul. Dans certains animaux adultes , en effet, tels que des Poules , des Oies , des Pigeons, nous n'avons obtenu de coloration que vers les extrémités et dans quelques parties de l'épaisseur des os. 11 y à donc lieu de croire qu’un peu plus tard la coloration ne se serait plus opérée ; quant à la résorption, elle ne se fait plus alors, c’est-à-dire quand l’animal est adulte. Par conséquent , il n’y a plus renouvellement , il n’y a plus mu- tation de matière. Ce phénomène est donc transitoire, comme nous le disions tout-à-l’heure: ce n’est qu'un phénomène d’ac- croissement. L'idée du renouvellement indéfini de la matière est d’ailleurs en opposition avec les faits mêmes que citent les partisans de cette théorie. Ainsi, pour en donner un exemple , nous rapporterons le passage du travail de M. Flourens où il parle des os d’ani- maux qui avaient été ramenés au régime ordinaire : « Je dis que tous ces os sont blancs à l'extérieur ; et ils le sont , en effet, dans la plus grande partie de leur étendue. Mais quel- ques points sont demeurés rouges ; et ces points demeurés rouges sont précisément ceux dont l’ossification était le plus avancée au moment où l’animal a été rendu à la nourriture ordinaire, ceux qui se sont le moins développés depuis, ceux qui, par consé- quent, ont eu le moins à se recouvrir de nouvelles couches et de couches blanches, puisque l’animal n’a plus été soumis au régime de la garance. » (P. 16.) Ces points demeurés rouges, ces points dont l’ossification était déjà «le plus avancée » au moment où l’animal a été rendu à la nourriture ordinaire, prouvent donc que le mouvement s'arrête, On conçoit que cela doit avoir lieu lorsque l'os a recu une quan- tité suffisante de sels calcaires. L’os ne croissant pas indéfiniment, car alors il acquerrait des dimensions qu’il n’acquiert jamais, il faut bien que le mouvement s’arrête , ou alors ce serait un mou- vement moléculaire, un véritable mouvement de nutrition, un mouvement qui prendrait les parties sur place, pour les rem- SUR LE DÉVELOPPEMENT DES 05. 317 placer par d’autres : or, tel n’est pas le mouvement sur lequel M. Flourens établit la mutation de la matière. D'ailleurs ce mou- vement de nutrition n'existe pas dans l’os d’une manière appré- ciable ; autrement, l'os de l'adulte, sans se colorer aussi prompte- ment que celui d’un jeune individu, se colorerait cependant d’une manière sensible dans un temps donné, tandis que sa coloration est à peine appréciable. C’est sur le mouvement d’accroissement seul, mouvement qui a lieu, pour M. Flourens, de l'extérieur à l’intérieur de l'os, et non sur la substitution des parties en place, que ce savant physiologiste fonde sa théorie du renouvellement. Il y a donc là deux faits distincts, dont l’un est bien établi, celui du renouvellement par le fait d’accroissement. L'autre n’est appuyé sur aucune preuve. L’accroissement ne dure qu'un certain temps; il y a renouvellement partiel pendant qu'il dure. Le mouvement de nutrition, s’il existe réellement, devrait se continuer pendant toute la vie; mais alors, dans un os coloré, les parties rouges de- vraient disparaître à tout âge. Ces parties ne disparaissent, au contraire, que dans les os imcomplétement formés, et par le fait seul de leur accroissement. SECONDE PARTIE. FAITS PARTICULIERS. CHAPITRE I. Distribution de la matière colorante dans les os des animaux garancés. Premier fait. Lorsqu'on examine extérieurement un os coloré au moyen de l’alimentation par la garance, la plus simple obser- vation fait reconnaître que l’os n’est pas coloré sur toute sa surface. Ce fait n'avait point échappé à M. Flourens. Il dit, en effet : « Il y a presque toujours, dans un os qui se colore, des points qui restent blancs. » Par exemple, dans les os longs, certains points placés à la partie externe de l'os. » (Loc. cit., p. 107.) Voici l'explication qu'en donne M. Flourens : 318 ÉRULLÉ ET HUGUENY. « C’est, dit-il, que ces points étaient complétement formés quand l'animal a été mis à l'usage de la garance , et qu'ils ne se sont pas développés depuis. » La même idée se trouve reproduite dans différents endroits de son ouvrage. Ainsi : « Les points de l'os complétement formés restent blancs. » (P. 16, note I.) « Les parties complétement formées ne se colorent pas. » (P. 104.) «Je dis complétement formées; en effet, toute partie qui est en état de formation se colore, et se colore toujours d’autant plus que la formation y est plus active, » (P. 105.) Ainsi voilà qui est parfaitement établi. La surface d’un oslong n’est pas colorée partout; il y reste des parties incolores. M. Flou- rens l’a reconnu comme nous et avant nous. Maintenant, l'explication qu’en donne M. Flourens conduit à cette conséquence : c’est qu'il existerait à la surface de l'os des parties en quelque sorte imperméables à l'égard de la matière colorante. Le sont-elles à l'égard du sang? Voici ce qu’en dit M. Flourens : «À mesure qu'une portion d'os est formée, la circulation y di- minue, le sang y arrive en meindre abondance, et par consé- quent, le principe colorant aussi. » La portion d'os complétement formée n’admet que le prin- cipe colorant du sang même ; le principe colorant de la ga- rance n’y arrive plus. » À mesure qu'une portion d’os est formée, la circulation s’y affaiblit; et par conséquent aussi l’abord da principe colorant, et par conséquent aussi la coloration. » (P. 106.) Il nous paraît douteux que, dans un jeune animal, certaines parties ne se colorent pas, parce qu'elles sont déjà formées, pour nous servir de l'expression de M. Flourens, c’est à-dire parvenues à leur état de densité définitive. L'étude que nous avons faite de la structure des os aux différents âges, et qui sera le sujet d’un autre Mémoire, semble nous prouver de contraire. Il est beau- coup plus probable que les parties d’un os qui ne se colorent pas SUR LE DÉVELOPPEMENT DES 0$. 319 sont déjà soumises à l’action absorbante, au mouvement de ré- sorption qui y prédomine et en empêche ainsi la coloration. Ce qui le prouve , c’est que, le premier effet de la coloration sur place une fois produit, los continue à s’accroître : il se dépose à sa surface des parties nouvelles : or, ces parties nouvelles ne se remarquent que plus tard sur les régions de l’os qui ne se sont pas colorées d’abord. L'accroissement de l’os ne se fait donc pas sur toute sa surface à la fois. Il y a, dans un moment donné, telle partie soumise à la résorption, ce qu'indique fort bien l'aspect particulier qu’elle présente, et telle autre partie en voie d’aug- mentation. Dans le premier cas, on reconnaît un état d’érosion bien marqué, ou bien encore la surface est lisse, comme si elle eût été frottée, usée en quelque sorte. Dans le second cas, c'est-à-dire dans les parties qui s’accroissent, on apercoit de petites lamelles, des couches minces et de peu d’étendue, qu'il est facile de déta- cher en mouillant un peu l'os. Ce serait donc par suite du mouvement de résorption qui se produit continuellement à la surface d’un os que cet os ne se co- lorerait pas également partout. Dans l'os d'un animal qui, après avoir été garancé, a été remis au régime ordinaire, on remarque des faits analogues. Ce sont alors des parties rouges qui s’usent, qui disparaissent, qui s’effacent en quelque sorte, pendant qu'il se dépose, sur les parties voisines, des parties blanches. C’est de cette double action que provient la persistance de la couleur rouge dans des portions d’os qui devraient être blancs sur toute leur surface. L’usure produite par la résorption amène une diminution dans l'épaisseur de l’os, et l’on remarque toujours au côté opposé un dépôt de parties blanches; ainsi se modifie la forme de l'os, Voilà pourquoi nous n’admettons pas les conclusions de M, Flou- rens, lorsqu'il dit : « Dans toutes mes expériences, l’os se forme toujours par cou- ches externes, et par conséquent, toujours de plus en plus grandes, puisque les nouvelles renferment toujours les anciennes; voilà la raison mécanique de l’accroissement de l'os. » D'un autre côté, ajoute M. Flourens, les couches nouvelles 320 BRULLÉ ET HUGUENY. qui se déposent sur les couches anciennes se modèlent sur elles ; voilà la raison mécanique de la persistance des formes. » Les couches anciennes sont donc le type intérieur, le noyau sur lequel se forment les couches nouvelles; il y a donc dans chaque partie un noyau primitif, et l'accroissement d'un organe n’est que la reproduction, de plus en plus agrandie ou développée, de ce noyau. » Du noyau primitif donné semblent donc dépendre et l’accrois- sement des parties et la persistance des formes, » ( P. 103, 104.) Si les couches nouvelles qui se déposent sur les couches an- ciennes se modelaient sur celles-ci, il y aurait bien, à la vérité, persistance des formes, comme le dit M. Flourens; mais c’est précisément cette persistance des formes qui n'existe pas. L’al- longement des os est dû en partie à la diminution de volume vers les extrémités, comme l'avait remarqué Hunter; dès lors la forme des os se modifie. Il n’y a donc pas, à vrai dire, un noyau primitif qui s'enve- loppe successivement de couches plus récentes, ce qui permettrait à l'os de s’agrandir dans toutes les dimensions à la fois. Ce noyau primitif se modifie, au contraire, sur certaines parties, en per- dant, par la résorption, de la matière osseuse ; il se modifie sur d’autres parties en recevant de la matière osseuse nouvelle, et cela en dedans comme au dehors de l'os. C’est ce que démontrent, comme nous le verrons, les os d’un animal soumis alternative- ment à plusieurs régimes d'alimentation. Deuxième fait. Lorsqu'on examine , après une section longi- tudinale, la surface interne d’un os long pris dans un animal ga- rancé , on reconnaît tout d’abord que cette surface est colorée, mais qu’elle ne l'est pas dans toutes ses parties. On reconnaît, en outre, que les parties colorées ou incolores de la surface interne ne répondent pas loujours aux parties colo- rées ou incolores de la surface externe. Il se produit donc à la surface interne-de l'os des faits analo- gues à ceux qui se manifestent à la surface externe. 11 pénètre , par l’une et l’autre surface, de la matière colorante, au passage SUR LE DÉVÉLOPPEMENT DES OS. 521 de laquelle semblent se refuser certaines parties de ces deux surfaces. On peut conclure de ce fait qu’il se produit à l’intérieur de l'os un accroissement semblable à celui qui a lieu à l'extérieur. On doit remarquer, en outre, que cet accroissement porte tantôt sur des régions différentes, à l’une et à l’autre de ces surfaces, et tantôt sur des régions qui se correspondent par leur position. Ce fait de régions colorées qui ne se correspondent pas sur les deux surfaces permet déjà de soupconner l'alternance qui se produit dans le développement des deux faces d’un os. Il ne paraît pas qu'on l'ait remarqué avant nous. « Quand on soumet, dit M. Flourens, un animal à l’usage de la garance, outre le cercle rouge externe, il se fait encore une coloration interne : tout le tissu intérieur, tout le tissu spongieux de l'os se colore. » Il y a donc ainsi deux colorations : l’une externe, et l’autre interne; l’une qui colore l'os proprement dit, l’autre qui colore le tissu spongieux de l'os. » (P. 81.) Et ailleurs : « Lorsqu'on soumet un animal au régime de la ga- rance , il se produit, du moins dans la plupart des cas, un cercle rouge à l’intérieur, comme il s’en produit un à l'extérieur. » La formation du cercle rouge intérieur tient à la formation même du tissu spongieux de l'os. » (P. 84.) Puis M. Flourens en conclut que « le périoste interne est l’or- gane producteur de tout le tissu spongieux de l’os, de tout l’os interne. » (P. 82.) « Il est l'organe producteur des formations osseuses internes. » (P. 85.) Il résulterait donc de cette théorie que la coloration de la sur- face interne d’un os a lieu uniquement par le tissu spongieux. I est cependant certain que la surface interne des os longs n’est pas toujours formée par du tissu spongieux ; cela n’a lieu qu'à certains âges. Le plus ordinairement, la surface interne de l'os est formée, dans une étendue plus ou moins grande, de tissu com- pacte , et ce tissu compacte se colore de la même manière que le tissu de la surface externe. Que ce développement du tissu de la 3° série. Zooz. T. IV. ( Décembre 1845.) 1 21 322 BRULLÉ ET HUGUENY. surface interne et sa coloration par la garance soient dus à l'ac- tion du périoste interne, cela ne nous paraît pas douteux; mais cette action doit être analogue à l’action du périoste externe. Ainsi, sur les deux surfaces de l’os, la substance osseuse est déposée par les vaisseaux de l’un et de l’autre périoste ; la matière colorante est portée à une certaine profondeur par ces mêmes vaisseaux. De même la résorption à lieu sur certaines parties de l'os, à l’une et à l’autre surface, et suivant les mêmes lois sur chacune d’elles. C’est l’étude de cette résorption , jointe à l’étude de lac croissement, qui doit donner la clef des changements qu’é- prouvent les os dans le cours de leur développement. Nous n’ad- mettons donc pas qu'il y ait opposition entre la formation du tissu extérieur et celle du tissu spongieux des os, et par suite, entre l’action du périoste externe et l’action du périoste interne ; il y à seulement une sorte d'opposition entre deux points correspondants de l’une et de l’autre surface, accroissement d’un côté, diminution de l’autre côté, et quelquefois aussi accroissement des deux côtés à la fois. Troisième fait. Lorsqu'on examine une section longitudinale d'un os long provenant d’un animal soumis au régime de la ga rance, on reconnaît que la coloration n'est pas déposée sur une seule et même ligne. Ce fait n’a pas encore été signalé; examinons-le d’abord dans les Mammifères. 1° La coloration pénètre dans l'épaisseur de l'os par le bord externe de la section, pour certaines parties, et par le bord in- terne pour d’autres parties. Cette disposition est la conséquence de ce que nous avons remarqué dans les paragraphes précédents ; elle correspond à la formation des deux cercles colorés, dont nous parlerons dans l’exposé du quatrième fait. 2 II n'y a pas continuité dans la coloration du bord extérieur sur toute la longueur de la section de l’os. Lorsque la ligne co- lorée du bord externe s'arrête, la ligne colorée du bord interne commence ; entre ces deux lignes ou bandes colorées, il y a un espace incolore qui vient affleurer aux deux surfaces de l’os. Il résulte de là qu'il y a dans los deux modes d'accroissement , + ct SUR LE DÉVELOPPEMENT DES OS. 323 lun par l’intérieur, l’autre par l'extérieur. L'accroissement par l'intérieur à lieu surtout aux extrémités de l'os, tandis que c’est par le dehors que se fait l'accroissement de sa partie moyenne, Cependant la coloration peut se produire aussi à la surface interne de l'os, vers le milieu de sa longueur, mais avec moins d’inten- sité qu’à sa surface externe. Il arrive assez rarement, d’ailleurs, que la coleration ait lieu en même temps sur les deux faces op- posées tout entières , comme nous le verrons dans le fait suivant ; cela varie avec l’âge de l'animal, Nous devons encore ajouter à ces faits que les parties d’un os long, colorées par l'intérieur aux extrémités de cet os, sont, en général, des parties spongieuses , qui se colorent plus facilement que les parties compactes. Cette circonstance explique pourquoi la coloration de ces parties se montre en dehors. Entre les par- ties colorés par l’intérieur et celles qui se colorent par l'extérieur, on en voit ordinairement d’autres qui restent blanches dans toute l'épaisseur de l’os. Ces parties blanches, de même que celles du milieu de l'os, dans la longueur de celui-ci, doivent peut-être à leur structure compacte, mais surtout à la direction du mouve- ment circulatoire, de ne pas se laisser colorer ; autrement , l'os serait rouge dans toutes ses parties. Ceciétant établi, si l’on examine maintenant lasurface extérieure de l’os, on voit que l'aspect des parties moyennes est différent de celui des têtes. Les premières sont recouvertes par des lamelles de formation nouvelle, que leur structure rend faciles à recon- naître; les têtes sont, au contraire, dépourvues, à leur périphérie, de semblables lamelles ; leur aspect, hormis à l’extrémité, est celui d’une surface en voie d’érosion. Ce caractère appartient aussi bien aux parties blanches voisines des têtes qu'aux parties rouges de ces têtes elles-mêmes. Lorsque la résorption à laquelle est due cette érosion de la sur- face de los s’est produite d’une manière suflisante, suivant des lois encore inconnues , il se dépose alors des parties nouvelles, qui tantôt sont blanches, et tantôt sont rouges, suivant le régime de l’animal. C’est pourquoi, dans le Porc même dont nous par- lons, on voit aussi des parties nouvelles sur certains points de la 32/ BRULLÉ ET HUGUENY, surface érodée. Lorsqu’en effet la résorption a préparé la surface sur laquelle doit porter l'augmentation en épaisseur de l’os, il peut se déposer des parties nouvelles sur toute l'étendue de cette surface, Les faits que nous venons de décrire se remarquent sur les os longs du Porc garancé dont nous avons parlé, C’est, du moins, ce que nous avons reconnu dans l’humérus, le fémur, le tibia et le radius. Dans tous ces os, l’accroissement a lieu de la même ma- nière, C’est pourquoi tous ces os, lorsqu'on les examine à l’ex- térieur, offrent, en général, trois régions colorées, une région moyenne plus étendue, et deux régions extrêmes, qui se distin- guent de la précédente par une couleur moins vive, Ces trois ré- gions sont séparées par une zone blanche plus ou moins étendue, et qui doit de plus en plus disparaître à mesure que le dépôt de lamelles de formation nouvelle s'étend de plus en plus vers les têtes. Cette dernière circonstance fait comprendre pourquoi, dans la section longitudinale d’un os long, il arrive quelquefois que la ligne extérieure colorée se continue dans tout où dans une partie seulement de la longueur de l'os. Dans ce cas, les parties ex- trèmes de l’os se sont, comme à l'ordinaire, colorées par l’inté- rieur; mais le dépôt de parties nouvelles sur toute l’étendue de la face extérieure de l'os fait que ces parties colorées par l'extérieur semblent se confondre avec les parties colorées par l’intérieur, dans le voisinage des têtes. En résumé, l'examen des os longs colorés par la garance dé- montre jusqu’à l'évidence : 1° la formation ou plutôt l’accroisse- ment de l'os à l’intérieur, vers les extrémités, puisque la colora- tion se porte de l’intérieur à l’extérieur dans ces extrémités, et que l'on reconnaît les lamelles de formation nouvelle à l'intérieur de l'os, dans ces mêmes parties; 2° l’accroissement de l'os par l'extérieur dans la région moyenne , car c’est à l'extérieur que se montre la coloration, et c’est là que se voient aussi les parties que leur structure indique comme étant nouvelles ; 3" enfin, la résorp- tion vers les têtes et à l'extérieur, résorption constatée par l'état dé la surface des têtes et par la diminution d'épaisseur de la por- SUR LE DÉVELOPPEMENT DES 05. 325 tion osseuse blanche qui avoisine les têtes, et qui n’est colorée ni par l'extérieur ni par l’intérieur. 