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SCIENCES NATURELLES
QUATRIÈME SÉRIE
ZOOLOGIE
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Paris, — Imprimerie de L, MARTINET, 2, rue Mignün.
Z-D ANNALES
DES
SCIENCES NATURELLES
COMPRENANT
LA ZOOLOGIE, LA BOTANIQUE
L'ANATOMIE ET LA PHYSIOLOGIE COMPARÉE DES DEUX RÈGNES
ET L'HISTOIRE DES CORPS ORGANISÉS FOSSILES
RÉDIGÉES POUR LA ZOOLOGIR
PAR M. MILNE EDWARDS
POUR LA BOTANIQUE
PAR MM. AD. BRONGNIART ET J. DECAISNE
QUATRIÈME SÉRIE
ZOOLOGIE PONS
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VICTOR MASSON ET FILS PLACE DE L'ÉCOLE-DE-MÉDECINE
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ANNALES
DES
SCIENCES NATURELLES
PARTIE ZOOLOGIQUE
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MÉMOIRE SUR
LES CORPUSCULES ORGANISÉS QUI EXISTENT DANS L’ATMOSPHÈRE,
EXAMEN DE LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES,
Par M. L. PASTEUR (!,.
CHAPITRE PREMIER.
Historique (2).
Dans l'antiquité et jusqu’à la fin du moyen âge tout le monde croyait à l’existence des générations spontanées. Aristote dit que tout corps sec qui devient humide et tout corps humide qui se sèche, engendrent des animaux.
Van Helmont décrit le moyen de faire naître des souris.
Beaucoup d'auteurs indiquaient encore au xvu‘ siècle la manière
(1) Les principaux résultats de ce mémoire ont été présentés à l'Académie des sciences, dans ses séances du 6 février, 7 mai, 3 septembre, 12 novem- bre 4860. J'ai fait connaître ceux du chapitre II à la Société chimique de Paris, dans sa séance du 9 décembre 1859.
(2) Le lecteur pourra remarquer que l'une de mes préoccupations dans ce chapitre historique a été de rendre à chaque expérimentateur la part de progrès
6 L. PASTEUR,
de faire produire des grenouilles au limon des marais, ou des anguilles à l’eau de nos rivières (1).
De pareilles erreurs ne pouvaient supporter longtemps l'esprit d'examen qui s'empara de PEurope au xvi° et au xvir siècle.
Redi, membre célèbre de l’Académie del Cimento, fit voir que les vers de la chair en putréfaction étaient des larves d'œufs de mouches. Ses preuves étaient aussi simples que décisives, car il montra qu'il suffisait d’entourer d'une gaze fine la chair en putréfaction pour empêcher d’une manière absolue la naissance de ces larves.
Le premier également, Redi reconnut dans les animaux qui vivent dans d’autres animaux, des mâles, des femelles, des œufs.
On surprit dans leur opération, disait plus tard Réaumur, ces mouches qui déposent leur œufs dans les fruits, et l’on sut, lors- qu’on voyait un ver dans une pomme, que ce n’était pas la cor- ruption qui l'avait engendré, mais au contraire que le ver est la cause de la corruption du fruit (2).
Mais bientôt, dans la seconde partie dü tir siècle et la première moitié du xvur‘, se multiplièrent à l’envi les observations micros- copiques. La doctrine des générations spontanées reparut alors. Les uns ne pouvant s'expliquer l’origihé de ces êtres si variés que le microscope faisait apercevoir dans les infusions des matières végétales ou animales, et ne voyant chez eux rien qui ressemblàt à une génération sexuelle, furent portés à admettre que la matière qui avait eu vie, conservait après Ia mort une vitalité propre, sous l'influence de laquelle ses parties disjointes sé réunissaient de
qui lui est due. Mais j'ai mis le même soin à ne pas confondre un progrès véri- table, soit avec les nombreuses dissertations auxquelles le sujet a donné lieu, soit avec ces expériences d’une exactitude équivoque qui embarrassent au lieu d'aplanir la marche de la science. Dans ces sortes de questions ressassées par tant d'esprits depuis des siècles, toutes les vues à priori, tous les arguments que peuvent fournir l'analogie ou les faits indirects, toutes les hypothèses, se sont fait jour. Ce qui importe, c'est de prouver rigoureusement, c'est d’instituer des expériences dégagées de toute confusion née des expériences mémes.
(1) Voir Leewenhoech. Epistola 75, 1692.
(2) Flourens, Histoire des travaux et des idées de Buffon, 1844, p. 78.
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES,. %
nouveau, dans certaines conditions favorables, avec des variétés de structure et d'organisation que ces conditions mêmes déter- minaient.
D'autres, au contraire, ajoutant par l’imagination aux résultats merveilleux que le microscope leur faisait découvrir, croyaient voir des aecouplements dans ces infusoires, des mâles, des fe- melles, des œufs, et se posaient en adversaires déclarés de la génération spontanée.
Il faut le reconnaitre, les preuves à l’appui de l’une ou de l’autre de ces opinions ne soutenaient guère l'examen.
La question en était là, lorsque parut à Londres, en 1745, un ouvrage de Needham, observateur habile et prêtre catholique d’une foi vive, circonstance qui, dans un tel Sujet, s’offrait comme un garant de la sincérité de ses convictions,
La doctrine des générations spontanées était appuyée, dans cet ouvrage, sur des faits d'un ordre tout nouveau, je veux parler des expériences sur les vaisseaux herméliquement clos, préalablement exposés à l’action de la température. C’est Needham, en effet, qui eut le premier l’idée de pareils essais.
Deux années ne s'étaient pas écoulées depuis la publication des recherches de Needham, que la Société royale de Londres l’ad- mettait au nombre de ses membres. Plus tard, il devint l'un des huit associés de l’Académie des sciences.
Mais ce fut surtout par l'appui qu’il reçut du système de Buffon sur la génération, que l'ouvrage de Needham eut un grand reten- tissement.
Les trois premiers volumes de Buffon de l’édition in-4°, publiée de son vivant, parurent en 1749. C’est dans le second volume de cette édition, quatre années après le livre de Needham, que Buffon expose son système des molécules organiques et qu'il défend l'hypothèse des générations spontanées. Il est présumable que les résultats de Needham eurent une grande influence sur les vues de Buffon, car c’est à l’époque même où l’illustre naturaliste rédigeait les premiers volumes de son ouvrage, que Needhanmn fit un voyage à Paris, durant lequel il fut le commensal de Buffon et pour ainsi dire son collaborateur.
8 L. PASTEUR.
Les idées de Needham et de Buffon eurent leurs partisans et leurs détracteurs. Elles se trouvaient en opposition avec un autre système fameux, celui de Bonnet, sur la préexistence des germes. La lutte était d'autant plus vive qu’elle pouvait paraître plus légi- time aux deux partis. Nous savons aujourd’hui que la vérité n’était ni d’un côté ni de l’autre. Et puis, c'était encore le temps: où l’on dissertait volontiers à perdre haleine, sur des systèmes, sur des vues spéculatives. Il y avait en quelque sorte deux hommes d’un esprit opposé dans Buffon, l’un qui aujourd'hui avouera sans détours qu'il cherche une hypothèse pour ériger un système, et qui, le lendemain, écrira la belle préface de sa traduction de la Statique chimique des végélaux de Hales, où la nécessité de l'expérience est placée à la hauteur qui convient. Ces deux côtés du génie de Buffon se retrouvent à des degrés divers dans tous les savants de son époque.
Mais les conclusions de Needham ne tardèrent pas à être sou- mises à une vérification expérimentale. 11 y avait alors en Italie l'un des plushabiles physiologistes dont la science puisse s’honorer, le plus ingénieux, le plus difficile à satisfaire, l'abbé Spallan- zani.
Needhom, ainsi que je le rappelais tout à l'heure, avait appuyé la doctrine des générations spontanées sur des expériences directes fort bien imaginées. L'expérience seule pouvait condamner ou absoudre ses opinions. C’est ce que Spallanzani comprit très bien. « Dans plusieurs villes d'Italie, dit-il, on a vu des partis formés » contre l’opinion de M. de Needham ; mais je ne crois pas que » personne ait jamais songé à l’examiner par la voie de l’expé- » rience. »
Spallanzani publia à Modène, en 1765, une dissertation dans laquelle il réfutait les systèmes de Needham et de Buffon. Cet ouvrage fut traduit en français, probablement à la demande de Needham, car l'édition qui en fut donnée en 1769 est accompa- gnée de notés rédigées par lui, où il répond à toutes les objections de Spallanzani.
Ce dernier, frappé sans doute de la justesse des critiques de Needhain, se remit à l'œuvre de nouveau, et fit bientôt paraître
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. Ÿ
ce bel ensemble de travaux dont il nous a transmis les détails dans ses Opuscules physiques (1).
Il serait sans utilité de présenter un historique complet de la querelle des deux savants naturalistes. Mais il importe de bien préciser la difficulté expérimentale à laquelle ils appliquèrent plus particulièrement leurs efforts, et de rechercher si ce long débat avait éloigné tous les doutes. C’est ce que l’on croit généralement. Spallanzani est volontiers regardé comme l'adversaire victorieux de Needham. Si ce jugement était fondé, n’y aurait-il pas lieu de s'étonner qu'il y eût encore de nos jours de si nombreux par- tisans de la doctrine des générations spontanées ? Dans les sciences, l'erreur n'est-elle pas plus prompte à s’effacer, même dans des questions de cet ordre, lorsqu'elle a été bien réellement démasquée par l'expérience? N'’est-il pas à craindre, si on la voit renaître de bonne foi, que sa défaite n’ait été qu’apparente ? Un examen impartial des observations contradictoires de Spallanzani et de Needham sur le point le plus délicat du sujet, va nous montrer en effet, contrairement à l'opinion généralement admise, que Needham ne pouvait en toute justice abandonner sa doctrine en présence des travaux de Spallanzani.
J'ai dit que Needham était l’auteur des expériences relatives à ce que l’on observe dans les vases clos, exposés préalablement à l’action du feu.
» M. de Needham, dit Spallanzani, nous assure que les expé- » riences ainsi disposées ont toujours réussi fort heureusement » entre ses mains, c’est-à-dire que les infusions ont montré des » infusoires et que c’est là ce qui a mis le sceau à son système.
» Si, après avoir purgé, ajoute Spallanzani, par le moyen du » feu, et les substances que l’on met dans les vases et l’air contenu » dans ces mêmes vases, on porte encore la précaution jusqu'à » leur ôter toute communication avec l'air ambiant, et que, malgré » cela, à l'ouverture des folles, on y trouve encore des animaux » vivants, cela deviendra une forte preuve contre le système des
(1) Spallanzani, Opuscules de physique animale et végétale, traduits de l'italien par Jean Sennebier, 1777.
40 L, PASTEUR,
» Ovaires ; j'ignore méme ce que ses partisans pourront y répondre.»
Je souligne ces derniers mots, afin de montrer que Spallan-
zani plaçait dans le résultat des expériences ainsi conduites le cri- térium de la vérité on de l'erreur. Or, nous allons voir par la citation suivante, extraite des notes de Needham,, que tel était également l'avis de ce dernier. Voici en effet un passage des remarques de Needham, sur le chapitre X de la première disser- tation de Spallanzani.
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« I ne me reste plus, dit Needham, qu’à parler de la dernière expérience de Spallanzani, qu'il regarde lui-même comme la seule de toute sa dissertation qui paraît avoir quelque force contre mes principes.
» IL a scellé hermétiquement dix-neuf vases remplis de diffé- rentes substances végétales, et il les a fait bouillir, ainsi fermés, pendant l’espace d’une heure. Mais de la façon qu'il a traité et mis à la torture ses dix-neuf infusions végétales, il est visible que non-seulement il a beaucoup affaibli, ou peut-être totale- ment anéanti la force végétative des substances infusées, mais aussi qu'il a entièrement corrompu, par les exhalaisons et par l’ardeur du feu, la petite portion d'air qui restait dans la partie vide de ses fiolles. Il n’est pas étonnant par conséquent que ses infusions ainsi traitées n’aient donné aueun signe de vie. Il en devait être ainsi.
» Voici donc ma dernière proposition et le résultat de tout mon travail en peu de mots : Qu'il se serve en renouvelant ses expé- riences de substances suffisamment cuites pour détruire tous les prétendus germes qu'on croit attachés ou aux substances mêmes
* Où aux parois intérieures, où flottant dans l'air du vase ; qu'il
scelle ses vases hermétiquement, en y laissant une cer- taine portion d’air sans le bouleverser; qu’il les plonge ensuite dans l’eau bouillante pendant quelques minutes, le temps seule- ment qu'il faut pour durcir un œuf de poule et pour faire périr les germes; en un mot qu’il prenne toutes les précautions qu'il voudra, pourvu qu'il ne cherche qu'à détruire les prétendus germes étrangers qui viennent du dehors, et je réponds qu'il trouvera toujours de ces êtres vitaux microscopiques en nombre
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES, A1
» suffisant pour prouver mes principes. S'il ne trouve à l’ouver- » ture de ses vases après les avoir laissé reposer le temps néces- » saire à la génération de ces corps, rien de vital ni aueun signe » de vie, en se conformant à ces conditions, j'abandonne mon » système et je renonce à mes idées. C’est je erois tout ee qu'un » adversaire judicieux peut exiger de mor. »
Voilà certes la discussion bien nettement limitée entre Needham et Spallanzani. C’est dans le chapitre IE du tome 1°” de ses Opuscules que Spallanzani aborde la difficulté décisive. Et quelle est sa conclusion? Pour supprimer toute production d’infusoires, il est nécessaire de maintenir trois quarts d'heure les infusions à la chaleur de l’eau bouillante (4). Or, cette durée obligée d’une température de cent degrés pendant trois quarts d'heure, ne justifiait-elle pas les craintes de Needham sur une altération pos- sible de l'air des vases? Il aurait fallu tout au moins que Spallan- zani joignit à ses expériences une analyse de cet air. Mais la science n’était pas encore assez avancée; l’eudiométrie n’était pas encore créée. La composition de l'air atmosphérique était à peme connue (2).
Les résultats des expériences de Spallanzani sur le point le plus délieat de la question, conservaient donc aux objections de Nee- dhäin toute leur valeur. Bien plus, celles-ci se trouvèrent légitimées, au moins ef apparence, par les progrès ultérieurs de la science,
(1) « Je réussis, dit Spallanzani, à me procurer ensuite des vases qui résis- » tèrent mieux à l’action du feu, et je parvins à leur faire éprouver une ébulli- » tion plus longue, en n'y mettant qu'une petite dose des infusions dont j'ai » parlé; sans cette précaution, j'étais encore sûr de voir sauter tous mes vases. » Mais, pour ne pas perdre un temps précieux dans de trop petits détails, je » rapporterai seulement le résultat de mes observations. L'ébullition d'une demi- » heure ne fut pas un obstacle à la naissance des animalcules du dernier ordre » qui peuplèrent toujours plus ou moins tous les vases exposés à son action » pendant tout ce temps-là; mais l'ébullition pendant trois quarts d'heure ou » même pendant un temps un peu moindre, eut [a force de priver entièrement » d'animalcules les six infusions, » (Spallanzani, Opuscules, t. I, p. 39.)
(2) La première dissertation de Spallanzani est de 1763. Ses Opuscules paru- rent pour la première fois en 4776. La découverte de la composition de l'air par Lavoisier est de 1774.
412 L, PASTEUR,
Appert appliqua à l'économie domestique les résultats des expériences de Spallanzani effectuées selon la méthode de Needham Par exemple, l'une des expériences du savant llalien consiste à introduire des petits pois avec de l’eau dans un vase de verre que l’on ferme ensuite hermétiquement, après quoi on le maintient dans l’eau bouillante pendant trois quarts d'heure. C’est bien le procédé d’Appert; or, Gay-Lussac, voulant se rendre comple de ce procédé, le soumit à divers essais dont il consigna les résultats dans l’un de ses mémoires le plus fréquemment cités.
Les extraits suivants du travail de Gay-Lussae ne laissent aucun doute sur l’une des opinions de l’illustre physicien, opinion qui à passé dans la science entière et incontestée.
« On peut se convainere, dit Gay-Lussac, en analysant l'air des » bouteilles dans lesquelles les substances (bœuf, mouton, poisson, » champignons, moût de raisin) ont été bien conservées, qu'il » ne contient plus d'oxygène, et que l'absence de ce gaz est par » conséquent une condition nécessaire pour la conservation des » substances animales et végétales (1).
(1) Gay-Lussac ajoute plus loin : « Lorsqu'on laisse l'urine en contact avec » une petite quantité d'air, elle en absorbe l'oxygène assez promptement et sa » décomposition s'arrête ensuite; mais si on lui en donne une quantité suffisante, » il se forme beaucoup de carbonate d'ammoniaque, et il se dépose presque tou- » jours avec le phosphate de chaux, du phosphate ammoniaco-magnésien. »
C'est encore dans ce mémoire de Gay-Lussac que l'on trouve l'expérience suivante si souvent rappelée.
« J'ai pris du lait de vache et je l'ai exposé tous ies jours ensuite à la tempé- » rature de l’ébullition de l’eau saturée de sel. Deux mois après, il était parfai- » tement conservé. » |
Ce travail de Gay-Lussac a exercé sur les esprits, dans la question qui nous occupe, une influence considérable.
Gay-Lussac trouve que r’air des conserves d’Appert est privé d'oxygène. Cela peut être après une longue durée de conservation des matières, ou lorsque la quantité des substances organiques est très grande par rapport au volume de l'air. Mes propres expériences serviront même à expliquer ce résultat. Mais certainement il n’est pas général, et dans tous les cas, l'interprétation que Gay-Lussac donna à ce fait est erronée. L'absence d'oxygène, dit-il, est une con- dition nécessaire pour la conservation des substances animales et végétales. Cette opinion, qui eut une influence particulière sur les théories de la fermentation et
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 15
Les craintes de Needham sur une altération de l'air des vases dans les expériences de Spallanzanïi, se trouvaient justifiées par ce fait de l'absence de l'oxygène dans les conserves d’Appert.
Mais une expérience du docteur Schwann vint apporter dans la question un progrès très notable. Dans le mois de février 1837, M. Schwann publia les faits suivants : Une infusion de chair mus- culaire est mise dans un ballon de verre ; on ferme ensuite le bal- lon à la lampe, puis on l’expose tout entier à la température de l'eau bouillante, et, après son refroidissement, on l’abandonne à lui-même. Le liquide ne se putréfie pas. Jusque-là rien de bien nouveau. C’est l’une des expériences de Spallanzani, ou mieux une conserve d’Appert. Mais il était désirable, ajoute M. Schwann, de modifier l’essai de telle manière qu’un rencuvellement devint pos- sible, avec cette condition toutefois que le nouvel air fût préala- blement chauffé comme l’est celui du ballon à l’origine. Alors M. Schwann répète l'expérience précédente en adaptant au col du ballon un bouchon percé de deux trous traversés par des tubes de verre coudés et recourbés, de manière que leurs courbures soient plongées dans des bains d’alliage fusible entretenus à une température voisine de celle de l’ébullition du mercure. À l’aide d’un aspirateur, on renouvelle l'air qui arrive froid dans le ballon, mais après avoir été échauffé en passant dans la portion des tubes entourés d’alliage fusible. On commence l'expérience en faisant bouillir le liquide. Le résultat est le même que dans les expé- riences de Spallanzani et d’Appert. Il n’y a pas d’altération du liquide organique.
L'air chauffé, puis refroidi, laisse donc intact du jus de viande qui a été porté à l’ébullition. C’était là un grand progrès, parce que cela donnait gain de cause à Spallanzani contre Needham. Cela répondait à toutes les craintes de ce dernier sur l’altération possible de l’air dans les expériences de Spallanzani ; cela détrui- sait enfin l’assertion de Gay-Lussac sur le rôle de l'oxygène
des générations spontanées, n’était pas une conséquence obligée comme le pen- sait Gay-Lussac, de ses observations sur la composition de l'air des conserves d'Appert.
14 L. PASTEUR, dans les procédés de conserves d’Appert et dans la fermentation alcoolique.
Cependant sur ee dernier point il y avait des doutes à garder ; enteffet, dans ce même travail du docteur Sehwann, outre l’expé- rience sur le bouillon de viande, laquelle touchait à la cause de la putréfaction, ily en a une autre relalive à la fermentation alcoolique, et qu'il faut rappeler. L'auteur remplit quatre:flacons d’une solution de sucre de cannes mêlée à de la levûre de bière ; puis, après les avoir bien ‘bouchés, il les place dans l’eau bouil- lante, et les renverse ensuite sur la cuve à mercure. Après leur refroidissement, il y fait arriver de l'air, de l’air ordinaire dans deux d’entre eux, de l’air calciné dans les deux autres. Au bout d’un mois, il y eut fermentation dans les flacons qui avaient reçu l'air ordinaire ; elle ne s’était pas encore manilestée dans les deux autres après deux mois d'attente. Mais en répétant ces -expé- riences, je trouvai, dit-il, qu’elles ne réussissent pas toujours-aussi bien, et que quelquefois la fermentation ne se déclare dans aucun des flacons , par exemple lorsqu'on les a maintenus trop long- temps dans l’eau bouillante, et quelquelois d'autre part le liquide fermente dans les flacons qui ont reçu de l'air calciné.
En résumé, l'expérience du docteur Sehwann relative à Ja pu- ‘tréfaction du bouillon:est très nette. Mais en ce qui concerne la fermentation alcoolique, la.seule fermentation qui fût assez bien -connue en 1837 à l’époque du travail.de M. Sehwann, les expé- ‘riences du savant physiologiste étaient contradictoires, et cepen- dant on venait d'apprendre, par les observations de M. Cagnard- ‘Latour et par celles de M. Schwann lui-même, que la fermentation vineuse était déterminée par un ferment organisé.
Combien plus ces cbscurités de la question, en ce qui touche la fermentation alcoolique , ne furent-elles pas accrues, lorsque, postérieurement , les chimistes étudièrent un.grand nombre de fermentations où l’on n'avait pu ‘découvrir aucun ferment :or- vanisé, et dont la cause était universellement attribuée à des actions de contact, à des phénomènes d'entrainement ou de mouvement communiqué. produits par des matières azotées mortes envoie d'altération.
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 15
Quoi qu'il'en soit, voici quelle fut la conclusion que le doc- teur Schwann déduisit des expériences que je viens de rap- porter : « Pour la fermentation alcoolique, dit-il, comme pour » la putréfaction, ce n'est pas l'oxygène, du moins l'oxygène » seul de l'air atmosphérique qui les ‘occasionne, mais ‘un prin- » cipe renfermé dans l'air ordinaire, et que la chaleur peut dé- » truire. »
La réserve de cëtie conclusion mérite d’être remarquée. On voit bien, par certains passages de son travail, que le docteur Schwann penchait à croire que, par la chaleur, il détruisait des germes; mais sa conclusion définitive ne pouvait aller et ne va pas jusque-là. Souvent, en rapportant ses expériences, les adver- saires dela doctrine des générations spontanées ont affirmé que emploi de la chaleur n'avait d'autre but que de tuer des germes ; mais ce n’était [à qu’une'hypothèse. Ainsi que le dit très ‘bien le docteur Schwann, ces expériences prouvent seulement que ce n’est pas l’oxygène, ou du moins l'oxygène seul, qui est la cause de la :putréfaction et de la fermentation vineuse, mais quelque chose d’ineonnu que la:chaleur-détruit. Et:encore pour la fermen- tâtion vineuse, il était mal établi qu’il fûtindispensable de-recou- rir à une autre cause que celle qu'avait indiquée Gay-Lussac , savoir l’oxygène seul de l’air (4).
Les expériences du docteur Schwann ont été répétées et modi- iées.par divers observateurs. MM. Ure et Helmhol{z (2) ont con- “irmé :ces ‘résultats par des expériences analogues aux siennes. M. Schultze, au lieu de calciner' l'air avant de le mettre au contact des conserves d’Appert, le fit passer à travers des réactifs éhi- .miques : potasse et acide sulfurique concentrés. MM. Schrœder et Dusch imaginèrent de filtrer l'air à travers du coton, au lieu de le “modifier par une température ‘élevée à la manière du docteur
*(t) Voir la note de mon mémoire sur la fermentation alcoolique relative aux expériences de Gay-Lussac et de M. Schwann. (Annales de chimie et de physique, 3° série, L..LVTHIL, p.369.)
(2) Journal allemand de chimie pratique, 1. XIX, p. 186, et Llome XXXI, page 429.
16 L. PASTEUR, Schwaun, où par les réactifs chimiques énergiques, selon le pro- cédé de M. Schultze (1).
Le premier mémoire de MM. Schrœder et Duscha paru en 1854, le second en 1859. Ce sont d’excellents travaux qui ont, en outre, le mérite historique de montrer l’état de la question qui nous occupe à la date de 1859. |
On savait depuis longtemps, et dès les premières discussions sur la génération spontanée, qu’une gaze fine, déjà employée avec lant de succès par Redi dans ses recherches sur l’origine des larves de la viande en putréfaction, suflisait pour empêé-
cher, ou tout au moins pour modifier singulièrement J'altération ra
(1) Voici l'extrait publié dans les Annales des sciences naturelles sur les expé- riences de M. Schultze : « L'auteur remplit à moitié un flacon de cristal avec » de l'eau distillée contenant diverses substances animales et végétales, puis » bouche le vase à l’aide d’un bouchon traversé par deux tubes coudés, et sou- » met l'appareil ainsi disposé à la température de l’eau bouillante. Enfin, pen- » dant que la vapeur s'échappait encore à travers les tubes dont nous venons » de parler, il adapta à chacun d'eux un de ces petits appareils de Liebig, em- » ployés par les chimistes dans les analyses élémentaires des substances orga- niques, il remplit l’un d'acide sulfurique concentré, l'autre d’une solution con- centrée de potasse. La température élevée avait dû nécessairement détruire tout ce qui était vivant, et tous les germes qui pouvaient se trouver dans l'intérieur du vase ou de ses ajustages, et la communication du dehors en dedans était interceplée par l'acide sulfurique d'un côté, la potasse de l’autre; néanmoins, en aspirant par l'extrémité de l'appareil où se trouvait la solution de potasse, il était facile de renouveler l'air ainsi enfermé, et les nouvelles quantités de ce fluide qui s'introduisaient ne pouvaient porter avec elles aucun germe vivant, car elles étaient forcées de passer dans un bain d'acide sulfu- rique concentré. M. Schultze plaça l'appareil ainsi disposé sur une fenêtre bien éclairée, à côté d’un vase ouvert dans lequel il avait mis en infusion les mêmes substances organiques, puis il eut soin de renouveler l'air de son appareil plusieurs fois par jour pendant plus de deux mois, et d'examiner au microscope ce qui se passait dans l'infusion. Le vase ouvert se trouva bientôt rempli de vibrions et de monades auxquels s’ajoutèrent bientôt des infusoires polygastriques d'un plus grand volume, et même des rotateurs ; mais l'obser- vation la plus attentive ne put faire découvrir la moindre trace d'infusoires, de conferves ou de moisissures dans l'infusion de l'appareil. » (Edinburgh New Philosophical Journal, octobre 1837; Annales des sciences naturelles, t. VIII, 2° série. Paris, 1837.)
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SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES, 17
des infusions. Ce fait même était au nombre de ceux qu’in- voquaient alors de préférence les adversaires de la doctrine de la spontéparité (1).
Guidés, sans doute, par ces faits, et surtout, comme ils le disent expressément , par les expériences ingénieuses de M. Lœvel qui reconnut que l’air ordinaire était impropre à provoquer la cristal- lisation du sulfate de soude lorsqu'il avait été filtré sur du coton, MM. Schræder et Dusch ont procédé de la manière suivante :
Un ballon de verre reçoit la matière organique. Le bouchon du ballon est traversé par deux tubes recourbés à angle droit : l’un de ces tubes communique avec un aspirateur à eau ; l’autre à un large tube de 1 pouce de diamètre et de 20 pouces de longueur rempli de coton. Lorsque toutes les communications étaient bien établies, le robinet de l’aspirateur fermé , et la matière organique placée dans le ballon, on chauffait celle-ci jusqu’à cuisson, en maintenant l’ébullition un temps suffisant, pour que tous les tubes de communication fussent échauffés fortement par la vapeur d’eau; alors on ouvrait le robinet de l'aspirateur que l’on entretenait jour et nuit.
Voici les résultats des premiers essais conduits de cette ma- nière :
MM. Schrœder et Dusch ont opéré :
(1) Extrait d'un passage de l'ouvrage de Baker, membre de la Société royale de Londres, ouvrage intitulé : Le microscope à la portée de tout le monde, tra- duit de l'anglais sur l'édition de 4743. Paris, 4754.
« J'ai trouvé constamment que si l'infusion (de poivre, de foin) est couverte » d'une mousseline ou d'une autre toile fine, il ne s’y produit que très peu d'ani- » maux, mais que si l'on ôte cette couverture, elle est dans peu de jours pleine » de vie... Comme les œufs de ces petites créatures sont moins pesants que » l'air, il peut se faire qu'il en flotte continuellement des millions dans l'air, et »que, étant portés indifféremment de tousles côtés, il en périsse un grand nom -
- “bre dans les endroits qui ne conviennent pas à leur nature. Il y a des gens » qui s'imaginent que les œufs de ces petits animaux sont logés dans le poivre, » dans le foin, ou dans toutes les autres matières que l'on met dans l'eau; mais » Si cela était, je ne saurais comprendre comment une petite couverture d’une » Loïle fine, qui n'empêche pas l'air de pénétrer, pourrait empêcher ces œufs » d'éclore : on doit conclure que c'est là une illusion, »
&° série, ZooL. T. XVI. (Cahier n° 1.) 2 2
15 L. PASTEUR.
4° Sur la viande avec addition d’eau,
2% Sur le mout de bière ,
à Surlelait,
&° Sur la viande sans addition d’eau.
Dans les deux premiers cas, l'air filtré à iravers le coton a laissé les liqueurs intactes, même après plusieurs semaines. Mais le lait s’est caillé et pourri aussi promptement que dans l'air ordi- naire, et la viande sans eau est entrée promplement en putréfaction.
«Il sembledoncrésulter de ées expériences, disent MM. Schræder » et Dusch, qu'il y a des décomposilions spontanées de substances » organiques , qui n’ont besoin pour commencer que de la pré- » sence du gaz oxygène ; parexemple : la putréfaction de la viande » sans eau, la putréfaction de la caséine du lait et la‘transforma- » tion du suere de lait en acide lactique (fermentation lactique). » Mais à côté il y aurait d’autres phénomènes de putréfaction et de » fermentation placés, à tort, dans la même catégorie que les pré- » cédents, tels que la putréfaction du jus de viande et la fermen- » tation alcoolique qui exigeraient pour commencer, outre l’oxy- » gène, ces choses inconnues mêlées à l’air atmosphérique, qui » sont détruites par la chaleur d’après les expériences de Schwann, » et d’après les nôtres par la filtration de cet air à travers le coton. » …. Comme il resle ici encore tant de questions à décider par » la voie de l’expérience, nous nous abstiendrons de déduire au- » cune conclusion théorique de nos expériences. »
M. Schræder revint seul sur ce sujet, en 1859, dans un mé- moire qui traile, en outre, de la cause dela cristallisation. Ce nou- veau travail ne conduisit pas davantage son auteur à des conclu- sions dégagées de toute incertitude ; il y fait connaître de nouveaux . liquides organiques qui ne se putréfient pas lorsqu'on les met au contact de l’air filtré, tels que l'urine, la colle d’amidon, et les divers matériaux du lait pris isolément; mais il ajoute le jaune d'œuf à la liste de celles qui, comme le lait et la viande sans eau, se putréfient dans l’air filtré sur le coton.
« Je ne hasarderai pas, dit M. Schræder, d'essayer Pexplication » théorique de ces faits. On pourrait admettre que l'air frais ren- » ferme une substance aclive qui provoque les phénomènes de
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 19 » fermentation alcoolique et de putréfaction, substance que la cha- » leur détruirait, ou que le coton arrêterait. » Puis il ajoute : « Faut-il regarder cette substance active comme formée de germes » organisés microscopiques disséminés dans l'air ? Ou bien est-ce » une substance chimique encore inconnue? Je l'ignore. »
Puis il arrive aux phénomènes de cristallisation par l’air libre, par l'air chauffé ou par l'air filtré sur le coton, qui présentent de telles analogies, selon lui, avec les phénomènes de putréfaction, «qu'il ne peut s'empêcher de les attribuer à une cause commune » jusqu'ici entièrement inconnue. »
« En ce qui concerne les eristallisations, dit-il encore, l’action » inductive de l’air semble n’être pas complétement arrêtée par le »eoton, mais seulement affaiblie. Elle ne peut alors empêcher la » cristallisation que de certaines dissolutions sursaturées ; mais il » en est d’autres qui ne peuvent lui résisier. » Puis il remarque que les résultats qu'il a obtenus sur la putréfaction et la fermenta- tion sont parallèles à ceux de la cristallisation, puisqu'il y a des corps qui résistent à l’air filtré, tandis que d’autres, tels que le lait, entrent en décomposition. L'air filtré sur le coton ne fait done que perdre partiellement sa force inductive de putréfaction ou de fermentation.
Vai, à dessein, résumé avec détails ces travaux très judicieux, parce qu'ils donnent l'expression exacte des difficultés qui, à la date de 1859, devaient assiéger tout esprit impartial, libre d'idées préconçues, et désireux de se former une opinion dûment motivée sur cette grave question des générations spontanées. On peut affirmer qu’à cette date tous ceux qui la croyaient résolue en con- naissaient mal l’histoire.
- Spallanzani n'avait pas triomphé des objections de Necdham, et MM. Schwann, Schullze et Schræder, n'avaient fait que démon- ter l'existence dans l’air atmosphérique d’un principe mconnu qui était la condition de la vie dans les infusions. Ceux qui affirmaient que ce principe n’était autre chose que des germes n'avaient pas plus de preuves à l'appui de leur opinion, que ceux qui pensaient que cela pouvait être un gaz, un fluide, des miasmes, ete., et qui, par conséquent, inelinaient à croire aux générations spontanées,
20 L. PASTEUR.
Les conclusions de MM. Schwann et Schrœæder ne peuvent à cet égard laisser le moindre doute dans l'esprit du lecteur. Les termes mêmes de ces conclusions provoquaient au doute, et servaient la doctrine des générations spontanées. Et puis, les expériences de MM. Schwann, Schultze et Schrœder, ne réussissaient que pour certains liquides. Bien plus, elles échouaient presque constam- ment et pour tous les liquides, comme je le dirai bientôt, lorsqu'on les pratiquait sur la cuve à mercure, sans que personne connüt le motif de cet insuccès, ou püt y démêler quelque cause d'erreur.
Aussi lorsque (1), postérieurement aux travaux dont je viens de parler, un habile naturaliste de Rouen, M. Pouchet, membre correspondant de l’Académie des sciences, vint annoncer à l’Aca- démie des résultats sur lesquels il croyait pouvoir asseoir d’une manière définitive les principes de l’hétérogénie, personne ne sut indiquer la véritable cause d’erreur de ses expériences, et bientôt l’Académie, comprenant tout ce qui restait encore à faire, proposa pour sujet de prix la question suivante :
Essayer, par des expériences bien faites, de jeter un jour nou- veau sur la question des générations spontanées (2).
La question paraissait alors si obscure, que M. Biot, dont la bienveillance n’a jamais fait défaut à mes études, me voyait avec peine engagé dans ces recherches, et réclamait, de ma déférence à ses conseils, l'acceptation d’une limite de temps, au delà de la- quelle j’abandonnerais ce sujet, si je n’étais pas maître des diffi- cultés qui m’arrêtaient. M. Dumas, dont la bienveillance a sou-
(1) M. Pouchet, Comptes rendus de l'Académie des sciences, 1. XLVIT, p. 979, décembre 1858. MM, Milne Edwards, Payen, de Quatrefages, Claude Bernard, Dumas, t. XLVIII, p. 23 et suiv., janvier 4859. M. Pouchet, t. XLVIII, 1859, p. 148, 220, 546; t. L, 1860, p. 532, 572, 748, 1421, 104%.
(2) La commission était composée de MM. Geoffroy Saint-Hilaire, Bron- gniart, Milne Edwards, Serres, Flourens, rapporteur.
« La commission demande des expériences précises, rigoureuses, également » étudiées dans toutes leurs circonstances, et telles, en un mot, qu’il puisse en » être déduit quelque résultat dégagé de toute confusion, née des expériences » mêmes. » (Janvier 1860.)
Tel était le programme de la commission. On ne pouvait mieux indiquer les difficultés du sujet,
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 91
vent conspiré en ce qui me touche avec celle de M. Biot, me disait à la même époque : « Je ne conseillerais à personne de rester trop longtemps dans ce sujet. »
Quel besoin avais-je de m'y attacher ?
Les chimistes ont découvert depuis vingt ans un ensemble de phénomènes vraiment extraordinaires, désignés sous le nom géné- rique de fermentations. Tous exigent le concours de deux matières : l’une dite fermentescible, telle que le sucre; l’autre azotée, qui est toujours une substance albuminoïde. Or voici la théorie qui était universellement admise : Les matières albuminoïdes éprouvent, lorsqu'elles ont été exposées au contact de l’air, une altération, une oxydation particulière, de nature inconnue, qui leur donne le caractère ferment, c'est-à-dire la propriété d’agir ensuite, par leur contact, sur les substances fermentescibles.
Il y avait bien un ferment, le plus ancien, le plus remarquable de tous, que l’on savait être organisé : la levüre de bière. Mais comme dans toutes les fermentations de découverte plus moderne que la connaissance du fait de l’organisation de la levüre de bière (1836), on n'avait pu reconnaitre l'existence d'êtres orga- nisés, même en les y recherchant avec soin, les physiologistes avaient abandonné peu à peu, plusieurs bien à regret, l'hypothèse de M. Cagnard-Latour, d’une relation probable entre l’organisa- tion de ce ferment et sa propriété d’être ferment, et l’on appli- quait à la levüre de bière la théorie générale en disant : « Ce n’est pas parce qu’elle est organisée que la levüre de bière est active, c’est parce qu'elle a été au contact de l’air. C’est la portion morte de la levûüre, celle qui a vécu et qui esten voie d’allération qui agit sur le sucre. »
Mes études me conduisaient à des conclusions entièrement dif- férentes. Je trouvais que toutes les fermentations proprement dites, visqueuse, lactique, butyrique, la fermentation de l’acide tartrique, de l’acide malique, de l’urée..…, étaient toujours corré- latives de la présence et de la multiplication d'êtres organisés. Et, loin que l’organisation de la levüre de bière fût une chose gênante pour la théorie de la fermentation, c'était par là, au contraire, qu'elle rentrait dans la loi commune, et qu'elle était le type de
99 L, PASTEUR.
tous les ferments proprement dits. Selon moi, les matières albu- minoïdes n'étaient jamais des ferments, mais l'aliment des fer- ments, Les vrais ferments étaient des êtres organisés. s
Cela posé, les ferments prennent naissance, on le savait, par le fait du contact des matières albuminoïdes et du gaz oxygène. Dès lors, de deux choses l’une, me disais-je ; les ferments des fermentalions proprement dites étant organisés, si l'oxygène seul, en tant qu'oxygène, leur donne naissance, par son contact avec les matières azotées, ces ferments sont des générations spontanées ; si ces ferments ne sont pas des êtres spontanés, ce n’est pas en tant qu’oxÿgène seul que ce gaz intervient dans leur formation, mais comme excitant d’un germe apporté en même temps que lui, ou existant dans les matières azotées on fermen- tescibles. Au point où je me trouvais de mes études sur les fer- mentations, je devais donc me former une opinion sur la ques- tion des générations spontanées. Jy rencontrerais peut-être une arme puissante en faveur de mes idées sur les fermentations pro- prement dites.
Les recherches, dont j'ai maintenant à rendre compte, n'ont été par conséquent qu’une digression obligée de mes études sur les fermentations.
C’est ainsi que je fus conduit à m'occuper d’un sujet qui jusque- là n'avait exercé que la sagacité des naturalistes.
CHAPITRE IT.
Examen au microscope des particules solides disséminées dans l'air atmosphérique.
Mon premier soin fut de rechercher une méthode qui permit de recueillir en toute saison les particules solides qui flottent dans l'air et de les étudier au microscope. Il fallait s’aitacher d’abord à lever, s'il était possible, les objections que les partisans de la génération spontanée opposent à l’ancienne hypothèse de la dissé- mination aérienne des germes (1).
(1) Cette hypothèse est en effet très ancienne. Elle forme le sujet ordinaire des discussions relatives à la génération spontanée depuis le xvn° siècle.
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 23
Lorsque les matières organiques des infusions ont été chauffées, elles se peuplent d’infusoires ou de moisissures. Ces productions organisées ne sont en général ni aussi nombreuses, ni aussi variées que si l’on n'avait pas préalablement porté lés liqueurs à l'ébullition , mais il s’en forme toujours. Or, leurs germes, dans cés conditions, ne peuvent venir que de l'air, parce que l’ébullition détruit ceux que les vases ou les matières de l'infusion ont apportés dans la liqueur. Les premières questions expérimentales à résou- dre sont donc celles-ci : Y a-t-il des germes dans l’air ? Y en a-t-il en assez grand nombre pour expliquer l'apparition des produe- tions organisées des infusions qui ont été chauffées préalablement ? Peut-on se faire une idée approchée du rapport à établir entre un volume déterminé d’air ordinaire et le nombre des germes que ce volume d'air peut renfermer ?
Et d’abord existe-t-il des germes dans l’air ? Personne ne le nie, parce que l’on comprend qu’il ne peut pas en être autrement. L'un des partisans les plus déclarés de la doctrine des générations spontanées, M. Pouchet, s'exprime de la manière suivante (1):
«On rencontre parfois dans la poussière quelques œufs de » Microzoaires, comme on y rencontre une foule de corpuscules » légers, mais c’est une véritable exception, »
Plus loin, M. Pouchet s'exprime ainsi :
« Parmi les corpuscules de poussière qui appartiennent au rêgne » végétal, il y a des spores de Cryptogames, mais en fort petit » nombre. Enfin j'ai constamment rencontré, une certaine quantité » de fécule de hlé mêlée à la poussière soit récente, soit ancienne… » Il est évident que c’est cette fécule, parfaitement caractérisée 5 physiquement et chimiquement, ou que ce sont des grains de » silice, que l’on a pris pour des œufs de Microzoaires (2).
Il y a donc dans la poussière de l’air, des œufs d’infusoires, et des spores de moisissures ; les partisans de la doctrine de l’hété-
(1) Pouchet, Traité de la génération spontanée, Paris, 4859, p. 432.
(2) De Quatrefages, Comptes rendus de l'Académie des sciences, 4839, t. XLVIII, p. 31.
Voyez aussi Dictionnaire de Nysten, pat Littré et Ch. Robin, article Poussière, onzième édition, 1858.
DJ . PASTEUR.
rogénie l’affirment; mais ils rer qu'il n’y en a qu’exception- nellement en nombre excessivement restreint, et ceux qui, disent- ils, ont cru en voir davantage se sont trompés. Ils ignoraient un fait récent, à savoir qu'il y a des grains de fécule de diverses tailles dans la poussière (1). Ces observateurs ont pris pour des œufs ou des spores ces grains de fécule, qui souvent leur ressem- blent tant.
Telle est l'opinion de M. Pouchet. Je n’ai pas fait assez d’obser-
vations sur la poussière ordinaire déposée , à la surface des objets, pour que je puisgt ! lbfirmer cette manière de voir au sujet de la poussière au repos. J8 puis même ajouter qu'à l’époque où je fis mes premières expériences, diverses personnes très autorisées, étaient désireuses de constater par elles-mêmes l'exactitude de mes résultats, parce que, me disaient-elles, ayant eu l’occasion assez fréquente d’étudier des poussières, elles n’y avaient pas vu de spores. Mais ici se présente une remarque : la poussière que l’on trouve à la surface de tous les corps est soumise con- stamment à des courants d'air, qui doivent soulever ses parti- eules les plus légères, au nombre desquelles se trouvent, sans doute, de préférence les corpuscules organisés, œufs ou spores, moins lourds généralement que les particules minérales. En outre, en ce qui concerne la poussière ordinaire au repos, il n’est pas possible d’avoir une indication sur le rapport approché qui peut exister entre un volume donné de cette poussière et le volume d’air qui l’a fournie. Ce n’est donc pas la poussière au repos qu'il faut observer, mais bien celle qui est en suspension dans l'air.
Voyons si cela est réalisable, et s’il est vrai que cette poussière flottante ne renferme qu’exceptionnellement des germes d’orga- nismes inférieurs, ainsi que cela arrive, d’après M. Pouchet, pour la poussière au repos.
Le procédé que j'ai suivi pour recueillir la poussière en sus- pension dans l'air et l’examiner au microscope est d’une grande
(1) Ce fait, reconnu pour la première fois, je pense, par M. Pouchet, est très exact,
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 25
simplicité ; il consiste à filtrer un volume d’air déterminé sur du coton-poudre, soluble dans un mélange d'alcool et d’éther. Les fibres du coton arrêtent les particules solides. On traite alors le coton par son dissolvant. Après un repos suffisamment prolongé, toutes les particules solides tombent au fond de la liqueur; on les soumet à quelques lavages, puis on les dépose sur le porte-objet du microscope où leur étude devient facile.
Je vais entrer dans les détails de l'expérience : FF (pl. 1, fig. 1) est un châssis de fenêtre, dans lequel j'avais ÿ | jué, à une dis- tance de plusieurs mètres du sol, une ouvertu. aonnant passage au tube de verre T. Ce tube n’avait dans mes expériences qu’un demi- centimètre de diamètre. En a se trouve une bourre de coton so- luble sur une longueur d’un centimètre environ, retenue par une petite spirale en fil de platine. L'air, qui était ordinairement aspiré du côté de la rue d’Ulm ou du côté du jardin de l’École normale, se trouvait appelé par l'aspirateur R. C'est un tube de laiton en forme de T, dans lequel s'écoule constamment de l’eau qui, par succion, entraîne l’air du tube mn, un peu recourbé, à son extré- mité n, comme l'indique la figure. Le tube mn communique d’ailleurs par un tube de caoutchouc au tube T renfermant la bourre de coton soluble. Si l’on veut déterminer le volume d’air entrainé par l’écoulement de l’eau, il suffit d'engager l'extrémité Z du tube kl sous un grand flacon renversé plein d’eau, jaugé à l’avance, et de mesurer le temps que ce flacon, d’un volume de 10 litres par exemple, mettra à se remplir.
Ce mode d'aspiration continue est très commode, et m’a rendu beaucoup de services.
Lorsque l’air a passé pendant un temps suffisant, la bourre de coton, plus ou moins salie par les poussières qu’elle a arrêtées, est déposée dans un petit tube avec le mélange alcoolique éthéré qui dissout le coton. On laisse reposer pendant un jour. Toutes les poussières se rassemblent au fond du tube, où il est facile de les laver par décantation, sans aucune perte, si l’on a soin de séparer chaque lavage par un repos de douze à vingt heures. Pour décan- ter le liquide, il est bon de se servir d’un siphon formé par un tube de très petit diamètre, et pouvant s’amorcer par aspiration.
26 L. PASTEUR.
Lorsque le lavage des poussières est suffisant, on les rassemble dans un verre de montre où le restant du liquide qui les baigne s'évapore promptement (4); alors on les délaye dans ün peu d’eau, et on les examine au microscope.
On peut faire agir sur elles, suivant lès méthodes ordinaires, différents réactifs : l'eau d’iode, la potasse, l'acide sulfurique, les matières colorantes.
Ces manipulations fort simples permettent de reconnaître qu’il y à constamment dans l'air commun un nombre variable de cor- puscules, dont la forme et la structure annoncent qu’ils sont orga- nisés. Leurs dimensions s'élèvent depuis les plus petits diamètres jusqu'à 4/100° à 4,5/100° et davantage demillimètre. Les uns sont parfaitement sphériques, les autres ovoïdes. Leurs contours sont plus ou moins nettement accusés. Beaucoup sont tout à fait trans- lucides, mais il y en a aussi d’opaques avec granulations à l’inté- rieur. Ceux qui sont translucides, à contours nets, ressemblent tellement aux spores des moisissures lés plus communes, que le plus habile mierographe ne pourrait y voir de différence. C’est tout ce que l’on peut en dire, comme on peut affirmer seulement que, parmi les autres, il y en a qui ressemblent à des Infusoires en boule, enkystés, et généralement aux globules que l’on regarde comme étant les œufs de ces petits êtres. Mais quant à affirmer que ceci est une spore, bien plus la spore de telle espèce déterminée, et que cela est un œuf et l’œuf de tel Microzoaire, je crois que cela n’est pas possible. Je me borne en ce qui me concerne à déclarer que ces corpuscules sont évidemment organisés, ressemblant de tout point aux germes des organismes les plus inférieurs, et si divers de volume et de structure, qu’ils appartiennent sans Conteste à des espèces fort nombreuses.
L'emploi de l’eau d’iode montre de la manière la’ioins équi= voque que, parmi ces corpuseules, il y a toujours des granulés d'amidon. Mais il est bien facile d'éliminer tous les globules de cette sorte en délayant la poussière dans l'acide sulfurique ordi-
(1) Le lavage est suffisant après cinq ou six décantations. Il faut se servir de coton-poudre dont la solubilité soit aussi parfaite que possiblé.
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES, 97
naire, qui dissout en quelques instants tout ce qui est amidon. Sans doute, l'acide sulfurique altère, et dissout peut-être d’autres olobules; mais ilen reste encore un grand nombre, et quelquefois même on en distingue davantage après l’action de lacide sulfu- rique, parce que cet acide dissout le carbonate de chaux et délaye les autres particules de poussière, de façon que beaucoup de cor- puseules organisés se trouvent dégagés des débris amorphes qui empêchent souvent de les bien voir. Il est bon d'observer aussitôt après que les petites bulles d'acide carbonique sont dissipées, et avant que les aiguilles de sulfate de chaux se soient déposées (1). En opérant sur la poussière d’une bourre de L centimètre de longueur sur 4/2 centimètre de diamètre exposée au courant d'air pendant vingt-quatre heures, avec un écoulement d’un litre par minute, on découvre et-on peut dessiner facilement vingt à trente corpuscules organisés en un quart d'heure. Il y en a ordi- nairement plusieurs dans le champ. Notons que la goutte d'acide, mêlée de poussière, que l’on place sur le porte-objet du micros- cope ne représente qu'une fraction de celle qui est dans le verre de montre. | D'autre part, il faudrait évidemment plusieurs heures pour re- chercher et dessiner au fur et à mesure tous les corpuscules orga- nisés de cette goutte. On voit done que le nombre descorpuseules organisés que l'on fixe par cette méthode sur les filaments de coton est fort sensible comparativement au volume d'air (2); sans doute, il n’est pas suffisant, pour justifier cette asserlion généra-
(1) J'ai reconnu par des épreuves directes, que l'acide sulfurique concentré ordinaire ne dissolvait pas les spores des moisissures communes, même par un contact prolongé.
(2) Je n'ai pas besoin de dire que je me suis assuré que le coton que j'em- ployais ne renfermait pas du tout de corpuscules organisés, et que sa dissolution dans le mélange alcoolique ne laissait d'autre résidu que quelques fibres non dissoutes.
Je dois faire observer en outre que, sous une épaisseur d'un centimètre , une bourre de coton est loin d'arrêter tous les corpuseules de l'air. Si l'on place plu- sieurs bourres à la suite les unes des autres, la seconde, la troisième... se cou- vrent de poussière ; seulement, il faut pour les charger à l’égal de la première, d'autant plus de temps qu’elles en sont plus éloignées.
28 L, PASTEUR.
lement admise, que la plus petite bulle d’air commun est capable de faire naître dans une infusion toutes les espèces d’Infusoires et toutes les Cryptogames propres à cette infusion. Mais nous verrons dans un chapitre subséquent que cette opinion est fort exagérée, et que l’on peut toujours mettre en contact avec une infusion qui a été portée à l’ébullition un volume d’air ordinaire considérable, sans qu'il s’y développe la moindre production organisée.
Je vais entrer dans quelques détails, afin que l’on ait une idée un peu plus nette du nombre des corpuscules organisés que l’on découvre dans la poussière, recueillie comme je viens de le dire.
Les figures II, IIT et IV, représentent quelques corpuscules organisés d’un échantillon de poussière recueillie en vingt-quatre heures du 16 au 17 novembre 1859. Voici comment ces dessins rapides, qui ne donnent que le volume et le contour des corpus- cules, ont été faits :
Après que le lavage de la poussière eût été effectué comme je l’ai indiqué tout à l'heure, j'ai pris dans le verre de montre une partie de la poussière, et je l’ai délayée dans une goutte de solu- tion de polasse, renfermant 5 parties de potasse pour 400 d’eau. Au fur et à mesure que je déplaçais la lame de verre sous l’ob- jecuf, et que j’apercevais un globule évidemment organisé, je le dessinais. C’est ainsi que la figure IT a été obtenue.
J'ai alors remplacé la potasse par de la teinture aqueuse d’iode. Il suffit pour cela de placer au contact avec le bord de la lame de verre un petit carré de papier buvard, que l’on recouvre d’un second, d’un troisième papier semblable, et ainsi de suite jusqu’à ce que toute la solution de potasse soit absorbée. On la remplace alors par une goutte d’eau iodée, que l’on enlève par le même moyen pour y substituer une nouvelle goutte de cette temture. On continue ainsi jusqu’à ce que la potasse restant sous la lame de verre soit entièrement neutralisée.
La figure III représente une partie des globules mis au contact de la teinture aqueuse d’iode. Enfin la figure IV donne le dessin des globules examinés, après que l’eau d’iode fut remplacée par l'acide sulfurique ordinaire.
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 29
La distance des deux parallèles de la figure V représente 1/100° de millimètre au grossissement employé dans l’expérience.
J'ajouterai que j'ai mis une heure et demie à faire les dessins des globules et les expériences de substitutions de réactifs les uns aux autres. Cela donnera au lecteur une première indication sur le nombre des corpuscules organisés, que l’on peut arrêter en vingt-quatre heures en faisant passer sur une petite bourre de co- ton environ 1500 litres d’air pris dans une rue de Paris peu fré- quentée, et à une distance de à à 4 mètres au-dessus de la surface du sol (1). On peut avoir une idée bien plus exacte du nombre des corpuscules, que leur forme et leur volume permettent de dire organisés, par la détermination du nombre moyen de ces corpus- cules contenus dans le champ du microscope, et par la connais- sance du rapport des surfaces de la goutte étalée sous la petite lame de verre qui la recouvre, et du champ du microscope, pour le grossissement que l’on emploie. Le nombre total des corpus- cules de la goutte sera égal au rapport dont nous parlons, mulu- plié par le nombre moyen des corpuscules compris dans un champ quelconque. On arrive ainsi à reconnaître qu’une petite bourre de colon exposée pendant vingt-quatre heures au courant d’air de la rue d’Ulm, pris à quelques mètres du sol, pendant l'été, après une succession de beaux jours, rassemble plusieurs milliers de cor- puseules organisés pour une aspiration d’un litre d’air environ par minute. Du reste, ce résultat varie infiniment avec l’état de
(4) Postérieurement à l'emploi de la méthode que je viens de décrire et dans lé but de réfuter les résultats que j'en avais obtenus, M. Pouchet a examiné la poussière que la neige abandonne après sa fusion, moyen déjà mis en pratique par M. de Quatrefages et par M. Boussingault (Comptes rendus de l'Académie, t. XLVIII, p. 34, 1859). « La neige, dit M. Pouchet, fut recueillie dans une » grande cour carrée. On en prit seulement la couche superficielle dans une » épaisseur de 5 centimètres environ, et sur une étendue de 4 mètres carrés. » (Comptes rendus, t. L, p. 5392.)
Je n'ai pas étudié la poussière de l'air en faisant fondre de la neige, et j'ignore si cette méthode vaut celle que j'ai suivie. Dans tous les cas, il est évident qu'il faudrait étudier la première neige tombée, la couche du fond et non la couche de la surface. Car si la neige peut entraîner les poussières de l'air, c’est la pre- mière tombée qui se chargera de cet office.
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l'atmosphère, si l’on opère avaat ou après la pluie, par un temps calme ou agité, de jour ou pendant la nuit, à une petite ou à une grande distance du sol. Enfin que l’on imagine toutes les mille et une causes qui peuvent augmenter ou diminuer le nombre de ces particules solides que tout le monde a aperçues dans un rayon de soleil qui pénètre dans une chambre obseure, et l’on comprendra tout ce qu'il doit y avoir de changements dans les résultats qui précèdent,
La méthode dont je viensde parler pour recueillir les poussières qui sont en suspension dans l’air ordinaire, et les examiner ensuite au microscope, est évidemment susceptible d’être modifiée utile- ment (1),
Je.crois qu'il y aurait un grand intérêt à multiplier les études sur ce sujet, el à comparer dans un même lieu avec les ‘saisons, dans des lieux différents à une même époque, les corpuscules organisés disséminés dans l'atmosphère. Il semble que les phéno- mènes de contagion morbide, surtout aux époques où sévissent des maladies épidémiques, gagneraient à des travaux poursuivis dans cette direction.
Les figures VI, Vif, VII, IX, représentent des corpuscules organisés associés à des particules amorphes, tels qu'ils s'offrent au microscope pour un grossissement de 350 diamètres, le liquide délayant étant l'acide sulfurique ordinaire.
La figure VI s'applique à des poussières recueillies. du 25 au
(1) Ne serait-il pas possible de remplacer le coton par une bourre de fils très fins formés par un borate soluble, étiré à chaud, voire même par du sucre d'orge réduit en fils soyeux ?
J'essaye en ce moment l'emploi d'un tube thermométrique de gros calibre où l'on a soufflé à des distances rapprochées une suite de renflements. En introdui- sant dans ce tube quelques gouttes d'un liquide visqueux ou d'huile, le liquide s'arrête dans les étranglements, et si l’on fait passer de l'air, les méaisques des - étranglements se reforment après le passage de chaque bulle de gaz, qui se trouve ainsi lavé un grand nombre de fois par une quantité de liquide adhésif très minime. M. Jamin a utilisé des tubes de cette nature dans quelques-unes de ses curieuses expériences sur la capillarité. C’est ce qui m'a suggéré l'idée de l'emploi de pareils tubes, dont je ne peux cependant pas juger encore l'efficacité.
SUR LA DOCTRINE DES, GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. o1 26 juin 1860 ; la figure VIT a des foussières du brouillard très in- tense du mois de février 1861 ; la figure VIIL a des poussières recueillies du 17 au 19 décembre 1859 par un froid de — 9 à — 14 degrés; enfin la figure IX a des poussières d’une bourre qui était précédée d’une autre, afin de montrer qu'une première bourre n'arrête pas toutes les poussières qui sont en suspension daus l'air, Cependant il faut remarquer que les poussières étaient ici en très petit nombre, et qu'il fallait plusieurs fois changer de champ pour apercevoir un corpuseule organisé, tandis que dans les cas ordinaires il y a le plus souvent un ou plusieurs corpus- cules organisés dans un champ quelconque.
CHAPITRE THE.
Des expériences avec l'air calciné.
Nous venons de voir qu’il y avait toujours en suspension dans l'air des corpuscules organisés, qui, par leur forme, leur volume et leur structure apparente, ne sauraient être distingués des germes des organismes inférieurs, et le nombre en est grand sans avoir
rien d’exagéré. Y a-t-il réellement parmi eux des germes fé- conds (1)? Voilà la question vraiment intéressante; je erois être
arrivé à le démontrer d’une manière certaine. Mais avant d’expo-
(1) Ce qu'il y aurait de mieux à faire et de plus direct consisterait à suivre au microscope le développement de ces germes. Tel était mon projet; mais l'appa- reil que j'avais fait construire pour cet objet ne m'ayant pas été livré en temps opportun, j'ai été éloigné de cette étude par d’autres travaux. Du reste, il ne faut pas se dissimuler la difficulté de cette méthode d'observation. Rien de plus simple que de déposer les spores d'une Mucédinée dans un liquide propre à les nourrir, d’en prélever quelques-unes le lendemain ou le surlendemain, et de voir que plusieurs ont germé et ont déja poussé de longs appendices, Mais autre chose, est d'opérer sur une seule spore, qu'il faudra retrouver sous le microscope à une place déterminée, tout en lui fournissant de l’eau pour remplacer celle qui s'évapore sur les bords de la lame de verre, etc... Et puis les très petits Infu- goires, Bacteriums et Monades, se montrent promptement, prénnent l'air el la spore privée d'un de ses aliments essentiels ne se développe pas. J'espère reve- nie prochainement sur celte partie de mon travail.
22 L. PASTEUR.
ser les expérienees qui se rapportent plus particulièrement à cette partie du sujet, il est indispensable de rechercher premièrement si les faits annoncés par le docteur Schwann sur l’inactivité de l'air qui a été rougi sont exacts. MM. Pouchet, Mantegazza, Jolly et Musset, le contestent. Essayons de voir de quel côté est la vérité ; aussi bien ce sera la base de nos recherches ultérieures.
Dans un ballon de 250 à 300 centimètres cubes, j’introduis 400 à 150 centimètres cubes d’une eau sucrée albumineuse, for- mée dans les proportions suivantes :
Ens ,,°: s'enponlotp. @ sde su 110008 SCO ER et ce che 0000 Matières albuminoïdes et minérales provenant
de la levûre de bière, . . . . . . . . . 0,2 à 0,7.
Le col effilé du ballon communique avec un tube de platine
chauffé au rouge, comme l'indique la figure X. On fait bouillir le
Jiquide pendant deux à trois minutes, puis on le laisse refroidir complétement. Il se remplit d’air ordinaire à la pression de l'atmosphère, mais dont toutes les parties ont été portées au rouge ; puis on ferme à la lampe le col du ballon, qui a alors la forme indiquée par la figure XI.
Le ballon ainsi préparé est placé dans une étuve à une tempé- rature constante voisine de 30 degrés ; il peut s’y conserver indé- finiment, sans que le liquide qu’il renferme éprouve la moindre altération. Sa limpidité, son odeur, son caractère d’acidité très faible, à peine appréciable au papier de tournesol bleu, persistent sans changement appréciable. Sa couleur se fonce légèrement avec le temps, sans doute sous l’influence d’une oxydation directe de la matière albuminoïde ou du sucre (1).
J'affirme avec la plus parfaite sincérité que jamais il ne m'est arrivé d’avoir une seule expérience, disposée comme je viens de le dire, qui m'ait donné un résultat douteux. L'eau de levüre sucrée portée à l'ébullition pendant deux ou trois minutes , puis mise en présence de l'air qui a élé rougi, ne s’altère donc pas du
(4) Cette oxydation directe est indiquée par l'analyse suivante, effectuée sur
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 39
tout (1), même après dix-huit mois de séjour à une tempéra- ture de 25 à 80 degrés, tandis que si on l’abandonne à l'air ordinaire, après un jour ou deux, elle est en voie d’altération manifeste, et se trouve remplie de bacteriums, de vibrions, ou couverte de mucors.
L'expérience du docteur Schwann appliquée à l’eau de levûre sucrée est par conséquent d’une exactitude irréprochable,
Comment se fait-il néanmoins que plusieurs observateurs, MM. Pouchet, Mantegazza et Schwann lui-même, soient arrivés à des résultats contradictoires ? J'ajoute que le docteur Schwann lui-même n’a pas toujours réussi dans ses expériences sur l’inac- tivité ge l'air caleiné ; en effet, nous avons vu dans la première partie du présent mémoire, où j'ai résumé le travail de ce savant, que ses expériences sur la fermentation alcoolique avaient sou- vent donné des résultats opposés à ceux qu’il espérait, sans qu’il eût pu d’ailleurs reconnaitre les causes d’erreur présumées de ces résultats.
Moi-même, dans des expériences inédites, j'étais arrivé à cette conséquence, que les expériences faites avec l'air calciné, ne réus- sissaient qu’exceptionnellement. Je vais en rapporter quelques- unes.
Le 9 août1857, je prépare comme il suit, plusieurs ballons d’un quart de litre de capacité. Dans chacun d’eux, je place 80 centi-
l'air d’un ballon rempli aux 2/5 d'eau de levüre sucrée, et qui était resté à l'étuve du 12 février au 18 avril 4860.
Acide carbonique. . . . . , . .« ., 0,9 RTE Le aan io san ne 4 Azote par différence. . . . . . .. 3 00879;6
100,0
Le volume de l'acide carbonique est moindre que le volume d'oxygène qui a disparu. Cela peut tenir aux différences des coefficients de solubilité de ces gaz. Quant à la limpidité du liquide, elle était parfaite.
Toutes les analyses de gaz contenues dans ce mémoire ont été faites avec l'eu- diomètre de M. Regnault,
(1) J'ai certainement eu l’occasion de répéter plus de cinquante fois l'expé- rience, et, dans aucun cas, cette liqueur, si altérable, n'a donné vestige de productions organisées, en présence de l'air calciné.
&° série, Zoo. T. XVI. (Cahier n° 4.) 3 3
54 L. PASTEUR.
mètres cubes d’eau de levüre de bière sucrée très limpide, renfer- mant par litre 100 grammes de sucre et 3 grammes de matière azotée et minérale empruntées aux principes solubles de la levûre. J'étire à la lampe le col des ballons, puis je porte le liquide à l’ébullition, et je ferme ensuite la pointe effilée par un trait de cha- lumeau pendant l’ébullition, maintenue préalablement de deux à quatre minutes. Je renverse ensuite successivement chaque ballon dans la cuve à mercure, au fond de laquelle je brise leurs pointes; alors j'introduis dans le premier ballon environ 70 centimètres cubes d'oxygène préparé avec le chlorate de po- tasse, et conduit dans un tube de porcelaine chauffé au rouge avant d'entrer dans le ballon. Dans le deuxième ballon, je fais arriver 50 centimètres cubes d'oxygène provenant de la décom- position de l’eau par la pile, et de production toute récente. Dans le troisième et le quatrième ballon, je fais passer de 50 à 60 cen- timètres cubes d’air ordinaire sortant d’un tube de porcelaine chauffé au rouge. Enfin, dans un cinquième ballon, j'introduis 50 centimètres cubes d’air ordinaire non chauffé. Je porte ensuite les cinq ballons dans une étuve à la température constante de 25 à 30 degrés, renversés sur le mercure dans des verres à pied.
Le 43 août, il y a des productions organisées dans tous les bal- tons. Le liquide du premier était tout trouble, laiteux, par la pré- sence d'une Torulacée en granulations très ténues réunies en cha- pelets. Le deuxième ballon est tombé dans la nuit du 15 au 46 août, parce qu'il s’est rempli de gaz par fermentation. Une étude microscopique des portions de liquide restées dans le verre y à fait reconnaître des globules de levüre de bière. Les ballons 3, let 5, offraient des touffes de moisissure flottant dans un liquide limpide.
En résumé, j'oblenais des résultats directement contraires à ceux du docteur Schwann. Des Mucédinées, des Torulacées, pou- vaient naître en présence de l'air calciné, dans des liquides qui avaient été soumis à l’ébullition.
Je ne publiai pas ces expériences ; les conséquences qu’il fallait en déduire étaient trop graves pour que je n’eusse pas la crainte de quelque cause d'erreur cachée, malgré le soin que j'avais mis
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 29 à les rendre irréprochabhles. J'ai réussi, en effet, plus tard à re- connaitre cette cause d'erreur.
Quoi qu'il en soit, les choses étaient telles, à celte époque, qu’un observateur répétant de bonne foi sur la cuve à mercure les expé- riences de Needham, de Spallanzani et d’Appert, avec la modifi- cation indiquée par le docteur Schwann, arrivait à des conséquences tout à fait favorables à la doctrine des générations spontanées, sans qu’il füt possible de signaler la véritable cause d'erreur de ses expériences. On pouvait croire seulement qu'il était très dif- ficile de ne pas laisser s’introduire dans les vases une petite quan- tité d’air ordinaire. Mais, outre que cette crainte était exagérée, on verra par la suite que ce n’est pas du tout en cela que consistait l'inexactitude de la méthode.
Dans toutes ces expériences, comme dans celles du docteur Schwann qui avaient été contraires au résullat de sa première expérience sur le bouillon de viande, c'est le mercure qui avait introduit les germes dans les liqueurs. J’en donnerai ultérieure- ment des preuves convaincantes. Mais nous pouvons remarquer dès à présent que le mercure d’une cuve delaboraloire est constam- ment exposé à recevoir les poussières de l'air, et que ce liquide doit recéler par conséquent une multitude de ces corpuscules organisés, que nous avons appris à étudier dans le chapitre pré-" cédent. Leur légèreté spécifique ne serait suffisante pour les amener à la surface que s'ils avaient un volume sensible. D'ailleurs, n'y aurait-il de ces corpuscules qu'à la surface du mercure, il ne serait pas possible de les éviter. dans les manipulations. Que l'on dépose, en effet, des poussières sur le mercure et qu'on y en- fonce ensuite un tube de verre, une éprouvette, un vase quel- conque, on verra les poussières de la surface s'engager peu à peu dans la gaine que le corps solide laisse entre lui et le mercure. Si le corps est enfoncé d’un décimètre ou davantage, les pous- Sières le suivront jusqu’à cette profondeur, et les dernières arrivées seront appelées d’une grande distance du point où le corps aura été plongé.
Nous pouvons résumer comme il suit les expériences de ce chapitre. L'eau de levüre sucrée, liqueur excessivement altérable
356 L. PASTEUR.
au contact de l'air ordinaire, peut être conservée intacte pendant des années entières lorsqu'elle est exposée à l’action de l'air cal- ciné, après avoir été soumise à l'ébullition pendant deux ou trois minutes. Mais l'expérience a besoin d'être faite convenablement. Effectuée sur la cuve à mereure avec tous les soins imaginables, elle ne réussit qu'exceplionnellement, si tant est qu'elle réussisse quelquefois. La liqueur s’altère presque aussi facilement qu’à l'air ordinaire, parce qu'il est impossible que la manipulation, de quelque manière qu’elle soit dirigée, n'introduise pas des germes provenant de l’intérieur où de la surface du mercure ou des parois de la cuve.
L'insuccès des expériences avec l'air calciné, toutes les fois qu'on venait à les pratiquer sur la cuve à mercure, n'était pas la seule cause d'incertitude et d'embarras dans cette grave question de la génération des êtres les plus inférieurs.
Remplace-t-on, en effet, dans les essais précédents l’eau de levüre sucrée par le lait, outel autre liquide quenous apprendrons à connaître, et de quelque manière que l'expérience soit con- duite, que l’on opère sur la cuve à mercure, ou que l’on opère avec l'appareil déjà décrit, représenté figure 10, et qui donne des résultats si constants pour l’eau de levûre sucrée, le lait se putré-
‘ fie et montre des organismes. |
Ces résultats si divers, contradictoires en apparence, trouveront leur explication naturelle dans un des chapitres suivants. Mais jusque-R ils étaient bien faits pour jeter le trouble dans les esprits,
ainsi que j'ai déjà essayé de le montrer dans le chapitre historique placé en tête de ce travail.
CHAPITRE IV.
Ensemencement des poussières qui existent en suspension dans l’air, dans des liqueurs propres au développement des organismes inférieurs.
Les résultats des expériences des deux chapitres qui précèdent nous ont appris :
=
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES, 97
4° Qu'il y a toujours en suspension dans l’air ordinaire, des
corpuscules organisés tout à fait semblables à des germes d’orga- nismes inférieurs ;
2° Que l’eau de levüre de bière sucrée, liqueur éminemment allérable à l'air ordinaire, demeure intacte, limpide, sans donner jamais naissance à des infusoires ou à des moisissures, lors- qu'elle est abandonnée au contact de l’air qui a été préalable- ment chauffé.
Cela posé, essayons de rechercher ce qui arriverait au contact de ce même air, en ensemençant dans cette eau sucrée albumi- neuse, les poussières que nous avons appris à recueillir au chapitre IT, sans introduire autre chose que ces poussières.
Quelle que soit la méthode d’expérimentation, il faut qu’elle éloigne complétement la cuve à mercure, parce que tous les résul- tats en seraient troublés. Je l’ai constaté directement pour ce point de la question par des expériences particulières que je crois sans grande utilité de rapporter ici. J'aurai d’ailleurs l’occasion de reve- nir encore sur les inconvénients d'utiliser le mercure dans ces sortes d'expériences.
Voici les dispositions que j'ai Mess pour déposer les pous- sières de l’air dans les liqueurs putrescibles ou fermentescibles, en présence de l’air chauffé.
Reprenons notre ballon renfermant de l’eau de levüre sucrée et de l'air calciné, figure 11. Je supposerai que le ballon soit à l'étuve à 25 ou 30 degrés, depuis un ou deux mois, sans y avoir éprouvé d’allération sensible, preuve manifeste de l’inactivité de l'air chauffé dont il a été rempli sous la pression atmosphérique ordinaire.
La pointe du ballon étant toujours fermée, je l’adapte au moyen d’un tube de caoutchouc, à un appareil disposé comme il suit, figure 12 : T, est un tube de verre fort, de 10 à 12 millimètres de diamètre intérieur, dans lequel j'ai placé unsbout de tube de petit diamètre a, ouvert à ses extrémités, libre de glisser dans le gros tube et renfermant une portion d’une des petites bourres de coton chargées de poussières; R, est un tube de laiton en forme de T, muni de robinets, l’un de ces robinets communique avec la
38 L. PASTEUR.
machine pneumatique, un autre avec un tube de platine chaaffé au rouge, le troisième avec le tube T ; ce, représente le caoutchouc qui réunit le ballon B au tubeT.
Lorsque toutes les parties de l’appareil sont disposées et que le tube de platine est porté au rouge par le calorifère à gaz figuré en G, on fait le vide, après avoir formé le robinet qui conduit au tube de platine. Ce robinet est ensuite ouvert de façon à laisser rentrer peu à peu dans l'appareil de l’air calciné. Le vide’et la ren- trée de l'air calciné sont répétés alternativement dix à douze fois. Le petit tube à coton se trouve ainsi rempli d'air brûlé jusque dans les moindres interstices du coton, mais il a gardé ses pous- sières. Cela fait, je brise la pointe du ballon B, à travers le caout- choue ce, sans dénouer les cordonnets, puis je fais couler le petit tube aux poussières dans le ballon. Enfin, je referme à la lampe le col du ballon qui est de nouveau reporté à l’étuve. Or, il arrive constamment que des productions commencent à apparaître dans le ballon après vingt-quatre, trente-six où quarante-huit heures au plus.
C’est précisément le temps nécessaire pour que ces mêmes pro- ductions apparaissent dans l’eau de levüre sucrée lorsqu'elle est exposée au contact de l'air commun.
Voici le détail de quelques expériences :
Dans les premiers jours de novembre 1859, j'ai préparé sui- vant la méthode de la fig. 10, plusieurs ballons de 250 centi- mètres cubes de capacité, renfermant 100 centimètres cubes d'eau de levüre sucrée et 450 centimètres cubes d’air chauffé. Is sont restés à l’étuve à une température voisine de 30 degrés jusqu'au 8 janvier 1860. Ce jour-là, vers neuf heures du matin, j'ai introduit dans l’un de ces ballons, à l’aide de l'appareil de la figure 12, une portion de bourre de coton chargée de poussières, recueillies comme cela a été expliqué au chapitre IE.
Le 9 janvier à neuf”heures du matin, le liquide du ballon n'offre rien de particulier. Le même jour, à six heures du soir, on voit très distinctement de petites touffes de moisissures sortir du tube aux poussières. Limpidité parfaite du liquide.
Le 10 janvier, à cinq heures du soir, outre les touffes soyeuses
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 29 de moisissures, le liquide ayant toujours conservé une limpidité parfaite, j'aperçois sur les parois du ballon un grand nombre de traînées blanches, irisées de diverses couleurs lorsqu'on place le ballon entre l’œil et la lumière.
Le 41 janvier le liquide a perdu sa limpidité. Il est tout trouble, à tel point qu’on ne distingue plus les touffes de mycelium,
Alors j'ouvre le ballon par un trait de lime et j'étudie au microscope les diverses productions qui y ont pris naissance.
Le trouble du liquide est dû à une foule de petits bacteriums, de la plus petite dimension, très rapides dans leurs mouvements, pirouettant vivement ou se balançant, etc..…., fig. 13.
Les touffes soyeuses sont formées par un mycelium en tubes rameux, fig. 14.
Enfin, cette espèce de précipité pulvérulent sous forme de trai- nées blanches qui s’est montré le 10 janvier, ‘est constitué par une Torulacée très élégante représentée fig. 15. C’est une Torulacée très fréquente dans les liqueurs albumineuses sucrées, qui se développe, par exemple, dans les jus de betteraves rendus un peu acides, dans les urines des diabétiques, et que l’on pour- rait confondre avec la levüre de bière, à laquelle elle ressemble beaucoup par son mode de développement, si le diamètre de ses globules n’était sensiblement plus petit que celui des cellules de la levûre, plus petit d’un tiers ou même de la moitié. Les globules de cette Torulacée sont peu granuleux, plus translucides que les glo- bules de la levüre de bière. Le noyau, quand il est visible, est unique et très net. Ces globules se multiplient par bourgeonne- ment et affectent la forme rameuse de la levüre de bière en voie de multiplication.
Ainsi, voilà trois productions nées sous l'influence des pous- sières que l’on a semées, productions de même ordre que celles qu'on voit naître dans ces mêmes liqueurs sucrées albumineuses quand on les abondonne au contact de l’air ordinaire.
Le 17 janvier, j'ai introduit des poussières dans deux autres de ces ballons d’eau de levüre sucrée demeurées sans altération depuis le mois de novembre.
Le 19 au matin, un des liquides est tout trouble. Il n'offre
!
h0 L, PASTEUR,
d’ailleurs aucune apparence de myceliam. Le liquide de l'autre ballon est encore très limpide. Aucune apparence de production organisée.
Le même jour à cinq heures du soir, le premier ballon est dans le même état; le trouble est seulement accru ; quant à l’autre, la limpidité de son liquide est toujours parfaite. mais une touffe de mycelium sort du petit tube aux poussières et en garnit tout une extrémité.
Le 20, l’état du premier ballon n'a pas changé schlioipt, La moisissure du second s’est beaucoup développée, et il s’en est formé une nouvelle dans l’intérieur du liquide. En outre, la Himpi- dité du liquide parait légèrement altérée.
Le 21, le liquide du second ballon est presque aussi trouble que celui du premier, et les touffes de mycelium n’ont pris aucun accroissement depuis la veille, c’est-à-dire depuis que le trouble s’est manilesté dans toute la masse du liquide.
Le 22 et le 23 janvier, les touffes de mycelium restent toujours stationnaires, etiln’estpas douteux, comme onva le voir, qu’il faille attribuer l’arrêt de leur développement à la présence des infusoires qui troublent le liquide, et qui, en s’emparant de l'oxygène dis- sous, privent la plante d’un de ses aliments les plus essentiels. Ce résultat est constant, et c’est là ce qui explique pourquoi dans le premier ballon, la production développée en premier lieu, ayant élé formée par des infusoires, on n’a vu naître aucune autre pro- duction organisée.
Voici la confirmation remarquable de cette opinion :
Le 23 janvier, voyant que les touffes du mycelium du deuxième ballon sont stationnaires depuis le 20, je fais tomber le petit tube aux poussières dans le goulot du ballon, comme le représente la figure 16, afin de placer la touffe de moisissures qui garnit l’une des extrémités de ce petit tube, en contact avec l'atmosphère du ballon, et éloigner ainsi l’influence des infusoires.
Or, dix-huit heures après, dès le 24 janvier au matin, la moi- sissure à poussé des filaments dans toutes les directions, qui tapissent le petit tube et le goulot du ballon. Le 95 elle a fructifié. Le 27, elle s'étend en partie à la surface du liquide du ballon.
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. A
A partir de ce jour elle ne s’est plus agrandie et est restée tout à fait stationnaire, parce que tout l'oxygène de l'air du ballon avait disparu et avait été remplacé par de l'acide carbonique.
Ces faits, que j’ai eu l’occasion de constater bien souvent dans des circonstances analogues, montrent toute l'influence que peuvent avoirles unes sur les autres des productions se développant simultanément, comment elles peuvent se nuire et comment il arrive qu’une liqueur peut offrir des organismes variés, mais toujours bien moins nombreux, dans chaque cas particulier qu'il n’y a de germes semés, et qu’il ne pourrait s’en développer à la rigueur. Les premiers qui sont en voie de multiplication étouffent les autres (1).
Toutes les personnes qui ont étudié les productions organisées des infusions ont pu faire la remarque qu'une infusion est privée plus ou moins complétement d’infusoires, s’il arrive qu’elle se couvre de Mucédinées, dans les premiers jours de son exposition à l'air. Et, inversement, lorsqu'elle débute par des infusoires, elle a peine à montrer des moisissures. La cause de ce fait est du même ordre que celle dont je viens de parler. Dans le premier cas l'oxygène est absorbé par les Mucédinées, dans le second par les Infusoires. Ce que je dis de l'oxygène peut s'appliquer sans doute aux autres aliments de ces petits êtres.
J'ai représenté figure 47 la Mucédinée développée dans le goulot du ballon, lequel a été ouvert le 31 janvier, afin de pou- voir étudier les productions auxquelles il avait donné lieu.
Au fond du liquide qui s'était éclairei depuis plusieurs jours,
(4) C'est donc à Lort, selon moi, que M. Pouchet donne comme une immense objection que les poussières qu'il a semées ne lui ont pas fourni plus de Mucédi- nées qu'il n'en apparaît sans semence, Qu'il veuille bien les semer, par exemple, sur une même liqueur, placée dans un vase divisé en compartiments, et il verra que les corpuscules de l'air semés dans ces compartiments lui fourniront des productions très diverses. C'est en définitive ce que je fais quand j'opère sur plusieurs ballons séparément.
Toutes les conditions seront pareilles, mais dans chaque petit compartiment les premières productions qui auront poussé ne nuiront en rien à celles des cases voisines. Seulement la variété des productions ne sera pas indéfinie parce qu'elle est limitée, comme on le sait, par la nature de l'infusion.
12 L, PASTEUR.
parce que la moisissure avait à son tour nui au développement des Infusoires, il y avait un dépôt sensible, blanc jaunâtre, formé uniquement de cadavres de petits Bacteriums et de petits Vibrions. Tous, sans exception, étaient sans mouvement autre que le mou- vement brownien.
Quant à la Mucédinée, son mycelium avait poussé des tubes verticaux, translucides, incolores, non ramifiés, portant à leur extrémité de petites boules colorées en brun foncé dans les indi- vidus les plus âgés. Ces sporanges s’écrasent facilement sous la lame de verre, en laissant voir des spores dans leur intérieur, On reconnait alors très nettement que ces sporanges ont une enve- loppe membraneuse, ear celle-ci se déchire par la pression. Si alors on fait arriver une goutte d’eau sous la lame de verre, instantanément la petite sphère se vide, et il en sort par courants rapides des amas de spores ovoïdes, d’une translucidité parfaite, et d’une grande netteté de contours. Leur diamètre varie de 0,006 à 0,008 de millimètre. Ce sont tous les caractères de l'espèce la plus commune du genre Ascophora. Mais, en outre, à côté de cette Mucédinée, j'en ai rencontré une très différente appartenant au genre Penicillium, représentée figure 18; et dans l’inté- rieur même du petit tube à poussières, mêlée aux fibres du coton, se trouvait une T'orula en grosses cellules de 0,02 à 0,04 de milli- mètre de diamètre, jointe à des articles beaucoup plus longs pro- venant d’un développement de ces cellules généralement très granuleuses. Elle est représentée figure 19,
Je pourrais multiplier beaucoup les exemples de productions nées dans l’eau de levüre sucrée par le fait de l’ensemencement des poussières de l'air, au sein d’une atmosphère d’air chauffé préalablement et par elle-même tout à fait inactive. J'ai choisi de préférence pour les décrire les essais qui m’avaient montré des productions organisées très communes, et qui apparaissent fré- quemment sur les liquides de la nature de ceux que j'employais. Mais les Mucorées, les Torulacées, les Mucédinées les plus di- verses, prennent naissance. Quant aux Infusoires, ce sont tou- jours, pour ce genre de liquides, de petits Bacteriums, les plus petites Monades ou les plus petits des Vibrions.
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. à
Or toutes ces productions sont précisément de la nature de celles que l’on voit apparaître dans la liqueur dont il s’agit, lors- qu’elle est librement exposée au contact de l’air ordinaire. En ce qui concerne les Infusoires, je puis affirmer que jamais dans au- cune circonstance je n’ai vu l’eau de levûre sucrée donner nais- sance à des Infusoires autres que les Bacteriums et les plus petits des Vibrions. L’Infusoire le plus gros que j'aie rencontré est le Monas lens de0"",004 de diamètre, et encore je ne l’ai vu que fort rarement soit à l’air libre, soit dans les ballons fermés. Quant aux végétaux, ce sont des Mucors, des Mucédinées ordinaires ou des Torulacées (1).
On pourrait peut-être se demander si, dans les expériences qui précèdent, le coton, en tant que matière organique, n’a pas eu quel- que influence sur les résultats. Il est surtout utile de savoir ce qui arriverait si l'on répétait les manipulations sur des ballons pré- parés comme on l’a dit, et en éloignant les poussières de l'air. En d’autres termes, la manipulalion à laquelle il faut recourir pour l'introduction des poussières n’a-t-elle par elle-même aucune in- fluence. Il est indispensable de s’en assurer.
Afin de répondre à ces questions, j'ai remplacé le coton par de l'amiante. Les bourres d'amiante, après une exposition de quel- ques heures au courant d’air de l’aspirateur (fig. L), ont été intro- duites dans des ballons en suivant les indications qui précèdent, et elles ont donné des résultats tout à fait de même ordre que ceux que nous venons de rapporter. Mais avec des bourres d'amiante
{1} Je dois dire ici, une fois pour toutes, que j'appelle mucors les produc- tions organisées végétales qui se développent de préférence à la surface des liquides, et qui offrent un aspect plus ou moins gras ou gélatineux, en pellicules minces ou épaisses, humides ou sèches, et quelquefois chagrinées ; mucédinées, les moisissures proprement dites dont le mycelium est formé de tubes diverse- ment ramifiés, et qui offrent à la surface du liquide des organes de fructifica- tion ordinairement colorés sous la forme de poussières, et quelquefois de tubes visibles à l'œil nu, terminés par des sporanges comme dans les moisissures les plus vulgaires, et enfin torulacées les petites plantes cellulaires non tubulées, qui se montrent au fond du liquide où elles se multiplient par bourgeonnement, en affectant la forme de précipités, à la manière de la levûre de bière.
hl L. PASTEUR,
préalablement calcinées et non chargées de poussière ou chargées de poussière, mais chauffées ultérieurement, il ne s’est produit ni trouble, ni Infusoires, ni plantes d’aucune sorte. Les liquides ont conservé une parfaite limpidité. J'ai répété un grand nombre de fois ces expériences comparatives, et j'ai toujours été surpris de leur netteté, de leur constance parfaite. Il semblerait, en effet, que des expériences de cette délicatesse devraient offrir quelque- fois des résultats contradictoires amenés par des causes d’erreur accidentelles. Or il ne m'est pas arrivé une seule fois de voir réussir les expériences à blanc, comme je n’ai jamais vu l’ense- mencement des poussières ne pas fournir des productions orga- nisées.
En présence de tels résultats, confirmés et agrandis par ceux des chapitres suivants, je regarde, comme mathématiquement dé- montré, que toutes les productions organisées, qui se forment à l'air ordinaire dans de l’eau sucrée albumineuse, préalablement portée à l’ébullition , ont pour origine les particules solides qui sont en suspension dans l’air.
Mais, d’autre part, nous avons vu au chapitre IT que ces parti- cules solides renferment, au milieu d'une foule de débris amor- phes : carbonate de chaux, silice, suie, brins de laine, etc., des corpuscules organisés qui ressemblent, à s'y méprendre, aux pe- tites graines des productions dont nous avons reconnu la forma- tion dans cette liqueur. Ces corpuseules sont donc les germes fé- conds de ces productions.
Concluons, en outre, que, si l’air chauffé mis en présence d’une conserve d’Appert formée par de l’eau sucrée albumineuse, telle que du moût de raisin, ne s’altère pas, ainsi que l’a trouvé le pre- mier le docteur Schwann, c’est que la chaleur a détruit les germes que cet air charriait. C’est ce que prévoyaient tous les adversaires de l’hétérogénie. Je n’ai fait qu'en donner des preuves solides et décisives, et obliger les esprits non prévenus de rejeter bien loin toute idée de l'existence dans l'air d’un principe plus ou moins mystérieux, gaz, fluide, ozone, etc., ayant la propriété de provo- quer une organisation quelconque dans les infusions.
I y aurait ici à traiter une question bien intéressante, sur la-
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. ts)
quelle je reviendrai dans une publication spéciale, et qui ne man- quera pas de surprendre le lecteur. Rien n’est plus propre que la liqueur étudiée dans les pages précédentes, à donner naissance à la fermentation alcoolique. L'eau de levüre sucrée est constituée à la manière du moût de raisin, du moût de bière, du jus de betterave, etc... liquides qui, exposés au contact de l’air ordinaire, entrent facilement en fermentation. Or, dans un nombre consi- dérable d'expériences disposées comme je l'ai dit précédemment, et où j'ai semé des poussières de l'air dans de l’eau de levüre sucrée, il ne m'est jamais arrivé d’oblenir la fermentation du liquide sucré.
C'est ici le lieu de faire remarquer qu'il n'y a rien de plus contraire à la vérité que cette assertion souvent reproduite par les partisans de la doctrine des générations spontanées , « que l’appa- » rition des premiers organismes est toujours précédée par des » phénomènes de fermentation ou de putréfaction, et que la for- » mation des Animalcules dans les macérations vient à la suite » l’un dégagement de gaz divers dus à la décomposition des sub- » stances que l’on a employées, et que c’est après la manifestation » de ces phénomènes qu'il se forme à la surface des liquides une » pellicule particulière (1). » Aussi, lorsque l’on me parle de mouvement fermentescible, que je détermine dans mes liqueurs en y semant les poussières, mouvement fermentescible nécessaire pour l’évolution des forces génésiques , Je ne vois là que des mots vagues, auxquels l'expérience m'apprend à ne prêter aucun sens raisonnable. ,
CHAPITRE V.
Extension des résultats qui précèdent à de nouveaux liquides très altéra- rables. — Urine. — Lait. — Eau sucrée albumineuse mêlée de car- bonate de chaux.
$ I. — Urine.
On sait avec quelle facilité l'urine fraîche s’altère au contact de l'air atmosphérique. Le plus ordinairement elle perd son acidité,
(4) Pouchet, Traité de la génération spontanée, 1859, p. 359 et 383.
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se trouble, répand une forte odeur ammoniacale, et dépose des cristaux de diverses natures. Une étude microscopique attentive permet de reconnaître que le trouble de la liqueur, le dépôt qui se forme au fond du vase, la pellicule qui souvent recouvre peu à peu tout la surface du liquide, sont constitués par des productions organisées (1). Voici les plus fréquentes : La pellicule de la Sur- face du liquide est souvent une membrane mucorée, formée de granulations ou mieux d'articles d’une extrême ténuité ; on dirait des amas de Bacterium termo sans mouvement. Cela paraît d’au- tant plus probable que, dans cette même pellicule, fourmille cet Infusoire, et de très petites Monades se mouvant circularrement avec rapidité. Cette pellicule membraneuse tombe en tout ou en partie au fond du vase, dès qu’elle devient assez lourde en quelques points, puis une nouvelle se reforme, laquelle tombe à son tour ; de là l’origine de certains dépôts de l'urine en voie d’altération.
D'autres fois il se développe à la surface de l'urine des îlots de Mucédinées, surtout le Penicillium glaucum qui ne s’y propage cependant que péniblement, sans y prendre sa couleur vert bleuâtre bien franche.
Enfin, lorsque la température ambiante ne s’élève pas à plus de 15 degrés, l’urine se couvre assez fréquemment d'une pelli- cule continue, difficile à déchirer, et qui se reforme aussitôt sans solution de continuité, dès que l’on retire la baguette de verre avec laquelle on essaye de disjoindre ses parties. Lorsque cette pelli- cule prend naissance, il arrive assez souvent que l'urine reste acide, et ne se trouble pas sensiblement.
Cette pellicule est formée par une Mucorée remarquable, fort analogue à la Torulacée, figure 45, mais que je crois néanmoins différente spécifiquement. Elle est représentée figure 20. Ce sont des cellules translucides où le noyau est rarement apparent, se multipliant par bourgeonnement. Le diamètre des cellules varie
de 0°",0045 à 0"*,0065, sensiblement plus petit que celui des elobules de levüre de bière.
(1) Je laisse de côté, bien entendu, les dépôts muqueux, amorphes, qui pren- nent naissance dans l'urine par son refroidissement.
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Quant au dépôt qui prend naissance au fond et sur les parois d'un vase d'urine exposée à l'air, il renferme, outre les produc- tions tombées de la surface, des cristaux de nature variable. Mais ce que je veux surtout faire remarquer, c'est l’existence d'une Torulacée en chapelets de très petits grains, fig. 21, toutes les fois que la liqueur est devenue ammoniacale par la transformation de l’urée. Je suis très porté à croire que cette production conslitue un ferment organisé, et qu’il n’y a jamais trans{ormation de l’urée en carbonate d'anmoniaque, sans la pré- sence et le développement de-ce petit végétal. Cependant mes expé- riences sur ce point n'étant pas encore achevées, je dois mettre quelque réserve dans mon opinion. Ce que je puis affirmer dans tous les cas, c’est l’inexactitude d’un fait qui a été souvent cité dans les discussions auxquelles ont donné lieu les théories relatives à l'origine des fermentations. Ce fait bien connu consisterait dans la décomposition de l’urée, sous l'influence de la fermentation alcoolique du sucre. Toutes les fois que j'ai vu l'expérience réussir, la levüre de bière s’est trouvée mêlée à la Torulacée en chapelets dont je viens de parler, et lorsque la levüre de bière restait ho- mogène, sans mélange d’aucune autre production particulière, l’urée n’avait éprouvé aucune altération. Le fait qui précède, mieux étudié, concorde donc avec les idées nouvelles que j'ai émises dans ces dernières années au sujet de l’origine des fermentations proprement dites.
Nous venons de reconnaitre les productions les plus ordinaires de l’urine exposée au contact de l'air, et qui s’y montrent simul=- tanément ou séparément. Étudions maintenant ce qui se passe lorsque l’urine est soumise à l’action de l’air qui a été chaufé. Pour cela, reprenons l'appareil de la figure 10.
De l'urine fraiche filtrée est mise à bouillir pendant deux à trois minutes dans le ballon, communiquant avec le tube de platine chauffé au rouge. On cesse alors l’ébullition, de manière que le ballon refroidi soit rempli d'air calciné sous la pression et à la température ordinaire ; puis on le ferme à la lampe, à la naissance de la partie effilée de son col. On porte alors le ballon, tel qu’il est représenté figure 11, à l’étuve, à la température de 25 à 30 degrés,
18 L. PASTEUR. température si favorable à la putréfaction de l’urine, Il peut y séjourner indéfiniment, sans éprouver d'autre altération qu’une oxydation lente de la matière albumineuse de l’urine ; du moins, l’urine se fonce un peu en couleur avec le temps, et l'analyse de l'air du ballon accuse une perte d'oxygène et un gain d’acide carbonique.
Le 14 avril 1860, j'ai analysé l’air d’un ballon préparé comme je viens de le dire, et qui était à l’étuve depuis le 13 février Fe la même année. L'air renfermait alors :
Azote, par différence. . , . . . . . . * 76,8 Oxypenes ne PRIE SIREN RES Acide carbonique. . . . . . . . . . 3,9
100,0
Mais la limpidité de l'urine reste parfaite, même après dix-huit mois, etil n'y apparaît pas la plus petite production animale ou végétale : elle conserve également son acidité et son odeur pre- mières.
L'urine, qui a été portée à la température de lébullition, n’éprouve danc aucune putréfaction ou fermentation en présence de l'air chauffé (1).
(1) Mais il ne sera pas inutile de faire remarquer encore ici que cette expé- rience, effectuée avec l'aide de la cuve à mercure, donne des résultats positifs, sans que l'on introduise en apparence rien qui puisse contenir des germes. Que l'on prenne, par exemple, le ballon de la figure 114, et que l’on brise sa pointe au fond de la cuve à mercure, puis que l’on fasse sortir du gaz afin que le mer- cure puisse rentrer ensuile dans le ballon, il arrivera au moins neuf fois sur dix, sinon toujours, que des moisissures ou de petits Infusoires apparaîtront dans la liqueur. C’est le mercure qui en apporte les germes.
Je ne rapporterai qu'une expérience de ce genre,
Le ballon dont il est question dans le texte a été reporté à l’étuve le 44 avril, après qu'on eut prélevé sur la cuve à mercure le volume d'air nécessaire à l'ana- lyse. Ce ballon était renversé dans un verre à pied sur le mercure. Or, voici ce qui se passa : le 416 avril, il y avait au fond de l'urine, à la surface de séparation de l'urine et du mercure, douze petites louffes de mycelium. Le liquide avait conservé une limpidité parfaite, preuve de l'absence absolue des Infusoires. Le 21 avril, plusieurs des petites touffes réunies par juxtaposition se sont tellement accrues, qu'elles ont atteint la surface de l'urine et que leurs tubes se trouvent ainsi en contact avec l'air. Le liquide est toujours d'une parfaite limpidité, Dès
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Voyons maintenant ce qui arrive à ce liquide, lorsque toutes les conditions précédentes sont remplies, et que l’on y dépose les poussières qui existent en suspension dans l'air.
Le 16 mars 1860, j'introduis dans un ballon, contenant de l'urine et de l’air chauffé, une petite bourre d’amiante qui avait été exposée pendant quelques heures à un courant d’air ordi- naire.
L'introduction des poussières fut pratiquée en suivant la méthode de la figure 12, avec toutes les précautions déjà indiquées au pré- cédent chapitre.
Le 47 mars il n’y a ni trouble, ni moisissures, ni Torulacée. Pas de cristaux déposés.
Le 48, pas de moisissure apparente, ni dans je tube, ni ailleurs, mais le liquide est trouble, comme cela arrive toutes les fois qu’il y a développement d’Infusoires. Ainsi que je lai fait observer, . c'estle mouvement même de ces petits êtres qui est la cause du trouble de la liqueur. Dès qu'ils périssent par privation d'air, ils se rassemblent au fond du vase, comme ferait un précipité, et le liquide s’éclaireit.
Le 19 mars, le trouble existe encore et a déjà formé un dépôt très sensible au fond du ballon, dépôt blanc, un peu vis- queux.
Le 20 etle 21 mars, toujours même état.
le 24 avril au soir, un flot est constitué à la surface du liquide, avec sporanges visibles, de couleur verte el rappelant tout à fait le penicillium giaucum.
Quelques jours après, la Mucédinée occupait plus de la moitié de la surface du liquide. J'analyse alors de nouveau le gaz du ballon. Il renfermait :
Acidegarbonigne., Li... siner sfiante à 19,5 Azote par différence. . . . . . … . .. 80,5 GPU) enr PAM SN AR TRE RE 0,0
100,0
Remarquons en passant que, d'après cette analyse, une Mucédinée épuise par sa végétation jusqu'aux plus petites quantités d'oxygène libre de l'air d'un ballon fermé.
&° série, Zooc. T. XVI. (Cahier n° 4.) 4 %
50 L. PASTEUR.
Le 21 au soir, beaucoup de petits cristaux sont déposés à la surface du liquide et tapissent toutes les parois du ballon. Ce dépôt de cristaux annonce que le liquide doit être ammoniacal et qu’il s’est altéré suivant un des modes ordinaires de putréfaction de l'urine, au contact de l’air ordinaire.
Le 23 mars, j'ouvre le ballon sur le mercure. 1 n’y a pas de pression qui annonce qu'il y ait eu dégagement de gaz. Le liquide est très sensiblement alealin au papier de tournesol rouge, cepen- dant la réaction alcaline, aussi bien que l’action de l'acide chlorhy- drique indique, qu'il ne s’est pas encore formé beaucoup de carbo- nate d'ammoniaque, L'examen au microscope accuse la formation de trois sortes de cristaux, d’une foule de petits Bacteriums dont plusieurs encore très agiles, el des monades très pelites qui se déplacent suivant des courbes. Il y avait en outre la Torulacée, figure 21, en petits grains réunis sous forme de courts chapelets. Le résultat de cet examen au microscope est représenté figure 22; on a seulement figuré à part les cristaux et les productions orga- nisées.
Le dianètre des grains de la Torulacée en petits chapelets était de 0"",0015 environ, C'est le ferment organisé que je regarde comme le ferment de l'urine, c’est-à-dire celui qui provoque Ja transformation de l’urée en carbonate d’ammoniaque, et qui, ulté- . rieurement par le fait de l’acalinité qui en résulte, amène ledépôt des urates alcalins et du phosphate ammoniaco-magnésien.
L’urine, abandonnée à elle-même et qui reste acide, laisse bien déposer des cristaux, mais ce sont des cristaux d'acide urique. J'ai dessiné, figure 25, des cristaux de cet acide, déposés dans de l'urine qui était restée acide pendant quinze jours, à la tempé- rature de 11 degrés, et à la surface de laquelle n’avait pris nais- sance que la mucorée déjà représentée figure 20.
Je pourrais mulliplier beaucoup les exemples d’altération de l'urine en présence de l'air chauffé, sous l'influence des poussières qui existent dans l'air ordinaire, mais cela aurait peu d’utilité (4):
{1) Je citerai cependant encore une expérience choisie parmi celles qui ont
donné en premier lieu des Mucédinées, avant toute formation d'Infusoires, Le 2 mai 1860, je dépose dans un ballon conservé, à l'aide de la méthode
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES, 51 Bacteriums, Monades, Mucédinées, Torulacées diverses, voilà tou- jours cequel'on observe. Cependant les Mucélinées sont en général moins fréquentes que dans les expériences avee Feau sucrée albu- mineuse. Ce qu'il faut surtout remarquer, c’est qu'il n’y a pas plus de variété dans les productions qu'offre l'urine exposée à l'air ordi- paire, qu'il n'y en a dans celles de l'urine exposée à l'air chauffé, sous l'influence des poussières qui flottent dans l'air. La différence, si elle existe, est plutôt en faveur du second mode d’expérimen- tation.
Notre conclusion sera donc que toutes les fois que l'urine s’al- tère au contact de l'air ordinaire, c’est par le fait des poussières solides que l'air charrie et qui tombent dans le liquide.
Nous pouvons déjà remarquer par les détails des expériences que j'ai rapportées jusqu'ici, combien est fréquente la formation des plus petits des infusoires et surtout du Bacierium termo, qui se montre dans toutes sortes d’infusions et qui apparait presque toujours avant les autres Infusoires. Cet Infusoire est si pelit qu'on ne saurait distinguer son germe et encore moins assigner la pré- sence de ce germe, s’il était connu, parmi les corpuscules orga- nisés des poussières en suspension dans l'air. Mais commeni n'existerait-1l pas dans l'air, lui qui est partout à profusion? Je n’en veux d’autres preuves que celles que l’on peut déduire de examen microscopique d’une foule de substances en putréfaction. Que l'on se rappelle également les observations de Leewenhoeck sur les
indiquée figure 12, une très petite portion de bourre de coton chargée de pous- sières de l'air.
Le 4 mai, à huit heures du matin, une touffe de mycéiium en tubes très Jâches flotte dans le liquide, qui a conservé toute sa limpidité. Le même jour, à sept heures du soir, apparaissent en outre trois trainées d'un blanc opaque, su. les parois du fond du ballon,
Le 5 mai, le développement des productions de la veille continue. Le liquide
“st toujours d'une parfaite limpidité. Même état le 6 et le 7 mai, Du 7 au 8, le uide se trouble uniformément par l'apparition de petits Bacteriums, et les moisissures restent stationnaires à partir de ce moment par privation d'oxygène. Le 9 et les jours suivants, des cristaux commencent à se déposer sur les parois du ballon,
52 L. PASTEUR.
Infusoires de la matière blanche qui s'amasse entre les dents, et qui ne fait défaut dans la bouche de personne, quel que soit le soin que l'on prenne à tenir ses dents dans un état de propreté aussi parfait que possible. Les Bacteriums fourmillent dans la plus petite parcelle de cette matière. On les retrouve en grande quantité dans le canal intestinal et les matières des excré—
ments (1). $ II. — Lait. — Eau sucrée albumineuse avec carbonate de chaux.
L'étude du lait et de quelques autres liquides va nous offrir des résultats qui paraîtront au premier abord singulièrement embar-
(4) M. Pouchet a souvent rappelé, sous forme d'objection aux idées que je défends dans ce mémoire, que dans les vaisseaux clos, ce sont toujours les plus petits Infusoires qui prennent naissance. Cela est vrai, et cette remarque méri- terait un examen sérieux, s’il était prouvé qu'une même liqueur donne au con- tact de l'air ordinaire de gros Infusoires, tandis qu'elle en fournit seulement de très petits dans un ballon, en présence de l'air chauffé. Mais cela n'est pas. Etsi M. Pouchet connaît une liqueur qui, après avoir subi la température de l'ébullition à 100 degrés, donne naissance, après deux ou trois jours seulement, à de gros Infu- soires, lorsqu'elle est exposée à l'air libre, j'affirme que je pourrai y faire naître ces mêmes gros Infusoires, en opérant dans des ballons, au contact de l’air chauffé, et par l'influence seule des poussières qui sont en suspension dans l'air. Si, au contraire, celte liqueur ne donne de gros Infusoires qu'après un temps assez long, et après qu'il y aura eu succession dans la liqueur de plusieurs générations des petits Infusoires, la difficulté de faire naître les gros dans un volume limité d'air, tiendra simplement à ce que l'air altéré par le développement des premiers et très pelits Infusoires, et ayant perdu tout son oxygène, l’éclosion des germes des gros Infusoires ne pourra plus avoir lieu. Mais la difficulté pourra étre levée facilement, dans ce cas, si l'on s'arrange de manière à renouveler l’air chauffé dans le ballon. i
En opérant comme je l'ai dit, je n'ai pas vu naître de gros Infusoires dans l'eau sucrée albumineuse, ou dans l'urine, préalablement portées à l'ébullition.: Je n'ai vu ni Kolpodes, ni Vorticelles, ni Paramécies... Mais je n'ai pas davan- tage aperçu ces Infusoires dans ces mêmes liqueurs, lorsqu'elles étaient exposées au libre contact de l'air, et il est juste que l'on ne m'invite pas à faire appa-! raître dans mes expériences des Infusoires de nature plus diverse que celle que l'on observe dans les essais à l'air libre, toutes choses égales d'ailleurs,
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. Dà
rassants. Lorsqu'il s’est agi dans les chapitres précédents de l’eau de levüre sucrée et de l’urine, nous avons reconnu que ces liquides, portés à la température de l’ébullition à 400 degrés pendant deux ou trois minutes, puis exposés au contact de l’air qui a subi la température rouge, n’éprouvent aucune altération. L'expérience, conduite comme je l'ai décrite en se servantde l’appareil figure 10, n’est jamais en défaut.
Cela posé, si l’on répète celte même expérience sur le lait or- dinaire, on peul être assuré que le lait se caillera et se putréfiera constamment.
Le 10 avril 1860, je prépare un ballon de lait avec l’appareil de la figure 40. L’ébullition a duré deux minutes, depuis le moment où la vapeur d’eau avait déjà assez échauffé la partie effilée du col pour que l’on ne puisse y tenir la main. Après le refroidissement du liquide, on ferme à la lampe le col du ballon comme à l’ordi- naire, et on le porte dans une étuve à la température de 95 à 30 degrés.
Le 17 avril, le lait de ce ballon est caillé. Aucune apparence de dégagement de gaz. Je détache le col par un trait de lime. Faible odeur de lait caillé. Le petit-lait est alcalin autant que le lait frais. Examiné au microscope , je le trouve rempli de Vibrions d’une même espèce, mais de longueurs très variables, Ils ont un mouvement lent, flexueux; il n’y a pas du tout de Bacterium termo, ni aucune autre production animale ou végétale. Il n'est donc pas douteux que le lait s’est caillé sous l’influence de la vie de ces Vibrions, peut-être par le fait de la production d’un liquide analogue à la présure. Une foule de ces Vibrions avaient jus- qu'à 0°",05 ; les plus petits avaient 0"°,004 de longueur. Beau- coup étaient sans mouvements.
L'analyse de l'air du ballon à donné :
Dayeèneir.2 shol: silrs etes dt Li 0,8 Acidetearhonique. 41.1 20, pe meute ve 17,2 HUGrOPÉNE 4 ele j. “ed 0,2
A701O HAN CINeENCEEs EN ce, 81,8
5l L. PASIEUR,
I] résulte de cette analyse que l'oxygène avait en grande partie disparu, et avait été remplacé par de l'acide carbonique, sans nul doute sous l'influence de la respiration des Vibrions. Le fait de l'existence des Vibrions encore vivants à l'ouverture du ballon, bien qu'il n’y eût pas un centième d'oxygène, montre que la vie de ces petits êtres se poursuit tant qu'il y a de l'oxygène, et lors même que la proportion d'acide carbonique est considérable. Nous avons déjà constaté un fait de même ordre pour les Mucédinées à la page 49.
Bien que le lait de ce ballon ait mis sept jours à se cailler, du 10 au 47 avril, il ne faut pas en conclure que le phénomène ne s'est manifesté qu'après sept jours. Si l’on avait ouvert le ballon le 42, le 43 avril, on aurait reconnu déjà la présence des Infusoires et un commencement très faible de coagulation.
La coagulation se manifeste en général de trois à dix jours; mais je l'ai vue dans un cas ne se déclarer qu'après un mois de séjour à l’étuve, du 14 mars au 46 avril. Cela indique seule- ment que les Infusoires se sont multipliés péniblement et lente- ment.
Les expériences dont nous venons de parler m'ont toujours offert des résultats analogues. Le lait soumis à l’ébullition à 400 degrés, et abandonné au contact de l'air chauffé, se remplit après quelques jours de petits Infusoires, le plus souvent d’une variété de 7/ibrio lineola, Big. 24, et de Bacteriums, ct, tout en conservant son alcalinité, il se caille.
Je n'ai jamais vu se former dans le lait ainsi traité autre chose que des Vibrions et des Bacleriums, aucune Mucédinée, aucune Torulacée, aucun ferment végétal. Il n’y a pas de doute que cela tient à ce que les germes de ces dernières productions ne peu- vent résister à 100 degrés au sein de l’eau, ce que j'ai d’ailleurs constaté par des expériences directes. Et de même nous allons re- connaître que, si le lait se putréfie dans les circonstances précé- dentes, c'est que les germes des Infusoires dont nous venons de parler peuvent résister à la température humide de 100 degrés, lorsque le liquide où on les chauffe jouit de certaines pro- priétés.
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Pour ce qui est de la coagulation du lait, nous voyons par ces expériences que le lait abandonné au contact de l’air se caille sous deux influences très différentes. Il peut se caillec par le fait du développement d'Infusoires, phénomène qui rentre probablement dans les cas de coagulation du lait par la présure. 1 y a lieu de rechercher si, par suile de la vie des Infusoires, il prend nais- sance dans un liquide analogue à celui des présures naturelles ou artificielles, qui peuvent, elles aussi, produire la coagulation sans acidité, I y a d'autre part la coagulation du lait sous l'influence de l'acide lactique. Lorsque le lait frais, non bouilli, est abandonné au contact de l’air, la coagulation est due le plus souvent à cette seconde cause. Quant à l'acidité elle-même, elle est occasionnée par le développement de ferments végétaux, particulièrement le ferment lactique, qui transforment le sucre de lait en acide lactique ou en d’autres acides, ferments qui ne peuvent prendre naissance lorsque le lait a été bouilli, et qu’il est exposé à l’air chauffé, parce que les germes de ces ferments ne résistent pas à 100 degrés.
J'ai dit que la putréfaction du lait qui a été chauffé à 100 degrés, et qui se trouve exposé à l'air calciné, était due à ce que, dans certains cas, les germes des Vibrions résistaient à la température de 100 degrés. I est facile de s’en convaincre. Reprenons, en effet, l'appareil de la figure 40, et faisons bouillir le lait à une température un peu supérieure à 400 degrés, 110 degrés au maximum, en adaptant à l'extrémité gauche du tube de pla- tine le tube de verre de la figure 10 bis, plongeant de 40 à 50 centimètres dans le mercure de la longue cuvette que repré- sente cette même figure. Détachons ce tube de verre lorsque l'ébullition du lait aura duré seulement une minute ou deux; puis fermons à la lampe le col du ballon comme nous l’avons toujours fait. Ces ballons ainsi préparés pourront alors rester indéfiniment à l’étuve, sans jamais donner lieu à la moindre production, moi- sissure ou Infusoire quelconques.
Le lait conserve sa saveur, son odeur et toutes ses qualités Il est surprenant que sa matière grasse ne s’oxyde pas plus rapidement en présence d’un volume d’air aussi considerable. Cette oxydation existe cependant, mais elle est très faihle. Voicr
56 L. PASTEUR. l’analyse de l'air d’un ballon qui était resté quarante jours à l’é- tuve :
REA ANT PT SR se en» 18,37 ACIAD LATPORIQUEs ICS MRERNRN EEE UT, 0,46 Azote par différence. . . . . . . . . . . 81,47
100,00
Sous l'influence de cette oxydation directe, la crème se gru-- melle un peu, et communique au lait une légère saveur de suif.
Ainsi donc la putréfaction du lait, bouilli à 100 degrés et exposé à l’air chauffé, n’était qu'un accident provoqué par ce fait, que la température de l’ébullition n’avait pas été assez élevée. 11 suffit de la pratiquer à 100 et quelques degrés, et rnême quelquefois de la prolonger à 100 degrés, pour que les résultats aient toute la netteté et toute la précision de ceux que nous avons déjà obtenus en opérant sur l’eau de levüre sucrée et sur l’urine.
Mais, dira-t-on, comment se fait-il que l’eau de levüre sucrée et l'urine n'aient besoin de subir qu’une ébullition à 400 de- grés, pour que jamais on n’y voie apparaître des Vibrions au con- tact de l’air chauffé. Nous allons reconnaître que cela est dû vrai- semblablement à ce que ces liquides sont très faiblement acides, tandis que le lait est alcalin. En effet, j'ai reconnu que l’on peut faire produire des Vibrions, à l’eau de levüre sucrée, au contact de l'air calciné. Il suffit de faire bouillir la liqueur à 100 degrés en présence d’un peu de carbonate de chaux, qui rend la liqueur neutre ou légèrement alcaline.
Le 21 mars 1860, je prépare six ballons à l’aide de l’appareil figure 10, chacun d'eux renferme :
40 grammes de sucre. 100 cent. cubes d’eau de levüre de bière (0,5 de matière solide). A gramme de carbonate de chaux.
” Après les avoir remplis d’air calciné, je les ferme à la lampe d’émailleur, et je les dépose à l’étuve.
Le 25 mars, le liquide de ces ballons est trouble, et tout annonce qu'ils renferment des Infusoires. Le trouble a commencé pour trois d'entre eux dès le 23 mars.
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J'ouvre un de ces ballons le 25 mars, et je trouve, en effet, le liquide rempli de très petits Vibrions dont plusieurs se meuvent visiblement, quoique avec beaucoup de lenteur; ils sont comme malades. Le 5 avril, les quatre ballons qui n’ont pas été ouverts montrent à leur surface un mucor gélatineux, épais, chagriné et de couleur rougeâtre. Au microscope, ce mucor est constitué par un amas de granulations d’une extrême ténuité. Au fond du liquide se trouve un dépôt de cadavres de petits Vibrions. Je pense que ce mucor est une espèce cryptogamique végétale indépendante de la production des Vibrions, et que, conséquemment, le germe de ce mucor particulier, aussi bien que le germe des Vibrions a ré- sisté dans ces conditions particulières à la température de 100 de- grés pendant deux à trois minutes.
Si maintenant nous répétons ces mêmes essais en faisant bouillir le liquide à 405 degrés seulement, comme nous l'avons fait tout à l'heure pour le lait, dans aucun cas on ne verra se former le moindre trouble, ni mucorée quelconque. Dès lors, il n’est pas douteux que si le lait s’altère en présence de l'air calciné, lorsqu'il n'a subi qu’une ébullition à 100 degrés, c’est qu’il est légèrement alcalin, puisqu'il suffit d'ajouter un peu de craie à l'eau de levûre sucrée pour lui communiquer les mêmes propriétés, propriétés qu’elle n’a jamais si elle est mise à bouillir sans addition de craie.
Mais poursuivons ces éludes, et voyons ce qui arrive, en pré- sence de l'air calciné, lorsque l’on sème les poussières de l'air dans du lait conservé intact par une ébullition à 400 et quelques degrés.
Le 7 avril 1860, je fais passer dans un ballon, dont le lait bouilli à 108 degrés est resté sans altération depuis deux mois, une portion d’une petite bourre d'amiante chargée des poussières en suspension dans l’air.
Le 9 et le 10 avril, le lait paraît intact. Mais déjà le 10 avril au soir, la couche crémeuse de la surface emprisonne des bulles de gaz. J'agite pour les faire disparaître ; deux heures après de nou- velles bulles sont déjà reformées. Le 41, la fermentation continue à se manifester par des bulles de gaz; maisle lait n’est pas caillé. Le 12, même état que la veille.
98 L. PASTEUR, -
Le 15 avril, le lait, sans être caillé, paraît éclairci, J'ouvre le ballon sur la cuve à mercure, afin d’en étudier le contenu. Une quantité notable de gaz sort avec force du ballon; 1l est donc certain qu'il y a eu fermentalion. Cependant le liquide n’est pas acide ; ila même encore au papier de tournesol rouge un soupçon d’alcalinité. Son odeur est faible, quoique sensible et toute parti- culière ; c’est l'odeur du lait aigre, ou plus exactement l'odeur des petits enfants à la mamelle lorsqu'ils sont mal soignés. Ea saveur du lait est douce en premier lieu, puis elle fait bientôt place à une autre saveur très désagréable qui a quelque chose d’amer et de poivré. Exposé pendant quelques instants au bain-marie, le lait se caille aussitôt en donnant un pelit-lait tout opaque. Au micro- scope, on voit mêlés aux globules de beurre une foule de petits articles souvent étranglés au milieu : c’est la variété allongée du Bacterium termo qui élait mêlée, en outre, au Wibrio lineola de petite dimension. Tous sont sans mouvement. On voit d'autre part une foule d'articles d’un diamètre presque double, caractérisés par une espèce de tête sphérique à une extrémité. Leur nombre est au moins égal à celui des Bacteriums et des Vibrions, Comme eux, ils sont sans mouvements apparents.
Voici l'analyse du gaz :
Gay Éene Late latte 2: OLIS Lin 19 4 2,3 Acide carbonique. . . .. . . . . . . . : : 28,6 PUR d'A tE A et apate Do 11,0 Azote par différence. . . . , . . . . .-. . 58,1
100,0
J'ai répété celte expérience à diverses reprises sur le lait ou sur l'eau de levüre sucrée mêlée de carbonate de chaux ; elle a tou- jours donné des résultats analogues , c’est-à-dire qu’il ne m'est jamais arrivé de semer les poussières de l'air dans des liqueurs conservées intactes par le moyen que j'ai indiqué, sans voir appa- raître au bout de très peu de jours soit des Mucors ou Mucédinées diverses, soit des Infusoires. 11 résulte de là que, si le lait bouilli à 100 et quelques degrés ne s’alière ni ne se caille au contact de l'air chauffé, ce n’est pas qu’il en ait perdu la propriété, puisqu'il
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES, 09 suffit d'y déposer des poussières recueillies dans l'air ordinaire, pour le voir donner lieu à des productions organisées de même ordre que celles que le lait frais montre, au bout de quelques jours, quand on l’expose à l'air ordinaire. Conséquemment, s'il se putréfie, et présente des Infusoires au contact de l'air chauffé, lorsqu'il n’a été bouilli qu’à 100 degrés, c’est évidem- ment que les germes de ces Infusoires résistent à la température de 100 degrés pendant quelques minutes. L'expérience suivante achèvera d’en donner une preuve directe.
Un ballon de Jait est conservé intact depuis deux mois en pré- sence de l’air calciné. J'y dépose des poussières de l’air en suivant la méthode indiquée figure 42, et décrite au chapitre IV. Je re- ferme immédiatement le ballon à la lampe, et je le porte tout entier dans une marmite pleine d’eau en ébullition: vive. Je l’y ai laissé cinq minutes, et je l'ai retiré alors pour le porter à l’étuve : c'était le 24 juillet 1860. Le 30 juillet, il commence visiblement à se cailler ; le 34, il l’est complétement. Je l’ouvre alors pour étudier le liquide au microscope; jy découvre une foule de Bacteriums et de Vibrions très agiles. Au papier de tournesol rouge, le petit-lait a conservé toute son alcalinité première.
J'aurais bien désiré rechercher quelle est la véritable origine des germes des Vibrions qui apparaissent dans le lait bouilli à 100 de- grés, puis expose à l'air calciné. Ces germes existent-ils dans le lait naturel? Cela n’est pas impossible, Cependant je suis plus porté à croire qu'ils appartiennent simplement aux poussières qui tombent dans le lait pendant et après la traite, ou qui se trouvent toujours dans les vases employés pour recueillir le lait. J'ai rencontré des difficultés que je n’ai pas encore levées, pour introduire dans mes ballons, cn présence de l'air chauffé, du lait naturel, n'ayant eu aucun contact avec l'air ordinaire. J'ai pu réaliser convenable- ment l'expérience avec l'urine, et j'ai vu qu'elle restait tout à fait sans altération au contact de l'air calciné, bien qu'elle n’eût subi aucune élévation de température. Néanmoins, ce sont des expé- riences que je me propose de reprendre et de suivre avec des soins particuliers. Tout le monde en comprendra l'importance.
60 L. PASTEUR.
CHAPITRE VI.
Autre méthode très simple pour démontrer que toutes les productiens organisées des infusions (préalablement chauffées), ont pour origine les corpuscules qui existent en suspension dans l’air atmosphérique.
Je crois avoir établi rigoureusement dans les chapitres précé- dents que toutes les productions organisées des infusions, préala- blement chauffées, n'ont d'autre origine que les particules solides que l'air charrie toujours et qu’il laisse constamment déposer sur tous les objets. S'il pouvait rester encore le moindre doute à cet égard dans l'esprit du lecteur, il serait levé par les expériences dont je vais parler.
Je place dans un ballon de verre une des liqueurs suivantes, toutes fort altérables au contact de l’air ordinaire, eau de levüre de bière, eau de levüre de bière sucrée, urine, jus de betteraves, eau de poivre ; puis j'étire à la lampe le col du ballon de manière à lui donner diverses courbures, comme l'indique, la figure 25. Je porte ensuite le liquide à l'ébullition pendant quelques minutes jusqu'à ce que la vapeur d'eau sorte abondamment par l'extrémité du col effilé restée ouverte, sans autre précaution, Je laisse alors refroidir le ballon. Chose singulière, bien faile pour étonner toute personne habituée à la délicatesse des expériences relatives aux générations dites spontanées, le liquide de ce ballon restera indéfiniment sans altération. On peut le manier sans aucune crainte, le transporter d’un lieu à un autre, lui laisser subir toutes les variations de température des saisons, et son liquide n’éprouve pas la plus légère altération et conserve son odeur, et sa saveur ; c’est une conserve d’Appert excellente. Il n’y aura d’autre change- ment dans sa nature que celle que peut apporter, dans certains cas, une oxydation directe, purement chimique de la matière. Mais nous avons vu par les analyses que j'ai fait connaitre dans ce mémoire, combien cette action de l'oxygène était bornée, toutes les fois qu’il n’y avait pas de productions organisées développées dans les liqueurs.
I semble que l’air ordinaire rentrant avec force dans les
SUR LA DOCTRINE DES CÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 61
premiers moments doit arriver tout brut dans le ballon. Cela est vrai, mais il rencontre un liquide encore voisin de la température de l’ébullition. La rentrée de l'air se fait ensuite avec plus de len- teur ct, lorsque le liquide est assez refroidi pour ne plus pouvoir enlever aux germes leur vitalité, la rentrée de l’air est assez ralentie pour qu’il abandonne dans les courbures humides du col toutes les poussières capables d'agir sur les infusions et d'y déterminer des productions organisées. Du moins, je ne vois pas d'autre explica- tion possible à ces curieuses expériences. Que si, après un ou plusieurs mois de séjour à l’étuve, on détache le col du ballon par un trait de lime, sans toucher autrement au ballon, figure 26, et après vingt-quatre, trente-six ou quarante-huit heures, les moisissures et les Infusoires commenceront à se montrer abso- lument comme à l'ordinaire, ou comme si l'on avait semé dans le ballon les poussières de l’air, suivant la méthode de la figure 42.
Les mêmes expériences peuvent se répéter sur le lait, pourvu qu’on ait la précaution de produire l’ébullition sous pression à la température de 400 et quelques degrés, à l’aide de l'appareil figure 40 et figure 10 bis, et de laisser le ballon se refroidir pen- dant qu’il y rentre de l'air calciné. On peut alors abandonner le ballon ouvert à lui-même. Le lait se conserve sans altération. J'ai pu laisser plusieurs mois à l'étuve de 25 à 30 degrés, du lait préparé de cette manière, sans qu'il s’altère. On constate seule- ment un léger épaississement de la crème dû à une oxydation chimique directe.
Je ne connais rien de plus probant que ces expériences si faciles àrépéter et que l’on peut varier de mille façons. Je croyais à l’ori- gine qu'il était indispensable, soit de faire rentrer de l'air calciné, une première fois, pendant le refroidissement du liquide du bal- Jon, soit de maintenir le ballon constamment à la même tempéra- ture afin que l’air extérieur ordinaire ne püt en quelque sorte rentrer dans le ballon que par diffusion lente; mais j'ai reconnu ensuite que toutes ces précautions étaient exagérées. Dans les chan- gements de température, le mouvement de l'air ne se fait sentir que dans le col avec quelque intensité, et c’est là seulement qu'il
62 L. PASTEUR.
peut y avoir dépôt des germes que l'air transporte. On n'arrive à provoquer des productions organisées dans le liquide que par une très brusque agitation du liquide. Un autre moyen qui réussit le plus souvent pour déterminer l'apparition des productions, consiste à fermer l'extrémité effilée du ballon aussitôt après ou mieux pen- : dant l’ébullition. Le vide se fait ensuite par la condensatien de la vapeur d’eau, Alors, on débouchel’extrémité fermée du col recour - bé, l’air extérieur rentre avec force, emportant avec lui toutes ses poussières jusqu'au contact du liquide. Dans ce cas une altération du liquide se manifeste le plus souvent au bout de quelques jours.
Je dois ajouter que j'ai en ce moment dans mon laboratoire plu- sieurs liqueurs très altérables conservées depuis dix-huit mois dans des vases ouverts à cols recourbés et inclinés, notamment plusieurs de ceux qui ont été déposés sur le bureau de l’Académie des sciences, dans sa séance du 6 février 1860, lorsque j'ai eu l'honneur de lui faire connaitre ces nouveaux résultats.
Le grand intérêt de cette méthode, c'est qu'elle achève de prou- ver sans réplique que l’origine de la vie dans les infusions qui ont été portées à l’ébullition, est uniquement due aux particules solides en suspension dans l’air. Gaz, fluides divers, électricité, magné- tisme, ozone, choses connues ou choses ocultes, il n’y a absolu- ment rien dans l’air atmosphérique ordinaire qui, en dehors de ses particules solides, soit la condition de la putréfaction ou de la fermentation des liquides que nous avons étudiés.
Le docteur Schwann, et ceux qui ont répété ou modifié ses expériences, ainsi que je l'ai déjà dit, avaient élabli que ce n'est pas l’oxygène, ou du moins l'oxygène seul qui est la condition de la vie dans les infusions, mais quelque chose, un principe inconnu, que la chaleur détruit (Schwann), que le coton détruit (Schræder et Dusch), que détruisent les réactifs chimiques énergiques (Schultze). Là s'arrêtait l'expérience. Ces incertitudes et ces hési- tations dont nous(rouvons la trace dansle mémoire de M. Schwann el surtout dans les travaux de M. Schrüder, aulorisaient, soit l'hy- pothèse des germes disséminés, soit l'hypothèse de l'existence dans l'air d’un principe chimique ou physique, conclusion à laquelle M. Schrüder s'était arrêté.
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 63
Dans des recherches de cette nature, où l'esprit est dominé à son insu par le mystère impénétrable de l'origine de la vie à la surface du globe, je ne crois pas qu'il puisse y avoir d’hypothèses, si étranges soient-elles, qui ne trouvent crédit. On ne peut parve- nir à les éloigner que par des faits bien étudiés et rigoureusement démontrés. Il faut instituer, comme le dit avec autant de justesse que d'autorité, la commission du prix proposé par l’Académie, « instituer des expériences précises, rigoureuses, également étu- » diées dans toutes leurs circonstances, et telles en un mot qu'il » puisse en être déduit quelque résultat dégagé de toute confusion » née des expériences mêmes. »
Je me suis efforcé de donner ce caractère à mes expériences. Si je ne me trompe, celles que j'ai fait connaitre dans les chapitres précédents prouvent réellement ce qu’elles ontla prétention de prouver et qui se résume dans cette double proposition :
4° Il ya constamment dans l'air des corpuscules organisés qu'on ne peut distinguer des véritables germes des organismes des infusions ;
2 Lorsqu'on sème ces corpuscules et les débris amorphes qui leur sont associés, dans des liqueurs qui ont été soumises à l’ébul- lition et qui resteraient inlactes dans l'air préalablement chauffé si l'on n’y pratiquait pas cet ensemencement, on voit apparaitre dans ces liqueurs exactement les mêmes êtres qu’elles développent à l'air libre (4).
Cela posé, un partisan des générations spontanées veut-il con- tinuer à soutenir ses principes, même en présence de cette double
(1) Le lecteur remarquera le soin que je mets à indiquer toujours qu'il s'agit dans mes expériences d’infusions qui ont été portées à lébullition. J'espère pou- voir rechercher bientôt les effets de l'air calciné sur les liquides bruts de l’éco- nomie animale, tels que le sang, le lait, l'urine, ou sur les jus bruts des végé- taux. On sait que la plupart des substances solubles ou insolubles qu'élaborent les animaux et les végétaux, possèdent certaines propriétés spéciales, qu'elles perdent sons l'influence d'une température plus ou moins élevée. Ces matières, au nombre desquelles se trouvent les produits du genre de la pepsine, de la diastase.…, n'interviennent-elles pas dans le développement ou dans les modifi- cations morphologiques des êtres inférieurs? C’est une question qu’il me paraît utile d'examiner, et que j'aborderai prochainement. |
64 L. PASTEUR. proposition ? Il le peut encore; mais alors son raisonnement sera forcément celui-ci, et j'en laisse juge le lecteur :
«Il y a dans l’air, dira-t-il, des particules solides, telles que carbonate de chaux, silice, suie, brins delaine, de coton, fécule.…, et à côté des corpuseules organisés d’une parfaite ressemblance avec les spores des Mucédinées ou avec les œufs des Infusoires. Eh bien! je préfère placer l’origine des Mucédinées et des Infu- soires dans les premiers corpuscules amorphes plutôt que dans les seconds. »
A mon avis, l'inconséquence d’un pareil raisonnement ressort d'elle-même. Tout le progrès de mes recherches consiste à y avoir acculé les partisans de la doctrine de l’hétérogénie.
CHAPITRE VII
11 n’est pas exact que la plus petile quantité d’air ordinaire suffise pour faire naître dans une infusion les productions organisées propres à cette infusion, — Expériences sur l’air de localités diverses. — [ncon- vénients de l'emploi de la cuve à mercure dans les expériences rela- tives aux générations dites spontanées.
J'ai déjà indiqué dans la partie historique de ce mémoire l'in- fluence qu'avait eue, dans le sujet qui nous occupe, un travail célèbre de Gay-Lussac relatif à l’air des conserves d’Appert, et à l'interprétation que l’illustre physicien avait déduite de ses expé- riences. Voici ses propres expressions :
«On peut se convaincre en analysant l’air des bouteilles, dans » lesquelles les substances ont été bien conservées, qu’il ne con- » tient plus d'oxygène, et que l'absence de ce gaz est par consé- » quent une condition nécessaire pour la conservation des sub- » stances animales et végétales. »
Que l'air des conserves étudiées par Gay-Lussac fût privé d'oxygène, il n’y a pas à en douter. Personne n’oserait suspecter l'exactitude d’une analyse d’air faite par Gay-Lussac. Cependant il n’est pas douteux aujourd'hui, bien que personne, à ma connais- sance, n'ait repris avec suile ces expériences de Gay-Lussac, que les conserves d’Appert peuvent renfermer de l'oxygène, surtout
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 65 lorsqu'elles sont de nouvelle préparation. Il résulte des analyses d'air que j'ai rapportées pages 32, 48, 56, que l'oxygène de l'air rendu inactif par la chaleur, selon la méthode de Schwann, se combine directement avec les matières organiques, et en dégage de l'acide carbonique, mais c’est une action très lente. Néanmoins. le fait d’oxydation directe existe, il n’y a pas à le nier. Cette oxyda- tion peut être plus sensible dans les conserves d’Appert, au mo- ment où on les prépare, à cause de l'élévation de la température. Dans tous les cas, si là préparation y laisse de l'oxygène, ce gaz disparaïtra peu à peu par l'effet de cette oxydation directe dont je viens de parler. Il y a une circonstance qui doit contribuer beaucoup à rendre très faible ou nulle la quantité d'oxygène res- lant dans les conserves d’Appert : c’est le rapport des volumes d'air et de matière organique. Elles contiennent toujours peu d'air et beaucoup de matière, circonstance très favorable pour que le phénomène d'oxydation s'achève. Mais, je le répète, rien ne serait plus facile que de préparer des conserves en \ laissant de l'oxygène, et il y a lieu de croire que souvent elles en renferment. L'expérience de Schwann ne laisse aucun doute à cel égard.
C'est pourquoi l'interprétation donnée par Gay-Lussac aux résultats de ses analyses, à savoir que l'absence de ce gaz est une condition de la conservation, est tout à fait erronée. Tout le monde n'a pas su faire ce départ entre la vérité des faits observés par Gay-Lussac et l'erreur de son interprétation. Le docteur Schwann doit être regardé à juste titre comme l’auteur de la véritable théorie des procédés d’Appert, Les conserves d'Appert continuent de se conserver en présence de l'air chauffé : voilà sa découverte. Le secret de leur conservation est donc dans la destruction par la chaleur d’un principe que l'air ordinaire renferme, et non dans l'absence de l'oxygène (1).
(1) Bien que le fait de l'absence du gaz oxygène n'ait pas à intervenir dans l'explication du procédé, il ne faudrait pas en conclure que l'on pourrait dans la pralique laisser sans danger beaucoup d'air dans les conserves. Car si Ja cha- leur n'a pas détruit tous les germes d’Infusoires et de Mucédinées apportés par l'air ou les matières, ces germes encore féconds pourront se développer s'il
4° série, Zoo, T. XVI. (Cahier n° 2.) ! | 5
66 L. PASTEUR.
Mais il y a une extension des expériences de Gay—Lussac, à la- quelle la découverte de Schwann n'avait porté aucune atteinte, qu’elle aurait servi plutôt à confirmer, extension que les adver- saires de la doctrine des générations spontanées n’ont pas con- testée, et sur laquelle les partisans de cette doctrine appuient à juste titre une de leurs principales objections. C’est à savoir que la plus petite quantité d’air commun, mise au contact d’une infu- sion, y détermine en peu de temps la naissance des Mucédinées et des Infusoires habituellement propres à cette infusion.
Cette manière de voir a toujours eu pour appui, au moins in- direct, l'habitude prise et jugée indispensable par les observateurs d’éloigner avec des précautions infinies, dans leurs expériences, l'accès de l’air ordinaire. Nous l'avons vu, tantôt ils recomman- dent de calciner l'air commun, tantôt ils le soumettent aux agents chimiques énergiques; souvent ils placent préalablement toutes ses parties au contact de la vapeur d’eau à 100 degrés (expérience de Spalianzani) ; enfin ils opèrent d’autres fois avec de l’air arti- ficiel, et, s’il arrive dans une de ces conditions diverses, que l’ex- périence donne lieu à des productions organisées, ils n’hésitent pas à affirmer que l'opérateur n’a pas su éviter complétement l’'in- fluence cachée d’une petite portion d’air ordinaire, si pelite soit- elle.
Dès lors, les partisans des générations spontanées s’empressent de faire remarquer avec raison que, si la plus minime portion d’air ordinaire développe des organismes dans une infusion quelconque, il faut de toute nécessité, au cas où ces organismes ne sont pas spontanés, que, dans cette portion si petite d’air commun, il y ail
y a de l'oxygène, tandis que, si ce gaz est absent, ils ne se développeront pas plus que s'ils avaient été réellement privés de vie. Mais je pense que ce qui est toujours à craindre, même et surtout dans les cas où il y a peu d'oxygène, ce sont les germes des ferments végétaux ou animaux, ferments qui n'ont pas besoin d'air pour vivre, et dont les germes doivent être nécessairement tués par la chaleur. Je suis persuadé que c’est là le danger que le fabricant doit le plus redouter, et je suis porté à croire, par exemple, que les animalcules infusoires butyriques que J'ai fait connaître récemment, se développent dans certaines conserves mal préparées.
SUR LA DOCTRINE DES GÉNERATIONS SPONTANÉES. 67 les germes d’une multitude de productions diverses; et qu'enfin, si les choses sont lelles, l'air ordinaire, selon les expressions de M. Pouchet, doit être encombré de matière organique; elle y for- merail un épais. brouillard.
Ce raisonnement est assurément fort sensé. 1 le serait davan- tage encore s’il était bien établi que les espèces inférieures qui se montrent fort distinctes, le sont réellement, et proviennent par conséquent de germes différents. Cela est vraisemblable, mais cela n’est pas prouvé.
J y a donc là une difficulté sérieuse, en apparence très fondée. Mais n'est-elle pas le fruit d’exagérations et de faits plus où moins erronés ? Est-il vrai, comme on l’admet, qu'il y a continuité de la cause des générations dites spontanées dans atmosphère ter- restre ? Est-il bien sûr que la plus petite quantité d’air ordinaire suffise à développer dans une infusion quelconque des productions organisées ?
Les expériences suivantes répondent à foules ces questions.
Dans une série de ballons de 250 centimètres cubes, j'introduis là même liqueur putrescible (eau albumineuse provenant de la levüre de bière ; la même, sucrée; urine, ete.), de manière qu’elle occupe le tiers environ du volume total. J’effile les cols à la lampe, puis je fais bouillir la liqueur, et je ferme l'extrémité eftilée pendant l’ébullition. Le vide se trouve fait dans Jes ballons ; alors je brise leurs pointes dans un lieu déterminé. L'air ordinaire s'y précipite avec violence, entrainant avec lui toutes les pous- sières qu'il tent en suspension, et {ous les principes connus ou inconnus qui lui sont associés. Je referme alors immédiatement les ballons par un trait de flamme, et je les transporte dans une étuve à 25 ou 30 degrés, c’est-à-dire dans les meilleures condi- tions de température pour le développement des Animalcules et des Mucors.
Voici les résultats de ces expériences, qui sont en désaccord avec les principes généralement admis, et parfaitement conformes, au contraire, avec l’idée d’une dissémination des germes.
Le plus souvent, en très peu de jours, la liqueur s’altère, et l’on voit naître dans les ballons, bien qu'ils soient placés dans des
68 L. PASTEUR.
conditions identiques, les êtres les plus variés, beaucoup plus variés même, surtout en ce qui regarde les Mucédinées et les Torulacées, que si les liqueurs avaient été librement exposées à l’air ordinaire. Mais, d'autre part, il arrive fréquemment, plusieurs fois dans chaque série d’essais, que la liqueur -reste absolument intacte , quelle que soit la durée de son exposition à l’étuve, comme si elle avait reçu de l'air calciné.
Ce mode d’expérimentation me parait aussi simple qu’irrépro- chable pour démontrer que Pair ambiant n'offre pas à beaucoup près, avec continuité, la cause des générations dites spontanées, et qu'il est toujours possible de prélever dans un lieu et à un instant donnés un volume considérable d’air ordinaire, n'ayant subi aucune espèce d’altération physique ou chimique, et néan- moins tout à fait impropre à donner naissance à des Infusoires ou à des Mucédinées, dans une liqueur qui s’altère très vite et con- stamment au libre contact de l’air. Le succès partiel de ces expé- riences nous dit assez d’ailleurs que, par l'effet des mouvements de l'atmosphère, il passera toujours à la surface d’une liqueur qui aura élé placée bouillante dans un vase découvert, une quantité d'air suffisante pour qu’elle en reçoive des germes propres à s’y développer dans l’espace de deux ou trois jours.
J'ai dit que les productions sont plus variées dans les ballons que si le contact avec l'air était libre. Rien de plus naturel , car, en limitant la prise d’air et en la répétant nombre de fois, on saisit en quelque sorte les germes de l’air avec toute la variété sous la- quelle ils s'y trouvent. Les germes en petit nombre, d’un volume limité d'air, ne sont pas gênés dans leur développement par des germes plus nombreux ou d’une fécondité plus précoce, capables d’envahir le terrain, en ne laissant place que pour eux. C’est ainsi que le Penicillium glaucum, dont les spores sont vivaces et fort répandues, se montre seul au bout de très peu de jours dans des liqueurs non renfermées, qui offrent au contraire des produc- tions très diverses lorsqu'on les soumet à des quantités d'air limitées.
Enfin il est très intéressant de signaler les différences que l’on observe dans le nombre des résultais négatifs de ces expériences,
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES, 63
suivant les conditions atmosphériques. Ici encore nous {rouvons une confirmation frappante de l’opinion que je défends.
Rien de plus facile, en effet, que d'élever ou de réduire soit le nombre des ballons qui s’altèrent, soit le nombre des ballons qui restent intacts. C’est ce qui ressortira des détails dans lesquels je vais entrer.
A. — Expériences préliminaires propres à mettre en évidence le fait de la non- continuité de la cause des générations dites spontanées.
Le 26 mai 1860, j'ouvre et je referme aussitôt après, sur une terrasse en plein air, à quelques mètres au-dessus du sol, deux ballons renfermant l’un de l’eau de levüre, l’autre la même liqueur sucrée au 4/10°. C'était quelques instants après une pluie légère et de très courte durée.
Le 4° juin, il n’y a aucune apparence de productions orga- nisées.
Le 2, très petite touffe de moisissure dans un des ballons, celui d’eau de levüre sucrée.
Le 8, le deuxième ballon offre également une petite touffe de moisissure.
Les deux liquides sont parfaitement limpides, et restent tels pendant l’accroissement des mycéliums (1).
Le 28 mai 1860, j'ouvre et je referme quatre ballons, sur la
(1) Je signalerai ici un fait instructif qui me paraît bien en harmonie avec les résultats généraux de ce travail. En se reportant aux détails des expériences des chapitre IV et suivants, on verra qu'il n’est jamais arrivé qu'en semant des bourres de coton ou d'amiante, chargées des poussières d'un grand volume d’air, dans des infusions diverses, les productions organisées ne s'y soient mon- trées dès le lendemain ou le surlendemain. Dans les expériences du présent chapitre, au contraire, on reconnaît que la vie met quelquefois un temps consi- dérable à se manifester, huit, douze, quinze jours. Cela se concoit très bien. Dans le premier cas, il y a tant de germes semés qu'il en existe toujours dont la fécondité est presque aussi précoce que celle des germes les plus sains de ce genre de productions. Dans le second cas, où l'on sème en définitive les germes d’un volume très limité d'air, il doit arriver souvent que ceux qui pénètrent dans le ballon sont en mauvais état, et d'un développement rendu pénible par toutes les causes d'altération auxquelles ils ont dû être exposés dans l'atmosphère.
70 L. PASTEUR. même terrasse, après une violente ondée à très grosses goulles de pluie.
Le À juin, aucune apparence de production.
Le 5, petite touffe de moisissure dans l’un des ballons. Liquide très limpide.
Le 6, autre touffe de moisissure dans un deuxième ballon. Liquide très limpide.
Les deux autres ballons sont restés intacts, très limpides! Même état en 1861.
Le 20 juillet 1860, j'ouvre et je referme six ballons renfermant de l’eau de levüre, dans une des pièces de mon laboratoire. Au- jourd’hui encore (avril 4861), le liquide de quatre de ces ballons
est parfaitement limpide, sans la moindre apparence de produc- tions organisées. Les deux autres ont offert promptement des pro- duetions, le 22 juillet et le 4° août, Dans l’un, Infusoires et Tor- rulacées ; dans l’autre, mycélium en boule soyeuse.
Le 80 juin, j'ai ouvert et refermé un grand nombre de ballons contenant de l’eau de levüre non sucrée, dans le but d'étudier au microscope les productions qui prendraient naissance, afin d'avoir une idée de la Fee sous laquelle elles se présentent. J’ai repro- duit, fig. 27, A,B,C, D,E,F,G, H,K, L, M, un certain nombre de mes dessins :
A. Bactériums de 0"”,0006 de diamètre, et 0"",005 pour la plus grande longueur (4).
(1) Ces Bactériums, mélés peut-être à de très petits Vibrions, ont apparu dans le ballon le 2 juillet, sans aucune autre production quelconque. Le 4 juillet, j'ai analysé l’air du ballon, au moment où l'étude du liquide trouble venait de me
montrer qu'il était rempli de ces petits Infusoires très fragiles. Or, l'air renfer- mait :
Re nue s ue 4 4,3 AUIOO CALDORIQUE. ne: 27 ee + 03 14,3 HVOLOSONEMREER UT APPLE NE 0,0 Azote par différence. . 2. - : 4 84,4
100,0
Cette analyse nous indique combien est grande la proportion d'oxygène absor- bée par ces très petits Infusoires, et transformée en acide carbonique. Ils ont
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. TA
B. Torulacée en très petits globules, d’une sphéricité parfaite, de 0"",0015 de diamètre, et réunis en petits chapelets.
C. Mucor et Vibrions. |
D. Torulacée, dont les cellules ont un diamètre de 0"",004 à 0"",007. Elle est assez fréquente, comme j'ai déjà eu l’occasion de le dire.
E. Mycorderma pareille à celle de la bière, du vin, etc., en articles de toutes les dimensions, et plus ou moins rameux.
F. Infusoires d'une petitesse infinie. La plus petite des Monades se mouvant avec une agilité extraordinaire, Ce sont des points à peine perceptibles.
G. Torulacée en beaux globules bourgeonnés, un peu granu- leux dans leur intérieur, dont le diamètre varie de 0"",006 à 0,009. Elle ressemble parfaitement à la levüre de bière; elle ressemble beaucoup également à la Torulacée D, mais elle est un peu plus grosse et un peu plus granuleuse (4).
commencé à se montrer le 2 juillet, s'’annonçant comme à l'ordinaire par un léger trouble du liquide, Le 3 et le 4 juillet, ils ont continué à se multiplier, et après quarante-huit heures environ, ils avaient déjà utilisé un volume considé- rable d'oxygène.
Le ballon renfermait 80 centimètres cubes de liquide et 160 centimètres cubes d'air,
Il eût été impossible de recueillir les Bactériums sur un filtre et d'en prendre le poids, parce qu'ils passent à travers les pores du filtre, mais ce poids à l'état sec devait être fort minime, tout au plus de quelques milligrammes. Par consé- quent, le poids d'oxygène, transformé en acide carbonique par la vie de ces petits êtres, était ici supérieur au poids total de leur substance.
(1) De toutes les productions organisées inférieures, la levüre de bière est celle qui a été, le plus souvent, l'objet des contestations des partisans et des adversaires de la doctrine des générations spontanées. Son apparition, si rapide et si facile dans certains liquides fermentescibles, a toujours été invoquée par les hétérogénistes comme un de leurs arguments favoris. Il est certain que l'ori- gine de cette plante offre un sujet d'étude fort intéressant et enveloppé d'ob- scurités.
Quelques botanistes allemands, M. Bail entre autres, ont cherché à tourner la difficulté en essayant de prouver, comme l'avait déjà tenté en France M. Turpin, que la levüre de bière n'était qu'une des formes des spores des Mucédinées vul- gaires, telles que le Penicillium glaucum, l Ascophora elegans
ss...
Cette thèse a été reproduite récemment par M, Hoffmann, et par MM. Pou-
7a L, PASTEUR,
H. Torulacée en granulations visqueuses, qui s’attachent forte- ment aux parois du ballon qu’on a peine à en détacher, où ils for- ment une couche continue.
Le diamètre des granulations est exactement celui de la Torula- cée B ; mais celle-ci est sous forme de chapelets, et n’adhère pas aux vases. Je crois que ce sont des espèces distinctes, malgré leur ressemblance.
K. Algue formée de cellules quaternaires, déposée sous forme de précipité sur les parois du ballon ; on dirait au microscope des assises de pierre. Sous l'influence de l'acide chlorhydrique étendu d’eau, les amas de cellules se disjoignent par petits groupes de quatre cellules. |
L. Mucorée en pellicule rougeätre s'étendant à la surface du liquide, se déchirant très facilement, et tombant en lambeaux au fond du liquide où elle a l'aspect d’un chiffon. Écrasée sous la petite lame de verre, au microscope elle offre des amas des plus fines granulations, qui fourmillent dans les canaux qui séparent ces amas.
M. Mucor en granulations très ténues, mêlées à des Vibrions de longueur variable, à mouvements flexueux.
Que l’on ajoute à ces figures où j'ai de préférence représenté les Mucors, les Torulacées et les Infusoires les plus fréquents, des dessins d’une foule de Mycéliums en tubes cloisonnés qui viennent s’étaler ensuite à la surface du liquide en membranes gélati- neuses humides, épaisses, ou en membranes composées de lacis de tubes et couvertes de sporanges de couleur verte, rouge orangée, jaune verdâtre, brun noirâtre, etc….…, offrant les espèces les plus variées, et l’on aura une idée de ce que peut donner d’es- pèces distinctes l’eau de levûre placée sous l'influence de quan- tités limitées d'air ordinaire, dans une série de ballons préparés comme je l’ai indiqué.
Ce sont ces mêmes espèces que la même liqueur fournirait au
chet et Joly qui l'ont mise en harmonie avec leurs idées favorites. (Bail, Flora, 4857; Hoffmann, Botanische Zeitung, fév. 1860: Pouchet, Joly et Musset, Comptes reïdus de l'Académie, 1861.)
J'espère oublier très prochainement l'ensemble de mes observations sur ce sujet.
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 75
libre contact de l'air, mais, pour les retrouver toutes, il fau- drait multiplier davantage les essais, parce que des prises d'air limitées ont bien plus de chances, comme je l’ai déjà dit, de saisir les germes de l’air avec toute la variété qui leur est habituelle.
Aussi je suis toujours fort surpris quand M. Pouchet, dans ses habiles plaidoyers en faveur de la doctrine de l’hétérogénie, re- vient sur cette vague objection des facullés génésiques des infu- sions étouffées par les conditions matérielles des expériences in vitro. Ces facultés génésiques, pour me servir des expressions de M. Pouchet, je les vois plutôt exaltées que détruites. Si cette ob- jection avait quelque chose de fondé, c’est aux expériences de Schwann dont les résultats ont essentiellement un caractère né- gatif, et nullement aux miennes qu’il faudrait l'adresser, car l’un des progrès de mes recherches est d’avoir institué des expériences qui ont, à la volonté de l’opérateur (comme on l’a vu au cha- pitre IV) des résultats positifs ou négatifs (1).
(1) Quant à opérer en plein air, pour interpréter ensuite les résuilats, comme M. Pouchet m'a si souvent recommandé de le faire, je m'en garderai soigneuse- ment. Il est si rare de deviner juste quand on étudie la nature ! Et puis, est-ce que les idées préconçues ne sont pas toujours là pour placer un bandeau sur nos yeux ?
Voici, par exemple, l’une des expériences en plein air {de M. Pouchet. « On » fit macérer, dit-il, des tiges d'asperges dans de l’eau. Celle-ci ayant été filtrée, » on en fit deux parts : l’une fut conservée sans autre préparation; l’autre fut » portée à l’ébullition pendant deux minutes. Le lendemain, la macération » simple était remplie d’une immense quantité de bactériums et de Vibrions. » Au contraire, la macération bouillie n'en offrait pas un seul » (Moniteur scien- tifique, 1861, p.163.)
Puis M. Pouchet ajoute : « Les Vibrions n’apparaissent que plus tard dans une » décoction, que parce que la chaleur en retarde la fermentation... Qui ne sait » cela? Est-il possible de présenter rier de plus simple et de plus saisissant que » cette expérience ? » (Moniteur scientifique, même expérience, 1860, p. 1082.)
Mais en vérité, qu'y a-t-il de plus facile à concevoir qu'une différence dans les époques d'apparition des Vibrions de deux macérations pareilles, dont l’une a été bouillie, tandis que l’autre ne l’a pas été? Est-ce que la nature des liquides est la même? Est-ce que celle qui a été chauffée n'est pas profondément modifiée? Est-ce que dans celle-ci les germes des Vibrions ne sont pas tués? S'ils ne le sont pas, comme j'ai montré que cela arrivait pour le lait et pour d’autres liqueurs, est-ce qu'il ne peut pas y avoir des modifications dans leur faculté de
71, L. PASTEUR.
Mais sous ce rapport de la variété des productions je reconnais qu'il y a une différence très grande entre celles de nature végé- tale et les autres. Les premières sont très multiples, tandis que pour les Infusoires cela se borne aux Monades, aux Bactériums et aux Vibrions. Sans vouloir préjuger ici la question de l’origine des gros Infusoires, sur laquelle j'espère publier un travail spé- cial, on n’ignore pas que jamais une infusion ne donne de gros Infusoires de prime saut, que jamais les Paramécies, les Kol- podes , les Vorticelles....…, ne précèdent les Bactériums et les Vibrions. Dès lors que l’on se reporte aux analyses d'air que je donne dans ce mémoire, alors que les plus petits des Infusoires ont apparu dans les ballons, et on verra avec quelle rapidité ils altèrent l’air et le chargent d’acide carbonique.
Tant qu'il y a de l'humidité, la vie est sans fin, dans une infu- sion exposée au contact de l'air libre, parce que l'oxygène, lun des aliments essentiels des Mucédinées et des Infusoires, ne leur fait jamais défaut. Mais dans une atmosphère limitée, la vie s’ar- rête forcément au bout de quelques jours. Les gros Infusoires ne se montreront done pas, puisqu'il est reconnu que ce n’est point par eux que la vie commence dans les infusions (1). Leur appari- tion serait une difficulté nouvelle à résoudre.
Mais cela n'infirme en rien les conclusions auxquelles je suis conduit sur l’origine des Mucorées, des Mucédinées, des Torula- cées et des plus petits des Infusoires, dans les infusions qui ont été portées préalablement à l’ébullition. Sur ce point, le seul dont je
développement, comme cela est si manifeste, par exemple au chap. VIII, pour les spores du Penicillium glaucum chauffés à 420 degrés, dont la germination est retardée de plusieurs jours? Qui sait si le fait de la modification du liquide par la chaleur ne suffit pas seul à rendre compte d’un retard dans l'apparition des mêmes organismes, et je dirais plus, d'une différence dans la nature des orga- nismes , puisque l'on sait que ceux-ci changent avec la nature des infusions ?
(1) A tel point que M. Pouchet fait naître spontanément les gros infusoires et les Mucédinées dans une pellicule dite proligère, formée par des amas de Bacté- riums ou de Vibrions. (Voir page 352 de son Traité de la génération spontanée, le chapitre intitulé : Formation de la pellicule proligère.) J'ai cependant rencon- tré, à deux ou trois reprises, des Infusoires qui m'ont paru être le Monas lens. dans des liqueurs sucrées où il ne s'était formé ni Bacteriums, ni Vibrions.
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 75
traite aujourd'hui, je juge que les résultats de mon travail sont inattaquables.
B. — Expériences sur un air non agité.
Grâce à l’obligeance de M. Le Verrier, j'ai pu faire quelques expériences sur l’air des caves de l'Observatoire. Dans cette partie des caves, situées dans la zone de température invariable, l'air parfaitement calme doit évidemment laisser tomber ses poussières à la surface du sol, dans l’intervalle des agitations qu’un observa- teur peut y provoquer par ses mouvements ou par les objets qu'il y transporte. Et en multipliant par conséquent les précautions, lorsque l’on y descend pour y faire des prises d’air, les ballons qui ultérieurement se montreront sans productions organisées, devront être considérablement plus nombreux que dans le cas où ils auront été, par exemple, remplis d’air dans la cour de l’éta- blissement, C’est en effet ce qui arrive, el le sens des résultats, par l'accord qu'il présente avec la nature ou la multiplicité plus ou moins grande des précautions dont on s’entoure, afin d'éviter l'introduction accidentelle des poussières étrangères, oblige d’ad- mettre que si les ballons étaient ouverts et fermés dans les caves sans que l'opérateur füt tenu de s’y transporter, l'air de ces caves se montrerait constamment aussi inactif que de l’air porté au rouge, Ce n’est pas cependant qu'il ait par lui-même, et vu les conditions où il est placé, une inactivité propre. Toul au contraire, se trouvant saturé d'humidité et la plupart des organismes infé- rieurs n'ayant nul besoin de lumière pour vivre, cet air m’a tou- jours paru plus propre que celui de la surface du sol au dévelop- pement de ces organismes.
Je ne rapporterai qu'une des séries d'expériences. Le 14 août 1860, j'ai ouvert et refermé dans les caves de l'Observatoire dix ballons contenant de l’eau de levüre de bière, et onze autres bal- lons de la même préparation dans la cour de l'établissement, à 50 centimètres du sol, par un vent léger. Tous ont été rapportés le même jour dans l’étuve de mon laboratoire, dont la température est de 25 à 30 degrés. J'ai conservé jusqu’à ce jour tous ces bal-
76 L. PASTEUR.
lons. Un seul de ceux ouverts dans les caves renferme une pro- duction végétale. Les onze ballons ouverts dans la cour ont tous fourni des Infusoires ou des végétaux du genre de ceux que j'ai déjà décrits.
C. — Expériences sur l'air à diverses hauteurs.
Les expériences relatées dans les paragraphes précédents éta- blissent suffisamment qu'il n’y à pas dans l'atmosphère continuité de la cause des générations dites spontanées, c'est-à-dire qu'il est toujours possible de prélever en un lieu déterminé un volume notable, mais limité, d’air ordinaire , n'ayant subi aucune espèce de modification physique ou chimique, et tout à fait impropre néanmoins à provoquer une altération quelconque dans une liqueur éminemment putrescible. De là ce principe que la condi- tion première de l’apparition des êtres vivants dans les infusions ou dans les liquides fermentescibles n’existe pas dans l'air consi- déré comme fluide, mais qu’elle s’y trouve çà et là, par places, offrant des solutions de continuité nombreuses et variées, comme on doit le prévoir dans l'hypothèse d’une dissémination des germes.
I m'a paru très intéressant de suivre les idées que suggèrent les résultats qui précédent, en soumettant l'air pris à des hauteurs diverses au mode d’expérimentation que j'ai fait connaître. J’au- rais pu m’élever en aérostat; mais pour des études d'essai, préli- minaires en quelque sorte, j'ai pensé qu’il serait plus commode et peut-être plus utile d'opérer comparativement dans la plaine et sur les montagnes.
J'ai eu l'honneur de déposer sur le bureau de l’Académie, dans &a séance du 5 novembre 4860, soixante-treize ballons, chacun d’un quart de litre de capacité, préparés comme je lai dit au commencement de ce chapitre, c’est-à-dire qu'ils étaient primi- tivemient vides d'air et remplis au tiers d’eau de levüre de bière, filtrée à limpidité parfaite.
Vingt de ces ballons ont recu de l'air dans la campagne, assez loin°de toute habitation, au pied des hauteurs qui forment le pre-
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉEÉS, 77
mier plateau du Jura; vingt autres l'ont été sur l’une des mon- tagnes du Jura, à 850 mètres au-dessus du niveau de la mer; enfin une autre série de vingt de ces mêmes ballons a été transportée au Montanvert, près de la mer de glace, à 2000 mètres d’élévation.
Voici les résultats qu’ils ont offerts :
Des vingt ballons ouverts dans la campagne, huit renferment des productions organisées ; des vingt ballons ouverts sur le Jura, cinq seulement en contiennent; et enfin des vingt ballons rem- plis au Montanvert, par un vent assez fort, soufflant des gorges les plus profondes du glacier des Bois, un seul est altéré. Il fau- drait sans doute multiplier beaucoup ces expériences. Mais telles qu’elles sont, elles tendent à prouver déjà qu’à mesure que l'on s'élève, le nombre des germes en suspension dans l’air diminue notablement. Elles montrent surtout la pureté, au point de vue qui nous occupe, de l'air des hautes cimes couvertes de glace, puis- qu’un seul des vases remplis au Montanvert a donné naissance à une Mucédinée.
La prise d’air exige quelques précautions que j'avais reconnues indispensables depuis longtemps pour éloigner, autant qu'il est possible, l'intervention des poussières que l'opérateur porte avec lui, et de celles qui sont répandues à la surface des ballons ou des outils dont il faut se servir. Je chauffe d’abord assez fortement le col du ballon et sa pointe effilée dans la flamme d’une lampe à alcool, puis je fais un trait sur le verre à l’aide d'une lame d’acier; alors, élevant le ballon au-dessus de ma tête, dans une direction opposée au vent, je brise la pointe avec une pince de fer, dont les longues branches viennent de passer dans la flamme, afin de brû- ler les poussières qui pourraient être à leur surface, et qui ne man- queraient pas d’être chassées en partie dans le ballon par la ren trée brusque de l'air.
J'avais été fort préoccupé, durant mon voyage, de la crainte que l'agitation du liquide dans les vases pendant le transport, n'ait quelque influence fàcheuse sur les premiers développements des Infasoires où des Mucors. Les résultats suivants éloignent ces serupules. Ils vontnous permettre, en outre, de reconnaitre toute
78 L. PASTEUR. la différence qui existe entre l'air de la plaine ou des hauteurs et celui des lieux habités.
Mes premières expériences sur le glacier des Bois furent inter- rompues par une circonstance que je n’avais nullement prévue. J'avais emporté, pour refermer la pointe des ballons après la prise de l'air, une lampe éolipyle alimentée par de l'alcool; or, la blan- cheur de la glace frappée par le soleil était si grande, qu'il me fut impossible de distinguer le jet de vapeur d’alcool enflammé, et comme ce jet de flamme était d’ailleurs un peu agité par le vent, il ne restait jamais sur le verre brisé assez de temps pour fondre la pointe et refermer-hermétiquement le ballon. Tous les moyens que J'aurais pu avoir alors à ma disposition pour rendre la flamme visible, et par suite dirigeable, auraient inévitablement donné lieu à des causes d'erreur, en répandant dans l’air des poussières étrangères.
Je fus donc obligé de rapporter à la petite auberge du Montan- vert, non refermés, les ballons que j'avais ouvertssur le glacier, et d'y passer la nuit, afin d'opérer dans de meilleures conditions le lendemain matin avec d’autres ballons. Ce sont les résultats de cette deuxième série d'expériences que j'ai indiqués tout à l'heure.
Quant aux treize ballons ouverts la veille sur le glacier, je ne les refermai que le lendemain malin, après qu’ils eurent été expo- sés toute la nuit aux poussières de la chambre dans laquelle j'avais couché. Or, de ces treize ballons, il y en a dix qui renferment des Infusoires ou des moisissures.
Puisque le nombre des ballons altérés dans ces premiers essais est plus grand que dans ceux qui ont suivi, l'agitation du liquide pendant le voyage n’a pas l'influence que je redoutais sur le déve- loppement des germes. En outre, la proportion des ballons qui, dans ces premières expériences, offrent des productions organisées, nous donne la preuve indubitable que les lieux habités renferment un nombre relativement considérable de germes féconds, à cause des poussières qui sont à la surface de tous les objets. Dans cette petite auberge da Montanvert, par exemple, il y a certainement des poussières et par suite des germes venant de tous les pays du monde, apportés par les effets des voyageurs.
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 79
D. — Expériences sur le mercure.
J'ai déjà rappelé au chapitre VIT et dans la partie historique de ce mémoire, comment l'expérience du docteur Schwann avait écarté l'hypothèse de Gay-Lussac sur le rôle de l'air dans l’ex- plication des procédés de conserves d’Appert. Mais d'où vient que dans l’expérience sur le moût de raisin du célèbre chimiste, ex- périence si souvent citée, la levüre de bière prenne naissance à la suite de l'introduction d’une très petite portion d'air, et que, si l’on répète cette même expérience sus des infusions diverses, on voie celles-ci s’altérer sous l'influence de quantités d’air minimes, bien plus par l'introduction d’air calciné ou d'air artificiel; car les expériences de M. Pouchet, effectuées sur la cuve à mereure, sont exactes, tandis que celles de Schwann y sont presque con- stamment erronées ? C’est tout simplement que le mercure de nos cuves, qui ne subit que de loin en loin des lavages aux acides énergiques, est habituellement rempli de germes apportés par les poussières qui sont en suspension dans l'air, lesquelles y tombent toutes les fois que la cuve est exposée à l'air, et qui pénètrent dans l'intérieur du mercure par les manipulations qu’on y pra- tique, sans que leur légèreté spécifique puisse les ramener toutes à la surface à cause de leur volume microscopique (4).
Voici une expérience bien simple et bien démonstrative qui réussit presque constamment.
Que l’on prenne un de ces ballons préparés comme je l'ai dit au commencement du chapitre VIT, vides d’air et remplis en partie d'un liquide putrescible, soumis à l’ébulhition préalablement, qu'on plonge sa pointe fermée au fond d’une cuve à mercure
(1) Il est clair que dans l’expérience particulière de Gay-Lussac, où les éprou- vettes dont il se servait n'étaient pas préalablement chauffées, les germes ont pu être apportés par les poussières de la surface du verre des éprouvettes, ou par les graips de raisin qui, comme tous les corps, sont couverts de poussière et par suite de germes.
80 L. PASTEUR.
quelconque, et que par un choc on brise sa ponte au fond de la cuve, il naîtra dans le liquide de ce ballon des productions orga- nisées, peut-être neuf fois sur dix, après qu'on y aura fait arriver soit de l'air caleiné, soit de l’air artificiel.
Il n’y a évidemment que le mercure qui ait pu fournir les ger- mes, à moins qu'il n’y ait génération spontanée, mais cette hypo- thèse est écartée par ce fait que, si l'expérience est répétée sans emploi de la cuve à mercure, comme au chapitre INF, en suivant la méthode de la figure X, il n’y a pas de productions.
Les expériences suivantes sont encore plus directes et plus probantes.
Je prends du mercure, puisé sans précautions particulières, dans la cuve d’un laboratoire quelconque, et, à l’aide de la mé- thode que j'ai décrite antérieurement, chapitre IV, au sein d'une atmosphère d'air calciné, je dépose un seul globule de ce mercure, de la grosseur d’un pois, dans une liqueur altérable. Deux jours après, dans toutes les expériences que j'ai faites (4) il y a eu des productions variées; et en répélant au même moment, par la même méthode, sans rien changer à la manipulation, les mêmes essais sur du mercure de même provenance, mais qui avait été chauffé, il n’y a pas eu la moindre production.
Il ne faut pas exagérer les conséquences que l’on peut déduire de ces expériences. Voyons bien, en effet, ce qui se passe. On puise dans un verre à pied du mercure d’une cuve; on prélève toujours ainsi, à moins de précautions que je ne suppose pas avoir été prises, une partie du mereure qui est à la surface de la cuve où il y a des poussières ; ensuite on verse une goutte de ce mercure dans un petit tube. L'expérience montre que cette goutte en tombant emporte à sa surface une portion notable des pous- sières de la surface même du mercure du verre. La goutte pré- levée renferme donc toujours une partie des poussières de la sur- face de la cuve. Je serai mieux compris encore en remarquant
(4) Au nombre de quatre, deux avec le mercure de mon laboratoire, une avec le mercure du laboratoire de chimie de l’École normale, une autre avec le mercure du laboratoire de physique du même établissement.
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES, 81
que si l’on faisait écouler d’un verre à pied une goutte de mer- cure que l’on aurait couvert à sa surface d’une couche d’une poussière quelconque, toute la goutte en tombant serait enveloppée par une couche de cette poussière, par un effet de capillarité. Mais rien ne serait plus simple que de refaire l'expérience sur un globule de mercure puisé avec des précautions spéciales au sein de la masse du liquide. Je ne doute pas que lexpé- rience ne réussisse encore le plus ordinairement, même dans ces conditions particulières.
CHAPITRE VIII.
De l’action comparée de la température sur la’ fécondité des spores des Mucédinées et des germes qui existent en suspension dans l’atmos- phère.
Les expériences que je vais faire connaitre ajoutent aux con- elusions définitives de ce mémoire une confirmation nouvelle.
Ce que l’on sait de la résistance à la mort des Anguilles du blé niclié, des Rotifères et aussi des graines des plantes supérieures après des dessiccations préalables, nous dit assez que les spores des Mucédinées doivent pouvoir conserver leur fécondité à des tempé- ralures assez élevées lorsqu'elles sont sèches (4).
Supposons pour un instant que l'on détermine les limites de température que les spores des Mucédinées vulgaires peuvent supporter sans se détruire, et les limites au dela desquelles toute vitalité cesse dans ces petites graines. Si les corpuscules organi- sés, qui existent constamment en suspension dans l’air et parmi lesquels il en est toujours en grand nombre qui ont une parfaite ressemblance avec des spores de Mucédinées, si, dis-je, ces cor- puseules sont bien réellement des spores, l’expérience devra nous
(1) M. Payen a reconnu depuis longlemps que les sporules de l'Oidium auran - Liacum conservent leur faculté de développement après avoir été portées à 420 de- grés. Je pense qu'il s’agit d'une épreuve dans l'air ou dans le vide sec. Dans le cas contraire, je serais porté à croire que la temp éralure n’a pu être déterminée exactement, et qu'elle est trop élevée.
&° série. Zooc. T. XVI. (Cahier n° 2.) ? 6
82 L. PASTEUR. ,
conduire à ce résultat curieux, que les poussières de l'air semées dans des conserves d’Appert, suivant la méthode représentée figure XII, seront encore fécondes après qu'elles auront subi la plus haute température que peuvent supporter les spores des Mu- cédinées vulgaires, et qu’elles seront sans effet sur ces mêmes conserves, si elles ont été préalablement soumises à la tempéra- ture qui tue ces spores.
Voyons d’abord ce que l’on sait sur ce sujet.
Duhamel rapporte dans un de ses ouvrages qu'il a pu faire germer du froment quiavait supporté une températurede{10degrés centigrades. Cette observation du savant agronome devint lori- gine de quelques recherches de Spallanzani sur le degré de cha- leur auquel on peut soumettre les graines, sans leur faire perdre la faculté de germer. Parmi les plantes supérieures cinq espèces de graines furent étudiées par lui : c’est le pois chiche, la len- tille, l’épeautre, la graine de lin et celle du trèfle. Spallanzani s’occupa, en outre, de l'influence de la température sur les spores des Mucédinées. Pour ce qui est des graines des plantes supé- rieures, les résultats de Spallanzani, encore bien que très curieux, n’ont rien qui doive nous surprendre dans l’état présent de nos connaissances. La graine de trèfle, moins impressionnable que toutes les autres, a pu supporter une température voisine de 100 degrés centigrades. Mais pour les graines des moisissures. Spallanzani fut conduit à des conséquences singulières. Il admet, en effet, que non-seulement les spores des Mucédinées peuvent supporter la température de 100 degrés quand elles sont plongées dans l’eau, mais qu’elles peuvent même résister à la chaleur d’un brasier ardent lorsqu'elles sont sèches. D'ailleurs, dans ce der- nier cas, il n’assigne pas la température d’une manière précise (1 ).
(1) Le passage suivant des œuvres de Spallanzani est extrait d'un chapitre du tome II de ses Opuscules, dans lequel il a principalement pour but de prouver que Michelli avait eu raison de regarder la poussière qui tombe des moisissures lorsqu'eiles sont müûres, comme étant bien la semence de ces plantes.
« Les petits grains qui sortent des têtes des moisissures mûres, et qui sont » les vraies semences de ces végélaux, ont la singularité de résister à un degré » de chaleur qu'aucune autre graine ne peut supporter sans perdre la faculté de
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 89 On aurait peine à comprendre que ces résultats de Spallanzani sur les graines des Mucédinées n'aient pas été soumis à de nouvelles épreuves. si les expériences n’offraient ici des difficul- tés particulières, consistant surtout à trouver une méthode d’expé- rimentation rigoureuse. Rien de plus simple pour les plantes supé- rieures d'essayer si leurs graines sont encore capables de germer lorsqu'elles ont été chauffées à une température déterminée : il ne pousse du blé que là où l’on en a semé; mais pour les Murédi- nées, elles se développent partout où elles rencontrent des condi- tions favorables. Il est donc indispensable de recourir, en ce qui concerne les Mucédinées vulgaires, à une disposition qui permette d'affirmer sûrement que la petite plante a été reproduite par les . spores que l’on a semées, et non additionnellement par les spores qui sont en suspension dans l'air, ou déposées à la surface des objets mis en expérience. Voici la méthode que j'ai suivie et qui me semble irréprochable : je passe un peu d'amiante dans les petites têtes de la moisissure que je veux étudier (4); puis je place cette amiante couverte de spores
» germer. Après avoir fait bouillir ces petits grains dans l’eau, j'ai versé l'eau » qui en avait pris une couleur noire, sur les corps capables de moisir, et sui- » vant les résultats habituels de ces sortes d'expériences, la moisissure a poussé » plus épaisse que sur ces mêmes corps qui n’en avaient pas été mouillés. J'ai » fait la même chose avec des poussières, des moisissures exposées à un feu » beaucoup plus fort, tel que celui d'un brasier ardent, et j'ai trouvé que cette » chaleur n'ôte pas à ces graines la faculté de se reproduire, » Plus loin, Spallanzani s'exprime ainsi : « L'hypothèse qui établit que cette poussière est invisiblement répandue par- » tout, et qu'elle donne naissance à la multitude des moisissures naturelles, est -» une des hypothèses les plus raisonnables de la physique. » (1) Lorsque, dans un ballon préparé comme je l'ai dit au chapitre VII, p. 67. il ne se développe qu'une seule moisissure, ce qui est fréquent, il est évident que les spores en sont parfaitement pures. C'est dans les sporanges de pareilles moisissures que je passais le petit pinceau d'amiante, après avoir détaché la partie supérieure du ballon. Il n'y avait chance d'introduire des germes étran- gers que pendant le Lemps très court où je prélevais les spores de la moisissure pour les transporter dans le tube en U, On chauffait d'ailleurs fortement l'amiante avant de la couvrir de spores, et aussi le tube en U. Dès qu'il était refroidi, on y introduisait le petit tube et ses spores. |
8ll L. PASTEUR.
dans un très petit tube de verre que j'introduis dans un tube en U de plus gros diamètre, où le petit tube peut se mouvoir librement : fig. 28. L'une des extrémités du tube en U se relie par un caout- chouc à un tube de métal à robinets, en forme de T. Un des robi- nets communique à la machine pneumatique, un autre à un tube de platine chauffé au rouge. L'autre extrémité porte un caoutchouc qui reçoit également le ballon où l’on doit semer les spores, ballon fermé à la lampe, rempli d’air calciné et d’un liquide préalablement porté à l’ébullition, devant servir d’aliment à la jeune plante. Enfin, le tube en U plonge dans un bain &’huile, d’eau ordinaire ou d’eau saturée de divers sels, selon que l’or veut porter les spores à telle ou telle température. Entre le tube en U et le tube de pla- tine il y a un tube desséchant à ponce sulfurique. Lorsque tout l'appareil qui précède le tube de platine a été rempli d’air caleiné et que les spores ont été maintenues à la température voulue un temps suffisant que l’on peut faire varier, on brise la pointe du ballon par un coup de marteau, sans dénouer les cordonnets du caoutchouc qui réunit le ballon au tube en Ü; puis, inclinant con- venablement ce dernier tube éloigné de son bain, on fait glisser dans le ballon l'amiante et ses spores. Enfin, on referme le bal- lon à Ja lampe par un trait de flamme sur l'un des étranglements ménagés sur son col. On le porte alors à l’étuve à une lempéra- ture de 20 à 30 degrés, qui est très favorable au développement rapide des Mucédinées.
L'expérience sur les poussières de l'air se fait de la même manière avec de l'amiante qui a été exposée à un courant d’air ordinaire, suivant les indications de la méthode du chapitre II.
Je vais entrer maintenant dans le détail des résultats de quel- ques expériences particulières.
Le 4° juin 4860, je fais passer dans un ballon renfermant, depuis le 19 mars, de l’eau de levüre et de l'air calciné, sans avoir éprouvé la moindre altération, une portion de bourre de coton chargée des poussières de l’air ordinaire après qu'elle eût été maintenue une heure à 100 degrés (bain d’eau bouillante).
Dans la nuit du 4 au 5 juin, une espèce de dépôt pulvérulent commence à se montrer sur les parois du ballon, et envahit rapi-
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dement les jours suivants la surface du liquide. C’est une Mucorée incolore, en pellicule un peu chagrinée, en petits amas confusé- ment circulaires comme s’ils étaient soulevés par des bulles de gaz, ce qui n’est qu'une illusion. Dès le 9 ou le 10 juin, tout dévelop- pement cesse et la pellicule tombe en lambeau au fond du vase. A la fin de juin j'ai ouvert le ballon, pour étudier cette Mucorée au microscope. Elle est formée de granulations comme le sont en général toutes les Mucorées, mais ici les granulations sont relati- vement volumineuses. Leur diamètre est de 0"",002. Ces granu- lations étaient isolées ou en paquets, brillantes à leur centre, à contours nettementlimités. La figure 29 les représente associées à quelques Vibrions très ténus, à peine visibles, et qui n’avaient plus de mouvements lorsque le ballon a été ouvert. Ils étaient en fort petit nombre.
Cette expérience montre que les germes desséchés de ces deux productions résistent à la température de 100 degrés pendant une heure.
Le 2 juin 1860, je fais passer dans du lait conservé depuis le 10 avril, en présence de l’air calciné, sans altération aucune, une petite bourre d'amiante chargée des poussières de l'air après l'avoir exposée un quart d’heure à 100 degrés (bain d’eau bouil- lante).
Le 4 juin, le lait n’est pas caillé, mais on voit à sa surface une couche de sérum presque translucide, qui indique une altéra- tion.
Le 5etle 6 juin, il est visible que le lait s’altère. Il y a au fond du ballon un dépôt jaunâtre, caséeux ; aucune apparence de dégagement de gaz. Je n'avais pas encore rencontré des carac- tères d’altération du lait de l’ordre de ceux-ei exactement.
Le 7 juin, j'ouvrele ballon et j'étudie le liquide au microscope, il se trouve rempli d’une multitude d’Infusoires de deux natures bien distinctes. Les uns sont des Vibrions filiformes très agiles, qui courent rapidement en faisant trembler vivement la seconde moitié de leur corps. Ils ont de 0"",006 à 0°",009 de longueur et 0"",0007 de largeur. Les autres sont courts, beaucoup plus larges, un peu étranglés, souvent réunis par chaînes de deux et
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trois articles. La longueur des articles est de 0"",003 à 0"",004 et le diamètre de 0"",002 à 0"",003. La figure 30 représente ces deux sortes d’Infusoires outre les globules de beurre.
Il ne s’est pas dégagé de gaz lorsque j'ai ouvert le ballon sur la cuve à mercure. l
Le 6 juillet, je fais passer dans nn ballon d’eau de levüre sucrée, mêlée de craie, conservée sans altération depuis le 11 avril en présence de l'air calciné, une bourre d'amiante avec poussières, chauffée pendant une demi-heure à 100 degrés (bain d'eau bouillante).
Le 8 juillet, trouble sensible, avec pellicule mince sur toutes les parois. Le 10 juillet, trouble laiteux, avec lambeaux chiffon nés dans la masse du liquide et au fond. Apparence de dégage- ment de gaz.
Le 10 juillet, j'ouvre ce ballon, sortie brasque el violente de gaz. Il est évident qu'il y a eu fermentation. Au microscope il y a deux espèces de Vibrions, différant surtout par le diamètre de leurs articles. Les uns ont 0"",0006 à 0"*,0008 de diamètre; les autres ont 0"%,0015 à 0"",002 de diamètre et jusqu’à 0"",01 et plus de longueur (4).
Le 9 novembre 1860, je fais passer une bourre d'amiante, chargée des poussières de l'air, dans un ballon renfermant de l'eau de levüre, et une autre bourre pareille dans un deuxième ballon renfermant de l'urine. Ces ballons étaient conservés depuis le 25 juin. Avant d'introduire les bourres, on les avait maintenues pendant une demi-heure à 421 degrés (bain d’huile).
Le 11 novembre, le ballon d’eau de levüre a commencé à mon- lrer une touffe de mycélinm en tubes très lîches, qui a poussé avec une rapidité extraordinaire. Il a atteint en quatre jours le niveau du liquide, et a poussé partout de longs tubes cotonneux d'une grande blancheur qui se sont rapidement étendus sur les
(4) Je ne doute pas que la fermentation du liquide de ce ballon n'ait été pro- voquée par ces derniers Infusoires, préservés du contact de l'air par ceux de la première espèce qui n'élaient que des Vibrions ordinaires, ayant besoin d'air pour vivre.
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parois du ballon. Les spores et les tubes qui les portaient sont représentés figure 341.
Le ballon d'urine n’a commencé que le 16 novembre à monirer une petite touffe de moisissure en tubes très serrés, sous forme de petite boule soyeuse. Cette Mucédinée s’est développée avec une si grande lenteur, que le 22 novembre elle n’avait pas encore la grosseur d’un pois.
Ce même jour, 22 novembre, a apparu un autre mycélium en tubes lâches qui a étouffé le premier en peu de jours.
Pas du tout d’'Infusoires, ni dans un cas, ni dans l’autre.
Le 12 août 1860, même expérience, avec eau de levûre et poussières de l'air qui avaient été préalablement chauffées pen dant une demi-heure au bain d'huile à 129 degrés. Aujourd’hui (avril 1861) pas encore la moindre apparence de productions organisées.
Passons maintenant en revue quelques expériences sur les spores des Mucédinées vulgaires.
Le 21 juillet 1860, je fais passer dans un ballon, renfermant de l’eau de levüre et de l’air caleiné, sans altération, depuis le 26 juin, une petite bourre d’amiante chargée de spores de Penicillium, préalablement chauffées pendant une demi-heure au bain d'huile de 419 à 124 degrés.
Le 29, le 23, le 24 juillet, aucune apparence de développe- ment. Le 25 juillet, une multitude de très petites touffes de mycé- lium couvrent les parois du ballon. Mais, chose assez singulière, il n'y a que les spores du fond qui se soient développées. Celles qui, au moment de l'introduction de la bourre d'amiante, étaient venues à la surface former des amas, des espèces de taches, n'ont pas germé du tout; elles n’ont pas poussé de tubes germinatifs.
Le 26 juillet, développement sensible, bien qu’un peu faible, et comme pénible des touffes du fond. Les spores de la surface du liquide n’ont pas encore germé.
Le 28 juillet plusieurs îlots sont développés à la surface, mais ils proviennent de touffes du fond et non des spores de la surface. Ces îlots commencent à fructifier et à verdir à leur centre. On voit toujours çà et 1à, à la surface, des taches de spores qui n’on pas germé.
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Le 3 août, foule la surface est couverte par un beau Penicil- lium vert bleuâtre, vigoureux. Rien n'indique qu'il soit malade ; cependant il faut remarquer : 4° queles spores, semées le 21 juil- let, n'ont commencé à germer que dans la nuit du 24 au 25 juil- let, tandis que, si on ne les avait pas chauffées ou même si on les avait chauffées à 100 degrés, elles auraient commencé à montrer des touffes de tubes germinatifs visibles à l'œil nu dès le lende- main ; je lai constaté souvent par des épreuves directes. 2° Beau- coup des spores avaient été évidemment privées de vie, et plus légères, dirait-on, que les autres, elles étaient venues à la surface où elles n’ont pas germé.
Voici une expérience qui prouvera qu’en élevant la tempéra- ture des spores à 108°,4, au lieu de 120 degrés, la germination se montre déjà après quarante-huit heures.
Le 23 juillet, j'ai semé, dans un des ballons d'eau de levure conservé depuis le 26 juin sans altération, une bourre d'amiante chargée de spores de Penicillium, chauffées préalablement, à see, comme dans toutes ces expériences, pendant une demi-heure à 108°,4 (bain d’eau saturée de sel et bouillante).
L’ensemencement a eu lieu à midi, le 23 juillet.
Dès le 25, à cinq heures du soir, on voyait une infinité de touffes de mycélium au fond du liquide.
Il n’est donc pas douteux que, par l'action d’une température élevée, en dehors de toute humidité, la fécondité des spores du Penicillium glaucum se conserve jusqu’à 120 degrés et même un peu plus ; et qu'elles reproduisent une plante toute pareille à la plante mère, et dont les spores sont fécondes (je l'ai constaté par des épreuves directes). Mais il n’est pas moins vrai que la vitalité du germe est un peu atteinte, et que les spores en éprouvent un retard sensible dans leur faculté germinative.
Le 12 août 1869, je répète les expériences précédentes sur deux ballons d’eau de levüre conservés depuis longtemps, et avec des spores de Penicillium glaucum et des spores d’Ascophora elegans, chauffées pendant une demi-heure de 127 à 152 degrés (bain d'huile).
I n’y a eu aucun développement quelconque des spores ni dans l'un, ni dans l’autre ballon.
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En résumé, je crois pouvoir conclure de mes expériences que les spores des Mucédinées vulgaires, chauffées dans le vide ou dans l'air sec, restent fécondes après avoir été portées à une tem- pérature de 120 degrés. On trouverait probablement qu'on peut même aller un peu au delà, peut-être à 125 degrés. Au contraire, il suffit d’une exposition d'assez courte durée à 130 degrés pour enlever leur fécondité aux spores de ces mêmes Mucédinées, qui paraissent être les plus vivaces et les moins impressionnables (1). D'autre part, nous trouvons que les limites sont les mêmes pour la fécondité des poussières de l’air, c’est-à-dire qu’elles donnent des Mucédinées même après avoir été portées à 120 degrés , et qu’elles n’en donnent plus si on leur fait subir la température de 130 degrés. |
La correspondance de ces résultats est une preuve nouvelle de l'existence des spores des Mucédinées parmi les corpuseules orga- nisés que le microscope permet de reconnaitre si facilement dans les poussières qui sont en suspension dans l'air ordinaire.
(1) Je dois cependant remarquer qu'au nombre des Mucédinées qui ont pris naissance dans les expériences, en petit nombre, il est vrai, où j'avais semé les poussières de l'air chauffées à 1 20 degrés, le Penicillium glaucum ne s'est pas mon- tré. Ç'a été, entre autres, cette mucédinée d’un développement si rapide dont j'ai parlé page 87, et dont les sporanges formaient des amas cotonneux à longs tubes, d'une grande blancheur à la surface du liquide. Je me proposais de l’étudier au microscope et de la décrire, mais elle s’est affaissée rapidement avant que je n’ouvrisse le ballon, et n'offrait plus rien de net. Il eût été intéressant de voir si les spores de cette moisissure ne résistaient pas un peu mieux que le Penicillium à une température élevée.
Dans le cours de mes expériences, j'ai eu l'occasion de constater .-des diffé- rences considérables dans la rapidité du développement des moisissures. J'ai vu des mycéliums mettre plusieurs mois à atteindre la grosseur d'une noisette. J'en ai vu d'autres remplir le liquide en quelques jours. Il peut y avoir à cela des causes diverses, notamment la nature du liquide. Il se pourrait qu'en la faisant varier, les rôles changeassent. J'ai été frappé bien souvent de la multitude d'études diverses que suggère à l'esprit le mode de vie de ces petits êtres. Celle- ci en est une entre mille autres, autant et plus intéressantes.
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CHAPITRE IX.
Sur le mode de nutrition des ferments proprement dits, des Mucédinées et des Vibroniens.
Il est essentiel de remarquer que jusqu'à ce jour toutes les expériences de générations spontanées ont porté sur des infusions de matières végétales ou animales, en un mot sur des liquides renfermant des substances qui avaient appartenu antérieurement à l'organisme. Quelles que soient les conditions préalables de température et d’ébullition qu'on leur fasse subir, ces matières ont une constitution et des propriétés acquises sous l'influence de la vie,
Ce fait a servi de thème à toutes les théories sur la génération spontanée, Or, je vais démontrer dans ce chapitre que l'apparition des organismes inférieurs ne présuppose pas nécessairement la présence de matières organiques plastiques, de ces matières albu- minoïdes que le chimiste n’a jamais pu produire, qui dans leur formation exigent le concours des forces vitales.
Les nouvelles expériences que je vais faire connaître montre- ront le peu de fondement de toutes les théories sur la formation spontanée des organismes inférieurs. Passons d’abord en revue ces lhéories où l'imagination a tant de part, où les vrais principes de la méthode expérimentale en ont si peu.
Needham admettait l'existence dans la matière organique d’une force particulière qu'il appelait force végétative, et qui survivait à la mort des végélaux et des animaux, Spécifiquement déterminée dans un individu, elle lui conservait sa forme et ses propriétés pendant sa vie. Mais à sa mort elle devenait libre et ses manifesta- tions dépendaient des conditions particulières où se trouvaient placées les parties disjointes du corps de l'individu. Et c’est ainsi que cette force persistant dans la matière organique des infusions, organisait de nouveau cette matière suivant des modes qui ne dé- pendaient plus que des conditions propres à l’infusion (1).
(4) Voy. Spallanzani, Opuscules. Exposition des nouvelles idées de M. de Needham sur le système de la génération, t. [°, chap. 4°".
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Le système des molécales organiques de Buffon à beaucoup de rapport avec les idées de Needham. Je reproduirai textuellement les vues du grand naturaliste sur la génération spontanée (1).°
« Mes recherches et mes expériences, dit Buffon, sur les molé- » cules organiques démontrent qu'il n’y a point de germes pré- »existants, et en même temps elles prouvent que la génération » des animaux et des végétaux n’est pas univoque; qu'il y à peut- »ôtre autant d'êtres, soit vivants, soit végétaux, qui se repro- » daisent par l'assemblage fortuit des molécules organiques, qu'il »y a d'animaux ou de végétaux qui peuvent se reproduire par » une succession constante de générations...
» Les molécules organiques, toujours actives, toujours sub- »sislantes, appartiennent également aux végétaux comme aux » animaux; elles pénètrent la matière brute, la travaillent, la re- » muent dans toutes ses dimensions, et la font servir de base au » tissu de l’organisation, de laquelle ces” molécules vivantes sont » les seuls principes et les seuls instruments; elles ne sont sou- » mises qu'à une seule puissance qui, quoique passive, dirige » leur mouvement et fixe leur position. Cette puissance est le » moule intérieur du corps organisé ; les molécules vivantes que » l'animal ou le végétal tire des aliments ou de la séve, s’assi- »milent à {outes les parties du moule intérieur de leur corps, elles » le pénètrent dans toutes ses dimensions, elles y portent la végé- » fation et la vie, elles rendent ce moule vivant et croissant dans »{outes ses parties ; la forme intérieure du moule détermine seule- » ment leur mouvement et leur position pour la nutrition et le dé- » veloppement dans tous les êtres organisés.
» Et lorsque la mort fait cesser le feu de l'organisation, c'est- » A-dire la puissance de ce moule, la décomposition du corps suit, »et les molécules organiques qui toutes survivent, se retrouvant » en liberté dans la dissolution et la putréfaction descorps, passent »dans d’autres corps aussitôt qu'elles sont pompées par la puis- »sance de quelque autre moule, en sorte qu’elles peuvent passer » de l'animal au végétal et du végétal à l'animal, sans altération » et avec la propriété permanente et constante de leur porter la
(1) Supplément. Histoire de l'homme, 1778, t. VIII, édition in-42.
92 L. PASTEUR.
» nutrition et la vie; seulement il arrive une infinité de généra- » tions spontanées dans cet intermèêde, où la puissance du moule » est sans action, c’est-à-dire dans cet intervalle de temps pen- » dant lequel les molécules organiques se trouvent en liberté dans » la matière des corps morts et décomposés , dès qu'elles ne sont » point absorbées par le moule intérieur des êtres organisés qui » composent les espèces ordinaires de la nature vivante ou végé- » tante; ces molécules organiques, toujours actives, travaillent à » remuer la matière putréfiée, elles s’en approprient quelques par- » licules brutes et forment, par leur réunion, une multitude de » petits corps organisés, dont lesuns, comme les vers de terre, les » champignons, etc., paraissent être des animaux ou des végé- » faux assez grands, mais dont les autres, en nombre presque in- » fini, nese voient qu’au microscope. Tous ces corps n'existent que » par une génération spontanée, et ils remplissent l'intervalle que » Ja nature a mis entre la simple molécule organique vivante et » l'animal ou le végétal ; aussi trouve-t-on tous les degrés, toutes »les nuances imaginables dans cette suite, dans cette chaîne » d'êtres, qui descend de l’animal le mieux organisé à la molécule » simplement organique ; prise seule, cette molécule est fort éloi- » gnée de la nature de l'animal. Prises plusieurs ensemble, ces » molécules vivantes en seraient encore tout aussi loin, si elles ne » s’appropriaient pas des particules brutes, et si elles ne les dis- » posaient pas dans une certaine forme, approchant de celle du » moule intérieur des animaux ou des végétaux. Et comme cette » disposition de forme doit varier à l'infini, tant pour le nombre » que par la différente action des molécules vivantes contre la ma- » tière brute, il doit en résulter, et il en résulte en effet, des êtres » de tous degrés d'animalité. Et celte génération spontanée à la- » quelle tous ces êtres doivent également leur existence, s'exerce » et se manifeste toutes les fois que les êtres organisés se décom- » posent; elle s'exerce constamment et universellement après la » mort et quelquefois aussi pendant leur vie, lorqu’il y a quelques » défauts dans l’organisation du corps qui empêchent le moule in- » térieur d’absorber et d’assimiler toutes les molécules organiques » contenues dans les aliments. Ces molécules organiques sur- » abondantes qui ne peuvent pénétrer le moule intérieur de
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» l’animal pour sa nutrition, cherchent à se réunir avec quelques » particules de la matière brute des aliments et forment, comme » dans la putréfaction, des corps organisés; c’est là l’origine des » Ténias, des Ascarides, des Douves..…... »
Un botaniste, M. Turpin, a reproduit de nos jours un système qui avait beaucoup d'analogie avee celui des molécules organiques de Buffon. (Voir son mémoire du tome XVII des Mémoires de l'Académie des sciences.)
J'arrive maintenant au système de M. Pouchet (1).
« On peut considérer, dit-il, comme une loi fondamentale que » des phénomènes de fermentation ou de dédoublement catalytiques » précédent où accompagnent loute génération spontanée.
» Les organismes ne se produisent qu'à même la nature expi- » rante, et au moment où les éléments des êtres sur lesquels ils » s'engendrent entrent dans de nouvelles combinaisons chimiques, » et éprouvent tous les phénomènes de la fermentation ou de la » putréfaction.
» Il résulte de là qu’il ne se manifeste de générations primaires » qu'après que les corps dont elles dérivent commencent àsubir les » premiers phénomènes de décomposition ; comme si, pour s’or- » ganiser , les êtres nouveaux altendaient la désagrégation des » autres, afin de s'emparer des molécules de la substance expi- » ranle, à mesure qu'elles se trouvent mises en liberté. I est évi- » dent que l'organisme ne puise ses éléments matériels qu’à même » les cadavres des anciennes générations. . .« . . Ji
» Ainsi donc, sous l empire de la fermentation ou ba la Sr » faction, les Corps org anisés se décomposent et dissocient leurs » molécules organiques ; puis, après avoir erré en liberté pen- » dant un temps illimité, lorsque les circonstances plastiques » viennent à se manifester, ces molécules se groupent de nou- » Veau pour conslituer un nouvel être ui
» Bientôt après la manifestation des phénomènes de fermenta- » lion et de putréfaction, on reconnait qu'il se forme, à la surface » des liquides en expérience, une pellicule d'abord inapparente, et
(1) Traité de la génération spontanée, 1859, p. 335 et suivantes.
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» que le microscope découvre à peine; puis celle-ci s’épaissil suc- » cessivement, et finit même parfois par devenir assez tenace. » Cette pellicule est évidemment composée par des débris d’Ani- » malcules, d’abord de l’ordre le plus infime, et ensuite par ceux » d'espèces de plus en plus élevées dans la série des Microzoaires. » C’est cette même pseudo-membrane que j'ai nonunée pellicule » proligère, parce qu’il est évident que c’est elle qui, à l’instar d’un » ovaire improvisé, produit les Animalcules. On peut y suivre léur » développement à l’aide de nos instruments, et reconnaitre qu'ils » s’engendrent à même les débris organiques dont elles se com- » posent.
» Les Protozoaires, qui forment d'abord la pellicule proligére, » sont des Monades, des Bactériums et des Vibrions. Comment » ces Animalcules sont-1ls produits? Nous ne pouvons ledire, leur » extrême petitesse les dérobant à toute espèce d'investigation.
» Lorsque ce sont des végétaux qui apparaissent à la surface » des macérations, la pseudo-membrane proligère est alors formée » presque uniquement par l’enchevêtrement des mycéliums, des » champignons rudimentaires, qu’on observe à sa surface... On » pourrait donc ajouter qu'il y a une pellicule proligère eryptoga- » nique. »
Par la réunion des parties des pellicules proligères se forment spontanément les ovules des êtres inférieurs. M. Pouchet décrit toutes les phases du phénomène.
Voila le système du savant naturaliste de Rouen, œuvre d’une imagination féconde guidée par des observations erronées (1).
En rapportant ici les principes des systèmes sur la génération spontanée qui ont eu le plus de retentissement, mon but principal est de montrer que, dans toas, on fait jouer un rôle essentiel à Ja matière organique des infusions. Par elle-même, elle jouirait de propriétés spéciales acquises dans l'acte de sa formation antérieure sous l'influence de la vie.
(1) On peut lire dans les Ann. des sc. nat., t. IT, 1845, des assertions non moins nettement formulées de M. le docteur Pineau sur la génération spontanée des Infusoires des Cryptogames. Voy. aussi un ouvrage intitulé : Études physio - logiques sur les animacules des infusions, par M. Paul Laurent, ancien élève de l'École polytechnique, Nancy, 1853.
SUR LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 95
Les matières albuminoïdes conserveraient en quelque sorte un reste de vitalité, qui leur permettrait de s'organiser au contact de l'oxygène , lorsque les conditions de température et d'humidité sont favorables.
Nous allons reconnaître que ces opimions sont tout à fait erro- nées, et que les matières albuminoïdes ne sont qu'un aliment pour les germes des Infusoires et des Mucédinées; qu’elles n’ont pas d'autre rôle dans les infusions, car on peut les remplacer par des matières cristallisables, telles que des sels d’ammoniaque et des phosphates.
Ainsi se trouvent privées d’une de leurs bases essentielles toutes les théories relatives à la formation spontanée des êtres les plus inférieurs. fr
L'expérience m’a montré, en effet, que l’on pouvait remplacer dans les essais des chapitres IV, V, VI, Peau de levure de bière sucrée, l'urine, le lait, ete., par une infusion composée de la manière suivante :
RARE DHEB de ne Lou le ne 100 PHOTO CANON ee UPPER 10 Tartrate d'ammoniaque. . . . . . . 0,2 à 0,5
Cendres fondues de levüre de bière. 0,4
Si l’on sème dans cette liqueur, èn présence de l’air calciné, les poussières qui existent en suspension dans l'air, on y voit naître les Bactériums, les Vibrions, les Mucédinées, etc. Les ma- tières azotées albumineuses, les matières grasses, les huiles essen- tielles, les substances colorantes propres à ces organismes, se forment de toutes pièces à l’aide des éléments de l’ammoniaque, des phosphates et du sucre.
Composons la liqueur de la même manière avec addition de craie :
RHONE ANGERS, She 00 SUCTOICATIARA MMS, HQE. LA EURE 10 Tartrate d'ammoniaque. . . . . . . 0,2 à 0,5
Cendres fondues de levure de bière. 0,1 Carbonate de chaux pur. , . . . . 3 à 5 gr.
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etles mêmes phénomènes se produiront, mais avec une tendance plus marquée vers les fermentations appelées lactique, visqueuse, butyrique , et tous les ferments végétaux ou animaux propres à ces fermentations prendront naissance simultanément ou succes sivement.
Je publierai prochainement un travail détaillé sur les résultats que j'ai obtenus dans ces études, qui m'ont toujours paru offrir un grand intérêt pour la question des générations dites spon- tanées.
C'est par elles que j'ai été conduit à entreprendre les expé- riences suivantes dont le succès a dépassé mon attente,
Dans de l’eau distillée pure, je dissous un sel d’ammoniaque cristallisé, du sucre candi et des phosphates provenant de la eal- cination de la levûre de bière ; puis je sème dans le liquide quel- ques spores de Penicillium ou d’une Mucédinée quelconque. Ces spores germent facilement, et bientôt, en deux ou trois jours seu- lement, le liquide est rempli de flocons de mycélium, dont un grand nombre ne tardent pas à s’étaler à la surface de la liqueur où ils fructifient. La végétation n’a rien de languissant. Par Ja précaution de l'emploi d’un sel acide d’ammoniaque, on empêche le développement des Infusoires, qui, par leur présence, arrête- raient bientôt le progrès de la petite plante, en absorbant l'oxy- gène de l'air, dont la Mucédinée ne peut se passer. Tout le ear— bone de la plante est emprunté au sucre qui disparaît peu à peu complétement , son azote à l'ammoniaque, sa matière minérale aux phosphates. Il y a donc sur ee point de l'assimilation de l'azote et des phosphates une complète analogie entre les ferments, les Mucédinées et les plantes d’un organisme compliqué. C’est ce que les faits suivants achèveront de prouver d’une manière défi- nitive.
Si, dans l'expérience que je viens de rapporter, je supprime l’un quelconque des principes en dissolution, la végétation est arrêtée, Par exemple, la matière minérale est celle qui paraitrait la moins indispensable pour des êtres de cette nature. Or, si la liqueur est privée de phosphates, il n’y a plus de végétation possible, quelle que soit la proportion du sucre et des sels ammoniacaux. C’est à peine si là germination des spores commence par l'influence
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des phosphates que les spores elles-mêmes que l’on à semées introduisent en quantitéinfiniment petite. Supprime-t-on de même le sel d’ammoniaque, la plante n’éprouve aucun développement. I n'y a qu'un commencement de germination très chétive par l'effet de la présence de la matière albuminoïde des spores semées, bien qu’il y ait surabondance d'azote libre dans l'air ambiant ou en dissolution dans le liquide. Enfin, il en est encore de même si l'on supprime le sucre, l'aliment carboné, alors même qu'il y aurait dans l’air ou dans le liquide des proportions quelconques d'acide carbonique. Tout annonce en effet que, sous le rapport de l'origine du carbone, les Mucédinées diffèrent essentiellement des plantes phanérogames. Elles ne décomposent pas l'acide carbonique; elles ne dégagent pas d'oxygène. L'absorption de l'oxygène el le dégagement de l'acide carbonique sont au contraire des actes nécessaires et permanents de leur vie.