11 résulte de tous ces faits que la diminution qu'éprouve le diamètre de chaque tête de l’os, diminution qui a lieu par la ré- sorption de ses parties périphériques , et que l'addition de parties osseuses nouvelles à chaque extrémité de l’os, donnent la raison de l’accroissement des os en longueur, en même temps que la su- perposition de parties nouvelles à l’extérieur explique l'augmen- tation de l’os en épaisseur. Quant à l'influence que peut exercer sur l'allongement de l'os l'extension, telle que l’entendait Duhamel, l'extension de l'os vers les têtes dans les jeunes animaux, nous re- mettons à une autre occasion de nous expliquer à cet égard, nos expériences n'ayant pas, jusqu'à présent, été dirigées vers cet vbjet. Examen de la section longitudinale des os longs dans les Oiseaux On remarque, en général, dans ces animaux, la même diposi- tion de la matière colorante que dans les os des Mammifères. Ainsi, vers les extrémités, la coloration occupe toute l'épaisseur de l’os, et, comme dans les Mammifères, elle semble avoir mar- ché de dedans en dehors. Quant au milieu de la longueur de l'os, il est surtout coloré par l’extérieur, et un peu aussi par l’intérieur, ce que constate l’existence de deux cercles colorés, dans le cas d’une section transversale , comme nous le verrons dans le para- graphe suivant. L’intervalle blanc entre la coloration du milieu de l'os et celle de l’une au moins des extrémités, cet intervalle que nous avons constaté dans le Porc, semble ne pas exister dans les Oiseaux. Peut-être cela tient-il au peu d'épaisseur des os de ces animaux. Quoi qu’il en soit, on remarque à la surface externe des os longs, dans les Oiseaux, des espaces incolores qui, s'ils ne correspondent pas exactement aux mêmes espaces dans les os des Mammifères, peuvent au moins s'expliquer de ia même manière. C'est-à-dire qu'il y a dans ces parties une cause qui s'oppose à la coloration, soit que cette cause tienne à la structure, soit qu’elle dépende de la résorption qui tend à s'y produire. On remarque souvent, en outre, sur différents points de l'épais- 326 BRULLÉ ET HUGUENY. seur de l'os des Oiseaux , des amas de matière colorante ; qui semblent partir surtout de l’intérieur, Ces amas, dus à l’état de vascularité plus complète de certaines parties de l'os, entrent pour une grande part dans la formation des cercles colorés, dont nous parlerons bientôt. Ils sont liés d’une manière plus ou moins com- plète à l’existence de la matière colorée qui se voit surtout aux extrémités. Ils tiennent à ce que los, dans ces parties, n’a pas encore acquis toute la densité dont il est susceptible. En effet, plus l'os est avancé dans son développement, lorsqu'on soumet un animal au régime de la garance , plus ces amas sont circon- scrits dans leur étendue. Souvent alors ils ne forment que des points, des taches de forme diverse, des cercles rouges quelque- fois très réguliers, qui avoisinent toujours quelque canalicule, qui l'entourent, comme on s’en assure aisément en pratiquant sur l'os des sections transversales: Les apparences extérieures, dues à l'inégalité de coloration dans les os des Oiseaux, ne se remarquent bien que sur le tibia, dans les Pigeons. Dans les Poulets, au contraire, on les apercoit aussi bien sur les autres os longs que sur le tibia. Quand l'animal est un peu âgé, ces apparences deviennent insensibles, en raison de la couche uniforme de tissu osseux qui revêt alors toute la sur- face des os. Gette couche uniforme se laisse peu ou point péné- trer par la matière colorante de la garance, et ce n’est que par des sections faites dans los que l’on peut trouver cà et là des taches colorées. Quatrième fait. Une section faite au travers d’un os long, dans un animal garancé, et perpendiculairement à l’axe de cet os, laisse voir ordinairement les trois choses suivantes : 1° Un bord coloré plus ou moins épais, soit entier, soit inter- rompu, suivant le lieu de la section ; 2 Des taches également colorées, et situées plus intérieure- ment ; 3° Quelquefois un bord coloré à l’intérieur. Les apparences des deux bords de la section ont déjà été signa- lées par M. Flourens, sous les noms de cercle extérieur et de cercle intérieur ; celles qui sont dues aux taches l’ont été ensuite SUR LE DÉVELOPPEMENT DES OS. 927 par MM. Serres et Doyère. Ces deux derniers savants recon- naissent « une teinte continue, rose, qui s'enfonce en s’affaiblis- sant dans la profondeur de l'os : c’est là, disent-ils, la coloration apparente; la portion de l'os qu’elle envahit est ce qu’on a ap- pelé la virole colorée (4nn. des Nat., XVII, 158). C'est, en effet, ce que l’on apercoit lorsqu'on examine la section d’un os à l'œil nu, L’os parait même entièrement coloré dans quelques cas, dans les jeunes Pigeons, par exemple ; dans d’autres cas, il ne semble coloré qu’en partie, soit en dedans , soit en dehors, soit des deux côtés à la fois. Si maintenant on regarde la section à l’aide d’une simple loupe, on voit, comme le disent MM. Serres et Doyère, la teinte en ap- parence continue se décomposer en un semis de points rouges dispersés sur un fond blanc. On découvre toujours, en outre, les deux cercles plus ou moins complets, l’un à l'extérieur, l’autre à l'intérieur, Si l’on soumet enfin la section au microscope, après avoir aminci la tranche osseuse de manière à la rendre transparente, chaque point ou tache devient, ainsi que l’ont vu MM. Serres et Doyère, « un cercle coloré entourant un trou pratiqué dans la substance osseuse... Le trou est un canalicule..., et le cercle coloré est la coupe transversale d’un cylindre creux coloré, qui constitue la paroi du canalicule. » (Loc. cit.) Ajoutons que le bord extérieur de la rondelle osseuse, ou quelquefois son bord inté- rieur, quelquefois enfin l’un et l’autre, mais non pas toujours dans toute l'étendue du pourtour, offrent aussi une couche colorée : cette couche est mince quand le tissu est compacte, plus épaisse , au contraire, lorsque le tissu est spongieux. MM. Serres et Doyère sembleraient différer d'opinion avec nous, quand ils disent en se résumant : « Ainsi, une couche en contact avec le périoste et une couche entourant les vaisseaux capillaires de la virole colorée, voilà ce qui constitue la coloration vraie du tissu osseux dans les animaux rougis par le régime de la garance. » (Loc. cit.) On pourrait, en effet, conclure de ce passage qu’ils n’ont pas vu le cercle intérieur rouge, comme l'appelle M. Flourens. Ce 328 BRULLÉ LT HUGUENY. cercle intérieur, qui se montre presque sur toute la longueur de l'os, à certains âges, est l’antagoniste, en quelque sorte, du cercle extérieur ; il en existe le plus ordinairement des traces sur les points de la circonférence intérieure de l’os qui correspondent à des points non colorés de la circonférence extérieure. Cependant MM. Serres et Doyère ont remarqué aussi la co- loration intérieure; ils disent, en effet : « Certains os longs sont colorés presque exclusivement par leur intérieur, et ilest très facile de vérifier que le décroissement de la coloration s’y fait de dedans en dehors : tel esi le péroné, par exemple. » (P. 165.) Ils ajoutent : « En général, un os long présente deux systèmes de coloration distincts : lun procédant de dehors en dedans, l’autre, au contraire, de dedans en dehors. » (P. 166.) Il importe de faire remarquer ici que nous avons décrit la co- loration d’une coupe transversale d’un os long, sous son aspect le plus général. C’est ce qu'ont fait aussi , de leur côté, MM. Serres et Doyère. Les apparences que nous avons indiquées ne sont ce- pendant pas les mêmes dans les Oiseaux et dans les Mammifères, les seules classes d'animaux sur lesquelles nous ayons expéri- menté ; ces apparences ne sont pas non plus les mêmes aux divers âges d’un animal. Elles varient encore avec la région de Fos que l'on examine , et devraient, par conséquent, être l’objet d'autant d’études particulières, que les limites de ce travail ne nous per- mettent pas d'aborder en ce moment, Examinons seulement les différences principales que présentent les os colorés dans les Oiseaux et les Mammifères. L. Dans les Oiseaux, ure section faite par le milieu d’un os long présente, en général, deux cercles rouges plus où moins incomplets; l’un extérieur, et l’autre intérieur. Ces deux cercles sont très étroits, quelle que soit, pour ainsi dire, la durée du ré- gime, et l’on y remarque souvent une ligne de plus intense colo- ration, qui n’est pas placée immédiatement sur le bord, ainsi que l'ont vu MM. Serres et Doyère. Ce deux savants ont, en effet, re- marqué que la section transversale d’un os est bordée par une SUR LE DÉVELOPPEMENT DES OS. 329 zone incolore, extérieure à la portion colorée, ce qui prouverait, suivant eux, que la coloration ne vient pas immédiatement du pé- rioste. Cette dernière opinion semible confirmée par cet autre fait, que citent MM. Serres et Doyère, et qui consiste dans la colora- tion de l’os, malgré l’interposition d'une lame de platine à sa sur- face, ou malgré l’ablation du périoste sur une portion de cette surface. Cependant, en examinant le cercle rouge extérieur d’un os de Pigeon, on voit bien, en effet, que ce cercle ne suit pas exacte- ment le contour de los; que tantôt il paraît situé immédiatement sur le bord, tantôt un peu en dedans. Toutefois il y a lieu de croire que la coloration, quoique plus faible, existe cependant sur le bord tout entier. Ce qui le prouve, c’est que les petits frag- ments rabattus par le polissage de la lamelle osseuse se montrent colorés, même dans les parties où le bord paraît incolore, ce qui n’a pas lieu dans les os non garancés. De plus, en examinant la coloration sur la section des canalicules, on aperçoit une disposi- tion semblable, c’est-à-dire que la partie le plus vivement colorée autour de ces canalicules n’est pas non plus celle qui constitue leur paroi la plus immédiate, On peut donc supposer qu’il y a, dans la structure de l'os, des différences qui tiennent à l’état plus ou moins récent des couches osseuses, et que la coloration nous traduit en quelque sorte. Nous ajournons à un autre travail l'examen de cette proposition; mais nous devons dire deux mots sur ce que l’on a appelé la colora- tion dans la profondeur du tissu osseux. MM. Serres et Doyère repoussent cette assertion , que la coloration se fait dans la profondeur du tissu osseux. Ils disent que « la coloration ne pénètre dans ce tissu qu’à une profondeur tellement peu considé- rable, que la minceur de la couche colorée suflirait seule pour enlever au phénomène une grande partie de son importance phy- siologique. » (P. 159.) Il est cependant impossible de nier que, dans un os qui s'accroît sous l'influence d’un régime de garance, toutes les couches osseuses qui se déposent ne soient colorées : c’est dans ce sens que la coloration a lieu dans la profondeur du {issu osseux, car nous avons déjà reconnu combien peu s’étendait 330 BRULLÉ ET HUGUENY. la coloration qui survient au moment où l’on soumet un animal au régime de la garance. Ainsi, plus l'alimentation par la garance aura été prolongée, plus l'épaisseur de la zone colorée devra être grande, C’est ce que nous avons constaté, même dans les os des Oiseaux, où l’augmentation en épaisseur est, pour ainsi dire, in- sensible, mais dans lesquels nous avons reconnu très distincte- ment les lamelles de formation nouvelle. Nous admettons donc, en ce sens, que la coloration se fait dans la profondeur du tissu osseux. Entre les deux cercles rouges, externe et interne, dans une section transversale d'os d'Oiseau, on remarque, comme nous avons dit, des taches rouges. Ces taches, qui se présentent sous la forme de points, el quelquefois de lignes, sont disséminées sur- tout dans le voisinage des bords de l'os, et ne sont autre chose, comme l'ont indiqué MM. Serres et Doyère, que l'entourage des canalicules. C’est la direction variée de ces canalicules, à l'égard de la surface de section, qui les fait paraître tantôt comme des lignes , et tantôt comme des points. On remarque, dans le cas d'une alimentation garancée plus longue ou plus énergique, que les taches rouges augmentent d'intensité, ce qui peut se dire égale- ment des cercles eux-mêmes ; l'épaisseur des régions colorées s’ac- croît dans une proportion beaucoup moins rapide. Il se produit cependant des taches rouges assez étendues, situées surtout vers les extrémités des os, dans le voisinage du cercle ou du bord in- terne. Ces taches ne sont plus simplement l'indication de la paroi des canalicules; ce sont, au contraire, des portions colorées et profondes du tissu de los, qui ne se colorent bien que dans les jeunes animaux, et dans les parties les moins avancées de ce tissu. Les extrémités des os longs, dans les Oiseaux , sont donc re- marquables par la plus grande étendue des taches rouges que présente leur section transversale; elles le sont encore par le plus grand nombre de ees taches, et surtout parce que, tantôt le bord intérieur est plus coloré que l'extérieur, tantôt, au contraire, la coloration du bord extérieur est prédominante. Par conséquent, l’accroissement se fait surtout en dedans pour certaines parties, en dehors pour d’autres parties. Enfin, quand une portion de la SUR LE DEVELOPPEMENT DES OS. y BRII circonférence intérieure de l'os se montre colorée, il arrive que la portion opposée de la circonférence extérieure paraît incolore. Ces apparences sont dues à la résorption , qui se produit tantôt en dehors, tantôt en dedans , et rarement sur tout le pourtour de l'os à la fois : on les remarque aussi sur les sections faites par le mi- lieu des os longs. C’est ce que rendra plus sensible l'examen des os d’Oiseaux garancés d’abord, puis ramenés au régime ordi- baire. Il. Dans les Mammifères (1), on remarque , en général, au pourtour soit externe, soit interne, d’une section transversale faite au travers d’un os long, une bande ou bordure d'un rose plus ou moins foncé, et qui paraît formée de lignes concentriques et par- fois aussi de points ou de lignes courtes. Les points et les lignes courtes sont, ou des sections, ou des portions peu étendues de ca- nalicules ; les lignes concentriques sont, au contraire, des canali- cules complets, qui s'étendent dans toute la circonférence de l'os, et sont en rapport les uns avec les autres, au moyen d’autres ca- nalicules qui les croisent à angle droit. La coloration se voit plus particulièrement sur le trajet des ca- nalicules, qui seuls paraissent colorés en dedans, ou sur les limites internes de la bande tout entière, ou de ce que MM. Serres et Doyère appellent la virole colorée, En dehors de cette bande, ou sur le bord, soit externe, soit interne de l'os, suivant le lieu de la coloration, cette coloration paraît continue, bien que toujours elle semble plus vive sur le trajet des canalicules. L'examen des différentes sections faites dans le milieu des os longs, chez les Pores nourris à la garance, permet de remarquer qu'il existe là, comme dans les os des Oiseaux, une opposition bien marquée entre le développement des deux faces des os longs en général. l’une s'accroît, tandis que l’autre décroit. C’est ce que l’on voit surtout dans le péroné, que MM. Serres et Doyère (1) Nous avons fait nos recherches sur le Porc. Nos essais pour colorer les os des lapins n'ont pas réussi ; les animaux périssaient au bout de quelques jours. Il est vrai que nous n'avons pas essayé de les faire manger de vive force Le Porc #st, au contraire, des plus faciles à alimenter. 332 BRULLÉ ET HUGUENY. ont déjà signalé comme offrant à la fois les deux cercles colorés, externe et interne. La section faite vers les extrémités des os longs montre, en gé- néral, les mêmes faits que dans les Oiseaux. Ainsi, le plus ordi- nairement, c'est par l'intérieur que se fait le développement , et, par conséquent, c'est à l’intérieur que se produit aussi la colo- ration. Cette coloration est loin, d’ailleurs, d’être aussi régulière qu’au milieu des os. Cela tient à la nature différente du tissu, et à la manière dont s'y fait la circulation. Souvent, par exemple, la section de l'os offre une sorte de mosaïque, provenant de ce que des parties osseuses nouvelles sont apportées par les vaisseaux sanguins au milieu des parties plus anciennes, ainsi qu’on le re- marque dans les Oiseaux. Il faut toutefois ajouter que ces parties nouvelles avoisinent toujours les canalicules, et ne sont pas dissé- minées comme au hasard dans l'épaisseur des os. En outre, ilse produit aussi, vers les extrémités des os, un dépôt régulier et par couches, qui a lieu surtout à la face interne, tandis que la face externe est, pendant quelque temps au moins, le siége d’un mouvement de résorption. CHAPITRE II. Distribution de la matière colorante dans les os des animaux ramenés au régime ordinaire. Premier fait. — Examen des os à la face externe. Lorsqu'on examine les os à l’extérieur, dans les animaux soumis successivement aux deux régimes indiqués, les apparences sont plus ou moins complexes, suivant la durée du régime ordinaire, qui a succédé au régime de la garance. Lorsque la durée du ré- gime ordinaire n’a pas été assez longue pour que les os aient ac- quis la couche définitive qui doit les revêtir, on distingue aisément ce qui appartient au dernier régime, ce qui appartient au régime antérieur de la garance, et enfin ce qui appartient encore au pre- mier régime de l'animal , avant qu'il ait été soumis à l’action de la garance. SUR LE DÉVELOPPEMENT DES OS, 299 I. Dans le cas où les os n’ont pas encore acquis leur couche superficielle et définitive, ce qui se reconnaît à l’aspect des la- melles osseuses, telles que les a décrites Duhamel (4c. Se. 1743, p. 100), l’état de la surface se présente ainsi : 4° Sur le milieu de l’os se voient des lamelles fort minces, faciles à détacher, s'étendant diversement sur l’os, suivant la loi du dé- veloppement de cet os. Ces lamelles contrastent, par leur cou- leur blanche, avec la couleur rouge des parties garancées de l'os. Elles sont plus nombreuses sur le milieu de l’os que vers ses extrémités, et présentent des apparences diverses, suivant qu’elles doivent augmenter simplement l'épaisseur de l’os, ou suivant qu’elles doivent former des saillies ou des crêtes. Dans le premier cas, elles s'appliquent exactement à la surface de l'os, et les unes sur les autres, sans que l’on puisse dire, d’une manière générale, que les plus anciennes soient les plus étendues ; dans le second cas, elles se relèvent, forment des espèces de tuyaux ou de tubes accolés les uns aux autres, et ces apparences s'accordent fort peu avec l'idée de la transformation successive du périoste en lamelles osseuses. Ces lamelles, qu’elles soient planes ou qu'elles soient relevées, n’ont jamais une grande étendue. Elles se superposent ou s’accolent, se recouvrent successivement en s'étendant de plus en plus vers les extrémités de l’os, ou vers le bord de la crête, quand elles doivent former une saillie, sans que l’on puisse y re- connaître un ordre bien déterminé. C’est donc par une série de dépôts de peu d’étendue que s’augmente l'épaisseur de l'os, et non point par la formation de lamelles continues d’une extrémité de l'os à l'extrémité opposée. Nous reviendrons, dans un autre tra- vail, sur la structure de ces lamelles, qui sont surtout remarqua- bles par le grand nombre de perforations de tout leur tissu. 2% Vers les extrémités de l'os, ou plutôt vers les extrémités du dépôt de lamelles blanches nouvelles , on voit les parties rougies par le régime antérieur de garance. Ces parties, dont plusieurs avaient déjà servi à augmenter l’épaisseur de l’os, présentent or- dinairement des traces de la résorption, comme l'indique l’aspect particulier de leur surface. C’est sur ces parties ainsi diminuées 33 BRULLÉ ET MUGUENY. que se seraient appliquées des lamelles nouvelles, si l'os eût con- tinué à se développer. 3 Entre les parties rouges des extrémités de l'os et les parties rouges de sa région moyenne, se voient les portions qui étaient restées blanches, et que nous avons indiquées dans le chapitre précédent. Ces parties blanches portent souvent elles-mêmes les traces de la résorption , et souvent aussi elles sont recouvertes plus ou moins par des lamelles blanches de formation nouvelle, qui en sont bien différentes par leur aspect. k° Enfin, aux deux extrémités de l'os, on voit un tissu spon- gieux de formation nouvelle, qui se distingue, par sa couleur blanche , du tissu spongieux rougi par la garance pendant la durée du régime précédent. Le tissu spongieux blanc présente lui-même, à la surface, dans certaines parties du contour de l'os, des traces évidentes de la résorption. Dans d’autres parties , au contraire, il n’a pas éprouvé l’action absorbante; ce sont les par- ties par lesquelles l’os s’'augmente. Ainsi, en résumé, la surface de l’os a recu un dépôt de parties nouvelles blanches; cette surface, vers les extrémités, a éprouvé l’action de la résorption, action qui à eu lieu à la fois sur les par- ties rouges, et sur les parties anciennes restées blanches; enfin; il s’est ajouté à chaque extrémité de l'os, des parties blanches nou velles, sous forme de tissu spongieux. C’est donc par la superpo- sition de parties nouvelles sur la longueur de l'os que cet os s'augmente en épaisseur ; c’est par l'addition aux extrémités que cet os s'accroît en longueur. Il se fait, en outre, une résorption sur certaines parties de la surface de l'os, et cette résorption permet à l'os de recevoir, plus tard , sur ces mêmes parties, de la sub- stance osseuse nouvelle, sans que son épaisseur s'accroisse déme- surément. Cette résorption permet seule de comprendre la per- manence de la forme des os, et spécialement celle des têtes : aussi est-ce particulièrement vers les têtes que se manifeste la ré- sorption. IT. Dans le cas où les os sont recouverts de leur enveloppe dé- finitive, ce qui se reconnaît à l'aspect lisse et luisant des parties, ces os sont nuancés de grandes taches rouges et de grandes ta- SUR LE DÉVELOPPEMENT DES OS. 399 ches blanches. Cette apparence, qui est due en général à ce que les parties rouges sont assez voisines de la surface, nous avait fait croire d’abord à la décoloration. Nous ne pouvions, en effet, nous expliquer comment l'accroissement de l’os par couches su- perposées donnerait lieu à de pareils effets, et comment il aurait pu rester des parties rouges à la surface, car nous les considé- rions comme telles avant d’avoir reconnu qu'elles n’y affleuraient pas. Aujourd’hui que nous avons constaté le fait de la résorption, nous pouvons nous rendre compte du plus ou moins de distance qui se trouve entre les parties rouges et la surface. Nous savons que la résorption agit différemment sur toutes les parties de los, qu'elle les diminue plus ou moins, et que les couches blanches nouvelles se déposent en plus ou moins grande quantité sur lesdi verses parties. C’est là ce qui donne à chaque os sa forme définitive ; c’est aussi ce qui fait que l'os entièrement formé d’un Pigeon, par exemple, bien que recouvert d’une enveloppe blanche dans toutes ses parties, montre cà et là des taches plus ou moins rouges, qui ne sont réellement visibles que par transparence. 11 arrive cependant que, dans certains points, les portions colorées affleu- rent réellement à la surface, comme nous le montrèrent quelques unes de nos sections transversales. Il y à aussi, dans un os parvenu à l’état que nous décrivons, des portions qui sont blanches de part en part, comme le sont, en général, les têtes de l’os dans les Oiseaux. Ces têtes doivent donc être en grande partie de formation nouvelle: il y reste ce- pendant aussi quelques parties rouges de peu d’étendue. Quant aux autres parties tout-à-fait blanches, qui ne sont pas situées im- médiatement vers les têtes de l'os, elles doivent être de formation nouvelle, et semblent avoir été déposées après la résorption des parties rouges. Il nous manque, pour établir ce fait d’une ma- nière complète, quelques exemples tirés de Pigeons auxquels nous aurions fait subir un régime ordinaire d’une durée moins prolongée. Mais, dès à présent, nous le regardons comme le ré- sultat de la résorption préalable des parties rouges, et du dépôt subséquent de parties blanches qui ont fini par remplacer entiè- 396 BRULLÉ ET HUGUENY. ment les premières. S'il en élait autrement, nous serions obligés, comme par le passé, de conclure à la décoloration. Sans nous arrêter à décrire en détail les apparences que pré- sentent les os longs, dans les Pigeons qui ont été soumis aux deux régimes indiqués, nous dirons seulement que le tibia présente une variété remarquable dans les dessins rouges et blancs que l’on y apercoit. Les autres os longs , qui tous restent à peu près eylin- driques, et qui, par suite, éprouvent moins de changements dans leur forme, sont en général blancs vers les têtes seulement, tandis que le reste de leur étendue paraît rouge, à cause de la transpa- rence de leurs couches superficielles, Une section faite au travers de ces os montre que leur surface, formant l’anneau extérieur de la section, est entièrement blanche. C’est donc pour ces os, et pour la portion cylindrique de ces os seulement, que l’on peut admettre le recouvrement régulier des parties anciennes par des parties nouvelles. Il est à remarquer que ceux des os longs dont le corps n’est pas cylindrique ou à peu près, offrent les mêmes accidents de co- loration que le tibia, ou des accidents analogues. C’est ce qu’on voit très bien dans l’os coracoïdien et dans l’omoplate. Il survient, par conséquent, des changements plus nombreux et plus impor- tants à la surface d’un os triangulaire qu'à la surface d’un os cy- lindrique. Cette conclusion est applicable non seulement aux os des Oiseaux, mais encore aux os des Mammifères. Dans ceux-ci, le fémur et l’humérus, le radius et quelque autres, qui sont plus au moins cylindriques dans leur partie moyenne, s’y entourent à peu près régulièrement de parties nouvelles; mais le tibia, dont la coupe, faite dans une certaine partie de sa longueur, est trian- gulaire, présente aussi, dans cette partie , un tout autre ordre de développements. Le cubitus, plus irrégulier encore que le tibia, offre des accidents plus variés; le péroné surtout mérite l’atten- tion à cet égard. Le développement de ce dernier os est un des plus forts arguments en faveur de la résorption, qui seule permet d'expliquer les apparences que présente sa surface. Il s’y trouve en particulier, comme l'indique la figure que nous en donnons, des lignes longitudinales rouges au milieu d’un tissu entièrement SUR LE DÉVELOPPEMENT DES OS. 337 blanc. L'existence de ces lignes prouverait seule que le dépôt n’a pu s’opérer régulièrement sur cette face de l'os, si l’on ne recon- naissait, d’ailleurs, à l’aide de sections transversales, que cette face était en voie de résorption , et que les deux lignes rouges en question sont les deux extrémités d’affleurement d’un cercle rouge dont une partie a déjà disparu. 1! résulte de tous ces faits que le développement des os a lieu dans les Oiseaux comme dans les Mammifères, et que ce déve- loppement varie avec la forme de chaque os en particulier, on mieux avec la forme de chaque sorte d'os. Il resterait donc à faire l'étude de ce développement, examiné d'âge en âge dans un même animal , ainsi qu’à reconnaitre l’époque du développement relatif de chacun des os. Nous possédons des éléments de cette étude: mais il nous en manque beaucoup d’autres, ce qui nous empêche de nous y arrêter plus longtemps. Des développements à ce sujet nous éloigneraient, d’ailleurs, du but que nous nous proposons dans ce travail. Deuxième fait. — Examen des os à la face interne. Dans les os des animaux soumis successivement aux deux ré- gimes, l’un de garance, l’autre ordinaire, la face interne de ces os se présente sous l’un des deux aspects suivants : 1° Ou la surface de l’os est formée de la substance blanche qui existait déjà avant le régime de la garance, et qui disparaît peu à peu par la résorption; 2 Ou la surface de l'os, après avoir éprouvé la résorption , est déjà recouverte, sur une plus ou moins grande étendue , de cou- ches blanches de nouvelle formation. Il peut arriver que ces deux aspects soient visibles à la fois sur un même 0s ; car la résorption ne s’y produit pas rigoureusement à toute époque du développement de l’os, comme le prouve Ja formation du tissu spongieux. Dans un des Porcs dont nous avons déjà parlé, la substance blanche qui recouvre la partie rouge des os est elle-même recouverte cà et là de couches osseuses nou- velles, indépendamment des parties qui portent les traces de la résorplion. Il se produit, en effet, dans les os d’un animal ra- 3° série, Zoo. T. IV. (Décembre 1845.) à 22 358 BRULLÉ LT MUGUENY. mené au régime ordinaire, un phénomène analogue à celui qui a lieu dans les os d’un animal que l’on nourrit d'aliments garancés. Dans ce dernier, il se dépose de la matière rouge, en dedans comme au-dehors de l’os ; d’où la présence de deux cercles rouges, lorsqu'on pratique une section transversale. La même chose se passe dans l’animal que l’on remet au régime ordinaire; il se forme dans ses os des couches blanches qui se déposent sur cha- cune des deux surfaces. Si nous n'avions, pour reconnaître les parties nouvelles, que le caractère tiré de leur position , on pour- rait contester qu’il en soit ainsi, et dire que les parties blanches situées à la face interne des os sont les parties anciennes , comme les parties blanches situées à la face externe sont les parties nou- vellement formées; mais la structure, la disposition si remarqua- bles des lamelles de formation nouvelle, ne laissent aucun doute à cet égard. Il y a donc, dans le développement de l'os, des faits qui se cor- respondent sur chacune des deux faces, l’externe et l’interne. Il se produit sur chacune de ces faces, tantôt un dépôt de substance nouvelle, tantôt une résorption de parties anciennes, On remar- que, de plus, comme nous l’avons déjà dit, une sorte d’antago- nisme entre les deux actions. Nous en avons une nouvelle preuve dans les os des animaux soumis aux deux espèces de régime. On y voit, en effet, que, dans la cavité de l’os, c’est surtout aux ex- trémités que se dépose la substance nouvelle : or, c’est aux extré- mités que la résorption se produit surtout au dehors. Il en ré- sulte que l'épaisseur des parois de los, en ces parties, irait tou- jours en diminuant, s’il ne se déposait à l’intérieur de nouvelle substance. Cet antagonisme, entre les mouvements des deux faces d’un os, est tellement marqué, que, dans les os d’un de nos Porcs, la partie moyenne, celle qui a recu au dehors un plus grand nombre de couches osseuses nouvelles, est aussi celle qui, en de- dans, présente le moins de semblables couches. Enfin, il arrive un moment où l’une des deux faces de l’os peut recevoir seule de la substance nouvelle. C’est ce qui paraît avoir lieu à la face interne des os, lorsque leur développement est achevé au dehors. Nous citerons, comme exemple de ce fait, une Poule SÛR LE DÉVELOPPEMENT DES OS. 339 Qui avait huit mois lorsqu'elle fut soumise au régime des aliments garancés. Elle a vécu pendant un mois avec ce régime , et pen- dant deux mois ensuite avec le régime ordinaire. Ses os sont peu ou point colorés, et leur développement paraît achevé au dehors. Cependant la face interne de quelques uns, du fémur et du tibia, par exemple, a recu un dépôt épais de tissu spongieux , dont la portion qui touche à l’os est colorée par la garance, tandis que le reste est incolore. Ce dernier fait prouve qu'il s’est développé du tissu spongieux dans ces os, non seulement pendant le régime de garance, mais encore après ce régime, alors que les os pa- raissaient, quant au tissu compacte, avoir acquis tout leur déve- loppement. Alors aussi l’une des deux faces de los recevait seule des dépôts de substance nouvelle. Une autre preuve de l’antagonisme qui se produit entre les deux faces des os nous est fournie par l’humérus de la même Poule. Cet os ne s’est point coloré, si ce n’est dans le tissu spon- gieux des extrémités, et cependant sa face interne est recouverte d’une légère couche rose, bien visible en certains endroits. Ce phénomène, ainsi que le précédent, prouve, en outre, que la résorption à l’intérieur, de même que l'addition à l'extérieur, ne sont pas des faits permanents, puisqu'il arrive une époque où le dépôt cesse à l’extérieur, et où il se produit en dedans, au con- traire, après la cessation préalable de la résorption. Ce sont donc des faits d’accroissement, qui cessent, par conséquent, lorsque celui-ci est entièrement achevé. Encore un fait d’antagonisme dans le développement des deux faces d’un os. Les os d’un de nos Porcs présentent, à leur région movenne et sur la face externe, un dépôt de couches blanches. Ce dépôt s'avance, en général, beaucoup plus vers une des ex- trémités que vers l'extrémité opposée. Que l’on examine la face interne, dans la même région, et l’on verra que le dépôt de la- melles nouvelles y est nul ou peu prononcé. Au contraire, à la face interne de l'os, dans la région qui correspond à celle de la face externe, où le dépôt nouveau ne s’est pas encore fait, on recon- naîtra un dépôt très marqué. Par conséquent, si la résorption en- lève à un os, sur une de ses faces , une certaine quantité de ma- 340 BRULLÉ ET HUGUENY. tière, celle-ci lui esten partie rendue sur la face opposée. L'exa- men des sections transversales fournit également des preuves à l’appui de cette assertion. Ces faits d’antagonisme dans le développement des deux faces d’un os sont très remarquables encore dans les Pigeons soumis aux deux régimes. Les accidents de coloration semblent plus va- riés dans leurs os que dans les os des Mammifères. Si l’on regarde l’une des deux faces d’un os scié en long, du tibia, par exemple, en un point quelconque, on est à peu près certain que le point correspondant de la face opposée sera autrement coloré que lui. Si l’un est blanc, l’autre sera rouge. Il ÿ a cependant des parties qui sont blanches de part en part, et d’autres qui sont rouges ; mais le fait précédent n’en est pas moins digne d’attention. Les os des animaux qui ont été examinés immédiatement après un régime de garance, sans qu’il fût suivi d’un régime d’aliments ordinaires, présentent des faits absolument semblables, tant dans les Oiseaux que dans les Mammifères. Si l'on examine un des points de la face externe, et que ce point soit coloré, il est rare que le : point correspondant de la face opposée ne soit pas incolore. C’est même ici que le phénomène est le plus prononcé; car, dans les animaux soumis aux deux régimes successifs, et surtout dans les Oiseaux, les parties blanches étant assez transparentes, lors- qu’elles sont peu épaisses, pour laisser voir la couleur rouge qui est au-dessous, on pourrait parfois commettre une erreur qui n’est plus guère possible dans le cas du seul régime de garance. Troisième fait. — Examen des sections longitudinales. Cet examen ne fait que confirmer ce que nous avons dit sur ce sujet dans le chapitre précédent. Le dépôt de matière nouvelle et incolore, de chaque côté de la substance osseuse colorée par la garance, rend plus visible encore la disposition de la matière co- lorée. L’affleurement, tant en dedans qu'au dehors, de la sub- stance blanche comprise entre les extrémités des lignes colorées, permet de distinguer mieux encore l’ordre dans lequel se sont faits les dépôts sur chaque face de l’os. Nous n’y reviendrons ce- pendant pas; cet examen ne nous fournirait aucun fait nouveau, SUR LE DÉVELOPPEMENT LES OS. 31 Disons seulement que, dans la section longitudinale des os des Oiseaux, et surtout des os de Pigeons, car ce sont eux que nous avons élevés en plus grand nombre, il se montre sur l'épaisseur de la tranche osseuse une grande irrégularité de coloration. Cette irrégularité ne permet de constater autre chose que l'inégalité dans la formation de chacune des deux faces. Ainsi, la ligne co- lorée qui répond au régime de la garance s’approche tantôt de la face externe et tantôt de la face interne , suivant la région de l'os que l’on examine; mais il paraît y avoir toujours continuité dans cette ligne colorée. Pour le moment, nous n’y voyons autre chose qu'une preuve de l'inégalité dans le dépôt de la substance nou- velle ou dans la résorption de la substance ancienne sur toute la surface, soit externe, soit interne, des os. En d’autres termes, la disposition irrégulière de la partie colorée, examinée dans la lon- gueur des os, indique une assez grande variété dans la succession du dépôt et de la résorption sur chacune des régions de ces os en particulier. 11 nous manque encore quelques exemples, quel- ques types intermédiaires, pour établir la transition ou le passage entre ces deux actions opposées de l’accroissement et de la ré- sorption. Quatrième fait. — Section transversale des os longs. Si le développement des os consistait uniquement, comme l’a dit M. Flourens, dans le dépôt de nouvelles couches au-dessus des couches anciennes à l’extérieur, et dans la résorption de la substance osseuse à l’intérieur, toute section transversale d’un os long devrait laisser voir, quel que fût le lieu de la section : 1° Un anneau blanc plus ou moins épais, suivant la durée du régime ordinaire, et situé à l’extérieur ; 2 Un anneau rouge au-dedans du précédent, et d’autant plus voisin de la cavité médullaire que l’animal aurait vécu plus long- temps après la cessation du régime de la garance. Or, c’est seulement dans les sections faites vers le milieu des os longs que cette disposition se fait remarquer, et encore trouve- t-on des exceptions, car tous les os longs ne se développent pas à leur région moyenne avec autant de régularité, L'humérus, le 32 BRULLË EL HUGUENY. fémur sont, pour ainsi dire, les seuls os dans lesquels l’accroisse: ment ait lieu d'une manière aussi simple ; encore arrive-t-il un moment où la résorption cesse à l’intérieur, comme nous l'avons vu, pour faire place au dépôt d’un tissu nouveau, spongieux d’a- bord, et peut-être compacte par la suite, ce que nous ne pouvons aflirmer, faute d’expériences suffisamment prolongées. Dans les autres os longs, la section faite au centre ou dans son voisinage montre que la résorption se fait en même temps à l’ex- térieur et à l’intérieur. Gette résorption n’a pas lieu, bien en- tendu , sur tous les points à la fois, autrement il y aurait destruc- tion de los. Elle porte de préférence , à chacune des deux faces, sur certaines parties du pourtour de l'os, et cette action est indi- quée d’une manière évidente par la diminution qui se manifeste soit dans la portion colorée, soit dans la portion incolore. C’est en particulier dans le tibia des Oiseaux et dans le péroné des Mammifères que ce phénomène est le plus prononcé. En général, ilse produit constamment dans les os à coupe triangulaire , tels que le cubitus du Porc et la région supérieure du tibia de ce même animal. On peut avancer comme une règle constante que, plus un os doit changer de forme jusqu’au moment de son développe- ment complet, plus il y aura de traces de la résorption sur di- verses régions de son pourtour. Ces traces de résorption ou d’érosion sont très manifestes dans les animaux qui ont été soumis aux deux régimes d'alimentation déjà mentionnés, à cause de la déformation qu'ont subie les cer- cles colorés qui s'étaient formés d’abord soit en dehors, soit au- dedans des os. Elles sont encore manifestes dans les animaux que l’on soumet seulement au régime des aliments garancés, parce que les parties en voie de résorption ne se colorent pas. Il en résulte, dans les deux cas, une disposition que l’on reconnaît aisé- ment à l’aspect de la rondelle osseuse, par suite de l'interruption que l’on remarque d'ordinaire, soit dans la continuité des canali- cules circulaires, soit dans la régularité des dessins que doivent former les canalicules, lorsqu'ils sont autrement disposés : aussi reconnaît-on facilement quelles sont les parties d’une section transversale d’un os sur lesquelles s’est opérée la résorption , SUR LE DÉVELOPPEMENT DES OS. 13 même dans un animal qui n’a pas été alimenté avec la garance. Toutefois la coloration rend ces faits beaucoup plus visibles. Elle fournit, et effet, un