Ces faits nous donnent des idées précises sur le mode de nutri- tion des Mucédinées, à l’égard duquel la science ne possède pas encore d'observations suivies (1).
D'autre part, et c'est 1à peut-être ce qu'il faut remarquer de préférence, ils nous découvrent une méthode à l’aide de laquelle la physiologie végétale pourra aborder sans peine les questions les plus délicates de la vie de ces petites plantes, de manière à préparer sürement la voie pour l'étude des mêmes problèmes chez les végétaux supérieurs.
Lors même que l’on etireit de ne pouvoir appliquer aux grands végétaux les résultats fournis par ces organismes d'appa- rence si infime, il n’y aurait pas moins un grand intérêt à résoudre
(1) Un excellent observateur, M. Bineau, nous a laissé sur les Algues vul- gairés, plantes un peu supérieures aux Mucédinées, et qui en diffèrent surtout par la présence de la matière verte, les résultats suivants, qui montrent que les Algues peuvent décomposer l'ammoniaque. |
« M. Lortet a, depuis plusieurs mois, la complaisance de faire pour moi la » récolle des eaux pluviales recueillies à Oullins, et de me l’expédier tous les » buit ou quinze jours. À partir du commencement de mai, un brusque change- » ment eut lieu dans la composition de ces eaux. L'ammoniaque y disparut tota- » lement. J'en fis-la remañque-à M. Lortet, qui m'apprit alors que le flacon ser-
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les difticultés que soulève l'étude de la vie des plantes, en com- mençant par celles où la moindre complication d'organisation rend les conclusions plus faciles et plus sûres : la plante est réduite ici en quelque sorte à 1'état cellulaire, et les progrès de la science montrent de plus en plus que l'étude des actes accomplis sous l'influence de la vie végétale ou animale, dans leurs manifestations les plus compliquées, se ramène en dernière analyse à la décou- verte des phénomènes propres à la cellute.
» vant de récipient pour nos eaux, avait commencé à présenter de ces produits organisés verdâtres, dont le développement devient si fréquent sous l'influence de la température des saisons chaudes et de la lumière.
» J'ai fait alors des études spéciales au sujet de l'action des Algues sur les sels » ammoniacaux et sur les azotates tenus en dissolution dans l’eau environnante. J'ai opéré, d'une part, sur l’Algue que sa singulière texture réticulaire m'a fait aisément reconnaitre pour l'Hydrodictyon pentagonale, et, d’une autre part, » sur une conferve aux longs filaments verts, qui paraît être le Conferva vul- » garis.
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» Des quantités jugées à l'œil égales entre elles de chacune des deux espèces » d'Algues mentionnées furent enfermées dans des flacons à l'émeri bien bou- chés, d'un peu plus d’un demi-litre, avec 250 centimètres cubes d'eau conte- » nant 12 millionièmes d'ammoniaque ajoutée à l'état de chlorhydrate et une » quantité un peu moindre d'azotate de chaux. Les flacons furent ensuite expo- sés, les uns sur une fenêtre où ils recevaient les rayons du soleil,. les autres dans le voisinage, mais dans l'obscurité. » Après dix jours, le liquide de chaque flacon fut filtré et soumis à un essai » ammonimétrique.
» On a trouvé que l'Hydrodictyon avait fait disparaître au soleil presque les » trois quarts de l'ammoniaque, et le Conferva vulgaris près de la moitié, A l'obscu- rité, l'absorption de l'’ammoniaque fut environ moitié moindre. » Dans aucun des liquides des flacons il ne resta la moindre trace appréciable d'azote. >» Un dégagement notable de bulles gazeuses s'était, comme d'habitude, mani- » festé sous l'influence des rayons solaires autour des plantes mises en expé- » rience. » (Mémoires de l’Académie des sciences de Lyon, t. I, 1853.)
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EXPÉRIENCES Ù SUR
LE CYSTICERCUS TENUICOLLIS ET SUR LE TÉNIA QUI RÉSULTE
DE SA TRANSFORMATION DANS L’INTESTIN DU CHIEN,
Par C. BAILLET,
Professeur à l’École impériale vétérinaire de Toulouse.
Dans un travail publié en 1859, je disais que si les lois géné- rales qui président à l’accomplissement des phénomènes de migration et de métamorphoses des Cestoïdes sont aujourd'hui bien connues, il n’en est pas de même d’une multitude de ques- tions secondaires dont l'étude se relie à la connaissance des mœurs de chaque espèce en particulier, et dont la solution offre, à cause de cela, le plus grand intérêt pour l’étiologie de quelques maladies vermineuses. A cette époque, j'avais pris pour sujet de mes recherches les migrations du Cœnure cérébral chez nos diverses espèces de ruminants domestiques. Cette année, je me suis plus spécialement occupé du Cysticercus tenuicollis Rud., et du Ténia auquel il donne naissance; car aujourd'hui encore il existe entre les plus éminents helminthologistes, au sujet de la détermination spécifique de ce Cestoïde, des dissidences qui ne peuvent être levées que par des expériences directes faites dans des conditions variées. Je n'ai point réussi à parcourir en entier le cercle des investigations auxquelles je désire me livrer sur ce parasite; toutefois les résultats que j'ai obtenus me paraissent intéressants au double point de vue de la zoologie et de la pathologie vétérinaire, et c’est là ce qui me décide à livrer dès à présent à la publicité une première partie de mon travail.
Le Cysticercus tenuicollisRud. est un Ver eystique que l’on ren-
106 €. BAILLET.
contre assez fréquemment dans le péritoine du bœuf, du mouton, de la chèvre et du pore. Je l'ai trouvé également, à diverses reprises, dans les plèvres, chez des bêtes ovines. Enfin, en 1858, j'ai recueilli dans le tissu cellulaire de la région sous-lombaire, chez un chat, deux Vers qui me paraissent appartenir à celte même espèce. Lors- qu'on fait déglatir au chien des Cysheercus tenuicollis recueillis chez des ruminants, ils se transforment en Ténias dans l'intestin de ce carnassier. Cette expérience, faite par divers naturalistes, notam- ment par MM. de Siebold, Leuckart et Kuchenmeister, ne laisse aucun doute sur l’identité spécifique du Cysticercus tenuicollis Rud. et du Ténia que l’on a désigné sous le nom de Tœnia Cysticerci tenuicollis. La démonstration de ce fait acquiert une nouvelle force encore par les expériences inverses dans lesquelles M. Kuchen- meisler a réussi à reproduire des Cysticerques dans le péritoine des bêtes ovines, en faisant prendre à celles-ci des anneaux du Tœænia Cysticerci tenuicollis. Mais si tout le monde est d’accord aujourd'hui pour reconnaître l'identité spécifique du Cystique et du Ver rubané auquel 11 donne naissance, on est bien loin de s'entendre lorsqu'il s’agit de décider si le Ver dont nous nous occupons constitue une espèce bien distincte parmi les Ténias armés. Les uns, en effet, con- sidérent le Ver solitaire de l’homme, certains Ténias du chien et ceux de quelques autres carnassiers, comme appartenant tous à un seul et même type spécifique, et pensent que cette espèce à l’état de Cystique peut vivre indifféreniment sous forme de Cœnure chezles ruminants, et sous forme de Cysticerques, très différents les uns des autres, chez le porc, les ruminants, le lièvre et le lapin domes- tique. Les autres, au contraire, pensent que chaque Cystique appar- tient à un Ténia particulier, et que, par conséquent, il doit exister dans ce genre autant d'espèces séparées qu'il y a de formes bien caractérisées parmi les Vers à vessie. Comme nous l'avons dit déjà dans les travaux que nous avons publiés en 1858 (1) et en 1859(2), toutes nos expériences entreprises à l’école de Toulouse viennent à
(1) Voy. Journal des vétérinaires du Midi, 3° série, t. 1, p. 439, et Annales des sciences naturelles, 4° série, t. X, p. 491.
(2) Voy Journal des vétérinaires tu Midi, 3° série, t. II, p. 338, et Annales des sciences naturelles, 4° série, t. XI, p. 303,
EXPÉRIENCES SUR LE CYSTICERCUS TENUICOLLIS ET LE TÉNIA. 101 l'appui de cette dernière opinion, qui nous parait être l'expression de la vérité. Nous avons pensé cependant qu’il ne serait pas mutile d'ajouter de nouveaux faits à ceux que nous avons rapportés, et c’est là ce qui nous a engagé, à entreprendre, sur une espèce encore peu étudiée, les expériences dont nous allons rendre compte.
Aissi que nous nous en sommes assuré assez souvent, le T'ænia Cysticerci tenwcollis, bien qu'il soit plus rare que le Tænta serrata, se rencontre néanmoins de temps à autre dans l’intestin du chien. Cependant, afin de ne conserver aucun doute sur l’origine des Ces- toïdes que nous voulions employer à nos expériences, nous avons pris le parti de provoquer directement le développement de Ténias de cette espèce dans l'intestin du chien.
Le12 décembre 1859, une chienne épagneule du nomdeZémire, àgée de deux mois et demienviron, reçut un Cysticercus tenuicollis, tiré du péritoine d'un mouton. Le 20 et le 21 du même mois, elle prit encore trois autres Cystiques de lamême espèce, recueillis, l'un dans l'abdomen d'un boue, les deux autres dans le péritoine d’une chèvre. Dès le 28 mars 1860, c’est-à-dire cent sept jours après l’ad- ministration du premier Cystique, cette chienne commença rendre par l'anus quelques proglottis qui me parurent offrir tous les carac- tères que j'avais constatés en 1858 sur des Tœnia Cysticerci tenui- collis, dont j'avais provoqué la formation dans l'intestin de divers chiens. Ces anneaux contenaientdes œufs mûrs. À partir du L° avril, les expulsions devinrent assez fréquentes, et je pusutiliser les pro- glottis à des expériences en les administrant, à plusieurs reprises, à cinq jeunes agneaux de trois à quatre mois, à peine sevrés depuis quelques jours.
De ces cinq animaux un seul a succombé ; les quatre autres ont été successivement sacrifiés.
Acxeau N° 1. — Le premier de ces ruminants dont nous ayons à parler est une agnelle qui, en trois fois, a pris dix-sept anneaux ren- dus par la chienne Zémire, savoir :
Le 4 avril, un proglottis ;
Le 5 avril, cinq proglottis ;
Et le 10 avril, onze anneaux rendus en un seul fragment.
F0 €. BAILELT.
Le matin du 14 avril, cette agnelle, qui la veille avait mangé avec appétit et n'avait présenté aucun symptôme particulier, est trouvée gravement malade. Elle est couchée sur le sternum et appuyée con- tre le mur de son étable. La tête est à demi tombante à l'extrémité du cou, et, par moments, elle est agitée de tremblements convulsifs. Les paupières sont baissées, les veux chassieux et lormoyants, et la bête ne prête aucune attention à ce qui se passe autour d’elle. La respiration est grande, profonde, et l'expiration s'accompagne d’un ronflément peu sonore, qui parfois se transforme en une véri- table plainte. La conjonctive, la muqueuse de la bouche, la peau, sont d'une pâleur effrayante. Les battements du cœur sont forts, irréguliers, et le pouls est à peine sensible. Autour des naseaux existe du sang coagulé qui indique qu’'ime hémorrhagie a eu lieu par le nez pendant la nuit. Du sang que l’on retrouve sur la toison d’un autre agneau qui vit dans le même compartiment que la bête dont il est ici question, atteste par sa quantité que cette hémorrha- gie a du être considérable,
On faitlever l’agnelle malade, et, pour l’observer plus facilement, on la conduit dans une pièce mieux éclairée. Pendant le trajet d’ail- leurs peu étendu qu’elle a à parcourir, sa marche est lente et vacil- lante; elle s'arrête souvent, et dans la station elle tient ses mem— bres écartés, comme pour élargir la base de sustentation. Arrivée dans le nouveau local où on l’a conduite, elle se laisse aller sur la paille et paraît sur le point d’être suffoquée. Elle reste longtemps dans cet état ; puis peu à peu elle semble se calmer. Toutefois les symptômes qu'on a observés le matin persistent en s’aggra- vant.
Dans l'après-midi, la bête secouche et se relève sans cesse ; elle mange un peu d'herbe verte qu’on lui présente, mais elle s'arrête souvent et semble oublier le fourrage qu’elle a dans la bouche. Vers midi, on lave les naseaux avec de l’eau tiède pour les débar- rasser du sang coagulé qui les obstrue en partie, et presque aussitôt un liquide sanguinolent s'écoule par le nez. Deux fois la bête expulse de l'urine en petite quantité, et ce liquide est égale- ment sanguinolent. Enfin, à trois heures, les plaintes deviennent plus fréquentes, l'animal reste définitivement couché, et après
EXPÉRIENCES SUR LE CYSTICERCUS TENUICOLLIS ET@LE TÉNIA. 403 quelques convulsions peu énergiques d’ailleurs, il succombe à trois heures et demie. |
L'autopsie est faite immédiatement.
Tous les viscères abdominaux sont trouvés baignant dans du sang qui s’est épanché en quantité considérable dans la cavité du péritoine. Les vaisseaux, examinés avec le plus grand soin, ne laissent voir aucune ouverture ni aucune lésion qui puisse expliquer ceite hémorrhagie interne. Le foie est gorgé de sang, et à la moin- dre pression que l’on exerce à sa surface, il laisse transsuder ce liquide. La surface du foie est parsemée d’une innombrable quantité de petits sillons droits ou peu sinueux : les uns d’un rouge brun, les autres d’un rouge plus clair, s’entrecroisant souvent de différentes manières et ne laissant pas intact un seul point de la superficie de l'organe. La capsule qui revêt celui-ci se détache avec la plus grande facilité du tissu de la glande, et lorsqu'elle est enlevée on reconnait que les sillons dont nous venons de parler sont creusés dans le parenchyme même du foie, et qu’ils sont comblés en partie par du sang qui s’est coagulé en petits caillots. Dans chaque sillon on trouve une, deux, trois ou quatre petites vésicules ovoïdes, dont nous donnerons plus loin la description, et qui sont placées, les unes parallèlement, les autres transversalement au grand axe du sillon qu’elles occupent. Du reste, avant même que l'on ait enlevé par- tiellement la capsule du foie, de nombreuses vésicules semblables se sont détachées, entrainées par le sang qui a transsudé de l'organe. Ce fait s’est produit déjà, sans doute, pendant la vie; car dans le sang qui est épanché dans le péritoine, on retrouve un grand nom- bre de vésicules tout à fait identiques avec celles du foie. Enfin, ce n’est pas seulement à la surface que ce dernier organe présente des altérations; car, en le divisant avec l’instrament tranchant dans le sens de son épaisseur, on reconnait que partout son parenchyme est creusé de galeries qui, sur leur coupe, offrent le même aspect que les sillons de la surface, et, comme eux, sont occupées par de petits caillots sanguins et par des vésicules.
Le canal cystique et la vésieule biliaire sontdistendus par la bile ; mais dans leur intérieur op ne trouve point de vésicules. La rate est parfaitement saine.
10! e
Toute la partie flottante de l’épiploon est le siége d’un épanche- ment sanguin qui s’est fait entre les deux lames du péritoine. Le sang qui s'est coagulé dans celte région dessine une sorte de lacis d’un rouge foncé, au milieu duquel on trouve encore de nom- breuses vésicules semblables à celles du foie. Dans les autres régions du péritoine on voit aussi çà et là quelques vésicules qui ne sont point encore enkystées.
Le tube digestif est sain. Il en est de même des reins et de la vessie. Celle-eiest complétement vide, l’animal ayant uriné quelques instants avec sa mort.
Dans la poitrine, le poumon offre à sa surface des ecchymoses assez nombreuses, espacées, non confluentes, dont le diamètre varie entre 2 et 8 ou 16 millimétres. En incisant la plèvre, on reconnait que ces ecchymoses re pénètrent qu'à une faible profondeur, et que toujours le centre de chacune d'elles est occupé par une, ou plus rarement par deux vésicules de même forme, mais un peu plus petites que celles du foie. Un petit caillot de la grosseur d’une tête d’épingle se trouve toujours à côté de chaque vésicule. Les bronches, la trachée et les cavités nasales sont remplies d’un liquide spumeux un peu rosé. Le cœur et les gros vaisseaux paraissent entièrement sains.
Il n’y a rien à noter dans le cerveau ni dans ses enveloppes.
Dans toutes les régions du corps, le tissu musculaire est pâle et décoloré.
C'est par milliers qu'il faudrait compter les vésicules dont, à l’autopsie de cet animal, on a constaté la présence dans le foie, le poumon, l’épiploon, et jusque dans le sang épanché dans le péri- toine. Toutefois il ne faut pas oublier de faire remarquer que c’est le foie surtout qui est le siége occupé par les parasites en voie de migration, et que tout cet organe en est littéralement criblé, au point qu'il suffit d'en presser un morceau entre les doigts pour faire sourdre aussitôt de toutes parts des vésicules en grand nombre.
Quels que soient d’ailleurs les points occupés par les vésicules, elles offrent les caractères suivants. Elles sont ovoïdes , à parois transparentes, et remplies à l’intérieur d’un liquide clair et limpide.
€. BAILLET,.
EXPÉRIENCES SUR LE CYSTICERCUS TENUICOLLIS ET LE TENIA, 105 Elles ne portent encore aucune trace de scolex, et l’on ne saurait au juste prévoir le point où celui-ci devra se former. Leur meni- brane, considérablement grossie, est finement granuleuse, et chez quelques-unes que j’examine dès que l’agnelle est ouverte, je puis constater des contractions et de légères modifications dans la forme. Les plus grosses d’entre elles, qui ont été trouvées en grand nombre, surtout dans le foie ou dans le sang épanché dans le péritoine, sont longues de 2 millimètres à 3°”,50, et larges de 41°°,20 à 1°°,40. D'autres n’ont guère plus de 1°",50 de longueur. Enfin, les plus petites n’ont pas plus de 0"”,35 à 0"*,60 dans leur grande longueur.
Avant de m'arrêter sur les conséquences qui me paraissent découler des symptômes et des lésions observés chez l'animal dont je viens de retracer l’histoire, je crois devoir rapporter les quatre autres expériences qui ont donné des résultats beaucoup moins saillants, mais qui cependant ne sont pas dépourvus d'intérêt.
AGNEaU N° 2. — Un agneau du même âge que la bête dont nous venons de parler a reçu, en huit fois, du 26 avril au 16 mai 1860, jusqu’à cent seize anneaux rendus par la chienne Zémire, tous semblables, d’ailleurs, à ceux utilisés dans la précédente expérience. Cet animal n’a jamais manifesté la moindre tristesse, et l’examen le plus minutieux, fréquemment renouvelé, n’a jamais fait décou- vrir en lui aucun symptôme de maladie. Le 5 juin, on l’a sacrifié, et à l’autopsie , faite immédiatement après la mort, on a constaté les lésions suivantes :
Le rumen porte dans l’épaisseur de sa paroi inférieureune tumeur du volume d’un œuf de poule, dure, résistante, creusée à l'intérieur d’une cavité anfractueuse, remplie elle-même d’un pus épais et comme caséeux. Il existe, disséminés dans le péritoine, dix-neuf Cysticerques de différentes grosseurs. Les plus forts ont leur vési- eule longue de 20 à 25 millimètres et large de 10 à 12 millimètres. Cetté vésicule est un peu conique, obtuse en arrière. A l’extrémité opposée se trouve le scolex qui fait saillie de 2 millimètres environ. Chez d’autres, les vésicules sont un peu plus petites, mais de même forme. Chez tous, la tête du scolex, qui est invaginée, est parfaite-
106 €. BAILLET.
ment formée, munie de ses quatre ventouses, de sa trompe et de sa double couronne de érochets, où l’on retrouve, d’ailleurs, tous les caractères de dimensions et de formes que j'ai signalés en 1858, comme élant propres au Cyslicercus tenuicollis. Tous ces Vers s’agitent encore au moment de l’autopsie, et quatre d’entre eux, choisis parmi les plus gros, sont immédiatement administrés à un jeune chien.
Le foie porte à son bord inférieur un kyste qui est à peu près du volume d’une grosse fève. Ce kyste, dont les parois sont très épaisses et très résistantes, renferme dans son intérieur un Cysti- cerque moitié moins gros que ceux signalés plus haut. La tête de ce dernier Ver est cependant complétement organisée comme celle des autres.
La surface du foie est parsemée de quelques taches d’un blanc jaunâtre, de forme irrégulière, et de dimensions variables. Les plus petites ont environ 1 ou 2 millimètres de diamètre. Si on les incise, on pénètre dans une pelite cavité circonscrite par des parois propres, et dans lintérieur de laquelle se trouve une matière pulpeuse, molle tout à la fois, onctueuse et granu- leuse au toucher, qui fait légèrement effervescence par les acides, mais sans se dissoudre entièrement. Quelques taches un peu plus étendues correspondent à des cavités un peu plus grandes et contenant la même matière. D'autres, qui ont jusqu’à 2 ou 5 centimètres de longueur, sont formées par le rappro- chement d’un certain nombre de petites cavités semblables à celles que je viens de décrire. En faisant des coupes dans l’épais- seur du foie, on reconnaît que des dépôts, semblables à ceux que nous yenons de signaler, se sont formés dans la profondeur de cette glande. La plupart sont sous forme de points peu éten- dus; d’autres sont sous forme de longues trainées sinueuses et étroites; et les petites cavités qui constituent les unes et les autres sont remplies de cette manière pulpeuse que nous avons signalée plus haut.
Les autres organes contenus dans la cavité abdominale sont sains. I n'existe aucune lésion appréciable, ni dans le crâne, ni dans la cavité thoracique.
EXPÉRIENCES SUR LE CYSTICERGUS TENUICOLLIS ET LE TÉNIA. 107 AGneau N° 3. — Ce troisième agneau à beaucoup mieux résisté que les deux animaux dont nous venons de parler, à l’introduc- tion des parasites dans son économie. En effet, après avoir reçu, le 5et le 21 mai, huit anneaux recueillis au milieu de matières fécales de la chienne Zémire, il a été sacrifié le 27 juin. A l’autop- sie, on n’a pu voir dans le péritoine qu'un seul Cysticercus terui- collis. En outre, le foie était entièrement sain, et le cerveau, ainsi que les autres organes, ne présentait non plus aucune altération pathologique.
Agneau n° 1. —De même que les trois sujets qui précèdent, ce quatrième agneau a dégluti des anneaux de Ténia rendus par la chienne Zémire. Ces anneaux, au nombre de onze, ont été admi- nistrés , le premier à la date du 28 avril, et les dix autres, qui d'ailleurs ne renfermaient que peu d'œufs mürs, à la date du 16 mai. Pendant sa vie, l'animal n’a laissé voir aucun symptôme particulier. On l’a sacrifié le 2 août, et l’on à trouvé dans le péritoine seulement huit Cysticercus tenuicollis dont les scolex étaient pourvus de cro- chets parfaitement formés et dont les ampoules étaient manifeste- ment plus grosses que celles recueillies chez l'agneau sacrifié le 5 juin, Le foie offrait, d’ailleurs, à sa surface et dans sa profondeur, quelques taches blanchâtres semblables à celles observées chez l'agneau n° 2, mais beaucoup moins nombreuses.
AGnEau N° 5. — Treize anneaux rendus par la chienne Zémire ont été administrés en trois fois, le 28 avril, le 7 mai et le 21 mai, au dernier agneau dont il nous reste à parler. Cet animal, qui n’a
été sacrifié que le 14 janvier 1861, a conservé toutes les appa- rences d’une santé excellente jusqu’au moment de sa mort. A l'autopsie, on a rencontré dans le péritoine, particulièrement entre les lames de l’épiploon, sur le foie et au voisinage du rectum, trente Cysticercus tenuicollis. Un autre Cystique de même espèce a élé trouvé dans le thorax, adhérent au bord postérieur du pou- mon droit. Tous ces Vers étaient enkystés. Leurs vésicules étaient de la grosseur d'une noix, et leurs scolex, plus gros que ceux recueillis dans les expériences précédentes, élaient tous pourvus
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d’une double couronne de 32 à 36 crochets, présentant dans leurs formes et dans leurs dimensions tous les caractères que nous avons indiqués pour les Cystiques de cette espèce, dans le travail que nous avons publié en 1858.
Le foie offrait, en outre, à sa surface, des taches blanchâtres, disséminées : les unes allongées,ilongues d’un centimètre environ ; les autres, arrondies et plus petites. Les premières avaient l'aspect de véritables cicatrices, et au-dessous de leur tissu légèrement épaissi, on rencontrait la substance du foie parfaitement saine. Les autres correspondaient le plus souvent à de petites cavités du diamètre d'un pois où même d’un diamètre moins considérable. Toutes ces cavités étaient remplies d’une matière pulpeuse, granu- leuse au toucher, et présentant parfois une dureté presque pier- reuse. Enfin, dans son épaisseur, le foie laissait voir aussi de sem- blables dépôts. Ajoutons, d’ailleurs, que les cicatrices et les dépôts dont nous venons de parler n'étaient pas très nombreux.
Quant aux autres organes, bien qu'ils aient été examinés avec le plus grand soin, on n’a pu constater en eux la moindre trace d’altération.
La multiplicité des vésicules qui dans la première expérience ont été rencontrées dans différents points de la poitrine et de l’abdo- men; le développement encore peu considérable de ees vésicules; leur apparition rapide peu de jours après la première administra- tion des anneaux du Tœnia Cysticerci tenuicollis, ne permettent de conserver aucun doute sur leur origine. Il est évident qu’elles dérivent des œufs contenus dans les anneaux de Ténia administrés à l'animal, et que les désordres ‘graves qui ont entrainé la mort du sujet mis en expérience ont été produits par les efforts tentés par les proscolex, pour accomplir l’une de leurs migrations et arriver au sein des organes où existent les conditions favorables à leur développement ultérieur. En présence de ce résultat si remar- quable, il est permis de s'étonner que l’on n'ait rencontré qu’un nombre si restreint de Cysticerques dans le péritoine des quatre derniers sujets soumis à la même expérience. Cette différence dans les effets produits sur des animaux du même âge ne peut s’expli- quer que par ce fait déjà bien souvent constaté, que dans une
EXPÉRIENCES SUR LE CYSTICERCUS TENUICOLLIS ET LE TÉNIA. 109 espèce déterminée les animaux opposent à l'introduction des Hel- minthes dans l’économie une résistance variable, au point que chez quelques-uns, tous les œufs administrés peuvent éclore et produire des Vers, tandis que chez les autres c’est à peine si quel- ques œufs parviennent à se trouver dans les conditions favorables à leur éclosion et à la conservation de la vie chez l'embryon. I] y a là quelque chose d’occulte que l'on ne saurait expliquer d’une manière satisfaisante, mais dont il faut tenir compte avec le plus grand soin dans toutes les expériences qui ont pour objet d'étudier les phénomènes de la reproduction chez les Vers parasites. Quoi qu'il en soit, il est certain que, pour démontrer la transformation des œufs du Ténia administrés en Cysticerques, on ne saurait s’ap- puyer sur les résultats donnés par les autopsies des agneaux por- tant les n° 5 et 4; car le Cysticercus lenuicollis est commun chez les bêtes ovines, et il n’est pas absolument rare d'en rencon- trer jusqu'à huit ou dix dans le péritoine d'un seul animal. Mais en constatant ce fait, nous ne devons pas manquer de faire obser- ver que chez les moutons entretenus dans de bonnes conditions hygiéniques, comme l’étaient celles où se trouvaient les animaux sur lesquels nous avons expérimenté, le nombre des Cysticercus tenuicollis est toujours très restreint (D). Ceci nous amène naturel-
(1) En consultant mes notes, je vois que dans les autopsies assez nombreuses de chèvres et de moutons que j'ai faites depuis plusieurs années, il ne m'est jamais arrivé de rencontrer plus de sept Custicercus tenuicollis dans le péritoine. Deux agneaux seulement font exception : ce sont ceux dont j'ai tracé l'histoire dans le travail que j'ai publié en 4855 (Journal des vétérinaires du Midi, 2° série, t. IX, p. 97). Chez ces animaux, on a trouvé à l’autopsie, « dans le péritoine, » à la surface du foie et dans le poumon, de nombreux Cysticerques de l'espèce » Cysticercus tenuicollis. » Mais ces agneaux avaient pris, l'un quatre-vingt-dix- huit jours et l’autre cent seize jours avant d’être sacrifiés, des anneaux d'un Ténia rendus par un chien, et dont l'espèce n'avait pas été déterminée. Or, comme le Tænia Cysticerci tenuicollis existe parfois dans l'intestin du chien, il n'est pas impossible que les anneaux administrés aient élé de cette espèce, et que leurs embryons, en se développant au sein du péritoine et des autres orga- nes, y aient fait naître les Cysticercus tenuicollis trouvés à l’autopsie. Je ne pense donc point que ce fait particulier puisse infirmer en rien les assertions que j'ai avancées plus haut.
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lement à donner un peu plus d'importance aux résultats de la seconde expérience dans laquelle vingt Cysticerques ont été pro- duits, et surtout à ceux de la cinquième expérience, où l'on à pu recueillir dans les séreuses jusqu’à trente et un Cysticerques. Nous n'hésitons pas à reconnaître cependant que, si ces deux expériences ont quelque valeur pour aider à résoudre les questions relatives à la détermination spécifique du Cysticercus tenuicollis et de son Ténia, c’est seulenent lorsqu'on les rapproche du fait observé chez l'agneau n° 1. Si, en effet, on les laissait isolées, elles seraient bien loin de suffire pour lever les doutes de ceux qui n’acceptent point encore entièrement les théories nouvelles sur la reproduction des Cestoïdes. Ce sera done presque exclusivement sur notre pre- mière expérience que nous nous appuierons dans les quelques con- sidéralions qu’il nous reste à ajouter à notre (ravail.
Dans le compte rendu que nous avons publié en 1858, nous avons essayé de démontrer que le Cænurus cerebralis,le Cysticercus pisi- formis ct le Cysticercus tenuicollis sont les scolex de trois espèces parfaitement distinctes. Les expériences que nous venons de rap- porter donnent une nouvelle force à notre assertion. Si, en effet, le Tœnia Cysticerci tenuicollis, par exemple, était de la même espèce que leT'ænia serrala et le Tœænia cœnurus, les œufs de ce Ténia que nous avons administrés dans notre première expérience auraient dù provoquer tout à la fois la production de Cysticerques dans le péritoine et la production de Cœnures dans le crâne. Or, comme nous l'avons dit, les centres nerveux étaient parfaitement sains et ne laissaient voir aucune trace du passage des proscolex. Le foie, au contraire, était littéralement criblé de Cystiques en voie de migra- tion. S'il en a élé ainsi, c'est que les œufs du Tænia Cysticerci lenuicollis ne peuvent engendrer què des C'ysticerques, et que, par conséquent, le Ver qui les produit ne saurait étre de la même espèce que celui qui donne naïssance au Cœnure cérébral.
Les nombreuses vésicules qui existaient dans le foie de l’animal consacré à la première expérience, ainsi que les traces particulières observées dans le foie des agneaux n° 2, 4 et 5, démontrent clairement que, pour arriver dans le péritoine, les proscolex du Tœnia Cysticerci tenuicollis traversent, pour la plupart, l’organe
EXPÉRIENCES SUR LE CYSTICERCUS TENUICOLLIS ET LE TÉNIA. At
sécréteur de la bile. Par quelle voie ces animaux microscopiques pénètrent-ils dans cette glande? On peut présumer que ce n’est point par les canaux biliaires, car dans ces canaux on n’a point trouvé de vésicules. Je ne sais si je me fais illusion, mus il me semble que les lésions rencontrées à l’autopsie du premier agneau indiquent que c’est par les vaisseaux et à la faveur du cours du sang que les Vers’arrivent dans le foie. Il est assez probable qu'a- près être sortis de l’œuf, les proscolex s’introduisent dans la veine porte par les racines de ce vaisseau, et sont ainsi portés jusqu’au milieu du parenchyme de la glande, d’où ils doivent ensuite sortir pour pénétrer dans le péritoine. La présence de quelques vésicules au sein du tissu du poumon me paraît appuyer mon assertion ; car, dans l'hypothèse que je viens d'émettre, on comprend facilement que des embryons ont pu traverser le foie sans s’y arrêter, et que de là ils ont pu être portés dans la veine cave par les veines sus- hépatiques, puis dans le cœur, et en dernier lieu dans le poumon, par l'artère pulmonaire. Mais je me hâte d'ajouter que ce n’est là qu’une hypothèse qui a besoin, pour passer au rang des vérités acquises à la science, d’être démontrée par des recherches directes. Je m'abstiendrai done d'insister aujourd’hui davantage sur ce sujet. Aussi bien aurai-je encore occasion de revenir sur le Cyshcercus tenuicollis, qui, par eéela même qu'il vit chez plusieurs de nos espèces domestiques, offre pour les vétérinaires et pour les zoolo- gistes un intérêt tout particulier.
NOTE SUR LE SYSTÈME NERVEUX BT PARTICULIÈREMENT
SUR LE GRAND SYMPATHIQUE DU MARSOUIN, (DELPHINUS PHOCÆNA).
Par M. BAZIN,
Professeur à la Faculté des sciences de Bordeaux.
(Extrait.)
Le système nerveux ganglionnaire des Cétacés n'avait pas en- core été éludié, et les recherches que M. Bazin vient de publier à ce sujet dans les Mémoires de la Société des sciences physiques et naturelles de Bordeaux rempliront cette lacune en ce qui con- cerne la portion antérieure de ce système; mais l’auteur n’a pas élendu ses observations à la portion abdominale de cet appareil ganglionnaire. Il résume son travail de la manière suivante :
4° Le Marsouin n’a ni lobes ni nerfs olfactifs, ce que l’on sait depuis longtemps.
2° Le rameau nasal est très développé et se distribue à la mem- brane muqueuse des évents.
8° Les connexions du ganglion ophthalmique sont les mêmes que dans les autres Mammifères.
h° Les, connexions connues dans les Mammifères entre la deuxième branche de la cinquième paire et le nerf facial, entre ce dernier, le nerf auditif, le glosso-pharyngien et le ganglion cer- vical supérieur, existent dans le Marsouin.
5° Le nerf accessoire naît du faisceau postérieur de la moelle épinière par de nombreuses racines très rapprochées les unes des autres, comme dans les Oiseaux.
6° Le pneumogasirique fournit de nombreux filets nerveux aux tissus contractiles et à la membrane muqueuse des bronches; les artères et les veines reçoivent anssi de nombreux filets ner veux du pneumogastrique.
7° Le Marsouin n’a que deux ganglions pour la région cervi- cale ; 1ls sont moins volumineux que dans l’homme.
8 La région thoracique n’a que six ganglions, ou sept, en comptant pour deux le septième qui est bilobé. Ils sont aussi volu- mineux que dans l’homme et les autres Mammifères.
RECHERCHES D'EMBRYOLOGIE COMPARÉE
SUR LE DÉVELOPPEMENT
DE LA TRUITE, DU LÉZARD ET DU LIMNÉE,
Par M. LEREBOULLET,
Professeur à la Faculté des sciences de Strasbourg.
(Mémoire qui a obtenu le grand prix des sciences physiques décerné par l’Académie des sciences, dans la séance publique du 2 février 1857.)
« La philosophie, dans les sciences d'observation, est l'ensemble des formules ou des principes qui résument les faits. » SERRES, Organogénie, t. II, p. 15.
AVANT-PROPOS.
L'Académie des sciences, dans sa séance du 30 janvier 1854, a remis pour la troisième fois au concours l’importante question du développement comparatif des animaux :
« Établir, par l'étude du développement de l'embryon dans » deux espèces prises, l’une dans l’embranchement des V'erlébrés, » et l’autre soit dans l'embranchement des Mollusques, soit dans » celui des Articulés, des bases pour l’embryologie comparée. »
« Le grand objet, ajoute le programme, que, par le choix de celte question, l’Académie propose aux efforis des naturalistes et des anatomistes, est la détermination posilive de ce qu'il peut y avoir de semblable ou de dissemblable dans le développement comparé des Vertébrés et des Invertébrés. »
Telle est la question difficile posée par l’Académie, question de faits et question d'appréciation.
Les faits, suivant nous, doivent précéder les doctrines ; celles-ci ne peuvent être solides et durables qu'autant qu'elles reposent sur l'observation exacte des faits et sur leur appréciation loyique. C’est celle vérité, exprimée par un esprit éminemment philoso-
4° série, Zooc. T. XVI. (Cahier n° 2.) # 8
114 LEREBOULLET . phique, que nous avons choisie pour épigraphe, et que nous avons inscrite en tête de notre travail.
Cette vérité est surlout importante en embryologie comparée, science encore jeune, née d'hier pour ainsi dire, et hérissée de difficultés soit pour la constatation des faits, soit pour leur juste appréciation.
C'est par l’étude minutieuse des détails observés dans chaque espèce zoologique qu’on arrivera un jour à pouvoir comparer entre eux les faits qu'on aura recueillis.
Nous partageons entièrement, sous ce rapport, l’avis d’un excel- lent observateur, M. Vogt, qui s'exprime ainsi dans la préface de son Embryologie des Salmones : « Pour établir l'embryologie sur des bases solides, iln°y a, selon moi, qu’une manière de procéder : c'est de remonter, comme on l’a fait pour l'anatomie comparée, du simple au composé, et de ne déduire des règles générales qu'autant que l'on a acquis une connaissance spéciale des diffé- rents types. » (P. 1v.)
Dans un précédent travail, j'avais étadié deux espèces de Pois- sons osseux, la Perehe et le Brochet, comme types des Vertébrés, et l’Écrevisse de rivière comme type d'animal articulé.
Dans le présent mémoire, j'ai choisi pour sujets d'étude la Truite comme Vertébré anallantoïdien, le Lézard comme Vertébré allantoïdien, et le Limnée des étangs comme type de Mollusque.
J'ai donc pu me procurer, par l'observation, un nombre assez considérable de matériaux dont je me suis servi pour étudier la question du développement comparatif de ces animaux.
Seulement j'ai rencontré dans l'étude de la Truite et dans celle du Lézard des obstacles matériels tenant à la nature de leurs œufs, obstacles qui m'ont empêché de pénétrer dans tous les détails de leur composition aux diverses époques de leur développement. II n’en a pas été de même du Limnée; j'ai pu étudier minutieuse- ment toutes les phases du développement de ce Mollusque, et je crois être arrivé à constater, dans son embryologie, un certain nombre de faits nouveaux.
J'ai cru devoir denner un soin tout particulier à la comparaison des résultats obtenus, c’est-à-dire à l'étude des ressemblances et
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 445 des différences. Pour rendre plus facile leur appréciation, j'ai donné à la fin de chaque chapitre, dans les trois monographies que j'ai traitées, un résumé des principaux faits contenus dans ce chapitre.
Dans la quatrième partie de mon travail, qui traite de la déter- mination des ressemblances et des différences entre le développe- ment des Vertébrés et celui des Invertébrés, j'ai comparé succes- sivement entre eux, sous le rapport de leur développement, les divers animaux qui font l'objet de mes monographies particulières ; puis, dans un dernier chapitre, j'ai cherché à apprécier la valeur des ressemblances, et surtout celle des différences que j'ai eu à constater, afin d'arriver à en faire ressortir les plus importantes.
BR crois avoir obtenu de cette manière, des résultats positifs ; puisse cette conviction passer dans l'esprit de mes lecteurs.
PREMIÈRE PARTIE.
EMBRYOLOGIE DE LA TRUITE COMMUNE.
(Salar Ausoniü, VAL. Salmo fario L. BL.)
CHAPITRE I.
De l'œuf avant la fécondation.
Les ovaires de la Truite sont deux longs sacs qui occupent toute l'étendue de la cavité viscérale. Les œufs sont enchâssés dans les parois de ces sacs ; ils grossissent peu à peu, toujours coiffés par la membrane ovarienne recouverte intérieurement de son épithé- lium; puis, quand ils sont arrivés à maturité, ils se détachent de Vovaire, tombent dans la cavité abdominale, et ne tardent pas à être pondus pour recevoir l’action fécondante de la liqueur sé- minale.
J'ai étudié la composition des œufs ovariens et celle des œufs mürs détachés de l'ovaire, et tombés dans la cavité abdominale.
On sait que les parois des sacs ovariens renferment toujours
4116 LEREBOULLET.
une mulütude de jeunes ovules, de dimensions très diverses, des- tinés à mürir et à être fécondés l’année suivante. Les plus petits ovules que j'aie pu découvrir mesuraient 0"",05.
Ces très petits ovules se composaient : 1° d’une enveloppe amorphe membraneuse très mince, et 2° d’une vésicule germina- tive, quelquefois très grosse, relativement au volume de l’ovule. Dans celui dont je viens de parler, par exemple, qui avait un dia- mètre de 0"",05, la vésicule mesurait 0"",04.
Cependant cetle grosseur proportionnelle de Ia vésicule ne se voit pas longtemps, car, dans la plupart des petits ovules dont j'ai mesuré les parties, elle avait moins de développement. Voici quel- ques-unes de ces mesures :
Ovule Vésicule germinative. mm mm ET. ., 0,06
DRE NE pe. HU 0,06
DATRueue amet, 0,07
OR dl à 0,09
0,58. yray<q dd a u0 413
Dans la plupart des petits ovules, la vésicule germinative est excentrique; elle est toujours plus ou moins rapprochée de la paroi de l’enveloppe, quelquefois collée contre cette paroi; ce n’est que dans les ovules un peu plus gros que la vésicule est centrale.
Ce fait semblerait montrer que la vésicule naît contre les parois de la cellule ; cependant il pourrait aussi s’interpréter par le déve- loppement de la cellule autour de la vésicule primitivement for- mée. Seulement, dans cette dernière supposilion, on ne comprend pas pourquoi la cellule ne se développe pas concentriquement avec la vésicule. Il semble naturel d'admettre que la force qui déter- mine la condensation de la matière organique autour d’un noyau primitif, doit être la même sur toute la périphérie de ce noyau, d'où il suit que l’enveloppe devrait toujours, dès le principe, se trouver à égale distance de la vésicule, ce qui n’a pas lieu.
Les petits ovules dont nous parlons sont toujours recouverts par l’épithélium ovarien qui semble faire corps avec eux. Cet épithé- lium est quelquefois composé de très grosses cellules qui masquent le contenu de l’ovule. (PI. 2, fig. 4.)
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE, 117
L'accroissement des ovules se fait d'une manière simultanée, mais inégale, dans ses parties constituantes. La vésicule se déve- loppe moins rapidemeut que l’ovule lui-même.
L'augmentation de volume de la vésicule germinative est un fait mis aujourd'hui hors de toute contestation par des observations nombreuses. Il suffit, pour s’en assurer, de mesurer les parties conslituantes de quelques œufs à divers degrés de développement.
Le contenu des ovules primitifs est d'abord une matière gra- Mieuse pale, à peine distincte, mais qu’on rend plus apparente pa la coagulation, à l’aide d'un peu d’eau acidulée.
uand l’ovule grossit, et dès qu'il a dépassé 0"",4, on voit se lorner autour de la vésicule germinative une couronne de petits corp&cules sphériques, réfractant fortement la lumière, mais tanSprents à leur centre, ce qui indique leur nature vésiculeuse. Ces pets corps sont des vésicules graisseuses qui commencent à se forme (fig. 2). Leur présence donne aux ovules une couleur sombre. à couronne s’élargit rapidement en s'étendant vers la périphérie l'œuf, et bientôt celui-ci est rendu presque opaque par l’acCumlation de ces éléments graisseux.
Le conter de la vésicule germinative a un caractère particu- lier ; il consie dans de petits corpuscules sphériques, brillants, que l’on connä sous le nom assez vague de taches germinatives. Ces taches sont &s petites, quelquefois à peine perceptibles dans les très petits Giles ; mais, à mesure qu’elles grossissent, elles deviennent plus SlJantes, et remplissent la vésicule.
Les ovules donte viens de donner la description se rencon- trent pendant toutéannée dans les ovaires de la Truite, aussi bien avant qu'après :ponte.
C'est vers la fin & septembre ou dans les premiers jours d'octobre que les ŒufS 5rochent de la maturité, dans les Truites des Vosges et de la foriNoire, Les deux ovaires sont alors tur-
gescents, et occupent l'abmen dans toute sa longueur. Les œufs, d'un beau jaune or ang ${ régulièrement serrés les uns contre les autres, et entourés étrOsnent par les parois de l'ovaire qui
forment une capsule autour chacun d’eux. Leur diamètre est ordinairement alors de à Millüires.
118 LEREBOULLET.
Vus par transparence, à un faible grossissement, ces œufs paraissent uniformément remplis de gouttes d'huile de diverse grosseur (fig. 3). Les plus grosses mesurent 0"",16, et les plus petites de 0"*,04 à 0,02. Il ne m'a pas été possible de découvrir de vésicule germinative dans ces gros œufs, soit en employant une compression graduelle, soit en vidant l'œuf, et en examinant attentivement son contenu. Mais j'apercevais ordinairement, vers le centre de l'œuf, une tache foncée de forme irrégulière, qui mA semblé, malgré sa position centrale, être formée par les débis de la vésicule.
En piquant l’œuf, on voyait s’échapper, avec les gouttes d’hile, des grumeaux opaques formés par une agglomération d’élénents très petits.
Ayant coagulé ces œufs, je les examinai au soleil par la Jmière directe, et je vis constamment, dans chacun d'eux, uneou plu- sieurs petites taches blanches couleur de lait, opaques dont la
einte mate tranchait fortement sur la couleur jaunâtredu reste de l’œuf. :
J'examinai avec soin plusieurs de ces taches blanchitres.
Quand il n’en existe qu'une dans un œuf, elle St arrondie, aplatie, et elle forme un disque plissé, comme chiffhné, et rem- pli de granules. Ce corps arrondi et aplati, rataté, n’est autre chose que la vésicule germinative qui s’est vidé et dont il ne reste plus que l'enveloppe avec quelques granul0nS encore con- tenues dans sa cavité. L'une de ces vésicules viës se lrouvait près de la surface de l’œuf; elle avait 0"",49 de amètre. La mem- brane chiffonnée qui la composait était forméde granules micro- scopiques d’une extrême pelitesse, cohénts, serrés les uns contre les autres, et constituant, par cet aangement, une mem - brane granuleuse et non une simple pellile-
J'ai répété un grand nombre de fois 1s1ême observation, tou- jours après avoir coagulé l’œuf. Quet il n’y avait qu'un seul corps blanchâtre, il était régulièreme discoïde et rapproché de la surface de l'œuf, Lorsqu’au contre il existait plusieurs taches, ce que j'ai vu rarement, elles était irrégulières et dispersées.
L'œuf lui-même n’était compe due de gouttes d'huile en
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 119
grande quantité, et d’un liquide albumineux particulier qui a la propriété de se coaguler immédiatement dans l’eau et de troubler ce liquide.
Un mois plus tard, vers la fin d’ociobre ou au commencement de novembre, les œufs commencent à se détacher de l'ovaire. Ils ont encore un peu grossi; leur diamètre approche de 4 milli- mètres.
Ces œufs mûrs ou presque mûrs ont aussi, comme les précé- dents, leur vésicule germinative vidée et ratatinée ; cette vésicule e trouve tout à fait à la surface.
J'ai examiné, après les avoir coagulés, dix œufs d’une même Tuite. Dans tous les dix, j'ai trouvé à la surface un petit disque blac très apparent, visible à travers le cliorion, sur les œufs Cotulés, et qu’on pouvait détacher facilement avec des aiguilles. Ce sque mesure, en général, 06"",60. En le déchirant avee des aiguies, on voit qu'il constitue un véritable sac vide, aplati, chiffoné; cependant il contient encore, assez souvent, des amas de Conuscules celluliformes, granuleux, dont le diamètre varie de 0°",05 à 0"",16, et dont quelques-uns sont nucléés.
Dans ne de ces vésicules germinatives qui mesurait 0"",65, les corpusules celluliformes étaient réunis à son centre en assez grand notre; d’autres corpuscules, beaucoup plus petits ét d’un aspect brilht, se trouvaient dispersés dans l'intérieur de la vési- cule ; dés CO: amoncelés au centre avaient les caractères de véri- tables cellule: f]s étaient sphériques, un peu aplatis, remplis de granulés brilkts; quelques-uns d’entre eux avaient un noyau transparent. (FE. h.)
Ces cellules nsuraient jusqu'à 0°",046, tandis que les petites vésicules dispersé n'avaient que 0**,003 à 0°°,005.
Le contenu des 4fs mûrs détachés de l’ovaire se composait, comme les précédes, de gouttes d'huile de toutes les dimensions dispersées dans toultétendue de l'œuf, et d'un liquide très vis- queux qui se coagulet se solidifie en quelque sorte immédiate- ment dans l’eau.
Je piquai plusieurs @, et j'en examinai le contenu avec toute l'attention possible, à nure qu'il s'écoulait, et sans y ajouter
420 LEREBOULLET,.
aucun menstrue., Je n'ai trouvé dans la substance de l’œuf aucun corps particulier, si ce n’est de petites sphères faiblement rosées, distinctes des globules graisseux par leur couleur et par leur contour moins ombré. Au milieu du liquide qui s’échappait de l'œuf, on voyait flotter çà et là quelques lambeaux jaunâtres com- posés de vésicules brillantes et provenant des débris de la vésicule germinative. Dans les œufs coagulés, ces débris apparaissaient comme de pelites taches blanches de la même nuance que la vési- cule germinative, et qui tranchaient distinctement sur la couleur opaline de la substance vitelline coagulée.
Depuis le moment où ils passent dans la cavité abdominale jus: qu’à l’époque à laquelle ils sont pondus, les œufs subissent trs peu de changements.
Si l’on pique un de ces œufs entièrement murs et propres à ére fécondés, et qu'on en examine le contenu à mesure qu’il s’éoule sur la plaque de verre, on trouve : 1° de nombreuses goutts de graisse de toutes les dimensions ; 2° un certain nombre de etites vésicules rosées (les globules vitellins); et 3° quelques rares flocons jaunâtres composés de vésicules élémentaires agglmérées et cohérentes.
Vus coagulés, ces mêmes œufs n'offrent pas à l’urde leurs pôles la tache jaune opaque qui est si apparente danles œufs mürs du Brochet. Seulement les globules huileux sesont accu- mulés en plus grande quantité vers un des pôles deœuf, ce qui donne une teinte jaunâtre à celte région.
Si l’on réduit en parcelles l'œuf solidifié par la Agulation, on rencontre çà et là, au milieu de ces fragments, r petites taches opaques et ternes. Ces taches sont dues à la préser d'une matière finement granuleuse, au milieu de laquelle se vent quelques gra- oules plus gros et brillants. Il n’existe plus au trace de vési- cule germinative, mais la grande analogie dSpect et de com- position entre les flocons dont je viens dearler et la vésicule elle-même, me fait croire que les flocons entléstion proviennent de cette dernière.
Au moment de la ponte, l'enveloppe 6 @ufs ou chorion est mince, très molle, et elle n’offre pas enc? la résistance et l’élas-
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. AZ4 ticité qu'elle acquiert au bout de quelque temps de séjour dans l’eau.
La structure de cette coque est en rapport avec la fonction qu'elle est appelée à remplir, celle de faciliter l'absorption de l’eau et le passage des gaz nécessaires à la respiration de l'œuf, et plus tard à celle de l'embryon. En effet, elle est percée de part en part d’une infinité de petits tubes excessivement fins, droits, parallèles les uns aux autres, et qui donnent un aspect strié aux coupes pra- tiquées suivant l’épaisseur de cette membrane.
Ces tubes n'ont pas plus de 1/700° de millimètre, ou 0°",0044 d'épaisseur. Leur présence donne à la surface du chorion, quand on l’examine sous un fort grossissement, un aspect finement ponctué. )
Résumé du premier chapitre.
1. L'ovule primitif de la Truite est composé de deux sphères emboîtées : la sphère vitelline et la vésicule germinative.
2. Dans l’origine, la vésicule germinative remplit, pour ainsi dire, la sphère ou vésicule vitelline, ce qui peut faire penser que c'est la vésicule germinative qui est la première formée dans l'ovaire.
3. La vésicule germinative grossit progressivement en même temps que la sphère vitelline ; mais l'accroissement de cette der- nière est plus rapide, et bientôt elle l'emporte de beaucoup en volume.
k. Dès leur apparition, les deux sphères sont le siége d’un tra vail qui a pour résultat la production d’une substance particulière, différente dans chacune des deux sphères.
5. Le contenu de la sphère vitelline est d’abord une matière liquide, homogène, tenant en suspension une substance finement granuleuse : puis une matière graisseuse qui se dépose sous forme de petites vésicules autour de la vésicule germinative, et ne tarde pas à remplir l’ovule.
6. Le contenu de la sphère germinative consiste dans des cor-
192 LEREBOULLET.
puseules brillants, vésiculeux, qui grossissent et se multiplient au point de remplir cette sphère.
7. Pendant toute la durée de son évolution dans l'ovaire, l’ovule est entouré d’une capsule ovarienne propre, recouverte intérieu- rement d’une couche d’épithélium vésiculeux.
8. L’accroissement de l'œuf produit des résultats différents sur le contenu des deux sphères. La sphère vitelline multiplie ses élé- ments graisseux, et le liquide, au milieu duquel flottent ces der- niers, acquiert la propriété de troubler l’eau en se coagulant immé- diatement dans celle-ci. La sphère germinative transforme ses éléments vésiculeux en cellules, qui se remplissent d’une matière granuleuse. Quand la sphère vitelline a atteint le terme de son évolution, la vésicule germinative se déchire, et son contenu se disperse au milieu des éléments du vitellus.
9. L’œuf mür se compose donc de deux groupes d'éléments différents les uns des autres, mais d’abord mêlés et confondus : 1° les éléments de la sphère vitelline qui sont des globules grais- seux, et le liquide dans lequel ils nagent ; 2° les éléments de la vésicule germinalive qui sont des cellules et des granules vési- culeux.
Ces derniers éléments constituent la substance plastique, orga- nisable, du nouvel être; les éléments de la sphère vitelline en constituent la substance nutritive.
10. Pendant la durée du développement de l'œuf, les éléments solides dont il se compose tendent à se porter vers la périphérie, et à se concentrer à l'un de ses pôles.
11. Quand la vésicule germinative a terminé le cycle de son évolution, elle est vide, flasque, située à la surface de l'œuf, et ne tarde pas à disparaître complétement.
12. Les éléments fournis par la vésicule germinative restent quelque temps sous forme de cellules dispersées dans l'œuf ou réunies en pelits amas. Ces cellules renferment des corpuscules vésiculeux (les granules ou corpuscules plastiques) qui plus tard deviennent libres, et se mêlent aux autres éléments de l’œuf.
13. Dans la Truite, les éléments plastiques produits par la vésicule germinative et les éléments nutritifs fournis par la sphère
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 1423
vitelline, restent mêlés et confondus jusqu’à l’époque de la fécon- dation. Les œufs mûrs de ce poisson, même ceux qui vont être pondus, n’offrent pas la tache jaune si apparente dans le Brochet, et qui provient de la condensation des éléments plastiques.
A4. La coque, dans les œufs mûrs, est composée d’une quantité innombrable de petits tubes qui s’ouvrent au dehors, et la rendent très perméable à l’eau.
CHAPITRE IL.
Première période du développement de l'œuf, ou période préparatoire, comprenant les changements qui surviennent dans l'œuf depuis la fécondation jusqu’à la formation de l'embryon.
Les œufs qui viennent d’être fécondés différent peu, quant à leur aspect, des œufs mürs non fécondés.
Is se gonflent par leur séjour dans l’eau et acquièrent, au bout de vingt-quatre heures, un diamètre de 5 millimètres ; leur coque devient dure et élastique; les gouttes d’huile s’amassent en plus grande quantité vers un des pôles de l’œuf.
Si l’on ouvre un œuf sous le miéroscope, on voit s’en échapper, avec le liquide vitellin et les gouttes huileuses, une grande quan- tité de flocons jaunâtres demi-opaques. Ces flocons ont un aspect granuleux (fig. 5); ils se composent d’un amas de granules pulvérulents, au milieu desquels on remarque de très pelites vésicules brillantes et des corps celluliformes sphériques, de grandeur variable, remplis de granulations et munis d’un noyau vésiculeux; ces corps celluleux ont en moyenne un diamètre de 0"",02. Cà et là on rencontre, au milieu de ces éléments, des glo- bules à teinte mate, uniforme, grisäfre ou quelquelois faiblement rosée.
En résumé, l’œuf fécondé, examiné frais, renferme :
4° Un liquide visqueux, abondant, qui se coagule immédiate- ment dans l’eau ;
2° Des globules de graisse liquide, véritables gouttes d'huile qui sont accumulées surtout vers un des pôles de l'œuf;
12/4 LEREBOULLET.
3° Une substance organisable, jaunâtre, amassée vers le même pôle et composée :
a. D'une base finement granuleuse ;
b. De corpuscules brillants (corpuscules plastiques), disséminés au milieu de la matière granuleuse précédente ;
c. De cellules granuleuses nucléées ;
d. De corps celluliformes, grisâtres ou rosés, non granu- leux.
Ces deux derniers éléments sont probablement les globules vitellins de l'œuf de la Truite; je n'ai jamais vu dans cet œuf les globes vitellins qu’on rencontre dans le Brochet, dans la Perche et dans d’autres poissons osseux.
Pour mieux apprécier les rapports des divers éléments que je viens de faire connaître, il convient de coaguler l'œuf à l’aide d’une eau faiblement acidulée.
Des œufs coagulés immédiatement après la fécondation offrent la composition suivante :
Il existe à l’un des pôles de l’œuf une pellicule membraneuse, amorphe, fenêtrée, c’est-à-dire offrant une multitude de trous que remplissaient des vésicules graisseuses ; celles-ci s’échappent pendant la préparation de la pièce.
Cette pellicule, qui entoure un tiers ou une moitié de l'œuf, a pour base une substance granuleuse, amorphe, interposée entre les gouttes d'huile et formant, avec ces dernières, le disque hui- leux. L’acide coagule cette substance granuleuse, et les gouttes d'huile, en s’échappant, laissent des vides aux endroits qu’elles occupaient.
C’est cette pellicule qui constituera le feuillet organique (feuillet muqueux) du germe embryonnaire. Au-dessus d’elle se trouve un disque jaunâtre, aplati, peu épais, fortement adhérent à la pelli- cule sous-jacente. C’est le disque embryonnaire, composé d’élé- ments granuleux très fins et des granules brillants que j'ai désignés sous le nom de corpusceules plastiques. Les éléments qui composent ce disque germinateur sont très cohérents et difficiles à désagréger,
Le reste de l'œuf est transparent; le vitellus ne renferme plus
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 1925
que quelques flocons jaunâtres , coagulés, répandus çà et là en petite quantité.
Pendant les quatre ou cinq premières heures qui suivent la fécondation, le travail de condensation des éléments plastiques vers le pôle de l'œuf continue, le disque germinateur s’épaissit et acquiert plus de consistance; il devient aussi plus jaune. Le vitellus, au contraire, augmente de transparence, et bientôt on ne trouve plus au milieu du liquide dont il est composé, aucune trace de la substance floconneuse qu’il renfermait auparavant.
Vers la sixième heure, le disque est assez cohérent pour s'échapper en entier de l’œuf, quand on ouvre celui-ci sans le coaguler. On voit alors qu'il est essentiellement composé de petits granules vésiculeux, brillants, ou corpuscules plastiques.
Il résulte de ces observations que les premiers temps de l'évo- lütion de l’œuf de la Truite, après la fécondation, sont caractérisés par l’accumulation vers l’un de ses pôles, des éléments forma- teurs qui se trouvaient auparavant dispersés dans le vitellus. Ces éléments formateurs ont été fournis par la vésicule germinative, véritable sphère génératrice qui prépare les premiers matériaux dont le germe devra se composer. En même temps que les cor- puscules plastiques se réunissent pour former le germe ou disque embryonnaire, les gouttes d'huile s’amassent au-dessous de ce dernier pour fournir les éléments nutritifs, et des granules parti- culiers se réunissent en une membrane très mince qui deviendra le point de départ de la formation des organes digestifs. Ainsi, tout est préparé pour la constitution du nouvel être : le disque embryonnaire, situé immédiatement au-dessous de la membrane vitelline et composé d'éléments plastiques ; puis le disque muqueux avec un amas de gouttes huileuses, placé sous le précédent et formé surtout d'éléments nutritifs.
I est très difficile de suivre avec exactitude le fractionnement vitellin sur l'œuf de la Truite, à cause de l’opacité de son enve- loppe. On est obligé d’avoir recours à la coagulation, et alors le germe est plus où moins déformé ou altéré dans sa structure par l’action de l’eau acidulée.
Cette circonstance m’a empêché aussi de préciser l’époque
126 LEREBOULLET.
exacte à laquelle la segmentation commence. D'ailleurs, l’époque des différentes phases du développement varie chez la Truite comme chez les autres poissons , et probablement chez tous les animaux à sang froid, suivant la température et d’autres in- fluences extérieures, le degré de pureté de l’eau par exemple.
C'est vers la dixième heure que parait commencer la segmen- tation par la division du germe en deux portions. La subdivision de ces deux sphères en sphères plus petites et de plus en plus nombreuses se passe rapidement, c’est-à-dire dans l’espace de quelques heures. Ainsi, par exemple, les mêmes œufs qui avaient quatre globes de segmentation à la dix-neuvième heure, en pré- sentaient seize quatre heures plus tard.
La division du germe se fait, comme toujours, par des lignes qui le partagent suivant des directions perpendiculaires les unes aux autres. Lorsqu'il a été partagé en deux, la seconde ligne de division se dispose perpendiculairement à la première pour con- stituer la segmentation en quatre. Quelquefois la coque est assez transparente pour qu'on puisse distinguer le germe à travers; on voit alors les quatre lobes faire saillie au-dessus du vitellus, en chevauchant plus ou moins l’un sur l’autre. Si l’on ouvre l'œuf pour en faire sortir le germe, celui-ci s’aplatit aussitôt et il n’est plus possible de reconnaitre les lobules de segmentation. Maïs en ayant recours à la coagulation, on voit le germe divisé en quatre parties par deux lignes en croix.
La division en huit a lieu par de nouvelles lignes qui partagent les quatre premières sphères en deux; la pièce coagulée et dé- formée par l’action de l'acide offre une figure étoilée par suite de la régularité des lignes de division. Quand on ouvre un œuf qui a été coagulé, le germe reste attaché à la face interne du chorion, tandis qu’il se détache facilement du vitellus. La mem- brane sous-jacente au germe, que nous appellerons désormais le feuillet muqueux, accompagne toujours celui -ei auquel elle adhère fortement; ce germe est loujours plat et très mince. Les éléments des globes de segmentation sont les mêmes que ceux qui compo- saient le germe avant le commencement du travail de fractionne- ment. Ces éléments sont:
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1° Une matière finement granuleuse, pulvérulente, dont les granules sont fortement condensés et donnent au germe une teinte jaunûtre ;
2° De très petites vésicules transparentes (les corpuscules plas- tiques).
Il ne m'a pas été possible de constater la présence d’une grosse vésieule transparente, située au centre de chaque sphère , sorte de cytoblaste qui parait exister dans tous les globes de segmenta- lion, et qui joue sans doute un rôle important dans le travail du fractionnement. Il est à présumer que ces vésicules cyloblastiques ont des parois très minces et qu’elles sont masquées par les gra- nules, Cependant j'ai examiné beaucoup de germes soit frais, soit coagulés, avec ou sans compression, sans rien voir qui ressemblât à une vésicule centrale.
Examinés dans le liquide albumineux de l’œuf, dans lequel ils restent translucides, les globes de segmentation ne laissent apercevoir que les deux groupes d'éléments que je viens de signa- ler : les granules pulvérulents et les vésicules plastiques. IL se pourrait que les vésicules centrales ne fussent présentes qu’à une certaine époque; nous verrons, en effet, dans le développement du Limnée, qu’elles apparaissent et disparaissent successivement à diverses époques du développement de l'œuf. Ces recherches sur l'existence d’une vésicule cytoblastique au centre des globes de segmentation m'ont permis de constater que ces derniers sont privés d’une membrane propre. Aussitôt qu'on vide l'œuf, on voit les globes se déformer sur leurs bords, comme une matière diffluente ; souvent ils se rejoignent et se donné l’un dans l’autre de manière à faire disparaitre toute trace de division. IL est évi- dent que cette fusion des globes en une seule masse est incompa- üible avec l'existence d’une enveloppe membraneuse particulière.
À la division du germe en huit sphères succède bientôt la divi- sion en douze, puis en seize. Les sphères deviennent plus petites ebmieux circonscrites; elles sont disposées les unes autour des autres, de manière que leur ensemble affecte une forme 2lobu- leuse (fig. 6). Le diamètre du germe pris en totalité n’a pas changé ; il était primitivement d’un millimètre et il conserve cette
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dimension pendant que son fractionnement à lieu; il suit de là que les globes de segmentation deviennent, comme je viens de le dire, plus petits à mesure qu'ils se multiplient; en effet, dans un germe divisé en seize globes, chacun de ceux-ci ne mesurait que 0*",20 ; dans d’autres germes, également divisés en seize, chaque globe avait jusqu’à 0", 30 et 0°", 35.
Lorsque le fractionnement est arrivé à vingt-quatre ou trente globes, j'ai pu constater que l’arrangement de ceux-ci forme une sphère creuse. En coagulant le germe et en cherchant à le diviser à l’aide d’une aiguille, on parvient assez facilement à s'assurer de l'existence d’une petite cavité centrale, résultant de ce que les globes tendent à se grouper vers la périphérie. Nous verrons bien- tôt qu'à la fin du fractionnement le germe est transformé en une véritable vésieule, fait dont nous avons aussi constaté l'existence dans l'œuf du Brochet et dans celui de la Perche, et qui est pro- bablement général dans les poissons osseux.
Le mécanisme suivant lequel le fractionnement continue, pa- rait toujours être le même. Chacun des globes nouvellement formé se partage, au bout de quelque temps, en deux hémisphères, par une ligne droite qui le divise en totalité, puis les deux moi- tiés S’arrondissent et chevauchent d’abord l’une sur l’autre, avant de s’'isoler lout à fait. La composition des sphères reste aussi toujours la même. Qu'on les examine fraîches ou coagulées, c'est toujours la même substance granuleuse et comme pulvéru- lente qui en forme la portion principale, et l'on trouve au milieu de ces granules une quantité plus ou moins grande de vésicules ou corpuscules plastiques, que l’on reconnaît à leur aspect brillant.
Le fractionnement n'intéresse que le disque auquel nous avons donné le nom de germe, c’est-à-dire le vitellus formateur. La membrane sous-jacente au germe, pas plus que le vitellus nutritif, ne prend aucune part à ce travail.
Pendant toute la durée du fractionnement, la membrane située sous le germe et qui lui adhère fortement conserve la même composition et le même aspect fenêtré dont j'ai parlé plus haut. Elle déborde le germe dans une certaine étendue et retient empri-
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 129
sonnées, au milieu de la substance granuleuse qui la compose, un nombre considérable de gouttes huileuses.
Quant au vitellus proprement dit, il est pris, par l'effet de la coagulation, en une masse transparente et comme vitrée, et sa surface est couverte de gouttelettes huileuses, accumulées en plus grande quantité au-dessous du feuillet muqueux.
Le fractionnement du vitellus continue jusqu’à la fin du second jour. Vers la quarante-sixième ou quarante-huitième heure, quel- quefois déjà à la trente et unième heure, les globes de segmentation n'ont plus que 0"",1; le germe offre alors un aspect granulé ou müriforme, et bientôt il redevient lisse extérieurement.
Depuis cette époque, que l’on regarde généralement comme la fin du travail de segmentation, jusqu’à l'apparition de l'embryon, il s'écoule encore un temps assez long, du troisième au huitième jour, pendant lequel les globes de segmentation deviennent de plus en plus petits et sont peu à peu remplacés par de véritables cellules.
D’après cela, il conviendrait peut-être de diviser le fractionne- ment vitellin en deux périodes. La première comprendrait la seg— mentation proprement dite, qui commence à la division du germe primitif en deux sphères, et se termine lorsque, par suite de la
subdivision des sphères nouvellement formées, le germe est rede- venu lisse. La seconde période du fractionnement comprendrait le travail de division ultérieure des petites sphères et leurs métamor- phoses, depuis que le germe est redevenu lisse jusqu’à la formation des véritables cellules.
Dans la première période, on désigne sous le nom de globes de segmentation les sphères qui se forment successivement. Nous proposerons d'appeler globes générateurs les dernières petites sphères qui résultent du travail de cette première période, c’est-à- dire les derniers globes de seomentation {ormés. Notre deuxième période .du fractionnement comprend done la division des globes générateurs et les changements qu'ils éprouvent jusqu'à l'ap- parilion des véritables cellules embryonnaires. Cette phase du développement est peu connue et difficile à étudier. On sait aujourd’hui, à Ja vérité, que les cellules proprement dites ne ré-
k° série. Zooc. T. XVI. (Cahier n° 3.) 1 9
130 LEREBOULLET.
sultent pas directement de la division des globes de segmentation, c'est-à-dire ne sont pas, comme on l’a cru, les derniers termes de cette division. Mais ce que personne n'a encore bien fait con- naître, c’est le mode suivant lequel se constituent les cellules, ainsi que les relations qui existent entre ces dernières et les globes générateurs dont elles dérivent.
Malgré de nombreuses et longues recherches, je ne suis pas encore en mesure de résoudre cette question difficile; cependant les résultats de mes études sur les œufs de la Truite, joints à ceux que m'ont fournis les œufs de l’Ecrevisse et ceux du Limnée des étangs, pourront jeter quelque lumière sur cette partie si impor- tante et si curieuse de l’embryogénie.
Le plus ordinairement, c’est de la quarante-huitième à la cin- quante-deuxième heure, c’est-à-dire à la fin du second jour ou au commencement du troisième, que le germe a un aspect fram- boisé, par suite du fractionnement successif des sphères vitellines.
Le germe forme alorslune petite sphère très aplatie, ou un disque renflé dans son milieu, aminei sur ses bords, de 1°*,30 à 4°" ,40 de diamètre, enchâssé au milieu du disque huileux dont les vési- cules le débordent de toutes parts (fig. 7, 8, 9). Ce disque est creux (fig. 12); il constitue donc une véritable vésieule que nous appellerons, comme dans nos précédents mémoires, vésieule blastodermique , parce que c’est cette vésicule qui s'aplatit et s'étend progressivement sur l'œuf pour former le blastoderme.
Si l’on ouvre un œuf vivant et qu'on en fasse sortir la vésicule blastodermique, au milieu du liquide albumineux et sans addition d’eau, on voit qu'elle se compose entièrement de sphères granu- leuses, jaunâtres, peu transparentes à cause des granules qui les remplissent. Ces sphères sont toutes d’égale dimension ; elles me- surent 0"".,08 dans les uns, 0"*,10 ou quelquefois 0"",14 dans d’autres, suivant l’âge du germe; mais dans un même œuf, elles ont à yeu près toutes la même grandeur. . |
Elles sont essentiellement composées d’une substance granu- leuse, très fine, la même que celle dont était formé le germe avant la segmentation, et de petites vésicules transparentes, dispersées en petit nombre au milieu de cette matière. Ces sphères ont très
RECHEBCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 131
peu de consistance; elles se déforment sur la plaque de verre, quand on les examine dans l’albumine de l'œuf; leur bord devient plus clair, tandis que la partie centrale plus foncée pourrait faire croire à l'existence d’un gros noyau. Les mêmes globes généra- teurs coagulés ne diffèrent pas beaucoup des précédents par leur aspect (fig. 10). Seulement ils sont un peu plus foncés, mais, comme eux, ils ont des caractères qui les distinguent des vraies cellules ; tels que les nombreux granules dont ils sont remplis, leur apparence homogène, leur teinte jaune, l’absence d'un véri- table noyau tel qu'on en trouve dans les cellules; tandis qu'ils ont la plus grande analogie avec les globes de segmentation, qu'ils représentent, en effet, en petit. Une ou deux heures plus tard, l'as- pect de ces globes générateurs a changé. Les petites vésicules transparentes (vésicules plastiques), qui commençaient à se mon- trer dans les œufs précédents, se trouvent maintenant en grand nombre interposées parmi les granules ordinaires, et dans la plu- part des globes on distingue nettement un noyau muni d’un nucléole vésiculeux (fig. 14). Ces sphères humectées d’eau se gonflent par l'absorption de ce liquide.
Le germe dans les œufs coagulés se dessine nettement sur le vitellus, comme un disque blane situé au milieu du disque huileux qui le déborde de toutes parts (fig. 7). Il est convexe en dessous et enfoncé dans une dépression du vitellus. La membrane sous- jacente (feuillet muqueux), qui adhère au germe par toute sa face inférieure, forme autour de lui une sorte de bourrelet produit par une accumulation de vésicules graisseuses que la coagulation em- prisonne dans les mailles de la membrane elle-même (fig. 8), mais qui s’échappent pour la plupart, pendant qu’on étale la pièce sur le porte-objet.
A cetle époque, comme encore un jour ou même deux jours plus tard, on peut facilement constater la nature vésiculeuse du disque blastodermique, en le coupant en deux par le milieu ou en le disséquant à l’aide de fines aiguilles sous un grossissement suf- fisant. On obtient des préparations dans lesquelles cette disposition est rendue très visible par l’écartement qu’on observe entre les déux feuillets du disque (fig. 12), Plus tard, quand cet écartement
432 LEREBOULLET,
paturel n’est plus aussi prononcé, on peut le produire artificielle- ment, en séparant l’un de l'autre les deux feuillets, et s'assurer qu'ils n'adhérent l’un à l’autre qu’à la périphérie du disque. J'ai trouvé le feuillet supérieur formé d’une simple couche de globes générateurs, tandis que l'inférieur est composé de deux couches au moins de ces sphères. |
Nous pouvons done admettre comme un fait bien établi que dans la Truite, comme dans le Brochet et la Perche, le fractionne- ment du germe transforme celui-ci en une vésicule creuse qui se déprime de plus en plus de manière à former une petite calotte. Cette calotte constitue le blastoderme qui s'étale peu à peu sur le vitellus et finit par l’envelopper complétement.
Pendant toule la durée du troisième et du quatrième jour, les globes générateurs qui étaient homogènes et tous de même di- mension, commencent à se différencier et offrent des change- ments dans leur aspect et dans leur composition, en même temps qu'ils deviennent insensiblement de plus en plus petits.
Tandis qu'ils mesuraient 0"",12 ou 0"*,10 à la fin du second jour, ils se réduisent successivement à 0"",09, à 0"*,06, à0"",03; et l’on rencontre dans la même pièce des sphères de dimension très différente.
J'ai trouvé, par exemple, vers le milieu du quatrième jour (à la quatre-vingt-cinquième heure) le germe composé de corps ovoïdes ayant 0"°,09 de longueur sur 0"",05 de largeur, et d’autres corps plus petits, globuleux, de 0*",04 de diamètre.
Les globes générateurs continuent à montrer une grande dif- fluence. Quand on les examine frais, ils se déforment et assez souvent se fondent les uns dans les autres quand ils se touchent par leurs bords.
La composition de ces éléments du germe est très variable à cette époque. Tantôt ils paraissent simplement remplis de granules sans aucune trace de noyau; d’autres fois ils contiennent un noyau vésiculeux, transparent, renfermant lui-même un, deux ou plusieurs petits nucléoles brillants. Quelquelois on trouve dis- persées au milieu des granules, de très petites vésicules brillantes, comme dans la fig. 11, qui existent conjointement avec le noyau.
RECHERCHES SUR LE DEVELOPPEMENT DE LA TRUITE, 133 La coagulation produit sur ces globes générateurs un effet singu- lier. Tandis qu'à l’état frais, ils semblent dépourvus d’une enve- loppe propre, ils font voir, par la coagulation, une membrane chiffonnée et plissée, plus ou moins étendue ; ils ressemblent alors à des cellules qui auraient un gros noyau avec ou sans nucléole (lg. 13 et #4).
Cette apparence celluleuse n’est probablement qu'un effet de la coagulation. L’amas de granules est entouré d’une couche d'albu- mine qui se prend en membrane sous l’influence de l’eau acidulée; la masse granuleuse éprouve en même temps, par suite de la même cause, un retrait plus ou moins considérable.
Ce n’est que plus tard qu'apparaissent les vraies cellules, lors- que les globes générateurs se seront encore subdivisés. Ces der- niers continuent à être le siége d’ün travail intérieur de transfor- mation, travail qui se manifeste par l'apparition et la disparition du noyau vésiculeux et des vésicules plastiques. Ce travail paraît précéder la subdivision des globes, et influer directement sur cette dernière opération.
La division des globes générateurs ne marche pas avec la même vitesse dans toutes les parties du germe. Vers la fin du quatrième jour, on trouve ce dernier composé de deux sortes de corps celluliformes, qui annoncent, par leur position respective, la distinction qui se fera plus tard entre les cellules épidermoïdales et les cellules embryonnaires.
En effet, si l’on sépare avec des aiguilles les deux feuillets dont se compose le disque blastodermique, on voit que la couche la plus superficielle de ce disque est formée de grosses cellules qui ont généralement un diamètre de 0"",03 : ce sont les cellules épider- moïdales. Les autres cellules, plus petites, n’ont que 0*",018 ; elles deviendront des cellules embryonnaires. Ces deux sortes de cellules diffèrent en ce que les premières ont un noyau très visible, égal à la moitié du diamètre de la cellule, tandis que les cellules embryonnaires sont uniformément granuleuses, sans noyau apparent.
Vers la fin du cinquième jour, le disque blastodermique a un peu augmenté de diamètre ; il mesure 4 millimètre 1/2, et a ses bords
134 LEREBOULLET,
très minces. La membrane sous-jacente a un diamètre de 2 milli- mètres ; son bourrelet s’est épaissi et s’est éloigné du disque, dont il est séparé par une ligne circulaire transparente (fig, 15) indi- quant la partie amincie de cette membrane.
On peut séparer facilement l’une de l’autre les deux pièces, le - disque embryonnaire proprement dit et la membrane sur laquelle il repose. Cette dernière se compose de deux parties : l’une cen- trale, très mince, transparente, étalée sous le disque, et le dépas- sant même un peu, est homogène, granuleuse, et n'offre qu’un petit nombre de vésieules graisseuses; l’autre marginale, beaucoup plus épaisse, est remarquable surtout par le nombre et la gran- deur des gouttes de graisse liquide interposées, et comme enchàs- sées au milieu des granules.
Ce bourrelet cireulaire peut être regardé comme un magasin de matériaux qui serviront à l'extension ultérieure de la membrane. Celle-ci, en effet, continue à s'étendre autour du vitellus nutritif, et finit par l’envelopper en doublant intérieurement la membrane blastodermique. Elle forme plus tard le feuillet intérieur de la vessie vitelline, dont le blastoderme constitue le feuillet externe.
Quant au disque embryonnaire, on pouvait encore à cette époque le séparer en deux feuillets, entre lesquels se trouvait une cavité très étroite, mais distincte.
Dans une de mes recherches, j'ai rencontré un germe qui était devenu sphérique par l'effet de la coagulation ; ayant coupé cette sphère en deux, j'ai vu distinctement qu’elle était creuse.
Les cellules qui composaient à cette époque le disque embryon- naire, avaient un peu diminué de grosseur; elles ne mesuraient plus que 0°",026 ; elles renfermaient, comme toujours, un gros noyau avec un ou deux nucléoles, Les cellules du bord étaient allongées, el disposées les unes à la suite des autres sur une seule rangée.
J'ai trouvé sur des œufs à peu près de la même époque que les précédents (commencement du sixième jour) une forme particu- lière de cellules, quime paraît offrir un grand intérêt pour éclairer la genèse de ces petits organismes. Les cellules du germe embryon- naire, au lieu d’avoir les caractères des précédentes, c’est-à-dire
(RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE La TRUITE. 159 de posséder un gros noyau, ne renfermaient qu'un contenu gra- nuleux disséminé, peu abondant. Quelques cellules même ne ren- fermaient pas de granules ; elles avaient une teinte mate uniforme, de couleur fauve ; d’autres n’offraient que quelques petites VÉSi- cules brillantes (fig. 16). Leur diamètre était de 0"",025.
Cette forme annonce une dissolution du contenu de la cellule ; elle représente un état transitoire qui précède la formation des vraies cellules, de celles qui se constitueront bientôt d’une manière définitive pour former l'embryon.
J'ai observé et décrit dans l'Écrevisse un travail analogue qui précède apparition des vraies cellules. Je ne puis me l'expliquer qu’en admettant que les cellules primitives ou génératrices four- nissent, en se dissolvant, des éléments nouveaux qui se groupe- ront d’une manière particulière pour produire les cellules. Seule - ment ici il ne m'a pas été possible de suivre ce travail comme je l'ai suivi dans les œufs des Écrevisses.
Aü commencement du septième jour, le disque embryonnaire a atteint 2 millimètres de diamètre; sa partie moyenne s’est épaissie; cependant il ne produit qu’une très faible saillie sur l'œuf. Les cellules superficielles sont réduites au diamètre de 0"",09 : elles ont la composition ordinaire et l'aspect des cellules épidermoïdales (fig. 17, A). Les cellules placées au-dessous d'elles n’ont que 0"",01 : ce sont les cellules embryonnaires (fig. 47, B).
Ces dernières ne diffèrent pas seulement des cellules épider- moïdales par leurs dimensions ; elles s’en distinguent aussi, parce qu’elles sont entièrement granuleuses, et ont le caractère des jeunes cellules, dans lesquelles l'enveloppe estappliquée contre le noyau, en sorte que celui-ci forme à lui seul la cellule tout entière. Dans les cellules épidermoïdales, au contraire, l’enveloppe de R cellule est très distincte (fig. 17, A), et il existe un noyau granuleux, dont les dimensions sont exactement les mêmes que celles des petites cellules embryonnaires.
Parmi ces dernières, on en trouve un grand nombre qui sont allongées, plus ou moins étroites, et quelquefois irrégulières.
Du septième au neuvième jour, il ne se passe pas de change- ment appréciable dans la constitution du germe embryonnaire. La
136 LEREBOULLET.
première différenciation des cellules s’est établie ; elle a eu pour résultat de limiter l'être futur par la production des grandes cel- lules épidermiques, et de réunir en un autre groupe les éléments qui seront employés plus particulièrement à la formation de l'embryon. Le disque blastodermique commence à s’étaler en membrane sur le vitellus, mais il n’embrasse encore qu’une étendue peu considérable de la sphère nutritive. Son bord mar- ginal est à peine renflé ; il n'offre pas le bourrelet si prononcé qu'on observe dans le Brochet, mais il continue à se distinguer du reste du disque par ses cellules allongées disposées en travers. On parvient encore à séparer les deux lamelles qui composent le blastoderme, et l’on voit, en opérant cette séparation, que la région centrale du disque est plus épaisse que le reste. Cet épais- sissement du disque blastodermique affecte une disposition géné- ralement longitudinale, c’est-à-dire dans la direction du méridien del’œuf, Les dimensions des cellules épidermoïdales et des cellules embryonnaires n'ont pas changé; elles sont de 0°",02 pour les premières el de 0"",01 pour les secondes.
Le disque membraneux sous-embryonnaire a continué à s’éten- dre, de manière à déborder toujours le précédent; il est muni, comme je l’ai dit, d’un bourrelet granuleux et graisseux, et 1l offre, dans sa composition, de grandes cellules granuleuses entremêlées de nombreuses vésicules de graisse.
Cette première période du développement de l’œuf comprend, comme on vient de le voir, tous les phénomènes qui ont pour résultat la préparation des éléments formateurs et leur arrange- ment pour la constitution de l'être nouveau qui va se montrer ; voilà pourquoi nous l’appelons période préparatoire.
Résumé du deuxième chapitre.
1. Immédiatement ou très peu de temps après la fécondation, les éléments plastiques qui étaient restés dispersés dans l'œuf se concentrent vers le pôle, pour former le disque germinateur ou blastodermique.
2. L'œuf récemment fécondé se compose :
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 157
a). D'un liquide très visqueux qui se coagule dans l’eau;
b). De globules de graisse liquide ;
c). D'une matière organisable de couleur jaunâtre, condensée à l’un des pôles, et composée essentiellement de granules et de corpuseules plastiques.
3. Le travail de condensation des éléments de l’œuf vers l’un de ses pôles dure plusieurs heures. Ce travail porte non-seulement sur les corpuscules plastiques, mais aussi sur les globules huileux.
&. Il en résulte la formation d'un disque jaunâtre, composé de ce qu’on pourrait appeler la matière première de l'embryon futur, puisque c’est ce disque seul qui se segmentera et se transformera en blastoderme.
5. Au-dessous du disque précédent se trouve une membrane dont le bord circulaire offre une quantité considérable de globules graisseux formant comme un bourrelet autour du disque.
6. La plus grande partie des gouttes de graisse se réunissent ainsi pour former le disque huileux.
7. Par suite de cette condensation des éléments de l'œuf vers l’un de ses pôles, le vitellus devient transparent.
8. Ainsi les éléments de l’œuf fécondé sont partagés en deux groupes : les éléments plastiques qui occupent un des pôles et les éléments nutritifs qui forment le reste de l'œuf, mais dont une portion considérable se dispose au-dessous des précédents.
9. La segmentation vitelline commence vers la dixième heure ; elle ne s'exerce que sur les éléments plastiques de l’œuf, c’est-à- dire sur le disque germinateur ; elle a lieu, comme d'ordinaire, suivant une progression géométrique.
10. Les éléments des globes de segmentation sont les mêmes que ceux qui composaient le disque germinateur : ce sont toujours des granules très fins et de petites vésicules brillantes, les cor- puscules plastiques.
11. Je crois, contrairement à ce que j'ai dit ailleurs (Ann. des se. nat., h° série, t. I”, p. 247), qu’il n'existe pas de membrane propre autour des globes de segmentation.
12. Les globes de fractionnement se disposent de bonne heure de manière à former une sphère creuse, une véritable vésicule.
138 LEREBOULLET
13. Il existe dans la Truite, comme dans le Brochet et dans la Perche, une vésicule blastodermique, c’est-à-dire une vési- cule qui s’aplatira et s’étalera sur l'œuf pour former le blasto- derme.
14. Le blastoderme est donc aussi, dans ce Poisson, composé primitivement de deux feuillets, disposés comme les deux lames d'une membrane séreuse.
15. La membrane sous-jacente, ou feuillet muqueux, est com- plétement distincte du double feuillet blastodermique, et par son mode d’origine et par sa composition qui reste granuleuse pendant toute la durée du fractionnement.
16. Le fractionnement n’intéresse jamais, en effet, que le vitel- lus formateur.
17. La segmentation vitelline a pour résultat de partager la masse plastique en un certain nombre de sphères de plus en plus petites. Ce travail comprend deux périodes : dans l’une se pro- duisent des sphères qui ne sont pas encore des cellules, et que nous appelons globes générateurs; dans l’autre les globes géné- rateurs se modifient, continuent à se diviser, et fournissent les éléments qui s'organisent et se disposent en vraies cellules.
18. Les globes générateurs offrent dans la Truite une diffluence remarquable, ce qui montre de nouveau qu'ils n’ont pas de mem- brane propre.
19. Ils sont tous d’abord d’égale dimension dans un même germe. 1
20. Plus tard ils se différencient par leur taille, et sont alors de deux sortes, les uns doubles des autres.
21. Leurs dimensions diminuent de jour en jour, jusqu’à ce. qu’ils soient arrivés à ne plus avoir que 0"",02 pour les plus gros et 0*",02 pour les plus petits.
22. Les globes générateurs conservent quelque temps les ca- ractères des globes de segmentation, c’est-à-dire qu'ils sont d’une couleur foncée, peu transparents et composés de granules et de vésicules plastiques.
23. Plus tard ils s’éclaircissent, la matière granuleuse qui les compose devient de plus en plus rare, et comme en voie de dis-
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRÜITE. 199 solution, jusqu’à ce qu'il ne reste plus dans ces cellules généra- trices que quelques petites vésicules dispersées.
9h. Les globes générateurs ont un noyau; mais la présence de ce dernier n’est pas constante.
25. Ils renferment aussi, par moment, des vésicules brillantes en grande quantité.
26. L'apparition et la disparition successive du noyau et des vésicules annoncent un travail de métamorphose dans l’intérieur des cellules génératrices, travail qui parait précéder leur division en cellules plus petites et qui se montre toujours avant la dissolu- tion de leur contenu.
27. Les cellules proprement dites apparaissent vers le sixième jour immédiatement après qu’on a remarqué cette raréfaction singu- lière du contenu des sphères génératrices, dont j'ai parlé au n° 22.
28. Les premières cellules formées sont de deux sortes : les plus grosses, superficielles, ont un gros noyau; on les désigne sous le nom de cellules épidermoïdales ; les autres, qui consti- tuent la plus grande partie du germe, sont les cellules embryon- naires, de moitié plus petites que les précédentes.
29, Pendant la durée de ce travail d'organisation des cellules, la vésicule blastodermique a commencé à s'étendre sur le vitellus, Cette extension se fait moins rapidement que dans le Brochet et dans la Perche, et le disque blastodermique n'offre pas l’épais bourrelet marginal qu’on observe surtout chez le Brochet,
30. Le disque muqueux s’étend plus rapidement que le disque blastodermique; il le déborde toujours et il est entouré d’un bourrelet formé surtout par des gouttes d’huile emprisonnées dans la substance granuleuse dont le feuillet muqueux se compose à celle époque.
31. Vers la fin de cette période, c’est-à-dire vers le huitième ou le neuvième jour, les cellules embryonnaires s'accumulent dans la partie moyenne du disque blastodermique, en affectant une dis- position linéaire; c’est l'indice de la formation très prochaine de la bandelette embryonnaire.
140 LEREBOULLET,
CHAPITRE II.
Deuxième période ou période animale, comprenant le développement de embryon depuis son apparition jusqu’à la formation du cœur.
C'est à la fin du dixième jour que j'ai vu la première trace de l'embryon apparaissant sous la forme d’une bandelette étroite et assez courte, dirigée dans le sens du méridien de l’œuf, en consi- dérant comme polaire la région occupée par le disque germinateur (fig. 18).
Le blastoderme n’avait pas encore atteint la moitié de l'œuf; il offrait un bourrelet peu épais, rendu blanchâtre par la coagu- lation. La bandelette se détachait de ce bourrelet et s’arrêtait à une petite distance du pôle de l’œuf, en se terminant par une pointe mousse. On voyait par transparence de nombreuses gouttes d’huile dispersées assez régulièrement au-dessous du blastoderme, mais réunies en plus grand nombre dans le voisinage de l’em- bryon; aucun globule de graisse n'existait dans le vitellus. Cette concentration des éléments graisseux au-dessous du blastoderme, et surtout autour de l'embryon, indique assez le rôle important que joue la graisse dans la formation des organes; elle fournit, sans aucun doute, les matériaux nécessaires, soit à la production des parties nouvelles, soit à l’accroissement de celles qui existent
déjà.
Dans l'œuf dont je parle en ce moment, la bandelette embryon- naire était déjà soulevée en forme de cylindre au-dessus de la sur- face de l'œuf, et ce cylindre était creusé d’une large dépression longitudinale, peu profonde, et dont les bords se redressaient laté- ralement de chaque côté.
Au fond de cette dépression et dans une grande partie de la longueur du cylindre, on voyait un ruban longitudinal d’une grande transparence, premier rudiment de la corde dorsale qui apparait presque en même temps que le sillon.
Sous l’embryon existe une membrane mince qui semble faire corps avec lui, mais qu’on peut en détacher avec facilité. C’est la
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. tt
même membrane (feuillet muqueux) que nous avons vue plus haut occuper la région inférieure du germe et s'étendre avec le blasto- derme sur le vitellus.
La constitution de l'embryon est encore très simple. Il est com- posé de cellules embryonnaires de 0"",01 de diamètre; sa sur: face est couverte d’une couche de cellules épidermoïdales de 0"",025. Quant au feuillet inférieur, il est granuleux et n'offre pas encore de cellules distinctes; on,voit au milieu de la substance amorphe qui le compose une quantité considérable de cellules graisseuses, endogènes, de dimensions très variables.
Un autre œuf observé au treizième jour n’était pas beaucoup plus avancé que le précédent. Cependant le blastoderme avait envahi presque tout le vitellus ; il formait ainsi une bourse dont l’ouver- ture était garnie d’un bourrelet peu sensible. De ce bourrelet par- tait l'embryon sous la forme d’un cylindre étroit et long, dirigé
“vers le pôle de l'œuf. Ce cylindre élait creusé d’un sillon peu profond.
Aussitôt que l'embryon s'est montré sous la forme d’un cylindre long et étroit, il présente des changements qui apparaissent simul- tanément ou successivement dans les diverses régions.
Le premier de ces changements est la formation du sillon dor- sal, c’est-à-dire de la dépression en forme de gouttière qui règne dans toute la longueur du corps, et qui est toujours plus profonde dans la région moyenne que vers les extrémités du cylindre embryonnaire. On voit apparaître presque aussitôt au fond de cette gouttière une ligne d’une transparence parfaite, que je crois être le premier rudiment de la corde dorsale. En effet, lorsque plus tard la présence de la corde n’est plus douteuse et qu’on la re- connaît facilement aux cellules dont elle est remplie, on voit que ce long cylindre occupe la même place que la ligne transparente dont je viens de parler.
Il est facile de s’assurer, par l’examen de coupes transversales, qu'elle est placée au-dessous du plan inférieur de la gouttière et qu'elle est séparée du fond de celle-ci par une couche mince de substance embryonnaire.
Les bords de la gouttière dorsale auxquels on a donné le nom
142 LEREBOULLET.
de carènes dorsales, sont plus ou moins redressés et tendent à se rapprocher et à se rejoindre sur le dos. La fusion a lieu en avant d’abord, dans la région céphalique. La partie antérieure de l’em- bryon forme alors une vessie allongée qui presque aussitôt se rétrécit transversalement dans son tiers antérieur et se divise par cet étranglement en deux vessies secondaires : l’une, antérieure, plus courte, formera les régions céphaliques antérieure et moyenne; l’autre, postérieure, plus longue, constitue la région céphalique postérieure. Ces vessies ne tardent pas à se remplir de cellules nerveuses dont l’accumulation produit les centres ner- veux encéphaliques.
Cette fermeture du sillon dorsal dans la région céphalique, mentionnée par tous les observateurs, est in phénomène primor- dial de la plus haute importance, puisqu'il caractérise essentielle - ment les animaux vertébrés. Il a pour résultat de constituer immédiatement les cavités encéphaliques, et fait ressortir la valeur des caractères zoologiques du type des vertébrés, caractères qui reposent tout d'abord sur la nature et sur les rapports du cordon nerveux rachidien.
Une seconde modification, non moins importante que la pre- mière, quoiqu’elle lui soit subordonnée, consiste dans la forma- tion des vessies oculaires.
Peu de temps après la production de l’étranglement qui a séparé la vessie cérébrale antérieure, les parties latérales de cette vessie se renflent en ampoules qui font saillie sur les côtés; puis ces ampoules se détachent de la masse commune et s’isolent d’ar- rière en avant. Elles ressemblent alors à deux appendices en forme d’oreillons situés sur les côtés de la tête, et dont l’intérieur communique avec la cavité cérébrale par une ouverture assez étroite. |
Pendant que ces changements se passent du côté de la tête, il s’en produit d’une autre nature dans toute la longueur du cylindre embryonnaire. Les carènes dorsales se rapprochent l’une de l'autre et se soudent de manière à former un tube qui se remplit presque aussitôt de substance nerveuse. La moelle épinière est constituée et, dès son apparition, ellese montre composée de deux
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 1443
cordons parallèles, réunis l’un à l’autre en avant et en arrière, de manière à ressembler à une longue ellipse dont les côtés seraient contigus.
Avant la fermeture du sillon dorsal, les parties latérales de ce sillon se sont divisées transversalement en lamelles rectangu- laires par des lignes d’abord incertaines, mais qui deviennent peu à peu plus prononcées.
Ces lignes transversales, qu’on a nommées divisions vertébrales, commencent toujours dans la région moyenne du corps, là où la gouttière a le plus de profondeur, puis elles se continuent en avant et en arrière de leur point de départ. Elles entament la substance embryonnaire de dedans en dehors et la partagent en petites portions qui deviendront dans la suite des faisceaux mus- culaires correspondant à autant de vertèbres.
Tous ces phénomènes on lieu pendant la durée du onzième et du douzième jour, à une époque où rien n'existe encore des appa- reils de ia vie végétative. Ils montrent la tendance de la nature à jeter d’abord, dans les animaux vertébrés, les bases de tous les appareils qui présideront aux fonctions de relation : le système
“nerveux, les appareils locomoteurs, les appareils sensitifs.
Le treizième jour, les vésicules oculaires commencent à se dé- primer; vues d'en haut, elles offrent à leur bord externe une légère échancrure qui indique la dépression cutanée. Ce refoule- ment dela peau a pour effet la production d’une bourse qui sera plus tard occupée par le cristallin. La partie antérieure de la tête se prolonge en une pointe émoussée qui constitue à proprement parler la région cérébrale antérieure, tandis que la partie du cer- veau correspondante aux vessies oculaires devient maintenant la région cérébrale moyenne. La région cérébrale postérieure, sé- parée de la précédente par un étranglement, est beaucoup plus longue que celle-ci et s’en distingue par trois lobes arrondis, situés de chaque côté et formés aux dépens de la substance em- bryonnaire. C’est dans les lobes moyens que doivent se former prochainement les capsules auditives.
Le corps est plus étroit que les deux régions qui précèdent ; il s’élargit de nouveau en arrière pour former la queue.
All LEREBOULLET.,
A l'intérieur on voit les deux cordons rachidiens séparés l'un de l’autre par une ligne distincte. Parvenus dans la région céré- brale postérieure, ces deux cordons grossissent et s’écartent l’un de l’autre, puis ils se rapprochent de nouveau dans les régions cérébrales moyenne et antérieure.
L'écartement des deux cordons rachidiens dans la partie de l’encéphale qui correspond au cervelet est le premier indice de la formation d’un pli cérébral qui se disposera verticalement der- rière la région moyenne, pli que nous avons appelé lamelle céré- belleuse. L'espace compris entre les deux cordons écartés consti- tuera Ja grande cavité cérébrale.
Les divisions vertébrales existaient dans toute la longueur du corps, depuis la queue jusqu’à une très pelite distance de la ré- gion céphalique postérieure.
La corde dorsale offrait dans toute son étendue des stries trans- versales, rapprochées les unes des autres, et entre lesquelles on voyait de très petites vésicules. Quand on déchirait cette corde, on en faisait sortir des cellules ovalaires, pleines de granules et renfermant un petit noyau vésiculeux. Ces cellules de la corde dorsale avaient 0°",025 de longueur.
Quelques jours plus tard ces cellules granuleuses de la corde n'existent plus ; elle est alors remplie de petits corps vésiculeux, aplatis, disposés de champ dans l'intérieur du cylindre et donnant à la corde, par leur disposition, l’aspect finement strié qui la ca- ractérise à cetle époque.
Vers le dix-huitième jour, la corde est encore striée en arrière ; mais, en avant, les stries sont remplacées par des vésicules oblon- gues, transparentes, disposées en travers dans la même direction que les stries.
Si l’on déchire la corde, les vésicules qu’elle renfermait s’'échappent et s'accumulent au niveau de la déchirure. Elles prennent alors aussitôt la forme sphérique et ns mad rapide- ment de volume dans l’eau. H
Dans mes recherches sur l’'embryologie du Brochet, j'ai déjà appelé l'attention des anatomistes sur ces corps vésiculeux que renferme la corde et sur leur développement successif,
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 145 et j'ai émis l'opinion que ces vésicules étaient de nature gélati- neuse.
On vient de voir les mêmes transformations des éléments de la corde se produire dans la Truite, seulement j'ai trouvé dans ce poisson de vraies cellules granuleuses dont l'existence précède celle des disques gélatineux, ce que je n’avais pas vu dans le Brochet. Mais les corps transparents qui grossissent à mesure que le développement du poisson avance ne sont pas des cellules, ce sont des vésicules destinées à contenir la matière gélatineuse qui remplit la corde dorsale et dont on trouve des restes dans les cônes dont sont creusés les corps des vertèbres, chez les poissons adultes.
L’apparence celluleuse que prennent ces vésicules gélatineuses, quand elles sortent de la corde, tient à la faculté qu’elles ont d’absorber l’eau et de se gonfler dans ce liquide.
Il est probable que ces vésicules gélatineuses dérivent des cel- lules granuleuses qui occupent dans l'origine l’intérieur de la corde. Quoi qu’il en soit, l’aspect strié que présente celle-ci aux premiers temps de son existence est dù à l’arrangement des cel- lules d’abord, puis des vésicules qui se touchent, les unes comme les autres, par leur surface et ne laissent voir que leur tranche.
Nous avons empiété de quelques jours sur la marche du déve- loppement pour faire connaître la nature des éléments contenus dans la corde dorsale aux premières époques de son existence; nous allons reprendre la suite des changements que l'embryon présente dans son évolution. :
Depuis le quatorzième jusqu’au dix-septième jour, le travail embryogénique continue à se porter principalement sur les appa- reils dont l'apparition avait caractérisé surtout les premiers temps de la vie embryonnaire, c’est-à-dire sur les appareils nerveux, locomoteurs et sensitifs.
Ainsi, les deux cordons nerveux rachidiens, qui d’abord étaient semblables l’un à l’autre dans toute l'étendue de l'embryon, se différencient d’une manière notable par la production des renfle- ments cérébraux et des cavités encéphaliques, et surtout par le
raccourcissement de ces cordons dans la région cérébrale posté- 4° série. Zooc. T. XVI. (Cahier n° 3.) ? 10
146 LEREBOULLET.
rieure, Ceux-ci, en effet, s'écartent l’un de l'autre, forment de chaque côté une anse très prononcée, puis s’adossent l’un à l'autre sur Ja ligne médiane et vont ensuite former les paroïs de la grande cavité cérébrale. Une lamelle nerveuse se détache des cordons pour s'étendre au-dessus de cette cavité et former son plafond ; puis les cordons se portent tout à fait en avant et s’écar- tent une troisième fois, avant de se souder l’un à l’autre en avant. Il résulte de ces écartéments et de ces rapprochements trois ca- vités cérébrales , savoir : une première très petite dans la région cérébrale antérieure, une seconde, la plus grande des trois, dans la région cérébrale moyenne, et une troisième qui correspond au cervelet et résulte de l’écartement des deux cordons rachidiens.