point de départ certain pour des recherches ultérieures ; elle donne, d’une manière plus frappante, la démon- stration des faits que l’examen de la structure permet ensuite de reconnaître sans elle, C’est surtout vers les extrémités des os que se produit la ré- sorption ; nous l'avons déjà reconnu en étudiant les os à leur sur- face : aussi est-ce dans ces régions que la section transversale d’un os long rend cette résorption manifeste, surtout dans les os des animaux garancés. Ainsi, lorsque le cercle coloré qui se sera formé autour d’un os, pendant le régime de la garance, offrira des solutions de continuité, on pourra supposer l’une ou l’autre de ces choses : 1° Ou qu'il ne s’est pas déposé de garance et, par conséquent, de matière osseuse dans la portion interrompue, pendant que l’a- nimal était soumis au régime de la garance ; 2° Ou que la portion colorée de l’os a été enlevée lorsque l’a- nimal a été ramené au régime ordinaire. Dans le dernier cas, pourquoi une portion de l’os at-elle été enlevée sans les portions voisines? Dans le premier, pourquoi la matière colorante ne s’est-elle pas déposée partout ? La réponse à ces deux questions est facile, Pour la première question, nous savons que la matière colorante ne se dépose pas sur toute la surface de l’os à la fois, 11 en résulte nécessairement que la section transversale de cet os doit laisser voir un cercle in- complet. Ce cercle ne se sera pas complété quand l'os aura con- ünué à croître sous l’influence d’une nourriture sans garance; il se montrera donc encadré plus ou moins complétement dans un anneau blanc, qui environne aussi bien les portions colorées que les portions incolores; c’est ce que l’on voit dans certains os de Pigeons. Pour la seconde question, supposons une section transversale entourée d’un cercle rouge , complet ou non. Que l’on enlève peu à peu, dans un même endroit, la substance osseuse de ce cercle rouge. [Il arrivera un moment où l’on atteindra la portion vsseuse all BRULLÈ ET MUGUENY. blanche, et l’on aura produit une dénudation , de chaque côté de laquelle viendront affleurer les deux parties rouges non atteintes. Or, qu’une semblable disposition se rencontre dans certains os, nous devrons certainement en conclure que la résorption à agi dans ce cas comme nous supposons qu'aurait agi l'instrument tranchant. Seulement, comme los reprend d’un côté ce qu’il perd de l’autre , il se déposera de la matière nouvelle en dedans de la région mise à nu, c’est-à-dire de l’autre côté de la table osseuse ; il s’en déposera même en dehors, de chaque côté de la partie mise à nu. De là l’affleurement des segments du cercle rouge par leurs extrémités seulement; de là encore la situation irrégulière des segments restants de ce cercle, qui ne sont plus alors concen- triques au pourtour de l'os. NOTES. Nore L. — « Dans quelques unes des expériences de Duhamel, dit Gib- son, les os d’un Poulet furent colorés en rose dans toute leur épaisseur en seize jours, et ceux de jeunes Pigeons devinrent d'un écarlate foncé au bout de trois jours. D’après quelques expériences faites par moi sur ce sujet, j'ai trouvé les os de jeunes Pigeons teints d’un rose uniforme, inlé- rieurement et extérieurement, après vingt-quatre heures. Cette commu- nication de la couleur à toute la substance du système osseux en aussi peu de temps rend tout-à-fait improbable que l'apparence lamelleuse re- marquée par Duhamel ait été produite par la formation nouvelle de cou- ches osseuses rouges et blanches, correspondant aux temps (des mois) pendant lesquels la garance avait été formée ou supprimée. En effet, comme le remarque (rès justement John Bell, « si un os devait s’accroître par couches assez épaisses pour être visibles et d’une nuance distincte, et que de semblables couches s’'accumulassent continuellement chaque se- maine, quel est l'os qui pourrait croitre de la sorte? » Le seul moyen de concilier les phénomènes remarqués dans les diverses expériences et d’ex- pliquer leur contradiction apparente, c'est de supposer que Duhamel a pris pour une apparence confusément lamelleuse les variétés de la cou - leur, qui est plus foncée dans les parties les plus solides , et plus faible dans les parties les moins compactes de l'os. » (Loc. cil., p. 149, 150.) Puis, parlant des expériences de Mac-Donald, il dit : « Le fait qui se rattache le plus immédiatement à l’objet de ce Mémoire, c’est que si la charpente d’un os exige trois semaines pour son renouvellement, cepen- dant, au boul de sept jours, le système osseux a généralement pris une beile couleur rouge. Si maintenant nous interprétons ce changement de SUR LE DÉVELOPPEMENT DES OS. 345 couleur d'après l'opinion commune de l'absorplion des parties osseuses blanches et du dépôt des parties rouges (1), nous en tirerons nécessaire- ment celte conclusion, que le système osseux d’un animal se renouvel- lera trois fois pendant la période que réclame la formation de l'os de rem- placement; mais on doit tendre à rejeter celte opinion, par suite même de son peu de probabilité. » (Ibid, p. 152) Nore EE. — «.. Die 27° ex quo (pulli, alebantur, unus caveà extractus est ac peremplus. Hoc aper{o, ossa rubra inventa sunt... » Hæc uno in pullo comperta, paucis post diebus comperta suntet in al- lero. Quo necalo, dissectoque, eadem apparuerunt, nisi quod color os- sium paulo eral dilutior, ad roseum vergens; quod considerans Bazanus aliud quidpiam agilare animo cæpit, de quo Sharpius (2) nihil scripserat ; nam cum pullum hunce alterum triduo, quatriduove purgamentis trilici alere oportuissel, proplerea quod rubia defecerat, non dubitavit Bazanus, quin illa coloris extenuatio a mutalà viclus ratione penderet; itaque, si pulli, amotä rubià, ad consueta cibaria reventerentur, spem esse, ut color albus rediret ossibus. » Quare cum dubium non esset, quin pulli duo superstites colorem ru- brum ossibus traxissent, similiter ut duo mortui; placuit illos, abjectà rubià, vilioribus seminibus trilici, et furfure per mensem sustentare. Exaclo mense necati et hi sunt; apertique ossa alba ostenderunt. His ergo iniralus est Bazanus colorem suum rediisse; nam dubilare non poterat, quin antea fuissent rubra. Sic cum pullorum ossa per rubiam colorari ex Sbarpii lilleris intellexisset, intellexit ipse per se, eum colorem mutato victu facile abire. (1) « L'opinion commune des physiologistes au sujet de ce fait curieux est que, lorsqu'un os devient rouge pendant l'alimentation par la garance, les parties os- seuses blanches qui le composaient ont été entièrement éliminées par absorption, et remplacées par de nouvelle substance osseuse de couleur rouge. Lorsque en- suite l'os reprend sa couleur naturelle, ces parties rouges ont été écartées à leur tour, et remplacées par des parties blanches. Si le fait est vrai, il s'ensuit néces- Sairemient qu'un animal reçoit au moins cinquante-deux couches osseuses nou- velles pendant un an; car le système osseux, d'après les expériences des plus respectables physiologistes, acquiert une teinte rouge foncée au moyen de la ga- rance en une semaine, et reprend sa couleur naturelle en une autre semaine. » (Note de Gibson.) (2) On lit, au commencement du récit des expériences de Bazanus : « Res di- citur comperla in Britannis; nam Mizaldus, qui illam multo ante indicaverat, propter antiquitatem legi est desitus. Eadem cum Sharpius chirurgus illius insulæ clarissimus Molinellio per litteras significasset, visum est experimentum Acade- mie dignum.. Id ergo suscepit Matthæus Bazanus, qui justituti præses est, ro- gante Molinellio. » 36 BRULLÉ ET HUGUENY. » ldque sane admirationem habel non minorem; nam cum pullorum mortuorum ossa, rubro colore infecta, ad longum tempus servata fue- rint, etiamsi nibil de conservando colore cautum sit, eum tamen nun- quam arniserunt, sive in spiritum vini immersa fuerint, sive sub dio man- serint, et in frigore; quo sane apparet, quam arctè is color adbæreat os- sibus; qui tamen, sublractà tantum rubiâ, quem ad modum supra dixi, diebus baud multis in vivis pullis dissolvilur. » (Commentaires de l'Institut de Bologne, 1745, L IL, part. 1, p 129.) Ce précis, publié en 1745, est de 1738. Le travail de Bazanus lui-même a paru en 1746 (même recueil, {. IL, part. IE, p. 124). Note IE. — Nous ne connaissons cette thèse de Bæhmer que par l'extrait qui en est donné dans les Mélanges d'histoire naturelle de Dulac‘t. HE, p. 227); c’est de là que nous ayons tiré la citation que nous donnons dans le texte. Le travail original a pour titre : De radicis rubiæ tinctorum effec- tibus in corpore animali, proponit et defendit Benj. Bæhmer (Lipsiæ, 1752, in-40, p. 6). Les Commentaires de Leipsick, qui annoncent cette thèse (4 L, p. 521), cilent en particulier ce passage : « In ipsis tamen ossibus, quædam partem magis, quædam minus tin- guntur, inconstanti ordine, » Norg IV. — Voici les motifs qui avaient engagé Gibson à tenter l’expé- rience que nous rapportons. « Le docteur Ratherfort, touf en donnant unc explication très satisfaisante de la manière dont la couleur de la ga- rance se communique aux os seulement, embrasse cependant l'opinion de certains autres physiologistes. Ainsi les matériaux des os reçoivent leur coloration avant d'être déposés, c’est-à-dire pendant qu’ils sont à l’état de solution ou de mélange dans le sang... Dans ses ingénieuses remarques, il ne fait aucunement allusion à ce fait probable, que les os déjà formés puissent devenir rouges pendant que l'animal fait usage de garance, et reprennent ensuite, après la cessation de ce régime, leur couleur natu- relle, sous l'influence d'une action tout-à-fait indépendante de leur dépôt et de leur absorption. C'est ce que je vais essayer de prouver. » (Loc. cit., p. 156.) Il ajoute plus loin : « Duhamel a remarqué, dans ses expéricnces, que les os des animaux, qui avaient été fortement rougis par la garance, se décoloraient par une longue exposilion à l'air, el devenaient blancs. C’est ce fait qui me suggéra une explication simple du phénomène. 11 me sembla que si quelqu'une des parties constiluantes du sang possédail naturelle- ment une plus forte affinité pour la matière colorante de la garance que le phosphate de chaux, celui-ci pourrait être dépouillé de sa couleur par une action chimique. C'est afin de prouver celte action que je pris, ete.» (P. 159.) Nore V. — « M. Paget dit avoir répété lui-même l'expérience de Gibson, SUR LE DÉVELOPPEMENT DES OS. 517 el avoir remarqué qu'en effet la sérosité enlevail une certaine partie de la couleur du phosphate, mais que, si l'on continuait à traiter le précipité encore rouge par de nouveau sérum incolore, celui-ci se colorait de moins en moins, el finissait même par rester incolore, bien que le précipité con- servât encore une nuance rouge aussi prononcée que dans les os les plus rouges. Il fil la même observation avec de l’eau filtrée, qui d’abord pre- nait une teinte jaune, qu'elle ne tardait pas à perdre quand on l'avait re- nuuvelée; il crut devoir conclure de ces expériences que, quand le phos- phate de chaux est précipité dans une solution de garance, il entraine avec lui une certaine quantité de malière colorante avec laquelle il n’est pas combiné chimiquement, et qui est dissoule par l’eau et parfois par le sérum, si on traite le phosphate par l’un de ces deux liquides; il conclut donc de ces expériences que le sérum ne peut, comme Favail avancé Gibson, enlever aux os la matière colorante, qui est combinée chimique- ment avec leur phosphate : il va même plus loin encore , el induit d'une autre expérience que Le phosphate de chaux , au contraire, enlève au sé- rum la matière colorante qu’il tient en solution. Ainsi, si on traite une solution de garance dans le sérum par le phosphate de soude, et ensuite par l'hydrochlorate de chaux, toute la matière colorante est précipilée, bien qu'avec plus de lenteur que dans une solution aqueuse , et le sérum reprend sa couleur jaune naturelle. » Il résulte de ces expériences, et de quelques autres que nous ne pou- vous rapporter, que le phosphate de chaux ayant une plus forte affinité que le sérum pour la malière colorante de la garance , il la lui enlève sans qu'il en soit saturé (1 , et que chaque particule de phosphate de chaux qui est déposée pendant que lanimal prend la garance, s'empare de la matière colorante que contient le sérum, et donne aux os une cou- leur plus ou moins rouge, suivant l’âge de l'animal 2). Les os rougissent bien plus dans la jeunesse que dans la vieillesse. Si l'os rouge perd sa couleur quelque temps après que l'animal ne prend plus de garance, ce n'est pas, comme le pensait Gibson, à cause de l’affinité superieure du sérum, ni, comme le pensait Duhamel, par l’absorplion des molécules osseuses colorées (3), mais probablement par la décomposition de la ga- rance elle-même, ainsi qu’on le voit arriver aux squelettes exposés à l'air el à la lumière. » (Gazette médicale de Paris, t. VUX, 1840, p.204. — Extrait du journal The Lancet.) Nore VI. — La théorie de M. Flourens diffère surtout de celle de Du- (4) Rien ne prouve que le phosphate de chaux soit ou non saturé de la matière colorante de la garance, à moins que ce ne soit le plus ou moins de coloration des os, suivant l'âge de l'animal, comme le dit Paget. (2) On ne voit pas que l'auteur se soit rendu compte du plus ou moins de colo- ration des os, autrement que par l'hypothèse de la note précédente. (3) C'est probablement Hunter qu'on aura voulu mettre, au lieu de Duhamel , qui n'a pas eu l’idée de la résorption des molécules osseuses. 38 BRULLÉ ET MUGUENY. hamel, en ce que ce dernier s’expliquait l'agrandissement de la cavité mé- dullaire et l'allongement des os par une véritable extension, tandis que M. Flourens rend très bien compte du fait de l'agrandissement de la ca- vité des os par la résorption des parties internes. D’ailleurs, ce fait de la résorption des parties internes élait déjà connu de Hunter lui-même, comme le prouve une note de Monro, imprimée à la suite d'un Mémoire de Hunter. «Il paraît, dit Monro, que Hunter appuyait son opinion principale- ment, sinon uniquement , sur celle circonstance, que, dans l'animal qui croit, le canal médullaire augmente de diamètre (1). » ( Trans. of a Soc. for the improvement of Med. and Chir. Knowledge, 1. IE, p. 282.) Le fait de la résorption à lintérieur de los, qui, suivant M. Flourens, combiné avec le dépôt à l'extérieur, constilue tout le mécanisme de l’ac- croissement des os, est loin de rendre compte de la diminution qu’éprouve, avec l’âge, la cavité médullaire. Cette théorie est donc incomplète. Nous allons faire connaître celle de Hunter, d'après divers passages de ses œu- vres chirurgicales. Nous citons la traduction française. «Le mécanisme de lPaccroissement en volume des os a lieu , non par l'introduction de nouvelles particules au milieu des anciennes, comme Duhamel le supposait, mais par laddilion de nouvelles parties aux ex- trémités et à la circonférence des os, tandis que la forme des os est con- servée par l’action des vaisseaux absorbants, qui enlévent les parties sur- abondantes. » (T. 1, p. 179.) (1) Monro croit détruire cette opinion par un argument décisif. « Pour montrer, dit-il, plus clairement que Hunter a basé son opinion sur des fondements erronés (erroneus foundation), j'ai remarqué dans plusieurs os morbides que j'ai en ma pos- session, et dans lesquels l'épaisseur est beaucoup accrue, que le canal médullaire a beaucoup diminue. D'après cela, et d’après l'expérience de Duhamel, nous pou- vons remarquer que la table des os peut s'étendre dans toutes les directions, ou qu'elle croît en longueur, en largeur et en épaisseur. » (Jbid., p. 283.) Cette note ferait-elle soupçonner que Monro revendiquait pour lui les idées de Hunter sur l'absorption ? Quoi qu'il en soit, nous ferons voir dans un autre travail ce que prouvent, pour le développement normal des os, les productions anormales qui se forment dans les cas de fracture, dans les cas d'expériences mécaniques à l'aide d'anneaux métalliques de perforations, d'enlèvement du périoste ou de la membrane médullaire. Il nous sera facile de montrer les erreurs qui ont été la conséquence des comparaisons élablies entre deux phénomènes aussi différents que la formation régulière ou normale et les formations pathologiques. On verra, en particulier}, qu'un des premiers résultats de la lésion mécanique d'un os est l'é- paississement des deux faces de l'os, par suite d'une sécrétion surabondante au- tour des parties lésées, ce qui donne lieu à des dépôts irréguliers. Ces dépôts s'organisent par la suite ; mais ils présentent presque toujours des différences avec les dépôts réguliers ou normaux. L SUR LE DÉVELOPPEMENT DES OS. 3h9 «.. Le mode d’accroissement des os ne permet pas de supposer qu’un os puisse se développer el conserver sa forme sans être absorbé. Suppo- sons la tête du fémur d'un fœtus. L'accroissement de los se faisant par des couches superposées, la tête de l'os acquerrait nécessairement un volume tel, qu’elle finirait par s'étendre jusqu’à la partie moyenne de l'os, tandis que la cavité centrale ne s’agrandirait aucunement. Il est donc indispensable que l'absorption s'exerce pour que la forme qui est propre à l'os soit maintenue; voilà pourquoi j'appelle celle absorption absorption modelante; car, sans la combinaison de ces deux phénomènes, l'absorption et l'addition de la matière, l'animal re pourrail avoir le mode de déve- loppement et les formes qui lui appartiennent. » (Jbid., p. 292.) Voici maintenant quelques explications de cette théorie, « … Il résulte, dit Éverard Home, des expériences de Hunter rela- lives à l’accroissement d'épaisseur du col et de la tête du fémur, que l’ad- dition «le matière osseuse nouvelle se fait à la partie supérieure de ces parties, tandis qu'une quantité proportionnelle du tissu osseux ancien est enlevée à leur surface inférieure, el que c’est par ce mécanisme que le col du fémur conserve sa forme et reste rejativement à la même place. » (Ibid. L AV, p. 411.) «.…. Parmi les dessins originaux des os colorés par la garance, dans les expériences huntériennes..., il y en a {rois qui font connaître le mode d'accroissement de la mâchoire inférieure et la direction suivant laquelle se fait cel accroissement , et sur lesquels on voit que la matière osseuse nouvelle se dépose, pour la plus grande partie, à la région supérieure et postérieure de la branche ascendante, tandis que le {issu osseux est ab- sorbé à la parlie antérieure de la même branche ; d'où il résulte que les alvéoles des molaires postérieures se dégagent graduellement , et qu'il y a au-dessous d'eux un libre espace pour la sortie des dents. Ce mode d’ac- croissement , avec absorption au niveau de la symphyse de la mâchoire ; se continue pendant toute la vie dans l'Éléphant, chez lequel des mo- laires nouvelles sont ainsi portées en avant, par une succession non inter- rompue, pour concourir à la mastication. » (F. IV, p. 411, note.) «… Hunter, dit à son tour M. Owen, a suivi les changements qui s’o- pérent dans les os pendant leur développement, et constaté la rapidité aveclaquelle les matériaux qui constituent le tissu osseux sont absorbés; et, d’après ces faits, il a posé en principe que les absorbants sont les agents par lesquels les os, pendant leur développement, sont modelés, si lon peut ainsi dire, et conservent leur forme. » (1bid., p. 412, note) « Ainsi, continue M. Éverard Home, les os, d'après la doctrine de Hun- ter, se développent par deux mécanismes, qui s’accomplissent en même temps, el qui s aident lun leutre. Les artères apportent à l'os les maté- riaux nécessaires à son accroissement, en même temps les absorbants en- lévent les particules du tissu osseux ancien, dans la proportion conve- nable pour donner à Fos nouveau la forme propre. De celle manière, l'os augmente de volume, sans qu'aucun changement sensible soit produit dans sa forme extérieure. » (1bid., p. 412 ) 390 BRULLÉ ET MRUGUENY. Nous terminerons par une dernière citation. « On appréciera facilement, dit M. Owen, la différence qui existe entré la théorie huntérienne et celie de Dubamel, sur le développement des os, si l'on fait attention à l'explication que Duhamel à donnée du phéno- mène qu'il observait pendant ses recherches sur ce sujet. Choisissons, par exemple, dans le nombre de ses ingénieuses et instructives expériences, celle où il plaça un anneau de fil d'argent autour de la partie moyenne du corps du fémur d’un jeune Pigeon, et où il trouva, au bout d’un cer- Lain temps, dans la cavité médullaire de los, cet anneau qui n'embrassait plus la surface extérieure de la tige osseuse autour de laquelle il avait été placé. Il est à peine nécessaire de faire remarquer que le physiologiste buntérien expliquerait ces faitsen disant que les artères du périoste avaient déposé une matière osseuse nouvelle sur la face externe de anneau, tandis que les absorbants avaient enlevé la portion du tissu osseux ancien, qui était en contact avec la face interne de cet anneau, et que c’élail par suite de ce double travail que les rapports de Panneau avec les parois osseuses du fémur se trouvaient renversés. Mais les prédécesseurs de Hunter ne connaissaient point et ne soupconnaient point même celle interprélation physiologique des phénomènes en question , qui a sa source dans la con- naissance des forces et des aclions propres à deux systèmes vasculaires qui jouent un rôle important dans l’économie vivante. » ({bid., p. 413, note.) On voit, par ces différents passages des œuvres de Hunter, et par les remarques mêmes de M. Owen, que la théorie du physiologiste anglais suffit à Pexplication des faits d’accroissement des os; mais on peut voir aussi que les preuves n'en ont pas été données par lui, bien qu'il paraisse les avoir trouvées. La résorption des parties internes a été démon. rée dans ces derniers temps par M. Fiourens ; mais l'idée en appartient toujours à Hunter. La résorption des parties externes n’a été démontré par personne depuis Hunter, et ne paraît avoir été admise que par quelques physiolo gistes anglais. La tâche que nous avons entreprise était précisément d'en donner la démonstration; c’est ce que nous croyons avoir fait dans le pré- sent travail, et surtout dans le chapitre II de la seconde partie. NorTe VII — « Nous avons pris, disent MM. Serres et Doyère (loc. cit.). {rois jeunes Pigeons, les plus âgés que nous ayons trouvés à cette époque de l'année, puis nous les avons nourris d’aliments mêlés de garance, du 10 mars au 15 avril 1840, en ayant soin d'interrompre le régime aussitôt qu'ils paraissaient trop en souffrir : malgré nos précautions, deux sont morts. » Nous avons laissé le troisième vivreet s'accroître jusqu'au 25 mai, et à ce moment, où nous le jugions âgé d'au moins quatre mois, nous luiavons amputlé Paile gauche, puis nous avons pris soin qu'aucun aliment colorant ne lui fût désormais adminisiré. » Le 30 janvier 1841, nous lui avons amputé l'aile droite. L'animal est mort des suites de celle seconde opération. SUR LE DÉVELOPPEMENT DES OS. 351 » L'aile droite, colorée en même Lemps el par le même régime que la gauche, n'avait pas dù prendre une teinte différente; car sur les deux cents animaux que nous avons sacrifiés à nos expériences, nous n'avons pas observé une seule fois un fait semblable. » D'un autre côté, soumise pendant buil mois de plus, et pendant les huit mois qui suivent immédialement la dernière période de F'accroisse- ment , au tourbillon vital, au renouvellement, à la mutation, à échange de ses molécules, elle eût dû évidemment perdre quelque chose. » Or, la teinte des deur ailes est absolument la même. » MM. Serres el Doyère concluent de ce fait : « Cet échange, ce renouvellement, ce tourbillonnement perpétuel des mo- lécules, ne sont point une condition essentielle des tissus vivants, à moins qu’on ne veuille ranger le Lissu osseux parmi les tissus morts. » Le fait que citent MM. Serres et Doyère est conforme à des faits ana- logues, que nous avons obtenus nous-mêmes. La conclusion qu'ils en tirent est exacte dans certaines limites; mais elle ne saurail être généra- lisée et appliquée à une époque quelconque de la vie d'un animal Sans doute, dans un pigeon arrivé à l'age adulte, il n’y a pas eu de re- nouvellement, parce qu'à partir de cette époque sesos ne se sont pas mo- difiés sensiblement. En effet, lorsqu'un Pigeon, lorsqu'un animal quel- conque appartenant à la classe des Oiseaux ou à celle des Mammifères, arrive à l’âge adulte, il ne se fait plus de mutation, plus de changements appréciables dans son tissu osseux; mais de là il ne faut pas conclure que, depuis le bas âge jusqu’à l’âge adulte, il n’y pas de changement , de mutation, de renouvellement des parties osseuses. Voici, en effet, à l'appui de ce re 1ouvellement, une expérience faite par M. Flourens, et qui s'accorde avec les résultats que l'expérience nous a fournis. « Un Pigeon, dit M. Flourens, représenté dans la fig. 10 de la pl. XIE (Recherches, etc., p. 123), au moment où tous ses os étaient rougis, avait à peu prés trois semaines. » À partir dece moment, il a été rendu à la nourriture ordinaire pendant dix-huit mois; et tout, ou à peu près tout, s’est renouvelé dans ses os, car tout, ou à peu près tout, y est blanc » Ainsi, il y a eu renouvellement de la maliére osseuse, el il est vrai de dire que, depuis le bas âge jusqu'à l’âge adulte, il y a mutation de la ma- tière osseuse. Au sujet de l'expérience de M. Flourens, nous allons même jusqu'à dire, et c'est là méme une conséquence forcée de l'opinion que nous venons d'émettre plus haul, que si le Pigeon de M. Flourens eût été tué dès l'instant où il était arrivé à l’âge adulle. il eût présenté les apparences qu'il a offertes longtemps après, parce qu’à partir de l’âge adulte, l’état du tissu osseux n'a pas dü changer d’une manière appréciable, Par con- séquent, les conclusions de M. Fiourens ne sont exactes que dans cer- laines limites, et ne peuvent être généralisées, Sans doute, comme le dit M. Flouress, il y a eu renouvellement de la malière osseuse, mais jusqu'à l’âge adulte seulement, et les deux expé- 352 RRULLÉ ET HMUGUENY. riences que nous venons de citer, et que se sont opposées MM. Serres et Doyère d'une part, M. Flourens de l'autre, ne sont nullement contrac- dictoires. Ces expériences sont relalives à des conditions différentes du tissu osseux, à des âges différents, qui donnent lieu, dans chaque cas, à des conclusions différentes. Il y a donc, dans la vie de l'os, deux périodes: l'une pendant laquelle il y a renouvellement incessant , c’est l'intervalle de temps compris entre la naissance et l’âge adulte; l’autre pendant laquelle l'os ne se modifie plus que d’une manière extrêmement lente, et où l'on ne peut plus ad- mettre. d’après les expériences faites jusqu'à ce jour, de renouvellement du (issu osseux. C'est en distinguant ces deux périodes que l’on parvient à s'expliquer les contradictions apparentes que présentent les écrits des physiologistes. EXPLICATION DES FIGURES. PLANCHE 16. Fig. 4 à 4. Os d'un Porc âgé d'environ un mois, lorsqu'il fut soumis au régimé de la garance. Durée de ce régime, vingt jours; durée du régime ordinaire qui succéda au précédent, vingl-huit jours Fig. 1. Tibia de ce Porc vu en dehors. En a, sont situées les parties de formation nouvelle, celles qui se sont déposées pendant le dernier régime ; en bet c, les parties nouvelles qui se sont ajoutées aux extrémités de l'os; en dete, sont des parties rougies pendant le régime de la garance , et sur lesquelles se pro- duisait la résorplion, au moment où on à tué l'animal; en b, cette résorption était très prononcée ; en €, tout-à-fait à l'extrémité de l'os, elle n'avait pas lieu. Fig. 2. Le même os vu en dedans. En a et a’, les bandes colorées du régime de la garance , revêtues en dehors des parties blanches du dernier régime, et en dedans des parties blanches du régime ancien. La bande a’ vient finir en mou- rant vers le tiers supérieur etinférieur de l'os; la bande a se termine dela même manière vers le quart inférieur, et se prolonge à l'extrémité opposée jusque dans le tissu spongieux. — En prolongeant par la pensée les extrémités libres de ces deux bandes aet a’, on voit que la portion d'os dans laquelle elles au raient été reçues a dû être résorbée, surtout à l'extrémité inférieure de a. — En d'c,e’, sont les portions des extrémités colorées pendant le régime de la garance, et qui se sont formées par l'intérieur, tandis que les parties a et a° étaient formées par l'extérieur. La preuve de ce mode de formation sur les deux faces est fournie par les parties a de la fig. 4 , et par les parties / de la fig. 2. En /, sont des lamelles nouvelles de tissu compacte. — En bet c, parties nou- SUR LE DÉVELOPPEMENT DES OS. 393 velles des extrémités de l'os. — En d, la coloration par l'intérieur s'est réunie à la coloration extérieure , ce qui est dû à l'influence très faible de la résorption dans cette région de l'os (1). Fig. 3. Moitié supérieure de l'humérus du même Porc. En a, la bande rouge formée par le dehors pendant le régime de la garance ; elle va se confondre , à son extrémité, avec la coloration intérieure de l'extrémité de l'os, parce que la résorplion avait très peu d'action sur cetle face de l'os. — En b, la terminai- son de la bande rouge externe, bien séparée de la bande rouge interne, parce que la résorption a fortement agi sur celle partie de l'os. Fig. #. Péroné du même Porc, grossi d’un liers. En a, des parties de formation nouvelle, postérieures au régime de la garance. En a, ces mêmes parties en voie de résorption., — En b, parties nouvelles également en voie dg résorptien ; en b', parties semblables non encore résorbées. — En c, deux lignes rouges situées au milieu du tissu blanc de l'os, et mises à nu par l'action de la résorp- tion, qui agit également en d sur du tissu de l'os, antérieur au régime de la garance. Les coupes transversales feront comprendre ces faits. Fig. 4 a. Coupe faite en d, et montrant en a et la région colorée par l'extérieure pendant le régime de la garance, et en 4°" la région colorée à l'intérieur. — Pendant le régime qui a suivi, le dépôt des parties nouvelles s'est fait princi- palement en a” par l'extérieur, et en «°° par l'intérieur ; de plus, la résorption a particulièrement agi en dehors sur la région 4°", ce qui indique très bien l'aspect tronqué de cette région. Fig. 4 b. Coupe faiteenc, vers l'extrémité inférieure de la ligne blanche médiane. Les lettres b’, b”, b'" indiquent les mêmes parties que les lettres a’, a’, a” On voit ici qu'en b'”, la résorption produite à l'extérieur a déjà enlevé la partie blanche, et va entamer la partie rouge. Fig. 4 c. Coupe faite en c dans la portion la plus large de la ligne blanche mé- diane. On ne voit ici qu'en c'” la résorplion qui affleure à la surface de l'os par ses extrémités. Fig. 5 et 6. Fémur d'une Poule ägée de huit mois lorsqu'elle fut soumise au régime de la garance, et nourrie à ce régime pendant un mois. Fig. 5. Coupe iongitudinale du fémur, laissant voir le issu spongieux qui s'est . déposé dans la cavité médullaire. Une partie de ce tissu s'est colorée par la garance. Le tissu compacte lui-même laisse voir ça et là quelques traces de coloration. (1) Cette explication peut paraître insuffisante : cependant, en examinant la coupe de l'humérus dans ce même Porc, nous avons vu que les deux bandes co- lorées , l'uneinterne et l’autre externe, se réunissent vers l'extrémité de la bande externe, précisément parce que la résorption n'a pas agi sur celte partie de l'os. C'est, en effet, ce qui devrait avoir lieu en a’ (fig. 2), si cette bande , en l'ab- sence de la résorption, eût pu se prolonger jusqu'en d° et e'. 3 série Zoor. T. IV. (Décembre 1845.) 23 351 BRULELÉ ET MUGUENY. ; Fig 6. Section transversale du fémur pour montrer la coloration incomplète du tissu spongieux. Fig. 7. Tibia d'un Canard mis au régime de la garance à l’âge de deux se- maines. Il a été tué à l’âge de trois mois, et n'avait été que huit jours au ré- gime de la garance , dont il avail pris à peu près 20 grammes. En a, la colo- ration produite par le régime de la garance affleure à la surface de l'os; c'est la seule partie qui semble être restée depuis le moment où l'animal a été ra- mené au régime ordinaire. De a en b, l'os paraît s'être entièrement renouvelé, et avoir même acquis tout son développement. En c, la résorption agissait en- core avec énergie; ce phénomène est d'autant plus prononcé que l'accroisse- ment de l'os est plus rapide. et tel est le cas des os du Canard. Fig. 8. Tibia d'un Pigeon âgé de cinq mois environ lorsqu'il fut tué. Les os pa- raissent complétement développés ; leur surface est lisse. — Après avoir été mis au régime de la garance pendant huit jours , à l'âge de six semaines en- viron , et avoir mangé à peu près 30 grammes de garance, ce Pigeon a été nourri au régime ordinaire pendant cent vingt-deux jours. — Le tibia que re- présente la figure est coloré en a et b, parties où le tissu coloré se rapproche le plus de la surface sans y affleurer tout-à-fait. Fig. 9. Tibia d'un Pigeon âgé de cinq à six semaines lorsqu'il fut tué. A trois ou quatre semaines , il fut mis au régime de la garance pendant quatre jours, après lesquels il fut nourri d'aliments ordinaires pendant onze jours. — On ne voitque peu de parties nouvelles correspondant au dernier régime. En a, c'est- a-dire de càe et en b, lerégime de la garance a produit une coloration bien prononcée. De c à d, la résorption a agi également en e, mais sur une moins grande étendue. — La coloration des parties vers d provient surtout de l'inté- rieur. Fig. 40. Tibia d'un Pigeon âgé de quatre mois et demi à cinq mois. A l'âge de trois à quatre semaines , il fut soumis pendant huit jours au régime de la ga- rance, dont il prit environ 30 grammes ; après quoi, il fut ramené au régime ordinaire pendant cent cinq jours. Ses 0s paraissent complétement développés; ils sont plus colorés que dans le Pigeon fig. 8, parce que l'animal était plus jeune lorsqu'il fut mis au régime de la garance. — Le tibia représenté fig. 40 a ses parties tout-à-fait blanches en « et b, et par conséquent entièrement re- nouvelées. En c, c'est-à-dire dans toute la région moyenne, l'os est alterna- tivement rouge et blanc. Les parties rouges ne sont pas superficielles ; elles sont recouvertes de parties blanches, qui laissent voir par transparence la co- loration ; les parties intermédiaires sont tout-à-fait blanches, et par conséquent postérieures à l'alimentation par la garance. La résorption parait donc avoir agi d'une manière inégale sur les différentes régions de la surface de l'os. Fig. 44. Tibia d'un Pigeon âgé de trois mois et demi environ lorsqu'il fut tué; il fut mis au régime de la garance à l'âge de trois à quatre semaines, et au bout de quinze jours , il fut ramené au régime ordinaire, qui en dura cinquante-huit . SUR LE DÉVELOPPEMENT DES OS. 309 Il y a en général moins de parties blanches que dans le Pigeon fig. 10 : cepen- dant en & et b se trouvent des parties entièrement renouvelées. La région blanche représentée en c est rouge à la face interne de l'os ; il ne s’est donc re- nouvelé , depuis le régime de la garance , que dans une partie de son épaisseur. PLANCHE 17. Fig. 4 à 3. Sections transversales des os d'un Porc âgé de deux mois environ lorsqu'il fut tué, el qui avait été nourri à la garance pendant les trois dernières semaines. Fig. 4. Coupe transversale du fémur faite vers le milieu de l'os ; la coloration s'est produite par l'extérieur, et avec plus d'intensité d'un côté que de l'autre. Fig. 2. Coupe transversale du même fémur faite vers l'extrémité inférieure. — Ici, comme dans toute section faite vers l'extrémité, la coloration a pénétré par l'intérieur, et s'est disséminée dans le tissu de l'os avec moinsde régularité que dans la section précédente. Fig. 3. Coupe transversale du tibia, faite aussi vers l'extrémité inférieure; elle offre les mêmes faits que la section précédente, et, de plus, la coloration pro- duite par le dehors en a. Fig. # et 5. Sections faites dans les os d'un Porc nourri de garance pendant vingt jours, et remis au régime ordinaire pendant vingt-huit jours. Fig. 4. Coupe transversale du radius , faite par le milieu de l'os ; elle offre en a les traces de la coloration produite par l'intérieur, et, dans le reste de son pourtour , la coloration produite par l'extérieur. — Le développement pendant le second régime a eu lieu de la même manière : en a, la substance nouvelle s’est déposée par la face interne , et en b, c, d par la face externe. Fig. 5. Coupe transversale du tibia, faite un peu au-dessous du milieu. En a , le développement s'est fait par l'intérieur ; en bet c, il a eu lieu à l'extérieur. En d, la coloration est disséminée, comme dans les sections faites, en général, vers l'extrémité. — La zone colorée commençant en a et finissant en c donne la marche du développement dans les os à coupe triangulaire, dans le cubitus par exemple. On voit que le développement pendant le second régime suit la même marche que pendant le régime de la garance ; le développement portant done sur les faces a, b et c, la résorption agissait sur les faces a’, b’, c'. Fig. 6. Coupe transversale de l'humérus d'une Oie âgée de quatre mois environ lorsqu'elle fut mise au régime de la garance ; elle est restée quinze jours à ce régime , et quoiqu'elle ait mangé 500 grammes de garance (d'Alsace), ses os ne sont pas colorés. On voit seulement çà et là, dans les sections transversales, des cavités médullaires ou canaliculaires , dont le pourtour est rouge comme en a. Fig. 7 à 9. Sections transversales du tibia d'une Poule âgée de sept mois lors- qu'elle fut soumise au régime de la garance ; elle est restée un mois à ce régime. 356 BRULLÉ El HMUGUENY. Fig. 7. Coupe transversale faite vers le milieu de l'os : la coloration s'est produite par l'intérieur en «, et, pour l'extérieur , elle a porté principalement sur b, c. Fig. 8. Coupe faite vers l'extrémité inférieure de l'os; la coloration s’est produite par le dehors sur tout le pourtour, excepté en «a. On voit en b,c qu'il s'est formé, dans l'intérieur du tissu de l'os, une suite de taches colorées analogues à celles représentées en a, fig. 6. Fig. 9. Coupe faite vers l'extrémité supérieure de l'os. Ici le tissu est plus abon- damment co'oré que dans la figure précédente, et semble moins avancé dans son développement En b, le développement et la coloration ne se produisaient pas, mais, par contre , ils avaient lieu d'une manière (rés marquée en 4. Fig. 10. Section médiane d'une des phalanges d’une Poule âgée de huit mois lorsqu'elle fut mise au régime de la garance. Les os de cette Poule ne se sont point colorés , à l'exception des phalanges qui paraissent, d'après cela , se dé- velopper plus tard que les autres os des membres.