L’œil aussi a éprouvé des changements remarquables. La bourse choroïdienne s’est formée par suite du refoulement de la peau extérieure; le cristallin, qu'on apercevait d'abord à entrée de la bourse, en occupe maintenant le fond; l'ouverture de la choroïde est encore large, c’est pourquoi lesdeux cylindres qu'elle présente, quand on la regarde de profil, sont encore très écartés l’un de l'autre.
Les premiers rudiments des capsules auditives se présentent sous la forme d’un amas globuleux de petites cellules, au milieu duquel il n'existe pas encore de cavité. Les lamelles vertébrales sont achevées ; elles ont maintenant la forme de petits rectangles semblables les uns aux autres et disposés avec régularité sur les côtés des cordons nerveux contre lesquels elles sont appliquées et qu'elles tendent à entourer.
L'embryon, étendu sur le vitellus, est remarquable par son étroilesse et, quand on le coagule, il apparaît pour ainsi dire comme un fil. Le blastoderme enveloppe toute la sphère vitelline; le trou vitellaire est fermé depuis plusieurs jours, cependant on distingue encore un petit point transparent, semblable à un pore, qui repré- sente la dernière trace de cette ouverture de la bourse blasto- dermique.
La membrane sous-jacente au blastoderme (feuillet muqueux primitif) se montre à présent composée de cellules granuleuses rendues irrégulières par la coagulation, et entremêlées de globules
D
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 147 de graisse et de cellules graisseuses endogènes. Ce feuillet s'attache à l'embryon sur les côtés d'une carène mousse que ce dernier présente le long de sa partie inférieure.
La tête de l'embryon est encore appliquée et comme collée contre le vitellus : la région caudale, au contraire, s’est soulevée, et la queue est devenue libre dans une certaine étendue.
Sur la fin de cette période, du dix-septième au dix-huitième jour, on remarque sous la tête, derrière les yeux, un espace trans- parent en avant du vitellus. C’est la chambre cardiaque destinée à loger le cœur, lorsqu'il se détachera de la face mférieure du corps contre laquelle il est appliqué.
Avant de résumer les principaux faits de cette période, nous ferons remarquer de nouveau qu’elle est particulièrement consa- crée à la production et au développement des organes ou des appa- reils qui président aux fonctions de la vie animale. Voilà pour- quoi nous avons cru devoir la désigner sous la dénomination de période animale. Avec l'apparition du cœur et l'établissement de la circulation commence une nouvelle phase de la vie embryon- paire, dont le résultat principal est la formation des appareils cir- culatoire et digestif, ainsi qu’une première localisation-de la fonc- tion respiratoire. L'ensemble de ces phénomènes constituera une période distincte de la précédente, et que nous appellerons période nutritive.
Résumé du troisième chapitre.
4. L'embryon de la Truite se montre vers le dixième jour sous la forme d’un étroit cylindre qui se détache à angle droit da bour- relet blistodermique, et se dirive vers le pôlé de l'œuf.
2. Cette production du cylindre embryonnaire (bandelette em- bryonnaire) a lieu avant que lé blastoderme ait enveloppé tout le vitellus.
3. Le bourrelet blastodermique est mince dans la Truite, et le cylindre embryonnaire se fait aussi remarquer par son peu d'épaisseur.
4. La surface du vitellus recouverte par le blastoderme est par-
148 LUREBOULLET.
semée de gouttelettes d'huile; celles-ci sont plus nombreuses autour de l'embryon. Ces goultes de graisse sont des éléments nutritifs employés à l'accroissement des parties déjà formées ou à la formation de parties nouvelles.
Aucune gouttelette de graisse ne se voit dans le reste du vitellus.
5. Peu de temps après le soulèvement de l'embryon en forme de cylindre, la région dorsale de ce cylindre se déprime en gout- üière dans toute sa longueur. Cette gouttière (sillon dorsal) est plus profonde dans la région moyenne que vers les extrémités ; elle s’élargit en avant.
6. La bourse blastodermique se ferme de plus en plus; son ouverture se réduit à un petit orifice annulaire au niveau duquel le vitellus est à découvert (trou vitellaire).
7. Au fond du sillon dorsal se voit un tube transparent qui parait être le premier indice de la corde dorsale. Ce tube est d’abord vide, ou du moins il ne renferme aucun élément solide appré- ciable.
8. Le blastoderme est doublé intérieurement par une mem- brane mince qui passe sous l'embryon, et adhère à sa partie infé- rieure, Cette membrane (feuillet muqueuæ) est encore granuleuse ; elle renferme une grande quantité de cellules graisseuses endo - gènes, c’est-à-dire contenant d’autres vésicules graisseuses en nombre variable.
9. L’embryon est composé de cellules homogènes et semblables entre elles (cellules embryonnaires), et de cellules épidermoïdales caractérisées par des dimensions plus grandes et par la présence d’un gros noyau.
10. Le sillon dorsal commence à se fermer dans la région céphalique; cette fermeture a lieu par le rapprochement des carènes, et se fait d'avant en arrière. Plus tard la même opération se produit d’arrière en avant dans la région postérieure du corps, et peu à peu la région supérieure du cylindre embryonnaire est changée en tube dans toute sa longueur.
11. Avant même que le tube embryonnaire soit entièrement formé, la partie antérieure de ee tube s’étrangle et se partage en
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE, 119
deux cavités ou vessies cérébrales, dont la postérieure est plus longue et un peu plus étroite que l’antérieure.
12. La vessie cérébrale antérieure, qui deviendra bientôt la région moyenne de l'encéphale, se renfle sur ses côtés, et produit les ampoules oculaires dont la cavité communique avec la cavité cérébrale.
13. A peu près en même temps que la formation des ampoules oculaires, où un peu auparavant, les côtés du sillon dorsal se par- tagent (ransversalement en lamelles par des divisions qui se por- tent de dedans en dehors.
Ces divisions vertébrales commencent toujours dans la région moyenne, la plus profonde, du sillon, et se continuent en avant et en arrière.
14. Les divisions vertébrales sont les premiers indices des faisceaux musculaires du rachis ; elles marquent la place qu’oceu- peront ces faisceaux sur les côtés des vertèbres correspondantes.
15. Après la fermeture du sillon dorsal, le tube embryonnaire est occupé par deux cordons nerveux parallèles et contigus, réunis en anse à leurs extrémités.
16. Ces deux cordons nerveux se continuent jusqu’à la partie la plus antérieure de la région céphalique, et ne sont pas plus larges dans cette région que dans le reste de leur étendue.
17. Les ampoules oculaires se dépriment ; la peau extérieure est refoulée sur elle-même; il en résulte un petit sac, la bourse choroïdienne, que le cristallin viendra plus tard occuper.
18. La région céphalique est alors divisée en trois parties : une antérieure, lrès courte, située au-devant des ampoules oculaires, une moyenne au niveau de celles-ci, et une postérieure toujours plus longue que les deux précédentes réunies.
Cette dernière est caractérisée par trois renflements latéraux formés par la substance embryonnaire.
19. Les cordons nerveux céphaliques, qui jusqu'ici avaient ressemblé aux: cordons rachidiens, s’en distinguent maintenant par une augmentation de substance et par leur écartement.
20. Cet écartement se montre entre la région cérébrale posté- rieure et la moyenne; chaque cordon se porte en dehors, et
150 LEREBOULLET.
revient bientôt après en dedans pour se rapprocher du cordon opposé.
Il en résulte une cavité cérébrale oblongne et étroite, plus large en arrière qu’en avant.
21. À cette époque, les divisions vertébrales règnent dans toute la longueur du corps ; elles s’arrêtent à quelque distance de la région céphalique postérieure, non loin de l'endroit où appa- raitront les capsules auditives.
29, La corde dorsale, qui était d’abord un cylindre transparent, offre maintenant des stries transversales très fines et serrées les unes contre les autres.
28. Ces stries transversales sont dues à l'existence de cellules granulées, placées les unes au-devant des autres et dont on ne voit que la tranche, quand on regarde la corde sans la déchirer.
24. Quelques jours plus tard, les cellules de la corde sont rem- placées par des disques transparents, disposés de champ comme les cellules, et donnant encore à la corde le même aspect strié qu’elle avait précédemment.
25. Quand on déchire la corde, les disques s'échappent, se gonflent dans l’eau, et apparaissent sous la forme de vésicules transparentes.
26. Peu à peu ces disques se développent dans l’intérieur même de la corde; ils augmentent d'épaisseur; les stries transversales sont remplacées par des vésicules oblongues qui s’arrondissent de plus en plus. Je regarde ces vésicules comme de nature gélati- neuse. ÿ 97. Les modifications dont je viens de parler ont lieu d’avant en arrière. La présence des vésicules dans la partie antérieure de la corde marque la fin de cette période et coïncide avec la pro- chaine apparition du cœur.
28. C'est aussi vers la fin de cette période qu'a lieu la forma- tion des trois cavités cérébrales, par suite des modifications qu’éprouvent les deux cordons nerveux céphaliques.
29. Ceux-ci continuent à s’écarter l’un de l'autre dans la région céphalique postérieure, d’où résulle le ventricule cérébelleux.
Après s'être adossés l’un à l’autre au-devant de ce ventricule,
RECHERCHES SUR LE. DEVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 151
ils s’écartent de nouveau, mais beaucoup moins, pour former la cavité cérébrale moyenne.
Puis, après s'être rapprochés au niveau des yeux, ils se sépa- rent une troisième fois, et forment bientôt une anse antérieure, en circonscrivant une troisième cavité de forme ovalaire, la cavité cérébrale antérieure.
30. Par suite de ces ondulations et de ces plissements des cor- dons nerveux primitifs, ces cordons se raccourcissent considéra- blement dans la région céphalique, et déterminent un raccourcis- sement correspondant de toute cette région, surtout de sa partie postérieure,
51: Le cristallin qui s'était montré d’abord comme un petit globule attaché à la face interne de la peau extérieure, au- devant de la bourse choroïdienne, occupe ‘maintenant le fond de cette bourse.
Les bords de celle-ci apparaissent comme deux cylindres encore assez éloignés l’un de l'autre. |
92. Les capsules auditives se forment; ce sont d’abord des masses solides qui se transforment bientôt en une capsule arrondie.
89, Les lamelles vertébrales ont pris leur forme régulière et définitive. La queue s’est détachée du corps.
84. La dernière formation qui précède l'apparition du cœur est celle d’un espace transparent situé sous la tête, la chambre car- diaque, destinée à recevoir l'organe de la circulation.
39. La période dont nous venons de résumer les traits princi- paux dure sept à huit jours.
Elle est caractérisée par la formation des appareils chargés de présider aux fonctions de relation,
Pour cette raison, nous proposons de l'appeler période animale du développement embryonnaire.
36. Les principaux phénomènes qui marquent cette période se succèdent dans l’ordré suivant :
a. Formation du cylindre embryonnaire sur le blastoderme dans la direction du méridien de l'œuf.
b. Dépression longitudinale de la face supérieure de ce cylindre (sillon dorsal).
152 LEREBOULLET.
c. Fermeture de la partie antérieure de la gouttière dorsale ; formation de la cavité encéphalique.
d. Apparition de la corde dorsale.
e. Formation des premières divisions vertébrales dans la région moyenne du corps.
f. Division de la cavité encéphalique commune en deux cavités ou vessies secondaires.
g. Apparition des ampoules oculaires.
h. Fermeture du sillon dorsal.
i. Formation de deux cordons nerveux céphalo-rachidiens, qui occupent toute la longueur du tube embryonnaire.
k. Dépression des ampoules oculaires ; formation de la bourse choroïdienne et du cristallin.
l. Augmentation de volume des cordons nerveux dans la région céphalique, et écartement de ces cordons pour former une grande cavité cérébrale.
m. Continuation des divisions vertébrales en avant et en arrière de leur point d’origine.
n. Apparition de cellules dans la corde dorsale.
o. Écartement plus prononcé des cordons nerveux dans la région céphalique postérieure ; formation du ventricule cérébelleux, sui- vie de la formation des ventricules moyen et antérieur. Raccour- cissement des cordons nerveux produit par leur plissement et, par suite, raccourcissement de la région céphalique postérieure.
p. Transformation des cellules de la corde en disques gélati- neux. Aspect strié de cette corde.
g. Rétrécissement de la bourse choroïdienne ; descente du cris- tallin dans le fond de cette bourse.
r. Formation des capsules auditives.
s. Achèvement des lamelles vertébrales dans toute l’étendue du corps de l'embryon.
t. Soulèvement de la queue qui va se détacher du vitellus.
u. Transformation des disques gélatineux de la corde dorsale en vésicules. Aspect vésiculeux du contenu de ce tuyau dans sa région antérieure.
v. Formation de la chambre cardiaque.
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE, 158
CHAPITRE IV.
Troisième période, ou période nutritive, comprenant le développement de l’embryon depuis l'apparition du cœur jusqu’à l’éclosion.
L'épaisseur et l’opacité de la coque dans l’œuf de la Truite empêchent d'observer directement la formation du cœur et du canal intestinal qui caractérise le commencement de cette période. Il faut ouvrir l’œuf et se hâter d'examiner l'embryon pendant qu'il a encore quelque reste de vie, car l'extraction de l'embryon ne peut se faire sans lésion du vitellus. La coagulation ne peut servir que pour étudier les couches de cellules qui formeront le canal intestinal ; elle nuit plutôt que d’aider à la recherche du cœur, parce que les battements de celui-ci sont nécessaires pour qu’on puisse le reconnaître.
Ayant l'habitude de ne donner des descriptions détaillées que pour les faits que j'ai bien vus et que j'ai pu observer attentive- ment, je dirai peu de chose des premiers temps de la formation du cœur et de l'intestin.
En ouvrant des œufs âgés de dix-sept ou de dix-huit jours, j'ai vu plusieurs fois, lorsque l'embryon était étalé sur la plaque de verre, un corps allongé, cylindrique, renflé en arrière et étendu, suivant sa longueur, sous la région céphalique. Ce corps était en mouvement ; il offrait des contractions et des dilatations succes- sives, mais lentes et irrégulières. Il m'a toujours paru sans cavité et comme formé par une accumulation de cellules. La situation et l'aspect du cœur me rappelaient ce que j'avais vu, mais beau— coup plus distinctement, dans le Brochet et dans la Perche.
Au-dessus de la région moyenne du vitellus, on voyait sous l'embryon deux couches de cellules rondes, plus grosses et moins transparentes que les cellules embryonnaires, disposées à peu près comme les a représentées M. Vogt (Embryologie des Salmones, fig. 136, p. 153); ces deux couches étaient séparées l’une de Vautre par une ligne transparente. En eoagulant l'embryon, on
454 LEREROULLET,
voyait, après avoir enlevé la substance vitelline, une membrane disposée en gouttière, et dont les hords s'inclinaient vers le vitellus.
Cette gouttière membraneuse formée de cellules constitue la paroi supérieure de l'intestin futur ; elle est d’abord ouverte dans toute sa longueur ; mais au bout de très peu de temps, un jour tout au plus, les deux bords se rejoignent en arrière, et forment un petit cul-de-sac situé dans l’angle que fait le bord supérieur et postérieur du vitellus avec la région caudale de l'embryon. La vessie vitellaire est alors en communication avec l'embryon par toute la longueur de sa face supérieure, puisque la gouttière abdo- minale de l’embryon a ses deux feuillets latéraux étalés sur la substance vitelline elle-même. A mesure que les deux bords de la gouttière intestinale se soudent par le bas, d’arrière en avant, la région caudale se détache du vitellus, la queue s’allonge et flotte librement dans l'œuf, ef l'intestin s’isole en arrière. Il apparait alors comme un boyau fermé en arrière, à l'endroit que l'anus occupera plus tard, et largement ouvert en avant, à partir du point où commence l’adhérence entre le vitellus et l'embryon. Un tube correspondant au tube intestinal s’est formé du côté dé la tête, au-dessus de la chambre cardiaque. Ce tube pharyngien s’élargit en arrière, dans la région où se formera l'estomac ; ses bords celluleux et comme déchirés se continuent avec la gouttière intes- tinale. Ce tube antérieur est d’abord fermé en avant ; ce n’est que plus tard qu’il s'ouvre dans la cavité buccale.
Pendant que le tube digestif se constitue, le cœur éprouve des changements dans sa composition, sa forme et ses rapports.
De solide qu'il était dans l’origine, il devient creux et se détache du plan inférieur de la tête pour descendre dans la chambre car: diaque. Il prend donc la forme d’un cylindre qui s'étend sous un angle droit entre l’embryon et le vitellus ; son extrémité inférieure est élargie, el ses parois semblent se continuer avec la tunique interne de la vessie vitellaire. On voit quelques globules osciller dans la cavité du cœur, sous l'influence des contractions de cet organe. |
Un ou deux jours plus tard, le boyau cardiaque s’allonge et se
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE, 455
replie sur lui-même en anse. La portion dirigée vers le vitellus est plus large que l’autre et évasée.
Le cœur est alors entièrement celluleux; les cellules qui le composent sont rondes, transparentes, faiblement granuleuses et renferment un noyau dont le diamètre est moitié de celui de la cellule (fig. 19). La grosseur moyenne des cellules du cœur est de 0"",013.
Je n'ai vu qu'imparfaitement les premiers temps de la cireula- tion, l’embryon étant toujours plus où moins lésé, quand je le sor- ais de l’œuf. J'ai pu seulement constater que les globules sanguins élaient encore très petits, moitié environ des cellules du cœur et tout à fait sphériques.
Depuis l'apparition du cœur jusqu'au moment où il est re- courbé en anse, et pendant la formation des deux boyaux digestifs, l’un postérieur, le tube rectal, l’autre antérieur, le tube buccal, l'embryon se développe dans ses diverses parties. La queue s'est allongée, l'extrémité antérieure de la tête s'est détachée du vitellus, la nageoire embryonnaire commence à régner tout autour de l'embryon, dans sa moitié postérieure. Un petit tubercule arrondi situé de chaque côté au-dessus de la région cardiaque indique l’origine des nageoires thoraciques.
Les deux extrémités du cylindre choroïdien se sont rapprochées pour former la fente choroïdale. Les capsules auditives sont en- tourées d’un cadre assez épais et renferment quelques grains qui annoncent la formation des otolithes. La corde dorsale devient peu à peu vésiculeuse dans toute son étendue. Les disques qui la composaient se remplissent de substance gélatineuse, d’où il suit que leurs tranches, d’abord linéaires, figurent maintenant des ellipses et seront bientôt des vésicules transparentes. Au-des- sous de la corde dorsale, entre elle et l'intestin, on voit les conduits tubuleux des corps de Wolff; ceux-ci sont encore peu distincts.
La bouche commence à se montrer sous la forme d'une fente transversale, peu apparente.
- Au-dessus du cœur se voit un sac allongé représentant le pharynx.
156 LEREBOULLET.
Les parois de l'intestin sont épaisses et se composent de cellules allongées d’épithélium cylindrique.
Les lamelles vertébrales, parfaitement circonserites, sont for- mées de cellules disposées en séries linéaires et sur le point de se changer en fibres. Cependant l'embryon exerce déjà des mouve- ments de contraction très prononcés; sa queue se remue avec une certaine agilité, quand on le sort de l'œuf.
Le système nerveux cérébral s’est développé d’une manière remarquable. Vue de profil, la masse nerveuse encéphalique forme une grande vessie qui s'élève au-dessus du niveau de la moelle épinière, en sorte qu’il existe un vide considérable, derrière le cerveau, entre l’enveloppe du corps et le cordon rachidien. La région antérieure s’est agrandie et présente une cavité ovalaire circonscrite par le cordon nerveux primitif. La région moyenne se compose en réalité de deux sacs en forme d’hémisphères creux, allongés et rapprochés l'un de l'autre sur la ligne médiane, de ma- nière à former une cavité simple.
Derrière cette région moyenne se voient deux plis de substance nerveuse formés par les cordons rachidiens qui se sont raccourcis en se disposant en travers et en se redressant derrière les deux cavités précédentes, pour former par leur adossement la lamelle cérébelleuse.
Si l’on sépare l’un de l’autre les deux cordons rachidiens sur un embryon coagulé, on s’assure facilement que toute la masse nerveuse encéphalique est formée par le prolongement de ces cordons , ce qu’on pouvait prévoir par l’étude du système ner- veux aux premières époques de son développement. Seulement la masse nerveuse augmente dans chacune des deux moitiés de l’encéphale et il se forme symétriquement dans le fond de la grande cavité cérébrale des renflements disposés les uns au-devant des autres.
La circulation générale s'établit quelques jours seulement après la formation du cœur ; elle comprend la marche du sang dans le corps et son passage à travers le vitellus, passage qui a lieu aussitôt que les courants sanguins sont établis.
J'ai fait connaitre dans le Brochet et dans la Perche les pre-
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE, 157 mières phases de cette circulation. Ce que j'ai pu en distinguer dans la Truite a suffi pour me convaincre qu'elle se fait de la même manière dans ce poisson.
I s'établit entre le cœur, l'embryon et le vitellus des anses cir- culatoires de plus en plus allongées. Le sang du cœur passe dans l'embryon en suivant un canal situé sous la corde dorsale et qui devient désormais l'artère aorte. Arrivé au niveau de l’extré- mité postérieure du vitellus, le courant sanguin revient sur lui- même, pénètre dans le vitellus, dans lequel il se divise ordinaire- ment en deux branches, et revient au cœur. Il n’y a alors qu’une seule ellipse circulatoire, sans ramifications et sans réseaux. Les canaux vitellins sont larges, mal circonscrits, comme s'ils n'étaient pas encore munis de parois propres; ce n'est que plus tard, lors- que la circulation vitelline est complétement établie, qu'on dis- üngue à leurs contours les parois des vaisseaux.
Cetle première anse ou cette première ellipse circulatoire a pour but de pourvoir à l’oxygénation du sang, en portant ce liquide à la surface de la vessie vitellaire, pour le mettre en contact avec le liquide ambiant. Comme la quantité des globules est encore très peu considérable, une plus grande diffusion de la masse sanguine est inutile, l’oxygénation peut se faire sur chacun des corpuseules sanguins.
Mais l’aorte ne tarde pas à se porter dans la queue, portion du corps déjà détachée du vitellus quand la circulation s'établit. A mesure qu'elle s’avance le long du bord inférieur de cet organe, elle revient sur elle-même et forme ainsi des anses ou des boucles successives, placées les unes au-devant des autres. Les premières boucles formées disparaissent peu à peu, mais il y en a toujours plusieurs qui existent simultanément. Le vaisseau de retour, ou veine cave, suit donc le bord inférieur de l'artère, avec laquelle il s’anastomose par les boucles dont il vient d’être question. Ar- rivée au vitellus, la veine cave y pénètre comme précédemment et le traverse pour rejoindre le cœur.
Les corpuscules sanguins grossissent et surtout se multiplient rapidement. Dès lors le besoin d’une dissémination plus grande de ces éléments au contact de l’eau aérée se fait sentir. C’est alors
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que les courants vitellins primitifs commencent à se capillariser. Ils se divisent en canaux plus petits et ceux-ci sont unis les uns aux autres par des tubes flexueux, peu nombreux d’abord, mais qui se multiplient rapidement, D’un autre côté, le nombre des courants sanguins embryonnaires a augmenté et il se forme de chaque côté deux veines caves, l’une antérieure, qui ramène au cœur le sang des parties antérieures du corps, l’autre postérieure, continuation de l’anse aortique terminale qui s'approche de plus en plus de l’extrémité de la queue. La plus grande partie du sang: de celle veine cave postérieure se jette dans le vitellus pour subvenir à la respiration vitelline; une partie cependant m'a semblé se rendre au cœur sans pénétrer dans le vitellus.
C'est du vingtième au trentième jour que la circulation vitelline s'établit, après avoir passé par les phases dont je viens d'exposer sucemetement les principales. Cette nouvelle fonction du vitellus caractérise d'une manière toute spéciale la période d'évolution qui nous occupe. Jusqu'ici le vitellus n'avait servi qu’à fournir les matériaux nécessaires à l’accroissement, en d’autres termes il était simplement nutritif. Maintenant il devient en même temps appareil de respiration, puisqu'il permet au sang, en raison de l'étendue de sa surface, de se diviser d’une manière suffisante pour que les corpuscules sanguins reçoivent tous l’action vivi- fiante de l’air dissous dans l’eau. Cette double fonction du vitellus persiste jusque après l’éclosion; il ne cesse d’être respiratoire pour redevenir simplement nutritif, que lorsque les organes définitifs de l’hématose, c’est-à-dire les branchies, sont entrés en fonction.
Quoique l’évolution des appareils circulatoire et digestif, ainsi que l'établissement de la fonction respiratoire , constitue le cachet particulier de la période actuelle, que je propose d'appeler pour cette raison période nutritive du développement, cependant les appareils nerveux, sensitifs et locomoteurs continuent à se déve- lopper et à se rapprocher de plus en plus de ce qu’ils seront à Pétat d'évolution complète ou à l’état parfait.
Vers le trentième jour, le système cérébral s’est concentré de plus en plus en se raccourcissant, tandis que les éléments nerveux
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 159
ont continué à s’accroitre de manière à augmenter la masse encé- phalique.
L'encéphale commence à prendre la forme qu'il affecte chez l'adulte, surtout dans sa partie moyenne. Celle-ci s'élève, comme nous l’avons déjà dit, en une voûte séparée sur la ligne médiane, par une fente longitudinale, en deux moitiés symétriques (fig. 20). Derrière cette voûte saillante se voient, dans les pièces coa- gulées, comme deux bandelettes nerveuses disposées sur une même ligne transversale et adossées l’une à l’autre sur la ligne médiane. Quand on examine la pièce de profil, on voit que cette bande nerveuse, transversale, interrompue dans son milieu, n’est autre chose que le cordon rachidien lui-même qui s’est redressé contre la partie postérieure de la vessie cérébrale moyenne (fig. 23), pour former avec la même pièce du côté opposé une lamelle verticale que nous appelons lamelle cérébelleuse.
C'est surtout par la dissection de pièces coagulées qu’on arrive à se faire une idée juste de l’arrangement de ces parties. Cepen- dant on peut aussi voir leur disposition sur des embryons vivants. Notre figure 21, par exemple, la montre d’une manière très claire. On voit les deux cordons rachidiens s’écarter l’un de l’autre, puis revenir sur eux-mêmes et se porter de nouveau vers la ligne médiane, tout en se redressant verticalement. Les deux cordons ainsi repliés s’adossent sur la ligne médiane, puis se contournent en dehors et en avant et vont former les parois latérales des deux sacs dont la réunion constitue la grande cavité cérébrale moyenne. Le sillon transversal qu’on voit entre les deux cordons nerveux résulte de l’adossement de ces cordons. L
Tel est, d’après les nombreuses observations que nous avons faites sur ce point dans le Brochet et dans la Perche d’abord, puis sur la Truite, le mode de formation de la lamelle cérébelleuse, rudiment du cervelet. Derrière cette lamelle redressée, le double cordon rachidien est trés large et forme la moelle allongée.
Au-devant de la même pièce on voit sur les côtés la continua- tion des cordons qui ont formé la Jamelle cérébelleuse, et entre ces cordons une membrane nerveuse, tendue comme une toile au-dessus de la cavité moyenne de l'encéphale. On peut enlever
160 LEREBOULLET.
facilement cette sorte de plafond voûté de la grande cavité céré- brale et l’on découvre au fond de cette cavité plusieurs petits renflements placés l’un au-devant de l’autre, et destinés à former les couches optiques et les tubercules quadrijumeaux.
Au-devant de la grande cavité cérébrale l’encéphale se rétrécit considérablement et se porte vers le bas en formant une petite cavité oblongue dont il a déjà été question. Cette portion de l’en- céphale, qui fournira les hémisphères cérébraux, touche à deux dépressions cutanées qui représentent les rudiments des fossettes olfactives.
Quand on examine l'embryon par en bas, la transparence des parties fait distinguer des formes diverses, suivant qu’on allonge ou qu'on raccourcit le foyer. On aperçoit d’abord le plancher de la cavité cérébrale, puis, en raccourcissant le foyer, on voit des formes arrondies qui représentent les renflements contenus dans cette cavité. La fente qui partage en deux la région cérébrale antérieure, est toujours large et offre des formes variées.
Les deux extrémités du cylindre choroïdien ou, pour être plus exact, les bords du sac que forme la choroïde se rapprochent de plus en plus et sont sur le point de se toucher. Le contact entre ces deux bords a lieu un ou deux jours plus tard et alors l’anneau choroïdien présente dans sa partie inférieure une fente linéaire longitudinale qui persiste assez longtemps.
Le pigment commence au trente et unième jour à se déposer dans cette enveloppe de l'œil; il n’est encore composé que d’un petit nombre de granules disséminés qui donnent à l’œil une teinte grisatre.
L'étude du cristallin est intéressante à cette époque du dévelop- pement de la Truite, parce qu’elle montre l’origine et le mode de formation des fibres de cette lentille transparente.
On voit d’abord au centre de la lentille un noyau granuleux, composé d’une agglomération de corpuscules transparents, d’une teinte uniforme, mate, quelquefois faiblement rosée, de grosseur variable, ayant une forme sphérique ou irrégulière et comme anguleuse. Ce noyau central augmente insensiblement de volume par la formation de nouveaux corpuseules autour de ceux qui
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 161 existaient déjà. Ces petits corps nucléaires sont les éléments qui formeront bientôt les fibres du cristallin. En effet, huit jours plus tard on trouve le centre de la lentille occupé par des fibrilles extrêmement fines, roides, disposées en couches concentriques (tig. 22).
En écrasant le cristallin, on voit que les fibrilles sont à peu près.toutes de la même longueur et que chacune d'elles est munie vers sa partie moyenne d'un petit noyau brillant.
Les couches extérieures sont formées de cellules granuleuses, disposées avec régularité les unes près des autres. Le diamètre de ces cellules est de 0"",016.
Les capsules auditives n’ont pas changé d'aspect, mais elles se sont rapprochées.de la tête à cause du raccourcissement que la région antérieure du corps a subi par suite de la concentration longitudinale du système nerveux. Ces capsules renferment deux groupes de granulations calcaires qui occupent leur région in- férieure.
Les narines ne sont encore que deux petites dépressions cuta- nées, placées au-dessous de la partie antérieure de la tête. Elles n'offrent pas de changement appréciable dans kur composition jusqu'après l’éclosion.
La tête s’est dégagée du vitellus dans une assez grande étendue (fig. 23); elle est très large, arrondie, et, vue de profil, elle montre par transparence la grande cavité moyenne de l’encéphale et la lamelle cérébelleuse qui se dresse derrière cette cavité.
Au-dessous se voit la bouche garnie en avant et en arrière de deux rebords qui seront les deux raandibules.
Un peu plus en arrière se dessinent sur les côtés les fentes branchiales. Les nageoires pectorales, qui s'étaient montrées vers la fin de la période précédente sous la forme de tubercules, sont maintenant des lamelles arrondies qui commencent à se mouvoir. La queue est très longue, munie d’une grande nageoire embryon- naire ; elle exerce des mouvements très agiles et presque continus.
Nous avons vu an commencement de ce chapitre le tube intes- tinal se former par le reploiement des deux lamelles qui compo-
saient Ja gouttière intestinale. 4° série. Zooz. T. XVI. {Cahier n° 3) ? LE.
162 LEREROULLET.
Nous avons dit que cette goullièré se fermait d'arrière en avant dans sa région postérieure, et d'avant en arrière dans sa région antérieure , d’où l'existence de deux boyaux primitifs qu’on a noimés inteslin reclal et intestin buccal.
Peu de temps après la formation de ce dernier, la partie de l'émbryon qui lui fait suite en avant s’élargit et se creuse d’une cavité. Cette portion élargie et creuse forme un sac allongé, le sac pharyngien, sur les côtés duquel s’ouvriront bientôt les fentes branchiales.
L'intestin buccal, dont la lumière est d’abord très étroite, linéaire en quelque sorte, entre en communication avec ce sac pharyngien. A l'endroit où cesse l'intestin buccal, celui-ci s’élar- git et forme une ampoule à bords irréguliers et comme déchirés, qui fait saillie vers le vitellus. Derrière cette dilatation stomacale l'intestin ést encore largement ouvert et renferme la tunique interne du sac vitellin qui s’allonge en pédicule pour se loger dans la gouttière intestinale.
J'ai vu souvent celte disposition en vidant lentement le sac vitellin. À mesure que le contenu s'écoule, on distingue mieux les deux membränes dont se compose ce sac, l’externe continua- tion de la peau et l’interne qui se prolonge en un pédicule pour pénétrer dans l'intestin. Si l’on exerce de légères tractions sur le vitellus, on fait saillir de plus en plus le pédicule intestinal (fig. 23), au travers duquel on aperçoit le pédicule vitellin qui se terminé en cul-de-saé ; mais les tractions font sortir facilement lé prolongement cæcal du vitellus du tuyau qui le renfermait.
Il est très difficile de déterminer le mode de formation du foie; malgré de nombreuses recherches, je n'ai pu encore arriver à établir d’une manière positive sa véritable origine.
V'ai extrait plusieurs tubes digestifs du vingt-septième au trénte- deuxième et trente-troisième jour, après les avoir faiblement coa+ gulés, afin d'en examiner la composition élémentaire et de recher- cher la différenciation des cellules qui doit avoir pour résultat la formation du foie.
Un appareil digestif du trente et unième jour n'offrait encore aucune trace de cette glande. Il montrait l’ampoule stomacale
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 165 encore ouverte en arrière-et se continuant avec la gouttière intes- tinale; mais on ne voyait dans le voisinage de lestomac aucune forme qui püût annoncer l'existence d’un rudiment de glande.
Dans un autre appareil digestif d’un embryon qui n’était qu’au trentième jour, on voyait au contraire sur les côtés du renflement stomacal une forme arrondie dont les contours se distinguaient des contours de l'estomac.
Dans quelques pièces, cette portion lobulée n’offrait qu'une trame amorphe, sans structure distincte. Dans d’autres elle éfait composée de cellules sen:blables à celles du tube digestif ; elles ne s’en distinguaient que parce qu’elles étaient un peu plus grosses et plus pâles.
Les cellules de l'intestin examinées fraiches sont globuleuses, brillantes ; elles renferment un ou deux nucléoles vésiculeux, brillants , et ne mesurent que 0°",008. Celles du foie ont un dia- mètre de 0"",013 ; leur enveloppe paraît plus mince, ce qui les rend plus transparentes ; du reste, elles ont la même composition. Les cellules de l'intestin, comme celles du foie, quand elles sont coagulées, deviennent granuleuses.
À l’époque que nous venons de décrire où le foie est encore confondu, pour ainsi dire, avec le renflement stomacal, les organes sécréteurs qui représentent les reins embryonnaires, el qu’on désigne sous le nom de corps de Wolff, se composent de deux renflements tubuleux rapprochés l’un de l’autre, et situés au-des- sus du tube alimentaire, derrière le cœur, au niveau des nageoires pectorales (fig. 23 et 24).
Ces renflements se continuent chacun en un tube qui marche parallèlement avec l'intestin, au-dessus de lui, et se terminent au niveau du cul-de-sac anal.
Sur dés embryons coagulés, on peut dérouler le renflement antérieur ou le corps de Wolff proprement dit. D'abord le renfle- ment est globuleux, et ordinairement double (fig. 25). Plus tard, au lieu de deux corps globulenx, on trouve deux tubes repliés sur eux-mêmes, et maintenus rapprochés par un tissu connectif assez serré (fig. 26). Ces tubes repliés ont la même structure que les tubes excréteurs qui en sont la continuation ; ils paraissent remplis
16/4 LEREBOULLET.
de corps utriculiformes qui en obstruent la cavité (fig. 27), et ils sont entourés d'une gaine de cellules disposées longitudinalement, indices de l'enveloppe fibreuse dont ils seront munis plus tard.
C'est vers le vingt-septième jour que les fentes branchiales commencent à se montrer, aussitôt que la circulation vitelline est complétement établie, c’est-à-dire qu'il s'est formé un réseau sanguin à la surface du vitellus.
Sur des embryons du trentième jour, ces fentes étaient au nombre de cinq sur les côtés du sac pharyngien ; elles commen- çaient à se prolonger vers le bas pour se porter vers la ligne médiane.
A mesure que les fentes branchiales se produisent, des courants sanguins se détachent de l'extrémité antérieure du eœur, pour se porter le long des ares solides qui résultent de la production des fentes latérales. Ces ares vasculaires se réunissent en arrière en un seul courant, qui se joint à celui du côté opposé pour former l'artère aorte.
Cette première division de la masse sanguine en avant du cœur est une modification très importante qui constitue en réalité le commencement d'une nouvelle phase de la vie embryonnaire, puisqu'elle annonce l'établissement futur de la respiration bran- chiale. On peut alors se représenter, dans son ensemble, la cir- culation générale comme décrivant une grande ellipse interrompue sur deux points de son trajet, points qui correspondent l’un au vitellus, l’autre à la région branchiale ; en d'autres termes, le sang se divise deux fois, et forme ainsi deux sortes de cônes opposés ou deux doubles cônes. Mais un seul de ces doubles cônes est pourvu d’un système capillaire interposé entre les vaisseaux qui se divisent et ceux qui se réunissent : c’est le système capillaire vitellin. Du côté des ares branchiaux, au contraire, les vaisseaux qui partent de l’artère se réunissent au-dessus de l'appareil que forment ces arcs, sans passer auparavant par un système capil- laire.
I suit de là que la formation des ares vasculaires branchiaux ne modifie pas encore Ja respiration de l'embryon ; celle-ci se fait toujours par le vitellus. puisque ce n’est qu’à la surface de ce
RECHERCHES log LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 165 grand sac nutritif que les vaisseaux se divisent assez pour rendre l'hématose suffisante.
Le cœur, qui s’est coudé de plus en plus, à maintenant ses deux renflements, loreillette et le ventricule.
Les corpuscules sanguins sont encore sphériques et petits ; ils ne mesurent que 0"",095 ou tout au plus 0"",008, tandis que les plus petites cellules du cœur ont 0"",01. Cette disproportion entre les globules sanguins et les cellules du cœur montre que ces glo- bules ne dérivent pas directement de celles-er.
J'avais déjà fait la même observation sur le Brochet et sur la Perche ; nous verrons plus loin qu’elle s'applique aussi au Lézard. En sorte que, dans les Vertébrés dont j'ai suivile développement, les corpuscules sanguins commencent par être des granules ou des vésicules très petites, sphériques, sans noyau et sans contenu d'aueune nature. Ce n’est que longtemps après l'apparition du cœur, lorsque la respiration branchiale commence à s'établir, qu'ils s’allongent, prennent leur forme elliptique normale, et sont munis d'un noyau.
Nous venons d'exposer l’évolution des principaux appareils embryonnaires depuis le trentième jusqu'au quarantième jour. Nous allons les reprendre à partir de cette dernière époque, et les suivre jusqu'à l’éclosion.
C’est environ vers le quarantième jour que la circulation vitel- line est en pleine activité, c’est-à-dire que tous les vaisseaux capillaires se sont développés à la surface du vitellus. On dis- tingue alors assez bien l’ensemble de ces vaisseaux à travers la coque de l'œuf, qui prend dès ce moment une teinte rougeître. Les plus fins capillaires entourent les globules huileux, qui sont, comme toujours, agglomérés sous le corps de l'embryon, et for- ment une couronne vasculaire autour de chacun d’eux. La respi- ration vitelline est donc en pleine activité, et l’on peut dire que la membrane vitelline, sur laquelle s’étalent les nombreux vaisseaux capillaires, remplit en ce moment la même fonction que l’allan- toïde dans les Vertébrés aériens, lorsque cette membrane est déve- loppée autour de l’œuf.
Ce qui caractérise surtout la phase dans laquelle entre l’em-
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bryon, lorsque la circulation vitelline est établie, c’est le déve- loppement du foie qui devient bientôt le siége d’une circulation capillaire non moins remarquable que celle du vitellus.
Nous avons vu plus haut que le foie se montre d’abord comme une petite masse celluleuse appliquée contre la paroi extérieure de l'estomac, alors que l'intestin est encore ouvert dans une assez grande étendue. Il ne se distingue du sac stomacal que par son contour, ses cellules ayant d’abord beaucoup de ressemblance avec celles du tube digestif.
Peu à peu la glande grossit et se sépare de l'intestin, ap- puyant sur le vitellas qu’elle déprime et qu’elle éloigne de la face inférieure du corps, contre laquelle ce vitellus était aupara- vant appliqué. Les cellules hépatiques ont grossi ; elles ont toutes un noyau vésiculeux assez considérable.
Une veine particulière qui ramène le sang de l'intestin, la veine sous-intestinale, suit le bord inférieur, puis le bord supé- rieur de l'intestin ; arrivée au niveau del’estomac, elle se recourbe, pénètre dans le foie, et s’y divise en formant un réseau serré. Les mêmes vaisseaux sortis du foie circulent dans le vitellus. Nous reviendrons sur cette disposition en reprenant la circulation générale.
Quelques jours plus tard (vers le cinquantième jour), le foie offre un aspect lobulé bien apparent. Chacun de ses lobules est entouré d’un anneau vasculaire, qui rappelle la disposition qu'on observe sur l'adulte. On voit par transparence la forme de ces lobules et la circulation qui se fait autour d'eux ; on voit aussi une grosse artère se détacher de l'aorte, et se diviser en plusieurs branches qui pénètrent dans le foie à côté de la veine.
Le foie est muni d’une vésicule biliaire remplie d’un liquide jaunâtre, et il tient à l’intestin par un large canal excréteur : le canal cholédoque.
La circulalion générale s’est augmentée de la cireulation rachi- dienne dont il sera question plus loin, et de la circulation péri- intestinale. L'intestin est bordé de deux vaisseaux : une artère qui longe sa face supérieure et une veine qui occupe sa région infé— rieure, L’artère envoie de distance en distance des rameaux
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 167 d'anastomose qui contournent l’intestin et vont se jeter dans la veine. Arrivée dans le voisinage de l'anus, l'artère revient sur elle-même en formant une dernière boucle qui se continue direc- tement avec la veine; de cette manière l'intestin est entouré d’un réseau vasculaire à mailles lâches et plus ou moins espacées, Avant de pénétrer dans le foie, la veine sous-mtestinale se porle à la face supérieure de l'intestin comme nous l'avons dit, puis se recourbe subitement, entre dans la glande, et s’y divise en un arand nombre de rameaux volumineux, desquels partent les anses anastomotiques et les petits vaisseaux qui se capillarisent et se disposent autour des lobules. 11 ne m'a pas été possible de suivre la marche des artères qui pénètrent dans le foie tout près des veines. Il est probable qu’elles accompagnent ces dernières, et se perdent dans les capillaires de la glande.
Les veines du foie, quand elles sortent de la glande, s’étalent dans toutes les directions sur le vitellus.
Le foie à done apporté une modification importante à la cireu- lation vitelline, Dans l’origine, en effet, le vitellus recevait directe- ment le sang de la veine cave on, pour mieux dire, le sang qui, de l’extrémilé terminale de l'aorte, revenait au cœur, sans avoir péné- tré dans la queue ; la veine cave proprement dite n'existait pas encore. Quand le foie est pourvu de son appareil vasculaire, c'est la veine sous-intestinale qui fournit le sang au vitellus, puisque c’est elle qui se jette dans le foie, et produit les nombreux troncs vasculaires qui parcourent cette glande. Le sang qui a cireulé dans l'embryon retourne done au eœur par deux voies, par la veine cave ou veine cardinale qui se rend au cœur sans traverser Île vitellus, et par la veine intestinale qui dérive de cette même veine cave. D'un autre côté, le foie reçoit des artères qui se détachent de l'aorte, et pénètrent dans la glande à côté du vaisseau intesti- pal, Il n’est pas difficile de voir dans cet arrangement l'indice de la circulation hépatique, telle qu’elle existe chez l'adulte : la veine intestinale sera et est même déjà une veine porte ; l'artère qui accompagne ses ramifieations dans le foie est l'artère hépatique, et quant aux veines hépatiques, elles sont représentées par les vais- seaux vitellins qui ne retournent au cœur qu'après avoir parcouru
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le vitellus. L'embryon est, à cette époque, très riche de sang, et la cireulation vitelline offre, sous le microscope, l'un des plus beaux spectacles que l’on puisse voir.
Les derniers jours de cette époque se confondent avec l’époque de l’éclosion ; la coque de l’œuf devient extrêmement mince, et se déchire au moindre contact. L’embryon se meut avec énergie dans son œuf qu'il remplit exactement ; il cherche à se retourner, et les tentatives qu'il fait pour y parvenir ont pour effet de déchi- rer l'enveloppe mince et friable qui s'oppose à sa mise en liberté. L'eau qui s'interpose entre la coque et le jeune poisson seconde les efforts de celui-ci, la coque tombe en lambeaux ou se divise en deux. et l’éclosion a lieu.
Le petit poisson sort de l’œuf vers le cinquante-deuxième jour, quelquefois plus tard, rarement plus tôt.
Il nage un instant, puis se laisse tomber au fond de l’eau, et
demeure immobile pendant un temps assez long. * Iest alors muni de tous les appareils locomoteurs dont il a besoin; ses nageoires peclorales très longues s’agitent d'un mou- vement vibratoire très vif et continuel ; sa longue queue est munie d'une nageoire embryonnaire étendue. Ses fibres musculaires commencent à prendre le caractère qui leur est propre; elles sont allongées, roides, transparentes ; mais elles n'offrent encore aucun genre de striation ni longitudinale, ni transversale.
Résumé du quatrième chapitre.
1. L'évolution des appareils circulatoire et digestif, l’établisse- ment de la respiration vitelline et le passage de cette respiration à la respiration branchiale, caractérisent essentiellement cette période à laquelle nous donnons pour ce motif le nom de période nutritive du développement embryonnaire.
2. Cette période comprend elle-même deux phases :
Dans la première, tout le sang de l’embryon passe directement par le vitellus ; il n'existe qu’un seul grand cerele cireulatoire.
Dans la seconde phase, qui commence à l'établissement de la
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 169 circulation hépatique et à la formation des ares vasculaires bran- chiaux, le sang embryonnaire ne passe qu’en partie par le vitel- lus. Une portion cousidérable de ce liquide va au cœur sans avoir traversé le vitellus, circule dans les ares branchiaux, et ne vient respirer à la surface du sac vitellaire qu'après avoir traversé le foie, en passant par les veines et par les artères qui vont à cette glande.
Il existe alors deux cercles cireulatoires : un cercle embryon- naire formé par le sang qui part du cœur, circule dans l'embryon et revient au cœur avant d’avoir pénétré dans le vitellus, et un cercle vitellin qui s’est établi entre le cœur, le foie et le vitellus.
3. Ces deux phases sont séparées l’une de l’autre par l’achève- ment du tube digestif et l’établissement'de la circulation péri- intestinale.
Nous allons grouper les principaux faits embryologiques qui se rattachent à l’une et à l’autre de ces phases.
h. Le cœur est primitivement une masse cylindrique, pleine, c’est-à-dire sans cavité intérieure, composée de cellules et éten- due sous la tête.
5. Quoique plein et celluleux, le cœur se contracte d’une manière rhythmique dès son apparition.
6. Le cœur se détache de la région inférieure de la tête, et descend dans la chambre cardiaque sous la forme d’un boyau droit étendu directement entre la tête et le vitellus.
ILest alors muni d’une cavité centrale, dans laquelle on ne dis- tingue d’abord aucun globule.
7. Le boyau cardiaque se recourbe en anse, et se renfle en deux cavités : l’une antérieure, qui sera le ventricule; l’autre posté- rieure, l'oreillette, dont les bords se perdent sur la membrane du sac vitellaire.
8. Les cavités du cœur renferment des globules qui éprouvent un mouvement de va-et-vient, par suite des contractions de cet organe. On ne voit pas de globules hors du cœur.
9. Les globules sanguins sont pendant longlemps plus petits que les cellules dont le cœur se compose. Leur forme est d’abord
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sphérique; ils grossissent assez lentement, et deviennent peu à peu elliptiques.
10. La première circulation ne s'aperçoit que cinq ou six jours après la formation du cœur.
11. Le sang décrit d’abord une grande ellipse qui embrasse le vitellus. L'une des branches de cette ellipse, l'aorte, est simple ; l'autre, la branche de retour, se divise dans le vitellus avant de revenir au Cœur.
12. Les trones qui ramènent le sang au cœur sont d’abord simples ; plus tard seulement ils se multiplient dans le vitellus, et s'unissent entre eux par des rameaux d’anastomose plus déliés.
13. La simplicité de la cireulation et l'absence de ramifieations vasculaires sont en rapport avec la petite quantité des globules sanguins. Les vaisseaux se multiplient à mesure que les corpus- cules sanguins augmentent en nombre et en volume.
14. Ainsi le nombre des vaisseaux est toujours en rapport avec les besoins de la respiration.
15. Peu à peu l'artère aorte pénètre dans la quéue, et forme, en revenant sur elle-même, des boucles successives placées les unes au-devant des autres. La queue est alors pourvue de deux vaisseaux superposés, l'artère en dessus, la veine en dessous. La cireulation est à la veille de se modifier pour constituer la seconde phase de la période nutritive.
16. Dès que la circulation vitelline est établie, le vitellus rem- plit une double fonction : il est à la fois un organe de nutrition qui fournit à l'embryon les éléments nécessaires à son développement, et un organe de respiration pour les globules sanguins qui vien- nent se répandre à sa surface.
47. La naissance du tube intestinal coïncide à peu près avec l'apparition du cœur.
18. L'intestin commence par une accumulation de cellules au- dessous du feuillet muqueux primitif, le long de la face inférieure de l'embryon.
19. Ces cellules se disposent aussitôt en gouttière, dont les bords s'inclinent vers le bas et tendent à se rapprocher pour se souder l’un à l’autre.
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 171
20. La fermeture de la gouttière intestinale se fait suivant une direction longitudinale centripète, c’est-à-dire en deux sens oppo- sés, d'arrière en avant et d'avant en arrière.
21. Il en résulte deux boyaux fermés chacun à leur extrémité : l'intestin rectal et l’intestin buceal.
22. Ces deux boyaux, continus par leur face dorsale, sont infer- rompus du côté ventral, et offrent dans leur région moyenne/une longue fente en forme de boutonnière, dont la partie antérieure est renflée en ampoule.
Une petite portion du vitellus est embrassée par les lèvres de cette boutonnière.
23. À mesure que la fente intestinale se ferme, le vitellus que celte fente renfermait s’étrangle et se change bientôt en un pédieule qui persiste assez longtemps après que la fente à dis- paru.
24. Pendant que la gouttière intestinale se change en tube, la région située au-dessus du cœur s’élargit et se creuse d’une cavité. Le sac pharyngien se forme, et la bouche apparaît comme une fente transversale située sous le museau.
25. Le fond du sac pharyngien entre bientôt en communication avec l'extrémité en forme de cæcum de l'intestin buccal.
26. Pendant que la soudure des deux bords de la gouttière à lieu en arrière, la queue se détache du vitellus et devient flottante ; elle s’allonge rapidement.
27. En avant la tête se soulève et se détache aussi du vitellus, mais plus tardivement.
28. Aussitôt que la queue s’est détachée et a atteint une cer- taine longueur, elle s'entoure d’une nageoire mince, transparente, homogène, la nageoire embryonnaire.
29. En même temps une petite saillie tubereuleuse, située de chaque côté de la région thoracique, annonce la formation des nageoires pectorales.
30. La bourse choroïdienne s’est fermée; les deux cylindres se sont rapprochés l’un de l’autre, pour former par leur juxtapo— sition une fente linéaire, la fente choroïdale.
31. Peu de temps après, la choroïde se remplit de pigment ;
172 LEREBOULLET. elle a d’abord une teinte grisâtre qui augmente peu à peu d’in- tensilé.
32. Le cristallin, qui jusqu'ici était resté homogène, offre à son centre un noyau composé de corpuseules nucléaires brillants.
33. Peu à peu le nombre de ces corpuscules augmente; puis ils S’allongent et se transforment en fibres fusifornies, très déliées, ayant un noyau dans leur partie moyenne et disposées en couches concentriques : ce sont les fibres du cristallin.
54. Les capsules auditives ont le même aspect que précédem- ment; seulement elles se rapprochent de plus en plus de la tête et elles contiennent des granules calcaires disposés en deux groupes, les otolithes.
35. La corde dorsale devient vésiculeuse dans toute son étendue.
86. Le système nerveux, dès le commencement de cette pé- riode et pendant toute sa durée, se concentre de plus en plus dans la région céphalique, en même temps que sa masse augmente.
37. Les deux cordons rachidiens se replient sur eux-mêmes, derrière le renflement cérébral moyen, et forment par leur ados- sement la lamelle cérébelleuse qui se dresse verticalement der- rière ce renflement.
38. Les mêmes cordons se continuent en avant pour former les parois latérales de la grande cavité cérébrale et celles du ven- tricule antérieur.
39. Le fond de la grande cavité cérébrale se garnit de renfle- ments nerveux, tandis que son plafond se constitue par deux lamelles nerveuses qui se disposent en voüte au-dessus de cette cavité.
h0. Les lamelles vertébrales sont encore celluleuses ; mais on remarque que les cellules qui les composent sont disposées en séries linéaires, ce qui annonce la formation prochaine des fibres musculaires.
1. Cependant l'embryon exerce déjà des mouvements de totalité par de légères secousses et surtout des mouvements par- tiels, quelquefois très vifs, de sa queue.
42. Avant que la fente intestinale soit fermée, on distingue je premiers Indices du foie sous la forme d’un corps celluleux, appli-
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 173 qué contre les parois extérieures de l'estomac, à l'endroit où il se continue avec l'intestin.
13. En même temps apparaissent les fentes branchiales qui entament peu à peu et successivement les côtés de la cavité pha- . ryngienne.
kk. Le cœur envoie des vaisseaux le long des ares qui résultent de la présence de ces fentes.
Ces vaisseaux se réunissent en arrière pour former les deux branches de l'aorte.
L5. Une artère se détache de l’aorte pour se porter vers le foie, dans lequel elle pénètre et se divise.
h6. Pendant ce temps la circulation embryonnaire s’est modifiée par l'établissement d’une circulation particulière autour de l’in- testin. |
47. Une artère provenant de l'aorte suit le bord supérieur de l'intestin et envoie des rameaux d'anastomose vers la veine qui en suit le bord inférieur.
h8. La veine cave ou veine cardinale, qui prend naissance à l’extrémité de la queue, marche parallèlement à l'aorte et va droit au cœur sans pénétrer dans le vitellus.
h9. La veine sous-intestinale quitte l'intestin à la hauteur de l'estomac et pénètre dans le foie avec l'artère hépatique.
50. Le foie s’est détaché de l’estomac et déprime le vitellus; il est devenu globuleux et se compose d’une infinité de petits lobules entourés d’un anneau vasculaire.
51. Les veines du foie, bien plus nombreuses et plus grosses que les artères, sortent de la glande et se répandent dans le vitellus ; puis ces veines vitellines se réunissentetse portent au cœur.
52. La veine sous-intestinale fonctionne done déjà comme une veine porte, l'artère qui pénètre avec elle dans le foie est l’artère hépatique, et les veines vitellines représentent les veines hépa- tiques, quoiqu’elles aient pour mission particulière en ce moment de présider à l'hématose en se divisant sur le vitellus.
53. Les corps de Wolff et leurs conduits excréteurs ne de- viennent bien distincts que pendant celte seconde phase de la période nutritive.
47h LEREBOULLET,
5k. Les corps de Wolff commencent à se montrer en même temps que la gouttière intestinale primitive. Ils consistent dans la formation de deux tubes repliés sur eux-mêmes à leur origine.
55. Ces tubes repliés et enroulés forment deux corps globuleux, rapprochés l’un de l’autre et situés derrière le cœur, au-dessus du canal intestinal.
56. Ils sont composés d'éléments utriculiformes qui paraissent remplir -Jeur cavité et annoncent leur nature sécrétoire.
91. À mesure que le foie grossit, il s’isole de plus en plus de l'intestin, ses lobules se dessinent mieux, il est muni d’un canal excréteur qui s'ouvre dans l'intestin, et d’une vésicule biliaire que l’on reconnait à son contenu jaunâtre.
58. Pendant la durée de cette seconde phase de la période nutritive, l'embryon continue à se développer dans ses différentes parties ; il exerce dans son œuf des mouvements vifs et fréquents ; la coque s’amineit de plus en plus et se déchire au moindre effort.
99. L'éclosion a lieu vers le cinquante-deuxième jour. Le petit poisson sorti de l'œuf se tient tranquille, étendu au fond de l’eau ; il ne se déplace que de temps à autre, pour nager un instant, puis il retombe et reprend son immobilité habituelle.
CHAPITRE V.
Quatrième période, ou période d'achèvement, comprenant le développe- ment du poisson depuis l’éclosion jusqu’à la disparition de la vessie vitellaire.
Le développement du poisson est loin d’être terminé quand il sort de son œuf. Ce n’est qu'après l’éclosion qu'ont lieu l’évolution des branchies et la formation des nageoires, deux modifications importantes qui mettent le poisson en harmonie avec sa nouvelle destination et qui achèvent de le constituer. Pendant toute la durée de cette période, le vitellus continue à fonctionner comme organe putriif et comme appareil respiratoire, jusqu'au moment où les branchies, devenues suffisantes pour l’hématose, attirent à elles tout le sang et fonctionnent d’une manière définitive.
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE, 175
Cette période dure environ deux mois ou même deux mois et demi, Suivant les conditions au milieu desquelles se trouve le petit poisson.
Ge qui frappe tout d’abord dans la jeune Truite récemment éclose, c’est le volume considérable du vitellus, Celui-ci, en effet, forme une grosse vessie cylindrique, aussi large en arrière qu’en avant, étendue depuis la région du cœur jusqu’à la région analg, et dont la hauteur est égale à quatre ou cinq fois Ja hauteur du corps, tandis que sa longueur dépasse encore cette proportion.
Cette grande poche vitelline montre par transparence des gonttes plus où moins nombreuses de graisse liquide, dispersées dans toute son étendue ; la plupart sont réunies en avant, vers la région du cœur, où l’on voit toujours une ou plusieurs gouttes beaucoup plus grosses que les autres. |
Le vitellus est parcouru par de nombreux vaisseaux très rap prochés les uns des autres et s’anastomosant fréquemment entre eux. Ces vaisseaux forment un magnifique réseau à mailles allon- gées, IS paraissent tous provenir de da veine sous-intestinale, car lous m'ont semblé sortir du foie. Après avoir parcouru le vitellus, ils se réunissent en un tronc principal qui marche le long du bord inférieur de ce sac et va se jeter dans l’oreillette.
Le cœur recoit de chaque côté deux veines caves, l’une anté- rieure, l’autre postérieure.
La veine cave antérieure ramène le sang de la tête. I existe dans cette région une circulation très riche, mais qu'il est difficile de suivre à cause de la présence du pigment. Celui-ci, en effet, qui à commencé à se déposer une dizaine de jours avant l’éclosion, couvre maintenant les diverses régions du corps, mais surtout la région supérieure, et'empêche de distinguer les vaisseaux. Cepen- dant on voit très bien sur le sommet de la tête un grand nombre de veines se diriger en arrière et se réunir en un seul tronc qui passe par-dessus l'oreille, se recourbe derrière l'appareil bran= chial et se jette dans l'oreillette à côté de la veine cave postérieure, ou en s’unissant à elle pour former un sinus.
La veine cave postérieure résulte du retour du sang de l'artère aorte qui, lorsqu'elle est arrivée au bout de la queue, revient
176 LEREBOULLET.
directement sur elle-même. Toujours plus grosse que l'artère, la veine cave est située au-dessous d'elle. Arrivée à quelque dis- tance du cœur, elle se divise en deux troncs qui vont de chaque côté aboutir à l’oreillette, après s'être élargis en sinus en s’unis- sant à la veine cave antérieure.
Le cœur se prolonge maintenant en avant en un tube artériel, muni à son origine d'un renflement bulbiforme. Ce tube ou l'artère branchiale se porte entre les ares branchianx et fournit latéralement les vaisseaux qui courent le long du bord convexe de ces arcs (fig. 31).
L'extrémité terminale de l'artère branchiale fournit des vais- seaux déliés aux pièces operculaires qui sont en train de se for- mer, mais qu'on ne distingue pas encore, et à l’arcade maxillaire inférieure. Une première paire de vaisseaux se porte en arrière et dessine le contour des opercules. Une seconde paire est des- tinée aux préopercules. Entre ces deux vaisseaux nait une artère médiane qui semble être la continuation de l'artère branchiale; elle se porte en avant vers le point de jonction des deux branches du maxillaire inférieur, et là elle se divise en deux rameaux qui suivent le contour de ces os.
Les arcs vasculaires branchiaux, au nombre de quatre, beau- coup plus gros que les artères dont il vient d'être question, con- tournent le bord convexe des arcs branchiaux et vont se réunir au-dessus de ces arcs en un seul tronc de chaque côté. Ces deux troncs, d’abord séparés l’un de l’autre de toute la longueur de la tête, se rapprochent peu à peu de la ligne médiane et s’unissent l’un à l’autre à une petite distance derrière la région des oreilles en un tronc unique, l'artère aorte, qui se porte directement en arrière sous la corde dorsale jusqu’à l'extrémité de la queue.
Une cireulation des plus remarquables par sa disposition el sur- tout par son élégance est celle qui s'établit quelque temps déjà avant l’éclosion, autour des arcs vertébraux, et qui forme une admirable ceinture vasculaire autour du corps dans toute sa longueur (fig. 29 et 30).
De l'artère partent, de distance en distance, des vaisseaux qui montent verticalement vers la région dorsale. Arrivées au-dessus
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 477 de la corde dorsale, ces artères se bifurquent, décrivent en avant et en arrière un are de cercle et se changent en veines qui re- descendent vers a veine cave, dans laquelle elles se jettent. On. peut très bien suivre la marche du sang et le voir monter par l'artère, décrire 3es ares dorsaux et redescendre dans une direc+ tion parallèle, pour aller rejoindre la veine cave. Je n’ai jamais yu l'artère et la veine contiguës; toujours, au contraire, le vaisséau ascendant et le vaisseau descendant étaient régulièrement espatés. Le plus souvent les artères et les veines, que l’on pourrait appeler péri-verlébrales, \lternaient régulièrement; quelquefois cependant on voyait deux artères consécutives. Les lignes obliques, qui marquent les divisions vertébrales et qui indiquent maintenant les intersections tendineuses des masses musculaires latérales, sont aussi accompagnées de vaisseaux alternativement artériels et veineux, plus petits que les précédents, et qui viennent s'unir à eux tout près de leur point de jonction avec l’aorte ou avec la veine cave. Enfin là partie inférieure du corps, mais seulement dans la région caudale, offre des vaisseaux analogues qui se di- rigent en bas, contournent le corps du poisson et disparaissent à la vue.
Il est certain que ce riche appareil vasculaire est en rapport avec la formation prochaine des appendices vertébraux, c’est-à- dire des apophyses épineuses dont les cartilages ne tarderont pas à se montrer. Très souvent nous avons pu constater, dans nos recherches sur le développement des poissons, que l’apparition des vaisseaux sanguins précède et annonce en quelque sorte un travail qui a pour résultat la formation de cartilages d’ossification. Nour citerons pour exemples : la richesse dela circulation dansles parois de la boîte crânienne qui précède et accompagne les for- mations cartilagineuses de cette enveloppe; les vaisseaux qui cir- conscrivent les pièces operculaires, avant que ces pièces soient appréciables à la vue (fig. 31); et nous allons voir des dispositions analogues et peut-être plus curieuses encore pour la formation de la nageoire caudale.
Du reste, cet arrangement est conforme aux lois physiologiques
que tout le monde connaît. Toujours les cartilages d’ossification 4° série. Zooz. T. XVI. (Cahier n° 3.) 4 12
178 LEREBOULLET
sont riches en vaisseaux sanguins, parce que c’st le liquide san- guin qui apporte les matériaux nécessaires à te travail d’orga- nisation.
Lorsque l'aorte est arrivée à l'extrémité de k corde dorsale, à l'endroit où celle-ci se replie vers le haut, et avant de former sa boucle terminale, elle se porte en bas vérs le bord inférieur de la nageoire embryonnaire, et décrit une ou plusieurs anses vas- cuhires dont l’ensemble forme un élégant plexus. Ce plexus, d’abord très simple, commence à se montrer avant l’éclosion vers le quarante-huitième jour; il n’est alors composé que de deux ou trois anses vasculaires, mais peu à peu il augmente d’étendue et s'étale en éventail (fig. 29).
Plus tard, les anses vasculaires qui le forment prennent une direction rectiligne et se disposent parallèlement les unes aux autres. Chaque anse forme une ellipse qui s’allonge de plus en plus et dont une des branches est constituée par une artère et l'autre par une veine (fig. 30).
On voit des granules pigmentaires sc disposer par groupes le long des vaisseaux et enfin, quand les rayons de la nageoire sont formés, chaque rayon occupe l’espace étroit et long circonserit par les vaisseaux, et se trouve en quelque sorte encadré par ces derniers.
Il'est donc évident que le plexus caudal, dont je viens de don- ner la description, précède et annonce la formation des rayons de la nageoire caudale.
Pour terminer cet exposé sommaire de la circulation à l’époque de l’éclosion, il ne nous reste plus qu'à dire quelques mots de la - circulation péri-intestinale. Celle-ci est très riche sur les poissons récemment éclos, et elle se fait, comme avant l'éclosion, par une artère et par une veine qui parcourent l'intestin dans toute sa longueur, et entre lesquelles existent de nombreuses anasto- moses flexueuses, disposées aulour du tube intestinal.
L'aspect général du tube digestif a peu changé. Cependant un nouvel organe s’est montré sur le trajet de ce tube, c'est la vessie natatoire. Elle apparaît avant l’éclosion sous la forme d’une dé- pression située sur les parois de l’œsophage. Vers l’époque de
RECHERCHIS SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 179 Péclosion ce culile-sae se sépare de plus en plus 'de l'œsophage et se resserre à sen origine, de manière à ressembler à une petite fiole (fig. 28). Puis la vessie s'allonge assez rapidement et se trouve fixée par une sorte de ligament contre les parties voisines. Elle conserve lonztemps encore après la naissance une large com- munication avec l'æsophage dont elle constitue, comme on voit, un véritable appeadice. /
Le tube intestiral s’est fermé dans toute sa longueur, sauf uñe ouverture étroite et tubuleuse qui parait persister longtemps, Car je l'ai encore rencontrée sur des poissons âgés de six semgines (fig. 33 et 34). On ne peut méconnaitre cet orifice, soit f{u'on étende l'estomac sur une lame de verre et qu’on le regarde par en haut (fig. 35), soit qu on l’examine de profil. Dans celte der- nière position, on reconnait l'existence d’un tube assez long, situé entre le foie et l'estomac (fig. 34) et formant un véritgble pédi- cule creux.
J'ai cherché en vain ce pédicule vitellin dans le voisinage du pharynx, lieu indiqué par M. Vogt pour sa position ordinaire (O. c., p. 162), je l'ai toujours trouvé entre l'estoniac et le foie, comme je viens de le dire. Ni l'examen de poissons vivants, ni la dissection sur des poissons coagulés n’ont pu me montrer de traces d'aucun canal dans la région pharyngienne, tandis qu’en écartant le foie, je trouvais immédiatement le pédicule, et en ouvrant l'estomac par sun côté dorsal, je distinguais facilement l'ouverture de ce conduit.
Le foie est toujours une masse compacte, globuleuse, composée d’une multitude de lobules. J1 offre du côté de l'intestin une pro- fonde échancrure d’où sort le conduit cholédoque. Ce dernier s’insère à l’origine de l'intestin, et à l’endroit où il y pénètre il est entouré de petites glandules en grappe. La vésicule biliaire est remplie d’un liquide jaunâtre et le tube intestinal est teint de la même couleur, ce qui indique le passage de la bile dans l’intérieur de ce tube.
Il existe sur le côté droit du foie une petite glande qui parait en être distincte ; elle est collée contre les parois de l'estomac et lient au corps du poisson par un ligament particulier. Ce corps esl
150 LER£BOULLET. peut-être la rate; je n'ai pas fait à son sujet des hservalions assez suivies pour pouvoir dire quelque chose de positif sur sa nature.
L'estomac qui était resté semblable à l'intestin par sa structure, s’en distingue d’une manière notable un mois ou six semaines après la naissance.
Les parois deviennent plus épaisses et plus manifestement mus- culeuses; il offre de gros plis longitudinaux et des stries trans- versales, très fines, qui indiquent sa nature (fig. 3h). Un peu avant sa terminaison dans l’intestin il forme un coude assez pro- noncé et se rétrécit notablement.
L'intestin a une structure très remarquable. Vu à travers les téguments du poisson, il apparaît comme formé de bandes trans- versales, semblables les unes aux autres par leur épaisseur et par leur aspect (fig. 34 et 35). Ces bandes sont produites par des replis de la muqueuse qui font saillie au-dessus de la surface intes- tinale et affectent une disposition en spirale, ce dont on peut s'assurer en coagulant l'intestin et en enlevant la tunique exté- rieure, ou en le déchirant pour en détacher cet appareil valvulaire qui rappelle assez bien en petit la valvule spirale de l'intestin des Sélaciens. Chaque pli valvulaire offre dans son milieu une ligne transversale, plus foncée, due à la saillie de à membrane muscu- leuse contre laquelle la muqueuse vient s’appliquer (fig. 35).
Quant à cette dernière, toute la partie saillante est remplie de tubes serrés les uns contre les autres, comme les glandes de Lie- berkühn dans les intestins des Vertébrés supérieurs (fig. 36).
Les corps de Wolff (fig. 32) ont peu grossi; ils représentent deux petites masses globuleuses, bosselées, formées par les tubes sécréleurs qui se sont repliés sur eux-mêmes un grand nombre de fois. Leur canal excréteur est resté le même.
Les pièces qui composeront le crâne commencent à prendre leur forme respective. Le sphénoïde entre autres se dessine très bien à la base du crâne ; son extrémité postérieure touche à l’ex- trémité terminale et effilée de la corde dorsale (fig. 32), circon- stance qi montre que celte dernière ne prend aucune part à la formation des pièces crâniennes, et que c’est peut-être à tort qu’on les a regardées comme des vertèbres.
RECHERCHIS SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE, 181
Les yeux ont à peu près leur forme définitive. Quant aux oreilles, elles représentent deux grosses capsules cartilagineuses, allongées, ovoïdes (fig. 32), dont il est difficile de suivre les for- malions intérieures.
Nous allons maintenant nous occuper du développement dé l'appareil le plus important de la vie du jeune poisson : de lappy- reil branchial qui doit bientôt entrer en action, et qui est appelé à localiser complétenent la fonction respiratoire.
Ce n’est que quelques jours après l’éclosion que les franges branchiales apparaissent d’une manière distinete sous la forme de petits tubercules arrondis, disposés sur deux séries le long du bord convexe de chaque arc (fig. 31 et 37).
Les cartilages qui soutiennent ces lamélles rudimentaires sont déjà remplis, depuis quelque temps, de leurs cellules particulières (fig. 28). La formation de ces cellules est postérieure À celle des cavités destinées à lesrecevoir. Les ares brancbiaux n’ont d’abord, en effet, qu’un blastème cartilagineux, homogène, dans lequel on voit se former des cavités oblongues, occupant quelquefois toute la largeur du cartilage, et tout à fait vides de cellules. Ces cavités cartilagineuses se muliplient, se serrent les unes contre les autres, et se remplissent peu à peu de cellules. Je n’ai pu déterminer si les petits granules qu’elles renferment sont le point de départ des formations celluleuses proprement dites.
Le cartilage branchial occupe le bord supérieur de la lamelle (fig. 37 et 38). Au-dessous de lui se trouve un espace clair, trans- parent, dans lequel marche le courant sanguin qui appartient à l'arc. C’est au-dessous de ce vaisseau que sont appendues les franges branchiales; celles-ci sont entièrement celluleuses. Les cellules qui les composent, et qui ont 0°*,01 de diamètre, sont remarquables par leur uniformité. Chaque tubercule présente dans sa partie moyenne un espace transparent indiquant l'existence d’un canal que suit le sang dans sa marche. Ce canal est double, et l’on distingue quelquefois, à une petite distance du bord libre de la lamelle, une petite ouverture qui fait communiquer entre eux les deux canaux.
Quand on observe ces lamelles branchiales pendant la vie, on
182 LEREBOULLET,
voit les globules sanguins quitter le vaisseau, pénétrer dans la lamelle correspondante, puis passer par l’ouverhre de communi- cation, et retourner au courant sanguin d’où ils étaient partis.
C'est avec un plaisir toujours nouveau que j'ai revu dans la Truite ladmirable spectacle de cette cireulatio branchiale que j'avais si souvent étudiée sur le Brochet etsur k Perche.
Aussi longtemps que les franges branchialesont peu de déve- loppement, il n'existe qu’un seul vaisseau pour chaque arc bran- chial. Les vaisseaux de retour, c’est-à-dire les veines branchiales, ne se forment que plus tard, quand les lamelks ont atteint une certaine longueur.
Lorsque les lamelles branchiales se sont allongées au point de former sous la tête des franges visibles à l’œil nu, c'est-à- dire d’un mois à six semaines après l'éclosion, le canal dont la lamelle est creusée pousse des excroissances latérales (fig. 39) dans la cavité desquelles s'engagent les globules sanguins, et dans lesquelles ces corpuscules se comportent comme dans les lamelles primitives. Ces tubercules latéraux sont sans doute l’origine des plis qui se formeront plus tard sur les lamelles respiratoires.
Dès que le petit poisson est devenu libre, son appareil hyo- branchial fonctionne d’une manière régulière, et témoigne par ses mouvements rhythmiques du besoin de la respiration. Cepen- dant la membrane branchiostège reste longtemps à se développer, et les branchies, quoiqu'elles aient déjà atteint une certaine lon- gueur, sont entièrement à découvert.
L'étude de la cireulation dans les arcs branchiaux m'a fourni l’occasion de constater de nouveau un fait singulier relatif à l’alté- ration qu'éprouvent les corpuscules sanguins au moment de la mort du jeune poisson. À mesure que la vie s'éteint, ces corpus- cules se déforment, grossissent, s'attachent les uns aux autres, et prennent l’aspect de corpuscules graisseux (fig. 38).
Je ne saurais jusqu’à présent donner aucune explication de ce phénomène, mais je puis affirmer qu'il existe, et je désire vive- ment que les personnes qui s'occupent d’embryologie en con- statent la réalité sur les poissons qu'ils ont l’occasion d'étudier .
Si le développement des branchies constitue une époque impor-
RECHERCHIS SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 183 tante de la vie du jeune poisson, puisqu'il fixe d’une manière définitive son mçde de respiration, la formation des nageoires verticales offre wi autre genre d'intérêt, comme déterminant avec les nageoires horzontales le mode de locomotion qu'il est appelé à exercer dans l’eau.
La nageoire enbryonnaire, pendant toule la durée de la troi; sième période, est une membrane homogène, transparente, qui s'étend d’une manière continue sur le dos, autour de la queue/et s'arrête à la région anale; elle a partout la même hauteur.
Vers l’époque de l’éclosion, cette membrane s’échancre sûr le dos, à peu près vers le niveau du tiers postérieur du vitellus, par résorplion de sa substance dans une petite étendue, La portion séparée de la nageoire commune a encore la même structure que cette nageoire; celle-ci est nécessairement encore très longe, puisqu'elle contourne la queue, et se continue en dessons jusqu'à l'anus. Mais bientôt la nageoire anale s’isole par le même méca- nisme que s’est isolée la nageoire dorsale. La caudale future com- mence alors à se cireonscrire, quoique la nageoire embryonnaire conserve epcore, en arrière, une assez grande bañteur, afin de pourvoir à la formation de la nageoire adipeuse. Celle-ci n'apparait qu'assez tard, vers l’âge d’un mois, par une troisième échancrure qui se fait par résorption comme les précédentes.
Le résultat de la résorption partielle de la nageoire embsyon- naire est donc la formation successive des nageoires dorsale, anale et adipeuse; nous laissons de côté pour le moment la nageoire caudale.
Peu de temps après leur séparation, les nageoires dorsale et anale changent d'aspect. D'homogènes qu’elles étaient d’abord, elles offrent maintenant, soit à leur base seulement, soit dans une plus grande étendue, des lignes transparentes séparées par des intervalles plus foncés et dirigés dans le sens des rayons futurs de la nageoire (üg. 40 et 41). Plus tard, elles sont marquées de stries fines et très serrées, et offrent des trainées de pigment et d'une matière jaunâtre qui affectent la même direction (fig. 40). La striation devient plus distincte vers l’âge d’un mois, jusqu'à ce qu'enfin, vers l’âge de deux mois seulement, apparaissent les
184 LEREBOULLET.
véritables rayons, par un dépôt de substane cartilagineuse dans les bandes longitudinales transparentes dat il vient d’être question.
Je n'ai jamais vu de vaisseaux sanguins dans c?s deux nageoires verticales, ni aucune espèce de circulation. La nageoire dorsale précède toujours l’anale dans son développement; séparée la premiére de la nageoire commune, c’est elle aussi qui montre, la première, les diverses transformations que nous venons d'exposer.
la nageoire adipeuse ne subit pas ces transformations; elle s’épaissit seulement à la longue, mais elle reste stationnaire, et continue à avoir un aspect granuleux, sans aucune sorte de stries.
La nageoire caudale précède, dans son développement, les autres nageoires verticales, et son évolution s'accompagne des modifications remarquables, que nous avons décrites plus haut, dans la circulation. Avant même que la nageoire dorsale soit séparée de la nageoire embryonnaire, celle-ci présente dans toute l'étendue de la région caudale, en dessus comme en dessous et en arrière, de nombreuses stries parallèles très fines et très serrées (fig. 29 et 30), comme on en voit naître plus tard dans les deux autresnageoires verticales, avant la formation des rayons. Le plexus vasculaire sous-caudal suit les phases que nous avons fait connaitre plus haut.
Quand les anses de ce plexus sont arrivées à se disposer en ellipses, parallèlement les unes aux autres (fig. 30), des rayons carüilagineux, d’une grande transparence, commencent à se for- mer dans l’intérieur de ces ellipses, de sorte que les vaisseaux sanguins marquent assez exactement les limites de ces rayons. Ceux-ei se montrent avec leurs caractères le long du bord posté rieur de la partie terminale redressée de la corde dorsale, alors que la nageoire adipeuse n'existe pas encore, et que les nageoires dorsale et anale n’en sont encore qu’au commencement de leur évolution , par conséquent lorsque la nageoire embryonnaire commence à se modifier. Peu à peu la nageoire caudale se cir- conscrit, les rayons en occupent toute l’étendue, et sont disposés d’une manière rayonnante sous forme de lames d’épée dont les pointes sont dirigées vers le corps du poisson.
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 159
Les extrémitéseffilées de ces rayons ne touchent pas la corde dorsale ; elles en sont séparées par des pièces particulières qui sont des productions de l’enveloppe ou gaîne de cette corde (fig. 42).
Vers la fin du développement dans l’œuf, la corde dorsale com- mence à se redresser en arrière ; à l’âge d’un mois, son extrémité effilée se rapproche du bord supérieur de la nageoïre (fig. 42), êt elle ressemble alors parfaitement à la disposition qu'on renconfre dans un groupe de poissons fossiles. La gaine de la corde s’est changée en substance cartilagineuse, et de cette gaine partent des appendices qui constituent les rudiments des apophyses épineuses supérieures et inférieures (fig. 42). En arrière, les apophyses supérieures plus courtes cessent à l’endroit où commence le redressement de la corde ; les apophyses’inférieures, au contraire, s’allongent beaucoup plus, et règnent dans toute la longueur de la portion recourbée. Ces appendices inférieurs sont des lames assez larges, vers lesquelles se dirigent les extrémités/pointues des rayons. Ces dernières s'appliquent contre ces pièces intermé- diaires, et plus tard sont retenues fixées contre elles par de petits ligaments.
Il suit de là que les rayons des nageoires sont des productions périphériques indépendantes du squelette, tandisque les apophyses épineuses sont des appendices squelettiques qui proviennent de la gaine cartilagineuse de la corde. Les premiers ont un développe- ment centripèle , les seconds un développement centrifuge.
La division des rayons de la nageoire caudale en articles se fait vers la fin du premier mois de la naissance par de petites lignes transversales qui partagent la substance cartilagineuse de ces rayons. Toutes les lignes de division apparaissent en même temps et à la même hauteur. Les vaisseaux sanguins continuent à décrire leurs anses le long des rayons, en cheminant dans les espaces intermédiaires ; ces derniers sont marqués par des granules pig- mentaires disposés en séries.
Les nageoires abdominales se montrent à l’époque de l’éclosion ; leur mode de formation est analogue à celui des nageoires pecto- rales. Ce sont aussi des tubercules qui se développent, à quelque
186 LEREBOULLET
distance au-devant de l'anus, au-dessus du board postérieur du vitellus qui les masque en partie.
A l’âge d’un mois, le poisson est muni de touies ses nageoires. Les premières formées, les pectorales, ont depuis longtemps leurs rayons ; elles se meuvent avec agilité. La caudale, qui constitue la nageoire la plus vigoureuse, est garnie de ses rayens, et peut déjà fonctionner énergiquement. Viennent ensuite, dans l’ordre de leur évolution et de leur importance, la dorsale et l’anale, dans lesquelles les rayons sont en voie de formation, puis les abdomi- nales. Quant à la nageoire adipeuse, qui caractérise la famille des Salmones, elle ne parait pas avoir de fonction particulière.
Il nous reste à parler d’une dernière phase du développement embryologique du poisson, la disparition du vitellus, et les chan- gements que cette disparition entraine dans Ja circulation.
Vers l’âge de dix à douze jours, le vitellus, qui jusque-là avait offert une forme ovoïde ou cylindrique, prend une forme conique. Son extrémité postérieure se rétrécit dans tous les sens et se porte en bas, se détachant de plus en plus du corps du poisson. En même temps son contenu se relire, et il reste en arrière un espace vide plus ou moins étendu. Les deux tiers antérieurs de la vessie vitellaire sont seuls appliqués contre le corps du poisson ; encore la partie antérieure a-t-elle aussi éprouvé un commencement de retrait, et, de bas en haut, le vitellus a également un peu di minué,
On remarque déjà à cette époque, qui correspond au développe- ment des branchies, une réduction sensible des vaisseaux vitellins. Les troncs sont plus espacés, plus minces ; les anastomoses moins nombreuses. Les vaisseaux postérieurs sont les plus petits; les antérieurs, au nombre de deux seulement, sont les troncs qui ramènent le sang au cœur. L'un de ces trones recoit les vaisseaux du vitellus; il charrie encore du sang artériel, L'autre tronc, plus court, vient immédiatement du foie; le sang qu'il renferme n’a pas circulé dans le vitellus ; ce sang est done veineux, et retourne au cœur sans avoir été artérialisé dans le vitellus. La fonction respiratoire de la vessie vitellaire a donc considérablement dimi- nué d’nportance, puisque la moitié environ du sang qui s’y ren-
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 187
dait en est maintenant détournée pour se rendre directement au cœur et aller respirer dans les branchies.
Si le vitellus perd insensiblement la fonction transitoire dont il avait été chargé, il conserve au contraire sa fonction principale, celle de servir à la nutrition. Les gonttes de graisse se concen- trent et se réunissent en gouttes de plus en plus grosses, qui fini ront par n’en plus former qu'une seule.
À deux mois, la vessie vitellaire avaitencore un certain volume ; elle occupait l’espace compris entre les nageoires abdominalés et le cœur; mais elle était peu élevée, el offrait, dans la partie moyenne de sa région inférieure, une forte dépression ; lés plus grosses gouttes de graisse s'étaient réunies en avant de cettg vessie. Quant aux vaisseaux sanguins, ils n’offraient plus aucuné anasto— mose, et l’on peut dire qu'à cette époque la respiration vitelline n'existait plus.
A partir de cette époque, la résorption du vitellus'se fait rapi- dement. |
Sur un poisson âgé de deux mois et demi, il 4’y avait plus aucune trace extérieure de vessie vitelline ; mais enouvrant l’abdo- men, je vis s’écouler une quantité considérable de graisse , et je trouvai le reste du vitellus remplissant pour ainsi dire la cavité abdominale. La masse vitellaire cachait l'intestin, et s’étendait en arrière jusqu'au niveau des nageoires abdominales ; en avant, elle entourait le foie qui se trouvait comme enchâssé au milieu d'elle ; la membrane vitelline interne adhérait fortement à cette glande. Tout à fait en avant, le sac vitellaire s’adossait au péricarde. J'ai de nouveau recherché attentivement une communication du sac vitellaire avec le pharynx; mais en exerçant des tractions, j'ame- pais au dehors le sac vitellaire sans apercevoir aucune trace de pédieule ; au contraire, j'ai cru voir en dedans du foie, au niveau du renflement stomacal, un très petit tube de communication avec l'intestin.
L'estomac forme maintenant un cul-de-sac, comme chez l'adulte; il a, coagulé par l'alcool, une teinte argentée qui tranche avec la teinte jaune de l'intestin. Si l’on examine le poisson par transparence, pendant la vie, on distingue très bien le sac vitel-
188 LEREBOULLET.
lin et ses vaisseaux. Ceux-ci sont très grêles et peu nombreux ; ceux du foie continuent à être très riches, et tous se réunissent pour former une veine qui représente la veine hépatique , tandis que ceux qui circulent dans la glande sont formés par la veine intestinale devenue veine porte. Toute la graisse est concentrée en une seule grosse goutte. |
Le vitellus est peu à peu résorbé, mais la goutte d’huile paraît persister encore quelque temps. Dans un poisson âgé de près de trois mois, on voyait à travers les téguments ce globule huileux au-devant du foie.
On voit, par ce qui précède, que les vaisseaux du foie cessant peu à peu de se rendre au vitellus, la respiration vitelline doit cesser à son tour; mais, à mesure que cette dernière s’efface, la respiration branchiale, au contraire, prend plus de développement, et finit par la remplacer tout à fait. Quant au sang veineux, qui venait, après avoir traversé le foie, s’étaler sur le vitellus pour la respiration, il remplit maintenant une fonction particulière, puis- qu'il préside à la sécrétion’de:la bile et se modifie par cette sécré- ton.
Résumé du cinquième chapitre.
1. La période que j'appelle période d'achèvement, comprend, parmi ses phénomènes les plus importants, l’évolution des bran- chies, la formation des nageoires verticales et la disparition du vitellus.
2. La petite Truite, à l'éclosion, offre la conformation extérieure suivante : vilellus volumineux rempli de grosses gouttes d'huile dispersées, et parcouru à sa surface par de nombreux vaisseaux ; nageoire embryonnaire entière çou faiblement échancrée sur le dos ; nageoires pectorales très développées ; bouche presque ter- minale ; fente choroïdale linéaire ; fossettes olfactives assez pro- fondes ; capsules auditives en forme de sacs cartilagineux situés en arrière de la tête ; anus ouvert au niveau du bord postérieur du vitellus; riche circulation vertébrale ; formation du plexus caudal.
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE, 189
3. À l'intérieur, on voit apparaître le premier rudiment de la vessie natatoire, produite par une exsertion de la paroi œsopha- glenne.
h. L'ampoule quitn résulte se détache de l’œsophage, s’allonge et prend une forme cylindrique.
5. Le tube intestinal est fermé ; cependant il reste un pédicule creux situé entre le foie et l’estomac, et qui parait persister jusqu’à l'entière résorption du vitellus.
6. Un mois environ après l’éclosion, l'estomac et l'intestin se différencient. L’estomac est musculeux ; l'intestin renferme des replis valvulaires disposés en spirale, et contenant de nombreuses glandes tubuleuses analogues aux glandes de Lieberkübn.
7. Le foie est entré en communication avec l’origine de Fintes- lin parle canal cholédoque. La sécrétion biliaire teint le tube intes- linal en jaune.
8. Les corps de Wolff ont grossi par suite d’un enroulement plus considérable de leur tube sécréteur.
9. Les pièces de la tête commencent à se dessiner; la plupart d’entre elles ont des cellules cartilagineuses.
10. La corde dorsale renferme de grandes vésieules gélati- neuses. Son extrémité postérieure se redresse, ef fait un angle obtus avec l’axe du corps.
11. La corde dorsale ne prend aucune part à Ja formation des pièces du crâne; elle s’arrêle immédiatement derrière le sphé- noïde.
12. Sa gaine se remplit de cellules cartilagineuses.
43. Les apophyses épineuses naissent de cette gaine, et leurs cellules cartilagmeuses se continuent directement avec les cellules de celle-ci.
44. Les principaux phénomènes que présente la circulation à l’époque de l’éclosion et les jours suivants comprennent la dispo- sition des vaisseaux autour de l’axe vertébral, autour de la queue et du canal intestinal, ainsi que leur distribution dans le vitellus.
15. Les lamelles vertébrales sont entourées d’anses artérielles el veineuses qui forment une circulation péri-vertébrale.
16. Il se forme sous la portion repliée de la corde dorsale nn
190 LEREBOULLET.
plexus vasculaire composé d’anses artérielles et veineuses. Après s'être étalées dans la portion caudale de Ja nageoïre embryonnaire, les anses de ce plexus s’allongent, et se disposent comme de longues ellipses dans la direction que prendront les rayons de la nageoire caudale.
17. La circulation péri-vertébrale et la circulation caudale pré- cèdent et annoncent le travail de formation des cartilages dans ces régions.
18. Il en est de même des vaisseaux crâniens et de petits vais- seaux très déliés, détachés de l'extrémité de l'artère branchiale, qui circonscrivent les pièces operculaires et les branches du maxillaire inférieur ; leur présence annonce aussi et accompagne la formation des cartilages dans ces régions.
19. La circulation péri-intestinale est très active; elle est formée par une artère et par une veine qui établissent entre elles de nombreuses anastomoses flexueuses autour de l’intestin ; elle précède et accompagne la formation de la muqueuse intes- tinale.
20. La veine intestinale quitte l'intestin immédiatement derrière l'estomac, pour pénétrer dans le foie avec une artère qui provient de l'aorte. Cette veine se divise dans le foie, puis les nombreux vaisseaux qui résultent de cette circulation hépatique se répandent dans le vitellus.
21. Les vaisseaux vitellins sortis du foie par des troncs consi- dérables et nombreux s’anastomosent fréquemment entre eux, et forment à la surface du sac vitellaire un vaste plexus qui sert à l’hématose.
22. Le vitellus devient alors un organe particulier de respira- lion, dans lequel la masse entière du sang du poisson vient se répandre tant par la veine intestinale que par l'artère hépatique.
23. Le travail de formation des branchies s'annonce avant l'éclosion par l'apparition des cartilages dans les ares branchiaux.
2h. Le cartilage est d'abord un blastème homogène creusé de cavités allongées. C’est dans ces cavités que se développent les cellules cartilagineuses.
25. Les premiers rudiments des lamelles branchiales apparais-
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. A9t
sent, quelques jours après l’éclosion, sous la forme d’un double feston, le long du bord convexe de chaque arc.
26. Chaque lamelle branchiale est creusée d’un double canal pour la circulation du sang. Ces lamelles restent longtemps cellu- leuses.
27. Quand elles ont atteint une certaine longueur, elles pous- sent des tubercules latéraux, dans lesquels la circulation s’éta- blit immédiatement comme dans les tubercules primitifs.
28. La membrane branchiostège est longlemps à se former ; les branchies sont encore à découvert, alors qu'elles sont déjà assez longues.
29. Pendant qu'on observe la circulation dans les branchies, on voit les corpuscules sanguins s’altérer, à mesure que la vie s'éteint, et prendre l’aspect de la graisse.
30. Les nageoires verticales se forment par résorption de cer- taines portions de la nageoire embryonnaire.
31. La résorption se fait de manière à produire successivement les nageoires dorsale, anale et adipeuse.
32. Dès qu’elles se sont isolées, les nageoires dorsale et anale présentent des bandes verticales transparentes et des stries fines qui ont la même direction, puis des traîinées d’une’substance jau- nâtre amorphe.
38. Ces formations précèdent toujours l'apparition des rayons.
84. La nageoire adipeuse reste petite et granaleuse.
39. Le développement de la caudale est plus'hàtif que celui des autres nageoires ; il est toujours précédé dela formation et du développement du plexus caudal. C’est dans les anses allongées de ce plexus que se déposent les rayons cartilagineux.
36. Des pièces cartilagineuses particulières, émanées du four- reau de la corde, se portent en arrière à la rencontre des rayons précédents.
37. Les rayons de la caudale se segmentent très tard, par des lignes transversales de division qui se produisent simultanément à la même hauteur.
38. Les rayons des nageoires sont des productions périphé- riques indépendantes de l’axe vertébral.
199 LEREBOULLET.
39. Les nagcoires abdominales ne se montrent qu’à l'éclosion; elles se développent comme les pectorales.
A0. Vers le douzième jour depuis la naissance, le vitellus se détache du corps en arrière, et prend la forme d’un cône ; son contenu se retire vers l’embryon.
LA. Ses vaisseaux diminuent de nombre et de grosseur d’arrière en avant; leurs anastomoses deviennent aussi de moins en moins nombreuses.
42. Une grande partie du sang qui a traversé le foie se rend directement au cœur, en quittant cette glande, sans se répandre sur le vitellus.
h3. La circulation est donc détournée du vitellus au profit du foie et de l'appareil branchial.
Ah. Le vitellus cesse dès lors d’être respiratoire , mais 1l con- tinue à rester nutritif; la graisse liquide qu'il renferme se réunit en gouttes de plus en plus grosses.
h5. A l'âge de deux mois, tous les capillaires du vitellus ont disparu ; ses vaisseaux sont pelils et peu nombreux.
A6. Le reste du sac vitellaire entre dans la cavité abdominale qu'il remplit presque en totalité ; la membrane externe du sac forme les parvis de cette cavité.
A7. Ce rest du vitellus persiste encore quelque temps dans l'abdomen du pcisson pour servir à sa nutrition ; la graisse liquide se réunit en une grosse goutte qui se place au-devant ou au-des- sous du foie.
h8. Cette goutte de graisse, dernière trace de la substance vitelline, se voit encore sur des Truites âgées de trois mois.
EXPLICATION DES PLANCHES.
PLANCHE à. Embryologie de la Truite. Mg. 1. Jeune ovule mesurant 0®",17 encore entouré de sa capsule ovarienne.
Grossissement 150 diamètres : a, épithélium de la capsule vu de profil ; b, le même vu de face; c, vésicule germinative mesurant 0" 06.
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE, 193
Fig. 2. Ouf ovarien offrant un anneau ‘déjà assez épais, de vésicules huileuses autour de la vésicule germinative. 50 diamètres.
Fig. 3. Contenu d'un œuf mûr encore renfermé dans le sac ovarien.
Fig. 4. Corps celluliformes contenus dans la vésicule germinative d'un œuf mûr. 250 diamètres.
Fig. 5. Fragments de l'un des flocons jaunâtres dispersés dans l'œuf, après la rupture de la vésicule germinative; trois heures après la fécondation. Grossissement, 200 diamètres, — a, vésicules graisseuses ; b, corps celluli- formes granuleux ; c, corpuscules plastiques ; d, granulations vitellines.
Fig. 6. Segmentation en seize globes vue dans l'œuf, à h vingt-huitième heure. 45 diamètres.—a, les globes de segmentation ; b, véscules huileuses réunies sous le germe et formant le disque huileux.
Fig. 7. Ouf à la cinquante-deuxième heure, coagulé. 15 diamètres.— a, disque embryonnaire ; b, amas de vésicules graisseuses.
Fig. 8. Disque embryonnaire détaché de l'œuf, avec lamembrane sous-jacente qui représente le feuillet muqueux. 48 diamètres.—a, disque embryonnaire; b, feuillet muqueux sous-jacent ; cc, espaces vides qii étaient occupés par des vésicules graisseuses.
Fig. 9. Le disque embryonnaire séparé, grossi 30 fos. Fig. 10. Globes générateurs du disque embryonnaire, coagulés. 70 diamètres,
Fig. 11. Les mêmes globes d'un disque de la cinquante-troisième heure, vus . dans l’eau. 100 diamètres.
Fig. 12. Germe embryonnaire de la soixante-seiziène heure coupé en deux par le milieu, pour montrer sa cavité. 50 diamètres.
Fig. 13. Cellules d'un germe de la soixante-dix-septième heure, coagulées. 150 diamètres.
Fig. 14. Cellules d'un autre germe de la même éoque, coagulées. 100 dia- mètres. — a, membrane de la cellule ; b, son ncyau contenant un nucléole.
Fig. 15. Œuf de la cent dix-septième heure (fin du cinquième jour), coagulé et grossi 10 fois. —u, disque embryonnaire; b, feuillet muqueux sous-jacent, renflé en un bourrelet marginal ; c, région amincie et transparente de ce feuillet ; d, gouttelettes appartenant au disque huileux.
Fig. 16. Cellules appartenant à un disque embryonnaire du commencement du
sixième jour. 200 diamètres. — a, cellules granuleuses ; b, cellules mates, homogènes ; c, cellules ne renfermant qu'un petit nombre de vésicules.
Fig. 17. Cellules d'un germe embryonnaire du huitième jour. 200 diamètres. — À, cellules épidermoïdales ; B, cellules embryonnaires.
Fig. 18. OEuf coagulé, montrant la bandelette embryonnaire (fin du dixième 4° série. Zoo. T. XVI. (Cahier n° 4.) ! à 13
19% LEREBOULLET.
jour). 40 diamètres. — a, blastoderme avec son faible bourrelet marginal b ; c, bandelette embryonnaire ; d, vitellus.
Fig. 19. Cellules du cœur d'un embryon âgé de dix-neuf jours. Grossissement 306 diamètres. (Le cœur entier n'était composé que de ces cellules.)
PLANCHE 9.
Pig. 20. Partie antérieure du corps d'un embryon de trente jours, vue par son côté supérieur. 1 2 damètres.—a, lamelle cérébelleuse formée par le redresse- ment, le plissement ét l’adossement des deux cordons rachidiens ; bb, les deux cavités des hémisphtres, dont la réunion forme la grande cavité cérébrale ; d, moelle allongée ; 4 nageoires pectorales.
Fig. 21. Système nerviux cérébral d'un embryon de trente et un jours, vu par sa face supérieure et jar transparence sur le vivant. 25 diamètres.—a, moelle allongée; b, pli cérébileux ; b', rainure qui sépare les deux portions adossées du cordon ; c, continudion du cordon; d, lamelle nerveuse disposée en voûte au-dessus de la grande cavité cérébrale ; e, commissure antérieure des deux cordons; f, cavité de laportion cérébrale antérieure.
Fig. 22. Cristallin d'un empryon de trente-sept jours, grossi 4 00 fois.—a, portion périphérique composée & cellules rangées en séries ; b, portion centrale for- mée de fibres nucléaires.
Fig. 23. Moitié antérieure d’un embryon Âgé de trente-trois jours, dessinée d'après le vivant; le vitelus s’est écoulé en partie.—a, moelle allongée; b, pli cérébelleux ; à, grande cayité cérébrale; o, capsule auditive ; p, nageoire pec- torale; q, fossette olfactwe; r, tube intestinal; s, pédicule vitellin ; #, corps de Wolf.
Fig. 24. Portion de l'embryçon précédent vue par sa face inférieure, coagulée. — f, ®sophage; g, saillie tomacale ; k, orifice qui recevait le pédicule vitellin ; î, foie; kk, corps de Wolff; /!, leurs canaux excréteurs ; mm, nageoires pectorales.
Fig. 25. Portion antérieure du corps de Wolff du côté droit, appartenant à un embryon de trente-sept jours. 50 diamètres.
Fig. 26. La même partie dans un embryon plus avancé.
Fig. 27. Tube excréteur du précédent, grossi 450 fois. — a, cellules utricu- liformes de l'intérieur du tube ; b, cellules longitudinales formant les parois de ce tube.
Fig. 28. Portion du tube digestif d'un embryon âgé de soixante jours, mais non
encore éclos. 32 diamètres. — c, vessie natatoire; d, renflement stomacal ; e, intestin ; f, portion du foie ; g, son canal excréteur.
RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA TRUITE. 195
Fig. 29. Extrémité postérieure d'un poisson sur le point d’éclore. 80 diamètres. — a, corde dorsale ; b, son extrémité terminale redressée; ç, sa gaîne; d, na- geoire embryonnaire ;e, aorte; é, sa bouche terminale; f, veine cave; g, anses vertébrales supérieures ; g’ anses inférieures ; g'/ rameaux d’anastomoses obliques ; k, plexus caudal. :
Fig, 30. La même région appartenant à uu poisson plus avaicé. Même grossis- sement. Les lettres ont la même signification. — Le plexus vasculaire caudal a pris un autre caractère. Les anses, au lieu d'être entremélées, sont disposées parallèlement les unes aux autres de manière à former dis ellipses marquées par des traînées de pigment. C’est dans les intervalles circonscrits par ces anses vasculaires que se déposeront les rayons cartiagineux. Les anses latérales h' et h!” indiquent l'extension et la direction qu prendra le plexus.
Fig. 31. Appareil branchial et artères operculaires d’un posson âgé de six jours. — a, artère branchiale; b, son bulbe ; c, arcs vasculaires branchiaux ; d, franges branchiales ; e, artère de l’opercule ; e! artère du préoperale ; e/ artère du maxil- laire inférieur ; f, cylindre choroïdien; g, cristallin; k fossettes olfactives ; i, l'une des deux veines caves.