-—On voit, dans cette figure, un cercle intérieur et un cercle extérieur , et, dans l'intervalle, des lignes co- lorées qui suivent le trajet des canalicules. Fig. 11 à 43. Sections transversales du tibia représenté sous le n° 7 de la planche précédente. Fig. {1. Coupe faite en a (planche précédente, fig. 7) à la hauteur du trou nour- ricier, indiqué en a dans la présente figure. En b et c, la coloration est dissé- minée dans l'épaisseur du tissu de l'os ; elle se porte à la surface extérieure en c ; au contraire, en b, elle pénêtre par l'intérieur dans l'épaisseur de l'os. — C'est la partie e de la fig. 44 qui répond à a dans la fig. 7, déjà citée, de la planche précédente. Fig. 42. Coupe faite vers le milieu du même tibia: elle présente en a une ligne colorée quis'est produite par la face interne. Fig. 43. Coupe faite vers l'extrémité inférieure. On voit qu'ici encore la colora- tion a pénétré par la face interne. Fig. 44 à 47. Sections transversales du tibia d'un Pigeon âgé de trois à quatre semaines lorsqu'il fut soumis au régime de la garance. Il a passé seize jours à ce régime , et a pris 28 grammes de garance. Fig, 4%. Coupe faite à la hauteur du trou nourricier, indiqué eu a. On voit que la coloration s est produite par l'extérieur en b, 4, e, et par l'intérieur en d. Fig. 45. Coupe faite vers l'extrémité supérieure du tibia. La manière dont la co- loration en es répandue indique la disposition des canalicules et des cavités médullaires. Fig. 16. Coupe faite vers l'extrémité inférieure. On voit que la coloration a péné- tré en grande partie par l'intérieur ; en b, cependant, elle est venue du dehors. En a est représentée une cloison osseuse qui s'est en partie colorée. En c est indiquée la région où a été prise la fig. 17. Fig. 47. Disposition des canalicules de l'os, pour montrer comment la coloration se répand le long de ces canalicules, Les parois de ces canalicules sont plus SUR LE DÉVELOPPEMENT DES OS. 357 colorées que le reste de l'os. Les points disséminés dans les parties blanches indiquent les corpuscules osseux. — Fragment pris en c dans la fig. 16, sous un grossissement de 36 diamètres. Fig. 18 à 20. Sections transversales du tibia d'un Pixeon représenté sous le n° 44 de la planche précédente. Fig. 48. Coupe faite à la hauteur du trou nourricier, indiqué en a. L'accroisse- ment a eu lieu par l'extérieur en c, «, d, et par l'intérieur en b. Le bord net de la partie colorée en b, et situé à la face interne de l'os , ne laisse aucun doute à cet égard. Fig. 49. Coupe faite vers l'extrémité supérieure du tibia. Celle figure donne une idée de la marche qu'a suivie le développement dans cette partie de l'os. En #, b, il y a eu résorption à l'extérieur, et la substance nouvelle a, déposée pendant le second régime , s'est produite à l'intérieur. De b en e, la résorption a eu lieu par l'intérieur en b'; de ce en d, elle a eu lieu par l'extérieur, et l'accrois- sement s'est fait par l'intérieur en c’. La ligne indiquéc en d a été résorbée par l'intérieur à son extrémité d’. Enfin, en e. où il est resté quelques parties rouges dans l'épaisseur du tissu de l'os, l'accroissement à eu lieu par le dehors Fig. 20. Coupe faite vers l'extrémité opposée du tibia. La ligne a, b, c, d, qui cor- respond au régime de la garance, n'est interrompue qu'en c par la résorption ; mais on voit comment le développement s'est porté en e et en b, c à l'extérieur et en f à l'intérieur, tandis que la résorption s'est produite sur a, sur bel sur c. Fig. 21 et 22. Section du libia d'un Pigeon mis au régime de la garance pen- dant quatre jours , à l’âge de trois à quatre semaines, et nourri d'aliments or- dinaires pendant soixante et onze jours. Fig. 21. Coupe faite vers la hauteur du trou nourricier, indiquee en c. En a et b, sont les parties de la surface externe sur laquelle se produisait la résorption pendant le régime de la garance. Fig. 22. Coupe faite vers l'extrémité supérieure du tibia. Les parties colorées , a, b,c, d, semblent avoir formé deux lignes : l'une à l'intérieur. a ,c, d': l'autre à l'extérieur, b. On voit quel changement de forme subit l'os vers ses extrémités par la résorption ; cela devient surtout sensible , si l'on compare entre elles les fig. 45, 19 et 22. — Faisons remarquer que le Pigeon de la figure 49 a été nourri au régime ordinaire, après le régime de la garance, pendant cinquante-huit jours, et le Pizeon du n° 2 pendant soixante et un jours. Fig. 23. Coupe transversale du cubitus d'un Pigeon, dont le tibia est représenté sous le n° 8 de la planche précédente. La coupe a été faite à la hauteur du trou nourricier , indiqué en a. — On voit dans celle coupe une ligne tres étroite formée pendant le régime de la garance, et avoisinant le bord extérieur. Le peintre l'a indiquée trop fortement en b, c. 398 FLOURENS. — RÉSORPTION EF REPRODUCTION EXPÉRIENCES SUR LA RÉSORPTION ET LA REPRODUCTION SUCCESSIVES DES TÊTES DES OS; Par M. FLOURENS. (Lues à l'Académie des Sciences, le 8 décembre 1845.) Le fait particulier que je cherche à expliquer ici est celui de l'écartement des fées des os, pendant l'accroissement des os en longueur. A mesure qu'un os croît en longueur, qu'il s'allonge, ses deux extrémités, ses deux téles s'éloignent l’une de l’autre, Comment cet éloignement se produit-il ? Dans la théorie ordinaire de l'accroissement des os par eæten- sion, rien de plus simple à concevoir que le fait qui m'occupe. Les deux bouts, les deux tétes de l'os s’éloignent, parce que le corps, la portion intermédiaire de los, s'étend. Mais la théorie de l'extension n’est qu'une vaine hypothèse. L’os ne croît pas parce qu'il s'étend. Il croît en grosseur par couches superposées ; il croît en longueur par couches juxtaposées (1). Comment donc, avec l'allongement de l'os par couches juxta- posées, l'éloignement des téles de l’os peut-il se produire? C’est que les fétes de l’os sont successivement formées et résorbées pour être reformées encore, et toujours de plus en plus loin l’une de l’autre, tant que l'allongement de l'os dure. Il y a déjà longtemps que j'ai constaté ces formations , ces ré- sorplions, ces reproductions successives des tétes des os. « Si je considère, disais-je en 1841 (2), l'accroissement en grosseur sur un de ces os que j'ai mis sous les yeux de l’Aca- démie, sur le tibia, sur le fémur de ce jeune Porc qui, après avoir été soumis au régime de la garance pendant un mois, a été rendu à la nourriture ordinaire pendant six mois, je vois, à l’in- térieur,-une couche rouge; mais, avant que cette couche rouge (1) Voyez la-dessus toutes mes expériences. (2) Comptes-rendus, t, XIL, p. 281. DES TÈIES DES OS. 399 se fût formée, il en existait une autre qui élait blanche, et qui a déjà disparu. Cette couche rouge , qui est à présent la plus an- cienne , était donc naguère la plus nouvelle; et quand elle était la plus nouvelle, elle qui bientôt ne sera plus, toutes les couches blanches, qui se sont formées depuis, n’existaient pas encore. » L'accroissement en longueur me donne les mêmes faits, et peut-être de plus surprenants encore. Les extrémités de l'os, ce qu'on appelle ses fées, changent complétement pendant qu'il s’ac- croît. En effet, la féte ou extrémité de l'os qui se trouvait au point où finit la couche rouge, et qui avait alors elle-même une couche rouge, n’est plus; elle a élé résorbée: et celle qui est maintenant n'existait pas alors: elle s’est formée depuis. » Voilà les résultats que m'’avaient donnés mes expériences par la garance; voici les résultats que m'ont donnés mes expériences mécaniques. Pour suivre, à l’aide d’un moyen mécanique, l'accroissement des os en longueur, je me servis, en 1841 (1), de petits clous enfoncés dans l'os. L’os s'allongea; mais l'intervalle des clous ne changea point : tout l'allongement se fit par-delà les clous (2). (1) Voyez mon livre intitulé : Recherches sur le développement des os, p. 92. Paris, 1842. : (2) C'est-à-dire entre la diaphyse et l'épiphyse, et par l'ossification successive des lames du fibro-cartilage qui les sépare. Lant que ce fibro-cartilage subsiste , l'os s'allunge; dès qu'il est entièrement ossifié, tout l'al'ongement de l'os est fini. J'ajoute que l'accroissement en grosseur finit à peu près avec l'accroissement en longueur. Et, avec ces deux accroissements, finit aussi la rénovation rapide de la matière, ce grand et merveilleux ressort du développement des os. J'ai déjà dit tout cela il y a longtemps. Voyez mon livre intitulé : Recherches sur le développement des os. Paris, 1842. Vous y trouverez partout l'idee de la rénovation rapide (cet étonnant phénomène que j'ai le premier démontré) asso- ciée au fait du développement. Vous lisez, p. 27 : « Tout change dans l'os pendant qu'il s'accroît... » — P. 25 : « Le mécanisme du développement des os consiste dans une mutation continuelle de toutes les parties qui les composent. … » — P. 443 : « Si l'on soumet à l'action de la garance un animal qui touche au terme de son accroissement, ses os se colorent ; que l'on suspende alors le régime de 360 FLOURENS. — RÉSORPTION EL REPRODUCTION C'est du même moyen que je me servis pour suivre le déplace- ment, l’écartement, disons mieux, le changement des tétes des os ; leurs résorptions et leurs reproductions successives. La pièce n° 1 est le tibia droit d’un jeune Lapin (1). Trois clous ont été placés sur ce #ibia : l'un en bas, à 3 milli- mètres de l’épiphyse inférieure ; l’autre en haut, à 4 millimètres de l’épiphyse supérieure ; et le troisième au niveau de l’apophyse ou épine du tibia. L'expérience a duré vingt-deux jours. L’os, qui au commencement de l’expérience avait 6 centimètres de long , avait, à la fin de l'expérience, 6°,6; il s'était donc al- longé de 6 millimètres, et tout l'allongement s'était fait par-delà les clous, car l'intervalle des clous n'avait pas changé. Enfin, le clou qu’il importe surtout de considérer ici, le clou qui avait été placé au niveau de l’épine du tibia, s'en trouvait maintenant à 3 millimètres ; et, comme il n’avait pas bougé (c’est- à-dire changé par rapport aux autres), c'était donc l’épine du tibia qui s'était éloignée, c'était elle qui avait changé. Pour la pièce n° 2, l'expérience a duré quarante-six jours, et je ne parlerai plus que du clou qui m'importe ici, que du clou placé au niveau de l’épine du tibia. Il était au niveau de cette épine au commencement de l’expé- rience; il en était à 13 millimètres à la fin de l'expérience. L’épine s’en était donc éloignée de 13 millimètres. Sur la pièce n° 3, pour laquelle l'expérience a duré soixante- dix jours, l’épine s’est éloignée du clou de 17 millimètres. L’épine , c’est-à-dire la {éte du tibia, se déplace, s'éloigne donc, de plus en plus, à mesure que l’os s'allonge. A parler plus exac- tement, l’os change continuellement de téle pendant qu'il s’al- longe. En effet, ce n’est pas la même fée qui s'éloigne; ce sont la garance, et les os de l'animal resteront colorés. Il est un moment où les dents. cessent de croître ; si elles se trouvent colorées à ce moment, elles lu resteront toujours. » (1) Il avait cinq semaines au moment de l'opération, comme les deux autres auxquels appartiennent les pièces n° ? et 3. DÉS TÈTES DES 05. 361 des {etes diverses qui, successivement, sont formées pour être ré- sorbées, et résorbées pour être reproduites. La féle qui, sur la pièce n° 4, était au niveau du clou quand l’expérience a com- mencé, n'est plus; et la fée qui en est maintenant à 3 millimètres est une tête nouvelle. Il faut en dire autant des téles actuelles des pièces n° 2 et n° 3 : ce sont des fétes nouvelles: les {étes an- ciennes ont disparu. Il y a donc une succession, une mutation continuelle des tétes des os, pendant tout l'accroissement des os en longueur. Nous connaissons l'organe qui les produit : c’est le périoste (1). Mais quel est l’organe qui les résorbe? c’est encore le périoste (2). Le périoste, qui n’est que la membrane médullaire externe , comme la membrane médullaire n’est que le périoste interne (3), partage avec elle la faculté de résorber l’os, comme elle partage avec lui la faculté de produire l'os. J'ai placé de petites lames d’un os étranger, d’un os mort, sous le périoste d’un os vivant : au bout de quelque temps, ces petites lames d’os ont été résorbées (hi). La pièce n° 4 est le tibia d’un jeune Chien (5). Une petite lame d’os mort a été placée sous le périoste de la téle supérieure de ce tibia. L'expérience n’a duré que quinze jours ; la plaque d’os n’est point altérée. Pour le tibia n° 5, l'expérience a duré vingt-six jours; et la petite lame, la petite plaque d’os mort est déjà usée, rongée, résorbée sur ses bords, par le périoste (6). (1) Voyez toutes mes précédentes expériences. (2) Le périoste résorbe les parties extérieures des tétes, les apophyses : l'inté- rieur des tétes est résorbé par la membrane médullaire. (Voyez Comptes-rendus, séance du 25 août 4845, p. 451.) (3) Voyez encore loutes mes précédentes expériences. (4) On se souvient que, dans mes précédentes expériences, de petites lames d'os, introduites dans la membrane médullaire, ont été également résorbées. (Voy. Comptes-rendus , t. XIX, p. 624.) (5) Les Chiens dont je parle ici étaient âgés de deux mois au moment où l'ex- périence a commencé. (6) La petite plaque a été placée encore ici sous le périoste de la téte supérieure du fibia. ’ 362 FLOURENS. — RÉSORPIION ET REPRODUCTION L'expérience a duré trente et un jours pour le tibia n° 6, et la petite plaque d'os mortestici presque entièrement résorbée; il en reste à peine un vestige (1). Le périoste résorbe donc des portions d'os morts, étrangers, tout comme les résorbe la membrane médullaire (2). Il résorbe, de même, les portions mortes des os vivants. Quand on détruit, à la manière de Troja, la membrane médul- laire d’un os, cet os meurt. Puis, le périoste donne un os nouveau et une nouvelle membrane médullaire ; et cette membrane médul- laire nouvelle résorbe, ronge l'os ancien, l'os mort (3). J'ai fait, comme on peut s’en souvenir, une expérience qui est, de tout point, l'inverse de celle de Troja (4). Troja détruisait la membrane médullaire et respectait le pé- rioste. J’ai détruit le périoste, et j'ai respecté la membrane mé- dullaire. Et j'ai obtenu des résultats de tout point inverses de ceux de Troja. Dans l'expérience de Troja, l’os nouveau contenait l'os ancien, et était produit par le périoste. Dans la mienne, l'os nouveau est contenu dans l’ancien, et est produit par la membrane médul- laire, Enfin, dans l'expérience de Troja, c’est la membrane médul- laire (5) qui résorbe l'os ancien, l'os mort, et, dans la mienne, c'est le périoste. Les pièces 7, 8 et 9 sont des tibias de Canards adultes : sur ces libias, toute la région moyenne de l’os a été dépouillée de pé- rioste. (1) La petite plaque avait été placée ici sous le périoste de la téte inférieure du tibia. (2) Voyez Comptes-rendus, t. XIX, p. 624. (3) Voyez mes Recherches sur le développement des os, p. 36. Paris, 4842. (4) Voyez Comptes-rendus, t. XUL, p. 681 ; et mes Recherches sur le dévelop pement des os, p. #1. Paris, 18492. (5) Et ce qu'il faut bien remarquer, c'est que cette membrane médullaire nou- velle, qui résorbe l'os ancien, est donnée ici par le périoste même. Voyez Comptes- rendus, t, XIIT, p. 680; et mes Recherches sur le développement des os, p. 40. Paris, 1842. DES TÈTES DES OS, 365 L'expérience a duré vingt jours pour le premier, vingt-huit pour le second, et trente et un pour le troisième. Sur ces trois {ibias, on voit : 1° que l’intérieur de l'os ancien (le canal médullaire) est rempli (1) par l'os nouveau qu'a produit la membrane médullaire; % que l’os ancien est mort (2); 3° que le périoste, qui avait été détruit, s’est déjà reproduit; et 4° que ce périoste nouveau, très tuméfié, très gonflé, s'attache à l'os mort, et le résorbe, le ronge (3). Sur les tibias n°° 8 et 9, pour lesquels l'expérience a duré plus longtemps que pour le fibia n° 7, le périoste ne se borne pas à s'attacher à l'os mort pour le ronger, il l’a déjà résorbé, percé en plusieurs points; et, après l'avoir percé, il s'est implanté dans l'os nouveau (4). Les expériences que je viens de rapporter prouvent : 1° Que les tétes des os changent continuellement pendant l’ac- croissement des os en longueur ; 2 Que le périosle résorbe l’os tout comme la membrane me- dullaire ; Et 3 (ce que j'avais déja prouvé par mes précédentes expé- riences) que la membrane médullaire produit l'os tout comme le périoste. (1) Dans la région qui correspond au périoste détruit. (2) I n'y a quelquefois, après la destruction du périoste, que la seule lame extérieure de l'os qui meure, et non l'os tout entier. (3) J'ajoute que le périoste reproduit, le périoste nouveau corlient déja de l'os. J'ajoute aussi que l'os intérieur, l'os nouveau, l'ôs qui remplit le canal mé- dullaire de l'os ancien, est peu à peu résorbé par la membrane médullaire , et qu'il se forme ainsi un nouveau canal médullaire. (4) I y a plus : sur ces deux tibias, le périoste , après avoir percé l'os mort, a glissé et passé sous lui pour le détacher de l'os nouveau. L'os mort est ainsi résorbé par ses deux faces (interne et externe), et placé entre deux lames du périoste, 36! BLANCHARD. — MALACOBDELLE. MÉMOIRE SUR L'ORGANISATION D'UN ANIMAL APPARTENANT AU SOUS-EMBRANCHEMENT DES ANNELÉS (Le genre MaracouDeLLe (Malacobdella) De Blainville) ; Par M ÉMILE BLANCHARD. (Présenté à l'Académie des Sciences, le 5 mai 1845.) L'organisation si variée des animaux inférieurs, les limites si peu tranchées de chacune des grandes divisions que les natura- listes ont établies parmi ces êtres, l’imperfection de nos connais- sances à l'égard de beaucoup d’entre eux, les affinités si multiples qui s’observent particulièrement dans ces dernières classes du règne animal, sont autant de considérations qui donnent un in- térêt véritable à chaque observation dont le résultat agrandit quel- que peu le domaine de nos connaissances relativement à cette partie de la science. Un animal s’éloignant notablement, par son organisation, de tous les types mieux connus, et offrant à la fois des points de res- semblance avec plusieurs de ces types, méritait donc une atten- tion particulière. J'étudiais, sous le rapport anatomique, des Mollusques acé- phales du genre Myie. Ayant ouvert le manteau d’un de ces Mol- lusques, je fus d'abord surpris de trouver un animal logé sous cette enveloppe. Je l’examinai immédiatement, et tous les caractères que je pus saisir au premier abord me le firent considérer aussitôt comme un type dont l’organisation aurait échappé jusqu'à ce jour aux investigations des zoologistes. Je tenais les Mollusques , dans lesquels il habitait, de l’obli- geance de M. Valenciennes. Je lui communiquai mes observations : et, comme il avait encore entre les mains plusieurs individus du Myia truncata, il y rechercha l’animal que je venais d'y ren- BLANCHARD. — MATACOBDELLE, 365 contrer. Il en trouva bientôt quatre autres individus, qu'il voulut bien me communiquer. Je pus alors vérifier ce que déjà j'avais vu une première fois. Malheureusement, ces animaux étant morts, il ne m'a pas été possible de compléter mon travail, autant, sans doute, que j'aurais réussi à le faire sur des individus vivants. Malgré quelques lacunes qui resteront touchant l'anatomie de cet animal, ce que j'ai observé est assez considérable, je crois, pour que mes recherches ne soient pas entièrement inutiles, et soient même suffisantes pour assigner jusqu'à un certain point à ce genre la place qui lui convient, par rapport aux autres types. Get animal (PI. 18, fig. 4) n’est autre chose qu'un Ver aplati, mou, blanchâtre, ayant une largeur à peu près égale au quart de sa longueur , qui est d'environ 4 centimètres. Il est arrondi en avant, et, en arrière , il se termine par une large ventouse, comme chez les Sangsues. Au moment où j'apercus ce Ver , la présence de sa grande ven- touse me fit penser qu'il appartenait à la famille des Hirudinées, L'examen de ses organes intérieurs ne tarda pas à me montrer qu'il s’en éloignait considérablement, Lorsque je présentai à l’Académie des Sciences, le 5 mai der- nier, mes observations sur ce singulier Annelé, j'omis de le comparer à une espèce paraissant s'en rapprocher à beaucoup d’égards, et que Othon Müller a décrite et figurée sous le nom d’Hirudo grossa (4). C’est cette même espèce avec laquelle M. de Blainville a formé plus tard un genre particulier dans la famille des Sangsues, en lui appliquant la dénomination de Malacobdelle (2). Plusieurs personnes ont cru pouvoir considérer l'animal au- quel j'avais assigné le nom de X'enistum Falenciennæi (3) comme (4) Zoologia danica, seu Animalium Daniæ et Norvegieæ, etc, auct. Othone Müller, 1779, p. 40, tab. XXI. (2) Dictionnaire des Sciences naturelles, t. XLVIS, p. 27. Art. SanGsue. (3) Comptes-rendus hebdomadaires de l'Académie des Sciences, mai 1845, 1. XX, p. 432, et le Rapport sur ce Mémoire (juin 4845), par MM. Valenciennes et Milne Edwards, 366 BLANCHARD. —- MALACOBDELLE. identique avec l'{irudo grossa. Cependant un examen, même assez superficiel, eüt suffi, ce me semble, pour faire saisir les principales différences existant entre l’Annelé vivant parasite dans les Myies et celui trouvé dans une Vénus par Othon Müller, Je ne saurais donc rapporter mon espèce à celle observée par ce savant. Néanmoins, malgré l'absence de détails anatomiques sur l'Hi- rudo grossa, qui, seuls , pourraient peut-être lever tous les doutes, je crois maintenant qu'elles appartiennent l’une et l’autre au mème genre. Je n'hésite donc pas à abandonner le nom générique de Xenislum, que j'avais imposé à ce Ver, pour prendre celui de Malacobdelle, créé longtemps auparavant par M. de Blainville. Quand j'aurai décrit les divers organes de l’espèce que j'ai étudiée, je ferai ressortir plus facilement les caractères de l’espèce représentée par l’auteur de la Zoologie danoise, Au reste , le type que j'ai observé appartenant au genre Mala- cobdelle , mes recherches , il me semble , loin de perdre de leur intérêt, en acquièrent un bien réel de plus : car elles montrent que les affinités supposées des espèces de ce genre avec les Sang- sues sont bien loin d’être aussi grandes qu’on l'avait pensé. Je ne tiens nullement à inscrire un nom de plus dans nos cata- logues de genres et d'espèces. En faisant connaître mes observa- tions , j'ai eu le seul but d'indiquer des particularités d’organisa- tions nouvelles pour la science, et surtout une disposition dans le système nerveux , qui n'avait jamais été signalé chez aucun ani- mal annelé, $ I. — Derme. — Muscles. L'enveloppe extérieure et les muscles sont ce que j'ai le moins étudié dans cet animal , mon attention s'étant portée d’abord sur les autres parties de l'organisme, Le derme et l’épiderme , que je n'ai pas réussi à isoler , con- stituent une membrane assez mince, pellucide , sans aucune divi- sion, daus toute la longueur de l’animal. BLANCHARD. — MALACOBDELLE, 567 Cette membrane est presque transparente , et offre seulement une coloration un peu lactée. Vue au microscope avec un grossis- sement assez considérable , elle m'a présenté un tissu lâche, faci- lement extensible , et légèrement granuleux. Le système musculaire est peu développé chez cet animal, qui, entièrement dépourvu d’appendices , large par rapport à sa longueur, et très aplati, ne paraît pas conformé pour exécuter des mouvements très variés. Les faisceaux musculaires ne sont pas distincts ici, comme chez la plupart des Annélides, comme chez les Hirudinées en particulier. Les couches de muscles , très minces , sont appliquées exacte- ment contre la peau, et en quelque sorte font corps avec elle. Mais je n’essaierai pas de décrire la disposition et l’entre-croise- ment des muscles ; les faisceaux transversaux sont les seuls que j'aie distingués assez nettement sur quelques points. Cependant, un fait digne de remarque , c’est l'existence, dans les trois quarts de la longueur de l'animal, dans tout l’espace compris entre le canal intestinal et le bord latéral , de nombreuses cellules, dont les cloisons musculeuses occupent tout l'intervalle compris entre la partie dorsale et la partie ventrale de l'animal (1). Plus loin , nous verrons quel est l'usage de ces cellules, de ces loges si multipliées. S I. — Organes de la digestion. Le canal intestinal débute par un orifice buccal situé à l’extré- mité antérieure du corps, et réduit à une simple échancrure à peu près triangulaire et supérieure (2). Le tube alimentaire, dans le tiers environ de sa longueur, est droit, occupant dans cette partie plus de la moitié de la largeur totale du corps. Cette portion antérieure et très aplatie est garnie intérieurement, dans tout son contour, de très nombreuses petites papilles assez dures. Ces papilles sont disposées par rangées lon- gitudinales, qui, simples à leur origine , se ramifient en deux, (1) PL 48, fig. 7. (2) PL. 18, fig. 4 et fig. 2, e. 365 BLANCHARD. — MALACOBDELLE, trois ou quatre branches dans l'intérieur de celte portion anté- rieure du canal intestinal (4). Toutes ces papilles, vues au microscope, offrent des formes très variées ; les unes sont aiguës, tandis que d’autres sont arrondies ou anguleuses , d’une forme plus ou moins irrégulière ; elles sont toujours très minces el tranchantes comme de petites lames. La partie antérieure du canal intestinal venant à se contracter , elles doivent servir à triturer les substances que l'animal absorbe pour sa nourriture, Après cetle sorte d’æsophage élargi et très long, le tube di- gestif se rétrécit, devient arrondi, et s'étend jusqu’à l'extrémité postérieure du corps, en décrivant des sinuosités, en formant quatre ou cinq anses très prononcées ; de manière que, par le fait, il se trouve avoir une longueur bien supérieure à celle du corps. Dans cette portion, qui est la plus considérable, le tube alimentaire a un diamètre à peu près égal dans toute son étendue ; il diminue toutefois assez sensiblement vers l'extrémité (2). Ses parois sont très minces, lisses, paraissant seulement avoir une fine granulation à l'intérieur, quand on l’examine avec un fort grossissement. J'ai trouvé cette portion de l'appareil alimentaire remplie d'une pulpe d'un jaune d’ocre , quelquefois tirant un peu sur le verdâtre. L'examen attentif auquel je l'ai soumise ne m'a pas fait découvrir la nature de la substance dont se nourrit l'ani- mal. Il n’est pas inutile de remarquer que ce canal intestinal n'offre aucune trace de cœcums analogues à ceux qu'on observe dans diverses Annélides et dans les Planariées , ni rien qui ressemble à un appareil biliaire. Il aboutit à l'extrémité postérieure du corps, au-dessus de la ventouse terminale. L'orifice anal est large, arrondi, et bordé par un repli de la peau. (1) PL 48, fig. 8. (2) PI..48, fig. À et fig. 2, c. BLANCHARD. — MALACOBDELLE, 369 S III. — Système nerveux. Organes des sens. Le système nerveux (1) est l'appareil que j'ai étudié le plus complétement-dans ce singulier type; il méritait d'autant plus de fixer l'attention qu’il présente une disposition très particulière. La transparence assez grande des téguments permet d’en distin- guer, au travers de l'enveloppe extérieure , la presque totalité. J'ai mis à profit cette circonstance favorable, mais je ne m'en suis pas contenté. J’ai ensuite disséqué l’animal, de manière à mettre en évidence et à isoler complétement chaque ganglion, chaque filet rérveux. La faible résistance des muscles et de l'enveloppe extérieure rend cette opération très praticable. Le système nerveux consiste principalement en deux ganglions cérébroïdes très écartés, et en une double chaîne ganglionnaire. Les deux ganglions cérébroïdes, d’un volume assez considé- rable par rapport à la dimension de l’animal , sont placés vers la partie antérieure du corps, mais cependant encore assez éloignés de l’extrémité (2). On les voit de chaque côté du canal intestinal, qui est fort large dans cette portion, comme je lai dit précédem- ment; en sorte que chaque ganglion, l’un à droite, l’autre à gauche, est situé assez près du bord latéral. Ces deux centres nerveux de forme ovoide , ayant une coloration jaunâtre , sont unis par une commissure passant au- dessus du canal intestinal, circonstance importante à noter pour la comparaison que nous aurons à faire entre l’organisation de cet animal et celle de types qui s'en rapprochent à certains égards. Chacun des centres nerveux cérébroïdes émet en avant deux nerfs assez considérables : le premier se bifurque, et vient se ter- miner près l’orifice buccal ; le second offre plusieurs ramifications, qui toutes aboutissent à l'enveloppe extérieure, (1) PL 48, Gg. 4, fig. 2, a, et b, fig. 3, fig. 4, ete. (2) PL 48, fig. 4 ct fig. 3. 3* série. Zool. T. IV. (Décembre 1845.) 4 24 370 BLANCHARD. — MALACOBDELLE. Latéralement, les ganglions cérébroïdes fournissent encore cinq nerfs plus ou moins ramifiés , et en arrière une chaîne principale, s'étendant de chaque côté entre le tube alimentaire et le bord marginal jusqu'à l'extrémité de la ventouse. Ces deux chaînes latérales ne se réunissent sur aucun point pour former un collier, comme celui qu’on observe dans la plupart des Annelés ; elles offrent d'espace en espace des renflements ganglionnaires. Dans le tiers antérieur de leur longueur , elles sont plus rapprochées de la partie supérieure que de la partie inférieure du corps; et dans cette portion, elles présentent trois petits ganglions , d’où s’é- chappent des filets très déliés. Au-delà de ce point, cette chaîne latérale s’enfonce davantage , et se trouve appliquée contre la paroi inférieure du corps. C’est pourquoi, quand on considère l’animal en dessus, on distingue seulement par transparence la portion antérieure du système nerveux ; au contraire , si on le considère par sa face ventrale, on le distingue nettement jusqu’à l'extrémité postérieure. Depuis le point où la chaîne latérale du système nerveux de- vient inférieure, jusqu’à la base de la ventouse, on remarque en- core sur son trajet sept ou huit ganglions plus petits que les pre- miers. Dans la portion terminale du corps que nous appelons la ventouse , on distingue quatre ganglions de chaque côté, dont le dernier , plus gros que les précédents , fournit plusieurs filets ner- veux , l'un remontant sur le canal intestinal , les autres se distri- buant vers l'extrémité de la ventouse. Ainsi, dans cet animal , les parties principales du système ner- veux , loin d’être médianes , comme chez la plupart des ANNELÉS, sont ici latérales dans toute leur étendue. A l'égard des sens, j'ai bien peu de chose à dire. Les yeux manquent complétement ; je n'ai pu en découvrir la moindre trace. Mais le sens du tact doit être très parfait ; le grand déve- loppement du système nerveux et la délicatesse des téguments le - prouvent manifestement. BLANCHARD. — MALACOBDELLE. 371 S IV. — Appareil circulatoire. L'appareil circulatoire consiste en un vaisseau dorsal , qu’on distingue parfaitement dans toute sa longueur. Ce vaisseau, étant d'une couleur blanche opaque, se détache nettement sur le canal intestinal , et se voit très facilement sous la peau transparente de l’animal (1). Le vaisseau dorsal s'étend dans presque toute la longueur du corps : cependant, antérieurement, il se termine seulement un peu au-delà de la commissure qui unit les deux ganglions céré- broïdes. Il passe ainsi au-dessus de cette commissure ; d’abord droit dans le tiers environ de sa longueur, comme le canal intesti- nal , il en suit au-delà toutes les sinuosités, et son diamètre se rétrécit un peu vers son extrémité postérieure. Les parois externes de ce vaisseau sont si parfaitement déli- mitées , que je crois pouvoir aflirmer qu’il ne présente pas de ra- mifications latérales dans toute sa longueur. A son extrémité antérieure, j'ai pu distinguer une ouverture de chaque côté ; mais, sur ce point, je n’ai pas trouvé non plus de vaisseaux latéraux, malgré toute l’attention que j'y ai portée. Je n’oserais affirmer qu’il n’en existe pas ; car n'ayant pas observé cet appareil pendant la vie de l'animal, je n’ai pu voir le mouvement circulatoire. Néanmoins je ne serais pas surpris que ce vaisseau dorsal fût analogue à celui des Insectes, seulement ouvert aux deux extré- mités, et le sang s'échappant par les deux ouvertures antérieures, comme on l’observe dans les larves d’Insectes. $ V. — De la respiration. Je n’ai trouvé aucun appareil particulier pour cette fonction ; il me paraît à peu près certain que la peau seule sert à l'animal pour respirer. Nous avons déjà , dans les dernières classes du règne animal, tant d'exemples d'animaux où cette fonction s'effectue seulement de cette manière, qu'on n’est pas surpris de les voir se multiplier. (1) PL 48, fig. 4 et fig. 2, e. 372 BLANCHARD. — MALACOBDELLE, $ VI — De la génération. La manière dont s'effectue la reproduction est probablement ce qu'il y a de plus important à connaître d’une manière approfondie dans les divers types du règne animal. Quant à ce qui est du mode de reproduction chez le Ver qui m'occupe ici, il paraît être très singulier ; malheureusement, ce que n'a appris l'observation anatomique se réduit à trop peu de chose pour avoir un intérêt bien positif. Une grande partie du corps de l'animal, ai-je dit précédem- ment, est occupée par des loges cloisonnées. L'examen d'un premier individu, chez lequel la plupart de ces cellules étaient vides, me laissait toute incertitude sur leur usage; mais l'examen de deux autres individus me montra toutes ces loges remplies d'œufs, et d'œufs déjà assez avancés dans leur développement. Ces œufs sortent par la peau ; au moment où ils viennent de s'échapper ainsi, l'enveloppe extérieure semble per- forée de distance en distance ; sans doute que les parties se rap- prochent ensuite et se réunissent complétement, car ces ouver- tures ne paraissent pas persister, Comment ces œufs se foument-ils dans ces loges, et comment y sont-ils fécondés ? c’est ce que je ne saurais dire ; mais toujours est-il qu'on les y trouve en abondance. Sur deux individus de la même espèce, j'ai trouvé toutes les cellules remplies d'une ma- tière homogène blanche et granuleuse. Ces individus étant morts, je n'ai pu m'assurer si c'étaient des œufs qui ne seraient pas en- core formés, ou plutôt si cette matière ne serait pas la substance fécondante du mâle. Des observations suivies sur des individus vivants seront néces- saires pour décider cette question. $ VII. — Caractéristique du genre et de l'espèce. La forme et la structure des organes que je viens de décrire rendent insuflisantes les descriptions génériques et spécifiques qu'on en a données ; il est donc nécessaire d'en présenter une BLANCHARD. — MALACOBDELLE. 273 caractéristique plus complète , car on pourra certainement consi- dérer ce Ver comme le type d’une nouvelle famille. Ce sera la famille des Malacobdellides. Genus MALACOBDELLA. J'en résumerai ainsi les caractères : Corps aplati, oblong, ne présentant point d'anneaux , ni au- cune trace d’appendices, ayant une ouverture buccale et une ou- verture anale placées aux deux extrémités. L’exlrémité posté- rieure pourvue d’une large ventouse anale. Orifice buccal garni de nombreuses petites papilles disposées en séries longitudinales irrégulières. Canal intestinal, n'offrant ni cœcums ni ramifica- tions. Système nerveux consistant en deux chaînes latérales, ayant leur origine dans deux centres nerveux cérébroïdes écartés. Maraconnezza Vacexciexxæt Blanch. Cet animal est long d'environ 4 centimètres, et, dans sa partie moyenne. il est large de 8 à 10 millimètres. La couleur de ses téguments est d’un blanc jaunâtre, semi-transparent, qui permet de distinguer le canal intestinal, dont la couleur au-delà de l'œso- phage est d’un jaune d’ocre. Le vaisseau dorsal se détache en blanc sur ce fond coloré, et les ganglions cérébroïdes, par leur nuance jaunâtre , s'apercoivent encore au travers des téguments. L'orifice buccal consiste en une simple fente triangulaire. L'anus est une ouverture arrondie. La ventouse est Lrès large , mince et aplatie. $ VII. — Habitation. Le MALAcOBDELLA VALENGIENNE paraît habiter ordinairement entre la masse viscérale et le manteau du Myia truncata. Si l'on juge du nombre qu'on en a trouvé pour lavoir cherché seu- lement dans quelques uns de ces Mollusques, on devra penser que c’est un animal assez commun, au moins pendant une saison de l'année. Le Myia truncata n'étant pas fort rarc aux environs de Cherbourg, il ne sera pas toujours très difficile de s'en assurer. 374 BLANCHARD. — MALACOBRDELLE. Quels sont les aliments qui servent à la nourriture de ce Mala- cobdelle ? Que recherche-t-il dans les Mollusques où on le ren- contre? Vit-il à leurs dépens, ou bien n’y trouve-t-il, au con- traire, qu'un abri, comme ces petits Crustacés du genre Pinnothère qui habitent les Moules, les Jambonneaux , etc.? La présence de cette ventouse analogue à celle des Sangsues fait supposer qu'il a un genre de vie semblable à celui de certaines Hirudinées qui se tiennent sur des Poissons. &IX. — Comparaison du WMalacobdella Valencienwei Blanch. et de l'Airudo grossa Müller (Malacobdella grossa De Blainv.). Il importe maintenant d'indiquer les différences qui nous font considérer l’Hirudo grossa (4) et le Malacobdella F'alenciennæi comme deux espèces distinctes. M. de Blainville (2) avait établi le genre Malacobdelle d’après la figure et la description de Müller , et aussi d’après un individu trouvé dans une Myie , probablement analogue à ceux que nous y avons rencontrés nous-même, à en juger par la description donnée par ce savant zoologiste. Il s'exprime ainsi au sujet de l’Æirudo grossa : « Cette espèce » de Sangsue est transparente à la manière des Planaires ; elle se » trouve, à ce qu'il paraît, dans le manteau des Mollusques bivalves » marins ; du moins Müller l’a trouvée dans le F’enus eæoleta , et » j'en ai rencontré un individu dans la Myie tronquée : elle a 10 » où 42 lignes de long sur 5 ou 6 de large. Dans la figure que » Müller a donné de la sienne, le canal intestinal fait d'assez fortes » inflexions , et il se términe à un anus placé comme dans toutes » les Sangsues : mais dans l’animal que j'ai observé, il était beau- » coup moins flexueux. Du reste , il était également accompagné » à l'intérieur d’une grande quantité de grains oviformes , que » Müller paraît regarder comme de véritables œufs, dont il porte (1) Zoologia danica seu Animalium Daniæ et Norvegqiæ, etc., auct. Othone Fri- derico Müller , 4779, p. 40, tab. XXI. Cop., Encycl. méth., pl. 52, fig. 6-10. (2) Dictionnaire des Sciences naturelles, t. XLVII, p. 270. Art. Sancsur, 4827. | BLANCHARD, — MALACOBDELLE. 279 » le nombre à plus de mille, nageant dans une humeur gélati- » neuse. » Dans le même recueil , M. de Blainville ajoute ce qui suit tou- chant son genre Malacobdelle (1) : a Nous avons établi ce genre pour un animal rencontré une » seule fois sous le manteau d'une Myie tronquée , mais malheu- » reusement conservé depuis longtemps dans l'esprit de vin. Quoi- » que son corps ne soit pas annelé comme celui des Sangsues, il est » impossible de le placer ailleurs que dans cette famille. Dans la » figure donnée par Müller, la bifurcation de l'extrémité antérieure » est horizontale, au contraire de ce que nous avons vu, car cer- » tainement l'extrémité antérieure est plutôt bilobée qu'échancrée : » la bouche est au fond de cette échancrure. Le canal intestinal » est bien véritablement conformé comme il est indiqué dans la » figure de Müller, étant simple , subflexueux, et surtout plus » large en avant qu'en arrière , où il finit en pointe. En dessous, » on voit, de chaque côté d’un organe médian en forme de canal, » une masse de corps ovälaires extrêmement gros, et probable- » ment de jeunes sujets plutôt que des œufs : c’est évidemment » un passage vers les Planaires. » D’après ce qui précède, doit-on en conclure que le Malacob- della V'alenciennæi est identique avec l'Hirudo grossa de Müller (Malacobdella grossa de Blainv.)? Selon toute probabilité, l’indi- vidu trouvé par M. de Blainville sous le manteau d’une Myie tronquée appartient à l’espèce que j'y ai moi-même rencontrée : cependant je ne saurais rien affirmer à cet égard. Mais l'espèce trouvée par Othon Müller dans le ’enus exo- leta , et décrite par ce naturaliste, n’est-elle autre chose que celle de la Mvie tronquée ? Je suis persuadé du contraire. Aux différences déja signalées par M. de Blainville dans la forme de la bouche et dans les circonvolutions du canal intestinal, j'ajouterai que la forme générale de l'animal est loin d’être la même. La figure de Müller nous le représente étroit à sa partie antérieure , puis renflé en forme de bouteille d’une manière qui justifie le nom de grossa que lui applique ce zoologiste. (4) Dictionnaire des Sciences naturelles, t. LVIT, p 566. Art. Vers, 1828. 