Fig. 32. Région inférieure du corps d'unautre poisson âgé desix jours, sur lequel on a enlevé l'appareil branchial et le tube digestif. Grossissement 20 diamètres. — a; fente choroïdienne; b, cristallin ; c, fossettes olfctives ; d, région anté- rieure du cerveau ; e, sphénoïde ; f, terminaison antériure de la corde dorsale; g, capsules auditives; hh, corps de Wolff; à, leu's conduits excréteurs; k, lamelles vertébrales.
Fig. 33. Portion du tube intestinal d’un poisson âgé de six jours, 60 jours après la fécondation, vue par sa face inférieure et grossie — a, renflement stoma- cal; b, ouverture pour le passage du pédicule vitelln; e, foie ; d, corps glan- duleux distinct du foie et muni d’un prolongement lisamenteux.
Fig. 34. Portion du tube digestif d’un poisson âgé de sit semaines.—a, estomac ; b, vessie natatoire; c, prolongement tubuleux du pédicule vitellin; d, foie ; e, vésicule biliaire ; f, canal cholédoque ; g, intestin.
Fig. 35. Portion d'intestin du poisson précédent, vueà travers les téguments. 24 diamètres. — aa, valvules intestinales; b, vitellus; c, nageoire embryon- naire,
Fig. 36. Une valvule séparée montrant les utricules aa dont elle est remplie. Grossissement 170 diamètres.
Fig. 37. Arc branchial d’un poisson âgé de dix jours. 60 diamètres. — a, car- tilage ; b, tubercules mousses formant l’origine des franges branchiales.
Fig. 38. Portion d'arc branchial d’un poisson plus âgé. 200 diamètres. — a, cartilage; b, veine branchiale ; c, lamelles; d, leur cavité; e, ouverture pour le passage des corpuscules sanguins.
196 LEREBOULLET, Fig. 39. Lamelle branchiale d'un poisson âgé de six semaines, grossie 200 fois.
Fig. 40. Nageoire dorsale d’une Truite âgée de dix jours, vue du côté gauche. *40 diamètres. — aa, bandes transparentes le long desquelles sedéposerontles rayons ; b, resté de nageoire embryonnaire placée derrière la nageoire précé- dente et destinée à se changer en nageoire adipeuse.
Fig. 41. Nageoire anale du même poisson. —aa, rayons futurs ; bb, bases de ces rayons; c, anus dd, nägeoire embryonnaire.
Fig. 42. Queue d'un poisson âgé d'un mois, dont on a détaché les parties molles. — a, corde; b, gaine; c, apophyses épineuses supérieures ; d, apophyses épineuses inférieures ; e, pièces cartilaginenses postérieures; f, rayons de la caudale.
OBSERVATIONS
LES HÉLICES SAXICAVES DU BOULONNAIS,
Par M. BOUCHARD-CHANTEREAUX.
Nous avons, depuis fort longtemps, suivi avec la plus grande attention les débats existant entre les conchyliologistes sur la perforalion des roches par les Mollusques pour s’y creuser une habitation permanente ou seulement un abritemporaire. Cette étude entre dans le cercle de nos observations de prédilec- tion depuis près de quarante ans : elle nous a fait suivre tous ceux qui y ont pris une part quelconque, et, nous ayons fait plus, nous avons passé toutes ces opinions au creuset d’une révision directe des faits. Nous en avions le temps et les moyens, puisque nous habitons le bord de la mer, et que nous avons pour principe de ne jamais nous presser. Si, aujourd’hui, nous venons une seconde fois nous mêler à ces débats, on ne pourra pas nous taxer de vues ou d'idées préconçues, puisque nous venons, müri par une longue expérience et de nouvelles études des faits, contredire ce que nous Supposions exister, et que nous avons publié, il y a près de trente ans, dans notre Catalogue des Mollusques marins des côles du département du Pas-de-Calais.
Nous ne nous occuperons celte fois que d’observations tout exceptionnelles, puisqu'elles appartiennent à des formes qui ont été repoussées, même assez vertement, par quelques auteurs, comme devant, par leur organisation spéciale , rester étrangères àtous faits d’un travail d’érosions calcaires. On regardait ces formes comme étant si incompatibles avec un tel travail, qu’on s’est cru autorisé à attaquer avec beaucoup trop de vivacité, pour ne pas dire plus, les communications que d’honorables et très sérieux savants avaient faites à leur sujet. Notre principal but aujourd’hui est de
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restituer à ces savants tout l’honneur qui leur appartient dans cette découverte. Nous le disons avec sincérité, c’est à la confiance que nous inspiraient leurs travaux que nous devons l’insistance que nous avons mise dans ces recherches, et par conséquent la chance d’en avoir renouvelé la découverte, que cette fois il faudra bien admettre comme positive, puisque nous fournirons à qui voudra les moyens d’en obtenir les preuves même palpa- bles.
D y a plus de quinze années que nous avons observé pour la première fois les faits que nous allons décrire : nous les avons suivis ensuite pendant près de trois ans, puis la maladie est venue nous prendre, et nous tenir près de dix autres années avant de nous permettre de reprendre le cours de nos observations et de vérifier les résultats anciennement obtenus. Nous aurions encore différé cette publication, parce que les observations qu’elle contient ne satisfont pas complétement notre esprit, si nous n'avions été pour ainsi dire contraint de la faire par la crainte de voir perdre pour nous le fruit d'aussi longues études. En eflet, nous eroyions la retraite de nos Hélices saxicaves parfaitement cachée au fond d’un bois peu fréquenté ordinairement, et nous pensions pouvoir impu- nément nous la conserver, comme nous l'avons fait jusqu’à ce jour, mais des travaux industriels nécessitant depuis peu le pas- sage de ce bois par dé nombreux ouvriers, et aussi par des hommes instruits appelés à les diriger ou à visiter leurs travaux, nous avons craint qu'on alt dénicher ce que nous considérions comme notre propriété. Nous nous sommes done décidé à vous la faire connaitre, toute imparfaile que nous la jugeons encore dans ses détails.
La question, si vivement controversée, de la perforation des roches calcaires par les animaux inférieurs a fait naître deux opinions distinctes, qui forment, des hommes qui les pro- fessent, deux camps bien retranchés : les chimistes et les mécani- ciens.
Nous devenons décidément transfuge ; nous abandonnons les derniers pour les premiers avec lesquels nous nous rangeons, et nous avons la conviction la plus profonde que beaucoup d’autres
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feront comme nous, dès qu’ils voudront, sans passion, se rendre compte directement des faits et les analyser sérieusement.
Notre intention st de passer une revue générale des érosions calcaires animales opérées par les Poissons, Mollusques, Gasté- ropodes et Acéphales, Crustacés, Échinodermes et Annelides, ainsi que par des Znsecks de divers ordres. Aujourd’hui nous ne nous occuperons que desHélices saxicaves, le reste formeraun deuxième et peut-être un troisième mémoire, si la matière le comporte, que nous publierons successivement.
Dans le I° volume de l’Année scientifique pour 1858, p. 28 à 36, M. Louis Figuier passe en revue les principaux travaux publiés depuis quelques années sur les animaux perforants. Il cite tout particulièrement l’intéressant mémoire présenté à l’Acadé- mie des sciences par M. Valenciennes, 'en 1854 ; et à ce sujet M. L. Figuier dit : |
« A la suite du mémoire de M. Valencienies dont rrous venons » de donner l'analyse, le savant géologue, M. Constant Prévost, » crut pouvoir ramener l'attention sur des faits du même genre » qu’il avait depuis longtemps observés etrendus publics, mais » qui n'avaient trouvé jusque-là que peu de faveur auprès des » naturalistes. I y a plus de vingt-cinq ans que M. Constant Pré- » vost a donné la description d'une rochecalcaire du Monte Pele- » grino, roche cristalline offrant la dureté du marbre, et qui se » trouve traversée dans lous les sens par un grand nombre de » canaux intérieurs, dont la plupart communiquent entre eux, et » dont chaque embranchement sert de gîte à un Limaçon (Helix),. » M. Constant Prévost n’avait pas craint d'attribuer à des Lima- » cons le creusement des galeries intérieures qui sillonnent le » calcaire du Monte Pelegrino.
» Les idées de M. Constant Prévost sur la perforation d’une » roche dure et demi-cristalline par des Colimaçons n’ont rencon- » tré, il y a vingt-cinq ans, presque aucun crédit. Il nous paraît » encore difficile qu’elles soient acceptées aujourd’hui, même après » les nombreux faits de ce genre rapportés par MM. Cailliaud, » Eugène Robert, de Quatrefages et Valenciennes. Il ne s’agit plus » en effet d'animaux essentiellement marins, comme les Oursins,
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» par exemple, qui ont pu excaver sous les eaux, et avec le secours » incessant de l’action mécanique de ces eaux, des roches grenues » arénacées, qui peut-être n’offraient pas, au noment où le phé- » nomèêne s’est produit, la solidité qu’elles présentent de nosjours » depuis qu’elles ant cessé de baigner au sein d’un liquide, I s’agit » dans le fait invoqué par M. Prévost de Mollusques terrestres, » de Limaçons vivant sur la pierre sèche, qui sont loin de-possé- » der aucun instrument de perforation, et qui, au lieu de sécréter » un fluide dissolvant capable d’altérer la substance des roches, » laissent au contraire sur leur passage une iongue trainée d’une » sorte d’enduit muqueux, qui serait éminemment propre à défen- » dre les roches de l’action des causes extérieures de destruction. » Il faut remarquer de plus que le phénomène, observé autrefois » par M. Constant Prévost sur le calcaire du Monte Pelegrino, ne » s’est retrouvé depuis cette époque dans aucune autre localité. »
Nous avons copié in peu longuement peut-être, mais fidèle- ment, M. Louis Figuier, parce que les faits qu'il expose, comme ayant élé avancés par le savant et regretté professeur de la Sor- bonne, sont à ceux que nous avons nous-même observés, ce qu'est la photographie plus fidèle à l'original qu’elle est chargée de représenter.
Tout ce que M. Constant Prévost à vu au Monte Pelegrino, en Sicile, nous l'avons vu, nous, dans le Bourbonnais, au Bois- des-Roches. Les rapporis entre les faits passés dans ces deux loca- lités si éloignées l’une de l’autre sont si complets que nous pour- rions parfaitement nousdispenser de {oute description, et accepter pour le Bourbonnais ce que le savant géologue a dit pour le Monte Pelegrino, si nous n’avions l'obligation de prouver à tous, pièces en main, que M. C. Prévost a parfaitement vu et parfaitement apprécié les faits d’érosion des roches cristallines par des HéLices SAXICAVES, puisque nous avons nous-même observé les mêmes faits dans des circonstances analogues.
Nos Hélices du Bois-des-Roches sont, en effet, logées dans un calcaire compacte demi-cristallin, dépendant de la formation car- bonifère, el employé comme marbre dans les travaux d'art sous le nom de Marbre-N apoléon.
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Ce n'est pas d’ujourd'hui qu'il porte ce nom, il y a près de soixante ans qu'il à été baptisé ; il le doit au choix qui en a été fait pour la construction de la colonne de la Grande-Armée, colonne qui a été commentée à l’époque du camp de Boulogne, c’est-à- dire vers 1801. La belle conservation de ce monument nous prouve que les architectes d'alors, comme ceux d'aujourd'hui, ne recherchaient pas jour de semblables travaux, exposés à toutes les intempéries de l'atmosphère, les matériaux les plus tendres. Au contraire, ils choisissaient alors, comme ils le font toujours, les plus durs, les plus homogènes, enfin ceux qui leur offrent le plus de garantie de solidité et de longue durée. Ce n’est pas le choix qui pouvait les embarrasser dans un pays aussi riche en calcaires de toutes natures et de toutes densités qu'est le Boulonnais.
Cette digression à pour motif de prouver que nos calcaires perforés par l’Helix hortensis du Bois-des-Roches sont bien de nature compacte et demi-cristalline, et qu’ils présentaient à ces Mollusques toutes les difficultés qu’on attribue aux calcaires du Monte Pelegrino.
M. Louis Figuier verra donc que les Colimaçons, tout terrestres qu'ils sont, et quoique dépourvus de tout instrument de perfora- tion, n’en ont pas moins perforé le calcaire précité pour s’y creu- ser un abri hivernal. Il verra de plus que la sorte d’enduit muqueux qu'ils laissent sur leur passage est loin d’être propre à défendre les roches de l’action des causes extérieures de destruc- tion, puisque, au contraire, cet enduit les corrode incessamment ; cela encore nos échantillons le prouveron;, et à cet effet nous en avons déposé de remarquables dans les collections du Muséum d'histoire naturelle de Paris et de la Faculté des sciences de la même ville.
Pour terminer avec la critique peu méritée de M. L. Figuier, auteur très estimable, du reste, sous tous autres rapports, et dont nous sommes un (les plus assidus lecteurs, nous demanderons s’il est de bonne justice d'exercer une semblable critique sur la mé- moire d'un savant des plus obligeants et des plus distingués, par ce seul motif que le fait qu'il a déclaré avoir vu est très rare ou seulement très rarement observé ?
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Ne se peut-il pas, comme dans l'espèce qui rous occupe aujour- d'hui, que ce fait, pour exister, réclame une ‘éunion peu com- mune de circonstances favorables et exceptionnelles? Ne peut-il pas en être de même pour sa découverte ou seilement sa consta- tation ?
Tout le prouve, puisque personne ne l’a fait jusqu’à présent, et que nous, nous venons aussi lard essayer de aire rendre justice à un excellent observateur qui n’est plus là pour se défendre lui- même.
Nous devons à notre tour dire à l'avantage de l’opinion émise par M. L. Figuier relativement au mucus répandu par les Hélices pendant l'acte de leut replation, que nous avons diverses fois essayé ce mucus des espècés ordinaires au papier de tournesol, sans qu'une seule fois il nous ait accusé contenir la moindre propriété acide. Donc, des observations ordinaires sembleraient lui donner raison. Mais ce qu’il ne savait pas, c’est qu’il existe des circon- slances particulières que nous ne pouvons nous-même apprécier, qui rendent cette sécrétion acide, puisque nous en avons les preuves sous les yeux dans l'érosion toute particulière de la sur- face des rochers que nôus décrirons plus loin.
Comme chacun le sit, ce fait d’érosions calcaires par des
- Hélices semble si anormal, que s’il n’est pas plus généralement contesté, il n’en est pas moins douteux pour beaucoup de monde; il a, ilest vrai, commt tout ce qui n’est pas ordinaire, cela de commun avec d’autres faits non moins intéressants et qui, comme lui, ont été niés dès leu1 apparition dans la science.
Il en est un surtout qui cependant présente celte particularité d'être des plus communs, puisqu'il crève, pour ainsi dire, les yeux des habitants des côtes de tous les pays, et qui néanmoins est resté des siècles inobservé.
Nous voulons parler des métamorphoses que subissent les Jeunes Calanes, dont la première annonce par M. Thompson date de 1830, et qui n’a été bien et convenablement confirmée que dans ces dernières années. Toutes les côtes du monde entier sont cependant couvertes chaque année pendant deux et lrois mois de ces larves à différents états de développement.
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Il en est de même des perforations sans nombre effectuées dans toute sorté de calcaires, de polypiers et de coquilles par une simple Éporge, dont les facultés térébrantes n'ont été bien reconnues et coistatées qu'en 1840, et que pour ses faits Duver- noy à nommée lponge térébrante.
Tout cela est aujourd’hui du domaine de la science et n’éprouve aucune contestalion, mais par quelles vicissitudes ces faits n’ont- ilS pas passé avant d'arriver à un semblable résultat !
I devait sans doute en être de même pour les Hélices saxi- caves, puisque leurs travaux, comme les faits précités, offrent une certaine invraisemblance ; mais comme eux, ils auront aussi cet avantage qu’une fois reconnu par les maîtres de la science, ils n’en obltiendront que plus de mérite, car, plus un fait frappe l'esprit, plus il éprouve de difficultés à percer, plusil s’ancre dans notre savoir.
Nous allons donc essayer de faire passer dans l'esprit des autres la conviction que nous possédons, que les Hélices que nous citons sont bien les auteurs des loges tubuleuses, creusées dans les affleurements calcaires du Bois-des-Roches.
Le Bois-des-Roches, situé dans la commune de Réty, sur la droite de la route départementale d'Hardingen, entre ce bourg et Ja petite ville de Marquise, à environ 16 kilomètres de la ville de Boulogne-sur-Mer, est ainsi nommédes masses considérables de calcaire carbonifère qui y sont en affleurement, et gisant, bou- leversées les unes sur les autres, au-dessus de la surface du sol, depuis le dernier cataclysme qui a retourné toute la contrée, en rapprochant les uns des autres les terrains de différents âges, et mettant en contact les roches les plus étrangères les unes aux autres, telles, par exemple, que celles du terrain crétacé côte à côte avec celles du terrain dévonien, etc.
Fous les blocs de calcaire carbonifère précités sont environnés de ronces, couverts de mousses et de lierres dont les tiges et racines enveloppent tous leurs contours et semblent les étreindre. C’est une fort belle retraite, comme on voit pour les Mollusques terrestres. De distance en distance, et plus particulièrement sur les faces verticales de ces blocs qui sont tournées du nord-est à
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l’est, exposition tournant le dos aux vents pluvieux de la contrée sud et sud-ouest, on voit sur les parties latérales, coupées plus ou moins verticalement, des ouvertures circulaires nombreuses, plus ou moins rapprochées les unes des autres.
Ces ouvertures, la plupart conformées en entonnoir, d'autant plus prononcées et plus évasées qu’elles ont été plus ou moins fré- quentées, présentent un diamètre ordinaire de 3 à 4 centimètres, s’évasant extérieurement, mais se rétrécissant intérieurement de manière à ne laisser à l'entrée tubuleuse de la loge qu’un diamètre de 22 à 26 millimètres. La profondeur de ces loges tubuleuses ne dépasse pas, que nous sachions, 12 à 44 centimètres, et quoi- que l'ouverture ne varie pas plus que nous l'avons dit, l’inté- rieur s'agrandit souvent dans tous les sens, forme des chambres plus ou moins boyautées, plus ou moins spacieuses et boursouflées, toujours comme bossuéés par les corrosions partielles qui forment de petites cavités arrondies en godet ou capsule à bords évasés et adoucis, et qui sont l’ouyrage d’une saison hivernale pour chaque individu, indiquant la place occupée par lui, sans mouvement pendant toute cette saison.
Les diverses divisions des loges, les rendant tortueuses dans Lous les sens, font aussi que souvent elles se rencontrent et qu’elles communiquent entre elles par des ouvertures accidentelles qui annoncent que le travail des Hélices est absolument aveugle, qu'il ne suit aucune règle diredrice. Il est même facile de reconnaître que ces communications ne sont qu'accidentelles, parce qu'elles contrarient les Mollusques plus qu’elles ne les accommodent ; ordi- nairement, le courant d’air qui en provient les contrarie et semble les obliger à porter sur un autre point de la loge leur nouvelle érosion. Jamais ils ne profitent de ces ouvertures pour passer d'une loge à l’autre, et ce qui le prouve, c’est que leur périphérie resle tranchante. La forme de ces ouvertures et leur diamètre, toujours restreint, nous portent à supposer que le Mollusque ne s’est pas aperçu que le centre de son pied manquait de point d'appui ou que, quand il l'a ressenti, il a abandonné la place pour se porter autre part, car les diamètres d'ouverture sont, quoique restés infé- rieurs à celui du corps du Mollusque, de différentes grandeurs.
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Comme nous l'avons déjà dit, il y a un choix bien constaté dans les parties de la roche attaquée par les Hélices pour com- mencer à creug&r l’ouverture de leur loge, puisque ce n’est que sur celles abritérs des pluies hivernales qu’on trouve ces ouver- tures à tous les degrés d'avancement. Outre celte première pré- caution, il en es encore une autre, c’est de placer ces ouvertures sur des faces verticales jouissant du même abri, et empêcher ainsi l'eau pluviale d'y pénétrer. Leur direction intérieure n’est pas non plus dépourvue de cette précaution, car elle tend plutôt à s'élever au-dessus du niveau de l'ouverture qu’à se trouver au-dessous de ce même niveau. Je n’ai jamais vu d’ouveriure de loge établie sur la face plus ou moins horizontale, mais supérieure des roches. On comprend que dans cette position les Mollusques seraient ex- posés à être noyés dans leur loge aux époques où elles sont plus particulièrement habitées, et qui sont celles aussi où les pluies sont plus abondantes. Ne reconnait-on pas dans toutes ces pré- cautions si judicieuses que, s’il n’exisie pas de prescience chez ces animaux, il y à ou moins un instinct de conservation bien établi. Dans le cours de nos longues études, nous avons été très souvent frappé d’admiration en reconnaissant chez des Mollusques si bas placés dans l'échelle des êtres, des actions suivies de résultats in- dubitablement calculés et infiniment supérieurs à ce qu'on leur accorde généralement d’instinct.
Mais revenons à nos érosions calcaires, et disons qu’outre celles qui ont pour but le creusement d’un abri hivernal, il en est d’autres qu'on ne peut attribuer qu’à la reptation ordinaire des Hélices en question, et qui prennent toutes les formes sans en affecter plus particulièrement aucune. Elles sont produites par le passage souvent répété des Hélices sur la surface des roches, pour arriver ou pour sortir de leur loge tubuleuse. On voit même que certaines parties de ces roches sont plus fréquentées que d’autres : ce sont celles qui correspondent plus ou moins directement avec les ouvertures, et qui vont des unes aux autres. Dans ces diffé- rentes parties, la surface de la roche est usée, rigolée par une éro- sion acide qui y creuse des méplats plus ou moins étendus, plus ou moins excavés, de toutes formes enfin, mais dont les arêtes, ou
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angles plus ou moins saillants qui les séparent, sont toujours adoucis. C’est, à n’en pas douter, le fait de la reptation de ces Mollusques passant et repassant depuis des sièrles, et de géné- ration en génération sur le même plan de la roche qui conduit à leur demeure, et laissant dans ce trajet, comme toujours après eux, les traces de leur passage en un mucus qe suinte de leur plan locomoteur pour faciliter ses mouvements. C’est ce mueus qui jouit naturellement sans doute des propriétés corrosives , qui attaque incessamment la surface de la roche, et use de manière à la faire ressembler à une pâte sucrée, dont la surface aurait été atteinte par l'humidité, ee que nous voyons assez souvent sur des bonbons un peu anciens.
Il s’en faut donc que ce mueus serve d’enduit protecteur de la roche comme on l’a supposé, puisqu'il produit l'effet tout con- traire. Nous en avons une sorte de preuve, surtout dans l’élar- gissement en entonnoir de l'ouverture des loges, élargissement tonjours en rapport avec la grandeur de chaque réduit, et par con- séquent de la fréquence de son habitation. Dans cette circonstance, tout semble nous démontrer que ces érosions sont indépendantes de tout vouloir de la part de l'animal, qu’elles sont inhérentes à la nature des sécrétions produites par l'organisme en faveur de l'acte de la reptation.
Il ne paraît pas en être de même pour la confection de son loge- ment (d'hiver. Il doit y avoir Ià une volonté exprimée par la posi- tion qu'il prend soit pour attaquer la surface de la roche, soit pour s’enfoncer dans son épaisseur, Dans ces deux cas, il y a une inten- tion bien manifeste, un choix préalable d'abord de la place pour y élablir l’ouverture, puis le retour à la même place pour l’appro- fondir, et en former avec le temps une loge boyautée. Dans ces différents cas, l'animal à le corps sorti de sa coquille ; il se con- tracte, se ramasse pour ainsi dire en se raccourcissant, puis s’ap- plique fortement ainsi, sans mouvement quelconque, sur la paroi de la roche qu'il veut entamer, ou dont il veut continuer l’appro- fondissement. Il est probable que, pendant ce temps, tout le plan locomoteur est très raccourci et par cela même élargi, et que, ten- dant à se ballonner centralement par la pression qu’il imprime sur
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la roche par ses deux extrémités antérieure et postérieure, l’animal fait traverser ses tissus par la liqueur acide chargée de la dissolu-- tion du calcaire. Celle-ci s’épanche sans doute très lentement par toute la surface du plan du pied, car elle ne déborde jamais les parties molles du corps. Ce n’est, sans doute encore, qu’une trans- sudation directe etproportionnée aux besoins de l’absorption gra- duée du calcaire pour sa dissolution partielle.
Pendant les trois années qu'ont duré nos expériences, nous avons différentes fois dérangé des Hélices en train de travailler à la perforation du calcaire, et, reconnaissant les diverses disposi- tions décrites ci-dessus, nous appliquions immédiatement, soit sur le pied du Mollusque, soit sur la paroi que nous le forcions de quitter, une pelite bande de papier de tournesol, en la maintenant quelques secondes avec l'extrémité du doigt, et aussitôt la couleur bleue de ce papier devenait violacée, plus ou moins rougeâtre, selon le plus ou moins d’abondance d'humidité que conservaient les parties expérimentées. Nous ne devons pas omettre de dire que, quand nous séparions ainsi violemment le Mollusque de sa posi- tion, nous le trouvions comme engourdi, conservant quelque temps les dispositions qu'il avait au contact du calcaire, et ne ren- trant ensuite que fort lentement dans la coquille.
Nous n’en sommes pas bien certain, mais nous avons de fortes présomplions pour supposer que la moitié antérieure du pied fonctionne plus activement dans le travail d’érosion que la moitié postérieure du même organe. Dans tous les cas, il n’y à pas pour nous dans ce travail le moindre doute sur l'emploi d’un suc acide, et pas davantage sur l'organe chargé de l'appliquer directement, et qui, certainement, est le pied du Mollusque.
On remarquera que ce n’est que pendant l'hiver que les Mol- lusques terrestres cherchent à s’abriter des rigueurs de cette sai- son, qui, du reste, ne leur offrirait pas la possibilité de se procu- rer leur nourriture habituelle. Que les uns se tapissent en nombre sous les pierres, dans les creux des vieux murs, ou s’enfoncent, faute de mieux, plus ou moins profondément dans la terre, selon qu'ils pressentent que l'hiver sera plus ou moins dur, cela estsi vulgaire que, dans nos contrées, les campagnards et les jar-
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diniers en tirent le pronostic sur la rigueur oule plus ou moins de durée de celle saison, suivant qu’ils trouvent les Limaçons plus ou moins profondément enfoncés dans la terre.
Ce n’est donc, dans notre pays, qu’une hibænation de six mois en moyenne. Mais nos Hélices saxicaves travaillent-ils pendant ces six mois à perforer le calcaire? C’est une question que nous nous sommes posée.el que nous avons résolue d’une manière affir- mative, du moins aussi affirmalive que possibie, en trouvant tou- jours dans les loges habitées, chaque fois que nous les visitions, les Hélices toujours développées aux mêmes degrés, et, comme nous l'avons déjà dit, appliquées directement sur la paroi calcaire de leur loge. Nous avions le soin de multiplier nos visites pen- dant l'hiver, et de les espacer de manière à partager cette saison en six ou huit parties plus ou moins égales ; de sorte que nous les visilions plusieurs fois au commencement, au milieu et vers la fin de cette saison.
Il est bon de noter que nos Hélices saxicaves ne formaient pas d’épiphragmes pendant tout le temps qu'elles restaient logées dans leurs chambres de pierre, tandis que toutes celles fourrées dans les trous des vieux murs, sous les grosses pierres ou enfoncées dans la terre, ne se dispensent jamais de celte précaution abritante sup- plémentaire. Ce n’est donc que pendant la moitié de l’année envi- ron que nos Hélices s’abritent, corrodent et approfondissent leur loge calcaire. Mais il résulte de nos observations la certitude que les mêmes loges ne sont pas habitées chaque année, et que cette habitation n’est que le résultat du hasard qui dirige les individus tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, en sorte que bon nombre de loges restent des années inoccupées.
On reconnait tout de suite qu’elles sont inhabitées à leur encom- brement par l'introduction dans leur intérieur des plantes erypto- games ou des brindilles de lierres qui les tapissent, et qui y meurent étouflées. Il est facile, même après le départ des Hélices rendues sous la feuillée à la belle saison, de reconnaitre les loges qui ont été récemment abandonnées, et de juger de l'importance de leur dernier approfondissement hivernal, car cette partie de la loge est toujours plus nette et plus claire que celles qui proviennent de
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plus anciennes érosions. Elle offre, en outre, de remarquables différences dans ses dimensions, puisqu'elle forme toujours un godet particulier d'environ À centimètre de profondeur, et dont le diamètre d'ouverture ne dépasse pas celui de toute la coquille du Mollusque qui l'a creusé. Il est plutôt inférieur que supérieur à ce diamètre, en sorte qu'il nous fait douter qu’il serait possible à l’ani- mal de traverser dans sa longueur sa loge tubuleuse , si elle n’avait dans tout son parcours que ce diamètre initial. Mais les travaux subséquents des années élargissent toujours ces tubulures qui deviennent de plus en plus irrégulières, et qui finissent, comme nous l'avons dit, par former des chambres ballonnées et bossuées de plusieurs centimètres de diamètre dans leurs cavités intérieures, tandis que leur ouverture reste toujours à peu près la même, sauf son évasement involontaire, extérieur résultant de l'érosion produite par un passage plus ou moins fréquent des habitants.
Nous disons que l’évasement extérieur des loges hivernales de nos Hélices saxicaves nous semble involontaire de leur part, parce que nous avons remarqué qu'elles s’en tenaient toujours à distance dans l’intérieur, qu’elles ne s’y arrêtaient jamais une fois perforée, et qu'elles nous semblaient tenir à conserver son étroitesse, puis- qu'elles ne commençaient toujours à élargir leur loge que lors- qu'elles en étaient à une certaine distance intérieure. Quand il s’agit de la perforation d’une loge nouvelle etde l'occupation d’un premier godet, travail de l’année précédente, le Mollusque qui s’en empare se fixe toujours dans son fond et non sur ses côtés. Tout donc nous autorise à supposer que ces Hélices tiennent particulièrement à ne pas agrandir l'ouverture de leur loge, et à conserver ainsi toute l'importance de leur abri pendant la mauvaise saison.
Un autre fait aussi particulier aux Hélices en question, c’est que, contrairement à ce que nous voyons toujours s'effectuer chez les autres qui se logent dans les cavités des vieux murs, ou n’importe quelles espèces, mais plus particulièrement l’Heliæ aspersa, beaucoup plus commune que les autres dans le voisinage des habi- lations, nous voyons, disons-nous, ces dernières accumulées les
unes sur les autres, en plus ou moins grand nombre, selon l’impor- 4° série. Zooc. T, XVI. (Cahier n° 4.) ? 14
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tance des cavités, et passant ainsi l'hiver rentrées totalement dans leur coquille elôturée par un épiphragme, tandis que dans les loges calcaires, quelle que soit la rigueur de cette saison, nous les trou- vons toujours, comme nous l'avons dit, hors de leur coquille, et jamais réunies. Chaque loge est habitée par un seul individu ordi- nairement, quelquefois deux ou trois, mais alors c’est que la loge est assez spacieuse pour les abriter tous sans contact. L'émanation acide ne serait-elle pas, dans cette circonstance, la cause princi- pale de cet éloignement que semblent éprouver nos Hélices saxi- caves les unes pour les autres ?
Il est probable que les roches calcaires du Bois-des-Roches ont été de tout temps attaquées par les Hélices dont nous vous entre- tenons, et que leur perforation est aussi ancienne que leur appa- rition à la surface du sol qui les supporte maintenant. Cependant un doute à ce sujet existe encore dans notre esprit, qui se demande pourquoi ces tubulures ne dépassent pas, malgré la série de siècles qui s’est écoulée depuis leur commencement, une profondeur de 12 à 15 centimètres, comme nous l'avons observé dans toutes celles que nous considérons comme les plus profondes, et que nous avons sondées sur place ?
Nous savons, il est vrai, que ces loges ne sont pas régulière- ment occupées chaque année, que cette habitation n’est absolu- ment qu'accidentelle et temporaire, qu’elle est due aux diverses chances du hasard, et que, par conséquent, elle peut être inter- rompue pendant des séries d'années. Leur agrandissement ou approfondissement n’est donc pas continu , il ne recommence pas chaque hiver ; il n’a lieu qu’à des intervalles indéterminés qui peuvent être courts, comme aussi se prolonger indéfiniment.
Nous avons vu souvent des loges, que nous avons reconnues très anciennes à la nature de leurs parois, se trouver réoccupées, et présenter des érosions nouvelles qui se distinguent toujours des anciennes à leur couleur et à leur netteté. Leur abandon n’est donc pas non plus un fait volontaire.
Du reste, quelle que soit la capacité d’une loge, nous avons remarqué qu'elle présentait, chaque fois qu’elle était réhabitée, une érosion fraiche à la place occupée par le Limaçon. Cette par-
HÉLICES SAXICAYES. . 211 ticularité, si souvent renouvelée, nous a toujours frappé, et nous
a porté à nous demander chaque fois si, en effet, la volonté de l'animal était pour quelque chose dans cette érosion nouvelle, ou si elle n’était pas plutôt simplement le résultat du suintement natu- rel et involontaire de son organisme. On doit aussi observer que nous n'avons jamais trouvé dans les loges habitées les traces bril- lantes du mucus desséché que nous voyons ordinairement sur les plantes ou sur les murailles des habitations champêtres, et qui y a laissé le passage des Hélices ou des Limaces. Cela nous fait sup- poser que la nature de la sécrétion qui corrode les calcaires n’est pas la même que celle qu’abandonnent ces Mollusques lors de leur reptation ordinaire, et qu’elle provient aussi d’un autre sys- tème d'organes.
Nous savons, à n’en pas douter, que le travail des siècles a passé sur les surfaces des masses calcaires du Bois-des-Roches, et qu’indubitablement ces surfaces ont été amoindries ; mais, quelles qu’aient été ces érosions extérieures et de quelque agent qu’elles proviennent, elles ne nous paraissent pas assez importantes pour expliquer une limitation en profondeur des habitations hivernales creusées par nos Hélices saxicaves. Nous pensons être plus près de la vérité en supposant que cette profondeur est en rapport quel- conque avec les besoins animaux qui, sans doute, se trouveraient froissés par un approfondissement plus considérable. Nous sup- posons, en outre, que l'acte de la respiration est au premier rang de ces besoins, parce qu'il nécessite souvent le renouvellement de la quantité d’air absorbé ou décomposé, et nous avons été porté à cette observation en voyant que tous les animaux perforants que nous avons étudiés nous offraient une régularité parfaite dans les lignes maximum de profondeur qu'atteignait le fond de leur demeure ; que celle-ci soit sous-marine ou terrestre, ces lignes sont toujours en rapport avec la taille des individus, et surtout avec les dispositions de leurs organes respiratoires. Il ne serait donc pas surprenant que, pour l’espèce qui nous occupe, et que nous avons dit conserver tout l'hiver son pied hors de sa co- quille, l’acte de la respiration nécessite une plus grande quantité d’air respirable que pour les Hélices qui restent dans leur coquille,
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et ferment celle-ci au moyen d'un épiphragme pendant toute la durée de la saison rigoureuse, et la traversent ainsi engourdies.
D'après ce que nous avons dit précédemment, on sait que l’éro- sion intérieure des loges hivernales, quoique lente à s'effectuer, ne dépasse pas moins À centimètre en profondeur pour le travail d’un seul individu pendant un hiver de six mois en moyenne, et quand ce travail s’opérait sur une des parois latérales, il arrivait souvent qu'il faisait communiquer deux loges voisines ; mais ce que nous n’avons pas encore dit, c’est que la nature toute particu- lière de ce travail rendait l’érosion si délicate, si légère, si nous pouvons nous exprimer ainsi, que l'organe qui l’effectue, le pied (1), semble avoir sucé le calcaire. En effet, la dissolution du carbonate calcaire s'opère si légèrement , qu’elle laisse subsister des feuillets rigides et tranchants, qui, vers leur extrémité, ne présentent pas plus d'épaisseur que des feuillets de papier ; cet effet est surtout remarquable sur toute la périphérie des ouver- tures accidentelles qui établissent les communications entre deux loges voisines, el où on voit le calcaire aussi tranchant que la lame d'un couteau.
Contrairement à ce qui se passe chez les animaux perforants marins, qui ont toujours dans leur loge une couche assez épaisse de matière décomposée et vaseuse intercalée entre l'animal ou sa coquille et les parois de sa loge, celle de nos Hélices est toujours nelle et propre lorsqu'elle est habitée, on n’y observe pas le moindre résidu.
Mais où se présente une grande analogie, pour ne pas dire
(1) Ce qui nous prouve que c’est le pied de l'Hélice qui est l'organe sécré- teur de la liqueur acide qui corrode le calcaire, c’est qu'il est facile de distin- guer le travail particulier aux individus de différents âges dans les diamètres divers qu'on observe souvent dans les érosions partielles d'une même loge, dia- mètres qui sont toujours aussi en rapport avec le volume du pied contracté des Hélices, et celui de leur coquille, et par conséquent avec celui de leur âge.
Dans d’autres circonstances, ne voyons-nous pas le pied devenir organe sécréteur de l'épiphragme ? Cette faculté temporaire et intermittente n'est-elle
pas propre aussi à démontrer que cet organe peut être rppelé, selon le cas, à d'autres sécrétions ?
HÉLICES SAXICAVES. 213 identité, entre la confection des deux sortes d'habitations, c'est dans la pénétration des calcaires par une liqueur étrangère qui, dans tout le contour des excavations nouvelles, forme une sorte d'auréole d'un aspect gras; et quand cette liqueur a pénétré dans des gerçures préexistantes de nos calcaires à Hélices, elle y pro- voque le développement d’un petit lichen microscopique, qui donne à ces fissures une teinte verte, vive, persistante, de plus d’un millimètre de largeur, tandis que l'espèce d’auréole grasse que nous signalons a moins d’un millimètre de largeur, et dispa- rat avec son exposition à l'air.
L'érosion des Hélices saxicaves porte avec elle son cachet spé- cifique dans les dispositions particulières des contours de leurs loges, qui sont toujours dissemblables, difformes, irrégulières, boyautées et boursouflées ; toujours divisées en autant de cavités particulières qu'il y a eu de stations individuelles, limitées par des étranglements ou des arêtes adoucies. On ne voit rien de sem- blable dans les érosions des animaux marins, surlout quand ils sont coquilliers : ils fofment toujours des loges presque régu- lières, et qui sont semblables pour tous les individus d’une même espèce. On voit alors des rapports constants entre la forme des loges et celle des animaux qui les ont creusées, tandis que chez nos Hélices rien de semblable ne se présente. La forme générale de leur loge est totalement l'effet du hasard ; il n’y a que chaque éro- sion partielle limitée, comme nous l'avons dit, qui représente à peu près le diamètre de leur coquille.
Ces perforations d’Hélices ne sont pas des trous perdus, isolés, comme on pourrait le supposer, et sur l’origine desquels on pour- rait douter. Non, ce sont pour ainsi dire des établissements de colonies d’origine certaine et des plus anciennes, offrant une remarquable distinction dans le choix du placement de leur ouver- ture, en rapport avec le meilleur abri hivernal. Ce que nous en avons dit, chacun pourra le vérifier sur les lieux que nous avons assez indiqués dans le cours de cette notice, ear ils existeront sans doute encore de nouveaux siècles exposés à tous les regards.
En parlant du temps, nous ne pouvons nous empêcher de pen- ser aux innombrables générations d’Hélices de la même espèce,
Ah BOUCHARD-CHANTEREAUX.
qui ont du se succéder depuis les premières perforations de nos masses de caleaire, et cependant ces perforations, si remarquables et si intéressantes sous tous rapports, sont reslées inconnues jus- qu’à présent.
On se doute bien qu’à l’exceplion du mesurage de l’approfon- dissement des loges que nous avons exécuté sur place avec un mètre pliant de baleine, le reste de nos observations n’a pu s’effec- tuer qu’en fracturant chaque fois la roche pour pouvoir étudier l'intérieur de ses cavités, ce qui n’était même pas toujours facile, parce qu'il fallait attaquer au marteau des blocs énormes et mas- sifs de calcaires, qui ne sont possibles à briser que sur leurs angles toujours fortement émoussés. Nous avons donc été sou vent forcé pour oblenir un échantillon d'étude d’en sacrifier plusieurs autres : c’élait un sacrifice obligé pour pouvoir arriver à juger des différents degrés des érosions diverses et de leur plus ou moins grande ancienneté.
Nous n’avons encore rien dit de l'opinion générale plus ou moins prononcée contre les érosions calcaires par des liqueurs acides dissolvantes, et produites par l’organisme des animaux per- forants ; nous nous sommes borné à décrire, aussi bien que nous l'avons pu, ce que nous avons vu. Nous devons cependant toucher un peu cette corde, et, bien que notre acquit ne soit pas encore positivement concluant, nous pensons qu’il pourra offrir UT LE données nouvelles qui lui seront favorables.
On connaît toutes les belles expériences qui ont été faites par les Gmelin, Proust, Tiedmann, Braconnot, Pelouze, Bernard, Bar- resvil, Blondlot, Leuret, Lassaigne, etc., sur le suc gastrique des animaux, expériences qui v ont fait découvrir l'acide lactique, et souvent une grande quantité d'acide chlorhydrique libre, selon que l'estomac était vide où stimulé soit par des aliments, soit par des corps étrangers. On connaît généralement aussi son acti- vité dissolvante des matières calcaires ; mais ce qu’on ne con- naît pas bien encore généralement, ce sont les moyens que l’ani- mal emploie pour porter à l'extérieur ces liqueurs acides, et les appliquer à la perforation de certaines roches. Nous avons émis notre propre opinion à ce sujet, et nous n’y reviendrons pas.
HÉLICES SAXICAVES. 215
Nous allons dire ce que nous avons vu dans d’autres circonstances et sur d’autres animaux que les Hélices.
Pendant plusieursannées, nous avons chargé un de nos parents, le capitaine Leprêtre, qui commandait pour la pêche de la Morue (Gadus morna, Linn.), de nous faire choisir un certain nombre d’estomacs les plus pleins de ce poisson ; de les faire saler et embariller. Nous avions ainsi chaque année à notre disposition de nombreux moyens d’investigations qui nous ont démontré que, sous le rapport de l'activité dissolvante, le suc gastrique des pois- sons n’est pas au-dessous de celui des autres animaux. Nous avons trouvé dans ces viscères les matières calcaires les plus dissem- blables, telles que fragments de pierres, Crustacés de toutes tailles, Échinodermes, Balanes, coquilles univalves et bivalves, et jusqu’à des têtes entières de poissons de la même espèce que ceux qui les avaient avalés. Tous ces objets étaient déjà plus ou moins atteints par l’acide du suc gastrique et en partie dissous.
Nous avons fait, en outre, les observations suivantes qui nous ont paru mériter une citation particulière. Chez les animaux pour- vus de test calcaire, comme les Crustacés et les Échinodermes, les téguments charnus existaient encore intacts que déjà leurs sou- tiens calcaires étaient absorbés, puisqu'ils étaient restés entiers, quoïque devenus très mous. De ce nombre étaient de trés grosses Lithodes arctiques, et une masse considérable à’ Astérides, telles que des Ophiures de toutes espèces et de toutes tailles. Quant aux coquilles, les Bivalves étaient écrasées ; leurs fragments présen- taient plusieurs degrés de dissolution, et quelques-uns ne conser- vaient plus que leur épiderme. Donc là aussi les parties calcaires avaient été dissoutes avant les parties cornées. Les Univalves étaient d’abord attaquées par leurs parois ventrues latérales, qui offraient des ouvertures arrondies, absolument comme celles que nous avons signalées pour les communications des loges de nos Hélices. Ces ouvertures laissaient voir la columelle dans toute son étendue, et celle-ci, à son tour, dominait progressivement, selon les individus et selon leur plus ou moins de séjour dans l’estomac, puis s’amoindrissaient jusqu’à disparaître entièrement. Nous tirons de tout ceci ceite conséquence différentielle, que les parties char-
216 BOUCHARD-CHANTEREAUX,
nues des Mollusques avaient été digérées avant leur coquille, tandis que chez les Crustacés et les Echinodermes, la charpente calcaire était dissoute avant la digestion des parties charnues. Qui expli- quera cette différence ?
Quant aux morceaux de roches calcaires, ils étaient attaqués par toutes leurs surfaces à la fois, comme s'ils avaient nagé dans une dissolution'acide, et ressemblaient à des morceaux de sucre atta- qués par l'humidité, Il est indubitable qu'ils étaient en partie dissous.
Chez les Mollusques vivants, nous avons vu très souvent opé- rer sous nos yeux la dissolution de certaines parties calcaires de leur coquille.
Ainsi chacun sait que les Hélices et genres voisins ne parvien- nent pas à construire leur coquille tout d’un trait continu , qu'ils éprouvent ordinairement des temps d'arrêt dans son accroisse- ment, et que, dans cette circonstance, pour consolider leur péris- tome, ils forment intérieurement ce que nous nommons un bour- relet intérieur. Mais, comme la présence de ces bourrelets gènerait leur accroissement ultérieur, les Mollusques les dissolvent avant de le continuer, au moyen d’une sécrétion particulière émanant de la partie antérieure de leur pied. Beaucoup de Mollusques marins agissent absolument de la même manière que les Mollus- ques terrestres.
Nous avons vu aussi très souvent les Buccins, les Pourpres et les Rochers de nos côtes, perforer en quelques minutes les valves des coquilles des Moules, des Mactres et des Bucardes, et ce au moyen d’une liqueur provenant de l'estomac de l'animal perfora- teur et portée au dehors par sa trompe, et appliquée directement par l'ouverture de cet organe sur la partie de la coquille à percer. Dans cette circonstance, l'animal appuie celte ouverture sur la coquille, puis, entourant sa trompe par la partie antérieure de son pied, qui, à cet effet, prend une disposilion bilobée, s'avance de chaque côté de cet organe pour réunir ensuile ses deux paries, aussitôt qu’elles l'ont dépassé, de manière à l’enfermer entre elles , puis s'appliquant fortement sur la coquille, forment le vide autour de la trompe, la protégent de tout contact avec l'élément environ-
HÉLICES SAXICANES. 217 nant, tout le temps que dure l'opération du percement de la valve; ce qui dépasse rarement quatre à six minutes, el qui s'effectue sans le moindre mouvement d'aucune partie de l’animal perforateur.
On ne peut pas nier davantage ce que tout le monde peut voir, mais que pea apprécient, il est vrai : ce sont les effets considé- rables de perforation qu'on rencontre partout sur les caleaires sous-marins, les polypiers et les coquilles de toutes espèces et de toutes grandeurs, et exécutées par ce hillipulien marin des animaux perforants, cet animal si informe, que son animalité a paru long- temps douteuse ; si mesquin, que de plus grands doutes encore se sont élevés sur l’origine des travaux considérables qu’il exécute cependant avec une vigueur et une continuité qui pourraient le faire nommer le Perceur de pierres par excellence, puisque, à lui seul, il fait plus de ravages dans les corps calcaires sous-marins que tous les autres animaux perforants, bien que la plupart de ces derniers soient mille fois plus gros que lu.
Nous parlons du genre Vioa, ou Éponge térébrante de Duver- noy ; nous n'avons même pas à notre disposition, à l'égard de cet animal, la ressource d’un sue gastrique pour expliquer ses facultés corrosives. Savous-nous seulement s’il possède un estomac ? Quel est done son appareil sécréteur ? Quel est son instrument de per- foration, comme dirait certain auteur? A toules ces questions, nous ne pouvons répondre que ceci : c’est une pelite épenge informe, charnue et jaunâtre, souvent grosse à peine d’un milli- mètre dès qu’elle annonce sa présence. Cela ne l'empêche pas de pénétrer dans tous les corps calcaires organisés ou non organisés, de s’y introduire au moyen d'une perforation parfaitement cireu- laire, et de s'étendre ensuite dans toutes les couches en les ron- geant en galeries labyrinthiformes ; les traversant, les perforant de toutes les manières, jusqu'à ce qu’elle ait formé un squelette spongiforme rigide des corps les plus compactes. De nombreuses coquilles et des banes rocheux sous-marins entiers sont rongés et perforés de la sorte par cet infiniment petit.
M. le docteur G. Drumond suppose que ces animaux ont le pou- voir de décomposer l'eau de la mer, et d’en extraire un acide chlorhydrique libre, qu'ils emploieraient à l'érosion précitée.
218 BOUCHARL-CHANTEREAUX. — HÉLICES SAXICAVES.
Mais que n’a-t-on pas supposé ? Mieux vaut dire, ce semble, que nous ne savons encore rien à cet égard , que nous voyons les faits, qu'ils existent, que nous en sommes émerveillés, mais que nous ne pouvons les expliquer : c’est infiniment plus rationnel.
On a déjà beaucoup écrit sur la perforation des roches calcaires par les animaux. Nous avons vu dans ces écrits beaucoup de bonnes observations et aussi beaucoup d'observations superf- cielles, et par là dépourvues d’autorité.
Quoi qu’on dise done sur la sécrétion animale d’un sue acide et des difficultés pour expliquer son emploi dans la dissolution des corps calcaires, nous les considérons l’un et l’autre comme cer- tains, et sommes profondément convaincu que cette opinion, la seule véritablement rationnelle pour qui a beaucoup vu et beau- coup étudié, est appelée à survivre et à dominer toutes les autres.
On nous objectera sans doute, comme on l’a fait depuis quel- que temps, les érosions grésiques, gnéisiques et granitiques des Oursins et des Pholades des côtes de la Bretagne. Nous devons à notre bon ami M. F. Cailliaud, conservateur du Muséum de la ville de Nantes, d’avoir pu les étudier. Nous y répondrons dans notre second mémoire en traitant des perforations des animaux marins en général, et nous espérons pouvoir y prouver que l’opi- nion émise à leur sujet n’est qu'une hérésie scientifique.
Nota. — Nous donnons une planche (pl. 4) des figures repré- sentant des perforations de nos Hélices saxicaves, et nous dépo- sons dans les collections du Muséum d'histoire naturelle de Paris et de la Faculté des sciences les pièces qui ont servi de modèles pour ces dessins.
RECHERCHES SUR LES GLANDES GASTRIQUES ET. j
LES TUNIQUES MUSCULAIRES DU TUBE DIGESTIF
DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS,
Par M. Martial VALATOUR,
Agrégé des sciences, préparateur de zoologie à l'École normale supérieure,
INTRODUCTION.
De nombreux travaux accomplis depuis un siècle sur les Mam- mifères et les Oiseaux ont fait connaître en grande partie quels sont les procédés de la digestion dans ces animaux. Sont-ils les mêmes dans tous les Vertébrés et en particulier dans tous les Pois- sons osseux? La chose semble admise implicitement, mais elle n’est pas démontrée. En effet, s'agit-il des poissons osseux? Les glandes salivaires ne se rencontrent dans aucun, le pancréas n'a pu être trouvé que dans un très petit nombre, et encore à l’état rudimentaire ; et, si l'estomac existe presque toujours, comparable par ses fonctions à celui des Mammifères, il paraît manquer quel- quefois. 11 y a des Poissons, le Gardon parexemple, dans lesquels on ne connaît ni glandes salivaires, ni pancréas, ni estomac. En présence de pareils faits, toute recherche sur les sécrétions diges- lives dans les Poissons osseux offre un grand intérêt.
L'étude des glandes gastriques en particulier a été presque com- plétement négligée dans les animaux de ce groupe. Aujourd'hui l'existence même de ces glandes n’est établie d’une manière irré- futable chez aucun d’eux. Cette lacune est d'autant plus à regret- ter que le sue gastrique n’a été lui-même le sujet d'aucune re- cherche. On sait bien qu’il se fait dans l’estomac des Poissons une dissolution des aliments, mais est-elle semblable à celle qui se
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fait dans l'estomac des Mammifères? porte-t-elle sur les mêmes matières alimentaires exclusivement? y retrouve-t-on les mêmes principes essentiels? Toutes ces choses semblent probables, mais personne n’a cherché à les démontrer.
Jusqu'ici très peu de travaux ont été entrepris sur la physiolo- gie et l'anatomie comparées de la sécrétion gastrique dans les différents Vertébrés, et cependant le peu de recherches qui ont été faites semblent promettre des découvertes intéressantes et rendent plus désirables encore des études sur la sécrétion gastrique dans les poissons.
Sans parler de quelques différences qui paraissent exister dans la forme des glandes gastriques, et l’arrangement des glandes pepsiques et des glandes muqueuses dans différents Mammifères, M. Molin (Denkschrifien der kaiserlichen Akademie der W issen- schaften, 1852) à démontré que dans le ventricule succenturié des Oiseaux les glandes gastriques sont groupées d’une manière tout à fait spéciale.
M. CI. Bernard (Leçons faites au Collége de France, 1855) professe que le suc gastrique des différents Mammifères n’agit pas de la même manière. «Le suc gastrique des Lapins, mis en con- » fact avec de la viande crue, la décolore, la crispe, l’imbibe, mais » ne la désagrége pas et ne la ramollit pas avec la même énergie » que le fait le suc gastrique du Chien, et ne fait pas disparaître »les stries transversales des fibres. Ceci s'observe également » Quand on fait manger du bœuf à des Lapins; on rencontre dans » l'estoniac de la viande décolorée, comme cuite, mais présentant » des caractères différents de ceux qu’on observe dans de la viande » mise dans l'estomac d’un Chien... Le suc gastrique de l'Homme » et celui du Chien se ressemblent... Le suc gastrique préparé »avec le ventricule succenturié des oiseaux n'a pas la propriété » de ramollir et de dissoudre la chair musculaire comme celui » préparé avec l'estomac de | Homme où du Chien. »
Enfin on lit dans l'Æaistologie humaine de Külliker (1856) que, d’après le docteur Berlin , les deux principes essentiels du sue gastrique, l'acide et la pepsine, seraient fournis dans les oiseaux
, Par des glandes distinctes; la pepsine serait sécrétée par les
DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 221
glandes du ventricule succenturié, et l'acide par des glandes en tube, recouvertes d’un épithélium cylindrique, qui se rencontrent dans le gésier. Cependant Frerichs (Wagner’s Handiwærterbuch, 1849), voulant prouver que le suc gastrique est sécrété acide, expérimenta précisément sur des oiseaux; il fit des coupes à tra- vers les glandes du ventricule succenturié et trouva toutes ces coupes acides.
Après ces expériences et les faits que j'ai cités d’abord, on ne peut pas admettre sans démonstration qu'il existe dans l'estomac des poissons un sue gastrique, tont à fait identique par ses pro- priétés avec celui des Mammifères et sécrété par des organes sem- blables. L'existence même du suc dissolvant n’entraine pas l'existence des glandes; des cellules épithéliales pourraient à la rigueur sécréler ce liquide, et Bischoff, dans un travail dont nous allons parler, admet que le suc dissolvant peut être sécrété par la muqueuse elle-même sans le secours d'aucun épithélium ni d’au- eune glande.
Je me suis donc proposé de rechercher au microscope les or- ganes qui peuvent sécréler le suc gastrique dans les poissons osseux. Ces recherches ont nécessité l'étude d’une grande partié du tube digestif, et m'ont donné l’occasion de faire un certain nombre de remarques sur les tuniques musculaires de ce tube.
Avant de faire connaître les résultats auxquels je suis arrivé, je résumerai les travaux qui ont été entrepris dans cette direction.
PREMIÈRE PARTIE. DES GLANDES GASTRIQUES. CHAPITRE PREMIER. Historique.
La découverte des glandes gastriques date de 1836 seulement. Cependant dès 1752, Réaumur (Mémoires de l’Académie des sciences), dans son mémoire sur la digestion chez les oiseaux
299 M. VALATOUR, — GLANDES GASTRIQUES
granivores, dit que les parois du ventricule succenturié de cès oiseaux contiennent des glandes en forme de tube, très visibles à l’œil pu, que ces glandes ont été déjà figurées par Perrault et que celles de l’Outarde ont été décrites dans les anciens Mémoires de l’Académie des sciences.
Sir Everard Home (Lectures on Comparative Anatomy de 181 à 1823), qui a observé l’estomac d’un très grand nombre d’ani- maux et recherché les glandes gastriques, sans pouvoir les trou- ver, si ce n’est quand elles étaient visibles à l’œil nu, a figuré ces glandes des oiseaux ainsi que des masses glandulaires qui existent dans l'estomac de quelques Mammifères, le Castor et le Wombat. Mais M. Molin, dans le mémoire déjà cité, a démontré que ces tubes ne sont pas des glandes simples, comme on le croyait, mais des groupes de glandes, et que les véritables glandes sont placées dans l'épaisseur de leurs parois et n'avaient pas été vues avant lui.
C’est Sprott Boyd qui découvrit vraiment les glandes pepsiques (Ofthe Mucous Membranes of the Stomach dans Edinburgh Medi- cal and Surgical Journal, 1836). |
Il reconnut que les parois de l'estomac de l'Homme, du Cochon, du Lapin, du Cheval, des Ruminants, contiennent dans leur épais- seur un grand nombre de tubes cylindriques, filiformes, perpen- diculaires à la surface de l'estomac, ouverts du côté de cette sur- face, fermés en cul-de-sac à l'extrémité opposée. Il étendit ses recherches à l’estomac de quelques reptiles et de quelques Pois- sons, et y reconnut une structure alvéolaire. Je ne sais quels Pois- sons ont été étudiés et quels résultats ont été réellement obtenus, parce que je n'ai pu me procurer le mémoire de Sprott Boyd, et que je le connais seulement par les extraits qui en sont donnés dans l'anatomie générale de Henle et l'anatomie microscopique de Mandl.
Sprott Boyd avait seulement reconnu la forme des glandes. Purkinje en étudia le contenu chez ies Ruminants, chez les Car- nassiers et chez l'Homme (Ueber den Bau der Magendrüsen, dans Bericht über die V'ersammlung deutcher Naturforscher und Aerzte in Prag, 1838). Elles sont remplies de cellules arrondies à noyau et de granules non mesurables, animés du mouvement brownien.
DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 293
Leur produit consiste en granules semblables, réunis par une substance plus ou moins mucilagineuse.
En même temps que Sprott Boyd, Bischoff recherchait les glandes gastriques. Son mémoire parut dans les Archives de Mül- ler en 1838 ; il s'étend aux quatre classes de Vertébrés. Parmi les Mammifères, Bischoff étudie l'Homme, le Chien, le Chat, la Taupe, le Bœuf, le Cochon, le Cheval, le Lapin et la Souris. Il distingue chez quelques-uns d’entre eux, outre les glandes en tubes simples, des glandes lobulées. Chez le Cochon toutes les glandes seraient lobulées. Chez les Oiseaux, Bischoff n’en vit pas plus long que sir Everard Home. Chez les Reptiles, Rana esculenta, Salamandra maculata, Coluber natrix , Coluber lœvis, Coluber atroflavus, Lacerta agilis et Emys europæa , il reconnait des culs-de-sac qu'il appelle cryptes, leur refusant le nom de tubes. Quant au contenu de ces cryptes, il n’en est pas question. Pour les Pois- sons, voict ce qu'il en dit : « Chez certains Poissons je n’ai pu » trouver une partie du tube digestif, remarquable par sa struc- »ture, de telle sorte qu'on peut leur refuser un estomac. C’est ce » qui arrive chez plusieurs espèces de Cyprinoïdes, où immédiate- » ment après l’œsophage, reconnaissable à son épithélium, com- » mencent les plis en zigzag qui se continuent sur tout l'intestin. » Nulle part je n'ai trouvé de glandes; quant à l'épithélium qui » peut recouvrir les plis de la muqueuse, je n’ai pu le bien distin- »guer. La muqueuse elle-même produirait donc ici la sécrétion. » Chez d’autres Poissons, au contraire, j'ai trouvé une structure »tout à fait semblable à celle des Reptiles. Ainsi la muqueuse »Stomacale de la Carpe montre des tubes très nombreux, beau- »coup plus courts et plus larges que ceux des Mammifères, au » point que leurs ouvertures sont visibles à l'œil nu.
» L’estomac de l’Anguille ressemble encore plus à celui des » Reptiles et contient des cylindres très fins.
» Chez les Cobitis fossilis que j'ai examinés, mais seulement con- » Servés dans l'alcool, je n'ai pas trouvé de glandes dans l’esto-
» Mac. » ! Ainsi Bischoff trouve des glandes gastriques chez deux Poissons
seulement, et encore il y a tout lieu de croire que chez la Carpe
99/ M. VALATOUR. — GLANDES GASTRIQUES
les prétendus tubes gastriques appartiennent en réalité au tube intestinal, ce qui peut faire douter de la nature des tubes reconnus chez l’Anguille, puisque le contenu de ces tubes n’a pas été ob- servé: Tous les tubes que lon peut trouver dans lé tube digestif et même dans l'organe regardé comme un estomac, ne sont pas nécessairement des tubes pepsiques. C’est done là un travail à reprendre et qui ne prouve pas suffisamment l'existence des tubes pepsiques chez les Poissons.
En 1845 parut l'Anatomie des Salmones, par Agassiz et Vogt. La splanchnologie, c’est-à-dire la partie qui nous intéresse, a été traitée par Vogl; à propos du tube intestinal de la Truite com— mune (Salmo fario), choisie pour type, il dit : « Nous avons con- » Sacré un soin tout particulier à l'étude de la muqueuse des dif- » férentes parties du canal intestinal. Quand on examine la surface » libre de la muqueuse de l'estomac sous une loupe assez forte, » on aperçoit des saillies formant des mailles assez régulières, pour » la plupart oblongues, séparées par des excavations peu profondes. » Le fond des mailles n’est pas uni; il est au contraire réticulé, » et l’on aperçoit deux, quatre ou six cryptes qui s'ouvrent par » des trous ronds dans la cavité. Une matière opaque, grenue, » d'apparence blanchâtre sur un fond noir, est accumulée au fond » de ces cryptes. Sur une coupe transversale, les saillies de la » muqueuse se présentent comme autant de collines ou de verrues » implantées l’une à côté de l’autre et séparées par des rentrées » reposant sur une couche entièrement opaque, qui envoie quel- » quefois des prolongements dans les espaces entre les mamelons.… » Avec de forts grossissements on reconnait que les mamelons » où plutôt les plis grands ou petits de la muqueuse sont composés » d’une quantité de cellules coniques, engrenées les unes dans les » autres, Comme les pierres d’une voûte, et formant ainsi ce qu’on » a appelé un épithélium à cylindres... La structure de la mu- » queuse de l'estomac est, on le voit, des plus simples. Une couche » épaisse de cellulés coniques recouvre le tissu fibreux. Il paraît » que ces cellules coniques sont recouvertes à leur tour par des » cellules plates et grennes qui se trouvent en quantité dans la » mucosité qui remplit l'intestin. Ces dernières se renouvellent
DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 295
»sans cesse, et ce qui prouve bien qu’elles forment une couche » continue en pavé, c'est que plusieurs fois en comprimant des » coupes transversales sous le compresseur microscopique, nous »avons vu le fond des anfractuosités se détacher et présenter un » rouleau en forme de massue. Il nous a été facile de réconnaître » alors que ce rouleau n’élait pas composé de cellules cylindriques, » mais bien de cellules rondes et aplaties, qui tapissaient le fond » du creux et qui s'étaient détachées en entier par la pression…
» Il n'existe de glandes muqueuses composées, ni dans l’esto- » mac, ni dans aucune autre partie de la muqueuse. Les eryptes » de l'estomac qui s'ouvrent, au nombre de quatre à six au plus
_»dans une cavité plus grande, sont les seuls représentants des » glandes, et encore leur structure ne diffère-t-elle en aucune » façon de celle des plis qui les entourent. Ce sont de simples ex- » cavations destinées à augmenter la surface sécrétante. »
Faut-il conclure de ce travail qu'il existe des glandes pepsiques dans l'estomac de la Truite? Ce n’est pas,-en tout cas, la conclusion de l’auleur. Ce n’est pas non plus celle d'Ecker dans l'analyse quil donne de ce travail dans les Archives de Müller (1852). «Les » ailleurs, dit-il, ne trouvent nulle part de véritables glandes, » mais seulement des eryptes plats dans des plis en réseau. Au »Contraire, Stannius, dans son Anatomie comparée, indique de » petites glandes stomacales, évidentes chez les Trigles, ete. »
Et cependant d’après cette description elles doivent exister; mais il est facile de reconnaître aux doutes de l’auteur et à l’obs- curité de certains passages, que les choses ont été vues impar- faitement et mal interprétées, et que de nouvelles observations seraient nécessaires. Ainsi, à la simple lecture du mémoireon voit bien que l'épithélium cylindrique ne doit pas recouvrir toute la surface des cryptes, comme le laisse entendre Vogt, et que les cellules rondes doivent former le contenu spécial de ces cryptes et ne pas recouvrir du tout l'épithélium cylindrique. Faut-il croire, comme le texte et les figures semblent le montrer, que l’épithé- lium cylindrique est formé de plusieurs couches superposées ? Pourquoi les cryptes, visibles quand on regarde la muqueuse par
sa partie supérieure, ne le sont-ils plus sur des coupes verticales ? . Æsérie, Zooc. T. XVI. (Cahier n° 4.) ® 45
296 M. VALATOUR. — CGLANDES GASTRIQUES
Dans l’ Anatomie comparée de Siebold et Stannius, publiée à Berlin de 1846 à 1848, Stannius, parlant des Poissons, dit : «Les glan- dules stomacales sont souvent très apparentes, et il met en note «chez les Trigla, Uranoscopus, Blennius, Gasterosteus, Cyclop- terus », et il n’ajoute pas un mot de plus. Il n’en décrit mi la forme, ni le contenu.
Or que penser de ces glandes ? De lout temps on a parlé de cryptes muqueux (c’étaient les expressions employées) qui existe raient dans différentes parties du tube digestif des Poissons, et en particulier dans l’æsophage où il n’y a pas de glandes.
Pour en finir avec les travaux publiés sur les glandes gas- triques des Poissons, il ne reste plus qu’à parler des observations de Leydig. Dans ses Anatomisch-histologische Untersuchungen über Fische und Reptilien, 1853, il décrit le tube digestif de l’Estur- geon et d’un Cyclostome, le Petromyzon Planeri : « Dans la » muqueuse stomacale de l’Esturgeon, écrit-il, se voient des » glandes, dontla véritable nature ne peut être reconnue que sur » des sujets très frais. Ce sont’alors des sacs cylindriques, très » courts, présentant ceci de remarquable que leur surface interne » est recouverte très régulièrement d’un épithélium cylindrique » transparent, qui laisse au milieu de la glande une cavité remplie » par un liquide. Cet épithélium cylindrique se continue à l’ouver- » ture des glandes avec celui de la muqueuse stomacale. Les cel » Jules de ce dernier diffèrent de celles des glandes par leur plus » grande longueur... Nulle part dans le reste du tube digestif, » on ne trouve de glandes semblables... Chez le Petromyzon » Planeri, 11 n’y à de glandes ni dans l'estomac, ni dans lintestin ; » mais l’épithélium cylindrique, épais de 0,006” à 0,008" (le » signe "” désigne les lignes), est garni de cils vibratiies. »
Dans la même année 1853, les Archives de Müller contien- nent un mémoire de Leydig sur le Cobitis fossilis. L'estomac de ce Poisson ne lui paraît pas renfermer de glandes, mais son épi- thélium n’est pas formé de cellules identiques; il se compose d’une couche de cellules cylindriques, sur lesquelles reposent des cellules arrondies. La surface de l'intestin ne serait recouverte par aucun épithélium. Enfin, en 1857, Leydig fait paraitre son Hasto-
DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 9297
logie comparée (Lehrbuch der Histologre des Menschen und der Thiere). Dans le paragraphe 280, il dit : « Le tube digestif ne con- » tient pas toujours des glandes; ainsi je n’en trouve ni dans » l’œæsophage, ni dans l'estomac, ni,dans l'intestin du Petromy- » on fluviatilis, du Myæine et du Cobitis fossilis. » Et dans le paragraphe 282 qui traite des glandes gastriques : « La muqueuse » de l'estomac possède des glandes chez tous les Vertébrés, à » l'exception des Poissons que j'ai nommés. Chez les Plagiostomes, » les glandes gastriques ont la forme de cylindres terminés en » massue ; elles sont pressées les unes contre les autres. Chez » l’Esturgeon, ce sont des sacs cylindriques courts. Chez le Poly- » ptère, ce sont dans la partie antérieure de l’estomac des tubes » assez longs; mais vers le eul-de-sac de l'estomac, leur longueur » diminue en même temps que leur largeur augmente. Elles » deviennent tout à fait superficielles et figurent de larges cryptes, » et enfin se démembrent tout à fait. »
Leydig n’en dit pas davantage sur les glandes gastriques des Poissons. A ce paragraphe sont jointes deux figures : l’une repré- sente une glande gastrique de l’Esturgeon; elle est très large, courte, recouverte sur toute sa surface interne par une seule couche de cellules cylindriques claires. Levdig la considère comme une vraie glande pepsique, car il l’appelle Labdrüse, glande à présure ; elle ressemble, par le contenu du moins, à une glande muqueuse de l'estomac des Mammifères. Est-ce bien là une glande pepsique? L'autre figure représente une glande gastrique de la Torpille. Le fond du tube seul est représenté. La surface interne est recouverte d’une seule couche de cellules arrondies contenant des granules et un noyau, et ressemblant à des cellules pepsiques. Il est long et étroit. Bien que Leydig avance hardiment qu'il existe des glandes gastriques chez tous les Vertébrés, excepté chez le Petromyzon fluviatilis, le Myxine et le Cobitis fossilis, je ne crois pas qu'il ait publié quelque part la description des glandes gastriques chez un Poisson osseux, un Poisson téléastéen. Il est étonnant qu'il ne dise rien des Cyprinoïdes, Admettrait-il qu’il existe chez eûx des glandes gastriques ? |
Voilà, je crois, tous les travaux qui ont été publiés sur les
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glandes gastriques des Poissons. Du moins, j'ai parcouru tous les volumes des Archives de Müller, où se trouvent résumées par année les recherches microscopiques, et je n’y ai trouvé l’indica- tion d'aucun autre ouvrage.
Si l'étude des glandes gastriques a été négligée chez les Pois- sons, il n’en a pas été de même chez les Mammifères domes- tiques. Aussi la structure de ces glandes y est-elle aujourd'hui parfaitement connue, ainsi que chez l'Homme ; et il est nécessaire avant de commencer les recherches sur l'estomac des Poissons, de résumer les connaissances acquises sur l'estomac des Mammi- fères.
On y à reconnu deux sortes de glandes, de vraies glandes pepsiques et des glandes muqueuses ; les unes et les autres sont formées par des tubes isolés, ou réunis plusieurs ensemble en une sorte de patte d’oie. L'épithélium cylindrique, qui recouvre toute la muqueuse stomacale, s'étend jusqu’au fond des glandes muqueuses qui n’ont pas d'autre revêtement. Dans les glandes pepsiques, au contraire, il ne descend jamais profondément, et le reste du tube est rempli ou tapissé par des cellules à noyau arron- dies, finement granulées, et mesurant chez l'Homme de 0"",044 à 0"*,02 en diamètre.
Chez l'Homme, les glandes pepsiques simples occupent presque toute la muqueuse stomacale, les glandes pepsiques composées occupent une très petite partie voisine du cardia, et les glandes muqueuses occupent la région pylorique, ce qui a lieu le plus sou- vent chez les Mammifères.
C'est Wasmann (De digestione nonnulla, 1839) qui, le pre- mier, reconnut dans l’estomac du Porc ces deux sortes de glandes. Les glandes muqueuses existent dans la région cardiaque et la région pylorique.
Todd et Bowman (The Physiol. Anatomy and Physiology of Man, 1845-53) les retrouvèrent chez le Chien ; Kôlliker (His- tologie humaine, 1850-54) chez les Ruminants, le Cheval, le Lièvre, le Lapin et le Chat. Chez tous ces animaux, les glandes muqueuses n’occupent que la partie pylorique. Par une série de digestions artificielles entreprises avec le docteur Goll, Kôlliker
DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 229 (Histologie humaine) a démontré que le produit des glandes à cel- lules arrondies digère les substances albuminoïdes légèrement acidulées, et que le produit des glandes à épithélium cylindrique reste sans action sur ces substances. Ces dernières glandes auraient pour fonction de fournir avec le reste de l’épithélium stomacal le
mucus gastrique, comme Todd et Bowman l'ont avancé les pre- miers.
CHAPITRE I.
Glandes gastriques dans les Poissons osseux dont l’estomac est manifeste.
$ I. — Méthode d'observation.
L'étude des glandes gastriques est possible seulement sur des animaux très frais, des animaux vivants ; surtout quand il s’agit des Poissons, très peu de temps après la mort, les épithéliums et le contenu glandulaire se sont décomposés. Il n’y avait donc pas lieu de faire un choix parmi les Poissons ; il fallait me contenter de ceux que je pourrais avoir en vie. C’est pourquoi j'ai étudié l’Anguille, le Brochet, la Perche et quelques Cyprinoïdes, entre autres la Carpe, la Tanche et le Gardon. Mais ici les circonstances m'ont assez bien servi, car ces Poissons appartiennent à des groupes éloignés, et m'ont présenté chacun des particularités. J’ai pu répéler sur des Poissons de mer quelques-unes des observa- lions faites sur ces Poissons d’eau douce.
J'ai observé les parois intestinales fraiches et préparées de dif- férentes manières ; cela est indispensable : un seul mode d’obser- vation ne peut conduire à des résultats satisfaisants ; les observa- tions ont besoin d’être variées pour se compléter et s’éclairer les unes les autres ; 1l faut une sorte d’expérimentation.
L'examen des muqueuses fraiches montre les cellules épithé- _liales et le contenu glandulaire à l’état naturel. £es coupes, faites au couteau double, doivent être mises dans l’eau salée, et non pas dans l’eau pure qui gonfle et déforme toujours les cellules. Il es
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quelquefois utile de se servir du compresseur pour étendre et dila- ter les parties. Mais l'observation des muqueuses fraiches laisse toujours à désirer, parce qu’elles contiennent des fibres élastiques et des fibres musculaires, et que, par suite, les coupes se contour- nent le plus souvent, et ne permettent plus de voir la véritable forme et la disposition dés parties. En même temps, les cellules épithéliales et les cellules glandulaires se détachent facilement et se mêlent. C’est, je crois, pour avoir seulement étudié des esto- macs non dureis, que Vogt n’a pas mieux reconnu la structure de l'estomac de la Truite. Il faut donc étudier des muqueuses dessé- chées après avoir été convenablement préparées. Ces préparations préalables ont pour but de conserver toutes les parties en les modi- fiant quelquelois d’une manière utile.
J'ai traité les parois intestinales de deux manières avant de les dessécher ; je les place dans l'alcool à 40 degrés, ou dans le car- bonate de potasse concentré; je les y laisse pendant une quinzaine d'heures, puis je les retire, les étends sur une plaque de liége et les laisse sécher. Une fois que les tissus sont secs, on peut faire au scalpel d'excellentes coupes ; les épithéliums eux-mêmes sont parfaitement conservés. Ces coupes sont placées dans de l’eau, où elles s'étendent et reprennent bientôt en quelques secondes leur volume primitif. On peut alors les observer au microscope ; Si la coupe provient de tissus consèrvés dans l'alcool, en faisant passer de l’acide acétique entre les deux verres qui la renferment, on la rend très transparente. En même temps, le tissu cellulaire surtout se dilate considérablement, et toutes les parties deviennent très facilement observables. Si, ensuite, l’on traite par l'acide nitrique, cet acide colore certaines parties, par exemple, les épithéliums, les contenus glandulaires et les fibres musculaires; le tissu cellu- laire reste incolore ; toutes ses parties deviennent alors plus recon- naissables encore, et prennent plus de relief. Je ne traite pas d’abord par l'acide nitrique, parce que cet acide contracte les tissus. Je commence par les dilater avec l'acide acélique, qui me permet déjà un certain nombre d'observations ; puis j'ajoute l'acide. nitrique, s’il est nécessaire, pour compléter ces observations, sans avoir à faire de nouvelles coupes. Je n’ai pas employé la soude,
DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 231
parce que, même étendue, elle rend les coupes beaucoup trop transparentes.
Quand les tissus ont été traités par le carbonate de potasse, les coupes sont d’une très grande transparence.
Enfin j'ai employé aussi la macération plus ou moins prolongée dans l’acide acétique et dans l’eau ; la macération dans l'acide acé- tique rend les cellules très apparentes ; quand elle se prolonge, elle désagrège complétement le tissu curé de la muqueuse, et dissocie les glandes après avoir coagulé, solidifié, le contenu. La muqueuse se réduit en une espèce de pulpe, qui, au microscope, paraît une agglomération de glandes et de cellules épithéliales. La forme des glandes ainsi séparées et durcies se reconnaît alors très bien, ainsi que le contenu. |
La macération dans l’eau détruit, au contraire, les épithéliums et le contenu glandulaire, et met en évidence le réseau dont est creusée la muqueuse, et dans les mailles duquel étaient contenues les glandes.
J'ai eu recours à tous ces procédés, et quand j'ai voulu étudier un Poisson, je me suis procuré cinq intestins de ce Poisson : l'un d'eux à été observé frais, le second a été placé dans l'alcool à 40 degrés , le troisième dans le carbonate de potasse concentré , le quatrième dans l'acide acétique et le cinquième dans l’eau.
Si l’on n'avait à sa disposition qu’un seul individu, pour en faire l'étude, il faudrait partager l'intestin, dans sa longueur, en deux parties symétriques, étudier l’une fraiche, et placer l’autre dans l'alcool à 40 degrés. Un intestin frais, placé ainsi dans l'alcool, donne des résultats très satisfaisants ; ce serait un moyen d’étu- dier le tube digestif des Poissons qu'on ne peut avoir vivants dans le lieu où l’on se trouve.
Le plus souvent j'ai répété les observations un grand nombre de fois ; les choses ne sont pas tellement évidentes, qu’on puisse être assuré d’avoir bien vu du premier coup, et, dans tous les cas douteux où imprévus, j'ai répété les observations tant que j'ai pu espérer voir mieux.
J'ai étudié les mêmes coupes avec des grossissements variables. Ceci est très utile; les faibles grossissements donnent plus de
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champ, plus de clarté, montrent les parties dans leur ensemble et leurs rapports; les forts grossissements sont nécessaires pour étudier les détails. Le microscope dont je me suis servi est un microscope Nachet, petit modèle, avec des grossissements variables centre 80 et 600 diamètres environ. Les mesures ont été prises au micromètre oculaire; j'avais d’abord déterminé la valeur de cha- eune de ses divisions pour les différents objectifs avec le micro- mètre objectif : les mesures se prennent ainsi très rapidement.
$ II. — L'’Anguille.
L'estomac de l’Anguiile se compose, comme celui de la plupart des Poissons, de trois parties : un cul-de-sae, une branche car- diaque et une branche pylorique. Mais, tandis que le plus souvent, dans les animaux de celte classe, cette dernière est perpendicu- laire à la branche cardiaque, ici elle lui est parallèle, de telle sorte que le cul-de-sac se divise à sa partie antérieure en deux tubes, situés tous les deux dans son prolongement, et appliqués l’un contre l’autre. Dans cette partie, il est nécessairement plus large que chacun des deux tubes; mais il se rétrécit vers sa partie posté- rieure, et forme un cône très allongé, au moins quand il est vide, car, lorsqu'il contient des aliments, les dimensions peuvent en varier beaucoup. La branche cardiaque constitue avec l’œsophage un tube ayant le même diamètre dans toute son étendue, et plus long encore que le cul-de-sac. Ces différentes dispositions sont en harmonie avec la forme du corps; le corps étant allongé et étroit, les parties sont elles-mêmes allongées et pressées les unes contre les autres. Il n’était pas inutile d’insister sur la direction de la branche pylorique : c’esten tenant compte de cette direction que l’on peut expliquer certaines différences dans l’arrangement des tuniques musculaires de ces régions.
Un étranglement très prononcé sépare la branche pylorique de l'intestin, ct marque extérieurement la fin de lestomae ; au con- traire, rien dans l’apparence extérieure ne permet de distinguer l’œsophage de l’estomae, si ce n’est une plus grande transparence des parois. Le lube qui se porte du cul-de-sac à la bouche est
DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 239 opaque comme le cul-de-sae, sur une très petite longueur voisine de la branche pylorique, et beaucoup plus transparent dans tout le reste de son étendue : c’est à cette partie plus transparente que l'on a donné le nom d’'æsophage; elle est au moins aussi longue que l'estomac, a 5 ou 6 centimètres de long sur une Anguille de taille moyenne. Si l'on ouvre tous ces organes, et qu'on en exa- mine la surface interne, on voit que l'aspect n’en est pas partout le même; la muqueuse de l'estomac est épaisse, veloutée, opaque ; celle de l’œsophage est plus mince, plus transparente, plus sèche; la muqueuse du cul-de-sac est jaunètre ; celle de la branche pylo- rique, qui lui ressemble du reste en tous points, est blanche. Voilà donc trois muqueuses différentes : il faudra savoir si ces diffé- rences d'aspect correspondent à des différences réelles de struc- ture, et quelles sont ces différences.
Le cul-de-sac est bien certainement un estomac : 1l est suscep- tible d’une grande dilatation, en même temps qu'il est très con tractile ; les aliments y font un long séjour, et s’y transforment en chyme; il est acide quand il contient des aliments ; la surface de ces aliments est elle-même acide. Quant à l'œsophage, comme aucun étranglement nele sépare de l'estomac, qu'il forme avec lui un même sac, el que souvent la proie trop volumineuse pour tenir dans le cul-de-sac remplit aussi l’œsophage, on pourrait à la rigueur le considérer comme faisant partie de l'estomac : dans l'estomac du Cheval, la muqueuse de la portion cardiaque pré- sente ainsi tons les caractères de la muqueuse œsophagienne. En tout cas, cet œsophage de l’Anguille diffère en quelque chose par ses fonctions de celui des Mammifères, puisque les aliments y séjournent. e
A l'extrémité du canal pylorique existe une valvule très déve- loppée, sous laquelle s'ouvre le canal cholédoque qui est court; immédiatement derrière cette valvule, la muqueuse change com plétement; dans l'estomac, elle est lisse, unie, ne présente que quelques plis longitudinaux peu élevés ; dans l'intestin elle est couverte de plis très nombreux, très élevés, dirigés dans tous les sens, et anastomosés eulre eux de manière à circonserire de pro- fondes alvéoles.
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Voyons maintenant quelle est la structure microscopique de toutes ces parties; examinons d’abord la surface de la muqueuse œsophagienne ; on n’y voit aucun indice de glandes, mais elle est partout couverte d'un épithélium formé de grosses cellules arron- dies qui ne sont pas comprimées les unes contre les autres, puis- qu'elles conservent la forme ronde, mais sont séparées par une matière intercellulaire jaune, épaisse, opaque, dans laquelle elles paraissent empâtées. En quelques points, il semble même qu’une cellule se soit rompue, se soit détachée, et que la place en soit restée vide. Quand on racle cette surface avec un scalpel, on enlève une couche d'apparence muqueuse qui se montre au microscope entièrement formée de semblables cellules; elles ont un contenu granuleux et un noyau. Dans les parties profondes, il semble exister des cellules beaucoup plus petites, presque réduites à leur noyau. Sur des coupes, on reconnaît qu'il n’y a aucune glande, que les cellules ne sont pas aplaties; qu'au contraire, elles sont allongées, ovoïdes, et que le plus grand diamètre en est perpen- diculaire à la muqueuse. Il y en a toujours plusieurs les unes au- dessus des autres dans l'épaisseur de l'épithélium; mais elles ne forment pas de véritables couches, parce que leur longueur varie, et qu’elles se placent ainsi à des hauteurs différentes. L’épaisseur de l’épithélium est elle-même variable ; elle est le plus souvent de 0°*,05 ou 0**,06. La hauteur des cellules est de 0" ,03 ou 0"",04 le plus souvent. Il n’y en a que deux ou trois dans l'épaisseur de l'épithélium ; leur diamètre, quand on le regarde par la partie supérieure, est d'environ 0°*,018. Cet épithélium est donc de la nature des épithéliums pavimenteux, mais plutôt ce que Henle appelle, dans son Anatomie générale, un épithélium de transition, formant le passage entre le véritable épithélium pavimenteux et l'épithélium cylindrique. Pour bien s'assurer que l’épithélium est complet, comme je l’ai décrit, que les parties supérieures ne sont pas détachées, il faut l’observer au fond des plis longitudinaux qui couvrent en grand nombre la surface de l’æsophage. Au fond de ces plis, les épithéliums qui couvrent les deux faces opposées sont en contact, et il y a tout lieu de croire que chacun d’eux est com- plet. Eh bien, dans ces plis, l’épithélium est, comme je l’ai décrit,
DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 235
uniquement formé par de grosses cellules ovoïdes, perpendicu- laires à la surface, et le plus souvent sur deux rangs d'épaisseur. Quant aux petites cellules dont j'ai parlé et qui existeraient dans la profondeur, on ne les voit pas nettement sur les coupes, sans doute à cause de leur petitesse ; mais elles peuvent exister à la sur- face de la muqueuse sous les grosses cellules.
L’estomac est couvert lui aussi d’un épithélium, mais tout dif- férent de celui de l’œsophage sous tous les rapports. Quand on le regarde par la partie supérieure, il est composé de cellules poly- sonales, le plus souvent à six ou cinq côtés, exactement compri- mées les unes contre les autres, séparées seulement par de minces lignes amorphes, formant une mosaïque très régulière, qui con- trasie d’une manière frappante avec l’épithélium œsophagien.
Les pièces de cette mosaïque sont beaucoup plus petites que les cellules de cet épithélium ; le diamètre en est moindre environ de moitié. Elles sont très claires, tandis que l’épithélium æsophagien est obscur, trouble. |
Quand on examine des coupes faites à travers l'estomac, on voit que l’épithélium est formé d’une seule couche de cellules cylindriques très allongées ; les cellules détachées montrent très nettement dans leur intérieur un noyau ovoïde, situé à peu près au milieu de la hauteur, et sur l'extrémité libre un bord épaissi.
L’épithélium stomacal est donc bien un épithélium cylindrique ; il apparaît sur la muqueuse, dès que celle-ci change d’aspect ; c’est à lui qu’elle doit, sans doute, son apparence veloutée. Il n’y a pas transition insensible d’un des épithéliums à l’autre; ils se trouvent en contact avec tous leurs caractères des deux côtés d’une ligne plus ou moins sinueuse et irrégulière. Des îlots de l’épithélium cylindrique se montrent quelquefois complétement enclavés au milieu des cellules de l’épithélium pavimenteux.
À quelque distance seulement de cette ligne commencent à se montrer des taches rondes jaunâtres, quand on les éclaire par transmission ; blanches, quand on les éclaire par réflexion, et qui donnent beaucoup d’opacité à la muqueuse. Elles sont d’abord réunies par petits groupes, laissant entre eux de larges intervalles couverts par l’épithélium stomacal. Le nombre des taches com-
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prises dans chaque groupe augmente en même temps que les groupes se rapprochent, et bientôt les taches couvrent uniformé- ment toute la muqueuse; 1l reste toujours entre elles de petits intervalles où se voit l’épithélium cylindrique. Quand on a disposé le microscope pour voir neltement l’épithélium, il faut l'abaisser pour voir nettement ces taches qui paraissent alors formées de granules. Elles correspondent donc à des cavités pleines de gra- nules, et l’on peut même suivre l’épithélium cylindrique jusque dans ces cavités ; on le voit s’infléchir sur leur bord et y des- cendre. Si l'on traite par la potasse ou par la soude, les taches disparaissent, la muqueuse devient très transparente, el se montre composée d’un réseau, dont les mailles étaient tout à l'heure occu- pées par les taches. Dans quelques-unes de ces mailles, on voit encore des granules jaunâtres ; en comprimant un peu ils arrivent au contact de la potasse et disparaissent.
Les parois des mailles n'ont pas toutes la même épaisseur ; il y a comme des mailles de différents ordres : des mailles à parois épaisses circonserivant un certain nombre de mailles à parois plus minces. On peut encore faire apparaïilre ce réseau en laissant macérer la muqueuse pendant longtemps dans l’eau, ou en la comprimant sous le compresseur. Quand on la comprime ainsi, on voit les taches se décomposer en granules qui s’écoulent, et à leur place restent des mailles.
Pour étudier la forme de ces cavités, et surtout leur contenu, il faut faire des coupes sur des muqueuses fraiches avec le couteau double ; on reconnaît alors que chaque tache correspond à un véri- table tube, dans lequel l’épithélium eylindrique descend jusqu’à une certaine profondeur, et dont le reste est occupé par de petites cellules rondes remplies de granules qui les rendent très obscures ; elles sont pressées en grand nombre les unes contre les autres. Si l’on comprime un peu la coupe, les cellales vont sortir, mais sans se séparer ; elles forment de petites masses ; elles semblent réunies par un liquide mucilagineux ; elles sont tellement pleines de gra- nules qu'on n’en peut distinguer les parois, et qu'on pourrait les prendre pour des agglomérations de granules agglutinés ensemble, d'autant plus que le noyau est caché d'ordinaire par les granules.
DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 237
Quelquefois les noyaux sont très apparents sous forme de petites taches pâles transparentes, et le contour des cellules n’est pas discernable. Si la coupe a été mise dans de l’eau et non dans l’eau salée, les cellules éclatent, et ce ne sont plus des cellules qui sortent des glandes, mais seulement des granules. Le diamètre des cellules est d'environ 0"",01, celui des granules de 0"",001. Ils sont animés du mouvement brownien quand ils sont libres.
Pour bien reconnaitre la forme de ces tubes, ce n’est plus sur des muqueuses fraîches qu'il faut opérer, mais sur des muqueuses qui commencent à se dessécher, où mieux encore préparées , comme je l’ai dit, avec l'alcool où avec le carbonate de potasse. On voit alors que ce sont bien des tubes simples dans toute leur étendue ; peut-être y a-t-il en quelques points des tubes formés par la réunion de plusieurs autres, comme on en trouve dans l'estomac de l'Homme ; mais quand les coupes étaient très nettes, j'ai toujours vu les tubes simples ; les dimensions en sont variables : la longueur est le plus souvent de 0"",8, la largeur de 0"",015. La partie occupée par l'épithélium stomacal est environ le tiers ou le quart de la longueur totale ; ces dimensions sont variables. Quand les coupes sont faites sur des pièces préparées par l'alcool, le contenu esttoujours obseur, et a conservé à peu près son aspect. On augmente beaucoup la clarté de ces coupes en les traitant par l'acide acétique ; si l’on traite ensuite par l’acide nitrique, les tubes pepsiques se colorent en jaune, et prennent plus de relief encore ; en même temps, les noyaux des cellules pepsiques apparaissent sous forme de taches pâles. Quand les coupes sont faites sur des pièces préparées par le carbonate de potasse, les tubes sont très transparents ; ils sont parsemés de petites taches pâles très nettes, régulièrement espacées ; ces taches doivent être-les noyaux des cellules pepsiques.
Si on laisse macérer un estomac pendant longtemps dans l'acide acétique, la surface de la muqueuse se réduit en une pulpe; celte pulpe, observée au microscope, est formée par les cellules de l’épithélium cylindrique, et par les tübes gastriques dont le contenu s’est solidifié. Ces tubes ont conservé le même aspect; sur ceux qui sont isolés, on voit très bien les cellules pepsiques avec leur
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noyau; quelques-unes sont hbres. Les tubes ne sont pas entiers; la partie épithéliale s’est séparée de la partie pepsique.
Comme l’on comprime pour isoler ces tubes, ceux-ci sont le plus souvent brisés : en les faisant courir sous le microscope, on voit très bien que ces fragments sont cylindriques, et ce sont là certainement des tubes pepsiques, offrant par leurs dimensions et leur contenu la plus grande ressemblance avec ceux des Mammi- fères ; ils sont simples ; le cul-de-sac n’est nullement ramifié ni divisé. Ils existent dans toute l’étendue du cul-de-sac; on n’en trouve plus un seul dans la branche pylorique.
La muqueuse de cette branche, observée par sa partie supé- rieure, n’est plus obscure comme celle du eul-de-sa; elle est très claire et laisse voir très nettement l'épithélium cylindrique. Elle est percée de distance en distance d'ouvertures entourées d’une sorte d’auréole sombre; les ouvertures sont assez rappro- chées pour que les auréoles se touchent. Le diamètre de ces auréoles est variable ; il est de 0“*,09 en moyenne; le diamètre des ouvertures est en moyenne de 0*",03. Les bords de ces ouvertures sont plus ou moins rapprochés. Elles semblent con- tractiles. Tantôt les bords se touchent, et l’ouverture se réduit à une fente; d’autres fois ils s’écartent, et l’ouverture est triangu- laire ou arrondie. Si l’on fait des coupes, on reconnait que chaque ouverture correspond à un large tube, recouvert sur toute sa sur- face par l’épithélium cylindrique clair. Sur des pièces fraîches ces tubes se voient très bien. Ils se touchent presque. Leur profon- deur est seulement de 0"",15, leur largeur est de 0"",03,. Il existe toujours une cavité dans leur centre. Quand on laisse macérer l'estomac dans l’acide acétique, la muqueuse du canal pylorique ne se réduit pas en pulpe, comme celle du cul-de-sac. Ces tubes ressemblent tout à fait aux glandes que Leydig a décrites dans l'estomac de l’Esturgeon, et qu'il a considérées comme des glandes pepsiques, et ressemblent aussi beaucoup aux glandes muqueuses que l’on trouve dans la région pylorique de l'estomac des Mam-— mifères; ce sont certainement les analogues de ces glandes. Il y a donc dans l’estomac de l’Anguille, comme dans l'estomac des Mammifères, une partie pepsique et une partie muqueuse, si l'on
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peut ainsi parler, et celle partie occupe, comme chez les Mammi- fères, la région pylorique. L'existence exclusive dans ces tubes de cellules tout à fait semblables par leur forme et leur contenu à celles de l’épithélium qui recouvre toute la surface de l'estomac, me paraît démontrer que cet épithélium fournit une sécrétion ; car les cellules des tubes ne peuvent pas avoir d’autre fonction que de sécréter.
$ III. — La Perche.
Chez la Perche l'estomac présente encore un cul-de-sac, une branche pylorique et une branche cardiaque. Mais toutes ces par- ties, au lieu d'être allongées comme dans l’Anguille, sont larges et courtes, et la branche pylorique n’est plus pressée contre la branche cardiaque, elle lui est perpendiculaire.
Un étranglement très prononcé sépare encore la branche pylo- rique de l'intestin; aucun étranglement ne sépare l'estomac de l’æsophage. Si l'on ouvre ces organes, on reconnait que la mu- queuse æsophagienne et la muqueuse stomacale sont encore lisses, ou du moins ne présentent que quelques plis longitudinaux. Au contraire, la muqueuse intestinale se relève en un grand nombre de plis très élevés et anastomosés entre eux. Une valvule existe au pylore : derrière cette valvule viennent s'ouvrir dans l'intestin trois appendices pyloriques, très larges, presque aussi grands chacun que le cul-de-sac de l'estomac; à la base de l’un de ces appendices débouche le canal cholédoque qui est court.
L'æsophage est excessivement court d’une manière absolue et proportionnellement à l'estomac. Il ne s'étend pas jusqu’à la branche pylorique, comme chez l’Anguille, et bien que le tube, qui s'étend du cul-de-sac à la bouche, soit très petit, 1l n’occupe qu’une très petite partie de ce tube. Sa surface présente un grand nombre de plis microscopiques. Elle est couverte d’un épithélium tout à fait identique avec celui qui existe sur l’æsopbage de l'An guille. La muqueuse du cul-de-sac offre aussi tous les mêmes carac- tères que celle du eul-de-sac de l'estomac de l’Anguille; elle est couverte du même épithélium cylindrique et contient des glandes
210 M. VALATOUR, —-- GLANDES GASTRIQUES
pepsiques en tubes simples tout à fait semblables, remplis des mêmes cellules pepsiques. De même les glandes commencent à quelque distance de la ligne de séparation entre l’épithélium œso- phagien et l’épithélium stomacal. Elles sont d'abord par petits groupes isolés, qui se rapprochent ensuite, et couvrent régulière- ment toute la surface.
Cette ressemblance n'existe plus qu'en partie dans la branche pylorique; cette branche est encore tout à fait dépourvue de glandes pepsiques ; elle est claire, couverte de l’épithélium cylindrique, mais sa surface ne présente plus les mêmes ouvertures; il n’y a pas de tube muqueux, mais à leur place un très grand nombre de plis fort sinueux. Sur les coupes transversales, l'apparence est absolument la même que sur les coupes faites à travers la mu- queuse du canal pylorique de l’Anguille. Les coupes des plis figurent des coupes de larges tubes partout recouverts de l’épithé- lium cylindrique.
La profondeur de ces dépressions et leur largeur sont à peu près les mêmes que les dimensions correspondantes dans les tubes muqueux de lAnguille. I ne faut pas attacher d'importance à cette différence. Les organes sécréteurs du mucus sont les cellules de l’épithélium eylindrique; dans les régions où il doit se faire une abondante sécrétion de mucus, ces cellules doivent être aussi très abondantes. Comme elles ne forment qu'une seule couche, il faut alors que la surface qui les porte se multiplie beaucoup; dans ce but elle se creusera de larges tubes, comme dans l'An- guille, ou de longues dépressions flexueuses, comme dans la Perche : le résultat final sera toujours le même. Dans la Perche comme dans l’Anguille, le canal pylorique est donc le siége d’une abondante sécrétion muqueuse.
$ IV. — Le Brochet.
Chez le Brochet, l’estomac ne présente plus la forme type. II n'a plus de branche pylorique; il est composé d’un tube simple, séparé de l'intestin par un étranglement et prolongé en avant par un œsophage de même largeur que lui. Cet œsophage est très
[DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 241
long, comme chez l’'Anguille, au moins aussi long que l’estomac et non plus rudimentaire comme chez la Perche; chez un Brochet de taille moyenne il a de 5 à 6 centimètres de long. La surface de l’æsophage et celle de l'estomac offrent identiquement le même aspect que chez les Poissons précédents. La surface intestinale s'en distingue encore d’une manière frappante; elle n’est plus couverte de longs plis anastomosés, mais de petites lames en forme de papilles ; le canal cholédoque ne s’ouvre plus immédia- LS derrière la valvule pylorique, mais à une certaine distance, 4 ou 2 centimètres. Le canal cholédoque n’est plus court comme dans les Poissons précédents, il est très allongé; la vésicule du fiel restant près de la partie antérieure de sers et le pylore s'étant beaucoup éloigné.
L’estomac est très nettement acide, comme celui de la Perche, quand il contient des aliments.
Si l’on étudie toutes ces parties au microscope, on reconnait que l’æsophage est encore couvert du même épithélium pavimen- teux, l'estomac du même épithélium cylindrique. La muqueuse stomacale renferme de nombreuses glandes gastriques pressées les unes contre les autres, ce sont toujours des tubes simples offrant une partie épithéliale et une partie pepsique, et tout à fait semblables à ceux de l'Anguille. La muqueuse stomacale offre à l'œil nu deux aspects différents : dans la région pylorique elle est blanche, comme dans la branche pylorique de l’Anguille; dans le reste de l'estomac, elle est jaunâtre.
C’est dans la partie jaunâtre qu'existent les glandes pepsiques simples dont je viens de parler. Dans la région pylorique, les glandes sont un peu différentes; la muqueuse observée par la partie supérieure présente toujours des ouvertures circulaires; mais elles sont plus espacées et surtout ne sont plus obscures, comme les ouvertures des glandes pepsiques ordinaires; elles sont aussi claires que le reste de la muqueuse. En faisant des coupes, on reconnaît qu’à chaque ouverture correspond un tube ayant 0"",08 de largeur environ et 0"",15 de profondeur, et recouvert dans toute son étendue par l’épithélium cylindrique clair. Tout près du py- lore, les glandes paraissent se réduire à ce tube; mais à une dis-
4° série. Zoor, T. XVI, (Cahier n° k.; 4 46
212 M. VALATOUR, — GLANDES GASTRIQUES
tance même très faible, on voit plusieurs petits tubes pepsiques, trois ou quatre aboutir, au fond de cette première glande; ils peuvent avoir alors 0"",03 de long et 0"",012 de large. A mesure que l’on s'éloigne du pylore, ces petits tubes pepsiques s’allongent et s’élargissent en même temps; ils se rapprochent et se pressent bientôt les uns contre les autres, leur nombre paraît diminuer dans chaque groupe et ils passent aux glandes pepsiques de la partie moyenne de l'estomac (1.
Ve
Parmi les Poissons que j'ai pu observer vivants, la Perche, le Brochet, l’Anguille sont les seuls qui aient un véritable estomac; mais j'ai encore recherché les glandes gastriques chez un certain nombre de Poissons de mer, le Maquereau, le Hareng, le Merlan et la Sole. Ces Poissons n'étaient plus assez frais dans l’état où je
(4) Dans plusieurs des Brochets que j'ai ouverts, j'ai trouvé sur la surface de l'estomac, quelle que füt l'époque de l'année, un certain nombre de petits tuber- cules blanchâtres, visibles à l'œil nu , les uns présentant une ouverture à leur sommet, les autres complétement fermés. On reconnaît au microscope que ces tubercules sont de véritables kystes vermineux à parois épaisses, situés dans la muqueuse. Tous ceux qui présentent une ouverture sont vides, les autres, au contraire, contiennent un ver nématoïde, un spiroptère, je crois, de 4 millimètre de long au moins sur 0"%,03 de large environ, plus ou moins enroulé sur lui- même en spirale, Quand le ver est à l’intérieur du kyste, il est immobile ; quand on le retire, qu'il est devenu libre, il exécute des mouvements rapides. Dans des muqueuses abandonnées à l’air ou dans l'eau depuis plus de huit jours, les vers qu'on retire des kystes sont encore vivants.
Des kystes vermineux ont été reconnus dans l'estomac de certains Poissons de mer, mais je ne crois pas qu'on en ait jamais signalé dansle Brochet ; et cepen- dant leur existence me paraît très fréquente ; je les ai trouvés dans la moitié environ des Brochets que j'ai ouverts.
Dans l'estomac d'un Brochet j'ai trouvé onze grands vers trématodes fixés par leur ventouse buccale à la paroi de la muqueuse ; ces vers étaient certainement des Distoma tereticolle. D'après Dujardin (Histoire naturelle des Helminthes) le Distoma tereticolle se trouve assez communémenten Allemagne et dans le Dane- marck, entre les plis de l'estomac des vieux Brochets, mais n’a jamais été trouvé en France.
DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 213 les ai observés, il ne fallait pas songer à faire sur eux une étude, complète des glandes gastriques. Les épithéliums n’existaient plus ; mais les glandes étaient encore assez apparentes pour qu'on en püt reconnaître l'existence, la forme tubulaire et le contenu obscur, jaunâtre et granuleux. Ce n’est pas en de pareils cas qu’on peut rechercher si les tubes sont simples ou se réunissent plusieurs ensemble, ce qui a peu d'importance; mais on reconnaît bien qu'il y a des tubes allongés. A défaut des épithéliums, j'ai reconnu l’œsophage à l'absence des glandes; le canal pylorique en est aussi dépourvu.
Chez le Maquereau, le Hareng et le Merlan, l'estomac présente la forme type. Il est composé d’une branche cardiaque, d’un cul- de-sac et d’une branche pylorique. La: branche pylorique est longue, perpendiculaire au cul-de-sac, au moins à son origine, toujours séparée de l'intestin par un étranglement. La branche cardiaque se continue tout d’une venue, sans changement de dia- mètre avec l'æsophage. Nous avons vu que chez l’Anguille l'esto- mac ne commence guére qu’à l'embouchure de la branche pylo- rique; la branche cardiaque est très réduite, l’œsophage très allongé. Chez la Perche, au contraire, la branche cardiaque s’al- longe aux dépens de l’œsophage dont la longueur devient très petite.
Les Poissons que nous étudions maintenant se rapprochent de la Perche. Bien que le tube qui conduit du eul-de-sae à la bouche, soit assez long, il est occupé presque entièrement par la branche cardiaque ; l’œsophage est très court. Chez le Maquereau, où le canal formé par l’œsophage et l'estomac, non compris la branche pylorique, a 12 centimètres de long, le eul-de-sac a seulement 5 centimètres.
Dans le Merlan, la partie formée par l’œsophage et la branche cardiaque est encore plus longue à proportion; le cul-de-sac est très petit. Chez le Hareng, cette partie est au contraire plus courte que le cul-de-sac, mais reste encore assez longue.
Chez ces trois poissons, il y a de nombreux appendices pylo- riques, qui viennent s’insérer dans l'intestin immédiatement après le pylore. La fonction de ces organes n’est pas encore connue.
2h M, VALATOUR., — CLANDES GASTRIQUES
Ils sont certainement destinés à fournir une abondante sécrétion. Leur muqueuse a la même structure que celle de l'intestin. Comme il n'y a pas de glandes, la sécrétion doit être fournie par les cel- lules épithéliales, les mêmes que celles qui existent dans l'intestin. Il faut en conclure que l’épithélium intestinal lui-même produit une sécrétion importante, et peut-être cette sécrétion jouit-elle de propriétés spéciales, et supplée à celles qui semblent manquer chez les Poissons. Dans son mémoire sur le pancréas, inséré dansles Suppléments aux Comptes rendus, M. CI. Bernarddit avoir étudié le liquide qui remplit l'intestin, et lui avoir trouvé les mêmes fonctions qu'au mélange de bile et de sue pancréatique qui existe dans l'intestin des Mammifères, et pour lui ce mélange est le liquide digestif par excellence; le vrai liquide digestif n’est pas le suc gastrique, comme le pensait Spallanzani. Si. l'estomac manque réellement chez les Cyprinoïdes, ce serait une preuve en faveur de cette manière de voir, et comme le pancréas semble manquer, il faut bien chercher, ainsi que le laisse entendre M. Cl. Bernard, des organes équivalents dans les cellules épi- théliales.
L’estomac de la Sole est entièrement différent de tous ceux que nous avons examinés jusqu'ici. Il est composé d’un tube droit sans branche pylorique, s’ouvrant largement en avant dans l'œso- phage et en arrière dans l'intestin. Nulle part il n'existe d’étran- glements; mais à sa terminaison même du côté de l'intestin il forme une petite dilatation, une petite courbure, un commence- ment de cul-de-sac. Le pylore se reconnait à la différence d'aspect de la muqueuse stomacale et de la muqueuse intestinale : la pre- mière est, comme à l’ordinare, lisse et veloutée, la seconde cou- verte de plis réticulés.
Au microscope, on reconnait un œsophage qui a À centimètre de long sur une Sole, chez laquelle le tube s'étendant de la bouche au pylore avait 4 centimètres. C’est proportionnellement une lon- gueur assez grande , si l’on se rappelle le Merlan ou le Maque- reau. La muqueuse de cet æsophage ne renferme pas de glandes, mais sa surface offre comme toujours des plis nombreux longi- tudinaux ; elle est couverte de l'épithélium æsophagien, semblable
DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 245 à celui des autres Poissons. Cette Sole était tellement fraiche, que l'épithélium œsophagien était très bien conservé. La muqueuse stomacale renferme des glandes tubulaires pepsiques, très recon- paissables. Les glandes tubulaires n'existent plus dans l'intestin,
La Lotte commune ou de rivière (Gadus lota).
Parmi les Poissons de la famille des Gades, qui comprend les Merlans, les Morues, etc., il en est un qui remonte les rivières et qu'on peut se procurer vivant à Paris, c’est la Lotte. Il était inté- ressant d’en étudier les glandes gastriques en le prenant pour type de Ja famille.
Son estomac présente un cul-de-sal, une branche pylorique et une branche cardiaque. Celle-ci est très développée, le cul-de-sac est très réduit, ainsi que la branche pylorique. L'œsophage est court : sur la Lotte que j'ai examinée il avait 1 centimètre de long, tandis que la branche cardiaque avec le eul-de-sac en avait 5. Il est recouvert par l’épithélium pavimenteux ordinaire et manque de glandes. L’estomac est recouvert par l’épithélium cylindrique ordinaire, sa muqueuse contient dans la branche cardiaque et le cul-de-sac des glandes pepsiques en tube. Quelques-uns de ces tubes paraissent simples dans toute leur longueur, mais presque tous semblent se réunir par deux, trois, quatre ou cinq, ou même plus, en un tube unique, et forment ainsi un tube divisé tout à fait semblable aux glandes de l'estomac humain, figurées et décrites sous le nom de glandes utriculaires composées, dans l’Histologie de Külliker. Ils ont, sur des coupes failes dans la partie moyenne de l'estomac, 0"",5 de long et 0*",045 de large ; le premier quart environ est revêtu par l’épithélium cylindrique, le reste est rempli par les cellules pepsiques. Ils ne sont plus régulièrement pressés les uns contre les autres, laissant à peine entre eux un intervalle appréciable, comme chez l’Anguille ou le Brochet; ils sont par groupes de dix, vingt ou trente environ, séparés par des intervalles assez larges, de 0°",02 par exemple. Dans la branche pylorique les glandes pepsiques manquent complétement, on ne trouve plus que l'épithélium cylindrique.
246 M. VALATOUR, — GLANDES GASTRIQUES
CHAPITRE JI.
Détermination des différentes parties du tube digestif dans les Gyprinoïdes, particulièrement la Carpe et la Tanche.
8 VI
Chez les Cyprinoïdes, le tube digestif, d’abord formé d’un canal étroit et très court ressemblant beaucoup à un æsophage, se renfle subitement, et ne présente plus en aucun point ni étranglemient, ni cæcum, qui indique un estomac. Presque à l’origine de cette partie renflée vient s'ouvrir le canal cholédoque , et la surface interne présente des plis nombreux analogues à ceux de l'intestin des autres Poissons, et nullement cet aspect velouté et lisse qui caractérise l’estomac. Dans la Carpe seule, au lieu de plis, existent des ouvertures circulaires, très visibles à l’œil nu; ces plis ou ces ouvertures se retrouvent dans toute l’étendue de la muqueuse jusqu'à l’anus ; ils varient seulement de grandeur. Puisque le tube présente le même aspect dans toute sa longueur, il est tout entier inteslin ou tout entier estomac; mais il ressemble bien plus à un imtestin, et d’ailleurs le canal cholédoque s'ouvre toujours au com- mencement de l'intestin; et il a été démontré, au moins dans les Mammifères, que la bile, en se mélangeant avec le suc gastrique, détruit son action dissolvante. D'un autre côté, le canal étroit, par lequel commence le tube digestif, est très court (il a À centimètre environ chez les Carpes dont le corps mesure 32 centimètres de long jusqu'à l’origine de la queue; chez la Tanche, il est plus long; chez une Tanche dont le corps mesure 25 centimètres de long jusqu’à l'origine de la queue, il a près de 2 centimètres). Sa muqueuse à la même apparence que celle de l’œsophage ; les aliments n'y séjournent pas : c’est probablement un œsophage. II n y aurait donc pas d'intermédiaire entre l'œsophage et l’intestin ; l'estomac n’existerait pas. Voyons quelles sont les opinions des auteurs à ce sujet. Dans la première édition de l’Anatomie com parée, 1805, Cavier dit : « Dans les Carpes, on ne peut distinguer
DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 247
» l'estomac du reste du canal alimentaire. » Dans la seconde édi- tion revue par Duvernoy (1835), le canal étroit qui précède la partie renflée est regardé comme répondant à la fois à l’œsophage et à l'estomac ; la partie renflée tout entière est un intestin, l’œso- phage et l'estomac sont à l’état rudimentaire. Cependant, dans l'Histoire des Poissons (Cuvier et Valenciennes, 1842), la partie renflée est encore considérée comme un estomac jusqu’à la pre- mière courbure. Pour Meckel (Anatomie comparée, 1836), la pre- mière circonvolulion de la partie renflée correspond aussi à l'estomac. Stannius (Anatomie comparée, 1848) dit que, dans certains Poissons, les Cyprins entre autres, l'estomac n’est pas distinct de l'æsophage. Enfin Weber {comme je lis dans le pré- cieux ouvrage de M. Milne Edwards sur l’Anatomie et la physio- logie comparées) regarde (Archives de Meckel, 1827) la partie comprise entre l'insertion du canal cholédoque et l’origine de la partie renflée comme l'estomac. Bischoff est, je crois, le seul qui ait étudié la question, à l’aide du microscope, dans le mémoire que j’ai déjà cité, el auquel je renvoie; je rappellerai seulement qu'il regarde les tubes de la muqueuse de la Carpe comme des glandes gastriques, et que, ces tubes n’existant pas dans les autres Cyprins, il leur refuse un estomac. Quant à la partie étroite, c’est pour lui un œsophage, il le reconnait à l’épithélium.
Je dois ajouter ici que, quand les chimistes ont voulu étudier le sue gastrique des Poissons, c’est assez souvent à la Carpe qu'ils se sont adressés. C’est ce qu'ont fait MM. Leuret et Lassaigne (Rech. physiol. et chim. sur la digestion, 1825) : « Nous avons appliqué, disent-ils, du papier de tournesol sur la membrane interne de l'estomac de la Carpe, et il a constamment rougi comme dans un acide. » Je suppose que, pour eux, l’estomac est la première cir- convolution de l'intestin, et elle est presque toujours mouillée par la bile. Je l’ai souvent trouvée alcaline, je ne l’ai jamais trouvée acide.
Ainsi, pour Duvernoy et pour Stannins, l’œæsophage et l'esto- mac se confondent dans la partie étroite. Quelle doit en être alors la structure microscopique ? Pour Cuvier et Meckel, l'estomac est la première circonvolution de la partie renflée. Le microscope
218 M. VALATOUR. — GLANDES GASTRIQUES
peut-il montrer quelque différence entre la muqueuse de cette première circonvolution et la muqueuse de l'intestin des autres poissons ? J’ai cherché à répondre à ces deux questions.
J'ai étudié la muqueuse de la partie étroite par tous les procédés dont j'ai déjà parlé, sur le frais et sur des pièces préparées par l'alcool ou le carbonate de potasse; je l'ai étudiée successivement chez la Carpe, la Tanche et le Gardon ; je lai trouvée tout à fait semblable à la muqueuse œsophagienne de la Perche ou du Bro- chet. Elle ne renferme pas de glandes, mais sa surface forme un très grand nombre de plis, et se trouve couverte d’un épithélium pavimenteux semblable à celui de l’æsophage des autres poissons, c’est-à-dire formée de grosses cellules ovoïdes, perpendiculaires à la surface; les cellules ne m'ont paru différer en rien de celles des autres Poissons. J'en conclus que cette partie étroite est un œsophage, et uniquement un œsophage qui n’est pas plus rudi- mentaire que chez la Perche ou les Poissons de mer que j'ai étu- diés. Pour répondre à la seconde question, il fallait observer la muqueuse intestinale de l’Anguille et de la Perche, c’est ce que j'ai fait.
Que l’on observe là muqueuse intestinale des Cyprinoïdes, de l’Anguille ou de la Perche, on lrouve identiquement les mêmes résultats. La surface est couverte d’un épithélium cylindrique formé d’une seule couche de cellules : on le reconnait sur des coupes transverses faites sur le frais ou sur les pièces préparées.
Pour bien voir cet épithélium, il suffit de gratter la surface de la muqueuse avec un scalpel : on enlève des lambeaux muqueux composés entièrement des cellules épithéliales. Placées dans l’eau salée, sous le microscope, les unes se présentent droites, les autres couchées. Les premières forment, comme l’épithélium stomacal, une véritable mosaïque ; les secondes forment des groupes de cylindres plus ou moins réguliers, accolés parallèlement les uns aux autres. Sur ces tubes couchés, l’on voit parfaitement un noyau intérieur avec un nucléole situé au milieu de la hauteur du tube, et un bord renflé, celui de lextrémité qui était libre. Ce bord n'existe pas toujours, quand les cellules sont groupées plusieurs ensemble ; il existe souvent quand les cellules sont isolées; il
DANS LES FOISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 249 parait quelquefois s’être détaché. Le noyau est granuleux ; il y à aussi quelques granules dans la cellule.
Quand on traite par l’acide acétique, les cellules qui se présen- tent de face et forment une mosaïque montrent un gros noyau dans chaque pièce de la mosaïque. On voit encore très bien cet épithélinm en opérant sur des muqueuses qui ont séjourné quel- ques heures dans l'acide acétique.
Si l’on étudie ainsi, dans la Perche ou dans l’Anguille, les cel- lules épithéliales de l'intestin et celles de l’estomac isolées, on n'y voit guère de différence ; mais si on les étudie sur place au moyen des coupes, ou bien dans des groupes, on reconnaît certaines dif- férences qui permettent de les distinguer. Sur les coupes, l'épi- thélium stomacal est toujours très clair; les lignes de séparation entre les cellules sont très nettes, très régulières, à très peu près parallèles. Dans l'intestin, il n’en n’est plus de même ; les cellules sont toujours obscures ; elles paraissent plus étroites, plus pres- sées, plus intimement unies ; les lignes de séparation se distin- guent bien, mais elles ne sont plus aussi nettes, aussi régulières. Les cellules semblent former une sorte de feutrage, tout en restant à peu près parallèles. Ceci n’est pas particulier aux Poissons.
Külliker, dans son Histologie humaine, ne parle pas de l’épi- thélium stomacal, mais il dit : « Les cellules de l’épithélium intes- » tinal sont unies entre elles d’une manière si intime, que, peu » d'instants même après la mort, on ne voit pas, ou l’on ne voit » qu'indistinctement, leur contour quand on les examine de » profil. »
Cela est vrai pour l'intestin des Poissons; mais dans l'estomac, les contours de l’épithélium sont très nets.
Or, dans la partie renflée du tube digestif des Cyprinoïdes, l’épithélium est tout à fait semblable à celui de l'intestin de l'An- guille et de la Perche, et non pas à l’épithélium stomacal de ces mêmes Poissons.
On ne peut étudier la muqueuse par la partie supérieure, à cause des nombreux plis qui se superposent; il faut l’étudier sur des coupes. On reconnait alors, sur une Perche par exemple, de nombreuses dépressions qui ressemblent tout à fait à des coupes
250 M. VALATOUR., — GLANDES GASTRIQUES
de larges tubes, mais ne correspondent pas à des tubes, ils corres- pondent à des plis. Ces plis se touchent presque, sont séparés seu- lement par de minces lames cellulaires ; ils sont recouverts dans toute leur étendue par l’épithélium cylindrique que je viens de décrire. Le tissu cellulaire qui en forme la charpente constitue une couche d’une certaine épaisseur entre eux et les couches muscu- laires ; on n’y reconnaît aucune glande.
Les coupes faites en différents points de la partie renflée du tube digestif de ia Carpe, de la Tanche ou du Gardon, présentent iden- tiquement la même apparence, à la grandeur des tubes près. Les ouvertures circulaires, visibles sur l'estomac de la Carpe, corres- pondent bien à de longs tubes parfaitement cylindriques ; mais l'apparence est la même que sur une coupe faile à travers l’intes- tin d’un Gardon. Ces tübes doivent être considérés comme une manière d’être des plis; ils forment un réseau ; cependant on pourrait les comparer aux glandes de Lieberkühn des Mammi- fères ; dans les autres Cyprinoïdes, ces glandes seraient suppléées par les plis de la muqueuse.
De tout cela, il me semble résulter que la partie renflée du tube digestif des Cyprinoïdes est bien un intestin, ne différant en rien de l'intestin d’un Poisson à estomac, de l'intestin d’une Perche par exemple.
Je n’y vois aucun organe sécréteur spécial n’existant pas dans l'intestin des autres Poissons. L’estomac manquerait donc com- plétement chez les Cyprinoïdes ; il ne serait confondu ni avec l'æsophage, ni avec l'intestin ; il n’existerait pas. C’est là un fait bien extraordinaire; même en réduisant beaucoup l'importance que l’on accordait au sue gastrique, ce suc a toujours des fonctions à remplir ; le régime des Cyprinoïdes ne suffit pas pour expliquer son absence.
I y a parmi les Mammifères et les Oiseaux des espèces dont le régime est plus essentiellement végétal que celui des Cyprinoïdes, et cependant elles ne manquent pas d'estomac.
Dans l'Histoire naturelle des Poissons de Cuvier et de Valen- ciennes, on lit que ces Poissons, les moins carnassiers de tous, se jettent cependant sur les Vers et les Insectes, et doivent être
DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 251
pêchés, à certaines époques, à la Mouche ou au Ver. Quelques espèces de Cyprins attaquent aussi les petits Poissons.
Il existe sur le palais des Cyprinoïdes un organe particulier qui n'existe pas dans la bouche des autres Poissons. Il est formé d’une couche épaisse d’un tissu mou, en apparence homogène, et recouvert d’une muqueuse blanche, rappelant un peu celle de la partie pylorique de l’estomac, et se continuant avec la mu- queuse du reste de la bouche qui paraît plus mince et plus sèche. Ne fournirait-il pas une sécrétion pouvant suppléer la sécrétion gastrique ?
M. Milne Edwards dit, dans sa Physiologie comparée, que la Carpe, après s'être gorgée d'aliments, en fait souvent remonter des portions de son estomac jusque dans son arrière-bouche pour les écraser entre les dents pharyngiennes, et que le même phéno- mène a été constaté chez la Tanche et la Brème. Les aliments ne reviennent-ils pas aussi dans la bouche pour s'imbiber du liquide qui serait fourni par l'organe palatin ? Il importe d'étudier la struc- ture microscopique de cet organe ; c’est ce qu'ont déjà fait Davaine et Leydig; il ne me restait qu'à vérifier leurs résultats au point de vue où je me plaçais.
Cuvier (Anatomie comparée, 1'° édit.) regarde cet organe comme une glande, et, pour lui, le tissu glandulaire est la masse même de l'organe, et non la muqueuse qui le recouvre. Duver- noy (Anatomie comparée de Cuvier, 2° édit.) ajoute qu’on ne con- naît pas à cette glande d'organes excréteurs apparents, et que les mucosités dont sa face est couverte paraissent transsuder par des pores invisibles. Or Davaine (Mémoires de la Société de biclogie), et plus tard Leydig (Lehrbuch der Histologie), ont démontré que la masse de l’organe est formée par des faisceaux de fibres museu- lires striées qui s’entrecroisent. Davaine aurait trouvé en même temps des fibres lisses ; Leydig n'a vu que des fibres striées. Dans son Histologie, il décrit l'organe palatin comme formé par ces muscles, des nerfs très abondants, un tissu cellulaire vasculaire, et des cellules de graisse plus où moins nombreuses; « il est » recouvert, dit-il, par une muqueuse qui ne se comporte pas » autrement que celle de l’arrière-bouche. » Ces résultats, si loin
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de ceux que l'on prévoyait, montrent combien le microscope est nécessaire pour la détermination des organes. Davaine regarde cet appareil comme destiné à faciliter la déglulition; Leydig confirme cette manière de voir.
Les premières fois que l’on observe cet organe, on est frappé de son irritabilité et de sa contractililé ; sa surface est parcourue spontanément par des sortes d’ondulations, dirigées de la bouche à l'intestin, et ressemblant jusqu’à un certain point à des mouve- ments de déglutition. Si on la touche, le point touché se soulève en un mamelon qui persiste un certain temps, puis s’efface ; si l'on fait passer à travers l'organe un courant électrique, il se contracte énergiquement à la manière des muscles striés. Ces phénomènes se produisent encore sur un organe séparé depuis assez long- temps du corps de l’animal. Si l’on observe une coupe transver- sale faite sur le frais ou sur des pièces préparées, l’on reconnait que cet organe est formé, daos presque toute son épaisseur, par des fibres musculaires striées, au milieu desquelles existent des cellules graisseuses. Cette graisse est abondante chez la Carpe et chez la Tanche ; elle existe à peine chez le Gardon. Au-dessus de ces muscles existe une très mince couche de tissu cellulaire, recouverte par un épithélium semblable à celui de l’œsophage, formé comme lui de cellules ovoides superposées ; ces cellules paraissent un peu plus petites, et forment un plus grand nombre de couches. Sur le frais, cette partie cellulaire s’enlève facilement de l'organe comme une muqueuse, emportant toujours avec elle des fibres musculaires entrecroisées. La surface n’est pas unie; elle offre des ouvertures circulaires correspondant à de petits tubes, visibles dans leur longueur sur les coupes transversales, et dans leur largeur sur les coupes parallèles à la surface. Ces tubes sont larges et courts; leur profondeur varie un peu avec les régions. Les fibres musculaires supérieures ne sont pas parallèles à la surface ; elles sont un peu obliques de haut en bas, se relèvent autour des cryptes. Ces cryptles sont partout recouverts du même épithélium que le reste de la surface ; je n’y ai pas trouvé de con- tenu spécial. Ils ne se trouvent pas sur loute la surface; en cer- tains points, il existe seulement de larges mamelons peu élevés,
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laissant entre eux d’étroiles vallées, qui ont le même aspect que les ervptes sur les coupes transversales.
Il ne paraît done pas qu’il y ait là une sécrétion comparable à la sécrétion gastrique ; il doit y avoir une sécrétion assez abondante, mais de même nature que celle fournie par l’épithélium buccal. J'ai appliqué du papier de tournesol à la surface de cet organe ; il n’a pas rougi, même quand j'avais irrité la muqueuse avec du poivre.
A la suite de cet appareil, entre lui et l’œsophage, existe encore un organe, dont le microscope a fait connaitre, il y a une dizaine d'années, la véritable nature : je veux parler du tubercule solide qui remplit la fossette de l’occipital inférieur, et contre lequel viennent frapper les dents pharyngiennes. M. Molin (Sitzungs- berichte der Kaiserlichen Akademie der Wissenschaften, 1850), a démontré que ce n’est autre chose qu’une callosité, un épaissis- sement de l’épithélium. I l’a étudié chez le Cyprinus carpio, la Tinca chrisitis, le Barbus fluviatilis, V'Abrahamis Brama, le Leuciseus lobula, le Chondrostoma nasus.
Cette callosité se détache facilement de l’apophyse de l’occipi- tal; si l’on en fait une coupe, on voit que la muqueuse se pro- longe au-dessous d'elle ; que la surface de cette muqueuse présente des plis recouverts par des cellules polygonales, pressées les unes contre les autres qui s'accumulent sur une très grande épais- seur, et forment le tubercule; près de la muqueuse, leur noyau est très net, et leur contenu est granuleux, obscur; à mesure qu’elles s’éloignent, elles deviennent plus claires.
Ainsi, dans les Cyprinoïdes que j'ai étudiés spécialement, la Carpe, le Gardon, la Tanche, je crois qu'il n’existe ni dans la bouche, ni dans l’œsophage, ni dans l'intestin, une sécrétion équi- valente à la sécrétion gastrique; du moins, je n’y trouve aucun organe contenant des cellules semblables à celles des tubes gas- triques de l’Anguille, par exemple. Du reste, si une pareille sécré- tion existait dans l'intestin, elle devrait avoir d’autres propriétés que le suc gastrique des Mammifères, puisqu'elle se trouverait mêlée à la bile ; il en serait de même si elle existait dans la bouche, et si les aliments revenaient pour s’en imprégner, après avoir
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séjourné dans l'intestin. Faut-il conclure que la digestion se fait uniquement par l’action de la bile et du liquide fourni par les cel- lules épithéliales de l'intestin, cellules qui ne me paraissent dif- férer en rien de celles de l'intestin des autres animaux? Certes, ce serait là un fait bien étonnant, qui ne confirmerait guère l’opinion par laquelle la bile est considérée comme inutile à la digestion. Le suc gastrique n'existe pas; en faut-il conclure que son action est de peu d'importance ? Mais le pancréas n'existe pas non plus, ou du moins on peui le croire ; on a signalé, il est vrai, dans la Carpe un organe qu'on regarde comme un pancréas ; on l’a aussi trouvé dans la Brème ; mais on n’en parle plus pour les autres Cypri- noïdes ; le suc pancréatique est-il donc aussi inutile ? M. CI. Ber- nard répond en disant que les cellules épithéliales peuvent former un pancréas sans cesse renaissant. Ce qui me parait en effet évi- dent, c’est l’importance de la sécrétion épithéliale. Comment se fait, en réalité, la digestion chez les Cyprinoïdes? On ne peut le dire ; il faudrait une étude de la bile, du fluide fourni par le pré- tendu pancréas et de la sécrétion épithéliale.
Il y a là des difficultés qu’il ne serait pas inutile de résoudre ; c'est en étudiant les modifications que la nature introduit dans les phénomènes, qu’on peut arriver à comprendre ces derniers. L’anatomie et la physiologie comparées, en même temps qu’elles nous offrent le magnifique spectacle de la création, peuvent seules résoudre complétement les problèmes que présentent les fonctions dans les Vertébrés supérieurs. En elles se trouve toute la philo- sophie de la science. Que de découvertes de la plus grande im- portance se succèdent depuis une vinglaine d'années dans l'étude des animaux inférieurs!
Les Cyprinoïdes ne seraient pas les seuls Poissons dépourvus d’un estomac. D’après Duvernoy (Anatomie comparée de Cuvier, 2° édition), les Loches, et presque tous les Labroïdes et les Gobioïdes, sont dans le même cas.
D'après Stannius (Anatomie comparée), l'estomac n’est distinet de l’œsophage ni par une dilatation, ni par des particularités de texture, non-seulement dans les Cyprins, mais encore dans les Cyclostomes, les Cobilis, plusieurs Pleuronectes ; les £xocetus,
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Hemiramphus et Bellone, parmi les Pharyngognathes; les La- broïdes, les Lophobranches, les Balistes et Ostracions, parmi les Plectognathes ; les Symbranchus, chez les Anguilliformes ; enfin plusieurs Blennius, Gobius, etc.
N'ayant pas observé ces Poissons, je ne sais ce qu'il en est, Dans son Æistologie comparée, Leydig cite, comme ayant un tube digestif complétement privé de glandes, le Petromyzon fluvia- his, le Myxine et le Cobitis fossilis. Cependant, dans un travail sur le Cobitis fossilis où Loche (Archives de Müller, 1853), il admet qu'il y a un estomac dans ce Poisson, « L'œsophage, dit-il, est court; sa muqueuse forme de longs plis reliés en réseau et manque de glandes (Duvernoy considérait cette partie comme un estomac rudimentaire) ; l'estomac s'étend jusqu'à la fin du foie, il parait manquer de glandes ; l’épithélium est formé par deux cou- ches de cellules : une couche profonde de cellules cylindriques et une couche superficielle de cellules rondes; la muqueuse de l'in testin ne parait recouverte par aucun épithélium. » Pourquoi don- ner à la première partie de ce tube le nom d'estomac, puisqu'il n’y a pas de glandes? Sans doute, à cause des deux épithéliums ; il est bien singulier de voir ainsi une couche de cellules rondes au-des- sus de l’épithélium cylindrique; Leydig ne dit pas quel en est le contenu, n1 quel en peut être l’usage.
La chose est assez remarquable et vaudrait la peine qu’on y regardt : ces cellules doivent fournir un produit nécessaire à la digestion, comme les cellules épithéliales de l'intestin des Cypri- noïdes ; autrement la digestion se ferait uniquement par Ja bile, car on ne signale pas de pancréas.
CHAPITRE IV. Glandes de l’œsophage et de l’estomac dans la Grenouille et le Crapaud.
Jai voulu comparer les glandes gastriques des Poissons à celles des Vertébrés les plus voisins, c’est-à-dire les Batraciens ; je dési- rais encore observer dans ces animaux les glandes œsophagiennes qui n'existent pas dans les Poissons.
L
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Bischoff le premier(Ueber den Bau der Magenschleimhaut dans Müller’s Arch., 1838) a recherché, au microscope, des glandes dans le tube digestif des Batraciens ; il a opéré sur la Rana escu- lenta, la Salamandra maculata et le Triton palustris : « L'æso- » phage et l'estomac ont, dit-il, un épithélium cylindrique, qui est » couvert de cils vibratiles dans toute la longueur de l’œsophage ; » l’estomac contient non pas de véritables cylindres, mais de » simples eryptes pressés les uns contre les autres ; ils existent » seulement dans l'estomac, et ne se retrouvent ni dans l’æso- » phage, ni dans l’intestin.
» Dans l’œæsophage existent d'ordinaire d’autres glandes qui » sont en grappe. Tout est semblable chez la Grenouille et chez le » Triton palustris. »
Bischoff n’a observé ces glandes que par la partie supérieure ; il n’a pas fait de coupes. Son travail était insuffisant ; il a été repris par Leydig (Anatomisch-histologische Untersuchungen über F'ische und Reptilien, 1853). D’après lui, «les glandes æsophagiennes » n'existent pas dans la Salamandra maculata ; elles existent chez » la Rana temporaria etle Proteus anguinus. Chez les Grenouilles, » elles sont visibles à l'œil nu, ne présentent rien de particulier, » ne sont que de simples excavations peu profondes en forme de » sac, recouvertes de cellules grandes de 0,0120”, dont les pro- » fondes sont arrondies, ont un contenu finement granuleux et un » noyau clair. Les ouvertures des glandes sont plus étroites que » les glandes elles-mêmes.
» Sur la muqueuse œsophagienne du Protée, les glandes sont » si grosses, qu’on les voit bien à l'œil nu isolées comme de » petits tubercules. Au microscope, elles paraissent des sacs » arrondis avec une ouverture étroite et un contenu cellulaire. » Dans l'estomac, les glandes consistent en de petits sacs formant » des groupes; les cellules qui les remplissent sont à différents » états : elles sont tantôt claires et tantôt plus ou moins granu— » leuses. » Leydig n’a rien ajouté dans son Histologie comparée.
Pour Bischoff, les glandes œsophagiennes sont en grappe. Leydig ne parait pas du tout les considérer comme des glandes en grappe ; et, d’après sa description, on ne sait trop quelle doit en
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être la forme ; il semble qu'elle soit la même que celle des glandes gastriques.
Dans la Grenouille, l'estomac et l'æsophage forment un même tube qui va en se rétrécissant vers la partie postérieure, et se continue sans étranglement avec l'intestin. Intérieurement l’œso- phage, l’estomac et l'intestin, se distinguent à l'œil nu par les mêmes caractères que dans les Poissons ; la muqueuse stomacale est lisse, épaisse, veloutée, opaque, présente quelques gros plis longitudinaux. Sa surface est très fortement acide, ainsi que celle des aliments qui y sont contenus. La muqueuse intestinale offre de nombreux plis transverses, minces et élevés. Immédiatement après le pylore où n'existe aucune valvule, elle est d’un jaune orangé ; le canal cholédoque s’insère assez loin de l’estomac, à 1 centimètre environ. L’œsophage est long, à peu près autant que l'estomac; sa muqueuse est mince, transparente, du moins dans les points où elle ne contient pas de glandes; en effet, si on la tend, on voit qu’elle renferme un très grand nombre de glandes quisont très visibles à l'œil nu, forment de petites masses blanches lobulées, et présentent tout à fait l'apparence des glandes en grappe.
Si l’on étudie cette muqueuse au microscope par sa partie supé- rieure, on voit qu'elle est partout couverte d’un épithélium vibra- ile ; les ouvertures des glandes ne se voient pas, soit parce qu’elles se trouvent cachées dans les nombreux plis longitudinaux, soit parce que les glandes donnent beaucoup d’opacité à la mu- queuse. Ces dernières apparaissent encore comme des masses lobulées ; mais, pour reconnaitre leur véritable structure, il faut faire des coupes perpendiculaires. J'ai fait ces coupes, comme pour les Poissons, sur des muqueuses complétement fraîches, sur des muqueuses qui étaient étendues sur un liége depuis une heure ou deux, et qui commençaient à se dessécher, mais où les coupes n'étaient encore possibles qu'au couteau double, et dans lesquelles le mouvement ciliaire existait encore ; ce mouvement persiste très longtemps ; enfin sur des muqueuses préparées par l'alcool ou le carbonate de potasse.
Sur ces coupes, l’on reconnait que l’épithélium vibratile est
formé d'une seule couche de grandes cellules cylindriques, dont 4° série. Zoo. T. XVI. (Cahier n° 8)1 17
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l'extrémité libre est recouverte d’un bord épaissi portant les cils vibratiles. Ces cellules sont troubles avec un contenu granuleux. ont un aspect tout à fait caractéristique. Quand elles sont en place, on ne voit pas leur noyau ; mais quand elles sont détachées, ce noyau est très apparent ; il est situé le plus souvent au milieu de Ja hauteur. Au-dessous de cette couche de cellules existe une très mince couche obscure, formée de noyaux comme chez les Pois- sons. Sur les muqueuses préparées à l'alcool, ces cellules vibra- iles ont encore le même aspect trouble et le même contenu, tan dis que sur des pièces ainsi préparées, les cellules de l'épithélium œsophagien des Poissons paraissent vides.
Si les coupes ont été faites sur des muqueuses tout à fait fraiches, la véritable forme des glandes œsophagiennes ne se dis- tingue pas bien ; on voit seulement qu’elles sont formées de gros cylindres remplis de cellules rondes, à contenu granuleux, sem- blables à des cellules pepsiques, ayant environ de 0®",01 à 0°*,02 de diamètre; leurs granules sont assez gros comme ceux des cellules pepsiques. En traitant par l'acide acétique, on rend les cellules plus évidentes encore ; elles deviennent alors très obscures, : d’un jaune foncé, comme les cellules pepsiques dans les mêmes circonstances.
Mais si les coupes sont faites sur des muqueuses desséchées, on parvient à reconnaitre que les glandes œsophagiennes ressem- blent beaucoup à des glandes en grappe; elles ont un long canal excréteur, étroit, perpendiculaire à la surface de la muqueuse, qui se divise à la partie inférieure en deux, trois ou quatre bran- ches; chacune d'elles se divise à son tour, et les divisions reçoi- vent un certain nombre de cylindres ou de sacs plus ou moins longs et plus ou moins larges ; c’est dans ces cylindres seulement qu’existent les cellules rondes semblables aux cellules pepsiques. On voit nettement le tube excréteur, ses premières divisions et les culs-de-sac terminaux tout autour de la masse de la glande. Le corps de la glande se trouve à peu près au milieu du tissu cel- lulaire épais qui existe entre l’épithélium et les couches museu- laires. Le canal excréteur est recouvert d’un épithélium, dont les cellules sont différentes des cellules des culs-de-sae. Il paraît
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s'ouvrir assez souvent au fond de dépressions de la muqueuse recouvertes par l’épithélium vibratile. Sur des coupes parallèles à la surface, on peut trouver des sections de ces canaux excréteurs. (Le plus souvent la longueur du canal excréteur est de 0°",2; sa largeur de 0"",02 ou 0"",03. La largeur de Ia partie lobulée est de 0"",7 ou 0"",8 ; sa hauteur de 0"*,3. Je donne ces dimensions pour qu’on prenne une idée de la grandeur des glandes; elles n’ont rien d’absolu, elles varient beaucoup.)
Quand on fait des coupes sur des muqueuses préparées à l’al- cool, les glandes sont très obscures, d’un jaune foncé, comme les glandes pepsiques des poissons. Pour bien les distinguer, il faut faire passer sur la coupe de l'acide acétique qui donne de la trans- parence; si ensuite l’on fait passer de l'acide nitrique, on fait apparaître dans les culs-de-sac, comme dans les cylindres gas- triques des Poissons, de petites taches pâles, ambrées, transpa- rentes, très régulièrement espacées, qui peuvent déjà se voir après le traitement par l'acide acétique, mais se montrent toujours très bien dans les circonslances que je viens d'indiquer; les formes sont alors très nettes. Ces mêmes taches, qui sont les noyaux des cellules, sont très apparentes immédiatement, sur les coupes faites à travers les muqueuses préparées au carbonate de potasse. Nous avons vu que la même chose avait lieu pour les tubes gas- triques des Poissons. Nous retrouvons tous ces caractères dans les glandes uastriques de la Grenouille. Ces glandes œsophagiennes produisent-elles une sécrétion semblable à la sécrétion gastrique ? Je n’ai pastrouvé la surface de l’œæsophage acide, quand celle de l'estomac l'était.
Ces glandes n’existent pas sur les parties tout à fait antérieures de l’æsophage. Quand elles se montrent, elles sont d’abord assez éloignées, peu volumineuses ; le nombre en augmente un peu plus loin, ainsi que l'étendue. Tout près de l’estomac, elles paraissent de nouveau diminuer de grandeur , en même temps elles se rap- prochent de la surface, et passent aux glandes gastriques, avec lesquelles leurs euls-de-sac ont quelquelois une grande ressem- blance. Sur certaines de ces glandes, les euls-de-sac s’allongent et se rétrécissent, et prennent tout à fait l’aspect de cylindres. Sur
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des coupes faites dans les premières parties de l'estomac, on peut voir un mélange, de formes diverses, résultant de la simplification plus ou moins avancée des glandes œsophagiennes.
Si de la muqueuse œsophagienne nous passons à la muqueuse stomacale, nous en sommes tout de suite avertis, comme chez les Poissons, par le changement d’épithélium. Avec l’æsophage cessent les cellules vibratiles, et sur l'estomac existe un épithélium eylin- drique entièrement semblable à l'épithélinm stomacal des Pois- sons : comme lui, il forme, quand on le regarde par la partie supérieure, une magnifique mosaïque, dont les pièces sont le plus souvent hexagonales ou pentagonales. Toute la surface de Ja muqueuse est couverte de taches jaunes, indices des glandes gas triques, comme chez les Poissons. Sur les coupes faites toujours par les mêmes procédés, on reconnaît que ces taches correspon- dent à de véritables cylindres, à de véritables tubes : je ne sais pourquoi on veut leur refuser ce nom. La longueur et la largeur en varient sur une même coupe, et à plus forte raison dans l’éten- due de l'estomac; mais dans la partie moyenne, j'en mesure un grand nombre qui ont 0"",3 de long sur 0"",025 de large (ces dimensions sont variables; j'en ai mesuré qui avaient plus de 0"",6 de long avec 0"",03 de large). Entre ces tubes existent de minces lames cellulaires ; ils ne sont pas immédiatement en con- tact. Je suis à peu près sûr que presque tous sont simples dans toute leur longueur ; quelques-uns me paraissent se diviser vers leur partie moyenne en deux ou trois tubes; en tout cas, il ne saurait être question de glandes en grappe. Au commence- ment de l'estomac, des tubes renflés à l’extrémité se mêlent aux dernières glandes en grappe de l’æsophage, tout à fait sembla- bles par leur contenu aux glandes pepsiques. Il y a passage, comme je l’ai dit, entre les glandes gastriques et les glandes œso- phagiennes.
Dans les tubes de la partie moyenne de l’estomac, on voit très bien pénétrer l’épithélium cylindrique ; il descend le plus souvent jusqu’à moitié environ de la longueur de la glande: les cellules diminuent de hauteur ; le reste de la glande est rempli par les cel- lules pepsiques semblables à celles que j'ai décrites dans les glandes
DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 261 æsophagiennes, et présentent les mêmes caractères avec les diffé- rents réactifs employés.
J'ai laissé macérer dans l'acide acétique des muqueuses stoma- cales de Grenouilles, comme j'avais fait macérer des muqueuses de Poissons ; elles ne se sont pas réduites en pulpe. Quand on en gratte la surface, on enlève l’épithélium et les gaines épithéliales, le cylindre pepsique reste. Pour l’observer, il faut faire des coupes au couteau double : on reconnait bien les tubes et les cellules pepsiques. En comprimant ces coupes, on fait sortir le contenu glanduleux sous forme de cylindres jaunes solides, semblables à ceux qu'on obtient en faisant macérer la muqueuse stomacale des poissons dans l’acide acétique. La muqueuse æsophagienne, au contraire, se réduit en pulpe, comme la muqueuse stomacale des Poissons. La pulpe est composée de culs-de-sac glandulaires séparés. Il semble que le tissu cellulaire, dans lequel sont creusées les glandes gastriques, soit capable de mieux résister à l’action de l'acide acétique que le tissu cellulaire de l’estomac des poissons.
Dans l'estomac de la Grenouille , on distingue deux parties, comme dans l'estomac des Poissons, une première partie jaunâtre et une partie pylorique blanche. En observant la muqueuse de celte dernière par la face supérieure, on reconnaît qu’elle est plus transparente que celle de la partie jaunâtre ; comme elle, elle offre des ouvertures, mais ces ouvertures sont plus espacées, el sont claires. Sur les coupes, on reconnaît que cette partie con- tient aussi des tubes ; ils sont plus larges, et l’épithélium eylin- drique y descend plus profondément : au fond du cul-de-sac seu- lement, les cellules changent de nature. Ces tubes étant assez éloignés les uns des autres, il est plus facile d’en reconnaître la véritable forme que dans les parties moyennes de l’estomac : ce sont bien des tubes simples. |
J'ai aussi observé le Crapaud ; ayant à faire des recherches sur les tuniques musculaires de son tube digestif, j’en ai profité pour observer les glandes, d'autant plus que cette étude n’a pas encore été faite. Son estomac présente un véritable renflement, il affecte la forme d’une cornemuse. Je l'ai toujours trouvé plein d'insectes ou de Chenilles, et fortement acide ; il est précédé d’un
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long œsophage comme dans la Grenouille. Si l’on étend cet æso- phage, on est d’abord frappé de l’absence des masses blanches lobulées, si apparentes dans cette dernière. Les glandes œæsopha- giennes paraissent manquer complétement ; on reconnait eepen- dant au microscope qu'il en existe quelques-unes dans les parties voisines de l’estomac; elles rappellent par leur forme celles de la Grenouille, mais sont moins développées, moins lobulées ; elles passent aussi aux glandes gastriques. La surface de l’œsophage présente un plus grand nombre de plis que dans la Grenouille; elle est encore couverte d’un épithélium vibratile formé par une seule couche de cellules cylindriques. Cet épithélium ne se pro- longe pas dans l'estomac, lequel présente toujours le même épithé- lium cylindrique, figurant la même mosaïque quand on le regarde par la partie supérieure. Les glandes gastriques sont semblables à celles de la Grenouille ; ce sont encore de longs tubes à peu près cylindriques. Sur des pièces préparées au carbonate de potasse, je trouve aux tubes, dans une coupe faite à travers la partie moyenne, environ 0"*,55 de long et 0"",03 à 0"",04 de large; ils s’ou- vrent immédiatement sur la surface de l'estomac comme chez la Grenouille. La partie pépsique en paraît plus développée ; dans les tubes précédents, elle avait près de 0,5 de long. Toutes ces dimensions sont variables. Le contenu présente les mêmes carac: tères que dans la Grenouille. Dans l'estomac du Crapaud, il y a aussi une partie pylorique comme dans l'estomac de cette der- nière.
CONCLUSIONS.
Ainsi, dans les animaux que j'ai observés, Batraciens et Pois- sons, lorsqu'il existe un organe comparable par ses fonctions à l'estomac, non-seulement les glandes gastriques existent, mais encore elles ressemblent d'une manière frappante, par leur forme et leur contenu, à celles des Mammifères, et l’on trouve, en même temps que des glandes pepsiques, des glandes muqueuses situées dans la partie jiylorique comme chez les Mammifères. Il est peu d'organes qui présentent autant d’uniformité, Parmi les Poissons
DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 263 étudiés jusqu'ici à ce point de vue (le nombre en est petit, il est vrai), lEsturgeon seul ferait exception d’après Leydig, puisque ses glandes pepsiques seraient semblables aux glandes muqueuses, étant recouvertes dans toute leur étendue par l’épithélium cylin- drique clair. Sont-ce bien là des glandes pepsiques ? Existent-elles seales dans l'estomac de l’Esturgeon ?
Leydig admet aussi dans la Loche, comme nous l'avons dit, un estomac sans glandes d'aucune sorte, mais présentant cette par- ticularité que son épithélium cylindrique est recouvert d’une couche de cellules arrondies ; mais rien ne prouve jusqu'ici que ce soit un estomac.
Cette uniformité dans les glandes gastriques en rend l’absence plus étonnante encore chez les Cyprinoïdes.
DEUXIÈME PARTIE.
DES TUNIQUES MUSCULAIRES DU TUBE DIGESTIF.
CHAPITRE PREMIER.
Des tuniques musculaires du tube digestif dans les Poissons osseux.
$ I. — Historique et méthode d'observation.
Dans le cours des observations précédentes, j'avais remarqué certaines particularités dans les tuniques musculaires du tube digestif, et, comme malheureusement je ne pouvais disposer que d’un petit nombre de Poissons pour l'étude des glandes, je résolus de m'en rendre compte.
Les différents auteurs n’ont donné que des indications incom- plètes sur les tuniques musculaires de l’œsophage des Poissons ; leurs descriptions réunies ne permettent pas encore de s’en faire une idée satisfaisante : elles ne font pas connaître quels sont leurs rapports avec celles de l’estomac.
Cuvier (Anatomie comparée, 1° édition, 1805) dit que, dans
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les Chondroptérygiens, les fibres de la tunique musculeuse parais- sent longitudinales pour la plupart ; qu’elles s'étendent en avant de l'estomac sur l'œsophage, mais sont enveloppées dans le com- mencement de ce canal par une couche épaisse de fibres cireu— laires, et que la même chose a lieu dans tous les Poissons. A pro- pos de différents Poissons osseux, il revient encore sur les deux couches de fibres musculaires qui enveloppent l’æsophage, ces fibres étant circulaires dans la couche externe et longitudinale dans la couche interne. Il ne désigne jamais sur l'estomac que des fibres musculaires longitudinales, si ce n’est dans l’Anguille. Dans ce Poisson, d’après lui, l’œsophage se distingue de l'estomac par la direction différente des fibres musculaires, qui sont longitudinales dans ce canal et circulaires dans l’estomac. Ce serait une exception à la règle qu'il a posée d’abord ; il n’en fait pas la remarque.
Dans la deuxième édition de l’Anatomie comparée, 1835, il n°y a pas grand changement ; cependant, dans la description de quel- ques Poissons, on lit: « Les fibres les plus externes de la tunique » musculaire de l'estomac sont longitudinales, » et non plus seu- lement« les fibres de latunique, » etc. : on a ajouté les plus externes. Ce qui laisse à penser qu’il peut y avoir des fibres internes dispo- sées autrement. Pour l’Anguille, la description est restée identi- quement la même.
Meckel (4natomie comparée, 1836) s'explique plus catégori— quement dans ses Généralités sur le tube digestif des Poissons : « Lorsque l’œsophage est court, dit-il, il est fort musculeux dans » toute son étendue; dans le cas contraire, ce développement » musculaire n'existe qu'en-devant; les fibres circulaires de sa » tunique museuleuse sont appliquées à l'extérieur des fibres lon- » gitudinales. Dans l’estomae, la tunique musculeuse est toujours » formée d’un plan de fibres longitudinales et externes et d’un » plan de fibres circulaires et internes. Dans l'intestin, les couches » sont disposées comme dans l’estomac. »
Dans l’Anatomie comparée Ac Slannius, rien de plus sur la dis- position des fibres musculaires ; mais il parle de leur nature, ce que n’a pas fait Meckel : « Elles ne présentent pas le plus souvent, » dit-il, de stries transversales. Cependant Reichert, en 18/44, a
DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 265
» rencontré des fibres striées dans toute l’étendue de l'intestin de » Ja Tanche. »
Agassiz et Vogt, dans leur Anatomie des Salmones, 1845, ne parlent pas de la disposition des couches musculaires, mais disent qu’à l'origine de l’æsophage, à l'extrémité du cône du pharynx, il y a des transitions insensibles des fibres musculaires lisses aux fibres musculaires striées.
Nous avons déjà dit que Reichert (Medic. Zeit. des V'ereines für Heilkunde in Preussen, 1841) avait démontré que les deux tuniques musculaires de l'intestin de la Tanche sont formées de fibres striées. I rechercha s’il en était de même chez quelque autre Vertébré, mais ne retrouva cette particularité chez aucun. D’après lui, chez tous les Vertébrés, les deux couches musculaires de l’intestin sont formées de fibres lisses, la Tanche seule fait exception.
Cependant Budge, dans le même recueil en 1847, annonce que la tunique musculaire de l’estomac de la Loche, Cobitis fossilis, est formée aussi de fibres striées.
En 1850, Molin (Sitzungsberichte der kaiserlichen À kademie der W'issenschaften, 1850) complète les observations de Reichert sur la Tanche. Reichert croyait qu’il n'existait autour de l'intestin que des fbres striées : les profondes formant une couche transversale, les externes une couche longitudinale. Molin démontre qu'en de- dans de ces deux couches, entre elles et le tissu cellulaire de la mu- queuse, il se trouve deux nouvelles couches musculaires, toutes les deux formées de fibres lisses : l’une interne, composée de fibres transverses ; l’autre externe, composée de fibres longitudi- nales.
En 1853, Leydig (Archives de Müller, 1853) recherche s’il en serait de même chez la Loche, et trouve en effet, entre les fibres striées el la muqueuse, une couche de muscles lisses, dont les fibres s'étendent circulairement autour de l’estomac. Il ne s’ex- prime pas autrement : on peut croire qu’il n’y a qu’une couche de fibres lisses; les choses ne seraient pas alors comme dans la , Tanche. Molin est beaucoup plus explicite.
Dans la même année 1853, Leydig publia ses Anatomisch- histoloyische Untersuchungen über Fische und Reptilien; il y
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décrit le tube digestif de l’Esturgeon. « La tunique musculaire » de l’æsophage, dit-il, se compose de muscles striés ; » et il ajoute : « Il n’en est pas ainsi dans l'Esturgeon seulement ; l’exis- » fence des couches musculaires striées dans l’œsophage paraît » être la loi chez les Poissons. Je l'ai constaté chez tous ceux » (ont j’ai fait l’histologie, aussi bien chez tous les Plagiostomes » et les Chimèéres que chez les Poissons osseux, nos Carpes et » n0S Perches, le Dentex vulgaris, le Gobius niger, le Zeus » faber. »
Dans son Histologie comparée, il ne fait que répéter ce passage, et ne dit rien de la disposition des couches musculaires.
Toutes les citations précédentes établissent donc que les fibres musculaires de l'œæsophage des Poissons sont striées ; qu'elles forment deux couches : dans la couche interne, elles sont longitu- dinales : dans la couche externe, elles sont transversales ; que, dans l’Anguille au contraire, elles sont longitudinales dans la couche externe. Il n’est pas question de la manière dont elles se continuent avec les fibres des tuniques musculaires de l’estomac. Cuvier seul dit que la couche longitudinale de l'estomac se continue avec la couche longitudinale de l’œsophage.
Pour étudier cette question, j'ai employé les parois intestinales : 4° fraiches, 2° plus où moins desséchées, 3° préparées à l'alcool. Sur les pièces préparées à l'alcool, les stries des fibres musculaires sont parfaitement conservées ; elles le sont aussi sur des pièces préparées au carbonate de potasse.
J'ai toujours observé les coupes, d’abord avant d’avoir ajouté aucun réactif, puis après avoir fait passer entre les deux lames de verre qui les renfermaient de l’acide acétique. Cet acide met admi- rablement en évidence les- cellules musculaires et leurs noyaux. Après avoir traité ces coupes par l'acide acétique, je les aï traitées encore par l’acide nitrique qui colore fortement en jaune les fibres musculaires, et les distingue très nettement des fibres du tissu cellulaire où des fibres élastiques ; en ajoutant de l’ammo- niaque, on avive encore la teinte qui devient d’un très beau jaune orangé.
Quand on traite les tissus frais par l'acide acétique, les stries des
DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 267
fibres musculaires disparaissent très rapidement. Si les tissus ont été préparés à l'alcool, les stries ne disparaissent pas d’abord, elles deviennent encore plus évidentes.
Je vais décrire successivement les observations que j'ai faites sur les différents Poissons. Le tube digestif a été coupé immédia- tement derrière le pharynx, au point même où ses parois devien- nent libres.
$ IL. — L’Anguille.
L'œsophage de l’Anguille est très long ; chez tous les Poissons que j'ai étudiés, j'ai trouvé l’œsophage, au contraire, très court, excepté chez l’Anguille et le Brochet. Je reconnais l'œsophage à son épithelium et à l’absence de glandes.
Dans les parties tout à fait antérieures de l’œsophage, on voit qu'il y à bien deux couches de fibres musculaires, des fibres lon- gitudinales internes et des fibres transversales externes ; elles sont toutes striées, sans aucun mélange de fibres lisses.
Pour s'assurer qu'un faisceau musculaire est tout entier formé de fibres striées, il ne faut pas faire des coupes parallèles à ce faisceau, mais des coupes perpendiculaires : on le voit alors dans toute sa largeur. Il est vrai que les stries ne peuvent plus se Voir, mais les coupes de fibres striées diffèrent complétement des coupes de fibres lisses. Elles ont un diamètre beaucoup plus grand, êt ne présentent jamais de noyau, tandis que celles des fibres lisses en présentent presque toujours un très reconnaissable, sur- tout quand la coupe à été traitée par l'acide acétique : le noyau peut ne pas apparaître, parce qu'il né Ss’étend pas dans toute la longueur de la cellule, et que la coupe peüt ne pas l’atteindre ; mais la dimension de la fibre suffirait à la faire reconnaitre.
Si l'on recherche ces deux couches musculaires dans les parties moyennes de l’œsophage, on retrouve la couche de fibres trans- versées avec la inême épaisseur sensiblement ; toutes ses fibres sont encore striées. Mais en dedans, on ne voit plus que le tissu cellulaire ; Ja couche de fibres longitudinales n'existe plus ; en
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dehors de cette couche musculaire transverse se trouve une couche plus mince qui paraît cellulaire. Pour m'en assurer, je traite par l'acide acétique : elle ne présente aucun des caractères des fibres musculaires ; je traite par l’acide azotique : elle reste compléte- ment incolore, comme le tissu cellulaire qui est en dedans de la couche musculaire transverse, tandis que celle-ci se colore forte- ment en jaune.
I n’y a donc plus qu’une couche de fibres D et elles sont transverses. Je ne m'explique pas comment Cuvier à pu y trouver seulement des fibres longitudinales.
Qu'est devenue la couche des fibres musculaires longitudinales ? Pour le savoir, je reviens vers les parties antérieures de l’œso- phage, et je fais des coupes longitudinales. On reconnait alors que ces fibres ne forment pas une véritable couche, mais un nombre plus ou moins grand de faisceaux assez éloignés les uns des autres. Le nombre, qui en est considérable d’abord, se réduit rapide- ment ; les différentes fibres musculaires viennent finir successive- ment dans le tissu cellulaire qui enveloppe les faisceaux. Quelques- unes me paraissent se terminer en un paquet de fibrilles plus foncées que celle du tissu cellulaire environnant, et allant se perdre au milieu d'elles. Sur un œsophage qui avait 5 centimètres de long, ces fibres musculaires ne s’étendaient pas à plus d’un centimètre du commencement de l’œsophage. Dans tout le reste jusqu’à l’estomae, il n’existe plus que les fibres musculaires trans- verses qui forment une véritable couche, à travers laquelle le tissu cellulaire intérieur et le tissu cellulaire extérieur envoient des pro- longements et paraissent communiquer.
Sur les premières parties de l'estomac, alors que l’épithélium cylindrique a déjà commencé, il en est encore de même; cepen- dant dans le cul-de-sac il existe deux couches de fibres muscu- laires : l’uneinterne, formée de fibres transverses; l’autre externe, formée de fibres longitudinales. Elles ne contiennent l’une et l’autre que des fibres lisses ; il en est de même dans la branche pylorique. Que se passe-t-il donc au commencement de l'estomac? Cherchons-le sur des coupes longitudinales. Les fibres transverses y apparaissent coupées. On peut, en choisissant des Anguilles qui
DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 269
ne soient pas trop grosses, avoir des coupes comprenant une assez grande portion de l'estomac et de l’'œsophage. On voit alors que la tunique musculaire transverse de l'estomac n'est que la continuation de celle de l'œæsophage; seulement, à l’origine de l'estomac, des faisceaux de fibres lisses apparaissent dans la partie interne de celte couche, et bientôt elle en est presque entièrement formée, ne contient plus que quelques faisceaux de fibres striées. Ceux-ci, placés dans sa partie externe, sont plus ou moins éloignés, de grandeur variable, se retrouvent, sur une longueur d’un milli- mètre environ, dans une Anguille, dontl’æsophage a 5 centimètres de long, puis disparaissent complétement.
Ainsi la couche musculaire transverse de l’estomac n’est que la continuation de celle de l’œsophage. Il y a seulement substitution des fibres lisses aux fibres striées, substitution qui ne se fait pas brusquement, mais s'opère peu à peu dans un court intervalle cependant.
Quant à la couche musculaire longitudinale externe de l’esto- mac, elle commence avec lui; elle lui est propre, comme celle des fibres longitudinales internes striées est propre à l'œsophage. Elle est tout entière formée de fibres lisses, et reste loujours peu épaisse. La couche transverse, au contraire, acquiert une grande épaisseur dans la branche pylorique; elle diminue vers le fond du cul-de-sac, où les deux couches ont à peu près la même épaisseur.
Dans l'intestin, les deux tuniques musculaires existent encore disposées de la même manière, et formées de fibres lisses ; la tunique externe toujours peu développée. Quant à la tunique interne, son développement est encore considérable dans les par- ties voisines du pylore ; il va en diminuant.
Dans ces couches de fibres lisses, les noyaux des cellules mus- culaires se voient très bien et sur les fibres vues dans leur lon- gueur, et sur les fibres coupées en travers, surtout quand on a traité par l’acide acétique.
Cette étude de l’Anguille nous fournit déjà un certain nombre de résultats : 1° Les fibres musculaires sont tout autrement disposées sur l’æsophage et sur l'estomac que l’a dit Cuvier; sur la partie moyenne de l'œsophage, elles sont toutes circulaires et non pas
270 M. VALATOUR., -— GLANDES GASTRIQUES
longitudinales; sur l'estomac, elles sont longitudinales dans la tunique externe et non pas circulaires : c’est tout l'inverse de ce que veut Cuvier. 2 Dans l’Anguille, les tuniques musculaires de l’œsophage sont formées de fibres striées comme dans les Poissons observés par Leydig, 3° Dans presque toute la longueur de cet œsophage, il n'existe qu’une seule couche de fibres musculaires, ce qui n’a encore élé signalé nulle part, je crois. On s'explique cette absence de fibres musculaires longitudinales sur l’œsophage de l’Anguille, en remarquant qu’il est fixé, sur une partie de sa longueur, aux organes voisins. Quand on enlève sur une Anguille l’'æsophage avec l’estomac, celui-ci est animé de contractions énergiques aussi bien dans sa longueur que dans sa largeur, et la longueur peut se réduire considérablement. Quant à l’œsophage, il reste immobile, ne se raccourcit aucunement. C’est tout autre chose quand on opère sur un Brochet : l'œsophage est animé de mouvements aussi énergiques que l'estomac, nous en verrons tout à l'heure la raison; mais on reconnait bien à ce seul caractère qu'il doit y avoir une différence essentielle entre ces deux æso- phages.
$ III. — La Perche,
Chez la Perche, lœsophage est très court, même proportion- nellement à l'estomac, qui lui-même est déjà court; aussi, quand on étudie ses tuniques musculaires, paraît-il réduit à la première partie de l’æsophage de l’Anguille. Il est enveloppé dans toute son étendue par deux couches de fibres musculaires : une couche longitudinale interne et une couche transversale externe. L'une et l’autre sont entièrement formées de fibres striées, et pénètrent dans l'estomac ; on les voit encore sur des coupes, en même temps que les glandes gastriques.
Comme, dans l’Anguille, les fibres longitudinales ne forment pas une couche, mais sont disposées en un certain nombre de faisceaux très distincts les uns des autres, dont le nombre et l'épaisseur vont en diminuant, parce que les fibres s'arrêtent à dif-
DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 271
férentes distances de la bouche, les dernières finissent au com- mencement de l'estomac.
Ces faisceaux ne m'ont pas toujours semblé parallèles à la couche museulaire externe ; je les ai vus s’incliner et pénétrer dans les espaces cellulaires qui existent dans celle-ci.
A l'origine de l'estomac commence la couche longitudinale externe formée de fibres lisses, et en même temps se fait la sub- sütution des fibres lisses aux fibres striées dans la couche trans- verse, Celle substitution ne se fait pas tout d’un coup ; comme chez l’Anguille, il y a un espace occupé par des faisceaux de fibres lisses et des faisceaux de fibres striées plus ou moins mêlés les uns aux autres,
Si l’on fait des coupes transverses dans l’estomac, à l’origine de la branche pylorique,on voit trois couches musculaires au lieu de deux : une couche externe, où les fibres se présentent en long ; une seconde couche, où elles se présentent coupées; et enfin une troisième couche, où elles se présentent de nouveau en long. Rien de pareil n’a lieu chez l’Anguille, et si l’on fait les coupes un peu plus loin sur le cul-de-sac, il n’y a plus trace de cette perturba- tion. Si l’on en cherche la cause, on remarque que, chez l’An- guille, le canal pylorique est parallèle au cul-de-sac, et est situé dans son prolongement; au contraire, dans la Perche, il lui est perpendiculaire. Or les couches musculaires sont disposées dans le même ordre sur l’estomac et sur le canal pylorique, c’est-à-dire la couche longitudinale en dehors et la couche transversale en dedans. Dans l’Anguille, les deux tubes ayant même direction, il n'y a pas de changement dans les couches musculaires quand elles passent de l’un sur l’autre. Mais dans la Perche, les deux canaux étant perpendiculaires l’un sur l’autre, les fibres transverses qui forment la couche interne du cul-de-sae, au point où commence la branche pylorique, deviendraient, en se prolongeant sur cette branche, des fibres longitudinales. Il doit donc y avoir là quelque disposition spéciale; en effet, en dirigeant convenablement des coupes transverses dans le cul-de-sac, à l’origine de la branche pylorique, on peut en obtenir sur lesquelles on voit le passage de l’une des manières d’être à l’autre. Du côté du cul-de-sac, on voit
972 + M. VALATOUR.. — GLANDES GASTRIQUES
très bien la couche longitudinale externe dont les fibres se présen- tent coupées, et la couche transversale interne dont les fibres se présentent en long; du côté de la branche pylorique, on voit une nouvelle couche de fibres qui se présentent coupées, et naissent en coin au milieu des fibres de la couche interne du eul-de-sac ; elles vont former la couche transverse du canal pylorique. Une partie des fibres de la couche transverse du cul-de-sac passent au-dessous d’elles, et vont former la couche longitudinale du canal pylorique ; les autres passent au-dessus, mais de nouvelles cou- ches de fibres qui se présentent coupées naissent en coin au milieu d'elles, et elles finissent par disparaître complétement. Quant à la couche musculaire longitudinale du cul-de-sac dont les fibres se présentent ici coupées, on la voit finir près du point où commence le mélange précédent.
$ IV. — Le Brochet.
L'œsophage du Brochet est long comme celui de lAnguille, mais 1l est libre, tandis que ce dernier est en partie fixé; il est beaucoup plus contractile comme nous l’avons dit, et nous allons voir que ses tuniques musculaires sont tout à fait différentes.
Dans la partie antérieure de l’æsophage, les tuniques muscu- laires sont absolument semblables à celles de la partie antérieure de l’æsophage de l’Anguille, et cela sur une longueur à peu près égale, qui n’est qu’une petite fraction de la longueur totale de l’'æsophage. Si l’on fait des coupes dans la partie moyenne de ce tube, on reconnait qu’il y a deux couches composées entièrement de fibres musculaires lisses, comme dans l’estomac de l’Anguille : une couche interne transversale et une couche externe longitudi- nale plus mince. Le passage de la première partie à la seconde se fait comme dans l’Anguille. Les faisceaux internes des fibres striées longitudinales se terminent successivement dans le tissu cellulaire; les fibres lisses se substituent par groupes aux fibres striées dans la couche transversale ; et enfin la couche longitudi- nale externe, formée de fibres lisses, prend naissance au-dessous de l’espace où se fait cette substitution. Les fibres de, cette der-
DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 273
nière couche ne prennent pas toutes naissance tout à fait en dehors; elles se mélent aux faisceaux les plus externes de la couche trans- versale, et on voit en plusieurs points les derniers groupes de fibres striées transverses enveloppés par les fibres lisses longitu- dinales.
Les faisceaux des fibres longitudinales striées de la couche interne se prolongent assez loin dans l'œsophage ; mais, tandis qu'ils sont très nombreux dans la première partie, et remplissent presque toute la couche cellulaire, ils sont très rares un peu plus Join et tous rapprochés de la couche transverse. Des faisceaux de fibres lisses paraissent leur succéder, de telle sorte que, dans presque toute la longueur de l’œsophage, ily a un,certain nombre de faisceaux de fibres longitudinales internes d'abord striées, puis lisses. c
Dans l'estomac, il n'y a que les deux couches de fibres lisses comme à l'ordinaire.
Ainsi la loi posée par Leydig n’est pas absolue; les tuniques musculaires de lœsophage ne sont pas toujours formées de fibres siriées; de plus, les fibres circulaires ne sont pas toujours appli- quées à l'extérieur des fibres longitudinales, comme le dit Meckel.
Il serait curieux d'observer d’autres Poissons à œsophage allongé, pour savoir quelle est la disposition la plus ordinaire des luniques musculaires : celle qui existe dans le Brochet ou celle qui existe dans l’Anguille, J'en ai cherché en vain ; tous ceux que j'ai observés après ceux-ci, le Merlan, le Maquereau, le Hareng, la Sole, les Cyprinoïdes, ont l'æsophage très court comme la Perche.
$ V. — Le Merlan, le Maquereau et le Hareng.
Dans le Merlan, le Maquereau et le Hareng, les choses se passent tout à fait comme dans la Perche. L'œsophage est très court; les glandes gastriques commencent à une très petite distance de son origine. Ses tuniques musculaires sont donc au nombre de deux, formées entièrement par des fibres striées : une couche interne longitudinale, une couche externe transversale ; toutes les deux se
vrolongent jusque dans l’estomac. Les faisceaux de la couche 4° série. Zooz. T, XVI. (Cahier n° 5.) 2 18
274 M. VALATOUR, — GLANDES GASTRIQUES
interne se terminent dans le tissu cellulaire ; des fibres lisses se substituent par groupes aux fibres striées dans la couche transver- sale, et la couche longitudinale externe de fibres lisses prend nais- sance. Tout cela se passe dans les parties tout à fait antérieures de l'estomac.
Dans le Maquereau, j'ai vu quelques fibres striées mêlées aux fibres lisses dans la couche longitudinale externe, mais seulement tout à l’origine de cette couche quand elle prend naissance , un peu plus loin on n’en voit plus.
Vers la branche pylorique, il y a les mêmes changements dans la disposition des couches que dans la Perche. Quand on marche du eul-de-sac vers la branche pylorique, dans la direction de cette branche, on voit la couche longitudinale externe s'arrêter, la couche transversale continuer en partie pour former la couche longitudinale externe de la branche pylorique, et une nouvelle couche naît au milieu d'elle pour former la couche transversale de cette branche.
$ VI. — La Lotte commune (Gadus Lota).
Les tuniques musculaires de l’æsophage sont disposées comme dans la Perche, par exemple; elles sont au nombre de deux, for- mées l’une et l’autre entièrement par des fibres striées : la tunique externe est composée de fibres transversales, la tunique interne de fibres longitudinales. Ces fibres longitadinales existent dans toute la longueur de l’œsophage ; leur nombre diminue à mesure que l'on approche de l'estomac, parce qu’elles se terminent succes- sivement au milieu du tissu cellulaire ; les dernières pénètrent jusque dans la première partie de l'estomac. Dans cette première partie, la tunique transversale est encore formée uniquement par des fibres striées ; mais bientôt il s’y mêle des faisceaux de fibres lisses, et, à quelque distance de l’æsophage, elle est entièrement formée de fibres lisses. Quand ce mélange commence, où voit apparaître la couche musculaire longitudinale externe composée de fibres lisses ; elle prend naissance en partie au-dessous de Ja couche transversale de l'œsophage, et en partie au milieu d'elle
DANS -LES POISSONS OSSEUX ET- LES BAFRAGÏENS. 275 par de nombreux faisceaux qui pénètrent entre ceux- de ‘cette couche. |
À
$ VII. — La Sole. F3
L'œsophage est court comme dans les Poissons précédents, et les tuniques musculaires y sont semblables. Mais dans l'estomac, les choses se passent autrement : la tunique musculaire longitu-— dinale externe qui commence avec lui, au lieu d’être composée de fibres lisses, est composée d’abord entièrement de fibres striées qui s'étendent sur plus de la moitié de l’estomac ; des groupes de fibres lisses s’y mêlent peu à peu, et, dans la dernière partie de l'estomac, elle ne contient plus que des fibres lisses. Dans la partie antérieure de cette tunique, onen voit bien les fibres striées com- mencer au milieu du tissu cellulaire, qui forme une couche assez épaisse sous la tunique musculaire transverse de l’'œæsophage. Cette dernière tunique se continue comme à l’ordinaire avec celle de l'estomac; mais la substitution des fibres lisses aux fibres striées, au lieu de se faire, comme dans les autres Poissons, au commencement de l'estomac, ne se fait qu'à la fin ; de sorte que la tunique musculaire transverse de l'estomac est formée, dans la plus grande partie de sa longueur, uniquement par des fibres striées, et que, dans la première moitié de l'estomac, les deux tuniques musculaires sont composées de fibres striées:
Dans l'intestin, on trouve les deux couches musculaires com- posées, l’une et l’autre, uniquement de fibres lisses.
$ VIII. — Les Cyprinoïdes.
Dans les Cyprinoïdes, la Carpe etle Gardon ne nous offrent rien de particulier. Leur œsophage est court, c’est le canal étroit par lequel commence le tube digestif; ses tuniques museulaires sont tout à fait semblables à celles de l’œsophage de la Perche, et sé continuent, comme dans ce Poisson, avec celles de l’estomac qui estici remplacé par l'intestin. La couche musculaire longitudinale
276 M. VALATOUR, — GLANDES GASTRIQUES
externe est formée de fibres lisses qui se redressent pour com- mencer en grand nombre au milieu des faisceaux striés de la couche transverse de l’œsophage; de telle sorte que celle-ci semble s’infléchir en partie au-dessous de la couche transverse de fibres lisses de l'estomac, et se continuer par quelques faisceaux dans la couche longitudinale externe.
La Tanche, au contraire, comme nous l’avons déjà dit, offre des particularités remarquables qui ont été découvertes par Reichert et Molin. Son æsophage est semblable à celui des autres Cypri- noïdes , ses tuniques musculaires ne présentent rien d’anormal. Mais si l’on fait des coupes sur l’inteslin, à une certaine distance de son origine, on reconnait que les deux couches musculaires, au lieu d’être formées de fibres lisses, sont formées, comme l’a démontré Reichert, de fibres striées, sans aucun mélange de fibres lisses. En dedans de ces deux couches striées, on reconnaît aussi très bien les deux couches de fibres lisses découvertes par Molin: une couche longitudinale externe et une couche transversale interne beaucoup moins épaisses l’une et l’autre que les premières; tandis que les couches de fibres striées ont chacune dans ces régions 0"",3 d'épaisseur, les couches de fibres lisses n’ont ensemble que 0°" ,1 environ.
Dans les premières parties de l'intestin, tout à fait à son origine, sur des coupes qui comprennent à la fois l’œsophage et l’intestin, on voit commencer la couche de fibres striées longitudinales externes. Les fibres en prennent naissance au milieu de la couche transversale externe de l’œsophage. Arrivée au contact de cette couche, elle paraît s'épanouir, se diviser en nombreux groupes de fibres qui se prolongent entre les faisceaux de cette dernière ; de telle sorte que ces deux couches paraissent se continuer l’une l'autre.
Dans cette première partie de l'intestin, les deux couches de fibres lisses commencent à se montrer; mais, chose remarquable, leur disposition m'a toujours paru inverse de ce qu’elle est sur les parties plus éloignées, c’est-à-dire que la couche transverse est externe et la couche longitudinale interne. Les choses sont très nettes, chacune de ces couches ayant en certains points 0®",06
DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS, 277 environ. Un peu plus loin, la couche transverse parait exister seule; une couche longitudinale se montre au-dessous d’elle , mais elle est d’abord excessivement mince ; elle se développe, et bien- tôt les deux couches sont très appréciables, comme je l’ai déjà décrit.
Cette inversion dans la disposition des deux couches est assez remarquable, surtout quand on se rappelle que la même chose a lieu pour les couches ordinaires de l’estomac et de l’æœsophage.
Ainsi donc, chez tous les Poissons que j'ai observés, à l’excep- tion de deux, l'œsophage présente la plus grande ressemblance. Il est court; ses tuniques musculaires sont au nombre de deux, formées l’une et l’autre uniquement par des fibres striées en fais ceaux plus ou moins distants. Les fibres de la couche interne sont longitudinales, celles de la couche externe transversales. La pre- mière se termine dans l'æsophage ou le commencement de l'esto- mac, et la seconde se continue avec la couche transverse de celui-ci; 1l y a seulement substitution des fibres lisses aux fibres striées, substitution qui se fait toujours dans l’estomac et non dans l’æsophage. Dans les Cyprinoïdes surtout, la couche longitudi- nale externe de l’estomac prend naissance au milieu des faisceaux de la couche transversale de l’œsophage.
Dans l’Anguille et le Brochet, la première partie de l’œsophage est l’équivalent de l’œsophage entier des autres Poissons.
On trouve dans les Mammifères une partie du tube digestif tout à fait comparable par la nature et la disposition de ses tuniques musculaires à la première partie de l’œsophage du Brochet par exemple : c’est le pharynx.
Les muscles du pharynx des Mammifères peuvent être consi- dérés, ainsi que le dit Sappey (Ænatomie descriptive de l'homme), comme formant deux couches musculaires qui correspondent à celles des autres parties du tube digestif, mais sont disposées d’une manière inverse. Tandis que, dans les autres parties du tube digestif, la couche externe est longitudinale, et la couche interne transversale, dans le pharynx c'est la couche externe qui est transversale et la couche interne qui est longitudinale ; de plus, dans le pharynx, les fibres musculaires sont striées, tandis
978 M. VALATOUR. — GLANDES GASTRIQUES
que dans les autres parties du tube digestif elles sont lisses. Gépendant ceci n’est pas absolu; dans certains Mammiféres, les fibres de l’œsophage sont striées. D'après Leydig, ellessont striées, dans toute l'étendue de ce tube jusqu’au cardia, chez la Souris, le Lupin, le Castor, le Vespertilis pipistrellus, là Taupe, le Laman- tin; etc. D'après Weber, elles sont striées chez le Chat, dans la moitié supérieure seulement de l'œsophage; elles sont lisses dans la moitié inférieure, D'après Schwaon et Külliker, 1l en est de même chez l'Homme.
. En tout cas que les fibres soient striées ou non sur l’œæsophage des Mammifères, elles sont striées dans le pharynx, et leur dispo- sition y est inverse de ce qu'elle est dans le resté du tube digestif. On est done porté à comparer la première partie de l'œsophage du Brochet et de l’Anguille à un pharynx. Mais le pharynx ne se définit pas par la disposition et la nature de ses fibres musculaires ; c’est la partie du tube digestif qui appartient en même temps à l'appareil de la respiration, et qui donne passage à la fois aux ali- ments et aux fluides respirables, A ce point de vue, aueune partie dé l’æsophage du Brochet ou des autres Poissons ne peut être con- sidérée comme un pharynx ; le véritable pharynx des Poissons est cette partie de l’arrière-bouche où viennent s'ouvrir les fentes branchiales internes. Si l’on regardait la première partie de l'œso- phage du Brochet ou de l'Anguille comme un pharyax, il n°y aurait d'œsophage ni dans la Perche, ni dans les Cyprinoïdes, ni dans les autres Poissons que j'ai observés. Cette première partie doit être regardée comme appartenant à l’œsophage.
CHAPITRE IL.
Des tuniques musculaires du tube digestif dans les Batraciens.
L'œsophage de la Grenouille est enveloppé de deux couches de fibres musculaires entièrement formées toutes les deux par des fibres lisses ; nulle part on ne trouve de fibres striées. Leydig dit qu'il en est de même chez tous les Reptiles et tous les Oiseaux. La couche interne est formée de fibres transverses, la couche externe
DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATBACIENS. 279 de fibres longitudinales ; elles sont très minces l’une et l’autre, surtout dans les parties antérieures, près de la bouche; la couche externe est alors excessivement réduite; mais, à mesure qu'on approche de l'estomac, leur épaisseur augmente tout en restant très faible, et près du cardia elles ont chacune 0"",05 ou 0°",06,
Dans les premières parties de l'estomac, elles existent encore toutes les deux avec le même développement. Mais bientôt la couche transverse augmente considérablement d'épaisseur, et la couche longitudinale disparaît. Au-dessous de la couche ‘trans- verse, qui a, dans les parties moyennes de l’estomac, 0"”,4 ou 0"",5, existe une couche de 0"",03 environ qui ne me paraît contenir aucune fibre musculaire. Si on la traite par l'acide acé- tique soit sur des coupes transverses, soit sur des coupes longitu- dinales, on n’y peut reconnaître aucune apparence de fibres mus- culaires. Si on la traite par l'acide azotique, elle reste tout à fait incolore dans toute son épaisseur, tandis que la couche muscu- laire transverse se colore fortement en jaune.
Sur l'intestin, on retrouve les deux couches musculaires très uettes, ayantà peu près la même épaisseur que sur l’æsophage; dans les dernières parties de l'estomac, elles ont déjà reparu, mais seule- ment dans les dernières parties tout à fait. Done sur la plus grande partie de l'estomac de la Grenouille, il n’existerait qu’une couche de fibres musculaires ; elle serait transverse et très épaisse. La couche musculaire longitudinale n’existerait pas, bien qu'elle soit très apparente sur l’œsophage et sur l'intestin.
Celte exceplion à la règle commune me paraissant extraordi- naire, j'ai cherché à la vérifier sur d’autres Batraciens. Dans le Crapaud, les tuniques musculaires du tube digestif sont tout à fait
semblables à celles de la Grenouille ; leur disposition et leur déve- loppement sont les mêmes. Dans l'estomac, au-dessous d’une épaisse tunique musculaire transverse, existe encore une couche de tissu cellulaire, dont l'aspect diffère complétement de celui de la couche externe de l’æsophage ou de l'intestin. Tandis que cette dernière est formée presque entièrement de fibres musculaires très apparentes, la première ne paraît en contenir aucune.
Dans la Salamandre d’eau et la Salamandre terrestre, la même
280 M. VALATOUR. — GLANDES GASTRIQUES
couche cellulaire, avec son aspect caractéristique, enveloppe en- core extérieurement la tunique musculaire transverse de l’esto- mac; mais ici elle m'a paru contenir toujours quelques fibres musculaires longitudinales, immédiatement appliquées contre la tunique transverse. Ces fibres seraient très rares, formeraient une couche rudimentaire ; tandis que sur l’œsophage et l'intestin, il existe une tunique musculaire longitudinale très manifeste.
J'ai pu observer un Axolotl conservé dans l'alcool, les tuniques musculaires de son tube digestif m'ont paru semblables à celles de la Salamandre. Sur l’æsophage et l'intestin, deux couches musculaires très nettes ; sur l'estomac, une conche musculaire transverse très développée, et en dehors une couche cellulaire contenant à peine quelques fibres musculaires dans sa partie supé- rieure (1).
Ainsi l'absence de la couche musculaire longitudinale sur l’esto- mac ne serait pas un caractère absolu des Batraciens ; mais chez tous ceux que j'ai observés, cette couche serait rudimentaire, et reprendrait son développement sur l’æsophage et l'intestin.
L'absence complète de la tunique musculaire longitudinale n’est pas la seule chose qui frappe qaand on examine une coupe faite à travers l’estomac d’une Grenouille, les fibres musculaires propres de la muqueuse sont d’une netteté et d’une régularité remar- quables.
(4) Cet Axolotl, qui était depuis longtemps dans l'alcool étendu, était couvert de lamelles cristallines très abondantes ; examinées au microscope, ces lamelles présentaient les formes caractéristiques de la cholestérine, des lamelles losangi- ques isolées ou le plus souvent groupées, quelquefois tronquées sur l'angle aigu, tout à fait comme elles sont figurées dans l'atlas de la Chinue anatomique et physiologique de MM. Robin et Verdeil. Elles étaient insolubles dans l'eau, insolubles dans les acides et dans la potasse, solubles dans l'éther et dans l'huile, C'étaient bien des lamelles de cholestérine.
Ce n’est pas là un fait isolé. Un fœtus de Chat avait été placé dans l'alcool ; au bout de quelques mois, l'alcool contenait une grande quantité de paillettes cristallines très visibles à l'œil nu. Ces paillettes étaient des lamelles de choles- térine ; quand on raclait la peau de ce Chat, on enlevait beaucoup de ces lamelles et en même temps d'autres cristaux microscopiques avant la forme d'octaèdres tronqués sur le sommet, solubles immédiatement dans l'acide acétique sans effer-
DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 281 L'existence de fibres musculaires lisses dans l'épaisseur même de la muqueuse du tube digestif est connue depuis 1851 seulement. La découverteen est due à Kôlliker (Siebold etKülliker, Zeitschrift für Wissenschafliche Zoologie, 1851); il les trouva d’abord dans l’œsophage de l'Homme, en recherchant jusqu'où s’étendaient les fibres striées. Sur une muqueuse œsophagienne, qu'il avait débarrassée des tuniques musculaires et du tissu conjonctif, il reconnut de nombreux faisceaux de fibres lisses; de semblables faisceaux furent retrouvés par lui dans l'estomac, et par Brücke dans l'intestin. Ces travaux, résumés dans l’Histologie humaine de Külliker, établissent que la muqueuse du tube digestif de l'Homme et des Mammifères contient des fibres musculaires lisses dans toute sa longueur. Dans l’œsophage, elles sont disposées en faisceaux longitudinaux ; dans l'estomac, elles s’entrecroisent dans deux directions principales, forment une couche sous le fond des culs-de-sac, et pénètrent même entre les glandes ; dans lintestin, elles constituent deux couches : une couche interne transverse et une couche externe longitudinale. Leydig (Anatomisch-histologische Untersuchungen über Fische und Reptilien, 1853) a signalé l’existence de fibres musculaires ‘dans la muqueuse de la Grenouille et de la Salamandre terrestre ; il Va fait en ces mots : « Dans la muqueuse de l'estomac de la Gre-
vescence, et qui devaient appartenir à un phosphate. Quand on faisait des cou- pes à travers la peau, on y reconnaissait de petites lamelles de cholestérine, surtout accumulées le long des poils encore contenus tout entiers dans l'inté- rieur de la peau.
Chaque fois que j'ai laissé un intestin de Poisson dans l'alcool, cet intestin s'est rempli de lamelles de cholestérine.
Ayant abandonné un intestin de Merlan à lui-même, je le trouvai, au micros- cope, rempli de cristaux de phosphale de magnésie; ces cristaux sont très faciles à reconnaître au microscope; ils sont solubles sans effervescence dans l'acide acétique et donnent, quand on ajoute ensuite de l'ammoniaque, les for- mes en étoile si caractéristiques du phosphate ammoniaco-magnésien. Ils ne se forment pas seulement dans l'intestin, ils existaient en grande quantité dans le mucus qui recouvrait le palais. Ayant enlevé un peu de peau pour met- tre les muscles à nu, ces muscles ainsi dénudés se couvrirent en abondance des mêmes cristaux.
282 M. VALATQOUR, — GLANDES GASTRIQUES
» nouille et de la Salamandre terrestre se trouvent des muscles » Jisses qui pénètrent même entre les glandes. » Dans son Histo- logie comparée, il n’a rien ajouté, ne dit rien de leur disposition.
Si l’on fait une coupe à travers l'estomac d’une Grenouille, on remarque sous le fond des culs-de-sac glandulaires deux couches musculairesexcessivement nelles, en contaci l’une avec l’autre, for- mées de fibres lisses, longitudinales dans la couche externe, trans- versales dans la couche interne. Ces fibres sont tout à fait sem- blables à celles de la tunique externe; leurs noyaux sont très apparents. Elles ne sont certes pas entremêlées sans ordre ; elles forment parfaitement deux couches, comme je viens de le dire, très neltement séparées l’une de l’autre. Dans la couche interne, il n'y a que des fibres transversales; dans la couche externe, il n'y a que des fibres longitudinales ; on le reconnait très bien sur des coupes transversales et sur des coupes longitudinales. L’épais- seur de ces deux couches est assez grande ; sur une coupe, dans laquelle la tunique musculaire transverse externe avait 0"",5, elles avaient ensemble 0**,06. Elles sont très nettes et très apparentes dans toute la longueur de l'estomac, suivent partout le fond des euls-de-sac glandulaires , mais sans pénétrer entre les glandes, forment une couche continue au-dessous d'elles, ne se dévient. pas. S'il existe des fibres musculaires entre les glandes, ces fibres ne sont pas des prolongements de ces couches, elles en sont tout à fait distinctes.
Sur des coupes faites à travers l’intestin, ces deux couches ne se retrouvent plus; elles n'existent pas non plus sur l’æsophage, si ce n’est dans les dernières parties où l’on voit les fibres longi- tudinales prendre naissance sous les dernières glandes en grappe ; mais, au lieu d’être rapprochées, de former une couche, elles sont éloignées les unes des autres, dispersées dans une assez grande épaisseur de la muqueuse; elles se rapprochent peu à peu vers l'estomac, et forment la couche longitudinale externe de cet organe. Les fibres transverses commencent avec l'estomac ; il n’en existe pas dans l’œsophage sous les dernières glandes.
Les choses sont tout à fait de même dans le Crapaud, il n’y a aucune différence.
DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 988
Dans la Salamandre terrestre et aussi dans la Salamandre d’eau, ces deux couches musculaires sont lout à fait semblables à celles de la Grenouille.
Enfin, dans l’Axolotl que j'ai observé, les parties supérieures de la muqueuse étaient mal conservées ; cependant il m’a bien semblé que les deux couches existaient encore, mais un peu moins régulières.
Des fibre$ musculaires propres de la muqueuse du tube digestif dans les Poissons,
Leydig a recherché ces fibres dans l’Esturgeon (4natomisch- histologische Untersuchungen über Fische und Reptilien), et déclare qu’elles n'existent pas, Dans son Lehrbuch der Histologie, il répète la même assertion, mais ajoute en note qu'il les a trouvées dans la valvule intestinale des Raies et des Squales, et qu’elles manquent dans celle du Petromyzon.
Dans tous les Poissons que j'ai observés, à l’exception des Cyprinoïdes, j'ai reconnu dans la muqueuse stomäcale, en Ja trai- tant successivement par l’acide acétique et par l'acide azotique, dés faisceaux de fibres musculaires lisses, presque tous lüngitudi- naux, surtout abondants dans la branche pylorique. Ils restent éloignés les uns des autres, dispersés sans aucune régularité au- dessous des culs-de-sac glandulaires, ne se rapprochent pas pour former deux couches comme chez les Batraciens.
Dans la Lotte où des intervalles assez grands existent entre les groupes de glandes pepsiques, on voit quelques faisceaux muscu-
laires dans ces intervalles.
284 M. VALATOUR, —— GLANDES GASTRIQUES
EXPLICATION DES PLANCHES.
PLANCHE 9 ET 0.
Fig. 4. Épithélium de l'œsophage d’une Anguille, vu par la partie supérieure sur une muqueuse fraîche ; l'une des cellules paraît vide et détruite, sa place seule resterait.
Fig. 2. Épithélium de l’œsophage d’une Anguille sur une coupe faite à travers une muqueuse fraîche.
Fig. 3. Le même épithélium sur une coupe faite à travers une muqueuse pré- parée à l'alcool ; toutes les cellules paraissent vides.
Fig. 4. Épithélium de l'estomac d'une Anguille, vu par la partie supérieure.
Fig. 5. Glandes pepsiques de l'estomac d'un Brochet, vues sur une coupe faite à travers une muqueuse fraîche ou préparée à l'alcool. Je n’ai figuré les cel- lules pepsiques que dans l’une de ces glandes.
Fig. 6. Glande pepsique de l'estomac d'un Brochet sur une coupe faite à tra- vers une muqueuse préparée au carbonate de potasse. On voit le noyau des cellules pepsiques.
Fig. 7. Morceau d'une glande pepsique tirée d’une muqueuse qui a longtemps macéré dans l'acide acétique ; les cellules pepsiques sont très apparentes, ainsi que leurs noyaux.
Fig. 8. Cul-de-sac d'une glande préparée de la même manière.
Fig. 9. Cellule pepsique isolée tirée de la même muqueuse,
Fig. 40. Ouvertures des glandes muqueuses de la branche pylorique de l’es- tomac de l'Anguille, vues par la partie supérieure sur une muqueuse fraîche.
Fig. 44. Glandes muqueuses de la branche pylorique de l'estomac de l'An- guille sur une coupe transversale,
Fig. 42. Coupe d'une de ces glandes parallèle à la surface de la muqueuse. Sur cette coupe et sur la précédente, on reconnaît que les glandes ont une mem- brane propre.
Fig. 13. Une glande muqueuse de la partie pylorique de l'estomac du Brochet avec trois petits tubes pepsiques.
Fig. 44. Cellules de l'épithélium intestinales de la Carpe, détachées de la mu- queuse et vues par la partie supérieure.
Fig. 15. Les mêmes, après traitement par acide acétique.
DANS LES POISSONS OSSEUX ET LES BATRACIENS. 285 Fig. 146. Les mêmes, vues de profil; a, b, des cellules isolées. Fig. 47. Les tubes de l'intestin de la Carpe recouverts dans toute leur étendue par l'épithélium cylindrique. Fig. 48. Les mêmes sur une coupe parallèle à sa surface.
Fig. 19. Aspect des glandes œsophagiennes de la Grenouille à un faible gros- sissement.
Fig. 20. L'une de ces glandes, vue plus nettement, pour montrer qu'elles sont formées de cylindres réunis par groupe et aboutissant à un même canal excréteur. La région où convergent les tubes n’est jamais nette.
Fig. 21. Les deux couches musculaires propres de la muqueuse stomacale de la Grenouille. Fig. 22. Substitution des fibres lisses aux fibres situées dans la couche muscu-
laire transverse, au commencement de l'estomac de l’Anguille.
Fig. 23. Coupe transversale dans un œsophage de Perche, prépare à l'alcool : a, couche transversale externe formée de fibres striées; b. faisceaux longitu- dinaux de fibres striées ; c, cellules de l'épithélium.
Fig. 24. Coupe transversale dans l'estomac de la Perche, vers l'origine de la branche pylorique, pour montrer comment les tuniques musculaires se sub- stituent l'une à l’autre en passant du cul-de-sac dans la branche pylorique.
Fig. 25. Glande pepsique de l'estomac de la Lotte.
NOTE
SUR
DIFFÉRENTES ESPÈCES DE VERTÉBRÉS FOSSILES
OBSERVÉS POUR LA PLUPART
DANS LE MIDI DE LA FRANCE,
Par M. Paul GERV AIS.
Je réunis dans ce mémoire (1) diverses observations nouvelles relatives à des animaux vertébrés fossiles appartenant aux diffé rentes classes des Mammifères, des Reptiles et des Poissons. Je les ai recueillies depuis la publication de la seconde édition de mon ouvrage sur la Paléontologie de la France (2), et elles ont trait, pour la plupart, à des animaux dont les restes se rencontrent dans nos départements méridionaux. Ces observations, dont quel- ques-unes ont été communiquées à l'Académie des sciences, sont à la fois zoologiques et géologiques; elles serviront de premier supplément à l'ouvrage que je viens de citer.
MAMMIFÈRES.
Je parlerai d'abord de quatre espèces de Mammifères apparte- nant à la faune pleistocène ou faune diluvienne. La première rentre dans le genre Hystriæ.
Hysrrix maso, — M. Jules lier, mon confrère à l’Académie des sciences et lettres de Montpellier, a réuni des fragments de brèches provenant de l’île de Ratoneau près Marseille, qui renfer- ment des osséments et des dents de quelques Mammifères, et il a bien voulu m'en confier l'examen. Comme il arrive le plus habi-
(4) Ce travail, accompagné d’une planche et de neuf figures intercalées dans le texte, paraîtra dans le tome V des Mémoires de l'Académie de Montpellier, 1861. (2) Zoologie et Paléontologie françaises, in-4°, avec atlas, Paris, 1859.
VERTÉBRÉS FOSSILES DU MIbf DE LA FRANCE, 287
tuellement pour les fossiles enfouis dans les mêmes circonstances, la plupart de ces ossements sont fracturés en esquilles, et, par cela même, d’une détermination difficile. Tai cependant réussi à en isoler de la roche quelques-uns qui sont moins mutilés que les autres, et j'ai pu reconnaitre le genre dont ils proviennent.
Je signalerai, indépendamment d’un Mammifére de la taille du Cerf ou celle de l’Ane, dont le groupe ne saurait encore être pré- cisé, trois espèces qui peuvent, au contraire, être classées d’une manière certaine; ce sont :
Un Renard (Vulpes), dont j'ai vu une carnassière presque entière, provenant de la mâchoire supérieure ;
Un Lagomys, indiqué par trois molaires et par une incisive infé- rieure ;
Un Porc-Épic (Hystriæ), que des dents et plusieurs os des membres doivent faire regarder comme étant de près d’un tiers supérieur en dimensions, aux plus grands Pores-Épics actuels de l'Afrique et de l'Inde. M. Itier et moi en avons dégagé de leur gangue des parties très caractéristiques dont voici l’énumération :
4° Plusieurs fragments des dents incisives, dont l’un, qui est long de 0,085 et large de 0",006, montre encore sur une partie de son étendue la coloration jaune pâle qui distingue la partie antérieure des mêmes dents chez les rongeurs de ce genre; on y voit l’indice d’un très faible sillon ; une extrémité d’incisive supérieure est large de 0,007: celle-ci ne présente pas l’indice de sillon dont il vient d’être question.
2° Des molaires, à différents degrés d’usure, laissées par plusieurs sujets. Le fût et les caractères de la couronne sont semblables à ce que l’on voit chez les Porcs-Épics ; mais le volume de chaque dent est sensiblement plus considérable.
3° Diverses portions des membres montrant les mêmes analogies de formes associées à des dimensions également supérieures à celles des mêmes parties dans les Pores-Epics actuels. Il y a parmi elles : une moitié supérieure d’humérus ; une extrémité également supérieure de fémur ; une extrémité inférieure de tibia; un métacarpien médian, long de 0",038, et une pre- mière phalange, également plus forte que celle des Porcs-Épics de nos col- lections.
L’extrémité supérieure du fémur était surtout intéressante à étudier, parce qu’elle permettait de distinguer nettement le gros rongeur fossile
288 PAUL GERVAIS.
à Ratoneau, d’avec les espèces de la division des castors dont les dents molaires, du moins dans certaines formes éteintes, ont une assez grande ressemblance avec celles des Hystricidés. La direction du col dans le fémur trouvé à Ratoneau, l’échancrure qui sépare sa tête d’avec le grand tro- chanter, la profondeur de la cavité digitale, la position tout à fait posté- rieure du petit trochanter et l'absence du troisième trochanter, sont autant de particularités décisives montrant bien que cet os vient d’un fort Porc-
Épie et non pas d’un Castor.
Le genre Porc-Épic, dont il y a des restes parmi les fossiles du pseudo- pliocène d'Auvergne, n’avait point encore été observé dans les brèches à ossements du midi de la France. L'espèce que nous en signalons d’après les fossiles trouvés à Ratoneau, paraît différente de celles qui vivent de nos jours, et aussi de celle de l’Auvergne ; nous l’avonsindiquée sous le nom
d'Hystriæ major (1).
Cervus srroNGYLocER OS. — Le grand Cerf dont j'ai reconnu (2) la présence parmi les Mammifères enfouis dans la caverne du Pontil, près de Saint-Pons, avec le Rhinoceros tichorhinus, le Bos primigenius et l'Ursus spelœus, me parait être le Cervus strongyloceros, qui est une variété du Cerf ordinaire plus grande que celle vivant actuellement en Europe, ou peut-être une espèce très voisine de celle-là.
J'ai également eu l’occasion de constater la présence dans nos dépôts pleistocènes du bas Languedoc, de deux autres espèces inté- ressantes de la famille des Cervidés, et qui n’y avaient point encore été observées.
Cervus somonensis. — La première est le Gran Dam, décrit autrefois par G. Cuvier, d'après un fragment de bois découvert dans les sables des environs d’Abbeville ; c’est le Cervus (Dama) somonensis des auteurs actuels. On l’a également signalé dans la Limagne et dans le Vélay.
Une portion assez considérable d’empaumure trouvée dans la brèche osseuse de Pédémar, près de Saint-Hippolyte-du-Fort (Gard), appartient
(1) Comptes rendus hebdomad. de l'Acad. des se., L. XLIX, p. 511 ; 1859. (2) Mém. de l'Acad, des sc. de Montpellier, t, HF, p. 509 ; 4857.
VERTÉBRÉS FOSSILES DU MIDI DE LA FRANCE. 289 bien certainement à cette espèce. C’est ce dont je me suis assuré en la comparant avec la pièce, type de la description de G. Cuvier, que l’on conserve au Muséum de Paris. Elle indique un sujet un peu plus grand, mais la forme générale n’en est pas différente, et l’on y voit encore les points d'insertion des andouillers supérieurs qui sont rangés de même et en même nombre.
Les brèches osseuses de Pédémar m’ont aussi fourni des débris très
caractéristiques du genre Rhinocéros (1) et quelques fragments apparte- nant au genre Cheval.
CERVUS TaRANDUS. — La seconde espèce de Cervidés à laquelle j'ai fait allusion tout à l'heure est un Renne fossile. On a déjà men- lionné des Ruminants de ce genre dans plusieurs localités pleisto- cènes, particulièrement en France, et, dans certains endroits, il en a existé en même {emps que l'Homme, puisque les débris qui leur appartiennent ont été travaillés par la main de celui-ci. Paris, Étampes, Issoire, la caverne de Brengues dans le Lot, etc., ont fourni des débris de Rennes si peu différents des Rennes actuels du nord, que beaucoup d’auteurs doutent que l’on doive les en distinguer spécifiquement. La plupart des fragments connus du Renne fossile, dont mon Tarandus martialis (2), des graviers diluviens de Pézenas, est très facile à séparer, répondent aux Cervus tarandus, Guettardi el priscus, c’est-à-dire à trois des espèces admises comme distinctes par quelques naturalistes.
J’ai trouvé un fragment de bois de T'arandus, très facile à reconnaître, dans un envoi considérable d’ossements appartenant presque tous au grand Ours des cavernes (Ursus spelœus), qui ont été extraits par M. Tail- hades de la grotte d’Aldène, près Cesséras (Hérault). Des restes de V'Hyæna spelwa sont également enfouis dans cette caverne.
Hipparion crassum (3). — M. À. Crova, jeune professeur des Sciences physiques et naturelles, naguère attaché au collége de Perpignan, a reconnu, il y a quelques années, la présence, dans
(A) Ibid. (2) Zoo. et Paléontol. franç., p.184. (3) P. Gerv., Comptes rendus hebdomad., 14 février 4859. 4° série. Zoo. T, XVI. (Cahier n° 5) 5 19
290 PAUL GERVAIS.
les sables marneux qui bordent une partie de la route allant de cette ville à Canet, d’un gisement d’ossements fossiles de Mam- mifères, et il a bien voulu me remettre, pour les publier, ceux qu'il a pu se procurer.
J'y ai reconnu des animaux de trois genres différents :
4° Un Rhinoceros qui me paraît appartenir au sous-genre de ceux qui sont pourvus de grandes incisives et dont les débris sont surtout répandus dans le miocène européen.
2° Un grand ruminant de la famille des Bovides et qui est probablement une Antilope analogue aux Antilope boodon et recticornis, espèces fos- siles en Espagne et dans le midi de la France, qui sont voisines par leurs caractères dentaires et leur taille, de l’Antilope senegalensis ou leuco- phæa.