376 BLANCHARD. — MALACOBDELLE. J’ai, au contraire, décrit le Alalacobdella Falenciennæi comme ayant presque la même largeur, depuis l'extrémité antérieure jusqu’à l'extrémité postérieure , ses parties latérales étant presque parallèles. Les cinq individus que j'ai observés ne m’ayant pré- senté aucune différence appréciable dans la forme générale de leur corps , je suis autorisé à croire que cette forme est constante. Maintenant, le Malacobdella lalenciennæi étant considéré comme une espèce distincte de l’Æ7. grossa , doit-on néanmoins la ranger dans le genre Malacobdelle établi pour cette dernière ? Je le crois : cependant, dans l’état actuel, il peut rester quel- que incertitude; on sait combien, chez ces animaux, l'aspect exté- rieur peut souvent conduire à de faux rapprochements. L’espèce qui nous occupe en serait au besoin un exemple. Or, si nous avons reconnu des différences extérieures entre le Malacobdella grossa et le Malacobdella Falenciennæi, nous ne savons pas si ces différences ne coïncideront pas avec d’autres particularités plus importantes dans l’organisation. La question me paraît diflicile à résoudre complétement, Müller ayant étudié très superficiellement l'espèce qu’il a repré- sentée ; néanmoins il me semble très probable qu’elles appar- tiennent toutes les deux au même genre. Il ne serait même pas impossible que divers Mollusques acéphales aient une espèce par- ticulière de parasite appartenant toutes à un même genre ou à un même groupe. $ X. — Affinités zoologiques du genre Walacobdella. Si l’on considère la forme aplatie des Malacobdelles , l'absence de divisions annulaires, l'absence d’'appendices buccaux articulés, on les rapprochera des Planariées et des Némertes ; elles pren- dront place dans la classe des T'urbellaria de M. Ehrenberg. Si l’on considère la position de l’anus et la grande ventouse qui ter- mine le corps, on les rapprochera des Sangsues ; elles prendront place parmi les Annélides suceuses , ou les Hirudinées. Déjà l’on a regardé ces Annélides suceuses, et particulière ment celles à sang incolore , comme établissant un passage entre les Annélides chétopodes et les Planariées, et autres T'urbellaria. BLANCHARD, — MALACOBDELLE, ET] Les Malacobdelles seraient à leur tour un passage entre ces deux grandes divisions : cependant ce type diffère à beaucoup d’égards de ces Annélides et de ces Planariées, La disposition de son système nerveux n'a point d’analogue parmi les Hirudinées ; elle se rapproche davantage de celle des Némertes ; mais là il existe encore des différences très considé- rables. Parmi les Hirudinées, on place les genres Erpopdella ou Clepsine, dont l’organisation , comme celle du genre Piscicole , n’est pas suffisamment connue. La couleur blanche du sang, l'ab- sence de mâächoires chez ces Hirudinées, semblent leur donner une certaine analogie avec nos Malacobdelles. Mais, chez toutes les Annélides suceuses , le système nerveux consiste en une seule chaîne ganglionnaire médiane. On peut le voir en jetant un coup d'œil sur le système nerveux du Clepsine complanata, que nous avons représenté d’après nature, pour montrer combien les Hirudinées qui, en apparence, se rapprochent le plus des Malacobdelles, s’en éloignent sous le rapport de la disposition du système nerveux. Dans les Malacobdelles, l'appa- reil des sensations, on le sait maintenant, est rejeté sur les parties latérales du corps. Cette disposition singulière rappelle compléte- ment celle qui a été observée par M. Milne Edwards chez le Péri- pate (1), où les principaux cordons nerveux partant du cerveau ne se rapprochent pas pour former un collier analogue à celui de la plupart des animaux annelés. Ces cordons nerveux passent de chaque côté du canal intestinal, à la base des pattes, sans se réunir sur aucun point de la ligne médiane. Cependant, entre le Péripate et nos Malacobdelles , il existe encore une différence assez grande à l'égard du système nerveux. Dans le premier , les ganglions cérébroïdes sont rapprochés , et reposent directement sur l’œsophage; dans le second, au con- traire , ils sont placés de chaque côté de l'œsophage. Le système nerveux des Némertes a été représenté par M. de Quatrefages, et publié par M. Milne Edwards dans la nouvelle édition du Règne animal de Cuvier (2). Comparé à celui des Mala- (4) Annales des Sciences naturelles, 2° série, t XVII, p. 426 (1842). (2) Zoophytes, pl. 34. 378 BLANCHARD, — MALACOBDELLE, cobdelles, on trouve un certain rapport dans la disposition des nerfs, se distribuant à la partie antérieure de l'animal, et dans ceux qui descendent en arrière de chaque côté du canal intestinal. Mais dans la disposition du cerveau, il y a une différence très importante; ce n’est pas seulement le rapprochement des gan- glions, c’est la commissure qui passe sous le canal intestinal ; dans notre type, elle passe par-dessus. On à pu comparer encore le système nerveux des Malacob- delles à celui des Pentastomes ou Linguatules de la classe des Helminthes, étudié surtout par MM. Miram et Owen ; mais s’il y a une analogie en ce qu'il existe chez ces derniers un cordon ner- veux de chaque côté de l'intestin, il en diffère complétement sous tous les autres rapports. « Le système nerveux des Pentastomes, » dit M. Dujardin (1), se compose d’un grand ganglion sous- » œsophagien, envoyant des troncs nerveux en diverses directions » à tous les organes, et deux longues branches parallèles à l’in- » testin. Un anneau œsophagien sans ganglion supérieur a été » représenté par les divers anatomistes ; mais je n’ai bien vu que » la partie inférieure du système nerveux. » Or, chez les Mala- cobdelles précisément, il n'existe pas de ganglion au-dessous de l'æsophage ; enfin, l’analogie entre le système nerveux des Ma- lacobdelles et celui des Pentastomes est encore extrêmement éloignée. Le système nerveux des Malacobdelles diffère donc de tout ce qui avait été signalé à l’égard de cet appareil dans les divers types de l’embranchement des Animaux annelés. Le canal intestinal de ces Annelés n’offrant aucune trace de prolongements , il existe encore une différence considérable avec ce qu’on observe chez la plupart des Hirudinées , chez les Clep- sines entre autres. ; Pour ce qui est de l’appareil circulatoire, s’il est aussi simple que je le crois, les Malacobdelles s’éloigneraient encore beaucoup sous ce rapport des autres Annélides. Dans l’état actuel de la science, il est assez difficile d’assigner au genre Malacobdella sa véritable place. Il est peut-être suffisant (1) Histoire des Helminthes, Suites à Buffon, p. 302. BLANCHARD. — MATLACOBDELLE, 379 pour le moment de constater les grandes différences qui existent entre lui et les types dont il se rapproche le plus. Pour assigner à la division comprenant le genre Malacobdelle ou la famille des Malacobdellides sa véritable valeur par rapport aux autres groupes , il serait à désirer que de nouveaux faits vinssent s'ajouter à celui-ci, et par cela même jeter du jour sur les rapports existant entre les Annélides suceuses , les T'urbellaria et les Helminthes, dont les limites ne semblent pas pouvoir être fixées, quant à présent, non plus que celles des tribus et des fa- milles formant ces diverses classes, J’ajouterai, loutefois , que l’organisation de ce type fournit un argument de plus à l’appui de la classification des Animaux annelés proposée par M. Milne Edwards : car les Malacobdelles établis- sent un lien entre la plupart des classes que ce zoologiste a réunies dans un seul groupe, sous le nom de Flers, et qu'il a séparé ainsi du sous-embranchement des Articulés proprement dits. EXPLICATION DES FIGURES, PLANCHE 18. Fig. 1. Macaconneuza VaLenciennær Blanch., de grandeur naturelle. Fig. 2. Le même grossi pour montrer la disposition du système nerveux. a, ganglions cérébroïdes, — b, chaîne ganglionnaire. — c, canal intestinal. d, vaisseau dorsal, — e, orifice buccal. — f, ouverture anale. Fig. 3. Portion antérieure du corps, plus grossie, vue en dessus, montrant les deux ganglions cérébroïdes et les nerfs qui en partent. Fig. 4. Portion antérieure du corps vue en dessous, montrant les ganglions céré- broïdes , dont la commissure est masquée par le canal intestinal. Fig. 5. La ventouse, très grossie, vue en dessous, pour montrer ses ganglions et les nerfs qui se distribuent à ses muscles. Fig. 6. Le premier ganglion de la ventouse plus grossi pour montrer sa forme. Fig. 7. Cloisons ovifères. Fig. 8. Portion de l’orifice buccal, très grossie, montrant ses papilles. Fig. 9. Système nerveux du Clepsine complanata Lin., grossi. Fig. 410. Un de ses ganglions plus grossi pour montrer la disposition des fibres. 280 ROBIN. — SUR UNE ESPÈCE DE GLANDES NOTE SUR UNE ESPÈCE PARTICULIÈRE DE GLANDES DE LA PEAU DE L'HOMME , (Présentée à l'Institut, le 8 décembre 4845), Par M. CH. ROBIN. Deux espèces de glandes ont été indiquées comme existant dans la peau : 1° Les glandes sudorifères de la peau, situées sous le derme , formées d’un tube roulé en peloton ovoïde , qui traverse ensuite le derme et l’épiderme en décrivant des spirales, et s’ouvre à l'exté- rieur par un orifice très petit, apercevable, à l’œil nu, sur les lignes saillantes concentriques de l’épiderme de la pulpe des doigts. Ce conduit passe par le sommet des papilles. Ces glandes existent à toute la surface du corps. Elles ont été décrites pour la première fois par Purkinje et Wendt, en 1833, qui avaient vu le conduit excréteur; puis, en 1834, par Breschet et Roussel de Vauzème, qui ont découvert la glande proprement dite. Ces glandes ont été revues depuis par un grand nombre d'auteurs (Gurtl, Giraldès, etc.). 2 Les glandes des follicules pileux, situées deux à deux sur les côtés de chaque follicule dans l'épaisseur de la peau , et s’abou- chant avec le follicule par un court canal immédiatement au-des- sous de son orifice; elles sont formées de cellules pleines de matières , réunies en amas arrondis ou un peu lobuleux. Ce sont ces glandes qui ont été appelées glandes sébacées , follicules sébacés. On les rencontre dans toutes les parties du corps, à l'exception du creux des mains et de la plante des pieds. Elles ont été découvertes par Gurtl en 1835. Il existe aussi des glandes d'une troisième espèce qui n’ont pas encore été mentionnées ; elles se trouvent au creux de l’aisselle en très grand nombre, et au pli de l’aine, où elles sont moins nom- breuses. Elles sont situées dans le tissu adipeux qui tapisse la face profonde du derme ; elles sont constituées par un tube simple, terminé en cul-de-sac enroulé un grand nombre de fois sur lui- même , de manière à former un petit lobule ayant 4 millimètre de diamètre. De ce lobule part un petit conduit, qui n’est pas roulé en spirale comme celui des glandes sudorifères. Ge conduit excré- teur est ordinairement plus large que le tube enroulé qui lui fait suite, et constitue la glande proprement dite. Ces glandules sont DE LA PEAU DE L'HOMME. 381 quelquefois réunies par groupes de deux ou trois. Ces groupes sont faciles à voir à l'œil nu, quand on enlève le tissu adipeux adhérent à un lambeau de peau du creux de laisselle ; ils appa- raissent alors sous forme de granulations ayant une teinte rou- geätre ou rosée, tranchant sur la teinte grise du derme et jaune du tissu adipeux. Ces glomérules sont mous et pulpeux. Ces glandes, quoique ayant une structure analogue à celle des glandes sudorifères, s’en distinguent pourtant par les caractères suivants : 1° Jamais les glandes sudorifères ne sont réunies ainsi par groupe de deux ou trois, de teinte rougeätre, et visibles à l'œil nu ; 9 Les glandes sudorifères sont situées aussi profondément , mais cependant ne sont apercevables qu'au microscope; on peut voir alors que leur tube excréteur et le tube enroulé qui les forme a un diamètre trois ou quatre fois moins considérable que celui des glandes ci-dessus. La masse glandulaire est cinq à six fois moins grosse dans la glande sudorifère que dans les glandes dont je m'occupe. Le tube, dont l’enroulement constitue la glande, est plein d’une substance jaunâtre finement granuleuse. Ces glandes doivent être considérées comme analogues aux glandes sudorifères par leur structure, qui est aussi un tube en- roulé et terminé en cul-de-sac ; mais leur couleur jaunâtre par transparence et leur volume sont bien différents, et l’enroulement du tube est moins serré que dans les glandes de la sueur. En outre , leurs fonctions diffèrent en ce que la sueur de l’ais- selle est plus acide que dans les autres régions du corps, et a une odeur beaucoup plus prononcée, aciditée, portée au point, chez quelques personnes , que les tissus en contact avec cette partie en sont rapidement altérés, ce qui à été attribué à l’acide phos- phorique qui existerait dans la sueur. Chez certains individus, en outre, le liquide fourni par ces glandes est chargé d’une ma- tière colorante rougeätre où brune; elle a en même temps une odeur spéciale très prononcée qui est attribuée à la sueur de tout le corps, et qui cependant n’est répandue que par le produit des glandes de cette région. Ces deux espèces de glandes se trouvent simultanément sous la peau de l’aisselle ; elles sont mélangées les unes aux autres à peu près en nombre égal; et il est facile de les distinguer les unes des autres en examinant une couche mince de la peau, car, ainsi que nous l'avons dit, les unes sont isolées , les autres ordi- nairement réunies en groupes, et plus grosses, etc. TABLE DES MATIÈRES CONTENUES DANS CE VOLUME, ANATOMIE ET PHYSIOLOGIE. Nouvelles Expériences relatives à la soustraction du liquide cérébro-spinal, et aux phénomènes qui résultent de la section des parties molles de la nuque; par M. F. Loxcer. - CHARS M er Constitution du lait des Carnivores; par M. Doi 5 hacite Nouvelles Expériences sur la résorption de l'os ; par M. tn . Expériences sur le développement des os dans les Mammifères et les Oiseaux, faites au moyen de l'alimentation par la garance; par MM. Bnuré et Huçueny. . . Expériences sur la résor 1 ne et repr at successives AN. téles des os ; par M FLounexs . . . . 5. PTS Note sur le Phlébentérisme ; par M DE Cane FAGES Note sur une espèce particulière de glandes de la peau de l is par M. Cu. Roux. ANIMAUX VERTÉEBRÉS. Observations sur le système veineux de la Grenouille; lettre adressée à M. Milne Edwards par M. Ruscoxt AE Mémoire sur les Ganoïdes et sur la classification salieite [4 ANR) par M. J. Mürcen. . SP AUS OH Quelques Observations sur les Da 1/1 qui servent à la classification 4 Poissons Ganoïdes ; par M. C. Vocr. ; Observations sur le système nerveux et l'histologie #4 ht one ou Amphioæus ; par M. pe Quarneraces. . . ANIMAUX ANNELÉS. Mémoire sur l'organisalion des Pycnogonides ; par M. pe Quarneraces. . Mémoire sur quelques Planariées marines appartenant aux genres Tricelis, Polycelis, Prosthiostomum, Proceros, ie D Stylobus ; par M. DE QUATREFAGES. Mémoire sur l' breacraion a" un aa du genre Malacobdella : par À FM. E. BraxcHanD. . MOLLUSQUES. Observations sur la distribution topographique des Mollusques marins ; par M. Forges. . . . . 107 184 69 129 TABLE DES MATIÈRES. Note sur un fait relatif au mécanisme de la fécondation du Calmar commun ; par MM. Lesenrr et Cu. Ropix. ZOOPHYTTES. Mémoire sur le développement des Méduses et des Polypes hydraires ; par M. F. Dusarnix. Supplément aux recherches sur le alpes be animales (dires et des moisissures ; par M. J. Pixeac. PAL/ÆEONTOLOGIE. + Sur les fossiles du bassin d'Aix; par M. MarceL DE SERRES . MÉLANGES. Publications nouvelles. TABLE DES MATIÈRES PAR NOMS D'AUTEURS. BLaxcaarp.— Mémoire sur l'orga- nisation d'un animal du genre Malacobdella. Bruzé et Huçuexy. —Expériences sur le développement des os dans les Mammiferes et les Oiseaux, faites au moyen de l'alimenta- tion par la garance. 2 Dusarnix (Féhx). — Mémoire sur le développement des Méduses et des Polypes hydraires. Duwas. — Constitution du lait des Carnivores. à FLourens. — Nouvelles Expérien- ces sur la résorption de l'os. —Expériences sur la résorption et la reproduction successives des tétes des os. Fonues.— Observations sur la dis- tribution topographique des Mol- lusques marins. noie Huçuenx. — Voyez Bruzié. Lesenr et Ca. Rogix.—Voy. Rom. Loxcer. — Nouvelles Expériences relatives à la soustraction du li- quide cérébro-spinal, et aux phé- nomènes qui résultent de la sec- tion des parties molles de la nuque . Mancez DE SERRES E Sur les fos- . 364 283 . 407 siles du bassin d'Aix. Mürcer (J.). — Mémoire sur les Ganoïdes et sur la classification naturelle des Poissons. Pixeau —Supplément aux recher- ches sur le développement des animalcules Jnfusoires et des moisissures. Ce EE Quarneraces (DE). — Mémoire sur l'organisation des Pyenogonides. — Note sur le Phlébentérisme. — Mémoire sur quelques Plana- riées marines. — Observations sur le s4 système : ner- veux et l'histologie du Bran- chiostome où Amphioæus. Rozx (Ch.). — Note sur une es- pèce particulière de glandes de la peau de l'Homme. Romx et Leserr. — Note sur un fait relatif au mécanisme de la | fécondation du Calmar commun. | Ruscoxr. — Observations sur le système veineux de la Grenouille. ( Lettre adressée à M. Milne Edwards.) É Vocr (C.). — Quelques Observa- tions sur les caractères qui ser- vent à la classification des Pois- sons (ranoïdes. . 383 . 249 . 497 - 380 PLANCHES Page 94, à la dernière ligne du Mémoire, lisez respiratoire au lieu de circulatoire. RELATIVES AUX MÉMOIRES CONTENUS DANS CE VOLUME, 1 j se) j TABLE DES PLANCHES Organisation des Pycnogonides. | ) | Organisation des Planaires. l | ) Fig. 1-4. Particularités de l'organisation de l'Amra. Fig. 5 et 6. Spermatophores du Cazwan. Organisation du Branchiostome ou Amphioxus. Méduses dérivant de Polypes hydraires. Développement des os. m . Organisation du Malacobdella Valenciennæi. ERRATUM. FIN DU QUATRIÈME VOLUME, LES re Van ORGANISATION DES PYCNOGONIDES |Zool Tom. 4. PL 2 à Fe S #4 | 7 TI 0 TT 4 Ann. des Serre. nat. T° Jerte 20 * O LULU TER lle Q. del Orgarnwsalion des llanares Bourgeoësr 1 n der Seine. nat.JJerte . LZool. Tom. . PL .4 Lil Forget se 1. PLANAIRE BATTOIR. (Planaria palmula ) TE (———Gvigata ) IL TACHETEE. ( maculata. ) ' Juuenc.nat. J!Serte. Zool . Tom. £ PL. 5 ORGANISATION DES PLANAIRES. Zoologie Tom. 4 Pl. 6 a 3 dès essi LT CT PES eZ Li TE ht CT À SAT Ze =. De ph 7 "+ .72n078. é = & A » £ $ Lt -£ > = : Ÿ È à NS à = À à Ÿ S È È È Ÿ à SN N Rémand imp Pool Tom 4 11.7 un. des Seienc. nat, 3° Jérie. K U” Ke : RE tm CE MPEX S EUPET Er ER à Organisation des llanares d'ourgeccs re D Lémond np) #4 PL:8. Zool . Tom ». des Seine. nat . 3° Série. el 174 4 nt S È Ÿ S Ÿ N $ SA È F _ : de des Jenc. nat. I Jerte . Zool. Tom. $.1l.9 Lig.1-4.(aracteres anatomiques de l'Ania . lig. 5-6. Spermatophores du lalrar Mhémond mp Organisation du Branchiostome ou Imphioxus 2 De _H «ÿ Cr'gansalion du Pranchuiostome ou Inpluozrus der Séterur. rt Bot Tom ÿ PL. Cryansation du Pranchiostome ou Impluoa ls diusaliort Au Pranciluostome ou Impluoætus Puel s ll 40 j d | 4 £ J . / Crganseaton du Mr archos lome ou 2 ph LOTUS ol Tom . $ PL.1$. es dérivant des Polypes luydrares. Mo n.des Jéenc. rat. 3° Série. £ 3 Zool Tom. 4. Pl .15. Ann. des Seine. nat. 3° Sépie È È & Ÿ S © Ÿ Fac Ÿ k Î È Ÿ È S S be. Pool. .Lom. 4 .1Pl.16 Ann.der Seine. nat. T° Serie Developpement des Os VAémond imp Ann.des Jetenc.nat. IF Jerte. Zool Tom.3 Pl .17 Developpement des Os. Nhémond imp. “er 4 CA PARPLASET ere à } Organisation de la Malucobdt la Vi UCI