3° Un Hipparion ayant, comme les animanx de ce genre que l’on con- naît, les pieds tridactyles, le cubitus entier et distinct du radius et les molaires supérieures pourvues à leur bord interne d’une grosse île d’émail ; mais cependant facile à distinguer de l'Hipparion ordinaire par ses formes trapues et par un plus grand élargissement des os des pieds. J’en possède une extrémité inférieure de radius avec la partie correspondante du cubitus, deux métacarpes composés chacun de leurs trois os métacar- piens, un tibia presque entier et un métatarsien médian, Ces os annoncent une espèce à formes plus ramassées encore que l’Equus neogæus, dont j'ai décrit plusieurs ossements trouvés à Bolivie par M. Weddell (4). Le métacarpien médian a 0,035 de large au milieu sur 0,185 de long; le métacarpien médian 0,28 sur 0,21. Une dent molaire supérieure, qui a été recueillie dans le dépôt à ossements de Perpignan, se distingue surtout de celles des autres Hipparions par la forme de son île interne d’émail qui est subarrondie au lieu d’être ovalaire.
L'espèce d'Hipparion que je signale n’était guère plus grande que les autres, et sa hauteur est également comparable à celle des Anes de moyenne taille. Toutefois, elle était beaucoup plus robuste et son'squelette était trapu au lieu d’être grêle et élancé comme celui de ces animaux. C'est pour rappeler cette particularité que j’ai proposé de l'appeler l’Hip- parion crassum.
(1) Recherches sur les Mammifères fossiles de l'Amérique méridionale, p. 33, pl. 7.
VERTÉBRÉS FOSSILES DU MIDI DE LA FRANCE. 291
Les trois Mammifères suivants étaient terrestres, comme ceux dont il vient d’être question, mais propres à une époque antérieure à celle pendant laquelle les précédents ont vécu. Leurs débris ne se rencontrent que dans les terrains miocènes. Deux sont du genre Hipparion, l’autre est de celui des Anthracotheriums.
HipparioN GRaGiILE (H. prostylum, P. Gerv.). — Indépendam- ment des débris dont je viens de parler sous la dénomination d'Hipparion crassum, et qui indiquent une espèce bien certaine- ment différente de celle que M. Kaup, M. de Christol et moi avons décrite dans plusieurs occasions, j'ai reçu des restes de l’Hipparion ordinaire provenant de deux localités qui méritent d’être ajoutées à la liste de celles que j'ai déjà signalées dans ma Paléontologie française.
Une dent de ce genre, qui appartient à l'espèce dont il s’agit, a été trouvée par M. Flouest dans la molasse marine d'Aix, en Provence ; j’ai pu l’examiner et m’assurer de ses véritables caractères.
D’autres dents du même animal, que j’ai également vues, font partie d’une petite collection d’ossements que MM. Jullien et Brinckmann se sont récemment procurée à Montredon, près Bize (Aude), et qui provient du terrain lacustre de cette localité. D’autres fossiles de Montredon sont conservés au musée de Narbonne ; on y reconnaît des restes de Mastodonte, de Dinotherium et d’une espèce du genre Sus.
ANTHRACOTHERIUM MAGNUM, — Ce grand Bisulque est une des espèces les plus importantes de la faune miocène et l’une de celles qui, par leur présence dans un grand nombre de localités, en France, en Suisse, en Allemagne et en Autriche, permettent le mieux de reconnaître les terrains appartenant à l’époque du même nom,
J’en connais un nouveau gisement situé dans le département de l'Hérault et qui permet de compter désormais cette espèce parmi celles qui ont vécu dans ce département. Il a été trouvé à Montoulieu, entre Ganges et Saint- Hippolyte-du-Gard, dans un dépôt de marnes lacustres, une portion de tête de l'Anthracotherium magnum. Une seule dent a été conservée : c’est une incisive supérieure interne en très bon état, et par conséquent
9299 PAUL GERVAIS,
facile à reconnaître. Je la dois à M. Boutin, professeur à Ganges, qui s’oc- cupe avec succès d'histoire naturelle.
La présence de l’Anthracotherium magnum dans le dépôt lacustre de Montoulieu fait voir que ce dépôt se relie à ceux des environs d’Alais et de Saint-Ambroix, qui nous ont déjà montré d’autres débris d'animaux miocènes (1), et qu’il ne- faut pas le réunir aux terrains, également d’origine lacustre et fréquents dans l'Hérault, ainsi que dans le Gard, dans Vaucluse, etc., qui sont caractérisés par la présence des Paléothériums, et rentrent dans notre formation proïcène.
Je passe à quelques animaux essentiellement aquatiques, dont les débris ont été trouvés dans nos terrains marins; l’un d’eux constitue une espèce entièrement nouvelle appartenant à l’ordre des Cétacés.
Hazrrnerium, — M. le docteur Delmas m’a montré, parmi les fossiles des calcaires marins miocènes ramassés par lui auprès de Castries (Hérault), des fragments de côtes provenant évidemment d'un animal de ce genre, et j'en ai rencontré moi-même à Bou- tonnet, dans la molasse miocène, qui a fourni autrefois les Glosso- pètres signalés par de Blainville comme fossiles au même lieu. Les côtes d’Halithérium qui sont enfouies à Boutonnet sont com- parables, par leurs dimensions volumineuses, à celles de l'Hali- therium fossile de la Sarthe et de l’Anjou, ainsi qu’à celles de de l’Halitherium Beaumontii, des molasses de Beaucaire.
Payserer anriquus. — Le genre Cachalot (Physeter) existait déjà pendant la période tertiaire supérieure, et j’en ai signalé des débris dans le département de la Gironde ainsi que dans celui de l’Hé- rault.
Une nouvelle pièce appartenant à ce genre a été trouvée dans les sables marins de Montpellier, par M. Bourlier qui a bien voulu me la donner pour la collection de la Faculté des sciences de Montpellier. J’en publie une
(1) Mém, de l'Acad. des sc. de Montpellier, t. ILE, p. 505.
VERTÉBRÉS VOSSILES DU MIDI DE LA FRANCE, 293
figure, en même temps que ce travail, dans le tome V, pl. 5, des Mé- moires de l’Acadénue de Montpellier ; c’est un fragment considérable de la mâchoire inférieure.
MesorLonon (Cetorhynchus) Carisrozu. — Voici un fossile des dépôts marins du Midi qui mérite particulièrement d'attirer l’atten- tion. C’estun fragment considérable de la mâchoire inférieure d’un Cétacé évidemment voisin du Delphinus sowerbensis, mais indi- quant un animal de bien plus grande taille.
Le Delphinus sowerbensis de de Blainville, appelé aussi Dauphin de Dale, Dauphin microptère, etc., est une espèce fort curieuse des mers d'Europe, qui atteint 5 ou 6 mètres de longueur. On ne le prend qu’accidentellement, lorsqu'il vient échouer sur les côtes. Il a été vu en Angleterre, en Écosse, en Belgique, et, en France, sur les plages de la Seine-Inférieure et du Calvados. Il est le type d’un genre à part, qui a reçu plusieurs dénomina- tions, celle entre autres de Mesoplodon, substituée par moi aux mots fautifs ou déjà employés dans un autre sens, de Diodon, Aodon et Nodus, et sous laquelle on le désigne maintenant dans plusieurs ouvrages. Ce n’est pomt ur véritable Delphinidé, mais un animal voisin des Hyperoodons et des Ziphius, qu’il rattache à divers égards aux Delphinorhynques. Le Méso- plodon de Sowerby est sensiblement inférieur à l'Hyperoodon par ses dimensions, et il n’atteint pas même la longueur du Ziphius cavirostre, qui est aussi un Cétacé de nos mers, mais propre à la Méditerranée ; tandis que l’Hyperoodon et le Mésoplodon sont de l’océan Atlantique, de la Manche et de la mer du Nord. Le Mésoplodon a le corps grêle et allongé, ce qui indique dés habitudes essentiellement pélagiennes, et son rostre se prolonge en bec étroit, en même temps que sa mâchoire inférieure a la symphyse étendue et solidement réunie par une ossification complète, qui en rend les deux branches inséparables l’une de l’autre. Ce Cétacé pré- sente encore un autre caractère remarquable : sa mâchoire inférieure est pourvue, vers le milieu, d’une paire de dents fortes et saillantes au dehors, qui rappellent celles des Dioplodons, et elle porte en outre un certain nombre de dents très petites, simplement adhérentes aux gencives (1), ayant par cela même échappé à la plupart des auteurs qui ont étudié cette espèce. On les retrouve cependant en partie sur le crâne de l’individu échoué au Havre, quia été décrit par de Blainville, ainsi que par G. et Fr. Cuvier.
(1) Zoo!. et Paléontol, franç., pl. 40, fig, 4.
294 PAUL GERVAIS.
La pièce pour l’interprétation de laquelle j’avais besoin de rappeler les détails qui précèdent, indique un animal plus fort d’un bon tiers au moins que le Mésoplodon de Sowerby, et qui approchait par ses dimensions de l’Hyperoodon Butzkopf. On peut supposer que l’espèce dont il provient n'avait pas moins de 7 à 8 mètres de long; mais, sauf les détails de valeur presque spécifique, elle reproduit assez exactement les caractères de la partie correspondante envisagée dans le Mésoplodon de nos côtes. Elle montre, en effet, que la mâchoire à laquelle elle a appartenu était allongée, grêle et pourvue d’une longue symphyse ossifiée. Ce qui la rendait surtout différente de l’espèce actuelle, c’était le volume plus considérable de ses dents et leur disposition plus uniforme. L’arc dentaire, dont une partie a été perdue, porte encore pour chacun des deux côtés sa rainure alvéolaire, et l’on y voit des alvéoles pour l’implantation d’une cinquantaine de dents, peu différentes par leur arrangement de celles des Delphinus tursio et rostratus, mais qui doivent avoir été plus grosses encore. Il y a toutefois cette différence, que les alvéoles ne sont pas séparées transversalement les unes des autres par des parois osseuses, et que la rainure dentaire a ici une analogie véritable avec celle du Mésoplodon vivant, quoiqu’elle soit proportionnellement beaucoup plus profonde et bien plus large.
J'ai proposé d'appeler cette remarquable espèce Mesoplodon Chris- tollii (1), voulant indiquer ses affinités avec l’espèce de nos mers avec laquelle elle me paraît offrir tant de ressemblance; et désirant, d’autre part, rappeler par le nom spécifique qu’elle portera, qu’on en doit la décou- verte à feu M. de Christol. C’est, en effet, dans la collection laissée par cet habile paléontologiste que j'ai étudié la pièce osseuse dont il vient d’être question. Cette pièce provient des dépôts tertiaires marins du dépar- tement de l'Hérault, qui se rattachent à la partie supérieure du miocène, et renferment des fossiles qui se trouvent aussi dans les molasses de cer- taines autres contrées, ainsi que dans les faluns de la Touraine, etc, La localité où on l’a trouvée ne m'est pas connue avec précision ; mais, à en juger par le mode de fossilisation, je crois qu’elle vient des sables de Pous- san (Hérault), dont j'ai, de mon côté, obtenu un certain nombre de fos- siles intéressants, décrits dans mes précédentes publications. Peut-être jugera-t-on que le Mesoplopon Christoli devra, à cause du développe- ment plus considérable de ses dents, qui sans doute aussi étaient persis- tantes et non caduques comme celles du Mésoplodon véritable, constituer une petite division différente de celle à laquelle ce dernier sert de type.
(4) Comptes rendus hebdomad., t, LITE, p. 456 ; 1864.
VERTÉBRÉS FOSSILES DU MIDI DE LA FRANCE. 9295
Dans ce cas, on pourrait donner à cette division le nom de Cetorhyn- chus.
Il serait curieux de comparer le Mesoplodon Christolii et, après lui, tous les Cétacés dont les terrains marins supérieurs et moyens du midi de la France ont fourni des débris, avec les animaux du même ordre que l’on a récemment découverts en grand nombre dans le erag d'Anvers, et dont mon savant ami, M. le professeur Van Beneden, a entrepris de donner la description.
DELPHINORHYNCHUS suLcATUS (1). — Le curieux Cétacé auquel j'ai donné ce nom m'est connu par des fragments de crâne recueillis à Vendargues, à La Vérune, à Cournonsec et à Poussan, localités miocènes du département de l'Hérault, dont trois appartiennent à la molasse ou aux sables et dont l’autre est formée de marnes bleues. Parmi les pièces rapportées à cette espèce que j'ai repré- sentées dans mon ouvrage, la plus remarquable est un crâne presque entier provenant de la molasse de Cournonsec. Tout récemment, M. Paul Marès a trouvé à Loupian, dans un terrain argilo-sableux remontant au même âgé que les précédents, des débris osseux et quelques dents de Poissons qu’il a bien voulu me remettre. Parmi ces fossiles, j'ai trouvé un morceau considérable de l’éxtrémité inférieure d’un fémur que je crois appartenir à un Crocodile de grande dimension et divers fragments très mutilés , dont il m'a été néanmoins possible d'opérer la restauration. Ces fragments se sont trouvés constituer une portion considérable d'une mâchoire inférieure d’une forme très singulière, que je regrette de ne pas connaître dans sa totalité. Ce qu’il m’a été pos- sible d’en reconstruire commence un peu én arrière de la partie symphysaire qui était fort longue, et mesure 0,40, bien qu’in- complet en avant aussi bien qu’en arrière. Les dimensions de cette pièce répondent assez exactement à celle du crâne de Delphi- norhynchus sulcatus dont j'ai parlé tout à l’heure.
(4) P. Gervais, Mém. de l'Acad. des sc. de Montpellier, t. I, p. 310, pl. VII, fig. 3-7, et Zool. et Paléontol. franç., p. 306, pl. 83, fig. 3-7.
296 PAUL GERVAIS.
Par son faciès général, par sa forme et par son étroitesse, cette mâchoire inférieure rappelle sensiblement la partie correspondante étudiée dans le Gavial; mais on ne saurait cependant l’attribuer à un animal de ce genre, attendu qu’elle est d’une seule pièce, et c’est un des caractères des Rep- tiles d’avoir chaque moitié de la mâchoire inférieure décomposée en plu- sieurs OS.
La partie symphysaire est aplatie à sa face dentaire, qui présente un fort sillon médian; elle est à peu près demi-cylindrique à sa face inférieure, qui se divise en trois régions longitudinales, une médiane et deux laté- rales séparées de la précédente par un très fort sillon. La bande médiane ne présente plus de trace apparente de la symphyse articulaire, si ce n’est vers la base même de la région symphysaire. La coupe de cette mandibule est également curieuse, à cause de la disposition trilobée des parties qu’elle laisse voir. Le lobe médian est représenté par la bandelette médio-infé- rieure qui vient d’être décrite, et les lobes latéraux répondent au reste de la mâchoire. Chacun d’eux est séparé du lobe médian par le sillon profond déjà signalé, et ils laissent entre eux et le lobe médian un canal évidé presque aussi large que le lobe médian, qu’il surmonte, et au-dessus duquel les bords externes des deux lobes latéraux se rapprochent mais sans se souder. Entre eux se voit le sillon médio-supérieur qui longe toute la surface palatine de la mâchoire.
L’allongement et la disposition de la mandibule du Dauphin trouvée à
Loupian par M. P. Marès répondent d’une manière assez exacte aux _ caractères déjà signalés par moi dans le rostre du Delphinorhynchus sul- catus, et il est bien probable que nous avons affaire ici à une pièce appar- tenant à la même espèce.
La soudure des deux moitiés de la mâchoire inférieure du Delphino- rynchus sulcatus n’était ni moins intime ni moins solide que chez les Inias, les Platanistes et les Sténodelphes; mais la coupe de la mandibule de l’Inia serait plutôt en demi-ellipse qu’en demi-cylindre ou portion de demi- cylindre, comme dans l’espèce fossile, et la même coupe dans le Plataniste est bien plus comprimée encore. L’Inia et les autres espèces actuelles dont il vient d’être question, manquent d’ailleurs de sillons longitudinaux qui caractérisent le Delphinorynchus sulcatus.
Aucune des dents n’est restée en place sur la mâchoire inférieure que nous décrivons, et les alvéoles sont toutes oblurées, On peut constater cependant qu’elles étaient de petite dimension, ce qui permet de conclure que les dents elles-mêmes étaient grêles et aiguës, et la même disposition avait sans doute également lieu pour les dents supérieures,
VERTÉBRÉS FOSSILES DU MIDI DE LA FRANCE, 297 La pièce dont il est ici question, et que représentent les figures 1 à 3 de la planche IV du tome V des Mémoires de Montpellier, montrera que le Delphinorhynchus sulcatus diffère encore plus que je ne l’avais supposé des Delphinorhynques véritables, c’est-à-dire des Steno de M. Gray, et l’on pourra, dans la classification naturelle des Cétacés, faire du Delphinidé à long bec des terrains miocènes de l'Hérault, encore un genre différent de ceux de la nature actuelle. Ce genre s’éloignait en particulier de celui dans lequel javais placé l'espèce qui lui servira de type par la longueur de la symphyse et par les sillons qui parcourent son rostre. Il pourrait prendre le nom de Schizodelphis, par allusion à ces sillons qui se voient à la mà- choire inférieure aussi bien qu’à la mâchoire supérieure.
REPTILES.
Les Reptiles, au sujet desquels je me propose de donner de nouveaux détails, ne sont qu’au nombre de deux : l’un déjà décrit dans mon ouvrage comme se rattachant à l’ordre des Crocodi- liens; l’autre non encore observé en France, et rentrant dans le genre Thécodontosaure. Ce sont l’un et l’autre des animaux de la période triasique.
On ne connaît encore que d’une manière assez incomplète les Vertébrés aériens qui ont peuplé le globe antérieurement à la période jurassique, et, jusque dans ces derniers temps, ceux qui sont enfouis dans le sol de la France n’avaient donné lieu qu’à quelques observations isolées. J’ai essayé de réunir ces observa- tions dans la seconde édition de mon ouvrage sur la paléontolo- gie (1), et j'y ai ajouté quelques faits nouveaux ayant lrait, comme ceux qu’on avait publiés antérieurement, à des espèces propres aux terrains de la période triasique. Ces espèces appartiennent uniquement à la classe des Reptiles et à celle des Batraciens.
Les Reptiles triasiques dont la présence a été signalée en France sont de trois groupes différents, et il y avait aussi avec eux des espèces de la classe des Batraciens. Les Reptiles sont :
4° Un Crocodilien encore incomplétement connu, dont j'ai parlé
(1) Zool. et Paléontol. franc.
298 PAUL GERVAIS.
d’après uné pièce recueillie aux environs de Lodève(Hérault), et qui m'a été signalée par MM. Émilien Dumas et Paul de Rouville (4). Je reproduis ici les détails que j'ai déjà publiés à son égard :
Crocodilien ? du trias? des environs de Lodève. — On a découvert, il y a plusieurs années, auprès de Lodève, dans une propriété appartenant à MM. Calvet frères, et dans un calcaire marneux de couleur jaunâtre, que M. Paul de Rouville attribue (ainsi que M. É. Dumas) aux assises supé- rieures de la série triasique, une partie du thorax d’un grand reptile, qu’à la forme biplane et allongée de ses vertèbres je regarderais plutôt comme appartenant à un animal jurassique, si les auteurs de la Carte géologique du département de l’Héraut n’avaient une idée différente sur l’âge du ter- rain qui a fourni ce fossile, et ne le rapportaient à l’étage des marnes irisées.
La pièce, qui a été conservée et que possède maintenant la Faculté des sciences de Montpellier, montre des traces de plusieurs vertèbres, dont une, plus entière que les autres, est biplane, cylindroïde, quoique un peu clepsydiforme, et longue de 0",12, ses faces articulaires, qui sont planes l’une et l’autre et à contours à peu près circulaires, ayant environ 0°,06 de diamètre. Six des côtes du côté droit sont conservées en partie ou indi- quées par leur empreinte. Elles sont fortes, solides, pleines, aplaties d’avant en arrière et élargies dans le même sens et à leur extrémité vertébrale qui, mesurée sur deux d’entre elles, a environ 0",06 sur la face aplatie. La longueur de l’un de ces côtés dépassait 0",40.
J'ai cherché, pendant une des excursions que j'ai faites à Lodève, à recueillir d’autres débris de cette curieuse espèce, mais il m’a été impos- sible de men procurer. La pièce unique que l’on en connaît n’est pas assez complète pour qu’il soit possible d’en déterminer le genre avec pré- cision. On peut cependant juger, à la longueur des vertèbres, qu’elle avait plus d’analogie avec la partie correspondante du squelette des crocodiliens, qu'avec celle des plésiosauriens et des simosauriens; elle différait encore davantage des ichthyosauriens dont les vertèbres sont raccourcies et biconcaves. Les vertèbres du Pækilopleuron des terrains oolithiques de Caen semblent plus particulièrement pouvoir être comparées à celles du grand Reptile des environs de Lodève, que je viens de signaler; mais je suis bien loin de pouvoir établir que les unes et les autres proviennent d'animaux du même genre.
(1) J'en donne la figure dans les Mémoires de l’Académie de Montpellier.
VERTÉBRÉS FOSSILES DU MIDI DE LA FRANCE. 299
2 L’Aphelosaurus lutevensis, espèce de Saurien véritable, que j'ai décrite sur l’examen d’une empreinte trouvée dans les ardoi- sières permiennes de la même ville (1).
9° Diflérents Simosauriens, recueillis depuis une époque plus ou moins éloignée dans les départements de l'Hérault, de la Moselle, de la Marne et du Bas-Rhin. Les ossements de ces derniers ani- maux abondent dans le muschelkalk de Lunéville où G. Cuvier les a le premier indiqués, mais en en donnant des déterminations que les recherches de M. Hermann de Meyer (2) et les miennes ont dû faire modifier.
Les Batraciens enfouis avec ces Reptiles sont du groupe de ceux que jai appelés Dinobatraciens, et ils appartiennent principale- ment au genre des Labyrinthodontes ou Mastodonsaures. Leurs restes osseux, ou les empreintes laissées par leur pas, m'ont éga- lement occupé (3). On en a constaté la présence dans les départe- ments de l'Aveyron, de l’Hérault, de la Haute-Saône, de la Moselle ét du Bas-Rhin.
Taecoponrosaurus. — C'est également à la série des époques dites triasiques que remonte l'animal auquel ont appartenu quel- ques dents et un petit nombre de fragments osseux indiquant aussi un Vertébré à respiration aérienne, sur lequel j'ai appelé, en février dernier, l'attention des naturalistes (4).
Ces débris ont été soumis à mon examen par M. Dumortier (de Lyon), qui les a découverts au Chappou, près Saint-Rambert (Ain). Leur forme, et en particulier celle des dents que l’on distingue parmi eux, indiquent un animal bien certainement différent de ceux dont je viens de rappeler les noms, mais qui rentre probablement avec les premiers dans la classe des Reptiles proprement dits. Ils ont été retirés des marnes blanchâtres affleurant au milieu des dénudations des couches inférieures de l’infra-lias,
(1) Mém. de l’Acad. de Montp. (section des sciences), t. II, p. 437, pl. 5, et Zool. et paléontol. franç., p. 459, pl. 84.
(2) Die Saurier des Muschelkalkes,in-fol., 1837.
(3) Loc. cit.
(4) Comptes rendus hebdomadaires, t. LIL, p. 347.
300 PAUL GERVAIS. dans la localité qui vient d’être citée. M. Dumortier attribue ce gisement à l’étage des marnes irisées.
Les ossements recueillis au Chappou sont réduits en petits fragments, qu’il m’a été impossible de réunir les uns aux autres, de manière à me faire une idée exacte de la partie du squelette dont ils proviennent, et je ne puis rien dire à leur égard. On distingue cependant parmi eux une pièce à peu près discoïde, ayant 7 millimètres de large sur 3 millimètres d'épaisseur, qui rappelle assez bien, au premier abord, un corps de vertèbré à sur- faces articulaires, biplanes, c’est-à-dire ayant le caractère propre aux vertèbres de beaucoup de sauriens de la période secondaire; mais c’est plutôt un os métacarpien qu’une vertèbre, et on lui trouve, en effet, quel- que ressemblance avec un des os de la même région chez les Reptiles aqua- tiques, les Chélonées par exemple, les Neustosaures, les Plésiosaures et les Ichthyosaures. Cet os, s’il appartient réellement à l’animal qui nous occupe, etsi la détermination que j’en donne est exacte, mettrait hors de doute le genre de vie essentiellement aquatique du Reptile trouvé au Chappou.
Quant aux dents, il y en a une dizaine, isolées les unes des autres, mais dont quelques-unes sont à peu près entières, du moins pour la couronne. Elles sont comprimées, à sommet acuminé, à bords antérieur et posté- rieur denticulés en scie sur une grande partie de leur étendue. La partie la plus rapprochée’du collet manque seule de dentelure, et la disposition de la dent elle-même montre bien que la couronne, telle qu’elle vient d’être décrite, surmontait une racine distincte et implantée dans une alvéole propre. La longueur de ces dents, c’est-à-dire leur diamètre antéro-posté- rieur varie entre 6 et 9 millimètres, et leur hauteur, pour la couronne seulement, entre 9 et 44 ou 15 millimètres. La plus forte n’a que 4 milli- mètres d'épaisseur entre ses deux faces. La courbure des bords antérieur et postérieur n’est pas absolument la même pour les différentes dents.
Les caractères queje viens designaler, et toutes les particularités distinc- tives des dents trouvées dans les marnes irisées du Chappou, sont la repro- duction presque exacte de ceux attribués par MM. Riley et Stutschbury à l'animal, fossile dans le conglomérat dolomitique des environs de Bristol (étage inférieur du pénéen), qu’ils ont nommé T'hecodontosaurus antiquus et auquel ils rapportent également des vertèbres biconcaves très dévelop- pées dans leur partie neurapophysaire, ainsi que des fragments de côtes provenant du même dépôt. Il me paraît hors de doute que les fossiles du Chappou ont appartenu à un animal de la même espèce ou tout au moins du même genre.
VERTÉBRÉS FOSSILES DU MIDI DE LA FRANCE. 301
On n’avait point encore observé en France des débris susceptibles d’être
attribués au Thécodontosaure. Je donne des figures de ceux qui vien- nent d’être décrits.
POISSONS.
Je terminerai par quelques documents relatifs à diverses espèces de Poissons fossiles appartenant presque tous aux dépôts miocènes du Midi.
Ces espèces figurent déjà pour la plupart dans l’énumération des Poissons fossiles en France que j'ai précéderament publiée; mais j'en signale ici des gisements qui n’avaient point encore été énu- mérés. J’en ai vu des pièces dans les collections de Montpellier et d'Avignon, ainsi que dans le cabinet de M. le doctenr Delmas; de Castries (Hérault), qui recueille avec $oin les fossiles de cette classe dans les calcaires et les marnes des environs de la ville qu’il habite.
*CarysopHRys. — On trouve assez souvent les dents, soit mo- laires, soit incisives, des Chrysophrys ou Dorades dans les mo- lasses miocènes et dans les sables de même âge si répandus dans nos départements du Midi ; il y en a aussi dans nos terrains plio- cènes. J'en connais en particulier dans les départements de la Drôme, de Vaucluse, des Bouches-du-Rhône, du Gard, de l’Hé- rault, etc. Les calcaires moellons de Castries et la molasse coquil- lière de Boutonnet, près Montpellier, sont au nombre des localités qui en fournissent le plus souvent. De beaux fragments de Chry- sophrys fossiles trouvés dans le département de l'Hérault font partie de la collection de feu'M. de Christol.
*SARGUS INCISIVuS. — Calcaires et argiles miocènes de Castries.
* ÆroBarus arGuaTus. — Molasse coquillière de Pézenas (Hé- rault).
*CARCHARODON MEGALODON. — Romans, Saint-Reslitut, près Saint-Paul-Trois-Châteaux (Drôme); Carpentras, Entraigues, Sorgues, Apt (Vaucluse) ; Barbantane, Aïx (Bouches-du-Rhône); les Angles (Gard); Castries, Boutonnet, Pignan, Sain-Jean-de- Védas, Poussan (Hérault).
302 PAUL GERVAIS,
*Cesrracion ou grande espèce de Rata. — Dans les marnes sableuses de Loupian (Hérault), d’après une dent dont j'ai donné la figure ailleurs, vue en dessus et en dessous de grandeur natu- relle, et en dessus grossie au double. Cette pièce m'a élé remise par M. Paul Marès.
“Prisnis. — Deux dents d’une espèce de scie (genre Pristis) ont été trouvées dans le miocène marin de Pézenas (Hérault) par M. Forel fils qui a bien voulu me les remettre. J'ai fait figurer l’une d'elles.
*Oxvraina Hasrazis. — Sainte-Garde, Uzës, les Angles (Gard) ; Castries (Hérault), dans le calcaire et dans les marnes. Cette espèce, très répandue dans nos dépôts miocènes marins, se ren- contre aussi dans ceux du Portugal, ainsi que je m'en suis assuré par l'examen de dents provenant de ce pays qui m'ont été com- muniquées par M. Ribeiro.
*OxYRHINA xYPHODON. — Pont-Saint-Esprit, les Angles, Uzès, Beaucaire (Gard); Castries (Hérault), dans le calcaire et dans les marnes.
*GALEOCERDO ADUNCUS, — Lourmarin, Cucurron (Vaucluse); Castries, dans les marnes et dans les calcaires; Boutonnet, dans la molasse (Hérault).
“ GALEOCERDO LATIDENS. — Sainte-Garde (Gard).
* Hemprisris Serra. — Entraigues, Sorgues, Courtheson (Vau- cluse); Sainte-Garde (Gard); marnes et calcaires de Castries, molasse de Boutonnet et de Pézenas (Hérault) ; se trouve aussi dans les dépôts miocènes marins du Portugal.
*HemiPRISTIS PAUCIDENS. — Marnes bleues des environs de Castries et de Mèze (Hérault) ; Nissan (Aude).
*Nonpanus PRIMIGENUS.—Sainte-Garde et Uzès (Gard) ; molasse de Boutonnet (Hérault) ; Romans (Drôme). J’ai observé une dent du genre Votidanus, mais d’une espèce différente de celle dont il est ici question, dans le terrain néocomien de Ganges (Hérault). Elle y est associée au Sphenodus sabaudianus et à une Pycnodus, dont j'ai décrit ailleurs les dents palatines.
MÉMOIRE
SUR
LE COEUR DE LA TORTUE FRANCHE,
Par M. Henri JACQUART,
Aide naturaliste au Muséum d'histoire naturelle.
$. I. — La description du cœur de la Chelonia Midas ést importante en ce qu'elle reproduit exactement celle du cœur des Ophidiens. .
L'étude du cœur de la Tortue franche, ou Chelonia Midas, nous parait avoir une autre importance que celle d’un fait anato- mique isolé. Elle ne se borne pas à faire connaître la structure particulière de cet organe chez ce Reptile, elle a plus de portée ; elle tend à établir que le cœur des Tortues a une conformation qui le rapproche beaucoup de celui des Ophidiens, et par conséquent qu’il n’est point composé d’un ventricule unique, ainsi que le disent les auteurs, et de deux oreillettes distinctes, ce que per- sonne ne conteste, mais bien de deux ventricules, c’est-à-dire d’un droit ou pulmonaire et d’un gauche bilobé, séparés incom- plétement l’un de l’autre par une cloison, dont le bord supérieur n’est pas soudé aux parois du cœur.
Nous rechercherons plus tard si la disposition que nous espé- rons trouver dans le cœur de tous les Chéloniens ne se rencon- trerait pas aussi chez beaucoup d’autres Reptiles, à l'exception du Crocodile, dont le cœur ne diffère en rien de celui des Mammi- fères , car il a deux oreillettes et deux ventricules distincts, et le mélange des deux sangs s’opère à l’aide de deux vaisseaux qui pro- viennent chacun séparément d’un des ventricules, et s’abouchent ensuite hors du cœur.
304 JACQUART.
$ II. — Nécessité de rappeler la structure du cœur des Serpents, et la compa- raison que nous en avons faite avec celui des Mammifères.
Mais si la disposition de cet organe est la même chez la Tortue franche et chez les Ophidiens, il est nécessaire de rappeler suc- cinctement l'anatomie du cœur de ces derniers, ainsi que les vues que nous avons développées en le comparant à celui des Mammi- fères.
Nous renvoyons pour plus de détails au premier mémoire que nous avons publié dans les Annales des sciences naturelles sur la circulation du Python (L), et que M. le professeur de Quatrefages a présenté én notre nom à l’Académie des sciences, dans la séance du 9 juin 1856. (Voy. les Comptes rendus des séances de l’ Aca- démie, t. XLII.)
Nous espérons avoir démontré dans ce travail, accompagné de nombreuses planches en noir et en couleur, que le cœur des Ophidiens peut être ramené à celui des Mammifères.
Rappelons-nous comment chez ces derniers le ventricule droit empièête en avant sur le gauche, tandis que le second recouvre en partie le premier en arrière. Cette disposition est exagérée chez les Serpents; chez eux, lors de la formation primitive du cœur, le ventricule droit rétréci, glisse au-devant du gauche, et lui devient tout à fait antérieur ; beaucoup plus petit que ce dernier, il est débordé par lui des deux côtés. Le ventricule à sang rouge est rétréci dans son milieu ; ce rétrécissement, cet étranglement, c’est le trou ventriculaire des auteurs. Enfin la cloison interventricu- laire, qui sépare l'embouchure de l'artère pulmonaire de celle des deux aortes, n’est pas soudée par son bord supérieur aux parois du cœur. Nous avons un cœur veineux avec le vaisseau qui en part, et qui porte le sang veineux au poumon, et un cœur gauche auquel nous restituons les origines des deux aortes, qu'on avait fait partir, à tort, du ventricule droit. Au lieu d’un trou ventrieu-
(4) Voy. Mémoire sur les organes de la circulation chez le serpent Python, par Henri Jacquart, 4° série, Zoologie, t. IV, n° 6, 4855.
STRUCTURE DU COEUR DE LA TORTUE. 305
laire, nous ne trouvons plus que l’étroite communication entre les deux loges du ventricule gauche. Il y à une cloison interventricu- laire ; seulement, l’un de ses bords non soudé aux parois du cœur permet le mélange partiel des deux sangs (1). Alors tout s'explique, l'unité de plan n'est plus détruite, et la loi des connexions nous permet de poursuivre tous les termes d’une comparaison rigou- reuse entre le cœur des Ophidiens et celui des Mammifères.
Ces vues avaient été présentées à l’occasion du cœur d’un Python et de celui d’un Boa d’un assez petit volume. Mais dans ces derniers temps, grâce à la bienveillance de M. le professeur Augusle Duméril, ayant fait l’autopsie de deux Pythons de Séba d’une taille considérable, 3 à 4 mètres de longueur, nous avons pu étudier deux cœurs deux ou trois fois plus gros que celui d’un fœtus humain à terme.
Nous avons cru alors devoir revenir, dans un second mémoire, sur certains détails anatomiques, quoique nous les ayons figurés et décrits dans le premier avec exactitude, parce que la dimension plus grande des objets nous en a rendu l'étude et la démonstra- tion plus faciles. (Voy. Gazelle médicale de Paris, année 1855 : Nouvelles recherches sur l'anatomie du cœur des Ophidiens, par Henri Jacquart. Ce mémoire se trouve aussi dans les Comptes rendus de la Société de biologie de la même année.)
S LIL. — Faits que nous croyons avoir démontrés dans les deux mémoires que nous avons publiés sur l'anatomie du cœur des Ophidiens.
Nous y avons établi :
1° Que l'oreillette droite s'abouche dans le ventricule droit, sans cependant confondre son axe avec celui de cette dernière cavité. Les axes de l'oreillette droite et de la loge pulmonaire sont
(1) Dans le premier mémoire déjà cité, nous avions äit que chez les Ophidiens, c'est le bord inférieur de la cloison interventriculaire qui n'est pas soudé aux parois du cœur; nous nous sommes assuré depuis, par de nombreuses dissec- tions faites comparativement sur le cœur des Mammifères et celui des Serpents, que c’est précisément le contraire, c'est-à-dire le bord supérieur de cette cloison qui est libre.
&° série. Zoo. T, XVI. (Cahier n° 5.) # 20
306 JACQUART.
dirigés d'avant en arrière et nn peu de hauten bas ; ils sont paral- lèles l’un à l’autre, et communiquent ensemble sur le bord libre du pilier de Ja cloison interventriculaire par un passage rétréci, situé entre l'insertion de l'extrémité antérieure de ce pilier et la cloison du cœur. L'axe de ce passage qui est presque vertical coupe ceux des deux cavilés, comme une sécante coupe deux parallèles qu’elle rencontre perpendiculairement. Nous ferons remarquer ici que l’action de la pesanteur doit faciliter le passage du sang de l'oreillette droite au ventricule droit dans les positions les plus ordinaires du Serpent, c’est-à-dire dans le repos ou la reptation. Le sang se dirige en bas sous l'extrémité antérieure de la colonne charnue de la cloison qui s’amincit notablement dans cet endroit, et au-dessous des orifices aortiques dans lesquels il s’introduirait, si, dans la diastole des ventricules, les deux val- vules sigmoïdes de chacune ne les fermaient complétement par suite du choc en retour du sang qui les fait retomber.
2° Que la valvule aurieulo-ventriculaire s'abaisse pour le pas- sage du sang veineux dans la loge pulmonaire au moment de la systole des oreillettes, et forme un plan incliné qui le dirige vers celle-ci. Cette valvule s'accole alors sur le bord de la cloison qui sépare cette loge de la portion droite du ventricule gauche, et elle rend impossible l'introduction du sang veineux dans celui-ci.
8° Qu'il faut, en outre, tenir compte de la force d’impulsion que donne au ventricule gauche, surtout dans la loge gauche (ventri- cule gauche des anciens auteurs), son épaisseur considérable qui nous l’a fait comparer à un gésier. Ce ventricule n’est pour nous que la loge la plus petite de cette cavité.
Le bord supérieur de la cloison n'étant pas soudé aux parois du cœur, le mélange du sang veineux et du sang artériel a lieu au moment de la systole ventriculaire ; mais c’est le sang artériel müû par une force plus grande qui tend à s’introduire dans le ven- tricule droit, sur le bord libre de la cloison interventriculaire, et qui artérialise ainsi le sang veineux avant son arrivée au poumon,
Nous indiquerons plus loin les conséquences importantes qui en découlent pour la théorie de lhématose pulmonaire chez les Reptiles.
STRUCTURE DU COEUR DE LA TORTUE. 307
Mais si nous nous félicitons d'avoir profité de la gracieuse obli- geance de M. le professeur Auguste Duméril pour étudier des cœurs d'Ophidiens beaucoup plus gros que ceux qui avaient servi à nos premières recherches, combien n’avons-nous pas été plus heureux encore de trouver sur un cœur de Chelonia Midas ou Tortue franche, c'est-à-dire sur un cœur deux fois aussi gros que celui d'un Homme adulte, et par conséquent vingt fois plus volu- mineux que celui du plus gros Serpent que nous ayons pu dissé- quer antérieurement au Muséun ; de trouver, dis-je, une disposi- lion entièrement semblable à celle du cœur des Ophidiens !
Les proportions en sont relativement gigantesques, et les détails si nellement accentués, que c’est pour nous la confirmation de toutes les vues que nous avons exposées dans les deux précédents mémoires. Les points qui avaient pu rester.douteux, à cause de la pelitesse des objets soumis antérieurement à notre examen, grâce à la grandeur des proportions de la pièce, se présentent avec une telle évidence, que la démonsiration nous semble ne plus rien laisser à désirer.
Nous avons figuré avec soin et exactitude le ventricule droit et le ventricule gauche d’une Chelonia Midas (voy. planche 7).
$ IV. — Cœur de la Chelonia Midas, étudié à l'extérieur après la dissection des fibres musculeuses.
Si, par une dissection attentive et minutieuse, on met à nu les fibres musculeuses du cœur de la Tortue franche en enlevant la séreuse cardiaque, on voil à la face inférieure du cœur, immédis— tement en arrière de la naissance de l'artère pulmonaire, une saillie que les auteurs ont nommée tnfundibulum de l'artère pulmonaire, et que les anatomisles de l'Homme ont décrite avec soin sur le cœur de ce dernier. Ils ont comparé à la partie évasée d’un cor de chasse cette dilatation du ventricule droit faisant suite à l'artère pulmonaire, qui en serait l'embouchure ou partie rétrécie. Les fibres musculeuses forment à droite et à gauche des anses plus ou moins régulières, qui convergent de la base du cœur vers la pointe en décrivant des courbes à concavité antérieure. Au niveau de
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l’infundibulum de l'artère pulmonaire, elles semblent s’écarter pour laisser voir les fibres propres du ventricule droit qu’elles recouvrent en partie; celui-ci semble s’énucléer au milieu d’elles en les soulevant.
$ V. - Préparation pour l'étude de la cavité du ventricule droit.
On divise ensuite l’artère pulmonaire, en passant entre ses deux valvules sigmoïdes. On prolonge l’incision sur la paroi inférieure du cœur, de manière à ouvrir le ventrieule droit, et l’on tient for- tement écartées les deux lèvres de la division.
$ VI. — Étude de la cavité du cœur droit de la Chelonia Midas.
On voit alors une cavité revêtue d’une membrane lisse, mais À la surface de laquelle sont sculptées des colonnes charnues sous forme de pilastres, puis des aréoles où sinus qui les séparent. Quelques-uns de ces derniers sont assez profonds et d’un orifice assez large, pour qu’on doive en tenir compte dans l’appréciation de la capacité du cœur droit.
$ VII. — Pilier charnu principal, libre par son bord supérieur, et qui se continue avec la cloison interventriculaire dont il fait partie.
On remarque surtout un pilier charnu, dont le sommet aminei se fixe entre l’origine de l'artère pulmonaire et celle des deux vais- seaux artériels. Sa base très épaisse se confond avec les parois du cœur. I a un bord libre qui laisse une fente entre lui et la paroi supérieure du cœur contre laquelle il s'applique ; dans le reste de son étendue, il se continue avec la cloison interventriculaire.
Sur la pièce que nous avons sous les veux, une onverture cir- culaire considérable pouvant admettre l'extrémité du petit doigt, mène dans un sinus du ventricule gauche, qui pourrait loger la dernière phalange de l'indicateur, s’il n’était presque entièrement rempli par la base renflée du pilier de la cloison interventricu- laire.
SIRUCTURE DU COEUR DE LA TORTUE. 209 11 devient évident que le cœur droit a une paroi inférieure con- cave du côté de la cavité ventriculaire et convexe à l'extérieur, où elle se traduit par l’infundibulum de l'artère pulmonaire, et une autre paroi plane supérieure qui forme véritablement la cloi- son interventriculaire, et qui n’est pas soudée par son bord supérieur aux parois du cœur ; ce qui rend possible la communi- cation entre le cœur droit et le cœur gauche. Un seul vaisseau part du ventricule droit : c’est l'artère pulmo- naire garnie de deux valvules sigmoïdes à son embouchure.
$ VIII. — Étude de la cavité du cœur gauche de la Chelonia Midas. Préparation à exécuter pour cette étude.
Pour étudier le cœur gauche, il faut couper le pilier charnu de la cloison par une incision qui semble n'être que le prolongement de celle qui a divisé la paroi inférieure du ventricule droit. On ouvre ensuite l’orifice auriculo-ventriculaire gauche, et l’on pro- longe l’incision en avant et en arrière de cet orifice sur l’oreillette gauche et le ventricule gauche des anciens auteurs, en respec- tant la valvule auriculo-ventriculaire gauche et en suivant les axes des cavités. Puis on réunit les deux incisions ventriculaires par une coupe transversale faite à 2 centimètres environ de la pointe du cœur. Elle passe au-dessus du ventricule droit, et divise près de sa base, comme nous l'avons vu, le pilier que nous avons décrit, et toute la masse charnue qui sépare les deux sections ventriculaires.
On renverse de la pointe vers la base du cœur le lambeau épais quadrilatère qui en résulte ; on embrasse alors d’un coup d’œil toute la cavité du ventricule gauche située, comme on voit, au- dessus du ventricule droit et le débordant des deux côtés, parce qu'elle est plus grande que celle de ce dernier.
$ IX. — Tente membraneuse quadrilatère formée par les deux valvules auriculo-ventriculaires, réunies sur la ligne médiane.
Au milieu de la cavité du ventricule gauche, mais un peu plus
310 JACQUART.
à gauche, se voit uñe lente membraneuse quadrilatère ; deux de ses bords sont adhérents : l’un inférieur se continue avec l’endo- carde, qui recouvre le lambeau charnü que l’on a relevé; autre supérieur se confond avec la séreuse qui revêt la paroi opposée du ventricule. Deux autres bords de cette cloison sont libres, flottants, convexes et festonnés : l’un droit appartient à la valvale auriculo- ventriculaire correspondante qui, en se relevant, bouche l’orifice aurieulo-ventriculaire droit ; et l’autre gauche forme le bord libre de la valvule auriculo-ventriculaire gauche qui, en se portant en : haut, ferme l’orifice auriculo-ventriculaire de ce côté ; tous deux sont comme sertis par üun renflement qui paraît destiné à leur donner plus de sülidité. Les deux valvules, en s’abaissant dans la diastole des ventricules, ferment toute communication entre les deux loges du ventricule gauche, en bouchant le trou ventricu- laire des anciens auteurs, trou qui, pour nous, n’est que le passage rétréci qui fait communiquer ces deux loges.
Mais pour bien comprendre ce point d'anatomie, il est néces- saire de replacer le lambeau charnu quadrilatère, qu'on a relevé du côté de la base du cœur, dans la position qu’il occupait avant la section qu'on à faité pour le séparer du tissu cardiaque ainsi que le pilier de la cloison inférventriculaire. On voit alors que la Joge de la cavité du ventricule gauche, qui est à droite de la tente meérnbraneuse que nous venons de décrire, est plus que double de celle qui se trouve à gauche de ce même appareil valvulaire. C’est cèlte dernière seulement qui formait pour les anciens auteurs toute la cavité du ventricule gauche, et elle ne donne naissance à aucun vaisseaü. |
Sur notre dessin, le lambeau museuleux masque une partie de cette cavité qu'il recouvre, et la fait paraître plus petite ; nous n'avons pu le tirer suffisamment pour la découvrir entièrement, de peur de déchirer la valvüule par une trop forte traction. La logé droite du ventricule gauche donne naissance à deux troncs arté- riels, qui ont deux embouchures distinctes garnies chacune de deux valvules semi-lunaires; mais ces deux vaisseaux s’accolent hors du cœur, et soudent leurs parois dans une assez grande éten- que, de manière à ne sémblér former qu'un seul tronc, pour s
STRUCTURE DU COEUR DE LA TORTUE. ôl1
séparer ensuile à quelques centimètres de leur origine. Vues par la cavité du ventricule, les valvules sigmoïdes qui garnissent les orifices sont tellement plissées et déformées, qu'on serait tenté de croire qu'il en existe plus de deux pour chacun des vaisseaux ; inais un examen plus attentif, surtout si on les ouvre, n’en con- state que deux pour chaque artère.
Outre les deux valvules auriculo-ventriculaire droite et gauche qui se confondent sans trace de démarcation sur la ligne moyenne, . de manière à former la tente membraneuse déjà décrite, il existe un rudiment de repli valvulaire festonné, assez épais, qui garnit, l'entrée de chaque orifice auriculo-ventriculaire, et qui semble destiné à séparer par une occlusion plus complète l'oreillette du ventricule correspondant quand les valvules se relèvent vers celle-ci. |
$ X. — Le trou ventriculaire des anciens auteurs n'est quele passage rétréci qui fait communiquer les deux loges du ventricule gauche.
Il n’y a pas réellement de trou ventriculaire, mais bien, comme nous l’avons dit, un passage rétréci de plusieurs centimètres de diamètre, quand les valvules sont relevées ; il est formé en avant el sur les côtés par la voûte membraneuse déjà décrite, et en arrière par une portion du tissu charnû du cœur empiétant sur la cavité du ventricule gauche. Entre les oreillettes, la paroi inter- auriculaire, constituée par une membrane très mince, transpa- rente, mais complète, vient s'insérer sur la face antérieure du septum, qui résulte de la réunion des deux valvules auriculo- ventriculaires. Si nous insisions sur ce point avec {ant de détails, c'est parce que nous croyons qu’il n’a pas moins d'importance dans la structure du cœur des Chéloniens que de celui des Ophi- diens.
Si l’on compare l'épaisseur des parois du cœur droit avec celle du gauche, on voit que, dans certains points, elle n'atteint que le
quart, et dans d’autres le cinquième de l'épaisseur des parois de ce dernier,
212 JACQUART, $ XI. — Des cavités des oreillettes.
Les oreillettes du cœur de la Chelonia Midas, pour la disposition générale et les moindres détails, sont entièrement semblables aux oreillettes du cœur des Ophidiens, à part l’épaisseur des parois qui est considérable, et en harmonie avec celle des veutricules qu'elle égale presque. I faut cependant probablement tenir compte ici de la rétraction des parois des oreillettes après la mort.
Sur un cœur rempli de sang, elles doivent être plus volumi-
“neuses, leurs cavités plus considérables et leurs parois singulière- ment plus minces que sur la pièce que nous avons sous les yeux, dont les cavités ont été vidées de sang, et ont subi un retrait considérable par le séjour de l’organe dans de l’eau fortement alcoolisée.
$ XII. — Oreillette gauche,
Dans la cavité, de l'oreillette gauche se voit l’origine de la veine, la disposition réticulée due aux colonnes charnues dans un point et son état lisse dans d’autres.
$S XIIT. — Oreillette droite.
On trouve dans l'oreillette droite cette valvule si remarquable comparée à la valvule iléo-cæcale, figurée et décrite avec tant de soin dans notre premier mémoire déjà cité.
$ XIV. — Il y a identité parfaite entre le cœur dela Chelonia Midas et celui - des Ophidiens.
En résumé, on voit qu'il n'y à pas seulement ressemblance entre le cœur de la Chelonia Midas et celui des Ophidiens, mais bien identité parfaite ; en sorte que la description de ce cœur peut s'appliquer rigoureusement à celui des Serpents. Celui que nous avons sous les yeux en est un spécimen admirable, et vingt fois
STRUCTURE DU COEUR DE LA TORTUE. 913 plus gros que le cœur du plus gros Serpent que nous ayons pu disséquer au Muséum, et qui appartenait à un Reptile qui avait k mètres environ de longueur. Le cœur de cette Tortue a deux fois le volume du poing d'un adulte; il s'ensuit que l’étude en sera beaucoup plus facile, et remplacera avec avantage celle du cœur des Serpents.
Mais pourquoi, dira-t-on, une si longue description du cœur de la Chelonia Midas, puisqu'on la trouve dans Meckel et les prin- cipaux auteurs d'anatomie comparée? Pourquoi refaire ce qui à déjà été fait? C’est que leur description n’a pu être aussi complète que la nôtre. Au point de vue général où ils s'étaient placés dans leurs ouvrages, il ne leur a pas été permis de la compléter davan- tage; ils ne l’ont pas voulu! L’élude du cœur de la Tortue franche ne leur a pas semblé plus importante que celle du premier Reptile venu |
$ XV.— Nous faisons du nouveau tout en recommençant ce que d’autres
ont déjà fait,
Il n’en est pas de même pour nous; si nous avons insisté sur cette description, c’est parce que nous regardons le cœur de la Chelo- nia Midas non-seulement comme type de tous les cœurs de Tor- tue, mais encore comme la représentation exacte et prodigieuse- ment grossie de celui des Ophidiens. Nous voulons de plus appliquer aux Chéloniens les vues que nous avons exposées sur le cœur des Serpents, et comparer leur cœur à celui des Mammi- féres. Voilà pourquoi, non content de tous les détails que nous avons donnés sur l'anatomie du cœur de la Tortue franche, nous complétons notre description par des figures en couleur et de grandeur naturelle exécutées par nous d’après nature.
Nous nous sommes éclairé dans ce mémoire par la loi d'unité de plan ; comme nous l'avons déjà dit plus haut, nous avons cher- ché à résumer, dans la description d'un fait isolé au premier abord, l’histoire du cœur des Ophidiens et probablement de tous les Chéloniens; et enfin nous avons établi une comparaison qui nous parait fondée entre le cœur de ces deux classes de Reptiles et celui des Mammifères.
314 JACQUART.
8 XVI. — Avantages qui doivent résulter de notre travail pour la démons- tration, surtout dans les cours publics,
Le plus souvent, dans les cours publics, on ne peut disposer pour les démonstrations que du cœur d'Ophidiens d’un très petit volume; c'est ordinairement de celui de la Couleuvre à collier ; on pourra donc remplacer ces organes à peine visibles, à cause de leur petitesse, par un cœur volumineux naturel ou moulé de la Chelonia Midas. Ce qui n’est qu’à l’état débauche chez les Ophi- diens se présente iei dans des proportions relativement gigantes- ques, et avec des détails faciles à embrasser du premier coup d'œil, C’est pourquoi nous nous proposons de faire reproduire en plâtre par le moulage ce viscère à l'extérieur et à l’intérieur, en donnant ensuite, d’après nos dessins, aux objets moulés leurs couleurs naturelles ou fictives; comme nous avons pu le faire, grâce à la savante intervention de M. le professeur Serres, pour un cœur assez volumineux de Sérpent Python que ses auditeurs ont eu sous les yeux, ainsi que les moulages exécutés par M: Stahl avec une admirable perfection.
Nous nous sommes assuré par la dissection que le cœur de la Chelonia imbricata et de la Testudo mauritanica ont une confor- mation qui les rapproche beaucoup de celui de la Tortue franche. Seulement les détails anatomiques, bien qu'observés sur des indi- vidus d’assez forte taille pour l'espèce à laquelle ils appartenaient, ont été bien plus difficiles à saisir à cause de la petitesse de leurs dimensions. Il faut bien convenir aussi que la loge qui donne naïs- sance à l'artère pulmonaire est à peine reconnaissable tant elle est rélrécie ; que le pilier ‘ou colonne charnue dela eloison, n'est qu'ébauché, et que le passage, ou trou ventriculaire, est si large, qu'il semblerait n’exister qu'un seul ventricule, dans lequel s’ou- vriraient les oreillettes et les artères ; mais l'étude du cœur de la Tortue franche où tous ces points de l'anatomie sont de la plus grande netteté, nous permet de relrouver avec un peu d'attention, plus ou moins modifiées dans les autres Tortues, toutes les parties que nous avons décrites dans celle-ci,
STRUCTURE DU COEUR DE LA TORTUE. 215
Mais nous voulons revenir sur un point de physiologie, dont l'importance n’échappe à personne : il s’agit de l’hématose dans les poumons des Reptiles.
Les poumons des Reptiles semblent constitués d’une manière incomplète, pour transformer le sang veineux en sang artériel, par l'action de l’air contenu dans leur cavité sur les vaisseaux de leur tissu. Il suffit pour s’en convaincre de jeter un coup d'œil sur la structure de cet organe dans les différentes classes de Reptiles.
$ XVII. — Structure du poumon chez les Ophidiens.
Chez les Ophidiens, il n'y a quelquefois qu’un poumon ; que ce viscère soit simple ou double, c’est seulement la partie antérieure, c’est-à-dire le tiers ou le quart de sa longueur qui est aréolaire, et pourvu des ramifications de l'artère et de la veine pulmonaire, c'est-à-dire en un mot qui est approprié à l’hématose. Dans le reste de son étendue, ce n’est plus un véritable poumon, mais un sac aérien sans vaisseaux sanguins visibles à l'œil pu, et formé par une membrane lisse, transparente, et dont l'aspect est celui d’une séreuse. Peut-être ce réservoir aérien, comme nous Pavons fait pressentir dans un précédent mémoire, remplit-il chez la femelle les fonctions d'organe incubateur pendant le développement des œufs. Mais son organisation, au point de vue de la transformation du sang veineux en sang artériel; semble beaucoup laisser à désirer.
Chez les Chéloniens, les poumons n'ont que des rudiments de cloisons celluleuses, et leur richesse vasculaire est très médiocre.
Chez les Sauriens et les Batraciens, ces poumons sont éncore moins bien pourvus de vaisseaux.
$ XVIII. — Appareils d'hématose qui soulagent le poumon de sa tâche.
Chez tous les Reptiles, il semble que le sang, apporté par les veines des différentes parties du corps, ait besoin de subir en route, à la surface de la peau, certaine élaboration préparatoire, avant d'arriver dans l'intérieur du poumon, de manière que la lâche impossible à remplir par le poumon seul soit allégée par un cerlain nombre d'appareils d’hématose qui lui viennent en aidé,
216 JACQUART. $ XIX. — Respiration cutanée, même chez les reptiles écailleux.
C'est ainsi que l’on comprend que, même chez les Reptiles écailleux, l’air agisse à travers la peau sur le sang veineux, et qu’on est porté à admettre chez eux une respiration cutanée. En effet, si l’on ne peut guère supposer que la substance cornée, qui forme la partie moyenne des écailles à peu près impénétrable, puisse se laisser imprégner par les gaz au milieu desquels elles sont plongées , en revanche, il n’en est pas ainsi pour une partie de leur face profonde et des intervalles qui les séparent ; les tégu- ments y paraissent plus minces.
$S XX. — Vascularité de la peau des Reptiles écailleux examinés après leur mort survenue au moment de la mue.
C’est surtout sur les Serpents morts, au moment où ils allaient changer de peau, que l’on trouve une telle vascularité partout, même dans l'épaisseur de la base des écailles, qu'on n’est pas éloigné d'admettre une certaine action de l’air, même à travers l'épaisseur de l’enveloppe externe,
$ XXI. — Existence de veines de Jacobson.
Ainsi s'explique chez eux l’existence des veines de Jacobson, qui pourraient bien, à cause de leurs racines dans le réseau cutané, amener aux reins le sang veineux déjà en parlie modifié dans sa composition par l’action de l’air à travers les téguments.
Sur des Pythons et des Boas de grande taille, morts au moment où ils vont changer de peau, époque plus critique pour eux que la mue pour les Oiseaux, la matrice des écailles, si l’on peut donner ce nom à la peau qui les supporte, en les comparant aux ongles, est rendue turgescente par la quantité de vaisseaux qu’elle ren- ferme. Plusieurs fois, sur des Serpents morts dans ces circon- stances, nous avons vu, à la suite d’une injection heureuse, des veines transversales, remplies par la matière solide injectée, se
me
STRUCTLRE DU COEUR DE LA TORTUE. 317
diriger transversalement sur la face profonde de la peau à la manière des azygos, entre les rangées d’écailles : nées du réseau vasculaire de la peau, elles ne tardaient pas acquérir le calibre d’une plume de Corbeau. Ces veines aboutissent à trois vaisseaux longitudinaux rampant à la face profonde de la paroi abdominale : un médian plus considérable, et les deux autres beaucoup moindres et latéraux. Ces trois vaisseaux sont fréquemment anastomosés entre eux, et forment une partie très importante des racines des veines de Jacobson.
$ XXII. — Existence chez les Serpents, au niveau du foie, de nombreuses veines portes supplémentaires, nées du réseau cutané, disposées sous forme de veines azygos transversales, etallant se ramifier directement dans le foie.
Au niveau du foie, il existe chez les Ophidiens de nombreuses veines portes supplémentaires qui naissent, comme les précé- dentes, de la peau de la région correspondante du corps, et qui, dirigées transversalement, viennent se distribuer directement dans le foie, où elles se ramifent, sans s’anastomoser avec la veine cave inférieure. Nous avons cru d’abord, à tort, en les étudiant sur des Serpents plus petits, qu’elles se rendent dans la veine cave infé- rieure, située dans une gouttière de la face inférieure du foie. Ces vaisseaux nés de Ja peau nous semblent, comme les précédents, jouer un rôle relatif à l’hématose.
$ XXIIT, — Conséquences qui résultent de la force d'impulsion plus grande du ventricule gauche.
Mais, comme nous l'avons dit, le ventricule gauche des Ophi- diens est beaucoup plus grand que le droit; il a des parois quatre ou cinq fois plus épaisses que lui : il s'ensuit que le sang artériel est lancé avec une plus grande force d’irnpulsion que le sang vei- peux, qu'il doit refouler ce sang, et se mêler à lui en quantité notable dans le ventricule droit à travers la fente interventricu- laire; de là, il est envoyé au poumon par l'artère pulmonaire.
La nature semble donc avoir eu pour but d’artérialiser en partie
318 JACQUART.
à l'avance le sang veineux, afin de venir en aide au poumon, et de le préparer en quelque sorte à l'hématose pulmonaire.
Alors on peut comprendre pourquoi la cloison interventricu- laire est incomplète, et pourquoi le ventricule droit et le gauche communiquent entre eux par une large fente. Cette modification dans la loi d'unité de plan, au lieu de nous paraître un oubli, une imperfection, est rapportée avec raison, à une haute prévoyance, à un dessein arrêté d'avance par la sagesse du Créateur!
$S XXIV. — Cœur humain avec persistance du trou de Botal et communication des deux ventricules à travers de la cloison interventriculaire.
Au moment où nous lerminions ce mémoire, nous avons eu la bonne fortune de voir un cœur d’adulte conformé presque entière- ment comme celui que nous venons de décrire, et chez lequel il y avait, en outre, persistance du trou de Rotal. Ce cœur fut présenté à la Société de biologie, dans la séance du 44 septembre 1864, par M. le docteur Gübler, médecin de l'hôpital Beaujon et pro- fesseur agrégé à la Faculté de médecine. Nous renvoyons pour les détails de cette observation au volume des Comptes rendus de la Sociélé de biologie et à la Gazelle médicale, où l’on trouvera le mémoire original. Nous nous contenterons d'en donner ici une courte analyse, afin de pouvoir ensuite faire ressortir les points d’analogie qui existent entre ce cœur humain anormal, et celui de la Tortue franche et des Ophidiens régulièrement conformés.
Le malade mort de phthisie pulmonaire, dans le service M. le docteur Gübler à l'hôpital Beaujon, le 1° septembre de cette année, avait présenté tous les symptômes d’une affection tuberculeuse très prononcée, et des phénomènes de cyanose très caractérisée. L'autopsie montre les deux poumons creusés de nombreuses cavernes, surtout vers le sommet. On ne trouve à l’orifice aortique aucune lésion qui puisse expliquer le bruit de souffle au premier temps reconnu pendant la vie. Les trois valvules sigmoïdes sont saines, et le bouchent complétement en se fermant. Mais on ren- contre une anomalie des plus curieuses : la partie de la cloison
STRUCTURE DU COEUR DE LA TORTUE. 319 interventriculaire, qui vient ordiuaireiment s'interposer entre l'aorte et l'artère pulmonaire, manque, et laisse entre les deux ventricules une ouverlure de communication qui peut admettre deux doigts. Le bord libre qui la circonserit s’insère par ses deux extrémités dans deux interstices des valvules sigmoïdes aortiques, de manière à laisser du côté du ventricule droit une de ces val- vules, et deux autres du côté du ventricule gauche ; en sorte qu'un tiers de la lumière de l’artère s'ouvre dans le ventricule droit et deux tiers dans le gauche. Nous regrettons de ne point compléter notre descriplion en citant les propres parolesde M. le professeur Gübler, mais nous ne pouvons le faire pour deux motifs : d’abord parce que son observation n’a pas encore été publiée; ensuite c’est que le fait dont il s’agit a besoin d’êtré envisagé, et présenté par chacun de nous à un point de vue tout à fait différent. Nous renverrons donc aux recueils cités ceux de nos lecteurs qui vou- draient consulter l'observation originale, et nous achèverons d’esquisser rapidement les points qui nous paraissent intéressants sous le rapport de l'application de l'anatomie comparée du cœur aux anamolies de son développement. Il y a persistance du trou de Botal, dont le diamètre a 5 ou 6 millimètres. L'infundibulum de l'artère pulmonaire, ou partie du ventricule droit renflée ordinai- rement en forme de cor de chasse qui lui donne naissance, est tellement atrophiée, qu'elle ne pourrait pas contenir la phalange unguéale du petit doigt; en outre, elle se termine du côté de la cavité ventriculaire par un cul-de-sac qui ne communique avec celle-ci que par trois ou quatre ouvertures comprises entre les petites colonnes charnues semblables à celles qui sont sculptées en si grand nombre à la surface du cœur. L’artère pulmonaire est très petite, ainsi que ses divisions. Son orifice, dit M. Gübler, n’admet guère qu’un tuyau de plume d'Oie; et, au lieu de trois valvules sigmoïdes, offre une disposition valvulaire, qui rappelle celle de la valvule iléo-cæcale.
Une colonne charnue, en forme de cône allongé, tient par sa base assez renflée à la paroi supérieure du ventricule droit, et fait relief à la surface de la cloison interventriculaire avec laquelle elle se confond, Son sommet s’insère entre l’orifice de l'artère aorte
320 JACQUART. et de l’artère pulmonaire. La direction de ce pilier est à peu près parallèle au sillon antérieur du cœur.
Nous sommes porté àle regarder comme l'analogie de la colonne musculeuse qu'on trouve dans le ventricule droit des Ophidiens et de la Tortue franche. En effet, il a les mêmes connexions que cette dernière; sa base et son sommet naissent, et se terminent de la même manière. Les orifices auriculo-ventriculaires droit et gauche et les valvules tricuspide et mitrale sont saines et nor- males.
M. Gübler regrette de n'avoir pu s'assurer par la dissection de la persistance du canal artériel, l'aorte n'ayant pas été coupée assez loin du cœur. Une dissection minutieuse et à la loupe ne nous à pas permis d'en retrouver le point de départ à la division de l'artère pulmonaire. M. Gübler explique ensuite comment le bruit de souffle au premier temps, à la base du cœur, a pu se pro- duire chez ce sujet par la dilatation du bulbe aortique, et la eir- constance que l'aorte recevant à la fois le sang des deux ventri- cules se trouvait être d’un calibre insuffisant.
Il semble étrange, au premier abord, que l'artère aorte naisse à la fois du ventricule droit et du gauche. Mais qu'on veuille bien se rappeler que l’orifice aortique de l'Homme est toujours placé à droite de l'artère pulmonaire. Supprimez, par la pensée, Ia partie de la cloison interventriculaire qui sépare normalement les deux vaisseaux l’un de l’autre, l'aorte s'ouvrira à Ja fois dans les deux veniricules.
On ne saurait méconnaitre ici l’analogie qui existe entre cette ouverture située au-devant des orifices des deux artères, et celle qui existe dans le même point chez les Ophidiens et la Tortue franche. Faut-il donc modifier les idées que nous avons émises pour l'interprétation des différentes parties du cœur des Ophidiens comparé à celui des Mammifères? Devons-nous cesser de regar- der, comme nous l'avons fait, le trou ventricukaire comme un passage resserré du ventricule gauche unissant deux loges ? Faut- il y voir un simple arrêt de développement de cette partie de la cloison qui s’interpose chez les Mammifères entre les vaisseanx aortique et pulmonaire ?
STRUCTURE DU COEUR DE LA TORTUE. 921
« Nous aurions alors regardé, à tort, l’entonnoir du ventricule » droit, d’où part l'artère pulmonaire, comme constituant à lui » seul tout le ventricule droit; il n’en serait qu’une portion ; il y » aurait encore pour le compléter toute la partie oceupée par la » valvule auriculo-ventrieulaire droile, en un mot tout ce qui reste » après avoir retranché l’infundibulum de l'artère pulmonaire.
» Seulement, chez les Ophidiens et la Tortue franche, le cœur » gauche se trouve reporté plus en arrière, et le droit est plus en » avant; le chevauchement des deux ventricules l’un sur autre » est plus grand, et les deux aortes sont déviées plus à droite. »
Pour qu’il soit possible d'établir une analogie complète entre le cœur humain anormal dontil est question ici, et le cœur des Ophi- diens et de la Tortue franche, une seule difficulté se présente : c'est que, chez ces derniers, l'orifice auriculo-ventriculaire droit est placé en dedans ou à gauche des orifices aortiques, tandis que sur le cœur humain anormal présenté par- M. Gübler, il est situé en dehors ou à droite de l'aorte. C’est là une difficulté capitale, car, remarquez-le bien, c’est en vain qu'après avoir indiqué les raisons de ce déplacement que nous avons données plus haut, on ajoutera que les valvules aurieulo-ventriculaires des Ophidiens ne sont guère développées que dans la moitié interne de cet appareil membraneux, on dans cette partie valvulaire qui correspond et qui tient à la cloison interauriculaire; que l'autre partie plus externe est atrophiée et seulement à l'état rudimentaire, ce qui a dû repor- ter l’orifice auriculo-ventriculaire droit plus en dedans.
Il y a dans ces explications quelque chose de spécieux, mais qui ne salisfait pas entièrement. La difficulté reste donc tout entière ; VPanalogie fait défaut en ce point, Ainsi nous sommes ramené à notre ancienne théorie, quoique un peu ébranlé dans nos convic- tions par l'examen de ce cœur anormal d’Homme adulte. II faut espérer qu’une étude plus approfondie du cœur dans la série ani- male, et des anomalies de son développement chez l'Homme et les Vertébrés, viendra éclairer les points restés obscurs dans notre interprétation.
4° série, Zooz, T. XVI. (Cahier n° 6.) 1 21
329 JACQUART.
EXPLICATION DES FIGURES.
PLANCHE 7.
Fig. 4. Cette figure, réduite au tiers de la grandeur naturelle, représente l'intérieur de la cavité du ventricule droit de la Tortue franche, ou Chelonia Midas. |
On y voit cependant aussi une portion de la surface externe de ce ventricule, du ventricule gauche et des deux oreillettes. Le tronc de l'artère pulmonaire a été divisé par une incision, qu’on a fait tomber entre ses deux valvules sigmoïdes, de manière à les laisser toutes deux intactes, el qu'on a prolongée sur la paroi infé-
_rieure du ventricule droit, à partir de l'origine de l'artère pulmonaire jusque vers la pointe du cœur. On a ouvert aussi la branche droite et la branche gauche de sa bifurcation. L’aorte droite a été également fendue à sa naissance, suivant sa longueur, en respectant ses deux valvules sigmoïdes.
Les deux lèvres de la division du ventricule droit sont maintenues fortement écartées, afin de bien montrer tous les détails de sa cavité.
a a & a, oreillette droite, vue à l'extérieur. Elle est fortement plissée el revenue sur elle-même, parce qu'elle a été débarrassée du sang qu'elle contenait, et parce que l'eau alcoolisée dans laquelle la pièce était plongée a racorni le tissu du cœur : dans cel état elle a des parois très épaisses ainsi ‘que l'oreillette gauche.
bb bb, oreillette gauche. vue à l'extérieur. La surface externe de ces deux oreil- lettes offre des plis ou sillons arrondis qui lui donnent quelque ressemblance avec celle des circonvolulions cérébrales; mais à l’état frais, comme nous l'avons dit dans le corps de ce mémoire. ces deux cavités devaient être plus grandes, leurs parois plus minces, et plus lisses à l’extérieur.
ceccc, extérieur du ventricule gauche dont les fibres musculeuses ont été mises à nu par la dissection.
dd, extérieur du ventricule droit.
ee, lèvre droite de la division de la paroi inférieure du ventricule droit.
[f, lèvre gauche du même, On voit que cette paroi est assez mince.
gg, cloison interventriculaire divisée par la coupe ii, comme nous le «verrons plus loin.
hh, pilier charnu très fort, en forme de cône très allongé, dont la base }/ s’en- fonce à travers une ouverture arrondie dans le ventricule gauche, avec les parois duquel elle se continue, et dont le sommet kaminci va se fixer entre les embouchures de l’artère pulmonaire, et de l'aorte droite à un cartilage en forme de poire découvert par Bojanus (1).
Selon Ernst Brücke (2), il existe dans ce cartilage un noyau osseux chez les
(1) Voy. Bojanus, Anatome Testitudinis Europææ, Vilnæ, 4849 p. 66. (2) Voy. Ernst Brücke, membre de l’Académie impériale de Vienne, Mémoire sur le mécanisme de la
STRUCTURE DU COEUR DE LA TORTUE. 325 individus âgés. Nous r’avons vérifié ni l'existence du cartilage ni celle du noyau osseux, sur la Tortue qui fait le sujet de ce mémoire, parce que nous avons dû conserver la pièce dans son intégrité. Ce pilier charnu Ah’ se continue avec la cloison interventriculaire dont ii fait partie et dont il constitue le bord supérieur, légèrement concave et arrondi, Au lieu de s'être soudé aux parois du cœur, il est resté libre, et laisse entreelles et lui une large fente, qui établit une commu- nication entre le ventricule droit ou pulmonaire situé au-dessous, et le ventricule gauche situé au-dessus, lequel est composé de deux loges inégales.
Le mémoire d'Ernst Brücke est fort intéressant au point de vue physiolo- gique, mais dans l'interprétation anatomique des différentes parties du cœur de la Tortue et de celui du Serpent, il est resté fidèle aux errements des anciens auteurs. Il n'a pas adopté les vues par lesquelles nous avons cherché à le rame- ner à celui des Mammifères, en poursuivant tous les termes d'une comparaison rigoureuse entre ce dernier et celui des Ophidiens. Il s’est efforcé, ainsi que Schleem, d'expliquer comment dans la systole ventriculaire, le‘sang rouge de l'oreillette gauche arrive presque tout entier aux aortes : 1° par l'occlusion de la fente inter- ventriculaire produite par l'application des parois du ventricule sur le pilier museuleux renflé, à cause du roidissement de ses fibres; 2° par le jeu d'une bande charnue située à la base de l'artère pulmonaire; bande qui, en se contrac- tant, fermerait l'entrée de celle-ci, et produirait en ce moment entre elle et la cloison une espèce de rigole ou gouttière qui conduirait le sang rouge aux artères aortes.
Selon lui, cette bande musculeuse est l'analogue du bulbe artériel pulsatile chez les Amphibies nus. S'il admet que le sang rouge se rend entièrement aux aortes, il est cependant forcé, par les résultats de ses expériences, de reconnaître que les artères reçoivent aussi du sang veineux; parce que, d’après les recherches qu'il a faites à ce sujet, le sang rouge fourni par l'oreillette gauche ne suffirait pæs-à-a circulation générale.
Si nous n'admeltons pas la séparation complète du cœur droit et du cœur gauche par le mécanisme indiqué par les auteurs, nous reconnaissons que ce mécanisme a pour effet de diminuer beaucoup le mélange des deux sangs ; nous rappelons en même temps que la force d'impulsion due à l'épaisseur du ventri- eule gauche produit le refoulement du sang veineux par le sang rouge.
iii, trace de la coupe profonde qui divise, suivant sa longueur, toute l'épais- seur de la paroi inférieure de la loge gauche du ventricule gauche, et qui constitue tout le ventricule gauche des auteurs, qui divise aussi le pilier AW et arrive jusqu'à la cavité que nous regardons comme la loge droite du ven- tricule gauche, en tranchant tout le tissu charnu situé au-dessous de lui, De celte manière, en replaçant le lambeau, on peut à volonté rétablir le ventri- cule droit, comme il était avant la section.
circulation chez les À mphibies, à propos de l'Hemys Europæe, dans les Contributions à l'anatomie et à la physiologie comparées du système vasculaire (Denkschriften der Kaïserlichen Academie der Wissen- schaften. Mathematisch-naturwissenchaftliche Classe, Dritter Band Wien, 18592).
324 JACQUART.
A, artère pulmonaire. divisée suivant sa longueur et dilatée en forme de sinus, à quelque distance de son origine.
ss, ses deux valvules sigmoïdes à moitié relevées et offrant dans plusieurs points des noyaux plus épais.
1j, les deux moitiés de la branche droite de bifurcation de l'artère pulmonaire.
k, branche gauche de la même.
La membrane qui garnit toute la surface interne de l'artère pulmonaire, a ur aspect aréolaire dû au grand nombre de follicules qu'on y trouve.
IL, aorte droite, ouverte dès sa naissance suivant sa longueur et dont la muqueuse présente de nombreux plis ou aréoles.
m, l'autre aorte cachée à son origine par la première et dérangée de ses rapports pour la montrer.
n n, les deux valvules sigmoïdes de la première. Entre ces deux valvules on aper- çoit une très petite partie d'une des valvules sigmoïdes de la seconde artère aorte.
F, grande fente située entre la cloison interventriculaire renflée. en forme de pilier, et la paroi du cœur, et qui permettrait une large communication entre le ventricule droit et le gauche; si, comme nous l'avons vu plus haut, au moment de la systole ventriculaire, le bord libre de la cloison ne grossissait par le fait de sa contration, et si la paroi ventriculaire venant s'appliquer sur lui, cette fente suivant Schleem et d'autres auteurs, ne se fermait pas, et sui- vant nous, n'était seulement beaucoup diminuée.
VV, cavité du ventricule droit. A la surface de celle-ci sont sculptés de nom- breux piliers ou colonnes charnues, dont la longueur et la saillie varient beau- coup. Dans leurs intervalles sont des ouvertures arrondies qui diffèrent entre elles par leurs diamètres qui atteignent depuis quelques millimètres jusqu’à un centimètre et plus, et mènent dans des cavités ou sinus proportionnés. Le plus considérable est celui du fond duquel sort la base du pilier de la cloison et qui semblerait être une arrière-cavité du ventricule. Ces sinus, bien plus nombreux et plus prononcés chez les Tortues d'une autre espèce, commu- niquent avec là cavité des ventricules et s'étendent, comme Frnst Brücke en a faitla remarque (ouv. cit.), dans l'épaisseur des parois du cœur jusqu’à leur surface externe, et augmentent singulièrement la capacité de ces cavités ven- triculaires dont elles font réellement partie.
Fig. z. Celte figure représente, réduite au tiers de la grandeur naturelle, la cavité du ventricule gauche. Ainsi que nous l'avons dit, on a divisé la paroi infé- rieure du ventricule droit et celle du ventricule gauche des anciens auteurs, sui- vant les axes de ces cavités et de la base du cœur vers la pointe ; puis on a réuni, par une section transversale faite à 2 centimètres environ de la pointe du cœur, les deux divisions ventriculaires de manière à trancher le pilier du ventricule droit à sa base et toute la masse musculaire qui sépare les deux coupes ventriculaires. Le lambeau charnu très épais qui en résulte, est tiré en haut et maintenu
STRUCTURE DU COEUR DE LA TORTUE, 229 relevé. On peut ainsi embrasser d'un coup d'œil la cavité du ventricule gauche, presque lout entière. Elle est seulement masquée en partie à gauche par le lam- beau déjà indiqué qui la recouvre. aaa, oreillette droite, vue à l'extérieur. bbb, surface externe de l'oreillette gauche. ccc, extérieur du ventricule gauche.
dd, extérieur du ventricule droit.
ce, lèvre droite assez mince de la coupe de la paroi inférieure du ventricule droit.
iiii, section quadrilatère du tissu cardiaque qui était continue avec le lambeau et qui montre l'épaisseur du ventricule gauche dans ce point.
i', surface de section de la base du pilier charnu du ventricule droit.
ji, ce pilier relevé et tenant au lambeau.
k, section qui a séparé ce pilier à sa base.
l, petite partie de la lèvre gauche de la division du ventricule droit.
mmm, surface de section du lambeau.
nn, plis des valvules sigmoïdes aortiques et de la partie voisine de l’endocarde. Il semblerait à la première vue qu'il y en a plus de deux pour chaque orifice ; mais l'ouverture des deux vaisseaux nous a permis de constater que ce n'est qu'une apparence due à l’ampleur de ces valvules contournées et déformées par le séjour dans l’eau alcoolisée, et qu'il n’y a en réalité qu’une paire pour chaque orifice.
00 0, section du tissu musculaire du ventricule gauche.
0!0!0!, surface de section appartenant au lambeau et qui correspond à la précé- dente.
pp, la cavité du ventricule gauche des anciens auteurs ; et, suivant nous, portion gauche de la cavité du ventricule gauche sur laquelle le lambeau empiète et dont il cache au moins le tiers.
p''p', une partie de la cavité du ventricule droit des auteurs, et, selon nous la portion droite du ventricule gauche. On y remarque les orifices aortiques déjà indiqués précédemment, et les plicatures de leurs valvules sigmoïdes.
Y, tente membraneuse quadrilatère, dont chaque moitié, la droite et la gauche, constitue la valvule auriculo-ventriculaire correspondante. Elle a deux bords adhérents continus avec l'endocarde ventriculaire, l’un est supérieur, l’autre inférieur ; et deux bords libres, l’un droit et l’autre gauche, dont la dispo- sition rappelle celle du voile du palais. Chacun de ces bords, festonné, plus ou moins renflé surtout dans certains points, forme une espèce d’ourlet quisemble servir aux mêmes usages qu'une tringle à un rideau, c’est-à-dire à faciliter le jeu des valvules lorsqu'elles se relèvent vers les oreillettes ou s'abaissent vers le ventricule, et à rendre plus exacte l'occlusion des orifices qu’elles doivent fermer. Lorsque les deux moitiés de cet appareil valvulaire V s’abaissent vers le ventricule , elles forment de chaque côté une espèce de soupape arron- die et libre du côté de la cavité du ventricule, adhérente vers l'oreillette, Elles
326 JACQUART.
s'appliquent ainsi l’une contre l'autre, en bouchant le trou ventriculaire des auleurs, ou, suivant nous, le rétrécissement qui existe entre les deux loges du ventricule gauche. Des deux faces de l'appareil membraneüx V, lorsqu'il est à moitié relevé vers les oreillettes, l'une est antérieure, convexe et tournée vers celles-ci; elle se continue avec la cloison interauriculaire qui s'insèré perpen- diculairement sur elle. L'autre face est postérieure et concave; à. la manière d'une voûte, et regarde les ventricules. Elle circonscrit les trois quarts anté- rieurs de la circonférence du trou ventriculaire : c'est celle que nous voyons dans la figure 2 : lereste de cette circonférence est circonscrit en arrière par le tissu charnu du cœur revêtu de l’endocarde, L'appareit valvulaire V est sen- siblement reporté vers la gauche, en sorte que la partie du ventricule droit des anciens auteurs, qui, pour nous, est la loge droite du ventricule gauche, est bien plus grande que la loge gauche de ce même ventricule regardée par eux comme constituant à elle seule le ventricule gauche. On ne peut se faire une bonne idée de ce point d'anatomie qu'en replaçant le lambeau comme il élait avant d'être détaché et en regardant le troû ventriculaire alternativement du côté du ventricule gauche et du droit. Sur le cœur décrit ici, on peut facile- ment introduire la première phalange du doigt indicateur à travérs ce trou. C'est là un détail de l'anatomie du cœur des Serpenñls, difficile à saisir chez eux à cause de l'exiguité desés dimensions, et qui se trouve singulièrement élu- cidé par l'étude de la pièce représentée ici, à cause de ses proportions vingt fois plus grandes. La disposition de toutes les parties est la même chez la Tortue franche et chez les Ophidiens.
q, bord libre de la valvule auriculo-ventriculaire gauche. La valvule äüriculo- ventriculaire gauche qui n'est autre chose que la moitié gauche de V, répré- sente la partie interne de la valvüle mitrale des Mammifères ; c'est la seule partie de cette valvule qui soit développée chez la Tortue franche et chez les Ophidiens, le reste de cette valvule n’est qu'à l’état rundiméntaire.
ss, les deux extrémités du bord libre de la valvule auriculo-ventriculairé gaaché.
s’, rudiment du reste de la valvulé mitralé, sous forme de rénflement où féplis membraneux ; cependant les vestiges en sont bien plus appréciables qué ceux dé la partie Correspondante de la valvule tricuspide où ils sont bien thvins faciles à reconnaître.
g', bord libre de la valvule auriculo-ventriculaire droite.
rr, les deux extrémités du bord libre de la valvale tricuspide qui est uniquement constituée par la moitié droite de l'appareil valvulaire V, ou valvule auriculo- ventriculaire droite. Le reste de la valvule tricuspide qui est à un état plus rudimentaire encore que la partie correspondante s' de la valvule mitrale ne se voit pas ici, et se Lrouve caché par la valvule auriculo-ventriculaire droite.
OBSERVATIONS SUR QUELQUES INFUSOIRES.
Par M. Aus.-0. WRZÉESNIOW SKI.
Arrivé à Varsovie au commencement de l'été dernier, je me suis occupé de l'étude des Infusoires que l'on y trouve en abon- dance. Les circonstances ne me permirent pas de me livrer exclu- sivement à ce travail ; cependant j'ai été assez heureux de trouver deux espèces, qu'il m'est permis de regarder comme nouvelles et de constater quelques détails de l’organisation des Infusoires, qui ne manqueront peut-être pas de quelque intérêt.
Parmi les formes qui peuplaient un étang bien sale, j'ai trouvé une espèce qui appartient incontestablement au genre Leucophrys, tel que l'ont caractérisé MM. Claparède et Lachmann. Elle pré- sente la partie antérieure du corps tronquée par une surface con- vexe (front), qui, à son pourtour, porte des cirrhes buccaux plus forts que les cils qui couvrent tout le corps, el disposés en spire læotrope. L'anus est situé à l'extrémité postérieure du corps, en arrière de la vésicule contractile (1). Mais les caractères spéci- fiques de cette espèce s’éloignent trop de ceux des Leucophrys patula pour qu'on puisse joindre les deux espèces ensemble.
De tous les ouvrages qui traitent l’objet qui m'occupe, je ne possède qu’un seul, savoir le bel ouvrage de MM. Claparède et Lachmann, couronné par l’Académie des sciences de Paris, et si je me permets de considérer l'espèce trouvée à Varsovie comme nouvelle, c’est parce que ces auteurs citent tous les Infasoires rapportés jusqu’à présent au genre Leucophrys, et démontrent en
(4) Voy. Claparède et Lachmann, Études sur les infusoires el les rhizopodes, Genève, 1858-1861, vol, [, p. 215 et 228, pl, XIE, fig. 4.
328 WRZESNIO WSKEL.
même temps qu'ils doivent tous être rapportés ailleurs, à lex- ception du Leucophrys patula, seul représentant da genre (1). Si je ne me trompe pas et si l'espèce est vraiment nouvelle, c’est avec un vif plaisir que je prendrai la liberté de lui donner le nom de Leucophrys Claparedii, comme hommage au célèbre auteur qui a tant contribué à perfectionner nos connaissances sur les Infu- soires.
Notre Leucophre est un peu comprimé, plus large en arrière qu'en avant ; les individus adultes sont à peu près deux fois plus longs que larges (pl. 8, fig. 1, 2,3). Son corps est en général plus où moins arqué, de manière que le bord droit, toujours plus long, est convexe, tandis que le bord gauche est concave (fig. 2, 3). Les individus jeunes sont comparativement plus larges.
Le front est triangulaire; son bord gauche présente un are, tandis que le bord droit me parait être en ligne droite, ce que, cependant, je n’oserais pas affirmer. Le bord antérieur est incliné de droite à gauche par rapport à l'axe du corps. Le plan du front est moins incliné par rapport à cet axe que chez le Leucophrys patula, à en juger d’après la figure qu’en donne M. Claparède (2), car animal même m'est resté jusqu’à présent inconnu.
A droite et à gauche du front, on voit deux élévations qui se confondent en arrière; elles forment avec le plan du front une fosse triangulaire ouverte en avant, et la bouche occupe son angle postérieur. L’élévation gauche est semi-lunaire, et considérable- ment plus grande que celle du côté droit; celle-ci rencontre le plan du front sous un angle aigu, tandis que celle-là forme avec ce plan un angle obtus.
La spire des cirrhes buccaux est disposée comme chez le Leu- cophrys patula ; elle commence à droite de la bouche, fait un tour complet autour du front, et descend dans l’entonnoir buccal; sur les bords latéraux du front, les cirrhes sont implantés à la base des élévalions.
La bouche est située à l'angle postérieur du front, comme je lai
1) Loc. cit., p. 230 et234. (2) Loc. cit, p. XII, fig.
= =
OBSERVATIONS SUR QUELQUES INFUSOIRES. 329 déjà mentionné; elle se continue en un long æsophage tubuleux, eilié sur toute sa surface.
La vésicule contractile est située à l’extrémité postérieure du corps, tout près de l'anus. Les vaisseaux longitudinaux n’apparais- sent qu'après la systole de la vésicule ; ils se rejoignent en arriére, et forment ensemble un arc (fig. 1). Tantôt ils s'étendent presque sous le front, tantôt ils n’atteignent que la moitié de la, longueur du corps. Quand la diastole de la vésicule recommence, les vaisseaux s'élargissent et deviennent plus courts (fig. 2), puis peu à peu ils prennent la forme d’un croissant avec une convexité au milieu (fig. 3), et enfin le croissant s’arrondit complétement (fig. 4), c’est-à-dire la diastole atteint son maximum. Plus d’une fois j'ai observé des animaux chez lesquels on ne remarquait pas de vais- seaux inême après que la vésicule avait disparu complétement.
L’anus est situé à l'extrémité postérieure du corps, en arrière de la vésicule contractile (fig. 1-4, a); quelquelois sa place est indiquée par une légère dépression (fig. 2).
Le nucléus est long et cylindrique ; sa position et la manière dont il est contourné varient d’un individu à l’autre (fig. 2 et 3), et parfois dans un seul et même. L'Infusoire qui nous occupe est rarement assez transparent pour qu'on puisse découvrir son nucléus sans réactifs. Une fois je ne pouvais pas apercevoir cet organe même après l'addition de l’acide acétique. Le diamètre du nucléus est de 0"",01.
Le parenchyme du corps n’est pas bien transparent. Les grains verts que présentent presque tous les individus me paraissent appartenir plutôt au chyme de la cavité digestive (Claparède et Lachmann) qu'au parenchyme du corps, parce que ces grains ressemblent tout à fait à ceux que je voyais entrer par l’œsophage dans la cavité digestive, et puis les vacuoles qui ne renferment que de l’eau sont toujours incolores. J'ai rencontré seulement un indi- vidu rempli en grande partie par des grains verts qui gisaient, à ee qu'il m'a paru, dans le parenchyme; ils étaient plus petits qu'à l'ordinaire et tout à fait ronds, tandis qu'ailleurs ils étaient plus ou moins allongés.
La cuticule présente chez le Leucophrys Claparedu, comme
380 WRZESNIOWSKE . chez lant d’autres Intusoires ciliés sur toute la surface du corps. des rangées longitudinales de petites élévations.
Les mouvements du Leucophrys Claparedii sont agiles, et je ne l'ai pas vu se reposer. Souvent il nage à reculons, et alors lé corps se raccourcil, sa partie postérieure s'élargit, et les élévations du front s'approchent l’une contre l'autre ; les cirrhes buceaux battent en sens inverse à l'ordinaire (fig. 4). S'il rencontre quelque grand objet, 1: le te avec son front, comme S'il rechérehait la nourriture. En général, c'est un animal extrêmement vorace, qui avale volontiers des objets énormes comparativement au diamètre de la bouche et de l'œsopliage; par exemple : des Vorticelles, dés Paramecia Colpoda, des Arcelles, ete. Ces objets dilatent les organes mentionnés (fig. 4), qui se rétrécissent peu à peu jusqu'à ce Qu'ils aient repris leurs dimensions normales (fig. 2, 3). Le Paramecium Colpoda ne se laisse pas avaler facilement ; au con- traire, il travaille de toutes ses forces pour s'évader ; le Leuco- phrys de son côté tâche dé reténir sa proie par ses cirrhes bué- caux qu'il agite avec vivacité, mais loutes ces manœtvres he sont pas loujours couronnées de succès. Plus d'une fois, j'ai vu le Paramecium s'évader de l'œsophage avec la rapidité de l'éclair. Un Leucophrys, après savoir avalé sous mes yeux deux Parame- Cium Colpoda, travaillait péniblement pour retenir un troisième.
La nourriture expulsée de l'æsophage dans le chyme laisse derrière elle un sillon plus ou moins elair. La cavité digestive contient ordinairement des grains verts et noirs qui privent le corps de toute transparence. Chez ün individu (fig. 4), la cavité du corps renfermait une grande vaeuole avec un corps globuleux (peut-être une Vorticelle) ; chez un autre, un Paramecium Col: poda tournait vivement autour de son axe dans une vacuole oblongue. Les bols ilimentaires sont rares à voir ; la cavité diges- live remplit tout le corps.
Jai rencontré un individa qui se divisait spontanément ; mais comme l'animal me tournait constamment le dos, il m'était impos- sible d’apércevoir les cirrhes buccaux.
Le Leucophrys Claparedii atteint une longueur de 0"",45 à Os 234.
OBSERVATIONS SUR QUELQUES INFUSOIRES. 331
Si nous comparons cette deseription avec celle du Leucophrys patula (4), nous voyons les différences suivantes qui autorisent l'établissement d’une espèce spéciale, savoir :
Le Leucophrys Claparedii est plus allongé que le Leucophrys patula.
Sur le bord droit et gauche de son front, nous voyons ües élé- vations qui manquent à l’autre espèce.
Les eirrhes buccaux sont beaucoup plus longs.
Son nucléus est en forme d'une longue bande contournée, tan- dis que le nucléus du Leucophrys patula est petit et discoïdale.
Enfin le Leucophrys patula n'alteint, en moyenne, qu’une lon- gueur de 0"",13.
Le Leucophrys Claparedu fouririllait à à Varsovie (2), ati mois de juin, dans un étang d’eau stagnante, bien sale, couvert de Lemna et renipli de conferves en abondance ; mais après un laps de temps de huit à neuf semaines, je ne pouvais plus retrouver que quelques exemplaires isolés.
Dans l'aquarium, il se tenait surtout au fond, parmi la Lemna et les conferves à demi pulréfiées, en nombreuse compagnie d’autres Infusoires, tels que orticella (sp. indef.), ÆEuplotes Charon (Ehr.) et patella (Ehr.), Oxytricha pellionella (Ehr.), Urostyla grandis (Ehr. et Steiw.), Uroleptus piscis (Ehr. et Steiw.), Oxy- trèca caudata (Clap. et Lach.), Stylonychia mytilus (Ebr.) et pus- tulata (Ehr.), Spirostomum ambiguum (Ebr.) et teres (Clap. et Lach.), Paramecium Colpoda (Ehr.), aurelia (Ehr.) et bursaria (Tocke), Pleuronema chrysalis {Perty), Cyclidium glaucoma (Ehr.), Glaucoma margaritaceum (Clap. et Lach.), Enchelys farcimen (Ehr.), Loæophyllum fasciola (Clap. et Lach.), Enche- lyodon farctus (Clap. et Lach.), Prorodon griseus (Clap. et Lach.), Nassula (peut-être pubens, Clap. et Lach.), Trachelophyllum apiculatum (Clap. et Lach.) et pusillus (Clap. et Lach.).
Dans les derniers jours du mois de juin, j'ai retrouvé le Leuco- phrys Claparedii à Czersk (lisez Zschersk), ville sitaée à quelques
(1) Loc. cit., vol. 1, p. 229.
(2) 52° 13/ 5 de latitude et 48° %1” 55/°,5 de longitude orientale par rap- port au méridien de Paris.
292 WRZESNIO WSKE,
lieues de Varsovie ; mais parmi les conferves et le Myriaphyllum puisés dans un étang, les exemplaires étaient bien plus rares qu'à Varsovie.
Une autre espèce, que je crois être nouvelle, appartient au genre Oxytricha ; je l'ai trouvée dans un étang à Mokotow, situé tout près de Varsovie. L'Oxytrique pullulait, surtout quand l’eau s'était corrompue dans l'aquarium et répandait une odeur très désagréable ; par cette raison, je lui donne le nom d'Oxytricha sordida. Elle vivait en compagnie avec l'Oxytricha pellionella, Stylonychia pustulata, Paramecium aurelia et Cyclidium glau- coma.
L'Oxytrique en question est très comprimée, allongée et ovoïde (fig. 5et 6), mais parfois elle est insensiblement élargie en arrière, et alors, par sa forme, elle ressemble tant à l'Oxytricha pellionella, que, pour l'en distinguer, il faut un examen plus détaillé.
Les cirrhes ventraux sont au nombre de onze, savoir : à droite de la fosse buccale, on voit six cirrhes (cérrhes frontaux, Stirn- wimpern dans la nomenclature de M. Stein), dont trois, implantés sur le devant du corps, sont plus forts que les autres ; en arrière de la bouche se trouvent trois cirrhes disposés en deux rangées, etenfin deux cirrhes non loin de l’extrémité postérieure du corps. Cette disposition des cirrhes ventraux, aussi bien que leur nombre coïncide avec la disposition et le nombre de ces appendices chez l’'Oxytricha pellionella, à l'exception d’un seul cirrhe frontal (Stein) que je ne pouvais pas découvrir chez cette dernière ; mais celte circonstance me parait sans importance, car l'Oxytricha pelhionella étant de petite taille et d’une agilité désespérante, il est bien possible que le cirrhe existe et qu'il m’ait échappé, ear je le trouve sur les figures d’un observateur aussi consciencieux que M. Stein (1).
Les cirrhes marginaux (Randwimpern, Stein) ne s’éloignent pas beaucoup des bords du corps. Leurs deux rangées sont sépa-
(1) Stein, Organismus der Infusionsthiere. Erste Hwlfte, Leipzig, 1859, Taf, XI Fig. 43-15.
OBSERVATIONS SUR QUELQUES INFUSOIRES, 333
rées en arrière par des cirrhes, auxquels j'appliquerais le nom de pieds-rames s'ils étaient plus forts; mais leur ténuité s'oppose à cette dénomination, et, suivant l'exemple de M. Stein, je les nom- merai cirrhes anaux (A fterwimpern), parce que de cette manière on exprime seulement la position des appendices, sans préjuger de leurs dimensions. Ces cirrhes anaux sont à peine plus forts et plus longs que les marginaux ; ils sont au nombre de cinq à ce qu’il m'a paru. :- Les cirrhes anaux de l’'Oxytricha pellionella diffèrent tout à fait de ceux d'Oxytricha sordida ; ils se disüinguent des marginaux au premier coup d'œil tant par leur longueur que par leur épaisseur, et ce sont ces cirrhes anaux qui distinguent avant tout les deux espèces qui m'occupent. |
Je remarquerai en passant que je vois distinctement chez l'Oxytricha pellionella sept eirrhes anaux, savoir : cinq cirrhes courbés qui sont figurés par M. Stein (4), et, en outre, deux forts cirrhes tout droits, situés à droite de l’axe du corps (fig. 7).
La fosse buccale (péristome) de l'Oxytricha sordida ne diffère pas de celle de l'Oxytricha pellionella; elle est assez longue et étroite.
Parmi quelques centaines d'Oxytriques des deux espèces, je ne voyais pas une seule rejeter des matières fécales, et par suite la osition de l'anus m'est restée inconnue.
Le nucléus est double et ovale, comme habituellement dans ce genre; les nucléoles me sont restés inconnus.
La cavité du corps renferme toujours des granules noirâtres, qui parfois rendent le corps tout à fait opaque.
L'animal est quelquefois couleur de rouille; son parenchyme est mou et flexible au plus haut degré. Les mouvements de lOxy- tricha sordida ne sont pas moins agiles que ceux de l'Oxytricha pellionella.
La longueur de l’'Oxytricha sordida est à peu près C"",14, celle de l'Oxytricha pellionella surpasse d’an peu 0"",08.
L'étude des Stylonychies et des Oxytriques m'a conduit à quel-
(4) Loc. cit., Taf, XI, fig. 43-45,
BRIII WRZESNIOWSKI.
ques observalions de détails, que confirment quelques assertions tantôt de MM. Claparède et Lachmann, tantôt de M. Ste, asser- tions qui sont toujours consciencieuses, et c'est pour celte raison que je veux les communiquer au publie savant.
MM. Claparède et Lachmann affirment que les cirrhes fronto- buccaux des Stylonychies, des Euplotes et des Oxytriques, sont implantés sur le dos, depuis leur commencement sur le bord droit jusqu’à son bord gauche (cirrhes frontaux, Clap. et Lach.), où ils contournent le front (lèvre supérieure, Oberlippé de M. Stein), et redescendent sur la face ventrale de Panimal (1). M. Stein conteste l'exactitude de cette assertion (2) ; il dit que tous les cirrhes fronto-buceaux (et dorsale W impern) appartiennent à la face ventrale. Pour savoir à quoi s'en tenir, j'examinais souvent, avec une attention particulière, la position relative de la lèvre supérieure (front d’après MM. Claparède et Lachmann) et des cirrhes fronto-buccaux chez les Stylonychia mytilus, S. pustu- lata, S. histrie et Oxytricha sordida. Bien que ces animaux me présentassen tantôt leur face dorsale, tantôt ventrale, ou qu'ils me montrassent leur profil, je voyais toujours les cirrbes fronto-bue- caux disposés comme le disent MM. Claparède et Lachmann, et par conséquent la lèvre supérieure de M. Stein est en réalité inférieure.
La position de l'anus chez les Stylonychies n’est pas moins litigiense entre M. Stein et les auteurs des Études sur les Infu- soires. Ces savants auteurs placent l'anus des Stylonychies à droite de la ligne médiane du corps, à la base des pieds-rames (3), tandis que, d'après M. Stein, il se trouve à la base du dernier pied-rame gauche (4).
Plus d’une fois , je voyais les Stylonychia suit et histrio au moment d’expulser les matières fécales, et l’anus occupait tou- jours la place indiquée par M. Stein (fig. 8). Mais M. Claparède
(1) Loc. cit., vol. I, p. 455 et 469.
(2) Au moment d'écrire ces lignes je ne peux disposer que des notices bien imparfaites, tirées du bel ouvrage de M. Stein, c'est ce qui m'empêche de citer ce passage.
(3) Loc. cit., vol. 1, p. 140 et 457.
(4) Loc, cit,, s, 446.
OBSERVATIONS SUR: QUELQUES INFUSOIRES. 589 lui-même ne l'indique pas autrement sur sa figure de Stylonychia pustulata (voy. loc. eit., vol. 1, pl. VE, fig. 2). Chez le Séylony- chia histrio, les matières fécales s'accumulent devant l'anus pour être expulsées ensemble.
La Glaucoma margaritaceum, Clap. et Lach. (Cyclidium mar- garitaceum, Ehr.), est munie à son extrémité supérieure de deux soies longues, non pas d’une seule comme le disent MM. Clapa- rède et Lachmann (4). La position et là direction d’une de ces soies sont indiquées tout à fait exactement par ces auteurs; l’autre soie se trouve implantée un peu plus à gauche, et sa direction est moins oblique (fig. 9).
Je dois encore mentionner un fait assez singulier, qui, tout en corroborant l'opinion de MM. Claparède et Lachmann sur la strue- ture de la vésicule contractile, pourrait être en même temps invo- qué par M. Stein contre cette opinion, Les savants de Genève reconnaissent une membrane propre de la vésicule contractile, -et, comme preuve, ils rapportent entre autre que, chez le Spiro- slomum ambiquum, les matières fécales, au moment de traverser l’espace entre la paroi du corps et la vésicule, reloulent celle-ci sans pouvoir jamais pénétrer dans son intérieur (2). De son côté, M. Stein pense que la vésicule contractile doit être privée d’une membrane propre, puisqu'elle peut être disloquée dans certaines circonstances (3),
Eb bien, chez le T'rachelophyllum apiculatum, Clap. et Lach., les matières fécales, qui s'accumulent à quelque distance au-des- sus de la vésicule (fig. 10, eæ), la refoulent au moment de passer entre elle et la paroi du corps (fig. 14); elles la font même avancer, mais ne pénètrent jamais dans son intérieur. Quand les excré- ments alleignent l'anus, la vésicule se trouve considérablement disloquée (fig. 12) ; après l'expulsion des excréments, elle reprend sa position normale, c’est-à-dire elle redescend dans l'extrémité postérieure du corps (fig. 10).
(4) Loc. cit., vol. [, p. 278, tab. XIV, fig. 4. (2) Loc. cit., vol. I, p. 53. Remarque. (3) Loc, cit,, s. 86-91,
396 WRZESNIOWSKI. S'il faut que je me prononce sur la signification de ce phéno- inène que j'ai observé plusieurs fois, j'avouerai que je suis tenté de pencher plutôt du côté de MM. Claparède et Lachmann.
EXPLICATION DES FIGURES.
PLANCHE 8 ET 9.
Les lettres ont la même signification dans toutes ces figures que j'ai faites moi-même.
b, Bouche. | Vs, vaisseaux, a, anus. n, nucléus. v, vésicule contractile. | eæ, Accumulation des matières fécales.
Le grossissement est de 300 à 350 diamètres, excepté le Claucoma margarita- ceum grossi 600 à 700 fois en diamètre.
Fig. 4-4. Leucophrys Claparedii (Sp. n.).
Fig. 1. Un animal avec des vaisseaux, commeils se présentent après la diastole de la vésicule contractile. Son nucléus n'est pas visible.
Fig. 2. La diastole de la vésicule commence. Nucléus courbé en 8 ; un petit morceau d'une conferve sort par l'anus.
Fig. 3. Un animal avec un nucléus distinct et la vésicule contractile en forme d'un croissant.
Fig. 4. Un animal qui nage à reculon. La diastole dela vésiculeestau maximum,
Fig. 4bis. Un-animal rempli en grande partie par des grains verts qui appar- tiennent probablement au parenchyme du corps.
Fig. 5-6. Oxytricha sordida Sp. n.).
Fig. 5. L'animal vu par sa face ventrale.
Fig. 6, L'oxytrique vue de profil.
Fig. 7. Oxytricha pellionella (Ehr. Stein), vue par sa face ventrale.
Fig. 8. Stylonychia histrio (Ehr. Stein), réprésentée par la face ventrale.
Fig. 9. Glaucoma margaritaceum (Clap. et Lach.), vue par sa face ventrale
Fig. 10-12. Trachelophyllum apiculatum (Clap. et Lach.)
Fig. 10. Un animal avec la vésicule contractile dans sa position normale.
Fig. 41 et 12. Partie postérieure de l'animal pour montrer la position de la vésicule contractile pendant l'expulsion des excréments.
RECHERCHES SUR LES MODIFICATIONS QUE SUB:SSENT APRÈS LA MORT, CHEZ LES GRENOULLES, LES PROPRIÉTÉS DES NERES ET DES MUSCLES,
Par M. Ernest FAIVRE. Professeur à la Faculté des sciences de Lyon.
Les propriétés des nerfs et des muscles persistent pendant un temps assez long après la mort chez les Grenouilles ; elles ont été l'objet depuis deux siècles d’un nombre considérable de recherches entreprises à des points de vue d’ailleurs très différents.
Nous nous sommes proposé d'examiner la série des modifica- tions qu’elles subissent jusqu’à leur entière disparition, en appré- ciant aussi exactement que possible chacun des étals successifs.
Pour atteindre ce résultat, nous nous sommes servi de cou- rants électriques, faibles et constants, dont on peut à volonté et d’une manière déterminée augmenter ou diminuer l’intensité. On peut ainsi représenter les divers états des nerfs et des muscles par le courant d’une certaine énergie suffisant pour déterminer une contraction.
Les physiologistes ont déjà essayé à diverses reprises de mesu- rer, à l’aide des quantités d'électricité appliquées, les modifica- tions de l’excitabilité nerveuse et de la contractilité musculaire.
Tantôt, comme M. Jules Regnaud, ils ont fait usage des élé- ments d’une pile thermo-électrique (1) ; tantôt ils ont employé, pour graduer les courants, des solides ou des liquides destinés, par leur interposition, à en augmenter ou à en diminuer l'énergie. Dubois Reymond, Ludwig, Kühne, et en dernier lieu Harless à Munich, se sont servis de ces divers moyens (2).
(1) Voy. J. Regnaud, Bibl. de Genève, 1858, t. II, 123. (2) Voy. Ludwig, Physiologie, t. 1; W. Kuhn dans Archives de Bois-Rey- mond’'s, Jahrg, 1859, Heft 3; Harless, Journal l'Institut, 14 septembre 41859, 4° série. Zooz. T. XVI. (Cahier n° 6.) ? .22
o
538 E. FAIVRE.
L'appareil dont nous nous sommes servi est fondé sur les modifications apportées au courant par l’eau distillée : c’est l’appa- reil autrefois mis en usage par M. Delezenne pour apprécier la puissance relative des diverses piles.
Nous faisons connaître dans Ja première partie de ce travail les conditions physiques et physiologiques dans lesquelles nous nous sommes placé.
Nous décrivons dans la seconde partie les modifications succes- sives de la propriété contractile des muscles.
La troisième est consacrée aux propriétés des nerfs jusqu’à leur entière disparition.
L
Conditions physiques et physiologiques des expériences.
L'appareil que nous employons se compose de deux tubes de verre, ayant chacun À mètre de hauteur sur un décimètre de dia- mètre, appliqués parallèlement sur un support vertical, et réunis dans leur partie inférieure par un fil de platine : ce fil de platine pénètre à travers des bouchons qui ferment hermétiquement la base des tubes ; les deux tubes sont remplis d’eau distillée. On peut y faire descendre ou monter à volonté deux tiges de cuivre d’un mètre de haut sur 0",005 de diamètre, fixées en haut par une barre transversale qui se meut au moyen d’un ressort sur une échelle graduée.
Les pôles de la pile sont mis en communication avec l'extrémité de chaque fil de cuivre engagée dans la traverse mobile.
Lorsque les tiges sont complétement descendues dans les tubes, de manière à ce que le contact soit établi entre le cuivre et le platine, l'appareil est à zéro, et le courant ne traverse aucune colonne d’eau distillée.
Lorsqu'au contraire les tiges ne plongent dans l’eau des tubes que par leur extrémité inférieure, l'appareil est à 100 degrés, et le courant est très affaibli, puisqu'il traverse une colonne de 2 mètres d'eau distillée. Entre zéro et 100 degrés, on établit une division en centimètres, et le courant est d'autant plus faible que
PROPRIÉTÉS DES MUSCLES APRÈS LA MORT. 399
les tiges sont plus élevées, d'autant plus énergique qu'elles sont plus basses.
Nous employons pour produire le courant constant une pile de Daniel de deux éléments ; la disposition est telle que le courant de cette pile, après avoir traversé tout notre appareil à zéro, dévie toujours, et exactement de à degrés un galvanomètre sensible ; la même condition doit être remplie avant chaque expérience. Ainsi nous employons toujours un courant constant de même inten- sité.
Nous avons réglé la force du courant, de telle sorté que, l’appa- reil étant à zéro et le galvanomètre marquant 3 degrés, le courant puisse déterminer des contractions directes et indirectes dans les museles, Dés lors, pour trouver le degré du courant qui corres- pond à l’état initial des nerfs ou des muscles, on n’a plus qu’à élever ou abaisser les tiges en cherchant par tâtonnement le degré de courant précisément nécessaire pour produire la contraction. Ce degré trouvé, si, une heure après, le nerf est devenu plus exci- table, on constatera que, pour produire l'effet initial, on n’a plus besoin que d’un courant de moindre énergie , et cette énergie on pourra la déterminer. L’inverse à lieu si le nerf est devenu moins excitable.
L'état du nerf se traduit par la convulsion musculaire, et cette convulsion musculaire peut être appréciée soit directement, soit à l’aide d'instruments mesureurs.
Nous n'avons pas fait usage de semblables instruments dont l'exactitude est très discutable, et l'usage difficile et complexe ; nous nous sommes borné à l'inspection directe qui ne trompe pas, quand on ne tient compte que des résultats bien déterminés, et vérifiés en même temps par divers observateurs. Nous ne con- signons dans ce travail que les résultats évidents et tranchés.
Après avoir obtenu un courant constant et gradué, nous avons cherché à éviter les erreurs qui proviennent du mode d'application de l'agent électrique aux tissus animaux.
Ces erreurs sont nombreuses ; elles tiennent à la nature des pôles, au mode, à la durée de leur application, à l'énergie des courants, aux courants dérivés, à la polarisation des électrodes, ete,
340 E. FAIVRE. Voici, pour éviter ces erreurs, les précautions que nous avons prises :
Les deux électrodes dont nous nous servons sont des fils de platine très fins ; nous les plaçons autant que possible, dans toutes les observations, à la même distance et sur les mêmes points des nerfs et des muscles ; nous employons toujours le courant inter- mittent direct ou centrifuge ; nous évitons toute pression ; nous ne tenons compte que des résultats obtenus à l'instant même de la fermeture du circuit; nous n’excitons les tissus que pendant un temps très court, el nous répétons les excitations à des intervalles constants et éloignés. C’est en agissant minutieusement de la même manière, avec un même courant et un mode d’appheation identique, que nos résultats deviennent parfaitement comparables entre eux.
Nous ne nous sommes pas placé au point de vue du physicien qui étudie le mode d'action des courants, mais au point de vue du physiologiste qui veut, en se servant d'un même courant comme mesure, comme réactif, apprécier les changements des propriétés vitales.
Les conditions physiologiques dans lesquelles nos expériences ont été exécutées se rapportent à l’état des animaux avant l’opé- ration, au mode d'opération, au mode de constatation des phéno- mênes.
Le choix des Grenouilles n’est pas indifférent. Dans une même saison, les plus petites sont toujours plus actives que les plus volumineuses; pour obtenir des résultats comparables, nous choi- sissons, autant que possible, les animaux de même poids, et nous les plaçons, avant l'expérience, dans des conditions analogues de température et d'humidité. Nous avons remarqué qu'une humidité excessive tend à abaisser les propriétés nerveuses et musculaires ; aussi nous laissons les Grenouilles à sec pendant les jours qui pré- cèdent l'opération. Nous avons soin de vider la vessie avant de sacrifier l’animal ; sans cette précaution, l'urine s’infiltre dans les museles pendant la section, etles propriétés de la fibre musculaire sont modifiées.
Nous préparons les Grenouilles de la manière suivante : l'ani-
PROPRIÉTÉS DES MUSCLES APRÈS LA MORT. SIN mal est coupé transversalement au-dessous des membres anté- rieurs ; tous les viscères abdominaux du tronçon postérieur sont enlevés, la peau est séparée ; les muscles des membres postérieurs sont mis à nu. Les nerfs iliaques sont isolés depuis leur sortie du canal vertébral jusqu’à l’origine du nerf erural: ils peuvent être recouverts à volonté par une partie des parois abdominales que nous laissons adhérente aux os iliaques ; cette disposition est des- tinée à prévenir la dessiccation dans l'intervalle des expériences. L'animal ainsi préparé est placé sur une plaque de liége; on pro- cède alors à l’examen.
Pour constater les phénomènes, nous isolons généralement les nerfs des tissus voisins à l’aide d’une plaquette de liége; sans cela, le courant, affaibli par les liquides conducteurs, ne donnerait lieu à aucune manifestation. Nous pouvons cependant galvaniser les nerfs sur place, si nous avons soin d'enlever, à l’aide d’une fine éponge, les liquides qui les entourent. Il importe de ne fatiguer le nerf ni à l’aide des agents mécaniques, ni à l’aide du courant ; aussi nous opérons rapidement et à des intervalles assez éloignés.
Pendant toute la durée des expériences, les animaux opérés sont placés dans les mêmes conditions sous une cloche de verre, afin d'éviter l’action des courants d'air et de la poussière.
Les minutieux détails dans lesquels nous venons d'entrer sem- bleront peut-être superflus ; cependant ils sont tous nécessaires. Dans les sçiences expérimentales, l'exactitude des résultats ne peut être vérifiée, qu’autant qu'on à déterminé avec rigueur les condi- tions sous lesquelles se manifeste un phénomène ; l'oubli d’une seule de ses conditions peut conduire à des conséquences diamé- tralement opposées, et devenir une source de contestations et d'erreurs. L'histoire de la science n’en offre que de trop nombreux exemples.
IL.
Modifications de la contractilité. musculaire.
Le premier fait qui nous a frappé, c’est qu'un nerf-et un muscle exigent, pour produire des contractions, l'emploi de courants
542 E. FAIVRE,
d’une intensité différente. Un courant de 0,05 par exemple (4), qui fait vivement contracter les muscles lorsqu'on l’applique sur le nerf sciatique, ne détermine pas ou détermine à peine des con- tractions lorsqu'il est appliqué directement sur les muscles eux- mêmes; c’est un fait très constant dans son expression la plus générale, mais qui varie trop selon les conditions, pour ‘qu'il soit possible d'en présenter une évaluation numérique : ce fait a déjà été très bien observé par M. Claude Bernard (2).
Toutes les Grenouilles opérées dans les mêmes conditions sont bien loin d'offrir un égal degré de contractilité musculaire ; chaque animal présente à cet égard des modifications qui lui sont propres, et que rien ne peut faire prévoir.
Dans l’ensemble de nos expériences, la contractilité musculaire a varié entre zéro et 0°,35, oscillant, en moyenne, entre zéro et 0",10 ; il s’agit ici des tnuscles de la face antérieure, interne et externe de la cuisse, que nous prenons toujours pour point dé départ. Ainsi il y a Chez chaque animal une sorte d'état, de tem- pérament musculaire. Souvent des différences tranchées se mani - festent entre les muscles de chaque cuisse ; on doit se mettre en garde contre de pareilles modifications individuelles.
Au moment de la préparation, la fibre musculaire, comme ont pu le constater une foule d’observatéurs, présente les caractères suivants :
Les muscles sont facilement excitables à l’aide des courants éléctriques ; seulement ils ne réagissent que localement dans le voisinage de la région où les pôles ont été placés ; les contractions sont de courte durée.
Les agents mécaniques ne déterminent que des contractions partielles et peu prononcées ; il en est de même des agents chi- miques, tels que les acides forts.
(1) Nous exprimons le degré d'énergie du courant par la hauteur de colonne d’eau distillée qu'il traverse, à partir du zéro de l'appareil, pour produire un effet donné. Il est clair que le courant. est d'autant plus affaibli, que la haateur de la colonne d'eau traversée est plus considérable, et inversement.
(2) Cl, Bernard, Gazette médicale, 4858, n° 8, février, p. 116, 447,
PROPRIÉTES DES MUSCLES APRÈS LA MORT, 513
Nous signalons ces caractères, car nous allons voir qu'ils subis- sent à la mort de profondes modifications.
Le fait essentiel, celui qui résume toutes nos recherches sur les propriétés des muscles après la mort, est le suivant : après un temps plus où moins long, trois à quatre heures au moins après l'opération, la contractilité musculaire augmente notablement, et parvient insensiblement au plus haut degré d'énergie ; le muscle est alors dans cet état particulier, que nous appellerons désormais le maximum de contractilité, ou simplement le maximum. Il est sensible aux agents mécaniques , il l’est davantage aux courants électriques. Le maximum persiste au moins douze heures, et se termine par la rigidité.
On peut, d'après cela, distinguer trois périodes dans l’état des muscles après la mort :
Une période qui précède le maximum de contractihté, le muscle conserve ses propriétés irritables.
La période de maximum de contraclilité, le muscle a acquis des propriétés spéciales.
La période consécutive au maximum , le muscle cesse d'être contractile, et devient rigide.
Nous ne distinguons ces périodes que pour mieux caractériser les phénomènes et les exposer plus clairement ; elles n'ont d’ail- leurs aucune limite tranchée, mais passent insensiblement l’une à l'autre. !
A. Lorsqu’après la préparation des Grenouilles, les muscles sont très contractiles, l'augmentation de leur contractilité a lieu en un temps assez court. Voici une expérience : chez une Gre- nouille opérée à neuf heures et demie, les muscles de la cuisse sont contractiles à 0,15 ; à trois heures’et demie, ils le sont à 1 mètre; cinq heures après, le maximum commence. Dans une autre expé- rience, les museles marquent primitivement 0",35; une heure après, ils s'élèvent à 1°,50 ; quatre heures après, le maximun est établi.
Si, dans les mêmes conditions, au début, les muscles ne sont contractiles qu’à zéro ou 0,2, la contractilité augmente lentement, et son plus haut degré ne survient que huit à dix heures après.
3h E, FAIVRE.
© B. C'est ordinairement entre la cinquième et la dixième heure après la mort que se manifeste le maximum de contractilité. Pour suivre cet état dans toutes ses phases, nous avons eu soin de faire nos expériences à des intervalles réguliers ; nous commencions à trois heures : le premier examen avait lieu à quatre, le second à sept heures du soir, le troisième à sept heures du matin, -et ainsi de suite.
Dans une autre série d'observations, nous examinions les phé- nomènes de deux heures en deux heures, à partir de huit heures du matin. Pour ne rien omettre de ce qui tient au maximum de contractilité, nous considérerons cet état particulier du musele dans sa durée, ses caractères, les conditions de sa manifestation, ses rapports avec les propriétés des nerfs.
Durée. — Elle n’a rien d'absolu, mais elle est liée à la fois à l'état musculaire primitif, à certaines conditions de l'opération, à l'influence des circonstances extérieures.
Sile muscle est primitivement très irritable, nous savons que le maximum s'établit plus tôt ; il cesse également plus tôt; c’est l'inverse dans le cas d’un muscle peu irritable.
Lorsqu'on opère par un temps très froid, le maximum dure beaucoup plus longtemps ; le contraire à lieu si la température est élevée. Pendant les mois de décembre et janvier, par une température de 10 à 15 degrés centigrades, nous avons opéré une Grenouille dont le maximum a duré plus de quinze heures, et une autre chez laquelle il a persisté au moins trente heures ; ces résultats sont en rapport avec les observations de Nysten, Car- liste, Picford, etc. (1).
Des irritations souvent répétées sur les muscles diminuent notablement la durée de la période maximum. Au milieu de ces variations, on peut avancer qu'en moyenne la durée du maximum est d'environ huit heures.
Caractères. — Le muscle, à l’état de maximum de contracti-
(4) Voy. Nysten, Recherches de physiol, pathol., p. 315 ; Carliste, On muscu- lar motion. (Philos. trans., 1804) ; Picford, dans Bernard, Leçons sur le système nerveux, Vol. I, p. 209.
PROPRIÉTÉS DES MUSCLES APRÈS LA MORT. 319 lité, semble avoir acquis des propriétés différentes de celles qu'il avait primitivement ; en effet, à cet instant, un courant électrique, assez faible, fait contracter aisément la fibre, lors même qu'on a pris soin d’en enlever la surface desséchée; les excitants mé- caniques, si faibles qu’ils soient, déterminent des mouvements généraux, persistants, successifs. Si l’on pique alors avec la pointe d’une épingle un des muscles de la cuisse, il se contracte vio- lemment et en totalité, imprimant un brusque mouvement au membre ; la contraction est persistante, et souvent elle se repro- duit plusieurs fois de suite. Si l’on irrite plusieurs muscles, les effets sont étranges et puissants. Le tronçon mort semble animé par la vie ; les cuisses, les jambes, s'étendent et se fléchissent comme si le membre était pris d’un violent tétanos. 1} faut avoir vu ces phénomènes pour comprendre lout ce que peut offrir de saisissant cette apparition et cette augmentation de certaines pro- priélés vitales plus de douze heures après la mort ; l'intensité des convulsions, leur totalité, leur persistance, caractérisent cet état spécial, pendant la durée duquel les irritations agissent aussi d’une tout autre manière. Relativement à l’action des courants électriques, nous avons constaté que, pendant une partie du maxi- mum, on peut faire contracter aisément le muscle par un courant de 60 à 120 degrés ; tandis qu'au début, un courant de O à 10 de- grés seulement était toujours nécessaire. Ainsi, en général, la sensibilité du muscle a beaucoup augmenté.
Nous avons essayé les irritants chimiques, tels que l’acide sul- furique et la potasse ; ils agissent pendant la durée du maximum dela même manière qu’au début de l’expérience ; il n’y a rien de particulier à signaler à cet égard, qui ne l’ait déjà été dans le tra- vail de M. Kühne.
Nous insisterons encore sur un fait important que nous avons plusieurs fois nettement constaté. A la suite d’excitations méca- niques répétées, un membre en maximum de contractilité se fatigue, s’épuise ; il ne donne plus lieu, après quelques minutes, qu’à de faibles contractions. Si on le laisse dans cet état, et qu’on l’examine quelques heures après, on constate de nouveau de très vives contractions ; la propriété contractile a donc pu se déve-
316 E. FAIVRE.
lopper dans l'intervalle, renaître pour ainsi dire. Sur quelques animaux très vifs, nous avons vu à deux reprises différentes les contractions épuisées se manifester de nouveau.
En présence de pareils résultats, il est difficile d'admettre que la contractilité musculaire ne soit pas une propriété indépendante des autres propriétés vitales, et susceptible de donner lieu; même après son isolement, à des manifestations complexes et variées.
Conditions. — Le maximum de contractilité ne se manifeste pas dans tous les cas ; on peut l'empêcher de se produire ; on peut prévoir à l'avance les circonstances dans lesquelles il ne se pro- duira pas. Nous avons remarqué que le maximum n’a jamais lieu, lorsqu’aa moment de la préparation, ou quelques instants après, les muscles des cuisses pâles et infiltrés se recouvrent d’une innombrable quantité de petites rides transversales. Comment s'expliquer cet état et surtout l'absence de maximum qui en est nécessairement la suite? On doit certainement l’attribuer à l'in fluence de l'humidité des muscles et de la sérosité qui les imbibe.
En effet, les muscles de la face postérieure de la cuisse, qui reposent dans nos opérations sur la plaque de liége, sont ridés et humides; il ne s’y développe jamais de contractilité maximum. Vient-on à suspendre la Grenouille verticalement, on place sur le liége les muscles de la face antérieure, de manière à maintenir dans les autres une certaine dessiccation ; alors on voit apparaître le maximum dans les museles de la face postérieure des deux cuisses. Il résulte de ces faits que l'humidité à uné influence extrême sur la propriété contractile des muscles ; elle la détruit avec rapidité.
Il'est une autre circonstance dans laquelle le maximum ne se manifeste jamais ; cette circonstance, nous pouvons la déterminer à volonté : lorsque les muscles ont été agités par un violent téta- nos, ou excités par des courants électriques intenses et longtemps continués, la fibre musculaire se durcit, se fatigue, et perd la propriété de donner naissance au maximum de contractilité.
M. Schiff a insisté le premier sur un caractère qui distinguerait spécialement la contraction idio-musculaire. Quand on promène la pointe d’un scalpel sur les muscles d’un Lapin ou d’un Cochon
PROPRIÉÊTÉS DES MUSCLES APRÈS LA MORT. 307 d’Inde quelque temps après la mort, on détermine la production d’une saillie qui persiste quelque temps et s’efface. Nous avons recherché sice caractère était appréciable sur les muscles des d&renouilles ; nous l'avons constaté dans plusieurs cas avant l’appa- rition du maximum, mais jamais pendant la durée de cette période. Nous n'avons pas examiné l’état du courant musculaire aux diverses phases du maximum ; c’est une étude sur laquelle nous appelons l'attention des physiciens.
Rapport sur les nerfs. — Une dernière question reste à exami2 ner pour terminer l’histoire de l’état musculaire que nous décri- vons, et cetle question est fondamentale.
Quels sont, aux divers moments de la durée du maximum de contractilité, les rapports des muscles avéc les nerfs qui s'y dis- tribuent? L’excitabilité des nerfs augmente-t-elle avec la contrac- tilité des muscles correspondants ? Suit-elle une marche analogue ? Se comporte-t-elle d’une manière opposée? Voici à cet égard ce que l’expérience nous a appris :
En général, au début du maximum, les nerfs sont beaucoup moins excitables qu’ils l’étaient auparavant ; au milieu de cette période, les nerfs ou sont très affaiblis, ou ont perdu entièrement leurs propriétés; enfin ils ont totalement perdu ces propriétés plusieurs heures avant la disparition du maximum.
Voici quelques Expériences :
1° Le vendredi 3 février, une Grenouille est préparée à deux heures et demie ; les nerfs marquent 1°,30, les muscles 0",20 ; à huit heures du soir, le maximum s'établit , les nerfs intérieurs etextérieurs marquent zéro. Le lendemain à huit heures du matin, le maximum persiste : la section, le tiraillement des nerfs dans l'intérieur de la cuisse, ne produisent aucune contraction.
2° Le vendredi 10 février, à deux heures et demie, on prépare une autre Grenouille ; le nerf marque 140 degrés après la prépa- ration, le muscle marque 10 degrés; à huit heures et demie, le maximum est établi : le muscle marque 100 degrés, les nerfs sont à zéro. Le lendemain matin, le muscle est au maximum ; les nerfs coupés, brülés dans l’intérieur même de la cuisse, ne produisent rien sur les muscles.
048 E. FAIVRE,
3 Le même jour à trois heures et demie, sur un autre animal, le nerf marque 100 degrés, le muscle 20 ; à sept heures du soir, le nerf marque 0",02, le muscle 100 degrés. Le lendemain à huit heures, le muscle est au maximum ; les nerfs intérieurs se mon- trent encore excitables par l'irritation mécanique. A midi, le muscle est dans le même état ; le nerf a perdu toute propriété ; le maximum ne cesse qu'à huit heures du soir.
Dans toutes les expériences, nous avons soin d'étudier lexci- tabilité nerveuse dans le sciatique à diverses hauteurs; nous avons recours à divers modes d’excitation. Il est un certain nombre de cas dans lesquels lesnerfs restent excitables, même pendant la plus grande partie de la durée du maximum; dans ces circonstances, le degré d’exeitabilité est le plus souvent inappréciable à notre appa- reil, et toujours notablement inférieur à celui que présentait le même nerfau début. Ainsi nous pouvons établir avec certitude la propo- sition suivante basée sur plus de cent observations : tandis que le musele devient plus contractile, le nerf devient moins excitable, et son excitabilité disparait entièrement, tandis que la contractilité du muscle conserve et accroît son énergie pendant plusieurs heures. Ces faits démontrent de nouveau l'indépendance de la propriété contractile du muscle et du pouvoir excitateur des nerfs ; ils con- firment et complètent les démonstrations que Longet, Bernard, Schiff, Kühne, ont déjà données sur ce point.
En empoisonnant les Grenouilles par le eurare, nous avons vu le maximum de contractilité apparaître comme à l'ordinaire, et cependant les nerfs avaient perdu immédiatement leur excitabilité ; la strychnine n'empêche pas davantage l'apparition du maximum.
Vingt-quatre heures après la préparation des Grenouilles, la contractülité des muscles diminue graduellement, et fait place à un élat nouveau, la rigidité musculaire. Cette rigidité est liée intime - ment au maximum de contractilité ; elle apparaît quand celui-ci se montre , elle ne se manifeste pas dans le cas contraire ; la rigi- dité pourrait donc être considérée comme l'expression la plus pro- noncée de l’état contractile , le dernier degré de cette série de pro- priétés que le muscle a acquis depuis l'instant de la mort. A cet égard, les faits que nous avons observés sont d'accord avec les
PROPRIÉTÉS DES MUSCLES APRÈS LA MORT. 319 recherches de Brown-Séquard et de Pélikan : Brown Séquard a établi qu’un muscle rigide est encore un muscle vivant, puisqu'il peut redevenir contractile sous l’influence de Pinjection du sang (1); Pélikan a confirmé cette manière de voir par d’autres expériences (2).
Nous avons constaté, après bien d’autres observateurs, qu’on peut développer très peu de temps après la mort la rigidité cada- vérique ; il suffit pour cela ou de tirailler longtemps et fortement les nerfs, ou d'appliquer à leur surface un courant intermittent énergique. Si l'excitation produite n’est pas très vive, la rigidité peut n’être que momentanée ; le maximum de contractilité lui suc- cède ; cet état, au contraire, ne se montre jamais, si la rigidité est amenée par une extrême excitation.
A partir de la période de rigidité, la fibre musculaire a perdu toute propriété physiologique. Un nouvel état commence, l’état : physique dont la décomposition est le dernier terme.
Il
Modifications de l’excitabilité nerveuse.
Pour mettre de l’ordre dans l’exposition des résultats très variés auxquels nous sommes parvenu, nous dirons d'abord quelle est la marche générale de l’excitabilité nerveuse, depuis le moment de la mort jusqu’à la complète disparition des propriétés.
Nous savons déjà que les nerfs cessent d’être excitables avant que les muscles cessent d’être contractiles ; nous ajouterons que l’excitabilité nerveuse disparaît du centre à la périphérie, dans un intervalle de temps compris entre huit et quinze heures.
Nous examinons les propriétés initiales des nerfs sciatiques dans les trois conditions suivantes : 1° les nerfs sont encore atta- chés à la moelle et unis aux tissus sous-jacents ; 2° ils restent unis à ces tissus, mais on les sépare de la moelle par une brusque sec-
A) Comptes rendus de l’Acad. des sc., 1855, t. XLI. ?
(2) Beiträge zur Medizin, etc. Würzbourg, 1853, p. 4191, et Archives de Genève, 1858.
350 E. FAIVRE.
tion ; 3° on les isole après la section, et on les dispose sur une lamelle de liége. Chacune de ces circonstances influe notablement sur les résultats. Dans le premier cas, le nerf n’est généralement excitable que de zéro à 0,05 de notre appareil, ce qui tient en partie à l'humidité des tissus auxquels le nerf est attaché. Dans le second cas, l’excitabilité est notablement augmentée; elle l’est encore davantage dans le troisième.
Puisque l’état des nerfs se modifie aussi facilement, il devient indispensable de caractériser dans des conditions fixes l’état du nerf au début; pour atteindre ce but nous prendrons pour point de départ l’excitabilité nerveuse après la section et l'isolement des tissus.
Le tableau qui suit donnera une idée des modifications que la section et la préparation déterminent dans le nerf :
Nerf avant Nerf après Nerf après
la section. la section. l'isolement. Ar expérience, . . 1 120 130 2érexpérience:.1. + 2 50 140 3-.expérience.…. . .. 0 10 49 4° ‘expérience... . . 0 20 110 5° expérience. . . . 45 70 140
On voit par ce tableau que la section et la préparation, qui sont des irritations mécaniques, déterminent une plus grande excitabi- lité des troncs nerveux. On voit également que, plus le nerf est excitable au début, plus il le devient après les opérations exécu- tées; on peut d’ailleurs conjecturer l’excitabilité nerveuse, d’après l’état de Ja Grenouille, après la section de la moelle. Cette excita- bilité est d’autant plus grande, que les membres postérieurs sépa- rés du tronc conservent plus énergiquement la propriété de se rapprocher et de se fléchir fortement sur le bassin.
Un autre fait ressort de ces premières études : chaque animal à son degré spécial d'excilabilité nerveuse ; tantôt cette excitabilité correspond à un courant de 20 centimètres, tantôt à un courant de 30 ou de 70 centimètres ; toutefois il y a toujours une relation déterminée entre le degré primitif et les degrés consécutifs d’exci- tabilité.
Il importe de noter aussi que, dans quelques cas, les nerfs de chacun des membres ont une excitabilité différente.
PROPRIÉTÉS DES MUSCLES APRÈS LA MORT. 391
A partir de la période initiale que nous avons indiquée, l’exci-
tabilité nerveuse se maintient un certain temps, une heure envi-
ron, à un degré assez élevé; bientôt elle décroit avec rapidité.
Les chiffres suivants donneront une idée de la persistance de l’excitabilité assez élevée pendant la première heure :
Etat des nerfs immédiatement j après la section Etat des nerfs etlapréparation. une heure après.
1" expérience. . . . . 4180 100 2e expérience. . . . . 480 100 3° expérience... .., .. 4140 70 ke expérience.. . . . 430 36 5e expérience... . . . 110 70 6° expérience,. . . . 65 30
Ainsi le nerf conserve environ une heure une partie de l’exci- tabilité qu'il avait au début; à partir de ce moment, l’excitabilité diminue de plus en plus, et avec une très grande rapidité, du centre à la périphérie; elle se maintient encore quelques heures entre 0 et 5 et disparait. Le nerf cesse d’être excitable par les cou- rants même intenses, alors même qu'il a conservé le pouvoir de réagir encore sous l'influence des agents mécaniques ou chi- miques,
Telle est en général la marche des phénomènes.
Lorsqu'on étudie l’excitabilité qui persiste dans les nerfs après la mort, on se demande si cette propriété n’est qu’une manifesta- lion passagère, consécutive à la vie, ou si elle a son siége dans chaque rameau, dans chaque trone nerveux ; dans ce cas, il fau- drait considérer les nerfs comme doués d’une puissance propre, indépendante de celle des centres. Pour résoudre cette question, nous avons cherché dans quelles limites il était possible d’aug- menter ou de duninuer l'excitabilité des troncs nerveux après la mort dans un membre isolé.
Voici les résultats auxquels nous sommes parvenu : deux ou trois heures après la mort, on peut rendre les nerfs plus excitables par les procédés suivants : 1° section et exeitations mécaniques ; 2° section des nerfs mixtes du côté opposé ; 3° emploid’agents chi- miques, tels que le sel et la bile expérimentés déjà par MM, Budge et Kôülliker ; 4° emploi d'agents physiques, comme les caustiques,
392 E. FAIVRE.
Nous avons déjà insisté sur les effets consécutifs à la section ; nous ajouterons qu'ils se manifestent longtemps après l'opération ; ainsi nous avons vu notre appareil s'élever encore de quelques cen- timètres après la section da sciatique et du poplité, plus de dix heures après la mort.
Quand sur une Grenouille, les deux nerfs étant attachés à la moelle, on coupe le nerf d’un côté, on augmente, par action réflexe, l’excitabilité du nerf demeuré intact. Voici une expérience : le sciatique droit adhérent à la moelle marque 10; on coupe le nerf du côté opposé, et l’on galvanise le bout médullaire; un instant après, le sciatique droit marque 20.
Nous avons essayé les solutions de sel marin; elles excitent le nerf assez longtemps après la mort; elles l’excitent d'autant plus, qu'avant l’action du sel le nerf s’est montré plus irritable. Dans quelques cas, il nous a été possible de constater par notre appa- reil l’accroissement d’excitabilité produit par le sel.
Si l’on brûle l'extrémité d’un nerf qui n’a pas été fatigué par des irritations, on reconnait, même plus de deux heures après la mort, que son excitabilité est fortement marquée ; elle persiste et s’accroit quelque temps. Un pareil nerf, plongé alors dans le sel marin, produit des convulsions plus énergiques. L'’excès d’excita- bilité produit par la brûlure peut se manifester par 20 à 30 degrés de notre appareil.
Il y a des conditions dans lesquelles on peut diminuer rapide- ment l’excitabilité des nerfs après la mort. Nous citerons en pre- mier lieu l’action paralysante du courant constant, bien étudiée par Dubois Raymond, Eckart et Pluger (1).
Les courants intermittents centrifuges agissent également dans le même sens, et affaiblissent lentement le nerf. Si l’on cesse leur emploi, l’excitabilité se rétablit par le repos, mais elle est'moins élevée qu'au début; si l’on applique de nouveau le même courant, il y a production initiale de quelques contractions, puis elles cessent de se manifester, alors le nerf est moins excitable; le
(4) Consultez pour ces travaux : Bibliothèque universelle de Genève, f6- vrier 4860.
PROPRIÉTÉS DES MUSCLES APRÈS LA MORT. 293
repos peut lui rendre de nouveau une certaine excitabilité, seule- ment elle est plus faible, et une nouvelle application du courant la dépense en un temps plus court. Ainsi on peut diminuer, à l’aide d’un courant intermittent, l’excitabilité des nerfs, et constater qu’elle se reproduit par le repos. Il y a là quelque chose de sem- blable à ce maximum de contractilité musculaire qui disparaît par l'excitation pour se rétablir ensuite.
De tous les faits qui précèdent, il est impossible de ne pas con- elure que le nerf a, indépendamment des centres, le pouvoir de produire l’excitabilité, et que son rôle est tout autre que celui d’un organe de transmission (1).
L'étude des propriétés nerveuses après la mort nous conduit à aborder une autre question. Quels rapports existent entre les dif- férentes parties d’un même nerf? Si l’on augmente ou si l’on dimi- nue l’excitabilité en un point, les mêmes effets se manifesteront- ils dans toute l'étendue du nerf? L'expérience nous a appris que les modifications imprimées à l’une des extrémités du nerf se propa- gent dans toute son étendue, mais se propagent en s’affaiblissant ; ainsi, après avoir mesuré l’excitabilité du sciatique et du poplité interne, nous détachons le sciatique de la moelle , il devient plus excitable; le nerf poplité examiné à cet instant devient également plus excitable. Ces résultats sont les mêmes, dans le cas d’une action paralysante exercée à l'aide d’un courant constant.
Les études précédentes nous plaçaient forcément en présence de cette question fondamentale : Quels sont les rapports entre les muscles et les nerfs ? Nous n’avons pas eu la prétention d’aborder un pareil sujet dans sa généralité, nous avons cherché seulement ce que nous apprend l’expérience sur les modifications produites dans les muscles, dans le cas soit d’une plus grande, soit d'une plus faible excitabilité des nerfs.
Une expérience bien simple et qui nous parait avoir été mécon- nue jusqu'ici forme le point de départ de nos études sur ce sujet.
(1) Cette idée des propriétés vitales des nerfs moteurs a déjà été émise plu- sieurs fois. (Voy. Muller, Physiologie, t. 1, et Brown-Séquard, Journal de physiol., janvier 1860, p. 164.) L'autenr rapporte des expériences importantes à l’appui de sa manière de voir.
&° série. Zooc. T. XVI. (Cahier n° 6.) à 23
991 E. FAIVRE.
Nous avions souvent remarqué que, chez certaines Grenouilles, des convulsions éclatent dans les membres à l'instant de la sec- tion des nerfs sciatiques correspondants ; nous avons recherché les conditions nécessaires à la manifestation de ce phénomène, et nous avons reconnu qu'il y en a deux : 1° le nerf doit être suffi- samment excitable ; 2° le muscle doit l'être à un faible degré. Plus ces conditions sont prononcées, plus les contractions sont puis- santes. Voici à cet égard le résultat de quelques expériences :
Élat des nerfs État des muscles après la section au même instant Nalure et degré et l'isolement. de l'expérience. des convulsions. A'e exp, . 130 6 Convulsions violentes, durée une demi-heure, 2° exp... . 4130 8 Id. 3° exp... 140 4 Convuls. tétaniques courtes. 4° exp. 40 0 Aucune convulsion. 5° exp... 4100 5) Convulsions tétaniques. 6° exp.. 100 0 Id. faibles. 1 ER. . 22 1 Aucune convulsion. 8° exp.. 180 0 Convuls. tétaniq. intenses.
Les convulsions qui ont lieu dans ces circonstances offrent Îes caractères suivants : elles se montrent quelque temps après la sec- tion du nerf, augmentent graduellement, et durent de quelques minutes à trois quarts d'heure. Elles ont une forme choréique, tétanique, dans quelques cas ; le plus souvent elles débutent par le mollet, gagnent les muscles des cuisses, reviennent à ceux de la jambe et ainsi de suite.
Voici une expérience qui démontre que les convulsions peuvent apparaître assez longtemps après la mort : à deux heures, une Grenouille est préparée ; à deux heures et demie, nous coupons le nerf sciatique gauche; il marque 180 ; les muscles sont à 5 ; le membre correspondant est agité convulsivement ; une heure après, section du sciatique droit, convulsions violentes dans la jambe du même côté; une demi-heure après, nous coupons de nouveau le sciatique droit au milieu de la cuisse, les convulsions persistantes reparaissent, le nerf coupé marque 100.
Après avoir rearqué qu'un certain degré d’excitabilité du nerf coïncide avec l’état convulsif, nous avons dù rechercher si toute convulsion suppose un degré très appréciable d’excitabilité ner-
PROPRIÉTÉS DES MUSCLES APRÈS LA MORT, 399
veuse, et si la cessalion de cet état amène Ja cessation immédiate des convulsions.
Nous avons déjà fait voir que, dans tous les cas de convulsions consécutives à la section du nerf, l’excitabilité était notablement augmentée. Nous devons ajouter que, dans les cas où l’excitabi- lité nerveuse est fort grande, les convulsions se produisent rapi- dement, facilement, et avec une certaine intensité ; ainsi, si l’on plonge dans une solution de sel marin un nerf qui, détaché de la moelle, fait contracter ous les muscles du membre, on accroît rapidement et très énergiquement les convulsions; il en est de même des nerfs dont l’excitabilité a été augmentée à l’aide de la brülure. |
Nous avions d’abord supposé que la strychnine qui produit des convulsions tétaniques agissait sur le scialique comme le sel marin ; nous nous étions complétement trompé, comme l'expérience nous l’a appris. En effet, après avoir soumis des Grenouilles à l’action de la strychnine, nous avons constaté que la section des sciatiques n'amêne pas de convulsions, et que ces nerfs ont subi un notable affaiblissement ; ils ne marquent plus guère que 40 à 20 après la section et la préparation. Ce fait prouve encore le rapport qui existe entre l'excilabilité nerveuse et des convulsions, puisque l'excitabilité nerveuse étant bien moindre, nous n’avons eu des convulsions dans aucun cas. La strychnine agit spécialement sur lés nerfs sensilifs et la moellé, comme l’ont bien vu Magendie, Marshall-Hall, Bernard ; elle affaiblit au contraire les nerfs moteurs dont le rôle se réduit à la transmission de l’excitabilité qu’ils reçoi- vent des centres médullaires.
Les agents qui diminuent l'excitabilité font eesser aussitôt les contractions,
Eckhard a fait voir que, lorsqu'un muscle est tétanosé, un Courant assez énergique appliqué sur le nerf fait cesser le tétanos du muscle; le tétanos recommence, lorsque le courant cesse d’être appliqué sur le nerf (4). Nous avons reproduit la même
(1} Comptes rendus de l'Acad, des sc., 1854, p. 750.
296 E. FAIVRE.
expérience, et elle a réussi. Nous avons alors constaté, à l’aide de notre appareil, que l’action du courant galvanique avait eu pour effet de diminuer notablement l’excitabilité du nerf. On peut éga- lement faire cesser le tétanos par le tiraillement brusque et vio- lent du nerf, Aïnsi il y a un rapport intime entre les convulsions et un certain développement d’excitabilité dans les nerfs; ajoutons que cette excitabilité doit se développer brusquement, ou être mise en jeu par une influence violente pour que la convulsion se manifeste ; en effet, les nerfs, même très irritables, ne produisent des convulsions qu'autant qu'ils y sont sollicités par une excitation.
Nous terminerons en rapprochant nos expériences qui précè- dent de celles qui se rapportent à l'influence du pneumogastrique sur le cœur.
Budge a démontré (1), et les physiologistes ont constaté, que la section du nerf pneumogastrique augmente les battements du cœur ; au contraire, la galvanisation du bout inférieur arrête ces mouvements et paralyse le cœur. Les choses se passent de même dans les nerfs et les muscles des membres ; nous coupons les sciatiques, et des convulsions se produisent dans les muscles des cuisses et des mollets; nous galvanisons les sciatiques, et les con- vulsions s'arrêtent à l'instant. Puisque les effets produits sont les mêmes, nous ne devons pas penser que, sans doute, les cir- constances dans lesquelles ils se produisent seraient aussi les mêmes, et qu'ainsi la section du pneumogastrique est suivie d’un accroissement d’excitabilité qui explique les battements plus nom- breux du cœur; au contraire, la galvanisation amènerait un épui- sement du nerf. C’est là une simple conjecture que nous cherche- rons à vérifier par l'expérience, lorsque nous nous occuperons des animaux supérieurs.
Nous ajouterons un mot relativement à la disparition des pro- priétés des nerfs sensitifs et de la moelle ; nous avons constaté les faits suivants : la moelle a perdu toutes ses propriétés trois à quatre heures après les préparations, bien longtemps avant que les nerfs moteurs aient cessé d’être excitables.
Pour obtenir des eflets marqués, en agissant sur le bout médul- laire d'un des nerfs sciatiques après la seclion, il est nécessaire
PROPRIÉTÉS DES MUSCLES APRÈS LA MORT, 997 d'opérer immédiatement après la préparation, et de faire usage d’un courant très énergique : jamais au zéro de notre appareil nous n’oblenons de convulsions dans un membre en agissant sur le bout central du nerf opposé, et en cherchant à provoquer des mouvements réflexes ; aussi les nerfs sensitifs se montrent très peu excitables. Dans quelques cas cepsnant j'excitabilité peut acquérir un notable développement : cela a lieu en particulier lorsque la Grenouille sur laquelle on opère, a été empoisonnée par la strychnine.
Des expériences que nous avons exposées, nous croyons devoir tirer les conséquences suivantes :
À. Relativement à la contractilité musculaire :
1° La contractilité des muscles s’accroît-en général un certain nombre d'heures après la mort chez les Grenouilles ; alors la fibre musculaire est devenue très excilable sous l'influence des agents mécaniques et des courants électriques.
2° La contractilité maximum dure huit heures environ ; elle se termine par la rigidité cadavérique.
3° La contractilité maximum ne se produit pas, lorsque les muscles ont été agités par de violentes convulsions, lorsque les muscles sont humides et recouverts de rides; dans ce cas, il n’y a pas de rigidité cadavérique.
le Tandis que, après la mort, la sensibilité et la contractilité des muscles se développent, donnant lieu à des manifestations parti- eulières, l’excitabilité des nerfs va au contraire en diminuant; elle n'existe plus ou existe à peine lorsque les museles sont arrivés au milieu de leur période de maximum de contractilité.
Le curare, qui détruit les propriétés nerveuses, n’empêche pas ce développement d’une extrême excitabilité ; on en peut conclure avec une nouvelle évidence de l'indépendance de la contractilité des muscles et de l’excitabilité des nerts.
B. Relativement à l’excitabilité des nerfs :
1" Les nerfs sciatiques demeurent excitables plus de deux heures après la mort chez les Grenouilles ; chaque animal pré- sente un degré particulier d'exeitabilité primitive ; la même chose
298 E. FAIVRE,
a lieu pour les muscles, qui demandent pour être excilés un cou- rant beaucoup plus fort que les nerfs.
2 La section des nerfs, au début, est toujours suivie d'une aug- mentation notable d’excitabilité ; il en est de même de leur prépa- ration ; l’excitabilité plus grande se maintient pendant un certain temps.
3° On peut dans un nerf coupé faire apparaître ou disparaître l’excitabilité deux à trois heures après la mort. On rend l’excita- bilité plus grande soit par une action mécanique comme la section, soit par la brülure, soit par l’action d’un agent comme lesel marin. On diminue l’excitabilité par l'emploi d’un courant continu, ou de eourants intermittents énergiques et longtemps prolongés.
Lk° Lorsqu'on sépare de la moelle, une ou deux heures après la mort, un nerf sciatique, on produit des convulsions spontanées, violentes et de longue durée, dans les muscles correspondants ; mais il faut pour obtenir cet effet que le muscle soit peu contrac- tile, et que le nerf soit très excitable, Sa galvanisalion suspend les contractions.
5 Il y a un rapport intime entre le degré d’excitabilité du nerf et la production des convulsions dans un muscle.
6° Les faits qui précèdent indiquent avec évidence que chaque nerf a un pouvoir propre et agit dans certaines conditions, même après la mort, comme un centre spécial.
7° Enfin on ne saurait méconnaître qu'un certain temps après la mort, les muscles et les nerfs, loin de perdre leurs propriétés, ne donnent lieu à des manifestations nouvelles et spéciales.
RECHERCHES
SUR
LES MONSTRUOSITÉS DU BROCHET OBSERVÉES DANS L'OEUF
ET SUR LEUR MODE DE PRODUCTION,
Par M, LEREBOULLET.
Professeur de zoologie et d'anatomie comparée à la Faculté des sciences de Strasbourg,
Lues à l'Académie des sciences le 25 novembre 4861. (Extrait.)
Une étude pleine de curiosité et d’attraits pour le physiologiste est eelle des déviations qui surviennent dans la marche régulière du développement des êtres, déviations auxquelles on donne ordi- nairement le nom de monstruosités.
Connues depuis longtemps dans leurs formes les plus générales, elles le sont très peu dans la manière dont elles se produisent, et moins encore dans leurs causes.
Pour arriver à jeter quelque jour sur ces questions difficiles, il faudrait pouvoir étudier les conditions normales de la production d’un être et son développement depuis les premières époques de son apparition, c’est-à-dire connaître exactement la composition normale de l’œuf avant et après la fécondation ; pouvoir apprécier les différences susceptibles d'amener des déviations; savoir les changements que la fécondation apporte dans la constitution de ce petit organisme; rechercher si ces changements sont fixes ou s'ils sont variables , et voir s’il existe un rapport entre ces varia- tions et les monstruosités produites ; enfin suivre la monstruosité depuis sa naissance jusqu’à son entière évolution.
Or il est peu d'animaux qui se prêtent à ces études, parce qu’il n’y à qu'un très petit nombre d'animaux supérieurs, chez les- quels il soit possible de suivre le développement dans l’œuf depuis
260 LEREBOULLET.
l'origine de ce dernier jusqu’à la naissance de l'être nouveau. Les Poissons réunissent ces conditions, et, parmi les Poissons de nos rivières, le Brochet me parait être un des plus favorables à ce cenre de recherches, à cause de la facilité avec laquelle on peut manier et étudier ses œufs à toutes les périodes de leur existence.
C’est ce Poisson que j'ai choisi pour mes recherches: Pendant dix années consécutives, j'ai fait chaque année plusieurs féconda- tions artificielles, et je puis dire que plusieurs centaines de mille d'œufs m'ont passé sous les yeux.
Jusqu'à présent ilne m'a pas été facile d'apprécier dans la con- stitution de l'œuf, soit avant, soit après la fécondation, des diffé- rences en rapport avec les anomalies observées; mais j'ai été assez heureux pour découvrir le mode de production des mons- truosités doubles et de quelques anomalies simples. J'ai pu assister en quelque sorte à la naissance de ces monslruosilés, les suivre depuis leur origine jusqu'à leur entier développement, décrire leurs modifications, et constater l'importance de certaines parties de l’œuf, mieux qu’on ne l'avait fait avant moi.
Il est bien entendu que j'ai écarté de mon travail toute ques- tion théorique non basée sur des faits. Je ne sais pas quel avantage il y aurait, par exemple, à supposer qu'il pourrait exister dans l'œuf une monstruosité virtuelle, c'est-à-dire qui ne tomberail pas sous le sens. Je trouve plus rationnel et plus physiologique de n'établir la monstruosité que lorsqu'elle est réelle, et qu’on peut Ja constater de visu. Or, je le répète, ce résullat n'a pu être atteint jusqu'à présent que quelque temps après la fécondation, alors que l’œuf possède les premiers éléments destinés à composer le nouvel être.
Le travail dont j'ai l'honneur de présenter un extrait est divisé en trois parties.
Je fais d’abord connaitre d’une manière très succincte l'évolu- tion normale de l'œuf dans ses premières périodes, principale- ment la formation embryonnaire.
Je donne dans la deuxième partela relation abrégée de soixante- dix-neuf observations de monstruosité très différentes les unes des aulres.
MONSTRUOSITÉS DU BROCHET, o61
Dans la troisième, je présente un résumé de ces observations, ct j'expose ce que mes études m'ont appris sur le mode de forma- tion de ces monstruosilés.
Les anomalies que j'ai rencontrées jusqu'à présent dans l'œuf du Brochet peuvent être groupées en sepl catégories dont voici l’énumération :
1° Poissons doubles, à deux corps à peu près égaux, réunis en arrière dans une étendue plus ou moins grande.
2° Poissons doubles, composés d’un corps principal et d’un embryon accessoire, réduit plus tard à un simple tubercule.
9° Poissons à deux têtes primitives soudées plus tard en une seule.
k° Poissons composés de deux corps, dont l’un est à deux têtes.
9° Poissons doubles, à deux corps, avec une seule tête et une seule queue.
6° Poissons doubles ou simples ayant les organes des sens incomplets ou nuls, et provenant d’une bandelette primitive rudi- mentaire.
7° Absence de bandelette embryonnaire primitive ; embryons réduits à une languette.
Ces diverses anomalies se rapportent, comme on voit, la plu- part à des monstres doubles, quelques-unes à des Poissons simples arrêtés dans leur développement, et atrophiés dans plusieurs de leurs parties.
Il serait trop long de reproduire les faits partiels exposés dans le corps du mémoire. Je pense qu’en résumant ce que j'ai vu sur l’origine et le développement des monstruosités, je ferai suffisam- ment comprendre leur mode de formation et les différences qu’elles présentent quand l’évolution est terminée.
Le premier phénomène qui suit la fécondation, dans les œufs normaux des Poissons osseux, est l'accumulation de certains élé- ments qui se fractionnent en portions de plus en plus petites pour finir par constituer les cellules embryonnaires.
Ce fractionnement.est suivi de la formation d'une membrane qui recouvre et enveloppe l'œuf ; on donne à cette membrane le nom de blastoderme. Le vitellus est enfermé dans cette bourse,
362 LEREBOULLET .
comme le serait une sphère dans un sac ; mais l'entrée de la bourse reste quelque temps ouverte, et elle est toujours plus épaisse sur le contour de son orifice que dans le reste de son étendue.
J'appelle bourrelet embryogène le rebord épaissi de la bourse blastodermique, parce que c’est ce rebord qui donne naissance à l'embryon. En effet, peu de temps après que le blastoderme s’est étalé sur le vitellus, an voit se former sur le bord libre et épaissi de ce blastoderme (sur le bourrelet embryogène) une saillie trian- gulaire à sommet plus ou moins arrondi, qui ne tarde pas à s’al- longer dans la direction d’un méridien de l’œuf, pour constituer ce qu'on appelle généralement bande primitive, dénomination que j'ai proposé de remplacer par celle de bandelette embryonnaire.
Cette bandelette n’est autre chose que l'embryon lui-même à l’état rudimentaire ; elle tient par sa base au bourrelet embryogène dont elle est une production ; elle ne se produit pas tout d’un jet, mais elle commence par une saillie naissant du bourrelet, et qui s’allonge rapidement; voilà pourquoi j'appelle germe embryon- naire cette saillie, premier commencement de la bandelette.
Le bourrelet embryogène est donc le point de départ de la bande- lette embryonnaire, et celle-ci commence par un simple tubercule ou germe. Or, les choses ne se passent pas toujours ainsi ; le bour- relet peut offrir des anomalies dans le véritable travail de végéta- tion dont il est le siége, et nous allons voir que toutes les mons- truosités dont il vient d'être question se rattachent de la manière la plus naturelle aux anomalies du bourrelet lui-même.
Premier genre d’anomalie du bourrelet embryogène. — Au lieu d’un simple germe embryonnaire, ou, ce qui revient au même, au lieu d’une simple bandelette primitive, le bourrelet peut en pro- duire deux, tantôt très écartées l’une de l’autre, tantôt très rap- prochées. Ces deux bandelettes réunies en arrière par une portion commune, laquelle n’est autre chose que le bourrelet lui-même, représentent déjà un embryon double, composé de deux corps libres en avant, confondus en arrière. Dès le moment de leur appa- rition et pendant les premiers jours de leur développement, les deux corps embryonnaires se rapprochent et se, soudent l’un à l'autre. Je fais voir dans mon travail comment la soudure a lieu
MONSTRUOSITÉS DU BROCHET. 263
par la fusion des lamelles vertébrales correspondantes, et je montre que cette fusion continue aussi longtemps que les lamelles vertébrales ont une structure homogène, c’est-à-dire sont encore à l'état de constitution cellulaire. Cette circonstance explique l'étendue plus ou moins grande de la soudure, et conséquemment la forme du monstre qui en résulle (Poisson à deux corps ou à deux têtes). Il est facile de comprendre que la réunion se fera sur une étendue d'autant plus grande, que les bandelettes embryon- paires seront primitivement plus rapprochées l’une de l’autre, la durée du travail doit être nécessairement en raison directe de la distance à franchir entre les deux pièces destinées à se réunir. On aura donc un embryon à deux corps ou un embryon à deux têtes, suivant le lieu où la soudure se serait arrêtée,
Une conséquence directe de la réunion des deux corps em- bryonnaires en un seul est la soudure de deux organes symé- triques, quand ces organes sont placés dans la direction de la ligne de contact. Dans ce cas, les deux organes (cœurs, oreilles, yeux) pourront se souder en un seul; ou bien ils peuvent être résorhés, et disparaitre tout à fait (oreilles et yeux).
Ainsi, par exemple, si les deux bandelettes embryonnaires sont primitivement très voisines l’une de l’autre, la réunion des deux corps se fera très vite, el les deux têtes pourront se souder d’ar- rière en avant dans une étendue assez grande pour faire dispa- raitre les capsules auditives moyennes ou même les yeux inter- médiaires, ou pour déterminer leur fusion en une seule pièce, ou seulement pour amener leur juxtaposition sur la ligne médiane. J'ai donné des exemples de ces divers résultats.
Je viens de supposer le cas où le bourrelet embryonnaire pro- duit deux germes au lieu d’un seul. Or ces deux germes embryon- naires peuvent être égaux ou inégaux, et il en résulte deux em- bryons du même volume ou de grandeur différente. Mais, quoi qu'il en soit, la marche du développement est la même; chacun des embryons conserve ses proportions, et se développe en rai- son de son volume primitif.
I'arrive assez souvent que les deux germes blastodermiques sont très inégaux. Les embryons qui en naissent offrent le même
o6! LEREBOULLET,
caractère d'inégalité. L'un d'eux, le plus petit, est souvent alors privé des parties essentielles de la région céphalique, des yeux surtout, quelquefois des organes auditifs où du cœur. Il en résulte un embryon accessoire, appelé improprement parasitaire, qui se présente sous la forme d’une tige plus ou moins longue, fixée sur un point du corps principal. Par le fait du développement et de la fusion des deux corps, l'embryon accessoire peut se réduire à un simple tubercule qui persiste plus où moins longtemps, et qui semble ne nuire en rien au développement ultérieur de l'embryon normal. Celui qui, sans en connaître l’origine, verrait ces tuber- eules où même ces bandelettes amorphes attachées à l'embryon, les prendrait pour un jeu de la nature ; mais son étonnement serait plus grand encore, s’il trouvait ces langucttes terminées brus- quement par un cœur seul ou par un cœur et des organes auditifs ; ou bien s’il voyait sur les côtés de la tête un petit tubercule muni d’un œil à sa base, à côté des yeux normaux de l’embryon prinei- pal. L'étude de l’évolution des monstres doubles rend parfaite- ment compte de celte apparente bizarrerie, qui résulte naturelle- ment et simplement de la fusion des deux corps embryonnaires primilifs.
Dans l’examen de ces monstruosités doubles, j'ai dirigé mon attention sur l’état de la circulation, dans le but de rechercher si elle était commune aux deux embryons, ou si chacun d’eux avait une circulation indépendante. Or, il est très rare de rencontrer des Poissons de ce genre chez lesquels les globules sanguins soient assez nombreux et la circulation assez active pour qu’on puisse suffisamment apprécier le mouvement du liquide nourricier. Ce que je puis dire, c'est que j'ai toujours vu le sang d’un des corps composant, rentrer dans ce même corps après avoir traversé le vitellus commun, tandis que je n'ai jamais vu le sang d’un embryon passer à l’autre. Je crois done que la circulation est individuelle; mais il est certain que le sang des deux corps composants se mélange en arrière, dans la partie commune, pour se diviser ensuite en traversant le vitellus et se rendre à chaque embryon.
Deuxième genre d’anomalie du bourrelet. — I arrive souvent que les deux genres sortis du bourrelet embryogène, au lieu d’être
MONSTRUOSITÉS DU BROCHET. 365
. plus ou moins séparés comme dans le cas précédent, se trouvent tout à fait contigus, ou qu'ils sunt remplacés par une large bande embryonnaire résultant de deux bandelettes primitives accolées l’une à l’autre dès leur apparition. On reconnaît facilement cette disposition aux deux lignes transparentes qui annoncent la forma- tion prochaine de deux cordes dorsales. Cette large bandelette se termine en avant par deux lobes égaux ou inégaux.
On a done sous les veux, dès les premières époques de la for- mation embryonnaire, un corps simple terminé par deux têtes ou plutôt par deux renflements céphaliques. Ces derniers subissent leurs modifications normales, mais en même temps, comme ils sont déjà très rapprochés, ils se soudent promptement l’un à l’autre pour former une tête unique, parfaitement simple, dans laquelle on ne distingue plus aucune trace des organes symétriques qui avaient été en contact.
La soudure peut ne pas être complète, ce qui arrive quand il existe un certain écartement entre les deux lobes céphaliques; on voit alors une têle simple en apparence munie de quatre ou de trois yeux, savoir: les deux yeux latéraux et un œil unique placé sur la ligne médiane.
Quand les lobes céphaliques sont inégaux, le plus petit produit une têle incomplète qui se réduit souvent à un tubercule, et ce dernier peut porter un œil à sa base, comme nous l’avons observé plusieurs fois.
Cette inégalité des lobes céphaliques jointe aux phénomènes qui résultent de leur réunion rend très bien compte de certaines anomalies dans le nombre et l’arrangement des veux, comme, par exemple, deux yeux de grosseur différente; deux yeux d’un côté et un œil de l’autre; un seul œil situé sur un des côtés de la têle, etc.
Troisième genre d'anomalie. — Ce troisième mode n’est que la réunion, sur un même œuf, des deux modes précédents. Le bour- relet embryogène porte à la fois un germe simple et une large ban- delette provenant de la réunion de deux bandelettes primitives. Cette forme produit un embryon à trois têtes distinctes et à trois corps dont deux sont réunis en un seul, Je n'ai vu qu'un seul
966 LEREBOULLET . exemple de cette bizarre anomalie qui constitue en réalité un monstre triple.
Quatrième genre d'anomalie du bourrelet. — Jusqu'ici nous avons vu partir du bourrelet une production de matière embryo- gène sous la forme d’une bandelette simple ou double. Dans Jes cas dont il va être question, le germe embryonnaire produit par le bour- relet est réduit à une sorte de tubercule irrégulier, assez épais, mais très court. Le bourrelet lui-même, au contraire, est plus épais que d'ordinaire, comme si les éléments qui auraient dû former la bandelette primitive, s'étaient accumulés autour de l'anneau ilasto- dermique. Or, le tubercule en question devient plus tard la tête du Poisson, et le bourrelet blastodermique en constitue le corps; mais ce corps à la forme d’un large anneau dont les deux branches aboutissent à la tête et à la queue. J'ai donné à ces formes singu- lières le nom de Poissons doubles à deux corps séparés, mais en réalité ces derniers ne sont que des moiliés de corps, puisque chacun d’eux est composé d’une simple série de lamelles verté- brales, d’une corde et d’un demi-cordon nerveux rachidien.
lei je ne puis entrer en plus de détails sur la composition et le développement ultérieur de cette monstruosité, lPune des plus curieuses que je connaisse. J'ai voulu seulement faire voir que dans sa production c’est le bourrelet {out entier qui participe à la formation des deux corps où plutôt des deux demi-corps, puisque ceux-ci proviennent directement de la transformation de fou l'anneau blastodermique.
Cinquième genre d'anomalie. — Icile bourrelet embryonnaire, au lieu de fournir une bandelette primitive normale, ne produit qu'une tige grêle presque filiforme. Cette tige se divise dans toute sa longueur en lamelles vertébrales, et il en résulte un embryon incomplet auquel manquent toujours les yeux et quel- quefois aussi les capsules auditives, tandis que le cœur existe géné- ralement.
C'était un spectacle curieux que de voir un cœur battre à l’ex- trémité d’une lige informe, privée des organes qui constituent essentiellement un embryon. Je dois avertir d’ailleurs que dans ces formes monstrueuses, comme dans la plupart des anomalies,
MONSTRUOSITÉS DU BROCHET. 207 autres que les monstres doubles ordivaires, il n'existait pas de olobules sanguins, ce qui n’empêchait pas le cœur de battre avec vivacité et mème péndant un temps assez long.
La languette filiforme, origine de ces embryons incomplets, était assez souvent double. H en résultait alors deux formes embryon- paires qui se soudaient l’une à l’autre dans une étendue plus ou moins grande, en suivant les mêmes lois que pour les embryons doubles complets.
C'est chez les embryons de cette catégorie et chez ceux de la suivante, que j'ai souvent observé un agrandissement considérable de la chambre cardiaque. Cette chambre simulait parfaitement un second vitellus, soudé au vitellus ordinaire et renfermant un cœur très allongé, semblable quelquefois à un cordon.
Sixième genre d'anomalie. — Dans ce dernier genre d’anomalie du bourrelet embryogène, celui-ci ne produit ni bandelette, ni tige filiforme ; il conserve longtemps sa disposition primitive à forme d’anneau, puis cet anneau se resserre et peu à peu la bourse se ferme. On voit alors surgir sur le bourrelet ainsi resserré, un tubercule arrondi et saillant, qui persiste pendant plusieurs jours sous la même forme, puis s'allonge, après s'être entouré d’une membrane, se segmente dans toute sa longueur et se change en une languette embryonnaire. Quand le développement est terminé, cette languette se détache du vitellus comme la queue des Pois- sons normaux et ne tient plus à ce même vitellus que par une portion quelquefois très courte.
Les languettes ainsi formées étaient toujours privées de ligne transparente, de corde dorsale, de cordon nerveux, d'organes sen- sitifs et de cœur ; quelquefois elles portaient deux nageoires pec- torales.
Je regarde ces ébauches d’embryon comme représentant la région postérieure du corps et principalement la queue.
Les faits dont je viens de présenter un résumé très succinct me semblent établir, d’une manière suffisamment probante, l'impor- tance du bourrelet blastodermique dans la formation embryonnaire et légitiment la dénomination de bourrelet embryogène que je lui ai donnée.
368 LEREBOULLET.
Dans les conditions normales, l’anneau blastodermique produit la bandelette embryonnaire; dans les monstruosités doubles, il donne naissance à deux germes qui se changent bientôt en deux bandeletles séparées ou confondues et qui se fusionnent plus ou moins ; quand le germe est rudimentaire et l'anneau d’une certaine épaisseur, cet anneau se transforme pour produire lui-même les deux moitiés du corps ; quand le germe est filiforme et l’anneau d’une épaisseur normale, il en résulte un embryon incomplet ; enfin, quand le bourrelet ne pousse aucun germe, il n’a pas perdu, pour cela, sa faculté organisatrice, il preduit encore une portion embryonnaire, la région caudale.
Cette influence du bourrelet embryogène est telle que, lorsqu'il est mince et chargé de molécules organiques, on peut s'attendre à coup sûr à ne voir apparaître que des embryons grêles, normaux ou non, très pales et toujours peu viables.
Le bourrelet embryogène doit donc être considéré comme une sorte de magasin d'éléments d'organisation, et comme le point de départ de toutes les formations ernbryonnaires régulières et nor- males.
DESCRIPTION
DE
RESTES FOSSILES DE DEUX GRANDS MAMMIFÈRES
CONSTITUANT le genre RIHIZOPRION (ordre des Cétacés, groupe des Delphinoïdes)
et le genre DINOCYON (ordre des Carnassiers, famille des Canides),
Par M. JOURHAN.
$ I.
Genre Rhizoprion.
Ce genre repose principalement sur une tête presque complète trouvée, il ya deux ans, dans un calcaire marin de la couche infé- rieure du miocène proprement dit. Nous avons pu, par un travail long et minutieux, extraire cette tête du bloc de pierre qui la con- tenait. Malheureusement ce bloc avait été brisé dans la partie cor- respondant au museau, et les débris presque pulvérisés n’ont pu être recueillis par nous que très imparfaitement.
Cette tête est allongée, surtout par le museau qui est étroit, et dont les mandibules inférieures sont soudées par une symphyse qui paraît avoir occupé plus de la moitié de leur longueur.
Il y a deux espèces de dents à chaque mâchoire. Les postérieures, qu'on pourrait assimiler aux molaires, sont au nombre de sept de chaque côté à la mâchoire supérieure et de six à l'inférieure. Elles sont aplaties, triangulaires et à deux racines ; elles offrent sur leurs bords, principalement le postérieur, de trois à cinq fortes dente- lures dirigées suivant l’axe de la dent, comme si elles provenaient de demi-colonnes adossées qui auraient composé la dent elle- même. Les dents antérieures ou prémolaires, au nombre de vingt-
quatre à vingt-six de chaque côté et à chaque mâchoire, sont à 4° série. Zoor. T, XVI, (Cahier n° 6 ) 4 24
970 JOURDAN.
une seule racine; d'abord aplaties et triangulaires, elles devien— nent insensiblement, en s’approchant de l'extrémité du museau, arrondies et aiguës.
Les évents où canaux respirateurs s'élèvent de la base de la tête pour s'ouvrir sur la face supérieure en arrière même de la ligne transversale qui correspond aux deux yeux. Leur ouverture supé- rieure, très allongée d’arrière en avant, présente antérieurement une double goultière communiquant avec le canal intermaxillaire qui est plus large, plus régulièrement établi que dans les autres Dauphins. Ces deux goutlières servaient-elles de communication avec ce canal remplaçant les fosses nasales, ou étaient-elles seu- lement destinées à loger une membrane pituitaire ou olfactive plus considérable ?
Quant aux os de la tête, ils présentent les dispositions com- munes aux Dauphins, mais avec des apophyses zygomatiques et des os jugaux plus volumineux. La mâchoire inférieure est celle des Delphinorhinques ; elle se rétrécit, et présente sa symphyse avant d’avoir atteint la moitié de sa longueur.
Par ces caracières très sommairement indiqués, le Rhizoprion est bien un Cétacé de la division des Delphinoïdes ; mais peut-être doit-on le considérer comme établissant une famille partieulière sous le nom de famille des Rhizopriones. Cette dénomination composée des deux mots grecs : bu, racines, et retwv, scies, den- telures, donne en effet les caractères les plus distinctifs de notre animal fossile d'avoir des dents à plusieurs racines et armées de fortes dentelures :
Dimensions de la téte,
m.
Longueur totale présumée. . . , . , . . . . . bisou 16 OR . 0,26 Longueur de la partie principale de la tête, des srolclhe occipitaux à
l'extrémité antérieure des orbites. : : . , . 4 « « . le à. se « 0,30
Longueur des condyles à l'ouverture supérieure des évents. . . . . . . 0,19 Longueur du museau, de sa naissance vers la ligne correspondant aux
parties antérieures des orbites jusqu’à son extrémité. . . . . . . . 0,75
Longueur du même point jusqu'au commencement des prémolaires. . . 0,30 Longueur totale de la mâchoire inférieure. . . . . «he Jets s12 < .90186
MAMMIFÈRES FOSSILES. a71
Du condyle de la mâchoire inférieure au point où commencent les prémo-
LTÉE te Le ere SANS CASA > SAT Aa AR RS RER , SUUAS Largeur de la tête vers les arcades zygomatiques. . . . . . . . . . . 0,28 Largeur vers la partie moyenne des arcades orbitaires. . . . . . . . . 0,26 Largeur du museau à sa base vers les arcades orbitaires. . , . . . . . 0,45 Largeur du museau aufpoint où cessent les molaires et commence la sym-
1 LL UNSN RENAN ONNENT CT TPOTESTE LAS Hamel ah: Mecs! 0,05 Hauteur du crâne, des cavités glénoïdes aux évents. . . . . . . . . . 0,22 Hauteur de la mâchoire inférieure vers son apophyse coronoïde, . . . . 0,18 Hauteur de l'ensemble du museau vers le point où cessent les molaires
ÉE Commence HUSVIMBANSRS". PS 4 et Dee à A ELLE Largeur des molaires les plus grandes, au point d'union de leurs racines
avec leur couronne triangulaire. , . . . . . . . . . . . . . . 0,026 Hauteur des couronnes triangulaires. . . . . . . . . nhtdenat.snt 0,020
L'animal vivant avec lequel le Rhizoprion aurait le plus de rap- ports, quoique éloignés, serait le Delphinorhinque du Gange ou Plataniste. L'un et l’autre ont le museau très allongé et étroit, les ouvertures des évents allongées d'avant en arrière, et en outre les dents postérieures du Plataniste sont un peu aplaties et triangu- laires, et semblent aussi composées de colonnetles soudées en- semble. La dernière molaire des Dugongs présente les mêmes dispositions ; mais par l’ensemble de la tête et surtout par la mâchoire inférieure, les Dugongs, et encore plus les Lamantins, sont encore très éloignés de notre Rhizoprion.
Parmi les animaux fossiles, le Rhizoprion paraît avoir les plus grands rapports avec l’animal dont M. de Grateloup a trouvé, en 1837, aux environs de Bordeaux un fragment de la mâchoire supérieure, et qui a été considéré par lui comme appartenant à un Reptile, auquel il donna le nom générique de Squalodon. Plus tard, le même fragment a été regardé par M. Laurillard comme se rapprochant des Cétacés à dents nombreuses et aux deux mâchoires. Il a pris le nom de Crenidelphinus; c'est aussi le Delphinoïde de Pédroni et le Phocodon d’Agassiz.
Dans ces derniers temps, le Squalodon a été rapproché des Zeuglodons par M. Pictet , et l’on a créé un ordre dans les Mam- mifères pour recevoir ces deux genres auxquels on donne pour caractères de manquer d’évent et de respirer par des fosses nasales
372 JOURDAN.
ordinaires s’ouvrant au bout du museau, mais se rapprochant des Cétacés delphinoïdes par leur mâchoire inférieure.
Nos recherches démontrent sans contestation possible que les Squalodons ont des évents très développés ; ainsi tombe, pour ce qui les concerne au moins, cet ordre des Zeuglodons, introduit nouvellement dans la classe des Mammifères. Si les descriptions et les figures sont exactes, les Zeuglodons devraient être rangés à la suite des Phoques ; nos Rhizoprions le sont en tête des Dau- phins ; les deux genres Zeuglodon et Rhizoprion relieraient ainsi entre eux les deux groupes importants des Dauphins et des Phoques. Le rapprochement que M. Owen à voulu établir entre les Laman- tins et les Zeuglodons ne paraît pas naturel; les Lamantins sont des Pachydermes aquatiques plus rapprochés de l’ordre des Pro- boscidiens.
La désignation du Squalodon conduisant à des appréciations fausses, nous avons préféré désigner notre magnifique fossile par la dénomination très caractéristique, ainsi que nous l’avons expli- qué plus haut, de Rhizoprion.
Le nom d’espèce Bariensis vient du village Bari, près duquel nous avons trouvé les premiers fragments en 1854. La tête a été recueillie sur la même montagne, un peu plus au nord, dans les carrières de M. le comte de Bord, et elle nous a élé remise par M. Lagoy, son représentant à Lyon.
$ II.
Genre Dinocyon. — Famille des Canides, — Ordre des Carnassiers. n Espèce Dinocyon Thenardi.
On a déjà à plusieurs reprises trouvé dans les terrains tertiaires moyens des restes de grands Carnassiers se rapprochant des Chiens, mais rappelant un peu les grands Ours par leur marche demi-plantigrade.
Tout le monde connaît les dents du Chien gigantesque d'Avaray près d'Orléans, signalé par Cuvier.
Tout le monde connaît également la belle mâchoire supérieure
MAMMIFÈRES FOSSILES, 913 de l’4mplicyon major de Sansans, due aux infatigables recherches de M. Lartet, l’un de nos paléontologistes les plus distingués.
Ce sont les restes d’un animal d'aussi grande taille et apparte- nant également à la famille des Canides que j'ai l’honneur de sou- mettre à l’Académie.
Ces restes se composent d’une mandibule inférieure droite armée de sa puissante carnassière et de ses deux tuberculeuses : d'une canine et d’une première tuberculeuse droite, ainsi que d'une dernière tuberculeuse gauche. Nous possédons également des incisives supérieures et inférieures, et, ce qui est très impor- lant, an point de la manière d’être de ce grand Mammifère, nous avons recueilli les cinq métacarpiens de l'extrémité droite. Nous avons ainsi les principaux éléments pour arriver à une bonne détermination.
Le Loup est l'animal vivant avec lequel notre fossile aurait le plus de rapports, mais avec des tuberculeuses proportionnelle- ment un peu plus fortes, avec des métacarpiens plus inégaux, ainsi un peu moins digiligrades, mais surtout avec un volume plus que triple. Notre Chien fossile devait égaler par la taille les plus grands Ours connus. Sa formule dentaire est celle des Chiens.
Parmi les animaux fossiles, nous ne lui connaissons pas de semblables. Si on veut le comparer avec l’4 mphicyon major de Sansans de M. Lartet, on trouve que ce dernier en diffère beau- coup par sa troisième tuberculeuse qui manque au premier, par Sa canine un peu aplatie et à grosses stries longitudinales, tandis que la canine du premier a son corps arrondi et son sommet aigu. Le nom donné à notre genre nouveau se compose des deux mots grecs : dewos, puissant, et xvev, Chien. Par un sentiment de recon- naissance personnelle, nous l’avons dédié à la mémoire de The- nard : de là Dinocyon T'henardi.
Nous Favons recueilli, en 1847 et en 1861, à la Grive-Saint- Alban, près Bourgoin (Isère), dans des fentes d’un calcaire de l'oolithe inférieure remplies d’une argile rougeûtre et de minerai de fer en grains.
Notre Dinocyon T'henardi était associé dans le gisement à de nombreux restes de Mammifères, d'Oiseaux et de Reptiles. Les
o7l JOURDAN.
resles de Mammifères l’emportaient de beaucoup sur les autres ; nous avons pu y reconnaître trente et un genres de cette classe. Les restes de Dinotherium y étaient nombreux; tous sans exception appartenaient à l'espèce nouvelle que nous avons déterminée depuis longtemps, le Dinotherium levius. Cette faune a beaucoup de rapport, nous dirons presque de similitude, avec la faune de Sansans, l’un des gisements les plus riches, et dont nous devons la connaissance au savant et infatigable M. Lartet. C’est une faune du miocène supérieur ou miocène proprement dit.
EXPLICATION DES FIGURES.
PLANCHE A0,
Fig. 4. Tête du Rhizoprion bariensis, vue de côté et réduite de près des deux tiers.
Fig. 2. Portion postérieure de la même tête, vue en dessous. a, les arrières- narines ; b, les évents.
Fig. 3. L'une des dents de la partie antérieure de la mâchoire supérieure.
Fig. 4. Dents coniques des deux mâchoires.
Fig. 5. L'une des dents comprimées de la partie postérieure de la mâchoire supérieure,
NOTICE
LE GENRE TRACHINUS (ARTEDI) ET SES ESPÈCES
Par M. le chevalier P., BLECKER.
Après que le genre Uranoscope a été séparé du genre Trachi- nus, le genre Artédien établi sous ce dernier nom n’a plus subi de modification.
Mais si, depuis Linné, on l’a laissé intact, ce n’est pas parce que c’est un genre simple, mais probablement parce que pendant long- temps on ne connaissait que très mal ses espèces, et qu'après qu'elles furent un peu mieux connues, elles paraissaient trop peu nombreuses pour en faire des coupes génériques nouvelles.
En effet, ces espèces, d’après les auteurs, ne sont qu'au nombre de cinq seulement, savoir :
Trachinus draco L. — Trachinus lineatus BI. Schn.
Trachinus araneus W. = Trachinus lineatus Risso.
Trachinus radiatus W. = Trachinus lineatus De la Roche.
Trachinus cornutus Guich.
Trachinus vipera W. — Trachinus draco BI.
M. Günther cependant a rendu quelques traits d’une sixième espèce habitant les côtes occidentales de l'Afrique, mais il ne l’a pas séparée de la Vive commune, bien qu’elle eût été nommée déjà Trachinus armatus par M. Schlegel.
A ces espèces vient se joindre une septième qui habite la Côte- d'Or, et que j'ai trouvée au Musée d'histoire naturelle de Leyde.
De ces sept espèces, trois seulement ou quatre au plus sont de vrais T'rachinus : ce sont les Trachinus draco L., Trachinus
araneus W., Trachinus armatus Schl. et Trachinus cornutus Guich,
976 BLECKER . |
La petite Vive n'est plus un vrai l'rachinus, et les deux autres espèces n'y appartiennent pas non plus.
Quant au Trachinus vipera, elle diffère tant de l'espèce typique, que je m'étonne qu'on l'ait pu laisser avec elle dans un même genre. |
En effet, la physionomie de la petite Vive n’est plus celle des véritables Trachinus, le corps étant plus raccourci, les veux situés plus horizontalement, et l’écaillure du corps donnant de tout autres reflets.
Aussi, en l’examinant plus en détail, on trouve plusieurs carac- tères qui justifient sa séparation du genre Trachinus.
En eflet, la petite Vive à les lèvres frangées, tandis qu’on n’en trouve pas même des vestiges dans les autres espèces que j'ai pu examiner. Je m'étonne que ni Cuvier ni M. Günther n'aient parlé d’un caractère aussi remarquable, qui suffirait à lui seul pour distin- guer l’espèce de toutes les autres. Ces papilles sont parfaitement bien visibles à l'œil nu, et celles de la lèvre inférieure, qui sont plus longues que les supra-labiales, sont même érigées dans l’état de repos, et donnent à la mâchoire l’air d’être armée de dents coniques assez fortes, ce qui peut avoir induit en erreur Lauleur qui parle de dents de la rangée externe plus fortes.
Un autre caractère important de la petite Vive, c’est l'absence complète de dents ptérygoïdiennes, qui, dans l'espèce typique, comme aussi dans le Trachinus armatus, occupent une plaque plus ou moins allongée.
Les joues, presque entièrement couvertes d’écailles dans les vrais Trachinus, n’en portent pas ou presque pas dans le Trachi- nus vipera, où bien elles sont si caduques, qu’en général elles manquent sur les individus qu’on observe.
La ligne latérale, simple dans les autres Vives, est manifeste- ment double dans la petite Vive, la ligne latérale inférieure sob= servant parfaitement bien au bas des flancs, et s'étendant ; Jusqu'à la nageoire caudale. Cette ligne n’est pas une simple dépression intermusculaire.
Et puis encore le dessus de la tête, dans la pelle Vive, n’est plus couvert de scabrosités comme dans les autres Vives, et les
POISSON DU GENRE TRACHINE. 977 épines orbitaires ne s’y voient plus, tandis que les yeux y ont une position plus horizontale, plus uranoscopique, que dans les vrais Trachinus.
Si l’on trouvait un tel assemblage de caractères différentiels dans deux espèces d’une autre classe d'animaux, aueun zoologiste moderne certes n'hésiterait à y voir deux genres parfaitement naturels. Pourquoi en serait-il autrement pour la classe des Pois- sons, où, plus qu'on n’est disposé à l’admettre, les caractères pour l'établissement de genres et d'espèces sont essentiels et multiples pour qui sait les saisir et les déchiffrer.
Donc je considère la petite Vive comme devant appartenir à an genre distinct, que je propose de nommer Echüchthys.
Après avoir détaché du genre Trachinus la petite Vive, il reste à faire encore un nouveau démembrement.
La Vive commune, l'espèce typique, a des dents plérygot- diennes qui se retrouvent dans le Trachinus armatus, et proba- blement aussi dans le T'rachinus araneus. Elle a aussi des épines, quoique faibles, au préopereule, épines qui sont plus développées dans le Trachinus armatus, et surtout dans le Trachinus cor- nulus.
Ni ces dents ptérygoïdiennes, ni ces épines préoperculaires, sont le partage des T'rachinus radiatus et de l’espèce nouvelle de la Côte-d'Or.
Mais aussi, sans avoir égard à la dentition du palais ou à l’ar- mature du préopereule, on voit bien qu'ici on a affaire à un type différent. Le corps y est plus raccourci que dans les vraies Vives, et celte forme se reflète dans des nombres moindres des rayons des nageoires dorsale et anale. Et quant à la physionomie de la tête, elle n’est pas moins différente, le profil étant plus obtus, le bout du museau descendant notablement au-dessous du niveau du bord inférieur de l'orbite, la direction des mâchoires s’approchant inoins de la verticale, el l'anneau sous-orbitaire osseux étant plus baut; peut-être qu'aussi le caractère typique fondamental se reflète dans la courbure en haut des épines sous-orbitaires.
D'après les règles adoptées par la plupart des ichthyologistes contemporains, il faut encore détacher ces deux espèces du genre
218 BLECHER.
Trachinus. On pourrait donner à ce nouveau genre le nom de Pseudotrachinus.
Quant à l’espèce du Chili, peut-être qu’elle aussi appartient à un genre différent, du moins à en juger d'après la figure qui en est publiée. Cependant, jusqu'à ce que ses caractères soient mieux connus, il me paraît préférable de la laisser dans le genre Tra- chinus, car évidemment ce n’est ni un Pseudotrachinus, ni un Echichthys.
D'après ce que je viens de dire, le genre Trachinus des auteurs acquiert la valeur d'un groupe, dans lequel se rangent les trois genres Trachinus, Pseudotrachinus et Echiichthys avec les carac- tères suivants :
1° TracHiNUs Art. et auct. ex parte.
Caput vertice granulis scabrum. Orbita antice spinis armata. Maxilla superior usque ante oculum adscendens. Squamæ genis sessiles multi- seriatæ. Labia simplicia nec fimbriata nec papillata. Dentes pterygoidei. Oculi obliqui subverticales. Præoperculum aculeatum. Linea lateralis simplex.
Spec. Trachinus draco L., Trachinus araneus W., Trachinus arma- tus Schl., T'rachinus ? cornutus Guich.
2. PseuporrAcHINUs BI.
Caput vertice granulis e centris radiantibus scabrum. Orbita antice spinis armata. Maxilla superior non usque ante oculum adscendens. Spinæ suborbitales sursum spectantes. Squamæ genis sessiles multise- riatæ. Labia simplicia nec fimbriata nec papillata. Dentes pterygoidei nulli. Oculi obliqui subverticales. Præopereulum non aculeatum. Linea lateralis simplex.
Spec. Pseudotrachinus radiatus = Trachinus radiatus’ W.; Pseudo- trachinus pardals BIk.
3. Ecancuruays BIk.
Caput vertice non granosum. Orbita ubique lævis. Maxilla superior usque ante oculum adscendens. Spinæ suborbitales nullæ. Squamæ genis parcæ, deciduæ. Labia papillata vel fimbriata. Dentes pterygoidei nulli. Oculi obliqui subhorizontales. Præoperculum aculeatum. Linea lateralis duplex.
Spec. Echüchthys vipera — Trachinus vipera W,
POISSONS DU GENRE TRACHINE, 319
Le Pseudotrachinus pardalis n'étant pas encore connu des
naturalistes, et le Trachinus armatus ne l’étant que parce que
M. Günther en a dit, je n’ai pas cru inutile d'ajouter ici la
description de ces deux espèces. : Trachinus armatus Schl., Mus. L. Bat.
Trach. corpore elongato compresso, altitudine 5 1/3 circiter in ejus longitudine, latitudine 1 2/3 circiter in ejus altitudine; capite obtuso convexo 4 1/4 ad 4 1/2 in longitudine corporis; altitudine capitis 1 2/5 ad 1 1/2 fere in ejus longitudine; oculis obliquis subverticalibus, dia- metro 4 circiter in longitudine capitis, diametro 1/3 ad 4/4 distantibus ; linea rostro-frontali convexa; vertice granulis e centris pluribus radianti- bus scabro ; fronte inter orbitas valde concava ; regione post- et suborbi- tali granulis conspicuis scabra ; orbita antice spinis 2 maxime conspicuis sursum et postrorsum directis; osse suborbitali anteriore antice spina valde conspicua deorsum et antrorsum directa; rictu valde obliquo; maxillis subæqualibus, superiore vix post oculum desinente 2 1/4 ad 2 1/5 in lon- gitudine capitis ; dentibus maxillis palatoque parvis pluriseriatis, vomere in vittam trianguliformem, palatinis in vittam elongatam gracilem, ptery- goideis in turmam oblongo-elongatam dispositis; labiis cirris vel papillis nullis; squamis genis multiseriatis, præoperculo limbo valde rugoso alepidoto, margine posteriore convexo inferne spinis 4 distantibus parvis ; operculo spina valida apicem membranæ opercularis attingente; inter- operculo alepidoto; ossibus suprascapularibus superiore scabro postice denticulato, inferiore lævi postice denticulis majoribus ; squamis lateribus 75 p. m. in linea laterali; linea laterali simplice, trunco vix curvata, cauda postice deorsum flexa et media pinna eaudali producta, singulis squamis tubulo simplice notata; pinnis dorsali spinosa spinis erectis valde divergentibus sulcatis 2* ceteris longiore corpore non multo plus duplo humiliore, radiosa spinosa non humiliore; pinnis pectoralibus rhomboi- deis radiis inferioribus fissis sed ramis non divergentibus radiis longissi- mis 7 1/4 circiter, ventralibus oblique rotundatis 12 ad 13, caudali ex- tensa truncata angulis acuta 5 1/2 ad 5 2/3 in longitudine corporis ; anali dorsali radiosa paulo humiliore; colore corpore pinnisqué...?; macula postscapulari nigra majore parle infra lineam lateralem sita, dorsali spinosa macula magna nigra (caudali et anali postice ocellis numerosis pellucidis).
B. 6. D. 6/29 vel 6/20. P. 1/14. V. 1/5. A. 2/29 vel2/30. C. 1/11 et lat. brev.
200 BLECKER .
Syn. Trachinus draco Günth., Cat. Acanth. Fish. 11, p. 238 ex parte (specim. guineens.).
Hab. Guinea (Arobor, Ashantee).
Longitudo 2 speciminum 205” et 207/”.
Remarque. — Les individus de la côte de Guinée qui ont servi à la description sont évidemment de la même espèce que ceux de la même localité et des iles de Gomara et de Lanzarote, décrits par M. Günther et rapportés par lui au Trachinus draco. Je ne puis pas être de l'opinion de M. Günther, qui considère ces individus comme ne différant pas spécifiquement du Trachinus draco. J'ai devant moi de nombreux individus de la dernière espèce, maïs tous, les grands aussi bien que les petits, différent constamment de ceux de la Côte-d'Or par un vertex moins rude, dont les granules ne rayonnent pas de centres déterminés ; par un front beaucoup moins concave, par des épines de Porbite moins fortes, et celles des sous-orbitaires et du préopercule nulles ou rudimentaires, et par des plaques dentaires ptérygoïdiennes beaucoup moins larges. J'y trouve aussi quatre-vingts écailles au moins dans la ligne laté- rale, sans les petites écailles de la nageoire caudale ; puis encore je n’y vois ni la grande tache postscapulaire noire, ni les ocelles de l’anale. Je possède beaucoup d'individus de la Vive commune pris dans la Méditerranée, et achetés au marché aux Poissons de Marseille, qui montrent une grande tache noirâtre derrière la tête; mais cette tache se trouve beaucoup plus bas, et reste au- dessous de la ligne latérale.
Du reste, je ne puis pas juger des couleurs de l'espèce de la Côte-d'Or, les individus étant trop mal conservés.
Croyant ces individus bien positivement d’une espèce distincte, je propose de rendre à celte espèce le nom que le célèbre direc- teur du Musée de Leyde lui avait déjà donné.
Pseudotrachinus pardalis BI.
Pseudotrach. corpore subelongato compresso, altitudine 4 4/5 circiter in ejus longitudine, latitudine 4 3/5 ad 1 2/3 in ejus altitudine: capite obtuso cenvexo A circiter in longitudine corporis ; altitudine capitis 1 1/3 circiter in ejus longitudine; oculis obliquis subverticalibus, diametro
POISSONS DU GENRE TRACHINE. 381
k1/2 circiter in longitudine capitis, diametro 1/4 circiter distantibus ; linea rostrofrontali convexa; vertice granulis e centris pluribus radianti- bus valde scabro ; fronte inter orbitas valde concava; regione post- et suborbitali granulis conspicuis scabra ; orbita antice spinis 2 valde con- spicuis sursum et postrorsum directis; osse suborbitali anteriore antice spinis 2 crassis valde conspicuis sursum directis anteriore quam poste- riore longiore ; rostro vix convexo, apice oculi diametro 1/2 tantum ab oculo remoto ; maxillis subæqualibus, superiore vix post oculum desinente 21/4 circiter in longitudine capitis; dentibus maxillis palatoque parvis pluriseriatis, vomerinis in vittam trianguliformem, palatinis utroque latere in vittam elongatam dispositis, pterygoideis nullis ; labiis cirris vel papillis nullis ; squamis genis sessilibus multiseriatis; præoperculo limbo rugoso alepidoto, margine posteriore convexo angulo ,parum rotundato, spinis angulo vel inferne nullis; operculo limbo præoperculari rugoso superne Spina valida apicem membranæ opercularis attingente vel subattingente ; interoperculo alepidoto ; ossibus suprascapularibus postice denticulatis, inferiore lævi, superiore scabro ; squamis lateribus 68 p. m. in linea laterali; linea laterali simplice trunco vix curvata cauda postice deorsum flexa et media pinna caudali producta, singulis, squamis tubulo simplice notata ; lobo axillo-pectorali et plica subpectorali rudimentariis; pinna dorsali spinosa spinis erectis valde divergentibus sulcatis 2° et 3* ceteris longioribus corpore sat multo plus duplo humilioribus, radiosa spinosa paulo altiore; pinnis pectoralibus rhomboiïdeis radiis inferioribus fissis sed ramis non divergentibus radiis longissimis 6 circiter, ventralibus oblique acute rotundatis 10 circiter, caudali 5 circiter in longitudine corporis ; anali dorsali radiosa humiliore; corpore superne cærulescente inferne margaritaceo; capite inferne præsertim violascente , superne operculisque maculis rotundis et irregularibus nigricantibus; dorso late- . ribusque superne maculis numerosis majoribus et minoribus frequenter coalescentibus fuscis vel nigricantibus, maculis majoribus longitudinaliter sed irregulariter seriatis; lateribus inferne maculis diffusis aurantiacis ; pinna dorsali spinosa dimidio anteriore majore tota nigra ; pinnis ceteris, anali excepta, radiis aurantiacis, dorsali radiosa caudalique maculis ro- tundis et oblongis fuscis, dorsali in series 3 longitudinales dispositis ; anali roseo-margarilacea vel grisea.
B. 6. D. 6/25 vel 6/26 vel 6/27. P. 1/15. V. 1/5. A. 2/25 vel 2/26. C. 1/11 et lat. brev.
Hab. Guinea (Arobor, Ashantee).
Longitudo 2 speciminun: 240” et 245.
382 BLECKER..
Remarque. — J'ai comparé les deux individus de la Côte-d'Or avec un individu du Trachinus radiatus W. de la Méditerranée d'à peu près la même longueur. Cet individu montre les taches annulaires décrites par les auteurs, et il a la couleur du corps et de la tête beaucop moins foncée. Les deux espèces sont très voisines l’une de l’autre , mais elles me paraissent être bien distinctes. Le Trachinus radiatus, c’est-à-dire l'individu que j'en ai devant moi, a la hauteur du corps un peu plus de cinq fois dans sa longueur. La tête y est moins haute à proportion, et le museau plus convexe et descendant plus au-dessous du niveau de l'orbite. Le diamètre de l'œil n’est qu'un cinquième de la longueur de la tête, et la mâchoire supérieure s'étendant bien au delà des yeux, a presque la moitié de la longueur de la tête; puis encore les épines de l’or- bite, et surtout celles du sous-orbitaire antérieur, sont beaucoup moins développées, tandis que le préopercule est plus arrondi et son limbe lisse. Le limbe préoperculaire de l’opereule ne montre pas non plus de rugosité, et la pointe de la membrane de cet os est plus obtuse. Le lobe axillaire, qui, de la partie supérieure de la base de la pectorale, se recourbe en bas, est très développé, et la plie sous-pectorale se prolonge en pointe libre.
FIN DU SEIZIÈME VOLUME.
ERRATA.
Page 200, lignes 23 et 27 : Bourbonnais, lisez Boulonnaïis. — 202, ligne 32 : Calanes, lisez Balanes. — 215, ligne 5 : Gadus morna, lisez Gadus morua.
TABLE DES ARTICLES
CONTENUS DANS CE VOLUME.
PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE,
Mémoire sur les corpuscules organisés qui existent dans l'atmosphère, par M, Pasreur.
ANIMAUX VERTÉBRÉS.
Recherches sur les modifications que subissent après la mort, chez les Grenouilles, les propriétés des nerfs et des muscles, par M. Faivre. Note sur le système nerveux et'particulièrement sur le grand sympathique
du Marsouin, par M. Bazin . : $ L Mémoire sur le cœur de la Tortue rhdcbel par . Her aebtae: Recherches sur les glandes gastriques et les tuniques musculaires du tube
digestif des Poissons osseux et des Batraciens, par M. Martial Vazarour. Recherches d'embryologie comparée sur le Es de la Truite,
par M. LEREBOULLET. . . . 2 A0 4e) 20 ; Recherches sur les monstruosités Es Broche observées dans l'œuf, par M. LerEBOULLET. . , . . » .
Notice sur le genre Trachinus (Artedi) et sur ses espèces par M. Becker,
Note sur différentes espèces de Vertébrés fossiles observés pour la plupart dans le midi de la France, par M. Paul Gervais. PRE à
Description des restes fossiles de deux grands Mammifères constituant le genre Rhizoprion (ordre des Cétacés, groupe des Delphiniens) et le genre Dinocyon (ordre des Carnassiers, familles des Canides), par M. Jourpan.
ANIMAUX INVERTÉBRÉS.
Observations sur les Hélices saxicaves du Boulonnais, par M, Boucuarp- CHANSERANEUMS sub toonéssiel 20h ».01e vednbilenx :
Expériences sur le Cysticercus tenuicolis et sur le Tænia qui i ésnléé de sa transformation dans l'estomac du Chien, par M. Barcer.
Observations sur quelques Infusoires, par M. WRzESNIOWSKI.
337
412 303
247
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TABLE DES MATIÈRES
PAR NOMS D'AUTEURS.
Baicer. — Expérience sur le Cysticercus tenuicohs et sur le Tœnia qui résulte de sa trans- formation dans l'estomac du Chien. ë
Bazin. — Note sur le système nerveux et particulièrement sur le grand sympathique du Margobin : : -
Bzecxer. — Notice sur le genre Trachine et sur ses espèces.
Boucuarp-CHanTerEeaux. — Ob- servations sur les Hélices per - forantes du Boulonnais
Favre. — Recherches sur les modifications que subissent après la mort, chez les Gre- nouilles, les propriétés desnerfs el des muscles.
Gervais. — Note sur différentes espèces de Verlébrés fossiles observés pour la plupart dans le midi de la France.
99
327
Jacouarr.—Mémoire sur le cœur de la Tortue franche. . Jourpax.—Descriptiondesrestes
fossiles de deux grands Mam- inifères constituant le genre Rhisoprion et le genre Dino- cyon. : Vos MORCRE LereBouzzer. — Recherches d’embryologie comparée sur le développement de la Truite. — Recherches sur iles mons- truosités du Brochet observées
dans l'œuf. FPE ,100e Pasteur. — Mémoire sur les corpuscules organisés qui
existent dans l'atmosphère. . Vacarour. — Recherches sur les glandes gastriques et les tu- niques musculaires du tube digestif des Poissons osseux et des Batraciens. . . WRZESNOWRSKI. — Observations sur quelques Infusoires. .
303
369
113
2e
TABLE DES PLANCHES
RELATIVES AUX MÉMOIRES CONTENUS DANS CE VOLUME.
Planche 14.
Recherches sur les générations dites spontanées.
— 2et3. Embryologie de la Truite. — 4. Roche calcaire perforée par des Hélices.
— et 6. Glandes gastriques, etc., des Poissons et des Batraciens.
— : 7. Structure du cœur de la Tortue.
— 8. Leucophrys Claparedii, W.
— 9. Oxytricha sordida, etc. — A0, Rhizsoprion Bariensis.
FIN DE LA TABLE.
Paris, — Imprimerie de L. MARTINET, rue Migu: 0,2,
LL
hi LES + ' L o )A 0 _-
Lmbryologte de la Lrite
Zonl. Tome 1Ë
Eméryologie de Le Truite.
LA
Zoel. Tome 16, LES
Certes gastriques des Lhéssons oser et des Batraciens.
Zale Time 16 PL 6.
Clurtes gastriques ct tunique muscu de tube dégestf des Lessons.
Ann ar Krème-mart. Serre
1
Structure du cœur de la Tortue franche
——— _———— — - —————— —
dun ler Sione. mue. "Série Zoo, Time 16. JU 8
O2
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Zeucophrys Chapuredii
Han dar Stone mnt. 4 rie Zoot Tome 16 Pl 9.
So 6 Crytricha sortile. 7 Ox pelhimella 8 Stylonychia hitrio. à Clause maryarituoum. 10 à13 Trachelophyllum apiculatum .
Rhizoprion Bariensis
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